SES S 2 à SSS SN RS S SSSS c " 2 « a AAC: En NE 4 …? ry SUR LA DE L'EUROPE ET EN PARTICULIER SUR LA VÉGÉTATION DU PLATEAU CENTRAL D8 LA FRANCE: PAR Henri LECO@, Professeur d'Histoire naturelle de la ville de Clermont-Ferrand. TOME QUATRIÈME. 00e — À PARIS, CHEZ J.-B BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, 19, RUE HAUTEFEUILLE. A LONDRES, cnez H. BAILLIÈRE, 219, REGENT-STREET. A NEW-YORK, cnez H. BAILLIÈRE, 290, 2RoAD-waAY. A MADRID, cuez C. BAJILLY-BAILLIÈRE, cALLE DEL PRINCIPE, 1. GÉOGRAPHIE BOTANIQUE ÉTUDES LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE DE L'EUROPE, SUR LA VÉGÉTATION DU PLATEAU CENTRAL DE LA FRANCE. A TER L nie | PTLIR d : FH ci a re ) ge D L EUR | # AAA: à dr à 1 ÉTUDES SUR LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE DE L'EUROPE ET EN PARTICULIER SUR LA VÉGÉTATION DU PLATEAU CENTRAL DE LA FRANCE; PAR Herr LECOO, Professeur d'Histoire naturelle de la ville de Clermont-Ferrand. ——_—s === TOME QUATRIÈME. LIBRARY NEW YORI ose BOTANICAI GARDEN A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, 19; RUE HAUTEFEUILLE.. A LONDRES, cnez H. BAILLIÈRE, 219, REGENT-STREET. A NEW-YORK, cuez H. BAILLIÈRE, 290, BROAD-WAY. A MADRID, cuez C,. BAILLY-BAILLIÈRE, CALLE DEL PRINCIPE, 11. HAL Ut JR nu | CT NS TE AE de de PM EN A1 4 MARS i M'Y E } AT enr AitE FT 1] 3 LA LA À . CR OPEL TRE LIU LR A HARAS " + ! L F ñ b * | H ÉPIAU ET | UNSS ur 6 dut RUN MATE MEN th | k R'ATRRTEE OÙ Horn ï VAE. din En AS : 1 ï ù h PO AN 1 rase NES SERIE Hr HA 4 | trees, (MR OLNRNTENS AE eut W l DEAR MUR CLS MALE) "Au KA JAN 2- 1909 CONTENU DU QUATRIÈME VOLUME. CBaPiTRE XLII. Distribution géographique d’après la couleur Car. XLIII. Caar. XLIV. des fleurs, et de quelques caractères liés à la COCA ON ER Ra datersies ce rao taie re DOME UE: De l'influence de la latitude sur la coloration des fleurs, p. 1, — De la distribution géogra- phique des fleurs colorées en altitude, p. 10.— De l'influence de l’eau sur la coloration des fleurs, p. 15.— De l'influence de la nature chi- mique du sol sur la coloration des fleurs, p. 16. De la couleur des fleurs relativement à la durée de la vie des plantes, p. 19. — De l'influence de l’époque de la floraison sur la coloration, p. 21. Des rapports qui existent entre la couleur et les odeurs des végétaux"... p. 25 Des couleurs relativement au paysage.. p. 42 Car. XLV. De la sociabilité des plantes. .......... p. 56 Car. XLVI. De l'association des végétaux. ........ p. 85 Association du mois d'avril, p. 90.— Asso- ciation du mois de mai, p. 93. — Association du mois de juin, p. 114.— Association du mois de juillet, p. 140.— Association du mois d'août, p. 165.— Association du mois de septembre, p. 184.— Association du mois d’octobre, p. 200 Cuar. XLVII. Du parallélisme des espèces et des équivalents Data Re TR... DO “ N ORK " CONTENU Crar. XLVIII. De la migration et de la colonisation des es- Car. XLIX. Cuar. L. DÉLPES NÉS IEs RE re eee. p. 245 Des centres de création, p. 246.— De l’as- sociation et du croisement des aires de dis- persion, p. 265. De l’envahissement de la végétation et des com- bats COS DAMES. 0e de us p. 271 Envahissement de la végétation , p. 277. — Des combats et conquêtes des végétaux, p.296. De la répartition des centres de création sur la LE PS rt Ar EE QE CE à p. 308 Régions botaniques, p. 308. — Des rapports plus ou moins éloignés de la flore du plateau central de la France avec celle de ces différentes régions botaniques, 336.— Des moyens de dé- terminer le centre de création d’une espèce et de ses migrations, p. 341. — Des centres de création dans leurs rapports avec les événe- ments géologiques, et de la succession des plan- tes sur la terre, p. 353. Coxsi£rarTions générales et particulières sur la distribution géographique et les rapports numériques des espèces végétales en Europe. ....... p. 391 V'AMILLE des lERONEUIACÉES. . 5.0: - ° « eee p. 402 1. Genres : Clematis, p. 406. — Thalictrum , p. 410. — Anemone, p. 417. — Adonis, p. 436. — Myosurus, p.442. — Ceratocephalus , p. 443. — Ranunculus, p. 445. — Caltha, p. 486. — Trollius, p. 491. — Helleborus, p. 49%. — Iso- pyrum, p. 499.— Nigella, p. 502.— Aquilegia, p. 504. — Delphinium, p. 508. — Aconitum, p. 512. — Actæa, p. 520. — Pœonia, p. 523. DU QUATRIÈME VOLUME. vi Famice des berbéridées. ....,,.......... sense 0 De 000 Fame des nymphæacées. .. .......,...,...... p. 529 Genres : Nymphæa, p.529. — Nuphar, p. 533 TRE Q ÉD DE «7 bd ESVANCET FN NUS de CENTRE ÉTUDES ‘+ SUR LA GÉOGRAPHIE BOTANIQUE DE L'EUROPE ET EN PARTICULIER SUR CELLE DU PLATEAU CENTRAL DE LA FRANCE. CHAPITRE XLHI. DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE D'APRÈS LA COULEUR DES FLEURS , ET DE QUELQUES CARACTÈRES LIÉS A LA COLORATION. me $ 1. DE L'INFLUENCE DE LA LATITUDE SUR LA COLO- RATION DES FLEURS. Après un examen de la couleur des fleurs pour toutes les plantes qui composent la flore du plateau central de la France, nous avons fait le même travail pour le midi de l'Espagne, pour la Laponie , pour l'Algérie et l’Angleterre; et notre savant ami, M. Martins , ayant bien voulu mettre à notre disposition les notes qu’il a recueillies dans ses deux voyages au Spitzherg , nous avons pu ajouter cette île si remarquable par sa position géographique, aux contrées que nous désirions comparer. Il eût été intéressant sans doute de réunir les flores colo- rées de tous les pays entre lesquels nous avons essayé ail- IV 1 2 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. leurs d’établir des rapports; mais notre persévérance a échoué devant des difficultés multipliées. En général, les botanistes qui ont écrit des flores, ont presque toujours. omis de parler de la couleur des fleurs, et à plus forte raï- son de celle des autres parties des plantes. Les caractères tirés du coloris leur ont paru inutiles, comme beaucoup d’autres observations qu'ils auraient pu recueillir, et dont ils n’ont pas apprécié l'importance. Au reste, ce n’est pas maintenant la statistique des couleurs appliquée à quelques autres flores de l’Europe qu'il serait curieux d'étudier, ce serait le tableau de la coloration des espèces appartenant aux zones équinoxiales qu'il serait intéressant de rapprocher de ceux que nous présentons. | Voici les résultats que nous avons obtenus dans les six flores suivantes. Les rapports expriment la proportion de chaque couleur au total de chaque flore. Tableau des proportions des fleurs vertes ou glumacées et des fleurs vertes non glumacées. Glumacées. Vertes. TO ARRET UD Li AS 1: :°20 Midi de l'Espagne. .....:.4 41:51 4020 Piatean CENEALS:.2 ..02 00 dus 1 : 16 Annee darts see UCI: 4 : 15 PDO 2-4... “sun À 2 AU TENUE SOI ANS ONENEMANERTNE 1:92 » Les fleurs que nous pouvons désigner d’une manière gé- nérale comme non colorées, vertes, glumacées, ou seule- . ment formées de pistils et d’étamines à peine entourés de quelques écailles, nous offrent, comme on le voit, quelques anomalies dans leur distribution; mais en général la propor- INFLUENCE DE LA LATITUDE. 3 tion dé fleurs non colorées à celles qui le sont, va en dimi- nuant vers le sud. Les contrées du nord sont donc celles qui présentent le plus petit nombre de plantes à corolles colo. rées. Les plantes à fleurs non colorées appartiennent à certain nombre de familles qui presque toutes sont groupées dans les monocotylédones et dans les monochlamydées. Les autres classes n’en contiennent qu’un petit nombre, telles sont les plantaginées dans les corolliflores, les haloragées, callitrichinées, paronychiées dans les caliciflores, les résé- dacées dans les thalamiflores. Il est donc très-naturel que la proportion des espèces à fleurs vertes suive à peu près régu- lièrement celle des monocotylédones et des monochlamy- dées. Les exceptions que présentent nos chiffres s'expliquent très-facilement. Pour l'Algérie, le grand nombre des euphor- biacées et les amaranthacées et chénopodées d’une flore httorale doivent augmenter beaucoup la proportion des fleurs vertes. Partout ailleurs l’accroissement est régulier. Il atteint son maximum en Laponie, où les amentacées et les cypéra- cées sont extrêmement nombreuses, et 1l diminue nécessaire- ment au Spitzherg où les monocotylédones sont dans une faible proportion, et où la végétation arborescente qui ne pourrait être formée que d'amentacées, est éliminée par la latitude et le climat. Nous ne pousserons pas plus loin cet aperçu de distribution des espèces à fleurs non colorées , et nous allons maintenant les séparer entièrement des autres plantes. Nous n'avons donc plus que des flores à espèces colorées, et les propor- tions que nous allons établir seront relatives au total des espèces à fleurs colorées seulement, pour chaque flore et non au total général, car, en y comprenant ces dernières, plusieurs rapports pourraient être masqués ou altérés par leur présence. 4 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. Tableau de la proportion de chaque couleur au total des fleurs colorées. Jaune. : Rouge. Bleu. Blanc. AIN. se. LE 9,0 : À: 059, L::0,2 PINCE Midi de l’Esp. 1 : 3,6 1 : 4,8 1 : 9,9 1 : 4,3 Plateau centr. 1 : 3 1 53,4 1: 46210 Anéletérre .. 1.: 4,9, 1 ::9,9 ,1:: 8,9 RS Lapomñe "4 1": 9,4 1; 4,57 À : 71,400 Spitzberg. .. . 1 : 2,8 1:35 » 1:22 Ces rapports nous montrent une constance remarquable dans la proportion des fleurs jaunes, qui se tiennent partout entre le tiers et le quart du nombre des fleurs colorées. Au Spitzberg seulement, la proportion devient plus considérable et se trouve un peu plus du tiers. Les fleurs rouges offrent une distribution moins régulière , à peu près le tiers ou le quart, mais leur nombre s’affaiblit en Laponie, où elles ne sont plus le quart, et au Spitzherg où elles représentent seu- lement le cinquième des fleurs colorées. Le bleu, qui comprend aussi le violet, est partout en mi- norité, et nous ne pouvons y distinguer aucune distribution régulière. Il paraît manquer au Spitzherg , non d’une ma- nière absolue, car le Saxifraga opposihfolia, qui y fleurit, | pourrait aussi bien être rangé parmi les fleurs violettes que parmi celles à corolles roses ou lilacées que nous avons constamment placées dans la série rouge. Les fleurs blanches ne nous montrent aucune exception, aucune anomalie ; leur nombre augmente progressivement du sud an nord, et forme presque le cinquième en Algérie ; elles sont un peu plus de la moitié au Spitzhberg. Elles aug- mentent graduellement jusque dans cette grande île , où les {leurs blanches sont en majorité. INFLUENCE DE LA LATITUDE. 5 Il y a quelque chose de très-remarquable dans la constante égalité du jaune et dans le décroissement numérique du blanc vers le sud , dans les proportions variables du bleu et du rouge , bien que cette dernière couleur semble décroître aussi vers le nord. Nous allons maintenant constituer des flores uniquement composées de certaines classes de végétaux , et rechercher si la distribution des couleurs se maintient également dans chacüne d’elles)_ / Tableau de la proportion de chaque couleur au total dans les thalamuflores. Jaune. Rouge. Bleu. Blanc. Algérie. . ... 1 ou 1::.9 dir 11:14::3,8 Midi del'Esp. 1 : 2,8 1 : 3,8 1 : 15 1 : 3,2 Pimticancentr. : 1,: 3,2, © : 4,93. 1:11 1 ::9,7 Mneleterre.:" 1 : 9,6,14: 4,8 1::.13, #,:.2,2 Lapome.... 1 : 95 1 :10 GET TORRES AE EC Antbers... 1 :. 3,6 . 1 : 5,8 » 1: 1,8 Les thalamiflores à fleurs jaunes conservent partout une proportion presque uniforme; celles à fleurs rouges diminuent bien plus rapidement que l’ensemble en Laponie. Les bleues sont peu nombreuses , et leur proportion est partout beau- coup plus faible que pour l’ensemble, tandis que le contraire a lieu pour les espèces à fleurs blanches, très-dominantes dans les thalamiflores , à cause des crucifères et des alsinées , et prédominantes aussi dans le nord par la même raison, à cause des crucifères, des alsinées, des droséracées et des renon- culacées. 6 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. Tableau de la proportion de chaque couleur au total dans les caliciflores. Jaune. Rouge. Bleu. Blanc. AIBÉTE:, »» TT I el 8,3 1 : 4,5 Midi de l’'Esp. 1 : 2,1 1 : 4,1 1 : 13 1 : 4,6 Plateau centr. 1 .::2,6..:1,: 9,5..1 : 42 EN Angleterre . 4, 2,744 228,40 Le 60 RC Laponie. ..#:3,1 1: 3,7, 1 : ALORS Spitzberg .. 1 : 2,4 1: 4 » 1:3 On remarque un fait général dans les caliciflores , c’est la prédominance des fleurs jaunes , et elle se maintient par- ” tout du sud au nord, à l’exception seule de la Laponie, où les espèces à corolles blanches l'emportent un peu sur elles. Les caliciflores blanches suivent ici la marche de l’ensemble, mais elles diminuent de nombre au Spitzhberg. Les bleues accusent une diminution graduelle vers le nord , et le con- traire a lieu pour les rouges, dont la proportion augmente vers le nord, pour diminuer aussi au Spitzberg. Les légumineuses et les synanthérées sont la cause de la prépondérance des fleurs jaunes dans les caliciflores. Tableau de la proportion de chaque couleur au total dans les corolliflores. Jaune. Rouge, Bleu. Blanc. Algérie. ... 1/:.3,8. 1,::3,3.,1 033 0000 Midi de l'Esp. 4 : 5,1 1 : 2,6 1.:3,5 1:14 Plateaucentr. 1 : 3,9 1:35 1 : 3,2 F0 Angleterre . . 1 : 4,3 1 : 2,8:,1 :,3,6 L1°:005 Eaponie".1.; 4:19 1:: 4,40045:02 1 :16 Spitzherg ds » » » » INFLUENCE DE LA LATITUDE. en: Les fleurs bleues et les fleurs rouges dominent dans les corolliflores , et cela surtout aux dépens des blanches, qui, dans ces végétaux, se trouvent en très-faible proportion. A part ce fait général qui ressort clairement de notre ta- bleau, nous remarquons de grandes inégalités dans la distri- bution géographique des couleurs. Le jaune et le rouge n’ont rien qui se suive dans leur distribution, mais le bleu atteint son maximum en Laponie, où il existe la moitié des corolli- flores à fleurs bleues, tandis qu’il n’y en a plus que 1,16 à fleurs blanches. Le Spitzherg n’a qu’une seule corolliflore, c'estun Pedicularis à fleurs d’un jaune päle. Tableau de la proportion de chaque couleur au total dans les monochlamydées. Jaune. Rouge. Bleu Blanc. Algérie. vise s 1 : 1,2 » » Liec5 Midi del'Esp. 1 : 2 LE » der Plateau centr. » 1,: 4,9 » lus 59:41 Angleterre . . » 1 : 1,4 » de 3,3 Laponie. ... » 1::.3,5 » 45:44 Spitzherg PAL » » » » La plupart des monochlamydées appartiennent aux séries verte et foliacée, et l’on ne rencontre dans cette classe qu’un très-petit nombre de fleurs colorées. On voit que le bleu en est exclu partout, que le jaune n’existe que dans les régions méridionales, et que le rouge et le blanc sont les nuances dominantes dans les pays du nord. Nous croyons inutile de réunir ici l’ensemble des dicoty- lédones dont les tableaux précédents nous indiquent suffi- samment la tendance de coloration. Nous terminerons donc- cet examen par celui des proportions que vont nous présen- ter les monocotylédones. 8 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. Tableau de la proportion de chaque couleur au total dans les monocotylédones. Jaune. Rouge. Bleu. Blanc. MIPÉTISNN LEA 4:56 15:53 1: SMMTMES Midi de l'Espagne. 1 : 6,3 1:3 RE DES Plateau central... 4 : 5,3 1 :°2,5: 129,4 "81 AngJleterre...... 1:9 1:::9,6G 427,5 W1400R Laponie........ 4:::9,54 4914 p:' HR MSN Spitzberg . . . . =. » » » » Il n'existe aussi dans les monocotylédones comme dans les monochlamydées qu’un petit nombre d’espèces à fleurs colorées, parmi lesquelles on remarque en général la pré- pondérance du rouge. Le jaune va en diminuant vers le nord à peu d’exceptions près. Il en est de même du bleu, et le blanc suit à peu près la marche de l’ensemble, augmen- tant d’une manière très-évidente dans les régions froides et surtout en Laponie. Au Spitzherg, aucune monocotylédone n’a de fleurs colorées. Dans l'examen que nous venons de faire des fleurs colo- rées , nous n'avons eu égard qu’à la nuance et non au ton ou à l’état plus ou moins foncé de chacune de ces nuances. En les examinant sous ce nouveau point de vue nous arri- vons à d’autres conséquences. Abandonnons encore les fleurs vertes et considérons comme fleurs päles, les blanches, lilas, roses, jaunes-pâles ou soufrées, et les bleues-claires ou bleuâtres. Nous aurons pour fleurs foncées le rouge, le bleu et le jaune pur, l’orangé et le violet, quand ils ne seront pas délayés par du blanc. INFLUENCE DE LA LATITUDE. 9 Voici cette distribution pour le plateau central de la France : Fleurs foncées. Fleursclaires. anne, HAN: : 300 135 Rouges :. 5... 138 243 Bibnesh na ue 134 38 Blanches, ...... » 343 572 759 On voit par ce résultat que le jaune et le bleu sont les deux couleurs qui se maintiennent le mieux au ton normal, et dans le bleu nous comprenons le violet, comme dans le jaune nous admettons l’orangé. Ces deux teintes sont assez stables dans les fleurs , mais déjà elles se laissent dégrader par du blanc dans quelques circonstances. Les fleurs rouges sont celles qui présentent le plus rare- ment des teintes vives et foncées. Presque toujours le rouge devient rose et surtout lilas. Le bleu et le rouge semblent avoir une grande affinité l’un pour l’autre, et parmi les 138 espèces que nous plaçons parmi les fleurs rouges-foncées, il n’en est qu'un très-petit nombre où la nuance rouge ne soit pas affectée de violet. En somme , comme les fleurs blanches doivent être con- sidérées comme les plus pâles de toutes, il en résulte qu’en comptant seulement les fleurs blanches, jaunes , rouges et bleues , le nombre des plantes à fleurs tendres ou faiblement colorées est plus considérable que celui des plantes à fleurs foncées. | Nous n'avons pu réunir de chiffres précis pour comparer numériquement les fleurs pâles et les fleurs foncées dans l’ordre des latitudes géographiques ; mais si les données nous ont manqué pour établir des chiffres et des proportions 10 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. rigoureuses , nous avons reconnu facilement que ce n'étaient pas seulement les espèces à corolles blanches qui devenaient prépondérantes vers les hautes latitudes, mais encore une grande partie de celles que nous avons classées dans les séries rouge, jaune et bleue. Celles qui sont soufrées, bleuâtres, lilacées, carnées, deviennent bien plus abondantes vers les régions polaires, et, au contraire , celles dont le ton de la nuance est voisin du ton normal, se présentent plus fréquem- ment dans les pays chauds soumis à toute l’activité des rayons solaires. Les fleurs blanches réunies aux fleurs pâles de toutes les séries abondent au nord , et deviennent de plus en plus rares en approchant de l'équateur , ordre curieux de distribution qui justifie la construction graphique dont nous avons donné une idée, et dans laquelle les tons normaux entourent l’équateur et les tropiques, et vont en s’affaiblis- sant vers le pôle éclairé. On reconnaît dans cet ordre géographique toute l’action de la chaleur et de la lumière réunies. C’est en effet sous cette ceinture animée de la terre que se trouvent les plus beaux coloris, non-seulement dans les fleurs et dans les troncs ligneux où la végétation dépose ses plus riches matières colo- rantes, mais encore dans le brillant plumage des oiseaux, sur les ailes éclatantes des papillons , ou sur les élytres mé- talliques des coléoptères. $ 2. DE LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES FLEURS COLORÉES EN ALTITUDE. La latitude a évidemment une part d'influence dans la distribution des espèces à fleurs colorées, et si son action n’est pas toujours très-nettement appréciable pour les nuan- ces, elle ne laisse aucun doute relativement au ton des cou- FLEURS COLORÉES EN ALTITUDE. 11 leurs. On suppose que l'intensité de la coloration est en rap- port avec celle de la lumière, non par l’action directe de cette lumière sur les fleurs qui, comme on le sait, ne sont pas sus- ceptibles d’étiolement quand les feuilles sont vertes, mais par l’éclairement plus ou moins vif des parties foliacées. Or, les plantes équatoriales qui reçoivent perpendiculai- rement les rayons solaires sont plus colorées que celles qui n’en sont frappées qu’obliquement, et quoique les espèces de la Laponie aient, en compensation de l’obliquité de la lumière solaire , un éclairement continu pendant toute leur végétation, il n’en est pas moins vrai qu’elles n’offrent pas les couleurs vives et foncées des espèces tropicales. Au contraire, en approchant du cercle polaire nous ne trouvons absolument que des fleurs blanches ou des espèces à corolles soufrées, - rosées, lilacées, bleuâtres, et presque jamais à nuances fran- ches et normales. IL y avait donc de l'intérêt à rechercher si, dans les hautes montagnes, où la somme d’éclairement est plus considé- rable que dans les plaines qui s’étendent à leur base, il y aurait des différences dans les proportions des espèces à fleurs colorées. Nous avons dû, à cet effet, rédiger des flores ou des catalogues d’espèces montagnardes, en ayant soin de noter la couleur des fleurs ; et une fois ce travail préli- minaire terminé, pour les points sur lesquels nous avons pu avoir des données, nous avons construit le tableau qui suit : Tableau de la proportion des fleurs vertes foliacées sans corolle, et des fleurs à corolles vertes, au total des es- pèces dans différentes contrées montagneuses. Sans corolle. Avec corolle. Ensemble du midi de l'Espagne... 1 : 5,1 1 : 19 Idem régions alpine et nivale..... 1 : 5,7 1 : 15 12 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. Sans corolle. Avec corolle. Idem région nivale.. ......... L4-15 EUR : | Ensemble des Pyrénées. ........ 1: 5,5 : 11004 Pyrénées élevées. . ............ Le 61 1 : 18 Pic du Midi (sommet)... :..4.1..0 404 440005 Ensemble des Alpes........... d505 1 : 20 Alpes élevées. . 4.00, 4440005 CNRS Ensemble du plateau central. AS D 1 : 16 Idem région montagneuse... ..... 1'uS RE Idem sommets élevés ...... use AT SRE On peut faire sur ce tableau une remarque générale, c’est qu'il existe fort peu de différence entre ces proportions des plantes à fleurs non colorées. Il y a peut-être un Fa de tendance à la diminution de leur nombre, à mesure qu’on s'élève, résultat qui serait opposé à celui que l’on obtient en s’approchant des régions polaires. Ce qui est certain, c'est que le nombre de ces plantes est bien moins considé- rable sur les sommets élevés que dans les contrées froides du globe, car la plus grande proportion dans la première colonne de notre tableau est 1 : 4,4 pour le Pic du Midi, espace trop restreint pour avoir une grande importance, et ensuite 115 pour l’ensemble des Alpes, et 115 pour la région montagneuse du plateau central. Ce dernier chiffre repré- sente très-probablement la proportion moyenne des plantes à corolles non colorées dans les chaînes de montagnes de l'Europe, tandis qu’en Angleterre ces espèces sont 113, et en Laponie près de 1[2. C'était encore un résultat prévu, puisque les monocotylédones, qui entrent pour les 374 dans le catalogue de ces végétaux , suivent exactement cette marche inverse dans leur distribution en latitude et en alti- tude. D’un autre côté , les monochlamydées sont compen- FLEURS COLORÉES EN ALTITUDE. 13 sées aussi par la famille des amentacées, qui recherchent une température peu élevée, et les euphorbiacées et urti- cées , qui au contraire se retirent sous les conditions bio- logiques qui plaisent aux arbres à chatons. Une fois.ces espèces séparées, revenons aux fleurs colorées, et, comme nous l'avons fait plus haut, faisons abstraction complète des premières. Tableau de la proportion de chaque couleur , au total des fleurs colorées. Jaune. Rouge. Bleu. Blanc. Midi de l'Espagne... 1:3,6 1:48 1:99 1:4,3 Id. Rég. alp.et niv.. 1:3 L LEON 07 Mesh JET 1 dent ES Pr Id. Région nivale... 1:3,4 1:3,4 1:7 1:3,4 Ensemble des Pyrén. 1:3,9 1:4,3 1:6,3 1:92,8 Pyrénées élevées... . 1:4,6 1:4,9 1:5,5 1 :2,6 Pic du Midi (sommet). 1 :5 Fa, 878 7 19907 Ensemble des Alpes. 1:3,7 1:4,1 1:7,2 1:2,8 Alpes élevées. ..... Qi 20 en MERS di AT a Ens”" du plat. centr.. 1 :3 L'ETAT, 0 "1238 Id. Région montagn. 1:4,1 1:4 LE TI NS Id. Sommets élevés. 1:3,6 1:4,5 1:5,1 1:3,3 Edponie.22....... LEA LAS "297,7 049957 Nous remarquons dans ce tableau que les fleurs jaunes se maintiennent encore à peu près dans les mêmes proportions, au moins pour le midi de l'Espagne ; mais dans les Alpes et les Pyrénées qui , à cause de leur étendue, doivent nous ser- vir de guide plus que les autres montagnes, nous les voyons diminuer en nombre d’une manière très-sensible , à mesure que l’on s'élève. Le même fait se présente pour le plateau central, malgré l’anomalie que semble présenter la flore de 14 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. ses sommets élevés, trop restreinte pour que cette excep- tion puisse infirmer la règle. On reconnait du reste que la moyenne des fleurs jaunes des sommets et des chaînes de montagnes , est à peu près la même ou un peu plus faible que celle de la Laponie. Les fleurs rouges augmentent avec l'altitude dans le midi de l'Espagne ; elles restent à peu près dans le même rap- port dans toute la chaîne des Pyrénées, diminuent au som- met des Alpes , et diminuent aussi graduellement à mesure qu'on s'élève sur le plateau central. Les sommets élevés of- frent en moyenne une proportion presque semblable à celle de la Laponie. Les fleurs bleues deviennent plus nombreuses à mesure que l’on s’élève sur les montagnes du royaume de Grenade. Elles le deviennent aussi dans les Pyrénées et dans les Alpes, et surtout d’une manière très-sensible dans cette dernière chaîne. Enfin, sur le plateau central , les rapports numéri- ques augmentent aussi de la plaine au sommet des monta- gnes, et d’une manière régulière. La famille des campanu- lacées contribue aussi beaucoup à cet ordre de distribution. En Laponie, les fleurs bleues font un peu plus de 178; dans les Pyrénées et les Alpes élevées, moins de 116, et sur les sommets élevés du plateau central 115 ; en sorte que les fleurs bleues augmentent plus rapidement en altitude qu’en latitude. Quant aux fleurs blanches, elles suivent en hauteur à peu près le même accroissement qu’en latitude polaire ; et, si nous avions réuni aux espèces qui offrent l’albinisme com- plet celles qui s’en rapprochent par les nuances azurées , li- lacées ou jaunâtres de leurs fleurs , nous aurions obtenu le même résultat que pour les régions froides de la terre. La longueur des jours et l’éclairement prolongé par une lumpère INFLUENCE DE L'EAU. 15 oblique produisent donc sur les couleurs le même effet que la clarté dans laquelle se trouvent placées les espèces mon- tagnardes. $ 3. DE L'INFLUENCE DE L'EAU SUR LA COLORATION É DES FLEURS. Parmi les 1,450 espèces à fleurs colorées qui existent sur le plateau central de la France , il y en a 196 qui appar- tiennent à notre région aquatique, c’est-à-dire qui crois- sent dans l’eau, sur le bord des eaux, dans les lieux hu- mides , ou enfin qui ont besoin d’une certaine quantité d’eau pour se développer. Ces plantes sont au total des espèces à fleurs colorées dans le rapport de ....... 1 : 7,40 En comparant ensuite les espèces aquatiques de chaque couleur à l’ensemble des espèces de la même couleur, on obtient les rapports suivants : D NES. 1... se. 1 © 9,40 POMRIES TOUSES.. «ses oc À ©: 5,92 Pour les bleues. ........ PMR A 45: AOT anche eu eos ce se, 1! 9,92 Ainsi, parmi les plantes à fleurs colorées qui cherchent l’eau ou l’humidité, la majorité est à fleurs rouges ou à fleurs blanches , les deux couleurs qui ont le plus de rap- ports , tandis que les plantes à fleurs jaunes et à fleurs bleues ne s’y montrent qu’en très-petite proportion. Dans une autre circonstance , quand nous avons séparé, dans chaque couleur , les teintes pâles et les teintes foncées , nous avons vu encore les fleurs bleues et les fleurs jaunes se comporter d’une manière uniforme entr’elles. 16 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. Si nous séparons dans chacune de ses couleurs .les plantes monocotylédones , nous aurons les couleurs suivantes : Monocctylédones à fleurs blanches 29, ou au total. des plantes à fleurs blanches, comme.........41 "1 à fleurs jaunes 11, ou au total, comme..... 1 : 39,5 à fleurs rouges 31, ou au total, comme.... 1 : 12,3 à fleurs bleues 14, ou au total, comme .... 1 : 12,3 L'ensemble des plantes de la région aquatique comparé à la totalité des espèces à fleurs colorées, donne le rap- ports. sssotese se see sole ERENNR Ce sont encore les fleurs rouges qui dominent parmi les monocotylédones , ce qui tient 1ci à une cause particulière, à la présence des orchidées dont la plupart des fleurs appar- tiennent à la série rouge, et cette famille est celle qui, parmi les monocotylédones de notre flore, renferne le plus de fleurs colorées. Si nous ne prenions que les plantes véritablement aquati- ques, au nombre de 50, dont nous avons donné la liste ailleurs, nous aurions des résultats très-différents, car nous trouvons dans ces plantes 34 espèces à fleurs non colorées, 10 à fleurs blanches, 5 à fleurs jaunes et 1 à fleurs rouges. Ces observations concordent parfaitement avec la prédomi- nance des plantes monocotylédones , dans les espèces réel- lement aquatiques. es, nf] $ 4. DE L'INFLUENCE DE LA NATURE CHIMIQUE DU SOL SUR LA COLORATION DES FLEURS. Nous avons essayé aussi de savoir si les sols calcaires ou siliceux ont une influence générale sur la coloration des fleurs. A cet effet nous avons construit le tableau suivant : INFLUENCE DE LA NATURE CHIMIQUE DU SOL. 17 Espèces aquatiques Espèces non aquatiques Espèces préférant Espèces préférant indifférentes au sol, indifférentes le sol siliceux. le sol calcaire. À fleurs jaunes... 46 139 131 119 — rouges.. 69 119 114 79 — blanches. 64 93 LIT 69 — bleues... 17. 67 54 34 Nous avons séparé en deux sections les plantes indiffé- rentes à la nature du terrain, parce que la première contient celles qui doivent leur indifférence à l'eau qui imbibe le sol ; et comme l'eau doit être considérée comme un sol particu- lier, nous avons déjà examiné son influence sur les plantes à fleurs colorées. Nous faisons donc abstraction de la première colonne , et, prenant le total de la seconde , nous trouvons que dars les fleurs colorées les espèces indifférentes au sol MRRMAMAIE rapport de ...:............ 1 : 3,47 En isolant les couleurs , nous avons les proportions sui- vtes : Pour les jaunes. .... 1 : 3,13 — rouges. .... 1 : 2,36 — blanches... 1 : 3,68 — bleues..... 1 : 2,56 C'est parmi les plantes de la série rouge et de la série bleue que nous trouvons la plus grande proportion d'espèces indifférentes à la nature du sol; ce sont les jaunes et sur- tout les blanches qui paraissent dépendre le plus de la nature des terrains. Isolant maintenant les végétaux des terrains siliceux, nous trouvons que #16 espèces croissent de préférence sur ces terrains, ce qui donne le rapport de....... 1 : 3,49 En séparant les couleurs, les rapports s’établissent comme il suit, pour les quatre nuances : IV e 15 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. HAQNES 2er eee 0 On Rouges... .... -... 4 "3,87 Blanches: . core son On Rleües. .. 4e ee cel Ces diverses séries se rapprochent de la moyenne à l’ex- ception de la blanche dont les espèces se trouvent en plus grande proportion que les autres séries sur le sol siliceux. En opérant de même pour les plantes qui préfèrent les sols calcaires , nous obtenons un chiffre de 301 espèces ou lerappôrt MOYEN Us. CE %,82 Les couleurs étant isolées, on trouve que les végétaux qui affectionnent plus particulièrement les sols calcaires sont aux autres dans les rapports suivants : Pour les Jaunes.i. tas unes rate fie OMR Poür:les rongéss.. 040 NS Pour les blancssin 2.145 RES Pour les bléuss 54.4: actes TOUS Les espèces à fleurs rouges suivent exactement la moyenne; celles à fleurs blanches qui tout à l'heure semblaient marquer une préférence pour le sol siliceux , ne s’écartent pas non plus d’une manière sensible de la moyenne pour les sols calcaires. Les jaunes sont celles qui affectionnent le plus ces terrains, et les bleues celles qui s’y rencontrent en proportion beaucoup moins considérable. Tous ces rapports ne peuvent avoir qu’un intérêt très-se- condaire en les considérant isolément et sur un espace donné et restreint, comme la circonscription de notre flore; mais ils pourraient peut-être, comparés à des travaux analogues faits sur d’autres contrées , faire ressortir quelques faits par- ticuliers de physiologie végétale ou de géographie botanique que nous ne pouvons prévoir aujourd’hui. COULEUR DES FLEURS. 19 NS D. DE LA COULEUR DES FLEURS RELATIVEMENT A LA DURÉE DE LA VIE DES PLANTES. Nous devons maintenant examiner les plantes à fleurs co- lorées relativement à leur durée, et nous établirons le ta- bleau suivant pour les plantes du plateau central : Annuell. Bisann. Vivaces. Ligneus. Plantes à fleurs blanches. . 81 922 185 55 Plantes à fleurs rouges.... 107 39 197 38 Plantes à fleurs jaunes.... 132 68 192 43 Plantes à fleurs bleues... 35 19 113 5 Ce qui donne les rapports suivants : Les plantes annuelles sont au total des 1,451 espèces à fleurs colorées dans le rapport de.......... h:c2 En les séparant par couleurs, les rapports deviennent les suivants : Pour les jaunes annuelles. .......... 1 : 3,30 Pour les rouges annuelles... ......,.. 1: 3,56 Pour les blanches annuelles. . ........ 15 4,953 Pour les bleues annuelles. . ... HEAR 1:90 C'est la série bleue qui fournit le moins de plantes an- nuelles, puis la série blanche. Les bisannuelles sont au total des 1,451 espèces à fleurs coldrées), COMME... . . 0 + pr 1 : 9,80 En les séparant par couleurs , les rapports deviennent les suivants : Pour les jaunes bisannuelles. . ...... 1 6,40 Pour les rouges bisannuelles. . .... RES NÉE 7 Pour les blanches bisannuelles. . . .. He dre Pour les bleues bisannuelles. . ...... 1: :.2119 20 DISTRIBUTION GÉCGRAPHIQUE. C’est encore la série blanche qui donne le moins de plantes bisannuelles , puis la rouge, la bleue, et enfin la jaune qui en produit le plus; c’est aussi celle qui donne le plus de plantes annuelles. Comme il est souvent difficile d'établir une limite entre les espèces annuelles et bisannuelles, nous allons mainte- nant réunir toutes les espèces monocarpiennes. Elles sont au total comme. ........ 1 : 2,80 En les séparant par couleurs, les rapports des espèces monocarpiennes colorées aux polycarpiennes colorées de- viennent les suivants : ‘ Pour les jaunes monocarpiennes ...... 1 : 2,17 Pour les rouges monocarpiennes. ..... 1 : 2,61 Pour les blanches monocarpiennes..... 1 : 3,33 { : 02 Pour les bleues mono£arpiennes . . .... Les mêmes résultats se maintiennent ; il y a évidemment moins d'espèces monocarpiennes parmi les espèces à fleurs blanches et à fleurs bleues que parmi celies à fleurs jaunes et à fleurs rouges. Voici le résultat du rapport des espèces vivaces; en n’y com- prenant pas les végétaux arborescents , le nombre des plantes vivaces colorées est au nombre total comme 1 : 2,11. En les séparant par couleurs, les plantes vivaces sont au total : Pour les jaunes vivaces. “asteas vo 1 RO Pour les rouges vivaces. ............. 4 : 1,93 Pour les blanches vivaces. . .......:. 1 : 1,85 Pour les bleues vivaces. 4: 4, CURE Ces rapports étaient faciles à prévoir d’après les chiffres précédents. Si les espèces monocarpiennes sont en plus petit INFLUENCE DE L'ÉPOQUE DE LA FLORAISON. 21 nombre parmi les fleurs bleues et les fleurs blanches, c'est évidemment parmi celles-ci que les polycarpiennes sont le plus nombreuses. Q Il nous reste maintenant à comparer au même point de vue les espèces ligneuses. Celles-ci sont au total des espèces colorées , comme 1 : 10,29. En les séparant par couleurs, nous avons : Pour les jaunes ligneuses . ......... 1 : 10,11 Fours rouges lighèuses . . . . 000" "4021 10 Pour les blanches ligneuses.. ....... 1 : 6,23 Pour les bleues ligneuses . ......... 1 : 34,4 Lei les disproportions sont énormes; c’est la série blanche qui renferme la majeure partie des espèces arborescentes , ce qui est dû surtout à la famille des rosacées; viennent ensuite les séries jaune et rouge, qui se rapprochent de la moyenne , et la série bleue, qui renferme à peine quelques espèces ligneuses. Il est facile de se rappeler que les plus grands arbres, et une très-forte proportion d'espèces arborescentes, n’appar- tiennent pas aux séries colorées. S 6. DE L'INFLUENCE DE L'ÉPOQUE DE LA FLORAISON SUR LA COLORATION. Nous rechercherons dans ce paragraphe si l’époque où les fleurs s’épanouissent permet d’établir quelques rapports avec leurs couleurs. A cet effet nous établirons d’abord le tableau numérique ci-dessous , pour les espèces du plateau central de la France. Nous désignerons sous le nom de vernales celles qui s'é- 22 DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. panouissent avant le mois de mai, et sous le nom d’autom- nales celles qui n’ouvrent leurs fleurs qu'après le mois de juillet expiré. Tableau du nombre des espèces qui fleurissent dans les dif- férents mois de l’année. Fleurs blanches . ..... Fleurs jaunes-foncées. . Fleurs jaunes-claires. . . Fleurs rouges-foncées. . Fleurs rouges-claires. . . Fleurs bleues-foncées. .…. Fleurs bleues-claires. . . Torar/; ci Yernales. Mai. 38 90 24 53 10 25 11 24 15 40 28 22 ie 1) 128 264 Juin. 106 101 44 Juillet. 87 97 4T 45 443 401 103 Voici maintenant les rapports qui existent entre chaque couleur et le nombre des espèces à fleurs colorées qui s’épa- nouissent dans chaque saison ou chaque mois de l’année. Jaunes. Vernales : : : 40237 MA 27 nas MUR S cec 15 Hullet:. ..: F-25 Automnales. 1 : 2,8 Ensemble .. 1 : 3 1 Î { 1 il 1 Rouges, : 4,9 cd "DA AE EL : à : 3,4 ed eh bb jen Pb jen Bleues. : 4,2 9,22 s OR O4 : 8,6 "700 Blanches. = nb eb nb bb jm M ‘20 US : : 4,6 : 4,9 19,8 On reconnaît à ces chiffres que l'épanouissement des fleurs Jaunes devient d’autant plus grand que l’on avance davan- tage dans la saison. Elles sont à leur minimum numérique au printemps et augmentent jusqu'au mois de juillet, pour INFLUENCE DE L'ÉPOQUE DE LA FLORAISON. 23 se maintenir au même chiffre en automne. Les fleurs rouges suivent une marche analogue ; elles sont d’autant plus nom- breuses qu’on approche davantage de l’automne. Les bleues , sans suivre une progression aussi régulière, nous offrent une succession contraire ; leur proportion est plus grande au printemps , et elle diminue en automne. Les blanches vont presque régulièrement en diminuant de nombre, comme les bleues, en suivant l’ordre des saisons. Ainsi pour s'exprimer d’une manière générale, on dirait que le bleu et le blanc sont les nuances du printemps, le jaune et le rouge la livrée de l'automne. Mais on comprend qu'il serait prématuré de juger ainsi de l'influence des saisons sur les couleurs, avant d’avoir reconnu des rapports semblables pour des flores situées à une certaine distance, au nord et au sud du plateau central, et pour lesquelles nous n'avons pas malheureusement de données assez rigoureuses. Nous avons voulu rechercher si le ton de la couleur est influencé par la saison, et prenant nos éléments dans le pre- mier tableau de ce paragraphe, voici les résultats numériques auxquels nous sommes arrivé, toujours pour le plateau central de la France : Fleurs päles. Fleurs foncées. LIT SSSR 65 63 115 LA ENSRRESER RE ORTERSUSS 165 99 À TL A ROM PRIME DEN 252 191 D ELA ORAN ESRUR 227 199 Automrales . 4 .. : 0. 0 5 55 48 En établissant les rapports, nous verrons plus facilement si l’époque de l’épanouissement des fleurs a une influence sur la coloration , ou , en d’autres termes, si les fleurs pâles sont plus vernales que les autres. 24 DISTRIBUTION GEOGRAPHIQUE. L'ensemble des espèces à fleurs pâles est à l’ensemble des fleurs foncées comme............. 1 : 0,75 Les pâles vernales, comme.......... 1 : 1 Les pâles fleurissant en mai......... 1 : 0,60 Les pâles fleurissant en Juin.......... 1 : 0,76 1 20,87 1 : 0/87 Les pâles fleurissant en Juillet. ....... Les pâles automnales .'....,........ On voit que parmi les plantes vernales il y a autant de fleurs foncées que de fleurs pâles ; que la proportion de ces dernières , qui d’ailleurs sont toujours dominantes , acquiert son maximum d'épanouissement en mai, diminue un peu en juin et plus encore en juillet et en automne. Quand les botanistes attacheront plus d'importance aux faits géographiques et physiologiques des végétaux ; quand on aura des flores où le ton et la nuance des parties colorées seront exprimés, où l’époque de la floraison sera soigneu- sement notée, on pourra rechercher st les tendances que nous pressentons se soutiennent , et si les couleurs, considé- rées au point de vue de la géographie , ne peuvent pas jeter quelque jour sur plusieurs faits de la dispersion des plantes. RAPPORTS ENTRE LES COULEURS ET LES ODEURS. 25 CHAPITRE XLHII. DES RAPPORTS QUI EXISTENT ENTRE LES COULEURS ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. Les plantes ne se révèlent pas seulement à nos yeux par les couleurs brillantes de leurs fleurs et de leur feuillage , elles se décèlent aussi par les émanations odorantes qui s’é- chappent de leurs tissus. Les feuilles, les tiges , les racines ont besoin presque toujours d’être froissées pour répandre leur parfum. Les odeurs y sont enfermées sous forme d’es- sences dans de petites vésicules qui doivent être brisées pour leur permettre de sortir. Dans la plupart des fleurs et des fruits, des émanations insaisissables se répandent hors des tissus, parfois d’une manière continue , quelquefois périodi- quement et sous l'influence du jour ou de la nuit, du soir ou du matin, de la sécheresse ou de l’humidité. Les fleurs répandent souvent des odeurs très-différentes de celles qui émanent des autres parties de la plante, et sou- vent même elles n’ont pas le moindre rapport. Des espèces dont les feuilles et les tiges froissées laissent échapper des essences parfumées , peuvent avoir des fleurs parfaitement inodores ou produisant des sensations toutes différentes. Le bois d’ébène récent a l’odeur des excréments et sa fleur ré- pand le parfum du girofle. L’écorce du cannelier est agréa- blement parfumée et ses fleurs sentent le bois d’ébène. Il en est de même du vanillier, dont les fruits sont si odorants et dont les fleurs ne rappellent en rien la suavité de la vanille. Les stigmates du Crocus sativus ont seuls de l'odeur , la co- rolle n’en a pas. ! 26 RAPPORTS ENTRE LÆS COULEURS L'odeur varie encore dans les mêmes organes à des épo- ques très-rapprochées ; celle d’un fruit vert est très-diffé- rente de celle du même fruit quand il atteint sa maturité et quand il la dépasse. Le parfum des forêts n’est pas le même si nous pénétrons dans un bois de hêtres dont les bourgeons viennent de s'ouvrir, Où si nous nous reposons sous ces mêmes arbres quand leur feuillage adulte est complétement développé. " Le soleil, qui excite les émanations des fleurs, les neu- tralise souvent par sa puissance , et c’est le soir seulement que ces parfums se répandent quand l’astre qui les a déve- loppés n’est plus là pour les dissiper et les anéantir. Les odeurs paraissent tout à coup. Nulles dans le bouton de la fleur, elles émanent de la corolle épanouie, et cessent aussitôt que la fécondation est terminée. Nous ne connaissons qu’un petit nombre de travaux re- latifs au sujet qui nous occupe. Dans l'examen fait à Tubin- gen par MM. Schubler et Kohler, les fleurs odorantes ont été rangées dans Fordre numérique présenté par chaque couleur. Ces savants ont examiné #,200 plantes appartenant à 27 fa- milles différentes , et sont arrivés aux résultats suivants : Nombre des espèces Nombre des espèces d’après la couleur. odorantes sur 1000. Blanches.... 1193 284 Jaunes...... 951 226 Rouges 923 220 Bleues.. .... 094 141 Violettes. ... 307 72 Vertes. 2.108 153 36 Orangées.. .…. 90 12 Brunes...... 18 4 Noires. ..... 8 a ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 27 Comme on le voit, nous avons rangé ces nuances dans l’ordre où elles offrent le plus d’espèces odorantes , et cette série numérique se trouve enfermée entre deux termes, dont le blanc est le maximum, le noir le minimum. + Quelque intéressant que soit ce travail, il ne nous donne que des résultats relatifs et rien d’absolu. Ces savants n’ont porté leurs observations que sur 27 familles, ce qui est déjà un travail considérable, mais cet examen est insuffisant pour apprécier des rapports exacts. Il semble pourtant démontrer qu’en faisant rentrer, comme nous l’avons fait, toutes les espèces colorées dans quatre séries, blanche, jaune , rouge et bleue, le nombre des plantes à corolles odorantes se trouve précisément rangé dans cet ordre, c’est-à-dire que c’est parmi les fleurs blanches qu'il existe le plus grand nombre d’odorantes , et parmi les fleurs bleues qu’on en rencontre le moins, observation pleinement confirmée par toutes celles que nous avons faites. MM. Schubler et Kobler ont établi aussi des proportions entre les odeurs agréables et celles qui ne le sont pas, et ils ont trouvé que les plantes à fleurs blanches sont celles qui renferment le plus petit nombre d’espèces affectant désagréablement l’odorat; puis viennent les rouges, les jau- nes, les bleues, les vertes, les violettes, les orangées et les brunes , ces dernières étant presque toutes à odeur désa- gréable. Ces observations ne peuvent être encore qu’approxima- tives, car l'appréciation des odeurs n’est pas la même pour diverses personnes , et telle fleur qui procurera à l’une une sensation agréable affectera péniblement l’odorat d’une autre. Il est aussi très-difficile de décider si une fleur est odo- rante ou si elle ne l’est pas. Il faut, pour juger cet état né- gauf ou positif des corolles, en réunir un grand nombre, 28 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS chercher l'instant du jour ou de la nuit pendant lequel s'é- chappent leurs eflluves parfumées. Il faut exposer pendant un moment une masse de ces fleurs à l’action des vapeurs ammoniacales , et, par ces moyens , on arrive à reconnaître que bien peu de fleurs sont inodores, surtout parmi les blan- ches et les jaunes. Nous avons recherché s'il existe quelque rapport entre la nuance de la fleur et l’odeur bonne ou mauvaise qu’elle exhale, et nous sommes arrivé à un résultat affirmatif, bien que nous ne puissions citer qu’un petit nombre d'exemples à l'appui de cette assertion. Les fleurs blanches répandent fréquemment une odeur de miel très-prononcée, que l’on remarque ordinairement dans les prairies couvertes d’ombellifères, et surtout de Chœrophyllum sylvestre. On trouve la même odeur dans les renoncules à fleurs blanches de la section des Batrachium ,. dans les fleurs de l’abricotier et surtout de l’amandier. L’aubépine la présente aussi, mais elle admet quelque chose de piquant et d’aromatique. L’Eucalyptus glandulosa , également à fleurs blanches, rappelle le même parfum. On croit retrouver l’odeur de l’aubépine dans le Viburnum Tinus et même dans le Leucoium vernum. Les fleurs blanches ou rosées du Pimelea nivea ont encore la même odeur, addi- tionnée de celle qui est particulière aux champignons , et aucune plante ne sent le miel aussi fortement que le Crambe marilima. Plusieurs fleurs blanches, mais ayant une nuance de jaune , ont un parfum particulier, tel que celui de la fleur de sureau , Sambucus nigra. Les corolles du Spiræa Fili- pendula, celles du Ligustrum vulgare , de l’Actœa spicata, ont entr’elles de grandes analogies de couleur et d’odeur ; on peut y joindre les fleurs jaunâtres de quelques Thalic- ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 29 PAR trum. Al existe néanmoins dans les fleurs blanches des par- fums très-différents. Le Jys blanc, le jasmin, le muguet, la tubéreuse, le Datura arborea répandent des odeurs très- variées. Plusieurs Nymphæa, tels que le N. odorata , sont très-parfumés ; le N. pygmea sent la tubéreuse. Le Ha- gnolia occomiensis a l'odeur du citron ; celle du Magnolia Soulangeana se rapproche beaucoup de celle de l’écorce d'orange desséchée. Les fleurs du Podophyllum peltatum ré- pandent une odeur analogue à celle des haies mères de la pomme de terre , tenant aussi de la pomme de reinette , et offrant quelque chose de celle de l’Orchis conopsea ; elle devient désagréable en la respirant trop fort et de trop près. L’Amaryllis Belladona à les fleurs blanches bordées de carmin ; son odeur est celle du muguet blanc , mélangée à celle du nénuphar jaune. L’Aponogeton distachyon a les fleurs blanches, avec l’odeur douce du Boletus suaveolens, que l’on retrouve aussi dans l’Uredo suaveolens du Cirsium arvense. Les fleurs jaunes, souvent odorantes, répandent aussi das odeurstrès-différentes. L’Hyppocrepis comosa, dont lesfleurs sont d’un beau jaune , exhale une odeur de fromage très- prononcée , mais cette odeur acquiert son maximum d’in- tensité dans les fleurs également jaunes du Genista Scor- pius, si commun sur les calcaires du midi de la France. L'odeur de miel , si fréquente dans les corolles blanches, se retrouve aussi dans les jaunes. Le Mahonia intermedia , dont les fleurs sont exactement de la même couleur que celles du Galium verum, a une odeur de miel fort analogue à celle de cette dernière plante. Toutes les parties jaunes de lEu- phorbia hyberna ont aussi une odeur de miel. L’odeurdes fleurs du Buddleia madagascariensis est, pour ainsi dire, intermédiaire entre l'odeur de miel que répandent 30 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS les ombellifères blanches des prairies et les fanes à demi- desséchées de l’Asperula odorata. Le Tulipa sylvestris a une odeur de fleur d'oranger très-suaye, dans laquelle on croit distinguer encore un peu d’odeur de miel. Beaucoup de fleurs jaunes exhalent le parfum de la fleur d'oranger ; telles sont le Spartium junceum , l'Ænoïhera biennis , le Biscutella saxatihs, etc. Le Nuphar luteum ré- pand des émanations qui ont quelque chose de l’odeur al- coolique ; le même parfum se manifeste dans la fleur du Brugmannsia floribunda , jaune comme celle du Nuphar. Le Salix capræa exhale une odeur très-agréable, qui attire de loin les abeilles et de nombreux insectes, réveillés, comme les fleurs, par les premiers beaux jours. L’odeur des chatons mâles a quelque chose de la fleur d’oranger et en même temps un parfum alcoolique qui rend l’odeur du Salix capræa analogue à celle du Nuphar luteum. Cette odeur n’est pas due aux étamines , car les fleurs femelles sont égale- ment odorantes, mais moins parfumées que les fleurs mâles. Les houppes légères du Mimosa dealbata sentent le Salix capræa. I en est de même des fleurs du Mimosa paradoxa, ct dans le même genre, avec la même couleur, celles du Mimosa verticillata sont inodores , et celles du M. triner- via ont exactement la même odeur que les fleurs du chàâ- taignier. E La rose jaune simple laisse bien deviner un peu le par- fum de la rose, mais elle est mélangée d’un peu d’odeur de punaise, telle qu’elle existe aussi dans l’Orchis coriophora , le Coriandrum sativum, etc. La tulipe perroquet flammée de rouge et de jaune a une odeur analogue à celle de la pivoine. Le pissenlit répand une odeur particulière , qui est aussi celle du Senecio Jacobæa. Celle du Cineraria platanoides est intermédiaire entre celle ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 31 du pissenlit et l'odeur de fromage des Hippocrepis; mais le Brassica balearica , de l'ile Saint-Honorat, répand l’odeur du musc et nullement celle du fromage comme les autres Brassica et Sinapis. Parmi les fleurs qui appartiennent à la série rouge, nous pouvons citer, comme très-odorantes, les roses et les œillets, mais rien n’est plus varié ni plus difficile à indiquer que l’o- deur des fleurs qui présentent cette coloration. Le Lychnis Coronaria n’a qu’une odeur très-faible, qui rappelle celle de lœillet. Les fleurs de plusieurs Convolvulus, mais notam- ment celles du C. cantabrica, ont une légère odeur de fleur d'oranger. Le Lathyrus odoratus a l'odeur de la cannelle, mêlée peut-être à celle de la rose et du réséda. L’odeur de la tulipe Duc de Thol a quelque chose d’un mélange de va- nille et de résine. Les fleurs et les bractées du Bougainvillea specrosa ont un peu l'odeur de la fleur de sureau. Celle du Lunaria rediviva rappelle celle de la julienne et du lilas. Si nous plaçons dans la série des fleurs rouges celles qui sont teintes de lilas, nous trouverons, dans plusieurs d’entre elles, de grandes analogies dans les couleurs et les parfums. Ainsi l’odeur suave de vanille , si développée dans l’Helio- tropium peruvianum, se retrouve, à des degrés divers, dans le Petasites fragrans, dans le Valeriana officinalis et même dans le lilas ordinaire. On la rencontre aussi dans le Plantago media, le seul odorant des plantains, le seul à co- rolles colorées. Le Thalictrum aquilegifolium offre d’abord l’odeur de la fleur de sureau, puis un peu de l’odeur suave de la valériane sauvage , surtout dans les variétés à filets lilas, ou colorés à peu près comme la valériane et l’héliotrope. Les grappes d’un bleu lilas du Glycine sinensis ont une légère odeur de vanille, peut-être uu peu de jasmin et de primevère. 32 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS Les fleurs bleues sont rarement odorantes, cependant la variété bleue du Phyteuma spicata répand une odeur légère, et il en est de même du Campanula latifolia. La fleursdu Franciscea hoppeana , qui s'ouvre bleue et devient ensuite bianche, répand une odeur des plus suaves, dans laquelle on reconnaît celle de la fleur d'oranger et celle de la tubé- reuse. Nous avons cité jusqu'ici des couleurs franches , mais il existe dans les corolles de nuances indécises, ou mélangées de plusieurs couleurs, des parfums d’une extrême suavité et des odeurs très-désagréables. Des fleurs verdâtres sont très- parfumées. On ne peut nier les rapprochements qui existent entre l'odeur et la couleur vert-jaunâtre des fleurs du résé- da, de la vigne , du tilleul, de l’Orchis provincials. Jac- quemont à trouvé, au pied de l'Himalaya , une vigne dont l'odeur des fleurs lui rappelait tout à fait celle du réséda (1). Dans le Galeopsis ochroleuca, on sent la même odeur que dans le Primula officinalis. La couleur est le jaune pâle dans les deux. Ces deux odeurs ressemblent à celle du tilleul et de l’Orchis provincialis, que nous venons de citer. Dans certaines espèces où les fleurs prennent des teintes hrides, les odeurs deviennent extrêmement suaves. C’est ainsi que, dans le Calycanthus præcox, on croit reconnaitre une multitude d’odeurs, telles que la rose, le jasmin, le muguet, le narcisse, comme on croit sentir dans l'ananas la saveur du coing , de la pêche et de la fraise tout à la fois. L’odeur du Calycanthus émane plutôt des sépales que des pétales ; elle appartient surtout au jaune sale, livide et trans- parent. L’Hesperis tristis, le Matthiola tristis, ont des fleurs livides, qui s'ouvrent le soir, se referment le matin, (1) Journal, 1. 2, p. 58. ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 393 et répandent pendant la nuit leurs douces émanations. Il en est de même des fleurs à couleurs ternes, Jaunâtres , ou vio- lacées du Gladiolus tristis, du Geranium triste, plantes dont les épithètes indiquent le peu d’éclat et qui toutes attendent le soir pour parfumer l'atmosphère qui les entoure. Le muscari odorant répand aussi une odeur analogue à celle du Calycanthus præcox et de l’Hesperis tristis. Le Gnidia simplex à de petites fleurs d’un vert jaunâtre qui exhalent une odeur suave analogue à celles que nous ve- nons de citer, et laissent de temps en temps le souvenir de celle du Hirabilis Jalapa. Comme dans beaucoup de fleurs d’un vert jaunâtre, cette odeur est nulle dans la journée et ne se développe que le soir à #, 5 ou 6 heures. On retrouve le même parfum dans les épis serrés et d’un vert jaunâtre du Polystachya luteola de la famille des orchi- dées. Dansla même famille, 'Oncidium camponis, Ad. Brong. a les pétales supérieurs verts et bruns, le labelle très-grand et d’un jaune pur ; il a l'odeur du jasmin. L’Oncidium bra- chyphyllum, Lind., a exactement la même couleur et il n’a pas d’odeur , tandis que l’Epidendrum umbellatum a des fleurs d’un vert pomme, absolument de la même couleur que les feuilles, et d’une odeur de fourmi très-prononcée. Une autre orchidée, le Cymbidium aloëfolium a les fleurs cha- mois, demi-transparentes, avec veines violettes traversant chaque pétale. Les trois couleurs primitives y sont réünies, et leur nuance d'ensemble rappelle celle du Calycanthus præcox et un peu son odeur. L’Erica stellata, Lindley, dont les fleurs sont d’un vert jaunâtre, répand une odeur de jasmin très-suave. Les fleurs du Pittosporum japonicum, également verdâtres, nous of- frent aussi le même parfum. Les fleurs jaunâtres du Ro- chea odoratissima ont la même odeur que la tubéreuse. . 3 34 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS L'Ornithogalum pyrenaicum à l'odeur du troëne et l'Hel- leborus viridis une forte odeur analogue à celle des pi- voines, qui appartiennent à la même famille. Le Glycine Apios , dont les fleurs rougeâtres ont quelque chose de li- vide, a une odeur très-décidée de réséda, mélangée quelque- fois d’un peu d’odeur de l'Orchis conopsea. Nous pourrions ranger aussi, parmi les fleurs de couleur verdâtre ou indécise , celles du Narcisus Tazetta. L'’odeur de plusieurs variétés cultivées de cette espèce, est celle du muguet. Quelquelois il semble y avoir mélange de l’odeur du Primula officinalis, d’autres fois ce serait celle du mus- cari odorant. Les variétés entièrement jaunes ont la même odeur que les autres, mais quand elles commencent à passer, elles rappellent un peu l'odeur du fromage, si développée dans plusieurs fleurs du même jaune. | A quoi peut tenir l'émanation de ces odeurs suaves dans ces fleurs de couleurs tristes, livides, violacées, verdâtres ou jeunâtres? Y aurait-il quelques rapports cachés entre ces odeurs et le mélange intime des trois couleurs primitives ? Cela est douteux, car ce même mélange de couleurs donne des émanations fortes et très-désagréables dans le Hyoscya- mus niger, l'Orchis hircina, les Aristolochia labiosa et rin- gens. Dans cette dernière espèce, le périgone est d’un jaune pâle, entièrement veiné de violet, comme dans le Hyoscyamus niger, et l’odeur forte et désagréable est exactement celle dela jusquiame. Cependant ces odeurs fétides appartiennent plus spécialement aux parties colorées en brun ; en rouge vineux. On les retrouve dans les énormes fleurs du Ra/fflesia qui sentent la chair pourrie, dans les Stapelia aux corolles cadavéreuses, dans les spathes livides de quelques Aruwm. Le Trillium grandiflorum, d'un beau brun, répand une odeur différente et analogue à celle de la belle de nuit. ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 30 On ne peut nier après ces exemples et ces nombreux rap- prochements qu'il n’existe une certaine connexité entre les couleurs et les odeurs des fleurs, mais l'influence de la cou- leur n’est pas telle qu’elle puisse modifier et surtout chan- ger l’odeur propre de l’espèce, du genre et même de la famille. Ainsi les jacinthes, comme les auricules, les roses, les œillets et beaucoup d’autres fleurs de collection, conservent, malgré les nuances de leurs nombreuses variétés, une odeur presque semblable, qui peut être altérée par la couleur, mais qui est toujours celle de la jacinthe, de l’auricule, de la rose ou de l’œillet. Il semble que l'odeur de chacune de ces variétés soit une combinaison d’un parfum qui appartiendrait à l’espèce, avec un autre parfum dépendant de la couleur. El faut admet- tre que l'espèce, quelquefois le genre et même la famille ont une odeur qu'ils exhalent de préférence, comme ils ont une couleur dominante. Ces odeurs de famille se retrouvent dans plusieurs groupes de végétaux, et dénotent une organisation analogue, puisqu'elles donnent lieu à des émanations presque semblables. Ainsi toutes les labiées ont un fond d’odeur forte qui les rapproche. Toutes les synanthérées ont aussi une odeur particulière qui appartient aux organes de la vé- gétation, au tissu lui-même. Viennent ensuite de très-nom- breuses modifications apportant des combinaisons qu’il nous est très-difficile de saisir, soit que nos organes n'aient pas la perfection nécessaire, soit que ces combinaisons nouvelles neutralisent les propriétés des odeurs composantes. On remarque aussi très-souvent l’odeur de famille dans les orchidées. C’est presque toujours le parfum de la vanille ou du salep. On les retrouve tous deux dans les racines de l’Orchis sambucina, dans le Serapias rubra, dans l’Orchis fusca, l'O. Morio. L’O. albida a une forte odeur de vanille. D'autres espèces répandent des odeurs différentes. Celle de 36 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS l'O. conopsea est forte et pénétrante. L’O. palustris a une odeur douce et faible qui se rapproche un peu de la violette et du salep. L'Ophrys nidus-avis exhale un peu l'odeur propre de la famille et ramène à celle de l’O. conopsea. Nous avons dit que celle de l'O. provencialis est celle du tilleul, tan- dis que le parfum de l'O. bifolia est celui du Narcissus poe- ticus. Beaucoup d’orchidées sont inodores ou plutôt laissent échapper des émanations que notre organe olfactif ne peut Saisir . Nous pourrions reproduire un grand nombre d’observa- tions sur les odeurs de familles, celles que nous avons citées suffisent pour nous faire pressentir quelques rapports et pour nous convaincre de notre ignorance dans l'étude des odeurs. Les odeurs peuvent avoir entr’elles beaucoup d’analogie et cependant produire sur l'organe de l'odorat une sensation bien différente. Nous citerons l'odeur du lys blanc, très- agréable quand elle est délayée dans une grande masse d'air, et beaucoup moins suave si elle est concentrée dans un appartement où se trouvent réunies une grande quantité de ces fleurs. Le tissu érectile du Phallus impudicus, d’un blanc mat, comme le lys, répand une odeur analogue, mais plus pénétrante et presque toujours désagréable. Ce ne sont pas toujours les couleurs vives et foncées qui dénotent dans les fleurs les plus douces émanations; il arrive souvent au contraire que des corolles verdâtres , jaunâtres ou même livides , laissent exhaler l’encens le plus suave. Beaucoup de fleurs blanches sont odorantes; un grand nom- bre de fleurs colorées des pays chauds ne le sont pas; les belles malvacées de l'Amérique équinoxiale , les Pelargo- nium du cap, les glayeuls et les brillantes iridées sont souvent sans odeur ; les passiflores , une grande quantité de légumi- neuses aux fleurs éclatantes n’abandonnent aucun parfum. ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. a Rien cependant jusqu'ici n’a été tenté pour connaître le mode d’extension géographique des plantes odorantes. Mais comme nous avons reconnu qu’un grand nombre de fleurs pâles et surtout les blanches sont parfumées ; puisque nous sayons queces fleurs pâles ou blanches dominent dans les régions du nord, nous devons en conclure que le nombre relatif des fleurs odorantes est plus grand vers les pôles que vers l'équateur. En Europe du moins , les choses se passent de cette manière. Il semble que l’action trop vive de la lu- muère et de la chaleur s'oppose à l’émanation des odeurs des fleurs, et nous voyons en effet, dans nos contrées, beau- coup de fleurs à veine odorantes dans la journée, le devenir le soir ou pendant la nuit. Mais si les aromes qui sortent d'eux-mêmes des corolles se rencontrent plus souvent dans les pays septentrionaux, l'inverse a lieu pour les essences en- fermées dans des vésicules. Les espèces à feuilles odoran- tes, à fruits aromatiques, à bois pénétrés d’huile essentielle ne se trouvent guère que dans des régions fortement échauf- fées par le soleil. On a essayé à plusieurs reprises de classer les odeurs , mais ces classifications sont restées très-vagues, car les épithètes âcres, balsamiques, vireuses, etc., que l’on a prises pour titres de grandes divisions ne répondent à rien, et l’on n’a pas encore d’autres moyens de s’entendre sur les odeurs que d'employer pour termes de comparaison des noms con- nus, se rapportant à des émanations de végétaux vulgaires, ou de substances employées dans les arts. Ainsi, la fleur d’o- ranger, le citron, le noyau, la résine, le miel, l'alcool, l’a- nis, la tubéreuse , la lavande réveillent en nous des sensa- tions particuhères et distinctes que nous rapportons immé- diatement à leurs types, sans que nous puissions nous faire 38 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS de ces odeurs aucure idée , autre qu’un résultat pratique de nos appréciations journalières. Cela tient à ce que la théorie des odeurs est infiniment moins avancée que celle des sons et des couleurs. Il ne peut y avoir autant d’odeurs distinctes que nous en connais- sons, et très - probablement les odeurs primitives doi- vent être en petit nombre comme les couleurs. De même que nous voyons dans les fleurs toutes les nuan- ces imaginables, dues à la combinaison de trois nuances primitives, dont les proportions varient à l'infini, de même devons-nous considérer les odeurs qu’exhalent les plantes comme les combinaisons diverses d’un petit nombre de par- fums primitifs. Cela est si vrai que souvent, dans desfleurs que nous sentons pour la première fois, nous croyons recon- naître plusieurs odeurs. Ainsi celle du Daphne Dauphin, paraît intermédiaire entre celle du muguet blanc et celle du chèvrefeuille. L’odeur suave du Daphne indica rappelle à la fois celle du jasmin, de larose et de la tubéreuse. En traver- sant, sur les bords du lac de Neuchâtel, près d’Yverdun, de belles prairies couvertes de Teucrium Scordium, nous sen- tions distinctement, dans cette plante, l’odeur du houblon, mélangée au parfum balsamique des jeunes pousses du peuplier. Si l’analyse faite avec le seul organe apte à percevoir les odeurs nous permet de les décomposer, la synthèse nous donne la preuve de cette première opération. Lorsque, les yeux fermés pour ne pas avoir d’impressions préconçues, l'on sent un bouquet composé de muguet blanc et de giroflée , Matthiola incana, on reconnaît facilement. l'odeur de Ja rose et l’on est étonné ensuite de ne point la voir. Si on fait la même expérience avec de l'essence de menthe d'Amérique ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 39 et du goudron de Norwége, on aura l’odeur de l’anis : il y à donc des odeurs simples et des odeurs composées. La moindre différence , le moindre changement dans les tissus peut modifier les odeurs , et cela se remarque souvent dans la même espèce de fleur. La jacinthe nous en offre un exemple. Celle que l’on appelle Passe-tout ordinaire offre souvent un mélange suave de l'odeur du muguct et du nar- cisse des poètes. La variété bleue, désignée sous le nom d'ami du cœur, répand un parfum extrêmement agréable ; le monarque du monde a une odeur différente qui rappelle un peu celle de la souris, et d’autres variétés ont une arrière- odeur très-désagréable. Il est évident , dans ces exemples, que les émanations qui s’échappent des jacinthes sont com- posées , et que nous n’en connaissons pas les éléments. Les odeurs peuvent donc se combiner et former , comme les sons et les couleurs, des accords agréables ou des discordances. La science de l’éducation de l’odorat est tout entière à créer et moins avancée encore que celle de l’éducation de l'œil. Les odeurs ont encore de commun avec les sons d’affec- ter les animaux d’une manière toute différente qu’elles n’agissent sur l’homme. Si quelques observations semblent prouver qu'il existe des animaux sensibles aux accords mu- sicaux , on peut affirmer qu'il en est un nombre bien plus grand auxquels l'harmonie est indifférente et beaucoup aux- quels elle déplaît. L'homme paraît aussi le seul être qui soit agréablement affecté des odeurs suaves, le seul qui les recher- che et les comprenne. Nous voyons, ii est vrai, les papillons et une multitude d'insectes voltiger sur des fleurs parfumées, mais ils y sont invités bien plus par la présence des glandes nectarifères , qui sécrètent une liqueur sucrée , que par l’at- trait des parfums. Les émanations cadavéreuses qui s’échap- pent de quelques fleurs et qui sont si désagréables pour nos 40 RAPPORTS ENTRE LES COULEURS sens, attirent de nombreuses tribus de mouches et de coléop- tères qui se plaisent dans cette atmosphère empoisonnée, ou qui, trompés par une analogie, croient se poser surda chair corrompue qui doit nourrir leurs larves. Mais dans ces exemples rien n'indique que les odeurs soient autre chose pour eux que des indices destinés à les guider vers les objets nécessaires à leurs besoins physiques. L'impression morale des odeurs n’est rien pour eux ; elle est tout pour l’homme dans cette sensation. Tandis que le jour nous présente l’ad- mirable spectacle des couleurs, la nuit nous ramène aux éma- nations pénétrantes des fleurs. Qui pourrait donc nous dire quelles sont ces sensations si douces que le soir et ses brises parfumées éveillent dans notre âme, quand les plantes ré- pandent ce parfum que le soleil a développé et que sa pré- sence ne peut plus dissiper. Isolé dans le fond d’une riante vallée, dans le calme enchanteur de la nature qui sommeille, nous voyons le ciel se parer d'étoiles brillantes qui apparais- sent par ordre de grandeur, et illuminent successivement la profondeur des cieux. Le bruit du torrent vient de loin frapper notre oreille; 1l est seul agité quand tout repose, et ses eaux plus calmes viennent onduler à nos pieds. Que de souvenirs se pressent alors dans notre âme confusément agi- tée? par quelle puissance le doux parfum des prairies vient- il évoquer un passé qui s’est enfui, et comment quelques fibres excitées peuvent-elles nous reporter un instant vers un petit nombre de beaux jours effacés de notre mémoire, et qui viennent se peindre encore sous un voile. de tristesse et de mélancolie indéfinissable. L'âme absorbée contemple cette voüte céleste sous laquelle tous les âges passent comme de vaporeux fantômes, et, muette devant la magni- ficence des cieux , elle commande à nos sens le repos et le calme de la nuit. ET LES ODEURS DES VÉGÉTAUX. 41 Ainsi tout se tient et s’enchaîne. Une faible impression produite sur nos sens par une fleur invisible et éloignée, apportée par une onde de l’atmosphère qui bientôt se con- fond dans l’océan des airs, peut ramener devant nous le passé qui n’est plus, nous retracer les événements de la vie, et ouvrir à notre imagination excitée le champ inépuisable des rêves de l’avenir. A, DES COULEURS CHAPITRE XLIV. DES COULEURS RELATIVEMENT AU PAYSAGE. « Les arbres, les arbrisseaux, les plantes , sont la pa- rure et le vêtement de la terre... Les odeurs suaves , les vives couleurs, les plus élégantes formes semblent se disputer à l'envi le droit de fixer notre attention. Il ne faut qu’aimer le plaisir pour se livrer à des sensations si douces, et si cet effet n’a pas lieu sur tous ceux qui en sont frappés , c’est dans les uns une faute de sensibilité naturelle, et dans la plupart que leur esprit trop occupé d’autres idées , ne se livre qu’à la dérobée aux objets qui frappent leurs sens. » Est-il rien de plus vrai que ces paroles de Jean-Jacques- Rousseau ? Dans le majestueux spectacle de la nature, les couleurs variées des êtres de la création ne nous offrent-elles pas un des phénomènes les plus dignes d'intérêt qu'il nous soit permis d'admirer. Que de formes végétales plus belles les unes que les autres , que d’harmonies dans les couleurs, que de modèles à imiter pour le peintre, pour l’architecte , pour l'art tout entier, et surtout quelle multitude d’inspira- tions pour le poète, pour celui qui sent avec l’âme les beau- tés dont la nature l’environne ! Mais qu’on se garde bien de croire que d’un coup d'œil on embrassera les différents points de vue sous lesquels un paysage doit être envisagé ; notre intelligence ne saisira à la fois qu'un petit nombre de rapports, et ce n’est que successivement que nous parvien- RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 43 drons à découvrir tout le mérite du tableau que nous avons sous les yeux. Nous pouvons admirer la grâce et la fraicheur de coloris d’une fleur isolée, mais ce qui doit nous frapper bien da- vantage, c’est l’ordre ou plutôt le désordre apparent de tou- tes ces fleurs, qui sont associées de mille manières difléren- tes. Nous y trouvons tous les contrastes de tons et de nuan- ces, toutes les harmonies possibles , et l'esprit se perd dans les combinaisons illimitées de tous ces coloris. Le nombre de ces couleurs peut avoir une certaine in- fluence sur la beauté d’un site, mais généralement, quand on ne s'applique pas à chercher les détails d’un paysage, ce nombre est restreint. Ce sont les verts et les bruns qui do- minent avec des nuances et des tons très-variés. La multi- tude des couleurs, n’ajoute pas à la beauté. Si, au lieu de considérer l’ensemble d’une contrée, on s'attache au con— traire à n’en voir qu'une partie, comme une prairie couverte de fleurs, une haie formée d’arbrisseaux différents et garnie de fruits colorés, on éprouve deux sensations différentes. L'une tient au nombre des couleurs et à leur contraste, l’au- tre à la répétition des mêmes formes et des mêmes couleurs. Ainsi un champ de trèfle rouge , un champ de sainfoim nous plaisent non-seulement par la forme et la couleur rose de leursfleurs qui contrastent avecle vert du feuillage, mais aussi par la répétition presqu'mdéfinie des individus. Une prairie montrant le sombre feuillage du Caltha palustris et ses fleurs d’un vif orangé plaît par la répétition des touf- fes de cette jolie plante, mais elle nous plaît bien davan- tage si entre les Caltha se trouvent des Myosotis dont les co- rolles bleues , couleur complémentaire de l’orangé, produi- sent le plus admirable effet. Ailleurs nous remarquerons avec plaisir la répétition indéfinie des fleurs soufrées et glo- #4 DES COULEURS buleuses du Trollius europœus , alternant avec les calices blancs du Narcissus poeticus, ou bien les épis bleus du Mulgedium alpinum, près des capitules dorés du Doronicum austriacum. Une plante isolée d’un Ranunculus acris ou d’un R. bulbosus, ne dit rien à notre esprit, et quand ces es- pèces viennent à se répéter indéfiniment dans une prairie , nous jouissons à la fois de l’ensemble et de la forme de ces fleurs. Le même effet se produit pour nous à l’automne quand les colchiques fleurissent en nombre sur un gazon vert et égal. L’ensemble des coquelicots et des bluets, la réunion de seigles en épis qui cèdent aux ondes aériennes et suivent leurs mouvements, nous impressionnent bien autrement que quelques pieds épars de ces mêmes végétaux. Cette répétition, ce retour successif des formes et des couleurs , nous indique une analogie nouvelle entre les sons et les couleurs. C’est la reprise d’un motif dans un morceau de musique ; l'oreille a déjà acquis l'habitude de l’entendre et cette répétition lui plaît. Pour les couleurs, le retour est peut-être plus nécessaire encore. Aussi une étoffe, un pa- : pier qui nous offrent un grand nombre de nuances, n’attirent pas ordinairement notre attention, mais nous trouvons agréa- bles de simples lignes de couleurs différentes qui se répè- tent successivement dans un ordre déterminé. Nous voyons avec plaisir dans un jardin les mêmes touffes de fleurs se re- présenter périodiquement, et si les plantes qui les séparent ont des couleurs qui s'accordent avec celles que l’on re- trouve, l’œil éprouve la même sensation que l’oreille quand un motif déjà connu se trouve ramené naturellement par les notes qui lient les différentes périodes d’un morceau. Des effets très-différents nous sont offerts, dans les cam- pagnes, par les mêmes plantes , selon qu’elles se présentent à la vue ou distinctes ou confuses. Ainsi un bouleau isolé ou RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 45 un groupe distinct de ces arbres au milieu d'une pelouse , dans les montagnes, nous impressionnera d’une manière toute différente d’une forêt de bouleaux. L’écorce blanche de l'arbre séparera, dans le premier cas, le vert de la prairie de celui du feuillage , et tout, dans le second cas, paraîtra con- fondu. Si, au lieu d’un groupe de bouleaux, l’œil en distin- gue successivement un grand nombre de groupes inégale- ment espacés, et surtout s’il ne peut apercevoir les limites de ces massifs isolés , il éprouvera une sensation de plaisir bien plus grande que s’il ne voyait qu'un fourré où les ar- bres seraient pressés les uns contre les autres. Indépendamment de la sensation agréable donnée par deux couleurs, le vert et le blanc, il y a pour l'esprit le plaisir de la répétition d’eflets analogues , et il y a aussi l'im- pression mystérieuse de l'infini , des limites que l'œil ne saï- sit pas et qu'il doit deviner. Si, sur cette pelouse verte qui supporte les bouleaux, vous rencontrez çà et là, soit un pied de Silere diurna, aux fleurs roses , soit de petits groupes de Cytisus sagittatus, aux corolles dorées, ces deux couleurs vives complèteront le charme du paysage si simple que vous admirez. Deux ou trois couleurs ainsi répétées et plus ou moins contrastantes, sinon entr’elles au moins avec le vert du feuillage , composent toujours de gracieux tableaux. Si les plantes, en multiphant leurs espèces à l'infini , nous offrent aussi dans un pêle-mêle complet la plupart des couleurs connues, les sensations ne sont plus les mêmes; le sens de la vue est en quelque sorte distrait par la multitude des formes et des coloris, mais bientôt il se fixe sur un point et , pas- sant successivement sur un autre, il parcourt avec un plai- sir infini la variété de contrastes et d’harmonies qu'il n’a- perçoit cependant que d’une manière vague et indétermi- 46 DES COULEURS née. Nous avons éprouvé avec délices ce plaisir des yeux sur les gazons émaillés du Mont-Cenis , sur les pentes rocailleu- ses du Simplon, dans la haute vallée d'Esquiery dans les Pyrénées, au fond de la vallée du Mont-Dore , dans les campagnes fleuries de la Corse; et cependant dans chacun de ces beaux jardins de la nature, une couleur dominait à chaque époque de la saison. Au Mont-Cenis le bleu des campanules et des Centaurea montana, au Simplon le jaune des Hieracium et des chicoracées, à Esquiery le blanc des ombellifères et des asphodèles, au Mont-Dore le rose des Trifolium et des ombelles du Pimpinella magna, en Corse, le rouge du Papaver setigerum et le pourpre du Vriaia atro- purpurea, et si nous changions de saison, nous changerions aussi de couleur dominante. Une seule couleur, quelque peu qu'elle paraisse , a tou- jours besoin d’une autre nuance pour produire de plus vives sensations; ainsi le blanc seul n’est pas d’un grand effet dans la parure des campagnes et des jardins ; mais aussitôt qu’une autre nuance lui est associée, l'œil est agréablement saisi de contrastes ou d’harmonies. Quand, au printemps, les fleurs blanches et groupées de l’amandier se mêlent à la ver- dure naissante des arbres, les champs sont immédiatement embellis, et si en même temps les coteaux se teignent des fleurs roses du pêcher, les trois couleurs forment ure harmo- nie aussi agréable à l’œil que peut l’être pour l'oreille la réu- nion des trois notes qui constituent l’accord le plus parfait. Lorsque, dans nos prairies, nous voyons les fleurs blanches du Narcissus poeticus s'étendre presque indéfiniment, elles contrastent avec le vert du gazon, et si le Geranium sylvati- cum, l'Orchis mascula ou d’autres plantes à fleurs purpuri- nes viennent s’y ajouter, le charme de la prairie augmente pour nos yeux. RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 47 Des champs entiers couverts de Chrysanthemum Leu- canthemum seraient moins beaux, si la fleur était entière- ment blanche, qu'ils ne le paraissent à cause du disque orangé qui relève dans cette espèce la couronne neigeuse de ses fleurons; et ce chrysanthème est bien plus agréable encore si nous le trouvons au milieu d’une prairie avec les fleurs purpurines des centaurées et des Trifolium , avec les épis bleus des Ayuga, etc. Dans les jardins, nous obtenons des effets colorés de toute beauté, en associant en mélange et même au gré du hasard, les variétés de couleurs d’une même espèce, comme les reines-marguerites, les primevères, les pieds- d’alouettes, etc. : Les couleurs complémentaires jouent le plus grand rôle dans les effets divers que les forêts et les campagnes offrent à nos yeux. Ce ne sont pas seulement les couleurs propres des fleurs, du feuillage, du sol et des rochers, du ciel et des eaux, qui viennent affecter notre rétine, ce sont encore les nuances complémentaires de ces coloris si variés. Ainsi, dans le paysage, où le vert domine presque toujours, notre tendance à voir du rouge donne de l'éclat aux fleurs qui sont teintes de ses nuances si variées et aux fabriques construites en brique ou couvertes en tuiles. Le blanc se dé- tache admirablement sur le vert, surtout quand le ton de la verdure n’est pas encore très-élevé.. C’est ce qui nous explique le sentiment de plaisir que nous éprouvons à la vue des fleurs blanches et muitipliées des arbres fruitiers, au mi- leu de leur feuillage naissant, sur la veraure si tendre des prairies , et sous un ciel bleu dont le ton est à peu près le même que celui de cette jeune végétation. Nous éprouvons le même sentiment, quand, au milieu des forêts dont les feuilles sont fraîchement écloses, nous remarquons les guir- 48 DES COULEURS landes blanches et étagées du cerisier sauvage , ou le con- traste de l’aubépine fleurie, ou les rayons blancs de la pà- querette sur l’herbe qui verdit. La couleur blanche du sol, dans les terrains de craie et de calcaire marneux, donne de l'éclat au vert tendre des végé- taux qui s’y développent. Les plaines de la Champagne crayeuse, les champs de la Limagne d'Auvergne, blanchis par le calcaire tertiaire, produisent au printemps de gracieu- ses harmonies avec les jeunes pousses des plantes et avec les feuilles qui conservent le vert-gai de leur premier âge, avec les céréales qui sont encore dans leur fraîcheur. Plus tard , les tons verts se foncent , prennent du brun, et l’har- monie n’existe plus , car les tons foncés ne s’accordent avec les tons clairs, et surtout avec le blanc, qu’au moyen de tons intermédiaires placés entre les deux pour éviter à l’œil de brusques contrastes qui lui déplaisent. La couleur des terrains joue donc un grand rôle dans l’ef- fet que produit sur nous la végétation. Le gris-brun , qui est la nuance la plus ordinaire du sol, rehausse en gé- néral le coloris des plantes, mais on ne peut méconnaître aussi que l’intensité de la verdure n’ajoute un peu de rouge au gris, et ne contribue aux teintes brunes de la terre. Au reste, la couleur rouge peut aussi naturellement appartenir à la terre. Nous avons vu des cantons étendus, situés sur le plateau central de la France, où le sol était formé d’argiles sableuses d’un rouge vif. La végétation s'était établie sur ces terrains, et les couleurs les plus vives des tons verts et des tons rouges ornaient ces paysages. Quand la pluie avivait encore et le rouge du sol et la ver- dure des plantes, quand un rayon de soleil venait ensuite ajouter son éclat à ces deux couleurs complémentaires, on se croyait sur un monde étranger, où la lumière pouvait RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 49 éprouver d’autres modifications que sur le nôtre. Ailleurs, des cônes de scories rouges, en partie dénudés, montrent çà et là des bandes de verdure qui cherchent à envahir un sol volcanisé, et donnent aux tableaux de la nature des tons qu'elle ne présente pas ordinairement. Des pouzzolanes noires ou bleuâtres sont souvent aussi répandues sur la terre. Ce noir qui par la pluie devient très- intense , abaisse le ton des fleurs jaunes du Sedum acre qui s’y développe en abondance ; il contraste vivement avec la corolle blanche du Sedum album , il appauvrit le rouge de son feuillage et laisse briller le bleu pur des capitules du Jasione perennis. Des basaltes fortement rembrunis produisent des effets analogues sur les fleurs dorées du Genista pilosa , tandis que la verdure dans son éclat donne aux granits une nuance un peu plus rose que celle qu'ils offrent naturellement. Indépendamment des couleurs propres que présente un site orné de végétaux, de fabriques, de rochers et d’eaux courantes, nous remarquons souyent que l’ensemble nous offre une couleur dominante qui presque toujours vient des . nuages qui flottent dans l’atmosphère. Le riche coloris de l'aurore , les nuances de rose et de pourpre du crépuscule, la teinte fuligineuse du jour mourant, la clarté blafarde de la tempête, peuvent se montrer tour à tour, et, sans enlever la nuance propre à chaque objet, en ajouter une générale qui, se combinant à celles quiexistent, peut à la foisles mo- difier par contraste ou par addition. Quelquefois les nuages sont disposés de telle manière que plusieurs parties du ta- bleau sont exceptées du coloris général, et un contraste nouveau s'établit entre la partie éclairée par la lumière so- laire et celle qui est colorée par les rayons que les nuages ont transmis. IV 4 50 DES COULEURS Le soir est peut-être le moment de la journée où les cam- pagnes prennent les plus magnifiques décors , et cela tient aux rayons rouges qui dominent ; cela tient surtout aux tons très-doux de ces rayons , et si leur apparition coïncide avec l’époque où les feuilles encore jeunes offrent le vert tendre sur un ton de même hauteur que ce rouge , on remarque alors les plus beaux effets du contraste simultané. L’affaiblissement du jour augmente les effets de contraste. Les nuances que présentent les fleurs et la campagne, do- minées et avivées par la lumière solaire, sont moins sou- mises aux lois qui peuvent les modifier; mais quand la lu- mière s’affaiblit, quand , le soir, le soleil décline et surtout quand il abandonne au crépuscule le soin de colorer le ciel et la terre, alors la loi des contrastes reprend toute sa puis- sance , le paysage change de couleur , et les impressions du soir ne sont ni celles de l'aurore, ni celles du milieu du jour. C’est à cette cause qu’il faut attribuer le charme indéfi- nissable d’une belle forêt, quand, placé sur sa lisière, l’œil peut à la fois contempler la verdure du feuillage , le mystère de ses ombres profondes et dégradées, et voir au-dessus d’elle le ciel rose marbré de nuages floconneux où plusieurs tons de la gamme carminée ou de la gamme écarlate pro- duisent aussi des accords harmonieux. Si l’on pénètre sous les voûtes de cette forêt et que le feuillage vu par transpa- rence vous offre les nuances vives du vert, vous aurez, par la grosseur des troncs, par la multitude des branches et par leur sombre couleur, un autre effet de contraste analogue à celui qui est produit dans les églises par les vitraux colorés enchässés dans des massifs de pierre, et dont l'éclat est rehaussé par l’opacité des murs. De même, dans cette circon- stance, le tronc volumineux des arbres et le nombre infini RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 51 des branches ne laissent arriver la lumière que par de petites ouvertures , et la clarté voilée et douteuse qui se répand sous ces voûtes assombries est certainement la cause du recueil- lement qui nous saisit dans ces deux circonstances. La lumière du matin diffère de celle du soir. Si desvapeurs sont répandues dans l’atmosphère , les ombres des plantes, quand elles se projettent sur un corps blanc, paraissent d’un beau bleu , et si ces ombres tombent sur un corps jaune ou jaunâtre elles paraissent vertes. Souvent les matinées d’au- tomne donnent ces ombres colorées qui ajoutent un charme de plus au spectacle des couleurs. Si l’air est privé de nébu- losité, les rayons rouges qui précèdent l’aurore s’effacent peu à peu, et le soleil verse bientôt sur les campagnes les flots de jaune et d’orangé qui produisent les apparences dorées que nous montrent le milieu du jour et les contrées chaudes de la terre. L'ensemble du paysage varie donc selon la qualité de la lumière qu’il reçoit; le feuillage d’une forêt, le tapis d’une prairie n’offrent plus la même nuance de vert à l’ombre et au soleil. Ce vert sera plus jaune au soleil, plus bleu à la lumière diffuse, et les nuances , selon leur éclairement, ten- dent plus ou moins vers le jaune ou vers le bleu. La manière dont la lumière directe ou diffuse est réfléchie par les surfaces peut aussi offrir de très-grandes variétés. Des feuilles lisses, vernies et luisantes ne présentent ni les mêmes tons ni les mêmes nuances que des feuilles mates ou cou- vertes de poils et de villosité. Des poils droits ou inclinés produisent encore des différences ; ainsi le vert est plus foncé sur une feuille lustrée, plus pâle sur celle qui ne l’est pas; il est blanc ou bleuâtre et parfois argenté, selon que le feuil- lage est glauque ou couvert de poils blancs et couchés. Nous n’avons guère dans les plantes de ces couleurs bril- 52 DES COULEURS lantes que dans les feuilles et dans les fruits. Les fleurs sont presque toutes mates, tandis que dans le règne animal et sur- tout dans les oiseaux, les coléoptères et les papillons, on voit des couleurs dont l'éclat est métallique et dont le brillant fait disparaître les modifications exprimées par le contraste. Ces faits curieux n’ont pas échappé à M. Chevreul , car il dit que « des associations qu'il n’a pas prescrites , telles que » du rouge avec le violet, du bleu avec le violet, par exem- » ple, sont d’un bel effet sur le plumage de certains oiseaux » et sur les ailes de certains papillons ; car il est évident , » conséquemment à la distinction précédente, que dans ces » associations de la nature, l’effet provenant de l’addition » des complémentaires à chacune des deux couleurs qui » nuirait à des couleurs mates, est tout à fait insensible » pour nuire à des couleurs qui acquièrent de la structure » organique des plumes et des écailles, où elles se trouvent, » le brillant métallique (1). » On voit comment la nature, par un léger changement dans la forme de la surface , sait modifier ses propres lois et répandre la variété dans ses œuvres. Le mélange de la lumière blanche à la lumière colorée est un des motifs qui font varier l’intensité de la couleur ; la partie extérieure d’un arbre, le dehors d’un buisson ou d’une touffe de fleurs , la lisière d’une forêt, nous paraissent plus clairs que les parties visibles dans le milieu de ces masses de verdure. C’est qu’en effet les parties enfoncées et cepen- dant atteintes par la lumière renvoient à notre œil une quan- tité moins considérable de lumière blanche que les parties extérieures. Les effets de contraste simultané s’ajoutent à ces modifi- (1) Chevreul , de la loi du contraste simultané des couleurs , page 394. RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 53 cations nombreuses produites par les surfaces, et la variété devient immense. C’est surtout dans les tons clairs d’une cou- leur juxtaposée à des teintes foncées ou normales d’une autre, que les effets de contraste se manifestent avec le plus de puissance. La grande quantité de lumière blanche ren- voyée par les tons clairs affaiblit tellement leur nuance que la couleur juxtaposée agit sur elle comme elle le ferait sur du blanc, et l’effet indiqué dans les campagnes par des fleurs ou des feuillages peu foncés est souvent modifié au point de montrer la nuance complémentaire des objets vivement colorés qui les entourent. La couleur d’un corps change encore selon l'incidence des rayons lumineux qu’il nous transmet, et cela indépendam- ment de tout changèment appartenant au corps lui-même. Ainsi les tons ou les nuances du feuillage d’un arbre sont modifiés à chaque instant selon que le soleil , qui n’est jamais en repos, monte ou descend dans sa course diurne. Le vert des feuilles change si le vent les agite, si la tempête renverse leurs rameaux, ou si le zéphir les courbe ou les incline. Non- seulement cette mobilité fait varier la nuance du vert comme les angles d'incidence de la lumière, mais elle la transforme encore en renversant les feuilles qui montrent alors leur face inférieure généralement différente de la surface supérieure , soit par sa couleur même , soit par les appendices dont elle est garnie. Aussi le repos ou le mouvement apportent la va- riété pour nos yeux. C’est surtout dans les eaux que le mou- vement et la mobilité de la surface amènent à chaque ins- tant des changements dans la couleur. Là, c’est l’eau cou- rante dont les flots se succèdent et nous montrent des lignes blanches et sinueuses qui indiquent une lumière réfléchie , tandis qu’elle est absorbée et paraît noire sous un angle dif- férent ; là, c’est l’eau tranquille du lac ou de la rivière dor- 54 DES COULEURS mante qui réfléchit le bleu du ciel et les images colorées des végétaux qui en ornent les bords ; ou bien ce sont ces rides, ces frémissements, cette imperceptible trépidation que l’on remarque toujours dans les grandes nappes liquides, et que lon pourrait appeler la physionomie des eaux. Le lac lim-, pide est l’écho des couleurs et des formes dont il renvoie l'image, comme le rocher sonore est l’écho des sons qu'il reçoit et qu'il répète. Au reste, l'impression produite sur nous par le magnifique spectacle des couleurs ne peut pas être complétement expli- qué ici par les lois du contraste ni par le sentiment de l’har- monie. Il reste chez nous de ces impressions d’enfance , de ces souvenirs de l’âme que nous ne pouvons expliquer et qui nous rendent sympathiques des nuances et des associations qui, en réalité, ne sont ni les plus belles ni celles qui de- vraient attirer nos regards. Nous voyons avec quelle admirable puissance la nature fait jaillir d’une seule lumière toutes les couleurs qui animent le monde; elle ne se contente pas de la décomposer en faisceaux lumineux et d’en faire sortir la ceinture brillante de l'iris, elle combine dans des proportions variables ces couleurs pures du spectre solaire; elle les modifie par le poli ou le velouté des surfaces qu’elles viennent frapper , par la profondeur où les rayons pénètrent et par les contrastes qui naissent de tous ces rapprochements. Le bleu du ciel, la teinte pure des eaux, les nuances qui colorent les nuages et qui changent aussi promptement que leurs formes, sont souvent réfléchies sur les objets terrestres et en varient le coloris. La lumière qui depuis l’aurore augmente d'intensité, et qui plus tard s’affaiblit jusqu'aux ténèbres, ne laisse aux couleurs aucune stabilité. Elles changent avec l’heure du jour, avec les saï- sons, avec l'ombre ou le soleil, et nous montrent ces éter- RELATIVEMENT AU PAYSAGE. 55 nelles transformations de la matière soumise aux lois im- muables du créateur de l’univers. Si de tels prodiges de coloration s’opèrent sur ce globe que nous habitons , notre imagination ne pourra jamais se repré- senter le spectacle que doivent offrir les autres corps célestes. Les uns plus rapprochés du soleil doivent avoir des couleurs plus resplendissantes, d’autres plus éloignés que nous de l’astre qui les éclaire, entourés de satellites ou d’anneaux ré- lecteurs, doivent ignorer les ténèbres et montrer, à chaque heure du jour , les nuances indécises du crépuscule ou de l’aurore éclairant des productions dont nous ne pouvons de- viner mi les formes ni les proportions. On peut atteindre en- ‘fin le spectacle des couleurs dans ces mondes lointains que la distance soustrait à nos investigations ? N’existe-t-1l pas dans la longue série des étoiles multiples découvertes depuis l'invention des lunettes astronomiques, des globes éclairés par plusieurs soleils diversement colorés? Quels contrastes doivent offrir ces lumières fournies par des astres qui parais- sent en même temps sur l'horizon et qui disparaissent en- suite à des heures différentes, variant à chaque instant le coloris de tous les objets et les effets produits par les interfé- rences, la polarisation et tant d’autres causes qui nous seront toujours complétement inconnues. Mais terminons ici ces longues dissertations sur les cou- leurs, et si l’on nous reprochaït de nous être tron étendu, nous prierions nos lecteurs de nous pardonner l’extension que nous avons donnée à cet intéressant sujet. La botanique, la science des fleurs, n’est pas pour nous une simple étude de caractères physiques, nous recherchons aussi son influence sur notre moral, sur l’art lui-même, et les couleurs des végé- faux ont certainement une part bien active et bien large dans les sensations que nous procure la vue des étres vivants qui ornent et embellissent notre séjour. 56 SOCIABILITÉ CHAPITRE XLV. DE LA SOCIABILITÉ DES PLANTES. Tous ceux qui ont observé la nature ont remarqué dans les plantes comme dans les animaux, des espèces qui vivent isolées , et d’autres qui se réunissent et semblent constituer des sociétés plus ou moins nombreuses. Dans les animaux on aperçoit souvent les causes de ces associations; elles ont un but déterminé et l’on croit y découvrir quelques lois qui découlent de l'instinct ou de l'intelligence des êtres qui les composent. Ils travaillent en commun, ou ils chassent ensemble ; ils reconnaissent une autorité qui les gouverne , ou réunissent leurs efforts pour se créer une habitation com- mune, pour voyager avec plus de sécurité. Les insectes sont, de tous les animaux non agrégés, ceux qui nous étonnent le plus par leurs réunions en sociétés nombreuses, par leur travail et par les différentes formes de gouvernement au- quel leurs associations paraissent obéir. Les oiseaux ont aussi des espèces qui vivent ensemble. Levaillant cite une espèce africaine dont il trouva le nid compliqué qui occupait toute la cime d’un gros Aoes dicho- toma. « C'était, dit-il, un nid monstrueux, composé d’une multitude de cellules servant de retraite à une quantité im- mense d'oiseaux de la même espèce ; à chaque instant il en sortait des volées qui se répandaient dans la plaine , tandis que d’autres revenaient portant dans leur bec les matériaux nécessaires pour se construire un logement ou pour réparer DES PLANTES. 57 le leur : chaque couple avait son nid dans l'habitation com- mune (1).» D’autres animaux s’isolent constamment, fuient leurs semblables par gêne, par jalousie ou pour vivre plus commodément. Aucune de ces causes ou de ces apparences ne peut être inyoquée pour la sociabilité des végétaux , et cependant on trouve des espèces constammentisolées et d’au- tres constamment réunies. Nous remarquons surtout la sociabilité dans les plantes ligneuses. Des forêts de nos climats sont entièrement ou presque exclusivement composées de chênes, de hêtres , de bouleaux, de pins sylvestres ou de sapins. Ailleurs ce sont des fourrés de trembles, de saules ou d’autres espèces arbo- rescentes. Quand les plantes sociales sont très-serrées, elles excluent la plupart des autres espèces, et nous ayons souvent rencontré des forêts très-étendues, formées par un petit nombre de plan- tes, sous lesquelles on trouvait à peine cinq ou six espèces de phanérogames et un nombre aussi très-limité de cryptogames. On conçoit qu’une espèce trouvant dans certaines localités les conditions biologiques les plus favorables à son développe- ment, multiplie ses individus au détriment des autres végé- taux , les chasse et les éloigne en quelque sorte par droit de conquête; mais telle n’est pastoujoursla cause dela sociabilité. La manière dont les plantes dispersent leurs graines a-t- elle une influence réelle sur leur réunion en groupes plus ou moins nombreux? Cela paraît douteux. Nous ne voyons pas que les plantes dont les graines sont munies d’aigrettes, par exemple, comme les composées et les valerianées, ou d’ai- les membraneuses comme les ormes , les frênes, les érables, les pins et les sapins vivent plus dispersés que les autres. (4) Levaillant, second voyage en Afrique, 1. 2, p. 149. 58 SOCIABILITÉ Les bruyères et les orchis ont des graines presque sem- blables ; les premières se rassemblent en nombreuses tribus et les seconds vivent disséminés et souvent isolés. Les articulations desfruits, l’élasticité de leurs valves, la multitude de leurs graines, rien ne peut rendreraison, dans les plantes, de leur tendance à la sociabilité ou à l’isolement. Nous trouvons en effet des espèces qui, malgré tous les avantages que leur donne une localité, restent constamment disséminées. Ainsi les pyroles, qui recherchent l’ombre des forêts, sont presque toujours solitaires. Les bouquets de pins sylvestres , qui couvrent les monticules volcaniques de la Haute-Loire, abritent les Pyrola minor, P. chlorantha , P. uniflora; et tandis que les pins sont serrés les uns contre les autres et entre-croisent leurs racines , les pyroles sont distinctes et éloignées. Les sombres forêts de hêtres des puys volcaniques qui avoisinent Clermont, nous montrent çà et là l'Ophris ni- dus-avis, le Monotropa Hypopithys , le Gagea lutea, tou- jours séparés et souvent même très-distants , et tout à côté d'immenses tapis d’Asperula odorata, de Scilla Lilio- Hyacinthus. Les circonstances sont cependant les mêmes pour tous ces végétaux. Il faut donc admettre que les uns aiment à vivre en société et que les autres s’y refusent. Ce sont des instincts particuliers, comme ceux qui se manifes- tent chez les animaux. Les racines traçantes ou isolées , le mode de dissémination des graines, la perméabilité du sol et une foule d’autres conditions , sont bien réellement des causes qui peuvent avoir de l'influence sur la sociabilité , mais il en est d’autres qui nous sont encore inconnues. Cette multitude des individus d’une mêmé espèce, d’où résultent des flores locales extrêmement restreintes , semble augmenter vers les régions froides et diminuer au contraire DES PLANTES. 59 dans les pays chauds. Les plantes sociales ÿ sont moins com- munes et les espèces plus nombreuses et plus variées. Si, au contraire, on avance versle nord, il semble que la nature ait voulu se dédommager du peu de variété qu’elle apporte dans ses œuvres en multipliant outre mesure les individus qui les représentent. Nous trouvons dans plusieurs contrées des forêts immen- ses, entièrement composées de pins, de sapins, de chè- nes, ou de hêtres; des landes étendues ou une seule bruyère domine, où l’ajonc ou les genêts forment d'immenses tail- lis ; des prairies où les mêmes graminées s’étendent en pe- louse uniforme ; des étangs et des marais ou des Carex et des Equisetum identiques vivent serrés les uns contre les autres. Dans nos climats tempérés et surtout dans notre circons- cription, on peut comparer ces plantes sociales à un immense tapis dont elles composeraient la chaîne et la trame, et les espèces non sociales à des broderies , à des ornements iso- lés, brochés çà et là sur cet élégant tissu qui cache la nu- dité de la terre. Ces plantes sociales ont , relativement aux autres , une très-grande importance ; elles donnent l’aspect au paysage, déterminent son caractère et souvent le colorent , en diver- ses saisons, de teintes uniformes, douces ou éclatantes, qui nous sont données par la verdure des forêts, par les fleurs dorées des genêts , et par la nuance rose des bruyères. Aïl- leurs, c’est le rouge de nos coquelicots, l’azur de nos bleuets ou de nos campanules , et la teinte dorée des moissons. Aussi chacune de ces plantes sociales a reçu un nom vul- gaire particulier ; chacun connaît un chêne , un genêt , une bruyère, toutes plantes sociales, et les personnes qui ne sont pas initiées à la botanique nesavent à quoi rapporter les noms de Pyrola, d’Ophrys ou de Botrychium. 60 SOCIABILITÉ La recherche des causes, si attrayante dans l’étude des mœurs végétales, semble au premier abord interdite dans le sujet qui nous occupe, car dans les mêmes lieux oùmous voyonsl’Ophrys nidus-avis s’isoler commelePyrolauniflora, nous foulons d'immenses tapis d’Asperula odorata ; près des pieds distincts du Botrychium Lunaria, existent des mil- hiers de Viola sudetica et des touffes infinies de Calluna vul- garis ou bruyère commune. C’est principalement au mode de reproduction et à l’enva- hissement de certaines espèces vivaces que nous devons les plantes sociales. L’uniformité d’une contrée est aussi une des causes qui tend le plus à favoriser la multiplication d’une espèce aux dépens des autres. Les plantes sociales sont comme des peuples vainqueurs qui détruisent peu à peu les tribus faibles qu’ils envahissent , et les forcent à se réfugier dans des lieux qui sont maccessibles pour eux. Les landes, les grandes forêts, les pelouses et les plateaux étendus, sont les principales stations de la sociabilité. La température est aussi une des causes de son existence. Si elle est élevée, si le climat favorise la végétation d’un grand nombre d'espèces, comme sous les tropiques, la lutte continuelle qui a lieu entre les individus d'espèces différentes, s’oppose souvent à ces grandes réunions que nous remarquons dans nos régions tempérées. Dans les pays chauds, le nom- bre plus considérable des espèces annuelles qui viennent à chaque instant occuper le terrain entre les individus munis de racines vivaces et les isoler, s'oppose d'autant plus à leur réunion que ces plantes annuelles sont douées d’une grande énergie vitale. On peut donc trouver les motifs de la sociabilité dans les régions tempérées et surtout dans les contrées polaires, non, comme on l’a dit, dans la nécessité qu’éprouvent les végétaux DES PLANTES, 61 de se serrer pour éviter l’action du froid, mais plutôt dans l'uniformité de structure et de composition du sol, dans le petit nombre d'espèces propres à ces régions , et dans l’ab- sence presque complète des plantes annuelles. Ces derniè- res sont presque toujours sociales, mais ne forment que de petites compagnies , ou seulement des associations éphémè- res qui changent souvent de place. Un pied de plante an- nuelle ou bisannuelle répand ses graines autour de lui, et bientôt une petite colonie se développe, gagne de proche en proche, et l’aire d'extension d’un seul individu peut, au bout de quelques années, croiser celles d’individus de même espèce, et couvrir ainsi de vastes terrains. Des causes diverses viennent affecter ces associations et les rendre éphémères. Une inondation, une pluie d’orage peuvent entrainer les graines, comme elles auraient pu les amener; des animaux peuvent les détruire, la sécheresse peut empêcher leur développement, et pendant ces vicissitu- des , les germes engourdis ou entraînés ne se montrent plus, les espèces vivaces envahissent et font disparaître pour tou- jours ou pour longtemps ces plantes fugaces alors exilées à une certaine distance. Rien de fixe pour ces plantes dont la vie est assurée par la longévité léthargique de leurs graines, mais qui ne constituent pas, à proprement parler , les véri- tables espèces sociales. Il faut chercher celles-ci parmi les végétaux que nous désignons sous le nom de vivaces, et qui sont, comme nous l’avons déjà vu, des assemblages de nombreux individus. En première ligne se présentent les forêts. Ici l'association est double. Un arbre n’est autre chose que la réunion d’indivi- dus dont le nombre augmente tous les ans en proportion indéfinie. Le bourgeon qui ouvre ses écailles, en laisse sor- tir un rameau qui porte 10 à 20 feuilles, quelquefois davan- 62 SOCIABILITÉ tage. Chaque feuille produit à son aisselle le germe d’un in- dividu nouveau qui reste adhérent au tronc commun, et l’an- née suivante la branche née d’un seul bourgeon peut en donner plus de 20, dont chacun d’eux en produira 20 au- tres, et ainsi de suite. Les accidents, l’étiolement , l’atro- phie, les avortements accidentels ou réguliers et normaux , peuvent diminuer cette effrayante quantité de nouvelles pousses , et la diminuent en effet , mais aussi quelle prodi- gieuse multiplication pour remplacer quelques décès! Un arbre est donc toujours social, puisqu'il réunit en un groupe les êtres successifs d’une multitude de générations. Chaque an- née le bourgeon perd ses organes et s’identifie au tronc com- mun, après avoir vécu de sa vie particulière. Quelques-unes de ces plantes nouvelles et adhérentes , fleurissent et répan- dent leurs graines; d’autres n’émettent que des D: et s’anéantissent sans avoir fructifié. L'arbre , considéré comme assemblage d'individus, mon- tre donc au plus haut degré la vie sociale du végétal, comme le polypier saxigène représente, dans un autre règne, la plus nombreuse des sociétés animales. Tant que les mêmes conditions d’existence persistent, l’arbre est également per- sistant , nous dirions presque immortel, et pendant que ses jeunes enfants se greffent progressivement sur le tronc de leur mère , les graines , germes détachés par la fécondation qui a coupé l'extrémité du rameau, se répandent autour de lui, y croissent, y fleurissent et y prospèrent. La forêt la plus étendue peut naître du gland pesant d’un chêne, ou de la graine ailée et légère d’un orme ou d’un sapin. La forêt est un assemblage de groupes distincts qui se rapprochent et confondent leurs feuillages ; c’est la réunion de millions d'individus rassemblés par sociétés particulières , par tribus spéciales, dont chacun jouit d’une vie com- DES PLANTES. 63 mune, et dont l’ensemble ne forme qu’une seule et immense réunion. Les forêts composées d’une seule espèce et celles mêmes où viennent se mélanger quelques arbres de genre diffé- rent, rappellent parfaitement ces assemblages de zoophytes où des troncs communs se rapprochent, où des groupes sé- parés s’étendent au point de se toucher , et où la puissance du nombre et de l'association finissent par fonder ces écueils des mers équatoriales, ces îles madréporiques, qui sont sur la terre les ouvrages les plus gigantesques que le règne organique ait produits. La sociabilité des arbres est due à l’association de leurs bourgeons et à la multiplication rapprochée de leurs graines. Leur vie presqu'indéfinie n’est menacée que si le tronc com- mun est attaqué, et si des accidents physiques viennent le détruire et le renverser. Il existe cependant des plantes dont la société a plus de chance de durée que celle des végétaux ligneux ; ce sont celles dont les tiges réunissant aussi des milliers de bour- geons, sont abritées sous le sol. Ce sont les espèces souter- … raines qui habitent à des profondeurs variables, et qui, sem- . blables aux plantes submergées, laissent chaque année leurs fleurs sortir de terre pour s'épanouir dans l’air atmosphéri- que. Ces curieux végétaux, dans nos climats du moins, ap- partiennent principalement aux monocotylédones. Leurs ti- ges, très-étendues , très-ramifiées par suite des bourgeons qu'elles émettent , sont horizontales ou inclinées , extrême- ment longues, et les groupes que constituent ces plantes pa- raissent au premier abord formés d’un grand nombre d’in- dividus. Les Carex, les Equisetum, les Typha, les Acorus, appartiennent à cette catégorie. Leurs tiges ne sont pour ainsi dire sujettes à aucune espèce d’accidents dans les ter- 64 SOCIABILITÉ rains non cultivés, et dans ceux-ci elles peuvent tout au plus être divisées en plusieurs tronçons dont chacun conserve et multiplie ses germes et son existence. Un seul pied d’Acorus Calamus peut, en se ramifiant sous terre, couvrir entièrement la vase d’un étang; il en est de même des Typha, du Buto- mus umbellatus, de tous les Carex et des Scirpus. Il peut se faire que tous les Equisetum d’une prairie humide fassent partie d’un même pied dont la tige marche et avance sous terre dans toutes les directions, donnant naissance chaque année à des bourgeons qui paraissent au Jour, soit pour dé- velopper des feuilles , soit pour épanouir des fleurs. On re- marque même dans ces singulières plantes des faits de spé- cialisation semblables à ceux que l’on trouve dans quelques genres d'insectes. Lemême pied d’Æquisetum produit des in- dividus stériles, munis de nombreux organes appendiculai- res, uniquement destinés à la végétation. Ce sont les pourvoyeurs de la souche commune ; ils sont privés d'orga- nes de la génération. D’autres, au contraire, délivrés de tous soins d’existence , ne paraissent qu'un instant. Nourris par la société , leurs fonctions sont de reproduire l’espèce, de livrer aux vents leurs germes légers, et de disparaître pen- dant que leurs mdividus stériles continuent de jouir long- temps d’une existence utile au tronc commun. La société était indispensable à des êtres remplissant des fonctions dif- férentes et ne pouvant se suffire à eux-mêmes. Cette divi- sion des fonctions dans le règne végétal, n’est pas un fait isolé. Nous le remarquons dans les arbres que nous considé- rons comme des agglomérations d'individus, dans les plantes vivaces. Certains bourgeons ne produisent que des fleurs et d’autres seulement des feuilles; il est peu de végétaux qui n'aient à la fois leurs rameaux stériles et leurs rameaux fructifères. DES PLANTES. 65 Les plantes souterraines, essentiellement vivaces, ne don- nent, comme les autres, que des pousses annuelles, et elles se propagent avec tant d'énergie, que Vaucher pensait que, dans les Equisetum , l'habitude de se reproduire par bour- geonsavait oblitéré la possibilité de développer leurs graines. ILest rare, en effet, malgré la faculté de germer reconnue plus tard par Requien et par le savant genévois lui-même, que ces Equisetum se multiplient par graines, tant sont puis- sants les moyens de régénération que leur donnent leurs bourgeons , tant est grande la longévité de leurs tiges sou- terraines. Ce ne sont pas seulement les monocotylédones qui présentent ce développement souterrain ; beaucoup de dicotylédones sont aussi dans le même cas. L'Oxalis Aceto- sella , l’Isopyrum thalhctroides et une foule d’autres s’éten- dent en divergeant sous le terreau, qui est formé par la dé- composition lente des feuilles , et finissent par former des cercles dont le milieu est vide, et qui grandissent annuelle- ment. Le sol, épuisé dans le milieu , et la direction rayon- nante des bourgeons nouveaux , déterminent cette associa- tion en couronne , comme dans les polypiers saxigènes on voit les branches des coraux s'étendre du côté où la lame vient les frapper, se multiplier en divergeant et construire aussi des cercles d’accroissement extérieur dont le centre reste vide ou sans vie. C’est presque toujours dans l’eau, dans la vase des marais, dans le terreau des forêts, quel- quefois, il est vrai, dans des argiles dures et compactes, que l'on remarque ces grandes associations d'individus provenant originairement d’une même souche. La perméabilité du sol y contribue sans doute , et si nous nous reportons aux an- ciennes périodes géologiques , pendant lesquelles la végéta- tion si active a déposé les houilles, nous devons nous figurer des plantes vivant en sociétés nombreuses, munies de tiges 5 IV 66 SOCIABILITÉ souterraines douées d’une grande énergie vitale , et appar- tenant très-certainement à des familles voisines des équisé- tacés et des fougères. Cette végétation primitive , qui s’est développée sur le globe aux premières époques géologiques, paraît donc avoir offert les mêmes earactères d’umiformité et surtout de sociabilité. Dans ses belles recherches sur la végétation de l’époque carbonifère , M. A. Brongniart a remarqué que les couches les plus anciennes de houille sont formées par un très- petit nombre d’espèces, huit à dix tout au plus. Les dépôts moins anciens en admettent davantage , et M. Brongmiart ne croit pas que les couches les plus modernes sotent ac- compagnées de débris qui représentent plus de 30 à 40 es- pèces. Peut-être, à cette époque , la sociabilité tenait-elle au petit nombre d’espèces créées , car on voit la flore géné- rale augmenter successivement de richesse depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos Jours. Il est douteux que pendant la longue période qui a donné lieu au dépôt des houilles, les différentes plantes qui en for- ment les couches superposées aient vécu en même temps. Nous voyons bien maintenant, parmi les plantes sociales, de petites flores partielles très-restreintes , synchroniques et même réunies sur un espace géographique très-circonscrit , mais l’époque actuelle est certainement celle qui a produit les êtres les plus variés, et elle diffère essentiellement des temps géologiques anciens et des circonstances uniformes qui les ont accompagnés. Si la propagation des plantes so- ciales a souvent lieu par les racines et les bourgeons vitaux, elle peut aussi se produire, comme cela arrive très-souvent, par les graines , et c'est même à ce moyen de reproduction qu'il faut attribuer les plus grandes réunions végétales. Pres- que toutes les forêts sont créées par des graines ; les landes DES PLANTES. 