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EVVRES EN RIME
lAN ANTOINE DE BAIF
SECRETAIRE DE LA CHAMBRE DU ROY
Avec une Notice biographique et des Notes
Ch. MARTY-LAVEAUX
TOME SECOND
PARIS
ALPHONSE LE M ERRE, ÉDITEUR
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LA
PLÉIADE FRANÇOISE
Cette collection a été tirée à 248 exemplaires numérotés et parafés par l'éditeur.
230 exemplaires sur papier de Hollande. 18 — sur papier de Chine.
N°
/^^.
M.
EVVRES EN RIME
DE
lAN ANTOINE DE BAIF
SECRETAIRE DE LA CHAMBRE DU ROY
Avec une Notice biographique et des Notes
PAR
Ch. MARTY-LAVEAUX
TOME SECOND
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
%^
M DCCC LX XXIII
LE PREMIER
DES METEORES
DE I. A. DE B A I F.
A TRESAVGVSTE ET TRESSAGE PRINCESSE
C A T E R I N E DE M E D I G I S
ROYNE MERE DV ROV.
lE chante lafaifoti, le lieu, la caufe & l'ejlre, De tout ce que Ion voit en mille formes nejlre De diuerfes vapeurs , fur terre, & dans les deux. Créé différemment [grand'' merueille à nos yeux!) Les grandes pointes de feu, les poutres flamboyantes , Les lances & les dards : & les fojfes béantes Dans le ciel creuajfé : les longs dragons fumans, lufqu^aux ardans folets fur les eaux s^alumans: Les aflres cheuelus, prefages exécrables De meurdres & de pejîe , aux mortels mife râbles : Et doit vient que voyons celle blanche clarté Trauerfer tous les deux d^vn grand chemin laitté.
Puis ie diray l'humeur, dont la terre arofee Produit tant de beaux fruits : la pluye , £■ la rofee Jean de Baif. — Il i
LE PREMIER
Douce mère des fleurs du Printems amoureux , Et la manne du ciel le fucre fauoureux : La nege & le frimas : & corne les nuages Paroiffent enflame^ de mefle^ peinturages : L^ arc-en-ciel piolé : les aires dont le tour Enceint , or le Soleil or la Lune, alentour.
Apres ie chantcray corne Vair & la terre Prennent vn nouveau jour fous l'éclair du tonnerre: Pour quoy fe redoublant il deuance le bruit : Cornent le foudre aigu dans les nues fe cuit : L'origine des vents, leurs demeures certaines , Les tourbillons rouans, les borafques foudaines : Doù font les branlements de terre fufcite^, Qiii fouuent ont perdu Citoyens & cite^.
Pourquoy la mer profonde a fes vagues falees, Doù. coulent les ruiffeaux par les baffes valees. Les fources, les bouillons, les étans £■ les lacs, Les fleuues qui jamais de courir ne font las.
Et pourray dire après les venes des perrieres, Et des métaux fouille^ les maudites minières, Ce que la foif d'auoir ne pouuant s^étancher Nous a fait aux boyaux de la terre chercher.
O Tov /e Roy des Roy s, la treffainâe penfee Du Père fouuerain, par qui efl difpenfee La Nature, & de qui elle a tout fon auoir, Son ordre limité, fon eflre. S- fon pouuoir. Sans qui le foible efpvit du mortel miferable Se foruoye en la nuit d'vne erreur déplorable : Aide moy de ta grâce, & fay que de tes fets le puiffe découurir la caufe & les effets.
Vovs Mère de nos Roy s, O Roy ne Cateri.ne, La colonne & l'apuy contre toute ruine De V Empire François : Vous, dont le fage foin Sur tout ce grand Royaume aparoifl au befoin, Animant la vertu par digne recompenfe, Et rembarrant le mal en fa pleine licence : Et quand vous vniffe^ de nos Princes les coeurs De douces amitié^ éfaçant les rancueurs,
DES METEORES.
O M ERE DE LA France, acheue:{ libérale Cet ouurage entrepris fous vojlre main Royale Prcjle:{ vojlre faneur à ce commencement : Done:[ à ma fortune eureux auancement. Ainfi la bone Paix, de fon cor d^ abondance, Tous f es riches prefens répande par la F'-ance, Les Seigneurs tiene vnis, le peuple obeiffant, Sous vous & vojlre race à jamais Jloriffant .
TovT ce qui ejl enclos dans le ciel de la Lune, Créé par le grand Die\ fuiis vne Loy comitne D'ejlre & de prendre fin, naijl des quatre Elemens, Qiii de tous corps tnejle^ font les commencemens : De/quels tout ejl formé, dans lefquels tout retourne. Nul d'eux en fon entier pur & net ne fejourne. Mais s'' entrecorrompans engendrent tous les corps Imparfaits & parfaits, par contraires acords.
Ce font la fiante & l'air, Fonde auecque la terre : La fiame au lieu plus haut près la Lune fe ferre, Et Pair fe range après : Veau fous Vair fe plaça, La terre deffous eux au milieu s'amajjfa. La terre feche froide & maffiue, s'afeffe Deffous la froide humeur qui fioie moins efpeffe : L'air qui monte léger tient du moite & du chaud : Et le feu chaud & fec vole encore plus haut.
Chacun d'eux en fon ranc demourroit immobile, Simple entier pur & net, mais du tout inutile, Si DiEV tant feulement pour eux les auoit fais : Mais il voulut qu^ici tout s^en feifi à jamais Sous la cloifon des deux, ainfi que des femences Qiii doiuent engendrer les mortelles effences. Arrêtant que par ordre enfemble s'vniroyent Pour fe diffoudre après, & puisfe ralliroyent.
Il joignit par moyens le chaud & la froidure, Le fec & la moiteur : auec la chofe dure La molle il acoupla, par contrainte faifant Defcendre le legier, & monter le pefant : Depuis qu'il arondit les grans deux oîi reluifent Les afircs attache^, qui les chofes produijent,
LE PREMIER DES METEORES. 5
Cliangeans de leur vertu les Jtmples éléments, Emporte:^ & brouille:{ qiiLind-& leurs mouuements.
Sur tous il ébranla pour iamais n^auoir cejfe Le ciel premicr-mouuant, de fi roide vitejfe Qii^en dou^e heures deux fois de la nuit & du jour, Rauijfant tous les cieux, il acheue fou tour De Vaube vers lefoir. Or VArchitecîefage, Voulant perpétuer Vejlre de/on ouurage, Pouffa les autres ronds d^vn branle différant Ou legiers ou tardifs, leurs forces modérant : Car s^ils euffcnl fuyui de pareille carrière Le courir violant de la voûte première, Ils alloyent rebrouiller le Chaos ancien, Et peut-eflre la flame eufl réduit tout à rien. Et fi i'ofe parler dujourépouuantable, La fin de Vvniuers, il ferait vray-femblable Qiie DiEv laiffant au feu le monde à Vabandon Fera tourner les cieux d''vne mefme randon. Mais le foigneux Ouurier, limitant fa durée lufque àfon bon vouloir pleinement affuree, Aux globes efloile:{ dona contraire cours : Et du foir vers le jour les tournant au rebours, Les vns tofl, les vns tard, par telle refiflance Fcit de leurs mouuements vne belle attrcmpance, Afin qii^oi VVniuers d^vn ordre modéré Deffus & fous les cieux tout fufl mieux tempéré.
Près du premier-mouuant la grand' Sferc efîoilee Va d^vn contraire tour par f on Ange ébranlée, Ne pouuant fe hdter pour le cours violent, Qiii luy efl trop voifin, & le fait le plus lent De tous les autres cieux. Son allure efl fi tarde Qite l'homme ingénieux [combien quHl y prinfl garde) Viuant plus que Neflor, ne s'auiferoit pas Au dernier defes ans qu'il auance d'vn pas. Mais quoy qu'il foit tardif, les efloiles qu'il porte Commandait icy bas en mainte & mainte forte Sus les quatre éléments, varians dedans l'air La pluye & le beau-tems, le tonnerre £■ l'éclair.
LE PREMIER
En ce rond, parfemé d'images diferantes, EJl merqué le chemin des ejloiles Errantes, Oui en écharpe ceint le Cartier du Midi, Et tranche de biais tout le ciel arondi.
Le vieil Saturne auprès du ciel efloilé tome Le froid & fec rayon de fan ejioile morne, Et va comme les deux des terres alentour, En fix lujlres entiers paracheuant fon tour.
Plus bas règne en fon rond lupitcr le bon Père, Qui des hommes heureux la naiffance tempère, lupiter Vheur des Roys, aflre doux & bénin, Qui en fix fois deux ans acomplit fon chemin.
Sous Itty de Mars guerrier le planète flamboyé, Sec ardent & malin, qui n'a plus grande ioye Qiie voir de fan g humain vn large fleuue teint : Et fon terme prefix en Van deuxième ateint.
Auprès Vahne Soleil, le flambeau de Vannée, Doux père nourricier de toute chofe née, Roy des quatre éléments, borne Van de fon cours En fix heures, trois cent & foiffante & cinq iours.
Prochaine du Soleil puis deuant puis derrière. De la molle Venus Vefioile femenciere En dix & fept jours moins à fon tour donne fin, Dide Vefper au foir, & Phofphore au matin.
Mercure va fous elle, en douteuje inconfiance Chaud £■ froid, moite £■ fec, prenant fon influance De V aflre qui le joint : & legier il parfait Son voyage en neuf jours moins que Venus ne fait.
Plus bas la claire Lune à nos manoirs prochaine Entretient la moiteur, tantôt fe montrant pleine. Puis demie, & foudain cornue aparoijfant, En huit heures vingt jours auec neuf recroiffant.
Ce font les propres deux & places diferantes. Les retours & les noms des efloiles Errantes, Dont les puiffants rayons font diuers changements Sus les coips compofe:{ des mefle:[ éléments, Selon que pourfiiiuant leurs courfes coutumieres Elles fe regardront opofant leurs lumières,
DES METEORES.
Ou les entrcjoindront , deffous les animaux De l'écharpe imagée, ores froids ores chauds : Tojl ajfechant les eaux, & creuaffant la terre, Et dans Pair alumant Véclair & le tonerre, Tojl enflant les torrents, & de rauines d'eaux Rauageant par les cliams le labeur des toreaux.
Mais ton/tours nous /entons les effets ordinaires, Sur tous les autres cinq, des deux grands luminaires Du jour & de la nuit. Cejluy-ci la moiteur, Et cejîuy-là foujlient la vitale chaleur.
La Lune fur Vhumeur exerce fon empire : La mer luy obéit, qui déborde & retire Son flot & fon reflot, fe réglant à fon cours, Selon qu^elle eft entière en croijfant ou decours. L'huitre dans fon écaille ejfaye fa puiffance, Ainfi comme elle croifl prenant fon acroijfance, Deci oijfant aucc elle : & l'arbreufe forefl En fa feue cognoifl combien puiffante elle eft. Mcfnie tous animaux, iifques en leurs ceruelles Couuertes de leur teft, iufqucs en leurs moelles. Sentent bien fon pouuoir dans le fond de leurs os, Et iufques en leur fang dans leurs vénes enclos. Sa boule remplijfant, tandis que l'hyuer dure. Sous les fignes plus chauds, amollit la froidure : Et lors que l'efté bouft d'vne exceffiue ardeur, Jointe aux fignes plus froids en fa pleine rondeur, Sa fureur afoiblit : & benine recrée De fa moite frefcheur la nature altérée, Rauigourant les fleurs qui s^en aloyent mourir, Et groffiffant les fruits pour au chaud fe meurir. Par elle le paifant, quand fon Croiffant éclere, Cognoift pour tout le mois quel tems c'eft qu'il doit faii e : S'il eft rouge, le vent : s'il eft bief me, de l'eau : S'il eft clair argenté, le tems ferein & beau. Elle en fon char tiré par la courfe legiere De deux cheuaux tou-blancs, d'vne flame eftrangiere Sa face embelliffant, çà puis là fe fait voir, Et de mère nourrice exerce le deuoir,
LK PREMIER
Corne compagne & fœur du père du bas monde, Le Soleil nourricier^ qui dardant à la ronde Ses rayons fur la terre, & fur la grande mer, En tous les animaux vient la vie alumer. Ceux, & qui dans le bois, & qui par les campagnes, Et qui ont leur repaire aux caueins des montagnes. Et qui rampent en bas, & qui nagent fous l'eau. Et qui volent en l'air, viuent par fon flambeau. C'ejl luy qui conduifant les couples atelees De fes chenaux ardents [qui non jamais foulées Tirent fon char doré par le tortu chemin) Voit finir toute chofe, & jamais ne prend fin. C'efi luy qui maintenant nos manoirs illumine, Donant couleur à tout de fa clarté diuine, Qtii maintenant fous terre à l'autre monde luit. Et chacun à fon tour a le jour & la nuit. C'efi luy qui alongeant la nuit & la journée. Départit aux humains les faifons de l'année.
Qiiand il tient enfiamé de Plirixe le Mouton, Et le Toreau de Crète, & le figne Beffon, Lors fous les foliueaux l'aronde, meffagere Du printems gracieux, vient maçoner fon ère : Le chantre Roffignol d'vn frais ombre couuert Gringotte fa chanfon dans le bocage vert.
Tout s'échauffe d'amour : & la terre amoureufe Pour plaire au beau Soleil prend fa robe odoureufe De fleurons damaffee : aux vignes le bourgeon Defourre le grapeau de fon tendre coton : Et l'herbe par les chams reuerdit arofee En fes brins vigoureux de la douce rofee : De la manne du ciel le doux fucre deffant Deffus les arbres verds, les fueilles blanchijfant .
Puis quand dedans le Cancre il aura faict entrée Pour pajfer au Lyon & dans la Vierge Afiree, La Cigale enrouée affife par les bois Choquant fes ailerons crie d'une aigre voix : La verdure jaunifi, & Ceres cfpiee Trébuchera bien tofi par jauelles ciee
DES METEORES.
Sous l'outeron haflé, pour emplir le grenier
De fes prefens dore:{ au joyeux mejlayer.
Lors le gay pajloureau deffous vu frais ombrage
Retire fon bejlail, contre l'ardente rage
Du fieureux Syrien, près le bruyant ruiffeau
Qui de la viue fource amené fa claire eau.
Là, rempliffant de vent fa douce chalemie.
Va jouer fa chanfon de l'amour de s'amie.
Autant pour adoucir l'ennuyeufe chaleur
Corne pour rafrefchir la flamme de fon cœur.
Les tourbillons rouans les pierres & la poudre
Font le gafl par les cliams : Souuent l'horrible foudre
Rompt la nue orageufe, & la flambante main
De lupiter tonant pâlit le genre humain.
Qjiand Febus de la Vierge en la Balance paffe, Puis entre au Scorpion, puniffeur de l'audace D'Orion violeur, & de là dans l'Archer, En ce tems la chaleur comance à fe lafch?r. Par les chams defpouille^ le portefruit Automne Montre fon chef orné d'vne riche couronne De fruitages diiiers. quand le nuage epés Des étourneaux goulus mange l'honeur des céps. Le jeu lors & le ris. les libres chanfonetes [Car tout efl de vendange) & les gayes fornetes. Règne entre les garfons, qui aux filles mefle:{ Empliffent les hoteaux de raifms griuele^ : Qiii entone du vin la liqueur écoulée Sous le pié du fouleur de la grape foulée, Qjii trépigne dejjfus, qui d'vn bruit enroué Fait geindre fur le marc le preffoir efcroïié. Alors plus qu'en nul tems dedans l'air vuide croiffent Les feux prodigieux qui la nuid apparoiffent : Souuent en groffe pluye les nuaus efpanche:^ Rempliront les canaux des fleuues eflanche^.
Mais quand hors de Chiron il paffe au Capricorne Et s'éloigne de nous, puis deffus nous retourne Enflamant le Verfeau pour monter aux Poiffons, Les fleuues tout ce tems chariront les glaçons.
10 LE PREMIER
Alors d'vn vol fourchu les grues pajfaf^ercs
Fendent l'air, par leur cry certaines mejfageres
Du champejlre labeur, quand le foigneux paifant
Retaille les guerets d'vn coutre reluifant.
Les chams font pleins d'horreur : les forejls éfueillees
De verdure & d'honeur languiffent dépouillées :
C'ejl quand les vents hideux furceneront le plus
Déracinant les troncs des hauts chefnes branchus :
Qiiand les bejles des bois, qui ont la peau plus dure
Et le poil plus épais, frijfonnant de froidure
Sous leur ventre tremblant la quelle ferreront,
Et de la Bi^e froide exemtes ne feront,
Qiii percera la peau du toreau dur, & celle
De la cheure à long poil : mais la tendre pucelle
Qiti près fa douce mère gardera la maifon
Seule ne fentira la mauuaife faifon.
Alors la nege épeffe & les froides brouees.
Le frimas, la gelée, & les noires nuées
Couurent terres & deux : & c'efl quand les Ardans
Luiront par les maréts & deffus les étans.
Tel efl le cours de l'an que le Soleil nous borne Depuis s'eflre éloigné juf qu'au point qu'il retourne Fraper à plomb nos chams de fes rais chalureux, Rendant noflre fejour chaud & puis froidureux, Puis tiède & tempéré, comme fa flâme bone Ou de loin ou de prés fur la terre rayone. Qui refoule deffous fa puiffante chaleur De fon fein jette en l'air vne double vapeur.
L'vne pefante humide à grand peine éleuee Par la tiède chaleur dont elle efi échaufee. Se haujfant toutefois s'arrefle haut ou bas, Et fait la grefle ou l'eau, la neige ou le brouillas. Et tout cela qui peut s'engendrer dans le vide En diuerfes façons de la matière humide, Tenant ou de la terre, ou de l'onde, ou de Ver, Ayant monté la fus pour après deualer.
L'autre feche vapeur legiere & chaleureufe, Promte s'élance en l'air, de nature fumeufe.
Di:S METEORES. II
Et va dedans le Ciel des flammes alitmer Qji'on voit diuevfement leurs figures former. Selon que la matière, ou gluante ou futile^ Epandue ou ferrée, à s'enfiammer abile Les déguife à nos yeux, ou longuement ou peu, En rondeur ou largeur faifant luire le feu.
Or fçache:{ deuant tout que la mère Nature N'a rien qui n'ait fenti le chaud ou la froidure : Mefme tout ce qu'on voit fe concreer là haut Ne fe braffe finon par le froid ou le chaud. La froidure étreignante, indifcrete & lourdaffe, Les cors plus diferans pefle-mefle ramaffe, Joignant le mol au dur, le pefant au legier, Ce qui efl tout diuers auecques l'étrangier : Et non pas la chaleur, qui gentille & difcrete Fait bien fon adion plus entière & parféte, Vnijfant le femblable, & d'vn cors feparant Par certéne vertu ce qui efi diferant.
Le grand air, qui remplit le Ciel jufqu'en la terre. Oit fe forgent les feus, l'éclair & le tonerre, Et la pluye & la grefle, en tous lieux n'efi pareil Car où les chauds rayons du flamboyant foleil Se doublent réfléchis près de noflre contrée, Icy l'air s'at ledit de chaleur tempérée : Qjà toutefois fouuent s'enfuit deuant le frais, Qiiand la nuit ou l'hyuer il retire fes rais Hors de noflre fejour, & fon grand luminaire Aux peuples ba^ane^ de l'autre monde éclere. Mais oii fe débandans ils perdent leur ardeur. Ce Cartier efl enceint d'vne extrême froideur, Et dautant vn hyuer plus violent y dure Qiie dejfus £■ deffous vn double chaud l'emmure, Dont il tient le milieu. Là des deux combatu Le froid fe racueillant redouble fa vertu Sous la chaleur d'enhaut : foit que là foit la place Du plus chaud élément qui l'air voifln embraffe. Ou foit que la roideur, dont fe tournent les deux, Face bouillir le chaud excefflf en ces lieux.
12 LE PREMIER
Donc la feche vapeur & finneufe & légère, Volant à mont dans l'air du ventre de fa mere^ Si elle ejl forte affe\, le froid ne la retient, Mais jufques au f omet de l'air chaud elle vient. Là promte elle s'alume en la part oii l'émorche, Plus propre à conceuoir la fldme dans la torche. S'éprend d'vn feu foudain : & la claire fplendeur Compagne de la flâme aciifera l'ardeur, Lors qu'en l'air de la haut que le Ciel voifm pouffe Elle s'embraiera violemment fecouffe : Comme quand vn qui veut regagner fa maifon Par vne noire nuit, leue vn bra^eux tifon Au foyer de l'ami, pour foigneux fe conduire, Et le hochant menu au deuant le fait luire Jufqu'à tant qu'il l'alume, & l'ardente clarté A force de mouuoir enflamme l'obfcurté : Ainfi des deux rauis la bouillante boutée Pourroit tant échaufer la matière agitée Des fumeufes vapeurs, que le dru mouuement Seroit le feul motif du prompt embra^^ement : Ou bien comme Ion voit vne éteinte chandelle, Si vne autre alumee on aproche fur elle. Soudain fe rallumer, tout ainfi la chaleur Brûlant le hault de l'air atife la vapeur : Et comme elle fera efparfe ou continué. Egale ou non égale, ou groffiere ou menue. Si tofl qu'en la vapeur la flamme s'éprendra. De diuerf es façons fa forme elle prendra.
Lors que l'Exale^on fera d'vne matière Faite inégalement & futile & groffiere, Ce qui fera futil en haut s'apointira, Le terreflre & pefant par bas s'élargira. Ainfi le voyageur, s'il voit cejle fumée A l'aproche du feu tout par tout alumee, Ebaîra les fiens, s^il jure qu^il a veu L''eguiUe d'vn clocher dans le ciel tout en feu.
Mais fi la fumiere efl également épaiffe Et fine également, tant que ny Vvn s'abaiffe.
DES METEORES. l3
Nj- Vautre ne fe haujfe, ains d'vn pareil compas Le gros & le menu tint le hault & le bas, Selon que la vapeur ejï ou grande ou petite, La Jlamme qui s'en fait de diuers noms ejl diie : Si la longueur ejl mince, vn trait de feu volant : Si elle efioit plus longue, vn jauelot bridant : Si la matière efioit en moyenne montance, Tu dirois auoir veu flamboyer vne lance, Si grojfe elle s^étand, tu voudras eflre cru QiCvn grand cheuron de feu te feroit aparu.
Vn brandon dans le Ciel te pourroit aparoifïre Par vne belle nuit, & le voyant tel eflre Qii'vne chandele ardent, & luire clair & beau, Tu voudrois luy doner la fur nom de flambeau.
Poffible que l'enfant à la belle Cyprine, {Las de genner les cœurs de la race diuine Et de V humaine gent) a planté dans les deux Son flambeau, le vaincueur des homes & des Dieux, Ce dira quelque Amant, lors que leuant fa veuc Ce fie flamme il aura dans le Ciel aperceué, Alant veoir fa maijlrejfc : & croira dans f on cœur Qit'Amour par ce flambeau luy prefie fa faueur.
O trefpuiffant Amour, propice fauorife Par Vombre de la nuit ma fegrete entreprife : Eclaire moy propice, 6 gratieux flambeau : La Lune ne luit point, montre toy clair & beau. Si par Vobfciire nuit ie me fuis mis en voye. Ce n'efl pour dérober, ce n'efl que feuffe joye D'outrager le pajfant, c'efl que fuis amoureux, Etfij'ay ta faueur me voyla trop heureux.
L'Amant diroit ainfi. Le fage qui a cure De chercher par raifon les fegrets de Nature, Sçaroit qu'vne vapeur [futile également, Vniment alongee, & dont le brulement Comence par le haut, S- peu à peu deuale Se fuiuant juf qu'en bas d'vne defcente egate) Formeroit cejle flamme : & pource qu'elle auroit D'vn flambeau la femblance. ainfi l'apelleroit.
14 LEPREMIKR
Mais quand, ainfi que Vautre également dougee. Elle yie ferait pas vnirnent alonf^ee, Aiiis forgetant fon feu alecart flaviboira, La figure & le nom de la Torche elle aura.
As-tu veu quelquefois, quand le laboureur fage Deffous vn vent ferén deuant le labourage A fon champ fourmentier done vn amendement. Afin d^y moiffoner dans Van plus graffement? Le feu fe prend au chaume, & les fiammes éparfes Gagnent en pétillant parmy les pailles arfes Atrauers les filions : Tout ainfi dedans Ver Tu verras çà & là des fiammeches voler D^vne fuite de feux dans vue large nué, Sèche épanduê & rare, & qui n^efl continué : De forte qu'a la fois ne peut de bout en bout, De trauers ny de long s' enflammer tout par tout. Mais ard par cy par là. Lors des pailles brûlantes Il te femblera voir, de mefme étincelantes Qu'vn brasier d^vne forge, fi foigneux tu Vas veu Qiiand les foufiets bruyans éparpillent le feu.
Qiti te diroit auffi que des cheures fautaffent Ardantes dans le Ciel, & qu'elles fe creaffent Des terrefires vapeurs, ne le croirois-tu pas? Et tu vois tous les jours tout le mefme icy bas, Quand le page malin, au flafque de fon maifire Ayant robe la poudre, alecart fe voit efire A uec fes compagnons pour y faire fes jeux, Par petits moncelets laiffant des entredeux Il range fon émorche, & choifit vne place Qit^il netoye deuant, oii fa poudre il entaffe : Et puis y met le feu, refoufiant le charbon QiVil auoit enfourché dans le bout d^vn bafton. Soudain la fianvne prend, & dont elle comencc De Vvn en Vautre tas àfauts elle s^élance : Tu dirais à les voir que feroyent des moutons, Ou des cheures en feu qui fe iettent à bons. Telles cheures auffi dedans V air figurées S'enflamment de vapeurs d^entre elles feparees,
DES METEORES. l5
Qui font corne en monceaux de pareille grandeur L'vn près t autre range^ : Et Ji tojl que Vardeur Dedans Vvne eft éprife, elle à bons s^ achemine Pour gagner de /on feu Vautre clieure voifine. Alors qu^elle s^alume on la voit blueter, Et des flocons de feu dehors de foy jetter, Qui raportans autour vn long flammeux pelage Font ces houpeaux ardans reffenibler dauantage Aux femmes à long poil des barbus étalons.
Mais de Vexalê:^on fi les nuages Ions Sont épars pres-à-pres en petites parcelles. De largeur & grandeur égales par entre elles, Qjiand la flamme les fait de fuite étinceler, Les étoiles fe font qui femblent fauteler.
Or d'enhaut la vapeur efl par fois enflammée, Ainft que fous vne autre vne lampe alumee, Et c'efl lors que le feu contre mont bondiffant Ne force fa nature, & qu^en bas ne dejfand : Parfois de Pair gelé la preffante froidure Rembarre contre val le chault qu'elle n'endure : La chaleur fe renforce, & le feu s'en éprand Qui des nuaux fumeux la matière comprand. La flamme tand au ciel: le froid qu'elle rencontre La rabat violent, & la repouffe contre Son enclin naturel qui la rejeté à mont. Et fait que jaliffant contre bas elle fond, D'vn oblique f entier : V enflame:{on couliffe D'vn long trait blanchiffant atrauers l'air fe gUffc. Ce qui la_fait fi tofl courir obliquement, C'efl qu'affe^ prés de nous vn double mouuement Douteufe la diflrait. Sa naiue boutée La pouffe dans le Ciel, mais elle efl dejettee Par le froid ennemi, comme jalir tu vois Vn noyau de cerife étreint entre les doits.
Garde de t'abufer auecque ceux qui cuident Qjte les afîres des deux aucunefois fe vuident, Quand ils fe font foule^, corne fi leur repas Et nourriture eftoit des vapeurs d'icy bas.
î6 LE PREMIER
Non, ces feux immortels ne prennent nourriture
Corne tout ce qui naijl de mortelle nature.
Mais entiers & parfaits, fans d'' ailleurs fe nourrir,
Voyant tout deffous eux fe nourrir pour mourir.
Et Ion conoifi ajjfe:^ par la courfe foudaine
De ce fie flamme cy, qu^elle nous ejl prochaine :
Car dautant qu'elle efl près, plus tofl femble voler
Qiie ne voyons la Lune ou le Soleil aller:
Comme auffi font les traits qui de nos mains s^ élancent,
Combien que les hauts deux en courfe les deuancent
De fi vite roideur, que n'aurions le pouuoir
D'en penfer le chemin, tant s'en faut de le voir.
Mais par Vombreufe nuit, ou foit que tu te jettes Aux périls de la mer, ou foit que tu te mettes Aux ha:{ards de fa guerre, fi tu veilles dehors, Poffible efiant dé garde à l'écoute, ou du cors, Leuant les yeux là fus d^vne creuajfe ardante Par fois tu cuideras voir la voûte béante Du Ciel qui s'ouurira, Vautre fois dedans Ver Vn long dragon fumant te femblera voler, Ou tu verras la haut vne flamme courante. Tantôt efire cachée, & tantôt aparante. Ou des ardans folets deçà delà tourner : Ecoute les raifons pour ne t'en efioner.
Le Ciel ne s^ouure pas, mais vne grand^ fumée De grajfe exalai:^on luit dans l'air alumez Par les bords feulement, oii fe tient allé De Vépaijfe vapeur tout le plus délié. La flamme s'y éprand, &foudain elle embraffe Efpandant fa lueur celle groffiere majfe, Qiti s'affied au milieu, mal propre à conceuoir Le grand feu qui la lèche : S- Ion cuide à le voir Qiie le Ciel creuaffé d'vne large ouuerture Bdifle effroyablement en fa grande vouture, Grand merueille à celuy qui ne fçait la raifon Du motif naturel de telle enflammaifon. Qjiand le peintre en fon plain te voudra faire acroire Qii'il t'a peina vne foffe, il ceint la couleur noire
DES METEORES.
D'vne proche blancheur : pren garde qit''en ceci Le feu ceignant l'obfcur crcufe le Ciel ainfi. Quand l'exalai:jon grande au large s'amoncelle, S'il ejl defmefuré, bâiflcment on l'apelle : Mais s'/7 ejl plus petit, & ferré tellement Qtt'il ne s'étande au loin, c'efl vn muy feulement .
Lors gu'vn Dragon volant tu verras aparciflre. Tel qu'il te femblera ne le penfe pas eflre : Ce n'efi point vn dragon, combien que tournoyant Il te femble ondoyer d'vn repli flamboyant. C^efl vne grand' vapeur inégale, tenue Auti auers d'vne chaude £■ d'vne froide nue, Oit elle a pris fon feu, le milieu plus épais Sous la chaude étandii fe courbe de biais, Et figure la pance : à Vvn des bouts' la tefle, A Vautre paroiflra la queue de la befle. Il fumera par tout pour la proche froideur De la nuë ennemie irritant fon ardeur. Corne qui jeteroit de V eau pleine vne éguiere Dans vn bra^iier ardant, vne grojfe fumierc Se roulant dedans Pair foudain en fortircit, Et de fon ombre épais Venuiron noirciroit.
Qiiand tu verras là fus vne flamme reluire, Qiii s'auance vne fois, l'autre fois fe retire, Come font les garçons au jeu du frapemain, Qiti fe muffent la tefle & la monfli-ent foudain' : Ou come quand Ion voit les deux pointes cornues Du Croijfant recourir fous les courantes nues. Si la Bife les chaffe, ou V Auton pluuieux Pou*- enfler les torrents les preffe dans les deux. C'efl vne exalaifon qui futile & qui pronte Sur les nuaux volans pour y prendre feu monte: Elle femble s'éteindre, & puis elle reluit, Selon que le nuage ou renient ou refuit.
On a veu maintefois des flammèches léchantes, Qii'on nomme des Ardans, flamboyer s' atachantes Aux piques des foudars, ou quand ils font du guet. Ou quand le Capitaine en embufche les met.
Ican de Baif. — II. 2
LE PREMIER
Souuent on les a veu fur le fomét s^ éprendre
De ceux qui vont la nuit : mc/me on les a veu pendre
Alentour de leur barbe, & par flambeaux épars,
Corne larmes de feu, briller de toutes pars,
Sans brûler toutefois, non plus que Veau de vie
Efprife en vn mouchoir, dont la flamme fuiuie
En rampant Venuelope, & perfe & blanche luit
D^vn feu toufiours montant qui au linge ne nuit.
Ces Ardans fi Ion va, changent auffi de place,
Se pouffent en auant : & fi Ion ne déplace
Souuent ne bougeront : par fois en vn moment
Les voyla fauteler volages follement :
De cheual en chenal, de Vhome deffus fhome,
Saillans de place en place, ils volent ainfi corne
Les petits oifillons encor nouueaux à Ver,
Qii^on voit de branche en brandie à leur mère voler.
Volontiers ces folets ont coutume de naifire OU dans Pair eleue:{ on les voit aparoifire. Par les pre:; auale:^, aux cimetières gras. Sur les croupiffes eaux, en tous lieux qui font bas : Où le pais eft propre à jeter les fumées De ces grojfcs vapeurs, qui luifent alumees Prés d'icy, ne pouuant leur graffe pefanteur Lente ateindre de Vair la moyenne hauteur, Tant leur chaleur efi foiblc. Or grandement n'admire Si tu vois ces Ardans fans qu'ils brûlent reluire, Mais repenfe à par toy quelles chofcs tu vois Efclairer à nos yeux, ne brûler toutefois. Voy du poumon marin la baguete frotee. D'où part vne lueur en pleine nuit jetée, Si grande qu'elle fert à conduire celuy Qui en lieu de flambeau la porte deuant luy : Voy Vécarboucle fine, & regarde Veau claire Qiie Von difiile afin que de nuit elle éclaire : Voy le bois vermoulu, les mailles des poiffons. Le petit ver qui luit bloti fous les buiffons. De pareille vapeur vne flamme aparante Efclairc aux mariniers quand ils font en tourmante :
DES METEORES. I9
Ore alinnee an Ciel contre bas elle fond, Ore du choc des flots elle s'efleue à mont. Tantôt elle s'affied corne vne double étoile Sur le mafl du nauire, ou faute fur la voile : Quelquefois elle efl feule, ah! ce n^efl fans danger De faire le tillac fous les vagues plonger : Et fi elle defcend au ventre du nauire, Oefl alors que brûlante elle fe montre pire, Et fans vn prompt fecours les gents & le vaijfeau Sont en péril de feu dans le milieu de Veau. Qitand feule elle aparoifi, c'efl la mauuaife Hélène, Qui toufiours malencontrc aux panures naufs amené, Si Cafior & Pollux, les jumeaux bien-heureux, Ne viennent raffurcr les matelots poureux. Que toufiours fur la mer cefle flamme jumelle Alors que la tourmente y fera plus cruelle, Et les vents plus hideux, fe montre à mon ami: Que la feule toufiours luife à mon ennemi.
Décent mille autres feux les formes diferantes Se peuuent engendrer, qui feront aparantes Non feulement en haut dans le pais de Ver, Mais encor fi tu veux fous terre deualer. Tu en verras fouuent aux caues des perrieres, Et dans les longs détours des profondes minières, Oîi les ouuriers qui font à la peine atache:^ Y voyent tous les jours des flambeaux emorche^ De diucrf es façons, qtti de mefme matière Et qui s alumeront de pareille manière. Ou corne deux cailloux qu'on voit s'entrefroiffer. Ou sous le froid qui vient f on contraire oprejfer.
Maintefois on a veu par vne nuit ombreufe Vne clarté chajfer la noirceur tencbreufe : Elle defcend du Ciel, & par ce bas fejour Au milieu de la nuit épand vn nouueau jour.
On a veu quelque fois vne rondelle ardante Tout autraucrs de Vair courir étincelante. Du foir juf qu'au matin le chemin dcfpefcher, Ainfi que Is Soleil s'aloit defia coucher.
20 LE PREMÏEIl
W autres fois on a veu jalir vne bliiete, Qui dehors d^vne étoile encontre bas fe jeté. On la voyait de/cendre : & tant plus defcendoit S^aprochant de la terre, & tant plus s^étandoit Toufiours toufiours croijfant : A peine fa lumière Egaloit vne Lune en fa rondeur entière, Qii^il fit clair corne il fait, quand le Soleil ne luit, Quand la lumière ejî nubie, & n^efl ne jour ne nuit. Elle remonte après là dont elle efl venue, Et regagnant ie Ciel là fus efl deuenué Vne torche flambante : & Ion n'a point conu Que plus de c efl e fois cela foit auenu.
Mais euffe-ie cent voix, te ne pourroy déduire Tous les brandons de feu que Nature fait luire Des terreflres vapeurs : cent mille elle en a fais, Et cent mille en fera qui ne furent jamais. Qui efl l'home viuant d'ame fi rebouchée, Si pefante & grofjiere, en terre fi jîchee. Qu'il ne s'éleue en haut de tout Ventandement Pour admirer de Dieu les faits euidemment. Au moins quand dans le Ciel quelque nouueau fpeâacle Flamboyant y rauit nos cœurs defon miracle?
Tant que tout s'entrefuit d'ordinaire teneur, L'acoiiflumance éteint des chofes la grandeur : Si quelque chofe auient, tant petite foit elle, Outre Vacouflumé, pource qu'elle efl nouuelle Des homes eflonc^ fotement curieux Elle vient empefcher les penfers & les yeux. Nousfomes ainfi faits : Nul des mortels n'admire La beauté du grand Ciel, qui tous les jours fe vire Sur deux gons afermis, rouant tant de flambeaux Qui luifans éternels font des aflres fi beaux.
Qtii s'ébait de voir des deux grands Luminaires Du jour & de la nuit les courfes ordinaires? Mais s'il auient gu'vn d'eux manque de fa clarté, Qiiand l'vn efl empefché par l'ombreufe obfcurté De la terre entrcmife, ou quand l'autre s'éface Lors qu'entre nous & luy fa fœur étand fa face.
DES METEORES. 21
Tout le peuple frémit : vue douteufe peur
Bat dans les cœurs humains, prefage de maleur.
Si tojl que dans le Ciel quelque étoile aperçue Luifante alongera fa flamme cheuelué, Les peuples tu verras fe troubler peins d^effroy, S'enquérir, la montrer, & pâlir pour le Roy : Tant Verreur a gagné par toutes les prouinces Qiie les Comètes longs de quelcun des grands Princes / , Marquent la mort fameufe : on le tient affeurê /
Came vn figne en tout tems par épreuue aueré. '
De peur que cet abus n'eiifi trop brieue durée, Les fauans impofleurs Pont depuis affuree "D'aparantcs rafons: Mais telle faujfe erreur Par fuperflition donne aux homes terreur, Qite les vents forcené:^ ne démembrent le monde, Ou qu'vn païs entier en abyfme ne fonde Par tremblement de terre, ou qu^encor Faéton Du coche paternel ne foi t fait le charton : On craint par la cherté que la pale famine D^vne trifle langueur les abitans ne mine. Ou que la pefte affreufe, épandant fes poifons Dedans l'air infeâé, nd vuide les maifons : L'horrible guerre on craint des mères exécrée, Par qui la terre aux chams ne foit plus labourée, Et le peuple fuitif par les villes errant De maifon en maifon fon pain aille querant : On craint que les cite^ dedans elles émues, De fang, las '.fraternel ruijfelant par les rués N'empourprent le paué. Qiielles iufles rancueurs Allument, Citoyens, telle rage en vos cœurs ?
