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COLIjEOTED bt

MAX STI/VIUS HASTDMAN 1885-19 39

PROPESSOR OF EOONOMIOS 1031-1939

UNIVERSITY OF MICHIGAN

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ESSAI

SUR L'INÉGALITÉ

DES

RAGES HUMAINES.

TOME IL

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TYPOGRAPHIB FIBMIN-DIDOT. MESNIL (EURB).

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ESSAI

SUR L'INÉGALITÉ

DES

RAGES HUMAINES,

Le Comte de GOBINEAU, [w^ \\Jii^^

iB DE PBANCB EN PBBSB, EN OBACB, AU BBESII MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS.

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TOME SECOND.

DEUXIÈME ÉDITION,

Précédée d'un avant-propos et d'nne biographie de l'auteur.

PARIS, LIBEAIBIE DE FIBMIN-DIDOT ET C^»,

IMPRIMEURS DE L*rNSTITDT, RUE JACOB, 66. 1884.

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«"'" ESSAI

SUR L'INEGALITE

DES

RAGES HUMAINES.

LIVRE QUATRIEME.

CIVILISATIONS SÉMITISÉES DU SUD-OUEST.

CHAPITRE III.

Les Grecs autochtones; les colons sémites; les Arians Hellènes.

La Grèce primordiale se présente moitié sémitique, moitié aborigène (1). Ce sont des Sémites qui fondent le royaume de Sicyone, premier point civilisé du pays , ce soiït des dynasties

(1) Quelques mots sur ces aborigènes que les temps historiques ont à peine entrevus. Tous les souvenirs primitifs de l'Hellade sont remplis d'allusions à ces tribus mystérieuses. Hésiode appelle autochtones les plus anciennes populations de TArcadie, qualiûées de pélasgiques. Érechthée, Cécrops, étaient des chefs reconnus pour autochtones. Il en était de même des nations suivantes : la généralité des Pélasges, les Léléges, les Kurètes, les Kaukons, les Aones, les Temmikes, les Hvantes, les Béotiens thraces, les Télébes, les Éphyres, les Phlé- gvens, etc. (Voir Grote, Eiiiory of Greece, t. I, p. 2-38, 262, 268, et t. II, p. 349; Larcher, Chronol. cTHérod., t. VIII; Niebuhr, Rœmische Ges- RACES HIJMAHÎES, T. IL 1

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2 DE l'inégalité

purement sémitiques ou autochtones que glorifient les noms caractéristiques d'Inachus , de Phoronée , d'Ogygès, d'Agénor, deDanaûs, de Codrus, de Cécrops, noms dont les légendes établissent la signification ethnique de la manière la plus claire. Tout ce qui ne vient pas d'Asie, à ces époques lointaines, se dit sur le sol même, et forme la base populaire des États nouvellement éclos. Mais le fait remarquable, c'est que, aux âges primordiaux , on n*aperçoit nulle part la moindre trace historique des Arians Hellènes.

Aucun récit mythique ne fait mention d'eux. Ils sont pro- fondément inconnus dans toute la Grèce continentale, dans les îles à plus forte raison. Pour les rencontrer, il faut descendre jusqu'aux jours de Deucalion, qui, avec des troupes de Lé- lèges et de Curetés , c'est-à-dire avec des populations locales, par conséquent non arianes, vint, bien longtemps après la création des États de Sicyone, d'Argos, de Thèbes et d'Athè- nes, s'établir dans la Thessalie. Ce conquérant arrivait du nord.

Aii^si, depuis la fondation de Sicyone, placée par les chro- nologistes, comitne Larcher, à Tan 2164 avant notre ère, jus- qu'à l'arrivée de Deucalion en 1541, autrement dit pendant une iode de six cents ans, on n'aperçoit en Grèce que des peuples antéarians aborigènes et des colonisateurs de race chamo-sémitique.

vivaient donc, que faisaient les Arians Hellènes pendant cette période de six cents ans ? Étaient-ils vraiment bien loin encore de leur future patrie? La tradition les ignore d'une fa-

chichte, t. I, p. 26 à 64; 0. Mùller, die Etrusker, Einleit., p. 11 et 75 à 100.) Sur la rapidité avec laquelle les populations aborigènes dis- parurent aussitôt que les Arians Hellènes eurent paru au milieu d'elles, consulter Grote, t. II, p. 351. Hécatée , Hérodote et Thucydide sont d'accord sur ce point, qu'il y a eu une époque antéhellénique dif- férents langages étaient parlés entre le cap Malée et l'Olympe. (Grote, t. II, p. 317.) Dès l'an 771 avant J.-C., on ne trouve plus trace d'éta- blissements non mêlés d'Arians Hellènes dans l'Hellade entière. Pour ce qui est de la nature ethnique des aborigènes , je suis obligé de renvoyer le lecteur au livre suivant, qui traite des populations absolument primitives de l'Europe.

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DES RACES HUMAINES. 3

"Çon si complète, que Ton serait tenté de croire qu'ils ont exé- cuté leur apparition première avec Deucalion , brusquement, inopinément, et que, avant cette surprise, on n'avait jamais en- . tendu parler d'eux. Puis soudain Deucalion, établi sur les terres de conquête , donne le jour à Hellen ; celui-ci a pour fils Dorus, jEoIus, Xuthus, qui, à son tour, devient père d'Achaeus et d'Ion : toutes les branches de la race , Doriens , ^Eoliens , Achéens et Ioniens, entrent en compétition des territoires jadis exclusivement acquis aux autochtones et aux Chananéens. Les Arians Hellènes sont trouvés.

Il ne faut pas s'étonner de ce défaut de précédents et de transition. Ce sont les formes mnépaoniques ordinaires des récits que conservent les peuples sur leurs origines. Cependant il n'y a pas le moindre doute que les invasions et les établisse- ments des multitudes blanches ne s'accomplissent point ainsi. Une nation menace longtemps un territoire avant de pouvoir s'y établir. Elle tourne autour des frontières du pays convoité sans les franchir. Elle épouvante d'abord et ne saisit que tar- divement. Les Arians Hellènes n'ont pas procédé autrement que leurs frères : ils n'ont pas fait exception à la règle.

Puisque avant rétaWissement de Deucalion en Thessalie il n'est pas question du nom de son peuple, cessons de recher- •cher ce nom, et, nous attachant à d'autres ressources, voyons ce qu'était Deucalion lui-même, bien reconnu comme Hellène, par les siècles postérieurs, puisqu'il est proclamé l'éponyme même de la race. Observons-le dans sa valeur ethnique, et d'a- bord, puisque nous procédons de bas en haut, commençons par préciser celle de ses fils, fondateurs des différentes tribus helléniques (1).

j (1)1 Les noms dés différents personnages de la généalogie ariane-heK lénique, évidemment s3nnboliques, sont plutôt des qualifications re- présentant le trait principal , résumant Thistoire de la vie de chacun de ces éponymes i il en est constamment ainsi , chez toutes les na-

Uions, quant à ces êtres génésiaques. Ainsi, Deucalion, non seule^ ment l'auteur de la race hellénique , mais le patriarche qui concentre sur sa tête le résumé des antiques souvenirs cosmogoniques, le témoin du déluge (dans la tradition sémitique-grecque, Ogygés remplit ce rôle) , Deucalion , qui répond au dieu-poisson, au des Assyriens,

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4 DE UN EGALITE

Ils naquirent tous , au second degré , de Deucalion et de^ Pyrrha, fille de Pandore. Dorus conamença par établir ses tri- bus autour de FOlympe, près du Parnasse. iEolus régna dans la Thessalie, chez les Magnètes. Xuthus s'avança jusqu'au Pé- loponèse. Hellen, père de ces trois héros, les avait eus d'une fille dont Torigine autochtone est suffîsanament indiquée par son nom : la légende l'appelle Orséis, la montagnarde. Pan- dore également n'était pas née de la souche hellénique. For- mée de limon, elle se trouvait être d'une autre espèèè que les Arians : elle était autochtone , elle avait épousé le frère de son: créateur. Ainsi , les patriarches de la famille hellénique ne se présentent pas comme étant de race pure. Quant à Pandore, cette femme aborigène mariée à un étranger ; quant à sa fille Pyrrha, mariée à un autre étranger; quant à ce dernier couple qui, après le déluge, se fabrique un peuple avec les pierres du sol, il est difficile de ne pas se rappeler, en les observant, le mythe tout semblable de l'histoire chinoise, Pan-Kou forme les premiers hommes avec de la glaise , bien qu'il soit homme y-' lui-même. La pensée ariane-grecque et ariane-chinoise n'a trouvé, à des distances immenses, que le même mode de mani-^ festation pour représenter deux idées complètement identiques, le mélange d'un rameau arian avec des aborigènes sauvages et l'appropriation de ces derniers aux notions sociales.

Deucalion, le premier des Grecs, à savoir, le premier d'une race mêlée , un demi-Sémite , à ce qu'il semble , était fils de Prométhée et de Klymène, issue de l'Océan (1). On senttrès^

au Noah hébraïque, est nommé ainsi du mot ancien AeOxoç (inusité),. vin nouveau^ et àXéo), vieille forme d'àXivôeo), se rouler, Vhomme qui se roule (dans l'ivresse du) vin nouveau. Le nom de lluppà, qui . contient le sens de rouge, ne présente pas une explication aussi nette. >— Ponrfofe, UavStûpa, celle à qui on a tout donné, est bien, 'en effet, un produit sans individualité propre; c'est la femme qui appartient à celui qui l'a créée , ou civilisée.

(1) npo[JiYi0£Ui;, le prévoyant. Il est fils de Japet, le père commun de la famille blanche , au dire d'Hésiode et d'Apollonius. Sa mère était Asia. C'est la déclaration bien claire et de sa valeur ethnique et de son premier séjour. On doniïe encore une autre souche que j'accep- terais également. Il serait, suivant quelques commentateurs, fils^ 4'Ouranos. Je m'explique plus bas à ce sujet.

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DES RACES HUMAINES.

bien ici la-déviation de la source pure, d'où Prométhée était issu. Si Deucalion devient éponyme de ses descendants , c'est qu'il n'a pas la même composition, la même signification ethni- que que son père. Rien de plus évident. Cependant les apports de sang sémitique ou aborigène ne peuvent constituer son ori- ginalité : c'est bien dès lors dans la ligne paternelle qu'il faut la chercher, sans quoi Deucalion ne serait nullement consi- déré par la légende hellénique comme l'homme type, et, dans les récits grecs d'origine sémitique , il serait classé bien après les héros chananéens qui l'ont, en effet, précédé suivant l'or- dre des temps. Deucalion tire donc tout son mérite spécial de son père, et ainsi c'est la race de celui-ci qu'il importe de re- connaître. Or, Prométhée était un Titan , ainsi que son frère Épiméthée, d'oii les Arians Hellènes descendent également par les femmes. En conséquence, personne, je crois, ne pourra combattre cette conclusion : les Arians Hellènes avant Deuca- lion, les Arians Hellènes, encore à peu près intacts de tous mélanges soit sémitiques, soit aborigènes, ce sont les Titans (l). La régularité de la filiation ne laisse rien à désirer.

Jusque-là, il est établi d'une manière irréfragable que les Grecs sont des descendants métis de cette nation glorieuse et terrible. Pourtant on pourrait douter encore que les Titans aient été, eux-mêmes, ces Hellènes, séparés jadis de la famille ariane sur les versants de l'Imaûs, et dont nous avons senti, plutôt que vu, la longue pérégrination dans les montagnes du nord de l'Assyrie, au long de la mer Caspienne. A la vérité, si la généalogie ascendante des Titans était complètement per- due, le fait n'en serait pas moins établi, avec toute la certitude

(1) Hésiode dérive le mot Ttxav, de tixaivo), ol xeivovTsç xà; yzi^^^, ceux qui étendent les mains. On donna à cette signification la portée de paffiXeùç, et on fit de ceux à qui on l'avait attribuée les Rois par excellence. De même, les Arians zoroastriens appelaient leurs ancêtres, probablement contemporains et frères des Titans, Kai^ ou Kava, les Rois. Le Pseudo-Orphée et Diodore représentent les Titans comme les premiers des humains, les hommes types. (Diodore, III, 57; V, 66.) Le dialecte thessalien avait conserve fidèlement la trace de l'idée ancienne, et Tixav y désignait le seigneur, le chef. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie (Dresde,, in-8», 1826), t. II, p. 47 et passim.)

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6 DE l'inégalité

possible , par la philologie et les arguments physiologiques : mais , puisque l'histoire est ici d'une clarté et d'une précision trop rares, je ne repousserai certes pas le secours qu'elle m'ap- porte, et je compléterai ma démonstration.

Les Titans étaient les fils directs de cet ancien dieu ariau, déjà aperçu par nous dans l'Inde, aux origines védiques, de ce Varounas , expression vénérable de la piété des auteurs de la race blanche ;, et dont les Hellènes n'avaient même pas dé- figuré le nom en le conservant, après tant de siècles, sous la forme à peine altérée d'Ouranos. Les Titans, fils d'Ouranos, le dieu originel des Arians, étaient bien incontestablement eux- mêmes , on le voit , des Arians , et parlaient une langue dont les restes, survivant au sein des dialectes helléniques, se rap- prochaient, sans nul doute, d'une façon très intime, et du sans- crit, et du zend, et du celtique, et du slave le plus ancien.

Les Titans, ces conquérants altiers des contrées montagneu- ses du nord de la Grèce, ces hommes violents et irrésistibles^ laissèrent dans la mémoire des populations de THellade, et, par contre-coup, dans celle de leurs propres descendants, exac- tement cette même idée de leur nature que les antiques Cha- mites blancs, que les premiers Hindous, que les Arians égyp- tiens, que les Arians chinois, tous conquérants, tous leurs parents, ont laissée dans le souvenir des autres peuples (1^. On les divinisa, on les plaça au-dessus de la créature humaine, on s'avoua plus petits qu'eux , et , ainsi que je l'ai dit quelquefois déjà, par une telle façon de comprendre les choses, on rendit

(1) Il est très vraisemblable qu'on peut considérer comme un monu- ment de la législation titanique ces prescriptions de Busygès, qui, dit-on, furent la souclie du code de Dracon. Trois commandements en formaient tout l'ensemble conservé à travers les siècles : « Honore tes parents; offre aux dieux les prémices de la terre; ne fais pas de mal au taureau. » C'est évidemment toute la loi hindoue et zoroas- trienne, c'est le pur esprit arian. On sait que les Grecs ne purent se défaire qu'avec peine du respect traditionnel pour le bœuf. Quand ils se laissèrent aller à sacrifier cet animal, ils imaginèrent, comme palliatif de la mauvaise action qu'ils commettaient, la cérémonie de la 3ouç6via ou SetTioXia, dans laquelle le sacrificateur, après avoir frappé sa victime, s'enfuyait en abandonnant la hache, à qui l'on faisait le procès. (Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie, t. II, p. 267.)

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DES KACES HUMAINES. 7

exacte justice et aux nations primitives de race blanche pure et aux multitudes de valeur médiocre qui leur ont succédé.

Les Titans occupèrent donc le nord de la Grèce. Leur pre- mier mouvement heureux vers le sud fut celui auquel présida Deuealion, menant à cette entreprise des troupes d'aborigè- nes, c'est-à-dire de gens étrangers à son sang (1). Lui-même d'ailleurs, on Fa vu, était un hybride. Ainsi, nous n'avons plus affaire désormais aux Titans. Ils restent, ils se mêlent, ils s'é- teignent dans les contrées septentrionales de l'Hellade, dans la Chaonie, l'Épire, la Macédoine : ils disparaissent, mais non sans transmettre et assurer une valeur toute particulière aux populations parmi lesquelles ils se fondent (2).

Ces populations, non plus que celles de la Thrace et de la Tauride , n'étaient pas, je l'ai indiqué sommaireinent, de race jaune pure. Déjà les nations celtiques et slaves avaient incon- testablement poussé leurs marches jusqu'à l'Euxin, jusqu'aux montagnes de la Grèce, jusqu'à l'Adriatique. Elles étaient même allées beaucoup plus loin. Les grands déplacements de peuples blancs septentrionaux, qui, sous l'effort violent des masses mongoles opérant au nord , avaient déterminé les Arians habitant plus au sud, sur les hauts plateaux asiatiques, à des- cendre le long des crêtes de l'Hindou-Koh , agissaient, dès longtemps, lorsque les Titans se montrèrent au delà de la Thrace. Les Celtes, que l'on trouve, au dix- septième siècle

(1) Qui d'ailleurs n'étaient point barbares. Elles paraissent avoir eu un degré respectable de culture utilitaire. Ces aborigènes labouraient le sol, prétendaient avoir inventé l'appropriation du bœuf aux travaux agricoles et l'usage du moulin à blé. (Mac Torrens CuUagh, The in- dustrial History of free Nations (London, 1846, in-8«), t. I, p. 7.) Ce trait, et d'autres encore, qui les identifient aux autochtones d'Italie, servira plus tard à démontrer qu'ils ne pouvaient être que des Celtes ou des Slaves, et, peut-être bien, l'un et l'autre.

(2) De vont se dégager, avec mille nuances, les Arians Hellènes, peuple nouveau, dans un certain sens, bien que devant son énergie a des éléments anciens atténués. Ce que cette race eut de particulier est bien représenté par sa religion, de même âge que lui. Ce fut le culte de Zeus, dont Heyne, dans une note d'Apollodore , a pu dire avec vérité : « Inde a Jove novus mythorum ordo initium habet vere Hellenicus. » (Bœltiger, t. I, p. 195.)

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8 DE l'inégalité

avant Jésus-Christ, fermement établis dans les Gaules, et les Slaves, que, pour des motifs à donner en leur lieu, j'aperçois en Espagne antérieurement à cette époque , avaient quitté de- puis des siècles patrie sibérienne et longé les bords supé- rieurs du Pont-Euxin. Pour toutes ces causes, une certaine somme de mélanges subis par les Titans avait apporté dans les veines des Arians Hellènes quelque proportion de principes jaunes dus seulement à l'intermédiaire des nations souillées d'un contact plus intime avec les peuples finnois (1).

Après l'époque de Deucalion, à dater du seizième siècle avant Jésus-Christ (2), les tribus fixées dans la Macédoine, l'É- jpire, l'Acarnanie, l'Étolie, le nord, en un mot, réunirent, à un degré tout particulier, les traits, du caractère arian et furent les premières à faire connaître le nom des Hellènes.

surtout brilla l'esprit belliqueux. Le héros thessalien, le brave aux pieds légers, reste toujours le prototype du courage hellénique. Tel que ITliade nous le montre, c'est un guerrier véhément, ami du danger, cherchant la lutte pour la lutte, et, dans sa religion de loyauté , ne transigeant pas avec le devoir qu'il s'impose. Ses nobles sentiments le font aimer. Les pas- sions impétueuses qui le perdent le font plaindre. H est digne d'être comparé aux vainqueurs de l'épopée hindoue, du Schah- nameh et des chansons de geste.

L'énergie était le trait de cette famille. Cette vertu, quand l'intelligence l'éclairé et la conduit, est partout désignée d'a-

(1) Très vraisemblablement le grec contient des racines thraces et illyriennes provenant du contact très ancien des Arians Hellènes, et même des Titans avec les populations parlant ces idiomes. 0. Mill- ier remarque avec raison que les Hellènes rapportaient aux Thraces leur poésie et leur civilisation primordiales. Le pays au nord de l'Hémus était, pour les admirateurs d'Orphée, le berceau de la cul- ture morale. (Pott, Encycl. Ersch u. Gruber, p. 65.)

(2) On s'aperçoit du premier coup d'œil combien les antiquités les plus lointaines de la Grèce sont humbles en comparaison de ce que l'on observe dans l'Inde, en Assyrie, en Egypte, même en Chine, et de ce que la Bactriane pourrait montrer. Ainsi Sicyone ne date que de l'an 2164 avant J.-C. C'est une fondation chananéenne, et l'arrivée des Arians Hellènes, de six siècles plus tardive, rejette aux âges de matu- rité des sociétés primitives l'enfance encore antéhistorique de i'Hellade.

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DES BACES HUMAINES» 9

vance pour le souverain pouvoir. Le nord de la Grèce fournit toujours au midi ses soldats les meilleurs , les plus intrépides , les plus nombreux, et longtemps après que le reste du pays était étouffé sous l'élément sémitique, il s'entretenait encore dans cette région des pépinières de hardis combattants. D'au- tre part, il faut l'avouer, les habitants de ces contrées, si ha- biles à se battre , à commander, à organiser, à gouverner, ne le furent jamais à briller dans les travaux spéculatifs. Chez eux, pas d'artistes, pas de sculpteurs, de peintres, d'orateurs, de poètes , ni d'historiens célèbres. C'est tout ce que put faire le génie lyrique que de remonter du sud jusqu'à Thèbes pour y produire Pindare. Il n'alla pas au delà , parce que la race ne s'y prêtait pas , et Pindare lui-même fut une grande exception dans la Béotie. On sait ce qu'Athènes pensait de l'esprit cad- méen, qui, pour n'avoir pas la langue déliée, ni la pensée fleurie, n'en suscitait pas moins des soldats mercenaires à toute TAsie et , à Toccasion , un grand homme d'État à la patrie hel- lénique. Le sang de la Grèce septentrionale avait à Thèbes sa frontière (1).

Le nord fut donc toujours distingué par les instincts mili- taires et même grossiers de ses citoyens , et par leur génie pra- tique , double caractère incontestablement à un hymen de l'essence blanche ariane avec des principes jaunes. Il en ré- sultait de grandes aptitudes utilitaires et peu d'imagination sensuelle. Nous apercevons ainsi, dans les parties de l'Europe les plus anciennement au pouvoir des Hellènes, l'antithèse

(1) Thèbes remplissait parfaitement l'emploi de limite entre deux races. Elle affichait sa double origine en racontant sur sa fondation deux légendes : l'une ariane, qui attribuait le fait à Amphion et à 2éthus; l'autre sémitique, et par laquelle le Chananéen Cadmus était son premier roi. (Grote, History of Greece, t. I, p. 350.) Ce sont C€S mélanges de traditions asiatiques, helléniques-arianes et abori- gènes qui ont rendu longtemps l'histoire primitive et la mythologie grecques presque incompréhensibles. Les époques savantes ont aug- menté le désordre par la manie du symbolisme, de l'allégorie, et par les évhémérismes de toute espèce. Puis sont venus les modernes, qui, en généralisant les notions, ont réussi à les rendre absurdes au dernier chef.

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10 DE l'inégalité

ethnique et morale de ce que nous avons observé dans FlnàB^ en Perse et en Egypte. Nous allons faire de même l'application de ce contraste aux nations de la Grèce méridionale. La diffé- rence sera plus saillante à mesure que'nous passerons du con- tinent dans les île^ et des îles dans les colonies asiatiques.

Je me suis servi, il n'y a qu'un instant, de l'Iliade pour ca- ractériser le génie tout à la fois arian et finnique des Grecs du nord. Je n'y puise pas de moindres secours lorsque je cherche à me représenter l'esprit arian-sémitique des Grecs du sud, et il me suffira, dans ce but, d'opposer à Achille et à Pyrrhus le sage Ulysse. Voilà bien le type du Grec trempé de phénicien; voîlà l'homme qui nommerait certainement , dans sa généalo- gie, plus de mères chananéennes que de femmes, arianes. Cou- rageux, mais seulement quand il le faut, astucieux par préfé- rence, sa langue est dorée, et tout hnprudent qui l'écoute plaider est séduit. Nul mensonge ne l'effraye, nulle fourberie ne rembarrasse, aucune perfidie ne lui coûte. Usait tout. Sa . facilité de compréhension est étonnante , et sans bornes sa té- nacité dans ses projets. Sous ce doublé rapport , il est Arian. Poursuivons le portrait.

Le sang sémitique parle de nouveau en lui, quand il se montre sculpteur : lui-même il a taillé son lit nuptial dans un olivier, et cet ouvrage incrusté ;4'i voire est un chef-d'œuvre. Ainsi éloquent, artiste, fourbe et dangereux, c'est un compa- triote, un émule du pirate-marchand à Sidon, du sénateur qui gouvernera Carthage, tandis qu'ingénieux à trouver des idées, inébranlable dans ses vues, habile à gouverner ses pas- sions autant qu'à tempérer celles des autres , modéré quand il le veut, modeste parce que l'orgueil est une enflure maladroite de la raison, c'est un Arian. H n'y a pas de doute qu'Ulysse doit l'emporter sur Ajax, véritable Arian Finnois. La nuance du type grec à laquelle appartient le fils de Laërte est destinée à une plus haute, plus rapide, mais aussi plus fragile fortune, que son opposite. La gloire de la Grèce ,fut Tœuvre de la frac- tion ariane, alliée au sang sémitique; tandis que la grande prépondérance extérieure de ce pays résulta de l'action des populations quelque peu mongolisées du nord.

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DES BACES HUMAINES. H

On le sait : de bonne heure, et longtemps avant que les premières tribus des Arians Grecs, provenant du mélange des aborigènes avecles Titans , fussent descendues dans l'Attique et le Péloponèse, des émigrants chananéens avaient déjà con- duit leurs barques vers ces plages. On ne croit plus guère au- jourd'hui, et cela pour des raisons irréfragables , que parmi ces étrangers se soient trouvés des Égyptiens. Les gens de Misr ne colonisaient pas : ils restaient chez eux, et même, bornés longtemps à la possession du cours supérieur du Nil, ils ne sont descendus qu'assez tard jusqu'aux bords de la mer. La partie inférieure du Delta était occupée par des peuples de race sémitique ou chamitique. C'était le grand chemin des ex- péditions vers l'Afrique occidentale. Si donc, ce que je n'ai nid motif de contester, certaines bandes , venues pour peupler la Grèce, sont parties de ce point, ce n'étaient pas des Égyp- tiens : c'étaient des congénères de ces autres envahisseurs qui, de l'aveu commun , sont accourus en grand nombre de Phé- nicie. Tous les noms des anciens chefs d'États grecs primitifs, qui ne présentent pas une apparence aborigène , sont unique- ment sémitiques : ainsi Inachus, Azéus, Phégée, Mobé, Agé- nor, Cadmus, Codrus. On cite une exception, deux au plus : Phoronée, que l'on rapproche du Phra égyptien, et Apis. Mais Phoronée est le fils d'Inachus, le frère de Phégée, le père de Niobé. On trouve ce héros , dans sa famille même , entouré de noms clairement sémitiques , et il ne serait pas plus difficile de découvrir au sien une racine de même espèce qu'il ne l'est de l'identifier avec Phra (1).

On a rapproché le nom d'Inachus du mot Anakj dont M. de Ewald et d'autres hébraïsants ont fait ressortir l'im- portance ethnique. Si ce nom devait avoir, quant au premier roi del'Argolide, une signification de race, il indiquerait une

(1) L'existence de coloDies égyptiennes dans la Grèce primitive compte aujourd'hui beaucoup plus d'adversaires que de partisans. (Voir à ce sujet Polt, Eûcycl. Ersch u. Gruber, Indo-Germanischer Sprachstamm, p. 23, et Grole, Hist. ofGreece, t. ï, p. 32.) Ce dernier ne pense pas qu'avant le vn« siècle il y ait eu des rapports suivis entre la Grèce et la terre des Pharaons.

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^2 DE I^'lNÉGALITÉ ^

parenté avec la tribu honteusement abrutie de ces noirs purs qui, maîtres dépossédés du Chanaan, erraient dans les buis- sons et hantaient les cavernes de Seïr. Mais la vraisemblance n'en est pas grande, et je ne crois pas qu'il faille soit confon- dre le nom d'Inachus avec le mot Anak, soit, si l'on ne peut éviter ce rapport, y trouver un sens plus profond qu'une pure similitude de syllabes. C'est ainsi que, pour le mot Kabl, v.^ fréquent dans la composition des noms arabes, on aurait le plus grand tort de chercher le père de qui le porte parmi les individus de Tespèce' canine (1).

Les colonies venues du sud et de Test se composaient donc exclusivement de Chamites noirs et de Sémites différemment mélangés. Le degré de civilisation de chacune d'elles n'était pas moins nuancé, et les variétés de sang, créées par ces in- vasions dans les pays grecs, furent infinies.

Aucune contrée ne présente, aux époques primitives, phis de traces de convulsions ethniques, de déplacements subits et d'immigrations multipliées. On y venait par troupes de tous les coins de l'horizon , et souvent pour ne faire que passer ou se voir tellement assailli, que force était de se confondre aus- sitôt parmi les vainqueurs et de perdre son nom. Tandis que, à tous moments, des bandes saturées de noir accouraient soit des îles, soit du continent d'Asie, d'autres populations mê- lées d'éléments jaunes, des Slaves, des Celtes, descendaient du nord sous mille dénominations imprégnées d'idées toutes

(1) Le chananéen pJJ?, anak, qui signifie un homme remarquable par rélévalion de la taVue et la longueur du cou, c'est-à-dire un géant ou un homme fort, et de un maître, est la véritable racine de ce nom ou plutôt de ce titre d'Inachus, considéré ensuite comme un ap- pellatif, ainsi qu'on a fait de Brennus, de Boiorix, de Vercingetorix et de tant d'autres mots du même genre. Les Grecs sémitises du sud l'ont fidèlement conservé dans le titre d'aval, donné aux dieux , prin- cipalement à Apollon , par Homère, et aux Dioscures, ôsot avaxsç, puis aux chefs militaires. On peut aussi relever, comme une trace, entre tant d'autres, de l'énorme influence des Sémites sur l'esprit grec que lia, anêr, désignation que se donnaient les Chananéens, est l'étymo- . logie de àvYip qui, pour les contemporains dePériclès, voulait dire un homme, vir. (Bœttiger, t. I, p. 206.)

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DES BACES HUMAINES. t3

spéciales (1). Pour expliquer ce concours de tant de nationalités sur une péninsule étroite et presque séparée du monde, il est besoin de ne jamais perdre de vue quelles perturbations énor- mes les agitations des peuples finnois amenaient dans les par- ties septentrionales du continent. Les guerriers arrivés de la Thessalie et de la Macédoine dans les parages de rAcarnanie avaient été les victimes directes des dépossessions répétées de proche en proche, et, de même, les Chamites noirs et les Sé- mites venus de Test et du sud fuyaient devant des événements analogues, et abandonnaient, pour aller chercher fortune en Grèce, lem's territoires, devenus domaines des invasions hé- braïques ou arabes, en un mot, chaldéennes de différentes dates.

Ces armées de fugitifs rejetés, le glaive à la main, dans le Péloponèse, l'Attique, FArgolide, la Béotie, l'Arcadie, s'y heur- taient les unes contre les autres et s'y livraient bataille. Il ré- sultait encore de ces nouveaux conflits de nouveaux vaincus et de nouveaux vainqueurs, des tribus asservies, d'autres chas- sées, de sorte que, après le combat, des cohues tumultueuses repartaient, soit pour se diriger vers l'ouest et gagner la Sicile, l'Italie, riUyrie, soit pour retourner sur la côte asiatique et y chercher une fortune meilleure (2). L'Hellade ressemblait à im de ces abîmes profonds creusés dans le lit des fleuves, les eaux, pressées par le courant, se précipitent en lourdes masses et ressortent en tourbillons.

Pas de repos, pas de trêve. Les temps héroïques sont à peine ouverts, l'épopée balbutie ses plus obscurs récits, et, dédai- gneuse des hommes, remarque les dieux seuls, que déjà les expulsions violentes, les dépossessions de tribus entières, les

(i) Cet état d'antagonisme ne prit jamais fln. Il continua à être re- présenté par Fexistence d'innombrables dialectes. Inutile de rap- peler que la classiflcation en quatre branches, ionique, dorique, éolique et attique, est une œuvre artificielle des grammairiens et ne reproduit nullement un état de choses dans lequel chaque petite sub- <livision de territoire avait, à tout le moins, des idiotismes qui lui étaient absolument propres. (Grote, t. I, p. 318.)

(2) La race de Dardanus et de Teucer, une de celles qui portèrent rélément arian-hellénique dans la Troade, fut dans ces derniers.

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14 DE l'inégalité

révolutions de toute sorte ont commencé. Puis, lorsque, met- tant pied à terre, la Muse parle enfin de isang-froid et dans des termes que la raison peut discuter, elle nous montre les nations grecques composées à peu près ainsi r

Des Hellènes. Arians modifiés par les principes jaunes^ mais avec grande prépondérance de l'essence blanche et quel- aues affinités sémitiques;

2^ Des aborigènes. Populations siavo-celtiques salurées d'éléments jaunes ;

Des Tliraces. Arians mêlés de Celtes et de Slaves ;

4^ Des Phéniciens. Chamites noirs ;

Des Arabes et des Hébreux. Sémites très mêlés-

6*^ Des Philistins. Sémites peut-être plus purs ;

Des Libyens. Chamites presque noirs ;

Des Cretois et autres insulaires. Sémites assez sembla- blés aux Philistins.

Ce tableau a besoin d'être commenté (1). Il ne contient pas, à proprement parler, un seul élément pur. Sur sept , six ren- ferment, à différents degrés , des principes mélaniens ; deux

(1) Je suis de Tavis de Grot« {Hist. of Greece, t. II, p. 3!>p et passim) ; je ne crois pas aux Pélasges, en tant que formant une race ou une nation distincte, et le mot signifie trop bien anciens habitants, pour que je lui retire ce sens vague et lui en prête un plus spécial. On rencontre les Pélasges en tant d'endroits et pourvus de caractères si différents, qu'il me semble impossible de leur attribuer une nationa- lité unique. (Voir, à ce sujet, Grole, t. II, p. 349.) Pott exprime son sentiment d'une façon qui mérite d'être reproduite ici : « Les Pélasges, * dit-il, sont, quoi qu'on fasse, une simple fumée et dénués de toute « réalité historique , aussi bien que les Casci, c'est-à-dire les anciens, « les ancêtres, et les aborigènes, c'est-à-dire habitants primitifs. Le « nom de Pélasges a été pris à tort pour une appellation de peuple t et de race. Il ne s'applique que chronologiquement aux premiers « âges de la Grèce et aux tribus qui habitaient alors ce pays, sans « distinction d'origine. Si, plus tard, on a cru trouver encore çà et 0 des peuplades qu'on a jugées propres à revêtir cette désigna- « tion de Pélasges, c'est par un rapprochement tout semblable à l'idée «admise au siècle dernier que les Goths étaient des Scythes, des « Gètes, etc. On croyait alors qu'il existait des restes de cette nation « germanique dans la Crimée. » (Encyclop. Ersch u. Gruber, sect, 18« part., p. 18.)

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DES BACES HUMAINES. 15

ont des principes jaunes; deux encore contiennent l'élément blanc pris à la branche chamitique, et donc extrêmement af- faibli ; trois le possèdent emprunté au rameau sémitique, deux autres au rameau arian ; trois, enfin, réunissent les deux der- nières sources. J'en tire les conséquences suivantes :

Le principe blanc, en général, domine, et l'essence ariane y partage l'influence avec la sémitique, attendu que les inva- sions des Arians Hellènes, ayant été les plus nombreuses, ont formé le fond de la population nationale. Toutefois l'abondance du sang sémitique est telle , sur certains points en particulier, que l'on ne peut refuser à ce sang une action marquée , et c'est à lui qu'appartient une initiative tempérée par l'action ariane appuyée du contingent jaune. Il va sans dire que ce ju- gement a pour objet la Grèce méridionale , la Grèce de l'At- tique, du Péloponèse, des colonies, la Grèce artiste et savante. Au nord, les éléments mélaniens sont presque nuls. Aussi, dans les siècles rapprochés de la guerre de ïroie , ces régions exci- tèrent, beaucoup moins que les contrées asiatiques, les préoc- cupations des Grecs du sud.

C'est que, en effet, à ces époques , et vers le temps Hé- rodote écrivait, la Grèce était elle-même un pays asiatique, et la politique qui l'intéressait le plus s'élaborait à la cour du grand roi. Tout ce qui avait trait à l'intérieur, agrandi, enno- bli à nos yeux par l'admirable manière dont le souvenir nous en a été conservé, n'était pourtant que très secondaire en com- paraison des faits extérieurs dont les ressorts restaient aux mains des Perses.

Depuis que l'Egypte était tombée au rang de province ralliée aux États achéménides, il n'y avait plus dans le monde occiden- tal deux civilisations comme jadis. L'antagonisme de l'Euphrate et du Nil avait cessé; plus rien d'assyrien, plus rien d'égyptien, et, en place, un compromis auquel je ne trouve d'autre nom que celui d'asiatique. Cependant la grande place y apparte- nait encore au principe assyrien/ Les Perses, trop peu nom- breux, n'avaient pas transformé ce principe , ne l'avaient pas même renouvelé. Leur bras s'était trouvé assez fort pour lui donner une impulsion que les dynasties chaldéennes n'avaient

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^6 DE l'inégalité

pu créer à un même degré, et, sous Tatteinte de ce colosse en pourriture, la débile caducité égyptieime s'était réduite en poussière et mêlée à lui. Existait-il dans le monde une troi- sième civilisation pour prendre la place des champions anciens? Nullement : la Grèce ne représentait pas, vis-à-vis de l'Assyrie, une culture originale comme l'égyptienne , et Lien que son in- telligence eût des nuances très spéciales, la plupart des élé- ments qui la composaient se retrouvaient, avec le même sens et la même valeur, chez les peuples sémitiques du littoral mé- diterranéen. C'est une vérité qui n'a pas besoin de démonstra- tion.

^ Dans leur opinion même, les Grecs faisaient beaucoup plus de cas de ce qu'ils appelaient, sans doute, en leur langage, les conquêtes de la civilisation, c'est-à-dire les importations de dieux, de dogmes, de rites asiatiques, et de rêveries mons- trueuses venues des côtes voisines, que de la simplicité ariane professée jadis par leurs religieux ancêtres mâles. Ils s'enqué- raient avec prédilection de ce qui s'était pensé et fait en Asie. Ils se mêlaient de leur mieux aux affaires, aux intérêts, aux querelles du grand continent, et, bien que pénétrés de leur propre importance, comme tout petit peuple doit l'être, bien qu'appelant même l'univers entier barbare, en dehors d'eux, leur regard ne se détachait pas de l'Asie.

Tant que les Assyriens furent indépendants, les Grecs , fai- bles et éloignés, ne comptèrent que peu dans le monde ; mais, comme le développement hellénique se trouva contemporain de la grande fortune des Arians Iraniens, ce fut à cette épo- que qu'en face des maîtres de l'Asie antérieure, ils eurent à. opter entre l'antagonisme et la soumission. Le choix était in- diqué par leur faiblesse. Ils acceptèrent l'mfluence victorieuse, dominatrice, irrésistible, du grand roi, et vécurent dans la sphère de sa puissance, sinon à l'état de sujets, du moins à celui de protégés.

Tout, je le répète, leur en faisait une obligation. La parenté avec les Asiatiques était étroite; la civilisation presque iden- tique dans ses bases, et, enfin, sans le bon vouloir des Perses, c'en était fait des colonies ioniennes, toujours et traditionnel-

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DES RACES HUMAINES. 17

Jement soutenues par la politique des souverains de l'Assyrie. Or, de la fortune des colonies dépendait celle des métropo- les'(l).

Il y avait ainsi accord entre les Arians Grecs et les Arians Iraniens. Le lien commun était ce vaste élément sémitique sur lequel, chacun chez soi, ils avaient dominé , et qui, tôt ou tard, par une voie ou par une autre, devait les absorber également dans son unité agrandie.

Il peut paraître singulier que je dise que les Arians Grecs eussent jamais dominé chez eux le principe sémitique, après avoir démontré que la plus grande partie de leur civilisation en était faite. Pour donner raison de cette contradiction ap- parente, je n'ai qu'à rappeler une réserve inscrite plus haut.. En disant que la culture grecque était principalement d'origine sémitique, je réservais un certain état antérieur que je vais examiner maintenant, et qui contient, avec trois éléments tout à fait arians, l'histoire primitive de l'hellénisme épique. Ces éléments sont : la pensée gouvernementale, l'aptitude mi- litaire, un genre bien particulier de génie littéraire. Tous les trois ressortent de l'hymen de ces deux instincts arians, la rai- son et la recherche de l'utile.

Le fondement de la doctrine gouvernementale des Arians Hellènes était la liberté personnelle. Tout ce qui pouvait ga- rantir ce droit, dans la plus grande extension possible, était bon et légitime. Ce qui le restreignait était à repousser. Voilà

(1) Le fait qui démontre le mieux cet état de choses, c'est l'altitude de la majeure partie des États grecs pendant la guerre persique.»A la bataille de Platée, 50,000 fantassins et une nombreuse cavalerie hellénique combattirent dans les rangs du grand roi , contre les Athéniens et leurs alliés. Ces troupes furent fournies, non pas par les Ioniens, que je mets à part, mais par les Béotiens , les Locriens, les Maliens, les Thessaliens, c'est-à-dire toute la Grèce orientale. Il faut y ajouter encore les Phocéens. Ces derniers envoyèrent 2,000 hommes aux Perses. Par conséquent, le Péloponèse et l'Attique, voilà tout ce qui résisialuOn a fait depuis, de cette campagne d'une minorité contre la majorité de la Grèce, une gloire nationale. (Zumpt, Mémoires de l'Académie de Berlin, Ueber den Stand der Bevœlkerung und die Volksvermehrung im Aîterthum, p. 5.)

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18 DE l'inégalité

le sentiment , voilà l'opinion des héros d'Homère : voilà qui ne se retrouve qu'à l'origine des sociétés arianes.

A l'aurore des âges héroïques, et même longtemps après, les États grecs sont gouvernés d'après les données, les notions déjà observées dans l'Inde, en Perse, et quelque peu à l'ori- gine de la société chinoise, c'est-à-dire pourvus d'un gouver- nement monarchique , limité par l'autorité des chefs de famille, par la puissance des traditions et la prescription religieuse. On y remarque un grand éparpillement national , de fortes tra- ces de cette hiérarchie féodale si naturelle aux Arians , préser- vatif assez efficace contre les inconvénients principaux du frac- tionnement, conséquence de l'esprit d'indépendance (1). Rien jde plus surveillé dans Texercice de son pouvoir qu'Agamemnon, le roi des rois-, rien de plus limité dans sa puissance que l'ha- bile souverain dlthaque. L'opinion est maîtresse dans ces grands villages (2), il n'existe pas, sans doute, de jour- naux (3), mais les ambitieux , plus ou moins éloquents, ne manquent pas à la perturbation des affaires. Pour bien com- prendre ce que c'était qu'un roi grec aux prises avec les dif- ficultés gouvernementales, il n'est rien de mieux que d'étudier le coup d'État d'Ulysse contre les amants de Pénélope. On y

(i) « Between the différent degrees of ïiellenic chivalry a certain « equality at ail times prevailed, which Ihe fewness of their numbers « comprend with the population amidst whom they dwelt and the « hereditary pride of a dominant race , alike tended to préserve. Wo « find the doric nobles, too, in after times, assuming to themselves « the epithet of the Equals. » C*est un sentiment tout à fait pareil et d'une origine ethnique rigoureusement semblable, qui a rendu si cher à"la noblesse du moyen âge le nom de pairs, traduction exacte du grec '0(1,0101. (W. To'rrens Me. CuUagh, The industrial History offree Nations (London, 1846, in-S», t. I, p. 3.)

(2) Athènes avait commencé par être une agrégation de plusieurs hameaux. Sparte était un composé de cinq bourgades et ne fut jamais une ville; Mantinée également; Tégée en comptait huit; Dymé, en Achaïe, et Élis de même; de même encore Mégare etTanagra. Jusqu'à la bataille de Leuctres , la plupart des Arcadiens n'eurent aussi que des villages , et les Épirotes les imitèrent. (Grote , t. Il, p. 346.)

(3) Les poètes, comme Hésiode et Homère, paraissent avoir eu leur franc parler contre les excès et probablement le simple usage aussi du pouvoir. (Hésiode, les Travaux et les jours, p. 186.)

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DES BACES HUMAINES. 19»

voit sur quel terrain scabreux opérait Tautorité du prince, même ayant de son côté le droit et le bon sens.

Dans cette société vive, jeune, altière, le génie arian inspi- rait richement la poésie épique. Les hymnes adressés aux dieux étaient des récits ou des nomenclatures plutôt que des effusions. Le jour du lyrisme n'était pas venu. Le héros grec combattait monté sur le char arian , ayant à ses côtés un écuyer de sang noble, souvent royal, bien semblable au souta brahmanique, et ses dieux étaient des dieux-esprits, indéfinis, peu nom- breux et ramenés facilement à une unité qui, mieux que tout encore , sentait son origine voisine des monts hymalayens (l).

A ce moment très ancien, la puissance ci vihsatrice, initia- trice, ne résidait pas dans le sud : elle émanait du nord. Elle venait de la Thrace avec Orphée , avec Musée , avec Linus. Les guerriers grecs apparaissaient grands de taille, blancs et blonds. Leurs yeux portaient leur arrogance dans Fazur, et ce souvenir resta tellement maître de la pensée des générations suivantes, que lorsque le polythéisme noir eut envahi, avec Taffluence croissante des immigrations sémitiques , toutes les contrées comme toutes les consciences, et eut Substitué ses sanctuaires aux simples lieux de prière dont jadis les aïeux se contentaient, la plus haute expression de la beauté, de la puissance majestueuse , ne fut pas autre pour les Olympiens que la reproduction du type arian, yeux bleus , cheveux blonds^ teint blanc, stature élevée, dégagée, élancée.

Autre signe d'identité non moins digne de remarque. En Egypte, en Assyrie, dans l'Inde, on avait eu l'idée que les hommes blancs étaient dieux ou pouvaient le devenir, et Ton admettait la possibilité du combat et de la victoire des guer- riers blancs contre les puissances célestes. Les mêmes notions se retrouvent au sein des sociétés primitives de la Grèce, ainsi que je l'ai dit à propos des Titans, et je le répète ici de leurs descendants immédiats, les Deucalionides. Ces braves combat- tent audacieusement les êtres surnaturels et les forces person-

(i) Voir dans le premier volume la note sur le Vourounas ariân, le Varouna hindou et TOOpavoç grée, et surtout ce qui a été dit sur le Deus, puis sur les Titans.

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20 DE l'inégalité

nifiées de la nature. Diomède blesse Vénus ; Hercule tue les oiseaux sacrés du lac Stymphalide , il étouffe les géants, en- tants de la terre , et fait trembler d'épouvante la voûte des pa- lais infernaux; Thésée, parcourant le monde d'en bas l'épée à la main, est un vrai Scandinave. En un mot, les Arians -Grecs , comme tous leurs parents , ont une si haute opinion des droits de la vigueur, que rien ne leur paraît trop au-dessus de leurs prétentions légitimes et d'une audace permise.

Des hommes si avides d'honneur, de gloire et d'indépen- dance étaient naturellement portés à se mettre au-dessus les uns des autres et à réclamer des égards extraordinaires. Il ne leur suf usait pas de limiter de leur mieux l'action du pouvoir social et de rendre ce pouvoir dépendant de leurs suffrages : ils voulaient se faire compter, estimer, honorer, non seulement ■comme Arians, libres et guerriers, mais, dans la masse des guerriers, des hommes libres, des Arians, comme des indivi- dualités d'élite. Cette prétention universelle obligeait chacun à de grands efforts , et puisque , pour atteindre à l'idéal pro- posé, il n'y avait d'autre voie que d'être le plus Arian possible, de résumer le plus les vertus de la race, l'on attacha une très grande importance à la pureté des généalogies.

Durant les temps historiques , cette notion se pervertit. On . s'estima alors suffisamment noble , quand la famille put se dire vieille. Dans ce cas , elle mettait son orgueil à accuser une des- cendance asiatique (1). Mais, au début de la nation, avoir le droit de se vanter d'être un pur Arian fut le gage unique d'une supériorité incontestable. L'idée de la préexcellence de race existait aussi complète chez les Grecs primitifs que chez tou- tes les autres familles blanches. C'est un instinct qui ne se rencontre bien entier que dans ce cercle , et qui s'y altère par le mélange avec les races jaune et noire , auxquelles il fut toujours étranger.

(1) Certaines familles athéniennes semblent avoir pu se rendre, avec vérité, ce témoignage. Les Géphyres, d'où descendaient Harmodius et Aristogiton, portaient un nom chananéen 12^1, D'^'i^Oi^ geber, geberim, les forts, les puissants, les chefs. (Bœttiger, t. I, p. 206.)

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DES RACES HUMAINES. 21

Ainsi la société grecque , très neuve encore , se hiérarchisait suivant la supériorité de naissance. A côté de la liberté et de la liberté jalouse des Arians Hellènes, pas l'ombre d'égalité entre les autres occupants du sol et ces maîtres audacieux. Le sceptre, bien que donné en principe à l'élection, trouva, par le respect dont on entourait les grands lignages, une forte cause de se perpétuer exclusivement dans quelques descendances. Sous certains rapports même , l'idée de suprématie d'espèce» consacrée par celle de famille, conduisit les Arians Grecs à des résultats comparables à ceux que nous avons observés en Egypte et dans l'Inde, c'est-à-dire que, eux aussi, ils connu- rent les démarcations de castes et les lois prohibitives des mé- langes. Il y a plus : ils appliquèrent ces lois jusqu'aux derniers temps de leur existence politique. On cite des maisons sacer- dotales qui ne s'alUaient qu'entre elles, et la loi civile fut tou- jours dure pour les rejetons des citoyens mariés à des étran- gères. Cependant , je me hâte de le dire, ces restrictions étaient faibles. Elles ne pouvaient avoir la même portée que les lois du Nil et de l'Arya-varta. La race ariane-grecque , malgré la conscience de sa supériorité d'essence et de facultés sur les populations sémitiques qui la pénétraient de toutes parts , avait ce désavantage d'être jeune d'expérience et de savoir, tandis que les autres étaient vieilles de civilisation. Ces dernières jouissaient, à son détriment, d'une supériorité extérieure qui ne permettait pas de les dédaigner et de se refuser complètement a l'alliage. Bfe système des castes resta toujours à l'état d'em- bryon : il ne put se développer. L'hellénisme eut trop souvent intérêt à permettre les mésalliances, et d'autres fois il se vit forcé de les subb-. Sous ce double rapport , sa situation ressem- bla beaucoup à ce que fut plus tard celle des Germains.

Quoi qu'il en soit, l'idée nobiliaire se montra extrêmement forte et puissante chez les Arians Grecs. Le classement des citoyens ne se faisait que d'après la valeur de chaque descen- dance; les vertus individuelles venaient après {!). Je le répète

(1) Il faut que cette doctrine ait été bien solidement attachée à resr prit des tribus helléniques , par la partie ariane de leur sang, puisque, dans la période démocratique et à Athènes même, la naissance con-

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22 DE L INEGALITE

donc : Fégalité était complètement proscrite. Chacun, se sen- tant fier de son extraction, ne voulait pas être confondu dans la foule.

Et de même que chacun prétendait être libre, honoré, admii'é, chacun aussi visait à commander autant que possible. Il semble qu'une telle tendance dût être difficile à réaliser dans une société ainsi faite , que le roi lui-même , le pasteur du peu- ple, avant d'exprimer un avis, devait s'enquérir si cet avis . convenait aux dieux, aux prêtres, aux gens de haute naissance, aux guerriers, au gros du peuple. Heureusement, il restait des ressources : il y avait Fesclave , l'ancien autochtone asservi , puis enfin les étrangers. Voyons d'abord ce qu'était l'esclave.

Pour premier point, la créature réduite à cette condition n'appartenait, dans aucun cas, à la cité. Tout homme sur le sol consacré et de parents libres avait un droit imprescriptible à vivre libre lui-même. Sa servitude était illégitime, emportait le caractère de crime, ne durait pas, n'était pas. Si l'on réfléchit que la cité grecque primitive renfermait une nation, une tribu particulière, et que cette nation, cette tribu, se considérant comme unique en son espèce, ne voyait le monde qu'en elle- même, on découvre dans cette prescription fondamentale la pro- clamation du principe que voici : « L'homme blanc n'est fait « que pour Findépendance et la domination ; il ne doit pas subir, « dans la perpétration de ses actes-, la direction d'autrui. »

Cette loi, évidemment, n'est pas une invention locale. On la retrouve ailleurs, on la revoit dans toutes les constitutions so- ciales de la famille que l'on peut observer d'assez près pour se rendre compte des détails. J'en tire la conséquence que, sui- vant cette opinion, il n'était pas permis de réduire en servitude un homme blanc, c'est-à-dire un homme^ et que l'oppression, quand elle était limitée aux individus des espèces noire et

serva toujours du prix. M. Me. CuUagh le reconnaît sans difficulté : « Regard for ancient lineage was, through every change of plight « and policy, fast rooted in the lonic mind. The old familles remained a every \Yhere, and even in the most démocratie States, preserved « certain political privilèges and whât they doubtless prized still more, « cerlain social distinction. » (T. I, p. 239.)

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jaune, n'était pas censée constituer une violation de ce dogme de la loi naturelle.

Après la séparation des différentes descendances blanches, chaque nation s'étant imaginé, dans son isolement au milieu de multitudes inférieures ou métisses, être Tunique représen- tant de l'espèce , ne se fit aucun scrupule d'user des préroga- tives de la force dans toute leur étendue, même sur les parents que l'on rencontrait et qui n'étaient plus reconnus pour tels, du moment qu'ils appartenaient à d'autres rameaux. Ainsi, bien que, dans la règle, il ne dût y avoir que des esclaves jau- nes et noirs, il s'en fit pourtant de métis et ensuite de blancs, par une corruption de la fâcheuse prescription antique dont on avait involontairement altéré le sens , en en restreignant le bénéfice aux seuls membres de la cité.

Une preuve sans réplique que cette interprétation est la bonne, c'est qu'en vertu d'une extension très anciennement ap- pliquée, on ne voulut pas non plus pour esclaves les habitants des colonies, ni les alliés, ni les peuples avec lesquels on avait des rapports d'hospitalité; et, plus tard encore, suivant une autre règle qui, au point de vue de la loi originelle, et dans un sens ethnique, n'était qu'une assimilation arbitraire, on éten- dit cette franchise à toutes les nations grecques.

Je vois ici une preuve que , dans l'Asie centrale, les peuples blancs, au temps de leur réunion, s'interdisaient de posséder leurs congénères , c'est-à-dire les hommes blancs ; et les Ariaus Orecs, observateurs incorrects de cette loi primordiale, ne consentaient pas davantage à asservir leurs congénères, c'est- à-dire leurs concitoyens.

En revanche, la situation des prenaiers possesseurs de l'Hel- lade, tels que les Hélotes et les Pénestes, ressemblait à du ser- vage (1). La différence essentielle était que les populations sou- mises n'habitaient pas les demeures (2) du guerrier ainsi que

(1) « As a bîrthright the HeUenes claimed both in peace and wàr, « exclusive sway; and their kiogs are depicted as endued with un- rf limited power over the earth-born muUitude. » (Me. CuUagh. 1. 1, p. 6.)

(2) Ces demeures étaient des citadelles chevaleresques entourées de 4ïabanes. Elles dominaient les hauteurs et étaient construites en frag«

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les esclaves : elles vivaient sous leurs toits particuliers, culti- vant le sol et payant des redevances, comparables, en ceci, aux serfs du moyen âge. Pour achever la ressemblance , au-dessus de ces manants se plaçait une espèce de bourgeoisie égale- ment exclue de l'exercice des droits politiques, mais mieux traitée et plus riche que la classe des paysans. Ces hommes, Per- rhèbes et Mag'wèto en Thessalie (1), et en Laconie PériœkeSj descendaient certainement de différentes catégories de vaincus. Ou bien ils avaient formé les classes supérieures de la société dissoute, ou bien ils s'étaient soumis volontairement et par capitulations.

Les étrangers domiciliés avaient des droits analogues ; mais,, en somme, esclaves, pénestes, périœkes, étrangers, portaient le poids de la suprématie hellénique.

Telles étaient les institutions par lesquelles les Arians Grecs, si amoureux de leur liberté personnelle et si jaloux de la conserver les uns vis-à-vis des autres, trouvaient à satisfaire, dans l'intérieur de l'État et hors des temps de guerre et de conquête, leur besoin de domination. Le guerrier renfermé dans sa maison y était roi. Sa compagne ariane, respectée de tous et de lui-même, avait aussi son parler franc devant le pasteur du peuple. Pareille à Clytemnestre , réponse grecque était assez hautaine* Froissée dans ses sentiments , elle savait punir comme la fille de Tyndare. Cette héroïne des temps pri- mitifs (2) n'est pas autre que la femme altière aux cheveux.

ments énormes de rochers. Il est très vraisemblable que les cités, à proprement parler, n'étaient que l'œutre des colons chananéens. (Me. Cullagh, t. I, p. 22.) Disons à ce propos qu'en Italie on a trop long- temps attribué aux populations aborigènes ces vastes et solides cons- tructions nommées pélasgiques ou cyclopéennes. Les tribus agricoles, qui composaient ces races dites autochtones n'étaient nullement capables de concevoir ni d'exécuter de pareils labeurs, et on est d'autant plus autorisé à en reporter le mérite soit aux Arians Hellènes, soit même à leurs pères, les Titans, que, dans la Péninsule, le sou- venir des murailles cyclopéennes est intimement uni à celui des Tyr- rhéniens. La porte de Mycènes est aussi une construction essentiel- lement hellénique.

(1) Grote, History of Greece^ t. II, p. 370 et passim.

(2) Grote, t. II, p. 113. La femme grecque d'Homère est infiniment

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blonds, aux yeux bleus , aux bras blancs, que nous avons déjà vue aux côtés des Pandavas, et que nous retrouverons chez les Celtes et dans les forêts germaniques. Pour elle, l'obéissance passive n'était pas faite.

Cette noble et généreuse créature, assise vis-à-vis de son belli. queux époux, auprès du foyer domestique, apparaissait en- tourée d'enfants soumis jusqu'à la mort inclusivement aux vo- lontés paternelles. Les flls et les filles marquaient, dans la mai- son, le premier degré de l'obéissance : des représentations de leur part n'étaient pas de mise. Mais, une fois sorti de la de- meure des aïeux, le fils allait fonder une autre souveraineté domestique, et pratiquait à son tour ce qu'il avait appris. Après les enfants venaient les esclaves : leur situation subor- donnée n'avait rien de trop pénible. Qu'ils eussent été achetés pour un certain poids d'argent ou d'or, ou acquis par échange en retour de taureaux et de génisses , ou bien encore que le sort de la guerre les eût jetés aux mains de leurs vainqueurs comme épaves d'une ville prise d'assaut , les esclaves étaient plutôt des sujets que des êtres abandonnés à tous les caprices des propriétaires.

D'ailleurs, un des caractères saillants des sociétés jeunes, c'est la mauvaise entente de ce qui est productif (1), et cette heureuse ignorance rendait assez douce l'existence des escla- ves grecs. Soit que, confondus avec les serfs, ils gardassent les troupeaux sur les rives du Pénée et de l'Achéloûs, soit que, dans l'intérieur du manoir, ils eussent à vaquer aux travaux sédentaires, ce qu'on exigeait d'eux était minime, parce que

supérieure à Tépouse des âges civilisés ou sémitisés. Voir Pénélope, Hélène, dans VOdyssêe, et la reine des Phéaciens. Elle a, tout à la fois, plus de gravité, de considération et de liberté. Cette première insti- tution s'était un peu conservée chez les Macédoniens, à en juger par le rôle que joue Olympias dans les affaires d'Alexandre. Comparer aussi les mœurs des Doriens de Sparte. (Bœttiger, t. Il, p. 61.) , (1) Le préjugé général des races arianes engendre d'ailleurs cette incapacité : pour elles , la première notion du droit de propriété, c'est la conquête, et, comme le dit très bien un historien anglais, « the helîenic idea of propertv was spoil whether acquired by land or sea. » (Me. Cullagh , t. 1 , 9. 18.)

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les maîtres avaient eux-mêmes peu de besoins. Les repas étaient promptement apprêtés. Le chef du logis se chargeait, le plus souvent, de tuer les bœufs ou les moutons, et de jeter leurs quartiers dans les chaudières d'airain. Il y prenait plaisir. C'était une politesse envers ses hôtes que de ne pas laisser à des mains serviles le soin de leur bien-être. Y avait-il à faire dans le domaine œuvre de maçon ou de charpentier, le maî- tre encore ne dédaignait pas de manier la doloh-e et la hache. Fallait-il garder les troupeaux, il n'y répugnait pas davantage. Soigner les arbres du verger, les tailler, les émonder, il s'en chargeait volontiers. En somme , les travaux des esclaves ne s'accomplissaient pas sans la participation du guerrier, tandis que les femmes, réunies autour de réponse, tissaient avec elle à la même toile , ou préparaient la laine des mêmes toi- sons. '

Rien donc ne contribuait nécessairement à empirer la con- dition de l'esclave, puisque tout labeur était assez honorable pour que le chef de la maison y prît une part constante. Puis il y avait au logis identité d'idées et de langage. Le guerrier n'en savait guère plus long que ses serviteurs sur les choses du monde et de la vie. S'il arrivait mi poète, un voyageur, \m sage, qui, après le repas, eût quelques récits à faire entendre, les esclaves, rassemblés autour du foyer, avaient leur part de l'enseignement. Leur expérience se formait comme celle du plus noble champion. Les conseils de leur vieillesse étaient aussi bien accueillis que slls étaient sortis d'une bouche libre et illustre.

Que restait-il donc au maître? Il lui restait toutes lespréro- :gatives d'honneur, et encore des avantages positifs. Il était le seul homme de la maison, le pontife du foyer. Il avait seul le droit d'offrir des sacrifices. Il défendait communauté, et, couvert de ses armes, superbement vêtu, prenait sa part de la liberté commune et du respect rendu à tous les citoyens de la cité. Mais, encore une fois, à moins que son caractère ne fût 'exceptionnellement cruel, qu'il n'exerçât sur ses entours l'action d'un insensé, ni la cupidité ni la coutume ne le portaient à opprimer son esclave, qui ne subissait d'autre malheur réel

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que celui d'être dominé. Les dieux avaient-ils donné à ce ser- viteur un talent quelconque, de la beauté ou de l'esprit, il de- venait le conseiller, tenait tête à chacun , et jouait le rôle du bossu phrygien chez Xanthus.

Ainsi l'Arian Grec , souverain chez lui , homme libre sur la place publique, vrai seigneur féodal, dominait sans réserve son entourage, enfants, serfs et bourgeois.

Tant que régna Tinfluence du Nord , les choses restèrent à peu près partout dans cette situation ; mais lorsque les immi- grations asiatiques, les révolutions de toute espèce arrivées à rintérieur eurent troublé les rapports originaires, et que l'ins- tinct sémitique commença à se faire plus fortement sentir, la scène changea tout à fait.

Pour premier point, la religion se compliqua. Depuis long- temps les simples notions arianes avaient été abandonnées. Sans doute elles étaient altérées déjà à l'époque les Titans com- mencèrent à pénétrer dans la Grèce. Mais les croyances qui leur avaient succédé, assez spiritualistes encore, perdirent pied de plus en plus. Kronos, usurpateur, suivant la formule théo-^ logique, du sceptre d'Ouranos, fut à son tour détrôné par Jupiter. Des sanctuaires s'ouvrirent à l'infini, des pontificats inconnus jadis trouvèrent des croyants, et les rites les plus extravagants s'emparèrent de la faveur générale. On appelle, dans les écoles, cette fièvre d'idolâtrie Y aurore de la civi- lisation.

Je n'y contredis pas : il est certain que le génie asiatique était aussi mûr et même pourri que le génie arian-grec était inexpérimenté et ignorant de ses voies futures. Ce dernier, en- core étourdi de la longue traite que venaient de faire ses au- teurs mâles à travers tant de pays et de hasards, n'avait pas encore trouvé le loisir de se raffiner. Je ne doute cependant pas que, s'il avait eu assez de temps pour se reconnaître avant de tomber sous l'influence assyrienne, il n'eût agi mieux, et de façon à devancer la civilisation européenne. Il aurait pu faire entrer une plus grande part de son originalité dans les desti- nées des peuples helléniques. Peut-être aurait-il donné moins de hauteur à leurs triomphes artistiques; mais leur vie politi-

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que, plus digne, moins agitée, plus noble, plus respectable, aurait été beaucoup plus longue. Malheureusement, les mas- ses arianes-grecques n'étaient pas comparables en nombre aux immigrations d'Asie (1).

Je ne date pas la révolution opérée dans les instincts des nations grecques du jour se firent les mélanges avec les co- lonisations sémitiques, ou les établissements des Doriens dans le Péloponèse, et, plus anciennement, ceux des Ioniens dans l'Attique. Je me contente de partir du moment les résultats de tous ces faits modifièrent la pondération des races. Alors l'ancien gouvernement monarchique prit fin. Cette forme de royauté équilibrée avec une grande liberté individuelle, par raccord des pouvoirs publics , ne convenait plus au tempéra- ment passionné, irréfléchi, incapable de modération, de la race métisse alors produite. Désormais, il fallait du nouveau. L'esprit asiatique était en état d'imposer à ce qui restait d'es- prit arian un compromis conforme à ses besoins , et il put, tant il était fort, ne laisser à son associé que des apparences pour satisfaire ce goût de liberté si indélébile dans la nature blan- che, que, quand la chose n'existe pas, c'est alors surtout qu'on cherche à mettre le mot en relief.

Au lieu de la pondération , on voulut de l'excessif. Le génie de Sem poussait à l'absolutisme complet- Lemouvement était irrésistible. Il ne s'agissait que de savoir entre quelles mains la puissance allait résider. La confier, telle qu'on la voulait faire, à un roi, à un citoyen élevé au-dessus de tous les autres, c'était demander l'impossible à des groupes hétérogènes qui n'avaient pas assez d'unité pour se réunir sur un terrain aussi

(î) On a fait d'immenses orogrès dans la compréhension de la mytho- logie hellénique. La distinction est parfaitement établie entre les dogmes, les cultes et les rites venus d*Asie et ceux qui ont eu leurs sources dans des notions européennes. Ce qui reste à faire mainte- nant est d'une grande difficulté, mais aussi d'un grand intérêt. On sait que les mystères cabires et lelchines sont sémitiques, et que Tora- cle dodonéen est, pour le fond du moins, d'institution septentrionale. Ce qu'il faudrait maintenant, c'est séparer les données arianes des mélanges finnois. La proportion de ces éléments religieux divers , sémi- tique, arian, finnique, donnerait la composition exacte du sang grec.

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étroit. L'idée répugnait aux traditions libérales des Arians. L'esprit sémitique , de son côté , n'avait pas de fortes raisons d'y tenir : il était habitué aux formes républicaines en vigueur sur la côte de Chanaan. Incapable d'ailleurs de se plier à la régularité de l'hérédité dynastique (1), il ne souhaitait pas une institution qui, chez lui, n'avait jamais puisé son origine dans le choix fibre du peuple, mais toujours dans la conquête et la violence, et, souvent, dans la violence étrangère. Je ne fais d'exception que pour le royaume juif. On imagina donc, en Grèce, de créer une personne fictive, la Patrie (2), et on or- donna au citoyen , par tout ce que l'homme peut imaginer de plus sacré et de plus redoutable , par la loi , le préjugé , le pres- tige de l'opinion publique, de sacrifier à cette abstraction ses goûts, ses idées, ses habitudes, jusqu'à ses relations les plus intimes, jusqu'à ses affections les plus naturelles, et cette abné- gation de tous les jours , de tous les instants , ne fut que la menue monnaie de cette autre obligation qui consistait à don- ner, sur un signe, sans se permettre un murmure, sa dignité, sa fortune et sa vie , aussitôt que cette même patrie était cen- sée vous les demander.

L'individu , la patrie l'enlevait à l'éducation domestique pour le livrer nu, dans un gymnase, aux immondes convoitises de maîtres choisis par elle. Devenu homme , elle le mariait quand elle voulait. Quand elle voulait aussi, elle lui reprenait sa femme pour la transmettre à un autre , ou lui attribuait des enfants qui n'étaient pas de lui, ou encore ses enfants propres, elle les envoyait continuer une famille près de s'éteindre. Pos-

(1) « The heroic notion of the unity of Ihe state being centred in i< Uie royal Une was already shaken. Many-af the less potent nobles « saw, in the greater distribution of authority, a pathway opened to « their ambition. » (Me. CuUagh, t. I, p. 21.)

(2) « In the days of the monarchy the word which subsequently was « used to dénote a city (ttoXiç) and finally a state, signified no more than i the caslle of the prince. » (Me. Cullagh, t. I, p. 22.) De même, à 7iotre époque féodale, on n'employait guère le mot patrie, qui ne nous est vraiment revenu que lorsque les couches gallo-romaines ont relevé la tête et joué un rôle dans la politique. C'est avec leur triomphe que 5e patriotisme a recommencé à être une vertu.

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sédaiMl un meuble dont la forme n'agréait pas à la patrie, la? patrie^onfisquait l'objet scandaleux et en punissait sévèrement le propriétaire. Votre lyre comptait une corde , deux de plus que la patrie ne le trouvait bon, Texil. Enfin, le bruit se ré- pandaît-il que le triste citoyen ainsi morigéné obéissait trop bien aux caprices incessants , constamment renouvelés de son despote nerveux et acariâtre, enuiimot, pouvait-on, non pas même prouver, mais penser qu'il était immodérément honnête homme, la patrie, perdant patience, lui mettait la besace sur le dos, le faisait saisir et conduire, malfaiteur d'un nouveau genre , à la frontière la plus voisine , en lui disant : Va et ne reviens plus!

Si, contre tant et de si effroyables exigences, la victime ^ cependant un peu émue, tentait de regimber, ne fût-ce qu'en paroles, il y avait la mort, souvent avec tortures, le déshon- neur, la ruine certaine de la famille entière du coupable, qui^ repoussée par tous les gens assez vertueux pour s'indigner du crime , mais non pas assez pour encourir le châtiment d'Aris- tide, devait s'estimer très heureuse d'échapper à Findignation, aux pierres et aux couteaux de tous les patriotes de carre- fours.

En récompense d'une abnégation si grande , on demande si la patrie accordait des compensations suffisamment magnifi- ques? Sans doute : elle autorisait pleinement chacun à dire de lui-même, en délirant d'orgueil : Je suis Athénien, je suis Lacédémonien , ïhébain, Argien, Corinthien, titres fastueux,, appréciés, au-dessus de tous les autres, au long d'un rayon de dix lieues carrées, et qui, au delà et dans le pays grec même, pouvait, sous certaines circonstances, valoir le fouet ou la corde à qui s'en serait pavané. En tout cas, c'était une garantie de haine et de mépris. Pour surcroît d'avantages, le citoyen se flattait hautement d'être libre , parce qu'il n'était pas soumis à un homme, et que, s'il rampait avec une servilité sans égale, c'était aux pieds de la patrie. Troisième et dernière prérogative : s'il obéissait à des lois qui n'émanaient pas de- l'étranger, ce bonheur, tout à fait indépendant du mérite in- trinsèque de la législation, s'appelait posséder l'isonomie , et

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passait pour incomparable. Voilà tous les dédommagements, et encore n'ai-je pas épuisé la liste des charges (1).

Le mot patrie couvrait en définitive une pure théorie. La patrie n'était pas de chair et d'os. Elle ne parlait pas, elle- ne marchait pas, elle ne commandait pas de vive voix, et, quand elle rudoyait, on ne pouvait pas s'excuser parlant à sa per~ sonne. L'expérience de tous les siècles a démontré qu'il n'est pire tyrannie que celle qui s'exerce au profit des fictions, êtres de leur nature insensibles, impitoyables, et d'une impudence sans bornes dans leurs prétentions. Pourquoi ? C'est que les fictions, incapables de veiller elles-mêmes à leurs intérêts, délèguent leurs pouvoirs à des mandataires. Ceux-ci , n'étant pas censt. agir par égoïsme , acquièrent le droit de commettre les plus grandes énormités. Ils sont toujours innocents lors- qu'ils frappent au nom de l'idole dont ils se disent les prêtres.

Il fallait des représentants à la patrie. Le sentiment arian , qui n'avait pu résister à l'importation de cette monstruosité chananéenne, fut assez séduit par la proposition de confier la délégation suprême aux plus nobles familles de l'État , point de vue conforme à ses idées naturelles. A la vérité, dans les époques il avait été livré a lui-même, il n'avait jamais ad- mis que les vénérables distinctions de la naissance constituas- sent un droit exclusif au gouvernement des citoyens. Désormais il était assez perverti pour admettre et subir les doctrines ab- solues, et, soit que l'on conservât, dans les nouvelles constitu- tions, un ou deux magistrats suprêmes appelés tantôt rois, tantôt archontes, soit que la puissance executive résidât dans un conseil de notiles, l'omnipotence acquise à la patrie fut

(l)Les modernes admirateurs du patriotisme grec l'exposent tous,, à peu de chose près, comme M. Me. Cullagli. Voilà la définition de cet économiste : « However they (the greek states) might differ in internai « forms, the but of, al! was to make every free man feel himself a part « of the State and so to organise the state as to concentrate its power, a when required, in faveur of the least of its injured members or for « Ihe punishment of themost powerful contemner of the law. » (Me. Cul- lagh, t. I, p. 142.) Ces principes-là peuvent s'écrire ou se dire; mais personne ayant le sens commun, n'ignore qu'ils sont imprati- cables, et, par conséquent, ne valent pas ce qu'ils coûtent.

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exercée uniquement par les chefs des grandes familles; en un mot, le gouvernement des.cités grecques se modela complète- ment sur celui des villes phéniciennes.

Avant d'aller plus loin, il est indispensable d'intercaler ici une observation d'une haute importance. Tout ce qui précède s'applique à la Grèce savante, civilisée, à demi et même déjà plus qu'à demi sémitique. Pour la Grèce septentrionale, do- minatrice aux premiers âges, et, en ce moment, retombée dans l'ombre, les faits que j'expose ne la concernent nulle- ment. Cette partie du territoire, restée beaucoup plus ariane que l'autre, avait vu ses domaines se circonscrire.

La frontière sud, envahie par les populations sémitisées, s'était resserrée. Plus on montait vers le nord , plus l'ancien sang grec avait conservé de pureté. Mais, en somme, la Thes- salie était elle-même déjà souillée, et il fallait arriver jusqu'à la Macédoine et à l'Épire pour se retrouver au milieu des tra- ditions anciennes.

Au nord-est et au nord-ouest, ces provinces avaient égale- ment perdu un voisinage ami. Les Thraces et les lUyriens, en- vahis et transformés par les Celtes et les Slaves, ne se comp- taient plus comme Arians. Cependant le contact de leurs éléments blancs, mêlés de jaunes, n'avait pas pour les Grecs septentrionaux les suites à la fois fébriles et débilitantes qui caractérisaient les immixtions asiatiques du sud.

Ainsi limités, les Macédoniens et les Épirotes se maintinrent plus fidèles aux instincts de la race primitive. Le pouvoir royal se conserva chez eux : la forme républicaine leur demeura in- connue aussi bien que l'exagération de puissance accordée au dominateur abstrait appelé la patrie. On ne pratiqua pas, dans ces contrées peu vantées , le grand perfectionnement attique. En revanche , on se gouverna noblement avec des notions de liberté qui possédaient en utilité réelle l'équivalent de ce qu'el- les avaient de moins en arrogance. On ne fit pas tant parler de soi; mais on ne vécut pas non plus d'une existence de ca- tastrophes. Bref, même dans le temps les Grecs du sud , ayant peu conscience de l'impureté de leur sang, se deman- daient entre eux si vraiment les Macédoniens et leurs alliés

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valaient la peiae d'être considérés comme des compatriotes et non comme des demi-barbares, ils n'osèrent jamais contester à ces peuples un grand et brillant courage et une habileté sou- tenue dans l'art de la guerre. Ces nations peu estimées avaient encore un autre mérite dont on ne s'apercevait pas alors , et qui, plus tard, devait se rendre de lui-même remarquable c'est que , tandis que la Grèce sémitique ne pouvait , au prix de torrents de sang, souder ensemble ses antipathiques natio- nalités éparses, les Macédoniens possédaient une cohésion et une force d'attraction qui s'exerçaient avec succès , et, de pro- che en proche , tendaient à agrandir la sphère de leur puissance en y incorporant les peuples voisins. Sur ce point , ils suivaient exactement, et par les mêmes motifs ethniques , la destinée de leurs parents, les Arians Iraniens, que nous avons vus réunir de même et concentrer les populations congénères avant de marcher à la conquête des États assyriens. Ainsi , le flambeau arian, j'entends le flambeau politique, brûlait réellement, bien que sans éclairs et sans éclats, dans les montagnes macé- doniennes. En cherchant dans toute la Grèce , on ne ie voit plus exister que là.

Je reviens au sud. Le pouvoir absolu de la patrie fut donc délégué à des corps aristocratiques , aux meilleurs des hom- mes, suivant l'expression grecque (1), et ils l'exercèrent natu- rellement , comme ce pouvoir absolu et sans réplique pouvait être exercé, avec une âpreté digne de la côte d'Asie. Si les populations avaient encore été arianes , il en serait résulté de grandes convulsions, et, après un temps d'essai plus ou moins prolongé, la race aurait rejeté unanimement un régime mal fait pour elle. Mais la tourbe plus qu'à demi sémitique ne pou- Ci) on les appelait aussi, comme chez nous, les gens bien nés, eÙTrarpiSat. Ces nobles ont laissé quelques noms. On connaît encors les Codrides , les Médontides, les Alcméonides, les Géphyres d'Athè- nes, les Penthélides de Milylène, les Basilides d'Erythrée, les Néléides deMilet, les Bacchiades de Corinthe, les Ctésippides d'Épidaure, les Ératldes de Rhodes,, les Hippotadées de Cos et de Cnide, les Aleuades de tarisse, les Opheltiades et les Kléonymides de Thébes; les Deuca- lionides, qui avaient régné à Delphes depuis l'arrivée de leur éponyme. (Mac Cullagh, t. I, p. lo.)

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vait avoir de ces délicatesses. Elle ne devait jamais s'en pren- dre à l'essence du système , et jamais , en effet , il n'y eut en (jrèce, jusqu'aux derniers jours, la moindre insurrection ni des grands ni du peuple contre le régime arbitraire. Toute la discussion resta bornée à cette considération secondaire, de savoir à qui devait appartenir la délégation omnipotente.

Les nobles, arguant du droit de premier occupant, appuyaient leurs prétentions sur la possession traditionnelle, et ils éprou- vèrent combien cette doctrine était difficile à maintenir en face d'un danger permanent, inhérent aux sommées mêmes du sys- tème, et qui naissait de l'absolutisme. Toute chose violente pos- sède en soi une force d'une nature spéciale : cette force , par ses écarts ou même son usage simple, produit des périls qui ne peuvent être conjurés qu'au prix d'une tension permanente. Or, l'unique moyen de réaUser cette immobilité se trouve dans une concentration énergique. C'est pourquoi la délégation des pouvoirs illimités de la patrie penchait constamment à se ré- sumer entre les mains d'un seul homme. Ainsi, pour combat- tre uiîe nuée d'inconvénients , on se mettait à perpétuité sous le coup d'un autre embarras jugé très redoutable, fort détesté, maudit par toutes les générations, et qu'on nomma la tyrannie.

L'origine et la fondation de la tyrannie étaient aussi faciles à découvrir et à prévoir qu'impossibles à empêcher. Lorsque, par suite de l'état de compétition perpétuelle des cités, la pa- trie périclitait, ce n'était plus un conseil de nobles qui se trou- vait capable de faire face à une crise : c'était un citoyen seul qui, bon gré, mal gré , absorbait l'action gouvernementale. Dès ce moment, chacun pouvait se demander si, le danger passé, le sauveur consentirait à lâcher la délégation, et, au lieu de faire frémir tout le monde, s'en retournerait frémir lui-même du trop grand 'service qu'il avait rendu à la patrie.

Autre cas : un citoyen était riche, puissant, considéré; sa haute position portait nécessairement ombrage aux nobles; Im- possible de ne pas lui laisser deviner quelque chose de cette méfiance. A moins d'être aveugle, il s'apercevait qu'un jour ou l'autre un piège lui serait tendu, qu'il y tomberait, et qu'il serait victime d'aune proscription proportionnée en dureté à

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réclat de ses mérites, à rimportance de sa fortune, à l'étendue de son crédit. Plus donc il avait de moyens de renverser l'au- torité légitime et de prendre sa place , plus il avait de raisons de n'y pas manquer. A défaut d'ambition , il y allait de son bien et de sa tête (1). Il s'ensuivit que le prétendu état répu- blicain des villes grecques fut presque constamment éclipsé par Taccident inévitable des tyrannies , et ce qui devait faire l'exception se trouva la règle.

Aussitôt que régnait un tyran, on se plaignait de ce qu'on ne remarquait pas sous le gouvernement légal : on se plaignait de voir l'autorité excessive, arbitraire, dégradante; et, avec toute raison, on la déclarait différente de l'organisation régu- lière des Macédoniens et des Perses, la royauté, fixée et définie par les lois , se conformait aux mœurs et aux intérêts des races gouvernées.

En se montrant si sévère pour l'usurpation, on aurait ré- fléchir que le pouvoir des tyrans n'était pas une extension de Fancien pouvoir : ce n'était rien de plus que les droits dont la patrie restait en tout temps investie. Le tyran, si atroce fût-il, n'aurait rien su pratiquer qui, un jour ou l'autre, n'eût déjà été mis en usage par l'administration normale. Ses prescriptions pouvaient sembler absurdes ou vexatoires ; toutefois, la patrie avait eu la primeur de l'invention. Le tyran ne se hasardait pas dans un seul sentier que les conseils républicains n'eussent frayé déjà.

On se rabattait sur ceci, que les excès de l'usurpateur ne pro-

(1) Tant que toutes les républiques furent aristocratiques, et «lies le restèrent, les tyrans sorUrent des maisons nobles. Le régime de la démocratie fit naître les tyrans parmi les meneurs libéraux, ceux qu'on appelait les -ffisymnètes, gens d'esprit pour la plupart, beaux diseurs, amis des arts, possédés du goût de bâtir, mais qui n'avaient pas envie de se faire justicier par les jaloux et préféraient prendre les devants sur ces derniers. Avec la démagogie, les tyrans surgirent de la boue. (Mac. Cullagh, 1. 1, p. 36.) C'est dans la pein- ture des despotes populaires qu'Aristophane excelle. Voir les Cheva- liers, la Paixy etc., etc. La tyrannie fut la lèpre dont tous les goîiver- nements grecs eurent à souffrir sans pouvoir la guérir jamais. Elle était de leur essence.

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filaient qu'à lui, et qu'au contraire, les sacrifices demandés par les souverains à têtes multiples revenaient au bien général. L'objection est assez vide. Les gouvernements légaux, pour être composés d'une agrégation d'hommes, n'en étaient pas moins un assemblage sans frein d'ambitions, de vanités, de pas- sions, de préjugés humains. L'oppression pratiquée par eux' était d'aussi belle et bonne étoffe que celle d'un seul chef; elle avait le même vice moral , elle dégradait tont autant ses victi- mes. Peu m'importe si c'est Pisistrate ou les Alcméonides qui, suivant leur caprice, peuvent me dépouiller, me violenter, me déshonorer, me tuer ; dès que je sais qu'une prérogative si épou- vantable existe au-dessus de ma tête, je tremble, je m'abaisse ; mes mains se joignent suppliantes ; je n'ai plus la conscience d'être un homme , relevant de la raison et de Téquité. Auprès de Pisistrate, une fantaisie inattendue peut me perdre; auprès des Alcméonides , c'est un hasard de majorité. Avec ou sans la tyrannie , le gouvernement des cités grecques était exécra- ble, honteux, parce que, dans quelques mains qu'il tombât, il ne supposait pas l'existence d'un droit inhérent à la personne du gouverné, parce qu'il était au-dessus de toute loi naturelle, parce qu'il venait en droite ligne de la théorie assyrienne, parce que ses racines premières, certaines, bien qu'inaperçues, plon- geaient dans l'avilissante conception que les races noires se font de l'autorité.

Il arriva, mais très souvent, que ces tyrans, si exécrés, si abhorrés des peuples grecs, les gouvernèrent pourtant avec beaucoup plus de douceur et de sagesse que leui's assemblées politiques. Guidé par un sens juste, le possesseur unique d'un droit absolu se contente aisément d'une certaine part dans cette omnipotence , et trouve tout à la fois peu de plaisir et point d'intérêt à tendre ses prérogatives jusqu'à les faire rompre. Cette réserve heureuse n'a jamais chance de se rencontrer dans des corps constitués, toujours enclins, au contraire, à agrandir leurs attribution^, et en Grèce tout y conviait les magistratures, rien ne les en écartait.

Néanmoins, malgré les services que les tyrans pouvaient rendre et la douceur de leur joug , le point d'honneur voulait

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qu'ils fussent maudits : il fallait donc que cela fût. Leurs rè- gnes étaient un enchaînement de conspirations et de supplices. Rarement ils se maintenaient jusqu'à leur mort, plus rarement encore leurs enfants héritaient de leur sceptre (1). Cette ter- rible expérience n'empêchait pas que la nature même des cho- ses ne suscitât sans cesse des successeurs aux tyrans dépossé- dés. C'est ainsi que ce que je disais tout à l'heure se vérifiait :* le gouvernement était la règle, la tyrannie l'exception, et l'ex- ception apparaissait beaucoup plus fréquemment que la règle. Tandis que les pays grecs avaient ainsi tant de peine à con- server ou à reconquérir leur état légal, le courant sémitique y augmentait toujours. Il se continuait , s'accélérait et devait amener amsi, dans la constitution de l'Etat, des modifications analogues à celles que nous avons observées dans les villes phéniciennes. De proche en proche , tous les pays helléniques du sud furent gagnés par sa prédominance. Cependant les points atteints les premiers , ce furent les établissements de la côte ionienne et TAttique (2).

' Sans doute, les grandes immigrations, les colonisations com- pactes , avaient cessé depuis longtemps ; mais ce qui avait ac- quis à leur place une extension énorme, c'était l'établissement individuel de gens de toutes classes et de tous états. L'exclu- sivisme jaloux de la cité, de l'instinct confus des préémi- nences ethniques, avait essayé en vain de rejeter tout nouveau venu en dehors des droits politiques : rien n'avait pu arrêter

(4) On ne cite pas un seul cas de tyrannie transmise à la troisième génération. Les Gypséiides la gardèrent soixante-treize ans; les Ortha- gorides, quatre-vingt-dix-neuf. C'est ce qu'on a de plus long. (Mac Cullagh , t. I , p. 40.)

(2) « With the industrial growth of the commonwealth, the résident « aliens, or, as they were termed, metoeci, grew in number and con- « sideration. They were more numerous at Athens than in any other « State. » (Mac Cullagh , t. I , p. 253.) Une preuve bien frappante de l'omnipotence de la civilisation asiatique, dans la Grèce méridionale, se trouve en ceci , que le système monétaire et des poids et mesures introduit en 947 par Phéidon, roi d'Argos, et qui s'appelait éginétique pour avoir été pratiqué depuis plus longtemps à Égine , était tout à fait identique à celui que connaissaient les Assyriens , les Hébreux , etc. îœckh l'a solidement établi. (Grote, History of Greece, t. Il, p. 429.)

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l'invasion du sang étranger. Il s'infiltrait fyar mille différente& voies dans les veines des citoyens. Les familles les plus nobles^ déjà bien métisses, quand elles n'étaient pas- purement chana- néennes, comme les Géphyres, perdaient de plus en plus leur mérite généalogique. Le plus grand nombre d^ailleurs s'étei- gnait; le reste s'appauvrissait et tombait dans le flot dévorant de la population mélangée. Celle-ci allait se multipliant partout, grâce au mouvement créé par le commerce, le plaisir, la paix, la guerre. .

L'aristocratie devint infiniment moins forte. Les classes moyennes gagnèrent en influence.

On se demanda un jour pourquoi les nobles représentaieiit seuls la patrie y et pourquoi les riches n'en pouvaient faire au- tant (1).

Les nobleSy il est vrai , ne possédaient plus guère de noblesse/ puisque beauco^ip de leurs concitoyens en avaient autant qu'eux (2). Le sang sémitique prédominait dans les chaumiè- res : il avait gagné aussi les palais.

Il s'ensuivit des convulsions violentes, et les riches bientôt l'emportèrent (3). Mais à peine étaient-ils maîtres de manœu-

(1) Cette question fut posée un peu partout en Grèce au delà de la. Thessalie ; mais les classes moyennes ne remportèrent pas partout la victoire. Dans le nord, à Thespies, à Orchomène, àThèbes, après des conflits sanglants , la noblesse maintint sa suprématie. A Athènes , au contraire , elle se trahit elle-même. On remarquera que les villes que je nomme étaient beaucoup moins sémitisées que' celles de Texlrême sud. (Mac Cullagh, 1. 1, p. 31.)

(2) Graduellement aussi , ils avaient perdu la prépondérance que donnent la possession du sol et la suprématie de richesse. Cependant la loi leur avait longtemps garanti le premier point, et, dans beau- coup d'États, à Milet, à Corinthe, à Samos, à Chalcis, à Égine, ils avaient,, de bonne heure, admis que faire le commerce, ce n'était pas déroger. Ce principe ne fut cependant jamais accepté d'une manière générale. (Mac Cullagh, t. I, p. 23.) Très promptement aussi, les grandes fa- milles helléniques, considérant l'influence et les gros revenus de cer- taines races plébéiennes , s'étaient alliées à elles et ainsi dégradées. (/6w«., t. ï,p. 2d.)

(â) Sur quelques points , cette victoire ne s'opéra pas sans transition, et l'on vit certaines villes se faire une constitution le pouvoir était remis à deux conseils : l'un, la ghérousie (^epouaia), était le collège

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vrer à leur tour le despotisme de la patrie, à peine avaient-ils entrepris , à la place de leurs rivaux dépossédés, Téternelle et malheureuse défense de l'ordre légal contre la tyrannie pullu- lante, que le gros des citoyens posa de nouveau la question soumise naguère aux gran^ du pays (l), se trouva également digne de gouverner et battit en brèche la position des timocra- tes. Et quand une fois le simple peuple eut mis le pied sm* cette pente , l'État ne put s'y retenir. Il devint clair qu'après les citoyens pauvres allaient veinir et réclamer les demi-citoyens^ les étrangers domiciliés , les esclaves , la tourbe.

Arrêtons-nous ici un moment, et considérons une autre face du sujet.

La seule et souvent déterminante excuse que peut présenter de son existence prolongée un régime arbitraire et violent, c'est la nécessité d'être fort pour agir contre l'étranger ou dominer à l'intérieur. Le système grec donnait-il au moins ce résultat?

Il avait trois difficultés à résoudre : d'abord celle qui ressor- tait de sa situation vis-à-vis du reste du monde civilisé, c'est- à-dire de l'Asie; puis les relations des itats grecs entre eux; enfin la politique intérieure de chaque cité souveraine.

Nous savons déjà que l'attitude de la Grèce entière envers le grand roi était toute de soumission et d'humilité. De Thè- bes, de Sparte, d'Athènes, de partout, des ambassades ne fai- saient qu'aller à Suse ou en revenir, sollicitant ou débattant les arrêts du souverain des Perses sur les démêlés des villes gr«cques entre elles. On ne courait même pas jusqu'au maître. La protection d'un satrape de la côte suffisait pour assurer à la politique d'une localité une grande prépondérance sur ses rivales. Tissapherne ordonnait , et, inquiètes des suites d'une désobéissance, les républiques silencieuses obéissaient à Tissa-

des nobles; l'autre, le boulé (^ovl-fi), l'assemblée des riches. (Mac Cul- lagh, t. I, p. 26.) Ce sont les deux chambres du système parlemen- taire anglais.

(1) A Cumes , tout homme possédant un cheval avait voix dans l'as- semblée. A Éphèse et à Erythrée, l'on pratiquait une sorte de ré- gime représentatif, des députés du peuple siégeaient avec la noblesse. (Mac Cullagh,t. i, p. 23.)

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pherne. Ainsi cette force extrême concentrée dans l'État ne contrariait pas la tendance de l'élément sémitique grec à subir l'influence de la masse asiatique. Si l'annexion tardait, c'est

que les restes du sang arian maintenaient encore des motifs suffisants de séparation nationale. Mais ce préservatif allait s'épuisant dans le sud. On pouvait prévoir le jour l'HelIade et la Perse allaient se réunir.

Avec leurs violents préjugés d'isonomie, les villes grecques, cramponnées à leurs petits despotismes patriotiques, mar- chaient à rencontre des tendances arianes : il n'était pas ques- tion pour elles de simplifier les rapports politiques en agglo- mérant plusieurs États en un seul. Ce qui se faisait en Macé- doine trouvait un contraste parfait dans le travail du reste de la Grèce. Aucune cité ne songeait à dominer un grand terri- toire. Toutes voulaient s'agrandir elles-mêmes matériellement, et n'avaient à proposer à leurs voisins que l'anéantissement. Ainsi, lorsque les expéditions des Lacédémoniens (1) réussis- saient, la fin était pour les vaincus d'aller grossir les troupeaux d'esclaves des triomphateurs. On conçoit que chacun se défen- dît jusqu'à la dernière extrémité. Pas de fusion possible. Ces Grecs élégants du temps de Périclès entendaient la guerre en sauvages. Le massacre couronnait toutes les victoires. C'était chose reçue que le dévouement si vanté à la patrie 'ne pouvait amener chaque ville qu'à se traîner dans un cercle étroit de succès inféconds et de défaites désastreuses (2).

(1) C'est ce qui rendait les naturalisations d'étrangers fort difficiles dans les États doriens. « A rigid exclusiveness characterised several « greek communities , the most opposites in almost every other politi- « cal sentiment. The people of Megara boasted that they had never « conceded the right of citizenship to any foreigner but Hercules. But « Sybaris and Athens are said to hâve acted otherwise ; and the inte- « rest of Corinth, not to speak of less important mercantile states, « tended in the like direction. » (Mac Cullagh, t. I, p. 2o6.) ~ Les mé- langes n'en avaient pas moins lieu, bien qu€ plus lentement, chez les nations de race dorique. Les constitutions et l'isonomie de ces peuples ne durèrent qu'un peu plus que celles des autres, i (2) M. Bœckh, grand partisan de la liberté athénienne, fait le plus triste tableau des conséquences de la ligue hellénique formée sous la présidence de la ville de Minerve , et que la politique du Pnyx voulait

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4u bout des premiers, la ruine de rennemi ; au bout des se- condes, celle des citoyens. Pas le moindre espoir de s'enten- dre jamais, et la certitude de ne rien fonder de grand. , Et à quoi aboutissait de son côté la politique intérieure? Nous l'avons vu : sur dix ans, six de tyrannie, le reste de dé- bats, de querelles, de proscriptions et de carnages entre l'aris- tocratie et les riches, entre les riches et le peuple. Quand, dans une ville, tel parti triomphait, tel autre errait au sein des cités voisines, recrutant des ennemis à ses adversaires trop heureux. Toujours un citoyen grec revenait d'exil ou faisait son paquet pour y aller. De sorte que ce gouvernement d'exi- gences, cette perpétuelle mise sur pied de la force publique, cette monstruosité morale que présentait l'existence d'un sys- tème politique dont la gloire était de ne rien respecter des^ droits de l'individu, aboutissait à quoi? A laisser l'influence perse grossir sans obstacle , à perpétuer le fractionnement de nationalités qui, résultant de combinaisons inégales dans les éléments ethniques, empêchaient déjà les peuples grecs de marcher du même pas et de progresser dans la même mesure.

faire tourner à l'avantage de l'État, tel qu'on le comprenait alors. Le tré- sor commun, d'abord déposé dans le temple de Délos , fut apporté à Athènes. On employa les contributions annuelles des villes alliées à payer le peuple affamé d'assemblées; on en construisit des monuments, on en lit des statues, on en paya des tableaux. Tout naturellement on ne laissa passer guère de temps sans déclarer ies contributions insuffi- santes. Les cités confédérées furent accablées d'impôts, et, pour bien dire, pillées. Afin de les rendre souples, le peuple d'Athènes s'arrogea sur elles le droit de vie et de mort. Il y eut des révoltes; on massacra ce qu'on put des populations rebelles , et le reste fut jeté en esclavage. Plusieurs nations, dégoûtées de ce genre de vie, s'embarquèrent sur leurs aisseaux et s'enfuirent ailleurs. Les Athéniens, charmés, peu- plèrent à Icui gré les terrains vacants. Voilà ce qu'on appelait, dans l'antiquité grecque, le protectorat et l'alliance; car, il ne faut pas s'y tromper, c'est l'état d'amitié que je viens de dépeindre d'après les doctes pages de M. Bœckh. De mille cités alliées que compte Aristo- phane .dans les Guêpes, il n'en restait plus que trois qui fussent libres à ^ fin de la guerre du Péloponèse ; Chios, Mylilène de Lesbos etMé- thymne. Le reste était non pas assimilé à ses maîtres , non pas même sujet, mais asservi dans toute la rigueur du mot. {Die Staatshaushal- tung der Athener, t. I, p. 443.)

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Grâce à une si terrible contraction de l'esprit de chaque loca- lité, la réunion de la race était rendue impossible.

Enfin, à la puissance extérieure annulée ou paralysée venait aussi se joindre rincapacité d'organiser la tranquillité inté- rieure. C'était un triste bilan, et, pour en faire l'objet de l'ad- miration des siècles , il a fallu l'éloquence admirable des his- toriens nationaux. Sous peine de passer pour des monstres, ces habiles artistes n'étaient pas libres de discuter, bien moins encore de blâmer le révoltant despotisme de la patrie. Je ne crois même pas que la magnificence de leurs périodes aurait suffi à elle seule à égarer le bon sens des époques modernes dans une puérile extase, si l'esprit tortu des pédants et la mau- vaise foi des rêveurs théoriciens ne s'étaient ligués pour obte- nir ce résultat et recommander l'anarchie athénienne à l'imi- tation de nos sociétés.

L'intérêt que prirent à cette aflTaire les entrepreneurs de renommées était bien naturel. Les uns trouvaient la chose belle, parce qu'elle était expliquée en grec-, les autres, parce qu'elle allait à rencontre de toutes les idées nouvelles sur le juste et. l'injuste. Toutes les idées, ce n'est pas trop dire : car, au ta- bleau que je viens de tracer, il me reste encore à ajouter quels eflfroyables effets l'absolutisme patriotique produisait sur les mœurs.

En substituant l'orgueil factice du citoyen au légitime sen- timent de dignité de la créature pensante, le système grec pervertissait complètement la vérité morale, et, comme, suivant lui, tout ce qui était fait en vue de la patrie était bien , égale- ment rien n'était bien qui n'avait pas obtenu l'approbation , la sanction de ce maître. Toutes les questions de conscience de- meuraient irrésolues dans l'esprit aussi longtemps qu'on ne savait ce que la patrie ordonnait qu'on en pensât. On n'était pas libre de suivre là-dessus ime donnée plus sérieuse, plus rigou- reuse, moins variable, qu'à défaut d'une loi religieuse épurée, rhomme arian eût trouvée jadis dans sa raison.

Ainsi, par exemple , le respect de la propriété était-il, oui ou non, d'obligation stricte ? En général , oui ; mais , non , si l'on volait bien, si, pour déguiser le vol, on savait à propos et

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avec fermeté y ajouter le mensonge, la ruse, la four'berie ou la violence. Dans ce cas, le vol devenait une action d'éclat, re- <;ommandée, prisée, et le voleur ne passait pas pour un homme ordinaire. Était-il bien de garder la fidélité conjugale.^* A dire vrai, ce n'était pas crime. Mais si un époux s'attachait à tel point à sa femme, qu'il prît plaisir à vivre un peu plus sous son toit que sur la place publique, le magistrat s'en inquiétait ^t un châtiment exemplaire menaçait le coupable.

Je passe sur les résultats de Téducation publique, je ne di^ rien des concours déjeunes filles nues dans le stade, je n'insiste pas sur cette exaltation officielle de la beauté physique dont le but reconnu était d'établir pour TÉtat des haras à citoyens vertement taillés, corsés et vigoureux ; mais je dis que la fin de toute cette bestialité était de créer un ramas de misérables sans foi, sans probité, sans pudeur, sans humanité, capables de toutes les infamies, et façonnés d'avance, esclaves qu'ils étaient, à l'acceptation de toutes les turpitudes. Je renvoie là-dessus aux dialogues du Démos d'Aristophane avec ses valets (1).

Le peuple grec, parce qu'il était arian, avait trop de bon sens, et, parce qu'il était sémite, avait trop d'esprit, pom' ne pas sentir que sa situation ne valait rien et qu'il devait y avoir mieux en fait d'organisation politique. Mais par la raison que le contenu ne saurait embrasser le contenant, le peuple grec ne se mettait pas en dehors de lui-même et ne se haussait pas

(1) Il est facile de Juger des résultats que le régime de la démocra- tie avait amenés à Athènes. A Tépoque de Cécrops, l'Attique passe pour avoir eu 20,000 habitants. Sous Périclès, elle en comptait quelque chose de moins, et quand, avec les Macédoniens, Tisonomie véritable eut été remplacée par la domination étrangère, la cité présenta, dans les dénombrements, les chiffres que voici ; 21,000 citoyens, 10,000 mé- tœques ou étrangers domiciliés, et 400,000 esclaves. (Clarac, Manuel de Vhistoire de Vart chez les anciens (in-12, Paris , 1874) , l'« partie, p. 318.) Ce renseignement statistique , comme ce que j'aurai occasion de dire plus tard de la situation de la Rome royale comparée à la Rome consulaire, fait, à lui seul, justice de toutes les opinions qui ont eu cours chez nous depuis trois cents ans sur le mérite relatif des dif- férents gouvernements de Tantiquité. (Voir aussi Bœckh, die Staals- .haushaltung der Athener, t. I, p. 3S et passim.) Ce savant entre dans des détails qui concordent avec l'opinion de Clarac.

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jusqu'à comprendre que la source du mal était dans l'absolu- tisme hébétant du principe gouvernemental. Il en cherchait vainement le remède dans les moyens secondaires. A la plus belle époque, entre la bataille de Marathon et la guerre du Péloponèse, tous les hommes éminents inclinaient vers l'opi- nion vague que nous appellerions aujourd'hui conservatrice. Ils n'étaient pas aristocrates, dans le sens vrai du mot (1). Ni Eschyle ni Aristophane ne souhaitaient le rétablissement de Tarchontat perpétuel pu décennal ; mais ils croyaient que, dans les mains des riches, le gouvernement avait quelque chance de fonctionner avec plus de régularité que lorsqu'il était aban- donné aux matelots du Pirée et aux fainéants déguenillés du Pnyx.

ils n'avaient certainement pas tort. Plus de lumières étaient à trouver dans la noble maison de Xénophon que chez l'intri- gant corroyeur de la comédie des Chevaliers. Mais, au fond,, le gouvernement de la bourgeoisie et des riches se fût-il conso- lidé, le vice radical du système n'en subsistait pas moins. Je veux croire que les affairés auraient été conduites avec moins de passion, les finances gérées avec plus d'économie; la na- tion n'en serait pas devenue d'un seul point meilleure, sa po- litique extérieure plus équitable et plus forte, et l'ensemble de sa destinée différent.

Personne ne s'aperçut du véritable mal et ne pouvait s'en apercevoir, puisque ce mal tenait à la constitution intime des- races helléniques. Tous Jes inventeurs de systèmes nouveaux, à commencer par Platon , passèrent à côté , sans le soupçon- ner; que dis-je? ils le prirent, au contraire, pour élément principal de leurs plans de réforme. Socrate fournit peut-être Tunique exception. En cherchant à rendre l'idée du vice et de la vertu indépendante de Tintérêt politique, et à élever l'homme intérieur à côté et en dehors du citoyen, ce rhéteur avait au moins entrevu la difficulté. Aussi je comprends que la patrie ne lui ait pas fait grâce, et je ne m'étonne nullement de voir

(1) Il y a des observations intéressantes sur ce point dans l'intro- duction que M. Droysen a mise en tête de sa traduction d'Eschyle* {Aschylose Werke, in-12, zw. Aufl.; Berlin, 1841.)

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que dans tous les partis, et surtout parmi les conservateurs il se soit trouvé des voix, au nombre desquelles on a compté injustement celle d'Aristophane, pour demander son châtiment et porter sa condamnation. Socrate était l'antagoniste du pa- triotisme absolu. A ce titre, il méritait que ce système le frap- pât. Pourtant , il y avait quelque chose de si pur et de si noble dans sa doctrine, que les honnêtes gens en étaient préoccupés malgré eux. Une fois dans le tombeau, on regretta le sage, et le peuple assemblé au théâtre de Bacchus fondit en larmes lorsque le chœur de la tragédie de Palamède, inspiré par Euripide, chanta ces tristes paroles : « Grecs , vous avez mis « à mort le plus savant rossignol des Muses, qui n'avait fait de f mal à personne, le plus savant personnage de la Grèce. » On le pleura* ainsi disparu. Si le ciel l'eût soudain ressuscité , nul ne l'en aurait écouté davantage. C'était bien le rossignol des Muses que Ton regrettait, l'homme éloquent, discutem* habile, logicien ingénieux. Le dilettantisme artistique pleurait^ le cœur s'affligeait; quant au sens politique, il était inconvertis- sable, parce qu'il fait partie intime, intégrante, de la nature même des races, et reflète leurs défauts comme leurs qualités.

Je me suis montré assez peu admirateur des Hellènes au point de vue de*s institutions sociales pour avoir, maintenant, le droit de parler avec une admiration sans bornes de cette nation, lorsqu'il s'agit de la considérer sur un terrain elle se montre la plus spirituelle, la plus intelligente, la plus émi- nente qui ait jamais paru. Je m'incline avec sympathie devant les arts qu'elle a si bien servis, qu'elle a portés si haut, tout en réservant mon respect pour des choses plus essentielles.

Si les Grecs devaient leurs vices à la portion sémitique de leur sang , ils lui devaient aussi leur prodigieuse impressionna- bilité, leur goût prononcé pour les manifestations de la nature physique, leur besoin permanent de jouissances intellectuelles^

Plus on s'enfonce vers les origines à demi blanches de l'an- tiquité assyrienne , plus on trouve de beauté et de noblesse , en même temps que de vigueur, dans les productions des arts. De même, en Egypte, l'art est d'autant plus admirable et puissant, que le mélange du sang arian, étant moins ancien

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et moins avancé, a laissé plus d'énergie à cet élément modé- rateur. Ainsi, en Grèce, le génie déploya toute sa force au temps les infusions sémitiques dominèrent, sans l'emporter tout à fait , c'est-à-dire isous Périclès , et sur les points du ter- ritoire où ces éléments affluaient davantage , c'est-à-dire dans les colonies ioniennes et à Athènes (1).

Il n'est pas douteux aujourd'hui que , de même que les base? essentielles du système politique et moral venaient d'Assyrie, de même aussi les principes artistiques étaient fidèlement em- pruntés à la même contrée; et, à cet égard, les fouilles et les découvertes de Khorsabad, en établissant un rapport évident entre les bas-reliefs de style ninivite et les productions du temple d'Égine et de l'école de Myron , jie laissent désormais subsister aucuue obscurité sur cette question (2). Mais parce que les Grecs étaient beaucoup plus trempés dans le principe blanc et arian que les Chamites noirs , la force régulatrice exis- tant dans leur esprit était aussi plus considérable, et, outre l'expérience de leurs devanciers assyriens , la vue et l'étude de leurs chefs-d'œuvre, les Grecs avaient un surcroît [de rai- son et un sentiment du naturel fort impérieux. Ils résis- tèrent vivement et avec bonheur aux excès leurs maîtres étaient tombés. Ils eurent mérite à s'en^iéfendre parce qu'il y eut tentation d'y succomber ; car on connut aussi chez les Hellènes les poupées hiératiques à membres mobiles, les monstruosités de certaines images consacrées. Heureusement le goût exquis des masses protesta contre ces dépravations. L'art grec ne voulut généralement admettre ni symboles hideux ou révoltants , ni monuments puérils.

On lui a reproché pour ce fait d'avoir été moins spiritualiste

(1) Movers, das Phœnizische Alterth.^ t. II, partie, p. 413.

(2) BœUiger, à propos de la plus ancienne façon de représenter, sur les monuments, l'enlèvement de Ganymède, le petit garçon est ru- dement emporté, tout en pleurs, par les cheveux serrés aux serres de l'aigle, remarque que les traits caractéristiques de l'art grec primitif sont la vivacité, la violence et la recherche de Texpression de la force (Heftigkeity Gewaltsamkeit, hœchste Kraftaûsserung). C'est bien net- tement le principe assyrien et la marque de ses leçons. (Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie^ t. H, p. 64.)

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que les sanctuaires d'Asie. Ce blâme est injuste, ou du moins repose sur une confusion d'idées. Si Ton appelle spiritualisme l'ensemble des théories mystiques, on a raison; mais si, avec plus de vérité , Fon considère que ces théories ne prennent leur source que dans des poussées d'imagination délivrées de raison et de logique, et n'obéissant plus qu'aux éperons de la sensation, on conviendra que le mysticisme n'est pas du spiri- tualisme , et qu'à ce titre on a mauvaise grâce à accuser les Grecs d'avoir donné dans les voies sensualistes en s'en écar- tant. Ils furent, au contraire, beaucoup plus exempts que les Asiatiques des principales misères du matérialisme , et , culte pour culte , celui du Jupiter d'Olympie est moins dégradant que celui de Baal. J'ai, du reste , déjà touché ce sujet.

Cependant les Grecs n'étaient pas non plus très spiritualîs- tes. L'idée sémitique régnait chez eux, bien que réduite, et s^exprimait par la puissance des mystères sacrés , exercés dans les temples. T^es populations acceptaient ces rites en se bornant quelquefois à les mitiger, suivant le sentiment d'horreur que la laideur physique inspirait. Quant à la laideur morale , nous savons qu'on était plus accommodant.

Cette rare perfection du sentiment artistique ne reposait que sur une pondération délicate de l'élément arian et sémitique avec une certaine portion de principes jaunes. Cet équilibre, sans cesse compromis par l'affîuence des Asiatiques sur le ter- ritoire des colonies ioniennes et de la Grèce continentale , de- vait disparaître un jour pour faire place à un mouvement de déclin bien prononcé.

On peut calculer approximativement que l'activité artistique et littéraire des Grecs sémitisés naquit vers le vii« siècle, au moment fleurirent Archiloque , 718 ans avant J.-C. , et les deux fondeurs en bronze Théodore et Rhœcus, 691 ans avant J.-C. La décadence commença après l'époque macédonienne , quand l'élément asiatique l'emporta décidément , autrement dit vers la fin du iv« siècle , ce qui donne un laps de quatre cents ans. Ces quatre cents années sont marquées par une croissance ininterrompue de l'élément asiatique. Le style de Théodore paraît avoir été, dans la Junon de Samos, une sim-

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pie reproduction des statues consacrées à Tyr et à Sidon. Rien n'indique que le fameux coffre de Cypsélus fût d'un travail différent; du moins, les restitutions proposées par la critique moderne ne me paraissent pas rappeler quelque chose d'excel- lent. Pour trouver la révolution artistique qui créa roriginalité grecque, force est de descendre jusqu'à l'époque de Phidias, qui, le premier, sortit des données , soit du grand goût assyrien ^ retrouvé chez les Éginètes , et pratiqué dans toute la Grèce , soit des dégénérations de cet art en usage sur la côte phéni- cienne.

Or, Phidias termina la Minerve du Parthènon l'an 438 avant J.-C. Son école commençait avec lui , et le système ancien se perpétuait à ses côtés. Ainsi , l'art grec fut simplement Fart sémitique jusqu'à l'ami de Périclès, et ne forma vraiment une branche spéciale qu'avec cet artiste. Par conséquent, depuis le commencement du vu® siècle jusqu'au v®, il n'y eut pas d'originalité, et le génie national proprement dit n'exista que depuis l'an 420 environ jusqu'à l'an 322, époque de la mort d'Aristote. Il va sans dire que ces dates sont vagues, et je ne- les prends que pour enfermer tout le mouvement intellectuel,, celui des lettres, comme celui des arts, dans un seul raison- nement. Aussi me montré-je plus généreux que de raison. Ce- pendant, quoi que je fasse, il n'y a de l'an 420, travaillait Phidias, à l'an 322, mourut le précepteur d'Alexandre ^ qu'un espace de cent ans.

Le bel âge ne dura donc qu'un éclair, et s'intercala dans un court moment l'équilibre fut parfait entre les principes constitutifs du sang national. L'heure une fois passée , il n'y eut plus' de virtualité créatrice , mais seulement une imitation souvent heureuse, toujours servile, d'un passé qui ne ressus- cita pas.

Je semble négliger absolument la meilleure part de la gloire hellénique , en laissant en dehors de ces calculs l'ère des épo- pées. Elle est antérieure à Archiloque, puisque Homère vécut au x*' siècle.

Je n'oublie rien. Cependant je n'infirme pas non plus mon raisonnement, et je répète que la grande période de gloire lit-

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DES BACES HUMAINES. 49

téraire et artistique de la Grèce fut celle Ton sut bâtir, scul- pter, fondre , peindre , composer des chants lyriques , des li- vres de philosophie et des annales crédules. Mais je reconnais en même temps qu'avant cette époque, bien longtemps avant, il y eut un moment , sans se soucier de toutes ces belles choses, le génie arian, presque libre de Fétreinte sémitique, se bornait à la production de l'épopée , et se montrait admi- rable, inimitable sur ce point grandiose , autant qu'ignorant, inhabile et peu inspiré sur tous les autres (1). L'histoire de l'esprit grec comprend donc deux phases très distinctes, celle des chants épiques sortis de la même source que les Védas, le Ramayana , le Mahabharata , les Sagas , le Schahnameh , les chansons de geste : c'est l'inspiration ariane. Puis vint, plus tard, rinspiration sémitique, l'épopée n'apparut plus que comme archaïsme, le lyrisme asiatique et les arts du des- sin triomphèrent absolument.

Homère, soit que ce fût un homme , soit que ce nom résume la renommée de plusieurs chanteurs (2), composa ses récits au moment la côte d'Asie était couverte par les descendants très proches des tribus arianes venues de la Grèce. Sa nais- sance prétendue tombe, suivant tous les avis, entre Fan 1102 et l'an 947. Les Pollens étaient arrivés dans la Troade en 1162, les Ioniens en 1130. Je ferai le même calcul pour Hésiode, en 944 en Béotie, contrée qui, de toutes les parties méridio- nales de la Grèce , conserva le plus tard l'esprit utilitaire , té- moignage de l'influence ariane.

Dans la période cette influence régna, l'abondance de ses

(1) '( It is the epic poetry whicli fonns at once both the undoubted « prérogative and the solitary jewel of the earliest aéra of Greece. ;> (Grote, t. II, p. i58et462.)

(2) L'opinion de Wolf est appuyée sur des considérations décisives, Homère, lorsqu'il parle d'un chanteur, de Démodocus, par exemple, ne considère jamais les poèmes dont il charme les auditeurs comme étant des fragments d'un giand tout. Il dit ; « II chanta ceci, ou bien il chanta cela. » L'Iliade et l'Odyssée ne semblent être que des com- posés de ballades séparées. Dans le premier de ces ouvrages, observe un historien, en isolant les livres I, VIII, XI à XXII, on obtient une Achilléide complète. (Grote, t. II, p. 202 et 240.)

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productions fut extrême, et le nombre des œuvres perdues est extraordinaire. Pour V Iliade et V Odyssée que nous connais- sons, nous n'avons plus les jEthiopîgues d'Arctinus, la Petite Iliade de Leschès, les Fers cypriotes, la Prise d'Œckàlîe, le Retour des vainqueurs de Troie, la Thébaïde, les Épi^ gones, les Arimaspies (1) , et une foule d'autres. Telle fut la littérature du passé le plus ancien des Grecs : elle resta didac- tique et narrative, positive et raisonnable, tant qu'elle fut ariane. L'infusion puissante du sang mélanien l'entraîna plus tard vers le lyrisme, en la rendant incapable de continuer dans rses premières et plus admirables voies.

Il serait inutile de s'étendre davantage* sur ce sujet. Cest assez en dire que de reconnaître la supériorité de l'inspiration hellénique de Tune comme de l'autre époque sur tout ce qui s'est fait depuis. La gloire homérique, non plus qu'athénienne, n'a jamais été égalée. Elle atteignit le beau plutôt que le su- blime. Certaiijement , elle restera à jamais sans rivale, parce que des combinaisons de race pareilles à celles qui la causè- j'ent ne peuvent plus se représenter.

CHAPITRE IV.

Les Grecs sémitiques.

J'ai beaucoup devancé les temps et embrassé pour ainsi dire l'histoire de la Grèce hellénique dans son entier, après avoir montré les causes de son éternelle débilité politique. Mainte- nant je reviens en arrière, et, rentrant dans le domaine des questions d'État, je continuerai à suivre l'influence du sang sur les affaires de la Grèce et des peuples contemporains.

Après avoir mesuré la durée de l'aptitude artistique, j'en

, (1) La perte de ce poème est bien regrettable. Il nous aurait beau- coup appris sur les Arians de TAsie centrale. (Grote, t. il, p. 158 et 162.)

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DES BAGES HUMAINES. 51

ferai autant de celle des différentes phases gouvernementales. On verra par d'une manière nette quelle terrible agitation amène dans les destinées d'une société le mélange croissant des races.

Si l'on veut faire commencer à l'arrivée des Arians Hellènes avec Deucalion les temps héroïques l'on vivait à peu près suivant la mode des ancêtres de la Sogdiane , sous un régime de liberté individuelle restreinte par des lois très flexibles, ces temps héroïques auraient leur début à l'an 1541 avant J.-C.

L'époque primitive de la Grèce est marquée par des luttes nombreuses entre les aborigènes ^ les colons sémites dès long- temps établis et affluant tous les jours, et les envahisseurs arians.

Les territoires méridionaux furent cent fois perdus et repris. Enfin, les Arians Hellènes, accablés par la supériorité de nom- bre et de civilisation, se virent chassés ou absorbés moitié, dans les masses aborigènes, moitié dans les cités sémitiques , et ainsi se constituèrent isolément la plupart des nations grecques (1).

Grâce à l'invasion des Héraclides et des Doriens, le principe arian mongolisé reprit une supériorité passagère; mais il finit encore par céder à Tinfluence chananéenne, et le gouverne- ment tempéré des rois, aboli pour toujours, fit place au ré- gime absolu de la république.

En 752, le premier archonte décennal gouverna Athènes. Le régime sémitique commençait dans la plus phénicienne des

(i) Les nations heUéniques ont souvent la prétention d'être autoch- tones ; mais lorsque Ton en vient à la preuve , on trouve généralement qu'elles descendent d'un dieu , quand ce n'est pas d'une nymphe topique. Dans le premier cas, Je vois un ancêtre arian ou sémite; dans le second, un mélange initial avec les aborigènes. Ainsi, je con- çois qu'on puisse appeler le pirate chananéen Inachus fils de l'Océan et de Téthys. Il avait surgi de la mer. Ainsi encore Dardanus était fils de Jupiter, de Zeus, du dieu arian par excellence. Il était donc Arian lui-même, et venait de la Samothrace , de l'Arcadie ou même d'Italie , bref du nord. Dans la Laconie, avant l'invasion dorienne, on rencon- tre des demi-autochtones, c'est-à-dire des peuples qui ne sont ni entièrement arians, ni entièrement sémites. Leurs généalogies remon- tent à Lélex et à la nymphe topique Kléocharia. (Voir Grote, t. I, p. 133, 230, 387.)

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villes grecques. Il ne devait être complet que plus tard, chez les Dôriens de Sparte et à Thèbes (1). L'âge héroïque et ses conséquences immédiates, c'est-à-dire la royauté tempérée, avaient duré 800 ans. Je ne dis rien de l'époque bien plus pure,, bien plus ariane des Titans; il me suffit de parler de leurs fils, les Hellènes, pour montrer que le principe gouvernemental était resté longtemps établi entre leurs mains.

Le système aristocratique n'eut pas autant de longévité. Inau- guré à Sparte en 867, et à Athènes en 753, il finit pour cette dernière cité, la ville brillante et glorieuse par excellence, il finit d'une manière régulière et permanente à l'archontat d'I- sagoras, fils de Tisandre, en 508, ayant duré 245 ans. Depuis lors jusqu'à la ruine de l'indépendance hellénique , le parti aristocratique domina souvent, et persécuta même ses adver- saires avec succès ; mais ce fut comme faction et en alternant avec les tyrans. L'état régulier depuis lors, si tant est que le mot régularité puisse s'appliquer à un affreux enchaînement de désordres et de violences, ce fut la démocratie.

A Sparte, la puissance des nobles, abritée derrière un pauvre reste de monarchie, fut beaucoup plus solide. Le peuple aussi était plus arian (2). La constitution de Lycurgue ne disparut complètement que vers 235 , après une durée de 632 ans (3).

(1) Cumes, Argos et Cyrène conservèrent aussi le nom de roi (pa- (7i>.eu;) à leur principal magistrat, investi d'ordinaire du commande- ment de l'armée et de la présidence de l'assemblée générale (àyopà). (Mac CuUagh, t. I, p. do.)

(2) Ils avaient une certaine parenté avec les Thessaliens. Du moins lesAleuades se disaijent Héraclides comme les rois de Sparte, et on observe de grandes analogies entre l'organisation servile des Hélotes et des Périakes des uns et celle des Pœnestes, des Perrhœbes et des Magnétos des autres. Les Doriens, bien supérieurs aux autres tribus helléniques au point de vue social, furent d'ailleurs les hommes d'une migration récente. Us n'avaient aucun renom mythique, et ne sont pas même nommés dans l'Hiade. Ce sont des espièces de Pandavas. (Grote, t. ir, p. 2.) Ils paraissent avoir envahi le Péloponése par mer,, ainsi que les Arians Hindous ont fait du sud de l'Inde. {Ibid., p. 4.) A cet égard, il est curieux d'observer comme les Arians , nation si mé- diterranéenne d'origine, sont toujours facilement devenus des marins intrépides et habiles.

(3) M. Mac CuUagh attribue gravement le déclin et la chute de Sparte

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Pour l'état populaire à Athènes, je ne sais qu'en dire, sinon qu'il entasse tant de hontes politiques à côté de magnificences intellectuelles inimitables, qu'on pourrait croire au premier abord qu'il lui fallut bien des siècles pour accomplir une telle œuvre. Mais , en faisant commencer ce régime à l'archontat d'Isagoras en 508 , on ne peut le prolonger que jusqu'à la ba-j taille de Chéronée, en 339. Le gouvernement continua plus tard sans doute à s'intituler république ; toutefois l'isonomie était perdue, et, quand les gens d'Athènes s'avisèrent de pren- dre les armes contre l'autorité macédonienne, ils furent traités moins en ennemis qu'en rebelles. De 508 à 339, il y a 169 ans.

Sur ces 169 ans, il convient d'en déduire toutes les années gouvernèrent les riches; puis celles régnèrent, soit les Pisistratides , soit les trente tyrans institués par les Lacédé- moniens. 11 n'y faut pas comprendre non plus l'administration monarchique et exceptionnelle de Périclès, qui dura une tren- taine d'années ; de sorte qu'il reste à peine pour le gouverne- ment démocratique la moitié des 169 ans ; encore cette période ne fut-elle pas d'un seul tenant. On la voit constamment in- terrompue par les conséquences des fautes et des crimes d'a- bominables institutions. Toute sa force s'employa à conduire la Grèce à la servitude.

Ainsi organisée, ainsi gouvernée, la société hellénique tomba, vers l'an 504, dans une attitude bien humble en face de la puissance iranienne. La Grèce continentale tremblait. Les co- lonies ioniennes étaient devenues tributaires ou sujettes.

à la fâcheuse persistance des institutions aristocratiques, n a aussi des paroles de pitié pour ces infortunés Doriens de la Crète , dont la constitution restera inébranlable pendant de longues séries de siècles. La comparaison des dates indiquées ici aurait le consoler; ou du moins, s'il voulait persister à gémir sur le peu de longévité des lois de Lycurgue, ne se maintenant que le court espace de 632 ans, il eût pu réserver la plus grande part de sa sympathie pour la démocratie athénienne, encore bien plus promptement décédée. (Mac Cullagh, 1. 1, p. 208 et 227.) Mais M. Mac Cullagh, en sa qualité d'antiquaire libre-échangiste, a particulièrement l'horreur de la race dorienne. Je doute qu'il vicqne à bout des préférences toutes contraires d'O. Mùl- ler (die Dorier). L'érudit allemand est un bien rude antagoniste.

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M DE l'inégalité

Le conflit devait éclater par reffet de Tattraction naturelle de la Grèce à demi sémitique vers la côte d'Asie, vers le cen- tre assyrien , et de la côte d'Asie elle-même un peu arianisée vers THellade. On allait voir succès de la première tentative d'annexion. On y était préparé; mais il trompa tout le monde, car il s'accomplit en sens contraire à ce qu'on avait prévoir.

La puissance perse, si démesurément grosse et redoutée, prit de mauvaises mesures. Xérxès se conduisit en Agramant. Sdi giovenil furore n'accorda aucun égard aux conseils des hommes sages. Les Grecs eurent beau, s'abandonnant les uns les autres, commettre des lâchetés impardonnables et les plus lourdes fautes , le roi s'obstina à être plus fou qu'ils n'étaient maladroits, et, au lieu de les attaquer avec des troupes régu- lières, il voulut s'amuser à repaître les yeux de sa vanité du spectacle de sa puissance. Dans ce but, il rassembla une co- hue de 700,000 hommes, leur fît passer l'Hellespont sur des ouvrages gigantesques, s'irrita contre la turbulence des flots, et alla se faire battre, à la stupéfaction générale , par des gens plus étonnés que lui de leur bonheur et qui n'en sont jamais revenus.

Dans les pages des écrivains grecs, cette histoire des Ther- mopyles, de Marathon, de Platée, donne lieu à des récits bien émouvants. L'éloquence a brodé sur ce thème avec une abon- dance qui ne petit pas surprendre de la part d'une nation si spirituelle. Comme déclamation^ c'est enthousiasmant; mais, à parler sensément, tous ces beaux triomphes ne furent qu'un accident, et le courant naturel des choses , c'est-à-dire l'effet inévitable de la situation ethnique, n'en fut pas le moins du monde changé (1).

(1) Les dates sont persuasives : la bataille de Platée fut gagnée le 22 novembre 479 avant J.-C, et l'enivrement des Grecs dure encore et se perpétue dans nos collèges. Mais , outre que la plus grande partie •de la Grèce avait été ralliée des Perses, Sparte, le plus fort de leurs antagonistes , se hâta de conclure une paix séparée en 477, c'est-à-dire deuic ans après la victoire. Si Athènes résista plus longtemps à cet «entraînement naturel , c'est qu'elle trouvait du profit à maintenir la confédération pour avoir des alliés à opprimer et piUer. (Mac Cul- Jagh, t. I, p. 157.) On peut juger du caractère de cette politique

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DES BACES HUMAINES. 55

Après comme avant la bataille de Platée, la situation se trouve celle-ci :

L'empire le plus fort doit absorber le plus faible ; et de même que rÉgypte sémitisée s'est agrégée à la monarchie perse, gouvernée par Tesprit arian, de même la Grèce, le principe sémitique domine désormais, doit subir la prédominance de la grande famille d'où sont sorties les mères de ses peuples, parce que du moment qu'il n'existe pas à Athènes, à Thèbes et même à Lacédémone de plus purs Arians qu'à Suze, il n'y a pas de motifs pour que la loi prépondérante du nombre et de l'éten- due du territoire suspende son action.

C'était une querelle entre deux frères. Eschyle n'ignorait pas ce rapport de parenté, lorsque, dans le songe d'Atossa, il fait dire à la mère de Xerxès :

« Il me semble voir deux vierges aux superbes vêtements.

« L'une richement parée à la mode des Perses, l'autre selon « la coutume des Doriens. Toutes deux dépassant en majesté <{ les autres femmes. Sans défaut dans leur beauté. Toutes deux « soeurs d'une même race (1). »

Malgré l'issue inespérée de la guerre persique, la Grèce était contrainte par la puissance sémitique de son sang de se rallier tôt ou tard aux destinées de l'Asie, elle qui avait subi si longtemps l'influence de cette contrée.

En vérité la conclusion fut telle; mais les surprises continuè- rent, et le résultat fut produit d'une manière différente encore de ce qu'on se croyait en droit d'attendre.

Aussitôt après la retraite des Perses, l'influence de la cour de Suze avait repris sur les cités helléniques ; comme aupara- vant, les ambassadeurs royaux donnaient des ordres. Ces or- dres étaient suivis. Les nationalités locales s'exaspérant dans leur haine réciproque, ne négligeant rien pour s'entre-détruire, le moment approchait la Grèce épuisée allait se réveiller

par le décret rendu sur la proposition de Périclès et en vertu duquel le peuple athénien déclarait ne devoir aucun compte de remploi des fonds communs de la ligue. {Ibid., p. 161; Bœckh, die Staatshaus- haltung der Athener, t. I, p. 429.) (1) Eschyle, les Perses.

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province perse, peut-être bien heureuse de l'être et de connaî- tre ainsi le repos.

De leur côté, les Perses, avertis par leurs échecs, se condui- saient avec autant de prudence et de sagesse que leurs petits voisins en montraient peu. Ils avaient soin d'entretenir dans leurs armées des corps nombreux d'auxiliaires hellènes ; ils les aflfectionnaient à leur service en les payant bien, en ne leur ménageant pas les honneurs. Souvent ils les employaient avec profit contre les populations ioniennes, et ils avaient alors la secrète satisfaction de ne pas voir s'alarmer la conscience cal- leuse de leurs mercenaires. Ils ne manquaient jamais d'incor- porer dans ces troupes les bannis jetés sous leur protection par les révolutions incessantes de TAttique, de la Béotie, du Pélo- ponèse; hommes précieux, car leurs villes natales étaient précisément celles contre qui s'exerçaient de préférence leur courage et leurs talents militaires. Enfin quaiid un illustre exilé, homme d'État célèbre, guerrier renommé, écrivain d'in- fluence, rhéteur admiré , se réclamait du grand roi , les pro- fusions de l'hospitalité n'avaient pas de bornes; et qu'un revirement politique ramenât cet homme dans son pays, il rap- portait au fond de sa conscience, fût-ce involontairement, un bout de chaîne dont l'extrémité était rivée au pied du trône des Perses. Tels étaient les rapports des deux nations. Le gou- vernement raisonnable, ferme, habile de l'Asie avait certaine- ment gardé plus de qualités arianes que celui des cités grec- ques méridionales, et celles-ci étaient à la veille d'expier durement leurs victoires de parade, lorsque l'état de faiblesse inouïe elles gémissaient fut justement ce qui amena la péri- pétie la plus inattendue.

Tandis que les Grecs du sud se dégradaient en s'illustrant, ceux du nord, dont on ne parlait pas, et qui passaient pour des demi-barbares, bien loin de décliner, grandissaient à tel point, sous l'ombre de leur système monarchique, qu'un matin, se trouvant assez lestes, fermes et dispos, ils gagnèrent les Perses de vitesse, et, s'emparant de la Grèce pour leur propre compte, firent front aux Asiatiques et leur montrèrent un adversaire tout neuf. Mais si les Macédoniens mirent la main sur la Grèce,

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DES RACES HUMAI?îES. o7

ce fut d'une manière et avec des formes qui révélaient assez la nature de leur sang. Ces nouveaux venus différaient du tout au tout des Grecs du sud, et leurs procédés politiques le prou- vèrent.

Les Hellènes méridionaux, après la conquête , s'empressaient de tout bouleverser. Sous le prétexte le plus léger, ils rasaient une ville et transplantaient chez eux les habitants réduits en esclavage. C'était de la même manière que les Chaldéens sé- mites avaient agi à l'époque de leurs victoires. Les Juifs en avaient su quelque chose lors du voyage forcé à Babylone ; les Syriens aussi, quand des bandes entières de leurs popula- tions furent envoyées dans le Caucase. Les Carthaginois usaient du même système. La conquête sémitique pensait d'abord à Fanéantissement; puis elle se rabattait tout au plus à la trans- formation. Les Perses avaient compris plus humainement et plus habilement les profits de la victoire. Sans doute, on relève chez eux plusieurs imitations de la notion assyrienne; cepen- dant, en généra], ils se contentaient de prendre la place des dynasties nationales, et ils laissaient subsister les États soumis par leur épée, dans la forme ils les avaient trouvés.

Ce qui avait été royaume gardait ses formes monarchiques, les républiques restaient républiques, et les divisions par satra- pies, moyen d'administrer et de concentrer certains droits ré- galiens, n'enlevaient aux peuples que Fisonomie : l'état des colonies ioniennes au temps de la guerre de Darius et au mo- ment des conquêtes d'Alexandre en fait suffisamment foi.

Les Macédoniens restèrent fidèles au même esprit arian. Après la bataille de Chéronée , Philippe ne détruisit rien , ne réduisit personne en servitude, ne priva pas les cités de leurs lois, ni les citoyens de leurs mœurs. Il se contenta de domi- ner sur un ensemble, dont il acceptait les parties telles qu'il les trouvait, de le pacifier et d'en concentrer les forces de manière s'en servir suivant ses vues. Du reste, on a vu que cette sagesse dans l'exploitation du succès avait été devancée, chez les Macédoniens, par la sagesse à conserver précieusement leurs propres institutions. Avec tous les droits possibles de faire commencer leur existence politique plus haut encore que

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la fondation du royaume de Sicyone, les Grecs du nord arri- vèrent jusqu'au jour ils se subordonnèrent le reste de la Grèce sans avoir jamais varié dans leurs idées sociales. 11 me serait difficile d'alléguer une plus grande preuve de la pureté comparative de leur noble sang. Ils représentaient bien un peuple belliqueux, utilitaire, point artiste, point littéraire, mais doué de sérieux instincts politiques.

Nous avons trouvé un spectacle à peu près analogue chez les tribus iraniennes d'une certaine époque. Il ne faut pour- tant pas en décider à la légère. Si nous comparons les deux nations au moment de leur développement, l'une quand , sous Philippe, elle déborda sur la Grèce, et l'autre , dans un temps^ antérieur, quand, avec Phraortes, elle commença ses conquê- tes, les Iraniens nous apparaissent plus brillants et semblent à beaucoup d'égards plus vigoureux.

Cette impression est juste. Sous le rapport religieux, les doctrines spiritualistes des Mèdes et des Perses valaient mieux que le polythéisme macédonien, bien que celui-ci de son côté, attaché à ce qu'on nommait dans le sud les vieilles divinités y. se tînt plus dégagé des doctrines sémitiques que les théologies athéniennes ou thébaines. Pour être exact , il faut néanmoins avouer que ce que les doctrines religieuses de la Macédoine perdaient en absurdités d'imagination, elles le regagnaient un peu en superstitions à demi finnoises, qui, pour être plus som- bres que les fantaisies syriennes, n'en étaient guère moins fu- nestes. En somme, la religion macédoQienne ne valait pas celle des Perses, travaillée qu'elle était par les Celtes et les Slaves.

En fait de civilisation, l'infériorité existait encore. Les na- tions iraniennes , touchant d'un côté aux peuples vratyas , aux Hindous réfractaires, éclakés d'un reflet lointain du brahma- nisme, de l'autre aux populations assyriennes, avaient vu se dérouler toute leur existence entre deux foyers lumineux qui n'avaient jamais permis à l'ombre de trop s'épaissû- sur leurs lêtès. Parents des Vratyas, les Iraniens de l'est n'avaient pas cessé de contracter avec eux des alliances de sang. Tributaires des Assyriens, les Iraniens de l'ouest s'étaient également im- prégnés de cette autre race, et de tous côtés ainsi l'ensemble

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DES KACES HUMAINES. ÔD»

des tribus fit des cîmprunts aux civilisations qui les environ, naient.

Les Macédoniens furent moins favorisés. Ils ne touchaient aux peuples raffinés que par leur frontière du sud. Partout ailleurs ils ne s'alliaient qu'à la barbarie. Ils n'avaient donc pas le frottenaent de la civilisation à un aussi grand degré que les Iraniens, qui, la recevant par un double hymen , lui don- naient une forme originale due à cette combinaison même.

En outre, l'Asie étant le pays vers lequel convergeaient les trésors de l'univers, la Macédoine demeurait en dehors des routes commerciales, et les Iraniens s'enrichissaient tandis que leurs remplaçants futurs restaient pauvres.

Eh bien, malgré tant d'avantages assurés jadis aux Mèdes de Phraortes, la lutte ne devait pas être douteuse entre leurs descendants, sujets de Darius, et les soldats d'Alexandre. La victoire appartenait de droit à ces derniers, car lorsque le dé- mêlé commença, il n'y avait plus de comparaison possible entre la pureté ariane des deux races. Les Iraniens , qui déjà au temps de la prise de Babylone par Cyaxares étaient moins blancs que les Macédoniens, se trouvèrent bien plus sémitisés encore lorsque, 269 ans après, le fils de Philippe passa en Asie. Sans l'intervention du génie d'Alexandre , qui précipita la so- lution, le succès aurait hésité un instant, vu la grande diffé- rence numérique des deux peuples rivaux ; mais Tissue défini- tive ne pouvait en aucun cas être douteuse. Le sang asiatique attaqué était condamné d'avance à succomber devant le nou- veau groupe arian, comme jadis il avait passé sous le joug des Iraniens eux-mêmes, désormais assimilés aux races dégénérées du pays, qui, elles également, avaient eu leurs jours de triom- phe, dont la durée s'était mesurée à la conservation de leurs éléments blancs.

Ici se présente une application rigoureuse du principe de l'inégalité des races. A chaque nouvelle émission du sang des blancs en Asie, la proportion a été moins forte. La race sémi- tique, dans ses nombreuses couches successives, avait plus fé- condé les populations chamites que ne le put l'invasion ira- nienne, exécutée par des masses beaucoup moindres. Quand

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60 DE l'inégalité

les Grecs conquirent l'Asie, ils arrivèrent en nombre plus mé- diocre encore ; ils ne firent pas précisément ce qu'on appelle une colonisation. Isolés par petits groupes au milieu d'un im- mense empire, ils se noyèrent tout d'un coup dans l'élément sémitique. Le grand esprit d'Alexandre dut comprendre qu'a- près son triomphe, c'en était fait de l'Heliade ; que son épée venait d'accomplir l'œuvre de Darius et de Xerxès, en renver- sant seulement les termes de la proposition; que, si la Grèce, n'avait pas été asservie lorsque le grand roi avait été à elle, elle l'était maintenant qu'elle avait marché vers lui ; elle se trouvait absorbée dans sa propre victoire. Le sang sémitique engloutissait tout. Marathon et Platée s'effaçaient sous les vé- néneux triomphes d'Arbelles et d'Issus, et le conquérant grec, le roi macédonien, se transfigurant, était devenu le grand roi lui-même. Plus d'Assyrie, plus d'Egypte, plus de Perside, mais aussi plus d'Hellade : l'univers occidental n'avait désormais qu'une seule civilisation.

Alexandre mourut -, ses capitaines détruisirent l'unité politi- que; ils n'empêchèrent pas que la Grèce entière, et, cette fois, avec la Macédoine comprimée, envahie, possédée par l'élément sémitique, ne devînt le complément de la rive d'Asie. Une so- ciété unique, bien variée dans ses nuances, réunie cependant sous les mêmes formes générales, s'étendit sur cette portion du globe qui , commençant à la Bâctriane et aux montagnes de l'Arménie, embrassa toute l'Asie inférieure, les pays du Nil, leurs annexes de l'Afrique, Carthage , les îles de la Méditer- ranée , l'Espagne , la Gaule phocéenne , l'Italie hellénisée , le continent hellénique. La longue querelle des trois civilisations parentes qui , avant Alexandre , avaient disputé de mérite et d'invention, se termina dans une fusion de forces également du sang sémitique amenant la proportion trop forte d'éléments noirs, et de cette vaste combinaison naquit un état de choses qu'il est aisé de caractériser.

La nouvelle société ne possédait plus le sentiment du su- blime, joyau de l'ancienne Assyrie comme de l'antique Egypte ; elle n'avait pas non plus la sympathie de ces nations trop mé- laniennes pom^ le monstrueux physique et moral. En bien

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comme en mal, la hauteur avait diminué par la double influence ariane des Iraniens et des Grecs. Avec ces derniers, elle prit de la modération dans les idées d'art, ce qui la conduisit à imi- ter les procédés et les formes helléniques; mais d'un autre côté, et comme un cachet du goût sémitique raccourci, elle abonda dans l'amour des subtilités sophistiques , dans le raf- finement du mysticisme, dans le bavardage prétentieux et les folles doctrines des philosophes. En cherchant le brillant, faux et vrai, elle eut de l'éclat, rencontra quelquefois la bonne veine, resta sans profondeur et montra peu de génie. Sa fa- culté principale , celle qui fait son mérite, c'est l'éclectisme -, elle ambitionna constamment le secret de concilier des élé- ments inconciliables, débris des sociétés dont la mort faisait sa vie. Elle eut l'amour de l'arbitrage. On reconnaît cette ten- dance dans les lettres , dans la philosophie , dans la morale, dans le gouvernement. La société hellénistique sacrifia tout à la passion de rapprocher et de fondre les idées, les intérêts les plus disparates , sentiment très honorable sans doute , in- dispensable dans un milieu de fusion, mais sans fécondité, et qui implique l'abdication un peu déshonorante de toute voca- tion et de toute croyance.

Le sort de ces sociétés de moyen terme, formées de décom- bres, est de se débattre dans les difficultés, d'épuiser leurs maigres forces, non pas à penser, elles n'ont pas d'idées pro- pres; non pas à avancer, elles n'ont pas de but; mais à coudre et recoudre en soupirant des lambeaux bizarres et usés qui ne peuvent tenir ensemble. Le premier peuple un peu plus ho- mogène qui leur met la main sur l'épaule, déchire sans peine le fragile et prétentieux tissu.

Le nouveau monde comprit l'espèce d'unité qui s'établissait. 11 voulut que les choses fussent représentées par les mots. Dès lors, pour marquer le plus haut degré possible de perfection intellectuelle, on s'accoutuma à se servir du terme d'atticisme, idéal auquel les contemporains et compatriotes de Périclès auraient eu peine à prétendre. On plaça au-dessous le nom d'Hellène; plus bas, on étagea des dérivés comme helléni- sant , hellénistique, afin d'indiquer des mesures dans les de-

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62 DE l'inégalité

grés de civilisation. Un homme sur la côte de la mer Rouge^ dans la Bactriane, dans l'enceinte d'Alexandrie d'Egypte, au bord de l'Adriatique, se considéra et fut tenu pour un Hellène parfait. Le Péloponèse n'eut plus qu'une gloire territoriale ; ses habitants ne passaient pas pour des Grecs plus authenti- ques que les Syriens ou les gens de la Lydie, et ce sentiment était parfaitement justifié par l'état des races.

Sous les premiers successeurs d'Alexandre, il n'existait plus dans la Grèce entière une nation qui eût le droit de refuser la parenté , je ne dis pas l'identité , avec les hellénisants les plus obscurs d'Olbia ou de Damas. Le sang barbare avait tout envahi. Au nord, les mélanges accomplis avec les populations slaves et celtiques attiraient les races hellénisées vers la ru- desse et la grossièreté trônant sur les rives du Danube, tandis qu'au sud les mariages sémitiques répandaient une dépravation purulente pareille à celle de la côte d'Asie; pourtant, ce n'é- taient là au fond que des différences peu essentielles^ et qui ne tournaient pas au profit des facultés arianes. Certes, les vain- queurs de Troie , s'ils fussent revenus des enfers , auraient en vain cherché leur descendance ; ils n'auraient vu que des bâ- tards sur remplacement de Mycènes et de Sparte (1).

(d) On suit, avec une grande facilité, les transformations de la po- pulation lacédémonienne. A la bataille de Platée , la ville de Lycurguç avait mis en ligne 50,000 combattants , savoir :

5,000 Spartiates et 7 Hélotes par Spartiate,

soit 35,000 Hélotes armés,

5,000 hoplites j périœkes 6,000 peltastes j ^'eriœKes.

Total 50,000

Sur le champ de bataille de Leuctres, il ne paraît plus que 4,00a Spartiates. Depuis longtemps, TÉtat ne soutenait ses guerres exté- rieures qu'au moyen d'Hélotes affranchis (Neo6a{xa)8£iç). En 370, avant J.-C. , lorsque Épaminondas envahit la Laconie , il fallut encore donner la liberté à 6,000 Hélotes pour pouvoir se défendre. Cent ans après, on ne comptait plus que 700 familles de citoyens, et 100 seulement possédaient des terres; le reste était ruiné. On reforma alors une aristocratie avec des Périœkes, des étrangers, et des Hélotes. A Sel-> lasie, toute cette bourgeoisie nouvelle fut exterminée par le roi Anti" gone et les Achéens, sauf 200 hommes. Machanidas et son successeur

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DES BACES HUMAINES. 63

Quoi qu'il en soit, l'unité du monde civilisé était fondée. A ce monde il fallait une loi, et cette loi Tappuyer? De quelle source la faire jaillir, quand les gouvernements ne présidaient plus qu'à un immense amas de détritus, toutes les nationa- lités anciennes étaient venues éteindre leurs forces viriles? Comment tirer des instincts mélaniens , qui désormais avaient pénétré jusqu'aux derniers replis de cet ordre social, la recon- naissance d'un principe intelligent et ferme , et en faire une règle stable? Solution impossible-, et pour la première fois dans le monde on vit ce phénomène , qui depuis s'est reproduit deux fois encore, de grandes masses humaines conduites sans religion politique, sans principes sociaux définis, et sans autre but que de les aider à vivre. Les rois grecs adoptèrent, faute de pouvoir mieux, la tolérance universelle' en tout et pour tout, et bornèrent leur action à exiger l'adoration des actes émanés de leur puissance. Qui voulait être république le restait ; telle ville tenait aux formes aristocratiques, à elle permis ; telle au- tre, un district, une province, choisissaient la monarchie pure, on n'y contredisait pas. Dans cette organisation, les souverains ne niaient rien et n'affirmaient pas davantage. Pourvu que le trésor royal touchât ses revenus légaux et extralégaux , et que les citoyens ou les sujets ne fissent pas trop de bruit dans le coin ils étaient censés se gouverner à leur guise, ni les Pto- lémées, ni les Séleucides n'étaient gens a y trouver à redire.

La longue période qu'embrassa cette situation ne fut pas absolument vide d'individualités distinguées ; mais elle n'offrit pas à celles qui surgirent un public suffisamment sympathique, et dès lors tout resta daus le médiocre. On s'est souvent de- mandé pourquoi certains temps ne produisent pas telle caté- gorie de supériorité : on a répondu, tantôt que c'était par dé- faut de liberté , tantôt par pénurie d'encouragement. Les uns ont fait honneur à l'anarchie athénienne du mérite de Sophocle

Nabis employèrent le moyen ordinaire pour relever la république : il y eut une vaste promotion de citoyens. Mais peu après, malgré cette ressource, Sparte, encore vaincue et découragée, se fondit dans la ligue achéenne. Cette histoire est celle de tous les États grecs, d'Argos, de Thèbes, comme d'Athènes. (Zumpt, p. 7 et passim.)

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et de Platon, affirmé, et en conséquence , que sans les troubles perpétuels des communes d'Italie, Pétrarque, Boccace, le Dante surtout, n'auraient jamais étonné le monde par la magnificence de leurs écrits. D'autres penseurs, tout au rebours, attribuent la grandeur du siècle de Périclès aux générosités de cet homme d'Etat, l'élan de muse italienne à la protection des Médicis, rère classique de notre littérature et ses lauriers à l'influence bienfaisante du soleil de Louis XIV. On voit qu'en s'en pre- nant aux circonstances ambiantes, on trouve des avis pour tous les goûts , tels philosophes reportant à l'anarchie ce que tels autres donnent au despotisme.

Il est encore un avis : c'est, celui qui voit dans la direction prise par les mœurs d'une éppque la cause de la préférence des contemporains pour tel ou tel genre de travaux , qui mène, comme fatalement, les natures d'élite à se distinguer, soit dans la guerre , soit dans la littérature , soit dans les arts. Ce der- nier sentiment serait le mien, s'il concluait; malheureusement il reste en route, et lorsqu'on lui demande la cause génératrice de l'état des mœurs et des idées, il ne sait pas répondre qu'elle est tout entière dans l'équilibre des principes ethniques. C'est , en effet, nous l'avons vu jusqu'ici, la raison déterminante du degré et du mode d'activité d'une population.

Lorsque l'Asie était partagée en un certain nombre d'États délimités par des différences réelles de sang entre les nations qui les habitaient, il existait sur chaque point particulier, en Egypte, en Grèce, en Assyrie, au sein des territoires iraniens, un motif à une civilisation spéciale, à des développements d'i- dées propres, à la concentration des forces intellectuelles sur des sujets déterminés, et cela parce qu'il y avait originalité dans la combinaison des éléments ethniques de chaque peuple. Ce qui donnait surtout le caractère national , c'était le nombre limité de ces éléments, puis la proportion d'intensité qu'ap- portait chacun d'eux dans le mélange. Ainsi, un Égyptien du XX® siècle avant notre ère, formé, j'imagine, d'un tiers de sang arian, d'un tiers de sang chamite blanc et d'un tiers de nègre, ne ressemblait pas à un Égyptien du viii^ dans la na- ture duquel l'élément mélanien entrait pour une moitié, le

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DES RACES HUMAINES. 65

principe cliamite blanc pour un dixième, le principe sémitique pour trois , et le principe arian à peine pour un. Je n'ai pas besoin de dire que je ne vise pas ici à des calculs exacts ; je ne veux que mettre ma pensée en relief.

Mais l'Égyptien du vin® siècle, bien que dégénéré, avait pourtant encore une nationalité , une originalité. Il ne possé- dait plus, sans doute, la virtualité des ancêtres dont il était le représentant ; néanmoins la combinaison ethnique dont il était issu continuait, en quelque chose, à lui être particulière. Dès le siècle il n'en fut plus ainsi.

A cette époque Télénient arian se trouvait tellement subdi- visé, qu'il avait perdu toute influence active. Son rôle se bor- nait à priver les autres éléments à lui adjoints de leur pureté, et dès lors de leur liberté d'action.

Ce qui est vrai pour l'Egypte s'applique tout aussi bien aux Grecs, aux Assyriens, aux Iraniens; mais on pourrait se de- mander comment, puisque l'unité s'établissait dans les races, il n'en résultait pas une nation compacte , et d'autant plus vi- goureuse qu'elle avait à disposer de toutes les ressources ve- nues des anciennes civilisations fondues dans son sein, ressour- ces multipliées à l'infini par l'étendue incomparablement plus considérable d'une puissance qui ne se voyait aucun rival ex- térieur. Pourquoi toute l'Asie antérieure, réunie à la Grèce et à l'Egypte, était-elle hors d'état d'accomplir la moindre partie des merveilles que chacune de ses parties constitutives avait multi- pliées, lorsque ces parties étaient isolées, et, de plus, lorsqu'elles auraient souvent être paralysées par leurs luttes intestines?

La raison de cette singularité , réellement très étrange , gît dans ceci , que l'unité exista bien , mais avec une valeur néga- tive. L'Asie était rassemblée, non pas compacte; car d'où provenait la fusion ? Uniquement de ce que les principes ethni- ques supérieurs, qui jadis avaient créé sur tous les points di- vers des civilisations propres à ces points, ou qui, les ayant reçues déjà vivantes, les avaient modifiées et soutenues , quel- quefois même améliorées , s'étaient , depuis lors, absorbés dans la masse corruptrice des éléments subalternes , et , ayant perdu toute vigueur, laissaient l'esprit national sans direction , sans

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initiative, sans force, vivant, sans doute, toutefois sans ex- pression. Partout les trois principes, chamite, sémite et arîan, avaient abdiqué leur ancienne initiative, et ne circulaient plus dans le sang des populations qu'en filets d'une ténuité extrême et chaque jour plus divisés. Néanmoins , les proportions dif- férentes dans la combinaison des principes ethniques inférieurs se perpétuaient éternellement avaient régné les ancien- nes civilisations. Le Grec, l'Assyrien, l'Égyptien, l'Iranien du siècle étaient à peine les descendants de leurs homonymes du xx« : on les voyait de plus rapprochés entre eux par une égale pénurie de principes actifs; ils l'étaient encore par la coexistence dans leurs masses diverses de beaucoup de grou- pes à peu près similaires; et cependant, malgré ces faits très véritables, des contrastes généraux, souvent imperceptibles, cependant certains, séparaient les nations. Celles-ci ne pou- vaient pas vouloir et ne voulaient pas des choses bien différen- tes ; mais elles ne s'entendaient pas entre elles , et dès lors , forcées de vivre ensemble, trop faibles chacune pour faire pré- valoir des volontés d'ailleurs à peine senties, elles penchaient toutes à considérer le scepticisme et la tolérance comme des nécessités, et la disposition d'âme que Sextiis Empirlcus vante sous le nom d'ataraxie comme la plus utile des vertus.

Chez un peuple restreint quant au nombre , l'équilibre ethni- que ne parvient à s'établir qu'après avoir détruit toute effica- cité dans le principe civilisateur, car ce principe , ayant néces- sairement pris sa source chez une race noble, est toujours troppeu abondant pour être impunément subdivisé. Cependant, aussi longtemps qu'il reste à l'état de pureté relative, il y a prédominance de sa part, et donc pas d'équilibre avec les élé- ments inférieurs. Que peut-il arriver, dès lors , quand la fu- sion ne se fait plus qu'entre des races qui, ayant passé déjà par cette transformation première, sont en conséquence épui- sées? Le nouvel équilibre ne pourrait s'établir (je dis ne pour- rait^ car l'exemple ne s'en est pas encore présenté dans l'his- toire du monde) qu'en amenant non plus seulement la dégé- nération des multitudes, mais leur retour presque complet aux aptitudes normales de leur élément ethnique le plus abondant.

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Cet élément ethnique le plus abondant, c'était pour l'Asie le noir. Les Chamites, dès les premières marches de leur inva- sion, l'avaient rencontré bien haut dans le nord, et probable* ment les Sémites, quoique plus purs, s'étaient, à leurs débuts, aussi laissé tacher par lui.

Plus nombreuses que toutes les émigrations blanches dont l'histoire ait fait mention , les deux premières familles venues de l'Asie centrale sont descendues si loin vers l'ouest et vers le sud de l'Afrique, que l'on ne sait encore trouver la limite de leurs flots. Pourtant on peut attester, par l'analyse des langues sémitiques , que le principe noir a pris partout le dessus sur l'élément blanc des Chamites et de leurs associés.

Les invasions arianes furent, pour les Grecs comme pour leurs frères les Iraniens, peu fécondes en comparaison des masses plus d'aux deux tiers mélanisées dans lesquelles elles vinrent se plonger. Il était donc inévitable qu'après avoir mo- difié , pendant un temps plus ou moins long , l'état des popu- lations qu'elles touchaient, elles Se perdissent à leur tour dans l'élément destructeur leurs prédécesseurs blancs s'étaient successivement absorbés avant elles. C'est ce qui arriva aux époques macédoniennes ; c'est ce qui est aujourd'hui.

Sous la domination des dynasties grecques ou hellénisées , l'épuisement, grand sans doute, était loin encore de ressem- bler à l'état actuel, amené par des mélanges ultérieurs d'une abondance extrême. Ainsi, la prédominance finale, fatale, nécessaire, de plus en plus forte, du principe mélanien a été le but de l'existence de l'Asie antérieure et de ses annexes. On pourrait affirmer que depuis le jour le premier conquérant chamite se déclara maître , en vertu du droit de conquête , de ces patrimoines primitifs de la race noire , la famille des vain- cus n'a pas perdu une heure pour reprendre sa terre et saisir même coup ses oppresseurs. De jour en jour, elle y par- vient avec cette inflexible et sûre patience que la nature ap- porte dans l'exécution de ses lois.

A dater de l'époque macédonienne, tout ce qui provient de l'Asie antérieure ou de la Grèce a pour mission ethnique d'é- tendre les conquêtes mélaniennes.

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68 DE l'inégalité

J'ai parlé des nuances persistant au sein de l'unité négative des Asiatiques et des hellénisants : de là, deux mouvements en sens contraire qui venaient encore augmenter l'anarchie de cette société. Personne n'étant fort, personne ne triomphait exckisivement. Il fallait se contenter du règne toujours chan- celant, toujours renversé, toujours relevé d'un compromis aussi indispensable qu'infécond. La monarchie unique était impossible, parce qu'aucune race n'était de taille à la vivifier et à la faire durer. Il n'était pas moins impraticable de créer des États multiples, vivant d'une vie propre. La nationalité ne se manifestait en aucun lieu d'une façon assez tranchée pour être précise. On s'accommodait donc de refontes perpé- tuelles de territoire ; on avait l'instabilité , et non le mouve- ment. Il n'y eut guère que deux courtes exceptions à cette règle : Tune causée par l'invasion des Galates ; la seconde par l'éta-, blissement d'un peuple plus important, les Parthes (1), nation ariane mêlée de jaune, qui, sémitisée de bonne heure comme ses prédécesseurs, s'enfonça à son tour dans les masses hétéro- gènes.

En somme, cependant , les Galates et les Parthes étaient trop peu nombreux pour modifier longtemps la situation de l'Asie. Si une action plus vive de la puissance blanche n'avait pas se manifester, c'en était fait déjà , à cette époque , de l'avenir intellectuel du monde, de sa civilisation et de sa gloire. Tandis que l'anarchie s'établissait à demeure dans l'Asie anté- rieure , préludant avec une force irrésistible aux dernières con- séquences de l'abâtardissement final , l'Inde allait de son côté^ quoique avec une lenteur et une résistance sans pareilles, au- devant de la même destinée. La Chine seule continuait sa mar-

(1) Ils parlaient le pelilvi et y substituèrent ensuite le parsi , af- fluèrent un plus grand nombre de racines sémitiques, résultat du long- séjour des Arsacides à Ctésiphon et à Séleucie. Suivant Justin , le fond original est scytliique; mais les Scythes parlaient un dialecte arian. Le Mahabharata connaît les Parthes , qu'il nomme Parada. Il les allie aux Saka (Sacae), certainement Mongols. Les Parthes donnent, par leur composition ethnique, une assez juste idée de ce que deraient être plusieurs races touraniennes

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DES BAGES HUMAINES. 69

che normale et se défendait avec d'autant plus de facilité contre toute déviation, que, parvenue mom§ haut que ses illustres sœurs , elle éprouvait aussi des dangers moins actifs et moins destructeurs. Mais la Cliine ne pouvait représenter le monde; elle était isolée, vivait pour elle-même, bornée surtout au soin modeste de régler Talimentation de ses masses.

Les clioses en étaient quand , dans un coin retiré d'une péninsule méditerranéenne, une lueur commença à briller. Faible d'abord , elle s'accrut graduellement, et, s'étendant sur un horizon d'abord restreint, éclaira d'une aurore inattendue la région occidentale de l'hémisphère. Ce fut aux lieux mêmes où, pour les Grecs, le dieu Hélios descendait chaque soir dans la couche delà nymphe de l'Océan, que se leva l'astre d'une civilisation nouvelle. La victoire, sonnant de hautaines fanfa- res, proclama le nom du Latium et Rome se montra.

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LIVRE CINQUIEME.

CIVILISATION EUROPÉENNE SÉMITISÉE. CHAPITRE PREMIER.

Populations primitives de TEurope.

On a considéré longtemps comme impossible de découvrir entre le Bosphore de Thrace et la mer qui borde la Galice, et depuis le Sund jusqu'à la Sicile, un point quelconque des hommes appartenant à la race jaune, mongole, ugrienne, finnoise, en un mot, à la race aux yeux bridés, au nez plat, à la taille obèse et ramassée, se soient jamais trouvés établis de manière à y former une ou plusieurs nations permanentes. Cette opinion , si bien acceptée qu'on ne l'a guère controversée que dans ces dernières années, ne reposait d'ailleurs sur aucune démonstration. Elle n'avait pas d'autre raison d'être qu'une ignorance à peu près absolue des faits concluants dont l'en- semble, aujourd'hui, la renverse et l'efface. Ces faits sont de différente nature , appartiennent à différents ordres d'obser- vations, et le faisceau de preuves qu'ils composent est d'une complète rigueur (1).

(i) Schaflfarik a été un des premiers à démontrer la présence pri- mordiale et la diffusion des Finnois asiatiques en Europe; mais il s'est borné à l'examen de la région septentrionale , en affirmant seu- lement que la race jaune était descendue beaucoup plus loin vers Test et le sud qu'on ne le suppose généralement. (Slawische Alter- thûmer, t. I, p. 88.) Millier {Der ugrische Volksstamm, t. I, p. 399) signale des traces d'établissements lapons dans la partie la plus mé- ridionale de la Scandinavie et jusqu'à Schonen. Pott (Indogerm- Sprachstamnif Encycl. Ersch u. Grubert p. 23) pose en principe l'ori- gine asiatique de toutes les tribus finnoises d'Europe, et pense que, dans des temps très anciens, cette famille s'étendait fort avant vers le

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72 DE L INEGALITE

Une certaine classe de monuments fort irréguliers, d'une antiquité très haute, et se montrant, à peu près, dans toutes les contrées de l'Europe , a depuis longtemps préoccupé les érudits. La tradition, de son côté, y rattache bon nombre de légendes. Ce sont tantôt des pierres brutes en forme d'obélis- ques dressées au milieu d'une lande ou sur le bord d'une côte, tantôt des espèces de boîtes de granit composées de quatre ou cinq blocs , dont un , deux au plus , servent de toiture. Ces blocs sont toujours de proportions gigantesques , et ne portent qu'exceptionnellement des traces de travail. Dans la même ca- tégorie se rangent des amoncellements de cailloux souvent très considérables , ou des rochers posés en équilibre de ma- nière à vibrer sous une très légère impulsion. Ces monuments, la plupart d'une forme extrêmement saisissante, même pour les yeux les plus inattentifs , ont engagé les savants à proposer plusieurs systèmes d'après lesquels il faudrait en faire honneur aux Phéniciens , ou bien aux Romains , peut-être aux Grecs , mieux encore aux Celtes , ou même aux Slaves. Mais les pay- sans, fidèles aux croyances de leurs pères, repoussent, sans le savoir, ces opinions si diverses, et adjugent les objets en litige aux fées et aux nains. On va voir que les paysans ont raison. Il en est dès récits légendaires comme de la philosophie des Grecs, au jugement de saint Clément d'Alexandrie. Ce Père la comparait aux noix , âpres d'abord au goût du chré- tien; mais si l'on sait en briser Técorce, on y trouve un fruit savoureux et nourrissant.