67 sablonneuses sont couvertes de genêts et d’ajoncs dont les graines sont annuellement et régulièrement disséminées par l'explosion de leurs gousses. Les bruyères livrent aux vents des semences essentiellement légères et couvrent d'immenses plateaux. Ces plantes vivent et se reproduisent depuis des siècles sur les mêmes terrains , mais avec une vigueur qui n'est pas toujours la même. Dans tous les pays du monde, on trouve des plantes so- ciales qui se réunissent en grand nombre , comme les ani- maux. Selon M. de Humboldt, ces espèces sociales sont . beaucoup plus rares sous la zone torride et notamment dans l’Amérique équinoxiale. Il cite cependant, comme formant de véritables réunions, le Rhizophora Mangle, le Sesuvium Portulacastrum, le Croton argenteum, le Bambusa Guadua, ainsi que le Godoya repleta et les élégants Bougainvillea , qui forment de délicieux bosquets près des eaux attiédies de l’Amazone. , M. d’Orbigny cite, dans le rincon de Luna, dans le sud de ce même continent, le palmier Vataïs qui couvre seul et sans mélange d'aucune autre végétation plus de 150 lieues d’étendue (1). Quand on atteint les régions élevées des Andes, les plantes sociales se montrent, et à la hauteur de 3,600 mètres, région des Paramos, l'Escallonia myrtilloides, le Brathys junipe- rina et les Molina se réunissent en phalanges serrées. Il en est de même , d’après M. Robert Brown , de quelques pro- téacées du Cap, parmi lesquelles le Barksia speciosa , les Protea argentea et P. mellifera sont à peu près les seules qui puissent être considérées comme sociales. La Nouvelle-Hollande a, comme l’Afrique australe, un , (4) D'Orbigny, Voyage, t. 1, p. 149. 68 SOCIABILITÉ assez grand nombre de plantes sociales ; elles appartiennent surtout aux genres Hakea, Styphelia, Eucalyptus, Banksia, Embothrium , Casuarina et au genre si singulier du Xan- thorrea , dont on voit les pieds nombreux élever au milieu des sables, leurs gigantesques épis de 6 à 7 mètres. Au Port-Galant, dans l'archipel de la Terre-de-Feu, Dumont-d’Urville rapporte qu'il vit l’Aster maritimum , à fleurs variées de bleu et de violet, et une plante à belles fleurs jaunes, voisine des Doronicum , « qui croissaient en telle abondance , qu'on eût dit un parterre cultivé à des- sein (1). » Dans tous les pays, une des principales conditions de la présence des plantes sociales, c’est l’uniformité et surtout l’horizontalité des terrains. Alors les plantes se multiphient à l'infini, et il existe en Asie et en Amérique des plaines couvertes de graminées et si étendues, que, dans cette dernière partie du monde, les habitants les désignent sous le nom expressif de la grande mer de verdure. C’est le nom qu'ils donnent, dans l'Amérique espagnole, aux steppes immenses situées au delà des montagnes de Cumana. Ces plaines occupent une surface de 8 à 10,000 lieues carrées. Ce sont principalement des monocotylédones qui couvrent ces vastes terrains, des graminées, telles que des Paspalum, des Cenchrus, des Kyllingia, qui forment partout un gazon très-uniforme, dominé de loin en loin par quelques groupes de palmiers Mauritia. Les diverses contrées ont, comme on le prévoit, leurs plantes sociales particulières ; on rencontre des portions de l’Amérique équinoxiale couvertes de Cactus et d’Argemone. En Europe, nous voyons plusieurs espèces de bruyères, des LA i . . _ 1) Voyage au pèle sud, histoire du voyage. t. 4, p. 195. DES PLANTES. 69 légumineuses, couvrir de grands terrains. Autour de la Mé- diterranée, en Corse, les cistes forment les maquis , ces fo- . rêts en miniature couvertes de fleurs roses ou blanches , et dont le feuillage répand au loin ses émanations parfumées. En Espagne , ce sont des lentisques et même le Chamæ- rops, qui s'associent davantage encore dans le nord de l’A- frique. Sur le plateau central, nous trouvons de nombreux exem- ples de ces plantes sociales, le Nardus stricta, différentes bruyères, les genêts , les euphorbes, des violettes, des Vac- cinium. Sur quelques points des montagnes du Forez, et à une grande élévation, on retrouve des plantes sociales qui ha- bitent en commun et qui, là comme en Sologne , s'étendent sur de grandes surfaces ; ce sont le Calluna vulgaris , ré- pandu partout , et l’Ulex nanus, beaucoup plus rare dans notre circonscription. Ce sont, du reste , deux espèces qui s’accommodent de toutes les altitudes , surtout le Calluna , mais qui recherchent les terrains siliceux, meubles ou com- pactes. Quelques parties de la Limagne d'Auvergne , couvertes de Plantago maritima, et dont le sol est, en été, profon- dément crevassé, rappellent en petit l’image des savanes desséchées du Nouveau-Monde. Les mêmes plantes se ré- pètent tant que le terrain offre les mêmes conditions. En nous occupant des phénomènes périodiques, nous avons déjà reconnu que chaque individu d’une même espèce a son tempérament propre , son degré de vigueur , de préco- cité, etc. Nous pouvons, à plus forte raison , appliquer le même raisonnement aux espèces. Les unes sont robustes, précoces, ligneuses ; les autres délicates, tardives, herbacées, et nous trouvons dans un même genre d'énormes dissem- blances. Mais les espèces ne sont pas toutes robustes n1 70 SOCIABILITE toutes délicates de la même manière. Telle plante sera ro- buste relativement à la température, et pourra s'étendre sur une large surface en latitude ou sur une grande échelle en altitude. Mais que le sol change de condition , que de siliceux il devienne calcaire ou vice versa, que de compacte il devienne léger, l’espèce vigoureuse , qui aurait supporté de grandes variations en température, ne résistera pas à un changement de terrain. Telle autre qui s’accommode de toute espèce de sol, qui se développe partout, exige un cer- tain degré d’humidité , et ne végète plus si elle -n’a pas la dose d’eau qui lui est nécessaire. Il en résulte que très-peu de plantes sont absolument robustes, et par conséquent com- munes , et que les espèces les plus répandues manquent parfois tout à coup dans certains cantons , où l'observation finit par faire découvrir la cause de leur absence. Malgré ces considérations , il existe toujours des espèces plus communes que les autres , et, en somme, plus vigou- reuses. Nous pouvons choisir comme exemple, sur le plateau central de la France, deux genres assez voisins dans l’ordre naturel , les pyroles et les bruyères. Les pyroles sont évi- demment des plantes délicates ; les cinq espèces que nous avons ne vivent que dans des localités circonscrites , et ont toutes besoin de certaines conditions de température, de terrains, d'ombre et d'humidité. Aussi sont-elles restreintes à un petit nombre de stations et même à certains lieux d’ha- bitat. Cependant, en comparant leur degré de fréquence, on arrive à reconnaître que le Pyrola munor, puis le P. ro- tundifolia sont plus communs , en général , que les autres espèces, ce qui tient sans doute à ce qu'elles peuvent s'ac- commoder de conditions biologiques plus variées. Toutes sont des plantes isolées, nullement sociales, toujours dissé-« DES PLANTES. 71 minées, à l'exception du Pyrola secunda, qui se réunit bien en petites sociétés, mais qui, du moins dans notre circons- cription, ne constitue jamais de vastes réunions. Prenons maintenant le genre bruyère, composé aussi pour le plateau central de 5 espèces. Toutes, sans exception, sont plus vigoureuses que les pyroles, toutes , au lieu de profiter des petits espaces que leur abandonnent les autres végétaux comme le font ces dernières, s'emparent , au contraire, de vastes terrains, où elles vivent en société, combattant les au- tres plantes qui veulent partager le sol avec elles. Toute- fois, ces 5 espèces sont loin de présenter la même énergie, toutes ne peuvent pas s’accommoder des mêmes conditions. Ainsi l’Erica arborea reste confiné dans notre région méri- dionale ; l’Ærica scoparia, quoique moins sensible au froid, n’aborde pas les hauts plateaux de l’Auvergne ; l’Erica Te- tralix demande un peu de fraicheur et surtout un sol un peu tourbeux. Dès lors, quoique couvrant de grands es- paces, elle se tient dans les lieux où ces conditions existent. L'Erica cinerea a bien plus de vigueur ; elle se montre par- tout et se mêle à l’Erica Tetralix dans l’est et l’ouest de notre circonscription. Elle partage le sol, dans la région mé- ridionale, avec la première espèce que nous avons citée, et, si nous voulions la suivre au delà de nos limites, nous la ren- contrerions dans une foule de localités ; mais elle manque dans le milieu de notre région , sur les montagnes des envi- rons de Clermont, du puy de Dôme, du mont Dore; elle est rare dans celles du Cantal. Reste le Calluna vulgaris, la plus robuste de toutes les bruyères, occupant toutes les parties de notre territoire, et se mélangeant partout avec les autres. Il est évident que celle-ci s’accommode de tout ce qui ne convient que partiellement à chacune des autres et même de ce qui ne leur convient pas du tout. C’est une es- 72 SOCIABILITÉ pèce vigoureuse et cominune par excellence. Nous pour- rions donc encore classer, sous ce point de vue, les plantes du plateau central en deux séries, les espèces communes; les espèces rares. Cette manière de considérer les plantes, relativement à leur prédominance dans le tapis végétal d’une contrée, nous présente des considérations très-remarquables , surtout -en étendant nos recherches au delà de nos limites, pour tâcher de découvrir l’origine de notre flore. Les plantes communes pourraient avoir été créées sur le plateau central, d’où elles auraïent ensuite divergé en agran- dissant leur aire d’extension; mais si elles sont aussi répan- dues ailleurs, elles peuvent aussi avoir été amenées de plus loin, et s'être multipliées à l'infini, en rencontrant des circonstances favorables à leur végétation. L'examen détaillé de ces plantes, au point de vue géographique , offre donc beaucoup d'intérêt. Ce sont elles qui, ligneuses ou herbacées, donnent à la contrée sa physionomie particulière. Les plantes rares ont un autre rôle. Nous devons rechercher dans quelles localités, en dehors de nos limites, ces espèces sont communes, de quel côté elles abordent notre territoire , les moyens qu'elles ont employés pour y arriver et les chances qu’elles ont de s’y maintenir. En comparant ensuite les ob- servations détaillées que nous aurons pu faire sur ces deux séries d’espèces , nous arriverons nécessairement à connaître quelque chose de l’origine de notre végétation et des phéno- mènes qui se rattachent à la migration des espèces ou à leur spontanéité. Les plantes sociales ne sont pas toujours nécessairement réunies ; on en trouve d’isolées , mais , en général, ce sont celles qui s’éloignent de leur centre de création ou qui sont contrariées par des conditions d'existence qui ne leur con- DES PLANTES. 13 viennent pas complétement. Ainsi, on voit les bruyères , les genêts , les euphorbes , qui ordinairement vivent en groupes nombreux et serrés, disséminés çà et là dans quelques lo- calités. Ces individus isolés préludent à l'association, et, en suivant leur trace, on arrive presque toujours au camp gé- néral. Cette remarque s'applique également aux arbres de nos forêts, aux palmiers et aux fougères arborescentes de la zone torride. Quand les plantes , habituellement sociales , se rencon- trent isolées, quand elles ne sont plus pressées les unes contre les autres , cherchant à profiter de l’air et de la lu- mière, elles n’offrent plus le même aspéct. C’est ce que l’on remarque surtout dans les forêts. Dans le département de l'Allier, à la Croix-des-Bois, on rencontre une magnifique forêt de hêtres. Il est difficile de se faire une idée de la multitude et de la beauté des arbres qui la composent. Leur écorce est lisse ; on voit qu'ils jouissent de toute la pléni- tude de la vie. Mais ce hêtre social ne ressemble pas à l’arbre qui croît en toute liberté et peut se développer sans obstacle. Ceux qui forment certaines parties de la forêt sont rameux dès leur base; il part souvent plusieurs tiges élancées d’un seul pied. Souvent aussi il se fait de nombreuses greffes par approche , et des arbres sont réunis par leurs rameaux ou soudés par leur tige. On trouve une multitude de bizarreries de ce genre. Des milliers de colonnes élancées, soudées, ser- rées les unes contre les autres, se voient à perte de vue dans ces belles futaies. Toutes les questions sont tellement liées dans les sciences naturelles, que celle de la sociabilité des végétaux nous con- duit à une autre question bien plus importante , celle de la quantité de vie à la surface de notre planète. En effet, nous voyons les individus se multiplier à l'infini, couvrir des es- 74 SOCIABILITÉ paces immenses et s'étendre sur le globe en masses si in- nombrables , que la terre entière en serait couverte, si des causes locales ou physiques ne s’opposaient à cette extension illimitée. Nous arrivons à établir de nouveau quelques comparaisons entre la flore et le tapis végétal, entre le nom- bre des espèces et le chiffre approximatif des individus, entre l'état actuel et l’état ancien de la vie, et enfin si, poursui- vant cette idée, nous considérons la vie dans les deux bran- ches du règne organique, notre question grandit et sa solu- tion se perd, comme tant d’autres, dans le champ des hy- pothèses ou dans les profondeurs de Fabstraction. Cette question cependant offre tant d'intérêt, que nous ne pou- vons la passer entièrement sous silence. A notre connaissance, ce qui a été dit jusqu’à ce jour sur la quantité de vie a été appliqué au règne animal, et par cela même le sujet a été incomplétement traité. Buffon fut , en France , le premier qui appela l’attention sur cette intéres- sante question. Voici comment s'exprime ce grand peintre de la nature : «La surface de la terre, parée de sa verdure , est le fonds ». inépuisable et commun duquel l’homme et les animaux » tirent leur subsistance. Tout ce qui a vie dans la nature » vit sur ce qui végète , et les végétaux vivent, à leur tour, » des débris de tout ce qui a vécu et végété. Pour vivre, il » faut détruire ; et ce n’est, en effet, qu’en détruisant des » êtres que les animaux peuvent se nourrir et se multiplier. » Dieu, en créant les premiers individus de chaque espèce » d’animal et de végétal, a non-seulement donné la forme » à la poussière de la terre, mais il l’a rendue vivante et » animée , en renfermant dans chaque individu une quan- » tité plus ou moins grande de principes actifs, de molé- » cules organiques vivantes, indestructibles et communes à DES PLANTES. 75 tous les êtres organisés. Ces molécules passent de corps en corps, et servent également à la vie actuelle et à la continuation de la vie, à la nutrition, à l'accroissement de chaque individu, et, après la dissolution du corps, après sa destruction , sa réduction en cendres, ces molécules organiques, sur lesquelles la mort ne peut rien, survivent, circulent dans l’univers , passent dans d’autres êtres et y portent la nourriture et la vie. Toute production, tout re- nouvellement , tout accroissement par la génération , par la nutrition , par le développement , supposent donc une destruction précédente, une conversion de substance au transport de ces molécules organiques qui ne se multi- plient pas, mais qui, subsistant toujours en nombre égal, rendent la nature toujours également vivante , la terre également peuplée et toujours également resplendissante de la première gloire de celui qui l’a créée. » A-prendre les êtres en général, le total de la quantité de vie est donc toujours le même; et la mort, qui semble tout détruire, ne détruit rien de cette vie primitive et commune à toutes les espèces d'êtres organisés. Comme toutes les autres puissances subordonnées et subalternes, la mort n’attaque que les individus , ne frappe que la sur- face, ne détruit que la forme , ne peut rien sur la matière et ne fait aucun tort à la nature , qui n’en brille que da- vantage, qui ne lui permet pas d’anéantir les espèces, mais la laisse moissonner les individus et les détruire avec le temps, pour se montrer elle-même indépendante de la mort et du temps, pour exercer à chaque instant sa puis- sance toujours active , manifester sa plénitude par sa fé- condité, et faire de l’univers, en reproduisant, en renou- velant les êtres, un théâtre toujours rempli, un spectacle toujours nouveau. 76 SOCIABILITÉ » Pour que les êtres se succèdent , il est donc nécessaire » qu'ils se détruisent entr’eux ; pour que les animaux se » nourrissent et subsistent , il faut qu’ils détruisent des vé- » gétaux ou d’autres animaux; et comme avant et après » la destruction la quantité de vie reste toujours la même, » 1] semble qu'il devrait être indifférent à la nature que » telle ou telle espèce détruisit plus ou moins (1). » M. Flourens, qui commence aussi par citer Buffon, a repris cette étude dans un ouvrage qu’il vient de publier (2). « La » vie ne se forme pas, ne recommence pas avec chaque » nouvel individu , chaque nouvel être » dit le savant secré- taire perpétuel de l’Académie des sciences. « La vie ne com- » mence qu'avec l’espèce. A compter du premier être créé » de chaque espèce, la vie ne se forme plus; elle con- » tinue (3). » La quantité de vie n’a certainement pas toujours été la même sur la terre, car la création divine qui s’est manifestée sur le globe après de longues périodes de silence et de mort, n’a pas immédiatement jeté sur notre planète, ni tous les végétaux dont elle est ornée, ni les espèces nombreuses d’ani- maux qui animent aujourd’hui sa surface. L’étude de la géo- logie nous montre la terre anciennement déserte, parcourant son orbite, et ensuite l’apparition de la vie, dont l’essor semble successivement augmenter jusqu’au jour où Dieu a placé l’homme au milieu des merveilles du monde. Les espèces, en multipliant leurs individus, ont continué la vie, et quand nous voyons aujourd'hui des plantes sociales couvrir plusieurs centaines de lieues détendue, quand nous (4) Buffon, mammifères, article bœuf. (2) De la longévité humaine et de la quantité de vie sur le globe. {3) Idem, p. 185. DES PLANTES. 17 remarquons les milliers d'animaux qui vivent à leurs dépens, quand nous songeons que l’homme créé, d’abord comme tout ce qui a vie, dans un lieu circonscrit de la terre, a multi- plié ses individus au point d’arriver au chiffre d’un milliard , il semble naturel de croire que la somme de vie est plus grande sur la terré qu’elle n’était autrefois. Mais que se passait-il sur le globe avant l’existence de l’homme? Les campagnes étaient-elles couvertes comme aujourd’hui de verdure et de fleurs? Les animaux, en masses innombrables, étaient-ils les maîtres absolus de la terre, et compensaient- ils par leur nombre les espèces aujourd’hui plus multipliées? La géologie répond en partie à ces questions. Dès l’apparition de la vie, des plantes et des animaux se montrent dans les eaux. Ils abandonnent leurs dépouilles aux courants qui les entraïnent , et gravent leurs empreintes dans les premiers sédiments. Une seconde flore, une autre faune succèdent à la première; des espèces presque toutes diffé- rentes arrivent en troisième lieu, et pendant des périodes dont Dieu seul connaît l'étendue , des créations ou des trans- formations s’opèrent jusqu’à l’époque ou l’homme vient, par ordre de la divinité, prendre possession de son empire. Ainsi dans les plantes comme dans les animaux, les es- pèces , ont passé après avoir produit de nombreux individus , elles se sont éteintes ou transformées, et pendant ces lon- gues périodes successives, des ordres particuliers, des classes ou des familles entières ont régné tour à tour. Ces formes régnantes se sont développées, non-seulement en espèces mais en individus, et il devient impossible de dire si la quan- tité de vie était plus grande à l’une de ces périodes qu’à celle qui la précédait ou à celle qui la suivait dans l’ordre des temps. Il est certain que la sociabilité des plantes et des animaux existait autrefois comme de nos jours; d'immenses forêts 15 - SOCIABILITÉ ont donné naissance aux houillères, ont formé les dépôts de lignites, et ce sont encore aujourd’hui des plantes sociales qui produisent les tourbes et les humus. Les animaux se groupaient comme aujourd’hui ; des couches entières sont formées de trilobites dans les terrains les plus anciens ; des nautiles, des belemnites, des ammonites, lors du règne des céphalopodes, ont entassé leurs débris en si grand nom- bre que l’on reste étonné devant ces masses infinies. Le nombre des milliards d’infusoires dont les carapaces sont restées dans les craies et les tripolis effraie l'imagination , et l’on est confondu devant les couches calcaires qui doivent leur origine à des millions de polypiers saxigènes. Ainsi, dans le règne animal, si, dans chaque période géolôgique, il y avait en somme moins d’espèces qu’il n’en existe actuel- lement sur la terre, le nombre des individus était plus grand. On ne peut donc pas dire que la somme de vie a diminué à notre.époque; on ne peut pas dire non plus qu'elle soit répartie de telle manière, que le nombre des espèces soit plus petit et le nombre des individus plus grand. C’est l'in- verse qui paraît avoir lieu. Il faut comparer les êtres vivants de notre époque , non à l’ensemble de ceux qui les ont pré- cédés, mais à chacune des créations ou transformations qui se sont succédé sur le globe et qui ont vécu sur la terre, en même temps, synchroniquement. La sociabilité ayant pour une de ses causes principales l’uniformité de toutes les conditions , elle a dû exister surtout pendant les périodes qui ont précédé la nôtre, pendant que les conditions de vie étaient égales sur de plus grands espaces , avant que les saisons ne vinssent apporter sur la terre leur périodique succession, avant que les derniers soulèvements ne vinssent détruire l’ho- rizontalité du sol et introduire encore l'altitude dans les causes de la variation. DES PLANTES, 19 À chacune de ces périodes géologiques la somme de vie s’est continuée par le nombre des espèces et par celui des individus ; mais selon les circonstances favorables au déve loppement des types particuliers , cette somme de vie a été employée à étendre certaines formes, C’est ainsi que les poissons et les céphalopodes, ainsi que les cryptogames vascu- laires dominaient aux premières époques des terrains de sé- diments ; c’est ainsi que les grands reptiles et les cycadées se partagèrent le monde lors du dépôt des terrains juras- siques. Des légions de mammifères et une multitude infinie de mollusques, des arbres amentacés et des légumineuses s’em- paraient de la vie pendant l’époque tertiaire, et enfin, à l'époque actuelle, l’homme et les oiseaux, et parmi les plantes les synanthérées, trouvent sur la terre les circons- tances les plus favorables à leur multiplication, Nous pouvons donc comparer la vie à un germe qui gran- dit et forme un tronc rameux. Quelques branches de la tige commune prennent successivement plus de développement que les autres, mais leur évolution s'arrête ou continue fai- blement. De même que chez l'individu l’atrophie d’un mem- bre exerce ordinairement une influence opposée sur le mem- bre voisin, nous voyons la vie ralentie d'un côté se porter sur un autre, et l'arbre qui la représente nous montrer par sa force et la ramification de ses branches, les effets de la puis- sance qui sollicite son accroissement. Jamais, à aucune épo- que, l’arbre de la vie n’a offert de plus nombreux rameaux. A-t-il atteint son grand âge ? Ne doit-il pas bientôt se cou- ronner ? Dieu le sait. La somme de vie n'appartient pas exclusivement aux ani- maux ; nous ne parlons ici que de la vie physique , de la vie végétative , et chacun sait que les plantes en sont également douées; or, s’il existait un moyen de mesurer la vie, ce se- 80 SOCIABILITÉ rait dans la plus importante des fonctions qu’elle remplit qu'il faudrait la chercher. L’acte de la respiration, commun aux deux grandes divisions du règne organique, s’il ne nous donne pas le moyen d’arriver à une détermination rigoureuse de la quantité de vie sur la terre, nous permet au moins d'apprécier le partage qui existe sous ce rapport entre les plantes et les animaux. C'est l'atmosphère qui est le théâtre de la vie, et le prin- cipe qui l’alimente ne paraît pas y avoir toujours existé. À quoi aurait servi la présence de l’acide carbonique sur un globe encore dépourvu des êtres qui devaient le consom- mer ? Il n’existe aucune matière organique sans carbone, et il n’existe aucun être qui ne vive aux dépens du charbon gazeux ou dissous dans l’oxigène. L'animal le plus cärni- vore, ne mange que des êtres nourris par les végétaux, et les animaux herbivores ne trouvent leur nourriture qu'aux dé- pens des plantes. Celles-ci recueillent le charbon dissous dans l’atmosphère et en constituent leurs tissus. Nous ne rappellerons pas ici cette admirable circulation du carbone qui nourrit les plantes et que les animaux, en définitive , toujours alimentés par les végétaux , rejettent eux-mêmes à l’état gazeux, dans l’atmosphère: nous ne reviendrons pas sur ces grands phénomènes, tant de fois décrits, etqui ex- citent unesi profonde admiration pour les œuvres du créateur. La quantité de vie n’est autre chose que la somme de combustion du carbone par les animaux, et la somme de ré- vivification de ce carbone par les végétaux. Les deux som- mes de vie sont donc solidaires, et elles le seraient exacte- ment si l'existence de l’acide carbonique dans l’air n’avait d’autres sources que la respiration animale. Les végétaux, vivant d’acide carbonique, ne pourraient se développer qu’en proportion de la production de cet acide, par la respiration. DES PLANTES. SE | animale , et les animaux ne pourraient se multiplier que si la production des végétaux suffisait à leurs besoins. Cette loi d’équihbre ne paraît pas avoir toujours existé. A diverses époques de l'existence du monde et depuis l’ap- parition de la vie, il y a eu parfois prépondérance de la vie vé- gétale sur la vie animale. C’est qu’en effet l’une est possible sans l’autre. De puissantes émissions d’acide carbonique qui sortaient des entrailles de la terre, tenaient lieu des produits de la respiration active des animaux supérieurs qui n’existaient pas encore. La création des houilles , la formation de nom- breux lignites, indiquent dans l’atmosphère de grandes quantités d'acide carbonique, et une quantité proportion nelle de vie végétale ; mais alors , l’air vicié par cette quantité d'acide , s’opposait peut - être au développement de la vie animale , et la quantité de vie qui animait la terre se trouvait partagée en deux parties inégales. Plus tard la présence de l’homme vint encore modifier le mode de dispersion de la quantité de vie. Il a substitué la somme d’acide carbonique pulmonaire d’un milliard d’indivi- dus de son espèce, à celle des animaux qu'il a successive- ment détruits. Il a créé l’agriculture, qui consomme une grande partie de l'acide carbonique qu'il produit ; il a trouvé le feu, et cherchant dans le sein de Ja terre le char- bon qu’une ancienne végétation y avait accumulé, il l’a brülé , le brûle tous les Jours et rejette dans l’air des tor- rents d’acide carbonique qui doivent activer la multiplication des plantes. Si l’industrie continue à faire des progrès , l’homme emploiera certainement moins de temps pour trans- former les houilles en acide carbonique, que la nature n’en a mis pour retirer ce même charbon de l'acide carbonique qui existait alors dans l’atmosphère. Sinotre assertion n’est pas erronée , tout l'acide carbo- IV Ë 82 | SOCIABILITÉ nique qui a produit les houilles, rentrera dans l'air, et, malgré cela, les sources ordinaires des produits de ce gaz ne se seront pas ralenties. Chaque kilogramme de houille consommée rejette dans l’air près de deux kilogrammes d’a- aide carbonique, et si le mouvement industriel actuel conti- nue, ets’il progresse surtout, si la population augmente dansla proportion habituelle , l'air présentera certainement bientôt une composition différente de celle que l’analyse donne de nos Jours. Nous devrions alors avoir sur la terre une somme totaie de vie plus considérable qu’à aucune autre époque , et les plan- tes sociales seraient le résultat de cet excès. Les houilles qui ne se forment plus à présent , sont remplacées par le dé- pôt des tourbes et de l'humus, et ces deux sortes de combus- tibles organiques , presque toujours mélangés de matières terreuses , s’opèrent sous les grandes associations de plan- tes terrestres ou aquatiques. Nous ne trouvons pas, entre les différentes formations géologiques, ces terres végétales qui n’appartiennent qu’à l’époque actuelle, et qui recèlent l’a- cide carbonique qui serait en excès dans notre atmosphère. Les tourbières ont sous ce rapport bien plus d'importance que les terres à humus. Elles occupent sur le globe de très- grands espaces, le combustible y augmente tous les jours d'épaisseur, et, comme les anciennes houillères, elles doi- vent la fixation du charbon dans leurs terrains, à un petit nombre de plantes sociales et notamment à des millions d'in- . dividus de ces Sphagnum, dont l’organisation eurieuse à été si savamment dévoilée par M. Schimper. C’est donc un transfert qui s'opère des profondeurs du globe à sa surface, une somme qui s'ajoute à la quantité de vie, car la matière ne peut se perdre ni diminuer. Le feu qui semble tout consumer, ne détruit pas les éléments , la mort DES PLANTES. 83 ne les anéantit pas. Elle transforme la matière, lui rend sa li- berté, et lui permet d’entrer dans de nouvelles combinaisons. Nous devons donc supposer que cette arrivée continuelle d'acide carbonique dans l’atmosphère, donne à certaines espèces de végétaux un développement plus rapide et que nous verrons reconstituer une des anciennes périodes géo- logiques , avec les modifications que doit nécessairement lui imprimer l’état actuel de la terre. Ainsi change la face du monde; les régions polaires qui nourrissaient les faunes siluriennes , maintenant soumises à de basses températures, sont celles précisément où l’atmos- phère abandonne de préférence ses dépôts charbonneux; cel- les où les tourbes s'étendent et se développent et où d’hum- bles végétaux vivant en société, serrés les uns contre les au- tres, augmentent, par leur multitude, la somme de vie que Dieu accorde à la terre. L’atmosphère est donc le grand atelier où s’opèrent tous ces miracles de transformation dont nous commençons seu- lement à soupçonner l'existence. L’atmosphère contient tous les éléments qui entretiennent la vie. MM. Viale et Latini ont publié dans la Correspondenza scienhifica in Roma, une série d'expériences qui démontrent que pendant l’acte de la respiration , il se forme aussi de l’ammoniaque. « Après s'être mis à l’abri de toute erreur en s’assurant que l’air et l’eau dont ils se servaient ne contenaient point d'ammoniaque, les auteurs constatèrent facilement, disent- ils , la présence de ce gaz dans l’air expiré. Ils trouvérent de plus que cette ammoniaque est à l’état de sous-carbonate, et que par conséquent le poumon n’émet pas plus de gaz acide carbonique pur que d’azote pur. » « L’ammoniaque résultant de la respiration serait en partie la source de celle qui se trouve dans l'air, et qui, dis- 84 SOCIABILITÉ DES PLANTES. soute par la pluie, retombe à la surface de la terre et la fé- conde. Or, les deux chimistes italiens ont calculé qu’un homme sain exhale par les poumons, en 2% heures, 0,76 centigrammes d’ammoniaque ; ce qui fait 278 grammes par an. Appliquant cette donnée à la ville de Rome, dont la population est de 160,000 habitants , ils trouvent que la ville éternelle répand annuellement dans l’air 44,380 kilo- grammes d’ammoniaque (1). Si ces curieuses expériences sont, comme nous devons le présumer, à l’abri de toute objection, il est bien remarqua- ble de voir exhaler du poumon et sous forme de gaz un sel qui contient les quatre éléments de la matière organique animale; un sel qui, sauf des proportions atomiques, pour- rait à la rigueur être considéré comme de la chair gazeuse. Ainsi les éléments nécessaires à l’accroissement des plantes sortiraient tous formés des organes pulmonaires des ani- maux, et tous les éléments qui concourent à former les êtres vivants seraient extraits de l’atmosphère par le phénomène de la vie qui établirait entr’eux une invisible et éternelle cir- culation. (1) L’Ami des sciences, 2e no, 41 janvier 1855. ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. 89 CHAPITRE XLVI. DE L'ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Nous avons étudié, dans le chapitre précédent, la sociabi- lité des plantes ou leurs tendances à se réunir entre indivi- dus de même espèce. Nous allons examiner dans celui-ci leurs associations entre espèces différentes. L'association n'a, comme on le voit, presque aucun rapport avec la sociabilité. C’est pour ainsi dire un état inverse; car, plus les plantes sont sociales, plus elles excluent les espèces étrangères qui cherchent à se rapprocher d'elles et à pro- fiter des mêmes stations. | On voit des associations tellement intimes , qu’on serait presque tenté de les rapporter au parasitisme. Ces intimités existent partout. Nous ne rappellerons pas ce que nous avons dit des champignons charnus dans notre chapitre du parasitisme, nous nous contenterons de rapporter un petit nombre d'exemples pris parmi les plantes phanérogames. Un des plus frappants est le fait de l’association cons- tante de l’Aster Amellus et du Lynosiris vulgaris. Chaque fois que la première de ces espèces existe, l’autre n’est pas éloignée ; mais l'inverse n’a pas également lieu. Le Lynosiris vit souvent seul loin de la présence de l’Aster Amellus. M. Kralik cite comme inséparables, dans les environs de Gabès, en Afrique, un Reseda particulier et le Sonchus 86 ASSOCIATION quercifolius, sans qu'il y ait cependant réciprocité absolue, car le Sonchus peut exister seul, tandis que le Reseda mdi- que toujours la présence du Sonchus (1). Le Goodiera repens semble avoir besoin de la présence des conifères pour végéter. Il se trouve toujours dans les bois et sous les plantations de ces arbres. Il paraît même qu'il y arrive peu après leur plantation. Ainsi cette plante a été trouvée en abondance sous les pins de la forêt de Fon- tainebleau , où elle n'existait pas auparavant. M. Pelletier, d'Orléans, écrivait, en 1829, à M. Gay, qu'il l'avait trouvée aussi dans les grands bois plantés par Duhamel. Dans les plaines de la Barbarie, deux monocotylédones sont presque toujours associées, ce sont le Chamærops humi- lis et l’Arundo festucoides (Desf.) Ce dernier exemple nous montre l'association de deux espèces sociales qui, trouvant leur bien-être sur le même terrain, sont toutes deux assez robustes pour lutter ensem- ble, et qui, d’ailleurs, de familles différentes, ne puisent peut-être pas dans le sol les mêmes éléments. Nous voyons souvent ces réunions d’un petit nombre de plantes sociales également vigoureuses. Le Calluna vulgaris, le Saro- thamnus vulgaris, le Pteris aquilina, V'Ulex nanus, et beaucoup d’autres espèces, vivent à la fois en société et associées. Les forêts sont souvent formées aussi de deux ou trois espèces arborescentes très-sociales. En Islande, M. Robert a reconnu aussi ces associations de plantes sociales, plus communes du reste dans les régions froides que dans les pays chauds. Il a cité « celle du bou- leau blanc et du bouleau nain, du myrtille et de la bruyère ordinaire ; ces trois dernières, végétant quelquefois ensem- (4) Lettre à M. Webb, Buli. de la Soc. bot. de France, t. 4, p. 417. DES VÉGÉTAUX. 87 ble, forment une espèce de tissu inextricable. Il mentionne aussi celle des Viola tricolor et V. canina, qui, par leur nombre , embellissent les rochers du port de Stikkisholmur ; un Epilobium avec le Cakile maritima croissent tous les deux en abondance et à une assez grande distance de la mer, dans des plaines descories noirâtres; un Pinguicula, dont la tige et la fleur sont transparentes et colorées comme de l'Amethyste, accompagne le Trientalis europæa, aussi élé- gant que délicat, partout où le Dryas octopetala épanouit ses belles fleurs blanches, etc. (1). » Les plantes aquatiques ont aussi leurs réunions d’espè- ces sociales. M. Loyd cite, dans sa flore de la Loire-[nfé- rieure, le Murin, grande étendue d’eau formée par le con- fluent du Dor et de la Vilaine, et d’où l’on tire tous les ans, pour fumer les terres, plus de 500 charretées d’her- bes aquatiques, telles que les Potamogeton perfoliatus , P. heterophyllus, P. crispus et autres, des Myriophyl- lum, des Ceratophyllum et des Chara , dont la plupart por- tent, parmi les cultivateurs , un nom vulgaire distinct. Le nombre des espèces qui font partie de ces grandes réunions est, comme on le voit, peu considérable. Habituées à la conquête d’un sol qui présente toujours les mêmes élé- ments, elles excluent une foule de plantes accidentelles, et les steppes, ainsi que les savanes et les bruyères, sont tou- jours pauvres en espèces et riches en individus. Le climat et la latitude , qui ont une si grande influence sur la variété du tapis végétal, n’exercent plus cette action. Les steppes de la Sibérie nourrissent plus d’espèces que les savanes de l'Amérique équinoxiale, et nos plaines, couvertes de bruyères et de genêts , ne le cèdent pas aux mers de ver- (1) E. Robert, Voy. en Islande , p. 351. 8S ASSOCIATION dure des contrées les plus chaudes, par la variété des types qui les composent. En dehors du parasitisme, des affections sympathiques et de la sociabilité, c’est évidemment la station qui a la plus forte part d'influence sur les associations, et dans la station même, le sol a certainement une très-grande importance. M. Thurmann , auquel rien de ce qui touche cette inté- ressante question n’a échappé, s'exprime en termes très- nets à cet égard : « La diversité des espèces sur sol eugeogène (désagrégé), dit-il, existe beaucoup plus dans la flore que dans les généralités du tapis végétal, c’est-à-dire ne se fait pas sensiblement remarquer dans l’aspect de ce dernier, qui souvent présente , au contraire , plus d'uniformilé, à cause du rôle plus développé des espèces sociales. Les espèces annuelles, bisannuelles, puis celles à racines divisées, sont plus répandues sur sol psammique que sur sol compacte. Or, on sait que ces plantes sont le plus souvent multiflores et polyspermes. Cette circonstance jointe à la facilité particu- lière qu’offrent les sols meubles à la germination des grai- nes, au développement des radicelles les plus débiles, et aux migrations radiculaires de tout genre, contribue à l’en- vahissement de certaines espèces. El en résulte dans la végé- tation des terrains eugeogènes (désagrégés), la physiono- mie peu variée que produit la prédominance fréquente des plantes sociales, qui réduit ainsi l'extension et déguise en quelque sorte la présence des autres formes. Un autre carac- tère, qui est également la conséquence de ce qui précède, consiste dans une plus grande mobilité et une moindre fiaité dans la dispersion (1). » Le degré d'humidité, l'altitude, et les conditions d’une (4) Thurmann , Essai de phytostatique, t. 4, p. 293. DES VÉGÉTAUX. 89 même station, appellent nécessairement toutes les espèces végétales auxquelles ces conditions conviennent, et si le nombre de ces plantes est, comme nous venons de le dire, très-souvent limité, cela tient à des causes particulières. La présence d’une espèce dans une contrée , quand cette espèce est commune et caractéristique, entraine presque toujours d’une manière certaine la présence de plusieurs autres ; de même en géologie, quand on remarque dans un filon la présence d’une substance minérale caractéristique, on est sûr de rencontrer bientôt un ou plusieurs minéraux qui sont constamment associés au premier. Les mêmes faits d'association se rencontrent aussi dans le règne animal ; les corbeaux voyagent avec les étourneaux; la présence des paludines dans une eau dormante indique celle des planorbes et des lymnées ; mais la plupart de ces faits d'association, pour les plantes et pour les animaux, sont la conséquence naturelle de l'influence des stations dans lesquelles des espèces très-différentes trouvent leurs moyens d’existence. Nous avons recueilli, sur différents points de l’Europe, des exemples très-intéressants d’associations végétales ; mais obligé de nous renfermer dans un cercle limité , nous nous contenterons d'exposer un certain nombre de ces tableaux copiés sur la nature elle-même, et appartenant seulement au plateau central de la France. Déjà dans notre premier volume nous avons essayé de distribuer nos espèces en stations, en y faisant entrer forcément toutes les plantes qui se rencontrent dans les mêmes conditions. Nous avons donné un tableau général de la végétation. Dans les exem- ples que nous allons citer, ce sont les faits partiels de ce grand tableau que nous voulons montrer. Chacune de ces esquisses détachées est prise sur les lieux mêmes, dans une 90 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. saison déterminée , copiée sur la station avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Il serait à désirer que les floristes voulus- sent bien nous initier aussi aux associations des contrées qu'ils explorent , et que l’on püt enfin reconnaître dans la végétation d’une contrée, non-seulement le nombre de ses espèces, mais encore le mode d’association que la nature a employé pour orner le séjour de l’homme et de tous les ani- maux. $ 1. ASSOCIATIONS DU Mois D'AVRIL. 1. Foréts de la Comté, département du Puy-de-Dôme, sur basalle et tufs basaltiques, à 550 mètres d’élévation absolue, le 12 avril 1852. — Le printemps semblait déjà l'emporter sur l'hiver, et cependant , en voyant de loin les grands bois des environs de Vic-le-Comte, dépourvus de verdure , on pouvait croire encore au sommeil complet de la végétation. Les pics et les plateaux basaltiques n’avaient pris aucune de ces nuances de vert qu'ils revêtent en été, et de gros rochers de silex meulier, dressés ou entassés, montraient à peine les feuilles rougies du Sedum album et quelques plantes fleuries de l’Helleborus fœtidus. En pénétrant dans la forêt, on cherchait en vain sur les vieux chènes autre chose que les feuilles desséchées de l’au- tomne précédent , et qu’un nouveau feuillage devait bientôt remplacer, Des arbres à écorce verte et lisse s'élevaient parmi eux ; c’étaient des Populus Tremula également privés de leurs feuilles tremblantes, mais aux branches desquels de longs chatons fleuris étaient déjà suspendus. De beaux grou- pes de Tilia parvifolia , à écorce brune et luisante , com- mençaient d’entr'ouvrir leurs bourgeons. L’Acer campestre était entièrement nu , et l'écorce subéreuse de ses branches, que les oiseaux recherchent en hiver pour se percher à l'abri AVRIL. 91 du froid, se montrait avec ses cannelures régulières. Le Carpinus Betulus était plus avancé; ses fleurs étaient déve- loppées , et des nuages de pollen étaient emportés par le vent. Une odeur suave, répandue dans toute la forêt, était due aux élégants chatons des Salix capræa. Les mâles étaient couverts de brillantes étamines insérées près de glan- des odorantes, tandis que les femelles , en partie fécondées, allongeaient déjà leurs chatons. La vie se manifestait par- tout, sous l'influence d’une de ces chaudes journées qui ap- pellent tous les êtres vivants au banquet de la nature. Les Cerasus avium avaient ouvert leurs blanches corolles, le Cratægus Oxyacantha était orné de jeunes feuilles d’un vert tendre , qui contrastaient avec la teinte sombre de l’Ilex Aquifolium. Le Vinca minor s’étalait en immenses tapis, et çà et là, au-dessus de ses fleurs bleues, s’élevaient les co- rolles étoilées de l’Anemone nemorosa et du Ranunculus Ficaria. Déjà l’on voyait poindre les Convallaria, et le Pul- monaria angustifolia déroulait ses fleurs bleues ou purpu- rines. Ailleurs s’élevaient des Fraxinus excelsior, aux bour- geons noirs, aux branches opposées , et dont les grappes florifères couvraient les rameaux. A leur pied, le verdoyant Evonymus europœus annonçait les beaux jours, tandis que le Prunus spinosa , couvert de fleurs , luttait de blancheur avec les nappes de neige sous lesquelles le mont Dore, qui bornait l'horizon, était entièrement caché. Le fraisier annonçait par ses fleurs ses fruits parfumés, et le Ribes Uva crispa décorait les haies de ses verts buissons. Le Primula officinalis inclinait ses ombelles sur l'herbe des prairies, où le Bellis perennis entr'ouvrait ses couronnes carminées , et l’ortie, jeune et encore innocente, laissait poindreses nouvelles pousses d’un beau vert. Les insectes, dé- 92 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. gourdis par la chaleur, s'agitaient de toutes parts. Les mille bruits de la vie avaient remplacé le silence des hivers , et le murmure des ruisseaux qui coulaient sous les bouleaux et les Salix aurita, qui baignaiïent les fleurs violettes du Car- damine pratensis , invitaient à cette douce contemplation qui succède au réveil du monde matériel comme à celui de l'intelligence. 2. Environs de Moulins, sur les alluvions de l’Allier, à 200 mètres d'altitude, le 19 avril 1853. — C’est dans les haies et sur les bords des chemins que se montraient les premières plantes printanières. On voyait mélangés : Bells perennis, Primula officinalis, Vinca minor, Lamium al- bum , Taraxacum dens leonis et les jeunes tiges du Ga- lium Aparine, au milieu des buissons fleuris du Prunus spinosa. 3. Végétation du cône volcanique de Chanat, sur les scories , à 900 mètres d'altitude, le 25 avril 1833. — De jolis parterres y précèdent l’apparition des feuilles. Ils of- frent de petites plantes serrées les unes contre les autres ; le Corydalis bulbosa , le Scilla bifoha , le Gagea lutea, dont les fleurs étaient complétement épanouies , se groupaient près de l’Zsopyrum thalictroides, dont les grappes légères et les feuilles. découpées se balançaient sous le souflle d’un vent léger. Le Mercurialis perennis perçait le sol , et, au- dessus de ses jeunes pousses , on voyait les fleurs teintes de rose de l’Anemone nemorosa et les corolles dorées de l’A- nemone ranunculoides. Au-dessus, c'était le Daphne Meze- reum , couvert de fleurs roses et parfumées. L’Arum vulgare sortait des masses de feuilles mortes rassemblées sous les hêtres; le framboisier laissait paraître ses pousses annuelles, MAL. 93 et déjà l’Oxalis Acetosella s’étendait en verts tapis autour du tronc des vieux hêtres, encore insensibles à l’action du prin- temps. 4. Montagnes des environs du Vigan, sur le granit, à 1,000 à 1,200 mètres d’élévation , le 2T avril 1846. — Les Cévennes primitives viennent se terminer au-dessus du Vigan, sous forme de grandes arêtes, où la roche granitique est à nu, tantôt en masses déchirées , tantôt en blocs libres et amoncelés. La végétation est pauvre et ne rappelle en rien celle des Alpes ni du mont Dore. Le Genista purgans y montre cependant ses buissons, ainsi que le Juniperus com- munis, mais ce dernier atteint les plus hautes sommités et laisse loin derrière lui les touffes serrées des genêts. Le châtaignier arrive très-haut , et enfin, sur des points très- élevés , la neige arrose en fondant de petites prairies, dont les Caltha et les cardamines font, à cette époque, le seul or- nement. Les granits offrent bien quelques touffes de Cal- buna vulgaris, et entr’elles, à de grandes distances, on ren- contre le Rumex Acetosella , le Hieracium Pilosella, le Teesdalia nudicaulis , et ailleurs de petites sociétés d’Eu- phorbia cyparissias et de Chamagrostis minima. $ 2. ASSOCIATIONS DU MOIS DE MAI. 1. Bois et pelouses derrière le puy de Lamoreno, à 1,050 mètres d'altitude, sur débris volcaniques et scories -amoncelées , le 1% mai 1845. — Derrière les montagnes . volcaniques qui s'élèvent à la ligne de faite du grand plateau occidental qui domine Clermont, et à 16 kilomètres de cette ville, on rencontre une surface de terrain assez étendue cou- verte d’AHypnum entrelacés ,.au milieu desquels on voit de 9% ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. charmantes associations. L'espèce dominante était le Scilla bifohu, avec ses grappes d’un bleu d'outre-mer; puis le Corydalis bulbosa , olfrant des variétés lilacées et presque blanches. L’Anemone nemorosa, l'A. ranunculoides, V’Iso- pyrum thalictroides faisaient aussi partie de ces réunions de plantes montagnardes et printanières. Le Ranunculus au- ricomus essayait de fleurir sous les buissons de hêtre encore dégarnis de leur feuillage, et des groupes de houx, chargés de fruits écarlates, semblaient disséminés au hasard et lais- saient deviner mille détours sur la mousse émaillée. Le merle et la fauvette célébraient le matin d’une belle journée et venaient , inquiets et curieux , voltiger autour de nous. Le ciel était bleu comme le Scilla bifolia, et la coliade du ner- prun , aux. ailes anguleuses, essayait tour à tour le contraste de ses ailes d’un jaune pur sur ces fleurs si variées en co- loris, formant ainsi un tableau mobile qui, à chaque instant, nous offrait de nouvelles harmonies. De nombreux insectes venaient chercher leur vie sur cette première parure de la terre, et augmentaient, par le bruit de leurs ailes constam- ment agitées, le charme du tableau que nous avions sous les yeux. | 2. Bords d’un ruisseau près Manglieu, canton de Vic- le-Comte, sur un terrain d’alluvion reposant sur le granit, à 550 mètres d'altitude, le 3 mai 1852.— Tout près des bouquets d’Alnus glutinosa , dont les lignes sinueuses indi- quent le cours de la petite rivière qui passe à Manglieu, le Chrysosplenium alternifolium vit en nombreuses sociétés. Nulle part nous n'avions vu cette plante vernale produire autant d’effet. Ses bractées, d’un beau jaune, supportaient encore quelques fleurs , mais elles offraient surtout ces cor- beilles en miniature, ouvertes bien avant la maturité des ._ MAI. 95 graines, et où celles-ci finissent de mürir par l'action du soleil. Près de ces groupes on voyait ceux du Cardamine hir- suta, allongeant déjà ses siliques, et le Cardamine praten- sis entourait ces charmants gazons de ses fleurs délicates et teintes de lilas. Au-dessus, c'était un magnifique Caltha pa- lustris qui dominait ces espèces vernales, tandis que le Ribes alpina , garni de grappes verdâtres, formait la végé- tation arborescente de ces tapis du printemps. 3. Pelouse arrosée par des eaux minérales salifères sur terrain d'alluvion , près des bords de la Morges , canton de Combronde, à 400 mètres d'altitude, le 3 mai 1853. — Dans le petit marais où sort la source minérale de Morges, près Combronde, on remarque une très-grande quantité de Bellis perennis. Ces plantes sont serrées les unes contre les autres, velues, et constituent de véritables gazons qui sem- blent profiter des terrains salés, comme le fait le Beliis an- nua des bords de la Méditerranée. Il est certain que ce ter- rain, imprégné d'eaux minérales, convient mieux que tout autre à cette espèce. Les rayons de sa fleur sont presque tous rouges, et les premiers fleurons du disque prenneut même un peu de cette couleur et paraissent orangés. Avec ces Bellis croissent les formes diverses du Taraxacum dens leoms , et surtout le T. palustre. Dans les points les plus secs, naît en grande-proportion le Luzula campestris , et dans les fossés d’eau saumâtre un Chara rougeâtre parfaite- ment frucüufié, qui paraît être le C. crinita, Walir. 4. Bords des chemins à Mazerolles , canton de Menat , sur micaschiste mouillé, à 800 mètres d'altitude , le 5 mai 1853. — Nous trouvâmes des chemins creux et ombragés, 96 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. où nous vimes la curieuse association de trois espèces simul- tanément fleuries ; c’étaient l'Oxahs Acetosella , le Ranun- culus Ficaria et le Chysosplenium oppositifolium. Cette dernière plante était, comme les autres , disséminée sur le sol. o. Bords de l'Allier, à Jose, canton de Maringues, sur le sol d’alluvion , à 270 mètres d'altitude , le 9 mai 1850. — Nous rencontrâmes, près de la rivière , sur les cailloux roulés, de petites associations qui produisaient beaucoup d'effet. C’étaient des pelouses formées par des coussins de Trichostomum lanuginosum , mousse blanchâtre en gazons serrés, sur lesquels reposaient mollement les feuilles rouges et succulentes du Sedum album. Cà et là quelques groupes d’Ajuga genevensis élevaient leurs beaux épis bleus et se trouvaient entourés des formes élégantes de l’Euphorbia cyparissias. Le Poa bulbosa laissait flotter ses panaches tantôt nus et purpurins et d’autres fois couverts de ces jeunes graminées qui germent dans la balle et constituent la variété vivipare. Le Cerastium arvense opposait le blanc pur de ses pétales échancrés à la corolle unilabiée des bugles et aux disques orangés du Bellis perennis. Près de là, quel- ques Salix triandra , couverts d’étamines, et un buisson d’aubépine représentaient la végétation arborescente de ces pelouses fleuries, au-dessus desquelles des centaines d’hiron- delles se reposaient, en volant, des fatigues de leur lointain voyage , et saisissaient les insectes attirés par les premières fleurs du printemps. Un peu plus loin, c'était une autre scène, c'était la rivière, avec ses mouettes qui fendaient l’air d’un vol rapide et semblaient défier les hirondelles. L'eau , peu profonde , nourrissait d'immenses buissons de Myrio- phyllum spicatum , véritables bosquets aquatiques , où les MAI. 97 limnées se disposaient en longues files nageantes et repro- ductives. 6. Bois de Côme, canton de Pontgibaud, sur les scories volcaniques et la lave, à 1,150 mètres d'altitude, le 12 mai 1850.— Sous l'influence d’une douce température et à l'abri des hètres, dont les feuilles se montraient à peine, on voyait, sur le sol du bois de Côme, de très-jolis groupes com- posés principalement d’Anemone nemorosa, à fleurs blanches ou purpurines parfaitement développées, et formant de larges tapis au milieu desquels on distinguait les ‘épis élégants du Corydalis bulbosa. Cette plante offrait de nom- breuses variétés dans la couleur de ses fleurs et dans la forme de ses bractées. L’Zsopyrum thalictroides se mêlait à cette végétation , où l’on voyait aussi les feuilles découpées du Conopodium denudatum, les jeunes pousses de l’Euphorbia hyberna et les feuilles entières de l’Alium ursinum. Des tapis de Scilla Lilio-Hyacinthus commençaient à montrer leurs fleurs, et le Dentaria pinnata, élancé au-dessus des feuilles mortes , offrait déjà quelques fleurs précoces et li- lacées. L’Actæa spicata déroulait son feuillage, le Daphne laureola ouvrait ses fleurs vertes, et des gazons d'Asperula odorata soulevaient les feuilles à demi-décomposées qui avaient abrité leurs rhizomes pendant l'hiver. Les jeunes pousses du Maranthemum bifolium, de l’Euphorbia amyg- daloides, du Geranium nodosum annonçaïent déjà une puis- sante végétation, tandis que les ombelles fleuries du Pri- mula elatior déployaient leurs corolles printanières près des tiges desséchées du Pyrola minor. 7. Buissons sur la lave. de Voluic, près Riom, à 530 mètres d'altitude, le 14 mai 1848. — De magnifiques buis- IV 7 Es st ce ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. sons de Sarothamnus vulgaris, déjà fleuris, croissaient sur la lave, mêlés à l’Helleborus fœtidus, qui mürissait ses grar- nes. Le Pteris aquilina, le Corylus Avellana, le Calluna vulgaris, l’aubépine, des hêtres en buissons rabougris et des peupliers trembles formaient çà et là de petits groupes, près desquels le gazon offrait les fleurs jaunes du Potentilla verna, dominées par le Sambucus racemosa, entièrement épanoui. Il y avait là évidemment réunion des espèces qui vivent habituellement sur le sol compacte, et de celles qui re- cherchent de préférence les terrains disgrégés. 8. Bois de Saint-Germain-l'Herm, sur le terrain graniti- que , à 1,000 mètres d'altitude, le 16 mai 1853.— Nous remarquâmes l’association de plusieurs arbres ; le Pinus sylvestris et l’Abies pectinata croissaient pêle-mêle avec les Fagus sylvatica, Betula alba, Sorbus Aria et Juniperus vulgaris. Quelques-uns de ces arbres, mais non les arbres verts, commençaient à ouvrir leurs bourgeons. Près de là, des montagnes entières étaient couvertes d’un mélange d’U- lex nanus et de Genista anghca. 9. Bois et prairies de Royat, sur les laves arrosées par des eaux pures, à 360 mètres d'altitude, le 20 mai1845.—Le règne de l’aubépine est une des plus belles époques de l’an- née ; c’est alors seulement que le printemps se montre dans tout son luxe, avec ses longues guirlandes et ses pyramides éblouissantes de blancheur. D’autres arbres prêtent déjà à l'aubépine le concours de leur feuillage; le peuplier ouvre ses bourgeons et déroule ses feuilles jaunes et parfumées ; le noyer rougit avant de verdir; les saules plus avancés mon- trent le vert glauque de leur feuillage, et tandis que les pommiers laissent épanouir encore quelques fleurs retarda- MAI. 99 taires, les cerisiers-abandonnent aux vents les pétales blancs de leurs corolles. La vallée de Royat ressemble à une véritable forêt où les chênes et les châtaigniers n’ont pas encore montré leurs feuilles, et où le frêne enferme encore les siennes dans les écailles noires de ses bourgeons. Les sentiers étaient bor- dés des jolies touffes du Viola sylvestris, et des fleurs chan- geantes du Pulmonaria angustifolia. Dans les prairies domi- naïent le Primula officinalis et le Cardamine pratensis. Le long des ruisseaux croissaient le Chrysosplenium alternifo- lium , le Myosotis perennis et les buissons du Robes alpina. A l'entrée du bois d'énormes morilles se développaient au milieu du Ranunculus auricomus, du Luzula pilosa et des Orchis mascula, à fleurs rouges et parfois blanches ou carnées. Le Saxifraga granulata, ’Anthoxanthum odora- tum, le Plantago lanceolata, l’Orobus tuberosus, se mélan- geant à l'herbe des prairies, s’étendaient jusqu'au bord des eaux ,#ous les aulnes aux feuilles odorantes, et plus haut, sous les buissons d’alisiers aux bourgeons argentés. Déjà le loriot, à la jaune poitrine, suspendait les pre- miers liens qui devaient fixer son nid aux arbres de la val- lée, et chantait bien haut l’hymne de ses amours. La chute du ruisseau, le murmure des fontaines qui sortaient de a lave refroidie , rompaient aussi le silence de ces charmantes solitudes, où l’on voyait voltiger la piéride aux ailes aurores et marbrées sur les cardamines fleuries. Le bord des eaux était peuplé de Stellaria Holostea , en larges toufles, et des tiges tendres et débiles du Stellaria neglecta, Weïh., si semblable à notre mouron commun. Aülleurs c'était le Mœæhringia trinervia , faible et délicat, et le Stellaria uli- ginosa, qui s’avançait sur les e:ux courantes et peu pro- 100 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. fondes, et enfin, au milieu des blocs de granits amoncelés , contre lesquels l’eau courait avec un léger bruissement, on voyait paraître le lilas de la vallée, c’est-à-dire les belles grap- pes odorantes du Lunaria rediviva, dont les cloisons du fruit, élargies et satinées persistent au cœur de l'hiver. 10. Prairies desterrains calcaires dela Limagne, sur sol de calcaire marneux, à 300 mètres d'altitude, le 21 mari 1854. — Sur la route d’Issoire, près du Grand-Pérignat , la cam- pagne avait pris la livrée du printemps; les touffes cotonneu- ses du Marrubium vulgare abondaient le long des che- mins ; mais l'attention se portait tout entière sur de fraîches prairies dont l’herbe semblait croître à vue d’æil. Le Chæ- rophyllum sylvestre, d’une abondance extrême , élevait ses ombelles blanches et délicates près du Tragopogon pra- tense, aux larges fleurs soufrées; l’Heracleum Sphondylium dominait dans quelques parties avec l’Arrhenatherum elatius; le Crepis biennis, les renoncules et les pissenlits faisaignt do- miner dans ces prés la teinte jaune de leurs fleurs , malgré la multitude des ombellifères à fleurs blanches. Les bords des prairies étaient couverts de Lamium album et de Ga- lium cruciatum. Partout on voyait le mélange du jaune et du blanc, mais le Saluwia pratensis commençait à fleurir, et se distinguait à ses beaux épis bleus près des fleurs purpurines et striées de l’'Onobrichys sativa. Dans les haïes sortaient les clématites, et la bryone dont les longues vrilles lentement oscillantes cherchaient un appui pour s’enrouler. Près de Plauzat, toujours sur le calcaire marneux, exis- taient aussi d'immenses prairies d'un jaune d’or, entière- ment couvertes des Ranunculus acris et R. bulbosus ; sur leurs bords se trouvait le R. repens, dont les fleurs sont d'un MAI. 101 jaune encore plus vif. Au milieu de ces renoncules l’A/opse- curus pratensis montrait ses épis veloutés et l’Heracleum Sphondylium ses larges ombelles blanches ou rosées. 11. Bois et prairies des terrains basaltiques des environs de Besse et de Picherande, à 1,200 mètres d'altitude, le 22 mai 1854. — Sur le dôme basaltique très-élevé du puy Maubert , le Vaccinium Myrtillus avait près d’un mètre de hauteur et commençait à bourgeonner. Le sol était aussi garni de Scilla Lilio-Hyacinthus, en pleine floraison, d’Ane- mone nemorosa , d’Euphorbia hyberna , aux larges touffes jaunes et fleuries. Les hètres y étaient serrés les uns contre les autres, peu élevés, mais très-rameux; il était même difficile de traverser leur zone supérieure. En arrivant sur le dôme, nous nous trouvâmes dans une petite prairie entourée partout d’arbres au feuillage naissant. L’herbe était courte, le Thlaspi alpestre était la seule plante fleurie, et une piéride aux ailes blanches marquées de noir, fut le seul être vivant que nous rencontrâmes dans ce site sauvage. Ce papillon était-il comme nous, passager en ce lieu solitaire , ou bien y avait-il son berceau et son éden? Nous descendimes bientôt de cette solitude. Nous vimes au bas du dôme de vastes marais, où croissait à profusion le Cardamine pratensis. Cette jolie espèce, presque blanche ou à peine colorée dans la plaine, montre à cette élévation tous les ‘tons de la gamme violette. Ses tiges sont courtes, ses fleurs sont plus grandes. Elle se mélange au Caltha pa- lustris, dont les corolles n’ont qu’un ton vif et uniforme de brillant orangé , et aux nombreux épis blancs de l’Eriopho- rum vaginatum, dejà fructifié. Tout autour de Picherande, sur les basaltes, croissait le: Lamium maculatum : les hêtres commençaient à prendre 102 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. leurs feuilles , et l’on apercevait çà et là de beaux Prunus Padus, garnis de leurs grappes blanches; des sorbiers et des alisiers bourgeonnaient et ne montraient pas encore leurs feuilles. Des prairies autrefois couvertes de hêtres offraient un mélange de plantes sylvestres et pastorales. L’Orchis mascula se mêlait à l’Euphorbia hyberna, et le Scilla Lilio- Hyacinthus fleurissait près du Primula officinalis. Le village de Picherande est tout entouré de magnifiques bouquets de hêtres d’une extrême vigueur, qui croissent sur des basaltes éboulés en énormes blocs ; leurs feuilles, encore à demi-plissées et d’un vert tendre, contrastaient avec d’au- tres hètres plus pressés d'ouvrir leurs bourgeons, et que la gelée avait flétris et colorés en fauve orangé très-vif. Plusieurs blocs de pierre étaient entièrement garnis d’As- perula odorata , qui affectionne l’ombrage des hêtres et le terreau fourni par la décomposition de leurs feuilles. 12. Marais tourbeux entre Picherande et Vassivière , canton de Latour, sur le sol trachytique , à 1,100 mètres environ d'altitude, le 23 mai 1854.— Nous rencontrâmes un so! tourbeux qui paraissait avoir une assez grande puis- sance en profondeur et en étendue. Ce sol était creusé d’une multitude de petits canaux naturels, dans lesquels l'eau était souvent stagnante. Des pins sylvestres croissaient en abondance sur ce terrain, comme sur un sol grave- leux ; on y rencontrait aussi le Betula pubescens. Le Nar- cissus pseudo- Narcissus, à très-grands godets, y mon- trait ses belles fleurs jaunes ; les Caltha y avaient acquis une vigueur extraordinaire , et les Cardamine pratensis y avaient aussi un ton de violet très-pur et très-foncé. Nous y vimes encore le Cardamine amara, le Calluna vulgaris et les Cenomice rangiferina et C. sylvalica végétaient à MAI. 103 côté des Sphagnum, comme dans les îles flottantes du lac de l’Esclauze. Les environs de Picherande offrent aussi de grands pla- teaux basaltiques , sur lesquels abondaient le Thlaspi alpes- tre, et le Veronica serpyllifolia, dont les fleurs assez grandes montrent des nuances très-différentes, depuis le bleu violacé jusqu’au bleu pur. Cette plante, en gazons serrés et étendus, produit beaucoup d’effet et se trouve quelquefois à côté de l’Anemone alpina. Le Braya pinnatifida est aussi très-répandu dans tous les lieux où des bois ont été défri- chés ; il y forme de grosses touffes abondamment fleuries. 13. Eaux dormantes de la Limagne, sur le sol de cal- caire marneux , à 250 mètres d'altitude , le 26 mai 1853. — Les mares et les ruisseaux de la Limagne, entre Cler- mont et Maringues, offraient de larges touffes arrondies de Glyceria flurtans, dont les épillets fleuris se penchaïent sur la surface des eaux, et dont les feuilles redressées et d’un beau vert paraissaïent si différentes des feuilles rouges et na- geantes que la glace de l’hiver vient souvent fixer dans sa masse transparente. Le Ranunculus paucistamineus formait de petits parterres dans les mêmes eaux, et l’Alisma Plan- tago élevait déjà ses grandes feuilles lancéolées. L'espèce la plus commune dans ces fossés était le Veronica Anagallis ; ses feuilles sont d'un pourpre rembruni qui devient violet et enfin passe au vert. 14. Champs et forêt de Randan, sur terrain d’alluvion.. à 400 mètres d'altitude, le 26 mai 1853.— Les bois de Randan étaient entièrement feuillés ; le Convallaria maialis fleurissait sous les taillis ; l’Asperula odorata étalait ses fleurs blanches sous l'ombre des grands arbres. Dans les lieux dé 10% ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. couverts croissaient en larges touffes le Pedicularis sylva- sica, dont les corolles carminées contrastaient avec le bleu pur du Myosotis cœspitosa , avec le jaune vif du Tormentilla erecta , le$ pyramides bleues de l’Ajuga genevensis et les étoiles blanches du Stellaria Holostea. Au-dessus de ces plantes se développaient les jeunes feuilles des Populus alba et P. Tremula, dont la fraîcheur faisait contraste avec le Calluna vulgaris qui n’était pas encore entré en végé- tation. Dans les champs autour de Randan fleurissaient : Papaver Rhœas, Sinapis arvensis, Neslia paniculata , et, en même temps et presque mélangés, trois espèces d’Adonis : l'A. æs- hvalis , à grandes fleurs écarlates , et sa variété citrine, pres- que aussi abondante que le type ; l’A. autumnalis, couleur de sang, dont les premières fleurs paraissaient sessiles sur son feuillage découpé; et enfin l'A. flammea , dont les pétales de feu éblouissaient les yeux par la vivacité de leur couleur. 15. Pelouses des montagnes de Besse, sur basalte et pouzzolanes, à 1,200 mètres d'altitude, le 27 mai 1854. — Au-dessus de Besse, et à la base du puy de Pertuisat, se trouvent sur le sol basaltique des terres autrefois cultivées et abandonnées depuis plusieurs années. Des espèces nom- breuses s’ydéveloppaientet y formaient des pelouses étendues. La végétation était courte, mais vigoureuse; les pensées y do- minaient. Le V. luteola, Jord., à fleurs jaunes, était le plus , commun , et présentait de belles variétés ; mais , à mesure que l’époque où ces parcelles étaient cultivées s’éloignait, le Viola sudetica se rapprochait et mêlait ses grandes fleurs d’un violet foncé à celles de l’espèce précédente. A ces vastes tapis de pensées de toutes les couleurs se Joignait l'élégant Tlaspi alpestre, dont les fleurs blanches, serrées en MAI. 105 tête, se transformaient , sur des individus voisins , en longs épis garnis de nombreuses silicules. Le pissenlit commun, humble dans sa stature , étalait au soleil les disques écla- tants formés par ses fleurons. L'Anthoxanthum odoratum était presque la seule grami- née qui accompagnât ces plantes. Le Luzula campestris , très-abondant, offrait partout ses panicules resserrées et noi- râtres, près des touffes étalées de l’Alchemilla vulgaris, aux feuilles régulièrement plissées. Le Trifolium repens, le Lotus corniculatus faisaient aussi partie de cette association. Une des espèces dominantes était le Saxifraga granulata , dont les fleurs, dans ces montagnes, sont toujours inclinées et constituent le S. penduliflora, dont on à fait, mal à propos, une espèce distincte. Le Scabriosa sylvatica, court et peu développé, y était disséminé , et des touffes serrées de Veronica serpyllifolia dressaient leurs épis teints de bleu et de violet. Le Rumex Acetosella, plante des pelouses défri- chées, laissait pencher ses épis rougissants. Le Rhinanthus crista-galh , le Galeopsis Tetrahit sortaient de terre et rap- pelaient que ces terrains avaient été cultivés , tandis que le Narcissus pseudo-Narcissus , quelque temps comprimé par les céréales, reprenait possession des terres qu’il n’avait pas abandonnées, et qu’il décorait de nouveau de ses fleurs sou- frées, aux larges nectaires orangés. Des Bombus, des Elater et de nombreux diptères parcouraient ces gazons fleuris des montagnes, et donnaient à cette nature sauvage une puissante animation. 16. Bois de Chanat , sur lave et scories volcaniques, à 900 mètres d'altitude , le 30 mai 1850. — La végétation était aussi active que possible sous le joli feuillage des hêtres et sous les rameaux pendants des bouleaux. L’Asperula 106 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. odorala se déroulait en larges festons parfumés et montrait déjà ses fleurs couleur de lait ; la pulmonaire, avecses feuilles tachées et ses corolles carminées, semblait craindre de pren- dre ses teintes d’azur qu'elle revêt si souvent, ne pouvant lutter avec les larges toufles des Myosotis sylvatiea qui crois- saient auprès d'elle. C’est qu’en effet le bleu dominait dans cette riche végétation ; le Veronica Chamædrys , en gazons étendus, la pervenche, en immenses tapis, l’Ajuga gene- vensis , en groupes élevant de nombreux épis d’azur, et le Viola sylvestris encore couvert de fleurs, concouraient à augmenter le nombre des fleurs bleues qui dominent ra- rement dans les associations végétales. Le blanc, qui s’allie si bien au bleu, était non-seulement répandu par les fleurs de l’aspérule, mais surtout par celles du Sfellaria Holostea, qui seules formaient de vastes grou- pes en partie déjà couverts de fruits. L’Arenaria serpylh- folia et le Stellaria neglecta, aux tiges longues et couchées, montraient aussi leurs petites étoiles blanches près des beaux épis jaunes du Galeobdolon luteum , près des singulières pa- risettes aux fruits noirs , près des Arum à spathes élargies et à massues pourprées. Les genêts profitaient des clairières pour se développer et s'épanouir; le Doronicum Pardalianchestrouvait partout assez d'ombre pour étaler son feuillage velouté et ses disques ra- diés, couleur d’or; le Geranium Robertianum se joignait à tous ces végétaux , dressant ses tiges rougies et demi-trans- parentes , et formant de larges touffes de ses feuilles fine- ment incisées. Les Convallaria multiflora laissaient pendre leurs corolles en clochettes ; l’ancolie balançait les siennes , et le Galeopsis Tetrahit couvrait littéralement le sol partout où de grands hêtres séculaires venaient d’être abattus. Le lierre s’échappait, courant en longs et flexibles rameaux, MAI. 107 abriter ses feuilles marbrées sous l’ombre d’autres végétaux, et ne pouvant subir cette influence solaire si favorable aux groupes dont nous venons de rappeler les noms et les asso- ciations. Les prairies qui sont situées au pied des coteaux de Chanat étaient émaillées des magnifiques épis de l’Orchis mascula , dont plusieurs pieds offraient sur leurs feuilles de larges macules foncées. Quelques pieds d’Orchis sambucina, échappés aux pelouses supérieures, se mêlaient à leurs con- génères , et épanouissaient leurs fleurs soufrées. L’Orchis Morio , à fleurs roses ou purpurines ; et parfois même l’O. ustulala, avec ses sommités qui semblent charbonnées, s’é- taient aussi donné rendez-vous dans ce petit éden ombragé par les saules et parfumé , sous l'influence d’une pluie prin- tanière, par les jeunes feuilles des peupliers. Le reste appar- tenait aux plantes les plus vulgaires : la pâquerette, toujours jolie , fleur de l’enfance et des souvenirs ; le pissenlit , dont le moindre souffle emportait les aigrettes; la primevère, aux ombelles penchées; le trèfle des prés, contrastant sur la verdure par sa teinte complémentaire; puis enfin ce bouton d’or sauvage, ce brillant Ranunculus acris, qui donne aux prairies l’éclat et la fraicheur de la jeunesse, et partout des Myosotis, cette charmante création de notre flore euro- péenne, où la nature a placé le bleu de la turquoise autour d’un centre d’or. Près de là murmurait le ruisseau , arrosant ; dans ses méandres, l’humble Adoxa, au parfum musqué, et les co- rolles étoilées du Silene diurna. Plus haut, c’étaient des blocs entassés de granit, couverts des touffes brillantes du Genista pilosa, et près desquelles se balançaient encore les fleurs violettes de l’Anemone montana ; puis les coteaux boisés , avec leurs alisiers, les feuilles encore transparentes 108 . ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. des chênes et des châtaigniers, des vergers fleuris, et de tous côtés les accents du rossignol et la mélodie de la fauvette. 17. Bois des environs de Besse , sur le granit , à 1,000 mètres d'altitude, le 30 mai 1853. — Dans les bois de hêtres des environs de Besse , et sur granit, on remarquait en fleurs le Convallaria maialis , le Dentaria pinnata, le Paris quadrifolia et le Viola sylvestris. De larges tapis étaient formés par les individus très-rapprochés du Sclla Lilio-Hyacinthus, et, dans les haies, sur le bord de la forêt, croissaient mélangés des groupes d’Oxalis Acetosella et d’Adoxa Moscatellina. 18. Pelouses près Lagarde , canton de Besse , sur gra- nuit, à 1,000 mètres d'altitude , le 30 mai 1853.— Près de Lagarde, à une assez grande élévation, on rencontré, sur le granit, de petites prairies naturelles entièrement composées d’Anthoæanthum odoratum , et des dômes de granit où un petit nombre de plantes croissent à profusion. La plus abondante est l’Anemone montana, à fleurs violettes, brunes ou rouges, offrant plusieurs variétés, et à tige très- courte. Elles sont constamment exposées au grand vent, et produisent un très-bel effet sous les ondulations de l’air et sous l'impression du soleil. Elles sont mêlées à une grande quantité d’Orchis sambucina rouge et jaune. Les deux va- riétés crossent ensemble en égale proportion, et l’on y voit aussi une variété rose que nous n'avions pas encore remar- quée ailleurs. Le Saxifraga granulata s’y développe en très-grande quantité. | Sur d’autres dômes voisins se trouvent en mélange le Rumeæx Acetosella, le Saxifraga granulata, le Potentilla verna, couvert de milliers de fleurs jaunes , le Carex ericetorum et le MAI. 109 joli Luzula campestris. Déjà pointaient les feuilles du Cytisus sagittalis, qui bientôt devait remplacer, par ses épis d’un beau jaune, les fleurs brunes de l’Anemone montana , et accompa- gner ses graines plumeuses. L’Hieracium Pilosella se mon- trait partout sur ces dômes , au milieu des pelouses et sur les rochers, près des buissons épars du Juniperus communs. 19, .Lles tourbeuses du lac de l’Esclauze, sur basalte, à 1,130 mètres d'altitude, le 31 mai 1853. — Des îles nom- breuses existent dans le lac de l'Esclauze , situé sur les con- fins des départements du Puy-de-Dôme et du Cantal. Une d'elles est flottante, assez grande et change de place par la violence des vents. Nous y abordâämes, malgré une pluie battante. mais l’île flottante, s’élevant en même temps que les eaux , était moins submergée que les autres. Partout le Betula pubescens commençait à feuiller avec quelques es- pèces de saules marécageux, qui composent toute la végé- tation arborescente de ces localités. D’énormes toufles de mousses, formées par des Hypnum et de gigantesques Poly- trichium, s’élevaient au-dessus de l’eau. Plus bas existaient de grands tapis de Sphagnum , d'un vert jaunâtre ou rem- bruni. On voyait, au-dessus de leur surface, les fleurs rouges et inclinées du Vaccinium Oxycoccos, et de nombreuses tiges d’Andromeda poliifolia élevaient au-dessus des mousses leurs jolies corolles roses. Le Carex limosa et quelques autres commençalent à fleurir. On rencontrait çà et là de petites forêts en miniature, composées de Lycopodium inundatum, et, si le sol devenait un peu plus sec, de très-belles variétés de Cenomice sylvatica et C. rangiferina, les uns divisés en rameaux d’un blanc jaunâtre , en gazons arrondis , les autres plus simples , d’un gris terne et bien plus grands, semblables à des formes que nous avions recueillies au Mont- 110 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Cenis. Près d'eux existaient aussi des groupes élégants de Cenomice coccinea , garnis de volumineux tubercules écar- lates. Nous avions sous les yeux un tableau de la nature en Laponie. Déjà le Scheuchzeria palustris se montrait au milieu des Sphagnum. Le Nuphar pumila étalait sur Îles eaux ses premières feuilles, et le Menthantyes trifoliata, allongeant ses rameaux, amenait au-dessus de la surface ses pédencules violets et ses boutons de fleurs. Le Potamogeton rufescens etle Scirpus fluitans, jeunes encore, étaient entièrement sub- mergés, tandis que le Cicuta virosa laissait poindre des pousses vigoureuses au milieu de touffes nombreuses du Pedicularis palustris, qui n’avait pas encore ses fleurs. 20. Bois sur la lave des puys de la Vache et de Lassolas, à 1,060 mètres d'altitude , le 31 mai 1835. — Un des plus beaux exemples de coulées de lave que l'on puisse voir en Auvergne est certainement l’ensemble des produits vomis par les puys de la Vache et de Lassolas. Placés l’un à côté de l’autre, ces deux volcans puissants n’ont conservé qu’un côté de leur énorme cratère ; l’autre a cédé à la pression des laves bouillonnantes qui s’appuyaient sur leurs parois, et les ont détruites, autant par leur propre pesanteur que par la haute température dont elles étaient douées. Les laves des deux cratères semblent s'être confondues en un seul courant, et le puy de Vichatel, qui n’en est pas éloigné, a probablement aussi ajouté un contingent à ce vaste amas de matières fon- dues. Le courant s'est étendu très-lom, a formé, en passant, le lac d’Aydat, en élevant une digue dans la vallée que tra- vérsait le ruisseau, puis il a continué sa marche Jusque dans la Limagne , où il s’est arrêté à une grande distance de son point d'origine. MAI. 111 Les conditions de climat changent pendant ce long trajet, et nous ne suivrons pas la lave jusqu’au point où elle vient s'arrêter ; il nous suffira, pour donner une idée de sa végé- tation, de nous tenir dans la portion de coulée qui com- mence à la sortie du cratère et dans celle qui forme la digue du lac. Une foule de végétaux se sont donné rendez-vous dans ces espaces restreints. La lave qui forme notre sol est essentiellement composée de deux éléments , de feldspath et de pyroxène. C’est donc une lave entièrement basaltique, composée de divers sili- cates , parmi lesquels nous citerons seulement ceux de po- tasse, d’alumine, de chaux et de fer. Ainsi, au point de vue chimique, les principes divers qui peuvent avoir de l'influence sur la végétation existent ensemble, et, sous ce rapport, nous devons y trouver des espèces de tous les terrains. Au point de vue de la constitution physique , nous trou- vons tantôt un sol compacte , entièrement formé d’une lave dure indécomposée, tantôt un sol ameubli par de nombreuses déjections de pouzzolanes, au milieu desquelles la coulée s’est frayée un passage. Il y a donc place pour les végétaux qui cherckent un terrain solide pour appuyer leurs racines, et pour ceux qui aiment une terre légère , dans laquelle ils peuvent puiser les aliments dontils ont besoin. Il est, par conséquent, extrêmement curieux de suivre cette végétation des laves, quand les conditions biologiques des espèces qui s'y déve- loppent peuvent être aussi nettement déterminées. Que l’on se figure une large bande de terrain couverte de nombreuses aspérités, une espèce de chaos analogue pour la forme à ces mers de glace que l’on voit descendre des hautes vallées des Alpes. Ce sont des monticules, des amas de blocs superposés , ou de petits espaces ondulés , des py- ramides , des tours et comme de vastes ruines séparées par 112 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. des espaces plus ou moins élargis, et constituant de char- mants labyrinthes ornés de tous les dons d’une fraiche vé- gétation. Ce qui frappe au premier abord dans cet ensem- ble, c’estle houleau, Betula alba, tantôt isolé, plus souvent réuni en groupes irréguliers. L’écorce blanche de ces arbres contraste avec les scories rouges amoncelées à leurs pieds, ou avec les laves noires qui s'élèvent en pyramides jusque dans leur feuillage mobile et vascillant. Le Corylus Avellana est peut-être encore plus répandu, mais réduit à l’état de buisson, il s'élève moins que le bouleau. Ses chatons, com- primés par le froid, attendent souvent le mois d'avril pour s'épanouir, et déjà vers cette époque le Populus Tremula en- tr'ouvre ses bourgeons, le Viburnum Lantana prépare l’é- panouissement de ses corymbes, et le Sarothamnus vul- garis prélude à cette floraison brillante qui répand tant de charme sur les ruines de cet antique incendie. L’élévation de cette partie de la coulée de lave, en retar- dant sa végétation, ne la rend pas plus active quand une fois son développement commence. Aussi à peine aperçoit-on le vert tendre des bourgeons, qu’aussitôt les fleurs se succè- dent avec rapidité. On voit l’Anemone montana, le Luzula campestris, puis les toufles serrées du Genista pilosa. Le Saxifraga granulata accompagne toujours le Sarothamnus vulgaris, et plus tard les larges gazons du Cytisus sagitta- hs étalent leurs épis orangés près des éclatants panaches bleus des Polygala vulgaris. On voit se succéder dans ces localités : Euphorbia Cyparissias, E. hyberna, E. sylva- tica, Primula officinalis et P. elatior , les touffes odoran- tes de l’Anthoxanthum odoratum, les larges tapis du Po- tentilla verna, le Biscutella lœvigata qui cherche les points les plus sablonneux, et qui, des scories de la surface de la lave, monte jusque sur la crête des cratères de la Vache et de Las- MAI. 113 solas. Les Orchis bifolia et O. chlorantha, à odeur de miel et à fleurs verdâtres , précèdent l'apparition de l’O. co- nopsea, dont le parfum pénétrant vient s'ajouter à toutes les émanations de ces brillants parterres. Le Gentiana lutea, le G. cruciata, se mêlent au Lilium Martagon, un des plus beaux ornements de ces jardins naturels, et l’on voit ses fleurs en turbans purpurins suspendues près des cloches bleues du Campanula persicæfolia ou du C. Trachelium, contrastant avec les larges ombelles de l’Angelica sylves- tris, ou avec celles du Laserpitium asperum. Le Convalla- ria latifolia se cache sous les buissons; le Valeriana tripte- ris se montre sur les rochers , et le V. officinalis est dissé- miné partout avec le Lychnis viscaria et des touffes de Silene diurna, Godron. On voit paraître de tous côtés le Pteris agquilina, dont les frondes jaunâtres et roulées s'étendent bientôt et dépas- sent souvent les buissons de Lonicera nigra, ou se cachent dans les rameaux argentés du Cratægus Aria. Les Rosa ca- nina, R. rubiginosa et R. pomifera, Herm., se mon- . trent d’abord couverts de leurs fleurs odorantes, et pendant l’automne on distingue de loin leurs fruits colorés qui per- sistent encore après la chute des feuilles, et contrastent avec les baies noires du Juniperus communis, l’un des compa- gnons ordinaires du bouleau. Parmi les grandes plantes qui composent la végétation de ces laves, nous pourrions encore citer le Pimpinella magna , le Cirsium Erisithales, le Doronicum pardalian- ches, l'Aquilegia vulgaris, et parmi celles qui sont moins apparentes, le Cerastium arvense, le Poterium Sanguisorba, l’Achillea, Millefolium, le Trifolium medium, et une foule d’autres végétaux qui profitent des laves, comme d’un terrain neutre, pour s’y développer. IV 114 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Les points plus sablonneux , plus spécialement couverts de pouzzolanes, donnent naissance aux touffes bleues du Ja- sione perenris, à de véritables buissons du Dianthus Carthu- sianorum , ou à des massifs de D. monspessulanus. L'He- hanthemum vulgare s'étend de tous côtés et laisse éclore tous les matins ses fleurs éphémères , abritées par de grands Verbascum Lychnitis, où des V. nigrum. Nulle part le Prunella grandiflora n’offre une plus magnifique floraison et ne couvre de plus larges espaces. Le noir intense des pouzzolanes fait ressortir les gazons jaunes et étendus du Se- dum acre, tandis que le Sedum album y étale ses feuilles rouges et charnues et ses cymes d’un blanc de neige. Ca et là gisent d’énormes bombes volcaniques lancées au- trefois par les éruptions de la montagne et sur lesquelles on voit déjà des mousses verdoyantes et des lichens lépreux commencer une conquête que le temps leur assure. $ 3. ASSOCIATIONS VÉGÉTALES DU MOIS DE JUIN. 1. Forét du cône volcanique de la Goulie, sur les scories, à 950 mètres d’élévation, le 1% juin 1845.—Nous fümes frappés d’admiration en pénétrant sous les voütes feuillées des hêtres séculaires qui couvrent cette montagne. Nous y trou vâmes d'immenses tapis de Scilla Lilio-Hyacinthus à feuil- les larges et luisantes, aux fleurs lilas, aux anthères indigo. S'ils laissaient une clairière , l'Anemone ranunculoïdes s'en emparait et y ouvrait sa belle corolle orangée. De grandes plantes de Denlaria pinnata , à fleurs blan- ches ou rosées , attiraient le papillon aurore qui , recon- naissant une crucifère aux feuilles tendres et succulentes, ve- nait y déposer ses œufs. Le Polypodium Filix-mas com- mençait à dérouler ses frondes, et les hêtres que le vent JUIN. 115 frappait laissaient tomber sur ces fleurs les ombres mobiles et vacillantes de leur feuillage agité. Le Geranium Rober- tianum mélait ses fleurs roses aux boutons blancs de l’As- perula odorata , jusque sous les houx rabougris qui cher- chaïent à s'emparer du sol. Le printemps rappelait à la vie et l’Actœæa spicata qui déployait ses feuilles, et les belles touffes d’Euphorbia hyberna, aux larges et jaunes bractées, et l’élégant Paris quadrifolia qui montrait sa fleur soli- taire. Le bombix Tau s’agitait sous les groupes fleuris du Sambucus racemosa , et le Mercurialis perennis se mêlait encore à l’anémone des bois. 2. Causses et champs calcaires entre Alais et St-Am- broix, en plaine, le 2 juin 1847.—Nous avions traversé des collines toutes garnies de chênes verts, quand nous trou- vâmes une clairière semée de fleurs. Le soleil venait de se lever ; ces fleurs venaient d’éclore, et la rosée, en s’é- levant dans les airs, emportait le parfum des vignes sau- vages qui couraient en guirlandes sur les arbres voisins. Leurs fleurs jaunes, en grappes serrées, avaient l’odeur du réséda. Des buissons de Lathyrus latifolius étalaient leurs grappes de fleurs rouges; le Zinum flavum ouvrait ses grandes fleurs d’or près des Linum salsoloides, L. strictum et L. narbo- nense. Des buissons de Rosa canina, et des groupes de Paliurus aculeatus, aux puissantes épines , s’élevaient au- dessus des touffes d’Aphyllanthes monspeliensis, tandis que le Gladiolus communis et l’Anchusa italica ouvraient leurs élégantes corolles près des rameaux dressés du Convol- vulus cantabrica. 3. Pelousesdes plateaux basaltiques entre Besse et Cham- bon, à 1,200 mètres d'alhitude, le 2 juin 1853.—En tra- 116 ASSGCIATION DES VÉGÉTAUX. versant les grands plateaux de basaltes qui existent derrière le roc des Prêtres, entre Besse et Chambon , on voyait des es- paces assez grands couverts de Sphagnum , et au milieu de ces mousses on trouvait disséminés de petits groupes de Gentiana verna. Le bleu d'outre-mer le plus pur brillait dans cette création céleste, et son stigmate frangé , blanc comme une étoile de neige, venait rehausser encore l’é- clat du bleu de sa corolle. A peu de distance, croissait aussi en société l’Equisetum sylvaticum , dont les épis s’ouvraient au sommet de ses élégants verticilles. Plus loin paraissaient d'immenses tapis de Caltha palustris, et le Ra- nunculus aconiifolius marquait de ses fleurs blanches et de son feuillage lustré le cours rapide des filets d'eau qui s’é- chappaient des marais. Près de là, sur un sol moins hu- mecté, se trouvait, au-dessus du village de Montmie, un mélange remarquable d’Anemone montana et d’Anemone alpina , auquel s’ajoutait encore le Luzula campestris. Plus haut, à la hauteur de 1,500 mètres, le sommet du puy de Chambourguet , formé de trachytes scorifiés , était couvert d’une magnifique végétation de lichens. Le Cornicularia tristis, aux noirs rameaux et aux larges scutelles, s’y dé- veloppaient en abondance autour des larges plaques du Patellariaventosa, dont le brouillard avivait encorelesscutel- les écarlates. De nombreux Gyrophora y montraient leurs fructifications turbinéeset vivaient sur ces roches. poreuses , constamment humectées, comme dans le paradis que Dieu leur a destiné. 4. Bois de Royat, sur le terrain granitique, à 530 mètres d'altitude, le 3 juin 1846. — À mesure que le printemps avance, le nombre des fleurs augmente dans ces charmants taillis. Le Sarothamnus vulgaris y fleurit au milieu des JUIN. 117 chênes et des bouleaux ; le Veronica Chamædrys y forme, le long des sentiers, de jolies réunions où vient se mêler aussi le Trifolium medium. Là, ce sont des touffes de Doroni- cum Pardalianches, dont les calathides d’un jaune soufré se mélent aux corymbes parfumés du Valeriana officinalis ; ici ce sont des masses de Silene diurna et de Lychnis Vis- caria, aux corolles roses et étoilées. Dans les clairières on trouve le Galeobdolon luteum et le Ranunculus acris s’êle- _ vant au-dessus des épis bleus de l’Ajuga reptans. Le Vibur- num Opulus montre ses corymbes fleuris et les corolles in- fertiles qui les accompagnent; le polyomate de la ronce, aux ailes glacées de vert, vient se poser sur ce blanc diadème, tandis que l'élégant Chryseis, aux ailes enflammées, vol- tige sur les fleurs jaunes du Cirsium Erisithales ou sur les corollesrosées du Helittis Melissophyllum. Sous l’ombre des noisetiers se réfugient et l'Orobus niger , et l'Actœa spicata, et le lys martagon aux feuilles verticillées. 9. Côtes escarpées de Courgoul, sur les roches primitives, à environ 950 mètres d'altitude, le 4 juin 1850. — Les environs de Courgoul présentent un aspect des plus sauvages. Le puy de Clugel, tout boisé et recouvert d’un chapeau basaltique , les pies granitiques ou plutôt de gneiss et de micaschistes qui rétrécissent la gorge qui conduit au Val- beleix, et plus haut, les massifs de basalte qui couronnent les plateaux de la commune de Chassagne, donnent à ce paysage une physionomie des plus pittoresques. Ce sont les hêtres qui forment le fond de la végétation, et quelquefois même leur joli feuillage ombrage de charmantes retraites et de jolis sentiers couverts. Le Luzula maxima croît sous leurs cimes avec de larges touffes de Peltigera digitata; le Veronica Chamædrys est commun sur toutes les pelouses , dans tous 118 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. les buissons , et l’aubépine encore fleurie , marie ses fleurs aux buissons éclatants et dorés du Genista purgans. On voit les feuilles épineuses du Carlina achanthoides , etrçà et là un lézard vert, à gorge bleue, courant sur des débris mo- biles ou grimpant sur les arbres. | La végétation est pauvre en espèces, et l’attention est à chaque instant détournée des recherches botaniques par l’as- pect étrange des montagnes voisines, par les profonds ravins et les immenses dégradations que le terrain a subis. L'eau et le temps ont démantelé les montagnes, creusé les gorges et les vallées, et l’homme, spectateur passager de ces grandes ruines du monde, reste étonné devant leur grandeur et leur masse imposante. 6. Plateau basaltique d'Orphanges, canton de Cham- peix, à environ 100 mètres d'altitude, le 4 juin 1850. — Combien de retraites isolées dans le monde offrent ces belles scènes de la nature ignorées des hommes. Combien de localités inconnues, au milieu même de la France, quand notre curiosité nous pousse vers des rivages étrangers et lointains pour y chercher des émotions nouvelles. Ces ré- flexions se présentaient à notre esprit, lorsqu’assis sous un groupe de noyers, sur des fragments de prismes basaltiques, nous admirions le grand plateau d'Orphanges et les tapis de fleurs qui étaient sous nos pieds. Nous étions placé entre le plateau même, à bords abruptes et escarpés , et une crête de basalte qui l’enserre et entoure un petit cirque à son ex- trémité. Nous occupions le centre d’un oasis où la nature était dans toute sa splendeur. Les légumineuses y formaient un gazon fleuri. Le Trifolium Molineri, couvert d’épis roses et blancs à leur sommet, avec ses feuilles rondes et veloutées, était la plante la plus commune et la plus saillante. Elle JUIN. 119 venait de slveiller et commençait d’écarter ses folioles. L'Onobrychis sativa, aux fleurs roses et striées , si élégam- ment disposées, occupait çà et là de petits espaces, et le Trifolium procumbens , avec ses capitules d’un jaune pur, se glissait partout pour rémplir les interstices. Le Vicia se- pium formait aussi de larges toufles, et le V. sativa ouvrait son étendard pour montrer le carmin pur de ses ailes. Les Polygala vulgaris, aux fleurs roses ou bleues, relevaient aussi leurs charmants panaches ployés par la rosée. De gros Helix pomatia, à coquilles zonées, se trainaient sur les blocs basal- tiques et fuyaient le soleil qui montait sur l'horizon, tandis que le beau papillon machaon, aux ailes jaunes et marbrées, et le polyomate adonis, vêtu de sa livrée de saphir, voulaient comparer leur parure à celle des fleurs qui venaient d’éclore. Un peu plus haut les blocs de basalte entassés permet- taient au Sarothamnus vulgaris de se développer en buis- sons vigoureux , au-dessus des feuilles rouges et succulentes du Sedum album et des rosettes arrondies de l’Imbricaria conspersa ; l’Helleborus fœtidus ouvrait ses capsules et ré- pandait ses graines; Le Muscari comosum avait de longs épis violets ; l’Hieracium Pilosella étalait ses capitules sou- frés; le Galium Mollugo s’y développait en buissons neigeux, et le lierre avec son beau feuillage s’appuyait contre le ba- salte , et cherchait à cacher les ruines de la nature. 7. Coteaux calcaires près de Ganges, sur les bords de l'Hérault, le 6 juin 1847. — D'énormes buissons de Paliurus aculeatus défendaient les abords de ces causses. Leurs rameaux étalés et réguliers , leurs petites fleurs jaunes et miellées se mêlaient au Smilax aspera qui, lui-même, s’enlaçait au Clematis vitalba déjà couvert de fleurs dans cette région méridionale. Des touffes d’Aphyllanthes mons- 120 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. peliensis et de Catananche cærulea étaient dispéfsées sur ce même terrain où le Cistus saluifolius ouvrait ses fleurs, et où le Phillyrea latifolia avait montré les siennes. 8. Bois et prairies de Saint-Germain-l'Herm , sur le terrain granitique , à 1,100 mètres d'altitude, le T juin 1852. — Le printemps commençait pour ces hautes mon- tagnes ; les prairies étaient dans tout l’éclat de leur végé- tation ; le vent apportait à chaque instant des effluves par- fumées provenant d’une multitude de Narcissus poeticus qui couvraient les prés comme de gros flocons de neige. Le Trollius europœus, avec ses fleurs jaunes et globuleuses, était la plante qui dominait avec le narcisse. A ces espèces semélait encorele Meum athamanticum aux feuilles finement découpées et répandant son pénétrant arome, tandis que le Viola sudetica formait, par son abondance, des taches bleues sur ce tapis émaillé. Les ruisseaux arrosaïent de lar- ges touffes de Caltha palustris se présentant sous la forme ordinaire, quelquefois sous celle du Caltha flabellifolia de l'Amérique du Nord, et offrant encore en abondance les fleurs mâles que l’on remarque aussi dans l’Anemone ranunculoides. L'eau réunissait de charmants Menyanthes trifoliata, aux corolles frangées, et le Saxifraga stellaris, échappé des hautes inontagnes. Le Drosera rotundifolia s’étalait sur des coussins de Sphagnum, et le Narcissus pseudo-Narcissus, qui avait précédé le N. poeticus , mon- trait encore quelques corolles dans les lieux abrités. Cette fraîche végétation des prairies n’était interrompue que par celle des forêts. Les plus magnifiques Abies pectinata s’éle- vaient sur les pgntes granitiques. Leurs branches et leurs trones étaient dbsolument couverts d’Usnea, de Cornicu- laria, de Physcia, de Lobaria, et de tous ces lichens JUIN. 124 . foliacés, tellement abondants que souvent ils cachaieut leur feuillage, et que ces sapins se présentaient comme les types inconnus d’une végétation étrangère. Ce phénomène de lichens foliacés, faisant disparaître le feuillage, n’est pas par- ticulier à la contrée que nous visitions. M. de la Pylaie nous dit avoir éprouvé à Terre-Neuve la même.surprise, en ren- contrant des conifères dont les mêmes lichens que les nôtres avaient remplacé ou couvert les feuilles. Les mêmes condi- tions de climat se retrouvent sur les deux continents. Ces immenses sapins étaient couverts de fleurs. Les cha- tons mâles étaient si abondants que le vent enlevait de véritables ondes de pollen. Le sol paraissait couvert de fleur de soufre, et l’on sortait des bois Jauni par cette poussière des étamines. Les fleurs femelles, dressées en élé- gants épis entremélés d’écailles imbriquées, ne se trou- vaient qu’au sommet des arbres. Placées dans cette situa- tion , le vent est le messager qui doit leur apporter la pous- sière fécondante ; mais celle-ci est si fine, si légère et si abondante, que leur fécondation est assurée par leur séjour prolongé dans ces nuages de poussière, et quoique monoi- ques, ces arbres reçoivent une imprégnation dioïque. Le pollen des arbres d’une forêt est tellement mélangé, qu'il est impossible de prévoir par quel arbre sont fécondées les fleurs d’un autre, et le vent, s’il devient violent, peut opérer d’une forêt à l’autre, et même entre contrées très-distantes, des échanges lointains de ces poussières vivifiantes. Quelques-uns de ces vieux sapins morts ou mourants ne conservaient plus que des feuilles jaunies et les barbes grises des Usnea. Le pic noir les avait creusés de son bec solide, et là, à l'abri du froid et de la pluie, il avait déposé ses œufs blancs et polis comme des billes d'ivoire. Au milieu de cette nature animée, les ruisseaux cou- 192 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. raient en murmurant et usaient lentement les roches gra- nitiques qui leur prêtaient leur appui. Le sol de la forêt était quelquefois libre; on y marchait sans peine sur une terre végétale garnie des plus beaux tapis de verdure; c'étaient de grands Hypnum, tels que H. splendens , I. filicinum , H. tamariscinum, qui feutrés sur la terre, s’y étendaient en moelleux coussins. Aucune plante arbo- rescente ne croissait dans ces lieux sous l'ombre des sapins; la vuese perdait au loin dans les séries de vieux troncs épars ou rapprochés qui soutenaient les dômes étagés de cette verdure éternelle. Mousses et conifères conservaient en effet leur feuillage pendant la saison des frimas, et la neige, accumulée sur leurs cimes, donnait à la fois à la lumière transmise , de la douceur et de l'éclat. — Ailleurs, c'était le Vaccinium Myrtillus, dont les fleurs roses, en grelots signalent les premiers beaux jours de cette haute région, tandis que ses fruits bleus, qui terminent l'été, deviennent pendant longtemps la nourriture des oiseaux de la forêt. Quelquefois, la végétation est plus variée; le Mayan- themum bifolium montrait ses deux feuilles et ses grappes légères près des Convallaria verticillata et C. multiflora. Ces plantes vivaient en famille. Là, c'était le Circæa alpina, l'Oxalis Acetosella, V’Epilobium spicatum, qui n’allongeait pas encore ses épis purpurins, et le Senecio Cacaliaster, qui rappelait la puissante végétation du Mont-Dore. L’Arnica montana croissait en abondance dans les lieux découverts où la forêt se transforme en clairière et où la lumière vient modi- fier la réunion des plantes sociales. La lisière des bois offrait un mélange d’arbres toujours verts et d'espèces à feuilles caduques. On y voyait surtout le Fagus sylvatica au feuillage translucide , le Betula alba JUIN. 193 dans toute son élégance avec ses troncs argentés et ses feuilles constamment agitées ; le Populus Tremula y déve- loppait ses feuilles suspendues à des pétioles aplatis; le Juniperus communis, aux feuilles pointues et aux fruits bleus, y formait de larges buissons. L’Ulex nanus y constituait aussi des gazons piquants. Nulle part nous n'avions vu les Sorbus Aucuparia plus élégants. Leurs fleurs étaient épa- nouies et laissaient présager pour l'automne ces milliers de grappes écarlates que la nature a suspendues à ses branches pour nourrir les oiseaux de la forêt. Le vent montrait à chaque instant le revers argenté des feuilles du Sorbus Aria ; il inclinait les feuilles soyeuses du Rubus idœus et sifflait dans les branches tordues des vieux Pinus sylvestris. Ces derniers offraient de nombreuses variétés ; jeunes encore , droits et élancés , ils étaient garnis de branches dans toute leur longueur, et quelques fleurs femelles se montraient en cônes carminés au sommet des rameaux. Plus âgés, plus vigoureux, ils se couvraient de fleurs mâles, d’un jaune orangé pour les uns, d’un rouge carminé pour les autres, produisant ainsi, par le mélange de ces deux variétés, des effets très-pittoresques sur la lisière des bois. Leurs cônes jonchatent le sol; les uns avaient les écailles semblables et émoussées, d’autres présentaient du côté opposé à la lumière des pointes recourbées qui les rappro- chaient du Pinus uncinata. Peut-être y a-t-il aussi deux espèces dans ce pin sylvestre? Dans un âge avancé, son écorce devient rouge, son tronc lisse et nu, ses grosses branches tortueuses et irrégulières ; sa cime s’épaissit et se transforme en parasol; c’est un aspect tout différent. 9. Bois et buissons sur la lave du puy de Jumes, à 1,000 mètres d'altitude, leT juin 1829.— Les puysdeJumes 124 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. et de Coquille sont deux cônes volcaniques rapprochés, qui sont situés sur la grande ligne des volcans modernes de la chaine des monts Dômes. Une large coulée de lave s'échappe de leur base. Elle est cachée dès sa naissance par des bouquets de hêtres, de chênes, de noisetiers et d’alisiers. Le Cineraria spathulæfolia était en fleur au milieu des buis- sons. Le Rosa rubrifolia étalait son feuillage empourpré auprès de l’aubépine fleurie. Le Convallaria maïalis, dont la floraison précédait de quelques jours celle du Waïanthe- mum bifolium, s’abritait sous le Convallaria verticillata, près des touffes brillantes du Silene diurna, dont le rose des fleurs était encore rehaussé par le beau bleu des Myoso- is sylvalica, qui croissaient à profusion. Des Melittis Melissophyllum paraissaient au milieu des buissons, le Viola sudetica s’emparait des clairières avec l’Habenaria viridis. Le Doronicum Pardalianches s’avançait jusque sous les arbres, l’Allium ursinum ouvrait ses fleurs blan- ches, et le Ranunculus nemorosus ajoutait encore à cette végétation imposante, où des touffes d’Euphorbia hyberna , d’E. Cyparissias, d’E. sylvatica, se disputaient les plus petits espaces. Ce mélange de la végétation des sources avec celle des montagnes ‘offrait une des plus belles harmonies. L’Anemone nemorosa, le Corydalis bulbosa, l’Isopyrum thalictroides, avaient déjà disséminé leurs graines. L’Orchis sambucina et l'O. mascula se mon- traient encore, et le Geranium sylvaticum prenait dans ces | lieux un développement extraordinaire. 10. Bois de Lezoux, sur les cailloux roulés, à 300 mé- tres d'altitude, le 12 juin 1853. — Les bois de Lezoux, sur les alluvions anciennes, offraient un tableau de végé- tation remarquable par le feuillage rouge du Populus Tre- JUIN. 125 mula , les épis bleuâtres du Veronica officinalis, les capi- tules blancs du 7rifolium repens, et les Polygala vulgaris bleus et roses, et de larges touffes de Ranunculus acris. Le Viburnum Opulus ouvrait ses couronnes de neige , et dans les lieux inondés ou imperméables à l’eau croissaient en abondance le Myosotis cœæspitosa très-développé, l’Fris pseudo-Acorus, le Ranunculus flammula. Aïlleurs, on trouvait le Pedicularis sylvatica, le Juniperus communs, et dans les prairies une grande quantité d’Orchis maculata plus beaux les uns que les autres, et de véritables parterres d'Orchis laxiflora. 11. Bosquets des environs d’Olliergues, sur terrain pri- mitif, à 500 mètres d'altitude, le 13 juin 1833. — Sur le granit des environs d'Olliergues existent des bosquets composés de Betula alba, de Sorbus Aria, de Cerasus avium, et de Sarothamnus vulgaris. On y voyait aussi beaucoup de Corylus Avellana, dont les jeunes rameaux étaient couverts de poils rouges comme les jeunes pousses de certains chênes américains. 12. Prarries des bords du Lot, près Mende, sur terrains calcaires, à environ 700 mètres d'altitude, le 15 juin 1845. — De belles prairies s'étendent sur les bords sinueux de cette rivière. Le Thalictrum aquilegifolium y formait des groupes d’une admirable légèreté ; le Polygonum Bistorta s’y présentait en larges touffes couvertes d’épis roses, et les Jolies corolles bleues du Geranium pratense contribuaient encore à embellir ces lieux. On y distinguait de loin les cala- thides pourprées du Cirsium tricephalodes , les touffes rameuses du Geranium pyrenaicum et une multitude de Ranunculus acris, sur lesquelles le polyomate adonis 196 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. étalait le bleu céleste de ses ailes. Des aulnes suivaient le cours de l’eau, et le houblon, semblable aux lianes des contrées chaudes de la terre, s’élançait sur leurs tiges et se suspendait à leurs branches en gracieux festons. Là, comme dans toutes les prairies, de nombreuses graminées consti- tuaient le gazon. L’Avena elatior, le Dactylis glomerata, le Festuca elatior, acceptaient encore dans leurs rangs serrés le Poa trivialis et le Poa pratensis. Les fleurs bleues du Salvia pratensis, les épis carminés de l’'Onobrychis sativa et les têtes serrées du Trifolium pratense, étaient dominés par les épis courts et presque noirs du Sanguisorba offici- nalis. Le Scabiosa arvensis laissait épanouir ses fleurs violettes sous les ombelles multipliées du Chærophyllum sylvestre et près des grappes amplement étalées du Galium Mollugo. Quand le sol plus sec ne permettait pas au gazon de s'élever aussi haut, le Trifolium repens s’associait au Poterium Sanguisorba , au Medicago lupulina, et l’Orm- thogalum umbellatum y montrait ses périgones d’un blanc de lait, striés de vert en dehors. Le Poa bulbosa formait à lui seul de petites pelouses souvent envahies par le Rhi- nanthus crista-galli, parasite sur ses racines et dominé par les corymbes éclatants du Crepis biennis. 13. Rochers calcaires près Mende , à environ 800 mètres d’élévation, le 45 juin 1845. — Les cassures et les escar- pements que présentent les causses sont loin d’être dépourvus de végétation. Pour peu que l’année soit humide, ou au moins le printemps pluvieux, des plantes se développent dans les interstices des rochers ou se suspendent à leurs escar- pements. On voit partout les touffes serrées du Saponaria ocymoides, les fraiches corolles du Cytisus sessihiforus et du Coronilla Emerus. L'Anthyllis montana laisse flotter dans JUIN. 127 l'air ses bouquets purpurins, et l’Astragalus monspessula- nus étale sur le rocher ses rameaux florifères. On y voit aussi les corolles jaunes du Zinum flavum , les rayons violets de l’Aster alpinus et les étendards dorés du Genista germanica. A ces espèces 1l faut ajouter encore l’élégant £rinus alpinus, le Polygala vulgaris et les fleurs couleur d’outre-mer de l'Aphyllanthes monspeliensis. 1%. Prairies près de Latour sur terrain primitif, à 1,000 mètres d'altitude , le 15 juin 1854. — Les prairies situées sur le terrain primitif près de Latour étaient cou- vertes de graminées en pleine fleur. Le Dactylis glomerata, le Poa trivialis, l'Avena flavescens , le Cynosurus cristatus mêlaïent leurs panicules et leurs épis, ouvraient leurs glumes et laissaient flotter de nombreuses étamines violettes ou oran- gées. Une multitude d’Heracleum Sphondylium se joignaient aux graminées ; les uns à larges feuilles, les autres à folioles étroites, presque tous à fleurs blanches et un petit nombre à corolles hilacées. Leur graines à demi-müres étaient vertes, violettes où d’un brun purpurin. Des massifs de Centaurea Jaceas’unissaient aux autres plantes, parmi lesquelles le Chœ- rophyllum sylvestre montrait ses fruits et mélangeait son feuillage incisé aux feuilles presqu’entières du Scabiosa syl- vatica et aux épis bleus du Phyteuma persicifolia. 15. Bors et praries du Brugeron prés Olherques, sur le grarat, à environ 900 mètres d'altitude, le 15 juin 1853. — Les grands bois de sapins du Brugeron, dans le canton d’Olliergues, n’offraient pas une grande variété de végétation, mais ils présentaient de l'intérêt parle mode d’association du petit nombre d’espèces qui les composaient. Les plantes cryp- togames y dominaient. On y voyait une multitude de lichens, 128 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Lecidea, Parmelia, Usnea, Cornicularia qui cachaiïent les écorces, faisaient disparaitre les feuilles ou pendaient des ra- meaux vers le sol. De vieux troncs étaient chargés de Lecidea tcmadophylla , aux scutelles roses et charnues. Des pierres offraient des rosaces fructifères du Bæomices rufus. Des ro- chers et de vieux troncs présentaient en abondance les groupes coralloides du Sphærophorus coralloides avec ses fructifica- tions sphériques. De petites jungermannes tapissaient laterre, et couvraient de velours vert les rochers arrosés par l’eau pure et divisée des cascades. De larges toufles de Blechnum spicant étalaient sur le sol leurs frondes stériles et redressaient leurs épis garnis de sporanges. Partout on entendait le bruit des eaux qui se heurtaient contre les blocs de granit entassés ou contre les vieilles racines. Ces blocs chargés de mousses étaient aussi couverts d’Oxalis Acetosella. Les Chrysosplenium al- ternifolium et C. oppositifolium formaient autour d’eux d’épais gazons, et le Caltha palustris, le pied dans la vase, devenait némoral sous l'influence de l’eau. — Les ruisseaux couraient s'échapper dans de vastes prairies où des touffes immenses de Ranunculus aconithfolius cherchaïent à cacher leurs cours sous une profusion de fleurs et de feuillage. — Dans ces prairies ou sur le bord des bois, étaient dispersées de petites maisons servant de vacheries. Le Taraxacum dens- leonis, qui n'existait pas dans les prairies des montagnes, s'était réfugié autour de ces habitations et y montrait des fleurs nombreuses. Plus bas, dans les lieux humides et sur le bord des bois, l’Aquilegia vulgaris était si commun que les prairies semblaient encadrées d’une large bordure bleue, tandis que le milieu offrait un fond rose dont la couleur, qui se détachait admirablement du vert pur des gra- minées, élait due à une innombrable quantité de Pedicula- ris palustris. JUIN. 129 16. Rochers et prarries des environs d’Olliergues sur terrain gramithique, à environ 500 mètres d'altitude, le 16 Juin 1853. — Olliergues occupe le fond d’une enceinte de rochers où la Dore court avec précipitation, roulant avec bruit des eaux vertes et pures. De grandes montagnes ferment le cirque , et l’on se demande par où la rivière pourra sortir ou plutôt comment elle a pu y entrer. Ces montagnes sont chargées de beaux arbres, Fraxinus excelsior, Juglans regia, Quercus pedunculata , Fagus sylvatica. Les prairies sont blanchies par les ombelles du Chærophyllum sylvestre, de l’Heracleum Sphondylium. Les dômes sont jaunis par l’ex- trême abondance du Sarothamnus vulgaris. La route est bordée de rochers de granits escarpés ou arrondis. On y voit partout les disques argentés du Chrysanthemum Leucan- themum, les épis bleus et étagés de l’Echium vulgare, les gazons débiles du Stellaria Holostea et les épis penchés du Silene nutans, qui répand le soir son délicieux encens. Le Myosotis sylvatica étale ses corolles bleues sous les touffes orangées des genêts ; les Trifolium repens, T. pratense, et T. Molineri forment des groupes dans les fentes humectées où le Rumex Acelosa s’élance en épis purpurins et où le Holcus lanatus étale ses panicules panachées. Des Rubus tombent en festons des rochers supérieurs, se mêlent aux corymbes blancs et aux rameaux rouges du Cornus sanguinea. Le Ra- nunculus acris descend des prairies hautes jusqu’au bord des précipices, dont l’Hedera Helix tapisse tous les escarpe- ments. Le Lychnis dissecta suit les filets d’eau courante, ou reste, comme le Geranium Robertianum , suspendu aux blocs de rochers. 17. Collines calcaires au-de:'us de Mende (Lozère), à 800 mètres d'élévation, le 16 jun 1845. — On s'élève IV NE 130 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. rapidement au-dessus de Mende sur des collines qui parais- sent stériles et sur lesquelles cependant on rencontre un assez grand nombre d’espèces. Les Rosa canina et R. rubiginosa y forment des buissons avec le Ribes uva-crispa et le Prunus spinosa. Des plantes très-variées se donnent rendez-vous sur ces causses. Nous y avons rencontré presque mélangées : Ajuga genevensis, Potentilla verna , Asclepias Vincetoxi- cum, Helleborus fœtidus, Carlina vulgaris, Ormthoga- lum umbellatum. Dans les champs se trouvaient beris pin- nata, Arenaria serpyllifolia, Ranunculus bulbosus, Hut- chinsia petræa , Medicago lupulina, Hieraciuwm Prlosella , Thymus ascinos et Linum salsoloides. . 18. Montagne de la Lozère, sur le granit, à 1,500 mètres d'altitude, le 18 juin 1845.— La grande montagne de la Lozère est une masse allongée de granit qui a percé pour sortir les strates de micaschiste que l’on voit redressés sur ses bords. Elle se présente sous la forme d’un vaste plateau dont les flancs s’abaissent lentement en offrant deux plans inclinés, dont l’un fait face au nord et l’autre au midi. La surface du plateau est presqu'entièrement couverte de Nar- dus stricta, réunis en petites touffes, entre lesquelles on voit çà et là quelques pieds d’Anthoxanthum odoratum, de Potentilla aurea , et quelquefois un groupe d’Alchemilla alpina aux feuilles soyeuses et digitées. Sur les pentes on trouve en abondance le Viola sudetica mêlé au Narcissus pseudo-Narcissus orné de ses larges godets orangés et mon- tant jusque vers la lisière, où le Nardus stricta règne seul en immense quantité. Le Juniperus communis et le Ribes petræa sont les deux plantes ligneuses qui montent le plus haut. Entre leurs buissons se présententle Digitalis purpurea, le Saxifraga granulaia et le Taraxacum erythrospermum JUIN. 131 . Partout où une petite source se fait jour, on voit le CAry- sosplenium alternifolium , d’autant plus petit qu’il se ren- contre plus haut, le Viola palustris, une variété naine du Caltha , à fleurs éclatantes de couleur, et le Cardamine pratensis à tiges basses, à fleurs grandes et rosées, et au milieu de leurs groupes le Menyanthes trifoliata. Sur les deux versants, les prairies arrosées offrent la même végétation. On y rencontre le Narcissus poeticus en abon- dance, le Trollius europœus, le Geum rivale, le Meum Atha- manticum, le Polygonum Bistorta, et, dans les lieux où les plantes sont moins grandes, le Crocus vernus à fleurs blan- ches, les Orchis latifohia et O. maculata. Le Gentiana lutea est moins commun qu’au mont Dore, mais le Ranun- culus acomüifolius y désigne de loin les ruisseaux par ses touffes abondantes et fleuries. Plus bas, des bois de sapins et de hêtres ceignent le pied de la montagne, et, dans les clairières nombreuses qu'ils laissent dans leurs écarts, le sol est peuplé de Sarothamnus vulgaris, de Genista purgans et de G. anglica, qui rompent la monotonie et la stérilité de ces pentes granitiques. 19. Buissons et taillis de la base du puy de Dôme , sur pouzzolane , à 1,100 mètres d'altitude , le 19 juin 1851. — On y voyait de magnifiques touffes de Geranium sylva- ticum, de Lychnis Viscaria et de Silene diurna , crois- sant tous ensemble dans les clairières d’un taillis de bouleaux. Le Myosohs sylvatica y était aussi très-abondant, ainsi que le Rumex Acelosa , qui élevait ses épis de graines au-dessus despanicules du Briza media et près des aigrettes légères de lÆnemone montana. On y remarquait aussi les grandes tiges du Corsium Erisithales et des touffes énormes d’Athy- rium Fihæ-feminea. Les genêts en pleine fleur entouraient 132 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. ces bosquets et pénétraient dans leur intérieur. Ce sont, de toutes les plantes, celles qui, à l’époque de leur floraison , animent le plus le paysage. On les voit monter sur les flancs du puy de Dôme jusqu’à la moitié de la montagne, et les hé- tres s’y-détachent comme des boules de verdure sur un fond d’or. Des montagnes qui dominent Aydat, on voit, sur les flancs du mont Dore, le Genista purgans, qui présente de Join sa couleur éclatante. Dans les plaines , le Sarotham- nus vulgaris est mélangé en abondance de Saxifraga gra- nulata ; ce sont des plantes inséparables. Ce Sarothamnus croit également sur la pouzzolane et sur le granit , sur les laves et les basaltes compactes , sur les trachytes et les por- phyres, les sables et les arkoses, mais il fuit tous les terrains calcaires. 