Mais le fage & fçauant, qui ne fe paifl de bourdes, Qiii au caquet du peuple a les oreilles fourdes, Ces foies peurs nefent. Heureux l'home qui fçait Les fegrets de Nature, & coment tout fe fait ! Il chajfe de fon cœur la frayeur miferable, Mefme il peut du Deflin qui n'eft point exorable, Dejfous fes pie^ vaincueurs toute crainte fouler. Et le bruit d'Acheron qui ne fe peut fouler .
22 LE PREMIER
Il ne Suétone pas de voir luire vn Comète Dedans le Ciel, /cachant que toute choje ejl fête Par vn ordre certain, & cherchant la rai/on Trouvera que ce n^e/l rien quvne exalaifon, Combien qu\iu tems jadis la jlorijfante Grèce Ait porté l'ornement de fçauoir & fageffe Des homes excellents, qui tindrent des aiiis Bien difcrans du nojîre, & n'ont ejlé fuyuis : Car depuis qu'vn Jlambeau fe monjîra de Stagire, Corne devant Febus h- troupeau fe retire Des étoiles des deux qxCHejper chaffe deuant, Leur clarté s'éteignit par ce Soleil leuant.
Les vns furent d'auis que là haut aparantes Ces étoiles luifoyent, alors que les Errantes Pour vn tems de fi près l'vne f autre aprochoyent , Qii'on penfoit à les voir qu'elles s' entretouchoycnt .
Les autres ont tenu que cejl vne de celles Qiti errant par les deux font leur courfe à par-elles Et que pour éloigner peu fouuent le Soleil Loin à loinfe montroit, par vn retour pareil Au cours Mercurien : Car l'aflre de Mercure Près du luifant Febus tient fa lumière obfcure : Et pour ne l'éloigner, vn long tems il fera A fe tenir couché, puis fe releiiera. D'autres qui ont fuyui la fentence dernière Rendent autre raifon de la longue crinière, N'auoiians qu'elle foit dépendante du corps De l'étoile qui luit, mais qu'elle efl au dehors : Et que ce qui la fait aparoiflre crinué, C'efl le rebrifement des rais de notre vue Contre ceux du Soleil, qui joints enfemble font Les crins dans la vapeur que l'aflre éleue à mont. Et tenoyent que iamais elle ne s'efl montrée D'autre part que du Nort: & qu'en l'autre contrée Nulle moite vapeur ne peut monter en haut Entre les deux arrêts où Titan efl plus chaud.
Voye^ cornent ny l'vn ni Vautre ne peut eflre : Si par autre moyen elle ne pouuoit neflre
DES METEORES. 23
Que des Planètes joints, après on les verrait . Ainfi que peu-à-pcu Vvn Vautre lefferoit. On ne verrait ailleurs cejle flamme alongce Que des dou^e animaux en la route imagée Cil les errantes vont: mais on la veu'' fouuant Loin de làfe former vers le Nort bien auant. h^autres ont aparu vers le Sur allumées Entre les deux retours, qu'on a veu confumees En Vvne & Vautre part, deuant que fe plonger Clics Océan leur ho/le où toutes vont loger.
Donc Vajlre cheuclu n'a point d'autre naijjance Que la cheure fautante, ou la flambante lance. Ou le chaume grillé : la mefme exalaifon L''engendre dans le ciel par mcfme enflamaifon. Il faut qu'en la vapeur dans VEther amaffee Par le mouuoir d'enhaut la flamme comancee. Ne s'afprijfe fi fort qu'elle deuore tout. Ne foit fi morns avffi quelle s'éteigne à coup : Et faut que la matière à la flamme raporte. Qui pour brûler en paix foit moyennement forte, Et que toujours d'enbas la gardant de mourir Y monte vne fumée abile à la nourrir. Ainfife concréra cet aflre qu'on appelle Salon que la vapeur s'alonge ou s'amoncelle : On Vapclle Barbu, s'il étand fon ardeur, Il fera Cheuclu s'il la prcffe en rondeur.
Mais les vues fe font en la région baffe De Vêlement du feu : VEfloile qui s'y place Ne montre que fon cors foit en rien ataché A nul aflre des deux, ni erant ni fiché : Et bien qu'auec le Ciel en rond elle fe tourne, Toutefois en vn lieu fon brandon ne fejourne, Ains delaiffant d'enhaut le certain branlement Semble fe retirer d'vn rebours mouuement.
Encor il me fouuicnt quand la tréue fourrée Entre France & VEfpagne, fut malement iuree Sous Henry le bon Roy, pour la voir rompre, exprès Afin que nous viffions mille malcurs après:
24 LE PREMrKU
Febus tint les Poiffons : dans le chajleau d^Amboife Le Roy tenait fa court: la nobleffe Françoife Ses vidoircs foufloit d^vn magnanime cœur, Qiii, las! dcuoit bien tojl fous l'ennemi vaincueur Defenjler fon orgueil. O qu''eujl ejlé coupée Celle maudite main qui nous dona Vefpee, Caufe de tant de maux! mais fa malinité A receu le loyer qu^elle auoit mérité.
Il me fouuient qu'alors vne étoile barbue Par neuffoirs bien ferens dedans le ciel fut vue Du Cartier d'.lquilon. L'a/ire qui regardait Le matin vers Doré, fes longs rayons dardoit : le la vy d' vne fuite au tour des deux rebourfe Chaque nuit clairement fe retirer à VOurfe, Iufqu''à ce qu^à la fin fa clarté qui mourut Euanouïe en Vair du tout fe difpartit. Et pource que la flamme aux deux jointe & prochaine Par le branle denhaut fe rauit & fe meine, Mais d'vn pas inégal: {car la plus haute part Se meut plus vilement, & la baffe plus tard) Ce n'efl hors de raifon que par la grand' boutée ' Du milieu des hauts deux l'étoile rejctee Se pouffe vers le Xort, là où le tournement Corne étant près Veffeuil fe fait plus lentement. Où, peut eflre, là fus la matière alongee Tirant deuers le pôle efl de fuyte raiigee, Et la flamme dans elle éprife par vn bout Gagnant toufiours fe fuit tant qu'elle brûle tout.
Corne au froid de Vliyuer vne jeuneffe gaye Par vne noire nuit va du long de la haye Chaffer aux oifillons : Qui tiendra le bouleau, Qtii portera le glu pour feruir de flambeau : La flamme dans le bout du feurre luit éprife, Et rampant peu à peu ferait lâcher la prife Au porteur, fi n'efioit qu'il la fait reculer Luy fourniffant toufiours de la paille à brider. Si la chaffc les tient fi long teins que la paille Loin de toutes maifons par les chams leur défaille,
DES METEORES. 2 5
é
Ils demeurent fans feu : il faut rompre le jeu. Les garçons vont en quefle & de feurre & de feu. Ainfi dans la vapeur vers la Bife ordonnée, Qiii pareille fe fuit d'vne longue trainee. Le Comète s''alume, & femble reculer A mefure qu^on voit la matière brûler.
L'' autre forte fe forme en la haute contrée De Vêlement du feu près la voûte etheree, Qitand Vamas épaiffi de foueufe vapeur S'affied en propre lieu pour fe ioindre à l'ardeur D'vne étoile d'enhaut [foit errante, ou foit elle De ce nombre infini que Fixes on appelle) Qui dans cefîe fumée ainfi qu'en vn miroir Sa lueur feulement, non fa forme fait voir. Quand fes rayons darde:{ en eux fe reflechiffent, Et redoublés entre eux à nos yeux refplendiffent , Vne queue alonger l'étoile femblera, Ou bien d'vne perruque elle f'afublera.
Or ces Comètes cy faifans mefme carrière Qiie l'afire qui les joint, ni auant ni arrière Ne femblent l'éloigner, ou fi peu qu'à le voir A peine en quatre jours on peut Vaperceuoir : Et pource qu'au plus haut la vapeur efi montée. Où de plus grand randon la fiamme tranfportee Suit le branle des deux, elle fans varier, Corne fon afire va, fe laiffe charier.
Mais deuant que defcendre, ô deejfe Vranie La fille du grand Dieu, deuers le Ciel manie Les refnes à clous d'or de tes cheuaux celés, A fin que dans ton char à rayons étoiles le foy porté là fus, & rauy ie contemple Les hauts faits de ton Père en fon celefie temple : l'ay defir deffus tout par raifon de fçauoir Le grand cercle laite qui le fait tel à voir.
Bien qu'on ne puiffe pas fans longue expérience, Qu'on acquiert auec ceux qui fçauent la fcience, Cognoifire les cerceaux qui partiffent les deux, Cefiuy-ci promptement fe prefente à tes yeux :
20 LE PREMIER
Ne le cherche long tems : car fa blanche lumière Coupe le Ciel en deux, corne vne double ornière Merque à trauers les chams vn long chemin rayé, Du charroy des rouUers à toute heure frayé : Came en la grande mer vnefuyte chenue D^écume blanchiffant longue fe continué Derrière vn galiot, qui foujlé d^vn bon vent Départ les flots ronflans, S- /'en vole en Leuant : Ce long chemin auffi de fa lumière blanche En deux égales parts tout ce grand monde tranche, Et claire aparoijjfant par vne noire nuit Dans le ciel étoile fa longue bande luit : Là où contrimitant la biai:{e carrière Des fept flambeaux ardans, il étand fa lumière Vis-à-vis de leur courfe, & luit d'aflres fi beaux, QuHl porte peu d'enuie à leurs dou:{e animaux. Et ce n''efl fans raifon qu'ils ont creu, du vieil âge Que Febus y faifoit fon annuel voyage : Si qu'encore auiourd'huy la cendreufe blancheur Remerque fon chemin d'vne oblique longueur : Pourtant ne le croy pas : car fi la flamme ardante Du Soleil rayonnant fe toumoit fi puiffante Que d^ altérer les deux, le f entier du Soleil Tel que Vautre de nuit fe montreroit à l'œil.
Ce Lait comence aux pieds de Caffiopc dolante Du Cancre ayant coupé la ceinture brûlante : Et ra^çant de Cephé les flamboyans cheueux Se panche, & va couurir du bas Cygne les feux. Retranchant de VEflé la ceinture, il trauerfe L^ Aigle qui dans le Ciel fe pend à la renuerfe, Et rentrant au cerceau qui fait égaux les jours Et les nuits, du Soleil outrepajfc le cours Entre la gauche main de l'Archer auancee, Et du grand Scorpion la queue retrouffee : Doit cambrant fon reply va l'Autel embraffer, Et de là fous les flancs du Centaure paffer. Puis cachant Véperon de l'Argiue galee, Recomence à monter en la voûte étoilee
DES METEORES.
Pour y partir le monde: & laiffant le grand Chien Puis le bras d^Orion, Vajlre Laconien Et le front du Toreau il départ & cotoye : Doit paffant au Charton, il prend fa droite voye Contre Vœlé Perfé. Là, fur le mefme point Dont il efl oit parti f on grand cerne il rejoint.
Or chantons maintenant la certaine origine, Doit blanchit dans le Ciel cefle voye Laitine : le ne fuis aprenti des fables que Ion dit De ce lait qui jadis là haut fe repandit.
Les vns vont racontant que, quand la bone Rhee La pierre prefentoit pour eflre deuoree, A fon cruel mari qu^elle aloit deceuant. L'ayant emmaillotée au lieu de fon enfant, Le Père l'éprouua : comande qu'elle alétte Son enfant deuant luy. Elle preffe fa tette Feignant de la doner au poupard : & foudain Vne ondée de lait luy echape dufein. Jl coula par le Ciel : la tache depuis l'heure, Qiii blanchit ce Cartier pour jamais y demeure.
Les autres vont difant que cefl encor du lét. Dont lunon aleta Hercule enfantelet, Surprife en fon donnant. lupiter qui Vaguete Vnjour luy vint drejfcr cefle embufche fegrete : Marâtre qu'elle efl oit fon Hercule aleta, Qiii haue goulûment fa mammelle teta, En fuçant de fa bouche vne telle abondance Qu'il ne la puft tenir dans fa petite pance, Mais la plus grande part en la place il rendit. Où du lait à jamais la blancheur s'étandit.
Qiii ne fçait les horreurs de V effroyable guerre Que tnenerent jadis les Enfans de la terre Aux abiians du Ciel? quand ils oferent tant D'aller contre les Dieux & leur Père attentant. Ils ont {tant les pouffoit leur au eu gle folie) Mis Offefur Olympe, & fur OJfe Pelie : Pour écheler les Cieu.x- le chemin ils fe font Obfiinés entaffant vn mont fur Vautre mont.
28 LE PREMIER
Ils J'en venoyent aux mains : déjà la foule groffe
Des Gcans p ébranlait à Paffaut deffur Offe :
heur mère les voyant au grand pas y courir
Par vn nouueau moyen les voulut fecourir :
Ses antres elle ouurit : vne épaijje pouffiere
Et de nuages noirs vne ombreufe fumiere
Acoup vint ennubler les étoiles des deux,
Jetant vn grand effroy dans la troupe des Dieux.
Jupiter éperdu du combat fe retire,
Mars f en retire auffi : l'arc de Diane tire,
Mais c^ejl à coup perdu : car les brouillas monte:{
Voiloyent devant leurs yeux le jour de tous cofte'^ :
Lors que voici Febus qui de la clarté pure
De fes rayo.is ardans chaffa la nuit obfcure :
Et le pouffier épais & les brouillas épars
Deuant les yeux des Dieux fuyent de toutes parts.
Lors arrejlant fon vol la doutcufe vidoire
Se planta dans le Ciel. Pour merque de mémoire
Jupiter ordona, tant que le Ciel ferait,
Qu'vne voye poudreufe en ce lieu fe verrait.
On fait de Faétan encores vn vieil conte, Du jeune Facton qui mal confeillé monte Dans le char d'Apollon, & menant fon flambeau S'égaye folement par vn fentier nouueau : Qui mefprifant l'auis de fon bien-voulant père Aime mieux trébucher [tant il efl volontere) Qu'aler droit le croyant. Les fignes non apris A porter la chaleur furent foudain épris. Et le feu violent forcena par le monde. Sur terre tout brûla : Thetis cacha fon onde : Le ciel taché de blanc marque aujourdhuy l'endroit Par où fe foruoya le Charton mal-adroit.
Qiielcun lors que là fus les étoiles clignantes Par vne obfcure nuit luiront etincelantes, Pour mieux les contempler fes yeux renuerfera, Et voyant ce baudrier en fon cœur penfera La fegrete raifon 5 la caufe cachée. Et peut-eflre dira V ayant long tems cherchée
DES METEORES. 29
Saifi de grand^ frayeur : Mon Dieu,feroit-ce point
Que la majfe du monde en ce lieu fe déjoint?
De Vvniuers vieilly Vancienne machine
Attend-elle déjà fa dernière ruine?
Et le Ciel creuaffé dans fon vfé fejour
Par fa playe d'' ailleurs prend-il vn nouueau jour?
Mais ne feroit-ce point la durable couture
Oit ferme fe reprend du monde la foudure.
Et font rejoints en vn les hors de deux demis
A clous de diamant pour jamais afermis?
Au vieil tems les premiers de la Grèce fçauante Tenoyent que la lueur corne lait blanchiffante, De vrais aflres étoit la naiue clarté, Qtii n^efloyent rayone^ du Soleil écarté. Pour l'ombre de la terre alentredeux jetée, Et que ceux-là luifoyent de lumière empruntée Qtii brillent par les deux, lors que de fes rayons Apolon loin-tirant alume leurs brandons.
Mais en nulle faifon oit que le Soleil tourne Des étoiles denhaut fa face il ne détourne : La terre efl trop petite auprès de fa grandeur, Et le Ciel efl trop loin de fa claire fplendeur : Deuant que d'y venir, de fon ombre la pointe Entre fes clairs rayons en chemin efl rejointe. Et ne va plus auant, mais fon grand œil ardant Aux étoiles bien loin fa flamme va dardant.
Autres ont foutenu qu'ainfi que du Comète La barbe & la crinière ils difoyent eflre fête. Par le relancement des rais jette^ de l'œil Contre l'éclair de ceux du flamboyant Soleil, Cefle blancheur fe fait. Or il ne fe peut faire : Car du miroir certain, tant que la glace claire, Et ce qui efl miré, & l'œil ne bougeront, Les images quon voit jamais ne changeront : Si la chofe mirée & du miroir la glace D'vn mouuement diuers aloyent muer de place Sans que l'œil remuafl, l'œil ne pourroit plus voir Le mefme qu'il aurait vcu peint dans le miroir.
3o LE PREMIER
Tout le me/me fe fait en la foulle arrejîee
Des ajlves amajje:{ dans la voye Laitee,
Qui porte^ par le Ciel des terres alentour
Se voyent remuer & n'auoir nul fejour :
Et le Soleil auffi [contre qui nojlre vue
Reploye fes rayons) de fa part fe remué
Sans arrefl fans repos : & par ainfi les deux
Vont d'efpace inégal s''éloignant par entr^eux,
Encores que durant leur douteufe inconfiance
Ils foyent abfents de nous d'vne égale diflance :
Et toutefois ce Lait, qui trauerfe les deux.
Ne change, ains aparoifl toufiours mefme à nos yeux.
Outre tu poliras voir par la nuit la plus brune, Au tems le plus couuert fans étoile & fans Lune, Vne blancheur de lait treluire fur les eaux Et des étans cropis & des coulans ruiffeaux : Qiii montre clairement que ce Lait fe peut faire Sans les rais du Soleil qui n'y efl neceffairc : Que peuuent fes rayons fur les noflres la nuit Lors que deffous nos pieds à Vautre monde il luit?
Mais le grand Arifîote vne caufe a trouuee, Qiii n'efl mefme des fiens pour certaine aprouuee : O rare & merueilleux efprit, pardone moy Si fofe en cet auis me débander de toy, Quand tu dis qu'il fe fait ainfi que le Comète Formé de la vapeur à quelque aflre fujete, Et que cela qu'on voit fur vne étoile, il faut Le penfer fait enfemble à plufieurs de là haut. Or fil e/loit ainfi, pourquoy telle aparance Ne fe fait elle ailleurs, auec la concurrance Et des aflres épais & des propres vapeurs Pour y tacher le Ciel de pareilles blancheurs? Si deffous vne étoile elle fe peut bien faire, Pourquoy en diuers lieux ne luit-elle ordinaire, Oit les aflres ferre:{ en des monceaux touffus D'y répandre ce lait ne feroyent nul refus?
Donques nous penferons la ceinture Laitee Au cors Etherien d'ailleurs eflre ajoutée,
DES METEORES. 3l
Ou du nombre infini des étoilles que Dieu
Voulut amonceler pefle-mcfle en ce lieu,
Qiii ont fi peu de cors que nofire foible vue
Nulle d'elles à part n'a jamais aperçue,
Mais toutes leurs clarté:^ confondans leurs rayons
Raportent la blancheur du Lait que nous voyons.
Ou peut efire l'Olympe en fa grande vouture Efi par certains endroits de diuerfe nature, Efiant plus rare ici & plus épais de là, Et la fource du Lait viendroit bien de cela : Pource que la lueur des étoiles fortie Brilleroit redardee en Vépaiffe partie, Corne quand le Soleil enfiamme de fa feur Par fa pure clarté la maffiue epeffeur.
Sous le figne du Cancre vne ofcurité fombre Noirciffant dans le Ciel toufiours et and f on ombre : C'efi du lieu la nature : & fi le Ciel ici Blanchit plus qu'autre part, c'efi fa nature auffi.
Ie chantay iuf qu'ici, meu de gloire louable A m'ombrager le front d'vne branche honorable , Deffous Charle neuuieme : Et j'auois entrepris Acheuer la chanfon, quand d'orage furpris {De l'orage ciuil forcenant par la guerre), le perdi cœur & voix : corne fous le tonerre Eclatant dedans l'air, le Roffignol du bois En la verde faifon tronque fa douce voix.
Que puiffe mon bon Rov de faueur libérale Ranimer ma parole : & fa vertu Royale Croiffant auec fes ans, tenir fes ennemis En auffi grand' frayeur, qu'en feurté fes amis.
FIN DV PREMIER DES METEORES.
PREMIER LIVRE
DES POEMES
PRESAGES D ORPHEVS SVR
LES TREMBLEMENS DE TERRE
A lAN DE BELOT.
Belot, à qui l'amour de la Mufe atrayante A peu faire oublier la Gironde ondoyante Au gyron de Tethys, & V agréable foin De ta chère viaifon, pour fen venir bien loin Sur les riues de Séné aquerir Vacointance De plus rares efprits, ornement de la France : le ne pourroy fouffrir , que Veyi ailles reuoir Ton haure de la Lune, & les tiens, fans auoir Vn don qui Jlatera la iufle déplaifance De ton époufe aimée, S- pour ta longue abfance Mollira fes regrets, alors qu'elle verra Des Mitfes le prefent, qui nouueau luy plera :
lean de Baif. — II. 3
D/\. PREMIEK LIVRE
Prefent que ie vous donc, où fouchantre d'Orfee le dy rame des vents dans la terre étoufee, Cherchante vn foupirail aux tremblis qui fe font Sous les manoirs marins tels que les vôtres font. Et poffible contant les merueilleux prefages Qiie ie va rechanter, voire entre les plus fages Te feras admirer, qui de merueille épris Diront bien de Baif dont tu les as apris.
Ramentoy donc ces vers, quand iu voudras aprendre Si les hommes deuront eur ou maleur atendre, Lors que le hocheterre Neptune aux cheueux pers La terre ébranlera de mouuements diuers.
Quand le Soleil etitrant la toi/on printannale Du mouton d'' or fera la nuit au jour égale, Si la terre de nuit fent le coup du Trident, De rebelle cité c'ejl vn figne euident. Mais fi c'efï en plein jour, effroyable il adrejfe Vn domageux méchef fuyui de grand'' detrejfe Qiii court impétueux fur le peuple ejt ranger Par la cité qui veut fes iniures vanger.
Si c^efioit, quand Titan dedans le Toreau monte, QiCelle tremblât de nuit, le bien le mal fur monte : Le bon-eur chajfera la trifle auerfité : love & paix floriront par Vcureufe cité. Mais fi c'eftoit de jour, d^vne guerre bien forte Les fieres fadions à la ville elle aporte, Pour tous les plus puijfans : donc il faut regarder A munir la cité, afin de la garder.
Mais fi, quand le Soleil fous les lumcaux repajfe. De tremblement nuital la terre nous menajfe, Les ennemis arme^ nos gens outrageront, Et gâtant le pais nos chams facageront. Scelle tremble de jour, alors par la prouince, Tous les plus grands Seigneurs & le fouuerain Prince, Par le courroux vangeur des Dieux leurs eyinemis, Seront de leurs honeurs honteufement démis.
Mais, lors qu^Hyperïon marche fous V Ecrniiffe Grimpant le haut fomet du chaleureux Solfiice,
DES POEMES. 35
Si la terre tremblait, £■ que ce fût de nuit. Quelque fâcheux maleur ce grief prefage fuit. Fuye:{ les trifïes maux de la fale chetiue Honteufe pauureté ! Si de jour il arriue. Il dénote du mal par des rebellions, Qiti perdent les Cite^ & gâtent les maifons.
Si durant que Febus dans le Lion chemine La terre fe mouuoit, de nuit fer oit un figne De dueil, plaintes & pleurs pour toute la cité : De jour il prédirait la même auerftté.
Si quand le grand flambeau dejfous la Vierge paffe, Le tremblement fe fait J'ur le foir, il menace Les peuples de famine : & fi de jour il vient, Sur les fruits de la terre vn grand domage auient.
Mais fi, lors que Febus dans la Balance ordone La nuit pareille au jour en lafaifon d^Autone, Neptune la mouuoit fous l'ombre de la nuit, Il menajfe les fruits que la terre produit. Et fi c'efl en plein jour, cela nous atnonefle Des dures faxions de guerre qui f'aprefle : Et la plus part de ceux que Mars jy conduira, Abatus fur le champ la terre couurira.
Si lors que le Soleil par le Scorpion paffe De nuit vn tremblement de la terre fe braffe. Les œuures des humains vainement entrepris, Manques demoureront par leur mauuais auis. Et pu f émeut de jour, lors alors il reuele A plufîeurs force maux par la guerre cruelle, Q.ui les deffeins mortels viendra précipiter, Le tout par le confeil de ce grand lupiter.
Mais fi, quand Apollon tournera fa lumière Au Cartier de l'Archer, le Dieu Perfe-criniere Par la nuit f en venoit les terres émouuoir, C'efl vn figne de maux oit beaucoup doiuent choir. S'il aparoifl de jour, il dénote au grand Prince, QuUl faudra que laiffant fa terre & fa prouince , Son fceptre, & fa courone & toute dinité, Il s'en aille étranger en vne autre cité.
36 PREMIER LIVRE
5/, lors que le Soleil du frilleux Cheure-corne Au retour hyuernal fur nos manoirs retorne, Neptune s'en vcnoit d^vn fovjle véhément De la terre élocher le maffif fondement. Et que ce fût de nuit : Ce font guerres & larmes, Et la fedition metra le peuple en armes. S'il auenoit dejovr, c'efl figne, que les fruits Seront du mauuai^ tems degâte:^ £■ détruits.
Mais fi, quand du Verfeau le Soleil nous éclére, De nuit la terre tremble, à la ville il declére Sac, perte de maifons, outrage, Idclielé. Si c'efl de jour, l'état demeure en fauueté.
Si, lors que le Soleil fous les deux Poiffons erre, Durant Vofcure nuit, le tremblement de terre S'éleitoit furfaillant, alors dans les cilCy Par tout s'emouueront les troubles fufcite^. Maisji c'efloit de jour, aux villes & villages Vne mortalité feroit de grands dommages. Aux troupeaux bien nourris des moutons & des bœufs Gros S- menu bétail par les pâtis herbeux.
VIE DES CHAMS5.
Si ce n'étoit qu'après cette mortelle Nous attendons vne vi2 éternelle, Amy Neuuillc, & n'étoit l'affeurance De noflre foy qui nous done efpcrance De viure mieux en va plus heureux monde Où nul ennuy, mais tout plaifir abonde, le maudiray la marâtre nature De m'auoir fait nêtre en la race dure Des maleureux pauures & foibles hommes,
DES POEMES. 3/
Qui plus chetifs que nulle bejle fommes. La nature a doué dés leur nejfciice Aux animaux leur arme & leur defance : Les vns la corne, aucuns ont la vitejje, D'autres la paie, & d'auires s'on les blejfe Frapent des pieds & deuant & derrière, Aufiuns dentu^ d'vne mâchoire fiere Claquent; leurs dents. Ils ont contre l'injure Du tems diuers v,ie épejfe fourure : Et sont ils nés? La plus grande partie Trouue à fes pieds de quoy nourrir fa vie. Mais las! tou-nuds & fans armes quelconques Nous rechignons en naiffani, defadonques Montrant fenlir par nos cris lamentables Que nous naijfons pour viure miferables Humant cet air. La pauure gent huméne Ne fe nourrit qu'en fueur & qu^en peine. Nature non ne nous a pas fait être Mieux fortunés pour nous auoir fait nétre De la raifon ayans Pâme pourvue, Qiie par trop cher elle nous a vendue.
Des Animaux la race moins chetiue Que n'efl la nôtre, [àfon mal inuentiue De mille foins) autre foin ne fe donc Que l'apetit que fa nature ou bone Ou bien mauuaife ainfi quelle ejl encline, Luy a doné : mais la raifon maline Qui nous gouuerne, outre ceux de nature Dix mille maux encore nous procure.
Nous faifons casfi quelcun eiernuè, Pour vnfeut mot nous auons l'ame emué, Vnfonge vain en dormant nous effraye, Nous palifj'ons du cry d'vne Fre:{aye. Les vains honeurs, les fottes bigotifes, De plus grands biens les pâlies conuoitifes. L'ambition que rien ne reffafie. Des fens trouble^ la fauffe fantafie, Et les rigueurs des loix qui nous étonnent,
38 PREMIER LIVRE
Ce font les maux que les homes fe donnent
Par leur raifon, outre ceux dont leur vie
De fa nature efl troublée & fuiuie.
C'efl tout malheur que la vie de Vhome,
Que fa Raifon ronge mine & confome.
En quelque état que le chetif s^employe
L'ennuy le fuit : >tuUe bien nette joye
Il ne reçoit : Mais fi Vhome peut efîre
Heureux, il l'efl en la vie champefire.
O trop heureux ceux qui par les chams viuent
S'ils conoiffoient tous les biens qui les fuiuenti
De fon bon gré la bonne & douce terre,
Bien loing bien loin des troubles de la guerre
Tout ce qu'il faut pour leur vie raporte.
Tous les matins s'ils n'ont deuant leur porte
De courtifans vne importune preffe,
S'ils n'ont maifons d'ecceffiue richejfe
Qiii foyent dedans & dehors réparées
D'euures exquis & moulures dorées
Et de tableaux & de tapifferies :
S'ils n'ont abits couuerts de broderies
De chaifnes d'or & pierres precieufes.
Ils ont pourtant les délices heureufes
Du doux repos loin d'ennuy loin de peine.
La vie ils ont que fans fraude on demeine,
Qtii par les chams de diiiers biens abonde.
Au vif four g e on ils puifent la clere onde,
Ils ont des rocs les cauernes moujfues
Et la verdeur par les riues herbues.
Bêler aux chams les doux moutons ils oyent,
Les bœufs mugir, paitre aux chams ils les voyent,
Et vont dormir s'il leur en vient enuie,
Alt bruit des eaux qui au f orne il conuie.
Dedans leurs bois ils ont befles fauuages,
Et les oy féaux nichent dans leurs bocages.
Laffer filets efl leur plus grand finejfe.
Dedans les chams la modefle jeuneJJ'e
Acoutumee à la peine fe paffe
DES POEMES. 39
Au peu qu'elle a, ny jamais ne fe laffe. Sans trahi/on, fans bigotife feinte , Dedans les chams la religion fainte Se garde entre eux. Dame luflice, alheure Qu'elle quita des terres la demeure, Volant des deux à la voûte étoilee, Print dans les chams fa dernière volée.
Mais tout premier les Mufes amiables, Dont ie pourfui les fegrets vénérables, Etant épris d'vne afexion grande, Degnent fur tout m^auouer de leur bande, Et m'enfeigner les ajlres & la voye Des cieux tournans, & quelle caufe enuoye Au foleil manque & fa feur non entière En certain tems défaut de leur lumière. Doit peut venir le tremblement de terre. Que c'efl qui fait que Neptune defferre Enflant fa mer, les ondes éleuees. Qui noyent tout & rompent les leuees. Qui fait après que la mer fe retire Dedans fes clos & plus loin ne va nuire. Qui fait riiyuer que fi tofî le jour plonge Dans l'Océan, pourquoy la nuit s'alonge : Pourquoy l'Efié le jour plus long tems dure, Et qui les fait d'vne égale mefure. Mais fi monfang tenant trop de la terre L'efprit groffier me delenoit en ferre. Tant qu'il ne peufl ces beaux difcours aprendre, Ny les raifons de nature comprendre, Sur tout les cliams & dedans les valees le chercheroy les fources recelées. Loin loin de bruit j'aimeroy les riuiercs Et les forefis : & ne me cliaudroit guieres Des grands honneurs. O qui dans les campagnes Oit court Sperchie, ô qui dans les montagnes. Oit folâtrant les Lacenes pucelles Au chaud du jour liaient leurs faces belles. Me viendra mètre, & dans vn verd bocage
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Me couuvira d'vn large & frais ombrage!
Heureux celuy qui a bien peu conoijire De chaque chofe €■ les caufes & l'être : Qjii foule aux pieds toute peur effroyable, Et le defl'tii qui n'efl point exorable, Et le vain bruit d''Acheron qui fçait prendre Tout ce qui vit pour jamais ne le rendre. Heureux auffi celuy la qui reuere Les Dieux des chams, Pan, Syluain le bon père, Paies. Pomon, les brunes Oreades, Les fraîches fsurs, & les moites Najades.
De voir des Rois celuy la ne s'effroye, Ny de leur guerre & difcord ne s'émoye, Ny du grand Turc ny de fes entreprifes, Ny des Cite^ qu'aux Hongres il a prifes. Il n'a douleur voyant la trifle vie Du foufreteux, & fi ne porte enuie A vn plus riche. Aife il fe reconforte Cueillant les fruits que fon vergier raporte, Et que fes chams de leur bon gré luy donnent. Les Prefidents d'vne court ne l'étonnent, Ny leurs huiffiers, ny toute leur cririe, Qii'il n'ouit onc ny ne vit de fa vie.
Les autres vont fur mer, ou deffus terre Pleins de furie ils s' entrefont la guerre. Qui fait la court aux Rois, gui veut deffendre Vne cité qu'il eft contreint de rendre : Et qui Vaffiege afin qu^ayant la ville Il face vn riche apauuriffant vingt mille. L'vn palijfant de grans trefors amaffe Que le voleur toufiours toufiours menaffe. Vautre forgeant des faux témoins acufe L'home de bien, & par méchante rufe Il le contreint luy doner vne place, Pour luy aider à recouurer fa grâce D'vn Roy tout bon duquel il a l'oreille. Vautre creignant ce qu'on luy apareille, Aime trop mieux s'enfuyant à V Enuie
DES I» O E M i: S .
Quitter fes biens que de perdre fa vie.
Le laboureur a til fait fa femance,
De là de l'an tout le labeur sauance,
Il entretient de là tout fon ménage :
Pour f on bétail de là vient le fourrage,
Et tout du long de Van n^a point de ceffe
Qu^il n'ait toufiours quelque fruit qui le preffe :
Ou fes fruitiers ont les branches chargées.
Ou bien fouuejit fes portières enflées
De nouueaux fruits rempliffent les etables.
Ou de Cerés les prefens profitables
Couurent les chams de planté ft étrange
Que les greniers en rompront & la grange.
VAutonne ejl il? la vendange fe foule,
Le moufi fumeux épreint des pieds s'écoule,
Le vin cuué dans les mui^ on entonne,
Et quand il a bouilli on le bondone,
Pour puis après aux caues le defcendre.
Ou aux marchans de la ville le vendre.
L'hyuer vient il? Les noix lors on enoule,
Et l'huile etreint hors de la preffe coule.
Les pourceaux gras retourne^ du glandage
Sont egorge:(, & mis pour le ménage
En des faloirs durent plus d^vne année,
Et font trouuer meilleure la vinee.
En cependant la petite jevneffe
Se pend au cou de fon père, & le preffe
De la baiser. La chafleté louable
En fa maifon fe garde inuiolable.
Leurs vaches ont les pis jufques en terre
Creuant de lait, qu^en terrines on ferre.
Puis on en bat le beurre de la crème
Et le fourmage on preffure du même.
Force volaille au paillé fe repeffent,
D'autres auffi dans les mués s'engreffent.
Et les cochets regliffent leurs plumages
S'entrejoutans dans la court : aux herbages
Les moutons gras des cornes s''entrefrayc:-t
y
42 PREMIER LIVRE
Et bondi/fans fur la terre s'egayent.
Aux jours fejle^ la jeunejfe champejlre Paffe le tems à mille jeux adejlre, Ou dans vn pré joué à la longue paume. Ou dans le bourg fur vn rabat de chaume, Ou dans la bute on décoche la vire De Varbalétre, ou la flèche Ion tire Entefant l'arc pour le pris qui demeure A qui aura choifi d^vne main feure Le papegaut dejuché de la ftme D^vn haut noyer, & qui aura l'ejiime Du mieux tirant, tant que chacun le prife Pour ne faillir à fraper ce qu'il vife. Aucune/ois on s' et and à la courfe Non fans le pris qu'vn bon vieillard debourfe : Aucunefois à la lutte on s^epreuue, Et pour gagner mille rufes Ion treuue, Oîi bien-fouuent le plus fort, qui renuerfe Son compagnon, s'abat à la renuerfe. C'était icy la manière de viure Qj{'au tems jadis nos ayeux fouloyent fuiure, Vn peu deuant que le Tyran de Crète La roiauté de fan père eitji defféte, Lors que Saturne entretenait en terre L'âge doré : lors qu^encores la guerre Ne fe nommait, ny encor les efpees Ne fe forgeoyent fur V enclume frapees, Ny ne tonoyent lors les artilleries . Qu'a inuenté la pire des furies. Afin qu'euffions noflre foudre en la terre Ainfi qu'au ciel les Dieux ont leur tonnerre.
DES POEMES. 4:)
LE LAVRIER.
A MONSIEVR DE FIZES
Secrétaire d'Eftat.
I L me plaiji, Mufe mignonne, De lacer vne couronne De vojlre rameau chéri, Qtie vojire fainde main donne Au chef de vous fauori.
Or qu''oyfif ie me promeine Echeuant la chaleur vaine De l'ajlre Erigonien, le veu faire vn chant fans peine Sous l'ombrage Daphnien.
Sous ce Daphnien ombrage Mettons en oubli la rage Qui de Maflin me vengea, Quand mon forcené courage Contre luy fe dégorgea :
Et d'vne chanfon plus douce Au frapement de mon poulce Accordon. Mais quel fera Le trait, qui vuidant ma trouce Sur mon arc s'encochera?
lettant l'œil à la trauerfe Mainte chofe bien diuerfe Cà & là ie puis trier, Mais rien mon ame ne perce Si bien que fait ce Laurier.
Ce Laurier que de fa dextre, FizES, le vertueux maiflre De ce jardin, a planté
44 P R E M I !•: K L I V R E
Près ce pourmenoir, pour cjlre Rampar encontre Vejlc.
Quelle louange première, Qiielle féconde ou dernière, Laurier, te puis-ie donner. De ta branche couronniere Méritant me couronner?
Laurier, de qui toufiours dure La fueilleufe couuerture, Que, ny des vents la rigueur Ny la glaçante froidure Ne deuefï de fon honneur.
O gaye, ô bien-verte plante
L^honneur des bois ie te chante : Sur tous arbres des forefls, Ta gloire d'autant ie vante Qu'vn pin pajfe les genefls.
Toy maintenant plante ornée De verds rameaux, ô Daphnee, Verdoyante icy, jadis • Fille au Theffalois Penee Tous amans tu efcondis.