Les créations architecturales des Phéniciens, des Grecs, des Ptomains, des Celtes, ou même des Slaves n'offrent rien de commun avec les monuments dont il est ici question. On pos- sède des œuvres de tous ces peuples à différents âges; on con- naît les procédés dont ils usaient : rien ne rappelle ce que nous avons ici sous les yeux. Puis, autre raison bien autrement puissante , et , même sans réplique , on rencontre des pierres

sud. Ilask mêle à des opinions plus hardies nombre d'assertions suspectes. Wormsaae est un des auteurs qui ont commencé avec beaucoup de sagacité et d'érudition à poser la question sur le véri- table terrain

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DES RACES HUMAINES. 73

debout , des cairns et des dolmens dans cent endroits les conquérants de Tyr et de Rome , les marchands de Mar- seille, où les guerriers celtes, les laboureurs slaves n'ont, jamais passé. Il faut donc envisager le problème à nouveau et de très près.

En partant de ce principe unanimement reconnu que toutes les antiquités de l'Europe occidentale ici mises en question sont, quant à leur style, antérieures à la domination romaine, on pose une base chronologique assurée, et l'on tient la clef du problème. J'insiste sur cette circonstance qu'il ne s'agit ici que de la date du style , et nullement de celle de la construction de tel ou teï monument en particulier, ce qui compliquerait la difficulté d'ensemble de beaucoup d'incertitudes de détail. Il faut s'en tenir d'abord à un exposé aussi général que pos- sible , quitte à particulariser plus tard.

Puisque les armées des Césars occupaient la Gaule entière et une partie des îles Britanniques au premier siècle avant no- tre ère, le système générateur des antiquités gauloises et bre- tonnes remonte à des temps plus anciens. Mais l'Espagne aussi possède des monuments parfaitement identiques à ceux-là (1). Or les Romains ont pris possession de cette contrée longtemps avant de s'établir dans les Gaules, et, avant eux, les Cartha- ginois et les Phéniciens y avaient jeté d'abondantes importa- tions de leur sang et de leurs idées. Les peuples qui ont érigé les dolmens espagnols ne sauraient donc les avoir imaginés

(1) Borrow, The Bible in Spain, in-12, Lond., 1849, chap. VII, p. 35 : « Whilsttoiling among this wilds waste, I observed, a liWle.way to my « left, a pile of stones of rather a singular appearance and rode up « it. It was a druîdica! altar and the most perfect and beautiful one « of the kind which I hâve never seen. It was circular, and consisted « of stones immensely larges and heavy at the bottom, which towards « the top became thinner and thinner, having been fashioned by the « hand of art to something of thé shape of scallop sheUs. Thèse were « surmounted by a very large flat stone, which slanted down towards « the earth , where was a door. » Bien peu d'observations ont été faites en Espagne sur cette classe de monuments. M. Mérimé a visité cependant, près d'Antéquera, un souterrain clairement marqué des caractères pseudo-cci tiques.

BAOES HUAIAINES. T. II. 6

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74 DE l'inégalité

postérieurement à la première migration ou colonisation phé- nicienne. Pour ne pas déroger à une prudence même exces- sive, il est bon de ne pas user de cette certitude dans toute son étendue. Ne remontons pas plus haut que ie troisième siècle avant Jésus-Christ.

Il faut être plus hardi en Italie. Nul doute que les construc- tions semblables aux monuments gaulois et espagnols qu'on y trouve ne soient antérieures à la période romaine , et , qui plus est, à la période étrusque. Les voilà repoussées du troi- sième siècle au huitième à tout le moins.

Mais, parce que les antiquités que nous venons d'apercevoir dans les îles Britanniques, la Gaule , l'Espagne et l'Italie, dé- rivent d'un type absolument le même , elles inspirent naturel- lement la pensée que leurs auteurs appartenaient à une même r. ce. Aussitôt que cette idée se présente, on veut en éprouver la valeur en calculant la diffusion de cette race d'après celle des monuments qui révèlent son existence. On cesse donc de se tenir renfermé dans les quatre pays nommés ci-dessus, et Ton cherche, au dehors de leurs limites , si rien de semblable à ce qu'ils contiennent ne se peut rencontrer ailleurs. On ar- rive à un résultat qui d'abord effraye Timagination.

La zone ouverte alors aux regards s'étend depuis les deux péninsules méridionales de l'Europe, en couvrant la Suisse, la Gaule et les îles Britanniques, sur toute l'Allemagne, en- veloppe le Danemark et le sud de la Suède, la Pologne et la Russie, traverse l'Oural, embrasse la haute Sibérie, passe le détroit de Behring, enferme les prairies et les forêts de l'Amé- rique du Nord, et va finir vers les rives du Mississipi supérieur, si toutefois elle ne descend pas plus bas (1).

(1) Keferstein, Ansichten ûber die keltischen Altherthûmer, t. I, pass. Ouvrage qui témoigne des plus laborieuses recherches et du plus grand dévouement à la science. C'est un véritable et indispensable ma- nuel pour la connaissance des antiquités primitives. Wormsaae, The Primeval Antiquities of Denmark, translated by W. J. Thoms, Lond., in-8o, 1849. Schaflfarik, Slawische AUerthûmer, 1. 1. «Squier, Observations on the Aboriginal Monuments of the Mississipi Valley^ New-York, 1847. Abeken, Mittel Italien vor der Zeit der rœmischen Serrschaft, Stuttgart u. Tubingen, etc., 1843. Dennis, Die Stsedte und

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DES RACES HUMAINES. 75

On conviendra que, s'il fallait adjuger soit aux Celtes, soit aux Slaves, pour ne parler ni des Phéniciens, ni des Grecs, ni des Romains , une si vaste série de régions , on devrait , en même temps , s'attendre à rencontrer toutes les autres caté- gories d'antiquités ^ue ces pays recèlent aussi identiques en- tre elles que le sont les monuments dont l'abondance conduit à tracer ces vastes limites. Que les aborigènes de tant de con- trées aient été des Celtes ou des Slaves , ils auront laissé par- tout des restes de leur culture , aisément comparables à ceux que Ton décrit en France , en Angleterre , en Allemagne , en Danemark, en Russie, et que l'on sait, de science certaine, ne pouvoir être attribués qu'à eux. Mais, précisément, cette condition n'est pas remplie.

Sur les mêmes terrains que les constructions de pierre brute, abondent des dépôts de toute nature, gages de l'industrie hu- maine , qui , différant entre eux d'une manière radicale de contrée à contrée, accusent, d'une manière évidente, Texis-^ tence sporadique de nationalités très distinctes et auxquelles, ils ont appartenu. De sorte que Ton contemple dans les Gaules des restes complètement étrangers à ceux des pays slaves, qui le sont à leur tour à des produits sibériens , comme ceux-ci à des produits américains.

Incontestablement donc l'Europe a possédé, avant tout contact avec les nations cultivées des rives de la Méditerranée, Phéniciens, Grecs ou Romains, plusieurs couches de popula- tions différentes, dont les unes n'ont tenu que certaines pro- vinces du continent, tandis que d'autres, ayant laissé partout des traces semblables , ont bien évidemment occupé la totalité du pays, et cela à une époque très certainement antérieure au huitième siècle avant Jésus-Christ.

La question qui se présente maintenant, c'est de savoir quelles sont les plus anciennes des diverses classes d'antiquités

BegreebnUse Etruriens, deutsch von Meissner, in-S" , Leipzig, 1852, 1. 1, pass., etc., etc. Pour ce qui concerne les monuments de la Suisse, je dois beaucoup aux obligeantes communications de M. Troyon, dont les investigations si habiles et si patientes agrandissent tous les jours Je champ de Tarchéologie primitive.

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76 I)E l'inégalité

primitives, ou de celles qui sont sporadiques, ou de celles^ qui sont ré|fandues partout.

Celles qui sont sporadiques accusent un degré d'industrie , de connaissances techniques et de raffinement social fort su- périeur à celles qui occupent le plus vaste espace. Tandis que ces dernières ne montrent qu'exceptionnellement la trace de l'emploi des instruments de métal, les autres oifrent deux époques le bronze, puis le fer, se présentent sous les for- mes les plus habilement variées; et ces formes, appliquées^ comme elles le sont , ne peuvent pas laisser le moindre doute qu'elles n'aient été la propriété ici des Celtes, des Slaves-,; car le témoignage de la littérature classique exclut toute hési- tation.

Conséquemment, puisque les Celtes et les Slaves sont d'ail- leurs les derniers propriétaires connus de la terre européenne antérieurement au huitième siècle qui précéda notre ère , les* deux périodes appelées par d'habiles archéologues les âges de. bronze et de fer s'appliquent aussi à ces peuples. Elles em- brassent les derniers temps de l'antiquité primordiale de nos contrées , et il faut reporter par delà leurs limites une époque plus ancienne, justement qualifiée d'âge de pierre par les mê- mes classificateurs (1). C'est à celle-là qu'appartiennent les monuments objets de notre étude.

Un point, subsiste encore qui pourrait sembler obscur. L'ha- bitude enracinée de ne rien apercevoir en Europe avant les Celtes et les Slaves peut induire certains esprits à se persuader que les trois âges de pierre , de bronze et de fer ne marquent que des gradations dans la culture des mêmes races. Ce seraient les aïeux encore sauvages des habiles mineurs, des artisans in- dustrieux dont maintes découvertes récentes font admu*er le& œuvres , qui auraient produit les monuments bruts de la plus lointaine période. On s'expliquerait tant de barbarie par un. état d'enfance sociale, encore ignorant des ressources techni- ques créées plus tard.

Une objection sans réplique renverse cette hypothèse d'ail-

(1) Wormsaae, The Primeval Antiquities ofDenmark, p, 8.

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leurs foncièrement inadnaissible pour bien d'autres motifs (1). Entre l'âge de bronze et Tâge de fer, il n'y a de différence que la plus grande variété des matières employées et la perfec- tion croissante du travail. La pensée dirigeante ne change pas; elle se continue, se modifie, se raffine, passe du bien au mieux , mais en se maintenant dans les mêmes données. Tout au contraire, entre les productions de l'âge de pierre et celles de rage de bronze, on relève, au premier coup d'œil, les con- trastes les plus frappants; pas de transition des unes aux au- tres, quant à l'essentiel : le sentiment créateur se transforme du tout au tout. Les instincts, les besoins auxquels il est satis- fait, ne se correspondent pas. Donc l'âge de pierre et l'âge de bronze ne sont point dans les mêmes rapports de cohésion ce dernier se trouve avec l'âge de fer (2). Dans le premier cas, il y a passage d'une race à une autre, tandis que, dans le se- cond, il n'y a qu'un simple progrès au sein de races, sinon complètement identiques , du moins très près parentes. Or il n'est pas douteux que les Slaves sont établis en Europe depuis quatre mille ans au moins. D'autre part, les Celtes combattaient ^ur la Garonne au dix-huitième siècle avant notre ère. Nous voilà donc arrivés pied à pied à cette conviction, résultat ma- thématique de tout ce qui précède : les monuments de l'âge de pierre sont antérieurs, quant à leur style, à l'an 2000 avant J.-C. ; la race particulière qui les a construits occupait les con-

(1) Keferstein, Ansichten, 1. 1, p. 451 : « Si l'on observe la marche de « la science et de Tart en Europe, on n'aperçoit nulle part un dévelop- « pement graduel , mais bien une sorte de fluctuation , et la condition « des choses s'élève ou s'abaisse comme les flots de la mer. Certaines « circonstances amènent un progrès, d'autres une déchéance. Il est

« impossible de découvrir aucune trace du passage des peuples com- * « plètement sauvages à l'état de bergers et de chasseurs, puis d'habi- « tants sédentaires, puis enBn d'agriculteurs et d'artisans. Si haut que « nous remontions dans les temps primitifs, au delà des périodes hé- « roïques, nous trouvons que les nations sédentaires et sociables ont « été, de tout temps, pourvues de ce caractère. » J'ai eu occasion, à la fin du deuxième livre de cet ouvrage, de démontrer rexaclitude de cette assertion; comme elle va à rencontre des opinions vulgaires, je ne me lasse pas de l'appuyer de témoignages imposants.

(2) Wormsaae, The Primeval Antiquilies ef Denmark, p. 124 et sp'jq.

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trées on les trouve avant toute autre nation ; et commey d'ailleurs, Ils se présentent en plus grande abondance à me-- sure que l'observateur, quittant le sud, s'avance davantage vers le nôfd- ouest, le nord et le nord-est, cette même race était plus primitivement encore et, en tout cas, plus solidement sou- veraine dans ces dernières régions. Si Ton veut fixer d'une manière approximative l'époque probable de l'apogée de sa force, rien ne s'oppose à ce que Ton accepte la date de 3000 ans avant J.-C, proposée par un antiquaire danois, aussi ingénieux observateur que savant profond (1).

Ce qui reste maintenant à déterminer d'une manière positive, c'est la nature ethnique de ces populations primordiales si lar- gement répandues dans notre hémisphère. Bien certainement elles se rattachent de la façon la plus intime aux groupes di- vers de l'espèce jaune, généralement petite, trapue, laide, dif- forme, d'une intelligence fort limitée, mais non nulle, grossière- ment utilitaire et douée d'instincts mâles très prédominants (2).

^attention s'est portée récemment , en Danemark (3) et en Norv^ège, sur d'énormes amoncellements d'écaillés d'huîtres et de coquillages,' mêlés de couteaux en os et en silex fort brutalement travaillés. On exhume aussi de ces détritus des squelettes de cerfs et de sangliers, d'où la moelle a été enlevée par fracture. M. Wormsaae, en analysant cette découverte,

(1) Wormsaae, ouvr. cité, p. 135 : « If the Celts possessed settled abo- « deè în'the west of Europe more than two thousand years ago, how « much more ancient must be Ihe populations which preceded the ar- « rival of the Celts? A grèat numberof years must pass away before a « people like the Celts could spread themselves in the west of Europe

. « and render the land productive. It is therefore no exaggeration if we « attribute to the stone period an antiquity of, at least, three thousand « years. »

(2) Je me suis étendu suffisamment ailleurs sur les traits caractéris- tiques de la race jaune, quant à ce qui est du domaine de la physio- logie. Le tableau dressé par M. Morton donne tous les résultats dési- rables quant à la valeur comparative de cette race à l'égard des deux autres.

(3) Moniteur universel du 14 avril 1853, 104, Mérimée, Sur les An- tiquités prétendues celtiques. Munch, Det norske Folkshistorie, deutsch von Claussen, in-8«, Lubeck, 1853, p. 3.

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regrette que des recherches analogues à celles qui Font amenée n'aient pas eu lieu jusqu'ici sur les côtes de France. Il ne doute pas qu'il n'en dût sortir des observations semblables à celles qu'il a eu l'occasion de faire dans sa patrie, et il pense surtout que la Bretagne serait explorée avec grand avantage. Il ajoute : « Tout le monde sait combien ces amas de coquillages et d'os « sont fréquents en Amérique. Ils renferment des instruments « non moins grossiers (que ceux que l'on a trouvés dans les « détritus danois et norwégiens), et attestent le séjour des aii- « ciennes peuplades aborigènes. »

Ces monuments sont d'un genre si particulier, et si peu pro- pre à frapper les yeux et à attirer Tattention, qu'on s'explique sans peine l'obscurité qui les a si longtemps couverts. Le mé- rite n'en est que plus grand pour les observateurs auxquels la science est redevable d'un présent, certes bien curieux, puis- qu'il en résulte au moins une forte présomption que le nord de l'Europe possède des traces identiques à celles qu'offrent encore les plages du nouveau monde dans le voisinage du dé- troit de Behring. Il permet aussi de commenter une autre trouvaille du même genre, plus intéressante encore, faite, il y a peu de mois, aux environs de Namur. Un savant belge, M. Spring, a retiré d'une grotte à Ghauvaux, village de la com- mune de Godine, un amas de débris doublement enterrés sous une couche de stalagmite et sous une autre de limon, parmi lesquels il a reconnu des fragments d'argile calcinée, du char- bon végétal, puis des os de bœufs, de moutons, de porcs, de cerfs, de chevreuils, de lièvres, enfin de femmes, de jeunes hommes et d'enfants. Particularité curieuse qui se remarque aussi dans les détritus du Danemark et de la Norwège : tous les os à moelle sont rompus, aussi bien ceux qui ont appartenu à des individus de notre espèce que les autres, et M. Spring en conclut avec raison que les auteurs de ce dépôt comestible étaient anthropophages (1). C'est un goût étranger à toutes les tribus de la famille blanche, même les plus farouches,

(1) Moniteur universel du 18 mars 1854, 77. Communication faite par M. Spring à l'Académie royale de Belgique.

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mais très fréquemment constaté chez les nations américaines. Passant à un autre genre (inobservations, on trouve comme objets remarquables certains tumulus de terre qui, par la ru- desse de leur construction, n'ont rien de commun avec les sé- pultures arianes de la haute Asie, pas plus qu'avec ces tom- beaux somptueux que l'on peut observer encore dans la Grèce, dans la Troade, dans la Lydie, dans la Palestine, et qui témoi- gnent, sinon d'un goût artistique très raffiné chez leurs cons- tructeurs, du moins d'une haute conception de ce que sont la grandeur et la majesté (1). Ceux dont il s'agit ici ne consis- tent , comme il vient d'être dit , qu'en simples accumulations de glaise ou de terre crayeuse, suivant la qualité du sol qui les porte. Cette enveloppe renferme des cadavres non brûlés, ayant à leurs côtés quelques tas de cendres (2). Souvent le corps paraît avoir été déposé sur un lit de branchages. Cette circonstance rappelle le fagot sépulcral des aborigènes de la Chine. Ce sont des sépultures bien élémentaires , bien sau- vages. Elles ont été rencontrées un peu partout au sein des régions européennes. Or des constructions toutes semblables, oii'rant les mêmes particularités, couvrent également la vallée supérieure du Mississipi. M. E.-G. Squier affirme que les sque-

(4) Von Prokesch-Oslen, Kleine Schrifterij die Tumuli der Alteriy t. v, p. 317.

(2) On considère généralement l'absence d'incinération des os comme un des caractères auxquels se peuvent reconnaître les sépultures, finniques, car les Celtes et les Slaves brûlaient leurs morts. L'obser- vation est juste, elle ne saurait néanmoins servir à fixer l'âge du mo- nument où l'on trouve à l'appliquer. M. Troyon veut bien me commu- niquer à cet égard une opinion que je crois devoir consigner ici : « Je crois, » m'écrivait ce savant, « qu'on peut poser en fait que les pre- « miers habitants de l'Europe ont inhumé leurs morts sans les brûler. <i Plus tard, dans l'âge de bronze, l'ustion est générale, mais bien des « familles de la race primitive ont poursuivi leur ancien mode de sépul- « ture. C'est ainsi que, dans le canton de Vaud, on rencontre tous les « instruments en bronze, des tumuli, anneaux, poignards, celts, épin- « gles, etc., dans des tombes construites sous la surface du sol, auprès « de squelettes reployés ou étendus sur le dos. Le même fait se retrouve « en quelques parties de l'Allemagne et de l'Angleterre, et on le remar- « quera dans bien d'autres contrées quand les observations seront « complètes. »

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lettes enfouis dans ces tombes sont tellement fragiles que le moindre contact les résout en poussière. C'est pour lui un mo- tif d'attribuer à ces cadavres et aux monuments qui les ren- ferment une excessive antiquité (1).

De tels tumulus, toujours semblables, érigés en Amérique, dans le nord de l'Asie et en Europe, viennent renforcer l'idée que ces contrées ont été possédées jadis par la même race, qui ne saurait être que la race jaune. Ils sont partout voisins de longs remparts de terre, quelquefois doubles et triples, couvrant des espaces de plusieurs milles en ligne droite. Il en existe de tels entre la Vistule et l'Elbe, dans l'Oldenbourg, dans le Hanovre. M. Squier donne sur ceux de l'Amérique du Nord des détails tel- lement précis, et, ce qui vaut mieux, des dessins si concluants, que l'on ne peut conserver le plus léger doute sur l'identité complète de la pensée qui a présidé à ces systèmes de défense.

On doit inférer de ces faits suffisamment nombreux et con- cordants :

Que les populations jaunes venant d'Amérique et accumu- lées dans le nord de l'Asie , ont jadis débordé sur l'Europe en- tière, et que c'est à elles qu'il faut attribuer l'ensemble de ces monuments grossiers de terre ou de pierre brute qui témoi- gnent partout de l'unité de la population primordiale de notre continent. Il faut renoncer à voir dans de telles œuvres des résultats qui n'ont pu sortir de la culture sporadique, et d'ail- leurs bien connue aujourd'hui pour avoir été plus développée, des nations celtiques et des tribus slaves. Ce point établi, il reste encore à suivre la marche des peuples finnois vers l'occident pour apercevoir, avec les moyens d'action dont ils disposaient, le détail des travaux qu'ils ont exécutés et qui nous étonnent aujourd'hui. Ce sera, en même temps, reconnaître les traits principaux de la condition sociale se trouvaient les premiers habitants de notre terre d'Europe.

Cheminant avec lenteur à travers les steppes et les marais glacés des régions septentrionales, leurs hordes avaient devant elles un chemin le plus souvent plane et facile. Elles suivaient

(1) E. G. Squier, ouvr. cité.

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les bords de la mer et le cours dés grands fleuves, lieux les forêts étaient clairsemées, les rochers et les montagnes s'a- baissaient et livraient passage. Dénués de moyens énergiques pour se frayer des routes à travers des obstacles trop puis- sants, ou du moins n'en pouvant user qu'avec une grande dé- pense de temps et de forces individuelles , elles n'appliquaient 5 l'usage journalier que des haches de silex mal emmanchées d'une branche d'arbre. Pour opérer leur navigation côtière dans l'océan Arctique ou le long des rives fluviales, ou encore dans les contrées coupées de grands marécages, elles usaient de canots formés d'un unique tronc d'arbre abattu et creusé au feu, puis dégrossi tant bien que mal à l'aide de leurs instru- ments imparfaits. Les tourbières d'Angleterre et d'Ecosse re- celaient et ont livré à la curiosité moderne quelques-uns de ces véhicules. Plusieurs sont garnis à leurs extrémités de poignées en bois, destinées à faciliter le portage. Il en est un qui ne mesure pas moins de trente-cinq pieds de longueur.

On vient de voir que, lorsqu'il s'agissait de jeter à bas quel- ques arbres, les Finnois employaient le procédé encore en usage aujourd'hui chez les peuplades sauvages de leur continent na- tal. Les bûcherons pratiquaient de légères entailles dans un tronc de chêne ou de sapin, au moyen de leurs haches de^ silex, et suppléaient à Tinsuffisance de ces outils par une appli- cation patiente de charbons enflammés introduits dans les trous ainsi préparés (1).

A en juger d'après les vestiges aujourd'hui existants, les principaux établissements des hommes jaunes ont été riverains de la mer et des fleuves. Mais cette donnée ne saurait cepen- dant fournir une règle sans, exception. On rencontre des traces finniques assez nombreuses et fort importantes dans l'intérieur des terres. M. Mérimée, éclaircissant ce point, a fort judicieu- sement signalé l'existence de monuments de ce genre dans le centre de la France (2). On en constate plus loin encore. Les

(1) Wormsaae, ouv. cité, p. 13. Ceci n*est point une hypothèse, mais une observation confirmée par les faits.

(2) Moniteur universel du 44 avril 1853. U s'agit de la Marche , du pays chartrain, du Vendômois,du Limousin, etc.

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émigrants de race jaune primitive ont connu , en fait de pays d'un accès ditûcile, les solitudes des Vosges, les vallées du Jura, les bords du Léman. Leur séjour dans ces différentes parties de l'intérieur est attesté par des vestiges qui ne sauraient provenir que d eux. Ou en reconnaît même d'une manière certaine dans quelques parties du nord de la Savoie (1), et les habiles re- cherches de M. Troyon sur des habitations très antiques, ense- velies aujourd'hui sous les eaux de plusieurs lacs de la Suisse, mettront probablement un jour hors de doute que les pêcheurs finnois avaient placé jusque sur l^s rives du lac de Zurich les pilotis de leurs misérables cabanes (2).

Il convient de donner rapidement une nomenclature des prmcipales espèces de débris qui ne peuvent avoir appartenu qu'aux aborigènes de race jaune, de ces débris que les archéo- lûgues du Nord considèrent unanimement comme portant le cachet de l'âge de pierre. Déjà j'ai cité les amoncellements de coquillages comestibles, d'os de quadrupèdes et d'êtres hu- mains, mêlés de couteaux de pierre, d'os et de corne; j'ai en- core mentionné les haches, les marteaux de silex, les canots formés d'un seul tronc d'arbre, et les vestiges d'habitations sur pilotis qui viennent , pour la première fois , d'être obser- vées sur les rives de plusieurs lacs helvétiques. A ce fond , on doit ajouter des têtes de flèches en caillou ou en arête de pois- son, des pointes de lance et des hameçons pour la pêche en mêmes matières, des boutons destinés à assujettir des vête-

(1) Keferstein, Ansichten, t. I, p. 173 et 183. Mémoires et docu- ments de la Société d'histoire et d' archéologie de Genève-, in-S®, 1847, t. V, p. 498 etpass.

(2) Cette découverte est toute récente. Elle a eu lieu cette année, d*abord à Meilen, canton de Zurich, ensuite sur le lac de Bienne près de Nidau, enfin sur les lacs de Genève et de Neuchâtel. Ces restes consistent en pilotis qui portaient autrefois des habitations construites •au-dessus la surface de Teau. On y trouve de nombreux fragments

de poterie, et même des petits vases intacts, des ossements, d'ani- maux, des charbons, des pierres destinées à moudre et à broyer, etc. Comme on y rencontre aussi çà et quelques débris de bronze, il esta présumer que ces habitations datent de la période les Celtes étaient déjà arrivés dans le pays. Je dois ces communications à M. Troyon.

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ments de peaux, des morceaux d'ambre ou percés ou bruts, des boules d'argiie teintes en rouge pour être enfilées et servir de colliers (1)V enfin des poteries souvent fort grandes, puisqu'il en est qui servent de bières à des cadavres entiers, aux côtés desquels paraissent avoir été déposés des aliments.

Mais ce qui domine tout le reste, ce sont les productions ar- chitectoniques , côté surtout frappant de ces antiquités. Leur trait principal et dominant, celui qui crée leur sjtyle particulier^ c'est l'absence complète, absolue, de maçonnerie. Dans ce mode de construction, il n'est fait usage que de blocs toujours considérables. Tels sont les menhirs, ou peulvens , appelés en Allemagne Hunensteiiie (2) ; les obélisques de pierre brute, d'une hauteur plus ou moins grande, enfoncés dans le sol, or- dinairement jusqu'au quart de leur élévation totale; les crom- lechs, Hunenbette, cercles ou carrés formés par des séries de blocs posés à côté les uns des autres, et embrassant un espace souvent assez éten.du. Ce sont encore des dolmens, lourdes cases, construites de trois ou quatre fragments de rocher ac- cotés à angle droit, recouverts d'une cinquième masse, pavées^ en cailloux plats et quelquefois précédées d'un corridor de même style. Souvent ces monstrueuses masures sont ouvertes

(1) Wormsaae, ouvr. cité, p. 17 etpass. Keferstein, t. I, p. 314. Un beau dolmen, découvert à la Motte-Sain t-Héraye (Loire-Inférieure), en 1840, contenait, entre autres objets, un de ces colliers de terre cuite.

(2) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 205. Le mot hune ne signifie pas les Huns, comme on le croit généralement; il vient du celtique hen, an- cien, vieux, ou de hun, le dormeur. Il a passé dans le frison avec le sens de mort. Ainsi Hunensteine doit se traduire par pierres des an- ciens, des dormeurs, ou des morts. Peut-être faut-il appliquer cette observation à plus d'un passage de Sigebert et des chroniques gaéli- ques, où l'intervention des Huns, en tant que cavaliers d'Attila, est tout à fait absurde. Dieffenbach, Celtica II, Abth., p. 269. Voir

*une citation de Fordun THumber s'appelle Hunne, et le prince mythique Humber est nommé Rex Hynorum. (Loc. cit., p. 267). On trouve aussi dans Geoffroy de Monmouth, II, 1 : « Applicuit Humber, « rex Hunnorum, in Albaniam. » Les traditions germaniques, en se mêlant aux fables indigènes, n'ont pas hésité à déposer dans le mot Tiun des souvenirs qui leur étaient très présents, et, par suite, à in- tercaler le nom d'A.ttila dans les généalogies iriando-milésieuncs.

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d'un côté ; dans d'autres cas, elles ne présentent pas d'issue, de ne peut être que des tombeaux. Sur certains points de la Bretagne, on les compte par groupes de trente à la fois; le Hanovre n'en est pas moins richement pourvu (1). La plupart contiennent ou contenaient, au moment elles furent décou- vertes, des squelettes non brûlés.

Autant par leur masse, qui en fait le monument le plus ap- parent qu'ait produit la race finnoise, que par les débris qu'ils contiennent, les dolmens doivent être considérés comme un des témoignages les plus concluants de la présence des peu- plades jaunes sur un point donné. Les fouilles les plus minu- tieuses n'ont jamais pu y faire apercevoir d'objets en métal, mais seulement ces sortes d'outils ou d'ustensiles, aussi élé- mentaires par la matière que par la forme, qui ont été énu- mérés plus haut. Les dolmens ont encore un caractère précieux, c'est leur vaste diffusion. On en connaît dans toute l'Europe.

Viennent maintenant les cairns, qui ne sont guère moins commuas. Ce sont des amas de pierres de différentes dimen- sions (2). Plusieurs recèlent un cadavre, toujours non brûlé, avec quelques objets d'os ou de silex. Il est des exemples le corps est déposé sous un petit dolmen érigé au centre du cairn (3). On voit aussi tel de ces monuments qui est à base pleine et ne semble avoir eu qu'une destination purement com- mémorsttive ou indicative. Il en est de fort petits, mais aussi d'énormes : celui de New-Grange, en Irlande, représente une masse de quatre millions de quintaux.

La combinaison du dolmen et du cairn n'est qu'une imita- tion, souvent suggérée par la nature du terrain, d'une réunion

(1) Moniteur universel déjà cité. M. Mérimée démontre le fait par une série d'arguments incontestables.

(2) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 132. Cet auteur dénombre ainsi les monuments pseudo-celtiques du Hanovre : 290 constructions de pierre, 350 groupes de terre, 133 tumulus isolés, 65 remparts, etc. Il arrive au chififre de 7,000.

(3) Très fréquemment le cadavre n'est pas posé à plat, mais assis et la tête reposant sur les genoux repliés. Celte coutume est extrêmement -répandue chez les aborigènes américains. Wormsaae, ouvr. cité, j). 89.

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semblable du dolmen etdu tumulus (1). On signale des spé- cimens de cette espèce un peu partout, entre autres dans le La- liùm, près de Cività-Vecchia, à vingt-deux milles de Rome, non loin de Tancienne Alsium et de Santa-Marinella. Il en est encore un à Chiusa, un autre près de Pratina, sur l'emplace- ment de Lavinium (2).

Les squelettes tirés des dolmens ont permis de constater, chez les premiers habitants de la terre d'Europe , certains ta- lents qu'assurément on n'aurait pas été enclin, à priori, à leur supposer. Ils savaient pratiquer plusieurs opérations chi- rurgicales. Déjà les tumulus américains en avaient offert la preuve en livrant aux observateurs des têtes renfermant des dents fausses. Un dolmen ouvert récemment, près de Mantes, a fourni le corps d'un homme adulte dont le tibia, fracturé en flûte , présente une soudure artificielle.

Il est d'autant plus curieux de rencontrer chez la race jaune ce genre de savoir^ que, parmi les descendants purs pu métis de la variété mélanienne , on n'en aperçoit pas vestige aux épo- ques correspondantes. L'art de soulager les souffrances n'est guère allé, chez ces derniers, au delà de l'usage des simples et des topiques extérieurs. L'intérieur du corps humain et sa structure leur étaient complètement inconnus. C'est la suite de l'horreur que leur inspiraient les morts, horreur toute d'ima- gination, née des craintes superstitieuses qui ont de longtemps précédé le respect, et qui empêchait toute curiosité de s'aven- turer dans un domaine jugé redoutable. Au contrah-e, les jaunes, défendus par leur tempérament flegmatique contre l'excès des impressions de ce genre, envisagèrent très peu solennellement les dépouilles de leurs conquêtes. L'anthropo-

(1) Le cairn n*a guère été mis en usage que dans les contrées pier- reuses. On en voit beaucoup dans le sud-ouest de la Suéde, tandis qu'il ne s'en rencontre aucun en Danemark. Wormsaae, ouw» citéf p. 107.

(2) Suivant Varron , toute chambre sépulcrale marquée des carac- tères du dolmen a été primitivement recouverte d'un tumulus de terre, détruit postérieurement. Ce passage est des plus importants pour établir l'existence des hordes finniques en Italie.. Abeken, ouvr. cité, p. 241.

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phagie leur fournissait toutes les occasions désirables de s'ins- truire sur Tostéologie de l'homme. Le soin même de leur sen- sualité, en les portant à étudier la nature des os, afin de sa- voir, à point nommé, trouver la moelle, leur procurait Texpérience pratique. C'est ainsi que se montrent si savants les habitants actuels de la Sibérie méridionale. Leurs connaissan- ces anatomiques, en ce qui concerne les différentes catégories d'animaux , sont aussi sûres que détaillées (1).

De l'habitude de voir des squelettes, de les manier, de les rompre, à l'idée de raccommoder un membre brisé ou de rem- plir une alvéole , le passage est extrêmement court. Il ne faut ni une intelligence extraordinaire ni un degré de culture géné- rale bien avancé pour le franchir. Néanmoins il est intéressant de constater que les Finnois le savaient faire, parce qu'on s'explique ainsi un fait resté jusqu'à présent énigmatique, le plombage des dents malades chez les plus anciens Romains, habitude à laquelle fait allusion un article de la loi des XII Tables. Ce procédé médical, inconnu aux populations delà Grande-Grèce, provenait des tribus sabines ou des Rasênes, qui ne pouvaient l'avoir reçu que des anciens possesseurs jaunes de la péninsule. Voilà comment le bien sort du mal, et com- ment l'ostéologie, avec ses applications bienfaisantes, a sa source première dans l'anthropophagie.

Si l'on a quelque droit de s'étonner d'avoir pu tirer de pa- reilles conclusions de l'examen des squelettes trouvés dans les dolmens , on était fondé à en attendre les moyens de préciser physiologiquement le caractère ethnique des populations aux- quelles ils ont appartenu. Malheureusement les résultats ob- tenus jusqu'ici n'ont pas justifié cette espérance : ils sont des plus pauvres.

Pour première difficulté , on a peu de corps entiers. Le plus souvent les cadavres, altérés par des accidents mévitables, à la suite de si longs siècles d'inhumation , n'offrent qu'un objet d'examen fort incomplet. Trop fréquemment aussi, les explo-

(1) Hue, Souvenirs d'un voyage dans la Tar tarie, le Thibet et la Chine, t. II.

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rateurs, ignorants ou maladroits, ne les ont pas assez ménagés en pénétrant dans leurs asiles. Bref, jusqu'à ce jour, la phy- siologie n'a rien ajouté de bien concluant aux preuves offertes par d'autres ordres de connaissances touchant le séjour pri- mordial des Finnois sur toute la surface du continent d'Europe. Comme cette science n'est pas non plus parvenue à démontrer l'identité typique des squelettes trouvés en différents lieux, elle ne peut servir même à reconnaître si l'ancienne population a été ou non bien nombreuse. Pour se former une opinion à cet égard, il faut revenir aux témoignages fournis parles mo- numents que d'ailleurs on trouve en si étonnante abondance.

Déjà l'ubiquité du dolmen tendait à établir que les envahis- . seurs avaient pénétré jusque dans le centre, jusque dans les régions montagneuses de notre partie du monde. Mal pourvus des moyens matériels de rendre ces invasions faciles, ils n'ont y être déterminés que par une surabondance de nombre qui leur a rendu impossible de continuer à vivre tous agglo- mérés sur les premiers points de débarquement.

Cette induction puissante est renforcée encore par un argu- ment direct, argument matériel qui saisit la conviction de la manière la plus forte, en augmentant la liste des monuments finniques de la description du plus vaste, du plus étonnant dont on ait encore eu connaissance (1).

La vallée de la Seille, en Lorraine , occupée aujourd'hui par les villes de Dieuze, de Marsal, de Moyenvic et de Vie, ne formait, avant que Thomme y eût mis les pieds, qu'un im- mense marécage boueux et sans fond, créé et entretenu par une multitude de sources salines, qui, perçant de toutes parts sous la fange, ne laissaient pas un endroit stable et solide. En- touré de hauteurs , ce coin de pays était , en outre , aussi peu accessible qu'habitable. Une horde finnoise jugea qu'il lui serait possible de s'y faire une retraite à l'abri de toutes les agres- sions, si elle réussissait à y créer un terrain capable de la porter.

(1) F. de Saulcy, Notice sur une Inscription découverte à Marsal, Paris, in-8°, 1846. Se trouve aussi dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions. Ce travail n'est pas un des moins ingénieux ni des moins sagaces du savant académicien.

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Pour y parvenir, elle fabriqua , avec l'argile des collines environnantes, une immense quantité de morceaux de terre pétris à la main. On retrouve encore aujourd'hui, sur ceux de ces fragments que Ton exhume de la vase, les traces recon- naissablesde doigts d'hommes, de femmes et d'enfants. Quel- quefois, pour abréger sa besogne, l'ouvrier sauvage s'est avisé de prendre un bloc de bois et de le recouvrir d'une faible cou. che de glaise. Tous ces fragments ainsi préparés furent en- suite soumis à Faction du feu et transformés en briques on ne peut plus irrégulières, dont les plus grandes, qui sont aussi les plus rares , ont environ 25 centimètres de circonférence sur une longueur à peu près égale. La plupart n'ont que des dimensions beaucoup plus faibles.

Les matériaux ainsi préparés furent transportés dans le ma- rais, et jetés pêle-mêle sur la boue, sans mortier ni ciment. Le travail s'étendit de telle manière que le radier artificiel, re- couvert aujourd'hui d'une couche de vase solidifiée de sept à onze pieds de profondeur, a, dans ses parties les plus minces, trois pieds de hauteur, et dans les plus épaisses sept environ. Ainsi fut créé sur l'abîme une espèce de croûte que le temps a rendue très compacte, et qui est évidemment très solide ,^ puisqu'on la voit porter plusieurs villes , habitées par une po- pulation totale de vingt-neuf à trente mille âmes.

L'étendue de cet ouvrage bizarre , connu dans le pays sous le nom de briquetage de Marsal, paraît êtr** , .*4itant que les sondages exécutés au dernier siècle par l'ingénieur la Sauva- gère ont pu le faire connaître, de cent quatre-vingt-douze mille toises carrées sous la ville de Marsal , et de quatre-vingt- deux mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf toises sous Moy envie.

En comparant entre elles les différentes mesures, M. de Saul- «y a calculé approximativement, et en ayant soin de modérer, même à l'extrême , toutes ses appréciations, le nombre de bras et la durée de temps indispensables pour achever ce singulier monument de barbarie et de patience , et il a trouvé que qua- tre mille ouvriers actuels , usant des mêmes procédés , n'ayant d'ailleurs à s'occuper ni de l'extraction de l'argile , ni du char-

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riage de cette matière sur les lieux de manutention , ni de la coupe, ni du transport du bois nécessaire à la cuisson des bri" ques , ni enfin de celui de ces briques sur les points d'immer- sion, et opérant pendant huit heures par jour, mettraient vingt-cinq ans et demi pour arriver à la fin de leur tâche. On peut juger par quelle est l'importance du travail exécuté.

Il est à peine utile de dire que ce ne sont pas de telles con- ditions qui ont présidé à la construction du briqu étage de Marsal. Ce ne sont pas, dis-je, des ouvriers astreints réguliè- rement et uniquement à leur labeur qui l'ont exécuté. Il a été conduit à fin par des familles de travailleurs barbares, agis- sant lentement , maladroitement , mais avec une persévérance imperturbable qui comptait pour rien et le temps et la peine. Il est aussi vraisemblable que , dans la pensée de ceux qui les premiers se sont mis à l'œuvre , le briquetage ne devait pas acquérir Textension qu'il a prise. Ce n'est qu'à mesure oïi la population, favorisée par la sécurité des lieux, s'y est recrutée et étendue, qu'on a pu sentir l'opportunité de faire à la de- meure commune des augmentations correspondantes. Plusieurs siècles se sont donc passés avant que le radier en arrivât à pou- voir porter des masses d'habitants à coup sûr respectables, car tant de fatigues n'ont pas été dépensées pour créer des espaces vides.

S'il était possible d'organiser des fouilles intelligentes sur ce terrain, et de sonder avec un peu de bonheur les boues qui le recouvrent, ou mieux encore celles dont il cache les abîmes , il est à présumer que l'on y découvrirait beaucoup plus de restes fÎQniqnes qu'on ne saurait l'espérer partout ailleurs (î) ,

(1) Je n'ai ici l'intention ni l'opportunité d'énumérer absolument toutes les catégories de monuments finniques répandus en Europe* Je ne m'attache qu'aux principaux. 3'aurais pu mentionner, entre au-. très, certaines excavations en forme de plats ou de disques remar- quées par M. Troyon sur plusieurs blocs erratiques du Jura. Ils ap- partiennent probablement à l'époque les Finnois, entrés en rapport avec les peuples blancs, se trouvèrent pourvus de quelques instru- ments de métal qui leur rendirent ce travail possible. Je fais allusion plus bas à cette dernière circonstance.

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DES RACES HUMAIINES.

Ces populations d'hommes d'autrefois , ces tribus dont les vestiges se retrouvent préférablement au bord des mers , des rivières, des lacs, au sein même des marais, et qui semblent avoir eu pour le voisinage des eaux un attrait tout particulier, doivent paraître bien grossières assurément ; toutefois on ne peut leur refuser ni les instincts d'un certain degré de socia- bilité, ni la puissance de quelques conceptions qui ne sont pas dénuées d'énergie , bien qu'elles le soient totalement de beauté. Les arts n'étaient évidemment pas l'affaire de ces peuples , à en juger d'ailleurs par les dessins bien misérables que l'on con- naît d'eux.

Des poteries ornementées sont trouvées assez souvent dans les dolmens. Les lignes spirales simples, doubles ou même triples s'y reproduisent presque constamment. Il est même rare qu'il s'y présente autre chose, à part quelques dentelures. L'aspect de ces arabesques rappelle complètement les compositions dont les indigènes américains embellissent encore leurs gourdes. Ces spirales, trait principal du goût finnique, et au delà desquelles une invention stérile n'a pu guère aller, se voient non seule- ment sur les vases , mais sur certains monuments architectu- raux qui , faisant exception à la règle générale , portent quel- ques traces de taille. Il est vraisemblable que ces constructions appartiennent aux époques les plus récentes, à celles les aborigènes ont eu à leur disposition soit les instruments, soit même le concours de quelques Celtes , circonstance très ordi- naire dans les temps de transition. Un grand dolmen, à Nevt^- Grange , dans le comté irlandais Meath , est non seulement orné de lignes spirales , il a encore des entrées en ogives. Un autre, près de Dowth, est même embelli de quelques croix inscrites dans des cercles. C'est le nec plus ultra, A Gavr-In- nis , près de Lokmariaker, M. Mérimée a observé des sculptu- res ou plutôt des gravures du même genre. Il existe aussi, au musée de Cluny , un os sur lequel a été entaillée assez profon- dément l'image d'un cheval. Tout cela est fort mal fait, et sans rien qui révèle une imagination supérieure à Texécution, ob- servation que l'on a si souvent lieu de faire dans les œuvres les plus mauvaises des métis mélaniens. Encore n'est-il pas bien

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^2 DE l'inégalité

Bssui'é que le dernier objet soit finnique, bien qu'il ait été trouvé dans une grotte et recouvert d'une sorte de gangue pierreuse qui semble lui assigner une assez lointaine antiquité.

Je n'ai démontré jusqu'ici que par voie de comparaison et d'élimkiation la présence primordiale des peuples jaunes en Europe. Quelle que soit la force de cette méthode, elle ne suf- fit pas. Il est nécessaire de recourir à des éléments de persua- sion plus directs. Heureusement ils ne font pas défaut.

Les plus anciennes traditions des Celtes et des Slaves, les premiers des peuples blancs qui aient habité le nord et l'oi^est de l'Europe, et, par conséquent, ceux qui ont gardé les sou- ^ venirs les plus complets de l'ancien ordre des choses sur ce continent, se montrent riches de récits confus ayant pour objets certaines créatures complètement étrangères à leurs races. Ces récits, en se transmettant de bouche en bouche, à à travers les âges, et par l'intermédiaire de plusieurs généra- tions hétérogènes, ont nécessairement perdu depuis longtemps leur précision et subi des modifications considérables. Chaque siècle a un peu moins compris ce que le passé lui livrait, et c'est ainsi que les Finnois , objets de ce qui n'était d'abord qu'un fragment d'histoire , sont devenus des héros de contes bleus , des créations surnaturelles.

Ils sont passés de très bonne heure du domaine de la réalité dans le milieu nuageux et vague d'une mythologie toute parti- culière à notre continent. Ce sont désormais ces nains , le plus souvent difformes, capricieux, méchants, et dangereux, quel- quefois, au contraire, doux, caressants, sympathiques et d'une beauté charmante (1), cependant toujours nains, dont les bandes ne cessent pas d'habiter les monuments de l'âge de pierre , dormant le jour sous les dolmens , dans la bruyère , au

(1) Shakespeare, Midsummer-Night's Dream et the Tempest. Ro- bin Good Fellow dans les Relies of Ancient English Poetry , de Thomas Percy, in-8*>, Lond., 1847. Les nains abondent chez tous les peuples de l'Europe. Partout les nains sont braves , bienveillants et aimables, on doit reconnaître l'influence de la mythologie Scandinave ou des fables orientales. Les renseignements italiotes, celtiques et slaves les traitent constamment avec une extrême sévérité.

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pied des pierres levées, la nuit se répandant à travers les lan- des, au long des chemins creux, ou bien encore, errant au bord des lacs et des sources , parmi les roseaux et les grandes herbes.

C'est une opinion commune aux paysans de l'Ecosse, de la Bretagne et des provinces allemandes que les nains cherchent surtout à dérober les enfants et à déposer à leur place leurs propres nourrissons (1). Quand ils ont réussi à mettre en défaut la surveillance d'une mèrç, il est très difficile de leur arracher leur proie. On n'y parvient qu'en battant à outrance le petit monstre qu'ils lui ont substitué. Leur but est de procurer à leur progéniture l'avantage de vivre parmi les hommes , et quant à l'enfant volé , les légendes sont partout unanimes sur ce qu'ils en veulent faire : ils veulent le marier à quelqu'un d'entre eux, dans le but précis d'améliorer leur race (2).

Au jpremier abord, on est tenté de les trouver bien modestes d'envier quelque chose à notre espèce, puisque, par la longé- vité et la puissance surnaturelle qu'on leur attribue d'ailleurs, ils sont très supérieurs et [très redoutables aux fils d'Adam. Mais il n'y ^ pas à raisonner avec les traditions : telles qu'el- l3S sont, il îaut les écouter ou les rejeter. Ce dernier parti serait ici peu judicieux, car l'indication est précieuse. Cette ambition ethnique des nains , n'est autre que le sentiment qui se retrouve aujourd'hui chez les Lapons. Convaincus de leur laideur et de leur infériorité , ces peuples ne sont jamais plus contents que lorsque des hommes d'une meilleure origine, s'approchant de leurs femmes ou de leurs filles , donnent au père ou au mari , ou même au fiancé , l'espérance de voir sa hutte habitée un jour par un métis supérieur à lui (3) .

Les pays de l'Europe la mémoire des nains s'est conser- vée le plus vivace sont précisément ceux le fond des popu- lations est resté le plus purement celtique. Ces pays sont la

(1) La Villemarqué , Chants populaires de la Bretagne, t. I. Voir la ballade intitulée l'Enfant supposé. « A sa place on avait mis un mons- tre; sa face est aussi rousse que celle d'un crapeau. » (P. 51.)

fâ) Ibid., Introduction, p. xlix.

(3) Regnard , Voyage en Laponie.

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Bretagne, l'Irlande, l'Ecosse, l'Allemagne. La tradition s'est, au contraire, affaiblie dans le midi de la France, en Espagne, en Italie. Chez les Slaves, qui ont subi tant d'invasions et de bouleversements provenant de races très différentes, elle n'a pas disparu, tant s'en faut, mais elle s'est compliquée d'idées étrangères. Tout cela s'explique sans peine. Les Celtes du nord et de l'ouest , soumis principalement à des influences germani- ques^^, en ont reçu et leur ont prêté des notions qui ne pou- vaient faire disparaître absolument le fond des premiers ré- cits. De même pour les Slaves. Mais les populations sémitisées du sud de l'Europe ont de bonne heure connu des légendes venues d'Asie, qui, tout à fait disparates avec celles de l'an- cienne Europe, ont absorbé leur attention et exigé presque tout leur intérêt.

Ces petits nains , ces voleurs d'enfants , ces êtres si persuadés de leur infériorité vis-à-vis de la race blanche, et qui, en même temps, possèdent de si beaux secrets, un pouvoir im- mense, une sagesse profonde, n'en sont pas moins tenus, par Topinion , dans une situation des plus humbles et même véri- tablement servile. Ce sont des ouvriers (1), et surtout des ou- vriers mineurs. Ils ne dédaignent pas de battre delà fausse monnaie. Retirés dans les entrailles de la terre, ils savent fa- briquer, avec les métaux les plus précieux, les armes delà plus fine trempe. Ce n'est pourtant jamais à des héros de leur race qu'ils destinent ces chefs-d'œuvre. Ils les font pour les hommes qui seuls savent s'en servir.

Il est arrivé parfois, dit la Fable, que des ménétriers, re- venant tard de noces de village, ont rencontré, sur la lande, après minuit sonné, une foule de nains fort affairés aux car- refours des chemins creux. D'autres témoins rustiques les ont vus s'agitant par essaims au pied des dolmens, leurs demeures d'habitude, s'escrimant de lourds marteaux, de fortes tenail-

(4) Dîeflfenbach, Celtica II, Abth., p. 210. Les montagnards gaëls de l'Ecosse attribuent les monuments pseudo-celtiques de leur pays à un peuple mystérieux, antérieur à leur race et qu'ils nomment drinnach, les ouvriers.

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les, transportant les blocs de granit, et tirant du minerai d'or des entrailles de la terre. C'est surtout en Allemagne que l'on raconte des aventures de ce dernier genre. Presque toujours ces ouvriers laborieux ont donné lieu à la remarque qu'ils étaient singulièrement chauves. On se rappellera ici que la débilité du système pileux est un trait spécifique chez la plu- part des Finnois.

Dans maintes occasions , ce ne sont plus des mineurs que l'on a surpris occupés à leur travail nocturne, mais des fileuses décrépites ou bien de petites lavandières battant le linge de tout leur coeur, sur le bord du marécage. Il n'est même pas besoin que le villageois irlandais, écossais, breton, allemand, Scandinave ou slave, sorte de chez lui pour faire de pareilles rencontres. Bien des nains se blottissent dans les métairies, et y Asont d'un grand secours à la buanderie , à la cuisine , à l'é- table. Soigneux , propres et discrets ; ils ne cassent ni ne per- dent rien , ils aident les servantes et les garçons de ferme avec le zèle le plus méritoire. Mais de si utiles créatures ont aussi leurs défauts, et ces défauts sont grands. Les nains passent universellement pour être faux , perfides, lâches, cruels, gour- mands à l'excès , ivrognes jusqu'à la furie, et aussi lascifs que les chèvres de Théocrite. Toutes les histoires d'ondines amou- reuses, dépouillées des ornements que la poésie littéraire y a joints, sont aussi peu édifiantes que possible (1).

Les nains ont donc, par leurs qualités comme par leurs vices , la physionomie d'une population essentiellement servile, ce qui est une marque que les traditions qui les concernent se sont primitivement formées à une époque , pour la plupart du moins , ils étaient déjà tombés sous le joug des émigrants de race blanche. Cette opinion est confirmée , ainsi que l'au- thenticité des récits de la légende moderne, par les traces très reconnaissables, très évidentes, que nous retrouvons de tous les faits qu'elle indique et attribue aux nains, de tous, sans exception aucune, dans l'antiquité la plus haute. La philologie,

(i) Ces contes ont cours en Allemagne absolument comme en Ecosse ^t en Bretagne.

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les mythes , et même l'histoire des époques grecques , étrus- ques et sabines , vont démontrer cette assertion.

Les nains sont connus , en Europe , sous quatre noms prin- cipaux, aussi vieux que la présence des peuples blancs. Ces noms appartiennent , par leurs racines , au fond le plus ancien des langues de l'espèce noble. Ce sont, sous réserve de quel- ques altérations de formes peu importantes, les mots ptjgmée fad, gen et nar.

Le premier se trouve dans une comparaison de Vlliade^ le poète, parlant des cris et du tumulte qui s'élèvent des rangs des Troyens prêts à commencer le combat, s'exprime ainsi :

« De même montent vers le ciel les clameurs des grues, « lorsque , fuyant l'hiver et la pluie incessante , elles volent en « criant vers le fleuve Océan, et apportent le meurtre et la « mort aux hommes pygmées. » ^

Le fait seul que cette allusion est destinée à faire bien saisir aux auditeurs du poème quelle était l'attitude des Troyens prêts à combattre, prouve que Ton avait, au temps d'Homère, une notion très générale et très familière de l'existence des pygmées. Ces petits êtres, demeurant du côté du fleuve Océan, se trouvaient à Fouest du pays des Hellènes , et comme les grues allaient les chercher à la fin de l'hiver, ils étaient au nord; car la migration des oiseaux de passage a lieu à cette époque dans cette direction. Ils habitaient donc l'Europe occi- dentale. C'est là, en effet, que nous les avons jusqu'à présent reconnus à leurs œuvres. Homère n'est pas le seul dans l'an- tiquité grecque qui ait parlé d'eux. Hécatée de Milet les men- tionne , et en fait des laboureurs minuscules réduits à couper leurs blés à coups de hache. Eustathe place des pygmées dans les régions boréales , vers la hauteur de Thulé. Il les fait extrêmement petits, et ne leur assigne pas une vie très longue. Enfin Aristote lui-même s'occupe d'eux. Il déclare ne les^ considérer nullement comme fabuleux. Mais il explique la taille minime qu'on leur attribue par d'assez pauvres raisons, en disant qu'elle est due à la petitesse comparative de leurs che- vaux; et comme ce philosophe vivait à une époque oii la mode scientifique voulait que tout vînt de l'Egypte, il les relègue

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aux sources du Nil. Après lui la tradition se corrompt de plus en plus dans ce sens, et Strabon, comme Ovide, ne donne que des renseignements complètement fantastiques , et qui ne sauraient ici trouver leur place.

Le mot de pygmée , m>Y{Aaîoç, indique la longueur du poing au coude. Telle aurait été la hauteur du petit homme ; mais il est facile de concevoir que les questions de grandeur et de quantité , tout ce qui exige de la précision , est surtout mal- traité par les récits légendaires. L'histoire , même la plus cor- recte, n'est pas d'ailleurs à l'abri des exagérations et des er- reurs de ce genre. IIuyjjLaro; est donc le pendant du Petit Poucet des contes français, et du Daumling des contes alle- mands. En supposant cette étymologie irréprochable pour les époques historiques , qui ont su donner au mot la forme con- gruante à Fidée qu'elles lui faisaient rendre , il n'y a pas lieu d'en être pleinement satisfait et de s'y tenir pour ce qui ap- partient à une époque antérieure, et, par conséquent, à des notions plus saines. £n se plaçant à ce pomt de vue , la forme primitive perdue de «uyfxatbç dérivait certainement d'une ra- cine voisiae du sanscrit pît, au féminin ^a, qui veut dire jaune, et d'une expression voisine des formes pronominales sanscrite, zende et grecque , aham, azem, iy(h>t, qui, renfer- mant surtout ridée abstraite de ïêtre, a donné naissance au gothique guma, homme, IIuYfJiaîbç ne signifie donc autre chose quH homme jaune.

Il est digne de remarque que la racine pronominale de ce mot guma^ se rapprochant, dans les langues slaves, de l'ex- pression sanscrite gan, qui indique la production de l'être ou la génération, intercale un w les autres idiomes d'origine blanche actuellement connus ont abandonné cette lettre. Elle survit cependant en allemand, dans une expression fort an- cienne, qui est gnome. Le gnome est donc parfaitement iden- tique et de nom et de fait au pygmée ; dans sa forme actuelle, ce vocable ne signifie, au fond, pas autre chose qu*un être; c'est qu'il est mutilé, sort commun des choses intellectuelles et matérielles très antiques.

Après ces dénominations grecque et gothique àe pygmée et

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de gnome ^ se présente l'expression celtique de fad. Les Galls appelaient ainsi l'homme ou la femme qu'ils considéraient comme inspirés (1). Cestlevates des peuples italiotes, et, par dérivation, c'est aussi cette puissance occulte dont les devins avaient le pouvoir de pénétrer les secrets, fatum (2). Une telle identification originelle des deux mots n'est d'ailleurs point ta- eultativè. Fad, devenu aujourd'hui, dans le patois du pays de Vaud, fatha ou fada, dans le dialecte savoyard du Chablais flhes, dans le genevois /a e/e , dans le français fée, dans le ber- richon fadet^ au féminin fadette, dans le marseillais fada^ désigne partout un homme ou une femme élevés au-dessus du niveau commun par des dons surnaturels, et rabaissés au- dessous de ce même niveau par la faiblesse de la raison. Le fada, le fadet est tout à la fois sorcier et idiot, un être fatal.

En suivant cette trace, on trouve les mêmes notions réunies sur le même être, sous une autre forme lexicologique, chez les races blanches aborigènes de l'Italie. C'est faunus, au fé- minin fauna. Il y a longtemps déjà que les érudits ont remar- qué comme une singularité que ces divinités sont à la fois une et multiples, faunus et fauni, faune et les faunes, et, plus encore, que le nom de la déesse est identique à celui de son mari, circonstance dont, en effet, la mythologie classique n'of- fre peut-être pas un second exemple. D'autre explication n'est pas possible que d'admettre qu'il s'agit ici, non pas de déno- mination de personnes, mais d'appellations génériques ou na- tionales. Faune et les faunes ont, en Grèce, leurs pareils dans Pan et les pans, les œgipans, transformation facile à expliquer d'un même mot. La permutation du p et de Vf est trop fré- quente pour qu'il soit nécessaire de la justifier.

Le faune aussi bien que le pan étaient des êtres grotesques par leur laideur, touchant de près à Fanimalité, ivrognes, dé- bauchés, cruels, grossiers de toutes façons, mais connaissant

(1) Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire et d'ar-^ chéologie de Genève, t. V, p. 496.

(2) Le nom des fées en italien, fata, s'y rapporte étroitement. Il en ^st probablement de môme de l'espagnol hada.

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l'avenir et sachant le dévoiler (l). Qui ne voit ici le portrait moral et physique de l'espèce jaune, comme les premiers émi- grants blancs se le sont représenté? Un penchant invincible à toutes les superstitions, un abandon absolu aux pratiques magiques des sorciers, des jeteurs de sorts, des chamans, c'est encore le trait dominant de la race finnique dans tous les pays on peut l'observer. Les Celtes métis et les Slaves, en accueillant dans leur théologie, aux époques de décadence, les aberrations religieuses de leurs vaincus , appelèrent très na- turellement du nom même de ces derniers leurs magiciens, hé- ritiers ou imitateurs d'un sacerdoce barbare. On aperçoit dans la lasciveté des ondines ce vice si constamment reproché aux femmes de la race jaune, et qui est tel qu'il a, dit-on, fait naî- tre l'usage de la mutilation des pieds, pratiquée comme précau- tion paternelle et maritale sur les filles chinoises, et que il ne, ;rencontre pas les obstacles d'une société réglée , il donne lieu, comme au Kamtschatka, à des orgies trop semblables aux courses des Ménades de la Thrace, pour qu'on ne soit pas disposé à reconnaître dans les fougueuses meurtrières d'Or- phée, des parentes de la courtisane actuelle de Sou-Tcheou- Fou et de Nanking (2). On ne remarque pas moins chez les faunes le gpût absorbant du vin et de, la pâture, cette sensua- lité ignoble de la famille mongole, et, enfin, on y relève cette aptitude. aux occupations rurales et ménagères (3) que les lé- gendes modernes attribuent à leurs pareils, et que, du temps des Celtes primitifs, on pouvait obtenir avec facilité d'une race^

(1) Pan était sorcier dans toute la force du terme :

Munere sic nîveo lanae, si credere dignum est, Pan, deus Arcadiae, captam te, Luna, fefellit. In nemora alta vocans; nec tu adspernata vocantem. Virg. ^ GeorôT. , m, 391-393.

(2) Callery et Ivan , l^ Insurrection en Chine, in-12, Paris, 1853, p. 224.

(3) Et vos, agrestum praesentia numina, Fauni,

Ferte simul, Faunique, pedem, dryadesque puellae :

Munera vestra cano.

Virg. , Georg., I, 10-12.

Pan , ovium custos.

Ibid. , I, 17.

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Utilitaire et essentiellement tournée vers les choses matérielles.

L'assimilation complète des deux formes, faunus et :uav, n'offre pas de difficultés. On doit la pousser plus loin. Elle est applicable également, quoique d'une manière d'abord moins évidente, aux mots hkorrigan et khoridwen. Cest ainsi que les paysans armoricains désignent les nains magiques de leurs pays. Les Gallois disent Gwrachan (1)* Ces expressions sont Tune et l'autre composées de deux parties. Khorr et Gwr ne valent autre chose que gon et gwn, ou gan (2), chez les La- tms genius, en français génie, employé dans le même sens. Je m'explique.

La lettre r, dans les langues primitives de la famille blan- che, a été d'une extrême débilité. L'alphabet sanscrit la pos- sède trois fois, et, pas une seule ne lui accorde la force et la place d'une consonne. Dans deux cas, c'est une voyelle ; dans un, c'est une demi-voyelle comme VI et le w qui, pour nos idio- mes modernes, a conservé par sa facilité à se confondre, même graphiquement, avec Vu ou l'ow, une égalé mobilité.

Cette r primordiale, si incertaine d'accentuation, paraît avoir eu les plus grands rapports avec Vain, Va emphatique des idiomes sémitiques, et c'est amsi seulement qu'on peut s'expliquer le goût marqué de l'ancien scandmave pour cette lettre. On la retrouve dans une grande quantité de mots le sanscrit mettait un a, comme, par exemple, ddjis gardhr, sy- nonyme de garta, enceinte, maison, ville.

Cette faiblesse organique la rend plus susceptible qu'aucune autre des nombreuses permutations dont les principales ont lieu, comme on doit s'y attendre, avec des sons d'une faiblesse à peu près égale, avec VI, avec le v, avec Vs ou l'w, consonne à la vérité, mais reproduite trois fois en sanscrit, et, par con-

(i) On nomme aussi quelquefois les khorrigans, duz, les dieux, c'est un dérivé de l'arian déwa. La Villemarqué, ouvr. cité, Introduct.] t. I, p. XL VI. Voir Farticle Dwergar, dans YEncycl. Ersch u. Gruber, sect. I, 28 th., p. 190 et pass. Dieffenbach, Celtica II, Abth. 2, p. 211.

(2) Gan est encore un nom très communément appliqué, par les paysans bretons, aux khorrigans. Dans l'Inde, on connaît aussi les gâni pour être des démons malfaisants d'une espèce inférieure. Gor- resio, Ramayana, t. VI, p. 125.

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séquent, peu clairement marquée, enfin avec le g, par suite de l'affinité intime qui unit ce dernier son au w, principalement 4ans les langues celtiques (1). Citer trop d'exemples de Tappli- cation de cette loi de muabilité serait ici hors de place : mais comme il n'est pas sans intérêt pour le sujet même que je traite, d'en alléguer quelques-uns, en voici des principaux :

Ilàv et faunus sont corrélatifs de forme et de sens au per- san : ^^, péri^ une fée, et, en anglais, a faîry, et en fran- çais, à la désignation générale de féerie, et en suédois à al far, et en allemand à elfen (2). Dans le kymrique, on a l'adjectif ffyrnig, méchant, cruel, hostile, criminel, qui se trouve en parenté étymologique bien remarquable avec ffur, sage , sa- vant, et fumer, sagesse, prudence, d'où est venu notre mot finesse (3). C'est ainsi que gan, wen, khorr et genius, et fen, sont des reproductions altérées d'un seul et même mot.

Les dieux appelés par les aborigènes italiotes, et par les étrusques, genii, étaient considérés comme supérieurs aux puissances célestes les plus augustes. On les saluait des titres celtiques de lar ou larth, c'est-à-dire seigneurs , et de péna- tes , penaeth, les premiers, les sublimes. On les représentait sous la forme de nains chauves , fort peu avenants. On les di- sait doués d'une sagesse et d'une prescience infinies. Chacun d'eux veillait, en particulier, au salut d'une créature humaine, et le costume qui leur était attribué était une sorte de sac sans manches, tombant jusqu'à mi-jambes.

Les Romains les nommaient, pour cette raison, dii involuti, les dieux enveloppés. Qu'on se figure les grossiers Finnois revêtus d'un sayon de peaux de bêtes , et l'on a cet accoutre- ment peu recherché dont les auteurs de certaines pierres gra-

(1) Bôpp, Vergleichende Grammatik, p. 39 et pass. Aufrecht u. Kir- chhoff, Die umbrischen Spracfidenkmaeler, p. 97, % 256. Le mot ceUique bara, pain, devenu panis, offre un exemple certain de mu- tation de Vr en n.

(2) La première syllabe al ou el n*est que Tarticle celtique. Richter, die Elfen, Encycl. Ersch. u. Gruber, sect. I, 33, p. 301 et seqq.

(3) Dieffenbach, Vergleichendes Woerterbuch der gothischen Spi-ache, Frankfurt a. M., iSol, in-8«>, t. I, p. 358-339.

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vées ont probablement eu en vue de reproduire l'image (1).

Ces genii, ces larths^ esprits élémentaires, n'ont pas be- soin d'être comparés longuement aux Finnois pour qu'on re- connaisse en eux ces derniers. L'identité s'établit d'elle-même. La haute antiquité de cette notion, son extrême généralisation, son ubiquité, dans toutes les régions européennes, sous les différentes formes d'une même dénomination, faunus, Tcdtv, gen ou genius, fee, khorrigan, fairy, ne permettent pas de douter qu'elle ne repose sur un fond parfaitement historique. Il n'y a donc nulle nécessité d'y insister davantage, et on peut passer à la dernière face de la question en examinant le mot nar.

Il est identique avec nanus, ou mieux encore avec le celti- que nan^ par suite de la loi de permutation qui a été établie plus haut. Dans les dialectes tudesques modernes, il signifie un /bw, comme jadis, chez les peuples italiotes, fat'"':"' ''^rivé de fad. Les langues néo-latines l'ont consacré à désigner ex- clusivement un nain , abstraction faite de toute idée de déve- loppement moral. Mais, dans l'antiquité, les deux notions au- jourd'hui séparées se présentaient réunies. Le 'aaift ou le nar était un être laborieux et doué d'un génie magique , mais sot, borné, fourbe, cruel et débauché, toujours de taille remarqua- blement petite, et généralement chauve.

Le casnar des Étrusques était une sorte de polichinelle ra- bougri, contrefait, nain et aussi sot que méchant, gourmand et porté à s'enivrer. Chez les mêmes peuples , le nanus était

(1) Tel est le personnage de Tagès. Le mythe qui le concerne est des plus significatifs. Un laboureur tyrrhénien ayant un jour creusé un sillon d'une profondeur peu commune, Tagés, fils d'un genius Jovia- lis, d'un génie divin, d'un Gan, sortit tout à coup de la terre et adressa la parole au laboureur. Celui-ci effrayé, poussa des cris, et tous les Tyrrhéniens accoururent. Alors Tagés leur révéla les mystères de l'aruspicine. Il avait à peine fini de parler qu'il expira. Mais les audi- teurs avaient soigneusement écouté ses paroles , et la science divina- toire leur fut acquise. De là, le pouvoir augurai particulier aux Étrus- ques. Tagès était de la taille d'un enfant; sa sagesse était profonde, Ainsi expliquaient les Rasènes l'héritage sacerdotal que leur avaient légué les peuples qui les avaient précédés en Italie. Cic, de Div.^ .2,i3; Ovid., Metam.; 10,008; FesUis, S. v. Tagés, Isid., Orig., 8. 9.

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DES BAGES HUMAINES. 103

un pauvre hère sans feu ni lieu, un vagabond, situation qui était assurément, sur plus d'un point, celle des Finnois dépos- sédés par les vainqueurs blancs ou métis, et, sous ce rapport, ces misérables fournissent aux annales primitives de FOcci- dent le pendant exact de ce que sont, dans les chroniques orientales , ces tristes Chorréens , ces Enakim , ces géants , ces Goliaths vagabonds, eux aussi dépouillés de leur patrimoine natal et réfugiés dans les villes des Philistins (1).

Au sentiment de mépris qui s'attachait ainsi au nan, réduit a errer de lieux en lieux, s'unissait, dans la péninsule italique, le respect des connaissances surhumaines qu'on prêtait à ce malheureux. On montrait à Cortone , avec une pieuse vénéra- tion, le tombeau d'un nan voyageur (2).

On avait les mêmes idées dans l'Aquitaine. Le pays de Né- ris révérait une divinité topique appelée Nen-nerio (3). Je re- lève en passant qu'il semble y avoir dans cette expression un pléonasme semblable à celui des mots korid-wen et khorri- gan. Peut-être aussi faut-il entendre l'un et l'autre dans un sens réduplicatif destiné à donner à ces titres une portée de siiperiâtif ; ils signifieraient alors le gan ou le nan par ex- cellence.

De l'Aquitaine passons au pays des Scythes, c'est-à-dire à la région orientale de l'Europe qui, dans le vague de sa déno- mination, s'étend du Pont-Euxin à la Baltique. Hérodote y montre des sorciers fort consultés, fort écoutés, et qui portaient le nom d'Énarées et de Neuves (4). Les peuples blancs au mi- lieu desquels vivaient ces hommes, tout en accordant une con- fiance très grande à leurs prédictions, les traitaient avec un mépris outrageaixt, er, à l'occasion, avec une extrême cruauté.

(1) Cf. t. I, p. 486, note. Dennis, ouvr. cité, t. I, p. xix.

(2) Le mot cas-nar est lui-même composé des deux mots nar et casy racine ariane qui, en sanscrit, signifie aller, marcher. Benfey, Glos- sarium, p. 73. Voir, sur le tombeau de Cortone, Dionys. Halic, Antiq. rom., 1, XXIII. ~ Abeken, ouv. cité, p. 26.

(3) Barailon, Recherches sur plusieurs monuments celtiques et ro- mains, in-8°, Paris, 1806, p. 143.

(4) Hérod., IV, 17, G", 00, cl ailleurs.

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i04 DE l'inégalité

Lorsque les événements annoncés ne s'accomplissaient pas, on brûlait vivants les devins maladroits. La science des Enarées provenait, disaient-ils eux-mêmes, d'une disposition physique comparable à l'hystérie des femmes. Il est probable, en effet, qu'ils imitaient les convulsions nerveuses des sibylles. De tel- les maladies éclatent beaucoup plus fréquemment chez les peuples jaunes que dans les deux autres ^aces. C'est pour cette raison que les Russes sont, de tous les peuples métis de l'Eu- rope moderne, ceux qui en sont le plus atteints.

Cet être, rencontré par toutes les anciennes nations blanches de l'Europe sur l'étendue entière du continent, et appelé par elles pygmée, fad, genius et nar, décrit avec les mêmes ca- ractères physiques, les mêmes aptitudes morales, les mêmes vices, les mêmes vertus, est évidemment partout un être pri- mitivement très réel. Il est impossible d'attribuer à l'imagina- tion collective de tant de peuples divers qui ne se sont jamais revus ni consultés, depuis Tépoque immémoriale de leur sé- paration dans la haute Asie , l'invention pure et simple d'une créature si clairement définie et qui ne serait que fantastique. Le bon sens le plus vulgaire se refuse à une telle supposition. La linguistique n'y consent pas davantage; on va le voir par le dernier mot qu'il faut encore lui arracher, et qui va bien pré- ciser qu'il s'agit ici, à l'origine, d'êtres de chair et d'os, d'hom- mes très véritables.

Cessons un moment de lui demander quel sens spécial les Hellènes primitifs, peut-être même encore les Titans, atta- chaient au mot de pygmée y les Celtes à celui de fad, les Ita- liotes à celui de genius, presque tous à celui de nan et de nar. Envisageons ces expressions uniquement en elles-mêmes. Dans toutes les langues , les mots commencent par avoir un sens large et peu défini, puis, avec le cours des siècles, ces mêmes mots perdent leur flexibilité d'application et tendent à se limiter à la représentation d'une seule et unique nuance d'i- dée. Ainsi, Haschaschi a voulu dire un Arabe soumis à la doc- trine hérétique des princes montagnards du Liban, et qui, ayant reçu de son maître un ordre de mort, mangeait du has- chisch pour se donner le courage du crime. Aujourd'hui, un

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DES RACES HUMAINES. 105^

assassin n'est plus un Arabe , n'est plus un hérétique musul- man, n'est plus un sujet du Vieux de la Montagne, n'est plus un séide agissant sous l'impulsion d'un maître , n'est plus un mangeur de haschisch , c'est tout uniment un meurtrier. On pourrait faire des observations semblables sur le mot gentil, sur le mot franc, sur une foule d'autres ; mais, pour en revenir à ceux qui nous occupent plus particulièrement, nous trouve- rons que tous renferment dans leur sens absolu des applica- tions très vagues, et que ce n'est que l'usage des siècles qui les a fixés peu à peu à un sens précis.

Pit-goma serait encore celui qui pourrait le plus échapper à cette définition, car, formé de deux racines, il particularise, au premier aspect, l'objet auquel il s'applique. Il indique un homme jaune, partant s'applique bien à un homme de la race finnique. Mais, en même temps, comme il ne contient rien qui fasse allusion aux qualités particulières de cette race , au- tres que la couleur, c'est-à-dire à la petitesse, à la sensualité, à la superstition , à l'esprit utilitaire , il ne suffit que faible- ment à la désigner. D'ailleurs, il ne s'arrête pas à cette phase incomplète de son existence ; il subit une modification, et, de- venant TwyjJiaîbç, il prend toutes les nuances qui lui man- quaient pour se spécialiser. Un pygmée n'est plus seulement un homme jaune, c'est un homme pourvu de tous les carac- tères de l'espèce finnique, et, dès lors, le mot ne saurait plus s'appliquer à personne autre. Dans le dialecte des Hellènes, la modification avait porté sur la lettre t, de façon, en la reje- tant, à contracter les deux mots Pit-goma en une seule et même racine factice , parce que il n'y a pas une racine simple, factice ou réelle, il n'y a pas un sens précis. Mais, dans la région extra-hellénique, l'opération se fit autrement, et, pour atteindre à la forme concrète d'une racine, on rejeta tout à fait le mot pit, qui aurait semblé pourtant devoir être considéré comme essentiel, et, se servant uniquement de goma, très lé- gèrement altéré, on désigna les Finnois par une forme du mot homme, consacrée à eux seuls, et le but fut atteint. Bien que gnome ne signifie pas autre chose qu'homme, il ne saurait plus éveiller une autre idée que celle appliquée parlasupersti-

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106 DE l'inégalité

tion aux Fiimois errants cachés dans les rochers et les ca* vernes. *

Il est peut-être plus difficile d'analyser à fond le mot fad. On doit croire que, mutilé comme pit-goma, par la nécessité d'en faire une racine, il a perdu la partie que gnome a conser- vée, et rejeté celle que ce dernier vocable a gardée. Dans cette hypothèse, fad ne serait autre chose que pit, en vertu de mutations d'autant plus admissibles que la voyelle, étant lon- gue dans la forme sanscrite, était toute préparée à recevoir au gré d'un autre dialecte une prononciation plus large.

Avec le mot gen ou gan ou kkorry la même modification de ti-ansformation que dans gnome se retrouve. Le sens pri- mitif est simplement la descendance j la race, les hommesy^ genus. Il se peut aussi que la question ne soit pas aussi facile à résoudre, et qu'au lieu d'une mutilation, il s'agisse ici d'une contraction, aujourd'hui peu visible, et qui pourtant se laisse concevoir. L'affinité des sons p, f, w, g, ou, â, permet de comprendre la progression suivante :

pït-gen,

fït-gen,

fï-gen,

fï-ouen,

gân,

finn et fen.

Ce dernier mot n'a rien de mythologique, c'est le nom anti- que des vrais et naturels Finnois, et Tacite le témoigne, non seulement par l'usage qu'il en fait , mais par la description ^physique et morale donnée par lui des gens qui le portent. Ses paroles valent la peine d'être citées : « Chez les Fmnois, « dit-il, étonnante sauvagerie, hideuse misère; ni armes, ni « chevaux, ni maisons. Pour nourriture, de l'herbe; pour vê- (( tements, des peaux; pour lit, le sol. L'unique ressource, ce « sont les flèches que, par manque de fer, on artoe d'os. Et la « chasse repaît également hommes et femmes. Ils ne se quit- « tent pas, et chacun prend sa part du butin. Aux enfants, « pas d'autre refuge contre les bêtes et les pluies, que de s'a*

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« briter dans quelque entrelacs de branches. reviennent les « jeunes; se retirent les vieillards (1). »

Aujourd'hui ce mot de Finnois a perdu , dans Fusage ordi- naire, sa véritable acception, et les peuples auxquels on le donne sont, pour la plupart du moins, des métis germaniques ou slaves, de degrés très différents.

Avec nar ou nan^ il y a évidemment mutilation. Ce mot, pour le sanscrit et le zend, signifie également homme (2), On a encore dans l'Inde la nation des Naïrs, comme on a eu dans la Gaule , à Tembouchure de la Loire , les Nannètes. Ailleurs lemêmenom se présente fréquemment (3). Quantau mot perdu, il est retrouvé à l'aide de deux noms mythologiques, dont l'un est appliqué par le Ramayana aux aborigènes du Dekkhan, considérés comme des démons, les Naïrriti, autrement dit les hommes horribles j redoutables (4); dont l'autre est le nom d'une divinité celtique, adoptée par les Suèves Germains, ri- verains de la Baltique. C'est Nerthus ou Hertha; son culte était des plus sauvages et des plus cruels, et tout ce qu'on en sait tend à le rattacher aux notions dégénérées que le sacer- doce druidique avait empruntées des sorciers jaunes.

(1) De mor. Germ. , XLVI.

(2) En zend, c'est, au nominatif, nairya.

(3) J'ai sous les yeux quatre médailles gréco-bactriennes ou gréco- indiennes, deux de cuivre, deux d'argent. La première porte sur une face une figure debout, tournée de profil, vêtue d'une robe longue; légende , à droite , NONO, à gauche , effacée. Au revers , figure de face, le bras droit étendu, le bras gauche relevé vers la tête, tunique courte; légende à gauche, illisible, La seconde : face, figure nimbée sur un éléphant t légende à droite, NANO; à gauche, illisible. Revers, di- vinité à plusieurs bras nimbée, debout, de profil, traitée dans le style grec; monogramme say tique, légende à gauche ; illisible. La troi- sième, médaille d'argent : face , tête royale de profil, tournée à droite, légende à droite : AHAII (?); à gauche : OEPKIKOPAS (?); au revers, deux figures très effacées, se faisant face; Tïlonogramme say tique, au milieu : légende à droite : NAN ; à gauche : OKTO. La quatrième ; face, tête royale de face^ le bras droit levé : légende à droite ; AHAIIOT (?); à gauche : OEPKIKOP (?). Cabinet de S. E. M. le gén. baron de Pro- kesch-Osten.

(4) On lit aussi Naîriti; Gorresio, Ramayana, t. VI, introducL, p. 7, «t notes , p. 40S.

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108 DE l'inégalité

Voici les aborigènes de l'Europe , considérés en personnes, décrits avec leurs caractères physiques et moraux. Nous n'avons pas à nous plaindre cette fois de la pénurie des renseignements. On voit que les témoignages et les débris abondent de toutes parts, et établissent les faits sous la pleine clarté d'une com- plète certitude. Pour que rien ne manque, il n'est plus besoin que de voir l'antiquité nous livrer des portraits matériels de ces nains magiques dont elle était si préoccupée. Nous avons, déjà pu soupçonner que l'image de Tagès et d'autres, qui se rencontrent sur les pierres gravées , étaient propres à remplir ce but. En désirant davantage, on demande presque une es- pèce de miracle , et pourtant le miracle a lieu.

Entre Genève et le mont Salève, s'aperçoit, sur un mon- ticule naturel, un bloc erratique qui porte sur une de ses faces un bas-relief grossier, représentant quatre ligures debout, de stature rabougrie et ramassée, sans cheveux, à physio-^ nomie large et plate , tenant des deux mains un objet cylin- drique dont la longueur dépasse de quelques pouces la largeur des doigts (1). Ce monument est encore uni dans le pays aux. derniers restes de certaines cérémonies anciennes qui s'y pra- tiquent comme dans tous les cantons se conserve un fond de population celtique (2).

Ce bas-relief a ses analogues dans les statues grossières ap- pelées baba^ que tant de collines des bords du Jenisseï, de rirtisch, du Samara, de la mer d'Azow, de tout le sud de la Russie, portent encore. Il est, connue elles, marqué d'une ma- nière évidente du type mongol. Ammien Marcellin faisait foi de cette circonstance; Ruysbockl'a encore remarquée auxiii^ siè- cle, et, au xviii% Pallas l'a relevée (3). Enfin, une coupe de

(1) Troyon, Colline des sacrifices de Chavannes sur le Veuron, in-4», Londres, 1834, p. 14.

(2) C'est a qu'on allume le premier feu des brandons, qui sert de a signal pour le feu des autres contrées. » Ibid., note D. Ces feux remontent aux mêmes usages païens que les bûchers de la Saint-Jean en France, et le jeu des torches qu'on lance en l'air en Bretagne. Les courses de flambeaux dans le Céramique, à Athènes, avaient aussr une origine non pas hellénique , mais pélasgique.

(3) ma.

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DES BACES HUMAINES. 10^

cuivre , trouvée dans uq tumulus du gouvernement d'Oren- bourg, est ornée d'une figure semblable, et, pour qu'il ne sub- siste pas le plus léger doute sur les personnages qu'on a vou- lu reproduire, un des babas du musée de Moscou a une tête d'animal, et offre ainsi l'image incontestable d'un de cesNeu- r€s qui jouissaient de la faculté de se transformer en loups (1).

Les deux particularités saillantes de ces représentations hu- maines sont la nature mongole , non moins fortement accusée sur le bas-relief du mont Salève que sur les monuments russes, et aussi cet objet cylindrique, de longueur moyenne, que l'on y remarque toujours tenu à deux mains par la figure. Or les légendes bretonnes considèrent comme l'attribut prin- cipal des Khorrigans un petit sac de toile qui contient des crins , des ciseaux et autres objets destinés à des usages ma- giques. Le leur enlever, c'est les jeter dans le plus grand em- barras, et il n'est pas d'efforts qu'ils.ne fassent pour le ressaisir.

On ne peut voir dans ce sac que la poche sacrée les Chamans actuels conservent leurs objets magiques, et qui, en ^fïet , est absolument indispensable , ainsi que ce qu'elle con- tient, à Texercice de leur profession. Les babas et la pierre genevoise donnent donc, indubitablement , le portrait matériel des premiers habitants de l'Europe (2) : ils appartenaient aux tribus finniques.

CHAPITRE IL

Xes Thraces. Les lllyriens. Les Étrusques. Les Ibères.

Quatre peuples, dignes du nom de peuples, se montrent enfin dans les traditions de l'Europe méridionale , et viennent disputer aux Finnois la possession du sol. Il est impossible de

(1) Hérod., IV, lOo.

(2) Il est encore évident que je ne me prononce pas plus sur Tâge de la pierre du mont Salève que sur celui des babas russes. Il me suf-

RACES HUMAINES. T. II. 7

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lllO DE l'inégalité

déterminer, même approximativement , l'époque de leur ap- parition. Tout ce qu'on peut admettre , c'est que leurs plus anciens établissements sont bien antérieurs à l'an 2000 avant Jésus-Christ. Quant à leurs noms, la haute antiquité grecque et romaine les a connus et révérés , et même , en certains cas»^ honorés de mythes religieux. Ce sont les Thraces, les Illyriens,, les Étrusques et les Ibères.

Les Thraces étaient, à leur début et probablement lorsqu'ils résidaient encore en Asie, un peuple grand et puissant. La Bible garantit le fait, puisqu'elle les nomme parmi les fils de Japhet (1).

Les tribus jaunes, quand on les trouve pures, étant, en général, peu guerrières, et le sentiment belliqueux diminuant dans un peuple à mesure que la proportion de leur sang y aug- mente, il y a lieu de croire que les Thraces n'appartenaient pas à leur parenté étroite. Puis les Grecs en parlent fort sou- vent aux temps historiques. Ils lès employaient, concurremment avec des mercenaires issus des tribus scythiques, en qualité de soldats de police, et, s'ils se récrient sur leur grossièreté (2), nulle part ils ne paraissent avoir été frappés de cette bizarre laideur qui est le partage de la race finnoise. Ils n'auraient pas manqué , s'il y avait eu lieu, de nous parler de la cheve- lure clairsemée, du défaut de barbe, des pommettes pointues, du nez camard, des yeux bridés, enfin de la carnation étrange des Thraces, si ceux-ci avaient appartenu à la race jaune (3).

fit de trouver dans ces monuments une représentation, soit réelle, soit légendaire, qui s'applique, avec une exactitude complète, aux êtres qu'elle a pour but de figurer.

(4) La Genèùe les appelle Thiras DI^IH. Hérodote affirme qu'après les Indiens, les Thraces sont la nation la plus nombreuse de la terre, et qu'il ne leur manque pour être irrésistibles aux autres peuples que runion. Ils étaient divisés autant que possible. (V, 3.)

(2) Horace reproduit cette opinion au début de l'ode XXVII du I«^ livre

Natis in usum laetitiae scyphis Pugnare Thracum est; toUite barbarum Morem...

(3) Une anecdote conservée par les polygraphes donne lieu de sup- poser, au contraire, que le type du Thrace était fort beau. C'est celle

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DES BACES HUMAINES. 111

Du silence des Grecs sur ce point, et de ce qu'ils ont toujours semblé considérer ces peuples comme pareils à eux-mêmes, sauf la rusticité, j'induis encore que les Thraces n'étaient pas des Finnois.

Si l'on avait conservé d'eux quelque monument figuré cer- tain pour les époques vraiment anciennes, voire seulement des débris de leur langue, la question serait simple. Mais de la première classe de preuves, on est réduit à s'en passer tout à fait. Il n'y a rien. Pour la seconde , on ne possède guère qu'un petit nombre de mots, la plupart allégués par Dioscoride (1).

Ces faibles restes linguistiques semblent autoriser à assigner aux Thraces une origine ariane (2). D'autre part, ces peuples paraissent avoir éprouvé un vif attrait pour les mœurs grec- ques. Hérodote en fait foi. Il y voit la marque d'une parenté qui leur permettait de comprendre la civilisation au spectacle de laquelle ils assistaient; or l'autorité d'Hérodote est bien puissante (3). Il faut se rappeler, en outre, Orphée et ses tra- vaux. Il faut tenir compte du respect profond avec lequel les chroniqueurs de la Grèce parlent des plus anciens Thraces, et de tout cela on devra conclure que, malgré une décadence irrémédiable, amenée par les mélanges, ces Thraces étaient

qui a trait au jeune Smerdiès, esclave issu de cette nation, aimé de Polycrate de Samos et d'Anacréon. Il était surtout remarquable par sa chevelure, que le tyran lui fit couper pour faire pièce au poète. Le nom même de Smerdiès est arian.

(1) Dioscor. lib. octo grœce et latine, in-12, Paris, d589, 1. IV, cap. xv. -— Voir aussi quelques mots dans Slrabon : xauvoêcxTai, scansores fumi;Y.'zi<5'zoLi,conditores; ââtot, absque fœminis viventes. (Vll^SS^ etc.)

(2) M. Munch trouve à tous les mots thraces une physionomie décidé- ment indo-européenne. (Trad. ail. de Claussen, p. 13.) Suivant cet auteur, on les rapproche aisément de racines lettonnes et slaves. (Ibid.) Plusieurs noms de lieux thraces sont clairement arians, comme, par exemple, le mot Hémus, corrélatif au sanscrit hima , neige, D'a- près Athénée, 13, 1, Philippe de Macédoine, père d'Alexandre, avait épousé Méday fille d'un certain Ktôi^Xa, Thrace. Etienne de By- zance nomme cette femme rétiç. Jornandès nomme le père Got- hila, et la fille Medopa, Tous ces mots sont arians, mais l'époque on les trouve est assez basse.

(3) Il n'hésite pas, non plus, un instant, à les confondre absolument avec les Gétes, Arians incontestables. (V, 3.)

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une nation métisse de blanc et de jaune , le blanc arian avait dominé jadis, puis s'était un peu trop effacé, avec le temps, au sein d'alluvions celtiques très puissantes et d'al- liages slaves (1).

Pour découvrir le caractère ethnique des Illyriens , les dif- ficultés ne sont pas moindres, mais elles se présentent autre- ment, et les moyens de les aborder sont tout autres. Des ado- rateurs de Xalmoxîs (2) il n'est rien demeuré. Des Illyriens , au contraire , appelés aujourd'hui Arnautes ou Albanais , il reste un peuple et une langue qui, bien qu'altérés, offrent plusieurs singularités saisissables.

Parlons d'abord de l'individualité physique. L'Albanais, dans la partie vraiment nationale de ses traits , se distingue tien des populations environnantes. Il ne ressemble ni au Grec moderne ni au Slave. Il n'a pas plus de rapports essen- tiels avec le Valaque. Des alliances nombreuses, en le rappro- chant physiologiquement de ses voisins , ont altéré considéra- blement son type primitif, sans en faire disparaître le caractère propre. On y reconnaît , comme signes fondamentaux , ime taille grande et bien proportionnée , une charpente vigoureuse, des traits accusés et un visage osseux qui, par ses saillies et ses angles, ne rappelle pas précisément la construction du fades kalmouk, mais fait penser au système d'après lequel ce

(1) Rask en fait des Arians sans donner aucune preuve à l'appui de son opinion. Il ne tient pas compte des différences notables existant entre ces peuples et les Hellènes , différences qui semblent s'opposer, jusqu'à présent, non pas à ce qu'on reconnaisse entre eux un degré d'affinité, mais à ce qu'on rapporte l'ensemble de leurs origines à la même source. Consulter à ce sujet Pott, Encycl. Ersch u. Gruber, indo-germ. Sprachst., p. 25. Comme indice à l'appui du mélange des Thraces avec des nations celtiques, je ferai remarquer combien se ressemblent les noms des villes de BuSJàvTtov , très antique cité de la Thrace, et de Vesuntio, vîlle gallique dont la fondation se perd dans la nuit des temps. A la vérité , Byzance fut colonisé par Mégare , mais certainement sur l'emplacement d'une bourgade indigène. Le nom n'a rien de grec.

(2) Le nom de cette divinité paraît être de provenance slave, et se rattacher au mot szalmas, casque. Munch, trad. allem. de Claus- sen, p. 43.

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DES RACES HUMAIXES. 113

faciès est conçu. On dirait que l'Albanais est au Mongol comme est à ce dernier le Turk, surtout le Hongrois. Le nez se montre saillant, proéminent, le menton large et fortement carré. Les lignes, belles d'ailleurs, sont rudement tracées comme chez le Madjar, et ne reproduisent, en aucune façon ^ la délicatesse du modelé grec. Or, puisqu'il est irrécusableque le Madjar est mêlé de sang mongol par suite de sa descen- dance hunnique (1) , de même je n'hésite pas à conclure que l'Albanais est un produit analogue.

Il serait à désirer que l'étude de la langue vînt donner son appui à cette conclusion. Malheureusement cet idiome mutilé et corrompu n'a pu jusqu'ici être analysé d'une manière plei- nement satisfaisante (2). Il faut en élaguer d'abord les mots tirés du turk, du grec moderne, des dialectes slaves, qui s'y sont amalgamés récemment en assez grand nombre. Puis on aura encore à écarter les racines helléniques , celtiques et la- tines. Après ce triage délicat, il reste un fond difficile à ap- précier, et dont jusqu'à présent on n'a pu rien affirmer de définitif, si ce n'est qu'il n'est rien moins que parent de l'ancien grec. On n'ose donc l'attribuer à une branche de la famille ariane. Est-on en droit de croire que cette affinité absente est remplacée par un rapport avec les langues finniques? C'est une question jusqu'à présent irrésolue. Force est donc de s'accom- moder provisoirement du doute, de rejeter toutes démons- trations philologiques trop hâtives et de se borner à celles que j'ai tirées précédemment de la physiologie. Je dirai donc que les Albanais sont un peuple blanc, arian, directement mélangé de jaune , et que, s'il est vrai qu'il ait accepté des nations au milieu desquelles il a vécu un langage étranger à son essence,

(1) T. I, p. 221 et pass.

(2) L'ouvrage de M. de XylaDder, die Sprache der Albanesen oder Schkipetaren, 1835, est à bon droit estimé; mais le livre que vient de publier M. de Hdihn ^ Albanesische Studien, in-8°, Wien, 1833, est beau- coup plus complet. Écrit sur les lieux et loin de tout secours scienti- fique, cet ouvrage excellent sera d'un grand secours aux philologues qui voudront faire entrer l'albanais dans le cercle des études com- parées.

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114 DE l'inégalité

il n'a fait en cela qu'imiter un assez grand nombre de tribus humaines, coupables du même tort (1).

Les Thraces et les Illyriens (2) ont assez noblement soutenu leur origine ariane pour n'en pas être déclarés indignes. Les premiers avaient pris une grande part à l'invasion des peuples arians hellènes dans la Grèce.

Les seconds, en se mêlant aux Grecs Épirotes, Macédoniens et Thessaliens, les ont aidés à gravir jusqu'à la domination de l'Asie antérieure (3). Si, dans les temps historiques, les deux groupes auxquels sont donnés les noms de Thraces et dll- lyriens ont toujours, malgré leur énergie et leur intelligence reconnues, été réduits, en tant que nations, à un état subal- terne, se contentant, au moins pour les derniers, de fournir €n abondance des individualités illustres d'abord à la Grèce, puis aux empires romain et byzantin, enfin à la Turquie, il faut attribuer ce phénomène à leur fractionnement amené par des hymens locaux de valeurs différentes, à la faiblesse relative des groupes, et à leur séjour au milieu de tribus prolifiques, qui, les contenant dans des territoires montagneux et inferti- les, ne leur ont jamais permis de sie développer sur place. En tout état de cause, les Thraces et les Illyriens, considérés indé-

(i) T. I, p. 329 et 344.

(2) L'IUyrle a changé très fréquemment d'étendue et de limites. Elle a embrassé les races les plus diverses sous une même dénomination. Ce fut d'abord le pays riverain de l'Adriatique , entre la Neretwa au nord et le Drinus au sud. Les Triballes formaient la frontière de Test.

Ensuite, cette circonscription s'étendit depuis le territoire des Tau- risques Celtes jusqu'à l'Épire et la Macédoine. La Mœsie y était com- prise. Après le second siècle de notre ère, l'iUyrie, s'agrandissant encore, contint les deux Noriques, les deux Pannonies , la Valérie, la Savoie, la Dalmatie, les deux Dacies, la Mœsie et la Thrace. Enfin Constantin en détacha ces deux dernières provinces, mais y réunit la Macédoine, la Thessalie, TAchaïe, les deux Épires, Praevallis et la Crète. A cette époque, l'illyrie contenait dix-sept provinces. C'est pro- bablement par suite de cette organisation administrative qu'à un cer- tain moment on a confondu les Thraces et les Illyriens comme n'étant qu'un même peuple. Cette opinion est d'ailleurs soutenable; quelques <îrecs l'ont anciennement professée. Schafifarik, Slawische AUerthû^ mer, 1. 1, p. 25T.

(3) Pott, owor. cité, p. 64.

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DES KACES HDiMAINES. 115

pendâmment de leurs alliages, représentent deux rameaux humains singulièrement bien doués , vigoureux et nobles , l'essence ariane se fait très aisément deviner. Je me transporte maintenant à Tautre extrémité de l'Europe méridionale. J'y trouve les Ibères, et, avec eux, l'obscurité historique paraît s'amoindrir. Il serait oiseux de rappeler tous les efforts tentés jusqu'ici pour déterminer la nature de ce peuple mystérieux dont les Euskaras ou Basques actuels sont, avec plus ou moms de justesse , considérés coname les représentants. Le nom de ce peuple s'étant rencontré dans le Caucase, on a cherché à établir une sorte de ligne de route par laquelle il serait venu de l'Asie en Espagne (1). Ces hypothèses sont demeurées fort obscures. On sait mieux que la famille ibérique a couvert la pénmsule, habité la Sardaigne, la Corse, les îles Baléares, quelques points, sinon toute la côte occidentale de l'Italie. Ses enfants ont possédé le sud de la Gaule jusqu'à l'embouchure de la Garonne, couvrant ainsi l'Aquitaine et une partie du Languedoc.

Les Ibères n'ont laissé aucun monument figuré, et il serait impossible d'établir leur caractère physiologique, si Tacite ne nous en avait parlé (2). Suivant lui, ils étaient bruns de peau et de petite taille. Les Basques modernes n'ont pas conservé cette apparence. Ce sont visiblement des métis blancs à la manière

(1) Ewald , Geschichte des Volkes Israël, t. I, p. 336. Ce savant ajoute que les Ibères du Caucase devaient appartenir à la souche de Hebr, Ce qui rendrait le rapprochement avec les Ibères d'Espagne impos- sible; mais rien ne prouve que la supposition soit exacte. Ce qui donne du prix au rapprochement du nom des Ibères du Caucase de celui des Ibères d'Espagne , c'est ce fait qu'une montagne de la Grèce continentale s'est très anciennement appelée les Pyrénées, tandis qu'un fleuve de la Thrace se nommait VHèbre, Ce sont des jalons dignes d'être remarqués.

(2) Dieffenbach, Celtica lly Abth., p. 10. Toutefois le passage de Tacite n'est pas très concluant, et on peut lui opposer d'autres auto- rités, comme celle de Silius Italiens, qui fait les habitants de l'Es- pagne blonds. Mais à ces contradictions apparentes il y a à dire que l'Espagne contenait, à l'époque romaine, des populations de descen- dances bien diverses, et qu'il devait être fort difficile déjà d'y rencon- trer un Ibère de race pure.

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116 DE l'inégalité

des populations voisines. Je n'en suis pas surpris. Rien ne ga- rantit là pureté du sang chez les montagnards des Pyrénées, et je ne tirerai pas de l'examen qu'on en a pu faire les mêmes résultats que pour le guerrier albanais.

Dans celui-ci j'ai vu une différence marquée , un contraste- notable avec les nations avoisinantes. Impossible de confondre des Amantes avec des Turcs, des Grecs, des Bosniaques. Il est très difficile , au contraire , de démêler un Euskara parmî ses voisins de la France et de l'Espagne. La physionomie du Basque, très avenante assurément , n'offre rien de particulier. Son sang est beau , son organisation énergique ; mais le mé-, lange, ou plutôt la confusion des mélanges , est évidente chez* lui. Il n'a nullement ce trait des races homogènes, la ressem- blance des individus entre eux, ce qui a lieu à un haut degré chez les Albanais.

Comment d'ailleurs l'Ibère des Pyrénées serait-il de race pure? La nation entière a été absorbée dans les mélanges cel- tiques, sémitiques, romains, gothiques. Quant au noyau, ré- fugié dans les vallées hautes des montagnes, on sait que des couches nombreuses de vaincus sont venues successivement chercher un asile autour et auprès de lui. Il ne peut donc être resté plus intact que les Aquitains et les Roussillonais.

La langue euskara n'est pas moins énigmatique que l'alba- nais (1). Les savants ont été frappés de l'obstination avec la- quelle elle se refuse à toute annexion à une famille quelcon- que. Elle n'a rien de chamitique et peu d'arian. Les aiïinités' jaunes paraissent exister chez elle (2), mais cachées, et on les constate qu'approximativement. Le seul fait bien avéré jus- qu'ici, c'est que, par son polysynthétisme , par sa tendance à incorporer les mots les uns dans les autres , elle se rapproche des langues américaines (3). Cette découverte a donné nais-

(1) Les Romains étaient extrêmement rebutés par sa rudesse. Dief- fenbacti, Celtica II, 2^ Abth., p. 48-49.

(2) Oh croit apercevoir dans Teuskara quelques racines finnoises. Schaffarik , -S?<2Wîsc/ie Aller thûmer, t. I, p. 35 et 293.

(3) Prescott, History of the Conquest of Mexico, t. III, p. 244, définit ainsi cette organisation idiomatique : « A System which bringing the

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DES BACES HUMAINES. 117

sance à bien des romans plus hasardés les uns que les autres. Des hommes doués d'une imagination véhémente se sont em- pressés de faire passer le détroit de Gibraltar aux Ibères, de les acheminer au long de la côte occidentale de l'Afrique , de reconstruire, tout exprès pour eux, l'Atlantide, de pousser ces pauvres gens, bon gré, mal gré, et à pied sec, jusqu'aux riva- ges du nouveau continent. L'entreprise est hardie, et je n'ose- rais m'y associer. J'aime mieux penser que les affinités améri- caines de l'euskara peuvent avoir leur source dans le mécanisme primitivement commun à toutes les langues finniques (I). Mais, comme ce point n^est pas encore éclairci de manière à pro- duire une certitude , je préfère surtout le laisser à l'écart (2).

Rejetons-nous sur ce que l'histoire nous apprend des habi- tudes et des mœurs de la nation ibère. Nous y trouverons plus de clartés conductrices.

Ici , la lumière saute aux yeux , et avec assez d'éclat pour détruire à peu près toutes les incertitudes. Les Ibères , lourds et rustiques, non pas barbares, avaient des lois, formaient des sociétés régulières (3). Leur humeur était taciturne , leurs ha- bitudes étaient sombres. Ils allaient vêtus de noir ou de cou- leurs ternes, et n'éprouvaient pas cet amour de la parure si général chez les Mélaniens (4). Leur organisation politique se

« greatest number of ideas within the smallest possible compass, « condenses whole sentences into a single word. » W. v. Humboldt, Prûfung der Untersuchungen ûber die Urbewohner Hispaniens, p. 174 et sqq.

(1) DieflFenbach, Celtica II , Abth., p. 15 et seqq.

(2) M. Muller, Suggestions for the assistance of officers in leàrning the languages of the seat of wat in the East, London, 1834, considère l'agglutination comme le caractère distinctif de toutes les langues finniques. Peut-être y aura-t-îl lieu, d'une part, à mieu^ s'expliquer sur les limites exactes de l'agglutination, et, d'une autre , à rechercher si les langues arianes elles-mêmes ne possèdent pas , de leur propre fonds, ce même procédé. L'étude des langues finniques est malheu- reusement bien peu avancée encore, et fait obstacle ainsi à toute connaissance définitive des autres familles d'idiomes.

(3) W. V. Humboldt , Prûfung der Untersuchungen ûber die Urbe- wohner HispanienSf p. 152 et pass.

(4) Ibid., p. 158.

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118 DE l'inégalité

montra peu vigoureuse; car, après avoir occupé une étendue <ie pays à coup sûr considérable, ces peuples, chassés de llta- lie, chassés des îles et dépossédés d'une bonne partie de l'Es- pagne par les Celtes, le turent, plus tard encore et sans grand' peine, par les Phéniciens et les Carthaginois (1).

Enfin, et voici le point capital : ils se livraient avec succès au travail des mines (2).

Ce labeur difficile , cette science compliquée qui consiste à extraire les métaux du sein de Ja terre et à leur faire subir des manipulations assez nombreuses, est incontestablement une des manifestations, un des emplois les plus raffinés de la pensée humaine. Aucun peuple noir ne l'a connue. Parmi les blancs, ceux qui l'ont pratiquée davantage , habitant en Asie, au-dessus des Arians, vers le nord, ont reçu dans leurs vei- nes, par cette raison même, le mélange le plus considérable du sang des jaunes. A cette définition on reconnaît , je pense , 'es Slaves. J'ajouterai que le sol de l'Espagne portait, dans son Morts Vindiùs , le nom que , suivant Schaffarik , les nations étrangères, surtout les Celtes, ont toujours donné de préférence à ces mêmes Slaves, et je ne sais même si, invoquant la facilité que les langues wendes partagent avec les dialectes celtiques et îtaliotes pour retourner les syllabes, on ne serait pas en droit de reconnaître leur appellation nationale par excellence, le mot srh dans le mot ibr (3). Cette étymologie tend la main à la

(i) Ad temps de Strabon, on vantait beaucoup le développement in- tellectuel des habitants de la Bétique. On disait, entre autres choses, que les Turdétains avaient des poèmes et des lois dont la rédaction remontait à 6,000 ans. Il serait erroné d'attribuer à des Ibères cette littérature remarquable. Existant sur un point très anciennement sé- mitisé, elle n'offrait, sans aucun doute, que des originaux ou tout au plus des copies d'ouvrages chananéens ou puniques. Strabon , III, i. D'après le géographe d'Apamée, les Ibères étaient, eu guerre, plus rusés et plus adroits que braves et forts. "W. v. Humboldt, ouvr, cîté, p. 453.

(2) L'Espagne, dans la haute antiquité, produisait en quelques an- nées 400 pouds d'or, c'est-à-dire autant que le Brésil et l'Oural réunis le font actuellement aux époques les plus prospères. A. v. Humboldt, Asie centrale, t. I, p. 540.

(3) La voyelle ouverte disparaît complètement dans le nom de fleuve, Ebre.

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DES RACES HUMAINES, 119

mystérieuse peuplade homonyme reléguée dans le Caucase , tt ajoute une apparence de plus à Thypothèse que M. W. de Humboldt ne repoussait pas (1).

Les Ibères étaient donc des Slaves. J'en répète ici les rai- sons : peuple mélancolique, vêtu de sombre, peu belliqueux (2), travailleur aux mines, utilitaire. Il n'est pas un de ces traits qui ne se laisse apercevoir aujourd'hui dans les masses du nord-est de l'Europe (3).

Viennent maintenant les Rasènes (4) ou, autrement dit , les Étrusques de première formation. Par suite d'invasions pélas- giques, ce peuple extrêmement digne d'intérêt s'est trouvé, à une époque antérieure au x** siècle avant notre ère , composé de deux éléments principaux, dont l'un, dernier venu , imprima à l'ensemble un élan civilisateur qui a produit des résultats importants. Je ne parle pas, en ce moment, de cette seconde période. Je m'attache uniquement à la plus grossière partie du sang , qui est en même temps la plus ancienne, et qui seule, à ce titre , doit figurer près des populations primordiales , thra- ces, illyriennes , ibères.

(1) Le rapprochement entre srb et tôr n'est pas plus laborieux que celui établi par Schaffarik entre Siropoi et srb. Quant à la signification 4u mot, je la trouverais volontiers dans obr, géante et par dérivation, un homme fort et redoutable. Il est admissible que les émigrants blancs aient pris et conservé ce nom comme faisant contraste avec la faiblesse relative des indigènes finnois, et on verra plus tard que les épopées Scandinaves et germaniques attribuaient aux héros wendes la même exagération de taille avec le talent de forger des armes magiques.

(2) Schaffarik insiste à plusieurs reprises sur l'esprit profondément pacifique et peu guerrier des nations slaves. Il les loue de se montrer, dès la plus haute antiquité, paisibles et très laborieuses. Schaf- farik, t. I, p. 467.

(3) Rask ne voit dans les Ibères que des Finnois, et il prétend fonder sa démonstration sur la linguistique. (Ursprung der altnor- discJien Sprachen^ p. 112-146.)

(4) C'est le nom que ce groupe se donnait à lui-même, suivant 0. MuUer, die Etrusker, p. 68. Mais Dennis, au contraire, prétend que cette dénomination appartient aux conquérants tyrrhéniens. (Die Stœdte und Begrœbnisse EtrurienSy t. I, p. ix.) Je le crois mal fondé dans cette opinion.

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120 DE l'inégalité

Les masses rasènes étaient certainement beaucoup plus épaisses que ne le furent celles de leurs civilisateurs. C'est là^ d'ailleurs , un fait constant dans toutes les invasions suivies de conquêtes. Ce fut aussi leur langue qui étouffa celle des vain- queurs, et effaça chez ceux-ci presque toutes traces de l'ancien idiome. L'étrusque , tel que les inscriptions nous l'ont con- servé, se montre assez étranger au grec et même au latin (1). Il est remarquable par ses sons gutturaux et son aspect rude et sauvage (2). Tous les efforts tentés pour interpréter ce qui en reste sont restés à peu près vains jusqu'à présent. M. W. de Humboldt inclinait à le considérer comme une transition de l'ibère aux autres langues italiotes (3).

Quelques philologues ont émis la pensée qu'on en pourrait retrouver des vestiges dans le romansch des montagnes Rhé- tiennes. Peut-être ont-ils raison : cependant les trois dialectes parlés au canton des (îrisons, en Suisse, sont des patois formés de débris latins, celtiques, allemands, italiens. Ils ne paraissent contenir que bien peu de mots issus d'autres sources, sauf des noms de lieux, en fort petit nombre.

Les monuments étrusques sont nombreux , et de différents âges. On en découvre tous les jours. Outre les ruines de villes et de châteaux, les tombeaux fournissent de précieux rensei- gnements physiologiques. L'individu rasène, tel que le repré- sente en ronde bosse le couvercle des sarcophages de pierre ou de terre cuite, est de petite taille (4). Il a la tête grosse, les

(1) 0. Muller, die Etrusker. Voir le monument de Pérouse et les observations de Vermiglioli. Les Romains appelaient Tctrusque une langue barbare, ce qu'ils ne disaient ni du sabin ni de Tosque. Preuve qu'ils ne le comprenaient pas.

(2) 0. Muller, ouvr. cité.

(3) Cette opinion est adoptée par 0. Muller, ouvr. cité., p. G8.

(4) Prichard, Hist. natur. de l'homme, t. I, p. 257. Verhandlun- gen der Académie von Berlin^ 4818-4819, p. 2. Abeken donne, dans son ouvrage, tabl. VIII, un dessin copié sur une peinture funéraire qui fait. partie du musée de Berlin. Un des personnages surtout est remarquable par l'écrasement du visage, la protubérance d'un front très fuyant, la disposition des yeux extrêmement obliques, la gros- seur des lèvres, les formes massives du corps. Voir aussi la repré- sentation de la statuette 2-a, 2-b, tabî. VII et 4 et 3 de la même table,.

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bras épais et courts, le corps lourd et gros, les yeux bridés, obliques, de couleur brune, les cheveux jaunâtres. Le menton est sans barbe, fort et proéminent; le visage plein et rond, le nez charnu. Un poète latin, en quatre mots, résume le por- trait : obesos et pingues Etruscos.

Toutefois, ni cette expression de Virgile, ni les images qu'elle commente si bien, ne s'appliquent, dans la pensée du poète, à des hommes de la race purement rasène. Images et descrip- tions poétiques se reportent aux Étrusques de l'époque ro- maine, de sang bien mêlé. C'est une nouvelle preuve, et preuve concluante, que l'immigration civilisatrice avait été comparati- vement faible , puisqu'elle n'avait pas modifié sensiblement la nature des masses. Ainsi il suffît d'unir ces deux phénomènes de la conservation d'une langue étrangère à la famille blanche, et d'une constitution physiologique non moins distincte, pour être en droit de conclure que le sang de la race soumise a gardé le dessus dans la fusion, et s'est laissé guider, mais non pas absorber, par les vainqueurs de meilleure essence.

La démonstration de ce fait ressort encore mieux du mode de culture particulier aux Étrusques. Encore une fois , je ne parle pas ici de l'ensemble raséno-tyrrhénien ; je ne relève que ce qui peut m'aider à découvrir la nature véritable de la popur lation rasène primitive.

La religion avait son type spécial. Ses dieux, bien différents de ceux des nations helléniques sémitisées, ne descendirent ja- mais sur la terre. Ils ne se montraient pas aux hommes, et se bornaient à faire connaître leurs volontés par des signes, ou par l'intermédiaire de certains êtres d'une nature toute mys- térieuse (1). En conséquence, l'art d'interpréter les obscures

pour la forme pointue de la lête, qui rappelle beaucoup certains types américains. Consulter aussi Micali, Monuments antiques^ in-fol., Paris, 4824, tab. XVI, fig. 1,2, 4 et 8; tab. XVII, fig. 3; tab. LXI, fig. 9. (1) 0. MuUer, die Etrusker, p. 266. Les Étrusques indigènes ne con- naissaient pas le culte des héros topiques, et, par conséquent, n'a- vaient pas d'éponymes comme leurs vainqueurs, les Tyrrhéniens, ni comme les Grecs. Au-dessus de toutes leurs divinités, même de la plus grande, Tima, ils plaçaient ces êtres surnaturels que les Romains

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122 DE l'inégalité

manifestations de la pensée céleste fut la principale occupation des sacerdoces. Uaruspicine et la science des phénomènes naturels, tels que les orages, la foudre, les météores (1), absorbèrent les méditations des pontifes, et leur créèrent une superstition beaucoup plus étroite et plus sombre, plus méti- culeuse, plus subtile, plus puérile que cette astrologie des Sémites, qui, au moins, avait pour elle de s'exercer dans un champ immense et de s'adonner à des mystères vraiment ^plendides. Tandis que le prêtre chaldéen, monté sur ime des tours dont le relief de Babylone ou de Ninive était hérissé, suivait d'un œil curieux la marche régulière des astres semés à profusion dans les cieux sans limites, et apprenait peu à peu à calculer la courbe de leurs orbites , le devin étrusque , gros, gras, court, à large face, errant, triste et effaré, dans les forêts et les marécages salins qui bordent la mer Tyrrhénienne , in- terprétait le bruit des échos, pâlissait aux roulements de la foudre, frissonnait quand le bruissement des feuilles annon- çait à sa gauche le passage d'un oiseau, et cherchait à donner un sens aux mille accidents vulgaires de la solitude. L'esprit du Sémite se perdait dans des rêveries absurdes sans doute, mais grandes comme la nature entière, et qur emportaient son imagination sur des ailes de la plus vaste envergure. Le Ra- mène traînait le sien dans les plus mesquines combinaisons, et,

nommèrent dit învolutiy les dieux enveloppés. (Dennis, t. I, p. xxiv.) J'en ai parlé plus haut.

(1) Les sources minérales et leurs chaudes exhalaisons étaient aussi un grand objet d'épouvante religieuse :

At rex sollicitus monstris, oracula Faûni Fatidici genitoris, adit, lucosque sub alta ,

Consulit Albunea; nemorum quœ maxima sacro Fonte sonat, saevamque exhalât opaca mephitim. Hinc Italœ gentes, omnisque OEnotria tellus, In dubiis responsa petunt. Hue dona sacerdos Quum tulit, et csesarum ovium sub nocte silenti Pellibus incubuit stratis, somnosque petivit : Multa modis simulacra videt volitantia miris , Et varias audit voces , fruiturque deorum Colloquio , atque imis Acheronta affatur Avernis.

jEn., VII, 81-91,

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DES RACES HUMAINES. 123

«i l'un touchait à la folie en voulant lier la marche des pla- nètes à celle de nos existences, l'autre rasait rimbécillité en cherchant à découvrir une connexité entre la danse capricieuse d'un feu follet et tels événements qu'il lui importait de prévoir. C'est précisément le rapport entre les égarements de la créature hindoue, suprême expression du génie arian mêlé au sang noir, et ceux de l'esprit chinois, type de la race jaune animée par une infusion blanche. En suivant cette indication, qui donne pour dernier terme aux erreurs des premiers la dé- mence , et aux aberrations des seconds l'hébétement , on voit que les Rasènes tombent dans la même catégorie que les peu- ples jaunes, faiblesse d'imagination, tendance à la puérilité, habitudes peureuses.

Pour la faiblesse d'imagination , elle est démontrée par cette autre circonstance que la nation étrusque, si recommandable à quelques égards, et douée d'une véritable aptitude historique (1), n'a rien produit dans la littérature proprement dite que des traités de divination et de discipline augurale. Si l'on y ajoute des rituels, établissant avec les moindres détails l'enchaîne- ment complexe des offices religieux, on aura tout ce qui occu- pait les loisirs intellectuels d'un peuple essentiellement forma- liste (2). Pour unique poésie, la nation se contentait d'hymnes contenant plutôt des énumérations de noms divins que des «efifusions l'âme. A la vérité , une époque assez postérieure nous montre dans une ville étrusque, Fescennium, un mode de compositions qui, sous forme dramatique, fit longtemps les délices de la population romaine. Mais ce genre de jouissance même démontre un goût peu délicat. Les vers fescennins n'é- taient qu'une sorte de catéchisme poissard , un tissu d'invec- tives dont le mérite était la virulence, et qui n'empruntait au- cune de ses qualités au charme de la diction , ni , bien moins

(1) Elle donna aux Romains le modèle de leurs annales; mais il semble que ce n'étaient que des catalogues de faits sans autre liaison que la chronologie, et tout à fait dénués de grâces narratives. Valérius Flaccus, entre autres , et l'empereur Claude se servirent de chroniques •étrusques pour composer leurs histoires. (Abeken, ouvr, citéy p. 20.)

(2) 0. Muller, ouvr. cité y p. 281 et pass.

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124 DE l'inégalité

encore, à Félévation de la pensée. Enfin, tout pauvre que serait cet unique exemple d'aptitude poétique, on ne peut encore en attribuer complètement soit l'invention, soit la confection, aux Rasènes : car, si Fescennium comptait parmi leurs villes, elle était surtout peuplée d'étrangers, et, en particulier, de Si- cules (I).

Ainsi, privés de besoins et de satisfactions d'esprit, il faut chercher le mérite des Rasènes sur un autre terrain. Il faut les voir agriculteurs, industriels, fabricants, marins et grands; constructeurs d'aqueducs, de routes, de forteresses, de monu- ments utiles (2). Les jouissances et, pour me servir d'une ex« pression devenue technique, les intérêts matériels étaient la grande préoccupation de leur société. Ils furent célèbres, dans, l'antiquité la plus haute, par leur gourmandise et leur goût des plaisirs sensuejs de toute espèce (3). Ce n'était pas unpeu^ pie héroïque, tant s'en faut; mais je m'imagine que, s'il venait à sortir aujourd'hui de "ses tombes, il serait, de toutes les na- tions du passé, celle qui comprendrait le plus vite la partie utilitaire de nos mœurs modernes et s'en accommoderait le mieux. Pourtant l'annexion à l'empirç chinois lui conviendrait davantage encore .

De toutes façons, l'Étrusque semblait un anneau détaché de ce peuple. Chez lui, par exemple, se présente avec éclat cette vertu spéciale des jaunes, le très grand respect du magis- trat (4), uni au goût de la liberté individuelle, en tant que cette liberté s'exerce dans la sphère purement matérielle. Il y a de cela chez les Ibères, tandis que les Illyriens et les Thraces pa- raissent avoir compris l'indépendance d'une manière beaucoup

(1) 0. Muller, ouvr. cité, p. 183. Sur IMncapacité poétique des Étrus- ques, voir Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 88.

(2) 0. Muller, ouvr. cité, p. 260. Abeken, p. 31 et 164, et pass. On trouve des traces de ces travaux de mines si dignes remarque, ethniquement parlant, à Populonia et à Massa Marittima. On en ex- trayait du cuivre.

(3) Idem, ouvr. cité. Les Étrusques employaient les femmes à la divination et aux choses du culte. C'est une coutume finnique, comme on le verra plus bas. Dennis, t. I, p. xxxii.

(4) 0. Muller, die Elrusker, p. 375.

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plus exigeante et plus absolue. On ne voit pas que les popula- tions rasènes, dominées par leurs aristocraties de race étran- gère, aient possédé une part régulière dans Texercice du pou- voir. Cependant, comme on ne trouve pas non plus chez elles le despotisme sans frein et sans remords des États sémitiques, et que le subordonné y jouissait d'une somme suffisante de repos, de bien-être, d'instruction, Tinstinct primordial de ce dernier devait se rapprocher beaucoup plus des dispositions à risolement individuel, qui caractérisent l'espèce fînnique, que des tendances à l'agglomération, inhérentes à la race noire, et qui la privent tout aussi bien de l'instinct de la liberté physi- que que du goût de l'indépendance morale.

De toutes ces considérations, je conclus que les Rasènes, lorsqu'on les dégage de l'élément étranger apporté par la con- quête tyrrhénienne , étaient un peuple presque entièrement jaune, ou, si l'on veut, une tribu slave médiocrement blanche (1).

(1) Abeken, assez empêché de trouver un nom à l'élément étrusque de première formation, l'appelle pélasgique, et, lorsqu'il veut définir ce qu'il entend par ce mot , il ne sait pas s'en tirer autrement qu'en l'ex- pliquant par le mot plus obscur et plus vague encore d'urgriechisch (hellénique primitif. Chez lui, le sens définitif paraît être de rattacher les Étrusques indigènes à la souche ariane. Cette opinion semblera , je n'en doute pas, tout à fait inadmissible. (Abeken, Mittel-Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschaft, p. 24.) Du reste, autant de savants qui se sont occupés de cette question, autant d'avis. Dans l'antiquité, Hérodote fait des Étrusques indigènes un peuple lydien, et la plupart des historiens se rangent à son opinion. Denys d'Hali- carnasse s'en éloigna le premier et les déclara aborigènes, mais sans dire ce qu'il entendait par ce mot. 0. Muller voit en eux une race à part, au milieu des populations italiotes. Lepsius n'admet ni des au- tochtones, ni même plus tard une conquête tyrrhénienne. A ses yeux, l'élément constituUf était formé de peuples umbriques qui, vaincus par des Pélasgés, parvinrent à dominer leurs maîtres, et créèrent ainsi une nouvelle combinaison nationale qui produisit les Étrusques. Sir William Betham assure que les Rasènes, les Tyrrhéniens, et autres f^roupes qu'on distingue dans ce peuple, sont autant de fan- tômes. Il i]'aperçoit que des Celtes, et passe légèrement sur los objections. Son but est de donner une illustre parenté aux Irlandais. Dennis, après avoir énuméré tous ces sentiments si divers, se rallie •purement et simplement à la bannière d*Hérodote. (Dennis, die

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126 DE l'inégalité

J'ai porté un jugement analogue sur les Ibères, différents cependant des Étrusques parle nombre et la quotité des mé- langes. De leur côté, les lUyriens et les Thraces, chacun avec des mœurs spéciales, m'ont présenté de fortes apparences d'alliages finnois. C'est une nouvelle démonstration , mais cette fois a posteriori^ et ce ne sera pas la dernière ni la plus frap- pante, que le fond primitif des populations de l'Europe méri- dionale est jaune. Il est bien clair que cet élément ethnique ne se trouvait pas à l'état pur chez les Ibères, ni même chez les Étrusques de première formation. Le degré de perfection- nement social auquel ces nations étaient parvenues, bien qu'assez humble, indique la présence d'un germe civilisateur qui n'appartient pas à l'élément finnois, et que cet élément a seulement la puissance de servir dans une certaine mesure.

Considérons donc les Ibères, puis, après eux, les Rasènes, les Illyriens et les Thraces, toutes nations de moins en moins mongolisées, comme ayant constitué les avant-gardes de la race blanche en marche vers l'Europe. Elles ont éprouvé avec les Finnois les contacts les plus directs; elles ont acquis au plus haut degré l'empreinte spéciale qui devait distinguer Fen- semble des populations de notre continent de celles des ré- gions méridionales du monde.

La première et la seconde émigration, Ibères et Rasènes, contraintes de se diriger vers l'extrême occident, attendu que le sud asiatique était déjà occupé par des déplacements arians, percèrent à travers des couches épaisses de nations fînnjques déjà éparpillées devant leurs pas. Par suite d'alliages inévita- bles, elles devinrent rapidement métisses, et l'élément jaune domina chez elles.

Les Illyriens, puis les Thraces gravitèrent, à leur tour, sur des chemins plus rapprochés de la mer Noire. Ils eurent ainsi des contacts moins forcés, moins multipliés, moins dégradants avec les hordes jaunes. De là, une apparence physique et une

Stœdte und Begrœbnisse Etruriens, t. I, p. ix et pass.) Niebuhr fait venir les Étrusques indigènes des montagnes Rhétiennes. (Rœmische -Geschichte, in-8°, Berlin, 1811, 1. 1, p. 74 et pass.)

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DES BACES HUMAINES. 127

énergie supérieures, et, tandis que les Ibères et les Rasènes furent destinés de bonne lieure à l'asservissement , les Thraces maintinrent un rang convenable jusqu'au jour beaucoup plus tardif ils se fondirent, non sans honneur encore, dans les populations ambiantes. Quant aux Illyriens, ils vivent aujour- d'hui et se font respecter.

CHAPITRE III.

Les Galls.

Puisque les émigrations des Ibères et des Rasènes , celles des Illyriens et des Thraces ont précédé tout autre établisse- ment des famiUes blanches dans le sud de l'Europe , on doit considérer comme démontré que , lorsque les Ibères ont tra- versé la Gaule du nord au sud , et les Rasènes la Pannonie et un coin des Alpes Rhétîennes, pour gagner leurs demeures connues , aucune nation de race noble n'était sur leur chemin pour leur barrer le passage. Ibères et Rasènes ne formaient que des corps détachés des grandes multitudes slaves déjà établies dans le nord du continent , et que harcelaient en plus d'un lieu d'autres nations parentes , les Galls.

L'ensemble de la famille slave n'ayant joué aucun rôle de quelque importance aux époques antiques, il est inutile d'en ~^arler en ce moment. Il suffît d'avoir indiqué son existence en Espagne, en Italie, et d'ajouter qu'établie fortement au long de la mer Baltique , lans les régions comprises entre les monts Krapacks et l'Oural, et au delà encore, nous apercevrons bientôt quelques-unes de ses tribus entraînées au milieu du torrent celtique. A Texceptionde ces détails que le récit fera naître naturellement, la personnalité de ce peuple restera dans J'ombre jusqu'au moment l'histoire l'amènera tout entier 5ur la scène.

Déterminer, même vaguement , l'époque de l'acheminement

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des GaTls vers le nord et Touest présente des difficultés insur- montables. Voici tout ce qu'on peut dire à sujet :

Au XVII® siècle avant notre ère, on voit les Galls occupés à forcer le passage des Pyrénées, défendu par les Ibères. C'est le premier renseignement positif sur leur existence dans Fouest. Ils occupaient cependant les contrées situées entre la Garonne et le Rhin, et avaient parcouru et possédé les rives du Danube, longtemps avant cette époque.

D'autre part, il n'y a pas de doute qu'en quittant TAsie, ils ne se résignèrent à s'avancer du côté de l'ouest, beaucoup moms attrayant que le sud, et, en outre, occupé déjà par des essaims de peuples jaunes, que parce que les routes méridiona- les leur étaient visiblement fermées et interdites par les encom- brements d'Arians en marche vers l'Inde, l'Asie antérieure et la Grèce. Dès lors, leur arrivée dans l'Europe occidentale , si ancienne qu'on la suppose, est de beaucoup postérieure à l'ap- parition des Arians sur les crêtes de l'Himalaya et des Sémites^ du côté de l'Arménie. Or nous avons à peu près fixé , d'aprè& des données convenables, Tâge de cette apparition à Tan 5000. C'est donc entre cette date et l'an 2000 environ, période de 3,000 ans, qu'il faut chercher l'époque de l'établissement des Celtes dans l'ouest.

La lutte des Ibères et des Galls, du côté de la Garonne,, au XVII® siècle, donne naissance, on l'a déjà vu, au plus an- cien récit des annales de l'Occident. se confirme cette ob- servation que l'histoire ne résulte jamais que du conflit des intérêts des blancs. Nous trouvons les Ibères, gens laborieux, mais relativement faibles , aux prises avec ces multitudes de guerriers hardis et turbulents , qui longtemps firent la loi dans notr^ partie du monde.

Le nom de ces guerriers vient de Gall, fort, j'en rapporte l'origine à une ancienne racine delà race blanche, très recon- naissable encore dans le sanscrit wala ou walya, qui a le même sens. Les nations sarmates et, par suite, les gothiques restèrent fidèles à cette forme , et appelèrent les GdAh fp^alak. Les Slaves altéraient le mot davantage, et en faisaient fVlach, Les Grecs le prononçaient TaXarai ou RéXtot, dont les Romams

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DES RACES HUMAINES. 129

filent Celtx, pour se rabattre ensuite, couramment, à la forme plus régulière Galli (1).

Outre ce nom, les Galls en avaient un autre : celui de Gomer, inscrit dans les généalogies bibliques , au nombre des fils de Japhet (2). On a ainsi la mesure de l'antique notoriété

<1) p. Wachter, Encyl. Ersch u, Gruber, Galli, p. 47. Le bas bre- ton emploie aussi la forme Gallaouet, qui garde bien le t originaire de TàXa-rat. Voir, à ce sujet, les médailles Ton trouve les formes KAAETEAOr, KAAAOX, KAAAX, KAAEAÏ et autres. Vischer, Keltische Mûnzen aus Hunningen, in-4'», Baie, p. 17. —Voir aussi Schaf- ^farik, Slawische Alterth*, t. I, p. 236. Cet auteur indique quelques formes intéressantes du nom : Galedin, que s'attribuaient les Belges et qui est la racine évidente de Caledonia; Gaoidheal, en usage chez .les Irlandais. Les Anglo-Saxons firent de walah le gothique vealh, fidèlement conservé dans notre valet. Les Anglais ont depuis abandonné cette dérivation insultante, pour cette autre, gallant, qui se rattache à. notre vaillant. Ainsi, suivant l'humeur louangeuse ou méprisante de telle tribu de conquérants, la .même racine ethnique a fourni l'é- loge et l'injure. Une autre transformation de Gall, c'est Wallon, ap- pliquée à un peuple de Belgique. Une autre encore, c'est Welche, dans la Suisse française, etc. Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 50 et pass. On observe la trace du nom des Celtes dans certaines appellations de localités modernes, comme ôaus Chaumont = Kaldun, la der- nière syllable est traduite; dans Châlons, dans l'expression pays de Caux. Voir aussi la longue et savante dissertation de P.-L. Dieffen- bach, Celtica II, in-S", Stuttgart, 1840, l'-e Abth., p. 9 et seqq., qui me paraît épuiser la matière.

(2) ")D2l. Les Arméniens, en transcrivant ce mot dans leurs chroni- ques, en ont fait Garnir. Je n'ose décider s'ils le possèdent directement ou s'ils l'ont simplement emprunté à des traditions étrangères. Ce- pendant la première hypothèse est d'autant plus soutenable qu'ils étaient eux-mêmes alliés de très près aux Celtes. Il y a plus : à exa- miner le nom que la Bible leur a appliqué à eux-mêmes, ils ne sont qu'une branche détachée de ces Gomers ou Gamirs; ils s'appellent dans la Genèse (X, 3) , Thogarma, nDl^H et sont les propres fils de Gomer. C'est ici le lieu de dire quelques mots de la généalogie japhétide. La chronique mosaïque ne la pousse pas très loin , et n'entend évidem- ment donner, à ce sujet, qu'un renseignement tout à fait fragmen- taire. Il n'est question ni du gros des peuples zoroaslriens , ni, à plus for|e raison, des Hindous. Je ne signale que les deux lacunes les plus apparentes. En tête des fils de Japhet se trouve Gomer. C'est dobc, dans la pensée biblique, le peuple le plus important, le plus consi- ^dérable de la famille , par la puissance et par le nombre. Au temps d'Ézéchiel, on pensait encore de même à Jérusalem, et le prophète

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130 DE l'inégalité

d'un si puissant rameau de la famille blanche. A cette période très ancienne, les populations sémitiques étaient encore accumulées dans les montagnes de TArménie , et s'adossaient au Caucase, elles ont pu, sans doute, entretenir des relations

s*écriait : « Gomer et toutes ses ti'oupes, la maison de Thogarma, les flancs de TAquilon et toute sa force et ses peuples nombreux. » (38, 6.> Ainsi les Celtes unis aux Ai'méniens , comme ne formant qu'une seule race, c'est pour les Hébreux la grande nation japhétide. Après elle vient Magog. Ce sont les peuples de la région caucasienne , probable- ment arians, Gop' étant la transcription sémitique de Tarian kogh. Le livre saint les place dans un rapport d'apposition ou d'opposition avec Gomer : car le chef qui doit conduire les armées cimmériennes s'appelle Gog. Il n'y a pas hostilité entre Gog et Magog. (Ézéch. 38, 2, 3, 4.) C'est le premier qui doit commander Magog tout comme Gomer. En con- séquence, je vois dans Magog une nation géographiquement voi- sine des Cimmériens , une nation de la même souche , blanche comme eux, pouvant se réunir à eux; je vois dans Magog des Slaves, et ne crois pas qu'on soit fondé à y voir autre chose. Après ce peuple s'offre Madaîy qui s'explique aisément : ce sont les Médes, cette frac- tion des Zoroastriens , la plus anciennement connue, la seule connue même des Chamites noirs et des premiers Sémites (t. I, p. 469). Il est naturel que la Genèse ne cite qu'elle. Après Madaï se trouve Javan, J'ai montré ailleurs (voir t. I«') les différentes destinées de ce mot. On ne saurait lui attribuer ici un autre sens que celui d*occidentaL Ainsi Javan n'indique ni les Ioniens ni les Grecs, mais seulement des populations établies à l'ouest de la Palestine, soit qu'on entende par le nord, le nord-ouest ou simplement l'ouest. Thubal suc- cède à Javan. Les commentateurs y voient un peuple insignifiant dans le Pont, les Tibaréniens. Il en est de même pour Meschesch, placé entre l'Ibérie, l'Arménie et la Colchide. Ces deux groupes ont pu avoir, très anciennement, une importance qui se dissipa dans les siècles suivants comme celle des Thiras, des Thraces, dont j'ai suffisamment parlé en leur lieu. Ce dernier nom clôt la liste des produits de la première génération de Japhet. Après eux viennent les fils de Gomer et les fils de Javan, c'est-à-dire les branches de la famille les moins inconnues. Les fils de Gomer sont Thogarma dont j'ai déjà fait men- tion, les Arméniens^ cités (X, 3) les troisièmes et que je cite les pre- miers pour en finir avec eux, puis Aschkenas et Riphath. Aschkenas ne s'est prêté jusqu'ici à aucune explication. RosenmuUer incline à y voir une peuplade quelconque entre l'Arménie et la mer Noire. Il me semble que c'est supposer que la géographie biblique s'appesantîtv bien inutilement sur une région qui ne lui tenait pas fort à cœur et elle avait déjà mis suffisamment d'habitants, si c'est à bon droit qu'on y place déjà Thubal et Meschesch. Puisque les Aschkenas sont

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DES BAGES HUMAINES. 131

directes avec Jes Celtes ou Gomers, dont plusieurs nations vivaient alors sur les côtes septentrionales de la mer Noire^ Cependant il est également probable que les Celtes avaient eu' des contacts avec les Sémites dès avant cette époque. Les ré- dacteurs de la Genèse ont puisé , sans doute , plus d'un rensei-

des fils de Gomer, des Celtes véritables, et que Gomer lui-même, c'est- à-dire la souche de la nation, a déjà été reconnu dans son plus ancien gîte, sur la côte de la mer Noire, le parti le plus simple serait peut- être d'admettre qu'Aschkenas représente les groupes de même sang placés plus à Touest, indéfiniment, peut-être les Slaves. Quant à Ri- phath, les habitants des monts Riphées, ce sont encore des Celles, s'allongeant du côté du nord dans des contrées froides, montagneuses, vaguement entrevues, et se confondant au milieu des Carpathes avec les Aschkenas. Si les fils de Gomer paraissent assez difficiles à re- connaître, ceux de Javan, Voccidentalf ne le sont pas moins, comme le promettait, du reste, le nom de leur père. Ils apparaissent au nombre de quatre : Élischahy les habitants de la Grèce continentale, soit ceux de TÉlide, soit ceux d'Eleusis, non pas des Hellènes, mais, beaucoup plus vraisemblablement, des aborigènes, Celles et Slaves. (Voir plus bas, chap. IV.) Tharschisch, les Ibères d'Espagne et, peut-être aussi, des îles voisines. Kittim^ dans l'hypothèse la plus ordinaire, les ha- bitants de Chypre et des archipels grecs; mais j'en doute, les pre- miers colons de ces îles paraissant avoir été des Sémites. Enfin, Dodanim, les gens de l'Épire, par conséquent les Illyriens. Consulter, entre autres, à ce sujet, Rosenmuller, Biblische Géographie, in-8"^ Berlin, 1823, t. I, p. 224 pass.; plus récemment Delitsch, die Genesis, p. 284 et sqq. ; et Knobel, Giessen , 1830. M. Richers a également public un livre sur ce sujet, mais je ne l'ai pas eu entre les mains. On peut tirer de ce qui précède les conclusions suivantes : la géographie japhétide de la Genèse, basée sur les souvenirs antiques des Chamites et les connaissances acquises, très peu nombreuses, des Sémites de Chaldée , n'embrasse pas , tant s'en faut , tout l'ensemble des nations blanches du nord. Les Arians n'y figurent que par l'individualité mé- dîque, les races du Caucase, les Thraces, et une combinaison ethni- que au second degré, les Illyriens. On peut distinguer trois parties dans le détail ; 1" les noms de Gomer, de Magog, ôeThubal, de Mes- cheschy de Thiras et d'Aschkenas , sont des appellatifs patronymiques donnés à des peuples. Ils représentent probablement les produits de la plus ancienne tradition. Les mots Javan , Kittim et Dodanim sont des noms collectifs de peuples , acquis après le temps des pre- mières migrations. 3" Ceux de Madaï, Riphath, Thogarma, Élischah et Thraschisch, véritables dénominations géographiques, indiquent des contrées plutôt que des peuples, et résultent d'une connaissance topographique déjà plus expérimentée.

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gnement cosmogonique et historique dans les annales des Chananéens (1), mais rien ne s'oppose à ce qu'ils aient eu les moyens de compléter ces récits par des souvenirs qui leur étaient propres , et dont la source remontait à l'âge toute Tespèce blanche se trouvait rassemblée au fond delà haute Asie.

Ces Gomers, connus traditionnellement des nations chana- néennes du sud , le furent plus directement des Assyriens. Il y eut, à la fin du xiii® siècle, entre les deux peuples, des conflits et des mêlées. Inhabiles à laisser à la postérité des monuments de leurs triomphes, les Celtes en perdirent la mé- moire; mais leurs rivaux asiatiques, plus soigneux, ont gardé des traces d'exploits dont ils s'honoraient. M. le lieutenant- colonel Rawlinson a trouvé très fréquemment dans les inscrip- tions cunéiformes le nom des Gumiris, entre autres, sur les pierres de Bisoutoun (2). C'est donc dans l'Asie occidentale que se rencontrent les premières mentions du peuple qui de- vait se répandre le plus loin en Europe.

Outre la Bible et les témoignages assyriens , l'histoire grec- que aussi parle l'invasion cimmérienne au temps de Cyaxa- res (3). Ces Cimmériens, ces Gumiris , qui firent alors tant de mal, et furent si rapidement dispersés par les Scythes, nous les suivons, dès lors, au delà de l'Euxin ils retournent , et, montant avec eux vers l'ouest et le nord-ouest, nous ne per- dons plus de vue leurs vastes pérégrinations.

Ils s'enfoncent jusqu'aux contrées voisines de la mer du Nord, et y portent leur nom de Kimbr ou Cimri (4). Ils oc-

(1) T. I, p. 441.

(2) L*-col. Rawlinson, Memoir on the babylonian and assyrian Ins- criptions, 4851, p. XXI.

(3) T. II , p. 379.

(4) La nationalité celtique des plus anciens Cimbres n*est pas con- testable. Ils nommaient l'Océan, sur les bords duquel ils résidaient, Uori-Marusa. Ce sont deux mots kymriques qui veulent dire mer morte. Ils lui donnèrent aussi le nom de crow , reproduit en latin dans la forme cronium^ autre expression kymrique qui signifie glacé. Lors- qu'ils vinrent attaquer Marins, un de leurs chefs se nommait Boioricc ou le chef boïen, et, les Boïens étant des Galls incontestables, il n'y aurait aucun motif qui eût pu porter un guerrier cimbre à prendre

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capentla Gaule, et lui font connaître les Kymris. Ils s'éta- blissent dans la vallée du Pô, et y répandent la gloire des Umbri, des Ambrones (1). En Ecosse, on connaît encore le clan de Cameron ; en Angleterre , l'Humber et la Cambrie ; en France, les villes de Quimper, de Quimperlé, de Cambrai, comme, dans les plaines du pays de Posen, le souvenir des Ombrons est resté attaché , jusqu'à nos jours, à un territoire nommé Obrz (2).

On a pensé que ce nom de Gumiri , de Kymri , de Cimbre^ pouvait indiquer une branche de la famille celtique, différente de celle des Galls, de même que dans les Celtes on ne savait pas reconnaître ces derniers. Mais il suffît de considérer com- bien les deux dénominations de Ga// et de A^mn s'appliquent souvent aux mêmes tribus, aux mêmes peuplades, pour aban- donner cette distinction. D'ailleurs, les deux mots ont le même sens ou à peu près : si Gall veut dire fort, Kymri signifie vaillant (3).

En réalité, il n'existe aucun motif de scinder les masses celtiques en deux fractions radicalement distinctes , mais on n'aurait pas moins tort de croire que toutes les branches de la famille aient été absolument semblables. Ces multitudes, accu- mulées des rives de la Baltique et de la mer du Nord (4) au

un titre celtique, s'il n'avait pas été Celte lui-même. On retrouve encore à côté de ce même Boïorix un Lucius ou mieux Luk^ et ce nom, très connu des Latins, leur avait été transmis par les Umbres Celtes de la péninsule italique; il était donc gallique comme ses possesseurs.

(1) C'est une règle celtique que le k et le g, deux lettres qui parais- sent avoir été tout à fait confondues dans la prononciation , s'efifacent souvent devant une voyelle. Aufrecht et Kirchhoflf, Die umbrischen Sprachdenkmesler, Lautlehre^ p. 15 et pass. Il y en a beaucoup d'exemples : gwiper, vipère; win et gwiny vin; gwir et fire, vrai; gwell, devenu l'anglais well; alon et galon ^ étranger ^ etc.

(2) Schaffarik, ouvr. cité y t. I, p. M.

(3) M. Amédée Thierry, Eist, des Gaulois » t. I, Introduction. Le nom est resté dans le danois Kiemper^ avec la signification de conv- battant. Sal verte, Essai sur V origine des noms d hommes, dépeuples

■et de lieux t 4821, in-S", Paris, t. II, p. 108.

(4) Je n'affirme nullement que l'inondation celtique se soit arrêtée au Danemark. « Dans le Nord (dit Wormsaae), c'est une opinion

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détroit de Gibraltar, et de rirlande à la Russie (l), différaient notablement entre elles, suivant qu'elles s'étaient plus ou moins alliées ici aux Slaves, aux Thraces et aux Illyriens, partout aux Finnois. Bien qu'issues originairement d'une même souche, elles n'avaient souvent conservé qu'une sim- ple et lointaine parenté dont l'identité de langue, altérée d'ailleurs par des modifications infinies de dialectes, était l'insigne. Du reste , elles se traitaient à Toccasion en rivales et en ennemies, ainsi que plus tard on vit les Franks austrasiens guerroyer, en toute tranquillité de conscience, contre les Francs neustriens. Elles formaient donc des réunions politiques pleinement étrangères les unes aux autres (2).

Qu'elles aient appartenu à la race blanche dans la partie originelle de leur essence, il n'y a pas à en douter. Chez elles, les guerriers avaient une carrure solide, des membres vigou- reux et une taille gigantesque (3) , les yeux bleus ou gris ^ les

« fort répandue que les Celtes ont habité la Scandinavie méridionale , « et, à défaut de renseignements historiques, on se fonde sur la res- « semblance des armes, des instruments et des bijoux en bronze et « en or, trouvés dans nos tumulus^ avec ceux qui ont été découverts a en Angleterre et en France. Cette opinion a des partisans en Norwège, a et les historiens de ce pays l'ont tenue pour démontrée. » Lettre à M. Mérimée , Moniteur du 14 avril 1853. Voir aussi Munch , ouvr. cité, p. 8.

(1) En établissant les différents flux et reflux de la famille slave , Schafifarik donne d'excellentes indications sur l'étendue des établis- sements celtiques , principaux compétiteurs des Wendes. Un des points qui ressortent le mieux de cet examen, c'est que, sur plus d'une frontière, il est fort difficile de distinguer les deux groupes. ( Schaf- farik, ouvr. cité, t. I, p. 56, 66, 89, 104, 207, 379.)

(2) La monnaie d'or que frappaient les États celtiques n'avait cours que sur le territoire spécial de chaque nation, parce que le titre en était toujours particulier. Bien que cette observation ne puisse s'ap- pliquer qu'au iv® siècle avant Jésus-Christ, comme cette époque est un temps d'indépendance bien complète pour les peuples celtiques , je conclus qu'il y a une preuve à ajouter à toutes celles qui , par ailleurs, témoignent de Tisonomie respective des différents peuples kymriques. Mommsen, Die nordetruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zurich, VH B., 8Heft, 1853, p. 263.

(3) Wachter, ouvr. cité, p. 64. .

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cheveux blonds ou rouges. C'étaient des hommes à passions turbulentes ; leur extrême avidité , leur amour du luxe, les fai- saient volontiers recourir aux armes. Ils étaient doués d'une compréhension vive et facile, d'un esprit naturel très éveillé, d'une insatiable curiosité, très mous devant l'adversité, et, pour couronner le tout, d'une redoutable inconsistance d'hu- meur, résultat d'une inaptitude organique à rien respecter ni à rien aimer longtemps (1).

Ainsi faites , les nations galliques étaient parvenues de très 1)onne heure à un état social assez relevé , dont les mérites comme les défauts représentaient bien et la souche noble d'où ces nations tiraient leur origine, et l'alliage finnois qui avait modifié leur nature (2). Leur établissement politique présente le même spectacle que nous ont donné, à leurs origines, tous les peuples blancs.

Nous y retrouvons cette organisation sévèrement féodale et ce pouvoir incomplet d'un chef électif en usage chez les Hin- dous primitifs , chez les Iraniens , chez les Grecs homériques, chez les Chinois de la plus ancienne époque. L'inconsistance de l'autorité et la fierté onabrageuse du guerrier paralysent souvent l'action du mandataire de la loi. Dans le gouverne- ment des Galls, comme dans celui des autres peuples issus de la même souche , pas de vestiges de ce despotisme insensé d'une table d'ab'ain ou de pierre, forte de l'abstraction qu'elle

(1) César a ainsi dépeint les Gaulois en politique qui, prétendant «e servir d'eux, voulait connaître et leur fort et leur faible. (Liv. Il, 30; IV, 6, et VII, 20.)— Strabon, les jugeant en littérateur désintéressé, est beaucoup plus indulgent. Il trouve les Gaulois bonnes gens et sans malice, ne se fâchant que quand ils sont les plus forts, et se lais- sant, du reste, persuader aisément. (Strab., IV, 4, 2.)

(2) Schaffarik, après avoir déclaré qu'il considère les Celtes comme le premier des peuples blancs établis en Europe, ajoute : < Déjà, dés ^ les temps les plus anciens, ils étaient non seulement riches et « puissants à l'extrême , mais encore extraordinairement cultivés (un- « gewœhnlich gebildet). Us occupaient un tiers de l'Europe, et, du « in« au siècle avant notre ère, ils s'étendaient d'un côté jusqu'à « la Vistule, de l'autre, sur le bas Danube, jusqu'au Dniester. » Slawische Aller thûmer, t. I, p. 89. Il montre, en plus d'un pays les Slaves dominés par les Celtes , et vivant en sujets au milieu d'eux.

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représente, aberration si familière aux républiques sémitiques. La loi était assez flottante, médiocrement respectée ; la préro-^* gative des chefs incertaine. En un mot, le génie celtique main- tenait ces droits hautains que Félément noir détruit partout il parvient à s'introduire.

Qu'on ne prenne pas ici le change en attribuant à un état de barbarie ces instincts peu disciplinables et cette organisation tourmentée. On ji'a qu'à jeter les yeux sur la situation politi- que de l'Afrique actuelle pour se convaincre que la barbarie la plus radicale n'exclut pas, dans les sociétés, un développe- ment monstrueux du despotisme. Être libre, être esclave, à un moment donné, ce sont des faits qui dérivent souvent, pour un peuple , d'une série de combinaisons historiques fort* longues; mais, avoir une prédisposition naturelle à l'une ou à l'autre de ces situations, ce n'est jamais qu'un résultat ethni- que. Le plus simple examen de la manière dont les idées so- ciales sont distribuées parmi les races ne permet pas de s'y tromper.

A côté du système politique se place naturellement le sys- tème militaire. Les Galls ne combattaient pas au hasard. Leurs armées, à l'image de celles des Arians Hindous, étaient com- posées de quatre éléments, l'infanterie (1), la cavalerie, les chariots de guerre (2) et les chiens de combat, qui tenaient la place des éléphants (3). Ces troupes agissaient suivant les lois d'une stratégie sans doute médiocre, si l'on veut la considérer au point de vue perfectionné de la légion romaine, mais qui n'avait rien de commun avec l'élan grossier de la brute se pré- cipitant sur sa proie. On en peut juger d'après la manière in-

(1) Ils avaient des archers excellents. (Caesar, Comment, de Bello Gall, vu, 31.)

(2) Le char de guerre, covinus, était, comme celui des Assyriens,, des Grecs homériques et des Hindous, monté par un guerrier et con- duit par un écuyer. Fréquemment le guerrier, après avoir lancé se* javelots, mettait pied à terre pour combattre corps à corps. C'est absolument la même tactique que nous avons déjà observée en Asie. (César, ouvr, cité y IV, 36.)

(3) Strabon, IV, 2.

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telligente dont furent conduites les grandes invasions celtiques et le mode d'administration établi par les conquérants dans les pays occupés, régime original qui n'empruntait que des détails aux usages des vaincus. La Gallo-Grèce présente ce spectacle.

Les armes des Kymris étaient de métal (1), quelquefois de pierre, mais, en ce cas, très finement travaillées au moyen r d'outils de bronze ou de fer. Il semblerait même que les épées \ et les haches de cette dernière espèce, qu'on a trouvées dans des tombes, étaient plutôt emblématiques ou vouées à des usa- ges sacrés qu'à un emploi sérieux. A la même catégorie ap- partenaient, incontestablement, des glaives et des masses d'ar- mes en argile cuite, richement dorées et peintes, qui peuvent avoir eu qu'une destination purement figurative (2). Du reste, il est bien probable aussi que les hommes de la plèbe la plus pauvre se faisaient arme de tout. Il leur était meilleur mar- ché et plus facile d'emmancher un caillou percé dans un bâton que de se procurer une hache de bronze. Mais ce qui étabht d'une manière irrécusable que cette circonstance n'impUque nullement l'ignorance générale des métaux et l'inhabileté à les travailler, c'est que les langues galliques possèdent dès mots propres pour dénommer ces produits, des mots dont on ne rencontre l'origine ni dans le latin, ni dans le grec, ni dans le phénicien. Si tels de ces vocables ont une affinité marquée avec leurs correspondants helléniques, ce n'est pas à dire qu'ils aient été fournis par les Massaliotes. Ces ressemblances prou- vent seulement que les Arians Hellènes, pères des Phocéens et les aïeux des Celtes, étaient issus d'une race commune.

Le fer s'appelle ierne, irne, uirn, jarann; le cuivre co- par, et c'était le métal le plus en usage chez les Galls pour la fabrication des épées; le plomb, luaid; le sel, hal, sal (3).

(1) Keferstein, Ansichten ûber die kelHschen Aller thûmer, 1. 1, p. 324 et pass. Worrasaae, Primeval antiquities of Denmark, p. 23 et puss.

(2) Ibidem. Wormsaae donne la gravure d'une hache de ceUe espèce, qui est d'une grande élégance. {Ouvr. cité, p. 39.)

(3) Keferstein, t. Il, Erste Abtheilung, Verzeichniss. Les mois em-

8.

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Toutes ces expressions sont entièrement galliques , et c'est un témoignage qu'on ne peut récuser de l'antiquité du travaO des métaux chez les Kymris. Il serait d'ailleurs bien étrange, on en conviendra , que dans cet Occident les Ibères étaient en possession de l'art du mineur, les Étrusques indigènes avaient le même avantage, les Galls en eussent été privés, eux, venus les derniers du pays du nord-est, terre classique, terre na» taie des forgerons.

Les monuments des deux âges de bronze et de fer ont fourni une énorme quantité d'outils divers, qui donnent encore, une haute idée de l'aptitude des nations celtiques au travail du minerai. Ce sont des épées, des haches, des fers de lance, des hallebardes, des jambards, des casques, le tout d'or ou doré, de bronze ou d'argent, ou de fer, ou de plomb, ou de zinc;

ployés aujourd'hui dans Tart du mineur ont souvent l'avantage de fournir des notions fort anciennes. Keferstein fait cette réflexion pour TAUemagne, et retrouve dans la langue actuelle des travailleurs sou- terrains du Harz des formes et des racines essentiellement celtiques, qui, en même temps que les procédés et les outils auxquels on les applique, ont passé des Galls aux métis germaniques. Quant à Té- tymologie des noms de métaux, on peut remarquer que le mot cel- tique aes, aïs, qui devient dans le breton aren et dans le latin aes, avec la flexion aerîs, ne désigne pas proprement du bronze, mais bien, par excellence, le métal le plus dur. C'est à ce titre seulement qu'on le trouve employé dans la plus haute antiquité pour désigner le bronze. Le sanscrit le possède sous la forme ayas ou ayasa, et lui donne le sens de fer. L'allemand a de même Eisen, dérivé du goiiii- que eisarn. L'anglo-saxon a iren, l'anglais iron, l'irlandais iarn. Nous avons ici le celtique ierne, et Ton peut voir que dans la forme jarann il n'est pas trop loin à*aren. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 243 et pass. -— Voir sur le sens de la racine primitive les recherches très curieuses de Dieffenbach , Vergleichendes Wœrterbuch der gothis- chen Sprache, in-S", Frankfurt a. M., 1851, t. I, p. 14, 15, n" 18. La signification de dur paraît être ici en corrélation avec l'idée de /bw- damental. Il résulte aussi de ce mot plusieurs applications plus ou moins directes, comme celles de métal en général, de richesses, d'armes, harnais ^ harnisch. On le découvre non seulement dans le sanscrit, les langues celtiques et gothiques, mais aussi dans le pous- chtou ou afghan, le grec, le baloukî, l'ossète, et on l'aperçoit jusque dans le chaldéen ^a^J^n, asina, hache. On le remarque dans les lan- gues slaves, avec une forme qui le rapproche de certains dialectes galliques.

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DES RACES HUMAINES, 139

des baudriers, des chaîaes précieuses, destinées aux hommes pour suspendre leurs glaives, et aux femmes pour attacher les clefs de la ménagère ; des bracelets de fil de métal tourné en spirales, des broderies appliquées sur des étoffes, des sceptres, des couronnes pour les chefs, etc. (1).

Les Galls pratiquaient la vie sédentaire. Ils vivaient dans de grands villages qui devenaient souvent des villes considé- rables. Avant l'époque romaine, plusieurs des capitales de leurs nations les plus opulentes avaient acquis un degré notable de puissance. Bourges comptait alors quarante mille habitants (2). On peut juger, d'après ce seul fait, si ces cités étaient à dédai- gner quant à leur étendue et à leur population (3). Autun, Reims, Besançon, dans les Gaules, Carrhodunum, en Pologne, bien d'autres bourgades, n'étaient certainement pas sans im- portance et sans éclat (4).

L'antiquité latine nous a parlé de la forme des maisons. On en possède en France et dans l'Allemagne méridionale (5) de nombreux restes. Ce sont ces sortes d'excavations connues des antiquaires sous le nom de margelles. Plusieurs mesurent cent pas de tour. Elles sont rondes et toujours réunies deux par deux. L'une servait d'habitation, l'autre de grange. Quel- ques-uns de ces emplacements semblent avoir porté un mur de soutènement en pierres, sur lequel s'élevait la bâtisse faite de planches et de torchis, souvent recouverte de plâtre. Les Galls usaient volontiers, dans leurs constructions, de la com- binaison de la pierre ou du mortier avec le bois (6). Ces vieil-

(1) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 330 et pass.

(2) Caesar, de Bello Gallico, VII, 28.

(3) Les Celtes de Bourges, avant de s'insurger, brûlèrent, en un seuljour, vingt de leurs villes qu'ils ne se jugeaient pas en état de défendre. Il s'en faut qu'aujourd'hui le Berry soit aussi peuplé.

(4) Carrhodunum était dans le voisinage de Cracovie. Une autre ville celtique de la Pannonie rappelle le nom des Carnutes du pays char- train, c'est Carnuntum. (Schaffarik, t. I, p. 104.)

(5) On en a trouvé également dans le Brunswick et en Suisse, une première fois près de Bâle, plus tard dans les Grisons. (Keferstein, t. I, p. 292.)

(6) Ils appliquaient même fort habilement ce système à l'architec- ture militaire. César loue beaucoup leur façon de construire certains

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140 DE l'inégalité

les maisons, si communes encore dans presque toutes nos villes de province, comme en Allemagne, et formées de char- pentes apparentes, dont les intervalles sont remplis de pierres pu de terre, sont des produits du système celtique.

Rien if indique que les habitations aient comporté plusieurs^ étages. Elles ne semblent pas avoir eu beaucoup de luxe à rin- térieur. Les Celtes recherchaient plus que le beau, le bien- être.

Ils avaient des meubles travaillés en bois avec assez de soin ,^ des ouvrages d'os et d'ivoire, tels que peignes, aiguilles de tête, cuillers, dés à jouer, cornes servant de vases à boire ; puis des harnais de chevaux garnis et ornés de plaques de cuivre ou de bronze doré, et surtout un grand nombre de vases de tou- tes formes, tasses, amphores, coupes, etc. Les objets en verre n'étaient pas moins communs chez eux. On en trouve de blancs et de coloriés en bleu, en jaune, en orange. On a aussi de& colliers de cette matière. On veut que ces ornements aient servi d'insignes au sacerdoce druidique pour distinguer les de- grés de la hiérarchie (1).

La fabrication des étoffes avait lieu sur une grande échelle.. On a découvert souvent, dans les tombeaux, des restes de drap de laine de différents degrés de finesse, et on sait, par les. témoignages historiques, que les Celtes, s'ils étaient fort em- pressés à se chamarrer de chaînes et de bracelets de métal, ne l'étaient pas moins à se vêtir de ces étoffes bariolées dont les tartans écossais sont un souvenir direct (2).

De très bonne heure, cet amour des jouissances matérielles

remparts. (Comm. de Bello GalL, VII, 23.) En général, les traducteurs- rendent mal ce passage. Un historien de la ville d'Orléans me paraît l'entendre mieux. Voici sa version : « Ces poutres sont placées à deux. « pieds l'une de l'autre à angle droit avec le parement du rempart. Du « côté de la ville, elles sont liées à l'aide de terres extraites du fossé; « à l'extérieur, de grandes pierres remplissent l'intervalle qui les- « sépare, Sur cotte première assise on en établit une seconde, alter- « nant en échiquier avec les pierres, et ainsi de suite. » (L. de Buzon- nière, Histoire architecturale de la ville d'Orléans, 1849, in-8®, 1. 1, p. 2.)

(1) Keferstein, ouvr. cité, t. I, p. 32î et pass.

(2) Tacite les décrit très bien, d'un seul mot : il nonime le sagum- celtique, versfco?or. (Hfs^or., II, 20.)

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DES BACES HUMAINES. 141

avait porté les Celtes au travail, et du travail productif naquit le goût du commerce. Si les Massaliotes prospérèrent , c'est qu'ils trouvèrent dans les populations qui les entouraient, et dans celles qui couvraient derrière eux les pays du nord , un instinct mercantile qui, à sa façon, répondait au leur, et que cet instinct avait créé de nombreux éléments d'échange. Il avait aussi à sa disposition des moyens de transport abondants et faciles. Les Celtes possédaient une marine. Ce n'étaient pas les pirogues misérables des Finnois, mais de bons vaisseaux de haut bord, bien construits et solidement membres, armés d'une forte mâture et de voiles de peaux , souples et bien cou- sues. Ces navires, dans Topinion de César, étaient mieux en- tendus pour la navigation de l'Océan que les galères romaines. Le dictateur s'en servit pour la conquête de l'île de Bretagne, et put les apprécier d'autant mieux que, dans la guerre contre les Vénètes, il s'en fallut de peu que sa flotte ne succombât à la supériorité de celle de ce peuple. Il parle aussi avec admi- ration de la quantité de bâtiments dont disposaient les nations de la Saintonge et du Poitou (1).