20. Pelouses du puy Mary (Cantal), sur terrain trachy- tique , à 1,600 mètres d’élévation, le 19 juin 1840.—En approchaut du puy Mary, sur les pelouses et dans les vallées du Cantal, on rencontre la plupart des espèces montagnardes. La montagne elle-même , l’une des plus élevées du Cantal, en offre un grand nombre. On y voit, dans les lieux frais , l’Adenostyles albifrons, le Doronicum austriacum, et, à me- sure que l’on s'élève, paraissent le Pedicularis foliosa, avec ses grandes bractées, et le P. verticillata , aux fleurs pur- purines. Le Digitalis purpurea monte très-haut, où déjà les sources n’accusent plus que #,9 de température. Là se trou- vent le Chrysosplenium opposihfolium , le Saxifraga stel- laris et le Vaccinium uliginosum. Un peu plus haut on re- marque l’Orchis globosa, le Buplevrum longifolium , et enfin le sommet lui-même, élevé de 1,695 mètres est le rendez-vous d’espèces nombreuses presque intimement mé- Jangées. On y distingue : Calluna vulgaris, Genista pilosa, JUIN. 133 G. purgans, Viola sudetica, Sempervivum arvernense, Gera- nium sylvaticum, Senecio Doronicum, Serratula tinctoria , Anemone alpina, Arnica montana, Luzula glabrata, Vac- cinmium Myrtillus, Chrysanthemum Leucanthemum , très- grand et à très-grandes fleurs, le Cerastium lanatum, indiqué aussi par Lamark sur le plomb du Cantal, le Heum athamanticum, les épis bleus du Phyteuma persicifolia, de grands individus du Polygonum Bistorta, une variété du Lotus corniculatus, le Sedum Telephium et le Silene inflata. 21. Prairies de Saint-Genès-Champanelle, sur le gra- nit, à 860 mètres d'altitude, le 20 juin 1852. — Le Trollhius en pleine floraison dominait dans les parties hu- mides, etélevait ses grosses fleurs globuleuses près des pétales roses et laciniés du Zychnis flos cuculi. Le Rlinanthus crista galli se mélangeait à cette fraîche végétation. De toutes parts s’élevaient les jolis capitules du Knautia sylvatica , entremêlés des touffes odorantes de l’Anthoxantum et des épisréguliers du Cynosurus cristatus. Le Scorzonera humilis couvrait plusieurs espaces de ses fleurs dorées, au-dessus desquelles flottaient les panaches blancs de l’Eriophorum angustifolium. Les lieux un peu plus secs nourrissaient des colonies de Saxifraga granulata ; les plus humides étaient encore garais du Caltha palustris, de frais Myosotis , de Pedicularis palustris, au-dessus desquels dominaient les sommités épineuses du Cirsium palustre. 22. Rocher basaltique de Saint-Flour , à 900 mètres d'altitude, le 20 juin 1833. — La masse basaltique sur la- quelle Saint-Flour est bâti était décorée d’une foule de vé- gétaux. On remarquait dans les prairies, comme dans celles de la Fageole, située à une petite distance , l’Heracleum 134 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. | Sphondylium, mélangé à l’H. sibiricum. Ce dernier, peu répandu , est sur sa limite. Le Centaurea Calcitrapa était très-abondant, et le Hyoscyamus niger d’une grande vi- gueur. Il en existait deux variétés distinctes par le coloris de leurs fleurs ; l’une les avait jaunes, comme à l’ordinaire , l'autre était lilas, sans teinte de jaune. Toutefois la plante dominante était le Conium maculatum ; elle existait en pro- digieuse quantité et excessivement vigoureuse , ainsi que le Chœrophyllum sylvestre , qui formait à lui seul des prairies. La vigueur de ces plantes était due aux eaux d’égouts, qui se répandent tout autour de la ville. Cette masse d’en- grais descend sur les prairies, dans les chemins, et développe les plantes d’une manière extraordinaire. Les carduacées y étaient littéralement de haute futaie , et rappelaïent celles de l'Algérie. Le Poa bulbosa montrait partout ses panaches de verdure; le Geranium pyrenaicum était très-abondant, ainsi que le G. Robertianum. Sur les basaltes du nord , et près des maisons, mais à l'abri des engrais, croissaient d’énormes touffes ou plutôt des gazons de plusieurs mètres d’étendue du Saxifraga hypnoiïdes. On rencontrait aussi en abondance le Lamium album, et des touffes vigoureuses de Sisymbrium Alliaria cachant les bords des égouts sous leurs larges feuilles, L’Echium vulgare et sa variété carnée végétaient entre les blocs de basalte. Le Carduus tenuiflorus était partout très- commun. Au sud , sur le basalte et presque sur le plateau, on voyait de petites pelouses où les Trifolium scabrum et T. Moliner: étaient très-répandus ; mais celui qui s’y trouvait avec le plus de profusion était le Trifolium subterraneum. Près d’eux végétait le Corrigiola littoralis. L’Iris germa- nica produisait de loin un très-bel effet par ses masses nom- breuses et la multitude de ses belles fleurs bleues ; il est peut-être spontané ou peut-être échappé des jardins de la JUIN. 135 ville. Les rochers étaient garnis des Sedum acre; S. album, S. dasyphyllum et d'Umbilicus pendulinus. 23. Prairies de la Fageole( Cantal), sur basalte, à 1,300 mètres d'altitude , le 20 juin 1853.— Les prairies élevées de la Fageole , près Saint-Flour, étaient entièrement cou- vertes de Zrollius europœus et de Narcissus poeticus. Une d’elles offrait la singulière association de deux espèces pres- que seules ; c'étaient le Hyosotis sylvahica, d’un bleu admi- rable, et le Saxifraga granulata, en pleine fleur. Le Saxt- fraga, plus élevé, dominait le tapis bleu par toutes ses fleurs blanches. 2%. Plateaux de gneiss et de micaschiste du Cantal, à 800 mètres d'altitude, le 20 juin 1853. —Sur les hauts plateaux qui sont au-dessus de Massiac, nous vimes un mé- lange intime de Calluna vulgaris non fleuri et de Genista anglica couvert de fleurs. Ailleurs on remarquait aussi de grandes étendues de terrains cachées par des fleurs jaunes ; c’étaient de petites forêts croissant , comme les précédentes, sur le micaschiste , et composées d’une multitude de buis- sons de Sarothamnus vulgaris et de Genista purgans. 25. Cône basaltique de Montcelet, canton de Saint-Ger- main-Lembron, à 500 mètres. d'altitude, le 24 juin 1853. — Sur le cône basaltique de Montcelet et sur les plateaux qui l’avoisinent, les pierres de basalte éboulées ou détachées sont si nombreuses, que l’on ne conçoit pas comment la vé- gétation peut s’y établir. Ces pierres ont cependant la fa- culté d’arrèter les rayons solaires qui viendraient dessécher le peu de terre végétale formée dans ces conditions. Les graines se glissent entre les fragments de basalte, y germent, et les 136 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. jeunes plantes végètent assez bien sous cet abri protecteur. On y voyait en abondance les Euphorbia sylvatica, E. Cy- parissias , Helleborus fœtidus, Sambucus Ebulus, Urhca dioica et, dans les lieux humides, le Belhis perennis et le Sisymbrium pyrenaicum. 26. Bords de l'Allier, sur Les sables humides et les cal- loux roulés, à 250 mètres d'altitude , le 24 juin 1852. — Le Lysimachia Nummularia croît toujours en société, et ses tiges rampantes sont quelquefois si abondantes et telle- ment entre-croisées, qu'elles peuvent couvrir le sol en entier. C'est ainsi que nous les vimes sur les bords de l’Allier. Cette jolie espèce abondait sur les sables qui avaient été inondés pendant l'hiver. Ses feuilles, régulièrement disposées, ses corolles dorées, couvertes comme des coupes et multipliées à l'infini, formaient d’admirables gazons d’une régularité par- faite, et ressemblaient à d'élégants tapis. Les plantes étaient si serrées, qu'aucune espèce ne venait déranger la beauté de ce tapis étoilé. Près de là cependant s’élevaient des Salix alba, dont le feuillage argenté ombrageait les lysimaques et soutenait les tiges volubiles et les belles fleurs blan- ches du liseron, et quelques toufles de salicaire dressaient leurs épis carminés au-dessus de la jolie primulacée que nous ne cessions d'admirer. 27. Plateau basaltique de Moriat, à 400 mètres d'ali- tude , le 25 juin 1853.— Sur le plateau basaltique de Moriat, près de St-Germain-Lembron, on remarquait, dans les lieux humides, de vigoureux Sedum villosum, dont les boutons roses étaient encore inclinés, et sur le bord même du plateau, existait une association de plantes grasses bien développées. On y distinguait les Sedum acre, S. album, JUIN. 137 S. hirsutum,. S. dasyphyllum, le Sempervivum arachnoï- deum, le Saxifraga hypnoides, en pleine fleur, toutes plan- tes plus ou moins charnues, qui produisent par leur décom- position bien plus de terre végétale que les lichens. Sur le granit, au-dessous du basalte, croissait le Sapo- naria ocymoides, en toufles énormes, et dans leur plus beau développement. Quelques-unes avaient un mètre de diamé- tre, et leurs milliers de fleurs se touchaient. Nulle part, même au Mont-Cenis, nous n’avions vu cette plante avec une si grande vigueur de végétation. 28. Sables et alluvions de l'Allier, près de Pont-du- Château, à 250 mètres d'altitude, le 27 juin 1841.—Les sables constamment humectés par l’eau de la rivière, échauf- fés par le soleil d’été, se couvrent chaque année d’une pa- rure nouyelle, qui ramène avec la saison les mêmes contras- tes et les mêmes harmonies. Des toufles épaisses et multi- pliées d’Artemisia vulgaris et d’A. campestris, se répan- dent sur ses rives sablonneuses, et l’on voit près d’elles les ti- ges rampantes du Medicago falcata, dont les fleurs présen- tent souvent sur le même pied les nuances du bleu et du jaune soufré. L’Eryngium campestre enfonce ses profondes racines dans ce terrain mouvant; le Rumex Aeetosa y déve- loppe ses feuilles acides, et le Centaurea maculosa y mon- tre son feuillage blanchissant près d'énormes touffes de Ta- raxacum dens leonis. On y voit les épis bleus de lEchium vulgare, les fleurs éclatantes du Papaver Rhæas, le Lotus corniculatus, et de petites associations où le Thymus ser- pyllum est entouré d'Euphorbia Cyparissias. À ces der- nières espèces se joignent les Sedum acre et S. album, et les fleurs jaunes du Hieracium Pilosella. Ailleurs ce sont d’autres groupes dans lesquels on distingue l’Achillea Hnl- 138 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. lefolium, à corymbes lilas, le Tragopogon mayjus, le Pote- rium Sanguisorba et l'OEnothera biennis, à fleurs météori- ques et parfumées. A ces plantes nous devons ajouter en- core : Scrophularia canina, Ononis repens, Cichorium Intybus, Bidens cernua, Plantago lanceolata, Festuca ela- tior, Bromus tectorum, Silene inflata, Medicago minima, Chondrilla juncea, Verbena officinalis, Triticum repens, Brassica Cheiranthos, et Asperula Cynanchica , qui étale sur le sable ses tiges divariquées et la multitude de ses fleurs couleur de chair. On trouve rarement des associations plus compliquées que celles des bords des eaux , où les courants entraînent les espèces des montagnes, des champs et des forêts , pour les réunir et les confondre. 29.— Dôme porphyrique de Montoncelle, à 1,291 mètres d'altitude , le 29 juin 1840.— De la Bergère on traverse des plaines couvertes de bruyère, et bientôt on entre dans les belles forêts de sapin qui entourent Montoncelle. On erre pendant longtemps dans ces bois toujours verts, et l’on ren- contre quelques sources qui sortent à la base du dôme de porphyre. Nous nous arrêtâmes un instant à la fontaine de Cerdogne. Ses eaux abondantes disparaissent sous les larges gazons du Stellaria uliginosa ; elles arrosent des toufles élégantes et nombreuses d’Athyrium Filix-feminea. Le Do- ronicum austriacum avec ses belles calathides orangées, le Polygonum Bistorta aux épis rosés, végètent avec vigueur à peu de distance de la source, et l’on voit, sur les graviers qu’elle arrose , le Chrysosplenium alternifolium, et de lar- ges tapis d’un beau vert, formés par les frondes multipliées du Blechnum spicant. Le sommet de Montoncelle est une vaste pelouse sur la- quelle sont disséminés des buissons de Juniperus vulgaris JUIN. 139 et de Cratægus Aria. Près d'eux s'élève le Gentiana lu- tea, le Solidago virga aurea ; et partout on rencontre un mélange de Vaccinium Myrtillus et de Calluna vulgaris. Au milieu de ce tissu de végétaux on voit sortir les grandes fleurs blanches de l’Anthericum Liliago, les corymbes oran- gés du Senecio artemisiæfolius , les disques dorés de l’Ar- nica montana, le Serratula tinctoria, le Potentilla Tormen- tilla et le Leontodon squamosum. Dans les lieux où l'herbe s'élève moins, le Briza media étale ses panicules au- dessus des tiges couchées du Thesium alpinum et du Po- lygala vulgaris. Le Gnaphalium dioicum se montre en pe- tits groupes unisexués, tandis que d’autres points sont gar- . mis de Meum Athamanticum , de Stellaria Holostea, de Lotus corniculatus, de Luzula maxima, de Betomica of- ficinalis, d'Orobus niger et de buissons fleuris et soyeux du Genista pilosa, au-dessus desquels s'élèvent les pani- cules rougeâtres du Rumex Acetosa. 30. Bords des champs et des chemins à Courcour , près Lezoux, sur terrain de pépérile basaltique , à 300 mètres d’élévation , le 30 juin 185%. — Nous nous arrêtàämes à Courcour, et en gravissant la montagne au-dessus de Sei- challes, nous vimes sur le tuf basaltique, et le long d’un petit ruisseau , une curieuse association végétale. La plante la plus commune était l'OEgopodium Podagraria ; ses belles feuilles tapissaient le sol, et ses ombelles blanches les domi- naient. Le Chærophyllum Temulum s’y associait , et déjà ses ombelles , d’abord inclinées , se redressaient et ou- vraient leurs corolles blanches près de celles de l'OEgopo- dium. Le Convolvulus sepium courait, en longues guirlan- des , sur ces ombellifères , gagnait parfois quelques pieds de Sambucus nigra, qui existaient au milieu de cette végéta- 140 ASSOCIATION BES VÉGÉTAUX. ton, et les fleurs du liseron atteignaient les corymbes du sureau ; tout était vert et blanc. Au milieu de ces masses de verdure, l’Urtica dioica formait aussi ses buissons et lais- sait flotter ses grappes légères de fleurs femelles, tout en donnant appui au Cuscula europæa , aux tiges rouges et nues qui attaquaient les siennes. Dans ce fourré , quelques vieux saules abattus par le temps et couchés sur un sol hu- mide, s'étaient couverts de Geranium Robertianum ; les feuilles découpées et les milliers de fleurs roses de cette gra- cieuse espèce, contrastaient avec la sombre verdure des autres plantes, et le nombre infini de leurs fleurs blanches. $ 4. ASSOCIATIONS DU MOIS DE JUILLET. 1. Champs cultivés des environs de Combronde, sur terrain primitif, à 400 mètres environ d'altitude, le 2 juillet 185%. — Dans les moissons de seigle on ren- contre en abondance les touffes de l’Anthoæanthum Puelii. Cette espèce est toujours associée au Triticum Poa, à l'Or- nithopus perpusillus , au Viola gracilescens, à l’Hyoseris minima et à l’Alchemilla arvensis. | 2. Bords de l'Allier, sur les sables et les gravers , et autour des sources minérales de Sainte-Marguerite, à environ 250 mètres d'altitude, le 5 juillet 1840. — C’est au commencement de juillet que les sables des rivières offrent le plus grand nombre d’espèces réunies. Les Sahx alba et S. triandra , si communs près des eaux de Sainte- Marguerite , sont réunis en vastes berceaux par les tiges enroulées et sarmenteuses du houblon. Le Convolvulus sepium s'élève jusqu’au sommet des branches , tandis que les Galium Mollugo et G. Aparine , mélangés aux touffes JUILLET. 141 d'Urtica dioica, constituent des fourrés qu'il est difficile de traverser. Près de là , sont des plaines de sables sur les- quelles l’Artemisia vulgaris et l'A. Absinthium , ce dernier bien moins commun, forment des espèces de taillis, et dans leurs clairières se montrent le Verbascum floccosum , l’Echium vulgare, le Triticum repens, l'Eupatorium can- nabinum et l’Hypericum perforatum. Le Coronilla varia s'appuie sur ces plantes; le Briza media , le Dactylis glo- merata , viennent se confondre avec le Daucus Carotta, le Rumex Acetosa et les hautes tiges fleuries de l'OEnothera bienms. Le Spiræa Ulmaria se réunit en groupes serrés, et l’on voit aussi le Stachys recta, le Clinopodium vulgare, le Medicago falcata et l'Achillea Millefolium. Le Sapo- naria officinalis s'empare d'espaces étendus, et ses jolies fleurs roses se mélent aux capitules dorés du Senecio Jaco- bœa, aux longs épis purpurins du Lythrum Salicaria et au feuillage découpé du Centaurea maculosa. Toutes ces plantes acquièrent de si grandes dimensions, que nous dispa- raissions entièrement quand nous pouvions pénétrer au milieu d’elles. A une petite distance se trouvent les sources minérales , et une végétation particulière signale leur apparition. On y distingue une grande quantité de Scirpus maritimus , le Glaux maritima, le Triglochin palustre, le Lepigonum marginatum, le Glyceria distans et le Chara crinita, celui-ci couvert de fruits rouges et réuni en larges gazons sous les eaux saumâtres. 3. Broussailles de la base du puy Noir, sur pouzzo- lane, à 900 mètres d'altitude, le 6 juillet 185%. — Au pied du puy Noir et du puy de la Vache , sur un sol irré- gulier formé de monticules de lave et de pouzzolanes répan- 142 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. dues, les plus gracieuses associations se présentaient à nos yeux. Entre les groupes espacés des noisetiers et des bou- leaux, l’Orchis conopsea élevait ses longs épis et répandait son parfum que le soleil, caché sous de sombres nimbus, ne pouvait pas détruire. Les Platanthera bifolia et P. chlo- rantha se montraient dispersés, et de jolies touffes de Lychnis Viscaria étalaient leurs corolles purpurines. Le Silene nutans, qui le soir laisse échapper ses effluves parfu- mées , et le Silene inflata, étaient du nombre de ces caryo- phyllées si élégantes et si répandues dans les lieux que nous traversions. De grands Pteris aquilina déroulaient les extrémités de leurs frondes couvertes d’écailles rous- sâtres , et le Cytisus sagittatus s’étendait en tapis dorés sous les fruits plumeux de l’Anemone montana. Le Polygala vulgaris , bleu ou rose, formait de petits groupes près de l’Helianthemum vulgare, dont les fleurs jaunes et éphé- mères précédaient les capsules inclinées. L’Aquilegia vul- garis abritait ses fleurs bleues sous les buissons des Rosa canina, et le Melampyrum cristatum , parasite sur la flouve odorante ou sur le Briza media, laissait sortir ses petites fleurs jaunes de ses bractées colorées. Ailleurs , on voyait le. Trifolium pratense, à capitules d’un rouge vif, l'Hieracium Auricula aux fleurs soufrées et aux rejets rampants, le Poterium Sanguisorba aux étamines pendantes, et le grand Chrysanthemum Leucanthemum étalant ses disques radiés au-dessus des Juniperus communis et des fruits à demi- mûrs du Genista pilosa. 4. Cône volcanique de Gravenoire, à 800 mètres d'alti- tude, le 6 juillet 1854. — La pluie avait mouillé les sco- ries du volcan de Gravenoire, et les pouzzolanes répandues sur le sol offraient des teintes rouges et ferrugineuses très- JUILLET. 143 éclatantes. Les Sedum commençaient à fleurir. De larges gazons de S. acre s’étendaient près des tapis rouges for- més par les feuilles grasses et cylindriques du S. album, et le S. reflexum , aux cimes inclinées, essayait de fixer la végé- tation sur un sol encore vierge depuis l'époque où le volcan l’a rejeté de ses flancs incandescents. Le papillon apollon, dont la chenille s'était nourrie de ces plantes, voltigeait sur les pentes de la montagne. Le Thymus Serpyllum y formait aussi de larges touffes fleuries, et le Biscutella lœvigata offrait à la fois ses fleurs soufrées et ses doubles silicules. 5. Prairies du mont Dore, sur les alluvions volcani- ques, à 1,200 mètres d'altitude , le T juillet 1854. — La pluie tombait en abondance et les prairies du mont Dore étaient dans tout leur éclat. Les ombellifères dominaient ; elles formaient comme une vaste forêt dont les branches entre-croisées se terminaient par des ombelles de fleurs blanches ou roses, ou par les fruits doubles qui leur succé- dent. C'’étaient le Chærophyllum sylvestre, l'Heracleum Sphondylium à corolles blanches ou lilacées, et une belle variété du Pimpinella magna, dont les ombelles étaient roses ou d’un carmin très-vif. À cette élégante association se joignaient une multitude de ÆKnautia sylvatica , dont les fleurons, d’un lilas bleu, luttaient de colons avec les nombreux épis du Polygonum Bistorta et les mille corolles du Geranium sylvaticum , dont les branches fleuries , char- gées de gouttes de pluie, s’inclinaient vers la terre et fai- saient des efforts inutiles pour se redresser. Au milieu de cette apparente confusion, on voyait aussi les panicules rougeâtres du Rumex Acetosa et les corymbes jaunes du Crepis biennis, la seule chicoracée alors fleurie dans ces magnifiques prairies. 144 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. 6. Prairies de Bagnols, canton de Latour, sur le terrain primitif, à 1,000 mètres d'altitude , le 8 juillet 1854. — De grandes prairies , situées près de Bagnols, offraient la singulière association de l’Hypochæris radicata et du Phy- teuma persicæfolia. Ces fleurs étaient si abondantes, qu’elles se touchaient et s’embellissaient mutuellement par le con- traste du bleu etde l’orangé. C’est à peine si l'Arnica mon- tana pouvait y ouvrir ses belles fleurs , et les bords du ruis- seau qui , d’un côté , encadrait la prairie , étaient garnis de groupes nombreux du Doronicum austriacum dans son plus bel état de développement. 7. Plaine élevée couverte de pouzzolanes, à la base du puy de Dôme, à 1,100 mètres d'altitude, le 10 juillet 1852. — Quelques espèces vivent en société à la base du puy de Dôme et y forment de très-vastes tapis ; ce sont surtout le Melampyrum cristatum, avec ses bractées rouges ; l’Helian- themum vulgare, tout couvert de fleurs, et le Cytisus sagit- talus, si commun sur toutes les pelouses des montagnes. Le Calluna vulgaris, mêlé à ces trois espèces , forme le fond de cette végétation. | 8. Prairies de Gelles, canton de Rochefort, sur grami, à 875 mètres d'altitude, le 11 juillet 1853.— Elles étaient remplies de Gentiana lutea, en pleine fleur, de Ænautia sylvatica , de Veratrum album et de touffes plus rares de Campanula linifolia, Lam., en tout semblable à celle du mont Dore. De grandes étendues étaient couvertes de bruyè- res. L’Erica cinerea commençait déjà à fleurir, et le Calluna vulgaris était sans apparence de végétation. Ces deux es- pèces existent souvent dans la même proportion , mais or- dinairement le Calluna vulgaris est plus abondant. A ces JUILLET. 145 deux plantesse mélangent le Sarothamnus vulgaris et le Genista pilosa , tous deux tellement couverts de fleurs, que leurs tiges disparaissent, et une immense quantité de Pteris aguilina, dont les jeunes frondes encore roulées et d’un vert pur paraissent former le fond de la végétation. Ce petit nombre d’espèces croît pêle-mèle , confusément réunies. Elles admettent souvent, dans de petites localités distinctes, au milieu d’elles , le Veronica officinalis, et si elles s’élè- vent peu et sont encore jeunes, le Zycopodium clavatum y montre ses épis naissants. 9. Champs incultes des environs de Rochefort, sur le basalte, à 950 mètres d'altitude, le 12 juillet 1853. — Dans les environs de Gelles et de Rochefort, on voit beau- coup de champs incultes cachés sous une pelouse courte et admirablement émaillée. Les deux plantes dominantes sont le Trifolium repens et le Lotus corniculatus. Aux fleurs blanches et jaunes de ces deux espèces se mêlent aussi les capitules roses du. Trifolium pratense et toutes ses va- riétés. Leurs nuances varient du carné au carmin violacé. Il y existe aussi des différences dans les stipules et dans les feuilles. Peut-être, comme dans beaucoup d’espèces com- munes, ÿ a-t-il, dans le 7rifohium pratense, un groupe d’espèces plutôt qu'un type variable à l'infini. Le Linaria striata s'élève au-dessus de ces pelouses fleuries. Ailleurs, des champs enticrs sont couverts d’Erhium vul- gare et paraissent d’un bleu magnifique, même à de grandes distances. Quelquefois un pied à fleurs blanches ou à fleurs carnées se montre au milieu des autres. 10. Grand plateau basaltique de la Masse, près Latour, à 1,159 mètres d'altitude, le 12 juillet 185%. — F existe, IV 10 146 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. sur la grande nappe basaltique appelée la Masse, près de Latour, un ancien cratère dont le fond est encore occupé par un marécage. Le sol est tourbeux et garni de fondrières. Quand les eaux sont profondes, on y voit des masses flot- tantes de Monti fontana, ayant quelquefois plusieurs mètres de surface. Les tiges, extrêmement longues, y sont enfoncées, et les rameaux, d’un beau vert, sont émergés et couverts de fleurs. Le Monti est une plante éminemment sociale, dont les individus , dans cette circonstance , se prêtent un mutuel secours. À l'approche de l'hiver, quand la plante périt , ses tiges et ses racines forment une espèce de coussin que l’on ne peut mieux comparer qu'à une éponge dont les interstices seraient remplis par le terreau qui résulte de la décomposi- tion lente des feuilles et des tiges. Les graines du Honti tombent sur cette masse spongieuse et flottante; l'hiver survient , la masse est prise dans la glace, la neige la recouvre , et, jusqu’au mois d’avril ou de mai, cet ensemble reste dans l'état d'inertie le plus complet. Alors les graines germent ; une petite prairie flottante reçoit les rayons du soleil, et le Mont fleurit et recommence, dans la même station, le cercle complet de sa curieuse existence. Au bout d’un certain temps, ces masses s’attachent aux bords ou au fond du marais; elles reçoivent les germes du Menianthes trifohiata, de l’Andromeda poliifolia ; destouf- fes de Sphagnum s’y associent, les Cenomice s’en emparent, et bientôt le Calluna vulgaris etle Vaccinium uliginosum se multiplient sur ces sols vierges préparés par le Monti fontana. 11. Cône volcanique de Barre, près Allègre (Haute- Loire), à environ 1,200 mètres d'altitude, le 12 juillet 1846.— La végétation qui revêt aujourd'hui les cônes sco- JUILLET. 147 riacés des volcans d'Auvergne, offre partout des traits de ressemblance. Nous devons pourtant citer le volcan de Barre, couvert d’une belle forêt de hètres , sous lesquels nous pé- nétrâmes dans une de ces journées d’accablante chaleur que l’on ressent quelquefois dans les montagnes. Le silence le plus absolu régnait dans cette solitude; les oiseaux, fatigués de la chaleur du jour, restaient muets sous les ombrages, et le feuillage immobile indiquait le calme qui régnait dans l'atmosphère. Les hêtres montent jusque sur les bords élevés du cratère, et ils en garnissent les pentes intérieures ; mais, dans le fond , le sol tourbeux éloigne cet arbre, et des bouleaux, aux branches pendantes, forment un vaste bosquet, sous le- quel se déploient d'immenses tapis de Polytrichum et de Cenomice , où rampent les tiges débiles du Potentilla Tor- mentilla , et où les rosettes du Drosera rotundifolia s’éta- lent sur des touffes de Sphagnum. Quelques pieds de Sambucus nigra et de S. racemosa existent sur la lisière supérieure des hêtres. Le Dianthus deltoides ouvre ses fleurs régulières sur des masses de scories, l’'Ophrys nidus avis végète aussi au pied des hêtres, et le Geranium nodosum mêle ses corolles rosées aux fleurs blanches de l’Asperula odorata. Le Lactuca muralis se réfugie dans les lieux les plus $ombres de la forêt, tandis que les clairières sont occupées par des groupes puissants de Polystichum Filix-mas et par des toufles épaisses de Stachys alpina. 12. Bois de Banson, près de Rochefort , sur le terrain primitif, à 960 mètres d'altitude , le 13 juillet 1853. — De grandes clairières existant dans les bois de Banson étaient entièrement couvertes de Sarothamnus vulgaris et de Di- gitalis purpurea admirablement fleuris et formant de magni- 148 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. fiques tableaux. Ces plantes étaient entremêlées de grandes quantités de Pteris aquilina et de larges touffes d’Athyrium Filix-feminea. Cette végétation était très-fraiche, et,"dans les lieux plus humides, on distinguait de beaux pieds d’A- quilegia vulgaris et de Doronicum austriacum. . 13. Broussailles de la base du pic de Sancy, sur ter- rain trachytique , à 1,300 mètres d'altitude, le 15 juillet 18%#1.— Une végétation des plus vigoureuses se développe dans la partie la plus élevée de la vallée des Bains, à la base du pic de Sancy. Les sapins y sont clairsemés, mais on voit, aux vieux troncs qui persistent encore, que toute cette partie était autrefois boisée. Des bouquets de hêtres y sont dissé- minés, et l’on trouve, au milieu de ces bosquets , les buis- sons fleuris du Rosa alpina et les grappes rougeûtres et al- longées du Ribes pœtrea. Le Vaccinium Myrtillus et le Rubus idœus se disputent le terrain, et, à l’abri des buis- sons plus élevés, on remarque le Streptopus ampleæifolius , à fleurs verdâtres et à baies éclatantes, le Paris quadri- folia, le Saxifraga rotundifolia et d'énormes touffes d’Æu- phorbia hyberna , aux fruits tuberculeux. Le Gentiana luteæ existe couvert de fleurs, ainsique le Ranunculus platanifolius, qui se mélange au Poa sudetica et à l’Alchemilla vulgaris. È 1%. Bois taillis de la roche Sanadoire, sur conglomé- rats ponceux , & 1,160 mètres d'altitude, le 15 juillet 1851.— Une association composée de plantes extrêmement vigoureuses se montrait au pied de la roche Sanadoire, dans de jeunes taillis. Les espèces dominantes étaient le Srene diurna , couvert de fleurs rouges éclatantes, et le Zinaria striala, qui atteignait près d’un mètre d’élévation. Le Ra- runculus platanifolius offrait à la fois des fleurs et des fruits JUILLET. 149 mûrs; le Sonchus Plumieri commençait à ouvrir ses calathides d’un bleu pâle, etle Meconopsis cambrica donnait ses der- nières fleurs. On voyait de belles toufles d’Anthoxanthum odoratum ; on remarquait les panicules légères du Hilium effusum, et, près des longs épis du Digitalis purpurea , le Doronicum austriacum se développait dans toute sa splen- deur. Le Rumex arifolius s'élevait près d'énormes bouquets de Stachys alpina. À ces beaux végétaux il faut ajouter en- core le Rosa rubrifolia, au feuillage à la fois glauque et rouge ; le Frburnum Opulus, aux neigeuses couronnes; et, tandis que le Sarothamnus vulgaris mêlait ses buissons aux autres arbrisseaux, le Cytisus sagittalis s’étendait dans les clainières et cachait ses tiges ailées sous des milliers de fleurs. ‘ 15. Foréts de sapins du plateau de Bozat, au mont Dore, à 1,500 mètres d'altitude, sur terrain trachytique, le 17 juillet 185%. — Les vastes forêts de sapins du mont Dore présentent à cette époque de l’année un luxe remar- quable dans leur végétation. Les pentes ombragées et humides du grand plateau de Bozat sont occupées exclusive- ment par l’Abies pectinala , qui acquiert de très-grandes dimensions et qui croît également le long des ruisseaux, sur les flancs des ravins et sur les rochers même qui bordent ce grand plateau trachytique. Sous son ombrage , dans les clairières et le long des filets d’eau, des espèces diverses, remarquables surtout par le nombre de leurs individus , se disputent le sol et se pressent au point de le cacher complé- tement. Le Polygonum Bistorta s’y montrait comme dans les prairies, et l’on était étonné de le voir associé au Gera- nium Robertianum et au Rumex arifolius, dont les pani- cules rougeâtres dominaient toutes les autres plantes. Le 150 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Polystichum Filix-mas et l’Athyrium Filix-feminea atter- gnaïent d'énormes proportions , et déjà leurs frondes décou- pées étaient couvertes de fructifications. Près de leursbeau feuillage s’élevaient aussi le Digitalis purpurea et les verti- alles du Galeobdolon luteum. L’Asperula odorata se déve- loppait à l’ombre avec les toufles délicaies du Mœhringra tr inervia. D'autres espaces étaient couverts du Zysimachia nemo- rum, dont les corolles jaunes et régulières étaient épanouies près des fleurs bleues du Myosotis soHEeE et des tiges débiles du Stellaria nemorum. Quelques clairières étaient occupées par des touffes puis- santes du Doronicum austriacum ; le bord des ruisseaux et les flancs des ravins montraient les larges feuilles du Peta- sites albus, les panaches multipliés du Spiræa Ulmaria et des gazons entiers des Saxifraga stellaris et S. rotundi- folia. Le Stellaria uliginosa y formait de larges tapis au- dessus desquels dominaient les fleurs bleues du Veronica Beccabunga. Cà et là un Lychnis flos-cuculi ouvrait ses calices striés et en laissait sortir les franges roses de ses pétales, tandis que le Silene diurna, joignant la beauté à la profusion , se dispersait partout, tantôt accompagné du Crepis paludosa ou du Cirsium palustre, tantôt mélangé au Ranunculus platamfolius , dont les grandes fleurs blan- ches étaient un des plus beaux ornements de ces lieux sauvages. Le Cardamine amara , V'Anthoxanthum odoratum fai- saient partie de ces singuhères associations , où les stations paraissaient confondues. Sur de gros blocs de trachyte on voyait mélangés le Vac- cinium Myrtillus et le Calluna vulgaris ; à l'ombre le Melampyrum sylvaticum, probablement parasite, sur |’ An- JUILLET. 191 thoæanthum, puis le Blechnum spicant déroulant déjà ses frondes fertiles, et le Corydalis claviculata rampant au pied des sapins. Mais si les arbres s’écartaient et si les blocs amoncelés de trachyte devenaient plus nombreux, le Rubus idœus, le Lomicera nigra , le Sambucus racemosa, le Sorbus Aucu- paria , se présentaient en foule et ajoutaient aux scènes brillantes de la végétation leur feuillage varié et leurs fruits colorés. 16. Prairies de Pra-de-Bouc , dans le Cantal, au-des- sus d’Albepierre , sur terrain trachytique, à 1,400 mètres environ d'altitude , le 17 juillet 1840. — Nous arrivämes à Pra-de-Bouc par une de ces belles matinées d'été qui permettent aux montagnes de se montrer dans toute leur parure, et dont la fraicheur parfumée vous procure de si douces sensations. Les fleurs tardives et celles que le prin- temps fait éclore dans les plaines, se rencontrent souvent ensemble pendant l'été si court des régions élevées ; et c'est en effet le spectacle js nous avions sous les yeux dans ces hautes vallées. Nous venions de traverser de vastes massifs de Genista purgans qui n'étaient pas complétement dépouillés de leurs fleurs, et nous entrions dans de belles prairies dont la surface ondulée était souvent sillonnée de ruisseaux qui couraient en écumant sur des blocs de trachite. Le Gentiana lutea, le Dianthus Seguieri , l'Aira fleæuosa , le Centaurea nigra se montraient partout en abondance. Les lieux plus secs où le gazon était court, étaient cou- verts d’un tissu serré formé de Viola sudetica, de Veronica officinahs, de Galium verum , de Danthonia decumbens , de Hieracium Pilosella: et d’Achillea Millefolium. 152 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX, Sur d’autres points, c’étaient des groupes de Chrysan- themum Leucanthemum à très-grandes fleurs, de Stellaria graminea, de Rumex Acetosa et de Potentilla Tormentilla. Quelques ondulations du sol nous offraient d’autres asso- ciations , telles que le Heum Athamanthicum , le Plantago alpina et le Trifolium alpinum , l'élégant Potentilla aurea, l'Arnica montana largement épanoui, Je Thymus Serpyllum mélangé au Polygala vulgaris , et de charmantes touffes de Genista Delarbret. Le fond de la prairie, constamment arrosé, nous montrait de loin les hautes tiges rameuses du Crsium palustre , ainsi que des pieds vigoureux de Veratrum album, de grands espaces teints en rose par le Polygonum Bistorta, et d’autres qui semblaient couverts d’un brouillard léger dû aux aigrettes vaporeuses de l’Eriophorum alpinum qui vivait en sociétés nombreuses. Ces jolies plantes s’avançaient jusque sur le bord du torrent etmême jusque sous les larges feuilles de l’Adeno- styles albifrons quien ornaitles bords. Là se présentaient aussi de belles associations de Pinguicula vulgaris, de Drosera rotundifolia, de Saxifraga stellaris, S. rotundifolia et de Trifolium badiun, au milieu desquelles le Salix repens étendait ses rameaux, et tout à côté on remarquait ensemble le Bartsia alpina, le Phyteuma Persicifolium élevant ses beaux épis d’un bleu pur, et le Geum rivale aux fleurs roses et penchées. 17. Sommet du plomb du Cantal, sur basalte, à 1,858 mètres d'altitude, le 17 juillet 1840.— Le dôme assez circons- crit qui forme le point culminant du Cantal, est produit par l’affleurement ou le redressement d’une masse de basalte: 1l est entièrement gazonné. Le Nardus stricta, l'Avena ame- thystina , l'Agrostis rupestris y sont les graminées domi- JUILLET. 153 nantes. Le Genista prostrata rampe sur quelques roches saillantes, et le Brassica Cheiranthus y montre en abondance sa variété montana. Le Cerastium lanatum s'y présente avec des caractères tranchés, bien différents pour l'aspect, du C. alpinum, et le Silene striata, plus commun sur les pentes de la montagne, signale cependant sa présence sur le som- met par quelques pieds épars. L'Anemone vernalis y mon- tre ses fruits plumeux ; les Pedicularis fohiosa et P. co- mosa ouvrent leurs corolles soufrées, cachées dans leurs grandes bractées ; le Myosotis sylvatica est couvert de fleurs de l’azur le plus pur, et le Polygala vulgaris d’un bleu foncé, croît près du Thymus Serpyllum, à larges feuilles et à odeur de térébenthine. Sur quelques rochers situés près du sommet, s'étendent des tapis de Saxifraga exarata, dont les fleurs blanches légèrement ponctuées semblent quel- quefois naître sur le (hallus orangé du Peltigera crocata. 18. Sommet de la Malviale, sur phonolite, à 1,371 mètres d'altitude, te 17 juillet 1851.— À cette grande élévation, le Juniperus nana s'étalait en immenses tapis, du milieu desquels on voyait sortir çà et là quelques tiges de Linaria striata, et les rameaux très-épineux du Rosa pim- pinellifolia, couvert de fleurs. Le Betula pubescens formait aussi quelques groupes, et des touffes magnifiques de Picia Orobus s’étendaient sur le sol. L’Arnica montana y fleuris- sait près du Silene nutans qui paraissait dans son véritable paradis , et le Lilium Martagon suspendait ses calices ponc- tués au-dessus du Cytisus sagittalis, qui s’emparait du sol quand le Juniperus ne venait pas l'en chasser. 19. Plateau basaltique près de la Graille, canton de Rochefort, à 1,000 mètres d'altitude, le ÂT juillet 1851. 154 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. — Nous rencontrâmes des pelouses étendues entièrement couvertes d’un mélange de fleurs, produites par le Trifolium repens, le T. pratense, le Lotus corniculatus, le Viola sudetica, et le Linaria striata, qui les dominait en hau- teur. 20. Bois de hétres, près Leyssard, canton de Latour, sur basalte, à 1,100 mètres d'altitude, le 19 juillet 1854. — Sous les beaux hêtres de Leyssard, et protégé par leur ombrage, se développait une des associations les plus fraîches que nous ayons jamais rencontrées. La plante la plus commune était l’Impatiens noli tangere, dont le temps constamment pluvieux avait favorisé le développement. Elle n’était pas Îleurie encore, mais elle poussait avec une ex- trême vigueur, et son feuillage couvrait la terre. Au milieu de ces vastes tapis se détachaient les groupes du Polysti- chum Filix-mas, dont les frondes étalées étaient déjà cou- vertes de points fructifères. Le Sanicula europæa était en pleine floraison, et ses ombelles, presque globuleuses et d’un lilas tendre, s’élevaient au-dessous des tiges débiles et des fleurs étoilées du Stellaria nemorum. Le Meconopsis cam- brica semblait régner au-dessus de ces végétaux ; son feuil- lage glauque et ses grandes fleurs soufrées que protégeaient l’'ombrage et l'heure matinale de la journée, se montraient dans toute leur splendeur. Comme contraste, un végétal sans éclat, l'Ophrys nidus avis, vivait, en parasite , sur les racines des hêtres, ressemblant par sa couleur, aux feuilles mortes qu'il soulevait pour sortir de terre, et de beaux groupes de Geranium Robertianum le disputaient aux fougè- res par la légèreté de leur feuillage, et au Silene diurna par le rose carminé de leurs fleurs. Ajoutez à ce tableau le silence des forêts, la fraicheur du matin et le calme enchan- JUILLET. 155 teur de cette nature si sauvage, vous aurez une idée de la majesté de la nature dans ces lieux retirés. 21. Plateau de Pierre-sur-Haute, sur le granit, à 1,638 mètres d'altitude, le 21 juiltet 1843. — La végétation qui recouvre ce point culminant de la chaîne du Forez, a les plus grands rapports avec celle qui cache le dôme de Mon- toncelle. On traverse aussi, pour y arriver, de grands bois de sapins, et, quand on a atteint la partie supérieure ; on se trouve au milieu des plantes de montagnes : Gentiana lutea, Veratrum album, Sonchus Plumieri, Adenostyles albifrons, Lilium Martagon. Les sorbiers et les alisiers atteignent le sommet comme le Genista purgans, et le Sorbus Chamæ- mespilus s'y montre en larges buissons étalés. Le Solidago virga-aurea y contraste avec les fleurs violettes du Gera- rium sylvaticum, très-commun partout. Le Gen:sta pilosa se mêle au Calluna vulgaris, et dans les lieux un peu humi- des et abrités on rencontre en abondance le Streptopus am- pleæifolius , dont les fleurs verdâtres et peu apparentes ne donnent qu’en automne les fruits éclatante qui font remar- quer cette rare espèce. 22. — Fourrés des bords de la Couse, près Montaiqut- le-Blanc , sur la lave du volcan de Tartaret , à 530 mètres d'altitude , le22 juillet 1852.—A Montaigut, près Cham- peix, la lave du volcan de Tartaret sort d’une étroite vallée, d'où s'échappe aussi une petite rivière qui porte le nom de Couse. En pénétrant dans cette vallée, on y rencontre les deux torrents ; on s’engage bientôt dans un défilé des plus sauvages. L'entrée en était décorée par un fourré de gran- des plantes d’une vigueur remarquable. Rien de plus fertile que la lave arrosée. On voyait dominer les blancs panaches du 136 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. Spirea Ulmaria et les fleurs roses de l’Epilobium hirsutum nourrissait les chenilles noires du beau sphinx Elpenor. L’Agrimonia odorata, bien différent de l’Agrimonia, Eu- patoria, y étalait son beau fewillage, et l’Impatiens noli tangere, déhcat et demi-transparent, soutenait ses fleurs orangées suspendues au-dessus des eaux. Le Salix alba et l’Alnus glutinosa formaient la végétation arborescente de cet oasis, dont les dômes étaient couverts des cônes parfu- més du houblon, et les branches enlacées par la liane de nos contrées, le Clematis Vitalba, aux fleurs blanches et aux plumeuses aigrettes. L’'Eupatorium cannabinum y suivait aussi le bord de l’eau. Ses corymbes purpurins étaient con- verts de ce joli lépidoptère , désigné sous le nom de Calli- morpha hera, et dont l'apparition est le signe certain que le solstice d'été est dépassé. 23. Broussailles de la vallée de St-Nectaire, près Cham- paix, sur le granit, à 600 mètres d'altitude, le 22 juit- let 1852.—La petite vallée granitique qui conduit de Cham- peix à St-Nectaire, recevait perpendiculairement les rayons du soleil. [l était midi. Des zygènes aux ailes de feu étaient engourdies par la chaleur sur les fleurs lilacées du Succisa pratensis ; le satyre Brice, aux ailes noires et chatoyantes, voltigeait sur les pierres brülantes, où de larges tapis de Se- dum album blanchissaient sous la multitude de leurs fleurs. Ailleurs c’étaient des Sempervivum, et surtout le S. Arver- nense, qui se mélait quelquefois à des formes peu connues et plus rarement aux groupes de S. arachnoiïdeum, dont les rosaces semblent couvertes de légères toiles d’araignées.. Nous admirions cette nature sauvage, échappant encore à notre civilisation. Nous voyions le Genista tincloria s'établir dans les fissures du granit, l’Astragalus Glyciphyllos s'y JUILLET. 157 étaler en immenses rosaces, et le Lathyrus sylvestris Y pendre en festons verdoyants ornés de grappes purpuri- nes. Nous remarquions la prédominance des légumineuses et des crassulacées sur ce sol brülant, conservant à peine un peu d'humidité dans ses interstices. 2%. Décombres et bords des chemins, près de St-Nec- taire , Sur terrain granitique, arrosé par des sources miné- rales , à 650 mètres d'altitude , le 22 juillet 1832. — Au village de St-Nectaire , au-dessous de l’église, sur le terrain primitif, on remarquait le mélange des plantes propres aux décombres , avec celles qui affectionnent les terrains salés par les eaux minérales qui s’échappent des fissures de la ro- che primitive. Le Sambucus Ebulus était couvert de fleurs, et de vastes espaces étaient garnis de Lepidium latifolium, entièrement fleuris, et de Fœæniculum officinale, dont les grandes ombelles jaunes dominaient cette végétation. Le Sambucus nigra y formait de gros buissons , au-dessus des touffes d’Urtica dioïca, de Lappa minor , d’Artemisia vul- garis et d'Onopordon Acanthium. Le Conium macula- tum s'y mêlait en abondance. On y voyait l’Jsatis tincto- ria en fruit, l’'Ononis spinosa , l'Helleborus fœtidus, le Malvq sylvestris , le Carduus nutans, et, dans les lieux moins fourrés, le Malva roturdifolia, le Sedum album , le Salvia pratensis et le Lepigonum marginatum. 25. Bords et fossés de la route d’Issoire , sur calcaire marneux, à 300 mètres d'altitude, le 22 juillet 1853. — Dèsle matin, nous suivions la route de Clermont à Issoire. Déjà les plantes assoupies , celles dont les feuilles articulées s’endorment tous les soirs , étaient entièrement éveillées à la vive clarté du soleil. Les berges et les fossés étaient cou- 158 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. verts d’une épaisse végétation , où l’on distinguait, pous- sant sur les calcaires ou dans la vase desséchée des fossés, l’Hordeum murinum, cette plante cosmopolite qui suit l'homme partout où il passe et ne se plait que dans son voisinage. Le Medicago falcuta, tantôt à fleurs bleues et plus souvent à fleurs jaunes ou changeantes , tapissait de grands espaces, étalant ses tiges sur le sol et redressant ses rameaux fleuris. Le Sonchus oleraceus ouvrait ses calathides près des longs épis de l’Agrimonia Eupatoria , dont les fruits pendants et hérissés succédaient aux corolles jaunes et inodores. Le Con- volvulus arvensis S’avançait jusque dans la poussière de la grande route, appliquant ses tiges débiles sur le sol dessé- ché, tandis qu'au delà des fossés on le voyait gagner les moissons, s’enrouler autour des seigles et des froments, et garnir seulement les bords des chènevières , où l’ombre ne lui permettait pas de pénétrer. Ses jolies fleurs blanches, roses, ou rayées de ces deux couleurs, et multiphiées à l’in- fini, venaient de dérouler au soleil levant les tissus délicats de leur corolle ; toutes étaient tournées vers l’astre matinal qui les avait éveillées , tandis que d’autres , ombragées par de vieux noyers, sommeillaient encore, abritées de ses rayons stimulants. C'était, en effet, le réveil de la nature, car les Cichorium Intybus montraient aussi leurs couronnes bleues sur leurs tiges rameuses et dénudées , et semblaient absorber, dans ce bleu céleste, la lumière dorée que leur versait l’astre du jour ; toutes les fleurs se tournaient vers ce grand flambeau du monde ; elles suivaient un instant son cours et se fer- maient pour toujours. Diverses plantes se mélangeaient encore à celles que nous venons de citer. Le Daucus Carotta était couvert de larges JUILLET. 159 ombelles blanches , au centre pourpre et aux involucres dé- coupés. Des groupes d'Achillea Millefolium, au léger feuil- lage, croissaient près du Dipsacus sylvestris et du Carduus nutans, dont les capitules inclinés étaient colorés de carmin. Partout l'Eryngium campestre élevait ses tiges dichotomes près du Pastinaca sativa, le type de nos panais, près des touffes énormes du Zappa major, aux larges feuilles et aux involucres accrochants. Le Verbena officinalis abondait de tous côtés ; aujourd’hui, sans prestige, il partageait le bord des fossés avec le Sonchus arvensis, dont les fleurs dorées contrastaient avec l’Echium vulgare, aux riches épis d’un bleu pur ou violacé. Le Lapsana vulgaris appartenait aussi à cette végétation, où parfois dominaient les Malva sylvestris et M. rotundi- foha , et que venaient égayer et embellir les grappes pur- purines du Lathyrus tuberosus , échappé des moissons voi- sines. De petits tapis de Trifolium fragiferum couvraient les points que l’eau avait abandonnés ; le Potentilla Anse- rina y brillait par ses feuilles argentées, ou bien le Tussilago Farfara les ornait de ses larges feuilles, qui naissent seule- ment quand ses fleurs vernales sont flétries et quand la brise du printemps a dispersé ses semences aigrettées. Telle était cette végétation estivale, autour de laquelle bourdonnaient déjà des milliers d'insectes , les uns butinant sur les fleurs et cherchant leur nectar, les autres se livrant à des luttes sérieuses ou simulées , d’autres enfin occupés de leurs amours. 26. Prairies de Moneau, au-dessus de la vallée de Chaudefour . à environ 1,300 mètres d'altitude, le 23 Juillet 1852. — Les hautes prairies de Moneau, au-dessus de Chambon, reposent sur le trachyte. Leur végétation est 160 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. tout à fait alpestre. Elles sont couvertes des larges feuilles du Rumex alpinus ; le Veratrum album y atteint de grandes proportions et se distingue de loin à ses pyramides de.fleurs d’un blanc verdâtre. Les pelouses non arrosées sont ornées de buissons de hêtres , et de larges espaces dont la teinte glauque décèle de loin le Genista purgans, comme son odeur sauvage le trahit quand on s’en approche. Dans le mois de jun ce genêt est couvert de milliers de fleurs jaunes qui permettent de le reconnaître à plusieurs lieues de distance. Quand il vieillit, ses grosses branches tortueuses couvrent le sol, retiennent les pieds et rendent la marche très-difficile , tandis que les rameaux supérieurs sont toujours nivelés et forment des surfaces horizontales. 27. Plateaux couverts de pelouse, dans le canton de Besse, sur terrain trachytique, à 1,250 mètres d'alhtude, le 2% juillet 1853. —- Nous parcourions les plateaux de trachyte qui dominent la dent du marais , entre Antirioux et Lagarde, dans le canton de Besse. Les pelouses fleuries présentaient un phénomène curieux de dispersion et en même temps un des plus riches parterres qu'il soit possible d’ima- giner. Les plantes n'offraient pas un mélange égal, comme dans la plupart des prairies. C’étaient des groupes peu étendus et non des individus qui étaient mélangés ; chacun de ces groupes, absolument composé de la même espèce, couvrait de petits espaces irréguliers, qui avaient quelquefois un mètre d’étendue. On y voyait dominer le Galium verum, dont les légers panaches jaunes se montraient près des cloches bleues du Campanula hinifoha. Le Dianthus Se- guieri, aux pétales purpurins , aux boutons noirs ou ferru- gineux, se dressait près des tiges débiles et des fleurs dé- licates et étoilées du Stellaria graminea. Là , c'était l’4- JUILLET. 161 chillea Millefolium , avec ses corymbes blancs ou lilacés ; là , le Campanula rotundifolia , couvert de grelots bleus. Le Chrysanthemum Leucanthemum ouvrait ses grandes fleurs rayonnées et dominait les gazons dorés du Cytisus sa- gittalis ; le Viola sudetica formait des tapis bleus, encadrés des épis purpurins du Betoniea officinalis. Les lieux les plus secs étaient indiqués par de larges gazons odorants de Thy- mus Serpyllum , sur lesquels les abeilles et les bourdons venaient recueillir un miel parfumé. Le Jasione perennis avait aussi ses cantons , où ses capitules d’un bleu céleste attiraient les -satyres noirs des montagnes. Le Gentiana lutea cherchait à s'emparer du terrain , s’avançant en pha- langes serrées, tandis que le Briza media et l’Aira flexuosa, refoulés dans les interstices de ces groupes colorés , balan- çaient leurs épillets marbrés au gré des ondulations de l'atmosphère. | Que d’harmonies sur ces pelouses, que de beautés dans ces lieux sauvages , où la nature se pare à la voix du Créa- teur, et étale des merveilles inconnues à l’homme qui n’ose affronter quelques fatigues pour les contempler. 28. Landes de Briffons, canton de Bourg-Lastic, sur le micaschuste, à 800 mètres d'altitude, le 25 juillet 1853. — Des dômes étendus de micaschiste nous ont offert un joli tapis de fleurs composé d’Erica cinerea et d’Hypericum pulchrum, celui-ci ordinairement némoral et qui croît ici en abondance et sans le moindre abri. Quand la bruyère est courte, le Lycopodium clavatum s’y montre en cercles élargis. 29. Champs arides près de Murols, canton de Besse, à 900 mètres d'altitude , le 25 juillet 1852. — T1 existe sur le IV 11 162". ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. bord du beau lac Chambon une montagne parsemée de pouzzolanes, mais le terrain primitif se montre dans sa partie supérieure et dans son prolongement. C’est un gneiss plutôt qu'un granit, et il est traversé par des filons de porphyre. Cette localité offrait une grande quantité de Pteris aqui- dina, de Carduus nutans, de Cirsium acaule. Nous y trou- vâmes surtout en abondance le Carlina Cynara. Çà et là crois- sait aussi le Carlina acanthoïdes, et nous ne tardâmes pas à rencontrer au milieu d’eux plusieurs pieds qui tenaient à la fois de l’un et de l’autre et qui nous parurent des hybrides. Leurs involucres étaient dressés comme dans le C. Cynara , verts ou violets, et les feuilles tenaient exactement le milieu entre celles de ces deux espèces. 30. Prairies sèches de l'Ardèche, au bas du Gerbier de Jonc près des sources de la Loire, à 1,000 mètres d’alutude, le 26 juillet 1843. — De jolies pelouses s'étendent au bas de la montagne désignée sous le nom de Gerbier de Jonc et qui domine une partie du département de l'Ardèche. Nous y trouvâmes une grande quantité de fleurs bleues appartenant surtout au Campanula linifoha, au Phyteuma persicifolia, au Polygala vulgaris, au Viola sudetica, et au milieu de ces nuances de bleu existait une multitude de fleurs jaunes de l’Hypochæris radicata; le Dianthus deltoides, d’un beau rouge carminé, se développait au milieu de ces diverses es- pèces , tandis que le Trifolium pratense, le T: repens et le Cytisus sagittalis contribuaient aussi à orner ces lieux sau- vages. 31. Prairies de Laqueurlle, canton de Rochefort, sur tra- chyte, à 1,000 mètres d'altitude, le 27 juillet 1853. — Très-près de Laqueuille et sur la lisière d’un bois de hêtres sur JUILLET. 163 le trachyte, des prairies étaient littéralement formées de : Knautia sylvatica, d’Astrantia major et de Chærophyllum sylvestre. Ces trois plantes étaient en pleine floraison, mais la dernière était un peu plus avancée. 32. Pelouses près Laqueuille, canton de Rochefort, sur micaschiste et basalte, à 1,000 mètres d'altitude, le 2T juil- let 1853. — Au-dessous de Laqueuille, et tout près du petit hameau de Chabois, on voit une colline très-basse qui s’avance comme un cap au milieu des prairies, et qui se termine sur le bord même de la petite rivière de Miouse. Ce prolongement de micaschiste offre à son extrémité un dôme de basalte éruptif dont la base touche le ruisseau de la Pouse et la rivière de Miouse à leur point de jonction. Ce petit dôme volcanique est peu séparé du prolongement de micaschiste auquel il est contigu , mais ne le serait-il pas du tout qu'on distinguerait immédiatement les deux roches à la différence de leur végétation. Le terrain de micaschiste est presque nu ävec quelques pieds de Sarothamnus vulgaris et de Gentiana lutea. Le monticule basaltique a peu de Sa- rothamnus, peu de gentiane, mais beaucoup de plantes qui manquent absolument à côté, telles que : Agrostis vul- garis, Cytisus sagittahis, Hehianthemum vulgare, Sedum elegans, Thymus Serpyllum , etc. 33. Vallée de la cascade du Trador , canton de Roche- fort, sur basalte et conglomérat ponceux, à 1,000 mètres d'altitude , le 28 juillet 1853. — La cascade du Trador s’élance dans un cirque assez resserré où l’on rencontre du gazon et des buissons. On trouve près de l’eau : Poa trivia- hs, Myosotis perennis, Ranunculus acris, Alchenulla vul- gars , Fragaria vesca et Oxalis Acetosella. Sur les roches 1604 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. arrosées : Chrysosplenium oppositifolium, Pinguicula vul- garis, Geranium Robertianum, Aspidium fragile, Poly- podium vulgare. Un peu plus loin, le long du ruisseau : Vicia sativa, Geranium sylvaticuim, Chærophyllum hirsu- tum, Angelica sylvestris, Spiræa Ulmaria, Knautia syl- vatica, Doronicum austriacum, Polystychum Filix-mas , Digitalis purpurea. Les arbres qui l'entourent sont : Fagus sylvatica, Sorbus Aria, S. Aucuparia, Fraxinus excelsior. 34. Environs de Bozouls, dans l’Aveyron, sur calcaire jurassique, à environ 600 mètres d'altitude, le 28 juillet 1847.— Une énorme cassure existe dans les calcaires au- dessous de Bozouls, et la végétation des décombres et des lieux habités y est extrêmement développée. On n’y voit du reste que des plantes communes intimement mélangées et formant quelquefois des fourrés impénétrables. L’Artemisia vulgaris, l'A. Absinthium , se mêlent à des buissons d’ÆEu- patorium cañnabinum et de Dipsacus pilosus. Le Geranium nodosum y est commun, ainsi que l’Asclepias Vincetoxicum , qui tend à devenir grimpant. On voit d'énormes buissons de Solanum Dulcamara, des fourrés de Sambucus Ebu- lus et des bosquets odorants de Fæniculum officinale. Le Saponaria officinalis , le Lappa major , le Lamium macu- latum , les Geranium Robertianum et G. lucidum , le Me- lissa officinalis viennent encore compliquer cette curieuse réunion , et sur les parois inaccessibles on aperçoit de lon- gues séries d’Fris germanica, le Scolopendrium officinale , et l'Hedera Helix qui cache la nudité des roches de sa ver- dure foncée. | 35. Pelouses sur le micaschiste, dans le canton de Bourg- Lastic, à 800 mètres d'altitude, le 29 juillet 1853. — AOÛT. 165 A l’est de Bobertie on trouve un large dôme de micas- chiste, très-régulier, couvert d’une pelouse unie, extrême- ment courte. Deux plantes y sont disséminées et y produi- sent un effet très-pittoresque, ce sont le Zycopodium cla- vatum et le Juniperus communis, dont les individus fe- melles sont chargés de fruits verts ou bleus. . $5. ASSOCIATIONS DU MOIS D'AOUT. 1. Plateaux des environs de Bourg-Lastic, sur micas- chuiste, à S00 mètres d'altitude, le 1% août 185%. — Près de Teissonnière , canton de Bourg-Lastic, nous trou- vâmes, sur un sol de micaschiste, de petits marais couverts de Sphagnum qui étaient ornés des rosettes rutilantes du Dro- sera rotundifolia, dont lesfleurs blanches et étoilées étaient complétement épanouies. Le Walhenbergia hederacea, et sa gracieuse compagne l’Anagallis tenella, rampatent sur ces mousses et leur prêtaient les nuances délicates de leurs nom- breuses corolles. Le Ranunculus flammula, réduit à un dé- cimètre de hauteur, ouvrait ses fleurs jaunes dans ces petits jardins naturels; le Lycopodium inundatum les entourait de ses tiges écailleuses, et le Carum verticillatum les dominait de ses blanches ombelles. Quant à la pelouse qui entourait ces parterres à demi- flottants, c'était un mélange de Calluna vulgaris, des Erica cinerea et E. Tetralix, de Genista pilosa rampant et étalé sur la terre, etdu Pteris aquilina qui se montrait partout. Quelques espaces dénudés étaient couverts de Bæomices ro- sea, dont les tubercules roses se détachaient sur une croûte blanchâtre. Quand, au milieu de ces bruyères, on trouvait quelques espaces dénudés, on y rencontrait : Ilecebrum verhcillatum , Juncus capitatus, Radiola Mllegrana , et 166 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. au-dessus de ces miniatures encore le Pteris aquilina. Le Betula alba et le Juniperus communis , dont les mâles sont bien plus communs que les femelles , forment avec quelques jeunes pieds de Populus Tremulala végétation arborescente de ces plateaux. 2. Champs arides des environs de Combronde et de Menat, sur gneiss et micaschiste, à 600 mètres d'altitude , le 2 août 1853. — En montant à Saint-Pardoux, au delà de Combronde , on voit les premières touffes de l’Erica cinerea , une des bruyères les plus élégantes et qui ne se trouve nulle part plus rapprochée de Clermont. Cette plante semble faire une distinction entre le granit et le micas- chiste, et préfère ce dernier. Dans les mêmes lieux croît le Senecio artemisiæfolius, au feuillage léger, aux fleurs écla- tantes. Il se cache dans les bois, et un peu plus loin , dans la même direction , il résiste au soleil sur les coteaux les plus secs qu'il couvre de fleurs, et dont il consent à par- tager l'étendue ‘avec le Digitalis purpurea et le Pteris aquilina. Ces trois plantes , éminemment sociales, se plai- sent ensemble et transforment en élégants jardins des ter- rains qui, sans elles, seraient réduits à la plus affreuse nudité. 3. Bords des chemins de la Limagne, sur calcaire mar- neux , à 300 mètres d'altitude, le 2 août 1853. — Dans la Limagne, sur les terrains calcaires du bassin de l’Au- vergne , les chanvres étaient fleuris; les ondes d'un vent 1éger leur enlevait des torrents de pollen, et l'Orobanche ramosa, offrant ses deux variétés bleue et jaune, crois- sait parasite sur leurs racines. Les Solanum nigrum et S. mumiatum, précurseurs de l’automne, se montraient AOÛT. 167 partout, et le Polygonum aviculare couvrait les bords des chemins de ses rameaux étalés et de sa verdure sans cesse renaissante. Le Sisymbrium officinale dressait ses siliques sur ses branches divariquées, et les croisait avec les épis pres- que dénudés du Verbena officinalis. Les haies étaient garnies partout de beaux Convolvulus sepium , dont les blanches corolles rehaussaient l'éclat des grappes violettes et florifères du Vicia Cracca, et des corym- bes purpurins de l’Eupatorium cannabinum. Les prairies se couvraient, pour la seconde fois, d'une herbe fine et veloutée. L’Heliotropium europæum donnait aux guérets la teinte violacée de ses fleurs ; le Sinapis arvensis fleuris- sait toujours , et le Papaver Rhœas faisait aux campagnes ses derniers adieux. Les bords des champs étaient ornés de Mentha sylvestris , d'Ononis repens et des fleurs jaunes et orangées du Linaria vulgaris. Le Polygonum Persicaria et surtout le P. Hydropiper croissaient le pied dans l’eau où dans la vase, 4. Végétation des eaux tranquilles près de Bourg-Lasto, 800 mètres d'altitude, le 3 août 185%. — Les étangs de Farges et de Teissonières, situés sur les micaschistes du canton de Bourg-Lastic, nourrissaient l’Hydrocotyle vul- garis, rare sur le plateau central. Le Polygonum amphi- bium y vivait en sociétés nombreuses et y couvrait des espaces de 10 à 12 mètres de diamètre. Ses feuilles nagean- tes cachaient la surface de l’eau, et au-dessus se dressaient ses épis d’un rouge vif. Ailleurs, les fleurs étaient d’un carmin moins intense , et l’on reconnaissait, au ton uniforme de tous les épis d’une même association, que chaque groupe était dû à la multiplication gemmipare d’un premier indi- vidu. Cette plante faisait une des plus belles décorations des 168. ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. eaux. À une certaine distance, se trouvaient d’autres par- terres de Nymphæa alba , dont les belles fleurs , largement ouvertes sous l’influence d’un soleil ardent, contrastaient par leur blancheur de lys avec les tapis carminés du Polygo- num et les eaux noires qui leur servaient de supports. 9. Vallée de Châteauneuf, canton de Manzat, sur por- phyre , à 650 mètres d'altitude, le 3 août 18533. — La végétation de la vallée de la Sioule, aux environs de Chà- teauneuf, est remarquable par la quantité de Buæus sem- pervirens qui existe partout sur les deux rives, et particuliè- rement sur les roches porphyriques les plus compactes. Le Juniperus communis s'y montre aussi très-beau , ainsi que l’Hedera Helix. Un de ces arbrisseaux, d’une grande magni- ficence, se voit en face des bains, s’accrochant à un roc de porphyre. Un autre couvre seul les ruines du château d’Ayat et semble une gigantesque couronne d’une fraîcheur éter- nelle, pure comme la gloire de l'illustre Desaix, dont elle rappelle le souvenir et marque le lieu de naissance. Le Saro- thamnus vulgaris s'étend aussi dans la vallée et sur les plateaux , souvent mêlé au buis sur les porphyres et les gra- nits. Ses fleurs étaient passées et le soleil faisait pétiller ses fruits en dispersant ses graines. Les arbres qui forment les haies et les buissons sont les mêmes qu'aux environs de Pontgibaud et dans la Creuse. L’Ilex Aquifolium y est com- mun, souvent à feuilles de laurier, et c’est à peine si quel- ques baies accidentellement rougies indiquaïent déjà sa parure hivernale. L’Evonymus europœus croissait à côté, et l’Acer campestre élevait ses branches à écorce cannelée et laissait osciller ses samares ailées. Un arbre plus méridional se rencontre aussi à Ayat comme à Châteauneuf : c’est . V’Acer monspessulanum. AOÛT. 169 Les eaux minérales de Châteauneuf, qui sortent du terrain de porphyre, ont déposé sur quelques points de légers dépôts . calcaires qu’elles arrosent encore. Deux plantes associées profitent de leur salure : ce sont le Glaux marilima et le Triglochin palustre. 6. Plaines de bruyéres des environs de Châteauneuf, canton de Manzat, sur le granit, à 700 mètres d'altitude, le % août 1853.— On voyait, dans les environs de Château- neuf, sur les terrains primitifs qui avoisinent Sainte-Chris- tine , de grandes pelouses colorées par les fleurs de l’Erica cinerea. Les chemins étaient bordés de Pyrus Malus à feuilles lisses, et dont les branches s’inclinaient sous le poids de leurs fruits sauvages, et de Quercus pedunculala , égale- ment fructifères. Les Juniperus communis y atteignaient de grandes dimensions et croissaient près de vieux bouleaux dont l’écorce blanche était cachée par de nombreux lichens, où l’on distinguait les taches orangées de l’Imbricaria pa- rielina , les larges rosettes olivâtres de l’Z. Acetabulum et les jolis thallus des Z. stellaris et T. pulverulenta. Le vent, rasant la terre, souflait avec violence. Le bruit qu'il pro- duisait augmentait encore dans le fond de la vallée, où nous remarquâmes une agitation extraordinaire du feuillage. En effet, nous entrâmes dans un bois de Betula alba et de Po- pulus Tremula, qui recevaient sur leurs feuilles si mobiles l'impression du courant aérien. Les arbres étaient élevés et le taillis composé de trois espèces qui conservent toute l’année leur verdure. C’étaient l’Ilex Aquifolium, le Juni- perus communis, et le Sarothamnus vulgaris. Plus loin, nous vimes d'énormes touffes d’Llex Aquifolium et de Sambucus nigra, sur lesquelles s'élevait le Bryonia dioica, qui déjà montrait ses fruits écarlates. 170 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. 7. Bords des fossés de la Limagne , sur calcaire mar- neux, à 250 mètres d'altitude, le 5 août 1853. — Les bords des larges fossés de Sarliève étaient entièrement fleuris, et l’on y remarquait une curieuse association. Le Conium ma- culatum , déjà avancé, et le Dipsacus sylvestris, avec ses gros épis montrant une double couronne de fleurs lilacées, étaient les deux espèces les plus communes et les plus ap- parentes. Il faut y ajouter : Lythrum Salicaria , Malva syl- vestris, Saponaria officinalis, et le Convolvulus arvensis, qui enlaçait toutes ces grandes espèces qui végétaient sur le calcaire marneux. 8. Bords des chemins, prés Billom, sur calcaire mar- neux, à 250 mètres d'altitude, le 6 août 1853. — Sur le calcaire marneux des environs de Billom, les berges des che- mins étaient couvertes d’une nombreuse association de vé- gétaux piquants ; ces espèces s’y trouvaient en majorité. On y reconnaissait : Carduus nutans, Cirsium arvense, C. lan- ceolatum, Centaurea Calcitrapa, Eryngium campestre, Ono- pordum Acanthium. Au milieu de ces plantes se trouvaient les touffes du Marubium vulgare, de petites forêts de Sam- bucus Ebulus encore fleuries. Le sol était garni d’Hordeum murinum, et, dans les lieux qui avaient été inondés quelque temps, de Trifolium fragiferum. On y voyait aussi des groupes séparés des deux sexes de l’Urtica dioica, le Ci- chorium Intybus, et quelques Centaurea Cyanus échappés des champs voisins. 9. Filons de quartz, canton de Manzat , à 700 mètres d'altitude , le 8 août 1853. — A l’ouest des Roberts, dans lé canton de Manzat, nous vimes un filon de quartz où la végétation cherchait à s'établir ; 1l était cependant d’une af- AOUT. 17f freuse stérilité. On n’y voyait que des pieds rabougris de Calluna vulgaris, le Cornicularia aculeata, de minces échantillons d’Imbricaria conspersa, rarement quelques Ce- nomice, et partout le Rhizocarpon geographicum, essayant en vain de former une légère couche de terre végétale sur ces mobiles fragments. 10. Plaines arides des environs de Châteauneuf, sur granit , à 650 mètres d'altitude, le 9 août 1853. — Au- tour de Grandval et du Theil , près de Châteauneuf , le ter- rain est presque stérile et toujours granitique. On y rencontre pourtant de vieux pieds de Sarothamnus vulgaris dépassant la hauteur d’un homme et formant presque de petites forêts. Souvent, sur le sol même, on voit de larges toufles de Cor- rigiola littoralis. Les [lex Aquifolium sont toujours les ar- bres les plus communs ; ils s’associent au Sorbus Aucuparia, dont les grappes de fruits orangés ou écarlates produisent le _plus bel effet près des feuilles lustrées du houx. 11. Végétation des étangs dans les cantons de Lezoux et de Billom, sur terrain d’alluvion, à 350 mètres d'altitude, le 9 août 1853. — Des étangs assez nombreux sont dissé- minés dans la partie basse des cantons de Billom et de Le- zoux ; ils offrent, pour la plupart, une très-belle végétation. Le Phragmites vulgaris et le Scirpus lacustris forment, dans les eaux peu profondes, de véritables forêts herbacées. Le Sparganium ramosum est aussi très-abondant et rappelle, par ses fruits en têtes globuleuses , les formes exotiques et originales des Pandanus. L’Alisma Plantago croît aussi dans des eaux peu profondes, avec le Sagittaria sagittæfolia , qui élève ses fleurs blanches complétement épanouies. Ces étangs offrent des surfaces fleuries, où le Nymphæa alba 172 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. domine dans toute sa majesté. On remarque des espaces éten- dus où ses larges feuilles lustrées cachent entièrement l’eau et se redressent même bien au-dessus. Ses fleurs sont abondantes et parfaitement épanouies sous la vive impres- sion du soleil. Le Nuphar lutea n'existe pas. À une cer- taine distance des nénuphars, et isolés par l’eau , flottent les prairies fleuries du Polygonum amphibium. Ses épis roses dépassent seuls le niveau des eaux. Ailleurs, l’Utricularia vulgaris est suspendu en longs rameaux par ses vésicules gonflées d’air et ses fleurs orangées sont portées sur de longs pédoncules. Des touffes verdoyantes , arrondies et isolées, ne sont formées que de Glyceria fluitans, et d’autres seu- lement des belles panicules du G. spectabilis. Dans les lieux plus retirés et comme séparés des autres, on remarquait les rosettes fleuries du Trapa natans , et les rides de l'étang amenaient sur le rivage ses fruits cornus et farineux. Le Marsilea quadrifolia semblait se plaire en so- ciété avec cette espèce et recherchait comme elle des sur- faces libres qu’elle n’était pas obligée de partager avec les espèces que nous venons de citer. Partout où cette végéta- tion aquatique laissait un peu d’espace , on voyait se déve- lopper, en très-grande quantité, le Potamogeton natans, qui combattait victorieusement la plupart des autres espèces. Sur les bords de ces étangs naissaient en abondance le Juneus effusus et le J. conglomeratus. L’Iris pseudo-Acorus laissait pendre dans l’eau ses capsules appesanties par les graines, et le Scutellaria galericulata décorait les bords de ses fleurs bleues près des touffes insignifiantes du Lycopus europœus. Les fossés et les ruisseaux qui aboutissent aux étangs se distinguaient de loin aux magnifiques épis purpu- rins du Lythrum Salicaria et aux thyrses de fleurs jaunes du Lysimachia vulgaris. À une certaine distance des eaux, AOÛT. 479 _ les terres humides et argileuses se couvraient de Genista an- glca et d’Achllea Piarmica. 12. Rochers de porphyre de Châteauneuf, canton de Manzat, à 150 mètres d'altitude, le 10 août 1853. — Les porphyres, comme on peut le voir aux environs de Château- neuf, n’ont pas une végétation particulière. On y distingue cependant de très-loin un lichen éclatant, commun dans les Pyrénées, le Squammaria electrina, qui forme sur cette roche des taches d’un jaune pur. Le Sedum Cepæa, le S. maæimum , l'Anarrhinum bellidifolium y abondent avec le Buxus sempervirens , le Cratægus Oxyacantha, le Sorbus Aria, et toujours le Sarothamnus vulgaris. 13. Terrains tourbeux des Brosses, canton de Menat, à 850 mètres d'altitude, le 13 août 1851.—ILest des plantes qui vivent toujours ensemble , qui s’accommodent du même terrain et des mêmes conditions. On remarque un grand nombre de ces associations dans les lieux marécageux. C’est ainsi que nous trouvâmes, sur le bord du bois des Brosses, des espaces couverts de Sphagnum , sur lesquels on voyait courir les longues tiges rampantes du Vaccinium Oxicoccos, et où s’étalaient les curieuses rosettes du Drosera rotundi- folia. Près de Ià rampaient aussi les rameaux débiles du Wahlenbergia hederacea, et à côté de ses fleurs bleues, on voyait s'épanouir les corolles légères de l’Anagallis tenella ; le Lycopodium inundatum occupait les points les plus hu- mides, et le Scutellaria minor ajoutait aussi ses fleurs gé- minées à ce charmant assemblage, que dominaient les tiges élevées et les noirs épis du MHolinia cœrulea. Près de là le Rhynchospora alba formait de petites forêts en miniature , au-dessus desquelles flottaient au gré du vent les panaches 174 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. soyeux des Eriophorum. Enfin, les Erica Tetralix et E. cinerea formaient des touffes fleuries qui occupaient de petits monticules émergés. Ce tableau nous rappelait vivement les paysages de Saint- Hubert, dans les Ardennes belges , où nous avions trouvé, dans des stations semblables , des groupes identiques et un ensemble de même nature. Là, dans les Ardennes, quelques espèces parallèles remplaçaient celles que nous venons d'in- diquer ; le Lycopodium Selago et quelquefois le L. anno- tinum tenaient lieu du L. inundatum ; le Calluna vulgaris remplaçait les Erica cinerea et E. Tetralix, mais le Wah- lenbergia et l’Anagallis n’existaient pas. 1%. Bois de Lezoux, sur terrain d’alluvion, à 300 mètres d'altitude , le 19 août 1853. — Les plantes à fleurs tardives se montraient dans les bois de Lezoux, dans les clairières que laissaient le Quercus pedunculata et le Populus Tremula. Alors paraissaient les premières fleurs du Calluna vulgaris, et près de ces bruyères des touffes énor- mes de Lotus uliginosus appuyant ses tiges débiles dans les buissons, et couvert de ses couronnes de fleurs jaunes. L’An- gelica sylvestris , aux tiges fistuleuses et violacées , laissait sortir ses larges ombelles de ses pétioles élargis. Le Dian- thus Seguieri épanouissait ses fleurs au pied de grands Cir- sium lanceolatum et C. pratense , dont une partie des grai- nes étaient déjà mûres, et qui étaient entourés de nombreux Calamagrostis Epigeios. 15. Prairies des bords de la Dore, sur terrain d’allu- vion , à 250 mètres d'altitude , le 20 août 1833. — Sur quelques parties des bords de la Dore, près de Peschadoires, on trouvait les alluvions couvertes de grandes plantes parmi AOÛT. 175 lesquelles on distinguait le Senecio Jacobæa aux larges corymbes ; le Cirsium eriophorum prenait un développe- . ment énorme avec ses calathides enveloppées d’un duvet qui simule des toiles d’araignée et ses fleurons serrés d’un beau violet. Le Cirsium arvense s’y mélangeait en grosses touffes défleuries, livrant au vent d'énormes paquets de semences plumeuses. Le Carduus nutans et l'Onopordum Acanthium s’ajoutaient en grande proportion à ces plantes épineuses, au milieu desquelles dominaient encore les baguettes défleuries du Verbascum Thapsus. Dans les lieux plus humides on remarquait des toufles nombreuses de l’odorant Pulegium vulgare, le Ranunculus flammula et les épis violacés du Molina cœrulæa. 16. Petit marais, canton de Saint-Rémy, sur terrain gra- nique, à 1,000 mètres environ d'alhtude, le 22 août 1853. — En montant sur une haute cime granitique , au-dessus du village de Plachat , dans le canton de Saint-Rémy, nous nous arrêtâmes au-dessous d’un bosquet de Pinus sylves- tris, pour admirer un petit marais très-circonscrit, dont la vase était entièrement cachée par des Sphagnum. Sur cette mousse croissaient seulement deux plantes d’une extrême délicatesse : le Wahlenbergia hederacea rampant de tous côtés et portant sur ses tiges débiles une multitude de clo- chettes azurées, les unes couchées sur les Sphagnum et reposant sur de moelleux coussins où leurs semences im- percepübles devaient se répandre, d’autres dressées et venant d’éclore. Au milieu d'elles s’étalaient les rosettes pourprées du Drosera rotundifolia , tenant inclinés ses épis de boutons blancs, et collant sur la mousse humectée ses feuilles concaves garnies de cils rouges et de glandes trans- parentes. 176 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX, 17. Champs des environs de Lezoux , sur cailloux rou- lés, à 300 mètres d'altitude, le 23 août 1853. — Sur les plateaux de cailloux roulés tertiaires du canton de Lezoux, de grands terrains qui avaient été cultivés offraient en abon- dance l’Anthoxanthum Puelir, presque toujours en graines, et du milieu de ce gazon on voyait sortir les capitules bleus du Jasione montana, les calathides pauciflores de l’Arno- seris minima, et, en moindre quantité, le Rumex Acetosella qui cherchait cependant à prendre possession du terrain. 18. Plaines et bruyères des plateaux basaltiques des environs d'Espinchal, canton de Besse, à environ 1,000 mètres d'altitude , le 25 août 1851. — Les prai- ries fauchées ne présentent plus ces brillantes associations que le printemps a vues naître et dont le soleil de l'été a müri les graines. Ce sont maintenant des tapis d’un vert pur et uniforme, semblables à des nappes immenses de velours sur lesquelles le colchique montre ses fleurs pâles et tardives. Le paysage n’a plus le même aspect et la campagne ressemble à présent à ces jardins-paysagers où les gazons sont toujours verts , toujours soyeux et constamment arrosés. Mais il n’en est pas de même sur les pelouses des montagnes et dans les prairies tourbeuses où dominent les plantes sau- vages. Au milieu des tapis de graminées, on voit paraître les élégantes corolles blanches du Parnassia palustris ; les Sphagnum , déjà rougis par les premiers froids , se distin- guent à peine des rosettes du Drosera rotundifolia dont les fleurs blanches et régulières sont encore épanouies. L’Eu- phrasia officinalis, abondant partout, déploie tout le luxe de ses charmantes corolles. Le Gentiana campestris se couvre de fleurs , et ses buissons violets se multiplient près des bruyères fleuries et des jolis capitules du Succisa vul- AOÛT. ETT garis. C’est l'annonce fleurie des mauvais jours ; mais avant que la neige ne vienne éteindre ces brillants coloris et effacer les traces de cette dernière parure, le Dianthus Sequieri nous montre encore ses étoiles carminées , le Gentiana Pneumonanthe élève dans les marais ses corolles d’azur, et quelques Chrysanthemum Leucanthemum essaient encore de réjouir les campagnes de leurs blanches couronnes et de leurs disques orangés. 19. Vallée gramitique entre Montaigut et Saint-Nectaire, canton de Champeix , à 560 mètres d'altitude , le 28 août 1850. — Les bords granitiques de la Couse qui coule avec impétuosité entre Montaigut et Saint-Nectaire, étaient encore entièrement fleuris. On y remarquait surtout en abondance de belles toufles d’Inula dysenterica, près desquelles s’éle- vaient de grands Cirsium palustre, de sombres Scrophu- laria nodosa et les larges bouquets lilacés de l’Eupatorium cannabinum. De grands espaces étaient couverts de Mentha sylvestris aux feuilles cotonneuses et parfumées. Les A/nus glutinosa étendaient leur feuillage sur l’eau murmurante de la Couse, et le Pinus sylvestris décorait les rochers pitto- resques qui dominent la vallée. Les champs incultes et les lieux secs offraient d'énormes quantités d’Echium vulgare. D'autres étaient couverts du Verbena officinalis et du Galeopsis Tetrahit qui répandait déjà ses graines oléagineuses. Le Prenanthes viminea atta- chait aux rochers ses tiges laiteuses garnies de calathides à cinq rayons et de feuilles décurrentes. Le Pastinaca vulga- ris étalait ses ombelles jaunes et mellifères, le Daucus Ca- rola offrait tantôt les disques blancs et le point pourpré de ses fleurs réunies, tantôt ses graines aromatiques que les ombelles müries ramenaient en faisceau. Le Buplevrum fal- : 42 LV 2 178 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. catum se mêlait à cet ensemble où le Carlina vulgaris ou- vrait aussi ses fleurons immortels. Le Carlina n’était pas du reste la seule plante épineuse ; le Cirsium lanceolatum , le C. eriophorum y végétaient avec vigueur, et l’Onopordum Acanthium, d’une force extrême, y formait à lui seul un véri- table tallis. Ces terrains nourrissaient encore l’élégant Sca- biosa Columbaria, le Campanula rotundifolia aux clochettes bleues et mobiles, le Clinopodium vulgare aux fleurs pour- prées , et le grand Reseda luteola dressait ses longs épis jau- nissants , sans grâce et sans fraicheur. Le Barkhausia fœtida et le Diplotatis muralis répandaient sous nos pas l’odeur désagréable qui ne s’en échappe que si on les froisse et qu’ils ne laissent pas dégager spontanément comme le parfum des fleurs. Aïlleurs on remarquait les jolies couronnes lilacées du Coronilla varia, les touffes rigides du Lithospermum offi- cinale, dont les graines perlées restaient fixées dans les ca- lices, et sur les rochers mêmes croissaient le Sedum Fabaria, l’Arthemisia campestris le Linaria striata et aux fleurs délicatement rayées, En approchant de Besse , on voyait sur le basalte un champ entièrement couvert de Carlina vulgaris au-dessus desquels le Cirsium eriophorum s'élevait comme une futaie et se trou- vait embelli de ses grosses fleurs violettes et lanugineuses. 20. Plateau basaltique de Serveaix, près Besse, à 1,200 mètres d'ailitude, le 29 août 1853. — Sur le plateau basal- tique de Serveix, près de Besse, de petits ruisseaux d’eau vive coulent avec rapidité, en partie cachés sous des touffes de Sphagnum ornés des rosettes du Drosera rotundifolia. Une jolie variété de l'Achillea Ptarmica suit le cours de ces ruisseaux; ses tiges sont courtes, ses fleurs, plus grandes, sont AOUT. 179 roses ou d’un lilas tendre. Près d’elle croît le Succisa vul- garis, l’élégant Dianthus Sequieri, le Gentiana Pneumo- nanthe à fleurs bleues, profondes et pointillées, l’Angelica pyrenæa et le Parnassia palustris, compagne obligée de toute végétation automnale dans la région montagneuse. 21. Bois du puy de Pailleret, près Besse, sur trachyte et conglomerat ponceux, à 1,500 mètres d'altitude, le 30 août 1853. — Entre le puy de Pailleret et celui de Chambour- guet, au-dessus de Valcivières, on remarque un grand cirque raviné dans les conglomérats trachytiques et surmonté de larges nappes de trachyte qui descendent de Pailleret. Une cascade se précipite dans ce cirque , plusieurs filets d’eau y descendent et y entretiennent une végétation extrêmement vigoureuse. Il existait autrefois dans cette localité une forêt de sapins, mais ces arbres ont été détruits, et ils ont été remplacés naturellement par des hêtres, des saules et plu- sieurs espèces de sorbiers, Sorbus Aria et S. Aucuparia. A peine s’il existe quelques sentiers dans ce bois. Il faut se frayer un passage à travers de grandes plantes qui naissent presque le pied dans l’eau. Le sol , le ruisseau, les cascades, tout est littéralement caché sous la végétation. Le fourré est principalement composéde Polystichium Filix-mas, d’Athy- rium Fihx-fœminea et de Pteris aquilina. Cestrois espèces, auxquelles il faut ajouter le Blechnum spicant sur le bord des tertres et sous les hêtres , représentent pour notre climat les forêts de fougères arborescentes de l’équateur. Leurs touffes sont nombreuses, serrées ; elles dépassent un mètre de hauteur et en atteignent quelquefois deux. Quand les fougères s’écartent, le Vaccinium Myrtillus cache le sol avec une profusion extraordinaire, et se couvre de baies noires acidules qui contrastent avec les fruits rouges et parfumés 180 -_ ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. du Rubus Idœus aussi commun dans cette localité. Le Sam- bucus racemosa s’y distingue de loin à ses grappes écarlates, le Lonicera nigra s'y montre couvert de fruits près des buis- sons sans épines du Rosa alpina où du feuillage pourpré du Rosa rubrifolia. Au milieu de toutes ces plantes, on voit de tous côtés les longs épis de l’Epilobium angustifolium portant à la fois ses belles fleurs violacées et le duvet soyeux qui soutient dans les airs ses graines voyageuses. Mais si l’on se rapproche des lieux plus humides, on voit encore les restes d’une association des plus vigoureuses. On entend l’eau ruisseler sous le large feuillage de l’Adenostyles albifrons, dont les feuilles sont parsemées de l’éclatante Chrysomela Cacaliæ. On voit fleurir le rare Senecio Caca- liaster, on distingue les dernières fleurs du grand Sonchus alpinus, et l’on voit le Sonchus Plumieri ouvrir ses fleurons azurés et délicats. L’Angelica sylvestris se pare de ses om- belles violacées et étale son large feuillage à côté du Doro- nicum austriacum aux calathides dorées : l’Imperatoria Ostruthium a perdu ses ombelles blanches, l’Aqguilegia vul- garis ne présente plus ses fleurs éperonnées, mais l’Aconi- tum Napellus a ses longs rameaux garnis de casques bleus. Le Spiræa Ulmaria est partout, et le Rumex alpinus, civilisé près des burons et des vacheries de la montagne, n’a pas renoncé ici aux lieux de sa naissance et continue de vivre dans sa véritable patrie. 22. Pelouses du sommet de Chambourguet, sur basalte, à 1,526 mètres d’alhtude, le 30 août 1853. — Par une des plus belles matinées de l’année, nous arrivâmes sur le sommet de Chambourguet, l’un des plas hauts pics basaltiques du mont Dore. Ce sommet est creusé en un petit cratère peu profond ; quelques blocs de basalte scoriacé font saillie, et le AOÛT. 181 reste est couvert d’une végétation très-variée. Le Vacci- nium uliginosum et le Calluna vulgaris s’y disputaient le ter- rain, mais ils devaient lutter contre une multitude d’autres espèces qui semblaient s'être donné rendez-vous dans cette localité. Le Juniperus nana, qui s'étale en larges rosaces sur toutes les pentes de Chambourguet, en atteignait aussi le sommet, et là, comme au rocher de la Malviale et comme sur tous les lieux élevés du mont Dore, il couchait ses rameaux sur la terre et gagnait successivement du terrain. Le Saxifraga Aizoon, dont les rosettes de feuillesgrasses s’étalaientsur desrochers, élevait ses thyrses de capsules entre les rameaux du gené- vrier. Les scabieuses, fleurs tardives, étaient en pleine florai- son. La plus commune était le Knautia longifolia, plante d’ailleurs très-rare, offrant aux polyomates et aux vanesses ses capitules lilas; puis venait le Scabiosa Columbaria , au feuil- lage découpé, et le Succisa pratensis dans sa plus grande fraicheur. Le Dianthus Sequieri se pressait près de l’As- trantia maor, etleSolidago virga aurea dominait les corolles bleues du Campanula rotundifolia. Le Crepis grandiflora ouvrait ses larges calathides et montrait aussi, resserrés dans son involucre , les pinceaux blancs et soyeux de ses aigrettes réunies. Trois gentianes figuraient dans cette association , le Gentiana lutea défleuri, la variété à grande fleur du G. Pneumonanthe , à corolle bleue et profonde, et enfin le G. campestris , tantôt blanc, tantôt violet , dont les rameaux, serrés les uns contre les au- tres, étaient chargés de fleurs que le soleil tenait épanouies. Le lys martagon avait orné cette pelouse en été, le Serra- tula tinctoria s’y montrait dans toute sa beauté , et l’on voyait çà et là s’élever au-dessus du sol les épis de l’Avena pratensis, et les panicules brunes de l’Aira flexuosa, com- 182 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. pagne ordinaire de la verge d’or. Le Laserpitium asperum était, dans cette flore, la plus grande des ombellifèress do- minant l’Angelica pyrenœa et le Meum Athamanticum , dont le parfum s’exhalait sous nos pas. Le Prola sudetica conservait quelques fleurs ; le Genista pilosa, si COMMUN SUr toutes les pelouses élevées , se cachait dans l'herbe avec le Tormentilla erecta trahi par ses fleurs jaunes, et l’Orobus tuberosus portant ses gousses noircies. Sur les lieux où le Trollius europœus avait montré ses fleurs globuleuses et soufrées, naissaïent les corymbes oran- gés du Senecio artemisiæfolius, croissant aussi bien sur le basalte compacte de Chambourget que sur les gneiss et les micaschistes de la Creuse. L’Anemone alpina conservait seu- lement quelques graines, et le Gnaphalium dioicum , quor- qu'immortel, était bien près de la caducité. Le Betonica officinalis , le Centaurea nigra retrouvaient le printemps à cette grande élévation, et dépassaient quelquefois en hauteur les pieds dispersés du Rosa pimpinelhfoha, qui habite aussi les sommets de la roche Sanadoire et de la Malviale. Ces plantes de station différente se trouvaient réunies sur ce sommet , comme cela se remarque souvent dans les monta- gnes. On voyait ensemble le Dianthus monspessulanus , le Sedum reflexum, l’Achillea Millefolium couvert de fleurs rosées, au milieu des capitules azurés du Jasione perennis. L'Alchemilla alpina associait son feuillage argenté et soyeux aux panicules rembrunies du Rumex Acetosa, aux épis pen- chés du Luzula spicata. Si la pelouse était courte , on ad- mirait de petits tapis d’Euphrasia officinalis et d’'E. mi- nima , montrant , dans l’intérieur de leurs petites corolles , les contrastes variés que les stries noires et les macules jau- nes ou violettes peuvent produire sur un fond blanc. Aül- leurs végétait l'Hypericum quadrangulare, le Myosotis syl- AOUT. 185 vatica en fruits mürs , le Rhinanthus minor, à fleurs petites et tachées de bleu, et un Thalictrum qui mélait ses ra- cines jaunes et traçantes à celles d’un si grand nombre de végétaux. Quelques pieds d’Aquilegia vulgaris répandaient leurs semences ; le Vaccinium Myrtillus offrait ses baies bleuâtres aux oiseaux des montagnes , le Chrysanthemum Leucanthemum présentait ses dernières fleurs aux derniers beaux jours. Un bourdonnement continuel se faisait enten- dre autour des gazons fleuris formés par le Thymus Serpyl- lum. Le soleil venait de faire ouvrir quelques fleurs de l’He- hianthemum vulgare, qui rampait dans le gazon avec le Thesium alpinum, sous les capitules séminifères de l’Apar- gia pyrenaica, à côté de petites touffes de Galium saxatile, qui conservait encore quelques fleurs blanches. Enfin, le Sanguisorba officinalis était aussi arrivé sur ce sommet, et serrait ses fleurs brunes contre les corolles éperonnées du Linaria striala, qui se multiplie au point de se trouver partout. 23. Végétation des sources, à la base de Chambourguet, sur trachyte, à 1,200 mètres d'altitude , le 31 août 1853. — Au pied de la montagne de Chambourguet, près de Besse , non loin de Fontanet, nous rencontrâmes une source froide sortant du trachyte et se répandant sur de petits frag- ments de cette roche. Le terrain se présentait sous la forme d’un magnifique tapis de velours , uniquement formé par le Bryum turbinatum non fructifié. A cette mousse se mélaient les tiges allongées du Trifolium repens, dont les fleurs blan- ches venaient s'épanouir à la surface de la mousse et sem- blaient lui appartenir. La variété naine du Caltha palustris, étalée en petites rosettes, y répandait ses graines ; le Sedum villosum formait de petits groupes couverts de fleurs roses , 184 ASSOCIATION DES VEGÉTAUX. et le Saxifraga stellaris , la racine dans la mousse et dans l'eau, n'offrait plus que ses capsules desséchées. Plus loin, le Bryum turbinatum s’écartait davantage, et l’on voyait de petits gazons de Trifolium badium entourés d’Epilo- bium origamfolium ; les uns conservant leurs fleurs cou- leur de rose, les autres livrant aux vents d'automne les semences aigrettées de leurs longues capsules quadrivalves. $ 6. ASSOCIATION DU MOIS DE SEPTEMBRE. 4. Le lac de Lalaudis et ses environs, canton de Latour, à 1,000 mètres environ d'altitude, sur terrain primitif, le 1% septembre 1853. — Le lac de Lalaudis , situé près du département du Cantal, sur les confins des cantons de Besse et de Latour, est un charmant bassin allongé, entouré de basalte et de granit , contenant des eaux noires et paisi- bles dans lesquelles se reflètent les bouquets d’arbres qui croissent sur ses rivages. La végétation y est très-belle ; le Faqus sylvatica et le Fraxinus excelsior composent de petits groupes ou des bosquets qui descendent jusque sur le bord de l’eau. Le Corylus Avellana, très-abondant , et l’Alnus glutinosa, sont communs sur ses rives, où l’on voit aussi le feuillage argenté du Sorbus Aria et les grappes jau- nissantes du S. Aucuparia. Le lac lui-même ne nourrit qu'un petitnombre de plantes aquatiques. Peut-être est-il trop profond , comme la plupart des lacs de ce canton. On voit cependant sur ses bords, et entièrement submergés , de jolis gazons d’Isoëtes lacustris, très-serrés et qui descendent sous l’eau à une assez grande profondeur, et, toujours près des bords, quelques pieds assez faibles et isolés du Nuphar luteum, ou peut-être du Nuphar pumalum. SEPTEMBRE. 185 Les prairies qui avoisinent le lac venaient d’être fau- chées ; cependant nous en rencontrâmes une d’une certaine étendue où nous pûmes reconnaître un singulier mélange de végétaux. Trois espèces de Cirsium y formaient une véri- table futaie. C'étaient les C. eriophorum, C. pratense et C. lanceolatum, tous bien fleuris et au milieu desquels s’élevaient les hautes tiges à demi-desséchées du Gentiana lutea. À côté de ces grandes espèces se mêlaient deux plantes qui, à elles seules, donnaient naissance à une élé- gante harmonie; l’une était l’Astrantia major aux blan- ches ombelles, l’autre le Succisa vulgaris aux capitules bleus. Ceite dernière montrait aussi eà et là une variété carnée très-remarquable. Le Calluna vulgaris cherchait à envahir cette prairie, où il devait lutter encore contre le Centaurea nigra et de larges touffes de Galium verum conservant quelques fleurs au sommet de ses grappes. Le Betonica vul- garis montrait ses épis purpurins , le Briza media desséché et rigide ne laissait plus osciller ses épillets suspendus, l’Agrostis vulgaris s’inchinait encore sous le souffle de l’air, et le Cynosurus cristatus semblait étonné de se rencontrer près du Cirsium palustre et du Gentiana lutea. 2. Le lac de Laspralades, canton de Latour, sur terrain primaüf, à 1,000 mètres environ d'altitude, le 1% sep- tembre 1853.— II existe, dans un des points les plus retirés du canton de Latour et près de la limite du département du Cantal, un petit lac arrondi, situé dans un lieu des plus sauvages, et qu'on appelle le lac de Laspialades. Il est caché par de grandes forêts de sapins et par une multitude de monticules granitiques à surfaces arrondies , qui donnent au paysage un aspect tout particulier. Nous y arrivâmes par un beau jour. Ses eaux étaient 186 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. tranquilles dans un bassin fermé de tous côtés et ne laissant au trop-plein qu’une petite ouverture. Le lac ne reçoït pas d’eau directement, mais 1l en laisse échapper. Il .occupe le fond d’un marais et parait avoir été beaucoup plus grand. Les plantes marécageuses s’avancent sur ses bords trem- blants et en rétrécissent continuellement le bassin. Quelques petits îlots, chargés de la même végétation que les bords, sont à peine fixés le long de ses rives. En nous élançant sur l’un d’eux, nous l’ébranlâmes fortement , et ses oscillations firent dégager une énorme quantité d'hydrogène carboné qui était sans doute retenu dans la vase par les racines des plantes. La végétation aquatique était très-développée dans ce lac, et quelques plantes nous frappèrent par leur abon- dance et leur vigueur. Deux espèces, rares ailleurs dans l’Au- vergne, y dominaient. Le Rhynchospora alba , en gazons serrés, et l’Abama ossifraga , dont les capsules pointues et rougies au sommet produisaient un singulier effet, près des écailles blanchâtres du Rhynchospora. Les petits îlots où se montraient de préférence ces deux espèces, étaient bordés à fleur d’eau de larges lisières de Drosera rotundifolia et D. intermedia, qui croissaient pêle-mêle, étalant leurs rosettes de feuilles rouges et montrant les épis recourbés de leurs fleurs blanches et régulières. Le Lycopodium inunda- tum serpentait sur la vase, élevant de temps en temps ses épis près du Scheuchzeria palustris, qui venait aussi par- tager la fange du bord des eaux. L’Eriophorum angustifolium laissait flotter sur ces îles en miniature ses panaches blancs comme signal de la végéta- tion d'automne, et comme indices, par leur mobilité, des vents régnants de cette époque. Dans l’eau existait en abondance le Menyanthes trifohata, élevant ses feuilles au-dessus de la surface. Le Nymphæa SEPTEMBRE. 187 alba y paraissait aussi, mais disséminé pär groupes très-cir- conscrits, peu développés, réduits souvent à un seul indi- vidu, et montrant sa fleur blanche épanouie. Le Nuphar luteum semblait fuir le nenuphar blanc. Il s'était réfugié dans de petits fossés séparés du lac, mais alimenté par ses eaux, et n’avait pas non plus les dimensions de celui qui vit en liberté dans des bassins étendus. En s’éloignant un peu du bord de l’eau on retrouvait en- core quelques-unes de ces plantes, auxquelles se joignaient cette belle variété grandiflore du Gentiana Pneumonanthe , et le Calluna vulgaris, cherchant comme toujours à pren- dre possession de tous les terrains. 3. Champs et fossés des environs de Clermont, sur cal- caire marneux, à 300 mètres d'altitude, le 2 septem- bre 1852. — Les terrains calcaires et argileux des environs de Gerzat, dans la Limagne, étaient encore couverts de fleurs au commencement de l’automne. Le long des chemins c'étaient les touffes élargies de l’Inula dysenterica, dont les disques dorés se détachaient brillants de leur feuillage velouté; le Mentha Sylvestris et le Pulegium vulgare répandaient leur odeur; pénétrante et se couvraient de fleurs purpurmes. Le Centaurea Calcitrapa fleurissait encore et présentait partout les épines durcies de ses involucres, défendant, avec l'Eryngium campestre, les lisières des champs et les berges des fossés. Ailleurs, de larges nappes d’eau couvraient la terre, et leurs bords étaient garnis de Peplis Portula, plante des terrains inondés. Sur le liquide même flottaient les Potamogeton natans , P. densum, etde grandes surfaces étaient toutes couvertes des Lemna minor, où Z. Polyr- rhiza, nourrissant de nombreux planorbes etde volumineuses lymnées, nageant aux rayons du soleil. A cette époque 188 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. fleurissaient les Polygonum; les uns , tels que le P. Convol- vulus, se multipliaient dans les champs avec le Graleopsis La- danum ; les autres, comme le P. dumetlorum, grimpaient au milieu des buissons, tandis que les espèces appartenant à la tribu des Persicaria, ornaient le bord des eaux de leurs épis roses ou blancs, élégamment penchés. L’Alisma Plantago y développait ses larges feuilles dans les fossés bordés de pelouses charmantes , sur lesquelles se montraient les fruits roses et vésiculeux du Zrifolium fragiferum. 4, Bosquet près St-Genès-Champespe, canton de Latour, sur granit, à 900 mètres environ d'altitude, le 3 septem- bre 1853. — Dans un bois couvrant une haute colline de granit, près de St-Genès-Champespe ; on remarquait sur une grande étendue l'association constante de l’Aira fle- œuosa et du Solidago virga aurea. Nous avions vu souvent dans la forêt des Ardennes, les lieux défrichés, mais con- servant la futaie comme celui que nous traversions, entière- ment garnis de ces deux plantes, auxquelles venaient aussi se mêler le Galeopsis Tetrahit. Ici se présentait une associa- tion tout à fait semblable, mais le Solidago atteignait plus d’un mètre de haut, et produisait une infinité d’épis latéraux qui donnaient à l’ensemble de ses rameaux fleuris le port de la cime d'un peuplier. Nulle part nous n'avions vu la verge d’or dans un si brillant état de végétation. Que doivent être ces vastes forêts de l'Amérique du Nord , où les espèces de Solidago sont si nombreuses et où la nôtre elle-même ha- bite avec ses congénères ? 9. Champs incultes et bords des chemins, entre Plauzat et Champeix, sur calcaire marneux et argiles, à 400 mètres d'altitude, le 5 septembre 1853. — Entre Champeix et SEPTEMBRE. 189 Plauzat on voyait, le long des vignes et dans les champs cal- caires et argileux, des associations entièrement composées d’ombellifères et de synanthérées, familles plus tardives que les autres. De grandes toulfes de Fœniculum officinale do- mipaient les autres espèces de leurs feuilles découpées et de leurs ombelles jaunes. Le Peucedanum alsaticum était ré- pandu à profusion et couvert de fleurs jaunâtres: le Buple- vrum falcatum se pressait autour de ces grandes plantes comme un taillis sous la futaie, admettant, dans le peu d’in- tervalle qu'il laissait libre, le Torilis helvetica, dont les fruits rougeâtres remplaçaient déjà les fleurs. Le Pastinaca sativa croissait avec vigueur et disputait le sol au robuste Eryn- gum campestre , qui complétait par sa présence ce rendez- vous des ombellifères. Toutelois le Daucus Carotta n'avait pas cédé une parcelle de son terrain. Ses ombelles latérales étaient couvertes de fleurs, et les supérieures, resserrant leurs ombellules, rapprochaient leurs graines en un faisceau. Au milieu d'elles, et plus souvent en groupes distincts , on voyait les hautes tiges du Lactuca virosa, les buissons ra- mieux du Phænixopus ramosissimus , et les fleurs dorées du Picris Meracroides. 6. Alluvions de la Couse, près d’Issoire, sur les sables de la rivière, à 400 mètres d'altitude, le 12 septembre 1852. — Les terrains d’alluvions des bords de la Couse d’Is- soire, étaient ornés de plantes encore fleuries, d'OEnothera biennis portant en même temps des fleurs, des boutons et des capsules remplies de graines müres , de Solidago serotina , en touffes brillantes, à fleurs dorées, deux plantes pro- bablement échappées aux solitudes de l'Amérique du Nord. Près d'elles croissait le Saponaria officinalis, aux corolles étoilées, et l'Humulus Lupulus enlaçait tous les saules de 190 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. ses gracieuses guirlandes chargées de fruits. L'air était em- baumé d’un parfum tout particulier, qui ne nous était pas inconnu et dont nous cherchions le souvenir. Il était dù à une grande quantité de jeunes Boletus suaveolens, que les pluies continuelles faisaient végéter avec vigueur sur le tronc des saules. 7. Bord d'un ruisseau, à Lezoux , sur terrain argileux, à 300 mètres d'altitude , le 12 septembre 1853. — Près de Lezoux, sur un terrain compacte, argileux , arrosé par un petit ruisseau, nous vimes avec plaisir des espèces automnales qui fleurissaient en abondance. Les Polygonum dominaient , et surtout les P. Hydropiper et P. Persi- caria. Leurs épis rosés ou verdâtres contenaient déjà quel- ques graines luisantes et arrondies, mais encore éloignées de leur maturité. Alors paraissaient aussi les tardives cala- thides du Bidens tripartita , qui formaient de petits groupes autour du Mentha aquatica , et s’inclinaient sous les longs épis purpurins du Lythrum Salicaria. Le Melilotus macro- rhiza poussait vigoureusement jusqu’au milieu des buissons du Prunus spinosa. Le Dipsacus sylvestris avait perdu ses fleurs, le Spiræa Ulmaria montrait encore quelques thyrses blancs, etl’Inula dysenterica formait de larges bordures de ses fleurs jaunes. Le Pimpinella magna avait quitté les bois des montagnes pour se mêler dans la plaine à cette associa- tion de végétaux, et croissait près du Cirsium lanceolatum, toujours fleuri. Le Zysimachia vulgaris était en graines ; les fleurs de l’Eupatorium cannabinum étaient flétries , et celles de l’Agrimonia Eupatoria ne garnissaient plus que le haut des épis. 8. Champs inculles et bords des chemins aux environs SEPTEMBRE. | 191 d’Issoire , à 400 mètres d'altitude , sur terrain calcaire et argileux, le 12 septembre 1852. — Lelong des chemins, sur les terrains calcaires et argileux des environs d’Issoire, on rencontrait les disques orangés du Tanacetum vulgare, et, sur le bord des eaux , l'Humulus Lupulus couvrant les saules et les aulnes feuillés de ses guirlandes et de ses cones par- fumés. Ailleurs , c'était le Clematis Vitalba préparant ses plumeuses aigrettes pour la parure de l'hiver. — Les champs se couvraient de fleurs d'automne. Les Scabiosa arvensis et S. Columbaria produisaient à l’envi leurs jolies fleurs où quelques zygènes aux ailes empourprées se réchauf- faient aux rayons du soleil. Les Galeopsis Ladanum et G. ochroleuca ouvraient par milliers leurs corolles jaunâtres ou carminées au fond desquelles les abeilles matinales s’em- pressaient de recueillir une dernière provision d’hiver. — On voyait aussi le Linaria vulgaris, le Filago gallica, sur les pelouses élevées les longs épis du Calluna vulgaris, et sur les rochers le Phænixopus ramosissimus, aux tiges laiteuses et divariquées , puis le Centaurea maculosa , V'Ar- lemisia campestris et des Hieracium, au milieu desquels le H. umbellatum se montrait sous des formes aussi variées qu'élégantes. — Sur les alluvions des ruisseaux végétaient en abondance le Lappa major, et une variété de l’Eupato- rium cannabinum dont presque toutes les feuilles étaient simples. 9. Le lac de Chambedaze, canton de Besse, à 1,200 mètres d’élévation, sur le sol tourbeux et volcani- que, le 12 septembre 1849. — Le sol mouvant et tour- beux dans lequel les eaux de ce lac sont réunies , offre une végétation toute particulière et des plus remarquables. Le Betula pubescens y domine et forme çà et là de nombreux 192 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. buissons. Les bords du lac , jusqu’à une grande distance de l’eau, ne montrent que des mottes saillantes de hauteur iné- gale, principalement composées des racines entrelacées des Eriophorum et des Carex, parmi lesquels on distingue sur- tout le €. limosa. Les intervalles sont inondés. Sur ces mottes croissent des plantes très-caractéristiques. Telles sont le Comarum palustre, le Ligularia sibirica, V’An- dromeda polifolia, le Scheuchzeria palustris, etc. Partout on marche sur d'énormes gazons de Sphagnum, tantôt d’un beau vert, d’autres fois jaunâtres et prenant souvent en automne de très-belles teintes de pourpre. C’est sur ces mousses que l’on rencontre de jolis buissons de Vaccinium uliginosum , ainsi que les tiges rameuses et rampantes du Vaccinium Oxycoccos, avec ses charmantes fleurs que le mois de juin voit s'élever au-dessus des Sphagnum. Ses fruits rouges , véritables groseilles polaires servies sur des tapis de mousse veloutée, sont protégées par les rameaux laciniés des Cenomice sylvatica et C. rangiferina. Sur la vase la plus molle se déploient les tiges enlacées du Zycopodium inundatum avec ses fructifications dorées qui dominent les rosettes étalées du Drosera rotundifolia. À cette végétation originale , il faut ajouter encore celle des ruisseaux dormants qui déploient leurs méandres sur la tourbe de ces marais ,.et dont les eaux s'engloutissent sous les plantes enlacées et flottantes qui bordent et envahissent le lac. Un seul ruisseau plus large et surtout très-profond s'échappe du bassin et roule une eau limpide. De grands Carex s'avancent dans sa vase profonde, avec le Cicuta virosa, dont les feuilles vertes et découpées forment de larges touffes , mais dont les fleurs blanches ont disparu et dont les fruits mürs ont aussi été entraînés. On voit flotter sur SEPTEMBRE. 193 l’eau le Nuphar pumila avec l'Alisma natans , et quelques plantes du bord que la nécessité rend aquatiques et nageantes. Ainsi, le Veromca scutellata, le Ranunculus flammula, allongent leurs tiges et les abondonnent au gré du courant, laissant seulement sortir leurs fleurs. Une jolie hépatique, variété du Marchantia polymorpha, vit sous l’eau courante, y développe sés frondes ondulées, mais ne montre ses para- sols fructifères que sur les bords du ruisseau où son feuil- lage est immergé. Tous les ans cette curieuse végétation s’avance pour envahir le lac, depuis l’époque où l'apparition du Viola palustris, sortant de la neige, y signale le printemps, jusqu’à celle où le Succisa pratensis et le Gentiana Pneumonanthe viennent, pour la dernière fois de l’année , confier leurs fleurs au soleil affaibli de l'automne. 10. Végétation des eaux pures, sur terrain granitique, près Vollore-Montagne, canton de Courpière, à environ 800 mètres d'altitude, le 14 septembre 1853. — Lorsque de Vollore-Ville on veut gagner les forêts de sapins situées sur la limite des départements du Puy-de-Dôme et de la Loire, ontraverse, près d’Archimbaud et de Rossias, de lar- ges et belles prairies. De petits bassins d'eau pure, d’une admirable limpidité, existent sur plusieurs points de ces prainies , et sont vidés dans les jours de sécheresse pour les arroser. Ils sont alimentés par des sources et par une infinité de petits ruisselets d’eau froide qui viennent s’y rendre. Le fond de ces bassins est vaseux. Souvent, pendant qu'ils sont à sec, les végétaux des terres humides se fixent sur la vase, et plus tard, quand l’eau s’y accumule de nouveau, ces plantes végètent submergées, se développent, et quel- quefois fleurissent comme si elles étaient libres dans l’atmos- IV 13 19 phère. On ne peut se faire une idée juste de cette gracieuse végétation, si on n’a pas eu occasion de l’admirer. Les rayons lumineux qui éclairent ces bosquets submergés ont quelque chose de doux et de limpide qui manque à l’éclai- rement qui a lieu dans l’air que nous respirons. Des buis- sons rameux du Galium uliginosum , soutenus par l’eau pure, étalaient leurs feuilles verticillées, se divisaient à lin- fini et venaient épanouir, au-dessus de la surface, une mul- titude de fleurs blanches et étoilées. Ces plantes pressées les unes contre les autres laïssaient deviner mille détours dans les masses de leur feuillage , et près d'elles, le Polygonum Hydropiper allongeait ses épis qui, penchés dans l’air atmosphérique , se redressaient au contraire dans le liquide qui les soutenait par sa densité. Le Mentha aquatica for- mait au fond de l’eau des gazons fleuris près desquels le Ranunculus repens se redressait encore et animait l’eau ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. ia pure de ses corolles dorées. Le Juncus supinus, aux tiges rameuses et rougeâtres, formait dans les mêmes bassins un autre genre de prainies, et le Callitriche platycarpa, étonné d’une association si sin- gulière , cherchait à reconquérir le terrain que lui enlevaient les espèces étrangères à sa station habituelle. Rien n’était plus beau que ses longues tiges droites rapprochées et formant une espèce de forêt dont le calme égalait celui des forêts de la terre. Des algues d’eau douce s'étaient attachées aux vieux callitriches , comme les Usnea aux branches de nos arbres verts. Des rosaces de feuilles étalées à la surface de l’eau amenaient dans l’atmosphère leurs étamines solitaires, et des insectes nageurs, des hydrophyles et des notoctètes parcou- raient ces humides bosquets. De longues tiges de Coma- rum palustre, surprises aussi par la submersion , s’allon- geaient outre mesure, mais ne parvenaient pas à ouvrir leurs SEPTEMBRE. 195 sombres fleurs dans l’air qu’elles cherchaient à atteindre. Au- tour de ces bassins on remarquait souvent des ceintures de Sphagnum et de légères bordures du Walhenbergia hede- racea , ouvrant la gorge bleue de ses corolles éphémères aux derniers rayons du soleil. 11. Bruyères élevées des environs de Vollore-Ville, canton de Courpière, sur granit, à environ 1,100 mètres d'altitude, le 15 septembre 1853. — Près de Vollore- Ville et derrière la cime élevée du grun de Chignor, on trouve une grande montagne de granit blanc qui montre plusieurs sommets et entr'eux un très-grand plateau. Là, une pelouse immense nous offrait le beau spectacle de hautes bruyères ( Calluna vulgaris) entièrement fleuries. On y dis- tinguait toutes les nuances de violet, tantôt pâle et tantôt foncé, passant au rose et au pourpre, et montrant même quelquefois de jolis exemples d’albinisme parfait. Le Vac- cinium Myrtillus en fruits mûrs, se mélangeait à la bruyère, et atteignait comme elle de grandes dimensions. Ces deux plantes n’admettaient dans leur société que le Teucrium Scorodonia, dont les fleurs jaunâtres et unilabiées étaient effacées par la nuance violette qui dominait sur toute l’éten- due du plateau. 12. Forts de sapins, sur le granit, dans le canton de Courpière, à 1,500 mètres d'altitude, le 15 septembre 1853. — Sur la limite du département du Puy-de-Dôme et de la Loire, dans le canton de Courpière, on remarque de curieux entassements de blocs gigantesques de granit. Sur plusieurs de ces grandes masses, le Cenomice sylvatica s’étendait en gazons blancs d’une finesse extrême et d’un aspect tout parti- culier. Au milieu de cet élégant tapis s’élevaient , comme 196 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. une futaie en miniature , des tiges fructifiées du Vaccinium Myrtillus et des branches feuillées du même arbuste aux- quelles les premiers froids des montagnes avaient donné une nuance très-vive de carmin. Ces petites sociétés isolées, for- mées par la simple association d’un lichen et d’un Vaccinium, entourées de vieux sapins couverts des barbes grises des Us- nea, rappelaient tout à fait dans ce lieu sauvage les paysages reculés de la Laponie. 13. Prairies de la Chossonnerie, canton de Courpière ; sur granit, à environ 600 mètres d'altitude, le 18 septembre 1853. — A la Chossonnerie, dans le canton de Courpière, nous trayersâmes, en revenant à Vollore , des prairies qui offraient encore une scène brillante de l'automne. Elles étaient émaillées des larges fleurs du HMalva moschata , des calathides jaunes de l’AHypochæris radicata, des blanches ombelles du Daucus Carota et des corolles bleues du Cam- panula rotundifolia. Les papillons se disputaient ce sédui- sant séjour. Les coliades souci, qui dominaient par le nom- bre, livraient des combats aux pierides blanches qui volti- geaient aussi en abondance. Des argynnes nacrées étalaient leurs ailes mouchetées de noir, et la coliade citron cherchait sur ces fleurs les dernières gouttes de nectar que secrétait (| leur corolle. 14. Bords de l'Allier, près Pont-du-Château , sur ter- rain d'aliuvion, à 250 mètres d'allitude, le 20 septem- bre 1852. — Les sables de l’Aler , près de Pont-du-Chà- teau, étaient parsemés de Xanthium macrocarpum et de Centaurea maculosa. Un peu plus loin, près de Chignat, sur les bords de jolies prairies, on trouvait de grandes quan- tités de Dipsacus pilosus, dont les graines müres se déta- SEPTEMBRE. | 197 chaïent en abondance , pendant que les rameaux inférieurs offraient encore des fleurs. De beaux Convolvulus sepium s’enroulaient autour du Dipsacus et ouvraient leurs fleurs blanches au-dessus de leurs capitules. Le Stachys sylvatica répandait ses graines à profusion; le Galium Aparine , en énormes touffes entièrement desséchées , abandonnait avec peine ses fruits accrochants, et l’Ulmus campestris, var. su- berosa, étendait son ombrage sur des tapis de verdure, ou le Centaurea Jacea étalait ses couronnes violacées près des co- rymbes dorés du Senecio Jacobæa. 