Bien que ta beauté contraire Maint amant te puiffe attraire. Qui tes nopçailles pourfuit, Et bien que ton bénin père A l'alliance ne nuit :
Te difant fouuent, Rebelle, l'auray, fauray, fille belle, Vn beau gendre fi tu veux : Si tu n'es à tous cruelle l'auray de toy des nepueux.
Mais toy comme vn grand outrage Haiffant le mariage, Ton doux père tu blandis : Et vermeillant ton vifage De grand fimpleffe, luy dis :
Donne moy père amiable
DES POEMF.S. 45
D'vne chajîeté durable Pouuoir jouir : de ce bien Ma Diane inuiolable Ne fut dédiâe du fien.
Bien ie le veu {dit Penee)
Bien que ta beauté mieux née Empefche ce que tu veux, Bien que de grâces ornée Toy-mefme tu romps tes vœux.
Daphné ayant fa demande Se combla de joye grande, Et fon deflin ne penfant, En la Dianine bande Par les forefls va chajfant.
D^vn nœud f es crins elle lie, D^vne blanche furquenie Hault trouffee elle fe vefl : L'arc au poing elle manie, Broffatit dedans la forefi.
Vu jour la Nymphette laffe Du long trauail de la chaffe D^vn cerf long tems maumenê, Des Nymphes perdit la trace Dans vn vallon détourné.
Là fous vne roche viue Vne fontaine na'iue Auec doux bruit ondoyant, Auigouroitfur la riue D'herbe vn tapis verdoyant.
De coudres vne courtine Deffendoit l'onde argentine Contre le midy bruflant, Et la verdeur Printannine Contre l'efié violant.
Lors efioit la mi-journee. Lors par toute la vallée Les grillons criquoyent au chaud Lors efioit Vombre efgalee
46 P R E M I P: R L I V R E
Sous le Soleil le plus hault :
Qjtand Daphné fuante & vaine Cherchant repos à fa peine Le ruijfeau vint approcher, Et dans la frefche fontaine Son afpre foif ejlancher.
Là prend dtvn coudre vne branche, S'agenouille, S- puis fe panche Sa bouche adioujîant fur l'eau : Et fa foif à-mefme efîanche Au clair coulant du ruffeau.
Quand fa foif elle eut efleinde
Guidant efïre en lieu fans crainâe De tout dommage eflranger, Dormant elle fut contrainde D''attendre là fon danger.
Son arc du long d'elle pofe : Son chef fur fon bras repofe : Son carquois fert d'oreiller . Bien tofi fa paupière clofe Va doucement fommeiller.
Là s'eflendit auprès d^elle Vne barbette fidelle Qui tout par tout lafuiuoit, Don que Diane pucelle Premier doyiné luy auoit,
Ainfi dormoit la Nymphette Sous la verdure fraichette, Quand Apollon de fon œil Qiii voit tout, ardent la guette Soufpirante vn doux fommeil.
Peu-à-peu il s'en approche : Sur vne voifine roche Premier ilfurattendit : Puis la defirant, plus proche lufques au val defcendit.
Daphné par V ombre fueilluè Il apperçoit eflendué :
DES POEMES. 47
Et fi tojl qu'il Vappej-çoit, Dans fa poiâvine efperdué D'amour la flèche reçoit.
De plus en plus dans fon ame S'accroijl V amoureufe flame. Qu'à peine il peult maijlrifer : Tant de grâces de fa dame Viennent fon cœur attifer.
La pauure fAle innocente, Tandis à luy ne penfante Dans luy darde mille traiâs, Qii^àfon grand mal cognoiffante Elle doit payer après.
Soit que lentement repoiiffe, Tirant fon haleine douce, Ses tetins, comme en repos La Zephirine fecouffe Meine à riue les doux flots.
Soit que fous l'aure mollette, Sa cheuuelure volette, De qui Vor clair blondiffant EJleint de fa lueur nette Son carquois fe paliffant.
Soit qu'vn coufin l'entr'éueille, Baifant fa joué vermeille Par grand amoureux defir, Quand d'vn ris plein de merueille Elle entrerompt fon plaifir.
Soit que deffus l'herbe verte Sous la vejlure entrouuerte, Cherchant la fraifcheur à nu, Sa cuijfe elle ait decouuerte, Tendant fon jarret charnu :
Decouurant peu vergongneufe. Ou plujiojl bien peu foigneufe, Le marbre blanc arondi De fa hanche vigoureufe D'vn embompoinâ rebondi :
4^ PREMIER LIVRE
Ne le /cachant mille flèches, Mille amolli eufes flameches Au cœur du Dieu dardillant. De mille amoureufes mèches Ses veines liiy va grillant.
Tandis le Dieu raui pâme Et d'vne croiffante flâme Se laiffe ardre peu-à-peu, Receuant dedans fon âme Les amorces d'vn grand feu.
Coynme quand la Jilandiere, Qui pauurement mefnagere Vit du labeur de fa main, Depefche fa tafche entière Pour la rendre au lendemain :
D'vn ti^on qui fous la cendre Efloit mufjé fait éprendre Vn feu pour luyre la nuiâ, Q_u''on voit en vn rien s^eflendre Auec vn pétillant bruicî.
Par les flambantes bufchettes, Qii^à coup il rend fes fubjettes, Fait grand d'vn petit ti:^on, Il remplit l'air de bluettes, Et de clarté la maifon.
Ainfi l'ardeur efpandué
Prend prend plu/grand' eflendué Dans le bruflant Apollon : Amour fon ame a rendue Serue d^vn bra:{ier félon.
Il ne peut plus furattendre, Mais pourpenfj de furprcndre Daphné qui belle dormoit. Mallement fy feit prétendre Le feu qui te confumoit !
Dieu cruel que veux-tu faire? Oit guides tu ton affaire? Ne te preuois tu confus,
DES PO KM ES. 40
Pour ofer ainfi défaire Celle que tu aimes plus?
Q il font les trépieds de Clare, Les deuinoirs de Patare Où. tu deuines de loing, Qiiand ce qui efl près s'efgare De ton efprit au befoing?
Non, ta defhonnefle enuie Ne fera pas ajfouuie, Si par vn cruel plaifir Perdant de Daphné la vie Tu yi'affouuis ton defir !
Que ferions nous race humaine Contre Vamoureufe peine. Puis que ce fçauant deuin Y fent bien fa force vaine, Perdant f on fçauoir diuin?
Apollon brufle & f'auance :
La chienne oit comme il s'eflance Froijfant des coudres le fort : Elle aboyé à fa prefence, Et la Nymphe defendort.
Auffi tofl qu'elle l'aduife Se leue, à courir s' efl mife, Franchit ruffeaux, €■ s'enfuit, Gaigne le bois : fon emprife Le Dieu forcené pourfuit.
Il la fuit : mais la chetiue Haftefa courfe fuitiue. En vain Diane appellant D'vne clameur, las! oifiue Contre vn Dieu fi violant.
Plus foudaine qu^vne vire Deuant fes pas elle tire, Efiant fourde à tous propos, Qu'Apollon hy puiffe dire, Pour tenir fes pieds difpos.
Nymphe demer-" {i' h'.y crie) lean de Baif. — Il
50 PREMIER LIVKE
Demeure, tu n'es fuiuie D'vn qui te foit ennemy: Hé! demeure te te prie. Ne me fuy moy ton amy.
Ah! vioy chetif que Vay crainte due ta peau ne foit atteinte, Qjii ne l'a pas mérité. Et que fur moy foit la plainte jyvne telle aduerjité !
La part oii tu fuis, maijlreffe,
Ce font lieux tous pleins diapré ffe Va ie te pry lentement. Tien toy, ie tefay promeffe Te fuiuir moins vijîement.
Toutefois vueilles cognoijîre, O Nymphe, qui ie puis ejlre, A qui tant plaifent tes yeux : le nay coujiume de paiflre Les troupeaux entre ces lieux :
le ne fuis berger : mais mienne EJl la terre Delphienne, Mienne ejl celle de Delos, Mienne eft la Patai-ienne, Et Claros & Tenedos.
le fuis, ôfang de Penee Le Dieu à qui eft donnée La louuence, éternel don, Et jamais la barbe née Ne fait rude ce menton.
Le Roy des Dieux eft mon père, Par mon art la chofe à faire. Qui eft faiâe, & qui fe fait Diuinement fe voit claire Ains quefortirfon effed,
Oeft moy qui fçay la nature Et des herbes la meflure. Ha, que par le jus efpreinâ Des racines, ne fe cure
DES POEMES. 5l
La playe qii^amoiir empreint!
D^en dire bien plus il penfe : Mais la Nymphe qui s^élance Comme vn cheureul bondijfant, De loing fon chaffeur deuance, Halliers à bonds franchisant,
Et luy coupe Ja parolle. Mais luy d'vne ardeur plus folle Dont fa courfe s' enflammait , Vifte comme le vent vole Apres celle quUl aimoit.
En fuyant à la pucelle
Son crin, qui d'or efiincelle, S^efloit lafché de fon nœud, Et comme en l'air il ven telle De Pâmant accroifi le feu.
Le vent qui contre elle donne Dans fa veflure s'entonne, Laquelle au fuitif mouuoir Les jarrets nuds abandonne, Sa chair blanche laiffant voir.
Cefîe gracieiife fuitte Encourageoit à fa fuitte Le jeune Dieu chaleureux, Hafîant fa courfe conduiâe Sous l'efperon amoureux.
Comme vu leurier de Champagne Qui court le Heure en campagne, Dont l'vn viuement pourfuit, A fin que fon gibier gaigne, L'' autre pour fa vie fuit. Fuit, & fuiant ne s'affure : Tofl atteint de la morfure, Tofl repris, tojl échapé D''vnefuiarde gliçure Coule fans eflre hapê. Apollon & la pucelle
Sont douteux en peine telle :
D2 PREMIER LIVRE
Liiy pour Vefpoir de fon heur Hajlant fa cour/e : mais elle Pour le Joing de fon honneur. Toutefois celuy qui preffe
Court de plus grande alegreffe Qiie Vautre qui fuit deuant, Amour aiflant la viteffe Du jeune Dieu pourfuiuant. Tant foit-peu ne V abandonne, Mais la chaffe, & ne luy donne Vn feul montent de repos, Ains de près de fa mignonne Fuiarde preffe le dos. Comme courant il halette. Le crin de Daphne volette Et folafîre fur fon vent : Et de fa touffe blondette Safueur torche fouuent. Tant le Dieu la Vierge meine, Qiie recreuê de la peine Du pais rude & du chaud, Ne peut rauoir fon haleine, Et prefque le cœur luy fault. Qiiandfa force fut faillie Soudain la Nymphe bief mie {Tournant les yeux vers les flots De fon père) à voix demie Hors de foy tire ces mots. O perc, ô aide moy, père : Ma beauté que tropfen plaire, O terre, en m'endommageant , Ou dans toy vien la retraire. Ou la pers en me changeant. A peine de fa prière
S'acheuoit la voix dernière, Que f es membres alourdis De raideur non coujlumiere Daphné fentit engourdis.
DESPOEMES. 53
Vnc tenante pavejfe De racines déjà prejfe Ses pieds dans terre perclus, Qiti de fi prompte vitejfe Fuyoyent nagiiiere Phebus.
L'écorce des la racine
Luy monte fur la poiârine, Et fait verdir à la fois Celle charnure negine, lufqu'au conduit de la voix.
Acoup fa vermeille face
Sous mefme verdeur s'efface, Et rien ne luy rejle fors Defon teint poly la grâce, Qin luit aux fueilles dehors.
Ses bras en branches s^ejlendent, Ses doigts en rameaux fe fendent, Ses blonds cheueux fepare:^ En des fueilles vertes pendent. Et ne font plus fi dore^.
Elle efï Laurier : le Dieu baife Les rameaux, & fon mefaife, La vaine écorce accollant, Pour lors comme il peut appaife, Auec dueil ainfi parlant.
Tu aimes donc mieux, Rebelle, Perdre ta face tant belle, Et de cefl arbre vejlir Ainfi Vécorce nouuelle Q.u^à mon amour confentir?
Mais l'aduanture forçante, Qiii ne permet qu'on te vante Mon amie à cefle fois, N'empefchera que ma plante Diâe à jamais tu ne fois.
Touftours, Laurier, ta fueillce Ma perruque enuironnee De fa branche honorera,
54 PREMIER LIVRE
Et ma harpe entortillée, Et ma troujfe parera. Tu feras de la vidoire Et la couronne, & la gloire, Quand le vaincueur pour guerdon De folemnelle mémoire Receura ta fueille en don. La brigade Piéride
Des fœurs, dont ie fuis le guide. Qui tes rameaux aimera, De la fource Pegafide Les eaux encourtinera : Et qui de ta branche verte N'aura la tefle couuerte, Voulant boire de leur eau. Ne trouuera pas ouuerte La fente au diuin ritffeau : Mais qui de tes fueilles faindes Portera les temples ceindes. Le Deuin qui tentera De Morphé les vrayes feindes Ta branche au ffi portera. Et bien que de fa tempefie lupiter frape le fefle Des haults fapins verdoyans, Si ne doit craindre ta tefle Ses tonnerres foudroyans. Comme ma tefle immortelle Porte vne perruque belle Qui ne fe coupe jamais, Ta fueille toufiours nouuelle Soit verdoyant déformais. Il dit ainfi : mais ingrate Tu ne fens pas qui te flate, Celle Daphné tu n^es plus. Dont la beauté délicate Rauit le cœur de Plicbus. Tu n'es plus rien qiCvne plante,
DES POEMES.
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Et de ta beauté plaifante Rien ne te demeure, fors La lueur encor luifante Au verd des fueilles dehors.
Laurier, le beau Dieu fans barbe, Le Dieu qui porte en efcharpe L'arc & le doré carquois, Et la doii-bruiante harpe, Te garde, ô l'honneur des bois
A fin que d'vne couronne De ta branche j'enuironne Mon chef à Phebus voué : Et que chantant je guerdonne L^honeur de Fizes loué.
Nul ne fuit plus la malice
S' accompagnant moins du vice. Nul ne fuit mieux l'équité, Nul n'efl amy plus propice, Plus aimant la vérité.
FIN D V PREMIER LIVRE DES POEMES.
LE SECOND LIVRE
DES POEMES
A MONSEIGNKVR LE CONTE DE RETZ
Ne croy que le vers que je chante, Moy qui boy de l'eau dou-coulante Dont la Seine abbreuue Paris, Pour ejlre joué fur la lyre, G o N D Y , foit de fi peu de pris, Qiie du dard qu'enuievfe tire La fiere mort il ne s'exemte.
Non, fi des Mufes la brigade Me guigna d^vne bonne œillade, Qiiand ie donny fous leurs lauriers, Et quand j' eu d'elles affeurance De marcher au ranc des premiers. Me permettant parmi leur dance leune encor nieller ma gambade.
58 SF.COND LIVRK
Mes chanfons non mourir ne doiitenî . Si les belles ne me deçoiuent : Mais immortellement viuans Doiuent moujfer la faux rebelle Du tems par les âges fuiuans, Quand déjà d'vne gloire belle Moy viuant honneur ils rcçoiuent :
Et les noms que ma Mufe chère Vaincueurs du fiecle voudra faire Viuront aux grâces de mes vers : Mais fur tous d'vne clarté nette Tes honneurs luiront decouuerts, Ainft qu'vn rayonnant planette Sur les menus afîres éclaire.
Celuy ne fuis qui des pucelies D'Helicon les richejfes belles Va prodiguement répandant. Voire au plus ingrat par la France, Le pris de tels dons n'entendant : O par trop facrilege offenfe. De profaner faindete\ telles!
Non ne foit dit qu'ainfi je donne Mes dons à l'ingrate perfonne, Ne foit dit auffi que je fois Ingrat à qui bien les mérite, Faifant prcuue aux yeux des François Qiie la libérale Charité De loing la Mufe n'abandonne.
Sur tous ma Mufe fait efiime DuJ'age. qui difcret ejUme Ne Je laiffant pas abufer A ceux qui faulfement s'auouént Des Mufes, alant amufer Les pauurcs ignorans qu'ils louent Bëans après leur vaine rime.
Rauaudeurs d'ejîranger ouurage Nont feduit ton iugement fage, Quoy que les ignora)}s comme eux
DKS PO KM ES. 5q
De leurs vaines chanfons s'ejlonnent, Et qu'à leurs ouurages fumeux Ainfi qu'aux plus exquis ils donnent Dans Parnajfe vn mefme auantage.
Mais à qui lia l'oreille faine
Aiufi que toy. leur chanfon vaine Auprès d'vne exquife clianfon, Semble la rane qui coajj'e Contre le roffignol mignon. Ou bien le corbeau qui croajfe Contre la voix d'vne Serene.
De ceux-cy Vvn par noflre France Ammantele fon ignorance D'vn veflement tout rapiécé, S'égayant en l'autruy plumage, Et folement aux fens blecé, Trop prefomptueux s'encourage En fon aueugle outrecuidance,
L'vn, mafqué d'aparence belle, De mille vains mots emmielle, En rimes coulans doucement, De l'écoutant la fimple oreille, Qiii pafmé d'ébahiffement De ce qu'il n'entend s'emerueille. Et Prince d'Helicon l'appelle.
U autre, fi quelques fçauans trouvent
Vn chant que deux ou trois approuuent,
Penfant gaigner vn mefme honneur,
D'vne feruile fingerie
Imite le premier fonneur,
Et fer t enfin de mocquerie
Aux fçauans qui fes vers reprouuent.
Mais radreffe moy, Piéride,
Et le train de ma chanfon guide Par vnfentier qui foi t tout mien, A fin que droici elle fe range D'vn pied vrayment Aonien, A GoNDi portant fa louange
6o
s li C O N Û L I \' K E
Du miel de vos douceurs humide.
La vertu que Ion tient cachée
EJl comme vue jlamme empefchee Deffous vn brouillas efpefft, Bien peu différent de pareffe. Quand l'honneur demeure obfcurci Sous V oubli'muet qui l'oppreffe, Si d'vn fçauant poulce touchée
La corde qui J'onne la gloire N'en éternife la mémoire : Et fi des neuf Mufes Vouurier En chanfon brauement fonnee Ne fait par le monde crier Sa douce louange entonnée, Luy donnant fur l'oubli viâoire.
Or il ne faut que je permette Qiie ma lyre refie muette A faire entendre ton honneur, Ne que par la pareffe oyfiue, De moy qui en feray fonneur, Ainft l'oubliance chetifue Ta vertu fe rende fujette.
Tu es pourueu d'entier courage, Et d'vn fens également fage. Soit qu^en calme profperité Tu leues ta modefie hune. Soit qu'en douteufe aduerfité Nageafl la nef de ta fortune, Pour te fauuer à bon riuage.
lupiter de main libérale T'a fait vue largeffe égale Des biens du fort & de Vefprit, Et de ceux qui la vie honorent : Mais jamais ton cœur ne s'éprit Des biens que les hommes ado)'ent, Se fouillans d'auarice fale.
Celuy ne fe doit nommer riche
Qui baaille après fes threfors, chiche
DESPOEMES. ■ t)I
Seigneur des biens qui font oififi : Bien que cent bœufs pour luy labourent, Mille champs de greffe moifis, Si les biens Vamy ne fecourcnt, C efl vn bon champ qui ejl en friche. GoNDi, tu as double auantage, Tu as & les biens & Vvfage : Donc ne defire dans les deux, Puis que la Mufe te renomme, T'abreuuer du nedar des Dieux : Tu tiens le hault de Vheur d''vn homme. Si tu règles ton defir fage.
L'HIPPOCRENE.
A M O N S I E V R DE V I L L K K O Y
Secrétaire d'Eftat.
VERS BAIFINS.
r R A N c ie tout vice ne fuis : maisj'ay mis toufiours mon étude De fauuer mon cher honeur du reproche d'ingratitude. Ne pouvant rendre le bien, pour le moins ie ren témoignage Vers ceux qui m^ont obligé d^vn net & candide courage. O ViLLEROv, Toy qui as tant auancé ma panure Mufe, D'eflre mis au premier front de cet ouurage ne refufe. C'efl l'Hippocrene qui doit par tous fes canaulsfe répandre, Pour honorant tes vertus dignes remerciments te randre.
MvsE Royne d^Elicon fille de Mémoire, 6 Dceffe
b 2 s E C O N D L 1 \" J{ K
O des Poètes l'appuy fauorife ma hardiejfe. le l'eu donner aux François vn vers de plus libre accordance Pour le joindre au lut fonné d'vne moins contrainte cadance : Fay qu'il oigne doucement des oyans les pleines oreilles. Dedans dégoûtant jlateur vn miel doucereux à mcrueilles : le veu d'vn nouucau /entier m'ouurir l'honorable paffage Pour aller fur vojîre mont m'ombroyer fous vojlre bocage, Et ma foif defalterer en vojire fontaine diuine, Qiti four dit du mont caué deffous la corne Pegafine, Lors que le cheual aiflé bondit en Vair hors de l'ondée Dufang qui couloit du col de la Medufe outrecuidee, L'aifnee des trois Gorgons, qui d'vn œil commun feferuirent, Et qui jamais vn Soleil enfcmble à mej'me tems ne virent : l^es trois filles de Phorcis, Stenon, Euriale, Medufe, Medufe qui s'auueuglant en fa vaine beauté s'abufe, Bien que mortelle elle fût & fes fœurs ne fuffent pas telles, Elle fujette à la mort, fes fœurs viuantes immortelles : Elle ofa bien à Pallas de Vhonneur de beauté debatre. Mais tojl la vierge guerrière elle & fon orgueil fceut abatre, Faifant d'eW exemple à tous que ceux trop mallcmentméprenent Qiii aux Dieux s'apareiller par outrecuidance entreprenent.
Au pied du grand mont Atlas, près des jardins des Efperides Où reluifoit le fruit d'or, fut la maifon de ces Forcides, Et là fut vne chapelle à la vierge Pallas facree OU Medufe s'abandonne au Roy de la moite contrée : La vierge ne put fouffrir de voir ji f aile paillardife, Mais fa face retournant au deuant fa targue elle a mife, Cachant hors d'vn tel forfait fon chafle rougiffant vifage : Mais d'vn Jî honteux peclié conçoit vne ire en fon courage Digne d'vn cœur de Deeffe : & fait deffus fa te/le impure Crouler en ferpens hideux fon exécrable cheuelure : Outre, fait que qui mal-caut fesyeux de la mej'chante approche Soudain fefentant roidir s'endurciffe en nouuelle roche.
Et non fat is faite encore, en fon cœur enflammé pourpenfe D'apaiferfonfer courroux par vne dernière vengeance, Et par vn mefme moyen honorer fon frère Perfee, Qjie l'Acrifine Danés conceut en pluie d'' or forcée Sous Jupiter dcguifé, bien que fun rude perc Acrife
DF.S l'OF.MKS. ()3
Dedans vnc tour d'erain en garde la pticelle eut mifc : Mais qui pourrait echeuer ce qu'vn Ji grand feigneur dcfire Qu'il ne face fon vouloir, luy qui tient du monde l'empire? En pluie d'or par le tét il fe coule au fein de fa belle, Et deceintc, de fon fang il fait enceinte, la pucelle.
la la Lune par neuf fois auoit monflré fa face pleine. Quand Danésfe defchargea, après longue & tranchante peine. De fon defiré fardeau : La nouuelle en vint vos Acrife, Qiii félon contre fon fang machine vue cruelle emprije, Et fa fille & fon enfant tirer de la tour il commande.
Défia Danés deuant luy à genou pardon luy demande, Elle demande au Tyran pardon, he ! de fon innocence. Non foucieufe de foy, mais de la pitoyable enfance De fon tendre fils Perfâ, de qui le gracieux fourire D'vn Lion le plus cruel eufi peu fléchir & rompre Vire, Et de qui les yeux diuins donnaient fuffifant tefmoignage En fon regard doufferain du Iiaut fourjon de fon lignage.
Lors, comme quand le ferpent furprend au buiffon la nichée Du roffignol bocager, quand à la pafiure cherchée Vole au loin pour abecher fes petis qui feulets pépient, L''oifeaufoigneux reuenu trouue fes oifclets qui crient, Et le ferpent qui drejfé les petis fans plume menace : Tandis l'oifeau fe plaignant deuant fon nid paffe & repaffe. Et ne craint pas piëteux mourir pour fa chère couuee, Qtà en fin auecque luy du ferpent fouffre la hauee : Ainfi pour fon cher enfant la pauure Danés foucieufe Répand des yeux trifies pleurs recriant cefie voix piteufe :
Père, je veu bien mourir, Père, la mort j^ay defferuie. De mourir il ne me chaut, mais fauue a ton neueu la vie: Mon père, viue mon fils, &, fi tu le veux, que je meure : Perdre la vie je veu fi la vie à mon fils demeure.
Mais pour ce ne fe defmeut Acrife de fa felonnie, Ains s^atieuglant de fureur rompt le frein à fa tyrannie : Et, s'il répandait leur fang, fuiant la vengeance diuine, L'abandonne elle & fon fils dans vue caffe à la marine.
la la caffe au gré des fiots vaguait deffur l'onde falee, Et fon cher fils embraffé tenait la mère defolee Plorante vne trifie pluye : & trempant le tendre vifage
64 s 1-. C O N D L I V R F,
De l'enfant qu'elle bai/oit, n attendait qu'vn commun naufrage Au premier vent tempejîueux qui brafferoit les eaux profondes. la le bois auoit flotté loin du bord fur les calmes ondes. Et plus rien n'aparoijfoit fors Veau dejfous, deffus le vuide. Quand Danés dru fanglotant, lauant de pleurs fa face hutnide, Cria fon dernier fecours, ainfi qu'aux dernières defireffes Deffus les flots périlleux, deuers les Nerines Deeffes.
O Deeffes de la mer, filles du bon vieillard Neree, S'il y a quelque pitié fous voflre demeure apurée, A cefle fois monflre:{-la, monflre:{-la fur la pauure mère Et fur fon chetif enfant, de qui lupiter efl le père, lupiter le frère aifné du grand Roy qui tient voflre empire. O Nymphes, ne permette:^ voflre renom fe faire pire : Vous aue^ acquis le bruit d'efire Deeffes pitoyables. Employant voflre faucur aux pauures mères larmoyables. De frais j'en ay pour ttfmoin Jnon de qui les trifl es plaintes Pour elle & fon Falemon vos tendres âmes ont atteintes, Vous les feifles Dieux nouueaux parmy voflre immortelle bande Nymphes, nobles de pitié, nonft grand heur je ne demande. Nymphes, fauue:{-nous à bord, fauue:^ feulement noflre vie.
Ainfi Danés les prioit, & des Nerines fut ouïe : Soudain la race voicy de Doris & du bon Neree, Qiti des eaux pouffoient leur chef oyans la voix de Vefploree, lufque au deffous des tetins decouurans leur blanche poitrine Qii^ elles monfirerent à nù deffus les flots de la marine, Et la caffe tout autour cinquante qu'elles font couronnent.
Comme par la calme mer les daufins en flotte enuironnent, La nef s' égayant d'vn vent qui fait boufer la voile pléne, Les vns Ion voit fe jouer contre les flans de la caréné, Les vns à la poupe vont, les autres deuancent la proué, Grande joye aux Nautonniers, tandis la nefjoyeufe noué : Les Néréides ainfi près la canoué s'amafferent, Et çà là la coufloyans dedans les filets la pouffèrent D'vn pefcheur Serijien qui gay de cefle prife heureufe En fon efquif recueillit l'enfant & la mère pleureufe : Et ramant fou dain à bord les meine à Polydeâe prince De Serif qui gouuernoit la non encor friche prouince De VIfle, qui fut depuis de fertile faitte pierreufe.
Di;S POK.MKS. (JD
Qiiand Is peuple s' empierrant regarda la face hideufe Que Perfee le vangeiir de la vcrgongne de fa mère, (Car tout le peuple aprouuoit de Polideâe l'adultère) Leur fit voir àfon retour de Vauanture de Forcide.
Dedans l'ifle de Serif Perfé la race Danaide Hors d'enfance efioit forti : defia la barbe crepelué D^vn premier poil blondelet fricotait fa joué velue: Plus il ne pouuoit tenir enclofe fa noble prouëffe, Mais il brufloit d'efprouuer fa genereufe hardieffe, Quand Minerue, qui veillait à prendre la digne vengeance Du péché de la Medufe, & de fa fier e outrecuidance. Au Tiran Seriften mit finement en la penfce, [Lors qu'en vn fefiin public du pais la gent amaffee Le don que le Roy vouloit luy donnait en fgne d'hommage) De demander à Perfé de la Forcide le vifage, Guidant ainfi l'efloigner de la vengeance de fa mère Qu'il forçait au lit feruil de fan violant adultère.
La race de lupiter pleine de vertu ne refufe De s'efforcer d'accomplir l'entreprife de la Medufe : Mais qu'y pourrait fa vertu fans le fecours de la Deejfe, Qui vint pour l'accompagner ardant d'vne ire vangercffc?
Le vaillant Acrifienfeul pourpenfant à fan voyage, A l'efcart de la cité fe pourmenoit par vn bocage, Les yeux fiche:{ contre bas dans vne retraitte vallée, Quand foudain voicy venir Minerue du ciel deualee Qui dauant luy fe prefente, & donne des dons à Perfee Pour voyager dedans l'air, de ces mats flattant fa penfee.
Ne te ronge defoucy, gentille race Danaide O le fan g de lupiter, auec ces dons pajfe l'air vuide, Fais preuue de ta vertu contre Medufe Vexecrable : Et m'ayant auecque toy pour ta compagne fecaurable, - Moy Pallas, qui fuis ta fœur, qui ton courage fauarife, Mefprife moy tout danger €■ pourfuy ta braue entreprife.
Ce dit, luy baille les dons, Perfé dont le cœur treffaut d'aife loyeux de fi beaux joyaux atard fan grand plaiftr apaife, lettant fes yeux incanflans dejfus les prefans qu'il admire, Qu'en fes mains & qu'en fes bras il tourne, lournaffe & rentre : Vn corfelet écaillé de mainte hifloire furboffce,
lean de Baif. - II. 5
6b siccoxD LiVR i:
Que Viilcain feuurc des Dieux par bel art y auoit trajfee : A Pallas il le donna pour don nopçal, lors que pour femme Il efpoufa dans les deux d'Amatonte la belle dame.
En la pièce de dauant sliorribloit l'ancienne guerre Des Dieux foujlenans au ciel Vaffaut des en/ans de la terre : Trois montagnes les Geans l'vne/ur Vautre auoyent dreffees, Qiii la terre dédaignaient, & cachaient leurs fîmes hauffees Dedans le vague des deux. Par deffus des Titans les tropes Deçà delà furranipans prejfoyent des montaignesles cropes : Et ia portans dans le ciel le vray courroux de leurs menaces Aloyent joindre main à main encontre les dieux leurs audaces. L'vn d'eux brandit comme vn dard, vnfapin auecfa racine, L^vn arrière fe voujlant renfrongne fa hideufe mine, Et dansfes horribles mains fur fun col ployé renuerfees Tient vn énorme rocher : du rocher deux fources verfees Coulent derrière fon dos : tu dirais que l'eau ferait vraye Tant bien l'art dedans l'acier les ondes crefpes tourne & raye. Il tient le roc enfes mains, & guignant d' vue fier e face De tous f es nerfs il s'efleue, & ia de l'élancer menace : L'vn en bass'arme lespuingsd'vn mont que panchant ilarrache, L'autre vne Ifle dans la mer hors de fes fondemens détache. Les vnsf ont fur les fommets, les vus aupendant des montagnes, Les autres à michemin, les autres encor aux campagnes. O terre, tes propres fils arrachent de toy tes entrailles, Qii'à leur dommage trop grand trop libérale tu leur bailles !
Enfes bras fe confiant cette audacieufe jeuneffe Mit de fon premier abord Jupiter en grande defireffe. Mais Tifce le Géant & Mimas aueuglé de rage Et le fier Parfirion à l'efpouantable corfage, Reté auec fes rochers & le violant Encelade letieur des troncs arrache:^, qu'euffent-ils peu contre Pallade S'aourfans contre l'efcu qui brille horrible en fa fencfire, Et contre la hache roide armure de fa forte dextre? Icy portraitte elle efioit comme Pallante elle renuerfe (fui vomit vn lac de fang par oit fa hache le trauerfe. Il tombe ainfi qu'il ejl grand tout alenuers pieds par fus tefie, Et là dans les deux ouuers Jupiter brandit fa tcmpefie : A fon cofié les Cyclops de foudres aifle^ le fourniffent :
DES l'OEMKS. t)7
lupiter les darde : les vns les Geans de flammes faifijf eut, Lesvns volent parmy V air, le s vns les montagnes foiidroycnt, Les vns voilent de fa main, les autres la terre poudroyant : De foudres ardent fes mains, la gauclie flambante il auancc, Et fa dexire hautcourbant déjà defia fon foudre élance. L'air rougit d'efclairs ardens, la raieur au ciel s'en allume, La terre fume bruflant, la mer bouillonnante en efcume.
Tout auprès du foudroyant Mars leuefa lame terrible Brillante vne palle peur. Bacchus de la mâchoire horrible Et des griffes d'vn Lyon Reté tout de fon long defchire. Et fes boyaux trejfaillans de fon énorme panfe tire.
Apollon tient Parc au poing d'oit vient de voiler la figcite, Qiti le grand Porflrion renuerfé piécontrem^nt jette. Chacun des Dieux fon Géant fe choiflt pour fon aduerfaire, L'etourfe pellemcllant s'efchauffe d'vn effort contraire, Les Geans donnent V ûffaut , les Dieux foufliennent&rcpovjfent. Des deux parts les affaillans S- les fouflenansj'e courrouJJ'cnt.
Cecy fut boffé dauanl en l'endroit oii fous l'efpauliere Du bras droit le corfelet s''efleue efclatant fa lumière. Sous le gauche en mefme endroit des Dieux menus vne autre ai mee Se viennent joindre au combat par les trois frères animée Cotte, Gige & Briaré : fur leurs cfpaules imployab'es Saillaient de cinquante couls cinquante teftes effroyables A chacun d'eux, d' oit pendoient cent bras S- cent mainsviolantes. Ces trois frères d'vn feul coup dardent trois cent roches volantes Sur les Titans accable^ : l'air s'obfcurcit du noir orage Des rochers s'entrepoiffans, la terre noircit de Vombrage.
Deffus les cuiffots pendansfe herijfonnoyent deux batailles De piques, haches & dards, & de corfelels & d'cfcailles : Et dejia couckans le bois au choc appreftoient leur courage Ardens leurs armes bagner au fang coulant de leur charnage. Sur l'vne bataille Mars eflinceloit dedans fes armes, Sur l'autre rayoit Pallas, tous deux les pouffants aux alanres.
En la pièce de derrière au bas Athènes font portrétes La Citadelle & le port fait en arc, oit les ondes fêtes D'azur calmes fe crefpoyent : Là viuoit la noij'e gentille D'entre Neptune à'- Pallas pour donner le 7iom à la ville. Deux fois fi.v Dieux au plus haut efleu^ pour juges de V affaire
06 SECOND LIVKK
En fieges hauts font affi:^, au milieu lupiter le père
Se fied en grand' Majejîé. Plus bas, le Roy des eaux mai ines
Sous fan trident fait faillir vn cheual, qui de fes naiines
Souffle viuant en l'acie}- vn alêne feu-vomiffante :
Sous la hache de P allas fe pouffe l'Oliue naiffante :
Les Dieux en font efbaliis : d'Oliuier vn retors fueillage
Enfournant le corfelet borde les bornes de l'ouurage.
Vn tel corfelet veflit de lupiter l'orine race, Qiii gaillard s'efiouijfoit en la beauté de fa cuiraffe. Comme l'oyfcau de lunon, qui glorieux fa tefle vire, Et de fon pennache œillé fait la roué & dedans fe mire. Puis d'un baudrier cloué d'or ceignit fon efpaule en efcherpe, D'ail poidoit vn coutelas luné en façon d'vne ferpe, V)i coutelas portemort : de lafpe verd efl la poignée. Du long du fourreau brillant mainte efloille d'or efl femee.
A fes pieds il attacha deux talonieres à deux aifles, Qui dans l'air fur terre & mer deuoyent le fouflenir ifnelles Haut efleué par le vent : & d'vne Capeline aiflee De l'vne & de Vautre part il a fa perruque affublée. Elle a d'vn Hibou la forme : audauant il panche la tefle, Au flanc fes aifles eflend, de fon efchine il fait la crefle. Puis après le jouuenceau faifant fin de s'armer fc charge Tout joyeux le gauche bras d'vne refplendiffante targe, Ronde grande comme on voit vne Lune pleinement ronde Contre le Soleil couchant s'efleuer de l'Indienne onde.
De ces armes que Minerue apporta du ciel deualante Perfee cfloit tout armé, quand cette parole volante Elle luy dit Venhortant de hafler fa braue entreprife.
A quoy veu-tu plus mufer, ô le noble nciieu d'Acrife? Sus, il efl tems de partir : me fuiuant pour ta feure guide, Pouffe la terre des pieds & t'eflance dedans le vuide : Mais quand tu feras dauant la Medufe empierrante , garde De la guigner autrement , mais en ma targe la regarde. Et fi tofi que l'y verras ne crein, mais dés icy Vapprefle A luy faucher d'vn bras fort dehors des efpaules la tefle.
Ce dit, la Dceffe part. Perfé que fa parole auance. Des pieds repouffant la terre après elle dans Vair s'élance. Et comme l'ovf^au niais qui n'a fait effay de fes aifles,
DES POEHLS. 6q
Apres fa mère craintif bat l'air de f es plumes nouuelles, Et n'ofe encor l'efloigner, ainfi le volant AcrifiJe Suit depres le vol legier de Minerue fa bonne guide.
Qitelque pefcheur l'auifant fillonner les pleines érines, Qjii de fa ligne jettoit fes ameçons aux eaux marines, Uu quelque bergier penchant dejjiis fa Jmulette crochue, Ou le paifan appuyé fur le manchon de fa charrue, Pcnfoit que ce fufl vn Dieu qui fit ainjî par l'air fa vore, Et le priant l'adoroit en fan cœur friffonnant dejoye. Perfé feul apparoiffoit, non pas Minerue la Deeffe, Pour néant aux yeux mortels vn immortel voir ne felaiffe.
la leur chemin s'auançoit, & ja la ville d'Ereâee A dextre ils abandonnoyent, à gauche Crète la peuplée, Et paffoyent ja d'affés loing d^Enomas l'efclandreufe ville, Pendans en Vair fur la mer, qui eut le furnom de Mir tille, Qjii depuis ayant trahi defon Roy la roué meurtrière, Receut noyé par Pelops de fa trahifon lefalére.