De sorte que les Celtes avaient sur mer un puissant instru- ment d'activité et de fortune. Pour tant de raisons, leurs villes. peu brillantes, étant d'ailleurs grandes, populeuses et bien pourvues de richesses de tout genre , le caractère belli- queux de la race leur faisait courir de fréquents dangers. La plupart étaient fortifiées , et non pas sommairement d'une pa- lissade et d'un fossé, mais avec toutes les ressources d'un art d'ingénieur qui n'était pas méprisable. César rend justice au talent des Aquitains gaulois dans l'attaque des places au moyen de la mine. Il n'est pas à croire que les Celtes, habiles aux travaux souterrains , comme les Ibères, fussent plus maladroits que ces derniers dans l'application militaire de leurs connais- sances (2).

Les défenses des villes étaient donc très fortes. Elles consis-

,1) De Bello GalL, III, 8, 9, 11.

(2) César dut renoncer à prendre Soissons, à cause de la largeur de ses fossés et de l'élévation de ses murailles. (De Bello GalL, II, 12.)

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142 DE l'inégalité

taient en murs de bois et de pierres ainsi disposés, que, tandis que les poutres paralysaient remploi du bélier par leur élas- ticité, les moellons mettaient obstacle à Taction du feu (1). Outre ce système, il y en avait un autre , probablement beau- coup plus ancien encore et dont on a trouvé de bien curieux vestiges en plusieurs endroits du nord de TÉcosse ; à Sainte- Suzanne, à Péran, en France; à Gôrlitz , dans la Lusace. Ce sont de gros murs dont la surface , mise en fusion par l'action du feu, s'est recouverte d'une croûte vitrifiée qui fait du tra- vail entier un seul bloc d'une dureté incomparable (2). Ce mode de construction est si étrange que longtemps on a douté qu'il fût à Faction de l'homme , et on l'a pris pour un pro- duit volcanique, dans des contrées qui d'ailleurs ne révèlent' pas une seule trace de l'existence de feux naturels. Mais on ne peut nier l'évidence. Le camp de Péran montre ses substruc- tions vitrifiées sous une maçonnerie romaine, et il n'est pas douteux que ce genre impérissable de travail ne soit l'ouvrage des Celtes. L'antiquité en est certainement des plus reculées. J'en vois la preuve dans ce fait, qu'au temps des Romains l'Ecosse était tombée en décadence , et que de tels monuments dépas- saient, de toutes façons, ses besoins et les ressources dont elle disposait. On doit donc les attribuer à une époque la population calédonienne n'avait pas encore subi , à un point dégradant, le mélange avec les hordes finniques qui l'entou- raient (3).

(1) Bourges avait aussi des tours revêtues de cuir. ( Caesar, VII , 22.)

(2) Keferstein, t. I, p. 286. Geslin de Bourgogne, Notice sur l'en- ceinte de Péran , extrait du XVIII® volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de France, p. 6 et sqq., et 39.

(3) Au premier siècle avant notre ère, l'Angleterre proprement dite comptait deux espèces de populations celtiques ; l'une qui se disait autochtone , et qui habitait l'intérieur des terres ; l'autre était due à une immigration successive de Belges ou Galls germanisés, qui eut lieu vers le vii« siècle de Rome. (Caesar, de Belle GalL, V, 12.) C'est à ces conquérants qu'appartiennent les monnaies celtiques de l'Angle- terre. Ces restes numismaliques sont imités de ceux que l'on trouve depuis la Schelde jusqu'à Reims et à Soissons. Le type primitif en est le statère macédonien. On possède dans ce genre des exemplaires fort grossiers d'une monnaie d'or, marqués du cheval à gorge four^

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Des murs vitrifiés , construits en grosses pierres , supposent l'existence de l'architecture fragmentaire. En effet, les Celtes, fort différents des peuplades jaunes , ne se bornaient pas à juxtaposer des quartiers de roches énormes; ils élevaient, Tun sur Tautre , des blocs polygones qu'ils conservaient bruts , afin,

chue, pesant de 6,1 gr. à 5,4 gr. -- Mommsen, Die nord-etruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in Zurich, vn B., 8 Heft, 1813, p. 245. Les Celtes de Fintérieur de rAngleterre étaient devenus fort barbares. Ils allaient vêtus de peaux de bêtes. La polyandrie était presque générale parmi eux. Us avaient déjà, en se mêlant aux Belges immigrés, communiqué à ceux-ci l'usage de se peindre le corps. Ces derniers les surpassaient de beau- coup par le raffinement des habitudes et par les richesses. Une po- pulation semblable à celle des Bretons de l'intérieur de l'île, et peut- être plus avilie encore, c'étaient les Irlandais. On peut admettre comme vraisemblable qu'à une époque fort ancienne leur île avait reçu quelques colonisations phéniciennes et carthaginoises; mais, d'après ce qu'on a Vu en Espagne d'établissements semblables, il est douteux que l'influence en ait dépassé les limites du comptoir. Toute- fois M. Pictet pense avoir découvert dans l'erse des traces sémitiques. Peut-être encore y a-t-il eu des immigrations ibériques ou plutôt eeltibériennes. Quoi qu'il en soit, Strabon dépeint les Irlandais comme des cannibales, mangeant leurs parents âgés. Diodore de Sicile et saint Jérôme racontent d'eux les mêmes choses. Les traditions locales avec leurs colonies antédiluviennes , commandées par César, leur Par- tholan, cinquième descendant de Magog, fils de Japhet, leur Clanna, leur Nemihidh, parents de ce héros, leurs Fir-Bolgs, tous originaires Thrace, enfin leurs Milésiens, fils de Mileadh, venus d'Egypte en Espagne, et d'Espagne en Irlande, sont trop évidemment influencées par des romanciers bibliques et classiques pour qu'on puisse leur accorder beaucoup d'antiquité et, par suite, de confiance. C'est le pendant des histoires de France commençant à Francus, fils d'Hec- tor. Il paraît certain que l'île n'a commencé à se relever que vers le iv« siècle de l'ère chrétienne. Elle avait alors une marine. Dief- fenbach, Celtica II, Abth. 2, 371 et seqq., est peut-être l'écrivain le plus complet sur cette matière ardue, qui constitue un des chapitres des chroniques celtiques sur lesquels il a été débité le plus de folies et les extravagances les plus monstrueuses. Pour faire juger de l'es- prit de ceux qui les ont mises en œuvre, je ne citerai qu'un trait : partant de ce point, que Flrlande est une terre sacrée, qualité qu'en eff'et lui reconnaissaient les Druides , et qu'ont ensuite maintenue pour elle les Sculdées chrétiens, O'Counor raconte, dans ses Proleg., II, 75, que, de l'avis d'un savant allemand, l'erse était la seule langue inacces- sible au diable , comme trop saint pour qu'il pût jamais l'apprendre ,

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144 DE l'inégalité

a-t-on dit, de n'en pas diminuer la force (1). C'est l'origine du système connu sous les noms de pélasgique et de cyclp- péen (2). On en trouve en France, comme en Grèce, comme «n Italie. A cet ordre de constructions appartiennent des en- ceintes découvertes dans nos provinces , et les chambres sépul- <îrales d'un grand nombre de tumulus, qui se distinguent ainsi nettement des ouvrages finniques, dans lesquels les blocs ne sont jamais superposés de manière à former muraille (3). La puissance extraordinaire de ces débris massifs a résisté, €n plus d'un lieu, à l'outrage des siècles. Les Romains s'en sont servis, comme des remparts de Sainte-Suzanne, et en ont

«t qu'à Rome un possédé, « aliis linguis locutum, at hibernice loqui, vel noluisse vel non potuisse. » Tout bien pesé cependant, il serait imprudent de rejeter absolument les traditions irlandaises; elles con- tiennent çà et des faits dignes d'être observés.

<1) Keferstein, t. L Suivant Abeken , les murs les plus rudement façonnés de l'Italie se trouvent dans l'Apennin. (Ouvr. cité, p. 139.) Les constructions des Aborigènes , dans le Latium et l'Italie centrale, étant faites de tuf très tendre, présentèrent promptement des traces de taille. Ibid. Dennis, ouvr. cité, t. II, p. 571 et pass. Les mines de Saturnia, une des plus anciennes villes de l'Étrurie, près d*0rbitelk>, renferment un tumulus bien évidemment celtique. Or, Saturnia, avant d'être aux Étrusques, appartenait aux aborigènes qui l'avaient fondée; C'était une ville umbrique.

(2) Abeken, ouvr. cité, p. 139. Cet auteur nomme pélasgiques les maçonneries non taillées, celles l'emploi de petites pierres pour boucber les interstices est le plus indispensable. Il rappelle que Pau- sanias se sert de cette expression en décrivant les murs de Tyrinthe et de Mycènes. Les murs cyclopéens marqueraient ainsi un perfec- tionnement dans le genre des constructions à blocs polygones.

(3) Keferstein, Ansichten, etc., t. IV, p. 287. Cet écrivain remarque qu'il y a fort peu de constructions celtiques maçonnées en Angleterre et en Scandinavie. Son observation s'accorde pleinement avec ce que dit César, que les Bretons de l'intérieur de l'île (non pas les Belges immigrés) appelaient ville une sorte de camp retranché formé pieux et de branchages, au milieu des bois. (De Bello Gall., V, 21.) Les contrées l'on en trouve le plus, soit à l'état de murailles, soit comme tombeaux recouverts ou ayant été recouverts d'un tumulus de terre , sont les pays que j'ai nommés déjà , la Bohême , la Welteravie , la Franconie , la Thuringe , le Jura , l'Asie Mineure. Voir aussi , quant •à l'existence des tumulus celtiques, Boettiger, Ideen zur Kunstmy- thologie, c. II, p. 294.

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DES BACES HUMAINES. 145

fait la base de leurs propres travaux. Puis , les chevaliers du moyen âge, à leur tour, élevant leurs donjons sur cette double antiquité, sont venus compléter les archives matérielles de Farcliitecture militaire en Europe.

Outre la pierre et le bois, les Galls usaient aussi de la bri- que. Ils ont bâti des tours très remarquables, dont quelques- unes subsistent encore, une, entre autres, sur la Loire, et d'usage inconnu, mais probablement religieux (1).

Les cités, ainsi bien peuplées, bien bâties, bien défendues, bien fournies de meubles, d'ustensiles et de bijoux, communi- quaient entre elles à travers le pays , non par des sentiers et des gués difficiles , mais par des routes régulières et des ponts. Les Romains n'ont pas été les premiers à établir des voies de cQmmunication dans les pays kymriques : ils en ont trouvé qui existaient avant eux , et plusieurs de leurs chemins les plus célèbres , parce qu'ils étaient les plus fréquentés , n'ont été que d'anciens ouvrages nationaux entretenus et réparés par leurs soins. Quant aux ponts, César en nomme que certes il n'avait pas bâtis (2).

Outre ces communications , les Celtes en avaient organisé de plus rapides encore pour les circonstances extraordinaires. Ils possédaient une télégraphie véritable. Des agents désignés se criaient de l'un à l'autre la nouvelle qu'il fallait transmettre : de cette façon, un ordre ou un avis parti d'Orléans, au lever du soleil, arrivait en Auvergne avant neuf heures du soir, ayant parcouru de la sorte quatre-vingts lieues de pays (3).

Si les villes étaient nombreuses et rassemblaient beaucoup d'habitants, les campagnes paraissent n'avoir pas été moins peuplées. On le peut induire du nombre considérable de cime- Ci) « Coram adiré alIoquiqueVelledamnegalum. Arcebanturadspectu « quo venerationis plus inesset. Ipsa édita in turre; deléctus e pro- « pinquis consulta responsaque, ut internuncius numinis, portabat. » Tacite, HisL, IV, 65.

(2)Keferstein,owur. ct7é, t. I, p. 192. Sur plusieurs bornes milliaires antiques, on trouve, en France, Tindication de la lieue celtique au lieu du mille romain. Quant aux ponts, Orléans et Paris en avaient Cœsar, de Bello Gall. , \U, 11. (3) Caes., de Bello GalL, VII, 3.

RACES HTJJIAmES. T. II. 9

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146 DE l'inegilité

tières découverts dans les différentes contrées de l'Europe cel- tique. L'étendue de ces champs mortuaires est généralement remarquable. On n'y voit pas de tumulus. Cette construction, lorsqu'elle contient un dolmen, appartient aux premiers habi- tants finnois : il n'est pas question ici de cette variété. Lors- qu'elle renferme une chambre sépulcrale en maçonnerie, jslle appartient aux princes , aux nobles , aux riches des nations. Les cimetières sont plus modestement le dernier asile des classes moyennes ou populaires. Ils ne fournissent à l'observa- teur que des tombeaux plats, la plupart construits avec soin, taillés souvent dans le roc ou établis dans la terre battue. Les tombes y sont couvertes de dalles. Les corps ont presque tou- jours été brûlés. Bien que ce fait ne soit pas absolument sans exception, sa fréquence établit une sorte de distinction sup- plémentaire entre les cadavres des plus anciens indigènes, toujours entiers , et ceux des Celtes. En tout cas , les tumulus à chambres funéraires, pélasgiques et cyclopéennes, monu- ments probablement contemporains des cimetières , ne renfer- ment jamais de squelettes intacts , mais toujours des ossements incinérés contenus dans des urnes.

Une autre différence existe encore entre celles de ces sépul- tures qui appartiennent à l'époque nationale, et celles qui ne remontent qu'à la période romaine : c'est que les objets trou- vés dans ces dernières ont un caractère mixte l'élément la- tin hellénisé se fait aisément apercevoir. Non loin de Genève, on voit un cimetière de cette espèce (1).

Outre que Fabondance des cimetières purement celtiques donne une haute idée de l'ampleur des populations qui les ont fondés , elle inspire encore des réflexions d'un autre ordre. Le soin et, par suite, les frais qu'on y a employés, le nombre, la nature et la richesse des objets divers que renferment les tom- bes , tout cela , rapproché de l'observation qu'en les contem- plant on n'a pas sous les yeux le lieu de repos des grands et des chefs, mais seulement des classes moyennes et inférieures, fait naître une très haute idée du bien-être de ces classes , et con-

(1) Keferstein, ouvr. cité, t. I,

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DES RACES HUMAINES. 147

séqiiemment de l'opulence générale des nations dont elles for- maient la base (1). Nous voilà bien loin de l'opinion si long- temps répandue, et si légèrement adoptée, sur la barbarie complète des tribus galliques , opinion qui prenait surtout son point d'appui dans la fausse allégation que les monuments fin- niques étaient leur œuvre.

Ce n'est pas encore fuir assez de si lourdes erreurs : plu- sieurs détails importants qui restent à dire vont allonger la distance. Les Celtes , habiles à tant de travaux divers, ne pou- vaient pas être étrangers au besoin de les rémunérer et de leur reconnaître un prix. Ils connaissaient l'usage du numéraire, et , trois cents ans avant la venue de César, battaient monnaie pour les besoins du commerce extérieur. Ils avaient des pièces d'or, d'argent, d'or-argent et cuivre, de cuivre et plomb, de fer, de cuivre seul, rondes, carrées, radiées, concaves, sphé- riques, plates , épaisses , minces, frappées en creux ou en re- lief (2). Un très grand nombre de ces monnaies ont été visible- ment produites sous Finfluence massaliote, macédonienne ou romaine (3). Mais d'autres échappent complètement au soupçon

(1) Keferstein , t. I, p. 304.

(2) Id., ouvr. cité, t. I, p. 341.

(3) Les différentes catégories d'imitations paraissent se limiter à des territoires déterminés. Celles qui ont pour objet les monnaies mas- saliotes se. trouvent dans la Narbonnaise, sur le cours supérieur du Rhône, dans la Lombardie entière, à Berne, à Genève, dans le Valais, le Tessin, les Grisons et le Tyrol italien; mais, en France, on n'en a pas rencontré jusqu'ici au-dessus de Lyon. Sur le penchant septen- trional des Pjrrénées et les côtes de l'Océan, ce sont les colonies grec- ques de Rhodae et d'Emporiae, qui ont fourni les types; il s'en ren- contre dans les pays de la Garonne , à Toulouse , dans le Poitou ; on «n cite un exemplaire découvert en Sologne. Sur la Loire supérieure, sur le Rhin, sur la Schelde, se voient les contrefaçons grossières des statères macédoniens de Philippe IL Mommsen pense que cette habitude de copier, du moins mal possible, les types grecs pour la i^ monnaie , a commencé au IV« siècle avant J.-C. , c'est-à-dire environ trois cents ans avant la conquête de César. C'est, à coup sûr, l'indice

•de relations commerciales fort étendues, fort suivies et telles qu'on les pourrait à peine dire supérieures aujourd'hui. Mommsen , Die nordetruskischen Alphabete, dans les Mittheilungen der antiquaris- chen Gesellschaft in Zurich, VII B. Heft., in-4° 1833, p. 204, 233, â36,236.

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148 DE L'INEGALITE

de cette parenté. Ce sont certainement les plus anciennes : elle& remontent bien au delà de la date que je viens d'indiquer. Il en est, les radiées, qui ont leurs analogues en Étrurie, soit que les hommes de ce pays les aient empruntées aux peuples umbriques de leur voisinage , soit qu'un grand commerce en- tre les deux nations, commerce qui n'est pas à révoquer en. doute, et que la présence fréquente du succin dans les tom- beaux toscans les plus anciens suffirait à démontrer, ait de bonne heure engagé les deux groupes contractants à user de moyens d'échange parfaitement semblables (1).

Avec la monnaie , les Celtes possédaient encore l'art de l'é- criture. Plusieurs inscriptions copiées sur des médailles celti- bériennes, mais jusqu'à présent non déchiffrées, en font foi pour une époque lointaine.

Tacite signale, de son côté, un fait qui semble remonter à un âge au moins aussi éloigné. On disait de son temps qu'il existait, dans la Germanie et dans les Alpes Rhétiennes, des. monuments antiques couverts d'inscriptions grecques. On ajou- tait que ces monuments avaient été élevés par Ulysse, lors de ses grandes pérégrinations septentrionales, aventures dont nous n'avons pas le récit (2). En rapportant cette tradition, Tacite, fort judicieusement, exprime le doute que le fils de Laërte ait jamais voyagé dans les Alpes et du côté du Rhin; mais sa réserve devient excessive lorsqu'elle s'étend de la personne du voyageur à l'existence des inscriptions elles- mêmes (3).

Avec le témoignage de Tacite vient celui de César, qui, lorsqu'il eut défait les Helvétiens, trouva dans leur camp un état détaillé de la population émigrante, guerriers, femmes,

(i) Abeken, ouvr. cité, p. 284. On a découvert de ces monnaies- radiées, d'origine étrusque, marquées de Fimage d'une roue, à Posen et en Saxe. EUes se trouvaient mêlées à des médailles d'Égine et. d'Athènes du VIII« siècle avant notre ère.

(2) Odyssée, XXIII, 267 et pass.

(3) Tacite, de Mbribus Germ., 3. Mommsen considèï*e comme dé- montré qu'avant l'époque romaine l'usage de l'écriture s'étendait, par delà les Alpes et le cours du Rhône, jusqu'au Danube. {Die norde^ truskischen Alphahete, p. 221.)

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enfants et vieillards. Ce registre était, à son dire, écrit en let- tres grecques (1).

Dans un autre passage des Commentaires , le dictateur ra- conte que, pour toutes les affaires pub ligue s (2) et privées, les Celtes faisaient usage des lettres grecques. Par une singulière anomalie, les druides ne voulaient rien écrire de leurs doctri- nes ni de leurs rites, et forçaient leurs élèves à tout appren- dre par cœur (3). C'était une règle stricte. D'après ces rensei- gnements, il est hors de discussion qu'avant d'avoir passé par l'éducation romaine, les nations celtiques étaient accoutumées à la représentation graphique de leurs idées, et, ce qui est ici particulièrement intéressant, l'emploi qu'elles faisaient de cette science était tout autre que celui dont les grands peuples asiatiques de l'antiquité nous ont donné le spectacle. Chez ces derniers, récriture servait principalement aux prêtres, était révérée à l'égal d'un mystère religieux , et passait si dif- ficilement dans l'usage familier que jusqu'à l'époque de Pisis- trate, on n'écrivit pas même les poèmes d'Homère, objets, ce- pendant, de l'admiration générale. Chez les Celtes, tout au rebours, ce sont les sanctuaires qui ne veulent pas de l'alpha- bet. La vie privée et l'administration profane s'en emparent : on s'en sert pour indiquer la valeur des monnaies et pour ce qui est d'intérêt personnel ou public. En un mot, chez les Celtes, l'écriture, dépouillée de tout prestige religieux, est une science essentiellement vulgarisée.

Mais Tacite et César ajoutent que ces lettres, que cet alpha- bet si usité , dont la présence n'est désormais pas douteuse en Allemagne (4), est certaine dans la péninsule hispanique, les Gaules et THelvétie, que cet alphabet, dis-je, est hellénique, n'a rien de national , et provient d'une importation grecque.

<i) Cœsar, de Bello GalL, I, 29.

(2) CîEsar, de Bello Gall. VI, 14: u in reliquis fere rébus (publicis) privatisque rationibus. » Publicis n*est pas certain. Le mot semble in- terpolé, quoique la plupart des éditions le donnent.

(3) Caesar, de Bello GalL , VI, 14.

<4) Mommsen (Die nordetruskischen Alphabete) regarde le fait comme indubitable pour les contrées en deçà du Danube.

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150 DE L INEGALITE

Aussitôt , pour expliquer cette assertion , les gens qui ne veu- lent voir partout que des civilisations importées, se tournent vers les Massaliotes. C'est leur grande ressource quand ils ne peuvent fermer les yeux sur la réalité d'un état de choses étranger à la barbarie dans les pays celtiques. Mais leur hypo* thèse n'est pas plus admissible cette fois que dans tant d'au- tres occasions la saine critique en a fait justice.

Si les Massaliotes avaient eu le pouvoir d'agir sur les idées des nations galliques d'une manière assez constante, assez puissante, assez générale pour répandre partout l'usage de leur alphabet, à plus forte raison auraient-ils fait accepter les for- mes séduisantes de leurs armes et de leurs ornements. Cette victoire eût été certainement la plus facile de toutes. Cepen-j dant ils n'y réussirent pas. Lorsque les nations de la Gaule imaginèrent de copier les monnaies grecques , elles cédèrent à un sentiment d'utilité positif qui leur révélait tous les avanta- ges attachés à l'unité du système monétaire ; mais, au point de vue artistique, elles s'y prirent avec une maladresse et une grossièreté qui montrent de la manière la plus évidente com- bien elles connaissaient peu les intentions du peuple dont elles cherchaient à contrefaire les œuvres , et le peu de fréquenta- tion intellectuelle qu'elles avaient avec lui. Une race n'em- prunte pas à une autre son alphabet sans lui prendre quelque" chose de plus, des croyances religieuses, par exemple, et pré- cisément les druides ne voulaient pas entendre parler de l'écri- ture. Donc l'écriture, chez les Celtes, n'était dépositaire d'au- cun dogme. Ou bien, quelquefois, à défaut de doctrines théologiques, il pourrait être question d'importation littérai- res. Nul écrivain de l'antiquité n'en a jamais remarqué la moin- dre ti-ace (1). Enfin, cet usage de l'alphabet si répandu, si fort

(1) Je dois dire que Strabon, venant au-devant de cette objection, affirme que les Gaulois écrivaient leurs contrats en grec, non seule- ment avec les caractères, mais même dans la langue de l'Hellade : Ta (jupi.66Xaia éXXyivityTl Ypà9oucrt. (Slrab. , IV.) Mais, soit dit avec tout le respect possible pour l'autorité de Strabon, cette assertion n'est guère recevable. Si les Celtes avaient à tel point sympathisé avec les Grecs, qu'ils eussent fait de l'idiome de ces derniers l'instrument

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entré dans les mœurs des nations galliques qui avaient entre elles le moins de contact, par quelle voie aurait-il passé des Helvétiens aux gens de la Celtibérie ? Si ces derniers avaient été tentés de demander à des étrangers un moyen graphique de conserver le souvenir des faits, ils se fussent tournés cer- tainement du côté des Phéniciens. Or, les letteras descono- cidas gravées sur les médailles indigènes de la Péninsule n'ont pas le moindre rapport avec l'alphabet chananéen ; elles n'en ont pas non plus avec celui de la Grèce.

Ce mot terminera la discussion quant à l'identité njatérielle des deux familles de lettres. Ce qui n'est pas vrai pour les Celtibériens ne l'est pas non plus pour la plupart des autres pations kymriques. Je ne prétends pas néanmoins qu'il n'y eut qu'un seul alphabet pour elles toutes (l). Je m'arrête à cette limite que le système de l'agencement et des formes était identique en principe , bien que pouvant offrir des nuances et des variations locales fort tranchées.

On demandera comment il s'est pu faire que César, si ac- coutumé à la lecture des ouvrages grecs, se soit trompé sur l'apparence des registres helvétiens, et ait vu des lettres hellé- niques là il n'y en avait pas? Voici la réponse : César a tenu dans ses mains , probablement , ces manuscrits , mais c'est un

ordinaire de leurs transactions de toute nature, ils eussent mérité, non pas le nom de barbares, que les écrivains classiques ne leur ménageaient pas, mais celui de philologues, d'érudits consommés; encore n'ai-je connaissance d*aucun docte personnage, soit ancien, soit moderne, pas même Scaliger, qui se soit amusé à passer des actes civils, par-devant notaire, dans une langue savante. Tout ce qu'il est possible d'accorder, c'est que Strabon, ou plutôt Posidonius, aura vu entre les mains de quelques négociants massaliotes des cédules grec- ques tracées par ces derniers, et souscrites par des commerçants gaulois.

(1) Mommsen compte jusqu'à neuf alphabets différents, recueillis par lui au nord de l'Italie et dans les Alpes. Voici la liste topographique qu'il en donne : Todi, Provence, Étrurie , Valais , Tyrol, Styrie, Cone- gliano, Vérone, Padoue. Les déviations qui peuvent créer l'origina- lité de chacun de ces alphabets sont considérables, comme le déclare lui-même cet éminent et judicieux archéologue. {Die nordetruskis- chen Alphabete, p. 221, taf. III.)

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interprète qui lui en a donné le sens. Ils étaient tracés, suivant ce secrétaire, en caractères grecs, c'est-à-dire en caractères qui ressemblaient fort aux grecs , mais la langue était galli- que. L'apparence a suffi au dictateur, et, comme il regardait comme indubitable que les alphabets italiotes et étrusques étaient d'origine grecque , malgré leurs déviations de ce type, quand il a vu un ensemble qu'il ne comprenait pas , mais son œil démêlait les mêmes analogies, il a Conclu et dit ce qu'il a dit (I). Du reste, cette explication n'est pjbIS facultative : il n'y a pas à hésiter : les monuments récemment découverts ont fait connaître les alphabets en usage , antérieurement aux Ro- mains, chez les Salasses de la Provence, chez les Celtes du Saint-Bernard, chez les montagnards du Tessin : tous ces mo- des d'écriture sont originaux, ils n'ont que des affinités loin- taines avec le grec (2).

Je ne nie pas en effet que , si l'alphabet ou les alphabets celtiques ne sont pas grecs, ils ne soient placés, à l'égard de l'alphabet hellénique, dans des rapports très intimes, en un mot, qu'ils ne puissent se reporter tous, eux et lui, à une même source. Ce ne sont pas des copies, mais ils se foiinent sur un même système, sur un mode primordial, antérieur à eux-mêmes comme au type hellénique, et qui leur a fourni leurs apparences communes, eu même temps qu'un mécanisme identique.

L'ancien alphabet 'grec, celui qui, au dire des experts, fut employé le premier par les nations arianes helléniques, était composé de seize lettres. Ces lettres ont, il est vrai, des noms

(1) Denys d'Halicarnasse raconte comme un fait admis que l'alphabet avait été apporté chez les Italiotes par les Pélasges arcadiens. Il ne tient nul compte des différences extrêmes que chacun peut remarquer entre les lettres grecques et celles de la Péninsule. (Dionys. Halic, Antiq. rom., 1, XXXIII.) C'était un axiome scientifique, indiscutable pour les lettrés grecs et romains, que tout, le bien, le mal, les ver- tus et les vices, l'ennui et le plaisir, l'art de marcher, de manger et de boire, avait été inventé dans l'Hellade et s'était de répandu sur le reste du monde. Homère et Hérodote, comme Hésiode, sont com- plètement étrangers à cette puérile doctrine.

(2) Mommscn, Die nordeèruskischen Alphabete.

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sémitiques, ont même plusieurs points de ressemblance avec les caractères chananéens et hébreux, mais rien ne prouve que Torigine des uns et des autres soit locale et n'ait pas été apportée du nord-est par les premiers émigrants de race blanche (1).

(1) Je ne saurais me rendre à l'observation qui a été faite, que les alphabets sémitiques ne peuvent convenir qu'aux langues auxquelles e\s sont adaptés, parce qu'ils ne comptent pas de voyelles proprement dites. Ces langues ont toutes : ^j ^, i, t, comme les Grecs ont a, e, V, i, 0. Les runes, destinées incontestablement à des dialectes qui traitent les voyelles tout autrement que les idiomes sémitiques, n'ont pas même tous ces caractères : il leur manque Ve. Le rôle de conson- nes attribué, dans les temps historiques, aux lettres chananéennes que je viens de citer, ne s'oppose nullement à ce qu'on admette que, primitivement, elles ont été considérées sous un autre point de vue. Consulter le travail de Gesenius, dans VEncycL Erschund Gruber, Palœographie , section, IX Theil, p. 287. et pass. Le problème de l'origine des alphabets est encore loin d'être éclairci comme il est désirable qu'il le devienne. Il tient d'aussi près que possible aux ques- tions ethniques, et est destiné à prêter de grands secours à bien des solutions de détail. Il est, du reste, compliqué par une conception à priori, inventée au xvui"^ siècle et sur laquelle on se heurte, à chaque instant, quand il s'agit des grands traits, des caractères prin- cipaux de l'histoire humaine. Les gens qui font ce qu'ils appellent de la philosophie de l'histoire ont imaginé que l'écriture avait commencé par le dessin, que du dessin elle était passée à la représentation sym- bolique, et qu'à un troisième degré, à un troisième âge, elle avait produit, comme terme final de ses développements, les systèmes phonétiques. C'est un enchaînement fort ingénieux, à coup sûr, et il est vraiment fâcheux que l'observation en démontre si complètement l'absurdité. Les systèmes figuratifs, c'est-à-dire ceux des Mexicains et des Egyptiens, sont devenus, ou plutôt ont été, dès les premiers mo- ments de leur invention , idéographiques , parce qu'en même temps qu'on a eu à donner la forme d'un arbre, d'un fruit ou d'un animal, il a impérieusement fallu exprimer par un signe graphique l'idée in- corporelle qui motivait la représentation de ces objets. Or voilà un des deux degrés de transition supprimé. Quant au troisième , il ne semble pas s'être produit nécessairement, puisque ni les Mexicains, ni les Chinois, ni les Égyptiens n'ont fait sortir de leurs hiéroglyphes un alphabet proprement dit. Le procédé que les deux derniers de ces peuples emploient pour rendre les noms propres est la plus grande preuve à offrir que le principe sur lequel se base leur système de re- production du langage oppose des obstacles invincibles à ce prétendu développement. Les écritures idéographiques sont donc nécessaire- ment symboliques, et, d'autre part, n'ont aucun rapport, ni passé, ni

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154 DE l'inégalité

L'alphabet grec primitif s'écrivait tantôt de droite à gauche,

présent, ni futur, avec la méthode de décomposition élémentaire et de représentation abstraite des sons. Elles restent ce qu'elles sont, et n'at- teignent pas à un but logiquement contraire au principe fondamental de leur construction primitive. Peut-on affirmer de même que les alphabets phonétiques que nous possédons ne soient pas des des- cendants de systèmes idéographiques oubliés ? Poser une telle ques* tion, c'est, je le sais, affronter des axiomes qui ont acquis force de loi, mais qu'on juge de leur valeur. On part du type phénicien comme paradigme, comme souche de toutes les écritures phonétiques, et Ton veut que 3 représente le cou et la forme du chameau; JT» de même, est censé rappeler parfaitement un œil; ^ une maison ou une tente, etc. Pourquoi? c'est que ;i) 5? et 3 sont les initiales de Sp^i, de T^)^^ et de nf^. Mais ;i rest également de 2^, qui veut dire un puits, de t^4j q^i signifie un bouc, et, si l'on consent à examiner les choses sans prévention , on conviendra que ^ ressemble tout autant à \in puits ou à un bouc qu'à un chameau. On pourrait trouver, sans nulle peine, d'aussi nombreuses analogies pour toutes les lettres de l'alphabet. Il suffit d'un peu de bonne volonté. Voilà ce que c'est que le système qui fait dériver, inévitablement, les alphabets phonétiques des séries idéographiques, et voilà les puissantes raisons sur lesquelles il s'ap- puie. Aussi est-il nécessaire d'y renoncer, et au plus tôt.

D'autant mieux que les études actuelles sur les alphabets assyriens font découvrir une nouvelle méthode graphique qui , de quelque façon qu'on la torture , ne saurait nullement être rapprochée du dessin sym- bolique. Ces combinaisons claviformes affichent, bien certainement, la prétention la mieux justifiée à ne présenter la pensée qu'au moyen de signes abstraits.

Puis, au besoin, on pourrait citer encore tels modes d'écriture qui ne sont ni idéographiques, ni phonétiques, ni syllabiques, mais seu- lement mnémoniques, et qui se composent de traits sans autre si- gnification que celle qui leur est attribuée par l'écrivain. Ce dernier système, fort imparfait, assurément, et privé du pouvoir d'exprimer des mots, rappelle seulement au lecteur certains objets ou certains faits déjà connus. L'écriture lenni-lenape est de ce genre.

Voilà donc, la question étant prise en gros, quatre catégories de ressources graphiques employées par les hommes pour garder la trace de leurs pensées. Ces quatre catégories sont fort inégales en mérite, et atteignent bien diversement le but pour lequel elles sont inventées. Elles résultent d'aptitudes très spéciales chez leurs créateurs , de fa- çons très particulières de combiner les opérations de l'esprit et de déduire les rapports des choses. Leur étude approfondie mène à des résultats pleins d'intérêt, et sur les sociétés qui s'en servent, et sur les races dont elles émanent.

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tantôt de gauche à droite , et ce n'est que tard que sa marche actuelle a été fixée (1).

11 n'y a rien d'insolite. On a démontré que le dévanagari , qui suit aujourd'hui notre méthode, avait été inventé selon les besoins du système contraire. De même encore, les runes se placent de toutes les façons , de droite à gauche , de gauche à droite , de bas en haut , ou en cercle. On est même en droit d'affirmer qu'il n'existait pas primitivement de façon normale d'écrire les runes.

Les seize lettres du modèle grec ne rendaient pas tous les sons de la langue mixte formée d'éléments aborigènes , sémi- tiques et ari ans-helléniques. Elles ne pouvaient répondre da- vantage au besoin des idiomes de l'Asie antérieure , qui tous ont des alphabets beaucoup plus nombreux. Mais peut-être convenaient-elles mieux à l'idiome de ces habitants primitifs du pays, vaguement nommés Pélasges, dont je n'ai encore qu'in- diqué Torigine celtique ou slave. Ce qui est certain, c'est que les runes du nord , que W. Grimm considère comme n'ayant point été inventées pour les dialectes teutoniques (2), n'ont aussi que seize lettres, également insuffisantes pour reproduire toutes les modulations de la voix chez un Goth. W. Grimm (3), comparant les runes aux caractères découverts par Strahlen- berg et par Pallas sur les monuments arians des rives du Ienisseï, n'hésite pas à voir dans ces derniers le type ori- ginel. Il reporte ainsi au berceau même de la race blanche la souche de tous nos alphabets actuels , et partant de l'alphabet grec ancien lui-même, sans parler des systèmes sémitiques. Cette considération deviendra dans l'avenir, je n'en doute pas,

(1) Bœckh, Ueher die griechischen Inschriften auf Thera, in-4®, Ber- lin, 1836, p. 47. Généralement, et en dehors de l'influence romaine, les inscriptions osques, umbriques et étrusques vont de droite à gauche ; au contraire , Talphabet sabellien , dans les deux seuls exem- ples connus jusqu'ici, suit la forme serpentine. Mommsen, Die nord etruskischen Alphabete, p. 222.

(2) W. G. Grimm, C/eôer die teutsche Runen.

(3) W. C. Grimm, ouvr. cité, p. 128. Strahlenberg, Der nord und œsUiche Theil von Europa und Asien, p. 407, 410 et 356, tab. V.

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le point de départ des études les plus importantes pour l'his- toire primitive.

Keferstein, poursuivant les traces de Grimm, relève, avec beaucoup de sagacité , que des lettres , des plus essentielles aux dialectes gothiques , marquent parmi les runes : ce sont les suivantes \ c, d, e, f, g^ h^q^w, x.

Appuyé sur cette observation , il complète fort bien la re- marque de son devancier, en concluant que les runes ne sont autres que des alphabets à l'usage celtique (1). Les caractères runiques, ainsi rendus à leurs véritables inventeurs , trouvent à l'instant un analogue très authentique chez un peuple de même race : c'est l'alphabet irlandais fort ancien , appelé bo- belot ou heluisnon. Il est composé, comme les anciens pro- totypes, de seize lettres seulement, et offre avec les runes des ressemblances frappantes (2).

Il ne faut pas perdre de vue que le système de tous ces mo- des d'écriture est absolument le même que celui de l'ancien grec, et que les rapports généraux de formes avec ce dernier ne cessent jamais d'exister. Je termine cette revue générale en citantlesalphabetsitaliotes, tels queFumbrique, l'osque, l'eu- ganéen, le messapien (3) et les alphabets étrusques (4), égale- ment rapprochés du grec par leurs formes, et conséquemment ses alliés. Tous ces alphabets sont d'une date très reculée, et, bien qu'ayant entre eux de grandes ressemblances , ils ne pré-

(1) Keferstein, Ansichten, etQ., t. I, p. 353. Verelius, dans sa Hwno- graphia, avait déjà remarqué, il y a longtemps, ainsi queRudbock, l'antériorité des runes à l'égard de la civilisation des Ases , et insisté sur l'interprétation fautive du Havamaal, qui semble attribuer à Odin l'invention des lettres sacrées, tandis que ce dieu ne peut prétendre qu'à celle de la poésie. Verelius a, de plus, fait observer que les runes étaient d'autant mieux tracées et mieux faites qu'elles étaient plus anciennes. Sal verte. Essai sur l'origine des noms d'hommes, de peuples et de lieux, t. II, p. 74, 75.

(2) Keferstein, t. I, p. 355. Dieffenbacli, Cellica II, 2^ Abth., p." 19.

(3) Dennis constate l'extrême similitude de tous ces alphabets. (T. I, p. xvin.)

(4) On en compte plusieurs et dans lesquels le nombre de lettres varie. Bennis , ouvr. cité, t. II, p. 399. Voir aussi Mommsen, Die nordetrusUischen Alphabete.

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sentent pas moins de diversités. Ils possèdent des lettres qui n'ont rien d'hellénique, et jouissent ainsi d'une physionomie vraiment nationale, dont il est fort difficile à la critique la plus systématique de les dépouiller (4). En outre, tous, saui les étrusques, sont celtiques, comme on le verra plus tard. Pour le moment, personne n'en doutera quant à l'euganéen et à l'umbrique.

Les monuments qui nous les ont conservés se montrent , pour la plupart , antérieurs à linvasion de l'hellénisme dans la péninsule italique. Il faut donc conclure que ces alphabets eu- ropéens , parents les uns des autres , parents du grec , ne sont pas formés d'après lui ; qu'ils remontent , ainsi que lui , à une origine plus ancienne; que , comme le sang des races blanches , ils ont leur source dans les établissements primitifs de ces ra- ces au fond de la haute Asie; que, comme les peuples qui les possèdent , ils sont originaux et vraiment indépendants de toute imitation grecque sur le territoire européen ils ont été em- ployés; enfin, que les nations celtiques, n'ayant pas emprunté leur genre de culture sociale à la Grèce, non plus que leur religion , non plus que leur sang, ne lui devaient pas davantage leurs systèmes graphiques (2).

.(I) Niebuhr reconnaît que l'origine des alphabets étrusques et grecs est la même. Il la croit sémitique, à tort, suivant moi, si on veut admettre, ce qui me paraît discutable, que les écritures sémitiques soient elles-mêmes étrangères à l'invention ariane et nées sur le sol même de l'Asie antérieure après les grandes migrations. Mais le sa- vant prussien déclare très positivement que, dans son opinion, les lettres étrusques ne se sont pas formées sur le type grec , et il en donne des raisons tout à fait concluantes. (Rœm. Geschichte, 1. 1, p. 89.) Un argument à l'appui de cette assertion, qui ne me paraît pas sans valeur, c'est que le mot celtique, le mot latin et le mot grec qui signi- fient écrire, ont, avec une même racine, des physionomies si diffé- rentes, qu'ils doivent s'être formés sur place et ne pas provenir d'un emprunt opéré dans les âges l'un de ces peuples a pu exercer une action sur les autres. Ainsi, ypàçeiv, scribere, et le gallois, crifellu, ysgriffen, ysgrifan, ne se ressemblent que de loin, et on remarquera que le passage de ypàqpstv à scribere est assez bien marqué par les mots celtiques, tandis que scribere, au contraire, n'est pas un inter- médiaire entre ces mots et l'expression grecque.

(2) César, après avoir dit que les Celtes se servaient de caractères

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158 DE l'inégalité

^ Ce qui est bien frappant chez elles ^ c'est remploi tout à fait utilitaire qui y était fait de la pensée écrite. Nous n'avons en- core rien rencontré de semblable dans les sociétés féminines élevées à un degré correspondant sur Téchelle de la civilisa- tion, et, l'esprit encore tout plein des faits que l'examen du monde asiatique a fournis aux pages du premier volume, nous devons nous reconnaître ici sur un terrain tout nouveau. Nous sommes au milieu de gens qui comprennent et éprouvent l'em- pire d'une raison plus sèche, et qui obéissent aux suggestions d'un intérêt plus terre à terre.

Les nations celtiques étaient guerrières et belliqueuses^ sans doute; mais, en définitive, beaucoup moins qu'on ne le sup- pose généralement. Leur renommée militaire se fonde sur les quelques invasions dont elles ont troublé la tranquillité des autres peuples. On oublie que ce furent des convulsions pas- sagères d'une multitude que des circonstances transitoires je- taient hors de ses voies naturelles, et que, pendant de très longs siècles , avant et après leurs grandes guerres , les États celtiques ont profondément respecté leurs voisins. En effet, leur organisation sociale avait elle-même besoin de repos pour se développer.

Ils étaient surtout agriculteurs, industriels et commerçants. S'il leur arrivait, comme à toutes les nations du monde, mênje les plus policées, de porter la guerre chez autrui, leurs ci-

gfecs, prouve, du reste, lui-même, l'inexactitude de son renseigne- ment. Il raconte qu'ayant à envoyer une lettre à un de ses lieutenants, assiégé par les Belges, et ne voulant pas qu'elle pût être lue en route, il l'écrivit, non pas en langue grecque, mais en caractères grecs. Donc les caractères grecs étaient inconnus de ses adversaires. (Caes., de Bello GalL, V.) Tout ce qu'il y a de peu satisfaisant dans l'asser- tion que les lettres en usage chez les Celtes étaient d'origine grecque a, du reste, frappé les commentateurs de César. Pour concilier les nombreuses difficultés qui leur sautaient aux yeux, ils ont eu recours, à des subtilités infinies, mais dont ils se montrent, eux-mêmes tout les premiers, fort médiocrement satisfaits. ~ Voir l'édition d'Ouden- dorp, in-8°, Lipsiœ, 1805. Il est effectivement inadmissible que les Celtes, ayant pour les légendes de leurs monnaies des alphabets na- tionaux, comme les médailles le démontrent, aient employé, dans les détails de leur vie, des caractères étrangers.

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toyens s'occupaient , beaucoup plus ordinairement, de faire pâ- turer leurs bœufs et leurs immenses troupeaux de porcs dans les vastes clairières des forêts de cbênes qui couvraient le pays. Ils étaient sans rivaux dans la préparation des viandes fumées et salées. Ils donnaient à leurs jambons un degré d'excellence qui rendit célèbre , au loin et jusqu'en Grèce , cet article de commerce (1). Longtemps avant l'intervention des Romains, ils débitaient dans la péninsule italique , aussi bien que sur les marchés de Marseille , et leurs étoffes de laine , et leurs toiles de lin, et leurs cuivres, dont ils avaient inventé Fétamage. A ces différents produits ils joignaient la vente du sel , des es- claves, des eunuques, des chiens dressés pour la chasse; ils étaient passés maîtres dans la charronnerie de toute espèce , chars de guerre, de luxe et de voyage (2). En un mot, les Kymris, comme je le faisais remarquer tout à l'heure, aussi avides marchands, pour le moins, que soldats intrépides, se classent, sans difficulté, dans le sein des peuples utilitaires, autrement dit, des nations mâles. On ne saurait lés assigner à une autre catégorie. Supérieurs auic Ibères, militairement parlant, voués comme eux et plus qu'eux aux travaux lucra- tifs , ils ne semblent pas les avoir dépassés en besoins intellec- tuels. Leur luxe était surtout d'une nature positive : de belles armes, de bons habits, de beaux chevaux. Ils poussaient d'ail- leurs ce dernier goût jusqu'à la passion , et faisaient venir à grands frais des coursiers de prix des pays d'outre-mer (3).

Ils paraissent cependant avoir possédé une littérature. Puis- qu'ils avaient des bardes, ils avaient des chants. Ces chants exposaient l'ensemble des connaissances acquises par leur race, et conservaient les traditions cosmogoniques , théologiques, historiques.

La critique moderne n'a pas à la disposition de ses études des compositions écrites remontant à la véritable époque na- tionale. Toutefois il est, dans le fonds commun des richesses

(1) Strabon, IV, 3.

(2) M. Amédée Thierry, Hist. des Gaulois, Introduct.

(3) Cœs., de Bello GalL, IV, 2.

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intellectuelles appartenant aux nations romanes comme aux peuples germaniques, un certain coin marqué d'une origine toute spéciale, que l'on peut revendiquer pour les Celtes. On trouve aussi , chez les Irlandais , les montagnards du nord de l'Ecosse et les Bretons de l'Armorique, des productions en prose et en vers composées dans les dialectes locaux.

L'attention des érudits s'est fixée avec intérêt sur ces œuvres; de la muse populaire. Elle leur a quelquefois de ressaisir les traces de quelques linéaments de l'ancienne physionomie du monde kymrique. Malheureusement, je le répète, ces com- positions sont loin d'appartenir à la véritable antiquité. C'es^. tout ce que peuvent faire leurs admirateurs les plus enthou- siastes, que d'en reporter quelques fragments au cinquième siècle (1), date bien jeune pour permettre de juger de ce que pouvaient être les ouvrages celtiques à l'époque anté-romaine, au temps l'esprit de la race était indépendant comme sa politique. En outre, on ressent, à l'aspect de ces œuvres, une défiance dont il n'est guère possible de se débarrasser, si l'on veut garder l'oreille ouverte à la voix de la raison. Bien que leur authenticité, en tant que produits des bardes gallois ou armoricains, des sennachies irlandais ou gaéliques, soit incon- testable, on est frappé de leur ressemblance extrême avec les inspirations romaines et germaniques des siècles auxquels elles appartiennent.

La comparaison la plus superficielle rend cette vérité par trop notoire. Les allures de la pensée, les formes matérielles de la poésie, sont identiques (2). Le goût est tout semblable pour la recherche énigmatique , pour la tournure sentencieuse du récit, pour l'obscurité sibyllienne, pour la combinaison ternaire des faits, pour ralhtération. A la vérité, on peut admettre que ces marques caractéristiques sont dues précisé- ment à des emprunts primordiaux opérés sur le génie celti- que par le monde germanique naissant. Tout porte à croire,

(1) La Villemarqué, Barzaz Breiz, t. I, p. xiv.

(2) Voir le chant gallois attribué à Tallesin. (La Villemarqué, t. I, p. XIV.) C'est un véritable sermon chrétien de l'époque.

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en effet, que, dans le domaine moral, les Àrians Germains ont prendre énormément des Rymris, puisque, dans Tordre des faits etlmiques et linguistiques , ils se sont laissé si puis- samment modifier par eux. Mais , tout en reconnaissant comme admissible et même comme nécessaire ce point de départ, il n'en est pas moins très vraisemblable que les formes , les ha- bitudes littéraires, désormais communes, ont pu, à la suite des invasions du siècle , rentrer dans le patrimoine des Celtes , et, cette fois , fortement développées et enrichies par des apports dus à l'essence particulière des conquérants.

Les Kymris des quatre premiers siècles de l'Église étaient, en tant que Kymris, tombés bien bas et devenus fort peu de chose. Leur vie intellectuelle, dépouillant son originalité, fut, comme le sang de la plupart de leurs nations, extrêmement altérée par l'influence romaine. La question n'en est pas une pour ce qui concerne la Gaule. Les compositions des ovates avaient péri en laissant peu de traces. Il n'en fut nullement de ces œuvres comme de celles des Étrusques, qui, bien que frappées d'impopularité auprès des vieux Sabins par la pré- tendue barbarie de la langue , n'en maintinrent pas moins leur importance et leur dignité, grâce à leur valeur historique. Le généalogiste et l'antiquaire se virent contraints d'en tenir compte, de les traduire, de les faire entrer, bien qu'en les transformant, dans la littérature dominante. La Gaule n'eut pas autant de bonheur. Ses peuples consentirent à l'abandon presque complet d'un patrimoine qu'ils apprirent rapidement à mépriser, et, sous toutes les faces ils pouvaient s'examiner eux-mêmes , ils s'arrangèrent de façon à devenir aussi Latins que possible. Je veux que les idées de terroir, peut-être même quelques anciens chants, traduits et défigurés, se soient con- servés dans la mémoire du peuple. Ce fonds, resté celtique an point de vue absolu, a cessé de l'être littérairement parlant , puisqu'il n'a vécu qu'à la condition de perdre ses formes.

Il faut donc consiâérer, à partir de l'époque romaine, les nations celtiques de la Gaule, de la Germanie, du pays helvé- tien, de la Rhétie , comme devenues étrangères à la nature spéciale de leur inspiration antique, et se borner à ne plus re-

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162 DE l'inégalité

connaître chez elles que des traditions de faits et certaines dis- positions d'esprit qui, persistant avec la mesure du sang des Kymris demeuré dans le nouveau mélange ethnique, ne gar- daient d'autre puissance que de prédisposer les populations nouvelles à reprendre un jour quelques-unes des voies jadis familières à l'intelligence spéciale delà race gallique.

Les Celtes du continent, ainsi mis hors de cause longtemps avant la venue des Germains , il reste à examiner si ceux des îles de Bretagne , d'Irlande , ont conservé quelques débris du trésor intellectuel de la famille , et ce qu'ils en ont pu trans- mettre à leur colonie armoricaine.

César considère les indigènes de la grande île comme fort grossiers. Les Irlandais Tétaient encore davantage. A la vérité, les deux territoires passaient pour sacrés, et leurs sanctuaires étaient en vénération auprès des druides. Mais, autre chose est la science hiératique, autre la science profane. J'indiquerai plus bas les motifs qui me portent à croire la première très anciennement corrompue et avilie chez les Bretons. La se- conde était évidemment peu cultivée par eux, non pas parce que ces insulaires vivaient dans les bois; non pas parce qu'ils n'avaient pour villes que des circonvallations de branches d'ar- bres au milieu des forêts ; non pas parce que la dureté de leurs mœm-s autorisait, à tort ou à raison, à les accuser d'anthropo- phagie; mais parce que les traditions génésiaques qu'on leui attribue contiennent une trop faible proportion de faits ori- ginaux.

La prédominance des idées classiques y est évidente. Elle saute aux yeux, et elle ne nous apparaît même pas sous le cos- tume latin ; c'est dans la forme chrétienne, dans la formé mo- nacale, dans le style de pensée germano-romain, qu'elle s'of- fre à nos regards (1). Aucun observateur de bonne foi ne peut se refuser à reconnaître que les pieux cénobites du vi® siècle ont, sinon composé toutes ses oeuvres, du moins donné le ton à leurs compositeurs, même païens. Dans tous ces livres, à côté de César et de ses soldats, on voit apparaître les histoires

(1) Dieffenbach, Celtica II, Abth., p. 55.

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bibliques : Magog et les fils de Japhet, les Pharaons et la terre d'Egypte; puis le reflet des événements contemporains : les Saxons, la grandeur de Constantinople , la. puissance redoutée d'Attila.

De ces remarques je ne tire pas la conséquence qu'il n'existe absolument aucun reste de souvenir véritablement an- cien dans cette littérature; mais je pense qu'elle appartient, totalement dans ses formes et presque entièrement^ dans le fond, à répoque les indigènes n'étaient plus seuls à habiter leurs territoires, à l'époque oii leur race avait cessé d'être uni- quement celtique, à celle le christianisme et la puissance «germanique , bien que trouvant encore parmi eux de grandes résistances, n'en étaient pas moins victorieux, dominateurs, et capables de plier à leurs vues l'intelligence intimidée des plus haineux ennemis.

Toutes ces raisons, en établissant que les groupes parlant, depuis l'ère chrétienne, des dialectes celtiques, avaient, depuis longtemps, perdu toute insph-ation propre, appuient encore cette proposition, avancée tout à l'heure, que, si le génie ger- manique s'est, à son origine, enrichi d'apports kymriques, c'est sous son influence, c'est avec ce qu'il a rendu aux peuplades gaéliques, galloises et bretonnes, que s'est composée, vers le ye siècle, la littérature de ces tribus, littérature que dès lors on est en droit d'appeler moderne. Celle-ci n'est plus qu'un dérivé de courants multiples, non pas une source originale. Je ne répéterai donc pas, avec tant de philologues, que les habitants celtiques de l'Angleterre possédaient, à l'aurore de l'âge féodal, des chants et dés romans purement tirés de leur propre invention, et qui ont fait le tour de l'Europe; mais, tout au contraire, je dirai que, de même que les moines irlandais, les sculdées ont brillé d'un éclat de science théologique, d'une énergie de prosélytisme tout à fait admirable et étranger aux habitudes égoïstes et peu enthousiastes des races galliques, de même leurs poètes, placés sous les mêmes influences étran- gères, ont puisé dans le conflit d'idées et d'habitudes qui en ré- sultèrent, dans le trésor des traditions si variées ouvert sous leurs yeux, enfin dans le faible et obscur patrimoine qui leur

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avait été légué par leurs pères, cette série de productions qui a, en effet, réussi dans toute l'Europe, mais qui a son vaste succès à ce motif même qu'elle ne reflétait pas les tendances absolues d'une race spéciale et isolée : tout au contraire , elle était à la fois le produit de la pensée celtique , romaine et ger- manique, et de son immense popularité.

Cette opinion ne serait assurément pas soutenable, elle se- rait même opposée à toutes les doctrines de ce livre, si la pureté de race qu'on attribue généralement aux populations parlant encore le celtique était prouvée. L'argument, et c'est le seul dont on se sert pour l'établir, consiste dans la persis- tance de la langue. On a déjà vu plusieurs fois, et notamment à propos des Basques, combien cette manière de raisonner est peu concluante (1). Les habitants des Pyrénées ne sauraient passer pour les descendants d'une race primitive, encore moins d'une race pure; les plus simples considérations physiologi- ques s'y opposent. Les mêmes raisons ne font pas moins de résistance à ce que les Irlandais, les montagnards de l'Ecosse, les Gallois, les habitants de la Cornouaille anglaise et les Bre- tons soient considérés comme des peuples typiques et sans mélange. Sans doute, on rencontre, en général, parmi eux, et chez les Bretons surtout, des physionomies marquées d'un ca- chet bien particulier ; mais nulle part on n'aperçoit cette res- semblance générale des traits, apanage, sinon des races pures, au moins des races dont les éléments sont depuis assez long- temps amalgamés pour être devenus homogènes. Je n'insiste pas sur les différences très graves que présentent les groupes néo-celtiques quand on les compare entre eux. La persistance de la langue n'est donc pas, ici plus qu'ailleurs, une garantie certaine de pureté quant au sang. C'est le résultat des cir- constances locales, fortement servies par les positions géo- graphiques.

Ce que la physiologie ébranle, Thistoire le renverse. On sait de la manière la plus positive que les expéditions et les établis- sements des Danois et des Norwégiens dans les îles semées

(1) Vid. supra et livre I".

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autour de la Grande-Bretagne et de l'Irlande ont commencé de très bonne heure (1). Dublin a appartenu à des populations et à des rois de race danoise , et un écrivain on ne peut plus compétent a solidement établi que les chefs des clans écossais^^ étaient, au moyen âge, d'extraction danoise, comme leurs no^ blés ; que leur résistance à la couronne avait pour appuis les dominateurs danois des Orcades, et que leur chute, au xn^ siè- cle , fut la conséquence de celle de ces dynastes , leurs pa^ rents (2).

Dieffenbach constate, en conséquence, l'existence d'un mé- lange Scandinave et même saxon très prononcé chez les Hi- ghlanders. Avant lui, Murray avait reconnu l'accent danois dans le dialecte du Buchanshire, et Pinkerton, analysant les idiomes de l'île entière, avait également signalé, dans une pro- vince qui passe d'ordinaire pour essentiellement celtique, le pays de Galles , des traces si évidentes et si nombreuses du saxon, qu'il nomme le gallois a saxonised celtic (3).

Ce sont les principaux motifs qui me semblent s'opposer à ce que l'on puisse considérer les ouvrages gallois, erses ou bretons comme reproduisant, même d'une manière approxi- mative , soit les idées , soit le goût des populations kymriques de l'occident européen. Pour se former une idée juste à ce sujet , il me paraît plus exact de choisir im terrain d'abstrac- tion. Prenons en bloc les productions romaines et germani- ques; résumons, d'autre part, tout ce que les historiens et les polygraphes nous ont transmis d'aperçus et de détails sur le

(1) Dieffenbach, Celtica II, Abth., p. 310 et pass. Tacite n'hé- sitait déjà pas à reconnaître parmi les habitants de la Calédonie la présence d'une race germanique : « Rutilae Caledoniam habitantium « comae, magni ârtus germanicam originem adseverant. » {Vita Agric, II.) Je n'en conclus pas que tous les Calédoniens étaient des Ger- mains; mais rien ne s'oppose à ce qu'eç effet il y eût alors des im- migrants germains en Ecosse.

(2) Ibid.

(3) Dieffenbach, Celtica II, Abth , p. 28G. Sur l'extrême appau- vrissement du breton et les mutilations qu'il a subies en se rappro- chant dans ses formes grammaticales du français moderne , voir la Villemarqué, Barzaz Breiz, t. I, p. lxi.

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§énie particulier des Celtes, et nous en pourrons tirer les con- clusions suivantes.

L'exaltation enthousiaste , observée en Orient, n'était pas le fait de la littérature des Galls. Soit dans les ouvrages histori- ques, soit dans les récits mythiques, elle aimait l'exactitude, ou , à défaut de cette qualité , ces formes affirmatives et pré- cises qui, auprès de l'imagination, en tiennent lieu (1). Elle cherchait les faits plus que les sentiments ; elle tendait à pro- duire l'émotion, non pas tant par la façon de dire, comme les Sémites, que par la valeur intrinsèque , soit tristesse, soit éner- gie, de ce qu'elle énonçait. Elle était positive, volontiers des- criptive, ainsi que le voulait l'alliance intime qui la rapprochait du sang finnique , ainsi qu'on en voit l'exemple dclns le génie chinois, et, par son défaut intime de chaleur et d'expansion, volontiers elliptique et concise. Cette austérité de forme lui permettait d'ailleurs une sorte de mélancolie vague et facile- ment sympathique qui fait encore le charme de la poésie po- pulaire dans nos pays.

On trouvera, je l'espère, cette appréciation admissible, si l'on se rappelle qu'une littérature est toujours le reflet du peu- ple qui l'a produite, le résultat de son état ethnique, et si l'on compare les conclusions qui ressorteut de cette vérité avec l'ensemble des qualités et des défauts que le contenu des pa- ges précédentes a fait apercevoir dans le mode de culture des nations celtiques.

Il en résulte sans doute que les Kymris ne pouvaient pas être doués, intellectuellement, à la manière des nations mélani- sées du sud. Si cette condition mettait son empreinte sur leurs productions littéraires, elle n'était pas moins sensible dans le domaine des arts plastiques. De tout le bagage que les Galls ont laissé derrière eux en ce genre, et que leurs tombes nous ont rendu, on peut admirer la variété, la richesse, la bonne et

(l)M. de la Villemarqué relève avec raison , chez les auteurs des chants populaires de l'Europe, l'habitude de fixer aussi exactement que possible le lieu el la date des faits rapportés. (Barzaz Breiz, t. I, p. XXVI.) Le but de ce qu'il appelle le poète de la nature « est toujours, dit-il, de rendre la réalité. » (P. xxviii.)

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solide confection : il n'y a pas lieu de s'extasier sur la forme. Elle y est des plus vulgaires , et ne fournit aucune trace qui puisse faire reconnaître un esprit amusé, comme dans l'Asie antérieure, à donner de belles apparences aux moindres objets ou sentant le besoin de plaire à des yeux exigeants (1).

Il est vraiment curieux que César, qui s'étend avec assez de complaisance sur tout ce qu'il a rencontré dans les Gaules, et qui loue avec beaucoup d'impartialité ce qui le mérite, ne se montre aucunement séduit par la valeur artistique de ce qu'il observe. Il voit des villes populeuses, des remparts très bien conçus et exécutés : il ne mentionne pas une seule fois un beau temple (2). S'il parle des sanctuaires aperçus par lui dans les cités, cet aspect ne lui inspire ni éloge ni blâme, ni expres- sion de curiosité. Il paraît que ces constructions étaient, comme toutes les autres, appropriées à leur but, et rien de plus. J'i- magine que ceux de nos édifices modernes qui ne sont copiés ni du grec, ni du romain, ni du gothique, ni de l'arabe, ni de quelque autre style, inspirent la même indifférence aux obser- vateurs désintéressés.

On a trouvé , outre lés armes et les ustensiles , un très petit nombre de représentations figurées de l'homme ou des ani- maux. J'avoue même que je n'en connais pas d'exemple bien authentique.

Le goût général , semblerait-il donc , ne portait pas les fa- bricants ou les artistes à ce genre de travail. Le peu qu'on en possède est fort grossier et tel que le moindre manœuvre en saurait faire autant. L'ornementation des vases, des objets en bronze ou en fer, des parures en or ou en argent , est de même dénuée de goût, à moins que ce ne soient des copies d' œuvres grecques ou plutôt romaines , particularité qui indique, lors-

(1) Keferstein, Ansichten, 1. 1, p. 334.

(2) Le fait que les Celtes élevaient des sanctuaires dans leurs villes, à Toulouse entre autres, prouve que les dolmens n'appartenaient pas à leur culte ordinaire. Strabon, parlant de Tancienne splendeur des Tectosages, raconte qu'ils déposaient leurs trésors dans les chapelles, (Hixotç, ou dans les étangs sacrés, âv >t{ivatç lepaîç. si les dolmens avaient été ces otixoI, leur forme les aurait rendus trop remarquables pour que Posidonius n'en eût pas fait la description. (Strab., IV, 13.)

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qu'elle se rencontre, que l'objet observé appartient à Tépoque de la domination des Césars, ou du moins à un temps qui en est assez rapproché. Dans les périodes nationales, les dessins en spirales simples et doubles ou en lignes ondulées sont extrême- ment communs : c'est même le sujet le plus ordinaire.

Nous avons vu que les gravures observées sur les plus beaux dolmens de construction fmnique affectaient ordinairement cette forme. Il semblerait donc que les Celtes, tout en gardant leur supériorité vis-à-vis des habitants antérieurs du pays, se sont sentis assez pauvrement pourvus du côté de l'imagination pour ne pas dédaigner les leçons de ces malheureux (IJ. Mais, comme de pareils emprunts ne s'opèrent jamais qu'entre na- tions parentes, en trouver la marque peut servir à faire remar- quer qu'outre les mélanges jaunes, déjà subis pendant la durée de la migration à travers l'Europe, les Celtes en contractèrent beaucoup d'autres avec les édifîcateurs des dolmens dans la plupart des contrées ils s'établirent, sinon dans toutes. Cette conclusion n'a rien d'inattendu pour l'esprit du lec- teur : de puissants indices l'ont déjà signalée.

Il en est d'ailleurs d'autres encore, et d'une nature plus re- levée et plus importante que de simples détails d'éducation artistique. C'est ici le lieu d'en parler avec quelque insistance.

Quand j'ai dit que le système aristocratique était en vigueur chez les Galls, je n'ai pas ajouté, ce qui pourtant estnéces- sah'e, que l'esclavage existait également parmi eux.

On voit que leur mode de gouvernement était assez compli- qué pour mériter une sérieuse étude. Un chef électif, un corps de noblesse moitié sacerdotale, moitié militaire, une classe moyenne, bref l'organisation blanche, et, au-dessous, une po- pulation servile. Sauf le brillant des couleurs, on croit se re- trouver dans l'Inde.

Dans ce dernier pays, les esclaves, aux temps primitifs, se

(1) Telle est la persistance des goûts dans les races qu'aux environs de Francfort-sur-le-Mein, Ton trouve beaucoup de maisons cons- truites à la manière celtique, les dessins dont ces maisons sont ornées reproduisent constamment les mêmes spirales qui se voient sur les monuments de Gavr-Innis.

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composaient de noirs soumis par les Arians. En Egypte, les basses castes ayant été également formées , et presque en to- talité, de nègres, force est d'en conclure qu'elles jdevaient de même leur situation à la conquête ou à ses conséquences. Dans les États chamo-sémitiques, à Tyr, à Carthage, il en était ainsi. En Grèce, les Hélotes lacédémoniens, les Pœnestes thessaliens et tant d'autres catégories de paysans attachés à la glèbe^ étaient les descendants des aborigènes soumis. II résulte de ces exemples que l'existenèe de populations serviles, même avec des nuances notables dans le traitement qui leur est infligé, dénote toujours des différences originelles entre les races nationales.

L'esclavage, ainsi que toutes les autres institutions humaines^ repose sur d'autres conditions encore que le fait de la con- trainte. On peut, sans doute, taxer cette institution d'être l'a- bus d'un droit ; une civilisation avancée peut avoir des raisons philosophiques à apporter au secours déraisons ethniques, plus concluantes, pour la détruire : il n'en est pas moins incon- testable qu'à certaines époques l'esclavage a sa légitimité, et on serait presque autorisé à affirmer qu'il résulte tout autant du consentement de celui qui le subit que de la prédominance morale et physique de celui qui l'impose.

On ne comprend pas qu'entre deux hommes doués d'une in- telligence égale ce pacte subsiste un seul jour sans qu'il y ait protestation et bientôt cessation d'un état de choses iDogique. Mais on est parfaitement en droit d'admettre que de tels rap- ports s'établissent entre le fort et le faible, ayant tous deux pleine conscience de leur position mutuelle, et ravalent ce der- nier à une sincère conviction que son abaissement est justifia- ble en saine équité.

La servitude ne se maintient jamais dans une société dont les éléments divers se sont un tant soit peu fondus. Longtemps avant que Tam^lgarae arrive à sa perfection, cette situation se modifie, puis s'abolit. Bien moins encore est-il possible que la moitié d'une race dise à son autre moitié : « Tu me serviras, » et que l'autre obéisse (1).

(1) On opposera peut-être à ceci qu'en Russie comme en Pologne

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De tels exemples ne se sont jamais produits, et ce que le poids des armes pourrait consacrer un moment, n-étant jamais rati- fié par la conscience des opprimés, fragile et vacillant, s'anéan- tirait bientôt. Ainsi, partout il y a esclavage, il y a dualité ^ ou ptoalité de races. Il y a des vainqueurs et des vaincus, et l'oppression est d'autant plus complète que les races sont plus distinctes. Les esclaves, les vaincus, chez les Galls, ce furent les Finnois. Je ne m'arrêterai pas à combattre l'opinion qui veut apercevoir dans la population servile de la Celtique des tribus ibériennes proprement dites. Rien n'indique que cette famille hispanique ait jamais occupé les provinces situées au nord de la Garonne (1). Puis les différences n'étaient pas tel- les entre les Galls et les maîtres de l'Espagne, que ces derniers aient pu être abaissés en masse au rôle d'esclaves vis-à-vis de leurs dominateurs. Quand des expéditions kymriques, péné- trant dans la Péniiislile, allèrent y troubler tous les rapports antérieurs, nous en voyons résulter des expulsions et des mé- langes; mais tout démontre que, la guerre finie, il y eut, en- tre les deux parties contendantes, des relations généralement basées sur la reconnaissance d'une certaine égalité (2).

le servage est d'institution récente; mais il faut observer, d'abord, que la situation du paysan de l'empire mérite à peine ce nom ; puis, dans les deux pays, elle se transforme rapidement en liberté complète, preuve qu'elle n'a jamais été subie sans protestation. Elle n'aura donc constitué qu'un accident transitoire, résultat naturel de la superposi- tion de races différemment douées; car, en Pologne aussi bien qu'en Russie, la noblesse est issue de conquérants étrangers. Aujourd'hui, cette ligne de démarcation ethnique disparaissant ou ayant disparu, le servage n'a plus de raison d'être et le prouve en s'éteignant.

(1) Le rapprochement que l'on peut établir entre le nom de la nation hispanique métisse des Ligures et celui du Ûeuve de Loire, Lt^er, prou- verait simplement que les Ligures avaient adopté le nom de la tribu austro-celtique paternelle, qui leur semblait plus honorable que celui de tout autre peuple, ibère d'origine, dont ils pouv'aient également descendre. L'héritage de cette parUe de leur généalogie se composait de souvenirs moins brillants. (Dieffenbach, Celtica II, l'^* Abth., p. 22.) Voir encore le même auteur pour le nom des Llœgrwys, que les Triades gaéliques rattachent à la souche primitive des Kvmris. (Ibid., Abth., p. 71 et 130.)

(-2) Les Celtibériens, produit de l'hymen des deux peuples, se mon-

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Il en fut absolument de même pour d'autres groupes à demi blancs, apparentés aux Ibères d'assez près, et plus tard aux Galls. Ces groupes étaient composés de Slaves qui, semés sur plusieurs points des pays celtiques, y vivaient sporadiquement, côte à côte avec les Kymris. Les mêmes motifs qui empêchaient les Ibères d'Espagne, envahis par les Celtes, d'être réduits en esclavage, assuraient à ces Wendes, perdus loin du gros de leur race , une attitude d'indépendance. On les voit formant dans TArmorique une nation distincte, et y portant leur nom national de Veneti, Ces Vénètes avaient aussi dans le pays de Galles actuel une partie des leurs (1), dont la résidence était Wenedotia ou Gwineth. La Vilaine s'appelait, d'après eux, Vindilis, La ville de Vannes garde aussi dans son nom une trace de leur souvenir, et ce qui est assez curieux, c'est qu'elle le garde dans la forme que les Finnois donnent au mot JVende : JTane (2).

Une tribu gallique, parente des Vénètes, les Osismii, possé- dait un port qu'elle nommait Vindana (3). Bien loin de en- core, sur l'Adriatique et tout à côté des Celtes Euganéens, ré- sidaient les Veneti y Heneti ou Eneti, dont la nationalité est un fait historiquement reconnu, mais qui^ bien que parlant une langue particulière, avaient absolument les mêmes mœurs que les Galls, leurs voisins. Plusieurs autres' populations slaves,

trèrent peut-être un peu supérieurs aux familles d'où ils sortaient. J'ai déjà fait remarquer que ce fait était assez ordinaire dans les alliages d'espèces inférieures ou secondaires. (Voir 1. 1, livre V\) Dieffenbach {Celticà II, Abth., p. 47) fait cette même observation, précisément à propos du sujet dont il s'agit ici.

(1) Schaffarik, Slawische Alterth., t. I, p. 260.

(2) Schaffarik , ouvr, cité, t. I, p. 260.

(3) En breton , Gwenet et Wenet. C'est une règle curieuse que les Hellènes mettaient le digamma et les Grecs modernes placent

e C, les Celtes, les Latins et les Slaves emploient le W. Le digamma se confond avec l'esprit rude; les dialectes gothiques, et le sanscrit même, remplacent le W par le H. (Shaffarik, iSlawische Alterthûmer, 1. 1, p. 160.) On trouve encore en France la racine Vend dans plusieurs autres noms de lieux à l'ouest, tels que Vendôme et la Vendée. Stra- bon nomme encore des OOevoveç ou Vennones au-dessus de Côme, à côté des Rhétiens, non loin, par conséquent, des Vénètes de l'Adria- tique. L. IV, 6.) Dieffenbach, Celtica II, i" Abth., p. 3i-2, 219, 220, 222»

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<;eltiséesdaiis des proportions diverses, vivaient au nord-est de l'Allemagne et sur la ligne des Krapacks, côte à côte avec les nations galliques.

Tous ces faits démontrent que les Slaves de la Gaule et de l'Italie, comme les Ibères d'Espagne, conservaient un rang assez digne et faisaient nombre parmi les États kymriques auxquels ils s'étaient alliés. Sans donc songer à déshonorer gratuitement leur mémoire , cherchons la race servile elle put être : nous ne trouvons que les Finnois.

Leur contact immédiat devait nécessairement exercer sur leurs vainqueurs, bientôt leurs parents, une influence délétère. On en retrouve les preuves évidentes.

Au premier rang il faut mettre l'usage des sacrifices hu- mains, dans la forme on les pratiquait, et avec le sens qu'on leur donnait. Si l'instinct destructif est le caractère indélébile fcie l'humanité entière, comme de tout ce qui a vie dans la na- ture, c'est assurément parmi les basses variétés de l'espèce qu'il se montre le plus aiguisé. A ce titre, les peuples jaunes le possèdent tout aussi bien que les noirs. Mais , attendu que les premiers le manifestent au moyen d'un appareil spécial de sentiments et d'actions, il s'exerçait aussi chez les Galls, at- teints par le sang finnique, d'une autre façon que chez les na- tions sémitiques, imbues de l'essence mélanienne. On ne voyait pas, dans les cantons celtiques, les choses se passer comme aux bords de l'Euphrate. Jamais, sur des autels publiquement élevés au milieu des villes, au centre de places inondées de la clarté du soleil, les rites homicides du sacerdoce druidique ne s'accomplirent impudemment, avec une sorte de rage bruyante, solennelle, délirante, joyeuse de nuire. Le culte morose et cha- grin de ces prêtres d'Europe ne visait pas à repaître des ima- ginations ardentes par le spectacle enivrant de cruautés raffi- nées. Ce n'était pas à des goûts savants dans l'art des tortures qu'il fallait arracher des applaudissements. Un esprit de som- bre superstition , amant des terreurs taciturnes , réclamait des scènes plus mystérieuses et non moins tragiques. A cette fin, on réunissait un peuple entier au fond des bois épais. Là, pen- dant la nuit, des hurlements poussés par des invisibles frap-

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.q)aient Foreille effrayée des fidèles. Puis, sous la voûte consa- crée du feuillage humide qui laissait à peine tomber sur une scène terrible la clarté douteuse d'une lune occidentale, sur un autel de granit grossièrement façonné , et emprunté à d'an- ciens rites barbares, les sacrificateurs faisaient approcher les victimes et leur enfonçaient, en silence, le couteau d'airain dans la gorge ou dans le flanc. D'autres fois, ces prêtres rem- ;pUssaient de gigantesques mannequins d'osier de captifs et de criminels , et faisaient tout flamber dans une des clairières de ileurs grandes forêts.

Ces horreurs s'accomplissaient comme secrètement; et , tan- •dis que le Chamite sortait de ses boucheries hiératiques ivre de carnage, rendu insensé par l'odeur du sang dont on venait de lui gonfler les narines et le cerveau, le Gall revenait de ses solennités religieuses, soucieux et hébété d'épouvante. Voilà la différence : à l'un, la férocité active et brûlante du principe mélanien; à l'autre, la cruauté froide et triste de l'élément jaune. Le nègre détruit parce qu'il s'exalte, et s'exalte parce qu'il détruit. L'homme jaune tue sans émotion et pour répon- dre à un besoin momentané de son esprit. J'ai montré, ailleurs, qu'à la Chine l'adoption de certaines modes féroces, comme d'enterrer des femmes et des esclaves avec le cadavre d'un prince, correspondait à des invasions de nouveaux peuples jaunes dans l'empire.

Chez les Celtes , tout l'ensemble du culte portait également témoignage de cette influence. Ce n'est pas que les dogmes et certains rites fussent absolument dépouillés de ce qu'ils de- vaient à l'origine primitivement noble de la famille. Les mytho- logues y ont découvert de frappantes analogies avec les idées hindoues, surtout quant aux théories cosmogoniqu.es. Le sa- cerdoce lui-même, voué à la contemplation et à l'étude, fa- çonné aux austérités et aux fatigues, étranger à l'usage des ar- mes, placé au-dessus, sinon au dehors de la vie mondaine, et jouissant du droit de la guider, tout en ayant le devoir d'en faire peu de cas, ce sont autant de traits qui rappellent assez bien la physionomie des purohitas.

Mais ces derniers ne dédaignaient aucune science et prati-

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quaient toutes les façons de perfectionner leur esprit. Les drui- des avilis s'en tenaient à des enseignements à jamais fermés et à des formes traditionnelles. Ils ne voulaient rien savoir au delà, ni surtout rien communiquer, et les terreurs dangereu- ses dont ils entouraient leurs sanctuaires, les périls matériels qu'ils accumulaient autour des forêts ou des landes qui leur servaient d'école, étaient moins rébarbatifs encore que les obstacles moraux apportés par eux à la pénétration de leurs connaissances. Des nécessités analogues à celles qui dégradè- rent les sacerdoces chamitiques pesaient sur leur génie.

Ils craignaient l'usage de l'écriture. Leur doctrine entière était confiée à la mémoire. Bien différents des purohitas sur ce point capital , ils redoutaient tout ce qui aurait pu faire appré- cier et juger leurs idées. Ils prétendaient, seuls de leurs na- tions , avoir les yeux ouverts sur les choses de la vie future. Forcés de reconnaître l'imbécillité religieuse des masses ser- viles, et plus tard des métis qui les entouraient, ils n'avaient pas pris garde que cette imbécillité les gagQait, parce qu'ils étaient des métis eux-mêmes. En effet, ils avaient omis ce qui aurait pu seul maintenir leur supériorité en face des laïques : ils ne s'étaient pas organisés en caste ; ils n'avaient pris nul soin de garder pure leur valeur ethnique. Au bout d'un cer- tain temps, la barbarie, dont ils avaient cru sans doute se garantir par le silence, les avait envahis, et toutes les plate& sottises et les atroces suggestions de leurs esclaves avaient pé- nétré au sein de leurs sanctuaires si bien clos , en s'y glissant dans le sang de leurs propres veines. Rien de plus naturel.

Comme tous les autres grands faits sociaux, la religion d'un peuple se combine d'après l'état ethnique. Le catholi- cisme lui-même condescend à se plier, quant aux détails , aux instincts, aux idées, aux goûts de ses fidèles. Une église de la Westphalie n'a pas l'apparence d'une cathédrale péruvienne \. mais, lorsque c'est de religions païennes qu'il s'agit, comme elles sont issues presque entièrement de l'instinct des races, au lieu de dominer cet instinct, elles lui obéissent sans ré- serve, reflétant son image avec la fidélité la plus scrupuleuse. Il n'y a pas de danger, d'ailleurs, qu'elles s'inspirent avec

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partialité de la partie la plus noble du sang. Existant surtout pour le plus grand nombre, c'est au plus grand nombre qu'el- les doivent parler et plaire. S'il est abâtardi, la religion se conforme à la décomposition générale, et bientôt se fait fort d'en sanctifier toutes les erreurs, d'en refléter tous les crimes (1). Les sacrifices humains, tels qu'ils furent consentis par les drui- des , donnent une nouvelle démonstration de cette vérité.

Parmi les nations galliques du continent, les plus attachées à ce rite épouvantable étaient celles de TArmorique. C'est , en même temps , une des contrées qui possèdent le plus de mo- numents finnois. Les landes de ce territoire, le bord de ses rivières , ses nombreux marécages , virent se conserver long- temps l'indépendance des indigènes de race jaune. Cependant les îles normandes, la Grande-Bretagne, l'Irlande et les archi- pels qui l'entourent, furent encore plus favorisés à cet égard (2).

Dans ses provinces intérieures, l'Angleterre possédait des populations celtiques inférieures de tous points à celles de la Gaule (3) , et qui, plus tard, ayant renvoyé à l'Armorique des habitants pour repeupler ses campagnes désertes , lui donnè- rent cette colonie singuhère qui, au milieu du monde moderne, a conservé l'idiome des Kymris. Certains Bas-Bretons, avec leur taille courte et ramassée, leur tête grosse, leur face carrée et sérieuse, généralement triste, leurs yeux souvent

(1) Voir tome I«'.

(2) Il ne serait pas impossible qu'au temps de César, les îles situées à rembouchure du Rhin aient été encore occupées par des tribus pu- rement finnoises. Le dictateur raconte que les hommes qui les habi- taient étaient extrêmement barbares et féroces, et vivaient unique- ment de poissons et d*œufs d'oiseaux. Il les distingue complètement des Belges. (De Bello GalL, IV, 10.) Quant à la situation ethnique des Celtes des îles de l'ouest, on peut juger combien elle était dégradée, par ce fait que certaines tribus avaient adopté le nom même des jaunes et s'appelaient les Féniens. On trouve également l'indication d'un mélange avoué dans le nom caractéristique de Fin-gai.

(3) Strabon (IV, chap. v, 2) raconte que plusieurs peuplades de la Grande-Bretagne étaient tellement grossières qu'ayant beaucoup de lait, elles ne savaient pas même en confectionner du fromage. Ce dé- tail emprunte de l'intérêt à la même incapacité signalée chez plusieurs peuples jaunes. Voir plus loin.

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bridés et relevés à l'angle extrême, trahissent, pour l'observa- teur le moins exercé , la présence irrécusable du sang fînnique à très forte dose.

Ce furent ces hommes si mélangés, tant de l'Angleterre que de l'Armorique, qui se montrèrent le plus longtemps attachés aux superstitions cruelles de leur religion nationale. De tels rites étaient abandonnés et oubliés par le reste de leur famille, qu'eux s'y cramponnaient avec passion. On peut juger du de-

. gré d'amour qu'ils lui portaient, en songeant qu'ils conservent actuellement, dans leur préoccupation pour le droit débris, des notions tirées du code de morale honoré chez leurs anti- ques compatriotes, les Cimmériens de la Tauride.

Les. druides avaient placé parmi ces Armoricains leur séjour de prédilection. C'était chez eux qu'ils entretenaient leurs principales écoles (1).

Conformément à l'instinct le plus obstiné de l'espèce blan- che , ils avaient admis les femmes au premier rang des inter- prètes de la volonté divine. Cette institution, impossible à main- tenir dans les régions du sud de l'Asie, devant les notions mé- laniennes, leur avait été facile à conserver en Europe. Les hor- des jaunes, tout en repoussant leurs mères et leurs filles dans

. un profond état d'abjection et de servilité , les emploient volon- tiers, aujourd'hui encore, aux œuvres magiques. L'extrême ir- ritabilité nerveuse de ces créatures les rend propres à ces em- plois. J'ai déjà dit qu'elles étaient, des trois races qui composent l'humanité , les femmes les plus soumises aux influences et

(1) Les réunions druidiques annuelles du pays Ciiartrain n'avaient pas pour but de traiter des questions religieuses ; il ne s'agissait que d'affaires temporelles. (Cœs., de Bello GalL, VI, 13.) Une singulière opinion des druides voulait que le peuple entier des Celtes descendît de Pluton. Celte doctrine, reproduite par une bouche et avec des for- mes romaines, pourrait bien se rattacher à des idées finnoises, et se rapprocher de celles qui mêlent constamment celte race de petite taille aux rochers, aux cavernes et aux mines. (Caesar, de Bello GalL, YI, 18.) Peut-être aussi n'était-ce qu'un jeu de mots sur le nom commun à toutes les tribus : gai , qui signifie aussi obscurité, et qui, dans cette acception, est la racine des mots teutoniques : Hœlle et llell, l'enfer, comme du latin : caligo, les ténèbres.

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-aux maladies hystériques. Delà, dans la hiérarchie religieuse 4e toutes les nations celtiques, ces druidesses , ces prophétes- ses qui, soit renfermées à jamais dans une tour solitaire, soit réunies en congrégations sur un îlot perdu dans l'océan du Nord, et dont Fabord était mortel pour les profanes, tantôt vouées à un éternel célibat, tantôt offertes à des hymens tem- poraires ou à des prostitutions fortuites , exerçaient sur l'ima- gination des peuples un prestige extraordinaire , et les domi- naient surtout par l'épouvante.

C'est en employant de tels moyens que les prêtres, flattant la populace jaune de préférence aux classes moins dégradées , maintenaient leur pouvoir en rappu}'ant sur des instincts dont ils avaient caressé et idéalisé les faiblesses. Aussi n'y a-t-il rien d'étrange à ce que la tradition populaire ait rattaché le souvenir des druides aux cromlechs et aux dolmens. La reli- gion était de toutes les choses kymriques celle qui s'était mise le plus intimement en rapport avec les constructeurs de ces •horribles monuments .

Mais ce n'était pas la seule. La grossièreté primitive avait pénétré de toutes parts dans les mœurs du Celte. Comme l'I- bère, comme l'Étrusque, le Thrace et le Slave, sa sensualité, dénuée d'imagination, le portait communément à segorgerde viandes et de liqueurs spiritueuses, simplement pour éprouver im surcroît de bien-être physique. Toutefois, disent les docu- ments, cette habitude avait d'autant plus de prise sur le Gall qu'il se rapprochait davantage des basses classes (1). Les chefs ne s'y abandonnaient qu'à demi. Dans le peuple , mieux assi- milé aux populations esclaves, on rencontrait souvent des hommes qu'une constante ivrognerie avait conduits par de- grés à un complet idiotisme. C'est encore de nos jours chez ies nations jaunes que se trouvent les exemples les plus frap-

(1) Am. Thierry, Hist. des Gaulois, t. II, p. 62. Il ne faut pas con- fondre cet amour de la débauche avec la puissance de consommation dont s'honoraient les Arians Hellènes et les Scandinaves. Pour ces derniers peuples, c'était uniquement un signe de force chez les héros. On ne voit nulle part d'allusion qui puisse indiquer que l'ivresse en fût le résultat et parût excusable.

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pants de cette bestiale habitude. Les Galls l'avaient évidem- ment contractée par suite de leurs alliances finnoises, puis- qu'ils y étaient d'autant moins soumis que le sang des individus était plus indépendant de ces mélanges (1).

A tous ces effets moraux ou autres , il ne reste plus qu'à joindre les résultats produits dans la langue des Kymris par l'association des éléments idiomatiques provenus de la race jaune. Ces résultats sont dignes de considération.

Bien que la conformation physique des Galls, très pareille à celle qu'on observa plus tard chez les Germains, ait con- servé longtemps aux premiers la marque irréfragable d'une alliance étroite avec Fespèce blanche, la linguistique n'est ar- rivée que très tard à appuyer cette vérité de son assentiment (2).

Les dialectes celtiques faisaient tant de résistance à se laisser assimiler aux langues arianes, que plusieurs érudits crurent même pouvoir les dire de source différente. Toutefois, après des recherches plus minutieuses, plus scrupuleuses, on a fini par casser le premier arrêt , et d'importantes conversions ont décidément revisé le jugement. Il est aujourd'hui reconnu et établi que le breton, le gallois, l'erse d'Irlande, le gaélique d'Écossé, sont bien des rameaux de la grande souche ariane, et parents du sanscrit, du grec et du gothique (3). Mais com-

(1) Dans les populations de l'Europe actuelle l'ivrognerie est surtout répandue chez les Slaves, les restes de la race kymrique, les Alle- mands slavisés du sud, et les Scandinaves métis de Finnois; mais le& Lapons y sont les plus abandonnés de tous.

(2) Il est bon de remarquer que la numismatique favorise ce doute. Je citerai, entre autres, une médaille d'or des Médiomatrices, dont la face porte une figure marquée du type le plus laid, le plus vulgaire, le plus commun, et dans lequel l'influence flnnique est impossible à méconnaître. Nos rues et nos boutiques sont remplies aujourd'hui de ce genre de physionomies. Cabinet de S. E. M. le général baron de Prokesch-Osten.

(3) Pott, Encycl. Ersch u. Gruber; Indo-germanischer Sprachst, p. 87. M. Bopp pense que le celtique ne le cède à aucune langue européenne en abondance de mots provenant de la souche indo-ger- manique. ( ?7e6er die keltischem Sprachen, et Mémoires de V Acadé- mie de Berlin, 4838, p. 189.) Il ajoute encore que, pour la désignation des rapports grammaUcaux, les dialectes celtiques n'ont pas inventé de formes neuves non indo-germaniques, ni rien emprunté,, sous ce-

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bien ne faut-il pas que les idiomes celtiques soient défigurés pour avoir rendu cette démonstration si lente et si laborieuse ! Combien ne faut-il pas que d'éléments hétérogènes se soient mêlés à leur contexture pour leur avoir donné un extérieur si différent de celui de toutes les langues de leur famille î Et, en effet, une invasion considérable de mots étrangers, des mutilations nombreuses et bizarres , voilà les éléments de leur originalité.

Tels sont les dégâts accomplis dans le sang, les croyances, les habitudes, l'idiome des Celtes,, par la population esclave qu'ils avaient d'abord soumise , et qui ensuite , suivant l'usage, les pénétra de toutes parts et les fît participer à sa dégrada- tion. Cette population n'était pas restée et ne pouvait rester longtemps reléguée dans son abjection, loin du lit de ses maî- tres. Les Celtes, par des mariages contractés avec elle, firent de bonne heure éclore, de leur propre abaissement , des séries nouvelles de capacités, d'aptitudes, et par suite de faits, qui ont, à leur tour, servi et serviront de mobile et de ressort à toute l'histoire du monde. Les antagonismes et les mélanges de ces forces hybrides ont, suivant les temps, favorisé le pro- grès social et la décadence transitoire ou définitive. De même que dans la nature physique les plus grandes oppositions con- tribuent mutuellement à se faire ressortir, de même ici les qualités spéciales des alliages jaunes et blancs forment un repoussoir des plus énergiques à celles des produits blancs et noirs. Chez ces derniers , sous leur sceptre , au pied de leurs trônes magnifiques, tout embrase l'imagination, la splendeur des arts, les inspirations de la poésie s'y décuplent et couvrent leurs créateurs des rayons étincelants d'une gloire sans pa- reille. Les égarements les plus insensés , les plus lâches fai- blesses, les plus immondes atrocités , reçoivent de cette surex- citation perpétuelle de la tête et du cœur un ébranlement, un je ne sais quoi favorable au vertige. Mais , quand on se retourne

même rapport, des familles de langues étrangères au sanscrit. Tous leurs idiotismes proviennent uniquement de mutilations et de pertes. iOuvr. cité, p. 19o.)

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vers la sphère du mélange blanc et jaune , l'imagination se* calme soudain. Tout s'y passe sur un fond froid.

, on ne rencontre plus que des créatures raisonnables , ou , à ce défaut , raisonneuses. On n'aperçoit plus que rarement,, et comme des accidents remarqués , de ces despotismes sans bornes qui, chez les Sémites, n'avaient pas même besoin de s'excuser par*le génie. Les sens ni l'esprit n'y sont plus étonnés par aucune tendance au sublime. L'ambition humaine y est toujours insatiable, mais de petites choses. Ce qu'on y appelle jouir, être heureux , se réduit aux proportions les plus immé- diatement matérielles. Le commerce , l'industrie , les moyens de s'enrichir afin d'augmenter un bien-être physique réglé sur les facultés probables de consommation, ce sont les- sérieuses affaires de la variété blanche et jaune. A différentes époques, l'état de guerre et Fabus de la force, qui en est la suite , ont pu troubler la marche régulière des transactions et mettre obstacle au tranquille développement du bonheur dé- cès races utilitaires. Jamais cette situation n'a été admise par la conscience générale, comme devant être définitive. Tous les instincts en étaient blessés » et les efforts pour en amener la modification ont duré jusqu'au succès.

Ainsi , profondément distinctes dans leur nature , les deux; grandes variétés métisses ont été au-devant de destinées qui ne pouvaient pas l'être moins. Ce qui s'appelle durée de force active, intensité de puissance, réalité d'action, la victoire, le- royaume, devait, nécessairement, rester un jour aux êtres qui, voyant d'une manière plus étroite, touchaient, par cela même, le positif et la réalité; qui, ne voulant que des conquêtes pos- sibles et se conduisant par un calcul terre à terre, mais exact, mais précis, mais approprié rigoureusement à l'objet, ne pou- vaient manquer de le saisir, tandis que leurs adversaires nour- rissaient principalement leur esprit de bouffées d'exagérations et de non-sens.

Si l'on consulte les moralistes pratiques les mieux écoutés par les deux catégories, on est frappé de l'éloignement de leurs^ points de vue. Pour les philosophes asiatiques, se soumettre* au plus fort, ne pas Contredire qui peut vous perdre, se con*

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tenter de rien pour braver en sécurité la mauvaise fortune, voilà la vraie sagesse.

L'homme vivra dans sa Jtête ou dans son cœur, touchera la terre comme une ombre , y passera sans attache , la quittera sans regret.

Les penseurs de l'Occident ne donnent pas de telles leçons à leurs disciples. Ils les engagent à savourer l'existence le mieux et le plus longtemps possible. La haine de la pauvreté est le premier article de leur foi. Le travail et l'activité en sforment le second. Se défier des entraînements du cœur et de la tête en est la maxime dominante : jouir, le premier et le dernier mot.

Moyennant renseignement sémitique, on fait d'un beau pays un désert dont les sables, empiétant chaque jour sur la terre fertile, engloutissent avec le présent l'avenir. En suivant l'au- 4;re maxime , on couvre le sol de charrues et la mer de vais- seaux ; puis un jour, méprisant l'esprit avec ses jouissances impalpables, on tend à mettre le paradis ici-bas, et finale- jnent à s'avilir. *

CHAPITRE IV.

Les peuplades italiotes aborigènes.

Les chapitres qui précèdent ont montré que les éléments fondamentaux de la population européenne, le jaune et le blanc, 56 sont combinés de bonne heure d'une manière très com- plexe. S'il est resté possible d'indiquer les groupes dominants, de dénommer les Finnois, les Thraces, les lUyriens, les Ibères, lesRasènes, lesGalls, les Slaves, il serait complètement illu- soire de prétendre spécifier les nuances, retrouver les particu- larités, préciser la quotité des mélanges dans les nationalités fragmentaires. Tout ce qu'on est en droit de constater avec

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182 DE L INEGALITE

certitude, c'est que ces dernières étaient déjà fort nombreuses avant toute époque historique , et cette seule indication suffira pour établir combien il est naturel que leur état linguistique porte dans sa confusion la trace irrécusable de l'anarchie ethni- que du sang d'où elles étaient issues. C'est le motif qui dé- ligure les dialectes des Galls, et rend Teuskara, l'illyrien, le peu que nous savons du thrace, l'étrusque, même les dialectes ita- Ilotes , si difficiles à classer.

Cette situation problématique des idiomes se prononce d'au- tant mieux que l'on considère des contrées plus méridionales en Europe.

Les populations immigrantes, se poussant de ce côté et y rencontrant bientôt la mer et l'impossibilité de fuir plus loin,^ sont revenues sur leurs pas, se sont renversées les unes sur les autres , se sont déchirées , enveloppées , enfin mélangées plus confusément que partout ailleurs, et lem's langues ont eu le même sort.

Nous avons déjà contemplé ce jeu dans la Grèce continen- tale. Mais l'Italie surtout était réservée à devenir la grande impasse du globe. L'Espagne n'en approcha pas. Il y eut, dans cette dernière contrée, des tourbillonnements de peuples, mais de peuples grands et entiers quant au nombre, tandis qu'en Italie ce furent surtout des bandes hétérogènes qui se mon. trèrent et accoururent de toutes parts. De l'Italie on passa en Espagne, mais pour coloniser quelques points épars. D'Es- pagne on vint en Italie en masses diverses, comme on y venait delà Gaule, de l'Helvétie, des contrées du Danube, de l'Illyrie, comme on y vint de la Grèce continentale ou insulaire. Paria largeur de l'isthme qui la tient attachée au continent aussi bien que par le développement étendu de ses côtes de l'est et de l'ouest, l'Italie semblait convier toutes les nations européen- nes à se réfugier sur ses territoires d'un aspect si séduisant et d'un abord si facile. Il semble qu'aucune peuplade errante n'ait résisté à cet appel.

Quand furent achevés les temps donnés à la domination obs- cure des familles finnoises, les Rasènes se présentèrent, et^ après eux, ces autres nations qui devaient former la première

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DES BACES HUMAINES. 183

coucjjrdes métis blancs, maîtres du pays depuis les Alpes jus- qu'au détroit de Messine.

Elles se séparaient en plusieurs groupes qui comptaient plus ou moins de tribus. Les tribus, comme les groupes, portaient des noms distinctifs, et parmi ces noms le premier qui se montre, c'est, absolument comme dans la Grèce primitive, ce- lui des Pélasges (1). A leur suite, les chroniqueurs amènent bientôt d'autres Pélasges sortis de l'Hellade, de sorte qu'au- cun lieu ne saurait être mieux choisi et aucune occasion plus convenable pour examiuer à fond ces multitudes qui, aux yeux des Grecs et des Romains, représentaient les sociétés primiti- vement cultivées, voyageuses et conquérantes de leur histoire.

La dénomination de Pélasge n'a pas de sens ethnique. Elle ne suppose pas une nécessaire identité d'origine entre les mas- , ses auxquelles on l'attribue (2). Il se peut que cette identité ait existé; c'est même, dans certains cas, l'opinion plausible, mais assurément l'ensemble des Pélasges y échappe, et, par conséquent , le mot, en tant qu'indiquant une nationalité spé- ciale, est absolument sans valeur (3).

Sous un certain point de vue cependant, il acquiert un mérité relatif. Tout ainsi que son synonyme aborigène, il n'a jamais été appliqué, par les annalistes anciens, qu'à des popu- lations blanches ou à demi blanches, de la Grèce ou de l'Italie, que l'on supposait primitives (4). Il est donc pourvu, au moins,

ri) Mommsen, Die unter-italischen Dialekte, p. 206.

(2) Voir plus iiaut.

(3) Hérodote, parlant des Pélasges de Dodone, remarque qu'ils con- sidéraient les dieux comme de simples régulateurs anonymes de l'uni- vers, et nullement conime en étant les créateurs. C'est le naturalisme arian. Ces Pélasges semblent donc avoir été des Illyriens Arians, ce que n'étaient pas d'autres Pélasges. (Hérod., Il, 52.)

(4) Abeken , Mittel-Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschaft, p. 18 et 12o : « Si nous considérons cette race grecque primitive que « rialie se partage avec l'Hellade,' il est à remarquer qu'on la recon- « naît sur les deux points, non seulement aux bases des deux langues, « qui sont identiques, mais encore dans les plus anciens restes d'archi- « lecture. » Voir encore même ouvrage, p. 82. 0. Muller, die Etrusker, p. 27 et 56. Mommsen, Die unter-italischen Diaîekte, p. 363. Strabon, V, 2, 4.

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184 DE l'inégalité

dune signification géographique, ce qui n'est pas dénué d'uti- lité pour élaborer réclaircissement de la question de race. Mais s'arrêtent les services qu'il faut en attendre. Si ce n'est pas Beaucoup, encore est-ce quelque chose.

En Grèce, les populations pélasgiques jouent le rôle d'op- primées, d'abord devant les colonisateurs sémites, ensuite devant les émigrants arians-hellènes. Il ne faut pas surfaire le malheur de ces victimes : la sujétion qu'on leur imposait avait des bornes (1). Dans son étendue la plus grande, elle s'arrê- tait au servage. L'aborigène vaincu et soumis devenait le ma- nant du pays. Il cultivait la terre pour ses conquérants, il tra- vaillait à leur profit. Mais, ainsi que le comporte cette situation, il restait maître d'une partie de son travail et conservait suf- fisamment d'individualité (2). Toute subordonnée qu'elle était, cette attitude valait mieux , à mille égards , que l'anéantisse- ment civil auquel étaient réduites partout les peuplades jaunes. Puis , les Pélasges de la Grèce n'avaient pas été indistincte- ment asservis. Nous avons vu que la plupart des Sémites, puis des Arians Hellènes s'établirent sur l'emplacement des villa- ges aborigènes, en conservèrent souvent les noms anciens, et s'allièrent avec les vaincus de manière à produire bientôt un nouveau peuple. Ainsi les Pélasges ne furent pas traités en sau- vages. On les subordonna sans les annihiler. On leur accorda un rang conforme à la somme et au genre de connaissances et de richesses qu'ils apportaient dans la communauté.

Cette dot était certainement d'une nature grossière : les aptitudes et les produits agricoles en faisaient le fond. Le poète de ces aborigènes, qui est Hésiode , non pas comme issu de leur race, mais parce qu'il a surtout envisagé et célébré leurs travaux, nous les montre fort attachés aux emplois rustiques. Ces pasteurs sont également habiles à élever de grands murs, à bâtir des chambres funéraires , à amonceler des tumulus de terre d'une imposante étendue (B). Or, toutes ces œuvres, nous

(1) Voir plus haut.

(2) Voir plus haut.

(3) Ou ne doit pas oublier que ces constructions, formées de blocs entassés et encastrés l'un sur l'autre, d'après leurs formes naturelles.

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les avons déjà observées dans les pays celtiques. Nous les re- connaissons pour semblables, quant aux traits généraux, à celles qui ont couvert le sol de la France et de l'Allemagne, sous l'action des premiers métis blancs.

Les auteurs grecs ont analysé les idées religieuses des abo- rigènes. Ils ont dit leur respect pour le chêne (1), l'arbre druidique. Ils les ont montrés croyant aux vertus prophétiques de ce patriarche des bois, et cherchant dans la solitude des vertes forêts .la présence de la Divinité. Ce sont des habi- tudes, des notions toutes galliques. Ces mêmes Pélasges avaient encore l'usage d'écouter les oracles de femmes consacrées, de prophétesses semblables aux Alrunes, qui exerçaient sur leurs esprits une domination absolue (2). Ces devineresses furent les mères des sibylles, et, dans un rang moins élevé, elles eurent aussi pour postérité les magiciennes de la Thessalie (3).

On ne doit pas non plus oublier que le théâtre des supersti- tions les moins conformes à la nature de l'esprit asiatique resta toujours fixé au sein des contrées septentrionales de la Grèce. Les ogres, les lémures, l'entrée du Tartare, toute cette fantasmagorie sinistre s'enferma dans l'Épire et la Chaonie, provinces le sang sémitisé ne pénétra que très tard , et les aborigènes maintinrent le plus longtemps leur pureté.

Mais, si ces derniers semblent, pour toutes ces causes, devoir être comptés au rang des nations celtiques , il y a des motifs d'admettre des exceptions pour d'autres tribus.

Hérodote a raconté que plusieurs langages étaient parlés, à une époque anté-hellénique, entre le cap Malée et l'Olympe (4).

n'ont rien de commun avec les édifices arians-helléniques , les pier- res sont taillées d'une façon régulière.

(1) Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie, t. I, p. 203. Cette adoration se perpétua longtemps parmi les populations agricoles de l'Arcadie. « Habitœ Graiis oracula quercus. » (Georg., II, 16.)

(2) Bœttiger, loc. cit.

(3) Parmi d'autres traces de la présence des Celtes dans la popula- tion primiUve de la Grèce, on peut encore relever le nom tout à fait significatif du pays de Calydon, KaXuSwv, et des Calydoniens, KaXu- Sôvwv, qui l'habitent. Le mythe entier de Méléagre semble également faire partie de la tradition aborigène.

(4) Voir plus haut.

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186 DE l'inégawté

Le texte de Thistorien , peu précis en cette occasion , se prête sans doute à des ambiguïtés. Il peut avoir voulu dire qu'il exis- tait sur cet espace des dialectes chananéens et des dialectes kymriques. Toutefois une telle explication, n'étant qu'hypo- thétique, ne s'impose pas inévitablement , et on est autorisé à la prendre encore dans un autre sens non moins vraisemblable.

Les usages religieux de la Grèce primitive offrent plusieurs particularités absolument étrangères aux habitudes kymriques, par exemple, celle qui existait à Pergame, à Samos, à Olym- pîe, de construire des autels avec la cendre des victimes mê- lée de monceaux d'ossements incinérés. Ces monuments dé- passaient quelquefois une hauteur de cent pieds (1). Ni en Asie, chez les Sémites, ni en Europe, chez les Celtes, nous n'avons rencontré trace d'une pareille coutume. En revanche, nous la trouvons chez les nations slaves. , il n'est pas une ruine de temple qui ne nous montre son tas de cendres consa- cré, et souvent même ce tas de cendres, entouré d'un mur çt d'un fossé ^ forme tout le sanctuaire (2). Il devient ainsi très probable que parmi les aborigènes kymriques il se mêlait aussi des Slaves. Ces deux peuples, si fréquemment unis l'un à l'autre, avaient ainsi succédé aux Finnois, jadis parvenus en plus ou moins grand nombre sur ce point du continent, et s'é- taient alliés à eux dans des mesures différentes (3).

Je ne trouve plus dès lors impossible que , dans les gran- des révolutions amenées par la présence des colons sémites et des conquérants arians-titans , puis arians-hellènes, des fugi-

(1) Pausanias, in-8«, Lips., 1823, l. Il, chap. xiii : « Olympii quidem <i Jovis ara pari intervallo a Pelopis et Junonis aede distat... Congesta « illa est e cinere collecta ex adustis victimarum fenioribus. Talis et « Pergami ara est, talis Samiae Junonis, nihilo illa quidem ornatior « quam in Attica quos Rudes appellant focos. Arae olympicse una cre- « pido... ambitum peragit centum et amplius quinque et viginti. »

(2) Keferslein, OMur. dfé, t. I, p. 236 et pass.

(3) Les collines de sacrifices, de création slave, se trouvent avec abondance jusqu'en Servie. M. Troyon pense qu'il, faut en faire remon- ter l'époque au v* et yi« siècle de notre ère seulement. En tout cas, c'est un mode de construction fort antique et tout à fait semblable aux autels d'Olympie et de Samos.

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DES BACES HUMAINES. 187

tifs aborigènes de race slave aient pu passer en Asie à dif- férentes époques, et y porter dans la Paphlagonie le nom wende des Enètes ou Henètes (1). Ces malheureux Pélasges , Slaves, Celtes, Illyriens ou autres, mais toujours métis blancs, attaqués par des forces trop considérables, et souvent assez forts cependant pour ne pas accepter un esclavage absolu, émigraient de tçus côtés, se faisaient à leur tour pillards, ou, si l'on veut, conquérants , et devenaient Felfroi des pays ils portaient leur belliqueuse misère.

La terre italique était déjà peuplée de leurs pareils, appelés, comme eux , Pélasges ou aborigènes , reconnus de même pour être les auteurs de grandes constructions massives en pierres brutes ou imparfaitement taillées, voués également aux travaux agricoles, ayant des prophétesses ou des sibylles toutes pareilles, enfin leur ressemblant de tous points, et con- séquemment identifiés de plein droit avec eux.

Ces aborigènes italiotes paraissent avoir appartenu le plus généralement à la famille celtique. Néanmoins ils n'étaient pas seuls , non plus que ceux de la Grèce , à occuper leurs pro- vinces. Outre les Rasènes, dont le caractère slave a déjà été reconnu, on y aperçoit encore d'autres groupes de provenance wende, tels que lesVénètes (2). Il n'y a pas non plus de mo- tifs pour refuser à Festus l'origine illyrienne des Peligni (3j.

(1) Schaffarik, Slawische AUerthûmer, t. I, p. 159. Tite-Live con- tient ce passage digne de remarque : « Casibus deinde variis Antdno- rem, cum multitudine Henetum, qui seditione ex Paphiagonia pulsi, et sedes et ducem, rege Pylœmene ad Trojam amisso, quaerebant. » Liv. Gron., in-S», Basileae, 1740, t. I, p. 8.

(2) Hérodote les confond avec les Illyriens. Leur territoire s'étendait, au sud, jusqu'à l'embouchure de l'Etsch, et, à l'ouest, jusqu'aux hau- teurs qui vont de cette rivière au Bacciglione. (0. MuUer, die Etrusker, p. 134.)

(3) Abeken, ouvr. cité, p. 85. Cependant Ovide range cette nation parmi les tribus sabines. Les deux opinions peuvent se soutenir, et les Peligni n'être, comme la plupart des nations italiotes, que le résul- tat de nombreux mélanges des émigrants ill3rrîens, probablement Liburnes , auront eu leur .place. Pour montrer combien les travaux auxquels donne lieu l'ethnographie d'un peuple sont épineux, et doi- Tent tendre plutôt, d'abord, à concilier qu'à rejeter les traditions,

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188 DE l'inégalité

Les Japyges, venus vers Tan 1186 avant notre ère, et établis dans le sud-est du royaume de Naples, semblent avoir apparu tenu à la même famille. De son côté, M. W. de Humboldt a donné aussi de trop bonnes raisons pour qu'on puisse nier, après lui, que des populations ibériennes aient vécu et exercé* une assez notable influence sur le sol de la Péninsule (1). Quant aux Troyens d'Énée, la question est, plus difficile. Il semble plus que probable que l'ambition de se rattacher à cette souche épique ne vint aux Romains qu'à la suite de leurs rap- ports avec la colonie grecque de Cumes , qui leur en fit sentir la beauté.

Voilà, dès le début, ime assez grande variété d'éléments ethniques. Mais, de tous le plus répandu, c'était incontesta- blement celui des Kymris ou des aborigènes , reconnus par les ethnographes, comme Caton, pour avoir appartenu à une seule et même race.

Ces aborigènes, lorsque les Grecs voulurent leur imposer

même les plus disparates, il n'y a qu'à étudier ce que Tacite dit des- Juifs, lorsque, au livre V, ch. ii des Histoires^ il recherche leur ori- gine. II énumére quatre opinions : la première les fait venir de Crète, et dérive le nom de Judaei du mont Ida. Ceux qui lui avaient donné cet avis confondaient tous les habitants en une seule race , et leur sentimeut, juste par rapport aux Philistins, se trouvait inexact en ce qui avait trait aux Abrahamides. La seconde opinion les faisait venir d'Egypte, et les accusait de descendre des lépreux expulsés de ce pays qu'ils infectaient de leur mal. En laissant de côté le trait de haine nationale, il n'y a rien que de vrai dans cette assertion. Cepen- dant elle rie détruit pas la valeur de la troisième , qui fait des Juifs une colonie d'Éthiopiens. Seulement Tacite paraît entendre, par ce mot, des Abyssins, et nous savons (voir t. I) que, dans la plus haute antiquité, il s'appliquait aux hommes de l'Assyrie. Cette vérité contri- bue à faire agréer du même coup la quatrième opinion citée par l'his- torien romain, et qui disait les Juifs Assyriens d'origine. Us l'étaient,, sans doute, en tant que Chaldéens. Je n'ai voulu ici que donner un exemple de l'attention soutenue et scrupuleuse, de la réserve pru- dente qui doit diriger les élucidalions et surtout les conclusions ethno- logiques.

(1) Voir Prûfung der Untersuchungen ûber die Urbewohner Hispa- nîens, p.- 49. M. W. de Humboldt fait dériver le mot latin murus de l'euskara murua. {Ibid., p. 3 et pass.)

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un nom spécial et géographique, furent qualifiés d'abord à'Ausoniens (1).

Ils étaient composés de différentes nations , telles que les CEnotriens, les Osques, les Latins, toutes subdivisées en frac- tions d'inégale puissance. C'est ainsi que le nom des Osques ralliait les Samnites, les Lucaniens, les Apuliens, les Cala- brais, les Campaniens (2).

Mais, comme les Grecs n'avaient noué leurs premiers rap-^ ports qu'avec l'Italie méridionale, le terme à'Jusonien ne dé~ signait que Tensemble des masses trouvées dans cette partie du pays, et le sens ne s'en étendait pas aux habitants delà contrée moyenne.

L'appellation 'qui échut à ces derniers fut celle de Sabel^ liens (3). Au delà , vers le nord, on connut encore les Latins ^ puis les Rasènes et les Timbres (4).

Cette classification, tout arbitraire qu'elle est, a pour pre- mier et assez grand avantage de restreindre considérablement l'application du titre vague d'aborigène. En toutes circonstan- ces, on croit connaître ce qu'on a dénommé. On mit donc à part les peuples déjà classés, Ausoniens, Sabelliens , Rasènes,. Latins et Timbres, et on fit une catégorie spéciale de ceux qui ne restèrent aborigènes que parce qu'on n'avait pas eu de contact assez intime avec eux pour leur attribuer un nom. De ce nombre furent les JEques, les Volsques et quelques tribus de Sabins (5).

Les inconvénients du système étaient flagrants. Les Samni- tes, rangés parmi les Osques, et les Osques eux-mêmes, avee toutes celles de leurs peuplades citées plus haut, et ensuite les Mamertins et d'autres, n'étaient pas étrangers aux Sabel-

(1) 0. Muller, die Etrusker, p. 27.

(2) Ouvr. cité, p. 40.

(3) Mommsen, Unter-ital. Dialekle, p. 363.

(4) Ibidem. Dont les trois subdivisions principales sont essentielle-^ ment celtiques, quant au nom : les Olombri.&Q ol, hauteur, habitaient les Alpes; les Isombri, de is, bas, les plaines de la vallée du Pô; les- Vilombri, de bely le rivage, rombrie actuelle, sur l'Adriatique.

(y) Mommsen, ouvr. cité, p. 324.

11.

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liens. Ces groupes tenaient à la souche Sabine. Par conséquent, ils avaient des affinités certaines avec les gens de l'Italie moyenne, et tous, ce qui est significatif, avaient émigré, de proche en proche, de la partie septentrionale des montagnes Apennines (1). Ainsi, en laissant à part les Rasènes et en re- montant du sud au nord de la Péninsule , on arrivait , de pa- rentés en parentés, à la frontière des timbres, sans avoir re- marqué une solution de continuité dans la partie dominante de cet enchaînement.

On a dit longtemps que les Umbres ne dataient, dans la Péninsule , que de l'invasion de Bellovèse , et qu'ils avaient rem- placé une population qui ne portait pas le même nom qu'eux. Cette opinion est aujourd'hui abandonnée (2). Les Umbres occupaient la vallée du et le revers méridional des Alpes bien antérieurement à l'irruption des Kymris de la Gaule. Ils se rattachaient par leur race aux nations qui ont continué à être nommées aborigènes ou pélasgiques, tout comme les Osques, et les Sabelliens (3), et même on les reconnaissait pour la souche d'où les Sabins étaient dérivés, et, avec ces derniers, les Osques.

Les Umbres donc, étant la racine même des Sabins, c'est- à-dire des Osques, c'est-à-dire encore des Ausoniens, et se trouvant ainsi germains des Sabelliens (4) et de toutes les po- pulations appelées du nom peu compromettant d'aborigènes , on serait, par cela seul , autorisé à affirmer que la masse entière

<1) 0. Muller, die Etrusker, p. 45 et pass.

(2) 0. Muller, ouvr. cité y p. 58.

(3) 0. Muller, ouvr. cité, p. 56. Ibeken, p. 82. Mommsen, p. 206.

(4) Suivant Mommsen, les alphabets découverts dans la Provence, le- Valais, le Tyrol, la Styrie, sont plus parents de l'alphabet sabellien que. de tous les autres de l'Italie, c'est-à-dire que de ceux de l'Étrurie pro- prement dite et de la Campanie, et plus rapprochés du type grec archaïque. Cependant il établit, entre tous ces systèmes d'écriture, un caractère commun. (Mommsen , Die nord-etruskischen Alphabete, p. 222.) Il est utile de se reporter ici à ce qui a été dit plus haut des alphabets celtiques en général. Dans un sujet si difficile et si compli- qué, les plus petits faits se portent mutuellement secours pour s'élever au rang de preuves, et il est indispensable de pouvoir compter sur

j l'attention soutenue du lecteur.

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de ces aborigènes, desceadus du nord vers le sud, était de race unabrique , toujours à l'exception des Étrusques , des Ibères , des Vénètes et de quelques Illyriens. Ayant répandu sur la Péninsule les mêmes modes et le même style d'architecture , se réglant sur la même doctrine religieuse, montrant les mêmes mœurs agricoles , pastorales et guerrières , cette identification semblerait assez solidement justifiée pour ne devoir pas être révoquée en doute (1). Ce n'est pas assez cependant : l'examen des idiomes italiotes , autant qu'on le peut faire , enlève encore à la négative sa dernière ressource.

Mommsen pose en fait que la langue des aborigènes offre un mode de structure antérieur au grec , et il réunit dans un même groupe les idiomes umbriques, sabelliens et samnites , qu'il distingue de l'étrusque , du gaulois et du latin. Mais il ajoute ailleurs qu'entre ces six familles spéciales il existait de nombreux dialectes qui, se pénétrant les uns les autres, for- maient autant de liens, établissaient la fusion et réunissaient l'ensemble (2).

En vertu de ce principe, il corrige son assertion séparatiste, et affirme que les Osques parlaient une langue très parente du latin (3).

O. Muller remarque, dans cette langue composite, des rap- ports frappants avec l'umbrique, et le savant archéologue danois dont je viens d'invoquer le jugement donne leur véritable sens et toute leur portée à ces rapports, en affirmant que l'umbri- que est, de toutes les langues italiotes, celle qui est restée le plus

(1) Voir les autorités dénombrées par Dieffenbach, Celtica II, l'« Abth., p. 112 et seqq.

(2) Mommsen, ouvr, cité, p. 364.

(3) Ibidem, p. 205, Opici ou Opsci. Leur langue était encore en «sage à Rome dans certaines pièces de tliéâtre, soixante ans après le début de l'ère chrétienne. (Strabon, V, 3, 6.) On trouve à Pompéi des inscriptions osques, et, comme rensevelissement de la ville ne date que de Tan 79 après J.-C, on peut comprendre, par cela seul, quelle fut la longévité de cet idiome. Peut-être y aurait-il grand profit à ap- pliquer les dialectes populaires actuels de Fltalie au déchiffrement des inscriptions locales. On arriverait plus sûrement à un résultat qu'en se servant du latin, qui, en définitive, fut seulement la langue franque ou malaye, l'hindoustani de la Péninsule.

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près des sources aborigènes (1). En d'autres termes, Fosque^ comme le latin, tel que nous l'offrent la plupart des monu- ments, est d'un temps les mélanges ethniques avaient exercé une grande influence et développé des corruptions considéra- bles , tandis que, les circonstances géographiques ayant permis, à l'umbrique de recevoir moins d'éléments grecs et étrusques» ce dernier langage s'était tenu plus près de son origine et avait mieux conservé sa pureté. 11 mérite , en conséquence , d'être pris comme prototype , lorsqu'il s'agit de juger dans leur es- sence les dialectes itaUotes.

Nous avons donc bien conquis ce point capital : les popula- tions aborigènes de l'Italie, sauf les exceptions admises, se rattachent fondamentalement aux Timbres; et quant aux Uni- bres, ce sont, ainsi que leur nom Tindique, des émissions de la souche kymrique , peut-être modifiées d'une manière locale par la mesure de l'infusion finnique reçue dans leur sein.

Il est difficile de demander à l'umbrique même une confir- mation de ce fait. Ce qui en reste est trop peu de chose, et, jusqu'ici, ce qu'on en a déchiffré offre sans doute des ra- cines appartenant au groupe des idiomes de la race blanche^, mais défigurées par une influence qui n'a pas encore été dé- terminée dans ses véritables caractères. Adressons-nous donc d'abord aux noms de lieux , puis à la seule langue italiote qui nous soit pleinement accessible, c'est le latin.

Pour ce qui est des noms de lieux, l'étymologie du mot Italie est naturellement offerte par le celtique talamh^ tellus^ la terre par excellence, Saturnia tellus^ Œnotria tellus (2).

Deux peuplades umbriques, les Euganéens et les Tauris- ques, portent des noms purement celtiques (3). Les deux

(1) Mommsen, ouw. cité, p. 206. C'est pourquoi il ajoute aussi que le Volsque avait de plus grands rapports avec l'umbrique que, l'osqua (p. 322).

(2) Dieffenbach, Celtica II, Abth., p. 114.

(3) Euganéens, d'agucn, eau; c'étaient les riverains des lacs de Lu- gano, Como et Garda. Les Taurisques, comme les Taurini, tirent leur nom de tor, montagne. Niebuhr, pour établir un lien intime entre les Rhétiens et les Rasènes, incline à faire des Euganéens des Étrusques^

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.grandes chaîaes de montagnes qui partagent et bornent le sol italien, les Apennins et les Alpes , ont des dénominations em- pruntées à la même langue (1). Les villes d'Alba, si nombreu- ses dans la Péninsule et toujours de fondation aborigène , pui- sent rétymologie de leur nom dans le celtique (2). Les faits de ce genre sont abondants. Je me borne à en indiquer la trace , et je passe de préférence à Fexamen de quelques racines kymro-latines.

On remarque , en premier lieu, qu!elles appartiennent à cette catégorie d'expressions formant Fessencemême du vocabulaire de tous les peuples , d'expressions qui , tenant au fond des ha- bitudes d'une race, ne se laissent pas aisément expulser par des influences passagères. Ce sont des noms de plantes , d'ar- bres , d'armes. Je ne m'étonnerais , dans aucun cas , de voir les dialectes celtiques et ceux des aborigènes de l'Italie pos- séder des racines semblables pour tous ces emplois , puisque , même en mettant à part la question actuelle, il faudrait tou- jours reconnaître qu'issus également de la souche blanche, ils ont assis leurs développements postérieurs sur une base uni- que. Mais, si les mêmes mots se présentent avec les mêmes formes , à peine altérées dans le celtique et dans l'italiote , il devient bien difficile de ne pas confesser Tévidence de l'identité d'origine secondaire.

Voyons d'abord le vocable employé pour désigner le chêne. C'est un sujet cligne d'attention. Chez les Celtes de l'Europe septentrionale, chez les aborigènes de la Grèce et de l'Italie ,. cet arbre jouait un grand rôle, et, par l'importance religieuse

Mais il n'exprime ceUe idée que timidement et comme entraîné par le besoin de sa cause. {Rœmische Geschichte, t. I, p. 70.)

(1) A peu gwin, la crête, la montagne blanche.

(2) Alh ou Alp, l'élévation, la montagne, la colline; Albany, la con- trée montagneuse de l'Ecosse; V Albanie, les montagnes de l'illyrie; Albania., une partie du Caucase; Albion, Vile aux grandes falaises^ et les nombreuses villes d'Alba^ placées sur des éminences. On con- naissait aussi, dans la Narbonnaise, les Ligures albienseset les Albiœci, peuples demi-celtiques. Alb signifie également blanc et donne la ra- cine &*albus. Consulter Dieffenbach, Celtica I, p. 18, 13, et Celtica 11^ 4" Abth., p. 3i0, 6.

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194 DE l'inégalité

qui lui était attribuée, il tenait de près aux idées les plus in- times de ces trois groupes.

Le mot breton est cheingen, qui, au moyen de la permu- tation locale de Yn en r, devient chergen , d'où il y a peu de chemin jusqu'au latin quercus.

Le mot guerre fournit un rapport non moins frappant. La forme française reproduit presque pur le celtique , queir. Le sabin queir le garde tout entier. Mais, outre que ce mot, en •celtique, a le sens que je viens d'indiquer, il a aussi celui de lance. En sabin, il en est encore de même, et de le nom «t l'image du dieu héroïque Quirinus , adoré sous Faspect d'une lance chez les premiers Romains, vénéré encore chez les Falisques , qui avaient leur Pater curis, et divinisé à Tibur, la Jujion Pronuba portait l'épithète de Curitis ou Qui- riiis (1). ,

u4rm en breton, airm en gaélique, équivaut à Varma la- tin.

Le gallois pill est le latin pilum, le trait (2).

Le bouclier, scutum , apparaît dans le sgiath gaélique; gla- diusy le glaive^ dans le cleddyf gaYloïs et le c/efi?6^ gaélique; l'arc, arcus, dans Varchelte breton; flèche^ sagitta, dans le saeth gallois, le saighead gaélique; le char, currus, dans le car gaélique et le carr breton et gallois.

Si je passe aux termes d'agriculture et de vie domestique , je trouve la maison, casa, et l'erse cas; œdes et le gaélique > aite; cella et le gallois cell; sedes et le sedd du même dia-

(1) Bœttiger, /deew zur Kunst- Mythologie, t. I, p. 20; t. II, p. 227 •et pass.

(2) Et le sanscrit pi7ie. A. V. Schlegel, Indische Bibliothek, t. I, p. 209. D'ailleurs, MM. Aufrecht et Kirchhof , Die umbrischen Spra-

^hdenkmœler, établissent très bien le rapport de l'umbrique avec le «anscrit et les langues de la race blanche. Voir, Lautlehre, p. lo et pass. Abeken exprime la même opinion : « Quant à la langue « (umbrique), dit-il, elle est aussi incompréhensible aujourd'hui que a rétrusque; bien qu'en somme on y démêle beaucoup mieux une « souche grecque primitive (on n'oublie pas que pour Abeken ce ■0 mot composé est synonyme de pélasgique). L'umbrique semble être « une langue sœur de l'osque et du latin. » {Ouvr, cité, p. 28.)

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lecte. Je trouve le bétail, pecusy et le gaélique beo,- car le bétail par excellence , ce sont les bêtes bovines. Je trouve le vieux latin bus, le bœuf, et 60, gaélique, ou buh, breton; le bélier, aries, et reithe, gaélique; la brebis, ovis, et le breton ovein, avec le gallois oen; le cheval, eguus, et le gal- lois echw; la laine, lana, et le gaélique olann, et le gallois givlan; Veau, aqua, et le breton aguen, et le gallois aw; le lait, lactum, et le gaélique lachd; le chien , canis , et le gallois can; le poisson, piscis, et le gallois pj/sg; Y huître, ostrea, et le breton oistr; la chair, caro , et le gaélique carn, qui présenterai des flexions de caro; le verbe immoler, mac- tare, et le gaélique mactadh; mouiller, madère, et le gal- lois madrogi.

Le verbe labourer, arare, et le gaélique m avec les deux formes galloises aru et aredig; le champ, arvum, avec le gaélique ar et le gallois arw ; le blé, hordeum, et le gaélique eorma; la 7noisson, seges, et le breton segall; la /*èye, faba, et le gallois jifa; lat^igfwe, vitis, et le gallois gwydd,- V avoine, avena, et le breton havre; le fromage, caseus, et le galli- quecaêse, avec le breton casu; butyrum, le beurre, et le gaélique butar; la chandelle, candela, et le breton cantol; le A^^re, /*agws, et l'erse feagha, avec le breton /ao et faouenn; la «;e29ère, vipera,et le gallois gwiper; le serpent, serpens, et le gallois saryf ; la Tioia? , Tiî^a?, et le gaélique cww, exemple notable de ces renversements de sons fréquemment subis par les monosyllabes, dans le passage d'un dialecte à un autre.

Puis j'énumère pêle-mêle des mots comme ceux-ci : la mer, mare, gaélique muir, breton et gallois mor; se servir, uti, ^ë\ï<{\ieusinnich;V homme, vir, gallois gwir; Vannée, annus, gaélique ann^ la vertu, gaélique feart, qui se confond bien avec le mot fortis , courageux (1) ; le fleuve , amnis , gaélique amha, amhuin; revenir, redire, gallois rhetw, le roi, rex, gaélique righ; mensis,\e mois, gallois mis; la mort, murn,

(1) Ce mot feart se rapproche aussi du grec àpsro et de la racine typique ar. (Voir tome I".)

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gallois, et mourir^ mori^ breton marheuein. Je terniineraî par 'pénates, qui n'a pas d'étymologie ailleurs qu'en celti- que (1) : ce mot ne se dérive d'une manière simple et complè- tement satisfaisante que du gdWoh joenaf, qui veut dire élever et qui a pour ^Vi^QûdWï penaeth , très élevé, le plm élevé (2). On pourrait étendre ces exemples bien loin. Les trois cents mots allégués par le cardinal Maï, au tome V de sa collection des classiques édités sur les manuscrits du Vatican, seraient dépassés. Cependant c'en est assez , j'en ai la confiance , pour fixer toute indécision (3). On peut choisir des verbes tout aussi

(1) Rien ne le saurait mieux prouver que la lecture du passage Denys d'Halicarnasse s'acharne à trouver à cette dénomination ethno- logique un sens qui lui échappe, malgré tous ses efforts; ainsi qu'à ses commentateurs. (C. XLVII.)

(2) J'aurais pu de même et, peut-être, donner une liste semblable poui^ les Kymris Grecs, et montrer le grand nombre de mots celtiques demeurés dans les dialectes de THellade; mais ce soin me paraît su- perflu. Je me borne à renvoyer le lecteur au vocabulaire de M. Keferstein {Ansichten, etc., t. II, p. 3); il ne contient pas moins de soixante pages ,^ et, bien que plusieurs mots gréco-gallois ou gréco -bretons y soient évidemment d'importation très moderne, le fond est décisif et présente un. tableau plus curieux encore, s'il est possible , que ce qui résulte de la comparaison que j'e fais ici.

(3) Je ne saurais cependant passer soiis silence les noms de nombre t

latins : celtiques :

1. unus, un, aon.

2. duo, dau. .. 3. très, tri.

4. quatuor, ceither.

î). quinque, cinq.

6. sex, chuech.

7. septem, saiti).

8. octo, ochd.

9. novem, naw. 10. decem , deich.

Enfin, je ne ferai plus qu'une dernière observation : des liens géné- raux paraissent avoir uni assez étroitement les langues primitives de toute l'Europe occidentale, quelque différents que se présentent, au- jourd'hui, l'un de l'autre, l'ibère, l'étrusque, les dialectes italiotes et les kymriques. On a vu que des règles analogues s'appliquent, dans toutes ces langues, à la permutation des consonnes. Il faut ajouter qu'elles pratiquaient, avec une égale facilité, le renversement des syl-

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bien que des substantifs : les résultats de l'examen seront les mêmes, et lorsqu'on découvre des rapports aussi frappants, aussi intimes entre deux langues, que d'ailleurs les formes de l'oraison sont, de leur côté , parfaitement identiques, le procès est jugé : les Latins, descendants, en partie, des Timbres, étaient bien , comme leur nom l'indique , apparentés de près aux Galls, ainsi que leurs ancêtres, et, partant, les aborigènes de l'Italie, non moins que ceux de la Grèce, appartenaient, pour une forte part, à ce groupe de nations.

C'est ainsi, et seulement ainsi, que s'explique cette sorte de teinte uniforme, cette couleur terne qui couvre également, aux âges héroïques , tout ce que nous savons et pénétrons des faits et des actes de la masse appelée pélasgique, comme de celle qui porte son vrai nom de kymrique. On y observe une pareille allure grossière et soldatesque, une pareille façon de laboureur et de pasteur de bœufs. Quoi! c'est une pareille manière de s^'orner et de se parer. Nous ne retrouvons pas moins de bracelets et d'anneaux dans le costume des Sabins de la Rome primitive que dans celui des Arvernes et des Boïens de Vercingetorix (1). Chez les deux peuples , le brave se mon- tre à nous sous le même aspect physique et moral, bataillant et travaillant, austère et sans rien de pompeux (2).

labes, si familier au latin et qu'on retrouve dans la manière d'écrire indifféremment Pratica ou Patrica, nom d'une ville aborigène, La- nuviumou Lavinium, Agendicum ou Agedincum. Les dialectes slaves ne sont pas moins aptes que les celtiques à celte évolution.

(1) Liv., 1, 129 : « Vulgo Sabini aureas armillas magni ponderis brachio « laevo gemmatosque magna specie annulos habuerint. »

(2) Niebuhr signale cliez les aborigènes de Htalie cet usage, tout à fait étranger aux races sémitiques et sémitisées, de porter des noms propres permanents, qui maintenaient la notion généalogique de la famille. Probablement il en était ainsi chez les premiers habitants blancs de la Grèce, mais on ne possède plus aucun moyen de s'en as- surer. Celte coutume fut conservée par les Romains. (Niebuhr, Rœm, Geschichte, t. I, p. H5. Sal verte, Essai sur l'origine des noms propres d:hommes, de peuples et de lieux, 1. 1, p. 187.) L'auteur de ce livre paraît croire que l'usage des noms propres permanents cessa, vers le in« siè- cle pour n'être repris- que vers le x* siècle. C'est, je crois, une opinion erronée, et j'inclinerais à penser que jamais l'habitude ne fut complè- tement abandonnée dans les couches celtiques de la population. Il y

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^^8 DE l'inégalité

Cependant les œuvres des aborigènes italîotes furent des plus considérables. Il n'y a pas dans la Péninsule de vieille ville en ruines, depuis des siècles, l'on ne découvre encore la trace de leurs mains. Longtemps on a même attribué aux Étrusques telle de leurs œuvres. C'est ainsi que Pise (1) , Sa- turnia, Agylla, Alsium, très anciennement acquises aux Ra- sènes, avaient commencé par être des villes kymriques, des <;ités fondées par les aborigènes. Il en était de même de Cor- tone(2).

Dans un autre genre de construction, Qpai-aît certain que la partie de la voie Appienne qui va de Terracine à Fondi était d'origine kymrique, et de beaucoup antérieure au tracé ro- main qui fit entrer ce tronçon dans un plan général (3).

Mais il n'était pas au pouvoir des races italiotes de maintenir

avait à Bordeaux une famille de Paulins au iv« siècle. (Voir Élie Vinet, V Antiquité de Bourdeaus et de Bourg. Bourdeaus, petit in-40, 1554.) Notons en passant que cette habitude, très commode et très simple, de conserver indéfiniment aux descendants le nom du père , paraît faire partie des instincts de plusieurs groupes jaunes. Les Chinois la prati- quent de toute antiquité et avec une telle ténacité que certaines fa- milles originaires de leur pays, qui se sont transportées et fixées en vArménie, ont bien pu, en changeant de langue, oublier leurs noms pri- mitifs; mais elles en ont pris de locaux et le: conservent fidèlement au milieu d'une population qui n'en a pas. Ce sont les Orpélians, les Ma- migonéans, d'autres encore. Au Japon, la même coutume existe, et, fait plus notable encore, elle est immémoriale chez les Lapons européens, chez les Boudâtes, les Ostiaks, les Baschkirs. (Salverte, ouvr. cité, t. I, p. 135, 141 et 144.)

(1) Deux ruines remarquables sont Testrina , la plus ancienne cité Sabine, située sur une montagne au-dessus d'Amiternum. On y trouve des restes de murs gigantesques dont les blocs, extraits d'un tuf assez tendre, portent des marques d'une taille grossière. (Abeken, Mittel- Italien, etc., p. 86 et 140.)

(2) Abeken, Mittel-Italien, etc., p. 125. Cortone présente une singu- larité remarquable. Comme d'autres villes métisses, et entre autres Thèbes, elle avait deux légendes : l'une probablement tyrrhénienne, qui lui attribuait un éponyme grec ; puis une autre plus ancienne, et, quoi qu'en dise Abeken, aussi facilement kymrique que rasène, qui en faisait le lieu avait été enterré ce personnage mystérieux appelé 7e Nain, le Nàvaç, voyageur. (Diouys. Halic, I, xxni. Abeken, ouvr. cité, p. 26.)

(3) Abeken, ibidem^ p. 141.

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DES RACES HUMAINES. 199

en rien leur pureté. Ibères, Étrusques , Vénètes, Illyriens, Cel- tes, engagés dans des guerres permanentes, devaient tous, à chaque instant, perdre ou gagner du terrain. C'était l'état or- dinaire. Cette situation s'empirait par l'effet des mœurs socia- les qui avaient créé, sous le nom àe printemps sacré, une cause puissante de confusion ethnique. A Toccasion d'une di- sette ou d'un surcroît de population, une tribu vouait à un dieu quelconque une partie de sa jeunesse, lui mettait les ar- mes à la main, et l'envoyait se faire une nouvelle patrie aux dépens du voisinage. Le dieu patron était chargé de l'y ai- der (1). De des conflits perpétuels qui, enfin, s'empirèrent par l'effet et le contre-coup de grands événements dont la source inconnue se cachait fort loin dans le nord-est du con- tinent.

De tumultueuses nations de Galls transrhénans , probable- ment chassées par d'autres Galls que dérangeaient des Slaves harcelés par des Arians ou des peuples jaunes, firent invasion au delà du fleuve, poussèrent sur leurs congénères, entrèrent en partage de leurs territoh'es , et, bon gré, mal gré., se cul- butant avec eux, parvinrent, les armes à la main, jusque sur la Garonne , leur avant-garde s'établit de force au milieu des vaincus. Puis ces derniers, mal contents d'un domaine de- venu trop étroit, se portèrent en masse du côté des Pyrénées, les franchirent en longeant les côtes du golfe de Gascogne, et allèrent imposer aux Ibères une pression toute semblable à celle dont il* venaient de souffrir eux-mêmes.

Les Ibères, à leur tour, malmenés, s'ébranlèrent. Après s'être débattus et mêlés en partie à leurs conquérants, voyant leur pays insuffisant pour sa nouvelle population, ils partirent, non plus seulement Ibères , mais aussi Celtibères , sortirent par l'autre extrémité des montagnes, c'est-à-dire par les plages orientales de la Méditerranée, et, vers l'an 1600 avant notre ère, se répandirent sur les parties maritimes du Roussillon et de la Provence. Pénétrant ensuite en Italie par la côte génoise, fie montrant en Toscane , enfin passant partout ils purent

(1) Dionys. Halic, Ant. Rom., I, xvi.

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mettre le. pied, ils apprirent à ces vastes contrées à connaître leurs noms nouveaux de Ligures et de Sicules. Puis , confondus avec des aborigènes de diverses peuplades (1), ils semèrent au loin un élément ou plutôt une combinaison ethnique destinée à jouer un rôle considérable dans l'avenir. Sous plus d'un rap- port, ils ajoutaient un lien de plus à ceux qui unissaient déjà les It'aliotes aux populations transalpines.

Ce que leur présence occasionna surtout, ce furent de terri- bles commotions dont toutes les parties de la Péninsule éprou- vèrent le contre-coup. Les Étrusques, repoussés sur les pro- vinces umbriques , y subirent des mélanges qui probablement ne furent pas les premiers. Beaucoup de Sabelliens ou de Sa- bins, beaucoup d'Ausoniens eurent le même sort, et le sang ligure lui-même s'infiltra partout d'autant plus avant que la masse de cette nation immigrante , établie principalement dans la campagne de Rome (2), ne put jamais se créer une patrie suffisamment vaste. Elle «n'eut pas la force de prévaloir con- tre toutes les résistances qui lui étaient opposées. Elle se con- tenta de vivre à l'état flottant dans les contrées les abori- gènes, comme les Étrusques, surent se maintenir ; de sorte que les Ligures, intrus et tolérés en plus d'un lieu, ne parent que s'y confondre avec la plèbe (3).

Tandis qu'ils supportaient ainsi les conséquences de leur ori- gine, en se voyant forcés, tout envahisseurs qu'ils, étaient, de rester au rang d'égaux , parfois d'inférieurs vis-à-vis des na- tions dont ils venaient troubler les rapports, une autre révolu- tion s'opérait , mais presque en silence , à l'autre extrémité , à la pointe méridionale de la Péninsule. Vers le siècle avant Jésus-Christ, des Hellènes, déjà sémitisés, commençaient à y établir des colonies, et, bien que formant, comparés aux mas- ses ligures ou sicules, un contraste marqué par leur petit nom- bre, on les voyait déployer sur celles-ci et sur les aborigènes une telle supériorité de civilisation et de ressources , que la

(1) 0. Muller, die Etrusker, p. 16.

(2) Ibid., p. 10.

(3) Ibid., p, 11 et pass.

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conquête de tout ce qu'ils voudraient prendre semblait d'avance leur être assurée.

Ils s'étendirent à leur aise. Ils placèrent des villes il leur plut. Ils traitèrent les Pélasges italiotes ainsi que leurs pères avaient traité les parents de ceux-ci dans l'Hellade. Ils les subjuguèrent ou les forcèrent de reculer, quand ils ne se mêlè- >rent pas à eux, comme il en advint avec les Osques. Ceux-ci, at- teints, d'assez bonne heure, par Talliage hellénique sémitisé, portèrent témoignage de cette situation dans leurs mœurs comme dans leur langue. Plusieurs de leurs tribus cessèrent d'être, à proprement parler, aborigènes. Elles offrirent tm spectacle analogue à celui que présentèrent plus tard, vers le milieu du ii« siècle avant notre ère , les gens de la Provence soumis à Thymen romain. C'est ce qu'on appelle la seconde formation des Osques (1).

Mais la plupart des nations pélasgiques éprouvèrent un trai- tement moins heureux. Chassées de leurs territoires par les colonisateurs hellènes , il ne leur resta que l'alternative de se porter sur des groupes de Sicules, établis un peu plus au nord dans le Latium (2), et elles se mêlèrent à eux. L'alliance, ainsi conclue, se renforça graduellement (3) de nouvelles victimes des colons grecs. A la fin , cette masse confuse , ballottée et pressée de tous côtés par des rassemblements rivaux, et sur- tout par des Sabins, demeurés plus Kymris que les autres, et, par conséquent, supérieurs en mérite guerrier aux Osques déjà sémitisés, comme aux Sicules demi-Ibères, comme aux Rasènes demi-Finnois, cette masse confuse, dis-je, recula pied à pied, et, un millier d'années à peu près avant l'ère chré- tienne, s'en alla chercher un refuge en Sicile.

Voilà ce qu'on sait, ce que l'on peut voir des plus anciens actes de la population primitive de l'Italie, population qui, en général, échappe à l'accusation de barbarie , mais qui, à l'ins- tar des Celtes du nord , bornait sa science sociale à la recher-

(1) 0. Muller, die Etrusker, p. 43.

(2) Ibidem.

(3) Ammien Marceliin affirme (1, 15, 9) que les aborigènes du Latium étaient des Celtes.

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202 DE l'inégalité

che de l'utilité matérielle. Bien des guerres la divisaient, et cependant l'agriculture florissait chez elle , ses champs étaient cultivés et productifs. Malgré la difficulté de passer les mon- tagnes et les forêts , de traverser les fleuves , son commerce allait chercher les peuples les plus septentrionaux du conti- nent. De nombreux morceaux de succin, conservés bruts ou taillés en colliers, se rencontrent fréquemment dans ses tom- beaux (1), et lldentité, déjà signalée, ainsi que ce fait, de cer- taines monnaies rasènes avec des monnaies de la Gaule , dé- montre irrésistiblement l'existence de relations régulières et permanentes entre les deux groupes (2).

A cette époque si reculée, les souvenirs ethniques encore récents des races européennes, leur ignorance des pays' du sud, la similitude de leurs besoins et de leurs goûts, devaient tendre nécessairement à les rapprocher (3). Depuis la Baltique jusqu'à la Sicile (4), une civilisation existait incomplète, mais

(1) Abeken, Unter-Italien, p. 267. Voir la description que fait cet auteur du tumulus d'Alsiui».

(2) Abeken, Unter-Italien, p. 282. Aristote assure qu'une route allait d'Italie dans la Celtique et en ESpagne.

(3) Tité-Live a pu écrire au sujet du roi Mézence : « Cœre opulente tam oppido imperitans. »

(1) « Plus je m'avance profondément dans l'antiquité, dit Schaffarik, « plus je demeure convaincu de la fausseté complète des opinions « émises et reçues jusqu'ici sur la comparaison des peuples antiques « du sud de l'Europe (des Grecs et des Romains) avec ceux du nord, « principalement des riverains de la Vistule et de la Baltique, com- « paraison qui semblait convaincre ces derniers de sauvagerie, de ru- « desse et de misère, et rendre inadmissible toute idée de relations « commerciales entre les deux groupes. » (SchafFarik, Slawische Al- terthûmer, 1. 1, p. 107, note 1.) Voici, sur le même propos, un Ju- gement de Niebuhr : « Les aborigènes sont dépeints par Salluste et « Virgile comme des sauvages qui vivaient par bandes, sans lois, sansi « agriculture, se nourrissant des produits de la chasse et de fruits sau- « vages. Cette façon de parler ne paraît être qu'une pure spéculation « destinée à montrer le développement graduel de l'homme , depuis la « rudesse bestiale jusqu'à un état de culture complète. C'est l'idée que, « dans le dernier demi-siècle, on a ressassée jusqu'à donner le dégoût, a sous le prétexte de faire de l'histoire philosophique. On n'a pas même , 0 oublié la prétendue misère idiomatique qui rabaisse les hommes au » niveau de l'animal. Cette méthode a fait fortune, surtout à l'étranger,

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réelle et partout la inênae , sauf des nuances correspondantes aux nuances ethniques découlant des hymens, sporadiquement contractés, entre des groupes issus des deux rameaux blanc et jaune.

Les Tyrrhéniens asiatiques vinrent troubler cette organisa- tion sans éclat, et aider les colons de la Grande-Grèce dans la tâche de rallier l'Europe à la civilisation adoptée par les peu- ples de Test de la Méditerranée (1).

« (Niebuhr veut dire en France). Elle s*appuie de myriades de récits de « voyageurs soigneusement recueillis par ces soi-disant philosophes. « Mais ils n'ont pas pris. garde qu'il n'existe pas un seul exemple d'un « peuple véritablement sauvage qui soit passé librement à la civilisa- « tion, et que, la culture sociale a été imposée du dehors, elle « a eu pour résultat la disparition du groupe opprimé, comme on Ta «vu, récemment, pour les Natticks, les Guaranis, les tribus de la « Nouvelle-Californie, et les Hottentots des Missions. Chaque race hu- « maine a reçu de Dieii son caractère, la direction qu'elle doit suivre <^ et son empreinte spéciale. De même, encore, la société existe avant « l'homme isolé, comme le dit très sagement Aristote; le tout est an- « térieur à la partie et les auteurs du système du développement €uc- « cessif de l'humanité ne voient pas que l'homme bestial n'est qu'une « créature dégénérée ou originairement un demi-homme. » (Rœm. Ges- chichte, 1. 1, p. 121.)

(1) Les médailles grecques de la plus ancienne époque présentent, ainsi que quelques statues qui sont venues jusqu'à nous , un type fort étrange, complètement différent de la physionomie hellénique, et que Ton ne peut attribuer qu'aux anciens Pélasges. Le nez est long, droit et pointu, courbé en dedans, au milieu, de façon que l'extrémité se relève légèrement. Les pommettes sont un peu saillantes; les yeux montrent une légère tendance à l'obliquité; la bouche est grande, et affecte une sorte de sourire singulier qu'on pourrait dire impitoyable. La tête est oblongue, le front bas et assez fuyant, sans exclure une certaine ampleur des tempes. Il n'y a pas de doute que ce type est pé- lasgique. Son centre paraît avoir été dans la Samothrace et les pays environnants, à Thasos, Lete, Orreskia, Selybria. Les médailles de Thasos l'ofifrent uni à la représentation d'une scène phallique qui fait allusion, sans doute, à quelque tradition d'enlèvement et de violence analogue à celle dont les Pélasges Tyrrhéniens, chassés de l'Attique, se rendirent coupables envers les femmes hellènes d'Athènes au milieu du xn* siècle avant J.-C. On le contemple sur les vieilles monnaies de la ville de Minerve, sur celles d'Égine, d'Arcadie, d'Argos, de Potidée, de Pharsale; puis, en Asie, sur celles de Gergitus, de Mysie, d'Harpagia, de Lampsaque; enfin, en Kalie, sur celles de Velia; en Sicile, sur celles

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504 DE l'inégalité

CHAPITRE V.

Les Étrusques TyrrhénieDS. Rome étrusque.

Il semble peu naturel, au premier abord, de voir les souve- nirs positifs en Étrurie ne remonter qu'au commencement du siècle avant notre ère. C'est une antiquité en somme bien médiocre.

Cette particularité s'explique de deux manières qui ne s'ex- cluent pas. Pour premier point, l'arrivée des nations blanches dans la partie occidentale du monde est postérieure à leur apparition dans le sud. Ensuite le mélange des blancs avec les noirs a donné , tout d'abord, naissance à la civilisation qu'on pourrait appeler apparente et visible, tandis que l'union des blancs avec les Finnois n'a créé qu'un mode de culture latente, tîachée, utilitaire. Longtemps, confondant les apparences avec la réalité, on n'a voulu reconnaître le perfectionnement social que des formes extérieures très saillantes accusaient moins sa présence qu'une nature, qu'une façon d'être plus or- née dans sa manière de se produire. Mais, comme il n'est pas possible de nier que les Ibères et les Celtes aient eu le droit de se dire régulièrement constitués en sociétés civiles, il faut leur reconnaître, et, avec eux, à toute l'Europe primitive de l'ouest et du nord, un rang légitime dans la hiérarchie des peuples cultivés.

de Syracuse; peut-être même, en Espagne, sur une médaille d'argent d'Obulco. Tous ces pays, sauf le dernier, ont été historiquement oc- cupés par des populations soit aborigènes, soit immigrées, appartenant aux groupes pélasgiqùes, et toutes les médailles dont il est ici question ^t qui tranchent, de la manière la plus frappante, la plus impossible à méconnaître, avec le caractère hellénique, qui n'ont rien de commun avec sa régularité, sa beauté, appartiennent toutes à la plus ancienne: époque. Certaines sculptures en Sicile, remarquables par leur laideur,' s'y peuvent rapporter; mais ce qui ne laisse pas le moindre doute sur cette corrélaUon, ce sont les statues du fronton d'Égîne et quelques figures italiotes anté-romaines. Cabinet de S. E. M. le général ba- ron de Prokesch-Osten.

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DES RACES HUMAINES. 205

Je suis loin toutefois de traiter avec indifférence ce que j'ap- pelle ici question de forme, et, de même que je ne prendrai jamais pour type de l'homme social Tindustriel consommé, ou le marchand le plus habile dans sa partie , et que je mettrai tou- jours au-dessus d'eux, mais certes à une hauteur incompara- ble, soit le prêtre, soit le guerrier, l'artiste, Tadministratem-, ou ce qu'on appelle aujourd'hui l'homme du monde, et qu'on nommait au temps de Louis XIV Y honnête homme; comme, de même, je préférerai toujours, dans l'ordre des hommes d'élite, saint Bernard à Papin ou à Watt, Bossuet à Jacques Cœur, Louvois, Turenne, l'Arioste ou Corneille à toutes les il- lustrations financières , je n'appelle pas civilisation active, ci- vilisation de premier ordre, celle qui se contente de végéter obscurément, ne donnant à ses sectateurs que des satisfactions en définitive fort incomplètes et par trop humbles, confinant leurs désirs sous une sphère bornée , et tournant dans cette spirale de perfectionnements limités dont la Chine a atteint le sommet. Or, tant qu'un groupe de peuples est réduit, pour tout mélange, à l'élément jaune combiné avec le blanc, il n'ac- quiert dans les qualités, les capacités, les aptitudes, soit mix- tes , soit nouvelles , que cet hymen procrée , rien qui l'attire dans le courant nécessaire de l'élément féminin , et lui fasse rechercher la divination de ce qu'il y a de transcendantale- ment utile à cultiver les jouissances que l'imagination pure ré- pand sur une société.

Si donc les peuples occidentaux avaient rester bornés à la combinaison de leurs premiers principes ethniques, il est plus que probable qu'à force d'efforts ils auraient fini par ar- river à un état comparable à celui du Céleste Empire, sans ce- pendant trouver le même calme. Il y avait déjà trop d'affluents divers dans leur essence, et surtout trop d'apports blancs. Pour cette raison, le despotisme raisonné du Fils du Ciel ne se serait jamais établi. Les passions militaires auraient, à chaque ins- tant, bouleversé cette société vouée ainsi à une culture mé- diocre et à de longs et inutiles conflits.

Mais les invasions du Sud vinrent apporter aux nations eu- ropéennes ce qui leur manquait. Sans détruire encore leur ori-

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206 DE L INEGALITE

ginalité, cette heureuse immixtion alluma Tâme qui les fit marcher , et le flambeau qui, en les éclairant , les conduisit à associer leur existence au reste du monde.

Deux cent cinquante ans avant la fondation de Rome (1), des bandes pélasgiques sémitisées pénétrèrent en Italie par la voie de mer, et ayant fondé, au milieu des Étrusques conquis et domptés , la ville de Tarquinii , en firent le centre de leur puissance. De ils s'étendirent, de proche en proche, sur une très grande partie de la Péninsule'.

Ces civilisateurs , appelés plus particulièrement Tyrrhéniens ou Tyrséniens, venaient de la côte ionienne, ils avaient ap- pris beaucoup de choses des Lydiens, auxquels ils s'étaient al- liés (2). Ils apparurent aux yeux des Rasènes couverts d'armu- res d'airain, animant les combats du son des trompettes, ayant les flûtes pour égayer leurs banquets , et important une forme et des éléments de société inconnus partout ailleurs qu'en Asie et en Grèce , les Sémites en avaient introduit de sembla- bles.

Au lieu d'imiter les constructions puissantes, mais grossières, des populations italiotes, les nouveaux venus, plus habiles parce qu'ils étaient métis de nations plus cultivées, apprirent à leurs sujets à bâtir sur les hauteurs, sur les crêtes de montagnes, des villes fortifiées avec un art tout nouveau, des refuges inex- pugnables, aires redoutées, d'où la domination planait sur les contrées environnantes (3). Les premiers dans l'Occident, ils

(1) Cette date est celle d'O. Muller. Abeken reporte l'arrivée des Tyr- rhéniens à l'an 290 avant Rome. (Abeken , Mittel-Italien vor der Zeit der rœmischen Herrschafl, p. 23.)

(2) Les peintures étrusques montrent ces Tyrrhéniens comme ayant parfaitement le type blanc. Ils ressemblent aux Celtes et aux Grecs , et cette ressemblance est d'autant plus saillante que l'on voit mêlés à eux les anciens Rasènes avec leurs statures et leurs visages de métis finnois. (Abeken, ouvr. cité, tabl. IX et X.) Dans le 7 de la tabl. VII on peut constater la fusion des deux types.

(3) Ce fut probablement le genre de mérite qui éclata le plus en eux, et leur valut le surnom de Tyrrhéniens^ dont la racine semble se trouver dans le mot turs, tour, fortification, et dériver primitivement de tur ou tor, élévation, montagne. On pourrait, du reste, tirer ainsi des habitudes architecturales des différentes populations pélasgiques.

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taillèrent, au moyen de la règle de plomb, des blocs de pierre qui, s'encastrant les uns dans les autres par des angles rentrants et saillants adroitement ménagés (1), formèrent des murailles épaisses et d'une solidité dont on peut juger encore, puisque, en plus d'un lieu, elles ont survécu à tout (2).

Après avoir ainsi créé des fortifications gigantesques, redou- tables à leurs sujets autant qu'aux peuples rivaux (3), les Tyr- rhéniens ornèrent leurs vDles de temples , de palais , et leurs palais et leurs temples de statues et de vases de terre cuite, dans ce qu'on appelle l'ancien style grec , et qui n'était autre que celui de la côte d'Asie (4). C'est ainsi qu'un groupe pélas- gique se trouvait en état , par ses alliances avec le sang sémi- tique, d'apporter aux Rasènes ce qui leur manquait, non pour devenir une nation , mais pour le paraître et le révéler à tout ce qui dans le monde tenait le même rang.

Il est probable que le nombre des Tyrrhéniens était petit en comparaison de celui des Rasènes. Ces vainqueurs parvinrent donc à donner à la société, pour le plus grand honneur de celle-ci, ses formes extérieures; cependant ils ne réussirent pas à l'entraîner jusqu'à une assimilation complète avec l'hel- lénisme. Ils ne le possédaient d'ailleurs eux-mêmes que sous ime dose assez faible , n'étant pas Hellènes , mais seulement Kymris, Slaves ou Illyriens Grecs. Puis ils s'accommodèrent sans peine de partager nombre d'idées essentielles que la part sémitique de leur sang n'avait pas détruites dans leur propre sein. De , cette continuité de l'esprit utilitaire chez la race

<;ertains noms encore , ou , au rebours , faire sortir ceux des nations de leur façon de se loger. Oppidum ^ le bourg ouvert, serait en corré- lation intime avec les habitudes des Opsci, des Osques , et arx, la forteresse fermée, avec celui des Argiens. Abeken, ouvr. cité, p. 128-135.)

(1) 0. Muller, l, c.

(2) Ibid. , p. 260.

(3) Dans plusieurs endroits, les Tyrrhéniens avaient construit leurs demeures à part de celles des vaincus et de manière à tenir en bride la ville ancienne. Ainsi FidenîE et Veies avaient des citadelles placées en dehors de leurs murs. (Abeken, ouvr. cité, p. 132.)

(4) 0. Muller, t. II, p. 247.

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étrusque; de là, cette prédominance du culte et des croyances antiques sur la mythologie importée; de là, en un mot, la per- sistance des aptitudes slaves. Le gros de la nation resta , sauf peu de différences, tel qu'il était avant la conquête. Comme cependant les vainqueurs se trouvèrent , malgré leurs conces- sions et leurs mélanges ultérieurs avec la population, marqués d'un cachet spécial à leur origine à demi asiatique , la fu- sion ne fut jamais complète, et des tiraillements nombreux pré- parèrent les révolutions et les déchirements.

Les Tyrrhéniens, que j'appellerai aussi , d'après leurs titres, les lars (1), les lucumons^ les nobles^ car, ayant perdu l'u- sage de leur langue primitive, remplacée par l'idiome de leurs sujets, et s'étant assez mariés à ces derniers, ils ne constituè- re4t bientôt plus une nation à part, les nobles, dis-je, avaient conservé le goût des idées grecques, et, comme un moyen d'y satisfaire, Tarquinii était restée leur ville de prédilection (2). Cette cité servait de lien à des communications constantes avec les nations helléniques (3). On doit donc la considérer comme

(1) Ce mot n'appartenait pas à l'étrusque proprement dit. Soit qu'il ait été importé par les Tyrrhéniens eux-mêmes, soit que les anciennes alliances des Rasènes avec les Kymris ilaliotes l'eussent mis en usage avant l'arrivée des immigrants vainqueurs, ce mot était celtique : c'est le larth que l'on retrouve dans le laird écossais , et le lord anglais. Il est assez curieux de voir les grands seigneurs de Tempire britannique glorifier encore la qualification que se donnait le larth Porsenna.

(2) Tarquinii , bâtie sur un rocher au bord de la Marta , n'était pas une ville maritime; mais Graviscœ, qui lui appartenait, lui servait de port. (Abeken, ouvr. cité, p. 36.) Longtemps après la chute de l'Étrurie comme nation indépendante , Tarquinii conservait encore une assez grande valeur pour fournir les flottes romaines de toiles à voile lors de la seconde guerre punique. (Liv., XXVIII, 45.)

(3) Ces relations étaient intimes, et Tite-Live a pu mettre en avant l'idée que la maison de Tarquin avait une origine hellénique. Ce roî même, au dire de l'historien, avait consulté, par députés, l'oracle de Delphes. Abeken signale des traces nombreuses de l'influence assyrienne dans les vases, les peintures murales et les ornements des tombeaux à une époque cette influence ne pouvait s'exercer que par l'intermédiaire des Hellènes. ( Abeken , ouvr. citéy p. 274.) Je ne parle pas des nombreuses productions égyptiennes que l'on ren- contre dans les hypogées étrusques; elles appartiennent toutes ù la

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le siège de la culture naturelle en Étrurie, et le point d'appui de Taristocratie et de sa puissance (1).

Tant que les Rasènes avaient été abandonnés à leurs seuls instincts, ils n'avaient pas être, pour les autres nations ita- Uotes, des rivaux particulièrement à craindre. Occupés surtout de leurs travaux agricoles et industriels, ils aimaient la paix et cherchaient à la maintenir avec leur voisinage. Mais, lors- qu'une noblesse d'essence belliqueuse, se trouvant à leur tête, leur eut distribué des armes et construit de nobles forteres- ses , les Rasènes furent contraints de chercher aussi la gloire et les aventures : ils. se jetèrent dans la vie de conquêtes.

L'Italie n'était pas encore devenue , tant s'en faut , une ré- gion tranquille. Au milieu des agitations incessantes des Italio- tes aborigènes, des Illyriens, des Ligures, des Sicules, au mi- lieu des déplacements de tribus, causés parles envahissements des colonies de la Grande-Grèce , les Étrusques s'emparèrent d'un rôle capital. Ils profitèrent de tous les déchirements pour s'étendre à leur convenance. Ils s'agrandirent aux dépens des Umbres dans toute la vallée du (2). Conservant ce qu'avait déjà produit l'industrie de ce peuple dans les trois cents villes que l'histoire lui attribue (3), ils augmentèrent leur propre ri- chesse et leur importance. Puis (4), du nord tournant leurs ar- mes vers le sud et refoulant sur les montagnes les nations ou plutôt les fragments de nations réfractaires , ils s'étendirent

période romaine avec les monuments qui les renferment. (Ibidem, p. 268. Dennis, die Stœdte und Begrœbnisse Etruriens, 1. 1, p. xlii.) (4) Les Annales étrusques ^ d*où le Romain Verrius Flaccus avait tiré les éléments de ses Libri rerum memoria dignarum, affirmaient que le héros Tarclion avait fondé Tarquinii, puis les douze villes étrus- ques du pays plat, et, en outre, tout le nomen etruscum. Tarquinii était donc la cité historique et illustre par excellence, aux yeux de la famille tyrrhénienne. (Abeken, ouvr. cité, p. 20.)