15. Foréts des environs de Sauxillanges, sur terrain primihif, à T à 800 mètres d'altitude, le 25 septembre 1853. — Les forêts d’Abies pectinata et de Pinus sylves- tris deviennent à l’automne de véritables jardins où les fleurs sont remplacées par les champignons charnus qui viennent en embellir le sol. Nous nous rappellerons toujours ces belles forêts de sapins que nous rencontrâmes en des- cendant le versant nord des montagnes de granit et de porphyre qui dominent Sauxillanges, jusqu’au ruisseau de Lastreau qui coule avec fracas dans le fond de la vallée. Ces bois, en pente rapide, offraient une ombre mystérieuse et une fraîcheur qui contrastaient agréablement avec la lamière et la chaleur d’une journée exceptionnelle. Quelques rayons de soleil pénétraient cependant à travers les arbres et doraient les tapis de mousses veloutées qui cachaïent entièrement le terrain. Les plus jolis Hypnum semblaient feutrés pour former un tapis embelli par les feuilles relevées des Hyp- num splendens et H. tamariscinum. Sous ces voûtes assom- bries se montraient les plus brillantes parures de l'automne. Jamais nous n’avions vu une aussi grande quantité de cham- 198 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. pignons. De larges espaces étaient parsemés d’Agaricus ame thystinus, dont les chapeaux, d’un violet pur, contrastaient avec le vert velouté des mousses. Les variétés roses et lilas étaient aussi très-répandues. Ailleurs la mousse était ornée de Clavaria coralloides , jaunes, grises, blanches, cha- mois, ou teintes de rose et même de vermillon , et de lon- gues séries sinueuses de lHydnum repandum , d’un nankin clair. L’Agaricus deliciosus étalait seslarges chapeaux oran- gés, et laissait couler, à la moindre blessure, un sue coloré comme celui de la chélidoine. L’Agaricus bulbosus s'y mon- trait comme un Protée sous les formes les plus variées, et l'A. sulphureus, tout aussi délétère, élevait au-dessus des mousses des coupoles d’un jaune pâle. Une autre espèce do- minante était l’Agaricus emeticus, en nombreuses variétés. Le dessus du chapeau offrait les nuances variées du car- min, du rose, du rouge vif et les tons purs ou affaiblis du plus beau violet. À chaque instant les regards étaient invo- lontairement fixés sur des groupes d’Agaricus muscarius , d’un rouge éclatant , offrant tous les âges de la vie, depuis le frais coloris de la jeunesse jusqu'aux teintes livides de la décrépitude. D’énormes Boletus faisaient partie de cette réu- nion de champignons, les uns avec une chair blanche appé- tissante , les autres changeant de couleur à la moindre bles- sure et donnant toutes les nuances du bleu, du vert et de l'indigo. IL est curieux de voir aussi les espèces différentes que font naître les associations du Pinus sylvestris. Deux bolets af- fectionnent les terrains querecouvre cet arbre, et ne se mon- trent pas ailleurs. L'un , couleur nankin, à tubes larges et irréguliers, est le Boletus communis, Bull. ; l’autre, brun, ver- dâtre et visqueux , à tubes fins et serrés, couverts dans leur SEPTEMBRE. 199 jeunesse d’une blanche membrane, est le Boletus luteus. Ces deux espèces étaient en nombre si prodigieux qu'il était im- possible de faire quelques pas sans en écraser. Le lendemain, un spectacle presque semblable nous at- tendait près de Trébuche. Une pelouse, que la pluie rendait plus fraîche encore , nous conduisit jusques sous les arbres verts du Puy-des-Liards. Des pins et des sapins y sont pres- sés les uns contre les autres , et c’est à peine si la lumière d’un jour sombre et sans soleil pénétrait sous cette épaisse feuillée. Nous y restâmes ea contemplation devant des mil- liers de champignons et principalement des agarics, si serrés qu'ils se touchaient Le blanc pur de l’Agaricus eburneus, contrastait avec le beau violet de l’A. amethystinus ; mais il y en avait une multitude dont nous ignorions les noms. Le plus commun de tous était l’A. deliciosus, atteignant d’é- normes dimensions. Il y en avait de tous les âges , de jeunes qui sortaient de la mousse, et dont les lames étarent à peine développées; d’autres, plus âgés, tout gonflés d’un suc orangé qui fluait à la moindre blessure. Quelques-uns verdissaient par l’âge, et d’autres, à demi-décomposés, avaient pris la couleur bleue , complémentaire de l’orangé. Les limaces qui dévoraient les agarics, les larves d’insec- tes qui pullulaient dans leur intérieur, donnaient à ce spec- tacle un nouvel intérêt. Combien d’être vivants trouvaient leur pâture dans ces végétaux éphémères qui embellissaient le sol des bois! Quelle exubérance de vie dans ces dernières journées de l’automne et sous les votes si sombres de ces antiques forêts. Nous vimes un peu plus loin, sous l’ombrage de quelques hètres, au milieu des gazons frais du Poa trivialis, des grou- pes admirables de Peziza coccinea. De larges coupes ondu- leuses et couleur de feu cherchaient inutilement à se cacher 200 ASSOCIATIGN DES VÉGÉTAUX. sous le vert feuillage des graminées. Des coupes plus peti- tes, aplaties, disséminées tout autour des plus grandes, montraient les générations qui déjà se succédaient sur la terre humectée, et chaque rafale de vent qui touchait de son souffle ces coupes enchantées, en faisait jaillir des nuages de semences, semblables à une fumée blanche emportée vers de lointaines contrées. Ainsi procède la nature dans ses merveilles et dans son incessante activité, jusqu’à ce que le froid du nord gagnant de proche en proche, vienne suspen- dre ou anéantir ces grandes scènes de vie et ces brillants décors. 1 16. Pelouses des environs de Gelles, canton de Roche- fort, sur terrain primatif, à environ 1,000 mètres d’alti- tude, le 29 septembre 1852.—-II existe au-dessus de Pont- gibaud, en se dirigeant vers Pontaumur, de grands pla- teaux de micaschiste, garnis de Calluna vulgaris. On y voit arriver de l’ouest quelques pieds des Erica Tetralix et E. cinerea. Le Pteris aquilina est commun sur les uns et ne se montre pas sur les autres. Le Zycopodium inundatum existe aussi dans les lieux humides , près des Sphagnum en gazons veloutés , parsemés de Drosera rotundifolia. Le Ly- copodium clavatum se montre au milieu des bruyères , et de loin en loin on aperçoit le chapeau marbré du grand Agaricus colubrinus, qui se développe dans toute sa beauté. $ 7. ASSOCIATIONS DU MOIS D'OCTOBRE. 1. Bords des chemins et des ruisseaux, près d’Issorire, sur terrain argileux , à 300 mètres d'altitude, le 11 octobre 1852. — Le long du ruisseau de Malbattu , près d’Is- soire, sur des terrains calcaires et argileux, on rencontrait OCTOBRE. 201 une grande quantité d’Inula Helenium, tout-à-fait dé- fleuris, croissant au milieu de Sambucus Ebulus couverts de fruits et presque mêlés à de magnifiques buissons de Pru- nus spinosa. Nous remarquions, pour la première fois, au milieu de cette végétation, le Polygonum Convolvulus , chargé de Cuscuta major. Dans les terres voisines végétait l'Echinospermum Lappula. 2. Pelouses près Geniller, canton de Sauxillanges, sur micaschistle , à 300 mètres d'altitude , le 11 octobre 1853. — Nous nous arrêétâmes pour examiner un dôme de mi- caschiste qui offrait une scène d’automne des plus inté- ressantes, Une vaste surface était entièrement gazonnée par deux plantes cryptogames des plus envahissantes. C’é- taient le Cenomice sylvatica, en larges tapis blancs et à l'aspect coralloïde , etle Trichostomum lanuginosum, la mousse la plus rameuse, qui s’étendait en coussins aplatis et marbrait d’un vert jaunâtre la pelouse blanche formée par le Cenomice. Ces plantes végétaient activement sous l'influence de larges gouttes de pluie qui tombaient à chaque instant. Au milieu de ces lichens perçaient les chapeaux coniques de l’4- garicus dentatus. Is étaient nombreux ; les uns réellement coccinés et d'un rouge admirable; d’autres orangés ou bien . d’un jaune vif et lustré. C'était un charmant spectacle que celui de cette pelouse blanche émaillée de tous ces cônes ca- lorés, et pour donner au tableau plus de fraîcheur et de va- riété , des touffes rameuses d’Euphrasia officinalis y déve- loppaient en abondance leurs fleurs blanches et lilacées. Les derniers beaux jours amenaient les dernières fleurs. Au pied de ces mêmes collines , dans des prairies humides , le Gentiana Pneumonanthe croissait à profusion , et le Suc- cisa vulgaris élevait ses capitules d'un bleu violacé. Les 202 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. prés étaient colorés par ces deux plantes, et à peine aperce- vait-on çà et là un disque jaune de l’Hypochæris maculata ou une corolle blanche du Parnassia palustris. 3. Champs de Bergonne, près d’Issoire, sur calcaire marneux , à 600 mètres d'altitude , le 12 octobre 1852. — Sur les terrains calcaires des environs de Bergonne, près d’Is- soire, on remarquait plusieurs euphorbes dispersés dans les champs. C’étaient les Euphorbia Cyparissias, E. exigua et surtout Æ. falcata. Çà et là se montrait la fleur unique d’un tardif Adonis aulumnalis , épanouie au milieu de son léger feuillage. Le Galeopsis ladanum répandait ses graines en abondance, le Stachys recta était encore garni de ses fleurs blanches, le Sambucus Ebulus pullulait et le Lycium barbarum était commun dans les haies. 4. Pelouse de Jaladis, canton de Saint-Germain-l’'Herm, à 1,000 mètres d'altitude, sur le granit, le 1 4 octobre 1853. — Au-dessus de Jaladis, commune de Condat ou d’Echan- dely, dans le canton de Saint-Germain-l’EHerm , nous trou- vâmes un dôme de granit où deux plantes seulement com- battaient pour l’envahissement du sol, et toutes deux s’y montraient très-nombreuses. L'une était l’Ulex nanus, cou- vert de ses nombreuses fleurs dorées dans leur plus beau . développement ; l’autre était le Lycopodium clavatum , qui avait atteint le sommet du dôme , qui répandait des nuages de semences ou de pollen, et qui envoyait traîtreusement ses rameaux rampants sous les buissons fleuris de l’Uleæ , pour prendre possession du sol. 9. Bosquets de Frissonnette, canton de Cunlhat, sur granit, à 1,000 mètres d'altitude, le 18 octobre 1853. — OCTOBRE. 203 Entre le grun de Vielle-Morte et la Frissonnette , canton de Cunlhat, on observait de vieux houx très- volumineux et tous à feuilles de laurier ; ils étaient associés à de très-vieux Sorbus Aria, dont les fruits rouges tombaient en abondance. Il s’y mélait aussi quelques Sorbus Aucuparia et des hêtres d’une grande beauté, dont le feuillage , jauni par les pre- _miers froids, était rehaussé par le feuillage rouge vif du ce- risier, dont la gelée avait aussi changé la couleur. 6. Bois de sapins de Mont-Lune , au-dessus de la Bergère, canton de Saint-Remy, sur granit et porphyre, à 1,300 mètres d'altitude , le 18 octobre 185%. — Sur le dôme de cette montagne et à cette élévation, les sapins sont dispersés et souffrants. Ils laissent par conséquent de larges clairières, où l’on remarquait un certain nombre de plantes sociales qui se partageaient le terrain, et dont plusieurs cher- chaïent à envahir l’espace où végétaient les autres. L'espèce dominanteétaitle Rubusidœus. El formait, à lui seul, de petits bosquets circulaires de huit à dix mètres de diamètre. Il était très-vigoureux et reléguait autour de lui le Vaccinium Myr- hllus, qui cherchait inutilement à pénétrer dans les rangs serrés du framboisier. Il vivait seul à côté, composant ainsi de nombreuses sociétés sans mélange. Après ces deux plantes, la plus commune était le Rubus glandulosus. KL étalait sur le sol ses rameaux vigoureux. Ses tiges et ses épines étaient alors d’un rouge brun très-vif; ses fruits mûrs étaient noirs, et son feuillage, presque entièrement rougi, offrait les nuan- ces les plus belles de carmin, de pourpre et de vermillon. L’Aira flexuosa formait autour des ronces de petits groupes desséchés. Ailleurs, on remarquait aussi, en sociétés sépa- rées , le Senecio sarracenicus , puis de larges groupes d’E- pilobium spicatum. Ces derniers livraient en abondance 204 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. leurs semences soyeuses au vent , qui soufflait avec violence sur ce sommet , et l’on voyait les efforts que faisait cètte plante vigoureuse pour vaincre ses compagnes et envahir leur territoire. L’épilobe attaquait le framboisier, se glissait au milieu des ronces, et, tout en constituant seul de char- mantes réunions à l’époque de ses fleurs , on le voyait aussi disséminé et en lutte avec toutes les autres espèces. A cette hauteur vivaient encore d’autres compagnies, telles que celles du Stellaria Holostea , du Veronica officinalis. Çà et là on voyait les graines oléagineuses du Galeopsis Tetrahit et les capsules remplies de graines du Digitalis purpurea. De jeunes sorbiers cherchaient à remplacer les sapins , et leurs fruits, d’un rouge vif, étaient alors le seul ornement de cette solitude. 7. Plateau primitif de Serverette, entre Mende et Saint- Chély (Lozère), à environ 1,100 mètres d'altitude , le 29 octobre 1848. — Les campagnes dépouillées de leur verdure n'offraient plus à la vue que des scènes de tristesse et de désolation. Les grands plateaux de la Lozère présentaient pourtant encore quelques harmonies qui succédaient aux brillants tableaux de l’été. Aux environs de Serverette, des eaux pures, des prairies unies ou accidentées, des arbres dis- posés par groupes ou en bosquets constituaient de charmants paysages. Des blocs de granit entassés , séparés par des pe- louses qui n'étaient pas encore décolorées, laissaient deviner les sinuosités de ces labyrinthes de la nature. L'eau coulait en murmurant autour de ces petites collines, et la fleur du parnasse ouvrait encore sa corolle blanche sur le tapis vert des prairies. Deux arbres appartiennent principalement à cette contrée. L'un est le Pinus sylvestris, dont la cime s’arrondit et se OCTOBRE. "80 nivelle avec le temps, et dont l'écorce rouge contraste avec l’enveloppe satinée qui revêt les troncs du bouleau. Les branches de ce dernier, pendantes et flexibles, sont balancées par le vent. L'un chéit à la tempête et laisse volti- ger ses feuilles jaunies dans les airs, l’autre lui résiste et dresse vers le ciel ses feuilles pointues, dans lesquelles l'ou- ragan passe sans les entrainer. Là, le pin est seul et forme des bosquets toujours verts. Là, c’est le bouleau qui se montre sur les pelouses en groupes élégants. Ailleurs , les deux arbres se confondent et s'étendent en longs rideaux, ou bien le bouleau forme une large ceinture autour des pins qu'il accompagne. Rien de plus gracieux que ces harmonies si diverses produites seulement par deux arbres si répandus. Il est vrai que parfois un hêtre, à la haute stature et au feuillage orangé, se voit au loin parmi les autres arbres ; le Salix alba , croissant en liberté, montre ses rameaux flexi- bles et sa cime argentée ; le sorbier des oiseleurs vient aussi égayer le paysage par ses grappes de fruits dont la nuance écarlate annonce la fin des beaux jours et l'approche desfrimas. Le Juniperus communs, le Pyrus Malus, le Sarothamnus vulgaris, le Genista purgans restent sur le bord de ces jolis massifs, entrent dans les haies avec l’aubépine et les églan- üers, et, sous les voütes verdoyantes des bosquets, on voit les Cenonuce former leurs gazons blancs, les Æfypnum et les Dicranum les entourer de coussins veloutés couleur d’éme- raude, et d'innombrables agarics soulever la terre et les feuilles mortes pour ouvrir leur brillant parasol. Tout était changé dans ce pays sauvage où nous avions vu au mois de juin les plaines couvertes des fleurs infinies du Genista pur- gans. On ne voyait plus que des tiges desséchées et des feuilles à demi-mortes, colorées par le froid. Cependant l'Eu- phorbia Cyparissias végétait encore le long des sentiers et 206 ASSOCIATION DES VÉGÉTAUX. sur la lisière des bois ; ses feuilles roses ou carminées , ses tiges délicates que le vent inclinait, simulaient de petites forêts où les plantes les plus élancées étaient dominées par un énorme Boletus edulis où par le dôme écarlate d’un Aga- ricus MUSCATUUS L’Alchemilla alpina formait dans les fentes des rochers de jolis gazons où les cinq folioles de chacune de ses feuilles colorées en orangé semblaient des fleurs nombreuses étalées sur le granit, et quelquefois relevées par l’éclat nacré de folioles retournées. Les rochers eux-mêmes prenaient un air de vie ; tous les lichens humectés par la pluie, gonflés par le brouillard ou par la neige demi-fondue qui commen- çait de tomber, annonçaient une vie nouvelle et d’autres scènes de la végétation. Les Gyrophora s’y étendaient en larges plaques livides ou verdâtres, les Lecanora dévelop- paient leurs nombreuses scutelles, et les Parmelia y arron- dissaient leurs élégantes rosaces. Sur le sol même croissaient des Scyphophorus aux coupes empourprées, et le Bæomices rosea dont les boutons couleur de chair étaient disséminés sur des croûtes verdâtres et étendues. Tels étaient les paysages d’automne sur les hauts plateaux de la Lozère et du Cantal. Un ciel sombre ajoutait encore à la mélancolie qu’ils inspi- raient, et le voile blanc qui descendait des nues pour cacher la terre, allait bientôt faire disparaître les dernières traces de la végétation. PARALLÉLISME DES ESPÈCES. 207 CHAPITRE XLVEI DU PARALLÉLISME DES ESPÈCES, ET DES ÉQUIVALENTS BOTANIQUES. Le chapitre précédent , que nous aurions pu étendre in- définiment , nous a montré la composition du tapis végétal sur un point restreint de l'Europe ; il nous a prouvé que les plantes s’associent non-seulement entre individus de même espèce, mais entre espèces tout à fait différentes. Les mêmes conditions convenant à des végétaux divers, il est tout na- turel qu'ils se rencontrent dans le même lieu et qu'ils cherchent à profiter des chances d’existence qui leur sont offertes. Mais en étudiant avec soin ces réunions, qui pa- raissent, au premier abord, tout accidentelles, on reconnaît bientôt que les mêmes espèces se retrouvent presque tou- jours ensemble , et que l’association prend un aspect parti- culier dans chacune des stations qu’elle affectionne. Si nous avions rapporté aussi des exemples d’associations pris sur di- verses parties de l'Europe , nous aurions trouvé une grande analogie entre les tableaux que nous en aurions tracé et ceux que nous a offerts le plateau central de la France. Nous au- rions remarqué que des espèces sont quelquefois rempla- cées par d’autres espèces du même genre, occupant la même place, associées de la même manière, jouant le même rôle exactement. En nous éloignant davantage de notre point de départ, des genres seraient représentés par d’autres genres de la 208 PARALLÉLISME même famille, et l'ensemble de l’association n’en serait que peu altéré. Enfin, sous d’autres climats, il pourrait y avoir encore beaucoup d’analogie, bien que des familles entières eussent disparu , car elles seraient remplacées par d’autres familles qui contribueraient encore à conserver la physionomie gé- nérale de l'association. On donne le nom de parallèles, aux espèces, aux genres et aux familles qui se substituent ainsi dans les diverses con- trées. Ce parallélisme n'existe pas seulement dans les végétaux, on le trouve également dans les animaux, tels que les in- sectes, les mollusques et même dans toutes les classes des vertébrés. On le rencontre dans l'étude de la géologie. Les formations parallèles, les dépôts parallèles peuvent être de nature différente, mais 1ls se remplacent et appartiennent aux mêmes époques et à des causes analogues. Dans le règne inorganique , des substances parallèles en- trent dans la composition d’un même minéral, qui, malgré cela, se présente avec la même forme. C'est ainsi qu’on voit l'isomorphisme dans le grenat et dans beaucoup d’autres espèces minérales. Dans une foule de combinaisons chimiques, des corps en remplacent d’autres et sont appelés leurs équivalents. Le parallélisme est donc un fait général que nous allons voir se développer sur toute la terre dans la végétation. Dès que nous nous éloignons du plateau central de la France, dont nous avons essayé de décrire quelques associa- tions, nous voyons des espèces nouvelles s'ajouter ou se substituer à celles que nous avons indiquées. Nous ne cite- rons, pour la France et pour l’Europe, qu'un petit nombre d'exemples. DES ESPÈCES. | 209 Le Crocus vernus, commun dans les montagnes de l’Au- vergne, ouvre le cercle des saisons et montre ses fleurs épa- nouies dès que la neige est fondue. Une autre espèce des Pyrénées, le Crocus mulhfidus, tent exactement sa place, mais ne paraît, comme le Crocus sativus, qu'à l'automne, un peu avant que le sol ne se couvre de frimas. Le Merendera Bulbocodium, découvert par Ramoud dans une de ses tentatives pour attemdre le sommet du Mont- Perdu, remplace le Colchicum autumnale et fleurit à la même époque et dans les mêmes conditions. Le Lithospermum cœruleo-purpureum , qui, dans nos bois, s’associe presque toujours au Vinca minor, croît à Nice , en l'absence de cette dernière espèce , en société in- time avec le Vinca major. Dans les champs de la Corse, le Papaver setigerum remplace notre coquelicot ; les Chrysanthemum segetum et C. myconis tiennent lieu de notre grand C. Leucanthemum. L'Helleborus lividus , qui croît parmi les pierres dans les lieux arides de cette île, offre exactement l’aspect de notre H. fœtidus. Nous avons retrouvé , dans la forêt des Ardennes, des associations semblables, à une ou deux espèces près, à celles du plateau central. Les Asturies ont présenté à M. Durieu des réunions de végétaux presque identiques à celles du mont Dore et de Pierre-sur-Haute. D’autres fois l'identité est complète ; nous avons retrouvé sur les frontières de la Hollande et de la Prusse, et bien loin au nord dans cette dernière contrée , de vastes régions sa- blonneuses où plusieurs plantes sont associées en nombre immense. Elles nous rappelaient les bruyères qui, sur le plateau central, s'étendent à l’ouest et au sud-ouest. Le Calluna vulgaris était la plante dominante ; puis on y IV 1% 210 PARALLELISME voyait, intimement mélangé, l’Erica Tetralix. Parmi ces plantes, on remarquait de larges gazons toujours verts de Lycopodium clavatum , végétant sur des amas humides de sable et de cailloux roulés. Le Sarothamnus vulgaris for- mait aussi çà et là de magnifiques buissons, et le Pinus sylvestris constituait des groupes très-nombreux et très- étendus. Plus loin encore vers le nord, en Laponie, de vastes plaines sont couvertes, comme les montagnes de la France, des Vaccinium Myrtillus, V. Vitis idœa, V. uliginosum , Arbutus alpina , A. Uva ursi. Au sud, même analogie sous les mêmes conditions. Nos belles forêts de hêtres se retrouvent au Montamiata , au- dessus d’une large zone de châtaigniers. Là, comme sur nos cônes volcaniques, ces arbres forment de magnifiques ber- ceaux de verdure sur des roches brülées par le feu des vol- cans. Leur ombre protège des espèces que nous voyons as- sociées aussi sous notre climat ; le Paris quadrifolia épanouit ses fleurs vertes et symétriques près des groupes élégants de l'Aquilegia vulgaris. Les jolies corolles roses du Silene diurna rehaussent la blancheur du Stellaria nemorum , et les feuilles délicates de l’Oxalis acetosella sont protégées par les buissons légers des Prenanthes muralis et P. pur- purea. Si les arbres s'écartent et forment quelques clai- rières, elles sont occupées par de larges touffes de framboi- siers, dont les fruits luttent de parfum et de coloris avec les fraises qui mürissent à leurs pieds. Le Mercurialis perennis, le Juniperus communis , le Polygala vulgaris végètent sur les points découverts et constituent des associations sembla- bles à celles que nous trouvons sur le sol volcanique de la France centrale. A mesure que nous nous éloignons, et surtout si nous DES ESPÈCES. 211 quittons l’Europe, nous remarquons successivement les dis- semblances se prononcer, etles espèces et les genres parallèles se substituer à ceux que nous avons l'habitude de voir. Ces effets sont déjà très-sensibles dans le nord de l’Afrique. Les plus grands rapports existent entre notre zone de végétation méridionale, qui commence sur le versant sud des Cévennes, et les bords opposés du bassin de la Méditerranée. Ce sont à peu près les mêmes plantes, avec de nombreux individus épineux. On voit, aux environs d'Alger, les Genista tricuspidata, G. ferox remplaçant les G. corsica et G. Salzmanni de la Corse, où ils jouent eux-mêmes le rôle de nos genêts épi- neux ; on y voit le Coronilla pentaphylla , le Calycotome spinosa chargé d’épines et nourrissant l’Orobanche conden- sata, qui remplace une de nos orobanches. Après cela vient la série des buissons à feuilles persistantes, tels que les Phyl- lyrea, Rhamnus Alaternus, Pistacia Lentiscus, Quercus coccifera et Q. pseudo-coccifera, qui tous, à l'exception du dernier, se trouvent sur le plateau central dans les mêmes conditions. À ces plantes 1l faut ajouter le Chamærops hu- milis, aussi commun en Espagne que dans le nord de l’A- frique, mais n’atteignant jamais nos contrées. Les coteaux africains ont aussi leurs cistes comme les nôtres, Cistus monspeliensis, C. heterophyllus , et, au mi- lieu des romarins qui nous manquent, le Lavandula multi- fida, équivalent de notre L. Stæchas et de notre L. spicata. L'Artemisia arborescens y forme, suivant M. Reuter, de grosses touffes soyeuses et argentées , et de grandes férules élèvent leurs ombelles dorées et leurs tiges vigoureuses, comme sur nos causses arides où elles dominent tous les autres végétaux. Les arbres les plus répandus en Algérie sont les chênes 212 PARALLÉLISME verts et les oliviers sauvages auxquels se joignent les carou- biers. C’est sur ces supports que l’on voit s’élancer un certain nombre de plantes grimpantes , identiques ou parallèles à celles de notre zone méridionale. Le Clematis cirrhosa les enlace comme des lianes et les couvre de fleurs blanches et odorantes , tenant lieu du Clematis vitalba de nos buissons ét du C. flammula du midi des Cévennes ; le Smilax mau- rilanica monte sur tous les rameaux, conserve toute l’an- née ses larges feuilles luisantes et se couvre de baies noires, tandis que le Smilax aspera, moins grand, mais tout aussi inextricable, pullule dans toute la région méridionale de notre circonscription, montrant ses baies rouges comme celles du Lonicera implexa, son compagnon dans le midi de la France, comme il est aussi celui du Smilax maurilanica en Algérie. Dans les deux contrées on retrouve les longs ra- meaux et les élégants bouquets du Rosa sempervirens ou ses fruits colorés. Un lierre africain, au magnifique feuillage, existe partout dans les mêmes conditions que le nôtre; le Convolvulus incanus y remplace notre C. sepium, et au lieu de l’Aristolochia altissima , qui grimpe en Afrique dans les fourrés, nous ayons l’A. clematitis qui forme des touffes sur leurs lisières. | Le Bellis annua remplace notre pâquerette autour d’Alger comme sur nos rivages méridionaux ; le Ranunculus flabel- latus prend la place du À. bulbosus, et l’Hyoseris radiata tient lieu du pissenlit qui, selon M. Reuter, n'existe pas en Algérie. Le Diplotaxis auriculala, Durieu, le Brassica varia, Durieu, et le Sinapis geniculata, couvrent les champs et les campagnes de leurs fleurs jaunes, comme notre Diplotaxis tenuifolia, notre Brassica Cheiranthos et notre Sinapis arvensis. Le Saxifraga atlanthica , Reuter et Bois- sier, a tellement le port et l'apparence du S. granulata, qu'il DES ESPÈCES. 213 a été confondu avec lui par les botanistes de l'expédition scientifique en Algérie. Ne serait-ce qu’une variété locale , comme notre $. penduliflora du mont Dore? Le Salix pedicillata y est l'équivalent de notre Salix ca- prœa (1). Le Ceratocapnos umbrosa, petite plante grimpante découverte par M. Durieu et dont M. E. Boissier a recueilli une autre espèce en Palestine, remplace dans ces lieux notre Corydalis claviculata, qui croît à l'ombre dans nos bois de sapins du mont Dore ou sur les bords abrités de la Sioule. Les terrains salifères de l'Algérie sont couverts du Lepi- gonum marginatum, des Melilotus compacta et M. messa- nensis qui équivalent au M. parviflora que nous avons trouvé une fois dans les mêmes conditions, et aux M. alba et M. macrorhiza qui sont abondants le long des rivières et surtout dans les points où il a existé autrefois des sources minérales. Ces lieux salés africains nourrissent de plus notre Glyceria distans si commun dans nos terrains arrosés par les eaux sa- lines, et en sus le Glyceria tenuifolia , les Lepturus incur- vatus et L. fiiformis, des Statice et des Salicornia (2). Enfin, sur ce même sol africam, les Euphorbia et les Cacaha charnus sont les équivalents des cactées de l’Amé- rique. Le parallélisme se montre quelquefois à de très-petites distances. Ainsi, à l’île de Palma , l’une des Canaries, le Viola palmensis remplace le V. cheiranthifolia du pic de Teyde (3). Le Pinus canariensis, disent MM. Webb et Berthelot, ressemble à nos espèces d'Europe ; aussi au pre- mier abord , la région pinifère rappelle dans ces îles nas (4) Reuter, Bibl. univ. de Genève, juin 1852, p. 92. (2) Idem, p. 105. (3) Webb et Berthelot, t. 3, p. 25. 214 PARALELÉLISME forêts alpines. Sous ces arbres gigantesques, le terrain est sec et peu substantiel , le nombre des plantes némorales est en même temps très-limité. « On y trouve : Helianthemum guttatum, Asphodelus ramosus, Thymus Calamintha, Lotus angustifolius, Pteris aquilina, Erigeron viscosum et Hy- pericum grandifolium rabougri. » Malgré la distance énorme qui nous sépare des Indes et du Japon , nous retrouvons en Asie les effets marqués du parallélisme. Jacquemont en a observé des exemples nom- breux et intéressants. : Sur ces hautes montagnes, la végétation arborescente a souvent les caractères de celle de l’Europe. On y voit des traits de ressemblance avec nos montagnes du plateau central et avec les cimes herbeuses de nos grandes chaînes euro- péennes. V. Jacquemont, pour gagner le sommet du Hatton, dans l'Himalaya, traversait des forêts d'Abues circularis et d’A- bies complanata, qui remplaçaient nos sapins du mont Dore. Le Larix où Cedrus Deodara tenait lièu du mélèze des Alpes, et le Taxus nepalensis était dans la même situation que les vieux ifs des montagnes des Pyrénées. L’Acer gla- brum était parallèle à notre Acer platanoides, et un tilleul était l'équivalent du nôtre. Enfin , le Quercus diversifolia représentait nos chênes. Au-dessus de cette végétation ar- borescente, qu'il traversait pour gagner la cime du Hatton, comme nous dépassons, au mont Dore, la ceinture d’arbres verts qui sépare les prairies des vallées des pelouses supé- rieures , il rencontrait, comme nous, des gazons formés de graminées et de Carex, et, parmi les plantes communes, les Potentilla micropetala et P. dentata, semblables à nos es- pèces alpines, le Veronica villosa tenant lieu du V. alpina, le Viola renata, espèce à fleurs jaunes voisine du V. biflora, DES ESPÈCES. 215 si commun dans les Alpes, et que nous retrouvons aussi dans les fissures de nos roches trachytiques. Il cite encore l'A- chillea Millefolium ? qui peut-être est véritablement notre espèce, un Ligusticum meoides, rappelant les formes élé- gantes de notre Meum parfumé, et un Stellaria gracihs, parallèle à nos Cerastium (1). C’est un fait bien remarquable que de voir les analogies se soutenir ainsi sur tous les points de la terre , dès que le climat et les conditions biologiques sont les mêmes. Dans la vallée de Cachemir, le savant voyageur retrou- vait encore une végétation toute parallèle à celle de l’Eu- rope, et analogue à celle de nos bois du plateau central. In- dépendamment des arbres verts, Abies circularis, Abies taxifolia, Jacq., et Pinus attenuata , qui y remplacent nos pins et nos sapins , il rencontrait des érables, des fusains, quelques Æsculus et des noyers, ainsi que le Prunus Padus, qui habite les bois de nos montagnes et qui forme d’admi- rables buissons sur nos granits et nos basaltes. À ces arbres, il faut ajouter des poiriers sauvages et une grande espèce de peuplier plus voisine du blanc de Hollande que du tremble, différente de l’un et de l’autre et leur équivalent à tous deux. Une polémoine voisine de celle que nous avons dans la Haute-Loire fleurit sous ces ombrages, avec un Epime- dium qui lui parut nouveau, et qui était accompagné d’un Tamus, de divers Polygonatum et d’un lys de la section des martagons (2). À 4,000 mètres d’élévation à peu près, à la hauteur du Mont-Blanc, Jacquemont a trouvé des bouleaux bien au- dessus du reste de la végétation arborescente. Là, comme (4) V. Jacquemont , Journal, t. 2, p. 186. (2) Idem, 1.5, p. 221. 216 PARALLÉLISME vers les pôles, c’est le dernier arbre que l’on rencontre. € Ils n’ont pas, dit-il, le port élégant des nôtres ; leur tronc est noueux et tortu, la forme de leur tête inégale, irrégu- lière , mais leur écorce est la même et la forme de leurs feuilles ne me paraît pas différente (1). » Enfin , au-dessus de ces bouleaux végète le Juniperus arborea, qui ent la place de notre Juniperus nana. Il est aussi rabougri, il s'étale comme le nôtre et en offre entièrement l'aspect. Au-dessus, des Artemisia tomenteux comme les Genepi de la Suisse, se mélangent à un astragale épineux. C’est à cette grande élévation de 5,500 mètres que le docteur Hooker observait des moutons qui broutaient les touffes d’une petite cypéracée voisine de notre Carex puli- caris, entremêlée d’autres touffes formées par le Festuca ovina (2). C’est à cette même élévation, sur les pointes stériles de la haute vallée de Lachen , toujours dans l’Hi- malaya, qu'il rencontrait une plante curieuse , voisine du Cherleria de nos Alpes , l’Arenaria rupicola, Ferzl., qui forme sur le sol des masses hémisphériques de deux ou trois _ décimètres de diamètre, et ressemble beaucoup, pour lé port, au Bolax Glebaria des îles Falkland (3). | Ce parallélisme des forêts et des pelouses de l'Himalaya -ne se présente pas brusquement ; il se montre à mesure qu'on s'élève. Ainsi, c’est à une hauteur de 1,600 mètres seulement que cette flore asiatique prend le caractère eu- ropéen. «€ On était au printemps , dit le docteur Hooker, un (4) V. Jacquemont , Journal, t. 2, p. 255. (2) Hooker, Journal d’an voy. dans l'Himalaya, Bull. de la soc. bot. de France, t. À, p. 152. (3) Idem. DES ESPÈCES. . 217 » chêne et un bouleau commençaient à fieurir, ainsi qu'une » violette, un Chrysosplenium, un Stellaria, le fraisier » sauvage, un érable, un Geramum et une ronce. Des . » mousses et des lichens tapissaient le bord des chemins ; » mais ces plantes , il faut le dire , étaient accompagnées » d’un grand nombre de genres tropicaux , qui montraient » que l’on était encore bien au-dessous de la zone tempé- » rée. À partir de ce point, le chemin montäit à travers » une forêt magnifique de châtaigniers, de chênes, de noyers » et de lauriers (1). » Un aulne, désigné par Jacquemont sous le nom d’Alnus obseura, forme de petits bosquets sur les bords des rivières de l'Himalaya. Son feuillage est foncé et développe aussi cette odeur résineuse que nous remarquons surtout après la pluie, quand nous passons sous le feuillage de notre Alnus glutinosa. Son bois est également rougeûtre. Les mêmes circonstances ont fait naître les mêmes caractères sous des climats semblables, mais dans des lieux bien éloignés. Parmi les rosacées de Cachemir, il en est une qui repré- sente exactement notre aubépine , et qui peut-être, dit Jacquemont, n’est pas autre chose (2). Sur les rives des tor- rents, au pied des montagnes, un Salix rappelle, par son port, le Salix alba de l'Europe (3). Le Carpinus nepalensis est aussi parallèle au charme de nos haies et de nos forêts. Ce parallélisme, si frappant pour la végétation arbores- cente , se retrouve aussi pour les plantes herbacées. Sur un coteau battu par le vent, Jacquemont cueillait une anémone (4) Hooker, Journal d’un voy. dans l'Himalaya, Bull. de la soc. bot. de France, t. 4, p. 149. (2) Journal, 1. 3. p. 259. (3) Idem, t. 2, p. 7. 218 PARALLÉLISME parallèle à notre À. vernalis, qui occupe le sommet du plomb du Cantal, et au-dessus , au milieu des roches, deux Sedum et deux Draba, qui rappellent tout à fait la végéta- tion de nos rochers (1). Plus loin , il observait un épilobe calqué , comme il dit, sur l’Epilobium angustifolium, et un groseillier à fruit fade, comme celui du Ribes petræœum. Jacquemont était frappé du rapprochement qui existe dans l’aspect des plantes du sommet du Kedar-Kauta et des heux élevés des Alpes. Les Primula atroviolacea et P. cras- sipes, Jacq., l’Anemone ranunculifoha, le Gentiana varie- gata fleurissaient autour des rochers , et dans leurs fentes, sur la cime même de la montagne, le Saxifraga punctata dé- veloppait ses thyrses superbes , comme le S. Aizoon sur nos montagnes, et le S. pyramidalis dans celles des Pyrénées. Un euphorbe monte jusqu’à cette grande élévation (3,600 m.), c'est l’Euphorbia frigida, Jacq., très-petite herbe vivace, dont le port rappelle celui des primulacées dans la région desquelles elle croît ici. Il cite encore le Ficaria acaulis. « Celui-ci, dit-il, ne dépasse jamais 0,03 à 0®,04 et at- » teint rarement 0,01 de longueur; il émaille de ses » petites fleurs d’un jaune d’or, le maigre tapis de gazon » que les neiges découvrent, et fleurit sous le bord aminc » de leurs voûtes, quand la lumière peut pénétrer à tra- » vers (2). » Au Kernawer, au pied de l'Himalaya, existent deux mauves que ce savant considère comme très-voisines des Malva rotundifolia et M. sylvestris, peut-être même iden- tiques, dit-il, et qui ne s’éloignent jamais des lieux cultivés ou habités. Il rapporte encore un exemple de parallélisme (4) Jacquemont, Journal, t. 2, p. 268. (2) Idem, p. 132. DES ESPÈCES. 219 dans la présence de l’Impatiens minula , miniature de l'Z. noli tangere, et qui se réfugie aussi sous l’ombrage des ar- bres verts. Il l’a trouvée, dans l'Himaläya , sous les cèdres. Une renoncule jaune , que Jacquemont regarde comme le R. acris, remplace les renoncules alpestres dans les hautes montagnes de Cachemir ; elle en a du moins le port et le facies (1). La fréquentation des bestiaux développe , sur le plateau central comme dans les Alpes, le Rumex alpinus. C’est une plante du même genre que Jacquemont trouva dans l'Hi- malaya , dans les lieux que fréquentaient aussi les ani- maux (2). Les lieux marécageux et aquatiques de cette partie de l'Asie ont aussi leurs équivalents. Ces plantes ont, comme on le sait, un aire d'extension considérable, et, quand leurs espèces viennent à changer, elles sont remplacées, comme les plantes terrestres, par des espèces analogues. Un des exemples les plus frappants est celui qu'observa V. Jacque- mont en revenant de Cachemir à Dehli. « Le territoire ara- » ble des vallées du Madmod, de l’Arine et de l’Araganm, » au fond du bassin du Voulleur, forme un petit pergun- » neh appelé Kouiama; Bandehpour en est le village prin- » cipal. Le lac lui-même et les vastes marais qui l’entou- » rent forment un district à part, appelé la Mahäli-Sin- » garah, où domaine des châtaignes d’eau. C’est que cette » plante, qui abonde dans ses eaux peu profondes, est » l’unique ressource des habitants assez nombreux de ce » canton. L'espèce me paraît différer spécifiquement du » Trapa natans de l'Europe par ses fleurs plus grandes et (4) Journal, L 5, p. 223. (2) Idem, LS 2 p. 125. 2920 PARALLÉLISME » la longueur des cornes de sa semence. On la pêche au » fond de l’eau, dans la vase, à la fin de l’automne ét pen- » dant tout l'hiver! Le sircar (le seigneur) prélève les trois » quarts de la pêche. Le quart laissé aux paysans suffit à » leur nourriture pendant tout le reste de l’année , qu'ils » passent dans une oisiveté presque complète (1). » En descendant de la crête de l'Himalaya dans la vallée de Cachemir, le même botaniste trouva un Caltha croissant comme l'espèce européenne près des neiges fondues ou des petits ruisseaux, analogue par sa forme, mais à fleurs cons- tamment blanches (2). Cet albinisme ne dérive pas du jaune, mais du bleu, dont la fleur conserve des teintes à l'extérieur. C’est une différence très-considérable, au milieu de toutes les analogies qu’elle présente. | Un Parnassia, P. triloba, Jacq., a été trouvé dans les marécages de Dubling-Doubling , au pied de l'Himalaya. il Heurit , comme le nôtre , pendant le mois de septem- bre (3). | M. Thomas Thomson a retrouvé, comme Jacquemont, à une grande élévation dans les montagnes de l'Himalaya , une zone de végétation en partie européenne, qui commence vers 16 à 1,700 mètres et finit à 4,000, c’est-à-dire à la limite des arbres. Ainsi, au pied des montagnes, on voit se développer les groupes des tropiques, des euphorbiacées arborescentes, des Garcinia , des Cedrela, d’élégantes mi- mosées et des lianes nombreuses, parmi lesquelles des Bau- hinia tiennent le premier rang. Dans les fonds, ce sont des Magnolia, des lauriers qui se mêlent à de gigantesques fi- (4) Jacquemont, Journal , t. 5, p. 521. (2) Idem, p. 17. (5) Idem, 1. 2, p. 408. DES ESPÈCES. 221 guiers. Un Calamus , palmier épineux , forme des fourrés impénétrables. Des Pothos, des Scindapsus à grandes feuilles et des orchidées parasites croissent sur les arbres et les cou- vrent de fleurs étrangères. Les chênes et les châtaigniers ont déjà commencé à 700 mètres, mais à 2,000 c’est une flore tout européenne ou du moins c’est un mélange de plantes des climats tempérés. Ce sont des chênes , des houx , des cerisiers, des Rhododendrum , des Styrax . d'immenses Magnolia, et, pour broussailles, des Berberis, des Daphne, des Lonicera, plusieurs Vitis et un nombre immense de fougères (1). Nous terminerons ces notions sur le parallélisme des es- pèces de l'Himalaya par une liste de plantes indiennes mises en regard de leurs équivalents européens. Liste de plantes parallèles recueillies par Jacquemont. Thalictrum acaule, Jacq., de Kanaor, — T. simplex. Anemone rupicola, Camb., de Cachemir, — À. alpina. Calianthemum cachemirianum , Camb., = C. rutæ- folium. Caltha alba, Jacq., Cachemir, — C. palustris. … Aquilegia kanaorensis, Jacq., — À. vulgaris. Nymphæa cachemiriana, Camb.,— N. alba. Olygomeris glaucescens, Camb., Kadabad, — Astrocar- pus sesamoides. Geranium tuberaria , Jacq., Cachemir, — G. sangui- neum. Geranium ocellatum , Jacq., — G. dissectum et G. Ro- berlianum. (1) Biblioth. de Genève, avril 1852, p. 550. 222 PARALLÉLISME | Trigoneila cachemiriana, Jacq., Cachemir, — 1. mons- peliaca. | Spiræa barbata, Wall., Cachemir, — S. Aruncus. Agrimonia nepalensis, Don., Cachemir, — À. Eu- patoria. Ribes alpestre, Wall., Cachemir, — R. Uva crispa. | Valeriana pirolælolia, Decaisne, très-haut, 4,000 mètres, dans le Pyrpenjal, — Y. dioica. Sénicillis Jacquemontiana, Decn., — Ligularia sibirica de nos marais. Son port est le même, son large feuillage est celui de notre composée, ses fleurs sont en épis dorés, comme la nôtre; elle croît dans les bois marécageux de Cachemir, et, pour compléter l’analogie , elle fleurit, comme notre li- . gulaire, à la fin du mois d’août. Aplotaxis Lappa, Decn., Cachemir, bois et prairies, — Cirsium tricephaloides des prairies du Cantal. Prenanthes violæfolia, Decn., forêts de l'Himalaya, — Lactuca muralis de nos bois des montagnes. Pedicularis punctata, Decn., Gombour, — P. palustris et P. verhicillata. | Betula Jacquemontn, Spach., — B. alba. Il constitue, dans l'Himalaya, des forêts immenses. Corylus Jacquemontn, Decn., Himalaya, —C. Avellana. Anquetilea Laureola, Decn., hautes forêts de l'Himalaya, — Daphne laureola. C’est entièrement son port et son as- pect , ses feuilles luisantes, ses fleurs d’un vert jaunâtre. Neottia lyndleiana, Decn., hautes forêts de l'Himalaya, — N. eshivalis. Cephalanthera acuminata, Lindl., bois de Cachemir, — C. ensifolia. Son feuillage, son port entier et ses fleurs, d’un blanc jaunâtre, en font une plante entièrement parallèle à la nôtre. DES ESPÈCES. 399 Polygonatum geminifloram , Decn., bois de bouleaux de l'Himalaya, — P. multiflorum. Ledebouria hvyacinthina , Roth., Himalaya, — Scilla Lilio-Hyacinthus. Si, des montagnes de l'Himalaya , nous abordons les grandes îles du Japon, nous trouvons encore d’autres traits de ressemblance. Nos broussailles de la région méridionale, réduites en hiver à quelques arbres qui conservent leurs feuilles, y retrouvent leurs analogues. M. de Siebold a vu, au Japon, le Quercus glauca et le Q. acuta remplacer nos yeuses et nos autres chênes verts. Notre houx y à pour pa- rallèles les lex latifolia, L.integra, L. rotunda. Le Persea indica y tient la place de notre laurier de la Provence, et, au milieu de cette végétation des zones tempérées, les bambous, les Camelia et quelques palmiers accusent une région plus méridionale. Dans la même contrée, d’autres espèces sont encore pa- rallèles aux nôtres. L’Acer septémlobuin est voisin de nos érables , le Ligustrum japonicum et les Viburnum dilata- tum et V. macrophyllum tiennent. la place de notre troëne et de nos viormes. Le framboisier y est remplacé par les Rubus palmatus, R. moluceanus et R. trifidus. Un pin très- analogue au P. sylvestre, peut-être lui-même , forme des forêts , et le Vaccinium Myrtillus , si commun dans notre région dans les mêmes conditions , cède la place aux Vac- cènium ciliatum , V. bracteatum , V. hirtum, et à l’Azalea japonica. Le Sambucus pubescens , abondant au Japon, y rappelle complétement notre Sambucus racemosa (1). Les saisons amènent quelquefois aussi, sous des climats très-éloignés , des scènes tout à fait semblables. C’est ainsi (4) Von Siebold, Voy. au Japon, t. 4, p. 279. 292. PARALLÉLISME que, dès la fin de février, on voit, au Japon comme dans nos campagnes , les plantes printanières sortir aux premiers rayons du soleil. Le Viola Patrinii rappelle notre humble violette ; nos anémones vernales sont remplacées par l’A- nemone cernua ; l’Arum ringens tent lieu de l’Arum vul- gare et ouvre, comme lui, ses spathes enroulées ; le Luzula verna incline, comme dans nos bosquets , ses légères pani- cules , et le Leontodon sinense , presque semblable à notre pissenlit, ouvre au soleil les disques dorés de ses capi- tules. « La végétation des iles japonaises traverse, comme la » nôtre, dit M. de Siebold , les phases des quatre saisons, » et, dans chacune d’elles , le paysage a une physionomie » différente. Mais la mutation des saisons y diffère de celle » des régions septentrionales du globe, en ce que les tran- » sitions de l'été à l'automne et de l'automne à l'hiver n’y » sont point aussi sensibles que la transition de l'hiver » au printemps. Aux premiers jours de l’année, la nature, » glacée par l’âpre vent du nord et endormie sous les » neiges, s'éveille tout à coup , et peu de semaines suffi- » sent pour donner aux campagnes le riant aspect du prin- » temps. » Le Japon montre, à cette dernière époque, la plus grande ressemblance avec nos campagnes d'Auvergne, car, outre les espèces vernales que nous avons citées, on voit de tous côtés les arbres fruitiers épanouir, comme sur les coteaux de la Limagne, leurs milliers de fleurs blanches. Abricotiers, pruniers, cerisiers semblent se couvrir de neige. Le pêcher, caché sous ses fleurs roses , contraste au milieu des autres, et les érables, qui verdissent entre les chênes, ajoutent leur feuillage à cette fraîche coloration des campagnes. Un peu plus tard , nos Daphne et nos chèvrefeuilles sont DES ESPÈCES. 295 remplacés par les Daphne odora et D. papyrifera, par le Lonicera flexuosa , le Caprifolium uniflorum et le Xylos- teum japonicum. Le Jasminum nervosum tent lieu de notre jasmin. Nos primevères à fleurs jaunes ne s’y montrent pas, mais les Primula sinensis et P. cortusoides y épa- | nouissent leurs corolles rosées. A ces plantes de physionomie indigène il faut ajouter de . charmantes étrangères , le Calycanthus præcox', dont les fleurs d’une teinte indécise répandent le plus suave de tous les parfums, le Kerria paponica cultivé dans nos jardins sous le nom de Corchorus, et de nombreuses espèces de Weï- gelia, variés de couleur et d’effet. Au milieu du printemps viennent les azalées, les Deutzia, les Hydrangea, les beaux Magnolia et les riches pivoines, tandis que des bosquets analogues aux nôtres ne montrent que des fusains, des alisiers, des Cratægus , des viormes, tous d’espèces différentes de celles que nous avons. Le Paullownia imperialis épanouit de bonne heure ses grappes de fleurs bleues dont les boutons ont bravé l'hiver, et sa teinte légère contraste avec le vert sombre des cèdres, des ifs et des Podocarpus qui couvrent de grands espaces. C’est vers les premiers jours de juin que la verdure atteint tout son éclat, que la campagne est dans tout son luxe , et déjà des plantes printanières ont disparu de la scène où leur rôle est terminé. Les bambous, qui remplacent nos Phragmites et nos Arundo, ne laissent aussi sortir leurs jeunes pousses que sous l'influence du soleil de l'été. Alors paraissent des orchidées et des liliacées qui n’ont plus aucun rapport avec les nôtres ; alors se développent ces légions de labiées et de personnées, où nous rencontrons au milieu de plantes inconnues des espèces que nous connaissons depuis notre enfance , le Clinopedium vulgare, le Prunella vul- 15 IV 2926 PARALLÉLISME garis , des menthes, des Salvia, des Lamium , des Pedi- cularis que nous croyons reconnaître et qui pourtantsont différents des nôtres, quoique remplissant dans le paysage un rôle tout à fait identique. Le Nelumbium specriosum flottant comme nos Nymphæa , cache la surface des eaux. Le Convolvulus japonicus se développe comme nos liserons, . près du Gossypium indicum qui remplace nos malvacées communes. Ailleurs , ce sont des Polygonum et des Cheno- podium. | À mesure que la saison avance, des plantes plus tardives se montrent. On y distingue aussi en espèces parallèles l'Eupatorium japonicum, le Prenanthes debilis, et beau- coup d’autres composées telles que : Serratula tinctoria, Bidens pilosa, Artemisia japonica, Carpesium cernuum, Tussilago japonica, Inula japonica, Solidago virga-aurea, Aster scaber ; des campanulacées, Campanula tetraphylla, C. marginata ; des gentianées tardives comme le Swertia rotata ; des ombellifères telles que le Daucus Gingidium, le Peucedanum japonicum, etc., toutes plantes qui représen- tent exactement nos espèces du plateau central, et qui, comme elles, n'apparaissent que très-tard vers la fin de l'été. L'automne arrive à grands pas, les feuilles jaunissent et la teinte fauve que prennent celles des érables et de l’arbre à cire indique que les forces de la végétation s’épuisent. « Les » arbres et les buissons , dit M. de Siebold , perdent suc- » cessivement leur verdure ; les tiges des plantes vivaces » sont frappées par la sécheresse ; on ne voit plus fleurir, » dansles jardins ou dans les champs, en novembre, qu'un » petit nombre de chrysanthèmes , de Camelia , d’arbustes » à thé et de Rosa semperflorens. » Dans les bosquets éclaircis brillent encore les baies DES ESPÈCES. 297 » rouges et noires des lauriers, des houx et de rares oranges » douces; sur les âpres roches et les troncs d’arbres, la » mousse s'étend en moelleux tapis. Depuis plusieurs » semaines la cime des hautes montagnes est ensevelie » sous les neiges , et il souffle un vent perçant du nord- » ouest accompagné de grêle, de neige et de gelée. Mais » l’hiver ne dure pas longtemps pour la haute végétation. » Aux premiers jours de Janvier plusieurs arbres et plusieurs » plantes rentrent en sève; et les agriculteurs se promet- » tent une bonne année quand elle s’ouvre par l’offrande » d'un Adoms volgensis ou d’une branche fleurie du pru- » nier Mume sur l’autel des dieux domestiques (1). » Le parallélisme n'appartient pas seulement aux plantes de l’ancien monde ; les mêmes formes se reproduisent sur le continent américain. La végétation de Terre-Neuve, si bien décrite par M. de la Pilaye, a les plus grands rapports avec celle de la Laponie, de la Sibérie, de l'Islande et du Groenland. Elle se rapproche également de celle du plateau central. « Les parties les plus ombragées des bois, dit M. de la Pilaye, produisent le Monotropa Hypopitys et le M. uniflora, singulier par la blancheur éclatante de tout le végétal. Dans les lieux plus ou moins obscurs croissent diverses orchi- dées , les deux Streptopus qui remplacent ici le sceau de Salomon d'Europe; le Mitella reniformis, les Pyrola uni- flora , P. minor, P. secunda, etc., etles Lycopodium taxi- folium et L. lucidulum. Les vides ou éclaircies ont divers Vaccinium , des groseilhiers , le Sanicula marylandica, les Mespilus canadensis et M. Amelanchier; l'humble Coptis trifoha croissant parmi les mousses ; quelques Viburnum, (4) Von Siebold, Voy. au Japon, traduet., t. 4, p. 295. 228 PARALLÉLISME le Festuca agrostidea, l’Aralia nudicaulis , l’Hieraciumn canadense, des Aster, diverses espèces de Sohdago ;tenfin, le Tussilago palmata. Dans les lieux où les arbres ont été abattus, nous voyons abonder le Rubus canadensis et l’Epr- lobium spicatum (1). » Si nous poursuivions les descriptions de Terre-Neuve de M. dela Pilaye, nousretrouverions partout des ressemblances frappantes avec les paysages de nos ur et avec ceux du nord de l'Europe. Toute l'Amérique du Nord offre une multitude de plantes parallèles à celles de l'Europe ; l’Ulmus americana, Willd, est évidemment parallèle à notre U. effusa et joue dans l'Amérique du Nord le même rôle que le nôtre dans tonte la partie orientale de l'Europe. On peut même dire que ce n’est pas une espèce, mais une simple variété parallèle. A peine diffère-t-1l de notre Ulmus par ses feuilles un peu plus coriaceset souvent moins inégales à la base. Le Sambucus canadensis, l’'Heracleum lanatum, le Sor- bus americana, le Betula lenta, l'Hippophae canadensis, sont évidemment des types américains de nos espèces d'Europe. Nos deux Nymphæa, si répandus dans nos cours d’eau, ont leurs congénères dans le nord de l’Amérique. Le Nuphar advena, à fleur jaune, est l'équivalent de notre Nuphar lutea, tandis que le Nymphœa odorata remplace notre N. alba, ayant comme lui de magnifiques fleurs blanches. Ces deux espèces américaines habitent aussi la Si- bérie (2). L'Amérique équinoxiale offre encore beaucoup d’analo- (4) De la Pilaye, Notice sur Terre-Neuve, Mém. de la soc. linn, de Paris, t. 4, p. 424. (2) Mém. de la soc. linnéenne de Paris, t. 4, p. 421. DES ESPÈCES. 229 ge, dans le parallélisme de ses végétaux, avec les autres par- ties du monde soumises aux mêmes conditions de tempéra- ture et de climat, mais elle a peu de ressemblance avec les zones tempérées. M. de Humboldt rapporte cependant quelques exemples d’équivalents botaniques. Il indique, entre autres, deux Typha sous lesnoms de T. tenuifolia et de T. truæillensis, l’un de l'hémisphère boréal et l’autre de l’hé- misphère austral, qui remplacent exactement nos deux Typha ldatifoha et T. angustifolia. Au premier abord , ils ne dif- fèrent en rien de nos deux espèces, et il serait facile de les confondre. À cette même famille appartient le genre Phy- telephas , dont les caractères rappellent aussi le groupe des palmiers ; son port est celui des Pandanus et ses fruits pesants, semblables à de l’ivoiré, sont bien loin des graines légères de nos Typha. Le même observateur rapporte encore un autre fait de parallélisme qui appartient plus spécialement aux plantes cryptogames, et qu’il rencontra en débarquant pour herbo- riser au point où le Rio Vichado verse ses eaux dans l’Oré- noque. « C’est un site extraordinaire, dit l’illustre voyageur, » la forêt est peu épaisse, et une innombrable quantité de » petits rochers s’élancent de la plaine. Ils forment des mas- » sifs prismatiques, des piliers en ruines, des tourelles » isolées de 15 à 20 pieds de haut. Les uns sont ombragés » par les arbres de la forêt, les autres ont leur cime cou- » ronnée de palmiers. ....... Les roches, et ce qui est » plus remarquable encore, le sol même, sont couverts de » mousses et de lichens. Ces derniers ont le port du Cla- » doma pyxidata et du Lichen rangiferinus, si communs » dans le nord de l’Europe. Nous avions peine à nous per- » suader que nous étions élevés de moins de 100 toises au- » dessus du niveau de l'Océan, à 5° de latitude, au centre 230 PARALLÉLISME » de cette zone torride que si longtempson a crue dépourvue » de plantes cryptogames (1). » Plus loin, M. de Humboldt retrouve ces lichens dans de semblables conditions, sur le rocher de Guarinuma , tou- jours sur les bords de l’Orénoque. « C’est un banc nu de » granit couvert de Psora , de Cladonia et d’autres plantes » licheneuses. Je me crus transporté dans le nord de l'Eu- » rope, sur la crête des montagnes de gneiss et de granit, » entre Freiberg et Marienberg en Saxe. Les Cladonia me » paraissaient identiques avec le Lichen rangiferinus, le » L. pyxidatus et le L. polymorphus de Linné (2). » Dans le lac de Valencia, dans l'Amérique méridionale, on remarque le Potamogelon tenuifolium, analogue à notre P. pectinatum, le Chara compulsa, qui remplace notre Chara vulgaris, et le Typha tenwifolia, que nous citions un peu plus haut, et qu’il est presque impossible de ne pas confondre avec notre Typha angustifolia (3). Les gentianes qui croissent en Amérique sur le Chimbo- razo ressemblent à nos gentianes des Alpes, mais ne sont point identiques. Ces végétaux sont doués de formes qui n’ont plus leurs analogues dans les régions basses de cette partie du Nouveau-Monde (%). Si les faits de parallélisme entre notre végétation eupo- péenne et celle du Nouveau-Monde , diminuent de nombre dans les régions équinoxiales, nous les voyons reprendre leur importance au delà de la zone torride sur l'hémisphère austral. Ils reparaissent dès que les conditions reprennent de l’analogie. (4) Humboldt, Voy. aux rég. équin., t. 7, p. 219. (2) Idem, p. 251. (5) Humboldt, Voy. aux rég. équin., t. 5, p. 193. (4) Link, Le monde primitif, t. 2, p. 100 (traduet. ). DES ESPÈCES. 231 M. Wedel indique à Sauces, dans l'Amérique du Sud, une renoncule à fleurs jaunes, presque identique au R. acris de nos prairies et qui couvre les pâturages des environs. La végétation de la Patagonie a, selon M. d’Orbigny, tout à fait le même aspect sur le bord des rivières que celle des mêmes lieux en Europe. Ce voyageur a recueilli en Patagonie 1 17 espèces, savoir: acotyled. 14, monocotyled. 22 dont 17 graminées, et dycotyled. 81, parmi lesquelles les fa- milles dominantes sent : composées 26, légumineuses 6, chénopodées 6, ombellifères 5, solanées 4. Les seuls arbustes sont une nyctaginée du genre Bougainvillia, 2 Lycium, une composée du genre Chuquiraga , 4 légumineuses des genres Acacia, Cassia, et le Colletia serratifolia (1). Le parallélisme des espèces du même genre a quelque chose de frappant dans les contrées les plus éloignées, même dans l'hémisphère opposé. Les genres Carex, Scirpus, Alo- pecurus, Juncus, Plantago, Anagallis, Empetrum, Gna- phalium, Galium, Ranunculus, Brassica, Viola, Stella- | ria, Montia, Myriophyllum, qui tous s’avancent dans les contrées septentrionales de l’Europe et se trouvent sur le plateau central, sont représentés, à l'extrémité de l'hémis- phère austral, par des espèces dont l’analogie avec celles d'Europe est frappante, d’après les propres expressions de M. Durville, qui les a observées aux Malouines. Sur 80 genres qui composent la flore de cette localité, ce savant en a trouvé en plus 15 à 20, tout à fait distincts de ceux du continent européen. Au port Famine, sur les bords du détroit de Magellan, le hêtre se montre sous la forme élégante du Fagus antarc- tica. 1 forme, comme le nôtre, des voûtes de verdure à (1) D'Orbigny, Voy., !. 2, p. 308. 232 PARALLÉLISME travers lesquelles les rayons solaires essaient inutilement de pénétrer; le vert tendre de son feuillage et la disposition éta- gée de ses rameaux reproduisent, à l’extrémité de l’hémis- phère antarctique, les scènes que nous offre l’ancien monde à la même latitude et dans l'hémisphère opposé. Sir Dalton Hooker a été frappé, comme Durville, des analogies qu'il a rencontrées entre les espèces de nos cli- mats et celles des îles reculées de l'hémisphère austral. L’Epilobium Lineoides, Hook. fils, remplace, dans les lieux marécageux des îles Campbell et de Lord Aukland , notre petit Epilobium origamifolium, qui couvre sur nos monta- gnes les lieux humides et les bords des sources naïssantes. Le Gnaphalium spicatum, Lam., y représente notre G. syl- vahicum, et le Gentiana magellanica, Gaud., y tient lieu de notre G. nivalis. Le Luzula crinita, Hook. fils, a le portet l'aspect des luzules de nos hautes montagnes. Les Acœæna lucida, Vah], A. pumila, À. adscendens, Vahl, qui croissent au détroit de Magellan, au cap Gregory et dans des lieux très-antarctiques, rappellent tout à fait par leur port nos Sanguisorba et nos Poterium. Les Myrodendron, parasites sur les rameaux de diverses espèces de Fagus de ces régions et du Chili, y remplacent le guy de nos vergers et de nos arbres verts. El est curieux aussi de voir le Caltha dionæfolia, Hook., si différent des autres , et portant de petites feuilles analogues à celles du Dionœa muscipula , former de larges gazons sur la terre de Fuego, vers le pôle sud. Il faut avouer cependant que s’il est facile de s’assurer de l'identité et du parallélisme des genres à de grandes dis- tances, 1l est beaucoup plus difficile de reconnaître , avec pré- cision, le nombre des espèces identiques. El faut d’abord ex- clure les plantes qui ont pu être introduites par l’homme et DES ESPÈCES. 259 par ses cultures. Il reste ensuite bon nombre d'espèces qui se ressemblent tellement qu’elles ont donné lieu à des er- reurs de confusion ; ainsi nous citerons, avec M. de Hum- boldt , les Viola debilis. Mich., Vallisneria americana, Mich., Alisma trivialis, Pursch., Cratægus apü/folia , Mich., Sorbus muicrophylla, Pursch., et Cypripedium pu- bescens, W., que l’on confondait d’abord avec les : Viola canina , Vallisneria spiralis, Alisma Plantago, Cratægus Oxyacantha , Sorbus Aucuparia, Cypripedium calceolus , toutes plantes qui jouent le même rôle dans les associa- tions végétales, mais qui sont spécifiquement distinctes des nôtres. On ne peut nier cependant que dès le principe et avant toute colonisation, certaines plantes n'aient été communes aux deux continents, et il serait curieux de rechercher à quelles familles appartiennent principalement ces espèces à double origine. La présence d’espèces qui paraissent parfaitement iden- tiques , dans deux contrées sans communication apparente , doit nous faire supposer qu'une même espèce a pu avoir plusieurs centres de création très-éloignés , à moins d’ad- mettre que les plantes placées dans ces conditions consti- tuent &es espèces séparées quoique identiques. Nous agirions dans cette circonstance d’une manière peu logique, et notre raisonnement serait le même que celui des géologues qui trouvant, dans deux terrains d’âge différents, deux coquilles parfaitement semblables, en font nécessairement deux es- pèces, parce qu’elles ont été créées, d’après leur manière de voir, à deux époques distinctes. Avec un peu de bonne volonté on pourrait presque tou- jours faire des espèces parallèles en examinant avec soin les espèces identiques , car les plantes dont l’aire d’extension 234 PARALLÉLISME est très-developpée, acquièrent, loin de leur centre de créa- tion , des caractères de localité auxquels il est facile de les distinguer. Notre Polygonum Bistorta se retrouve dans les monts Altaï, et là il a les feuilles très-glabres, d’un vert foncé et presque brillantes en dessus; les radicales sont oblon:- gues, cinq à sept fois plus longues que larges et se ré- trécissent à la base en un pétiole sur lequel le limbe est dé- current. Dans la Dahurie, où la même espèce est commune, elle diffère aussi de la variété précédente ; ses feuilles sont très-elabres, presque toujours d’un vert pâle, et non brillantes en dessus; les caulinaires lancéolées-linéaires, dix à vingt fois plus longues que larges. Fischer et Meyer ont désigné ces deux variétés sous les noms de P. nitens et P. longifolia. On voit qu'elles sont très-distinctes de notre Polygonum Bistorta, et peut-être même forment-elles aujourd’hui ou formeront-elles plus tard de véritables espèces, quoique très- voisines, mais évidemment issues d’un même type. Notre Geranium rotundifolium, L., se retrouve au Brésil à Giribatuba, et dans l'Etat oriental de l'Uruguay. Il a été désigné sous le nom de G. albicans, Flore brésil., et re- connu ensuite par MM. Aug. de Saint-Hilaire et Ch. Naudin comme une variété plus velue, plus molle et à feuilles un peu plus divisées. On ne peut en faire une espèce , et, d’un autre côté, un œil exercé le distingue immédiatement du type. Notre Geranium dissectum , L., est ausst représenté, dans les mêmes localités, par une espèce parallèle qui se trouve dans les mêmes conditions, qui joue exactement le même rôle dans l'aspect de la végétation. C’est le G. rapulum , À. de Saint-Hilaire. Nous pouvons faire la même remarque au sujet de lOxalis corniculata, L., qui est représenté en- core au Brésil par deux de ses variétés, dont l’une est l'O. corniculata , Zucc., à pédoncules à cinq fleurs , et l’autre DES ESPÈCES. 235 l'O. repens, Zucc., à pédoncules biflores, et plus commun que l’autre. Le Malva prostrata, Cav., remplace, à Monte-Video et dans l’île de Sainte-Catherine , notre Malva rotundifolia, L.; il végète, comme elle, le long des haies et dans les lieux incultes. Les Barbarea officinahs et B. præcox de nos montagnes sont représentés, en Mésopotamie et jusque dans les parties supérieures de l’Arménie, par le Barbarea inte- grifolia, Dec. L’Hesperis runcinata, W., qui n’est qu'une variété de l'A. matronalis, ent lieu du type dans le Djul- fekkou. L’Alyssum montanum , le Draba aizoides végètent en différents points de l'Orient, au mont Hymet, en Ar- ménie, en Thessalie, dans la Cappadoce , mais dans cha- cune de ces localités il existe, soit dans la sihicule , soit dans les poils ou appendices divers de la plante, des ca- ractères diflérentiels suffisants pour distinguer toutes ces variétés locales, qui sont parallèles et qui deviendront plus tard , si elles ne le sont déjà, de véritables espèces , puisque les caractères qui les séparent seront permanents. Le Corylus Avellana, L., a aussi, en Amérique, sa plante parallèle, le C. americana, Michaux, qui n'est qu'une forme particulière de notre noisetier, dont les in- volucres sont plus développés et glanduleux, variété que nous avons aussi rencontrée en Europe. Nous pourrions dire la même chose du Carpinus Betulus, L.,et du C. americana , Michaux. L'identité entre espèces de deux continents éloignés se retrouve aussi bien dans les animaux que dans les plantes ; elle est clairement mentionnée, entr'autres exemples , dans un rapport de M. Gould sur les invertébrés du Mas- sachusset. El indique, dans cet Etat, seize espèces d’hélices seulement, parmi lesquels il en signale plusieurs qui vivent 236 PARALLÉLISME également en Europe, telles que les Helix hortensis, H. pulchella, H. cellaria. « Cette communauté, dans un petit nombre de mollus- ques , entre des régions séparées par de vastes mers, dit M. Deshayes, s'explique difficilement; elle se montre non- seulement parmi les mollusques terrestres , mais encore chez ceux de la mer. Pour ces derniers, on comprend plus aisément leur présence en Amérique , qui, par le nord , touche aux terres européennes. Les animaux ma- rins, dans leur distribution géographique, suivent presque toujours des lignes d’égale température. Tel mollusque, habitant les mers du nord , sous le cercle polaire, s’éta- blira sur tous les points de ce cercle où il rencontrera des conditions favorables à son développement. Les mollus- ques terrestres se soumettent moins à ces lois, car, pour eux, leur propagation trouve des limites dans l'étendue des continents qu'ils habitent ; les mers leur opposent des limites infranchissables. Il a donc fallu que, sur les deux continents, des circonstances semblables amenas- sent la création d’espèces identiques ; elles n’ont pas eu un seul point d’origine, ainsi que le supposent et le pré- tendent un grand nombre de naturalistes. » ci, continue ce savant distingué, se présente naturel- lement cette question, depuis si longtemps débattue, de l’origine des êtres à la surface de la terre et du mode de leur création. Cette question, si vaste et si obscure en- core pour nos faibles regards , il appartient aux natura- listes d’en donner la solution dans un avenir que prépa- rent, depuis le commencement de ce siècle, tous les grands travaux philosophiques qui embrassent à la fois. l'enchainement mutuel des êtres, leur reproduction , la définition de leurs espèces , leur variabilité , éléments de DES ESPÈCES. 237 » la question, auxquels se joignent aujourd’hui tous les » documents que fournit la géologie et principalement la » paléontologie (1). » Le climat est certainement la cause la plus influente du parallélisme ; les mêmes conditions amènent les mêmes formes. La nature du sol qui fait partie importante de la station agit aussi dans le même sens. Les espèces se répè- tent avec des caractères analogues sur des terrains de com- position opposée. M. Thurmann cite l'exemple très-remar- quable des Orobus vernus et O. tuberosus, dont le pre- mier indique le sol compacte et le second le sol disgrégé. M. Unger, dans sa Géographie botanique du Tyrol septen- trional , donne aussi deux séries parallèles représentées par les espèces suivantes sur des sols différents. SOL CALCAIRE. SOL DE SCHISTE ARGILEUX, Sesleria cærulea. _Sesleria disticha. Luzula maxima. Luzula spicata. Carex mucronata. Carex frigida. Chrysanthemum atratum. Chrysanthemum alpinum. Erigeron alpinum. Erigeron uniflorum. Arnica scorpioides. : Arnica Doronicum. Phyteuma orbiculare. Phyteuma hemisphæricum. Campanula alpina. Campanula thyrsoidea. Rhododendram hirsutum. Rhododendrum ferrugineum. Saxifraga aphylla. Saxifraga muscoides. Astragalus glyciphyllos. Phaca astragalina. Biscutella lævigata. Erysimum lanceolatum (2). (4) Deshayes, dans Ferussac, Hist. gén. des mollusques terr. et fluv., 2%p 479. (2) Unger, Influence du sol sur les végétaux, traduit par Martins, Ann. des se. nat. bot., t. 8, p. 92. 238 PARALLÉLISME. Il s’en faut cependant que tous les genres et tousles types se prêtent à cette espèce de protéisme ou de parallélisme ; il y a des genres propres à une seule contrée, à une seule partie du monde, à un seul hémisphère. Ainsi, les coni- fères appartiennent principalement aux zones froides et tem- pérées ou aux montagnes de la région équinoxiale. Quel- ques-uns sont particuliers à la Nouvelle-Hollande. Mais, sous la zone torride, ce sont les cycadées qui les remplacent ou qui les accompagnent quelquefois comme aux anciennes périodes géologiques. Les strobulifères ou abiétinées, comprenant les genres Pinus, Larix, Abies, etc., et les galbulifères, telles que Juniperus, Thuya, Cupressus, préfèrent l’hémisphère boréal, tandis queles Podocarpus, Dacrydium, Araucaria, sont plus spéciaux à l'hémisphère austral. L'Amérique méridionale a bien quelques Podocarpus; mais M. de Huümboldt n’y a vu aucun Pinus, aucun Abies ; ce qui est d’autant plus étonnant, dit-il, que depuis l'isthme de Panama jusqu'aux sommets élevés des montagnes du Mexique et jusqu’au Canada, à la fois sous les zones torride et tempérée, on rencontre d'immenses et épaisses forêts d’arbres verts où les espèces des genres Abies, Juniperus, Cupressus et Taxodium , sont mélangées à diverses espèces de Pinus. Les conifères strobulifères, comme les monocotylédones glumacées, avec lesquelles elles ont quelques rapports de ger- mination, affectionnent les lieux froids et polaires (1). Mais si des types de création sont circonscrits dans d’étroites limites, il en est d’autres qui s'étendent sur le monde entier. (4) Humboldt, De distrib. geogr. plantarum, p. 49. DES ESPÈCES. 230 Le Scilla nutans, si répandu dans le nord de la France, est remplacé dans le Centre par le Scilla Lilio-Hyacinthus, dans la Provence par le Sclla Bertoloni, en Algérie par les Seilla undulata et S. peruviana , dans l'Himalaya par le Ledebouria hyacinthina, Roth. Le genre Pedicularis habite presque toutes les parties du monde. Ses formes sont répandues à profusion , et tous les pays de montagnes en sont abondamment pourvus. Chaque espèce a sa paral- lèle dans des conditions entièrement semblables, et les pelouses des montagnes sont émaillées de leurs magnifiques épis. Le Pedicularis comosa se rencontre çà et là disséminé sur le plateau central; il se retrouve dans les Alpes, en Piémont , dans les Pyrénées , dans les mêmes conditions : on le revoit en Autriche et en Italie. A l'exception des ré- gions les plus septentrionales , 11 occupe toute la Russie , passe les monts Ourals, et sauf quelques sauts déterminés par la station, il s'étend depuis la Livonie jusqu’à la Tauride, et depuis la Sibérie jusqu'à l'Espagne. Mais cette plante n’est pas identique dans toutes ces loca- lités. M.A. Bunge qui a pu vérifier de nombreux échantillons, a vu des variétés parallèles qui pourront se fixer comme espèces. Plusieurs des échantillons sibériens rappellent ceux du Piémont, ceux de la Russie moyenne sont plus développés et ont des bractées plus foliacées. Celle de la Sibérie orien- tale a les fleurs tellement entremélées de bractées, que Pallas en avait fait une espèce distincte , sous le nom de P. fron- dosa. Celles d'Espagne ont la gorge de la corolle rougeître, tandis que dans toutes les contrées les fleurs conservent leur teinte d’un jaune ochroleuque. Malgré cette extension de l’aire géographique du Pedicu- laris comosa, des espèces très-voisines la remplacent dans les 240 PARALLÉLISME lieux qu’elle ne peut atteindre. Le P. allaica, Steph., lui est parallèle dans les monts Altaï, comme le P. venusta', Schangies, autour du lac Baiïkal, comme le P. flava, Pallas, en Dahurie. D'autres viennent occuper les ré- gions les plus froides où celles-ci ne peuvent pénétrer, et les Alpes de Laponie nourrissent les Pedicularis sceptrum Carolinum, L., P. hirsuta, L., P. OEderi, Vabhl.; le Kamtschatka possède le P. adunca, Bieberst., P. amœna, Adam, et plusieurs autres qui lui sont communs avec la Sibérie. Le Groenland voit fleurir les P. ramosa, Wormsk, et P. groerlandica, Retz. Le P. purpurascens, Chemss., occupe les îles aleutiennes, et le P. arctica, R. Brown. , lui est parallèle à l’île Melville. D’autres , telles que le P. cana- densis, L., P. capitata, Adam, P. euphrasioides, Steven.., P. gladiata, Michaux, P. Nelson, Richards, P. macro- don, Richards, P. lanceolata, Michaux , sont dispersés dans le nord de l'Amérique, au Canada, au Labrador , à la baie d'Hudson, etc., tandis que le P. æquinoctialis a été trouvé par MM. de Humboldt et Bompland à Mexico, et que plusieurs espèces, parmi lesquelles on distingue le P. avena, Wallr., P. brevifolia, Don, P. lanigera, Wallr., P. pec- anata, Wallr., P. porrecta , Wall. , habitent les Indes et le Népaul. Dans le Brésil, les Pedicularis sont représentés par le P. sessiis, Arrab., etle P. sceptrum Marianum, Arrab., qui constituent un genre que l’on devra séparer, mais qui n’offrent pas moins un parallélisme des plus remar- quables. Si des pédiculaires qui appartiennent presque exelusive- ment à l’hémisphère boréal, nous passons aux Rhododen- drum , nous verrons le parallélisme prendre encore une plus grande extension. Tous ceux qui ont parcouru les montagnes DES ESPÉCFS. 241 des Alpes ont été frappés d’admiration à la vue de ces cein- tures fleuries de Rhododendrum ferrugineum et R. hirsu- tum. Le même aspect se présente sur la chaine du Caucase, où ces plantes sont remplacées par le R. caucasicum , et si nous parvenons au nord, sur les montagnes peu élevées de la Laponie, des groupes de R. lapponicum, placés dans les mêmes conditions, abritant des espèces identiques à celles des Alpes, ou des types très-voisins, impriment à ces con- trées boréales le cachet qui nous a frappé dans les hautes régions des montagnes de la Suisse. Maintenant traversons les mers, débarquons sur les rivages de l’Amérique avec le savant auteur de la relation aux régions équinoxiales du Nouveau-Monde, et suivons-le sur la Scilla de Caracas. Les Rhododendrum n’y existent pas , et cepen- dant nous croyons les reconnaître encore; ils nous semblent embellis et répandus à profusion. Ce sont les Befaria glauca et B. ledifolia, aux larges corolles pourprées, genre voisin de celui qui décore les mêmes stations européennes. Sur le continent américain, les Befaria se succèdent et se rem- placent comme nos rosages européens. Sur la montagne de Santa-Fé de Bogota, les Befaria de la Scilla sont rem- placés par les Befaria æstuans et B. resinosa. Sur les hau- tes sommités du Pérou une substitution nouvelle se fait re- marquer. Ce sont alors les Befaria caxamarcensis, H. et B., B. coarctata, H. et B., et B. grandiflora , H. et B. Le B. hispida, Pocp., les remplace au Chili, le B. mexicana, Benth., sur les montagnes du Mexique, et le B. racemosa, Vent. , sur celles de la Géorgie. Il est curieux de voir ces formes similaires se reproduire ainsi sur deux continents éloignés, fuir toujours une tempé- rature élevée, chercher la lumière et montrer partout le même luxe de corolles amples et colorées. Mais si les Befaria 16 IV 3 242 PARALLÉLISME occupent la zone équatoriale de l'Amérique, les Rhododen- drum n'en sont pas exclus; ils se retrouvent surtout. dans le nord de ce continent, où Fon voit les Rhododendrum Purshii, G. Don., R. purpureum, G. Don., R. maximum, Lin., R. macrophyllum, G. D., R. catawbiense, Michaux , R. catæsbeum, Desf., R. albiflorum, Hooker. En Asie, les îles Aleoutiennes et le Kamtschatka ont aussi leur R. camtschaticum , Pallas. Ce même genre se reproduit dans les plaines du nord où il trouve la température froide des montagnes. La Sibérie et la Dahurie ont les R. chrysan- tum, Pall., et R. dahuricum, Lain., la Chine les R. Farrere, Tate, R. ledifolium, Don, R. maicranthum, Turez, R. mucronulatum , Turez, qui s’avance dans les parties les plus froides de ce vaste empire. Les lieux élevés du Japon nour- rissent les R. brachycarpum, G. Don., R. reticulatum, Don., À. Metternichu, Sieb. Les monts Baikals ont le R. palustre, Turez. On connaît aux Célèbes le R. celebicum, Dec. , et des formes analogues naissent sous la ligne même , sur les mon- tagnes des grandes iles asiatiques. Java a les R. tubiflorum, Dec. , et R. javanicum , Beun. ; Sumatra a le R. retusum, Beun. , et le R. malayanum , Jack. , et quand on pénètre au centre de l’Asie, dans le Népaul, et surtout quand on atteint les pentes de l'Himalaya, ces magnifiques plantes déploient un luxe extraordinaire. C’est de ces contrées que nous viennent les R. arboreum, Smith. , R. campanulatum, Wallr., R. formosum, Walir., R. indicum , Swert., R. nobile, Walir., R. linearifolium, Porret, R. lemidatum , Walir. | Des espèces d’une rare beauté ont été récemment décou- vertes dans ces curieuses montagnes ; elles habitent, comme toutes les autres , des pentes élevées, et, quoique situées DES ESPÈCES. 9243 à d'énormes distances de nos Alpes , si mesquines en com- paraison de la grande chaîne asiatique, elles y jouent un rôle analogue et y forment des ornements grandioses, en rapport avec les lieux que Dieu leur a ordonné de décorer. Nous citerons seulement, parmi les richesses de ces lointains pays, les R. argenteum, R. Falconeri, R. Thomsonti , et le R. Dalhousiæ, tous découverts par M. Hooker fils dans les mon- tagnes qui avoisinent les cimes neigeuses del’Himalaya. Cette dernière plante, le À. Dalhousiæ, s'éloigne complétement du port et de l'habitude de ses congénères, comme pour nous rappeler que malgré son apparente uniformité et au moment même où nous croyons la suivre, la nature sait nous arrêter et dévier tout à coup de sa marche régulière , sans que nous puissions en saisir les causes ni en deviner les motifs. Le R. Dalhousiæ ne forme plus de buissons , il cherche sur les vieux chênes un support à ses débiles rameaux; il aban- donne la terre, et, comme une liane nouvelle, on le voit flotter au milieu d’un feuillage étranger. Là, il ouvre d’am- ples corolles qui dépassent en étendue celles de tous les Rho- dodendrum , et comme symbole de la blancheur éclatante de ses corymbes , il est doué d’un parfum délicieux refusé aux autres espèces. Singulière anomalie qui écarte une plante du groupe auquel elle appartient, pour lui donner des mœurs et un port différent, anomalie que cependant nous trouvons souvent dans les types des deux règnes soumis, depuis leur création, à de si variables influences. Le Rhododendrum argenteum surpasse tous les autres en beauté. Il forme dans les forêts de l'Himalaya un arbre qui atteint 14 à 15 mètres, avec des feuilles magnifiques de 3 à 4 décimètres de lon- gueur, d’un vert foncé et argentées en dessous, et des fleurs aussi grandes que celles du Rhododendrum Dalhousiæ. Rien 244 PARALLÉLISME DES ESPÈCES. n’est plus beau qu’un rameau fleuri du R. argenteum, avec son large feuillage et ses masses de corolles (1). A la hauteur de 4,000 mètres, dans ces mêmes mon- tagnes, la végétation est presque entièrement constituée par une multitude d'espèces de Rhododendrum, qui forment sur les pentes escarpées une zone continue de 300 mètres de largeur (2). Ils atteignent aussi les plus grandes hauteurs, car le R. nivale, que l’on trouve à 5,500 mètres près des neiges de l'Himalaya, est la plus alpine de toutes les plantes ligneuses. Les R. obtusum, Wats., et R. myrtifolium, Lodd., vien- nent montrer les dernières espèces du genre sur les rochers brülants de Gibraltar. On le voit, la nature se répète et semble retracer les mêmes tableaux en employant des éléments qui diffèrent ; mais cette répétition nous plait et nous démontre le pou- voir infini du Dieu de l’univers. En essayant de copier quel- ques-unes des scènes que nous avons sous les yeux, nous avons été conduits nous-mêmes à retracer de nombreuses répétitions. Elles étaient inséparables du vaste sujet que nous avions à traiter. Les termes de notre langue, limités en pré- sence des détails, innombrables que nous offrent les êtres organisés, sont eux-mêmes revenus à plusieurs reprises sous notre plume, et malgré le désir incessant que nous avions d’approprier autant que possible notre langage à la magni- ficence des tableaux que nous devions décrire , nous sommes resté bien loin du but que nous voulions atteindre. (1) Hooker, Journal d’un voyage dans l'Himalaya, bull. de la soc. botan. de France, t. 1, p. 150. (2) Idem, p. 151. Qt MIGRATION ET COLONISATION. 2% CHAPITRE XLVIHI. DE LA MIGRATION ET DE LA COLONISATION DES ESPÈCES VÉGÉTALES. Lorsque les campagnes stimulées par le souffle du prin- temps se présentent à nos regards, parées d’une fraiche ver- dure et de fleurs qui viennent d’éclore ; quand les animaux sortant de leurs retraites hivernales ajoutent à la végétation le mouvement et la vie, nous nous demandons si ce magni- fique spectacle a toujours existé? Non évidemment, car c’est l’œuvre de Dieu ; c’est lui qui a décoré notre séjour des beautés qui nous entourent. À sa voix , les germes ont percé le sol et se sont épanouis , l'air et les eaux se sont peuplés d'êtres vivants, et la terre embellie s’est montrée digne de son Créateur. Mais la terre a-t-elle toujours été ce qu’elle est aujour- d’hui? Que de révolutions n’a-t-elle pas déjà subies! des mers déplacées et des continents émergés, des montagnes soulevées et des forêts ensevelies , des races éteintes, des terres inondées et des coquillages semés sur les plus hautes montagnes ; tout atteste des catastrophes violentes et de lon- gues révolutions. La terre a donc changé de forme et d’habi- tants, et c’est en vain qu’elle cherche à cacher sous la couronne du printemps les désordres et les ruines de sa Jeunesse. Au milieu de ces incessantes mutations, essayons ce- pendant de rechercher, sans succès peut-être , quelques-uns 246 MIGRATION ET COLONISATION. des centres de la création primitive ; essayons de suivre les migrations qui en sont parties, d'assister aux périls du voyage, à l’arrivée des émigrants et à la fondation des colonies. Nous sommes forcé, dans ce chapitre, de répéter encore, de ramener, sous des formes peut-être un peu différentes, une partie des effets et des causes que nous avons déjà étudiés ; car les faits de migration touchent à toutes les ques- tions que nous avons examinées ; ils constituent la base de la géographie botanique , le terme auquel nos travaux doi- vent aboutir. $ 1. DES CENTRES DE CRÉATION. Il ne nous est pas permis de dévoiler les mystères qui cachent l’origine de tous les êtres; mais la raison nous indique pour chacun d’eux un point d’origine d’où cet être se serait répandu sur la terre, un paradis terrestre désigné par le Créateur lui-même pour déposer le type auquel il donnait pouvoir de s’étendre et de se modifier. | Si nous ne pouvons préciser le centre de création de chacun de ces types, nous pouvons au moins le restreindre dans certaines limites, dont plusieurs d’entre eux ne se sont pas encore considérablement écartés. Les Himosa à folioles soudées, ainsi que les Eucalyptus et les ornithorinques sont propres à la Nouvelle-Hollande ; les calcéolaires appartiennent à l’hémisphère austral , les bruyères à l’ancien continent ; le tigre est particulier à l’Asie comme le jaguar à l'Amérique. Mais on connaît des espèces qui sont resserrées dans des limites bien plus étroites. M. de Humboldt cite des papayers et un Solanum que l’on croit exclusivement propres aux petites îles du lac Valencia, dans CENTRES DE CRÉATION. 247 l'Amérique méridionale (1). Peut-être ces plantes sont-elles encore maintenant dans le lieu même où elles ont été créées. Les Canaries en offrent aussi de curieux exemples. Un arbuste unique, connu des bergers sous le nom de Pimien- tero de la Cumbre, le Rhamnus coriaceus, vit relégué sur le morne de Guaxara ; quelques genévriers rabougris, J'uni- perus Cedrus, couronnent la cime du Cedro; le Rosa Armidæ et une belle variété du Pyrus Aria ne croissent guère que dans deux endroits très-éloignés l’un de l’autre, la mon- tagne du Rosal et la partie de la chaîne du Canadas appelée Tiro del Guanche. Toutes ces plantes isolées sur ces arêtes volcaniques végètent là depuis des siècles sans se propager sur les pics adjacents. L'Origanum Tourneforti, découvert en 1700 par Tour- nefort sur un seul rocher de l’île d’Amorgos, ne paraît pas s'en être éloigné. Sibthorp l'a retrouvé quatre-vingts ans plus tard sur le même point. Thumberg cite le Disa longi- cornis et le Cymbidium tabulare comme propres à la mon- tagne de la Table, au cap de Bonne-Espérance , et comme n'ayant jamais été vus ailleurs. Il est vrai que ces deux plantes sont des orchidées, et que les espèces de cette famille voyagent difficilement. On connaît bon nombre d’orchidées propres à des localités très-restreintes. Il en est du reste des plantes comme des animaux. Les uns peu- vent facilement passer d’un point sur un lieu différent, tandis que d’autres restent forcément confinés dans des loca- lités circonscrites. Les Statice arborea et S. imbricata, qui habitent seule- ment sur quelques îlots des Canaries, sont aujourd’hui dans le même cas que l’Origanum Tournefortir. (4) Voyage aux régions équinoxiales , t. 5, p. 45. 248 MIGRATION ET COLONISATION. En 1825, MM. Webb et Berthelot ont retrouvé, au pic de Ténériffe, cette violette si rare, Viola cheiranthifolia, que le père Feuillée avait recueillie cent ans avant eux, en 172%, sur ces mêmes scories qui encombrent la base du pic, et où d’autres botanistes la reverront certainement encore pendant de longues années. « La stabilité des espèces ne dépend donc pas toujours, disent MM. Webb et Berthelot, de leur force expansive, puisque celles qui sont réunies en masses , n’ont guère plus de chances de conservation que d’autres qu’on voit disséminées sur de grands espaces ou isolées dans des sites peu fréquentés. Plusieurs plantes hi- gneuses, que l’on ne rencontre que sur les cimes les plus éle- vées de Ténérifle, ont pris racine dans les fentes du roc qui leur sert d'appui. Les moyens de reproduction de ces espè- ces sédentaires sont très-bornés; les semences trouvent rare- ment, sur ce terrain sans substance, les conditions néces- saires à leur germination; mais la nature a pourvu à tout, la propagation a lieu par drageons; chaque nouveau rejet répare les pertes accidentelles , et toujours fixée à ce point d’origine où se développa son premier germe, la même plante peut croître pendant des siècles, en se renouvelant sans mul- tiplier l'espèce. C’est ainsi que les végétaux les plus rares de la flore des Canaries, ne sont représentés à Ténériffe que par quelques individus. Dans les deux stations où l’on trouve le Rhamnus coriaceus, il n’existe qu’un seul pied de cette plante (1). Des espèces réduites à un si petit nombre d’individus , con- finées dans des localités aussi restreintes, ne peuvent manquer de disparaître du monde comme le dronte de l’île Bourbon, et comme s’en effacera bientôt l’aurochs du nord de l’Europe. (1) Webb et Berthelot, L. 3, p. 82. CENTRES DE CRÉATION. 249 La plupart des espèces des îles proviennent, comme on le sait, des continents voisins, mais 1l y a aussi des exceptions, et certaines îles isolées paraissent être des centres de création très-curieux. C’est ainsi que dans le Prodromus floræ norfolkicæ, publiée par Endlicher, d’après les plantes rapportées par Bauer, on voit que sur 152 plantes qui com- posent cette flore , il y en a 73 , près de la moitié par con- séquent, qui jusqu’à présent n’ont été observées que dans cette île. Presque toutes les espèces qui viennent des conti- nents voisins, sont des plantes de la Nouvelle-Hollande et de la Nouvelle-Zélande, et il est assez remarquable que pres- qu'aucune de celles connues à la Nouvelle-Calédonie, qui n’en est pas plus éloignée, ne s’y retrouve. L'éloignement des continents, pour les îles de la mer du Sud , permet de reconnaître leur influence sur la dissémina- tion primitive. M. Dalton Hooker a fait à cet égard de très- belles observations. Pendant un séjour de deux mois et demi à l’île: de la Désolation ou Kerguelen , par 49° de lat. S., à distance presqu'égale du Cap et de la terre de Van Diemen, il a retrouvé les mêmes plantes que l’expédition de Cook avait recueillies jadis dans la saison opposée, fait qu'il attribue à luniformité du climat dans ces îles de l'hémisphère austral. Le nombre des phanérogames n’est que de 16, ce qui prouve la vérité de la loi de géographie botanique, qui at- tribue aux îles un nombre d'autant moins considérable d’es- pèces qu’elles sont plus éloignées des grands continents. Cette loi laisse supposer que c’est par dispersion que les îles ont été peuplées, et cependant la majeure partie de ces seize espèces sont propres à l’île de la Désolation, ou du moins à son archipel, si on la réunit aux îles Crozet. Dans tous les cas 1l faudra bien admettre le centre de créa- 250 MIGRATION ET COLONISATION. tion insulaire pour le Pringlea antiscorbutica, R. Brown, plante remarquable par ses larges feuilles grasses et par ses épis serrés de silicules allongées. Découverte par le chirurgien del’expéditionde Cook, par Anderson, qui l’appelait le Chou terrestre de Kerguelen, cette plante alimentaire.et assez volu- mineuse est commune sur les rochers du bord de la mer, et jusqu'à 300 mètres d’élévation sur les volcans éteints de Kerguelen. « On peut être certain, dit M. Hooker, qu’une plante aussi caractérisée n'aurait pas échappé aux investiga- tions des voyageurs, si elle existait sur l’un des continents de l'hémisphère austral. Ainsi elle a été créée dans cette lo- calité pour y vivre pendant des siècles d’une vie tranquille et retirée. Elle a dù paraître après l’époque où des feux sou- terrains ont élevé jusqu’à plusieurs centaines de pieds au- dessus de la mer, des algues dont nous voyons aujourd’hui les restes, et après cette époque où des couches épaisses de houille et de bois silicifiés se sont formés. Quelle que soit no- tre répugnance à admettre qu’une production végétale se- rait plus ancienne qu’une autre, ou que l’île de Kergue- len aurait eu jadis à l'égard des autres terres une position absolument différente de celle d’à présent, la seule vue du terrain où croît le Pringlea, conduit forcément à l'une de ces deux conclusions : ou il a été créé après l'extinction de la végétation ensevelie et éteinte dont on trouve les restes en-dessous de lui, ou ilest venu de quelque terre voisine qui a disparu, terre sur laquelle il végétait pendant que Ker- guelen était en combustion. » Cette seconde hypothèse déplacerait seulement le centre de création, mais ce centre n’existerait pas moins au milieu de l'Océan austral. M. Hooker cite aussi dans d’autres îles, comme à Sainte- CENTRES DE CRÉATION. 251 Hélène, des espèces qui sont nées sur les lieux mêmes, faits que lon est bien forcé d'admettre pour des points très- éloignés des continents. Il est remarquable, comme l’a déjà signalé M: Berthelot, que plusieurs composées ligneuses affectionnent des îles ou des archipels isolés. C’est en effet ce qui se présente aux Canaries , où existe le Kleinia nertifolia, à Sainte-Hélène, à l’île Bourbon, à celle de Juan-Fernandez, toutes îles volcaniques situées à de grandes distances, dans les deux hémisphères. Le port de ce Kleinia, dit M. Berthelot , est celui d’un dragonnier nain; son tronc grisâtre porte les empreintes des insertions des anciennes feuilles, les nouvelles tendant toutes à se réunir à l'extrémité des rameaux. Orné de ses bouquets de fleurs terminales, ce singulier petit arbuste apparaît couronné d’une auréole d’aigrettes du plus gracieux effet. On trouve encore aux Canaries le Sonchus fruticosus , le Prenanthes arborea, le Prenanihes pinnata aux feuilles soyeuses et légères qu’agite le moindre vent. Nous sommes tellement ignorants des faits qui ont pré- cédé l’origine si moderne de nos observations en histoire naturelle, que nous ne pouvons être certains de la position géographique d'aucun centre de création. Nous venons de rapporter plusieurs exemples de végétaux circonscrits dans un espace plus ou moins rétréci; mais rien ne nous prouve que ces types isolés ne soient les restes d’une végétation plus étendue , anéantie partout ailleurs, conservée sur quelques points privilégiés. Ce serait la tradition réelle ou fabuleuse de l’Atlantide qui, en s’abimant sous les flots, aurait laissé comme témoin de sou existence l'archipel des Canaries. Nous sommes donc réduits à des conjectures. D'un autre côté, nous trouvons les mêmes espèces à de si grandes dis- tances , séparées par des intervalles tellement infranchissa- 252 MIGRATION ET COLONISATION. bles, que nous sommes forcés d'admettre plusieurs centres de création. Une petite plante de la famille des joncées, l’Eriocaulon decangulare, croît sur un point isolé de l’île de Sky, en Ecosse, et se retrouve abondante dans l'Amérique septen- trionale (1). Le Viola cheirantifolia , découvert par le père Feuillée, sur les pentes élevées du pic de Ténériffe, et que nous avons cité un peu plus haut, a été reconnu, par MM. Kunth et de Buch, parmi les plantes alpines que Joseph de Jussieu a recueillies dans les Pyrénées (2). M. Robert Brown a reconnu comme identique au Phleum alpinum de la Suisse, une petite graminée qui végète sur les rochers granitiques du détroit de Magellan (3). Le même savant indique encore : Potentilla Anserina, Pru- nella vulgaris, Scirpus mucronatus, Panicum crus-galli, comme croissant indistinctement en Europe , à la Nouvelle- Hollande et en Pensylvanie. M. de Humboldt, en citant les Befaria, V'Ægopogon cenchroides H. et B., et quelques autres plantes qu'il rencontrait sur le sommet isolé de la Scilla de Caracas, fait remarquer que ce sommet: est séparé par plus de deux cents lieues des montagnes de la Nouvelle-Grenade, qui entourent le plateau de Bogota, et il se demande comment ces végétaux isolés comme lui, sur cette cime élevée, ont pu franchir cette dis- tance. Comme les espèces qu'il observait appartiennent à une altitude déterminée, « elles manquaient, dit-il, d’une » arête assez élevée et assez prolongée pour faire leur (1) Necker de Saussure, Voyage en Ecosse , t. 5, p. 45. (2) Humboldt, Voyage aux rég. équinox., t. 4, p. 230. (3) Idem, p. 229. CENTRES DE CRÉATION. 253 migration vers la Scilla de Caracas. » « Plus on étudie, continue l'illustre auteur du voyage aux régions équi- noxiales , la répartition des êtres organisés sur le globe, et plus on est porté, sinon à renoncer à ces idées de migra- tion, du moins à ne pas les considérer comme des hypo- thèses satisfaisantes. La chaîne des Andes partage lon- gitudinalement toute l’Amérique méridionale en deux parties inégales. Au pied de cette-chaïîne , à l’est et à l’ouest, nous avons trouvé un grand nombre de plantes spécifiquement les mêmes. Les différents passages des Cordillières ne permettent nulle part aux productions végétales des régions chaudes de passer des côtes de la mer du Sud aux rives de l’Amazone. Lorsque, soit au milieu de plaines et de montagnes très-basses, soit au centre d’un archipel d'îles soulevées par les feux souter- rains, un pic atteint une grande hauteur, sa cime est cou- ronnée d'herbes alpines, dont plusieurs se retrouvent à d'immenses distances, sur d’autres montagnes qui ont un climat analogue. Tels sont les phénomènes généraux de la distribution des végétaux , et l'on ne saurait assez engager les physiciens à les étudier. En combattant des hypothèses trop légèrement adoptées, je ne m'engage pas à leur en substituer d’autres plus satisfaisantes. Je pense plutôt que les problèmes dont il s'agit ici sont insolubles, et que le physicien a rempli sa tâche s’il indique les lois d'après lesquelles la nature a distribué les formes végé- tales (1). » Dans le tome premier de nos Études, nous avons dit déjà quelques mots des centres de création et de l'aire d’exten- sion des espèces ; nous avons vu que cette aire de dispersion (4) Humboldt , Voyage aux rég. équinox. , t. 4, p. 254. 254 MIGRATION ET COLONISATION. . variable pour chaque plante, peut être resserrée ou éten- due. Jl en résulte que dans un pays donné une plante sociale vigoureuse peut occuper à elle seule plus de terrain que tout le reste de la flore. L’habitation d’une espèce est donc l'étendue de son aire de dispersion dans des contrées quelquefois très-éloignées, et sa station est l'expression des conditions particulières qui déterminent sa préférence sur certains points de l'aire de dispersion. On a toujours recherché les limites d’extension dans le sens des latitudes, c’est-à-dire qu’on a considéré le climat comme la cause principale qui peut favoriser l'expansion d’une espèce ou l'arrêter dans ses migrations. Les études ont porté dans le sens où les continents se prolongent, et presque jamais dans celui où ils se séparent. Cependant il existe des considérations très-curieuses dans l’examen de la dispersion dans le sens des longitudes, abstraction faite de la similitude ou des différences de climat. M. de Mirbel cite Je Phalangium bicolor, qui commence à paraître dans les campagnes d'Alger, qui passe en Espagne, franchit les Pyrénées et va finir en Bretagne ; le Menziezia polüfolia, qui habite le Portugal , la France et l'Irlande. Ces plantes, que nous appelons occidentales , sont souvent guidées par les émanations maritimes que les vents d’ouest leur transpor- tent à une certaine distance. D’autres fois , on ne reconnaît pas de causes positives. Les bruyères, dit M. de Mirbel, appartiennent toutes à l’Europe et à l'Afrique ; elles s’éten- dent depuis les terres polaires jusqu’au cap de Bonne-Espé- rance, sur une surface très-étroite en comparaison de sa longueur. Le Ramondia Pyrenaica, Suivant les observations du savant dont il rappelle le nom, suit dans les Pyrénées sans se détourner , les vallées ouvertes du sud au nord, et n'entre pas dans les vallées latérales. CENTRES DE CRÉATION. 255 Les causes de ces migrations dans le sens des longitudes ne peuvent guère s'expliquer, et restent encore parmi les mystères si nombreux que la nature ne nous a pas permis de pénétrer. Nous avons étudié aussi, dans notre premier volume, les causes multipliées qui concourent à l’extension ou à la res- triction de l'aire d'expansion des espèces, il nous suffira donc ici de rapporter quelques exemples. Nous ue reviendrons pas sur les conditions de climats, qui sont évidemment les plus importantes. À mesure que l’on avance vers les régions polaires ou qu’on s'élève sur les mon- tagnes, le nombre des espèces d’une flore va en diminuant. Cet appauvrissement tient certainement au climat, mais il se manifeste de deux manières : d’abord par la perte presque totale des plantes annuelles, qui, en général, tiennent peu de place et s'ajoutent, dans les pays chauds ou tempérés, à la végétation ordinaire, dont elles doublent quelquefois la proportion ; la seconde est due à l’envahissement des plantes sociales, qui s'étendent bien davantage dans les régions froides que dans les pays chauds. Or, les plantes sociales fortes et vigoureuses ont pour principe d’exclure la plupart des espèces, et, si elles se développent sur de grandes éten- dues , elles nuisent certainement à la richesse d’une flore. Les plantes annuelles, moins sociales, augmentent sa ri- chesse, et l’on doit noter que la majeure partie des végétaux introduits dans une contrée par les cultures , et la plupart de ceux qui ont été disséminés dans le monde entier sont des plantes annuelles ou bisannuelles. La nature multiplie d’ailleurs ces plantes monocarpiennes avec une extrême profusion. Ne pouvant, comme les au- tres , se reproduire pendant plusieurs années par agamie et persister d'une saison à l’autre, leurs graines peuvent , en 256 MIGRATION ET COLONISATION. général, se conserver très-longtemps. Ces graines sont en nombre infini , et, malgré toutes les chances de destruction de ces germes , malgré la délicatesse et, l’on peut dire, la fugacité des plantes annuelles , elles se disséminent sur Îe globe entier. Leur aire d'extension n’a pas de limites , leur centre de création est inconnu, le monde leur appartient: Le sol , cet élément si important dans la vie des plantes, a certainement une part active dans la diffusion; aussi les piantes némorales préfèrent les bois de hêtres et les forêts de sapins , parce que les feuilles de ces arbres constituent , par leur décomposition, un sol bien plus fertile que celui qui est créé par les feuilles mortes d’autres espèces arbores- centes. M. Grenier a fait remarquer une énorme différence de ri- chesse entre la flore de la vallée de la Bérarde et celle du Lautaret, qui font partie du même massif. Il attribue la prééminence de la dernière à la présence de la roche schis- teuse argilo-calcaire qui forme le sol du Lautaret. On est souvent très-étonné de voir certaines espèces changer de station en même temps qu'elles changent de climat. On voit surtout les plantes des plaines devenir ma- récageuses ou littorales eu approchant des pôles. Notre Vac- cinium uliginosum , qui habite les lieux humides de nos hautes montagnes , et qui s'élève en buissons verdoyants , descend dans le nord de l’Europe jusque sur les bords de l'Océan. À Terre-Neuve, il cherche encore, dans les mêmes stations , la chaleur qui lui est nécessaire , mais 1l rampe et cache ses rameaux sous d’épais coussins de mousses et de li- ckens, qu'il domine au contraire sous notre climat. Le Juniperus Sabina, que nous avons vu en forme d’ar- bres dans l'Ardèche, rampe aussi dans l'Amérique du Nord, et constitue peut-être une autre espèce modifiée par la la- CENTRES DE CRÉATION. 257 titude. L’Anus glutinosa ne quitte pas, dans l’Angermanie, les côtes de la mer ; il est suivi, dans sa station maritime , par le Lythrum Salicaria, et M. de la Pilaye cite le Corylus Avellana comme formant quelques groupes sur les rivages du nord de l'Amérique , et, entr’autres, à la baie du Déses- | poir. Ici, il se réfugie principalement vers 1,000 mètres d'élévation absolue. L'inverse a lieu dans les pays chauds ; nos espèces s'y élèvent. Notre Lilium Martagon, notre Sonchus Plumieri existent dans les Asturies , au-dessus de la limite qu’ils ne dépassent pas sur le plateau central , et leurs espèces paral- lèles montent bien davantage sous les tropiques. On voit que toutes ces plantes , avant de s’éteindre dans une région, en sondent toutes les localités pour essayer de s’y établir. Les plantes vivaces se reproduisent facilement par drageons , et celles surtout qui n’ont besoin que d’une pé- riode très-limitée entre le commencement de leur végétation et la maturité de leurs fruits, sont les seules qui puissent s’accommoder de ces climats du nord, où le printemps est éphémère et l'été presque sans durée. | Ces études sur la diffusion primitive des espèces, sur l’ex- tension des aires de dispersion, ont d’autant plus d'intérêt à notre époque , que l’homme tend tous les jours à établir sur la terre une végétation pour ainsi dire artificielle. Ces plantes domestiques nous suivent, elles s’attachent à nos pas ; on les rencontre partout sur le plateau central de la France; on les voit même marquer les ruines presque effa- cées des plus chétives cabanes qui ont existé sur les vastes pelouses de nos montagnes. Au Brésil, Auguste de Saint- Hilaire traversait des déserts qui s'étendent de Paracata aux limites de Goyas , et il aperçut avec étonnement, au milieu d’un pâturage uniquement parcouru par les cerfs et les chats IV 17 258 MIGRATION ET COLONISATION. sauvages, quelques-unes de ces plantes qui ne croissent or- dinairement qu'autour de nos habitations ; mais bientôt des débris cachés sous l'herbe épaisse lui indiquèrent qu’une chétive demeure s'était élevée jadis dans ce lieu solitaire. Nous-même , herborisant un jour dans un des points les plus retirés du Mont-Cenis, nous nous trouvâmes tout à coup, à une très-grande élévation , en face de plusieurs touffes d'Urtica dioica. Après avoir cherché longtemps , nous fini- mes par découvrir un reste de construction caché par la vé- gétation. Pallas, parcourant les déserts des environs d’Orenbourg, retrouva les ruines d’un petit bourg habité autrefois par des sujets libres de la Petite-Russie. IL y reconnut les ruines des caves et des fours à sécher les grains. La bardane et l’ab- sinthe en marquaient l’emplacement (1). Tous les botanistes ont fait les mêmes observations. Ramond , dans son style élégant, en rapporte un exemple. « Je parcours, dit-il, les immenses déserts des hautes mon- tagnes ; tout à coup, parmi les plantes rares qui en compo- sent les herbages, je reconnais quelques-unes de nos plantes triviales. La verdure prend une teinte foncée qui contraste avec le vert-gris des gazons alpestres ; j’avance : les débris d’une hutte ou un rocher noirci par la fumée m’expliquent ce mystère. Autour de cet asile de l’homme se sont natu- ralisées les plantes qui environnent nos habitations rusti- ques : la mauve commune, l’ortie, le mouron des oiseaux , les chéncpodées et les patiences vulgaires, avec lesquelles se mêle la patience des Alpes, comme on voit le chamois s’ap- procher des chèvres domestiques. Un berger a séjourné là quelques semaines, 1l y a peut-être plusieurs années. En y (4) Pallas, Voyages, {. {, p. 583. CENTRES DE CRÉATION. 259 conduisant ses troupeaux, il y a amené, sans le savoir, les oiseaux , les insectes de ses vallées ; il y a porté le germe des plantes de son village. Il n’y reviendra peut-être plus , mais ces sauvages contrées ont reçu en un instant l'empreinte in- délébile de la domination de l’homme, tant un être de cette importance a de poids dans la balance de la nature (1). » L'Océan, que les vaisseaux traversent, n’est pas un obs- tacle qui peut arrêter ces plantes cosmopolites. « En parcou- rant les environs de Rio-de-Janeiro , dit M. Wedel, j'ai revu bien des anciennes connaissances, et il est quelques points qui me rappellent bien vivement le sol européen ; là je retrouve de grands Sonchus, avec leurs feuilles épineuses ; l'Anagallis arvensis , à fleurs bleues ; le mouron , avec sa tige garnie d’une ligne de poils ; les épis filiformes du Digi- taria sanguinalis et du Cynodon; le Stachys arvensis et surtout le Bidens tripartita, où du moins quelque chose qui lui ressemble beaucoup. Tous ces êtres, que je méprisais dans leur patrie , sont ici mes amis, et je m’écarte souvent pour ne pas les écraser (2). » Le Chenopodium Vulvaria est partout où une habitation a existé. Cette plante se propage tellement le long des murs et dans les lieux même qui ont été autrefois habités, que Bory de Saint-Vincent, campant, avec la commission scientifique de Morée , sur les ruines de Lacédémone, crut, à l'odeur infecte répandue partout sous les tentes, que ces corps morts étaient gisants sans sépulture à proximité. Ce fut au matin seulement que l'erreur fut reconnue et qu'il fit arracher le Chenopodium (3). (4) Annales du Muséum, L. 4, p. 405. (2) Castelnau , Expéd. dans PAmér. du sud , hist. du voy.. t, 1, p. 67. (8) Expéd. scientif, en Morée, t, 4, p. 447, 266 MIGRATION ET COLONISATION. « Le ricin commun, ou Palma Christi, marque par- » tout, dit M. d’Orbigny, dans les campagnes aujour- » d’hui désertes, le lieu où jadis les Indiens avaient fixé » leur domicile momentané. C’est un indice qui ne trompe » jamais; c'est la compagne fidèle des migrations de » l'homme, qui le suit partout et ne pousse pas loin de » Jui. El faut que celui-ci prépare le terrain où cette plante » doit vivre (1).» On retrouve l’Urtica urens jusque sur les hauts plateaux du Mexique (2). Tout le territoire de Buenos-Ayres est couvert d’une im- mense quantité de chardons , qui sont les plantes les plus sociales de l'Amérique du Sud. M. d’Orbigny y indique souvent le Cynara Carduncellus et le Silybum marianum, qu'il regarde tous deux comme ayant suivi , dans ces con- trées, l’homme européen. Ces chardons acquièrent une telle élévation, qu'ils servent de retraite aux voleurs, qui y trou- vent un abri certain. « Les routes , dit-il, n’offrent alors qu’une avenue de chardons si élevés et si impénétrables, qu'ils ne permettent pas à la vue de s'étendre, et ne lais- sent aucune issue pour fuir le danger. » Une surface de plus de 700 lieues carrées est couverte de ces plantes, et l’on craint pour l'avenir que les pampas ne soient entièrement envahies. Ces espèces suivent le colon partout, marchent avec lui, se propagent où il s'arrête, et leur présence indique toujours la trace d’un chemin ou le lieu où il s’est terminé. C’est le seul combustible du pays, et cet usage contribue au transport des graines, qui germent d'autant mieux que les bestiaux répandent constamment de l’engrais sur le sol. (4) Voyage en Amérique, L. 4, p. 540. (2) Liebmann , Lettres insérées dans le Flora, février 1843. CENTRES DE CRÉATION. 261 Nous avons vu, sur quelques points de la Corse, ce même chardon Marie envahir des terrains très-étendus et s’élancer au delà de tous les obstacles. Si les plantes domestiques ne sont pas les mêmes partout , elles se remplacent et présen- tent très-souvent les mêmes aspects. Ainsi, dans la zone méridionale, qui vient mourir sur le versant des Cévennes, et dont nous n’avons que la lisière nord sur le plateau central, on voit partout les malvacées suivre l’homme dans ses cultures, sur le bord des chemins, autour de ses habita- tions, et le même phénomène se retrouve de l’autre côté de la Méditerranée , ainsi que dans ses îles. Ce sont des mal- vacées qui décorent au printemps les environs d'Alger. En Morée, les lieux autrefois habités ou ceux qui ont été même très-anciennement cultivés sont encore couverts de malva- cées, telles que le Malva sylvestris, le Lavatera cre- tica (1). Le Chrysanthemum coronarium et le C. Myconis pénè- trent jusque dans les rues des villes africaines, dans celles de la Corse, de la Morée. M. de Castelnau a trouvé le Da- tura Stramonium à Gorée, sur les sables et sur les basaltes, où il partageait, dit-il, ce terrain avec une autre plante également cosmopolite, l'Argemone mexicana (2). Ce même Datura indiquait à V. Jacquemont , à son retour de Ca- chemir à Dehli, les lieux qui avaient été l'emplacement des villages. « De ces hameaux bâtis en pisé il ne reste plus que quelques pans de la muraille qui les entourait et les murs de quelques maisons lavés par la pluie, effilés en arête par son action. Quand le temps aura nivelé complétement avec (4) Expéd. scientif. en Morée, t. 4, p. 105. (2) Castelnau , Expéd. dans les parties centrales de l'Amérique du sud, Hist. du voy., t. 1, p. 40. 262 MIGRATION ET COLONISATION. le sol de la plaine les débris de ces villages, il ne restera plus que le Datura Stramonium pour marquer la place qu'ils ont jadis occupée (1). » L'île de l’Ascension était entièrement aride lors de sa découverte ; on n’y trouvait que quelques mousses , des li- chens et un petit nombre de fougères. Aujourd’hui, on y rencontre un certain nombre de phanérogames qui augmen- tent tous les jours, et qui doivent leur présence à la coloni- sation. Nous avons énuméré ailleurs la série de nos plantes indi- gènes qui sont devenues les compagnes inséparables de nos demeures. La présence de matières salines sur un point cir- conscrit devient souvent aussi la cause d’une large diffusion des espèces. C’est ainsi que l’on retrouve, autour des sources minérales, des plantes des bords de l'Océan , et c’est peut- être en partie à la présence des matières salines qu’il faut attribuer la persévérante affection de nos plantes domesti- ques. M. Desétangs en cite un exemple très-curieux dans le département de l’Aube. L’absinthe croît très-abondam- ment dans un lieu nommé Montmorency, au sommet et sur le penchant du monticule crayeux qui supportait autrefois un château fort dont on ne voit plus que les fossés. Au châ- teau avait succédé un grenier à sel qui a été transporté dans le village quelques années avant la révolution ; il fournissait à la consommation d’une circonscription de cent communes. Dés cette époque, dit M. Desétangs , cette plante médici- nale croissait abondamment dans ce lieu et alimentait les pharmacies des villes voisines. Comme elle vient de préfé- rence au bord de la mer, dans les lieux soumis aux émana- tions salines, on peut être fondé à croire que sa présence en (4) V. Jacquemont, Journal , t. 3, p. 486, CENTRES DE CRÉATION. 263 ce lieu était due à celle produite par le grenier à sel en ques- tion, et que si elle s’y est maintenue jusqu’à ce jour, c’est parce que le sol est resté imprégné de cette substance, bien que plus de 50 années se soient écoulées depuis l'abolition de la gabelle (1). C’est un fait général que l'apparition des plantes mari- times autour des sources salées , placées dans l’intérieur des terres ; on le retrouve partout, en Europe, en Amérique, en Asie. Jacquemont cite cependant une singulière exception, leur absence autour des salines de Pindaden-Khan , dans le Cachemir. Serait-ce l'éloignement des côtes qui en serait la cause, et prouverait-elle que les espèces n’ont eu qu’un centre de création , d’où elles auraient rayonné dans une aire plus ou moins étendue ? La présence des espèces qui recherchent les terrains sali- fères , au milieu de contrées qui ne présentent aucune trace de sources minérales et qui sont éloignées des bords de la mer, peut encore s'expliquer. Il suffit de se rappeler que de vastes étendues de terrains ont été déposées par les eaux marines, que les sources salifères ont été autrefois plus nom- breuses et plus abondantes que de nos jours, pour conce- voir la persistance d’espèces qui trouvent peut-être encore quelques parcelles des éléments qui avaient motivé le choix de leur séjour. Nous ne pouvons pas expliquer ainsi la tendance des plan- tes domestiques. L'homme n’a pas toujours existé. Où étaient donc les espèces qui ne le quittent plus aujourd’hui ? Elles végétaient sans doute dans quelques lieux retirés. Ainsi le guy, qui est venu fondre sur nos vergers, dès que nous avons eu des vergers, se trouve encore dans les grandes fo- (1) Desétangs, Note sur quelques plantes du département de l'Aube, p. 11. 264 MIGRATION ET COLONISATION. rêts de sapins, où il est véritablement sauvage. Ces forêts sont aussi la station naturelle du Rumex alpinus, maissaus- sitôt que les pâtres ont conduit leurs troupeaux dans les mon- tagnes, ce Rumex est sorti des bois, et compagnon fidèle d’un allié qui lui offrait une nouvelle patrie , il a abandonné son centre de création pour suivre un étranger. Nous ne pouvons guère douter, après ce que nous venons de dire, et surtout après avoir réfléchi aux faits positifs que nous avons exposés, qu'il n’existe pour chaque espèce un ou plusieurs centres de création d’où cette espèce aurait irradié. Une autre question se présente ; de nouveaux centres sont-ils encore créés, d’autres le seront-ils dans l’avenir ? Nous qui croyons à la transformation des espèces, nous qui ne mettons aucune restriction à la puissance de Dieu, nous répondons affirmativement. En se reportant aux chapitres où nous avons parlé de l’espèce et de ses modifications, on verra que déjà nous avions fait pressentir la possibilité de nouvelles créations. Nous pensons que les anciens types sou- mis dans l’étendue de leur aire de diffusion à des conditions différentes, peuvent donner naissance à des modifications peu importantes, mais qui deviennent constantes par l’habi- tude et la stabilité. Nous qui ne voyons pas de ligne de démarcation entre les races permanentes et les véritables espèces, nous ne devons pas nous refuser à l’admission de ces nouveaux centres de création. Nous pourrions citer de nom- breux exemples, nous nous contenterons d’un seul. Le Py- rola serotina, Melicoq, qui croît sur les digues du canal d’Aire-sur-la-Lys, à la Bassée, à l'ombre de peupliers très-élevés, peut bien n’être qu’une variété du Pyrola ro- tundifolia,; mais pourquoi est-elle différente dans cette sta- tion? Pourquoi fleurit-elle beaucoup plus tard que le type? Pourquoi celle des dunes de St-Quentin en Tourmont, près ASSOCIATION ET CROISEMENT. 