Bien loin à dextre ils voyoycnt de Cercire l'Ifle fruiteufe, Des Feaces le fejour, gcnt des efirangers foucieufe. Et voir de loin ils pouuoyent en Etne la Sicilienne Rouler des torrens de feu la fournaife Cyclopienne. A gauche ils auoyent laiffé la grande £■ la Syrte petite Mal-fameufe de périls, que la fage Pilote euite, Quand les hauts fommets d'Atlas qui peu-à-peu fe découvrirent. Défia défia plus à plein à veué d'œil furcroijlre ils virent. Là droit efiendans leur vol tant de pais laiffent derrière Qu'ils viennent oîi les Gorgons ont leur maifon : quand la guerrière Minerue arrcfia Perfé, mettant pied la première à terre,. Et l'enhardit de ces mots : Or vuide de ton fimeterrc, Perfé, vuidj ton fourreau : l'affaire plus ne nous retarde. Fiche l'œil en mon efcu, comme dans vn miroir regarde, Ce que voir tu ne pourrois autrement fans trifie dommage : Telle hideufe vertu fay voulu mettre enfon vifage : Perfé, fuy moy valeureux, & me fuiuantfay preuue au faire, Que tu es frère à Pallas & vrayment du fang de mon père.
Ce dit, elle marche auant par vn vergier que les E'orcines Tout dauant leur antre auoyent. Qiiatre fontaines argentines C.refpoyent dcdiuers endroits maint ruiffeau, qui d'vn lent murmure
Près vue touche de bois verdoyait de porteglans Chefnes, De Chajleigners Iteriffc:^, d'Ormes ombreux, & de hauts Frefnes Propres au pain des guerriers. Dans ce bois auoit fon repaire Mainte befte, & maint oyfeau dedans ce bois faifoit fon aire. Deçà delà s'y voyoit fans ordre mainte bejle roide Qui la Medufe ayant veué efloit durcie en roche froide : l^iues on les penferoit, tant bien L' gefle encores dure, [Qji'ils auoyent au changement) empr^int dedans la pierre dure.
Vue vigne furrampant ombrageoit la porte de Vanire, S'efgayant en maint raiftn. Minerue dedans le creux entre, Et l'Acrifien la fuit de Vefcu ne bougeant fa veué OU Medufe qui dormoit dans vn coin il vit efîendué : La Deeffe l'y guida : tojl de fon courbe Simeterre Ilhtytrançonne le chef. Le corps fans chef chet contre terre, Vn eflang de fang fourdit coullant de la gorge couppee, D'oii fadlit (miracle grand) Crifaor à l'orine efpee. Et Pegafe aiflé chenal : Crifaor d'Ibère eut Vempire, Pegafe haut efleué hache l'air & des aifles tire, Et volant dedans le ciel dédaigne les baffes campagnes. Et fe maniant léger franchit les fîmes des montagnes, Ainfi pennadant en l'air d'Elicon la finie il encaue. Et de fon pied fontenier repouffant le mont il l'engraue : De là foudain vn fourjon d'vne onde nouuelle bouillonne.
Des Muf'.s vierges le chœur qui voit fourdre l'eau, seneflon:u-. Remarquant le pas fourceux, & béant en haut s'efpouuante, De voir ainfi voyager dans le ciel la befie volante. Depuis autour de ces eaux les Nymphes leur bal démenèrent, Et de Lauriers verdoyans tout le riuage encourtinerent : Et nulle befie depuis n'a touché cette onde argentine. Qu'en mémoire du cheual ils furnommerent cheualine, Fors les chantres oyfillons qui par le Laurierin bocage Fredonnetans leurs chanfons degoyfent vn mignot ramage. Mais les Corbeaux croajfans, ny les Corneilles ja^ereffes, Ny les criards Chahuans, ny les Agafj'es janglereffes Ne touchent à la belle eau, qui coulant de la nette fource
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DES POKMF.S.
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Sur vn fablon argentin crefpe fa tournoyante courfe, Alentour décent préaux & cent verdoyantes ijlettes. Là où lafraifche moiteur abreuue dix mille fleurettes.
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LES MVSES.
A MONSIEVR BELOT.
Pvis que, Belot, des Mufes tu embraffes, Vn d'entre peu, les miëlleufes grâces, Et que les vers tu ne tiens à me/pris Que fay chante^ de leur fureur épris, A Vamitié qui nos efprits allie D'vn doux lien ces chanfons ie dédie, Ces chanfons cy qu'outré de leurs douceurs Me font chanter les Piérides fœurs.
Pauuretes Sœurs aujourdhuy reboutees Prcfque de tous : las! à qui font oflees Les dignité:^ qui d'honneur les vefioyent Jadis alors qu'en terre elles hantoyent, Qiiand leurs feruans efloyent chéris des Princes, Sous qui bransloycnt les plus grandes prouinces Qiiand de fes dons la Mufe cherijfoit Les mcfmes Rois, fi quelque foy reçoit Le bon viellard qui cefle voix facree Chanta jadis aux vmbrages d'Afcree.
(i Celle des fœurs qui fe dit Belle-voix, Et leur aifnee, accompagne les Rois. A qui des Rois de Jupiter la race, De Jupiter les filles font la grâce De t'honorer : A celuy qu'cW auront
41 lÊfâÊ <B ^.
SECOXD r. IVRE.
Faifant ga:[ouiIlerfes eaux mainte if le verdoyante emmure^ Qui de Trembles & Peupliers G- d'Aulnes aimans les riuages. Et qui de Saules breliains s'ega'wyentfous les frais ombrages.
Près vne touche de bois verdoyait de porteglans Chefnes, De Chafleigners heriffc^, d'Ormes ombreux, & de hauts Frefnes Propresau poin des guerriers. Dans ce bois auoitfon repaire Mainte befle, & maint oyfeau dedans ce bois faif oit fou aire. Deçà delà s'y voyoit fans ordre mainte befle roide Q.'<i la Medufe ayant veuë ejîoit durcie en roche froide : Viues on les penferoit, tant bien le gejie encores dure, (Qji'ils auoyent au changement) empreint dedans la pierre dure.
Vne vigne furrampant ombrageait la porte de l'antre, S'efgayant en maint raifin. Minerue dedans le creux entre, Et l'Acrifien la fuit de Vefcu ne bougeant fa veuë Oit Medufe qui dormait dans vn coin il vit ejîendué : La Deeffe l'y guida : tojl de fan courbe Simeterre Illuy trançonne le chef . Le corps fans chef chet contre terre, Vn ejîang de fang fourdit coullant de la gorge couppee, D'où faillit {miracle grand) Crifaor à l'orine efpee. Et Pegafe aiflé cheual : Crifaor d'Ibère eut l'empire, Pegafe haut eflcué hache l'air & des aifles tire, Et volant dedans le ciel dédaigne les baffes campagnes, Et fe maniant léger franchit les fîmes des montagnes, Ainfi pennadant en l'air d'Elicon la finie il encaue. Et defon pied fantenier repauffant le mont il l'engraue : De là foudain vn fourjon d'vne onde nouuelle bouillonne.
Des Mufes vierges le chœur qui voit faurdre l'eau, senefionne. Remarquant le pas fourceux, & béant en haut s'efpauuante, De voir ainfi voyager dans le ciel la befle valante. Depuis autour de ces eaux les Nymphes leur bal démenèrent, Et de Lauriers verdoyans tout le riuage encourtinerent : Et nulle befle depuis n'a touché cette onde argentine, Qu'en mémoire du cheual ils furnammerent chevaline. Fors les chantres ayfillons qui par le Laurierin bocage Fredonnetans leurs chanfans degoyfent vn mignot ramage. Mais les Corbeaux croafjans, ny les Corneilles ja^ereffes, Ny les criards Chahuans, ny les Agafj'es jcnglereffes Ne touchent à la belle eau, qui coulant de la nette fource
DES POF.MKS.
Sur vn fablon argentin crefpe fa tournoyante courfe, Alentour décent préaux & cent verdoyantes iflettes. Là où lafraifche moiteur abreuue dix mille fleurettes.
LES MVSES.
A MONSIEVR BELOT.
Pvis que, Belot, des Mufes tu embrajfes, Vn d'entre peu, les miéllcufes grâces, Et que les vers tu ne tiens à me/pris Qiiefay chante^ de leur fureur épris, A Vamitié qui nos efprits allie D'vn doux lien ces chanfons ie dédie, Ces chanfons cy qu'outré de leurs douceurs Me font chanter les Piérides fœurs.
Pauuretes Sœurs aujourdhuy veboutees Prefque de tous : las! à qui font ojlees Les dignitei qui d'honneur les vefcoyent Jadis alors qu'en terre elles hantoyenî, Quand leurs feruans efloyent chéris des Princes, Sous qui bransloyent les plus grandes prouinces Quand de fes dons la Mufe cheriffoit Les mefmes Rois, fi quelque foy reçoit Le bon viellard qui cefie voix facree Chanta jadis aux vmbrages d'Afcree.
« Celle des fœurs qui fe dit Belle-voix, Et leur aifnee, accompagne les Rois. A qui des Rois de Jupiter la race, De Jupiter les filles font la grâce De t'honorer : A celu)- qu'elV auront
s I". C O N D 1. 1 V i< K
Regardé naijlre, elles luy verjevoitt
Dedans la bouche vue voix fauoureitfe :
Tout doux propos fa langue doucereufe
EJl dégoûtant. Et quand félon les droiâs
Entre le peuple il minijlre les loix.
Chacun r<iuifur luy fes yeux eflance :
Luy cependant d'vn parler d'affeurance
Soudain & bien appaife vn grand débat.
Desfages Roys auffi cjl-ce l'ejiat,
Qji'en plein confeil de paroUes aifees
Du peuple foyent les noifes appaifees :
Le tort puni, le bien rémunéré.
Ainfi de tous humblement reueré
Comme vn grand Dieu par fus tous il excelle :
Des Mufes fœurs la faincle grâce ejl telle
Vers les humains. » Voyla ce que chantait
Ce bon pajleur quand la Mufe hantoit
La Court des Rois : quand les fœurs honorées
De riches dons s'efgayoient décorées
Par les héros, qui d'vn los bien heureux
Accompagnoyent leurs faids cheualeureux :
Qitand les plus grands ne dedaignoyent la lyre
Pour la toucher, & l'Iionneur faire bruire
De leurs ayeulx, noble race des Dieux,
S'encourageans par leurs faids glorieux.
Combien de fois, des guerres ce grand foudre Achill' horrible S- de fan g & de poudre Eflant venu de Veflour, n attendait D'eflre effuyé, que f on lut demandait? Combien de fois jouatil de fa Lyre Se confolant, quand digérant fan ire Dedans fa tante, aux miferables Grecs De fon bras fort il caufa les regrets?
« Car fi quelcun ayant lame offenfee D'vn dueil nouueau s'attrifle la penfee Seichant fon cœur : S- des Mufcs feruant Chante les faids des hommes de deuant. Ou des ^rûJids Dieux : en vn rien il oublie
DES POEMES. 73
Tout fon trauail, & de melanchoUe N'ejl plus recors, S- foudain tout ennuy Par leurs prepns ejl ef carte de luy . Telle douceur des beaux prefens dégoutte Des faincles Sœurs, à qui prompt les efcoute, Defaigrijfant tout ronge-cceur Joucy Dans la liqueur de leur miel adoucy. »
AchilV adonc honorant ces Nymphettes Daignoit cueillir leurs gentilles fleurettes, Et daignoit bien retourné de l'ejlour, Les honorer de fon lut à leur tour : La me/me main qui fur la gent Troyenne Auoit brandi la hache Pelienne, Par fois touchait fa guiterre d'vnfon Qui refpondoit à fa douce chanfon, Comme Chiron le bon fils de Philire L'auoit appris de chanter fus la Lyre Dedans fon antre, oit jeune il fut inflruid A la vertu, dont aux Troyens le fruid Il fi'it fentir : Tant en bonne nature Du bon Centaure a peu la nourriture.
Ce Chiron mefme auoit en fa maifon Auparauant nourri le fils d'yEfon, Qui vint le voir quand la fleur de la Grèce De toutes parts accouioit d'allegreffe Deffousfa charge au port lolkien Pour conquefier le joyau Phryxien. lafon adonc à ce Centaure fage Se confeilla du faid de fon voyage : Quand le Centaure accort & bien veillaut, Son nourriffon dit ainfi confeillant.
Garde toy bien, ma nourriture chère. Hors d: fon port de pouffer ta galère Dedans la mer, garde t'en bien deuant Qii'eflre fourni d'vn Poète fçauant Qit'il faut auoir, foit aux diuins affaires Pour des grands Dieux ordonner les myfleres. Soit pour t'aider fagement au befoin
74 SECOND LIVRE
De fon adtiis, ou foit pour auoir foin Touchant le lut de feduire la peine Des Minyens raclans la moite plaine. Par fon doux chant leur labeur adoucy Se trompera. Il aura le foucy D'eternifer en chanfon immortelle De tels héros vne entreprife telle, Faide, ô la/on, fous ta conduide, afin Qite vojlre lo:^ jamais ne prenne fin. « Le dur paifan qui laboure la terre D^vn foc agu, celuy qui menant erre Par les pafii-{ les troupeaux, & celuy Qiii par les eaux fe donne de l'ennuy Traînant fes rets en fa frefle barquette, Pour le guerdon de fon trauail fouhaitte Tant feulement d'auoir le ventre plein. Et de faouller fon aboyante faim. Mais le vaillant qui braue fe propofe De mettre afin quelque excellente chofe, De fa prouéffe alors le digne fruid Il receura, quand vn louable bruid Le fait cognoifire, & quelque part qu'il tire Ainfi qu'vn Dieu tout le monde l'admire, Lors qu'efleué fur le char précieux Des Mufes fœurs il vole dans les deux. »
O bien heureux qui d'vnc main certaine Des Mufes fœurs la belle coche meine! Le nom de luy, ny de ceux qu'il conduid Ne fouffrira la fommeilleufe nuid I K Vertu nefi pas la vertu, dont la gloire Viue ne luit en durable mémoire. Autant voudroit n auoir faid jamais rien S'il n'en eft bruit quand on a faid le bien. Celle vertu qu'on ne voit apparente, h'oyftueté de bien peu différente Naiffante meurt, fi le Poète faind Pour tout jamais fa mémoire n'empreint. »
Donc ft tu veux, ma douce nourriture
DES PO KM K S. 7 3
O fang d'Efon, que la race future Parle de toy d'âge en âge fuiuant, Louant ton nom à jamais furuiuant : Garde toy bien qu'orfeline d^Orpliee Des Pins premiers ta galère ejloffee Fende les flots, lafon, garde toy bien D'entrer en mer fans le Duc Tliracien : Va le trouuer toy me/me en Pierie, Et le troiiuant, de vous fuiure le prie : Pour compagnon tel Poète ayans pris Suiue^ hardis le voyage entrepris.
Ainfi Chiron la race Philyride Dit fan aduis : & le preux yEfonide Ne tenant pas fon confeil à me/pris, De luy congé courtoifement a pris, Et tira droicl aux monts de Libethrie Deuers Orplié feigneur de Pierie, Le requérir ne vouloir dédaigner A la toifon les preux accompagner.
Si le trouua tout auprès de fon antre, Oit le flot d'Ebre aux flots de la mer entre. Tenant fa harpe, adojfé contre vu Pin Qui par fon chant tiré du mont voyfin Là deualé luy prefloit fon ombrage. Il allegroil tout le defert fauuage De fa chanfon, que d'vne douce voix Il marioit au toucher de fss doigts.
A fon chanter les Nymphes & leur père Ebre vieillard, hors hur moite repaire Poujfoyent leur chef : à'- les flots arrcfle-^ Et les poiffons y fauteloycnt flate^. Là les Tritons & les Nymphes marines, Foulans cache:; fous leurs vertes poidrines Les calmes flots, la riue cofloyovent, Et fous fon chant nouans s'efbanoyoycnt. Là fous fa voix les cointes Oreades, Et les Satyrs accordoyent leurs gambr.dcs : Là les plus fers animaux allie:;
Jb s E C O N D L 1 V R E
Sans faire mal fe veautroyent à f es pieds.
Le cerf fuy art ne craignait la Lyonne.
En oubliant fa nature félonne
Le Loup raui fur le mouton beoit :
Contre le Loup le maflin n'abboyoit.
Près de l'oifeau nuit-volant [grand merueille)
Muette fied la criarde corneille :
En mefme branche auec le doux ramier
Se voit branché le faucon paffagier :
Là de fon chant l'arondelle alcchee
Deuant fes pieds laiffe cheoir fa bechee,
Qiii s'oubliant S- de plus loing voler.
Et de fon nid, pend furprife dans l'air.
Les vents mutins amiables fe taifent
A fes acords, & leurs rages appaifent :
Frefnes & Pins ententifs à fon chant,
Enclins à bas leur chef tiennent panchant
Comme oreilles : en fi forte harmonie
L'Eagrien fes doux accords manié.
« Tels font les dons des Mufes, rauiffans
Mefme la chofc orpheline des fens. »
Encor on voit la riue Tlu acienne Pour monument de la voix Orphienne, Enceinturee en grands Chefnes plante^ Près rang à rang, qu'il feit venir flate^ De fon doux jeu, du hault de la montagne lufqucs au val que le flot d^Ebre bagne, Vne ceinture y drcjjant dés adonc D'arbres efpés qui fe fuiuoyent de long: Qui, comme en dance alloyent les arbres, aure lufque aujourdhuy, & fe dit la ceinture Threicienne, entre ceux qui en mer Près ccfle cofîe aujourdhuy vont ramer.
lafon voyant fi diuerfe mcflce Autour d'Orphée en vn rond afferr.blee, S'arrefle coy, s'émerueillant de voir Rochers & boys d'eux-mefmes fe moiiuoir, Et tout tranfi d'vne telle vierueille
DES POEMES.
Prejla long temps à fon chanter V oreille. Tenant fes pas tandis que s'acheuoit Le jeu qu'Orphé fur fes cordes mouuoit.
O premier né (difoit il) je te chante, \
Amour aiflé, dont la force alechante <f^^
D'vn nœud fertil toutes chofes conjoint, 'T
Et d'éguillon femancier les époint.
Aflre luifant, auant qu aucune cliofe \
Du vieil chaos encore fuji décloje, Quand mer & feu, ciel & terre acroupis D'vn noir brouillas languiffoyent affoupis. Quand en vn corps le chaud & la froidure, La chofe molle auec la chofe dure, Le fec au moite, & le lourd au léger Auoit débat : premier les arranger Tu entrepris: de gaillarde alegreffe Saillant dehors de cefie mace épeffe, Tu débrouillas ce dejordre, à bon Dieu, A chaque chofe affignant propre lieu.
Au plus hault lieu des deux la voûte ronde Tu lambriffas encouurant ce grand monde : Tu y fichas les aflres parfeme^ Comme flambeaux pour la nuit allume^ : Tu feis le feu fous le ciel prendre place Comme élément de plus légère majfe : Puis l'air tu fis fous le feu fe ranger, Deffous l'air ronde élément moins léger. La terre après en fon poix compaffee. Tout au milieu fous la mer embraffee, Gefir tu feis, de rebelles accords Enti 'alliant les membres de ces corps. En hault fur l'air vn & vn luminaire {Dont Vvn la nuit, l'autre le jour éclaire) Tu fufpendis : & fur deux fermes gons, Faifant rouer tous les celefies ronds, Tu feis rauir chacun en fa boutée, A fin que par leur reuolte an eflee Diuerfement Vvn & l'autre conduit
/è SECOND LIVRE
Bornajl l'an, mois, fepmaine, jour & nuit.
Depuis, 6 Dieu, de chaine adamantine Ayant lié cejîe belle machine. Et fur la terre ayant fait que les eaux Dorment en lacs, & coulent en ruiffeaux : Et que les monts dans les nues fe dreffent. Et que les champs efiendus fe rabaiffent, Les champs d'herbage & des dons de Ceres, Les monts veflus de fueilleufes forefls : Ceux-ci repaire aux mi-dieux cheuve-tejies, Ceux-là paflure aux hommes & aux befies ; Ayant peuplé de poiffons muts les eaux. L'air tranfparant de mille peints oifeaux : Depuis porté dejfus tes aifles gayes Par tout le monde hault & bas tu t'égay-es. Ou tu te plais aux gouffres demene:{ De bouffements par les vents forcené:^ : Et là plongé dans les eaux plus profondes, Puiffant Amour, maugré leurs moites ondes, Du vieil Forcyn les filles dans leurs creux Tu vas brufler de tes petillans feux : Ou traucrfant l'air vague tu allumes Le genre aiflé vejlu de peintes plumes : Ou defcendu, de traits chauds à'fubtils Tous animaux, £■ nous hommes chetifs. Ici tu poinds, de ta flamme douc'aigre Grillant les cœurs : ou d'vn vol plus alegre Montant hardy fur les voûtes des deux, Là tu t'affiés au milieu des grands Dieux, Domteur de tous par tes fortes fagettes. Que parmy eux deçà delà tu jettes : Voire & leur Roy fous toy fléchit contraint, Roy que le ciel & que la terre craint.
Tout te craint. Dieu : à ta douce puijfance, O premier-veu, tout rend obeiffance. Si tout le monde en toy ne s'affeuroit, ParJe difcord il fe démembreroit. Mais par les dons, Scmcncier, tout s'affeure,
DES POIvMES.
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Se perpétué, en fon ejlre demeure , Et cCvne paix immuable conioint, Suit volontiers ta force qui Vépoint. le te falué, ô Dieu, qui fur ton ai/le Premier viiidas la majje vniuerfelle Du vieil chaos, faifant éuanouir La vieille nuit, le jour épanouir, le te falué, Amour, de qui la grâce Des chofes tient en fon efire la race., Par qui tout vit, par qui tout ce qui efî Pour viure meurt, & pour mourir renaijl.
Cet hymne fainâ le poète Eagride Auoit fini, quand lafon Efonide Il apperceut, qui n'auoit le pouuoir Tout épris d'aife encor de fe viouuoir : Si doucement cefle douce merueille Auoit raui fon ame par l'oreille.
Orphée adonc courtoifement humain Le bienveigna, le menant par la main Dedans fon antre. Vne voûte naîue Là fe hauffoit deffous la roche viue, Qu'vn grand pilier nay là du mcfme lieu. Non façonné fouflenoit au milieu.
Autour de Vantre vn long fiege de pierre Saillant du roc toute la place enferre. Et dans le roc maint autel échancré Efl en l'honneur des grands Dieux confacré.
Dedans cet antre Orphé prince de Thrace Conduit lafon, & luy fait prendre place, Et vient foudain près de luy fe ranger, Ayant enjoint d'apporter à manger. Incontinent deux filles rccourfees Au dcuant d'eux les tables ont drejfees. Quand d'vn bon vin, d'entremets & de pain Eteinte fut & leur foif & leur faim : De deuant eux les tables déchargées Sont de rechef en leur place rangées. Adonc Orphée à lafon demandoit
8o SECOND LIVR1-:
Qjtel grand motif deiters luy le guidait. En ces doux mots : bien que la renommée De la Toi/on déjà par tout fcmee, L'auertijl bien affe:{ quelle raifon Vers luy pouuoit mener le preux la/on.
la/on [dit-il) d^EJon ô noble race, De qui les traits je remarque en ta face, Mais quel motif, dy moy, te meine icy? Lors que plus fort te prejfe le foucy De tes apprefts pour Ventrcprife grande Du Mouton d'or : lors qu^vne noble bande De toute Grèce accourue à ton port, Prompte t'attend déjà dcffus le bord, Pour pouffer hors du Pagafois riuage, La nef d'Argon d'Arge le bel ouurage, Qit'Arge le Jils d^AreJtor, comme on bruit, A charpenté par Minerue conduit. Mais pourrait bien quelque neufue furprife Auoir rompu cefle belle entrcprij'e? « Comme Ion voit des hommes les propos Ne pardurer en vn confiant repos : Quand par vn rien ce que l'homme propofe Tout au rebours la fortune difpofe : Deffous tel fort fur la terre font ne:{ Pauurcs humains aux i,a^ards defline^. »
lafon refpond : Orphé, nulle furprife N'a, Dieu mercy. rompu noflre cntreprife : Déjà les preux au Pagajitn port Tous affemble:^ attendent fur le bord : Mais fis d'Eagre, 6 Prince de la Thrace, Vne requefle accorde nous de grâce, Qiteje te vien pour eux tous prcfcnter, Et dont je croy tu ne veux t'exempter. Orphé, les Preux, qui fur le bord attendent. Tous d'vne voix f appellent & demandent, Et deftrans ton lut & chant diuin. Pour compagnon t'ej'perent du chemin Deffus la mer : & quittans le riuage
DES POKMKS, 8l
Ne veulent pas s'embarquer au voyage Si tu nv viens : nyfa^^s tov nauiger Par la grand mer au pais ejiranger. Car des enfers deffous V ombre fans joye Hors de ce jour tu as trouué la voye Seul à par-toy, &feul tu as au jour De Vombre icy retrouué le retour.
Doncques Orphé race de Calliope, Des preux Grégeois ne dédaigne la trope : Fay qu'il ne tienne à toy, je te fiipply, Qiie tojî ne foit ce voyage accomply.
Bien tofl après la parolle ayant prife, L'Eagrien, Que tant belle entreprife O fang d'Efon (dit-il) ne vienne à chef, Ainfi par moy naz.ienne tel mechef. Mais faut-il donc tout vieil que je fuis ores, Caffé, recreu, que je voyage encores, Apres auoir pajfé tant de trauaux? Is'ay-je fouffert encore affe:^ de maux lufques icy, courant de terre en terre Par les cite:{ pour le fçauoir acquerre, Dés que je fu retourné des enfers, Oi{ mille ennuis vagabond j^ay fottfferts, Quand je perdy ma femme tant aimée, Qu'vn fier ferpent de dent enuenimee Mordit au pié. Pour ma femme rauoir. Le fier Pluton j'ofay bien aller voir : Et bien qu'il foit aux autres imployable, Si fei-je tant par mon chant larmoyable Joint à mon lut, qu'Eurydice j'auroy Sous telle loy, que Vœil ne tourneroy Derrière moy, iufques à tant que j'uffe Fait le voyage & fur terre ie fuffe : Mais ie ne peu malheureux me garder A mi-chemin de ne la regarder : Et malheureux, par mon amour trop grande le la perdy : encor je la demande, Y retournant, mais tant ne puis ouurer, lean de Baif. Il 6
82 SECOND LIVRE
Ejfayant tout que de la recouurer : Dont me conuint en complainte piteufe Vomir mon dueil, & ma face moitcufe Noyer de pleurs, entrant en la fureur. Qui m'a contraint à fi loingtaine erreur.
De cefie erreur en vain donques ma mère M'a retiré loin de terre étrangère En ma maifon, pour attendre à fejour La noire fin de mon defiiné jour? « Mais vainement l'home foible s'obfline Contre le fort que la Parque defiine : Et je ne veu la Prière irriter, Par ce qu'elle efl fille de Jupiter. » Auecque vous mon fier defïin me prejfe, le lefuiuray de cœur & d'alegreffe, Tout vieil encor que je fuis, dans Argon Des jeunes preux j'entreray compagnon.
L'Eagrien promettant le voyage, Difoit ainfi : a lafon le courage Dans fon cœur gay trejfaillant s'éjouit, Qitand à fouhait tel propos il ouït. Ainfi le Preux s^acotnpagnant d'Orphée, Qui d'or por toit vue harpe ejioffee, Laiffa prejfé le rocher Thracïen, S'en retournant au port Pegafien, Oii des Grégeois Vattendante ieuneffe la s'ennuyant, de s'embarquer le prejfe. Les Minyens par leuiers & roulleaux Tafchent pouffer dans les marines eaux La grand'Argon, mais la galee large Se tient rétif ue en fa pefante charge. Et leurs bras forts n'auoyent pas le pouuoir Pour dans la mer du bord la démouuoir : Voire eufl eflé ce renommé voyage Adonc rompu dés le premier riuage. Sinon quOrphé tu pinças de tes doigts. Ta douce harpe : au fon tu accordais Vn chant diuin, dont la proué flatee
DES POEMES.
5«r les rottUeaux gUJfa d^vne boutée
Dedans la mer, du flot la fouleuant
Son fujl premier adoncques amboiuant.
Déjà vogant la choiirme Minyenne
Faifoit nager la nef Pagaflenne
Au fein marin, S- deffous écumer
Les flots racle:^ de la ronflante mer:
Argon déjà fous le vent, à la proué
Sa voile enflant, qui fur les vagues joué,
Efloit fuiuie à l'Orphienne chanfon
De mainte Nymphe & maint dieu mi-poijfon.
On auoit ja laiffé l'if le & la ville Là où regnoit la princejfe Hypjipile, Où les maris d'vn féminin courroux Efloyent tue^ par le peuple jaloux. Par toy Hercul fous tes feures fagettes, Qiie d'vn roide arc les décochant tu jettes, Tombe\ a-dent les Géans montegnars Mordoyent dépits leur mère en maintes parts ■ Et les herôs repoujfe^ d'vn orage Auoyent ja fait de leurs hofles carnage, Cy^ic fraudé par fon hofle lafon Du doux retour à fa chère maifon : Hylas failly dans le Myfois riuage Auec fon broc par la Nymphe fauuage Efloit raui : quand fuiuant fon ennuy. Quittant lafon, Alcide erre pour luy. Le preux Pollux de lupiter la race, De gans plombe^ auoit meurdry la face Du Roy Amyc, & de fes poings fouille^ Tefle & ceruelle auoit écarbouillei^. Zethe & Calais la chaffe auoyent donnée A tire d'aifle aux oyfeaux de Phinee : Et le deuin auertis les auoit Quelle autre gent recueillir les deuoit : Quand à leursyeux les roches Cyanees Au gré des vents rudement démenées De chaque part s'cntrcuicnnent heurter,
84 SKCOND LI VK K
N'ayant apris encor de s'arrejler. Autour la mer pajla^jant écumeufe Sous le choc brajfe vne onde tortuetife, Et le grand bruit du flot qui fe derompt Va iufqu'au ciel: tout le ciel en répond.
A voir ces rocs pâlit toute la bande, Me/me Tiphys au timon ne commande, Fors quand Minerue vn héron enuoya, Qjii d'vn bon figne atrauers auoya Des Minyens la ja-retifuc troppe : Dequoy premier le fils de Callioppe, Les auifant, leur donna cœur d'ofer Ce fier péril des roches méprifcr : Et pincetant fa fiate-pierre lyre Amadoua d'vn chant qu'il fceut élire Les rocs choquans, qui chacun de fa part, Sans rechoquer fe plantèrent à part. Incontinent la marine bonafj'e Vnit fes flots : la nef parlante paffe Far les rochers deflors enracine:;. Comme ils efioyent à jamais defiine\.
Mais quelle erreur, ô Belot, me déuoye Tant égaré de ma première voye. Qiie d'entreprendre œuure défi grand pris Comme celuy que j'ay prefque entrepris ? Ofer ainfi fur ma petite lyre Du vieil Orphé les louanges déduire? Ofer verfer dedans la mer des eaux? Près du Soleil allumer des flambeaux? Pourrais tu bien dignement, Mufe frefle, Son los diuin chanter de la voix grefle Et ce qu'il feit fauuant la nef Argon? Dirais tu bien l'affommeillé dragon, Qu'il affoupit, bien que fa vue ouuerte Ne fufl jamais de paupières couuerte : Bien qu'à dormir fa vue nefillant, ïl jujl toufiours au guet de l'or veillant? Et qui dira le pris de ce voyage,
DES i'Oe:mes. 85
La Toi/on d'or, d'Athamas l'héritage Pris de fur l'arbre, & les bœufs fur monte:;, Bœufs fouflc-feux aux pies d'érein, domte:!; ? Diroy-ie bien les migardes Sirènes Tenir leurs voix près de fa lyre vaines : Qjd, tous paffans noyoient à leurs chanfons. Elles fuiuir d'Orphée les doux fons? Pourroy-je bien affe:{ dignement dire Comme des Dieux il fceut appaifer l'ire, Comme des Dieux moliffant le courroux Se les rendoit fauorables & doux? Et chanteroy-je affe:{ bien le paffage D'entre Carybde, & de Scylle la rage : Carybde horrible en gouffres effroyans, Scylle en mafîins aux egnes aboyans? Carybde douce aux acords de fa lyre, Ses flots hideux dans fa gorge retire : Scylle flatee aux douceurs de fa voix , De fes maflins fait taire les abboys. Et rediroy-je affe:{ bien l'hymenee Qu'Orphé chanta de fa lyre fonnee, Qite de lafon aux nopces il fonna, Qjiand de Corfou les Nymphes ejlonna ? Diroy-je bien comme à pénible alêne Les Preux recreu:^ par la Libyque arène Portent leur mère, & les fïieux ennuys De foif & faim par Orphée feduis ?
Mais, ô Belot, de vent quelle bouffée, En pleine mer ma nef a refouflee, Lors qu'obfliné pins fort contre le vent le veu tenir ma route de deuant? Sus Mufes fus, fans que le vent m'arrejle, Calme^ la mer, accoife^ la tempejle. Et ma nauire auoye^ d'vn bras fort A mon fouhait pour fur gir à bon port.
Ce n'ejt icy que de parolle enflée Les grands vertus ie veu dire d'Orphée : Comme il prefcha les myffcres des Dieux,
86 SECOND LIVRE
Qite luy Joigneux aprit des prejlres vieux
Egyptiens : comme plus par fa grâce
Qiie par rigueur Je fcit prince de Thrace,
Les hommes durs de celle région
Amolijfant par la religion.
Suffife moy que ie donne à cognoijlre
En quelle ejlime vn Poète deujl ejlre :
Qiiand on verra des Grecs la noble Jleur
A vn Orphé rendre fi grand honneur:
A fin qu'aumoins vn rien d'honefie honte
De nos plus grands iufqu'à la face monte,
Quand ils verront que par eux l'honneur du
EJl fi tref-mal aux Poètes rendu :
Qiiand ils verront combien le train de viure
Des vieux héros ils ont laiffé de fuiure ,
Qui pour r honneur pourchajfoyent les dangers,
S'auenturans aux pais eflrangers ,
Qjii pour gaigner {tant vne noble enuie
Piquoit leur cœur!) vne éternelle vie
Par les beaux chants que les poètes chantoyent,
Leur frefle vie aux dangers prefentoyent.
le vous falue, ô race valcureufe Des demi-Dieux : vofire prouéffe heureufe Comme vos corps ne fe fentira pas Du long oubli compagnon du trefpas, Puifqu', ô Herôs, vofire cœur magnanime , De nos chanfons a fait fi grand efiime : Vous ne mourre^, vofire heur ne fe téra Tant que ce monde en foy fe tournera. Mais vous brutaux, qui la durable vie N'efiime^ rien près du bien qui varie, De vanité repaiffe^ vofire cœur. Et vous aime:{ en vofire vaine erreur : Tous vous mourre^, & vofire renommée Auecque vous s'en ira confumee : Et vous mourans vos corps & vofire los Se pourriront dans vn cercueil enclos, Pour n'auuir eu la Afufe fauorable.
DES PO F. M ES. 87
Et piour n'auoir d'vn giierdon honorable
Acquis l'amour du cœur Aonien,
Q_ui peut tirer du bourbier Lethien
Tous vifs les morts, quand vu fçauant poète
Vn noble nom entonne en leur trompette,
Qui retentit vn honneur mérité
L'eternifant à la pojlerité.
Quel bajliment, quelle majfe ajfeuree D'œuure coujîeux égale la durée D'vn monument, dont l'ouiiricr des neuf Sœurs Sçait maçonner les fondemcns plus feurs? Et quoy plus beau pourrait échoir à l'homme Grand de tous biens qu'auoir qui le renomme, Et qui d'vn bruit aux hommes épandu Chante par tout fon renom entendu? Ce bien feul refle aux Atrides de Troye, Troye la grand' après dix ans leur proye, Et tout le bien par Priam détenu, Apres leur mort à rien efl deuenu : Mais les beaux chants qu'en a fonne^ Homère Viuent encor, refle:{ pour le falaire Et feul guerdon de mille maux diucrs, Que les Grégeois fouffrirent dix yuers.
O père fainél, ne foit dit que ie paffe Ta faiiideté fans qu'honneur ie lui face : le te fahié éternel guerdonneur Des Preux guerriers : par toy leur bel honneur Florit encor, & non fany pour l'dge De jour en jour florira dauantage : Et des vieux ans les ficelés reuere:^ Tes chants rendront toufiours plus auere\. le te falué, ô lumière diuine, Qui luyfant clair tous poètes illumine : O viffourgeon, qui par mille ruiffeaux Tous écriuans abbreuues de tes eaux!
Quand Alexandre alloit par la Phrygie Menant fon ofl contre le Roy d'AJîe, On luy monfira le fepulchre d'Achil,
88 SECONDLIVRE
O jouuenceau trop heureux [ce dit-il\, O valeureufe ai»s heureufe jeuneffe. Que d'auoir eu de ta noble prouêffe Vn tel chanteur. Ce difant, de fes yeux Il larmoya noblement envieux.
O gardien fontenier de lafource. Qui du fommet d'Helicon prend fa courfe. Et bien qu'aux champs Elyfiens tu fois Reçoy Vlionneur de ma deuote voix : Si Jean Dorât dés mon enfance tendre Par tes chanfons m'enhardit de prétendre A m'ombroyer au bois Parnafien, Et m'abruuer du flot Pegafien.
Diuin vieillard pour ta noble naijfance Sept villes font encor en différence, Mais trop en vain fe débattent ces lieux, Tu ne pris onc naiffance que des deux.
Et te teray-ie, ô l'honneur d'Italie Toy grand Virgil, dont la doâe Tlialie Encore bruit d'Enee les erreurs, Les pafloureaux auec les laboureurs? Et vif & mort d'Augufïe le bon Prince, Toy qui nafquis fur les riues du Mince, Tu as receu maint honorable don, De tes beaux chants recueillant le guerdon De maints beaux dons il honora ta vie, Autorifant ta Mufe fauorie : Car on l'a veu bénin ne dedagner En fon priué de toy s'accompagner.