(2) 0. Muller, die Etrusicer, p. 116.

(3) Ou 358. Nous savons déjà, pour parer à tout étonnement de ce côté, combien la race des Celtes était abondante et prolifique. (Keferstein, Ansichten, etc., t. II, p. 3-23.)

(4) Ils fondèrent Adria et Spezia entre le et l'Etsch. (0. Muller, ouvr. cité, p. 140.)

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jusque dans la Campanie (1), en prenant pour limite occiden-i taie le cours inférieur du Tibre. Ainsi ils touchaient aux deux' mers (2). L'État rasène devint, de la sorte, le plus puissant de la Péninsule, et même un des plus respectables de l'univers civilisé d'alors. Il ne se borna pas aux acquisitions continen- tales : il s'empara de plusieurs îles, porta des colonies sur la côte d'Espagne (3). Puissance maritime, il imita l'exemple des Phéniciens et des Grecs en couvrant les mers de navires tout à la fois commerçants et pirates (4).

Avec des progrès si vastes, les Étrusques, déjà métis et for- tement métis , soit qu'on les envisage dans leurs classes infé- rieures , soit qu'on décompose le sang de leur noblesse , ne s'étaient pas soustraits à de plus nombreux mélanges. Soumis au sort de toutes les nations dominatrices, ils avaient, à chacune de leurs conquêtes, annexé à leur individualité la masse des populations domptées , et des Unabres , des Sabins , des Ibères, des Sicules, probablement aussi beaucoup de Grecs, étaient venus se confondre dans la variété nationale , en en modifiant incessamment et les penchants et la nature.

(1) 0. Muller, ouvr. cité, p. 178. Ils restèrent fort longtemps à l'état de puissance prépondérante dans cette province, et n'en furent chassés que Tan 332 de Rome par les Samnites.

(2) Il existe des monuments tyrrhéniens en Corse et en Sardaigne. On en trouve encore sur la, côte méridionale de l'Espagne, et le nom de Tarraco, Tarragone, est très vraisemblablement un indice d'autant moins à négliger que, non loin de cette cité, s'élève Suessa, qui rap- pelle les villes campaniennes de Suessa , Veseia et Sinuessa. (Abeken, ouvr. cité, p. 129.) Seulement, je ne suis pas aussi convaincu que cet auteur de l'origine tyrrhénienne des Sepolcri dei giganti en Sar- daigne. On peut les revendiquer, sans grande difficulté, pour les Rasènes de la première formation, ou pour les Ibères. Eu égard à la racine Tur, Turs, Tusc, il est à noter aussi qu'on la retrouve, aujourd'hui même, chez les Albanais. Entre Durazzo et Alessio on con- naît une ville appelée Tupdcwea. Une autre qncore existe aux environs de Kroja, dans l'Albanie méridionale, qui elle-même se nomme Toaxepta, et ses habitants Toaxot. (Voir Hahn, Albanesische Studien, p. 232 233. Cet auteur fait dériver ce mot de l'arnaute Toupp , cownr, se précipiter, d'où Toyppeiç, le coureur^ l'envahisseur, j

(3) 0. Muller, p. 109 et pass.; p. 478.

(4) Ibid., P. 105.

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DES BACES HUMAINES. 211

A l'inverse de ce qui a lieu d'ordinaire , les altérations subies par l'espèce étrusque étaient , en général , de nature à Tamé- liorer. D'une part, le sang kymrique italiote, en se mêlant aux éléments rasènes , relevait leur énergie ; de l'autre , l'es- sence ariane sémitisée, apportée par les Grecs, donnait à l'en- semble un mouvement, une ardeur, trop faible pour le jeter dans les frénésies helléniques ou asiatiques, mais suffisantes pour corriger quelque peu ce que les alliages occidentaux 'avaient de trop absolument utilitaire. Malheureusement ces transformations s'opéraient surtout dans les classes moyen- nes et basses, dont la valeur se trouvait ainsi rapprochée de celle des familles nobles, et ce n'était pas de quoi maintenir l'é- quilibre politique intact et la puissance aristocratique incon- testée.

Puis, cette grande bigarrure d'éléments ethniques créait trop de mélanges fragmentaires et de petits groupes séparés. Des antagonismes s'établirent dans le sein de la population*, pres- que comme en Grèce , et jamais l'empire étrusque ne put par- venir à l'unité. Puissant pour la conquête, doué d'institutions militaires si parfaites que les Romains n'ont eu, plus tard, rien de mieux à faire que de les copier, tant pour l'organisa- tion des légions que pour leur armement , les Étrusques n'ont jamais su concentrer leur gouvernement (1). Ils en sont toujours restés, dans les moments de crise, à la ressource celtique de Vèmbratur, Vimperator, qui guidait leurs troupes confédérées avec un pouvoir absolu, mais temporaire. Hors de , ils n'ont réalisé que des confédérations de villes principales , entraînant les cités inférieures dans l'orbite de leurs volontés. Chaque centre politique était le siège de quelques grandes races , maî- tresses des pontificats, interprètes des lois, directrices des con- seils souverains , commandant à la guerre , disposant du trésor public. Quand une de ces familles acquérait une prépondérance décidée sur ses rivales, il y avait, en quelque sorte, royauté,

(1) La royauté existait de nom chez les Étrusques, mais elle resta de fait une magistrature très faiblement constituée; à Veies, ellç était élective. (Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 83.)

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mais toujours entachée de ce vice originel , de cette fragilité implacable , qui constituait en Grèce le premier ciiâtiment de la tyrannie. Pendant longtemps, il est vrai , la prédominance que to.utes les cités étrusques s'accordaient à laisser à Tar- quinii sembla corriger ce que cette constitution fédérative avait de bien débile. Mais une déférence si salutaire n'est jamais étemelle : en butte à mille accidents, elle périt au premier choc. Les peuples gardent plus longtemps le respect pour une dynastie , pour un homme , pour un nom que pour une en- ceinte de murailles. On le voit donc, les Tyrrhéniens avaient implanté en Italie quelque chose des vices inhérents aux gou- vernements républicains du monde sémitique. Néanmoins, comme ils n'eurent pas l'influence de modeler complètement l'esprit de leurs populations sur ce type dangereux, ils ne pu- rent détruire une aptitude finnoise que j'ai déjà eu l'occasion de relever: les Étrusques^ professaient pour la personne des chefs et des magistrats un respect tout à fait illimité (1).

Ni chez les Arians , ni chez les Sémites , il ne se rencontra jamais rien de semblable. Dans l'Asie antérieure, on vénère à l'excès, on idolâtre, pour ainsi dire, la puissance; on se tient prêt à en supporter tous les caprices comme des calamités lé- gitimes. Que le maître s'appelle roi ou patrie, on adore en lui jusqu'à sa démence. C'est qu'on redoute la possibilité de la contrainte, et qu'on se prosterne devant le principe abstrait de la souveraineté absolue. Quant à la personne revêtue du pou- voir et des prérogatives du principe, on n'en fait nul cas. C'est une notion commune aux nations ser viles et aux déma- gogies que de considérer le magistrat comme un simple dé- positaire de l'autorité qui , du jour où, par cessation régulière ou bien par dépossession violente, il est jeté hors de sa charge, n'est pas plus respectable que le dernier des hommes, et n'a pas plus de droits à la déférence. De ce sentiment naissent le proverbe oriental qui accorde tout au sultan vivant, rien au sultan mort, et encore cet axiome, cher aux révolutionnaires modernes, en vertu duquel on prétend honorer le magistrat

(1) 0. Mullcr, die Etrusker, p. 375.

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DES BACES HUMAINES. 213

en couTi'ant l'homme de bruyantes injures et d'outrages dé- clarés.

La notion étrusque , toute différente , aurait sévèrement ré- primé chez Aristophane les attaques contre Cléon, chef de l'Etat, ou contre Lamachus, général de l'armée. Elle jugeait la personne même du représentant de la loi comme tellement sacrée, que le caractère auguste des fonctions publiques ne s'en séparait pas , ne pouvait en être distrait. J'insiste sur ce point , car cette vénération fut la source de la vertu que plus tard on admira , à juste titre , chez les Romains. ' Dans ce système, on admet que le pouvoir est, de soi, si salutaire et si vénérable , qu'il impose un caractère en quelque sorte indélébile à celui qui l'exerce ou Fa exercé. On ne croit pas que l'agent de la puissance souveraine redevienne jamais l'égal du vulgaire. Parce qu'il a participé au gouvernement des peuples , il reste à jamais au-dessus d'eux. Reconnaître un tel principe, c'est placer l'État dans une sphère d'éternelle admiration , donner une récompense incomparable aux servi- ces qu'on lui rend, et en proposer l'exemple aux émulations les plus nobles. Ainsi on n'accepte jamais qu'il soit loisible d'ouvrir, même respectueusement, la robe du juge^ pour frotter de boue le cœur de celui qui la porte , et l'on pose une infranchissable barrière devant les emportements de cette prétendue liberté , avide de déshonorer qui commande , pour arriver d'un pas plus sûr à déshonorer le commandement même.

La nation étrusque , riche de son agriculture et de son in- dustrie, agrandie par ses conquêtes, assise sur deux mers, commerçante, maritime (1), recevant, par Tarquinii et par les frontières du sud , tous les avantages intellectuels que sa

(1) Les Tyrrhéniens exerçaient en grand la piraterie , et mirent en mer des flottes assez considérables pour lutter contre les villes grec- ques. Les Massaliotes n'osaient, à cause d'eux, traverser les mers oc- cidentales qu'avec des convois armés. (Niebuhr, Rcem. Geschichte, t. I, p. 84.) L'Étrurie avait conclu avec Carthage des traités de navi- gation et de commerce qui sortaient encore leur plein effet au temps d'Aristote, vers 430 de Rome. {Ibid.y p. 85.)

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constitution ethnique lui permettait d'emprunter à la race des Hellènes , exploitant les richesses que lui valaient ses travaux utiles et sa puissance territoriale, au proflt des arts d'agré- ment, bien que, dans une mesure toute d'imitation (l), livrée à un grand luxe, à un vif entraînement sensuel vers les plaisirs de tout genre , la nation étrusque faisait honneur à Fltalie , et semblait n'avoir à craindre pour la perpétuité de sa puissance que le défaut essentiel d'une constitution fédérative et la pres- sion des grandes masses de peuples celtiques, dont l'énergie pouvait un jour, dans le nord, lui porter de terribles coups.

Si ce dernier péril avait existé seul , il est probable qu'il eûf été combattu avec avantage , et qu'après quelques essais d'in- vasion vigoureusement déjoués, les Celtes de la Gaule aiiraient été contraints de plier sous l'ascendant d'un peuple plus intel- ligent.

La variété étrusque formait certainement, prise en masse, une nation supérieure aux Kymris, puisque l'élément jaune y était ennobli par la présence d'alliages, sinon toujours meil- leurs en fait, du moins plus avancés en culture. Les Celtes n'auraient donc eu d'autre instrument que leur nombre. Les ^Étrusques, déjà en voie de conquérir la Péninsule entière, avaient assez de forces pour résister, et auraient facilement rembarré ïes assaillants dans les Alpes. On aurait vu alors s'accomplir, et beaucoup plus tôt, ce que les Romains firent ensuite. Toutes les nations italiotes, enrôlées sous les aigles étrusques, eussent franchi, quelques siècles avant César, la limite des montagnes, et un résultat d'ailleurs semblable à eelui qui eut lieu, puisque les éléments ethniques se seraient trouvés les mêmes, eût seulement avancé l'heure de la con- , quête et de la colonisation des Gaules. Mais cette gloire n'était pas réservée à un peuple qui devait laisser échapper de son propre sein un germe fécond dont l'énergie lui porta bientôt la mort.

Les Étrusques , pleins du sentiment de leur force , voulaient

(1) Voir., pour les détails des rapports intellectuels des Tyrrhénicns avec<les Grecs, Niebulir, Rœm. Geschichte, l. I, p. 88..

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continuer leurs progrès. Apercevant du côté du sud les écla-; tants foyers de lumières que la colonisation grecque y avait allumés dans tant de cités magnifiques, c'était que les con- fédérations tyrrhéniennes cherchaient surtout à s'étendre. Elles y trouvaient l'avantage de se mettre dans un rapport plus di- rect que par la voie de mer avec la civilisation la plus parente. Les lucuQions avaient déjà porté les efforts de leurs armes vers la Campanie. Ils y avaient pénétré assez loin dans l'est. A l'ouest , ils s'étaient arrêtés au Tibre.

Désormais ils souhaitaient de franchir ce fleuve, ne fût-ce que pour se rapprocher du détroit , Gumes les attirait tout autant que Vulturnum.

Ce n'était pas une entreprise facile. La rive gauche était longée par le territoire des Latins , peuple de la confédération Sabine. Ces hommes avaient prouvé qu'ils étaient capables d'une résistance trop vigoureuse pour qu'on pût les déposséder à force ouverte. On préféra, avant de s'engager dans des hos- tilités sans issue , user de ces moyens à demi pacifiques, fami- liers à tous les peuples civilisés avides du bien d'autrui (1).

Deux aventuriers latins, bâtards, disait-on, de la fille d'un chef de tribu, furent les instruments dont s'arma la politique irasène. Romulus et Rémus , c'.étaient leurs noms , accostés de conseillers étrusques et d'une troupe de colons de la même na- tion, s'établirent dans trois bourgades obscures , déjà existan- tes sur la rive gauche du Tibre (2), non pas au bord de la mer, on ne voulait pas faire un port ; non pas sur le cours supérieur du

(1) Les populations italiotes tenaient beaucoup à ce que les Étrus- ques ne passassent pas le fleuve. Il y avait eu un traité entre les Latins et les Tyrrijéniens qui en stipulait la défense : « Pax ita convenerat < ut Etruscis Latinisque fluvlus Albula, quem nunc Tiberim vocant, « finis esset. » (Liv. 1, 12.)

(2) Qui mérita dès lors le nom de Tuscum Tiberim que lui donne Virgile {Georg., 1,499). Suivant toute probabilité, les deux jumeaux se cantonnèrent sur l'Aventin, à côté d'une bourgade peuplée de Latins, prisci Latini, qui occupait, antérieurement, le Janicule. (Abéken, Mitlel-Italienvor der Zeit der rœmischen Herrschaft, p. 70.)

Un autre établissement latin couronnait le sommet du Palatin. Des Étrusques prirent possession plus tard du mons Cœlius. (Ibidem,

Tac, Ann., IV, 63.)

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fleuve, on ne pensait pas à créer une place de commerce qui ralliât plus tard les intérêts des deux parties nord et sud de l'Italie centrale , mais indifféremment sur le point qu'on put saisir, attendu que le résultat , pour les promoteurs de cette fondation, n'était que de faire passer le. fleuve à leurs établis- sements. Ils s'en remettaient ensuite aux circonstances pour développer ce premier avantage (1).

Comme il fallait agrandir trois hameaux destinés à devenir une ville, les deux fondateurs appelèrent, de toutes parts, les gens sans aveu. Ceux-ci , trop heureux de se créer des foyers, et, pour la plupart, Sabins ouSicules errants, formèrent le gros des nouveaux citoyens.

Mais il n'aurait pas été conforme aux vues des directeurs de l'entreprise de laisser des races étrangères s'emparer de la tête de pont qu'ils jetaient dans le Latium. On donua donc à cette agglomération de vagabonds une noblesse tout étrusque. On reconnaît sa présence aux noms significatifs des Ramnes , des Luceres, des Tities (2). Le gouvernement local porta la même empreinte (3). Il fut sévèrement aristocratique, et l'élément re- ligieux, ou, pour mieux dire, pontifical, s'y présenta stricte- ment uni au commandement militaire , ainsi que le voulaient les notions sémitisées des Tyrrhéniens, si différentes , sur ce point, des idées galliques. Enfin, le pouvoir judiciaire, con- fondu avec les deux autres, fut également remis aux mains du

(1) Denys d'Halicarnasse remarque que plusieurs historiens ont ap- pelé Rome une ville tyrrhénienne. Ces historiens avaient parfaitement raison de le faire, et ils exprimaient une vérité incontestable. T9)v Tco{j.Yiv auTTiv TroXXa tc5v GruYypaçscDv , Tuppyjviôa ttoXiv elvai ^Tiép- êaXov. (I, XXIX.)

(2) 0.- Muller, die Etrusker, p. 381 et pass. Cette opinion' me paraît avoir tout avantage sur celle d'Abeken , qui voit dans les Ramnes les habitants primitifs du Palatin, dans les Luceres ceux du Cœlius, dans' les Tities ceux du Capitole. {Ouvr. cité, p. 136.) Les deux opinions peuvent, du reste, se concilier, si Ton admet que les trois noms, égale- ment étrusques, ont été donnés non pas au gros des trois populations, mais seulement à leurs nobles, ce qui serait une conception parfaite- ment conforme aux idées italiotes et tyrrhéniennes. (0. Muller, ouvr. cité, p. -381 et pass.)

(3) Niebuhr, Rœm. Geschichte, t. I, p. 181.

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patriciat, de sorte que , suivant le plan des organisateurs, il ne resta à la disposition des rois , sauf les bribes de despotisme, glanées dans les moments de crise, que Faction adminis- trative (1).

Si le gouvernement s'institua ainsi tout étrusque , la forme extérieure de la civilisation, et même l'apparence de la nouvelle cité, ne le furent pas moins (2). On construisit, sous le nom de Capitale , une citadelle de pierre à la mode tyrrhénienne , on bâtit des égouts et des monuments d'utilité publique , tels que les populations latines n'en connaissaient pas (3). On érigea, pour les dieux importés, des temples ornés de vases et de sta- tues de terre cuite fabriquées à Fregellae (4). On créa des ma- gistratures qui portèrent les mêmes insignes que celles de ïar- quinii, de Falerii, de Volterra. On prêta à la ville naissante les armes, les aigles, les titres militaires (5), on lui donna enfin le culte (6), et, en un mot, Rome ne se distingua des établisse-

(1) Niebuhr, Rœm. Geschichtey t. I, p. 206. Il n'était pas indispen- sal3le que les rois fussent nés dans la ville. On les prenait comme on les trouvait, ou, mieux, comme ils étaient imposés du deliors. {Ibi- dem. , p. 213 et 220.)

(2) Liv. , I •• « Me haud pœnitet eorum sententiae quibus et appari- « tores et hoc genus ab Etruscis finitimis unde sella curilis unde toga 0 praetexta sumpta est, numerum quoque ipsum ductum est : et ita « liabuisse Etruscos quod, ex duodecîm populis communiter creato « rege, singulos singuli populi lectores dederint. »

(3) 0. Muller, die Etrusker, p. 120.

(4) 0. Muller, die Etrusker, p. 247. Voir, sur la statue de Turanius de Fregellae qui représentait un Jupiter, ce que dit Bœttiger, Ideen zur Kunstmythologie (t. II, p. 193.)

(5) La tunique triomphale, le bâton de commandement du dictateur, en ivoire, surmonté d*un aigle, les jeux équestres, etc., etc. (0. Mul- ler, ouvr. cité, p. 121.) —^ Jusqu'à l'expulsion des rois, le système militaire , à Rome et en Étrurie , fut absolument le même dans les dé- tails comme dans l'ensemble. {Ibidem, p. 391.)

(6) Tite-Live déclare qu'on n'admit qu'une seule divinité non étrus- que , c'était celle de la ville d'Albe à laquelle les deux maîtres nomi- naux de la ^Ue avaient probablement conservé leur dévotion natale : « Sacra diis aliis, albano ritu, graeco Herculi, ut ab Evandro instituta « erant, facit. Haec tum sacra Romulus una ex omnibus peregrina « suscepit. » (Liv. I.)— Toutefois, cette assertion de l'historien de Padoue me paraît ne devoir pas être prise au pied de la lettre. Elle s'appli-

RACES HUMAINES. T. II, 13

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218 DE L'INEGALITE

ments purement rasènes que par ce fait intime, très important d'ailleurs, que le gros de sa population, autrement composé, avait beaucoup plus de vigueur et de turbulence (1).

Les plébéiens n'y ressemblaient nullement à la masse pacifi- que et molle jadis soumise par les Tyrrhéniens, sans quoi les colonisateurs, plus heureux, auraient obtenu de leurs sa- vantes combinaisons les résultats qu'ils s'en promettaient. Il y avait un élément de trop dans cette population plébéienne, qu'on avait si fort mélangée, peut-être avec l'intention de la rendre faible par le défaut d'homogénéité. Si ce calcul présida, en effet, au mode de recrutement adopté pour elle, on peut dire que les précautions de la politique étrusque allèrent tout à fait contre leur espoir de s'assurer une domination plus fa- cile. Ce fut précisément ce qui inculqua dans le jeune établis- sement les premiers instincts d'émancipation, les premiers ger- mes et mobiles de grandeur future, et cela par une voie si particulière, si bizarre, qu'un fait analogue ne s'est pas présenté deux fois dans l'histoire.

Au milieu du concours de gens sans aveu, de toutes tribus^ appelés à devenir les habitants de la ville, on avait des Sicules. Cette nation métisse et errante possédait partout des repré- sentants. Plusieurs des villes de FÉtrurie en comptaient en majorité dans leur plèbe; des parties entières du Latium en étaient couvertes -, le pays sabin en renfermait des multitudes. Ces gens-là furent, en quelque sorte, le fil conducteur qui amena l'élément hellénique, plus ou moins sémitisé, dans la nouvelle fondation. Ce furent eux qui, en mêlant leur idiome au sabin, créèrent le latin proprement dit, commencèrent à lui donner une forte teinture grecque, et opposèrent ainsi l'obs-

que, sans doute, au culte officiel seulement; cai' il est bien probable que les gens de races si diverses qui peuplaient Rome avaient con- servé, dans Tintérieur de leurs maisons, leurs divinités nationales. Ainsi se prépara la vaste confusion des cultes qui devait avoir lieu au sein de Rome impériale. (1) Virg., Geor^'., n, 163:

Haec genus acre virum Marsos, pubesque Sabellam, Adsuetumque malo Ligurem, Volscosque verutos Extulit.

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DES BACBS HUMAINES. 219

tacle le plus vigoureux à ce que la langue étrusque passât ja- mais le Tibre (1). Le nouveau dialecte , se posant comme une digue devant l'idiome envahisseur, fut toujours considéré par les grammairiens romains comme un type dont l'osque et le sabin , altérés de leur valeur première , étaient devenus des variétés, mais qui se tenait dans un dédaigneux éloignement de la langue des lucumons, traitée d'idiome barbare. Ainsi les Sicules , en tant qu'habitants plébéiens de Rome , ont été surtout les adversaires du génie des fondateurs, comme Tim- pôrtation de leur langue devait être le plus grand empêche- ment à l'adoption du rasène.

Il n'est pas nécessaire de faire remarquer, sans doute, qu'il ne s'agit ici que d'un antagonisme organique, instinctif, entre les Sicules et les Étrusques , et nullement d'une lutte ouverte et matérielle. Assurément cette dernière n'aurait pas eu de chance de succès. Ce fut TÉtrurie elle-même qui, bien malgré elle, se chargea de jeter Rome naissante dans la voie des agi- tations politiques.

La petite colonie était, depuis son premier jour, l'objet des haines déclarées des peuples du Latium. Bien que l'attrait des avantages divers qu'elle avait à offrir, sa construction étrusque, son organisation du même cru et la civilisation de son patri- ciat eussent porté quelques peuplades assez misérables, les Crustumini, les Antemnati, les Caeninenses (2), et, un peu plus tard, les Albains, à se fondre dans ses habitants, les vrais pos- sesseurs du sol sabin la considéraient de très mauvais œil. Ils reprochaient à ses fondateurs d'être des gens de rien, de ne représenter aucune nationalité, et de n'avoir d'autre droit à.

(1) 0. MuUer, die Etrusker, p. 66. Il est, en effet, très remarquable, que rétrusque, resté toujours pour les Romains, et même au temps des empereurs, une espèce de langue sacrée, n'ait jamais pu se répandre chez eux. Cependant, jusque vers Tépoque de Jules, les pa- triciens rapprenaient et en faisaient cas comme d'un instrument de civilisation. Plus tard elle fut abandonnée aux augures. A aucun mo- ment elle n'avait pu devenir populaire.

(2) Liv., 1, 28. Les Sabins de Tatius, pères des femmes enlevées, des Sabinœ mulieres, ne s'incorporèrent au nouvel État qu'après les trois tribus que je viens de nommer.

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la patrie qu'ils s'étaient faite que le vol et l'usurpation. Ainsi sévèrement jugée, Rome était tenue en dehors de la confédé- ration dont Amiternum était la cité principale, et exposée isur la rive gauche du Tibre, elle se voyait isolée, à des attaques que très probablement elle n'aurait pas eu la force de repous- ser, si elle s'était trouvée sans soutiens.

Dans l'intérêt de son salut , elle se rattachait de toutes ses forces à la confédération étrusque dont elle était une émana^ tion, et, quand les discordes civiles eurent éclaté au sein de ce corps politique, Rome ne put songer à rester neutre : il lui fallut prendre parti pour se conserver des amis actifs au milieu de ses périls.

L'Étrurie en était à cette phase politique les races civi- lisatrices d'une nation se montrent abaissées par les mélanges avec les vaincus, et les vaincus relevés quelque peu par ces mêmes mélanges. Ce qui contribuait à hâter l'arrivée de cette crise , c'était la présence d'un trop grand nombre d'éléments kymiiques plus ou moins hellénisés, et parfaitement de nature et de force à contester la suprématie aux descendants bâtards de la race tyrrhénienne. Il Se développa, en conséquence, dans les cités rasènes un mouvement libéral qui déclara la guerre aux institutions aristocratiques, et prétendit substituer aux pré- rogatives de la naissance celles de la bravoure et du mérite.

C'est le caractère constant de toute décomposition sociale que de débuter par la négation de la suprématie de naissance. Seulement le programme de la sédition varie suivant le degré de civilisation des races insurgées. Chez les Grecs, ce furent les riches qui remplacèrent les nobles 5 chez les Étrusques, ce furent les braves, c'est-à-dire les plus hardis. Les métis raséno- tyrrhéniens, mêlés à la plèbe, sujets umbres, sabins, samnites, sicules, se déclarèrent candidats au partage de l'autorité sou- veraine. Les doctrines révolutionnaires obtinrent leurs plus nombreux partisans dans les villes de l'intérieur les anciens vaincus abondaient. Volsinii paraît avoir été le principal point de ralliement des. novateurs (1), tandis que le centre de la ré-

(1) Suivant Abeken, les villes principalement libérales auraient été

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sistance aristocratique s'établit à Tarquinii, le sang tyrrhé- nien avait conservé quelque force en gardant plus d'homogé- néité. Le pays se partagea entre les deux partis. Il est même vraisemblable que chaque cité eut à la fois une majorité et une minorité au service de l'un et de l'autre. Ce qui occupait tout Je nomen etruscum eut son retentissement naturel dans la co- lonie transtibérine , et Rome , obéissant aux raisons que j'ai déduites plus haut, prit fait et cause dans le mouvement.

On devine déjà pour quel ordre d'idées elle devait se pro- noncer. Le caractère de sa population répondit d'avance de ses sympathies libérales. Son sénat étrusque , d'ailleurs mêlé 4éjà de Sabms, n'était pas en état de contenir l'opinion géné- rale dans le camp Tarquinii (1). L'esprit ambitieux et ar- dent des Sicules , des Quirites et des Albains y parlait trop haut. La majorité se prononça donc pour les novateurs, et le roi Servius TuUius essaya de réaliser la révolution en achemi- nant Rome vers le régime des doctrines anti-aristocratiques.

La constitution servienne donna satisfaction à l'élément po- pulaire , en appelant à un rôle politique tout ce qui pouvait porter les armés (2). On demandait, il est vrai, au membre de V exercitus urbanus quelques conditions de fortune, mais non pas telles qu'elles constituassent une timocratie à la manière grecque. C'était plutôt un cens dans le genre de celui qui, au moyen âge, était exigé des bourgeois de plusieurs communes.

Le but n'était pas , dans ce dernier exemple , de créer chez le citoyen des garanties de puissance ou d'influence, mais seu-

Arrelium, Volaterrae, Rusellae et Clusium; et ainsi s'expliquerait, pour le dernier de ces États, la promptitude avec laquelle son chef, le larth Porsenna, s'empressa de conclure la paix avec les Romains insurgés contre les Tarquiniens, après s'être laissé émouvoir à la commencer par un intérêt patriotique opposé à ses intérêts de parti. {Ouvr. cité, p. 24.) Je remarquerai, en passant, que le nom de Vo- Zaterrœ est latin ; les Étrusques appelaient cette ville Felathriy ce qui est beaucoup plus prés du Velletri moderne. C'est un argument de plus en faveur de l'étude des anciens idiomes de l'Italie au moyen des dialectes locaux actuels.

(1) 0. Muller, die Etrusker, p. 316.

(2) Niebuhr, Rœm. Geschickte , t. I, p. 252 et pass

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lement de moralité politique. Chez les plébéiens de Roma-Qui- rium, il s'agissait de moins encore : on ne voulait qu'obtenir des guerriers qui fussent en état de s'armer convenablement et de se suffire à eux-mêmes pendant une campagne.

Cette organisation , soutenue par les sympathies générales, ne put cependant que s'asseoir à côté des institutions tyrrhé-- . niennes ; elle ne parvint pas à les renverser. Il y avait encore trop de force dans la façon dont était combiné l'élément mili- taire et sacerdotal avec la puissance juridique. L'attaque, d'ail- leurs, ne fut pas d'assez longue durée pour briser le faisceau et arracher le pouvoir aux races nobles. On y serait parvenu peut- être en recourant aux violences d'un coup de main. Il paraît qu'on ne voulut pas user de ce moyen contre des hommes que le pontificat revêtait d'un caractère sacré. Ce que les sociétés bien vivaces haïssent davantage, c'est l'impiété, et évitent le plus longtemps, c'est le sacrilège.

Servius TuUius et ses partisans, manquant donc de ce qu'il eût fallu pour vaincre complètement leur noblesse étrusque, se contentèrent de placer le code militéire nouveau auprès de l'ancien , laissant aux progrès de leur cause dans les autres ci- tés rasènes le soin de fournir la possibilité d'aller plus loin. Ces espérances furent trompées. Bientôt l'opposition libérale en Étrurie, battue par le parti aristocratique, se trouva ré- duite a la soumission. Volsinii fut prise, et un des chefs les plus éminents de la révolte, Cœlius, ne se trouva d'autre res- source que de fuir, d'aller chercher quelque part un asile pour ses plus chauds partisans et pour lui-même.

Cet asile, quel pouvait-il être, sinon la ville étrusque qui^ après Volsinii , avait montré le plus de dévouement à la révo- lution, et très probablement à sa position territoriale excen- trique, à son isolement au delà du Tibre, d'en pousser le plus loin les doctrines et d'en appliquer le plus ouvertement les idées? Rome vit ainsi accourir Mastarna, Cœlius, et leur monde; et le tuscus vicus^ devenant le séjour de ces bannis (1), agrandit encore l'enceinte d'une ville qui , au point de vue de

(1) 0. MuUer, p. 116 et pass.

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DES RAGES HUMAINES. 223

ses fondateurs aristocratiques, comme à celui des réformateurs libéraux, était une espèce de camp ouvert à tous ceux qui cherchaient^une patrie , et voulaient bien la prendre au sein de la négation de toutes les nationalités.

Mais rarrivée de Mastarna, non moins que la réforme de Servius Tullius (1) , ne pouvaient être des faits indifférents à la réaction victorieuse. Les lucumons n'étaient pas disposés à souffrir qu'une ville fondée pour leur ouvrir le sud-ouest de l'Italie devînt une sorte de place d'armes aux mains de leurs ennemis intérieurs. Les nobles de Tarquinii se chargèrent d'é- touffer l'esprit de sédition dans son dernier asile. Coryphées du parti qui avait créé la civilisation et la gloire nationales , ils en étaient restés les représentants ethniques les plus piu*s et les agents les plus vigoureux. Ils devaient à leurs relations plus constantes avec la Grèce et l'Asie Mineure de surpasser les autres Étrusques en richesse et en culture. C'était à eux d'achever la pacification en jdétruisant l'œuvre des niveleurs dans la colonie transtibérine.

Ils y parvinrent. La constitution de Servius Tullius fut ren- versée , l'ancien régime rétabli. La partie sabine du sénat et la population mélangée formant la plèbe rentrèrent dans leur état passif (2) , rôle la pensée étrusque les avait toujours voulu contenir, et les Tarquiniens se proclamèrent les arbitres suprêmes et les régulateurs du gouvernement restauré. Ce fut ainsi que le libéralisme vit se fermer son dernier asile (3).

(1) L'origine latine de Servius, Fusurpation par laquelle il succédait à la dynastie étrusque , la façon dont il flattait les intérêts populaires le rendaient très propre à rallier et à protéger toutes les idées hostiles à la suprématie tyrrhénienne. (Dionys. Halic, 4, I-XL.)

(2) Dionys. Halic, Anliq. Rom., XLII , XLIII. Le sénat fut renouvelé, et les pères, nommés par Tullius, chassés. Les plébéiens rentrèrent dans leur condition de nullité primitive.

(3) A ce moment, le parti qui conduisait les affaires à Tarquinii se trouva très fort dans tout le nomen etruscum. Il tenait, d'un côté, sa' capitale et Rome, puis Veies, Caerae, Gabii, Tusculum, Antium, et,au sud, s'appuyait sur les sympathies de Cumes, colonie hellénique qui ne pouvait pas voir sans plaisir des efforts si soutenus pour maintenir la civilisation sémitisée dans la Péninsule. (Abeken, ouvrage cité^ p. 24.)

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224 DE l'inégalité

On ne sait trop rhistorique des luttes ultérieures de ce parti dans le reste du territoire rasène. Il est cependant certain qu'il releva la tête après un temps d'abattement. Les causes ethniques qui l'avaient suscité ne pouvaient que devenir plus exigeantes à mesure que les races sujettes gagnaient en importance par l'extinction graduelle du sang tyrrhénien. Toutefois, la race rasène du fond national étant de valeur mé- diocre, il eût fallu beaucoup de temps pour que le résultat égalitaire s'opérât , même avec l'appoint des vaiacus , Timbres, Samnites et autres. De sorte que la résistance aristocratique avait des chances de se prolonger indéfiniment dans les villes anciennes (1).

Mais précisément l'inverse de cette situation se rencontrait à Rome. Outre que les nobles étrusques, natifs de la ville, même appuyés parles Tarquiniens, n'étaient qu'une minorité, ils avaient contre eux une population qui valait infiniment plus que la plèbe rasène. La compression ne pouvait être que dif- ficilement maintenue. Les idées de révolution continuaient à prendre un développement irrésistible en s'appuyant sur les idées d'indépendance, et, un jour ou Tautre, inévitablement, Rome allait secouer le joug. Si , par un coup du sort , Popu- lonia , Pise ou toute autre ville étrusque , possédant jusqu'au fond de ses entrailles non seulement du sang tyrrhénien , mais surtout du sang rasène, avait réussi dans sa campagne contre les idées aristocratiques , l'usage que la cité victorieuse aurait fait de son triomphe se serait borné à changer sa constitution politique intérieure , et , du reste , elle serait restée fidèle à sa race en ne se séparant pas de la partie collective , en conti- nuant à tenir au nonien etruscum.

Romç, n'avait, elle, aucua motif pour s'arrêter à ce point.

(1) C'est ce qui fut en eifet, et, même au temps de la guerre d'An- nibal , le gouvernement de la plupart des cités étrusques était resté en- tier dans les mains de la noblesse, non pas toutefois sans résistances. (Niebuiir, iîcem. Geschichte, 1. 1, p. 81.) Volsinii, la ville démocratique par excellence, réussit à maintenir une administration révolution- naire entre les mains de la plèbe , depuis la campagne de Pyrrhus iusau*à la première guerre punique. (Ouvr. cité, t. I, d. 82.)

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DES HACES HUMAINES. 225

Précisément les raisons qui la poussaient si chaudement dans îe parti libéral, qui lui en avaient fait appliquer les théories, qui l'avaient désignée pour servir, en quelque sorte, de se- conde capitale à la révolution, ces raisons-là , par leur énergi- , la conduisaient bien au delà d'une simple réforme politique. Si elle ne goûtait pas la domination des lars et des lucumonr, c'était , avant tout , parce que ceux-ci , avec les meilleurs droits de se dire ses fondateurs, ses éducateurs, ses maîtres, ses bienfaiteurs (1), n'avaient pas celui d'ajouter qu'ils étaient ses concitoyens. Dans la débilité de ses premiers jours, elle avait trouvé un grand profit, une véritable nécessité à se faire pro- téger par eux ; mais , pourtant , son sang ne s'était pas fondu avec le leur, leurs idées n'étaient pas devenues les siennes, ni leurs intérêts ses intérêts. Au fond, elle était sabine, elle était sicule , elle était hellénisée , puis encore elle était sépare e géographiquement de l'Etrurie : elle lui était donc, en fait, étrangère , et voilà pourquoi la réaction des Tarquiniens no pouvait avoir qu'un temps de succès plus court que dans les autres villes , réellement étrusques , et pourquoi , l'aristocratie tyrrhénienne une fois renversée, on devait s'attendre à ce que Rome se précipitât dans les nouveautés fort au delà de ce que souhaitaient les libéraux de FÉtrurie. Bien plus, nous allons voir, tout à l'heure, la ville émancipée revenir sur les théories libérales, source première de sa jeune indépendance, et ré- tablir l'aristocratie dans toute sa plénitude. Les révolutions, d'ailleurs, sont remplies de pareilles surprises.

Ainsi Rome, après un temps de soumission aux Tarquiniens, réussit à accomplir un soulèvement heureux (2). Elle chassa

(1) Dans la guerre de Romulus contre les Sabins de Quirium, le roi romain avait été ouvertement soutenu par une armée étrusque sous le commandement d*un lucumon de Solonium; celui-ci avait partagé Fautorité avec lui. (Dionys. Halic. , Antiq. Rom., 2, XXXVII.)

(2) La domination des Tarquiniens avait été, matériellement parlant, on ne peut plus heureuse pour Rome. Ces nobles pleins de génie ra- valent beaucoup embellie. Ils y avaient importé la construction en pierres quadrangulaires sans ciment. (Abeken, ouvr. cité, p. 141.) Ils avaient étendu ses fortifications en agrandissant son enceinte. (0. MuUer, ouvr, cité, p. 120.) ils y avaient fait venir des artisans

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226 DE l'inégalité

de ses murailles ses dominateurs, et, avec eux, cette partie du sénat qui, bien gue née dans la cité, parlait la langue des maîtres et se vantait d'être de leur parentage. De cette façon, l'élément tyrrhénien disparut à peu près de sa colonie , et n'y exerça plus qu'une simple influence morale. A dater de cette époque , Rome cesse d'être un instrument dirigé par la politi- que étrusque contre l'indépendance des autres nations ita-» liotes. La cité entre dans une phase elle va vivre pour elle- même. Ses rapports avec ses fondateurs tourneront désormais au profit de sa grandeur et de sa gloire , et cela d'une façon que ceux-ci n'avaient certainement jamais soupçonnée.

CHAPITRE V-

Rome italiote.

J'ai déjà indiqué que , si l'aristocratie étrusque avait con- servé sa prépondérance dans la Péninsule , il ne serait arrivé rien autre que ce qui s'est produit dans le monde sous le nom de Rome. Tarquinii aurait absorbé à la longue les indépendances des autres villes fédérées , et , ses éléments de pression sur les peuples voisins, comme sur ceux de l'Espagne, de la Gaule,

habiles de toutes les villes d*Étrurie : « Fabris undique ex Etruria accitis. » (Liv., I.) Ils avaient placé Ronie à la tête de la confédération latine, détruite de fait par la chute d'Alba Longa. (Abeken, ouvr. citéj p. 52.) Ils a valent même augmenté cette confédération en y réunis- sant quarante-sept villes nouvelles , tant en deçà qu'au delà du Tibre. {Ibidem.) Enfin , des cités telles que Circeii et Signia avaient été fon- dées, ou du moins agrandies par eux. Rome fit donc une très mauvaise affaire dès le premier moment sa séparation d'avec Tarquinii fut consommée. L'œuvre entière de l'habileté tyrrhénienne s'écroula, du reste, en même temps. La confédération fut dissoute et le parti aristocratique très affaibli dans toute l'étendue de la domination étrusque. (0. Muller, ouvr, cité, p. 124.)

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de l'Asie et du nord de l'Afrique , étant les mêmes que ceux dont Rome disposa plus tard , le résultat final serait demeuré identique. Seulement la civilisation y aurait gagné de se déve- lopper plus tôt.

Il ne faut pas se le dissimuler : le premier effet de l'expul- sion des Tarquiniens fut d'abaisser considérablement le niveau social dans l'ingrate cité (1).

Qui possédait la science sous toutes ses formes, politique, judiciaire, militaire, religieuse, augurale? Les nobles étrusques , et presque personne avec eux. C'étaient eux qui avaient dirigé ces grandes constructions de la Rome royale dont plusieurs survivent encore, et qui dépassaient de si loin tout ce qu'on pouvait voir dans les capitales rustiques des autres nations ita- liotes. C'étaient eux qui avaient élevé les temples admirés du premier âge , eux encore qui avaient fourni le rituel indispen- sable pour l'adoration des dieux. On en tombait si bien d'ac- cord que, sans eux, la Rome républicaine ne pouvait ni cons- truire , ni juger, ni prier. Pour cette dernière et importante fonction de la vie domestique autant que sociale, leur concours resta toujours tellement nécessaire que, même sous les em- pereurs , quand depuis longtemps il n'y avait plus d'Étrurie, quand depuis des siècles les Romains, absorbés par les idées grec- ques, n'apprenaient plus même la langue, organe vénérable de l'ancienne civilisation, il fallait encore, pour maints emplois du sanctuaire, se confier à des prêtres que la Toscane instruisait seule (2). Mais, au dernier moment, il ne s'agissait que de ri-

(1) 0. Muller, die Etrusker, p. 259. Les possessions de Rome s'ar- rêtaient à ce moment au Janicule. Elle avait perdu tout le reste. Servius avait partagé le peuple en trente tribus; il n'en restait plus que vingt en 271 de la ville. (Abeken, ouvr. cité, p. 25.)

(2) Tac, Anw-, XI, 15 ; « Retulit (Claudins) deinde ad senatum super a coUegio aruspicum . ne vetustissîma Italiae disciplina per desidiam « exolesceret : ssepe adversis reipublicae temporibus accitos, quorum « monitu redinlegratas cœrimonias et in poslerum rectius habitas; a primoresque Etruriœ , sponte aut patrum romanorum impulsu re- «tinuisse scientiam aut in familias propagasse; quod nunc segnius « fieri, publica circa bonas artes socordia et quia externae supersti- 'X liones valescant : et laeta quidam in prœsens omnia; sed benignitati

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228 DE l'inégalité

tes ; sous la Rome républicaine , il s'agissait de tout. En chas- sant les fondateurs de l'État^ on arracha les éléments les plus essentiels de la vie publique, et on n'eut d'autre ressource, après s'être assez félicité de la liberté acquise , que de s'ac- commoder de la misère et d'en faire l'éloge sous le nom de vertu austère. Au lieu des riches étoffes dont s'étaient habillés les seigneurs de la Rome royale, les patriciens de la Rome ré- publicaine s'enveloppèrent dans de grossiers sayons. Au lieu de belles poteries, de plats de métal, entassés sur les tables, et pleins d'une nourriture somptueuse, ils n'eurent plus qu'une rude vaisselle, mal fabriquée par eux-mêmes, ils s'offrirent leurs pois chiches et du lard. En place de maisons bien or- nées (1), ils durent se contenter de métairies sauvages, où, parmi les porcs et les poules , vivaient les consuls et les séna- teurs qui se louaient judicieusement d'une pareille vie, faute de pouvoir l'échanger contre une meilleure. Bref, pour faire eomprendre, par un seul trait, combien la Rome républicaine était au-dessous de son aînée, qu'on se rappelle que, lorsque, après l'invasion des Gaulois, la ville incendiée fut rétablie par Camille, on avait si bien oubUé les nécessités d'une grande capitale, que l'on rebâtit les maisons au hasard, et sans tenir aucun compte de la direction des égouts construits par les fondateurs. On ne savait plus même l'existence de la cloaca maxima (2). C'est que, grâce à ces mœurs farouches, si admi- rées depuis , les Romains de cette époque étaient fort au-des- sous de leurs pères, et tout autant que leur bourg l'était de la ville régulière fondée jadis par la noblesse étrusque.

Voilà cependant la civilisation partie avec le bagage des Tar- quiniens. Eut-on au moins la liberté , je dis cette liberté dont

« deum gratiam referendam , ne ri lus sacroruQi, inter ambigua culti, « per prospéra oblitarentur. Factura ex eo senatusconsultum , vi- « derent pontifices quse retinenda firmandaque aruspicum. »

(1) Un des griefs les plus violents de la population romaine contre Tarquin le Superbe était qu'il employait la plèbe à construire des palais, des temples et des portiques afln d'embellir la ville. (Dionys.. Halic. , Antiq. Rom., 4, XLIV, LXl, etc.)

(2) 0. MuUer, die Etrusker, p. 259. .

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les rêves des classes moyennes d'Étrurie avaient cru déposer le germe dans le système de Servius Tullius? J'ai laissé entre- voir qu'il n'en fut rien, et, en effet, il n'en pouvait rien être.

Une fois les Tyrrhéniens chassés , la population se trouva composée en grande majorité de Sabins, gens rudes, austères, belliqueux, et qui, très susceptibles de se développer dans le sens matériel, très capables de résistance contre les agressions, très aptes à imposer leurs notions par la force, n'étaient pas disposés à céder du premier coup leurs droits de suprématie aux Sicules plus spirituels , mais moins vigoureux, aux Rasè- nes descendants des soldats de Mastarna, bref, au chaos de tant de races qui avaient des représentants dansJes rues de Rome (1). De sorte qu'après s'être débarrassés de la partie étrusque de la nation, les libéraux se trouvèrent avoir sur les bras la partie sabine, et celle-ci fut assez forte pour attirer à elle tout le pouvoir.

Suivant l'esprit des blancs , l'amour et le culte de la famille étaient très forts chez les Sabins, et, pour être mal vêtus, mal nourris et assez ignorants, les nobles de cette descendance n'é- taient pas moins aristocratiquement inspirés que les lucumons les plus orgueilleux. Les Valériens, les Fabiens, les Claudiens, tous de race sabine, ne souffrirent pas que d'autres que leurs égaux partageassent avec eux les soins du gouvernement, et la seule satisfaction qu'ils laissèrent aux plébéiens fut d'abolir cette royauté qu'eux-mêmes auraient difficilement soufferte. Du reste , ils s'ingénièrent à imiter de leur mieux les maîtres dépossédés en concentrant sous leurs mains jalouses toutes les prérogatives sociales (2).

Ils n'étaient pourtant pas dans cette position de supériorité complète les Tyrrhéniens, Pélasges sémitisés, s'étaient trou- vés vis-à-vis des Rasènes , de sorte que les plébéiens ne re- connurent pas très explicitement la légitimité de leur puissance, et n'en supportèrent le joug qu'en murmurant. L'embarras ne -se bornait pas : eux-mêmes, pour peu qu'ils fussent illustres

(1) 0. Muller, ouvr. cité, p. 204. <2) Id., îôiU, p. 204.

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et puissants, gardaient des splendeurs de la royauté un sou- venir siecret qui leur faisait souhaiter le pouvoir suprême , et redouter que des compétiteurs ne le saisissent avant eux , de sorte que la république commença sa carrière avec toutes les difficultés' que voici :

Une civilisation très abaissée ;

Une aristocratie qui voulait gouverner seule ;

Un peuple, tourmenté par elle, qui s'y refusait (1);

L'usurpation imminente chez un noble quelconque ;

La révolte non moins imminente dans la plèbe ;

Des accusations perpétuelles contre tout ce qui s'élevait au- dessus du niveau vulgaire par le talent ou les services;

Des ruses incessantes chez les gens d'en bas pour renverser ceux d'en haut sans employer la force ouverte.

Une telle situation ne valait rien. La société romaine, placée dans de telles conditions, ne subsistait qu'à l'aide d'une com- pression permanente de tout le monde ; de un despotisme qui n'épargnait personne , et cette anomalie que , dans un Etat qui fondait son plus cher principe sur l'absence du gou- vernement d'un seul, qui proclamait son amour jaloux pour . une légalité émanant de la volonté générale , et qui déclarait tous les patriciens égaux, le réghne ordinaire fut l'autorité d'un dictateur, sans bornes, sans contrôle, sans rémission, et empruntant à son caractère soi-disant transitoire un degré de violence hautaine inconnu à l'administration de tout monar- que avoué.

Au milieu de la terrible éruption des fureurs politiques , on est cependant surpris de voir cette Rome, ainsi faite qu'elle semblait une offrande à la discorde, ne pas représenter ce qu'on a observé chez les Grecs. Si la passion du pouvoir y

(1) Liv., T : « Civitas secum ipsa discors intestino in ter patres plebem- « que (laij rabat odio, maxime propter nexos ob œs alienum. Fremebant « seforis pro libertate et imperio dimicantes, domi a civibus captos « ot oppresses esse : tutioremque in bello quam in pace, inter hostes « quam inter cives, libertatem plebis esse. » Tac, Ann., VI, 16 : « Sane vêtus Urbi fœnebre maium, et seditionum discordiarumque « creberrima causa. »

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DES BACES HUMAINES. 231

tourmente toutes les têtes, c'est une passion qui tend chez les ambitieux, patriciens ou plébéiens, à s'emparer de la loi pour lui donner une forme régulatrice conséquente à telle et telle notion de l'utile ; mais on n'a pas le spectacle répugnant, si constamment étalé sur les places publiques d'Athènes, d'un peuple se ruant en forcené dans les horreurs de l'anarchie avec une sorte de conscience de cette tendance abominable. Ces Romains sont honnêtes, ce sont des hommes ; ils compren- nent souvent mal le bien et donnent à gauche, mais au moins est-il évident qu'ils croient alors marcher à droite. Ils ne manquent ni de désintéressement ni de loyauté (1). Exami- nons la question dans le détail.

Les patriciens se supposent un droit natif à gouverner l'Etat exclusivement.

Ils ont tort. Les Étrusques pouvaient réclamer cette préro- gative; les Sabins, non, car il n'y a pas de leur côté de supé- riorité ethnique bien clairement prouvée sur les autres ItaUo- tes qui les entourent et qui sont devenus leurs nationaux. Tout au plus, les Fabiens, les grandes familles possèdent-elles un degré de pureté de plus que la plèbe. En le concédant, on ne peut encore supposer ce mérite assez tranché pour conférer le pouvoir du civilisateur sur le peuple vaincu et dominé (2). II

(1) Voir dans Tite-Live la violente insurrection apaisée par les consuls P. Servilius et Ap. Claudius, et l'affaire du mont Sacré. (Liv., I.)

(2) Dès le temps des rois, il y avait eu des modifications très impor- tantes dans la constitution ethnique du patriciat. Tarquin l'Ancien y avait appelé tout l'ordre équestre en masse. (Niebuhr, Rœm. Geschi- chte, 1. 1, p. 239.) De sorte qu'aux premiers jours de la république, les plébéiens étaient fondés à se considérer comme du même sang ou d'un sang égal en valeur à celui de leurs gouvernants. Bien mieux, beaucoup de familles plébéiennes rivalisaient de noblesse reconnue avec les plus fières maisons sénatoriales , et formaient , réunies à l'or- dre équestre, une classe en réalité aristocratique, avide de saisir les emplois , et toutefois forcée de faire cause commune avec la plèbe. {Ibid., t. I, p. 375.) Beaucoup de maisons plébéiennes, comme les Marciens, les Mamiliens, les Papiens, les Cilniens, les Marruciniens , se trouvaient dans les mêmes rapports vis-à-vis du patriciat furent à Venise , dans les temps modernes , les nobles de terre ferme vis-à-vis des nobles de Saint-Marc.

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n'y avait pas, dans la Rome républicaine, deux races placées sous des rapports inégaux , mais uniquement un groupe plus nombreux que les autres. Ce genre de hiérarchie était de na- ture à disparaître assez promptement. La défaite du patriciat romain ne fut donc pas une révolution anormale et violant les lois ethniques, mais un fait malheureux et inopportun, comme l'est constamment la chute d'une aristocratie.

La lutte des partis grecs tourna constamment autour des théories extrêmes. Les riches d'Athènes ne tendaient qu'à gou- verner eux-mêmes, qu'à absorber les avantages de l'autorité; le peuple d'Athènes ne visait qu'à la dilapidation des caisses publiques par les mains de l'écume démocratique. Quant aux gens impartiaux, ils imaginaient des doctrines toutes littérai- res, toutes d'imagination, et voulaient solidifier des rêves pour corriger des faits. Dans tous les partis, à tous les points de vue, on ne désirait que table rase, et la tradition, Thistoire ne comptaient pour rien sur un sol le sentiment du respect était absolument inconnu.

On n'aurait aucun droit de s'en étonner. Avec l'égrenage ethnique qui faisait le fond de la société athénienne, avec cette dissolution complète de la race qui réunissait, sans avoir ja- mais pu les fondre , les éléments les plus divers, avec cette pré- dominance, surtout, de l'élément spirituel, mais insensé, des Sémites , c'était bien ce qui devait arriver. Une seule chose siu-nageait au milieu de l'anarchie des notions politiques, l'ab- solutisme du pouvoir incarné dans le mot de patrie.

Mais à Rome il en fut très différemment, et les partis eu- rent nécessairement d'autres allures. Les races étaient sur- tout utilitaires. Elles possédaient un sens pratique étranger à l'imagination grecque, et toutes comprenaient, à travers les passions engagées dans la défense de ce qu'on supposait le vrai bien de l'État, une égale horreur pour l'anarchie. C'est ce sentiment qui les rejeta bien souvent dans la ressource ex- trême de la dictature ; car nativement , il faut le reconnaître, elles étaient sincères , et beaucoup plus que les Grecs , quand elles protestaient de leur haine pour la tyrannie. Métisses de blanc et de jaune, elles avaient le goût de la liberté, et, mal-

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DES BACES HUMAINES. 233

gré les sacrifices en ce genre, presque permanents, que les nécessités du salut social leur imposaient, on peut encore trouver la marque de leur esprit natif d'indépendance dans le rôle que le sentiment appelé par eux aussi Vamour de la pa- trie jouait au milieu de leurs vertus politiques.

Cette passion, vive coname chez les nations helléniques, n'avait pas le même despotisme cassant. La délégation que la patrie faisait à la loi de ses pouvoirs donnait au culte des Ro- mains pour cette divinité quelque chose de beaucoup plus ré- gulier, de bien autrement grave , et , en somme , de plus mo- déré. La patrie régnait sans doute , mais ne gouvernait pas , et nul ne songeait , comme chez les Grecs , à justifier les caprices des factions, leurs énormités et leurs exactions en les couvrant de ce mot unique : la volonté de la patrie (1t). La* loi, pour les Grecs, faite et défaite tous les jours, et constamment au nom du pouvoir supérieur, la loi n'avait ni prestige, ni autorité, ni force. Au contraire, à Rome, la loi ne s'abrogeait, pour ainsi dire , jamais ; elle était toujours vivante , toujours agissante , on la rencontrait partout, elle seule ordonnait, et, de fait, la patrie restait à son état d'abstraction, et n'avait pas le droit, bien que très honorée , de s'engouer tous les matins de quel- que mauvais révolutionnaire nouveau, comme cela n'avait lieu que trop souvent sur le Pnyx.

Il n'est rien de mieux , pour comprendre ce que c'était que V omnipotence de la loi dans la société romaine, que de voir le pouvoir des conventions augurales se perpétuer jusqu'à la

(1) Rien ne le montre mieux que la grande commotion civile qui porta les plébéiens à se retirer sur le mont Sacré, en laissant dans la ville les patriciens avec leurs clients et leurs esclaves. Toute cette af- faire est admirablement exposée dans ses causes et sa conduite par Niebuhr. (Rœm. Geschichle^ t. I, p. 412.) C'est un des morceaux les plus remarquables qui aient jamais été écrits sur l'antiquité. L'éléva- tion de la pensée, comme sa justesse, en donnant au style du grand historien une beauté inattendue, le fait échapper cette fois au juge- ment d'ailleurs équitable de M. Macaulay : « Niebuhr, a man who < whould hâve been the lirst writer of his time, if his talent for com- « municating thoughts had borne any proportion to his talent for in- « vestigating them. » {Lays of Ancient Rom. Préface.)

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234 DE l'inégalité

i

fia de la république. Quand on Ut qu'au temps de Cicérôn^ l'annonce d'un prodige météorologique suffisait encore pour faire rompre les comices et lever la séance, alors que les hommes politiques se moquaient non seulement des prodiges, mais des dieux même , on trouve certainement un indice irrécusable d'un grand respect pour la loi, même jugée ab- surde (1).

Les Romains furent ainsi le premier peuple d'Occident qui sut faire tourner au profit de sa stabilité , en même temps que de sa liberté, ces sortes de défauts de la législation qui sont ou organiques ou produits par les changements survenus dans les mœurs. Ils constatèrent qu'il y avait dans les constitutions politiques deux éléments nécessaires, Faction réelle et la comé- die, vérité si bien^reconnue et exploitée depuis par les Anglais. Ils surent pallier les inconvénients de leur système parleur patience à chercher et leur habileté à découvrir les moyens de paralyser les vices de la législation, sans toucher jamais à ce grand prmcipe de vénération sans bornes dont ils avaient fait leur palladium , marque évidente d'une raison saine et d'une grande profondeur de jugement.

Enfin rien de tout ce qu'on pourrait accumuler d'exemples ne rendrait plus claires les différences de la liberté grecque et de la romaine que ce simple mot : les Romains étaient des hommes positifs et pratiques , les Grecs des artistes ; les Ro- mains sortaient d'une race mâle, les Grecs s'étaient féminisés; et c'est pourquoi les Romains Italiotes purent conduire leurs successeurs, leurs héritiers au seuil de l'empire du monde avec tous les moyens d'achever la conquête , tandis que les

(1) M. d'Eckstein {Recherches historiques sur l'humanité primitive) a peint avec succès l'immobilité des idées romaines. Ses paroles s'a- dressent surtout à la religion, mais on peut sans difficulté en faire l'application à la loi. « Tandis que nous vivons, dit cet écrivain, dans « une plus ou moins heureuse inconséquence de nos œuvres et de nos « pensées, les vieux peuples poussaient l'esprit de conséquence sou- « vent jusqu'aux dernières limites de l'absurde... Seuls les Grecs ont « pu s'affranchir jusqu'à un certain point de cette tyrannie dans leurs « temps religieux même; jamais les Romains , esclaves absolus de leurs « rites et du forum sacré. » (P. 63.)

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DES RACES HUMAINES. 235

Grecs, au point de vue politique , n'eurent que la gloire d'avoir poussé la décomposition gouvernementale aussi loin qu'elle peut aller avant de rencontrer la barbarie ou la servitude étrangère.

Je reviens à l'examen de l'état ethnique du peuple de Rome, après l'expulsion des Étrusques , et à l'étude de ses destinées.

Les Sabins étaient, nous l'avons reconnu, la portion la plus nombreuse et la plus influente de cette nationalité de hasard. L'aristocratie sortait d'eux, et ce furent eux qui dirigèrent les premières guerres. Ils ne s'y épargnèrent pas; cette justice leur est due (l). En leur qualité de rameau kymrique,ils étaient naturellement hardis. Ils se portaient aisément aux entreprises militaires. Ils étaient très propres à présider aux périlleux travaux d'une république qui ne voyait guère autour de son territoire que des haines ou, à tout le moins, des malveil- lances.

On ne l'a pas oublié : les Romains, bien que de race italiote et Sabine, étaient l'objet de la violente animad version des tri- bus latines. Celles-ci ne trouvaient dans ce ramas de guerriers que des renégats de toutes les nationalités de la Péninsule , des gens sans foi ni loi, des bandits qu'il fallait exterminer, et d'autant plus détestables qu'ils étaient des proches parents. Tous ces peuples, ainsi animés, étaient sous les armes contre Rome, ou prêts à s'y mettre.

Autrefois, du temps des rois, la confédération étrusque avait constamment pris fait et cause pour sa colonie; mais, depuis l'expulsion des Tarquiniens, l'amitié avait fait place à

(1) * XXXI.

For RomaDS in Rbme's quarrel Spared neither land nor gold , Nor son, nor wife, nor limb, nor life, In the brave days of old.

XXXII.

Then none was of a party; Then ail were for state , etc.

Macaulay's Lays of Ancient Rom. Eoratius.

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^36 DE l'inégalité

des sentiments tout différents (1). Ainsi, n'ayant pas plus d'al- liés sur la rive droite du Tibre que sur la rive gauche , Rome, malgré son courage, eût succombé, si la diversion la plus- heureuse n'avait été faite en sa faveur par des masses puissan- tes qui, certes, ne songeaient pas à elle; et ici vient se placer une de ces grandes périodes de l'histoire que les interprètes religieux des annales humaines , tels que Bossuet, ont coutume de considérer avec un saint respect coname le résultat admi- rable des longues et mystérieuses combinaisons de la Provi- dence.

Les Galls d'au delà des Alpes, faisant un mouvement agres- sif hors de leur territoire , inondèrent tout à coup le nord de l'Italie, asservirent le pays des Umbres, et vinrent présenter la bataille aux Étrusques (2j.

Les ressources diminuées de la confédération rasène suf- firent à peine à résister à des antagonistes si nombreux , et Rome, quitte de son principal adversaire, prit autant de loi- sirs qu'il lui en fallut pour répondi'e à ses ennemis de la la rive gauche.

Elle réussit : elle les abaissa. Puis , lorsque ae ce côté ses armes lui eurent assuré , non seulement le repos , mais la do- mination , elle mit à profit les embarras inextricables les efforts des Galls plongeaient ses anciens maîtres , et , les pre- nant à dos , remporta sur eux des triomphes qui , sans cette drconstance , eussent probablement été mieux disputés et fort incertains.

(1) Les Tarquiniens semblent avoir même un moment rallié contre les Romains , renégats de l'Étrurie , jusqu'aux villes libérales : Clusium , par exemple. Liv., I : « Incensus Tarqulnius non dolore solum tantae ad « irritum cadenlis spei, sed etiam odio iraque... bellum aperte molien- « dum ratus, circumire supplex Etrurise urbes; orare maxime Veientes « Tarquiniensesqae , ne se orlum cjusdem sanguinis... perire sine-; « rent. »

(2) 0. Muller, ouvr. cité, p. 165. Cet auteur fait très bien ressortir la nécessité se trouvèrent les Étrusques, par suite de l'invasion gal- lique, de tolérer les agrandissements de Rome. Il les montre forcés, de laisser prendre Véies, de voir, sans y intervenir, la soumission des Sabinsjdes Latins et des Osques, et cependant servant de rempart à ce cruel rival contre les ennemis qui les dévoraient eux-mêmes.

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DES RACES HUMAINES. 237

Tandis que les Étrusques, culbutés dans le nord par les agresseurs sortis de la Gaule , fuyaient en bandes effarées jus- qu'au fond de la Campanie (1) , l'armée romaine , avec toute son ordonnance et son attirail jadis imités de ses victimes d'aujour- d'hui, passait le fleuve et faisait sa main sur ce qui lui con- venait. Elle n'était pas l'alliée des Gaulois, heureusement, car, n'ayant pas à partager le butin, elle le gardait tout entier-, mais elle combinait de loin ses entreprises avec les leurs, et, pour mieux assurer ses coups, ne les assenait qu'en même temps. Elle y trouva encore un autre profit.

Les Tyrrhénieos Rasènes, assaillis de toutes parts, défen- dirent leur indépendance aussi longtemps que faire se put. Mais , lorsque le dernier espoir de rester libres eut disparu pour eux, il leur fallut raisonnablement peser à quel vain- queur il valait mieux se rendre. Les Gaulois , on ne saurait trop insister sur cette vérité méconnue , n'avaient pas agi en barbares, car ils ne l'étaient pas. Après s'être abandonnés,' dans la première ardeur de l'invasion , à saccager des cités umbriques , ils avaient à leur tour fondé des villes , comme Milan, Mantoue et autres (2). Ils avaient adopté le dialecte des vaincus et, probablement, leur manière de vivre. Cependant, en somme, ils étaient étrangers au pays, avides, arrogants, brutaux. Les Étrusques espérèrent sans doute un sort moins dfu- sous la domination du peuple qui leur devait la vie. On vit donc des cités ouvrir aux consuls leurs citadelles, et se dé- clarer sujettes, quelquefois alliées, du peuple romain (3). C'était le meilleur parti à prendre. Le sénat, dans sa politique sérieuse et froide , eut longtemps la sagesse de ménager l'orgueil des nations soumises.

(1) 0. Muller, oMvr. ct7é, p. 162

(2) Ibid. , p. 139.

(3) Ibid. , p. 128-130. —Le derDier soupir de TÉtrurle indépendante fut recueilli par le consul Marcius Philippus, qui triompha en 471 de Rome. Cependant la nationalité se maintint jusqu'au temps de Sylla. Ce dictateur inonda le pays de colonies sémitisées. César continua, Octave acheva, et le sac de Pérouse mit le sceau à la dispersion de la race.

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238 DE l'inégalité

Une fois l'Étrurie annexée aux possessions de la république, comme les nations les plus voisines de Rome avaient , pendant ce temps, subi le même sort les imes après les autres, le plus fort, le plus difficile du thème romain se trouva fait , et, quard l'invasion gauloise eut été rejetée loin des murs du Capitole, la conquête de la Péninsule tout entière ne fut plus qu'une question de temps pour les successeurs de Camille.

A la vérité, s'il avait alors existé dans l'Occident une nation énergique , issue de la race ariane , les destinées du monde eussent été différentes : on eût vu bientôt les ailes de l'aigle tomber brisées; mais la carte des États contemporains ne nous montre que trois catégories de peuples en situation de lutter avec la république.

P Les Celtes. Brennus avait trouvé son maître, et ses bandes, après avoir dompté les Kymris métis de l'Umbrie et les Rasènes de l'Italie moyenne, avaient s'en tenir là. Les 'Celtes étaient divisés en trop de nations, et ces nations étaient chacune trop petites, pour qu'il leur fût loisible de recom- mencer des expéditions considérables. La migration de Bel- lovèse et de Sigovèse fut la dernière jusqu^à celle des Helvé- tiens au temps de César.

Les Grecs. Comme nationalité ariane , ils n'existaient plus depuis longtemps, et les brillantes armées de Pyrrhus n'auraient pas été en état de faire une trouée au milieu des redoutables bandes kymriques vaincues par les Romains. Que prétendre contré les Italiotes ?

Les Carthaginois. Ce peuple sémitique , appuyé sur l'élément noir, ne pouvait , dans aucune supposition, prévaloir contre une quantité moyenne de sang kymrique.

La prépondérance était donc assurée aux Romains. Ils n'au- raient pu la perdre que si leur territoire , au lieu d'être situé dans l'occident du monde , les avait faits voisins de la civilisa- tion brahmanique d'alors, ou, encore, s'ils avaient eu déjà sur les bras les populations germaniques qui ne vinrent qu'au siècle.

Tandis que Rome marchait ainsi à la rencontre d'une gloire immense en s'appuyant sur la force respectée de ses constitu-

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DES RACES HUMAINES. 239

lions, les crises les plus graves s'accomplissaient dans son en- ceinte, je ne dirai pas sans violences Liatérielles , car il y en eut beaucoup, mais sans destruction des lois. L'émeute triom- phante ne fit jamais que modifier, et jamais ne renversa Fédi- . fice légal de fond en comble , de telle sorte que ce patriciat si odieux à la plèbe, dès le lendemain de l'expulsion des Étrus- ques, subsista jusque sous les empereurs, constamment détesté, constamment attaqué, affaibli par de perpétuelles atteintes, mais point assassiné : la loi ne le souffrait pas (1).

Ces luttes , ces querelles avaient pour causes véritables les modifications ethniques subies sans cesse par la population urbaine , et pour modérateur la parenté plus ou moins loin- taine de tous les affluents; autrement dit, les institutions se modifiaient parce que la race variait , mais elles ne se trans- formaient pas du tout au tout, elles ne passaient pas d*un ex- trême à l'autre , parce que ces variations de race , n'étant en- core que relatives , tournaient à peu près dans le même cer- cle. Ce n'est pas à dire que les oscillations perpétuelles ainsi entretenues dans l'État ne fussent pas senties ni comprises. Le patriciat se rendait parfaitement compte du tort que les in- cessantes adjonctions d'étrangers causaient à son influence , et il prit pour maxime fondamentale de s'y opposer autant que possible, tandis que le peuple, au contraire, également éclairé «ur ce qu'il gagnait en nombre, en richesses, en savoir, à tenir grandes ouvertes les portes de la cité devant des nou- veaux venus qui, repoussés par la noblesse, n'avaient rien à faire qu'à s'adjoindre à lui , le peuple , la plèbe , se montra partisan déclaré des gens du dehors (2). Elle aspira toujours à les attirer, et rendit ainsi éternel le principe qui avait jadis

(1) Je n*ai pas besoin d'ajouter que le patriciat subsista, mais uon pas les races nobles sabines, sauf un bien petit nombre. Elles furent graduellement remplacées par des familles plébéiennes. Sous Tibère, Gallus pouvait dire avec vérité dans le sénat : « Distinctes senatus et « equitum census, non quia diversi natura^ sed ut locis, ordinibus, « dignationibus antistent et aliis quae ad requiem animi aut salubri- •« tatem corporum parenlur. » (Tacit., Ann., Il, 33.)

(2) Amédée Thierry, Hist, de la Gaule sous Vadmin. rom., 1. 1, p. 3

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240 DE L'INEGALITE

fortifié la cité naissante, et qui consistait à inviter au festin de ses grandeurs tous les vagabonds du monde connu (!•). Comme Tunivers d'alors était infirme, Rome ne pouvait manquer de devenir la sentine de toutes les maladies sociales (2).

Cette soif immodérée d'agrandissement aurait paru mons- trueuse dans les villes grecques , car il en résultait de terribles atteintes aux doctrines d'exclusivité de la patrie (3). Des mul- titudes toujours ofifrant, toujours prêtes à conférer le droit de cité à qui le souhaitait, n'avaient pas un patriotisme jaloux. Les grands historiens des siècles impériaux , ces panégyristes si fiers des temps anciens et de leurs mœurs , ne s'y trompent nullement. Ce qu'ils célèbrent dans leurs mâles et emphati- ques périodes sur l'antique liberté, c'est le patricien romain ^ et non pas jamais l'homme de la plèbe (4). Lorsqu'ils parlent avec adoration de ce citoyen vénérable dont les années se sont écoulées à servir l'État, qui porte sur son corps les cicatrices

(1) a Ne vanaurbis magnitude esset, adficiendae multitudinis causa... « locum qui nunc septus descendentibus inter duos lucos est, Asylum « aperit. Eo ex finitimis populis, turba omnis, sine discrimine, liber « an servus esset, avida novarum rerum perfugit. » (Liv., I.) L*horreur que les gens de tous les ordres prirent de très bonne heure pour le mariage régulier ne contribua guère moins que la guerre à détruire la population de souche italiote. En 131 avant J.-C, Q. MéteUus Ma- cédonicus , censeur, porte plainte aux sénateurs , et un décret engage les citoyens à renoncer au célibat. Ce ne fut pas le seul effort de la loi» et aucun n*eut de succès. (Zumpt, ouvr. cité, p. 2S.) Il faut encore tenir compte de Tusage qui permettait aux parents d'exposer leurs enfants, cause puissante de dépopulation.

(2) En principe, des citoyens seuls pouvaient entrer dans les lé- gions. Lors de la seconde guerre punique, on y admit des affranchis. Marins y reçut indistinctement tous les prolétaires. (Zumpt, ouvr. cité, p. 23 et 27.)

(3) Denys d'Halicarnasse fait ressortir la différence des points de ^rue hellénique et romain , et donne , comme de juste chez un homme de son temps, toute louange et tout avantage à la méthode qui lui avait conféré à lui-même son rang de citoyen. {Antiq. Rom., 2, XVII.)

(4) Il ne faut pas s'y méprendre lorsqu'on lit dans Tacite : « Igitur, « verso civitatis statu, nihil usquam prisci et integri moris : omnes, « exuta œqualitate, jussa principis adspectare. » {Ann., 1. 1,4.) Cette égalité, c'est régalité patricienne qui n'a que des inférieurs et pBS de maîtres.

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DES BACES HUMAINES. 24t

de tant de batailles gagnées contre les ennenis de la majesté romaine , qui a sacrifié non seulement ses membres , mais sa fortune, celle de sa famille, et quelquefois ses enfants, et, quelquefois même , a tué ses fils de sa propre main pour un manquement aux lois austères du devoir civique; lorsqu'ils représentent cet homme des anciens âges, honoré jadis de la robe triomphale, une ou deux fois consul, questeur, édile, sénateur héréditaire, et préparant, de cette même main qui ne trouva jamais trop lourdes Tépée et la lance, les raves de son souper (1) , puis, avec cette rectitude de jugement, cette froide raison si utile à la république, calculant les intérêts de ses prêts usuraires , d'ailleurs méprisant les arts et les lettres , et ceux qui les cultivent, et les Grecs qui les aiment : ce vieillard, cet homme vénérable , ce citoyen idéal , ce n'est jamais qu'un patricien, qu'un vieux sabin. Ûhomme du peuple est, au con- traire, ce personnage actif, hardi, intelligent, rusé, qui, pour renverser ses chefs, cherche d'abord à leur enlever le mono- pole judiciaire , y parvient, non pas par la violence, mais par l'infidélité et le vol; qui, exaspéré de l'énergique résistance des nobles , prend enfin le parti , non de les attaquer, la loi ne le veut pas , et il faudrait les tuer tous sans espoir d'en faire céder un seul , mais le parti de s'en aller pour ne revenir qu'après avoir commenté avec profit la fable des membres et de l'estomac. Le plébéien romain, c'est un homme qui n'aime pas la gloire autant que le profit (2) , et la liberté autant que

(1)

Gratus insigni referam Camœna,

Fabriciumque Hune, et incomptis Curtium capillis, Utilem bello tulit, et Camillum, Saeva paupertas, et avitus apto

Cum lare fundus.

aor. , Od. 1 , 12, 39.

(2) Il ne faut pas perdre de vue un seul instant, quand il s*agit de la Roine italiote , l'esprit profondément utilitaire de sa population. Les lois concernant les débiteurs, l'usure, le partage du butin et des terres conquises , voilà le fond , voilà l'essentiel de ses constitutions , et les causes réelles de plus d'une de ses agitations politiques. (Niebuhr, Rœm. GeschichtCf 1. 1, p. 394 et pass. ; t. II, 22, 23i , 310, etc.)

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242 DE l'inégalité

ses avantages ; c'est le préparateur des grandes conquêtes , des grandes adjonctions par rextei^ion du droit civique aux villes étrangères ; c'est , en un mot , le politique pratique qui comprendra plus tard la nécessité du régime impérial, et se trouvera heureux de le voir éclore, échangeant volontiers l'honneur de se gouverner, et le monde avec soi, pour les mé- rites plus solides d'une administration mieux ordonnée. Les écrivains à grands sentiments n'ont jamais eu la moindre in- tention de louer ce plébéien toujours égoïste au milieu de son amour pour l'humanité, et si médiocre dans ses grandeurs.

Tant que le sang italiote, ou même gaulois, ou, encore, celui de la Grande-Grèce, se trouvèrent seuls à satisfaire les besoins de la politique plébéienne, en affluant dans Rome et dans les villes annexées , la constitution républicaine et aris- tocratique ne perdit pas ses traits principaux. Le plébéien d'ori- gme Sabine ou samnite désirait l'agrandissement de son rôle sans vouloir abroger complètement le régime du patriciat, dont ses idées ethniques sur la valeur relative des familles, dont ses doctrines raisonnables en matière de gouvernement lui faisaient apprécier les irremplaçables avantages. La dose de sang hellénique qui se glissait dans cet amalgame avivait le tout , et n'avait pas encore réussi à le dominer.

Après le coup d'éclat qui termina les guerres puniques, la scène changea. L'ancien sentiment romain commença à s'alté- rer d'une manière notable : je dis s'altérer, et non plus se mo- difier. Au sortir des guerres d'Afrique, vinrent les guerres d'Asie. L'Espagne était déjà acquise à la république. La Grande- Grèce et la Sicile tombèrent dans son domaine, et ce que l'hospitalité intéressée du parti plébéien (1) fit désormais affluer

(1) Am. Thierry, la Gaule sous l'administration romaine, Introduct., t. I, p. 62 : « Il serait injuste, sans doute, de faire peser sur les hom- « mes du parti patricien .tout Todieux de ces abominables excès (les « rapines de Verres et de ses pareils). Le parti populaire ne possédait « assurément ni tant de désintéressement ni tant de vertu; mais, « comme les accusations contre les vols publics et les réclamations en « faveur des provinciaux sortirent presque toujours de ses rangs, « comme il promettait beaucoup de réformes, que l'appui qu'il avait « prêté aux Italiens avant et depuis la guerre sociale inspirait confiance

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dans la ville, ce ne fut plus du sang celtique plus ou moins al- téré, mais des éléments sémitiques ou sémitisés. La corruption s'accumula à grands flots. Rome, entrant en communion étroite avec les idées orientales, augmentait, avec le noaibre de ses élé- ments constitutifs , la difficulté déjà grande de les amalgamer jamais. De là, tendances irrésistibles à ranarchie pure, au des- potisme, à rénervement, et, pour conclure, à la barbarie; delà ^ haine chaque jour mieux prononcée pour ce que le gouverne- ment ancien avait de stable, de conséquent et de réfléchi.

Rome Sabine avait été marquée, vis-à-vis de la Grèce, d'une originalité tranchée dans sa physionomie ; désormais ses idées, ses mœurs , perdent graduellement cette empreinte. Elle de- vient à son tour hellénistique, comme jadis la Syrie, l'Egypte, bien qu'avec des nuances particulières. Jusqu'alors , bien mo- deste dans toutes les choses de l'esprit, quand ses armes com- mandaient aux provinces , elle s'était souvenue avec déférence que les Étrusques étaient la nation cultivée de l'Italie, et elle avait persisté à apprendre leur langue, à imiter leurs arts, à leur emprunter savants et prêtres , sans s'apercevoir que , sur beaucoup de points, FÉtrurie répétait assez mal la leçon des Grecs, et d'ailleurs que les Grecs eux-mêmes traitaient de su- ranné et de hors de mode ce que les Étrusques continuaient à admirer sur la foi des modèles anciens. Graduellement Rome ouvrit les yeux à ces vérités , elle renia ses antiques habitudes vis-à-vis des descendants asservis de ses fondateurs. Elle ne voulut plus entendre parler de leurs mérites, et prit un engpue-

a en sa parole, les provinces s'attachèrent à lui. Elles lui rendirent a promesses pour promesses, espérance pour espérance. Il se forma 0 entre elles et les agitateurs des derniers temps de la république des « liens analogues à ceux qui avaient, un siècle auparavant, compromis « les alliés latins dans les entreprises des Gracques. On peut se rap- « peler avec quel héroïsme l'Espagne adopta et défendit de son sangles « derniers chefs du parti de Marins. Catilina lui-même parvint à en- « rôler sous son drapeau la province gauloise cisalpine, et déjà il « entraînait quelques parties de la transalpine, réduites aussi en * province. » Le parti démocratique à Rome, outre qu'il tendait essentiellement à la destruction de la forme républicaine, résultat qu'il obtint, était aussi avec ferveur ce que la phraséologie moderne appellerait le parti de l'étranger.

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^44 DE l'inégalité

ment de parvenue pour tout ce qui se taillait, se sculptait, s'é- crivait, se pensait ou se disait dans le fond de la Méditerranée. Même au siècle d'Auguste, elle ne perdit jamais, dans ses rap- ports avec la Grèce dédaigneuse, cette humble et niaise attitude du provincial devenu riche qui veut passer pour connaisseur.

Mummius, vainqueur des Corinthiens, expédiait tableaux et statues à Rome en signifiant aux voituriers qu'ils auraient à remplacer les chefs-d'œuvre endommag.és sur la route. Ce Mummius était un vrai Romain : un objet d'art n'avait pour lui que le prix vénal. Saluons ce digne et vigoureux descendant des confédérés d'Amiternum. Il n'était pas dilettante, mais avait la vertu romaine, et on ne riait que tout bas dans les villes grecques qu'il savait si bien prendre.

Le latin, jusqu'alors, avait gardé une forte ressemblance avec les dialectes osques (1). Il inclina davantage vers le grec, et si rapidement qu'il varia presque avec chaque génération. Il n'y a peut-être pas d'exemple d'une mobilité aussi extrême dans un idiome, coname il n'y en a pas non plus d'un peuple aussi constamment modifié dans son sang. Entre le langage des Douze Tables et celui que parlait Cicéron, la différence était telle que le savant orateur ne pouvait s'y reconnaître. Je ne parle pas des chants sabins, c'était encore pis. Le Jatin, depuis En- nius, tint à honneur de mettre en oubli ce qu'il avait d'italique.

Ainsi, pas de langue vraiment et uniquement nationale, un engouement de plus en plus prononcé pour la littérature, les idées d'Athènes et d'Alexandrie, des écoles et des professeurs helléniques, des maisons à l'asiatique, des meubles syriens, le dédain profond des usages locaux : voilà ce qu'était devenue la ville qui, ayant commencé par la dommation étrusque, avait grandi sous l'oligarchie sabine : le moment de la démocratie sémitique n'était pas loin désormais.

La foule entassée dans les rues s'abandonnait tout entière à l'étreinte de cet élément. L'âge des institutions libres et de la légalité allait se clore. L'époque qui succéda fut celle des coups

(1) Le livre de Meier présente cette vérité dans un jour vraiment frappant. (Voir Meier, Lateinische Anthologie.)

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-d'État violents, des grands massacres, des grandes perversités, des grandes débauches. On se croit transporté à Tyr, aux jours de sa décadence; et en effet, avec un plus grand espace aréal, la situation est pareille : un conflit des races les plus diverses, ne pouvant parvenir à se mélanger, ne pouvant se dominer, ne pouvant pas transiger, et n'ayant de choix possible qu'en- tre le despotisme et l'anarchie.

Dans de pareils moments, les douleurs publiques trouvent souvent un théoricien illustre pour les comprendre et pour inventer un système supposé capable d'y mettre fin. Tantôt cet homme bien intentionné n'est qu'un simple particulier. Il ne devient alors qu'un écrivain de génie : tel fut, chez les Orecs , Platon. Il chercha un remède aux maux d'Athènes, et offrit, dans une langue divine, un résumé de rêveries admira- bles. D'autres fois, ce penseur se trouve, par sa naissance ou par les événements, placé à la tête des affaires. Si, attristé d'une situation tellement désastreuse , il est d'un naturel hon- nête, il voit avec trop d'horreur les maux et les ruines ac- <;umulées sous ses pas pour accepter l'idée de les agrandir en- <îore, il reste impuissant. De telles gens sont médecins, non chirurgiens, et, comme Épaminondas et Philopœmen, ils se couvrent de gloire sans rien réparer.

Mais il apparut une fois, dans l'histoire des peuples en dé- xîadence, un homme mâlement indigné de l'abaissement de sa nation, apercevant d'un coup d'œil perçant, à travers les va- peurs des fausses prospérités, l'abîme vers lequel la démorali- sation générale traînait la fortune publique, et qui, maître de tous les moyens d'agir, naissance , richesses , talents , illustra- tion personnelle, grands emplois, se trouva être, en même temps, fort d'un naturel sanguinaire, déterminé à ne reculer devant aucune ressource. Ce chirurgien, ce boucher, si l'on veut, ce scélérat auguste, si on le préfère, ce Titan, se mon- tra dans Rome au moment la république , ivre de crimes, de domination et d'épuisement triomphal, rongée par la lèpre de tous les vices, s'en allait roulant sur elle-même et vers l'a- bîme. Ce fut Lucius Cornélius Sylla.

Véritable patricien romain, il était pétri de vertus politi-

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246 DE l'inégalité

qués (1), vide de vertus privées; sans peur pour lui, pour les autres; pour les autres pas plus que pour lui, il n'avait de fai- blesse. Un but à saisir, un obstacle à écarter, une volonté à réaliser, il n'apercevait rien en dehors. Ce qu'il fallait briser de choses ou d'hommes pour faire pont n'entrait pas dans ses calculs. Arriver, c'était tout, et, après, reprendre l'essor.

Les dispositions impitoyables de son sang , de sa race , s'é- taient d'ailleurs fortifiées à l'odieux contact de ce soldat que, dans la personne bestiale de Marius, le parti populaire oppo- sait à ses desseins.

Sylla n'était pas allé chercher dans les théories idéales le plan du régime régénérateur qu'il se proposait d'imposer. Il voulait simplement restaurer en son entier la domination pa- tricienne, et, par ce moyen, rendre l'ordre avec la discipline à la république raffermie. Il s'aperçut bientôt que le plus dif- ficile n'était pas de mettre en déroute les émeutes ou même les armées plébéiennes, mais bien de trouver une aristocratie di- gne de la grande tâche qu'il voulait lui livrer. Il lui fallait des Fabius, il lui fallait des Horaces; il eut beau les appeler, il ne les fit pas sortir de ces maisons luxueuses résidaient leurs images, et, comme il ne reculait devant rien, il voulut recréer les nobles qu'il ne trouvait plus.

On le vit alors, plus redoutable à ses amis qu'à ses rivaux, tailler et retailler d'un bras impitoyable l'arbre de la noblesse romaine. Pour rendre la virilité à un corps appauvri, il fit tomber les têtes par centaines, ruina, exila ceux qu'il ne mit pas à mort, et traita avec la dernière férocité -bien moins les gens de la plèbe, francs ennemis, que les grands, obstacles di- rects de ses desseins par leur impuissance à les servir. A force de receper le vieux tronc, il s'imaginait en tirer des bourgeons nouveaux, porteurs d'autant de suc que ceux d'autrefois. Il espérait quaprès avoir élagué les branches indignes, il réussi- rait, à force d'effrayer, à fabe des braves, et qu'ainsi la démo-,

(1) Dion. Cass. , Hist. rom., Hamb. CIoIoCCL, in-fol. , 1. 1, p. 47, fragm. CXVII : AÙTÔç (SOXXaç) te ouv xaixoi ôeivoraxoç wv Taç Yvwjxaç Twv àvôpwTTtov (jyviôeîv... Dion Cassius est un écrivain très démo- cratique et fort ennemi du dictateur.

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cralie recevrait de sa main, pour être matée à jamais, des chefs inflexibles et des maîtres résolus.

Il serait dur d'avoir à reconnaître que de tels moyens se soient trouvés bons. Lui-même il cessa de le croire. Au bout d'une longue carrière, après des efforts dont l'intensité se me- sure aux violences qu'ils accumulèrent, Sylla, désespérant de l'avenir, triste, épuisé, découragé, déposa de lui-même la ha- che de la dictature, et, se résignant à vivre inoccupé au milieu de cette population patricienne ou plébéienne que sa vue seule faisait encore frémir, il prouva du moins qu'il n'était pas un ambitieux vulgaire, et qu'ayant reconnu l'inanité de ses espé- rances, il ne tenait pas à garder un pouvoir stérile. Je n'ai pas d'éloges à donner à Sylla , mais je laisse à ceux que ne frappe pas d'une respectueuse admiration le spectacle d'un tel homme, échouant dans une telle entreprise, le soin de lui reprocher ses excès.

Il n'y avait pas moyen qu'il réussît. Le peuple qu'il voulait ramener aux mœurs et à la discipline des vieux âges ne res- semblait en rien au peuple républicain qui les avait pratiquées. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer les éléments ethni- ques des temps de Cincinnatus à ceux qui existaient à l'époque vécut le grand dictateur.

Temps de Cincinnatus.

iSabinS; «n ma- \ jorite. Quelques Étrus- ques. Quelques Italio- tes.

ISabins. Samnites. Sabelliens. Sicules. Quelques Hellè- nes.

Majorité métisse de blanc et de jaune;

Très fai- ble apport sémitique.

Temps de Sylla.

Iltaliotes mêlés ^^ de sang hel-» lénique (1).

Italiotes.

Grecs de la Grande - Grèce et de la Sicile.

I Hellénistes d'A- sie. 1^ Sémites d'Asie.

1 Sémites d'Afri- que.

sémites d'Espa- gne.

1** Majorité sémitisée;

Minorité ariane ;

3" Subdivi- Ision extrême |du principe jaune.

(i) Quand, sous Néron, il fut question au sénat de restreindre les droits des afifranchis, on rencontra beaucoup d'oppositions basées sur

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Impossible de ramener dans un même cadre deux nations qui, sous le même nom, se ressemblaient si peu (1). Toutefois réquité n'est pas aussi sévère 4)our l'œuvre de Sylla que le fut son auteur. Le dictateur eut raison de perdre courage , car il compara son résultat à ses plans. Il n'en avait pas moins donné au patriciat une vigueur factice, renforcée, il est vrai, par la terreur qui paralysait le parti contraire , et la républi- que lui dut plusieurs années d'existence qu'elle n'aurait pas eues sans lui. Après la mort du réformateur, l'ombre corné- lienne protégea encore quelque temps le sénat. Elle se dres- sait derrière Cicéron, lorsque ce rhéteur, devenu consul, dé-

des raisons très dignes d*être rapportées ici comme aveux complets de ïa part des patriciens : « Disserebatur contra paucorum culpam ipsis « exitiosamesse debere, nihiluniversorum juri derogandum; quippe « latefusum id corpus; hinc plerumque tribus, decurias, minisleria « magistratibus et sacerdotibus , cohortes etiam in urbe conscriptas; « et plurimis equitum, plerisque senatoribus, non aliunde originem <f trahi. Si separarentur ïibertini , manifestam fore penuriam inge- « nuorum. » (Tac, Ann., XIII, 27.) Déjà du temps de Cicéron, l'u- sage s'était introduit d'affranchir un esclave après six ans de bons services et de bonne conduite. A dater de la même époque , un Romain de la classe riche se faisait un devoir en mourant de donner la li- berté à toute sa maison, et l'opinion publique considérait cet acte comme une affaire de conscience. (Zumpt, loc. cit., p. 30.) Il me semble bien difficile de ne pas conclure de ces faits que la déca- dence de l'esclavage dans tout pays est correspondante à la confusion des races , et résulte directement de la parenté de plus en plus proche entre les maîtres et les serviteurs.

(1) Denys d'Halicarnasse rend très bien compte de cette situation et de ses conséquences : ôè twv papSàpcov èiïi{J.i|tai , 6i' 6cç -^ iroXiç TToXXà Tc5v àpxaiwv èirtTYiôeujAàTwv àiréjjiaÔe, (tùv XP^'^V èYsvovxo' xat 6au{Jia jJLEV toOto ttoXXoTç àv eivat 66^eie elxoTa XoYKrapiévoiç, tcôç ovx ^"f*^ è^eêap6aptii)6Y), 'Ottixouç 07co8e^a{JL£vyi , xal Mapdoùç, xal SauviTaç, xat Tvppy]voùç, xat BpexTtoyç, 'OjjLêpixwv ts xat AiyOtov, xal 'lêvipcûv, xai KsXtwv tjMyyàç {/.udiàSaç, àXXà ts upôç xoïç slpY)- (xévoiç iOvYi, Ta piev è| aOxri; 'IxaXia;, S' èl éxépwv à9iY(x,éva xoiuwv piupta ô(7a, ouxe o^o^Xtodcra, ouxe ojjioSCaixa* d)ç ouxe 9tovà(; oûxe ôtaixav, xai ^icL ffUYxXuôaç àvaxapaxOévxaç, èx xo(rauTy)ç ôiaçwvCaç TcoXXà xoO TtaXaiov xoapiou xyjç TioXecoç V£ox(Jt<to<J"at. e'.xôç ^v. {Antiq. Rom., i, LXXXIX.)

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fendait si maigrement la cause publique contre les audaces em- portées des factions. Sylla réussit donc à entraver la course qui entraînait Rome vers d'incessantes transformations. Peut- ^tre, sans lui, l'époque qui s'écoula jusqu'à la mort de César n'aurait-elle été qu'un enchaînement bien plus lamentable en- core de proscriptions et de brigandages, qu'une lutte perpé- tuelle entre des Antoines et des Lépides prématurés, écrasés dans l'œuf par sa farouche intervention.

Voilà la part à lui faire ; mais il est incontestable que le plus terrible génie ne peut arrêter bien longtemps l'action des lois naturelles, pas plus que les travaux de l'homme ne sauraient empêcher le Gange de faire et de défaire les îles éphémères dont ce fleuve peuple son lit spacieux (1).

Il s'agit maintenant de contempler Rome avec la nouvelle nationalité que les alluvions ethniques lui ont donnée. Voyons ce qu'elle devint quand un sang de plus en plus mêlé lui eut imprimé avec un nouveau caractère une nouvelle direction.

CHAPITRE VII.

Rome sémitique.

Depuis la conquête de la Sicile jusque assez avant dans les temps chrétiens, l'Italie n'a pas cessé de recevoir de nom- breux, d'innombrables apports de Télément sémitique, de telle façon que le sud entier fut hellénisé et que le courant des races asiatiques remontant vers le nord ne s'arrêta que devant les invasions germaniques (2). Mais le mouvement de recul, le

(1) Niebuhr s'indigoe contre les écrivains modernes qui, prétendant signaler, au vn* siècle de Rome, l'existence de factions patriciennes <lans cet État, oublient ou ignorent que Sylla fut la dernière expression légitime de cet ordre d'idées. (Niebuhr, Rœm. Geschichte, 1. 1, p. 375.)

(2) Les dernières immigrations hellénistiques dans le royaume de

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point s'arrêtèrent les alluvions du sud dépassa Rome. Cette ville alla toujours perdant son caractère primitif. Il y eut gra- dation sans doute dans cette déchéance, jamais temps d'arrêt véritable. L'esprit sémitique étouffa sans rémission son rivaL Le génie romain devint étranger au premier instinct italiote, et reçut une valeur oii l'on reconnaît bien aisément l'influence asiatique.

Je ne mets pas au nombre des moins significatives manifes- tations de cet esprit importé la naissance d'une littérature mar- quée d'un sceau particulier, et qui mentait à l'instinct italiote déjà par cela seul qu'elle existait.

Ni les Étrusques , je l'ai dit , ni aucune tribu de la Péninsule^ pas plus que les Galls, n'avaient eu de véritable littérature ^ car on ne saurait appeler ainsi des rituels, des traités de divi- nation, quelques chants épiques servant à conserver les sou- venirs de l'histoire, des catalogues de faits, des satires, des^ farces triviales dont la maliguité des Fescennins et des Atellans amusaient les rires des désœuvrés. Toutes ces nations utilitai- res, capables de comprendre au point de vue social et politi- que le mérite de la poésie , n'y avaient pas de tendance natu- relle, et, tant qu'elles n'étaient pas fortement modifiées par des mélanges sémitiques, elles manquaient des facultés néces- saires pour rien acquérir dans ce genre (1). Ainsi ce ne fut que lorsque le sang hellénistique domina les anciens alliages dans les veines des Latins, que de la plèbe la plus vile, ou de la bourgeoisie la plus humble, exposées surtout à l'action des apports sémitisés, sortirent les plus beaux génies qui ont fait

Naples, la Sicile, la basse Italie sont byzantines et arabes. En 1461, 1532 et 1744, il vint encore des Albanais en Sicile et en Calabre.

(1) Dyon. Halicarn., Antiq. Rom., 1, LXXIII : « IlaXatôç piàv ouv ouxêr <yyYYP*9£^Ç 0^"^^ XoyoYpàcpoç iax\ 'PwpLaiwv o08è sTç . ïy. TtaXaiôv (iévrot Xoywv èv lepaïç ôéXxoiç <y(o2;o{j.£va)v, exacjtoç Ttç uapaXaêwv àvsYpa<|;s. Sans me faire le champion de la confiance vaniteuse d'Ennius dans son propre mérite, je suis tout disposé à croire avec lui qu'a- vant le temps il se mit à écrire , en cherchant l'imitation des chefs- d'œuvre grecs, il y avait des chants, mais pas de poésie dans le La- tium : » Quum neque Musarum scopulos quisquam superarat, Nec dicti studiosus crat. »

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la gloire de Rome. Certes, Mucius Scévola aurait tenu en bien petite estime l'esclave Plaute , le Mantouan Virgile , et Horace , Vénusien , l'homme qui jetait son bouclier à la bataille et en racontait l'anecdote pour faire rire Pompéius Varus (1). Ces hommes étaient de grands esprits, mais non pas des Romains, à parler chimie.

Quoi qu'il en soit, la littérature naquit^ et avec elle une bonne part, sans contredit , de l'illustration nationale, et la cause du bruit qu'a fait le reste ; car on ne disconviendra pas que la masse sémitisée d'où sont sortis les poètes et les his- toriens latins dût à son impureté seule le talent d'écrire avec éloquence , de sorte que ce sont les doctes emphases des bâ- tards collatéraux qui nous ont mis sur la voie d'admirer les hauts faits d'ancêtres qui, s'ils avaient pu reviser et consulter leurs généalogies, n'auraient rien eu de plus pressé à faire que de renier ces respectueux descendants (2).

Avec les livres, le goût du luxe et de l'élégance étaient de nouveaux besoins qui témoignaient aussi des changements sur- venus dans la race. Caton les dédaignait , mais il y mettait de l'affectation. N'en déplaise à la gloii^e de ce sage, les préten- dues vertus romaines dont il se parait étaient plus conscien- cieuses encore chez les antiques patriciens , et toutefois plus modestes (3). De leur temps, il n'était pas besoin d'en faire parade pour se singulariser; tout le monde était sage à leur

(i) Tecum Phîlippos et celerem fugam

Sensi, r'elicta non bene parmula, Quum fracta virtus et minaces Turpe solum tetigere mento.

Hor.,Orf., 11,7,9.

(2) Voir, sur la richesse des annales latines, et la différence exis- tant entre elles et les histoires grecques , Niebuhr, fîcem. Geschiehte, t. II, p. 1 et pass. La méthode hellénique offre la transition des épo- pées hindoues et persanes, complètement nulles sous le rapport de la chronologie et de l'exactitude matérielle, aux fastes italiotes, qui n'a- vaient, au contraire, que ces deux qualités.

(3) Polybe rend justice entière à l'avarice sordide de l'esprit romain : *A7cX(3ç yàp oy6elç oOSevt ôiStoort lôv lôicov Oîtapxovtwv éxà)V oùSêv. (Fragm., libr. XXXII, c. 12.)

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manière. Au contraire, après avoir reçu le sang de mères orientales et d'affranchis grecs ou syriens, le marchand, de- venu chevalier, riche de son trafic ou de ses extorsions, ne comprenait rien, pour sa part, aux mérites de l'austérité pri- mitive. Il voulait jouir en Italie de ce que ses ancêtres méri-^ dionaux avaient créé chez eux , et il l'y transportait. Il poussa du pied sous sa table le banc de bois s'était assis Dentatus ; il remplaça de telles misères par des lits de citronnier incrus- tés de nacre et d'ivoire. Il lui fallut , comme aux satrapes de Darius , des vases d'argent et d'or pour contenu* les vins pré- - cieux dont se repaissait son intempérance , et des plats de cris- tal pour servir les sangliers farcis , les oiseaux rares , les gibiers exotiques que dévorait sa fastueuse gloutonnerie. Il ne se contenta plus , pour ses demeures particulières , des construc- tions que les gens d'autrefois eussent trouvées assez splendides pour héberger les dieux; il voulut des palais immenses avec des colonnades de marbre , de granit , de porphyre , des sta- tues, des obélisques, des jardins, des basses-cours, des vi- viers (1), et, au milieu de ce luxe, afin d'animer l'aspect de tant, de créations pittoresques, Lucullus faisait circuler des multi- tudes d'esclaves désœuvrés , d'affranchis et de parasites dont la servilité bassement intéressée n'avait rien de commun avec le dévouement martial et la sérieuse dépendance des clients d'un autre âge.

Mais , au milieu de ce débordement de splendeurs , persistait une souillure singulière qui, pour l'opinion même des contem- porains , s'attachait, à tout , enlaidissait tout. La gloire et la puissance , le pouvoir de faire des profusions et la volonté de s'y abandonner appartenaient, la plupart du temps, à des gens inconnus la veille (2). On ne savait d'où sortaient tant d'opulents personnages (3), et tour à tour, soit que ce fussent

(1) « Quid enim premium prohibere et priscum ad morem recidere- « aggrediarX Villarumne infinita spatia? familiarum numerum et na- « tiones? argenti et auri pondus? œris tabularumque miracula? » (Tac. , Ann. , III , 53.)

(2) Am. Thierry, la Gaule sous Vadm.rom. Introd., 1. 1, p. 143.

(3) Petron., Satyr., XXXVII : « Uxor, inquit, Trimalchionis, Fortuiiata.

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les flatteurs ou les envieux qui parlassent, on prêtait à Tri- malcion la plus illustre ou la plus immonde origine (I). Toute cette brillante société était, en outre, un ramas d'ignorants ou d'imitateurs. Au fond , elle n'inventait rien , et tirait tout ce qu'elle savait des provinces helléniques. Les innovations qu'elle y mêlait étaient des altérations, non des embellissements. Elle s'habillait à la grecque ou à la phrygienne, se coiffait de la mitre persane , osait même , au grand scandale des louangeurs du temps passé, porter des caleçons à la mode asiatique sous une toge douteuse ; et tout cela qu'était-ce ? Des emprunts à l'hellénisme, et quoi de plus? Rien, pas même les dieux nou- veaux, les Isis, les Sérapis, les Astarté, et, plus tard, les Mithra et les Élagabal que Rome vit s'impatroniser dans ses temples, il ne perçait de tous côtés que ce sentiment d'une population asiatique transplantée, apportant dans le pays qui s'imposait à elle les usages, les idées, les préjugés, les opinions, les ten- dances, les superstitions, les meubles, les ustensiles, les vê- tements , les coiffures , les bijoux , les aliments , les boissons , les livres, les tableaux, les statues, en un mot, toute l'exis- tence de la patrie. Les races italiotes s'étaient fondues dans cette masse amenée

« appeUatur, quae nummos modio metitur. » « Ipse nescit quid « liabeat adeo zaplutus (ZàTrXouxoç,) est. » « Argentum in hostiarii « illius plus jacetquam quisquam in fortunis habet. Familia vero babîe: « babae! non me hercules puto decumatn parlera esse quae dominum « suum novit, etc., etc. »— .XXXVIII : « Reliquos autem collibertos ejus a cave contemnas, valde succosi sunt. Vides illum qui in imo imus a recumbit? Hodie sua octingenta possidet; de nihilo crevit; solebal a coUo modo suo ligna portare. »

(1) Am. Thierry, ibid., t. I, p. 208 : « CeUe nouvelle société qui se « formait alors, et qui, en Ualie, depuis la guerre sociale, ne se « recrutait plus que parmi les affranchis. » Il n'y a rien d'étonnant à ce que des hommes de cette étoffe répétassent volontiers avec Tri- malcion : « Amici et servi homines sunt, et aeque unum lactem bibe- « runt. » (Pelron., Satyr.^ LXXI.) Ils n'en étaient pas meilleurs pour cela, et n'écrivaient pas moins sur la porte de leur maison, comme ce même financier : Tout esclave qui, sans ma permission^ sortira d'ici y recevra cent coups. « Quisquis servus sine dominico jussu foras exierit, accipiet plagas centum. » (Pelron., Satyr., XXViii.)

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par ses défaites sur le sein des vainqueurs que son poids ache- vait d'étouffer; ou bien les nobles Sabins , méconnus, croupis- saient dans les plus obscurs bas-fonds de la populace , mou- rant de faim sûr le pavé de la ville illustrée par leurs ancêtres. Ne vit-on pas les descendants des Gracques gagner leur pain, cochers du cirque (1), et ne fallut- il pas que les empereurs prissent en pitié la dégradante abjection le patriciat était tombé? Par une loi, ils refusèrent aux matrones issues des vieilles familles le droit de vivre de prostitution (2). Du reste, la terre d'Italie elle-même était traitée comme ses indigènes par les vaincus devenus tout-puissants. Elle ne comptait plus parmi les régions dignes de nourrir les hommes. Elle n'avait plus de métairies , on n'y traçait plus de sillons , elle ne pro- duisait plus de blé (3). C'était un vaste jardin semé de maisons de campagnes et de châteaux de plaisance. On va voir bientôt le jour il fut même défendu aux Italiotes de porter les armes (4). Mais ne devançons pas les temps.

Lorsque l'Asie , prédominant ainsi dans la population de la Ville, eut enfin amené la nécessité prochaine du gouvernement d'un maître , César, pour illustrer d'habiles loisirs , s'en alla conquérh^ la Gaule. Le succès de son entreprise eut des consé-

(1) Am. Thierry, HisL de la Gaule. sous Vadministr. rom. , 1. 1, p. 181.

(2) « Eodem anno, gravibus senatus decretis libido feminarum coer- « cita, cautumque ne quaestum corpore faceret cui avus, aut pater aut « mari tus eques romanus fuisset. Nam Vistiiia, prœtoria familia genita, « licentiam stupri apud sediles vulgaverat. » (Tacit., Ann., Il, 83.)

(3) « At, hercule, nemo refert quod Italia externse opis indiget quod « vita populi romani per incerta maris et tempestatum quotidie vol- et vitur, ac, nisi provinciaruni copiae et dominis et servitiis et agris « subveiierint, nostra nos scilicet nemora nostraeque villae tuebuntur ! » (Tac, ^nn., 111,54.)

(4) Dans la guerre Flavienne, Antonius traita bien dédaigneusement les prétoriens licenciés parVitellius et recueillis par lui, lorsque, leur rappelant qu'ils étaient nés en Italie, à la différence des légion- naires de son armée, Germains ou Gaulois, il les appelle pagani, paysans. {Hist., III, 24.) Ce fut dans cette garde spéciale, qui ne quit- tait jamais les résidences impériales et portait fort peu les armes, que les Italiotes continuèrent encore un certain temps à servir; mais, à la fm, les empereurs se lassèrent d'eux, et les remplacèrent par de vrais soldats levés dans le Nord.

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qiiences ethniques tout opposées à celles des autres guerres romaines. Au lieu d'amener des Gaulois en Italie, la conquête entraîna surtout des Asiatiques au delà des Alpes, et, bien qu'un certain nombre de familles de race celtique ait , depuis lors, apporté leur sangàTépouvantable tohu-bohu qui se mélangeait et se battait dans la métropole, cette immigration toujours restreinte n'eut pas une importance proportionnée à celle des colonisations sémitisées qui furent jetées à travers les provinces transalpines.

La Gaule , la proie future de César, n'avait pas l'étendue de la France actuelle, et, entre autres différences, le sud-est de ce territoire, ou , suivant l'expression romaine, la Province, avait dès longtemps subi le joug de la république, et n'en faisait plus réellement partie.

Depuis la victoire de Marins sur les Cimbres et leurs alliés, la Provence et le Langiiedoe étaient devenus le poste avancé de l'Italie contre les agressions du Nord (1). Le sénat s'était laissé aller à cette fondation d'autant plus aisément que les Massaliotes, avec leurs colonies diverses, Toulon, Antibes, Nice , n'avaient rien épargné pour lui en prouver l'utilité. Ils espéraient gagner, à cette nouveauté, un repos plus profond et une extension notable de leur commerce.

II n'y a pas à douter non plus que les populations originai- rement phocéennes, mais très sémitisées, établies à l'em- bouchure du Rhône et dans les environs, n'aient modifié, à lia longue, les populations galliques et ligures de leur voisinage immédiat en se mêlant à elles. Les tribus de ces contrées apparaissent dès lors comme les moins énergiques de toute leur parenté.

Les hommes d'État romains avaient annexé solidement tous ces territoires au domaine de la république, en y envoyant des colonies, en y établissant des légionnaires vétérans, en y fai- sant naître, pour tout dire, une multitude aussi romaine que possible. C'était, certes, le meilleur moyen de s'en rendre maî- tres à jamais.

<1) Am. Thierry, la Gaule sous Vadministr. rom. Introd., 1. 1, p. 419.

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Mais avec quels éléments créa-t-on ces gens de la Province^ ou, comme ils s'appelaient eux-mêmes, ces véritables Ro- mains? Deux siècles plus tôt, on aurait pu composer leur sang d'un mélange italiote. Désormais, le mélange italiote lui-même étant presque absorbé dans les apports sémitisés, ce fut surtout de ces derniers que se forma la nouvelle population. On y mêla, en foule, d'anciens soldats recrutés en Asie ou en Grèce. Ceux.^ ci vinrent, avec leurs familles, déposséder les habitants du" leur prendre leurs chaumières et leurs cultures, et essayer^ sol, avec cette fortune conquise, de fonder pour l'avenir souche d'honnêtes gens. On donna aux villes gauloises une physiono- mie aussi romame que possible -, on défendit aux habitants de conserver ce que les pratiques druidiques avaient de trop vio- lent ; on les força de croire que leurs dieux n'étaient autres que les dieux romains ou grecs défigurés par des noms barbares , et, en mariant les jeunes Celtes aux filles des colons et des sol- dats, en obtmt bientôt une génération qui aurait rougi de por- ter les mêmes noms que ses ancêtres paternels et qui trouvait les appellations latines bien plus belles.

Avec les groupes sémitiques attirés sur le sol gallique paj^ l'action directe du gouvernement, il y eut encore plusieurs classes d'individus dont le séjour temporaire ou l'établissement fortuit et permanent vinrent contribuer à transformer le sang galUque. Les employés militaires et civils de la république ap- portèrent, avec leurs mœurs faciles , de grandes causes de re- nouvellement dans la race. Les marchands, les spéculateurs arrivèrent aussi; ceux qui faisaient le commerce d'esclaves ne se rendirent pas les moins actifs, et la déroute morale des Galls fut achevée, comme l'est aujourd'hui celle des indi- gènes de l'Amérique , par le contact d'une civihsation inac- ceptable par ceux à qui elle était offerte, tant que leur sang restait pur, et partant leur intelligence fermée aux notions étrangères.

Tout ce qui était romain ou métis romain devint naaître absolu. Les Celtes ou bien s'en allèrent chercher des mœurs analogues aux leurs chez leurs parents du centre des Gaules, ou bien tombèrent dans la foule des travailleurs ruraux, espèce

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d'hommes que Ton supposait libres, mais qui en réalité me- naient la vie d'esclaves. En peu d'années, la Province se trouva aussi bien transfigurée et sémitisée que nous voyons aujour- d'hui la ville d'Alger être devenue, après vingt ans, une ville française.

Ce que désormais on appela Gaulois ne désigna plus un Gall , mais seulement un habitant du pays possédé autrefois par les Galls, de même que, lorsque nous disons un Anglais, nous n'en- tendons pas indiquer un fils direct des Saxons à longues bar- bes rouges, oppresseurs des tribus bretonnes , mais un homme issu du mélange breton, frison, anglais, danois, normand, et, par conséquent, moins Anglais que métis. Un Gaulois de la Province représenta, à prendre les choses au pied de la lettre, le produit sémitisé des éléments les plus disparates 5 un homme qui n'était ni Italiote , ni Grec , ni Asiatique , ni Gall , mais de tout cela un peu, et qui portait dans sa nationalité , formée d'éléments inconciliables, cet esprit léger, ce caractère effacé et changeant, stigmate de toutes les races dégénérées. L'homme de la Province était peut-être le spécimen le plus mauvais de tous les alliages opérés dans le sein de la fusion romaine; il se montrait, entre autres exemples, très inférieur aux populations du littoral hispanique.

Celles-ci avaient au moins plus d'homogénéité. Le fond ibère «'était marié avec un apport très puissant de sang directement sémitique la dose des éléments mélaniens était forte. Au fond des provinces que les invasions anciennes avaient rendues celtiques, Taptitude à embrasser la civilisation hellénisée resta toujours faible; mais, sur le littoral, le penchant contraire se trouva très marqué. Les colonies implantées par les Romains , venant d'Asie et de Grèce, peut-être encore d'Afrique, trou- vèrent assez facilement accueil , et, tout en gardant un carac- tère particulier que lui assuraient les mélanges ibères et celti- ques, déposés au fond de sa nature, le groupe d'Espagne se haussa sur un degré honorable de la civilisation romano-sémi- tique (1). Même, à un certain moment, on le verra devancer

(I) Am. Tliierry, la Gaule sous Vadministr. rom. Inirod.y t. I, p. 415 etpass., IGô, 211.

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ritalie dans la voie littéraire, par cette raison que le voisinage de TAfrique, en renouvelant incessamment la partie méla- nienne de son essence, le pouèsa vigoureusement dans cette voie. Rien donc de surprenant à ce que l'Espagne du sud fût un pays supérieur à la Province, et maintînt sa préséance aussi longtemps que la civilisation sémitisée eut la haute main dans le monde occidental.

Mais, de ce que la Gaule romaine se sémitisait, le sang celti- que, loin de servir à rectifier ce que l'essence féminine asiatique apportait d'excessif dans la péninsule italique, était obligé, au contraire, de fuir devant sa puissance , et cette fuite-là ne de- vait jamais finir (1).

Gésar donc, ayant pour point d'appui la Province, complè- tement romanisée (2), entreprit et conduisit à bien la conquête des Gaules supérieures. Lui et ses successeurs continuèrent à tenir les Celtes sous les pieds de la civilisation du sud. Toutes

(1) A cette époque, il ne faut plus guère parler de nations celtiques indépendantes au delà du Rhin. Par conséquent, la race des Kymris n'occupait plus, avec sa liberté plus ou moins complète, que la Gaule au-dessus de la Province, l'Helvétie et les îles Britanniques. Toutes ces contrées étaient certainement fort peuplées , mais elles ne pouvaient entrer en comparaison sous ce rapport avec Tempire. Rome seule comptait pour le moins deux miUions d'habitants. Alexan- drie en avait 600,000 (58 avant J.-C). Jérusalem, pendant le siège de Titus, perdit 1,100,000 personnes, et 97,000 ayant été réduites en esclavage parles Romains, cette multitude, qui représentait d'ailleurs à peu près la population de toute la Judée , doit être considérée comme ayant formé, avant la guerre, 1,200,000 à 1,300,000 âmes pour cette très petite province. L'empire, sous les Antonins, comptait 160 millions d'âmes, et Gibbon, pour la même époque, n'en attribue que 107 à l'Europe entière. Il n'y avait donc aucune proportion entre la résistance que pouvaient offrir les nations galliques et l'énergie numérique dont Rome disposait contre elles. Voir Zumpt, dans les Mémoires de l'Académie des sciences de Berlin, 1840, p. 20.

(2) On inventa, sous les empereurs, un mot spécial pour exprimer Tensemble hétérogène de l'univers romain : ce fut celui de romanité, romanitas; on l'opposait à la barbaria, qui comprenait toutes les na- tions, soit du sud , soit du nord , soit de l'Asie, soi t de l'Europe , les Parthes comme les Germains, vivant en dehors de cette confusion. Voir Améd. Thierry, Hist. de la Gaule sous Vadministrat. rom. Introd 1. 1, p. 199. '*

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,les colonies, en si grand nombre, qui s'abattirent sur le pays, devinrent de véritables garnisons, agissant vigoureusement pour la diffusion du sang et de la culture asiatiques. Dans ces municipes gaulois tout, depuis la langue officielle jusqu'aux costumes, jusqu'aux meubles, était romain, l'indigène était tellement considéré comme un barbare que ce pouvait être un sujet de vanité pour un grand que de devoir le jour à l'intri- gue de sa mère avec un homme d'Italie (l) ; dans ces rues bor- dées de maisons à la mode grecque et latine, personne ne s'é- tonnait de voir, gardant le pays et circulant partout, des légionnaires nés en Syrie ou en Egypte, de. la cavalerie cata- phracte recrutée chez les Thessaliens, des troupes légères ar- rivant de Numidie, et des frondeurs baléares. Tous ces guerriers exotiques , au teint cuivré de mille nuances ou même noirs, passaient incessamment du Rhin aux Pyrénées, et modifiaient la race à tous les degrés sociaux.

Tout en démontrant Fimpuissance du sang celtique et sa passivité dans l'ensemble du monde romain , il ne faut pas pousser les choses trop avant, et méconnaître l'influence con- servée par la civilisation kymrique sur les instincts de ses mé- tis. L'esprit utilitaire des Galls , bien qu'agissant dans l'ombre, qui ne lui est d'ailleurs que favorable, continua à croître et à soutenir l'agriculture , le commerce et rindustrie. Pendant toute la période impériale , la Gaule eut dans ce genre , mais dans ce genre seul, de perpétuels succès. Ses étoffes communes, ses métaux travaillés, ses chars, continuèrent à jouir d'une vogue générale. Portant son intelligence sur les questions in- dustrielles et mercantiles , le Celte avait gardé et même per- fectionné ses antiques aptitudes. Par-dessus tout, il était brave, et l'on en faisait aisément un bon soldat , qui allait tenir gar- nison le plus ordinairement en Grèce , dans la Judée , au bord

(1) Am. Thierry, Hisl. de la Gaule sous Vadminist. rom. , t. I , p. 13. Tac, Hist., IV, 55 : « Sabinus, super insitam vanitatem, falsae stirpis « gloria incendebatur : proaviam suain divo Julio, per Galllas bellaiiti, a corpore atque adulterio.placuisse. » Ce qui rendait cette prétentioii encore plus bizarre, c'est que Sabinus ne la faisait valoir que pour faire mieux sentir ses droits à diriijer uue insurrection contre la puis- sance romaine.

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de FEuphrate. Sur ces différents points, il se mêlait à la po- ' pùlation indigène. Mais là, en fait de désordre , tout était opéré depuis longtemps, et un peu plus, un peii moins d'alliage dans ces masses innombrables , n'était pas pour changer rien à leur incohérence, d'une part, à la prédominance foncière des élé- ments mélanisés, de l'autre.

On n'oubliera pas que ce n^'est qu'épisodiquement si je parle en ce moment de la Gaule , et seulement pour expliquer com- ment son sang n'eut pas d'action pour empêcher Rome et l'Ita- lie de se sémitiser. Par la même occasion, j'ai montré ce que cette province elle-même était devenue après sa conquête. Je rentre dans le courant du grand fleuve romain.

Les races italiotes pures n'existaient donc plus, à l'époque de Pompée, en Italie : le pays était devenu jardin. Cependant, quelque temps encore, les multitudes jadis vaincues, glorifiées par leur défaite, n'osèrent pas proposer pour le gouvernement de l'univers des hommes nés dans leurs pays déshonorés. L'ancienne force d'impulsion subsistait, bien que mourante, et c'était sur le sol sacripar la victoire qu'on s'accommodait encore de chercher le maître universel. Comme les institutions ne découlent jamais que de l'état ethnique des peuples , cette situation doit être bien assise avant que les institutions s'éta- * blissent et surtout se complètent. Jadis l'Italie n'avait obtenu le droit de cité romaine que longtemps après l'invasion complète de Rome par les Italiotes. Ce ne fut également que lorsque le désordre le plus complet dans la ville et la Péninsule eut effacé l'influence de leurs populations nationales que les provinces furent admises en masse aux droits civiques, et que l'on vit l'Arabe au fond de son désert , le Batave dans ses marais , s'in- tituler, mais sans trop d'orgueil , citoyen romain.

Néanmoins, avant qu'on en fût là, et que l'état des faits eût été confessé par celui de la loi , l'incohérence ethnique et la disparition des races itahotes s'étaient déjà affichées dans Tacte le plus considérable que pût amener la politique, je di^, dans le choix des empereurs.

Pour une société arrivée au même point que l'agglomération assyrienne, la royauté persane et le despotisme macédonien,

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et qui ne cherchait plus que la tranquillité , et , autant que possible , la stabilité , on peut être étonné que l'empire n'ait pas, dès le premier jour, accepté le principe de l'hérédité mo- narchique. Certainement, ce n'est pas le culte d'une liberté trop prude qui Fen tenait d'avance dégoûté. Ses répugnances provenaient de la même source qui avait ailleurs empêché la domination sur le monde gréco-asiatique de se perpétuer dans la famille du fils d'Olympias.

Les royaumes ninivites et babyloniens avaient pu inaugurer des dynasties. Ces États étaient dirigés par des conquérants étrangers qui imposaient aux vaincus une certaine forme , en se passant de tout assentiment , et ainsi la loi constitutive n'é- tait pas assise sur un compromis, mais bien sur la force. Ce fait est si vrai que les dynasties ne se succédaient pas autre- ment que par le droit de victoire. Dans la monarchie persane, il en fut de même. La société macédonienne , issue elle-même d'un pacte entre les diverses nationalités de la Grèce, et en- globée dès son premier pas dans l'anarchie des idées asiatiques, ne fonctionna pas d'une manière aussi aisée ni aussi simple. Elle ne put fonder r^n d'unitaire ni même de stable , et , pour vivre, elle dut consentir à éparpiller ses forces. Toutefois son influence agit encore assez fortement sur les Asiatiques pour déterminer la fondation des différents royaumes de la Bac- triane, des Lagides, des Séleucides. Il y eut des dynasties, sans doute médiocrement régulières, quant à l'observation domestique des droits de successibilité , mais du moins iné- branlables dans la possession du trône, et respectées de la rac3 indigène. Cette circonstance fait bien voir à quel point étaient reconnus la suprématie ethnique des vainqueurs et les droits qui en découlaient.

C'est donc un fait incontestable que l'élément macédonien- arian parvenait à maintenir en Asie sa supériorité , et , bien que fort combattu et même annulé sur la plupart des points , demeurait capable de produire des résultats pratiques d'une assez notable importance {!).

<I) L'hellénisme avait encore assez d'individualité pour que les Sé-

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2e2 DE l'inégalité

Mais il n'en pouvait être de même chez les Romains. Puis- qu'il n'avait jamais existé au monde de nation romaine, de race romaine , il n'y avait jamais eu non plus , pour la cité qui ralliait le monde, de race paisiblement prédominante. Tour à tour, les Étrusques, mêlés au sang jaune, les Sabins, dont le principe kymrique était moins brillamment modifié que Tes- sence ariane des Hellènes , et enfin la tourbe sémitique avaient gagné le dessus dans la population urbaine. Les multitudes occidentales étaient vaguement réunies par l'usage commun du latin; mais que valait ce latin, qui de l'Italie avait débordé surTAfrique, l'Espagne, les Gaules et le nord de l'Europe, en suivant la rive droite du Danube, et la dépassant quelquefois? Ce n'était nullement le pendant du grec , même corrompu , répandu dans l'Asie antérieure jusqu'à la Bactriane, et même jusqu'au Pendjab ; c'était à peine l'ombre de la langue de Ta- cite ou de Pline; un idiome élastique connu sous le nom de lingua rustica, ici se confondant avec l'osque, s'appariant avec les restes de l'umbrique , plus loin empruntant au celti- que et des mots et des formes, et, dans la bouche des gens qui visaient la politesse du langage, se rapprochant le plus possible du grec. Un langage d'une personnalité si peu exi- geante convenait admirablement aux détritus de toutes nations forcées de vivre ensemble et de choisir un moyen de com- muniquer. Ce fut pour ce motif que le latin devint la langue universelle de TOccident, et qu'en même temps on aura tou- jours quelque peine à décider s'il a expulsé les langues indi- gènes, et, dans ce cas, l'époque il s'est substitué à elles, ou bien s'il s'est borné à les corrompre et à s'enrichir de leurs débris. La question demeure si obscure qu'on a pu soutenir en Italie cette thèse, vraie sous beaucoup de rapports, que la langue moderne exista de tous temps parallèlement au langage cultivé de Cicéron et de Virgile.

Ainsi cette nation qui n'en était pas une, cet amas de peu- ples dominé par un nom commun, mais non pas par une race

leucides fussent amenés par fanatisme religieux à persécuter les Juifs. (Voir Bœttiger, ouvr. cité, t. I, p. 28.)

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commune , ne pouvait avoir et n'eut pas d'hérédité monarchi- que, et ce fut plutôt même le hasard qu'une conséquence des principes ethniques qui, en mettant pour le début le comman- dement dans la famille des Jules et les maisons ses parentes, conféra à une sorte de dynastie trop imparfaite , mais issue de la Ville, les premiers honneurs du pouvoir absolu. Ce fut ha- sard, car rien n'empêchait, dans les dernières années de la république, qu'un maître d'extraction italiote, ou asiatique, ou africaine, fît valoir avec succès les droits du génie (1). Aussi, ni le conquérant des Gaules , ni Auguste , ni Tibère , ni aucun des Césars, ne songea-t-il un instant au' rôle de monarque hé- réditaire. Vaste comme était l'empire , on n'aurait pas reconnu à dix lieues de Rome, on n'aurait ni admis ni compris l'illus- tration d'une race sabine , et bien moins encore les droits uni- versels que ses partisans eussent prétendu en faire découler. En Asie , au contraire , on connaissait encore les vieilles sou- ches macédoniennes, et on ne leur contestait ni la gloire su- périeure , ni les prérogatives dominatrices.

Le principat ne fut donc pas une dignité fondée sur les pres- tiges du passé, mais, au contraire, sur toutes les nécessités matérielles du présent. Le consulat lui apporta son contingent de forces; la puissance tribunitienne y adjoignit ses droits énormes; lapréture, la questure, le censorat, les différentes fonctions républiçames vinrent tour à tour se fondre dans cette masse d'attributions aussi hétérogènes que les masses de peu-

Ci) La populaUon noble italiote commença à disparaître de Rome vers la seconde guerre punique. En 220 av. J.-C, deux ans avant l'ouver- ture des hostilités, le cens avait donné 270,213 citoyens romains. En 204, il n'y en avait plus que 214,000; cependant 8,00a esclaves avaient été affranchis pour pouvoir être incorporés dans les légions. (Zumpt, ouvr. cité, p. 13.) Après la guerre, il se trouva que huit légions avaient été anéanties à Cannes, et deux autres, avec les alliés italiotes, si bien massacrées dans la forêt Litana qu'il n'en avait échappé que dix hommes. On combla ces vides terribles au moyen d'étrangers, et les familles plébéiennes d'ancienne extraction passèrent au sénat et dans l'ordre équestre. (Ibidem, p. 25.) On voit a quel point les veilles maisons d'origine sabine devaient être devenues rares parmi les patriciens au temps des premiers Césars.

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pies sur lesquelles elles devaient s'exercer (1), et quand plus tard on voulut joindre le brillant, l'imposant à l'utile comme couronnement nécessaire, on put décerner au maître du monde les honneurs de l'apothéose , on put en faire un dieu (2) , mais jamais on ne parvint à introniser ses fils nés ou à naître dans la possession régulière de ses droits. Amasser sur sa tête des nuages d'honneurs , faire fouler à ses pieds l'humanité pros- ternée, concentrer dans ses mains tout ce que la science poli- tique , la hiérarchie religieuse , la sagesse administratfve , la discipline militaire avaient jamais créé de forcés pour plier les volontés : ces prodigBs s'accomplirent, et nulle réclamation ne s'éleva; mais c'était a un homme que l'on prodiguait tous ces pouvoirs, jamais à une famille, jamais à une race. Le senti- ment universel, qui ne reconnaissait plus nulle part de supério- rité ethnique dans le monde dégénéré , n'y aurait pas consenti. On put croire un instant , sous les premiers Antonins , qu'une dynastie sacrée par ses bienfaits allait s'établir pour le bonheur du monde. Caracalla se montra soudain, et le monde, qui n'avait été qu'entraîné, non encore convaincu, reprit ses an- ciens doutes. La dignité impériale resta élective. Cette forme de commandement était décidément la seule possible, parce que , dans cette société sans principes fixes , sans besoins cer- tains, enfin, en un mot qui dit tout, sans honwgénéité de sang, on ne pouvait vivre, quoi qu'on en eût, qu'en laissant toujours la porte ouverte aux changements , et en prêtant les mains de bonne grâce à l'instabilité (3).

(1) « ... Poteslatem Iribunitiam ... Id summi fastigii vocabulum Au- « gustus repperit, ne régis aut dictatoris nomen assumeret, ac « tamen appellatione aliqua caetera iraperia praemineret. » (Tac, Ann., III, 56.)

(2) « ... Cuncta legum et magistratum munera in se trahens prin- ceps ... » (Tac, Ann., XI, 5.) Suet., Dom., 13 : « Dominus et deus noster sic lieri jubet. »

(3) On dit beaucoup que ce sont les guerres qui troublent la cons- cience des peuples, les ramènent vers l'ignorance et les empêchent de se créer une idée juste de leurs besoins. Or, depuis la bataille d*Actium jusqu'à la mort de Commode, il n'y eut dans l'intérieur de lempire d'autre levée de boucliers que la lutte des Flavieus contre

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Rien ne démontre mieux la variabilité ethnique de l'empire romain que le catalogue des empereurs. D'abord, et par le ha- sard assez ordinaire qui mit le génie sous le front d'un patri- cien démocrate , les premiers princes sortirent de la race Sa- bine. Comment le pouvoir se perpétua un temps dans le cercle de leurs alliances, sans qu'une hérédité réelle pût s'établir ja- mais , c'est ce que Suétone raconte avec perfection. Les Jules, les Claude, les Néron eurent chacun leur jour, puis bientôt ils disparurent, et la famille italiote des Flavius les remplaça. Elle s'effaça promptement, et à qui fit-elle place? A des Espa- gnols. Après les Espagnols, vinrent des Africains ^ après les Africains, dont Septime Sévère se montra le héros , et l'avocat Macrinus le représentant, non le plus fou, mais le plus vil, parurent les Syriens, bientôt supplantés par de nouveaux Afri- cains, remplacés à leur tour par un Arabe, détrôné par un Pannonien. Je ne pousse pas plus loin la .série, et je me con- tente de dire qu'après le Pannonien il y eut de tout sur le trône (1) impérial, sauf un homme de famille urbaine.

Il faut considérer encore la manière dont le monde romain s'y prenait pour former l'esprit de ses lois (2). Le demandait- il à l'ancien instinct, je ne dirai pas romain, puisqu'il n'y eut

Vitellius. La prospérité matérielle fut très grande; mais le pouvoir resta irrégulier, garda son inconsistance, et l'intelligence nationale alla toujours déclinant. (Voir Ani. Thierry, Histoire de la Gaule sous l'administration romaine, t. I, p. 241.)

(1) Am. Thierry, la Gaule sous l'administration romaine. Intro- duction, t. I, p. 163 et pass.

(2) César avait désiré un code établi sur un principe unitaire. 11 mourut trop tôt pour réaliser son projet. (Am. Thierry, la Gaule sous Vadministr. rom. Introd., t. I , p. 73. ) Je crois aussi que le temps n'en était pas encore arrivé. Il aurait eu à vaincre des résistances qui , un peu plus tard, n'existèrent plus. (Voir Am. Thierry, Hist. de la Gaule sous Vadm. rom. Introd., t. I, p. 233 et pass.) Savigny, Ges- chichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, 1. 1, p. 4 et pass. : « Très « promptement, remarque l'illustre écrivain, le droit romain cessa « d'être animé d'un véritable esprit créateur. Les grands.jurisconsullcs « de l'époque de Caracalla et d' Alexandre furent à peu prés les derniers « qui aient pu répandre la vie dans la doctrine. » Celle opinion est encore trop favorable.

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jamais rien de romain, mais du moins étrusque ou italique? Nullement. Puisqu'il lui fallait une législation de compromis, il alla la chercher dans le pays qui oJBfrait , après la ville éter- nelle, la population la plus mélangée : sur la côté syrienne, et il entoura, avec raison du reste, de toute son estime l'école d'où sortit Papinien. En fait de religion, il avait dès longtemps été large dans ses vues (1). La Rome républicaine, avant de posséder un panthéon, s'était adressée à tous les coins de la terre pour se procurer des dieux (2). Il vint un jour où, dans ce vaste éclectisme , on eut encore peur de s'être mis trop à rétroit, et, pour ne pas sembler exclusif, on inventa ce mot vague de Providence, qui est, en effet, chez des nations pen- sant différemment, mais ennemies des querelles, le meilleur à mettre en avant. Ne sigoifiant pas grand'chose, il ne peut cho- quer personne. La Providence devint le dieu officiel de l'em- pu-eCa).

(1) L*étonneinent des républicains peu idéalistes de la Rome sabine n'avait pas être médiocre en voyant Annibal mettre en avant contre eux des griefs théologiques. Le Carthaginois se présenta en apôtre de Milytta, et, au nom de cette divinité chananéenne, il détruisait les temples italiotes et faisait fondre les idoles de métal. (Voir Bœttiger, Ideen zur Kunst-Mythoîogie, t. I, p. 29.)

(2) M. Am. Thierry félicite chaudement Adrien de ce que , dans ses voyages perpétuels à travers l'empire, le touriste-administrateur étu- diait toutes les religions, et, pour bien en pénétrer l'esprit et les méri- tes, se faisait révéler tous leurs mystères en agréant toutes leurs ini- tiations. {La Gaule sous Vadministr. rom. Introd., t. I, p. 173.) Pétrone, Satyr., XVÏI, dit excellemment : « Nostra regio tam praesen- « tibus plena est numinibus, ut facilius possis deum quam hominem » invenire. »

(3) Avant l'invention de la Providence , qui offrait cet avantage poli- tique de ne trancher aucune question, les Grecs sémitisés avaient éprouvé le même besoin que les Romains et pour les mêmes causes, de réunir les cultes reconnus dans la sphère de l'action politique ; mais, au lieu de les accepter également, ils avaient cherché querelle à tous. Deux rhéteurs, Charax et Lampsacus, s'étaient fait fort de réduire tous les mythes au pied d'une explication rationnelle. Évhémére gé- néralisa cette méthode, et il n'y eut plus pour lui dans les récits divins que des faits fort ordinaires, ou mal compris, ou défigurés; en- fin, à son avis, toutes les religions reposaient sur des malentendus de la nature la plus mesquine. Il avait découvert que Cadmus était un

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Les peuples se trouvaient ainsi ménagés autant que possible dans leurs intérêts , dans leurs croyances , dans leurs notions du droit , dans leur répugnance à obéir toujours aux mêmes noms étrangers ; bref, il semblait qu'il ne leur manquât rien en fait de principes négatifis. On leur avait donné une religion qui n'en était pas une , une législation qui n'appartenait à aucune race , des souverains fournis par le hasard , et qui ne se récla- maient que d'une force momentanée. Et, cependant, que Von s'en fût tenu en fait de concessions, deux points auraient pu blesser encore. Le premier, si l'on eût conservé à Rome les anciens trophées : les provinciaux y auraient ravivé le souvemr de leurs défaites; le second, si la capitale du monde était restée dans les mêmes lieux d'où s'étaient élancés les vainqueurs dis- parus. Le régime impérial comprît ces délicatesses et leur donna pleine satisfaction.

L'engouement des derniers temps de la république pour le grec, la littérature grecque et les gloires de la Grèce, avait été poussé jusqu'à l'extrême. Au temps de Sylla, il n'y avait homme de bien qui n'aflfectât de considérer la langue latine comme un patois grossier. On parlait grec dans les maisons qui se respectaient. Les gens d'esprit faisaient assaut d'atti- cisme, et les amants qui savaient vivre se disaient , dans leurs rendez- vous : ^^xA P"? ^^ ^i^^ d'anima mea (1).

Après l'empire établi, cet hellénisme alla se renforçant; Néron s'en fit le fanatique. Les héros antiques de la Ville furent considérés comme d'assez tristes hères , et on leur préféra tout haut le Macédonien Alexandre et les moindres porte-glaives de l'Hellade. Il est vrai qu'un peu plus tard une réaction se fit en faveur des vieux patriciens et de leur rusticité ; mais on peut soupçonner cet enthousiasme de n'avoir été qu'une mode

cuisinier du roi de Sidon, qui s'était enfui en Béotie avec Harmonia, joueuse de flûte de ce même monarque. (Bœttiger, Ideen zur Kunst- Mythologie, t. I, p. 187 et pass.) Le grand écueil de i'évhémérisme, c'est d'avancer des explications qui ont autant besoin de preuves que les faits qu'ils prennent à partie.

(1) Pétrone, Satyr., XXXVII : « Nunc nec quid nec quare in cœlum abiit et Trimalchionis tapanta est (xà TravTct). »

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268 DE l'inégalité

littéraire : il n'eut, du moins, pour organes que des hommes fort éloquents sans doute, mais très étrangers au Latium, l'Espa- gnol Lucain, par exemple. Comme ces louangeurs inattendus ne purent déranger les préoccupations générales , le courant continua à pousser vers les illustrations grecques ou sémiti- ques. Chacun se sentait plus attiré, plus intéressé par elles. Ce que le gouvernement fit de mieux pour complaire à ces ins- tincts fut accompli par Septime Sévère, lorsque ce grand prince érigea de riches monuments à la mémoire d'Annibal, et que son fils Antonin Caracalla dressa à ce même vainqueur de Can- nes et de Trébie des statues triomphales en grand nombre (!)• Ce qu'il faut admirer davantage,* c'est qu'il en remplit Rome même. J'ai dit ailleurs que, si Cornélius Scipion avait été vaincu à Zama, la victoire n'aurait pu cependant changer l'ordre na- turel des choses, et amener les Carthaginois à dominer sur les races italiotes. De même, le triomphe des Romains, sous l'ami de Lselius, n'empêcha pas non plus ces mêmes races , une fois leur œuvre accomplie, de s'englouth* dans Télément sémitique, et Carthage, la malheureuse Carthage, une vague de cet océan, put savourer aussi son heure de joie dans le triomphe collec- tif, et dans l'outrage posthume appliqué sur la joue de la vieille Rome.

Il semble que, le jour les simulacres vermoulus des Fabius et des Scipions virent le borgne de la Numidie obtenir son marbre au milieu d'eux , il ne dut plus se trouver dans tout l'empire un seul provincial humilié : chacun de ses citoyens put librement chanter les louanges des héros topiques. Le Gétule, le Maure célébra les vertus de Massinissa, et Jugurtha fut réhabilité. Les Espagnols vantèrent les incendies de Sagonte et de Numance, tandis que le Gaulois éleva plus haut que les nues la vaillance de Vercingétorix. Personne n'avait désormais à s'inquiéter des gloires urbaines insultées par ces gens qui se disaient citoyens, et le plus piquant, c'est que ces citoyens romains eux-mêmes, métis et bâtards qu'ils étaient à l'égard

(1) Âm. Thierry, la Gaule sous Vadministr. rom. Introduct., 1. 1, p. 187 «et pass.

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de toutes les vieilles races, n'avaient pas plus de droits à s'ap- proprier les mérites des héros barbares dont il leur plaisait de se réclamer, que de honnir les grandes ombres patriciennes du Latium (1).

Reste la question de suprématie pour la Ville. Sur cet ar- ticle, comme sur les autres , le monde de vaincus abrité sous les aigles impériales fut parfaitement traité.

Les Étrusques, constructeurs de Rome, n'avaient pas eu la prévision des hautes destinées qui attendaient leur colonie. Ils n'avaient pas choisi son territoire dans la vue d'en faire le cen- tre du monde, ni même d'en rendre l'abord facile. Aussi, dès le règne de Tibère, on comprit que, puisque l'administration impériale se chargeait de surveiller les intérêts universels des nations amalgamées , il fallait qu'elle se rapprochât des pays la vie était le plus active. Ces pays n'étaient pas les Gaules, nulles d'influence, n'étaient pas l'Italie dépeuplée : c'était l'Asie, la civilisation croupissante, mais générale, et surtout l'accumulation de masses énormes d'habitants, rendaient né- cessaire la surveillance incessante de l'autorité. Tibère, pour ne pas rompre du premier coup avec les anciennes habitudes, se contenta de s'établir à l'extrémité de la Péninsule. Il y avait alors plus d'un siècle que le dénouement des grandes guerres civiles et les résultats solides de la victoire ne s'acquéraient plus là, mais en Orient, ou, à tout le moins, en Grèce.

Néron, moins scrupuleux que Tibère, vécut le plus possible dans la terre classique, si douce à ce terrible ami des arts. Après lui, le mouvement qui entraînait les souverains vers l'est devint de plus en plus fort. Tels empereurs, comme Trajan ou Septime Sévère , passèrent leur vie à voyager -, tels autres , comme Héliogabale, visitèrent à peine et en étrangers, la ville éternelle. Un jour, la vraie métropole du monde fut Antioche.

(4) Les gens réfléchis se rendaient bien compte de celte indignité des populations nouvelles vis-à-vis de la gloire des anciennes : « On. Pison, « accusant indirectement Germanicus, lui reprocha d'avoir, à la honte « du nom romain , montré trop de bienveillance, non pour les Athé- « niens, éteints par tant de désastres, mais pour l'écume des nations a qui les avait remplacés. » (Tac, Ann., II, 55.)

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Quand les affaires du Nord prirent une importance majeure, Trêves devint la résidence ordinaire des chefs de TÉtat. Mi- lan en reçut ensuite le titre officiel, et, cependant, que de- venait Rome? Rome gardait un sénat pour jouer dans les af- faires un rôle triste, passif, et tel qu'un grand seigneur imbécile, produit adultérin des affranchis de ses aïeules, mais protégé par les souvenirs de son nom, peut encore l'avoir. De fait, ce sénat servait à peu de choses. Quelquefois , quand on y son- geait, on le priait de reconnaître les empereurs issus de la vo- lonté des légions. Des lois formelles interdisaient aux mem- bres de la curie le métier des armes, et comme d'autres lois, en apparence bienveillantes, excluaient tous les Italiotes du service militaire actif, ces honnêtes sénateurs, qui d'ailleurs n'avaient rien de commun avec les pères conscrits des temps passés (1), n'auraient pas rencontré de soldats qui les connus- sent , s'ils avaient voulu de force se faire chefs d'une aimée. Réduits pour toute occupation à la plus médiocre intrigue, ils ne trouvaient dans le monde personne qu'eux-mêmes pour croire à leur importance. Quand , par un malheur, quelque prince les employait dans ses combinaisons, leur autorité d'em- prunt ne manquait jamais de les conduire à quelque abîme. Malheureux hommes, parvenus de hasard, vieillards sans di- gnité, ils aimaient encore à parader dans leurs séances oiseuses, combinant des périodes et jouant à l'éloquence dans ces jours terribles l'empke n'appartenait qu'aux poignets vigoureux. Ces sénateurs impuissants auraient pu s'avouer un défaut de

(1) « lisdem diebus in numerum patriciorum adscivit Cœsar (Clau- « dius) vetustissimum quemque e senatu aut quibus clari parentes « fuerant; paucis jam reliquis familiarum quas Romulus majorum et « L. Brutus minorum geiilium appellaverant; exhaustis etiam quae a dictator Caesar lege Cassia et princeps Augustus lege Sœnia, sub- « légère. » (Tac, Ann., XI, 25.) Claude venait de déclarer que, l'an- tique coutume de la république étant de s'adjoindre tous les chefs des peuples conquis, les Gaulois pouvaient être reçus dans le sénat, et il y avait admis les Éduens. (Ibidem, 24.) Il est à remarquer que les plus vieilles maisons de Rome, les plus illustres avaient à peine six cents ans de durée, et on en comptait bien peu qui fussent dans ce cas, tant la fusion des races italiotes avait été rapide.

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plus, qui plus tard, du reste, leur porta grand préjudice, ce fut leur affectation de goûts littéraires, quand personne autre ne se souciait plus de savoir ce que c'était qu'un livre. Rome comptait parmi ses illustrations civiles des amateurs très pré- tentieux ; mais, sur ce point encore, Rome n'était plus le champ fécond de la littérature latine. Avouons aussi qu'elle ne l'avait jamais été.

A compter tous les beaux génies qui ont illustré les muses ausoniennes, poètes, prosateurs, historiens ou philosophes, de- puis le vieux Ennius et Plante, peu sont nés dans les murs de la Ville ou appartinrent à des familles urbaines. C'était une sorte de stérilité décidée, jetée comme une malédiction sur le sol de la cité guerrière, qui pourtant, il faut lui rendre cette jus- tice, accueillit toujours noblement, et d'une façon conséquente au génie utilitaire du premier esprit italique , tout ce qui put rehausser sa splendeur. Ennius, Livius Andronicus, Pacuvius, Plaute et Térence n'étaient pas Romains. Ne l'étaient pas non plus : Virgile, Horace, Tite-Live, Ovide, Vitruve, Cornélius Népos, Catulle, Valérius Flaccus, Pline. Encore bien moins cette pléiade espagnole venue à Rome avec ou après Portius Latro , les quatre Sénèque , le père et les trois fils , Sextilius Héna, Statorius Victor, Sénécion, Hygin, Columelle, Pom- ponius Mêla, Silius Italiens, Quintilien, Martial, Florus, Lu- eain, et une longue liste encore (1).

Les puristes urbains trouvaient toujours quelque chose à re- dire aux plus grands écrivains. Ceux de ces derniers qui ve- naient d'Italie avaient de trop la saveur du terroir, qui rendait leur style provincial. Ce reproche était plus mérité encore par les Espagnols. Toutefois la vogue de personne n'en était dimi- nuée, et le mérite , quoi qu'on en ait dit depuis cent ans chez nous, était tout aussi reconnu chez les poètes de Cordoue que s'ils avaient écrit justement comme Gcëron. Nous ne pouvons trop juger la portée des critiques adressées au Padouan Tite- Live. mais nous sommes parfaitement en mesure de constater

(1) Ara. Thierry, la Gaule sous l'administration romaine, 1. 1, p. 200 et pass.

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la vérité de celles qui poursuivaient les Sénèque, et Lucain , et Silius Italicus. Ces critiques se rattachent trop bien au sujet de ce livre pour n'en pas toucher un mot. On accusait donc l'école espagnole d'afficher à un degré choquant ce que je nomme le caractère sémitique, c'est-à-dire l'ardeur, la couleur, le goût du grandiose poussé jusqu'à l'emphase, et une vigueur dégénérant en mauvais goût et en dureté.

Acceptons toutes ces attaques. On a remarqué déjà combien elles étaient méritées par le génie des peuples mélanisés. Il n'y a donc pas lieu de les repousser quand il s'agit des œuvres de <îe génie sur le sol espagnol , car on ne perd pas de vue que nous observons ici une poésie et une littérature qui ne floris- saient dans la péninsule ibérique que il y avait du sang noir largement infusé, c'est-à-dire sur le littoral du sud. En conséquence, retournant le fait pour le faire entrer dans le rang de mes démonstrations, j'observe de nouveau combien la poésie, la littérature , sont plus fortes, et en même temps plus défectueuses par exubérance , partout le sang mélanien se trouve abondamment, et, suivant cette veine, il n'y a qu'à pas- ser jusqu'à la province qui marqua le plus dans les lettres après l'Espagne, ce fut l'Afrique (1).

Là, autour de la Carthage romaine, la culture de l'imagina- tion et de l'esprit était une habitude et, pour ainsi dire, un besoin général. Le philosophe Annseus Cornutus, à Leptis, Septimius Sévérus, de la même ville , l'Adrumétain Salvius Julianus, le Numide Cornélius Fronton, précepteur de Marc- Aurèle, et enfin Apulée, élevèrent au plus haut point la gloire de l'Afrique dans la période païenne , tandis que l'Église mili- tante dut à cette contrée de bien puissants et bien illustres apo- logistes dans la personne des Tertullien , des Minutius Félix, des saint Cyprien, des Arnobe, des Lactance, des saint Augus- tin. Chose plus remarquable encore : quand les invasions ger- maniques couvrirent de leurs masses régénératrices la face du monde. occidental, ce fut sur les points l'élément sémitique

<1) Am. Thierry, la Gaule sous Vadminislr. rom. Introd.^i. l^p. 182 et seqq.

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restait fort que les lettres romaines obtinrent leurs derniers succès. Je nomme donc cette même Afrique, cette même Car- thage, sous le gouvernement des rois vandales (1).

Ainsi , Rome ne fut jamais , ni sous l'empire , ni même sous la république, le sanctuaire des muses latines. Elle le sentait si bien que , dans ses propres murailles , elle n'accordait à sa langue naturelle aucune préférence. Pour instruire la popula- tion urbaine, le fisc impérial entretenait des grammairiens la- tins, mais aussi des grammairiens grecs. Trois rhéteurs latins, mais cinq grecs, et, en même temps, comme les gens de let- tres de langue latine trouvaient des honneurs et un salaire et un public partout ailleurs qu'en Italie, de même les écrivains helléniques étaient attirés et retenus à Rome par des avanta- ges pareils : témoin Plutarque de Chéronée , Arrien de Nico- médie, Lucien de Samosate, Hérode Atticus de Marathon, Pausanias de Lydie, qui, tous, vinrent composer leurs ouvra- ges et s'illustrer au pied du Capitole.

Ainsi, à chaque pas que nous faisons, nous nous enfonçons davantage dans les preuves accumulées de cette vérité que Rome n'avait rien en propre, ni religion, ni lois, ni langue, ni littérature , ni même préséance sérieuse et effective , et c'est ce que de nos jours on a proposé de considérer sous un point de vue favorable et d'approuver comme une nouveauté heu- reuse pour la civilisation. Tout dépend de ce qu'on aime et cherche, de ce qu'on blâme et réprouve (2).

(1) Meyer, Lateinische Anthologie, t. IL

(2) Savigny (Geschichte des rœmisctien Rechtes im Mittelalter) a très bien exprimé l'opinion ancienne en la raisonnant : « Lorsque Rome « était petite, dit cet homme éminent, et qu'elle rangeait sous sa dé- « pendance quelques cités italiotes par l'octroi de son droit civique , « on pouvait supposer entre ces dernières et la ville conquérante une « sorte d'égalité, et c'est sur cette notion que reposa la constitution « libre de ces villes. Mais, lorsque l'empire se fut étendu sur trois « parties du monde, cette égalité cessa complètement, de sorte que « la liberté locale dut diminuer. Vint ensuite la pression de Tadminis- « tration impériale , qui , en imposant partout un même niveau d'obéis- « sance , fit disparaître peu à peu les différences qui existaient entre « l'Italie et les provinces. La Péninsule, jadis la partie du territoire la « plus favorisée, perdit de sa valeur individuelle, les terres autrefois

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Les détracteurs de la période impériale font remarquer, de leur côté, que, sur toute la face du monde romain depuis Au- guste , aucune individualité illustre ne ressort plus. Tout est ef- facé ; plus de grandeur honorée, plus de bassesse flétrie ; tout vit en silence. Les anciennes gloires ne passionnent que les dé- damateurs rhétoriciens à l'heure des classes ; elles n'appar- tiennent plus à personne, et les têtes vides seulement peuvent prendre feu pour elles. Plus de grandes familles; toutes sont éteintes, et celles qui, occupant leur place , essayent de jouer leur rôle, sorties ce matin de la tourbe, y rentreront ce soir (1). Puis cette antique liberté patricienne qui , avec ses inconvé- nients, avait aussi ses beaux et nobles côtés, c'en est fini d'elle. Personne ^y songe, et ceux-là qui, dans leurs livres, balan- cent encore devant son souvenir un encens théorique, recher- chent, en bons courtisans, l'amitié des puissants de l'époque, et seraient désolés qu'on prît au mot leurs regrets. En même temps , les nationalités quittent leurs insignes. Elles vont les unes chez les autres porter le désordre de toutes les notions sociales, elles ne croient plus en elles-mêmes. Ce qu'elles ont gardé de personnel, c'est la soif d'empêcher Tune d'entre elles de se soustraire à la décadence générale.

Avec l'oubli de la race, avec l'extinction des maisons illus- tres dont les exemples guidaient jadis les multitudes , avec le syncrétisme des théologies , sont venus en foule , non pas les grands vices personnels, partage de tous les temps, mais cet universel relâchement de la morale ordinaire, cette incertitude de tous les principes , ce détachement de toutes les individua- lités de la chose publique, ce scepticisme tantôt riant, tantôt morose, indifféremment porté sur ce qui n'est pas d'intérêt ou

« conquises se relevèrent quelque peu , puis enfin tout s'abîma en- « semble dans un affaiblissement incurable. Pour Rome même, cet « énervement est de toute évidence... » (T. ï, p. 31.)

(4) Am. Thierry, la Gaule sous Vadministr, rom. Introd., 1. 1, p. 181 : « Le parti des idées républicaines et aristocratiques n'eut mémo a bientôt plus pour chefs que des hommes nouveaux; ni Corbulon, ni « Paetus Thraséas, ni Agricola, ni Helvidius, n'appartinrent à l'ancien « pâtriciat. Dès le second siècle, et surtout au troisième, les familles « sénatoriales étaient pour la plupart étrangères à l'Italie. » '

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d'usage quotidien, enfin ce dégoût effrayé de l'avenir, et ce sont des malheurs bien autrement avilissants pour les socié- tés. Quant aux éventualités politiques, interrogez la foule ro- maine. Plus rien ne lui répugne, plus rien ne Tétonne. Les con- ditions que les peuples homogènes exigent de qui veut les gouverner, elles en ont perdu jusqu'à l'idée.' Hier c'était un Arabe qui montait sur le trône, demain ce sera le fouet d'un berger pannonien qui mènera les peuples. Le citoyen romain de la Gaule ou de l'Afrique s'en consolera en pensant qu'après tout ce ne sont pas ses alBfaires, que le premier gouvernant venu est le meilleur, et que c'est une organisation acceptable que celle son fils, sinon lui-même , peut à son tour devenir l'empereur.

Tel était le sentiment général au iii« siècle, et, pendant seize cents ans, tous ceux, païens ou chrétiens, qui ont réfléchi à cette situation ne l'ont pas trouvée belle. Les politiques comme les poètes, les historiens comme les moralistes, ont dé- versé leurs mépris sur les immondes populations auxquelles on ne pouvait faire accepter un autre régime. C'est le procès que des esprits d'ailleurs éminents, des hommes d'une érudi- tion vaste et solide s'efforcent aujourd'hui de faire reviser. Ils sont emportés à leur insu par une sympathie bien naturelle et que les rapprochements ethniques n'expliquent que trop.

Ce n'est pas qu'ils ne tombent d'accord de l'exactitude des reproches adressés aux multitudes de l'époque impériale ; mais -Is opposent à ces défauts de prétendus avantages qui, à leurs yeux, les rachètent. De quoi se plaint-on? du mélange des re- ligions ? Il en résultait une tolérance universelle. Du relâche- ment de la doctrine officielle sur ces matières? Ce n'était rien que l'athéisme dans la loi (1). Qu'importent les effets d'un tel exemple partant de si haut?

A ce point de vue, l'avilissement et la destruction des gran- des familles, voire même des traditions nationales qu'elles con-

(1) Tibère avait émis ceUe maxime toute moderne : « Deorum injurias o diis curœ. » (Tacit., Ann., liv. I, 73.) C'était à propos de la loi sur les crimes de lése-majesté, dont il cherchait à étendre les effets, non pour les dieux, mais pour lui.

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servaient, sont des résultats acceptables. Les classes moyennes du temps n'ont pu manquer de bien accueillir cet holocauste quand on Fa jeté sur leurs autels. Voir des hommes héritié*s des plus augustes noms , des hommes dont les pères avaient donné à la patrie mille victoires et mille provmces, voir ces hommes, pour gagner leur vie, réduits à porter la balle et à faire les gladiateurs; voir des matrones, nièces de CoUatin, réduites au pain de leurs amants, ce ne sont pas des spectacles à dé- daigner pour les fils d'Habinas , pas plus que pour les cousins de Spartacus. La seule différence est que le fabricant de cer- cueils mis en scène par Pétrone désire en arriver doucement et sans violence, tandis que la bête des ergastules savoure mieux la misère qu'elle-même, en personne, a faite, surtout si elle est ensanglantée. Un État sans noblesse , c'est le rêve de bien des époques. Il n'importe pas que la nationalité y perde ses' colonnes, son histoire morale, ses archives : tout est bien quand la vanité de l'homme médiocre* a abaissé le ciel à la por- tée de sa main.

Qu'importe la nationalité elle-même.? Ne vaut-il pas mieux pour les différents groupes humains perdre tout ce qui peut les séparer, les différencier? A ce titre, en effet, l'âge impérial est une des plus belles périodes que l'humanité ait jamais par- courues.

Passons aux avantages effectifs. D'abord, dit-on , une admi- nistration régulière et unitaire. Ici il faut examiner.

Si l'éloge est vrai', il est grand; cependant on peut douter de son exactitude. J'entends bien qu'en principe tout aboutis- sait à l'empereur, que les moindres officiers civils et mihtairés- devaient attendre hiérarchiquement l'ordre descendu du trône, et que, sur le vaste pourtour comme au (fentre de l'État^ la parole du souverain était censée décisive. Mais que disait- elle, cette parole, et que voulait-elle? Jamais qu'une seule et même chose : de l'argent, et, pourvu qu'elle en obtînt, l'inter- vention d'en haut ne prenait pas souci l'administration in- térieure des provinces, des royaumes, à plus forte raison des villes et des bourgades, qui, organisées sur l'ancien plan mu- nicipal, avaient le droit de n'être gouvernées que par leur curie..

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Ce droit survivait, énervé à la vérité, parce que le caprice d'en haut en troublait en mille occasions l'exercice , mais il existait seul, privé de bien des avantages et offrant tous les inconvé- nients de l'esprit de clocher.

Les écrivains démocratiques font grand éclat du titre de ci- toyen romain conféré à l'univers entier par Antonin Caracalla. J'en suis moins enthousiaste. La plus belle prérogative n'a de valeur que lorsqu'elle n'est pas prodiguée. Quand tout le monde est illustre, personne ne l'est plus, et ce fut ainsi qu'il en advint à la cohue innombrable des citoyens provinciaux (1).

Tous ils furent astreints à payer l'impôt, tous ils devinrent passibles des peines que la jurisprudence impériale appliquait; et, sans souci de ce qu'eût pensé de cette innovation le civis romanus d'autrefois, on les soumettait à la torture quand s'en présentait la moindre tentation juridique. Saint Paul avait à sa qualité civique réclamée à propos un traitement d'hon- neur-, mais les confesseurs, les vierges de la primitive Église, bien que décorés du droit de cité , n'en étaient pas moins me- nés en esclaves. C'était désormais l'usage commun. L'édit de nivellement put donc plaire un jour aux sujets, en leur mon- trant abaissés ceux qu'ils enviaient naguère; mais, pour eux, il ne les releva pas : ce fut simplement une grande prérogative abolie et jetée à l'eau (2).

Et quant aux sénats municipaux, maîtres, soi-disant, d'admi- nistrer leurs villes suivant l'opinion* de la localité, leur félicité n'était pas non plus si grande qu'on le donne à croire (3). Je

(1) Rien ne fut changé par la constitution de Caracalla dans le mode d'administration des villes, aucun avantage nouveau ne fut introduit ^ et Savigny n*y aperçoit qu'une simple évolution de l'état personnel des gouvernés. {Geschichte des rœmischen Rechtesim Mittelalter, t.I, p. 63.)

(2) Pour n'en citer qu'un exemple, voir ce que dit Suétone de l'admi- nistration financière de Vespasien. (Fesp., 16.)

(3) Consulter, sur l'organisation municipale pendant l'époque impé- riale, YHistoire du droit municipal en France, par M. Raynouard, Paris, 1829, 2 vol. in-S®, et YHistoire critique du pouvoir municipal en France, par C. Leber, Paris, 1829, in-8°. Bien que spécialement des- tinés à l'examen des institutions gallo-romaines, ces deux ouvrages renferment un grand nombre d'observations générales. M. Raynouard^

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veux que, dans les petites affaires, leur action demeurât assez libre. Il ne faut pas l'oublier, aussitôt qu'il s'agissait des de- mandes du fisc, plus de délibération, pas de' raisonnements, bourse déliée ! Or ces demandes étaient fréquentes et peu dis- crètes (1). Pour quelques empereurs qui, dans un long princi- pat, trouvèrent le loisir de régler leur appétit, combien n'en vit-on pas davantage qui, pressés de s'asseoir à la table du monde, n'eurent que le temps d'y dévorer ce que leurs mains purent saisir? Et encore, parmi les princes favorisés d'un beau règne , combien y en eut-il que des guerres presque incessan- tes ne. forcèrent pas de dévorer la substance de leurs peuples? Et enfin, parmi les pacifiques, combien encore en peut-on citer dont les plus belles années ne se soient passées à diriger les meilleures ressources de l'empire contre les flots d'usurpa- teurs sans cesse renaissants, qui, de leur côté, emportaient aux villes tout ce qui était à prendre? Le fisc ne fut donc presque jamais, excepté sous les Antonihs, en disposition de ménager ses exigences; et ainsi les magistrats municipaux avaient pour

homme de cabinet et d'origine provençale, est un admirateur enthou- siaste des idées et des procédés romains. M. Leber, érudit d'un im- mense savoir, mais en même temps administrateur pratique, et dans une province moins complètement romanisée que M. Raynouard, est infiniment plus prudent dans ses éloges, et souvent cette prudence va jusqu'au blâme. Ce sont deux ouvrages curieux, bien que le second soit supérieur au premier. J'en ai beaucoup usé dans ces pages ; mais comme, malheureusement, je ne les ai pas sous les yeux, je suis ré- duit à citer de souvenir. Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalter, in-8», Heidelberg, 1815, 1. 1, p. 18 et pass.