9265 de l'embouchure de la Somme , fleurit-elle moins tard, en juillet et août, tandis que celle de Bethune montre ses fleurs d’août en octobre, et le type s’épanouit en mai et juin. D'où vient cette pyrole? M. de Melicocq n’a trouvé le type qu'à cinq lieues de là; il est évident qu'elle y a été transportée; mais comme ces digues ne remontent qu'aux premières an- nées de ce siècle , la variété n’existe que depuis cette épo- que, et cependant elle persiste et se reproduit avec les mêmes caractères (1). Cette nouvelle espèce, ou peut-être cette va- riété locale, est-elle bien réellement fixée? Ne retournerait- elle pas aux types dont elle provient, sion la replaçait dans des conditions exactement les mêmes que celles où le type se trouve ? Il est probable qu’elle perdrait, sous l'influence de ces circonstances, les caractères qui la distinguent; mais que cette pyrole vive pendant quelques milliers d’années , plus peut-être, dans cette même situation, elle ne changera plus, ne retournera pas à son type; elle se répandra par diffusion autour de son lieu de naissance , partout où elle trouvera de bonnes conditions, et constituera définitivement une espèce distincte qui pourra à son tour offrir des variétés. $2. DE L'ASSOCIATION ET DU CROISEMENT DES AIRES DE DISPERSION. Nous avons supposé avec vraisemblance que chaque es- pèce a un lieu primitif de naissance, et que peut-être quelques-unes d’entr’elles ont plusieurs centres de créa- tipn. Il paraît plus certain encore que des plantes diverses ont pu naître dans le même paradis, ou du moins occuper, dès leur création, deux points très-rapprochés. On ne peut (41) De Melicocq, Bullet. de la soc. hot. de France, t. 1, p. 162. 266 MIGRATION ET COLONISATION. douter que le centre de l'Amérique, que le nord de ce même continent, que les Indes orientales, le nord et le midi de l'Afrique, ne soient autant de régions d’où se sont écar- tées de nombreuses espèces qui avaient sans doute un ber- ceau commun dans chacune de ces localités. L'Amérique équinoxiale connue par les travaux de nom- breux botanistes, est très-évidemment une région dont la flore est primitive , une contrée qui a peu reçu de celles qui la touchent, et qui semble leur avoir beaucoup envoyé. Les deux extrémités du nouveau continent ont aussi une végétation qui leur est propre, car celle des terres magellaniques n’a pu traverser la zone torride, pour aller peupler le nord des Etats- Unis. Les deux flores sont analogues, les espèces, et sou- vent les genres sont différents. Mais si nous-admettons seulement trois régions de créa- tion pour l’Amérique, nous ne pouvons disconvenir que les espèces de ces trois régions, rayonnant pour agrandir leur aire d’expansion, viendront à se rencontrer sur plusieurs points. Les aires empiéteront les unes sur les autres ; et les points intermédiaires entre ces flores primitives offriront an assemblage de plantes colonisées dont on pourra peut-être reconnaître l'origine étrangère. Ce que nous supposons pour l'Amérique et ce qui existe réellement , mais avec plus de complication que nous ne l’a- vons énoncé, se retrouve sur toute la terre ; donc il est bien difficile, dans la plupart des circonstances, de déterminer si une plante se trouve réellement indigène du point où on la rencontre, ou si elle a été amenée par des causes particu- lières. Les flores composées de différents types étrangers qui es- saient leurs conquêtes sur des terrains neutres, sont quelque- fois très-riches et dans tous les cas très-intéressantes à étu- ASSOCIATION ET CROISEMENT. 267 dier. Nous en avons un exemple remarquable sur le plateau central de la France. Nous reviendrons plus loin sur sa colo- nisation qui a fait l’objet de nos études spéciales. Nous cite- rons ici, comme l'exemple le mieux connu, celui des [les Britanniques, sur la végétation desquelles M. Charles Mar- tins a publié un très-beau travail (1). Il constate qu'il n’existe pas dans les Iles Britanniques une seule plante qui ne se retrouve sur le continent. Et comme on sait qu’en général les îles ont d’autant plus de rapport d’espèces avec la terre ferme, qu’elles en sont plus rap- prochées, on peut supposer avec raison que la végétation des Iles Britanniques leur est étrangère, et se trouve repré- sentée par l'extension des aires de végétation de plusieurs centres primitifs. Ainsi l'Irlande a conservé une douzaine de plantes originaires des Asturies. La douceur des hivers a permis à ces espèces de vivre loin de leur patrie, et cette île conserve aussi les traces de cette émigration méridionale qui n’est peut-être que le reste d’une colonie plus étendue. La végétation encore un peu méridionale de la Bretagne et de la Normandie, s’est étendue sur les côtes riveraines de l'Angleterre et de l'Irlande, où elle s’est maintenue sans pouvoir pénétrer dans le nord des Iles Britanniques. Les plantes de la Laponie, de l’Islande et même du Groën- land sont arrivées aussi en Ecosse , dans le Cumberland et dans le pays de Galles. Celles des Alpes suisses paraissent avoir envoyé aussi quelques représentants dans les mêmes lieux. Enfin, le type germanique, c’est-à-dire, cette végétation uniforme des plaines de l'Allemagne, de la Belgique et de la France, est celle qui domine dans les [les Britanniques et (4) Bibliothèque de Genève , juin 1848. 268 MIGRATION ET COLONISATION. qui rappelle que la catastrophe qui a séparé l’Angleterre du continent est un fait de date récente. Plusieurs de ces plantes n'ont pas traversé le détroit qui sépare l'Angleterre de l’Ir- lande, tandis que d’autres l'ont franchi. Quelques-unes d’en- tr'elles seraient-elles , comme le pense M. Forbes, les restes d’une ancienne végétation subordonnée à d’autres climats que ceux qui existent de nos jours? ou bien des soulèvements ou des affaissements contemporains des dernières époques géologiques, ou même des migrations maritimes sont-elles les causes qui ont réuni ces végétaux si différents dans une commune patrie, comme les colonies naissantes qui se re- crutent d'éléments si divers ? Nous ne voyons rien d'impos- sible dans ces anciennes migrations, et nous pensons que plusieurs des espèces qui vivent aujourd’hui sur le plateau central de la France y sont arrivées par des voies analogues. La possibilité de ces migrations lointaines est encore dé- montrée par les observations pleines d'intérêt de M. Charles Martins sur la végétation de l'Islande, des Shetland et des Féroë, ces vastes relais qui semblent marquer la route entre l’Ecosseetle Groenland. « 530 espèces végétales, dit M. Mar- tins, sont répandues dans les Shetland , les Féroë et l’Is- lande. Aucune d'elles n’est particulière à ces îles ; toutes existent en Europe; le plus grand nombre se retrouve en Amérique. Si, comme le pense M. Martins, les deux conti- nents ont contribué à peupler ces îles, l’Europe a eu une part plus grande que l'Amérique dans cette colonisation. » Cette observation prouve très-positivement que ces îles ne sont pas des centres de création, et qu’elles n’ont été peuplées que par suite de la diffusion des espèces parties d’autres centres. « Quand on réfléchit, ajoute M. Martins, que toutes les » plantes qui peuplent ces îles appartiennent à l’Europe, ASSOCIATION ET CROISEMENT. 269 » et qu'on voit le nombre relatif de ces espèces diminuer » à mesure qu'on s’avance vers le Groenland , à travers la » chaîne d’iles que nous considérons, on ne peut s’empé- ». cher d’avouer qu’elles paraissent avoir été envahies par » les plantes européennes, tandis que les végétaux arctiques » du Groenland, formaient un contre-courant d’une force » moindre qui vient expirer aux Féroë. Ainsi, sans prétendre » trancher ici la grande question de la patrie originelle » des végétaux, je crois pouvoir affirmer que dans toutes » ces îles, la distribution des espèces est précisément celle » qui devait résulter d’un système de colonisation dans » lequel l’Europe et l'Amérique auraient eu une part » inégale (1). » M. Martins, après avoir donné un tableau des espèces communes ou particulières à ces diverses localités, en tire les conclusions suivantes : Au point. de vue botanique, les Feroë appartiennent plutôt au groupe islandais , tandis que les Shetland sont un appendice de la flore écossaise. En effet, 67 plantes sont communes aux Feroë et à l'Islande, inconnues au Shetland. 37 seulement croissent à la fois aux Feroë et dans les Shet- land et manquent en Islande. Ces dernières rentrent dans la catégorie des plantes continentales généralement répandues dans l'Europe moyenne. Toutes se trouvent dans les Iles Britanniques ; il leur faut un été dont la moyenne ne dépasse pas 12° ; elles n’ont pu dépasser les Feroë. Sur ces 37 espèces communes aux Shetland et aux Féroë, mais inconnues en Islande, il y en a 18 qui n'existent pas en Amérique. Les autres se trouvent dans les deux conti- nents ;. mais si elles étaient venues d'Amérique , pourquor (4) C. Martins, Voyages en Scandinavie , elc., p. 452. 270 MIGRATION ET COLONISATION. ne se seraient-elles pas arrêtées en Islande ? Elles viennent d'Europe. Sur 40 espèces propres à l'Islande et aux Shetland, et qui ne sont pas aux Féroë, 34 espèces existent aussi dans les parties septentrionales de l'Amérique, d’où elles ont gagné l'Islande. Mais il paraît peu probable que ces 34 es- pèces aient traversé les Féroë sans s’y naturaliser. Aux Shetland, elles sont donc originaires d'Europe (Ch. Martins). M. Martins conclut, de tous ces faits, « que les colonies parties d'Europe se sont étendues de proche en proche jus- qu’en Islande; mais, à mesure qu’elles avançaient vers le nord , la proportion des espèces exclusivement européennes allait sans cesse en diminuant. » L'indication d’une migration. partie des côtes de l’Amé- rique septentrionale porte M. Martins à faire dériver égale- ment du même continent toutes les plantes arctiques qui existent dans les îles qui nous occupent. « On voit le nombre des plantes de l’Amérique septentrionale diminuer à mesure que l’on descend vers le sud , de même que les espèces eu- ropéennes diminuaient à mesure que nous remontions vers le nord. En effet, si nous cherchons quel est le rapport des plantes boréali-américaines au nombre total des espèces de chaque flore , nous trouvons pour l’Eslande plus d’un tiers, pour les Féroë un sixième, pour les Shetland un douzième. » En comparant ces fractions à celles qui expriment la diminution proportionnelle des espèces européennes quand on s’avance des Shetland vers l'Islande, nous voyons que ces dernières sont sensiblement égales aux rapports que nous venons de trouver pour les plantes boréali-américaines , en descendant du nord vers le sud (1). » (4) C. Martins, Voy. en Scandinavie, p. 439. ASSOCIATION ET CROISEMENT. 27! . On voit, par ces exemples, qu’un bras de mer et souvent même une vaste surface d’Océan semblent n’avoir arrêté en rien l’expansion d’une espèce, si toutefois 1l n'existe pas pour elle plusieurs centres de créations. Les plantes an- glaises se trouvent également en Bretagne, et réciproque- ment, comme si la Manche n’avait pas toujours existé. Ce sont les conditions de climat qui les arrêtent , et nullement la séparation maritime, qui semblerait pourtant devoir s’op- poser à une lointaine dissémination. Sur les 130 espèces de phanérogames que M. Durville attribue à l’île de Soledad (Malouines), près de la moitié a déjà été trouvée au détroit de Magellan ou dans d’autres parties de la Terre-de-Feu, par Commerson ou par Forster, et il pense que les autres s'y trouvent également. Il est évident que cette ile a été peuplée par des colonies parties de la pointe australe de l’Amérique. On y retrouve ce caractère si curieux de la présence de genres nombreux relativement au chiffre des espèces qu'il renferme. A l'ex- ception des genres Juncus, Carex, Festuca et du genre indigène Azorella, aucun de ces groupes ne compte plus de trois espèces. Nous voyons les mêmes faits se reproduire sur les flores séparées de nos hautes montagnes , qui sont aussi des îles dont les sommets émergent dans l'océan aérien. Les flores des grandes îles, quelquefois très-riches , se ressentent néanmoins de leur isolement. Ainsi, celle de la Sicile est remarquable par la présence de plantes africaines , qui y sont pour ainsi dire en quarantaine , et qui n'ont pas franchi le détroit de Messine pour se rendre sur la presqu'ile italienne. D'un autre côté, des espèces restent depuis des siècles dans la Calabre, sans pouvoir pénétrer dans la Sicile. La flore de Gussone ne mentionne aucune digitale ; les pé- diculaires , à l'exception du Pedicularis sylvatica , en sont n] | d 2792 MIGRATION ET COLONISATION. exclues. On ne remarque , en Sicile, aucun des Melampy- rum connus de l’autre côté du détroit ; les campanulés n’y sont représentées que par un petit nombre d'espèces , et les gentianes, qui décorent les pentes des montagnes de la Ca- labre , ne s’exposent n1 aux feux ni aux neiges de l’Etna. Les Galeopsis ne sont pas mentionnés non plus par Gus- sone , et cette exclusion d’un grand nombre de corolliflores dans une contrée aussi chaude serait réellement surpre- nante, si ce n'étaient précisément les corolliflores des régions froides qui y font défaut. Nous remarquons aussi dans l’île de Corse l’absence ou la rareté de plusieurs genres assez répandus en France et en Italie. Les Primula, Gentiana , Campanula , Androsace, Pedicularis, Achllea, Artemisia, Sahix, y manquent ou n’y sont représentés que par un petit nombre d’espèces. Ce sont comme en Sicile des corolhflores qui sont exclues ; et si nous ne pouvions appliquer à la Corse le raisonnement que nous venons de faire pour la Sicile, nous serions tenté de croire que les corolliflores qui, pour nous, sont les dernières plantes créées, n’auraient pas encore eu le temps de se répandre à de grandes distances et de surmonter les obs- tacles. Nous savons qu'il existe des îles où la végétation phané- rogamique n’a pas abordé. L'ile Franklin, par 760 de lati- tude sud , n’a offert à M. Hooker aucune espèce de cette grande division, mais seulement des algues, des lichens et des plantes analogues (1). Ce manque de phanérogames peut tenir à la haute latitude de cette île; mais le même bota- niste n’a vu qu’une centaine de ces plantes sur l’ensemble desîles Campbell et Lord Aukland , également situées dans (1) Biblioth. univ. de Genève, t. 4, suppl., p. 362. ASSOCIATION ET CROISEMENT. 273 les mers du Sud, tandis que sous des latitudes correspon- dantes dans l'hémisphère nord , où les continents sont plus rapprochés et surtout plus étendus, les Féroë et l'Islande en offrent cinq fois plus. Des espèces ligneuses vivent encore dans ces contrées du Nord, tandis que deux espèces arbo- rescentes seulement, un Metrosideros et un Coprosma, représentent la végétation ligneuse dans les îles reculées de la mer du Sud. Malgré cette dépendance de la flore des îles de celle des continents voisins, ce ne sont pas toujours les terres les plus rapprochées qui envoient les plus nombreuses co- lonies. Nous en avons déjà vu dès exemples en parlant de la végétation de l'Islande et des Féroë. Un autre très- remarquable se montre dans le tapis végétal des îles Bour- bon et de France , et même de Madagascar. Leurs espèces, selon M. Richard, s’éloignent entièrement du système africain pour offrir le caractère de la végétation de l’archi- pel des Indes. Terminons cet aperçu en rappelant ce que nous disait autrefois un naturaliste éloquent, paroles qu'il nous a con- servées dans son remarquable mémoire sur l’état de la végé- tation au sommet du pic du Midi. « Il en est partout de même, dit Ramond , et sans sortir du cercle étroit où ros observations se renferment , nous avons rencontré sous nos pas tout ce que la répartition des végétaux à la surface du globe offre de combinaisons inat- tendues et de problèmes à résoudre. La confusion naît pour nous sur chacun des points où s’entre-croisent les effets de diverses causes, également simples, mais devenues com- plexes par leur concours. Il y a d’abord des créations spé- ciales appropriées aux terrains, aux eaux et à leurs diver- sités ; il y a ensuite des créations locales , les unes affectées IV 18 274 MIGRATION ET COLONISATION. à certains climats, les autres renfermées dans certaines cir- conscriptions géographiques ; il y a des créations plus'éten- dues et plus vaguement limitées, qui tantôt environnent celles-là , et tantôt se confondent avec elles ; enfin, à tra- vers les plantes que leur organisation confine dans des lieux déterminés, se jette une multitude d'espèces vagabondes, qui vont se propageant de proche en proche, par des moyens de dissémination réguliers, ou bien, franchissant tout à coup de vastes intervalles, par des accidents dont les migrations de l’homme et des animaux font partie, mais qui se retrou- vent aussi dans des localités où l’on ne saurait s’expliquer leur présence sans imaginer l'existence d'anciennes commu nications dont la trace est aujourd'hui effacée, ou bien sans supposer autant de créations locales que nous observons de ces répétitions. » À larencontre de ces végétations es rien de régu- lier, de constant, d’absolu, dans le rang qu’occupent à leur égard les différentes influences auxquelles on les voit simul- tanément soumises ; et parmi les combinaisons infiniment variées du climat , de l'habitation, du lieu, chacune de ces causes est tour à tour prédominante et subordonnée. Ici la végétation locale étend son caractère propre jusqu’à la végé- tation du chimat; là, celle du climat conserve le sien au milieu de formes qui lui sont étrangères ; sur tel point les conditions imposées par l'habitation commandent au climat et au lieu; sur tel autre, ces conditions recoivent la loi de tous les deux. Et ce n’est pas tout : les diverses formes végé- tales sont loin de se prêter aux mêmes influences avec une égale doclité. Nous voyons des types plus fermes et plus rebelles résister à toute modification : tantôt exclusivement affectionnés à certaines positions , ils refusent obstinément d’en sortir; tantôt disséminés çà et là, ils: n’ont fait à la ASSOCIATION ET CROISEMENT. 21 diversité des lieux le sacrifice d’aucune portion de leurs caractères, et se représentent partout comme des néces- sités de la création végétale. D’autres types, au contraire, ont tant de flexibiité , que l’on ne saurait les concevoir que d’une manière en quelque sorte abstraite; c’est un modèle autour duquel la nature se joue ; elle le copie , limite, l’altère, le modifie de mille manières ; ce sont des groupes d'espèces où tout diffère, où tout se res- semble, où rien ne se distingue sans rappeler une forme commune qui n’est ni l’une ni l’autre de ces espèces et qui les renferme toutes. » Quelle idée nous formerions-nous de la parenté de cel- les-ci? Sont-elles nées distinctes, mais dans des circonstan- ces assez semblables pour que la conformité de ces circons- tances explique ce que leurs formes ont d’analogie? Ou bien y verrons-nous les variations de quelques espèces primitives subdivisées en races constantes, par l’action réunie des lieux et du temps? » Le problème embrasse plus de terrain qu’il ne semble ; on ne sait bientôt plus quelle portion du règne végétal sous- traire à ces doutes, et les mêmes questions se renouvellent à l’aspect de chacune des divisions du règne organique. Les animaux nous présentent également et des types plus tena- ces, et des types plus flexibles, des formes affectées aux lieux, aux climats, à certaines divisions géographiques , des espèces stationnaires, des espèces errantes, des migrations, des mélanges, et toute la confusion qui en est la suite. Dans l’état où nous trouvons les choses, quelle est la part d'action des causes premières ? Quelle part a été abandonnée aux causes secondes ? et celles-ci, quelles sont-elles , et quelle a été leur puissance dans les temps reculés où les forces pro- 276 MIGRATION ET COLONISATION. ductrices déployaient toute leur énergie? Nous voilà en pré- sence des révolutions du globe. Le botaniste interroge le géo- logue , le géologue appelle en témoignage les trois règnes de la nature, et les questions et les témoignages vont se perdre ensemble au sein des ténèbres qui enveloppent l’en- fance de notre vieux monde. » ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. 277 CHAPITRE XLIX. DE L'ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION ET DES COMBATS DES PLANTES. Après avoir admis les centres de création et la tendance des espèces à diverger de ces centres pour agrandir leur aire d'expansion, 1l nous reste à examiner comment ces plantes prennent possession du sol. Si ce dernier est entièrement libre, sans trace de végétation comme la lave sortie d’un volcan , comme une île qu’un soulèvement amène au-des- sus des flots, il y a simplement envahissement de la végé- tation, c’est un sol sans défense qui se livre au premier occupant. Mais si déjà les plantes se sont emparées d’une localité , s’y sont multipliées, si d’autres espèces cherchent encore à s’introduire parmi elles, à vivre sur le même ter- rain, et viennent croiser leurs aires de dispersion en essayant de les agrandir ; alors il y a lutte entre les espèces , bataille et véritable combat, où les plus faibles succombent sous la persévérante ambition des plus forts. $ 1. ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. IL est bien rare qu’une partie du sol reste longtemps sans recevoir les germes des plantes répandus partout avec tant de profusion ; mais les circonstances qui favorisent la création des associations végétales sont loin d’être les mêmes, et les moyens que la nature emploie pour peupler ces terres nou- 278 ENVAHISSEMENT velles sont en rapport nécessaire avec les diverses conditions qu'elles présentent. Tantôt ce sont des rocs nus exposésraux pluies et aux brouillards ; tantôt ce sont des sables ou des rochers soumis à toute l’ardeur du soleil ; ailleurs ce sont des terres humides que l’eau dépose ou qu’elle imprégne des îles qu’un soulèvement amène au-dessus des eaux ou que des polypiers saxigènes ne cessent de construire qu’à leur niveau. Les créations qui se présentent le plus souvent à nous sont celles qui ont lieu sur les laves des volcans. Là le roc est entièrement nu, incandescent, et pourtant il existe des cou- lées de lave et des cônes de scories qui, peu d’années après leur apparition , commencent à montrer de la verdure. Il y a plus, c’est que souvent des contrées volcaniques tout en- tières offrent la plus belle végétation , et les vieux volcans, autrefois si terribles , finissent par subir le joug d’une cou- ronne de fleurs. Mais avant d'arriver à ces sombres forêts qui ombragent aujourd’hui les cratères, avant d'obtenir ces riches moissons qui attirent les peuples jusque dans les campagnes où le féu sommeille et peut se réveiller, des espèces nombreuses et de constitution bien différente se sont lentement succédées. « Les lichens les plus grossiers, dit Mirbel , des Ze. praria, des Verrucaria, des Lecidea en croûtes organisées, peintes de diverses couleurs, rongent, creusent , labourent la surface des rochers auxquels ils s’attachent. Le temps ré- duit ces lichens en poussière. Ils sont remplacés par des Gy- rophora , des Cenomice , des Stereocaulon, etc., autres li- chens d’un ordre plus élevé, et par des mousses élégantes, qui semblent être des arbrisseaux et des arbres en miniature. Tous ces végétaux, en se décomposant et se renouvelant durant une longue suite d’années, forment sur la pierre une DE LA VÉGÉTATION. 279 légère couche d’humus dans laquelle s’implantent des gra- minées, des Sedum, Draba, Saxifraga, etc. (1). » Ce sont en effet les lichens lépreux et crustacés qui les premiers attaquent les rochers et signalent la vie dans les contrées tempérées et dans les régions septentrionales, La pluie, la neige, les brumes viennent à chaque instant les humecter. Si la chaleur ou la sécheresse surviennent pen- dant quelques jours, leur existence est suspendue ; elle re- prend son cours à la première apparence d'humidité. Quelques-uns de ces lichens sont plus spécialement char- gés d'attaquer les substances minérales les plus dures, celles même dont la surface est lisse, comme le quartz. L’aire de dispersion de ces plantes occupe le monde entier. Sur les ro- chers nus du trachyte qui perce la neige du Chimborazo , à une prodigieuse élévation, M. de Humboldt trouvait les élé- gantes rosaces vertes et noires du Rhizocarpon geograpli- cum (2), et Acerbi remarquait ce même lichen sur le granit traversé de veines de quartz qui constitue le cap nord (3). C'était encore cette espèce que Baer trouvait en abondance sur les rochers de la Nouvelle-Zemble. Nous retrouvons cette plante partout sur le plateau central, attaquant les laves les plus dures et les quartz les mieux polis. Quoique nous ne connaissions pas l’époque reculée à la- quelle nos volcans les plus modernes ont fait éruption, nous avons encore un grand nombre de localités où la roche vol- canique est entièrement nue et où nous voyons les efforts de la végétation pour s’y fixer. Si ce sont des laves compactes, imperméables à l’eau, les (1) Journal botanique , t. 4, p. 74. (2) Humboldt, Tableaux de la nature, t. 2, p. 62. (3) Acerbi, Voyage, t. 2, p. 396. 280 FNVAHISSEMENT lichens s’en emparent , et rien de plus beau à voir que ces gracieux dessins que nous offrent les sommets trachytiques du mont Dore, exposés à la fois aux neiges des hivers, aux vapeurs attiédies de l'atmosphère et aux ondées électriques que les nuages orageux abandonnent aux vents violents qui règnent parfois sur ces hauteurs. Le Patellaria ventosa, aux scutelles couleur de sang ; le Rhizocarpon geographicum , varié de vert et de noir; le Cornicularia tristis, aux ra- meaux durs et cornés ; de nombreux {mbricaria , des Ste- reocaulon et une foule de belles espèces travaillent sans cesse à cacher la nudité de la terre et à préparer l’avénement des mousses et des phanérogames. ) M. de Humboldt trouva les laves de l’île de la Graciosa , aux Canaries, dénuées d’arbres et d’arbustes, le plus souvent sans trace de terreau. Quelques lichens lépreux, là, comme en Auvergne, essayaient d'appeler la végétation sur deslaves arides, Celles qui ne sont pas couvertes de cendres volca- niques restent des siècles sans aucune apparence de végéta- tion. Sur ce sol africain, l’excessive chaleur et de longues sécheresses ralentissent le développement des plantes crypto- games. [l trouva pourtant sur ces basaltes, déjà très-anciens, _ les Rhizocarpon geographicum, Urceolaria ocellata, Parme- lia parietina, P. tenella, P. atra, Lecidea fusco-atra, et plu- sieurs autres que l’on avait cru jusque-là appartenir exclusi- vement au nord de l'Europe (1). À Ténériffe même, ce savant observait l'apparition des lichens sur des laves scorifiées à surfaces lustrées. « Au- dessus d’un gazon brülé par l’ardeur du soleil africain, le Stereocaulon paschale couvre des terrains arides ; les pâtres y mettent souvent le feu qui se propage à des distances con- (4) Humboldt, Voyage aux rég. équin., t. 4, p. 180, DE LA VÉGÉTATION. 281 sidérables, Vers le sommet du pic, des urcéolaires et d’au- tres végétaux de la famille des lichens, travaillent à la décom- position des matières scorifiées. C'est ainsi que par une ac- tion non interrompue des forces organiques, l'empire de Flore s'étend sur les îles bouleversées par les volcans (1). » Dans plusieurs points de ses ouvrages, M. de Humboldt se plait à décrire l’origine de la végétation et son envahisse- ment successif. Il cite entr’autres les roches granitiques qui s’élèvent au-dessus des savanes dans la mission de Carichana, dans l'Amérique du sud. « Sur ces plateaux pierreux, on suit » avec intérêt la végétation naissante dans les différents » degrés de son développement. On y trouve des plantes » lichéneuses fendillant les pierres et réunies en croûtes plus » Où moins épaisses; de petites portions de sable quartzeux » nourrissent des herbes succulentes ; enfin, des couches » de terre noire, déposées dans des creux, formées de débris » de racines et de feuilles, ombragées par des toufles d’ar- » bustes toujours verts (2). » Plus loin, il retrace le même tableau de l'apparition des plantes dans les savanes d’Atu- rès. « Partout s'étendent, à fleur de terre, ces bancs de » granit entièrement nus que j'ai décrits à Carichana , et » que nulle part, dans l’ancien monde, je n’ai vu d’une » si prodigieuse largeur que dans la vallée de l’Orénoque. » Là, où jaillissent des sources du sein des rochers, des v Verrucaria, des Psora , et d’autres lichens se sont fixés » sur le granit décomposé ; ils y ont accumulé du terreau. » De petites euphorbes, des Peperomia et d'autres plantes » grasses ont remplacé les plantes cryptogames ; et aujour- » d’hui des arbustes toujours verts, des Rhexia, des mé- (41) Humboldt, Voyage aux rég. équin., Lt. 4, p. 416. (2) Idem, 1. 6, p. 569. 282 ENVAHISSEMENT » lastomes à fleurs pourprées, forment des flots de verdure » au milieu des plaines désertes et rocheuses. Onwne se » lasse pas de le répéter : la disposition de ces lieux , les » bosquets de petits arbres à feuilles coriaces et luisantes, » qui sont épars dans les savanes, ces ruisseaux limpides » qui se creusent un lit à travers le rocher et qui ser- » pentent tour à tour dans des plaines fertiles et sur des » bancs nus de granit, tout rappelle ici ce que nos jardins » et nos plantations renferment de plus pittoresque et » de plus attrayant. On croit reconnaître l’industrie de » l’homme et des traces de culture au milieu de ces sites » agrestes (1). » Sur le sommet du pic du Midi, dans un espace très-cir- conscrit, Ramond a déterminé 51 espèces de lichens, qui, depuis des siècles, ont préparé le sommet du rocher à rece- voir la végétation phanérogamique qui existe à cette grande élévation. Ce ne sont cependant pas toujours les lichens qui se montrent les premiers sur les rochers. Si ceux-ci ont une surface très-inégale , si surtout ils sont fendillés, on voit les mousses précéder les lichens , et indiquer les fissures de la pierre par leurs petits gazons alignés. Peu après, des espèces traçantes viennent remplacer les premières ou se mêler avec elles. L’ÆHypnum cupressiforme etses nombreuses varié- tés, le Leskea sericea , qui envoie très-loin ses rameaux ve- loutés prendre possession des roches et des murailles, sont les espèces qui se présentent le plus fréquemment. L’Hyp- num triquelrum ne tarde pas non plus à apparaître. Les laves sont fréquemment recouvertes des larges coussins du Trichostomum lanuginosum, des touffes d’un vert pur du Bartramia Halleri , de lHypnum loreum, etc.; dès que ces (4) Voyage aux rég. équin., t. 7, p. 96. DE LA VÉGÉTATION. 283 grandes mousses se développent sous l'influence de l’humi- dité, la terre végétale est acquise par leur décomposition. Il faut encore , dans ces créations végétales, faire la part de la composition ou de la nature des roches sur lesquelles les plantes se développent. C’est un fait connu, dans tous les pays volcaniques , que les courants de lave ne suivent nulle- ment, pour se peupler, l’ordre chronologique de leur appari- tion. Nous avons en Auvergne des coulées d’àges différents, et les plus anciennes ne sont pas toujours les plus fertiles. La même observation s'applique aux laves de l'Etalie. « De » ces énormes blocs refroidis depuis près de deux siècles, dit » M. de Quatrefages , en parlant d’une coulée de l’Etna, pas » un ne semble avoir ressenti l’action du temps. Tous pré- » sentent à l’œil une teinte noire aussi foncée, des arêtes et » des pointes aussi vives que s’ils étaient figés et rompus de » la veille, pas un brin d'herbe n’a pu encore pousser sur » cette roche qui semble repousser toute végétation, c’est à » peine si quelques rares lichens étalent sur ses flancs leurs » plaques étoilées (1). » L’éruption qui, en 1302, fit jailir un courapt de lave d’une nouvelle ouverture, sur la pente S.-E. de l'ile d’Es- chia, est tout à fait authentique. Pendant une partie de 1301, plusieurs tremblements de terre s'étaient succédé avec une rapidité effrayante; mais ils se terminèrent enfin par l'émission d’un courant de lave qui s’échappa d’un point appelé le Campo de larso, et situé non loin de la ville ’Es- chia. Cette lave parcourut avec une grande vitesse trois ki- lomètres environ qu’elle avait à franchir pour se rendre à la mer. Sa couleur varie entre le gris de fer etun noir rougeà- tre ,etelle est remarquable par le feldspath vitreux qu’elle (3) Souvenirs d’un naturaliste, 1. 2, p. 87. 284 ENVAHISSEMENT contient. Sa surface est presque aussi stérile, après une pé- riode de cinq siècles , que si elle n’était refroïdie que d'hier. Quelques rares touffes de serpolet , et deux ou trois autres petites plantes remplissent seules les interstices que laissent les scories, tandis que la lave émise en 1767 par le Vé- suve, est déjà couverte d’une riche végétation (1). Il arrive aussi que le poli de la roche, quand il n'existe que peu d'humidité dans l’air, s’oppose à la fixation des germes. Ces germes, transportés par les vents, glissent sur les surfaces polies. Les poussières ne peuvent s’y arrêter et aucune trace de terre végétale ne peut s’y former. Perron cite, dans la Nouvelle-Hollande, des montagnes dont la roche est tellement unie et lisse, que l’on n’y voit pas un ar- bre, pas un arbrisseau, pas un arbuste ; « rien, en un mot, » qui puisse faire soupçonner l'existence de quelque terre x végétale. La dureté du roc paraît braver ici tous les ef- » forts de la nature et résister à ces mêmes moyens de dé- » composition qu'elle emploie ailleurs avec tant de suc- » cès (2). » Les cryptogames et surtout les mousses et les lichens ne peuvent vivre et se multiplier qu’autant qu’ils reçoivent une certaine dose d'humidité. Ils ont, comme nous l'avons déjà dit, la propriété de suspendre leur végétation pendant les sécheresses, et de revenir à la vie par la présence de l’eau. Mais dans les contrées où la sécheresse est continue, les ter- res stériles conserveraient éternellement leur nudité, si d’au- tres espèces ne tenaient lieu des cryptogames. « On trouve bien entre les tropiques, dit M. de Humboldt, quelques espè- ces de Funaria, de Dicranum, des Brium, genres dont plu- (4) Lyell, Principes de géologie , traduet., t. 2, p. 63. (2) Perron, Voy. aux terres australes, t. 5, p. 253. DE LA VÉGÉTATION. 285 sieurs espèces sont communes à la Laponie, au pic de Té- nériffe et aux montagnes bleues de la Jamaïque. Cependant, en général, ce n’est pas par les mousses et les lichens, que commence la végétation dans les contrées voisines des deux tropiques. Aux îles Canaries, comme en Guinée et sur les côtes rocheuses du Pérou, les premières plantes qui prépa- rent le terreau sont les plantes grasses. Fixées dans les fentes des roches volcaniques, elles forment pour ainsi dire cette _ première couche végétale dont se revêtent les coulées de laves lithoides (1). » Les plantes grasses abondent, comme on le sait, dans les pays chauds, et non-seulement les individus s’y multiplient à l'infini, comme les cypéracées et les éricacées dans les con- trées du nord, mais encore ces végétaux y prennent de très- grandes proportions. Levaillant , traversant, dans l'Afrique tropicale , des landes étendues et d’une affreuse nudité , ne trouvait qu'une euphorbe charnue, disséminée en petits groupes, et de véritables forêts, formées par une seule plante grasse, l’Aloes dichotoma. Cette espèce était très-abondante, très-sociale et croissait avec vigueur sous l’action d’un soleil ardent, dans une année où la sécheresse était extrême. Son développement était si considérable , que Levaillant cite un de ces Aloes qui atteignait 30 pieds de hauteur. « Il avait 9 pieds 8 pouces de circonférence, et couvrait, par l’enver- gure de ses branches , un espace de plus de cent pieds de diamètre (2). » « Je le fis respecter », dit Levaillant , car, pour frayer un passage à sa caravane , 1l faisait abattre ces arbres à coups de pieds. Il avait remarqué, en effet, qu'ils avaient très- (4) Humboldt, Voy. aux rég. équin., 1. À, p. 405. (2) Levaillant, Second voyage en Afrique , t. 2, p. 145. 286 ENVAHISSEMENT peu de racines. C’est ce qui a toujours lieu pour les plantes grasses ; les racines ne servent qu’à les fixer, et leurs feuilles succulentes ont une puissance d’absorption considérable. Aussi, dans les pays chauds, ce sont elles qui les premières s’établissent sur le sol, les seules souvent qui puissent y vivre et résister aux sécheresses et à la chaleur d’étés brülants. Les plantes grasses peuvent, comme les lichens , suspendre leur vie pendant longtemps. Nous avons pu conserver des Crassula plusieurs années sans les arroser. De Candolle cite l'exemple d’un Sempervivum des Canaries conservé onze mois dans-son herbier, et qui, planté après ce laps de temps, s’est parfaitement développé. Il cite encore le Sedum Tele- phium, que les habitants du Jura suspendent dans leurs maisons, et qui fleurit au bout de quelques mois (1). À Ténériffe , l'Euphorbia canariensis croît sur les ro- chers sans avoir été précédé par des lichens. Près du lac de Valencia, dans l'Amérique méridionale, M. de Humboldt a vu des masses de granit qui sortent du terrain et s'élèvent brusquement au milieu du vallon. Elles sont nues et fendillées, et les premières plantes qui viennent y préparer le terreau sont des plantes grasses, qui sont bientôt suivies de Ficus et de Clusia (2). Dans les zones très-chaudes du globe, ce sont donc les plantes grasses qui remplacent les lichens crustacés ; il n'y a que les espèces à feuilles charnues qui puissent se fixer dans des lieux où l’eau du ciel vient rarement humecter leurs tissus. Ici même, sur le plateau central, nous avons vu les mêmes faits se présenter. Il serait impossible que des li- (4) Ann. de chimie et de physique , t. 15, p. S4. (2) Humboldt, Voy. aux rég. équin., t. 5, p. 460. ? DE LA VÉGÉTATION. 287 chens se développassent sur des sables volcaniques dans les- quels l’eau s’infiltre avec facilité , sur des rapilli mobiles, où ils ne peuvent étendre ni leurs thallus crustacés ni leurs élé- gantes rosettes. Si enfin ce sont des pouzzolanes noires, qui absorbent tellement la chaleur qu’elles peuvent , dans cer- taines circonstances, acquérir, comme nous l'avons vu , jus- qu'à 60 degrés de chaleur, 1l est impossible que les lichens s’y montrent. Nous y voyons alors, comme dans les pays chauds, comme aux Canaries, des Sedum résister à cette haute température. Ces Sedum y vivent en société, 1ls y for- ment des gazons étendus, tantôt couverts des innombrables fleurs Des du Sedum album et de ses feuilles d’un rouge vif, tantôt éclatants des mille corolles dorées du Sedum acre, où bien montrant les pieds nombreux et dispersés des Sedum reflexzum, et S. rubens, qui partagent ce sol brü- lant avec quelques ombellifères et le Scleranthus perennis. Nous voyons encore sur quelques points des Sempervivum s'emparer des rochers de porphyre les plus compactes. L'apparition des plantes grasses, ou plutôt la transforma- tion en plantes succulentes de la plupart des espèces qui croissent sur les bords de la mer, se lie en quelque sorte à leur prospérité dans les pays chauds. On a remarqué que beaucoup de plantes , dont les feuilles sont minces dans la plupart des localités où elles végètent, prennent des feuilles plus épaisses sur le bord des eaux salées ; d’un autre côté, beaucoup de genres qui ont des espèces maritimes nous les montrent avec tous les caractères des plantes grasses. Tous les botanistes savent quelles difficultés ils éprouvent à dessé- cher la plupart des chénopodées maritimes, les Triglochin, les Crithmum, les Crambe, le Cakile maritima, le Convol- vulus Soldanella, etc. Le même effet est produit autour des lacs salés des steppes de l'Asie, autour des salines, près 288 ENVAHISSEMENT des sources minérales du plateau central. Toutes ces espècés peuvent résister presque indéfiniment à la sécheresse, toutes vivent aux dépens de l’atmosphère , et comme les plantes grasses africaines et les cactées de l'Amérique, elles sont presque indépendantes de la nature du sol et des variations du climat. Ces faits confirment ce que nous avons avancé depuis longtemps, que l’action des matières salines sur les plantes les rend plus aptes à se nourrir par les feuilles, à décomposer l’acide carbonique de l'air, qu’à puiser leur nour- riture dans la terre végétale. Les lichens semblent aussi avoir leurs plantes grasses dans les Roccella, dans certains Physcia, dansles Zsidvum. Nous avons vu ces espèces précéder toute végétation, même celle des lichens lépreux, sur les rochers de la Corse, exposés aux émanations maritimes ; et Bory de Saint-Vincent a remar- qué aussi que les premiers hichens qui paraissent sur les laves de l’île Bourbon sont des lichens fraticuleux et non crustacés. | Lorsque les terrains, au lieu d’être secs et arides , sont au contraire déposés par les eaux et constamment humectés par elles, ce sont d’autres espèces de végétaux qui viennent les envahir. Les grands fleuves de l'Amérique montrent fré- quemment des exemples de ces prises de possession. A peine quelques grands arbres, entraînés par leurs crues périodiques, sont-ils arrêtés sur un point, que le sable les recouvre. Des plantes nommées A/lisos et qui sont des espèces de synanthé- rées arborescentes y déposent leurs graines, s’y dévelop- pentavecrapidité et y forment bientôt des fourrés ; ces plantes atteignent jusqu’à 6 à 7 mètres de hauteur. Leur ombrage protége toute une génération de saules qui , dans les îles du Parana, viennent constamment, d’après M. d’Orbigny, remplacer les Alisos qui sont détruits à leur tour. « Les . DÉ LA VÉGÉTATION. 289 saules, dit ce savant voyageur, dominent partout le terrain accru peu à peu, montent rapidement et sont mêlés à une foule de plantes grimpantes et surtout de Convolvulus qui tombent en guirlandes verdoyantes émaillées de belles fleurs blanches ou diversement colorées. » D'autres espèces remplacent ensuite les saules qui n’au- raient pu se développer sous l'ombre des Alisos , et le fourré formé par les saules enlacés de plantes grimpantes est aussi nécessaire au développement de la dernière association qui couvre ces îles, Jusqu'à ce que de nouvelles crues en empor- tent les débris qui servent alors de base à de nouvelles créations. « Un singulier accident de beaucoup de ces îles, continue M. d'Orbigny, c’est d’avoir le plus souvent dans leur centre, lorsqu'elles sont grandes, un ou plusieurs lacs entourés de plantes aquatiques et où une multitude d’oi- seaux de rivages se réunissent dans la saison des séche- resses (1). » Il est bien curieux de voir la nature répéter les mêmes phénomènes à de si grandes distances , et de retrouver dans l'établissement de la végétation, sur le bord de nos fleuves, des faits analogues à ceux qui ont été si bien décrits par M. d'Orbigny dans l'Amérique du sud. Quand on examine attentivement les bords et les îles de la Loire et de l'Allier, on voit bientôt que les atterrissements abandonnés par les eaux se recouvrent de plantes diverses, parmi lesquelles l’Erigeron canadense est la plus commune ; il s’y mêle des épilobes aux semences ailées, des Chondrilla aux légères aigrettes ; puis viennent les jeunes saules qui profitent de leur ombrage, les peupliers et toutes ces plantes dont les graines peuvent facilement parcourir les airs. Plus tard arri- (4) D'Orbigny, Voyage, t. 4, p. 410. 290 | ENVAHISSEMENT vent les plantes dont les sernences transportées par les eaux, s'arrêtent sur ces terres encore vierges , et bientôt des tiges volubiles s’enlacent autour des arbres. Le Convolvulus sepium y domine, le houblon suspend ses cônes aux branches des saules, le Clematis Vitalba s’élance et couvre tous les buis- sons ; le Tamus vulgaris y mürit ses baïes colorées, et des légumineuses grimpantes viennent ajouter leurs tiges flexi- bles et rameuses à ces impénétrables fourrés. Ajoutez-y le Galium Aparine, si répandu, qui remplace ici les plantes épinevses des régions tropicales , et vous trouverez la plus grande analogie dans la végétation de ces terres nouvelles qui datent à peine de quelques années. On conçoit, en effet, que la végétation doive être très- active dans des terres meubles et nouvelles, constamment arrosées et soumises à toute l'influence du soleil. ci, comme en Amérique, de petites lagunes restent aussi au milieu des îles ou sur les rivages composés d’atterrissements. Ce sont des affaissements produits par le retrait et le dessèchement de la vase, analogues à ceux que nous trouvons sur les grands dépôts d’alluvion volcanique, analogues encore à ces dépres- sions des plateaux basaltiques , où la lave, en se refroïdis- sant, a laissé dans son centre une cavité due également à la contraction de ses parties et à l’inégale consolidation de sa masse. Ces mares des îles de nos fleuves sont couÿertes de plantes aquatiques, d’Fris pseudo-Acorus, de Typha, de Veronica -Anagallis, de Chara et de Myriophyllum. Elles sont aussi le rendez-vous des oiseaux aquatiques et de nombreux mol- lusques des genres Cyclas, Pisidium, Unio, Anodonta et Limnea. Les libellules en égaient les bords, et nulle part la nature n’est plus animée qu’au milieu de ces fourrés d’une végétation récente et vigoureuse. DE LA VÉGÉTATION. 291 Tous les fleuves du nord laissent de semblables atterrisse- ments, sur lesquels se produisent les mêmes phénomènes : nous les avons vus sur le Rhin, sur le Danube et sur l’Elbe, où les saules surtout acquièrent de très-grandes dimen- sions. Quelle que soit, au reste, l’aridité du sol, la présence de l’eau y détermine toujours l’apparition des plantes. Le 15 septembre 1853, nous renouvelions l’ascension que nous avions faite plusieurs fois du grun de Chignor, montagne de granit blanc, en partie démantelée, qui s’élève très-près de Vollore-Ville. Cette montagne est couverte des Calluna vulgaris, Ulex nanus, Pteris aquilina , et surtout de Vac- cinium Myrtillus. Ces diverses espèces essaient d’envahir les pentes sur lesquelles trois sommets granitiques en décomposition versent incessamment des torrents de blocs pierreux , que l’on prendrait de loin pour des courants de lave. Nous examinions avec intérêt cette lutte incessante de la végétation qui cherche à recouvrir les rochers les plus arides, lorsque nous arrivämes près du sommet de la mon- tagne, sur un point vert gazonné que nous apercevions de très-loin. Il est peu éloigné de la crête, du côté du sud. Ce tapis velouté , sans bruyères ni myrtilles, semblait s’élever au-dessus du niveau général du sol de la montagne. Nous ne voyions, sur ce tertre verdoyant, aucune trace de ces morceaux de granit si abondamment répandus sur toutes ses pentes. En effet, ils étaient enterrés sous une couche épaisse de terre végétale. Deux petites sources contiguës, ne tarissant jamais , entretiennent sur ce point des gazons tou- jours frais de Monti fontana et de Sphagnum. La tempé- rature des sources ne laisse pas séjourner la neige pen- dant l'hiver, et cette localité restreinte conserve sa ver- dure. Nous y vimes en abondance le Drosera rotundifolia, 292 ENVAHISSEMENT mais ni le Pteris aquilina ni l’Ulex nanus ne peuvent en approcher. C’est donc à d’humbles plantes à peine appa- rentes et à la présence de l’eau qu'est due cette création de terre végétale et cette espèce de submersion de blocs de granit. C’est encore à l'humidité constante de la portion de l’at- mosphère qui touche la surface des eaux et à un arrosement presque continuel , qu'il faut attribuer la possibilité des créations qui envahissent si promptement les iles de coraux dès qu’elles atteignent le niveau des mers. M. de Humboldt cite les Cayos des environs de Cuba, et surtout la petite ile appelée Cayo-Bonito. « Tout annonce, dit-il, que depuis longtemps elle est au-dessus de la surface del'Océan. Sur une couche de sables et de coquilles broyées de 5 à 6 pouces d'épaisseur qui recouvre la roche madréporique fragmen- taire, s'élève toute une forêt de palétuviers. A leur port, à leur feuillage on les prendrait de loin pour des lauriers. L’Avicennia mitida, le Batis, de petites euphorbes et quel- ques graminées travaillent, par l’entrelacement de leurs ra- cines , à fixer les sables mouvants. Mais ce qui caractérise surtout la flore de ces îles à coraux, c’est le superbe Tourne- fortia gnaphaloides de Jacquin, à feuilles argentées. C’est une plante qui vit en société, un véritable arbrisseau de 4 pieds et demi à 5 pieds de haut, dont les fleurs répandent une odeur très-agréable. Il fait également l’ornement du Cayo-Flamenco, du Cayo-de-Piedras et peut-être de la plu- part des basses terres des Jardimllos (1). » La tendance des végétaux à l’envahissement du globe entier ne recule devant aucun obstacle. Nous avons dit, en parlant de la végétation aquatique, comment les plantes qui (4) Humboidt, Voyage aux rég. équin., 1. 12, p. 131. DE LA VÉGÉTATION. 293 habitent le bord des eaux s’avancent de proche en proche à la surface du liquide. Souvent ces réunions de végétaux en- lacés se détachent et forment des îles flottantes, des terrains nageants, sur lesquels les vents et les oiseaux ne tardent pas à déposer des semences, et de nouvelles colonies fondent des empires qui voyagent au gré des vents ou qui sombrent dans les tempêtes. Ce n'est pas seulement sur nos lacs européens que nous voyons ces jardins portés par les eaux, toutes les parties du monde nous en offrent des exemples. M. Gay en a trouvé de très-curieux au Chili, sur le lac de Taguatagua. Là, des liserons flexibles enlacent des tiges de Typha et d’Arundo, sur lesquelles viennent échouer d’autres plantes dont les dé- bris forment le sol de l’île mobile, et une foule d'ilots, bien- tôt couverts de verdure et de fleurs , flottent sur ce vaste bassin. Quoique an ait étudié avec détails les moyens nom- breux et variés qui sont à la disposition des plantes pour le transport de leurs germes , on est quelquefois étonné de la rapidité avec laquelle la végétation se propage d’un point vers un autre plus ou moins éloigné. La Nouvelle-Camini, sortie des flots près de l'île San- torin, le 23 mai 1707, fut visitée par Dumont-Durville en 1820, un peu plus d’un siècle après son apparition, et déjà ce botaniste y reconnut plus de 40 phanérogames, mais toutes originaires de la Grande-Camini, de Santorin ou de Therasia, qui sont rapprochées de la Nouvelle-Camini. A Ténériffe, après un temps plus long, ilest vrai, « une végétation vigoureuse s’est emparée des murs de basalte qui bordent les vallées ou barancos; les racines ont pénétré dans toutes les fentes ; une foule d'espèces diverses, sus- pendues aux rochers des alentours, les décorent de leurs 29% ENVAHISSEMENT fleurs. Tous ces végétaux garnissent les moindres rebords , se réunissent en masse sur les assises des berges et le long des rives des torrents. On trouve là les plantes qui se plai- sent dans les endroits abrités, le Salix canariensis, avec ses beaux chatons roses , le Solanum nava , aux tiges volu- biles , le Bœhmeria rubra, le Poterium caudatum, aux ra- meaux panachés, et plusieurs autres espèces rares (1). » Lorsque les lieux nus sont dans le voisinage de localités abondamment pourvues de végétation, l’envahissement se fait avec rapidité. Nous rencontrâmes un très-bel exemple de ce genre, le 22 juin 1853, en visitant la nouvelle route qui s’avance de quelques kilomètres dans la vallée de l’Alla- gnon, et qui doit gagner Massiac en évitant les plateaux. Cette route est extrêmement pittoresque. On a coupé à pic de grands rochers de gneiss de différentes couleurs, et l’on voit, au-dessus des blocs de rochers entassés , des chênes, des trembles et des arbres divers qui en tapissent toutes les sinuosités. Nous vimes avec intérêt de larges entailles faites dans le rocher depuis peu d'années, et sur lesquelles cepen- dant la végétation s'était déjà établie. On n’y voyait encore aucune mousse , aucun lichen , mais plus de cent espèces phanérogames en partie fleuries : Biscutella lævigata ? Populus nigra, Populus Tremula, Genista purgans, Rubus dumetorum, Anthericum Liliago, Sedum hirsutum en beaux gazons, Umbilicus pendulinus, Rosa canina, Anarrhinum bellidifolium , Valeriana officinalis, Dactylis glomerata, Hypericum perforatum, Geranium Robertianum, etc. Nous citons au hasard et à mesure que nous les observons. Toutes ces espèces ont trouvé le moyen de vivre dans les fissures des rochers. Toutes, il est vrai, croissent au-dessus (4) Webb et Berthelot, Hist. nal. des Canaries. DE LA VÉGÉTATION. 295: “plutôt. qu'au-dessous, et n’ont eu que de petites dis- tances à franchir pour émigrer. Il n’est pas moins curieux de voir avec quelle facilité des rochers nus peuvent se peu- pler et admettre immédiatement de grands végétaux. La végétation ne commence donc pas toujours par des lichens et des mousses, ni par des plantes grasses. La proximité des espèces est une des conditions qui en facilite le plus la pro- pagation. On voit souvent de vieilles tours sur lesquelles il n'y a pas un lichen et où végètent de grands arbres. La faculté qu'ont certaines graines d’être emportées par le vent et semées au loin, peut aussi être prise en considéra- tion ; cependant, sur les rochers nus dont nous parlons crois- saient des ronces et des rosiers dont les graines ne peuvent être facilement enlevées. Il est nécessaire , dans toutes les migrations végétales, d'accorder une grande part aux oi- seaux , qui, s'ils n’effectuent pas le plus grand nombre de transports , se chargent au moins des plus longs et des plus difficiles. Des flores partielles, d’une chaumière , d’une coulée de lave , d’un édifice dont les dates seraient connues, nous of- friraient un grand intérêt au point de vue des créations lo- cales et des migrations. Tout ce que nous avons dit de l'alternance se rattache aussi aux phénomènes des migrations et de l’apparition des végétaux. Tels sont les faits déjà si variés dont la terre nous offre le spectacle dans les scènes d’envahissement et de colonisation dont nous pouvons être témoins. Qu'’était-ce donc, quand notre planète presque nue, émergeant successivement ses îles et ses continents, reçut du Créateur les types qui de- valent s'étendre et transmettre au loin ces puissantes colo- nies dont nous avons perdu les traces d’origine? La paix 396 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. régnait alors dans le règne végétal. Toutes les tribus, toutes les ngtions qui composent ce grand peuple des plantes trou- vaient place sous la voûte du ciel. Il n’en est plus ainsi; de la paix passons à la guerre. $ 2. DES COMBATS ET DES CONQUÊTES DE LA VÉGÉTATION. L'homme, le plus cruel de tous les êtres, est le seul qui ait inventé des instruments de destruction et des armes de guerre. Tous les animaux combattent avec les moyens de défense ou d’attaque que la nature leur a donnés. Les grif- fes, les cornes , les dents, les dards, les aiguillons, les com- motions électriques , la fascination peut-être, enfin la ter- reur inspirée par le bruit, les positions belliqueuses, la féti- dité des excrétions et jusqu'aux nuages colorés qui protégent leur retraite, tout est mis en œuvre parmi les êtres vivants pour soutenir une lutte continuelle. Les végétaux sont-ils exempts de ces combats meurtriers où le faible succombe sous les coups du plus fort, où le plus rusé l’emporte sur le plus timide et le plus astucieux? Hélas! non. Les plantes ont leurs guerres, leurs victoires et leurs défaites. Le faible tombe sans bruit , le vainqueur triomphe en silence, mais le com- bat est acharné, il dure souvent aussi longtemps que la vie des combattants, et les armes ne sont pas toujours égales. Ici ce n’est plus la force matérielle, ni l'expérience des moyens de destruction qui triomphent , c’est la puissance de la vie, l'énergie de l'invasion, l'étendue des racines, la force d'absorption par les feuilles, et surtout la promptitude de végétation. Dans les contrées où l’eau et la chaleur se réu- nissent pour accélérer toutes les phases de la vie, on croit voir les plantes lutter corps à corps. C’est celle qui germe le COMBATS ET CONQUÊTES. 297 plus vite après les pluies, qui s'empare du terrain la première; des espèces vivaces et affamées étendent leurs racines et cherchent à s'emparer des sucs qui leur sont destinés. Les plus grandes cherchent à étouffer les plus faibles sous leur ombrage. Les plus flexibles s’attachent au tronc des ar- bres , déroulent rapidement leurs tiges volubiles et parvien- nent par leur activité de végétation à dominer de leurs fleurs les arbres gigantesques qui leur ont servi de supports. Ne pouvant vaincre par elles-mêmes , elles s'associent à la des- tinée des plus forts. L'homme peut à peine pénétrer au mi- lieu de ces plantes spontanées , et les lieux où il établit sa demeure sont envahis de nouveau dès qu'il l’a abandonnée pour quelques instants. « Ce luxe de la végétation , dit M. de Humboldt, est si remarquable près de la bifurcation de l'Orénoque et du Cassiquare, que l’on peut à reine s’en former une idée, lors même qu’on est accoutumé à l’as- pect des forêts des tropiques; il n’y a plus de plage; une palissade d'arbres touffus forme la rive du fleuve. On voit un canal de 200 toises de large, qui est bordé de deux énormes murs tapissés de lianes et de feuillage (1). » On voit bien quelques plantes s'attaquer corps à corps, sétouffer dans de lentes contractions ; on en voit s'étouf- fer en s’enlevant l’air et la lumière , mais c’est dans l'inté- rieur du sol que se livrent les grands combats. C’est sous la terre, en silence et à l'abri de tous les regards, que les plan- tes obéissent, comme tous les êtres animés, aux lois instinc- tives de leur conservation. Là se trouvent en grande partie les aliments qui doivent les nourrir, là existent les organes chargés de pourvoir à la vie, là s'engagent les luttes et se terminent les combats. (4) Voyage aux rég. équinox., t. 8, p. 76. 298 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION, Des racines de forme et d’étendue extrêmement variées, habitent souvent le même terrain. A leurs extrémités se trou- vent les suçoirs destinés à recueillir les sucs de la terre, qui doivent être conduits et élaborés dans leurs tissus. Si nos yeux pouvaient percer ce milieu dans lequel se développent tant d’organes différents, nous les verrions s’allonger en tous sens et chercher dans toutes les parties du sol l'aliment qui s’y trouve disséminé. Nous les verrions, en concurrence effrénée avec leurs voisines, s'emparer au plus vite des meil- leures parcelles de terrain, s’enlacer avec elles en cherchant à leur soustraire leurs aliments. La victoire est souvent le prix de la course , et telle es- pèce qui peut allonger ses racines plis promptement qu’une autre , la gagne de vitesse pour l’occupation d’une partie du terrain, affame la plante voisine, la maintient longtemps dans un état de langueur et la tue enfin tout-à-fait. Des plantes arborescentes peuvent, il est vrai, vivre en paix pendant quel- ques années , mais à mesure qu'elles grandissent , leurs ra- cines s’allongent, elles occupent un plus grand espace, et les plus vigoureuses finissent par affamer les autres. Au bout d’un certain temps , une seule ou quelques-unes seulement ont survécu. C’est à cela sans doute qu'il faut attribuer la prédominance d’un très-petit nombre d’espèces dans les fo- rêts et dans tous les lieux où les plantes vigoureuses vivent en société. Il faut aussi remarquer la guerre de répulsion qui a lieu entre certaines plantes à cause des exhalaisons ou plutôt des sécrétions de leurs racines. On voit des espèces qui se nuisent même à distance, et d’autres au contraire qui sem- blent s’attirer et qui se plaisent ensemble. Existerait-il des plantes qui pourraient, comme les mouffettes et quelques ani- maux, éloigner d’autres espèces par des excrétions délétères ? COMBATS ET CONQUÊTES. 269 Il faut se rappeler que les racines sont disposées dans la terre comme les tiges le sont au-dessus du sol. C’est-à-dire qu'il en est qui restent courtes et qui tracent à la surface, et _ d’autres qui au contraire s’enfoncent:-très-profondément et vont chercher très-loin leur nourriture. La terre peut donc nourrir des plantes très-différentes qui vivent en paix sans se nuire ni s'attaquer, puisqu'elles trouvent chacune leurs ali- ments dans le même sol. Ceci explique l’abondance et la multiplicité des espèces dans une prairie. Le colchique y vit à une grande profondeur ; la luzerne enfonce ses racines à une énorme distance de la surface; les pivots de plusieurs ombellifères descendent perpendiculairement; les Carex crois- sent près du sol et leurs racines se ramifient ; celles des gra- minées sont capillaires et très-divisées, ou bien elles s’éten- dent sans s’enfoncer, comme le chiendent. D'un autre côté, il est bien probable que toutes ces plan- tes ne puisent pas dans le sol les mêmes aliments, et c'est ainsi qu'elles vivent en commun et qu’un même coin de terre peut nourrir un grand nombre de végétaux. Mais on conçoit très-bien que si la terre qui nourrit ces plantes vient à man- quer elle-même des engrais naturels ou artificiels qu’elle re- çoit, les conditions seront changées. Telle espèce plus ro- buste qui vivait côte à côte avec une autre, quand les aliments existaient pour toutes deux, voudra preudre sa part et celle- ci ne pourra continuer de végéter. Le combat commencera pour obtenir la nourriture de prédilection, et la plante la plus faible périra. Le vainqueur à son tour pourra être refoulé pour une espèce plus vigoureuse qui aura gagné du terrain, et en somme le même espace qui pourvoyait à la subsistance de 15 à 20 espèces, n’en nourrira plus que deux ou trois qui auront chassé les autres. Ces faits se remarquent tous les jours dans les prairies et les champs cultivés, où la pré- 300 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. sence ou l’absence de l’eau, du plâtre, des engrais ou des amendements, changent complétement la végétation: La sociabilité des plantes dépend trés-souvent d’une ba- taille gagnée sur d’autres espèces, et dans la nature, comme dans la guerre acharnée que se font les peuples, les élé- ments ont souvent une large part dans les succès du combat. C’est ce que l’on voit surtout dans les contrées à climat ex- cessif, L’extrême chaleur de l’été, les grands froids de l’hi- ver, et surtout les différences énormes de température en- tre les jours chauds du solstice d'été et les nuits froides qui les séparent, sont autant de causes qui combattent en faveur des espèces robustes contre celles qui pourraient, sans ces circonstances, se multiplier à l'infini. Nous voyons tous les jours, dans nos montagnes, les genêts, les bruyères, les eu- phorbes envahir le terrain et composer de nombreuses so- ciétés. Les steppes de la Russie méridionale nous offrent aussi de tels exemples sur une échelle immense. Une foule de vé- gétaux en sont exclus par les raisons que nous venons d’é- noncer. D'autres envahissent de si grands espaces que les peuples pasteurs sont obligés de leur faire une guerre achar- née. Hommaire de Hell rapporte qu'il a vu, pendant cinq années de suite , le Stipa tortilis couvrir toutes les plaines de la nouvelle Russie. « Cette funeste graminée, dit le sa- vant voyageur, dont la glume est armée d’une longue arête barbelée, fit alors tant de ravages parmi les troupeaux , que les propriétaires durent inventer des moyens mécaniques pour la faucher (1). » Dans les combats que se livrent les plantes pour s’empa- rer du sol, on remarque quelquefois un fait très-singulier ; (4) Les Steppes de la mer Caspienne, t. 3, p. 51. COMBATS ET CONQUÊTES. 301 c'est l’apparition subite et le développement des plantes poly-annuelles. Elles germent à l'abri des autres végétaux, profitent de leur protection et de leur ombrage. Elles vivent ignorées pendant une ou plusieurs années. Elles amassent lentement des sucs nourriciers qui restent emmagasinés dans leurs racines ou dans leurs tissus, puis, tout d’un coup, elles élèvent avec une extrême rapidité des tiges fructifères et dominent un instant avant de périr tout à fait. Dans ces végétaux, le dernier effort coùte la vie, et c’est aussi leur seul instant d'énergie. Ils parviennent ainsi à peupler de leurs graines de vastes espaces, et ces germes éclos ou engourdis peuvent attendre longtemps que les plantes qui leur dispu- tent le terrain, leur permettent enfin de saisir l'occasion favorable de se montrer de nouveau. Les eaux elles-mêmes ne sont pas exemptes des luttes continuelles de la végétation ; les plantes aquatiques forment souvent des groupes distincts et éloignés sur les lacs et les étangs. Le Polygonum amphibium,le Nymphæa alba, choi- sissent chacun un espace resserré, se tiennent d’abord à de grandes distances, et se rapprochent peu à peu par l’exten- sion de leurs rhizomes dans la vase. Il n’est pas rare de voir des groupes nombreux et toujours séparés de ces deux es- pèces. Mais si elles arrivent à se joindre, le combat com- mence, et presque toujours l’une des deux succombe au bout de quelques années. On connaît , au contraire, d’autres es- pèces qui vivent en bonne intelligence, mais à la condition qu'il n’existera pas entr’elles de concurrence possible. C’est ainsi que l’on voit, dans les eaux stagnantes , les diverses espèces de Lemna pénétrer jusque dans les échancrures que laissent entr’eux les lobes des feuilles flottantes du Ranun- lus sceleratus. Mais celle-ci a ses racines dans la vase, le Lemna laisse flotter les siennes dans l’eau. Elles n'ont à 302 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. s’envier qu'une place au soleil, et le Lemna, trop faible pour envahir une surface occupée par une espèce vigoureuse, se contente des vides abandonnés qu’elle envahit aussitôt. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit des plantes parasites. Elles vivent, comme on le sait, sur d’au- tres végétaux , et se nourrissent de leur sève, comme le guy, les Loranthus, les Cytinus, etc. Elles finissent quel- quefois par faire succomber la plante qui les nourrit. Pour- tant elles semblent y mettre une sorte de discrétion, et le combat n’est pas tellement inégal que la plante qui supporte et qui nourrit ne puisse vivre pendant longtemps. En effet, ces parasites n’occupent qu'une partie restreinte de l’arbre sur lequel ils sont entés. Puisque l’on doit considérer un arbre comme un assemblage de nombreux individus , le parasite n’affecte qu’une portion de la colonie et les autres parties, en rapport indirect, en sont quittes pour envoyer à la portion envahie une petite part d’alimentation; elles concourent ainsi à soulager le point attaqué, à maintenir la vie, à arré- ter l'épuisement. Parmi les fausses parasites, le lierre est la plante la plus importante. Mais elle s’attache indistinctement aux mu- railles comme aux arbres des forêts, elle est loin d’avoir la vigueur des lianes des tropiques, qui enlacent et serrent si fortement les arbres qu’elles les étouffent, et que l’on peut souvent trouver encore le bourreau verdoyant sur les débris presque consumés de la victime. Ces tiges grimpantes ser- rent si fortement le tronc des arbres qu’elles finissent par pénétrer dans l’intérieur, sans cependant se confondre avec le bois de leur support qui périt par les contractions de la plante grimpante dont il augmente constamment l'effet par son développement en diamètre, Mais les plantes dans leurs guerres ne se contentent pas COMBATS ET CONQUÊTES. 303 de’lutter, elles s’étouffent quand elles peuvent, et ga- gnent ainsi du terrain qui devient alors leur propriété exclu- sive. Nous voyons tous les jours ces combats dans nos bois, Une espèce y domine, son ombre se développe, ses rameaux feuillés forment des dômes qui s’étendent et reçoivent direc- tement la lumière vivifiante du soleil. Au dessous d’eux règne une ombre mystérieuse, mortelle pour les arbres plus jeunes qui cherchent à atteindre.les plus anciens. La conquête est consommée ; l'air et la lumière appartiennent aux vain- queurs , l’étiolement et les ténèbres aux vaincus. Ici comme ailleurs, des espèces faibles ou rampantes se contentent de la faible part que leur abandonne le conqué- rant. Elles se réfugient sous sa protection et vivent à con- dition de rester soumises et de ne pas chercher les grandeurs; mais que l’homme se présente avec toute sa puissance de destruction , qu'il porte la mort dans ces forêts séculaires , et les conquérants tomberont à leur tour. Leurs protégés ne pourront supporter l'éclat du soleil, ils périront brülés par ses feux, tandis que les germes patients, engourdis sous les dé- bris amoncelés et ensevelis sous des ruines, paraîtront tout à coup, et, semblables à ces pirates qui profitent d’une dé- faite ou d’un malheur, ils se hâteront de prendre posses- sion d’un sol abandonné. Nous ne faisons que rappeler ici le phénomène de l’alternance que nous avons étudié ailleurs. Quand les plantes ne combattent pas par l'agression, c’est par la résistance et la force d'inertie. Le nombre entre pour beaucoup dans leur puissance, et l’on voit les plantes sociales qui couvrent les steppes , les savanes et les landes, serrées en nombreuses phalanges, résister à l’envahisse- ment des autres espèces, et c’est par accident ou par une sorte de ruse que quelques plantes étrangères apparaissent dans les clairières qu’elles laissent un instant dégarnics. 304 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGÉTATION. Mais parmi celles qui vivent ensemble et qui cherchent à dominer sur un même terrain , on distingue des groupes qui serrent leurs individus, qui s'étendent peu à peu et semblent se protéger. Il est rare qu'un mélange intime se présente. Là ces espèces profitent des moindrés avantages du terrain. Un peu d'humidité donne à une espèce assez de vigueur pour vaincre et détruire sa voisine sur un point; un léger changement dans la nature physique ou chimique du sol, insensible pour nous, devient pour une autre espèce une chance de succès dont elle s’empresse de profiter. En Corse, le Genista Salzmanni lutte avec énergie contre le G. cor- sica. Le premier pressé de toutes parts sur les sables marins, parait s'étendre peu à peu et chasser le G. cor- sica. Ul semble qu'il y ait répulsion entre ces deux espèces qui voudraient partager le même sol. Près de Pontaumur, sur le plateau central de la France, il y a lutte active entre trois bruyères. L’Erica Tetralix et l'E. cinerea viennent de l’ouest combattre le Calluna vul- garis. Elles se rencontrent sur le même terrain, à de petites distances. Il y a des groupes entièrement séparés. Sur quel- ques points , comme si la bataille était réellement engagée, les plantes sont mélées et puisent en commun leur nourri- ture dans le même terrain, jusqu’à ce que l’une d’entr’elles vienne à succomber. Sur les points dont nous parlons , on peut suivre non-seulement les mouvements des parties bel- ligérantes , mais déterminer la marche des colonnes, leur point de départ et leurs chances variées. L’Ærica Tetralix vient de l’ouest de la Creuse, où elle est répandue , l’Erica cinerea suit la même direction et envahit aussi par le nord. Le Calluna vulgaris règne seul sur les plateaux du Puy-de- Dôme et s’avance ici d'Orient en Occident. L'une cherche à étendre vers l’ouest son aire géographique , les deux COMBATS ET CONQUÊTES. 305 autres , éloignées par une cause inconnue de terres qui con- viennent aussi à leur développement , s’avancent lentement vers ces régions nouvelles et se propagent vers l'Orient. Or, on trouve donc, à peu de distance, leurs camps séparés, plus près, leurs corps de réserve, et, dans la vallée de Pontaumur, le contact et le champ de bataille. Déjà l’Erica cinerea a gagné du terrain ; plus robuste que l’£. Tetralix, pouvant habiter un sol plus sec et moins marécageux, elle avance de qua- tre lieues au delà de l’Æ. Tetralix, et montre à Pontgibaud ses épis purpurins dont l'éclat efface la bruyère commune qui domine encore autour d'elle. Les luttes végétales ne se terminent pas comme celles des hommes et des animaux, par le gain décisif d’une bataille : elles traversent de nombreuses générations; elles ne se renouvellent pas comme les nôtres; mais, soumises à. des lois plutôt qu'à des caprices, indépendantes des haines nationales et de l’ambition des conquérants, elles poursui vent leurs envahissements séculaires , détruisent leurs indi- vidus ou les forcent à vivre en commun, nous montrant tou- jours ce phénomène d'extension illimitée, qui souvent aussi est le droit du plus fort. Quand l’homme veut à son tour chasser ces végétaux qui, par droit de conquête, se sont emparés des terrains, il trouve une résistance proportionnée au nombre des individus qu'il veut attaquer. Il parvient à les détruire et à y substituer ses plantes de prédilection; mais il faut qu’il garde ses fron- tières. Les populations repoussées tendent à reparaître avec une constance inébranlable ; elles s’avancent lentement dans les possessions qui leur ont été ravies, et montrent cette per- sévérance des races sauvages à rentrer dans les domaines qu’elles ont reçus des mains du Créateur. Ainsi nous avons vu le Carlina Cynara et le Carlina acanthoides , rester dans 1Y 20 506 ENVAHISSEMENT DE LA VÉGETATION. des moissons et vivre au milieu des blés, près des bleuets et des coquelicots. Nous avons vu. l’Arundo Phragmutes envahir des champs de garance cultivés depuis plusieurs années , et le Pteris aquilina s'établir dans des lieux que le colon avait soumis à ses cultures, et qu’il n’avait jamais abandonnés. Les peuples agriculteurs finissent cependant par sou- mettre les plantes sauvages et quelquefois par les civiliser. Ils y parviennent surtout dans les contrées où le climat donne à l’homme l’énergie vitale qu’il refuse aux végétaux. Mais sous la zone torride, où l'habitant «est énervé par la chaleur et la tiédeur humide de l'air qu'il respire, où les plantes se développent avec une vigueur inconnue partout ailleurs , ses efforts deviennent inutiles ; les espèces sau- vages se renouvellent si rapidement, tant de germes engour- dis remplacent immédiatement les espèces vaincues , que la lutte est inégale ; et ces espèces qui cherchent entre elles les moyens de se détruire et de se surpasser, résistent ensem- ble à l'ennemi commun. Rien n’égale la puissance de végétation qui se manifeste dans les régions chaudes de la terre, quand l’eau peut humecter le sol et suffire à l’alimentation de tous ces groupes de plantes. Les arbres les plus volumineux, les lauriers, les gigantesques Hymenœæa et tous ces beaux arbres des forêts de la zone torride , ne sont pas exposés comme les nôtres à tomber sous la hache du bücheron. Ils datent leur âge des dernières révolutions du globe, et servent de supports à ces brillantes orchidées et à ces lianes envahissantes qui essaient en vain de triompher de leur vieillesse, en étouffant leurs supports. Des bambous, des rotangs au feuillage aérien et aux tiges épineuses , défendent de puissantes aroïdes aux larges feuilles. Les plantes sont si serrées , que le fer peut COMBATS ET CONQUÊTES. 307 à peine s’y frayer un passage, et le feu s’éteint sous les voûtes de verdure où l’air extérieur ne peut venir l’alimen- ter. Et pourtant ces végétaux sont en lutte continuelle ; le fort cherche à éloigner le plus faible pour s'emparer du sol qu'il possédait ; les générations se succèdent, et leur lutte éternelle efface en un instant les débris de la mort qui ne fait pas assez tôt place à la vie et à la succession des individus. Témoins de ces silencieux combats de la végétation , les oiseaux colorés voltigent au milieu des combattants , ils s’ébattent sur la cime du palmier qui monte au-dessus de la forêt , et se disputent dans les épais fourrés où l’homme ne peut s’interposer ni dans leurs querelles ni dans leurs amours. Ces heureuses contrées offrent à l'espèce humaine des fruits , des moelles farineuses , des aliments variés , des tissus et toutes les matières nécessaires à son existence ; mais elles ne permettent pas qu'il anéantisse la source de tous ces biens. La nature tend à rester dans son état pri- mitif, et si, dans les pays situés au delà des tropiques , elle nous a livré deux larges zones tempérées, elle veut que l’homme des régions équinoxiales reste inaperçu au milieu des richesses dont elle a doté la terre. 308 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION, CHAPITRE L. DE LA RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION SUR LA TERRE: $ 1. RÉGIONS BOTANIQUES. La terre, couverte de sa végétation, ne présente pas sur tous les points les mêmes tableaux ni le même aspect. L'influence des climats et des stations, celle de la dissémi- nation primitive, se font sentir d’une manière plus ou moins absolue , et viennent rompre cette uniformité qui serait le résultat forcé de causes essentiellement semblables. Aussi, malgré les rapports, malgré le parallélisme des espèces et des genres dont nous avons rapporté de si curieux exemples, personne ne confondra la végétation du Cap-de-Bonne-Es- pérance, avec celle des Antilles; celle des Canaries avec celle de l’Angleterre. Personne ne confondra l'aspect d’une contrée animée par des palmiers et des balisiers, avec celui des vastes régions de l'Amérique du nord. Flore peut dis- poser d’un grand nombre de couronnes, et partager notre planète en vastes royaumes où règnent en maîtres ses races privilégiées. Les voyageurs qui ont parcouru la terre ont déjà cherché à reconnaître les limites des grands états de la déesse des fleurs, mais, semblables aux anciens géographes qui con- fondaient ce qui leur était peu connu, leurs efforts, jusqu’à ce jour, n’ont pu donner encore des résultats certains. L'histoire des plantes n’a pas, comme celle des peuples, RÉGIONS BOTANIQUES. 309 ses annales plus où moins mensongères , où la vérité peut quelquefois jaillir de l'erreur; tout reste encore dans l'obscurité la plus profonde , et ia géographie botanique, qui date à peine de quelques années, marque avec peine quelques jalons sur les routes ténébreuses suivies par les an- ciennes peuplades de végétaux dans leurs conquêtes et dans leurs migrations. Déjà, à plusieurs reprises , la terre a changé d'habitants; l’ancienne végétation, bien plus uniforme que celle d’aujour- d'hui, s’étendait d’un pôle à l’autre sous l'influence d’une température élevée et constante; plus tard, les plantes, comme les animaux , se sont localisées , elles se sont parta- gées la terre, soumise à l'influence des latitudes, du sol et des saisons; ainsi se sont formés ces empires où règnent les grandes familles des végétaux. Leurs himites, indécises pour nous, le sont aussi dans la nature ; les sujets d’un royaume ont pu voyager dans les contrées voisines , les traverser s'ils n’y rencontraient pas d'obstacles , s'établir et se propager à de grandes distances : si les conditions biologiques ne s’opposaient pas à leur dé- veloppement. Ainsi nous voyons les peuples émigrer de leurs propres contrées, pénétrer dans des empires étrangers , s’y fixer en acceptant les lois qui les régissent, ou s’y établir en détrur- sant leurs premiers habitants. L'histoire des plantes nous offre les mêmes phasés et les mêmes rapports. Nous retrouvons au loin des sujets dissémi- nés de lointains royaumes , nous trouvons ailleurs leurs co- lonies fixées depuis longtemps , et nous voyons encore de nos jours des luttes acharnées, où la patience et les efforts des espèces envahissantes finissent par triompher de la ré- sistance des premiers possesseurs. 310 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Ailleurs, ce sont des migrations parties de points oppo- sés, qui se rencontrent sur une terre étrangère à leur nais- sance ; elles se heurtent, combattent longtemps et presque toujours finissent par se mélanger sur un sol qu’elles sont forcées de partager. Des difficultés sans nombre viennent arrêter l'historien * qui cherche l’origine des peuples et la trace de leurs premiè- res migrations ; combien sont plus grands encore les obs- tacles que trouve le botanisie géographe , quand il cherche à pénétrer ces grands mystères de l'extension des espèces et à retrouver le berceau d’où elles sont parties. Ces difficultés ne doivent point le rebuter ; souvent, dans l'étude de la nature, nous sommes réduits à des considéra- tions relatives, au lieu de préceptes absolus, à des analogies au lieu d’identités, à des soupçons plus ou moins rappro- chés de la certitude. Nous poursuivrons avec courage une tâche difficile, nous la restreindrons à une localité circonscrite dont nous con- naissons les éléments, et nous laisserons une ébauchequi plus tard pourra s'améliorer, à mesure que les notions qui nous manquent viendront s'ajouter à celles que nous avons pu re- cueillir. Afin de rattacher notre sujet à l’ensemble de la végéta- tion, nous allons d’abord jeter un coup d’æil sur les prin- cipales formes végétales qui décorent la terre ; nous verrons ensuite auxquelles des contrées végétales appartient le plateau central de la France. Nous rechercherons par quels moyens d'investigation nous pouvons reconnaître le centre de création d’une espèce et ses migrations. Nous terminerons par l’application de ces principes à la végétation du plateau central. On nous pardonnera sans doute l'imperfection d’un tel RÉGIONS BOTANIQUES. 311 travail en songeant à ses difficultés, en se rappelant que nous entrons dans une voie qui n’a jamais été tracée , et où nous avons seulement la présomption de pénétrer sans penser que nous puissions Jamais nous-mêmes en aplanir les diffi- cultés. M. Schouw , le savant professeur de botanique de Co- penhague, a publié, dans le t. viir du Linnea, un travail re- marquable sur l’ensemble de la végétation du globe, et nous ne pouvons mieux faire, dans l’esquisse que nous allons tra- cer, que de rappeler et de suivre les divisions qu'il a propo- sées, ou ses régions Phyto-géographiques. Ce beau travail, tout incomplet qu'il doit être, servira de base aux grandes cartes botaniques ultérieures ; c’est une mappemonde dont les grands états se dessineront successi- vement à mesure que les voyageurs continueront de parcou- ir la terre, en observant les formes végétales et les grands traits qu’elles impriment au paysage. Ce n’est pas toutefois d’une manière arbitraire que M. Schouw a établi ses régions botaniques; des principes géné- raux l'ont guidé, ettrois considérations principales ont servi de base au tableau général qu’il nous a offert. La première de ces considérations est que la moihé au moins des espèces qui croissent sur une étendue déterminée, soient particulières à celle région. La seconde, que le quart des genres dans lesquels les es- pêces sont réparties soit propre aussi à celle même région , ou du moins que si quelques espèces de ces mêmes genres se trouvent disséminées dans des contrées étrangères, celles-ci ne soient que des raretés , tandis que la majeure partie des espèces qui les composent existent dans la région. La troisième, c’est que des familles particulières appar- 312 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. tiennent à cette région, ou du moins qu’elles y dominent d’une manière décidée. On voit ici combien la classification des plantes par fa- milles naturelles facilite les études de géographie botanique. Sans cet admirable groupement des plantes qui out des rap- ports entr’elles , on serait bien loin encore de pouvoir éta- blir quelques points de repère dans les recherches intéres- santes relatives à la distribution primitive des végétaux. Nous allons dire seulement quelques mots des 25 régions ou royaumes établis par M. Schouw, régions qu'il a souvent désignées par le nom des familles dominantes, quelquefois, faute de données suffisantes, par des noms géographiques , et qu'il a eu l’heureuse idée de dédier aux botamistes cé- lèbres qui ont illustré ces régions par leurs voyages et leurs écrits. I. Région des mousses et des saxifrages. Région arctique et alpine. — Région de Wahlenberg. Cette région comprend les pays circumpolaires, depuis la limite des glaces jusqu’à celle des arbres, c’est-à-dire qu’elle s’avance, en Scandinavie au 70° parallèle , au 68° en Asie et au Kamschatka, et au milieu de l'Amérique septentrio- nale au 58° dans le Labrador, dans les îles polaires, le Groënland, l'Islande, etc., jusqu’au 600. Comme l'élévation des lieux vient en compensation de la latitude , nous retrouvons les caractères de cette région arc- tique sur les sommets des hautes montagnes , partout où il existe des neiges éternelles et des glaciers. Telles sont les plus hautes régions des montagnes de l’Europe , de l'Asie septentrionale et probablement aussi de l’Amérique du Nord. RÉGIONS BOTANIQUES. 313 Elle s'étend, sur l’échelle verticale, depuis la limite des mers jusqu’à celle des neiges. C’est, pour le nord de la Scandinavie , de 500 à 1,000 mètres; pour le sud, de 1,160 à 1,700 mètres ; pour les Carpathes , de 1,500 à 2,700 ; pour les Alpes, du côté septentrional, de 2,200 à 2,600 ; du côté méridional , de 2,160 à 2,860. Cette li- mite est, pour les Pyrénées, de 2,160 à 2,600 sur le côté nord et de 2,300 à 2,860 pour le côté sud. L’Apennin porte cette limite de 2,000 à 3,000 mètres , en raison de sa latitude ; le Caucase de 1,800 à 3,300 ; l’Altai de 2,000 à 2,300. Et des limites différentes existent encore dans les montagnes de la Grèce, le Balkand et la Sierra-Nevada. La température moyenne de cette région est, pour la partie polaire, de — 20 cent. pour l'hiver et de + 5° pour l'été, et pour la région alpine de — 6,5 en hiver et de+2,4 en été. Les formes caractéristiques de cette grande région végé- tale, celles qui dominent au milieu d'autres végétaux appar- tiennent surtout aux genres Ranunculus , Arabis, Draba, Arenaria, Dryas, Potentilla, Saxifraga , Rhododendrum, Azalea, Gentiana, Pedicularis, Salix, plus d'immenses tapis de mousses et de lichens. Quelques genres appartiennent plus spécialement à la sous-région polaire. Ce sont surtout les Coptis, Eutrema, Parrya , Diapensia, Andromeda, Ledum. D'autres se plai- sent dans la sous-région alpine ; ce sont les Cherleria, Cam- panula, Phyteuma, Primula, Aretia, Soldanella. La plupart des végétaux de ces contrées sont des plantes vivaces, basses, avec de grandes fleurs aux gracieux coloris, qui décorent l’été de ces froides contrées. Les arbres n’exis- tent pas; des plantes sociales, en individus excessivement nombreux, couvrent de vastes étendues. 51% RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Des arbrisseaux et des arbustes sont les seuls représen- tants de la végétation arborescente ; les uns s’approchent des pôles et les autres s'élèvent sur les montagnes. Parmi les premiers se trouvent : Betula nana , Salix la- nata, S. fusca , S. Lapponum, S. reticulata, S. arctica, S. herbacea, Rubus chamæmorus, Empetrum nigrum, An- dromeda hypnoides, A.tetragona, Arbutus alpina, À. Uva ursi, Azolea procumbens, Rhododendrum lapponicum, Menziezia cærulea. | Parmi les seconds : Juniperus nana, Alnus viridis, Salix reticulata, S. herbacea , Rhododendrum ferrugineum , R. hirsutum , R. caucasicum , Vaccinium Myrhllus, V. uligi- nosum , Azalea procumbens , Arbutus alpina, À. Uva ursi, Empetrum nigrum. On voit que les mêmes espèces croissent en même temps près des pôles et se retrouvent sur les hautes montagnes. Nous avons inscrit en italique les genres et les espèces qui appartiennent à notre flore. Quelques plantes ne végètent que très-près de la région des neiges. Telles sont : Ranunculus glacialis, Saxifraga op- positifolia, Silene acaulis, qui viennent indistinctement dans les deux sous-régions polaire ou alpine. D’autres espèces, au contraire, affectionnent l’une ou l’autre de ces deux genres de localités. On trouve, près des neiges polaires : Agrostis algida, Ra- nunculus hyperboreus, R. mvalis, Saxifraga rivularis, S. cernua, S. nivalis, Papaver nudicaule, Draba alpina, Lych- nis apetala, Diapensia lapponica. Près des-neiges des montagnes : Saxifraga doi L bryoides, Cherleria sedoides, Aretia helvetica , A. alpina, Draba nivalis, Petrocallis pyrenaica, Arabis bellidifolia, Myo- sotis nana, Gentiana nivalis, Achillæa nana, Linaria alpina, RÉGIONS BOTANIQUES. 315 Une seule de ces espèces appartient à notre circonscrip- tion, qui se rattache cependant par quelques caractères à la région qui vient de nous occuper. Aucune espèce de culture n’est possible M ces con- trées glacées ; la terre y est couverte de plantes peu élevées, à racines traçantes et vivaces , à souches entourées de dé- bris, abnitées sous les restes entassés des feuilles desséchées, et cachées, l'hiver, sous une couche puissante de neige. Des terres couvertes du Bæomices rosea s'étendent à perte de vue ; d'immenses marais , cachés sous les touffes vertes ou rougissantes des Sphagnum, deviennent la retraite de nom- Preuses légions d'oiseaux , qui fuient les chaleurs de la zone tempérée. Les Splachnum rubrum et S. luteum décorent ces solitudes de leurs élégantes collerettes colorées ; le Salix lapponum y forme des forêts en miniature , et, près de ses buissons aux feuilles soyeuses, au milieu des Carex aux raci- nesenlacées, on voit s’élever les épis laineux de l’Eriophorum capitatum , dont le vent fait osciller les aigrettes argentées. Un soleil pâle et sans vigueur éclaire sans interruption cette végétation polaire, que les brumes du nord viennent sans cesse humecter. Le printemps et l’été s'y confondent en quelques jours de lumière, pendant lesquels la nature se pare comme en ses jours de fête pour nos climats , et quel- ques espèces, égarées de la région que nous allons décrire, bravent pendant peu d’années la rigueur de ces terres inhospitalières. IL. Région des ombellifères et des crucifères. Région du nord de PEurope et du nord de l'Asie. — Région de Linné. Cette région est probablement la plus vaste de toutes celles qui-sont connues. Il n’est, en effet, aucune partie de 316 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. la terre qui offre des conditions aussi analogues sur une aussi grande superficie. C’est donc celle qui a le plus d’im- portance et celle que nous devons le mieux connaître, puisque notre flore presque entière en fait partie. Cet espace im- mense comprend l’Europe presque entière, à l'exception des parties qui confinent à la Méditerranée. Elle comprend le nord de l’Asie, depuis la limite méridionale de la région précédente jusqu'aux Pyrénées, aux Alpes, au Balkan, au Caucase, à l’Altaï, à la Dahurie, et de plus la zone moyenne des montagnes du sud de l’Europe. Sa température moyenne est de — 2,5 pour l’hiver et de + 14 pour l'été. C’est là que prédominent surtout nos familles européennes et asia- tiques , dont les espèces se retrouvent, il est vrai, dans presque toutes les parties du monde, mais qui sont tellement abondantes dans nos climats, qu’elles l’emportent sur tous les autres végétaux. On y distingue de nombreuses renon- culacées, aux grandes fleurs et aux couleurs brillantes , des crucifères , dont la floraison commence dès les premiers beaux jours. Plus tard ce sont des ombellifères, qui, sous un type uniforme, varient à l'infini leurs genres et leurs espèces. La grande famille des cypéracées, celle des graminées et celle des joncées, acquièrent, dans cette région , une extension considérable ; des cynarocéphales et des chicoracées fleuris- sent tardivement dans ses plaines et sur ses montagnes, et colorent de leurs fleurs jaunes ou purpurines des espaces qui paraissent sans limites. De riantes prairies s’étendent dans toutes les vallées, cou- vrent les plateaux et cachent les pentes des montagnes. Des plaines sans fin sont couvertes de Bruyères, et là, comme dans la région précédente, ces plantes sociales vivent en phalanges serrées dont le nombre est indéfini. Ailleurs, le sol, encore imprégné de matières salines, ali- RÉGIONS BOTANIQUES. K à à mente des plantes charnues, à la sève salée , telles que les Atriplex , les Salsola , les Salicornia, etc. Si ces espèces n'étaient pas enclavées au milieu des autres , elles devraient former une région tout-à-fait distincte. De grandes forêts, où dominent les conifères et les amentacées, caractérisent aussi cette région linnéenne. Les Pinus sylvestris, P. cem- bra, P. sibirica, P. Pinaster, Abies excelsa, A. pectinata, conservent toute l’année leur feuillage, ainsi que le Junipe- rus communis répandu dans la région entière. Le Larix eu- ropæa s’y montre dans les points les plus froids. Les forèts à feuilles caduques, cette parure de la terre quand le prin- temps vient développer leurs feuilles d’un vert tendre, quand l'automne varie les teintes de leur feuillage, sont abon- dantes dans toute la région. On y distingue : Betula alba, Alnus glutinosa, À. incana, Fagus sylvatica, Quercus pedunculata, Q. sessiliflora, Carpinus Betulus, Castanea vesca, Salices variæ, Populus Tremula, P. nigra, Cori- lus Avellana, Ulmus campestris, U. montana, Calluna vul- garis, Sarothamnus vulgaris, Prunus spinosa, Sorbus Aucu- paria, Acer pseudo-Platanus, À. platanoides, À. campestre, Tilia platyphylla, T. microphylla, etc. De nombreuses cul- tures se présentent de tous côtés, mais il nous suffit d’avoir esquissé le fond de la végétation spontanée. INT. Région des labiées et des caryophyllées. Région de la Méditerranée. — Région de De Candolle. Bien moins étendue que la précédente , cette région en- toure toute la Méditerranée. Cette mer, ou plutôt les îles qui s’y trouvent disséminées, en occupent le centre. Elle est limitée au nord par les Pyrénées , les Alpes, le Balkan, le Caucase ; au sud par l'Atlas et les déserts de l'Afrique sep- tentrionale ; à l’orient par le Taurus. 318 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Sa température moyenne annuelle est de + 13 ou + 4 en hiver , et + 22 en été. Là, sous un ciel pur et sous cette douce température, se | développent en abondance les types variés des labiées et des caryophyllées. On voit les cistes décorer tous les coteaux; les boraginées et les liliacées y dominent ; des genres nombreux ou brillants , tels que : Adomis, Nigella, Trifolium, Medi- cago, Genista, Cytisus, Scabiosa , Anthemis , Achillea, Verbascum, Narcissus , sont représentés par de belles es- pèces et de nombreux individus ; mais si les légumineuses augmentent, les familles dominantes de la région précédente vont au contraire en diminuant. La nature sèche du sol nuit au développ2ment des cypéracées, tandis que la tempé- rature élevée appelle les représentants des quelques groupes tropicaux. Déjà quelques palmiers se présentent ainsi que des térébinthacées et des laurinées, et l’on voit aussi de très- grandes différences en plus dans le nombre des malvacées, des . solanées, des euphorbiacées, et de ces types qui disparaissent vers les pôles, tandis qu'ils augmentent constamment en marchant vers la zone torride. ù Dans cette région les prairies n’existent plus ou elles ont perdu leur fraîcheur; le froid de l’hiver n’arrête pas la végé- tation qui est continue. Les bois n’ont pas cette fraiche ver- dure qu'ils nous offrent dans la région précédente ; ils sont composés de conifères et d’autres espèces, dont les feuilles dures et coriaces persistent souvent pendant l'hiver. Voici la liste des principales espèces qui en composent la végétation arborescente. Pinus Pinea, P. Pinaster, P. halepensis, P. laricio; Cu- pressus sempervirens ; Juniperus phænicea, J. macrocarpa; Quercus Cerris, Q. pedunculata, Q. sessiliflora, Q. Ilez, Q. Suber, Q. Ægylops, Q. coccifera , Q. infectoria ; Casta- RÉGIONS BOTANIQUES. 319 nea vesca ; Alnus cordifolia; Corylus coturna; Ostrya vul- garis; Acer monspessulanum, À. neapolitanum; Pistacia Terebinthus, P. lentiscus; Ceratonia siliqua ; Cercis Siliquas- trum ; Sarothamnus vulgaris; Mespilus pyracantha; Prunus lauro-cerasus ; Tamarix gallica, T. africana : Myrthus com- munis; Punica Granatum; Viburnum Tinus; Arbutus Unedo; Erica arborea, E. scoparia ; Rhododendrum pontieum , R. maximum ; Cistus; Phyllyrea latifolia, P. angustifolia ; Ornus europæa , ©. rotundifolia ; Nerium oleander ; Rosma- rinus officinalis; Ephedra distachia ; Chamærops humilis ; Ruscus aculeatus ; Smilax aspera ; Tamus communis. On voit que les espèces ligneuses augmentent progressi- vement et qu'un grand nombre même appartient à notre flore du plateau central. Mais ici cessent les rapports de notre circonscription avec les autres régions botaniques du globe ; c’est dans les trois royaumes de Valhenberg, de Linné et de de Candolle, que nous devons chercher les éléments de notre flcre, heureux si sous le patronage de ces princes de la science, nous pou- vions trouver encore quelques fleurons à ajouter à leurs immortelles couronnes. Nous continuerons cependant à indiquer les grandes ré- gions du professeur Schouw, mais sans nous étendre comme nous l'avons fait sur les trois premières, qui avaient un inté- rêt tout Spécial pour nous. VI. Région des Aster et des Solidago. Région septentrionale de l’Amérique du nord. — Région de Michaux. Elle comprend l'Amérique septentrionale , depuis la i- mite de la première région jusqu'au 36° degré. Température moyenne, — 10 en hiver, + {2 en été, 320 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Plus de conifères et d’amentacées que dans la rég. 11. Peu d’ombellifères et de crucifères, de chicoracées et de cynarocéphales, beaucoup d’arbres et d’arbrisseaux. El ÿ à souvent identité entre les genres de cette grande région et ceux qui appartiennent à notre flore. V. Région des Magnolia. _ Région méridionale de l'Amérique du nord. — Région de Pursch. Elle est formée par toute la partie de l'Amérique du nord comprise entre les 36 et 30 de latitude septentrionale. Température moyenne, + 15 en hiver, + 22 en été. Il existe déjà des rapprochements avec la végétation des tropiques , par la présence de cannées , de palmiers, de ci- cadées , de laurinées, de cactées, etc. I y a peu de labiées, de caryophyllées, d’ombellifères, de crucifères, de chicoracées , de geraniées, peu d’espèces des genres Aster et Solidago. On y trouve des arbres à feuilles larges , luisantes et à grandes fleurs. Un certain nombre de genres de cette région, ont aussi des représentants dans notre flore. VI. Région des Camelia et des Celastrinées. Région Chinoise et Japonaise. — Région de Kempfer. Le Japon et le nord de la Chine, du 30 au 40 degré de latitude septentrionale. Température moyenne de l'hiver, + 19; de l'été, + 20. Cette région est caractérisée par les theacées, le thé et le camélia, des magnoliacées, des Ilex, des Daphne, des lau- rinées, et par un assez grand nombre de plantes à feuilles ver- tes, coriaces et persistantes. Un grand nombre de genres sont RÉGIONS BOTANIQUES. 321 les mêmes que les nôtres et offrent des espèces tout à fait parallèles. VII. Région des Scitaminées. Région Indienne. — Région dé Roxburgh. Elle comprend les deux presqu'iles de l’Inde , jusqu’à une élévation de 1500 mètres , et l’île de Ceylan. La température moyenne del’hiver est de + 19, et celle de l'été de + 27. | De nouvelles familles tropicales paraissent dans ce beau climat, et celles des autres régions chaudes deviennent plus nombreuses. Les palmiers, les cycadées, les scitaminées. les aroidées , les artocarpées donnent à la contrée un ca- ractère totalement étranger. Les urticées, les euphorbia- cées, les laurinées , les convolvulacées s’y montrent en plus grand nombre, et l’on y voit figurer en abondance les bignoniacées, les apocinées, les légumineuses, les térébin- thacées, les méliacées, les gutlifères, les sapindacées, les butt- neriacées et les malvacées. Beaucoup d'espèces de ces familles sont arborescentes, et constituent de beaux arbres toujours verts. Nous voyons, au contraire, les arbres de nos climats dis- paraître ; les comfères et les amentacées n'ont plus de repré- sentants que dans les montagnes; les cyperacées fuient les régions chaudes ; les labiées, les boraginées , les synanthé- rées , les rosacées y sont moins abondantes. Les crucifères et les renonculacées n’y existent pas. L’abondance des plantes grimpantes, la multitude des pa- rasites , sont des caractères constants de la végétation tro- picale. iv 2 322 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Les rapports avec notre région sont complétement rom- pus, nous ne rencontrons plus les mêmes genres, à peine re- trouvons-nous un peu de parallélisme dans les familles. VIIT. Région émodienne. Région de Wallich. Ce sont les parties les plus élevées des Indes, les terres avancées des monts Himalaya , Kamoon , Nepaul, Boutan, exposées au midi , et élevées de 1,300 à 3,000 mètres. La température moyenne est de+ 20° pour l'hiver et de —+ 28° pour l'été. Le professeur Schouw a cru devoir, pour cette région, comme pour quelques autres encore peu connues, donner un nom géographique seulement, jusqu’à ce qu’on connaisse mieux les formes dominantes de la végétation. Là, on voit disparaître ou diminuer en nombre les types élégants des tropiques , tels que palmiers, cycadées, scita- minées ; il y a moins d’euphorbiacées, de solanées, de con- volvulacées, d’apocinées, de térébinthacées, de légumineuses, moins de malvacées et peu d’anonacées. Les fougères et les orchidées y sont abondamment répandues, mais un des carac- tères les plus curieux de cette région est de posséder pres- que toutes nos formes européennes, quelquefois même des espèces absolument identiques. Nous citerons parmi les fa- milles les cyperacées, amentacées, comféères, polygonées , primulacées, labiées, ericinées, chicoracées, ombellifè- res, rosacées, aceracées, caryophyllées, crucifères, re- nonculacées, et un nombre assez considérable de genres qui appartiennent à l'Europe et même au plateau central de la France. Nous pouvons donner les suivants comme RÉGIONS BOTANIQUES. 323 exemples : Rumex, Polygonum, Primula, Lysimacha , Rhododendrum , Andromeda, Potentilla, Rosa, Rubus, Pyrus, Prunus, Mespilus, Stellaria, Cerastium, Arena- ria, Aconitum, Ranunculus, Thalictrum, Allium, Paris, Plantago, Veronica, Rhinanthus, Pedicularis , Gentiana, Swertia, Campanula, Valeriana, Galium, Cor- nus, Viburnum. Les forêts de cette contrée ressemblent aux nôtres, et il est curieux de voir à l'extrémité de l’Asie et près de la vé- gétation tropicale des Indes , nos formes européennes se re- . produire de nouveau, et de voir la nature se répéter, en va- riant les détails, à une aussi grande distance. . IX. Région polynésienne. Région de Reinwardl. Les îles situées entre les Indes et la Nouvelle-Hollande, jusqu’à une élévation de 1,700 mètres au-dessus du niveau de la mer. La température moyenne est de + 19° en hiver et de + 28° en été. Le caractère de cette région est analogue à celui de la région indienne. La plus grande différence consiste en un plus grand nombre d’orchidées, et surtout d’orchidées para- sites, de fougères et de figuiers. Il existe un rapprochement très-marqué avec les formes de la Nouvelle-Hollande , tels que Melaleuca , Metrosideros, proteacées, Rafflesia, etc. Il y existe des forêts vierges formées principalement par des espèces de Ficus, des laurinées, des calamées, des bigno- niacées. Nous retrouvons à peine dans cette région quelques genres européens. 324 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. X. Région supérieure de Java. Région de Blume. Toute la portion de Java et des îles voisines dont le sol est au-dessus de 1,700 mètres. ; Cette région ressemble extrêmement à la région émo- dienne, et constitue peut-être avec elle une région unique. Les formes extratropicales viennent remplacer les formes de la zone torride. On y trouve des forêts de chènes au lieu de forêts de figuiers. Parmi les genres, le professeur Schouw cite : Plantago, Lysimachia, Veronica , Gentiana, Swertia, Vaccinium, Gaultheria, Virega, Thibaudia, Bellis, Galium, Saprosma ; et parmi les arbres caractéristiques, les genres : Podocarpus, Agathis, Quercus, Myrica, Cas- tanea , Lithocarpus, Engelhardtia, Viburnum, Sambucus, Hœmospermum , Mespilus. L’élévation compense ici la latitude, et sous l’équateur même nous retrouvons les formes auxquelles nos yeux sont habitués au centre de la France. XI. Région océanique. Région de Chamisso. Les archipels de la mer du Sud sous les tropiques. La température moyenne est + 23° en hiver et + 27° en été. La flore est pauvre, peu caractérisée, et se rapproche davantage de celle de l’Asie que de celle de l’Amérique ; elle a quelques points de contact avec celle de la Nouvelle- Hollande. On y voit des Casuarina, des proteacées, des RÉGIONS BOTANIQUES. 325 Dracæna, le Corypha umbraculifera, le Cupressus columna- ris, des Artocarpus, Embotrium , Coflea, Cassia, Mimosa, Vaccinium, Lobelia, Calophyllum, Clusia , Sterculia, etc. Cette flore compte à peine quelques genres de nos climats. XII. Région des arbres à Baume. Région de l’Arabie. — Région de Forskal. La partie montagneuse du sud-ouest de la presqu'île de l'Arabie. | Elle est caractérisée par des formes tropicales, le plus généralement indiennes ; elle a quelques points de contact avec la flore du sud de l’Afrique par ses Stapelia et ses Hæœmanthus. Les arbres et les arbrisseaux les plus abondants appartien- nent aux genres : Pandanus, Ficus, Avicennia, Cynanchum, Coffea, Balsamodendron, Opobalsanum, Sterculia, Grewia, Moœrua. XIIT. Région des déserts. Région de Delille. C'est le nord de l'Afrique, au sud de l'Atlas et de la Méditerranée, entre le 15° et le 30° degré de latitude, et la partie septentrionale de l’Arabie. La température moyenne est de + 22° en hiver et de — 29° en été. La flore en est extrêmement pauvre. Aucune famille ne la caractérise, aucun genre particulier ne s’y présente. M. Schouw y indique seulement les espèces suivantes : Pennisetum dichotomum, Phœnix dactylifera, Cucifera thebaica, Euphorbia mauritanica , Aerua tomentosa, Aca- 326 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. cia nilotica, A. arabica, A. gummifera, A. Senegal, Cassia obovata, C. Singueana, Ahlagi maurorum , Mimosa Habbas, Zizyphus Palma-Christi, Zygophyllum simplex , Z. album, Fagonia arabica , F. oudney. XIV. Région de l’Afrique tropicale. Région d’Adanson. Elle comprend l'Afrique, depuis le 15° degré de latitude septentrionale jusqu’au tropique du capricorne, en excep- tant l’Abyssinie, les pays élevés, vers le centre, et les régions imparfaitement connues. Température moyenne de l’hiver + 22, de l'été + 29°. La flore n’est riche ni en espèces ni en formes particu- lières ; les légumineuses , les cypéracées , les rubiacées, sont très-abondantes ; peu de palmiers, de fougères, de scita- minées, de pipéracées, de passiflorées. Parmi les genres caractéristiques : Adansonia, Anona, Napoleona, Parkia, Pterocarpus, Chrysobolanus, Conocarpus, Avicennia, Elais, Raphia , Pandanus, Phœnix. Aucun rapport avec notre végétation. XV. Région des Cactus et des pipéracées. Région de Jacquin. Elle comprend Mexico et l'Amérique du sud jusqu’à la rivière des Amazones, et jusqu'à une hauteur de 1,700 mètres au-dessus du niveau de la mer, depuis l'équateur jusqu’à 30° de latitude septentrionale. Température moyenne de l’hiver - 20°, de l'été + 28. Les groupes qui caractérisent le mieux cette région sont RÉGIONS BOTANIQUES. 327 les bromeliacées , les pipéracées, les passiflorées. On y voit de nombreuses familles tropicales, telles que : euphorbia- cées, convolvulacées, apocinées, rubiacées. Parmi les groupes qui habitent plus particulièrement les tropiques, quelques familles ne dominent pas comme dans les autres lieux situés sous la zone torride. Ces familles réduites sont les fougères, scitaminées , orchidées, myrtacées, légu- mineuses, thérébintacées, aurantiacées, tiliacées, malvacées. Déjà l'on voitentrer, dans la flore de cette région, des familles extra-tropicales dont les espèces deviennent plus abondantes. Telles sont les labices, éricinées, campanulacées, synanthé- rées, ombelliféres, crassulacées , rosacées, caryophyllées, crucifères et renonculacées. M. Schouw cite les genres suivants comme caractéristi- ques : Phytelephas, Kunthia, Galactodendron, Podopte- rus, Salpianthus, Russelia, Lagascea, Gronovia, Inga, Thoninia, Lacepedea, Theobroma, Guazuma. Cette région a quelques rapports très-éloignés avec notre flore, par la rentrée d’un grand nombre de nos familles dominantes. XVI. Région élevée du Mexique. Région de Bonpland. Tout le Mexique au-dessus de 1,700 mètres. Température moyenne, de l'hiver, + 15°; de l'été+21. Dès que l’on s’éiève, même dans les parties les plus chaudes de la terre, on voit les formes tropicales diminuer et s’éteindre. C’est ce qui a lieu dans notre région actuelle pour les fougères arborescentes , les palmiers, les pipera- cées , les euphorbiacées, les mélastomées, les passiflorées. Nous voyons au contraire reparaître nos familles euro- 328 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. péennes : Amentacées , conifères , labiées, boraginées, éri- cinées, synanthérées, ombellifères, rosacées, caryophyl- lées, crucifères, renonculacées , et dans ces mêmes famil- les se montrent aussi des genres identiques aux nôtres, et des espèces tout à fait parallèles à celles que nous connaissons. Nous citerons seulement les genres suivants : Salix, Quer- cus, Pinus, Cupressus, Salvia, Stachys, Marrubium, Pedi- cularis, Anchusa, Myosotis, Polemonium, Vaccinium, Ar- butus, Arctostaphylos, Valeriana , Galium, Cornus, Lonicera, Amygdalus, Mespilus, Rosa, Potenhlla, Arenaria, Draba, Anemone, Ranunculus. D’autres sont caractéristiques pour la région. Ce sont : Mirobilis, Maurandia, Leucophyllum, Hootzia, Dahlha, Zinnia, Schkuhria, Ximenesia, Lopezia, Vauquelinia, Choi- sya, Cheirostemon. XVIT. Région des Cinchona. Région de Humboldt. Elle comprend les Andes, entre le 20° parallèle méri- dional et le 5° septentrional , à une hauteur de 1,700 à 3,000 mètres. Sa température moyenne — + 15 en hiver et + 20 en été. A cette hauteur nous voyons encore revenir des familles . européennes : les graminées, les amentacées, les labiées, les éricinées; de très-nombreuses synanthérées, des caprifo- liacées , ombellifères, rosacées, crucifères et renonculacées. Et des genres européens tels que : Quercus, Salix, Sal- via, Stachys, Scutellaria, Anchusa, Myosotis, Swertia, Viburnum, Sambucus, Ferula, Ligusticum. RÉGIONS BOTANIQUES. 329 Au contraire, quelques formes tropicales s’éteignent ou deviennent plus rares ; cependant des espèces isolées de pal- miers, de piperacées, de cactées, de passiflorées et de melastomacées s'élèvent encore à une hauteur notable. Les genres les plus caractéristiques sont les suivants : Li- læa , Cervantesia, Oreocallis, Lachnostoma , Gaylussacia , Stevia, Flaveria, Tagetes, Espeletia, Cinchona, Guillemi- nea, Loosa, Vageneckia, Negretia, Perottetia, Dulongia, Laplacea, Freziera, Abatia, Monnina. XVIII. Région des Escallonia et des Calcéolaires. Région de Ruiz et Pavon. Ce sont les Andes , entre le 20° de latitude méridionale et le 5° de latitude septentrionale, à 3,000 mètres d’élé- vation. Température moyenne de l’année + 12. A une aussi grande élévation les formes tropicales ont presqu’entièrement disparu, ainsi que la végétation arbores- cente. Il reste cependant les genres Tillandsia, Oncidium, Peperonia, Rhexia, Passiflora. On voit revenir toutes les formes caractéristiques des zones froides, les lichens, les mousses, les ombelhfères , les genres : Carex, Luzula, Alnus, Rumex, Plantago, Gentiana, Swertia, Vaccinium, Campanula, Cacalia, Senecio, Valeriana, Saxifraga, Ribes, Rubus, Ilex, Alchemilla, Sagina, Arenaria, Ceras- tium, Stellaria, Draba, Arabis. Des Alnus, des Vaccinium, des Ribes, des [lex et de nombreuses graminées conduisent, comme sous nos climats, la végétation jusqu'à ses dernières limites. Cette région rappelle la première, celle des mousses et des saxifrages, mais elle en diffère par un caractère essentiel, c’est l’a- 330 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. bondance des synanthérées qui est loin d'exister près du pôle boréal. Les genres suivants sont caractéristiques pour cette ré- gion : Deyeuxia, Tigridia, Gardoquia, Calceolaria, Thibau- dia, Lysipoma, Barnadesia, Homanthis, Chuquiriga, Cul- cilium, Wernera, Dumerilia, Escallonia, Pectophytum, Klaprothia, Polylepis. XIX. Région des Indes occidentales. Région de Swartz. Elle ne comprend que les îles des Indes occidentales. Sa température moyenne est + 15 en hiver, + 25 en êtes La flore de cet archipel se rapproche de celle du conti- nent, mais s'en distingue principalement, comme celle de la Polynésie de celle des Indes, par la grande quantité de fougères et d’orchidées. Outre ces familles, les genres sui- vants appartienfènt aux formes caractéristiques : Thrinax , Epistylium, Alchornea, Tanaecium, Tetranthus, Catesbœa, Belonia, Portlandia, Picramnia, Legnortis, Lithophila, Va- lentinia, Hypelate. Parmi les végétaux les plus remarquables on peut citer : Cocos nucifera, Pinus occidentalis, Laurus, Melastoma, Sterculia, Uvaria. XX. Région des Palmiers et des Melastomées. Région de Marius. Le Brésil ou l'Amérique du sud , à lorient des Andes, entre l'équateur et le tropique du Capricorne. Température moyenne, + 15° en hiver, -+ 28° en été. RÉGIONS BOTANIQUES. 331 C’est [à que se trouve la plus belle végétation du monde entier. Le nombreet la variété des espèces sont infinis. Tantôt ce sont d’impénétrables forêts enlacées de lianes et couvertes de plantes parasites aux fleurs éclatantes ; la végétation ne s’y arrête Jamais, c’est la plus grande image de la vie que nous présente la terre; tantôt cé sont des bois moins élevés, appelés Catingas, dont la sécheresse fait tomber les feuilles, tantôt des champs étendus , appelés Campos , contrées ou- vertes et privées d'arbres. De brillantes familles dominent dans cette région. Telles sont : les palmiers, hæmodoracées, gesnériées, mélasto- mées, sapindacées, et les vochisiées qui lui appartiennent en propre. Des genres caractéristiques se montrent dans chacune des trois stations principales que nous avons indiquées. Dans les forêts vierges, outre les Palmiers : Thoa, Ficus, Gecropia, Anda, Rhopala, Myristica, Bignonia, Theophrasta, Oxyanthus, Psycotria, Bertiera, Carica, Myrthus, Gusta- via, Licythis, Bertholletia, Hymenæa, Dimorpha, Pilocarpus, Trichilia, Cedrela, Cupania, Banisteria, Luppocratea, Ca- ryocus, Clusia, Callophyllum, Sloanea, Gothea, Lebretonia, Abrosna, Carolinea, Bixa, Uvaria. Dans les Catingas : Satropha, Acacia, Mimosa, Cœsal- pinia, Spondias, Thryallis, Chorisia, Bombax, Eriodendron, Pourretia, Capparis, Anona. Et dans les Campos : Amarillis, Alstræmeria , Vellosia, Barbacenia, Burmannia, Stelis, Rhopala, Laurus, Ocotea, Gomphrena, Lantana, Echites, Gesneria, Baccharis, Ver- nonia, Stevia, Melastoma, Rhexia, Terminalia, Gaudichau- dia, Sauvagesia, Lavradia, Plectanthera. Le voisinage de la mer change encore la végétation ; elle est caractérisée par : Cocos schizophylla, Diplothemium ma- 332 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. riimum, des Eriocaulon, Avicennia tomentosa, Rhizo- phora Mangle, Conocarpus erectus, Laguncularia racemosa, Bucida Buceras. La plupart de ces genres sont nombreux en espèces, mais, comme on le voit, ces magnifiques jardins de la nature n’ont aucun rapport avec la flore de nos contrées. XXI. Région des Synanthérées ligneuses. Région de St-Hilaire. Elle comprend l’Amérique du sud à lorient des Andes, depuis le tropique du Capricorne, jusqu’à 40° de latitude méridionale. Température moyenne, + 15° en hiver, + 24° en été. Les formes tropicales diminuent à mesure qu’on s’éloi- gne de la zone torride; plusieurs disparaissent tout à fait, et bientôt elles sont remplacées par des types européens ou dy moins extra-tropicaux. On voit revenir les renonculacées . les crucifères, les cistinées, les caryophyllées, les genres Lathy- rus, Galium, Teucrium, Plantago, Carex, Polygala, Oxalis, Gnaphalium. On retrouve aussi des genres de l’A- frique méridionale , mais une bonne moitié des genres de cette région se trouvent aussi en Europe. D'autres sont ca- ractéristiques; les synanthérées abondent, et quelques-unes d’entr’elles sont ligneuses. Nous citerons comme caractéris- ques, les genres : Larrea, Hortia, Diposis, Boopis, Acicar- pha, Cortesia, Petunia, Jaborosa, Tricycla, Caperonia, Bi- pinula. Cette région est principalement formée par des plaines unies (Pampas), dans lesquelles abondent les graminées et les chardons. Malgré la distance qui sépare cette contrée de la nôtre, RÉGIONS BOTANIQUES. 333 on y aperçoit des rapports nombreux pour les genres, et ces rapports se trouvent confirmés par des études récentes sur Îes graminées et les cyperacées du Chili, qui offrent à peine quelques genres étrangers à l'Europe. XXII. Région antarctique. Région-de D’Urville. La partie occidentale et méridionale de la Patagonie, la terre de feu, les îles Falkland. | Température moyenne, + 5° en hiver, + 9° en été. L’élévation de la latitude a chassé complétement les for- mes tropicales, et l’on voit dominer les familles européennes des synanthérées, graminées, cyperacées, mousses, li- chens, renonculacées, crucifères, cariophyllées, rosacées, ombellifères. Les deux tiers des genres se trouvent égale- ment en Europe. On voit quelques points de contact avec le sud de l’Afrique par la présence des genres Gladiolus, Witse- nia, Galaxia, Crassula , et avec la Nouvelle-Hollande par les : Embotrium, Ourisia, Stylidea, Méniarum. _ Les genres caractéristiques sont : Gaimardia, Astelia, Callixene, Philesia, Drapetes, Bœa, Calceolaria, Pernettia, Oligosporus, Nassauvia, Bolax, Azorella, Donatia, Acaena, Amadrias. Les végétaux ligneux n’y sont pas nombreux. Le professeur Schouw cite : F'agus antarctica, Salix magellanica, Embo- trium coccineum, Pernetia empetrifolia, P. mucronata, An- dromeda myrsinites, Baccharris tridentata, Chiliotrichum amelloides, Ribes magellanicum, Escallonia serrata, Fuch- sia coccinea, Mirtus Nummularia, Berberis ilicifolia, B. iner- mis, B. microphylla, B. empetrifolia, Drimys Winteri. 