Toy mort, encor ta volonté dernière Il enfreignit pour ta plus grand' lumière. Ne permettant d'Ilion la cité Souffrir le feu non deux fois mérité. Auffî viura d'Augufïe la mémoire Par fs beaux vers en éternelle gloire : Pluflofi les deux tourneront au rebours, Phiflofl les eaux courront contre leurs cour: Les cerfs viuront par les vagues falees,
DES POEMES. 89
Et les daidphins aux arbreufes vallées, Qiie d'vn tel Prince amy des Saintes Sœurs Aux ans moifis f'enrouillent les honneurs, Puis que Vouurier des chanfons immortelles Il a prifé prenant plaifir en elles : Puis qu'il afceu la faueur mériter Des doâes Sœurs filles de Jupiter.
Puis que bénin de Virgile & d'Horace Les honorant il a gaigné la grâce. Le clair renom du noble Mecenas Pour le long cours des ans ne mourra pas : Ains tout ouurier qui des dodes pucelles Sçaura guider les faincls outils, les belles, Par cet ouurier fera tant que f on nom Noble viura d'vn immortel renom : Et Mecenas aux cordes de la Lyre Des Poètes fainds on orra toufiours dire, Et qui touché des Mu/es cfcrira De Mecenas les honneurs publira.
Mais, ô Brinon, ne faut-il que tu viues Brifant le cours des heures trop hajliues A noflre mort ! & tu viuras auffi D'éternel los, puis que d'vn doux foucy Tu m^as outré mon doux cœur en ta vie : Or en ta mort meure toute Venuie.
Qui efl celuy qui venoit dans Paris Ardant de voir ville de fi grand pris. Soit du pais que bagne la Dunouê, Soit doit Jes flots le roide Rhofne roue. Soit des cite\ que le Pau laue, ou fait De celle gcnt qui la Tamife boit. S'il ha renom d'honorer le Parnaffe, Qtie tout foudain ce Brinon ne Vembrajfe, Ne le carejje, & ne trouue achoifon De le traiâer dans fa douce maifon? Et qui s'eft veu [comtne le fort fe jette) Soit en prifon, maladie ou fouffrette. Si tant f oit peu s'aduouafl des neuf Sœurs
6"
QO S E C O N D L I V R E
Qui iVait fenty fes bénignes douceurs? Qiiel efcriuant Jlorijfoit pav la France De qui Brinon n''ait gaigné l'accointance, Soit ou qu'en Grec, ou qu'en parler Romain, Ou qu^en François guide fa doâe main?
Tefmoings m'' en font Ronfard, Belleau, lodelle, Dorât, Duchat : en tef moin g j'en appelle Mefmes, Gorri, Saunage, & cent aufji De grand renom, que fouîrepaffe icy. Mais que Belot qui les vojlres embraffe, O fainâes Sœurs, ne fentijl vojlre grâce. Par maints beaux vers à jamais anobly. Son nom tirer du bourbier de Voubly? Non ne foit diâ les Mufes délicates Aux biens-faiâeurs ejlre jamais ingrates. Non ne foit diâ que vojlre guerdonneur Double guerdon ne prenne en double honneur.
Sus, Mufes, fus, facre^ à la mémoire A tout jamais de mon Belot la gloire : Guide^ ma main, & vene\ Vaffeurer, Puis que fans vous rien ne peult pardurer.
Mais nul Augujle en ce mallieureux âge, Nul Mccenas ne nous donne courage D'employer bien la grâce & les beaux dons, O belles Sœurs, que de vous nous auons : Ronfard oyfiffon Francus abandonne , Ronfard, combien que tout chacwi luy donne L'honneur premier qu'il a bien mérité, Ne fent encor la libéralité D'aucun Augujte : & que fait de lodelle L'cfprit diuin pour l'ame qui excelle En luy fi rare ? O lodelle, tu n'as Pour t'animer aucun bon Mecenas, Qiii dignement ta vertu recompence Pour luy bafiir vn œuure d'excellence Contre la mort, tel que fçaurois choifir : Mais, 6 pitié! Ion te laiffe moifir. Qitant efi de moy, O mij'erable Mufe,
DES POEMES. 91
52 quelque fois à tes dons ie m'amufe, C ejl feulement pour tromper les ennuis De la fortune oit trop pauure ie fuis ; Et ie veu bien que l'âge à venir fçache. Bien que vos dons, ô Mufes, je ne cache, Que nul feigneur qui en ait le moyen hifques icy ne m'a faid aucun bien.
Mais fait qu'vn jour la largeffe ie fente D^vii grand feigneur, foit que jamais abfente Ne foi t de moy la trifle pauureté, Tant que viuray comme ie l'ay eflé le feray voflre, & vos merueilles grandes Me rauiront entre vos gayes bandes : Toufiours par tout auec vous ie feray Et de vos dons ie vV accoynpagneray Toufiours par tout : & lairray tefmoignage Qtte j'ay vefcu en ce malheureux âge. Mais guide:{ moy, mais vene^ m'ajfeurer, Puis que fans vous rien ne peut pardurer.
le vous faluë, ô du grand Dieu la race ; Oye^ ma voix, donne:^ moy voflre grâce, Dames, à fin qu^eflant des deux recors Mon origine, oublieux de mon corps, Raui d'efprit fans fin ie vous adore, Foidant au pié ce que le monde honore, Dames, afin que Voubly pareffeux Dans fou bourbier ne noyé, auecque ceux Qjii vos beaux dons mefprifent en ce monde. Mon nom couuert fous la fange profonde : Mais mais mon nom dontcra le trefpas. Car vos beaux dons mefprife^ ie n^ay pas.
Là, faites donc qu'à ceux ie puiffe plaire Qiie vous aime^, car vous le pouue:{ faire. Si tant foit peu aux chants que j'ay fonne^ Voflre faueur, Deejfes, vous donne^.
92 SECOND LIVRK
DV MENIL
LA BELLE AGNES SORELLE.
AV SEIGNEVR SOREL.
SoREL, à qui pourroit venir plus agréable Cette rime qu'à toy, né du fan g amiable Dont SoREi^LE fortit, qui me donne argument Qiiand je voyfa demeure après fon monument? le fçay, tu l'aimeras : car ta race honorée Reluit de la beauté d'vn grand Roy defiree : Puis [fi fay quelque force) on verra viure icy, Et Sorelle & Sorel dont ma Mufe afoucy.'
Oefl icy le Menil, qui encore fe nomme Du nom d'' Agnes la belle, & qu'encore on renomme Pour V amour d'vn Roy Cliarle, & pour la mort aufji D'Agnes qui luy caufa cet amoureux foucy. Icy Vair gracieux & les ombres fegrettes Témoignent aujourdhuy leurs vieilles amourettes : Le manoir defolé témoigne vn deconfort, Comme plaignant toufiours la trop hajiiue mort, Qiiand le dernier foufpir fortit d'Agnes Sorelle, Qiii pour fa beauté grande eut le furnom de Belle Et peut tant mériter pour fa perfedion Qiie de gaigner à foy d'vn R.oy l'affedion.
Ce Roy comme vn Paris affollé d'vne Heleine, Du feu chaud de V amour portant fon ame pleine, Eflimoit prefque moins perdre fa Royauté, Que de fa douce amie éloigner la beauté. Ce Roy, bien que l'Anglais troublafl tout fon royaume, Jamais qu'à contre-cœur n'affublait le heaume : Volontiers nonchalant de fon peuple S- de foy,
DES POEMES. 93
Poil}- mieux faire l'amour eujl quitté d'ejlre Roy Contant d'ejîre berger auecque fa bergère : Ce qu'en troubles fi grands ne pouuant du tout faire. Autant qu'il le pouuoit^ fuyant toute grandeur Il Je defrobe aux fiens, & ne veut plus grand heur. Mais que fa belle Agnes ou l'embraffe ou le baife Ou d'amoureux deuis Ventretienne à fon aife : Tant peut vne beauté depuis qu Amour vainqueur. {Voire aux plus braues Rois) Vempreint dedans le cœur. Soudain vn bruit courut qu'vne molle pareffe L'attachait au giron d'vne belle maiflreffe, Par qui de fon bon gré fouffroit d'eflre mené. Ayant perdu le cœur du tout efféminé. Agnes ne peut celer, en fon courage digne De l'amie d'vn Roy, reproche tant indigne : Mais [comme la faconde & la grâce elle auoit) L'aduertit en ces mots du bruit qui s'efmouuoit :
Sire, puis qu'il vous plaifl me faire tant de grâce Que loger voflre amour en perfonne fi baffe. Sire, pardonne^ ^"oy, s'il me faut prefumer Tant fur voflre amitié que fofa vous aimer, Vous aimant ie ne puis fouffrir que Von médife De Voflre Majeflé, que, pour eflre furprife De l'amour d'vne femme, on accufe d'auoir Mis en oubli d'vn Roy l'honneur & le deuoir. Donques, Sire, arme:{ vous, arme\ vos gens de guerre, Deliure:{ vos fubjets, chajfe:{ de voflre terre Voflre vieil ennemy. Lors bien-heureufe moy Qui auray la faueur d'vn magnanime Roy : D'vn Roy victorieux eftant la bien aimée le feray pour jamais des François eflimee : Si l'honneur ne vous peut de l'amour diuertir, Vous puiffe au moins Vamour de l'honneur auertir.
Elle tint ce propos, & fa voix amoureufe Du gentil Roy toucha la vertu gêner eufe, Qui long tems comme éteinte en fon cœur croupiffoit Sous la flamme d'amour, qui trop l'affoupijfoit ; A la fin la vertu s'enflamma renforcée
94 SECOND LIVRE
Par le mefme /lambeau qui Vauoit effacée. Ainfi jadis Amour domta bien Achilles Et domta bien auffi Vindomtable Hercules ; Mais après les Troyens fentirent leur puiffance : L'vn de fon amy mort fit cruelle vengeance, L'autre à Laomedon aprit quil ne devait Souiller la fainte foy que promife il auoit : Auffi l'amour du Roy nempefcha que la gloire De l'Anglois ne perifi : car de/lors la vidoire. Qui d'vn vol incertain variait çà & là, Se déclarant pour nous plus vers eux ne vola. Et depuis qu'il s'arma, peu-à-peu toute France Se remit fous le joug de fon obe'iffance.
Or ayant de nouueau deffous fa main réduit Les Normans reconquis, pour prendre le déduit De la chaffe & des bois, de fon camp fe defiourne, Et retiré l'hyuer à Gemieges fcjourne. Là où la belle Agnes, comme lors on difoit. Vint pour luy decouurir Vemprife qu'on faif oit Contre Sa Majefié. La traliifon fut telle. Et tels les conjure^ qu'encores on les celé : Tant y a que l'aduis qu'adonc elle en donna Fit tant que leur deffein rompu s'abandonna ; Mais, las, elle ne put rompre fa dcfiinee Qui pour trancher fes jours l'auoit icy menée. Oit la mort la furprit. Las, amant, ce n'efioit Ce qu'après tes trauaux ton cœur te promettoit ! Car tu penfois adonc recompenfer au double L'heur, dont t'auoit priué des guerres le long trouble , Quand la mort t'en frufira. O Mort, celle beauté Deuoit de fa douceur fiechir ta cruauté! Mais la luy rauiffant en la fleur de fon âge, Si grand que tu cuidois n'a efiéton outrage: Car fi elle eut fourni l'entier nombre des jours Que luy pouuoit donner de Nature le cours. Ses beaux traits, fon beau teint & fa belle charnure De la tarde vieillejfe aloyent fentir l'injure : Et le renom de Belle auecque fa beauté
DES POEMES. 95
Luy fujl pour tout jamais par les hommes ojïé. Mais jufques à la mort l'ayant vu toufiours telle Ne luy peurent ojler le beau renom de Belle: Agnes de belle Agnes retiendra le furnom Tant que de la beauté beauté fera le nom.
AV ROY.
Ce nejl pas d'aujourdhuy, 6 grand Roy de la France, Qiie vous proiiue^ d'auoir en vo:{ faits refemblance A ce grand Hercules qui la terre purgea De monflres & de vice, & au bien la rangea. Vne fois recherchant quelque diuin prefage. Comme fouuent iefen ni'époindre le courage Repenfant à mon Roy, quand j'en bien retourné Vofire beau nom Royal de nos Mufes orné, Les lettres raffcmblant d^vne vraje rencontre Vn tiltre à vos honneurs ie trouuay, qui démontre L'enclin qu'ain^^ du ciel heureufemeiil fatal Conforme à Hercules fui nommé Chaffemal, Did Alexicacos par l'ancienne Grèce, Qiii de ce beau furnom honora fa piouéffe: Dénotant qu'il auoit hors du monde chajfé Le mal, le repurgeant, & le bien auancé.
Ainfi que vous fcre^, quand par dioiâe luflice Et vraye pieté vous banire:^ le vice, Ofîere^ Vignorance, & du bien guerdonneur Remettre:^ gentilleffe enfon entier honneur, Chaffant la barbarie, auançant lafcience, Repolijjfant les arts, & prenant la defence Des bons contre l'cnuie^ & par honneur & pris Incitant à vertu les plus mornes efprits.
Mais voicy de nouueau l'aduenture admirable,
96 SECOND LIVRE
Qui me/me en vous jouant vous fait ejlre femblable A ce grand Hercules. Car entre fes labeurs Celle prife d'vn cerf n'ejl pas de fes hoyincuvs Comté pour le dernier : fa ramure dorée Luit encores aux vers des Poètes honorée, Qui chantent Hercules, & nous viennent conter Comme c'efl que ce monfir' il alla furmonter. Au mont Mcnalien Hercules fi bien guette Comme dehors du fort l'eflrange cerf fe jette, Cherchant fon viandis, que d'vn traid non fautif Il trauerfe le flanc de ce monflre fuitif : Mais vous non pas d'aguet, combien que d'embufcade Vous peuffici le tirer de feure arquebu:{ade. Trop plus jufle tireur que ce vaillant archer, Mais tout ouuertement vous aimafles plus cher A courfe de cheual le pourfuiuant à veué, Vne chaffe acheuer non encore cogneué Ny faide d'aucun Roy, fans leuriers, fans clabauts Aue^ forcé le cerf, & par monts & par vaux Maumené de vousfeul, monfirant que la viteffe Ne faune le couart quand le guerrier le prejfe. C'eftle cheual guerrier, qui fous vn Roy vaillant Magnanime guerrier non vaincu bataillatit, Orgueilleux de fa charge, & de courfe non lente Acconfuiuit la befle en fes membres tremblante, Et fous voflre cfperon ligier obeijfant. De la prife efperê'vous rendit jouiffant.
Que ne fuy-ie Conon, maiflre en la cognoiffance Des aflres du haut ciel! Là haut voflre femblance En veneur efloilé, la trompe fous le bras, L'épieu dedans le poing, voflre cheual plus bas, D'efloiles Jlamboyroit. Orion qui menace La tempefle & l'éclair vous quiâeroit fa place. Non pour donner Vorage aux humains malheureux^ Mais pour fauorifer les veneurs bien heureux.
Moy donc {ce que ie puis) vous tnon grand Roy ie chante Auecque le cheual, la befle îrcbufchante Au coup de voflre main : fur vn chefne branchu,
DES POEMES.
97
Vouant du chef du ferf le branchage fourchu.
Le Roy Charles neufvieme, & premier qui à-vué,
Sans vieute, fans relais à la befle recrue
Piquant & parcourant fait rendre les abbois,
En confacre la tefte à la dame des bois.
EMBASSADE
DE VENVS.
AV SEIGNEVR DE MONDREVILLE.
\^ pourray bien, Dv Val, O Toy à qui la grâce D'vn lien d'amitié m'afaintement lié, Du grand Bembe fuiuant l'Italienne trace, Te doner en François cet efcrit enuoyé Aux rebelles d'Vrbin: et fi quelque difgrace Ta maiflreffe te fait, il luy efl dédié Comme à la mienne auffi. D'vne mefme fecouffc Ce chant nous puiffe rendre & l'vne & l'autre douce.
Vers le soleil leuant en la terre odoureufe Deffous l'air plus ferén du ciel mieux tempéré Dans le plaifant pais de l'Arabie Heureufe, Où rit tant que l'an dure vn printems modéré, Vne nation vit en plefance amoureufe, Qiii toute à bien aimer a le cœur atiré : Telle efl leur auanture & telle l'ordonance " De la dame qui prit en la mer fa naijfance.
A la douce Deejfe, à qui du tout fe vouent Ces deuôs bien heureux {& vrayment ils font tels), Mains temples font facre:^, oîi dançans ils la louent lean de Baif. — II. 7
98 SECOND LIVRE
En cent belles chanfons alentour des autels. Là cent Prejires facre:{, que les peuples auouent Dignes de maintenir leurs Jlatuts immortels, Ont le foin du feruice, & de la loy la garde Qiii la belle contrée en amour contregarde.
Laquelle en fomme dit qu'il faut que chacun viue Suiuant en tous f es faits d'Amour la fainte ardeur : Et s'il y a quelcun qui mutin ne lafuiue, Liiy remontrent combien ejl grande fon erreur : Et que du plus grand bien le malheureux fe priue Contre ce doux plai/ir qui obftine fon cœur : Et fur tout que celuy fait vn forfait efirétne Qjii cmé 7i' aime point la peifonne qui l'éme.
Enhortant à cela les cœurs du populaire, Ils feruent leur Decffe auecques pure foy. Et reçoiuent d'autant plus gracieux falaire, Plus d'eux elle reçoit d'honeur félon la loy : Et chacun fçait par tout fon deuoir fi bien faire Qiie fans autre débat chacun repond de foy : Or elle au temple auant que Ion veifl la lumière Aparoiffant à deux dit en cette manière :
Mes feavx, qui aue^ aux gens de cette terre Autant que Ion pouuoit eleué mon honeur. Comme on n'a plus befoin des toiles que Ion ferre. Lors que le cerf efl pris en la main du veneur, Auffi vous ne pouue^ icy plus rien acquerre, Tant vn chacun redoutte & prife ma valeur : Tout ce qu'il faut efl fait : & faire dauantage Qji'on y fait, c' efl porter du fablon au riuage.
Carfi aucun d'entre eux des autres fe débande Qititant mon gonfanon me voulant deleffer, Des bandes que j'ay tant, aux quelles ie commande, Jl fera le triomphe & ne pourra paffer. Maintenant il conuient qu'en d'autres lieux s'entande Ma gloire par des gents, oit faut vous adreffer. Qui n'ont jufques icy entandu ma puiffance. Et qui ne font range^ fous mon obeiffance. Comme là oit le cours de la Sene apurée
DES POEMES. 99
Embrajfe vne belle ifle an milieu de Paris : Là deux pucelles font dont Vaudace ajfuree Met de mon doux flambeau les flammes à mépris: Qui ne fe contentant de me tenir ferrée La porte de leur cœur, encor ont entrepris De faire que par tout toutes les damoifelles Autant comme elles font foyent contre moy rebelles.
Difant pour leurs raifons qu'on doit plus que la vie EJiimer & prifer la fleur de cliafleté : Et remonflrant combien de gloire efl enfuiuie A LvcRECE d'auoirtel honeur mérité, Qiii aima beaucoup mieux fe voir l'ame rauie Qiie viurefans Vhoneur de fa pudicité. Ma gloire fe va fondre ainfi qu'au feu la cire, Et fi vous ne m'aide^, c' efl fait de mon empire.
Alle^, remonflre\ leur, combien fe trompent celles Qui ne me donnent point la fleur de leur printems : Aprefle^ vous foudain d'aler à ces rebelles : le fçay comme en chemin vous fere^ peu de tems. Ne creigne^ de la mer les tourmentes cruelles : Vous les pourre:^ paffer en ma nacre montans, Ou dans mon char doré les couples atelees Des Cygnes vous pot'rront par fus les eaux falees.
Ce dit eV difparut : & fes cheueux jetterent, Qitand elle s'en alla, mille douces odeurs. Et fes petits Amours qui fon beau nom chantèrent Semèrent tout le ciel de rofes & de flicurs. Les preflres d'obéir à Venus s'apreflerent Quand PAurore peignit Vair de jaunes couleurs : Auec l'aube du jour en cheynin ilsfe mirent, Et par dcffus le Nil droit en la France tirent.
Les Pyramides font en arrière laiffees, Et les murs furnomme^ du jeune Macedon, Sous lequel toutes gents fe ployèrent baiffees. Se rendant à fa force ou creignant le feul nom. Rhodes, Crète, Sicile & Corfe font paffees. Ils lejfent à coflé le Tibre au grand renom. Ils paffer en t le Rofne, S- Loire ils trauerferent,
TOO SECOND LIVRE
Et droit deuers la Sene à Paris s'adrejferent.
Et les voicy venus, & tous deux ils demandent Vous dire l'ambaffade & la charge qu'ils ont : Et parce qu'ajfe^ bien vojlre langue ils n'entandent Pour haranguer pour eux trucheman ils me font. Donqucs ie vous diray ce que dire ils commandent. Et pourquoy deuers vous tranfporte:{ ils Je font. Si vous m'oye\ tenir propos duquel ne s'vfe Entre vous, leur Deejfe étrange m'en efcufe.
O Damoifelle vnique au monde de noflre âge, Qiii n'eut onc ny n'ara fa pareille en beauté : Qii'vn bon bruit juf qu'au ciel renomme comme fage, De fçauoir, de vertu, pléne d''honefleté, Sur les autres ayant l'honeur & Vauantage : Etfivoflre douceur n'exerçoit cruauté. Belle Ame quiferie^ trefdine d'vn empire, Et qu'Homère entreprifl vos louanges efcrire.
Mais quelle opinion d^auoir fans A}7iour aife, {Sans lequel Vhomme n'a vue heure de plaifir) Fait que fuiure fes loix tellement vous deplaife, Qiie le mortel venin plus ne pourrie:^ fuir? Et feule vous fuie:{ comme chofe mauuaife CeUiy que tout chacun pourfuit d'vn tel defir? Qiioy? faire d'vn feigneur doux confiant amiable Vn tyran inhumain dédaigneux variable?
Amour efl vue douce afexion plefante Qiii à Vhonefleté les plus fauuages duit. Amour les cœurs gentils de toute ordure exante, Les deliure de peine, à joye les conduit. Amour de s'eleuer les chofes baffes tante. Le mortel eternife & fait que l'ofcur luit. Amour efl de tout bien la femance féconde, Qiii entretient, régit & conferue le monde.
Car non feulement Vair, le feu, la mer, la terre, Les animaux diuers, les plantes, tous les biens Couuers ou decouuers que cette boule enferre Deffous ta main. Amour, tu gardes & maintiens^ Et des feux aigrcdous que ton bel arc defferre
DES POEMES. lOI
Faifant tout engendrer le tout tu entretiens : Mais nul autre que toy ne tourne & ne manie De ce haut firmament la machine arondie.
Amour non feulement les étoiles errantes Régit de cercle en cercle & gouuerne les deux: Mais encor les beauté^ fur toutes excellantes Que fans mère engendra le Dieu de tous les Dieux En tout heur & tout bien parfaites & contantes, De la vertu qu'epand cet Amour gracieux Prindrent leur premier être, & font la nourriture D'Amour qui donc vie à toute la nature.
Cette grande vertu par voje plus qu'humaine Deualant icy bas fe fourre en nos efpris. Qui fans elle fe rayent dedans la maffc vaine De nos terrefires cors d'vn lourd fomme affoupis: Mais elle les éueille & les haujfe & les meine Au ciel, les enhortant à chofes de grand pris^ Pour gagner à jamais vne louable gloire, Et contre le deflin emporter la viâoire.
Cette Vertu a fait que Lefbie immortelle Vit encor aujourdhuy aux vers du Veronois : Que Ion eftime encor Corinne comme belle Pour s'efire fait aimer au Poète Sulmonois : Que de Lydie on oit la louange éternelle Aux chants que fur ton lut, Horace, tu fonois : Et qu'on fcait que Tibulle a chanté la Délie, Galle fa Lycoris, Properce vne Cynthie.
Cette Vertu depuis a fait que pour fa Rofe Guillaume & Clopinel firent le beau Romant, Oii la gloire d'Amour & la force efl enclofe. Pour infiruire à aimer & l'amie & l'amant : Elle a fait que les chants que Pétrarque compofe Font que fa Laure vit belle immortellement. Tant que mainte pucelle, étant toute rauie Des louanges qu'elle a, luy porte grand' enuie.
Cette Laure cachée en éternel filence Comme vne feche fleur feroit mife à mépris, Si autant luy eufi pieu cruauté que clémence
102 SECOND LIVRE
Vers celuy qui fut tant de fon anwur épris : Et des autres auffi, de qui les noms j'auance Qui ont jufqu'auiourdhuy vn honetir de grand pris, Qui s' ejl jamais montrée enuers celuy cruelle Qui pouuoit l'honorer d'vne gloire éternelle?
Cette belle vertu dedans vous s'ejl logée Pour y choifir & faire vn bien heureux fejour : En vous telle valeur enfemble s'efl rangée Qii'vne de plus grand pris ne vint jamais au jour. Qui a du-tout d' aimer fa rude ame étrangee, Ou qui ne fçait encor la puijfance d'Amour, Qiivnfeul petit regard à vos beaux yeux adrejfe, Et qu'il ejfaye après s'enfauuer de viteffe.
Vos deux joues ce font des rofes & vermeilles Et blanches que Ion vient de cueillir de nouueau. Ces leures & ces dens font des perles pareilles : Et des rubis vermeils, doit part ce parler beau Qui les hommes rauit de douceurs non-pareilles : Les yeux font deux foleils, le ris vn renouueau. Mais voflre courtoijie honefieté prudance Le monde combleroyent de parfaite plaifance,
Sans quvne opinion cruelle deteflable Contre Amour d'vn glaçon r empare voflre cœur: Et toufiours vous détient en état miferable, Vous oflant le plaifir de la plus grand' douceur, Et à qui fuit de vous l'exemple dommageable, Qiti les fait égarer en vne mefme erreur, Comme quand des brebis la guide fe déuoie. Il faut que du troupeau tout le refle foruoie.
Pour ce Amour me commande expreffément vous dire. Qu'à fes plaifirs heureux la porte ne fermie:{ : Si le Ciel libéral vers vous, ami,fe vire, Qiie d'vn cœur libéral il faut que vous émie:^. Auoir vn champ fertil vous pourroit-il fufire. Sans que le labourie^, fans que vous lefemie^? Vn vergier non foigné dénient bois en peu d'heure. Et fe fait des oiftaux & befles la demeure.
Cefl comme Auril & May le printems de votre âge,
D E s P 0 E M E s . I O 3
Et votre beauté femble vn jardin à la voir.
Au priiitems, lors qu'il peut, le feigneur, fil ejl fage,
Ira dans fon jardin pour plaifir en auoir.
Mais après que les fleurs auront fenti l'outrage
Du grand chaud ou du froid, ne daigne fe mouuoir,
Maisfe tient en lieu frais tant que la chaleur dure.
Ou paffe auprès du feu de Vhiuer la froidure.
O combien de grands Rois de leur bonne fortune Sont indines du tout pour n'en pouuoir vfer? Que fert garnir le mat de voiles & de hune, De cables, fi au port la nef fe doit vfer? Si le Soleil qui luit & cette clere Lune Nous écleroient en vain, qui voudrait les prifer? La fleur de la beauté de laquelle on fait perte, Efl vne belle perle enterrée 6- couuerte.
Qiiel ferait le chetif qui fe fermant la vue Limais à fon befoin ouurir ne l'aferoit : Ou fe bouchant le feus, qui la voix entanduë Raparte à nôtre efprit, rien ouïr ne pourrait. Ou qui le pié planté (qui nous parte & remué) Pour démarcher d'vn lieu d'vn pas ne bougerait? Telle efl celle qui, belle en fa verte jeunejfe^ Nonchalante entre vous anéantir fe lejje.
Dieu ne vous a pas mis en la vie moi telle A fln qu'y vefquiffie^ fans amour en ennuy, Et ne vous a donné vne beauté fi belle A fin que vous l'euffie^ pour la peine d'autruy. Si contre toute amour evfl efl é fi rebelle Chaque mère, en quel ranc fuffle^-vaus aujourd'hui? Celuy entant qu'il peut le monde veut détruire, Qiii rompt les loix d'Amour ou leur veut contredire.
Comme Ion blâmerait vn qui ferait auare Vers vous qui luy auries^ fait libéralité, Auffi à qui vous tient pour fon trefor plus rare, Dames, vous ne deurie:^ montrer feuerité : Autrement vous ferie:{ pis quvn Scythe Barbare^ Si vous guerdonnie^ moins qui a plus mérité. Puis que fi vous tambe:^ faudain je vous releue.
1 04 SECOND LIVRE
Tombant je doy trouuer en vous qui me fouleue.
Le pris d'honejleté, que tant Ion aime & prife, Des Dames du vieil tems dont les Hures font pleins, Tout ce que du commun V ignorante fotife Fait vice & defhoneur pour les cerueaux malfains. Toute Vopinion qui vient de fa bétife, Et court par tous pais, n^ejl rien que fonges vains Des Romans controuueurs d'ombres S- menteries. Qiii les /impies efprits troublent de rêueries.
Le miracle n'ejl grand qu'vne ou deux fotes femmes On ait veu quelque fois en l'vn des fiecles vieux, Qtii ne daignant fentir les amoureufes flammes Sans plaifir ont paffé tous leurs ans ocieux. Comme vne Pénélope entre les Greques Dames, A qui f on propre bien fut fi fort odieux, Qit'elle toutes les nuits détiffoit fcs journées Tandis qu'elle attendit vn homme vingt années :
Qui, errant çà & là par maint cartier du monde, De côte en côte alloit vogant deffus la mer. Et prenant les plaifirs defquels Amour abonde, Se fît gaillardement à mainte dame aimer. Car ilfçauoit comment en raifon mal fe fonde Celuy qui ne /cachant fa fortune eflimer. Ne fait voile tandis que le vent de la vie Et le port qu'il a prefl à voguer le conuie.
Dieu, la force d'Amour & la loy naturelle Nous ayant mis au monde auroient peu de crédit, Si ce defir, fuiui d^vne lieffe telle, Et qui plaifi tant, étoit fi méchant que Ion dit. Si quand le feu montant contre mont étinccle, Le fleuue court à val, le Soleil de jour luit. Nulle offence ils ne font, vous ne faites offance D'aimer le doux plaifir doii vient vofîre naiffance.
Voie^, quand le Soleil fur nos tejles remonte, Et que tout le pais de verdure efl couuert, Si la vigne n'a rien oit fon pampre elle monte. Pour deffus apuier fon beau cépage vert, Ni du jardin ni d'elle on ne fait point de conte,
DES POEMES. I05
Et fon ombre & fon fruit toute fa grâce perd :
Mais quand ou quelque treille ou quelque ormeau l'apuye ,
Le Soleil à veu-d'œil la fait croiflre & la pluye.
La brebiette paijl la verdure nouuelle, Et voit pour fon amour les béliers fe hurter : Dans le milieu des eaux le gay Daufin fautele, Qii'on voit humainement fa compagne acofler. On voit le paff créait deffus la pafferelle En vne heure cent fois lajfiuement monter, Et vous prene{ plaifir de rendre votre vie Solitaire alécart de toute compagnie.
Qjiefert d'auoir à foy beaucoup de grands domaines, Et leuer des châteaux au ciel pour fe loger? Quefert d'or monoié tenir cent chambres pleines, Et les tapis velus par la place ranger? Brauer S- f'orgueillir en richeffes mondaines, S'abiller de drap d'or, en or boire & manger, Eflre autant en beauté que le Soleil parfete, Pour dedans fon lit froid fe morfondre feulete?
Mais combien plus il fert auoir amis fid elles, Et leur communiquer ce qu'on a fur le cœur. Et defirs & courroux, fnnphffes & cautelles, La douleur, le plaifir, l'efperance & la peur : Et par vaille moiens de blandices nouuelles Conuertir tout Vamer de la vie en douceur, Et de lourdes qu'on efl en propos ou en grâce, De toute honefleté fe faire l'outrepaffe.
Que vous deue:^ aimer vn homme qui defire Voflre contentement beaucoup plus que le fien : Qui pour voflre beau nom incejfamment foupire.^ Qiii fans penfer en vous ne reçoit aucun bien : Qiii fe mourant en foy, vif en vous fe retire: Et qui au pris de vous ne creigne & n'aime rien : Par qui de vos doux yeux foit la clarté fuiuie En ce mortel fejour pour guide de fa vie.
O le plaifir que c'efl de fentir venir moindre Son ame, tant Amour heureufement l'étreint! Sçauoir comme vn feul teint deux vifages fçait teindre,
io6
SECOND LIVRE
Sçauoiv comme vn feul mois deux volonté^ contreint : Comme vue belle glace vn doux feu fçait éteindre, Comme vn ciel ténébreux d^vn air feren fe peint : Et comme vn doux regard ne fçay quel heur enuoie, Qiii fait que le cœur gay fautele de grand joie.
Celle fe peut & doit eflimer quafi morte. Dans le penfer de qui nul feu d'amour ne luit: Ni jamais quelle elle efl à fon fens ne raporte, Ni ne profite au monde & à foi-mefme nuit : Ni ne f aime foi-mefme, & n'aime en nulle forte Celuy qu'vne amour ferme à V aimer a conduit : Ni ne conoifl comment l'ame peinte [à qui éme) Sur le front cherche autruy & fe tromie foi-mefme.
Car vous ni nous auffi ne fommes chofe entière, Mais chacun à par-foy d''vn tout efl le demi. Cefl Amour qui nous rend noflrc forme première Quand il lie & rejoint l'amie auec l'amy : Lors Vvne S' l'autre part goiite en telle manière Les plaifirs mutuels, que fi quelcun emmy Si grande volupté faifoit longue demeure, Parfaitement heureux il deuiendroit fur l'heure.
Ainfi cherchant autriy vous vous trouuer^, & faites "Vous trouuant que tout heur fc trouue dedans vous. Et pourquoy efi-ce donc que feules vous défaites L'ordonnance d'Amour, dont l'empire efl fi doiuv? Vous-mefmes contre vous ennemies vous efîcs. L'empire vous oflant que vous atirie:^ fur nous. Vous refufe:{ d'auoir d'vn feur ami l'empire. Lequel pour vous j'eruir dcuers vousfe retire.
Doncques je vous donray confcil bon & fidelle. De ne fuiure le faux laiffant la vérité : Si vous ne la cueille:^, comme la rofe belle. De foi-mefme cherra vôtre fraîche beauté. La vieillejfe ridée ameinant auecque elle Tout chagrin, tout ennuy, toute maleureté, Vient vous faire conoiflre à votre grand dommage Combien Je repentir de foi-mefme ejî grand' rage, le vous en diroy plus fans quej'ay défiance
DES POEMES.
107
Que ynoir parler trop long ne vous foit eimuieux : Outre que i'aperçoy que plus en vain ie panfe Dépeupler tout ce bois d'arbres deuant mes yeux, Plus ie le voy peupler. Mais vôtre bienueillance, Dames, nous donnera vu congié gracieux, Et ceux-ci lefurplus vous pourront faire entandre, Si tojl qu'ils auront peu votre langage aprandre.
FIN DV SECOND LIVRE DES POEMES.
LE TIERS LIVRE
DES POEMES
A MONSIEVR BRVLARD
Secrétaire d'Eftat.
ORVLARD, qui vas bridlant en ton dme feiiere De Vamour du vray bien, qu'elle haujfe & reuere, Comme elle abat le vice, excufe mon erreur, Où jeune me força l'aboiante fureur D'vn peruers médifant. Si ma nature douce S'aigrifl par le courroux enflammé qui me pouffe, M'enfoit donné pardon. L'injure telle étoit, Qiie n'ay peu la vanger comme elle meritoit.
Donc, trop douce Deeffe, encor d'vn tel outrage Tu contiens en tes flancs la vcngereffe rage Contre ton blafphemeur, qui vomit fon venin De fon infette bouche, ofant ton cœur bénin Enflammer d'vn courroux que le méchant fappr e fie Pour froiffer de mes traits fon exécrable tefle?
LE TIERS LIVRE
DES POEMES
A MONSIEVR BRVLARD Secrétaire d'Eftat.
JDRVLARD, qui vas bvullant en ton âme feiiere De Vamour du vray bien, qu'elle hauffe & reuere. Comme elle abat le vice, excufe mon erreur, O il jeune me força l'aboiante fureur D'vn peruers médifant. Si ma nature douce S'aigrifl par le courroux enflammé qui me pouffe. M'en/oit donné pardon. L'injure telle étoit, Qite n'ay peu la vanger comme elle méritait.
Donc, trop douce Deeffe, encor d'vn tel outrage Tu contiens en tes flancs la vengereffe rage Contre ton blafphemeur, qui vomit fon venin De fon infette bouche, ofant ton cœur bénin Enflammer d'vn courroux que le méchant papprefle Pour froiffer de mes traits fon exécrable tefle?
110 T I E R s L I V R E
Puis que ce de/loyal offençant mon honneur
A ofé de via vie empefcher le bon heur.
Armons-nous contre luy . Si quelqu'autre fois, baffe.
Rampant d'vn humble train, ô Mufe, de ta grâce
Tu as ceint mon doux front de myrte gracieux,
Sus, fus ! éU'ue toy d'vn pas audacieux.
Démarche grauement, enfle toy toute d'ire,
Du creux de tes poumons ta voix grondante tire,
Vien d'if & de cyprès vn chappeau torticer.
Fais-en mon poil rebours horrible heriffer :
Et puis que luy premier de cette aigreur première
Ofe bien dépiter ta douceur coufîumiere,
Fay qu'il fente combien d'vn Poète irrité
Peut le félon courroux juflement dépité :
Fay qu'auec tel effet en vers ire^je chante
Indigné juffement , la îrahifon méchante
De ce traiflrc cruel : que, s'ayant en horreur
Pour Jon lafche forfait, chagrin en fa fureur.
Repentant de fon tort, foy-mefme il fe puniffe,
Criminel & bourreau de fon énorme vice.
Il m'a donc outragé, le traître, f efforçant
Souiller de fon venin mon honneur innocent?
Il a donc bien voulu noircir de ma jeuneffe
Par vn blafme fongé V innocente fimpleffe?
Il a doncque tafché d'abbattre & de troubler
Mon bruit & mon repos, & ma vie combler
{Si le méchant Veuff peu) de honte & de detreffe?
« Qui veut blcffer autruy, le premier il fe bleffe.
Tout ce qu'il braffe à tort contre moy de méchef
A bon droit recherra fur fon parjure chef,
Sur fa méchanceté luira mon innocence :
Mais en luy feul témoin de fa propre méchance
Vn regret luy rongeant la moelle en fes os.
Ne luy lafchera prendre vn moment de repos.
Deffous deux yeux meurdris en face marmiteufe.
Quelque part qu'il fe monflre vne pâleur plombeufe
Monftrera que fon cœur enflé de trahi/on
Se paiff inceffamment d'vne aueugle poifon :
DES POEMKS.