(1) Je n'oserais ici me montrer aussi sévère, quoique je puisse le sembler beaucoup, qu'un écrivain dont le secours m'était assez inat- tendu dans une lutte contre des opinions dont M. Amédée Thierry est le principal propagateur. Je vais me couvrir de son autorité bien puis- sante en cette rencontre. Voici ce qu'il dit : « Sous le prétexte humain « de gratifier le monde d'un titre flatteur, un Antonin appela dans ses « édits du nom de citoyens romains les tributaires de l'empire romain, « ces hommes qu'un consul pouvait légalement torturer, battre de « coups, écraser de corvées et d'impôts. Ainsi fut démentie la puis- « sance de ce titre autrefois inviolable, et devant lequel s'arrêtait la « tyrannie la plus éhontée ; ainsi périt ce vieux cri de sauvegarde qui « faisait reculer les bourreaux : Je suis citoyen romain. » (Augustin Thierry, Dix ans d'études historiques, in-12, Paris, 1846, p. 188.)

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principale fonction, pour préoccupation première, de jeter de l'argent dans les caisses impériales, ce qui ôtait beaucoup au mérite de leur quasi-indépendance sur le reste , ou plutôt la réduisait à néant.

Le décurion , le sénateur, les vénérables membres de la cu- rie, comme ils s'intitulaient, car ces gens-là, descendus de quelques méchants affranchis, de marchands d'esclaves, de vétérans colonisés, tranchaient du patricien et du vieux Qui- rite, n'étaient pas toujours en mesure de remettre à l'agent du fisc la quote-part que celui-ci avait ordre d'exiger. Voter n'était rien, il fallait percevoir, et quand la commune était épuisée, à bout dévoies, ruinée, les citoyens romains qui la composaient pouvaient sans doute être bâtonnés jusqu'à extinc- tion de force par les appariteurs et gardes de police de la lo- calité j mais en espérer des sesterces , c'était illusoire. Alors l'officier impérial, victime lui-même de ses supérieurs, n'hési- tait pas longtemps. Il faisait, à son tour, appel à ses propres licteurs, et demandait sans façon aux vénérables, aux illustres sénateurs de parfaire sur leurs propres fonds la somme à lui nécessaire pour établir ses comptes. Les illustres sénateurs re- fusaient, trouvant l'exigence mal placée , et aloi^, mettant de côté tout respect, on leur infligeait le même traitement, les mêmes ignominies dont ils se montraient si prodigues envers leurs libres administrés (1).

Il arriva de ce régime que bientôt les curîales, désabusés sur les mérites d'une toge qui ne les garantissait pas des meurtris- sures, fatigués de siéger dans un capitole qui ne préservait pas leurs denaeures des visites domiciliaires et de la spoliation, épouvantés des menaces de l'émeute qui, sans se préoccuper de rechercher les légitimes objets de sa colère , se ruait sur eux, tristes instruments, ces misérables curiales s'accordèrent à penser que leurs honneurs étaient trop lourds et qu'il valait

(1) Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelalier, t. I, p. 25. Certains dignitaires des curies municipales jouissaient d'heu- reux privilèges au point de vue des peines corporelles, auxquelles ils n'étaient pas astreints comme leurs collègues; mais, en revanche, on était en droit de leur imposer de plus fortes amendes. (Ibid., p. 71. >

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mieux préférer une existence moins en vue, mais plus calme. Il s'en trouva qui émigrèrent et allèrent s'établir, simples ci- toyens, dans d'autres villes. Quelques-uns entrèrent dans la milice, et, quand le christianisme fut devenu religion légale, l)eaucoup se firent prêtres.

Mais ce n'était pas le compte du fisc. L'empereur rendit donc des lois pour dénier aux curiales, sous les peines les plus sévères, le droit d'abandonner jamais le lieu de leurs fonctions. Peut-être était-ce la première fois que des malheureux étaient cloués, de par la loi, au pilori des grandeurs (1). Puis, de même que, pour abaisser et avilir le sénat de Rome, on avait interdit à ses membres le métier de la guerre, de même , pour conserver au fisc les sénateurs provinciaux et l'exploitation de leurs fortunes, on défendit à ceux-là de se faire soldats, et par extension de quitter la profession de leurs pères, et, par exten- sion encore, la même loi fut appliquée aux autres citoyens de l'empire ; de sorte que, par le plus singulier concours de con- venances politiques, le monde romain, qui n'avait plus de ra- ces différentes à isoler les unes des autres, fit ce qu'avaient décrété le brahmanisme et le sacerdoce égyptien ; il prétendit créer des castes héréditaires, lui , le vrai génie de la confusion! Mais il est dés moments la nécessité du salut force les États comme les individus aux plus monstrueuses inconséquences.

Voilà les curiales qui ne peuvent être ni soldats, ni mar- chands, ni grammairiens , ni marins ; ils ne peuvent être que

(1) Voir, pour la situation quasi-aristocratique de Vordo decurionum sous les empereurs, Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes im Mittelaltery 1. 1, p. 22 et seqq. Au même lieu, le détail de la vie misé- rable du curiale. L'auteur que je cite est d'avis que rien ne peut don- ner une plus juste idée de la décomposition intérieure de l'État sous les principats chrétiens que les constitutions théodosiennes ayant trait aux curies municipales. Non seulement les curiales ne voulaient pas l'être, mais ils préféraient même le servage, et il fallait une loi pour leur fermer ce refuge. On en vint même à cette étrange ressource de condamner des gens poursuivis pour crime à l'état de décurions. A la vérité, un décret impérial restreignit l'usage de cette singulière pénalité au châtiment des ecclésiastiques indignes, et des militaires qui, par lâcheté, s'étaient soustraits aux ordres de leurs chefs. < Savigny, loc. cit.)

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curiales, et, tyrannie plus monstrueuse au milieu de la ferveur passionnée du christianisme naissant, on vit, au grand mépris de la conscience, la loi empêcher ces misérables d'entrer dans les ordres sacrés, toujours parce que le fisc, tenant en eux le meilleur de ses gages, ne voulait pas les lâcher (1).

De pareilles extrémités ne sauraient se produire chez des nations un génie ethnique un peu noble souffle encore ses inspirations aux multitudes. La honte en retombe tout entière, non pas sur les gouvernements, que l'avilissement des peu- ples contraint d'y avoir recours, mais sur ces peuples dégé- nérés (2). Ceux-ci s'accommodaient de vivre sous ce joug. On connut à la vérité , dans le monde romain , quelques insurrec- tions partielles , causées par l'excès des maux ; mais ces bagau- deries , stimulées par la chair en révolte et ne s'appuyant sur rien de généreux , ne furent toujours qu'un surcroît de fléaux, qu'une occasion de pillages, de massacres, de viols, dlncen- die. Les majorités n'en apprenaient l'explosion qu'avec une légitime horreur, et, la révolte une fois étouffée dans le sang, chacun s'en félicitait, et avait raison de le faire. Bientôt, n'y songeant plus, on continuait à souffrir le plus patiemment pos-

(1) Tacite a pu mettre avec toute vérité ces mots dans la bouche d'Arminius : « Aliis gentibus, ignorantia imperii romani, inexperta « esse supplicia, nescia tributa. » (Ann., 1. I, 69.)

(2) Au milieu de ses déclamations, toujours défavorables à la puis- sance suprême, Tacite se laisse aller une fois à un singulier aveu. Il raconte qu'après avoir épié les délibérations du sénat, Tibère allait s'asseoir dans un angle du prétoire et assistait aux jugements; puis il ajoute : « Bien des arrêts, par l'effet de sa présence, furent rendus con- « trairement aux intrigues, aux prières des puissants; mais, tandis- « que-l'équité était sauve, la liberté se perdait. » (Ann., 1, 75.) La liberté àe quoi? la liberté de faire pendre l'innocent et de ruiner le pauvre? Quand une nation en est au point des Romains de l'empire, le premier de ses besoins, c'est un maître; un maître seul peut lui éviter des convulsions incessantes. Le génie de Tibère suppléait à la honteuse Ineptie du sénat et du peuple; sa férocité était à tout le moins excu- sée par l'abjection sanguinaire de l'un et de l'autre. Ce qu'il tuait va- lait à peine la pitié, et il eût sans doute ménagé davantage des hom- mes qui n'eussent pas mérité de sa'part cette réflexion empreinte du plus profond dégoût, et qui lui échappait chaque fois qu'il sortait du ^énat : « 0 homines ad servitutem paratos! » (Tac, Ann., III, 65.)

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sible; et, comme rien ne se prend plus vite que les mœurs de la servitude, il devint bientôt impossible aux gens du fisc d'ob- tenir le payement des impôts sans recourir à des violences. Les curiales ne tiraient rien de leurs administrés les plus solvables qu'en les faisant assommer, et, à leur tour, ils ne lâchaient guère que sur reçu de coups de verges. Morale particulière très com- prise en Orient, elle forme une sorte de point d'honneur. Même en temps ordinaire et sous des prétextes d'utilité locale, les curiales en arrivèrent à dépouiller leurs concitoyens, et les magistrats impériaux les en laissaient libres , trop heureux de savoir trouver l'argent au jour du besoin.

Jusqu'ici , j'ai admis très bénévolement que les gens de l'empereur se tenaient immaculés de la corruption générale ; mais la supposition était gratuite. Ces hommes avaient tout autant de rapacité que les anciens proconsuls de la républi- que. De plus, ils étaient bien autrement nombreux, et, quand les provinces épuisées prétendaient réclamer auprès du maître commun, on peut juger si la chose était facile. Tenant l'admi- nistration des postes impériales , dirigeant une police nom- breuse et active, ayant seuls le droit d'accorder des passeports, les tyrans locaux rendaient presque impossible le départ de mandataires accusateurs. Si toutes ces précautions préalables se trouvaient déjouées, que venaient faire dans le palais du prince d'obscurs provinciaux , desservis par tous les amis , par les créatures, les protecteurs de leur ennemi? Telle fut l'ad- ministration de la Rome impériale, et, bien que je concède aisément que tout le monde y jouissait du titre de citoyen, que l'empire était gouverné par un chef unique , et que les villes, maîtresses de leur régime intérieur, pouvaient s'intituler à leur gré autonomes^ frapper monnaie , se dresser des statues et tout ce qu'on voudra , je n'en comprends pas davantage le bien qui en résultait pour personne (1).

(1) Les magistratures locales étaient, en principe, dispensatrices suprêmes du droit sur tout leur territoire; mais, en fait, elles n'exer- çaient que le jugement en preiùière instance ; Tappel se faisait aux officiers impériaux, et même elles n'appliquaient leur juridiction que dans le s affaires minimes ne dépassant pas une certaine somme. Les

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Le suprême éloge adressé à ce système romain , c'est done d'avoir été ce qu'on nomme régulier et unitaire. J'ai dit de quelle régularité; voyons maintenant de quelle unité.

Il ne suffit pas qu'un pays ait un maître unique pour que le fractionnement et ses inconvénients en soient bannis. A ce ti- , tre , l'ancienne administration de la France aurait été unitaire, ce qui n'est l'avis de personne. Unitaire également se fût mon- tré l'empire de Darius , autre chose fort contredite , et , à ce prix-là, ce qu'on avait connu sous telle monarchie assyrienne était aussi de l'unité. La réunion des droits souverains sur une seule tête, ce n'est donc pas assez ; il faut que l'action du pou- voir se répande d'une manière normale jusqu'aux dernières extrémités du corps politique; qu'un même souffle circule dans tout cet être et le fasse tantôt mouvoir, tantôt dormir dans un juste repos. Or, quand les contrées les plus diverses s'adminis- trent chacune d'après les idées qui leur conviennent, ne relè- vent que financièrement et militairement d'une autorité loin- taine, arbitraire , mal renseignée, il n'y a pas cohésion vé- ritable, amalgame réel. C'est une concentration approximative des forces politiques, si l'on veut; ce n'est pas de l'unité.

Il est encore une condition indispensable pour que l'unité s'établisse et témoigne du mouvement régulier qui est son principal mérite; c'est que le pouvoir suprême soit sédentaire, toujours présent sur un point désigné, et de fasse diverger sa sollicitude, par des moyens, par des voies, autant que pos- sible, uniformes, sur les villes et les provinces. Alors seulement les institutions, bonnes ou mauvaises, fonctionnent comme une machine bien montée. Les ordres circulent avec facilité, et le temps , ce grand et indispensable agent de tout ce qui se fai de sérieux dans le monde, peut être calculé, mesuré et em- ployé sans prodigalité inutile, comme aussi sans parcimonie désastreuse. Cette condition manqua toujours à l'organisation impériale.

contestations entre les cités, entre les autorités d'une même ville, le jugement au criminel, etc., ressortaient des tribunaux du souverain. (Savigny, Geschichte des rœmischen Rechtes ira Mittelalter, t. I, p. 35 et seqq.)

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J'ai montré comment la plupart des maîtres de l'État avaient, dès le principe , abandonné Rome , pour se fixer tantôt à Tex- trémité méridionale de l'Italie , tantôt dans les territoires asia- tiques, tantôt au nord des Gaules, tandis que d'autres voya- gèrent pendant toute la durée de leur règne. Que pouvait être une administration dont les agents ne savaient trouver sû- rement le chef de qui émanait leur pouvoir, et dont ils étaient censés n'exécuter que les ordres ? Si l'empereur s'était cons- tamment tenu à Antioche, il aurait fallu, sans doute, beaucoup de temps pour faire parvenir ses instructions aux prétoires de Cadix, de Trêves ou de l'île de Bretagne; cependant, à tout prendre , on aurait pu calculer sur cet éloignement la consti- tution de ces provinces lointaines, l'étendue de la responsabilité accordée aux magistrats pour les régir et les défendre : on serait parvenu ainsi, tant bien que mal, à leur donner une organi- sation régulière.

Mais , quand un messager parti de Paris ou d'Italica pour prendre des ordres, arrivait lentement à Antioche, et ap- prenait là que l'empereur était parti pour Alexandrie; que, le mandataire provincial parvenu dans cette ville , un nouveau départ l'amenait à Naples, et pouvait l'entraîner au delà du Rhin vers les limites décumates, en quoi, je le demande, une telle organisation avait-elle }e caractère unitaire ? L'affirmer, c'est soutenir l'absurde ; l'empereur devait laisser, et laissait en effet, à l'initiative du préfet et des généraux une indépen- dance d'action d'où résultaient les conséquences les plus gra- ves , tant pour la bonne administration du territoire que pour les plus hautes questions, l'hérédité impériale, par exemple.

Si le gouvernement avait été unitaire , ses forces vives étant rassemblées autour du trône, c'eût été à la cour même du prince décédé que la capacité de succession aurait été débat- tue ; il n'en était nullement ainsi. Quand l'empereur mourait en Asie, son héritier se révélait parfaitement en ïllyrie, en Afrique ou dans l'île de Bretagne , suivant que , dans l'une ou l'autre de ces provinces , il s'improvisait un souverain qui avait su rattacher à sa cause plus d'intérêts, et qui ainsi jouissait d'un pouvoir plus étendu. Chaque grande circonscription de

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rÉtat possédait dans sa ville priacipale une cour en miniature le pouvoir, tout délégué qu'il fût , prenait les allures d'une autorité suprême et absolue , disposait de tout en conséquence, et interprétait les lois mêmes, allant jusqu'à confisquer l'impôt, -sans souci du trésor. Je ne nie pas que la foudre du dieu mor- tel , du héros souverain , n'éclatât quelquefois sur la tête des audacieux ; pourtant , dans la plupart des cas , ce n'était qu'a- près une longue tolérance d'où naissait l'excuse de l'abus. D'ailleurs, il n'était pas extrêmement rare que le magistrat récalcitrant, renvoyant la foudre d'où elle était partie et se déclarant empereur lui-même , ne démontrât le ridicule de ce fantôme d'unité monarchique qui cherchait, sans y parvenir, à embrasser et à féconder un monde soumis par son seul ac- cablement. Ainsi, je ne saurais rien accorder de tout ce qu'on réclame désormais de sympathie théorique et de louanges pour l'époque impériale. Je me borne à être exact ; c'est pourquoi je termine en avouant que, si le régime inauguré par Auguste ne fut en lui-même ni beau, ni fécond, ni louable, il eut un genre de supériorité bien préférable encore : c'est qu'en face des populations multiples tombées au pouvoir des aigles, il était le seul possible. Tous les efforts , il les fit pour gouverner avec raison et honneur les masses qui lui étaient confiées. Il échoua. La faute n'en fut pas à lui : qu'elle retombe sur ces populations elles-mêmes.

Si le gouvernement fiit sa religion d'une formule théologique sans valeur, d'un mot complètement vide de sens, je l'en absous. Il y avait été contraint par la nécessité de rester impartial en- tre mille croyances. Si , abolissant dans ses tribunaux d'appel les législations locales, il leur substitua une jurisprudence éclectique dont les trois bases étaient la servilité, l'athéisme et l'équité approximative, c'est qu'il s'était senti dominé parla même nécessité de nivellement. S'il avait, enfin, soumis ses procédés d'administration à une balance compliquée , relâchée, mal équilibrée entre la mollesse et la violence , c'est que , dans l'intelligence des masses sujettes , il n'avait pas trouvé de se- cours pour étayer un régime plus noble. Nulle part n'existait désormais la moindre trace d'aucune compréhension des de-

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voirs sérieux. Les gouvernés n'étaient engagés à rien avec les gouvernants : faut-il donc accuser le chef, la tête de Fempire, de l'impuissance du corps (1)? Ses défauts, ses vices, ses fai- blesses, ses cruautés, ses oppressions , ses défaillances , iet, de nouveau, ses enivrements furieux de domination, ses efforts insensés pour faire descendre le ciel sur la terre , et le mettre sous les pieds de son pouvoir que personne n'imaginait jamais assez énorme, assez divinisé, entouré d'assez de prestige, assez obéi, qui, avec tout cela, ne pouvait parvenir à se don- ner simplement l'hérédité, toutes ces folies ne provenaient d'autre chose que de l'épouvantable anai'chie ethnique domi- nant cette société de décombres.

Les mots sont aussi impuissants à la rendre que la pensée, à se la figurer. Essayons pourtant d'en prendre une idée en ré- capitulant à grands traits les principaux, seulement les princi- paux alliages auxquels avaient abouti les décadences assyrienne, égyptienne, grecque, celtique, carthaginoise, étrusque, et les colonisations de l'Espagne, de la Gaule et de l'Illyrie ; car c'est bien de tous ces détritus que l'empire romain était formé. Qu'on se rappelle que dans chacun des centres que j'indique il y avait déjà des fusions presque innombrables. Qu'on ne perde pas de vue que, si la première alliance du noir et du blanc atait donné le type chamitique, l'individualité de^ Sémites, des plus anciens Sémites, avait résulté de ce triple hymen noir, blanc et encore blanc, d'où était sortie une race spéciale ; que cette race, prenant un autre apport d'éléments noir, ou blanc, ou jaune, s'était, dans la partie atteinte, modifiée de manière à former une nouvelle combinaison. Ainsi à l'infini; de sorte que l'espèce humaine, soumise à une telle variabilité de combi- naisons, ne s'était plus trouvée séparée en catégories distinctes. Elle l'était désormais par groupes juxtaposés, dont l'économie

(1) c. Toute nation a le gouvernement qu'elle mérite. De longues ré- « flexions et une longue expérience, payée bien cher, m'ont convaincu « de ceUe vérité comme d'une proposition de mathématiques. Toute « loi est donc inutile et même funeste (quelque excellente qu'elle « puisse être en elle-même), si la nation n'est pas digne de la loi et « faite pour la loi. » (Le comte de Maistre, Lettres et opuscules in- édits, t. I, p. 215.)

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DES RACES HUMAINES. 287

se dérangeait à chaque instant, et qui, changeant sans cesse de conformation physique , d'instincts moraux et d'aptitudes, présentaient un vaste égrenage d'individus qu'aucun sentiment commun ne pouvait plus réunir, et que la violence seule par- venait à faire marcher d'un même pas (1). J'ai appliqué à la période impériale le nom de sémitique. II ne faut pas prendre ce mot comme indiquant une variété humaine identique à celle qui résulta des anciens mélanges chaldéens et chamites. J'ai seulement prétendu indiquer que , dans les multitudes répan- dues avec la fortune de Rome sur toutes les contrées soumises aux Césars , la majeure partie était affectée d'un alliage plus ou moins grand de sang noir, et représentait ainsi , à des de- grés infinis, une combinaison, non pas équivalente, mais analo- gue à la fusion sémitique. Il serait impossible de trouver assez de noms pour en marquer les nuances innombrables et douées pourtant, chacune, d'une individualité propre que l'instabilité des aUiances combinait à tout moment avec quelque autre. Cependant, comme l'élément noir se présentait en plus grande abondance dans la plupart de ces produits, certaines des apti- tudes fondamentales de Tespèce mélanienne dominaient le monde, et l'on sait que, si, contenues dans de certaines limites d'intensité, et appariées avec des qualités blanches, elles ser- vent au développement des arts et aux perfectionnements in- tellectuels de la vie sociale, elles se montrent peu favorables à la solidité d'une civilisation sérieuse.

(1) Dans ce pêle-mêle les éléments septentrionaux étaient moins nom- breux sans doute que ceux qui provenaient des régions méridionale?. Ils méritent pourtant d'être remarqués plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Beaucoup d'esclaves de race wende étaient répandus en Italie comme en Grèce bien avant le dernier siècle de la république. Les noms donnés aux personnages serviles par les poètes de la nouvelle comé- die et par l'école latine de Plante et de Térence en font foi. On peut aussi attribuer à des Slaves romanisés certaines inscriptions, gravées sur des tombes ou sur des instruments, que Mommsen et Lepsius ont citées et que M. Wolanski a interprétées d'une manière exacte par le slave. Je crois seulement que Mommsen, comme M. Wolanski, attribue une antiquité beaucoup trop haute à ces monuments d'ailleurs cu- rieux en eux-mêmes. Voir Mommsen, Die unter-italischen DialeMe^ «t Wolanski, Schriftdenkmale der Slawen.

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288 DE L INEGALITE

Mais régrenage des races n'aboutissait pas uniquement à rendre impossible un gouvernement régulier, en détruisant les^ instincts et les aptitudes générales d'où seulement résulte la stabilité des institutions ; cet état de choses attaquait encore, d'une autre façon, la santé normale du corps social en faisant éclore une foule d'individualités pourvues fortuitement de trop^ de forces, et exerçant une action fimeste sur l'ensemble des groupes dont elles faisaient partie. Comment la société serait- elle restée assise et tranquille quand, à tout instant, quelque combinaison des éléments ethniques en perpétuelle pérégrina- tion et fusion créait en haut, en bas, au milieu de Féchelle, et plus souvent en bas qu'ailleurs , parce que il y a plus de place pour les appariements de hasard , des individualités qui naissaient armées de facultés assez puissantes pour agir, cha- cune dans un sens différent, sur leurs voisins et leurs contem- porains?

Dans les époques les races nationales se combinent har- monieusement, les hommes de talent jettent un plus vif éclat parce qu'ils sont plus rares, et ils sont plus rares parce que, ne pouvant, issus qu'ils sont d'une masse homogène , que repro- duire des aptitudes et des instincts très répandus autour d'eux, leur distinction ne vient pas du disparate de leurs fa- cultés avec celles des autres hommes , mais bien de l'opulence plus grande dans laquelle ils possèdent les mérites généraux. Ces créatures-là sont donc bien réellement grandes, et, comme leur pouvoir supérieur ne consiste qu'à mieux démêler les voies naturelles du peuple qui les entoure, elles sont comprises,, elles sont suivies et font faire, non pas des phrases brillantes, non pas même toujours de très illustres choses, mais des choses utiles à leur groupe. Le résultat de cette «oncordanue parfaite, intime, du génie ethnique d'un homme supérieur avec celui de la race qu'il guide, se manifeste par ceci, que, si le peuple est encore dans Fâge héroïque, le chef se confond plus tard, pour les annalistes, avec la population, ou bien la po- pulation avec le chef (1). C'est ainsi que l'on parle de FHer-

(1) Ainsi les récits mythologiques de la Grèce parlent des exploits^

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Cille Tyrien seul sans mentionner les compagnons de ses voya- ges, et, au rebours, dans les grandes migrations, on a oublié généralement le nom du guide pour ne se souvenir que de celui des masses conduites. Puis, lorsque la lumière de Tbis- toire, devenue trop intense, empêche de telles confusions, on a toujours bien de la peine à distinguer, dans les actions et les succès d'un souverain éminent, ce qui constitue son œuvre personnelle de ce qui appartient à l'intelligence de sa nation.

A de pareils moments de la vie des sociétés, il est très diffi- cile d'être un grand homme, puisqu'il n'y a pas moyen d'être un homme étrange. L'homogénéité du sang s'y oppose, et pour se distinguer du vulgaire il faut, non pas être autrement fait que lui, mais, au contraire, en lui ressemblant , dépasser tou- tes ses proportions. Quand on n'est pas très grand, on se perd toujours plus ou moins dans la multitude , et les médiocrités ne sont pas remarquées , puisqu'elles ne font que reproduire un peu mieux la physionomie commune. Ainsi les hommes d'élite demeurent isolés , comme le sont des arbres de haute futaie au milieu d'un taillis. La postérité, les découvrant de loin dans leur stature immense, les admire plus qu'elle ne fait leurs analogues à des époques les principes ethniques trop nombreux et mal amalgamés font sortir la puissance indivi- duelle de faits complètement différents.

Dans ces derniers cas, ce n'est plus uniquement parce qu'un homme a des facultés supérieures qu'il peut être déclaré grand. Il n'existe plus de niveau ordinaire ; les masses n'ont plus une manière uniforme de voir et de sentir. C'est donc tantôt parce que cet homme a saisi un côté saillant des besoins de son temps, ou bien même parce qull a pris son époque à rebours, qu'il se rend glorieux. Dans la première alternative, je recou-

d'Hercule sans jamais mentionner ses compagnons, et les chefs de dif- férents peuples voyageurs ne sont autres que la personnification des nations elles-mêmes; Leck ou Tschek, suivant les légendes, a dirigé les exploits des Lecks, Suap ceux des Souabes, Saxneat ceux des Saxons, Francus ceux des Franks, etc. (Schaffarik,, Slawische A lier- ihûmer, t. I, p. 23o.)

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nais César; dans la seconde, Sylla ou Julien. Puis, à la faveur d'une situation ethnique bien composite , des myriades de nuan- ces se développent au sein des instincts et des facultés hu- maines ; de chacun des groupes formant les masses , sort néces- sairement une supériorité quelconque. Dans l'état homogène, le nombre des hommes remarqués était restreint; ici, au sein d'une société formée de disparates , ce nombre se montre tout à coup très considérable, bigarré de mille manières, et de- puis le grand guerrier qui étend les bornes d'un empire jus- qu'au joueur de violon qui réussit à faire grincer d'une manière acceptable deux notes jusque-là ennemies, des légions de gens acquièrent la renommée. Toute cette cohue s'élance au-dessus des multitudes en perpétuelle fermentation , les tire à droite, les tire à gauche, abuse de leur impossibilité fatalement acquise de discerner le vrai, même d'avoir une vérité au-dessus d'elles, et fait pulluler les causes de désordre. C'est en vain que les supériorités sérieuses s'efforcent de remédier au mal : ou bien elles s'éteignent dans la lutte, ou bien elles ne parviennent, au prix d'efforts surhumains, qu'à bâtir une digue momentanée. A peine ont-elles quitté la place que le flot se désenchaîne et emporte leur ouvrage.

Dans la Rome sémitique, les natures grandioses ne manquè- rent pas. Tibère savait, pouvait, voulait et faisait. Yespasien, Marc-Aurèle, Trajan, Adrien , je compterais en foule les Césars dignes de la pourpre, mais tous, et le grand Septirae Sévère lui-même, se reconnurent impuissants à guérir le mal incura- ble et rongeur d'une multitude incohérente , sans instincts ni penchants définis , rebelle à se laisser diriger longtemps vers le même but, et pourtant affamée de direction. Trop imbécile pour rien comprendre d'elle-même, et d'ailleurs empoisonnée par les succès des coryphées infimes qui , se faisant un public d'abord, un parti ensuite, arrivaient à la fin il plaisait au ciel : plusieurs àd'éminents emplois, le plus grand nombre à la plantureuse opulence des délateurs , pas assez à l'échafaud. Il faut encore distinguer dans ces supériorités subalternes deux classes exerçant une action fort différente : Tune suivait la car- rière civile, l'autre prenait la casaque militaire, et entrait dans

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les camps. Je ne saurais faire de celle-là , au point de vue so- cial, que des éloges (1).

En effet, la nécessité unique, pour me servir de l'expression d'un antique chant des Celtes (2) , n'admet pour les armées qu'un seul mode d'organisation, le classement hiérarchique et l'obéissance. Dans quelque état d'anarchie ethnique que se trouve un corps social, dès qu'une armée existe, il faut sans biaiser lui laisser cette règle invariable. Pour ce qui concerne le reste de l'organisme politique, tout peut être en question. On y doutera de tout; on essayera, raillera, conspuera tout; mais, quant à l'armée, elle restera isolée au milieu de l'État, peut-être mauvaise quant à son but principal, mais toujours plus énergique que son entourage, immobile, comme un peuple facticement homogène. Un jour, elle sera la seule partie saine et partant agissante de la nation (3). C'est dire qu'après beau- coup de mouvement, de cris, de plaintes, de chants de triom- phe étouffés bientôt sous les débris de l'édifice légal, qui, sans cesse relevé , sans cesse s'écroule , l'armée finit par éclipser le reste, et que les masses peuvent se croire encore quelquefois

(4) On m'objectera les perturbations que les révoltes militaires amenèrent souvent dans l'empire. Je répondrai que l'armée, pouvant tout, abusa souvent, et que c'est un inconvénient de l'omnipotence; mais je renvoie au spectacle même de ces commotions, par exemple, aux luttes sanglantes des légions de Germanie contre les Flaviens dans Rome, pour qu'on ait à se convaincre que les soldats étaient, malgré leur brutalité, bien supérieurs en toute manière à la population civile. Je n'en veux pour gage que leur bizaiTe fidélité à Vitellius. (Tac, HisL, III.)

(2) La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, t. I, p. i.

(3) Toutefois l'armée n'aura de mérite réel , outre une plus grande subordination , ce qui est, après tout, une valeur négative, tout indis- pensable qu'elle soit, que si elle est composée de meilleurs éléments ethniques que le corps social auquel elle prête son appui. C'est pré- cisément ce qui arriva pour les légions de Rome, ainsi que je l'expose en lieu utile. De même, en notre temps, les troupes mantchoues sont certainement supérieures aux populations chinoises; mais, comme elles sont aussi recrutées un peu trop parmi ces populations, leur mérite* militaire laisse beaucoup à désirer. Ce qu'il y a d'excellent dans la loi des camps ne saurait neutraliser que dans une certaine mesure les mauvaises conséquences des mélanges.

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aux temps heureux de leur vigoureuse enfance les fonctions les plus diverses se réunissaient sur les mêmes têtes, le peuple étant l'armée, l'armée étant le peuple. Il n'y a pas trop à s'ap- plaudir, toutefois, de ces faux semblants d'adolescence au sein de la caducité; car, parce que l'armée vaut mieux que le reste, elle a pour premier devoir de contenir, de mater, non plus tes ennemis de la patrie , mais ses membres rebelles, qui sont ks masses.

Dans l'empire romain, les légions furent ainsi la seule cause de salut qui empêchât la civilisation de s'engloutir trop vite au milieu des convulsions sans cesse déterminées par le désordre ethnique. Ce furent elles seules qui fournirent les administra- teurs de premier rang , les généraux capables do maintenir le bon ordre, d'étouffer les révoltes, de défendre les frontières, et, bref, ces généraux étaient la pépinière d'où sortaient les empereurs, la plupart assurément moins considérables encore par leur dignité que par leurs talents ou leur caractère. La raison en est transparente et facile à pénétrer. Sortis presque tous des rangs inférieurs de la milice, ils étaient, par la vertu de quelque grande qualité , montés de grade en grade, avaient dépassé le niveau commun par quelque heureux effort, et, portés aux alentours du dernier et plus sublime degré, s'étaient mesurés avant de le franchir avec des rivaux dignes d'eux et sortis des mêmes épreuves. Il y eut des exceptions à la règle ; mais je tiens le catalogue impérial sous mes yeux, et je ne me laisserai pas dire que la majorité des noms ne confirme pas ce que j'avance.

L'armée était donc non seulement le dernier refuge, le der- nier appui, l'unique flambeau, l'âme de la société, c'était elle encore qui, seule, fournissait les guides suprêmes, et généra- lement les donnait bons. Par l'excellence du principe éternel sur lequel repose toute organisation militaire, principe qui n'est d'ailleurs que Timitation imparfaite de cet ordre admira- ble résultant de l'homogénéité des races, l'armée faisait tour- ner à l'avantage général le mérite de ses supériorités de pre- mier rang, et contenait l'action des autres d'une manière encore profitable par Tinfluence de la hiérarchie et de la disci-

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pline. Mais, dans l'ordre civil, il en était tout autrement : les choses ne s'y passaient pas si bien.

Là, un homme, le premier venu, qu'une combinaison for- tuite des principes ethniques accumulés dans sa famille rendait quelque peu supérieur à son père et à ses voisins, se mettait le plus souvent à travailler dans un sens étroit et égoïste, in- dépendant du bien social. Les professions lettrées étaient na- turellement la tanière se tapissaient ces ambitions, car là, pour captiver l'attention et agiter le monde, il n'est besoin que d'une feuille de papier, d'un cornet d'encre et d'un médiocre bagage d'études. Dans une société forte, un écrivain ou un ora- teur ne se mettent pas en crédit sans être d'une haute volée. Personne ne s'arrêterait à écouter des massacres, car tout le monde a sur chaque chose le même parti pris et vit dans une atmosphère intellectuelle plus ou moins délicate, mais toujours sévère. Il n'en est pas de même aux temps des dégénérations. Chacun ne sachant que croire , ni que penser, ni qu'admirer, écoute volontiers celui qui Tinterpelle , et ce n'est plus même ce que dit Thistrion qui plaît, c'est comme il le dit, et non pas s'il le dit bien, mais s'il le présente d'une manière nouvelle, et pas même nouvelle, mais bizarre, et pas toujours bizarre, seu- lement inattendue. De sorte que, pour obtenir les bénéfices du mérite , il n'est pas nécessaire d'en avoir, il suffît de l'affir- mer, tant on a affaire à des esprits appauvris, engourdis, dé- pravés, hébétés.

A Rome, depuis des siècles et à l'image de la Grèce crou- pissante, elle aussi, dans la période sémitique, la carrière de tout adolescent sans fortune et sans courage était celle du grammairien. Le métier consistait à composer des pièces de vers pour les riches, à faire des lectures publiques, à prêter sa plume aux factums, aux pétitions^ aux mémoires destinés aux curiales, voire aux préfets des provinces. Les téméraires ris- quaient des libelles, au risque de voir quelque jour leur dos et leur muse ressentir la mauvaise humeur d'un tribunal peu littéraire (1). Beaucoup encore se faisaient délateurs. La plu-

(1) Suet. , Dow. , 8 : o Scripta famosa, vulgoque édita, quibus pri-

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part de ces grammairiens menaient la vie d'Encolpe et d*As- €ylte, héros débraillés du roman de Pétrone. On les rencon- trait dans les bains publics, pérorant sous les colonnades (1), chez les personnes qui donnaient à souper, et plus régulière- ment dans les maisons de débauche , dont ils étaient les hôtes habituels et souvent les introducteurs. Ils menaient cette vie capricieuse et déboutée que l'euphémisme moderne appelle la vie d'artiste ou de bohème (2). Ils s'introduisaient dans les fa- milles opulentes à titre de précepteurs , et n'y donnaient pas toujours à leurs élèves les meilleures leçons de morale (3).

Plus tard, ceux qui ne s'arrêtaient pas aux débuts de cette existence de fantaisie, soit plus heureux, soit plus habiles, devenaient professeurs publics, rhéteurs patentés dans quel- que municipe (4). Alors ils se gourmaient en fonctionnaires, et ajoutaient un commentaire de leur façon aux milliers de glo- ses déjà publiées sur les auteurs. De cette catégorie sortaient les simples pédants ; ceux-là se mariaient et tenaient leur place au sein de la bourgeoisie. Mais le plus grand nombre ne se faisait pas jour dans ces fonctions laborieuses et enviées, bien que modestes ; il fallait donc continuer à vivre en dehors des classifications sociales. Avocats, rien ne distinguait les débu-

« mores viri ac feminse nptabantur, abolevit non sine auctorum « ignominia. »

(1) Bormanni, T. Petron. , Satyr., VI : « Ingens scholasticorum turba « in porticum venit. »

(2) Ibid. , X : « Quid ego , homo stultissime , facere debui , quum famé « morerer?... multo me turpior es tu, hercule, qui, ut foris cœnares, « poetam laudasti. Itaque ex turpissima lite in risum diffusi, pacatius « ad reliqua secessimus. »

(3) Ibid. , LXXXV.

(4) Ce furent les méthodes d'enseignement adoptées par ces éduca- teurs d'enfants dont un personnage de Pétrone , rhéteur lui-même, parle en ces termes : « Et ideo ego adolescentulos existimo in scholiis stul- « tissimos fieri, quia nihil ex iis qu» in usu habemus aut audiuiit a aut vident. Sed piratas cum catenis in liUore stantes et tyrannos * edicta scribentes quibus imperent filiis, ut patrum eorum capiia <i praecidant; sed responsa in pestilentia data ut virgines très aut « plures immolentur; sed mellilos verborum globulos el omnia dicta, « factaque quasi papavere et sesàmo sparsa. » (T. Petronii A,. Sa- iyricon, I.)

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À

DES BACES HUMAINES. 295

tants romains des hommes de même profession dans tous les temps et tous les pays (1), Ceux qui savaient marquer par l'é- clat de leur parole ou la solidité de leur doctrine sortaient des barreaux obscurs et pouvaient prétendre aux augustes fonc- tions du prétoire. Plus d'un héros s'est trouvé parmi ceux-là. Les autres se nourrissaient de procès et gonflaient les basili- ques de sophismes et d'arguties (2). Mais l'avocature , le pro- fessorat , le métier de libelliste ,. ce n'était pas ce qui attirait surtout la foule des lettrés, c'était la profession de philosophe. On ne distinguait plus guère, quant aux mœurs, les différen- tes écoles : philosophe était l'homme portant barbe, besace et manteau à la grecque. Fût-il dans les montagnes extrêmes de la Mauritanie, un manteau à la grecque était indispensable au vrai sage. Un tel vêtement donnait infailliblement cet air capable qui attirait le respect des amateurs. Du reste, on était platonicien, pyrrhonien, stoïcien, cynique ; on développait sous les portiques des villes les doctrines de Proclus, de Fronton ou, plus souvent, de leurs commentateurs, aujourd'hui ignorés, alors à la mode, peu importait ; l'essentiel était de savoir occu- per les oisifs et mériter Tadmiration du citadin, le mépris du soldat (3). La plupart de ces philosophes étaient des athées

(1) Petron., Satyr.^ XV : « Advocati , tamen, jam pêne nocturni , qui « volebant pallium lucrifacere , flagitabant, uti apud se utraque de- « ponerentur, ac postero die judex querelam inspiceret... Tarn se- » questri placebant, et nescio quis ex concionibus, cal vus, tuberosis- <' simae frontis, qui solebat aliquando et caussas agere, invaserat « pallium, exhibiturunique crastino die adfirmabat. »

(2) Petron., Satyr., V :

Det primos versibus annos, Maeoniumque bibat felici pectore fontem; BIox et Sôcratico plenus grege, mutet habenas Liber et ingentis quatiat magni Demosthenis arma.

(3) Petron. , Satyr. , III : « Minimum in his exercitationibus doclores 0 peccant, qui necesse habent cum insanientibus furere. Nam, nisi « dixerint quae adolescentuli probent, ut ait Cicero, soli in scholiis « relinquentur; sicut ficU adulatores, quum cœnas divitum captant, « nihil prius meditantur quam id quod pulant gratissimum auditoribus « fore (née enim aliter impetrabunt, quod petunt, nisi quasdam « insidias auribus fecerint) : sic eloquentiae magister, nisi, tanquam

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confirmés, et prêchaient des doctrines qui menaient là, ou pas loin. Quelques-uns, doués d'une éloquence hors ligne, par- venaient à plaire aux grands personnages , et , vivant à leurs frais , agissaient sur leurs résolutions ou sur leur conscience. Beaucoup, après avoir professé qu'il n'y avait pas de Dieu, ne trouvant pas leur métier assez lucratif, se faisaient isiaques, ou prêtres de Mithra , ou desservants d'autres divinités asiati- ques découvertes par eux et qu'ils avaient l'air d'inventer. C'é- tait le goût dominant dans les hautes classes que d'aller jeter à la tête d'idoles, inconnues la veille, des flots d'adoration su- perstitieuse qui ne savaient plus se répandre, depuis que les cultes réguliers n'étaient pas moins discrédités par la mode que les autres traditions nationales. Tous ces philosophes, tous ces savants, tous ces rhéteurs sémitisés étaient le plus souvent gens d'esprit. Ils tenaient généralement dans un coin de leur cervelle un système propre à régénérer le corps social ; mais, par un malheur fâcheux et qui paralysait tout, autant de têtes, autant d'avis , de sorte que les multitudes dont ils rêvaient de régler la vie intellectuelle se plongeaient de plus en plus, avec eux, dans un chaos inextricable.

Puis , effet naturel de rabaissement des puissances ethniques et de l'énervement des races fortes , les aptitudes littéraires et artistiques avaient été chaque jour déclinant. Ce qu'on était contraint, par pauvreté, de considérer comme mérite, de- venait très misérable. Les poètes ressassaient ce qu'avaient dit et redit les anciens. Bientôt le suprême talent se borna à copier d'aussi près que possible la forme de tel ou tel classique. On en arriva à s'extasier sui* les centons. Le métier poétique en devint plus difficile. La palme appartenait à qui savait com- poser le plus de vers possible avec des hémistiches pris à Vir- gile ou à Lucain. De théâtres, depuis longtemps, plus l'ombre. Les mimes jadis avaient détrôné la comédie ; les acrobates , les gladiateurs , les coqs et les courses de chars avaient fait taire les mimes.

a piscator, eam imposuerit hamis escam, quam scierit appetituros. « esse pisciculos, sine spe prsedae moralur in scopulo. »

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La sculpture et la peinture eurent le même sort : ces deux arts se dégradèrent. D'un public sans idées il ne sortait plus de vrais artistes. Veut-on savoir dans quel genre d'écrits se réfugia la dernière étincelle de composition originale? Dans l'histoire: et par qui fut-elle le mieux écrite? Par des militai- res. Ce furent des soldats qui, surtout, rédigèrent l'Histoire Auguste. En dehors des camps , il y eut aussi sans doute des écrivains de génie et d'une rare élévation, mais ceux-là étaient inspirés par un sentiment surhumain , illuminés d'une flamme qui n'est pas terrestre : ce furent les Pères de l'Église.

On arguera peut-être, des œuvres de ces grands hommes» que, malgré ce qui précède, il était encore des cœurs fermes et honnêtes dans l'empire. Qui le nie? Je parle des multitudes, et non des individualités. Bien certainement, au milieu de ces flots de misère , il subsistait encore çà et , nageant dans le vaste gouffre , les plus belles vertus, les plus rares intelligen- ces. Ces mêmes conjonctions fortuites d'éléments ethniques dispersés créaient, et , comme je l'ai remarqué dans le premier volume (1), en nombre même très considérable, les hommes les plus respectables par leur intégrité solide, leurs talents innés ou acquis. On en trouvait quelques-uns dans les sénats,, on en voyait sous la saie des légionnaires , il s'en rencontrait à la cour. L'épiscopat, le service des basiliques, les réunions monacales en nourrissaient en foule, et déjà d'ailleurs des ban- des de martyrs avaient certifié de leur sang que Sodome conte- nait encore bien des justes.

Je ne prétends pas contredire cette évidence; mais, je le de- mande, à quoi tant de vertus, à quoi tant démérites, à quoi tant de génie servaient-ils au corps social? Pouvaient-ils d'une minute arrêter sa pourriture? Non; les plus nobles esprits ne convertissaient pas la foule, ne lui donnaient pas du cœur. Si les Chrysostome et les Hilaire rappelaient à leurs contemporains l'amour de la patrie , c'était de celle d'en haut; ils ne songeaient plus à la misérable terre que foulaient leurs sandales. Assuré- ment on eût pu dénombrer beaucoup de gens de vertu qui,

(1) Voir tome I".

17.

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trop persuadés de leur impuissance , ou bien vivaient de leur mieux en sachant s'accommoder au tenaps, ou bien, et c'étaient les plus noblement inspirés , abandonnaient le monde à sa dé- crépitude et s'en allaient demander à la pratique de l'héroïsme catholique et au désert le moyen de se dégager sans faiblesse d'une société gangrenée. L'armée encore était un asile pour ces âmes froissées , un asile l'honneur moral se conservait sous l'égide fraternelle de l'honneur militaire. Il s'y trouva en abon- dance des sages qui, le casque en tête, le glaive au côté et la lance à la main, allèrent par cohortes, sans regrets, tendre la gorge au couteau du sacrifice.

Aussi, quoi de plus ridicule que cette opinion, cependant consacrée , qui attribue à l'invasion des barbares du Nord la ruine de la civilisation! Ces malheureux barbares, on les fait apparaître au siècle comme des monstres en délire qui, se précipitant en loups affamés sur l'admirable organisation ro- maine , la déchirent pour déchirer, la brisent pour briser, la ruinent uniquement pour faire des décombres!

Mais , en acceptant même , fait aussi faux qu'il est bien ad- mis, que les Germains aient eu ces instincts de brutes, il n'y avait pas de désordres à inventer au siècle. ""Tout existait déjà en ce genre; d'elle-même, la société romaine avait aboli depuis longtemps ce qui jadis avait fait sa gloire. Rien n'était comparable à son hébétement, sinon son impuissance. Du génie utilitaire des Étrusques et des Rymris Italiotes , de l'imagina- tion chaude et vive des Sémites , il ne lui restait plus que l'art de construire encore avec solidité des monuments sans goût , et de répéter platement , comme un vieillard qui radote , les belles choses autrefois inventées. En place d'écrivains et de sculpteurs , on connaissait plus que des pédants et des ma- çons , de sorte que les barbares ne purent rien étouITer, par ce concluant motif que talents, esprit, mœurs élégantes, tout avait dès longtemps disparu (1). Qu'était, au physique et au

(1) Au temps de Trajan , on avait déjà contracté Thabitude de se servir clés anciennes statues pour glorifier les contemporains. On se con- tentait de changer les têtes , ce qui épargnait beaucoup de peine et d'invention. Voir, entre autres, la statue de Plotine, du musée du

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A

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moral, un Romain du iii^, du iv®, du siècle? Un homme de moyenne taille, faible de constitution et d'apparence, gé- néralement basané, ayant dans les veines, un peu du sang de toutes les races imaginables ; se croyant le priemier homme de l'univers, et, pour le prouver, insolent, rampant, ignorant, voleur, dépravé, prêt à vendre sa sœur, sa fille, sa femme, son pays et son maître , et doué d'une peur sans égale de la pauvreté , de la souffrance , de la fatigue et de la mort. Du reste, ne doutant pas que le globe et son cortège de planètes n'eussent été faits pour lui seul.

En face de cet être méprisable, qu'était-ce que le barbare? Un homme à blonde chevelure , au teint blanc et rosé, large d'épaules, grand de stature, vigoureux comme Alcide, témé- raire comme Thésée, adroit, souple, ne craignant rien au monde, et la mort moins que le reste. Ce Léviathan possédait sur toutes choses des idées justes ou fausses, mais raisonnées, intelligentes et qui demandaient à s'étendre. Il s'était, dans sa nationalité, nourri Tesprit des sucs d'une religion sévère et raffinée , d'une politique sagace , d'une histoire glorieuse. Ha- bile à réfléchir, il comprenait que la civilisation romaine était plus riche que la sienne, et il en cherchait le pourquoi. Ce n'était nullement cet enfant tapageur que l'on s'imagine d'or- dhiaire, mais un adolescent bien éveillé sur ses intérêts posi- tifs , qui savait comment s'y prendre pour sentir, voir, com- parer, juger, préférer. Quand le Romain vaniteux et misérable opposait sa fourberie à l'astuce rivale du barbare , qui décidait la victoire ? Le poing du second. Tombant comuie une masse de fer sur le crâne du pauvre neveu de Rémus , ce poing mus- culeux lui apprenait de quel côté était passée la force. Et com- ment alors se vengeait le Romain écrasé ? Il pleurait, et criait d'avance aux siècles futurs de venger la civilisation opprimée

Louvre, 692. (Clarac, Manuel de l'Histoire de VArt, 1'* partie, p. 238.) Pétrone parle plusieurs fois de la profonde décadence des arts et surtout de la peinture, causée par l'amour exclusif que ses contemporains avaient pour le lucre : « Noiito ergo mirari , si pictura « déficit, quum omnibus diis hominibusque formosior videatur massa « auri, quam quidquid Apelles, Phidiasve, Graeculi délirantes, fe- « cerunt. » {Satyr. , LXXXix.)

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300 DE L*INÉGALÏTÉ

en sa personne. Pauvre vermisseau ! il ressemblait au contem- porain de Virgile et d'Auguste comme Schylock au roi Salo^- mon.

Le Romain mentait, et ceux qui, dans le monde moderne, par haine de nos origines germaniques et de leurs conséquen- ces gouvernementales au moyen âge, ont amplifié ces hâ- bleries , n'ont pas été plus vérîdiques.

Bien loin de détruire la civilisation, Thomme du Nord a sauvé le peu qui en survivait. Il n'a rien négligé pour restaurer ce peu et lui rendre de l'éclat. C'est son intelligente sollicitude qui nous l'a transmis, et qui , lui donnant pour protection son, génie particulier et ses inventions personnelles, nous a appris à en tirer notre mode de culture. Sans lui, nous ne serions rien. Mais ses services ne commencent pas là. Bien loin d'at- tendre l'époque d'Attila pour se précipiter, torrent aveugle et dévastateur, sur une société florissante , il était déjà depuis cinq cents ans l'unique soutien de cette société chaque jour plus caduque et plus avilie. A défaut de sa protection, de son bras , de ses armes , de son talent de gouverner, elle serait tombée , dès le ii® siècle , au point misérable la réduisit Alaric, le jour qu'il culbuta si justement d'un trône ridicule Tavorton qui s'y prélassait. Sans les barbares du Nord , la Rome sémitique n'aurait pu maintenir la forme impériale qui la fit subsister, parce qu'elle ne serait jamais parvenue à créei' cette armée qui seule conserva le pouvoir, lui recruta ses sou- verains, lui donna ses administrateurs, et, çà et là, sut allu- mer encore les derniers rayons de gloire qui enorgueillirent sa vieillesse.

Pour tout dire et sans rien outrer, presque tout ce que la Rome impériale connut de bien sortit d'une source germani- que. Cette vérité s'étend si loin que les meilleurs laboureurs de Tempire, les plus braves artisans, on pourrait l'affirmer, fu- rent ces lètes barbares colonisés en si grand nombre dans les Gaules et dans toutes les provinces septentrionales (1)..

(1) Suivant Grimm, Deutsche Rechtsalterth., p. 305 et pass., les lètes formaient une classe intermédiaire entre les hommes libres et les-

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Quand enfin les nations gothiques vinrent en corps exercer un pouvoir qui, depuis des siècles, appartenait à leurs compa- triotes, à leurs enfants mal romanisés, furent-elles coupables d'une révolution inique? Non; elles saisirent avec justice les fruits mûris par leurs soins, conservés par leurs labeurs, et que l'abâtardissement des races romaines laissait par trop cor- rompre. La prise de possession des Germains fut l'œuvre lé- gitime d'une nécessité favorable. Depuis longtemps la démo- cratie énervée ne subsistait que grâce à la délégation perpétuelle du pouvoir absolu aux mains des soldats. Cet arrangement avait fini par ne plus suffire , l'abaissement général était de- venu trop grand. Dieu alors, pour sauver l'Église et la civili- sation, donna au monde ancien, non plus une troupe, mais des nations de tuteurs. Ces races nouvelles , le soutenant et le pétrissant de leurs larges mains , lui firent subir avec plein succès le rajeunissement d'Éson. Rien de plus glorieux dans les annales humaines que le rôle des peuples du Nord ; mais , avant de le caractériser avec l'exactitude qu'il exige , avant de montrer combien on a eu tort de clore la société romaine au jour des grandes invasions, puisqu'elle vécut encore longtemps après sous Fégide des envahisseurs, il convient de faire un temps d'arrêt et de rechercher ime dernière fois ce que la réu- nion des anciens éléments ethniques du monde occidental, dans le vaste bassin de la romanité, avait, en définitive, of- fert de neuf à l'univers. On doit donc se demander si le colon romain avait su remanier de telle sorte ce que lui avaient lé- gué les civilisations précédentes, qu'il en ait fait sortir des prin- cipes inconnus jusqu'à lui, et constituant ce qu'on aurait droit d'appeler une civilisation romaine.

La question posée, qu'on entre dans les champs d'observa-

esclaves. Schaflfarik (t. I, p. 2G1 , note 1) les considère comme descendus originairement des Lettes, LeUons ou Lithuaniens. Le mot allemand, Leute, auquel M. Aug. Thierry rapporte cette étymologie, n'en 'serait que le dérivé. On disait lœti Franci, laeti Batavi, lœli Suevi, etc., probablement pour indiquer l'origine de ces différents létes. (Gué- rard, Polyptiqiie d'Irminon, t. I, p. 251. Revue des Deux-Mondes, l«f mars i8^i2, p. 934 et 948.)

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302 DE l'INÉ« ALITÉ .

tion qu'elle ouvre aussitôt, vastes champs, démesurés comme les territoires ajoutés les uns aux autres qu'elle fait parcourir aux yeux. Tous sont déserts. Rome, n'ayant jamais eu de race originale, n'a jamais élaboré non plus une pensée qui le fût. L'Assyrie avait une empreinte particulière ; l'Egypte, la Grèce, l'Inde et la Chine de même. Les Perses avaient jadis dévoilé des principes aux regards des populations maîtrisées par leur glaive. Les Celtes, les aborigènes italiotes, les Étrusques pos- sédèrent également leur patrimoine, à la vérité peu brillant, peu digne d'exciter l'admiration, mais réel, mais solide, mais positif et bien caractérisé.

Rome attira à elle un peu, un coin, un lambeau de toutes ces créations, à des moments elles étaient déjà vieillies, sa- lies, usées, à peu près hors de service. Dans ses murs, elle ins- talla, non pas un atelier de civilisation , d'un génie supé- * rieur, elle ait jamais travaillé des œuvres frappées d'un cachet qui lui fût propre, mais un magasin d'oripeaux elle entassa sans choix tout ce qu'elle déroba sans peine à l'impuissante vieillesse des nations de son temps. Imposante comme la fit la faiblesse de ses entours, elle ne le fut jamais assez pour com- biner quoi que ce soit de général, ne fût-ce qu'un compromis étendu partout et à tout. Elle ne l'essaya même pas. Dans les localités diverses, elle laissa la religion, les mœurs, les lois, les constitutions politiques, à peu près comme elle les avait trou- vées, se contentant d'énerver ce qui aurait pu gêner le contrôle donvnateur que la nécessité la portait à se réserver.

Conduite par ce mobile unique, il lui fallut cependant déro- ger parfois plus gravement à ses habitudes d'inerte tolérance.

L'étendue de ses possessions constituait un fait qui, à lui seul, créait une situation et des obligations nouvelles. Ce fut donc 5ur ce terrain que, bon gré, mal gré, elle eut à montrer son savoir faire. Il fut petit. Elle inventa très peu; elle agit à la façon du jardinier qui taille les orangers et les buis de manière à leur faire prendre certaines formes , sans s'inquiéter autre- ment des lois naturelles qui dirigent la croissance de ces ar- bres.

L'action particulière de Rome se renferma dans Tadministra-

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tion et le droit civil (1). Je ne sais jusqu'à quel point il serait jamais possible, en se bornant à ces deux spécialités, de donner naissance à des résultats réellement civilisateurs dans le sens large du mot. La loi n'est que la manifestation écrite de l'état des mœurs. C'est un des produits majeurs d'une civilisation, ce n'est pas la civilisation elle-même. Elle n'enrichit pas ma- tériellement ni intellectuellement mie société; elle réglemente l'usage de ses forces, et son mérite est d'en amener une meil- leure dispensation ; elle ne les crée pas. Cette définition est incontestable chez les nations homogènes. Toutefois il faut avouer qu'elle ne se présente pas d'une manière aussi claire, aussi immédiatement évidente, dans le cas particulier de la loi romaine. Il se pourrait, à la rigueur, que les éléments de ce code recueillis chez une multitude de nations vieillies , et partant expérimentées, résumassent une sagesse plus générale que ne faisait chacune des législations antérieures en son par- ticulier, et de la constatation théorique de cette possibilité, on est facilement induit à conclure, sans y regarder de plus près, qu'en effet elle s'était réalisée dans la loi romaine. C'est l'opi-. nion généralement reçue aujourd'hui. Cette opinion admet,, fort à la légère, que le droit impérial découle d'une conception d'équité abstraite, dégagée de toute influence traditionnelle , hypothèse parfaitement gratuite. La philosophie du droit ro- main, comme la philosophie de toutes choses, a été faite après coup. Elle a surtout été inspirée par des notions complètement étrangères à l'antiquité, et qui eussent grandement surpris les légistes aux œuvres desquels elle se rattache.

Pour être nombreuses, les sources de cette jurisprudence ne sont pas infinies, et elles sont très positives. Les doctrines analytiques ont les influencer ; mais ces doctrines elles-mê- mes, n'étant que des émanations de l'esprit italiote ou de l'ima- gination hellénistique, ne pouvaient rien y introduire de plus général. Quant au christianisme, il a été bien peu deviné par les juristes , car un des caractères remarquables de leur mo- nument, c'est l'indifférence religieuse. Certainement une telle

(I) Tu, regere imperio populos, Romane, mémento.

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donnée est des plus antipathiques aux tendances naturelles de l'Église, et elle Ta témoigné par la manière dont elle a réformé le droit romain, en en faisant le droit canonique.

Rome, étrangère dans ses propres murs, ne put, dès son ori- gine, jamais avoir que des lois empruntées. Dans sa toute pre- mière période, sa législation était modelée sur celle du Latium, et, lorsque les Douze Tables furent instituées pour répon- dre aux vues d'une population déjà composite, on y conserva quelques stipulations anciennes en les soutenant par une dose suffisante d'articles choisis dans les codes de la Grande-Grèce. Mais ce n'était pas encore satisfaire aux besoins d'une nation qui changeait à tout moment de nature et , par conséquent, de visées. Les immigrants abondant dans la Ville ne voulaient pas de cette compilation des décemvirs , étrangère en tout ou en partie à leurs idées nationales de justice. Les anciens habitants, qui, de leur côté, ne pouvaient modifier leur loi avec la même rapidité que leur sang , instituèrent un magistrat spécial chargé de régler les conflits entre les étrangers et les Romains, et les étrangers entre eux. Ce magistrat, le prxtor peregrinus^ eut pour obligation distinctive de prendre sa jurisprudence en dehors des dispositions des Douze Tables.

Quelques auteurs, trompés par la faveur dont jouissait, aux derniers temps de la république , la qualité de citoyen romain parmi les populations soumises, ont cru que cette préoccupa- tion avait toujours existé , et ils l'ont supposée à tort pour les époques antérieures. C'est une faute grave. La concession du droit latin ou italiote n'était pas, à l'origine, une marque d'in- fériorité laissée par le sénat à ses vaincus. C'était, tout au con- traire, un acte dicté par une prudente réserve vis-à-vis de peuples qui voulaient bien se soumettre à la suprématie politi- que des Romains, m^is non pas à leur système juridique. Ces nations tenaient à leurs coutumes. On les leur laissa, et le prxtor peregrinus, qui devait juger ceux de leurs citoyens domiciliés dans la Ville, n'eut pas pour mission, en laissant de côté la loi locale , de chercher dans son imagination un idéal fantastique d'équité, mais d'appliquer de son mieux ce qu'il connaissait des principes de la justice positive en usage chez les

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À

DES BACES HUMAINES. 30S

Italiotes , les Grecs , les Africains , les Espagnols , les Gaulois amenés , pour la protection de leurs intérêts , devant son tri- bunal.

Et, en effet, si ce magistrat avait faire appel à sa force d'invention, celle-ci se fût adressée aussitôt à sa conscience. Or il était Romain, il avait les notions de son pays sur le juste et l'injuste; il eût argumenté en Romain et, tout couramment, appliqué les prescriptions des Douze Tables, les plus belles du monde à ses yeux. C'était précisément ce qu'il lui était com- mandé d'éviter. Il n'existait que pour ne pas prononcer ainsi. Il était donc tout naturellement forcé de s'enquérir des idées de ses justiciables, de les évudier, de les comparer, de les ap- précier, et de tirer, pour son usage , des résultats de cette re- cherche, une conviction officielle, qui devenait pour lui le droit naturel, le droit des gens, \ejus gentium. Mais ce pot pourri de doctrines positives ainsi combiné par un individu isolé, aujour- d'hui magistrat, demain néant, n'avait rien d'évidemment juste et vrai. Aussi changeait-il avec les préteurs. Chacun d'eux arrivait en charge avec le sien, qui était contredit au bout de l'année d'exercice par celui d'un autre. Suivant que tel ou tel juge comprenait ou connaissait mieux telle législation étrangère, celle d'Athènes ou de Corinthe, de Padoue ou de Tarente, c'était la coutume d'Athènes, de Corinthe, de Padoue , ou de Tarente qui composait la meilleure part de ce que, cette année-là, on nommait à Rome le droit des gens.

Quand le mélange romanisé fut à son comble, on s'ennuya avec raison de cette indigente mobilité. On força lesprœtores peregrini à juger d'après des règles fixes, et, pour se procurer ces règles, on eut recours à la seule ressource admissible : on étudia, compila, amplifia des articles de lois pris dans tous les codes dont on put acquérir connaissance, et l'on produisit ainsi une législation sans nulle originalité, une législation qui ressemblait parfaitement aux races métisses et épuisées qu'elle était appelée à régir, qui avait gardé quelque chose de toutes, mais quelque chose d'indécis, d'incertain, d'à peine reconnais- sable, et qui, dans cet état, se trouva convenir si bien à Fen- semble de la société qu'elle étouffa l'esprit sabin resté dans les

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Douze Tables, s'incorpora ce qu'elle en put conserver, peu de chose, et étendit son empire de toutes parts jusqu'aux points ou finissaient les voies romaines dans le dernier avant-poste des légions.

Pourtant une objection subsiste. Les grands légistes de la belle époque n'ont-ils pu réussir à extraire de tous ces lam- beaux disparates , de tous ces membres arrachés à des codes souvent antipathiques, un suc tout nouveau devenu l'élément vital de ce corps de doctrines si laborieusement combiné , et donner à son ensemble une valeur que ses parties n'avaient pas? Je répondrai que les plus éminents parmi les jurisconsultes ne s'appliquèrent pas à cette tâche. Pour la remplir, il leur aurait fallu sortir non seulement d'eux-mêmes , mais surtout de la société qui les absorbait. C'est une figure de rhétorique que de dire qu'un homme est plus grand que son siècle; il n'est donné à personne d'avoir des yeux si perçants qu'ils dépassent l'horizon. Le nec plus ultra du génie consiste à bien voir tout ce que cet horizon renferme. Les hommes spéciaux ne pou- vaient acquérir et n'eurent de notions que celles existant au- tour d'eux. Il ne leur était pas loisible de prêter à leurs travaux une originalité qui ne s'offrait nulle part. Ils firent merveille dans l'appropriation des matériaux dont ils disposaient, dans l'art d'en tirer les conséquences pratiques que les plus subtils replis du texte pouvaient renfermer. Voilà ce qui les a faits grands, rien de plus, et c'est assez.

Mais, ajoutent quelques-uns, oubliez-vous ce suprême éloge mérité par le droit romain : son universalité? Qu'est-ce à dire? Il fut universel dans l'empire romain, oui. Il fut, il est en haute estime chez les peuples romanisés de tous les temps, j'en con- viens. Mais, en dehors de ce cercle, nul esprit n'a jamais mon- tré la moindre velléité de l'admettre. Lorsqu'il régnait avec toute sa plénitude sous la protection des aigles, il n'a pas fait une conquête hors de ses frontières. Les Germains l'ont vu pratiquer, l'ont même protégé chez leurs sujets, et ne l'ont ja- mais pris. Une grande partie de l'Europe actuelle, l'Améri- que, l'étudient et ne l'adoptent pas. Que , dans les écoles , tel docteur lui voue son admiration, c'est une question de contro-

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verse; mais, en mille endroits, en Angleterre, en Suisse, dans telles contrées de l'Allemagne, les mœurs le repoussent. En France même et en Italie, on ne saurait l'accepter sans des modifications profondes. Ce n'est donc pas la raison écrite, comme on l'a dit ambitieusement. C'est la raison d'un temps,, d'un lieu, vaste sans doute, mais loin de l'être autant que la terre. C'est la raison spéciale d'une agglomération d'hommes, et nullement de la plupart des hommes; en un mot, c'est une loi locale , comme toutes celles qui furent jusqu'ici. Ce n'est donc^ en aucune manière, une invention qui mérite le nom d'universelle. Elle n'est pas suffisante pour se gagner toutes les consciences et réglementer tous les intérêts humams. Dès lors, puisqu'elle est si loin de pouvoir revendiquer avec justice un tel caractère ; puisque, d'ailleurs, elle ne contenait rien qui ne provienne d'une source qui, dans sa pureté, n'appartenait pas à Rome; puisqu'elle n'a rien d'entier, de vivant, d'original, la 4oi romaine ne se trouve pas douée d'une action civilisatrice plus puissante que celle des autres législations. Elle ne fait donc pas exception , elle n'est qu'un résultat et non pas une cause de culture sociale ; elle ne saurait en aucune façon servir à caractériser une civilisation particulière.

Si le droit était ainsfdénué de principes vraiment nationaux, on en peut dire tout autant de l'administration, je l'ai montré ailleurs, et ce qu'on blâme aujourd'hui, avec tant de raison, dans les empires asiatiques modernes, cette indifférence profonde pour le gouverné, qui ne connaît le gouvernant et n'est connu de lui qu'à l'occasion de l'impôt et de la milice, existait absolument au même degré dans la Rome républicaine et dans la Rome im- périale. La hiérarchie des fonctionnaires et leur manière de pro- céder étaient semblables, avec une nuance de despotisme de plus, à celle qui régissait les Perses, modèle que les Romains ont imité beaucoup plus souvent qu'on ne l'a dit. Du reste, l'admi- nistration comme la justice civile restaient soumises, dans la pratique, aux notions de moralité communément reçues. C'est sur ces points que l'on reconnaît le mieux combien l'empire des Césars est loin d'avoir rien produit de nouveau, d'avoir mis en circulation une idée ou un fait qui ne lui fût pas antérieur.

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Un honnête homme romain, je l'ai dit en phis d'un lieiv n'était pas, très certainement, un phénix introuvable (1). Dans toutes les situations sociales, on rencontrait en abondance, au déclin de Tempire , de beaux et nobles caractères naturelle- ment portés au bien et ne demandant pas mieux que de le faire. Mais l'honnête homme, dans toute société, se dirige en vue de l'idéal particulier créé par la civilisation au centre de laquelle il se trouve. Le vertueux Hindou , le Chinois intègre,. l'Athénien de bonnes mœurs , sont des types qui se ressem- blent surtout dans leur volonté commune de bien agir, et, de même que les différentes classes, les différentes professions, ont des devoirs spéciaux qui souvent s'excluent , de même créature humaine est partout dominée, suivant les milieux qu'elle occupe, par une théorie préexistante au sujet des per- fections dignes d'être recherchées. Le monde romain subissait cette loi comme les autres; il avait, comme eux, son idéal du bien. Scrutons-le, et voyons s'il contenait ce principe nouveau que nous poursuivons , et qui jusqu'à ce moment nous a tou- jours échappé.

Hélas ! il en est ici de même que lorsqu'il s'est agi de la lé- gislation ; on n'aperçoit que des doctrines empruntées et écour^ tées. Tout ainsi que la philosophie venait en grande partie des Grecs, et n'abonda plus particulièrement vers le stoïcisme, dogme , en définitive , malgré ses beaux semblants , grossier et stérile, que sous l'influence du sang celtique-italiote, de même les vertus sabines, graduellement sémitisées, ne recelèrent rien que de très connu des premières races européennes. Le plus honnête homme et le plus doux ne croyait pas mal faire en ex- posant sa progéniture. Il eût estimé duperie et démence de pratiquer ou seulement de ressentir ces beaux mouvements d'abnégation qui font la base de la morale germanique et che- valeresque, et dont le christianisme tira si grand parti. J'ai beau regarder, je ne vois pas se développer dans la société ro- maine un seul sentiment, une seule idée morale dont je ne puisse retrouver l'origine, soit dans rancienne rudesse des abo-

(1) Voir lome P^

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Tigènes, soit dans la culture utilitaire des Étrusques, soit dans le raffinement composite des Grecs sémitisés, soit dans la spi- Tituelle férocité de Carthage et de FEspagne.

La tâche de Rome ne fut donc pas de donner au monde une floraison de nouveautés. L'immense puissance qui s'accumula dans ses mains ne produisit aucune amélioration, tout au con- traire. Mais si Ton veut parler d'éparpillement de notions et de croyances, alors il faut tenir un bien autre langage. Rome exerça dans ce sens une action vraiment extraordinaire. Seuls, les Sémites et les Chinois seraient recevables à lui contester la prééminence. Rien de plus vrai, de plus évident. Si Rome n'é- claira pas, ne grandit pas les fractions de l'humanité tombées dans son orbite , elle hâta puissamment leur amalgame. J'ai dit les motifs qui m'empêchent d'applaudir à un tel résultat : le dénommer encore , c'est indiquer suffisamment que je suis loin de m'incliner devant la majesté du nom romain.

Cette majesté, cette grandeur ne dut la vie qu'à la prostra- tion commune de tous les peuples antiques. Masse informe de corps expirants ou expirés , la force qui la soutint pendant la moitié de sa longue et pénible marche fut empruntée à ce qu'elle détestait le plus, à son antipode, à la barbarie, pour me servir de son expression. Acceptons, si l'on veut, et ce nom et l'intention insultante qui s'y attache. Laissons la tourbe ro- maine se hausser sur ses piédestaux ; il n'en est pas moins vrai que ce fut seulement à mesure que cette barbarie protectrice agrandit davantage et son influence et son action, qu'on voit poindre et régner enfin des notions dont le germe ne se trou- vait plus nulle part dans l'ancien monde occidental , ni parmi les doctes concitoyens de Périclès, ni sous les ruines assyrien- nes, ni chez les premiers Celtes.

Cette action commença de bonne heure et se prolongea long- temps. De même, en eflfet, qu'il y avait eu une Rome étrus- que, une Rome italioté, une Rome sémitique, il devait y avoir et il y eut une Rome germanique.

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LIVRE SIXIEME.

LA CIYILISATION OCCIDENTALE.

CHAPITRE PREMIER.

Les Slaves. Domination de quelques peuples arians anté- germaniques.

Depuis le iv^ siècle jusque vers Tan 50 avant Jésus- Christ^ les parties dii monde qui se considéraient comme exclusivement civilisées, et qui nous ont fait partager cette opinion , c'est-à- dire les pays de sang et de coutumes helléniques , les contrées de sang et de coutumes italo-sémitiques , n'eurent que peu de contacts apparents avec les nations établies au delà des Alpes. On eût pu croire que les seules de celles-ci qui eussent jamais menacé sérieusement le Sud, les Gaulois, s'étaient englouties dans les entrailles de la terre. Peu de bruit de ce qui se passait chez elles se répan^dait chez leurs voisins. Pour les savoir vi- vantes encore et même bien vivantes , il fallait être, comme les Massaliotes, involontairement soumis aux contre-coups de leurs discordes, ou, comme Posidonius, avoir voyagé dans ces ré- gions qu'un peu bénévolement l'on avait peuplées jadis de ter- reurs plus fantastiques que réelles.

Les invasions celtiques ne s'étaient plus renouvelées. Leur fleuve dévastateur, qui jadis avait abouti à la fondation des États galates, était tari. Les descendants de Sigovèse avaient pris des allures si modestes que , quelques bandes d'entre eux s'étant pacifiquement transportées dans la haute Italie, avec l'mtention d'y cultiver des terres vacantes, elles en sortirent sur une simple injonction du sénat, après avoir vu échouer les plus humbles supplications.

Ce repos que les Gaulois n'osaient plus troubler chez les au-

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très peuples, ils n'en jouissaient pas eux-mêmes. La période de trois cents ans qui précéda la conquête de César fut pour eux une époque de douleur. Ils pratiquèrent , ils connurent à fond les phases les plus misérables de la décadence politique. Aristocratie, théocratie, royauté héréditaire ou élective, tyran- nie , démocratie , démagogie , ils goûtèrent de tout , et tout fut transitoire (1). Leurs agitations ne réussissaient pas à produire de bons fruits. La raison en est que la généralité des nations celtiques en était arrivée à ce point de mélange , et partant de confusion, qui ne permet plus de progrès nationaux. Elles avaient dépassé le point culminant de leurs perfectionnements naturels et possibles -, elles ne pouvaient désormais que descen- dre. Ce sont cependant les masses qui servent de bases à notre société moderne, associées dans cet emploi avec d'autres multitudes, non moins considérables, qui sont les Slaves ou Wendes.

Ceux-ci, à l'époque dont il s'agit, étaient encore plus dépri- més, dans la plupart de leurs nations, et Tétaient depuis beau- coup plus longtemps. Par la position topographique qu'occu- paient et occupent encore leurs principales branches , ils sont évidemment les derniers de tous les grands peuples blancïs qui, dans la haute Asie, ont cédé sous les efforts des hordes finniques, et surtout ceux qui ont été le plus constamment en contact direct avec elles (2). Ceci soit dit en faisant abstraction de quelques-unes de leurs bandes, entraînées dans les tourbil- lons voyageurs des Celtes , ou même les devançant , tels que les Ibères, les Rasènes, les Venètes des différentes contrées de l'Europe et de l'Asie. Mais , pour ce qui est du gros de leurs tribus, expulsées de la patrie primitive postérieurement au départ des Galls, elles n'ont plus trouvé à s'établir que dans les parties du nord-est de notre continent , et jamais n'a cessé pour elles le voisinage dégradant de l'espèce jaune (3). Plus elles en ont absorbé de familles, plus elles ont été cons-

(1) Caes., de Bell. Gall, VI. <'2) Schaflfarik, Slawische Alterth., t. I, p. 57.

(3) Ouvr. cité, t. I, p. 74. SchafiFarik considère comme formant la première extension des Slaves en Europe, la région située entre l'O-

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à

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tammeat disposées à abonder dans de nouveaux hymens de même sorte (1). Aussi leurs caractères physiques sont-ils faciles à déchiffrer; les voici, tels que les décrit Schaffarik : « Tête approchant de la forme carrée, plus large que longue, « front aplati, nez court avec tendance à la concavité-, les « yeux horizontaux, mais creux et petits; sourcils minces rap- « proches de Toeil à l'angle interne, et dès lors montants. Trait « général, peu de poil (2). »

Les aptitudes morales étaient en parfait accord, et n'ont jamais cessé de s'y maintenir, avec ces marques extérieures. Toutes leurs tendances principales aboutissent à la médiocrité, à l'amour du repos et du calme , au culte d'un bien-être peu exigeant, presque entièrement matériel, et aux dispositions les plus ordinairement pacifiques (3). De même que le génie du Chamite, métis du noir et du blanc, avait tiré des aspirations véhémentes du nègre la sublimité des arts plastiques, de même le génie du Wende, hybride de blanc et de finnois, transforma le goût de l'homme jaune pour les jouissances positives en esprit industriel, agricole et commercial (4). Les plus anciennes nations formées par cet alliage devinrent des nids de spécula- teurs, moins ardents sans doute, moins véhéments , moins ac- tivement rapaces, moins généralement intelligents que les €hananéens, mais tout aussi laborieux et tout aussi riches, bien que d'une façon plus terne.

Dans mie antiquité fort respectable, un affluent énorme de denrées diverses provenant des pays occupés par les Slaves appela vers le bassin de la mer Noire de nombreuses colonies sémitiques et grecques. L'ambre recueilli sur les rives de la Baltique, et que nous avons vu figurer dans le commerce des

der, la Vistule, le Niémen, le Bug, le Dnieper, le Dniester et le Da- nube. Mais ces limites ont très souvent changé.

(1) Ouvr. cité. Le slave, pourvu des affinités originelles nécessaires avec les autres langues arianes , montre la. trace d'une grande influence exercée par la famille finnoise sur ses éléments constituUfs. (T. I, p. 47,)

(2) Ouvr. cité, t. I, p. 33.

(3) Ibidem, t. I, p. 66, d67,

(4) Ibidem, t. I, p. i, o9.

2S

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peuples galliques, passait aussi dans celui des nations wendes. Elles se le transmettaient de l'une à Tautre, l'amenaient jus- qu'à l'embouchure du Borysthène et des autres fleuves de la contrée. Ce précieux produit répandait ainsi l'aisance chez ses différents facteurs, et faisait pénétrer jusqu'à eux une part des trésiors métalliques et des objets fabriqués de TAsie anté- rieure. A ce transit s'unissaient d'autres branches de spécula- tion non moins importantes, celle du blé, par exemple, qui, cultivé sur une très grande échelle dans les régions de la Scy- thie (1) et jusqu'à des latitudes impossibles à préciser, parve- nait, au moyen d'une navigation fluviale organisée et exploitée par les indigènes, jusqu'aux entrepôts étrangers de l'Euxin. On le voit, les Slaves ne méritaient pas plus le reproche de barbarie que les Celtes (2).

Ce ne sont pas non plus des peuples que l'on puisse dire avoir été civilisés, dans la haute signification du mot. Leur intelligence était trop obscurcie par la mesure du mélange

(1) Ouvr. cité, t. I, p. 271. Schaffarik fait venir une grande partie de cette production des pays situés derrière les Karpatlies. Mais il y avait aussi plus bas, dans la difection du sud-est, une natio'n à demi wende, celle des Alazons, qui se livrait au même commerce. (Hérod., IV, 17.)

(2) Ils vivaient dans des villages, à la façon des peuples blancs purs, leurs ancêtres. (Schalf., t. I, p. 59.) S*il était besoin d'en donner une preuve, on la trouverait dans le nom d'une tribu slave, les Budini, Bouôivot, dont la racine est budy, maison; par conséquent, les hom- mes qui habitent des maisons , des demeures permanentes. Ce nom de Budini rappelle une des plus singulières erreurs auxquelles la science ait pu se complaire. Hérodote raconte que les gens ainsi nommés étaient «pÔEipoTpayéovTeç; tous les traducteurs ont compris et dit qu*'ils mangeaient de la vermine, ou plus clairement des poux. Cette circonstance , qui parlait peu en faveur des Budini , n'a pas em- pêché les érudits allemands et les slavistes de se disputer ce peuple, les uns le réclamant pour germain , les autres pour wende. Larcher, Mannert, Buchon, bien d'autres, ont répété que les Budini mangeaient des poux; enfin Ritter, se rapportant à l'abréviateur de Tzetzès, et guidé par le sens commun, a démontré que, comme beaucoup de populations actuelles de l'extrême nord, ils se nourrissaient de jets de sapin; mais l'habitude de l'absurde est si bien prise que Passow lui-même, dans son dictionnaire, tout en donnant les deux versions montre une prédilection marquée pour la plus ancienne.

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elle s'était absorbée , et , loin d'avoir développé les instincts natifs, de l'espèce blanche, ils les avaient, au contraire, en grande partie émoussés ou perdus. Ainsi , leur religion et le naturalisme qui en fournissait Fétofife s'étaient ravalés plus bas que ce qu'on voyait même chez les Galls. Le druidisme de ceux-ci, qui n'était assurément pas une doctrine exempte des influences corruptrices de l'alliance finnique, en était ce- pendant moins pénétré que la théologie des Slaves. C'est en celle-ci que se montrait la source des opinions les plus grossiè- rement superstitieuses, la croyance à la lycanthropie , par exemple. Ils fournissaient aussi des sorciers de toutes les es- pèces désirables (1).

Cette contemplation superstitieuse de la nature, qui n'était pas moins absorbante pour l'esprit des Slaves septentrionaux que pour celui de leurs parents, les Rasènes de l'Italie, tenait une très grande place dans Fensemble de leurs notions. Les monuments nombreux qu'ils ont laissés, tout en attestant chez eux un certain degré d'habileté, et surtout un génie patient et laborieux, ne valent pas ce qu'on trouve sur les terres celti- ques, et, ce qui met le sceau à la démonstration de leur infé- riorité, c'est qu'ils n'ont jamais pu agir sur les autres familles d'une façon dominatrice. La vie de conquête leur a été cons- tamment inconnue. Ils n'ont pas même su créer pour eux- mêmes un État politique véritablement fort (2).

Quand, dans cette race prolifique , la tribu devenait quelque peu populeuse, elle se scindait. Trouvant par trop pénible pour sa dose de vigueur intellectuelle le gouvernement de trop de têtes réunies et Tadministration de trop d'intérêts, elle s'em- pressait d'envoyer au dehors de ses limites une ou plusieurs communautés sur lesquelles elle ne prétendait conserver qu'une sorte de préséance maternelle-, leur laissant d'ailleurs pleine liberté de se régir à leur guise. Les dispositions politiques du Wende, essentiellement sporadiques, ne lui permettaient pas de comprendre, encore moins de pratiquer le gouvernement

(l) Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. J93. <2) Id., ibid.y t. I, p. d67.

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aécessairement compliqué d'un empire vaste et compact. Vi- vre citoyen d'un municipe aussi étroit que possible, c'était son rêve. Les conceptions orgueilleuses de domination, d'in- fluence, d'action extérieure, y trouvaient sans doute peu leur compte -, mais , précisément , le Slave ne les connaissait pas. L'agrandissement de son bien-être direct et personnel, la pro- tection de son travail, l'assistance pour ses besoins physiques^ la satisfaction de ses attachements, sentiment vit chez cet être doux et affectueux , bien que froid , tout cela lui était as- suré par son régime municipal, avec une facilité, une liberté, une abondance qu'un état social plus perfectionné ne saurait jamais produire, il faut l'avouer. Il s'y tenait donc, et la mo- dération de ces goûts si humbles doit lui mériter, au moins, rhommage des moralistes, tandis que les politiques, plus diffi- ciles à satisfaire, considèrent que les résultats en furent déplo- rables. L'antique gouvernement de la race blanciie, si naturel- lement propre à servir toutes les dispositions d'indépendance, les plus dangereuses comme les plus utiles , se laissa énerver sans peine par tant de mollesse. On le voulait de plus en plus faible et incertain; il s'y prêta. Les magistrats, pères fictifs de la commune, continuèrent à ne devoir qu'à l'élection une au- torité temporaire,- étroitement limitée par le concours inces- sant d'une assemblée souveraine composée de tous les chefs de famille. Il est bien évident que ces aristocraties rurales et marchandes composaient les républiques les moins exposées aux usurpations de pouvoir que l'espèce blanche ait jamais réalisées ; mais elles en étaient , en même temps , les plus fai- bles, les plus incapables de résister aux troubles intérieurs comme à l'agression étrangère.

Il n'est pas même sans vraisemblance que les nombreux in- convénients de cet isolement si mesquin ne fissent parfois dé- sirer, à ceux-là même qui en aimaient les douceurs, un chan- gement d'état résultant de la conquête d'un peuple plus ha- bile. Cette calamité, au milieu du dommage qu'elle entraîne nécessairement, leur devait apporter d'une manière non moins sûre plusieurs avantages capables de les frapper, de leur plaire, et, jusqu'à un certain point , de leur fermer les yeux sur la

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perte de leur indépendance. On peut mettre de ce nombre l'ac- croissement des bénéfices matériels , conséquence facile d'un agrandissement de population et de territoire. Une commune isolée a peu de ressources; deux réunies en ont davantage. La chute des barrières politiques trop rapprochées facilite les relations entre pays frontières; elle les crée même souvent. Les denrées et les produits circulent plus abondamment, vont plus loin; les gains et les profits s'accumulent, et l'instinct com- mercial émerveillé , séduit, gagné, renonçant à ses préjugés contre les concurrences pour se livrer tout entier au charme de la possession d'un marché plus étendu, renie un excès pour se jeter dans l'autre, et devient l'apôtre le plus ardent de cette fraternité universelle que des sentiments un peu plus nobles, que des opinions plus clairvoyantes repoussent comme n'étant autre chose que la mise en commu,n de tous les vices et l'a- vènement de toutes les servitudes.

Mais les conquérants des Slaves aux époques primitives n'é- taient pas en état de pousser le système d'agglomération jus- qu'à l'excès. Leurs groupes étaient trop peu considérables par le nombre et trop mal pourvus de moyens intellectuels ou ma- tériels pour exécuter de si gigantesques fautes. Ils ne les ima- ginaient même pas, et leurs sujets, qui en auraient accepté sans doute les pires conséquences, pouvaient encore, assez raisonnablement , se réjouir de l'extension gagnée à leurs tra- vaux économiques.

Puis , sous la loi d'un vainqueur dispensant de tels bienfaits, leur existence moins libre était, en définitive, mieux garantie. Tandis que l'isolement national les avait toujours livrés, pres- que sans défense , à toutes les agressions du dehors , leur cons- titution nouvelle, sous des maîtres vigoureux, les soustrayait à ce genre de fléaux , et les envahisseurs rencontraient désor- mais, entre leur soif de pillage et les laboureurs qu'ils voulaient dépouiller, l'arc et l'épée d'un dominateur jaloux. Donc, pour bien des raisons , les Wendes étaient enclins à prendre la su- jétion politique en patience, de même qu'ils avaient ignoré et repoussé les moyens d'y échapper. Et , d'ailleurs , cette sujé- tion qu'ils n'avaient pas l'orgueil ni même la fierté de haïr, le

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temps se chargeait, comme toujom-s, d'en adoucir les aspéri- tés. A mesm-e qu'une longue cohabitation amenait entre les étrangers et leurs humbles tributaires les alliances inévitables, le rapprochement des esprits s'effectuait. Les relations mu- tuelles perdaient de leur rigueur première; la protection se faisait mieux sentir, et le commandement beaucoup moins. A la vérité, les conquérants , victimes de ce jeu, devenaient gra- duellement des Slaves, et, s'affaissant à leur tour, à. leur tour aussi subissaient la domination étrangère, qu'ils ne savaient plus écarter ni de leurs sujets ni d'eux-mêmes. Mais les mêmes mobiles poursuivant incessamment leui* action, avec une régularité toute semblable aux mouvements du pendule, amenaient constamment des effets identiques, et les races wendes n'apprenaient pas, et même, arianisées au point mé- diocre où elles ont pu Têtre, n'ont jamais appris que d'une manière imparfaite le besoin et Fart d'organiser un gouverne- ment qui fût à la fois national et plus complexe que celui d'une municipalité. Elles n'ont jamais pu se soustraire à la nécessité de subir un pouvoh* étranger à leur race. Bien éloignées d'a- voir rempli dans le monde antique un rôle souverain, ces fa- milles, les plus anciennement dégénérées des groupes blancs d'Europe, n'ont même jamais eu, aux époques historique^, un rôle apparent (1) , et c'est tout ce que peut faire l'érudition la plus sagace que d'apercevoir leurs masses, cependant si nombreuses , si prolifiques , derrière les poignées d'aventuriers heureux qui les régissent pendant les périodes lointaines. En un mot, par suite des alliages jaunes immodérés d'où résulta pour elles cette situation éternellement passive, elles furent plus mal partagées , moralement parlant, que les Celtes, qui, du moins , outre de longs siècles d'indépendance et d'isonomie, eurent quelques moments bien courts, il est vrai, mais bien marqués, de prépondérance et d'éclat.

La situation subordonnée des Slaves, dans l'histoire, ne doit cependant pas faire prendre le change sur leur caractère :Lorsqu'un peuple tombe au pouvoir d'un autre peuple, les

(i) Schaff., ouvr. cité, t. I, p. 128.

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narrateurs de ses misères n'éprouvent généralement aucun scrupule de prononcer que l'un est vaillant et que l'autre ne l'est pas. Lorsqu'une nation, ou plutôt une race, s'adonne exclusive- ment aux travaux de la paix , et qu'une autre , déprédatrice et toujours armée, fait de la guerre son métier unique, les mê- mes juges proclament hardiment que la première est lâche et amolUe , la seconde virile. Ce sont des arrêts rendus à la légère, et qui donnent aux conséquences qu'on en tire autant de maladresse que d'inexactitude.

Le paysan de la Beauce, plein d'aversion pour le service militaire et d'amour pour sa charrue , n'est certes pas le reje- ton d'une souche héroïque, mais il est, à coup sûr, plus réel- lement brave que l'Arabe guerrier des environs du Jourdain. On l'amènera facilement , ou , pour mieux dire , il s'amènera lui-même , en un besoin , à faire des actions d'une intrépidité admirable pour défendre ses foyers , et , une fois enrégimenté, son drapeau, tandis que l'autre n'attaquera que rarement à force égale, n'affrontera que le danger le plus petit, et ce petit danger, il s'y soustraira même sans honte , en répétant à part lui l'adage favori du guerrier asiatique : « Se battre, ce n'est « pas se faire tuer. » Cependant cet homme circonspect fait profession presque exclusive de manier le fusil. A son avis, c'est le seul lot convenant à un homme , ce qui ne Tem- pêche pas , depuis des siècles , de se laisser subjuguer par qui veut s'en donner la peme.

Tous les peuples sont braves , en ce sens qu'ils sont tous également capables , sous une direction appropriée à leurs ins- tincts, d'affronter certains périls et de s'exposer à la mort. Le courage , pris dans ses effets , n'est le caractère particulier d'aucune race. Il existe dans toutes les parties du monde, et c'est un tort que de le considérer comme la conséquence de l'énergie, encore plus de le confondre avec l'énergie elle- même : il en diffère essentiellement.

Ce n'est pas que l'énergie ne le produise aussi, mais d'une façon bien reconnaissable. Surtout cette faculté est loin de n'avoir que cette manière de se manifester. En conséquence , si toutes les races sont braves, toutes ne sont pas énergiques.

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et , fondamentalement , il n'y a que respèce blanche qui le soit. On ne rencontre que cliez elle la source de celte fermeté de la volonté , produite par ]a sûreté du jugement. Une nature énergique veut fortement, par la raison qu'elle a fortement saisi le point de vue le plus avantageux ou le plus nécessaire. Dans les arts de la paix , sa vertu s'exerce aussi naturellement que dans les fatigues d'une existence belliqueuse. Si les races blanches, fait incontestable , sont plus sérieusement braves que les autres familles, ce n'est aucunement parce qu'elles font moins de cas de l'existence, au contraire; c'est que, tout aussi obstinées quand elles attendent du travail intellectuel ou ma- tériel un résultat précieux que lorsqu'elles prétendent jeter bas les remparts d'une ville , elles sont surtout pratiquement intelligentes , et perçoivent le plus distinctement leur but. Leur bravoure résulte de , et non pas de la surexcitation des or~ ganes nerveux , comme chez les peuples qui n'ont pas eu ou qui ont laissé perdre ce mérite distinctif.

Les Slaves , trop mélangés , étaient dans ce dernier cas. Ils y sont encore , et plus peut-être qu'autrefois. Ils déployaient beaucoup de valeur guerrière quand il le fallait , mais leur in- telligence, affaiblie par les influences fînniques, ne s'élevait que dans un cercle d'idées trop étroit , et ne leur montrait pas assez souvent ni assez clairement les grandes nécessités qui s'imposent à la vie des nations illustres. Quand le combat était inévitable , ils y marchaient , mais sans entraînement , sans en- thousiasme , sans autre désir que celui de se retirer bien moins du péril que des fatigues, infructueuses à leurs yeux, dont l'état de guerre est hérissé. Ils souscrivaient à tout pour en finir, et retournaient avec joie au travail des champs , au com- merce, aux occupations domestiques. Toutes leurs prédilec- tions se concentraient là.

Cette race, ainsi faite, ne posséda donc son isonomie que d'une manière fort obscure, puisque cette isonomie ne s'exerça que dans des centres trop petits pour être encore visibles à travers les ténèbres des âges, et ce n'est guère que par son association à ses conquérants mieux doués que l'on réussit à l'apercevoir et à juger ses qualités comme ses défauts. Trop

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faible et trop douce pour exciter de bien longues colères chez les hommes qui l'envahissaient , sa facilité à accepter le rôle secondaire dans les nouveaux États fondés par la conquête, son naturel laborieux qui la rendait aussi utile à exploiter qu'elle était aisée à régir, toutes ces humbles facultés lui fai- saient conserver la propriété du sol, en lui en laissant perdre le haut domaine. Les plus féroces agresseurs repoussaient bien vite la pensée de créer inutilement des solitudes qui ne leur auraient rien rapporté. Après avoir envoyé qiielques milliers de captifs sur les marchés lointains de la Grèce , de l'Asie , des colonies italiotes, un moment arrivait la soumission de leurs vaincus lassait leur furie (1). Ils prenaient en pitié ce travailleur débonnaire qui opposait si peu de résistance, et désormais ils le laissaient cultiver ses champs. Bientôt la fé- condité du Slave avait comblé les vides de la population. L'an- cien habitant était plus solidement établi que jamais sur le sol qui lui était laissé, et , pour peu que ses souverains conservas- sent les faveurs de la victoire , il gagnait du terrain avec eux ; car il poussait l'obéissance jusqu'au point d'être intrépide à leur profit , quand on lui commandait une telle vertu.

Ainsi, indissolublement mariés à la terre d'où rien ne pou- vait les arracher, les Slaves occupaient dans l'orient de l'Eu- rope le même emploi d'influence muette et latente, mais irré- sistible , que remplissaient en Asie les masses sémitiques. Ils formaient , comme ces dernières , le marais stagnant s'en- gloutissaient, après quelques heures de triomphe, toutes les supériorités ethniques. Immobile comme la mort, actif comme elle , ce marais dévorait dans ses eaux dormantes les principes les plus chauds et les plus généreux , sans en éprouver d'autre modification, quant à lui-même , que çà et une élévation re- lative du fond , mais pour en revenir finalement à ime corrup- tion générale plus compliquée.

Cette grande fraction métisse de la famille humaine, ainsi prolifique, ainsi patiente devant l'adversité, ainsi obstinée dans son amour utilitaire du sol , ainsi attentive à tous les

(1) Schaff. , ouvr. cité, t. I, p. 2ii.

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moyens de le conquérir matériellement , avait étendu de fort bonne heure le réseau vivant de ses milliers de petites com- munes sur une énorme étendue de pays. Deux mille ans avant Jésus-Christ, des tribus wendes cultivaient les contrées du bas Danube et les rives septentrionales de la mer Noire , cou- vrant d'ailleurs, autant qu'on en peut juger, en concurrence avec des hordes finnoises , tout l'intérieur de la Pologne et de la Russie. Maintenant que nous les avons reconnues dans la véritable nature de leurs aptitudes et de leur tâche historique, laissons-les à leurs humbles travaux, et considérons leurs di- vers conquérants.

Au premier rang il convient de placer les Celtes. A l'époque très ancienne ces peuples occupaient la Tauride et faisaient la guerre aux Assyriens, et, même au temps de Darius, ils avaient des sujets slaves dans ces régions (1). Plus tard ils en avaient également sur les Krapacks et dans la Pologne et pro- bablement dans les contrées arrosées par l'Oder. Quand ils firent, venant de la Gaule, la grande expédition qui porta les bandes tectosages jusqu'en Asie (2) , ils semèrent dans toute la

(1) Hérodote (IV, 11) indique clairement cette situation, quand il ra- conte qu'au moment les Scythes vinrent attaquer les Cimmériens, ceux-ci se consultèrent sur ce qu'il y avait à faire. Les rois étaient d'avis de résister, le peuple voulait émigrer ; les deux partis en vinrent aux mains, et, comme ils étaient égaux en nombre, la bataille fut sanglantQ; enfin le peuple eut le dessus, c'est-à-dire les Slaves, et, après avoir enterré les morts, on s'enfuit devant les Scythes. Ce passage donne le sens de cet autre du même livre (102) les Scythes, attaqués par Darius, demandent secours à leurs voisins. Alors se réunirent les rois des Taures, des Agathyrses, des Neures, des Andro- phages, des Mélanchlènes, des Gelons, des Boudini et des Sauromates. Le mot roi5, pacd^sç, doit être entendu ici comme au § 11. Il indique les tribus nobles, étrangères, qui régnaient sur les Taures Celtiques, les Agathyrses Slaves, les Neures, les AHdrophages, les Mélanchlènes Fin- nois, les Gelons, les Boudini, les Sauromates Slaves. Dans ces derniers, il y a à remarquer que c'étaient des Sarmates Satages ou servants qui formaient la couche inférieure de la population. Ces Satages, bien qu'ayant déjà pris le nom de leurs maîtres, étaient inconstetablement de race wende. Un roi des Agathyrses porte un nom arian : il s'ap- pelle Spargapithès (IV, 78).

(2) Schaflf. , I, 243.

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vallée du Danube, et dans les pays des Thraces et des Illyrlens, de nombreux groupes de noblesse qui restèrent à la tête des peuplades wendes , jusqu'à ce que des envahisseurs nouveaux fussent venus les soumettre eux-mêmes avec elles (1). En plu- sieurs occasions les Kymris avaient exercé , et ils exercèrent encore vers la fin du iii^ siècle avant notre ère , une pression victorieuse sur telle ou telle des nations slaves.

Cependant, s'il faut les nommer en première ligne, c'est sur- tout parce que les raisons de voisinage multiplièrent les in- cursions de détail. Ils ne furent ni les plus puissants, ni les plus apparents , ni , peut-être même , les plus anciens des domina- teurs que les Slaves virent abonder chez eux. Cette supréma- tie revient surtout à différentes nations fort célèbres qui, sous leurs noms divers, appartiennent toutes à la' race ariane. Ce furent ces nations qui opérèrent avec le plus de force et d'au- torité dans les contrées pontiques, et jusqu'au delà vers le plus extrême nord. C'est d'elles que les annales de ce pays s'entre- tiennent surtout, et c'est sur elles que l'attention doit ici se concentrer pour des causes plus graves encore.

Le fait que, malgré les mélanges qui déterminèrent succes- sivement la chute et la disparition de la plupart d'entre elles, ces nations appartenaient originairement à la fraction la plus noble de l'espèce blanche serait déjà de nature à leur mériter le plus vif intérêt; mais un si grand motif est encore renforcé par cette circonstance que c'est de leur sein, que c'est du mi- lieu de leurs multitudes, et des plus pures et des plus puissantes, que se dégagèrent les groupes d'où sortirent les nations ger- maniques. Ainsi reconnues dans leur étroite intimité originelle avec le principe générateur de la société moderne , elles ap-

(1) Ce fut aux invasions kymriques que les poètes de la comédie grec- que durent Jes noms de Davus et de Geta, si souvent appliqués par eux aux esclaves qui jouaient un rôle dans leurs fables. Les hommes portant ces noms appartenaient originairement à la classe supérieure des nations slaves vaincues, et provenaient d'une autre source pre- mière. (SchaflF. , t. I, p. 244.) Ce même auteur pense que l'extension des Celtes , à cette dernière époque , alla jusqu'à la Save et à la Drave dans l'est, et au nord jusqu'aux sources de la Vistule et au Dniester. (T. I, p. 397.)

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paraissent comme plus importantes pour nous, et comme plus sympathiques , dans le sens général de l'histoire , que ne le peuvent être même les groupes de pareille origine, fondateurs ou restaurateurs des autres civilisations du monde.

Les premiers de ces peuples qui aient pénétré en Europe , à des époques extrêmement obscures , et quand des groupes de Finnois, peut-être même des Celtes et des Slaves, occupaient déjà quelques contrées du nord de la Grèce , paraissent avoir été les lUy riens et les Thraces. Ces races subirent nécessaire- ment les mélanges les plus considérables ; aussi leur prépon- dérance a-t-elle laissé le moins de vestiges. Il n'est vraiment utile d'en parler ici que pour montrer l'étendue approximative de la plus ancienne expansion des Arians extra-hindous et ex- tra-iraniens. Vers l'ouest les Illyriensetdes Thraces occupaient alors en maîtres les vallées et les plaines, de l'Hellade au Danube, et, poussant jusqu'en Italie, ils étaient sm'tout établis fortement sur les versants septentrionaux de THémus (1).

Bientôt ils furent suivis par une autre branche de la famille, les Gètes, qui s'établirent à côté d'eux, souvent au milieu d'eux, et enfin beaucoup plus loin qu'eux, vers le nord-ouest et le nord (2). Les Gètes se cpnsidéraient comme immortels, dit Hérodote. Ils pensaient que le passage au monde d'en bas, loin de les conduire au néant ou à une condition souffrante, les menait aux célestes et glorieuses demeures de Xamolxis (3). Ce dogme est purement arian.

(1) Schaifarik (1, 271) croit reconnaître des vestiges de leur domination jusque dans la Bessarabie.

(2) Pline {Hist. natur., IV, 18) place une nation de Gètes après les Thraces , au nord de l'Hémus.

(3) Hérod. , IV, 93. Il est à remarquer que, dans ce même paragra- phe, il y a une identification complète des Gètes avec les Thraces, ce qui peut servir d'argument supplémentaire pour appuyer l'origine ariane de ces derniers. Les médailles apportent ici leur secours. Toutes celles qui appartiennent aux nations situées au nord de l'Hémus et à l'ouest de la Caspienne montrent des types souvent fort grossiers d'expression comme d'exécution ; la plupart sont évidemment arians, quelques-uns sont slaves, aucun ne montre la plus légère trace de la physionomie finnoise. Je citerai , entre autres , les monnaies de Cotys V, ype slave; celles de la ville de Panticapée, type arian, etc.

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Mais rétablissement des Gètes en Europe est tellement an- cien qu'à peine est-il possible de les y entrevoir à l'état pur La plupart de leurs tribus , telles qu'elles sont nommées dans les plus vieilles annales, avaient été profondément afFectées déjà par des alliages slaves, kymriques, ou même jaunes. Les Thyssagètes ou Gètes géants, les Myrgètes ou apparentés à la tribu fînnique des Merjans, les Samogètes à la race des Suomis, comme s'appellent eux-mêmes les Finnois, formaient, de leur propre aveu, autant de tribus métisses qui, ayant uni le plus beau sang de l'espèce blancbe à l'essence mongole, en portaient la peine par l'infériorité relative dans laquelle elles étaient tombées vis-à-vis de leurs parents plus purs. Les Jutes de la Scandinavie , les lotuns , pour employer l'expression de l'Edda, paraissent avoir été les plus septentrionaux, et, au point de vue moral, les plus dégradés de tous les Gètes (1).

Du côté de l'Asie , du côté de la Caspienne, vivaient encore d'autres branches de la même nation, que les historiens grecs et romains connaissaient sous le nom de Massagètes (2). Plus tard, on les nomma Scytho-Gètes ou Hindo-Gètes. Les écri- vains chinois les nommaient Khou-te (3), et l'authenticité, l'exactitude parfaite de cette transcription est garantie d'une manière rare par le témoignage décisif des poèmes hindous qui, à une époque infiniment plus ancienne, la produisent sous la forme du mot Khéta. Les Rhétas sont un peuple vratya, réfractaire aux lois du brahmanisme , mais incontestablement arian et vivant au nord de l'Himalaya (4).

(1) Au point de vue physique, ils étaient restés très vigoureux et très grands, puisqu'ils sont assimilés aux géants. (Schaff., I, 307.) Wach- ter, qui tient aussi les Jotuns pour un peuple métis , les croit issus d'un mélange celte et finnois. (Encycl. Ersch u. Gr., 83.) Il est plus que vraisemblable qu'avec le temps toute espèce d'alliage s'opéra dans le sang des différentes tribus gètes; mais que la base première ait été ariane, c'est ce dont il n'est pas possible de douter.

(2) Les Chinois les nommaient très régulièrement Ta-Yueti, grands Gètes; ta est la traduction exacte de massa ou maha, grand. (Rit- ter, Th., Buch, Band., page 609.) Voir les deux notes qui suivent.

(3) Voir tome 1".

(4) Les Chinois nommaient aussi certaines nations gétiques, et pro-

R4CES HUMAINES. T. II. 19

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Au II® siècle de notre ère, celles des tribus gétiques qui étaient restées dans la haute Asie se transportèrent sur le Si- houn, puis vers la Sogdiane, et eurent la gloire de substituer un empire de leur fondation à TEtat bactro-macédonien. Ce succès toutefois fut peu de chose, comparé à Tëclat que leur nom ac- quit au IV® et au siècle en Europe. Un groupe descendu de leurs frères émigrés, et que nous allons retrouver tout à Theure avec sa généalogie , partit alors des rives orientales de la Bal- tique et du sud du pays Scandinave pour effacer tout ce que ses homonymes avaient pu faire de grand. La vaste confédération des Goths promena son étendard radieux en Russie, sur le Danube, en Italie, dans la France méridionale, et sur toute la face de la péninsule hispanique. Que les deux formes Goth et Gète soient absolument identiques, c'est ce dont témoigne au mieux un historien national fort instruit des antiquités de sa race, Jomandès. Il n'hésite pas à intituler les annales des rois et des tribus gothiques, Res geticœ,

A côté des Gètes et un peu moins anciennement, se présente sur la Propontide et dans les régions avoisinantes un autre peu- ple également arian. Ce sont les Scythes, non pas les Scythes laboureurs, véritables Slaves (1), mais les Scythes belliqueux,

bablement les groupes les plus d ombreux, Yti^ti ou Yuei-tchi. La première de ces formes se rapproche beaucoup de Jotun, ce qui semble indiquer que, bien que cette dernière nous soit surtout connue par les Scandinaves, elle était déjà employée dès la noire antiquité au fond de la haute Asie. (Ritter, Asien, Th., 3* Buch, Band., p. 604.) Les renseignements si importants donnés par les écrivains du Céleste Empire sur les naUons arianes de la haute Asie empruntent une nuance d'intérêt de plus à ce fait qu'ils ne datent que du n^ siècle avant J.-C, ce qui prouve qu'à cette époque encore, et, par conséquent, bien longtemps après le départ des peuples d'où sont sortis les Scandinaves, puis les Germains, il y avait encore de grandes masses blanches dans l'ouest de la Chine, et que ces masses portaient en partie ces mêmes noms que leurs parents européens , probablement bien oubliés par eux, allaient illustrer, quelques siècles plus tard, sur le Rhin et sur le Danube. On peut ainsi se faire une idée de l'heureuse influence que les invasions et les infiltrations latentes de ces peuples eurent sur les races jaunes ou malayes de la Chine.

(1) Le mot de yetopYoi employé par Hérodote marque, de l'aveu com- mun, une catégorie de populations qui étaient soumises à des tribu»

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les Scythes invincibles, les Styches royaux, que l'écrivain d'IIa- licarnasse nous dépeint comme des hommes de guerre par ex- cellence. Suivant lui, ils parlent une langue ariane ; leur culte est celui des plus anciennes tribus védiques, helléniques, ira- niennes. Ils adorent le ciel, la terre, le feu, l'air. Ce sont bien les différentes manifestations de ce naturalisme divinisé chez les plus anciens groupes blancs. Ils y joignent la vénération du génie inspirateur des batailles; mais, dédaignant l'anthropo- morphisme, à l'exemple de leurs ancêtres, ils se contentent de représenter l'abstraction qu'ils conçoivent par le symbole d'une épée plantée en terre.

Le territoire des Scythes en Europe s'étend dans k même direction que celui des Gètes, et, pour les connaissances italo- grecques, se confond avec cette région, comme les deux popu- . lations se confondaient en réalité (1). Des Celto-Scythes , des Thraco-Scythes, voilà ce que les plus anciens géographes de l'Hellade connaissent dans le nord de l'Europe, et ils n'ont pas aussi tort qu'on le leur a reproché dans les temps moder- nes. Cependant leur terminologie n'était ni claire ni précise, il faut en convenir, et, bien qu'elle s'appliquât assez correcte- ment à l'état réel des choses, c'était à leur insu : le vague ser- vait leur igQorance et ne l'égarait pas.

Dans la direction de l'est, les Scythes guerriers donnaient la main à leurs frères, les peuples du nord de la Médie, que les Grecs avaient tort de considérer comme étant leurs auteurs, mais qu'ils avaient raison de leur donner pour parents. Ils s'é-

militaires, et, par conséquent, une classe inférieure, une race diffé- rente et soumise. Il n*esl pas sans intérêt de remarquer qu'elle se retrouvait chez d'autres nations arianes , les Sarmates , par exemple. C'étaient partout des Slaves, soit purs, soit mêlés de débris de no- blesses subjuguées avec eux. (Schaff., 1. 1, p. 184-183, 3o0.) Un exemple de celte dernière situation existait au in« siècle de notre ère dans la Dacie, les Sarmates Yazyges dominaient des tribus gétiques, et, par contre-coup, les Slaves qui en formaient la base sociale. (Schaff. , I, 250.)

(1) Les pays situés sur la Baltique et sur le golfe de Finlande s'ap- pelaient, longtemps avant Ptolémée, la Scythie. Pythéas les nommait ainsi, et il était dans le vrai, comme on va le voir plus bas. (Schaff., I, 221.)

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tendaient jusque dans les montagnes arméniennes ils s& nommaient Sakasounas. Puis, au nord de la Bactriane, ils se confondaient avec les Indo-Scythes, appelés par les Chinois les Szou. Ils recevaient une dénomination légèrement alté- rée et évidemment ojfferte par ce dernier nom, et devenaient pour les Romains les Sacae; puis, en reprenant les traditions écrites du Céleste Empire, c'étaient ces Hakas, établis encore, aune époque assez basse, sur les rives du Jénisséi (1). On ne^ peut voir en eux que les Sakas du Ramayana, du Mahabha- rata, des lois de Manou : des vratyas rebelles aux prescrip- tions sacrées de VJrya-varta, comme les Khétas, mais, comme eux aussi, incontestablement parents des Arians de l'Inde (2). Ils l'étaient de même et d'une façon aussi reconnue •de ceux de l'Iran; et, s'il pouvait rester quelque doute que tous ces Scythes cavaliers de l'Asie et de l'Europe, ces Scythes que les Chinois voyaient errer sur les bords du Hoang-Ho et dans les solitudes du Gobi, que les Arméniens reconnaissaient pour maîtres sur plusieurs points de leur pays (3) , et que les^ rivages de la Baltique, que les provinces kymriques (4) redou-

(1) VSTestergaard; dans ses études sur les inscriptions cunéiformes de la seconde espèce, observe que le mot Saka doit y être lu avec deux A:, pour exprimer la palatale dure avec Vs aspirée , que les Perses n'avaient pas. Ceci rapproche d'autant Haka de Saka, et semble in- diquer que les tribus arianes du nord avaient conservé un dialecte plus rude, qui confondait volontiers la sibilante avec l'aspiration. (P. 32.)— Les Sakas ou Hakas sont aussi nommés, dans les annales chinoi- ses, Sse. (Ritter, l c. , p. 60S et pass.)

(2) Sûr celte origine commune , ouvertement consentie par la tradi- tion brahmanique, je ne puis que donner le passage du Ramayana qui l'expose; je me sers de l'admirable traduction de M. Gorresio : « Di nuovo ella (la vacca Sabalâ) produsse i fieri Saci, misti insieme « cogli Yavani. Da questi Saci , commisti cogli Yavani, fu inondata la « terra, Erano scorridori, robustissimi, condensati, in frotte corne fibre « di loio ; portavano bipenni e lunghe spade, avean armi e armadure « d' oro. » (Gorresio, Ramayana, t, VI, Adicanda, cap. lv, p. 150.> Voilà une description qui fait, avec justice, des Sakas tout autre chose qu'une borde misérable de pillards mongols. Voir aussi Manava- Dharma-Sasfra, ch. x, 44.

(3) Sharon-Turner, Hist. of the Anglo-Saxons, 1. 1.

(4) Une des stations avancées, non pas la plus avancée, des Arians-

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taient tout autant; que ces Scythes, dis-je, errant dans le ïouran (1) et dans le Pont, ces Skolotes (2), comme ils se nommaient eux-mêmes, ne fussent absolument d'une même origine sur les points les plus divers ils se montraient , sur l'Hémus, autant que sur le Bolor, il y aurait encore à alléguer le témoignage décisif des épigraphistes de la Perse. Les ins- xîriptions achéménides connaissent en effet deux nations de Sakas, l'une résidant aux environs du laxartes, l'autre dans le voisinage des Thraces (3).

vers le sud-ouest, était, au viii'' siècle avant notre ère, celle des Sigynnes, qui, vêtus comme les Mèdes et vivant, disait-on, dans des chariots, se disaient colonie médique au temps d*Hérodote. Ils étaient voisins des Vénètes de l'Adriatique. (V, 9.)

(1) Spiegel , Benfey et Weber se sont récemment occupés de Oxer la signification du mot persan .,\Uj^t zend, tuirya^ sanscrit, tûrya. Il

est d*un grand intérêt de préciser, en effet, si cette dénomination, qui faisait naître dans les esprits des Hindous et des Iraniens de si fortes idées de haine et de crainte, renferme une notion de différence ethni- que entre ces peuples et leurs adversaires. Il paraît qu'il n*en est rien, tûrya ne signifie q\i*ennemù Voir Spiegel, Studien ûber das Zend-Avesta, Zeitschrift d. deutsch. morg. Gesellsch., t. V, p. 223.

(2) 2>co>.6Tat, Hérod., IV, 6. ~ Ce mot semble formé de Saka et de lot^ ou d'une racine parente de cette expression sanscrite qui signifie être hors de soi, exalté, furieux; les Saka Iota auraient été les Sakas au courage inspiré, téméraire, sans bornes, pareils aux Berserkars Scandinaves.

(3) Westergaard et Lassen , Inscript, de Darius, p. 94-95. Hérodote, Pline et Strabon se prononcent dans le même sens. Le dernier est encore plus péremptoire, puisqu'il confond nettement les Sakas avec les Massagètes et les Dahae : 01 jx-àv 59) itXstoyç xtSv Ixuôôiv àizù xtiÇ KaOTiiàç ôaXdcTTYiç àp^ofxsvoi, Aaàt TrpojayopeuovTat xoùç 8a Tcpocre^uç TOUTCûv (jLôcXXwv Ma(7(7aY£Taç xal Sàxaç ôvo{JLà^ou(7t, toOç 8' àXXouç xot- vtoç pLsv SxuOaç ôvofxàî^oufftv, I8tâ ô- èxà(7Touç. Ainsi il est bien convenu pour Strabon que , sur les bords de la Caspienne , les Dahae et les Scythes sont un même peuple; qu'à l'orient de ces contrées, les Massagètes et les Saces sont dans des rapports égaux d'identité, et que, de plus, le nom de Scythe convient à l'un comme à l'autre de ces groupes. J'ai longtemps hésité à classer les Scythes, les Skolotes comme ils doivent l'être, au nombre des groupes arians et non pas mongols, bien que soutenu par l'imposante autorité d'hommes tels que M. Ritter et M. A. de Humboldt. Je répugnais à rompre en visière, sans nécessité bien démontrée, à une opinion fortement établie, et,

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V Ce nom antique des Sakas s'est maintenu non moins long-

temps et a parcouru plus de régions encore que celui des Khé* tas. Aux époques des migrations germaniques , il était appli-

dans le premier volume de cet ouvrage, j*ai même raisonné dans le sens routinier ; mais 11 m*a fallu me rendre à Tévidence, et comprendre qu'une complaisance exagérée me jetterait dans des erreurs et des non-sens trop graves., Je me suis donc résigné. Ayant allégué déjà plusieurs des motifs sur lesquels j'appuie mon opinion , je me bornerai surtout, pour en bien établir la force, à résumer Tétat de la question. D'une voix presque unanime, la science moderne considère les Scy- thes Skolotes comme des Finnois. Elle a pour cela trois raisons : d'a- bord, qu'Hippocrate les décrit comme tels; ensuite que les Grecs ap- pelaient Scythie tout le nord de l'Europe, et ne faisaient aucune distinction entre les populations de ce pays; enfin que, puisqu'elle a

y ^ prononcé une fois, elle ne veut pas se déjuger. Laissant respectueuse-

ment à l'écart le troisième motif, je ne m'occuperai que des deux premiers. Il est bien vrai qu'Hippocrate décrit des hommes habitant

> sur les rives de la Propontide comme ayant le caractère physiologique

de la race finnoise, et ces hommes, il les qualifie de Scythes. Mais^ de la façon dont il emploie ce nom, il est de toute évidence qu'il n'entend par que des gens établis en Scythie parmi beaucoup d'autres qui ne leur ressemblaient pas. Or, qu'au temps d'Hippocrate ^

-)■' c'est-à-dire deux cents ans après Hérodote, des tribus jaunes pussent

être descendues jusque dans le voisinage de la Propontide, et, y ha- bitant pêle-mêle avec bien d'autres races, y eussent reçu des Grecs le nom de Scythes , il n'y a rien que de très naturel et de très admissible. Il ne s'ensuit pas nécessairement qu'à une époque anté- rieure, ces mêmes gens fussent déjà dans le pays. Hérodote parle beaucoup des Scythes, il les avait visités, il avait conversé avec eux, il savait leur histoire ; nulle part il ne témoigne qu'ils eussent le moin- dre trait de nature finnique; tout au contraire,, quand ii décrit cette nature , à l'occasion du récit qu'il fait des mœurs des Argippéens^ il avoue qu'il n'a pas vu lui-même ces hommes chauves, au nez aplati, au menton allongé et que tout ce qu'il en rapporte , il ne le sait que par tradition des marchands et des voyageurs. Et non seulement il n'indique pas par un seul mot, lui , observateur si soigneux et si atten- tif, que les Scythes aient eu le moindre trait différent de la physio- nomie grecque ou thrace, mais aucun écrivain d'Athènes, de cette ville d'Athènes la garde de police était composée , en partie , de soldats Scythes, n'a jamais fait la moindre allusion à une particularité qui aurait, au moins, pu fournir l'étoffe d'une plaisanterie à Aristo- phane, lequel introduit un Scythe fort grossier dans une de ses pièces. Ce n'est pas tout : Hérodote , parlant de la Scythie , proteste contre l'usage de ses compatriotes de la considérer comme étant d'un seul

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que à la contrée noble par excellence, Skanzia, la Scandina- vie, l'île ou la presqu'île des Sakas. Enfin, une dernière trans- formation, qui fait dans ce moment Torgueil de TAmérique, après avoir brillé dans la haute Germanie et dans les îles Britan- niques , est celle de Saxna , Sachsen , les Saxons , véritables Sakasunas, fils des Sakas des dernières époques (1).

tenant et habitée par une seule race; il déclare, au contraire, que le nombre des Skolotes y est relativement très petit; avec eux il nomme un grand nombre de nations qui ne leur sont apparentées en rien (IV, 20, 21, 22, 23, 46, 57, 99). Il les considère comme le peuple dominateur de la région pontique, et, en outre, comme le plus intelligent (IV, 46). Il leur attribue une langue médique, et, en effet, d'après tous les mots el tous les noms qu'il allègue, les Scythes parlaientincontestablement une langue ariane; enfin, il n'y a pas de doute à conserver que, pour lui, les Skolotes ne soient les Sakas des Hindous et les Iraniens. Beau- coup plus tard , c'est encore l'avis de Strabon. Il est inévitable désormais de s'y ranger et de convenir, dans le cas actuel, comme dans bien d'autres , que c'est un mauvais système que de ne vouloir jamais aper- cevoir dans un pays qu'une seule race; d'attribuer à cette race le pre- mier type venu , en dépit des réclamations des gens mieux informés, et il faut donner raison, en l'affaire présente, au plus récent historien de la Norwége, M. Munch,, qui, dans l'admirable préambule de son récit , montre les régions pontiques, avant le siècle qui précéda notre ère, comme incessamment parcourues et dominées par des na- tions de cavaliers arians qui se succédaient les unes aux autres , cour- bant les populations slaves, finniques et métisses sous leur souffle, comme le vent d'est courbe les épis sous le sien. (Munch, Pet norske folk Historié, trad. ail. p. 13.) En dernier lieu, enfin, il faut^n croire les médailles des rois scythes, qui ne portent jamais dans leurs ef- figies l'ombre d'un trait mongol, comme on peut s'en convaincre aisément en jetant un coup d'œil sur les monnaies de Leuko I", de Phascuporis I", de Gegaepirès, de Rhaemetalcès , de Rhescuporis, etc. Toutes ces médailles montrent la physionomie ariane parfaitement évidente, ce qui constitue une démonstration matérielle à laquelle il n'y a pas de réplique. Voir aussi toute la série des démonstra- tions appuyées sur des faits et des témoignages historiques, puisés dans les écrivains grecs, romains et chinois. Ritter, Asien, I" Th., YP Buch, West-Asien, Band. V, p. 583 à p. 716.) J'ai emprunté de nom- breux détails à cette admirable et féconde accumulation de recherches. (1) A l'ordinaire, on fait dériver le nom de Saxon du mot sax ou seax, couteau. Cette étymologie convient d'autant moins que les Saxons étaient remarqués pour la grandeur de leurs épées , et se ser- vaient d'ailleurs préférablement des haches d'armes : « Securibus gladiisque longis, » dit Henri de Huntingdon. Kemble produit un

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332 DE l'inégalité

LesSakaset les Rhétas constituent, en fait, une seule et même chaîne de nations primitivement arianes. Quel qu'ait pu être, çà et là, le genre et le degré de dégradation ethnique subi par leurs tribus, ce sont deux grandes branches de la fa- mille qui, moins heureuses que celles de l'Inde et de l'Iran, ne trouvèrent dans le partage du monde que des territoires déjà fortement occupés, relativement à ce qu'avaient eu leurs frè- res, et surtout bien inférieurs en beauté. Longtemps embar- rassés de fixer leur existence tourmentée par les Finnois du nord, par leurs propres divisions et par Tantagonisme de leurs parents plus favorisés, la plupart de ces peuples périrent sans avoir pu fonder, que des empires éphémères, bientôt médiati- sés, absorbés ou renversés par des voisins trop puissants (1). Tout ce qu'on aperçoit de leur existence dans ces régions ya- gues et illimitées du Touran, et des plaines pontiques, le Tou- ran européen, qui étaient leurs lieux de passage, leurs stations inévitables, révèle autant d'infortune que de courage, une ar-

passage d'un document ancien qui repousse de même cette opinion : « Incipit linea Saxonum et Anglorum descendens ab Adamo linealiter « usque ad Sceafum de quo Saxones vocabantur, » MuUenhoff ne me paraît nullement bien fondé dans la critique qu'il fait de ce texte. (Voir Zeilschrift fûn d. d. Alterth., t. VII, p. 415.) Sceaf est un personnage tellement ancien , au jugement de la légende germanique, qu'il est placé à la tête des aïedx d'Odin. Les Scandinaves chrétiens ont exprimé cette idée en le faisant naître dans l'arche de Noé. Mul- lenhoff lui-même considère les aventures qui sont attribuées à ce personnage comme un mythe de l'arrivée par mer des Roxolans dans la Suède. {Loc cit., p. 413.)

(1) On compte cependant dans ces États, souvent réduits à un bien faible périmètre, de nombreuses villes. On y ^remarque la présence de familles royales très inspectées pour leur antiquité ;une agriculture développée et surtout la mise en rapport de vignobles célèbres, l'élève de superbes races de chevaux, une grande réputation de bravoure militaire, une habileté commerciale dont les annalistes chinois, excel- lents juges en cette matière, se préoccupent beaucoup, et, ce qui est plus honorable encore, l'existenc^e d'une littérature nationale et d'un ou plusieurs alphabets particuliers. (Ritter, loc. cit., pass.) Je rappellerai que les traits distinctifs physiologiques de tous ces peu- ples, aux yeux des écrivain s. chinois, sont d'avoir eu les yeux bleus, la barbe et la chevelure blondes et épaisses, et le nez proéminent. {Loc, cit.)

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dente intrépidité, la passion la plus chevaleresque des aventu- res, plus de grandeur idéale que de succès durables. En mettant à part celles de ces nations qui réussirent, mais beaucoup plus tard, à dominer notre continent, les Parthes furent encore une des plus chanceuses parmi les tribus arianes de l'ouest (1).

Ce n'est pas assez que de montrer par les faits que les Rhé- tas, lesSakas, et les Arians, pris4ansleur ensemble et à leurs origines, sont toutun. Les trois noms, analysés en eux-mêmes, donnent le même résultat : ils ont tous trois le même sens; ce ne sont que des synonymes : ils veulent dire également les hommes honorables, et,- s'appliquant aux mêmes objets, ex- posent clairement que la même idée réside sous leurs apparen- ces dififérentes (2).

1) Les médailles des rois barbares, des rois sakas, qui renversèrent l'empire gréco-macédonien, ne permettent pas non plus de douter que les conquérants ne parlassent une langue ariane, qu'ils n'eussent un culte arian , et enfin que leurs traits ne fussent tout à fait ceux de la famille blanche, sans rien qui rappelle le type mongol. (Bcnfey, Bemerkungen ûber die Gœtler-namen auf Indo-skythischen-mûnzen, Zeitsch. d. d. m. Gesellsch., t. VIII, p. 450 et seqq.)

(2) J'ai déjà parlé ailleurs du changement normal de Yr en s dans les langues arianes, et de la cause de cette loi. Je n'en donnerai ici que quelques exemples, amenés par le sujet, et pour montrer qu'elle s'exé- cute partout également. Dans les inscriptions achéménides de la se- conde espèce , Westergaard observe que le mot asa peut également être lu arsa; ainsi Parsa ou Pasa. Le savant indianiste ajoute que le médique n'admettait pas Vr devant une consonne et le supprimait (pp. 87, 115.) On se rappelle involontairement ici la façon complexe dont Ammien Marcellin et Jornandès transcrivirent le nom des dieux Scandinaves : au lieu d*ases, ils disent anses ou anseis. (On sait com- bien la mutation de Vr en n est d'ailleurs fréquente.) Cette forme ansi était connue des Chinois, qui disent indifféremment asi et-ansi. (Ritter, loc. cit. , pass.) Chez les Doriens, la même mobilité avait lieu . entre l's et l'r. On lit, dans le décret des Spartiates contre Timothée, Tt{JL66£oç ô Mi>.£(7iop pour Ti[jt.66eoç ô MiXédioç, etc. Chez les Latins, même observation, mais en sens inverse; ainsi genus^ generis, majo- sibus, majoribus, plurima, plusima^ Papisius, Papirius, arbos, arbor. On en trouve des traces dans un dialecte français, le poitevin, on dit : il ertait pour : il estait, et dans les romans du xu« siècle.

Ainsi, Arya et Asa sont identiques. L'Asie, Asia, c'est le pays des Arians. Sak ou hak veut dire honorer. (Lassen et Westergaard, p. 25.)

Ket, .Jl^^i en persan moderne, veut dire honorable.

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Ce point établi, suivons maintenant dans les phases ascen- dantes de leur histoire les tribus les mieux prédestinées de cette agglomération de maîtres que la Providence amenait gra- duellement au milieu des peuples de l'ancien monde , et, d'a- bord, des Slaves.

II se trouvait parmi elles une branche particulière et fort étendue de nations d'essence très pure, du moins au moment elles arrivèrent en Europe. Cette circonstance importante est garantie par les documents; je parle des Sarmates. Ils descendaient, disaient les Grecs du Pont, d'une alliance entre les Sakas et les Amazones, autrement dit, les mères des Ases ou des Arians (1). Les Sarmates, comme tous les autres peu- ples de leur famille, se reconnaissent des frères dans les con- trées les plus distantes. Plusieurs de leurs nations habitaient au nord de la Paropamise , tandis que d'autres , connues des géographes du Céleste Empire sous les noms de Suth , Suthle, Alasma et Jan-thsaï, vinrent , au ii® siècle avant Jésus-Christ, occuper certams cantons orientaux de la Caspienne (2). Les Iraniens se mesurèrent maintes fois avec ces essaims de guer» riers, et la crainte excessive qu'ils avaient de leur opiniâtreté martiale s'était perpétuée dans les traditions bactriennes et sog- des. C'est de que Firdousi les a fait passer dans son poème (3).

Ces vigoureuses populations , arrivées en Europe , pour la première fois, un millier d'années avant notre ère, pas davan- tage (4), avaient mis le pied dans le monde occidental avec des

(1) Le mot mère est, en sanscrit, âmaba. Il s'agit ici d'une forme dialectique plus courte.

(2) Voir Tome I".

(3) Les trois fils de Féridoun sont Iredj, Tour et Khawer. Ce sont les personnifications des trois rameaux blancs de la Perse , de l'Iran , pro- prement dit, puis de l'intérieur de l'Asie, puis des contrées occiden- tales du monde. La parenté de ces trois groupes est ainsi rigoureu- sement reconnue. On ne manquera pas de retrouver dans la forme Khawer une transcription toute naturelle de l'antique expression de Yavana. C'est un témoignage de plus de l'antiquité des renseignements dont s'est servi Firdousi. (Voir tome I«^ Schaffarik, Slawiscke Alterth., t. I, p. 350-351.)

(4) Hérodote fournit trois traditions sur l'origine des Scythes et une sur celle des Sarmates. La première, considérant les Scythes comme

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mœurs toutes semblables à celles des Sakas , leurs cousins et leurs antagonistes prûicipaux. Revêtus de Téquipage héroïque des champions du Schahnameh, leurs guerriers ressemblaient assez bien déjà à ces paladins du moyen âge germanique, dont Ds étaient les lointains ancêtres. Un casque de métal sur le front, sur le corps une armure écailleuse de plaques de cuivre ou de corne, ajustées en manière de peau de dragon, Fépée au côté, l'arc et le carquois au dos, à la main une lance démesuré- ment longue et pesante (1), ils cheminaient à travers les soli-

autochtones, les déclarait les derniers nés de tous les peuples de la terre et leur donnait une antiquité de quinze cents ans environ avant J.-C. (Livre IV, 5.) La seconde, fournie par les Grecs du Pont, les faisant descendre d*Hercule et d'une nymphe du pays, ne leur assigne que treize cents et quelques années avant notre ère. (Livre IV, 8.) La troisième, due à Aristée de Proconnèse, qui l'avait rapportée de ses voyages dans l'Asie centrale, n'a rien de mythique, et fait simple- ment venir les Scythes de l'est, d'où ils avaient été chassés par les Issédons, fuyant à leur tour devant les Arimaspes. Il ne serait nulle- ment difficile de montrer le point de concordance de ces trois manières d'envisager le même fait. Quant à la formation des peuples sarmates, nés des Scythes et des Amazones, je l'ai déjà indiquée. Ils parlaient un dialecte arian, dififérent de celui des Skolotes. (Livre IV, 17.) Pline, Pomponius Mêla et Ammien Marcellin font les Sarmates beaucoup plus jeunes que je ne crois devoir l'admetlre ici avec Hérodote. Ils supposent que les premiers groupes de leurs tribus furent établis sur le Don par les Scythes, au retour de l'expédition de ces derniers en Asie, vers la fin du vii« siècle avant notre ère. Au fond, de telles ques- tions sont peu réelles ; parce que les Sarmates ne sont qu'une simple variété des Sakas; parce que leurs nations, venant de l'est, dans la direction du Touran, se succédèrent à des époques très rapprochées, et qu'il n'y a pas lieu d'en choisir une à l'exclusion des autres pour servir aux éphémérides.

'(1) Ces détails de costume et d'armement se trouvent dans les écri- vains romains et grecs qui ont parlé des Sarmates avec détail. Quant à l'équipement général des autres peuples de la même famille, on a vu plus haut que le Ramayana attribuait aux Sakas des armures d'or^ de lourdes haches et de longues épées. Hérodote, en parfait accord avec ce livre, montre les Massagétes avec des baudriers, des cuiras- ses et des casques revêtus d'or, et employant le cuivre à forger les pointes de leurs lances, de leurs javelots et de leurs flèches. (Hé- rodote, II, 215.) Dans l'expédition de Xerxès, les Arians Perses avaient des cuirasses de fer travaillées en écailles de poisson. ( Héro- dote, VII, 61.) Cette coutume, dit l'historien, avait été empruntée aux

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336 DE l'inégalité

tudes sur des chevaux lourdement caparaçonnés, escortant et surveillant d'immenses chariots couverts d'un large toit. Dans ces vastes machines étaient renfermés leurs femmes, leurs enfants , leurs vieillards , leurs richesses. Des bœufs gigantes- ques les traînaient pesamment en faisant vaciller et crier leurs roues de bois plein sur le sable ou l'herbe courte de la steppe. Ces maisons roulantes étaient les pareilles de celles que la plus ténébreuse antiquité avait vues transporter vers le Pendjab, la contrée opulente des cinq fleuves, les familles des premiers Arians. C'étaient les pareilles encore de ces constructions am- bulantes dont, plus tard, les Germains formèrent leurs camps-, c'était, sous des formes austères, l'arche véritable portant l'é- tincelle de vie aux civilisations à naître et le rajeunissement aux civilisations énervées, et, si les temps modernes peuvent encore fournir quelque image capable d'en évoquer le souvenir, c'est bien assurément la puissante charrette des émigrants américains, cet énorme véhicule, si connu dans l'ouest du nou- veau continent, il apporte sans cesse jusqu'au delà des montagnes Rocheuses, les audacieux défricheurs anglo-saxons et les viragos intrépides, compagnes de leurs fatigues et de leurs victoires sur la barbarie du désert.

L'usage de ces chariots décide un point d'histoire. Il éta- blit une différence radicale entre les nations qui l'ont adopté et celles qui lui ont préféré la tente. Les premières sont voya- geuses; elles ns répugnent pas à changer absolument d'ho- rizon et de climats ; les autres seules méritent la qualification de nomades. Elles ne sortent qu'avec peine d'une circonscrip- tion territoriale assez limitée. C'est être nomade que d'imagi- ner l'unique espèce d'habitation qui, par sa nature , soit éter- nellement mobile et présente le symbole le plus frappant de

Mèdes. (Livre VII, 62.) Les Arians Cissiens la suivaient aussi. (Ibidem), ainsi que les Arians Hyrcaniens. (Ibidem). II en était de même des Parthes, des Chorasrniens, des Sogdiens, des Gandariens, des Dadices et des Bactriens. (Ibidem., 64 et 66.) Il n'y a donc nul doute possible que les armures complètes de métal et en forme d'écàilles ne fussent d'un usage général chez toutes les nations arianes désignées par les Hindous sous le nom de Sakas.

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l'instabilité. Le chariot ne saurait jamais être une demeure définitive. Les Arians qui s'en sont servis, et qui, pendant un temps plus ou moins long, ou même jamais, n'ont pu se créer d'autres abris, ne possédaient pas et ne voulaient pas de tentes. Pourquoi ? C'est qu'ils voyageaient, non pour changer de place, mais, au contraire, pour trouver une patrie, une résidence fixe , une maison. Poussés par des événements contraires ou particulièrement excitants, ils ne réussissaient à s'emparer d'aucun pays de manière à y pouvoir bâtir d'une manière dé- finitive. Aussitôt que ce problème a pu se résoudre, l'habita- tion roulante s'est attachée au sol et n'en a plus bougé. Le mode de demeure encore en usage dans la plupart des pays européens qui ont possédé des établissements arians en offre la preuve : la maison nationale n'y est autre chose qu'un cha- riot arrêté. Les roues ont été remplacées par une base de pierre sur laquelle s'élève l'édifice de bois. Le toit est massif, avancé; il enveloppe complètement l'habitation , à laquelle on ne par- vient que par un escalier extérieur, étroit et tout semblable à une échelle. C'est bien, à très peu de modifications près, l'an- €ien chariot arian. Le chalet helvétique , la cabane du moujik moscovite, la demeure du paysan norwégien , sont également la maison errante du Saka, du Gète et du Sarmate, dont les événements ont enfin permis de dételer les bœufs et d'enlever les roues (1). En arriver là, c'était l'insthict permanent, sinon le vœu avoué des guerriers qui ont traîné en tant de lieux et si loin cette demeure vénérable par les héroïques souvenues qu'elle rappelle. Malgré leurs pérégrinations multipliées, quel- quefois séculaires, ces hommes n'ont jamais consenti à accep- ter l'abri définitivement mobile de la tente; ils l'ont abandonné aux peuplades d'espèce ou de formation inférieure.

(1) Weinhold, Die deutschen Frauen in dem Mittelalter, Wien 1831, p. 327. A. de Haxthausen , dans son excellent ouvrage sur la Russie, fait une remarque qui aboutit au même résultat: « Les ornements, « dit-il, et les découpures qui ornent les toits (des maisons des pay- « sans russes aux environs de Moscou), les galeries et l'escalier con- a duisant à l'intérieur, rappellent les habitations des Alpes, et parti- « culièrement les chalets suisses. » (T. I, p. 19-20.)

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338 DE L INEGALITE

Les Sarmates (1), les derniers venus des Arians, au siè- cle avant notre ère, et conséquemment les plus purs, ne tar- dèrent pas à faire sentir aux anciens conquérants des Slaves la force supérieure de leur bras et de leur intelligence , dans les contestations qxii ne manquèrent pas de s'élever. Bientôt ils se firent une grande place. Ils dominèrent entre la Caspienne et la mer Noire, et commencèrent à menacer les plaines du nord (2). Longtemps, toutefois, les pentes septentrionales du Caucase demeurèrent leur point d'appui. C'est dans les défilés de cette^ grande chaîne que , plusieurs siècles après , quand ils eurent perdu l'empire exclusif des régions pontiques, celles de leurs tribus qui n'avaient pas émigré allèrent chercher un refuge parmi quelques peuplades parentes plus anciennement établies dans ces gorges (3). Elles durent à cette circonstance, heureuse pour le maintien de leur intégrité ethnique, Thonneur dont elles jouissent aujourd'hui d'avoir été choisies par la science physiologique pour représenter le type le plus accompli de l'espèce blanche. Les nations actuelles de ces montagnes con- tinuent à être célèbres par leur beauté corporelle, par leur génie guerrier, par cette énergie indomptable qui intéresse les peu- ples les plus cultivés et les plus amollis aux chances de leurs combats, et par une résistance plus difficile encore à ce souffle d'avilissement qui , sans pouvoir les toucher, atteint autour

(1) Ce nom est formé des deux racines sâr et mat, qui signifient destructeur des peuples. L'une, sâr, est médique. (Westergaard, p. 81.) L'autre, mat, répond au verbe sanscrit déchirer. Je crois avoir déjà dit, mais je le répète encore, qu'il ne s'agit pas de trouver, pour des mots touraniens, une source directe dans le sanscrit, mais seu- lement des analogies de dialectes qui puissent faire entrevoir le sens à travers la forme peu concordante des vocables. Le mot sâr, ha- bitant, est le même qui apparaît dans le nom de la capitale de la Lydie, SàpSsiç, de sâr et de dhâ, Sarda, le lieu Von établit des ha- bitants, la colonie.

(2) Schaflfarik, Slaw. Alterth., 1. 1, p. 120-121, 141.

(3) Les Ossètes du Caucase, nommés, dans les anciennes annales russes, lasi ou Osi, et par Plan-Carpin, au xm» siècle, Alani et Asses, s'attribuent à eux-mêmes le titre d'Iron, et à leur pays celui d'Iro- nistan. C'est un nouvel exemple de permutation de Yr en s. ( Schafif ., Slaw. Alterth., t. 1,141, 353.)

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DES RACES HUMAINES. 33^

d'elles les multitudes sémitiques, tatares et slaves. Loin de dé- générer, elles ont contribué , dans la proportion leur sang s'est mêlé à celui des Osmanlis et des Persans, à réchauffer ces races. Il ne faut pas oublier non plus les hommes éminents qu'elles ont fournis à l'empire turc , ni la puissante et romanes- que domination des beys circassieiis en Egypte.

Il serait ici hors de place de prétendre suivre dans le détail: les innombrables mouvements des groupes sarmates vers l'oc- cident de l'Europe. Quelques-unes de ces migrations, comme celle des Limigantes, s'en allèrent disputer la Pologne à des noblesses celtiques, et, sur leur asservissement, fondèrent des États qui, parmi leurs villes principales, ont compté Bersovia, la Varsovie moderne. D'autres, les lazyges, conquirent la Pan- nonie orientale , malgré les efforts des anciens vainqueurs de race thrace ou kymrique , qui déjà y dominaient les masses slaves. Ces invasions et bien d'autres n'intéressent que des his- toires spéciales (1). Elles ne furent pas exécutées sur une assez grande échelle ni avec des forces suffisantes pour affecter d'une manière durable la valeur active des groupes subjugués. Il n'en est pas de même du mouvement qu'une vaste association de tribus de la même famille, issues de la grande branche des Alains, Alani, peut-être, plus primitivement, Arani ou Arians, et portant pour nom fédératif celui Roxolans (2), opéra du côté des sources de la Dwina, dans les contrées ar- rosées par le Wolga et le Dnieper, en un mot dans la Russie

(1) Schaffarik reconnaît quelques faibles restes d'une tribu de Sar- mates lazyges dans la population aujourd'hui clairsemée sur la rive gauche de la Pialassa. Ils sont d'une carnation très brune , s'habillent de noir, et conservent des usages différents de ceux des races qui les entourent. Ils parlent le russe blanc, mais avec un accent lithua- nien. Ils sont nommés par les gens du pays latwjèses ou lodwezaj. C'est une formation de métis tout à fait tombés. (Schaff., Slawische Aller Ih. y t. I, p. 338, 340, 343, 349.)

(2) Munch {Det Norske Folk Historié (traduct. allem.) , p. 63) cherche assez péniblement à établir l'étymologie de ce mot. Il veut que, de même que les Allemands sont appelés par les Slaves Njemzi, muets, parce qu'on ne comprend pas ce qu'ils disent, ces mêmes Slaves, mieux instruits du langage des Sai'mates, leur aient donné le nom de Ruotslainej Rootslaine, de la racine rot, le peuple de ceux qui parlent*

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3i0 DE l'inégalité

centrale, vers le vii^ ou vin® siècle avant Tère chrétienne (1). Cette époque, marquée par de grands changements dans la situation ethnique et topographique d'un grand nombre de na- tions asiatiques et européennes, constitue également pour les Arians du nord un nouveau point de départ, et par conséquent une date importante dans Fhistoire de leurs migrations.

Il n'y avait guère que deux à trois cents ans qu'ils étaient arrivés en Europe , et cette période avait été remplie tout en- tière par les conséquences violentes de l'antagonisme qui les opposait aux nations limitrophes. Livrés sans réserve à leurs haines nationales , absorbés par les soins uniques de l'attaque et de la défense , ils n'avaient pas eu le temps sans doute de perfectionner leur état social; mais cet inconvénient avait été largement compensé, au point de vue de l'avenir, par l'isole- ment ethnique, gage assuré de pureté, qui en avait été la con- séquence. Maintenant ils se voyaient contraints de se transpor- ter dans une nouvelle station. Cette station leur était assignée, exclusivement à toute autre , par des nécessités impérieuses.

La propulsion qui les jetait en avant venait du sud-est. Elle était donnée par des congénères, évidemment irrésistibles, puis- qu'on ne leur résistait pas. Il n'y avait donc pas moyen que les Arians -Sarmates-Roxolans prissent leur marche contre cette direction. Ils ne pouvaient davantage s'avancer indéfini- ment vers l'ouest, parce que les Sakas, les Gètes, les Thraces, les Kymris , y étaient demeurés par trop forts , et surtout par trop nombreux. C'eût été affronter une série de difficultés et d'embarras inextricables. Incliner vers le nord-est était non moins difficile. Outre les amoncellements finnois qui opéraient sur ce point, des nations arianes encore considérables, des mé- tis arians jaunes qui augmentaient chaque jour d'importance, devaient très légitimement faire repousser lldée d'ime marche rétrograde vers les anciens gîtes de la famille blanche. Pvestalt l'accès du nord-ouest. De ce côté, les barrières, les empêche- ments étaient sérieux encore , mais pas insurmontables. Peu d' Arians , beaucoup de Slaves , des Finnois, en quantité moin-

(1) Munch, p. 14, 52-53.

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DES BACES HUMAINES. 341

dre que dans l'est , il y avait des probabilités de conquêtes plus grandes que partout ailleurs. Les Roxolans le comprirent ; le succès leur donna raison. Au milieu des populations diver- ses que leurs traditions conservées nous font encore connaître sous leurs noms significatifs de Wanes, de lotuns et d'Alfarsî ou fées, ou nains, ils réussirent à établir un état stable et ré- gulier dont la mémoire , dont les dernières splendeurs projet- tent encore, à travers Tobscurité des temps, un éclat vif et glo- rieux sur Faurore des nations Scandinaves.

C'est le pays que l'Edda nonama le Gardarike , ou V empire de la ville des Arians (1). Les Sarmates Roxolans y purent dételer leurs bœufs voyageurs, y remiser leurs chariots. Ils con- nurent enfin des loisirs qu'ils n'avaient plus eus depuis bien des séries de siècles , et en profitèrent pour s'établir dans des de- meures permanentes. Asgard, la ville des Ases ou des Arians, fut leur capitale. C'était problabement un grand village orné de palais à la façon des anciennes résidences des premiers conquérants de l'Inde et de la Bactriane. Son nom n'était d'ail- leurs pas prononcé pour la première fois dans le monde. En- tre autres applications qui en furent faites, il exista longtemps, non loin du rivage méridional de la Caspienne, un établisse- ment médique appelé de même Açagarta (2).

(1) Garta est employé dans les Védas dans le double sens de chariot et de maison. On en voit la cause. Sur une inscription achéménide, karta signifie château. Dans ce sens, il fait partie de la composition du nom de plusieurs capitales asiatiques , entre autres Tigranocerta , le château de Tigrane. Efi latin, en gothique, et dans toutes les lan- gues dérivées de cette double source, hortus, gard, gardun, gurten, giœrd, giardino , jardin , garden, veut dire principalement une en- ceinte, et c'est là, certainement, le sens intime du mot. (Dieffen- bach, Vergleichendes Wœrterbuch der gothischen Sprache, t. II, p. 382.)

Lassen et Westergaard, Die Achem. Keilinschriften, p. 29 et 72. yfemho\d,DieDeutschenFraiienin dem Mittelalter, Wien,18ol, p. 327.

Pott {EtymologîscheForschun gen, th. I, p. 144) y joint très bien le ^opToç grec et le mot italiote chors. J'y ajouterai le terme militaire de même origine cohors, qui garde dans ses flexions le t primitif.

(2) Ptolémée nomme le peuple de ce pays SavàpTot. Une inscription perse recueillie par Niebuhr, I, tabl. xxxi, le mentionne également, Hérodote compte huit mille Sagartes dans l'armée de Darius (VII, 85). (Lassen et Westergaard, Achem. Keilinschriften, p. 54.)

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342 DE l'inégalité

Les traditions concernant Asgard sont nombreuses et même^ minutieuses. Elles nous montrent les pères des dieux, les dieux eux-mêmes, exerçant avec grandeur dans cette royale cité la plé- nitude de leur puissance souveraine, rendant la justice, décidant la paix ou la guerre , traitant avec une hospitalité splendide et leurs guerriers et leurs hôtes. Parmi ceux-ci nous apercevons quelques princes wanes (1) et iotuns, voire des chefs finnois. Les nécessités du voisinage, les hasards de la guerre forçaient les Roxolans de s'appuyer tantôt sur les uns, tantôt sur les au- tres , pour se maintenir contre tous. Des alliances ethniques furent alors contractées et étaient inévitables (2). Toutefois le nombre, et par conséquent l'importance, en resta minime, VÈdda le démontre, parce que l'état de guerre moins constant que jadis, lorsque les Roxolans résidaient aux environs du Cau- case, n'en fut pas moins très ordinaire, et surtout parce que le Gardarike , bien qu'ayant jeté beaucoup d'éclat sur l'histoire primitive des Arians Scandinaves, dura trop peu de temps pour que la race qui le possédait ait eu le temps de s'y corrompre. Fondé du vu® au viii® siècle avant l'ère chrétienne , il fut renversé vers le iv® (3) , malgré le courage et l'énergie de ses fondateurs, et ceux-ci, forcés encore une fois de céder à la for- tune qui les conduisait à travers tant de catastrophes à l'em- pire de l'univers , remirent leurs familles et leurs biens dans leurs chariots , remontèrent sur leurs coursiers, et, abandonr nant Asgard, s'enfoncèrent, à travers les marais désolés des régions septentrionales , au-devant de cette série d'aventures qui leur était réservée , et dont rien assurément ne pouvait leur faire présager les étonnantes péripéties et le succès final.

(1) VEdda place les Ases, les Roxolans, sur la rive orientale du Don^ tandis que les nations wendes indépendantes occupent la rive occi- dentale. (Schaffarik, t. I, p. 134, 307, 358.)

(2) Suivre la trace et Tindication de ces mélanges dans l'Edda, prin- cipalement dans la Vœluspa. La forme mythique du récit n'empêche en aucune façon d'apercevoir le noyau historique.

(3) Munch attribue la ruine du Gardarike à la pression des nations de Sakas qui avaient remplacé les Sarmates dans les régions du Cau- case, et qui étaient elles-mêmes dépossédées par les Achéménides.. (P. 61.)

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DES KACES HUMAINES. 343

CHAPITRE II

Les Arians Germains

Arrivée à nn certain point de sa route , l'émigration des nobles nations roxolanes se sépara en deux rameaux. L'un se dirigea vers la Poméranie actuelle , s'y établit , et de con- quit les îles voisines de la côte et le sud de la Suède (1). Pour la première fois les Arians devenaient navigateurs et s'empa- raient d'un mode d'activité dans lequel il leur était réservé de dépasser un jour, en audace *et en intelligence , tout ce que les autres civilisations avaient jamais pu exécuter. L'autre rameau, qui, à son heure, ne fut pas moins remarquable ni moins comblé dans ce genre , continua à marcher dans la di- rection de îa mer Glaciale, et, arrivé sur ces tristes rivages, fît un coude , les longea, et , redescendant ensuite vers le midi, entra dans cette Norwège, Nord-wegr, le chemin septen- trional (2), contrée sinistre, peu digne de ces guerriers, les plus excellents des êtres. Ici l'ensemble des tribus qui s'arrêta abandonna les dénominations de Sarmates, de Roxolans, d'Ases, qui jusqu'alors avaient servi à le distinguer au milieu des autres races. Il reprit le titre de Sakas. Le pays s'appela Skanzia , la presqu'île des Sakas. Très probablement ces na- tions avaient toujours continué entre elles à se donnçr le titre à^ hommes honorables, et, sans un trop grand souci du mot qui rendait cette idée, elles se nommaient indifféremment Khétas, Sakas, Arians ou Ases. Dans la nouvelle demeure, ce fut la seconde de ces dénominations qui prévalut, tandis que, pour le groupe établi dans la Poméranie et les terres adjacen-

(1) Munch, ouvr. cité, p. 61.

(2) Munch, p. 9 et 61. Il donne, par extension, au mot Norwégien le senskie gens qui marchent vers le nord, et, par induction, de gens qui marchent vers le nord relativement à leurs compatriotes, Suédois et Poméraniens, ou, autrement dit, Golhs restés au sud.

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344 DE L'iN EGALITE

tes , celle de Rhéta devint d'un usage commun (1). Néanmoins, les peuples voisins n'admirent jamais cette dernière modifica- tion, dont ils ne comprenaient pas sans doute la simplicité, et avec une ténacité de mémoire des plus précieuses pour la clarté des annales, les peuples finniques continuent encore d'appeler les Suédois d'aujourd'hui Ruotslaine ou Rootslane, tandis que les Russes ne sont pour eux que des H^œnalnine ou fVaenelane^ des Wendes (2).

Les nations Scandinaves étaient à peine établies dans leur péninsule, quand un voyageur d'origine hellénique vint pour la première fois visiter ces latitudes, patrie redoutée de toutes les horreurs, au sentiment des nations de la Grèce et de lltalie. Le Massaliote Pythias poussa ses voyages jusque sur la côte méridionale de la Baltique.

Il ne trouva encore dans le Danemark actuel que des Teu- tons, alors celtiques, comme leur nom en fait foi (3). Ces peuples possédaient le genre de culture utilitaire des autres nations de leur race ; mais à l'est de leur territoire se trouvaient les Guttons, et avec ceux-ci nous revoyons les Khétas; c'était une fraction de la colonie poméranienne (4). Le navigateur grec les visita dans un bassin intérieur de la mer qu'il nomme Mentonomon, Ce bassin est, à ce qu'il semble, Frische-Haff,

(1) Munch, ouvr. cité y p. 59.

(2) Ibid., p. 56.

(3) Le nom de Teut, que se donnent aujourd'hui les AUemands, est d'un usage fort ancien parmi les nations des Kymris, et n*a absolu- ment rien de germanique. On trouve dans l'Italie aborigène Teuta pour le nom primitif de Pise. Les habitants s'appelaient Teutanes, Teutani ou Teutœ. (Pline, Hist. natur., III, 8.) Les guerriers de la Gaule avaient établi en Cappadoce la tribu des Teutobodiaci , en Pannonie, la ville de TeuToêoupyiov , dans le nord de la Grèce, les Tsyrat (Id.> ibid.) On connaît une foule de noms d'hommes celtiques dans la composition desquels entre ce motj Teutobochus, Teutomalus, etc. (Diefifenbach, Celtica II, I Abthj p. !93, 338.) Munch considère les Thjust du Smaaland comme des Celtes d'origine. (P. 46.) Deutsch ne paraît pas avoir été pris collectivement avant le ix« siècle de notre ère.

(4) Ils s'étaient établis sur les terres des nations slaves qu'ils avaient forcées au partage, et dont ils paraissent avoir expulsé la noblesse. (SchSiïïdirik, iSlaw. Alterth., t. îy p. i06.)

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DES BACES HUMAINES. 345

et la ville qui s'élève sur ses bords, Kônigsberg (1). Les Gut- tons s'étendaient alors très peu vers l'ouest; jusqu'à l'Elbe, le pays était partagé entre des commîmes slaves et des nations celtiques (2). En deçà du fleuve, jusqu'au Rhin d'une part, jusqu'au Danube de l'autre , et par delà ces deux cours d'eau, les Kymris régnaient à peu près seuls. Mais il n'était pas pos- sible que les Sakas de la Norwège , que les Khétas de la Suède, des îles et du continent, avec leur esprit d'entreprise, leur courage et le mauvais lot territorial qui leur était échu, lais- sassent bien longtemps les deux amas de métis blancs qui bor- daient leurs frontières en possession tranquille d'une isonomie qui n'était pas trop difficile à troubler.

Deux directions s'ouvraient à l'activité des groupes arians du nord. Pour la branche gothique, la façon la plus naturelle de procéder, c'était d'agir sur le sud-est et le sud, d'attaquer de nouveau les provinces qui avaient fait anciennement partie du Gardarike et les contrées antérieurement encore tant de tribus arianes de toutes dénominations étaient venues com- mander aux Slaves et aux Finnois et avaient subi Tinévitable dépréciation qu'amènent les mélanges. Pour les Scandinaves, au contraire , la pente géographique était de s'avancer dans le sud et l'ouest, d'envahir le Danemark, encore kymrique, puis les terres inconnues de l'Allemagne centrale et occiden- tale, puis les Pays-Bas, puis la Gaule. Ni les Goths ni les Scan- dinaves ne manquèrent aux avances de la fortune (3).

(1) Pythias, Ptolémée, Mêla et Pline ont montré les Goths tendant vers la Vislule. Ce fut longtemps leur frontière. Ils touchaient à des peuples arians qu'on nommait les Scytho-Sarmates , et qui, bien que de même souche qu'eux, faisaient partie d'un autre groupe d'in- vasion. (Munch , 36-37, 52-53.)

(2) Munch, loc. cit. , 31.

(3) Cette séparation des premières nations véritablement germani- ques en Scandinaves et en Goths me paraît commandée par les faits, et je la préfère aux traditions généalogiques que nous ont conservées Tacite et Pline. Celles-ci font descendre les races du Nord d'un homme- type, appelé Tuisto, et de ses trois fils, Istaewo, Irmino et Ingaevo. Tout prouve que ce mythe n'a jamais existé dans les pays purement germaniques, et s'est (féveloppé surtout dans l'Allemagne centrale et méridionale. Il parait donc être d'origine celtique, bien qu'il ait été

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346 DE l'inégalité

Dès le second siècle avant notre ère , les nations norwégien- nés donnaieint des marques irrécusables de leur existence aux Kymris , qu'ils avaient pour plus proches voisins. De redou- tables bandes d'envahisseurs , s'échappant des forêts , vinrent réveiller les habitants de la Chersonnèse cimb'rique , et , fran- chissant toutes les barrières, traversant dix nations, passèrent le Rhin , entrèrent dans les Gaules , et ne s'arrêtèrent qu'à la hauteur de Reims et de Beauvais (1).

Cette conquête fut rapide, heureuse, féconde. Pourtant elle ne déplaça personne. Les vainqueurs, trop peu nombreux, n'eurent pas besoin d'expulser les anciens propriétaires du sol. Ils se contentèrent de les faire travailler à leur profit, comme toute leur race avait l'habitude de s'y prendre chez les métis blancs soumis. Bientôt même , nouvelle marque du peu d'épaisseur de cette couche d'arrivants , ils se mêlèrent suffi- samment avec leurs sujets pour produire ces groupes germa- nisés si fort célébrés par César, comme représentant la partie la plus vivace des populations gauloises de son temps , et qui avaient conservé l'antique nom kymrique de Belges (2).

adopté et peut-être modifié dans quelques parties par les Germains métis. Les efforts de W. Muller pour retrouver dans les noms de Tuisto, d'Ingaevo, d'Irmino et d*Istaevo des surnoms de dieux Scandinaves ne sont pas certainement très heureux. (AUdeutsche Religion j p. 292 et seqq.) Comme exemple des changements que cette tradition a subis <lans le cours des temps , on peut présenter le tableau donné par Nem- nius (éd. Gunn, p. 53-54), où, au lieu de Tuisto, dans lequel on ne peut, en tout cas, reconnaître que Teut, transformé en éponyme de la race celtique, le chroniqueur donne Alanus, et quant aux noms des trois héros fils de cet Alanus, il les écrit Hisicion^ Armenon et Neugio.

(1) Munch, ouvr. cité, p. 18.

(2) n se passa alors chez les populations celtiques de l'occident ce qui arrivait depuis des siècles, dans Torient de l'Europe, à d'autres Celtes et surtout aux Slaves. Des maîtres arians commencèrent par s'im- poser à elles , puis acceptèrent leur nom national en se mêlant. C'est un des motifs qui portèrent si longtemps les Romains à confondre les deux groupes et Strabon à proposer cette singulière étymologie du mot de Germain, venu, disait-il, de ce que les Gaulois les appellent Frères, TspiLdyoï. (VII, 1, 2.) Ils étaient frères^, en effet, au moment ou le géographe d'Apamée les observait, mais non pas frères d'origine.

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Cette première alliivion fit grand bien aux nations qu'elle pénétra. Elle restitua leur vitalité , atténua chez elles Tin- fluence des alliages finniques, leur rendit pour un certain temps une activité conquérante , qui leur valut une partie des Gaules et les cantons orientaux de l'île de Bretagne; bref, elle leur donna une supériorité si marquée sur tous les autres Galls que , lorsque les Cimbres et les Teutons , s'ébranlant à leur tour, franchirent le Rhin, ces émigrants passèrent à côté des territoires belges sans oser les attaquer, eux qui affron- taient sans crainte les légions romaines. C'est qu'ils reconnais- saient sur l'Escaut , la Somme et l'Oise des parents qui les va- laient presque.

Le caractère de furie et de rage déployé par ces antagonis- tes de Marius, leur incroyable audace, leur pesante avidité sont tout à fait dignes de remarque , parce que rien de tout cela n'était plus ni dans les habitudes ni dans les moyens des peuples celtiques proprement dits. Toutes ces tribus cimbriques et teutonnes avaient été , plus particulièrement encore que les Celtes, fortifiées par des accessions Scandinaves. Depuis que les Arians du nord vivaient dans leur voisioage immédiat et avaient commencé à leur faire sentir plus activement leur pré- sence , depuis que les Jotuns avaient aussi pénétré dans leurs domaines , elles avaient subi de grandes transformations , qui les mettaient au-dessus du reste de leur ancienne famille. C'é- taient toujours des Celtes fondamentalement, mais des Celtes régénérés.

En cette qualité, ils n'étaient pas cependant devenus les

i\ ôir yf diChter, Ency cl. Ersch u. Gruber, Go^M, p. 47. Diefifenbach, Celtica II, p. 68.) De même que les premiers clans germaniques de rorient, ceux qui venaient de la Norwège, se mêlèrent aux Celles, qu'ils trouvèrent sur leur chemin, de même les premières expéditions gothiques contractèrent des alliances qui les modifièrent profondé- ment. Ainsi les Gothini de la Silésie avaient adopté la langue de leurs sujets de race kymrique. Tacite le dit expressément. (Germ,, 45. "> J'insiste d'autant plus fortement sur les faits de ce genre , qu'ils for- ment la partie essentielle de l'histoire^ qu'ils expliquent une multitude d'énigmes, jusqu'ici insolubles, et que jamais on ne les a pris en >considération.

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égaux de ceux qui leur avaient communiqué une part de leur puissance; et quand les Scandinaves , quittant un jour en nom- bre suffisant leur péninsule » étaient venus réclamer non plus seulement la suprématie souveraine , mais le domaine direct de ces métis , ces derniers s'étaient vus contraints de leur faire place. C'est ainsi qu'une grande partie d'entre eux, quittant un pays qui n'avait plus à leur offrir que la pauvreté et la su- jétion , composèrent ces bandes exaspérées qui renouvelèrent un moment dans le monde romain la vision des jours désas- treux de Tantique Brennus.