334 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. XXIIT. Région des Stapelia et des Mesembryanthemum. Le sud de l’Afrique, depuis le tropique jusqu’au 25e degré de latitude australe. Cette flore est caractérisée par une grande quantité de plantes grasses, un petit nombre de plantes grimpantes, par des genres riches en espèces et par l’absence de grandes et sombres forêts. C'est une végétation variée, mais sévère et sans fraîcheur. Les familles caractéristiques ou dominan- tes sont les restiacées, ridées , protéacées, éricinées , ficoi- dées, bruniacées, diosmées , géraniées, oxalidées, polyga- lées. Parmi les genres se trouvent : Restio, Ixia, Gladiolus, Mo- ræa, Watsonia, Hæmanthus, Strumaria, Agapanthus, Euco- mis, Massonia, Strelitzia, Aphyteia, Passerina, Gnidia, Pro- tea, Leucodendron, Leucospermum, Serruria, Stilbe, Selago, Stapelia, Erica, Gnaphalium, Helichrysum, Stobea,Pteronia, Ostrospermum, Tarchonanthus, Relhania, Gorteria, Arctotis, Othomea, Stæbe,OEdera, Anthospermum, Mesembryanthe- mum, Vahlia, Liparia, Borbonia, Lebeckia, Rafnia, Aspala- thus, Stavia, Brunia, Phylica, Diosma, Pelargonium, Oxalis, Sparmannia , Muraltia, Polygala, Penacea. XXIV. Région des Eucalyptus et des Epacridées. Région de R. Brown. La nouvelle Hollande au delà des tropiques, et la terre de van Diemen. | Température moyenne, + 11° en hiver, + 23° en été. La flore est une des plus rickes et une des plus spéciales de la terre. Elle a peu de fraicheur. La plupart des arbres RÉGIONS BOTANIQUES. 835 ont des feuilles consistantes, souvent petites, acérées ou verticales, ce qui fait que les bois sont sans ombre et sans fraicheur. Le feuillage est terne, gris ou coloré en brun et en pourpre, rarement d’un beau vert, souvent soyeux et ar- genté. La plupart des forêts sont formées par de gigantesques Eucalyptus dont le nombre des espèces s'élève à plus de cent, puis viennent de nombreuses protéacées, des épacri- dées aux fleurs élégantes et multipliées, de tristes ou de fétides Diosma, des acacias aux pétioles élargis, de ma- jestueux et symétriques Araucaria, de beaux Podocarpus et de ces singuliers Casuarina , aux rameaux articulés, qui rap- pellent les formes de nos Equisetum. Au milieu de cette végétation si spéciale naissent les fa- milles des myoporinées, des goodenovites, des stylidiées, des pittosporées, des trémandrées; et parmi les yenres nous rappellerons encore les suivants : Xerotes, Xanthorrea, Pte- rostyles, Leptomeria, Pimelea, Banksia, Hakea, Persoonia, Grevillea, Petrophila, Isopogon, Dryandra, Westringia, Lo- gania, Mitrasacme , Leucopogon, Styphalia, Stackhouria, Scævola, Melaleuca, Leptospermum, Platylobium, Bossicea, Boronia, Zicria, Pleurandra, Hibbertia. La végétation de cette région est entièrement différente des autres et n’a pas le moindre rapport avec celle de l’Europe. XXV. Région de la Nouvelle-Zélande. Région de Forster. Les deux îles de la Nouvelle-Zélande, situées sous un climat tempéré, n’ont pas non plus les formes tropicales qui dépassent du reste bien rarement les tropiques. La moitié de ses genres appartient à l'Europe, fait bien remarquable si l’on considère l’éloignement de cette région et ses rapports 336 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. de climat et de situation avec la pointe australe de l’Afrique, avec le sud de l’Amérique et surtout avec la Nouvelle-Hol- lande. C’est aussi avec cette dernière contrée que sa flore a le plus de ressemblance. Elle s’en rapproche par l'aspect sombre et triste de sa végétation ligneuse, par les genres Melaleuca , Myoporum, Epacris, Pimelea, Styphelia, Cassi- nia. Elle tient à celle de l'Afrique méridionale par les genres Restio, Gnaphalium, Xeranthemum, Tretragonia, Mesem- bryanthemum, Oxalhs, et à la région antarctique par les genres : Fuchsia, Mniarum, Acæna , Drimys. Cette région est riche en fougères, et l’on y distingue encore les genres Phormium, Pennantia, Knigthia, Fors- tera , Shavia, Griselinia, Melicope, Dicera, Plagiantus, Melicytus. $ 2. DES RAPPORTS PLUS OU MOINS ÉLOIGNÉS DE LA FLORE DU PLATEAU CENTRAL DE LA FRANCE AVEC CELLE DES DIFFÉRENTES RÉGIONS BOTANIQUES. Nous venons de passer en revue, d’une manière rapide et générale, les principaux traits de la végétation sur toute la : surface de la terre, et ce qui nous à frappé dans cet en- semble, ce sont les rapports, les points de contact que con- servent entr’elies des régions excessivement éloignées, dès que leur climat peut présenter quelque analogie. Il est rare cependant qu'il y ait entre ces régions, excepté däns celles qui sont limitrophes, identité d'espèces, mais en établissant les rapports entre les genres, on es£ surpris de voir les mêmes types se reproduire à de si grandes distances, et le parallé- lisme s'établir sur une si grande échelle. Enfin, dans les familles elles-mêmes, nous trouvons des répétitions de forme , et le parallélisme des genres rattache RAPPORTS DE LA FLORE.. 337 pour ainsi dire toutes les régions végétales par quelques liens de parenté. Ainsi , notre ile centrale, perdue au milieu de la France, insignifiante pour l’Europe, qui n’est elle-même qu’une presqu'île de l’Asie, va se trouver en rapport avec d’im- menses régions. Les unes nous offrent des espèces identi- ques, d’autres des espèces parallèles occupant des sites ana- logues. Ailleurs, les différences deviennent plus considéra- bles, quelques genres seulement rappellent les formes de nos climats, puis ils sont remplacés par d’autres. Des familles inconnues à l'Europe se multiplient sous la zone torride, et les rapports, même les plus éloignés , s’effacent successi- vement. Le plateau central de la France est un des points les mieux situés pour l'étude de la dispersion des espèces. Il ap- partient à la seconde région, désignée sous le titre de région des ombelliféres et des crucifères, région essentiellement tempérée et de toutes la plus étendue. Il termine au sud ce vaste territoire , mais 1l tient, par une lisière , à la région plus chaude des labiées et des cariophyllées , pays qui en- toure la Méditerranée , et dont une des pentes se relève et vient joindre la limite de la région précédente. Ce point de contact de deux régions, cet enchevêtrement des aires d'ex- tension d’espèces dont l’origine est différente, est un des faits les plus curieux des études que nous avons entre- prises. Enfin, la région des mousses et des saxifrages, qui forme deux grandes îles dans notre voisinage, qui couvre le sommet des Alpes et celui des Pyrénées, nous a donné aussi un grand nombre d’espèces qui, dans leur migration d’un de ces points vers l’autre, sont restées confinées sur les sommets de nos montagues. . 22 338 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Trois régions botaniques ont donc contribué à décorercette grande île du plateau central de la France, et en ont fait un véritable jardin de la nature, où l'hiver seul vient arrêter la succession des fleurs et du feuillage. Ses relations avecles au- tres régions botaniques offrent plus ou moins d'intimité. A des distances très-grandes, si nous retrouvons les mêmes climats, la même température , nous rencontrons aussi des analogies. L'élévation compense toujours la latitude , et la R région émodienne, qui comprend une partie de l'Himalaya , la région supérieure de Java, placée sous l'équateur , ont une flore presque européenne, où un grand nombre de nos genres sont représentés par des espèces parallèles. Les montagnes du Mexique ont, comme les nôtres, leurs forêts de chênes et d’arbres verts ; nos familles européennes y reparaissent sous la zone torride, au milieu de genres par- ticuliers à cette latitude. La partie la plus élevée des Andes, entre le 20° de lati- tude méridionale et le 5° de latitude septentrionale, se rap- proche plus encore de notre végétation par son aspect et par ses plantes des montagnes. Les genres de la seconde et même de la première région s’y montrent en nombre et rap- pellent à la fois la flore des Alpes, celle de la Laponie et celle du centre de l’Europe. Ces mêmes analogies peuvent être poursuivies dans la région antarctique, sur ces dernières terres de l'hémisphère austral, où le climat ressemble à celui de nos régions polaires. Les conditions biologiques ont triomphé de la distance ; deux créations parallèles ont eu lieu près des deux pôles de la terre. Les mêmes types ont paru, malgré leur éloignement, malgré l'impossibilité des communications à travers la zone torride et les vastes mers qui ceignent ces brumeuses contrées. Des rapprochements moins intimes existent entre d’autres RAPPORTS DE LA FLORE. É 339. parties de la terre , même dans les deux hémisphères. Sans quitter le nôtre, nous voyons , dans l’Amérique du Nord, de grandes contrées où les conifères et les amentacées forment d'immenses forêts , et où nos formes européennes sont pres- que exactement copiées. Nous retrouvons , dans l'Asie , en Chine et surtout au Japon, des associations végétales analo- gues à celles que les saisons ramènent sous nos climats tem- pérés. | Dans l'hémisphère méridional , le sommet des Andes et la zone des Cinchona ont aussi leurs genres européens, leurs chênes, leurs saules , leurs Sambucus et leurs Viburnum , comme les forêts du plateau central. Plus au sud encore, l'Amérique a ses Carex et ses graminées de genres eu- ropéens , et, au milieu de synanthérées ligneuses , revien- nent des labiées , des crucifères , des renonculacées , dont les formes , spéciales au Nouveau-Monde, n’en sont pas moins calquées sur les espèces que nous voyons tous les Jours. D’autres régions botaniques s’éloignent davantage encore des productions auxquelles nos yeux sont habitués. Celle qui comprend la partie méridionale de l’Amérique du Nord, la contrée de ces beaux Magnolia, tient encore à la nôtre par le nombre considérable de ses chênes, mais elle s’en éloigne par l'absence ou la diminution considérable des cru- cifères et des ombellifères , et par la présence de beaux ar- bres à larges feuilles souvent persistantes. Plus loin, depuis la ligne jusqu’à 30° de latitude septentrionale, dans la partie de l’Amérique qui nourrit le plus de Cactus et de pipéracées, nous sommes surpris de retrouver encore nos familles des crucifères, des renonculacées , des ombellifères, et, à une certaine élévation , des genres et même des espèces paral- lèles aux nôtres. 340 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Nous tenons à peine à la flore du sud de l'Afrique, à cette végétation des Stapelia et des Mesembryanthemum ; cepen- dant quelques genres sont encore communs, et indiquent de très-légers rapports entre l'extrémité australe de l’an- cien continent et la région méditerranéenne ; elles sont liées par les Oxalis, les Polygala, les Gladiolus, les Erica, les Lris, les Gnaphalium. Enfin, à l'extrémité de l'hémisphère austral, les deux îles de la Nouvelle-Zélande nous offrent un mélange de genres particuliers à cet hémisphère et de genres européens. Nous ne pouvons plus maintenant établir de rapproche- ments avec la végétation des autres régiens. Tous les rap- ports sont interrompus avec la 7e, celle des scitaminées , la 9, la polynésienne , la 11° ou océanique, la 12 , celle des arbres à baume, la 13°, celle des déserts, la 14° ou de l’A- frique tropicale, la 19° ou des Indes occidentales, la 20°, celle des palmiers et des mélastomacées , et enfin et surtout avecla 24°, qui est celle des Eucalyptus et des épacridées. Nous pouvons donc ranger les 25 régions botaniques dans l’ordre suivant , qui indiquera celles qui ont successivement des rapports plus éloignés avec le plateau central de la France, ou, ce quiest la même chose, avec la France elle- même et les régions dont elle fait partie. 2. Région des ombellifères et des crucifères. 3. — des labiées et des cariophyllées. 1. — des mousses et des saxifrages.…. 8. — émodienne. 10. — supérieure de Java. 16. — du Mexique. 18. — des Escallonia et des calcéolaires. 22. — antarctique. 4. — des Aster et des Solidago. MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 941 D — des Magnolia. 6. — des camélias et des célastrinées. 17. — des Cinchona. 21. — des synanthérées ligneuses. 15. — des Cactées et pipéracées. 23. — des Stapelia. 25. — Nouvelle-Zélande. Les accolades réunissent un certain nombre de régions, dont il serait difficile de déterminer la priorité dans les rap- ports qu'elles ont avec les premières. Nous avons donné plus haut la liste de celles qui ne se rattachent nullement à la nôtre. $ 3. DES MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION D'UNE ESPÈCE ET SES MIGRATIONS. S'il est un point difficile et obscur dans l’étude de la géo- graphie botanique, c’est sans contredit celui que nous es- sayons d’aborder. Ce n’est pas une raison , ainsi que nous l’avons déjà dit, pour nous rebuter d'avance et pour ne pas essayer d'y faire quelques recherches ; nous prions les bota- nistes de considérer nos résultats, non comme des faits défi- nitivement acquis à la science, mais comme des probabilités. Une logique serrée, procédant par voie d’exclusion , nous permettra quelquefois d’approcher de la vérité ou du moins de l’enfermer dans un cercle que des travaux ultérieurs pourront sans doute rétrécir. Nous n’avons pas besoin , pour cette nouvelle étude , au moins pour le moment, de revenir sur la définition de l’es- pèce ni sur les modifications dont nous la croyons susceptible. Le problème que nous posons maintenant est celui-ci : Un individu étant donné sur un point quelconque du globe, 342 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. dire si cet individu ou l'espèce dont il fait partie a été créé dans la contrée, ou si sa présence dans cette localité est le fait d’une migration ou de l'extension de l'aire primitive de l'espèce. Dans le cas de réponse affirmative relativement à la mi- gration, déterminer le centre de création et la direction des migrations qui ont permis à l'espèce de s'étendre. Comme nous n’avons pas assisté à la création des espèces, il nous est impossible de formuler autre chose que des con- jectures à cet égard. Nous allons donc chercher sur quelles bases ces conjectures peuvent s'appuyer. Nous demanderons d’abord une carte géographique de chaque espèce , c’est-à- dire son aire d'extension entière tracée sur une mappe- monde. Ces cartes n'existent pas, mais elles pourront être faites par la suite, quand les botanistes voyageurs auront eu soin de déterminer les limites des espèces , et lorsque des flores particulières auront été publiées sur les différents points de la terre. En attendant, et pour l'Europe, ous pouvons déjà, avec beaucoup de travail, déterminer approximativement ces aires d'extension et marquer à peu près leurs contours. Ces contours ne suivent pas toujours les lignes de nos cartes géo- graphiques ; les causes d’extension et la diversité des obsta- . cles que nous avons étudiées tendent à les modifier et à leur donner la forme de courbes très-irrégulières. Il arrive aussi que ces aires d’extension sont morcelées en parties inégales, et plus souvent encore qu’elles offrent une très-grande sur- face, en dehors de laquelle on trouve des points disséminés, comme le sont les îles autour des continents. Des lignes limites, relatives à un certain nombre d’espèces et diversement colorées, tracées sur une carte géographique de l’Europe ou de l'ancien continent, offriraient les faits les MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 343 plus curieux de parallélisme , de croisements, de restric- tions , etc., suivant les conditions biologiques auxquelles. chaque espèce est soumise par son organisation. Admettons des cartes plus ou moins parfaites pour chacune de nos espèces, nous aurons presque toujours exclu, par ce moyen, un grand nombre de régions botaniques , et notre espace , d’abord sans limites , sera ramené à deux ou trois régions. | Une espèce ainsi limitée est-elle à sa véritable place ? Le doute est encore permis, car si nous supposons que chacune d'elles, partie de son paradis terrestre , a été toujours en s'étendant, nous pouvons admettre aussi que, dans certaines circonstances et sous certaines influences, l’aire , d’abord très-grande, s’est progressivement rétrécie, et 1l n’est pas douteux que ce fait n’ait eu lieu pour un grand nombre de plantes fossiles, dont les types sont aujourd’hui anéantis. Dans ce cas particulier, rien ne nous indique qu’une es- pèce que nous trouvons confinée sur un point rétréci, ne se montre pas précisément à l'extrémité d’un de ses rayons d’extension, dont le point de départ aurait été détruit. Les révolutions géologiques, les plus récentes comme les plus an- ciennes , ont dù modifier singulièrement les aires d’expansion géographique des végétaux. Nous avons, par exemple , tout autour de la Méditerranée. une flore qui a, sur tous les points , les plus grands rapports ; nous avons, dans les îles de cette mer, des végétaux semblables à ceux qui croissent sur ses rivages. Ces plantes, créées sans doute sur un point, ent pu, de proche en proche, entourer cet immense bassin et aborder dans ses îles. Mais qui empêcherait de soutenir que cette végétation primitive a été d’abord placée au centre d’un vaste terrain, d’où elle a irradié en tous sens, et qu’une commotion subite, creusant le bassin où les eaux de l'Océan 344 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. ont fait irruption , a détruit cette région botanique , en lais- sant subsister seulement les espèces dont les migrations étaient assez lointaines pour être à l'abri de la destruc- tion ? Si les îles de la Méditerranée avaient des plantes spéciales qui ne se retrouvassent pas sur les bords, cette supposition toute gratuite pourrait être invoquée avec vraisemblance. Les bords étendus de ce vaste bassin -n’ont pas été suffi- samment explorés pour qu’on s'arrête à ces considérations. Neus avons seulement exprimé nos doutes sur une chose possible. Les considérations géologiques ont cependant la plus haute importance dans la question qui nous occupe. Les diverses contrées de la terre, telles qu’elles sont aujourd’hui , n'ont été que successivement émergées , et, quelque éloignée que soit l’époque géologique à laquelle nous voulions nous ar- rêter, nous reconnaissons toujours que toutes les terres n’ont pu sortir en même temps du sein des eaux. Elles ont dû alors être peuplées successivement par des colonies étran- gères, qui venaient prendre possession de ces térrains nou veaux. C’est ce que nous voyons tous les jours à notre époque. La végétation des îles est moins variée que celle des conti- nents. La flore des îles participe de celle des terres voisines, etsi une île est placée à distance égale de plusieurs contrées éloignées, les plantes qui la décorent sont empruntées à ces diverses régions. Lorsque , sur le plateau central de la France , les volcans d’âges divers ont couvert de leurs déjections incandescentes les grands massifs du Mezenc , du Cantal et du mont Dore , il a bien fallu, pour les couvrir de fleurs, que les régions voi- sines leur envoyassent des espèces émigrantes. MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 349 Nos laves modernes de la chaîne du puy de Dôme ac- cueillent lentement les plantes de leur voisinage, et atten- dent du temps la possibilité d’en recevoir un plus grand nombre. Enfin, les laves mêmes de nos volcans brülants, ces déserts de pierres calcinées vomies par le Vésuve et par J’Etna, ne tardent pas, dès qu'ils sont refroïdis, à nous montrer les traces envahissantes du règne végétal. Il y a donc eu des centres primitifs de création dont le lieu est difficile et peut-être impossible à trouver, et c’est ensuite par extension des espèces créées dans ces centres que la terre entière a été couverte de verdure et de fleurs. L'étude que nous avons faite précédemment des régions végétales déterminées par le professeur Schouw, doit nous faire penser que chacune de ces vastes contrées a été le centre d’une création primitive, à laquelle des flores voisines sont venues s’ajouter. Si, dans un continent comme l’Asie, le centre est plus riche en espèces spéciales que les rivages pris isolément , nous devons croire que c’est plutôt vers le centre que sur les bords que les créations ont eu lieu. Ou bien il faudrait admettre que des espèces, abordant sur les rivages , se sont ensuite dirigées vers l’intérieur, ce qui est peu probable. D'un autre côté, la difficulté serait seulement reculée, car des plantes qui aborderaient sur les côtes de l’Asie devraient, de toute nécessité , provenir de centres de création plus éloignés. Chaque grande contrée peut donc être considérée comme ayant un milieu botanique qui peut très-bien ne pas coin- cider avec le centre géographique, et les flores intermédiaires à ces métropoles végétales ne peuvent être, en général, que le résultat du croisement de nombreux rayons d'extension, de longues lignes de migrations contraires, et qui se pénè- trent mutuellement. 346 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Si nous connaissions parfaitement le pouvoir émigrant d’une espèce, nous aurions déjà quelques données qui nous apprendraient si elle peut sortir de sa région , en atteindre une ou plusieurs autres et même les dépasser. C’est effecti- vement ce qui à lieu , mais nous ne pouvons pas encore dé- terminer exactement ces pérégrinations. Un centre de création pourra, selon les lieux où il existe, selon le climat et la variété des stations, être plus riche qu'un autre, mais, au milieu d’un grand continent, il arri- vera certainement que des lieux placés sur la limite de deux régions , et à plus forte raison dans un lieu intermédiaire entre trois centres principaux , devront présenter une flore plus riche en espèces que des lieux plus rapprochés des cen- tres eux-mêmes. Il est bien vrai que des espèces sont loca- lisées et ne sont connues que sur un très-petit espace ; que ces espèces , selon les probabilités, sont à peu près dans le lieu où elles ont été créées ; mais, ce qui est plus vrai en- core, c’est que les plantes, rayonnant facilement et très- loin, se rencontreront à une certaine distance de leur point de départ. Les aires d’extension devront se pénétrer, et la ligne de jonction des deux contrées , celle où les lignes di- vergentes d’émigration viendront à se rencontrer , sera cer- tainement une zone plus riche en espèces que les zones qui s’en éloigneront pour se rapprocher des deux centres émissifs. Nous pourrons conclure de ces considérations que , dans les pays placés dans ces conditions , au point de jonction de deux ou plusieurs régions botaniques , la plupart des es- pèces ne seront pas dans le lieu de leur naissance primitive et seront, au contraire, colonisées. Admettons comme véritables ces probabilités , et cher- chons maintenant , dans cette hypothèse, par quels moyens MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 347 nous pourrons trouver la trace des émigrants et remonter à leur point de départ. | Nous devons immédiatement nous reporter à nos cartes d’expansion géographique, réelles ou fictives, et voir dans quelles contrées cette espèce se trouve répandue. Si le point local que nous examinons est situé au centre des pays occu- pés par cette espèce, il est possible que la plante soit vérita- blement dans son centre de création. Si, au contraire, ce point étudié est à l'extrémité d’un rayon parti du centre, ou sur une des limites de l’aire d'extension, il y aura beaucoup de probabilités pour croire à une émigration, et la position re- lative du centre déterminera la direction de l'extension de l’espèce. Cette détermination pourrait être presque rigou- reuse si l’on voulait, seulement pour notre localité, pour le centre de la France , se restreindre à la direction du méri- dien. On reconnaîtrait toujours siune espèce vient du nord ou du midi. A mesure que les plantes s’éloignent de leur paradis, elles doivent trouver des conditions d’existence moins en rap- port avec leur organisation, et cela est si vrai, que le pou- voir émigrant d'une espèce varie suivant sa constitution. Une plante robuste s'éloigne, se disperse et occupe un grand es- pace en latitude eten altitude. Une espèce délicate se main- tient dans une aire resserrée, parce qu’elle ne trouve pas ailleurs les moyens de vivre selon ses goûts, et de préserver sa faiblesse. En général , les individus d’une même espèce se- ront plus nombreux vers le centre de création qu’à l’extré- mité des rayons qui en divergent. Ce sera le plus ordinaire- ment une plante commune dans son centre, une plante rare vers les limites où elle cesse de végéter. Un voyage en ligne droite nous démontre toujours cette vérité. Ainsi un bo- taniste rencontre une espèce qui n'existait pas dans la lo- 348 RÉPARTITION DES CENTRES DE CREATION. calité qu'il habitait; il récolte avec zèle quelques échantillons rares et dispersés, souvent petits et rabougris, puisil avance; la même espèce devient plus abondante , les individus sont plus beaux, et enfin il arrive dans un centre où l’espèce est commune et répandue partout. Il n’est peut-être pas dans le paradis primitif de cette espèce, mais il en est plus rap- proché qu'aux limites, où il trouvait seulement de ra- res individus. La rareté des individus est donc un indice d’éloignement, et la multiplicité une probabilité de rappro- chement du point de naissance primitif de l’espèce. Que l’on admette ou non la modification de l'espèce, on rencontrera souvent, dans l’étude de la géographie botani- que, des variétés locales dont le caractère différentiel des types proviendra du climat, de la station au de circonstances extérieures; ces variétés indiquent une certaine distance du centre où le type existe avec ses caractères ordinaires. Une variété locale doit donc toujours être regardée comme un ré- sultat d’émigration. La forme de l’aire géographique peut aussi nous donner des indices sur son véritable centre. Si elle représente une étoile àrayons divergents, c’est vers le point de jonction des rayons qu'il faudra chercher l’origine. Si elle se montre sous forme d’un ellipsoïde très-allongé, ce sera, presque toujours, près d’une des extrémités, ou bien plus près de l’une que de l’autre que se trouvera le lieu du départ. La configura- tion du soi conduira au même résultat ; s’il est creusé de profondes vallées , sillonné de grands cours d’eau, rafraichi par des vents dominants, ce sera toujours du côté où les se- mences pourront être amenées par l’un ou l’autre de ces véhi- cules qu'il faudra chercher la véritable patrie des espèces. L'exposition plus ou moins constante qu’affectionne une espèce peut aussi donner des indices sur la direction de ses MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 349 migrations. Si la plante cherche les lieux frais, exposés au nord, elle indique elle-même sa patrie; si, au contraire, elle préfère la chaleur, l'exposition du midi, elle désigne le côté où il faut chercher son paradis. La station, qui réunit toutes les conditions extérieures de l'existence , est un des éléments les plus importants dans la recherche dont nous nous occupons. Comme les plantes cherchent toujours à s'étendre et qu’elles sont par leur nature essentiellement envahissantes , il faut toujours s’assurer si l’espèce que l’on observe est bien dans sa station ordinaire. Telle espèce abondante dans les prairies où elle fait sa rési- dence habituelle, vivra aussi sur la lisière des bois, ou s’a- venturera dans les champs voisins, mais les individus seront moins nombreux ou présenteront quelques modifications qui nous prouveront que la plante ne sera pas dans sa station normale. Or, sinous ne connaissions l’espèce des prairies que par les individus égarés dans les champs ou dans les forêts, nous en aurions une fausse idée. L'absence d’une station convenable est souvent une cause d’arrêt dans l'expansion géographique d'une espèce, et cette cause est d’autant plus réelle que l'espèce est plus délicate. Aussi l’absence de stations propices détermine de nombreu- ses interruptions dansles voyages des colonies végétales, etleur présence en des points très-éloignés du centre est toujours la cause de ces îles d'occupation, où l’on trouve une espèce très- loin de son origine , séparée de son paradis par de grandes distances et où elle n’a pu laisser de traces de son passage. Le sol chimique ou physique d’une station peut aussi nous donner des indices sur la direction que nous devrons suivre pour retrouver le point de départ de nos espèces. Ainsi, les . plantes des pays chauds avancent davantage vers le nord sur des terrains calcaires et compactes; ces mêmes plantes émi- 390 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. grent plus loin encore en suivant les sables salifères des bords de l'Océan; la présence d’une plante autour des sources sa- lées est, pour notre contrée, une présomption pour son ori- gine occidentale, et l'élévation d’une autre au-dessus de la plaine est un signe certain qu'il faut chercher son origine plus au nord ou dans des stations montagneuses. Mais pour que la station puisse nous donner des indices certains, il faut qu’elle soit naturelle et non accidentelle ou forcée. Dans les pays où l’homme n’a pas pénétré , les sta- tions sont toutes naturelles, et les plantes ne croissent que dans leurs lieux de prédilection. Il n’en est plus de même des contrées civilisées. L’homme s’est emparé de tous les points cultivables , il a détruit les forêts, il a labouré les champs, il a répandu des engrais sur les pelouses arides, il a marné les terres siliceuses , il a arrosé les prairies et desséché les marais, il a planté des vergers et abrité ses ha- bitations ; il a tout changé autour de lui. Alors, des espèces des stations voisines se sont avancées dans ses cultures ; d’au- tres y ont été introduites par les semis, de son gré ou mal- gré lui, mélangées aux semences qu'il répandait sur ses champs. Les espèces des terrains salifères sont arrivées près deseshabitations, les oiseaux ont semé le guy dansses vergers, et aucune de ces plantes n’est plus dans le lieu où la nature l’avait placée. Ainsi, dès qu’une espèce habite des lieux cultivés, les champs , les bords des chemins, les décombres et les lieux fréquentés, on peut en conclure qu’elle n’est pas dans sa patrie ni dans son centre de création. Il peut cependant y avoir aussi quelques exceptions à cette règle, et les espèces qui profitent, quand elles peuvent, des avantages que l’homme leur procure contre son gré, peuvent très-bien aussi être sauvages dans la contrée. Nous avons cité pour exemples le guy et le Rumex alpinus. MOYENS DE DÉTERMINER LE CENTRE DE CRÉATION. 391 D’autres considérations plus éloignées peuvent encore nous aider à découvrir le berceau caché des espèces. Deux plantes peuvent être associées dans un grand nombre de localités et se trouver presque toujours ensemble. Si l’une d’elles existe seule sur un point et que l’on connaisse la vraie patrie de l’autre, on est presque certain de ne pas se tromper en les rapportant toutes deux à la même contrée. S'il n'existe dans la contrée qu’une seule ou un petit nombre d'espèces d'un genre, et que ce genre soit représenté en d’autres pays par de nombreuses espèces, on doit avoir de la tendance à chercher le centre de création de ces espèces vers les points occupés par ces nombreux représentants du genre. Ce qui est vrai pour les espèces d’un même genre l’est aussi à un moindre degré pour les genres d’une même famille. L’aire d'extension d’un genre se compose des aires particu- lières de chaque espèce, et l’espace occupé géographique- ment par une famille comprend la somme des contrées sur lesquelles les genres sont dispersés. Les genres ont comme les espèces leur centre de création, et les familles ont aussi un point central d’où elles rayonnent. Les unes restent confinées dans une région botanique, d’autres s'étendent sur tout le continent. Il en est qui sont propres à la zone tor- ride, quelques-unes préfèrent les climats tempérés ; il en est enfin qui sont répandues sur le monde entier. Quelque faibles que puissent être les indices fournis par cette consi- dération, c’est une chance de plus à ajouter aux probabi- lités, que de chercher la direction de l'espèce vers le centre botanique du genre et même de la famille. L'étude des caractères physiques ou physiologiques du port, du facies des espèces, peut aussi nous guider dans nos recherches. | Les plantes annuelles ne pouvant vivre sous les climats 392 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. trop froids, et se trouvant assez rarement dans les pays très- chauds , nous devrons en général chercher leur origine dans les contrées tempérées. Les espèces toujours vertes nous offrent deux sortes de feuillage persistant. Les unes, comme les conifères, ont les feuilles résineuses ; elles appartiennent aux régions du nord ou aux montagnes des pays chauds, les autres ont des feuilles non résineuses , coriaces ou luisantes , et sont à peu près toutes méridionales. C’est donc dans cette direction que nous chercherons les centres de création de la plupart des plantes qui nous offriront ce feuillage. En prenant la statistique, par contrées ou par régions botaniques, des plantes grimpantes, des espèces épineuses et des végétaux à feuilles épaisses et charnues, nous arrivons à un même résultat. C’est encore dans les pays chauds que se trouve la majorité des végétaux qui offrent l’un ou l’autre de ces caractères. En tenant compte de ces considérations faites à des points de vue si différents , en les groupant et en pesant chacune d’elles, on arrive à retrouver en partie la trace des espèces ; et il n’est pas douteux pour nous que si la géographie des plantes était assez avancée, on ne finit par arriver presque directement au point d’origine de chaque espèce. Il ne faudrait pas cependant s’exagérer la certitude d’un résultat dans l’étude d’un problème aussi difficile et aussi compliqué ; car, si l’on parvient à un centre , on ne pourra jamais affirmer que ce centre soit unique et qu’il ne procède pas lui-même d’un centre antérieur. Ce centre primitif peut exister encore, ou 1l peut avoir été détruit soit par des événe- ments géologiques soit par l’homme lui-même. Il a dû se former pendant chaque émigration des centres secondaires, c’est-à-dire qu’une espèce émigrant et trou- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 993 vant une station convenable , s’y est établie , et peu après en est partie comme d’une patrie nouvelle pour conquérir ses environs. Une de ses colonies rencontrant ainsi toutes les conditions nécessaires à son développement , a pu créer aussi un autre établissement, qui lui-même a fourni de nouveaux conquérants. Sans pouvoir affirmer jamais que nous ayons atteint le lieu même où la volonté de Dieu a placé la première plante, la science peut toujours nous conduire dans des lieux où les émigrants sont tellement maitres du sol, qu'ils en ont fait une nouvelle patrie. La France, l'Angleterre et les autres royaumes de l’Europe sont bien la patrie des Français, des Anglais et des autres peuples de ce continent ; mais où trouver, d’une manière cer- taine, le certificat légalisé de leur première origine? C’est en appliquant les principes que nous venons de résumer, aux espèces du plateau central de la France, que nous essaie- rons de reconnaître, pour chacune d'elles, le point du globe qui leur a doriné naissance, et que nous chercherons à démé- ler le véritable pays des colonies diverses qui s’y sont arré- tées et qui ont confondu leurs populations en une seule dont nous connaissons déjà en partie les caractères. $ 4. DES CENTRES DE CRÉATION DANS LEURS RAP- PORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES, ET DE LA SUCCESSION DES PLANTES SUR LA TERRE. La question de dispersion des végétaux sur la terre nous amène involontairement à rechercher, dans les temps géolo- giques , leur succession dans les âges du monde, et l’état des terres émergées au commencement de la longue période que nous traversons. Nous nous exposons encore à de nom- breuses objections , à des reproches sérieux sur notre témé- IV 23 354 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. rité ; nous les acceptons d'avance, attendant du temps et des hommes de travail les corrections nécessaires à nos timides essais. Quand on songe combien de fois la terre a été ébranlée par des commotions souterraines, combien de fois, en des temps éloignés, de longues chaînes de montagnes, surgissant tout à coup, ont changé la forme des continents en émer- geant les uns et en submergeant les autres, on se demande d’abord si déjà des végétaux ornaient la terre, et si ces plantes, de création primitive, ont traversé les époques géo- logiques pour arriver jusqu’à nous. Des savants distingués ont ouvert le grand livre de la na- ture , ils ont lu dans les entrailles du globe , et ils ont ré- pondu par une affirmation à la première de nos questions, par une négation à la seconde. I. Les terrains sédimentaires les plus anciens nous mon- trent, en effet, les traces d’une végétation primitive dont les empreintes ont été conservées. Les couches dévoniennes de la Thuringe, étudiées avec soin par M. Reinhärd-Ritcher de Saaleld, sont peut-être celles qui renferment les em- preintes des premiers végétaux qui ont paru sur le globe. M. Unger, à qui M. Reinhard a soumis ces échantillons , y a trouvé les types dont plusieurs familles paraissent dérivées, des prototypes des conifères et des cycadées, de ces ancien- nes gymnospermes qui ont précédé la formation des houilles. Il y à vu des passages des fougères aux équisétacées. « Ce sont, dit le savant professeur de Vienne, des choses que je n'aurais pu me figurer avec la plus vive imagination, et qui, dans ces fossiles, sont prononcées et développées de la ma- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 399 nière la plus claire et la plus distincte (1). » N’est-il pas remarquable de voir, avant le départ dichotomique des principales formes végétales, ces types qui réunissent les caractères d'une souche commune , comme nous voyons groupés , dans les grands sauriens de l'époque jurassique, les types et les tendances du règne animal, dont les der- niers embranchements ne se sont pas encore montrés sur la terre. Le développement des végétaux n'a pas tardé à prendre un grand essor, et leurs débris, accumulés au milieu des assises de grès et d’argiles endurcies, ont formé des cou- ches puissantes de combustible. Peu de rapports existent entre ces anciens végétaux , qui peut-être contenaient les germes de toutes les flores futures, et les plantes actuelles qui leur ont succédé. La terre, en grande partie recouverte par les eaux , ne devait offrir que des îles ou des archipels peu étendus. L’uniformité de température ordonnait l’unité de végétation , et les grands tableaux de l’époque houillère devaient être les mêmes sur la terre entière. Une seule classe de végétaux nous a laissé les traces de son existence ; ce sont les cryptogames cellulaires, composés en grande partie de ces magnifiques fougères arborescentes dont les analogues impriment encore aujourd’hui aux contrées tropicales un aspect étrange et majestueux. C’était alors le règne de ces plantes et de quelques familles éteintes pour toujours , et qui n’ont brillé que dans les premiers âges du monde. La végétation avait une incroyable activité ; d'énormes Lematophlogos crassicaule , Corda, offraient l’image d’ar- bres herbacés, garnis de faisceaux feuillés et verdoyants ; des (4) Bulletin de la soc. géolog. de France, 1. 11 , 2e série, p. 165. 356 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION, Sigillaria, des Calamites formaient de vastes ombrages, inu- tiles sans doute à une époque où la terre, imbibée d’eau et soumise à une chaleur intense, devait être constamment plongée dans un voile de vapeurs. Des Lepidodendron et des Pecopteris dressaient leurs tiges et étalaient les mille découpures de leur feuillage aérien. Partout des plantes parasites étaient suspendues en guirlandes ou en toulfes pendantes du sommet des grands végétaux. C'étaient encore presque toutes de jolies fougères, des Sphenopteris, des Hymenophyllites, qui, par les enlacements de leurs tiges , représentaient les lianes de ces antiques forêts, ou bien des Trichomanites , des Woodwardites et des Cyclopteris , qui s’attachaient aux tiges des plus grandes fougères, comme le font aujourd’hui les orchidées et les broméliacées des ré- gions tropicales. Les bords des eaux étaient couverts de plantes diverses appartenant peut-être aux dicotylédones , espèces aux feuilles légères et verticillées , telles que l’Annularia fertilis , les Sphenophyllum et les nombreux Asterophyllites. Les marécages nourrissaient les Stigmaria ficoides, Brongn., qui, par leurs formes trapues et leurs rameaux charnus et divergents , étaient les êtres les plus singuliers de cette ancienne période, et la nature n’a montré leurs formes qu'à l’époque de cette première végétation qu’elle essayait sur la terre. Les Næggerathia et les Pychnophyllum composaient alors une petite famille dont le type est anéanti, et les conifères au vert feuillage, aux branches étagées, se montraient pour la première fois. À peine voit-on les traces de quelques monocotylédones, moins encore celles des dycotylédones angiospermes, qui dominent aujourd’hui dans toutes les flores. Les familles RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 397 suivantes composaient la végétation à la fin de l’époque car- bonifère : fougères, lycopodiacées, equisétacées, astéro- phyllitées, sigillariées, næggérathiées , comfères. Quatre ont traversé les âges du monde et sont arrivées jusqu’à nous, maisen abandonnant des formes particulières qui en faisaient des groupes distincts que nous ne retrouvons sur aucun point de la terre. Cette ancienne flore, comparée à la flore actuelle et sou- mise très-probablement à l’uniformité de la température et des stations, est loin d'offrir la même richesse et la même diversité ; elle nous montre d’une manière précise l'influence des milieux sur les êtres vivants, en subordonnant leur va- riété à celle des différentes actions que les agents extérieurs peuvent exercer sur elles. M. A. Brongniart explique cette pauvreté relative de la flore de cette époque en faisant remarquer « l'absence pres- que complète, si elle ne l’est tout à fait, des dicotylédones ordinaires et des monocotylédones. Actuellement ces deux embranchements du règne végétal forment au moins les #5 de la totalité des espèces vivantes connues. Mais aussi les familles si peu nombreuses existant à cette époque renfer- ment, d’une manière absolue, beaucoup plus d'espèces qu’elles n’en offrent maintenant sur le sol de l’Europe. Anst les fougères des terrains houillers, en Europe, comprennent environ 250 espèces différentes , et l’Europe entière n’en produit actuellement que 50 espèces. » De même les gymnospermes, qui maintenant ne com- prennent, en Europe, qu'environ 25 espèces de conifères et d’éphédrées, renfermaient alors plus de 120 espèces de formes très-différentes. » Ces familles, seules existantes et bien plus nombreuses alors qu’elles ne le sont maintenant dans les mêmes climats, . 398 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. si l’on embrasse la période carbonifère entière , étaientsen- core plus remarquables par les formes si différentes sous lesquelles elles se présentaient. Ainsi, parmi les crypto- games nous remarquons des genres de fougères actuelle- ment complétement détruits, et plusieurs espèces arbores- centes , des prêles ou des végétaux voisins presque arbores- cents ; des lycopodiacées formant des arbres gigantesques , toutes formes actuellement inconnues, soit dans le monde entier, soit du moins dans les zones tempérées. » | A cette première période géologique, pendant laquelle les houilles et leurs grès ont été déposés, en succède une autre dont la végétation , en changeant ses espèces et même ses genres, conserve encore les mêmes types sous l'influence de conditions analogues. C’est l’époque des terrains permnens et des grès rouges, qui n’est peut-être qu’une continuation de la précédente. La terre était encore en très-grande partie couverte d’eau , et rien, pour ainsi dire , n’indique , dans ces temps reculés, la présence des eaux salées qui, plus tard, occupent la majeure partie du globe. La salure .des eaux est une des conséquences de la longue série des siècles, pendant lesquels les eaux minérales de l’intérieur du sol, et les eaux pluviales à la surface, ont amené les matières salines dans de vastes bassins , où une évaporation active et continuelle les a condensées et les condense encore. A cette même époque où les eaux douces ou peu salées couvraient presque toute la superficie de la terre, la végéta- tion si singulière qui existait alors se trouvait dans des con- ditions entièrement différentes de celles auxquelles elle est actuellement soumise. Non-seulement la chaleur et l’eau de- vaient contribuer à son activité, mais encore la présence dans l'atmosphère d’une quantité énorme d’acide carbonique qui, selon toute probabilité, provenait des énormes masses cal- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 399 caires qui se formaient alors, et que d’abondantes émissions d’eaux minérales amenaient à l’état de bicarbonate. Il n’est donc pas étonnant que, sous l'influence de con- ditions biologiques si différentes de celles qui existent sous nos yeux , la flore de ces temps reculés ait été si spéciale et si originale pour nous , qui sommes habitués aux formes ac- tuelles. Toutefois , cette végétation n’est pas sans quelques rapports avec la nôtre, et, dans les îles de la zone tropicale, où les plantes peuvent retrouver encore une partie de cette chaleur et de cette humidité qui leur donnait autrefois une si grande puissance d’accroissement , nous retrouvons une certaine analogie avec la flore de cette période reculée. La prédominance des cryptogames cellulaires pendant la période carbonifère et la période permienne , qui n’en est que la continuation , a fait donner, par M. A. Brongniart , à cette flore primitive, le nom de règne dus acrogènes. Le savant professeur ne porte pas à plus de 500 le nombre des espèces connues dans toute la période carbonifère. Nous pouvons ajouter 100 espèces au plus pour la période per- mienne , et si nous supposons que l’on peut encore décou- vrir, dans ces divers terrains sédimentaires , 400 espèces , nous aurons, comme résultat très-rapproché de la vérité, une ancienne flore composée de 1,000 espèces. Maintenant, on connaît dans le monde entier environ 80,000 espèces phanérogames , et l'Europe seule en a au moins 6,000. Ainsi, l’ancienne flore serait seulement de 1180 de la flore actuelle et 116 de la flore européenne ; mais , comme le fait judicieusement remarquer M. Bron- gniart , dans la flore actuelle , toutes les espèces vivent à la fois en même temps sur la terre, et, pendant le règne qu'il attribue aux acrogènes , il fait remarquer qu'il y a eu très- probablement succession d'espèces ; car déjà, dans chacune 360 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. des couches de houille qui constituent un bassin houiller, il y a des espèces différentes, et chaque couche n’est accom- pagnée que par les débris d’un nombre très-limité de végé- taux ; elle représente seulement une petite flore locale et temporaire, « C’est ce que nous voyons encore de nos jours, dit M. Brongaiart , dans les grandes forêts et surtout dans celles composées de conifères, où une au deux espèces d’ar- bres ne recouvrent de leur ombrage que quatre ou cinq plantes phanérogames différentes et quelques mousses. » Quant à nous , qui regardons les houilles comme n’ap- partenant pas à une seule époque et comme ayant été for- mées pendant une longue série de temps géologiques, depuis les premiers dépôts sédimentaires jusqu’au commencement de la période triasique et peut-être au delà, nous partageons entièrement l’avis du savant auteur de la Flore des végétaux fossiles , et nous croyons, comme lui, que 100 espèces au plus de cette ancienne végétation ont pu vivre à la fois sur la terre. Dans la flore actuelle, le nombre des espèces qui se trou- vent sur un espace déterminé est d'autant plus grand que le sol offre des stations plus variées et plus différentes ; autre- fois, les stations étaient uniformes comme la température et les autres conditions d'existence, l’unité de la végétation était une conséquence de ces causes primitives. Aujourd'hui, quand nous remarquons , sur un espace étendu de terrain, la même nature de sol, la même exposi- tion , le même degré d'humidité, etc., nous trouvons ce terrain habité par un très-petit nombre d’espèces, mais elles sont sociales, elles s’y montrent en quantité prodigieuse, parce que ces espèces trouvent réunies les conditions qui leur conviennent. Pendant le règne prolongé des acrogènes, sous des con- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 361 ditions d’une grande uniformité, il n’y avait guère aussi que des plantes sociales couvrant de vastes terrains , ce qui a lieu encore de nos jours, quand les régions botaniques comme celles d'autrefois ont une grande extension géogra- phique. La pauvreté de la flore primitive peut tenir aussi à des considérations d’un ordre tout différent. Si nous admet- tons la filiation des espèces, et comme causes de modifica- tions l'influence des milieux ambiants, il est certain que sous des conditions biologiques qui sont restées les mêmes, 1l ne peut pas s'être opéré de grands changements , et que nous ne pouvons nous attendre à des transmutations importantes qu'après des événements géologiques d’une certaine gravité. L'irradiation des variétés, des formes, des espèces mêmes autour d’un centre commun , à laquelle ramènent constamment toutes les classifications naturelles que nous essayons, ne pouvait, faute de temps et d’influences variées, avoir fait de grands progrès dans l’origine du règne végétal. Les rayons partant d’un type étaient courts, rapprochés ; ils n’avaient pu encore se détacher du tronc et former des centres secondaires d'irradiation, que le temps, en leur don- nant de la stabilité, transformait en formes permanentes. Qui sait si ces premières formes anomales du règne végétal ne renfermaient pas toutes les richesses des créations ulté- rieures ? C’est le sort du tronc qui a donné les branches, de se détruire et de disparaître pour toujours quand celles-ci sont enracinées et sont devenues distinctes ; c’est le sort de ces tiges souterraines qui périssent à une extrémité pendant que l’autre avance et se renouvelle; c’est la loi commune à tout ce qui est vivant, de voir disparaître toutes les souches des générations ultérieures , loi qui régit les espèces comme les individus. 362 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. Et d’ailleurs, si nous nous refusions à cet enchaînement des êtres par voie de modifications successives , où irions-nous : chercher, sur laterre à peine émergée, ces plantes si différentes dont les émigrations devraient venir remplacer des végétaux dont les temps sont accomplis? L'idée d’une chaîne dont quelques anneaux sont détruits, ne peut représenter la série des créations sur la terre. L'image d’un tronc ramifié dont la base est sapée, dont quelques branches principales ont disparu , dont certains rameaux se sont développés aux dépens des autres arrêtés dans leur croissance, nous représente mieux les formes de la vie dans les deux grands règnes organiques. L’avorte- ment de certains bourgeons , produit par des causes diffé- rentes , le développement des autres qui trouvent de meil- leures conditions , la mort accidentelle de quelques branches et la division et la subdivision des rameaux en progression géométrique à mesure que l’arbre prend de l’âge et multi- plie les périodes de sa végétation, puis un arrêt et sans doute la décrépitude , telle est peut-être cette succession de la vie dont le Créateur a voulu embellir la terre, et qu'il a sou- mise à ses lois éternelles. ET. Les types de la végétation primitive que nous venons d'indiquer, n’ont pas été immédiatement détruits ; ils ont traversé, en modifiant leurs formes et leurs espèces, sou- vent aussi leurs genres , des àges géologiques très-différents, et nous les retrouvons encore dans la période triasique où nous entrons. Pendant que les grès bigarrés et les marnes irisées déposaient lentement dans les eaux leurs couches régulières, de magnifiques fougères agitaient encore leurs frondes légères et découpées. Divers Protopteris et de RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 363 majestueux Neuropteris s’associaient en forêts étendues, où végétaient aussi le Crematopteris typica, Schimper, l'Ano- mopteris Mougeotii, Brongn., et lejoli Trichomanites myrio- phyllum, Brongn. Les conifères prennent dès cette époqueun développement plus considérable ; les Haïdingera speciosa, Endl., etH. latifolia, Endl., forment avec les Voltzia hetero- phylla, Schimper, et V.acutifolia, Brongn.,de gracieuses forêts d'arbres verts dont les Araucaria de l'hémisphère austral peuvent seuls nous donner une idée. D'élégantes monocotylédones, rappelant les formes des contrées équatoriales, semblent se montrer pour la première fois; l’Yuccites vogesiacus, Schimp., analogue à nos Ale- tris, et à nos Vucca, forment des groupes scrrés et étendus. Une famille , jusqu'ici douteuse , apparaît d'une manière certaine sous la forme élégante du Nilssonia Hogardi, Schimp., ou Ctenis Hogardi, Brongn. Elle se montre encore dans le Zamites vogesiacus, Schimp., et le groupe des cycadées, joignant en partie l’organisation des conifères à l'élégance des palmiers, vient orner la terre qui révèle dans ces formes nouvelles toute sa fécondité. Des plantes herbacées s'étendent sur le sol des forêts, ou se baignent dans les marais attiédis. La plus remarquable est l'OEtheophyllum speciosum, Schimp., dont l’organisa- tion se rapproche à la fois des lycopodiacées et des typha- cées, l’OEtheophyllum stipulare , Brongn., et le curieux Schizoneura paradoxa , Schimp., que ses caractères indécis laissent flotter entre les équisétacées, les astérophyllitées et la famille des smilacinées. Ainsi commence, pour se déve- lopper par la suite , le règne des dycotylédones à graines nues, des angiospermes , composées principalement de deux familles encore bien représentées sur la terre , les conifères et les cycadées. Les premières, d’abord très-abondantes, 364 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. s'associent aux cryptogames cellulaires qui abondent encore sur la terre et qui paraissent en voie de décroissement ; puis aux cycadées , qui se montrent avec timidité et qui bientôt prendront une large part dans les brillantes harmonies du règne végétal. Cette période, qui déjà offre un si grand intérêt dans l’histoire du globe, ne peut manquer par la suite d'offrir des faits nouveaux peut-être inattendus. Ce n’est encore quesur un seul point de la terre que cette flore a été étudiée , c’est sur les pentes des Vosges, dans des lieux mêmes où la végé- tation actuelle a le plus de rapport avec celle du plateau central, et où l’on pourrait même dire qu'il y a identité avec celle qui recouvre le plateau montagneux de l’Au- vergne. | A la suite des grès bigarrés, dont la végétation n’est guère connue, comme nous venons de le dire, que par les débris ensevelis sur les flancs des Vosges, vient une autre flore qui appartient géologiquement encore au dépôt du trias, c’est la flore du Keuper ou des marnes irisées, de ces terrains qui précèdent les formations jurassiques et qui renfer- ment dans leur sein de très-grands dépôts de sel gemme. Les cryptogames cellulaires y dominent comme dans le terrain houiller, mais les espèces sont changées et beau- coup de genres sont différents ; les Cladophlebis, les Sphe- nopteris, les Coniopteris et Pecopteris dominent au milieu des autres fougères par le nombre de leurs espèces. Les Equi- setacées sont plus développées que dans tous les autres ter- rains. Une des plus belles espèces est le Calamites arenaceus Brongn., qui devait constituer de grandes forêts. Ses troncs cannelés simulaient d'immenses colonnes, au sommet des- quelles des branches feuillées, disposées en gracieux verticil- les, devaient montrer les formes élégantes de notre Equise- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 36 tum sylvaticum. Aiïlleurs naïssaient en société de curieux Equisetum et des Equisetites singuliers, dont une espèce, l'E. columnaris, Brongn., élevait à une grande hauteur ses tiges herbacées aux articulations stériles. Quel aspect singulier présentaient alors ces terres ancien- nes, si l'on ajoute à leurs forêts les Pterophyllum et les Za- mites de la belle famille des cycadées, et les conifères qui vivaient en même temps surces terres humectées ! C'est à cette époque, encore placée sous le règne des dy- cotylédones angiospermes, qu'il faut rapporter la première ap- parition des vrais monocotylédones. Le Preisleiria antiqua, Sternb., aux longs pétioles, suspendait, en grimpant sur les vieux troncs, ses grappes de haies colorées, comme le font aujourd’hui les Smilax, à la famille desquelles le Preisleiria pouvait appartenir. Ailleurs, au milieu des marécages, nais- saient les touffes des Palaeoxyris Munsteri, Sternb., grami- née ou Joncée peut-être, qui égayait les bords des eaux. On voit que pendant longtemps la terre a conservé sa vé- gétation primitive , et c'est avec lenteur que des formes nou- velles s'y introduisent et peuvent s’y multiplier. Mais si nos types actuels font défaut à ces époques reculées, nous devons reconnaitre aussi que les plantes qui parmi nous représen- tent la végétation du monde primitif, sont souvent déchues de leur grandeur. Nos prêles et nos lycopodiacées sont de faibles images des Lepidodendron et des Calamites , et les as- térophyllitées avaient déjà quitté le monde avant l’époque que nous décrivons. Nous arrivons à une grande période géologique qui est celle des terrains jurassiques, immense dépôt de grès et de calcaire , pendant lequel il semble que la terre n'ait pas éprouvé de grandes convulsions. Une température plus éle- vée que la nôtre régnait sous les zones actuellement tempé- 3006 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. rées, de vastes mers ou de grands lacs occupaient partout d'immenses étendues de terrain, et l’atmosphère, encoreobs- curcie de vapeurs et chargée de l'acide carbonique qu’y ver- saient les sources calcarifères, devait offrir à la végétation les circonstances les plus favorables à son développement. Elle a pris en effet un bien grand essor. On y voit en abondance encore ces belles cryptogames cellulaires, si va riées de formes et d'aspect, ces magnifiques fougères de l’an- cien monde et ces curieuses équisetacées. C’est pour la période entière le règne des dycotylédones gymnos- permes; les conifères s’y montrent toujours, mais les cy- cadées sont les plantes qui acquièrent la prépondérance, surtout à la fin de cette longue période. Enfin, si les dyco- tylédones ordinaires ne s’y montrent pas encore, on pense du moins que les monocotylédones, déjà parues dans les marnes irisées, y sont réellement représentées. La longueur de cette période a dù être considérable. Les calcaires y dominent et constituent de puissantes as- sises. Les eaux minérales qui ont amené de l'intérieur de la terre ces masses énormes de calcaires, ont dû sans doute ré- pandre dans l’air tout l'acide carbonique qui tenait le sous- carbonate en dissolution. Elles ont dù contribuer pour beau- coup à l'humidité de l'atmosphère et à l'élévation de sa tem- pérature. Les circonstances qui avaient été favorables à la végétation de la flore des houillères se reproduisent ici, et nous voyons en effet les régions végétales prendre de l’éten- due et se couvrir de plantes plus variées. Comme la végétation de la période jurassique varie pen- dant sa longue durée en conservant toutefois des caractères d'analogie très-frappants, M. A. Brongniart l’a partagée en plusieurs flores distinctes, où quelques espèces seulement sont communes. Il y a même réuni l’époque que nous venons RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 9367 d'indiquer comme étant celle des marnes irisées, et dont la végétation a de grands rapports avec celle des terrains juras- siques. Il nous reste donc à passer'en revue : 1°. l’époque du Lias ; 2°. l’époque de l'Oolite ; 3°. l’époque Wealdienne. 1. Epoque du Lias. — La flore du lias offre pour ca- ractère essentiel l’augmentation considérable des cycadées. La famille des fougères reste cependant toujours dominante sur les autres familles. En ajoutant, dit M. A. Brongniart, à cette flore les espèces nouvelles signalées par M. Fr. Braun., elle s’accroitrait de 25 et se trouverait ainsi portée à plus de cent, comprenant 47 fougères et autres cryptogames acro- gènes , et 90 dycotilédones gymnospermes, dont 39 cyca- dées et 11 conifères. Les caractères essentiels de cette époque sont donc : 1°. la grande prédominance des cycadées , déjà bien établie, et la présence de genres nombreux dans cette famille, et surtout des Zamites et des Nilssonia ; 2°. l’existence parmi les fougères de beaucoup de genres à nervures réti- culées, qui se montraient à peine et sous des formes peu variées dans lesterrains plus anciens, mais dont quelques-uns cependant commençaient à paraître dans la période du Keuper. Tels sont les Camptopteris et les Thumatopteris. M. Braun admet aussi à cette époque la présence de plu- sieurs monocotylédones, probablement aquatiques, qu'il dis- tribue dans ses deux genres Poacites et Cyperites. 2. Epoque de l'Oolite. — L'époque de l’oolite a été sans doute une des plus belles et des plus fertiles de la nature. Environ 100 espèces de plantes composent sa flore connue. Ce sont encore de jolies fougères ; les unes à larges frondes , comme l’Hemitelites Schouvii, Brong. ; d’autres légères et délicates comme les Sphenopteris et les Hymeno- phyllites. Un des caractères remarquables de cette époque, 368 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. dit M. A. Brongniart, est la rareté des fougères à nervures réticulées, si nombreuses dans le lias. Æ{ espèces compo- sent la totalité de cette famille, et 11 appartenant aux marsiléacées , aux équisétacées et aux lycopodiacées, por- tent à 52, c'est-à-dire à la moitié du total , le groupe des cryptogames acrogènes. : -La prédominance des cycadées est remarquable, leur nombre s'élève à 33 ; mais déjà l’on voit diminuer le nombre des Ctenis et des élégants Pterophyllum , déjà il y a moins de Nilssonia , genres dont les formes appartiennent à l’an- cien monde , et l'on voit au contraire de très-nombreuses espèces appartenant aux Zamites, aux Otozamites, qui représentent les cycadées de notre époque ; les conifères, au nombre de 12 à 13, ne sont plus les mêmes que celles du Keuper, quant aux espèces, mais elles y tiennent par les genres. Indépendamment de ces plantes qui ornaient les rivages des grandes mers oolitiques, le paysage prit un aspect singulier par l'apparition du groupe des pandanées. Le fruit globuleux du Podocaria Bucklandii, Unger, appartenait sans doute à des arbres au large feuillage disposé en spi- rales, et à racines aériennes comme celles des Pandanus qui habitent nos contrées tropicales. Une autre famille, qui fait aujourd’hui le plus bel ornement de la terre , venait ombra- ger de ses larges palmes les eaux tièdes où nageaient les Ictyosaurus , les Plesiosaurus et cette foule de hideux rep- tiles qui régnaient alors sur la terre. Les Carpolites conica, C. areolata, C. Bucklandii, annonçaient la présence des palmiers et nous montraient toute la majesté de leurs formes. Ainsi apparaissent successivement, dans les âges dumonde, les familles qui existent encore à l’époque où nous vivons, RAPPORTS AVEC LES ÉVENEMENTS GÉOLOGIQUES. 3069 et qui semblent n’avoir occupé la terre qu'aux temps fixés par le sublime auteur de toutes les créations. 3. Epoque Wealdienne. — Une dernière formation à laquelle les eaux douces semblent avoir bien plus contribué que celles de la mer, nous montre la terre couverte d’îles nombreuses, repaires de gigantesques reptiles qui se trai- naient dans la fange ou vivaient à l’ombre d’épaisses forêts. 60 espèces végétales ont déjà été recueillies, et, sur ce nombre, la moitié au moins appartient aux cryptogames acrogènes. La famille des fougères nous offre toujours ses espèces arborescentes au feuillage découpé. Les Protop- teris erosa, Unger, de nombreux Pecopteris buissonneux, des Alethopteris , des Sphenophyllum et le joli Neuropteris Huttonii , Dunkr., croissent en toufles sous l’ombrage des Pterophyllum Humboldtianum , Dunck., et des gigantes- ques Zamiostrobus crassus. À la même famille appartient peut-être aussi le Clathraria Lyelli, qui semble avoir formé des forêts étendues. A ces végétaux se Joignaient aussi des conifères dont les Abietites , les Juniperites et surtout d’abondants Brachy- phyllum, étaient les curieux représentants; aussi la plus grande analogie de végétation règne pendant ces diverses périodes des terrains jurassiques. Les circonstances clima- tériques , les milieux ambiants semblent rester les mêmes, et la végétation ne subit aucune de ces transformations que nous allons voir se produire dans les époques suivantes. III. À mesure que nous nous éloignons des temps de la créa- tion primitive et que, traversant les âges, nous nous rap- prochons lentement de l’époque actuelle, les sédiments se reti- IV 24 370 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. rent des régions polaires, et se restreignent dans les zones tempérées ou équatoriales. Les grandes couches de sables et de calcaires qui constituent la formation crayeuse , annon- cent un état de choses bien différent du précédent. Les saï- sons ne sont plus masquées par la chaleur centrale, il existe déjà des zones de latitude , déjà les conditions biologiques des êtres vivants se rapprochent de celles que nous éprou- vons et la végétation prend un caractère tout particulier. Jusqu'ici deux classes de végétaux avaient dominé les au- tres ; les cryptogames cellulaires d’abord , les dicotylédones gymnospermes ensuite , et, à l'époque où nous sommes arri- vés, époque transitoire pour la végétation, les deux classes qui avaient régné auparavant s’affaiblissent, et une troisième, celle des dicotylédones angiospermes prend timidement pos- session du terrain. Composée d’abord d’un petit nombre d’es- pèces, elle occupe seulement une petite partie du sol; elle veut ensuite le partager , et dans les périodes suivantes, comme dans la nôtre, nous verrons son règne solidement établi. C’est en effet pendant la période crétacée que l’on voit naître les premières dicotylédones angiospermes. Des fougères arborescentes se sont maintenues, et les élégants Protopteris Singert, Presl. , et P. Buvignieri, Brongn. , li- vrent encore leurs frondes légères aux vents de cette période agitée. Des Pecopteris différant des espèces Wealdiennes , vivent dans les mêmes lieux. Des Zamites, des Cycadites et des Zamiostrobus annoncent, à l’époque crayeuse, une tem- pérature encore élevée. De nouveaux palmiers se montrent, et parmi eux on remarque surtout le Flabellaria chamæropi- folia, Gœæp., qui devait porter de majestueuses couronnes. Les conifères ont résisté bien plus que les cycadées; elles formaient alors, comme de nos jours, de grandes forêts où les Damarites, les Cunningamites, les Araucarites, les RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 371 Eleoxilon , les Abietites, les Pinites, etc. rappellent des for- mes encore existantes mais dispersées sur tous les points de la terre. De cette époque datent les Comptonites, attribués aux myricées, l’Alnites Friesi, Nils., que l’on regarde comme une bétulacée, le Carpinites arenaceus, Gœæp., qui serait une cupulifère , les Salicites qui représenteraient nos saules ar- borescents. Les acérinées auraient leur Acerites cretaceus, Nils., et les juglandées leur Juglandites elegans, Gœp. Mais l'apparition la plus intéressante de cette période est celle des Crednaria, de ces feuilles aux trois nervures, dont la craie compte déjà huit espèces, et dont la place reste incer- taine dans la classification. Les Crednaria, comme les Sali- cites, étaient certainement des arbres, ainsi que la plupart des espèces qui vivaient à ces époques reculées. Pourquoi, dès l’apparition de ces nouvelles familles, avons-nous sous les yeux des espèces arborescentes? La pre- mière explication qui se présente est la solidité des tissus dans ces espèces, et la délicatesse des plantes herbacées qui s’oppose à leur conservation. L’adhérence des feuilles, qui ne leur permet pas de se détacher de leur tige et d’être en- trainées par les vents, peut aussi être invoquée comme une des causes qui donnent aux arbres une grande prédominance. Cependant on connaît des espèces très-délicates herbacées , des cryptogames fugaces qui ont été conservées, et s’il faut nécessairement faire la part des causes de destruction que nous venons d’énoncer , on doit peut-être aussi considérer sous un autre point de vue la prééminence des espèces li- gneuses. La température élevée qui est favorable aux plan- tes arborescentes , existait alors dans ces localités, comme elle existe aujourd'hui sous les tropiques, et c'est une condi- tion favorable à l’état de choses que nous avons observé. 372 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. D'un autre côté, si l’aggrégation des individus végétaux , comme celle des animaux, était un signe d'imperfection , nous arriverions à ce résultat singulier de voir apparaître d’a- bord les familles les moins parfaites, c'est-à-dire celles où le nombre des arbres et, des plantes vivaces l’emporte de beaucoup sur les plantes annuelles, et nous voyons en effet les fougères, les cycadées, les conifères, les amentacées , groupes dans lesquels il n’existe même de nos jours aucune plante annuelle, se présenter les premières sur la terre, et être encore accompagnées d'espèces arborescentes appartenant à d’autres familles. Nous ne trouvons au contraire, dans des terrains même plus récents, qu’un bien petit nombre de dé- bris de crucifères, de synanthérées, d’ombellifères, familles qui renferment le plus grand nombre de plantes monocar- piennes, et dans lesquelles les arbres sont de véritables ex- ceptions. LV. Les siècles s’écoulent et les âges du monde se succèdent, en se rapprochant de l'époque où Dieu a permis à l’homme d'exister. Après ces grands dépôts de craie formés dans les eaux marines, de nouveaux continents s'élèvent, et leurs sur- faces encore imbibées sont bientôt ravinées par de nouveaux torrents. La période tertiaire est arrivée, cette époque de sédi- mentations locales, qui doit être silongueet pendant laquelle la terre a dù nous offrir ses plus riches créations. Notre globe devait alors présenter entre la terre et les eaux une disposi- tion analogue à celle qu'il a conservée de nos jours. Quel- ques bras des mers s’avançaient encore sur les continents, quelques portions des terres aujourd’hui réunies, étaient alors des îles, mais l’ensemble était sensiblement le même, quant aux grandes masses de terrains. | RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 313 Ce qui caractérise surtout cette période, c’est la présence d’une multitude de lacs, maintenant pour la plupart dessé- chés ; c’étaient souvent des bassins étagés dont les vallées actuelles nous montrent les traces les plus évidentes; c’é- taient des courants puissants qui les alimentaient et dont les lits encore indécis laissaient à leurs eaux un parcours ir- régulier et changeant. La température de la période tertiaire était assez élevée pour donner à la végétation une grande activité. Tous les êtres vivants pullulaient sur la terre sous l'influence des heu- reuses conditions qui existent encore sous la zone tropicale. Plusieurs formes du monde primitif perdent tout-à-fait la vie dès l'apparition de cette période, et ces végétaux moder- nes qui pendant le dépôt de la craie essayaient de se multi- plier sur la terre , y dominent pendant tous les temps que nous allons parcourir. Des familles nouvelles apparais- sent, celle des palmiers devient prépondérante, Les dicotylé- dones gymnospermes , les seules de cette grande classe qui se fussent montrées dans les anciens dépôts, conservent seule- ment quelques représentants , et les dicotylédones angios- permes, les diverses monocotylédonées deviennent prédomi- nantes comme elles le sont maintenant sur toute la surface du globe. Les conifères qui persistent dans les terrains ter- tiaires, appartiennent à des genres de régions tempérées. Mais au reste ce que nous appelons ici la période tertiaire, est une longue succession de petites époques dont l’âge est presque impossible à établir, car nous pensons que les lati- tudes ont exercé une grande influence sur chacun des bassins partiels qui composent ces terrains. Nous croyons que les caractères que nous attribuons à un étage distinct de ce ter- rain, ont pu se montrer successivement, dans des temps dif- férents, sur des points éloignés, et nous ne pouvons jeter « J14 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. que quelques vues d’ensemble sur la magnifique végétation de cette période. Malgré toutes nos incertitudes sur l’âge des bas- sins , nous adopterons provisoirement, ayec M. A. Bron- gniart, la division ordinaire admise par la plupart des géolo- gues, et nous partagerons cette grande période en trois épo- ques, les terrains tertiaires enférieurs, moyens et supé- rieurs ; ces derniers se rattachent à la période diluvienne, qui n’est elle-même que le commencement de l’époque ac- tuelle, en sorte qu'il y a liaison intime, au moins pour la vé- gétation, entre la fin de la période de la craie et la période actuelle, au moyen des divers étages du terrain tertiaire. 1. Terrains tertiaires inférieurs. — Cette première époque nous rappelle entièrement les paysages tropicaux de l'ère actuelle, dans les lieux où l’eau et la chaleur impri- ment ensemble à la végétation une force et une majesté inconnues dans nos climats. Les algues, qui déjà à la fin de la période crayeuse peuplaient les eaux marines, 5e montrent sous des formes encore plus variées au commen- cement des dépôts tertiaires, quand ils ont lieu sous les eaux marines. Des hépatiqueset des mousses croissent dans les lieux humides ; de jolies fougères, comme les Pecopteris, les Tœæ- niopteris, et l’Equisetum stellare, Pomel , vivent encore dans les lieux frais et humectés. Les eaux douces sont remplies de nayades, de Chara, de Potamogeton, de Caulinites, de Zosterites et d’Halochloris. Leurs feuilles nageantes ou submergées comme celles de nos plantes aquatiques , recè- lent des légions de mollusques dont les débris sont aussi arrivés Jusqu'à nous. De très-nombreuses conifères vivent pendant cette époque. M. Brongniart en énumère 41 espèces, qui pour la plupart nous ramènent aux formes actuelles des pins , des cyprès, des thuia , des genévriers, des sapins, des ifs et des éphédra. RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 379 Des palmiers se mêlaient à ces groupes d’arbres verts ; les Flabellaria parisiensis, Brongn., F. rhapifolia, Stern, F. maxima, Ünger, et des Palmacites, étalaient leurs larges couronnes près de magnifiques Higtea , malvacées sans doute , arborescentes comme plusieurs d’entre elles le sont de nos jours dans les climats très-chauds. Des plantes grimpantes, telles que le Cucumites variabilis, Brongn., les nombreuses espèces de Cupanioides apparte- nant l’une aux cucurbitacées, les autres aux sapindacées, enlaçaient leurs tiges autour des troncs sans doute ligneux de légumineuses variées. Les familles des bétulacées, des cupulifères montraient la forme alors nouvelle des Quercus ; des juglandées, des ulmacées, se mêlaient aux proteacées reléguées aujourd’hui dans l'hémisphère austral. Des Dermatophyllites, conser- vées dans le Succin, paraissent appartenir à la famille des éricinées , et le Trapa Aretusæ, Unger, du groupe des œno- thérées, flottait sur les eaux peu profondes où végétaient les Chara et les Potamogeton. Cette flore nombreuse comprend plus de 200 espèces, dont 143 appartiennent aux dicotylédones, 33 au mono- cotylédones et 33 aux cryptogames. Les arbres y dominent comme dans la période précé- .dente ; mais le grand nombre de plantes aquatiques s’ac- corde avec les faits géologiques qui placent à cetté époque les lacs étendus qui divisaient les continents, et la présence de vastes haies marines qui pénétraient dans les terres. 2. Terrains terliaires moyens. — A cette seconde époque des terrains tertiaires, autant du moins qu’on puisse en juger par les débris retrouvés, lés algues et les monoco- tylédones marines deviennent moins abondantes que dans la précédente, les fougères diminuent encore, la masse 376 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. des conifères s’affaiblit et les palmiers multiplient leurs espèces. Quelques-unes , déjà citées à l’époque précédente, semblent appartenir encore à celle-ci, et de magnifiques Flabellaria animent le paysage avec de beaux Phœænicites qui se montrent pour la première fois. On remarque dans les conifères des genres nouveaux parmi lesquels on dis- tingue le Podocarpus, cette forme australe du monde actuel. Presque toutes les familles arborescentes ont des représen- tants : les myricées, bétulinées, eupulifères, ulmacées , morées, platanées, salicinées, laurinées , combretacées, calycanthées, légumineuses, anacardiées , zanthoxilées, juglandées, rhamnées, acérinées, apocinées, rubiacées, composent les forêts de cette époque, où pour la première fois des types si différents sont réunis. Les eaux se couvrent du Nymphœa Aretusæ, Brongn., et du Myriophyllites capilifolius , Unger ; le Culmites anomalus , Brongn., et le C. Gœpperti, Munst., naissent à profusion sur leurs bords, et le grand Bambusinites sepultum les ombrage de ses longues tiges articulées ; des espèces analogues .décorent de nos jours les grandes rivières du nouveau monde. Une ombellifère est même indiquée par M. Unger , c’est le Pim- pinellites zizioides. De cette époque datent des couches puissantes de lignite, résultat de l'accumulation séculaire de tous ces arbres dif- férents. Il semble que la végétation arborescente atteigne alors son apogée. Des Smilacites enlaçaient comme des lianes ces grands végétaux qui tombaient sur place de vétusté. Quelques parties de la terre nous offrent encore ces grandes scènes de végétation. Elles ont été décrites par les voyageurs qui ont parcouru les régions tropicales, où sou- vent la nature déploie le luxe le plus grandiose sous des rideaux de nuages qui ne permettent pas aux rayons du RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 377 soleil de venir éclairer la terre. M. d’Orbigny en rapporte un exemple très-intéressant : « J’avais atteint, dit-il, une zone (rio Chapuré, Amérique du sud) où il pleut régulièrement » toute l’année. A peine aperçoit-on par intervalle les rayons » du soleil à travers les rideaux de nuages qui le voilent » presque constamment. Cette circonstance, jointe à la cha- » leur, donne un développement extraordinaire à la végéta- » tion. Les lianes tombent de toutes parts en guirlandes du » haut des arbres dont le sommet se perd dans la nue (1). » Les espèces fossiles de cette période , au nombre aujour- d’hui connu de 133, se rapprochent déjà de celles qui embellissent nos paysages. Déjà les plantes équatoriales sont mélangées de végétaux des climats tempérés ; mais ce ne sont pas encore nos espèces. Les chênes croissent à côté des palmiers, les bouleaux avec les bambous, les ormes près des laurinées , les érables sont unis aux combrétacées, aux légu- mineuses et aux rubiacées tropicales. Les formes des espèces appartenant aux climats tempérés sont plutôt américaines qu’européennes. ŸY 3. Terrains tertiaires supérieurs. — Arrive enfin cette dernière époque qui a précédé la nôtre, cette époque où les zones tempérées étaient encore embellies par les formes équatoriales qui déclinaient lentement, chassées par un cli- mat refroidi et par l’envahissement d’espèces plus vigou- reuses. Les grandes commotions terrestres ont eu lieu , les montagnes ont recueilli des neiges éternelles, les continents offrent leurs formes actuelles, mais de grands lacs, aujour- d’hui desséchés , existent encore ; des rivières puissantes promènent majestueusement leurs eaux sur de riantes cam- pagnes, où l’homme n’est pas venu modifier la nature. (4) D'Orbigny, Voyage, t. 5, p. 153. 378 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. 212 expèces composent cette flore, où les fougères du monde primitif sont à peine indiquées, d’où les palmiers ont peut-être disparu tout à fait, et où l’on voit les formes se rapprocher bien davantage de celles que nous avons cons- tamment sous les yeux. Le Culmites arundinaceus, Unger, abonde autour des eaux, où croît aussi le Cyperites tertia- rius, Unger, où nage le Potamogeton geniculatus, Braun, et où vit sans doute submergé l’Isoetites Braunnii, Unger. De grandes conifères forment toujours des forêts. Cette belle fa- mille a, comme on le voit, traversé toutes les époques pour venir nous offrir son port élégant et sa verdure persis- tante ; les Taxodites, les Thuyoxilon , les Abietites, les Pi< nites , les Eleoxylon , les Taxites sont les formes les plus abondantes. Le caractère dominant de cette époque est l'abondance du groupe des amentacées ; tandis que les conifères sont au nombre de 32 , le groupe précédent a 52 espèces, parmi lesquelles nous retrouvons en abondance les genres européens tels que : Alnus, Quercus, Salix, Faqus, Betula, Carpr- nus, etc. Les familles suivantes constituent la flore arbores- cente de cette époque, outre celles que nous venons d’imdi- quer : balsamiflorées , laurinées , thymélées, santalacées, cornées, myrtacées, calycanthées, pomacées, rosacées, amyg- dalées , légumineuses , anacardiées, juglandées , rhamnées, célastrinées, sapindacées, smilacinées, acérinées, tiliacées, magnolacées, capparidées , sapotées , styracées , oléacées , éhénacées, ilicinées, éricinées. Dans toutes ces familles se trouvent un grand nombre de genres européens, souvent même plus abondants en espèces qu'ils ne le sont maintenant. Ainsi, comme le fait observer M. Brongniart, on compte, dans cette flore, 14 espèces d’é- rables, 13 espèces de chénes, et ces espèces proviennent de RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 379 deux ou trois localités très-circonscrites, qui, dans l’époque actuelle, ne présenteraient probablement, dans un rayon de quelques lieues, que 3 ou # espèces de ces genres. Cette richesse de certains genres arborescents et les for- mes particulières des espèces qu'ils renferment , jointes à la présence et au mélange de genres tout à fait étrangers, éta- blissent des points de contact très-marqués entre cette der- nière flore et celle qui occupe aujourd’hui une partie de l'Amérique du Nord , la Chine et le Japon et les pentes de l'Himalaya. Les rapports que nous avons signalés plus haut entre ces diverses régions botaniques et la nôtre, sont bien plus marqués avec cette dernière époque des terrains ter- tiaires qu'avec notre époque actuelle; mais 1l restait encore, dans cette végétation ensevelie , des genres qui se sont ré- fugiés sous la zone torride , des Bauhinia, des Cassia, d’au- tres légumineuses arborescentes dont nous ne conservons plus de traces dans nos climats. À peine si cette flore nous donne quelques plantes herbacées, et, comme dans celle de l'Amérique du Nord, les arbres y sont multipliés et variés, tandis qu’en Europe la flore arborescente s’est singulière- ment appauvyrie. Les rapprochements entre la flore fossile dont nous ve- nons de parler et la flore américaine sont si saillants, que, « malgré les analogies générales qui existent entre les végé- taux de ces terrains (tertiaires supérieurs) et ceux qui vi- vent actuellement dans les régions tempérées, aucune espèce, dit M. Brongniart , ne paraît identique , du moins avec les plantes qui croissent encore en Europe ; et si, dans quelques cas rares, des identités complètes paraissent exister, c’est entre ces végétaux fossiles et des espèces américaines. Ainsi, la flore de l’Europe, même à l’époque géologique la plus ré- cente, était très-différente de la flore européenne actuelle. » o 380 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. On conçoit que des recherches ultérieures puissent modi- fier nos connaissances sur les flores des différentes périodes géologiques, car à peine connaissons-nous , sous ce rapport, quelques points de l'Europe. Aussi n’avons-nous présenté, dans cet aperçu de la géographie botanique fossile de l’Eu- rope, que des résultats saillants, qui ont de l'importance par leur généralité, et que les découvertes futures ne peuvent guère altérer. Il restera sans doute toujours constant que les cryplogames cellulaires dominaient aux premiers âges du monde , que les dicotylédones qymnospermes ont régné à leur tour , et que le nombre des dicotylédones angios- permes a été en augmentant depuis là période où elles se sont montrées jusqu’à celle où nous vivons. Les trois grandes divisions établies par M. A. Brongniart reposent sur un en- semble de faits si constants , que nous devons les regarder comme l'expression de la vérité. V. Le théâtre où se joue le grand drame du monde a changé plusieurs fois de décors avant que l’homme ait pu en saluer l’auteur de ses respectueuses acclamations. À son apparition sur la terre, il a levé les yeux vers le ciel, et les merveilles des cieux l’ont ébloui ; il les a baissés vers la terre , et la beauté de sa parure l’a pénétré d’admiration. Tous les âges de la nature ont tracé leur empreinte sur ce globe , qui est devenu son séjour et son tombeau. La singulière végétation du monde primitif a laissé son image dans les îles du grand Océan; les palmiers et les cycadées forment encore une ceinture équatoriale autour de la terre; les conifères sont répandues partout, et les formes des terrains les plus mo- dernes se sont réfugiées dans l’Amérique du Nord ou dans RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 9381 l'Asie tempérée. Une variété extraordinaire de types essen- tiellement modifiés est le caractère de cette flore contempo- raine , où le nombre des espèces est en rapport avec la di- versité des sites et des climats. Lorsque la température était uniforme, lorsque la terre ne présentait encore que des îles ondulées et des mers sans rivages, les formes des êtres vivants, et surtout celles des végétaux terrestres, soumises aux mêmes influences, offraient partout de l'uniformité. Quand, plus tard, les montagnes soulevées amenèrent sur les continents des différences de niveau ; quand la cha- leur centrale, comprimée par une couche épaisse de terrains refroidis, laissa aux saisons une légère prépondérance sur son action; quand l'atmosphère, par suite de l'émission des sources calcarifères, changea de composition et peut-être de densité, la variété des flores augmenta comme celle des lieux et des causes alors agissantes. Plus tard encore , de grandes chaînes de montagnes ont surgit, en élevant leurs cimes au-dessus des mers ; les conti- nents existent et s'étendent au loin, les eaux douces ou sa- lées emplissent des bassins, l’atmosphère est épurée, la chaleur centrale est refoulée , et les saisons indépendantes exercent tout leur empire. Jamais , avant l’époque actuelle, il n’y eut sur notre planète autant de diversité; des glaces aux deux pôles, des sommets neigeux sous la zone torride , une ceinture brülante entourant la terre, et des zones tempérées offrant aux végétaux des stations aussi diversifiées qu'ils le sont eux-mêmes, et les flores se pliant à chacune de ces con- ditions, multipliant leurs types et leurs espèces , comme la terre a différencié elle-même les conditions de leur habi- tation. Ainsi les plantes se succèdent, augmentant en nombre à chaque période jusqu’à la nôtre, où sans doute les limites "382 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. des caractères ne sont pas encore fixées pour toutes les plantes qui croissent sous nos yeux. Admettrons-nous pour l’Europe une création nouvelle à chacune des époques dont nous avons signalé les différences ? Croirons-nous davantage à des émigrations lointaines pour venir repeupler des terres dévastées par les révolutions géo- logiques ? Nous voyons, au contraire, les espèces fossiles les plus récentes de l'Europe réfugiées, si elles existent encore, dans l'Amérique et dans l'Asie tempérées. Les migrations pe s’opèrent qu'avec lenteur ; elles n’acquièrent tous leurs développements que pendant les longues périodes de tran- quillité, et souvent ces colonies , loin de leur mère-patrie et soumises à de nouvelles influences, s’altèrent et perdent en partie leur caractère originel. Une espèce végétale, sur les limites de son aire d’extension , n'offre le plus souvent que des variétés déjà considérées comme espèces nouvelles par des botanistes qui se hâtent trop peut: être, mais auxquels les siècles futurs donneront raison. S'il est un fait digne d’être remarqué en comparant les dernières flores fossiles à la végétation actuelle , c’est le peu d'expansion géographique des espèces. Chaque bassin ter- tiaire a ses formes particulières , qui très-souvent sont nette- ment localisées, et il est probable que l’aire d'extension de chacune de ces espèces est plus rétrécie que celles qui sont occupées, à notre époque, par la plupart des plantes. La lon- gueur évidemment croissante des périodes géologiques a dù avoir une action très-positive sur l’irradiation des plantes, et la diversité des stations , jointe au long intervalle accordé aux migrations, ont dù faciliter les modifications successives et augmenter lentement le nombre des espèces, ou des formes qui le deviendraient, par la stabilité ou la force d’ha- bitude. RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 983 Nous ne pouvons croire que Dieu, auquel nous devons tout rapporter, quels que soient nos systèmes ou nos hypo- thèses, ait accompli des créations nouvelles chaque fois qu'il a marqué la terre d’un signe destructeur. N’est-il pas plus simple et plus digne de sa haute sagesse de lui voir modifier ses productions par les conditions biologiques dont il les entoure , que de renouveler la création des germes dont une fois pour toutes il avait doté la terre? Nous ne pouvons voir, dans la végétation admirable qui couvre maintenant notre globe, que les descendants modifiés de ces types que nous avons essayé de faire revivre , et dont nous n'avons exhumé les débris que pour montrer leur ana- logie avec les espèces actuelles dont nous cherchons à dévoiler l'origine. L'Europe, composée d’abord de grandes îles séparées par des mers, a bientôt réuni les points divers de son archipel ; les dépôts houillers et jurassiques qui ont comblé la mer en- vironnante ont été soulevés à des époques plus modernes , et des points éloignés , séparés par des eaux profondes, ont été réunis en un continent découpé, qui forme la partie oc- cidentale de l'Asie. Sur laquelle de ces îles primitives sont nées les premières plantes qui ont émigré sur les autres ? Sont-elles venues du centre de l’Asie, ou sont-elles propres aux lieux qui les possèdent ? Nous l’ignorons. Mais , à l’époque de la flore qui a précédé la nôtre, il est certain que de grandes portions des terres de France étaient alors émergées, et que le plateau central, qui n’a jamais été recouvert par les eaux marines, était une des contrées les plus anciennes du monde. Il était donc couvert de cette végétation arborescente des deux der- nières époques , et la flore variée que recèlent ses couches calcaires et ses lignites schisteux ne peuvent laisser aucun 384 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. doute dans les esprits. Alors il avait ses grands lacs creusés dans les terrains primitifs, communiquant souvent ensemble, et versant leurs eaux dans la Limagne, qui de tous était le plus grand , ou dans le vaste bassin de la Loire, qui les con- duisait à l'Océan. Les volcans n’avaient pas encore paru, et le grand plateau granitique , qui s'étendait sur un vaste es- pace, ne pouvait offrir alors qu'une élévation de 1,000 à 1,100 mètres tout au plus sur sa majeure partie. Un relief plus élevé se manifestait entre le bassin de la Loire et celui de l’Allier ; la chaîne du Forez était déjà sou- levée, avec des points culminants de 12 à 1,400 mètres; la Margeride , toute primitive , existait aussi , mais les grandes sommités, toutes volcaniques, ne paraissaient pas encore. Nous sommes certain qu’à cette époque la végétation du plateau central était celle des terrains tertiaires moyens , et tout au plus celle de l’époque suivante. L'apparition des trachytes signale , pour le centre de la France, une surélévation qui n’est peut-être pas considé- rable, mais leurs larges coulées fondues et les grands amas de leurs tufs ponceux ont dàù détruire une grande partie de la végétation. | Si ces premières éruptions volcaniques ne datent pas de la même époque que les terrains tertiaires supérieurs, elles n’en sont pas éloignées, car les couches ponceuses qui ont été stratifiées dans de petits bassins renferment, dans leurs assises, des empreintes de plantes qui n’appartiennent plus à nos climats , et qui nous prouvent que si déjà la flore ac- tuelle commençait à s'emparer du sol, elle le partageait au moins avec celle de l’époque précédente. La période très-longue, pendant laquelle les basaltes et leurs conglomérats ont fait irruption, a commencé presque en même temps que les trachytes et n’a fini qu'avec la sor- RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 385 tie des premières laves modernes. Ce que nous avons dit des trachytes, peut donc leur être appliqué , et de grands terrains se sont trouvés dépourvus de toute espèce de végé- taux. Enfin les éruptions modernes se sont fait jour, les cô- nes de scories se sont élevés et les laves ont encore coulé dans un grand nombre de localités. Mais, dans ces derniers temps, la végétation était sans doute sur la terre ce qu’elle est aujourd'hui, et les plantes ont eu à reconquérir le sol que l'incendie venait de dévaster. Les époques volcaniques de l’Auvergne ont cela d’inté- ressant qu'elles ont complétement changé l'altitude des trois groupes où nous trouvons maintenant les espèces les plus variées de notre circonscription. Il est bien certain que les Pyrénées étaient depuis long- temps soulevées, et que, postérieurement au relief qu’elles avaient acquis immédiatement après le dépôt de la craie, la chaîne des Alpes était arrivée aussi, après plusieurs com- motions distantes les unes des autres, à la grande élévation qui lui donne en Europe toute son importance. Le plateau central ne pouvait avoir alors acquis son alti- tude actuelle. On peut donc faire deux suppositions : ou bien les produits volcaniques, à partir des trachytes, se sont ac- cumulés et ont élevé successivement les groupes du Can- tal, du Mont-Dore et du Mezenc, en se superposant, ou bien un soulèvement ultérieur, agissant de nouveau avec une certaine violence , aura fait acquérir un nouveau relief à tous ces produits préalablement accumulés. Nous touchons ici à la question longtemps débattue des cratères de soulèvement que nous avons longuement traitée ailleurs, et qui, selon nous , est aussi évidente pour le Cantal et le Mont-Dore qu’elle l’est pour le pic de Ténériffe et pour le puy Chopine. Quelle que soit l’idée qu’on adopte à cet égard, le plateau _ 25 386 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. central n’aurait acquis sa plus grande élévation qu'après le soulèvement des Pyrénées et des Alpes ; seulement, si l’on. se rangeait à notre avis, en considérant le Cantal et le Mont- Dore comme des cratères de soulèvement , il faudrait encore rechercher l’époque où cette dernière perturbation aurait eu lieu. | M. Elie de Beaumont, attribuant le soulèvement au phe- nolte, le place par conséquent à la fin.des trachytes ou pendant le commencement des éruptions basaltiques. La surélévation de ces groupes aurait eu lieu avant l’époque actuelle, alors que l’on pourrait encore considérer la végé- tation comme appartenant à la période diluvienne. Nous croyons, au contraire, que la date de ces cratères de soulèvement est la même que celle des volcans moder- nes; et comme les laves de ces derniers ont coulé dans les vallées entièrement creusées, comme le sol, depuis cette époque, n'a plus éprouvé de dégradations, cette date appar- tient à l’époque actuelle. Il en résulterait que les grands massifs volcaniques du centre de la France n'auraient subi que depuis très-peu de temps une élévation suffisante pour nourrir des espèces alpines ou pyrénéennes, et que les plantes de ces deux grandes chaînes, qui s’y trouvent actuellement , devraient être considérées comme des colonies parties de ces deux centres. Si, d’un autre côté, la Laponie et le nord de l’Europe et de l'Asie, peut-être même le nord de l'Amérique, ont envoyé des émigrants se fixer sur les Alpes et sur les Pyré- nées, ces émigrants n'auraient pu en même temps trouver des conditions favorables sur le plateau central, puisque son altitude n’était pas suffisante ; de sorte que si nous avons des espèces arrivées du nord, elles sont venues de proche RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 387 en proche jusqu’à leur limite méridionale, et si nous en avons qui aient besoin d’une altitude plus grande , nous les avons sans doute reçues des Alpes ou des Pyrénées, qui peuvent elles-mêmes les tenir de pays beaucoup plus septen- trionaux. Nous ignorons comment les chaînes de monta- gnes ont été peuplées. Sont-ce des plantes de plaines plus septentrionales qui se sont avancées quand le sol a pu les recevoir ? Sont-ce des espèces vivant dans les lieux mêmes des soulèvements , qui , transportées comme celles de cer- tains blocs erratiques, ont survécu et se sont modifiées ? Beaucoup de genres ont leurs espèces , montana, frigida, nivalis, alpina, pyrenaica ; bon nombre d’espèces ont des variétés qui portent les mêmes dénominations , et quand on compare dans un même genre une espèce pyrenaica et une espèce alpina , on y trouve souvent des ressemblances si grandes, que l’on se demande si ce ne sont pas deux simples variétés , ou pour parler plus exactement, deux modifications produites sous des influences analogues , et qui maintenant ont acquis la stabilité de l’espèce. Au premier abord, il paraît plus naturel de penser que les espèces ont été créées dans les plaines, et qu’elles se sont avancées sur les montagnes quand elles y ont trouvé des conditions que l’altitude rendait, par compensation, sembla- bles à celles de leur patrie primitive. On voit en eflet les espèces du Nord et celles du Midi s'étendre jusqu’à une certaine limite de la contrée où elles sont le plus abondantes et le plus vigoureuses. On voit les plantes méridionales rester à des hauteurs variables sur le flanc des montagnes sans en atteindre les sommets. On voit au contraire celles du Nord sauter des plaines méridionales et se montrer au-dessus d’elles sur de hautes montagnes. Ces considérations ne peuvent pas nous empêcher d’ad- 388 RÉPARTITION DES CENTRES DE CRÉATION. mettre des créations locales sur les montagnes comme dans les plaines. Il existe en Laponie des espèces qui ne se ren- contrent ni dans les Alpes ni dans les autres chaînes de mon- tagnes suffisamment élevées pour leur permettre de végéter, et la plupart des régions montagneuses ont aussi leurs es- pèces particulières. C’est donc une tentative téméraire que de vouloir assigner d’une manière absolue à chaque espèce un centre de création particulier, et dans l’essai que nous allons tenter pour le plateau central de la France, nous nous estimerons très-heureux si nous pouvons seulement arriver à l'établissement le plus voisin auquel nous puissions ratta- cher nos émigrés. Dans la théorie de la filiation des espèces, un centre n’au- rait pas créé, mais seulement modifié, et une fois la modifi- cation stabilisée par l'habitude, c’est-à-dire par l'influence prolongée des mêmes conditions, la nouvelle espèce dérivée et devenue permanente pendant toute la durée des mêmes conditions, pourrait s’en éloigner avec le temps et agrandir son aire d'extension. Quelle que soit lathéoriequ’on adopte, il faudra toujours convenir qu'il existe ou qu'il a existé des centres de créations ou de modifications, et il faudra les chercher dans les lieux où la végétation n’est pas mélangée, dans les contrées où il existe des plantes spéciales. Pour nous la Laponie, les Alpes, le centre de l'Allemagne, les Pyrénées, les bords de la Méditerranée, peut-être même la lisière occidentale de la France, de l'Espagne et du Portugal, sont des centres de créations où des lieux qui ont modifié les espèces et en ont créé de nouvelles. Le plateau central de la France est au contraire un point où viennent se croiser des aires nombreuses d'extension des espèces. Nous n’y trouvons pas de plantes particulières , mais une flore mélangée où les colonies du Nord rencontrent RAPPORTS AVEC LES ÉVÉNEMENTS GÉOLOGIQUES. 389 les émigrants partis de la Provence ou de l'Italie, où les plantes de la Germanie et peut-être de l’Asie se mêlent en majorité à quelques espèces occidentales, et où les migrations alpines et surtout pyrénéennes se disputent les sommets qu’elles ont conquis depuis longtemps. Aucun point de la France ne pouvait mieux nous servir d'exemple que ce carrefour de la végétation ; nous y avons choisi notre demeure. Espion solitaire et attentif d’un règne à qui la terre appartient , nous avons cherché à surprendre quelques-uns de ses mystères, et ce sont les résultats de trente années de patientes investigations que nous allons consigner dans la suite de cet ouvrage. rue 2 LUMES +: RE if pa : U AAA 43t “ia FIAT PARC T4 MALTA Jubii E: LI u L L , L ; : \ i 1 : A é }- # CIE re . (a * a ñ 54e Ne: PE > " . Intib “ ER : 14 hi % te ui D Là Li Lu dy sn) 4 MR nd CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET PARTICULIÈRES SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE ET LES RAPPORTS NUMÉRIQUES DES ESPÈCES VÉGÉTALES EN EUROPE. Nous abandonnons ici l’ordre numérique des chapitres, pour adopter celui des familles naturelles que nous allons maintenant passer en revue ; mais avant d'entreprendre une tâche aussi considérable , nous devons indiquer en quelques lignes les motifs qui nous ont guidé et la marche que nous avons cru devoir suivre. Il nous était impossible d’énumérer toutes les espè- ces d'Europe, puisqu'il n’en existe pas même de cata- logue complet, et qu’une flore d'Europe serait un ouvrage immense que personne encore n’a entrepris. Si nous ne pou- vons citer toutes les espèces de cette partie du monde , il nous est facile de donner quelques renseignements sur les familles de plantes européennes , et d'obtenir ainsi un coup d’œil général sur la végétation de cette portion de la terre. Nous offrons donc le tableau complet de la distribution géo- graphique des groupes européens. Nous ne devonsmême pas nous borner à l’Europe, et nous avons essayé de poursuivre nos comparaisons dans une partie de l’Asie et dans d’autres régions où ces familles ont aussi des représentants. 392 CONSIDÉRATIONS Une fois les généralités posées , nous avons besoin d'exemples , et nous les avons naturellement choisis sur le plateau central de la France, dont nous avons pu étudier la végétation dans ses moindres détails. Les volumes sui- vants de cet ouvrage contiendront donc les mœurset la géo- graphie des espèces de cette partie de la France. Nous y résumerons, avec autant de concision qu’il nous sera possi- ble, les faits que nous avons commencé à recueillir en 1826, et que nous avons continué d’enregistrer avec assiduité depuis cette époque pendant trente années consécutives. L'histoire des plantes les plus communes est celle qui occupe le plus de place ; c'est aussi celle qui est la plus complète. Nous n’avons pas la pensée d'écrire une flore, de décrire les plantes, ni de donner le signalement des genres et des familles. Nous n'avons pas la prétention de les faire recon- naître par les caractères extérieurs et saillants que nous indiquons. Nous cherchons seulement à donner des notions sur leur port , leur manière d’être dans leur état sauvage. Nous essayons de reconnaître leurs mœurs, leurs usages, leur vie, comme ces voyageurs qui cherchent dans des con- trées lointaines, non l’anatomie de l'espèce humaine dont tous les détails sont connus, mais les coutumes et la manière de vivre des peuplades qui se présentent à leurs investigations. Nous avons mis dans cet examen autant de vérité et de scrupuleuse exactitude que l’on peut’en exiger dans les descriptions des caractères. On conçoit cependant qu'il peut s’être glissé dans notre travail quelques erreurs de détail. Quand on décrit une plante que l’on a sous les yeux, il suf- fit de bien voir et d’appliquer à son signalement les expres- sions destinées à peindre toutes les particularités de forme et SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 393 de structure que présentent ses organes. Si, au contraire , on veut connaître la vie de cette plante, savoir ce qu’elle est étant jeune, ce qu’elle devient pendant son adolescence, quels sont ses goùls et ses tendances, si l’on veut assister à son mariage, à la naissance et à la maturation de ses fruits, à la dispersion de ses graines et rechercher même la part d'influence qu’elle apporte aux harmonies de la nature, on ne peut accomplir un tel travail qu’en consacrant sa vie en- tière à cette étude attrayante. Le résultat consiste en des notes courtes, morcelées, datées de toutes les époques de l’année ; ces notes sont faites en des lieux et en des temps très-différents, entourées de circonstances qui ont pu modifier plusieurs des phénomènes observés. Il peut donc y avoir des erreurs dans notre travail. Il serait même difficile qu’il en fût autrement. D'un autre côté, nous avons dû aussi recueillir les obser- vations de nos devanciers, en tenir compte, les vérifier, quand cela nous était possible , et si nous avons été assez heureux pour rectifier quelques faits erronés, nous devons craindre aussi d’en avoir accepté quelques-uns d’inexacts. Nous n’entrons pas dans ces détails pour qu’on excuse nos errements, mais pour qu'on n’attribue pas à cette flore, faite sous un point de vue tout nouveau, une perfection qu'elle ne peut avoir. Malgré ses défauts, nous avons cru utile de l’entreprendre et de l’offrir comme une sorte de cadre que des observations ultérieures viendront remplir. Nous avons pensé surtout qu'il était temps d’enlever à la science des fleurs une partie de l’aridité qu’elle acquiert tous les jours, en mettant à côté de cette rigidité de termes et de caractères, que nous approuvons du reste, une histoire de mœurs destinée à reposer l'esprit. Nous aurions pu abréger beaucoup notre travail en réu- 394 CONSIDÉRATIONS nissant en séries et en tableaux les noms des espèces qui présentent les mêmes phénomènes et en écrivant une seule description pour toutes. Ainsi, un tableau aurait pu nous donner la nomenclature de toutes les fleurs météoriques, de toutes les feuilles qui s’endorment le soir, de toutes les espè- ces dont la fécondation s’opère avant l’épanouissement, de tous les fruits qui s'ouvrent pour disséminer leurs graines , etc., ete. Mais ces diverses séries de noms de plantes ne nous offriraient aucuns détails sur ces phénomènes qui, à la vérité, sont les mêmes dans un grand nombre d'espèces, et qui ce- pendant sont loin de présenter à nos yeux les mêmes particularités. Nous désirons savoir si nos fleurs météori- ques s'ouvrent le jour ou la nuit, quelles sont les heures de leur épanouissement, le temps de sa durée, la manière dont il s'opère. Nous voulons connaître, dans le sommeil des plantes, la manière dont les feuilles se disposent pour s’assoupir, leur degré de somnolence et de sensibilité ; nous cherchons à deviner les mille moyens que la nature emploie pour opérer la fécondation, pour ouvrir les fruits, pour semer les graines. Il n’est peut-être pas deux espèces bien obser- vées qui aient les mêmes mœurs et qui présentent les mêmes apparences physiologiques. Si le style linnéen , admirable de clarté et de précision , se prête facilement à exprimer les caractères descriptifs , 1l ne peut plus convenir pour écrire la vie d’une espèce, pour la suivre dans toutes les phases de son existence, pour écrire les détails variés que nous offre cette existence , qui n’est autre chose qu’une série de curieuses métamorphoses qui commencent quand la plante reçoit la vie, et qui persis- tent même au delà de sa mort dans les espèces aggrégées. D'un autre côté, 1l convient que tout ce qui se rattache à la vie d’une même plante soit réuni, et que son histoire SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 395 comprenne à la fois sa naissance , ses amours, ses combats, ses voyages et ses tendances. Cependant, pour ne pas répéter indéfiniment la descrip- tion de phénomènes communs à plusieurs espèces et quel- quefois même à tout un genre, nous nous sommes contenté de décrire ces mœurs en parlant de l’espèce principale et presque toujours de la plus répandue. Quand les genres sont formés de types distincts ou de sections dans lesquelles les diverses espèces viennent se ranger, nous avons encore évité, autant que possible, de revenir sur les caractères com- muns, et les détails donnés sur une seule espèce de chacun de ces types nous ont paru suffisants. Après la description physiologique, l’étude des mœurs et linfluence de l’espèce sur le paysage , nous abordons sa géographie , c’est-à-dire sa distribution sur la terre. Nous suivons chaque espèce partout où elle s'étend , dans tous les lieux où elle s’écarte, et, prenant les extrêmes de son. extension aux quatre points cardinaux, nous obtenons deux espèces d’écarts, exprimés en degrés de longitude et de lati- tude. Les chiffres de ces deux écarts, multipliés l’un par l’autre, en produisent un troisième que nous appelons le carré d'expansion de l'espèce. On conçoit déjà, et nous montre- rons par la suite toute l'importance de ces carrés d’expan- sion et le parti que l’on peut en tirer dans l’étude de la dis- pérsion des plantes. ILest très-vrai que ces carrés d’expansion, au moyen des- quels nous fixons la valeur de l’aire géographique , ne la représentent pas avec une grande exactitude ; ils offrent , en général, trop de surface , puisque nous prenons pour les obtenir quatre points extrêmes, et que la courbe fermée qui représente l’aire d’extension inscrite dans ce carré ne la touche que par ces quatre points. Il doit rester, dans les 396 CONSIDÉRATIONS angles de ce carré ou de ce parallélogramme , des espaces qui, en réalité, ne sont pas occupés par l’espèce , et que nous attribuons à tort à son aire d’expansion. Mais, d’un autre côté, 1l est impossible que nos quatre points représen- tent les limites parfaitement exactes des écarts en longitude et en latitude, et comme les erreurs sont nécessairement en moins, Nous avons supposé que ces erreurs en moins COm- penseraient les erreurs en plus, et nous avons adopté le carré comme étant l'expression qui approche le plus de la vérité. Lorsque ces carrés sont très-étendus , et que les points épars qui y sont inscrits laissent entr’eux de grandes éten- dues d’eau, comme la Corse et les Baléares , l’Europe et l'Amérique , nous n'avons pas cru devoir soustraire la sur- face submergée sur laquelle la plante n’existe pas, car nous avons voulu exprimer, par nos chiffres, la puissance d’ex- tension de cette espèce, et si l’espace occupé par la mer était émergé, il est bien probable qu'il serait envahi par elle. 3e nous eussions agi de la sorte, il eût fallu le faire aussi, plus forte raison , pour les espèces qui n’habitent , sur 4 continents , que des espaces très-circonscrits , très-éloignés les uns des autres, et qui, par des considérations de station, des conditions biologiques ou des causes qui nous échappent, ne se trouvent que de loin en loin, et sans traces de os existence dans les lieux intermédiaires. Pour que les carrés d'expansion pussent nous donner une valeur exacte, il faudrait encore que la terre füt plane, sans abris , et que les espèces pussent s’y développer en toute liberté. Dans l’état réel des choses , l'altitude , l’exposition, la station viennent à chaque instant modifier les limites d’ex- tension , et comme les flores dans lesquelles nous devons puiser nos documents ne nous renseignent pas sur ces dé- SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 397 tails, nous ne pouvons faire entrer ces considérations se- condaires dans la détermination des aires géographiques. L’altitude est certainement la cause modifiante la plus active, et, si nous la connaissions toujours exactement, nous pourrions donner une valeur de correction à sa quantité. II semble même , au premier abord, qu’en la transformant en zones de 400 mètres , par exemple , ou en hectomètres , et en multipliant la surface connue par le nombre d’hectomè- tres indiqué , on obtiendrait, non plus le carré , mais le cube d’extension , et qu'on aurait ainsi une valeur plus réelle et plus comparable. On est arrêté, dès le début, dans ce mode d'évaluation ; on reconnaît bientôt que l’altitude a une valeur très-diffé- rente, selon qu’elle existe au nord ou au sud de l’aire d’ex- tension. Elle vient, dans les deux cas, en compensation de la latitude, en sorte qu’au lieu de se servir de l'altitude pour cuber le carré , il faudrait la soustraire Si elle était indiquée au sud et l’additionner si elle était au nord. Dans l’impos- sibihté de faire ces corrections, faute de données suffisantes, nous avons négligé l'altitude , et, à plus forte raison, les causes moins influentes d'erreur. Nous croyons cependant, et nous en avons pour ainsi dire la preuve , que les résultats généraux n’en seront pas altérés. | Des modifications, plus importantes et plus difficiles en- core à constater, se rencontrent dans les plantes des champs et surtout dans celles des moissons. Leurs semences , trans- portées par l’homme et malgré lui, à son insu , se sont ré- pandues partout et ne se trouvent plus dans leur gisement naturel ni très-certainement dans la station qu'elles occu- paient primitivement. Il nous est même impossible, la plupart du temps, de reconnaître la contrée dont elles sont origi- naires, 398 CONSIDÉRATIONS D'un autre côté, ces espèces sont peut-être les seules qui nous offrent une aire d’extension complète et dont les con- tours soient arrêtés. Ce sont des espèces qui, de même que les plantes cultivées , ont été semées partout et ont réussi dans tous les lieux où leur vie était possible , on peut dire alors quelle est réellement leur puissance expansive , tout en restant dans l'ignorance de leur véritable patrie. Les espèces absolument spontanées ne nous présentent pas le même avantage. Nous pouvons et nous devons croire qu’elles n’ont pas atteint leurs limites expansives, qu’elles élargissent tous les ans leur aire d’extension, et, ce qui le prouve, c’est que très-souvent nous voyons apparaître de nouvelles espèces dans un pays, c’est que souvent des plantes étrangères, semées accidentellement, se maintiennent et se propagent ; c’est que les individus, se multipliant à l'infini, cherchent de l’espace pour se développer, et toutes ces rai- sons doivent nous faire considérer les aires d’extension ac- tuelles comme étant toujours en voie d’agrandissement.*. Les difficultés les plus grandes que nous ayons rencontrées en cherchant l’aire d'expansion des espèces , tiennent sur- tout à l’incertitude des déterminations et peut-être à l'in- certitude de l’espèce elle-même. En effet, comment déter- miner où s'arrêtera le Rosa canina, le Rubus fruticosus, le Thalictrum mayjus et tant d’autres espèces sur les caractères desquelles les botanistes sont loin d’être d’accord ? Une partie des espèces linnéennes ont été décomposées, et tel botaniste accorde à une forme le titre d’espèce, tandis qu’un autre en fait à peine une variété. Nous n'avions à notre disposition qu’un seul moyen d’éviter ces difficultés, c'était de conserver autant que possible les espèces ou les groupes linnéens, et, lorsque nous n’étions pas sûr de déterminations appréciées de diverses manières par des auteurs différents, SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. . 