Monjïrera devant tous que par fa calomnie Il tâc'ioit voir ma vie honteufement lionnie, Controuuant ce mechef contre moy méchamment : Mais moy [qui fçay mon cœur autant jujie, que toy Tu fens le tien me/chant) je veu mon innocence Ejlre vue de tous : je veu que ta méchance Te face chagrigner ton vifagc blefmi, Ainft juflifié par toy mon ennemi.
Ennemi, que je liay d'vne haine fi forte, Que plufiofl le Soleil fa matinale porte Pour éclaircir les deux fur les Gades fera, Oit VAubefe declofl, le jour fe couchera : Et plufiofl le lyon ceffera de pourfuiure Le daim fuy art -.plufiofl en alliance viure Se verront fous vn ted les brebis G- les loups, Qii'en-contre ce Majlin fappaife mon courroux.
Ce Maflin aboyeur de mon entière vie, Grincetant de fcs dents efcumetifes d'enuie Traiflrement contre moy, baua fur mon renom: Etj'ay en tel dédain fon exécrable nom Que j'aurois en horreur de ma bouche le dire. Comment pourroy-je donc deuant tes yeux récrire.^ O Mufe, & te fouiller d'vn nom tant odieux? Or Maflin f oit nommé ce méchant enuieux : Toutes ces maudiffons contre Maflin jettees Les fente mon haineux à fon chef fouhettees : Et fous le nom Maflin, f entende le méchant Sur qui j'enten vomir ce maugreable chant.
O ciel, ô mer, ô terre, ô beau jour, 6 nuit brune, O deux flambeaux de l'an toy Soleil & toy Lune, O vous aflres ardents luminaires des deux. Vous la troupe plus grande, ô redoutables Dieux Des celefles manoirs, ô vous les populaires Des Dieux fuperieurs, Faunes, Satyres, Laires, Race des demi-Dieux : ô forefts, ô ruiffeaux : O vous Nymphes des boys, à vous Nymphes des eaux, Oye\, oye^ ma voix, ça prefle\ vos penfees A mes afpres fureurs juflemcnt ef lancées :
112 T I F. R S L 1 V R Iv
Entant qu'il eft en vous permette:^ auoir poix Et mon vengeur courroux & ma valable voix.
O vous Dieux infernaux. Princes des peuples pâlies. Dieux & Nymphes d'embas, de qui les ondes /aies Tournoient emmurans les manoirs ténébreux : Toy plein de dueil Cocyt, toy Phlegeton fouffreux, Lethe palud d'oubli, Stige treshonoree, Stige qui n'es jamais des Dieux en vain jurée, Venei de vos enfers à ce joyeux f eft in, A vous, j'immole à vous ce deuoué Mafîin, Ce Majîin exécrable à vous je facrijîe : Çà, faittes que mon vœu non vain fe ratifie : Faittes que ce méchant de malheur accablé Le fente fur fon chef grieuement redoublé.
Tandis que mon courroux & ma douleur enjemble Maudijfent en mes vers ce condamné qui tremble Sentant fon damnement : vene^, bourrelles Sœurs, En vos mains fecoue:; vos fouets puniffeurs. En vos mains brandijfe^ vos torches pétillantes. En vos tefles groufle^ vos couleuitres fif fiantes, De vos flambeaux puans fes yeux efblouïffe:^, De vos fouets fifflans fes joués depece^ : Qitoy qu'il face ou qu'il f oit, f oit que le jour rayonne. Ou les aflres au ciel, que vofire horreur Vétonne, Toufiours vous rencontrant foit de vous tountienté, Deuant fes yeux toufiours fon tort repref enté, Luy remorde fon cœur: accompagne:^ fa vie De vos trifles hideurs fans relafche fuiuie. Talone:{-le fans fin, fulue^-le pas à pas : Prendre ne luy laijfe^ ne repos ne repas. Sinon entant qu'il puijfe eflre icy miferable Pour fournir en partie au tourment déplorable De fon lafche forfait, par fes tant griefs malheurs. De mes yeux ennemis faifant couler des pleurs : Mais des pleurs tresheureux de moy plus fouhettables Qii'autre ris le plus doux : pleurs, o pleurs deledables. Ce jour marqué de blanc bien-heureux me fera, Et par ces plaifans pleurs d'aife me comblera.
DES POEMES. I r3
Non non que pour ces pleurs ma haine f'ajfouuijfe : Non non que ma rigueur pour ces pleurs amoUiffe : Non que pour fes ennuis meu par force à pitié le lafche en rien les nerfs de mon inimitié, Qjii objlinee en moy, non, quand de main haineufe, {Comme vn Athlète fit en la luitte faigneufe) Son cœur encor mouuant de fon ventre arraché, l'aurois enragément en mes dens remâché, Ne fe foulerait pas : non, fî comme Tydee De fon haï cerueau fa tefle ayant vuidee, J'auoy foulé ma faim, pour ce maudit repas La faim de ma fierté ne fe fouleroit pas.
Tandis que les Daulphins dans les ondes fallees, Les cerfs repaireront aux arbreufes valees, Tant que le ciel flammeux fa grand' maffe roura, Encontre toy Majlin, ma fureur ne mourra, Soit que premier ie meure ou que premier tu meures Si m'enuoyant premier aux obfcuves demeures, La Parque detranchoit la toile de mes ans. Ces jours à moy derniers me feraient bien plaif ans. Tant te voir me déplaifl, ne fufl que ie creindroye Qite mon trefpas premier te donnafi quelque joye, Qjii me pourrait caufer, voire aux enfers là bas , Trop plus de creuecœur que cent mille trefpas. Mais fi premier ie meur, ma rancune enragée Dans l'efîang oublieux plongée & replongée Pour tous les flots Lethois yi' ira pas en oubly : Ou fait que dans mon lit d'vne fleure affoibly. Ou foit que par le fer d'vne mort violente, Ou fait que perillé d'vne ondeufe tourmente, le quitte la clarté de ce jour gracieux, Offu hideufement toufiours deuant tes yeux le me prefcnteray. Mais Ji je doy furuiure Ta malheureufe fin : fi ma Parque doit fuiure Ton trefpas defafîré, puijfe le trijle cours De ces malheurs brouiller les ombres de tes jours : A fin quicy viuant mes yeux rians je paiffe Des maux que je te voué, & de ceux que je laijfe^ lean de Baif. - Il S
114 TIKRS LIVRE
De plus de maux encor te voyant iormcnter Qjie mon efprit troublé n^en fçauroit inuenter.
Les élemens dépits puiffent contre ta vie Conjurer, confpirans vne immortelle enuie. Ton heur foit empejlré d'innombrables ennuis, Tous te puiffent nier leurs deftrables fruits : La Terre fous tes pies fans rclafche tremblante, D'vne éternelle peur ton repos detroublante Te face tremblotter douteux qu'entrebeant Elle ne t'engloutiffe en fon gouffre effroiant : Parmy l'air orageux fur ta poureufe tefle Se traine horriblement vne longue tempefle. Te menaçant ta mort, S- te brouille le feus. Quand par toy condamné coupable tu te fens Auoir pour ton forfait mérité non pas vne, « Mais mille S- mille morts. La peur efi importune « A qui fe fent coupable : où quUl fuye caché, « Le criminel attend le fruit de fon péché.
Tremble touf.ours, Maflin, où que ton œil f élance, Penfe y voir les apprefls pour punir ta méchance : Soit qu'vn acier tranchant tu auifes driller, Crain qu'il ne foit voué pour dans toy fe fouiller : Soit qu^vn feu deuant toy ardre vn peu grand fe voye, Crain que pour te briifler vengeur il ne ffamboye : Soit qu'vn fleuue profond tu voyes tournoyer, Crain qu''il roulle fes flots pour dedans te noyer: Soit qu'vn tombereau tourne encroûté tout de boue, Crain que pour te traîner au fupplice il ne roué : Soit qu'vn chefne fur toy fe branchoie étendu, Crain que pour tes meffaits tu n'y foyes pendu.
Tout te foit plein de pleur, tout te puiffe déplaire, La clarté du Soleil, Maflin, ne te foit claire : La Lune ne te luife, & les aflres des deux Par la plus claire nuit fe cachent à tes yeux : Et le beau te foit laid, £■ la lumière obfcure, Et le miel te foit fiel : du Printems la verdure Te foit vn trifle hiuer : le ga:{ouil des ruiffeaux Te donne autant d'horreur que les rauines d^eaux :
DES POEMES. 1 13
Des )7iiguùs oifiUons le gringoté ramage Sous vn beau jour poignant, t'effroye le courage. Comme te Veffroiroient au foir le plus ombreux De mille chahuans les cris mal-encontreux.
Nu de biens, nu d'amis, banny, pauure, malade, Rcuejlu de haillons, dliuis en huis ta pajfade Puijfes-tu mandier : puijfes-tu quémandant, Au plus gelant hiuer tout vn jour attendant Pour vn morceau de pain craquer la dent tremblarde: Ne puijfes-tu trouuer qui bénin te regarde : Nul ou foit homme ou femme ait de ton mal pitié : Telle foit contre toy de tous l'inimitié.
Piiijfes-tu malheurer en ta fortune trouble : De moment en moment ton ennuy fe redouble. Soit foit toufiours ton corps de douleurs tourmenté, Soit foit toufiours ton cœur de dueil agrauanté. Plus que les jours tardifs des nuits les irifles ombres Te puiffent encombrer, & plus que les nuits fombres Puiffent les jours ombreux pires tnaux atreiner, Qui puiffent rengrege\ au double te genner.
Le fommeil point ou peu fa molle aifle tremouffe Deffus tes yeux meurdris : mais fi fa force douce Te les charme par fois, Morfé te face voir Les fongcs plus hideux qu'il pourroit émouuoir. Mille meurdres cruels, mille monflres horribles, De Scylles mille effrois, mille Harpies terribles S'offrent deuant tes yeux, mille fantofmes d'os Par l'huis le moins obfcur te troublent ton repos.
Sois-tu chetiuement languiffant, miferable. Mais ne foit ta mifere enuers nul déplorable : Plus tu feras chetif, plus ta chetiucté Gaigne de mal-talent fur ta méchanceté. Et bien que tes ennuis d'heure en heure f'accroiffent, Bien que fe rengreger toufiours ils apparoiffent : Nul, tant foit-il bénin, ne voye ta langueur, Qii'encor il ne te juge à plus grieue rigueur.
Souuent de mort la caufe à tes yeux fe prefente, Mais le moyen de mort à ton befoin f'abfente :
ij6 tierslivre
Ta vie outre ton gré retenue au dedans
Tes fens par force anime à mourir prctendans.
En fin l'efprit chagrin pour t'arracher la vie,
S' e fiant fort débattu dans ton cœur plein d'enuie,
Laijfe tes membres las d''vn long tournent trainé,
T'ayant ains que partir cruellement gefné.
Deffous dejafire tel [& les Dieux le voulurent] De ta mère, Mafiin, les trifics couches furent : Nul afire qui rayonne auec heur ou fans mal Ne te fauorifa ton trouble jour natal: Ny Venus dou-luifant n'œillada ta naijfance, Ny le bon lupiter en paifible infiuance Ne te guigna d'enhaut : le Soleil radieux, La Lune aux crins d'argent, Mercure ingénieux, En bon regard tourne^ alors ne V éclairèrent : Mais bien Saturne & Mars contre toy conjurèrent , Brouillans de ta naijfance en leurs plus trifies lieux, Et plus troubles regards, le moment ennuy eux . Le jour que tu naquis du ciel la torche claire, {A fin que rien ne fufi qui ne te fiifi contraire) Obfcure f'ennublant d'vn brouillas épeffi, Par ce morne fejour troubla Pair obfcurci : Voire & lors que ta mère après maintes & maintes Importunes douleurs & cruelles épreintes. Son ventre déchargea de toy, méchant Mafiin, Son exécré fardeau, fous tant trifie defiin : Le nuit-volant hibou d'vne aifle malheureufe Vola fur ta maifon, en voix malencontreufe, Du plus haut de ton teâ huant ton chant natal, A tes jours auenir mortellement fatal.
Les Eumenides lors en leurs fenefires faites T'enleuans tout foudain, dans les eaux infernales Plongèrent trifiement ton maudiffable corps, Du bourbier Stygien fouillant tes membres ords : Elh's te recueillant, de baiie Cerberine Et d'Hydrien venin, te frottent la poitrine : Elles de lait chenin te venans alaitter, D'vne chienne te font les tetaffes tettcr.
DES POEMES. 117
Ce fut là de Majlin la première pajltire. De là le nourrijfon embiit fa nourriture, Pour après contre moy de fa vialine voix Faire en vain éclatter les enrage::^ abbojs.
Elles des vieux haillons desfepulchres oflerent. Et fes membres maudits dedans emmaillotèrent : Elles les ont pofe\ en ce point reueflus Au lieu de lit mollet fur des cailloux pointus. Apres auoir fini leurs trifles commerailles, Qiti paffoient en trifieur les trifles funérailles, Ne laiffant aucun point du myflere facré Au naiflre d'vn enfant en la forte exécré : la dreffant leur retour, leurs torches enfiammees Contre fes yeux chetifs elles ont allumées, Par V amer e fumée ijfant de leurs flambeaux Attirans de fes yeux deux larmoyans ruijfeaux. L'enfant né malheureux, méfiant vn piteux braire A fes pleurs marmiteux, contre leur fiâme amere Se ridoit renfrongné, quand l'vne fœur des trois Efclatta contre hiy cefie deuine voix, Qiie Clothon confetma, qui defpite tournajfe En vn rouillé fuf eau vne noire filajfe, Tandis que l'autre fœur fon noir brandon puant Sur la face à Majlin toufiours va remuant.
PovR NE TARIR lAMAis de larmes éternelles En toy nous efmouuons ces fources perannelles, Te dreffans vn ejlat à jamais douloureux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Croy malheureux enfant fous malheureux prefage, Croy pour efire la honte & l'horreur de ton âge. Car depuis que le ciel en fon branfle eflancé Tournoyé ce manoir en rondeur balancé, Et tant qu'il roulera la grand boule en fon efire. Sous fa voûte il n'a peu ny ne peut faire naifire Vn autre à meilleur droit en malheur plantureux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Qit'efi-ce qui aujourdhuy en trouble malencontre Pour ton naifire ennuyeux fon horreur ne demonfire'.
I I 8 T I E K s L I V R F.
La Lune cette nuit n'a telle pas déteint
En jauna/lre palleur l'argentin de /on teint?
Le foleil n'a til pas plus grand horreur monjliee
Que jadis, quand il vit par l'inhumain Atree
Le banquet inhumain à/on frère appre/lé,
Reguidant au rebours & fon char arrejlé
Et fes chenaux retifs? les eaux contre leur fource
N'ont elles refloté d'vne ondée rebource
Et d'vn bourbier foudain troublé leurs flots poureux?
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Vi en malheure né: lupiter qui t'apprefle Son tonneau de malheurs, le panche fur ta tefle, Et prodigue à ton mal les verfe à grans monceaux, Tournant la gueulle en bas du chetif des vaijfeaux, Qii'il a deux des deux pars fur le fueil de fa porte, Dont il puife fes dons heurant en double forte Les humains, comme il veut, ou mal ou bienheureux-
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Voicy, voicy venir la Pandore fatale, Qui de fa boifie en toy fes pires dons eflale. Et des maux par les dieux à l'enui derechef Donnei, ^"^"^ accabler ton detefiable chef, Pour malheurer les jours de ta chetiue vie. Qui de mort ne fera feulement qu'vne enuie. Sans l'efpoir des chetif s feul confort doucereux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Effoir fuira ta vie, & defpoir cofie à cojle D enuie dans tes fiancs fuit ton importun hofie. Qui leurs griffes dans toy à l'enui cacheront, Et ton cœur tenaillé par pièces hacheront, Toy fouffrant plus de vial qu'en fa negeufe roche Ne fouffroit le larron du feu, qui au bec croche De l'aigle fourniffoit vn poumon vigoureux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Tant d'encombrés diuers, tant d' an goiff es profondes Ta vie engloutiront au gouffre de leurs ondes. Qui, comme flots enfle^ s'entrepouffans de ranc Battent d'vn rude choc du nauire le flanc
DES POEMES. Iig
Plongé dans la tonnente, ainfin entrepoujfees
Troubleront coup fur coup tes liejfes froijfees :
Tant d'ennuis te fuiuront : ne crcin, non que tes jours
Par tels & tant de maux te puiffent ejlre cours :
« AJfe:{ & trop long tems vit celuy qui defire
« La mort pour feul remède à fon félon martyre,
« Et ne la trouuant point fe traine malheureux.
Tor malheureux fuf eau, tor ce fil malheureux. Voire afin que tes maux auecque ta mefchance Par le tems abolis ne fouffrent Voubliance, Vn Poète vangeur à tes faits defiiné Dans l'ifle d'Antenor doit bien tofi efire né, Qiti traitrement efpoint de ta langue mal-caute Encontre fon honneur par ton énorme faute. Son courroux enfiera contre toy rigoureux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Ce Poète ojj'encé par ton malin outrage A grans fiots contre toy va defgorger fa rage, Vengeant de traits portans fa vangcance S- ta mort, Pour ce qu'à fon honneur tu tâchas faire tort: Et ce Poète empraint telle marque en ta race De ta mefchanceté, que nul tems ne l'efface. Muant en cri tragicfon chanter amoureux.
Tor malheureux fufeau, tor ce fil malheureux. Ainsi l'vne des s,aiVRS parlait echeuelee Hochant fa cheuelure hideufement méfiée De fiffians couleureaux : quand Clothon arrefiant Son fufeau deuallé défia pirouétant En terre lepefon, de V Eumcnide folle Beg.iyante en fureur arrefia la parole : Et fit figne, beffant fon vénérable chef, De quitter le Mafiin en ce natal mefchef. Lors la bande s'empart, & là s''empartant laiffe De fes flambeaux cuifans vne fumiere épaiffe. Qui, depuis ce defiin en malencontre dit, Et de cris & de pleurs comble l'enfant maudit : Qiii maintenant fait homme, en mon ire obfiinee Des Parques doit fentir vraye la deflinee.
120 T I E R S 1. 1 V R E
Mais, mais à fon grand dam : fi l'oreille des dieux Ne dédaigne le vœu de vion chant furieux Si le père des Dieux, quand il fit le partage Des ejlats efiabli^ en fon grand héritage, Engraua des trois fœurs l'auant chanté deflin Irreuocablement en œuure adamantiti : Qui fermement planté, fondé feur en fa place Ne craint le rude effort de rien qui le defface : Ny des deux defmembrei la cheute, ny la dent Du tems qui domte tout, ny le tonnerre ardent. Mais, fi de lupiter la parolle promife. Rompue ne peut eflre en fon entier remife, A ton dam à ton dam par mon vers irrité Sentir des Parques feurs la grieue vérité , Tu dois, tu dois'^Maflin : à ton dam fur ta tefîe Doit félon leurs defiins fe ruer ma tempefle, Te forçant confeffer par tes maux, que ma voix Aura contre ton heur ajfe^ & trop de pois.
Qiie tout cela d'ennuis que les âges pajfees Ont peu veoir encombrer d'angoiffes amaffees Les plus chetifs humains : tout cela de malheurs, Qui les tirans Grégeois combla de tant de pleurs, Se rue contre toy. La Tantalide race Te quitte aux malheurte^ que le deflin te braffe : Que les troubles tombeifur le fan g Cadmien Auprès de tes trauaux nefemblent eflre rien, Ny tout ce que jadis aux larmoyables Scènes Dans les Tragiques jeux des fçauantes Athènes On vit reprefenter, tiedes pleurs attirant Par l'horreur des malheurs d'vn peuple foufpirant, Près tes maux ne foit rien, La Deejfe diuerfe Si mallement ton heur abbattu bouleuerfe, Au plus bas de fa roué enfondrant fans mercy De ton viure troubleux le defiin obfcurcy.
Tauienne pour loyer de tonjangler infâme Ce qui jadis auint au blafmeur de la femme De l'Atride puifné : mais pour ton déchanter Comme à luy ton malheur ne fe puijfe abfenter.
DES POEMKS. 12 r
PuiJJes tu de tes doits tes faigneufes paupières
Repentant de ton tort veuuer de leurs lumières,
Comme fit le mari de fa mère, à tajlon
Qiii fes aueugle^ pas conduifoit d'vn bajlon.
T'auienne comme à luy que tes veux exécrables
Des Dieux foyent conferme^ fur tes fils miferables,
Lefquels, bien qu'innocens de tes commis forfaits,
Sur leur dos porteront & la peine & le fais.
Puiffe autant deffur eux ta félonne prière,
Qite fur le chafie fils d^Hippolite guerrière
Eut de cruel effet des trois le pire vœu
Que f on père luy fit de fa femme à l'aueu.
Tes fils ne foyent meilleurs que le Roy de Megare
Cogneut traifire fonfang en la jufiice rare
De fan mefme ennemy, quand il perdit le crin
Qiii luifoit en fon chef fatalement pourprin.
Meilleur ne foi t tonfang qu'au vieil tyran de Gnoffe
Fut Ariadne lors qu'en la torteufe foffe
De fon frère mibœuf le meurdrier reguidé,
Traitrejfe, elle fauua par le lin deuidé.
Soit tonfang moins féal qu'à fon père Medee,
Par qui folle d'amour, enleua Vor guidée
La force de lafon, quand auec l'efiranger
De fon frère la mort elle put efchanger.
Qitelle du violeur de la foreft facree
A Cerés, fut la faim, en ta gorge exécrée
Telle faim fe campant, dans tes boyaux goulus
Engloutijfe tes biens à tes enfans tolus.
Qii'en ta plus afpre faim comme à l'aueugle guide
Des preux par la coulombe, auolans par le vuide
Les oy féaux importuns te fouillent ton repas,
Ny prendre vn repas fain ne te permettent pas.
Qu'en ta plus afpre faim, afin qu'encor s'arrefie
Le Soleil d'vne horreur, vn repas Ion fapprefie
De l'vn de tes enfans, pour te fouler, Mafiin,
D'vn & Thiefiien S- Terien fefiin.
Au lieu de l'efcarlatte, en ton dos noircijfante
De ton bien trifie dueil vne robbe fe fente,
S'
122 TIERSLn'RE
Attec pire me/chef, que Thefé n''éprotiua
Quand pour la voile rouge vne noire il leua.
Ainfi que le donteur de Vevipenné Pe gaffe,
Qui pour ta/cher plus haut que n'atteint nojlre race
Trébucha renuerfé, renuerfé puijfes-tu
Plaindre par ton orgueil tout ton heur abbattu :
Et comme luy boiteux vagoit rongeant fon ame,
Solitaire echeuant fon encouru diffame,
Par les chams Aliens, dans vn defert recoin
Banni ronger ton cœur puiffes-tu fans témoin.
Puiffes-tu forcené courant de terre en terre
Durant ta vie errer, pour ton abfoute guerre,
Comme vn qui fe fouilla, domejlic eflranger,
Dans le fang maternel pour fon père vanger.
Quand tu voudras partir ourdiffant vn voyage,
Chopant deffus le fueil prefentir le prefage
Puiffes-tu d'vn malheur, qui, au malheur efchu
Ne quitte près Pithon dans le chemin four dm.
Au milieu de ta voye vne tempejle telle
Et de pluye & de grefle à grans flots te martelle,
Comme, par leur deflins aux nopces appelle:^,
Le porc & le Lyon noiferent martelé^ :
Soit ton chemin troublé comme efîoit de Trœfene
Le dangereux paffage à la ville d'Athene
Deuant que Vautre Hercule eut encor abbatu
Les monflres & brigans, montre de fa vertu.
Soyent tes hofies plus doux, Cercyon d'Eleufme,
Le Géant porte viaffe, ou le courbepin Sine,
Ou Procrufie tyran, ou le bourreau Sciron,
Qui les rocs mal-nomme^ diffama de fon nom.
Si tu vogues en mer, vn tempejleux orage
Face périr ta nef, & du profond naufrage
Les flots te vomiffans de leur gouffre tiré
A tard ainfi qu' Vlys, te fauuent déchiré.
Ains queflre à bord pouffé la Carybde gourmande,
Qui par trois fois le jour dedans fa gorge grande
Aualle & reuomifl la fange de fon eau,
Aux vagues rote encor ton englouti vaiffeau :
DES POEMES. 125
Qui de Scylle à fix chefs rafant la roclie creufe Perde fix matelots de fa choiirme poureiife, Toy refiant effroyé par fa monflreufe voix, Qiii de mille mafiins entonne les abbois. A ton tardif retour trouuer i^on moins brouillée Puijfes-tu ta niaifon de tes biens defpouillee Qjie le Duc Itacois : mais ton lit paillarde, Comme à luy ne te foit chafte contregardé. Telle ta femyne foit que le mal-caut Egide Remonté des enfers trouuafa Minoide, Qui morte éperdument, de fon beau fils à tort {Pour couurir fon forfait) braffa l'injufle mort. Ou, quelle à Prœte fut celle, qui defperante De pouuoir mettre à chef fon amour forcenante., L'auanture apprefla du monflre, qui Lyon Deuant, Cheure entre deux, derrière fut dragon : Ou pluflofi quelle fut au fils aifné d'Atree, Ilion mis à fac, la race à Tyndaree, Chafîe ainfi puiffes-tu S- ta couche trouuer Et de mefme heur que luy par ton mal l'efprouuer. Vn tel defir paillard fuiuant V amour brutale, Qui pour fe contenter ait befoin d'vn Dédale, Ta femme aille eshontant, quel celuy qui toucha La niepce du Soleil qui d'vn monflre accoucha. La race qu^elle aura nul trait de ton vifage N'ait tracé ny du fien, ains donne témoignage Efcrit deffus le front du peu de chafleté De fa mère paillarde, en fon eflrangetê. Rien n'ayent tes enfans, rien qui de toy retienne Fors les cœurs qui tiendront de la mefchance tienne, Afin qu'en leur mefchance, ô mefchant malheureux. Se venge mefchamment ta mefchance par eux. Le grain que les filions de taflerile plaine Prendront du laboureur penant de fueur vaine. Ne proffte non plus, que le grain qui grillé Fut aux chans d'Athamas en vain éparpillé. De membres & de bras cloué fur vue roche A doux adamaiins, repaiflre le bec croche
124 T I E R s L I V U E
D'vn aigle puiffes-tu, d'vn poumon renaiffant
Comme vn qui fur Caucas gijl l'aigle repaiffant.
Meut- meiir d'vne faim lente en gefne autant cruelle
Que celuy qui par trop aux parjures ftdelle
Prodigue de fa vie en mefpris de ce jour
De fes captifs foldats empefcha le retour.
Sois-tu vif cfcorché comme le fol Satyre
Dont la flufle affaillit la Phœbienne lyre,
Qiii fletiue en Phryge fourd des racines d'vn pin
Sifflant encor les plains de fa piteufe fin.
Sois-tu, comme jadis le trop chafle Thefide
Entre fes fiers chenaux mal-croyans à fa bride,
Des traits Venueloppans pelle-melle tiré,
Par ronces, par cailloux en lopins deffiré :
Et coynme par les chiens deffous la nuit muette
Mourut cruellement le coturné Poète
De leurs félonnes dens à Venui détaillé,
Maflin^ ainfi fois-tu des maflins tiraillé.
Et mourir puiffes-tu, comme de Calliope
Le trainebois enfant {qui par la folle troppe
Des Biflones mourut en pièces detranché)
En torments inhumains membre à membre arraché.
Mais quoy? cuidayje bien pouffer dehors les peines Qu^en courroux ie te voué, égalant en mes veines La haine qui bouillonne, egallant la ranciieur Qui m'enfle contre toy de rage tout le cœur?
On ne conte de nuit les efloilles menues Quand les Zefirs de Vair ont balié les nues: Le nombre on ne dit point au rcnouueau des fleurs. Qui les pre:{ piole:{ bigarrent de couleurs. Qtii dira par les chams combien d^efpis ondoyent. Quand des dons de Cerés les campagnes blondoyent? Et qui pourra les grains de V arène fommer Qiie Veau de l'Océan laue aux bords de la mer?
Tels & tant de malheurs, Maflin, ie te defire, A qui mille & mille ans ne pourroyent pas fuffire Pour d'ordre les nombrer : non quand faurois encor Auffi puiffante voix que celle de Stentor :
DESPOEMES. 125
Non quand j'auroy de fer cent bouches & cent langues, Qui fijjent tout d'vn cri cent diuerfes harangues, Pour dcfgorger dans moy mon courroux ejlouffé, Portant de double acier l'ejlomac ejioffé.
Tel foit le trijle cours de ton malheureux viure : Tels ordres de malheurs fe puijfent entrefuiure Jufqu'à ta mort, chaffans par tourmens impiteux De fon orde prifon ton efprit de/piteux. Nul ne fe trouue adonc, qui, comme aux autres, rende A ton cors exécré la mortuaire offrende : Soit ton cors rebouté de la terre & du feu, Veuf du dernier honneur qui aux moindres ejl deu. Entre les loups gloutons pour ta charongne infette Efparfe par les chams foit vne guerre faitte. Les milans charongniers & les goulus corbeaux Souillent leurs haues becs dans tes maudits boyaux. Soyent tes os décharné:^ exents de fepulture. De la pluye & du vent, nuds de toute vejiure, Dedaignemment battus : cependant que là bas Dans les pâlies enfers, fans efpoir d'vn trefpas Qui mette encore fin à tes peines cruelles, Ton efprit tormenté de gennes éternelles Seul autant fouffrira de griefs punifftments Qite tous les vieux damne^ y fouffrent de torments.
Là tu feras banny des brigades heureufes Du champ Elyfien, aux ombres langoureufes Où bannis par Eac les malheureux damne:{ En éternels torments langtiiffent condamne:^. Là Sifyfe obfîiné d'vne efpaule vouflee Par le roide pendant d'vne haute montée Pouffe en vain fon caillou, qui du viont le plus haut lajaprefque monté luy efchappe & luy faut : Là Titye alongé fous fa maffe foulante, Neuf arpens de pais dufommeî à la plante Empefche de fon long, au couple rauiffant Des vautours acharne^ fon foye fourniffant. Là les Belides fœurs vainement amufces, En vain cuident remplir leurs cruches pertuifees
12 6 T I E R s L I V R E
De l'onde quifepert, qui des troué^ vaijfeaux Et fe prend & fe rend dans les prochaines eaux. Là fans fin Ixion fe tourne S- fe retourne, A fa roué attaché qui jamais ne fejourne : Et d'éternelle volte enfoy-mefme conduit Efbranlé roidement, & fe fuit & fe fuit : Là Piritois craintif aguigne fur fa tcjle Vne pierre pendante à tomber ja ja prcjie, Sur vne table ayant des taffcs & des plats, Mais la Furie auprès luy trouble fon repas. Là Tantale béant fur les fruits & fur l'onde Languijl neceffiteux de ce dont il abonde: Pour fa bouche mal clofe, à bouche bee en vain S'efforçant d^appaifer & fa foif & fa faim. Là, ton efprit auf/i en ces peines fouffertes De ton parler mal-caut receura les defj'ertes. Car Eac rigoureux les toments, qu'il ojira Aux plus punis danne^, deffus toy remettra. Sifyf, tu luy lairras ta meule culbutante , Et ta roué, Ixion, roura vireuoltante Autre cors que le tien : d'vn foye tout nouueau Se repaijlra le bec du Tityen oyfeau. Cefiui-cy, Piritois, fous ta pierre incertaine La tefie beffera palliffant de peur vaine : Tantale, ceflui-cy de tes moqueurs repas En ton lieu pourfuiura les reculans appas. Voire & fi ces tormens n'egallent la vengeance Que mérite, Mafiin, l'exce:^ de ton offence, Eac pour te genner jufiement inucntif Nouueaux tourmens contreuue à ta peine ententif. Qjte des bourrclles fœurs Vvne fon fiambeau jette Tes paupières grillant, l'autre tes fians fouette De courgets ferpentins. Vautre aille tout joignant De fes ongles crajfeux ta face egratignant. Qu'il rechauffe là bas le ioreau, dont V efpreuue Se feit par fon ouurier, & d'vne frayeur neuue T'y contraigne mugler, & dedans gemiffant Les âmes efionner de ton cry mugiffant.
D E s P O E M E s . 12
Qu^l drejfe le mortier, en qui jadis le Sage
Du Tyran inhumain confiant jouffrit la rage,
Et face d'vn pilon tous tes membres froijjer
Toufiours frais aux tormens fans pouuoir fe cajfer.
Qii'il rcnouuelle en toy les peines les plus dures
Qii^onques peurent fonger pour vanger leurs injures
Les tyrans les plus durs : & genné fans fejour
Te face martyrer de chacune à fan tour.
Qii'il te pouffe à chef bas dans les flammeufes ondes
De Phlegeton roulant, fes foufrieres profondes,
Puis en feu fen ofiant [mais pour t'y rebruller)
Pour t' éteindre en Cocyt te face deualler,
Qii'il te jette deuant la monfireufe Chimère,
Qii'il te face là bas par le trechef Cerbère,
Qui fera fes trois couls en ferpens heriffer.
De fon triple dentier afprcment peliffer.
Brief defirer cela {pour toute ma vengeance)
Que tu calomniais contre mon innocence
Pouuoir eflre autant vray comme il efl du tout faux,
Forcé de le vouloir par tes félons trauaux.
Ces maux & vif& mort en griefs torments te troublent. Voire & plus mille fois rengrege:[ fe redoublent Que n'en puis deffeigner. Et non toy feulement. Non toy, mefchayit Majlin, mais foit égallement D'' ennuis agrauanté, quiconque ma fimpleffe D'vn machineur engin époint faufj'cment bleffe Ou bien cuide blejjer par controuue^ propos De mon viure innocent troublant le doux repos. Soit-il en mefme nef pour endurer l'orage Que mon courroux dégorge, efmeu d'vne afpre rage A vanger mon honneur, remplijfant de mes cris De ma Seins les bords au fejour de Paris : Paris ma nourricière, oit dej'ores ie jure Par les Sœuis & leur Dieu ne laij)'er telle injure, Sans vengeance couler, tant que de leur fureur Elles à leur Poète enflammeront le cœur.
Mais la voûte du ciel, qu'vn tour d'erein embrajj'e Ciel l'ancienne peur de la mortelle race
128 TIERSLIVRE
M'accable de fon fais, Ji doux à mes amis, Ma rigueur te n'objline enuers mes etmemis.
AMYMONE.
A PIERRE DE RONSARD.
De SI A l'ajlre tempcjleux D'Arâure Vyuer amené : Defia parmi Vair moiteux La rage des vents forcené. Qui la branlante foreft De fon fueillage deuefl.
Du renouueau floriffant L'arondelle meffagere. Ne volera plus froiffant Nofire air de plume légère, Fors quand elle annoncera L'autre Printems qui fera.
A Dieu les plaifirs des champs: Plus à l'abri de l'ombrage Des oyfelets aux doux citants On n'oit le caquet ramage : Les trifles pre:{ ne font plus De verdeur gayc veflus.
Mais les déborde:^ ruijfeaux Sur les détruides prairies Noyent fous leurs troubles eaux L'honneur des herbes fanies. Et rauijjfent à nos yeux Leur regard folacieux.
DES POEMES. 129
Plus la Nymphette n'ira Piller les frefches herbettes : Plus elle n'en ourdira Des chapelets de fleurettes, Pour en couurir honore^ En rond fes cheueux dore:{. Plus la vendange ne geint
Sous Vabrier, qui de fa charge Criant enroué Veflreint: Plus dedans la cuue large Le paifan d'vn pas coulant Le raifin ne va foulant.
Le vin n^efl plus défia mouft, Qiii ferré dedans la caue Par le bondon plus ne boufl, Sifflant fa fumeufe baue : Mais en fon tonneau raffis Sur les chantiers eft affis.
Maintenant le laboureur Tenant fa femme embraffee Cueult le fruicl de fon labeur, Et de la chofe amaffee Durant l'autonne & Veflé S'efiouit en gayeté,
N'abandonnant fa maifon : Telle pluye refpcndue Et telle neige à foifon Des champs la joye a perdue : Tel vent fiflant orageux Empefche les plaifans jeux.
Mais, doux Ronfard, ny du tems La trop fafcheufe inconfiance ^ Ny des amis t'attendans L'atirayable fouuenance, N'ont encore le pouuoir Dehors des chams te rauoir.
Quelque autre amoureux flambeau Te brufle fil point ton ame, Iea}i de Baif.— Il 9
l30 TIERS LIVRE
Allumant d'vn œil noitiieau Dedans toy nouuelle fiâme? Amour te vetiendroit bien EJlreinél d'vn nouueau lien.
Ronfard, la nouuelle amour D'vne Jîmple paifante Te régentant à fon tour, A ta joué rougiffanie Ne face le fan g monter S' elle t'a bien peu doniter.
Apollon au chef orin
Admire en fa beauté fimple Cyrene, bien que fon crin Non couuert d'vn dougé guimple En l'air pendille tremblard Et ne foit agencé d'art.
Voire & Neptune, le Roy Qiii braffe la mer cruelle A fenty premier que toy L'ardeur d'vne flamme telle, Et ne peut à tout fon eau Noyer d'amour le flambeau.
CvpiDON vn jour, laffé
De meurdrir la gent humaine, Apres vn cerf pour chajfé, Auoit mis toute fa peine, De Diane ayant les chiens, Qui pour vn jour furent fiens.
La vierge les prefle cnuis
Premier le forçant qu'il jure Qiie de fes attraits lafcifs Ne fera jamais injure Aux filles, qui par les boys Suiuront des chiens les abboys.
Amour après grand labeur. Ayant mis à chef fa chaffe, D'vn chaud degout de fueur Arrofoit fa tendre face,
DES POEMES. l3l
Qitand il alla de Cypris Se rafrefchiv au pourpris.
Au pourpris délicieux,
Qjie les Grâces jardinières Cultiuent à qui 7nieux mieux De mille & mille manières De compartimens drejfe^ Au parterre entrelajfe^.
Où les odorantes fleurs En bel-efclatant me/lange De cent diuerfes couleurs, D'vn gracieux entrechange Font que tout y rit, d'vn flair Ambrofin embafmant l'air.
Là maint clair-coulant ruijjfeau, Auec vn foilef murmure, Roule mainte diuerfe eau Argentine, belle, pure, De qui la douce vapeur Eteint toute eau de fenteur.
Dans ce Cyprien jardin
Amour vint trouuer fa mère. Comme pour fon chef diuin, Auecque fa troupe chcre, Vn tortis elle tijfoit Des fleurs qu'elle choififfoit.
Les triant dans vn monceau , Qui en fon giron éclate. Mais de fon ouurage beau Le doux foucy tant la flate, Que plufloft fe voit tenir. Qu'elle ne le fent venir.