Tous les Teutons , tous les Cimbres n'eurent pas recours sans exception à ce violent parti et ne se jetèrent pas dans Texil. Ce furent les plus hardis, les plus nobles, les plus ger- manisés qui le firent. S'il est dans les instincts des familles guerrières et dominantes d'abandonner en masse une contrée l'attrait de leurs anciens droits ne les retient plus , il n'en est point ainsi des couches inférieures de la population, vouées aux travaux agricoles et a la soumission politique. Pas d'exem- ple qu'elles aient jamais été ni expulsées en masse, ni absolu- ment détruites dans aucune contrée. Ce fut le cas des Cimbres et de leurs alliés. I^a couche germanisée disparut, pour faire place à une couche plus homogène dans sa valeur Scandinave. Les substructions celtiques mêlées d'éléments finnois se con- servèrent. La langue danoise moderne le révèle nettement (1). Elle a conservé des traces profondes du contact celtique , qui n'a pu s'opérer qu'à cette époque. Un peu plus tard on trouve encore, chez les diverses nations germaniques de ces pays, de nombreuses croyances et pratiques druidiques.

L'époque de l'expulsion des Teutons et des Cimbres consti- tue un second déplacement des Arians du nord, plus impor-

(1) Munch {ouvr.'cité, p. 8) ne pense pas qu*avant le ym® siècle de notre ère on puisse affirmer que les populations danoises aient été ger- maniques. L*extrême nord du JuUand paraît avoir porté un grand nombre de populations diverses, d*abord des Finnois , puis des Celtes, puis des Slaves, puis des Jotuns, enfin des Scandinaves. Wachter (Galli) considère les Danois comme un mélange primitif de Finnois et de Celles.

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tant déjà que le premier, celui qui avait créé les Belges de se- conde formation. Il en résulta trois grandes conséquences, dont les Romains éprouvèrent les contre-coups. Je viens d'en citer une : ce fut la convulsion eimbrique. La seconde, en donnant pied aux Scandinaves de la JSorwège sur la rive mé- ridionale du Sund, fit arriver dans le nord de l'Allemagne, et peu à peu jusqu'au Rhin, des peuples nouveaux, de race mixte, plus arianisés que les Belges, pour la plupart, car ils apportè- rent des dénominations nationales nouvelles au sein des masses celtiques qu'ils conquirent. Le troisième effet fut d'amener, au i^r siècle avant Jésus-Ciirist, jusqu'au centre de la Gaule, une conquête germanique bien caractérisée, bien nette , celle dont Arioviste se montra le seul meneur apparent. Ces deux derniers faits demandent quelque attention, et, nous occupant d'abord du premier, remarquons à quel point le dictateur connaît peu les nations transrhénanes de son temps. Ce ne sont plus pour lui, comme jadis pour Aristote, des populations kymriques, mais des groupes parlant une langue toute particulière, et que leur mérite, dont il a pu juger par expérience personnelle, rend fort supérieurs à la dégénération sont en proie les Gaulois contemporains. La nomenclature donnée par lui de ces famil- les, si dignes d'intérêt, n'est pas plus riche que les détails qu'il rapporte sur leurs mœurs. Il n'en connaît et n'en cite que quelques tribus; et encore si' les ïrévires et les Nerviens se déclarent Germains d'origine, comme ils en avaient le droit jusqu'à un certain point, il les range non moins légitimement parmi les Belges. Les Boïens vaincus avec les Helvètes sont à ses yeux demi-germains, mais d'une autre façon que les Rè- mes; et il n'a pas tort. Les Suèves, malgré l'origine celtique de leur nom, lui semblent pouvoir être comparés aux guerriers d' Arioviste (1). Enfin, il met absolument dans cette dernière catégorie d'autres bandes, également originaires d'outre-Rhin,

(1) Les Suèves avaient une très grande réputation parmi les métis germaniques. Ils n'étaient cependant pas de race pure. Leur organisa- tion politique était celle des Kymris, leur religion était druidique. Us habitaient des villes , ce que ne faisait aucune nation Scandinave ou gothique; ils cultivaient même la terre, au dire de César.

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qui un peu avant son consulat avaient pénétré, l'épée au poing, au sein du pays des Arvernes, et qui, s'y étant établies dans des terres concédées de gré, ou plutôt de force , par les indigènes, avaient ensuite appelé auprès d'eux un assez grand nombre de leurs compatriotes pour former une colonisation de vingt mille âmes à peu près. Ce trait suffit, soit dit en passant, pour expliquer cette terrible résistance qui, parmi les habitants énervés de la Gaule, fit rivaliser les sujets de Vercingétorix avec le courage des plus hardis champions du Nord (1).

C'est à ce peu de renseignements que se bornait, au i^' siècle avant notre ère, la connaissance qu'on avait dans le monde romain de ces vaillantes nations qui allaient un jour exercer une si grande influence sur Tunivers civilisé. Je ne m'en étonne pas : elles venaient d'arriver ou à peine de se former, et n'a- vaient pu encore révéler qu'à demi leur présence. On serait en droit de considérer ces détails incomplets comme à peu près nuls, quant au jugement à porter sur la nature spéciale des peuples germaniques de la seconde invasion, si, par la descrip- tion spéciale que l'auteur de la guerre gallique a laissée du camp et de la personne d'Arioviste , il ne se trouvait heureu- sement avoir suppléé, dans une mesure utile, à ce que ses au- tres observations avaient de trop vague pour autoriser une con-, clusion.

Arioviste, aux yeux du grand homme d'État romain , n'est pas seulement un chef de bande, c'est un conquérant politique de la plus haute espèce, et ce jugement, à coup sûr, fait hon- neur à celui qui l'a mérité. Avant d'entrer en lutte avec le peuple-roi, il avait inspiré une bien forte idée de sa puissance au sénatj puisque celui-ci avait cru devoir le reconnaître déjà pour souverain et le déclarer ami et allié. Ces titres si recher- chés, si appréciés des riches monarques de l'Asie , ne l'infa-

(1) Il paraît qu'avant l'époque de César les nations de la Gaule, les plus considérables, avaient eu recours, pour augmenter leur puis- sance, à ce moyen familier aux peuples en décadence, de coloniser chez eux des étrangers sous la condition du service militaire. Ce qu'avaient fait les Arvernes, peut-être un peu de force, leurs rivaux, les Éduens, l'avaient essayé de bonne grâce.

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DES RACES HUMAINES. 35i

tuaient pas. Lorsque le dictateur, avant d'en venir aux mains avec lui, cherche à l'étudier et, dans une négociation astucieuse, tente de discuter son droit à s'introduire dans les Gaules , il répond pertinemment que ce droit est égal et tout pareil à celui du Romain lui-même, qu'il est venu, comme lui, appelé par les peuples du pays, et pour intervenir dans leurs discordes. Il maintient sa position d'arbitre légitime ; puis, déchirant avec fierté les voiles hypocrites dont son compétiteur cherche à en- velopper et à cacher le fond sérieux de la situation : « Il ne « s'agit, dit-il, ni pour toi ni pour moi, de protéger les cités « gauloises, ni d'arranger leurs débats , en pacificateurs désin- « téressés. Nous voulons, l'un et l'autre, les asservir. »

En parlant ainsi, il pose le débat sur son véritable terrain et se déclare digne de disputer la proie. Il connaît bien les affai- res de la contrée, les partis qui la divisent, les passions, les intérêts de ceux-ci. Il parle le gaulois avec autant de facilité que sa propre langue. Bref, ce n'est pas plus un barbare par ses habitudes qu'un subalterne par son intelligence.

Il fut vaincu. Le sort prononça contre lui , contre son armée, mais non pas, on le sait, contre sa race. Ses hommes, qui n'appartenaient à aucune des nations riveraines du Rhin, se dis- persèrent. Ceux que César, ébloui de leur valeur, ne put pren-* dre à son service, allèrent se mêler, sans bruit, aux tribus mixtes qui couvraient derrière eux le terrain. Ils apportèrent de nouveaux éléments à leur génie martial.

C'étaient eux, bien qu'ils ne fussent pas une nation, mais seulement une armée (1), qui avaient fait connaître les pre* miers dans l'Occident le nom des Germains. C'était d'après la plus ou moms grande ressemblance que les Trévires , les Boïens, les Suèves, les Nerviens avaient avec eux, soit dans l'apparence corporelle, soit dans les mœurs et le courage, que César avait accordé à ceux-ci l'honneur de leur trouver quel-

(1) Ariovisle dit à César que depuis quatorze ans, que ses campagnes dans la Gaule avaient commencé, ni lui ni ses hommes n'avaient dormi sous un toit. CeUe remarque indique bien la situaUon absolument militaire des gens de ce chef.

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que chose de germanique. C'est donc à leur propos qu'il faut s'enquérir de ce que signifie ce nom glorieux, que j'ai déjà employé en attendant Toccasion vraie de l'expliquer..

Puisque les gens d'Arioviste n'étaient pas un peuple et ne constituaient qu'une troupe en expédition , voyageant , suivant l'usage des nations arianes, avec ses femmes, ses enfants et ses biens, ils n'avaient pas lieu de se parer d'un nom national; peut-être même, comme il arriva souvent depuis à leurs con- génères, s'étaient-ils recrutés dans bien des tribus différentes. Ainsi privés d'un nom collectif, que pouvaient-ils répondre aux Oaulois qui leur demandaient : Qui êtes-vous? Des guerriers, répliquaient-ils nécessairement , des hommes honorables , des nobles, des Arimanni, Heermanni, et suivant la prononcia- tion kymrique, des Germanni, C'était en effet la dénomina- tion générale et commune qu'ils donnaient à tous les cham- pions de naissance libre (1). Les noms synonymes de Saka, de Khéta, d'Arian, avaient cessé de désigner, comme autrefois, l'ensemble de leurs nations; certaines branches particulières et quelques tribus se les appliquaient exclusivement (2). Mais partout, comme dans l'Inde et la Perse, ce nom, dans une de ses expressions, et plus généralement dans celle d'Arian, con- tinuait à s'appliquer à la classe la plus nombreuse de la société ou à la plus prépondérante. L'Arian chez les Scandinaves, c'était donc le chef de famille , le guerrier par excellence , ce que nous appellerions le citoyen. Quant au chef de l'expédition

(1) Savigny, D. Rœmische Recht im Mittelalter, L I, p. 193. Jusqu'aux ix« et siècles on a dit indifféremment Germanus et Arimannus, pour Indiquer un homme libre parmi Jes populations germaniques de l'Italie. { Ibidem f p. 166.) Il y en a jnême des exemples au xn^ siècle. On appelait alors Arimannia l'ensemble des hommes libres d'une même circonscription et aussi la propriété libre d'un ariman. (Ibid., 170-171.)

(2) Outre les Oses Sarmates, qui habitaient encore la Pannonie, mais fort dégénérés et tributaires d'autres Sarmates et des Quades germani- ques, on avait les Osyles dans la Baltique; c'étaient des Roxolans d'origine. (Munch, p. 34.) On avait ainsi des Arii germaniques au delà de la Vistule (Tac, 43), des Guttes, des Chattes, des Gotonos, etc., etc. Pline, Strabon, Ptolémée et Mêla donneraient, au besoin, tous les éléments d'une longue liste

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dont il s'agit ici, et qui, de même que Brennus, Vercingétorix et tant d'autres, paraît n'avoir reçu de l'histoire que son titre, et non pas son nom propre, Arioviste, c'était l'hôte des héros, celui qui les nourrissait, les payait, c'est-à-dire, d'après toutes les traditions, leur général. Arioviste, c'est ^riogast, ou y^ria- gast^ l'hôte des Arians.

Avec le second siècle de l'ère chrétienne commence cette époque les émissions Scandinaves s'étant déjà multipliées dans la Germanie , l'instinct d'initiative y est devenu patent et éveille toutes les préoccupations des hommes d'État romains. L'âme de Tacite est en proie à de poignantes inquiétudes, et il ne sait qu'espérer de l'avenir. « Qu'elle persiste, s'écrie-t-il, a qu'elle dure, j'en adjure tous les dieux, non l'affection que « ces peuples nous portent , mais la haine dont ils s'entre-dé- « chirent. Une société telle que la nôtre n'a rien de mieux à « attendre de la fortune que les discordes de ses voisins (1). »

Ces terreurs si naturelles furent cependant trompées par Té- vénement. Les Germains , limitrophes de l'empire au temps de Trajan, devaient, malgré leurs apparences effrayantes, rendre à la chose romaine les plus éminents services et ne prendre guère de part à sa transformation future , si toutefois ils en ont pris. Ce n'était pas à eux qu'était promise la gloire de régénérer le monde et de constituer la société nouvelle. Tout énergiques qu'ils étaient comparativement aux hommes de la république, ils étaient déjà trop affectés par les mélanges celtiques et Slaves pour accomplir une tâche qui exigeait tant de jeunesse et d'originalité dans les instincts. Les noms de la plupart de leurs tribus disparaissent sans éclat avant le siècle. Un bien petit nombre se montre encore dans l'histoire de la grande migration ; encore sont-ils très loin d'y paraître aux premiers rangs. Ils s'étaient laissé gagner par la corruption romaine.

Pour trouver le foyer véritable des invasions décisives qui

(1) a Maneat, quaeso , duretque gentibus , sinon amor nostri , at certe « odium sui; quando urgentibus imperii fatis, niliil jam prîestare ' -a fortuna majus potest quam hostium discordiam. » {Germ., 33).

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créèrent le germe de la société moderne, il faut se transporter sur la côte baltique et dans la péninsule Scandinave. Voilà cette contrée que les plus anciens chroniqueurs nomment justement, et avec un ardent enthousiasme, la source des peuples, la matrice des nations (1). Il faut lui associer aussi, dans une si illustre désignation, ces cantons de l'est , depuis le départ du Gardarike de rAsaland,la branche ariané des Goths avait fixé ses principales demeures. Au temps nous les avons quittés y^ces peuples étaient fugitifs et contraints à se contenter de misérables territoires. Nous les retrouvons à cette heure tout-puissants, dans d'immenses régions conquises par leurs armes.

Les Romains commencèrent à connaître non pas toutes leurs forces, mais celles des provinces extrêmes de leur empire, dans la guerre des Marcomans, autrement dit, des hommes de la frontière (2). Ces populations furent, à la vérité, con- tenues par Trajan; mais la victoire coûta fort cher, et ne fut . nullement définitive. Elle ne préjugea rien contre les destinées futures de cette grande agglomération germanique , qui , bien que touchant déjà au bas Danube, plongeait encore ses racines dans les terres les plus septentrionales, et partant les plus franches, les plus pures, les plus vivifiantes de la famille (3). En effet, quand, vers le v^ siècle, les grandes invasions commencent, ce sont des masses gothiques toutes nouvelles qui se présentent , en même temps que sur toutç la ligne des limites romaines, depuis la Dacie jusqu'à Tembouchure du Rhin, des peuples, à peine connus naguère , et . qui se sont graduellement rendus redoutables, deviennent irrésistibles. Leurs noms, indiqués par Tacite et Pline comme appartenant à des tribus extrêmement reculées vers le nord, n'avaient paru à ces écrivains que très barbares ; ils avaient considéré les peuples qui les portaient comme les moins propres à éveil- ler leur sollicitude. Ils s'étaient trompés du tout au tout.

(1) Jornandès , c. 4 : « Scandia insula , quasi officina gentium , aut certe velut vagina nationum. »

(2) Munch, p. 31 et 38.

(3) Ibid., p. 40. Kefersjein , iCe^f îsc/ie AUerth. , 1. 1, p. xxxi.

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a

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C'étaient, comme je viens de le dire, et en première ligne, les Goths, arrivés en masse de tous les coins de leurs posses- sions, d'où les expulsait la puissante d'Attila, appuyée plus encore sur des races arianes ou arianisées que sur ses hordes mongoles (1). L'empire des Amalungs, la domination d'Her- manarik, s'étaient écroulés sous ces assauts terribles. Leur gou- vernement, plus régulier, plus fort que celui des aùti^es races germaniques (2) , et qui reproduisait sans doute les mêmes for- mes en s'appuyant sur les mêmes principes que celui de l'an- tique Asgard, n'avait pu les sauver d'une ruine inévitable. Cependant ils avaient fait des prodiges de valeur. Tout vaincue qu'ils étaient , ils avaient conservé leur grandeur entière ; leurs rois ne dégénéraient pas de la souche divine à laquelle remon- tait leur maison, non plus que du nom brillant qu'elle leur valait, les Amâls^ les Célestes, les Purs (3); enfin, la supré- matie de la famille gothique était, en quelque sorte, avouée parmi les nations germaines , car elle éclate dans toutes les pages de l'Edda , et ce livre , compilé en Islande d'après des chants et dés récits norwégiens, célèbre principalement le Visigoth Théodorik. Ces honneurs extraordinaires étaient

(1) M. Amédée Thierry, dans ses travaux sur le siècle, est entré, le premier, dans une voie qui jette des lueurs toutes nouvelles sur les faits politiques de ces époques. On ne saurait trop louer la méthode employée par cet écrivain pour étudier et juger l'action d'Attila. Schaffarik, Slaw. Aller th., 1. 1, p. 124. La grande migration fut sur- tout composée des Vandales, des Suèves et des Alains, quant aux masses envahissantes, mais non pas quant à la direction qui leur était donnée. (Munch, p. 40.)

(2) C'est à Tacite qu'on doit cette remarque.

(3) Strahlenberg {Der nœrdl. u. oestl. Theil Europas u. AsienSy p. 104) avait déjà remarqué que les Visigoths appelaient le ciel amal. Schlegel Ind. Biblioth., 1. 1, p. 235) a fait observer, après lui , que le mot amala, qui en gothique signifie pur, sans tache, a exactement le même sens en sanscrit. Les Amala, en anglo-saxon, Amalunguy dans le Nibelungenlied , Amalungen, les Amalungs descendaient de Géat ou Khéla. Suivant W. MuUer {Alt. deutsche Religion, p. 297), Géat est un surnom d'Odin. Je suis plutôt porté à voir dans ce nom une forme antique du nom national des Goths, comme Séaf est une forme de Saka. (Voir une note précédente.) Les Amalungs descendaient ainsi de la plus pure souche ariane.

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complètement mérités. Ceux auxquels ils étaient rendus as- pirèrent à tous les genres de gloire. Ils comprirent beaucoup mieux que ne le faisaient les Romains l'importance et le prix des monuments de toute espèce provenus de l'ancienne civili- sation; ils exercèrent l'influence la plus noble dans tout l'Oc- cident. Ils en furent récompensés par une gloire durable; au xii^ siècle , un poète français se faisait encore honneur d'être issu de leur sang (l) , et , beaucoup plus tard , les derniers tres- saillements de l'énergie gothique inspirèrent l'orgueil de la noblesse espagnole.

Après les Goths , les Vandales tiendraient un rang distingué dans l'œuvre du renouvellement social , si leur action avait pu se soutenir et durer davantage. Leurs bandes nombreuses n'étaient pas purement germaniques , ni par les recrues dont elles s'étaient renforcées, ni par l'origine même du noyau : l'élément slave tendait à y dominer (2). Bientôt la fortune les jeta au milieu de populations plus civilisées de beaucoup qu'ils ne l'étaient, et infiniment plus nombreuses. Les alliages par- ticuliers qui s'opérèrent furent d'autant plus pernicieux , pour . la partie germanique de leur essence , qu'étrangers à la com- binaison première des éléments vandales , ces alliages y créè- rent et y développèrent plus de désordres. Un mélange fon- damentalement slave, jaune et arian, acceptant de proche en proche, en Italie et en Espagne, le sang romanisé de diffé- rentes formations pour prendre ensuite toutes les nuances mélanisées répandues sur le littoral africain, ne pouvait que dégénérer d'autant plus promptement qu'il cessa bientôt de recevoir tout affluent germanique. Carthage vit les Vandales accepter avec empressement sa civilisation décrépite et en mou-

(1) Rigord, mort vers 1209, se qualifie, dans sa chronique : « Magis- ter Rigordus, natione Gothu. » (Hist. litt. de France, t. XVII, p. 7.)

(2) Schaffarik {Slaw. Alterth., t. I, p. 163) pense que les Slaves, dans leurs établissements situés entre la Vistule et l'Oder, ayant reçu des immixtions, des Suèves (Celtes germanisés), donnèrent naissance aux Vandales. La terminaison il, ul, al indique un dérivé. Parmi les Van- dales se mêlèrent plusieurs bandes dont l'origine purement germani- que est incontestable. Cependant ces bandes étaient peu nombreuses.

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rir. Ils disparurent. Les Kabyles, que l'on prétend descendre d'eux , ont conservé en effet quelque chose de la physionomie septentrionale, et cela d'autant plus aisément que les habitu- des sporadiques dans lesquelles leur décadence les a fait choir, en les rangeant au niveau des peuplades voisines , continuent à maintenir un certain équilibre entre les éléments ethniques dont ils sont actuellement formés. Mais, examinés avec quel- que attention, ils laissent constater que le peu de traits teutoni- ques survivant dans leur physionomie est contrasté par beaucoup d'autres appartenant aux races locales. Et pourtant ces Kabyles si dégénérés sont encore les plus laborieux, les plus intelligents et les plus utilitaires des habitants de l'occident africain.

Les Longobards ont mieux défendu leur pureté que les Vandales; ils ont eu aussi cet avantage de pouvoir se retrem- per à plusieurs reprises dans la source d'oii sortait leur sang; aussi ont-ils duré plus longtemps et exercé une plus grande action. Tacite les avait à peine remarqués aux environs de la Baltique, ils vivaient de son temps, ils y touchaient encore au berceau commun des nobles nations dont ils faisaient partie. Descendant ensuite plus au sud, ils gagnèrent les contrées moyennes du Rhin et le haut Danube, et ils y séjournèrent assez pour s'empreindre de la nature des races locales , ce dont le caractère celtisé de leur dialecte porte témoignage (1). Malgré ces mélanges, ils n'avaient' nullement oublié ce qu'ils étaient , et longtemps après qu'ils se furent établis dans la vallée du , Prosper d'Aquitaine , Paul diacre et l'auteur du poème anglo-saxon de Beowulf\oydd&al encore en eux des descendants primitifs des Scandinaves (2).

Les Burgondes, placés jadis par Pline dans le Jutland, peu de temps sans doute après qu'ils .venaient d'y arriver, appar- tenaient , comme les Longobards, à la branche norwégienne (3) ;

(1) Munch, p. 46 et 48.

<2) Ibid.

(3) Keferstein {Keltische Aller th., t. I, p. xxxi) signale dans leur composition, au moment ils arrivèrent sur le Rhin, des mélanges gothiques et vandales. Il n*y a, en effet, rien de plus vraisemblable. Je n'entends parler ici que de leur état premier.

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ils s'étaient dirigés vers le sud, postérieurement au siècle, et ayant dominé longtemps dans l'Allemagne méridionale, ils s'y étaient mariés aux Germains celtisés des invasions précé- dentes, comme aussi à tous les éléments divers, kymriques et slaves , qui pouvaient s'y trouver en fusion. Leur destinée res- sembla en beaucoup de points à celle des Longobards, avec cette nuance cependant que leur sang put se. conserver un peu davantage. Ils eurent le bonheur de se trouver directement , à dater du vii^ siècle, scrus le coup d'un groupe germanique dont la pureté correspondait à celle des Goths, la nation des Franks. S'ils se virent promptement réduits à obéir à ces su- périeurs, ils leur durent des immixtions ethniques très favo- rables.

Les Franks, qui survécurent comme nation puissante à pres- que toutes les autres branches de la souche commune, même à celle des Goths, n'avaient été qu'à peine entrevus, dans le noyau de leur race, par les historiens romains du i°' siècle de notre ère (1). Leur tribu royale,'les Mérowings, habitait alors et jusqu'au vi® siècle compta encore des représentants sur un territoire, assez borné, situé entre les embouchures de TElbe et de l'Oder, aux bords de la Baltique, au-dessus de l'ancien séjour des Longobards. Il est évident, d'après cette situation géographique, que les Mérowings étaient issus de la Norwègë, et n'appartenaient pas à la branche gothique (2). Ils acquirent

(4) Pline connaît ce peuple.

(2) C'est le pays appelé par l'anonyme de Ravenne, Maurungania, la terre des Mérowings. Le poème de Beowulf établit bien la relation entre les Mérowings et les Franks lorsqu'il dit, v. 5836 : Us waes à-Syddan Mere-wionigas Milts un-gyfede.

« Depuis ce temps, la bienveillance des Mérowings nous a toujours été refusée , » c'est-à-dire depuis que les Franks sont en guerre avec celui qui parle. (Kemble, Anglo-saxon Poëm of Beowulf, p. 206. Ettmuller, Beowulfslied ^ 21. J. Bachlechner, Zeitschrift f. d. Alt.y t. VIII, p. S26.) Keferstein montre bien comment, par la route qu'ils suivirent dans leur migration de l'extrême nord , les Franks ont pu ar- river jusque dans la Gaule sans avoir été nullement mêlés aux Slaves et presque point aUx Celtes purs. (T. I, p. xxxiv.)

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une grande prépondérance dans l'histoire des territoires gau- lois postérieurement au siècle. Toutefois, aucune des généa- logies divines que Ton possède aujourd'hui ne les mentionne et ne permet de les rattacher à Odin , circonstance essentielle cependant, au gré des nations germaniques, pour fonder les droits à la royauté, et que remplirent, aussi bien que les Ama- iungs gothiques, les Skildings danois, les Astings suédois, et toutes les dynasties de l'heptarchie anglo-saxonne (1). TMalgré ce silence des documents, il n'y a pas à douter, en voyant la prééminence incontesté^ des Mérowings parmi les Franks , et la gloire de cette nation, que l'origine divine , la descendance odinique, autrement dit la condition de pureté ariane, ne fai- sait pas défaut à cette famille de rois, et que c'est uniquement par l'effet destructeur des temps que ses titres ne sont pas venus jusqu'à nous.

Les Franks étaient descendus assez promptement sur le Rhin inférieur, le poème de Beoivulflés montre en posses- sion des deux rives du fleuve, et séparés de la mer par les Fla- mands, Flaemings, et les Frisons, deux peuples avec lesquels leur alliance était étroite (2). Là, ils ne trouvèrent sous leurs pas que des races extrêmement et de longue main germani- sées (3), et de ce fait uni à leur départ tardif des pays les plus

(1) Les généalo§:ies héroïques qui nous ont été conservées, soit dans l'Edda, soit dans les annales compilées par des moines, soit dans les préaml)ules des différents codes, constituent une des sources les plus importantes que l'on puisse consulter pour l'histoire germaniffuo des plus anciennes époques. (Voir à ce sujet Grimm, W. Muller, Elt- muUer, etc.) La forme des noms, l'ordre dans lequel ils sont pla- cés, le nombre des aïeux donnés à Odin lui-même, enfin les traces d'allitération qui se retrouvent dans les compilations en pros3 sont autant de traits dignes d'être observés avec la plus extrême attention pour les résultats importants auxquels ils amènent. Je remarque sur- tout trois noms parmi les aïeux d'Odin, Suaf^ Heremod et Géat; ce sont autant de souvenirs ethniques se rapportant aux grandes déno- minations nationales de Saka, d'Arya, et de Khéta. On en peut signa- ler encore deux autres, indiquant des mélanges qui certainement ont eu lieu : Hwala, Gall, et Funi, Fenn.

(2) Les Frisons s'étaient autrefois appelés Eotenas, Eotan ou Jutœ, jC'étaient des Jotuns germanisés. (EttmuUer, Beowulfslied , p. 36.)

j(3) Parmi celles qui l'étaient le moins , on peut compter les Ubiens.

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arians, ils emportèrent de puissantes garanties de force et de durée pour l'empire qu'ils allaieiit fonder. Cependant , sur le dernier point, plus favorisés que les Vandales, que les Longo- bards , que les Bourguignons , et même que les Goths , ils le furent moins que les Saxons, et, s'ils eurent plus d'éclat, ils leur cédèrent en longévité. Ceux-ci ne furent jamais portés par leurs conquêtes extérieures dans les parties vives du monde romain (1). En conséquence, ils n'eurent pas de contact avec les races les plus mélangées, les plus anciennement cultivées, mais aussi les plus affaiblissantes. A peine peut-on les compter au nombre des peuples envahisseurs de l'empire, bien que leurs mouvements aient commencé presque en même temps que ceux des Franks. Leurs principaux efforts se portèrent sur l'est de l'Allemagne et sur les îles bretonnes de l'Océan occidental. Ils ne contribuèrent donc nullement à régénérer les masses romaines. Ce défaut de contact avec les parties vi- ves du monde civilisé, qui les priva d'abord de beaucoup d'il- lustration, leur a été avantageux au plus haut degré. Les An- glo-Saxons représentent , parmi tous les peuples sortis de la péninsule Scandinave , le seul qui , dans les temps modernes, ait conservé une certaine portion apparente de l'essence ariane. C'est le seul qui, à proprement parler, vive encore de nos jours. Tous les autres ont plus ou moins disparu, et leur in- ihience ne s'exerce plus qu'à l'état latent.

Dans le tableau que je viens de tracer, j'ai laissé de côté les détails. Je ne me suis pas arrêté à décrire les innombrables petits groupes qui, toujours en mouvement, sans cesse traver- sant et retraversant les voies des masses plus considérables,

Mais l'élément celtique n'en avait pas moins été très fortement affaibli chez cette nation par les mélanges d'autre nature qu'avaient apportés les Romains. (Dieffenbach, Celtica I, p. 68.) Les Sicambres, dont le nom joue un rôle dans nos premières annales , étaient nécessaire- ment germanisés à un très haut point, leur situation géographique le voulant ainsi. Cependant leur nom est celtique et rappelle celui des Segobrigi, nation qui très anciennement était connue de la colonie phocéenne de Marseille. Ce nom paraît signifier les illustres Ambres. ou Kymris. (1) Keferstein, ouvr, cité, t. I, p. xxxiv.

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contribuent à donner aux invasions des iv® et siècles cette apparence fiévreuse et tourmentée qui n'est pas une des moin- dres causes de leur grandeur. Il faudrait, pour bien faire, se représenter vivement et dans un incessant tumulte ces myria- des de tribus, d'armées, de bandes en expédition, qui, poussées par les causes les plus diverses, tantôt la pression des nations rivales, tantôt le surcroît de population , ici la famine, une ambition subitement éveillée, d'autres fois le simple amour de la gloire et du butin, se mettaient en marche, et, secondées par la victoire , déterminaient de proche en proche les plus terribles ébranlements (1). Depuis la mer Noire, depuis la Cas- pienne jusqu'à l'océan Atlantique , tout s'agitait. Le fond cel- tique et slave des populations rurales débordait incessamment ^'un pays sur l'autre, emporté par l'impétuosité ariane; et, au milieu de mille cohues, les cavaliers mongols d'Attila et de ses alliés, se faisant jour au travers de ces forêts d'épées et de ces troupeaux effarés de laboureurs, y traçaient dans tous les sens d'ineffaçables sillons. C'était un désordre extrême. Si à la sur- face apparaissaient de grandes causes de régénération , dans les profondeurs tombaient de nouveaux éléments ethniques d'abaissement et de ruine que l'avenu^ allait avoir beau jeu à développer.

Résumons maintenant Tensemble des mouvements arians «n Europe, je dis des mouvements qui aboutirent à la forma- tion des groupes germaniques et à la descente de ceux-ci sur les frontières de l'empire romain. Vers le viii^ siècle avant notre ère , les tribus sarmates roxolanes se dirigent vers les plaines du Volga. Au iv®, elles occupent la Scandinavie et quelques points de la côte baltique vers le sud-est. Au iii°, elles commencent à refluer en deux directions vers les contrées moyennes du continent. Dans la région occidentale, leurs pre-

(1) De ce nombre sont les Astings, les Scyrres, les Ruges, les Gépides et surtout les Hérules. Tous ces groupes, qui de même que les gens d'Arioviste, constituaient plutôt des armées, ou même des bandes en expédition , que des peuples à la recherche d'un gîte , retournaient très souvent dans le Nord après avoir beaucoup épouvanté le Sud. .(Munch, p. 44.)

RACES HUMAINES. T. Il, 21

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362 DE l'inégalité

mières nappes rencontrent des Celtes et des Slaves; à Test, outre ces derniers, d'assez nombreux détritus arians, provenant des invasions très anciennes des Sarmates, des Gètes, des ïhraces, bref des collatéraux de leurs propres ancêtres, sans compter les dernières nations de race noble qui continuaient à sortir de l'Asie. De là, supériorité marquée chez les tribus gothiques, que de tels mélanges ne pouvaient affaiblir. Peu à peu cependant l'égalité , l'équilibre ethnique entre les deux courants se rétablit. A mesure que les premières émissions occidentales sont recouvertes par de nouvelles plus pures, l'in- vasion Scandinave s'élève aux plus majestueuses proportions; de telle sorte que, si les Sicambres et les Chérusques avaient promptement cessé d'équivaloir aux hommes de l'empire go- thique, les Franks peuvent être hardiment considérés comme les dignes frères des guerriers d'Hermanrik, et à plus forte rai- son les Saxons de la même époque ont droit au même éloge. Mais, en même temps que tant de grandes races affluaient vers la Germanie méridionale, la Gaule et l'Italie, les catastro- phes hunniques, arrachant les Goths et les derniers Alains à leurs sujets slaves, les reportaient en masse sur les points où. les autres nations germaniques tendaient également à se con- centrer. Il en résulta que l'orient de l'Europe, à peu près dé- pouillé de ses forces arianes, fut rendu au pouvoir des Slaves et des envahisseurs de race finnique, qui devaient plonger dé- finitivement ces derniers dans l'abaissement irrémédiable dont de plus nobles dominateurs n'avaient jamais eu l'influence de les tirer. Il en résulta aussi que toutes les forces de l'essence germanique tendaient à s'accumuler d'une façon à peu près exclusive dans les parties les plus occidentales du continent, voire dans le nord-ouest. De cette disposition des principes ethniques devait résulter toute Torganisation de l'histoire mo- derne. Maintenant, avant d'aller plus loin, il convient d'exami- nier en elle-même cette famille ariane germanique dont nous venons de suivre les étapes. Rien de plus nécessaire que de préciser exactement sa valeur avant de l'introduire au milieu de la dégénération romaine.

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l/-{j^r-

DES BACES HU^fAIlNES. 363

CHAPITRE III.

Capacité des races germaniques natives.

Les nations arianes d'Europe et d'Asie, prises dans leur tota- lité, observées dans leurs qualités communes et typiques, nous ont également étonnés par cette attitude impérieuse et domi- natrice qu'elles exercèrent constamment sur les autres peuples, même sur les peuples métis et blancs au milieu desquels ou auprès desquels elles vécurent. A ce seul aspect, il est déjà difficile de ne pas leur reconnaître à l'égard du reste de l'es- pèce humaine une suprématie réelle ; car en pareilles matières ce qui semble existe nécessairement. Il ne faudrait cependant pas prendre le change sur la nature de cette suprématie et la chercher ou prétendre la trouver dans des faits qui ne lui ap- A' '^ partiendraient pas. Il ne faut pas davantage la croire obscur- cie et mise en question par certains détails qui choquent les préventions vulgaires sur l'idée généralement admise de supé- riorité. Celle des Arians ne réside pas dans un développement exceptionnel et constant des qualités morales ; elle existe dans une plus grande provision des principes d'où ces qualités découlent.

11 ne faut jamais oublier que , lorsqu'on étudie l'histoire des sociétés , il ne s'agit en aucune façon de la moralité en elle- même. Ce n'est ni par des vices ni par des vertus que des ci- vilisations se distinguent essentiellement les unes des autres, bien que , prises dans l'ensemble , elles valent mieux sous ce rapport que la barbarie ; mais c'est une conséquence pure- ment accessoire de leur travail. Ce qui fait essentiellement leur physionomie, ce sont les capacités qu'elles possèdent et déve- loppent.

L'homme est l'animal méchant par excellence. Ses besoins plus multipliés le harcèlent de plus d'aiguillons. Dans son es- pèce, il a d'autant plus de besoins, partant de souffrances, par-

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S64 DE L'INEGALITE

tant d'excitations au mal, qu'il est plus intelligeat. Il sem- blerait donc naturel que ses mauvais instincts augmentassent ^p/: -en raison directe de la nécessité de briser plus d'obstacles pour arriver à un état de satisfaction. Mais, par un heureux retour, il n'en est pas ainsi. La raison, plus perfectionnée en même 5^vr temps qu'elle vise plus haut et est plus exigeante, éclaire la créature qu'elle conduit sur les inconvénients matériels d'un abandon trop absolu à toutes les suggestions de l'intérêt. La religion, même imparfaite ou fausse, que cet être conçoit tou- jours d'une façon quelque peu élevée, lui interdit de céder en toute occasion à ses penchants destructeurs.

C'est ainsi que l'Arian est toujours sinon le meilleur des hommes au poiut de vue de la pratique morale , du moins le plus éclairé sur la valeur intrinsèque en ce genre des actes qu'il commet. Ses idées dogmatiques sont toujours en cette ma- tière les plus développées et les plus complètes , bien que dé- pendant étroitement de l'état de sa fortune. Tant qu'il est le jouet d'une situation trop précaire, son corps reste cuirassé et son cœur de même ; dur envers sa propre personne , rien de moins étonnant qu'il soit impitoyable pour autrui, et c'est dans cette donnée inflexible qu'il pratique cette justice dont Héro-

x^SuL dote vantait l'intégrité chez le Scythe belliqueux. Le mérite consiste ici dans la loyauté avec laquelle est acceptée une loi

/y/, d'ailleurs si féroce peut-être , et qui ne s'adoucit que dans la proportion l'atmosphère sociale ambiante réussit elle-même à se tempérer. /'

L'Arian est donc supérieur aux autres hommes , principale- ment dans la mesure de son intelligence et de son énergie; et c'est par ces deux facultés que, lorsqu'il parvient à vaincre ses passions et ses besoins matériels, il lui est également donné d'arriver à une moralité infiniment plus haute , bien que, dans le cours ordinaire des choses , on puisse relever chez lui tout autant d'actes répréhensibles que chez les individus des deux autres espèces inférieures.

Cet Arian se présente maintenant à notre observation dans le rameau occidental de sa famille, et il nous apparaît aussi vigoureusement bâti, aussi beau d'aspect, aussi belliqueux de

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DES BACES HUMAINES. 365

cœur, que nous l'ayons admiré jadis dans l'Inde (1) et dans la Perse , coname dans i*Hellade homérique. Une des premières considérations auxquelles l'aspect du monde germanique donne lieu, c'est encore celle-ci , que l'homme y est tout et la nation peu de chose. On y aperçoit l'individu avant de voir la masse associée, circonstance fondamentale, qui excitera d'autant plus l'intérêt qu'on prendra plus de soin de la comparer avec le spectacle offert par les agrégations de métis sémitiques, hel- léniques, romains, kymris et slaves. on ne voit presque que les multitudes ; l'homme ne compte pour rien, et il s'efface d'autant plus que , le mélange ethnique auquel il appartient étant plus compliqué , la confusion est devenue plus considé- rable.

Ainsi placé sur une sorte de piédestal , et se dégageant du fond sur lequel il agit, l'Arian Germain est une créature puis- sante, qui attire d'abord l'examen sur lui-même avant de per- mettre de le porter sur le milieu qui l'entoure. Tout ce que cet homme croit, tout ce qu'il dit, tout ce qu'il fait, acquiert de la sorte une importance majeure.

En matière de religion et de cosmogonie, voici quels sont ses dogmes : la nature est éternelle , la matière infinie (2). Cepen- dant le vide béant, gap gunninga, le chaos, a précédé toutes ' choses (3). « En ce temps, dit la Vœluspa, il n'y avait ni sable, « ni mer, ni les molles vagues. La terre ne se trouvait nulle « part, ni le ciel enveloppant. Du sein des ténèbres sortirent « douze fleuves, qui en coulant gelèrent. »

Alors l'air doux qui venait du sud, de la contrée du feu, fit fondre la glace ; ses gouttes d'eau prirent vie, et le géant Imir^ personnification de la nature animée, apparut. Bientôt il s'en- dormit, et de sa main gauche ouverte, et de ses pieds fécondés l'un par l'autre, sortit la race des géants (4).

Cependant la glace continuant à dégeler, il en provint la

(1) « L*iDclito mio figlio Rama dagli occhi del color del loto. » (Ra- mayana, t. vil, Ayodhyacanda, cap. m, p. 218.)

(2) W. Muller, Altdeutsche Religion, p. 163.

(3) Vœluspa, 3.

(4) W. Muller, p. 16i.

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366 DE l'inégalité

vache Audhumbha. C'est le symbole de la force organique, qui donne le mouvement à toutes choses. A ce moment, un être nommé Buri sortit encore de ces gouttes d'eau , et il eut un fils, Borr, qui, s'unissant à la fille d'un géant, donna le jour aux trois premiers dieux, les plus anciens, les plus vénérables, Odhin, Vili et Ve (1).

Cette trinité, ainsi venue quand les grandes créations cos- miques étaient déjà achevées, n'avait à réaliser qu'un travail d'organisation, et en effet ce fut sa tâche. Elle ordonna le monde , et de deux troncs d'arbre échoués sur le rivage de la mer, elle façonna les durs auteurs de l'espèce humaine. Un chêne fut l'homme, un saule devint la femme (2).

Cette doctrine n'est toujours que le naturalisme arian, mo- difié par des idées développées dans l'extrême Nord (3). La matière vivante et intelligente, représentée encore par le my- the tout asiatique de la vache Audhumbha, s'y maintient (au- dessus des trois grands dieux eux-mêmes. Ils sont nés après elle : rien de moins étonnant qu'ils ne soient pas copartageants de son éternité. Ils doivent périr; ils doivent disparaître un jour, vaincus par les géants, par les forces organiques de la nature, et cette organisation du monde dont ils senties ordon- nateurs est destinée à s'engloutir avec eux , avec les hommes

(1) W. Muller, p. 165. Il est inutile de donner ici les développe- ments ultérieurs de cette formule théologique, qui finit par contenir douze grands dieux et une foule de personnalités célestes de tout ordre et de toute provenance; car il y eut des dieux wanes, jotuns et nanis, comme il y avait des dieux ases.

(2) W. Muller, ouvr. cité, p. 164. Vœlusp, st. 17. Je ne développe ici que les plus grands traits de la théologie et de la cosmogonie Scan- dinaves , ne m*arrêtant surtout qu'aux parties les plus anciennes. La nouvelle Edda montre de nombreuses traces de mythes qui ne sont pas originairement arians ou qui ont été développés dans l'extrême Nord postérieurement à l'arrivée des Roxolans. Le plus vénérable document Scandinave, la Vœluspa, a été composé dans la première moitié du vni« siècle de notre ère. M. Dietrich y aperçoit des traces ■de cinq différents poèmes, beaucoup plus antiques. (Dietrich, Alter der Vœluspa, dans la Zeitschr. f. deutsch. Allerth., t. VIII, p. 318.)

(3) César pense que les Germains, ne reconnaissant pour dieux que les forces naturelles qui se manifestaient à leur vue, n'adoraient que le soleil, la lune et le feu, Sol, Luna, Vulcanus. (De Bello gall., VI, 21.)

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leurs créatures, pour faire place à de nouveaux ordonnateurs, à un nouvel arrangement de toutes choses, à de nouvelles gé- nérations de mortels. Encore une fois, les antiques sanctuaires de rinde connaissaient l'essentiel de toutes ces notions (1),

Des dieux transitoires, si grands qu'ils fussent, n'étaient pas trop distants de l'homme. Aussi l'Arian Germain n'avait-il pas perdu l'habitude de s'élever jusqu'à eux. Sa vénération pour ses ancêtres confondait volontiers ceux-ci avec les puissances supérieures, et sans effort se changeait en adoration. Il aimait à se croire descendu de plus grand que lui, et de même que tant de races helléniques se rattachaient à Jupiter, à Neptune, au dieu de Chryse, de même le Scandinave traçait fièrement sa généalogie jusqu'à Odin, ou jusqu'aux autres individualités cé- lestes que les conséquences naturelles du symbolisme firent monter sans peine autour de la trinité primitive (2),

L'anthropomorphisme était complètement étranger à ces notions natives (3) ; il ne s'y associa que fort tard et sous l'in- fluence irrésistible des mélanges ethniques. Tant que le fils des Roxolans resta pur, il se plaisait à ne voir lés dieux que dans le miroir de son imagination ^ et répugna à se faire d'eux des images tangibles. Il aimait à se les figurer planant à demi cachés au sein des nuages rougis par les lueurs du couchant. Les bruits mystérieux des forêts lui révélaient leur présence (4). Il croyait aussi trouver et il vénérait une émanation de leur nature dans certains objets précieux pour lui. Les Quades prê- taient serment sur des épées , ce qu'avaient déjà fait les Thra- <;es. Les Longobards honoraient un serpent d'or; les Saxons, un groupe mystique formé d'un lion, d'un dragon et d'un aigle; les Franks avaient aussi des usages semblables (5).

(1) W. Muller, ouvr, cité, p. 175.

(2) Les plus nobles familles , se rappelant le Gardarike , se représen- taient leurs aïeux comme ayant vécu dans Asgard, que la tradition avait divinisée. (Munch, ouvr. cité, p. S3.)

(3) W. Muller, ouvr. cité, p. 64 et sqq. Tac, Germ., 9, 43.

(4) Tac, Ann., xni, 55; Germ., 45. Ils n'avaient pas etn 'admettaient pas de temples, tandis que les populations celtiques de la Gaule et <de l'Allemagne en avaient.

(5) W. Muller, ouvr. cité, p. 67, 70 et pass.

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368 DE l'inégalité

Mais des alliances avec les métis européens leur firent accep- ter plus tard, en tout ou en partie, le panthéon matériel des Slaves et des Cejtes. Ils devinrent alors idolâtres. Chez les Suèves, ils admirent le culte sauvage de la déesse Nerthus,. et apprirent à promener, une fois Fan, sa statue voilée dans un char (1). Le sanglier de Freya, symbole favori des Galls,. fut adopté par la plupart des nations germaniques , qui en sur- montèrent le cimier de leurs casques, et le firent briller sur les pignons de leurs palais. Jadis , dans les époques purement arianes, les Germains n'avaient pas même connu les temples. Ils finirent par en avoir, ils entassèrent des idoles mohs- trueuses (2). Comme il était arrivé aux anciens Kymris, il leur fallut complaire , à leur tour, aux instincts les plus tenaces des races inférieures au milieu desquelles ils s'étaient établis (3)..

11 en fut de même pour les formes du culte , cependant avec plus de mesure dans la dégénération. Primitivement TArian Germain était à lui-même son prêtre unique , et même long- temps après qu'on eut institué des pontifes nationaux , chaque guerrier conserva dans ses foyers la puissance sacerdotale (4). Elle resta même annexée à la propriété foncière, et l'aliéna- tion d'un domaine entraîna celle du droit d'y sacrifier (5)>

(1) Tous les cultes indiqués par les écrivains romains portent la trace et révèlent la puissance de Tinfluence celtique. Nerthus ^ mater deum, se retrouve dans le gallois nerth, force, secours, et dans- le gaélique neartj qui a le même sens. L'usage de consacrer des îles principa- lement comme sanctuaires est tout à fait celtique. (W. Muller, ouvr.

. cité, p. 37.) Cet auteur signale chez les Danois des usages religieux d'origine slave (p. 37). L'isis dont parle Tacite, et qu'il s'étonne de trouver chez les Suèves, c'était Hésu ou Hu, divinité celtique par excel- lence. (Tac, Germ., 9.)

(2) Adam de Brème parle d'une statue de Wodan, qui se trouvait de son temps dans le temple d'Upsala. (W. Muller, p. 195. )

(3) Il arriva même que tel dieu considéré en Scandinavie comme des plus puissants, Wodan, par exemple, fut à peu près inconnu chez les tribus demi-germanisées du sud de l'Allemagne. Les Bavarois ne le connaissaient pas, ou, pour mieux dire, ce qu'ils avaient de ger- manique dans leur sang ne l'avait pas conservé. (W. Muller, p. 76.)

(4) W. Muller, ouvr. cité, p. 52 , 81 , 83.

(3) Sous l'influence celtique, slave et finnique, les fonctions et, comme on dirait aujourd'hui , les spécialités religieuses ou seulement

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Lorsqu'on modifia cet état de choses, le prêtre germanique n'exerça d'action que pour l'ensemble de la tribu. Il ne fut d'ailleurs jamais que ce qu'avait été le purohita chez les Arians Hindous , dans les temps antévédiques. Il ne forma pas une caste distincte comme les brahmanes, un ordre puissant comme les druides , et , non moins sévèrement exclu des fonctions de la guerre, il ne lui fut pas laissé la moindre possibilité de do- miner, ni même de diriger l'ordre social. Toutefois, par un sentiment empreint d'une haute et profonde sagesse, à peine les Arians eurent-ils reconnu des prêtres publics qu'ils leur confièrent les plus imposantes fonctions civiles, en les chargeant de maintenir l'ordre dans les assemblées politiques et d'exécu- ter les arrêts de la justice criminelle. De chez ces peuples ce qu'on a appelé les sacrifices humains (l).

Le condamné, après avoir entendu sa sentence, était re- tranché de la société et livré au prêtre , c'est-à-dire au dieu. Une main sacrée, lui infligeant le dernier supplice, apaisait sur lui la colère céleste. Il tombait , non pas tant parce qu'il avait offensé l'humanité que parce qu'il avait irrité la divinité protectrice du droit. Le châtiment se trouvait de la sorte moins honteux pour la dignité de l'Arian et, il faut Favouer, plus moral que ne le rendent nos coutumes juridiques, un homme est égorgé simplement en compensation d'en avoir égorgé un autre , ou , suivant une opinion plus étroite encore ^ simplement pour le forcer de s'en tenir (2).

superstitieuses se développèrent, avec le temps, d'une façon très sura- bondante. En même temps qu'il y eut chez les Goths, chez les Thu- ringiens, chez les Burgondes, chez les Anglo-Saxons, des grands prê- tres, qui finirent même par exercer une certaine action politique, principalement chez les Burgondes, il y eut aussi des devins, des sor- ciers, des enchanteurs, des schamans de toute espèce. Les uns expliquaient les songes, les autres pénétraient l'avenir au moyen de cordes nouées. On appelait ces derniers caragni, du gallois carat, une cordelette. (W. Muller, ouvr. cité, p. 83.) Mais tout cela ne con- cerne pas les nations germaniques.

(1) W. Muller, ouvr. cité, p. 52.

(2) Les sacrifices humains sont attestés, par des témoignages positifs chez les Goths, chez les Hérules, chez les Saxons, chez les Frisons, chez les Thuringiens, chez les Franks, à l'époque ces derniers

21.

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370 DE l'iîîégalite

On s'est demandé, avec plus ou moins de raison, si les na- tions sémitiques avaient eu originairement une idée bien nette de l'autre vie. Chez aucune race ariane ce doute n'est possible. La mort ne fut jamais pour toutes qu'un passage étroit, à la vérité, mais insignifiant, ouvert sur un autre monde. Ils y en- trevoyaient diverses destinées, qui, d'ailleurs, n'étaient pas déterminées par les mérites de la vertu ou le châtiment qu'au- rait dû recevoir le vice. L'homme de noble race, le véritable Arian arrivait par la seule puissance de son origine à tous les honneurs du Walhalla, tandis que les pauvres, les captifs, les esclaves, en un mot, les métis et les êtres d'une naissance in- férieure, tombaient indistinctement dans les ténèbres glacia- les du Niflheimz (1).

Cette doctrine ne fut évidemment de mise que pendant les époques toute gloire , toute puissance , toute richesse se trouva concentrée entre les mains des Arianset nul Arian ne fut pauvre en même temps que nul métis ne fut riche. Mais lorsque l'ère des alliages ethniques eut complètement troublé cette simplicité primitive des rapports, et que l'on vit, ce qui aurait été jugé impossible autrefois, des gens de noble extrac- tion dans la misère , et des Slaves et des Kymris , et même des Tchoudes, des Finnois opulents, les dogmes relatifs à l'exis- tence future se modifièrent , et Ton accepta des opinions plus conformes à la distribution contemporaine des qualités mora- les dans les individus (2).

L'Edda partage l'univers en deux parties (3). Au centre du

étaient déjà chrétiens. (W. Muller, ouvr. cité, p. 7S-79.) Le sacri- fice des chevaux était aussi , dans la plus ancienne époque germanique, comme l'asvamédha, chez les Arians Hindous, une des cérémonies du culte les plus solennelles et les plus méritoires.

(1) Cette notion se conserva très longtemps chez les Arians de l'Inde. A l'époque héroïque, elle régnait encore, ainsi que le passage suivant en fait foi. « Chi ha sortito il nasèere da una schialta pari alla tua , « non puôire in infimo luogo; per laquai cosa tu, privato délia ter- « restre sede, vanne ai mondi dove Stella il neltare. » {Ramayanay t. VI, Ayodhyacanda, cap. lxvi, p. 394.)

(2) W. Muller, ouvr. cité, p. 410.

(3) Vœluspa, st. 2.

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DES BACES HUMAINES. 371

système, la terre, résidence des hommes, formée comme un disque plat , ainsi que l'a décrite Homère , est entourée de tous côtés par l'Océan. Au-dessus d'elle s'étead le ciel , demeure des dieux. Au nord s'ouvre un monde sombre et glacé , d'où vient le froid; au sud, un monde de feu, s'engendre la chaleur. A l'est , est Jotanheimz , le pays des géants ; à Touest, Svartalfraheimz , la demeure des nains noirs et méchants. Puis , dans une situation vague , Vanaheimz , la contrée habitée par les Wendes (1).

Si l'on arrête ici cette description, s'unissent les idées CQsmogoniques à la simple géographie, on a l'exacte reproduc- tion du système des sept divissas brahmaniques , ou , ce qui est pareil, des sept kischwers iraniens (2), et, comme on va le voir, un monde complet , au point de vue des premiers Arians Germains. Le territoire Scandinave occupe le centre : c'est excellemment le pays des hommes. L'empyrée règne au- dessus. Le pôle nord lui envoie la froidure; les régions méri- dionales, le peu de chaleur qui l'atteint. A Test, c'est-à-dire

(1) Vœluspa, pass. On retrouve dans les noms des nains donnés par la Vœluspa, des appellations bien significatives, telles que Nar, Naîn, st. H ; Noriy Ann et Anar^ puis encore une fois Nar, puis Nyzardz, st. 12; Nali, et Hanar, st. 13; Alfr, st. 14, Funiar et Guinar, st. 16. Il est à remarquer que les nains , non plus que les géants , n'ont pas été créés par les dieux comme l'homme, mais sont le produit direct des forces de la nature.

(2) C'est même à cette partie de la cosmogonie des Arians primitifs <ju'il convient de rattacher celle des Scandinaves, descendants légi- times et directs des cavaliers du Touran. Quand on veut suivre la filiation des idées arianes, il importe de ne jamais perdre de vue que les Hindous, qui en ont, à la vérité, conservé jusqu'à nos jours le plus riclie trésor, ne sont cependant pas l'intermédiaire auquel nous les devons. En marche vers la vallée du Gange, ils n'ont rien pu faire pour éclairer l'Occident; c'est surtout aux groupes arians de la Sog- diane et des pays situés au-dessus que nous sommes redevables de ce que nous possédons, dans nos antiquités germaniques, de l'ancien fonds des connaissances primordiales. Malheureusement la philologie justement séduite, d'ailleurs, par Fimportance des Védas, est tout occupée , en France surtout, à méconnaître cette vérité, et n'hésite même pas à faire émigrer les Germains des bords de la Yamouna, ce qui, en soi, constitue une absurdité au premier chef.

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372 DE L INEGALITE

tirant vers la côte de la Baltique , sont les principales tribus^ des Gètes métis-, à l'ouest, entre la Suède méridionale et la côte de l'Océan du Nord, les Lapons, un peu partout, des Wendes et des Celtes , justement confondus les uns avec les autres. Les connaissances positives de l'époque ne permettent pas d'ajouter rien. Mais les cosmographes nationaux , dans le travail de leurs idées , ne s'en tinrent pas à ces anciennes no- tions; ils voulurent avoir neuf climats, neuf divissas, neuf kischwers, au lieu de sept qu'avaient connus leurs ancêtres, et, pour atteindre à ce chiffre, ils imaginèrent deux cieux nou- veaux , placés au-dessus de celui des dieux , et les nommèrent,, l'un Liôsâlfraheimz ou Andlanger, l'autre Vidhblacên (1).- Tous deux sont peuplés de nains lumineux. Cette conception, serait absolument arbitraire et inutile , si elle ne se fondait pas, en quelque chose , sur la distinction que les plus anciens^ Arians de la haute Asie paraissent avoir faite entre l'atmos- phère immédiate du globe et le ciel proprement dit, l'empyrée,. se meuvent les astres (2).

Telles étaient les opinions que l'Àrian Germain entretenait sur les objets de considération les plus élevés. Il y puisait sans peine une haute idée de lui-même et de son rôle dans la créa- tion, d'autant plus qu'il s'y contemplait non seulement comme- un demi-dieu, mais comme un possesseur absolu d'une portion: de ce Mitgardhz , ou terre du milieu^ que la nature lui avait assigné pour demeure. Il avait constitué sa propriété foncière d'une manière toute conforme à ses fiers instincts. Deux mc-^ des de propriété étaient chez lui en usage.

Le plus ancien incontestablement est celui dont il avait ap- porté l'idée constitutive de la haute Asie, c'était Vodel (3). Ce

(1) W. Muller, ouvr. cité, p. 163.

(2) Lorsque les doctrÎDes Scandinaves auront été comparées plus ri- goureusement qu'on ne l'a fait encore aux idées iraniennes , on recon- naîtra sans doute que de grands rapports unissent les habitants célestes du Liôsâlfraheimz et du Adlanger aux Ireds et aux Amschespends du Zend-Avesta.

(3) Ce mot est un des plus anciens qui se puissent trouver, et la- notion qu'il représente est vieille comme lui. C'est Vasdes latin. Voir^ pour les difrérentes formes et significations dans les langues gothiques^

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DES BACES HUMAINES. 373

mot emporte avec lui les deux idées de noblesse et de posses- sion si intimement combinées , que Ton est fort embarrassé de découvrir si Thomme était propriétaire parce qu'il était noble, ou l'inverse (1). Mais il est peu douteux que l'organisation pri- mordiale, ne reconnaissant pour homme véritable que l'Arian, ne voyait aussi de propriété régulière et légale qu'entre ses mains et n'imaginait pas d'Arian privé de cet avantage.

L'odel appartenait sans restriction aucune à son maître. Ni la communauté ni le magistrat n'avaient qualité pour exercer sur cette sorte de possession la revendication la plus légère, le droit le plus minime. L'odel était absolument libre de toute charge ; il ne payait pas d'impôts. Il constituait ime véritable souveraineté, souveraineté inconnue aujourd'hui, la nue propriété , l'usufruit et le haut domaine se confondaient abso- lument. Le sacerdoce en était inséparable, et inséparable aussi la juridiction à tous ses degrés, au civil comme au criminel. L'Arian Germain siégeait à sou foyer, disposait à son gré de la terre allodiale et de tout ce qui l'habitait. Femmes, enfants, serviteurs, esclaves, ne reconnaissaient que lui, ne vivaient que par lui, ne rendaient compte qu'à lui seul, qui ne rendait compte à personne. Soit qu'il eût construit sa demeure et mis ses champs en culture sur un terrain désert, soit que ses pro- pres forces lui eussent suffi pour en dépouiller le Finnois , le Slave, le Celte ou le Jotun, tous gens placés nativement hors la loi, ses prérogatives ne rencontraient pas de limites.

Il n'en était pas tout à fait de même lorsque, en société avec d'autres Arians, agissant sous la direction commune d'un chef de guerre, il se trouvait être participant à la conquête d'un territoire dont ime portion , grande ou petite, lui avait été ad- jugée. Cette autre situation créait un autre système de tenure

Dieffenbach, Vergleichendes Wœrterbuch der gothischen Sprache, t. l,p. 56.

(1) Chez les Anglo-Saxons il arriva même que la perte de l'odel en- traînait celle des droits politiques, et par conséquent de la qualité d'homme libre. (Kemble, 1. 1, p. 70-71 et seqq. ) On peut voir, du reste, avec toute raison, dans cette union étroite de la qualité légale d'Arian avec celle de propriétaire , à quel point les insUncts de la race étaient éloignés des dispositions à la vie nomade.

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374 DE l'inégalité

tout différent; et comme elle se réalisa presque seule quand furent venues les grandes migrations sur le continent d'Europe, on y doit chercher le germe véritable des principales institu- tions politiques de la race germanique. Mais pour pouvoir ex- poser clairement ce que c'était que cette forme de propriété et les conséquences qu'elle entraînait, il faut faire connaître au- paravant les rapports de l'homme arian avec sa nation.

En tant qu'il était chef de famille et possesseur d'un odel, ces rapports se réduisaient à fort peu de chose. D'accord avec les autres guerriers pour conserver la paix publique, il élisait un magistrat, que les Scandinaves nommaient drottinn, et que d'autres peuples sortis de leur sang appelèrent graff (1). Choisi dans les races les plus anciennes et les plus nobles, dans celles qui pouvaient réclamer une origine divine, ce pendant exact du viçampati hindou exerçait une autorité des plus res- treintes, sinon des plus précaires. Son action légale ressemblait fort à celle des chefs chez les Mèdes avant l'époque d'Astyages, ou à celle des rois hellènes dans les temps homériques. Sous l'empire de cette règle facile, chaque Arian, au seiu de son odel, n'était guère plus lié à son voisin de même nation que ne le sont entre eux les différents États formant un gouverne- ment fédératif.

Uàe telle organisation, admissible en présence de populations numériquement faibles ou complètement subjuguées par la

(1) Palsgrave a eu pleine raison de dire que la royauté n'existait pas, dans les formes et avec la puissance qu'on lui a connues après le siècle, aux époques véritablement germaniques. {The Rise and Progress of the English Commonwealth , in-4«, Lond., 1832, 1. 1, p. 553. ) n est moins bien inspiré quand îl ne voit dans le mot king qu'un emprunt fait aux langues celtiques. C'est, de toute antiquité, un titre porté par les chefs militaires des nations arianes. Nous l'avons vu chez les Ou-douns. (Voir tome I«'). C'est le kava de la première période ira^ nienne. (Westergaard et Lassen, Die Achem. Keilinschriften , p. 422), le ku des inscriptions médiques [ibiU., p. 57). Il est assez remar- quable qu'on ne le donnât pas aux magistrats réguliers et ordinaires des tribus. Quant au titre de graff, ou gerefa, chez les Anglo-Saxons gravio, il n'est pas bien certain qu'on puisse le rapporter à une racine germanique. Peut-être faut-il en chercher l'origine chez les Celtes ou chez les Slaves.

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DES BACES HUMAINES. 375

Conscience de leur infériorité, n'était nullement compatible avec l'état de guerre, ni même avec l'état de conquête au milieu de masses résistantes. L'Arian, qui, dans son humeur aventu- reuse, vivait principalement dans Tune ou l'autre de ces situa- tions difficiles , avait trop de bon sens pratique pour ne pas apercevoir le remède du mal et chercher les moyens d'en con- cilier l'application avec les idées d'indépendance personnelle qui, avant tout, lui tenaient à cœur. Il imagina donc qu'au moment d'entrer en campagne , des rapports tout particuliers, tout spéciaux , complètement étrangers à l'organisation régu- lière du corps politique , devaient intervenir entre le chef et les soldats ; voici comment le nouvel ordre de choses se fondait :

Un guerrier connu se présentait à l'assemblée générale, et se proposait lui-même pour commander l'expédition projetée. Quelquefois, surtout dans les cas d'agression, il en ouvrait même la première idée. En d'autres circonstances, il ne faisait que soumettre un plan qui lui était propre et qu'il appliquait à la situation. Ce candidat au commandement prenait soin d'appuyer ses prétentions sur ses exploits antérieurs, et de faire valoir son habileté éprouvée; mais, sur toutes choses, le moyen de séduction qu'il pouvait employer avec le plus de bonheur, et qui lui assurait la préférence sur ses concurrents, c'était l'offre et la garantie , pour tous ceux qui viendraient combattre sous ses ordres , de leur assurer des avantages in- dividuels dignes de tenter leur courage et leur convoitise. Il s'établissait ainsi un débat et une surenchère entre les candi- dats et les guerriers. Ce n'était que par conviction ou par sé- duction que ceux-ci pouvaient être amenés à s'engager avec l'entrepreneur d'exploits, de gloire et de butin.

On conçoit que beaucoup d'éloquence et un passé quelque peu digne d'estime étaient absolument nécessaires à ceux qui voulaient commander. On ne leur demandait pas, comme aux drottinns, comme aux graffs, la grandeur de la naissance ; mais ce qu'il leur fallait indispensablement , c'était du talent mili- taire , et plus encore une libéralité sans bornes envers le sol- dat. Sans quoi il n'y aurait eu à suivre leur drapeau que des dangers, sans espérance de victoire ni de rémunération.

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376 DE l'inégalité

Mais une fois que TArian s'était laissé persuader que l'homme qui le sollicitait avait bien toutes les qualités requi- ses, et qu'après avoir fait ses conditions il s'était engagé avec lui, aussitôt un état tout nouveau intervenait entre eux (1). L'Arian libre, l'Arian souverain absolu de son odel, abdiquant pour un temps donné Tusage de la plupart de ses prérogatives, devenait, sauf le respect des engagements réciproques, Thomme de soQ chef, dont l'autorité pouvait aller jusqu'à disposer de sa vie, s'il manquait aux devoirs qu'il avait contractés.

L'expédition commençait ; elle était heureuse. En principe, le butin appartenait tout entier au chef, mais avec l'obligation stricte et rigoureuse de le partager avec ses compagnons, non pas seulement dans la mesure des promesses échangées, mais, comme je viens de le dire, avec une prodigalité extrême. Man- quer à cette loi eût été aussi dangereux qu'impolitique. Les chants Scandinaves appellent avec intention le chef de guerre illustre « l'ennemi de l'or, » parce qu'il n'en doit pas garder ; « rhôte des héros, » parce qu'il doit mettre son orgueil à les loger dans sa demeure, à les réunir à sa table, à leur prodi- guer les longs banquets, les amusements de toute espèce et les. riches présents. Ce sont les moyens, et les seuls, de conser- ver leur amitié, de s'assurer leur appui, et partant de main- tenir sa renommée avec sa puissance. Un chef avare et égoïste est aussitôt abandonné de tout le monde, et il rentre dans le néant (2).

Je viens de montrer quel emploi le général vainqueur pouvait faire du butin mobilier, de l'argent, des armes, des chevaux, des esclaves. Mais lorsque, avec ces avantages, il y

(1) Le droit de l'homme libre de choisir son chef se conserva très longtemps dans les lois anglo-saxonnes. C'est ce que les commenta- teurs du Domesday-Book appellent Commendatio. (Palsgrave, Rise and Progress ofihe Englisch Commonwealth, i. I, p. 15.)

(2) Il y a similitude parfaite entre les vertus que l'on exigeait d'un chef de guerre et l'idéal du chef de famille arian-hindou, comme le décrit le Ramayana : o Capi di famiglia que vissero casti colle lor con- (' sorti, coloro che donarono con larghezze vacche, oro, alimienti, e « terre, quelli che diedero altrui sicuranza e coloro che furon ve- « ridici. » ( Gorresio , ouvr. cité, t. VI, p. 394. )

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DES BACES HUMAINES. 377

avait encore prise de possession d*une contrée, le principe des générosités recevait nécessairement des applications difTéren- tes. En effet, le pays conquis prenait le nom de rik, c'est-à- dire pays gouverné absolument, pays soumis ; titre que les ter- ritoires vraiment arians, les pays à odels, se faisaient un point d'honneur de repousser, se considérant comme essentiellement libres (1). Dans le rik, les populations vamcues étaient entière-^ ment placées sous la main du chef de guerre (2), qui se parait de la qualification de konungr, titre militaire, gage d'une au- torité qui n'appartenait ni au drottinn ni au graff, et dont les souverains de l'extrême Nord n'osèrent s'emparer que très tard, car ils gouvernaient des provinces qui, n'ayant pas été acquises par le glaive à leur couronne , ne leur donnaient pas le droit de le prendre.

Le konungr donc, le konig allemand, le king anglo-saxon, le roi^ pour tout dire (3)^ dans son obligation étroite de faire participer ses hommes à tous les avantages qu'il recueillait lui-même, leur concédait des biens-fonds. Mais comme les guer- riers ne pouvaient emporter avec eux ce genre de présents, ils n'en jouissaient qu'aussi longtemps qu'ils restaient fidèles à leur conducteur, et cette situation comportait pour leur qualité de propriétaires toute une série de devoirs étrangers à la cons- titution de Todel.

Le domaine ainsi possédé a condition s'appelait feod. Il offrait plus d'avantages que la première forme de tenure pour

(1) La Norwège n*a jamais porté le titre de rik, ni l'Islande non plus, tandis qu'il y avait eu le Gardarike et que toutes les conquêtes ger- maniques dans le reste de l'Europe portèrent cette dénomination. (Munch , ouvr. cité, p. 112 et note 9.)

(2) Savigny, D, Rœm. Recht im Mittelalter, 1. 1, p. 229.

(3) Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce roi n'avait nulle- ment la physionomie du roi celtique ou italiote, bien qu'il ressemblât un peu mieux au pa<rt>eOç macédonien des époques antérieures à Alexandre. Un roi , dans le poème de Boewulf, s'appelle : folces hyrde, pasteur du peuple, comme dans l'Iliade. (Kemble, The anglo-saxon Poem ofBeowulf, v. 1213, p. 44.) Le theodr gothiqueet l'anglo-saxon theoden signifient de même celui qui mène le peuple. Ce sont autant de titres militaires, plutôt qu'administratifs.

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378 DE L'INEGALITE

le développement de la puissance germanique, parce qu'il con- traignait r humeur indépendante de i'Arian à abandonner au pouvoir dirigeant une autorité plus grande. Il préparait ainsi l'avènement d'institutions propres à mettre en accord les droits du citoyen et ceux de l'État, sans détruire les uns au profit exclusif des autres. Les peuples sémitisés du midi n'avaient ja- mais eu la moindre idée d'une telle combinaison ,''puisqu'il était de règle chez eux que l'État devait absorber tous les droits. L'institution du féod amenait aussi des résultats latéraux qui méritent d'être enregistrés. Le roi qui le concédait, comme le guerrier qui le recevait, étaient également intéressés à n'en pas laisser péricliter la valeur vénale. Aux yeux du premier, c'était un don temporaire, qui pouvait rentrer dans ses mains au cas l'usufruitier viendrait à mourir ou romprait son en- gagement pour aller chercher aventure sous un autre chef, circonstance assez commune. Dans cette prévision , il fallait que le domaine restât digne de servir d'appât à un remplaçant. Pour le second, posséder une terre n'était un avantage qu'au- tant que cette terre fructifiait ; et comme il n'avait ni le goût ni le temps de s'occuper par lui-même de la culture du sol , il ne manquait jamais de traiter, sous la garantie de son chef, avec les anciens propriétakes, auxquels il abandonnait l'entière et paisible possession d'une part, en leur donnant le reste à ferme. C'était une sage opération que les Doriens et les Thés- saUens avaient très bien pratiquée jadis. Il en résulta que les conquêtes germaniques, malgré les excès des premiers mo- ments, probablement un peu exagérés d'ailleurs par l'éloquente lâcheté des écrivains de Fhistoire Auguste, furent, en défini- tive, assez douces, médiocrement redoutées des peuples et, sans nulle comparaison, infiniment plus intelligentes, plus hu- maines et moins ruineuses que les colonisations brutales des iégionnaires et l'administration féroce des proconsuls au temps la politique romaine était dans toute la fleur de sa civilisa- tion (1).

(1) En thèse générale, les prétentions des Germains, arrivés dans les contrées de domination romaine, se bornèrent à prendre un tiers •des terres. (Savigny, D. Rœm. Recht im Mittelalter, 1. 1, p. 289.) Les

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DES BACES HUMAINES. 379

Il semblerait que le féod, récompense des travaux de la guerre, preuve éclatante d'un courage heureux, ait eu tout ce qu'il fallait pour se concilier les faveurs de l'opinion chez des races belliqueuses et fort sensibles au gain; il n'en était ce- pendant pas ainsi. Le service militaire à la solde d'un chef ré- pugnait à beaucoup d'hommes, et surtout à ceux de haute naissance. Ces esprits arrogants trouvaient de l'humiliation à recevoir des dons de la main de leurs égaux , et quelquefois même de ceux qu'ils considéraient comme leurs inférieurs en pureté d'origine. Tous les profits imaginables ne les aveuglaient pas non plus sur l'inconvénient de laisser suspendre pour un temps, sinon de perdre pour toujours, l'action plénière de leur indépendance. Quand ils n'étaient pas appelés à commander eux-mêmes, par une incapacité d'une nature quelconque, ils préféraient ne prendre part qu'aux expéditions vraiment na- tionales ou à celles qu'ils se sentaient en état d'entreprendre avec les seules forces de leur odel.

Il est assez curieux de voir ce sentiment devancer l'arrêt sévère d'un savant historien qui, dans sa haine sentie envers les races germaniques, se fonde principalement sur les condi- tions du service militaire, et s'en autorise pour refuser aux Goths d'Hermanrik, comme aux Franks des premiers Mêro- wings, toute notion véritable de liberté politique. Mais il ne l'est pas moins assurément de voir les Anglo-Saxons d'aujour- d'hui, ce dernier rameau, bien défiguré il est vrai, mais encore ressemblant quelque peu aux antiques guerriers germains, les habitants indisciplinés du Kentucky et de l'Alabama, braver tout à la fois le verdict de leurs plus fiers aïeux et celui du savant éditeur du Polyptique d'Irminon. Sans croire porter la moindre atteinte à leurs principes de sauvage républicanisme,

Burgondes furent des plus durs. Ils voulurent avoir la moitié de la maison et du jardin, les deux tiers de la terre cultivable, un tiers des esclaves; les forêts restèrent en commun. Le Romain fut qualifié hospes du Burgonde. Tout guerrier doté ailleurs par le roi dut aban- donner à son hôte la terre à laquelle il avait droit, et, s'il voulait vendre ce qui lui appartenait du fonds, Vhôte était le premier acquéreur légal. {Ibid., p. 234 et seqq.)

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380 DE l'inégalité

ils s'engagent en foule à la solde des pionniers qui s'offrent à leur faire tenter la fortune au milieu des indigènes du nouveau monde et dans les prairies les plus dangereuses de TOuest (1). C'est certainement de quoi répondre, d'une manière suffi- sante, aux exagérations anciennes et modernes.

Possesseur d'un odel , ou jouissant d'un féod , l'Arian Ger- main se montre à nous également étranger au sens municipal du Slave, du Celte et du Romain. La haute idée de sa valeur personnelle, le goût d'isolement qui en est la suite, dominent absolument sa pensée et inspirent ses institutions. L'esprit d'as- sociation ne saurait donc lui être familier. Il sait y échapper jusque dans la vie militaire ; car chez lui cette organisation n'est que l'effet d'un contrat passé entre chaque soldat et le général^ abstraction faite des autres membres de l'armée. Très avare de ses droits et de ses prérogatives, il n'en fait jamais l'abandon ^ non pas même de la moindre parcelle ; et s'il consent à en res- treindre, à en suspendre l'usage , c'est qu'il trouve dans cette concession temporaire un avantage direct , actuel et bien évi- dent. Il a les yeux grands ouverts sur ses intérêts. Enfin, per- pétuellement préoccupé de sa personnalité et de ce qui s y rapporte d'une façon directe , il n'est pas matériellement pa- triote, et n'éprouve pas la passion du ciel , du sol, du lieu il est né. Il s'attache aux êtres qu'il a toujours connus, et le fait avec amour et fidélité; mais aux choses, point, et il change de provmce et de climat sans difficulté. C'est une des clefs du caractère chevaleresque au moyen âge et le motif de l'in- différence avec laquelle TAnglo-Saxon d'Amérique, tout en aimant son pays, quitte aisément sa contrée natale, et, de même, vend ou échange le terrain qu'il a reçu de son père.

Indifférent pour le génie des lieux , l'Arian Germain l'est aussi pour les nationalités, et ne leur porte d'amour ou de haine que suivant les rapports que ces milieux inévitables en- tretiennent avec sa propre personne. Il considère de prime abord

(1) L'homme qui prend à son service plusieurs chasseurs , laboureurs ou commis, et les mène dans les déserts, est appelé par eux du titre militaire de captain, bien que ce soit, au fond, un marchand oa un défricheur de forêts.

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DES RACES HUMAINES. 381

tous les étrangers, fussent-ils de son peuple, sous un jour à peu près égal, et la* supériorité qu'il s'arroge mise à part, une certaine partialité pour ses congénères également exceptée , il est assez libre de préjugés natifs contre ceux qui l'abordent, de quelque contrée éloignée qu'ils puissent venir; de telle sorte que, s'il leur est donné de faire éclater à ses yeux des mérites réels, il ne refusera pas d'en reconnaître les bienfaits. De vient que , dans la pratique , il accorda de très bonne heure aux Kymris et aux Slaves qui l'entouraient une estime propor- tionnée à ce qu'ils pouvaient lui montrer de vertus guerrières ou de talents domestiques. Dès les premiers jours de ses conquêtes, TArian mena à la guerre les serviteurs de son odel, et encore plus volontiers les hommes de son féod. Tandis qu'il était, lui, le compagnon gagé du chef de guerre , cette suite de rang in- férieur combattait sous sa conduite et prenait part à tous ses profits. Il lui permit de recueillir de l'honneur, et reconnut cet honneur noblement quand il fut bien acquis; il avoua l'il- lustration là elle se trouva ; il fit mieux : il laissa son vaincu devenir riche, et l'achemina ainsi, pour toutes ces causes, à im résultat qui ne pouvait manquer d'arriver et qui arriva , que ce vaincu devint avec le temps son égal. Dès avant les in- vasions du siècle, ces grands principes et toutes leurs con- séquences avaient agi et porté leurs fruits (1). On va en voir la démonstration.

Les nations germaniques ne s'étaient, dans l'origine, com- posées que de Roxolans, que d'Arians ; mais au temps elles habitaient encore, à peu près compactes, la péninsule Scandi- nave, la guerre avait déjà réuni dans les odels trois classes de personnes : les Arians proprement dits, ou les jarls :. c'étaient les maîtres (2) ; les karls , agriculteurs , paysans domiciliés, tenanciers du jarl, hommes de famille blanche métisse, Slaves,

(1) Voir tome l", Je renvoie à ce passage , j'ai indiqué la double lOi d'attraction et de répulsion qui préside aux mélanges ethniques, et qui est, dans sa première partie, tout à la fois l'indice de Taptitude à la civilisation chez une race et l'agent de sa décadence.

(2J Rigsmal, st. 23-31.

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382 DE l'inégalité

Celtes ou Jotuns (t); puis les traëlls^ les esclaves, race basa» née et difforme, dans laquelle il est injpossible de ne pa& reconnaître les Finnois (2).

Ces trois classes, formées aussi spontanément, aussi néces- sairement dans les États germains que chez les anciens Hellè- nes, composèrent d'abord la société tout entière; mais les mélanges, promptement opérés, firent naître des hybrides nombreux ; la liberté que les mœui^s germaniques donnaient aux karls démarcher à la guerre, et, par suite, de s'enrichir, profita aux métis que cette classe de paysans avait produits^ en s' alliant à la classe dominatrice ; et tandis que la race pure, exposée surtout aux hasards des batailles, tendait à diminuer de nombre dans la plupart des tribus , et à se limiter aux fa- milles qu'on nommait divines, et parmi lesquelles l'usage per- mettait seul de choisir les drottinns et les graffs, les demi- Germains voyaient sortir de leurs rangs d'innombrables chefs riches, vaillants, éloquents, populaires, et qui, libres de pro- poser à leurs concitoyens des plans d'expéditions et des pro- jets d'aventures, ne trouvaient pas moins de compagnons prêts aies écouter que le pouvaient des héros d'une extraction plus noble. Il en advint des résultats de toute espèce, les plus di- vergents, les plus disparates, mais tous également faciles à comprendre. Dans certaines contrées, la pureté de descen- dance, toujours estimée, était devenue extrêmement rare, le titre de jarl prit une valeur énorme, et finit par se confondre avec celui de konungr ou de roi ; mais encore ce dernier fut rapidement égalé par les qualifications, d'abord fort mo- destes, de fylkir et de hersir, qui n'avaient été portées au début que par des capitaines d'un rang inférieur. Ce mode de confusion eut lieu en Scandinavie , et à l'ombre du gouverne- ment vraiment régulier, suivant le sens de la race, des anciens drottinns. Là, sur ce terrain, essentiellement arian, les jarls, les konungrs, les fylkirs, les hersirs n'étaient en fait que des héros sans emplois et, comme on dirait dans notre langue ad-

(1) Rigsmaly st. 14-18. (2)/64U, st. 2-7.

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DES BACES HUxMAINES. 385

ministrative, des généraux en disponibilité. Tout ce que le sentiment public pouvait leur accorder, c'était une part égale du respect qu'obtenait ia noblesse du sang, bien qu'ils ne l'eussent pas tous; mais on n'était nullement tenté de leur donner un commandement sur la population. Aussi fut-il très difficile à la monarchie militaire, qui est la monarchie moderne, issue des chefs de guerre germaniques, de s'établir dans les qays Scandinaves. Elle n'y parvint qu'à force de temps et de luttes, et après avoir éliminé la foule des rois , au sein de la- puelle elle était comme noyée, rois de terre, rois de mer, rois des bandes.

Les choses se passèrent tout autrement dans les pays de conquête, comme la Gaule et l'Italie. La qualité de jarl ou d'ariman, ce qui est tout un, n'étant plus soutenue par les formes libres du gouvernement national , ni rehaussée par la possession de Fodel , fut rapidement abaissée sous le fait de la royauté militaire , qui gouvernait les populations vaincues et commandait aux Arians vainqueurs. Donc , le titre d'ariman (1), au lieu d'augmenter d'importance comme en Scandinavie, s'a- baissa, et ne s'appliqua bientôt plus qu'aux guerriers de nais- sance libre, mais d'un rang inférieur, les rois s'étant entourés d'une façon plus immédiate de leurs plus puissants compa- gnons, des hommes formant ce qu'ils nommaient leur truste, de leurs fidèles^ tous gens qui, sous le nom de leudes, ou pos- sesseurs d'odels, domaines fictivement constitués suivant l'an- cienne forme par la volonté du souverain , représentaient seuls et exclusivement la haute noblesse. Chez les Franks , les Bur- gondes, les Longobards , l'ariman, ou, suivant la traduction la- tine, le bonus homo, en arriva à ne plus être qu'un simple pro- priétaire rural ; et pour empêcher le seigneur du fief de réduire en servage le représentant légal , mais non plus ethnique, des anciens Arians, il fallut l'autorité de plus d'un concile, qui d'ailleurs ne prévalut pas toujours contre la force des circons- tances.

(1) Chez les Anglo-Saxons, on disait softeman. (Palsgrave, ouvr, cité, t.l,p.l5.)

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:384 DE l'inégalité

En somme, dans toutes les contrées originairement germani- ques, comme dans celles qui ne le devinrent que par conquête, les principes des dominateurs furent identiquement les mêmes, et d'une extrême générosité pour les races vaincues.

En dehors de ce qu'on peut appeler les crimes sociaux , les mmes d'État, comme la trahison et la lâcheté devant l'ennemi, la législation germanique nous paraîtrait aujourd'hui indulgente et douce jusqu'à la faiblesse. Elle ne connaissait pas la peine de mort (l), et pour les crimes de meurtre n'appliquait que la composition pécuniaire. C'était assurément une mansuétude bien remarquable, chez des hommes d'une aussi excessive énergie et dont les passions étaient assurément fort ardentes. On les en a loués, on les en a blâmés ; mais on a peut-être exa- miné la question un peu superficiellement. Pour asseoir avec pleine connaissance de cause une opinion définitive, il faut dis- tinguer ici entre la justice rendue sous l'autorité ou plutôt sous la direction du drottinn, et plus tard , par assimilation, du konungr, ou roi militaire , et celle qui s'exerçant dans les odels, émanait, d'une manière bien autrement puissante et tout incontestée, de la volonté absolue et de l'initiative de i'Arian, chef de famille. Cette distinction est non seulement dans la nature des choses , mais nécessaire pour comprendre la théorie génératrice de la composition en argent dans les ju- gements criminels.

Le possesseur del'odel, maître suprême de tous les habitants tle sa terre et leur juge sans appel, suivait certainement dans ses arrêts les suggestions d'un esprit nativement rigide et porté à la doctrine du talion, cette loi la plus naturelle de toutes, et dont une sagesse très raffinée , appuyée sur l'expérience de cas très complexes, apprend seule à reconnaître l'injustice. Pas de

(1) Même pour le meurtre du roi, chez les Anglo-Saxons , la com- position en argent était admise. On s'était contenté de la porter au plus haut degré. (Kemble, t. I, p. 423.) Cependant les souverains de celte branche germanique s'étaient arrangés de façon à réunir sur leur tôte au titre de theedr, ou chef militaire, celui de dry ht, ou ma- ■gistrat civil, ce que ne firent pas les chefs des Goths ni des Franks. (Ibid. , t. II, p. 23.}

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DES RACES HUMAINES. 385

doute que dans ce cercle de juridiction domestique on ne de- mandât œil pour œil et dent pour dent. Il n'y aurait pas même eu moyen de recourir à la composition pécuniaire, car rien n'é- tablit que les membres inférieurs de l'odel aient eu le droit personnel de propriété dans les époques vraiment arianes.

Mais quand le crime, se produisant en dehors du cercle in- térieur gouverné par le chef de famille, avait pour victime un homme libre, la répression se compliquait soudain de ces dif- ficultés dirimantes qui hérissent toujours le redressement des torts d'un souverain . envers son égal. On admettait bien en principe, dans l'intérêt évident du lien social , que la commu- nauté, représentée par rassemblée des hommes libres sous la présidence du drottinn ou du graff, avait le droit de punir les infractions à la tranquillité publique, état que ces pouvoirs avaient la mission de maintenir de leur mieux. Le point sca- breux était de fixer l'étendue de ce droit. Il se trouvait pour le circonscrire, dans les plus étroites limites possibles, autant de volontés qu'il y avait déjuges impartiaux, c'est-à-dire d'A- rians Germains, attentifs à sauvegarder Findépendance de chacun contre les empiétements éventuels de la communauté. On fut ainsi conduit à envisager sous un jour de compromis la position des coupables et à substituer, dans le plus grand nombre de cas, à l'idée du châtiment celle de la réparation approximative. Placée sur ce terrain, la loi considéra le meur- tre comme un fait accompli, sur lequel il n'y avait plus à re- venir, et dont elle devait seulement borner les conséquences quant à la famille du mort. Elle écarta à peu près toute ten- dance à la vindicte, évalua matériellement le dommage, et, moyennant ce qu'elle jugea être un équivalent pour la perte de rhomme que l'action homicide avait rayé du nombre des vi- vants et arraché à ceux parmi lesquels il vivait , elle ordonna le pardon, l'oubli et le retour de la paix. Dans ce système, plus le défunt était d'un rang élevé, plus la perte était estimée considérable. Le chef de guerre valait plus que le simple guer- rier, celui-ci plus que le laboureur, et certainement un Ger- main devait être mis à plus haut prix qu'un de ses vaincus.

Avec le temps, cette doctrine, pratiquée dans les camps

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386 DE l'inégalité

comme dans les territoires Scandinaves, devint la base de tou- tes les législations germaniques, bien qu'elle ne fût à l'origine qu'un résultat de l'impuissance de la loi à atteindre ceux qui faisaient la loi. Elle étouffa la coutume des odels à mesure que ceux-ci diminuèrent de nombre et virent ensuite restreindre leurs privilèges, à mesure que l'indépendance des membres de la nation fut moins absolue , que, le féod étant devenu le mode de tenure le plus ordinaire, les rois prirent plus d'empire, et enfin que les multitudes agrégées par la conquête et reconnues comme propriétaires du sol devinrent aptes à composer pour leurs délits et leurs crimes, comme lés plus nobles personna- ges, comme les hommes de la plus haute lignée pour les leurs. L'Arian Germain n'habitait pas les villes; il en détestait le séjour, et, par suite, en estimait peu les habitants. Toutefois il ne détruisait pas celles dont la victoire le rendait maître, et, au II® siècle de notre ère, Ptolémée énumérait encore quatre- vingt-quatorze cités principales entre le Rhin et la Baltique, fondations antiques des Galls ou des Slaves, et encore occupées par eux (1). A la vérité, sous le régime des conquérants venus du nord, ces villes entrèrent dans une période de décadence. Créées par la culture imparfaite de deux peuples métis, assez étroitement utilitaires, elles succombèrent à deux effets tout- puissants, bien qu'indirects, de la conquête qu'elles avaient subie. Les Germains, en attirant la jeunesse indigène à l'adop- tion de leurs mœurs , en conviant les guerriers du pays à prendre part à leurs expéditions, partant à leurs honneurs et à lem' butin, firent goûter promptement leur genre de vie à la noblesse celtique. Celle-ci tendit à se mêler étroitement à eux. Quant à la classe commerçante , quant aux industriels , plus casaniers, l'imperfection de leurs produits ne pouvait que dif- ficilement soutenir la concurrence contre ceux des fabricants de Rome, qui, établis de très bonne heure sur les limites dé- cumates, livraient aux Germains des marchandises italiennes ou grecques beaucoup moins chères, ou du moins infiniment

(t) H. Léo , Vorlesungen ùber die Geschîchte des deutschen Volkes und Reiches; in-8°, Hall, 18S4, t. I, p. 194.

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DES KACES HUMAINES. 387

plus belles et meilleures que les leurs. C'est le double et cons- tant privilège d'une civilisation avancée. Réduits à copier les modèles romains pour se prêter aux goûts de leurs maîtres, les ouvriers du pays ne pouvaient espérer un véritable proflt de ce labsur qu'en se mettant directement au service des possesseurs d'odels et de féods, ceux-ci ayant une tendance naturelle à réunir dans leur clientèle immédiate et sous leur main tous les hommes qui pouvaient leur être de quelque utilité. C'est ainsi que les villes se dépeuplèrent peu à peu et devinrent d'obscures bourgades.

Tacite, qui ne veut absolument voir dans les héros de son pamphlet que d'estimables sauvages, a faussé tout ce qu'il ra- conte d'eux en matière de civilisation (1). Il les représente comme des bandits philosophes. Mais , sans compter qu'il se contredit lui-même assez souvent, et que d'autres témoignage contemporains, d'une valeur au moins égale au sien , permet- tent de rétablir la vérité des faits, il ne faut que contempler le résultat des fouilles opérées dans les plus anciens tombeaux du Nord pour se convaincre que, malgré les emphatiques décla- mations du gendre d' Agrippa , les Germains , ces héros qu'il célèbre d'ailleurs avec raison, n'étaient ni pauvres, ni ignorants, ni barbares (2).

(1) Entre autres assertions contestables, on remarque celle-ci : « Litterarum sécréta viri pariter ac fœminae ignorant. » {Germ. , i8.) On ne peut expliquer ce passage qu'en rappliquant seulement à quel- ques tribus très mélangées et exceptionnellement pauvres. Tous les mots qui se rapportent à l'écriture sont gothiques, et, si l'allemand moderne a emprunté au latin l'expression schreiben, écrire, c'est que les Allemands ne sont pas d'essence germanique. On trouve dans Ulfila spiîda, planchette pour tracer les caractères runiques; vrits, une fente, une lettre formée par incision; mêljan, gamêljan, écrire ^ peindre; bôka, un livre formé d'écorce de hêtre, etc. (W. G. Grimm, Uber deutsche Runen, p. 47.)

(2) Ils avaient eu leur période de bronze avant d'arriver dans le Nord, et probablement avant de conquérir le Gardarike. (Munch, ouvr. cite, p. 7.) Toutes les antiquités de cet âge trouvées en Danemark sont celtiques. (Ibidem. Wormsaœ , Lettre à M. Mérimée, Moniteur uni- versel du 14 avril 1833.) D'ailleuis, si les Germains avaient assez de goût pour apprécier les produits des arts, il est certain qu'ils n'avaient pas eux-mêmes , eux si richement doués sous le rapport de la poésie,

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388 DE l'inégalité

La maison de Todel ne ressemblait pas aux sordides demeu- res, à demi enfouies dans la terre, que l'auteur de la Ger- mania se plaît tant à décrire sous des couleurs stoïques. Ce- pendant ces tristes retraites existaient; mais c'était l'abri des races celtiques à peine germanisées ou des paysans, des karis, cultivateurs du domaine. On peut encore contempler leurs analogues dans certaines parties de TAUemagne méridionale, et surtout dans le pays d'Appenzell, les gens prétendent que leur mode de construction traditionnel est particulièrement propre à les préserver des rigueurs de l'hiver. C'était la raison qu'alléguaient déjà les anciens constructeurs; mais les hom- mes libres, les guerriers arians étaient mieux logés, et surtout moins à l'étroit (1).

Lorsqu'on entrait dans leur résidence, on se trouvait d'a- bord dans une vaste cour, entourée de divers bâtiments , con- sacrés à tous les emplois de la vie agricole, étables , buanderies, forges, ateliers et dépendances de toute espèce, le tout plus ou moins considérable, suivant la fortune du maître. Cette réu- nion de bâtisses était entourée et défendue par une forte palis^ sade. Au centre s'élevait le palais, l'odel proprement dit, que soutenaient et ornaient en même temps de fortes colonnes de bois, peintes de couleurs variées. Leloit, bordé de frises sculptées, dorées ou garnies de métal brillant, était d'ordinaire surmonté d'une image consacrée, d'un symbole religieux,

l'inspiration des œuvres plastiques. M. Wormsaœ a dit avec raison : « On remarquera que l'influence des arts de Rome est évidente pour « l'observateur attentif qui examine nos antiquités de l'âge de fer. « Dès avant les grandes expéditions normanniques, les Scandinaves « imitaient des modèles romains, tout en donnant par la fabrication a un cachet parliculier à leurs armes «t à leurs bijoux. » Il est inutile de répéter ici que les races les mieux douées Me deviennent artistes que par un contact quelconque avec l'essence mélanienne; les Scandinaves ne l'avaient pas eu.

(1) On peut trouver sans peine la mention d'un certain nombre de palais ou châteaux germaniques dans les auteurs latins. Le Scopes- Vidsidh nomme encore Heorot, dans le pays des Hadubards (EttmuUer,' Beowulflied, Eprileit, p.xxxix); puis Hreosnabeorh, dans le pays des, Géates; Finnesburh, chez les Frisons; Headhoraemes et Hrones-nœs, en Suède. Le poème de fieoio m ^^ ci te également toutes ces résidences.

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comme, par exemple, le sanglier mystique de Freya (1). La plus grande partie de ce palais était occupée par une vaste salle, ornée de trophées et dont une table immense occupait le milieu.

C'était que TArian Germain recevait ses hôtes, rassem- blait sa famille, rendait la justice, sacrifiait aux dieux, don- nait ses festins, tenait conseil avec ses hommes et leur distri- buait ses présents. Quand, la nuit venue, il se retirait dans les appartements intérieurs, c'était que ses compagnons, rani- mant la flamme du foyer, se couchaient sur les bancs qui en- touraient les murailles, et s'endormaient la tête appuyée sur leurs boucliers (2).

On est sans doute frappé par la ressemblance de cette de- meure somptueuse, de ses grandes colonnes, de ses toits éle- vés et ornés, de ses larges dimensions, avec les palais décrits dans rodyssée et les résidences royales des Mèdes et des Per- ses. En effet , les nobles manoirs des Achéménides étaient tou- jours situés en dehors des villes de l'Iran et composés d'un groupe de bâtiments affectés aux mêmes usages que les dépen- dances des palais germaniques. On y logeait également tous les ouvriers ruraux du domaine, une foule d'artisans, selliers, tis- serands, forgerons, orfèvres, et jusqu'à des poètes, des mé- decins et des astrologues. Ainsi, les châteaux des Arians Ger- mains décrits par Tacite, ceux dont les poèmes teutoniques parlent avec tant de détails , et , plus anciennement encore , la divine Asgard des bords de la Dwina, étaient l'image de l'ira- nienne Pasagard, au moins dans les formes générales, sinon dans la perfection de l'œuvre artistique (3) , ni dans la valeur

(i) Tacite (Germ., 45) parle de ce sanglier; TEdda de même, dans le Hyndluliodhy st. 5. On appelait cette flgure emblématique hil- disvin ou hildigœltr, le porc des combats. (Ettmullcr, ouvr. cité, introd. , p. 49.) Charlemagne avait fait mettre un aigle sur le faîte de son palais impérial d'Aix-la-Chapelle.

(2) Weinhold , Die deutsche Frauen im Mitlelalt. , p. 348-349.

(3) On a, dans les descriptions qui nous restent d'Ecbatane et de son palais, l'exacte reproduction d'une demeure ariane de l'extrême nord de l'Europe au vi* siècle. Rien ne manque au portrait : l'édifice médique était de bois, formé de grandes salles reposant sur des piliers peints de couleurs variées; il n'y manque pas même les frises de raé-

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des matériaux (1). Et après tant de siècles écoulés depuis que rArian Roxolan avait perdu de vue les frères qu'il avait quittés dans la Bactriane et peut-être même beaucoup plus haut dans le nord, après tant de siècles de voyages poursuivis par lui à travers tant de contrées, et, ce qui est plus remarquable encore, après tant d'années passées à n'avoir, dit-on, pour abri que le toit de son chariot , il avait si fidèlement conservé les instinctif et les notions primitives de la culture propre à sa race , que l'on vit se mirer dans les eaux du Sund , et plus tard dans celles de la Somme, de la Meuse et de la Marne, des monuments construits d'après les mêmes données et pour les mêmes mœurs que ceux dont la Caspienne et même l'Euphrate avaient reflété les magnificences (2).

tal au sommet des murs, ni les plaques argentées et dorées pour former la toiture. Ce genre de construction , opposé à celui de Persé- polis et des villes de l'époque sassanide, qui sont, l'un et l'autre, des imitations assyriennes, est essentiellement arian. (Polybe, X, 24, 27.) Cet auteur était tellement ébloui de la splendeur, de la rictiesse et de l'étendue (sept stades de tour) du palais d'Ecbatane, qu'il proteste d'avance contre ce que son récit peut avoir de semblable au fabuleux.

(1) Le palais d'Ecbatane était entièrement construit en bois de cyprès et de cèdre, et toutes les chambres étaient peintes, dorées et argen- tées.. (Polybe, loc. cit.) Ritter fait la remarque très juste que les palais persans de l'époque moderne se rapprochent beaucoup de ce style. {West-AsieUf t. YI, 2^ Abth., p. 108.) J'ajouterai les palais chi- nois.

(2) Cette réunion de bâtiments agglomérés, que nous ne savons, dans notre langage romano-celtique , autrement nommer que du mot fermey ~* "ui éveille ainsi pour nous une idée fausse, est ce que les Allemands nomment très justement hof. Cette expression s'applique à toute résidence patrimoniale héréditaire, à celle des rois comme à celle des nobles et même des paysans. C'est exactement le mot persan »)'^j!» ivan, qui se rapporte à la même racine et présente

absolument le même sens partout Firdousi l'emploie, comme, par exemple , dans ce vers :

a Vous êtes en sûreté dans mon ivan. » Du reste, le poème de Firdousi, à part le placage musulman, et dans ses éléments primitifs, peut être considéré, pour les mœurs, les caractères, les nctioiis qu'il célèbre, comme étant par excellence un poème gcrmaiiique.

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Quand rArian Germain se tenait dans sa grand'salle , assis sur un siège élevé, au haut bout de la table, vêtu de riches habits, les flancs ceints d'une épée précieuse, forgée par les mains habiles et estimées magiques des ouvriers jotuns, slaves ou finnois , et qu'entouré de ses braves , il les conviait à se réjouir avec lui, au bruit des coupes et des cornes à boire, garnies d'argent ou dorées sur les bords , ni des esclaves , ni même des domestiques vulgaires , n'étaient admis à l'honneur de servir cette vaillante assemblée. De telles fonctions sem- blaient trop nobles et trop relevées pour être abandonnées à des mains si humbles; et de même qu'Achille s'occupait lui- même du repas de ses hôtes, de même les héros germaniques se faisaient un honneur de conserver cette lointaine tradition de la courtoisie particulière à leur famille. Le glaive au côté , ils allaient quérir, ils plaçaient sur les tables les viandes, la bière, l'hydromel; ensuite ils s'asseyaient librement, et par- laient sans crainte, suivant que leur pensée les inspirait.

Ils n'étaient pas tous sur le même pied dans la maison. Le maître estimait avant tous les autres son orateur, son porte- glaive, son écuyer, et, lorsqu'il était jeune encore, son père nourricier, celui qui lui avait appris le maniement des armes et l'avait préparé à l'expérience du commerce des hommes. Ces divers personnages , et le dernier surtout , avaient la préséance parmi leurs compagnons. On accordait aussi des égards parti- culiers au champion d'élite qui avait accompli des exploits hors ligne.

Le festin était commencé. La première faim s'apaisait; les coupes se vidaient rapidement , la parole et la joie circulaient comme du feu dans toutes ces têtes violentes. Les actions de guerre racontées de toutes parts enflammaient ces imagina- tions combustibles et multipliaient les bravades. Tout à coup un convive se levait bruyamment ; il annonçait la volonté d'en- treprendre telle expédition hasardeuse, et, la main étendue sur la corne qui contenait la bière , il jurait de réussir ou de tom- ber. Des applaudissements terribles éclataient de toutes parts. Les assistants , exaltés jusqu'à la folie , entre-choquaient leurs armes pour mieux célébrer leur allégresse ; ils entouraient le

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héros, le félicitaient, l'embrassaient. C'étaient des délasse- ments de lions.

Passant alors à d'autres idées , ils se mettaient au jeu , pas- sion dominante et profonde chez des esprits amoureux d'aven- tures, avides de hasards, qui, dans leur façon de s'abandonner, sans réserve et sans mesure , à toutes les formes du danger, en arrivaient souvent à se jouer eux-mêmes et à affronter l'escla- vage, plus redoutable dans leurs idées que la mort même. On conçoit que de longues séances ainsi employées pouvaient faii-e naître d'épouvantables orages , et il était des moments le seigneur du lieu devait tenir à en écarter même l'occasion. Pre- nant donc ces imaginations actives par un de leurs côtés les plus accessibles , il avait recours aux récits des voyageurs, tou- jours écoutés avec une attention également vive et intelli- gente; ou bien encore il proposait des énigmes, amusement favori (1); ou enfin, profitant de l'influence incalculable doiit jouissait la poésie , il ordonnait à son poète de remplir son of- fice.

Les chants germaniques avaient, sous leurs formes ornées, le caractère et la portée de l'histoire, mais de l'histoire pas- sionnée, préoccupée surtout de maintenir éternellement l'or- gueil des journées de gloire, et de ne pas laisser périr ia mé- moire des outrages et le désir de les venger (2). Elle proposait aussi les grands exemples des aïeux. On y trouve peu de tra- ces de lyrisme. C'étaient des poèmes à la manière des compila- tions homériques, et, j'ose même le dire, les fragments mutilés qui en sont venus jusqu'à nous respirent une telle grandeur avec un tel enthousiasme , sont revêtus d'une si curieuse ha-

(1) Ce goût des énigmes est un des traits principaux de la race ariane, et, comme il a été remarqué déjà ailleurs, il s'unit au person- nage mystérieux du sphynx ou griffon, dont la patrie primitive est incontestablement l'Asie centrale; c'est de qu'il est descendu sur le Cythéron avec les Hellènes, après avoir habité le Bolor avec les Iraniens , qui l'appelèrent Simourgh. Les énigmes font partie du génie national des Scythes et des Massagètes dans Hérodote, et c'est de qu'elles ont continué à vivre dans les préoccupations du génie ger~ manique.

(2) Tac, Germ., 2. W. MuUer, ouvr. cité, p. 297.

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bileté de formes, que sous quelques rapports ils méritent pres- que d*être comparés aux chefs-d'œuvre du chantre d'Ulysse. La rime y est inconnue ; ils sont rythmés et allitérés (1). L'an- cienneté de ce système de versification est incontestable. Peut- être en pourrait-on retrouver des traces aux époques les plus primitives de la race blanche.

Ces poèmes, qui conservaient les traits mémorables des an- nales de chaque nation germanique, les exploits des grandes familles, les expéditions de leurs braves, leurs voyages et leurs découvertes sur terre et sur mer (2), tout enfin ce qui était di- gne d'être chanté, n'étaient pas seulement écoutés dans le cer- cle de l'odel, ni même de la tribu ils avaient pris naissance et qu'ils célébraient. Suivant qu'ils avaient un mérite supérieur, ils circulaient de peuple à peuple, passant des forêts de la Norwège aux marais du Danube, apprenant aux Frisons, aux riverams du Weser les triomphes obtenus par les Amalungs sur les bords des fleuves de la Russie, et répandant chez les Bavarois et les Saxons les faits d'armes du Longobard Alboin dans les régions lointaines de Tltalie (3). L'intérêt que l'Arian Germain prenait à ces productions était tel , que souvent une nation demandait à une autre de lui prêter ses poètes et lui envoyait les siens. L'opinion voulait même rigoureusement

(i) Wackernagel , Geschichte, d. d. Lîtteratur, p. 8 et seqq. L'al- litération cesse d'être en usage en Allemagne au ix» siècle. On la trouve dans les généalogies gothiques, vandales, burgondes, longobardes, frankes , anglo-saxonnes, dans les anciennes formules juridiques, dans quelques recettes d'incantation. C'est un mode d'harmonie poétique on ne peut plus ancien chez la race blanche; les noms des trois épo- nymes Ingœvo, Irmino et Istaewo, cités par Tacite, sont allitérés. Il ne serait pas impossible d'en trouver des vestiges dans les généalogies bibliques.

(2) Les Goths avaient des poèmes qui chantaient leur premier départ de l'île de Scanzia et les hauts faits des ancêtres de leurs chefs, les annales Ethrpamara, Hanala, Fridigern, Vidicula ou Vidicoja. (W. Muller, ouvr. cité, p. 297.)

(3) M. Amédéc Thierry a éloquemment et exactement décrit celte ubiquité des poèmes germaniques et, par suite, des grandes actions qui y étaient consacrées. {Revue des Deux-Mondes, i" déc. 1852, p. 844-845, 883. Munch, ouvr. cité, p. 43-44.)

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qu'un jarl, un ariman, un véritable guerrier, ne se bornât pas à connaître le maniement des armes, du cheval et du gouver- nail, l'art de la guerre, de toutes les sciences assurément les premières (1) ; il fallait encore qu'il eût appris par cœur et fût en état de réciter les compositions qui intéressaient sa race ou qui de son temps avaient le plus de célébrité. Il devait de plus être habile à lire les runes , à les écrire et à expliquer les se- crets qu'elles renfermaient (2).

Qu'on juge de la puissante sympathie d'idées , de l'ardente curiosité intellectuelle qui, possédant toutes les nations ger- maniques, rehait entre eux les odels les plus éloignés, neutra- lisait chez leurs fiers possesseurs, et sous les rapports les plus nobles, l'esprit d'isolement, empêchait le souvenir de la com- mune origine de s'éteindre, et, si ennemis que les circonstan- ces pussent les faire, leur rappelait constamment qu'ils pen- saient, sentaient, vivaient sur le même fonds commun de doctrines, de croyances, d'espérances et d'honneur. Tant qu'il y eut un instinct qu'on put appeler germanique , cette cause d'unité fit son office. Charlemagne était trop grand pour la mé- coanaître; il en comprenait toute la force et le parti qu'il en devait tirer. Aussi, malgré son admiration pour la românité et son désir de restaurer de pied en cap le monde de Constantin, il n'eut jamais la moindre velléité de rompre avec ces tradi- tions, bien que méprisées par la triste pédanterie gallo-romaine.

(1) La tactique germanique avait pour principe le coin ; on en attri- buait l'invention à Odin. (W. Muller, AUdeutsche Religion, p. 197.)

(2) Rigsmal, st. 39-42 : « Alors les fils du jarl grandirent; ils domp- « tarent des étalons, peignirent des boucliers, aiguisèrent des flèches, « taillèrent des bois de lance. Korner, le cadet, sut lire les runes, « comprit les alphabets et les caractères divinatoires. Il apprit par « àdompter les hommes, à émousser les glaives, à contenir les mers. « Il connut le langage des oiseaux, sut apaiser l'incendie, calmer les « flots, guérir les chagrins. Quelquefois aussi il put se donner la force « de huit hommes. Il lutta avec Rigr (le dieu) dans la science des « runes et en toutes sortes de talents d'esprit; il remporta la victoire. « Alors il lui fut donné, il lui fut accordé de s'appeler Rigr lui-même,- « et d'être savant en toutes les choses de Tintelligence. » Cette peinture hyperbolique de tout ce que devait savoir un jarl, ou noble, pour être digne de son titre, n'est assurément pas d'une race barbare.

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Il fit réunir de toutes parts les poésies nationales , et il ne tint pas à lui qu'elles n'échappassent à la destruction. Malheureu- sement , des nécessités d'un ordre supérieur contraignirent le clergé à tenir une conduite différente.

Il lui était impossible de tolérer que cette littérature, essen- tiellement païenne , troublât incessamment la conscience mal assurée des néophytes, et, les faisant rétrograder vers leurs affections d'enfance, ralentît le triomphe du christianisme. Elle mettait un tel emportement, une obstination si haineuse à cé- lébrer les dieux du Walhalla et à préconiser leurs orgueilleu- ses leçons , que les évêques ne purent hésiter à lui déclarer la guerre. La lutte fut longue et pénible. La vieille attache des populations aux monuments de la gloire passée protégeait l'en- nemi. Mais enfin, la victoire étant restée à la bonne cause, l'Église ne se montra nullement désireuse de pousser son suc- cès jusqu'à l'extermination totale. Lorsqu'elle n'eut plus rien à craindre pour la foi, elle tâcha elle-même de sauver des dé- bris désormais inoffensifs. Avec cette tendre considération qu'elle a toujours montrée pour les œuvres de Tintelligence, même les plus opposées à ses sentiments, noble générosité dont on ne lui sait pas assez de gré , elle fit pour les œuvres germaniques exactement ce qu'elle faisait pour les livres pro- fanes des Romains et des Grecs. Ce fut sous son influence que les Eddas furent recueillies en Islande. Ce sont des moines qui ont sauvé le poème de Beowulf^ les annales des rois anglo- saxons, leurs généalogies, les fragments du Chant du Voya- geur, de la Bataille de Finnesburh, de Hiltibrant (1). D'autres religieux. compilèrent tout ce que nous possédons des traditions du Nord, non comprises dans l'ouvrage de Saemund, les chroniques d'Adam de Brème et du grammairien Saxon ; d'autres, enfin , transmirent à l'auteur du Nibelungenlied les

(1) Dans sa forme actuelle, le poème de Beowulf e^l du Yin« siècle environ, (EUmuller, Beowulfslied, Einl. LXIII.)Les événements qu*il rapporte ne sont pas postérieurs à ?an 600; et même la mort d'Hy- gelak , dont il fait mention , est placée par Grégoire de Tours entre 515 et 520. Ce poème semble avoir été formé de plusieurs chants dififé- rents ; on y remarque des espèces de sutures.

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légendes d'Attila que le x^ siècle vit mettre en œuvre (1). Ce sont des services qui méritent d'autant plus de reconnais- sance, que la critique ne doit qu'à eux seuls de pouvoir ratta- cher directement les parties originales des littératures moder- nes, les inspirations qui ne proviennent pas absolument de l'influence hellénistique ou italiote, aux anciennes sources arianes, et par aux grands souvenirs épiques de la Grèce primitive, de l'Inde, de l'Iran bactrien et des nations généra- trices de la haute Asie.

Les poèmes odiniques avaient eu d'exaltés défenseurs, mais parmi ceux-ci les femmes s'étaient surtout fait distinguer. Elles avaient témoigné d'un attachement particulièrement opiniâtre aux anciennes mœurs et aux anciennes idées; et, contraire- ment à ce qu'on suppose généralement de leur prédilection pour le christianisme , opinion vraie quant aux pays romani- ses, mais dénuée de fondement dans les contrées germaniques, elles prouvèrent qu'elles aimaient du fond du cœur une reli- gion et des coutumes assez austères peut-être, mais qui, leur attribuant un esprit sagace et pénétrant jusqu'à la divination,' les avaient entourées de ces respects et armées de cette au- torité que leur refusaient si dédaigneusement les paganismes du Sud sous l'empire de Tancien culte. Bien loin qu'on les crût indignes de juger des choses élevées, on leur confiait les soins les plus intellectuels : elles avaient la charge de conserver les connaissances médicales, de pratiquer, en concurrence avec les thaumaturges de profession , la science des sortilèges et des recettes magiques. Instruites dans tous les mystères des limes (2), elles les communiquaient aux héros, et leur prudence avait le droit de diriger, de hâter, de retarder les effets du cou- rage de leurs maris ou de leurs frères. C'était une situation dont la dignité était faite pour leur plake , et il n'y a rien de surprenant à ce qu'elles n'aient pas cru tout d'abord devoir gagner au change. Leur opposition, nécessairement limitée, se manifesta par leur entêtement pour la poésie germanique même. Devenues chrétiennes, elles en excusaient volontiers

(1) Ara. Thierry, Revue des Deux-Mondes, 1" décembre 1852, p. 845.

(2) "Weïnholé, ouvr.citéi p. 56. W. G. Grïram, DmtsckeRunen, p. M.

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les défauts hétérodoxes; et ces dispositions mutines persistè- rent si bien chez elles, que, longtemps après avoir renoncé au culte de Wodan et de Freya, elles restèrent les dépositaires attitrées des chants des scaldes. Jusque sous les voûtes bénies des monastères, elles maintenaient cette habitude réprouvée, et un concile de 789 ne put même réussir, en fulminant les défenses les plus absolues et les menaces les plus effrayantes, à empêcher d'indisciplinables épouses du Seigneur de trans- crire, d'apprendre par cœur et de faire circuler ces œuvres antiques qui ne respiraient que les louanges et les conseils du panthéon Scandinave (1).

La puissance des femmes dans une société est un des gages Jes plus certains de la persistance des éléments arians. Plus cette puissance est respectée, plus on est en droit de déclarer Ja race qui s'y montre soumise rapprochée des vrais instincts de la variété noble ; or, les Germaines n'avaient rien à envier à leurs sœurs des branches antiques de la famille (2).

La plus ancienne dénomination que leur applique la langue gothique est guino; c'est le corrélatif du grec yuv»!. Ces deux jnots viennent d'un radical commun, gen, qui signifie cw/aw- ter (3). La femme était donc essentiellement, aux yeux des Arians primitifs, la mère, la source de la famille, de la race, et de provenait la vénération dont elle était l'objet. Pour les deux autres variétés humaines et beaucoup de races métis- ses en décadence, bien que fort civilisées, la femme n'est que la femelle de l'homme.

(1) Weinhold, ouvr. cité, p. 91. Les canons de Chalcédoine avaient défendu aux femmes de s'approcher de Taulel et d'y remplir aucune fonction. Le pape Gélase renouvela cette interdiction dans ses décré- tales, à cause des manquements fréquents qu'v faisaient les popula- tions germanisées.

(2) Une marque singulière de la puissance que les races germaniques prêtaient aux femmes s'est empreinte dans cette tradition très tardive que Charlemagne, abaUu par la défaite de Roncevaux, leva, d'après le conseil d'un ange, une armée de cinquante-trois mille vierges, auxquelles les païens n'osèrent résister. (Weinhold, oww. cité, p. 44.)

(3) Gothique : ginan, genûm, gen; c'est le latin gignere, et le grec ^evvav, yuvTQ. C'est un radical fort ancien.

RACES HUMAINES. T. II. 23

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398 DE l'inégalité

De même que l'appellation de l'Arian Germain, du guer-- rler,yar/, finit, dans ia patrie du nord, par s'élever à la si- gnification de gouvernant et de roi, de même le mot quino, graduellement exalté , devint le titre exclusif des compagnes du souverain, de celles qui régnaient à ses côtés, en un mot, des reines. Pour le commun des épouses, une appellation qui n'était guère moins flatteuse y succéda : c'est frau, frouwe, mot divinisé dans la personnalité céleste deFreya (1). Après ce mot, il en est d'autres encore qui sont tous frappés au même cachet. Les langues germaniques sont riches en dési- gnations de la femme, et toutes sont empruntées à ce qu'il y a de plus noble et de plus respectable sur la terre et dans les» deux (2). Ce fut sans doute par suite de cette tendance native à estimer à un haut degré l'influence exercée sur lui par sa com- pagne, que l'Arian du nord accepta, dans sa théologie, Fidée que chaque homme était dès sa naissance placé sous la protec- tion particulière d'un génie fémmin, qu'il appelait /•^%-a. Cet ange gardien soutenait et consolait , dans les épreuves de la vie, le mortel qui lui était confié par les dieux, et, lorsque celui-ci touchait à Theure suorême, il lui apparaissait pour l'avertir (3).

Cause ou résultat de ces habitudes déférentes , les mœurs étaient généralement si pures, que dans aucun des dialectes nationaux il ne se trouve un mot pour rendre l'idée de cour- tisane. Il semblerait que cette situation n'ait été connue des Germains qu'à la suite du contact avec les races étrangères, car les deux plus anciennes dénominations de ce genre sont le finnique halkjô et le celtique lenne et laënia (4).

(1) Sanscrit : pH; zend : frî; gothique : fri^ô, y aime. (Bopp, Ver- gleichende Grammalik, p. 123.)

(2) Weinhold, ouvr. cité, p. 20. L^expression muine , ancien féminin de mann, n'est pas germanique. EUe paraît être d'origine celtique. Elle' ne s'est conservée que comme indiquant un démon femelle, dans les composés murmuine , sirène , et wuldmuine, dryade. (W. Muller^ AUdeutsche Religion, p. 366.)

(3) Weinhold, ouv7\ cité, p. 49.

(4) Ibid. , p. 291. Les crimes contre les femmes ne trouvaient même pas toujours d'excuse dans l'emportement de la conquête , et, au sac

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L'épouse germanique apparaît, dans les traditions, comme un modèle de majesté et de grâce , mais de grâce imposante. On ne la confinait pas dans une solitude jalouse et avilissante ; l'usage voulait, au contraire, que, lorsque le chef de famille traitait des hôtes illustres, sa compagne, entourée de ses filles et de ses suivantes, toutes richement vêtues et parées, vînt honorer la fête de sa présence. C'est avec un enthousiasme bien caractéristique que des scènes de ce genre sont décrites par les poètes (1).

« Le plaisir des héros était au comble, a chanté l'auteur de « Beowulf, La grand'salle retentissait de paroles bruyantes. « Alors entra Wealthéow, réponse de Hrôdhgâr. Gracieuse « pour les hommes de son mari , la noble créature , ornée d'or, « salua gaiement les guerriers attablés. Puis , charmante « femme , elle offrit d'abord la coupe au protecteur des odels « danois et avec d'aimables paroles Fencouragea à se réjouir « et à bien traiter ses fidèles.

« Le chef magnanime saisit joyeusement la coupe. Puis la « fille des nobles Helmings salua , à la ronde , ceux des con- « vives , jeunes ou vieux, à qui leur valeur avait mérité d'illus- « très dons ; enfin , elle s'arrêta , la belle souveraine , couverte « de bracelets et de chaînes précieuses , la généreuse dame , « devant le siège de Beowulf. Elle salua en lui le soutien des « Goths et lui versa la bière. Pleine de sagesse, elle prit le ciel « à témoin des vœux qu'elle formait pour lui , car elle n'avait « foi que dans ce champion valeureux pour punir les crimes « de Grendel (2). »

Après avoir accompli ses devoirs de courtoisie , la maîtresse du logis s'asseyait auprès de son époux et se mêlait aux entre- tiens. Mais avant que le banquet n'arrivât à sa période la plus animée , et quand les fumées de l'ivresse commençaient à ga-

de Rome par Alaric, un Goth de grande naissance, ayant violé la fille d'un Romain, fut condamné à mort, malgré la résistance du roi, et exécuté. (Kemble, t. I, p. 190.)

(1) EttmuIIer, Beowulfslied , Einl., p. xlvii.

(2) Kemble, The anglo-saxon Poem of Beowulf, v. 1215 et seqq.,

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400 DE l'inégalité

gner les héros, elle se retirait. C'est encore ainsi qu'on en use en Angleterre, le pays qui a le mieux conservé les débris des usages germaniques.

Retirées dans leur intérieur, les soins domestiques , les tra- vaux de l'aiguille et du fuseau, la préparation des composi- tions pharmaceutiques, l'étude des runes, celle des composi- tions littéraires, l'éducation de leurs enfants, les entretiens intimes avec leurs époux, composaient aux femmes un cercle d'occupations qui ne manquait ni de variété ni d'importance. C'était dans le séjour particulièrement intime de la chambre nuptiale que ces sibylles de la famille rendaient leurs oracles écoutés du mari. Dans cette vie de confiance mutuelle, on jugeait que l'affection sérieuse et bien fondée sur le libre choix n'était pas de trop; les filles avaient le droit de ne se marier qu'à leur convenance. C'était la règle; et, lorsque la politique ou d'autres raisons la transgressaient, il n'était pas sans exem- ple que la victime apportât dans la demeure qu'on lui imposait une rancune implacable et n'y excitât de ces tempêtes qui finirent quelquefois, au dire de nombreuses légendes, par la ruine complète des plus puissantes familles, tant était grande et indomptable la fierté de l'épouse germanique.

Ce n'est pas à dire toutefois que les prérogatives féminines n'eussent leurs limites (1). S'il est plus d'un exemple de la participation des femmes aux travaux guerriers , la loi les tenait, en prmcipe, pour incapables de défendre la terre (2); par conséquent , elles n'héritaient pas de Todel. Encore moms pouvaient-elles prétendre à être substituées aux droits de leurs- époux défunts sur les féods (3). On les croyait propres au

(1) La considération vouée aux femmes était plus religieuse que civile, plus passive qu'active. On les jugeait faibles de corps et grandes par l'esprit. On les consultait, mais on ne leur confiait pas l'action. (Weinhold, p. 149.)

(2) Weinhold cite, d'après Luitprand et Jornandés, une foule de cas les femmes germaniques prenaient les armes. (Ouvr. cité, p. 42.)

(3) La notion germanique sur l'exercice des droits politiques était que celui-là seul y était admis qui pouvait remplir tous les devoirs de la communauté. La loi excluait donc les enfants, les esclaves, les vaincus et les femmes, tous par des causes inhérentes à leur situation. (Weinhold, ouvr. cité, p. 120.)

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conseil, impropres à l'action. Si, en outre, on admettait chez elles Fesprit divinatoire, on ne pouvait leur confier les fonctions sacerdotales, puisque le glaive de Ja loi y était joint. Cette ex- clusion était si absolue, que dans plusieurs temples les rites voulaient que le pontife portât les habits de l'autre sexe; néan- moins c'était toujours un prêtre. Les Arians Germains n'a- vaient pu accepter qu'avec cette modification les cultes que leur avaient fait adopter les nations celtiques parmi lesquelles ils vivaient (1).

Malgré ces restrictions et d'autres encore, l'influence des femmes germaines et leur situation dans la société étaient des plus considérables. Vis-à-vis de leurs pareilles de la Grèce et de Rome sémitisées , c'étaient de véritables reines en présence de serves, sinon d'esclaves. Quand elles arrivèrent avec leurs maris dans les pays du sud, elles se trouvèrent dans la meil- leure des conditions pour transformer à l'avantage de la mo- ralité générale les rapports de famille, et par suite la plupart des autres relations sociales. Le christianisme, qui, fidèle à son désintéressement de tontes formes et de toutes combi- naisons temporelles, avait accepté la sujétion absolue de l'é- pouse orientale, et qui pourtant avait su ennoblir cette situa- tion en y faisant entrer l'esprit de sacrifice, le christianisme, qui avait appris à sainte Morn'que à se faire de l'obéissance con- jugale un échelon de plus vers le ciel, était loin de répugner aux notions nouvelles, et évidemment beaucoup plus pures,, que les Arians Germains introduisaient. Néanmoins il ne faut pas perdre de vue ce que nous avons observé tout à l'heure. L'Église eut d'abord assez peu à se louer de l'esprit d'opposi- tion qui animait les Germaines. Il semblaque les derniers ins- tincts du paganisme se fussent retranchés dans les institutions civiles qui les concernaient. Sans parler de la chevalerie , dont les idées sur cette matière appelèrent souvent la réprobation des conciles , il est curieux de voir toute la peine qu'éprouve le clergé à faire accepter comme indispensable son intervention

(1) W. »Iuller, Altdeutsche Religion^ p. 53. Nerthus même avait un prêtre, et non une prêtresse.

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dans la célébration des mariages (l). La résistance existait en- core , chez certaines populations germanisées , dans le xvi® siè- cle (2). On n'y voulait considérer le lien conjugal que comme un contrat purement civil, Faction religieuse n'avait pas à s'exercer.

En combattant cette bizarrerie, dont les causes laissent en- trevoir une bien singulière profondeur, TÉglise ne perdit rien de sa bienveillance pour les conceptions très nobles auxquelles, elle était jointe. En les épurant, elle s'y prêta, et ne contribua pas peu à les conserver dans les générations successives dé- sormais les mélanges ethniques tendent à les faire disparaître, surtout chez les peuples du midi de l'Europe.

Arrêtons-nous ici. C'en est assez sur les mœurs, les opinions, les connaissances , les institutions des Arians Germains pour faire comprendre que dans un conflit avec la société romaine cette dernière devait finir par avoir le dessous. Le triomphe des' peuples nouveaux était infaUlible. Les conséquences en devaient être bien autrement fécondes que les victoires des lé- gions sous Scipion, Pompée et César. Que d'idées, non pas nées d'hier, très antiques au contraire, mais depuis longtemps disparues des contrées du midi, et oubliées avec les nobles races qui jadis les avaient pratiquées, allaient reparaître dans le monde ! Que d'instincts diamétralement opposés à l'esprit hellénistique! Vertus et vices, défauts et qualités, tout dans les races arrivantes était combiné de façon à transformer la face de l'univers civiUsé. Rien d'essentiel ne devait être dé- Ci) Les doubles mariages des MérowÎDgs, qui produisaient réguliè- rement tous leurs effets civils, avaient lieu assurément sans la par- ticipation de l'Eglise. - Jusqu'au xv« siècle, il fut très difficile de faire accepter aux populations allemandes l'intervention d'un prêtre dans les cérémonies du mariage. Souvent même, lorsque sa présence fut requise, elle n'eut lieu qu'au milieu de la fête et sans qu'il fût ques- tion de se rendre à l'église. - On admit aussi la bénédiction ecclé- siastique après la consommation du mariage. (Weinhold , ouvr cité p. 260.) ' '

(2) On cite encore, en 15?»1, un cas de mariage dans la haute bour- geoisie protestante n'intervint aucune action religieuse. (Wein- hold, o««n cité, p. 263.) - La bigamie de Philippe de Hesse pouvait se défendre à ce point de vue.

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truit, tout devait être changé. Les mots même allaient perdre leur sens. La liberté, l'autorité, la loi, la patrie, la monar- chie , la religion même, se dépouillant peu à peu de costumes et d'insignes usés , allaient pour plusieurs siècles en posséder d'arutres , bien autrement sacrés.

Cependant les nations germaniques , procédant avec la len- teur qui est la condition première de toute œuvre solide , ne devaient pas débuter par cette restauration radicale; elles commencèrent par vouloir maintenir et conserver, et cette tâche honorable, elles l'acconaplirent. sur la plus vaste échelle.

Pour assister à. la manière dont elle s'exécuta , reportons- nous encore une fois à l'époque du premier César, et nous al- lons voir se dérouler sous nos yeux cet état de choses qu'an- nonçait la fin du livre précédent : nous allons contempler la Rome germanique.

CHAPITRE IV.

Rome germanique. Les armées romano-celtiques et romano- germaniques. Les empereurs germains.

Le rôle ethnique des populations septentrionales ne com- mence qu'au I^' siècle avant notre ère éprendre une impor- tance générale et bien marquée.

Ce fut l'époque le dictateur crut devoir traiter d'une ma- nière si favorable les Gaulois , ces antiques ennemis du nom romain. Il fit d'eux les soutiens directs de son gouvernement, et ses successeurs, continuant dans la même voie, témoignè- rent de leur mieux qu'ils avaient bien compris tous les services que les nations habitant entre les Pyrénées et le Rhin pouvaient rendre à un pouvoir essentiellement militaire. Ils s'étaient aperçus que c'était chez celles-ci une sorte d'instinct que de se dévouer sans réserve aux intérêts d'un général , quand sur- tout il était étranger à leur sang.

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Cette condition était indispensable, et voici pourquoi : le Celtes de la Gaule , animés d'un esprit de localité bien franc , et plein de turbulence , s'attachaient beaucoup plus , dans les affaires de leurs cités , aux questions de personnes qu'aux ques- tions de fait. La politique de leurs nations avait pris, dans cette habitude, une vivacité d'allures qui n'était guère pro- portionnée à la dimension des territoires. Des révolutions per- pétuelles avaient épuisé la plupart de ces peuples. La théocratie, renversée presque partout , d'abord effacée devant la noblesse , puis, au moment les Romains dépassaient les limites de la Provence , la démocratie et son inséparable sœur, la démago- gie, faisant invasion à leur tour, avaient attaqué le pouvoir des nobles. La présence de ce genre d'idées annonçait clairement que le mélange des races était arrivé à ce point la confu- sion ethnique crée la confusion intellectuelle et l'impossibilité absolue de s'entendre. Bref, les Gaulois, qui n'étaient point des barbares, étaient des gens en pleine voie de décadence, et, si leurs beaux temps avaient infiniment moins d'éclat que les périodes de gloire à Sidon et à Tyr, il n'en est pas moins indubitable que les cités obscures des Carnutes, des Rèmes et des Éduens mouraient du même mal qui avait terminé l'exis- tence des brillantes métropoles chananéennes (1).

Les populations galliques , mêlées de quelques groupes sla- ves, s'étaient diversement alliées aux aborigènes finnois. De des différences fondamentales. Il en était résulté les sépara- tions primitives les plus tranchées des tribus et des dialectes. Dans le nord, quelques peuples avaient été relevés par le con- tact avec les Germains; d'autres, dans le sud-ouest, avaient subi celui des Aquitains ; sur la côte de la Méditerranée , le mélange s'était opéré avec des Ligures et des Grecs , et depuis, un siècle les Germains sémitisés occupant la Province étaient venus compliquer encore ce désordre. Le développement du mal était d'ailleurs favorisé par la disposition sporadique de

(1) Tacite, si grand admirateur des Germains, bien que souvent d'une manière un peu romanesque, traite les Gaulois de son temps avec une extrême sévérité. (Germ., 28, 29.)

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ces sociétés minuscules , l'intercession du moindre élément' nouveau développait presque instantanément ses conséquences.

Si chacune des petites communautés gauloises s'était trouvée subitement isolée , au moment même les principes ethniques qui la composaient étaient parvenus à l'apogée de leur lutte , l'ordre et le repos, je ne dis pas de hautes facultés, auraient pu s'établir, parce que la pondération des races fusionnées s'accomplit plus facilement dans un moindre espace. Mais lors- qu'un groupe assez restreint reçoit de continuels apports de sang nouveau avant d'avoir eu le temps d'amalgamer les an- ciens, les perturbations deviennent fréquentes, et sont plus rapides comme aussi plus douloureuses. Elles mènent à la dis- solution finale. C'était la situation des États de la Gaule lors- que les légions romaines les envahirent.

Gomme les populations y étaient braves, riches, pourvues de beaucoup de ressources et, entre autres, de places de guerre fortes et nombreuses , l'envie de résister ne leur manquait pas ; mais ce qui leur manquait, on le voit, c'était la cohésion, non pas seulement entre nations , mais encore entre concitoyens. Presque partout les nobles trahissaient le peuple, quand le peu- ple ne vendait pas les nobles. Le camp romain était toujours encombré de transfuges de toutes les opinions, aveuglément acharnés à poignarder leurs ennemis politiques à travers la gorge de leur patrie. Il y eut des hommes dévoués , des inten- tions généreuses; ce fut sans résultat. Les Geltes germanisés sauvèrent presque seuls l'antique réputation. Arvernes, ils s'é- levèrent jusqu'aux prodiges ; Belges, ils furent presque décla- rés indomptables par le vainqueur; mais quant aux populations renommées comme les plus illustres , comme les plus intelli- gentes, celles précisément les révolutions ne cessaient pas, lesRèmes, les Èduens, celles-là ou bien résistèrent à peine, ou bien s'abandonnèrent du premier coup à la générosité des conquérants, ou enfin, entrant «ans honte dans les projets de l'étranger, reçurent avec joie, en échange de leur indépen- dance, le titre d'amies et d'alliées du peuple romain. En dix ans la Gaule fut domptée et à jamais soumise. Des armées qui valent bien celles de Rome n'ont pas obtenu de nos jours de si

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brillants succès chez les barbares de FAlgérie : triste compa- raison pour les populations celtiques.

Mais ces gens si aisés à subjuguer devinrent immédiatement d'irrésistibles instruments de compression aux mains des em- pereurs. On les avait vus dans leurs cités, patriciens arrogants ou démocrates envieux , passer la majeure partie de leur vie dans la sédition; ils furent à Rome du dévouement le plus utile au principat. Acceptant pour eux-mêmes le joug et l'ai- guillon , ils servirent à y façonner les autres , ne sollicitant en retour de leur complaisance que les honneurs soldatesques et les émotions delà caserne. On leur prodigua ces biens par sur- <îroît.

César avait composé sa garde de Gaulois. Il lui avait donné malicieusement le plus joli emblème de la légèreté et de l'in- souciance , et les légionnaires kymris de T Alauda , qui étalaient si fièrement sur leurs casques et sur leurs boucliers la figure de l'alouette , s'accordèrent avec tous leurs concitoyens pour <îhérir le grand homme qui les avait débarrassés de leur isono- mie et leur faisait une existence si conforme à leurs goûts.

Ils étaient donc fort satisfaits ; mais ce ne serait pas rendre justice aux Gaulois que de supposer qu'ils aient été constants et inébranlables dans leur amour de l'autorité romaine. Main- tes fois ils se révoltèrent, mais toujours pour revenir à l'obéis- sance, sous la pression d'une inexorable impossibilité de s'en- tendre. L'habitude d'être gouvernés par un maître ne leur ap- prit jamais le respect d'une loi. S'insurger, pour eux , c'était la moindre des difficultés et peut-être le plus vif des plaisirs. Mais aussitôt qu'il s'agissait d'organiser un gouvernement na- tional à la place du pouvoir étranger que l'on venait de briser, aussitôt qu'il s'agissait de revenir à une règle quelconque et d'obéir à quelqu'un, l'idée que la prérogative souveraine allait appartenir à un Gaulois glaçait tous les esprits. Il eât semblé que c'était pourtant le véritable but de l'insurrection ; mais non, les combmaisons les plus ingénieuses s'efforçaient en vain de tourner ce terrible écueil ; toutes s'y brisaient. Les assem- blées , les conseils discutaient la question avec furie , et se sé- paraient tumultueusement sans réussira passer outre. Alors

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les gens timides, qui s'étaient tenus à l'écart jusque-là, tous les amis secrets delà domination impériale reprenaient courage ; on allait répétant avec eux que le pouvoir des aigles pouvait être un mal , mais qu'après tout Petilius Cerialis avait eu rai- son de dire aux Belges que c'était un mal nécessaire et qu'en dehors il n'y avait ^ue la ruine. Cela dit , on rentrait la tête basse dans le bercail romain.

Cette singulière inaptitude d'indépendance se révéla sous toutes ses faces. On eût dit que, le sort prenait plaisir à la pous- ser à bout. Il arriva un jour aux Gaulois de posséder un em- pereur à eux. Une femme le leur avait donné, et ne leur de- mandait que de le soutenir contre le concurrent d'Italie. Cet empereur, Tetricus, eut à lutter contre les mêmes impossibili- tés où s'étaient brisées les insurrections précédentes , et , bien qu'appuyé par les légions germaniques, qui le maintenaient contre le mauvais vouloir ou plutôt contre la légèreté chroni- que de ses peuples, il crut bien faire, et fit bien sans doute, d'é- -changer son diadème contre la préfecture de la Lucanie. Les États éphémères rentrèrent dans le devoir, en murmurant peut- être , au fond très satisfaits de n'avoir pas lâché un pouce de leurs jalousies municipales.

L'expérience journalière le démontrait donc : les Gaulois du i«^ et du ii« siècle de notre ère n'avaient que des qualités martiales; mais ils les avaient à un degré supérieur. Ce fut pour ce motif qu'impuissants dans leur propre cause, ils exer- cèrent une influence momentanée si considérable sur le monde romain sémifcisé.

Certainement le Numide était un adroit cavalier, le Baléare on frondeur sans pareil ; les Espagnols fournissaient une infan- terie qui bravait toute comparaison, et les Syriens, encore in- fatués des souvenirs d'Alexandre, donnaient des recrues d'une réputation aussi grande que justifiée. Cependant tous ces mé- rites pâlissaient devant celui des Gaulois. Ses rivaux de gloire, basanés et petits , ou du moins de moyenne taille , ne pouvaient lutter d'apparence martiale avec le grand corps du Trévire ou du Boïen , plus propre que personne à porter légèrement sur ses larges épaules le poids énorme dont la discipline régle-

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mentaire chargeait le fantassin des légions. C'était donc à bon droit que l'État cherchait à multiplier les enrôlements dans la Gaule, et surtout dans la Gaule germanisée. Sous les douze Césars, alors que l'action politique se concentrait encore chez les populations méridionales, c'était déjà le Nord qui était sur- tout chargé de maintenir par les armes le repos de l'empire.

Toutefois il est remarquable que cette estime, qui facilitait aux soldats de race celtique l'accès des grandes dignités mili- taires, voire de la chaire sénatoriale, ne les rendit pas partici- pants au concours ouvert pour la pourpre souveraine. Les^ premiers provinciaux qui y parvinrent furent des Espagnols, des Africains, des Syriens, jamais des Gaulois, sauf les exem- ples irréguliers et peu encourageants de Tetricus et de Pos- thume. Décidément les Gaulois n'avaient pas d'aptitudes gou- vernementales, et si Othon, Galba, Vitellius pouvaient en faire d'excellents suppôts de révolte, il ne venait à l'esprit de per- sonne d'en tirer des administrateurs ni des hommes d'État. Gais et remuants , ils n'étaient ni instruits ni portés à le de- venir. Leurs écoles, fécondes en pédants, fournissaient très peu d'esprits réellement distingués. Le premier rang ne leur était donc pas accessible, et ce trône qu'ils gardaient si bien, ils n'étaient pas aptes à y monter.

Cette impuissance attachée à l'élément celtique cessa com- plètement de peser sur les armées septentrionales aussitôt qu'elles eurent commencé à se recruter beaucoup moins chez les Gaulois germanisés, bientôt atteints, comme les autres, par la lèpre romaine, que chez les Germains méridionaux, quoique ces derniers eux-mêmes fussent assez loin, pour la plupart, d'être de sang pur. Les effets de cette modification éclatèrent dès l'an 252, à l'avènement de Julius Verus Maximinus, lequel était fils d'un guerrier goth. La dépravation romaine, dans ses progrès sans remède, avait reconnu d'instmct l'unique moyen de prolonger sa vie , et tout en continuant de mauidire et de dénigrer les barbares du Nord, elle consentait à leur laisser prendi^e toutes les positions qui la dominaient elle-même et d'oii on pouvait la conduire.

A dater de ce moment, l'essence germanique éclipse toutes

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les autres dans la romanité (1). Elle anime les légions, possède ies hautes charges militaires, décide dans les conseils souve- rains. La race gauloise , qui d'ailleurs ^'était représentée vis- ù-vis d'elle que par des groupes septentrionaux , ceux qui lui étaient déjà apparentés, lui cède absolument le pas. L'esprit des jarls, chefs de guerre, s'empare du gouvernement prati- que, et Ton est déjà en droit de dire que Rome est germanisée, puisque le principe sémitique tombe au fond de l'océan social et se laisse visiblement remplacer à la surface par la nouvelle* couche ariane.

Une révolution si extraordinaire, bien que latente, cette su- perposition contre nature d'une race ennemie , qui , plus sou- vent vaincue que victorieuse, et méprisée officiellement comme barbare j venait ainsi déprimer les races nationales, une si étrange anomalie avait beau s'effectuer par la force des cho- ses, elle avait à percer trop de difficultés pour ne pas s'accom- pagner d'immenses violences.

Les Germains, appelés à diriger l'empire, trouvaient en lui un corps épuisé et moribond. Pour le faire vivre, ce grand corps, ils étaient incessamment obligés de combattre ou les deman- des d'un tempérament différent du leur, ou les caprices nés du malaise général , ou les exaspérations de la fièvre , également fatales au maintien de la paix publique. De des sévérités d'autant plus outrées que ceux qui les jugeaient nécessaires, étant imparfaitement éclairés sur la nature complexe de la so- ciété qu'ils traitaient, poussaient aisément jusqu'à l'abus l'em- ploi des méthodes réactives. Ils exagéraient, avec toute la fou- gue intolérante de la jeunesse, la proscription dans l'ordre politique et la persécution dans l'ordre religieux. C'est ainsi qu'ils se montrèrent les plus ardents ennemis du christianisme. Eux qui devaient plus tard devenir les propagateurs de tous ses triomphes, ils débutèrent par le méconnaître-, ils se lais- sèrent prendre à la calomnie qui le poursuivait. Persuadés qu'ils tenaient dans ce culte nouveau une des expressions les

(1) « IjSl Pannonie et la Mœsie romaiDes... furent, aux iii« et iv« siè- cles, la pépinière des légions, et, par les légions, celle des Césars, Umédée Thierry, Revue des Deux-Mondes, ib juillet 18ti4.)

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plus menaçantes de rincrédnlité philosophique, leur amour inné d'une religion définie, considérée comme base de tout gouvernement régulier, le leur rendit d'abord odieux; et ce qu'ils détestèrent en lui, ce ne fut pas lui, mais un fantôme qu'ils crurent voir. On est donc moins tenté de leur reprocher le mal qu'ils ont fait eux-mêmes que celui, beaucoup plus con- sidérable, qu'ils ont laissé faire aux partisans sémitisés des an- ciens cultes. Cependant il faudrait craindre aussi de leur trop 'demander. Pouvaient-ils étouffer les conséquences inévitables d'une civilisation pourrie qu'ils n'avaient pas créée? Réformer la société romaine sans la renverser, c'eût été beau sans doute. Substituer doucement, insensiblement, la pureté catholique à la dépravation païenne sans rien briser dans l'opération^ c'eût été le bien idéal: mais, qu'on y réfléchisse, un tel chef-d'œuvre n'aurait été possible qu'à Dieu.

Il n'appartient qu'à lui de séparer d'un geste la lumière des ténèbres et les eaux du limon. Les Germains étaient des hom- mes, et des hommes richement doués sans doute, mais sans nulle expérience du milieu ils étaient appelés; ils n'eurent pas cette puissance. Leur travail, depuis le milieu du siècle jusqu'au v^, se borna à conserver le monde tellement quelle- ment, dans la forme on leur avait remis.

En considérant les choses sous ce point de vue, qui est le seul véritable, on n'accuse plus, on admire. De même encore, en re- connaissant sous leurs toges et leurs armures romaines Decius, Aurélien, Claude, Maximien, Dioclétien, et la plupart de leurs successeurs, sinon tous, jusqu'à Augustule, pour des Germains et fils Germains, on convient que l'histoire est complètement faussée par ces écrivains, tant modernes qu'anciens, dont l'in- variable système est de représenter comme un fait monstrueux, comme un cataclysme inattendu , l'arrivée finale des nations tudesques tout entières au sein de la société romanisée.

Rien, au contraire, de mieux annoncé et de plus facile à prévoir, rien de plus légitime, rien de mieux préparé que cette conclusion. Les Germains avaient envahi Tempire du jour ils étaient devenus ses bras, ses nerfs et sa force. Le pre- mier point qu'ils en avaient pris, c'avait été le trône, et non

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pas par violence ou usurpation ; les populations indigènes elles- mêmes, se reconnaissant à bout de voies , les avaient appelés, les avaient payés,- les avaient couronnés.

Pour gouverner à leur guise, comme ils en avaient incontes- tablement le droit et même le devoir, les empereurs ainsi ins- tallés s'étaient entourés d'hommes capables de comprendre et d'exécuter leur pensée , c'est-à-dire d'hommes de leur race. Ils ne trouvaient que chez ces Romains improvisés le reflet de leur propre énergie et la facilité nécessaire à les bien ser- vir. Mais qui disait Germain , disait soldat. La profession des armes devint ainsi la condition première de l'admission aux grands emplois. Tandis que dans la vraie conception romaine, italique et romaine sémitique , la guerre n'avait été qu'un ac- cident, et ceux qui la faisaient que des citoyens momentané- ment détournés de leurs fonctions régulières, la guerre fut pour la magistrature impériale la situation naturelle , sur laquelle durent se façonner l'éducation et l'esprit de l'homme d'État. En fait, la toge céda le pas à l'épée.

A la vérité , le profond bon sens des hommes du IVord ne voulut jamais que cette prédilection fût officiellement avouée, €t telle fut à cet égard sa discrète et sage réserve, que cette convention se maintint à travers tout le moyen âge, et le dé- passa pour venir jusqu'à nous. Le guerrier germain romanisé comprenait bien que la prépondérance au moms fictive de l'é- lément civil importait à la sécurité de la loi et pouvait seule maintenir la société existante.

L'empereur et ses généraux savaient donc, au besoin, dis- simuler la cuirasse sous la robe de l'administrateur. Pourtant le déguisement n'était jamais si complet qu'il pût tromper des gens malveillants. L'épée montrait toujours sa pointe. Les po- pulations s'en scandalisaient. Les demi-concessions ne les ra- menaient pas. La protection qu'elles recevaient ne faisait pas naître leur gratitude. Les talents politiques de leurs gouver- nants les trouvaient aveugles. Elles en riaient avec mépris , et murmuraient, depuis le Rhin jusqu'aux déserts de la Thébaïde, l'injure toujours renouvelée de barbare. On ne saurait dire' qu'elles eussent tout à fait tort, suivant leurs lumières.

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Si les hommes germaniques admiraient l'ensemble de l'or- ganisation romaine, sentiment qui n'est pas douteux, ils n'avaient pas autant de bienveillance pour tels détails qui précisément aux yeux des indigènes en faisaient la plus précieuse parure et composaient l'excellence de la civilisation. Les soldats couron- nés et leurs compagnons ne demandaient pas mieux que de conserver la discipline morale, l'obéissance aux magistrats, de protéger le commerce, de continuer les grands travaux d'uti- lité publique ; ils consentaient encore à favoriser lés œuvres de rintelligence , eu tant qu'elles produisaient des résultats ap- préciables pour eux. Mais la littérature à la mode, mais les traités de grammaire, mais la rhétorique, mais les poèmes lip- pogrammatiques, et toutes les gentillesses de même sorte qui faisaient les délices des beaux esprits du temps, ces chefs- d'œuvre-là les trouvaient, sans exception, plus froids que glace ; et comme , en définitive, les grâces venaient d'eux , et que toutes les faveurs tendaient à se concentrer, après les gens de guerre, sur les légistes, les fonctionnaires civils , les cons- tructeurs d'aqueducs, de routes, de ponts, de forteresses, puis sur les historiens, quelquefois sur les panégyristes brûlant leur encens, par nuages compacts , aux pieds du maître , et qu'elles n'allaient guère plus loin, les classes lettrées ou soi-disant tel- les étaient en quelque sorte fondées à soutenir que César man- quait de goût. Certes ils étaient barbares, ces rudes dominateurs qui, nourris des chants nerveux de la Germanie, restaient insen- sibles à la lecture comme à l'aspect de ces madrigaux écrits en forme de lyre ou de vase, devant lesquels se pâmaient d'ad- miration les gens bien élevés d'Alexandrie et de Rome. lia postérité aurait bien en juger autrement, et prononcer que le barbare existait en effet, mais non pas sous la cuirasse du Germain.

Une autre circonstance blessait encore au vif l'amoùr-pro* pre du Romain. Ses chefs , ignorant pour la plupart ses guerres passées, et jugeant des Romains d'autrefois d'après les con- temporains, ne semblaient pas en prendre le moindre souci^ et c'était bien dur pour des gens qui se considéraient si forts. Quand Néron avait plus honoré la Grèce que la ville de Qui-

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rinus, quand Septime Sévère avait élevé la gloire du borgne de Trasymène au-dessus de celle des Scipions, ces préférences n'étaient du moins pas sorties du territoire national. Le coup était plus rude quand on voyait tels des empereurs de rang nouveau, et les armées qui leur avaient donné la pourpre, ne s'occuper pas plus d'Alexandre le Grand que d'Horatius Co- dés. On connut des Augustes qui de leur vie n'avaient entendu parler de leur prototype Octave, et ne savaient pas même son nom. Ces hommes-là sans nul doute savaient par cœur les gé- néalogies et les actions des héros de leur race.

Il ne résultait pas moins de ce fait, comme de tant d'autres^ qu'au siècle après Jésus-Christ la nation romaine armée et bien portante et la nation romaine pacifique et agonisante ne s'entendaient nullement ; et, quoique les chefs de cette com- binaison, ou plutôt de cette juxtaposition de deux corps si hétérogènes, portassent des noms latins ou grecs et s'habillas- sent de la toge ou de la chlamyde, ils étaient foncièrement, et très heureusement pour cette triste société, de bons et authen- tiques Germains. C'était leur titre et leur droit à dominer.

Le noyau qu'ils formaient dans l'empire avait d'abord été bien faible. Les deux cents cavaliers d' Arioviste que Jules César prit à sa solde en furent le germe. Des développements rapi- des succédèrent , et on les remarque surtout depuis que les armées, celles principalement qui avaient leurs cantonnements ' en Europe, étabUrent en pfmcipe de n'accepter guère que des recrues germaniques. Dès lors l'élément nouveau acquit une puissance d'autant plus considérable qu'elle se retrempa in- cessaniment dans ses sources. Puis chaque jour de nouvelles causes apparurent et se réunirent pour l'entraîner dans les ter- ritoires romains, non plus par quantités relativement minimes, mais par masses.

Avant de passer à l'examen de cette terrible cnse , on peut s'arrêter un moment devant une hypothèse dont la réalisa- tion aurait paru bien séduisante aux populations romaines du iV° siècle. La voici : qu'on suppose un mstant les nations ger- maniques qui à cette époque étaient limitrophes de l'empire beaucoup plus faibles, numériquement parlant, qu'elles ne Font

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été en effet ; elles auraient été très promptement absorbées dans le vaste réservoir social qui ne se lassait pas de leur demander des forces. Au bout d'un temps donné , ces familles auraient disparu parmi les éléments romanisés ; puis la corruption gé- nérale, poursuivant son cours , aurait abouti à une dégénéra- tion chronique qui aujourd'hui permettrait à peine à l'Europe de maintenir une sociabilité quelconque. Du Danube à la Si- <;ile, et de la mer Noire à l'Angleterre, on en serait à peu près au point de décomposition pulvérulente sont arrivées les provinces méridionales du royaume de Naples et la plupart deis territoires de l'Asie antérieure.

Sur cette hypothèse qu'on en greffe une seconde. Si les na- tions jaunes et à demi jaunes, à demi slaves, à demi arianes,' d'au delà de l'Oural avaient pu garder la possession de leurs steppes, les peuples gothiques, à leur tour, conservant les ré- gions du nord-est jusqu'aux gorges hercyniennes d'une part, jus- qu'à TEuxin de l'autre, n'auraient eu aucune raison de passer le Danube. Elles auraient développé sur place une civilisation toute spéciale, enrichie de très faibles emprunts romains , livrés parj l'inévitable absorption qu'elles auraient faite à la longue des? colonies transrhénanes et transdanubiennes. Un jour, profitant de la supériorité de leurs forces actives, elles auraient éprouvé le désir de s'étendre pour s'étendre ; mais c'eût été bien tard. L'Italie, la Gaule et l'Espagne n'auraient plus été, comme elles le furent pour les vainqueurs du siècle, des conquêtes ins- tructives, mais seulement des annexes propres à être exploitées matériellement, comme l'est aujourd'hui l'Algérie.

Cependant il y a quelque chose de si providentiel, ae si fatal dans l'application des lois qui amènent les mélanges ethni- ques, qu'il ne serait résulté de cette différence, qui paraît si considérable à la première vue, qu'une simple perturbation de synchronismes. Un genre de culture comparable à celui qui a régné du au xiii® siècle environ aurait commencé beaucoup plus tôt et duré plus longtemps, parce que la pureté du sang germanique aurait résisté davantage. Elle aurait néanmoins fini par s'épuiser de même en subissant des contacts absolu- ment semblables à ceux qui l'ont énervée. Les commotions so-

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ciales auraient été transportées à d'autres dates; elles n'en auraient pas moins eu lieu. Bref, par un autre chemin, l'hu- manité serait arrivée identiquement au résultat qu'elle a ob- tenu.

Venons à l'établissement des Germains par grandes masses au sein de la romanité, à la façon dont il s'opéra et à la manière dont il doit être jugé.

Les empereurs de race teutonique avaient à leur disposition, pour procurer à l'État des défenseurs de leur sang, un moyen infaillible, qui leur avait été enseigné par leurs prédécesseurs romains. Ceux-ci l'avaient appris du gouvernement de la répu- blique, qui le tenait des Grecs , lesquels , à travers l'exemple des Perses, l'avaient emprunté à la politique des plus anciens royaumes ninivites. Ce moyen, venu de si loin et d'un emploi si général, consistait à transplanter, au milieu des populations dont la fidélité ou l'aptitude militaire étaient douteuses, des colonisations étrangères destinées, suivant les circonstances, à défendre ou à contenir.

Le sénat, dans ses plus beaux jours d'habileté et d'omnipo- tence, avait fait de fréquentes applications de ce système ; les premiers Césars, tout autant. La Gaule entière, l'île de Breta- gne, THelvétie, les champs décumates, les provinces illyrien- nes, la Thrace, avaient fini par être couverts de bandes de soldats libérés du service. On les avait mariés, on les avait pourvus d'instruments agricoles, on leur avait constitué des propriétés foncières, puis on leur avait démontré que la con- servation de leur nouvelle fortune , la sécurité de leurs famil- les et le solide maintien de la domination romaine dans la contrée, c'était tout un. Rien de plus aisé à comprendre en effet, même pour les intelligences les plus rétives , d'après la manière dont on établissait les droits de ces nouveaux habi- tants à la possession du sol. Ces droits ne résidaient que dans l'expression de la volonté du gouvernement qui expulsait l'ancien propriétaire et mettait à sa place le vétéran. Celui-ci, forcé de se roidir contre les réclamations de son prédécesseur, ne se sentait fort que de la bienveillance du pouvoir qui l'ap- puyait. Il était donc dans les meilleures dispositions imagina-

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blés pour se conserver cette bienveillance au prix d'un dévoue- ment sans bornes.

Cette combinaison d'effets et de causes plaisait aux politiques de l'antiquité. Leur sagesse l'approuvait, et, si les gens qui avaient à en souffrir pouvaient s'en plaindre, la morale publi- que acceptait, sans plus de scrupules, un système jugé utile à la solidité de l'État, un système consacré par les lois, et qui de plus avait pour excuse d'avoir été toujours et partout pratiqué par les nations dont un esprit cultivé pouvait invoquer les exemples.

Dès le temps des premiers Césars , on crut devoir apporter quelques modifications à la simplicité brutale de ce mécanisme. L'expérience avait prouvé que les colonisations de vétérans italiotes, asiatiques ou même gaulois méridionaux, ne mettaient pas suffisamment les frontières du nord à l'abri des incursions de voisins trop redoutables. Les familles romanisées reçurent l'ordre de s'éloigner des limites extrêmes, puis l'on offrit à tous les Germains cherchant fortune, et le nombre n'en était pas médiocre, la libre disposition des terrains restés vacants, le titre un peu oppressif quelquefois d'amis du peuple romain et, ce qui semblait promettre davantage, l'appui des légions con- tre les agressions éventuelles des ennemis de Temph^e.

Ce fut ainsi que, par la propre volonté, par le choix libre du gouvernement impérial, des nations teutoniques furent ins- tallées tout entières sur les terres romaines. On espéra de si grands avantages de cette manière de procéder que bientôt l'on joignit aux aventuriers les prisonniers de guerre. Quand une tribu de Germains était vaincue, on l'adoptait, on en com- posait une nouvelle bande de gardes-frontières, en ayant soin seulement de la dépayser.

Les autres barbares n'assistaient pas sans jalousie au spec- tacle d'une situation si favorisée. Sans même avoir besoin de se rendre compte des avantages supérieurs auxquels ces Ro- mains factices pouvaient prétendre , ni apercevoir d'une ma- nière bien nette les sphères brillantes cette élite disposait des destmées de l'univers, ils voyaient leurs pareils pourvus de propriétés depuis longtemps en bon état de culture ; ils les

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Toyaient en contact avec un commerce opulent , et en jouis- sance de ce que les perfectionnements sociaux avaient pour eux de plus enviable. C'en était assez pour que les agressions redoublassent d'impétuosité, de fréquence. Obtenir des terres impériales devint le rêve obstiné de plus d'une tribu , lasse de végéter dans ses marais et dans ses bois.

Mais , d'un autre côté , à mesure que les attaques devenaient plus rudes, la situation des Germains colonisés était aussi plus précaire. Des rivaux les trouvaient trop riches; eux, ils se sentaient trop peu tranquilles. Ils étaient souvent exposés à la tentation de tendre la main à leurs frères au lieu de les com- battre , et , pour en obtenir la paix , de se liguer avec eux con- tre les vrais Romains, placés derrière leur douteuse protection.

L'administration impériale germanisée jugea le péril ; elle ■en comprit toute l'étendue, et, afin de le détourner en redou- blant le zèle des auxiliaires , elle ne trouva rien de mieux que de leur proposer les modifications suivantes dans leur état légal :

Ils ne seraient plus considérés uniquement comme des co- lons, mais bien comme des soldats en activité de service. Conséquemment, à tous les avantages dont ils étaient déjà en possession , et qui- ne leur seraient point retirés , ils verraient s'ajouter encore celui d'une solde militaire. Ils deviendraient partie intégrante des armées, et leurs chefs obtiendraient les grades, les honneurs et la paye des généraux romains.

Ces offres furent acceptées avec joie, comme elles devaient l'être. Ceux qui en furent les objets ne songèrent plus qu'à exploiter de leur mieux la faiblesse d'un empire qui en était réduit à de tels expédients. Quant aux tribus du dehors, elks n'en devinrent que plus possédées du désir d'obtenir des terres •romaines, de devenir soldats romains, gouverneurs de pro- vince , empereurs. Il ne s'agissait plus désormais , dans la so- ciété civilisée, telle que le cours des événements l'avait faite, que d'antagonismes et de rivalités entre les Germains du de- dans et ceux du dehors.

La question ainsi posée, le gouvernement fut entraîné à étendre sans fin le réseau des colonisations , et bientôt de fron»

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tières qu'elles étaient elles devinrent aussi intérieures. De gré ou de force, les peuplades chargées de la défense des limites, et qu'en cas de péril on était souvent contraint d'abandonner àelles-mênaes, ces peuplades faisaient de fréquentes transac- tions avec les assaillants. Il fallait bien que l'empereur finît par ratifier ces accords dont sa faiblesse était la première cause. De nouveaux soldats étaient enrôlés à la solde de l'État; il leur fallait trouver les terres qu'on leur avait promises. Sou- vent mille considérations s'opposaient à ce qu'on les leur as- signât sur des frontières qui, d'ailleurs, étaient encombrées de leurs pareils. Puis , ce n'était pas qu'on avait chance de ren- contrer des propriétaires maniables , disposés à se laisser dé- posséder sans résistance. On chercha cette espèce débonnaire on savait qu'elle était, dans toutes les provinces intérieu- res. Par une sorte d'immunité résultant de la suprématie d'au- trefois, l'Italie fut exceptée aussi longtemps que possible de cette charge ; mais on ne se gêna pas avec la Gaule. On mit des Teutons à Chartres ; Bayeux vit des Bataves ; Goutances , le Mans, Glermont furent entourés de Suèves; des Alains et des Taïfales occupèrent les environs d'Aulun et de Poitiers; des Franks s'installèrent à Rennes (1). Les Gaulois romanisés étaient gens de bonne composition ; ils avaient appris la sou- mission avec les collecteurs impériaux. A plus forte raison n'avaient-ils rien à opposer au Burgonde ou au Sarmate , pré- sentant d'un ton péremptoire l'invitation légale de céder la place.

Il ne faut pas oublier une minute que ces revirements de propriété étaient , suivant les notions romaines , parfaitement légitimes. L'État et l'empereur, qui le représentait , avaient le droit de tout faire au monde; il n'existait pas de moralité pour eux : c'était le principe sémitique. Du moment donc que celui qui donnait avait le droit de donner, le barbare qui béné- ficiait de cette concession avait un titre parfaitement régulier à prendre. Il se trouvait du jour au lendemain propriétaire ,

(4) Dans l'île de Bretagne, les colons barbares, fort nombreux, ne portaient pas le nom ordinaire de lœti, on les appelait gentiles. (Pals- grave, Rise and Progress of the English Commonwealthf 1. 1, p. 333.)