399 de faire la géographie du groupe au lieu de celle de l’espèce, laissant aux botanistes futurs la possibilité d’entrer dans de plus grands détails et de diviser des aires d'expansion éten- dues, en aires plus petites et distinctes contenues dans la plus grande. Enfin, avant d'étudier le mode de dispersion des familles européennes , nous devons dire aussi quelques mots de la valeur du nombre proportionnel des espèces ou de l’arith- métique botanique. Dans un mémoire récemment publié par M. Alphonse de Candolle, dans la bibliothèque universelle de Genève, mé- moire extrait d’un ouvrage inédit de géographie botani- que, ce savant discute l’importance des nombres et des proportions pour représenter la végétation d’une contrée (1). Il reconnaît, comme tous les botanistes, que la compa- raison de la proportion relative des cryptogames et des phanérogames est sans importance, attendu que l’on ne connait pas l'aire d'expansion des cryptogames. Il fait re- marquer aussi qu'à moins de comparer les nombres des di- -cotylédones et des monocotylédones sur des flores très-bien faites ou sur des contrées très-vastes, il est difficile d’arriver à des résultats importants ; autrement dit, la connaissance imparfaite des monocotylédones et la plus grande extension des espèces appartenant à cette grande classe de végétaux , sont les causes qui altèrent la valeur des données numéri- ques. M. Alph. de Candolle rappelle aussi que la fréquence des individus et leur effet dans la végétation n’est pas en rap- port avec le nombre des espèces de chaque groupe. Nous sommes tout à fait d'accord avec le savant profes- (4) Bibloth. universelle de Genève , décembre 1854, p. 281 et suiv. 400 CONSIDÉRATIONS seur de Genève sur ces différents points, et nous l’avons prouvé en distinguant, comme M. Thurmann, la flore du ta- pis végétal, en supprimant les cryptogames de nos calculs, ainsi que par les nombreuses observations que nous avons faites sur la valeur des monocotylédones, sur le groupement des familles en classes, et enfin en décrivant, dans des chapitres particuliers, l’aspect de la végétation du plateau central de la France et de quelques autres régions. Nous pensons malgré la justesse des observations de M. Alph. de Candolle, que l’arithmétique botanique peut con- duire à des résultats vrais et très-mtéressants; nous croyons même en avoir donné des preuves dans le cours de ce tra- vail (1). Déjà, en 1821, M. de Humboldt disait : « Ce se- » rait oublier la marche par laquelle les sciences physiques » se sont élevées progressivement à des résultats certains, » que de croire qu’il n’est pas encore temps de chercher les » éléments numériques de la géographie des plantes (2). » Depuis cette époque, les voyages et les progrès de la bo- tanique ont bien changé la face de la géographie des plantes, et les chiffres qui indiquent, dans une contrée ou dans une station déterminée, la proportion de chaque forme ou de cha- que famille végétale, ont un grand intérêt. Il est vrai que ces résultats ne peuvent pas toujours indiquer l’aspect du paysage, attendu que le nombre des espèces appartenant à un groupe | naturel n'implique pas toujours que ces espèces soient domi- nantes, et qu’elles couvrent le sol sur une grande étendue, mais ces rapports donnent une idée très-nette du mélange qui constitue le tapis végétal , de sa variété et de sa nature. (1) C’est à M. R. Brown que l’on doit les premières notions sur les rap- ports des grandes classes de végétaux. Il les a émis dans le Flinder’s voyage lo terra australis , 1. 2, p. 558. (2) Humboldt, Annales de chimie et de phys., t. 16, p. 282 (1821). SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. AO1 . En géographie botanique, comme dans beaucoup d’au- tres sciences, et surtout dans les rapports numériques des familles, il existe une foule de petites perturbations locales, auxquelles il ne faut pas attribuer une trop grande impor- tance, car, si l’on étudie une plus vaste surface de pays, ces petites irrégularités disparaissent et se perdent dans l’éten- due, comme les variations accidentelles du baromètre quand on examine de longues séries d'observations. . Nous terminons en faisant remarquer que nous n’avons pu donner une exactitude rigoureuse aux déterminations de lati- tude et de longitude dont nous nous servons pour indiquer les limites géographiques des contrées et des groupes de végé- taux, ainsi que des espèces. Nous avons négligé les minutes pour nous en tenir aux nombres ronds des degrés, et, quand une contrée occupe une grande surface, nous avons tâché de découvrir , entre ses limites d’étendue, la ligne véritable ou probable qui sert de point d'arrêt à l'espèce. Ces approxi- mations nous ont paru suffisantes dans l’état actuel de la science. 1V 26 RENONCULACÉES. DICOTYLÉDONES THALAMIFLORES. FAMILLE DES RENONCULACÉES. Tableau des proportions relatives des espèces dans le sens Latitude. Nigritie. ...... ss. 00a 109 Abyssinie ........ 10 à 16 Algérie. .....roe. 33 à 36 Royaume deGrenade. 36 à 37 SECTE .. etes 37 à 38 Portugal 250.700" 37 à 42 Royaume de Naples.. 38 à 42 Caucase... oo. 40 à 44 Tauride........ .. 43 à 46 Plateau central. .... A4 à 47 Hrance.....… bb 42 à 51 Russie méridionale... 47 à 50 Allemagne......... 45 à 55 Carpathes......... 49 à 50 Angleterre... ...... 50 à 58 Russie moyenne. ... 90 à 60 Scandinavie entière... 59 à 71 Danemarck........ 92 à 97 Gothie 216706000001 à:89 des latitudes. 18° O0.à 5°E. à A1 E. à 6 E. à 8 O. à 13 E. à 11 O. à 16 E. 32 E. » 0. o 0. 10 E. 90: 11. E. 31 E. N —— 1 { Longitude. © 7 2 2 9 0 7 3 4 0 He en | = © à 48 E à 34 E. a 246 à GE. AW E. .àd4 E. “à 22° 4 70 . à HSE .… à 290 ..à 1200 Es: 4 1978 ie 92 46 49 52 36 36 39 37 39 30 30 29 29 39 30 28 39 31 PROPORTIONS RELATIVES. 403 Latitude. Longitude. TONNERRE 55°à :690 100 E. à 220 E. 1 : 98 Norge... SuALIL SE NAL0: EE... 2 : 31 Russie septentrie.... 60 à 66 19 E.à 57 E. 1 : 32 Finlande, = ........ 60:à:70 18 E.a28 E..;:1 :,.28 Laponte-........ 65 à 70, 14 E.à.40 E. 1 24 Tableau des proportions relatives des espèces dans le sens des longitudes. a Latitude. Longitude. Irlande: ........ HA DO 100: à 1900 MENU Angleterre. ..... SAS MO AT NO. MES Allemagne . ..... 50 à 56 UE. At LUE. “A:n199 Russie moyenne .. 50 à 60 17 E.à 58 E. 1: 30 Sibérie de l’Oural. 4% à 67 15 E.à 74 E. 1: 39 Sibérie altaïque... 44 à 67 66 E.à 97 E. 1: 25 Sibérie du Baïkat.. 49 à 67 93 E.à116 E. 1 : 21 Dahurie......... 50 à 55 110 E. à119 E. 1 : 19 Sibérie orientale.. 56 à 67 111 E.à 163 E. 1 : 21 Sibérie arctique... 67 à 78 60 E. à 161 E. 1 : 157 Kamtschatka..... HO à OT TASTE: à 170 E: ,41,:5.:510 Pays desTschukhis. " » 155 E. à 175 O. 1 : 16 les de l'Océanor". 51 à 67 170 E. à 130 O. 1: % Amérique russe... 54 à 72 170 O.à 130 E. 1 : 21 Tableau des proportions relatives des espèces dans le sens des alhitudes. Latitude. Altitude en mètres. Roy.deGren.,rég.alp.etniv. 360à 37° 1500 à 3500 1:34 Roy. deGrenade, rég. nivale. 36 à 37 2500 à 3500 1:24 Pyrénées: 2" 1... .... 42 à 43 500 à 2700 1:21 Pyrénées élevées . ........ 42 à43 1500 à 2700 1:22 Pic du Midi, de Bagnères .. » » » 404 . RENONCULACÉES. Latitude, Altitude en mètres. Plat. central, rég. montagn. 4A°à 470 500 à 1900 1 :27 Plateau central, sommets... 4% à 47 1500 à 1900 1:50 Alpes. 0e, LUS ARE . 45 à 46 500 à 2700 1:24 Alpes élevées... ......... 45 à 46 1500:à 2700 1:25 Tableau des proportions relatives des espèces dans les îles. ë Latitude. Longitude. Iles du Cap-Vert... 1203149 2400. à 2700. » Cinaries 2.2.0 -+ 28 à 30 145 O.ù 2000-17 Hébrides. O4: R. 07 à 58 8 O. à 10 O. 1:66 Orcades TI SERS 59 5 O.à 6 0. 1:45 Shetland, 28.25. .0% 60 à 61 3 O0. 40.1: Feroë 4e ss AR 62 9 O. 1:29 Islande. 84 8 088 66 16 O. à 27 O. 1:37 Mageroë........... 71 24h E. 1:21 Spitzherg . ...... s. + 79 à 80 10 E. à 20 E. 1:19 Ile Melville... ...... 76 114 O. 1:13 Ile J. Fernandez... .. 93/2 AOS:' E 76.0. À Nouv. Zélande (nord). 35 à 42$. 171 O. à 176 O. 1:56 Malouines. ........ 52S. 59 O. à 65'0:1:95 Les renonculacées constituent un groupe important , remarquable par la beauté de ses fleurs et leur apparition printanière. Elles sont dispersées sur toute la terre , mais elles affectionnent plus particulièrement l'hémisphère boréal. Elles craignent les pays chauds, et notre premier tableau démontre clairement leur tendance vers les régions froides ou glacées qui sont rapprochées du pôle nord. Nous les voyons augmenter en nombre presque régulièrement depuis l'Espagne et le littoral de l'Afrique, jusqu’en Laponie, où elles font le 12% de la végétation phanérogamique. Si on les rencontre sous le climat brülant de l'Afrique PROPORTIONS RELATIVES. 405 ou du midi de l'Europe, c’est sur les montagnes qu’elles se réfugient. Dans le sens des longitudes, nous remarquons aussi une progression presque régulière de l’ouest à l’est. Elles préfè- rent évidemment cette dernière direction , et, en combinant cette tendance vers l’est avec celle que nous avons reconnue dans la direction du pôle, nous arrivons précisément à la Sibérie altaïque , aux contrées qui entourent le lac Baïkal, à la Dahurie et au Kamtschatka , qui sont les régions les plus riches en renonculacées, puisque ces plantes y font de 1119 à 1725 de la flore. Le pays des Tschukis est encore mieux partagé, puisque les renonculacées y font 1116 ; mais nous devons conserver quelques doutes sur l'exactitude de ces chiffres. L'Amérique russe nous donne 1121, tandis que les contrées les plus occidentales, comme l'Irlande et l'Angleterre, ne nous offrent que 1142.et 1159, ce qui nous donne un minninum de nombre sous les méridiens 0 à 13, O. en Europe, et un maximum sous les méridiens 100 à 175, E. en Asie. La Sibérie arctique, où l’on ne connaît qu'une seule espèce de cette famille, a été trop peu explorée pour que nous tenions compte de cette exception. Dans le sens des altitudes , nous ne pouvons offrir qu’un tableau très-incomplet qui semble indiquer une tendance à la diminution sur les sommets élevés, tendance bien réalisée pour le plateau central, et sensible aussi dans les Alpes et les Pyrénées élevées. Si un résultat opposé se manifeste dans les montagnes du royaume de Grenade, il tient à la latitude qui diminue le nombre des renonculacées et qui leur permet de paraître en plus forte proportion dès qu’une altitude suffisante compense la situation trop méridionale. Nôus voyons les mêmes tendances se représenter dans les iles. Dans les climats chauds où les îles sont plus tempérées 406 RENONCULACÉES. que les continents voisins, le chiffre des renonculacées aug- mente. Dans les îles situées à l’ouest du méridien de Paris, leur nombre est inférieur à celui des continents voisins ; tandis que dans les îles placées à l’est de notre méridien , la proportion est relativement plus grande que sur les continents dont elles dépendent. L'ile Melville offre même la grande proportion de 1113, qui est la plus élevée de toutes. Ces plantes qui disparaissent des régions tropicales, abs- traction faite des montagnes, reparaissent vers le pôle sud, et deviennent même assez nombreuses dans quelques îles de cet hémisphère, notamment aux Malouines. G. CLEMATIS. Lin. Distribution géographique du genre. — Les clématites sont nombreuses et répandues sur toute la terre. Leur nombre s'élève environ à 130. Elles sont disséminées , en Europe, depuis la Russie jusqu’au Portugal et aux iles Baléares ; en Asie, depuis la Sibérie de l'Oural jusqu'aux grandes Indes et à Java, jusqu’à la Chine et au Japon. Elles se montrent dans les deux Amériques , dans plusieurs iles de la Polynésie et jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Ainsi, elles vont d’un pôle à l’autre, depuis les rivages de la mer jusque sur les pentes des plus hautes montagnes. La France n’en possède que peu d'espèces, et deux seulement habitent le plateau central. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du Centre, du Sud et du Nord de l’Europe. Royaume de Grenade.......... 3 Plateauisentral...... 21% @%s0L4 2 Laponie est 0.77 ME 0 CLEMATIS. 407 CLEMATIS FLAMMULA , Lin. — Ligneuse , mais à peine sarmenteuse, cette espèce se fait remarquer par ses beaux thyrses de fleurs blanches. Elle forme d’élégants buissons qui n’ont pas toujours besoin d'appui. C’est ainsi qu’elle se présente le long des chemins, sur le bord des vignes, sur la lisière des bois , où elle est assez commune. — En juin et juillet paraissent ses fleurs. La floraison commence par l'épa- nouissement de la fleur du centre dans chaque fascicule, mais dans la panicule générale, ce sont les fascicules infé- rieurs qui s'ouvrent les premiers , en sorte que la floraison est très-prolongée. Ces fleurs nous ont paru hermapliro- dites ; il n’y aurait rien d'étonnant , du reste, que quelques- unes d’entr’elles. fussent unisexuées, car dans la même section de ce genre, plusieurs clématites de la Nouvelle-Hol- lande et de l'Amérique du Sud sont polygames et même dioiques. — Les fruits , comme dans l’espèce suivante, for- ment de légers panaches blancs dus à l'accroissement de longs styles plumeux. Nature du sol. — Les terrains rocailleux lui plaisent ; elle est du reste indifférente, nous l’avons rencontrée sur le sol d’alluvion , sur le calcaire jurassique , sur le grès du las, sur le grès houiller et sur le granit. Altitude. — Elle s'élève peu et reste dans la plaine. M. Boissier l’a vue , dans le royaume de Grenade, atteindre l'altitude de 1,700 mètres et occuper, par conséquent, une large zone , depuis les bords de la mer Jusqu'à cette éléva- tion. Dans notre flore, elle ne monte pas même sur les montagnes des Cévennes. Géographie. — C'est une espèce méridionale qui, dans notre circonscription , n’abandonne pas la région des oli- viers. Elle existe dans tout le midi de la France et tout au- tour du bassin de la Méditerranée. On la trouve en Grèce, 408 RENONCULACÉES. en Espagne, dans le royaume de Grenade , où M. Boiïssier l’a vue le long des ruisseaux, dans sa région chaude. On la reucontre en Portugal , dans la majeure partie de l’Itahe, dans le royaume de Naples, en Sicile. M. Boué l'indique en Turquie ; elle occupe aussi le Caucase et l’Asie-Mineure, et Desfontaines la cite dans les haies de l'Algérie. Le- debour ne l'indique qu’avec doute en Pologne et en Lithuanie. : | Limites d'extension de l'espèce. SUL MANGER EU Écart en latitude : Nord , Plateau central........ 4% | 110 Occident, Portugal. ......... 11 O.)Écart en longitude: Orient, Asie-Mineure........ 50 a. 61° Carré:d’expansion. sept id O7 CLEMATIS VirazBa , L.— C’est, pour notre contrée, la seule plante ligneuse de cette famille, une de celles qui eon- tribuent le plus à embellir le paysage. Elle représente les hanes des régions chaudes de la terre ; elle enlace , comme elles, les arbres et les buissons, pénètre dans les haies et les bosquets, et forme des dômes et des berceaux impénétrables. Elle est commune partout ; elle se groupe en larges buis- sons composés de deux sortes de tiges , très-longues , sar- menteuses , poreuses et articulées. Les unes stériles, s’ac- croissent indéfiniment et avec une extrême rapidité. Ce sont les seules qui se développent quand la plante, pénétrant dans des bois trop feuillés, ne reçoit plus assez de lumière pour fleurir et fructifier. Ces tiges donnent, dès le mois d'avril, de jeunes feuilles roulées sur leur surface supérieure et enfermées dans des bourgeons munis seulement de quel- ques écailles. Les autres tiges, plus courtes et plus tardives, CLEMATIS. 409 portent les fleurs. — Quoique grimpante, cette clématite n'a pas de vrilles, et ses tiges tordues, mais non volubles , ne servent pas à la soutenir. Elle se fixe au moyen des pétioles de ses feuilles, qui s’enroulent autour des corps voisins, sans direction déterminée , tantôt à droite, tantôt à gauche, in- différence assez rare dans les organes des plantes grim- pantes. Les feuilles sont articulées et tombent à l'automne. — Les fleurs paraissent, en juin et juillet, en belles grappes parfumées d’un blanc jaunâtre, et leur épanouissement se suc- cède pendant longtemps, comme dans l'espèce précédente. Les pétales sont oblongs et cadues. — Des fruits élégants leur succèdent ; les styles se sont allongés et sont garnis de’ poils soyeux; les pédoncules , inchnés lors de la floraison, se sont redressés, ils persistent pendant longtemps, et sou- tiennent, au-dessus des haies et des buissons, ces bouquets blancs et vaporeux qui décorent l'automne , et qui prêtent encore quelques charmes aux tristes paysages de l'hiver. Nature du sol. — Tous les terrains conviennent à la clé- matite ; elle est indifférente, mais préfère cependant ceux qui sont meubles et frais. Les sables des rivières sont sa station privilégiée ; on la trouve aussi sur les calcaires , les granits et sur toutes les roches volcaniques. Altitude. — Elle ne monte guère, sur le plateau central, au-dessus de 1,000 mètres. Elle affectionne plutôt la plaine ou la base des coteaux. En Suisse , elle ne monte pas non plus et ne dépasse pas la région des noyers. | Géographie. —- Elle est commune dans nos trois régions, comme dans toute la France et dans la majeure partie de l'Europe. Elle occupe l'Espagne, le royaume de Grenade et se retrouve encore en Barbarie. — Au nord, elle avance, à travers l'Allemagne et la Prusse, jusque sur les bords de la mer Baltique, dans le Holstein, où elle semble atteindre sa 410 RENONCULACÉES. limite, car nous l’y avons vu fleurir en octobre , et ses#fruits ne pouvaient y mürir. Ledebour l'indique aussi dans la Russie moyenne.—On la rencontreen Portugal, en Angleterre, dans toute l'Italie et la Sicile, en Turquie, en Grèce, en Syrie et dans la majeure partie de l’Asie-Mineure. Limites d'extension de l'espèce. Nord, Holstein:-..". ae se 00 290 Occident Portugal: >... 11 0: Orient, Asie-Mineure........ 50 E. Carré d’expansion ...... cor. 1942 SUUN AIBÉTRE. seine sels nie se se 1000 D en latitude : Écart en longitude : 61° G. THALICTRUM, Lin. Distribution géographique du genre. — Ce genre, qui contient environ 80 espèces , est essentiellement boréal, et la majeure partie des types assez mal définis qui le compo- sent forme une ceinture tout autour du pôle nord. La Si- bérie , la Dahurie et les parties froides de l'Amérique sep- tentrionale sont les contrées qui nourrissent le plus grand nombre d'espèces de Thalictrum. La Sibérie seule en compte près de 20 espèces. La Russie en a quelques-unes qui lui sont spéciales et d’autres qui avancent en Allemagne. Cette partie du globe , avec la France , la Suisse , la Belgique et l'Angleterre, offre d’assez nombreuses espèces qui cherchent de préférence les montagnes ou les lieux abrités. L'Europe australe n’a qu’un petit nombre de plantes de ce genre, dont une belle espèce habite les Pyrénées, et dont quelques représentants, en très-petit nombre, arrivent jusqu'en . Grèce, en Calabre, en Sicile et en Espagne. De la Sibérie , les Thalictrum s’avancent aussi dans le Nepaul et jusque THALICTRUM. 411 dans les Indes orientales. On en connaît même deux espèces en Chine et une au Japon. — L'Afrique en est presque dé- pourvue. Une espèce existe cependant en Abyssinie.— Quant aux Thalictrum de l'hémisphère sud, ils se réduisent à une espèce de la Cafrerie ou du Cap, pour la pointe de l’Afrique, à trois pour toute l'Amérique méridionale et une pour Java. — Quelques Thalictrum sont cosmopolites ; ce sont ceux qui, originaires des régions polaires , retrouvent ailleurs, sur lés montagnes, les mêmes conditions d'existence , et peuvent, comme le T. alpinum, habiter la Sibérie, le nord de l'Amérique, la Suisse et quelques autres montagnes de l’Eu- rope. — Cette partie du monde présente , à elle seule, bon nombre de Thalictrum dont il est très-difficile de préciser le chiffre , à cause des difficultés que présentent les carac- tères des espèces successivement séparées ou réunies par les .botanistes. — La France est riche en ce genre, proportionnel- lement à son étendue et à son climat ; nous n’en connais- sons qu'un petit nombre de bien déterminés sur le plateau central. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du centre, du sud et du nord de l’Europe. Royaume de Grenade. 25008 MIRÉCACBRITAIR ee eme most eo MAPDRIEe ess ec seine il Il est très-difficiie de déterminer exactement les Thalic- trum, et, par conséquent, presque impossible de rapporter à chaque type les indications données par les divers botanistes et voyageurs. On devra donc les considérer plutôt comme des groupes que comme des espèces déterminées. Nous rap- porterons les 7 espèces à trois groupes seulement, les 7. 412 RENONCULACÉES. aquilegifolium , T. flavum et T, minus ; ce dernierscom- prend aussi les 7. majus, Jacq., T. sylvaticum, Koch., T. saxatile, Schl., T. Jacquinianum , Koch., et peut-être en- core plusieurs autres. THALICTRUM AQUILEGIFOLIUM, Lin. — Peu-répandue sur le plateau central, cette espèce se rencontre dans les lieux humides et un peu ombragés, dans les bois et surtout au bord des rivières. On la remarque à son léger feuillage et surtout à ses {leurs nombreuses et paniculées, dont les éta- mines , à longs filets blancs , roses ou améthystes, forment de charmantes aigrettes qui ne brillent qu’un instant. Ses fruits jaunâtres sont pédonculés, triangulaires et pendants.— Dans les bonnes expositions, ce Thalictrum fleurit en mai, tandis que ses branches latérales, plus tardives, prolongent sa floraison jusqu’à la fin du mois de juin. Ses pétales sont petits et fugaces ; ses fleurs ont l'odeur de celles du sureau , : puis un peu de l’odeur suave du Valeriana officinalis. Nature du sol. — X affectionne les terrains calcaires et marneux, un peu compactes, sans fuir absolument les sables ni les terrains siliceux , pourvu qu'ils soient humides, mais il n’acquiert son plus beau développement que sur les cal- caires. Altitude. — De Candolle lui assigne des limites d’alti- tude entre 1,000 mètres au Jura et 1,600 au val d'Eynes, dans les Pyrénées. M. Léon Dufour l'indique aussi à une grande élévation au pic d’Anie et au pic d’Amoulat , dans les Pyrénées. Sur le plateau central , il reste ordinairement bien au-dessous de la limite inférieure citée par de Candolle ; mais, dans la Haute-Loire, il monte davantage. Arnaud le cite aux Estables, entre les deux termes assignés par de Gandolle. M. Durieu l’a rencontré aussi en Espagne , dans THALICTRUM. 413 les Asturies alpines. Dans les montagnes des Alpes, où il se montre dans les lieux herbeux des vallées et sur leurs pentes élevées , il monte jusqu’à la limite supérieure des hêtres et atteint même 1,850 mètres. Nous-même l'avons vu au Simplon, à près de 1,800 mètres. | Géographie. — À ne considérer que le plateau central de la France, cette espèce appartiendrait plutôt à sa région méridionale qu'aux deux autres. On la trouve à la pointe australe de la Limagne , près de Brioude, et nous l'avons recueillie aussi à Mende , sur les bords du Lot. On ne doit pas , maleré cela, la considérer comme une plante du Midi, car il est très-difficile de fixer sa hmite dans ce sens , et si elle existe dans les Pyrénées , en Espagne et dans le royaume de Naples, elle ne s’y maintient que sur des points élevés. — Elle est, au contraire, abondante dans le Nord, en Alle- magne , en Danemarck, dans le Gotland et dans la Fin- lande australe. Wahlenberg l'indique en Suède dans les prés humides, sur la lisière des forêts , croissant surtout avec les aulnes. Ledebour la cite encore dans la majeure partie de la Russie. — Cette plante s’avance peu vers l’ouest, mais en revanche elle occupe un grand espace à l’est. On la connaît en Turquie dans les bois du Balkan, dans les Carpathes, dans la Sibérie, l’Altaï, la Sibérie orientale, et jusque sur les frontières de la Chine, en Dahurie. Linntes d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Naples..... 40° }Écart en latitude : NORME IANTE. - . .. 0. * UZ 290 Occident , France. .... A à duré | Écart en longitude : Orient, Dahurie........... 110 E. | 1100 Carré d'expansion. . ... 19e .02420 414 RENONCULACÉES. . TaazicrruM FLAVUM, Lin. — Rare sur le plateau central, ce Thalictrum ne se trouve que sur le bord de quelques rivières et dans quelques prairies humides. Il produit peu d’effet à cause de son isolement ; mais dans les contrées où il abonde et où on le trouve vivant en société , c’est une plante très-apparente, par sa tige épaisse et cannelée par son feuillage sombre et découpé, et par la multitude de ses fleurs que ses étamines nombreuses font paraître d’un beau jaune soufré. Ses racines sont d’un jaune magnifique. Il fleurit dans la dernière quinzaine de juin, et quoique ses fleurs, comme celles de tous les Thalictrum , soient très- fugaces, la plante en est longtemps couverte à cause de son mode d’inflorescence semblable à celui des clématites. Nature du sol. — Nous ne l’avons rencontré dans le rayon de notre flore que sur des alluvions marneuses ; mais c’est une plante indifférente qui aime l’eau , et qui, moyen- nant cette condition , prospère également sur le grès vos- gien, sur les granits ou sur les calcaires. Altitude. — Ses limites d'altitude devraient être éten- dues, car la plante vit au bord de la mer et atteint les régions les plus froides de l'Europe. Cependant on ne l'indique nulle part à une grande élévation. Il vit disséminé dans les prés marécageux de la Suisse comme dans ceux des envi- rons d’Upsal ; et, sur quelques points de la Suède , il devient littoral et évite les montagnes. Géographie. — Nous n’avons trouvé ce Thalictrum que sur un seul point du plateau central, en Auvergne. Mais en nous éloignant vers le nord, nous l’avons rencontré en abondance et vivant en nombreuses sociétés dans les prairies marécageuses autour de Bourges et de Vierzon. On le trouve dans la majeure partie de la France , soit le type véritable, soit les espèces qui se trouvent confondues avec lui. II THALICTRUM. 415 s'étend au sud dans la Provence , en Sicile , en Portugal, en Corse autour de Bastia, et jusqu’en Algérie. Sa principale direction est le Nord. Il occupe toute l'Europe septentrio- nale, toute la Russie, toute la Scandinavie, la Laponie jus- qu’à Altenfiord, où il atteint 70° 30° de latitude. On le connaît en Irlande et en Angleterre , en Servie et en Thrace, dans la Sibérie entière, où déjà Pallas le recueillait le 18 juin 1773. Il continue de se montrer dans la Sibérie de l’Altaï, dans celle du Baïkal, et va jusqu’au Kamtschatka. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Algérie... ..... state 33° }Écart en latitude : Nord, "Altenhord. ......... 70 370 Occident, Irlande.......... 10 O.)Écart en longitude: Orient, Kamtschatka........ 160 E.| tr0e Canréd'expansion «2 3 6290 TaanicrroM minus, Lin., et congénères. — Ces espèces stationnent dans les haies et dans les buissons , sur les pe- louses et les coteaux des montagnes; elles descendent même jusqu’au bord des ruisseaux. Par leur feuillage léger, dé- coupé, et souvent aussi par leurs fleurs nombreuses disposées en élégantes panicules, elles ornent les broussailles, et quand elles sont abondantes et réunies en groupes serrés, elles ne manquent pas d’une certaine élégance. — Comme tous les Thalictrum, leur floraison a une longue durée, et s’opère pendant les mois de juin et juillet, se prolongeant, dans les montagnes, jusqu’au milieu et même à la fin du mois d’août. Nature du sol. — Quoique paraissant avoir une prédilec- tion pour les sols calcaires et marneux , on rencontre aussi ces plantes sur les granits et les micaschistes, sur les basal- tes et les trachytes. Il est difficile, du reste, dans un groupe 416 RENONCULACÉES. aussi compliqué, de discerner les préférences réelles d’'espè- ces qu'il est presque impossible de séparer. Altitude. — Ms acceptent toutes les altitudes, nous les avons recueillis sur le bord de nos ruisseaux les plus bas et sur des sommets volcaniques qui atteignaient 1,600 mètres. M. Boissier cite le 7. minus, dans le royaume de Grenade, à la grande élévation de 2,150 mètres , et à un minimum de 1,600 mètres, ce qui ferait supposer que les formes qui descendent jusque sur les rivages de la mer appartiennent à d’autres espèces. Géographie. — Ce groupe d’espèces assez réiitdic sur le plateau central, s'étend, au sud, jusque dans le midi de l'Espagne et dans le midi de l'Italie , la Grèce et la Turquie. Au nord, il va plus loin, occupant la majeure partie de l’Al- lemagne et de la Russie. Il habite les prés humides et ro- cailleux d’une partie de la Suède , où 1l descend jusqu'aux bords de lamer. Ilne passe pas cependant le midi dela Nor- vége. L'une ou l’autre des formes de ces Thalictrum vi- vent en Irlande, aux Orcades , en Angleterre, où l’on indi- que positivement les T°, majus et T. minus. Elles existent dans les lieux montagneux des Alpes Suisses , jusqu’à la li- mite supérieure des sapins, et Walhenberg cite aussi le T. minus, comme occupant les Carpathes à la même hauteur. On les indique en Crimée et dans le Caucase, dans la Sibé- rie, où elles atteigneut le fleuve Irkut, selon Ledebour. Limites d'extension de l'espèce. SuURABrBeS LL, 5 SU 38 | Écart en latitude : Nord; Norvége.: .........4. 60 290 Occident , Irlande. ....... . 10 ©.) Écart en longitude: Orient, Sibérie. ....,....... 110 E. | 120° Carré d’expansion........... 2640 ANEMONE. AT G. ANEMONE. Lin. Distribution géographique du genre. — Le genre ané- mone comprend environ 80 espèces dont la plupart appar- tiennent à l'hémisphère boréal et à l’ancien continent. C’est un genre asiatique, car cette partie du monde en nourrit 35 espèces , qui se trouvent surtout aux grandes Indes, en Si- bérie et en Dahurie. Quelques-unes sont propres à la Chine êt au Japon, tandis que d’autres végètent dans les monta- gnes du Népaul ou sur les pentes du Caucase. L'Europe est, après l’Asie, le pays qui nourrit le plus d’anémones; on en compte 19 dispersées en France , en Suisse, en Allemagne, en Grèce et en Espagne. Quelques-unes de ces espèces eu- ropéennes se retrouvent encore en Sibérie et dans l’Amé- rique septentrionale , tandis que d’autres, du bassin de la Méditerranée, atteignent aussi les rivages de la Mauritanie. — L'Amérique du nord et surtout la Caroline, la Pensylvanie, la baie d'Hudson, ont 16 espèces de ce genre, tandis que l’A- mérique du sud n’en compte que 5.— On ne connaît aucune anémone dans l'Océanie , et la pointe australe de l'Afrique en à # espèces qui constituent un petit groupe séparé, aussi distinct par son organisation que par son habitation. — Les anémones ont donc deux zones de prédilection sur le globe, les bords du bassin de la Méditerranée et les régions po- laires de l’Europe, de la Sibérie et de l'Amérique boréale. — L'Europe ne possède qu’une fraction de ce beau genre, dont 15 espèces sont connues en France et 7 dans notre circonscription. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du centre, du sud et du nord de l’Europe. Royaume de Grenade. ........... 2 IV s 21 418 RENONCULACÉES. Pltedurcentral: réebe DNS T DApOME ee UNE ER RRREE 3 ANEMONE VERNALIS, Lin.—Elle vit isolée ou réunie par petits groupes de deux ou trois individus , sur les pelouses élevées de nos montagnes où elle montre ses grandes fleurs pâles, couvertes de longues soies brillantes et à peine accompa- gnées de quelques feuilles. On reconnaît, à son aspect , une plante du nord, se hâtant de fleurir pour profiter de lété si court des hautes montagnes. Ses racines épaisses , presque li- gneuses, sont abritées par les débris des anciennes feuilles. — La végétation de cette plante commence de bonne heure , dès que la neige vient à fondre. On voit alors ses feuilles dé- coupées, à folioles velues et trifides, d’un vert noirâtre et obscur, étalées sur le sol en forme de rosettes. La tige et l’involucre sont plus velus encore que les feuilles. Cet invo- lucre soyeux reste longtemps appliqué contre la fleur, puis il s’écarte , et les feuilles ne se développent complétement qu'après la floraison. L'intérieur de la fleur est blanc , mais l'extérieur, recouvert de duvet, est souvent rosé, et ce rose . prend du bleu et devient violacé, et quelquefois brun comme la pulsatille, sans que le blanc de l’intérieur en soit altéré. — Sa floraison, quoique vernale, n’a lieu le plus souvent qu’au mois de juin, à cause des neiges qui persistent longtemps dans les lieux élevés où elle se rencontre. — On voit ensuite les capitules de ses semences aigrettées, disséminés sur les montagnes , et plus apparents que les fleurs. Nature du sol.— Elle paraît assez indifférente sur le choix du terrain; nous l’avons trouvée sur le basalte, sur le trachyte, et sur le phonolite en Auvergne, sur des schistes calcarifères au mont Cenis. Elle végète à Bitsch sur le grès vosgien , et souvent on la voit dans les Alpes sur le terrain primitif. ANEMONE. 419 Altitude. — De Candolle lui donne pour minimum d'altitude 1,400 mètres, et la cite au mont de Lans et au mont Dore, où nous ne l’avons jamais vue , et pour maximum 2,400 mètres, au grand Saint-Bernard. Nous l'avons rencon- trée plus haut, sur le mont Cenis. Au Cantal, elle végète à 1,850 mètres environ. M. Schultz a trouvé cette espèce à Bitsch, dans les plaines, à la faible altitude de 500 à 600 mè- tres. M. Léon Dufour l’a cueillie aux pics d’Anie et d’Amou- lat, dans les Pyrénées. Il est certain que dans la Suisse et dans toutes les contrées un peu méridionales, elle n’existe qu’au- dessus de la limite des sapins, mais au nord elle descend tout à fait en Plaine ; c’est ainsi qu’elle se trouve, rarement ilest vrai, autour d'Upsal, mais assez commune sur plusieurs autres points de la Suède, où elle occupe des landes sablon- neuses au ‘milieu des Calluna vulgaris et des Juriperus comimunis. Cette espèce ne se rencontre absolument, dans le rayon de notre flore, que sur des sommets volcaniques dont le soulèvement peut être très-récent. Elle est située géogra- phiquement dans l’intérieur d’un triangle, dont Bitsch, les Alpes et les Pyrénées, forment les trois extrémités. Aucun point intermédiaire ne relie une de ces localités avec la nô- tre, et quoique nous soyons peut-être plus rapprochés des Al- pes que des Pyrénées , quoique cette plante soit certaine- ment un type boréal, nous devons supposer que nous l’a- vons reçue des Pyrénées, plutôt que d’autres localités. Géographie. — L’Anemone vernalis , reléguée, dans notre flore, sur quelques points très-limités et très-élevés du Cantal et du Mezenc, est assez répandue en France, dans les Alpes du Dauphiné et dans les Pyrénées ; elle descend dans les plaines de la Lorraine, à Bitsch, où elle fleurit en mai et quelquefois en airil. Elle existe en Allemagne et en Turquie. C’est, du reste, une plante boréale, que Fries incique dans 420 RENONCULACÉES. le nord du Gotland, en Norwége, en Suède , en Finlande, partout, et comme sporadique en Laponie. Ledebour la cite aussi dans les Russies septentrionale, moyenne et australe, et jusque sur les sommets de l’Oural, au-dessus de la dernière limite des arbres. L’Oural formerait donc sa limite d’exten- sion orientale. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Pyrénées... ........... 420 Re en latitude : Nord, Gerele polaire......... 67 25° Occident , France. .....:.... 4 O. Écart en longitude : Orient, Monts Ourals........ 6% E. 68° Carré d’expansion....... “HN ITON ANEMONE PuLSATILLA , Lin. — Cette espèce est rare sur le plateau central. Elle croît çà et là sur les pelouses, les prairies sèches et les coteaux herbeux , en touffes serrées , composées de plusieurs individus presque tous florifères. Elle recherche les lieux découverts , exposés au vent, et, dès le mois d'avril, on la voit épanouir ses grandes fleurs d’un bleu violacé , qui se succèdent pendant plus d’un mois. Les styles s’allongent après la fécondation, et forment, à la ma- turité, de jolies têtes arrondies et plumeuses, qui s’épa- nouissent au soleil et par un temps sec, et qui se resserrent lorsque le temps est pluvieux. Nature du sol. — Elle vit indistinctement sur tous les terrains ; nous l’avons rencontrée sur le micaschiste et sur les calcaires. On la trouve en France dans les sables des Landes , sur les grès de Fontainebleau, sur les calcaires ju- rassiques de Nancy, du Doubs, etc. Altitude.— Elle se maintient presque toujours dans les plaines et s'élève peu. Nous ne l'avons pas trouvée au-des- ANEMONE. 421 sus de 600 mètres , et cependant elle a été indiquée par MM. Grenier et Godron au Port-de-Benasque et à Mont- Louis dans les Pyrénées , ce qui porterait son altitude à 2,000 mètres ; cette observation aurait peut-être besoin d’être vérifiée. Géographie. — Si cette espèce est rare pour nous, elle est communedans la majeure partie de l’Europe, et atteint au sud le Caucase et la Crimée. Au nord , on la rencontre en Allemagne, en Danemark et dans toute la Scandinavie, y compris la Laponie. Elle se trouve sur les collines et les co- teaux d’une partie de la Suède , où elle est cependant bien moins commune que l’A. pratensis, qui la remplace dans un bon nombre de localités, Elle habite la Finlande australe et les Russies australe, moyenne et septentrionale. A l’ouest, elle commence en Angleterre et s’avance en Suisse, en Turquie, dans les Carpathes, en Sibérie, où Pallas indique ses premières fleurs, dans un terrain sablonneux, dès le 13 avril, et, selon Ledebour , elle atteindrait, dans cette direction , la frontière de la Dahurie. Il peut y avoir eu quelque confusion dans la détermination de la situation géo- graphique de cette espèce. Les À. pratensis, À. palens et A. montana , qui en sont très-voisines et qui lui sont pa- rallèles, peuvent avoir été substituées dans quelques catalo- gues au véritable À, pulsathilla. Linutes d'extension de l'espèce. PM TCRRCASe . ..::........ 42 )Écart en latitude : Nord, Faponie.........:... 66 24° Occident, Angleterre... ..... . 6 O.)Écarten longitude: Orient, Sibérie... ....... 110 E.) 116° Carré d’expansion............ 2784 492 RENONCULACÉES. ANEMONE MONTANA, Hoppe.— Les jeunes poussesisor- tent de terre dès que le soleil vient échauffer la terre. Elles sont enveloppées par les pétioles élargis de quelques feuilles avortées et tout entourées de longs poils blancs. La fleur part immédiatement de la racine, mais à côté de son pé- doncule se trouvent un ou plusieurs bourgeons séparés, dans lesquels les jeunes feuilles sont régulièrement plissées sur leur nervure et bien abritées par de longs poils ou par. des pétioles dilatés. — C’est une des plantes les plus communes du plateau central de la France. Dès les premiers jours du printemps , elle embellit les pelouses sèches et élevées. Comme toutes les anémones , elle aime le vent et se plaît au milieu de ces courants aériens si fréquents dans nos con- trées, et qui inclinent ses fleurs dans la direction de leur soufile, si le soleil ne les appelle pas dans une autre. — On voit souvent ces plantes , réveillées trop tôt par quelques beaux jours , conserver leurs boutons presque épanouis en- veloppés dans leur involucre découpé , et fleurir comme par enchantement dès que la chaleur se fait sentir. C’est une . plante sociale, offrant diverses variétés dans sa taille et dans ses couleurs. Le brun rouge et violacé de sa fleur, que font si bien ressortir ses anthères soufrées , pâlit dans quelques variétés et atteint même , quoique rarement, l’albinisme complet. — La floraison, qui commence en mars, dure long- temps et se prolonge, dans les montagnes , jusque dans le mois de juin. Les étamines nombreuses et répandant len- tement leur pollen par séries, prolongent la durée de l’é- panouissement. Les sépales ne,se détachent d’ailleurs qu'a- près le développement complet des styles, qui deviennent plumeux comme dans toutes les pulsatilles. — Elle est fré- quemment associée au Potentilla verna, au Luzula cam- ANEMONE. 423 pestris, à l’Anthoxanthum odoratum, à l'Orchis sambucina, et affectionne les clairières ou les taillis peu épais , où le bou- leau montre sa blanche écorce et laisse pendre ses flexibles rameaux. — Elle remplace, sur le plateau central et dans les mêmes stations, l'Anemone Pulsatilla, commune dans les plaines plus basses de la France , ainsi que l’A.vernalis et l'A. alpina , qui se montrent , au contraire , au-dessus de sa der- nière limite. | Nature du sol. — Elle est indifférente au choix des ter- rains. Elle prospère sur le sol primitif, mais elle se déve- loppe plus particulièrement sur les terrains volcaniques , sur les scories et les courants de lave, sur les trachytes. On la rencontre aussi sur les alluvions, et plus rarement sur les” calcaires à phryganes , comme dans le département de l’AI- ler, ou sur le calcaire jurassique, comme dans les Cévennes. Altitude. — Elle abonde partout dans notre circonscrip- tion, depuis les plaines élevées seulement de 300 à 400 mètres jusqu’à la hauteur absolue de 1,200 et même 1,300 mètres. C’est elle probablement que cite de Candolle sous le nom d’Anemone pralensis, comme occupant une zone d'altitude de 0 à 1,200 mètres , depuis les Landes jusqu'à Briançon. | Géographie. — Cette plante n’existe nulle part plus abon- dante que sur le plateau central de la France. Elle ne s’é- tend pas au sud au delà des falaises jurassiques qui bordent les Cévennes. Au nord, elle reste dans les plaines du centre de la France, et plus loin, en Allemagne et en Russie, ainsi que dans les Carpathes , elle cède la place à deux espèces parallèles, les À. patens et A. pratensis. À l'occident, elle vient jusque dans les Landes, près Dax. Son expansion orientale est plus étendue ; elle atteint le Dauphiné, où Villars la cite sous le nom d’Anemone sylvestris, Tourr. On 427 RENONCULACÉES. la rencontre aussi, selon Koch, dans le Tyrol et-aux'en- virons de Trieste. Limites d'extension de l'espèce. DUMP TDRNCE sus à lou ce sien eue lee NUS }Heré en latitude :. Nord, Hrante...:... 2... 1 30 Ocrdent,Franeer . 0... MALE en longitude : ONtent MyrOI 5... Ua; 16° Carré d'expansion. ..:.,....... 48 ANEMONE ALPINA, Lin. — Cette belle anémone est une des plantes qui impressionne le plus quand on parcourt les sites élevés des montagnes. Elle vit en nombreuses sociétés sur les pelouses bien aérées et sans abri, où le vent souffle avec continuité. Il est difficile de se faire une idée de son abondance dès qu’on atteint une certaine élévation , et l’on remarque que très-souvent elle occupe encore de petites saillies existant sur le sol, comme si elle cherchait à rece- voir plus directement encore le souflle printanier des cou- rants aériens. — Les bourgeons florifères, préparés dès l'automne, restent engourdis pendant le long hiver des mon- tagnes, ensevelis sous une couche puissante et protectrice de neige ou de névé qui maintient la température à 0. Dès que la neige vient à fondre , dès que le soleil du printemps vient frapper ses organes engourdis , aussitôt le bouton s’élance, et, porté sur une hampe munie seulement d’un involucre à trois feuilles laciniées , elle s’'épanouit et parsème la pelouse de ses fleurs blanches ou colorées. Peu de plantes produi- sent autant d'effet. — Ses fleurs sont le plus ordinairement blanches avec une légère teinte bleuâtre ou jaunâtre; on y remarque souvent une tache d’un bleu d’indigo plus ou moins foncé à la base extérieure de chacun des sépales. ANEMONE. 435 D'autres offrent une belle nuance de jaune soufré d’une admirable pureté, et passent même au jaune pur et à l'orangé. — Cette floraison se succède pendant tout le printemps, pendant tout l’été , et se prolonge même quelquefois jusque dans l’automne. La fonte des neiges, dont l’époque varie suivant les saisons, règle l’épanouissement de ses belles corolles; et comme chez toutes les plantes qui occupent sur les montagnes des zones d’une certaine largeur, on peut suivre pendant plusieurs mois l’apparition de ses fleurs. Il arrive même que la neige d’une année, descendant de l’atmos- phère avant que la précédente soit entièrement fondue, cette anémone reste ensevelie et remet à une époque plus favorable l'apparition d’une fleur qui est parfois en réserve | depuis plusieurs années ; véritable léthargie, sommeil hiver- nal qui permet à certains êtres organisés de rester long- temps engourdis sans mourir et de se réveiller à l'appel du printemps. — C'est un charmant spectacle de voir ces vastes tapis des montagnes émaillés des belles fleurs de l’Anemone alpina, surtout si elle s’associe au Gentiana verna aux fleurs azurées, et à l’Androsace carnea, qui pourrait s’abriter sous son feuillage. — Plus tard , quand le spectacle des fleurs s’est évanoui , les feuilles de l’anémone grandissent et prennent une teinte verte plus foncée. Les styles s’allongent comme dans la clématite et se couvrent de soies brillantes et argentées, et ces mêmes pelouses offrent alors un aspect tout différent dù à ces houppes soyeuses et arrondies dont le vent doit bientôt disperser les graines. — Quelques fleurs , cependant, ne sont pas rem- placéespar des fruits, elles étaient stériles, munies de nombreuses étamines, mais privées de pistil, phénomène assez fréquent dans la famille des renonculacées. D’autres fois la plante est stérile par la métamorphose complète des 426 RENONCULACÉES. organes reproducteurs en sépales verts ou jaunâtresÆElle offre absolument la forme , si commune dans le midi de la France , de l’Anemone pavonina quand elle double, et perd la belle nuance de rouge de son calice. Il y a cependant cette différence entre ces deux variétés stériles, c’est que celle de l'A. alpina est très-rare, tandis que dans plusieurs cantons du Midi on trouve bien plus communément la variété double de l’A. pavonina que le type fertile. —- Ilest aussi très-curieux de remarquer que l’A. alpina, comme les pulsatilles et toutes les anémones qui croissent dans les lieux élevés et exposés aux vents, a des graines munies d’aigrettes qui peuvent être entraînées, tandis que les syl- vies , retirées dans les forêts et constamment abritées , ont des semences pesantes et dépourvues d'appendices. Les botanistes confondent probablement sous le nom d’Anemone alpina des espèces distinctes ou qui le devien- dront plus tard , et déjà ils ont séparé des variétés dont les caractères tranchés constituent peut-être des formes assez constantes. Villars y distinguait l'A. a/pina, et VA. myrri- difolia, plus grande dans toutes ses parties et la seule qui présente la variété soufrée. Nature du sol. — C’est presque toujours sur les terrains volcaniques que nous avons rencontré cette espèce , en lar- ges touffes sur les trachytes et les basaltes; mais cela tient à ce que les lieux suffisamment élevés pour sa station sont tous volcaniques. Elle croît sur le granit dans les Cévennes, sur les calcaires dans le Jura , etc. Altitude. — De Candolle Jui assigne pour limites d’alti- tude 1,000 mètres dans les montagnes de la Bourgogne , et 2,400 dans les Alpes et les Pyrénées. Nous ne la rencon- trons pas au Cantal ni au Mont-Dore au-dessous de 1,200 mètres, et de là elle atteint les plus hauts sommets ANEMONF. 427 entre 1,800 et 1,900 mètres. Elle abonde aussi dans les Carpathes, surtout à la hauteur de 2,000 mètres, qu'elle peut dépasser, car elle y atteint 2,200 mètres , et elle des- cend dans ces montagnes jusqu’à la limite supérieure du hêtre. Wahlenberg l’a toujours rencontrée à fleurs blanches dans cette chaîne de montagnes. Géographie. — Elle n'existe donc dans notre flore que sur les points les plus élevés. Le puy de Dôme, quoique dépassant 1,450 mètres, en est tout à fait dépourvu. Elle se retrouve abondamment dans les Alpes et dans les Pyrénées, sur les ballons des Vosges. Elle paraît s’arrêter au sud sur les hautes montagnes de la Corse et du royaume de Naples. Au nord, son mode de dispersion est très-irrégulier, ou plutôt elle tend constamment au nord-est. Ainsi elle manque dans presque toute l'Allemagne , dans toute la Russie et la Sibérie ; mais elle se retrouve dans les montagnes du Cau- case. Enfin, elle existe aussi sur le versant Est des mon- tagnes Rocheuses dans l'Amérique septentrionale, par 52 à 55° de latitude. Ses fleurs, d'après Drummont, y sont blan- ches avec une tache pourprée à leur base, et la plante paraît identique à la variété major de de Candolle. Quoique tou- chant seulement quelques points, souvent très-éloignés, cette plante n’occupe pas moins une aire d’expansion trés-étendue. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Italie... ... us esse HU en latitude : NOTA AMÉTIQUE. - . ....:..< 92 12° Occident, Plateau central.... 0 Écart en longitude : Ontenty Amérique. :....:2. 195 E | 125° Carré d'expansion: .. ..,.::.... 1500 Dans les Alpes, où cette plante abonde, elle à une com- 428 RENONCULACÉES. pagne remarquable par sa grâce et par sa beauté, c’est l’Anemone narcissiflora, et si nous citons ici cette belle espèce , c’est pour faire remarquer son absence de toute la région qui fait l’objet de nos études. — Il est vraiment curieux que cette plante n'ait pas rayonné jusqu'ici, dans une contrée qui offre des chances si favorables à son déve- loppement, et des stations qui s'adaptent si parfaitement à ses habitudes de prédilection. Cependant l’A. narcissiflora est commun en Europe et en Asie. Il abonde dans les Alpes , dans les Vosges. On le trouve dans toute la Russie. Il est extrêmement commun dans l’Oural ; il dépasse cette chaîne de montagnes, se rencontre dans toute la Sibérie, dans l’Altaï, dans la province du lac Baïkal , dans la Dahurie, au Kamtschatka, et même dans les îles Aléoutiennes. C’est évidemment une plante de l’est qui a trouvé sa limite occidentale dans les Alpes, d’où elle s’est pourtant propagée jusque dans les Vosges. Elle manque également dans toute la Scandinavie, et elle a atteint la chaîne des Pyrénées. C’est une de ces espèces nombreuses qui ont sauté des Alpes à cette dernière contrée, sans s’ar- rêter sur nos montagnes du Centre. AÂNEMONE NEMOROSA , Lin. — A peine les neiges sont- elles fondues que le sol des bois se couvre de cette jolie plante, si commune partout, et qui contribue si puissamment à la beauté des campagnes. Elle est sociale, et ses indivi- dus, réunis en nombre immense , s'étendent sous les futaies comme sous les taillis, sur la lisière des bois, le long des haies, et se montrent longtemps encore sur les pelouses qui ont succédé à des bois défrichés. — Le rapprochement de ces plantes tient à leurs tiges souterraines, et à leur mul- Uüplication au moyen de ramifications qui se détachent et ANEMONE. 499 s’accroissent toujours par leur extrémité antérieure, en sorte que la plante change réellement de place chaque an- née, et qu'un premier tubercule ne périt pas sans avoir donné autour de lui des pousses divergentes qui ne sont ja- mais très-éloignées. — Ses fleurs blanches , roses , lilacées , purpurines , restent longtemps inclinées sur le sol, puis se redressent et s'ouvrent aux rayons du soleil qui pénètrent sous les arbres non feuillés. Tandis que la plupart des ané- mones recherchent les coteaux aérés, celle-ci aime au con- traire les endroits abrités et qui jouissent au printemps d’une température plus uniforme. — Cette espèce produit d’autant plus d’effet , que ses pétales persistent longtemps et se fon- cent en couleur à mesure qu'ils vieillissent ; mais ses fruits, qui se rapprochent de ceux des renoncules , et non de ceux des clématites , comme cela a lieu dans les pulsatilles, res- tent inaperçus. — Le pédoncule change plusieurs foisde posi- sition ; courbé vers la terre pendant qu’il porte un bouton, il se relève pendant l'épanouissement, et, par un mouvement de torsion, :l dirige constamment la fleur vers le point le plus éclairé de la forêt. Plus tard il se courbe de nouveau et amène lentement les semences vers la terre, à mesure que la maturité les appelle vers le sol. — Quoique formant seule de vastes tapis dans les forêts, cette anémone est souvent associée à d’autres plantes qui viennent orner, comme elle, les premières scènes du printemps. Telles sont les Scilla bi- folia, Primula elatior, Adoxa moscatellina, Viola odo- rala, Luzula pilosa. Nous avons décrit ailleurs plusieurs ta- bleaux de cette fraîche végétation. Nature du sol. — Tous les terrains lui conviennent, mais, dans notre flore, elle semble fuir les calcaires marneux , et préférer les sols meubles et volcaniques. Altitude, — Elle accepte presqu'indistinctement toutes 430 RENONCULACÉES. les hauteurs, et, dela plaine, elle s'élève presque au sommet du puy de Dôme, ou au moins jusqu’à 1,400 mètres. Elle monte aussi très-haut dans les montagnes du Cantal, du Mont-Dore et des Cévennes, puis elle est remplacée, sur les sommets les plus élevés, par l'A. alpina. Géographie. — Elle appartient surtout à notre région montagneuse , quoique commune aussi dans la plaine. Elle devient beaucoup plus rare dans notre région méridionale , cependant elle occupe la majeure partie de la France, et se montre dans les Pyrénées , dans le midi de l'Italie, en Por- tugal. Vers le nord , elletraverse presque toute l’Europe, le Danemark, le Gotland, la Norwège, la Suède, la Finlande, et s'arrête dans la Laponie australe , où elle devient bientôt très-rare. — Sa distribution en longitude présente quelques anomalies. Elle abonde d’abord en Angleterre, en Irlande et en Ecosse ; elle pénètre, par la Scandinavie, dans la Russie septentrionale ; elle existe aussi dans toute la Russie d'Eu- rope et dans le Caucase, les Carpathes, la Turquie, atteint la chaîne de l'Oural , arrive jusqu’au sommet, la dépasse et occupe toute la Sibérie occidentale. Elle ne va pas au delà, selon Ledebour, du fleuve Jenissey , vers le 90° de longitude orientale. Elle manque par conséquent dans toute l’Asie orientale , et laisse un vidé immense entre la Sibérie et le Canada, où elle se montre de nouveau , jusqu’à l’extrémité méridionale du lac Winipeg, par 50° de latitude et 100 de lengitude occidentale. Elle est donc séparée par l’espace énorme de 250 degrés de longitude de ceile qui, en Sibé- rie, vient s'arrêter vers le fleuve Jenissey. Si, au contraire , nous calculons la distance du Canada aux côtes d’Angle- terre, nous n’avons que 92 degrés environ pour parvenir aussi au centre du Canada, c’est-à-dire au lac Winipeg , tandis que nous n'avons, pour arriver sur la côte occiden- ANEMONE. 431 tale du Canada que 60 à 62 degrés. Il est vrai que l'At- lantique est interposée, La plante du Canada a les fleurs blanches tirant au pourpre , comme celles d'Europe, et si l’on admet que le type s’est étendu par voie de migration, on sera très-embarrassé de savoir si l'Amérique a été colo- lonisée par l'Orient ou à travers l'Atlantique. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Portugal. ............ 40° + Écart en latitude : Nord , Laponie australe...... 65 \ 250 Occident, Amérique........ 100 O. Écart en longitude : Dnbére. ..:. 05. 90 E. 1900 Carré(d'expansion: . .::.......° 4790 ANEMONE RANUNCULOIDES, Lin. — C’est encore dans les forêts ou sur leurs lisières que nous rencontrons cette ané- mone. Elle y vit, comme l'A, nemorosa, en petites sociétés souvent rapprochées de celles que constitue sa congénère , et nous présente ses fleurs , d’un jaune pur, avant que les feuilles des arbres ne soient complétement développées. Elle fleurit en mai, alors que l'A. nemorosa offre déjà des grai- nes. Cependant on trouve quelquefois ces deux plantes épa- nouies presque en même temps. L’A. ranunculoides res- semble entièrement par le port à l'A. nemorosa ; ses racines sont aussi traçantes et ses feuilles également palmées ; elle penche aussi sa fleur d’un beau jaune, mais celle-ci n'est pas toujours solitaire , elle est parfois accompagnée d’une seconde plus petite et ne contenant que des étamines. Le hêtre et Le sapin sont les arbres sous lesquels on trouve le plus souvent cette anémone. Elle y vit en société avec l4s- perula odorata, l'Oxalis Acetosella , l'Isopyrum thahc- troides, V'Allium ursinum , l'Eryihronium dens-canis , etc. 432 RENGNCULACÉES. Nature du sol.— Nous ne la rencontrons que sur nos terrains volcaniques ou sur la roché primitive en décompo- sition ; mais elle vit, dans d’autres localités, sur le calcaire. L'élément essentiel à sa végétation est le terreau qui se forme dans les bois, et dans lequel elle peut étendre et ra- mifier facilement ses racines. A cela près , elle est indiffé- rente. Altitude. — Elle reste confinée dans la région monta- gneuse du plateau central. C’est seulement dans le nord de l’Europe qu’elle descend dans les plaines, et partout ailleurs elle peut monter jusqu’à 1,500 à 2,000 mètres, bien que sa zone de prédilection soit vers 1,000 à 1,200 mètres. Dans les Carpathes, où elle est assez commune, Wahlenberg l'indique dans les forêts et dans les prairies qui sont sur leur lisière ; elle suit le hêtre jusqu’à sa limite supérieure. Géographie. — Son aire d'extension est bien moins éten- due que celle de l’A. nemorosa. Elle s’avance peu dans le midi, et ne s’y maintient que sur les montagnes. C’est dans ces conditions qu'on la trouve sur le Caucase et dans le midi de l'Italie. — Elle habite , au nord, toute la Russie et toute la Scandinavie jusqu'à la Laponie australe , où elle s'arrête, ainsi que dans le sud de la Finlande. — M. Boué l’a rencontrée en Turquie, dans la Bosnie , où elle s'élève très- haut, et Ledebour la donne comme une espèce sibérienne , depuis l’Oural jusqu’au lac Baïkal. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Naples. ... 35° |Écart en latitude : Nord, Laponie australe. ..... 65 D 300 Occident, France ...... ... © )Écart en longitude: Orient , Sibérie du Baïcal .... 116 E.) 1160 Carré d’expansion. ........... 3480 ANEMONE,. 433 ANEMONE HeparicA, Lin. — Toutes les anémones parais- sent destinées par la nature à embellir les jardins naturels que Dieu s’est plu à créer sur la terre. Celle dont nous parlons maintenant possède ce don au plus haut degré. Des fleurs régulières d’un bleu céleste, des variétés roses, blan- ches ou carnées, et une précocité qui devance presque toutes les plantes, tels sont les avantages attachés à cette charmante espèce. — Ses fleurs se développent avant les feuilles ; onles voit briller dans les broussailles , le long des haies et dans les bois. Elles se ferment le soir, s’inchinent sur leurs ham- : pes quand il pleut , fléchissent sous le vent et ouvrent au soleil leurs étoiles azurées. — Les étamines, de longueurs iné- gales et appliquées contre les pétales, contrastant par leur couleur blanche avec le bleu pur de ces organes, donnent à cette fleur un aspect très-distingué. Les pistils forment au centre un Joh groupe vert pâle, et chacun d’eux est surmonté d’un stigmate papillaire quiajoute encore à son élégance. — Les feuilles, triangulaires, à angles obtuset élargis, paraissent souvent plus tard, forment des touffes arrondies, et prennent sur leur face inférieure une nuance de pourpre ou de violet. Elles persistent une partie de l'hiver, et restent , quoiqu’à demi-flétries, pour accompagner les fleurs au printemps. Elle croît en touffes d’abord très-faibles que forme un seul individu provenu de semence. Celui-ci ne fleuritque la troi- sième ou quatrième année de sa naissance, mais dès la se- conde année commence la reproduction par bourgeons qui naissent du collet. Le groupe s’agrandit tous les ans et vit très-longtemps. Les fruits, cachés sous les feuilles, se pen- chent peu à peu vers la terre. Nature du sol. — Elle recherche les terrains de calcaire compacte, et on ne la rencontre , sur le plateau central et dans les diverses localités françaises , que sur ce calcaire ou e 28 131 RENONCULACÉES. sur des roches primitives placées sous les calcaires etou- mises à leur influence , comme, par exemple, sur les mica- schistes de Florac, dans la Lozère. Elle paraît exclue de l'Auvergne, à cause de l’absence de ces calcaires compactes. Fries cite cependant cette espèce dans la majeure partie de la Scandinavie , où cette roche se trouve peu, et où l’hépa- tique croît sans doute sur des terrains primitifs. Altitude. — Comme toutes les espèces dont l’aire d’ex- pansion est étendue, celle-ci peut atteindre de grandes al- titudes. De Candolle lui assigne une zone de 1,170 mètres, depuis 30 mètres à Liège , jusqu'à 1,200 mètres dans les Alpes. Nous l'avons trouvée presqu’au bord de la Méditer- ranée, dans le département du Var. M. Léon Dufour la cite dans les Pyrénées, aux pics d’Anie et d’Amoulat, au-dessus de la limite supérieure de de Candolle. Dans notre flore, elle se tient à une hauteur moyenne de 500 à 600 mètres. Géographie. — Elle appartient à notre région méridio- nale seulement, mais elle s’étend considérablement au sud, car elle arrive dans le royaume de Grenade, où M. Boissier l'indique dans sa région montagneuse. Elle habite aussi le midi de l’Htalie, la Sicile et la Corse. — Au nord, elles'étend beaucoup plus loin dans la Belgique, l'Allemagne et la Scan- dinavie, où elle s'arrête un peu avant la Laponie; mais, dans . toutes ces contrées, elle montre une tendance vers l’orient et une répulsion pour l'occident. Elle à , selon toute appa- rence , sa limite occidentale sur le plateau central de la France ; mais, à l'est, elle occupe une immense étendue, le Tyrol, les Alpes suisses, où on la trouve même dans les fo- rêts de sapins, au-dessus de la limite des hêtres, selon Wah- lenberg, la Russie moyenne et australe, la Sibérie de l'Oural. Ledebour la cite dans une des Aléoutiennes , sans la men- tionner entre cet archipel et la distance qui le sépare de la ANEMONE. 435 Sibérie de l’Oural , vaste contrée dans laquelle elle existe sans doute , puisque ensuite on la retrouve dans les régions calcaires du Canada , jusqu’au 52° degré de latitude. Drum- mont la cite même jusqu’au 55° de latitude dans les vallées orientales des montagnes Rocheuses. La plante, selon Hooker, est identique à celle d'Europe. Il existe, dans d’autres parties de l'Amérique, même dans l'hémisphère sud, des espèces tellement voisines, qu’elles ne sont peut- être que des variétés de la nôtre, ou du moins elles dé- rivent d’un même type. M. de Humboldt en a trouvé une forme dans les montagnes du Pérou, à 3,600 mètres d’al- titude. Il est bien difficile d'admettre la translation à d’aussi grandes distances, et cependant, malgré ces écarts, nous sommes forcés de considérer comme identiques notre espèce et celle du Canada. Nous devons supposer alors que celle de Sitcha est la même, et que l’on trouvera aussi l’hépa- tique dans le grand intervalle qui sépare Sitcha de l’Oural. L’étendue de l’aire devient immense. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade... 37° Ps en latitude : Nord , Norvége......... 4... 00 239 Occident, France........... O }Écarten longitude : Orient, Amérique... ...ee 280 E./ 280° Carré d’expansion. .......... . 6440 Nous considérons comme orientale la longitude 280, at- tendu que la plante ne se trouve pas à l’ouest , et qu’elle est probablement partie des montagnes Rocheuses pour attem- dre le Canada. Si nous regardions la forme du Pérou comme identique , il faudrait étendre encore l’aire d’expansion de 436 RENONCULACÉES. cette espèce, qui peut être considérée comme un seul type à formes variables. * G. ADONIS, Lin. Distribution géographique du genre. — On ne connaît qu'environ {3 espèces d’adonis, dont plus de la moitié ap- partient à l'Europe. Ces espèces se tiennent dans une zone moyenne. La France, l'Italie, l'Espagne sont les contrées qu’elles préfèrent. On en connaît cinq espèces en Asie, presque toutes de la Sibérie et de la Dahurie. Une espèce est propre à l'Egypte, une autre aux Canaries; quant à l'hémisphère austral, ce genre n’y existe pas, mais il est représenté au cap de Bonne-Espérance par les Knowllonia, qui sont de véritables adonis à réceptacle charnu. Comparaison des espèces du genre dans les trois flores du centre , du sud et du nord de l’Europe. Royaume de Grenade. ......... 1 Plateau central: PR ee 4. ADO RER Res Ce 0 ADONIS VERNALIS, Lin.—Toutes les plantes de ce genre sont belles, mais celle-ci surpasse peut-être encore les au- tres par la grandeur et la vivacité de ses fleurs, larges dis- ques d’un jaune pur et brillant, posé sur le feuillage dé- coupé qui parait propre aux adonis.. Elle rappelle tout à fait ces belles anémones dont les fleurs et le feuillage sont préparés dès l'automne, et qui, chaudement abritées pen- dant l'hiver, passent cette saison engourdies et dans la plus grande sécurité. Dès le mois d'avril, l’Adonis vernalis attire les regards sur les eausses ou plateaux dénudés de la Lo- ADONIS. 437 zère , qu'il a choisis pour son séjour. — A peine cette plante est-elle sortie de la terre que l’on aperçoit les gros boutons de ses fleurs enveloppés d’écailles calicinales velues , qui d’a- bord enferment complétement tous ses organes, mais qui bientôt s’écartent de manière à laisser voir les étamines et les pétales. Ces derniers, d’un brun verdâtre, courts et dé- passés par le faisceau d’étamines, deviennent de plus en plus Jaunes ; ils grandissent, et longtemps avant que les organes de la reproduction soient adultes, les pétales devenus jau- nes et finement striés, à demi-transparents, s’étalent au so- leil qui finit par développer les nombreux verticilles des éta- mines. Tous les jours les pétales se referment. Ils ne s’é- cartent pas pendant la pluie, nisous un ciel sombre, et ces al- ternatives se reproduisent jusqu’à ce que les anthères aient müri leur pollen. Alors les plus extérieures s'ouvrent les premières , et, jusqu’à ce que toutes aient répandu leur pollen, les pétales continuent de se fermer et de s’épa- nouir. — Après avoir brillé longtemps, ses magnifiques co- rolles s’éteignent, et ses tiges, simples et courtes lors de la floraison, s’allongent et se ramifient à leur base, élevant au- dessus du sol les ovaires fécondés. Nature du sol. — Nous n'avons trouvé cette plante que sur des calcaires compactes. Walhenberg l'indique aussi sur les calcaires de transition du Gotland, où elle est commune. Altitude. Elle habite dans la Lozère des plateaux éle- vés de 400 à 600 mètres, mais elle peut monter beau- coup plus. De Candolle lui donne pour minimum d’alti- tude 400 mètres à Newbrisac, et 1,600 mètres dans les Alpes du Valais. Pallas l'indique dans les basses landes de la Sibérie. Géographie. — Nous ne la connaissons que dans notre région méridionale, En France, elle atteint d'un côté l’Al- 438 RENONCULACÉES. sace, de l’autre Montpellier, en restant toujours dans la partie orientale. Au nord elle croît en Bohême, en Thu- ringe , dans quelques îles de la Baltique , et dans la Russie moyenne , d’après Ledebour. Elle fuit l’occident, et en orient on la voit en Turquie, dans la Tauride, dans les provinces du Caucase, et en Sibérie dans l'Oural, et jus- qu'à l’Vrtisch et l’Altaï. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Caucase sis uni pre 420 pen en latitude : Nord, Russie moyenne. ..... 59 13° Occident, France. ......... 0 Écart en longitude : OmMeEntA ANA sec ce ss AVO UE 1059 Carré d’expansion. ........ ... 1365 ADoNIS AUTUMNALIS, Lin. — Malgré son nom spécifique, on voit fleurir, dès le mois de juin, l’Adonis autumnals ; mais il est vrai de dire qu'il est le plus tardif des adonis, et que l'on voit souvent cette floraison, relativement hâtive, se prolonger jusqu'aux premières gelées. — Il habite les mois- sons et le bord des champs, et se fait remarquer par son léger feuillage et ses admirables fleurs, posées comme des gouttes de sang sur leur couleur complémentaire. La forme ronde des pétales, le noir ou le brun rouge de l’onglet, qui rappelle déjà la tache ongulaire du coquelicot, donne à cette espèce un air de distinction tout particulier. Elle est rarement abon- dante , mais elle produit toujours beaucoup d'effet. Elle vit seule ou en société avec l'A. æstivalis et l’A. flammea. Nature du sol et altitude. — 1 recherche , comme les autres espèces du même genre les terrains calcaires , et reste confiné dans la plaine. Géographie. — A1 est commun dans notre région des ADONIS. 439 plaines , et se trouve aussi dans notre région méridionale. On le rencontre, du reste, dans presque toute la France, où il est bien plus également réparti que les A. æstivalis et A. flam- mea. I dépasse les Pyrénées et arrive même dans les mois- sons de l’Algérie. — IT ne pénètre pas au cœur de l’Allema- gne, mais seulement dans la portion qui avoisine l'Italie. — Au nord, il va jusqu’au 53° en Angleterre, oùilest le seul du genre. On voit qu’il a, vers l’ouest, une tendance que n’ont pas les autres, car, quoiqu'il manque à Nantes, comme tous les Adonis, il se montre dans quelques parties de la Bre- tagne et dans la Basse-Normandie, passe en Angleterre, comme nous venons de le voir, et a été trouvé au cap Charles, sur la côte du Labrador. Il y à sans doute été in- troduit, comme le sont souvent les espèces dont les semences peuvent être mêlées à celles des céréales ; mais il n’en est pas moins curieux de le voir prospérer sur un point, tandis qu’ilmanque constamment sur d’autres. — A l’orient, nous pouvons le suivre en Italie ; il est compris dans la flore du royaume de Naples. Ledebour cite cette espèce dans la Po- dolie australe , en Tauride et au Caucase. Limites d'extension de l'espèce. Mu Alsérne: , 04,1 ..0.,%.:.1 390 joe en latitude : Nord; Angleterre: .......... 53 200 Occident Angleterre... .....,. 9 ne en longitude : OrrenfhGaucase.. .-:.....,.4. A0 E. 45° Carré d’expansion. . ... ses 000 Nous abandonnons le Labrador comme représentant une habitation accidentelle, pour une plante qui croît habituelle- ment dans les champs et les moissons. Aponis Æsrivauis, Lin. -— Commun dans les moissons 440 RENONCULACÉES. qui n’ont pas encore fleuri et qui-conservent le vert tendre de leur feuillage, cet Adonis est une des plantes les plus élégantes qu’on y rencontre. Ses pétales ovales et couleur de feu, tachés à leur base, la font distinguer de très-loin. Elle pullule parfois au point de nuire aux céréales et aux prairies artificielles. Comme celles des autres Adonis, ses fleurs se ferment et sommeillent pendant la nuit; elles ne s'ouvrent pas si le ciel est couvert, et dévoilent les richesses de leur coloris sous l’action du soleil, qui en augmente encore la vivacité. Elle a une variété citrine pour le moins aussi abon- dante que le type. — Elle se plaît avec ses congénères , et se rencontre aussi en grande quantité dans les sainfoins, où elle se développe plus hbrement que dans les blés. Sa floraison, qui commence en mai, se prolonge jusque dans le mois de juin et atteint à peine le mois de juillet. Alors les fleurs sont remplacées par de longs épis garnis de péricarpes anguleux et monospermes. Nature du sol. — Nous n'avons rencontré cette espèce que sur les terrains calcaires, argileux et plus ou moins compactes , quelquefois, mais plus rarement, sur les allu- vions et les cailloux roulés. Presque partout elle se tient sur les calcaires, même en dehors de notre circonscription. Altitude. — C’est une plante des plaines, que nous n’a- vons jamais vue s'élever dans nos montagnes; cependant elle monte un peu dans les Pyrénées-Orientales, et Jacquemont assure l'avoir trouvée à une grande hauteur au col de Han- garang, dans l'Himalaya. Géographie. — Elle appartient à notre région des plaines et à notre région méridionale, et se trouve aussi dans toute la France orientale, depuis l'Alsace jusqu'aux Pyrénées. Elle existe en Corse, en Sardaigne, aux Baléares, en Espa- gne, où elle est souvent remplacée par l'A. mucrocarpa. Dec. ADONIS. 441 —— Elle s'étend, au sud, en Grèce, à Alger et jusqu'enEgypte etaux Canaries. — On la trouve à Bordeaux, mais elle mançue dans l’ouest de l'Europe, et déjà dans l’ouest de la France eten Angleterre. — En revanche, elle abonde en Italie et tout autour du bassin méditerranéen. Elle avance dans la Tau- ride, dans le Caucase , dans presque toute l’Asie-Mineure , la Perse boréale, et atteint l'Himalaya. On la trouve aussi dans les déserts salés qui entourent la Caspienne, où, sous l'influence du sel, elle devient la variété tenuiflora de Lede- bour. On voit que c’est une espèce orientale. Limites d'extension de l'espèce. . pneu 0.1.1 800 De en latitude : Nord, Saxe. .... PATES SRE 20° Dee, Bordeaux. ........ CL ue en longitude : Orient, Himalaya... .... ...,75.E. 188 Carré d'expansion............ 1560 ADONIS FLAMMEA , Jacq. — Cette espèce est moins im- portante que les autres, et tient moins de place dans les ta- bleaux de la nature. Ses pétales avortent souvent, et les fleurs sont alors réduites à un faisceau d’étamines noirà- tres, presque privé de ses brillantes enveloppes. Mais st, comme cela a lieu quelquefois dans les moissons et dans les prairies artificielles du plateau central, la corolle est entière et présente le nombre complet de ses parties, l'œil peut à peine soutenir la vivacité du rouge pur qui colore ses pé- tales. C’est presque le rouge du spectre, celui de la verveine, tirant pourtant un peu sur l’écarlate, qui lui donne son éclat. — Elle fleurit en mai, c’est-à-dire de bonne heure, comme tous les Adonis, et se méle souvent aussi aux À. æstivalis et À, autumnalis, qui croissent dans les mêmes lieux. 412 RENONCULACÉES. Nature du sol et altitude. — Nous l’avons constamment trouvée sur les calcaires marneux et sur les argiles. Nous ne l'avons vue qu’en plaine et jamais dans les montagnes. Géographie. — Elle passe de notre région de la plame à la région méridionale ; existe, comme l’A. æstivalis , dans l’est de la France, en Alsace, à Draguignan ; mais sa géo- graphie est encore peu connue, parce qu’elle a été confondue avec les À. æstivalis et A. autumnalis, dont elle diffère es- sentiellement. — Il paraît qu’au nord elle trouve salimitedans la partie méridionale de la Saxe, vers 50°. — Au sud, Ber- toloni la confond , dans sa flore, avec l’A. æstivalis , et ne lui donne pas de localité distincte. C’est donc approximati- vement que nous fixerons sa limite vers le 400. — A l’occi- dent, elle atteint à peine Paris, et à lorient on l’indique dans le Caucase. Limites d'extension de l'espèce. Sud ARE SANTE Le POP tee en latitude : NordiiSaxesd.2sises Je L'itnel SC 10° Occident, Paris... .........+ 0 Ecart en longitude : Orent:\Caucase nes sets vi E 7° Carré d’expansion. ............ 440 G. MYOSURUS, Lin. Une seule espèce représente ce genre ; 1l appartient à l'hémisphère nord du globe , et n’est cité ni dans la flore du royaume de Grenade ni dans celle de la Laponie. Myosurus minimus, Lin. — La petilesse de cette espèce la dérobe souvent aux recherches des botanistes. Sans être précisément aquatique, elle se plaît sur les terrains qui ont été inondés pendant l’hiver, et dont l’eau, en se retirant , à CERATOCEPHALUS. 143 laissé une couche légère de limon. Elle ne craint pas le froid, mais la chaleur l’anéantit bientôt. Aussi, elle fleurit de bonne heure, surtout dans le midi de la France, dès le mois de mars ou d’avril, avant que le soleil ait assez de force pour la détruire. Elle est annuelle; ses fieurs, petites et d’un jaune pâle , sont insignifiantes , et elle reste si peu sur la scène du printemps , qu’elle doit avoir échappé aux recher- ches dans un grand nombre de localités. Nature du sol. Altitude. — X paraît préférer les terrains sablonneux et siliceux aux sols calcaires et compactes , et il s'élève peu dans les montagnes. Géographie. — Nous ne l’avons rencontré, dans notre circonscription , que dans les plaines de la Loire et dans le Bourbonnais; mais il s'étend au sud jusque sur les bords de la Méditerranée, ainsi que dans le royaume de Naples et en Sicile. — Au nord nous pouvons citer l'Allemagne , le Dane- marck , le Gotland , la Norvége, la Suède et la Russie sep- tentrionale ; à l’ouest, les côtes de France , l'Angleterre ; à l'Orient, les rives du Bosphore , Astrakan, le Caucase, une partie de l'Asie. — On l'indique aussi dans l'Amérique du nord. Limites d'extension de l'espèce. Maine sus dus se .. 98 })Ecart en latitude : Nord, Finlande. .... ...... +65 270 Occident, Angleterre. ....... 5 O.)Ecart en longitude : Orient; Astrakan.......... 2. 09 Fi 700 Carré d'expansion... ........ 1890 G. CERBATOCEPHALUS, Pers. Deux espèces composent ce petit genre. Toutes deux sont européennes et asiatiques. Aucune d'elles n’est indi- 44% RENONCULACEES. quée ni dans la flore du midi de l'Espagne ni dans celle de la Laponie. CERATOCEPHALUS FALCATUS , Pers. — C'est à peine si notre flore offre cette espèce qui n’a même, quand elle est abondante , qu’une place très-insignifiante dans l’aspect des campagnes. Elle est annuelle et reste cachée dans les champs et dans les moissons , où ses fleurs petites et d’un jaune pâle passent souvent inaperçues. Elle fleurit de bonne heure et disparait bientôt après, car ses graines mürissent avec rapi- dité. — Ses racines sont très-remarquables par leurs ramifi- cations verticillées ; ses feuilles sont fortement découpées et les pédoncules partent du bas de la tige, très-près des raci- nes. Le fruit est gros et allongé, composé de semences dis- posées en épis allongés comme ceux du Myosurus et du Ranunculus sceleratus ; mais ces semences sont terminées par un appendice étroit et recourbé en dedans, qui rap- pelle de loin les styles développés et persistants des clé- matites. | Nature du sol. — Comme les racines sont très-fines et qu’elles s’enfoncent à peine , la moindre couche de terre lui suffit ; mais il préfère les terrains calcaires, malgré son indif- férence apparente. Altitude, — Nous ne l'avons trouvé que dans les plaines ou sur des coteaux peu élevés. Géographie. — Le Ceratocephalus ne se rencontre qu’à l’une des extrémités méridionales du rayon de notre flore, dans l'Aveyron ; mais c’est une plante dont les semen- ces peuvent être transportées avec les céréales, comme celles de toutes les espèces des moissons. C’est peut-être ainsi qu'il faut expliquer sa présence à Lyon, à Troyes, à Chà- lons-sur-Marne. Il appartient en quelque sorte au bassin RANUNCULUS. 445 de la Méditerranée. Il est commun dans le midi de la France. Il existe près de Naples, en Perse , où il atteint sans doute sa limite méridionale. — Vers le nord il habite bien quelques parties de l'Allemagne, mais sans dépasser le 49°, qui est à peu près aussi la latitude de Chäions-sur- Marne. — Il ne se montre pas à l'Occident, et l'on peut considérer l'Aveyron comme une de ses limites occiden- tales. — Au Levant 1l arrive dans tout l'Orient, en Tur- quie, à Astrakan et en Perse. Limites d'extension de l'espèce. SN LE CMP 300 UE en latitude : Nord, France et Allemagne... 49 190 Occident, France........... 2 O. | Ecart en longitude : Orient, Perse............ RHONE 520 Carré d’exransion..... HAE 988 G. RANUNCULUS, Lin. Distribution géographique du genre. — On connaît au moins 240 espèces de renoncules disséminées dans presque toutes les contrées du globe, mais habitant de préférence et en nombre l'hémisphère boréal. — L'Europe et l'Asie sont les deux parties du monde qui en renferment le plus. On en compte au moins 100 dans la première, réparties principalement dans le nord, s’avancant jusque près des glaces polaires, abordant la Laponie et la Suède, et atter- gnant dans nos Alpes comme dans les Pyrénées les limites des neiges éternelles. — La Russie compte aussi plusieurs renoncules ; mais leurs espèces se muluplient surtout en Allemagne et en France, en Belgique et en Angleterre. On les retrouve assez abondamment disséminées en Italie, en 446 RENONCULACÉES. Sicile, en Grèce, en Hongrie, en Styrie, même en Turquie, en Espagne, en Portugal, en Corse et en Sardaigne , à Madère , et tout autour de la Méditerranée , où plusieurs espèces européennes s’aventurent sur les plages de la Bar- barie , et atteignent les montagnes de l’Atlas ou les champs de l'Asie. — Le Caucase a aussi plusieurs espèces qui lui sont propres , et là quelques autres se rencontrent dans le Liban, la Syrie, la Perse et la Turquie d’Asie. — Les monts Ourals ont des représentants de ce beau genre qui se déve- loppe en abondance dans toute l'Asie du Nord. La Sibérie et les monts Altaï en ont plus de 30 espèces, dont plusieurs sont à la fois d'Europe et d'Amérique. — La Chine boréale en à # espèces connues , et le Népaul et les montagnes de l'Himalaya en ont déjà fourni près d’une vingtame, parce que ces plantes retrouvent sous ce climat des Indes, mais à une grande élévation, les conditions sous les- quelles elles prospèrent. On connaît aussi quelques espèces du Japon et de l'Arabie, — L'Afrique n’est pas la patrie des renoncules , la plupart de ceiles que l’on y rencontre font partie de la végétation de l’Europe australe qui a envoyé ses colonies sur le littoral de la Barbarie. Il n’y a là qu'un très-petit nombre d’espèces propres au pays. Cepen- dant on compte quelques renoncvles aux Canaries, # ou 5 en Abyssinie, { en Egypte, 1 à l’île Bourbon, et une autre égarée à la pointe australe du grand continent africain. — Tandis que l’on connaît environ 60 renoncules en Asie et 15 seulement en Afrique, l'Amérique nous en offre environ 70, et tout nous porte à croire qu'elle en contient au moins autant que l'Europe. Comme dans l’ancien continent , c’est dans le nord qu’elles sont principalement confinées. Le Canada et les Etats-Unis offrent plus de la moitié des es- pèces de renoncules connues du nouvau monde : deux d’en- RANUNCULUS. 447 tr'elles vivent même sous le climat rigoureux de l’île Mel- ville. Le Mexique en compte 6. L'Amérique méridionale en offre au plus une vingtaine appartenant surtout aux Andes, au Chili, au Pérou et à la pointe australe; on en trouve même dans les terres magellaniques. — L'Océanie à aussi ses renoncules ; elles atteignent les régions les plus froides, la Nouvelle-Zélande, l’île de Diemen, les Malouines, et regagnent l'équateur par la Nouvelle - Hollande, et une espèce atteint Java. On en connaît 12 espèces dans toute l'Océanie. On voit par l’esquisse de cette distribution que ces plantes , sans être exclues de l’hémisphère austral, y sont bien moins abondantes que sur la face opposée du globe, et que partout elles appartiennent aux régions froides des deux continents, quoique plusieurs types de ce grand genre puis- sent supporter les plus fortes chaleurs. La France offre donc aux renoncules de très-bonnes con- ditions d'existence par son climat tempéré et les hautes montagnes dont elle est entourée. — Le plateau central en possède 22. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du centre , du midi et du nord de l’Europe. Pommes de Grerade..s scott À M ncntral... hi miues cdot ones do 22 ot oc tie e MMBEARs ÊT Espèces communes au plat. central et au royaume nid ae M here à 5 5 2 9 Espèces communes au plat. centr. et à la Laponie. 8 Espèces communes aux trois flores. .......... 3 418 RENONCULACÉES. RANUNCULUS HEDERACEUS , Lin. — Les plantes aquati- ques sont presque toutes sociales et jouent par conséquent un rôle très-important dans les scènes de la vie végétale. Celle-ci forme dans les eaux vives, courantes et peu pro- fondes de frais tapis de verdure qui s'étendent avec rapidité. Les fleurs insignifiantes, solitaires et portées sur des pédon- cules axillaires , paraissent à peine un instant au-dessus des eaux, et s’y plongent dès qu’elles sont fécondées. — Eclipsé pendant l'été par la végétation vigoureuse de la saison , le Ranunculus hederaceus esttoujoursremarqué en hiver, quand ses feuilles reniformes, conservant leur verdure, paraissent au milieu des neiges et des frimas. La température élevée de l’eau des sources maintient cette plante dans un dévelop- pement continu , aussi fleurit-elle pendant la majeure partie de l’année. — Elle est éminemment sociale; on ne la trouve jamais isolée , mais en gazons courts et serrés, au point de cacher tout à fait l’eau qui s'écoule sous ses feuilles et qui arrose ses racines. Celles-ci sont traçantes, à une petite profondeur , sous le sable qui les recouvre. Les tiges don- nent souvent naissance, à chacun de leurs nœuds, à des fi- bres radicales qui s’implantent immédiatement, et la plante se propage ainsi avec une grande rapidité, indépendamment de son semis toujours très-abondant, car il est rare que l’on ne trouve pas ensemble et des fleurs et des fruits. — Cette es- pèce vit en touffes trop serrées pour permettre à d’autres vé- gétaux de s'y intercaler, mais on trouve souvent côte à côte, échauflées par les mêmes sources , cette espèce et le Monti fontana, celui-ci en gazons également rapprochés, et qui lutte avec persévérance contre le Ranunculus qu'il vou- drait déposséder. Nature du sol. — Les terrains siliceux, très-divisés , les RANUNCULUS. 449 sables , les graviers des ruisseaux, sont ceux que préfère cette renoncule. Les granits, les grès décomposés et sur- tout les pouzzolanes mouillées lui conviennent admirable- ment. Une seule fois nous l’avons rencontrée dans la vase calcaire. Elle nous a toujours paru une des plantes aquati- ques le plus dépendantes du sol. Altitude. — Nous la trouvons dans toute notre région des plaines et dans celle des montagnes , depuis les points les plus bas de notre territoire, 250 mètres, jusqu'à la hauteur de 1,200 mètres au moins. C’est aussi la zone d’ex- tension en altitude que lui donne de Candolle, depuis 0 dans la Bretagne, jusqu’à 1,200 mètres au mont Colm. Sur le plateau central, c’est entre 600 et 1,000 mètres qu’elle prospère le plus. Sous un climat plus méridional elle peut s'élever davantage. M. Boissier l’a remarquée, mais très-rarement, dans les eaux des fontaines de sa région alpine, à 2,000 mètres d’élévation. En Suède, elle descend jus- que sur les bords de la Baltique. Géographie.— Quoique appartenant à notre région aquati- que , elle préfère les montagnes et se trouve commune et dispersée dans les diverses parties de notre circonscription. A la faveur de l’eau et des hautes sommités, elle pénètre au midi dans l'Espagne et le Portugal, en Italie, en Sicile et même en Barbarie. —Au nord, elle se trouve en Allemagne, au Gotland; elle est sporadique en Norvége. Elle ne dépasse pas la Russie moyenne, où elle n’est pas commune, mais on l’indique au Groenland et en Islande. — On la trouve aussi en Irlande, et, en Angleterre, elle atteint la pointe la plus septentrionale, le Sutherland, et même l’île de Lewis, sans dépasser le 59° lat. Elle existe dans les Asturies et par con- séquent dans toute l’Europe occidentale.— A l'Orient elle ne dépasse pas la Sicile où nous l’avons déjà citée. IV 29 450 RENONCULACÉES. Pallas indique bien cette plante dans une partie de la Sibérie , car il dit (1) qu’elle couvre entièrement de grands espaces sur les bords du ruisseau de Schoulba , près de la forge de Staroïschoulbinskoï, mais on a reconnu que c’est au R. Cymbalaria, Pursch., espèce répandue en Sibérie, aux grandes Indes et surtout dans l’Amérique septentrio- nale, qu'il faut rapporter la plante de Pallas. C’est un de ces équivalents botaniques qui rendent la végétation iso- morphique sur des points du globe très-éloignés. Limites d'extension de l’espèce. Sud, Algériés. 5.60% asie _ HAE en latitude : Nord, Islande et Groenland... 320 Occident, Islande. .......... . 0. ) Ecarten longitude : OFienti Sie Etes 17 E.J d 10 Carré d’expansion. ...... so LUE RanoncuLus LExormanDi, Schultz. — Ce que nous ve- nons de dire de l’espèce précédente s’applique également à celle-ci, qui pendant longtemps a été confondue avec elle. Elle habite les mêmes lieux; elle a le même port, et ne paraît être qu'une forme occidentale du Ranunculus hede- raceus. Ce serait pour nous une véritable espèce désarti- culée de la précédente, et ayant acquis la stabilité. Géographie. — Cette renoncule est très-rare dans notre circonscription, qui paraît être sa limite orientale. Nous ne la connaissons que dans la Creuse , ou près des limites de ce département, où elle remplace le R. hederaceus. Elle est indiquée à Nantes, à Vire, à Dax , dans les Asturies, à la Teste, à Angers On la trouve aussi en Angleterre, jus- (4) Pallas, Voyage, t. 5, p. 195. RANUNCULUS. 451 qu’au 55° de latitude. Sans doute elle sera reconnue plus tard dans bien d’autres localités, et peut-être le R. hedera- ceus , indiqué en Islande , appartient-il à cette espèce. Son aire d'expansion devra donc être agrandie. Limites d'extension de l'espèce. D SUUTIES... coco co cc 43° Len en latitude : Nord, Angleterre. .... peus D 120 Occident, Angleterre ........ 5 0. Ecart en longitude : Orient , Plateau central....... 0 5° Carré d’expansion. ....... es OÙ Aire évidemment troprestreinte pour une plante aquatique. RANUNCULUS AQUATILIS, Lin. —— R. Conrusus, Go- dron et Grenier. — R. Tricopay£Lus , Chaix. — Les es- pèces aquatiques offrent ordinairement peu de variétés , et cela est dû sans doute à la similitude des milieux dans les- quels elles se développent. Mais si ces mêmes espèces sont destinées à peupler des eaux dont la température et la com- position sont sujettes à varier, si surtout elles peuvent vivre encore dans celles qui sont profondes, ou bien végéter même sur le sol humide que ces eaux ont abandonné, ces plantes deviennent de véritables protées, et c’est précisément ce qui arrive pour le groupe dont nous nous occupons. Probable- ment originaires d’un même type , ces renoncules aquati- ques ont obéi aux influences des milieux et des localités ; elles ont varié à l’infini, et si quelques-unes d’entr’elles ont pu acquérir du temps, l'habitude et la stabilité, elles se sont séparées du type et ont formé de véritables espèces. Long- temps confondues, elles ont été nettement définies dans le savant travail du docteur Godron, et l’on peut maintenant, grâce à ses recherches , rapporter chaque forme à son type 4592 RENONCULACÉES. spécifique. — Mais pour le but que nous poursuivons, nous sommes forcé de réunir ici, comme nous le ferons souvent ; tout un groupe d'espèces, car les localités que nous donne- rions à l'une pourraient appartenir à une autre; nous lais- serons donc subsister l’espèce Linnéenne du R. aquatilis, au point de vue de sa géographie botanique. — Les plantes aquatiques sont presque toutes sociales , et celles-ci le sont au plus haut degré. Elles encombrent les eaux courantes ou stagnantes; toutes en sont remplies et les longues tiges rami- fiées de ces renoncules y forment de véritables forêts submer- gées. Le diamètre de ces tiges ne diminue pas en raison de leur longueur ni du nombre de leurs rameaux. Dans les unes toutes les feuilles sont plongées dans le liquide et fine- ment découpées; dans d’autres, il y a deux sortes de feuil- les, celles que nous venons d'indiquer , et des feuilles flot- tantes très-élégantes, qui soutiennent les sommités des ra- meaux dans une position redressée.— La floraison commence dès le mois d’avril et continue pendant tout l’été. Les fleurs , extrêmement nombreuses, arrivent presque toutes au même niveau; elles sont blanches , petites dansles R.confusus et tri- chophyllus, grandes dans les R. tripartitus et surtout dans le R. aquatilis. Leurs pétales, délicats et légèrement veinés, munis d’une tache jaune et d’un simple pore toujours ou- vert, demi-transparents et répandant l’odeur du miel, s’é- cartent le matin, quand le soleil vient les frapper, et se rap- prochent le soir, quand cet astre quitte l'horizon. On croi- rait voir sur les étangs, sur l’eau des fossés et des ruisseaux, de larges étoiles de neige résistant au courant et de brillants parterres où les fleurs sont répandues à profusion. Le pay- sage des eaux doit beaucoup à ce groupe, dont les espèces ou les variétés sont adaptées aux modifications que le li- quide lui-même peut recevoir. — C'est toujours au-dessus de RANUNCULUS. 453 l’eau que la fécondation s’opère. Les étamines latérales dé- posent leur pollen sur de petites houppes papillaires, qui cons- tituent les stigmates, et quelques-unes répandent encore leur poussière après la chute des pétales. Il est rare que les grai- nes avortent ; elles flottent sur l’eau quand elles sont mü- res, et y reçoivent encore l’action du soleil; puis elles se gonflent, s’imbibent et descendent sur la vase, où elles ger- ment au premier printemps. — Ce sont pourtant des plantes vivaces dont les jeunes tiges rampent à la surface de la vase comme de véritables rhizomes , émettant de nouvelles fibres radicales à chacune de leurs articulations , en sorte que le chevelu des racines se renouvelle plusieurs fois l'an, et, comme l'extrémité opposée du rhizome se détruit en même temps , on peut dire que la plante marche au fond de l’eau et s’y multiplie à l’infint par l'apparition et l’enracinement de ses nombreux rameaux. Ses tiges, demi-transparentes , peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur, ou dispa- raître tout à fait si, au lieu d’eau profonde, la plante vient à végéter sur le sol émergé. Alors elle change d’aspect et forme des gazons courts, à feuilles d’une finesse extrême, qui donnent un charme particulier aux lieux qu’elle envahit et qu’elle décore de son admirable verdure. — La forme des feuilles est très-variable et toujours appropriée aux besoins de la plante. Celles qui sont submergées sont découpées à l'infini et peuvent au besoin remplir les fonctions de raci- nes. Leur couleur tire plus ou moins sur le brun. Les au- tres , qui arrivent à la surface, sont entières ou peu décou- pées et nageantes. Les unes et les autres sont accompagnées de stipules transparentes. Ces feuilles flottantes, qui dispa- raissent dans les variétés terrestres, sont destinées à soutenir, comme de véritables flotteurs, les longues tiges de la plante. Elles ne se mouillent pas, bien qu’elles n’offrent pas la cou- 454 RENONCULACÉES. leur glauque; elles s’enfoncent rarement dans le liquide, mais elles en suivent tous les mouvements, faisant ainsi va- rier l'angle que fait la longue tige submergée avec le fond et la surface , mais conduisant toujours la fleur dans l’atmos- phère où elle doit s'épanouir. Dès qu’au moyen de cette sage combinaison la corolle à pu briller un instant dans l’air atmosphérique, et assurer la fécondité des ovaires, les pé- doncules s’inclinent, rentrent sous l’eau où les graines at- teignent leur grosseur, puis elles se détacherit et remontent, comme nous l’avons déjà dit, pour recevoir quelques rayons de soleil, pour flotter quelque temps et pour redescendre ensuite au fond des eaux. — Peu de plantes présentent une existence aussi curieuse. On les voit quelquefois passer l’hi- ver engourdies sous de larges nappes de glace, et fleurir dès le premier printemps. Comme leurs tiges s’allongent in- définiment et fournissent de nouvelles feuilles nageantes, leur végétation se prolonge pendant une grande partie de l’an- née. Elles vivent quelquelois, non en société , mais en voi- sinage avec les Polygonum amphibium, Nasturtium amphi- bium, Nasturtium aquaticum, Glyceria fluitans, Potamo- gelon natans , Callitriche verna , etc. Nature du sol. — Dans les eaux plus ou moins stag- nantes , le sol n’a aucune influence sur la dispersion de cette espèce et de ses nombreuses variétés ; 1l suffit qu'il y ait au fond de l’eau une couche de vase et que le liquide n'ait pas une profondeur au-dessus de deux mètres. La nature de l'eau peut aussi exercer une certaine action sur cette espèce ; cependant on la voit s’accommoder de l’eau des étangs, des mares et des ruisseaux, à moins que ces derniers ne soient par trop rap des. Altitude. — Elle vit à toutes les hauteurs, mais on peut dire cependant que, sur le plateau central, les formes ou espè- RANUNCULUS. 455 ces R. confusus et R. tricophyllus préfèrent les lieux bas et les eaux attiédies, tandis que le type du R. aquatilis recherche les montagnes et les eaux plus fraîches. Ces plantes existent à toutes élévations. Nous ne les connaissons pas sur le plateau central au-dessus de 1,500 mètres ; mais dans les Pyrénées mêmes, Ramond note leur extension depuis le bord de la mer jusqu’à 2,100 mètres. Géographie. — Quoique les plantes aquatiques aient nécessairement une aire de dispersion plus étendue que les espèces terrestres , il nous est permis de douter que dans chacune des habitations que nous allons indiquer on ait recueilli des espèces identiques ou des formes différentes d’une même espèce. Il y a trop peu de temps que l'atten- tion des botanistes a été sérieusement appelée sur la section desBatrachium pour qu’on puisse espérer une délimitation précise. La plupart des flores ne donnent aucun renseigne- ment sur les stations de ces plantes, et M. Thurmann même, dans son beau travail de phytostatique, laisse toutes ces espèces à l’état de mélange, et les indique seulement comme abondamment répandues dans les eaux lentes du vaste ‘erritoire qu'il a étudié. — Notre espèce ou notre groupe d'espèces est commun dans toute l'Europe et se retrouve ausud jusque dans l’Afrique boréale, dansles eaux de l'Algérie, etmémeen Abyssinie, où deux de ses nombreuses variétés, capillaceus et heterophyllus , fleurissent en juin. — Au nord, elle s'arrête dans la Laponie australe et dans l'Islande, sans débarquer, selon M. Martins, ni dans les Feroë ni dans les Shetland ; mais elle est aux Hébrides, aux Orcades et en Irlande. — A l’ouest. on la rencontre aux Canaries, en Portugal. —A l’est, elle se trouve en Turquie et dans les Carpathes, et arrive en Sibérie, en Arménie, occu- pant le vaste empire de Russie , et on la cite même jusque 456 RENONCULACÉES. dans les Aléoutiennes, à l’île d'Unalaska. Enfin, elle existe aussi aux Etats-Unis, dans toute l'Amérique du Nord jus- qu’à la mer Arctique, et s’avance par conséquent au nord jusqu’au 68°. Son aire d'extension est immense. Limites d'extension de l'espèce. SU, CANATIER, Le 5.e ste e siol= C0 | Ecart en latitude : Nord, Amérique arctique. ... 68 ) 390 Occident, Etats-Unis........ 90 ci Ecart en longitude : Orient , Iles Aléoutiennes.... 185 E, 2750 Carré d’expansion........... 10725 RANUNCULUS FLUITANS, Lamarck. — Cette espèce vit en groupes nombreux et serrés, dont les longues tiges flot- tantes suivent le cours de l’eau. Elle végète presque toute l’année, croissant toujours par son extrémité antérieure dont le développement en longueur paraît indéfini. Elle acquerrait des dimensions plus grandes encore si ses tiges couchées ne fournissaient à leur base, comme dans le R. aquatilis, des fibres radicales qui s’implantent dans le solet permettent aux vieux tronçons de se détruire ; ou bien la tige munie de ces jeunes racines se brise et va plus loin, emportée rapidement par le courant, fonder de nouvelles colonies. — Les fleurs assez grandes, axillaires, et nombreu- ses, paraissent pendant toute l’année, mais ne s’ouvrent presque jamais entièrement, et presque toujours submergées par la rapidité du courant, elles s'épanouissent sous ce liquide. Elles enserrent alors entre leurs pétales, comme Bastard l’a remarqué le premier sur des plantes qui crois- saient sous les eaux pures du lac d'Aydat, une bulle d’air sécrétée par elles, et c’est dans cette chambre close que s'opère la fécondation de ceite curieuse renoncule. RANUNCULUS. 437 Nature du sol. — Tous les terrains lur conviennent pourvu qu’elle trouve des eaux pures et courantes ; aussi cette espèce appartient plutôt à la base de notre région mon- tagneuse qu’à toute autre. Ses nombreuses racines s’im- plantent facilement sur un sol de vase, de sable ou de gravier. Altitude. — On la rencontre dans la plaine, mais plus souvent dans les montagnes où nous l'avons trouvée à 1,000 mètres de hauteur. Elle suit les ruisseaux rapides qui descendent dans les plaines et s’arrète fréquemment quand les eaux deviennent impures ou stagnantes. Géographie. — Elle est commune dans toutes les rivières de la France, de l'Allemagne, et atteint au nord le Dane- marck austral et, dans la Russie moyenne, la Lithuanie, Varsovie et Moscou. — Elle avance peu au sud. Nous croyons cependant que c’est l'espèce citée par Bertoloni, dans quelques parties de l'Italie, et arrivant jusqu'aux Etats- Romains et en Sicile. — A l’ouest, elle ne va pas en Angle- terre et ne dépasse pas à l’est les stations italiennes. — Elle est, comme on le voit, bien moins répandue que la précédente, bien qu’elle soit très-commune dans les contrées où elle existe. Limites d'extension de l'espèce. ÉR lG i e ate Sioiste à: JO } Ecart en latitude : Nord, Russie moyeane....... 55 ) di Ceprdent, France. .......:: 4 O, M en longitude : RM ICE do cccococe 12 E 16° Carré d’expansion........... + 272 RanuncuLUs AcoNITIFOLIUS , Lin. — Presque toutes les plantes de la famille des renonculacées jouent un grand rôle dans la nature par leur beauté et par leur abondance. 458 RENONCULACÉES. Celle-ci occupe encore un des premiers rangs. Répandue partout où des sources alimentent des ruisseaux, accompa- gnant les eaux pures depuis leur naissance jusqu’à une grande distance de leur origine, on la voit de loin dessiner de gracieux méandres ou couvrir des prairies. Elle vit en sociétés nombreuses, se groupe en touffes de grandeur variable, mais parfois assez volumineuses pour se réunir au- dessus des eaux et cacher sous une voûte fleurie le ruisseau qui à creusé un lit profond dans le sol tourbeux des monta- gnes. Ailleurs, ses magnifiques buissons s’avancent jusque sous les cascades, tapissent les pentes abruptes des préci- pices, où leurs eaux écumantes Jaillissent en poussière et produisent une humidité perpétuelle. C’est dans ces lieux qu'il faut admirer cette belle renoncule, alors que ses fleurs blanches et nombreuses semblent posées sur un feuillage vigoureux. Le calice, un peu velu , est blanc et présente tou- jours en dehors un peu de rouge plus sensible avant l’épa- nouissement des pétales. Dès le mois de mai , les premières fleurs se montrent, puis les tiges s’allongent , se ramifient à angles droits, et pendant plus de deux mois les fleurs se suc- cèdent. Les fruits peu apparents tombent peu de temps après la défloraison et sont entrainés par les eaux. —On ne trouve cette plante associée qu'à des espèces robustes qui peuvent lutter avec elle et résister à son envahissement. De ce nombre sont l’Adenostyles albifrons, le Doronicum aus- triacum , le Mulgedium alpinum , V'Angelica sylvestris, qui croissent comme elle le pied dans l’eau. Ces plantes, réunies et serrées les unes contre les autres, forment quelquefois des fourrés si épais et sur des pentes tellement abruptes, qu'il est très-difficile de les traverser. C’est ainsi que se pré- sentent plusieurs points du Cantal, du Mont-Dore, de la Lozère et des montagnes du Forez. — Cette plante croît RANUNCULUS. 459 indifféremment dans les bois et dans les prairies ; mais c’est dans cêtte dernière station qu’elle se présente dans tout son luxe. On voit dans les vallées des pentes entièrement blan- chies par la multitude de fleurs qu’elle offre épanouies en même temps. Nature du sol. — Plante essentiellement aquatique, elle n’abandonne pas le bord des eaux et s’accommode, par con- séquent , de terrains différents. Nous l’avons vu prospérer partout sur les terrains primitifs et volcaniques , sur les sols détritiques et alluviens. Elle vit aussi sur les calcaires en dehors de notre circonscription. Altitude. — Elle fait partie de la végétation des hautes montagnes, mais, sans cesse entraînée par les torrents, elle * descend assez loin des hauts plateaux , sans quitter le bord des eaux. Son point le plus bas, dans le rayon de notre flore, est de 500 à 600 mètres sur la rive gauche de la Creuse. Le lieu le plus élevé, le marais de la Dore, au-dessous du pic de Sancy, à 1,650 mètres. De Candolle lui assigne 2,000 mètres dans les Alpes , où nous l'avons remarquée à cette élévation, au Mont-Cenis, ainsi que dans les Pyrénées, et il lui donne pour minimum Malmedy, dans les Ardennes, à 50 mètres ; mais la plante que nous avons vue aux envi- rons de Malmedy appartient au R. platanifolius. Nous ad- mettons cependant que le R. aconitifolius , entraîné par l’eau, puisse descendre aussi bas. Il existe en plaine dans la Scandinavie, à la base des Alpes de la Norvége. Malgré cette station, c’est une espèce essentiellement montagnarde. Dans le groupe des Carpathes, elle ne descend pas, dit Wahlenberg, au-dessous de 1,100 mètres, et, dans la Suisse, elle a des variétés qui atteignent la limite des neiges éternelles , et rarement on la trouve au-dessous de la limite inférieure des hètres. En Turquie, où elle a été observée 460 RENONCULACÉES. par M. Boué, elle se tient aussi entre 1,200 et 2,000 mètres. Géographie. — Très-abondante dans toute la région montagneuse du plateau central, cette espèce s'arrête pro- bablement dans les Pyrénées et dans les montagnes du royaume de Naples. — Au nord , on la rencontre en Alle- magne , en Norvége et dans la Suède boréale. Ledebour ne la cite qu’avec doute comme une espèce de Russie, et l’indique seulement en Fennie et dans l’île d’Osilie. — Elle manque en Angleterre, et trouve probablement sa position la plus oc- cidentale dans les Pyrénées ou dans les Asturies.—Bertoloni la cite dans le Tyrol, dans les Apennins et jusque dans la Toscane, mais toujours dans les montagnes. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Naples...... 40° )Ecart en latitude : Nord, SUEGRS Se re So ete ee CO 290 Occident , Pyrénées... ....... 3 O. } Ecart en longitude : Orient, Royaume de Naples... 13 E.) 16° Carré d’expansion. ..... ue... JJ2 RANUNCULUS PLATANIFOLIUS, Lin. — Très-voisine de l’es- pèce précédente , celle-ci en est pourtant très-facile à dis- tinguer. Elle n’a jamais la même station; tandis que le R. aconihifolius ne vit que le pied dans l’eau fraîche et cou- rante, le À. platanifolius vit à sec sur les pentes herbeuses des montagnes, où il varie beaucoup par ses dimensions. En général, il est plus grêle et plus grand que le R. aconi- thifohus ; ses fleurs sont plus belles et plus larges , quelque- fois disposées en une sorte d’ombelle due au redressement de ses rameaux presque toujours biflores. C’est une plante ornementale, dont nous avons trouvé des pieds atteignant de RANUNCULUS: #61 un mètre à un mètre et demi, et portant chacun plus de cent fleurs. C'était dans la montagne, sur les pentes du beau lac Pavin, que nous admirions ce spectacle. —Ce n’est pas avant la fin de mai ou le mois de juin que cette espèce commence à fleurir; ses pétales, élargis et concaves, ont sou- vent l'onglet jaune et demi-transparent. Son calice blanc et velu tombe facilement après l’épanouissement , et ses se- mences asses grosses, au nombre de dix à douze, forment un bouton arrondi. Elle produit beaucoup d’effet dans les lieux où elle est abondante, mais elle ne vit pas avec les mêmes espèces que le À. acomhfolius. On la rencontre avec l’Aqui- legia vulgaris, l’'Allium victoriale, le Pedicularis foliosa, société très-différente de celle qui est fréquentée par sa congénère. Nature du sol. — Nous n’avons vu cette plante que sur les terrains primitifs et volcaniques en Auvergne , dans les Ardenres et dans les Alpes. Aititude. — Elle atteint des montagnes très- élevées dans les Alpes et dans les Pyrénées. Nous l’avons cueillie à 50 mètres seulement dans les Ardennes belges, et nous l’avons retrouvée à 2,000 mètres au Mont-Cenis. Aumont Dore et au puy de Dôme, elle ne dépasse pas 1,400 à 1,500 mètres. Géograplue. — Beaucoup moins commune que le R. aco- niifolius, sur le plateau central, elle existe absolument dans les mêmes circonstances dans les Pyrénées et dans les Alpes, où nous avons vu les deux espèces dans des stations tout aussi distincies qu’en Auvergne. Elle se trouve en Suède, où elle est bien plus rare que la précédente.M. Boué la men- tionne aussi en Turquie. Elle a évidemment une aire d’ex- tension plus resserrée que le R. aconitifolius , mais 1l est bien difficile de lui: assigner des limites rigoureuses, à 462 RENONCULACÉES. cause de la confusion qui existe dans les flores relativement à ces deux espèces cependant si distinctes. Limites d'extension de l'espèce. Sud , Pyrénées. ............ 43° 1e en latitude : Normale Sr see oesecss., 02 190 | Occident , Pyrénées.......... 3 O. Ecart en lontitude : Orient, Turquie............ 29 1E: 28° Carré d’expausion. ........... 632 RANUNCULUS GRAMINEUS, Lin. — Cette plante fait à peme une apparition dans notre région méridionale. Elle vit en sociétés peu nombreuses , sur les plateaux de la Lozère, où nous l'avons trouvée associée à l'Anthyllis Vulneraria à fleurs rouges. Elle est remarquable par ses feuilles vertes et étroites , par ses fleurs d’un jaune pur et brillant, qui s’ou- vrent au mois de juin, et par ses racines un peu bulbeuses, entourées de tissu fibreux , débris des anciennes feuilles. Chacun de ses pétales est muni d’une petite écaille nec- tarifère tubulée. Nature du terrain. — C'est une plante des calcaires com- pactes ; cependant nous l’avons cueillie à Fontainebleau, sur les grès. Altitude. — Elle se trouve dans la Lozère, sur des pla- teaux élevés de 500 mètres au moins, mais elle monte plus haut dans le royaume de Grenade, puisque M. Boissier la place dans les lieux sauvages de sa région montagneuse, et par conséquent à plus de 1,000 mètres d’élévation. Elle monte aussi à Mont-Louis, dans les Pyrénées. Géographie. — Sa limite sud est le royaume de Grenade et l’Algérie. Au nord , elle ne dépasse pas les environs de Paris ; à l'occident, elle occupe le Portugal ; à lorient, la RANUNCULUS. 463 Sardaigne, le Piémont, une partie de la Suisse et le royaume lombardo-vénitien. Limites d'extension de l'espèce. RUN RECTOENNRNNREERE € Nan en latitude : DM RMNCE... cos cesse A9 16° Occident, Portugal.......... 10 O.]Ecarten longitude. D Nonises .........., 10 E, 200 BRIE d'expansion. . : .s.c soc d00 Ranuxcuzus Frammura, Lin.— Les prairies humides et marécageuses , les bois dont le sol spongieux est imbibé d’eau , les ruisseaux , les bords des rivières et des étangs, sont autant de stations qui sont recherchées par cette es- pèce. Elle y joue un grand rôle par son abondance. Elle se multiplie, non-seulement par ses graines, mais par des re- jets qui partent de ses racines fibreuses, à fibres verticillées, ou de ses tiges rampantes et noueuses dans la variété rep- tans, dont Linné avait fait une espèce. Ses fleurs terminales, d’un beau jaune vernissé, comme celles de la plupart desre- noncules, sont insensibles aux influences de l’atmosphère. — Souvent cette plante est inondée, et on la voit continuer de fleurir sous l’eau , sans en être affectée. Ses feuilles , sem- blables à celles du R. gramineus , et qui rappellent les pé- tioles dilatés des acacies de la Nouvelle-Hollande , restent intacts sous l’eau, et ne se divisent jamais, comme celles des Batrachium. Ces organes varient beaucoup de forme sur la même plante ; les premières sont cordiformes, les autres ovales, celles du milieu elliptiques ou lancéolées , et enfin celles du haut linéaires. Dans la variété reptans , elles sont souvent opposées ou réunies en petits paquets à chaque nœud.— Elle commence à fleurir en juin et continue pendant 46% RENONCULACÉES. toute l'année , s’associant à toutes les espècès qui peuvent , comme elle, vivre le pied dans l’eau , et prolongeant sa flo- raison jusqu’à l'automne , époque où on la trouve associée , dans les lieux tourbeux, au Succisa pratensis et au Parnas- sia palustris. Elle colore quelquelois de grandes prairies par la multitude de ses fleurs et le nombre de ses individus. Nature du terrain. — Tous les sols lui conviennent, pourvu qu'ils soient humides et tourbeux ; elle s’avance même jusque dans l’eau, où elle est à demi-flottante. Altitude. — Toutes les hauteurs lui sont favorables ; elle arrive, dans les montagnes, jusqu’à la lisière des neiges éter- nelles. Géographie. — On la trouve dans nos trois régions , et elle s’avance encore davantage vers le sud, puisque Desfon- taines l'indique en Algérie, sur les bords des marais de la Calle. Elle est citée aussi dans la majeure partie de l'Italie. — Au nord, elle n’a pas de limites; elle occupe toute l’AI- lemagne , toute la Scandinavie ; l'Angleterre et l'Irlande , les Hébrides, les Orcades , les Feroë en sont peuplées. Elle atteint aussi la Laponie méridionale , mais alors elle change de forme, et on ne trouve plus, dans le nord, que le R. rep- tans de Linné , qui est sans doute une forme du R. Flam- mula, mais tellement différente, que Wahlenberg n’ose seu- lement pas les placer côte à côte dans sa flore. — Ledebour cite aussi cette espèce comme habitant les Russies arctique , septentrionale, moyenne et australe et toute la Sibérie, mais il désigne nettement la variété reptans comme celle de la Russie arctique et de la Sibérie jusqu’au lac Baïkal. Enfin, il cite une autre forme dans l’île d’Unalaska. D’autres variétés ont été trouvées au Canada , sur le bord des rivières, jus- qu’au 69 de latitude. A l’ouest et à l’est, elle existe depuis le Canada , le Portugal et l'Islande jusque dans les Carpa- RANUNCULUS. 465 thes, le royaume de Naples, la Sibérie et les îles Aléou- tiennes. Peu d'espèces ont une aire d’extension aussi con- sidérable. Limites d'extension de l’espéce. DORA RETIE--.......... , 3939 + | Ecart en latitude : Nord, Laponie. ........... 65 ) 320 Occident , Canada.......... 90 O.)Ecart en longitude : Orient, Unalaska. ......... 180 E.) 970° Carré d’expansion............ 8640. Ranuoncuzus Ficaria, Lin. — Cette espèce vernale pré- pare, sous la neige, les fleurs qu’elle vient nous offrir aussitôt que le sol est débarrassé des frimas. Si, vers la fin de l’hi- ver, un jour de soleil nous engage à parcourir les bois, nous trouvons sur la terre les fleurs étoilées de la ficaire et son feuillage d’un vert sombre, insensible aux froids les plus in- tenses. Elle vit en société, et ses individus, multipliés à l’in- fini , sortent aussi des forêts pour croître le long des haies, dans les buissons , sur la lisière des prairies ou même dans les champs cultivés, — Les mœurs de cette plante sont remar- quables. Ses racines fasciculées sont formées par la réunion de nombreux tubercules ; les uns, déjà flasques et flétris , ont nourri la plante que nous voyons fleurir ; d’autres met- tent en réserve les aliments que doit consommer la ficaire au printemps suivant, et d’autres encore préparent les géné- rations futures de cette prévoyante espèce. Plus tard, quand les feuilles ont acquis tout leur développement, des bour- geons, nés à leurs aisselles, se détachent de la plante ou se disséminent lorsque ces feuilles se flétrissent. Ils tom- bent et poussent bientôt sur le sol, qui peut ainsi, en très- peu de temps, être couvert du Ranunculus Ficaria. —Toute la plante semble un peu charnue et succulente ; ses feuilles, IV 466 RENONCULACÉES. d’un vert foncé , offrent souvent au milieu une macule d'un brun noir, ou bien elles sont tachées de blanc sale, avec de petites glandes blanchâtres sur les bords. On trouve même de ces feuilles tachées de pourpre roir dans le milieu et de blanc sur le reste du limbe. Les boutons sont d’un rouge brun en dehors. Les fleurs paraissent dès le mois de mars, et continuent de se développer pendant les mois d’avril et de mai; elles sont d’un jaune pur, régulièrement étoilées , vernies sur deux tiers du limbe et verdâtres en dehors. II semble que la plante se soit épuisée en bourgeons et en tu- bercules. Rarement ses fleurs sont fertiles ; elles brillent un instant à l’époque que leur a fixée la nature, et elles s’éva- nouissent sans traces durables de leur apparition. Malgré cette stérilité, les pétales ne s'occupent pas moins des or- ganes délicats placés sous leur protection. Tous les soirs, ils se rapprochent et forment une tente qui les recouvre en en- tier ; tous les matins, ils s'écartent à des heures différentes, suivant l'aspect du ciel , et si la pluie , que cette espèce re- cherche , vient à tomber, elle ferme ses fleurs , le pédoncule les incline, et les gouttes d’eau glissant sur des feuilles grasses et ondulées, descendent au pied de la plante sans entrainer son pollen et sans mouiller son pistil infecond. Si quelques graines fertiles viennent faire exception à l'état ordinaire de cette renoncule, le pédoncale recourbé les amène doucement sur la terre, et celles-ci germent au milieu d’une foule de bourgeons, de tubercules et de bulbiles qui leur disputent le terrain et sont toujours disposés à profiter de leur droit d’ainesse. Nature du sol. — Parfaitement indifférente au terrain, cette espèce croit partout, pourvu qu’elle rencontre un peu d'humidité. Elle a cependant une tendance pour les sols un peu argileux. RANUNCULUS. 467 Altitude. — Elle est assez influencée par la hauteur. On la trouve plus rarement dans la montagne que dans la plaine. Nous ne l'avons pas vue au-dessus de 1,200 mètres. Géographie. — Commune dans nos trois régions, la fi- caire peut avancer bien au delà, dans la direction méridio- nale, mais alors, fait assez remarquable, elle occupe les plai- nes et ne s'élève plus dans les montagnes. Elle prend aussi dans le midi une forme particulière. Toutes ses parties sont plus grandes, ses fleurs sont plus belles et ses feuilles élargies et semblables par la forme et la nuance du vert, à celles du Caltha palustris, lui ont fait donner le nom de Ficaria cal- thæfolia, Rchb. C’est sous cette forme que nous l'avons tou- jours vue dans le midi de la France, à Nice, en Corse. C’est ainsi qu'elle se présente aux Baléares. M. Boissier n’a ren- contré la ficaire que dans sa région chaude. Nous ne l'avons pas vue non plus s'élever dans les montagnes de la Corse. Elle occupe les bords du bassin de la Méditerranée. Elle est indi- quée, par Desfontaines , dans les lieux humides de l’Algérie, mais elle ne se trouve pas en Egypte, pays sans pluie, qui éloigne un grand nombre d’espèces.