Comme vn paffereau drillant Dans vne feiche pouffiere, S'égayc dru frétillant De fa double aifle legiere : Ainji V enfant qui f ébat Menu des aiflesfe bat.
I 3 2 T I E R s L I V R E
Et les Jleurettes gajlant Enfantinement J'y touille , Par f on giron fe veautrant, Et tout fon ouurage brouille : Mais pour fa mère appaifer La vient tendrement baifer.
Et d'vn bras maijîre des Dieux Ployé de façon mignarde, Lace le col gracieux De fa mère, & la regarde D'vn dru clignetant regard Méfié d'vn rire flatard.
Venus pointe des douceurs D'affeûion maternelle, Baife fes yeux rauiffeurs, Et d^vne parolle telle Ses deux coraux dcfermant Elle va l'air embafmant.
Doit viens-tu, mauuais garçon, Qiii deurois ejîre mes joyes? Mais faux petit enfançon, Tout le rebours tu m^enuoyes : Par toy pour quelque bon heur le n^ay que tout defhoneur .
Bien que, petit éfronté,
Tu m'ays toufiours fait du pire,
Sifaifant ma volonté
Tu veux mettre à chef mon dire,
le te promets déformais
De faimer mieux que jamais.
Et fi, mon fils Cupidon, Le plaifir que ie demande Tu ne feras fans guerdon, D'vne recompenfe grande, Si le gain ne te fuffit, LUionneur fuiura le proffit.
Honneur dy-ie bien plus grand, Q,«' (d trop peruerfe nature!)
DES POEMES. l33
De ta mère il ne te prend , Quand par ta folle blejfure, (O honte) d'amour humaiti Tu me naures de ta main.
Mais c'ejl tout-vn, faux enfant. Si tu veux ne m^écondire, Tu es defia triomphant Sur vn & fur vn empire Des trois, que par fort jadis Les trois frères ont partis.
lupiter prince des deux
De tes traits f'ejl fenti poindre, Voire & Pliiton furieux Au jour tu as peu contraindre Monter fes retifs cheuaux Hors des brouillas infernaux.
Neptune feul dans fa mer Se tient franc de ta fagette, Dont tu peux tout enjlammer : Mais demain vole & la jette Oit les flots Inachiens Lauent les inurs Argiens.
Inache fait vn feflin Dedans fes palais humides Aux Dieux du manoir marin Et aux blanches Néréides : Là le Roy Neptune ira, Qu^Inache auffi conuira. .
Tu Vaguetteras veillant, Comme du long du riuage Il ira fe foleillant Alecart de fon bernage : Fiche vn trait dedans fon cœur, Te faifant de luy vainqueur.
Pour Vhonorable guerdon D''vne fi haute viâoire le te donray, Cupidon, Vn don témoin de ta gloire.
l34 TIERS LIVRE
Comme tu as furmonté Le monde fous toy domté.
le te donray le jouet Qu'à lupiter Adrajiee, Bienfait, beau, riche àfouhait, Donna fous la roche Idée, Lors que petit il tétoit La Nymphe qui Valetoit,
C'eji vn fetis moulinet
De ce grand monde Vimage, Que j'ay dans mon cabinet Vn des plus exquis ouurage, Conjlruit de cerceaux diuers Mis de loyig & de travers.
Deux croife:^ en mefmes pars L'ouurage quarrent & bornent, Peints d'a:{ur, oit font efpars Mille aflres d'or qui les ornent : Vn effeul d'argent les joint D^vn gon double en double poinâ.
Au milieu de cet effeul Vne boule eji fufpendue De lafpe, par qui à l'œil Double couleur efl rendue: D'vne part vn palle-verd, De Vautre vn teint plus couuert.
Cinq cercles mis de trauers Eloigne^ d'égal efpace, Embrajfent le rond diuers De la tournoyante maffe. Sous les trois vn ejlendu EJI de biais fufpendu.
Au dejfous par fon contour Mainte figure étoilee, S'entrefuiuant tout-au-tour , Marque les mois de l'année: D'argent vn bel ajlre blanc Plus bas trauerfe en fon ranc.
DES POEMES. l35
Soudée à l'effeul d'argent, Comme vn Soleil, la volière D'or & d'azur fe changeant, Sureclate vne lumière Plus brillante que par l'air, Ne luit l'ajlre le plus clair.
Deffous le géant Atlas Raidit fon épaule large, Et planté ne fléchit pas Deffous fl pefante charge, Bien qu'au col & qu'' aux jarrets Ses nerfs tendent fous le faix.
Ce joyau tel que Vulcain
Vn plus beau ne pourrait faire, le te donnera^ demain, Si tu daignes me complaire : Si de Neptune vainqueur Tu luy fagettes le cœur. Ainfi la gente Cypris
L'amadouoit de promeffe : Luy de conuoitife épris, Déjà de donner la preffe Le moulinet bigarré, Dont eV l'auoit affeuré.
Et veut fur le champ l'auoir A tout rompre, & fe courrouce. Et ne veut J'en demouuoir, Sinon quand d'vne voix douce Sa tendre joué pinfant Venus vient Vadouciffant,
Et le baife, & d'vn fou-ris, O fang aimé [ce dit-elle^, Si de ta flamme furpris Le Roy de la mer cruelle (Et Styx j'en jure) ievoy, le te garderay ma foy.
Ce dit-elle. Et Cupidon, Meu de fl grande affeurance,
l36 TIERS LIVRE
Fremilloit après le don, Et /'animant d'efperance Depuis l'heure n'a ccffé, Qtie Neptune il n'ait bleffé.
Déjà le Jlambeau du jour
S^ejloit éteint dans les ondes : Déjà du moite fejour, Qitittant les vagues profondes, La nuit au ciel ténébreux Tendait fon pennage ombreux :
Quand la Deeffe Venus
Enjoint à fes trois compagnes Coupler fes oifeaux chenus Au char, qui par les campagnes De l'air au ciel étoile Porte elle & fan Ji's aiflé.
Tojl que l'aube pourprijjant Du Soleil auant-couriere A Vatlage grauiffant Eut debaclé la barrière, Quand la terre porte-fruit Se décache au jour qui luit.
L'oifeau Cyprien recors De la promejfe accordée , Veillant p élance dehors De fa couche d^or brodée, Brodée d'or bien choify Sur vn fatin cramoify.
Au col il pend fon carquois De fon écharpe dorée. Il prend au poing l'arc Turquois, Et fans longue demouree, Paffant les manoirs des Dieux Va droit aux portes des deux.
Que de diligente main
Les belles Heures portières Luy ouurirent tout foudain, Doit les fertiles jachieres
DES POEMES. iSt
Des hommes laborieux
Apparurent à fes yeux. De là fe jette à chef bas.
Entonnant l'air dans fes aifles :
Et plane alongeant fes bras,
Et de fecotiffes ifnelles
Fond, tirant d'Arges aux champs.
Que d'Jnach les eaux lechans Bagnent. A peine au milieu
De fon entrepris voyage,
Lors efloit le petit Dieu,
Qii'il vit en bel équipage
Neptune, faire la mer
Soublanchiffante écumer. La bonne mère Tethys,
Neree & les Néréides,
Et les Tritons mi-partis
Fendoyent les plaines humides,
Les Tritons en bel arroy
Trompetans après leur Roy. Les Nerines par les flots
De la marine bonace.
Des Daufins prejfoyent les dos.
Les guidans de bonne grâce.
Autour du vieillard raffis
Sur vne baleine affis. Six mi-poijj'ons hanniffans,
Faifans jalir Veau marine
Deffous leurs pies pcflriffans
La grand' campagne a^urine,
Trainoyent vn char a^uré
Sur vn rouage doré. Ce char haut affis portoit
Le Dieu des manoirs liquides,
Vn Triton deuant efloit
Gouuernant les molles brides.
Mille Dieux marins en rond.
Et mille Deejfes vont.
9*
l38 TIERS LIVRE
Amour qui des aifles pend Comme l'oifeau fur la proye, En bas regarde fitfpend Où padr.effera leur voye, Et dans l'air Vempenné Dieu Tient œil S corps en vn lieu.
lufqWà ce quHl voit les Dieux Entrer dedans l'onde coye Oii Inaclie gracieux, Qiie mainte Nymphe conuoye Pour bien veigner le grand Roy Des eaux, l'attend de pié coy.
A donc l'enfant Cyprien Léger reprend fa volée Droit au cours Inachien, Qiiifous la cofle aualee Se heriffante en forejls^ Flotte alecart des guerets.
Là comme fait Vefperuier, Qui fa proye au boys aguette, Dans vn fueillu chajlaignier Au guet fe branchant fe jette, Attendant l'heur opportun De naurer le Dieu Neptun :
Qui au fe^in cependant Entre dans la fale afconfe, Deffous l'onde s'épendant Sur vue voufle de ponce. Là déjà pour le repas Sur les tables font les plats.
Du ciel les hautes raideurs Titan auoit furpaffees. Quand les plus afpres ardeurs Seichent les plaines baijfees, Qjiand fous les ronceux buiffons Le grillon meut fes chanfons.
Lors que le pajloureau cault Son beflail faoulé de paiflre,
DES POEMES. l3g
Retire, écheuant le chaud Du pajiurage champêtre, A Vombre d'vn orme frais Où le ruiffeau coule auprès.
Là foufjlant fes chalumeaux. Ou bien enflant fa mufette. Il cjouit fes toreaux De fa gaye chanfonnette, Qiii remafchent peu à peu L'herbage qu'ils auoyent peu.
A l'heure Amour qui guettoit Caché dans Vepés fueillage, Ententif par tout jettoit Sa vue atrauers l'ombrage, Et loing vne Nymphe voit, Qii'vn Satyre pourfuiuoit :
Vn Satyre que pieça De la beauté de la belle L^archier Pafien blcça, Comme la jeune pucelle Suiuant des chiens les abois Chajfoit vn daim par les bois.
Tant ce mi-bouc a guetté, Que fa Nymphe il a trouvée, Qiii fuit le chaud de Vefîé Deffous l'ombrage : & leuee La fuit de fi vifle pas, Qti'il la faifit en fes bras.
De Danas Roy' Argien C'efloit la fille Amymonc , Qui fentant ne pouuoir rien De force, à crier fe donne, Et du cry qu'elle entonnait Toute la riue étonnait.
Neptune après le repas
Seul du long du beau riuage Se promenait pas à pas, Quand du dedans du bocage
14© TIERS LIVRE
Le cry de la fille il oit , Qjie le Satyi- violait.
Meu de la piteufe voix,
Droit au cry Neptune tire, Et les trouuant dans le boys, Va dejfaifir le Satyre, Qui étriuant ne veut pas La/cher ne prife ne bras.
Amour fon heur oportun Voyant, trie vnc fagette, L'encoche., & dedans Neptun D'vn coup ajfeuré la jette : Neptune au fond de fon cœur Tout à coup récent l'ardeur.
A coup à plein poing prejfant Le Satyre aux cornes ferre, Et ja fa proye laiffant Le renuerfe contre terre: La Nymphe fuit : là tous deux Fruflrc\ demeurent honteux.
Et comme quand Vaubereau Affuit la race de Nife L'empiétant : le fauperdreau Suruieiit, fait lafcher la prife: Scylle échappe : & pour tout gain A tous deux refle la faim.
Ainfi des flots l'Empereur Et le corne-bouc perdirent Tous deux leur proye, & leur cœur D'amour la proye rendirent : Leur proye ils perdirent bien, Mais non le trait Cyprien.
Amour fe mocquant des deux. De Neptune & du Satyre, Se prend [ayant veu leurs jeux) Enfantinement à rire: Et fe repoujfant en Pair Va vers fa mère voler.
DES POEMES.
141
Aynour à/es dons vola : Neptune que fon feu domte Vers fa bande f en alla Coupable en foy de fa honte : Mais où qu'il voife le Roy- Son mal traîne dedans foy.
Et comme le cerf fuyart, Qui au flanc la flèche porte, Fuit toufiours : toufiours la part Qu'il fuit, la traine : en la forte Oit que Neptune f enfuit La flèche d'Amour le fuit.
La flèche d'Amour le poind Dans le plus vif de fon ame, Et l'amant ne laiffe point Auoir répit de fa flame, Qui maiflreffe de fon cœur L'ard d'importune rigueur.
Suiuant la flamme qui Vard Neptun quitte fon Empire Sans en auoir nul égard, Et droiâ deuers Arges tire, Dés que l'Aube au l'endemain Tendit fa rofine main.
D' Arges les murs tant vante^
D'eaux adoncques efloyent vuides Encor n efloyent inuente:{ Les pttys par les Danaïdes, Et qui lors de Veau voulait Dans Inache la puifoit.
D'vne cruche fa chargeant Aynymone efloit venue Au bord, & fe foulageant De fa cruche, à jambe nue Recourfant fon fimple habit Au gay d'Inache fe mit.
Et contre le cours de l'eau, L'eau doucettement rebelle.
142 TIERS LIVRE
Demarchoit tout beau tout beau La Danaide pucelle, Qui d'vn gracieux débat Contre les doux flots f ébat.
Le Dieu la voit en ce point : Quand il la voit c^eji à peine, Que la fureur qui l'époind Droit vers elle ne Venuneine : Tant efl l'amour violant, Qui Neptune efl affolant!
Mais du jour d'hier recors, Et de fa vaine entreprife Retient fes roides effors, Pourpenfant vne furprife, A quoy l'affiette du lieu Donnoit faueur pouf- le Dieu.
Efpais & drus arbriffeaux Sur le fourcil du riuage, Voire iufque aux claires eaux Noir ciffoy eut vn long bocage : Là Neptune pas à pas S'embufclie & fe muffe bas.
Comme vn loup quand vn troupeau Il voit dans vn pafturage. Se traine tout beau tout beau Cofioyant quelque bocage, Et du pafioureau le foin Trompe, f'aprochant de loing :
Ainfi le Dieufe muffoit
Pendant que la pauure fille, Que l'eau clair-coulant déçoit Sur le bord fe deshabille. Ne f cachant le danger preft. Dont Neptune fait l'aprefl :
Ains fe penfant àfeurté
De tout effranger dommage. Des eaux foule la clairté A nu de fon blanc corfage,
DES POEMES. 14:)
Froijfant les flots de fon flanc Plus que freche neige blanc :
Vn poil plus quvn or bruny Sous le Soleil étincelle, Luifant fur le lis vny Du beau fein de la pucelle, Tel que l'or refplendijfant Sur vn fatin blanchiffant .
Ores à coup étendant
Bras & jambes, elle noué, Ores haut fe fuf pendant Alenuers fans mouuoir joué, Ores dedans l'onde fond Se plongeant iufques au fond.
O qu'adonc Neptune craint Que la pauurette periffe, Toft Amour qui le contraint Luy rompt cette crainte nice, Tantofl la crainte à fon tour Refroidifl la folle amour.
L'amour qui le forcerait De faire dans l'eau fa joye, Sans le danger qui ferait Q,uAmymone en l'eau fe noyé: Parquoy retient fon effort Pour mieux la furprendre au bord.
Elle lajfe de nouer
S'en reuint prendre ja buie, Et faifant fin de jouer Dans le courant l'a reynplie, Puis de la riuiere fort Pour fe rabiller au bord.
Amymone fe vefloit Encore de fa chemife, Qiiand du Dieu qui la guettait Elle fe fentit furprife, Ayant & les yeux bouche^ Et bras & mains empefche:{.
144
TIERS LIVRE
Neptune au cors lafurprend, Et defes bras forts l'en/erre, Sous foy la baijfe & la rend, La renuerfe contre terre: La vierge rebelle geint Sous le grand Dieu qui l'ejlreint.
Elle a beaujetter des pleurs, Pour pleurs amour ne s'alente : Car le Dieu fuit fes ardeurs. Et la fille violente, Qui, nice,vnfi grand bon heur Met après vn vain honneur.
Mais V amoureux jouiffant Defonjoly pucelage Cueult le fleuron verdijfant Sur le verdoyant riuage, Oit preffant la Nymphe en bas D'Amour Vaprit aux ébas.
Au cry qu Amymone feit Quand Neptun la dépucelle, Le Satyre qui l'ouit Vint pour fecourir la belle : Le Dieu marin Ventendant Saifit au poing fon tridant.
Et contre luy le brandit Qui eiifl blecé le Satyre, Qin fuyart ne V attendit Ains peu vaillant fe retire : Le tridant fans rien toucher Se fiche dans vn rocher.
La fillette cependant Son pucelage regrette, Et deux ruiffeaux répendant De pleurs, cefie pïainâe a faiâe, Hors fon eflomac declos Pouffant des piteux fanglots :
0 moy pauurette, 6 mon heur Perdu auec moy chetiue !
DES POEMES. 145
Faut il qu'en tel deshonneur Toute ma vie ie viue? Las, vn joyau j'ay perdu Qiii ne peut m'ejlre rendu! l'ay perdu le beau fleuron De majeuneffe honorée ! O pleiijl aux Dieux qu'au giron De la riuiere apurée Dauant le fomme oublieux De mort eujl fillé mes yeux ! Maintenant ie ne plaindroy Ma beauté fe fletrijfante, Maintenant ie ne craindroy La cruauté menaffante De mon père rigoureux Contre fon fang malheureux. le ne rejpandroy ces pleurs,
Pour ne pouuoir me contraindre, Deuant les yeux de mes fœurs , Oit ma face j'iray teindre D'vne honteufe couleur, Coupable de mon malheur. Mais bien que dauant leurs yeux De honte ne j'uffe teinâe, A la longue, helas, trop mieux Helas fl ie fuis enceincle, Mon ventre qui groffira Ma honte decouurira! Tandis que fay ma beauté le veu des befles cruelles Requérir la cruauté, Dauant que mes joués belles Perdent leur fraîche couleur Par vne maigre palleur. Pleufl aux Dieux que d'vn Lyon le peuffe eflre la paflure. Pour m^ofler la paffion Que de grand' honte j endure ! lean de Baif. — II.
146 TIERS LIVRE
O terre, auec mon efmoy Dans ton ventre englouty moy.
Vn tourbillon tempejîeux M'enuelopant toute viue Vienne dedans l'air venteux M'enleuer de ce/le riue. En ce pais écarté Où ne luit nulle clarté.
Là deffous les longues nuits Entre les Cimmeriennes, le cacheray mes ennuis Et toutes les hontes miennes. Sans foupçon : car ces manoirs D'ombre éternelle font noirs.
La vierge fe plaint ainfi
Bagnant de larmes fa face, Qiiand le Dieu marin voicy Qiii flateufement l'embraffe, Et méfiant vn doux baifer Va de ces mots Vappaifer :
Mé fin à tes tri/les plaints, O la Danaide race, Apaife tes fanglots vains, Effuie ta moite face : En ton heur ne te deçoy. Et plus gayment le reçoy :
Chetiue, tu ne fçais pas
Qiie tu es femme à Neptune? Tes regrets mê doncque bas Pour bien veigner ta fortune, Efpoufe d'vn des grands Rois Qui ne font qu'au monde trois.
Moy Roy des manoirs moiteux Sur toutes eaux ie commande . Ton cœur ne foit point honteux De me faire vne demande A ton choix, pour le guerdon De ton doux amoureux don.
DES POEMES. 147
Ainji Neptune difoit
Adoucijfant la fimplette. Qui fes fanglots appaifoit : Et luy demande nicette, Qii'Arges qui ejl fans ruiffeaux Puiffe foifonner en eaux:
Et qu'encores pour temoing De fon raui pucelage, Fiji four dre non gueres loing Vne eau, de qui d'âge en âge Le non-iarijfant fourgeon Fuji furnommé de fon nom.
Le Dieu qui rauit fa fleur Luy accorde fa demande, Pour don de telle valeur, D'vne valeur bien peu grande : Tant peu la Jimple fçauoit Ce qu'à demander auoit !
Le Dieu [ce qu'elle a voulu) Des puis luy monjlre l'vfage, Et du lieu qu'elle a eflu Faifant fourdre vn neuf ondage, De fon trident donne vn coup Au roc, qui vomit à coup
Vne onde à foifon roulant. Qui de la pierre bouillone : Lafource aujourdhuy coulant Porte le nom d'Amymone, Et bruit encor tous les jours De Neptune les amours.
J48 TIERS LIVRE
REMONSTRANCE
SVU LA PRINSE DE CALAIS ET GVINE.
Ainsi Fortune change. & jouant à fa guife Son jeu cruel, ceux-cy maintenant fauorife Et maintenant ceux-là. Nous que nos ennemis Les Efpagnol:{ naguiere en grand' route auoyent mis, Ayans perdu contre eux, nous aitons à cejle heure Contre les fiers Anglois la Fortune meilleure: Et nous allons repris les Villes & les Forts Dont ils auoyent jadis mis nos ayeulx dehors. Nous contraignons V Anglois de tenir f on empire A part dans l'Océan, faifans qu'il fe retire, En nous abandonnant, auecques larmes d'yeux, Le pais détenu long tems par leurs ayeulx. Car félon le deflin. Calais ne deuoit efire Remis entre les mains de fon ancien maiflre, Sinon quand on verrait leur Roynefe ranger A prendre le party d'vn cfpoux efiranger : Alors que mcfprifant des Rois l'antique race. Elle mettroit vn Roy de dehors en leur place.
Merlin long tems deuant aduertis les auoit, Que du fang de Vallois viendrait vn, qui deuoit Vanger la mort de ceux qui à Creci moururent Qiiand nous fufmes deffaiâs, lors que nos forces furent Efleinâes pour long tems : quand des jeunes François La fieur fut prefque toute abati:ê à la fois. Mais le deuin Merlin {bien qu'il fufl véritable) N'a efté creu non plus, que Troye miferable Creut la voix de Cajfandre. Encores tellement Le cœur leur efioit creu : en tel contemnement Encore ils nous auoyent : pour la double viâoire Gaignee contre nous ft pleins de vaine gloire,
DES POEMES. 149
Qu'au portail du chajleaii efcrit Ion a trouué Dedans le marbre dur ce didon engraué : Les François à Calais viendront mettre le fiege Quand le fer & le plomb nageront comme liège. O parolle barbare! ô folle confiance, Frife trop hardiment pour l'humaine puijfance !
Mais ny tous les marejls qui les enuironnoyent, Ny tous les forts auffi qui les chemins tenoyent, Garni:{ d'hommes dedans, n'empefclient nofire armée De pajfer juf qu'aux lieux où elle cfî deflinee. Le grand Lorrain luymefme amenant fesfouldart s Qu'il auoit ajfemblc^ traues de toutes paris, Monté fur vn courfier ils ont vcu comparoiflre Pour affieger leur ville, aitant que de cognoifire Ou penfer feulement, qu'il evfi peu trauerfer Tant de fafcheux dejlroiâs qu'il auoit à pajfer.
Là vn autre labeur de nouueau le trauaille Plus grand que le premier : vne forte muraille De brique efl alentour ceinte d'vn bon foffé, Mais derrière elle n'a nul rempar amajfé. Elle ejl loing de la mer prefque d'vnjed de fonde : La riue efl entre deux, que Neré de fou onde Bagne deux fois le jour, quand d'vn reflot rampant Sa marée ordinaire aux terres il refpand. Qu'on ne me voye pas lors que la mer s'efleue, Des coquilles trier, ou jouer fur lagreue, Mais bien quand le fablon àfec elle lairra, Bien que malaifément s'y tenir on pourra. Le lieu n'y peut porter : fouuent, fi on la charge, La terre y obeïfl, & fond deffous la charge. Ce fut par cefî endroiél que furent amene:{ Tous les doubles canons fur des clayes traifne^. Outre à coups de moufquets, vne Tour haute & grande Du long de ce riuage & fur le port commande : Mais nos braues foldats, & du Chef la vertu, Tout cet empefchement ont foudain combatu. On a gaigné Ri/ban : la fortereffe forcée Du chafteau nous donnait dedans la ville entrée.
l50 TIERS LIVRE
On les prend à mercy : Le peuple & le fouldart. Leur vie fauue, on faiâ retirer autrepart.
O toy GviNE trop Jiere,il tenjl mieux valu rendre A vn prince clément, que de vouloir apprendre Combien nojlre grand Rpy en armes ejl puiffant. Ton rempar renuerfé ne s^iroit tapijfant En terre, cotnme il faid : tes maifons abaiués N^ endurer oyent le foc des maijirejfes charrues Aux laboureurs François, qui n oferoyent penfer De te mettre en labour, ny de t'enfemencer.
Quelle fureur cruelle eji-ce icy? quelle rage. De n'efire pas content de faire le carnage Des hommes, fi enfemble on ne rue à l'enuers Villes & Citoyens, fi aux dieux des enfers Tout nen efl deuoué? N^ous auons veu naguiere Du chafleau de Hedin la fortereffe fiere , Et Terouane auffi : prefques on n'y voit plus Les merques feulement des logis abatus. Encores Ion pourroit à l'ennemy permettre De ra^er les cite^ : mais de voir ainfi mettre Le feu dans f es maifons au mefme Citoyen, Et ruiner fes murs, & ne pardonner rien A fon propre pats, auquel Vennemy mefme Vainqueur pardonner oit, quelle fureur extrême Penfe:^ vous que cefoit? Des hommes font-ce icy Les œuures, ou pluflofi des befles fans mercy?
Tant y a, qu'aujourdhuy aux Chefs de noflre armée La viâoire dcuant impoffible efiimee , Efl venue d'enhaut de la grâce de Diev. Bien que le froid hyuer, & la mer, & du lieu La grande renommée, & la honte foufferte , Et toute fraifche encor pour la dernière perte : Et bien que la Fortune à nous trop longuement Ennemie, euffent deu y mettre empefchement , Et détourner alors de no:{ Chefs l'entreprife, Quoy qu'ils fuffent hardis : Toutefois on te prife, O vaillant Roy Henri, pour conflamment nauoir De ton premier deffeing voulu te demouuoir :
DES POEMES. l5l
Et pour auoir donné à tes gens Vajfeurance
D'exécuter l'aduis de ta fage conjlance :
Apprenant aux humains^ que Dieu comme il luy plaijî
Tire & pouffe des Rois, par vn celejle arrejl,
Le courage & le fens, fans qu'on doyue prétendre
Le motif de leurs faids par la raifon entendre,
Ny s'efmaïer pourquoy ils auront faicl cela :
Car l'efprit des mortels n'atteint pas jufques là.
Mais ce Dieu qui premier de ce confeil t'aduife, O fage Roy, luy-mefme a conduiâ l'entreprife. Voire a guidé tes Chefs, jufqu'à ce que le tout Ait efîé par les tiens parfaid de bout en bout. Luy-mefme quand on vit, que les bandes émeués Leurs payés demandans, qui leur ejloyenl bien deuës, Vouloyent abandonner leurs enfeignes, alors Que la guerre trop longue efpuifoit nos trefors, Charle, ce mefme Dieu te meit en la penfee {Afin d' auoir foudain la finance amaffee Qii'on deuoit aux foldats) d'eflre lors refpondant Plege pour le public, & d'aller demandant Des emprunts à Paris. La finance requife Par les bons Citoyens entre tes mains fut mife, Et par toy enuoyee à ton frère, & foudain Par entre les foldais partie de fa viai)i. Cela depuis les feit prefis defireux de viure Et mourir deuant luy, pour fa volonté fuiure : Et tous ces moyens cy les Anglois ont chaffe:{, Qui loing de noflre cofle oultre mer font paffe^.
Donc, quel remerciment faudra til que Ion rende A DiEV, qui nous a faid cette largeffc grande Et de joye & de biens? pour luy gratifier, Cent bœufs & cent brebis faut il facrifier Sur des autels facre^? ou faire la huée D'io Triumphe lo, à la mode vfitee? Ou dire des chanfons & des brocards joyeux, Comme on faifoit jadis pour les vidorieux? Ce ferait trop fuiuir la coufiume Payenne : Mais nous deuons plufiofi (car la gloire en eji fienne)
52 TIERS LIVRE
Laijfer l'honneur à Diev inuincible, puiffant, Qiii foule aux pieds le chef du Roy s'orgueilliffant, Et qui jufques au Ciel d'en bas leue, & fuppovte Le Roy qui humblement tous fes faiâs luy rapporte. Qiii, quand l'heureux fucce:^ nous haujfe trop le cœur S'en vient nous chajiier d'vne douce rigueur Comme vn père fon fils, nous donnant des trauerfes. Et nous touchant par fois de fortunes diuerfes, A fin que ne pcnfions que Vheur vienne de nous Si de grâce il nous efi plus fauorable & doux: Afin qu^en vn feul DiEv^ Princes, & populaire. Nous fondions de nos faiâs tout Vefpoir falutaire : Ny ne perdans le cœur pour le faix du malheur, Ny l'efleuans auffi fi nous auons de Vheur.
A MONSIEVR DE FITTES
TRESORIER DE l'ePARGNE.
r iTTES ami d^vn cœur entier De ceux que Vhonnefîe meflier Des Mu/es gentiles contente, Ly ces vers que de toy recors Suiuant les Calabrais accors Au bord de la Sene ie chante.
Bien heureux qui d'afaires loing N'ayant de nulles debtes foing, Et ne mettant la vieille guife De la gent d'or à nonchaloir, Auec fes tore aux fait valoir La terre par fon père acquife.
Ny par les tentes guerroyant
DKS POEMES. l53
Le terrible bruit entr''oyant Du fier cleron il ne s'efueille: Il n'a frayeur des fiots ireux, Il n'efi du Palais defireux, Ny ne fuit des Princes Voreille.
Mais en fa mai/on il a foing
D^auoir du plant exquis de loing Des vignes les plus excellantes : Ou bien dedans vu val efiroid Il regarde, & par fois entrait, De loing fes befies mugiffantes.
Mais bien d'vnc ferpe trenchant Les fruidiers féueux ef branchant Y met meilleures entelettes, Ou ferre le miel efpuré Dans vn vaiffelet bien curé, Ou tond fes ouailles foiblettes.
Puis quand l'Autonne retourné Monfire fon chef de fruiâs orné, Qii'il efl aife en cueillant la poire, Au fruiâier mefme qu'il enta. Et la grappe au fep qu'il planta, Qjii combat du pourpre la gloire.
Taniofl efiendu s'il luy plaifi A l'ombre d'vn vieil chefne il eft Alenuers fus P herbe coquine : Les oyfeaux tandis par les bois Gringottent en doucettes voix Mainte & mainte chanfon diuine.
Tandis d'enhaut gliffent les eaux : Au ga:{Ouillis de leurs ruijfeaux. L'onde fuit d''vne onde fuiuie. De qui le doucereux accord Par vn murmure qui endort Le berger au fommeil conuie.
Et quand l'yuernale faifon Reuient jettant grande foyfon Idéaux à'- de neiges refpandues :
I 54 TIERS LIVRE
07-65 auecque fon limier Il enceint le félon fanglier Alt dedans des toiles tendues:
Ores en des perches il tend Les filets, aufquels il attend De pied coy les griues goulues : Ores prend le Heure couard Au collet qu'il tend alecart, Ores les paffageres grues.
Qiiel fafcheux trauail, quel foucy, N'ejl de ces joyes adoucy ? O fi tant fortuné ie fuffe Que là parmy tant de plaifirs, Pour le fommet de mes defirs, O bons Dieux, la maitrejj'e fuffe !
Aurait bien des Rois la grandeur En fa grandeffé vn plus grand heur? Si m'en reuenant de la chaffe Du courir pénible laffé le fuffe à l'heure foulaffé Rencontrant fa riante face?
Si le foyer à mon retour
Serenoiî la chambre alentour Pour me feicher vue chemife : Si force mets non achepte:^ Par elle m'efioyent apprefte^, Deffus la blanche nappe mife.
Ny le turbot, ny le phaifant Me feroit manger fi plaifant Comme la cicoree, ou comme La blanche afparge, ou le lapas. Ou des mauues lefain repas, Ou la poire, ou la franche pomme :
Ou comme le tendre aignclet, Ou comme le cheureau de laid, Ou bien l'oyfon tout blanc de greffe. Quel plaifir durant ce manger, Voir fes troupeaux repeus renger
DES POEMES. l55
Dedans fa court en grande prejfe!
Voir affis les toreaux venans , Et le coultre entiers amenans Le traîner d^vn col vain & lafche : Voir les laboureurs de retour Couronner la table alentour Chacun aquitté de fa iafche?
Et quel plaifir ejl plus plaifant Que voir le deliure paifant Aux jours chomables d'vne fejle Trépigner au pied tout foucy, Et fous le rebcc adoucy Gayement fecouer la tejle?
Ou bien de voir fur V herbe affis Le vieillard follement rajjis Hochant fa perruque grifonne, Qiiclque joyeux brocard jetter Aux garçons qui font éclater Vn ris de qui tout l'air refonne?
Heureux, heureux le laboureur, S'il pouuoit cognoijlre fon heur! Sa vie n'ejl pas vie humaine, Mais bien, Fittes, telle qu'es deux La race bien aife des Dieux, Vne plus gaye ne demeine.
AMOVR VANGEVR.
A MONSIEVR DE POVGNI.
lioNORANT JJ2<?5 amis des prefents de ma Mufe, Dangennes, ie feroy dehors de toute excufe Sij^aloy V oublier : car c^ejî toy {ie le fçay) Qtii defens le party de tnon nouucl effay
l56 TIERS LIVRE
De mefurcr les vers en la langue Françoyfe A l'antique façon & Romaine & Gregeoife. Là ie te payeray quelquefois mon deuoir : Cependant vien icy Vauancereceuoiv En ces vers vfite:^, où du Grec Theccrite Dvn malheureux amour l'hifloire fay tranfcrite. Qiie ta MaitreJJe vn jour par ébat y lifant Creignant l'Amour vangeur i'alât fauorifanî. Dames, or^f vn comte lamentable D'vn pauure amant & d'vne impitoyable. Qui, pour n'auoir voulu le fecourir, Sentit combien on doit creindre encourir L'ire des Dieux, en fe monflrant cruelles Contre la foy des feruiteurs fïdelles. De cet exemple, ô Daines, apprene:^ Défaire grâce à ceux que vous gennc:{ : Et n'irrite^ la diuine vengeance, Qiii de bien près accompagne l'offence: Si vous faiie:^ quclcune de bon cœur Apprenc:^ d'elle à fuir la rigueur: Si d'autre part vous enfçauc^ quelcune , Qui contre Amour s'emplijfe de rancune, Remonjfre^ luy & la faites changer, Luy racontant cet exemple eflranger. Afin qu'à voir cette auanture grande Chacune ait peur de forfaire, & s^ amende, « M'en fçachant gré : Bienheureux efî celuy « Qui fe fait fage à la perte d'autruy.
Av TEMS JADIS en vn pats de Grèce, . Vn jeune amant J'eruit vne maiflrcffe Bien accomplie en parfaitte beauté, Mais endurcie en toute cruauté: De fon amant elle efloit ennemie, Et n'auoit rien de douce courtoifie. Ne cognoijfant Amour, quel Dieu c'efloit. Quel efloit l'arc, qu^en fes mains il portoit, Ny comme grief par les flèches quHl tire Aux cœurs humains il donne grand martyre
DES POEMES. l57
Mais de tous points dure en toute rigueur, Ne luy moujlroit nul femblant de faueur : N'en doux parler, n'en douce contenance. Ne luy donnant d'Amour nulle allégeance : Non vn clin d'œil, non vn mot feulement, Non de fa leure vn petit branlement, Non le laiffant tant approcher qu'il touche Tant foit petit., à fa main de fa bouclie, Non luy laiffant prendre vn petit baifer Qui peujl d'Amour le tourment apaifer. Mais tout ainfi que la bejle fauuage Fuit le chaffeitr fe cachant au bocage, Elle farouche & pleine de foupçon Fuioit cet homme en la me f me façon.
Luy cependant cuidant venger l'injure Que luy faifoit cette cruelle & dure Par vn courroux, chagrin & defpiteux, Contre foi-mef me, helas, fut impiteux: Car en vn rienfes deux hures tant belles Se vont fecher : il rouoit fes prunelles Dedans deux yeux enfonce:{, comme atteint îufqu'à la mort : il perdit fon beau teint: Vne jauniffe enuironna fa face : Mais cependant pour tout cecy V audace De fa cruelle en rien n'adouciffoit, Ny fa fureur de rien n'amoindriffoit. Tant qu'à la fin ayant fon ame outrée De defefpoir, il fen vint où. l'entrée On luy auoit refufé tant de fois, Ne luy faifant qu'vn vifage de bois: Et deuant l'huis maudit de fa mcurdriere Il fanglota fa complainte dernière, Et larmoyant donne vn baifer dernier A l'huis ingrat : puis fe met à crier:
Ingrate, ingrate, ô inhumaine, ô dure, D'vne Lionne ô fiere nourriture. Toute de fer, indigne d'amitié, Puis que tu as en horreur la pitié.
OO TIERS LIVRE
le fuis venu deuers toy pour te faire
Le dernier don d'vn cordeau, dont j'efpere
Plus de confort que de toy : car l'ennuy
Qiie j'ay par toy fe guérira par luy.
le ne veu plus dorefenauant eflre
Tant importun, parlant à ta feneflre :
Mais ie m'en vas oit tu m'as condamné,
Au lieu d'exil, que tu m'as ordonné,
Par le fentier qu'on dit qui achemine,
Là oii fe prend la feule médecine,
Qiii refle plus aux amans langoureux,
Dedans le lac de Voubly bienheureux.
Mais, las, y ay peur (tant d'vne amour extrême
Je brvfle tout) que, bien qu'eftant à mefme
Teuffe en boiuant tout ce lac épuifé,
Mon chaud defir nenfoit point apaifé.
le va mourir : par la mort defiree
Ma bouche ira bien-tojl eflre ferrée:
Mais cependant qu'encor je puis parler,
le te diray deuant que m'en aller.
La Rofe efl belle, & foudain elle paffe : Le Lis efl blanc, & dure peu d'efpace: La Violette efl bien belle au Printems, Et fe vieillifl en vn petit de tems : La neige efl blanche, & d'vne douce pluye En vn moment f'écoule euanouïe : Et ta beauté belle parfaittement Ne pourra pas te durer longuement.
Le tems viendra {fi le deftin te laiffe louir vn tems de ta belle jeuneffe). Le tems viendra qu'aprement à ton tour. Tu languiras comme moy, de l'amour, le va mourir, & de ma mort cruelle Tu n'entendras par autre la nouuelle : Mort à ton huis icy tu me verras. Et fur moy mort tes yeux tu fouleras. Puis qu'en viuant je n'ay pu fi bien faire. Qu'en vnfeul point je t'aye pu complaire :
DES POEMES. î5g
Qitelqne plaifir, je croy, je te feray
Qitaiid pour Vaimer tué je me feray.