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d'après la même règle dont avaient pu se réclamer jadis les Celtes românisés eux-mêmes par la volonté du souverain.

Vers la fin du iv® siècle , presque toutes les contrées ro- maines , sauf ritalie centrale et méridionale , car la vallée du était déjà concédée, possédaient un nombre notable de na- tions septentrionales colonisées , recevant la plupart une solde, et connues officiellement sous le nom de troupes au service de l'empire, avec l'obligation, d'ailleurs assez mal remplie, de se comporter paisiblement. Ces guerriers adoptaient rapi- dement les mœurs et les habitudes qu'ils voyaient pratiquer parles Romains; ils se montraient. fort intelligents, et, une fois plies aux conséquences de la vie sédentaire , ils devenaient la partie la plus intéressante , la plus sage , la plus morale, la plus facilement chrétienne des populations.

Mais jusque-là, c'est-à-dire jusqu'au siècle, toutes ces colo- nisations , tant intérieures que frontières , n'avaient amené les Germains sur les terres de l'empire que par groupes. L'amas immense accumulé avec les siècles dans le nord de l'Europo n'avait fait encore que ruisseler par jets comparativement minces à travers les digues de la romanité. Tout à coup il les effondra, et précipita toutes ses masses, fit rouler et écumer toutes ses vagues sur cette misérable société que des échappées de son génie faisaient seules vivre depuis trois siècles , et qui enfin ne pouvait plus aller. Il lui fallait une refonte complète.

La pression exercée par les Finnois ouraliens , par les Huns blancs et noirs, par des populations énormes se présentaient à peu près purs, à tous les degrés de combinaisons, les élé- ments slaves, celtiques, arians, mongols; cette pression était devenue si violente que l'équilibre toujours chancelant des États teutoniques avait été complètement renversé dans l'Est. Les établissements gothiques s'étant écroulés , les débris de la grande nation d'Hermanaric descendirent sur le Danube, et formulèrent à leur tour la demande ordinaire : des terres ro- maines, le service militaire et une solde.

Après des débats assez longs, comme ils n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient , ils se décidèrent par provision à le prendre. Faisant une pointe depuis la Thrace jusqu'à Toulouse, ils s'a-

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battirent comme mie nuée de faucons sur le Languedoc et l'Espagne du nord, puis laissèrent les Romains parfaitement libres de les chasser, s'ils pouvaient.

Ceux-ci n'eurent garde d'essayer. La manière dont les Visi- goths venaient de s'installer était un peu irrégulière; mais une patenté impériale ne tarda pas à réparer le mal, et de ce mo- ment les nouveaux venus furent aussi légitimement établis sur les terres qu'ils avaient prises que les autres sujets dans les leurs. Les Franks et les Burgondes n'avaient pas attendu ce bon exemple pour se donner d'abord, se faire concéder ensuite des avantages pareils ; de sorte que vingt nations du nord , outre fes anciennes tribus gardes-frontières , disparues sous cette épaisse alluvion , se virent dès lors acceptées et adoptées par les matricules militaires sur tout le territoire européen. Leurs «hefs étaient consuls et patrices. On eut le patrice Théodorik et le patrice Khlodowig (1).

Maîtres absolus de tout, les Germains établis dans l'empire pouvaient désormais tout faire , assurés que leurs caprices seraient des lois irrésistibles. Deux partis s'offraient à eux : ou bien rompre avec les habitudes et les traditions conservées par leurs devanciers de même sang ; abolir la cohésion des terri- toires, et former de tous ces débris un certain nombre de sou- verainetés distinctes , libres se constituer suivant les con- venances de l'âge qui conamençait; ou bien rester fidèles à l'œuvre consacrée par les soins de tant d'empereurs issus de la race nouvelle, mais en modifiant cette oeuvre par un certain appoint d'anomalies devenues indispensables.

Dans ce dernier système , l'organisation d'Honorius restait sauve quant à l'essentiel. La romanité, c'est-à-dire, suivant la ferme conviction des temps, la civilisation, poursuivait son jcours.

Les barbares reculèrent devant l'idée de nuire à une chose si nécessaire ; ils persistèrent dans le rôle conservateur, adopté

(1) Ces deux chefs devaient leurs titres romains à Tempereur Anas- tase, qui défait n'était rien en Occident; mais on verra tout à l'heure par quelle fiction les rois barbares tenaient à le considérer comme ■empereur national.

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par les empereurs d'origine barbare, et choisirent le second parti ; ils ne découpèrent point le monde romain en autant de parcelles qu'ils étaient de nations. Ils le laissèrent bien entier, et, au lieu de s'en faire les destructeurs en en réclamant la pos- session , ils n'en voulurent avoir que l'usufruit.

Pour mettre cette idée à exécution , ils inaugurèrent un sys- tème politique d'une apparence extrêmement complexe. On y vit fonctionner tout à la fois et des règles empruntées à l'an- cien droit germanique, et des maximes impériales, et des théo- ries mixtes formées de ces deux ordres de conceptions.

Le roi , le konungr, car il ne s'agissait nullement ici ni du drottinn, ni du graflf , mais bien du chef de guerre, conduc- teur d'invasion et hôte des guerriers, revêtit un double ca- ractère. Pour les hommes de sa race, il devint un général per- pétuel (1); pour les Romains , il fut un magistrat institué sous l'autorité de l'empereur. Vis-à-vis des premiers, ses succès avaient cette conséquence d'enrôler et de conserver plus de combattants autour de ses drapeaux; vis-à-vis des seconds, d'étendre les limites géographiques de sa juridiction. D'ail- leurs, le konungr germanique ne se considérait nullement comme le souverain des contrées tombées en sa puissance. La souveraineté n'appartenait qu'à l'empire; elle était inaliénable et incommunicable; mais comme magistrat romain, agissant au moyen d'une délégation du pouvoir suprême , le konungr disposait des propriétés avec une liberté absolue. Il usait pleine- ment du droit d'y coloniser ses compagnons, ce qui était sim- ple aux yeux de tout le monde. Il leur distribuait , suivant les coutumes de sa nation , une partie des terres de rapport , et accordait ainsi l'usage romain avec l'usage germanique ; il or- ganisait de la sorte un système mixte de tenures nouvelles

(4) Le droit de commendatio, qui se maintint si longtemps chez les Anglo-Saxons, la faculté de choisir librement son chef, se perdit de très bonne heure chez les Franks, Les leudes , antrustions ou fidèles , étaient tenus de rester attachés à leur roi, et ne pouvaient , sans en- courir des recherches légales, passer au service d'un autre. (Savigny, D. Rœm. Reehtim Mitelalt., 1. 1, p. 186.) Cette modification importante à la liberté germanique avait eu lieu sous Tinfluence de la loi romaine.

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des bénéfices réversibles en vertu de principes germaniques et de principes romains, ce qu'on appelait et ce qu'on appelle encore des féods ; ou même il constituait à son gré des terres allodiales, avec cette différence fondamentale, cependant , qui distinguait complètement ces concessions des odels anciens, que c'était la volonté royale qui les faisait, et non pas l'action Ubre du propriétaire (1). Quoi qu'il en soit, féod ou odel, le chef qui les donnait à ses hommes avait sur la province le droit de propriété, ou plutôt de libre disposition, comme délégué de l'empereur, mais point le haut domaine.

Telle était la situation des Mérowings dans les Gaules. Lors- qu'un d'eux était à son lit de mort, il ne pouvait lui venir en idée de donner des provinces à son fils, puisqu'il n'en possédait pas lui-même. Il établissait donc la répartition de son héritage sur des principes tout autres. En tant que chef germanique, il ne disposait que du commandement d'un nombre plus ou moins considérable de guerriers, et de certaines propriétés rurales qui lui servaient à entretenir cette armée. C'étaient cette bande et ces domaines qui lui donnaient la quaUté de roi, et il ne l'avait pas d'ailleurs. En tant que magistrat ro- main, il n'avait que le produit des impôts perçus dans les dif- férentes parties de sa juridiction, d'après les données du cadas- tre impérial.

En face de cette situation, et voulant égaliser de son mieux les parts de ses enfants, le testateur assignait à chacun d'eux une résidence entourée d'hommes de guerre appartenant, au- tant que possible, à une même tribu. C'était le domaine germanique, et il eût suffi d'une métairie et d'une vingtaine de champions pour autoriser le jeune Mérowing qui n'eût pas obtenu davantage à porter le titre de roi.

(1) Ce fut probablement comme une conséquence de Timportation des alleux que certains possesseurs de terres furent exemptés par les rois du pouvoir des comtes. C'était un souvenir de l'ancienne liberté de l'Arian dans son odel. Mais cette immunité n*était jamais complète, et le possesseur de Talleu fut toujours responsable devant le tribunal commun, devant le comte, des crimes de meurtre, de rapt et d'incen- die. (Savigny, Bas Rœm. Recht im Mittelalt, , 1. 1, p. 278.)

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Quant au domaine romain, le chef mourant le fractionnait avec bien moins de scrupule encore, puisqu'il ne s'agissait que de valeurs mobilières. Il distribuait donc par portions diverses, à plusieurs héritiers, les revenus des douanes de Marseille, de Bordeaux ou de Nantes.

Les Germains n'avaient pas pour but principal de sauver ce qu'on nomme l'unité romaine. Ce n'était à leurs yeux qu'une manière de maintenir la civilisation, et c'est pourquoi ils s'y soumettaient. Leurs efforts, pour ce but méritoire, furent des plus extraordinaires, et dépassèrent même ce qu'on avait pu observer dans ce sens chez un grand nombre d'empereurs. Il semblerait que depuis l'établissement en masse au sein de la romanité, la barbarie se .repentît d'avoh* donné trop peu d'at- tention aux niaiseries même de l'état social qu'elle admirait. Tous les littérateurs étaient assurés de l'accueil le plus hono- rable à la cour des rois vandales, goths, franks, burgondes ou longobards. Les évêques, ces dépositaires véritables de l'in- telligence poétique de l'époque, n'écrivaient pas que pour leurs moines. La race des conquérants elle-même se mit g manier la plume, et Jornandès, Paul Warnefrid, Tanonyme de Ra- venne, bien d'autres dont les noms et les œuvres ont péri , témoignaient assez du goût de leur race pour l'instruction la- tine. D'un autre côté, les connaissances plus particulièrement nationales ne tombaient pas en oubli. On taillait des runes chez le roi Hilpérik (1), qui, inquiet des imperfections de l'alphabet romain, occupait ses moments perdus à le réformer. Les poè- mes du Nord se maintenaient en honneur, et les exploits des aïeux, fidèlement chantés par les générations nouvelles, ser- vaient à prouver que ces dernières n'avaient point abdiqué les qualités énergiques de leur race (2).

(1) La traduction mœso-gothique des évangiles par Ulfila est du IV* siècle.

(2) Théodorik III et ses successeurs promulguèrent plusieurs lois dans le but de protéger les monuments de Rome contre la destruction. Ce n'étaient pas les barbares qui les attaquaient, mais les Romains, soit par zèle religieux, soit pour y prendre des matériaux de construc- tion. — Les plus grands ravages ont été faits sous Constant II. (Clarac, Manuel de l'histoire de l'art chez les anciens , part. II, p. 837.) Les

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En même temps, les peuples germaniques, imitant ce qu'ils observaient chez leurs sujets, s'occupèrent activement de ré- gulariser leur propre législation, suivant les nécessités de l'é- poque et du mUieu ils se trouvaient placés. Si leur attention fut mise en éveil par le travail d'autrui, ce ne fut nullement d'une manière servile, ni dans la méthode ni dans les résultats, que procéda leur intelligence.

S'étant imposé l'obligation de respecter et, par conséquent, de reconnaître les droits des Romains , ce leur fut une raison de se rendre un compte fort exact des leurs , et d'établir une sorte de concordance ou mieux de parallélisme entre les deux systèmes qu'ils avaient l'intention de faire vivre en face l'un de l'autre; Il résulta de cette dualité, si franchement acceptée et même cultivée, un principe d'une haute importance et dont rinfluence ne s'est jamais complètement perdue. Ce fut de re- connaître, de constater, de stipuler qu'il n'existait pas de dis- tinction organique entre les diverses tribus, les diverses nations venues du nord, en quelque lieu qu'elles fussent établies et quelque^ noms qu'elles pussent porter, du moment qu'elles étaient germaniqujes (1). A la faveur de certaines alliances, un petit nombre de groupes plus qu'à demi slaves parvinrent à se faire accepter dans cette grande famille, et servirent plus tard de prétexte, d'intermédiaire pour y rattacher, avec moins dt fondement encore, plusieurs de leurs frères. Mais cette exten-

Romains recherchaient beaucoup les statues de marbre, aûn d'en faire de la chaux. Les rois visigoths et les papes, malgré les prescriptions les plus sévères, ne purent empêcher le plus grand nombre des objets d*art de périr ainsi. (Ouvr. cité, p. 837.) Athalaric s'efforça de réor^ ganiser l'école de droit de Rome. (Cassiod., Var., IX, 31.) L0s rois visigoths, non contents de défendre la destruction des monuments,, attribuèrent même des fonds à leur entretien. (Clarac, ouvr. cité, part. II, p. 857.)

(1) C'était agir conformément aux indications de la race, de la lan- gue, de la loi civile, et Palsgrave a dit avec vérité : « Like their varions « languages which are in thruth but dialect of one mother tongue, so « their laws are but modifications of one primeval code... even now « we can mark the era when the same principles and doctrines were « recognised at Upsala and at Toledo, in Lombardy and in England. » (Ouvr. cité, t. I, p. 3.)

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sion n'a jamais été bien sentie ni bien acceptée par l'esprit oc- cidental. Les Slaves lui sont aussi étrangers que les peuples sémitiques de l'Asie antérieure, avec lesquels il est lié à peu près de la même façon par les populations de l'Italie et de l'Espagne.

On le voit, le génie germanique était aussi généralisateur que celui des nations antiques Tétait peu. Bien qu'il partît d'une base en apparence plus étroite que les institutions hel- lénistiques, romaines ou celtiques, et que les droits de l'homme libre, pris individuellement, fussent pour lui ce qu'étaient les droits de la cité pour les autres, la notion qu'il en avait, et qu'il étendait avec une si superbe imprévoyance , le conduisit infiniment plus loin qu'il ne pensait lui-même aller. Rien de plus naturel : l'âme de ce droit personnel, c'était le mouvement, l'indépendance, la vie, l'appropriation facile à toutes les cir- constances ambiantes; l'âme du droit civique, c'était la servi- tude, comme sa suprême vertu était l'abnégation.

Malgré le profond désordre ethnique au milieu duquel l'A- rian Germain apparaissait, et bien que son propre sang ne fût pas absolument homogène, il mettait tous ses soins à circons- crire, à préciser deux grandes catégories idéales dans lesquelles il enfermait toutes les masses soumises à son arbitrage; en principe, il ne reconnaissait que la romanité et la barbarie. C'était le langage consacré. 11 s'efforçait d'ajuster du moins mal possible ces deux éléments désormais constitutifs.de la société occidentale, et dont le travail des siècles devait arron- dir les angles, adoucir les contrastes, amener la fusion. Qu'un tel plan, que les germes qui y étaient déposés fussent supérieurs en fécondité et préparassent pour l'avenir de plus beaux fruits que les plus éclatantes théories de la Rome sémitique, il serait oiseux de le discuter. Dans -cette dernière organisation, on l'a pu constater, mille peuples rivaux, mille coutumes ennemies, mlDe débris de civilisations discordantes se faisaient une guerre intestine. Pas la moindre tendance n'existait à sortir d'une con- fusion si monstrueuse, sans courir le danger de tomber dans une autre plus horrible encore. Pour tous liens, le cadastre, les règlements niveleurs du fisc, Timpartialité négative de la

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loi; mais rien de supérieur qui préparât, qui forçât Favène- ment d'une moralité nouvelle, d'une communauté de vues, d'une tendance unanime parmi les liommes , ni qui annonçât cette civilisation sagace qui est la nôtre, et que nous n'aurions jamais obtenue si la barbarie germanique n'en avait iapporté les plus précieuses greffes et n'avait pris la charge de les faire réussir sur la tige débile de la romanité, passive , dominée, con- trainte, jamais sympathique.

J'ai rappelé quelquefois dans le cours de ces pages, et ce n'était pas inutilement, que les grands faits que je décris, Icf- importantes évolutions que je signale, ne s'opèrent nullement par suite de la volonté expresse et directe des masses ou de tels ou tels personnages historiques. Causes et effets , tout se développe au contraire le plus ordinairement à Tinsu ou à ren- contre des vues de ceux qui y contribuent. Je ne m'occupe nullement de retracer l'histoire des corps politiques, ni les actions belles ou mauvaises de leurs conducteurs. Tout entier attentif à l'anatomie des races, c'est uniquement de leurs res- sorts organiques que je tiens compte et des conséquences pré- destinées qui en résultent, ne dédaignant pas le reste, mais le laissant à l'écart lorsqu'il ne sert pas à expliquer le point en discussion. Si j'approuve ou si je blâme , mes paroles n'ont qu'un sens comparatif et, pour ainsi dire, métaphorique. En réalité, ce n'est pas un mérite moral pour les chênes que d'é- lever à travers les siècles leurs fronts majestueux, couronnés d'un vert diadème , comme ce n'est pas non plus une honte pour les herbes des gazons de se faner en quelques jours. Les uns et les autres ne font que tenir leurs places dans les séries végétales, et leur puissance ou leur humilité concourent égale- ment aux desseins du Dieu qui les a faits. Mais je ne me dissi- mule pas non plus que la libre action des lois organiques, aux- quelles je borne mes recherches, est souvent retardée par l'immixtion d'autres 'mécanismes qui lui sont étrangers. Il faut passer sans étonnement par-dessus ces perturbations momen- tanées, qui ne sauraient changer le fond des choses. A traverg tous les détours les causes secondes peuvent entraîner les conséquences ethniques, ces dernières finissent toujours par

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retrouver leurs voies. Elles y tendent imperturbablement et ne manquent jamais d'y arriver. C'est ainsi qu'il en advint pour le sentiment conservateur des Germains envers la romanité. Il fut en vain combattu et souvent obscurci par les passions qui lui faisaient escorte; à la fin il accomplit sa tâclie. Il se refusa à la destruction de l'empire aussi longtemps que l'em- pire représenta un corps de peuples, un ensemble de notions sociales différentes de la barbarie. Il fut si ferme dans cette volonté et si inexpugnable , qu'il la maintint même pendant l'espace de quatre siècles il se vit forcé de supprimer l'em- pereur dans l'empire.

Cette situation d'un État despotique subsistant sans avoir de tête n'était pas ^ du reste , aussi étrange qu'elle le peut sembler d'abord. Dans une organisation comme la romaine , l'hé- rédité monarchique n'avait jamais existé et l'élection du chef suprême , indifféremment accomplie par le prédécesseur, par le sénat , par le peuple ou par une des armées , puisait sa validité dans le seul fait de sa maintenue ; en face d'un pareil ordre de choses , ce n'est pas la régularité des successions au trône qui peut faire connaître que le corps politique continue de vivre, encore bien moins le corps social. Le seul critérium, admissible , c'est l'opinion des contemporains à cet égard. Et il n'importe pas que cette opinion soit fondée sur des faits spé- ciaux , comme , par exemple , la continuation d'institutions sé- culaires, chose de tout temps inconnue dans une société en perpétuelle refonte, ou bien la résidence du pouvoir continuée dans une même capitale, ce qui n'avait pas eu lieu davantage; il suffit que la conviction existant sur ce sujet résulte de l'en- chaînement d'idées, même transitoires et disparates, mais qui , s'engendrant les unes des autres , créent , malgré la ra- pidité de leur succession, une impression de durée pour le milieu assez vague dans lequel elles se développent, meurent et sont incessamment remplacées.

C'était rétat normal dans la romanité, et voilà pourquoi lorsque Odoacre eut déclaré le personnage d'un empereur d'Occident inutile, personne ne pensa, non plus que lui, que par suite de cette mesure l'empire d'Occident cessât d'être.

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Seulement, on jugea qu'une nouvelle phase commençait; et de même que la société romaine avait été gouvernée d'abord par des chefs que ne désignait aucun titre, qu'elle en avait eu ensuite qui s'étaient décorés de leur nom de César, d'autres qui avaient établi une distinction entre les Césars et les Au- gustes, et, au lieu d'imposer une direction unique au corps politique , lui en avaient fourni deux , puis quatre , de même on s'accommoda de voir l'empire se passer d'un représentant direct, relever très superficiellement, et uniquement pour la forme, du trône de Constantinople , et obéir sans se dissoudre, et en restant toujours l'empire d'Occident, des magistrats germaniques, qui, chacun dans les pays de son ressort, appli- quaient aux populations les lois spéciales instituées jadis à leur usage par la jurisprudence romaine. Odoacre n'avait donc accompli qu'une pure révolution de palais, beaucoup moins importante qu'elle n'en avait l'air; et la preuve la plus pal- pable qu'on en puisse donner, c'est la conduite que tint plus tard Charlemagne et la façon dont la restauration du porte- couronne impérial s'accomplit en sa personne.

Le roi des Hérules avait déposé le fils d'Oreste en 475-, Charlemagne fut intronisé, et termina l'interrègne en 801. Les deux événements étaient séparés par une période de près de quatre siècles, et de quatre siècles remplis d'événements ma- jeurs, bien capables d'effacer de la mémoire des hommes tout souvenir de l'ancienne forme de gouvernement. Quelle est, d'ailleurs, l'époque il ne serait pas insensé de vouloir re- prendre un ordre de choses qui aurait été interrompu depuis quatre cents ans? Si donc Charlemagne le put faire, c'est qu'en ' réalité il ne ressuscitait pas le fond ni même la forme des ins- titutions, c'est qu'il ne faisait que rétablir un détail qu'on avait pu négliger un temps sans péril , et qu'on reprenait sans ana- chronisme.

L'empire , la romanité , s'étaient constamment soutenus en' face de la barbarie et par ses soins. Le couronnement du fils de Pépin ne faisait que lui rendre un des rouages qu'avec tant d'autres, disparus pour toujours , elle avait vus jadis fonction- ner dans son sein. L'incident était remarquable, mais il n'avait

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rien de vital ; c'est ce que montre bien l'examen des motifs qui avaient prolongé si longtemps l'interrègne.

Après avoir jugé raisonnable, autrefois, que le chef de la société romaine fut issu d'une famille latine , on avait consenti bientôt à le prendre dans une partie quelconque de ritalie, puis enfin et exclusivement dans les camps , et alors on ne s'é- tait plus enquis de son origine. Cependant il était toujours resté convenu, et sur ce point le bon sens ne pouvait guère faiblir, que l'empereur devait avoir au moins les formes ex- térieures des populations qu'il régissait, porter un des noms familiers à leurs oreilles , s'habiller comme eux et parler la langue courante, la langue des décrets et des diplômes, tant bien que mal. A l'époque d'Odoacre, les distinctions extérieures entre les vainqueurs et les vaincus étaient encore trop accu- sées pour que la violation de ces règles ne fit pas scandale aux yeux de ceux-là même qui auraient pu vouloir l'essayer à leur profit.

Pour les chefs germaniques , pour les rois sortis du sang des Amâles ou des Mérowings , se faire instituer patrices et con- suls , c'étaient des ambitions permises et même nécessaires : le gouvernement des peuples était à ce prix. Mais, outre que la prise de possession de la pourpre augustale par un chef barbare, vêtu et vivant suivant les usages du Nord, entouré de sa truste, dans un palais de bois, aurait été passible de ri- dicule, l'ambitieux mal inspiré qui en eût fait l'essai aurait éprouvé la difficulté la plus grande à se faire reconnaître dans sa dignité suprême par de nombreux adversaires, tous ses ri- vaux, tous égaux à lui, ou croyant l'être, par l'illustration, tous à peu près aussi forts que lui. La coalition de mille vani- tés, de mille intérêts blessés aurait eu bientôt fait de le rabat- tre au rang commun, et peut-être au-dessous.

Pénétrés de cette évidence , les plus puissants monarques germaniques ne voulurent pas en essuyer les périls (1). Ils^

(1) Cependant on ne peut nier que la tentation de le faire n'existât pour eux très vive et qu'ils ne s'y abandonnassent quelquefois en par- tie. Klodowig, au dire de Grégoire de Tours (II, 38), s'était même fait donner le titre d'Auguste. Théodorik le Grand joua même le rôle de

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imaginèrent quelque temps le biais de donner à quelqu'un de leurs domestiques romains cette dignité qulls n'osaient revêtir eux-mêmes, et, quand le malheureux manneqmn faisait mine d'essayer un peu d'indépendance, un mot, un geste, le faisait disparaître.

Tous les avantages semblaient se réunir dans cette combi- naison. En dominant l'empereur on dominait l'empire , et cela sans se donner les apparences d'une usurpation trop osée ; en un mot, c'était un expédient bien imaginé. Par malheur, comme tout expédient , il s'usa vite. La vérité perçait trop fa- cilement sous le mensonge. Le Mérowing ne se souciait pas plus de reconnaître pour son souverain le serviteur d'Odoacre qu'Odoacre lui-même. Chacun protesta, chacun repoussa cette contrainte , puis chacun , ayant consulté ses forces , se rendit justice en silence, s'exécuta modestement : l'interrègne fut proclamé , et l'on attendit que l'équilibre des forces eût cessé pour reconnaître à celui qui bien décidément l'emporterait le droit de recommencer la série des empereurs.

Ce ne fut qu'au bout de quatre cents ans que toutes les dif- ficultés se trouvèrent aplanies. Au début de cette période nou- velle, les facilités les plus complètes apparurent à tous les yeux. La plupart des nations germaniques s'étaient laissé af- faiblir, sinon incorporer par la romanité; plusieurs même avaient cessé d'exister comme groupes distincts. Les Visigoths, appariés aux Romains de leurs territoires, ne conservaient plus entre eux et leurs sujets aucune distinction légale qui rap- pelât une inégalité ethnique. Les Longobards maintenaient une situation plus distincte, d'autres encore faisaient de même; toutefois il était incontestable que le monde barbare n'avait plus qu'un seul représentant sérieux dans l'empire, et ce re- présentant, c'était la nation des Franks, à laquelle l'invasion des Austrasiens venait de rendre un degré d'énergie et de puis- sance évidemment supérieur à celui de toutes les autres races

collègue d'Anastase. Mais ce furent plutôt des prétentions que des réalités, et ces deux circonstances ne sont guère que des curiosités historiques, tant elles furent peu suivies d'effets.

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parentes. Le problème de la suprématie était donc résolu au profit de ce peuple.

Puisque les Franks dominaient tout, puisque en même temps le mariage de la barbarie et de la romanité était assez avancé déjà pour que les contrastes d'autrefois fussent devenus moins choquants, l'empire se retrouvait en situation de se donner un chef. Ce chef pouvait être un Germain , Germain de fait et de formes -, cet élu ne devait être qu'un Frank ; parmi les Franks, qu'un Austrasien, que le roi des Austrasiens, et donc que Gharlemagne. Ce prince, acceptant tout le passé , se porta pour le successeur des empereurs d'Orient, dont le sceptre venait de tomber en quenouille, ce que la coutume d'Occident ne pouvait admettre suivant lui. Voilà par quel raisonnement il restaura le passé. D'ailleurs , les acclamations du peuple ro- main et les bénédictions de l'Église ne lui refusèrent pas leur concours (1).

Jusqu'à lui la barbarie avait fidèlement poursuivi son sys- tème de conservation à l'égard du monde romain. Tant qu'elle exista dans sa véritable et native essence , elle ne se départit pas de cette idée. Depuis comme avant l'arrivée des premiers grands peuples teutoniques, jusqu'à l'avènement des âges moyens vers le dixième siècle, c'est-à-dire pendant une période

(1) I^s politiques du temps ne voulurent pas même avouer que le nouvel empereur restaurait un trône ancien. Ils prétendirent qu'il suc- cédait, non pas à Augustule, mais à Tempereur d'Orient, Constantin V. Pendant tout le temps de l'interrègne, on avait, en effet, admis cette théorie, que le souverain siégeant à Constantinople était devenu le chef nominal de la romanité entière. Son pouvoir se bornait à accor- der les investitures, quand on les lui demandait. Lorsque Gharlemagne voulut prendre la pourpre, on rompit avec cette fiction, en lui en sub- stituant une autre : ce fut d'imaginer que, par l'avènement d'Irène, l'empire d'Orient étant tombé en quenouille, celui d'Occident ne pou- vait suivre le même sort, parce que la loi des Saliens s'y opposait, comme si la loi des Saliens eût eu quelque chose à dire dans un cas d'hérédité romaine , qui échappait même légalement aux règles de la jurisprudence civile. Il est, du reste, à remarquer que c'est ici la pre- mière application qui fut faite de la doctrine de l'inaptitude des fem- mes à succéder à la couronne de France, et, en ce cas, de l'appel à la loi régissant la tenure du domaine salique. On a contesté à tort qu'il y eût corrélation réelle entre ces deux points.

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de sept cents ans environ, la théorie sociale, plus ou moins clairement développée et comprise, demeura celle-ci : la ro- manité, c'est l'ordre social. La barbarie n'est qu'un accident , accident vainqueur et dirigeant, à la vérité, mais enfin acci- dent, et, comme tel, d'une nature transitoire.

Si l'on avait demandé aux sages de cette époque lequel des deux éléments devait survivre à l'autre, absorber l'autre , l'a- néantir, incontestablement ils auraient répondu et ils répon- daient effectivement en célébrant Féternité du nom romain. Cette conviction était-elle erronée ? Oui , en ceci qu'on se re- présentait l'image incorrecte d'un avenir trop semblable au passé et beaucoup trop rapproché; mais, au fond, elle n'était erronée qu'à la façon des calculs de Christophe Colomb par rapport à l'existence du nouveau monde. Le navigateur génois se trompait dans toutes ses supputations de temps, d'éloigne- ment et d'étendue. Il se trompait sur la nature de ses décou- vertes à venir. Le globe terrestre n'était pas si petit qui! le supposait; les terres auxrquelles il allait aborder étaient plus loin de l'Espagne et plus vastes qu'il ne l'imaginait; elles ne faisaient point partie de l'empire chinois, et l'on n'y parlait pas l'arabe. Tous ces points étaient radicalement faux ; mais cette série d'illusions ne détruisait pas l'exactitude de l'asser- tion principale. Le protégé des rois catholiques avait raison de soutenir qu'il y avait un pays inconnu dans l'ouest.

De même aussi, la pensée générale de la romanité était dans le faux en considérant le mode de culture dont elle conservait les lambeaux comme le trésor et le dernier mot du perfection- nement possible ; elle l'était encore en ne voyant dans la bar- barie qu'une anomalie destinée à promptement disparaître; elle l'était bien davantage en annonçant comme prochaine la réapparition complète d'un ordre de choses qu'on s'imaginait admirable; et cependant, malgré toutes ces erreurs si consi- dérables, malgré ces rêves si rudement bafoués par les faits, la conscience publique devinait juste en ceci que, la romanité étant l'expression de masses humaines infiniment plus impo- santes par leurnonabre que la barbarie, cette romanité devait, à la longue, user sa dominatrice comme les flots usent le ro-

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cher^ et lui survivre. Les nations germaniques ne pouvaient éviter de se dissoudre un jour dans les détritus accumulés et puissants des races qui les entouraient, et leur énergie était condamnée à s'y éteindre. Voilà ce qui était la vérité; voilà ce que l'instinct révélait aux populations romaines. Seulement, je le répète, cette révolution devait s'opérer avec une lenteur dont les imaginations humaines n'aiment pas à mesurer les ennuis, vu la difficulté qu'elles éprouvent d'ailleurs à se soutenir au milieu d'espaces un peu larges. Il faut ajouter encore qu'elle ne pouvait jamais être si radicale que de ramener la société à son point de départ sémitisé. Les éléments germaniques de- vaient s'absorber, mais non pas disparaître à ce point.

Ils s'absorbent néanmoins, et d'une façon constante désor- mais. Leur décomposition au sein des autres éléments ethni- ques est bien facile à suivre. Elle fournit la raison d'être de tous les mouvements importants des sociétés modernes , ainsi qu'on en juge aisément en examinant les différents ordres de faits qui lui servent à se manifester.

Il a déjà été établi précédemment que toute société se fon- dait sur trois classes primitives , représentant chacune une va- riété ethnique : la noblesse, image plus ou moins ressemblante de la race victorieuse ; la bourgeoisie, composée de métis rap- prochés de la grande race ; le peuple , esclave , ou du moins fort déprimé, comme appartenant à une variété humaine infé- rieure, nègre dans le sud, finnoise dans le nord.

Ces notions radicales furent brouillées partout de très bonne heure. Bientôt on connut plus de trois catégories ethniques; partant, beaucoup plus de trois subdivisions sociales. Cepen- dant l'esprit qui avait fondé cette organisation est toujours resté vivant ; il l'est encore ; il ne s'est jamais donné de démenti à lui-même, et il se montre aujourd'hui aussi sévèrement logique que jamais.

Du moment que les supériorités ethniques disparaissent, cet esprit ne tolère pas longtemps l'existence des institutions faites pour elles et qui leur survivent. Il n'admet pas la fiction. Il abroge d'abord le nom national des vainqueurs, et fait dominer celui des vaincus ; puis il met à néant la puissance aristocrati-

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que. Tandis qu'il détruit ainsi par en haut toutes les apparences qui n'ont plus un droit réel et matériel à exister, il n'admet plus qu'avec une répugnance croissante la légitimité de l'escla- vage-, il attaque, il ébranle cet état de choses. Il le restreint, enfin il l'abolit. Il multiplie, dans un désordre inextricable, les nuances infinies des positions sociales, en les rapprochant tous les jours davantage d'un niveau commun d'égalité; bref, abais- ser les sommets, exhausser les fonds, voilà son œuvre. Rien n'est plus propre à faire bien saisir les différentes phases de l'amalgame des races que Tétude de l'état des personnes dans le milieu qu'on observe. Ainsi, prenons ce côté de la société germanique du v'^ au ix^ siècle, et, commençant par les points les plus culminants, considérons les rois.

Dès le 11^ siècle avant notre ère, les Germains de naissance libre reconnaissaient entre eux des différences d'extraction. Ils qualifiaient de fils des dieux , de fils des Ases , les hommes issus de leurs plus illustres familles , de celles qui jouissaient seules du privÙège de fournir aux tribus ces magistrats peu obéis, mais fort honorés, que les Romains appelaient leurs princes (1). Les fils des Ases, ainsi que leur nom l'indique, descendaient de la souche ariane, et le fait seul qu'ils étaient mis à part du corps entier des guerriers et des hommes libres prouve qu'on reconnaissait dans le sang de ces derniers l'exis- tence d'un élément qui n'était pas originairement national et qui leur assignait une place au-dessous de la première. Cette considération n'empêchait pas que ces hommes ne fussent forts importants , ne possédassent les odels, n'eussent même le droit de commander et de devenir chefs de guerre. C'est dire qu'il leur était loisible de se poser en conquérants et de se rendre plus véritablement rois que les fils des Ases, si ceux- ci consentaient à rester confinés dans leur grandeur au fond des territoires Scandinaves.

C'était le principe; mais il ne paraît pas que les grandes

(1) Un des signes caractéristiques auxquels on reconnaissait un homme de race divine , c'était l'éclat extraordinaire de ses yeux. La même parUcularité s'attache, dans l'Inde, aux incarnations célestes. (H. Léo, Vorlesungen, t. I, p. 40.)

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uations germaniques de rextrême nord , celles qui renouvelè- rent la face du monde, aient jamais, tant qu'elles furent aria- nes, abandonné leurs plus importants établissements à des hommes d'une naissance commune (1). Elles avaient trop de pureté de sang , quand elles apparurent au milieu de l'empire romain, pour admettre que leurs chefs pussent en manquer. Toutes pensèrent, à cet égard, comme les Hérules, et agirent de même. Elles ne placèrent à la tête de leurs bandes que des Arians purs, que des Ases, que des fils de dieux. Ainsi, posté- rieurement au siècle, on doit considérer les tribus royales des nations teutoniques comme étant d'extraction pure. Cet état de choses ne dura pas longtemps. Ces familles d'élite ne s'alliaient pas qu'entre elles et ne suivaient pas, dans leurs ma- riages, des principes fort rigides; leur race s'en ressentit, et, dans sa décadence, les reporta à tout le moins au rang de leurs guerriers. Les idées qu'elles possédaient, perdant du même coup, leur valeur absolue, su*birent des modifications analogues. Les rois germaniques devinrent accessibles à des notions in- connues de leurs ancêtres. Ils furent extrêmement séduits par les formes et les résultats de l'administration romaine, et beau- coup plus portés à les développer et à les mettre en pratique que favorables aux institutions de leurs peuples. Celles-ci ne leur donnaient qu'une autorité précaire, difficile et fatigante à maintenir ; elles ne leur conféraient que des droits hérissés de restrictions. Elles leur imposaient à tous moments le devoir de compter avec leurs hommes, de prendre leurs avis, de respec- ter leurs volontés, de s'incliner devant leurs répugnances, leurs sympathies ou leurs préjugés. En chaque circonstance, il fal- lait que l'amalung des Goths ou le merowing des Franks tâtât l'opinion avant d'agir, se donnât la peine de la flatter, de la persuader, ou, s'il la violentait, redoutât des explosions qui étaient autorisées par la loi à ne considérer le régicide que comme le maximum du meurtre ordinaire. Beaucoup de peines,

(1) De le respect dont étaient entourées certaines tribus royales ; les Skiiflnga chez les Suédois, les Nibelungs, Franci nebulones, chez les Franks , les Herelinga , etc.

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de soucis , de fatigues , d'exploits obligés , de générosité , c'é~ talent les dures conditions du commandement. Etaient- elles- bien et dûment remplies, elles valaient des honneurs mesquins, des respects douteux qui ne mettaient pas celui auquel on les rendait à l'abri des admonestations brutalement sincères de se& fidèles.

Du côté de la romanité , quelle différence ! que d'avantages sur la barbarie ! La vénération pour celui qui portait le sceptre, quel qu'il fût, était sans limites; des lois sévères, pressées comme un rempart autour de sa personne, punissaient du der- nier supplice et de l'infamie la plus légère offense à cette rayon- nante majesté. que tombât le regard du maître, pros- ternation, obéissance absolue-, jamais de contradictions, des empressements toujours, il y avait bien une hiérarchie sociale.. On distinguait des sénateurs et une plèbe ; mais c'était une organisation qui ne produisait pas, comme celle des tribus ger maniques, des individualités fortes, en état de rembarrer la vo- lonté du prince. Au contraire, les sénateurs, les curiales, n'exis- taient que pour être les ressorts passifs de la soumission générale. La crainte de la puissance matérielle des empereurs^ ne développait, ne maintenait pas seule de pareilles doctrines. Elles étaient naturelles à la romanité, et, prenant leur source dans la nature sémitique, elles se croyaient commandées , im- posées, par la conscience publique. Il n'était pas possible à un homme honnête , à un bon citoyen de les répudier, sans manquer aussitôt à la règle, à la loi, à la coutume, à toute la théorie des devoirs politiques , partant sans blesser la cons- cience.

Les rois germaniques, contemplant ce tableau, le trouvè- rent sans doute admirable. Ils comprirent que la plus satis- faisante de leurs attributions était celle de magistrat romain, et que le beau idéal serait de faire disparaître en eux-mêmes et dans leur entourage le caractère germanique pour parve- nir à n'être plus que les heureux possesseurs d'une autorité nette et simple, et bien attrayante, puisqu'elle était illimitée. Rien de plus naturel que cette ambition; mais, pour qu'elle se réalisât, il fallait que les éléments germaniques s'assouplis-^

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sent. Le temps seul, amenant ce résultat des mélanges ethni- <ques, y pouvait quelque chose.

En attendant , les rois montrèrent une faveur marquée à leurs sujets romains si respectueux, et ils les rapprochèrent, autant que possible, de leurs personnes. Ils les admirent très volontiers dans ce cercle intime des compagnons qu'ils appe- laient leur truste^ et cette faveur, en définitive inquiétante et blessante pour les guerriers nationaux , ne paraît pas cepen- dant avoir produit un tel effet. D'après la manière de voir de ceux-ci, le chef était en droit 'd'engager à son service tous ceux qu'il y jugeait propres. C'était chez eux un principe ori- ginel. Leur tolérance complète avait cependant des raisons plus profondes encore.

Les champions de naissance libre, qui n'étaient plus les égaux de leurs chefs par la naissance et n'appartenaient pas à la pure lignée des Ases', au moins pour la plupart (1)., puis- qu'ils avaient déjà subi quelques modifications ethniques avant le siècle de notre ère , naturellement étaient disposés à en accepter de nouvelles. Certaines lois locales opposaient, à la vérité , quelques barrières à ce danger. Telles tribus natio- nales n'étaient pas autorisées à contracter des mariages entre elles (2) ; le code des Ripuaires, en le permettant entre les po- pulations qu'il régissait et les Romains , stipulait toutefois une déchéance pour les produits de ces hymens mixtes (3). Il les dépouillait d'avance des immunités germaniques , et , les sou- mettant au régime des lois impériales , les rejetait dans la foule

(1) Chez les Franks, Khlodwigr fit égorger tous les hommes de race salique, de sorte qu'après son régne il n'y eut plus personne dans les handes germaniques de la contrée gauloise qui pût lutter de noblesse avec les Mérowings. (H. Léo, Vorlesungen , etc., t. I, p. 156.)

(2) Weinhold , Die deulscti. Frauen im Mittelalt. , p. 339 et seqq. Dans ces nations les alliances avec des Romains passaient pour moins répréhensibles.

(3) Les enfants issus d'un barbare et d'une Romaine étaient Romains. (Ibidem.) Au ix« siècle, la loi saxonne prononçait la peine de mort contre les hommes coupables d'un mariage illégal. Mais il y a à remar- quer que c'est une époque bien tardive, et que rien n'indique que cette loi fût fort ancienne. En tout cas, elle n'a pas duré. (H. Léo, Vorlesungen, etc., t. I, p. 160.)

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des sujets de Tempire. Cette logique et cette façon de procéder n'eussent pas été désavouées dans l'Inde ; mais, en somme, ce n'étaient que des restrictions très imparfaites ; elles n'eurent pas la puissance de neutraliser l'attraction que la romanité et la barbarie exerçaient l'une sur l'autre. Bientôt les concessions de la loi s'agrandirent , les réserves disparurent, et, avant l'ex- tinction des Mérowings, le classement des habitants d'un ter- ritoire sous telle ou telle législation avait cessé de se régler sur l'origiiie (1). Rappelons que chez les Visigoths, bien plus avancés encore, toute distinction légale entre barbare et Ro- main avait même cessé d'exister (2).

Ainsi les vaincus se relevaient partout; et, puisqu'ils pou- vaient prétendre aux honneurs germaniques, c'est-à-dire à être admis parmi les leudes du roi, parmi ses affîdés, ses con- fidents , ses lieutenants, il était bien naturel que le Germain , à son tour, pût avoir des motifs d'ambitionner leur alliance. Les Gaulois et les Raliens se trouvèrent ainsi de plain-pied avec leurs dommateurs , et , de plus , ils leur montrèrent encore qu'ils possédaient un joyau digne de rivaliser avec tous les leurs : c'était la dignité épiscopale. Les Germains comprirent à mer- veille la grandeur de cette situation ; ils la souhaitèrent ardem- ment , ils l'obtinrent , et l'on vit ainsi du même coup que des hommes sortis de la masse dominée devinrent les antrustions

(1) Bien que les ecclésiastiques fussent placés d'office sous la Ijurî- diction romaine, ils n'étaient pas partout forcés de l'accepter. Chez le& Lombards, des prêtres et moines des communautés préférèrent et reçurent la loi barbare. Il y a des exemples de ce fait jusque dans^ les ix®, et xi« siècles. (Savigny, ouvr. cité, t. I, p. 117.) Les af- franchis acquéraient la loi des peuples dont ils étaient issus. Chez les Ripuaires, il leur fallait suivre ou la loi ripuaire ou la loi romaine^ au choix de leur patron. {Ibidem., p. 118.) Chez les Lombards, ils restaient sous la loi du patron. ( Ibid.) Les enfants naturels choisis- saient leur loi à leur gré. {Ibid,, p. 114.) Au-dessus de la loi romaine comme de la loi barbare, il y avait dans chaque territoire germanique une règle générale qui s'appliquait indifféremment à tous les ha- bitants du pays, et qui, ayant pour objet les intérêts les plus géné- raux, dérivait d'un compromis entre les diverses législations. Les Capitulaires sont la codification et le développement de cette règle- suprême. {Ibid., p. 143.)

(2) Savigny, ouvr. cité, p. 266.

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du fils d'Odin , tandis que plusieurs des dominateurs , dépouil- lant les ornements et les armes des héros germaniques pour prendre la crosse et le pallium du prêtre romain, s'instituaient les mandataires et, comme on disait, les défenseurs d'une population romaine, et, acceptant avec elle la plus complète fraternité , répudiaient leur loi natale pour accepter la sienne.

En même temps, sur un autre point de l'organisation so- ciale, une autre innovation s'accomplissait. L'ariman, le bonus homo y qui, aux premiers jours de la conquête, faisait profession de haïr et de mépriser le séjour des villes , se lais- sait aller peu à peu à quitter les champs pour devenir citadin. Il venait siéger à côté du curiale.

La position de celui-ci , épouvantable sous la verge de fer des prétoires impériaux, s'était améliorée de toutes manières (1). Les exactions moins régulières, sinon moins fréquentes, étaient devenues plus supportables. Les évêques, chargés du lourd fardeau de la protection des villes , s'étaient attachés à rendre les sénats locaux capables de les seconder. Ils avaient plaidé la cause de ces aristocraties auprès des souverains de sang ger- manique , et ceux-ci , ne trouvant rien que de naturel à leur

(1) Savigny, owvr. cité, t. I, p. 250 et seqq. Voici comment s'ex- prime à ce sujet M. Augustin Thierry, adversaire si prononcé v d'ail- leurs, de la race et de l'action germaniques : « La curie , le corps des jg décurions, cessa d'être responsable de la levée des impôts dus au « fisc. L'impôt fut levé par les soins du comte seul et d'après le « dernier acte de contributions dressé dans la cité. Il n'y eut plus « d'autre garantie de l'exactitude des contribuables que le plus ou « moins de savoir-faire, d'activité et de violence du comte et de ses « agents. Ainsi les fonctions municipales cessèrent d'être une charge « ruineuse, personne ne tint plus à en être exempt, le clergé y entra. « La liste des membres de la curie cessa d'être invariablement fixe; « les anciennes conditions de propriété, nécessaires pour y être admis, ne furent plus maintenues; la simple notabilité suffit. Les « corps de marchandise et de métiers , jusque-là distincts de la cor- « poration municipale, y entrèrent du moins par leur sommité, et « tendirent de plus en plus à se fondre avec elle... L'intervention de « la population entière de la cité dans ses affaires devint plus frè- te quente; il y eut de grandes assemblées de clercs et de laïques sous o la présidence de l'évêque... » {Considérations sur Vhistoire deFrance^ in-12«, Paris, 1846, 1. 1, p. 198-199.)

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commettre l'administration des intérêts de leurs concitoyens , leur donnèrent lieu de devenir infiniment plus importantes qu'elles ne l'avaient jamais été (1). C'est, du reste, le résultat habituel de toutes les conquêtes opérées par des nations mili- taires, que l'accroissement, d'ijifluencedes classes riches vain- cues dans les municipalités. Du consentement des patrices bar- bares, les curiales se substituèrent aux nombreuses variétés et catégories de fonctionnaires impériaux, qui disparurent. La police , la justice , tout ce qui n'était pas expressément réga- lien tomba en leur pouvoir (2); et comme l'industrie et le com- 'merce enrichissaient les villes, que c'était dans les villes que la religion et les études avaient leur siège , que les sanctuaires les plus vénérés attiraient et fixaient une foule dévote ou spé- culatrice, sans compter les criminels qui s'y réunissaient par centaines pour profiter du droit d'asile , mille considérations opérèrent chez les arimans ce changement d'idées et d'humeur qui aurait tant indigné leurs aïeux. On les vit se complaire dans les villes, y prendre pied , s'y fixer; et voilà comment ils y devinrent aussi curiales, voilà comment, sous leur influence, ce nom latin fut abandonné pour faire place à ceux de rachim' bourgs (3) et de scabins. On institua des scabins d'origine lom-

(1),I1 se trouva même des points l'administration provinciale romaine fut conservée par les barbares : en Rhétie, par exemple, et dans les pays bourguignons, il y eut, pendant plusieurs siècles en- core, un prœses et des patrices, au lieu des comtes germaniques. (Savigny, ouvr. cité, 1. 1, p. 278.)

(2) En 543, le sénat de Vienne autorise la fondation d'un couvent. En 573, les magistrats municipaux de Lyon ouvrent et reconnaissent le testament de saint Nicetius. En 731 , à Sémur, l'abbé de Flavigny, Widrad , parle , dans son testament, de la curie et du défenseur. Le cas est d'autant plus digne d'attention que Sémur n'était pas une ville proprement dite, mais un simple castrum. Autres faits analogues à Tours au vin« siècle, à Angers au vi« et au ix«, à Paris au vni«, dans toute l'Italie septentrionale et centrale au x«, etc. (Savigny, ouvr. cité, pass.) Il n'est pas possible de douter que l'organisation muni^ cipale n'a jamais cessé d'exister, à aucune époque des âges moyens.

(3) Le rachimbourg est le même que le bonus homo; les deux termes sont employés indififéremment dans les textes. C'est le friling des Saxons du continent, le /Veeman des Anglo-Saxons, nommé aussi par eux friborgus.

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barde, franke , visigothique, tout comme des scabins d'origiue romaine (1).

Pendant que les princes, les chefs et les hommes libres de la romanité et de la barbarie se rapprochaient , les classes in- férieures faisaient de même , et de plus elles montaient. Le régime impérial avait jadis consacré l'existence de plusieurs situations intermédiaires entre l'esclavage complet et la liberté complète. Sous Tadministration germanique ces nuances al- lèrent se multipliant, et l'esclavage absolu perdit tout d'abord beaucoup de terrain. Il était attaqué depuis bien des siècles par l'instinct général. La philosophie lui avait fait une rude guerre dès l'époque païenne ; l'Église lui avait porté des atteintes plus sérieuses encore. Les Germains ne se montrèrent disposés ni à le restaurer, ni même à le défendre; ils laissèrent toute li- berté aux affranchissements ; ils déclarèrent volontiers , avec les évêqu^s , que retenir dans les fers des chrétiens , des mem- bres de Jésus-Christ , était en soi un acte illégitime. Mais ils étaient en situation d'aller bien au delà, et ils le firent. La po- litique de l'antiquité, qui avait consisté surtout à agir dans l'enceinte des villes, et qui n'avait créé ses institutions princi- pales que pour les populations urbaines, s'était toujours mon- trée médiocrement soucieuse du sort des travailleurs ruraux. Les Germains ont un point de départ tout autre, et, passion- nés pour la vie des champs, considéraient leurs gouvernés d'une façon plus impartiale ; ils n'avaient de préférence théo- rique pour aucune catégorie d'entre eux, et par cela même étaient plus propres à régler d'une manière équitable les desti- nées de tous.

L'esclavage fut donc à peu près aboli sous leur administra- tion (2). Ils le transformèrent en une condition mixte dans la-

<1) Avec ceUe différence, que tous les Romains de naissance libre n'étaient pas d'abord aptes à être curiales, tandis que tous les bar- bares de la même catégorie n'admettaient pas entre eux de différence. Du reste, cette égalité finit par gagner aussi les Romains.

(2) Voir, à ce sujet, Guérard, Polyptique de Vabbé Irminon, in-40, Paris, iSU, t. i, p. 212 et seqq. L'auteur de ce livre est doublement à accepter comme arbitre dans cette question , d'abord pour son grand et profond savoir, puis pour la haine consciencieuse et sans exemple

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quelle l'homme eut la libre disposition de son corps garantie par les lois civiles , l'Église et l'opinion publique. L'ouvrier rustique devint apte à posséder ; il le fut encore à entrer dan& les ordres sacrés. La route des plus hautes dignités et des plus enviées lui fut ouverte. Il put aspirer à l'épiscopat, position supérieure à celle d'un général d'armée , dans la pensée des Germains eux-mêmes. Cette concession transformait d'une manière bien favorable la situation des personnes serviles ha- - bitant les domaines particuliers; mais elle exerça une action plus puissante encore sur les esclaves des domaines royaux. Ces fiscalins, fiscalini, purent devenir et devinrent très sou- vent des marchands d'une grande opulence, des favoris du prince , des leudes , des comtes commandant à des guerriers- d'extraction libre. Je ne parle pas de leurs filles , que les ca- prices de l'amour élevèrent plus d'une fois sur le trône même. Les classes les plus infimes se trouvèrent ainsi avoir gagné le rang d'une autre série romaine, les colons, qui s'élevèrent du même coup dans une proportion égale. Au temps de Jules César, ils avaient été agriculteurs libres ; sous l'influence dé- létère de l'époque sémitisée , leur position était devenue fort triste. Des constitutions de Théodose et de Justinien les avaient indissolublement attachés à la glèbe. On leur avait laissé la faculté d'acquérir des immeubles , mais non pas celle de les^ vendre. Quand le sol changeait de propriétaire, ils en chan- geaient avec lui. L'accession aux fonctions publiques leur était rigoureusement fermée. Il leur était même interdit d'agir en justice contre leurs maîtres^ tandis que ceux-ci pouvaient à leur gré les châtier corporellement. Par un dernier trait, on leur avait défendu le port et l'usage des armes; c'était, dans les idées du temps, lès déshonorer (Ij.

dont il poursuit les populations germaniques. Le bien qu'il est obligé de dire de leur administration ne saurait être suspect.

(1) Les âges moyens ne conservèrent pas même entièrement cette réserve : d'abord ils reconnurent les serfs eux-mêmes aptes à remplir certaines fonctions pubUques; ils eurent des servi vicarii et des servi judices. On leur accordait en cette qualité le droit de porter la lance et de chausser un éperon. Chez les Visigoths et chez les Lombards^ on les armait même de toutes pièces, et on les appelait à concourir à

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La domination germanique abolit presque toutes ces disposi- tions, et celles qu'elle négligea de faire disparaître, elle en toléra rinfraction constante. On vit sous les Mérowings des colons posséder eux-mêmes des serfs. Un ennemi fort animé des institutions et des races du nord a avoué que leur condi- tion d'alors ne fut nullement mauvaise (1).

Le travail des éléments teutoniques , agissant dans l'empire, tendit ainsi pendant quatre siècles, du v' au ix% à améliorer la position des basses classes, et à relever la valeur intrinsè- que de la romanité. C'était la conséquence naturelle du mé- lange ethnique qui faisait circuler jusque dans le fond des multitudes le sang des vainqueurs. Quand Charlemagne ap- parut, l'œuvre était assez avancée pour que l'idée de repren- dre les errements impériaux pût présider aux conceptions de cette forte tête; mais il ne s'apercevait pas, non plus que per- sonne , que les faits qui semblaient à première vue favoriser une restauration annonçaient, au contraire, une grande et pro- fonde révolution, amenaient l'avènement complet de rapports nouveaux dans la société. Il n'était au monde volonté ni génie qui pût empêcher l'explosion des causes parvenues en silence à toute leur maturité.

La romanité avait repris de l'énergie, mais non pas partout en dose égale. La barbarie s'était presque effacée comme corps ; mais son influence dominait en plus d'une contrée, et sur ces points, bien qu'elle se fût annihilée sous l'élément latin, c'était, au contraire , celui-ci qui s'était résorbé en elle. Il en était résulté partout d'impérieuses dispositions sporadiques, et le pouvoir de les réaliser.

Dans le sud de l'Italie régnait une confusion plus profonde que jamais. Les populations anciennes, de faibles débris bar- bares, des alluvions grecques incessantes, puis des Sarrasins en foule, y entretenaient l'excès du désordre avec la prépondé- rance sémitique. Nulle pensée n'y était générale, nulle force n'y

la sûreté publique. (Guérard, ouvr. cité, t. I, p. 33o.) Comparer cet état de choses à l'organisation romaine. (1) Guérard, Polyptique d'Irminon, t. I, pass.

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était assez grande pour s'imposer longtemps. C'était un pays voué pour toujours aux occupations étrangères, ou à une anar- chie plus ou moins bien déguisée.

Dans le nord de la Péninsule, la domination des Lombards était incontestée. Ces Germains, peu assimilés à la population romanisée, ne partageaient pas son indifférence pour la supré- matie d'une race germanique différente de la leur. Comme ils n'étaient pas fort nombreux , Charlemagne pouvait les vaincre ; c'était tout, il ne pouvait pas étouffer leur nationalité (1).

En Espagne , le sud entier et le centre n'appartenaient plus à l'empire; l'invasion musulmane en avait fait une annexe des vastes États du khalife. Quant au nord-ouest, les descen- dants des Suèves et des Visigoths s'étaient cantonnés , il pré- sentait dans les masses inférieures beaucoup plus d'éléments celtibères que de romains. De une empreinte spéciale qui distinguait ces peuples des habitants de la France méridionale comme des Maures, bien qu'un peu moins.

Le sang de l'Aquitaine , pourvu de quelque affinité avec ce- lui des Navarrais et des hommes de la Galice par ses éléments originairement indigènes , avait en outre une alluvion romaine fort riche , et une alluvion barbare de quelque épaisseur, sans équivaloir à celle de l'Espagne septentrionale.

En Provence et dans le Languedoc, la couche romaine était tellement considérable , le fond celtique sur lequel elle avait été établie était si fort primé par elle, que Ton aurait pu se croire dans l'Italie centrale , d'autant mieux que les invasions sar- rasines y entretenaient une infiltration sémitique qui n'était pas sans puissance (2). Les Visigoths, après un séjour leur sang s'était beaucoup oblitéré, étaient en partie retirés en Espa- gne, eu partie envoie de s'absorber définitivement dans la po- pulation native. Vers l'est, des groupes bûrgondes, et partout

(1) Savigny observe, avec vérité, que le nombre des groupes pourvus du droit personnel est beaucoup plus considérable en Italie qu'en France au vn^ siècle. Il en conclut judicieusement que les différentes racQs y sont complètement représentées. {Ouvr. cité, 1. 1, p. 104.)

(2) Reynaud , Invasions des Sarrasins en France, en Savoie et dans la Suisse, Paris, 1836, in-8«.

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quelque peu de Franks, dirigeaient cet ensemble assez peu homogène, mais n'en étaient pas les maîtres absolus.

La Bourgogne et la Suisse occidentale , en y comprenant la Savoie et les vallées du Piémont, avaient conservé beaucoup d'éléments celtiques. Dans le premier de ces pays , à la vérité , l'élément romain était le plus fort , mais il l'était moins dans les autres , et surtout l'élément burgoude avait apporté beau- coup de détritus celtiques d'Allemagne qui s'étaient assez faci- lement alliés au vieux fonds du pays. Des Franks, des Longo- bards, des Goths, des Suèves et d'autres débris germaniques, des Slaves même (1) , empêchaient ces contrées de présenter un tout bien homogène ; elles avaient néanmoins plus de rap- ports entre elles qu'avec leurs voisines. Sur leurs frontières du nord , elles ressemblaient fort aux peuples restés dans la Ger- manie.

La France centrale était surtout gallo-romaine. De tous les barbares qui y avaient pénétré , les Franks seuls régnaient. Les populations premières n'y avaient pas une couleur aussi sémi- tisée que dans la Provence; elles ressemblaient davantage à celles de la haute Bourgogne. Il y avait de plus , dans le mé- lange général , la différence de mérite dans les éléments ger- maniques des deux pays, les Franks valant plus que les Bur- gondes; du reste, les Franks, bien qu'en petit nombre chez ^es derniers , les y primaient encore.

A l'ouest de la Gaule centrale s'ouvrait la petite Bretagne. Les populations à peine romanisées de cette péninsule avaient Tcçu, et plusieurs fois, des émigrations de la grande île. Elles n'étaient pas purement celtiques , mais d'origine belge, partant germanisées, et, dans le cours des temps, d'autres alliages germaniques avaient encore modifié leur essence. Les Bretons du continent représentaient un groupe mixte l'élément

(1) On en retrouve des traces au canton du Valais, à Granges <Gradec), dans les villages de Krimenza (Kremenica), Luc (Luka), Visoye, Grava, etc. Les Allemands des environs les appellent des Huns. (Schaffarik, Slawiche AUerth., t. I, p. 329.) Le lac de Thun s'appelait, au vu* siècle, lacus Vendalicus; on le nomma plus tard Wendensee. {Ibid., p. 420, note 4.)

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celtique avait le dessus sans être aussi complètement libre d'alliage qu'on le pense communément.

Au delà de la haute Seine et dans les contrées qui se succé- daient jusqu'à l'embouchure du Rhin d'un côté, de l'autre jusqu'au Mein et jusqu'au Danube, avec la Hongrie pour fron- tière à l'orient, s'aggloméraient des multitudes les éléments germaniques exerçaient une prépondérance plus incontestée, mais non pas uniforme. La partie d'entre la Seine et la Somme appartenait à des Franks considérablement celtisés, avec une proportion relativement médiocre d'aUiage romain sémitisé. Le pays riverain de la mer avait gardé, peut-être repris le nom kymrique de Picardaich. Dans l'intérieur des terres, les Gallo- Romains mêlés aux Franks neustriens se distinguaient à peine de leurs voisins du sud et de l'est; ils étaient cependant un peu moins énergiquement constitués que ces derniers, et sur- tout que ceux du nord. Plus on se rapprochait du Rhin et ensuite s'enfonçait dans la direction des anciennes limites dé- cumates, plus on se trouvait entouré de véritables Franks de la branche austrasienne , l'ancien sang; germanique existait à son plus haut degré de verdeur. On était arrivé à son foyer. Aussi peut-on reconnaître bien aisément, en interrogeant les récits de l'histoire, que était le cerveau, le cœur et la moelle de l'empire, que résidait la force, que se décidaient les destinées. Tout événement qui ne s'était pas préparé sur le Rhin moyen , ou dans les environs , n'avait et ne pouvait avoir qu'une portée locale assez peu riche en conséquences.

En remontant le fleuve dans la direction de Baie , les mas- ses germaniques, revenant à se celtiser davantage, se rappro-- chaient du type bourguignon; à l'est, le mélange gallo-romain se compliquait, dès la Bavière, de nuances slaves qui allaient se renforçant jusqu'aux confins de la Hongrie et de la Bohême, où, devenant plus marquées, elles finissaient par prendre le dessus , et formaient alors la transition entre les nations de l'occident et les peuples du nord-est et du sud-est jusqu'à la région byzantine.

Les groupes occidentaux devaient ainsi à l'élément teutoni- que, qui les animait tous à des degrés divers, une force dis-

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jonctive que les nations énervées du monde romain n'avaient pas possédée. L'époque finissait les barbares n'avaient puet voir dans le fonds ethnique régi par eux qu'une masse op- posée à leur masse. Mêlés désormais à elle, ils avaient acquis un autre point de vue : ils n'étaient plus frappés que par des dissemblances toutes nouvelles, scindant l'ensemble des multi- tudes dont eux-mêmes se trouvaient désormais faire partie. Ce fut donc au moment même la romanité croyait avoir con- quis la barbarie qu'elle éprouva précisément les effets les plus graves de l'accession germanique. Jusqu'à Charlemagne, elle avait gardé tous les dehors en même temps que la réalité de la vie. Après lui, la forme matérielle cessa d'exister, et, bien que son esprit n'ait pas plus disparu du monde que l'esprit assyrien et l'esprit hellénistique , elle entra dans une phase comparable aux épreuves du rajeunissement d'Éson.

Quoi qu'il en soit, je le répète, son esprit ne périt pas. Ce génie, qui représentait la somme de tous les débris ethniques jusqu'alors amalgamés, résista, et, pendant le temps il resta contraint de surseoir à des'manifestations extérieures bien évidentes, il maintint au moins sa place par un moyen qui ne laisse pas que d'être digne d'avoir ici sa mention. Ce fut un phénomène tout opposé à celui qui avait eu lieu entre l'époque d'Odoacre et celle du fils de Pépin. Pendant cette période, l'empire avait subsisté sans l'empereur ; ici l'empereur subsista sans l'empire. Sa dignité, se rattachant tant bien que mal à la majesté romaine, s'eiforça pendant plusieurs siècles de lui con- server une apparence de continuateur et d'héritier. Ce furent encore les populations germaniques qui, déployant en cette rencontre l'instinct, le goût obstiné de la conservation qui leur est naturel, donnèrent un nouvel exemple de cette logique et de cette ténacité que leurs frères de l'Inde n'ont pas possédée à un degré plus haut, bien qu'en l'appliquant d'une autre ma- nière.

Il nous reste maintenant à voir pratiquer les vertus typiques de la race par les derniers rameaux arians que la Scandinavie envoya vers le sud : ce furent les Normands et les Anglo- Saxons.

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CHAPITRE V.

Dernières migrations arianes-scandinaves.

Tandis que les grandes nations sorties de la Scandinavie après le i®^ siècle de notre ère gravitaient successivement vers le sud, les masses encore considérables qui étaieîit demeurées dans la péninsule ou aux environs étaient loin de se vouer au repos. On doit les distinguer en deux grandes fractions : celle que produisit la confédération anglo-saxonne; puis un autre amas dont les émissions furent plus indépendantes les unes des autres, commencèrent plus tôt, finirent plus tard, allèrent beau- coup plus loin, et auquel il convient de donner la qualifi- cation de normand^ que les hommes qui le composaient s'at- tribuaient à eux-mêmes.

Bien que, depuis le i®^ siècle avant Jésus-Christ jusqu*au V®, l'action de ces deux groupes se soit fait sentir à plusieurs reprises jusque dans les régions romaines, il n'y a pas lieu, sur ce terrain, d'en parler avec détail; cette action s'y confond, de toutes manières, avec celle des autres peuples germaniques. Mais, après le siècle, les conséquences de la domination d'Attila mirent fin à ces rapports antiques, ou du moins les re- lâchèrent très sensiblement (1). Des multitudes slaves, entraî- nées par les convulsions ethniques dont les Teutons et les Huns étaient les principaux agents, furent jetées entre les pays Scandinaves et l'Europe méridionale, et c'est de ce moment seul que l'on peut faire dater la personnalité distincte des ha- bitants arians de Textrême nord de notre continent.

Ces Slaves, victimes encore une fois des catastrophes qui agitaient les races supérieures, arrivèrent dans les contrées * connues de leurs ancêtres, il y avait déjà bien des siècles ; peut-

(1) Schaffarik, Slawiche Alterth., t. I, p. 326 et seqq. Amédée Thierry, Revue des Deux-Mondes, 1" décembre 1832, pass. On ne sau- rait trop louer cette belle appréciation de la confédération hunnique.

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être même s'avancèrent-ils plus loin que ceux-ci ne l'avaient fait deux mille ans avant notre ère (1). Ils repassèrent l'Elbe, rencontrèrent le Danube, apparurent dans le cœur derAllema- gne. Conduits par leurs noblesses, formées de tant de mélanges gètes, sarmates, celtiques, par lesquels ils avaient été jadis asservis, et confondus avec quelques-unes des bandes hunni- ques qui les poussaient, ils occupèrent, dans le nord, tout le Holstein jusqu'à l'Eider (2). A l'ouest, gravitant vers la Saale, ils finirent par en faire leur frontière ; tandis qu'au sud ils se répandirent dans la Styrie , la Carniole , touchèrent d'un côté la mer Adriatique, de l'autre le Mein, et couvrirent les deux archiduchés d'Autriche, comme la Thuringe et la Souabe (3). Ensuite ils descendirent jusqu'aux contrées rhénanes, et péné- ti'èrent en Suisse. Ces nations wendes, toujours opprimées jusqu'alors, devinrent ainsi, bon gré mal gré, conquérantes, et les mélanges qui les distinguaient ne leur rendirent pas d'abord ce métier par trop difficile. Les circonstances, agissant avec énergie en leur faveur, amenèrent les choses à ce point que rélément germanique s'affaiblit considérablement dans toute TAUemagne, et ne resta quelque peu compact que dans la Frise, la Westphalie, le Hanovre et les contrées rhénanes depuis la mer jusque vers Baie. Tel fut l'état des choses au viii^ siècle. Bien que les invasions saxonnes et les colonisations frankes des trois ou quatre siècles qui suivirent aient un peu modifié ^ette situation, il n'en demeura pas moins acquis , par la suite, que la masse des nations locales se trouva à jamais dépouillée de ses principaux éléments arians. Ce ne furent pas seulement les invasions slaves de l'époque hunnique qui contribuèrent à cette transformation ; elle fut en grande partie amenée par la

(1) Schaffarik, Slawîsche Alterth., t. I, p. 166; l. Il, p. 411, 416, 427, 443, 503, 526, 565. Kefestein, KelHsche Alterth. , t. I, p. xlv, xlvii^ L et seqq.

(2) Schaflfarik incline même à penser que les Huns connus de VEdda sont tous des Slaves. Cette opinion est un peu absolue. (T. I, p. 328.)

(3) Schaffarik, t. II, p. 310 et seqq. Dans cette direction, les Slaves et leurs noblesses agissaient sous la pression spéciale des Avares, nation demi-mongole, demi-ariane. Beaucoup de ces derniers restè- rent avec eux dans la Carniole et la Styrie. (P. 327.;

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constitution intime des groupes germaniques eux-mêmes. Es- sentiellemeQt mixtes et éloignés de ne compter que des guer- riers de noble origine, ils traînaient à leur suite, ainsi qu'on Ta vu, de nombreuses bandes serviles, celtiques et wendes. Quand leurs nations émigraient ou périssaient, c'était surtout la par- tie illustre qui, en elles , était frappée, et les traces subsistan- tes de leur occupation se retrouvaient infailliblement dans la personne des karls et des traells , deux classes que les catas- trophes politiques n'atteignaient que par contre-coup, mais qui possédaient une bien faible proportion de l'essence Scandinave. Au contraire, les nations slaves perdaient- elles leurs nobles, elles n'en devenaient que plus émancipées de cette influence arianisée qui les détournait de leur véritable nature. Pour ces deux raisons, la disparition des Germains d'une part, de l'autre l'épuisement des aristocraties wendes, les* populations de F Allemagne, d'ailleurs composées sur les différents points des mêmes doses ethniques en quantités spéciales , ce qui est aussi l'origine de leurs dispositions faiblement sporadiques, se trouvèrent définitivement très peu germanisées. Tout en porte témoignage, les institutions commerciales, les habitudes rura- les, les superstitions populaires, la physionomie des dialectes, les variétés physiologiques. De même qu'il n'est pas rare de trouver dans la forêt Noire, non plus qu'aux environs de Ber- lin^ des types parfaitement celtiques ou slaves, de même il est facile d'observer que le naturel doux et peu actif de l'Autri- chien et du Bavarois n'a rien de cet esprit de feu qui animait le Frank ou le Longobard (1).

Ce fut sur ces populations que les Saxons et les Normands eurent à agir, absolument comme les Germains avaient agi sur

(i) Haxthausen, Études sur la situation intérieure y la vie nationale » et les institutions rurales de la Russie, Hanovre , 1847, in-S^, 1. 1, p. m. En recherchant Torigine de plusieurs coutumes qui exercent une influence décisive sur l'existence agricole en Allemagne, cet auteur démontre qu'on arrive immédiatement à une inspiration slave. Quant aux dialectes allemands modernes, la présence d'abondants éléments celtiques dans leur contexture n'est pas mise en question. (Voir Grimm, Geschichte der teutschen Sprache, 1. 1, p. 287; Mone, Th. p. 352; Keîerste'm , Keltis'che Alterth., t. I, p. xxxvm, etc.)

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des masses à peu de chose près semblables. Quant au théâtre des nouveaux exploits qui s'opérèrent, il fut identiquement le même, avec cette différence que , les forces employées étant moins considérables, les résultats géographiques restèrent plus limités.

Les Normands reprirent d'abord l'œuvre des tribus gothi- ques. Navigateurs aussi hardis, ils poussèrent leurs expéditions principales dans l'est, franchirent la Baltique, vinrent aborder sur les plages avaient débuté les ancêtres d'Hermanarik, et, traversant, l'épée au poing, toute la Russie, allèrent, d'un côté, lier des rapports de guerre , quelquefois d'alliance, avec les empereurs de Constantinople, tandis que, de l'autre, leurs pirates étonnaient et épouvantaient les riverains de la Cas- pienne (1).

Ils se familiarisèrent si bien avec les contrées russes , ils y donnèrent une si haute idée de leur intelligence et de leur cou- rage, que les Slaves de ce pays, faisant l'aveu officiel de leur impuissance et de leur infériorité, implorèrent presque unani- mement leur joug. Ils fondèrent d'importantes principautés. Ils restaurèrent en quelque sorte Asgart, et le Gardarike, et l'empire des Goths. Ils créèrent l'avenir du plus imposant des États slaves, du plus étendu, du plus solide, en lui donnant pour premier et indispensable ciment leur essence ariane. Sans eux la Russie n'eût jamais existé (2).

(d) Mémoires de V Académie de Saint-Pétersbourg , 1848, t. IV, p. 182 et pass.

(2) Ljudbrand de Ticino, évêque de Crémone, mort en 979, dit que le peuple appelé russe par les Grecs est nommé normand par les Occidentaux. (Munch, ouvr. cité, p. 53.) Au x* siècle, les Russes, et il faut comprendre sous ce nom la portion dominante de la nation^ parlaient le Scandinave. Le territoire de cet idiome comprenait les plaines du lac Ladoga, du lac Ilmen et le haut Dnieper. (Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 143.) Les Normands russes portaient plus parti- culièrement le nom de Warègues. Il est aussi ancien que le nom d'Ase, de Goth et de Saxon, et remonte comme eux à la pure souche ariane. Les Grecs connaissaient dans la Drangiane une nation sarmate appelée par eux Zaç^âyyot, et qui s'intitulait elle-même Zaranga ou Zaryanga, dont la forme zend est Zarayangh. Pline transcrit ce mot en en faisant Evergetœ. (Westergaard et Lassen, Achemen Keilinschriften, p. 53.

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Qu'on pèse bien cette proposition , et qu'on en examine les bases : il y a au monde un grand empire slave ; c'est le premier et le seul qui ait bravé l'épreuve des temps, et ce premier et unique monument d'esprit politique doit incontestablement son origine aux dynasties varègues, autrement dit normandes. Cependant cette fondation politique n'a de germanique que le fait même de son existence. Rien de plus aisé à concevoir. Les Normands n'ont pas transformé le caractère de leurs sujets ; ils étaient trop peu nombreux pour obtenir un pareil résultat. Ils se sont perdus au sebi des masses populeuses qui n'ont fait qu'augmenter autour d'eux , et dans lesquelles les invasions tatares du moyen âge ont , sans cesse et sans mesure , aug- menté l'influence énervante du sang finnique. Tout aurait fini, même l'instinct de cohésion, si une intervention providentielle n'avait ramené à temps cet empire sous l'action qui lui avait donné naissance : cette action a suffi jusqu'à présent pour neutraliser les pires effets du génie slave. L'accession des pro- vinces allemandes, l'avènement des princes allemands, une foule d'administrateurs, de généraux, de professeurs, d'ar- tistes , d'artisans allemands , anglais , français , italiens , émi- gration qui s'est faite lentement, mais sans interruption, a con- tinué à tenir sous le joug les instincts nationaux, et à les réduire, malgré eux, à l'honneur déjouer un grand rôle en Europe. Tout ce qui en Russie présente quelque vigueur po- litique, dans le sens l'Occident prend ce mot, tout ce qui rapproche ce pays, dans les formes du moins, de la civilisation germanisée, lui est étranger.

Il est possible que cette situation se soutienne pendant un temps plus ou moins long ; mais , au fond , elle n'a rien changé à l'inertie organique de la race nationale , et c'est gratuitement

Niebulir, Inscript, pers. , tabl. I, xxxi.) Ce nom de lapàyYot » Za- ranga, Evergetœ, ou Waregh, fut aussi apporté en France, il a laissé des traces qui survivent jusqu'à ce jour dans les noms de , Varange, de Varangeville et autres. Il est très important de ne. rien négliger de tout ce qui démontre à quel point les Arians du nord restè- rent, tant qu'ils vécurent, rapprochés, malgré les distances de leur souche originelle.

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que Ton suppose la race wende dangereuse pour la liberté de rOccident. On se Test imaginée bien à tort conquérante. Quel- ques esprits abusés, la voyant peu capable de s'élever à des notions originales de perfectionnencient social, se sont avisés de la déclarer neuve , vierge et pleine d'une sève qui n'a pas encore coulé. Ce sont autant d'illusions. Les Slaves sont une des familles les plus vieilles, les plus usées, les plus mélangées, les plus dégénérées qui existent. Ils étaient épuisés avant les Celtes. Les Normands leur ont donné la cohésion qu'ils n'a- vaient pas en eux-mêmes. Cette cohésion se perdit quand l'in- vasion de sang Scandinave fut absorbée ; des influences étran- gères l'ont restituée et la maintiennent; mais elles-mêmes valent , au fond , peu de chose : elles sont riches d'expérience, rompues à la routine de la civilisation -, mais , dépouillées d'ins- piration et d'initiative , elles ne sauraient donner à leurs élè- ves ce qu'elles ne possèdent pas.

Vis-à-vis de l'Occident, les Slaves ne peuvent occuper qu'une situation sociale toute subordonnée, et réduits, à ce point de vue , à la condition d'annexés et d'écoliers de la civi- lisation moderne , ils joueraient un personnage presque insi- gnifiant dans l'histoire future comme dans l'histoire passée , si la situation physique de leurs territoires ne leur assurait un emploi qui est véritablement des plus considérables. Placés aux confins de l'Europe et de l'Asie, ils forment une transi- tion naturelle entre leurs parents de l'ouest et leurs parents orientaux de race mongole. Ils rattachent ces deux masses qui croient s'ignorer. Ils forment des masses innombrables depuis la Bohême et les environs de Péter sbourg jusqu'aux confins de la Chine. Ils maintiennent ainsi, entre les métis jaunes des différents degrés, cette chaîne ininterrompue d'alliances ethni- ques qui fait aujourd'hui le tour de l'hémisphère boréal , et par laquelle circule un courant d'aptitudes et de notions ana- logues.

Voilà la part d'action dévolue aux Slaves , celle qu'ils n'au- raient jamais acquise , si les Normands ne leur avaient donné la force de la prendre , et qui a son foyer principal en Russie, parce que c'est que la plus considérable dose d'activité a été

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implantée par ces mêmes Normands qu'il faut suivre mainte- nant sur d'autres champs de bataille.

Je serai bref dans l'énumération de leurs hauts faits; c'est surtout matière à considération pour l'histoire politique. Repoussés du centre de l'Allemagne par la foule des combat- tants qui s'y pressaient déjà, tenus en échec par les Saxons leurs égaux (1), les Normands continuèrent néanmoins jusqu'au viii° siècle à y pousser des incursions , mais sans autre résul- tat sensible que d'y augmenter le désordre. Effrayant les mers occidentales par le nombre et surtout par l'audace de leurs pirateries , ils allaient pénétrant jusque dans la Méditerranée, pillant l'Espagne, en même temps que, par un travail plus fécond, ils colonisaient les îles voisines de l'Angleterre, s'éta- blissaient en Irlande et en Ecosse , peuplaient les vallées d'Is- lande.

Un peu plus tard, ils firent mieux ; ils s'établirent à demeure dans cette Angleterre qu'ils avaient tant inquiétée, et en en- levèrent une grande partie aux Bretons , et surtout aux Saxons qui les avaient précédés sur cette terre. Plus tard encore, ils renouvelèrent le sang de la province française deNeustrie, et lui apportèrent une supériorité ethnique bien appréciable sur d'autres contrées de la Gaule. Elle la conserva longtemps, et en montre encore quelques restes. Parmi leurs titres de gloire les plus éclatants , et qui ne furent pas non plus sans de grands résultats , 11 faut compter surtout la découverte du continent américain, opérée au siècle, et les colonisations qu'ils por- tèrent dans ces régions au xi^ et peut-être jusqu'au xiii«. En- fin je parlerai en son lieu de la conquête totale de l'Angleterre par les Normands français.

(1) Les Saxons du continent se mélangèrent si rapidement avec les populations celtiques ou slaves qui les entouraient, que, bien que leurs aïeux aient encore habité la Chersonèse cimbrique au siècle et qu'ils n'aient envahi la Thuringe qu'au vi®, une tradition connue aujourd'hui les dit autochtones du Harz. Ils, prétendent être nés tout à coup au milieu des rochers et des forêts de cette contrée, au bord d'une fontaine, avec leur roi Aschanes. C'est une confusion de mythes Scandinaves avec des notions aborigènes. (W. MuUer, ouvrage cité, p. 298.)

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La Scandinavie , d'où sortaient ces guerriers , occupait en- core dans la période héroïque des âges moyens le raug le plus distingué parmi les souvenirs de toutes les races dominantes de l'Europe. C'était le pays de leurs ancêtres vénérés, c'eût encore été le pays des dieux mêmes , si le christianisme l'eût permis. On peut comparer les grandes images que le nom de cette terre évoquait dans la pensée des Franks et des Goths à celles qui pour les brahmanes entouraient la mémoire de rUltara-Rourou. De nos jours, cette péninsule si féconde, cette terre si sacrée n'est plus habitée par une population égale à celles que son sein généreux a pendant si longtemps et avec tant de profusion répandues sur toute la surface du continent d'Europe (1). Plus les anciens guerriers étaient de race pure , moins ils étaient tentés de rester paresseusement dans leurs odels , quand tant d'aventures merveilleuses entraînaient leurs émules vers les contrées du midi. Bien peu y demeurèrent. Cependant quelques-uns y revinrent. Ils y trouvèrent les Fin- nois, les Celtes, les Slaves, soit descendants de ceux qui avaient autrefois occupé le pays , soit fils des captifs que les hasards de la guerre y avaient amenés, luttant avec quelque avantage contre les débris du sang des Ases. Cependant il n'est pas douteux que c'est encore en Suède, et surtout en Norwège, que l'on peut aujourd'hui retrouver le plus de traces physiologiques, linguistiques, politiques, de l'existence dis- parue de la race noble par excellence , et l'histoire des der- niers siècles est pour l'attester. Ni Gustave-Adolphe, ni Charles XII, ni leurs peuples ne sont des successeurs indignes de Ragnas Lodbrog et de Harald aux beaux cheveux. Si les populations norwégiennes et suédoises étaient plus nombreuses, l'esprit d'initiative qui les anime encore pourrait n'être pas sans conséquences ; mais elles sont réduites par leur chiffre à une véritable impuissance sociale : on peut donc affirmer que

(1) La langue des inscriptions runiques diffère considérablement, comme aussi le gothique d'Ulfila, des langues Scandinaves actuelles. (Referstein, Kellische Alterth., t. I, p. 331.) Ces dernières ont de nom- breuses marques d'alliage avec les éléments finnîques. (Schaffarik, ouvr. cité, t. I, p. 140.)

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le dernier siège de l'influence germanique n'est plus au milieu d'elles. Il s'est transporté en Angleterre. C'est qu'il déploie encore avec le plus d'autorité la part qu'il a gardée de son ancienne puissance.

Lorsqu'il a été question des Celtes , on a vu déjà que la po- pulation des îles Britanniques au temps de César était formée d'une couche primitive de Finnois , de plusieurs nations galli- ques différemment affectées parleur mélange avec ces indigènes, mais certainement très dégradées par leur contact , et de plus d'une immigration considérable de Belges germanisés , occu- pant le littoral de l'est et du sud.

Ce fut à ces derniers surtout que les Romains eurent affaire ^ tant pour la guerre que pour la paix. A côté de ces tribus d'origine étrangère vinrent se placer de très bonne heure, s'ils n'y étaient pas déjà lors de l'arrivée de César, des Ger- mains plus purs, appelés par les documents gallois Corita- niens (1). A dater de ce moment, les invasions et les immigra- ' tions partielles des groupes teutoniques ne cessèrent plus jus- qu'à l'an 449, date ordinairement, bien qu'abusivement, assignée aux débuts de la période anglo-saxonne. Sous Probus , le gou- vernement impérial colonisa dans Tile beaucoup de Vandales; quelque temps après , il y amena des Quades et des Marcom- mans (2). Honorius établit dans les cantons du nord plus de quarante cohortes de barbares qui amenèrent avec eux femmes et enfants. Ensuite des Tungres, en nombre considérable, re- çurent encore des terres. Toutes ces accessions furent assez importantes pour couvrir d'une population nouvelle la côte de l'ouest, et nécessiter la création d'un fonctionnaire spécial qui, dans la hiérarchie romaine de Tile, portait le titre de loréfet de la côte saxonne. Ce titre démontre que , longtemps avant qu'il fût question des deux frères héroïques Hengest et

(1) Kemble, die Sachsen in England, ûbers. von Chr. Brandes, Leip- zig, in-S", 1853, t. I, p. 7. Ptolémée appelle ceUe population Kopiavoi (il, 3). Elle habitait les comtés actuels de Lincoln, Leicesterr Rutland , Northampton , Nottingham et Derby. Voir aussi Dieffen- bacli, Celtica I.

(2) Kemble, ouvr. cité, p. 9.

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Horsa , nombre d'hommes de leur nation vivaient déjà en Angleterre (1).

Ainsi la population bretonne se trouvait très anciennement affectée par des immixtions germaniques. Il est peu douteux que les tribus les moins bien douées, celles qui occupaient les provinces du centre, furent graduellement obligées de se con- fondre avec les masses environnantes, ou de se retirer au fond des montagnes du nord, ou enfin d'émigrer dans Tile d'Irlande, qui devint ainsi le dernier asile des Celtes purs , si toutefois il en restait de tels.

Bientôt la population romaine était devenue à son tour im- portante. Lors de la révolte de Boadicée , soixante-dix mille Romains et alliés avaient été égorgés par les rebelles dans les trois seuls cantons de Londres , de Vérulam et de Colchester. Les causes qui avaient amené ces méridionaux dans la Grande- Bretagne continuant toujours d'agir, de nouveaux venus com- blèrent bientôt les vides produits par l'insurrection, et le nom- bre des Romains insulaires continua à suivre une progression ascendante.

Au siècle, Marcien compte dans le pays cinquante-neuf villes de premier rang (2). Beaucoup n'étaient peuplées que de Romains, expression qu'il ne faut pas entendre dans ce sens que ces habitants n'avaient dans les veines que du sang d'ou-

(1) Paisgrave, the Rise and Progress of the English Commonwealth , t. I, p. 355.

(2) Palsgrave, ouvr. cité, i. I, p. 237. Beaucoup de ces villes n'étaient peuplées que de colons romains. On sait ce qu'il faut entendre par cette dénomination au point de vue ethnique. César a dit deux choses contradictoires sur les villes de la Grande-Bretagne. Dans un passage, il déclare qu'elles ne sont que des camps palissades. Dans^ un autre (V, 12), il décrit « creberrima œdificia fere gallicis consimilia. » Il veut dire que les Bretons de l'intérieur, les plus grossiers, n'a- vaient que des retraites dans les bois, mais que les Belges germa- nisés venus de la Gaule avaient des villes comme leurs frères du con- tinent. Il n'est pas douteux, en effet, qu'ils n'aient conserver celte coutume, puisqu'ils frappaient monnaie d'après les types belgiques, et que d'ailleurs, quarante ans après l'occupation romaine, sous Agricola, il y avait, au calcul de Ptolémée, cinquante-six villes dans le pays. C'étaient évidemment, pour la plupart, des cités nationales.

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tre-mer, mais dans celui-ci , que tous, d'origine bretonne ou étrangère, suivaient et pratiquaient la coutume romaine, obéis- saient aux lois impériales, construisaient en abondance ces monuments, aqueducs, théâtres, arcs de triomphe, que l'on admirait encore auxiv^ siècle (1), bref, donnaient à tout le pays plat une apparence très analogue à celle des provinces de la Gaule.

Toutefois une grande différence subsistait. Les habitants de la Grande-Bretagne témoignaient d'une exubérance d'énergie politique tout à fait supérieure à celle de leurs voisins du con- tinent, tout à fait disproportionnée à retendue de leur propre territoire, et en contradiction manifeste avec leur situation to- pographique qui, les rejetant sur le flanc de l'empire, semblait leur interdire l'espérance de pouvoir peser sur ses destinées. Mais ici s'offre encore une preuve manifeste du peu d'action qu'exerce la question géographique sur la puissance d'un pays. Les demi-Germains de la Grande-Bretagne furent les plus grands fabricateurs d'empereurs, reconnus ou refusés, qu'il y eut jamais dans le monde romain. Ce fut chez eux et avec leur concours que s'élaborèrent presque constamment les grandes trames ambitieuses. Ce fut de leur rivage et avec leurs cohortes que partirent presque par bandes les dominateurs de la roma- nité, et, trouvant encore cette gloire insuffisante, ils osèrent entreprendre la tâche dans laquelle leurs voisins les Gaulois avaient tant de fois échoué : ils prétendirent se donner des dynasties particulières, et ils y réussirent. Depuis Carausius, ils ne tinrent plus que faiblement au grand corps romain (2) 5 ils formèrent à part un centre poUtique orgueilleusement cons- titué sur le modèle et avec tous les insignes de la mère patrie, lisse signalaient déjà dans leurs brouillards par cette auréole de

(1) Palsgrave , ouvr. cité, t. I, p. 323. Tacite , fort sévère pour les €aulois à cause de la facilité avec laquelle ils s'étaient laissés aller à la corruption romaine, ne l'est pas moins pour les Bretons de la grande île à ce même point de vue. Ils avaient adopté dans leurs villes toute l'organisation municipale de l'empire. (Palsgrave, ouvr. cité y t. I, p. 349.)

(2) Palsgrave , ouvr. cité^ t. I, p. 37o.

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liberté sévère et quelque peu égoïste qui fait encore la gloire de leurs neveux.

Je ne nommerai pas les empereurs britto-romains Allec- tus (1), Magnentius, Valentinius, Maxime, Constantin, avec qui Honorius fut contraint de pactiser; je ne dirai rien de ce Marcus qui, de nom comme de fait, établit pour toujours l'iso- lement de son pays (2). J'ai voulu montrer seulement à quelle antiquité remonte ce titre d'impérial donné par les Anglais mo- dernes à leur État et à leur parlement. Les formes romaines pré- valurent dans l'île pendant quatre cent cinquante ans à peu près. Cette période révolue, commencèrent les guerres civiles entre les Britto-Romains germanisés et les Saxons plus purs déjà établis depuis longues années sur plusieurs points du pays, mais qui, poussés et renforcés par des essaims de compatriotes accourus du continent, d'où les chassaient les agressions des Slaves, prétendirent tout à coup à la possession entière de l'île. Les historiens nous ont montré souvent ces fils des Scandina- ves, ces Sakai-Suna, ou fils des Sakas, arrivant de la pointe de la Chersonèse cimbrique et des îles voisines montés sur des barques cuir. Ils ont vu dans ce mode de navigation une preuve de la plus grande barbarie , et se sont trompés. Au v^ siècle, les hommes du Nord possédaient de grands vaisseaux- ^ur la Baltique. Ils étaient habitués depuis longtemps à voir naviguer dans leurs mers les galères romaines , et Tétonnante expédition des Franks qui de la mer Noire étaient revenus dans la Frise , montés sur des navires enlevés à la flotte im- périale, aurait suffi, s'il en avait été besoin, pour leur appren- dre à construire des bâtiments de cette espèce ; mais ils n'en voulaient pas. Des embarcations tirant très peu d'eau, et pouvant être facilement transportées à bras, convenaient mieux à ces hommes intrépides pour passer de la mer dans les fleu-

(1) AUectus souUnt sa puissance absolument comme les vrais em- pereurs soutenaient la leur. II colonisa dans son île un grand nom- bre de Franks et de Saxons. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 377.)

(2) Ce Marcus fut élu empereur avec la tâche spéciale de résister aux invasions saxonnes. On était alors en 407. (Palsgrave , ouvr. citéf t. I, p. 386.)

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ves, des fleuves dans les plus petites rivières; ils pouvaient remonter de la sorte jusqu'au cœur des provinces, ce qui leur aurait été fort difficile avec de grands navires, et c'est ainsi qu'ils achevèrent la conquête dans la mesure qui leur fut utile. Alors recommença la fusion des races , et le conflit des insti- tutions (1).

La population britto-romaine, infiniment plus énergique que les Gallo-Romains à cause de son origine en grande partie ger- manique , maintint en face de ses vainqueurs une situation beaucoup plusfière et beaucoup meilleure (2). Une partie resta presque indépendante, sauf le vasselage ; une autre, faisant de ses municipalités des espèces de républiques , se borna à une reconnaissance pure et simple du haut domaine saxon et au payement d'un tribut (3). Le reste tomba, à la vérité, dans la situation subordonnée du iail , du ceorl , suivant les dialectes des nouveaux maîtres ; mais il fut soutenu et relevé par les lois mêmes de ceux-ci, et l'accession à la propriété foncière, le port des armes, le droit de commandation, ou de choisir son chef, lui restèrent acquis. La population britto-romaine put donc arriver ou prévoir qu'elle arriverait au rang des nobles, des iarls, des ceorls.

Le même sentiment qui portait les rois franks à s'entourer de préférence de leudes gaulois engageait également les prin- ces de l'Heptarchie à recruter leurs bandes domestiques parmi les Britto-Romains. Ceux-ci revêtirent donc de très bonne heure des emplois importants à la cour de ces monarques, fils

(1) Prosper d'Aquitaine fixe à l'an 441 la conquête définitive par les Anglo-saxons. Cette prise de possession se distingue de celle de la Gaule par les Franks en deux manières : d'abord , les Saxons ne re- çurent pas d'investiture impériale et n'avaient pas à en recevoir, puis- que la Grande-Bretagne formait un pays tout à fait indépendant; ensuite, comme conséquence de ce premier fait, leurs chefs n'eurent jamais l'idée de solliciter les titres de patrices et de consuls, puisqu'ils n'avaient pas à jouer le personnage de magistrats romains.

(2) Les Bretons, dans leurs batailles contre les Saxons, usaient de la tactique romaine. (Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 404.)

(3) Kemble, Die Sachsen in England, t. Il, pp. 231 et seqq. 249, 254.

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des Ases (1). Ils leur enseignèrent les lois romaines (2) ; ils leur en firent apprécier les avantages gouvernementaux , ils les ini- tièrent à des idées de domination que les guerriers anglo-saxons n'auraient certainement pas contribué à répandre. Mais, et en ceci les conseillers britto-germains différaient essentiellement des leudes gaulois ou mérowings , ils ne sauvèrent pas de la destruction l'extérieur des mœurs romaines , attendu qu'eux- mêmes ne l'avaient jamais qu'assez imparfaitement possédé, et ils ne déposèrent pas dans l'administration le germe de la féo- dalité, parce que leur pays n'avait été que très passagèrement affecté par le régime des lois bénéficiales (3). L'Angleterre se trouvait donc mise à part, dès le siècle, du mode d'existence qui allait prévaloir dans tout le reste de l'Europe.

Ce que les ceorls britto -romains inspirèrent très bien aux descendants de Wodan et de Thor , ce fut l'envie de recueillir la succession entière des empereurs nationaux. On voit avec quelque étonnement les princes anglo-saxons les plus habiles, les plus forts , s'entourer des marques romaines de la souve- raine puissance, frapper des médailles au type de la louve et des jumeaux, approprier les lois romaines à l'usage de leurs sujets, se plaire à entretenir avec la cour de Constantinople des rapports d'intimité, et revêtir un double titre , celui de bret- walda, vis-à-vis de leurs sujets anglo-saxons et bretons, celui de basUeus, dans leurs documents écrits en langue latine (4). Ce terme de basileus, auquel les rois franks, wisigoths, lom- bards, n'osèrent jamais prétendre, donnait une situation de

(1) Dans les documents anglo-saxons les plus anciens, on voit figurer, parmi les dignitaires, un grand nombre de noms bretons. (Kemble, ouvr. cité, t. I, p. 17.)

(2) Eux-mêmes tenaient celte science de la meilleure source, puis- que Papinien avait été chef de l'administration de l'île. (Palsgrave, 1. 1, p. 322.)

(3) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 495 et seqq.

(4) Palsgrave, ouvr. cité, 1. 1, p. 420, 488, 563. Le titre de bretwalda entraînait la domination, au moins nominale, sur les nations breton- nes indépendantes de l'île. Plusieurs de ces nations, comme celle de la Cornouailles , par exemple , avaient au siècle une noblesse d'ori- gine germanique. (Palsgrave, 1. 1, p. 4H.)

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grandeur et d'indépendance toute particulière aux souverains qui le portaient. Dans l'île, comme sur le continent, on en comprenait parfaitement la portée, car, lorsque Charlemagne eut pris la succession de Constantin V, il se qualifia très bien^ dans une lettre à E§bert, d'empereur des chrétiens orientaux^ et salua son correspondant du titre d'empereur des chrétiens occidentaux (1).

Les rapports de race existant entre les Britto-Romains et les tribus germaniques venues du Jutland (2) servaient puis- samment à amener entre elles le compromis qui se fondait né- cessairement, du côté des vaincus, sur l'abandon de la plupart des importations du sud, sur l'acceptation des idées germani- ques, et, du côté des vainqueurs, sur certaines concessions à faire aux nécessités d'une administration plus sévère et plus fortement constituée que celle dont ils s'étaient fait gloire jus- qu'alors de porter le joug facile (3). On vit s'établir des institu- tions tenant encore de très près à l'origine Scandinave. La tenure des terres dans la forme de Fodel et du féod, l'usage des droits politiques basé exclusivement sur la possession territoriale, le goût de la vie agricole, l'abandon graduel de la plupart des villes (4), l'accroissement du nombre des villages, surtout des

(1) Guillaume le Conquérant porta encore le titre de basileus. Il sem- blerait qu'il fût le dernier souverain anglais qui en ait fait usage. (Pal?grave, ouvr. cité, t. I, p. cccxliij.)

(2) Le titre d' Anglo-Saxons, appliqué aux conquérants de l'Angle- terre d'une certaine époque, n'implique pas l'idée que tous ces hommes^ fussent d'une seule nation. Ils avaient parmi eux des W^arègues , des Juthungs, des Saxons de Thuringe, etc. (Kemble, ouvr. cité, t. I, p. 50 et Anfiang. A.) L'inspection des noms de lieux en Angleterre montre également que, de même que dans l'Europe occidentale, les tribus les plus diverses composaient de leurs contingents les armées de l'invasion.

(3) Palsgrave insiste avec beaucoup de sagacité sur les rapports d'ori- gine qui existèrent à toutes les époques entre les diverses couches des habitants de l'Angleterre, et il en tire les conséquences. {Ouvr^ cité, 1. 1, p. 35.)

i^) Kemble, Die Sachsen in England, t. II, p. 259 et seqq. Il arriva pour les villes bretonnes de l'Angleterre ce qui avait eu lieu pour les cités celtiques de la Germanie. Elles n'étaient pas assez riches-

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métairies isolées, le maintien solide des franchises de l'homme libre , l'influence soutenue des conseils représentatifs , ce furent autant de traits par lesquels l'esprit arian se donna à recon- naître et témoigna de sa persistance , tandis que des phénomè- nes d'une nature tout opposée, l'augmentation du nombre des villes, l'indifférence croissante pour la participation aux affaires générales , la diminution du nombre des hommes abso- lument libres marquaient sur le continent les progrès d'un or- dre d'idées d'une tout autre nature.

Il n'est pas étonnant que l'aspect assez digne du ceoïl an- glo-saxon, qui fut plus tard le yeoman, ait plu à la pensée de plusieurs historiens modernes , heureux de le voir libre dans sa vie rustique à une époque ses analogues du continent, le karl, Fariman, le bonus àomo, avaient contracté des obliga- tions souvent fort dures et perdu presque toute ressemblance avec lui. Mais, en se plaçant au point de vue de ces écrivains, il faut, pour être tout à jfait juste, considérer aussi ce qui doit constituer pour eux le mauvais côté de la question. L'organi- sation des classes moyennes, sous les rois saxons comme sous les premiers dynastes normands, n'étant que le résultat d'un concours de circonstances ethniques parachevé , ne prêtait à aucune espèce de perfectionnement (1). La société anglaise d'a- lors, avec ses avantages, avec ses inconvénients, présentait un tout complet qui n'était susceptible que de décadence. L'existence individuelle n'y était ni sans noblesse ni sans ri- chesse incontestablement; mais l'absence presque totale de l'é- lément romanisé la laissait sans éclat et l'éloignait de ce que nous appelons notre civilisation. A mesure que les alliages di- vers de la population se fondaient davantage, les éléments

ni assez fortement constituées pour résister à l'influence hostile du milieu elles se trouvaient placées. Peu à peu leurs institutions romaines se germanisèrent, et dès lors la vie agricole, les envahis- sant, tendit à dissoudre leurs bourgeoisies, ou du moins à les trans- former.

(1) Et elle n'était pas très relevée. Les gens de la suite du roi, et que l'on nommait en Gaule, sous les Mérowings, les antrustions, n'é- taient pas autorisés à posséder des alods. Leurs armes même devaient, à leur mort revenir au chef. (Kemble, ouvr. cité, t. l. p. 149.)

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celtiques, très imbus d'essence finnoise, demeurés dans le fond breton, ceux que l'immigration anglo-saxonne avait jetés dans les masses, ceux que les invasions danoises apportaient en- core, tendaient à envahir les éléments germaniques, et il ne faut pas oublier que, quelque abondants que fussent ceux-là, ils diminuaient beaucoup de leur énergie en continuant de se combiner avec une esseace hétérogène. Du même coup leur fraîcheur s'en allait avec leurs qualités héroïques, absolument comme un fruit qui passe de main en main perd sa fleur et se flétrit tout en conservant sa pulpe. De le spectacle que présenta l'Angleterre à l'Europe du xi' siècle. A côté de re- marquables mérites politiques une honteuse pauvreté dans le domaine de l'intelligence; des instincts utilitaires extrêmement développés et qui avaient déjà accumulé dans l'île des riches- ses extraordinaires, mais nulle délicatesse, nulle élégance dans les mœurs; des ceoris, plus heureux que les manants français, successeurs des boni homini ;maiis l'esclavage complet et î'es- clavage assez dur, ce qui n'existait presque plus ailleurs (1). Un clergé que l'ignorance et des mœurs basses et ignoblement sensuelles menaient lentement à l'hérésie ou, pour le moins, au schisme ; des souverains qui , ayant continué à gouverner un grand royaume comme jadis ils avaient fait leur odel et leur truste, avaient conservé, sans la déléguer, l'administra- tion de la justice, et se faisaient payer la concession de leur sceau par une prévarication qui se trouvait être légale (2) ; en- fin Textinction de toutes les grandes races pures, et l'avène- ment au trône du fils d'un paysan, c'étaient là, au temps de la

(1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, pp. 21, 30. Kemble, Die Sachsen in England, t. I, p. 150 et seqq. Au temps de la conquête normande, les Anglo-Saxons en étaient encore à la première phase du servage, dépassée en France depuis les derniers Mérowings. Le traell Scan- dinave s'appelait dans la Grande-Bretagne lazzus et laet, dio et théow , enfin wealh. Les deux premiers noms indiquent la descendance slave des premiers esclaves, probablement amenés de la Germanie; le der- nier indique les Bretons. (T. I, pp. 150, 151, 172 et seqq.)

(2) Palsgrave, ouvr. cité, 1. 1, p. 651. Ce fait doit servir de commen- taire, en quelque sorte justificatif, à certaines formes d'exactions de Guillaume le Roux et de Jean sans Terre. Ces souverains ne faisaient qu'appliquer de vieux usages anglo-saxons.

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conquête normande , des ombres peu favorables dont le tableau était notablement enlaidi.

L'Angleterre eut ce bonheur qye l'avènement de Guillaume, sans lui rien ôter de ce qu'elle avait d'organiquement bon (1) , lui apporta, sous la forme d'une invasion gallo-scandinave, un nombre restreint d'éléments romanisés. Ceux-ci ne réagirent pas d'une manière ruineuse contre la prépondérance du tond teutonique; ils ne lui enlevèrent pas son génie utilitaire, son esprit politique, mais ils lui infusèrent ce qui lui avait man- qué jusqu'alors pour s'associer plus intimement à la croissance de. la civilisation nouvelle. Avec le duc de Normandie arrivè- rent des Bretons francisés, des Angevins, des Manceaux , des Bourguignons , des hommes de toutes les parties de la Gaule. Ce furent autant de liens qui rattachèrent l'Angleterre au mou- vement général du continent et qui la tirèrent de Tisolement le caractère de sa combinaison ethnique la renfermait, puisqu'elle était restée par trop celto-saxonne dans un temps le reste du monde européen tendait à se dépouiller de la nature germanique.

(1) Palsgrave, ouvr. cité, t. I, p. 653. Cette déclaration d'un des publicistes les plus érudits de l'Angleterre est certainement digne d'être enregistrée. Elle se fonde, en lait, sur des considérations dé- cisives. Guillaume ne toucha pas à l'organisation représentative; il ne rabolit pas ; en 1070, il convoqua lui-même un parlement, witanegemot, figurèrent les Saxons, d'après la règle légale. Dans le procès contre le comte normand Odon et l'archevêque Lanfranc de Canterbury, ce fut un tribunal saxon qui jugea la cause, à Pennenden Heath, sous la direction d'un witan anglais, versé dans la connaissance des lois, et d'Egilrik, évêque de Chicester. Enfin la ville d'Exeter déclara à Guil- laume qu'en vertu de ses droits, elle lui payerait le tribut, gafol, montant à dix-huit livres d'argent, et que, pour subsides de guerre, elle lui donnerait encore la somme des terrains imputable par la loi sur chaque terme de cinq hydes de terre; qu'elle ne se refusait pas non plus à acquitter les rentes des marais appartenant au domaine royal, mais que les bourgeois ne lui devaient pas le serment d'hom- mage, qu'ils n'étaient pas ses vassaux, et quils n'étaient pas astreints à le laisser entrer dans leurs murs. Ces privilèges, qu'Exeter avait en commun avec Winchester, Londres, York et d'autres villes, ne furent pas abrogés par la conquête normande. (Palsgrave, 0Mrr.a7e, t. I, p. 631.)

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Les Plantagenets et les Tudors continuèrent cette marche civilisatrice en en propageant les causes d'impulsion. De leur temps, l'importation de l'essejice romanisée n'eut pas lieu dans des proportions dangereuses; elle n'atteignit pas au vif les couches infériem-es de la nation ; elle agit principalement sur les supérieures, qui partout sont soumises, et le furent comme ailleurs, à des agents incessants d'étiolement et de dis- parition. Il en est de l'infiltration d'une race civilisée, bien que corrompue, au milieu des masses énergiques , mais gros- sières, comme de l'emploi des poisons à faible dose dans la médecine. Le résultat ne saurait en être que salutaire. De sorte que l'Angleterre se perfectionna lentement, épura ses mœurs, polit quelque peu ses surfaces , se rapprocha de la communauté continentale, et, en même temps, comme elle continuait à ester surtout germanique , elle ne donna jamais à la féodalité la direction servile qui lui fut imprimée chez ses voisins (1); elle ne permit pas au pouvoir royal de dépasser certaines li- mites fixées par les instincts nationaux ; elle organisa les cor- porations municipales sur un plan qui ressembla peu aux mo- dèles romains ; elle ne cessa pas de rendre sa noblesse accessi- ble aux classes inférieures , et surtout elle n'attacha guère les^ privilèges du rang qu'à la possession de la terre. D'un autre côté , elle revint bientôt à se montrer peu sensible aux con- naissances intellectuelles ; elle trahit toujours un dédain mar- qué pour ce qui n'est pas d'usage en quelque sorte matériel, et s'occupa très peu, au grand scandale des Italiens , de la culture des arts d'agrément (2).

(1) Palsgra ve , owt;r. cité, 1. 1, p. vi ; « Allen, with profound érudition,, « has shown how much of our monarchical theory is derived, not « from the ancient Germans but from the government of the Empire. Cette théorie monarchique ne se développa jamais fortement, et resta toujours exotique et traitée comme telle par l'instinct national,, tandis que sur le continent elle acquit à la fin le plein indigénat, et étouffa ce qui lui faisait résistance. En somme, les droits des rois anglais ont toujours vacillé entre les différentes nations des Romains,, des Bretons et des nations germaniques, mais avec prépondérance de ces derniers. (Palsgrave, t. I, p. 627.)

(2) Sharon Turner, History of the Anglo-Saxons, t. ÏII, p. 389 ; « The-

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Dans l'ensemble de l'histoire humaine , il y a peu de situa- tions analogues à celle des populations de la Grande-Bretagne depuis le siècle jusqu'à nos jours. On a vu ailleurs des mas- ses arianes ou arianisées apporter leur énergie au milieu des multitudes de composition différente et les douer de puissance en même temps qu'elles en recevaient une culture déjà grande, que leur génie se chargeait de développer dans un sens nou- veau ; mais on n'a pas contemplé ces natures d'élite , concen- trées en nombre supérieur sur un territoire étroit et ne recevant les immixtions de races plus perfectionnées par l'ex- périence , bien que subalternes par le rang , que suivant des quantités tout à fait médiocres. C'est à cette circonstance ex- <îeptionnelle que les Anglais ont dû, avec la lenteur de leur •évolution sociale, la solidité de leur empire; il n'a certes pas été le plus brillant, ni le plus humain, ni le plus noble des États européens, mais il en est encore le plus vigoureux.

Cette marche circonspecte et si profitable s'accéléra cepen- dant à dater de la fin du xvii® siècle.

Le résultat des guerres religieuses de France avait apporté dans le Royaume-Uni une nouvelle affluence d'éléments fran- çais. Cette fois ils n'osèrent plus rentrer dans les classes aris- tocratiques; TefFet de relations commerciales, qui partout al- lait croissant , en jeta une forte proportion au sein des masses plébéiennes, et le sang anglo-saxon fut sérieusement entamé. La naissance de la grande industrie vint encore accroître ce mouvement en appelant sur le sol national des ouvriers de toutes races non germaniques, des Irlandais en foule, des Ita- liens , des Allemands slavisés ou appartenant à des populations fortement marquées du cachet celtique.

Alors les Anglais purent réellement se sentir entraînés dans la sphère des nations romanisées. Ils cessèrent d'occuper, aussi imperturbablement, ce médium qui auparavant les tenait

« anglo-saxon nation... did not altain a gênerai or striking eminence « is littérature. But society wants other blessings besides thèse. The « agencies that afifected our ancestry took a différent course. They « impelled them towards that of political melioration, the great foun- tain of human improvement. »

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autant rapprochés pour le moins du, groupe Scandinave que des nations méridionales , et qui , dans le moyen âge , les avait fait sympathiser surtout avec les Flamands et les Hollandais ^ leurs pareils sous beaucoup de rapports. A dater de ce mo- ment, la France fut mieux comprise par eux. Ils devinrent plus littéraires dans le sens artiste du mot. Ils connurent l'at- trait pour les. études classiques; ils les acceptèrent comme on le faisait de l'autre côté du détroit; ils prirent le goût des sta- tues , des tableaux , de la musique , et , bien que des esprits depuis longtemps initiés , et doués , par l'habitude , d'une dé- licatesse plus exigeante , les accusassent d'y porter encore une sorte de rudesse et de barbarie, ils surent recueillir, dans ce^ genre de travaux , une gloire que leurs ancêtres n'avaient ni connue ni enviée.

L'immigration continentale continua et s'agrandit. La ré-^ vocation de Fédit de Nantes envoya de nombreux habitants de nos provinces méridionales rejoindre dans les villes britanni- ques la postérité des anciens réfugiés (1). La révolution fran-- çaise ne fut pas moins influente , ni dans ce triste sens moins généreuse, et, sans parler de ce courant tout récemment formé qui transporte maintenant en Angleterre une partie de la po- pulation de rirlande, les autres apports ethniques se multi- pliant sans relâche , les instincts opposés au sentiment germa- nique ont indéfiniment continué à abonder au sein d'une société qui, jadis si compacte, si logique, si forte, si peu lit- téraire, n'aurait pas pu naguère assister sans horreur à la» naissance de Byron (2).

La transformation est bien sensible ; elle marche d'un pas sûr et se trahit -de mille manières. Le système des lois anglaises

(1) Les recherches de M. Weill ont établi que plus de,cent mille pro- testants français ont trouvé, à différentes époques, un refuge en An- gleterre.

(2) If

Of the great poet-rire of Italy - 1 dare to build the imitation rhyme Harsh runic copy of the soutii's sublime. (Byron, Dedication of the Prophecy of Dante.)

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a perdu de sa solidité; des réformateurs ne sont pas loin, et les Pandectes sont leur idéal. L'aristocratie trouve des adver- saires; la démocratie , jadis inconnue, proclame des prét«n- 4;ions qui n'ont pas été inventées sur le sol anglo-saxon. Les innovations qui trouvent faveur, les idées qui germent, les forces dissolvantes qui s'organisent, tout révèle la présence d'une cause de transformation apportée du continent. L'An- :gleterre est en marche pour entrer à son tour dans le milieu de la romanité.

CHAPITRE VL

Derniers développements de la société germano-romaine.

Rentrons dans l'empire de Charlemagne , puisque c'est , de toute nécessité , que la civilisation moderne doit naître. Les Germains non romanisés de la Scandinavie , du nord de TAl- lemagne et des îles Britanniques ont perdu, par le frottement, la naïveté de leur essence; leur vigueur est désormais sans souplesse. Ils sont trop pauvres d'idées pour obtenir une grande fécondité ni surtout une grande variété de résultats. Les pays slaves à ce même inconvénient ajoutent l'humilité des aptitudes , et cette cause d'incapacité se montrera si forte que , lorsque certains d'entre eux se trouveront en rapports étroits avec la romanité orientale, avec l'empire grec, rien ne sortira de cet hymen. Je me trompe ; il en sortira des combi- naisons plus misérables encore que le compromis byzantin.

C'est donc au sein des provinces de l'empire d'Occident qull faut se transporter pour assister à l'avènement de notre forme sociale. La juxtaposition de la barbarie et de la romanité n'y existe plus d'une manière accusée ; ces deux éléments de la vie future du monde ont commencé à se pénétrer, et, comme pour rendre plus rapide l'achèvement de la tâche, le travail

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s'est subdivisé ; il a cessé de se faire en commun sur toute l'é- tendue du territoire impérial. Des amalgames rudimentaires^ se sont empressés de se détacher partout de la grande masse; ils s'enferment dans des limites incertaines, ils imaginent des nationalités approximatives ; la grande agglomération se fend de toutes parts ; la fusion dénature les éléments divers qui bouillonnent dans son sein.

Est-ce un spect-acle nouveau pour le lecteur de ce livre ? En aucune façon ; mais c'est un spectacle plus complet de ce qui lui fut déjà montré. L'immersion des races fortes au sein des sociétés antiques s'est opérée à des époques tellement loin- taines et dans des régions si éloignées des nôtres , que nous n'en suivons les phases qu'avec difficulté. A peine quelquefois en pouvons-nous saisir plus que les catastrophes finales à de telles distances et de temps et de lieux , multipliées par les grands contrastes d'habitudes intellectuelles existant entre nous et les autres groupes. L'histoire , que soutient mal une chronologie imparfaite , et que souvent déguisent des formes mythiques, l'histoire, qui, dénaturée par des traducteurs in- termédiaires aussi étrangers à la nation mise en jeu qu'à nous- mêmes, rhistoire, dis-je, reproduit bien moins les faits que leurs images. Encore ces images nous arrivent-elles par une succession de miroirs réfracteurs dont il est quelquefois diffi-^ cile de rectifier les raccourcis.

Mais lorsqu'il s'agit de la civilisation qui nous touche, quelle différence ! Ce sont nos pères qui racontent , et qui racontent comme nous le ferions nous-mêmes. Pour lire leurs récits , nous nous asseyons à la place même ils écrivirent; nous n'avons qu'à lever les yeux , et nous contemplons le théâtre entier des événements qu'ils ont décrits. Il nous est d'autant plus facile de bien comprendre ce qu'ils nous disent et de de- viner ce qu'ils nous taisent, que nous sommes nous-mêmes^ les résultats de leurs œuvres ; et, si nous éprouvons un embarras à nous rendre un compte exact et vrai de l'ensemble de leur action , à en suivre les développements , à en éprouver la logi- que, à en démêler exactement les conséquences, bien loin que nous en puissions accuser la pénurie des renseignements y.

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c'est au contraire à l'opulence embarrassante des détails que notre débilité doit s'en prendre. Nous restons comme accablés sous le monceau des faits. Notre œil les distingue, les sépare, les pénètre avec une peine extrême, parce qu'ils sont trop nombreux et trop touffus , et c'est en nous efforçant de les classer que nos principales erreurs se commettent et nous fourvoient.

Nous sommes si directement en jeu dans les souffrances ou les joies , dans les gloires ou les humiliations de ce passé pa- ternel, que nous avons peine à conserver en l'étudiant cette froide impassibilité sans laquelle il n'y a cependant pas de jus- tesse de coup d'œil. En retrouvant dans les capitulaires car- lovingiens, dans les chartes de l'âge féodal, dans les ordon- nances de l'époque administrative , les premières traces de tous ces principes qui aujourd'hui excitent notre admiration ou soulèvent notre haine , nous ne savons pas le plus souvent contenir l'explosion de notre personnalité.

Ce n'est cependant pas avec des passions contemporaines , ce n'est pas avec des sympathies ou des répugnances du jour, qu'il convient d'aborder une pareille étude. Bien qu'il ne soit pas défendu de se réjouh- ou de s'attrister des tableaux qu'elle présente , bien que le sort des hommes d'autrefois ne doive pas laisser insensibles les hommes d'aujourd'hui, il faut ce- pendant savoir subordonner ces tressaillements du cœur à la recherche plus noble et plus auguste de la pure réalité. En imposant silence à ses prédilections, on n'est que juste, et partant plus humain. Ce n'est pas seulement une classe, ce ne sont plus quelques noms qui dès lors intéressent, c'est la foule entière des morts -, ainsi cette impartiale pitié que tous ceux qui vivent, que tous ceux qui vivront ont le droit d'ex- citer, s^attache aux actes de ceux qui ne sont plus , soit qu'ils aient porté la couronne des rois, le casque des nobles, le chaperon des bourgeois ou le bonnet des prolétaires. Pour arriver à cette sérénité de vue , il n'est d'autre moyen que de se refroidir en parlant de nos pères au même degré que nous le sommes en jugeant les civilisations moins directement pa- rentes. Alors ces aîeux ne nous apparaissent plus, et c'est déjà

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fixer la vraie mesure des choses, que comme les représentants d'une agglomération d'hommes qui a subi précisément Faction des mêmes lois et qui a parcouru les mêmes phases auxquelles nous avons vu assujetties les autres grandes sociétés aujour- d'hui mortes ou mourantes.

D'après tous les principes exposés et observés dans ce livre, la civilisation nouvelle doit se développer d'abord , dans ses premières formes, sur les points la fusion de la barbarie et de la romanité possédera, du côté de la première, les éléments les plus chargés de principes hellénistiques , puisque ces der- niers renferment l'essence de la civilisation impériale. En effet, trois contrées dominent moralement toutes les autres depuis le ix<^ siècle jusqu'au xiii^ : la haute Italie, les contrées moyennes du Rhin, la France septentrionale.

Dans la haute Italie, le sang lombard se trouve avoir gardé une énergie réveillée à différentes fois par des immigrations de Franks. Cette condition remplie , la contrée possède la vi- gueur nécessaire pour bien servir les destinées ultérieures. D'autre part, la population indigène est chargée d'éléments hellénistiques autant qu'on peut le désirer, et , comme elle est fort nombreuse comparativement à la colonisation barbare, la fusion va promptement l'amener à la prépondérance. Le système communal romain se maintient, se développe avec rapidité. Les villes, Milan, Venise, Florence à leur tête, prennent une importance que, de longtemps encore, les cités n'auront pas ailleurs. Leurs constitutions affectent quelque chose des exi- gences de l'absolutisme propre aux républiques de l'antiquité. L'autorité militaire s'affaiblit-, la royauté germanique n'est qu'un voile transparent et fragile jeté sur le tout. Dès le xii^ siècle, la noblesse féodale est presque totalement anéan- tie, elle ne subsiste guère qu'à l'état de tyrannie locale et ro- manisée; la bourgeoisie lui substitue, dans tous les lieux elle domine, uii patriciat à la manière antique; le droit im- périal renaît, les sciences de l'esprit reparaissent; le commerce est respecté; un éclat, une splendeur inconnue rayonne autour de la ligue lombarde. Mais il ne faut pas le méconnaître : le sang teutonique, instinctivement détesté et poursuivi dans tou-

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tes ces populations qui se ruent avec fureur vers le retour à la ronianité, est précisément ce qui Ipur donne leur sève et les anime. Il perd chaque jour du terrain; mais il existe, et l'on en peut voir la preuve dans la longue obstination avec laquelle le droit individuel se «laintient, même parmi les hommes d'é- glise, sur ce sol qui si avidement cherche à absorber ses régé- nérateurs (1).

De nombreux États se modèlent de leur mieux, bien qu'avec des nuances innombrables, d'après le prototype lombard. Les provinces mal réunies du royaume de Bourgogne, la Provence, puis le Languedoc, la Suisse méridionale, lui ressemblent sans avoir son éclat. Généralement l'élément barbare est trop affai- bli dans ces contrées pour prêter autant de forces à la roma- nité (2). Dans le centre et dans le sud de la Péninsule, il «st presque absent; aussi n'y voit-on que des agitations sans ré- sultat et des convulsions san^ grandeur. Sur ces territoires, les invasions teutoniques, n'ayant été que passagères, n'ont pro- duit que des résultats incomplets, n'ont agi que dans un sens dissolvant. Le désordre ethnique n'en est devenu que plus considérable. De nombreux retours des Grecs et les colonisa- tions sarrasines n'ont pas été de nature à y porter remède. Un moment, la domination normande a donné une valeur

(1) Sismondï, Histoire des républiques italiennes. Cet auteur, com- plètement inattenlif aux questions de races, donne avec une exactitude qui n'en est que plus frappante une foule d'indications ethniques dans le sens indiqué ici. Mais ce qu'on peut lire de mieux à cet égard, c'est le poème d'un contemporain, le moine Gunther {Ligurinus, sive de rébus gestis imperatoris Cœsaris Friderici Primi Aug., cognomento JEnobarbi libri X, Heydelbergae, 1812, in-8«). Ce poème se trouve aussi imprimé dans des collections. Il peint avec une vérité admirable, et qui n'est ni sans grandeur ni sans beauté, l'agtagonisme violent et irréconciliable des groupes romains et barbares. Voir aussi Mu- ra tori. Script, rerum Italie.

(-2) Dans toutes ces contrées, des établissements germaniques de très faible étendue, ont conservé leur individualité jusqu'à nos jours. Ce . que sont, dans l'Ualie orientale, la république de Saint-Martin et les vu et XIII Communes, les Teutons du mont Rosa et du Valais le sont également. On trouve également des débris Scandinaves dans cer- taines parties des petits cantons.

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Inattendue à Textrémité de la Péninsule et à la Sicile. Malheu- reusement ce courant, toujours assez minime, se tarit bientôt, de sorte que son influence va se mourant, et les empereurs de la maison de Hohenstauffen en épuisent les derniers filons.

Lorsque le sang germanique eut presque achevé , au xv^ siè- cle, de se subdiviser dans les masses de la haute Italie, la contrée entra dans une phase analogue à celle que traversa la Grèce méridionale après les guerres persiques. Elle échangea sa vitalité politique contre un grand développement d'aptitudes artistiques et littéraires. Sous ce point de vue, elle atteignit à des hauteurs que l'Italie romaine, toujours courbée suç la co- pie des modèles athéniens, n'avait point atteintes. L'originalité manquant à cette devancière lui fut acquise dans une noble mesure-, mais ce triomphe fut aussi peu durable qu'il l'avait été chez les contemporains de Platon : à peine, comme pour ceux-ci, brilla-t-il une centaine d'années, et, lorsqu'il fut éteint, l'agonie de toutes les facultés recommença. Le xvii« et le xyiiie siècle n'ont rien ajouté à la gloire de Tltalie , et certes lui ont beaucoup ôté.

Sur les bords du Rhin et dans les provinces belgiques, les éléments romains étaient primés numériquement par les élé- ments germaniques. En outre , ils étaient nativement plus af- fectés par l'essence utilitaire des détritus celtiques que ne le pouvaient être les masses indigènes de l'Italie. La civilisation locale suivit la direction conforme aux causes qui la pi^odui- saient. Dans l'application qui y fut faite du droit féodal, le système impérial des bénéfices se montra peu puissant; les liens par lesquels il rattachait le possesseur de fief à la cou- ronne furent toujours très relâchés, tandis qu'au contraire les doctrines indépendantes de la législation primitivement germa- nique se maintinrent assez pour conserver longtemps aux pro- priétaires de châteaux une individualité libre qu'ils n'avaient plus ailleurs. La chevalerie du Hainaut, celle du Palatinat mé- ritèrent, jusque dans le xvi*^ siècle, d'être citées comme les plus riches, les plus indépendantes et les plus fières de l'Eu- rope. L'empereur, leur suzerain immédiat, avait peu de prise sur elles, et les princes de second ordre , beaucoup plus nom-

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hreux qu'ailleurs dans ces provinces, étaient impuissants à leur faire plier le cou. Les progrès de la romanité s'effectuaient néanmoins, parce que la romanité était trop vaste pour ne pas être irrésistible à la longue; ils amenèrent, bien que très labo- rieusement, la reconnaissance imparfaite des règles princi- pales du droit de Justinien. Alors la féodalité perdit la plupart de ses prérogatives, mais elle en conserva cependant assez pour que l'explosion révolutionnaire de 1793 trouvât plus à niveler dans ces pays que dans aucun autre. Sans ce renfort, sans ce secours étranger apporté aux éléments locaux oppo- sants, les restes de l'organisation féodale se seraient défendus longtemps encore dans les électorats de l'ouest, et ils auraient prouvé autant de solidité que sur les autres points de l'Alle- magne, oii ces dernières années seulement ont consommé leur destruction.

En face de cette noblesse si lente à succomber, la bourgeoisie fit son chef-d'œuvre en érigeant Tédifice hanséatique, combi- naison d'idées celtiques et slaves ces dernières dominaient, mais que toujours animait une somme suffisante de fermeté germanique. Couvertes de la protection impériale, on ne vit point les cités associées, impatientes de tutelle, protester à tout propos contre ce joug à la manière des villes d'Italie. Elles abandonnèrent volontiers les honneurs du haut domaine à leurs souverains, et ne surveillèrent avec jalousie que la libre admi- nistration de leurs intérêts communaux et les avantages de leur commerce. Chez elles, point de luttes intestines, point de tendances à l'absolutisme républicain, mais le prompt abandon des doctrines exagérées, qui ne se montrent dans leurs murs que comme un accident. L'amour du travail, la soif du profit, peu de passion, beaucoup de raison, un attachement fidèle à des libertés positives, voilà leur naturel. Ne méprisant ni les sciences ni les arts, s'associant d'une façon grossière mais active au goût de la noblesse pour la poésie narrative , elles avaient peu conscience de 1^ beauté, et leur intelligence essentielle- ment attachée à des conquêtes pratiques n'offre guère les côtés brillants du génie italien à ses différentes époques. Cependant Tarchitecture ogivale leur dut ses plus beaux monuments. Les

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églises et les hôtels de ville des Flandres et de rAllemagne oc- cidentale montrent encore que ce fut la forme favorite et par- ticulièrement bien comprise de Tart dans ces régions ; cette forme semble avoir correspondu directement à la nature in- time de leur génie, qui ne s'en écarta guère sans perdre son originalité.

L'influence exercée par les contrées rhénanes fut très grande sur toute l'Allemagne; elle se prolongea jusque dans l'extrême nord. C'est en elles que les royaumes Scandinaves aperçurent longtemps la nuance de civilisation méridionale qui, se rappro- chant davantage de leur essence, leur convenait le mieux. A l'est, du côté des duchés d'Autriche, la dose du sang germa- nique étant plus faible, la mesure du sang celtique moins grande, et les couches slaves et romaines tendant à exercer une action prépondérante, l'imitation se tourna de bonne heure vers l'I- talie, non toutefois sans être sensible aux exemples venus du Rhin, ni même, par ailleurs, aux suggestions slaves. Les con- trées gouvernées par la maison de Habsbourg furent essentiel- lement un terrain de transition, comme la Suisse, qui, d'une- manière moins compliquée sans doute, partageait son attention entre les modèles rhénans et ceux de la haute Itahe. Dans les anciens territoires helvètes, le point mitoyen des deux systè> mes était Zurich. Je répéterai ici, pour compléter le tableau, que, aussi longtemps que l'Angleterre demeura plus particuliè- rement germanique, après qu^elle eut à peu près absorbé les apports français de la conquête normande et avant que les im- migrations protestantes eussent commencé à la rallier à nous, ce furent les formes flamandes et hollandaises qui lui furent les plus sympathiques. Elles rattachèrent de loin ses idées à celles du groupe rhénan.

Vient maintenant le troisième centre de civilisation, qui avait son foyer à Paris. La colonisation franke avait été puis- sante aux environs de cette ville. La romanité s'y était com- posée d'éléments celtiques au moins aussi nombreux que sm- les bords du Rlim, mais beaucoup plus hellénisés, et, en somme, elle dominait l'action barbare par l'importauce de sa masse. De bonne heure , les idées germaniques reculèrent de-

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vant elle (l). Dans les plus anciens poèmes du cycle carlo- vingien , les héros teutoniques sont pour la plupart oubliés ou représentés sous des couleurs odieuses, par exemple, les che- valiers de Mayence , tandis que les paladins de l'ouest , tels que Roland , Olivier, ou même du . midi , comme Gérars de Roussillon, occupent les premières places dans l'estime géné- rale. Les traditions du Nord n'apparaissent que de plus en plus défigurées sous un habit romain.

La coutume féodale pratiquée dans cette région s'inspire de plus en plus des notions impériales, et, circonvenant avec une infatigable activité la résistance de l'esprit contraire , com- plique à l'excès l'état des personnes , déploie une richesse de restrictions , de distinctions , d'obligations dont on n'avait pas l'idée ni en Allemagne, la tenure des fiefs était plus libre, ni en Italie , elle était plus soumise à la prérogative du souverain. Il n'y eut qu'en France l'on vit le roi, su- zerain de tous , pouvoir être en même temps l'arrière-vassal d'un de ses hommes, et, comme tel, soumis théoriquement à l'obligation de le servir contre lui-même , sous peine de for- faiture.

Mais la victoire de la prérogative royale était au fond de tous ces conflits , par la raison que leur action incessante fa- vorisait l'élévation des basses classes de la population , et rui- nait l'autorité des classes chevaleresques. Tout ce qui ne possé- dait pas de droits personnels ou territoriaux était en droit d'en acquérir, et', au rebours , tout ce qui avait à un degré quelconque les uns ou les autres, les voyait insensiblement s'atténuer (2). Dans cette situation critique pour tout le monde,

(1) Les dernières traces en sont visibles dans les romans de Garin. Voir à ce sujet la savante dissertation de M. Paulin Paris dans son édition d'une partie du poème, et quelques idées émises par M. Ède- lestand du Méril au début de la Mort de Garin. Voir aussi dom CdiXmQi, Histoire de Lorraine; ^îussebiiTS^ Antiquités de la Gaule Bel- gique, liv. III, p. 157.

(2) Guérard , le Polyptique 'd'Irminon, t. I , p. 251 : « A partir de la a fln du IX® siècle, le colon et le lide deviennent de plus en plus ra- « res dans les documents qui concernent la France, et ces deux clas- a ses de personnes ne tardèrent pas à disparaître. Elles sont, en

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les antagonismes et les conflits éclatèrent avec une extrême vivacité et durèrent plus longtemps qu'ailleurs, parce qu'ils se prononcèrent plus tôt qu'en Allemagne et finirent plus tard qu'en Italie.

La catégorie des cultivateurs libres, des hommes de guerre indépendants, disparut peu à peu devant le besoin général de protection. De même on vit de moins en moins des chevaliers n'obéissant qu'au roi. Moyennant l'abandon d'une partie de ses droits, chacun voulut et dut acheter l'appui de plus fort que lui. De cet enchaînement universel des fortunes résultèrent beaucoup d'inconvénients pour les contemporains et pour leurs descendants, un acheminement irrésistible vers Je nivelle- ment imiversel (1).

Les communes n'atteignirent jamais un bien haut degré de puissance. Les grands fiefs eux-mêmes devaient à la longue s'affaiblir et cesser d'exister. De grandes indépendances per- sonnelles, des individualités fortes et fières, constituaient autant d'anomalies, qui tôt ou tard allaient fléchir devant l'antipathie si naturelle de la romanité. Ce qui persista le plus longtemps, ce fut le désordre, dernière forme de protestation des éléments

« partie, remplacées par celle des colliberti, qui n'a pas une longue « existence. Le serf, à son tour, se montre moins fréquemment, et « c'est \Qmllanus,\Q rusticus^ Vhomo potestatis qui lui succèdent. » On voit par quelle rapidité de modifications, toutes favorables à la romanité, s'opérait dans cette société en fusion. (Voir aussi, même ouvr., t. I, p. 392.)

(1) Les appréciations de Palsgrave sur la constitution politique de la Gaule dans la première partie des âges moyens sont, en grande partie, ce que l'on a écrit de plus vrai et de plus clair sur ce sujet, en appa- rence compliqué. Il montre très bien : que l'idée d'étudier la France d'alors dans son étendue d'aujourd'hui est une erreur, et que nulle institution d'alors ne pouvait viser à satisfaire un tel ensemble, puis- qu'il n'existait pas; il établit que les communes modernes n'ont jamais commencé, parce que les" communes gallo-romaines et gaUo- frankes n'ont jamais fini. (Palsgrave, the Rise andProgress of the En- glish Commonwealth, t. I, pp. 494, 545 et seqq.) Voir également C. Leber, Histoire du pouvoir municipal en France, Paris, 1829, in-8°. Ouvrage excellent et qui a été mis à contribution plus souvent que les emprunteurs ne l'ont avoué. Raynouard, Histoire du droit mu- nicipal en France, Paris, 1829, 2 vol. in-8''. Livre tout romain.

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germaniques. Les rois , chefs instinctifs du mouvement romain, eurent encore bien de la peine à venir à bout de ces suprêmes «fiforts. Des convulsions générales et terribles , des douleurs universelles, déchirèrent ces temps héroïques. Personne n'y fut à Tabri des plus méchants coups de la fortune. Comment donc ne pas mettre un grain de mépris dans le somire , à voir de nos jours ce qui s'appelle philanthropie croire légitime de s'apitoyer sur ce qu'étaient alors les basses classes , compter les chaumières détruites, et supputer le dommage des mois- sons ravagées? Quel bon sens, quelle vérité, quelle justice de rapporter les choses du siècle à la même mesure que les nôtres ! Il s'agit bien de moissons , de chaumières et de pay- sans mal satisfaits ! Si Ton a des larmes en réserve , c'est à la société tout entière , c'est à toutes les classes , c'est à l'univer- salité des hommes qu'on les doit.

Mais pourquoi des larmes et de la pitié? Cette époque n'ap- pelle pas la compassion. Ce n'est pas le sentiment que fait naî- tre la lecture attentive des chroniques; soit que l'on s'arrête sur les pages austères et belliqueuses de Ville-Hardouin , sur les récits merveilleux de l'Aragonais Raymond Muntaner, ou sur les souvenirs pleins de sérénité , de gaieté , de courage , du noble Join ville , soit qu'on parcoure la biographie passionnée d'Abélard , les notes plus monacales et plus calmes de Guibert de Nogent, ou tant d'autres écrits pleins de vie et de charme qui nous sont restés de ces temps , l'imagination est confondue par la dépense de cœur, d'intelligence et d'énergie qui s'y fait de toutes parts. Souvent plus enthousiaste que sèchement rai- sonnable dans ses applications , la pensée d'alors est toujours vigoureuse et saine. Elle est mspirée par une curiosité , par une activité sans bornes ; elle ne laisse rien sans y toucher. En même temps qu'elle a des forces inépuisables pour alimen- ter sans relâche la guerre étrangère et la guerre intérieure, qu'à demi fidèle encore à la prédilection des Franks pour le glaive , elle entretient le fracas des armes de royaume à ro- yaume , de cité à cité, de village à village, de manoir à ma- noir, elle trouve le goût et le temps de sauver les trésors de la littérature classique, et de les méditer d'une manière er-

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ronée peut-être à notre point de vue, mais à coup sûr originale. C'est , en toutes choses , un suprême mérite , et , dans ce cas^ particulier, un mérite d'autant plus éclatant que nous en avon& profité , et qu'il constitue toute la supériorité de la civilisation moderne sur Tancienne romanité. Celle-ci n'avait rien inventé, n'avait fait que prendre, tant bien que mal, et de toutes^ mains, des résultats des produits d'ailleurs flétris par le temps. Nous, nous avons créé des conceptions nouvelles, nous avons fait une civilisation , et c'est au moyen âge que nous sommes redevables de cette grande œuvre. L'ardeur féodale, infati- gable dans ses travaux , ne se borne pas à persévérer de son mieux dans l'esprit conservateur des barbares pour ce qui touche au legs romain. Elle ressaisit encore, elle rétouche in- cessamment ce qu'elle peut retrouver des traditions du Nord et des fables celtiques; elle en compose la littérature illimitée de ses poèmes , de ses romans , de ses fabliaux , de ses chan- sons, ce qui serait incomparable , si la beauté de la forme ré- pondait à la richesse illimitée du fond. Folle de discussion et de polémique , elle aiguise les armes déjà si subtiles de la dia- lectique alexandrine, elle épuise les thèmes théologiques, en extrait de nouvelles formules , fait naître dans tous les genres de philosophie les esprits les plus audacieux et les plus fermes, ajoute aux sciences naturelles, agrandit les sciences mathé- matiques, s'enfonce dans les profondeurs de l'algèbre. Se- couant de son mieux la complaisance pour les hypothèses s'est complue la stérilité romaine , elle sent déjà le besoin de voir de ses yeux et de toucher de ses mains avant que de pro- noncer. Les connaissances géographiques servent puissamment et exactement ces dispositions, et les petits royaumes du XIII® siècle , sans ressources matérielles , sans argent , sans ces excitations accessoires et mesquines de lucre et de vanité qui déterminent tout de nos jours , mais ivres de foi religieuse et de juvénile curiosité , savent trouver chez eux des Plan- Carpin , des Maundevill , des Marco-Polo , et pousser sur leurs pas des nuées de voyageurs intrépides vers les coins les plus reculés du monde , que ni les Grecs ni les Romains n'avaient même jamais eu la pensée d'aller visiter.

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Cette époque a pu beaucoup souffrir, je le veux ; je n'exa- minerai pas si son imagination vive et sa statistique imparfaite, commentées par le dédain que nous aimons à éprouver pour tout ce qui n'est pas nous , n'en ont pas sensiblement exagéré les misères. Je prendrai les fléaux dans toute l'étendue vraie ou fausse qui leur est attribuée, et je demanderai seulement si , au milieu des plus grands désastres , on est vraiment bien malheureux quand on est si vivace? Vit-on nulle part que le serf opprimé, le noble dépouillé, le roi captif aient jamais tourné de désespoir leur dernière arme contre eux-mêmes? Il sem- blerait que ce qui est plus vraiment à plaindre , ce sont les na- tions dégénérées et bâtardes qui, n'aimant rien, ne voulant rien, ne pouvant rien, ne sachant se prendre au sein des accablants loisirs d'une civilisation qui décline, considèrent avec une morne indulgence le suicide ennuyé d'Apicius.

La proportion spéciale des mélanges germaniques et gallo- romains dans les populations de la France septentrionale , en amenant par des voies douloureuses, mais sûres, l'aggloméra- tion en même temps que l'étiolement des forces , fournit aux différents instincts politiques et intellectuels le moyen d'attein- dre à une hauteur moyenne , il est vrai , mais généralement assez élevée pour attirer à la fois les sympathies des deux autres centres de la civilisation européenne. Ce que l'Allema- gne ne possédait pas , et qui se trouvait dans une trop grande plénitude en Italie, nous l'avions sous des proportions res- treintes qui le rendaient compréhensible à nos voisins du nord; et , d'autre part , telles provenances d'origine teutonique , très mitigées par nous, séduisaient les hommes du sud, qui les au- raient repoussées, si elles leur fussent parvenues plus complè- tes. Cette sorte de pondération développa le grand crédit oii l'on vit, aux xii® et xiii^ siècles , parvenir la langue française chez les peuples du nord comme chez ceux du midi, à Colo- gne comme à Milan. Tandis que les minnesingers traduisaient nos romans et nos poèmes, Brunetto Latini, le maître du Dante, écrivait en français, et de même les rédacteurs des mémoires du Vénitien Marco-Polo. Ils considéraient notre idiome comme seul capable de répandre dans l'Europe entière

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les nouvelles connaissances qu'ils voulaient propager. Pendant -ce temps, les écoles de Paris attiraient tout ce qu'il y avait de par le monde d'hommes savants et d'esprits studieuf. Ainsi les âges féodaux furent spécialement pour la France d'au delà de la Seine une période de gloire et de grandeur morale, que n'obscurcirent nullement les difficultés ethniques dont elle était travaillée (1).

Mais l'extension du royaume des premiers Valois vers le sud, en augmentant dans une proportion considérable l'action de l'élément gallo-romain, avait préparé et commença, avec le XIV® siècle, la grande bataille qui, sous le couvert des guerres anglaises, fut de nouveau livrée aux éléments germanisés (2). La législation féodale, alourdissant de plus en plus les obliga-

(1) Au XIII® siècle, on exigeait d*un chevalier accompli les mêmes perfections intellectuelles que les Scandinaves imposaient jadis à leurs

Jarls. Il devait surtout connaître plusieurs langues et les poésies qui les illustraient. Guillaume de Nevers parlait avec une égale facilité le bourguignon , le français, le flamand et le breton. En Allemagne, on faisait venir des maîtres de France pour instruire les enfants nobles -dans la langue qu'ils ne devaient pas ignorer. Les vers suivants de Berthe aux grands pies confirment cet usage :

« Tout droit a celui tems que je ci vous décris

Avoit une coutume ens el Tyois païs

Que tout li grant seignor, li conte et li marchis

Avoient, entour aus, gent françoise tous-dis

Pour aprendre françois leurs filles et leurs fils,

Li rois et la royne et Berte o le cler vis

Savent près d'aussi bien le françois de Paris

Com se il fussent nés el bour à Saint-Denis »

« ... François savoit Aliste...

C'est la fille à la Serve » (Paulin Paris, li Romans de Berte aux grans pies, Paris, 1836, in-12, p. 10.)

(2) La fusion du sud et du nord de la France fut assurée par le mé- lange ethnique qui eut lieu après la guerre des Albigeois. Dans un parlement tenu à Pamiers en 1212, Simon de Monfort fit décider que les veuves et les filles héritières de fiefs nobles, dans les provinces vaincues, ne pourraient épouser que des Français pendant les dix -années qui allaient suivre. De là, transplantation d'un grand nombre ■de familles picardes, champenoises, tourangelles en Languedoc, et -extinction de beaucoup de vieilles maisons gothiques.

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tions des possesseurs de terres envers la royauté , et diminuant de leurs droits , proclama bientôt, avec une entière franchise, sa prédilection pour des doctrines encore plus purement romai- nes. Les mœurs publiques , s'associant à cette tendance , por- tèrent à la chevalerie un coup terrible en transformant contre elle les idées jusqu'alors admises par elle-même au sujet du point d'honneur.

L'honneur avait été jadis chez les nations arianes, était presque encore resté pour les Anglais et même pour les Alle- mands, une théorie du devoir qui s'accordait bien avec la di- gnité du guerrier libre. On peut même se demander si , sous ce mot d'honneur^ le gentilhomme immédiat de l'Empire et le tenancier des Tudors ne comprenaient pas surtout la haute obligation de maintenir ses prérogatives personnelles au-dessus des plus puissantes attaques. Dans tous les cas, il n'admettait pas qu'il en dût faire le sacrifice à persomie. Le gentilhomme français fut , au contraire , sommé de reconnaître que les obli- gations strictes de Thonneur l'astreignaient à tout sacrifier à son roi , ses biens , sa liberté , ses membres , sa vie. Dans un dévouement absolu consista pour lui l'idéal de sa qualité de noble, et, parce qu'il était noble, il n'y eut pas d'agression de la part de la royauté qui pût le relever, en stricte conscience, de cette abnégation sans bornes. Cette doctrine, comme toutes celles qui s'élèvent à l'absolu, ne manquait certainement pas de beauté ni de grandeur. Elle était embellie par le plus brillant courage-, mais ce n^était réellement qu'un placage germanique sur des idées impériales; sa source, si l'on veut la rechercher à fond, n'était pas loin des inspirations sémitiques, et la no- blesse française, en l'acceptant, devait à la fin tomber dans des habitudes bien voisines de la servilité.

Le sentiment général ne lui laissa pas le choix. La royauté, les légistes, la bourgeoisie, le peuple, se figurèrent le gentil- homme indissolublement voué à l'espèce d'honneur que Ton inventait : le propriétaire armé commença dès lors à ne plus être la base de l'État; à peine en fut-il encore le soutien. Il tendit à en devenir surtout la décoration. Il est inutile d'ajouter que, s'il se laissa ainsi dégrader, c'est

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que son sang n'était plus assez pur pour lui donner la cons- cience du tort qu'on lui faisait, et lui fournir des forces suffi- santes pour la résistance. Moins romanisé que la bourgeoisie, qui à son tour l'était moins que le peuple, il l'était beaucoup cependant; ses efforts attestèrent, par la dose d'énergie qu'on y peut constater, la mesure dans laquelle il possédait encore les causes ethniques de sa primitive supériorité (1). Ce fut dans les contrées avaient existé les principaux établissements des Franks que l'opposition chevaleresque se signala davantage; au delà de la Loire, il n'y eut pas , en général, une volonté aussi persistante. Enfin, avec le temps, à des nuances près, un ni- veau de soumission s'étendit partout, et laromanité commença à reparaître, presque reconnaissable, comme le xv^ siècle finis- sait.

Cette explosion des anciens éléments sociaux fut puissante^ extraordmaire; elle usa avec> empire des alliages germaniques qu'elle avait réussi à dompter et à tourner en quelque sorte contre eux-mêmes; elle les employa à battre en brèche les créations qu'ils avaient jadis produites en commun avec elle ; elle voulut reconstruire l'Europe sur un nouveau plan de plus en plus conforme à ses instincts, et avoua hautement cette pré- tention.

L'ItaUe du sud et celle du centre se retrouvaient à peu près à la même hauteur que la Lombardie déchue. Les rapports que cette dernière contrée avait, quelques siècles en çà, entre-

(1) La décomposition ethnique de la noblesse française avait com- mencé du jour les leudes germaniques s'étaient alliés au sang des leudes gallo-romains; mais elle avait marché vite, en partie parce que- les guerriers germaniques s'étaient éteints en grand nombçe dan& les guerres incessantes, et parce que des révolutions fréquentes leur avaient substitué des hommes venus de plus bas. C'est ainsi que, sur l'autorité d'une chronique (Gesta Consul. Andegav., 2), M. Guérard constate une des phases principales de cette dégénération : « Au mi- lieu des troubles et des secousses de la société, il s'éleva de toutes parts des hommes nouveaux sous le règne de Charles le Chauve. De petits vassaux s'érigèrent en grands feudataires et les officiers publics du royaume en seigneurs presque indépendants. » (Ouv7\ cité, t. I, p. 205. )

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tenus avec la Suisse et la Gaule méridionale étaient fort relâ- chés; la Suisse était plus inclinée vers rAllemagne rhénane, le sud de la Gaule vers les provinces moyennes. Et quel était le lien commun de ces rapprochements? L'élément romain à coup sûr, mais, dans cet élément composite, plus particulière- ment l'essence celtique qui reparaît de son côté. La preuve en est que, si la partie sémitisée avait agi en cette circonstance, la Suisse et le sud de la Gaule auraient resserré leurs anciens rapports avec l'Italie, au lieu de les rendre moins intimes.

L'Allemagne tout entière, agissant sous la même influence celtique, se chercha, et maria plus étroitement ses intérêts au- trefois si sporadiques. L'élément romano-gallique, dans sa ré- surrection, trouvait peu de difficultés à se combiner avec les principes slaves, en vertu de l'antique analogie. Les pays Scan- dinaves devinrent plus attentifs pour un pays qui avait eu le temps de nouer avec eux des rapports ethniques non germains déjà suffisamment considérables. Au milieu de ce resserrement universel, les contrées rhénanes perdirent leur suprématie , et il devait nécessairement en être ainsi, puisque c'était la nature gallique qui désormais y avait le dessus.

Quelque chose de grossier et de commun, qui n'appartenait ni à l'élément germanique ni au sang hellénisé , s'infiltra par- tout. La littérature chevaleresque disparut des forteresses qui bordent le cours du Rhin ; elle fut remplacée par les composi- tions railleuses, bassement obscènes, lourdement grotesques de la bourgeoisie des villes. Les populations se complurent aux trivialités de Hans Sachs. C'est cette gaieté que nous appelons si justement la gaieté gauloise, et dont la France produisit, à cette même époque, le plus parfait spécimen, comme, en effet, elle en avait le droit inné , en faisant naître les facéties de haulte graisse, compilées par Rabelais, le géant de la fa- cétie.

Toute l'Allemagne se trouva capable de rivaliser de mérite avec les villes rhénanes dans la nouvelle phase de civilisation dont cette bonne humeur frondeuse fut l'enseigne. La Saxe , la Bavière,- l'Autriche, le Brandebourg même, se virent portés à peu près sur un même plan, tandis que du côté du sud, et

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la Bourgogne servant de lien, la France entière, dont l'Angle- terre arrivait à goûter le génie , la France se sentait en plus parfaite harmonie d'humeur avec ses voisins du nord et de l'ouest, de qui elle reçut alors à peu près autant qu'elle leur donna.

L'Espagne, à son tour, fut atteinte par cette assimilation générale des instincts en voie de conquérir tous les pays de l'Occident. Jusqu'alors cette terre n'avait fait des emprunts à ses voisins du nord que pour les transformer d'une manière à peu près complète, unique moyen de les rendre accessibles au goût spécial de ses populations combinées d'une manière si particulière. Tant que l'élément gothique avait eu quelque force extérieurement manifestée, les relations de la péninsule ibérique avaient été au moins aussi fréquentes avec l'Angle- terre qu'avec la France, tout en restant médiocres. Au xvi^ siè- cle, l'élément romano-sémitique prenant de la puissance, ce fut avec l'Italie, et l'Italie du sud , que les royaumes de Fer- dinand s'entendirent le mieux, bien qu'ils tinssent aussi à nous par le lien du Roussillon. N'ayant qu'une assez faible teinte celtique, le genre d'esprit trivial des bourgeoisies du Nord ne prit que difficilement pied chez elle, comme aussi dans l'autre péninsule ; cependant il ne laissa pas de s'y montrer, mais avec une dose d'énergie et d'enflure toute sémitique, avec une verve locale qui n'était pas la force musculeuse de la barbarie germanique, mais qui, dans son espèce de délire africain, pro- duisit encore de.tr es grandes choses. Malgré ces restes d'origi- nalité, on sent bien que l'Espagne avait perdu la meilleure part de ses forces gothiques, qu'elle éprouvait, comme tous les autres pays , l'iafluence restaurée de la romanité , par ce fait seul qu'elle sortait de son isolement. .

Dans cette renaissance , comme on l'a appelée avec raison , dans cette résurrection du fond romain, les instincts politiques de l'Europe se montrant plus assouplis à mesure que l'on s'a- vançait au milieu de populations plus débarrassées de l'instinct germanique, c'était que l'on trouvait moins de nuances dans l'état des personnes, une plus grande concentration des forces gouvernementales , plus de loisirs pour les sujets , une préoc-

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cupation plus exclusive du bien-être et du luxe, partant plus de civilisation à la mode nouvelle. Les centres de culture se déplacèrent donc. L'Italie, prise dans son ensemble, fut encore une fois reconnue pour le prototype sur lequel il fallait s'ef- forcer de se régler. Rome remonta au premier rang. Quant à Cologne, Mayence, Trêves, Strasbourg, Liège, Gand, Paris même , toutes ces villes , naguère si admirées , durent se con- tenter de l'emploi d'imitateurs plus bu moins heureux. On ne jura plus que par les Latins et les Grecs , ces derniers , bien entendu , compris à la façon latine. On redoubla de haine pour tout ce qui sortait de ce cercle ; on ne voulut plus reconnaître ni dans la philosophie, ni dans la poésie, ni dans les arts, ce qui avait forme ou couleur germanique; ce fut une croisade inexorable et violente contre ce qui s'était fait depuis un mil- lier d'années. On pardonna à peine au christianisme.

Mais si l'Italie , par ses exemples , réussit à se maintenir à la tête de cette révolution pendant quelques années , il ne fut encore question d'agir que dans la sphère intellectuelle , cette suprématie lui échappa aussitôt que la logique inévitable de l'esprit humain voulut de l'abstraction passer à la pratique so- dale. Cette Italie si vantée était redevenue trop romaine pour pouvoir servir même la cause romaine ; elle s'affaissa prompte- ment dans une nulUtê semblable à celle du iv^ siècle, et la France , sa plus proche parente , continua , par droit de nais- sance , la tâche que son aînée ne pouvait pas accomplir. La France poursuivit l'œuvre avec une vivacité de procédés qu'elle pouvait employer seule. Elle dirigea, exécuta en chef l'absorp- tion des hautes positions sociales au sein d'une vaste confu- sion de tous les 'éléments ethniques que leur incohérence et leur fractionnement lui livraient sans défense. L'âge de l'éga- lité était revenu pour la plus grande partie des populations de l'Europe; le reste n'allait pas cesser désormais de graviter de son mieux vers la même fin , et cela aussi rapidement que la constitution physique des différents groupes voudrait le per- mettre. C'est l'état auquel on est aujourd'hui parvenu (1).

(J) Amédée Thierry, Histoire de la Gaule sous V administration ro-

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Les tendances politiques ne suffiraient pas à caractériser cette situation d'une manière sûre; elles pourraient, à la ri- gueur, être considérées comme transitoires et provenant de causes secondes. Mais ici, outre qu'il n'est guère possible de n'attribuer qu'une importance de passage à la persistante di- rection des idées pendant cinq à six siècles, nous voyons en- core des marques de la réunion future des nations occidenta- les, au sein d'une romanité nouvelle, dans la ressemblance croissante de toutes leurs productions littéraires et scientifi- ques, et surtout dans le mode singulier de développement de leurs idiomes.

Les uns et les autres ils se dépouillent, autant qu'il est pos- sible, de leurs éléments originaux et se rapprochent. L'espa- gnol ancien est incompréhensible pour un Français ou pour un Italien; l'espagnol moderne ne leur offre presque plus de difficultés lexicologiques. La langue de Pétrarque et du Dante abandonne aux dialectes les mots, les formes non romaines, et, à première vue, n'a plus pour nous d'obscurités. Nous- mêmes, jadis riches de tant de vocables 'teutoniques, nousles^ avons abandonnés, et, si nous acceptons sans trop de répu- gnance des expressions anglaises, c'est que, pour la majeure partie, elles sont venues de nous ou appartiennent à une sou- che celtique. Pour nos voisins d'outre-Manche la proscription des éléments anglo-saxons marche vite ; le dictionnaire en perd tous les jours. Mais c'est en Allemagne que cette rénovation s'accomplit de la manière et par les voies les plus étranges.

Déjà, suivant un mouvement analogue à ce qu'on observe en Italie, les dialectes les plus chargés d'éléments germaniques,

maine, t. I, Introd., p. 347 : « Nous-mêmes, Européens du xrx« siècle^ « quels idiomes parlons-nous pour la plupart? A quel cachet est « marqué notre génie littéraire? Qui nous a fourni nos théories de « l'art? Quel système de droit est écrit dans nos codes, ou se retrouve « au fond de nos coutumes? Enfin, quelle est notre religion à tous'r « La réponse à ces questions nous prouve la vitalité de ces institu- « tions romaines dont nous portons encore l'empreinte après quinze: « siècles, empreinte qui, au lieu de s'effacer par l'action moderne, ne « fait, en quelque sorte, que se reproduire plus nette et plus écla- « tante, à mesure que nous nous dégageons de la barbarie féodale. »

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comme , par exemple , le frison et le bernois , sont relégués parmi les plus incompréhensibles pour la majorité. La plupart des langages provinciaux, riches d'éléments kymriques, se rapprochent davantage de l'idiome usuel. Celui-ci , connu sous le nom de haut allemand moderne, a relativement peu de res- semblances lexicologiques avec le gothique ou les anciennes langues du Nord, et des affinités de plus en plus étroites avec le celtique ; il y mêle aussi , çà et , des emprunts slaves. Mais c'est surtout vers le celtique qu'il incline, et, comme il ne lui est pas possible d'en retrouver aisément les débris natifs dans l'usage moderne, il se rapproche avec effort du composé qui en est le plus voisin, c'est-à-dire du français. Il lui prend, sans nécessité apparente , des séries de mots dont il pourrait trouver sans peine les équivalents dans son propre fonds; il s'empare de phrases entières qui produisent au milieu du dis- cours l'effet le plus bizarre; et, en dépit de ses lois gramma- ticales , dont il cherche d'ailleurs à modifier aussi la souplesse primitive pour se rapprocher de nos formes plus strictes et plus roides, il se romanise par toutes les voies qu'il peut se frayer; mais il se romanise d'après la nuance celtique qui est le plus à sa portée , tandis que le français abonde de son mieux dans la nuance méridionale , et ne fait pas moins de pas vers l'ita- lien que celui-ci n'en fait vers lui.

Jusqu'ici je n'ai éprouvé aucun scrupule à employer le mot de romanité pour indiquer l'état vers lequel retournent les populations de l'Europe occidentale. Cependant, afin d'être plus précis, il faut ajouter que sous cette expression on aurait tort d'entendre une situation complètement identique à celle d'aucune époque de l'ancien univers romain. De même que dans l'appréciation de celui-ci je me suis servi des mots de sémitique^ d'hellénistique, pour déterminer approximative- ment la nature des mélanges vers laquelle il abondait, en pré- venant qu'il ne s'agissait pas de mixtures ethniques absolument pareilles à celles qui avaient jadis existé dans le monde assyrien et dans l'étendue des territoires syro-macédoniens, de même ici on doit pas oublier que la romanité nouvelle possède des nuances ethniques qui lui sont propres, et par conséquent dé-

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veloppe des aptitudes inconnues à l'ancienne. Un fond com- plètement le même, un désordre plus grand, une assimilation croissante de toutes les facultés particulières par l'extrême subdivision des groupes primitivement distincts, voilà ce qui est commun entre les deux situations et ce qui ramène , cha- que jour, nos sociétés vers l'imitation de l'univers impérial ; mais ce qui nous est propre , en ce moment du moins , et ce qui crée la différence, c'est que, dans la fermentation des par- ties constitutives de notre sang , beaucoup de détritus germani- ques agissent encore et d'une manière fort spéciale, suivant qu'on les observe dans le Nord ou dans le Mdi : ici, chez les Provençaux , en quantité dissolvante ; , au contraire , chez les Suédois , avec un reste d'énergie qui retarde le mouvement prononcé de décadence.

Ce mouvement, opérant du sud au nord, a porté, depuis deux siècles déjà , les masses de la péninsule italique à un état très voisin de celui de leurs prédécesseurs du iii^ siècle de notre ère, sauf des détails. Le haut pays, à Texception de certaines parties du Piémont, en diffère peu. L'Espagne, sa- turée d'éléments plus directement sémitiques, jouit dans ses races d'une sorte d'unité relative qui rend le désordre ethni- que moins flagrant , mais qui est loin de donner le dessus aux facultés mâles ou utilitaires. Nos provinces françaises méridio- nales sont annulées ; celles du centre et de l'est , avec le sud- ouest de la Suisse, sont partagées entre l'influence du Midi et celle du Nord. La monarchie autrichienne maintient de son mieux , et avec une conscience de sa situation qu'on pourrait appeler scientifique , la prépondérance des éléments teutons dont elle dispose sur ses populations slaves. La Grèce, la Tur- quie d'Europe, sans force devant l'Europe occidentale, doivent au voisinage inerte de l'Anatolie un reste d'énergie relative , due aux infiltrations de l'élément germanique qu'à différentes reprises les âges moyens y ont apporté. On en peut dire autant des petits États voisins du Danube , avec cette différence que ceux-là doivent le peu d'immixtions ariançs qui semblent les animer encore à une époque beaucoup plus ancienne, et que, chez eux , le désordre ethnique en est à sa plus douloureuse

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période. L'empire russe, terre de transition entre les races jaunes, les nations sëmitisées et romanisées du sud et TAlIe- magne , manque essentiellement d'homogénéité , n'a reçu ja- mais que de trop faibles apports de Tessence noble , et ne peut s'élever qu'à des appropriations imparfaites d'emprunts faits de tous côtés à la nuance hellénique , comme à la nuance ita- lienne , comme à la nuance française , comme à la conception allemande. Encore ces appropriations ne dépassent-elles pas l'épiderme des masses nationales.

La Prusse, à la prendre d'après son extension actuelle , pos- sède plus de ressources germaniques que l'Autriche, mais dans son noyau elle est inférieure à ce pays , le groupe for- tement arianisé des Madjars fait pencher la balance, non pas suivant la mesure de la civilisation , mais suivant celle de la vitalité, ce dont seulement il s'agit dans ce livre, on ne saurait trop s'en pénétrer.