—Au nord nousvoyons la ficaire tout aussi commune en France, en Allemagne, dans toute la Scandinavie; en Suède et en Norwége, elle devient littorale, souvent domestique, restant confinée autour des habitations. Elle occupe l'Angleterre , où elle s’élève sur les montagnes, jusqu'à 850 mètres , les Orcades, les Shetland et les Féroë. Elle pénètre dans la Laponie, et dans ce long trajet la plante perd de sa force et de ses dimensions. Les pétales, dit Walhenberg, sont moins nombreux et plus courts-en Laponie qu’en Suède. La forme de la Laponie et celle de la Corse sont tellement différentes, qu’on les pren- drait pour des espèces parfaitement distinctes, mais tous les intermédiaires existent. —A l'occident, cette plante estencore A6S RENONCULACÉES. commune dans toute la France, en Portugal et en Irlande; elle n’est pas aux Hébrides. — Elle se trouve dans toute la Russie, dans les Carpathes, dans la Turquie, dansla Taurideet dans les provinces du Caucase. Elle est abondante dans toute l'Italie et en Sicile, où elle commence à fleurir en janvier. Limites d'extension de l'espèce. Sud , Algérie.....s.ese.se.. 339 )Ecart en latitude : Nord, Eaponie.......-..... 68 300 Occident, Irlande........... 13 O.)Ecarten longitude : Orient , Russie... ses OÙ E.) 63° Carré d’expansion. .......... 2209. RANUNCULUS CHOEROPHYLLOS, Lin. — Elle forme de pe- tits groupes disséminés le long des bois et des taillis, dans les prés secs, et n’aaucune importance dans le rayon de no- tre flore. Ses grandes fleurs jaunes et ses feuilles découpées et velues la font reconnaître de loin. Nature du terrain. — Elle est indifférente; nous l’ayons vue sur les calcaires jurassiques et sur les micaschistes. En Normandie elle n’occupe que des terrains primitifs. Altitude. — Dans nos régions elle reste presque dans la plaine, et s'élève seulement à 500 mètres ; mais dans le royaume de Grenade, M. Boissier l’a rencontrée dans sa ré- gion alpine, entre 1,700 et 2,000 mètres. Géographie. — Très-rare sur le plateau central , elle se trouve seulement à l’extrémité nord de notre région méri- dionale, mais elle est commune en France dans tout le midi et dans l’ouest. Au nord elle ne passe pas Paris qu’elle atteint à peine. Elle aurait, selon M. Boissier, deux variétés. L’une se trouverait, à Nantes, en Normandie et même autour de Constantinople. L'autre serait plus méridionale, et habi- RANUNCULUS. 469 terait l'Italie, la Grèee , le Portugal , l’Asie mineure et la Barbarie. C’est sans doute celle-ci qui se trouverait dans Ja France méridionale, en Corse, et qui arriverait jusqu’à nous. Limites d'extension de l'espèce. HAITI... :.... ic. JO ere en latitude : Nord , France. .... RS nee le: 15° Occident, Portugal.......... 11 O.)Ecart en longitude : Orient , Asie-Mineure........ 50 E./ 610 Carré d’expansion....,.......... 915 RANUNCELUS MONSPELIENSIS, Lin. — Cette plante est loin d'être commune; elle est, comme la précédente, disséminée dans les vallées chaudes des Cévennes. Elle est peu sociale; on n’en rencontre ordinairement qu’un petit nombre d'individus réunis sur les pelouses sèches, au pied des châtaigniers, etmon- trant de larges fleurs d’un jaune pur de toute beauté. — Elle fleurit en mai, mais elle est trop rare pour produire un grand effet.— Sa racine est grosse et traçante, ses feuilles ar- rondies et très-velues. Sa tige et son calice sont lanugineux, et rarement ses rameaux portent plus d’une ou deux fleurs. Nature du terrain. — Elle recherche les sols graveleux , les micaschistes décomposés, mais elle se développe égale- ment sur les causses de la Lozère, sur les calcaires des en- virons de Marseille et sur les granits de la Corse. Altitude. — Nous n’ayons jamais vu cette plante au- dessus de 500 mètres. Géographie. — C’est seulement dans notre région méri- dionale qu’elle se montre. Elle appartient à la région méditer- ranéenne; elle existe en Corse, en ftalie, en Sicile, dans l’Asie- Mineure. Dumont-Durville l’a rapportée de l'ile de Chio. 470 RENONCULACÉES. Desfontaines l’a vue à la Calle, en Algérie. Elle n’est pas dans la flore de Koch, et trouve certainement sa limite la plus septentrionale dans la Lozère et à Lyon. Limites d'extension de l'espèce. SUR MEET 2 Le nU ie 330 cu en latitude : Nord , Plateau central ....... L 11° Occident , Plateau central. .... O0 )}Ecart en longitude: Orient, Asie-Mineure........ 50 E.) 90° Carré d’expansion.........,.. 550 RanuxcuLus AurICOMUS , Lin. — Le genre renoncule a des espèces pour toutes les stations et pour tous les terrains. Celle-ci fait partie de cette fraîche végétation du printemps qui cherche l’ombre légère des bois et des buissons , et qui, trop frêle pour braver la température brülante des étés , se hâte de fleurir et de fructifier dans les jours attiédis qui suc- cèdent à l’hiver. Ses racines, cherchant les lieux frais et toujours humides, leur vie semble concentrée dans l’intérieur; elles ne se ramifient pas, mais elles laissent sortir de leur centre des feuilles radicales et des feuilles caulinaires qui va- rient à l'infini, et ont fait distinguer dans cette espèce un grand nombre de variétés. Les unes croissent à l’om- bre, et la plupart de leurs pétales sont avortés ; les au- tres vivent dans les prés, sur les pelouses, et montrent, comme les autres renoncules, einq pétales bien entiers. Tantôt la plante est dressée et incline ses fleurs, tantôt elle est presque couchée et redresse ses corolles. C’est un protée qui prend toutes les formes et usurpe surtout , à s’y méprendre, celles des À. montanus. Ses styles, réfléchis et persistants, rendent ses semences crochues.-—Le R. auri- RANUNCULUS. 471 comus est une de ces espèces communes que l’on rencontre partout. Elle vit au bord de l’eau avec les Cardamine im- patiens et C. hirsuta; dans les bois de hêtre, avec l’Anemone nemorosa, le Primula elatior; dans les haies, en société du Glecoma hederacea. Elle s’élève dans les bois de sapins où elle partage le sol avec l’Adoæa Moscatellina, l'Oxalis Acetosella, le Mæhringiatrinervia, et, souvent étalée au mi- lieu des plantes et des gazons, elle a près d’elle le Polygo- num Bistorta, ou le Ranunculus bulbosus. Nature du terrain. — Elle aime les sables, les graviers, les terrains siliceux détritiques , les sols volcaniques où elle acquiert de grandes dimensions, mais elle existe aussi sur les terrains calcaires. Elle recherche les sols perméables et souvent arrosés. Altitude. — Quoique nous ne l’ayons pas recueillie au- dessus de 1,400 mètres, nous sommes persuadé qu’elle peut atteindre les plus grandes hauteurs, comme elle peut descendre sur les bords de la mer. Géographie.—Elle aime les lieux frais, ombragés, même sous notre climat, et elle habite indistinctement nos trois régions, en devenant de moins en moins commune en ap- prochant du midi. Ses limites ne dépassent peut-être pas les Pyrénées ou même les environs de Toulouse, —Vers le nord , cette renoncule n’a pour ainsi dire pas de limites : elle occupe toute l'Europe septentrionale , l'Angleterre , sans atteindre les Hébrides, les Orcades, ni les Shetland. Elle ne paraît pas non plus en Islande, et elle existe au Féroë, d’après M. Martins. Elle se trouve en Laponie, surtout dans les prés humides de la région sylvatique de la Laponie Uméenne ; elle avance encore au nord et arrive même au cap Nord par 71°,10 de latitude. —-Sa limite occidentale est pro- bablement en Irlande et en Angleterre. — A l'Orient elle 172 RENONCULACÉES. va très-loin dans le Balkan , la Thrace et une grande partie de la Turquie. Elle est partout dans les Carpa- thes, dans les prés humides des plaines et des montagnes, où elle acquiert un très-grand développement. Elle existe aussi dans le Caucase et dans toute la Russie. Elle passe les monts Ourals et se trouve, selon Ledebour , dans toute la Sibérie, jusqu'au lac Baïkal. Limites d'extension de l'espèce. Sud , Pyrénées . : . .... ..... 43° )Ecart en latitude : Nord, Cap Nord......... ee Ni 280 Occident, Irlande. ....... .. 13 O.,Ecarten longitude: Orient, Sibérie du Baïkal.... 110 E. 129 Carré d’expansion...... ses AR Ranuxcurus ACRiS, Lin. — Les prairies doivent à cette espèce une partie de leur éclat et cette belle couleur jaune qu'elles nous montrent au printemps. Toujours pressées de s'épanouir, ces renoncules, dont les racines fibreuses passent l'hiver engourdies au milieu des graminées, se réveillent de bonne heure. Elles produisent de belles feuilles palmées, souvent tachées de pourpre ou de noir au milieu, et ces macules, vues à la loupe , offrent un sablé de cellules vertes et rouges qui donnent à l'œil la sensation du brun. Ses tiges élancées , fistuleuses et velues, se terminent par des fleurs régulières et concaves, d’un jaune d'or brillant et tellement multiphiées, que les graminées disparaissent sous leur pro- fusion. C’est en mai que cette espèce acquiert tout son déve- loppement , et, dès le mois de juin, ses carpelles déjà mûres se détachent et tombent en abondance. — Quoique: plus commune dans les prairies que partout ailleurs , elle a des variétés et peut-être des espèces pour des stations toutes RANUNCULUS. 473 différentes. Les bois , les pelouses , les sables des rivières, les haies et les buissons , ainsi que les marais, offrent des formes variées de renoncules que nous rapportons ici à cette espèce. — Dans les prairies où elle abonde et où elle cherche à dominer, elle a souvent des compagnes qui, par leur multitude et par leur coloris, ajoutent encore à la parure des prés. Telles sont l’Ajuga reptans, qui montre alors ses épis bleus ; le Lychnis flos-cuculi, aux pétales roses et frangés ; le Taraxacum dens-leonis , et toute cette série de plantes du printemps et des prairies dont nous avons donné quelques tableaux. Nature du terrain. — Tous lui conviennent pourvu qu'ils soient frais. Elle aime aussi les prés fumés , la terre substan- tielle, et il lui importe peu que le calcaire ou la silice soient dominants. Altitude. — Toutes les hauteurs, depuis les bords de la mer jusqu’à la dernière limite de la végétation. Il est vrai qu'il se présente dans ces circonstances des formes très-dif- férentes qui sont peut-être autant d'espèces. Géographie. — Abondant dans nos régions de la plaine et de la montagne , le Ranunculus acris l’est encore dans notre région méridionale ; mais il y rencontre moins de sta- tions à son gré, moins de fraîcheur et d’humidité. Il ne s’y développe pas sur de si grands espaces. Il devient moins commun à mesure que l’on avance dans le Midi. M. Bois- sier l’a vu en Andalousie sur une zone située entre 1,300 et 2,300 mètres. — Au nord c’est encore, comme le R. au- ricomus, une espèce qui marche indéfiniment. L’'Angle- terre, l'Irlande , les Hébrides, les Orcades, les Sethland , les Feroë, l'Islande, ont des stations appropriées à ses diverses variations. Dans cette dernière localité, on la trouve quelquefois à fleurs deubles. Elle est commune dans 474 RENONCULACÉES. la Scandinavie, dans la Laponie , où elle devient pres- qu'une plante domestique croissant autour des huttes des Lapons, qu'elle suit jusque dans les montagnes. Là elle offre aussi une variété rabougrie par le climat, dont toutes les feuilles sont radicales et dont le port, dit Wahlenberg, rappelle celui du Ranunculus bulbosus. Enfin, elle a gagné les petites îles de l’Altenfiord et se trouve partout, à Mageroë, à Hammerfest et même au cap Nord, où la terre lui man- que. — A l'occident, elle arrive en Amérique, où on la trouve au Groenland et dans l’est du Canada, sur le bord des rivières, sur le calcaire ou sur le sol primitif jusqu’au 58° delatitude. — A lorient, ellese trouve dans toute l'Italie, en Sicile ; de la Russie elle passe en Sibérie, au Caucase, et s’étend même au delà du lac Baïkal, occupant par conséquent toute la région de l’Altaï. Enfin, de l’autre côté de la zone torride, on connaît encore cette plante à la Nouvelle-Zé- lande, où peut-être elle a été transportée. — Nul doute que dans les formes si différentes qui se rencontrent dans cette aire d'expansion , on ne reconnaisse par lä suite des espèces très-distinctes, mais nul doute aussi que toutes ces formes ne dérivent d’un seul type modifié par le climat et les cir- constances extérieures. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade... 35° }Ecart en latitude : Nord, Cap Nord........... ph gi 36° Occident, Canada... ....... 80 mn OPentanibene. ... A il D 196° Carré d’expansion......... .. 7056 RaNuNcuLUuS NEMoRosus, Dec. — Parmi les espèces qui viennent se grouper près du À. acris , il en est une qui se RANUNCULUS. 475 fait remarquer , sur le plateau central, par son abondance et par sa beauté ; c’estle R. nemorosus qui habite les bois et les buissons des montagnes, et qui se développe surtout dans les hautes prairies arrosées du Mont-Dore et du Cantal. Cette belle plante ressemble au R. acris , avec lequel elle a été longtemps confondue. Le bas de sa tige est entouré de larges pétioles, et quelquefois de leurs fibres desséchées et superposées ; ses feuilles larges et palmées sont peu nom- breuses , et ses fleurs sont d’un jaune orangé magnifique. Elle fleurit en juin et en juillet dans les montagnes. Sa flo- raison se prolonge longtemps. Dans les bois on rencontre . cette espèce disséminée en petits groupes avec les espèces sylvestres des montagnes. Dans les prairies hautes, si elle reçoit quelques filets d’eau pure , elle prend un développe- ment extraordinaire ; elle vit alors en société. Les individus sont rapprochés , ses fleurs sont plus grandes, et la diffé- rence de station lui donne presque des différences spécifi- ques. C’est ainsi qu’elle se montre dans les prairies des hautes montagnes, au Cantal, et surtout au Mont-Dore, sur les flancs du pic de Sancy, qu’elle couvre de fleurs vers le milieu de juillet. Elle commence au-dessus de la pente her- beuse où croissent en si grande abondance le R. aconitifo- hus, l’Adenostyles albifrons et le Mulgedium alpinum. Elle forme une zone, presque seule, quand ces dernières espèces deviennent plus rares , et on la trouve souvent asso- ciée au Varcissus pseudo-Narcissus qui fleurit à cette époque sur ces hautes sommités. Nature du terrain. — Nous avons trouvé partout cette renoncule , mais plus particulièrement sur les terrains sili- ceux et détritique, sur les débris volcaniques , notamment sur les trachytes et les scories. Nous l'avons vue aussi sur le calcaire Jurassique de la Lozère. 476 RENONCULACÉES. Altitude. — Cette espèce descend en plaine dans la Normandie et dans plusieurs parties de la France ; mais, sur le plateau central , elle atteint les montagnes les plus éle- vées. Elle vit à 1,460 mètres sur le sommet du puy de Dôme, à 1,600 mètres au pic de Sancy. Elle monte aussi haut dans les Alpes et les Pyrénées. Géographie. — Elle fait partie essentielle de la végéta- tion de notre région montagneuse et atteint au midi les Pyrénées. — Au nord, elle existe en Allemagne comme dans toute la France, et arrive même, selon Ledebour, jusque dans la Russie moyenne, et, d’après Fries, dans les îles de la Baltique. — Sa limite occidentale est probablement en Normandie, et sa limite orientale en Tauride. Elle existe certainement en Italie, mais il est difficile de trouver ses localités dans la flore de Bertoloni, qui réunit les R. montanus, R. Gouani, R. nemorosus, et ne spécifie pas les formes qu'il a reçues de telle ou telle contrée. D’au- tres auteurs ont confondu cette espèce avec le À. acris ; en sorte que l’aire d'extension que nous lui assignons, d’après ces données, devrait probablement être plus étendue. Limites d'extension de l'espèce. PS PYDÉDÉES eeepc 43° )Ecart en latitude : one Gothie. eee ere 56 13° Oboident, France. LU" 2 ©.) Ecart en longitude: Onent Tauride 4441026 34 E.) 300 Carré d'expansion. . ...... "11 468 RanuoncuLus REPENS, Lin. — Cette espèce est encore une de ces plantes communes qui intéressent à un si haut degré le botaniste et le géographe. Elle pénètre partout, se plant à toutes les circonstances , résistant à tous les chimats et RANUNCULUS. 477 montrant des formes variables en rapport avec les causes qui les déterminent. La station de cette renoncule est le long des fossés , sur le bord des ruisseaux , dans les lieux hu- mides où l’eau est rassemblée, ou au moins dans les endroits où elle a séjourné. Elle cherche aussi les lieux qui ont reçu les déjections des bestiaux , et le voisinage des maisons et des lieux habités. Les prairies, les champs humides sont fré- quemment émaillés par les belles fleurs jaunes et entière- ment vernissées de cette espèce, qui commence, dès le mois de mai, à ouvrir ses corolles. Elle se propage avec rapidité, rampe sur le sol, étend des rejets rampants , qui bientôt émettent des racines, et soustrait ainsi son espèce à l’anéan- tissement qui aurait lieu dans les contrées où un été trop court ne lui permet pas de répandre ses carpelles lenticu- laires. Quoique très-envahissante, elle accepte cependant la société d’autres espèces, et nous l'avons vu partager le sol humide avec le R. Flammula, l’Alopecurus geniculatus, le Comarum palustre, et avec toutes les espèces qui recher- chent, comme elle , les lieux humides ou les terrains frais. Nous l’avons rencontrée, dans la Limagne , à fleurs doubles ou semi-doubles; nous l’avons recueillie à feuilles divisées et à Jets redressés quand elle était presque étouffée par d’autres plantes, et qu’elle cherchait la lumière en s’élevant ; enfin,.dans les lieux où de l’eau minérale vient imbiber le sol, elle se transforme encore, et prend un peu l'aspect du À. phi- lonotis. Nature du sol. — Tous les terrains, pourvu qu'ils soient humides. Altitude. — Toutes les hauteurs sur le plateau central, Pierre-sur-Haute , à 1,400 mètres , et sur les points les plus bas de la Limagne. Dans le nord de l’Arménie , Ledebour la cite à 1,000 mètres. 478 RENONCULACÉES. Géographie. — Elle est commune dans nos trois régions et dans toute la France. Elle occupe, au sud , l'Espagne et le Portugal, les Baléares et Madère — au nord , la Scandi- navie, l'Angleterre, l'Irlande, les Hébrides, les Orcades, les _ Shetland et les Feroë. Elle existe en Islande, en Laponie et dans les îles qui avoisinent le cap Nord , à Mageroë, aux îles Loffoden; mais, dans ces localités reculées, comme dans la Scandinavie, il est curieux de voir cette plante devenir en- tièrement glabre , tandis que c’est l'inverse qui a lieu pour la plupart des espèces qui s'élèvent sur les montagnes. — A l'occident, l'Islande n’est pas sa limite, car on la trouve dans le Canada, autour de Quebec. — A l’orient , elle va en Italie, en Sicile , dans les Carpathes, la Turquie, dans toutes les Russies, arctique, moyenne, australe ; dans le Caucase, dans le vaste espace de la Sibérie, de l'Altaï , du lac Baïkal et de la Dahurie. Enfin , elle paraît s’arrêter dans le Kamts- chatka. Limites d'extension de l'espèce. Si Matière. Run 330 nie en longitude : Nord, Mageroë...... NT 0 370 Occident, Canada... ....... 75 O.)Ecart en latitude : Orient, Kamtschatka........ 160 2350 Carré d’expansion............. 8695 RanuxcuLus BucBosus, Lin. — C’est une des plus com- munes et des plus printanières parmi les renoncules à fleurs jaunes. Elle abonde dans les prairies , sur le bord des che- mins et des fossés, dans les pacages. Elle précède un peu et accompagne souvent le R. acris. Ses Îleurs sont un peu plus grandes, d’un jaune un peu plus pâle que celles de cette dernière espèce. Elle produit, comme elle, beaucoup d’effet RANUNCULUS. 479 dans les prairies , où elle se multiplie à l'infini. — Sa racine bulbeuse, entourée par la base élargie des pétioles, présente un Curieux phénomène : chaque année, ce bulbe produit, de son centre seulement, comme les palmiers pour leur bour- geon , un second bulbe qui se superpose au premier, et qui souvent l’emporte en grosseur et en volume. Le premier périt et le dernier donne une plante proportionnée au bour- geon dont elle s'échappe. Ainsi, cette espèce ne peut pas se reproduire par jets ni par bourgeons latéraux ; c’est l’in- verse du À. repens, et chaque année la plante s'élève et sor- trait du sol, si, par la destruction successive du bulbe an- térieur, le bourgeon nouveau ne venait prendre sa place. Ses feuilles sont palmées et velues, son calice est jaunâtre et ré- fléchi. Nature du sol. — C’est encore une de ces espèces vi- goureuses indifférentes aux terrains. Nous la voyons prospé- rer surtout dans les sols d’alluvions un peu humides , dans les prairies des vallées , sur le sable des rivières ; mais elle abonde aussi dans les terrains gras et marneux. Dans les endroits arrosés par les eaux minérales, elle se rabougrit, offre souvent, sur les pétioles des feuilles qui touchent le bulbe, des teintes de violet, et prend un port tout par- ticulier. Altitude. — Dans le rayon de notre flore , cette renoncule appartient à nos trois régions, mais elle est plus commune dans la plaine et dans la région méridionale que dans celle des montagnes ; pourtant elle n’en est pas exclue. Au reste, M. Boissier l'indique comme rare dans sa région alpine, à la hauteur de 2,300 mètres. Géographie. — Son aire est très-étendue ; au midi, elle se trouve en Espagne et en Afrique, dans l'Algérie ; au nord, en Allemagne, en Danemark, dans le Gotland ; elle s'arrête 480 RENONCULACÉES. en Norvége et dans le midi de la Suède, sans atteindre la Laponie ; à l'occident , elle embellit la flore de l'Irlande et de l’Angleterre, jusqu’au 58°, sans passer même aux Orcades ni aux Hébrides , et elle se montre à Terre-Neuve et au Canada. A l'orient, on la rencontre en Turquie, dans les Carpathes; elle reste dans la Russie sans passer l'Oural, mais elle existe dans quelques parties de la Grèce et dans toute l'Italie. Limites d'extension de l’espèce. Sud, AISÉTIE. =. reset eeee 33° Écart en latitude : Nord, Suède... ue. OU) 270 Occident, Canada. .... ...... 795 O.)Ecarten longitude : Orient. Russes. T0 . 00 k 1259 Carré d’expansion............ 3379 RaANuNCuLUS PHILONOTIS , Ehrh. — Quoique cette es- pèce ait beaucoup moins d’éclat que les précédentes , elle devient quelquefois si abondante dans les champs humides, sur le bord des eaux et surtout dans les lieux inondés pen- dant l'hiver, qu’elle les couvre de ses petites fleurs jaunes et brillantes. Elle fleurit en juin, et se trouve fréquemment as- sociée au À. Flammula , au Juncus compressus , à l'Orchis latifolia, etc. Nature du sol. — Plus sensible à l’eau qu’à l’état phy- sique ou à la composition chimique du terrain , cette plante vit partout, préférant néanmoins les terres noires et spon- gieuses des anciens marais. Altitude. — Nous ne la connaissons que dans la plaine et même dans les points les plus bas de la Limagne. Son extension vers le nord nous fait supposer qu’elle s’élèverait assez facilement dans les montagnes. RANUNCULUS. 481 Géographie. — De notre région des plaines et de notre région méridionale , cette espèce s’étend dans presque toute la France. Elle occupe une partie des bords de la Méditer- ranée, la Corse , la Sardaigne et Alger. — Au nord , elle se rencontre dans toute l'Allemagne, le Danemark, le Gothland, et elle devient sporadique en Norvège. Elle se trouve dans une partie de la Suède, dans les prés bas et voisins de la mer. Elle va en Angleterre jusqu au 57°, et n’aborde au- eune des îles du nord. — Elle habite la Russie moyenne, la Russie australe, et, se dirigeant à l’orient, elle fait partie des flores de la Tauride , de l'Italie et de la Grèce. Elle a été trouvée dans l’île de Chypre, en Sicile et dans la Calabre. — À l’occident, on l'indique aux Canaries. Limites d'extension de l'espèce. D Sud, Algérie... soso. 330 )Écart en latitude : TETE eo memes e . 60 270 Occident, Canaries. ....... .. 16 O.) Écart en longitude: Onenr-Maurides.......1. RSR à al 1 900 Carré d’expansion. .. .. se... 1350 RANUNCULUS SCELERATUS, Lin. — Cette espèce n’est pas, à beaucoup près, une des plus éclatantes de ce beau genre, mais elle est, sans contredit, une des plus curieuses par son habitat et par ses mœurs. Elle est commune dans la plaine surtout, dans les eaux croupissantes et tranquilles. Douée d’une forte constitution, annuelle et souvent bisannuelle, on voit ses feuilles palmées , souvent colorées en rouge ou en brun par le froid, étalées et nageantes à la surface de l’eau. Mais, pendant que ces feuilles puisent dans l’atmosphère les aliments dont la plante a besoin, la racine prépare, au fond de l’eau, dans la vase, des feuilles nouvelles et différentes 1V 31 482 RENONCULACÉES. qui doivent accompagner la tige, et celle-ci se montre verte, succulente, fistuleuse et chargée d’une sève qu’elle puise en abondance dans le liquide où elle prend son accroissement. La tige, à peine sortie, donne quelques fleurs terminales d’un jaune verdâtre, sans éclat, et elle se ramifie , grandit, devient buissonneuse et produit, dans sa végétation continue, une multitude de fleurs qui se succèdent depuis le mois de mai jusqu’en automne, en diminuant de grandeur à mesure que l'été avance. Au contraire des autres renoncules , ces fleurs n’ont qu'un petit nombre d’étamines , dix ou douze seulement, tandis que les carpelles, extrêmement nombreux, sont disposés sur un axe en épi. De plus, les anthères sont extrorses, et la fécondation de cette espèce doit souvent s'opérer dioïquement. Après la floraison, le réceptacle s’al- longe, et les carpelles mürissent en formant un épi allongé, semblable à celui des Adonis et des Myosurus. — Les plantes qui s'associent à cette renoncule sont lApium gra- veolens , le Scirpus maritimus et la plupart des chénopodées qui bordent les mares dans lesquelles elle abonde. Nature du sol. — La première condition de son existence est l’eau , jamais courante et agitée , mais calme, fétide et peu profonde. C’est une espèce gourmande, qui aime les engrais , les eaux de fumier, les émanations azotées, les eaux un peu salines, et que sa voracité attire près des habitations. C'est presque une espèce domestique, et, comme telle, nous la verrons s'étendre sur une grande partie de la terre. Elle a cependant une préférence , comme toutes les plantes des terrains salés et azotés, pour la vase marneuse et calcaire , et végète moins bien sur les sables et les graviers. Altitude. —Ælle arrive jusque dans les montagnes, mais elle s’y plaît peu, ce qui tient peut-être à ce que les eaux y sont presque toujours courantes. RANUNCULUS. 483 Géographie.—Très-commune dans notre circonscription et dans toute la France, cette plante descend , au midi , au- tour de la Méditerranée, dans ses îles, en Corse, en Sardaigne, à Mimorque, en Portugal. — Au nord, elle couvre l'Europe, toute la Scandinavie et pénètre en Laponie. — A l’occident, elle existe en Irlande, en Angleterre, jusqu’au 59° delatitude, mais non dans les archipels voisins. Elle à été recueillie en Amérique, dans le Canada, sur le bord des rivières, jusqu’au 67°. — Ledebour la cite dans toutes les Russies, arctique, septentrionale, moyenne et australe, dans la Tauride, le Cau- case , autour de la mer Caspienne, dans toutes les Sibéries, de l'Oural , de l’Altaï et du Baïkal, dans la Sibérie orien- tale et la Dahurie. Elle se trouve dans la plus grande partie de l'Italie et en Sicile. Jacquemont l’a reconnue aux Gran- des-Indes , sur les bords de la Jumma et à Bénarès, dans les eaux paisibles du Gange. Enfin, Cuming l’a recueillie à Buenos-Ayres et à Valparaiso, dans l'hémisphère austral. Limites d'extension de l'espèce. Sud , Bords du Gange........ 25° | Écart en latitude : Nord tEaponie. :.........:3 65 :{ 40° Occident, Canada. ......... 75 0.) Écart en longitude : Orient, Dahurie........... 118 E. 193° Carré d’expansion........... 7720 Nous ne tenons pas compte de l'extension dans l’hémis- phère austral, RanNuNcuLuSs ARVENSIS , Lin.—Commune dans les mois- sons , cette espèce, probablement introduite, n’y joue pas un rôle très-important. Annuelle et peu apparente , elle se développe de bonne heure et montre dès le mois de mai des fleurs jaunes, petites et peu multiphées , qui conservent, 48% RENONCULACÉES. comme celles de la renoncule scélérate, une nuance de vert. Ses étamines sont peu nombreuses, ainsi que dans }’espèce que nous venons de citer, et avec laquelle on ne peut mécon- naître ses rapports. Les fruits sont entièrement différents et les appendices accrochants , dont ceux du R. arvensis sont pourvus sur les côtés, rappellent plutôt les carpelles des cy- noglosses que ceux des renonculacées. Avant l’époque des moissons elle a disparu, fugace comme la plupart des plan- tes annuelles. Nature du sol. —Préférant le calcaire , mais stationnant sur toutes les formations du plateau central. Altitude. — Aussi flexible sous ce rapport que sous celui du sol. Partout où les moissons peuvent s'élever, partout où le terrain peut les produire, le R. arvensis les suit, préfé- rant cependant la plaine à la montagne. Géographie. — Commune dans nos trois régions , dans toute la France, en Espagne , en Portugal , en Corse , en Algérie; — elle arrive ensuite au nord jusque dans le Dane- mark, le Gothland et la Suède australe où elle s'arrête. Elle ne se trouve pas en Norvége; — elle existe en Irlande et en Angleterre, jusqu’au 56°.—A l'Orient, ellese rencontre en Turquie, en Italie et même en Sicile. Elle traverse la Rus- sie moyenne et la Russie australe, et existe dans une grande partie de l’Asie-Mineure, en Arménie ; en Sibérie, elle va jusqu’au Jenissey. Limites d'extension de l'espèce. Sud, 'Algéme rt. 50... 999 EE en latitude: Nord IS NES SE 56 230 Occident , Irlande, ....... SE Re en longitude : Orient ;Sibénest ans ee . 109 E, 1139 Carré d'expansion. ......:.... 2599 RANUNCULUS. 485 RANUNCULUS PARVIFLORUS , Lin. — Cette espèce peu ap- parente , à fleurs petites et jaunâtres, est bien loin d’égaler les autres espèces du genre. Rare dans notre circonscription, elle est dispersée dans les vignes et le long des chemins, en petites touffes isolées, dont les fleurs paraissent déjà dans le mois de mai. La floraison se succède pendant plus d’un mois et les chaleurs détruisent bientôt cette plante annuelle qui ne fait qu'une courte apparition. Nature du sol. — Nous l'avons constamment rencontrée sur des terrains calcaires. Altitude. — Elle reste dans les campagnes peu élevées et ne dépasse pas 500 mètres. M. Boissier l’a recueillie dans la région montagneuse du royaume de Grenade, à 1,000 mètres de hauteur. Géographie. — Rare dans notre région méridionale et se retrouvant, quoique rarement, dans les plaines du Bourbon- nais , cette plante existe surtout au midi et à l’ouest de la France. C’est une plante occidentale , d’après de Can- dolle, et appartenant à la région de l'£Ærica ciliaris.—Elle s'étend très-loin au sud, en Corse, en Sardaigne, à l’île Ca- prée, même en Barbarie. — Au nord elle est rare, mais se trouve pourtant disséminée en Allemagne et jusqu'aux li- mites méridionales du Danemark. — Elle existe à l'occident, en Angleterre, en Irlande , jusqu’au 55°, aux Canaries et même dans l’Amérique boréale.—Vers l'Orient elle ne se montre plus, et si on la retrouve en Italie et en Tauride, c’est sur des points où l'influence de la Méditerranée se fait encore sentir. Nous sommes donc sur une de ses limites orientales. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Algérie. .............. 35° |}Écart en latitude : Nord’, Danemark... ..... .. 56 21° 486 RENONCULACÉES. Occident, Canaries. ......... 20 O.] Écart en longitude : Orient: Laurie... disiterte 23 E. | 53° Carré d'expansion... ........ 14113 G. CALTHA. Lin. La nature n’a pas prodigué les Caltha, car on en compte à peine 16 espèces , mais elle les a disséminés dans des con- trées très-éloignées les unes des autres. C’est un genre amé- ricain, ou du moins on connaît six espèces appartenant aux diverses parties de l'Amérique du nord et habitant les deux côtes de ce vaste continent. Une septième est sur la route de l'Asie, isolée et comme exilée dans l’île d'Unalascka, une des Aléoutiennes ; une autre flotte surles eaux de la Sibérie, et deux autres occupent, dans les Indes, au pied de l’'Hima- laya, des sites analogues à ceux de nos Caltha européens. L'île Melville, malgré son climat glacial , possède aussi une espèce de ce genre: l'Angleterre et l’Ecosse ont chacune un type particulier , et un autre, abondant en Europe, se retrouve aussi en Asie et dans l'Amérique septentrionale.— Aucun Caltha n'est connu dans l'Afrique ni dans l'Océanie, mais deux espèces analogues , et très-distinctes de toutes les autres, viennent se montrer sur les terres magellaniques, à l’extrémité sud de l'Amérique ; singulière distribution qui vient rappeler, aux confins des terres australes, des for- mes plus répandues à l’autre extrémité du globe, et lais- sant, entre ces deux créations, la vaste ceinture de Ja zone torride et une grande partie de la zone tempérée. Les Caltha sont en effet des plantes des régions froides , et, pour ainsi dire , des espèces polaires et vernales. La France, comme notre flore , n’en possède qu'une seule. CALTHA. 487 Cazraa paLusTris, Lin. — Cette magnifique espèce est une des plantes les plus communes et les plus apparen- tes de la flore française. Elle a une influence marquée sur tous les paysages où elle se rencontre. Elle existe à la fois dans les prairies et dans les marais, dans les bois , le long des rivières et des ruisseaux, sur les pelouses arrosées des lieux élevés, mais sa principale station est dans les prés mouillés des montagnes. Elle y vit en société, par groupes nombreux, rapprochés, d’un vert sombre et luisant, et se couvre , dès le mois d’avril, de grandes fleurs orangées. De vastes prairies sont quelquelois tellement envahies par cette plante, qu’elles n’offrent plus que la nuance vive et uniforme de ses fleurs éclatantes. C’est un des beaux spectacles du printemps de voir se développer ces touffes vigoureuses et de contempler le réveil de la nature dans les milliers de corol- les qui s'ouvrent alors aux rayons du soleil. — Les racines des Caltha, ensevelies dans la vase, contiennent de bonne heure l’ensemble des organes qui doivent se développer, et les pé- tioles élargis des feuilles avortées constituent les écailles des premiers bourgeons. Les feuilles emboîtées et placées de telle manière que l’une des moitiés enveloppe l’autre , sont encore protégées par des spathes transparentes et im- perméables qu’elles percent pour s'échapper. Une fois dé- veloppées, ces feuilles semblent vernies, et, de même que les feuilles glauques, l’eau‘ ne peut les mouiller. Des glandes, placées à l’extrémité des nervures, remplissent peut-être quelques fonctions dans cette circonstance. Le développement du Caltha est rapide ; ses belles fleurs résistent aux varia= . tions continuelles de la saison pendant laquelle elles s’épa- nouissent ; elles restent ouvertes, droites, élevant vers le ciel leurs calices dorés. Les étamines offrant un large con- nectif s'ouvrent sur les côtés en s’inclinant doucement sur 488 RENONCULACÉES. le pistil, et les carpelles féconds exposent leurs graines à la chaleur qui doit les mürir avant leur dissémination. — Cette belle plante varie à l'infini dans son port et dans son feuil- lage. Tantôt elle prend un grand développement ; ,ses feuilles et ses fleurs sont très-grandes et ses toufles forment . d'énormes buissons. Tantôt ses feuilles plus petites sont crénelées et même dentées sur les bords, ses fleurs sont moins belles, sa tige est couchée; elle ressemble alors au C. repens, de l'Ecosse, ou bien elle prend identiquement la forme du C. flabellifolia , Pursch., plante américaine , dont la nôtre copie le port et les caractères.—Le Caltha offre souvent aussi des apparences de polygamie. Des plantes en- tières n’ont que des fleurs mâles, et quelques-unes de ces dernières se trouvent aussi disséminées sur des plantes her- maphrodites.—Dans leshautes montagnes, le Caltha devient rampant; il n’a plus qu’un petit nombre de fleurs, mais leur vivacité augmente encore. Dans toutes ces variétés, l’orangé persiste , et jamais on ne voit la moindre tendance à l’albi- nisme, qui est cependant l’état naturel du €. natans de la Sibérie, et d’une autre espèce trouvée par Jacquemont dans l'Himalaya. — Lorsque des prairies sont accidentellement inondées, le C. palustris végète submergé ; ses feuilles se déroulent, ses tiges, soutenues par le liquide, s’allongent et deviennent débiles , et les boutons cherchent à atteindre la surface pour s'épanouir. — Dans ses diverses stations le Cal- tha a des associations différentes. Ainsi, dans les bois, on le voit suivre le cours des ruisseaux, accompagné de l’Athyrium Filix-fœmina, du Blechnum spicant, des tiges naissantes du Mulgedium alpinum, et de l’Adenostyles albifrons. Dans les prés, il fleurit en même temps que le Cardamine praten- sis, l'Orchis latifolia. Sur le bord des cours d’eau, 1l est en société avec le Chrysosplenium alternifolium, le Carda- CALTHA. 489 mine hirsuta. Dans les hautes régions des montagnes, il par- tage sa station avec l’Epilobium origanifolium , le Monti fontana, le Saxifraga stellaris , etc. Nature du sol. — Pourvu que le Caltha ait de l'eau, et surtout de l'eau froide, il végète dans tous les terrains ; cependant if n’aime pas les calcaires et s’accommode beau- coup mieux des terrains siliceux , des sols volcaniques, des sables et des alluvions qu'il suit dans les plaines jusque sur les calcaires. Altitude. — Cette espèce, aimant les terrains frais, n'existe en plaine, dans sa station naturelle, que dans le nord de la France et au delà. Cependant nous la trouvons dans la Limagne, tout au pied des montagnes ; mais sa zone de prédilection est entre 600 et 1,200 mètres. Elle peut monter beaucoup plus haut; sa variété naine se trouve à 1,650 mè- tres le long des eaux froides qui sortent des sources de la Dore. Nous l'avons vue à une élévation presque aussi grande dans le Cantal, fleurissant sous des voûtes de neige, arrosée par l’eau glacée qui sortait de grands amas de nevé. De Candolle lui assigne une zone de O0 à 1,800 mètres; mais il place le maximum dans la Lozère, et aucun point de ce département n’atteint une aussi grande élévation. Nous l'avons trouvée , du reste, au sommet de la montagne de la Lozère elle-même. Ce qui prouve que cette espèce peut atteindre 1,800 mètres, c'est qu’elle s'élève jusque-là dans les Pyrénées , et que d’après Lessing , aux îles Loffoden, par 68° lat. N., elle monte encore à 200 mètres. Cepen- dant Wahlenberg dit qu’en Suède le Caltha , qui est com- mun dans la plaine, devient plus rare dans les montagnes, tandis que le même auteur l’a trouvé dans les Carpathes, au-dessus de la limite supérieure du pin Mugho , et dans la Suisse septentrionale jusqu’à 2,000 mètres. 490 RENONCULACÉES. Géographie. — Assez répandu dans notre région des plaines , très-abondant dans celle des montagnes , le Cal- tha devient plus rare dans notre région méridionale , et il disparaît dans le midi de la France pour se montrer encore dans les Pyrénées et en Portugal. —Son extension vers le nord est considérable. Il occupe tout le reste de l’Europe, la Scandinavie et la Laponie entière, l'Angleterre, l'Irlande, les Hébrides, les Orcades, les Shetland, les Feroë, Mageroë par 71°, et l'Islande. Dans cette dernière contrée on le trouve dans des localités très-différentes ; dans les stations les plus basses des dunes, lorsque le terrain est gras et humide, et sur les toits des maisons. « On pourra donner une idée de l'humidité du sol en général , dit M. E. Robert (f), quand on saura que cette plante brille quelquelois de tout son éclat et prospère comme en plein marais, sur le toit même des bœrs construits en terre. Le Caltha palustris, à l'exemple de notre plantain, ne semble se plaire que dans le voisinage de ces fermes, où, dureste, il fait heureusement diversion, par ses belles fleurs dorées, à la monotonie des lieux qu’elles occupent. » — En Laponie, selon Acerbi, la floraison ver- nale du Caltha coïncide avec l'apparition des feuilles du bouleau , avec l’arrivée de l’hirondelle de cheminée, le pointillement du blé et le chant du coucou. Tout cela a lieu quelques jours après la fonte des glaces , vers le 25 du mois de mai. — Le Caltha trouve sa limite occidentale dans le Canada, où il habite les plaines comme à Terre- Neuve et au Labrador. — Les régions orientales sont aussi favorables au Caltha ; il habite une partie de l'Italie, et descend même dans les plaines. Nous l’avons vu dans les rizières de la Lombardie et de Venise. Bertolont le cite (1) Voyage en Islande , p. 548. TROLLIUS. 49 dans les marais Pontins, Tenore dans le royaume de Naples et Gussone en Sicile. Enfin, il existe en Turquie, dans toutes les Russies, dans la Sibérie entière, et s'étend jus- qu'aux îles de la mer orientale, c’est-à-dire aux Aléou- tiennes. Limites d'extension de l'espèce. Sud , Italie................ 42° |Écart en latitude : Nord, Mageroë............ 71 299 Occident, Canada.......... 75 O.]EÉcart en longitude: Orient, Aléoutiennes. ...... 170 E.| 2/50 Carré d'expansion........... 7105 G. TROLLIUS. Lin. Les espèces élégantes qui composent ce genre sont pres- que toutes asiatiques. Sur 11, la Sibérie, cette patrie des renonculacées, en compte 6, une septième est du nord de la Chine, une huitième des montagnes du Népaul, et une autre encore est reléguée dans les froides régions du Kamts- chatka. Le nouveau continent n’a qu’un seul Trollius qui habite la Pensylvanie, et celui d'Europe est encore une espèce des régions froides qui ne s’avance guère dans la zone tempérée. Ce sont des plantes cireumpolaires du nord , m- connues à l'Afrique et à tout l'hémisphère austral. Trozrus EuroPÆUS , Lin. — Le Trollius est une plante des prairies des montagnes, et l’on peut dire qu’il en est un des plus beaux ornements. Chaque année, sa racine fibreuse et noirâtre laisse sortir une tige nouvelle , dont le bourgeon presque central passe l'hiver sous la neige , vêtu des débris fibreux dès anciennes feuilles. Aussitôt que la neige dispa- 492 RENONCULACÉES. rait , les feuilles de cette belle espèce, dont les lobes plissés étaient roulés sur leur surface supérieure, s'étendent et pren- nent l'aspect de celles de la plupart des renoncules. Elles sont d’un vert sombre. La tige se ramifie ou bien elle reste unillore, selon l’élévation. De gros boutons verts et arrondis paraissent de bonne heure; ils jaunissent en prenant de l’âge, et enfin des fleurs globuleuses, d’un jaune de soufre admi- rable , viennent embellir les régions froides où le Trollius trouve ses meilleures conditions d’existence. De nombreux sépales colorés , disposés sur six rangées , recourbés au som- met, font de la fleur une chambre close, dans laquelle s’o- père une fécondation certaine. De petits pétales tubuleux et nectarifères y sont abrités , et de nombreuses étamines répandent leur pollen sous l'influence de la lumière diffuse quitraverse le tissu des sépales. Les anthères extérieures s'ouvrent les premières et sur le côté, comme dans un grand nombre d’autres renonculacées , et quand l’appareil de la floraison s’est lentement détaché du réceptacle , on voit des capsules disposées en étoile , ridées et striées à l'extérieur, et qui, pendant l'été, répandent des graines d’un beau noir. —C'est au printemps, à la fin de mai et plus souvent en juin, que fleurit le Trollius et qu'il couvre les prairies hautes de ses nombreux individus. Il croît souvent en société nom- breuse et se mêle à des espèces distinguées, comme lui, par leur élégance et leur beauté. Le Narcissus poeticus, le N. pseudo-Narcissus, le Ranunculus aconitifolius, l’Equisetum sylvaticum , le Pedicularis palustris, sont les compagnes qu'il préfère et avec lesquelles il s’étend en riches tapis sur le fond de verdure que lui font les graminées naissantes. Nature du sol. — Nous ne connaissons le Trollius, dans le rayon de notre flore, que sur les terrains primitifs et volca- niques ; 1] aime un sol divisé et détritique , humide et sou- TROLLIUS. 493 vent arrosé. Il vit même sur un sol tourbeux et cherche le grand air, comme les anémones des coteaux. C’est pourtant une plante indifférente, car, dans le Jura, il végète parfaite- ment sur le calcaire , et il pourrait être considéré comme dépendant plutôt du sol aquatique que de toute autre con- dition. Altitude. — Nous n'avons pas le Trollius dans la plaine, il n’y descend que dans le nord de l'Europe. Ici, il ne se montre pas avant 700 mètres de hauteur, et il monte en- suite jusque sur les points les plus élevés du mont Dore, du Cantal et de la Lozère ; il arrive ainsi à 1,800 mètres. Dans les Alpes et dans les Pyrénées, il atteint des stations au moins aussi élevées , mais alors 1l devient uniflore. Sa véri- table position est entre 1,000 et 1,500 mètres. En Suisse, sa zone de prédilection est depuis la limite supérieure du noyer jusqu’au-dessus de la limite supérieure du sapin; ilne descend pas au-dessous de 700 mètres. Dans les lieux très- élevés, il reste souvent enseveli sous la neige pendant très- longtemps, et quelquefois l'automne devient son printemps ; alors il n’a pas le temps du mürir ses graines , et se repro- duit, comme nous l'avons indiqué , par un bourgeon central qui part du milieu du collet. ® Géographie. — Commune dans notre région monta- gneuse, cette espèce des pays froids ne se montre plus dans notre région méridionale , et fait, au midi, sa dernière ex- cursion dans les hautes prairies des Pyrénées et dans la Cala- bre.—Au nord, elle s'étend indéfiniment dans l'Allemagne, la Scandinavie et toute la Russie; elle arrive jusqu'au cap Nord, et' fait partie de ces dernières prairies qu’un été de quelques jours laisse fleurir, sans leur donner toujours le temps de fructifier. Là, le Trollius vit dans la société du 494 RENONCULACÉES. Bartsia alpina, du Geranium sylvaticum , de l’Arabis al- pina, du Polygonum viviparum, du Myosotis sylvatica, de l'Alchemilla alpina, plantes amies, souvent associées dans nos montagnes , et inséparables aux dernières limites du monde habité. Il est remarquable que cette plante , assez répandue en Suède, devienne beaucoup plus commune en Laponie et surtout dans la région montagneuse et occiden- tale, jusque au cap Nord. Elle est plus rare du côté de la mer orientale. — L’Irlande et l'Angleterre ont aussi le Trol- lius, qui va jusqu'aux Shetland, mais qui a plus de tendance à se diriger vers l’orient que vers l'occident. Il se trouve en Italie , dans les Apennins , dans les Carpathes, en Bosnie, dans la Servie méridionale ; il existe aussi dans une portion de la Sibérie , où il est ensuite remplacé par le T. asiaticus. Enfin, il est cité dans les prés les plus élevés du Caucase. Limites d'extension de l'espèce. Su alé SR A AUTO Écart en latitude : Nord, Cap Nord......... ASE | 31° Occident, Irlande. .... ...... 12 O.) Écart en longitude: Orient, Sibérie. .... RE te AU pa 720 Carré d’expansion. . ........... 810 G. HELLEBORUS. Lin. Les hellébores connus sont aujourd’hui au nombre des15, et constituent un genre éminemment européen. La Carniole, la Hongrie, l’Esclavonie, la Croatie sont leur patrie de prédi- lection. La Corse, la Grèce et le midi de l’Europe en nour- rissent encore quelques espèces, et une seule paraît s’avancer jusqu’en Orient et atteindre l’Asie. HELLEBORUS. 495 Nombre d'espèces du genre dans les trois flores du centre , du sud et du nord de l’Europe. Royaume de Grenade........ 1 Pteauicentral. ESS OUT. EE 0 Heczegorus viripis, Lin. — Cette plante très-rare, sans importance dans le rayon de notre flore , se trouve dissémi- née dans les buissons ou dans les clairières de quelques bois taillis. Elle naît en petites toufles et ouvre, dès le mois de mars, de grandes fleurs vertes , auxquelles succèdent des capsules assez volumineuses, qui mürissent pendant que les feuilles prennent leur développement , et qui dispersent leurs graines en s’ouvrant avec élasticité.— La tige de cette espèce d’hellébore reste souterraine ; c’est un véritable rhizome qui s’avance dans uneseule direction, comme celui des Nymphæa, et qui conserve les cicatrices des anciennes feuilles. — Les stigmates sont de petites houppes papillaires, aptes avant les étamines. Celles-ci, couchées contre les ovaires, grandissent promptement et successivement, puis répandent leur pollen, mais presque toujours après que les stigmates sont flétris. Elles sont d’un jaune pâle, comme le pollen, s'ouvrent sur les deux côtés, et ce sont les plus extérieures qui grandis- sent les premières. Les nectaires sont d’un beau vert, en cor- nets qui ne sont jamais ouverts complétement, et qui se re- ferment, en roulant leurs bords en dedans , à l’époque de l’anthèse. Les fleurs répandent une odeur légère , analogue à celle des pivoines. Nature du sol. — Nous ne connaissons cette plante que sur des terrains schisteux et volcaniques, mais elle est telle- - ment rare pour nous, que nous ne pouvons pas assurer que 496 RENONCULACÉES. ces terrains soient ceux qu’elle préfère. Elle est probable- ment sur calcaire dans les Alpes du Dauphiné , et nous l’a- vons aussi rencontrée sur ce même terrain près d’Avesnes, dans le département du Nord. Altitude. — Nous la trouvons ici, dans notre région mon- tagneuse, à 1,200 mètres environ d’élévation. Dans le nord de la France , elle vit en plaine ; dans les Pyrénées et dans le Dauphiné, elle reste dans la montagne. Géographie. — C'est une plante disséminée , qui n’est commune nulle part, excepté dans Les prairies de Gavarnie, dans les Pyrénées , et qui pourtant habite la majeure partie de la France. Elle a été trouvée dans les Asturies. Elle existe dans une partie de l’Angleterre , jusqu’au 55° degré de la- titude. Sa véritable patrie est l'Italie, l’'Estrie, les Apennins et les bords de l’Adriatique. Elle se trouve aussi dans les montagnes de la Sicile et en Turquie. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Sicile.......... 4 A EDAE SR 380 (a en latitude : Nürd';"Angleterrez:. PS0: SOU) 170 Occident , Asturies......... . 8 O.) Écart en longitude: Orient, Turquie........... 26 . 3/0 Carré d’expansion............. 978 HELLEBORUS FOETIDUS , Lin. — Nous avons dans nos ch- mats bien peu de végétaux dont le port soit aussi curieux que celui de cette espèce. Elle résiste aux plus grands froids de l'hiver; elle forme partout de larges toufles perma- nentes ou des pieds isolés qui se présentent avec des formes singulières. La tige, nue, mince et ligneuse dans le bas, devient plus épaisse et écailleuse dans sa partie supérieure, comme celle d’un palmier. Ce sont les pétioles élargis des HELLEBORUS. 497 feuilles qui lui donnent cet aspect, et ces mêmes feuilles , digitées et réfléchies, lui forment une couronne comme celle du Chamærops. Les pétioles sont ordinairement d’un rouge carminé, et les folioles d’un vert sombre et presque noires. Quand la plante croît en touffes, on y distingue quelques tiges stériles qui ne donnent que des feuilles, mais le plus ordinairement ces organes sont fertiles, et du milieu de cette sombre couronne sort, avant l'hiver, un bouquet de feuilles et de fleurs dont la nuance, pâle et jaunâtre, contraste avec le vert foncé de la base qui la supporte. C'est la partie active de la plante, qui profite des légères intermittences du froid pour se développer, et qui reste inactive si l'hiver est trop rigoureux. C’est une floraison tardive succédant aux feuilles depuis longtemps développées. Les fleurs pâles, verdâtres, souvent lisérées de rouge, s'ouvrent de bonne heure ; leur calice persiste longtemps et accompagne les graines. Ces fleurs sont entourées d’une multitude de bractées vertes, coriaces, pourprées au sommet et fréquemment découpées sur leur bord supérieur. Quand elles s'ouvrent, elles laissent à découvert une fleur qui ne tarde pas à s'épanouir, et à sa base se trouvent d’autres bractées qui renferment d’autres fleurs , et qui apparaissent successivement , en sorte que la floraison , qui commence quelquefois au mois de janvier, dure très-longtemps. — Quelques nectaires, semblables à de petits vases ouverts , attirent les insectes sortis de leur retraite d'hiver, et leur offrent un miel âcre et vénéneux. C’est peut-être à ces insectes qu'il faut attribuer la féconda- tion de cette espèce, car les anthères, disposées sur plusieurs rangs, ne s'ouvrent qu'en dehors et grandissent à mesure qu’elles vont répandre leur pollen ; elles restent séparées du pistil, qui ne peut être directement atteint que par le dernier rang des organes mâles. — Dès le mois de février et 1 32 498 RENONCULACÉES. quelquefois plus tôt, cette espèce fleurit; au mois de jun, ses graines noires se répandent. Il en sort de jeunes plantes dont les feuilles , seulement trilobées , ont déjà leur pétiole d’un rouge carminé. Plus tard, les feuilles se découpent, mais la plante, qui le plus ordinairement fleurit dès la se- conde année, peut rester très-longtemps sous ce premier état, et tout à coup, dans le milieu de l'été, on aperçoit sa hampe qui tend à se développer, et, l’année suivante, quand la fructification est achevée, cette hampe se désarticule et dis- paraît. — Chaque groupe d'A. fœtidus est toujours placé ‘à une petite distance d'un autre, mais cette plante est ex- trêmement répandue dans les lieux incultes, le long des chemins , sur le bord des haies et dans toutes les brous- sailles. Elle y précède toutes les autres espèces, et n’a pas l’attrait de fraîcheur que nous offrent les végétaux du printemps. Nature du sol. — L’I. fœtidus préfère les terrains cal- caires ; aussi est-il très-commun dans la Limagne d’Au- vergne et surtout sur ses bords. Il est encore plus répandu sur les plateaux jurassiques de la Lozère et de l'Aveyron. Il se montre aussi sur les porphyres et sur les basaltes les plus compactes, où il est généralement associé au buis. Il végète également sur les scories légères, sur les pouzzolanes, sur les micaschistes et même sur les sables d’alluvions. Nous l'avons remarqué très-vigoureux sur les terrains salés de Saint-Nectaire, dans le Puy-de-Dôme. — Ses associations sont différentes sur chacun de ces terrains. Il est le plus or- dinairement mêlé à l’Euphorbia Cyparissias, et nousl'avons rencontré aussi en mélange avec le Sarothamnus vulgaris, et plusieurs fois croissant sur de vieux saules, avec le Ribes uva-crispa et le Gerarnium Robertianum. Altitude. — Cet hellébore est trop robuste pour ne pas ISGPYRUM. 499 accepter toutes les zones d’élévation. Il monte, sur le plateau central , sur les flancs des cônes volcaniques scoriacés, Jus- qu’à 1,200 mètres, et il descend , dans la Limagne, au ni- veau des rivières. Nous l’avons cueilli presque en plaine dans les Ardennes, et à Antibes sur le bord de la mer. Il atteint 900 mètres sur le flanc nord du mont Ventoux, et monte jusqu’à 2,000 dans la région alpine du royaume de Grenade. Géographie. — Très-commun dans nos trois régions, il avance très-loi vers le sud, se montrant dans les Pyrénées, dans les montagnes de l'Espagne , dans l’Andalousie et en Portugal. — Au nord , il atteint, en Angleterre, le 55°, et vient s'arrêter dans l’Allemagne occidentale. — A l'orient, il gagne l'Italie, le Siennois, les Etats-Romains et le royaume de Naples. — En Corse, il est parfaitement remplacé par V'H. lividus, plus grand , plus développé , mais qui se tient exactement dans les mêmes conditions. ‘ Linntes d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade.... 37° )Écart en latitude : Nord Analeterre. .......:.. Ha.) 18° Occident, Portugal. ......... 10 O. Écart en longitude : Orient, Royaume de Naples... 16 E,.{ 260 Carré d’éxpansion. ......,....,. 468 G. ISOPYRUM. Lin. Ce petit genre, asiatique et européen, contient seulement cinq espèces , dont deux sibériennes , une japonaise et deux autres de l'Italie ou du midi de l’Europe. Une d’entr’elles, cependant, se trouve aussi dans les régions tempérées de la France, de l'Allemagne et de la Savoie. 500 RENONCULACÉES. IsoPYRUM THALICTROIDES, Lin. — Cette plante, d’une délicatesse extrême, se plaît dans les bois, au milieu des buis- sonset des broussailles des montagnes; elle enfonce ses racines dans le terreau produit par la décomposition des feuilles. Cet organe, qui rappelle un peu les griffes des renoncules, s’y dé- veloppe avec énergie et produit des tubercules qui donnent naissance à des plantes nouvelles. Mais , à mesure que les jeunes individus naissent à l'extérieur des racines, les plus anciens périssent dans le centre , et l’Zsopyrum , quand il peut végéter librement, forme, à l’ombre des bois, des cer- cles plus ou moins réguliers, dont rien ne peut égaler la grâce et la légèreté. Le feuillage découpé , glauque comme celui des Fumaria , contraste avec les jolies fleurs blanches suspendues aux pédoncules les plus déliés , et leurs pétales, au nombre de cinq, sont de petits cornets verts, au fond des- quels chaque nectaire est logé. Les étamines sont au nombre de 30 à 36, mais la plante n’a que 3 à Æ pistils, qui de- viennent de petites capsules univalves contenant chacune 2 ou 3 semences. — C’est au premier printemps, en avril eten mai, que cet Zsopyrum fait son apparition sur le sol de nos forêts, et principalement sous les hêtres, lorsque leurs bour- geons commencent à s'épanouir. Son mode de reproduction par ses racines le rend éminemment social, et l’on rencon- tre des cercles, des groupes ou des lignes sinueuses sur les- quels il s'étend. Ses compagnes ordinaires sont les Anemone nemorosa et À. ranunculoides, le Corydalis solida, le Pri- mula elatior et quelquefois le Scilla bifoha. Nature du sol. — Nous ne connaissons cette espèce que sur des terrains primitifs et volcaniques ; ce sont surtout ces derniers qu’elle semble préférer, mais cela tient sans doute à la facilité avec laquelle ils se décomposent et se mélangent à l’humus , que cette plante recherche avant tout. Nous la ISOPYRUM. 501 trouvons sur les basaltes , comme sur les sceries et les tra- chytes. Altitude. — 1 paraît qu'il peut vivre en plaine, puisqu'on le cite à Nantes et à Bordeaux ; mais, sur le plateau central, nous ne le trouvons pas au-dessous de 500 mètres. Sa véritahle zone est celle des hêtres, aussi, c’est de 800 à 1,200 mè- tres qu'il rencontre ses meilleures conditions. C’est à peu près à la même hauteur qu’il existe en Dauphiné et dans les Pyrénées. Wahlenberg l'indique, dans les Carpathes, comme une plante de la zone des sapins. Géographie. — L’Isopyrum est fugace ; il ent de bonne heure et disparaît promptement. Peut-être par ces raisons n'a-t-ll pas été observé dans tous les lieux où il existe réellement. Son aire d’extension est restreinte. Com- mun dans notre région montagneuse, il n’est pas rare non plus dans les Alpes ni dans les Pyrénées. On le cite en France, à l’ouest jusqu’à Nantes, au nord jusque dans la Haute-Marne, mais, en Allemagne, on le rencontre en Bohême et à Kænisberg. — A l’ouest, il reste sur le littoral de la France, et à l’est il pénètre dans les Apennins et va même aux environs de Rome. Ledebour le cite à peine dans sa flore, lui assignant seulement pour patrie la Li- thuanie, la Volhynie et la Podolie. On le connaît en Turquie, dans la Bosnie, la Servie et le Balkan. Linutes d'extension de l'espèce. DURE... .. ... ....... 42 )Écart en latitude : Nord, Volhynie...... ME A 50 ? 8° Omenr Brance...l.....: 1NOE | Écart en longitude : Orient, Volhynie............ 95 E./ 320 Carré d'expansion. ...... EE de 256 502 RENONCULACEÉES. G. NIGELLA. Lin. Une douzaine d’espèces, la plupart asiatiques ou des bords de la Méditerranée, composent ce joli genre. La Syrie , la Tauride , les campagnes d’Alep, sont la patrie de plusieurs d’entr’elles , tandis que les autres se trouvent dans diverses parties de l'Europe, mais principalement dans les îles de la Grèce et sur les rivages de la Méditerranée. Une d'elles est espagnole, deux autres africaines et quelques-unes habitent à la fois les régions méditerranéennes de l’Afrique , de l’Europe et de l’Asie ; une espèce s'enfonce jusqu'aux Indes orientales. Les Nigella sont donc tous de l’ancien continent et de l'hémisphère nord, fuyant les régions polaires, sans attein- dre la zone équatoriale. Ils paraissent plutôt asiatiques qu'européens, et nous n’en connaissons que deux sur le plateau central. NIGELLA DAMASCENA , Lin. — Ceite espèce , très-rare, nous semble avoir été introduite dans le midi de notre cir- conscription avec les graines des céréales. Elle se trouve dans les conditions des autres Nigella, des Adonis et probable- ment d’un certain nombre de plantes appartenant à la même station. Cependant ces espèces naturalisées ne dépassent pas certaines limites, et, quoique fructifiant dans nos jardins, elles ne se perpétuent d’elles-mêmes que dans des circons- tances particulières. Celle-ci est disséminée dans les champs. — Ses belles fleurs bleues, qui paraissent en mai et juin, sont enveloppées d’un involucre découpé ; ses nectaires pé- dicellés sont formés de deux lèvres dont la supérieure re- couvre le sac mellifère ; ses stigmates latéraux ne se déve- NIGELLA. 503 loppent qu’à la fin de l’anthèse. Les étamines répandent successivement leur pollen en s’ouvrant de côté par deux lames qui se détachent et se retournent. Enfin, la capsule volumineuse contient, outre les loges séminifères, des cham- bres vésiculeuses dont l'usage est inconnu. Nature du sol. — Nous l'avons vue sur les calcaires seu- lement , et il est probable que, dans les nombreuses loca- htés où elle existe , elle n'accepte pas indifféremment tous les terrains. Altitude. — Elle croît en plaine; c’est seulement dans les régions très-méridionales qu’elle peut s’élever un’ peu. M. Boissier la cite entre 600 et 700 mètres dans le royaume de Grenade. | Géographie. — Très-rare dans notre flore, elle n’en occupe que la lisière la plus méridionale ; mais elle s'étend dans toute la région des oliviers, non-seulement en France, mais en Espagne, aux Baléares, en Portugal, aux Canaries, à Madère et dans la Barbarie. A l’est , elle se trouve dans toute l'Italie, en Sicile, en Grèce, en Tauride et en Turquie. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Canaries. ............. 30° Écart en latitude : Nord, Plateau central........ %4 14° Occident, Canaries. ......... 18 O. Écart en longitude : Ont Tauride.. 22.1..." EN 520 Carré d’expansion....... SORA 0 NiGELLA ARVENSIS , Lin. — Comme la précédente, cette espèce se trouve dispersée dans les moissons. Elle a moins d'éclat, ses fleurs blanches ou d’un bleu pâle paraissent en mai et en juin, Elle a fort peu d'importance dans notre tapis végétal. 204 RENONCULACÉES. Nature du sol. — On ne la trouve que sur les calcaires et particulièrement sur ceux qui sont compactes. C’est sans doute à cause de cette affection exclusive que nous ne la trouvons nulle part sur le plateau primitif de l'Auvergne. Altitude. — Nous ne la connaissons qu’en plaine , 1ci et dans toute la France, excepté peut-être dans le Jura , où elle s’élève sur les plateaux. | Géographie. — Rare dans le rayon de notre flore et seulement dans notre région méridionale, elle a une aire d’extension très-large. Elle occupe dans le midi toute la Provence, l'Espagne, le Portugal, la Sardaigne et la Bar- barie. — Au nord, une partie de l'Allemagne, la Russie australe et même la Russie moyenne. — Elle avance peu à l’ouest et ne sort pas du Languedoc , tandis qu’à l’est elle habite les Vosges , l’Alsace , l’Italie y compris la Calabre, et la Tauride. Limites d'extension de l'espèce. DUT, HATDATIG.. . 2e see JOUR) Écart en latitude : Nord, Russie moyenne. ..... 99" .J 229 Occident, France......... .. 5 O.)Écarten longitude : Orient, Tauride 00. de 34 E.) 390 Carré d’expansion......... Re G. AQUILEGIA. Lin. Distribution géographique du genre. — On connaît au- jourd’hui au moins 22 espèces appartenant au genre élégant des Aquilegia. Ce sont des plantes asiatiques et euro- péennes, mais surtout sibériennes, car on en compte 10 qui habitent la Sibérie, l'Oural, les monts Altai et le Kamtschatka ; 2 autres sont originaires des Grandes-Indes. NÉ AQUILEGIA. 505 L'Europe en a 8 disséminées en Russie, en Allemagne, en Transylvanie, en Carinthie, en France, et surtout dans les Alpes et les Pyrénées. Toutes ces espèces se ressemblent ; mais on remarque un type un peu différent dans les deux espèces américaines, toutes deux du Canada. Ce sont donc encore des plantes toutes boréales , un genre peu représenté dans le nouveau monde, et inconnu en Afrique et dans l’hé- misphère austral. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du Centre, du Sud et du Nord de l’Europe. Royaume/de Grenade. 02200004 Bédeaucentrali nn" PAROMIEM ANR RSR SUR O AQUILEGIA VULGARIS , Lin. — Une seule espèce de ce genre ornemental vient décorer nos bois et nos prairies , et balancer ses fleurs d’azur sous le souflle attiédi des vents du printemps. Les bois dont la futaie vient d’être abattue, ceux dont les taillis laissent quelques clairières, nous montrent de belles touffes d’ancolie. Les prairies de nos montagnes , et quelquefois les bords des ruisseaux sont embellis par les corymbes distingués de cette espèce, qui cherche à remplacer . par son abondance les espèces étrangères inconnues à nos chmats et dont aucune peut-être n’égale sa grâce et sa fraîcheur. — Des rhizomes couchés sous la terre avancent tous les ans et déplacent légèrement cette espèce qui, dès la fin de l'hiver, laisse sortir des turions écailleux où les Jeunes feuilles sont symétriquement disposées. Celles-ci en sortent, préludant au bleu pur des corolles qu’elles précèdent, par des nuances d’un magnifique violet. Plus tard, cette couleur s'évanouit, et les feuilles d’un beau vert restent cou- 506 | RENONCULACÉES. vertes de cette poussière glauque qui les préserve de l’hu- midité sous une enveloppe de cire. La fleur supérieure s’épa- nouit la première, les autres lui succèdent promptement, et, vers la fin de mai, la plante est dans son plus beau dévelop- pement. La couleur bleue varie de tons à l'infini, depuis le plus foncé jusqu’à l’albinisme ; la variation s’étend aussi aux nuances roses et carnées. Les pétales, gracieusement recour- bés, ont au fond de l’éperon une glande mellifère , et les étamines nombreuses sont placées par séries, rayonnant du centre à l’extérieur. Les graines noires et luisantes tombent au mois de juillet et germent avant l'hiver. — L’ancolie croit par touffes qui, pendant plusieurs années, augmentent dè volume. Nous la trouvons fréquemment associée à des espèces qui peuvent rivaliser avec elle ; telles sont le Silene diurna, Godr., le Zilium Martagon, l’Astrantia major, le Cineraria spatulæfolia, le Stellaria Holostea, le Galeob- dolon luteum, etc. — Voici les dates précises d’un certain nombre de floraisons de cette espèce: 27 avril 1846, dans les : prairies du Vigan.— 12 mai 1827, bois de Durtol, près Clermont. — 13 mai 1830, Royat, près Clermont. — 22 mai 1842, à Samt-Nectaire et à St-Floret. — 23 mai 1839, à Royat. — 25 mai 1846, à Montmorin , près Bil- lom.— 28 mai 1838, prairies de Neuvial, près Gannat. — À juin 1840, Royat. — 6 juin 184%, Royat. — 9 juin 1836, à Durtol. — 13 juin 1846 , dans les bois des environs de Besse. — 7 juin 1840, à Saint-Hyppolite, près Vic-le-Comte. — 13 juin 1833, à Laschamps. — 16 juin 1833, au puy de Côme. — 16 juin 1845, près Mende, à Florac, à Bagnols (Lozère). — 26 juin 1836, à Aydat, près du lac. — 29 juin 1845, base du puy de Pariou. 29 juin 1843 , à Pontgibaud. — 3 juillet 1845, à: la base du puy de Dôme. AQUILEGIA. 507 Nature du sol. — Dans notre contrée, cette plante appartient presque entièrement aux terrains siliceux , primi- tifs et surtout volcaniques ; pourtant, à Mende, nous l’avons recueillie sur calcaire , et elle se présente sur la même roche dans tout le Jura. Ce qu’elle recherche avant tout, c’est un terrain frais ayant une couche assez puissante de terre végé- tale pour que ses rhizomes s’y promènent facilement. Altitude. — Quoique cette espèce puisse croître en plaine dans presque toute la France, ce n’est pour notre contrée que dans le Bourbonnais où nous la connaissons dans des stations peu élevées. Elle s’y trouve entre 300 ct 400 mètres. En Auvergne, elle reste sur les bords du pla- teau primitif, à 600 mètres environ ; mais elle monte beau- coup plus dans nos bois et nos prairies du Puy-de-Dôme , du Cantal, du Mont-Dore et du Mezenc. Elle prospère dans toute la région des hêtres et entre même dans celle des sapins. Elle arrive au sommet du puy de Pariou , au som- met du puy de Dôme , à 1,460 mètres. Là, il est vrai, elle change de caractères, elle se modifie et devient À. platy- sepala, Rchb., par l'influence évidente de la station élevée. De Candolle lui donne pour zone d’altitude depuis 100 mè- tres, au mont Pisano, jusqu’à 1,400 dans les Alpes et le Jura. Wabhlenberg lui assigne pour limites , en Suisse, l’al- titude de 1,700 mètres. M. Boissier l'indique dans sa région alpine du royaume de Grenade jusqu’à 2,000 mè- tres. Là , encore, elle change d'aspect et devient l’A. vis- cosa, Gouan. De toutes ces hauteurs, les graines de cette espèce cosmopolite sont entrainées par les cours d’eau, et il n'est pas rare de retrouver de beaux buissons d’ancolie sur les sables des rivières de la plaine. Géographie. — Une plante capable, comme celle-ci, de modifier ses formes selon ses stations, doit occuper sur la 508 RENONCULACÉES. terre un très-vaste espace. Nous la voyons en effet dans toute l’Europe; au sud, dans les Pyrénées et jusqu'à l’ex- trémité de l'Espagne, et, au nord , elle va en Danemark, où elle est rare, dans le Gothland ,en Norvége, où elle est commune, et jusque dans la Suède boréale, sans entrer en Laponie. Elle se trouve, en Suède, autour des villes et des villages, où peut-être elle est naturalisée, mais elle est évi- demment spontanée dans les montagnes de la Vestrogothie, et sur le terrain calcaire des bords du lac Usken. — A l’oc- cident, elle se développe en Portugal, aux Canaries, en Ir- lande, en Angleterre, jusqu'au 55°. — A lorient, on la trouve dans toute l'Italie, jusqu’au royaume de Naples, en Sicile, dans le Siennois, sur les sommets volcaniques du Mon- tamiata, en Turquie, dans les Carpathes. Elle existe dans la Russie movenne, elle passe l’Oural dans sa partie méri- dionale, et s’avance, en Sibérie, jusqu’à l’Altai , où elle rencontre les ancolies asiatiques. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Canaries. ............. 300 ) Écart en latitude: Nord, Suède boréale......... 69 390 Occident, Canaries........... 16 O., Écart en longitude : Orient, "Altaï, 3e RES O0 ETS Carré d’expausion............ 1134 G. DELPHINIUM. Lin. Distribution géographique du genre.— Ce grand genre, si peu représenté dans notre flore, n'a pas moins de 80 es- pèces distinctes, dont plusieurs , il est vrai, sont cultivées dans nos jardins , sans certificat d’origine, mais dont la plu- part ont une patrie connue. La majorité appartient encore à ET “A1 DELPHINIUM. 509 Asie, qui en compte plus de la moitié. La Sibérie seule, foyer des renonculacées, en a 14, la Syrie 11, le Caucase, et surtout son versant asiatique, 7; puis on retrouve çà et là quelques espèces en Arménie, en Perse, surles bords du Volga et dans le centre de l’Asie ; le Népaul et les Endes orientales en offrent 8. — L'Europe en nourrit environ 16 espèces , dont la majeure partie appartient à sa flore australe , où les Delphinium, à l'inverse des Aconitum , s'avancent Jusque dans les régions les plus chaudes de la Grèce, du Portugal, de l'Italie, de l'Espagne et de la Sicile. Trois espèces sont particulières à cette dernière contrée, et une d'elles se trouve dans la Turquie australe. — L'Afrique a aussi ses Delphi- mium au nombre de 6, qui croissent dans la Barbarie, ou en Egypte et en Abyssinie. Enfin on connaît 10 espèces Amé- ricaines , toutes de la portion nord de ce vaste continent.— Les Delphinium sont donc des plantes plus nombreuses et plus méridionales que les aconits , puisqu'elles avancent dans le midi de l'Europe et jusque dans le nord de l'Afrique, mais elles restent confinées dans notre hémisphère, et ne se retrouvent plus dans les terres australes où les renonculacées ont si peu de représentants. — On cite, en France, 9 es- pèces de Delphinium, mais il est douteux que ces espèces soient toutes françaises, et plusieurs d’entr’elles ont été ap- portées d’Asie avec des semences, ou se sont échappées des jardins. Deux seulement appartiennent au plateau central. Nombre des espèces du genre dans les trois flores du centre, du sud et du nord de l’Europe. Royaume de Grenade. ......... 3 Plateduicentral. ; 225... 0e. BORMES 0 D 510 RENONCULACÉES. Decrrinium Agacis, L.— On confond, sous cette déno- mination, deux espèces, dont l’une est le véritable D. Aja- cis, Lin., et l’autre, le D. orientale, Gay. Nous ne pouvons donc les séparer géographiquement, puisqu'elles sont réunies dans les flores. Ce sont des plantes élégantes, dont les fleurs violettes changent facilement de couleur, et que l’on cultive dans les jardins sous le nom de Pieds d’allouette. À peme trouvons-nous ces plantes à l’état spontané ; elles sont dis- persées dans les champs et appartiennent tout au plus à no- tre région méridionale, où elles vivent au milieu des mois- sons. Nature du sol. — Tous les terrains leur conviennent , ils préfèrent pourtant le calcaire. Altitude. — Nous les rencontrons dans les plaines de notre région méridionale, et les individus que nous avons vus quelquefois à 1,000 mètres d’élévation, étaient échappés des jardins où cette espèce est cultivée à une élévation beaucoup plus grande. Ledebour l’indique dans les provinces du Cau- case, à 1,200 ou 1,400 mètres d'altitude. Géographie. — Le Delphinium Ajacis paraît spontané dans notre région méridionale , dans le midi de la France, en Corse, en Algérie, et il avancerait sur le littoral occiden- tal jusqu'à Nantes, où il est indiqué par M. Lloyd., et en Portugal. Il n’est pas cité dans la flore de Koch. On le trouve aussi dans une partie de l’Italie, en Ligurie, au mont Albano, en Thrace et dans la Mæsie supérieure, dans le royaume de Naples. Ledebour l'indique dans la Russie moyenne, la Tauride, le Caucase , et là paraît être sa véri- table patrie. — Ce dernier auteur le mentionne aussi dans la Sibérie, jusqu’au lac Baïkal, et il ajoute : Ne serait-ce pas un transfuge des jardins? — {l résulte de ces incertitudes que l'aire d’extension de ce Delphinium ou de ces deux espèces DELPHINIUM. 511 est loin d’être bien connue. Ce n’est qu'avec doute que nous établissons ses limites. Limites d'extension de l'espèce. PU RAIMENE.-.. ose D0 R y Écart en latitude : Nord, Russie moyenne. ...... 55 | 990 Occident, Portugal. ......... 10 O.) Ecarten longitude : Orient, Caucase ............ 48 E.) 58° Carré d'expansion. ........... 1276 Dezpminitu Consoripa, L. — Les moissons, les prairies artificielles, et quelquelois les prés secs, nousoffrent ce Del- phuinium disséminé au milieu des céréales. Ses tiges rameu- ses et sesfleurs d’un beau bleu violacé, éperonnées et sus- pendues sur des pédoncules minces et allongés, lui donnent beaucoup d'élégance ; il concourt à orner les campagnes à l'époque où les moissons n’ont pas encore perdu leur verdure. J1 fleurit en juin et se montre pendant longtemps. La struc- ture irrégulière de ses fleurs est très-remarquable ; le pétale supérieur, bien plus grand que les autres, protége, par son élargissement, les organes de la génération, et il se prolonge ensuite en un éperon ou sac postérieur contenant un nec- taire allongé. Les étamines, peu nombreuses pour une plante de la polyandrie, ouvrent leurs anthères par deux valves, et viennent une à une s’inchiner sur les stigmates. Les jolis buissons bleus de cette espèce sont souvent très-rap- prochés. Elle vit en société et envahit les champs. On la trouve presque toujours avec le Prismatocarpum specu- lum, V’Agrostema Githago, le Centaurea Cyanus, le Sapona- ria Vaccaria, le Scandix pecten-Veneris, etc. Nature du sol. — Les terrains calcaires sont ceux qu'il préfère. On le trouve pourtant quelquefois sur les alluvions. ot a 19 RENONCULACÉES. Altitude. — Plus commun dans les plaines que dans la montagne , 1l consent pourtant à atteindre 1,000 à 1,200 mètres, si les terrains calcaires s'élèvent jusque-là. Géographie. — Il est commun dans toute notre circons- cription, excepté dans la région montagneuse. On le trouve aussi dans toute la France. — Au midi, il existe en Es- pagne , en Andalousie, et on le connaît aussi à Madère. — Au nord, il va très-loin en Scandinavie, et s'arrête dans la Laponie australe. Il vit aussi dans la Finlande et dans toute la Russie. — A l'occident, il occupe le Portugal, les Cana- ries , l'Angleterre jusqu’au 53°, et s'étend à l’orient dans la Macédonie, à Odessa , dans la majeure partie de l'Italie, en Turquie, dans les Carpathes; il se trouve aussi dans la Tauride, dans les provinces du Caucase et dans la Sibérie de l’Oural, près d’'Eckaterinenburg. Limites d'extension de l'espèce. Sud Canaries 2 pe pe AE 28° )Ecart en latitude : Nord, Laponie australe... .... 65 31° Occident, Canaries. . ........ 16 O. | Ecart en longitude : CMIENT, SIDE. Eee e cm os 65 E. 81° Carré d’expansion. . .... ar erons 2997 G, ACONITUM. Lin. Distribution géographique du genre. — Ce vaste genre offre des espèces nombreuses et quelquefois si voisines les unes des autres, qu'il est presque impossible de déterminer exactement leur nombre. Nous le fixerons approximative- ment à #0. Presque toutes sont asiatiques, à l’exception d’une espèce du Népaul, d’une de la Perse et de 3 des grandes Indes ; toutes les autres sont du nord de l'Asie. ACONITUM. 513 Une d’elles paraît spéciale à la Chine ; 16 habitent exclusi- vement la Sibérie, l’Altaï, les bords du lac Baïkal et la Da- hurie ; 6 appartiennent au Kamtschatka ; une autre existe dans les îles Aléoutiennes , comme pour établir un chaînon avec les espèces du Nouveau-Monde, au nombre de 3 seule- ment, et toutes trois de l'Amérique septentrionale. — 9 espèces sont européennes, dispersées en Russie, en Allema- gne, en Transylvanie et dans les régions montueuses de la France, de la Suisse et de l'Italie. — Les aconits sont évi- demment des plantes des pays froids et du nord de l’hémis- phère boréal. Plusieurs de nos espèces européennes ne sont que des plantes sibériennes, dont l’aire de distribution s’est étendue. AconiTum NaPecLus, Lin. — Bien qu’au premier abord l'aspect de cette espèce ait quelque chose de sombre, elle n’en est pas moins une des plus be:les plantes du plateau central. Elle n’habite que sa région montagneuse, pénétrant dans ses forêts de sapins , élevant ses beaux épis de fleurs au-dessus de l’herbe des prairies, avançant jusque sur le bord des cascades et décorant les vallées de ses groupes vigoureux et tardifs. Plusieurs espèces sont sans doute réunies sous le nom de Napellus, mais on voit tant de passages , tant de graduation dans tous leurs caractères, tant de diversité dans chaque individu, qu'il faut considérer toutes ces plantes, au moins à notre point de vue , comme des modifications dues à la station et au climat. — Cette espèce est éminemment vivace. Ses racines tuberculeuses préparent d'avance les nouveaux bourgeons qui doivent leur succéder, et quelque- fois même, par surcroît de précaution, des bulbilles naissent à l’aisselle des feuilles inférieures. Les bourgeons, durs et serrés, munis d’écailles, protégés par le sol et par la neige 33 IV 51% RENONCULACÉES. qui le recouvre en hiver , ne donnent que très-tard la liberté aux feuilles qu'ils abritent. Celles-ci, quand elles partent directement de la racine, sont plissées Jlongitudinalement et repliées en deux sur elles-mêmes , comme celles du Li- riodendron tulipifera. — L'inflorescence est extrêmement variée et a fait admettre l'existence de plusieurs espèces; elle consiste le plus ordinairement en un magnifique épi de fleurs, variant de nuance du bleu de Prusse à lindigo, et dont les inférieures s’épanouissent les premières, ou bien en grappes distinctes, en véritables panicules , dont les branches , éta- lées ou divergentes , remplacent l’axe central , qui manque naturellement ou qui a été détruit par accident. — Nous ne décrirons pas les formes curieuses des pétales et des nec- taires des aconits ; nous ferons seulement remarquer que, dans ces plantes comme dans les anémones et surtout comme dans les hellébores , ce sont des sépales colorés, qui pren- nent assez de développement pour protéger les organes sexuels. Leur fécondation est encore un mystère ; les éta- mines, d’un violet livide, répandent leur pollen bleuûtre et se déjettent entièrement avant que les pistils ne montrent des traces de stigmates. Aussi, rarement les graines sont fer- tiles, rarement cet aconit fructifie, et en effet nous l’avons vu souvent fleurir, dans les hautes montagnes, à une époque si reculée, que des germes fécondés n'auraient pas eu le temps de parcourir les phases de la maturation. — Quel est donc le but de la nature en nous offrant les guirlandes fleu- ries des aconits qui viennent embellir les bois et les buis- sons des montagnes, et qui, contrairement aux lois que nous observons dans les autres plantes , restent stériles après le luxe de leurs fleurs? Pourquoi cette conformation singulière et anormale qui devient la règle relativement à l’exception , et qui s'oppose à la fructification régulière de cette espèce ? ACONITUM. 549 Combien de ces mystères resteront toujours voilés pour notre ignorance ! — Le napel croît souvent isolé ou par petits groupes disséminés dans les broussailles et dans les grandes herbes des prairies hautes. Nous ne le trouvons que dans les lieux sauvages et éloignés de toute habitation. Dans les Alpes, dans les Pyrénées, nous l’avons vu, au contraire, devenir une plante domestique , abandonner la lisière des bois pour vivre autour des chalets et des étables des trou- peaux. Alors 1l se cantonne et couvre à lui seul des espaces assez larges, où en se multipliant uniquement par ses racines, il vit dans la plus étroite parenté.— Sur le plateau central, où il à conservé toute son indépendance, nous le voyons rarement dans sa propre société. — Dans les hautes mon- tagnes du Forez, nous l'avons vu près des sapins, mélangé au Sonchus alpinus , au S. Plumieri, à l’Adenostyles albi- frons, au Spiræa Ulmaria , et fleurissant à peine au mois d'août. Au Lioran, dans le Cantal , où il montre ses fleurs tantôt en épis, tantôt en panicules , il est accompagné du Solidago virga-aurea, du Senecio saracenicus et du Salix pentendra. Nous l'avons recueilli près des cascades du mont Dore, avec l’Angelica sylvestris, le Doronicum austriacum , et, dans le bois noir de la vallée de Fontanges, il protégeait les gazons du Braya pinnatifida. Nature du sol. — Indifférent, pourvu que le sol soit ar- rosé. Il végète également au milieu des pierres éboulées et dans les sols détritiques les plus meubles et les plus profonds. L'état physique des terrains lui est indifférent, comme leur nature chimique. Altitude. — Elle varie infiniment selon le climat. Dans notre flore, nous n’avons pas vu l’aconit au-dessous de 1,400 à 1,900 mètres au Mont-Dore et au Cantal, et de 1,200 mètres dans la Lozère et le Forez. Il ne se trouve 516 RENONCULACÉES. pas au puy de Dôme, qui a 1,460 mètres d'altitude. Il croît au bord de la mer à Jersey. Il monte très-haut dans les Pyrénées, dans les Alpes, à Zermate sur le mont Rose. Wahlenberg lui assigne pour limite, dans la Suisse septen- trionale, 2,200 mètres ; et M. Boué l’a trouvé en Turquie jusqu’à la hauteur de 2,000 mètres. M. Boissier le cite dans le royaume de Grenade dans sa région alpine de 1,500 à 2,500 mûtres. Géographie. — Son aire d'extension est très-grande. Dans notre flore il reste, comme nous venons de le voir, dans la zone la plus élevée, et dans toute la France il pré- fère les montagnes. Il occupe des sommets plus méridio- naux que ceux des Pyrénées, puisqu'il atteint les montagnes de l'Andalousie ; mais il subit déjà l'influence du climat ou de l’altitude. La plante de M. Boissier a de gros épis de fleurs, assez courts, très-fournis et {oujours simples comme celle du Mont-Dore, tandis que la forme du Cantal, et surtout celle de la Lozère, est paniculée et pyramidale. Celle de M. Boissier recherche, comme l'aconit du Mont-Dore, le bord des ruisseaux et les lieux frais, station qui ne paraît pas même habituelle à la variété du Lioran. — Au Nord, cette espèce va très-loin dans l’Allemagne , l’Eifel , la Bohème, le Danemark, le Gotland et la Suède boréale. Wabhlenberg l'indique en Dalécarlie, en société avec l’A/nus incana dans les lieux humides et ombragés. — A l’ouest, elle arrive en Angleterre jusques au 54° ; elle est commune dans les Asturies ; mais c’est surtout vers l'Orient qu’elle se propage. — La Suisse , la Moravie , la Carinthie , les Carpa- thes, l’Epire, la partie montagneuse de l'Italie, la Corse en ont des formes particulières. Ledebour ne la cite pas en Russie, mais dans toute la Sibérie, où Pallas trouvait cette plante fleurie le 22 août 1772, en société avec l’A. Lycoc- ACONITUM. 517 tonum dans de petits bois de bouleaux. Il existe probable- ment aussi au Kamtschatka et dans les Aléoutiennes, car il a été retrouvé par Chamisso sur la côte nord-ouest, de l'Amérique, près du détroit de Behring par 66° 13° de lati- tude, au cap Mulgrave, aux montagnes rocheuses entre 52 et 56°. Cet aconit, dit Hooker , est une des innombrables variétés décrites par Seringe , et figurées par Reichenbach. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade... 36° ue en latitude : Nord, Amérique septentrle... 66 30° Occident, Asturies. ........ 8 O.) Écart en longitude : Orient, Montagnes rocheuses.. 130 0.) 238° Carré d’expansion........ UT LEO Bien que nous ayons deux longitudes O., l'écart n’en a pas moins lieu dans la direction E., puisque l'intervalle situé entre 8 dans la direction O. et 130 O. est entièrement privé de cette espèce. AconiTum Lycocrontm , Lin. — Cette espèce est abon- damment répandue dans notre région montagneuse. On la trouve dans les bois et au milieu des brousailles, dans les prairies formées de grandes plantes, dans les lieux pierreux. Presque tous les phénomènes physiologiques que nous avons décrits en parlant de l'A. Napellus peuvent lai être appli- qués. Ses fleurs , généralement paniculées , sont d’un jaune soufré et verdâtre ; elles s’épanouissent aussi très-tard , en juillet et août, et sont le plus souvent fertiles. Ses feuilles larges et palmées la font remarquer partout. — Nous ne l'avons vue nulle part s'approcher des habitations ; elle reste dans les lieux sauvages, où elle est souvent associée au Lilium Martagon , au Stellaria nemorum , au Geranium 518 RENONCULACÉES. sylvaticum , aux hètres et aux sapins. — Voici quelques dates précises de floraison de cette espèce : — 23 juillet 1840, au lac de Guéry, près du Mont-Dore. — 25 juillet 1841 , à la base du puy de Pariou et du puy de Côme. — 6 août 1840, à la Richarde, dans les bois de sapins de Pierre-sur-Haute , montagne du Forez. — 31 août 1836, flancs du puy de Dôme. Nature du sol. — Nous avons trouvé cette espèce sur les granits et sur les micaschistes, sur les calcaires et sur toutes les roches volcaniques. Elle est mdifférente et recherche moins l’eau que l'A. Napellus. C’est sans doute à cette cause que nous devons sa présence et même sa fréquence dans la chaîne du puy de Dôme, tandis que l’A. Napellus n’y existe pas. Altitude. — C'est seulement dans notre région monta- gneuse que nous le connaissons. Il se développe surtout entre 1,200 et 1,500 mètres ; mais 1l peut aussi descendre plus bas, même dans notre région méridionale, puisque M. Mazuc l’a trouvé dans les vallées des causses de l’Avey- ron. De Candolle dit qu’on le rencontre depuis 1,000 Jus- qu'à 1,800 mètres dans les Alpes et dans les Pyrénées. M. Léon Dufour l'indique dans cette dernière chaîne aux pics d’Anie et d’Amoulat, et M. Boissier dit qu'il croît dans le royaume de Grenade, le long des petits ruisseaux et dans les lieux humides de ses régions alpine et nivale, depuis 1,600 à 1,700 mètres jusqu’à 3,000 , c’est-à-dire jus- qu'aux neiges éternelles. Géographie. — Cette extension en altitude fait prévoir que l’A. Lycoctonum doit aussi présenter une large expan- sion géographique. En effet, il végète dans les Pyrénées, eù il prend une forme particulière dont on à fait une espèce sous le nom d’A. pyrenaicum. Il perd cette forme dans l'Andalousie, car M. Boissicr dit expressément que c’est la ACONITUM. 219 forme ordinaire et non le pyrenaicum. — Dans le nord, il occupe à peu près toute l'Europe. Il est répandu dans la Scandinavie et dans toute la Suède, jusqu’à la base des montagnes de la Laponie méridionale et moyenne, et de la Norwége. Il descend dans ces contrées jusque sur les bords de la mer. Il y croit aussi dans les lieux ombragés, dans les bois de bouleaux. Il offre sous ce ciel septentrional une curieuse variété à fleurs bleues. Elle ne diffère absolument du type que par la couleur, et dans la Laponie Luléenne Wabhlenberg a recueilli les deux variétés croissant péle-mêle au milieu des buissons. Dans les Carpathes, on rencontre aussi les deux variétés de couleur de cette espèce, mais jamais mélangées , et, d’après Wahlenberg, elles paraissent distinctes entr'elles, et, de plus, la variété bleue des Car- pathes n’est pas la même que celle de Laponie. La bleue est la plus commune dans les Carpathes, et la jaune ne se trouve que dans des localités restreintes , où cependant elle devient commune vers la limite supérieure du hêtre. — A l’ouest il se trouve dans les Asturies , mais pas en Angle- terre ; il n’approche pas non plus de la France occidentale. — À l'est, au contraire, il foisonne dans toutes les monta- gnes ; il se trouve en Italie, dans les Apennins et jusqu’au royaume de Naples. Commun dans la Russie septentrionale et dans la Russie moyenne, il passe l’Oural et s'arrête dans la première Sibérie, se laissant alors devancer par le napel. Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade. ... 36° ) Écart en latitude - Nord Eaponie. se... 20 CL: 320 Occident, Asturies.......... 8 Orient , Sibérie de l'Oural..... 70 Carré d'expansion. ............ 2808 O0.) Ecart en longitude : E./ 780 520 RENONCULACÉES. G. ACTÆA. Lin. Distribution géographique du genre. — 13 espèces sont réunies dans ce genre et presqu'également partagées entre l'Asie et l'Amérique du nord. Cette dernière contrée en a 7 appartenant surtout à la Caroline et au Canada. Les six es- pèces asiatiques sont distribuées, # en Sibérie, 1 dans l'Hi- malaya et 1 au Japon.—Celle d'Europe, la seule de cette partie du globe, existe aussi en Sibérie, et elle s’avance jus- que dans nos contrées, comme le seul représentant de cette forme particuhère des renonculacées. ACTÆA SPICATA, L. — Cette espèce, essentiellement sylvestre, ne quitte jamais les forêts qu’elle embellit au printemps de ses panaches blancs et odorants. Ses racines tubéreuses donnent naissance , comme celles des aconits, à des tiges nouvelles qui, sensib'es aux premières chaleurs, se développent avec rapidité. On voit le bourgeon soulever les feuilles mortes répandues sur le sol , et sortir de terre en- touré de pétioles élargis ou de feuilles avortées qui lui tien- nent lieu d'écailles. Les feuilles, repliées sur elles-mêmes, étalent bientôt leur limbe irrégulièrement découpé; la tige courbée sort de l’aisselle des pétioles, se relève et semble se dérouler comme celle des fougères. Elle porte des fleurs nombreuses, d’un blanc de crême, et qui répandent l’odeur de celles du sureau. Les étamines nombreuses ont leur fi- lets renflés, et leurs anthères répandent leur pollen sur un pisti! glanduleux. Plus tard, l’Actœa fait encore l’ornement des bois par son feuillage , qui prend un grand développe- ment, et par ses baies noires et luisantes. — Il vit solitaire et dispersé sous l’ombrage des arbres; s’il sort des bois, ACTÆA. 521 c’est pour habiter l'entrée des grottes et des cavernes , où il trouve de la fraicheur et de l’obscurité. Nous l’avons ren- contré, dans ces conditions, à l’entrée des grottes volcani- ques de Clierzou et dans les cavités formées par les laves de l’ancien cratère du puy de Pariou. Ily vivait avec le Polypo- dium Dryopteris et le Prenanthes purpurea , qui presque toujours l’accompagnent aussi dans les bois. En Amérique, l’Actæa brachypetala remplace exactement notre espèce, etse trouve, comme elle, dispersée dans les bois du Canada, où des fruitsrouges succèdent à ses fleurs blanches. — Voici quel- ques dates précises de la floraison de cette espèce. —6 mai 1830, au puy de Côme et au puy de Pariou. — 14 mai 1827 , dans le bois de Villars. — 26 mai 1833, au puy de la Rodde. — 8 juin 1827 , au puy de Clierzou. — # juin 1825 , au bois de Theyde. — 18 juin 1835 , au bois de Côme. — 17 juillet 1840, entre Murat et Albepierre (Cantal). — 18 juillet 1840 , dans un bois de hêtre , près Dienne (Cantal.) Nature du sol. — Nous n’avons rencontré l’Actæa que sur des sols siliceux et volcaniques , dans des ter- rains détritiques d’une finesse extrême et riches en humus. Dans d’autres contrées nous l’avons vu souvent sur les cal- caires. Altitude. — 11 n’habite que notre région montagneuse, et ne descend pas dans la plaine. Nous ne le connaissons pas sur le plateau central, au-dessous de 500 mètres, mais il arrive assez haut dans le mont Dore et le Cantal, où il atteint les forêts de sapins, jusqu’à 1,300 et 1,400 mètres. De Candolle l'indique à 0 mètres à Nice, et à 1,200 mètres dans le Jura. Il atteint 1,350 mètres dans le Cau- case, et ne dépasse pas en Suisse la limite supérieure du hêtre, et occupe les mêmes positions dans les Carpathes. 522 RENONCULACÉES. Géographie. — C’est une plante qui se trouve à peu près partout en France, excepté dans les provinces de l’ouest. M. Wattson l'indique cependant en Angleterre, mais dans des localités très-restreintes et peu nombreuses. On la cite aussi en Irlande. — Au sud elle ne dépasse pas les Pyrénées et s’y tient dans les hautes régions. — Au vord, nous l’avons vue à Givet, dans la forêt des Ardennes, en Prusse, en Danemark. Elle va beaucoup plus loin dans toute la Scandinavie, et se trouve même dans la Laponie, la Fennie, le pays des Samoyèdes et les régions les plus arc- tiques. Elle va à l’Altenfiord jusqu’à 70° de latitude. Elle offre, en Laponie et dans toutes les contrées froides, une variété à baies rouges , assez commune selon Wahlenberg, et dont il dit avoir vu les fruits rouges à leur complète matu- rité, le 7 septembre. Il ajoute l’avoir trouvée en quantité sur un terrain calcaire. Ce célèbre botaniste, après s'être assuré que la plante à fruits rouges ne diffère en rien du type, émet l’idée que cette remarquable variété vient de la Sibérie, et qu'elle a apporté dans ses fruits une couleur propre à plu- sieurs Actœa de l’Asie et de l'Amérique. — Si cette espèce s’avance peu vers l’ouest, elle gagne du terrain à l’est, et devient commune dans les Vosges, dans le Jura, dans les Alpes, les Apennins, les monts Euganéens, le Mon- tamiata, et partout en Italie où se trouvent des forêts de hêtres. De la Russie , qu'elle occupe en entier, elle passe dans la Sibérie de l’Oural et au Caucase, où elle se tient, comme nous l'avons dit, à une grande élévation. M. de la Pilaye cite aussi notre espèce à Terre-Neuve, au Hâvre- du-Croc , et nous y a confirmé de vive voix sa présence. N’aurait-il pas confondu avec l’Actæa bibracteata , com- mune dans tout le nord de l'Amérique et bien peu diffé- rente de la nôtre ? POEONIA, 523 Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Naples..... 40° }Ecart en lititude : Nord, Altenford........ RAD ES 300 Occident , Irlande........... 10 O.)Ecart en longitude : Orient, Sibérie de l’Oural..... 70 E. 80 Carré d’expansion............ 2400 G. PŒONIA. Lin. Distribution géographique du genre. — Il est assez difficile maintenant de distinguer les véritables espèces de pivoine et de les séparer des variétés sans nombre produites par la culture et par l'hybridation. Nous pouvons cependant reconnaître l’origine de 25 espèces, dont 10 au moins sont européennes. Elles proviennent surtout de l'Espagne , du Portugal, de la Sicile, de l'Autriche et de la France. — Les espèces asiatiques sont au nombre de 12 au moins. 5 sibé- riennes, une seule de la Chine, une des Indes et 5 des con- trées qui avoisinent la mer Caspienne et la Méditerranée. — L'Amérique n’a qu’une seule espèce dans sa partie nord.— C’est un genre de l'hémisphère boréal. PoroNtA PEREGRINA , Mill. — Malgré la beauté de ses grandes fleurs, cette pivoine ne joue qu’un rôle très-secon- daire dans le tapis végétal du plateau central. Nous ne l’a- vons trouvée que sur quelques points de notre région méri- dionale, dans les prairies ou dans les lieux incultes et ro- cailleux. C’est une plante qui vit solitaire et qui générale- ment ne donne qu’une seule fleur. Sa couleur rouge et son volume la font distinguer de très-loin. D'abord fermée et globuleuse, comme celle du Zrollius , elle s'ouvre sous l’in- 224 RENONCULACÉES. fluence du soleil, et l’on voit alors une multitude d’étamines vacillantes, dont les filets sont fixés sur une espèce de bour- relet. Contrairement aux clématites et à presque toutes les renonculacées, les étamines intérieures s’ouvrent les premiè- res et répandent un pollen abondant sur des stigmates pa- pillaires et longitudinaux, colorés par le même carmin que les pétales. Plus tard, deux ou trois follicules s’ouvrent sur le côté; ils sont tapissés aussi par une membrane carminée , et les graines, exposées à l’air avant leur maturité , pren- nent peu à peu des nuances de violet qui finissent par les amener au noir. Alors elles se détachent et tombent. Cette nuance générale de rouge se fait sentir dans toute la plante, et pendant toute sa vie, depuis le bourgeon qui s'échappe du collet de la racine , jusqu'aux feuilles mourantes qui repren- nent alors une portion de la vive couleur qu’elles avaient en naissant et qu’elles avaient perdue pendant la floraison. Le mois de mai est l’époque où cette pivoine , comme pres- que toutes les autres, laisse épanouir ses fleurs. Nature du sol. — Nous l’avons recueillie sur des terrains calcaires. Altitude. — Elle vit en plaine ou du moins elle n’atteint jamais de grandes hauteurs. Géographie. — I] est très-difficile d'établir l’aire d’ex- pansion de cette espèce, car elle a été certainement confon- due avec d’autres, et notamment avec le P. officinalis. Elle n'avance ni dans le nord ni dans l’ouest. Elle arrive dans le midi jusqu'au pied des Pyrénées, se trouvant à Nice et dans le département du Var. Elle se retrouve en Suisse, à Berne, et dans la Suisse italienne. Elie existe en Italie, où elle a été réunie, par M. Bertoloni, à son P. officinalis, mais Tenore l'en sépare et lui donne place, comme cs dans sa flore napolitaine. ot BERBERIS. 52 Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Sani . 38 Écart en latitude : D Se... De En 17 LE Occident, rs 200 RÉ Et 3 dan en longitude : Orient, Italie. ..... HARSEMETAL LE 2 160 Carré d'expansion, ..........e . 144 FAMILLE DES BERBÉRIDÉES. Ce groupe , presqu'entièrement exotique, est formé de plusieurs genres dont les espèces habitent l'Amérique et l'Asie, et dont quelques-unes seulement sont disséminées en Afrique et en Europe. Nous n’avons à mentionner que le genre Berberis et une seule de ses espèces. G. BERBERIS. Lin. Distribution géographique du genre. — Ce genre, si peu important pour l'Europe et surtout pour la France , est essentiellement américain. Sur 73 espèces qu'il renferme, en y comprenant les Hahoma, 46 sont américaines, et sur ce nombre, 33 au moins appartiennent à l'Amérique méri- dionale , disséminées dans toutes ses provinces , mais abon- dant surtout au Chili, et sur les terres magellaniques ; peu au Brésil et au Pérou. Le Mexique est la portion de l'Améri- que du nord qui en nourrit le plus grand nombre. La plupart des Mahonia sont de l'Amérique septentrionale. — L’Asie a 16 à 17 espèces de Berberis dans les Indes, le Népaul, 526 BERBÉRIDÉES. la Chine, le Japon , dans la Sibérie , la Dahurie et le Cau- case. Puis viennent 8 espèces européennes , de France, de Sicile, de l'Espagne ou de la Grèce. Enfin, comme pour représenter le genre sur ce vaste espace , 2 espèces afri- caines seulement. — L'Océanie n’a pas de Berberis con- nus, ceux qui s’en approchent le plus sont une espèce asia- tique qui atteint Java, et une américaine de l’île Juan- Fernandez, à 100 lieues des côtes du Chili. — Voilà donc un genre très-naturel qui s'étend des terres de Magellan à la Chine et à la Sibérie, c’est-à-dire d’un pôle à l’autre, dans l’ancien comme dans le nouveau monde , et dont une seule espèce, probablement asiatique elle-même, habite la France et l’Europe entière. Peut-être faut-il y ajouter une espèce de Crète que Soleirol a rencontrée aussi en Corse, et une autre nommée par Loiseleur-Deslongchamps. BERBERIS VULGARIS , Lin. — Les Berberis offrent pres- qu’une organisation à part dans le règne végétal. Leurs branches encore herbacées donnent naissance à des feuilles alternes, qui plus haut se changent en épines, d’abord molles et flexibles , et ensuite fortement acérées. Ces épi- nes sont souvent trifides. D’autres feuilles sortent de l’ais- selle de ces épines , et ce faisceau de feuilles bien organisées se sépare en automne par une articulation trés-visible et placée assez loin du point d'attache. « La base des pétioles, dit Vaucher, reste adhérente et conserve la vie végétative ; mais elle change de destination, s’épaissit et enveloppe les feuilles de l’année suivante, encore protégées par deux peti- tes stipules épineuses et par quelques écailles. Le jeune bourgeon sort du centre de l’ancien et se développe chaque année avec ses feuilles, jusqu’à ce qu’il donne naissance à une grappe florale ; alors la force végétative est détruite en BERBERIS. 527 ce point, mais à côté, au-dessus ou au-dessous, paraissent d’autres boutons tout recouverts d’écailles membraneuses, sans rudiments de feuilles et chargés seulement de fleurs ; en sorte que dans la même aisselle, ou plutôt dans la même place, on voit souvent des grappes en fruits et d’autres en fleurs, à peu près contiguës (1). » — Les rameaux du Ber- beris sont recouverts d’une écorce grise dont l’épiderme est souvent fendillé. Le bois est d’un beau jaune, mais les racines, comme celles de plusieurs Thalictrum, offrent cette couleur à un degré plus vif encore. — Les feuilles se déve- loppent de bonne heure, et de nombreuses grappes de fleurs jaunes et pendantes ne tardent pas à les suivre. C’est dans le mois de mai et vers le 10 , dans nos climats, que la floraison s’opère. M. Unger donne pour l’époque de l'épanouisse- ment dans le Tyrol, et pour une moyenne de # ans le 95 mai. — Six étamines d’une extrème irritabilité, un large connectif qui sépare les anthères et une odeur particu- lière, sont autant de caractères remarquables de cette espèce et de toutes celles du même genre. — Chaque pétale est muni à sa base de deux glandes nectarifères , et les insectes sont constamment occupés à butiner sur ces fleurs. Leur contact détermine fréquemment le mouvement instantané des étamines qui viennent toucher le pistil et assurent ainsi la fécondation. Si l’on frappe la plante , toutes les étamines se relèvent à la fois, et leur mouvement est souvent suivi de celui des pétales. — Il est rare que les fleurs soient sté- riles. Il leur succède de longues grappes de baies rouges qui couvrent les buissons de Berberis et leur donnent beau- coup d'élégance. (4) Vaucher, Histoire physiologique des plantes d'Europe, 1. 1, p. 102. 928 BERRÉRIDÉES. Nature du sol. — Lans notre contrée cette espèce pré- fère évidemment les terrains calcaires et compactes , mais on la rencontre sur le granit dans les Vosges, et dans quel- ques autres localités. ; Allitude. — Nous ne connaissons ici le Berberis que dans la plaine , et cependant il appartient dans beaucoup de pays à des zones plus ou moins montagneuses. De Can- dolle lui assigne le niveau de la mer, dans les dunes de la Hollande, jusqu’à 1,400 mètres à Allos. Nous l’avons vu très-abondant dans les Alpes, et surtout autour de Cha- mouny , dans la zone inférieure des sapins. M. Boissier l’in- dique en Andalousie, dans sa région alpine, de 1,600 à 2,300 mètres. Géographie. — C’est une plante commune et très-répan- due , bien qu’elle ne soit pas très-fréquente sur le plateau central. Nous ne la connaissons que dans les haies, et peut- être même n’y est-elle pas spontanée. — Elle se trouve au sud en Andalousie, mais seulement sur les montagnes, en Grèce et dans une partie de l’Asie-Mineure. — Au nord, elle s'étend très-loin à travers l'Allemagne et la Scandinavie, jusque dans la Norvège , la Suède et la Finlande australe. — Ses limites occidentales paraissent être l'Angleterre, l'Irlande, le Portugal, et même Terre-Neuve et le Ca- nada. La forme américaine est, selon Hooker, identique à celle de l’Europe. — A l’est, elle occupe la Russie presque entière ; elle est spontanée sur les bords de la Narowa, près de Narwa, dans la Ingrie , où elle est po- sitivement indiquée par M. Ruprecht à 58° de latitude. On la connaît aussi dans le Caucase, dans la Tauride, dans les Carpathes et en Italie, jusque dans le royaume de Naples et en Sicile. NYMPHÉACÉES. 529 Limites d'extension de l'espèce. Sud, Royaume de Grenade... 36° LA en latitude : Nord, Scandinavie... ........ 60 24° Occident, Canada... ........ 80 O. } Ecart en longitude : Orient, Caucase... .... ROUE ESS 1250 Carré d’expansion........ 793000 EE FAMILLE DES NYMPHÉACÉES. Cette brillante famille n'existe nulle part en forte propor- üon. Ses espèces habitent les eaux de toutes les parties du monde, à l’exception de l'Océanie, où elles ne sont pas in- diquées ; mais ce sont surtout l'Amérique et l'Asie qui offrent le plus grand nombre de nymphéacées. La plupart de nos flores européennes possèdent seulement une ou deux de ces plantes, et celles qui, sous cé rapport, sont les plus favorisées , n’en ont pas plus de 5 espèces. On peut donc considérer ce groupe de végétaux plutôt comme américain et asiatique qu'européen. Ge NYMPHZÆA. Jin. Distribution géographique du genre. — Ces magnifi- ques plantes forment un genre peu nombreux; environ 33 espèces sont disséminées sur les eaux de quatre par- ties du monde, où elles le disputent en beauté à d’autres genres de la même famille inconnus à l’Europe. — L'Amé- rique et l’Asie ont chacune {1 espèces de Nymphœa, répar- ties dans le nouveau continent sur ses deux hémisphères. | LV “L 530 NYMPHÉACÉES. L'Amérique méridionale en a 6 qui habitent surtout le Bré- sil et le Pérou , et l'Amérique du nord en possède 5 qui s'étendent depuis le Mexique jusqu'aux régions boréales. — L’Asie offre ces plantes dans les Indes orientales, d’où l’une d’elles descend à Java, puis à Surinam, à la Chine et en Sibérie, occupant à la fois la Dahurie et le bassin du lac Baïkal. — L'Afrique a ses beaux Nymphæa au Cap, à Madagascar et sur les eaux du Nil. — Quant à l'Europe, fa Styrie , la Bohême, la Hongrie, ont chacune une espèce, et la France, comme le plateau central, est réduite à une seule dont elle doit partager la possession non-seulement avec le reste de l’Europe , mais avec la Sibérie et l’Améri- que boréale. — Cette forme élégante des Nymphœa s'est donc reproduite sur les deux hémisphères, dans des con- trées très-éloignées les unes des autres et sous des climats très-différents. NympHÆA ALBA, Lin. — Doucement balancée sur les eaux dormantes des lacs ou des rivières à cours peu rapide, cette magnifique espèce les cache quelquefois entièrement sous ses larges feuilles et sous ses fleurs d’albâtre. De pro- fonds rhizomes enfoncés dans la vase s’éloignent et divergent du centre où ils ont pris naissance. À chaque extrémité naissent des feuilles vernales, minces, transparentes , un peu chiffonnées et fixées par de courts pétioles ; on les aperçoit dès le mois de février. Elles restent submergées , ne reçoivent Jamais le contact de l’air et persistent assez longtemps. Plus tard, paraissent les véritables feuilles lon- guement pétiolées et dont le limbe roulé sur lui-même s'étend dès qu'il arrive à l'air, et s'applique à la surface de l’eau. D'abord rouges ou violacées , ces feuilles verdis- sent bientôt. Leur nombre augmente avec rapidité, et leur NYMPHÆA. 531 longs pétioles s’inclinant si l’eau s’abaisse , se redressant si le niveau vient à monter, laissent les feuilles constamment appliquées à la surface du liquide. Bientôt des pédoncules se montrent à l’aisselle des feuilles. Ils sont comme les pé- tioles remplis de lacunes gonflées d’air, qui allégent leur tissu et leur permettent de se soutenir d'eux-mêmes. On aperçoit au fond de l’eau des boutons qui s’élèvent et qui, , une fois arrivés au contact de l'air, écartent leurs sépales et montrent une multitude de pétales d’un blanc pur contras- tant avec le jaune doré des étamines. Ces magnifiques fleurs s’épanouissent le matin quelques heures après le lever du soleil , et le soir elles rapprochent leurs pétales longtemps encore avant que l’astre ait disparu sous l'horizon. Le même phénomène se présente pour chaque fleur pendant plusieurs jours , jusqu’à ce que ses nombreuses étamines aient fini de répandre leur pollen sur un stigmate élargi. Alors elles plongent et la maturation a lieu. La floraison commence en juin et continue pendant plusieurs mois. — Le fruit glo- buleux renferme une multitude de graines d’un rouge vif qui brunissent ensuite et se répandent dans les eaux quand le péricarpe se décompose. — Ces graines ne tardent pas à germer, et, souvent munies de leurs premières feuilles , les jeunes plantes viennent flotter sur l’eau, entièrement libres, et suivent les ondulations des vagues comme si elles étaient indécises sur le choix de leur séjour, comme si elles essayaient la température de l’atmosphère à laquelle elles doivent plus tard livrer leurs fleurs, — M. Planchon dit que l’on trouve souvent dans le fond des fleurs du Nymphæa des insectes asphyxiés par l’acide carbonique qui s’en dégage en abon- dance et qui s’accumule dans la corolle par son propre poids. — Nous avons déjà décrit ses principales associations. Nature du sol. — I est indifférent, pourvu que la vase 5352 NYMPHÉACÉES. soit profonde et que l’eau ne le soit pas trop. Bien que ses feuilles soient ordinairement flottantes , elles s’élèvent et vivent dans l'air si l'eau vient à leur manquer, et la plante peut même résister quelque temps à une sécheresse absolue. Altitude. — Quoique atteignant des régions très-boréa- les , le Nymphœa s'élève peu dans les montagnes et préfère les eaux attiédies de la plaine. Géographie. — Il occupe une grande étendue de pays. — Au sud, le midi de la France, l'Espagne , Majorque, la Grèce, toute l'Italie , la Sicile et même l'Algérie. — Au nord , il s'étend dans toute l'Europe , dans la Scandinavie, y compris même la Laponie, où , comme le dit Wahlen- berg , 1l paraît étranger par sa beauté à la végétation de ce chmat. 1 arrive jusqu’à Loffoden, où Lessing le cite sur les bords de la mer, mais dans l’eau douce. Il est remarquable que cette plante saute quelquefois de grands espaces ; ainsi, on ne la trouve pas, selon M. de Lafont, aux environs de Vervins et de Rocroy, tandis que nous l'avons cueillie en abondance près d’Avesnes, à une petite distance de Ver- vins. — À l’ouest, elle existe en Portugal, en Angleterre, en frlande, aux Hébrides , aux Shetland, mais non aux Feroë, aux Orcades, ni en Islande. — A l’est, on la trouve dans toute la Russie, dans la partie septentrionale du Cau- case, et en Sibérie jusqu’au fleuve frkutz. Cependant cette espèce est peu répandue en Russie ; tous ceux des environs de Saint-Pétersbourg appartiennent, selon M. Ruprecht, au N. biradiata , etil en est peut-être de même pour plusieurs des localités de la Sibérie, car en Europe même ce N. bi- radiata de la Stynie et le N. candida ce la Bohême le remplacent aussi dans quelques localités restreintes. Enfin, il a ses parallèles dans d’autres contrées. Ce sont dans l’Amé- . NUPHAR. 533 rique du nord le N. odorata , dans la Sibérie le N. nitida, dans l'Amérique du sud le N. blanda. Limites d'extension de l’espèce. PERTE, so oes DOC Hoi en latitude : Nom alalloden...!....:... 09 360 Occident, Irlande. ......... 10 O.}Ecarten longitude. Orient, Sibérie. ........... 105 E.] 115° Carré d’expansion. ........... 1140 G. NUPHAR, Smith. 9 espèces seulement, aujourd’hui connues, composent ce petit genre , longtemps réuni aux Nymphœa. — L'Europe seule en a #, qui croissent en France, en Suisse , en Hon- grie ou en Russie. L'Amérique septentrionale en à 3: l'Asie n’en a que 2, { japonaise et { sibérienne, et l’Afrique n’en a pas. — Ce sont des plantes des régions froides de l’hé- misphère boréal, et dont une surtout, tout à fait cosmopo- lite, croît aussi bien en Asie et en Amérique que sur les eaux de nos étangs européens. NupHar LUTEUM , Smith. — Semblable, par l’organisa- tion générale, au Nymphæa Alba, le Nuphar luteums'étend, comme lui, sur les eaux tranquilles. Il y pousse avec une ex- trême vigueur, développe des feuilles radicales plus abon- dantes, molles, d’un vert jaunâtre, et qui paraissent dès le mois de février. Il élève parfois ses feuilles, et presque tou- jours ses fleurs au-dessus des eaux. Celles-ci sont nombreu- ses ; on voit ses jeunes boutons, sous forme de disques, qui sortent de l’aisselle des feuilles submergées et translucides, et qui arrivent promptement , au contact de l'air. Ses belles 534 NYMPHÉACÉES. leurs jaunes, arrondies, restent longtemps épanouies , de- puis le mois de juin jusqu’au mois d’août. Ses nombreuses étamines,se rejettent au dehors dès qu’elles ont répandu leur pollen. Alors cesse l’odeur douce et un. peu alcoolique de ces fleurs; leur calice persiste et elles plongent. Le fruit contient beaucoup de loges et un grand nombre de graines, qni se disséminent comme celles du Nénuphar blanc. — Il occupe, comme le précédent, des espaces assez étendus sur les lacset les rivières peu profondes, mais ses groupes sont tou- jours séparés de ceux du Nymphœa alba; il est même assez rare de rencontrer, sur la même pièce d’eau, des sociétés distinctes de ces deux espèces. Les plantes qui lui sont le plus ordinairement associées, sont le Hottomia palustris , le Ranunculus aquatilis, le Potamogeton natans , etc. Nature du sol. — Indifférent comme la plupart des plan- tes aquatiques et recherchant seulement la vase, et non le gravier. Altitude.—A]l atteint dans les montagnes une plus grande élévation que le précédent. Nous l’avons trouvé à 1,000 et 1,200 mètres dans les lacs de notre région montagneuse , mais il préfère la plaine. Géographie. — Commun dans toute la France , il étend son aire sur une surface immense. — On le connaît au midi, en Espagne et en Portugal, dans toute l'Italie et en Siaile , dans le Caucase. — Au nord, il occupe l’Europe entière, toute la Scandinavie, en y comprenant la Laponie Suédoise. Déjà Walhenberg avait remarqué que dans les eaux froides de cette contrée , comme dans la nôtre, le Nuphar a les feuilles vertes des deux côtés, tandis que le Nymphæa mon- tre, en dessous des siennes, de belles teintes violacées. — A l’ouest, on le connaît en Irlande et en Angleterre; il n’at- teint pas les petits archipels anglais, ni les Feroë, mi l’Is- . NUPIIAR. 239 lande. — A l’est, son extension est presque indéfinie; il existe dans toute la Russie, dans la Sibérie entière ; on l’a rencontré sur Sitcha, l’une des Aléoutiennes, ainsique dans les contrées boisées de l'Amérique du nord, entre le 54° et le 64° de latitude. — Cette espèce a aussi ses parallèles, tels sont les N. advena et N. sagitæfoha dans d’autres parties de l’Amérique septentrionale , et le N. japonica dans le nord de l'Asie. Limites d'extension de l’espéce. PP ARC... ......14.... 37° }Ecart en latitude : Nord ,; Laponie. ........... 68 310 Occident, Portugal. ........ 10 O.) Ecart en lontitude : Orient, Amérique.......... M0 E.) 2900 Carré d'expansion. ........... 6820 Nupar PuMILUM, Smith. — Sa grande ressemblance avec le N. luteum a été la cause de nombreuses confusions. Il a le port et les mœurs de l'espèce précédente, mais il s’en distingue surtout par sa taille moitié plus petite, par de pe- tites ponctuations sur ses feuilles, par les cellules de son parenchyme plus grandes, et par son beau stigmate vert, à dix divisions régulières et charnues. Nature du sol. — I recherche les fonds vaseux des ter- rains détritiques, où il vit en petite société, comme le N. lu- leum. Altitude. — Ce n’est que dans les régions du nord qu'il croît dans les plaines. Sur le plateau central il occupe les lacs élevés des montagnes. Géographie. — Rare dans notre région montagneuse, cette espèce ne paraît pas la dépasser vers le sud ; elle est bien plus septentrionale que la précédente.—On la rencon- 536 NYMPHÉACÉES. tre dans le nord de la France, dans toute l'Allemagne et la Scandinavie. Elle est assez commune en Laponie, dans la Russie septentrionale et dans la Russie moyenne, et n'existe pas dans Ja Russie australe. — Elle trouve sa limite occr- dentale en Angleterre. — Elle s’avance à l’est jusque dans la Sibérie dé l'Altaï.—Dans l'Amérique du nord elle est re- présentée par le N. Kalmiana, qui lui est évidemment pa- rallèle. | Limites d'extension de l’espèce. # Sud, Plateau central......... 45° lg. en latitude : Nord; /Faponib. 2... .4....:: 68 230 Occident, Angleterre. ....... 1 0: | Ecart en longitude : Omeno AIR ess... 97 E. 104%° Carré d'expansion. ........ “202 FIN DU TOME QUATRIEME. Clermont, impr. de Ferdinaud Thibaud, (UT Han Nu) NN UV 1 1} (l (AS NEA HN DATA MRUNNE A REUX “ { FH À AU ! } | | ( V 1 AN TT ( 1} | (! l " ll JU { {l g ) 1 ( | (fl nn ! ( \ | | | fall } altn! NN l fl ] | CH l 0 | \'l l | qu | \ | ( JhUh 1! fl RU { nl! 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