En somme , la plus grande abondance de vie, l'agglomération de forces la plus considérable se trouve aujourd'hui concentrée et luttant avec désavantage contre le triomphe infaillible de la confusion romaine dans la série de territoires qu'embrasse un contour idéal qui, jpartant de Tornéo, enfermant le Danemark, et le Hanovre , descendant le Rhin à une faible distance de sa rive droite jusqu'à Baie, enveloppe l'Alsace et la haute Lor- raine, serre le cours de la Seine, le suit jusqu'à son embou- chure, se prolonge jusqu'à la Grande-Bretagne et rejoint à -l'ouest l'Islande (1).

(1) Pour saisir dans sa véritable signification l'opinion exprimée ici, il faut se rappeler qu'il n'est question que d'une agglomération ap- proximative. Des débris arians, plus ou moins bien conservés, se trouvent encore sur toutes les lignes de routes suivies par les races germaniqueç. De même qu'on en peut remarquer de très petits ves- tiges en Espagne, en Italie, en Suisse, partout la configuration du sol a favorisé la formation et la conservation de ces dépôts, de même encore il s'en trouve dans le Tyrol, dans la Transylvanie, dans les montagnes de l'Albanie, dans le Caucase, dans l'Hindou-Koh , et jus- qu'au fond des vallées hautes les plus orientales du Thibet. il serait même imprudent d'affirmer qu'on n'en pourrait plus découvrir quel- ques-uns dans la haute Asie. Mais ce sont des spécimens fortement oblitérés déjà pour 1* plupart, impuissants, à peine perceptibles, qui

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Dans ce centré subsistent les dernières épaves de Télémeiit arian, biea défigurées, bien dénudées, bien flétries sans doute, mais non pas encore tout à fait vaincues. C'est aussi que bat le coeur de la société, et par suite de la civilisation mo- ■derne. Cette situation n'a jamais été" analysée, expliquée, ni comprise jusqu'à présent; néanmoins elle est vivement sentie par l'intelligence générale. Elle l'est si bien que beaucoup d'es- prits en font instinctivement le point de départ de leurs spécu- lations sur l'avenir. Ils prévoient le jour les glaces de la mort auront saisi les contrées qui nous semblent les plus favo- risées, les plus florissantes -, et, supposant même peut-être cette catastrophe plus prochaine qu'elle ne le sera, ils cherchent de le lieu de refuge Thumanité pourra, suivant leur désir, reprendre un nouveau lustre avec une nouvelle vie. Les sfc/î.'.: actuels d'un des États situés en Amérique leur semb!- •, •. :-'c - sager cette ère si nécessaire. Le monde de l'oue^l \--V - '.. scène immense sur laquelle ils imaginent que vont c '-ro d-^ n nations qui, héritant de l'expérience de toutes les civi':;-: ^o-r, passées, en enrichiront la nôtre et accompliront des u î.-::- que le monde n'a pu encore que rêver.

Examinons cette donnée avec tout l'intérêt qu'elle compc vtc. Nous, allons trouver, dans l'examen approfondi des raceb" -'•■ verses qui peuplent et ont peuplé les régions américaines, k'j. motifs les plus décisifs de l'admettre ou de la rejeter. -

' , CHAPITRE YII.

Les indigènes américains. .

En 1829, Cuvierne se trouvait pas suffisamment informé pour émettre une opinion sur la nature ethnique des nations indi-

n'échappent à une disparition, pour ainsi dire, instantanée, que grâce à rinaction dans laquelle" ils se maintiennent, et qui les défend lieu- reusement de tout contact.

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gènes de FAmérique, et il les laissait en dehors de ses nomen- clatures. Les faits recueillis depuis lors permettent de se mon- trer plus hardi. Nombreux, ils deviennent concluants, et, si aucun n'apporte une certitude entière, une affirmation absolu- ment sans réplique, l'ensemble en permet l'adoption de cer- taines bases complètement positives.

Il ne se trouvera plus désormais d'ethnologiste quelque peu renseigné qui puisse prétendre que les naturels américains for- ment une race pure, et qui leur applique la dénomination de variété rouge. Depuis le pôle jusqu'à la Terre-de-Feu, il n'est pas une nuance de la coloration humaine qui ne se manifeste, sauf le noir décidé du Congo et le blanc rosé de TAnglais ; mais, en dehors de ces deux carnations , on observe les spéci- mens de toutes les autres (1). Les indigènes, suivant leur na- tion, apparaissent bruns olivâtres, bruns foncés, bronzés, jau- nes pâles, jaunes cuivrés, rouges, blancs, bruns, etc. Leur stature ne varie pas moins. Entre la taille non pas gigantesque, mais élevée, du Patagon, et la petitesse des Changos, il y a les mesures les plus multipliées. Les proportions du corps présen- tent les mêmes différences : quelques peuples ont le buste fort long, comme les tribus des Pampas ; d'autres, court et large, comme les habitants des Andes péruviennes (2). Il en est de même pour la forme et le volume de la tête. Ainsi la physiologie ne donne aucun moyen d'établir un type unique parmi les nations américaines.

En s'adressantà la linguistique, même résultat. Toutefois il faut y regarder de près. La grande majorité des idiomes possèdent chacun une originalité incontestable dans les parties lexicologiques ; à ce point de vue, ils sont étrangers les uns

(i) A. d*Orbigny, V Homme américain, t. I, p. 71 et seqq.

(2) J'ai dit ailleurs que l'on cherchait à expliquer le développement extraordinaire du buste chez les Quichnas, dont il est ici question, par Télévation de la chaîne ils habitent, et j*ai montré pour quels motifs cette hypothèse était inacceptable. (Voir tome I®*".) Voici une raison d'une autre sorte : les Umanas, placés dans les plaines qui bordent le cours supérieur de l'Amazone, ont la même conformaUon que les Quichnas montagnards. ( Martins u. Spix, Reise in Brasilien, t. III, p. 12oo.}

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aux autres ; mais le système grammatical reste partout le même. On y remarque ce trait saillant d'une disposition commune à agglutiner les mots, et de plusieurs phrases à ne former qu'un seul vocable, faculté assurément très particulière, très remar- quable, mais qui ne suffît pas à conquérir l'unité aux races amé- ricaines, d'autant moins que la règle ne va pas sans l'exception. On peut lui opposer l'othonis, très répandu dans la Nouvelle- Espagne, et qui, par sa structure nettement monosyllabique, tranche avec les dispositions fusionnaires des idiomes qui l'en- tourent (1). Peut-être rencontrera-t-on ultérieurement d'au- tres preuves que toutes les syntaxes américaines ne sont pas dérivées d'un même type, ni issues uniformément d'un seul et unique principe (2).

Il n'y a donc plus moyen de classer parmi les divisions prin- cipales de l'humanité une prétendue race rouge qui n'existe évidemment qu'à l'état de nuance ethnique , que comme ré- sultat de certaines combinaisons de sang, et qui ne saurait dès lors être prise que pour un sous-genre. Concluons avec M. Flou- rens et, avant lui, avec M. Garnot, qu'il n'existe pas en Amé- rique une famille indigène différente de celles qui habitent le reste du globe.

La question ainsi simpUfîée n'en reste pas moins fort com- pHquée encore. S'il est acquis que les peuples du nouveau con- tinent ne constituent pas une espèce à part , mille doutes s'é- lèvent quant à la façon de les rattacher aux types connus du vieux monde. Je vais tâcher d'éclairer de mon mieux ces ténèbres, et, pour y parvenir, retournant la méthode dont j'ai usé tout à l'heure, je vais considérer si, à côté des différences profondes qui s'opposent à ce qu'on reconnaisse chez les na- tions américaines une unité particulière, il n'y a pas aussi des similitudes qui signalent dans leur organisation la présence d'un ou de plusieurs éléments ethniques semblables. Je n'ai pas besoin d'ajouter sans doute que, si le fait existe, ce ne peut être que dans des mesures très variées.

(1) Prescott, History of the conquest of Mexico, t. III, p. 24î>.

(2) Id., ibid., t. III, p. 243.

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DES RACES HUMAINES. 495

Les familles noire et blanche ne s'apercevant pas à l'état pur en A.inérique, on a beau jeu pour constater, sinon leur absence totale, au moins leur effacement dans un degré notable. Il n'en est pas de même du type finnois ; il est irrécusable dans cer- taines peuplades du nord-ouest, telles que les Esquimaux (1). C'est donc un point de jonction entre le vieux et le nou- veau monde ; on ne peut mieux faire que de le choisir pour point de départ de l'examen. Après avoir quitté les Esquimaux, en descendant vers le sud, on arrive bientôt aux tribus appe- lées ordinairement rouges, aux Chinooks, aux Lenni-Lenapés, aux Sioux ; ce sont les peuples qui ont eu un moment l'hon- neur d'être pris pour les prototypes de l'homme américain' bien que, ni par le nombre, ni par l'importance de leur orga- nisation sociale, ils n^eussent le moindre sujet d'y prétendre. On constate sans peine des rapports étroits de parenté entre ces nations et les Esquimaux, partant les peuples jaunes. Pour les Chinooks, la question n'est pas un instant douteuse ; pour les autres, elle n'offrira plus d'obscurités du moment qu'on cessera de les comparer, ainsi qu'on le fait trop souvent , aux Chinois malais du sud de l'Empire Céleste, et qu'on les con- frontera avec les Mongols. Alors on retrouvera sous la carna- tion cuivrée du Dahcota un fond évidemment jaune. On re- marquera chez lui l'absence presque complète de barbe, la couleur noire des cheveux, leur nature sèche et roide, les dis- positions lymphatiques du tempérament , la petitesse extraor- dinaire des yeux et leur tendance à l'obliquité. Cependant, qu'on y prenne garde aussi, ces divers caractères du type fin- nique sont loin d'apparaître chez les tribus rouges dans toute leur pureté.

(1) M. Morton (An Inquiry into the distinctive characteristics of the ahoriginal race of America, Philadelphie, 1844) conteste la parenté des Esquimaux avec les Indiens Lenni-Lenapés; mais ses arguments ne peuvent prévaloir contre ceux de Molina et de Humboldt. Son dessein est d'établir que la race américaine , sauf les peuplades po- laires, dont il ne peut nier rident! avec des groupes asiatiques, et que, pour ce motif, il range à part, est unitaire, ce qui est évident, mais de plus spéciale au continent qu'elle habite. (P. 6.)

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496 DE l'inégalité

Des contrées du Missouri on descend vers le Mexique, l'on trouve ces signes spécifiques plus altérés encore, et néanmoins reconnaissables sous une carnation beaucoup plus bronzée. Cette circonstance pourrait égarer la critique, si, par un bonheur qui se reproduit rarement dans Fétude des antiquités américaines, l'histoire elle-même ne se chargeait d'affirmer la parenté des Astèques, et de leurs prédécesseurs les Toltèques, avesles hordes de chasseurs des noirs delà Colombia (l). C'est de ce fleuve que partirent les migrations des uns comme des autres vers le sud. La tradition est certaine : la comparaison des langues la confirme pleinement. Ainsi les Mexicains sont alliés à la race jaune par l'intermédiaire des Chinooks , mais avec immixtion plus forte d'un élément étranger (2).

Au delà de l'isthme commencent deux grandes familles qui, se subdivisent en des centaines de nations dont plusieurs, devenues imperceptibles, sont réduites à douze ou quinze in- dividus. Ces deux familles sont celle du littoral de l'océan Pa- cifique, et cette autre qui, s' étendant depuis le golfe du Mexi- que jusqu'au Rio de la Plata, couvre l'empire du Brésil^ comme elle posséda jadis les Antilles. La première comprend les peu- ples péruviens. Ce sont les plus bruns, les plus rapprochés de la couleur noire de tout le continent, et, en même tehips, ceux qui ont le moins de rapports généraux avec la race jaune. Le nez est long, saillant, fortement aquilin; le front fuyant, comprimé sur les côtés, tendant à la forme pyramidale, et ce- pendant on retrouve encore des stigmates mongols dans la dis- position et la coupe oblique des yeux, dans la saillie des pom- mettes, dans la chevelure noire , grossière et lisse. C'en est assez pour tenir l'attention en éveil et la préparer à ce qui va lui être offert chez les tribus de l'autre groupe méridional qui embrasse toutes les peuplades guaranis. Ici le type finnique reparaît avec force et éclate d'évidence.

Les Guaranis , ou Caribes ou Caraïbes , sont généralement

(1) Pickering, p. 41.

(2) Pour les Californiens, M. Pickering s'exprime ainsi : « The fîrst glame of the Californians salisfied me of tlieir malay affinity. » (P. 100.)

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jaunes , à tel point que les observateurs les plus compétents n'ont pas hésité à les comparer aux peuples de la côte orien- tale d'Asie. C'est l'avis de Martins, de d'Orbigny, de Prescott. Plus variés peut-être dans leur conformation physique que les autres groupes américains, ils ont en commun « la couleur « jaune , mélangée d'un peu de rouge très pâle , gage , soit dit « en passant , de leur migration du nord-est et de leur parenté « avec les Indiens chasseurs des États-Unis ; des formes très « massives 5 un front non fuyant; face pleine, circulaire, nez « court, étroit (généralement très épais), des yeux souvent « obliques, toujours relevés à l'angle extérieur, des traits ef- « féminés (1). »

J'ajouterai à cette citation que plus on s'avance vers Test, plus la carnation des Guaranis devient forcée et s'éloigne du jaune rougeâtre.

La physiologie nous affirme donc que les peuples de FAmé- rique ont, sous toutes les latitudes, un fond commun nette- ment mongol. La linguistique et la physiologie confirment de leur mieux cette donnée. Voyons la première.

Les langues américaines, dont j'ai remarqué tout à l'heure les dissemblances lexicologiques et les similitudes grammati- cales , diffèrent profondément des idiomes de TAsie orientale, rien n'est plus vrai; mais Prescott ajoute, avec sa finesse et sa sagacité ordinaires, qu'elles ne se distinguent pas moins entre elles, et que, si cette raison suffisait pour faire rejeter toute parenté des indigènes du nouveau continent avec les Mongols, il faudrait aussi l'admettre pour isoler ces nations les unes des autres , système impossible. Puis, l'othonis enlève au fait sa portée absolue. Le rapport de cette langue avec les langues monosyllabiques de l'Asie orientale est évident; la

(1) D*0rbigny, ouvr. cité, t. II, p. 347. D'après ce savant, les Botocudos ressemblent beaucoup au Mongol de Cuvier : « Nez court, bouche « grande, barbe nulle, yeux relevés à l'angle externe. On peut, dit-il, a les considérer comme le type de la race guarani. » Martins u. Spix, ouvr. cité, t. II, p. 819 : « Les Macams-Crans et les Aponeglii- Crans de la province de Mavanhâo, les plus beaux des indigènes du Brésil, rentrent absolument dans la même classe. »

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498 DE l'inégalité

philologie ne peut donc , naalgré bien des obscurités , bien des doutes , que Tétude résoudra comme elle en a tant résolu , se refuser à admettre que , tout corrompus qu'ils peuvent être par des immixtions étrangères et un long travail intérieur, les dialectes américains ne s'opposent nullement , dans leur état actuel , à une parenté du groupe qui les parle avec la race finnoise.

Quant aux dispositions intellectuelles de ce groupe, elles présentent plusieurs particularités caractéristiques faciles à dé- gager du chaos des tendances divergentes. Je voudrais , res- tant dans la ^vérité stricte, ne dire ni trop de bien ni trop de mal des indigènes américains. Certains observateurs les repré- sentent comme des modèles de fierté et d'indépendance , et leur pardonnent à ce titre quelque peu d'anthropophagie (1). D'autres, au contraire, en faisant sonner bien haut des dé- clamations contre ce vice, reprochent à la race qui en est at- teinte un développement monstrueux de Tégoïsme , d'où résul- tent les habitudes les plus follement féroces (2).

Avec la meilleure intention de rester impartial , on ne peut cependant pas méconnaître que l'opinion sévère a pour elle l'appui , l'aveu des plus anciens historiens de TAmérique. Des témoins oculaires , frappés de la méchanceté froide et inexo- rable de ces sauvages qu'on fait par ailleurs si nobles, et qui sont, en effet, fort orgueilleux, ont voulûtes reconnaître pour les descendants de Caïn. Ils les sentaient plus profondément mauvais que les autres hommes , et ils n'avaient pas tort.

L'Américain n'est pas. à blâmer, entre les autres familles hu- maines, parce qu'il mange ses prisonniers, ou les torture et raffine leurs agonies. Tous les peuples en font ou en ont fait à peu près autant, et ne se distinguent de lui et entre eux sous ce rapport que parles motifs qui les mènent à de telles vio-

(1) CeUe opinion favorable a surtout pour propagateurs les roman- ciers américains.

(2) Martins u. Spix, Reise in Brasilien, t. I, p. 379, et t. III, p. d033. Carus, Ueber ungleiche Befsehigung der verschiedenen Menschheits- stsemme fur nœhere geistige Entwickelung , p. 33. Voir surtout les anciens auteurs espagnols.

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DES BACES HUMAINES. 499

lences. Ce qui rend la férocité de l' Américain particulièrement remarquable à côté de celle du nègre le plus emporté, et du Finnois le plus bassement cruel, c'est l'impassibilité qui en fait la base et la durée du paroxysme , aussi long que sa vie. On dirait qu'il n'a pas de passion, tant il est capable de se modérer, de se contraindre, de cacher à tous les yeux la flamme haineuse qui le ronge ; mais , plus certainement en- core , il n'a pas de pitié , comme le démontrent les relations qu'il entretient avec les étrangers , avec sa tribu , avec sa fa- mille, avec ses femmes , avec ses enfants même (1).

En un mot , l'indigène américain , antipathique à ses sem- blables , ne s'en rapproche que dans la mesure de son utilité personnelle. Que juge-t-il rentrer dans cette sphère ? Des ef- fets matériels seulement. Il n'a pas le sens du beau , ni des arts ; il est très borné dans la plupart de ses désirs , les limi- tant en général à Tessentiel des nécessités physiques. Manger est sa grande affaire, se vêtir après, et c'est peu de chose, même dans les régions froides. Ni les notions sociales de la pudeur, de la parure ou de la richesse, ne lui sont fortement accessibles.

Qu'on se garde de croire que ce soit par manque d'intelli- gence ; il en a , et l'applique bien à la satisfaction de sa forme d'égoïsme. Son grand principe politique , c'est Tindépendance , non pas celle de sa nation ou de sa tribu , mais la sienne pro- pre, celle de l'individu même. Obéir le moins possible pour avoir peu à céder de sa fainéantise et de ses goûts , c'est la grande préoccupation du Guarani comme du Chinook. Tout ce qu'on prétend démêler de noble dans le caractère indien vient de là. Cependant plusieurs causes locales ont, dans quelques tribus , rendu la présence d'un chef nécessaire , indispensable. On a donc accepté le chef; mais on ne lui accorde que la me- sure de soumission la plus petite possible , et c'est le subor- donné qui la fixe. On lui dispute jusqu'aux bribes d'une autorité si mince. On ne la confère que pour un temps, on la reprend quand on veut. Les sauvages d'Amérique sont des républicains extrêmes.

1) D'Orbigny, OMvr. cité, t. II, p. 232 et pass.

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500 DE l'inégalité

Dans cette situation , les hoiiimes à talent ou ceux qui croient rêtre, les ambitieux de toutes volées, emploient Tintelligence qu'ils possèdent, et j'ai dit qu'ils en avaient, à persuader à leur peuplade d'abord l'indignité de leurs concurrents, ensuite leur propre mérite; et, comme il est impossible de former ce qui s'appelle ailleurs un parti solide, au moyen de ces individuali- tés si farouches et si éparses , il leur faut user d'un recours journalier, d'un recours perpétuel à la persuasion et à l'élo- quence pour maintenir cette influence si faible et si précaire , seul résultat pourtant auquel il leur soit permis d'aspirer. De cette manie de discourir et de pérorer qui possède les sau- vages, et tranche d'une manière si inattendue sur leur taci- turnité naturelle. Dans leurs réunions de famille et même pendant leurs orgies, il n'y a nul intérêt personnel mis en jeu, personne ne dit mot.

Par la nature de ce que des hommes trouvent utile, c'est- à-dire de pouvoir manger et de lutter contre les intempéries des saisons, de garder l'indépendance, non pour s'en servir à re- chercher un but intellectuel, mais pour céder sans contrôle à- des penchants purement matériels, par cette indifférente froi- deur dans les relations entre proches , je suis autorisé à recon- naître en eux la prédominance, ou du moins l'existence fon- damentale de l'élément jaune. C'est bien le type des peuples de l'Asie orientale, avec cette différence, pour ces derniers, que l'infusion constante et marquée du sang du blanc a modiflé ces aptitudes étroites.

Ainsi la psychologie, comme la linguistique et surtout comme la physiologie, conclut que l'essence finnoise est répandue, en plus ou moins grande abondance, dans les trois grandes divisions américaines du nord, du sud-ouest et du sud-est. Il reste à trouver maintenant quelles causes ethniques., pénétrant ces masses, ont altéré, varié, contourné leurs caractères presque à l'infini, et de manière à les dégager en une série de groupes isolés. Pour parvenir à un résultat convenablement démontré , je continuerai à observer d'abord les caractères extérieurs, puis je passerai aux autres modes de la manifes- tation ethnique.

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DES RACES HUMAINES. 501

La modification du type jaune pur, lorsqu'elle a lieu par immixtion de principes blancs comme cliez les Slaves et chez les Celtes, ou même chez les Rirghises, produit des hommes dont je ne trouve pas les semblables en Amérique. Ceux des indigènes de ce continent qui se rapprocheraient le plus, quant à Textérieur, de nos populations gaUiques ou wendes, sont les Cherokees , et cependant il est impossible de s'y mé- prendre. Lorsqu'un mélange a lieu entre le jaune et le blanc, le second développe surtout son influence par la nouvelle mesure des proportions qu'il donne aux membres; mais, pour ce qui est du visage , il agit médiocrement et ne fait que mo- dérer la nature finnoise. Or c'est précisément par les traits de la face que les Cherokees sont comparables au type européen. Ces sauvages n'ont pas même les yeux aussi bridés , ni aussi obliques , ni aussi petits que les Bretons et que la plupart des Russes orientaux-, leur nez est droit et s'éloigne notablement de la forme aplatie que rien n'efface dans les métis jaunes et blancs. Il n'y a donc nul motif d'admettre que les races amé- ricaines aient vu leurs éléments finniques influencés primitive- ment par des alliages venus de Fespèce noble.

Si l'observation physique se prononce de la sorte sur ce point, elle indique, en revanche , avec insistance, la présence d'immixtions noires. L'extrême variété des types américains correspond, d'une manière frappante, à la diversité non moins grande qu'il est facile d'observer entre les nations polynésien- nes et les peuples malais du sud-est asiatique. On sera d'au- tant plus convaincu de la réalité de cette corrélation qu'on s'y arrêtera davantage. On découvrira , dans les régions amé- ricaines, les pendants exacts du Chinois septentrional, du Malais des Célèbes, du Japonais, du Mataboulaï des îles Tonga, du Papou lui-même, dans les types de l'Indien du nord, du Guarani, de l'Aztèque, du Quichna, du Cafuso. Plus on des- cendra aux nuances, plus on rencontrera d'analogies; toutes, certainement, ne correspondront pas d'une manière rigou- reuse , il est bien facile de le prévoir, mais elles indiqueront si bien leur lien général de comparaison que l'on conviendra sans difficulté de l'identité des causes. Chez les sujets les

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502 DE l'inégalité

dus bruns , le nez prend la forme aquiline , et souvent d'une façon très accentuée; les yeux deviennent droits, ou presque droits -, quelquefois la mâchoire se développe en avant : de tels cas sont rares. Le front cesse d'être bombé et affecte la forme fuyante. Tous ces indices réunis dénoncent la présence de l'immixtion noire dans un fond mongol. Ainsi l'ensemble des groupes aborigènes du continent américain forme un ré- seau de nations malaises , en tant que ce mot peut s'appliquer

ides produits très différemment gradués du mélange finno- mélanien , ce que personne ne conteste d'ailleurs pour toutes les familles qui s'étendent de Madagascar aux Marquises, et de la Chine à l'île de Pâques.

S'enquiert-on maintenant par quels moyens la communica- tion entre les deux grands types noir et jaune a pu s'établir dans l'est de l'hémisphère austral ? Il est aisé , très aisé de tran- quilliser l'esprit à cet égard. Entre Madagascar et la première île malaise, qui est Ceylan, il y a 12° au moins, tandis que du Japon au Kamtschatka et de côte d'Asie à celle d'Améri- que, par le détroit de Behring, la distance est insignifiante. On n'a pas oublié que , dans une autre partie de cet ouvrage, Texistence de tribus noires sur les îles au nord de Niphon a déjà été signalée pour une époque très moderne. D'autre part, puisqu'il a été possible à des peuples malais de passer d'ar- diipels en archipels jusqu'à l'île de Pâques , il n'y a nulle difficulté à ce que, parvenus à ce point, ils aient continué jus- qu'à la côte du Chili, située vis-à-vis d'eux, et y soient arri- vés , après une traversée rendue assez facile par les îles semées sur la route , Sala , Saint-Ambroise , Juan-Fernandez , circons- tance qui réduit à deux cents lieues le plus court trajet d'un des points intermédiaires à l'autre. Or, on a vu que des ha- sards de mer entraîuaient fréquemment des embarcations d'indigènes à plus du double de cette distance. L'Amérique était donc accessible, du côté de l'ouest, par ses deux extrémités nord et sud. Il est encore d'autres motifs pour ne pas douter que ce qui était matériellement possible a eu lieu en effet (1).

(1) Morton conteste la possibilité de l'arrivée de groupes malais jus

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Les tribus d'aborigènes les plus bruns étant disposées sur la côte occidentale , on en doit conclure que se firent les prin- cipales alliances du principe noir ou plutôt malais avec l'élé- ment jaune fondamental. En présence de cette explication, on n'a plus à s'occuper de démonstrations appuyées sur la pré- tendue influence climatérique pour expliquer comment les Aztèques et les Quichnas sont plus basanés, bien qu'habitant des montagnes relativement très froides , que les tribus bré- siliennes errant dans des pays plats et sur le bord des fleuves. On ne s'arrêtera plus à cette solution bizarre que , si ces sau- vages sont d'un jaune pâle , c'est que l'abri des forêts leur conserve le teint. Les peuples de la côte occidentale sont les plus bruns , parce qu'ils sont les plus imbus de sang mélanien , vu le voisinage des archipels de Tocéan Pacifique. C'est aussi l'opinion de la psychologie.

Tout ce qui a été dit plus haut du naturel de l'homme amé- ricain s'accorde avec ce que Ton sait des dispositions capitales de la race malaise. Égoïsme profond, nonchalance, paresse, cruauté froide, ce fond identique des moeurs mexicaines, pé- ruviennes, guaranis, huronnes, semble puisé dans les types offerts par les populations australiennes. On y observe de même un certain goût de TutHe médiocrement compris , une intelligence plus pratique que celle du nègre, et toujours la passion de l'indépendance personnelle. Parce que nous avons vu en Chine la variété métisse du Malais supérieure à la race noire et à la jaune , nous voyons également les populations d'Amérique posséder les facultés mâles avec plus d'intensité

qu'à la côte d'Amérique, parce que, dit-il, les vents d'est régnent le plus ordinairenient dans ces parages. (Ouvr. cité, p. 32.) En se pro- nonçant ainsi, il oublie le fait incontestable de la colonisation de toutes les îles du Paciûque par une même race venue de l'ouest, et cette circonstance plus particulière, que lui-mcme signale (p. 17), qu'en 1833, une jonque japonaise a été jetée par les vents sur cette même côte d'Amérique qu'il déclare, un peu plus bas, inaccessible de ce côté. 11 a vu lui-même des vases de porcelaine provenant de cette jon- que, et il ajoute : « Such cadualties may hane occurred in the early « periods of american history. »

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504 DE L'INEGALITE

que les tribus du continent africain (1). Il a pu se développer chez elles, sous une influence supérieure, comme ailleurs chez les Malais de Java , de Sumatra , de Bail , des civilisa- tions bien éphémères sans doute, mais non pas fdénuées de mérite.

Ces civilisations , quelles qu'aient été leurs causes créatrices, n'ont eu l'étincelle nécessaire pour se former que oii la fa- mille malaise , existant avec la plus grande somme d'éléments mélaniens , présentait l'étoffe la moins rebelle. On doit donc s'attendre à les trouver sur les points les plus rapprochés des archipels du Pacifique. Cette prévision n'est pas trampée : leurs plus complets développements nous sont offerts sur le territoire mexicain et sur la côte péruvienne..

Il est impossible de passer sous silence un préjugé commun à toutes les races américaines , et qui se rattache évidemment à une considération ethnique. Partout les indigènes admirent comme une beauté les fronts fuyants et bas. Dans plusieurs localités, extrêmement distantes les unes des autres, telles que les bords de la Côlumbia et l'ancien pays des Aymaras péruviens, on a pratiqué ou l'on pratique encore Tusage d'ob- tenir cette difformité si appréciée, en aplatissant les crânes des enfants en bas âge par un appareil compressif formé de bandelettes étroitement serrées (2).

Cette coutuniie n'est pas, d'ailleurs, exclusivement particu- lière au nouveau monde; l'ancien en a vu des exemples. C'est ainsi que, chez plusieurs nations hunniques, d'extraction en

(1) D'Orbigny {ouvr. cité, t. I, p. 143) déclare que le mélange des aborigènes américains, et ce sont surtout les Guaranis très mongo- lisés qu'il a observés, donne des produits supérieurs aux deux types qui les fournissent.

(2) Les Aymaras actuels n'ont pas la tête aplatie de leurs ancêtres, parce que l'influence espagnole les a fait renoncer à cet usage. (D'Or- bigny, ouv7\ cité, 1. 1, p. 315.) Il n'avait commencé qu'avec la domina- tion des Incas, vers le xiv« siècle. (Ibid.,]). 319.) Les Chinooks de la Colombie le maintiennent encore avec grand soin. Un voyageur, choisi pour parrain d'un enfant, ne put décider les parents à ne pas remettre les bandelettes compressives aussitôt que le nourrisson eut été ondoyé par un missionnaire.

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partie étrangère au sang mongol, les parents employaient le même procédé qu'en Amérique pour repétrir tête des nou- veau-nés , et leur procurer plus tard une ressemblance factice avec la race aristocratique. Or, comme il n'est pas admissible que le fait d'avoir le front fuyant puisse répondre a une idée innée de belle conformation, on doit croire que les indigènes américains ont été amenés au désir de retoucher l'apparence physique de leurs générations par quelques indices qui les por- taient à considérer les fronts fuyants comme la preuve d'un développement enviable des facultés actives, ou, ce qui re- vient au même, comme la marque d'une supériorité sociale quelconque. Il n'y a pas de doute que ce qu'ils voulaient imi- ter, c'était la tête pyramidale du Malais , forme mixte entre la disposition de la boîte crânienne du Finnois et celle du nègre. La coutume d'aplatir le front des enfants est ainsi une preuve de plus de la nature malaise des plus puissantes tribus américaines; et je conclus en répétant qu'il n'y a pas de race d'Amérique proprement dite, ensuite que les indigènes de cette partie du monde sont de race mongole, différemment affectés par des immixtions soit de noirs purs, soit de Ma- lais. Cette partie de l'espèce humaine est donc complètement métisse.

Il y a plus; elle l'est depuis des temps incalculables, et il n'est guère possible d'admettre que jamais le soin de se main- tenir pures ait inquiété ces nations. A en juger par les faits, dont les plus anciens sont malheureusement encore assez mo- dernes, puisqu'ils ne s'élèvent pas au-dessus du x^ siècle de notre ère, les trois groupes américains, sauf de rares excep- tions, ne se sont, en aucun temps, fait le moindre scrupule de mêler leur sang. Dans le Mexique , le peuple conquérant se rattachait les vaincus par des mariages pour agrandir et consolider sa domination. Les Péruviens, ardents prosélytes, prétendaient augmenter de la même manière le nombre des adorateurs du soleil. Les Guaranis, ayant décidé que l'honneur d'un guerrier consistait à avoir beaucoup d'épouses étrangères à sa tribu, harcèlent sans relâche leurs voisins dans le but principal , après avoir tué les hommes et les enfants , de s'at-

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506 DE l'inégalité

tribuer les femaies (1). Il résulta de cette habitude , chez ces derniers, un accident hnguistique assez bizarre. Ces nouvelles compatriotes , important leurs langages dans leurs tribus d'a- doption , y formèrent , au sein de l'idiome national , une partie féminine qui ne fut jamais à l'usage de leurs maris (2).

Tant de mélanges , venant s'ajouter incessamment à un fond déjà métis, ont amené la plus grande anarchie ethnique. Si Ton considère de plus que les mieux doués des groupes amé- ricains, ceux dont l'élément jaune fondamental est le plus chargé d'apports mélaniens , ne sont cependant et ne peuvent être qu'assez humblement placés sur l'échelle de Fhumanité, on comprendra encore mieux que leur faiblesse n'est pas de la jeunesse, mais bien delà décrépitude, et qu'il n'y a jamais eu la moindre possibilité pour eux d'opposer une résistance quel- conque aux attaques venues de l'Europe.

Il semblera étrange que ces tribus échappent à la loi ordi- nale qui porte les nations, même celles qui sont déjà métis- ses, à répugner aux mélanges, loi qui s'exerce avec d'autant plus de force que les familles sont composées d'éléments ethni- ques grossiers. Mais l'excès de la confusion détruit cette loi chez les groupes les plus vils comme chez les plus nobles; on en a vu bien des exemples ; et, quand on considère le nombre illimité d'alliages que toutes les peuplades américaines ont su- bis, il n y a pas lieu de s'étonner de l'avidité avec laquelle les femmes guaranis du Brésil recherchent les embrassements du nègre. C'est précisément l'absence de tout sentiment sporadi- que dans les rapports sexuels qui démontre le plus complète- ment à quel bas degré les familles du nouveau monde sont descendues en fait de dépravation ethnique , et qui donne les plus puissantes raisons d'admettre que le début de cet état de 'choses remonte à une époque excessivement éloignée (3),

(1) D*Orbigny, ouDr. cité, t. I, p. 153. Dans le Sud, les femmes sont vendues si cher par leurs parents, que les jeunes gens, procé- dant avec économie, préfèrent s'en procurer le casse-tête au poing. {Ibid.)

(2) D'Orbigny, Ibid.

(3) Martius u. Spix. , ouvr. cité, t. III, p. 905. Ces voyageurs voiit

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DES RACES HUMAINES. 507

Lorsque nous avons étudié les causes des migrations primi- tives de la race blanche vers le sud et Touest, nous avons constaté que ces déplacements étaient les conséquences d'une forte pression exercée dans le nord-est par des multitudes in- nombrables de peuples jaunes. Antérieurement encore à la descente des Cliamites blancs , des Sémites et des Arians , l'i- nondation finnique, trouvant peu de résistance chez les na- tions noires de la Chine , s'était répandue au milieu d'elles , et y avait poussé très loin ses conquêtes , par conséquent ses mé- langes. Dans les dispositions dévastatrices, brutales, de cette race il y eut nécessairement excès de spoliation. En butte à des dépossessions impitoyables, des bandes nombreuses de noirs prirent la fuite et se dispersèrent elles purent. Les unes gagnèrent les montagnes, les autres les îles Formose, Ni- phon, Yeso, les Kouriles, et, passant derrière les masses de leurs persécuteurs , vinrent à leur tour conquérir, soit en res- tant pures, soit mêlées au sang des agresseurs, les terres, abandonnées par ceux-ci dans l'occident du monde. elles s'unirent aux traînards jaunes qui n'avaient pas suivi la grande émigration.

Mais le chemin pour passer ainsi de l'Asie septentrionale sur Tautre continent était hérissé de difficultés qui ne le rendaient pas attrayant ; puis , d'une autre part , les grandes causes qui expulsaient d'Amérique les multitudes énormes des jaunes n'avaient pas permis à beaucoup de tribus de ceux-ci de con- server l'ancien domicile. Pour ces motifs, la population resta toujours assez faible, et ne se releva jamais de la terrible ca- tastrophe inconnue qui avait poussé ces masses natives à la désertion. Si les Mexicains , si les Péruviens présentèrent quel- ques dénombrements respectables à l'observation des Espa- gnols, les Portugais trouvèrent le Brésil peu habité, et les Anglais n'eurent devant eux , dans le nord , que des tribus er- rantes perdues au sehi des solitudes. L'Américain n'est donc

jusqu'à affirmer que, dans la province du Para, il n'est peut-être pas une seule famille indienne qui ait laissé passer quelques géné- rations sans se croiser, soit avec des blancs , soit avec des noirs.

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À

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que le descendant clairsemé de bannis et de traînards. Son territoire représente une demeure abandonnée, trop vaste pour ceux qui l'occupent , et qui ne sauraient pas se dire abso- lument les héritiers directs et légitimes des maîtres primor- diaux.

Les observateurs attentifs , qui tous, d'un commun accord, ont reconnu chez les naturels du nouveau monde les caractères frappants et tristes de la décomposition sociale, ont cru, pour la plupart , que cette agonie était celle d'une société jadis cons- tituée, était celle de l'intelligence vieiUie, de Tesprit usé. Point. C'est celle du sang frelaté , et encore n'ayant été primi- tivement formé que d'éléments infimes. L'impuissance de ces peuples était telle, à ce moment même des civilisations nationales les éclairaient de tous leurs feux, qu'ils n'avaient pas même la connaissance du sol sur lequel ils vivaient. Les em- pires du Mexique et du Pérou, ces deux merveilles de leur génie , se touchaient presque , et on n'a jamais pu découvrir la moindre liaison de l'un à l'autre. Tout porte à croire qu'ils s'ignoraient. Cependant ils cherchaient à étendre leurs fron- tières , à se grossir de leur mieux. Mais les tribus qui séparaient leurs frontières étaient si mauvaises conductrices des impres- sions sociales qu'elles ne les propageaient pas même à la plus faible distance. Les deux sociétés constituaient donc deux Ùots qui ne s'empruntaient et ne se prêtaient rien.

Cependant elles avaient longtemps été cultivées sur place , et avaient acquis toute la force qu'elles devaient jamais avoir Les Mexicains n'étaient pas les premiers civilisateurs de lem' contrée. Avant eux, c'est-à-dire avant le x^ siècle de notre ère (1), les Toltèques avaient fondé de grands établissements sur le même sol, et avant les Toltèques on reporte encore l'âge des Olmécas, qui seraient les véritables fondateurs de ces grands et imposants édifices dont les ruines dorment en- sevelies au plus profond des forêts du Yucatan. D'énormes murailles formées de pierres immenses, des cours d'une éton-

(1) Prescott {ouvr. cité, t. III, p. 255) ne fait même remonter qu'au siècle l'arrivée des Toltèques.

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nante étendue , impriment à ces monuments un aspect de ma- jesté auquel la mélancolie grandiose et les profusions végétales de la nature viennent ajouter leurs charmes. Le voyageur qui, après plusieurs jours de marche à travers les forêts vierges de Chiapa, le corps fatigué par les difficultés de la route, l'âme émue par la conscience de mille dangers , l'esprit exalté par cette interminable succession d'arbres séculaires , les uns de- bout, les autres tombés , d'autres encore cachant la poussière de leur vétusté sous des monceaux de lianes, de verdure et de fleurs étincelantes ; l'oreille remplie du cri des bêtes de proie ou du frissonnement des reptiles; ce voyageur qui, à travers tant de causes d'excitation , arrive à ces débris ines- pérés de la pensée humaine , ne mériterait pas sa fortune, si son enthousiasme ne lui jurait qu'il a sous les yeux des beau- tés incomparables.

Mais , quand un esprit froid examine ensuite dans le cabinet les esquisses et les récits de l'observateur exalté, il a le devoir d'être sévère, et, après mûres réflexions, il conclura sans doute que ce n'est pas l'œuvre d'un peuple artiste, ni même d'une nation grandement utilitaire que l'on peut reconnaître dans les restes de Mitla , d'Izalanca , de Palenquè , des ruines de la vallée d'Oaxaca.

Les sculptures tracées sur les murailles sont grossières,- aucune idée d'art élevé n'y respire. On n'y voit pas, comme (^ ns les œuvres des Sémites d'Assyrie , l'apothéose heureuse V la matière et de la force. Ce sont d'humbles efforts pour imiter la forme de l'homme et des animaux. Il en résulte des créations qui, de bien loin, n'atteignent pas à l'idéal-, et ce- pendant elles ne sauraient pas non plus avoir été commandées par le sentiment de l'utile. Les races mâles n'ont pas coutume de se donner tant de peine pour amonceler des pierres ; nulle part les besoins matériels ne commandent de pareils travaux. Aussi n'existe-t-il rien de semblable en Chine; et, quand l'Eu- rope des âges moyens a dressé ses cathédrales, l'esprit ro- manisé lui avait fait déjà, pour son usage, une notion du beau et une aptitude aux arts plastiques que les races blan- ches peuvent bien adopter, qu'elles poussent à une perfection

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unique, mais que seules et d'elles-mêmes elles ne sont pas aptes à concevoir. Il y a donc du nègre dans la création des monu- ments du Yucatan, mais du nègre qui, en excitant l'instinct jaune et en le portant à sortir de ses goûts terre à terre, n'a pas réussi à lui faire acquérir ce que l'initiateur même n'avait pas, le goût, ou, pour mieux dire, le vrai génie créateur (1).

On doit tirer encore une conséquence de la vue de ces mo- numents. C'est que le peuple malais par lequel ils furent cons- truits, outre qu'il ne possédait pas le sens artistique dans la signification élevée du mot, était un peuple de conquérants qui disposait souverainement des bras de multitudes asser- vies (2). Une nation homogène et libre ne s'impose jamais de pareilles créations; il lui faut des étrangers pour les imaginer, lorsque sa puissance intellectuelle est médiocre, et pour les accomplir, lorsque cette même puissance est grande. Dans le premier cas, il lui faut des Ghamites, des Sémites, des Arians Iraniens ou Hindous, des Germains, c'est-à-dire, pour em-. ployer des termes compris chez tous les peuples, des dieux, des demi-dieux, des héros, des prêtres ou des nobles omnipo- tents. Dans le second , cette série de maîtres ne peut se passer de masses serviles pour réaliser les conceptions de son génie. L'aspect des ruines du Yucatan induit donc à conclure que les populations mixtes de cette contrée étaient dominées, lorsque ces palais s'élevèrent, par une race métisse comme elles, mais d'un degré un peu plus élevé, et surtout plus affectée par l'al- liage mélanien.

(1) D'Orbigny observe que c'est chez les Aymaras péruviens que l'on peut trouver, dans les œuvres architecturales, le plus d'idéalité; encore n'est-ce jamais beau. (Ouvr. cité, t. I, p. 203 et seqq.) On a essayé de découvrir l'âge des monuments de Palenqué d'après la nature des stalactites déposées sur quelques murailles , d'après les couches concentriques formées par la végétation sur de très vieux arbres et par l'observation des couches de détritus accumulées à une hauteur de neuf pieds dans les cours. Cette méthode n'a pas donné de résul- tats sous un ciel aussi fécond que celui du Yucatan. (Prescott ouvr. cité, t. III, p. 254.)

(2) Dans une des cours d'Uxmal, le pavé de granit, sur lequel sont figurées en relief des figures de tortues, est presque uni par les pas des anciennes populations. (Prescott, ibid.)

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DES RACES HlIMAIiVES. 511

Les Toîtèques et les Aztèques se reconnaissent également au peu (le largeur du front et à la couleur olivâtre. Ils venaient du nord-ouest, l'on retrouve encore leurs tribus natales dans les environs de Nootka ; ils s'installèrent au milieu des peuplades indigènes, qui avaient déjà connu la domination des Olmécas, et ils leur enseignèrent une sorte de civilisation bien faite pour nous étonner; car elle a conservé, tant qu'elle a vécu , les caractères résultant de la vie des forêts à côté de ceux dont l'existence des villes rend les raffinements néces- saires.

En détaillant la splendeur de Mexico au temps des Aztèques, on y remarque de somptueux bâtiments, de belles étoffes , des mœurs élégantes et recherchées. Dans le gouvernement on y voit cette hiérarchie monarchique , mêlée d'éléments sacerdo- taux, qui se reproduit partout des masses populaires sont assujetties par une nation de vainqueurs. On y constate encore de l'énergie militaire chez les nobles , et des tendances très accusées à comprendre l'administration publique d'une façon toute propre à la race jaune. Le pays n'était pas non plus sans littérature. Malheureusement les historiens espagnols ne nous ont rien conservé qu'ils n'aient défiguré en l'amplifiant. Il y a cependant du goût chinois dans les considérations morales, dans les doctrines régulatrices et édifiantes des poésies aztè- ques , comme ce même goût apparaît aussi dans la recherche contournée et énigmatique des expressions. Les chefs mexi- cains, pareils en ce point à tous les caciques de l'Amérique, se montraient grands parleurs, et cultivaient fort cette élo- quence ampoulée , nuageuse , séductrice, que les Indiens des prairies du nord connaissent et pratiquent si bien au gré des romanciers qui les ont décrits de nos jours. J'ai déjà indiqué la source de ce genre de talent. L'éloquence politique, ferme, simple , brève , qui n'est que l'exposition des faits et des rai- sons, assure le plus grand honneur à la nation qui en fait usage. Chez les Arians de tous les âges , comme encore chez les Doriens et dans le vieux sénat sabin de la Rome latine , c'est l'instrument de la liberté et de la sagesse. Mais l'élo- quence politique oi née , verbeuse , cultivée comme un talent

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spécial, élevée à la hauteur d'un art, Téloquence qui devient la rhétorique, c'est tout autre chose. On ne saurait la consi- dérer que comme un résultat direct du fractionnement des idées chez une race , et de l'isolement moral sont tombés tous les esprits. Ce que Ton a vu chez les Grecs méridionaux, chez les Romains sémitisés, j'allais dire dans les temps mo- dernes, démontre assez que le talent de la parole, cette puis- sance en définitive grossière, puisque ses œuvres ne peuvent être conservées qu'à la condition rigoureuse de passer dans une forme supérieure à celle elles ont produit leurs effets-, qui a pour but de séduire, de tromper, d'entraîner, beaucoup plus que de convaincre, ne saurait naître et vivre que chez des peuples égrenés qui n'ont plus de volonté commune , de but défini, et qui se tiennent, tant ils sont incertains de leurs voies, à la disposition du dernier qui leur parle. Donc, puis- que les Mexicains honoraient si fort l'éloquence , c'est une preuve que leur aristocratie même n'était pas très compacte , très homogène. Les peuples, sans contredit, ne différaient pas des nobles sous ce rapport.

Quatre grandes lacunes affaiblissaient l'éclat de la civilisa- tion aztèque. Les massacres hiératiques étaient considérés comme l'une des bases de l'organisation sociale , comme un des buts principaux de la vie publique. Cette férocité normale tuait sans choix, comme sans scrupule, les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants-, elle tuait par troupeaux, et y prenait un plaisir ineffable. Il est inutile de signaler com- bien ces exécutions différaient des sacrifices humains dont le monde germanique nous a présenté l'usage. On comprend que le mépris de la vie et de l'âme était la source dégradante de cet usage , et résultait naturellement du double courant noir et jaune qui avait formé la race.

Les Aztèques n'avaient jamais songé à réduire des animaux en domesticité; ils ne connaissaient pas l'usage du lait. C'est une singularité qui se retrouve çà et chez certains groupes de la famille jaune (1).

(1) Voir plus haut.

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DES RACES HUMAINES. 513

Ils possédaient un système graphique, mais des plus impar- faits. Leur écriture ne consistait qu'en une série de dessins giossièrement idéographiques. Il y a bien loin de aux hiéro- glyphes proprement dits. On se servait de cette méthode pour conserver le souvenir des grands faits historiques, transmettre lis ordres du gouvernement, les renseignements fournis par les magistrats au roi. C'était un procédé très lent, très incommode ; cependant les Aztèques n'avaient pas su mieux faire. Ils étaient nférieurs sous ce rapport aux Olmécas, leurs prédécesseurs, ;i tant est qu'il faille les prendre , avec M. Prescott , pour les ondateurs de Palenquè, et admettre que certaines inscriptions «bservées sur les murailles de ces ruines constituent des signes jhonétiques (1).

Enfin, dernière défectuosité chronique de la société mexi- Qine, il est certain, bien qu'à peine croyable, que ce peuple ri- ^rain de la mer, et dont le territoire n'est pas privé de cours deau, ne pratiquait pas la navigation, et se servait uniquement è pirogues fort mal construites et de radeaux plus imparfaits eicore.

Voilà quelle était la civilisation renversée par Cortez : et il e$ bon d'ajouter que ce conquérant la trouva dans sa fleur et dus sa nouveauté ; car la fondation de la capitale, Tenochtit- lai, ne remontait qu'à l'an 1325. Combien donc les racines de cëte organisation étaient courtes et peu tenaces ! Il a suffi de l'c^parition et du séjour d'une poignée de métis blancs sur son terain pour la précipiter immédiatement au sein du néant. Qund la forme pohtique eut péri, il n'y eut plus de trace des in^ntions sur lesquelles elle s'appuyait. La culture péruvienne nese montra pas plus solide.

ja domination des Incas , comme celle des Toltèques et des Aîèques, succédait à un autre empire , celui des Aymaras, dot le siège principal avait existé dans les régions élevées des

Aries, sur les rives du lac de Titicaca. Les monuments qu'on

vo encore dans ces lieux permettent d'attribuer à la nation ayiara des facultés supérieures à celles des Péruviens qui

( Prescott, ouvr. cité, t. III, p. 253.

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Font suivie, puisque ceux-ci n'ont été que des copistes. M. d'Or- bigny fait observer avec raison que les sculptures de Tihuanaco révèlent un état intellectuel plus délicat que les ruines des âges postérieurs, et qu'on y découvre même une certaine propei- sion à l'idéalité tout à fait étrangère à ceux-ci (1).

Les Incas, reproduction affaiblie d'une race plus civilisatrice, arrivèrent des montagnes en en couvrant vers l'ouest toutes ks pentes, occupant les plateaux et agglomérant sous leur con* duite un certain nombre de peuplades. Ce fut au xi^ siècle d< notre ère que cette puissance naquit (2), et, véritable singula^ rite en Amérique, la famille régnante semble avoir été eWê^ mement préoccupée du soin de conserver la pureté de soi sang. Dans le palais de Cuzco, l'empereur n'épousait que sei sœurs légitimes, afin d'être plus assuré de l'intégrité de si descendance, et il se réservait , ainsi qu'à un petit nombre à parents très proches, l'usage exclusif d'une langue sacrée, qii vraisemblablement était l'aymara (3). 1

Ces précautions ethniques de la famille souveraine démoi> trent qu'il y avait beaucoup à redire à la valeur généalogiqé de la nation conquérante elle-même. Les Incas éloignés cji trône ne se faisaient qu'un très mince scrupule de prendre dis . épouses il leur plaisait. Toutefois, si leurs enfants avaiert; pour aïeux maternels les aborigènes du pays, la tolérance p s'étendait pas jusqu'à admettre dans les emplois les des^cendaijs ' en ligne paternelle de cette race soumise. Ces derniers étaiat donc peu attachés au régime sous lequel ils vivaient, et voilà n des motifs pour lesquels Pizarre renversa si aisément toutela couche supérieure de cette société , tout le couronnement çs institutions, et pourquoi les Péruviens n'essayèrent jamais d]n retrouver ni d'en faire revivre les restes.

Les Incas ne se sont pas souillés des institutions homicides le l'Anahuac mexicain; leur régime était au contraire fort doK. Ils avaient tourné leurs principales idées vers l'agriculture, t,

(1) D'Orbigny, ouvr. cité, t. I, p. 323. -

(2) D'Orbigny, ouvr. cité, t. I, p. 296. C'est l'époque parut Manl)- Capac.

(3) D'Orbigny, ouvr. cité^ t. I, p. 297,

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DES RACES HUMAINES. 515

mieux avisés que les Aztèques, Us avaient apprivoisé de nom- breux troupeaux d'alpacas et de lamas. Mais chez eux, pas d'éloquence, pas de luttes de parole : l'obéissance passive était la suprême loi. La formule fondamentale de TÉtat avait indiqué une route à suivre à l'exclusion de toute autre, et n'ad- mettait pas la discussion dans ses moyens de gouvernement. Au Pérou, on ne raisonnait pas , on ne possédait pas . tout le monde travaillait pour le prince. La fonction capitale des ma- gistrats consistait à répartir dans chaque famille une quote-part convenable du labeur commun. Chacun s'arrangeait de façon à se fatiguer le moins possible , puisque l'application la plus acharnée ne pouvaitjamais procurer aucun avantage exception- nel. On ne réfléchissait pas non phis. Un talent surhumain n'était pas capable d'avancer son propriétaire dans les distinc- tions sociales. On buvait, on mangeait, on dormait, et surtout on se prosternait devant l'empereur et ses préposés ; de sorte que la société péruvienne était assez silencieuse et très passive.

En revanche, elle se montrait encore plus utilitaire que la mexicaine. Outre les grands ouvrages agricoles , le gouverne- ment faisait exécuter des routes magnifiques, et ses sujets con- naissaient l'usage des ponts suspendus, qui est si nouveau pour nous. La méthode dont ils usaient pour fixer et transmettre la pensée était des plus élémentaires, et peut-être faut-il préférer les peintures de TAnahuac aux quipos.

Pas plus que che? les Aztèques, la construction navale n'é- tait connue. La mer qui bordait la côte restait déserte (1).

Avec ses qualités et ses défauts, la civilisation péruvienne in- clinait vers les molles préoccupations de l'espèce jaune, tandis que l'activité féroce du Mexicain accuse plus directement la parenté mélanienne. On comprend assez qu'en présence de la profonde confusion ethnique des races du nouveau continent, ce serait une insoutenable prétention que de vouloir aujour- d'hui préciser les nuances qui ressortent de l'amalgame de leurs éléments.

(I) D'Orbigny, ouvr. cité, t. I, p. 215. —Les Guaranis ou Caraïbes, conquérants des Antilles , n'avaient eux-mêmes que des pirogues faites (l'un tronc d'arbre creusé. (Ibid.)

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516 DE l'inégalité

Il resterait à examiner une troisième nation américaine, établie dans les plaines du nord, au pied des monts Alléghanis, à une époque fort obscure. Des restes de travaux considéra- bles et des tombeaux sans nombre se font apercevoir au sein de cette région. Ils se divisent en plusieurs classes iadicatives de dates et de races fort différentes. Mais les incertitudes s'ac- cumulent sur cette question. Jusqu'à présent rien de positif n'a encore été découvert. S'attacher à un problème encore si peu et si mal étudié, ce serait s'enfoncer gratuitement dans des hypothèses inextricables (1). Je laisserai donc les nations al- léghaniennes absolument à l'écart, et je passerai immédiate- ment à l'examen d'une difficulté qui pèse sur la naissance de leur mode de culture, quel qu'ait pu être son degré, tout comme sur celle de la culture des empires du Mexique et du Pérou des différents âges. On doit se demander pourquoi quel- ques nations américaines ont été induites à s'élever au-dessus de toutes les autres, et pourquoi le nombre de ces nations a été si limité, en même temps que leur grandeur relative est, en fait, restée si médiocre?

C'est déjà avoir une réponse que d'observer, comme on a pu le faire d'après les remarques précédentes, que ces développe- ments partiels avaient été déterminés en partie par des com- binaisons fortuites entre les mélanges jaunes et noirs. En voyant combien les aptitudes résultant de ces combinaisons étaient en définitive bornées, et les singulières lacunes qui ca-

(i) Des monuments de différentes espèces , mais extrêmement gros- siers, sont répandus jusque dans le Nouveau-Mexique et la Californie. (L. G. Squier, Extract from the American Review for nov. 1848.) Plusieurs de ces constructions remontaient à une époque excessive- ment reculée, et ne concernent pas les races américaines actuelles. C'est aux Finnois primitifs qu'il faut les rapporter; aussi n'est-ce pas à cette classe qu'il est fait ici allusion. Les Alléghaniens paraissent avoir transmis aux Lenni-Lenapes actuels ce mode d'écriture mnémo- nique qui consiste en signes arbitraires tracés sur une planchette dans le but de rappeler les détails d'un récit à ceux qui le savent et à les empêcher de se tromper dans l'ordre de succession des idées. C'est dans ce système qu'est reproduit le chant mythique intitulé : Wolum-Olum, Création, donné par E. G. Squier, dans le Historical and mythological traditions of the Algonquino, p. 6.

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DES RACES HUMAINES. 517

ractérisent leurs travaux et leurs œuvres, on a pu se convain- cre que les civilisations américaines ne s'élevaient pas, clans le détail, beaucoup au-dessus de ce que les meilleures races ma- laises de la Polynésie ont réussi à produire. Toutefois il ne faut pas se le dissimuler non plus, si défectueuses que nous apparaissent les organisations aztèque et quichna, il est cepen- dant en elles quelque chose d'essentiellement supérieur à la science sociale pratiquée à Tonga-Tabou et dans File d'Hawaii ; on y aperçoit un lien national plus fortement tendu, une cons- cience plus nette d'un but qui est, de lui-même , d'une nature plus complexe; de sorte que l'on est en droit de conclure, malgré beaucoup d'apparences contraires, que le mélange po- lynésien le mieux doué n'arrive pas encore tout à fait à égaler ces civilisations du grand continent occidental, et, en consé- quence, on est amené à croire que, pour déterminer cette dif- férence, il a fallu l'intervention locale d'un élément plus éner- gique, plus noble que ceux dont les espèces jaune et noire ont la disposition. Or il n'est dans le monde que l'espèce blanche qui puisse fournir cette qualité suprême. Il y a donc, à priori, lieu de soupçonner que des infiltrations de cette essence pré- excellente ont quelque peu vivifié les groupes américains , des civilisations ont existé. Quant à la faiblesse de ces civi- lisations, elle s'explique par la pauvreté des filons qui les ont fait naître. J'insiste sur cette dernière idée.

Les éléments blancs, s'ils ont paru créer les principales parties de la charpente sociale, ne se révèlent nullement dans la struc- ture de la totalité. Ils ont fourni la force agrégative, et presque rien de plus. Ainsi ils n'ont pas réussi à consolider l'œuvre qu'ils rendaient possible, puisque nulle part ils ne lui ont assuré la durée. L'empire de TAnahuac ne remontait qu'au siècle, tout au plus; celui du Pérou , au xi®; et rien ne démontre que les sociétés précédentes s'enfoncent à une distance bien loin- taine dans la nuit des temps. C'est l'avis de M. de Humboldt, que la période du mouvement social en Amérique n'a pas dé- passé cinq siècles. Quoi qu'il en soit, les deux grands États que les mains violentes de Cortez et de Pizarre ont détruits mar- quaient déjà lère de la décadence, puisqu'ils étaient inférieurs,

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dans TAnaliuac, à celui des Olmécas, et, sur le plateau des Andes péruviennes, à celui que les Aymaras avaient autrefois fondé (1).

La présence de quelques éléments blancs rendue nécessaire, affirmée d'office par l'état des choses, est confirmée par le double témoignage des traditions américaines elles-mêmes , et d'autres récits datant de la fin du x'' siècle et du commence- ment du xi% qui nous sont transmis par les Scandinaves. Les Incas déclarèrent aux Espagnols qu'ils tenaient leur religion et leurs lois d'un homme étranger de race blanche. Ils ajou- taient même cette observation si caractéristique , que ces hom- mes avaient une longue barbe, fait complètement anormal chez eux. Il n'y aurait aucune raison pour repousser un récit traditionnel de ce genre, quand même il serait isolé (2).

Voici qui lui donne une force irrésistible. Les Scandinaves de l'Islande et du Groenland tenaient , au x^ siècle , pour in- dubitable que des relations fort anciennes avaient eu lieu en- tre l'Amérique du Nord et l'Islande. Ils avaient d'autant plus de motifs de ne pas douter de la possibilité des faits que leur racontaient à cet égard les habitants de Limerick , que plu-' sieurs de leurs propres expéditions avaient été rejetées par les tempêtes soit sur la côte islandaise, en allant en Amérique, soit sur la côte américaine , en allant en Islande. Ils racon- taient donc, d'après ce qui leur avait été dit, qu'un guerrier gallois appelé Madok, parti de l'île. de Bretagne, avait navi- gué très loin dans l'ouest (3). Qu'ayant rencontré une terre inconnue, il y avait fait un court séjour. Mais, de retour dans sa patrie , il n'avait plus eu d'autre pensée que d'aller s'établir

(1) Jomard , les Antiquités américaines au point de vue de la géo- graphie^ p. 6.

(2) Pickering, p. 113. La même tradition, avec les mêmes détails, se retrouve chez les Muyscas, dans le Bogota, par conséquent à une distance considérable du Mexique.

(3) « Cambro-Britannos , ibidem, anno 1170, duce Madoco concedisse, « nonnullis probatum habetur et alios quoque Europaeos, tam ante « quam posl hoc tempus, notiliam terr;c habuisse, non amplius absur- « dum aut improbabile existimatur. » (Rafn, Antiq. americanœ, Haf- niae, 1837, in-4«, p. ni-iv.)

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DES BACES HUMAINES. 519

dans le pays transmarin dont la nature mystérieuse lui avait plu; il avait réuni des colons, hommes et femmes, fait des provisions, armé des vaisseaux, était parti, et n'était plus ja- mais revenu. Cette histoire avait pris un tel développement chez les Scandinaves du Groenland qu'en 1121 (1) Tévêque Éric s'embarqua pour aller porter, à ce qu'on suppose , à l'an- tique colonisation islandaise les consolations et les secours de la religion , et les maintenir dans la foi , on se plaisait à croire qu'ils étaient demeurés fermes.

Ce ne fut pas seulement au Groenland et en Islande que cette tradition s'établit. De l'Islande , elle avait évidemment vu le jour, elle était passée en Angleterre, et y avait si bien pris créance, que les premiers colons britanniques du Canada ne cherchaient pas moins activement, dans leur nouvelle pos- session , les descendants de Madok , que les Espagnols , sous Christophe Colomb , avaient cherché les sujets du grand khan de la Chine à Hispaniola. On crut même avoir trouvé la posté- rité des émigrants gallois dans la tribu indienne des Mandans. Tous ces récits , encore une fois , sont obscurs sans doute ; mais on ne peut contester leur antiquité, et il existe encore bien moins de raisons de douter de leur parfaite et irrépro- chable exactitude.

Il en résulte pour les Islandais, mais très probablement pour les Islandais d'origine Scandinave, une certaine auréole de courage aventureux et de goût des entreprises lointaines. Cette opinion est appuyée par la circonstance incontestable qu'en 795 des navigateurs de la même nation avaient débarqué dans l'Islande, encore inoccupée , et y avaient établi des moines (2). Trois Norwégiens , le roi de mer Naddok et les deux héros In- gulf et Hiorleïf , suivh-ent cet exemple , et amenèrent sur l'île , en 874, une colonie composée de nobles Scandinaves qui, fuyant devant les prétentions despotiques d'Harald aux beaux

(1) Rafn, Antiq. americ.,p. 262 : « Excerpta ex annalibuç Islan- « darum : anu. 1121 : Eiriker Biskup af graenlandi for at leita Vin- « lands. »

(2) A. de Humboldt, Examen critique de Vhistoire de la géographie du nouveau continent , t. II, p. 90 et pass.

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cheveux, cherchaient une terre ou ils pussent continuer Texis- tence indépendante et fiére des antiques odels arians. Habitués que nous sommes à considérer l'Islande dans son état actuel, stérilisée par l'action volcanique et l'invasion croissante des glaces, nous nous la figurons, au début des âges moyens, peu peuplée comme nous la voyons aujourd'hui, réduite au rôle d'annexé des autres pays normands, et nous méconnaissons l'activité dont elle était alors le foyer. Il est facile de rectifier d'aussi fausses préventions. *

Cette terre, choisie par l'élite des nobles norwégiens, était un foyer de grandes entreprises abondaient constamment tous les hommes énergiques du monde Scandinave (1). Il en partait, chaque jour, des expéditions qui s'en allaient à la pêche de la baleine et à la recherche de nouvelles contrées, tantôt dans Textrême nord-ouest, tantôt dans le sud-ouest. Cet esprit remuant était entretenu par la foule des scaldes et des moines érudits qui, d'une part, avaient porté au plus haut degré la science dés antiquités du Nord et fait de leur nouveau séjour la métropole poétique de la race, et qui, de l'autre, y attiraient incessamment la connaissance des littératures mé- ridionales, et traduisaient dans le langage usuel les principa- les productions des pays romans (2).

L'Islande était donc, au x*' siècle, un territoire très intel- ligent, très populeux , très actif, très puissant , et ses habitants le démontrèrent bien par ce fait, qu'arrivés et étabhs dans leur île en 874, ils fondaient leurs premiers établissements groënlandais en 986. Nous n'avons eu d'exemple d'une pareille exubérance de forces que chez les Carthaginois. C'est que l'Is- lande était, en effet, comme la cité de Didon, l'œuvre d'une race aristocratique parvenue, avant d'agir, à tout son dévelop- pement, et cherchant dans l'exil non seulement maintien, mais encore le triomphe de ses droits.

(1) Les preuves abondent de toutes parts dans les annales des royaumes Scandinaves, mais ce sont surtout les chroniques islandaises qur présentent le tableau le plus vivant des faits. Il suffit de les feuil- leter pour être convaincu.

(2) Weinhold, Die deutschen Frauen im Mittelalter, p. 487 et ailleurs.

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DES RACES HUMAINES. 521

Quand une fois les Scandinaves eurent pris pied dans le Groenland , leurs colonisations s y succédèrent , s'y multipliè- rent rapidement, et en même temps des voyages de découverte commencèrent vers le sud (i). L'Amérique fut ainsi trouvée par les rois de mer, comme si la Providence avait voulu qu'au- cune gloire ne manquât à la plus noble des races.

On connaît très peu , très mal , très obscurément , l'histoire des rapports du Groenland avec le continent occidental. Deux points seulement sont fixés avec la dernière évidence par quel- ques chroniques domestiques parvenues jusqu'à nous. Le pre- mier, c'est que les Scandinaves avaient pénétré , au x* siècle , jusqu'à la Floride, au sud delà contrée oii ils avaient trouvé des vignes, et qu'ils avaient appelée Vinland. Dans le voisinage était, suivant eux, l'ancien pays des colons irlandais, que leurs documents nomment Hirttramanhaland, le pays des blancs : c'était l'expression dont s'étaient servis les Indiens, premiers auteurs de ce renseignement, et que ceux qui le re- cevaient n'avaient pas hésité à traduire par le mot : Island it miklay la grande Islande (2).

Le second point est celui-ci : jusqu'en 1347 les communica- tions entre le Groenland et le bas Canada étaient fréquentes et faciles. Les Scandinaves allaient y charger des bois de cons- truction (3).

Vers la même époque un changement remarquable s'opère dans l'état des populations groënlandaises et islandaises. Les glaces, gagnant plus de terrain, rendent le climat par trop dur et la terre trop stérile. La population décroît rapidement, et si bien que le Groenland se trouve tout à coup absolument abandonné et désert, sans qu'on puisse dire ce que ses habi- tants sont devenus. Cependant ils n'ont pas été détruits subi-

(1) M. A. de Huraboldt remarque que le Groenland oriental est si rap- proché de la péninsule Scandinave et du nord de l'Ecosse, qu'il n'existe d'un point à l'autre qu'une distance de deux cent soixante-neuf lieues marines, trajet qui, par un vent frais et continu, peut être franchi en moins de quatre jours de navigation. {Ouvr. cité, t. II , p. 76.)

(2) Chronique d'Islande, intitulée Isldingabok, composée vers i080 ou 1090; Antiquit. americ, p. 2H.

(3) Antiquit. americ, p. 263.

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tement par des convulsions de la nature. On peut contempler encore aujourd'hui des restes d'habitations et d'églises fort nombreuses qui évidemment ont été quittées, et ne s'écroulent que sous Faction du temps et de l'abandon. Ces restes ne ré- vèlent aucune trace d'un cataclysme qui aurait englouti ceux qui les habitaient jadis. Il faut donc de toute nécessité que ces derniers, en désertant leurs demeures , aient été chercher ail- leurs un autre séjour. sont-ils allés ?

On a voulu à toute force les retrouver individuellement, un à un, dans les États du nord de l'Europe, et on a oublié qu'il ne s'agissait pas d'hommes isolés, mais de véritables popula- tions qui, arrivant en masse en Norwège, en Hollande, en Allemagne, auraient excité une attention dont les récits des chroniqueurs auraient conservé la trace, ce qui n'est pas. Il est plus admissible, il est plus raisonnable de croire que les Scandinaves Groënlandais et une partie des hommes de lis- lande, ayant depuis longues années connaissance des territoires fertiles et bien boisés , du climat doux et attrayant du Vinland, et s'étant fait une habitude de parcourir les mers occidentales, échangèrent peu à peu pour cette résidence, de tous points préférable, des contrées qui leur devenaient inhabitables, et qu'ils émigrèrent en Amérique, absolument comme leurs com- patriotes de Suède et de Norwège avaient naguère passé de leurs rochers du nord dans la Russie et dans les Gaules (l).

(i) Les Scandinaves de l'Islande et du Groenland, vivant sous le ré- gime des odels, s'occupaient beaucoup plus de l'histoire des familles que de celle de la nation. Aussi la plupart des documents dont je me suis servi ne sont-ils que des chroniques domestiques et des chants destinés à célébrer les exploits d'un héros. Dans cet état de choses, on conçoit que presque . toutes les relations de voyages se soient perdues et aient disparu avec les familles qu'elles glorifiaient. Il ne nous reste d'un peu étendu que ce qui a rapport à la race d'Erik le Roux. Il est donc extrêmement possible que, si les marins de cette maison se sont toujours préoccupés du Vinland, qu'ils avaient découvert et qui était pour eux une sorte de possession, d'autres se soient dirigés de préférence sur divers points leur appartenant au même titre. C'est une hypothèse, sans doute, mais elle est naturelle, et voici qui la sou- tient : un planisphère islandais de la fin du xiii» siècle divise la terre en quatre parties : l'Europe, l'Asie, l'Afrique, et une quatrième qui oc- cupe à elle seule tout un hémisphère et qui est appelée Synnri-higd;

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C'est ainsi que les races aborigènes dn nouveau continent ont pu s'enrichir de quelques apports du sang des blancs, et que celles qui possédèrent au milieu d'elles des métis islandais ou des métis Scandinaves se virent douées du pouvoir de créer des civilisations , tâche glorieuse à laquelle leurs congénères moins heureux étaient nativement et restèrent à perpétuité in- habiles. Mais, comme l'affluent ou les affluents d'essence noble mis en circulation dans les masses malaises étaient trop faibles pour produire rien de vaste ni de durable , les sociétés qui en résultèrent furent peu nombreuses, et surtout très imparfaites, très fragiles , très éphémères , et , à mesure qu'elles se succé- dèrent, moins intelligentes , moins marquées au sceau de l'é- lément dont elles étaient issues , de telle sorte que , si la dé- couverte nouvelle de l'Amérique par Christophe Colomb, au lieu de s'accomplir au xv° siècle, n'avait été réalisée qu'au xix'^, nos marins n'auraient vraisemblablement trouvé ni Mexico , ni Cuzco, ni temples du Soleil, mais des forêts partout, et dans ces forêts des ruines hantées par les mêmes sauvages qui les traversent aujourd'hui (1).

ou région méridionale de la terre habitée. Cette carte a été publiée déjà dans plusieurs occasions. Elle n'est pas d'ailleurs unique, et démontre que les Islandais attribuaient une très grande étendue vers le sud au continent américain : donc ils ne s'étaient pas bornés à en visiter l'hémisphère boréal.

(1) A. de Humboldt, ouvr. cité, t. I. L'illustre auteur place l'état de civilisation connue des Aztèques et des Incas entre l'époque des expéditions Scandinaves et le xv« siècle. Ces deux suprêmes efforts de la sociabilité américaine étaient, suivant lui, fort débiles et très inférieurs à ceux qui les avaient précédés d'environ cinq cents ans en moyenne. C'est ici le lieu de dire quelques mots d'une hypothèse très répandue et très admissible qui attribue aux populations de l'Asie orientale, Chinois et Japonais, une grande influence sur la naissance des civilisations de l'ancien conUnent. A. de Humboldt (Vue des Cordillères), Prescott, dans son troisième volume de son histoire de la conquête du Mexique , Morton et la plupart des archéologues actuels, ou appuient fortement ou discutent à peine la possibilité des faits! Rien de plus naturel, en effet, que des communications fortuites ou même préméditées aient eu lieu de ce côté, et on démontrera peut- être un jour d'une manière satisfaisante que le pays de Fon-dang, cité par quelques écrivains chinois comme existant à l'ouest, n'est autre

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Les civilisations américaines étaient si débiles qu'elles sont tombées en poussière au premier choc. Les tribus spéciale- ment douées qui les soutenaient se sont dispersées sans diffi- culté devant le sabre d'un vainqueur imperceptible , et les mas- ses populaires qui les avaient subies, sans les comprendre, se sont retrouvées libres de suivre les directions de leurs nou- veaux maîtres ou de continuer leur antique barbarie. La plu- part ont préféré prendre le dernier parti ; elles rivalisent d'a- brutissement avec ce qu'on voit de mieux en ce genre en Australie. Quelques-unes possèdent même la conscience de leur abaissement, et elles en agréent toutes les conséquences. De ce nombre est la tribu brésilienne, qui s'est fait, pour ses fêtes, un air de danse dont voici les paroles :

Quand je serai mort, Ne me pleure pas; II y a le vautour Qui me pleurera. Quand je serai mort, Jette-moi dans la forêt; Il y a Tarmadille Qui m'enterrera.

On n'est pas plus philosophe (1) ; les bêtes de proie sont des fossoyeurs acceptés. Les nations américaines n'ont donc ob- tenu qu'à un seul moment, et sous un jour bien sombre, la lumière civilisatrice. Maintenant les voilà revenues à leur état normal : c'est une sorte de demi-néant intellectuel , et rien ne les en doit arracher que la mort physique (2).

que le continent d'Amérique. Je n'ai pas cru devoir cependant rattacher directement mes démonstrations à ce système, le considérant comme susceptible, pour ce qui a trait au Japon, de développements très considérables qu'il est dangereux de prévenir. Lorsque le fait sera établi , il en résultera que l'Amérique, outre ce qu'elle a reçu des Scan- dinaves, a encore recueilli par l'intermédiaire d'aventuriers malais, faiblement arianisés, une petite portion de plus d'essence noble. Aucun des principes posés ici n'en sera ébranlé.

(4) Cette chanson en langue gérai est donnée par Martins. u. Spix, ouvr. cité, t. III, p. 1083.

(2) Uumholdt , Histoire critique^ etc., t. II, p. 128. Les observations

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Je me trompe. Beaucoup de ces nations semblent , au con- traire, à l'abri de cette fin misérable. Il ne s'agit, pour entrer en goût de le soutenir, que d'envisager la question sous une face nouvelle.

De même que les mélanges opérés entre les indigènes et les colons islandais et Scandinaves ont pu créer des métis relative- ment civilisables , de même les descendants des conquérants espagnols et portugais, en se mariant aux femmes des pays occupés par eux , ont donné naissance à une race mixte su- périeure à l'ancienne population. Mais , si4'on veut considérer le sort des naturels américains sous cet aspect, il faut en même temps tenir compte de la dépression manifestée , par le fait de cet hymen, dans les facultés des groupes européens qui ont consenti 5 le contracter. Si les Indiens des pays espagnols et portugais sont, çà et là, un peu moins abâtardis, et surtout infiniment plus nombreux (1) que ceux des autres parties du nouveau continent , il faut considérer que cette amélioration dans rétat de leurs aptitudes est bien minime , et que la con- séquence la plus pratique en a été l'avilissement des races do- minatrices. L'Amérique du Sud, corrompue dans son sang créole, n'a nul moyen désormais d'arrêter dans leur chute ses métis de toutes variétés et de toutes classes. Leur décadence est sans remède.

de cet écrivain s'appliquent surtout aux peuples chasseurs de l'hémis- phère septentrional.

(i) M. A. de Humboldt démontre même que la populaUon indigène des contrées espagnoles est en voie de prospérité et d'augmentation, au détriment, bien entendu, de la descendance des conquérants im- mergés dans cette masse. (Ouvr. citent. II, p. 129.) Cet état de choses trouble beaucoup la sécurité de conscience des observateurs améri- cains dans le pays desquels se manifeste un phénomène tout opposé. Il ébranle presque leur confiance dans ce qu'on appelle les bien- faits de la civilisation, et M. Pickering, confondant du reste toutes notions raisonnables, se pose cette question : « By an exception tothe usual tendency of european civilisation, Uicre are grounds for ques- tioning whetber Peru has altogether gained by the change. » (P. 21.) C'est plutôt au sujet des tribus de Lennis-Lenapés que le savant Américain devrait soulever ce doute.

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CHAPITRE YIII.

Les colonisations européennes en Amérique.

Les relations des indigènes américains avec les nations eu- ropéennes, à la suite de la découverte de 1495, ont été mar- quées de caractères 4rès différents , déterminés par la mesure de parenté primitive entre les groupes mis en présence. Parler des rapports de parenté entre les nations du nouveau monde et les navigateurs de l'ancien, semblera d'abord hasardé. En y réfléchissant mieux , on se rendi'a compte que rien n'est plus réel , et on va en voir les effets.

Les peuples d'outre-mer qui ont le plus agi sur les Indiens sont les Espagnols, les Portugais, les Français et les Anglais.

Dès le début de leur établissement , les sujets des rois ca- tholiques se sont intimement rapprochés des gens du pays. Sans doute ils les ont pillés, battus , et très souvent massacrés. De tels événements sont inséparables de toute conquête, et même de toute domination. Il n'en est pas moins vrai que les Espagnols rendaient hommage à l'organisation politique de leurs vaincus , et la respectaient en ce qui n'était pas contraire à leur suprématie. Ils concédaient le rang de gentilhomme et le titre de don à leurs princes ; ils usaient des formules impé- riales quand ils s'adressaient à Montézuma ; et même après avoir proclamé sa déchéance et exécuté sa condamnation à mort, ils ne parlaient de lui qu'en se servant du mot de ma* jesté. Ils recevaient ses parents au rang de leur grandesse , et en faisaient autant pour les Incas. D'après ce principe, ils épousèrent sans difficulté des filles de caciques, et, de tolé- rance en tolérance, en arrivèrent à allier librement une famille d'hidalgos à une famille de mulâtres. On pourrait croire que cette conduite, que nous appellerions libérale, était imposée aux Espagnols par la nécessité de s'attacher des populations trop nombreuses pour ne pas être ménagées; mais dans telles con^

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trées ils n'avaient affaire qu'à des tribus sauvages et clair- semées, dans rAmérique centrale, à Bogota, dans la Califor- nie, ils agissaient absolument de même. Les Portugais les imitèrent sans réserve. Après avoir déblayé un certain rayon autour de Rio- Janeiro , ils se mêlèrent sans scrupule aux an- ciens possesseurs de la contrée , sans se scandaliser de l'abru- tissement de ceux-ci. Cette facilité de mœurs provenait, sans aucun doute , des points d'attraction que la composition des races respectives laissait subsister entre les maîtres et les su- jets.

Chez les aventuriers sortis de la péninsule hispanique, et qui appartenaient pour la plupart à l'Andalousie (1), le sang sémitique dominait, et quelques éléments jaunes, provenus des parties ibériennes et celtiques de la généalogie, donnaient à ces groupes une certaine portée malaise. Ses principes blancs étaient en minorité devant Tessence mélanienne. Une af- finité véritable existait donc entre les vainqueurs et les vaincus, et il en résultait une assez grande facilité de s'entendre, et, par suite , propension à se mêler.

Pour les Français , il en était à peu près de même , quoique par un autre côté , et nullement par ce côté. Dans le Canada, nos émigrants ont très fréquemment accepté l'alliance des aborigènes , et ce qui fut toujours assez rare de la part des colonisateurs anglo-saxons, ils ont adopté souvent et sans peine le genre de vie des parents de leurs femmes. Les mé- langes ont été si faciles , que l'on trouve peu d'anciennes fa- milles canadiennes qui n'aient touché, au moins de loin, à la race indienne; et cependant ces mêmes Français, si accom- modants dans le nord , n'ont jamais voulu, dans le sud, admet- tre la possibilité d'une alliance avec Fespèce nègre que comme une flétrissure, ni voir dans les mulâtres que des avortons ré-, prouvés. La cause de cette inconséquence apparente est aisée

(1) Il y a une exception à faire en faveur de la populaUon européenne du Chili. Elle est venue en majorité du nord de TEspagne, elle s*est moins mêlée aux aborigènes; elle est donc très naturellement supé- rieure aux habitants des républiques voisines, et son état politique s'en ressent.

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à expliquer. La plupart des familles qui se sont les premières établies, tant au Canada qu'aux Antilles, appartenaient aux provinces de Bretagne ou de Normandie. Une affinité existait, pour la partie gallique de leur origine, avec les tribus malaises très jaunes du Canada , tandis que tout leur naturel répugnait à contracter alliance avec l'espèce noire sur les terrains ils se trouvaient rapprochés d'elle, bien différents en cela, comme on Fa vu, des colons espagnols, qui, dans TAmérique du Sud, F Amérique centrale, le Mexique, se trouvent aujour- d'hui, grâce aux mélanges de toute nature qu'ils ont aisé- ment acceptés, dans des conditions de concordances fâcheu- ses avec les groupes indigènes qui les entourent.

Il y aurait assurément injustice à prétendre que le citoyen de la république mexicaine, ou le général improvisé qui appa- raît à chaque instant dans la confédération argentine, soient sur le même plan que le Botoendo anthropophage ; mais on ne saurait nier non plus que la distance qui sépare ces deux ter- mes de la proposition n'est pas indéfinie, et que, sous bien des aspects, le cousinage se laisse découvrir. Tout ce monde indien habitant les forêts, chercheur d'or, à demi blanc, militaire de hasard, mulâtre à moitié indigène ; tout ce monde , depuis le président de l'État jusqu'au dernier vagabond , se comprend à merveille et peut vivre ensemble. On s'en aperçoit, du reste, à la façon dont s'y prend le farouche cavalier des pampas pour manier les institutions européennes que notre folie propagan- diste l'a induit à accepter. Les gouvernements de l'Amérique du Sud ne sont guère comparables qu'à l'empire d'Haïti, il faut bien consentir désormais à s'en apercevoir, et ce sont les hommes qui naguère applaudissaient avec le plus d'emporte- ment à la prétendue émancipation de ces peuples , et qui en attendaient les plus beaux résultats, ce sont ceux-là même qui aujourd'hui, devenus justement incrédules sur un avenir qu'ils ont tant hâté de leurs vœux, de leurs écrits et de leurs efforts,* prédisent le plus haut qu'il faut un joug à ces amas de métis, et qu'une domination étrangère peut seule leur donner l'édu- cation forte dont ils ont besoin. En parlant ainsi, ils indiquent du doigt, avec un sourire satisfait, le point de l'horizon d'où

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viennent déjà les envahisseurs prédestinés ; ils montrent les Anglo-Saxons des États-Unis d'Amérique. Ce nom d' Anglo- Saxons paraît flatter Fimagination des habitants de la grande confédération transatlantique ; malgré le droit de plus en plus équivoque que la population actuelle peut avoir à le réclamer, commençons par le lui donner un moment, ne serait-ce que pour faciliter l'examen des premiers temps de Fagrégation dont les colons anglais forment le noyau.

Ces Anglo-Saxons, ces gens d'origine britannique, représen- tent la nuance la plus éloignée tout à la fois du sang des abo- rigènes et de celui des nègres d'Afrique. Ce n'est pas qu'on ne pût trouver dans leur essence quelques traces d'affinités fin- niques ; mais elles sont contre-balancées par la nature germa- nique, à la vérité ossifiée, un peu flétrie, dépouillée de ses cô- tés grandioses, toutefois encore rigide et vigoureuse , qui survit en leur organisme. Ce sont donc, pour les représentants purs ou métis des deux grandes variétés inférieures de Fespèce , des antagonistes irréconciliables. Voilà leur situation sur leur pro- pre territoire. A l'égard des autres contrées indépendantes de l'Amérique, ils composent un Etat fort en face d'États agoni- sants. Ces derniers, au lieu d'opposer à FUnion américaine, au défaut d'une organisation ethnique quelque peu compacte, au moins une certaine expérience de la civilisation, et Fénergie apparente ou transitoire d'un gouvernement despotique, ne possèdent que Fanarchie à tous les degrés ; et quelle anarchie, puisqu'elle réunit les disparates de FAmérique malaise à ceux de FEurope romanisée !

Le noyau anglo-saxon existant aux États-Unis n'a donc nulle peine à se faire reconnaître pour Félément vivacs du nouveau continent. Il est placé , vis-à-vis des autres populations , dans cette attitude de supériorité accablante furent jadis toutes les branches de la famille ariane, Hindous, Kchattryas Chinois, Iraniens, Sarmates, Scandinaves, Germains, à Fégard des multitudes métisses. Bien que ce dernier représentant de la grande race soit fortement déchu, il offre cependant un tableau assez curieux des sentiments de celle-ci pour le reste de l'hu- manité. Les Anglo-Saxons se comportent en maîtres envers

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les nations inférieures ou même seulement étrangères à la leur, et il n'est pas sans utilité de profiter de cette occasion d'étu- dier dans le détail ce que c'est que le contact d'un groupe fort avec un groupe faible. L'élpignement des temps et l'obscurité des annales ne nous a pas toujours permis de saisir avec Fexac- titude qui nous est maintenant offerte les linéaments de ce tableau.

Les restes anglo-saxons, dans l'Amérique du Nord, forment un groupe qui ne doute pas un seul instant de sa supériorité innée sur le reste de l'espèce humaine , et des droits de nais- sance que cette supériorité lui confère. Imbu de tels principes, qui sont plutôt encore des instincts que des notions, et dominé par des besoins bien autrement exigeants que ceux des siècles la civilisation n'existait qu'à l'état d'aptitude , ce groupe ne s'est pas même accommodé, comme les Germains, de partager la terre avec les anciens possesseurs. Ceux-ci, il les a dépouil- lés, il les a refoulés de solitudes en solitudes ; il leur a acheté de force et à vil prix le sol qu'ils ne voulaient pas vendre, et le misérable lambeau de champ que, par des traités solennels et répétés, il leur a garanti, parce qu'il fallait pourtant que ces misérables pussent poser le pied quelque part, il n'a pas tardé à le leur prendre, impatient, non plus de leur présence, mais de leur vie. Sa nature raisonnante et amie des fonnes lé- gales lui a fait trouver mille subterfuges pour concilier le cri de l'équité avec le cri phis impérieux encore d'une rapacité sans bornes. Il a inventé des mots, des théories, des déclama- tions pour innocenter sa conduite. Peut-être a-t-il reconnu, au fond du dernier retrait de sa conscience , l'impropriété de ces tristes excuses. Il n'en a pas moins persévéré dans l'exercice du droit de tout envahir, qui est sa première loi, et la plus nettement gravée dans son cœur.

Vis-à-vis des nègres il ne se montre pas moins impérieux qu'avec les aborigènes : ceux-ci, il les dépouille jusqu'à l'os; ceux-là, il les courbe sans hésitation jusqu'au niveau du soi qu'ils travaillent pour lui; et cette façon d'agir est d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas en accord avec les principes d'humanité professés par ceux qui la pratiquent. Cette inconsé-

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quence veut une explication. Au point elle est poussée, elle est toute nouvelle sur la terre. Les Germains n'en ont pas donné l'exemple; se contentant d'une portion delà terre, ils ont garanti le libre usage du reste à leurs vaincus. Ils avaient trop peu de besoins pour se sentir l'envie de tout envahir. Ils étaient trop grossiers pour concevoir la pensée d'imposer à leurs sujets ou à des nations étrangères l'usage de liqueurs ou de matières pernicieuseSi C'est une idée moderne. Ce que ni les Vanda- les, ni les Goths, ni' les Franks, ni les premiers Saxons n'ont imaginé de faire, les civilisations du monde antique , qui, plus raffinées, étaient aussi plus perverses, n'y avaient cependant pas songé davantage. Ce n'est pas le brahmane, ce n'est pas le mage qui ont senti le besoin de faire disparaître autour d'eux, avec une parfaite précision, tout ce qui ne s'associait pas à leur pensée. Notre civilisation est la seule qui ait possédé cet ins- tinct et en même temps cette puissance homicide ; elle est la seule qui, sans colère, sans irritation, et en se croyant, au con- traire, douce et compatissante à l'excès, en proclamant la man- suétude la plus illimitée , travaille incessamment à s'entourer d'un horizon de tombes. La raison en est qu'elle ne vit que pour trouver l'utile ; que tout ce qui ne la sert pas dans ses tendances lui nuit, et que, logiquement, tout ce qui nuit est d'avance condamné, et, le moment arrivé, détruit.

Les Anglo-Américains , représentants convaincus et fidèles de ce mode de culture, ont agi conformément à ses lois. Ils ne sont pas répréhensibles. C^est sans hypocrisie qu'ils se sont cru le droit de se joindre au concert de réclamations élevé par le xviii® siècle contre toute espèce de contrainte politique, contre l'esclavage des noirs en particulier. Les partis et les na- tions jouissent, comme les femmes, de l'avantage de braver la logique, d'associer les disparates intellectuelles et morales les plus surprenantes , sans pour cela manquer de sincérité. Les concitoyens de Washington, en déclamant avec énergie pour l'affranchissement de l'espèce nègre, ne se sont pas crus obli- gés de donner l'exemple; comme les Suisses, leurs émules théoriques dans l'amour de l'égalité, qui savent maintenir en- core contre les juifs la législation du moyen âge, ils ont traité

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les noirs attachés à leur glèbe avec la dernière rigueur, avec le dernier mépris. Plus d'un héros de leur indépendance leur a donné l'exemple de ce désaccord instinctif entre les maximes et les actes. Jefferson, dans ses rapports avec ses négresses esclaves et les enfants qui en provenaient, a laissé des souve- nirs qui, en petit, ne ressemblent pas mal aux excès des pre- miers Chamites blancs.

Les Anglo-Saxons d'Amérique sont religieux : ce trait leur est resté assez bien empreint de la noble partie de leur origine. Cependant ils n'acceptent ni les terreurs ni le despotisme de la foi. Chrétiens, on ne les voit pas sans doute, comme les anciens Scandinaves, rê^ver d'escalader le ciel, ni combattre de plain-pied avec la Divinité; mais ils la discutent librement, et, particularité véritablement typique , en la disentant toujours, semblables encore en ceci à leurs aïeux arians , ils ne la nient jamais, et restent dans ce remarquable milieu qui, touchant à la superstition d'une part, à l'athéisme de l'autre, se maintient avec un égal dégoût, une horreur égale, au-dessus de ces deux abîmes.

Possédés de la soif de régner, de commander, de posséder, de prendre et de s'étendre toujours, les Anglo-Saxons d'Ame-» rique sont primitivement agriculteurs et guerriers ; je dis guer- riers, et non pas militaires : leur besoin d'indépendance s'y oppose. Ce dernier sentiment fut, à toutes les époques, la base et le mobile de leur existence politique. Ils ne l'ont point ac- quis à la suite de leur rupture avec la mère patrie 5 ils Font toujours possédé. Ce qu'ils ont gagné à leur révolution est con- sidérable, puisque à dater de ce moment ils se sont trouvés, quant à leur action extérieure, maîtres absolus et libres d'em- ployer leurs forces à leur gré pour s'étendre indéfiniment. Mais, en ce qui concerne l'essentiel de leur organisation intérieure, aucun germe nouveau n'a paru. Avec ou sans la participation de la métropole , les peuples des États-Unis actuels étaient constitués de façon à se développer dans la direction commu- nale où on les voit agir. Leurs magistratures électives et tem- poraires, leur jalouse surveillance du chef de l'État, leur goût pour le fractionnement fédératif , rappellent bien les vicam-

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palis des Hindous primitifs, la séparation par tribus, les ligues des peuples parents, anciens dominateurs de la Perse septen- trionale, de la Germanie, de l'Heptarchie saxonne. Il n'est pas jusqu'à la constitution de la propriété foncière qui n'ait encore beaucoup de traits de la théorie de Todel.

On attache donc ordinairement une importance inconsidérée à la crise brilla Washington. Assurément ce fut une évolu- tion considérable dans les destinées du groupe anglo-saxon transplanté en Amérique ; ce fut une phase brillante et en même temps fortifiante; mais y apercevoir une naissance, une fonda- tion de la nationalité, c'est faire tort tout à la fois à la gloire des compagnons de Penn ou des gentilshommes de la Virginie, et à l'exacte appréciation des faits. L'émancipation n'a été qu'une application nécessaire de principes existant déjà , et la véritable année climatérique des États-Unis n'est pas encore arrivée.

Ce peuple républicain témoigne de deux sentiments qui tran- chent d'une manière complète avec les tendances naturelles de toutes les démocraties issues de l'excès des mélanges. C'est d'abord le goût de la tradition, de ce qui est ancien, et, pour employer un terme juridique, des précédents; penchant si pro- noncé que, dans l'ordre des affections, il défend même l'image de l'Angleterre contre de nombreuses causes d'animosité. En Amérique , on modifie beaucoup et sans cesse les institutions ; mais il y a , parmi les descendants des Anglo-Saxons , une ré- pugnance marquée aux transformations radicales et subites. Beaucoup de lois importées de la métropole , au temps le pays était sujet, sont restées en vigueur. Plusieurs exhalent même, au milieu des émanations modernes qui les entourent, une saveur de vétusté qui s'alUe chez nous aux souvenirs féo- daux. En second lieu, les mêmes Américains sont beaucoup plus préoccupés qu'ils ne l'avouent des distinctions sociales; seulement, tous veulent les posséder. Le nom de citoyen n'est pas plus popularisé parmi eux que le titre chevaleresque àesquire^ et cette préoccupation instinctive de la position per- sonnelle, apportée par des colons de même souche qu'eux dans le Canada, y a déterminé les mêmes effets. On lit très bien

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dans les journaux de Montréal, à la page des annonces, que M***, épicier, gentilhomme, tient telle denrée à la disposition du public.

Ce n'est pas un usage indifférent ; il indique chez les dé- mocrates du nouveau monde une disposition à se rehausser qui fait un contraste bien complet avec les goûts tout opposés des révolutionnaires de l'ancien. Chez ces derniers, la ten- dance est, au contraire, à descendre au plus bas possible, afin de ravaler les essences ethniques les plus hautes et les moins nombreuses au niveau des plus basses, qui, par leur abondance, donnent le ton et dirigent tout.-

Le groupe anglo-saxon ne représente donc pas parfaitement ce qu'on entend, de ce côté de l'Atlantique, par le mot démocra- tie. C'est plutôt un état-major sans troupes. Ce sont des hom- mes propres à la domination , qui ne peuvent pas exercer cette faculté sur leurs égaux , mais qui la feraient volontiers sentir à leurs inférieurs. Ils sont, sous ce rapport, dans une situation analogue à celle des nations germaniques peu de temps avant le siècle. Ce sont, en un mot, des aspirants à la royauté, à la noblesse, armés des moyens intellectuels de légitimer leurs vues. Reste à savoir si les. circonstances ambiantes s'y prêteront. Quoi qu'il en soit, veut-on aujourd'hui considérer en face et examiner à son aise l'homme redouté qui s'appelle un barbare dans le langage des peuples dégénérés qui le redou- tent? Qu'on se place à côté du Mexicain, qu'on l'écoute parler, et, suivant la direction de son regard effrayé, on contemplera le chasseur du Kentucky. C'est la dernière expression du Ger- main; c^estlà le Frank, le Longobard de nos jours! Le Mexicain a raison de le qualifier de barbare sans héroïsme et sans gé- nérosité ; mais il ne faut pas sans doute qu'il soit sans énergie et sans puissance.

Ici cependant , quoi qu'en disent les populations effrayées, le barbare est plus avancé dans les branches utiles de la civili- sation qu'elles ne le sont elles-mêmes. Cette situation n'est pas sans précédents. Quand les armées de la Rome 'sémitique conquéraient les royaumes de l'Asie inférieure, les Romains et les hellénisés se trouvaient avoir puisé leur mode de culture

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aux mêmes sources. Les gens des Séleucides et des Ptolémées se croyaient infiniment plus raffinés et plus admirables, parce qu'ils avaient croupi plus de temps dans la corruption et qu'ils étaient plus artistes. Les Romains , se sentant plus utilitaires, plus positifs, bien que moins brillants que leurs ennemis , en auguraient la victoire. Ils avaient raison, et l'événement le prouva.

Le groupe anglo-saxon est autorisé à entrevoir les mêmes perspectives. Soit par conquête directe, soit par influence so- ciale, les Américains du Nord semblent destinés à se répandre en maîtres sur toute la face du nouveau monde. Qui les arrê- terait? Leurs propres divisions peut-être, si elles venaient à éclater trop tôt. En dehors de ce péril, ils n'ont rien à craindre ; mais il faut avouer aussi qu'il n'est pas sans gravité.

On s'est aperçu déjà que, pour obtenir une vue plus nette du degré d'intensité auquel pouvait parvenir l'action du peuple des États-Unis sur les autres groupes du nouveau monde , il n'a encore été question que de la race qui a fondé la nation, et que, par une supposition tout à fait gratuite , j'ai considéré cette race comme étant encore conservée aujourd'hui dans sa valeur ethnique spéciale et devant y persister indéfiniment. Or, rien de plus fictif. L'Union américaine représente , tout au contraire, entre lés pays du monde celui qui, depuis le com- mencement du siècle, et surtout dans ces dernières années , a vu affluer sur son territoire la plus grande masse d'éléments hétérogènes. C'est un nouvel aspect qui peut , sinon changer, du moins modifier gravement les conclusions présentées plus haut.

Sans doute, les alluvions considérables de principes nouveaux qu'apportent les émigrations ne sont pas de nature à créer à l'Union une infériorité quelconque vis-à-vis des autres grou- pes américains. Ceux-ci, mêlés aux natifs et aux nègres, sont bien résolument déprimés, et, quelque basse que soit la valeur de certains des apports venus d'Europe, encore ces derniers sont-ils moms entachés de dégénération que le fond des popu- lations mexicaines ou brésiliennesi II n'y a donc rien, dans les observations qui vont suivre, qui infirme ce qui a été dit pré-

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536 DE l'inégalité

cédemment de la prépondérance morale des États du nord de l'Amérique vis-à-vis des autres corps politiques du même con- tinent; mais en ce qui concerne la situation de la république de Washington vis-à-vis de l'Europe, il en est tout autrement.

La descendance anglo-saxonne des anciens colons anglais ne compose plus la majeure partie des habitants de la contrée, et, pour peu que le mouvement qui pousse chaque année les Irlandais et les Allemands, par centaines de mille, sur le sol américain se soutienne encore quelque temps, avant la fin du siècle , la race nationale sera en partie éteinte. Du reste, elle est déjà fortement affaiblie par les mélanges. Elle continuera sans doute quelque temps encore à donner l'appa- rence de l'impulsion; puis cette apparence s'effacera, et l'em- pire sera tout à fait aux mains d'une famille mixte, l'élé- ment anglo-saxon ne jouera plus qu'un rôle des plus subor- donnés. Je remarquerai incidemment que déjà le gros de la variété primitive s'éloigne des côtes de la mer, et s.'enfonce dans l'ouest, le genre de vie convient mieux à son activité et à son courage aventureux.

Mais les nouveaux arrivés, que sont-ils? Ils représentent les échantillons les plus variés de ces races de la vieille Europe dont il y a le moins à attendre. Ce sont les produits du détritus de tous les temps : des Irlandais, des Allemands, tant de fois métis, quelques Français qui ne le sont pas moins, des Italiens qui les surpassent tous. La réunion de tous ces»types dégénérés donne et donnera nécessairement la naissance à de nouveaux désordres ethniques ; ces désordres n'ont rien d'inattendu, rien de nouveau; ils ne produiront aucune combinaison qui ne se soit réalisée déjà ou ne puisse l'être sur notre continent. Pas un élément fécond ne saurait s'en dégager, et même le jour des produits résultant de séries indéfiniment combinées entre des Allemands, des Irlandais, des Italiens, des Français et des Anglo-Saxons, iront par surcroît se réunir, s'amalgamer dans le sud avecle sang composé d'essence indienne, nègre, espagnole et portugaise qui y réside , il n'y a pas moyen de s'imaginer que d'une si horrible confusion il résulte autre chose que la juxtaposition incohérente des êtres les plus dégradés.

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DES RACES HUMAINES. 537

J'assiste avec intérêt, bien qu'avec une sympathie médiocre, je l'avoue, au grand mouvement que les instincts utilitaires se donnent en Amérique. Je ne méconnais pas la puissance qu'ils déploient; mais, tout bien compté, qu'en résulte-t-il d'inconnu? et même que présentent-ils de sérieusement original ? Se passe- t-il quelque chose qui au fond soit étranger aux conceptions européennes? Existe-t-il un motif déterminant auquel se puisse rattacher l'espérance de futurs triomphes pour une jeune humanité qui serait encore à naître ? Qu'on pèse mûre- ment le pour et le contre, et on ne doutera pas de l'inanité de semblables espérances. Les États-Unis d'Amérique ne sont pas le premier État commercial qu'il y ait eu dans le monde. Ceux qui l'ont précédé n'ont rien produit qui ressemblât à une ré- génération de la race dont ils étaient issus.

Carthage a jeté un éclat qui sera difficilement égalé par New- York. Carthage était riche, grande en toutes manières- I^a côte septentrionale de TAfrique dans son entier développe- ment, et une vaste partie de la région intérieure , étaient sous sa main. Elle avait été plus favorisée à sa naissance que la colonie des puritains d'Angleterre , car ceux qui l'avaient fondée étaient les rejetons des familles les plus pures du Chanaan- Tout ce que Tyr et Sidon perdirent, Carthage en hérita. Et cependant Carthage n'a pas ajouté la valeur d'un grain à la civilisation sémitique, ni empêché sa décadence d'un jour.

Constantinople fut à son tour une création qui semblait bien devoir effacer en splendeur le présent, le passé , et transformer l'avenir. Jouissant de la plus belle situation qui soit sur la terre, entourée des provinces les plus fertiles et les plus po- puleuses de l'empire de Constantin, elle paraissait aflranchie, comme on le veut imaginer pour les États-Unis, de tous les empêchements que l'âge mûr d'un pays se plaint d'avoir reçus de son enfance. Peuplée de lettrés , gorgée de chefs-d'œuvre en tous genres , familiarisée avec tous les procédés de l'indus- trie, possédant des manufactures immenses et absorbant un commerce sans limites avec l'Europe, avec l'Asie, avec l'Afri- que, quelle rivale eut jamais Constantinople? Pour quel coin du monde le ciel et les hommes pourront-ils jamais faire ce

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qui fut fait pour cette majestueuse métropole? Et de quel prix paya-t-elle tant de soins? Elle ne fit rien, elle ne créa rien; aucun des maux que les siècles avaient accumulés sur l'univers romain, elle ne le sut guérir; pas une idée réparatrice ne sortit de sa population. Rien n'indique que les États-Unis d'Amérique, plus vulgairement peuplés que cette noble cité, et surtout que Carthage, doivent se montrer plus habiles.

Toute l'expérience du passé est réunie pour prouver que l'a- malgame de principes ethniques déjà épuisés ne saurait four- nir une combinaison rajeunie. C'est déjà beaucoup prévoir, beaucoup accorder, que de supposer dans la république du nouveau monde une assez longue cohésion pour que la con- quête des pays qui l'entourent lui reste possible. A peine ce grand succès , qui leur donnerait un droit certain à se compa- rer à la Rome sémitique , est-il même probable ; mais il suffit qu'il le soit pour qu'il faille en tenir compte. Quant au renou- vellement de la société humaine, quant à la création d'une civilisation supérieure ou au moins différente, ce qui, au ju- gement des masses intéressées, revient toujours au même, ce sont des phénomènes qui ne sont produits que par la pré- sence d'une race relativement pure et jeune. Cette condition n'existe pas en Amérique. Tout le travail de ce pays se borne à exagérer certains côtés de la culture européenne, et non pas toujours les plus beaux, à copier de son mieux le reste, à ignorer plus d'une chose (1). Ce peuple qui se dit jeune, c'est le vieux peuple d'Europe , moins contenu par des lois plus com- plaisantes , non pas mieux inspiré. Dans le long et triste voyage qui jette les émigrants à leur nouvelle patrie , l'air de l'Océan ne les transforme pas. Tels ils étaient partis, tels ils arrivent. Le simple transfert d'un point à un autre ne régénère pas les races plus qu'à demi épuisées.

(1) Une observation de Pickering donne un indice curieux de la grossièreté du génie des Anglo-Saxons d'Amérique en matière d*art. Il assure que la plupart des chants populaires, d'ailleurs si peu nom- breux, que possèdent ses compatriotes ont été empruntés par ces derniers aux esclaves nègres, faute de pouvoir mieux. (Pickering, p. 185.) Il y a un grand rapport entre ce fait et l'imitation que firent jadis les Kymris des dessins en spirale inventés par les Finnois.

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CONCLUSION GENERALE.

I

L'histoire humaine est semblable à une toile immense. La terre est le métier sur lequel elle est tendue. Les siècles assem- blés en sont les infatigables artisans. Ils ne naissent que pour saisir aussitôt la navette et la faire courir sur la trame ; ils ne la posent que pour mourir. Ainsi, sous ces doigts affairés, va croissant d'ampleur le large tissu.

L'étoffe n'en revêt pas une seule couleur ; elle ne se compose pas d'une unique matière. Bien loin que l'inspiration de la so- bre Pallas en ait décidé les desseins, l'aspect en rappelle plu- '\ tôt la méthode des artistes du Kachemyr. Les bigarrures les r plus étranges et les enroulements les plus bizarres s'y com- pliquent sans cesse des caprices les plus inattendus , et ce n'est qu'à force de diversité et de richesse que, contrairement à toutes les lois du goût , cet ouvrage , incomparable en gran- deur, devient également incomparable en beauté.

Les deux variétés inférieures de notre espèce , la race noh^e, la race jaune , sont le fond grossier, le coton et la laine , que les familles secondaires de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie, tandis que le groupe arian, faisant circuler ses filets plus minces à travers les générations ennoblies, ap- ue à leur surface, en éblouissant chef-d'œuvre, ses ara- pes d'argent et d'or.

'est ainsi que l'histoire est une , et que tant d'anomalies gUe présente peuvent trouver leur explication et rentrer s des règles communes, si l'œil et la pensée, cessant de se centrer avec une obstination irréfléchie sur des points iso-

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lés , consentent a embrasser l'ensemble , à y recueillir les faits semblables , à les rapprocher, à les comparer, et à tirer une conclusion rigoureuse des causes mieux étudiées et dès lors mieux comprises de leur identité fondamentale ; mais l'esprit de l'homme est de sa nature si débile qu'en s'approchant des sciences , son premier instinct est de les simplifier, ce qui d'or- dinaire signifie les mutiler, les amoindrir, les débarrasser de tout ce qui gêne et déroute sa faiblesse, et, lorsqu'il a réussi à les défigurer pour des yeux qui seraient plus clairvoyants que les siens , c'est à ce moment seul qu'il les trouve belles , par- ce qu'elles sont devenues faciles; cependant, dépouillées d'une partie de leurs trésors, elles n'en sauraient plus livrer que des restes trop souvent privés de vie. A peine s'en aperçoit-il. L'histoire n'est pas une science autrement constituée que les

. autres. Elle se présente composée de mille éléments en appa- rence hétérogènes, qui, sous des entrelacements multipliés, cachent ou déguisent une racine plongeant à de grandes pro- fondeurs. En élaguer ce qui trouble la vue, c'est faire jaillir peut-être un peu plus de clarté sur les débris qu'on aura con- servés; mais c'est aussi altérer inévitablement la mesure et partant l'importance relative des parties , et rendre impossible de jamais pénétrer le sens réel du tout.

Pour obvier à ce mal qui frappe toute connaissance de sté- rilité, il faut se résoudre à renoncer à de pareils moyens, et à accepter la tâche avec ses difficultés natives. Si, bien résolu à le faire , on se borne d'abord à chercher sans rien omettre les principales sources du sujet, on découvrira d'une manière certaine qu'il en est trois d'où surgissent les phénomènes les plus dignes d'attirer l'attention. La première de ces sources, c'est l'activité de l'homme prise isolément; la seconde, c'est l'établissement des centres politiques ; la troisième , la plus in- fluente, celle qui vivifie les deux autres, c'est la manifestation .

. d'un mode donné d'existence sociale. Que l'on ajoute maini nant à ces trois sources de mouvement et de transformati le fait de la pénétration mutuelle des sociétés , les contoi généraux du travail seront tracés. L'histoire avec ses ca ses, avec ses mobiles, avec ses résultats principaux, sera re

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fermée dans un vaste cercle, et l'on pourra aborder les détails de la plus minutieuse analyse sans craindre de s'être préparé, par une dissection indiscrète, l'inévitable moisson d'erreurs qui résulte des autres façons de procéder.

L'activité de Tbomme, prise isolément, s'exprime par les inventions de l'intelligence et le jeu des passions. L'observa- tion de ce travail et des résultats dramatiques qu'il amène absorbe exclusivement l'attention du commun des penseurs. Ceux-là ne s'appliquent qu'à voir la créature s'agiter , céder ou résister à ses penchants , les diriger avec sagesse ou tomber engloutie dans leurs torrents fougueux. Rien d'émouvant, sans doute, comme les péripéties d'une pareille lutte entre l'homme et lui-même. Dans les deux alternatives posées devant ses pas, qui pourrait douter qu'il n'agisse en maître ? Le Dieu qui le contemple, et le jugera d'après le bien moral qu'il aura fait, le mal moral qu'il aura repoussé , nullement d'après la mesure de génie qu'il aura reçue , appesantit sur lui sa liberté , et le spectateur de ses hésitations, comparant les actes qu'il observe avec le code ouvert entre ses mains par la religion ou la phi- losophie , ne s'égare dans l'intérêt qu'il y prend que lorsqu'il leur suppose une étendue d'action que les efforts de l'homme isolé ne sauraient usurper.

Ces efforts n'opèrent jamais que dans une sphère étroite- ment limitée. Qu'on imagine le plus puissant des hommes, le plus éclairé , le plus énergique : la longueur de son bras reste toujours peu de chose. Faites sortir les plus hautes pensées imaginables du cerveau de César; elles ne sauraient embras- ser dans leur vol toute la circonférence du globe. Leurs œu- vres, bornées à certains lieux , n'atteignent tout au plus qu'un nombre restreint d'objets; elles ne sauraient affecter, pendant un temps donné, que l'organisme d'un ou tout au plus de quel- ques centres politiques. Aux yeux des contemporains, c'est beaucoup -, mais pour l'histoire il n'en résulte le plus souvent que d'imperceptibles effets. Imperceptibles, dis-je; car, du vivant même de leurs auteurs , on en voit la majeure partie s'effacer, et la génération suivante en cherche vainement les traces. Considérons les plus vastes sphères qui furent jamais

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abandonnées à la volonté d'un prince illustre , soit les conquê- tes immenses du Macédonien, soit les États superbes de ce mo- narque espagnol le soleil ne se couchait jamais. Qu'a fait la volonté d'Alexandre? que créa celle de Charles-Quint? Sans énumérer les causes indépendantes de leur génie qui réunirent tant de sceptres aux mains de ces grands hommes, et permi- rent au moins favorisé des deux d'en ramasser plus quil n'en arracha, l'essentiel de leur rôle a consisté en définitive à n'être que les conducteurs dociles ou les contradicteurs abandon- nés de ces multitudes que l'on suppose soumises à leur empire. Entraînés dans une impulsion qu'ils ne ^donnaient pas , leur plus beau succès fut de l'avoir suivie; et, lorsque le dernier des deux, armé de toutes ses gloires, prétendit à son tour guider le torrent, le torrent qui l'emportait se gonfla contre ses dé- fenses , grandit contre ses menaces , effondra toutes ses digues, et , poursuivant son cours , le renversa dans sa honte , et trop bien convaincu de sa faiblesse, sur Tobscur parvis de Saint- Just. Ce ne sont pas les grands hommes qui se croient omnipo- tents; il leur est trop facile de mesurer ce qu'ils font sur ce qu'ils voudraient faire. Ils savent bien, ceux-là dont la taille dépasse le niveau commun , que l'action permise à leur auto- rité n'a jamais atteint dans sa plus vaste expansion l'étendue d'un continent; que, dans leur palais même, on ne vit pas comme ils le souhaitent; que, si leur intervention retarde ou précipite le pas des événements, c'est de la même façon qu'un enfant contrarie le ruisseau qu'il ne saurait empêcher de couler. La meilleure partie de leurs récits est faite non d'inven- tion, mais de compréhension. s'arrête la puissance histo- rique de l'homme agissant dans les plus favorables conditions de développement. Elle ne constitue pas une cause, ce n'est pas non plus un terme , c'est quelquefois un moyen transitoire ; le plus souvent on ne saurait la considérer que comme un en- jolivement. Mais, telle qu'elle est, il lui faut reconnaître pour- tant le suprême mérite d'appeler sur la marche de l'humanité cette sympathie générale que le tableau d'évolutions purement impersonnelles n'aurait jamais éveillée. Les différentes écoles ont attribué une influence omnipotente , en méconnaissant

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grossièrement son incapacité réelle. Elle fut cependant jus- qu'ici l'unique mobile de' cet attrait irraisonné qui a porté les hommes à recueillir les reliques du passé.

On vient d'entrevoir que la limite immédiate devant laquelle elle s'arrête est fournie par la résistance du centre politique au sein duquel elle se meut. Un centre politique , réunion col- lective de volontés humaines, aurait donc par lui-même une volonté; incontestablement il en est ainsi. Un centre politi- que, autrement dit un peuple, a ses passions et son intelli- gence. Malgré la multiplicité des têtes qui le forment , il pos- sède une individualité mixte , résultant de la mise en commun de toutes les notions , de toutes les tendances , de toutes les idées, que la masse lui suggère. Tantôt il en est la moyenne, tantôt l'exagération ; tantôt il parle comme la minorité , tantôt la majorité Tentraîne , ou bien encore c'est une inspiration morbide qui n'était attendue et n'est avouée de personne. Bref, un peuple, pris collectivement, est, dans de nombreuses fonctions , un être aussi réel que si on le voyait condensé en un seul corps. L'autorité dont il dispose est plus intense , plus soutenue, et en même temps moins sûre et moins [durable , parce qu'elle est plutôt instinctive que volontaire , qu'elle est plutôt négative qu'affirmative, et que, dans tous les cas, elle est moins directe que celle des individualités isolées. Un peu- ple est exposé à changer de visées dix fois et plus dans l'inter- valle d'un siècle , et c'est ce qui explique les fausses déca- dences et les fausses régénérations. Dans un intervalle de peu d'années , il se montre propre à conquérir ses voisins , puis à être conquis par eux ; aimant ses lois et leur étant soumis, puis ne respirant que révolte pour aspirer quelques heures plus tard à la servitude. Mais , dans le malaise , l'ennui ou le malheur, on l'entend sans cesse accuser ses gouvernants de ce qu'il souffre; preuve évidente qu'il a le sentiment d'une faiblesse organique qui réside en lui , et qui provient de l'imperfection de sa personnalité.

Un peuple a toujours besoin d'un homme qui comprenne sa volonté, la résume, l'expUque, et le mène il doit aller. Si l'homme se trompe, le peuple résiste, et se lève ensuite pour

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suivre celui qui ne se trompe pas. C'est la marque évidente de la nécessité d'un échange constant entre la volonté collective et la volonté individuelle. Pour qu'il y ait un résultat positif, il faut que ces deux volontés s'unissent ; séparées , elles sont infécondes. De vient que la monarchie est la seule forme de gouvernement rationnelle.

Mais on s'aperçoit sans peine que le prince et la nation réu- nis ne font jamais que mettre en valeur des aptitudes ou des capacités, ne font jamais que conjurer des influences néfastes provenant d'un domaine extérieur à l'un comme à l'autre. Dans bien des cas un chef voit la route que son monde voudrait prendre, ce n'est pas sa faute si ce monde manque des forces nécessaires pour accomplir la tâche indispensable ; et de même encore un peuple, une multitude ne peut se don- ner les compréhensions qu'elle n'a pas et qu'elle devrait avoir, pour éviter des catastrophes vers lesquelles elle court tout en les concevant , tout en les redoutant , tout en en gémissant.

Cependant voilà que le plus terrible malheur est tombé sur une nation. L'imprévoyance, ou la folie, ou l'impuissance de ses guides, conjurés avec ses propres torts, font éclater sa ruine. Elle tombe sous le sabre d'un plus fort, elle est envahie, annexée à d'autres États. Ses frontières s'effacent, et ses éten- dards déchirés vont triomphalement agrandir de leurs lam- beaux les étendards du vainqueur. Sa destinée finit-elle là?

Suivant les annalistes, l'affirmation n'est pas douteuse. Tout peuple subjugué ne compte plus, et, s'il s'agit d'époques re- culées et quelque peu ténébreuses , la plume de l'écrivain n'hé- site pas même à le rayer du nombre des vivants, et à le dé- clarer matériellement disparu.

Mais qu'avec un juste dédain pour une conclusion aussi su- perficielle, on se mette en quête de la réalité, on trouvera qu'une nation , politiquenient abolie , continue à subsister sans autre modification que de porter un nom nouveau-, qu'elle conserve ses allures propres, son esprit, ses facultés, et qu'elle influe , d'une manière conforme à sa nature ancienne , sur les populations auxquelles elle est réunie. Ce n'est donc pas la forme politiquement agrégative qui donne la vie intellectuelle

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à des multitudes, qui leur fait une volonté, qui leur inspire une manière d'être. Elles ont tout cela sans posséder de frontières propres. Ces dons résultent d'une impulsion suprême qu'elles reçoivent d'un domaine plus haut qu'elles-mêmes. Ici s'ouvrent ces régions inexplorées l'horizon élargi dans une mesure in- comparable ne livre plus seulement aux regards le territoire borné de tel royaume ou de telles républiques, ni les fluctua- tions étroites des populations qui les habitent, mais étale toutes les perspectives de la société qui les contient, avec les grands rouages et les puissants mobiles de la civilisation qui les anime. La naissance, les développements, l'éclipsé d'une société et de sa civilisation constituent des phénomènes qui transportent l'observateur bien au-dessus des horizons que les historiens lui font ordinairement apercevoir. Ils ne portent, dans leurs causes initiales, aucune empreinte des passions humaines ni des déterminations populaires, matériaux trop fragiles pour prendre place dans une œuvre d'aussi longue durée. Seuls, les différents modes d'intelligence départis aux différentes races et à leurs combinaisons s'y font reconnaître. Encore ne les aperçoit-on que dans leurs parties les plus essentielles, les plus dégagées de l'autorité du libre arbitre , les plus natives , les plus raréfiées , en un mot , les plus fatales , celles que l'homme ou la nation ne peuvent ni se donner ni se retirer, et dont ils ne sauraient s'interdire ou se commander l'usage. Ainsi se déploient , au-dessus de toute action transitoire et vo- lontaire émanant soit de l'individu, soit de la multitude, des principes générateurs qui produisent leurs effets avec une indépendance et une impassibilité que rien ne peut troubler. De la sphère libre, absolument libre, ils se combinent et opèrent, le caprice de l'homme ou d'une nation ne saurait faire tomber aucun résultat fortuit. C'est , dans l'ordre des choses immatérielles , un milieu souverain se meuvent des forces actives , des principes vivifiants en communication perpétuelle avec l'individu comme avec la masse, dont les intelligences respectives , contenant quelques parcelles identiques à la na- ture de ces forces , sont ainsi préparées et éternellement dis- posées à eo recevoir l'impulsion.

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mèrent de proche en proche dans toute l'Asie orientale dans les îles du Japon, dans les archipels de la mer des Indes- ils touchèrent Test de l'Afrique, ils enveloppèrent toutes les 'îles de la Polynésie, et, placés de la sorte en face des terres améri- caines, dans le nord comme dans le sud, aux Kouriles comme à File de Pâques, ils rentrèrent fortuitement, par petites ban- des peu nombreuses, et en abordant aux points les plus divers, dans ces régions quasi désertes n'habitaient plus que des descendants clairsemés de quelques traînards détachés de Farrière-garde des multitudes jaunes, auxquelles, race mixte qu'ils étaient, ces Malais devaient en partie leur naissance, leur aspect physique et leurs aptitudes morales.

Du côté deFouest, et en tirant indéfiniment vers l'Europe, pas de peuples mélaniens, mais le contact le plus forcé, le plus inévitable entre les Finnois et les blancs. Tandis qu'au sud, ces derniers, fugitifs heureux, forçaient tout à plier sous leur empire et s'alhaient en maîtres aux populations indigènes, dans le nord, au contraire, ils commencèrent l'hymen en op- primés. Il est douteux que les nègres, maîtres de choisir, eus- sent beaucoup envié leur alliance physique; il ne l'est pas que les jaunes l'aient ardemment souhaitée. Soumis à l'influence directe de l'invasion fmnique, les Celtes, et surtout les Slaves, qu'on en distingue avec peine, furent assaillis, tourmentés', puis forcés de transporter leur séjour en Europe, par des dé- .placements graduels. Ainsi, bon gré mal gré, ils commencè- rent de bonne heure à s'alher aux petits hommes venus d'iV- mérique; et, lorsque leurs pérégrinations ultérieures leur eurent fait rencontrer dans les différents pays occidentaux de nouveaux établissements de mêmes créatures, ils eurent d'au- tant moins de raisons de répugner à leur alliance.

Si l'espèce blanche tout entière avait été expulsée de ses domaines primitifs dans l'Asie centrale , le gros des peuples jaunes n'aurait eu rien à faire qu'à se substituer à elle dans les domaines abandonnés. Le Finnois aurait dressé son wigwam de branchages sur les ruines des monuments anciens, et, agis- sant suivant son naturel, il s'y serait assis, engourdi, endormi, et le monde n'aurait plus entendu parler de ses masses iner-

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L'existence d'une société, étant, en premier ressort, un effet qu'il ne dépend pas de Tliomme de produire ni d'empêcher, n'entraîne pour lui aucun résultat dont il soit responsable. Elle ne comporte donc pas de moralité. Une société n'est, en elle- même, ni vertueuse ni vicieuse ; elle n'est ni sage ni folle ; elle est. Ce n'est pas de l'action d'un homme , ce n'est pas de la détermination d'un peuple que se dégage Tévénement qui la fonde. Le milieu à travers lequel elle passe pour arriver à l'exis- tence positive doit être riche des éléments ethniques nécessai- res, absolument comme certains corps, pour employer encore une comparaison qui se représente sans cesse à l'esprit, absor- bent facilement et abondamment l'agent électrique, et sont bons pour le disperser, tandis que d'autres ont peine à s'en laisser pénétrer, et plus de peine encore à le faire rayonner autour d'eux. Ce n'est pas la volonté d'un monarque ou de ses sujets qui modifie l'essence d'une société ; c'est , en vertu des mêmes lois, un mélange ethnique subséquent. Une société en- fin enveloppe ses nations comme le ciel enveloppe la terre, et ce ciel, que les exhalaisons des marais ou les jets de flammes du volcan n'atteignent pas, est encore, dans sa sérénité, l'image parfaite des sociétés que leur contenu ne saurait affecter de ses tressaillements, tandis qu'irrésistiblement, bien que d'une façon insensible, elles l'assouplissent à toutes leurs influences.

Elles imposent aux populations leurs modes d'existence. Elles les circonscrivent entre des limites dont ces esclaves aveugles n'éprouvent pas même la velléité de sortir, et n'en auraient pas la puissance. Elles leur dictent les éléments de leurs lois, elles inspirent leurs volontés, elles désignent leurs amours, elles at- tisent leurs haines, elles conduisent leurs mépris. Toujours soumises à l'action ethnique, elles produisent les gloires locales par ce moyen immédiat; par la même voie elles implantent le germe des malheurs nationaux, puis, à jour dit, elles entraî- nent vainqueurs et vaincus sur une même pente, qu'une nou- velle action ethnique peut seule les empêcher elles-mêmes de descendre indéfiniment.

Si elles tiennent avec tant d'énergie les membres des peuples, elles ne ré-;issent pas moins les individus. En leur laissant, et

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sans nulle réserve, ce point est de toute importance , les mé- rites d'une moralité dont néanmoins elles règlent les formes, elles manient, elles pétrissent en quelque sorte leurs cerveaux au moment de la naissance, et, leur indiquant certaines voies, leur ferment les autres dont elles ne leur permettent pas même d'apercevoir les issues.

Ainsi donc, avant d'écrire d'histoire d'un pays distinct et de prétendre expliquer les problèmes dont une pareille tâche est semée, il est indispensable de sonder, de scruter, de bien con- naître les sources et la nature de la société dont ce pays n'est qu'une fraction. Il faut étudier les éléments dont elle se com- pose, les modifications qu'elle a subies, les causes de ces modi- fications, l'état ethnique obtenu par la série des mélanges admis dans son sein.

On s'établira ainsi sur un sol positif contenant les racines du sujet. On les verra d'elles-mêmes pousser, fructifier et porter graine. Comme les combinaisons ethniques ne sont jamais ré- pandues à doses égales sur tous les points géographiques com- pris dans le territoire d'une société, il conviendra de particu- lariser davantage ses recherches et d'en contrôler plus sévè- rement les découvertes à mesure que l'on se rapprochera de son objet. Tous les efforts de l'esprit, tous les secours de la mémoire, toute la perspicacité méfiante du jugement sont ici nécessaires. Peines sur peines, rien n'est de trop. Il s'agit de faire entrer l'histoire dans la famille des sciences naturelles, de lui donner, en ne l'appuyant que sur des faits empruntés à tous les ordres de notions capables d'en fournir, toute la précision de cette classe de connaissances, enfin de la soustraire à la juridiction intéressée dont les factions politiques lui imposent jusqu'aujourd'hui l'arbitraire.

Faire quitter à la muse du passé les sentiers douteux et obliques pour conduire son char dans une voie large et droite, explorée à l'avance et jalonnée de stations connues, ce n'est rien enveler à la majesté de son attitude, et c'est beaucoup ajouter à l'autorité de ses conseils. Certes elle ne viendra plus, par des gémissements enfantins, accuser Darius d'avoir causé la perte de l'Asie, ni Persée l'humiliation de la Grèce \ mais on

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ne la verra pas davantage saluer follement, dans d'autres catas- trophes, les effets du génie des Gracques, ni Tomnipotence oratoire des Girondins. Désaccoutumée de ces misères, elle proclamera que les causes irréconciliables de pareils événe- ments, planant bien haut au-dessus de la participation des hommes, n'intéressent point la polémique des partis. Elle dira quel concours de motifs invincibles les fait naître, sans que personne à leur .sujet ait de blâme à recevoir ou d'éloge à demander. Elle distinguera ce que la science ne peut que con- stater de ce que la justice doit saisir.

De son trône superbe tomberont dès lors des jugements sans appel et des leçons salutaires pour les bonnes consciences. Soit qu'on aime, soit qu'on réprouve telle évolution d'une nationa- lité, ses arrêts, en réduisant la part que l'homme y peut pren- dre à déplacer quelques dates, à irriter ou à adoucir d'inévi- tables blessures, rendront le libre arbitre de chacun sévèrement responsable de la valeur de tous les actes. Pour le méchant plus de ces vaines excuses, de ces nécessités factices dont on pré- tend aujourd'hui ennoblir des crimes trop réels. Plus de par- don pour les atrocités ; de soi-disant services ne les innocente- ront pas. L'histoire arrachera tous les masques fournis par les théories sophistiques; elle s'armera, pour flétrir les coupables, des anathèmes de la religion. Le rebelle ne sera plus devant son tribunal qu'un ambitieux impatient et nuisible : Timoléon, qu'un assassin; Robespierre, un immonde scélérat.

Pour donner aux annales de l'humanité ce souffle, ces allu- res et cette portée inaccoutumée, il est temps de changer la façon dont on les compose, en entrant courageusement dans les mines de vérités que tant d'efforts laborieux viennent d'ou- vrir. Des méfiances mal raisonnées n'excuseraient pas l'hési- tation.

Les premiers calculateurs qui entrevirent l'algèbre, effrayés des profondeurs dont elle leur révélait les ouvertures , lui prê- tère:it des vertus surn:iturelles et de !a plus rigoureuse des sciences firent l'enveloppe des plus folles imaginations. Cette vision rendit quelque temps les mathématiques suspectes aux esprits sensés ; puis l'étude sérieuse perça l'écorce et prit le fruit.

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Les premiers physiciens qui remai-quèreiit les ossements fossiles et les débris marins échoués sur les cimes des monta- X gnes, ne manquèrent pas de s'abandonner aux divagations les plus répugnantes. Leurs successeurs, repoussant les rêves, ont fait de la géologie la genèse de l'exposition des trois règnes. Il n'est plus permis de discuter ce qu'elle affirme. Il en est de l'ethnologie comme de l'algèbre et de la science des Cuvier et des Beaumont. Asservie par les uns à la complicité des plus sottes fantaisies philanthropiques, elle est repoussée par les autres, qui confondent dans l'injustice d'un même mépris et le charlatan, et sa drogue, et Faromate précieux dont il abuse.

Sans doute, l'ethnologie est jeune. Elle a toutefois passé Tâge des premiers bégayements. Elle est assez avancée pour dispo- ser d'un nombre suffisant de démonstrations solides sur les- quelles on peut bâtir en toute sécurité. Chaque jour lui apporte de plus riches contributions. Entre les diverses branches de connaissances qui rivalisent à Ten pourvoir, l'émulation est si productive, qu'à peine lui est-il possible de recueillir et de classer les découvertes avec la même rapidité qu'elles s'accu- mulent. Plût au ciel que ses progrès ne fussent plus embar- rassés que par ce genre d'obstacles ! Mais elle en rencontre de pires. On se refuse encore à apprécier avec netteté sa véritable nature, et par conséquent on ne la traite pas régulièrement d'après les seules méthodes qui lui conviennent.

C'est la frapper de stérilité que de l'appuyer avec prédilec- tion sur une science isolée, et principalement sur la physiolo- gie. Ce domaine lui est ouvert, sans nul doute ; mais, pour que les matériaux qu'elle lui emprunte acquièrent le degré d'authen- ticité nécessaire et revêtent son caractère spécial , il est pres- que toujours indispensable qu'elle leur fasse subir le contrôle de témoignages venus d'ailleurs, et que l'étude comparée des langues, l'archéologie, la numismatique, la tradition ou l'his- toire écrite, aient garanti leur valeur, soit directement, soit par induction, à priori ou à posteriori. En second lieu, un fait ùe saurait passer d'une science dans une autre sans se présenter sous un jour nouveau dont il convient encore de constater la nature avant d'être en droit de s'en prévaloir; donc l'ethno-

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logie ne peut considérer comme incontestablement entrés dans son domaine que les documents physiologiques ou autres qui ont subi cette dernière épreuve dont elle seule possède la di- rection et les critériums. Comme elle n'a pas que la matière pour objet, et qu'elle embrasse en même temps les manifesta- tions de l'espèce la plus intellectuelle, il n'est pas permis de la confiner une seule minute dans une sphère étrangère et sur- tout dans la sphère physique, sans l'égarer au milieu de lacu- nes que les plus audacieuses et les plus vaines hypothèses ne parviendront jamais à combler. En réalité, elle n'est autre que la racine et la vie même de l'histoire. C'est artificiellement, arbitrairement, et au grand détriment de celle-ci que Ton par- vient à l'en séparer. Maintenons-la donc à la fois sur tous les terrains l'histoire a le droit de frapper sa dîme.

Ne la détournons pas trop non plus des travaux positifs, en lui posant des questions dont il n'est pas bien certain que l'es- prit de l'homme ait le pouvoir de percer les ténèbres. Le pro- blème d'unité ou de multiplicité des types primitifs est de ce nombre. Cette recherche a donné jusqu'à présent peu de satis- faction à ceux qui s'y sont absorbés. Elle est tellement dépourvue d'éléments de solution, qu'elle semble plutôt destinée à amu- ser l'esprit qu'à éclairer le jugement, et à peine doit-elle être considérée comme scientifique. Plutôt que de se perdre avec elle dans des rêveries sans issue , mieux vaut , jusqu'à nouvel ordre, la tenir à l'écart de tous les travaux sérieux, ou du moins ne lui accorder qu'une place très subalterne. Ce qu'il importe seulement de constater, c'est jusqu'à quel point les variétés sont organiques et la mesure de la ligne qui les sépare. Si des causes quelconques peuvent ramener les différents types à se confondre, si, par exemple, en changeant de nourriture et de climat, un blanc peut devenir un nègre, et un nègre un mongol, l'espèce entière, serait-elle issue de plusieurs millions de pères complètement dissemblables, doit être déclarée sans hésitation unitaire, elle en a le trait principal et vraiment pra- tique.

Mais si, au contraire, les variétés sont renfermées dans leur constitution actuelle, de telle sorte qu'elles soient inhabiles à

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perdre leurs caractères distinctifs autrement que par des hymnes contractés hors de leurs sphères, et si aucune influence externe ou interne n'est apte à les transformer dans leurs par- ties essentielles 5 si enfin elles possèdent d'une manière per- manente, et ce point n'est plus douteux, leurs particularités phy- siques et morales, coupons court aux divagations frivoles, et proclamons le résultat, la conséquence rigoureuse et seule utile : fussent-elles nées d'un seul couple, les variétés humaines, éternellemeat distinctes, vivent squs la loi de la multiplicité des types, et leur unité primordiale ne saurait exercer et n'exerce pas sur leurs destinées la plus impondérable consé- quence. C'est ainsi que, pour satisfaire dignement aux impé- rieux besoins d'une science parvenue à sa virilité, il faut savoir se borner et diriger ses recherches vers les buts abordables en répudiant le reste. Et maintenant, nous plaçant au centre du vrai domaine de la véritable histoire, de l'histoire sérieuse et non point fantastique, de l'histoire tissue de faits , et non pas d'illusions ou d'opinions, examinons, pour la dernière fois, par grandes masses, non point ce que nous croyons pouvoir être, mais ce que de science certaine nos yeux voient , nos oreilles entendent, nos mains touchent.

A une époque toute primordiale de la vie de l'espèce entière, époque qui précède les récits des plus lointaines annales, on découvre, en se plaçant en imagination sur les plateaux de l'Altaï, trois amas de peuples immenses, mouvants, composés chacun de différentes nuances, formés, dans les régions qui s'étendent à l'ouest autour de la montagne, par la race blanche ; au nord-est, par les hordes jaunes arrivant des terres améri- caines; au sud, par les tribus noires ayant leur foyer prmcipal dans les lointaines régions de l'Afrique. La variété blanche, peut-être moins nombreuse que ses deux sœurs, d'ailleurs douée d'une activité combattante qu'elle tourne contre elle- même et qui l'affaiblit, étincelle de supériorités de tout genre.

Poussée par les efforts désespérés et accumulés des nains, cette race noble s'ébranle , déborde ses territoires du côté du midi, et ses tribus d'avant-garde tombent au milieu des multi- tudes mélaniennes, y éclatent en débris, et commencent à se

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mêler aux éléments circulant autour d'elles. Ces éléments sont grossiers, antipathiques, fugaces; mais la ductilité de l'élément qui les aborde parvient à les saisir. Elle leur communique, partout elle les atteint, quelque chose de ses qualités, ou du moins les dépouille d'une partie de leurs défauts-, surtout elle leur donne la puissance nouvelle de se coaguler, et bientôt, au lieu d'une série de familles, de tribus incultes et ennemies qui se disputaient le sol sans en tirer nul avantage, une race mixte se répand depuis les contrées bactriennes sur la Gédro- sie, les golfes de Perse et d'Arabie, bien au delà des lacs nu- biens, pénètre jusqu'à des latitudes inconnues vers les contrées centrales du continent d'Afrique , longe la côte septentrionale par delà les Syrtes, dépasse Gaipé, et, sur toute cette étendue, la variété mélanienne diversement atteinte, ici complètement absorbée, absorbant à son tour, mais surtout modifiant à l'infini l'essence blanche et étant modifiée par elle, perd sa pureté et quelques traits de ses caractères primitifs. De cer- taines aptitudes sociales qui se manifestent aujourd'hui dans les parties les plus reculées du monde africain : ce ne sont que les résultats lointains d'une antique alliance avec la race blan- che. Ces aptitudes sont faibles, incohérentes, indécises , comme le lien lui-même est devenu, pour ainsi dire, imperceptible.

Pendant ces premières invasions, pendant que ces premières générations de mulâtres se développaient du côté de l'Afrique, un travail analogue s'opérait à travers la presqu'île hindoue, et se compliquait au delà du Gange, et plus encore, du Brah- mapoutra, en passant des peuplades noires aux hordes jaunes, déjà parvenues, plus ou moins pures, jusque dans ces régions. En effet, les Finnois s'étaient multipliés sur les plages de la mer de Chine avant même d'avoir pu déterminer aucun dé- , placement sérieux des nations blanches dans l'intérieur du C3ntinent. Ils avaient trouvé plus de facilités à étreindre, à pénétrer l'autre race inférieure. Ils s'étaient mêlés à elle comme ils avaient pu. La variété malaise avait alors commencé à sortir de cette union, qui ne s'opérait ni sans efforts ni sans vio- lences. Les premiers produits métis remplirent d'abord les provinces centrales du Céleste Empire. A la longue, ils se for-

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nièrent de proche en proche dans toute l'Asie orientale , dans les îles du Japon, dans les archipels de la mer des Indes ; ils touchèrent Test de l'Afrique, ils enveloppèrent toutes les îles de la Polynésie, et, placés de la sorte en face des terres améri- caines, dans le nord comme dans le sud, aux Kouriles comme à l'île de Pâques, ils rentrèrent fortuitement, par petites ban- des peu nombreuses, et en abordant aux points les plus divers, dans ces régions quasi désertes n'habitaient plus que des descendants clairsemés de quelques traînards détachés de Tarrière-garde des multitudes jaunes, auxquelles, race mixte qu'ils étaient, ces Malais devaient en partie leur naissance, leur aspect physique et leurs aptitudes morales*

Du côté de l'ouest , et en tirant indéfiniment vers l'Europe , pas de peuples mélaniens, mais le contact le plus forcé, le plus inévitable entre les Finnois et les blancs. Tandis qu'au sud, ces derniers, fugitifs heureux, forçaient tout à plier sous leur empire et s'alliaient en maîtres aux populations indigènes, dans le nord, au contraire, ils commencèrent l'hymen en op- primés. Il est douteux que les nègres , maîtres de choisir, eus- sent beaucoup envié leur alliance physique ; il ne l'est pas que les jaunes l'aient ardemment souhaitée. Soumis à l'influence directe de l'invasion finnique , les Celtes, et surtout les Slaves, qu'on en distingue avec peine , furent assaillis , tourmentés , puis forcés de transporter leur séjour en Europe, par des dé- placements graduels. Ainsi, bon gré mal gré, ils commencè- rent de bonne heure à s'allier aux petits hommes venus d'A- mérique; et, lorsque leurs pérégrinations ultérieures leur eurent fait rencontrer dans les différents pays occidentaux de nouveaux établissements de mêmes créatures , ils eurent d'au- tant moins de raisons de répugner à leur alliance.

Si l'espèce blanche tout entière avait été expulsée de ses domaines primitifs dans l'Asie centrale, le gros des peuples jaunes n'aurait eu rien à faire qu'à se substituer à elle dans les domaines abandonnés. Le Finnois aurait dressé son wigwam de branchages sur les ruines des monuments anciens, et, agis- sant suivant son naturel, il s'y serait assis, engourdi , endormi, et le monde n'aurait plus entendu parler de ses masses iner-

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tes. Mais l'espèce blanche n'avait pns déserté en masse la pa- trie originelle. Brisée sous le choc épouvantable des masses finnoises, elle avait emmené, à la vérité, dans différentes direc- tions, le gros de ses peuples; mais d'assez nombreuses de ses nations étaient cependant restées qui, en s'incorporant avec le temps à plusieurs , à la plupart des tribus jaunes , leur com- muniquèrent une activité, une intelligence, une force physi- que , un degré d'aptitude sociale tout à fait étrangers à leur essence native , et par les rendirent propres à continuer in- définiment de verser sur les régions environnantes , même en dépit de résistances assez fortes, l'abondance de leurs élé- ments ethniques.

Au miUeu de ces transformations générales qui atteignent l'ensemble des races pures, et comme résultat nécessaire de ces alliages, la culture antique de la famille blanche disparaît, et quatre civilisations mixtes la remplacent : l'assyrienne, l'hindoue, l'égyptienne, la chinoise; une cinquième prépare son avènement peu lointain, la grecque, et l'on est déjà en droit d'affirmer que tous les principes qui posséderont à l'a- venir les multitudes sociales sont trouvés, car les sociétés sub- séquentes, ne leur ajoutant rien, n'en ont jamais présenté que des combinaisons nouvelles.

L'action la plus évidente de ces civilisations, leur résultat le plus remarquable, le plus positif , n'est autre que d'avoir continué sans se ralentir jamais l'œuvre de l'amalgame ethni- que. A mesure qu'elles s'étendent, elles englobent nations, tribus, familles jusque-là isolées, et, sans pouvoir jamais les approprier toutes aux formes, aux idées dont elles vivent elles- mêmes, elles réussissent cependant à leur faire perdre le ca- chet d'une individualité propre.

Dans ce qu'on pourrait appeler un second âge, dans la pé- riode des mélanges, les Assyriens montent jusqu'aux limites de la Tiirace , peuplent les îles de l'Archipel , s'établissent dans la basse Egypte, se fortifient en Arabie, s'insinuent chez les Nubiens. Les gens d'Egypte s'étendent dans l'Afrique centrale, poussent leurs établissements dans le su^ et l'ouest, se rami- fient dans l'Hedjaz, dans la presqu'île du Sinaï. Les Hindous

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disputent le terrain aux Hymyarites Arabes, débarquent à Ceylan, colonisent Java, Bail, continuent à se mêler aux Malais d'outre-Gange. Les Chinois se marient aux peuples de la Corée, du Japon; ils touchent aux Philippines, tandis que les métis noirs et jaunes, formés sur toute la Polynésie et faiblement impressionnés par les civilisations qu'ils aperçoivent, font circuler depuis Madagascar jusqu'en Amérique le peu qu'ils en peuvent comprendre.

Quant aux populations reléguées dans le monde occiden- tal, quant aux blancs d'Europe, les^ Ibères, les Rasènes, les Ulyriens, les Celtes, les Slaves, ils sont déjà affectés par des alliages finniques. Ils continuent à s'assimiler les tribus jaunes répandues autour de leurs établissements; puis, entre eux, ils se marient encore, et encore aux Hellènes, métis sémitisés, accourus de toutes parts sur leurs côtes.

Ainsi mélange, mélange partout, toujours mélange, voilà l'œuvre la plus claire, la plus assurée, la plus durable des grandes sociétés et des puissantes civilisations, celle qui, à coup sûr, leur survit; et plus les premières ont d'étendue ter- ritoriale et les secondes de génie conquérant, plus loin les flots ethniques qu'elles soulèvent vont saisir d'autres flots pri- mitivement étrangers, ce dont leur nature et la sienne s'altè- rent également.

Mais, pour que ce grand mouvement de fusion générale embrasse jusqu'aux dernières races du globe et n'en laisse pas une seule intacte, ce n'est pas assez qu'un milieu civilisateur déploie toute l'énergie dont il est pourvu ; il faut encore que dans les différentes régions du monde ces ateliers ethniques s'établissent de manière à agir sur place, sans quoi l'œuvre générale resterait nécessairement incomplète. La force néga- tive des distances paralyserait l'expansion des groupes les plus actifs. La Chine et l'Europe n'exercent l'une sur l'autre qu'une faible action, bien que le monde slave leur serve d'in- termédiaire. L'Inde n'a jamais influé fortement sur l'Afrique , ni l'Assyrie sur le Nord asiatique ; et, dans le cas oii les sociétés auraient à jamais conservé les mêmes foyers, jamais l'Europe n'aurait pu être directement et suffisamment saisie, ni tout à

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fait entraînée dans le tourbillon. Elle l'a été parce que les élé- ments de création d'une civilisation propre à servir l'action générale avaient été répandus d'avance sur son sol. Avec les races celtiques et slaves , elle posséda en effet , dès les premiers âges, deux courants amalgamateurs qui lui permirent d'entrer, au moment nécessaire, dans le grand ensemble.

Sous leur influence , elle avait vu disparaître dans une im- mersion complète l'essence jaune et la pureté blanche. Avec l'intermédiaire fortement sémitisé des Hellènes , puis avec les colonisations romaines, elle acquit de proche en proche les moyens d'associer ses masses au compartiment asiatique le plus voisin de ses rivages. Celui-ci, à son tour, reçut le contre- coup de cette évolution; car, tandis que les groupes d'Europe se teignaient d'une nuance orientale en Espagne , dans la France méridionale, en Italie, en Illyrie, ceux d'Orient et d'Afrique prenaient quelque chose de l'Occident romain sur la Propontide, dans l'AnatoIie, en Arabie, en Egypte. Ce rap- prochement effectué, l'effort des Slaves et des Celtes , combiné avec l'action hellénique, avait produit tous ses effets; il ne pouvait aller au delà; il n'avait nul moyen de dépasser de nouvelles limites géographiques; la civilisation de Rome, la sixième dans l'ordre du temps , qui avait pour raison d'être la réunion des principes ethniques du monde occidental , n'eut pas la force de rien opérer seule après le siècle de notre ère.

Pour agrandir désormais l'enceinte tant de multitudes se combinaient déjà , il fallait l'intervention d'un agent ethni- que d'une puissance considérable, d'un agent qui résultât d'un hymen nouveau de la meilleure variété humaine avec les races déjà civilisées. En un mot, il fallait une infusion d'Arians dans le centre social le mieux placé pour opérer sur le reste du monde , sans quoi les existences sporadiques de tous degrés , répandues encore sur la terre , allaient continuer indéfiniment sans plus rencontrer des eaux d'amalgamation.

Les Germains apparurent au milieu de la société romaine. En même temps, ils occupèrent l'extrême nord-ouest de l'Eu- rope, qui peu à peu devint le pivot de leurs opérations. Des mariages successifs avec les Celtes et les Slaves , avec les po-

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pulations gallo-romaines , multiplièrent la force d'expansion des nouveaux arrivants , sans dégrader trop rapidement leur instinct naturel d'initiative. La société moderne naquit; elle s'attacha , sans désemparer, à perfectionner de toutes parts, à pousser en avant l'œuvre agrégative de ses devancières. Nous l'avons vue, presque de nos jours, découvrir l'Amérique , s'y unir aux races indigènes ou les pousser vers le néant ; nous la voyons faire refluer les Slaves chez les dernières tribus de l'Asie centrale , par l'impulsion qu'elle donne à la Russie ; nous la voyons s'abattre au milieu des Hindous , des Chinois ; frap- per aux portes du Japon; s'allier, sur tout le pourtour des côtes africaines, aux naturels de ce grand continent; bref, aug- menter sur ses propres terres et étendre sur tout le globe, dans «ne indescriptible proportion, les principes de confusion ethnique dont elle dirige maintenant l'application.

La race germanique était pourvue de toute l'énergie de la variété ariane. Il le fallait pour qu'elle pût remplir le rôle au- quel elle était appelée. Après elle, l'espèce blanche n'avait plus rien à donner de puissant et d'actif : tout était dans son sein à peu près également souillé , épuisé , perdu. Il était in- dispensable que les derniers ouvriers envoyés sur le terrain ne laissassent rien de trop difficile à terminer; car personne n'existait plus, en dehors d'eux, qui fût capable de s'en char- ger. Ils se le tinrent pour dit. Ils achevèrent la découverte du globe ; ils s'en emparèrent par la connaissance avant d'y ré- pandre leurs métis; ils en firent le tour dans tous les sens. Aucun recoin ne leur échappa , et maintenant qu'il ne s'agit plus que de verser les dernières gouttes de l'essence ariane au sein des populations diverses , devenues accessibles de toutes parts, le temps servira suffisamment ce travail qui se con- tinuera de lui-même, et qui n'a pas besoin d'un surcroît d'im- pulsion nouvelle pour se perfectionner.

En présence de ce fait , on s'explique , non pas pourquoi il ne se trouve pas d'Arians purs , mais l'inutilité de leur présence. Puisque leur vocation générale était de produire les rapproche- ments et la confusion des types en les unissant les uns aux autres, malgré les distances , ils n'ont plus rien à faire désor-

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mais , cette confusion étant accomplie quant au principal , et toutes les dispositions étant prises pour l'accessoire. Voilà donc que l'existence de la plus belle variété humaine, de l'espèce blanche tout entière, des facultés magiiiflques concentrées dans Tune et dans Tautre, que la création, le développement et la mort des sociétés et de leurs civilisations , résultat mer- veilleux du jeu de ces facultés , révèlent un grand point qui est comme le comble , comme le sommet , comme le but suprême de l'histoire. Tout cela naît pour rapprocher les variétés, se développe, brille, s'enrichit pour accélérer leur fusion, et meurt quand le principe ethnique dirigeant est complètement fondu dans les éléments hétérogènes qu'il rallie , et par consé- f quent lorsque sa tâche locale est suffisamment faite. De plus, le principe blanc, et surtout arian, dispersé sur la face du globe , y est cantonné de façon à ce que les sociétés et les civilisations qu'il anime ne laissent finalement aucune terre , ! et, par conséquent, aucun groupe en dehors de son action agrégative. La vie de l'humanité prend ainsi une signification d'ensemble qui rentre absolument dans l'ordre des manifesta- tions cosmiques. J'ai dit qu'elle était comparable à une vaste toile composée de différentes matières textiles, et étalant les dcs3*ii3 les plus différemment contournés et bariolés; elle l'est encore à une chaîne de montagnes relevées en plusieurs som- mets qui sont les civilisations, et la composition géologique de ces sommets est représentée par les divers alliages auxquels ont donné lieu les combinaisons multiples des trois g;randes divisions primordiales de l'espèce et de leurs nuances secon- daires. Tel est le résultat dominant du travail humain. Tout ce qui sert la civilisation attire l'action de la société ; tout ce qui l'attire l'étend, tout ce qui l'étend la porte géographique- ment plus loin , et le dernier terme de cette marche est l'acces- sion ou la suppression de quelques noirs ou de quelques Fin- nois de plus clans le sein des masses déjà amalgamées. Posons en axiome que le but définitif des fatigues et des souffrances, des plaisirs et des triomphes de notre espèce, est d'arriver un jour à la suprême unité. Ce point acquis va nous livrer ce qu'il nous reste à savoir.

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i L'espèce blanche, considérés abstractivenient , a désormais disparu de la face du inonde. Après avoir passé Tâge des dieux,

[où elle était absolument pure ; l'âge des héros , oii les mélan- ges étaient modérés de force et dénombre; l'âge des noblesses, des facultés , grandes encore , n'étaient plus renouvelées par des sources taries , elle s'est acheminée plus ou moins promptement, suivant les lieux, vers la confusion définitive

jde tous ses principes, par suite de ses hymens hétérogènes.

[Partant, elle n'est plus maintenant représentée que par des hybrides; ceux qui occupent les territoires des premières so-

j ciétés mixtes ont eu naturellement le temps et les occasions de se dégrader le plus. Pour les masses qui, dans l'Europe occi- dentale et dans l'Amérique du Nord, représentent actuellement la dernière forme possible de culture, elles offrent encore d'assez beaux semblants de force , et sont en effet moins dé- chues que les habitants de la Campanie , de la Susiane et de l'Iémen. Cependant cette supériorité relative tend constam- ment à disparaître via part de sang arian, subdivisée déjà tant de fois, qui existe encore dans nos contrées, et qui soutient seule l'édifice de notre société, s'achemine chaque jour vers les termes extrêmes de son absorption.

Ce résultat obtenu, s'ouvrira l'ère de Tunité. Le principe blanc; tenu en échec dans chaque homme en particulier, y sera vis-à-vis des deux autres dans le rapport de 1 à 2, triste pro- portion qui, dans tous les cas, suffirait à paralyser son action d'une manière presque complète , mais qui se montre encore plus déplorable quand on réfléchit que cet état de fusion , bien loin d'être le résultat du mariage direct des trois grands types ', pris à l'état pur, ne sera que le caput mortuum d'une série infinie de mélanges, et par conséquent de flétrissures; le der-

i nier terme de la médiocrité dans tous les genres : médiocrité de force physique, médiocrité de beauté, médiocrité d'aptitu-

jdes intellectuelles, on peut presque dire néant. Ce triste héri- tage, chacun en possédera une portion égale; nul motif n'existe pour que tel homme ait un lot plus riche que tel autre ; et, comme dans ces îles polynésiennes les métis malais, confinés depuis des siècles, se partagent équitablement un type dont

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nulle infusion de sang nouveau n'est jamais venue troubler la première composition, les hommes se ressembleront tous. Leur taille, leurs traits, leurs habitudes corporelles, seront semblables. Ils auront même dose de forces physiques , direc- tions pareilles dans les instincts , mesures analogues dans les facultés, et ce niveau général, encore une fois, sera de la plus révoltante humilité.

Les nations, non, les troupeaux humains, accablés sous une morne somnolence, vivront dès lors engourdis dans leur nul- lité, comme les buffles ruminants dans les flaques stagnantes des marais Pontins. Peut-être se tiendront-ils pour les plus sages, les plus savants et les plus habiles des êtres qui furent jamais-, nous-mêmes, lorsque nous contemplons ces grands monuments de l'Egypte et de Tlnde, que nous serions si inca- pables d'imiter, ne sommes-nous pas convaincus que notre impuissance même prouve notre supériorité? Nos honteux descendants n'auront aucune peine à trouver quelque argu- ment semblable au nom duquel ils nous dispenseront leur pitié et s'honoreront de leur barbarie. C'était là, diront- ils en mon- trant d'un geste dédaigneux les ruines chancelantes de nos derniers édifices, c'était l'emploi insensé des forces de nos ancêvres. Que faire de ces inutiles folies.^ Elles seront, en ef- fet, inutiles pour eux; car la vigoureuse nature aura recon- quis l'universelle domination de la terre, et la créature hu- maine ne sera plus devant elle un maître, mais seulement un hôte, comme les habitants des forêts et des eaux.

Cet état misérable ne sera pas de longue durée non plus ; car un effet latéral des mélanges indéfinis , c'est de réduire les populations à des chiffres de plus eu plus minimes. Quand on jette les yeux sur les époques antiques , on s'aperçoit que la terre était alors bien autrement couverte par notre espèce qu'elle ne l'est aujourd'hui. La Chine n'a jamais eu moins (l'habitants qu'à présent; l'Asie centrale était une fourmilière, et on n'y rencontre plus personne. La Scythie , au dire d'Hé- rodote, était pleine de nations, et la Russie est un désert. L'Allemagne est bien fournie d'hommes; mais elle ne l'était pas moins au ii^, au iv% au v^^ siècle de notre ère, quand elle

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jetait sans s'épuiser, sur le monde romain, des océans de guerriers, suivis de leurs femmes et de leurs enfants. La France et l'Angleterre ne nous paraissent ni vides ni incultes ; mais la Gaule et la Grande-Bretagne ne l'étaient pas davantage à l'époque des émigrations kymriques. L'Espagne et lltalie ne possèdent plus le quart des hommes qui les couvraient dans l'antiquité. La Grèce, l'Egypte, la Syrie, TAsie Mineure, la Mésopotamie, regorgeaient de monde, les villes s'y pressaient aussi nombreuses que des épis dans un champ; ce soiit des solitudes mortuaires , et l'Iode , bien que populeuse encore , n'est plus sous ce rapport que l'ombre d'elle-même. L'Afrique occidentale, cette terre qui nourrissait l'Europe et tant de métropoles étalaient leurs splendeurs, ne porte plus que les tentes clairsemées de quelques nomades et les villes moribon- des d'un petit nombre de marchands. Les autres parties de ce continent languissent de même partout les Européens et les musulmans ont porté ce qu'ils appellent, les uns le progrès, les autres la foi , et il n'y a que l'intérieur des terres , per- sonne n'a presque pénétré, qui garde encore un noyau bien compact. Mais ce n'est pas pour durer. Quant à l'Amérique, l'Europe y verse ce qu'elle a de sang ^ elle s'appauvrit, si l'au- tre s'enrichit. Ainsi , du même pas que l'humanité se dégrade, elle s'efface.

On ne saurait prétendre à calculer avec rigueur le nombre des siècles qui nous séparent encore de la conclusion certaine. Cependant il n'est pas impossible d'entrevoir un à peu près. La famille ariane, et, à plus forte raison, le reste de la fa- mille blanche , avait cessé d'être absolument pure à l'époque naquit le Christ. En admettant que la formation actuelle du globe soit de six à sept mille ans antérieure à cet événe- ment, cette période avait suffi pour flétrir dans son germe le principe visible des sociétés , et, lorsqu'elle finit , la cause de toute décrépitude avait déjà pris la haute main dans le monde. Par ce fait qua la race blanche s'était absorbée de manière à perdre la fleur de son essence dans les deux variétés inférieu- res, celles-ci avaient subi des modifications correspondantes, qui, pour la race jaune, s'étaient étendues fort avant. Dans les

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DES jaACËS HUMAINES. 563

dix-huit cents ans qui se sont écoulés depuis , le travail de fu- sion, bien qulncessamment continué et préparant ses conquê- tes ultérieures sur une échelle plus considérable que jamais, n'a pas été aussi directenxent efficace. Mais, outre ce qu'il s'est créé de moyens d'action pour l'avenir, il a beaucoup aug- menté la confusion ethnique dans l'intérieur de toutes les so- ciétés, et, par conséquent, hâté d'autant l'heure finale de la perfection de l'amalgame. Ce temps-là est donc bien loin d'a-i voir été perdu; et, puisqu'il a préparé l'avenir, et que d'ail-j^ leurs les trois variétés ne possèdent plus de groupes purs , ce' 1 n'est pas exagérer la rapidité du résultat que de lui donner | pour se produire un peu moins de temps qu'il n'en a fallu I pour que ses préparations en arrivassent au point elles sont ' aujourd'hui. On serait donc tenté d'assigner à la domination de l'homme sur la terre une durée totale de douze à quatorze mille ans, divisée en deux périodes : l'une, qui est passée, aura vu, aura possédé la jeunesse, la vigueur, la grandeur intellectuelle de l'espèce ; l'autre , qui est commencée -, en con- naîtra la marche défaillante vers la décrépitude.

En s'arrêtant même aux temps qui doivent quelque peu précéder le dernier soupir de notre espèce , en se détournant de ces âges envahis par la mort, le globe, devenu muet, continuera, mais sans nous, à décrire dans l'espace ses orbes impassibles , je ne sais si l'on n'est pas en droit d'appeler la fin du monde cette époque moins lointaine qui verra déjà l'a- baissement complet de notre espèce. Je n'affirmerai pas non plus qu'il fût bien facile de s'intéresser avec un reste d'amour aux destmées de quelques poignées d'êtres dépouillés de force , de beauté , d'intelligence , si l'on ne se rappelait qu'il leur restera du moins la foi religieuse, dernier lien, unique sou- venir, héritage précieux des jours meilleurs.

Mais la religion elle-même ne nous a pas promis l'éternité; mais la science, en nous montrant que nous avons commencé, semblait toujours nous assurer aussi que nous devions finir. Il n'y a donc lieu ni de s'étonner ni de s'émouvoir en trouvant une confirmation de plus d'un fait qui ne pouvait passer pour douteux. La prévision attristante, ce n'est pas la mort, c'est

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564 DE l'inégalité des haces humaines.

la certitude de n'y arriver que dégradés ; et peut-être même cette honte réservée à nos descendants nous pourrait- elle lais- ser insensibles , si nous n'éprouvions, par une secrète horreur, que les mains rapaces de la destinée sont déjà posées sur nous.

FIN DU tome second ET DERNIER.

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U.

TABLE DES MATIERES.

LIVRE QUATRIÈME.

CIVILISATIONS SÉMITISÉES DU SUD-OUEST.

(Suite.)

Pages.

Chapitre III. Les Grecs autochtliones, les colons sémites; les

Arians-Hellènes 1

Chapitre IV. Les Grecs sémitiques SO

LIVRE CINQUIÈME.

CIVILISATION EUROPÉENNE SÉMITISÉE.

Chap. I«'. Populations primitives de l'Europe 71

Chap. il Les Thraces. Les Illyriens. Les Étrusques.

Les Ibères 109

Chap. IIî. Les Galls 127

Chap. IV. Les peuplades italioles aborigènes 181

Chap. V. Les Étrusques Tyrrhéniens. Rome étrusque .... 204

Chap. VI. Rome italiote 226

Chap. VIL Rome sémitique 249

LIVRE SIXIÈME.

LA CIVILISATION OCCIDENTALE.

Chap. I*'. Les Slaves. Domination de quelques peuples arians

antégermaniques 311

Chap. IL •— Les Arians Germains 343

Chap. III. Capacité des races germaniques natives 363

Chap. IV. Rome gei;jmanique. Les armées romano-celtiques

et romano-germaniques. Les empereurs gemjains 403

RACES HUMAINES. T. II. 665 32

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566 TABLE DES MATIERES.

Pages.

Chap. V. -- Dernières migrations des Ârians Scandinaves 448

Chap. VI. Derniers développements de la société germano-ro- maine. . . . . 469

Chap. VII. Les indigènes américains 492

Chap. VIII. Les colonisations européennes en Amérique .... 526

Conclusion générale 539

FIN DE LA TABLE DU SECOND VOLUME.

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