Au moins au moins, fi mon trefpas t'apporte
Quelque plaifir, fi en ouurant ta porte,
Pour ion amour fi tu m'auifes mort,
Que j'ay' de toy ce dernier reconfort.
De ce cordeau, dont tu me verras pendre,
Deflié moy : aide à me defcendre.
Au moins des yeux répan moy quelque pleur :
Qitelque foiifpir tire moy de toti cœur.
Si ta rigueur fe peut faire tant molle
Pers à moy four d quelque douce parolle :
Et donne moy pour ton dueil appaifer.
Et le premier & le dernier baifcr :
Non, ne crain point qtiUl me rende la vie.
Ne laiffe pas d''en paffer ton enuie,
Et fi tu as de moy quelque foucy.
Sur mon tombeau fays écrire cecy :
AuovR tua celuy qui fe repofe Icy deffous : vne belle en fut caufe , Demcfuree en grande cruauté, Comme l'amant le fut en loyauté.
Qitand il eut dit, vne pierre il ameine Au fueil de l'huis, & la dreffe à grand' peine : Monta deffus, & la corde attacha A vn crampon, que bien haut il ficha : D'vn neu coulant fon gofiier il enferre, Puis de fes pies il rejette la pierre : Et fe débat demeurant là pendu. Tant qu'à la fin Vefprit il a rendu.
Au bruit qu'il fit frappant contre la porte. Comme la mort àfa jeunejfe forte Se debattoit, vn feruant qui fortit Vit ce mechef, S- la dame auertit. Ojii venant là fans efire en rien émue. Eut bien le cœur de repaifire fa vue Du panure cors, qui pour elle efioit mort. Et ne monfiroit en auoir nul remord:
l6o TII:RS LIVRE
Nulle douleur fa dure ame ne perce, De fes yeux fiers vne larme ne verfe: Vu feul foufpir ne tire de fon cœur : Tant la meurdriere ejî pleine de rancœur.
Ce mefvie jour celle femme inhumaine, Qid ne deuoit bien loing traîner la peine De fon forfait : afin qu^il fufi vangé, Vint droit au Dieu qu'elle auoit outragé : Car en paffant auprès d'vne coulonne [Deffus laquelle en beau marbre Dione Tenoit la main de fa fille Venus QiC accompagnoy ent Plaifir & Defir nus) Plaifir f ébranle & chetfur la cruelle: Et de fon pois écrasant fa ceruelle La terrajfa : la panure fous le coup Perdit la vie & la voix tout à coup.
Rie^, Amans, puis que cette ennemie De tout Amour, efi jufiement punie : Filles, aime:{ : puis que pour n aimer point Vne cruelle efi traittee en ce point.
A lAN DORAT.
DoRAT, d^vns certaine main, Ofant emprifes malaifees, Dans le pré Grégeois & Romain, Tu triras les fleurs mieux prifees Pour fen lier vn chapeau rond. Ornement à ton dode front.
Moy que V Apollon étranger Autant que toy nefauorife, Me chargeant d'vn faix plus legier le fuiuray ma baffe enireprife.
DES POEMES. i6l
Sans mes nerfs lafches employer, A ce qui les face ployer.
Peut efïre qu'auec l'âge vn jour
Les neuf Sœurs me feront la grâce, Que de me donner à mon tour, DoRAT, HOU la dernière place. Entre vous qui d'vn ofer beau Vous ceigne^ d'étranger chapeau.
Tandis ma force cognoiffant, Non le dernier de nos Poètes, Ains de près les premiers prejfant. Les chanfons que jeune j'ay faitt es Par les François ie chanteray, Et tes honneurs ie ne teray.
A peine efiant hors du berceau le ne teray qu'en mon enfance. Au bord du cheualin ruijfeau l'allayrvoir des Muj'es la dance. Par toy leur faint Preflre conduit Pour eflre à leurs fefles inflruit.
Là tour à tour les fainies Sœurs, QiCainfi comme Apollon leur guide. Sous tes rauiffantes douceurs. Du long de l'onde qui fe ride, Tu conduis cueillans des rameaux En leurs lauriers toufiours nouueaux :
En vindrent aplanir mon chef,
Dejlors m'auouant pour leur prejlre. Que guarenti de tout mechef. Fait grand depuis ie deuois eflre : Car puis le iems que ie les vy Autre mejlier ne m'a rauy.
Toufiours franc depuis j'ay vefcu De Vambition populaire, Et dans moy s'efl tapy vaincu Tout ce qui domte le vulgaire : Et confiant auprès de leur bien le yH ay depuis ejlimc rien, lean de Baif. — H. ii
102 TIERS LIVRE
Près de leurs dons fay méprifé Tout ce que le commun honore, L''honneur & le bien tant prifé Et tout ce que le monde adore : Pauure & libre fay mieux voulu Pourfitiure leur mejlier eflu.
Volant par le Gaulois pais, Jeune de ma louable emprife, Pay mieux voulu rendre ébahis Ceux-là dont la voix vVautorife, Def quels fi gloire ie reçoy, La plus part, Dorât, ejl àtoy.
Et que fert monceaux amajfer D'or & d'argent^ quand nojlre vie Frefle & verrine à Je caffer N'en permet jouyr? quelle enuie, Aueugles auaricieux, Vous ronge vos cœurs vicieux?
Ah chetifs! ne fentes-vous pas La pale mort trijîe-riante Qui vous talonne pas à pas, Et de tous vos biens vous abfente ? Et que portere^-vous au cercueil Fors vn miferable linceuil?
Seul linceuil, que le fojfoyeur Ne lairra pas pourrir enfemble Quant & vous! fur qui, 6 douleur! Vn tas de vers défia f'ajjemble : Mais qu^auous au monde acquefié, Qui témoigne qu^aye:{ efié?
O que Phomme efi bien plus Iieureux, Qiii tient à mépris vos richejfes : Et jouit du bien doucereux Qii'élargijfent les neuf Deejfes. Tandis que du jour jouiffe:{ Semblables à Vor paliffe^.
Mais nous pendant que nous arons Refpit de la Parque gloutonne.
DES POEMES.
l63
Vaincueurs malgré les ans larrons, Nous nous tordrons vne couronne, Dont le fueillage verdiffant Pour l'âge n'ira Jletrijfant.
FIN DV TIERS LIVRE DES rOEMES.
LE QVATRIEME LIVRE
DES POEMES
LE MEVRIER,
ov LA KABI.E DE PYRAME ET THISBE
A MADAME CLAVDE CATERINE DE CLERMONT
COMTESSE DE REES.
AVIS que Venfant qui tna fait loyigue guerre, Relâche vn peu V attache qui m'enferre^ Ne me laijfant de fes faits écarter : le veu, Comtesse, en vers tri/les chanter Pyrame & Thifbe, attendant que deliure Du laqs d'Amour, je te batijfe vn Hure Plein de ton los, orné des belles fleurs Du faint pourpris des Piérides fœurs, Qite ie triray (fil auient que m'égaye Dans leurs jardins, fain d^amoureufe playe)
l66 IIII. LIVRE
Afin que rien tî'enfoit paré, finon L^antique honneur de Clermont & le nom. Tandis à gré pour les arres te vienne Cette chanfon d^vn autre toute tienne : Et cependant de ce Meurier le jeu A tes honneurs férue d^vn auant-jeu.
Chante DeeJJe., & V amour mutuelle De deux amans, & la fin trop cruelle Pour telle amour : qui teignit de leur fang Le fruit d'vn arbre à l'heure encore blanc. Ces deux atnans en la grand' ville antique, Qite Semirame enuironna de brique, Prindrent naiffance : Oit Vvn d^eux fut nommé Pyram pour lors deffus tous renommé, Tant pour beauté de face, que pour efire De cors agile, à tous ébas adextre. Au/quels la fieur des jeunes s'exerçoit, Et s'effajant par ébat s'addreffoit : Fuft à domter le poulain tout farouche , Le façonnant aux voltes par la bouche, Fufi à luittcr entre les mieux apris, Fuft à leuer de vitteffe le pris. L'autre c'eftoit Thijbec la pucelle, Qiti de rien moins fes compagnes n'excelle En double honneur & de cors & d'efprit : Pallas l'aimant fur toutes luy aprit A bien ouurer : de beauté la Deejfe De fes prefens luy fit grande largeffe : Mais de tous deux la grâce & le fçauoir Heureufe amour ne luy firent auoir.
Las, leur amour eut trop piteux iffue. Bien qu'en enfance heureufement conçue, Quand leurs parens n'empefchoyent leur plaifir, Et les laijfoyent s'entre voir à defir. Mais aufi toft que l'enfance fimplette Eut fait fou cours en petis jeux complette, Lors que déjà leur âge fait plus meur Epaniffoit de jeune ffe la fieur :
DES POEMES. 167
Lorsque Venus, de rire coutuviiere , Aux jeunes cœurs fait fentir fa lumière, Les allumant du pétillant brandon Qiie porte au poing le raillard Cupidon.
De Thifbe alors la mère trop foigneufe Fit referrer fa fille vergongneufe : Guidant ainft de ce feu l'empefcher, Mais elle fît la belle trébucher « En plus grand feu. La chofe deffendue « Plus àprement ejl toufiours prétendue : Ce qui nefloit qu'amitié fimplement Se fait Amour., qui brufle egallement, Deux cœurs d'vn feu, qui TJiifbe de Pyrame, Pyram de Thifbe ard d'vne e g aile flamme : « Et ces feux font, entre eux n''eflant ouuerts, « D'autant plus chauds qu'ils font moins découuerts.
D'vn clair argent la Lune auoit comblées Six fois déjà f es cornes raffemblees, Qiie ces amans brufle:{ fcgrettement Ne fe voyoyent l'vn Vautre nullement, Qitand leur ardeur croiffant auecque l'âge Efl prefque prefie à fe tourner en rage : Tant l'vn & l'autre atteint d'vn aigre foin De plus en plus s'enflamme fans témoin.
Or leurs maifons fe joignans, de fortune Vn trou fe trouue en la paroy commune, Que nul deuant n' auoit encores fceu, Mais tout foudain ils l'eurent apperceu: « Car efl il chofe au monde tant couuerte, « Qiii par Amour ne fait bien tofl ouuerte? Ce de quoy nul ne peut f'apperceuoir Par fi long tems, tofl vous peufles le voir, Soigneux amans : premiers vous l'apperceutes, Par là le cœur l'vn de Vautre vous fceutes : Par ce doux lieu vous eufles le moyen D'affeurer mieux le mutuel lien Qid vous couplait, de maint fecret murmure, Vous fians bien enfafeure ouuerture
i68 un. LIVRE
Souuentesfois Thifbee on demandait, Qiie de ce lieu béante elle pendoit: Souuentesfois de toutes pars cherchée Auec Pyrame elle ejîoit empefchee : Souuent Pyrame eJloit auffi cherché, Qii'auec fa Thifbe il efloit empefché. Là mainte nuit, bien qu'elle fust tardiue, Pour leur deuis leur fembloit trop hafiiue. Et fans ennuy maint fouhetable jour S'efl écoulé dans cet heureux fejour.
L'Aube fouuent les deux reblanchiffante Vous y trouuoit dés la nuit bruniffante : Souuent la nuit les deux rebrunijfant, Vous y trouuoit dés VAube blanchiffant.
O voflre amour faintement fortunée , Si de ce trein vous l'euffie:{ démenée ! Heureux vraiment on vous pourrait vanter, Si le deuis vous eufl peu contenter. Mais, hé! vouloir toufiours plus entreprendre Auec malheur vous fit ainfi méprendre : « O que fouuent par trop haut efperer « Pour malheurer on laijfe à profperer !
Premier Pyrame, cnfon bouillant courage. Efperdûment épris de chaude rage, De jouïjfance à fa Thifbe entama Le doux propos : elle ne l'en blafma : Ains, qui dans foy tout le mefme defire , Souffrant au cœur non moins afpre martyre, N'efîoit moins promte à ce deuis ouyr. Que f on Pyram defiroit de jouir. Et fut cent fois d'en parler toute prefle , [Tel fut f on feu) fans la vergongne honnefle, Qui, quand plus fort Amour la paliffoit, D'vn teint honteux fa face rougiffoit, Au pale lis méfiant la rouge roj'e : Si que la flamme en fa poitrine enclofe Ne pouuoit plus fon ardeur contenir, Quand ce propos Pyram luy vint tenir.
DES POEMES. 169
O toy qui es S- ma flamme première. Et qui luiras en mon cœur la dernière : O toy, qui m'es plus chère que mes yeux, lufques à quand, fans gonfler rien de mieux, Langçuirons-nous en cet' amour cruelle, Gefnt:{ ainfi d'ani^oiffe mutuelle? lufques à quand nous de nous égare^ Bruflerons-nous en langueur fepare:^? Si cet' amour tant prejfante & fi forte A peu coupler nos âmes en la forte, Pourquoy nos cors avffi ne couplons-nous Enfemble joints d'vn couplemenî plus doux? Qjie vaut cent fois remourir la journée De mainte mort coup fur coup retournée, Lors que Ion a de viure le moyen Sans detourbier dans vn aifé lien? Qitoy? par les chams les douces tourterelles Font librement leurs amours mutuelles, Et, fans périr comme nous languiffans, En doux baifers font d'amour jouiffans? Quoy? ne vois-tu que le braffu lierre De longs fucillars fon chefne aimé referre, Et que la vigne en j'es pampreux rameaux A tout fouhait enlajj'e J'es ormeaux? Nous éloigne:;, chetifs amans, à peine Recueillon-nous l'vn de l'autre l'aleine, Hee! tant s'en faut que puijfions appaifer Nôtre langueur d'vn allégeant baifr! Mais fi Venus peut tant dejfus ton ame [Ma chère Thifbe) enuers ton cher Pyrame : Mais fi le feu qui m'éprend viuement Brufle ton cœur d'vn mefme embrasement, [Ainfi ne foit mon ardeur refufee. Comme de moy tu n'es point abufee) Cherchon, mon cœur, par vn commun plaifir De rafrefchir nofire bruflant defir. Ainfi difoit Pyrame : & fa parolle Perça le cœur de la pucelle folle.
170 un. LIVRE
Qui luy répond, ayant en foy repris Apres long tems fes égare^ efpris:
O doux pillier fur qui mon heur s'appuyé, A qui ie doy ce tout que j'ay de vie: Car en ce jour pour moy tant je ne vy, Puis le moment que premier je ie vy. Comme je fay pour rendre obeiffance A ton vouloir de toute ma puiJJ'snce. Mé-moy fous VOurfe, oit la frilleufe nuit Epeffijl l'air & le Soleil ne luit: Mé-moy Pyrame aux bouillonnantes plénes Doù le Soleil deffeche les arenis, Promte j'iray, mais que j'aye l'efpoir, [O mon feiil heur) feulement de te voir. Mais or que fay, non l'efperance vaine, Ains de jouir Vaffeurance certaine, Si d'vn tel bien tu me veux affeurer, Combien plujlojl me doy-je auanturer? Or penfe donc dés cette heure, £■ t'auife Où tu voudras guider ton entreprife : Si grand péril tu ne fçaurois trouuer, Qjte ton amour ne me jijl Péprouuer.
Ces mots finis acertenant fon dire, Trois doux foufpirs de fon cœur elle tire: Fa lors Pyrame en aife tout confît Telle réponfe à fon amante fît : Puis que je voy fi prefle ton enuie D'effayer tout pour jouir, ô ma vie, D'vn cœur fi promt : puis qu'il te plaifl, entens Pour noftre amour & la place & le tems : Tu fçais oit efi le vieil tombeau de Nine : Auprès tu fçais la fonteine argentine, Qui par le val de deux tertres jumeaux Sus des cailloux crefpe fes claires eaux: Au bas pendant bien près de la vallée Du tertre droit, tu fçais bien vne allée De Romarins, qui par vn plein fentier Conduit tirant à l'ombre d'vn Meurier.
DES POEMES. 171
Sous ce Meurier, par la nuit plus muette, Ren toy femblant d'vne alleure fegrette Hors ta mai/on : & là, mon doux foucy, Ne failliré de me trouver auffi. Mais n'y fau point : or contraint je te laijfe Pour retourner oîi la creinte me preffe : Bien que cent jours fans repos, fans repas Parlant à toy je ne m'ennuiroy pas: Mais ton honneur dejfus tout je reuere, Et le courroux de mon père feuere : Parquoy voulant plus grand bruit euiter le va le voir de peur de l'irriter. Toy attendant que l'heure ditte vienne, Penfe de moy, & de moy te fouuienne, Comme en mon cœur la part que je feray Sans autre foin de toy je penferay. Ainfi dit-il, & les accords fe firent Selon qu'il dit : puis ils fe départirent, De chauds baifers de l'une & Vautre part L'accord feellé parauant leur départ. Luy vers fon père, & Thifbe fe retire Dedans fa chambre, où l'amoureux martyre, Qui s'éioit creu par ce dernier propos. Ne laiffe prendre à fon ame repos.
Mais tout ainfi que la nef ébranlée Entre les flots, ore en bas auallee, Ores en haut s'éleuant, roide & court Au gré des vens deçà delà recourt: Sa douteufe ame entre joye & trijleffe Soudain fe haulfe & foudain fe rebaiffe: Et de l'accord, dont elle ejl en fufpend, Tofi fe contente, & tantofl fe repend. Mais bien que foible à peine elle s'affeure, Toufiours amour d'elle vainqueur demeure : Et tant ne peut la friffonneufe peur Comme fon feu cruellement trompeur.
En ces débats de douteufe penfse Du jour tardif la plus part fut paffee.
1/2 Illf. LIVKi:
Qiiani ■ ar amour ce qu'elle atioit f omis
Lui eft lo'ifiours deuant les yeux remis:
Si bien qu''enfin quoy qu'elh fe tetiipejîe
De n'y faillir pour certain elle arrejie:
Et ja le tems Iny dénient ennuyeux,
la le Soleil elle appelle enuieux
Contre fan bien, qu'il n'ejleint la lumière
Traînant trop tard fa cowfe journalière.
Elle fe pleint que la Lune ne luit
Luy ramenant la defirable nuit,
Mais trifle nuit, que la pauure fimplette.
Las à fon dam! trop chaudement fouhaitte,
Nuit qui ti ompeufe en lieu de doux confort
Ces deux amans doit conduire à la mort!
Le jour couché, defia par la nuit claire De fon œil plein la double Lune efclaire Au ciel ferein, & defia Vheure efioit Que chacun d'eux tant ardant fouhaittoit, Lors que le fomme euente de fon aifle Dl's animaux la race vniuerfelle. Lors les valets, qui lafchement fouffloyent, D'vn profond fomme en leurs chambres ronfloyent. Quand la pue 'lie à guetter bien-veillante Trompe fans bruit la bande fommeillante. Et feule part d'vn pas fourd fe feignant. Par la maifon quelque embufche creignant : Si ne peut elle aller de telle forte Qii'eV ne chopafî fur le fueil de la porte, Qui luy efioit prefage malheureux Ne fufi fon cceur plus que trop amoureux. Pour ce mefchef de rentrer to' te pi efîe Au fueil de l'huis trois fois elle s'arrefle, Et par trois fois fe remet en chemin, Qit'elle pourfuit s'affeu ant à la fin.
Quand elle fut ho' s la ville rendue, Au loin deuant elle jette fa vue Pour decouurir fi Pyrame efi deuant: Puis comme plus elle marche en auant.
DES POEMES. 173
A chaque pas fe retournant regarde Deuers la ville, à chaque pas retarde : Mais en chemin fon amy ne voyant Elle fou/pire en fon cœur s'efmoyant Si rien ne s'offre ou deuant ou derrière. Et prenant cœur, d'vne courfe Icgiere Hajie fes pa^, pen/ant à Varriuer Sous l'arbre dit fon Pyrame trouuer. Mais au Meurier la pucelle arriuee En lieu defert feulette s'ejl trouuee. Et fon Pyram que fi fort fouhaittoit Party pour lors à peine encor ejloit, Pour n'auoir peu, fuiuant fon entreprife, Se defvober, fans qu'elle fut furprife : Car les feruans n'efloyent pas endormis. Et retardoyent ce qu'il auoit promis.
L''amante adonc feulette deffous Vombre En foy les pas de fon amy dénombre, Difant, il peut s'empartir maintenant, Puis il viendra, dit-elle, incontinant. Au premier bruit qui frappe fes oreilles Ou d'vn oyfeau ou d'vn vent par les fueilles Ne Ventroyant foigneufe qu'à demy, Voicy venir, dit-elle, mon amy. Mais, fe voyant par plificui s fuis trompée, Elle s'efcrie en voix entrecouppce De drus fanglots hors d'vn cœur affoibly :
O faux Pyrame, as tu mis en oubly L'accord fraudé de tes vaines promcffes? Aa, donc tu dors? aa, doncque tu me laiffes, Amy cruel, en des lieux pleins d'effioy, Conduitte ainfi fous ta parjure foy? Que di-je ainft? mais fi ne puis-je a oire Qiie mon amour ait trompé ta mémoire : Ainçois [ie croy) les vallets feulement A ton partir ont mis empefchement. Hafle toy donc fans plus longue demeure. Si tu ne veux que de languir ie meure:
1/4 IIII. LIVRE
Vien, vien Pyram, j'ay trop faible le cœur Pour endurer vne telle langueur.
ThiJ'be crioit maijJte telle parolle Qui vaine en l'air auec le vent s'enuolle, Sans qu'elle puijfe à Pyrani paruenir Qui fon accord à tems ne peut tenir.
Tandis d'amour la vierge mal rafftfe, Ores fous l'arbre en bas ejloit affife De fon manteau fon vifage preffant, Or fe leuoit deffus pieds fe dreffant : Et fon efprit qui maint difcours balance, Tantojî icy, tantofl de là s'eflance: Comme Ion voit vne lueur qui part D'vn baffin d'eau fous le rayon iremblart Du clair foleil. par le planchier treluire : Thifbe ainfi promte à maints propos déduire. Ores deçà, ores difcourt delà, Tojî à cecy, tofl penfant à cela : Quand elle entend vn fier Lyon, qui froiffe Les Romarins. Dauant qu''il apparoiffe Le bien pour mal à gré fe promettant L'œil & l'oreille entent iue elle tend: La folle au bruit qui de joye s'efpafme, Cuide premier que ce foit fon Pyrame: Mais fon abus elle cognut après Que le Lyon elle apperceut de près, Qui murmurant felonnernent grommelle, A qui chaque œil d'vne fiamme jumelle, Comme deux feux, terrible rougiffoit, DequoY premier la vierge s'apperçoit.
Lors de frayeur fon pas vifie elle prefjfe, S'encourt, s'enfuit: de fcs efpaulles laiffe Choir fon manteau : & d'vn galop pouieux Se va ca.her deffous vn antre creux. L'ireux Lyon {qui venoit d^vn charnage De bœufi tue:^. tout altéré de rage Comme il fouloit, dans le ruiffeau chercher Veau fres-coulant pour fa foif efiancher)
DES POEMES. 175
Le manteau treuite, & tout flamboyant d'ire
En cent lopins efcharpi le deffire:
Et quelque part que de fa dent l'atteint
Il Venfanglante, & du meurtre le teint:
Puis il p::ffe outre : & Pyrame fur l'heure
Apres Veyinuy d^vne lente d^meure
Vient arriuer, penfant le malheureux
Cueillir le fruit du defir amoureux :
Mais fe haflant à la joye amour eufe
Il fe liafloit à fa mort douloureufe,
Pour faire, mort,fon amante i7tourir.
Lois dcjireux fe mettant à courir Tant loin qu'il peut droit au Meurier addreffe Ses yeux fiche:^ pour y voir fa maijlreffe : Mais quoy que l'arbre il approche plus près Il ne voit rien : & remarquant après En bas les pieds de fa Thifbe paffee Et du Lyon mainte pâte tracée, Tranfy foudain de creinte d^vn malheur. Il fe blêmît d'vne trijle pâleur. Mais quand il vit le manteau par la terre Souillé de fang, vn dueil le cœur luy ferre Tant afprement, que fans l'iré dédain Qiii Vanimoit, il fut pery foudain. Premier cuidant dégorger fa dcjlreffe, Il perd la voix qui fa gorge luy preffe : En fin fon dueil en defpoir ramaffant Il fit ces cris la defpouille embraffant :
Ha! ie voy bien, ô Pucelle innocente, Qiie tu es morte ou que tu fois abfente, Et moy meurdrier ie vy, qui ay foubmis Ton cors trahi aux Lj ons ennemis
Ont bien les dieux inhumains peu permettre Vn meurdre tel par Lyonsfe commettre? Telle douceur en fi grande beauté S'endommager par telle cruauté?
Oyit doncques eu ces befies le courage, Ha! d'employer leur exceffiue rage
176 III I. LIVRE
En tel honneur? ton parler adoucy
Ne les a point attire:^ à mercy,
Dont la douceur de pleurs vne riuiere
Eujï peu tirer hors d'vne roche Jiere?
Quoy? ton regard confit en amitié
Ne les a point incitt:^ à pitié?
He! des Lyons l'outrage n^ejl coupable
Tant que le tort de moy trop miferable,
Qui t'ay contreinte, infcnfé de fureur.
De venir feule en ces lieux pleins d'horreur.
Tu deuois donc mourir, pauure Thifbee !
Entre les dens de ces félons tombée.
Et celuy-là qui t'aimoit le plus fort
Deuoit brajfer la caufe de ta mort?
O cruauté! les Lyons t'ont mangée.
Mais par ma mort ta mort fera vangee :
Mon fang coupable à ton fang meflié^
Me lauera de ce meurdre expié.
O doux manteau, doue & chère defpouille Qiie triflement de mes larmes ie mouille ! Au moins que feuffe, au moins que feu ffe Vheur De voir ma Thifbe en ce piteux malheur, Afin que morte encores ie la peuffe Tenir mourant : afin que ie receuffe Quittant ce jour, des défunts le repos Pour tout confort dedans vn mefme clos! Mais oii prendray-ie, oit prendray-ie à telle heure, Par tel defert, parauant que ie meure, De ton cher cors quelque aimé demeurant, O Thifbe, à fin que le tinfe en mourant?
Mais vous Lyons, qui Paue^ deuoree, Lyons oye^ cette voix efploree, Puis que ie n'ay cefeul piteux confort Qiie de la voir toute morte à ma mort: Faittes de moy, faittes vofire pafture. Vos gorges foyent au moins la fepulture De deux amans, & vos ventres comble:^ Soyent le cercueil de nos cors affemble^.
DES POEMES.
17;
Qjie vaut ce diteil, puis qu'en vain ie deftre Par eux la mort? donc encor ie refpire, Et ma Thifbee ejl au nombre des morts? O doux manteau! rien d'elle ie n'ay fors Toy feulement : à toy faut que ie die Ces derniers mots : Rcçoy ma trifle vie, Reçoy cette ame : en toy ce trifle cœur Perde fa vie auecque fa langueur.
Faifant ces plains mainte larme roulée Sur cet habit il auoit efcoulee. Et l' auoit ja rebaifé mainte fois Quand il mit fin à fa dolente voix: De fon fourreau il tire vn Jimeterre Q.u^il auoit ceint, & le fichant à terre La pointe amont fous le pied du Meurier Tombe dejfus luy defoy le meurdrier. Le fer pointu luy perce la poitrine. De fang ondeux vne fource pourprine Coule du long, & Pyrame le beau Chet fur le flanc embraffant le manteau.
Defia la vie en la fource fanglante L'abandonnoit par la playe coulante : Son teint vermeil defia fe paliffoit. Et la vigueur de fes yeux fanijfoit : Lors que voicy l'amante malheuree Venir courant, encor tout efpouree De la frayeur du Lyon ennemy : Et s'apprefloit de dire à fon amy De ce danger l'auanture écheuee : Mais la chetiue à fa trijle arriuee N'a qui Vefcoute, & trouue (o defconfort ! ) Son palle am.ant qui tiroit à la mort.
Thifbe, quel fut le maintien de ta face, Qitand efperdue eflendu par la place Tu vis Pyrame? à l'heure tu n'as pas Vaincu ton dueil le voj-ant au trefpas. De coups de poing tes mammelles meurdries, Battant à l'heure aigrement tu fefcries : lean de Baif. — II. 12
178 IIII. LIVRE
D'ongles dépits ta face egratignant, Brifant ton poil, tu dis en te plaignant.
Pyram demeure, encor vn peu demeure, A fin Pyram que premier que ie meure. Et que premier que mort aiiffi tu fois Tliifbe te baife pour jamais cette fois. Parle Pyram : ta Thifbe fy conuie: Si pour parler tu n'as affe\ de vie, Voy donc ta Thifbe. Au nom de Thifbe alors Il redreffa fes doux yeux prefque morts: Et tout foudain que fa Thifbe il ut vue En refiUant piteufement fa veuë, Ses membres froids par la terre eflendit. Et d'vn foufpir fa chère ame rendit.
Elle tandis de fes moites paupières Verfant de pleurs deux ondeufes riuieres Lauoit la face à Pyran^e, & du clos De fes poumons pouffoit trifîes fanglos : Et recueillant d'vne leure dolente Ce qui refloit de l'ame s'efcoulente Dejfus fa bouche, en pitié la baifoit D'vn baifer, las! qui bien peu hiy plaifoit.
Or aufft tofl que la fille efperdue Le vit tout froit fon ame auoir rendue, Le fer meurdrier hors de la playe ofiant Le prit au poing dépite fanglotant.
Comme en Hyrcargne vne lyonne efmeué. Quand, cependant qu'en quefte elle fe rué, Le caut pafieur fes petis a tire:{ De leurs taniers, les trouuant adire:{. Single en courroux fes flans, fon dos, fa tefîe De fa grand' queue : & rugift & tempefle: Comme la tourtre en regrets perijfant Son mary mort veuue va gemiffant. Ainfi Thifbee en fa douleur defpite Toute en fureur encontre foy s'irrite. Se bat .^ fe plaint, & fa mort deffeignant En ces laments alla fe complaignant :
DES POEMES. 17g
Pourquoy Pyram, poiirquoy in as-tu laijfee, Seule fans toy, d'ennuis tant opprejfee, En te mourant? quel mal doy-ie penfer? Doù doy-ie, 6 moy, mes regrets commencer? Qiie deuiendray-ie? oit fera ma retraitte? Retourneray-ie en ma ville, pauurette? Où, fi ie va, la honte auoir ie doy D'eflre, 6 douleur, la meurdriere de toy? Qjti fus mes fœurs ejlois autorifee. Voir me pourray-ie entre elles mefprifee, Par qui toufiours pour le moindre péché Tu me feras à bon droit reproché? Quand me monjlrant coupablement blefmie Qiielquun dira : Voila la belle amie, Dont la beauté fut caufe de la mort Du beau Pyrame. O trop tri/le remord ! Seroit-il bien poffible que f endure Sans me creuer, vne fi jufle injure? Pluflofl, plujlojl qu'en ce malheur ie foy S'ouure la terre, & m'ejlouffe dans foy. « Il faut mourir : bien chetiue efî la vie, « Qui pour jamais de reproche eflfuiuie. Thifbe, ce cœur féminin abbatu. Arme ton bras d'vne mafle vertu: Et par ta mort veinquereffe fur monte D'vn trifle viure & le ducil & la honte : La pointe encor toute tiède du fan g De ton amy cache toy dans le flanc.
O ciel, ô terre, oye^ ma voix dernière, Adieu beau jour, adieu belle lumière. Dont la douceur tandis m'éjouiffoit Qiie mon Pyram de vos dons jouiffoit : Mais où qu'il foit pour en mourant lefuiure, De franc vouloir ie quitte voflre viure.
O Lune adieu, qui verras deux amis En cefle nuit, l'vn pour l'autre à mort mis: Ceux dont l'amour fut fi bien alliée Qiie fans la mort n'eufl eflé defliee,
:8o iiir. LIVRE
En la ynort mefmc accouple:^ s'allier,
Sans que la mort les piiijfe deflier.
Mais, ô vous Dieux, 6 vous faintes Deejfes
Qiii prefide:{ à ces forefts épeffes,
O fi d'amour la cognoijfance aue^.
Si comme il poind chaudement vous fçaue![ :
Ne laiffe^ pas de nofire amour fidelle
S'efuanouir la fouueuance belle
Auec la vie : au moins ne laijfe^ pas
Nofire renom fe fentir du trefpas.
Qiie ce Meurier^ de qui le irifie ombrage
Nous tient couuerts, repeigne fon fruitage
Pour tout jiimais [qui efi encores blanc)
Du pourpre aimé de nofire rouge fang.
Vous nos parens, qui fçachans la nouuelle De ce mefchef, fere:{ mainte querelle, Pour nofire mort demene:^ moins de ducil, Et nous joigne^ en vn me/me cercueil : Afin que nous, qui d'vne me/me fiame En me/me tems & d'vne mefmc lame Serons tue^, des deffunts le deuoir Puiffions rejoints en me/me tombe auoir. Ces cris finis, fa poitrine elle enferre, Et Veuferrant, quand elle chet à terre Chafie rabat f on pli ffé vefiement, Se donnant foin de choir honnefiement. Et fe mourant la pucelle témoigne D'vn cœur bien né la modefie vergongne: Voire & prend garde en ce piteux mefchef Que fon chef pofe auecque Vaimé chef Defon Pyrame : & face contre face, loué fur joue , ainfin elle trefpaffe. De ces amans les vifages pallis Enfemblc joints fembloyent deux blefmes Us, Dont les blancheurs de long tems efpanies S'entrapuyans fe déteignent fanies, Quand les fleurons en leurs tiges bleffe^ Se vont baifant l'vn fur l'autre beffe^.
DES POEMES. ibl
Or ne fut pas de Tliifbe la prière Par les bons Dieux repouffee en arrière, Qui pour marquer cet infigne malheur Firent muer à ce fruit de couleur. Le fang pourprin, qui de leurs playes roule Sous le Meurier, dans la terre s'efcoule. Et tièdement aux racines s'emboit Comme dejjus goûte à goûte il tomboit. Puis remontant par tout le lige encore De fa rougeur la feue recolore, Qui jufqu'' aux fruits de branche en branche atteint, Et leur blancheur en fon vermeil reteint.
L'aube defia de fa clairté luifante Auoit efleint la preffe efiincellante Des feux du ciel : la nuit s^ éparpillait Deuant les rai^ du Soleil qui failloit De VOcean : quand les terres couuertes Sous Vobfcurté, font au Soleil ouuertes : Au frais matin quand les gays pafloreaux Partent chaffans aux paflis les taureaux: Lors quelqu'un d'eux tenant la droite fente Qui paffoit là, du premier s'efpouuante. Tant loing qu^il voit les Meures auoir pris Vn autre teint, qu'elles n''auoyent apris. Puis fait plus près blefmy d'horreur friffonne, Et de frayeur le poil luy lierijfonne Voyant ainft par la terre ces cors L'vn près de l'autre eflendus roides morts. Qui tout foudain courant d'vn pas habille Son befîail laiffe : & retourne en la ville Dire l'efclandre, & les faits apparents Des puijfans Dieux, à leurs panures parents: Lefquels fçachans l'aueniure piteufe Accourent voir cette couple amoureufe , D^ Amans tue^ l'vn fur l'autre [ô pitié!) Pour s'eflre ayme^ d'cxceffiue amitié : Sous le Meurier leurs parens s'amafferent, Et d'vn vouloir vn Sepulchre y drefferent
IÔ2 IIII. LIVRE
A double front, fur pilliers efleué,
Dans les deux flancs de ces vers cngraué :
VNE AMOVR FIT TOVS-DEVX MOVRIR ENSEMBLE THISBE ET PYRAM : VN TVMBEAV LES RASSEMBLE, PAS VN DES DEVX SANS l'aVTRE NE POVVANT NY ESTRE MORT, NY SANS l'aVTRE VIVANT.
HELENE.
A MADAME DE LA TOVR.
ToY la bonne Hélène de France, Vien t'ébatre à voir la deffence De la Gregeoife que les Grcc:ç Font fourfe de tant de regrets: Rejetans la caufe fur elle De celle fan glante querelle, Doîi fourdirent cent mille maux, Qiii fit équiper mille naux. Cette Hélène abondroit te done A toi qui es H k l e n e B o n e, Hélène de nom & beauté, BoNE de furnom & bonté.
Voie Y le grand fleuue du Nil, Qui trempe le pais fertil D'Egypte, débordant fon onde En lieu de la pliiye féconde Que les deux répandent d'enhaut Quand la nége fe fond au chaud. Proté tint fous fa figneune Ce pais tant qu'il fut en vie,
DES POEMES. l83
Et Vijle de Fare abitoit Prince d'Egypte qu'il étoit.
Or Pfamathe, Vvne de celles Nymphes, délicates pitcelles Qiii hantent le marin fejoiir, Apres aiioir quité l'amour D'Eolus le feignettr des vents, Fit à Proté deux beaux en/ans En bon mariage & loyal, Acouchant au palais royal.
Le ma/le eut nom Theoclymene, Qiii toute fa vie a mis pêne D'vn cœur bon & deuocieux De maintenir Vhoneur des Dieux.
La fille agréable S- bien née, De beautés & grâces ornée, Tout le tems de la fimple enfance Fut l'honnejle rejouiffance De fa mère & fon doux foulas. Mais la mignone ne fut pas Si tôt en celle âge ariuee Qiii efl des maris defiree, Qiie Theonoë on Vapela Pour ce que la fcience elle a De deuiner & prefagir Tant le paffé que Vauenir, Etant d'vn tel don honorée Par fon ayeul le vieil Neree. Qtiant à moy, mon père, mon nom, Et mon pais, font de renom. Sparte c'efl ma natiuité. Le Roy Tyndare ejl réputé Mon père, combien que Ion face Vn autre conte de ma race: Car il ejl bruit que lupiter Dans le giron fe vint geter De Leda ma mère, en la forme D'vn Cygne auquel il fe transforme.
184 un. LIVRE
En feignant de fuir la chajfe De fon égle qui le pourcliajfe, Et qu'ainfi par fine furprife Acomplit Vamour entreprife Auec ma Mère, fi la fable Que Ion a fête eft véritable. Le nom que j'en ce fut Hélène : Or ie raconteray la pêne Que f endure, & doit font venus Les maux qui me font auenus.
L^origine de mes detreffes C'efi le débat des Trois Deejfes, Quand elles prennent la querelle D'efire chacune la plus belle, Lors que s'en étant raportees A Paris, fe font tranfportees Aux caueins cachés du mont d'Ide, A fin que le pafioureau vide Leur diferant de la beauté. Or Venus, ayant prefentê Ma beauté {s''il faut qu'on apele, La caufe de tant de mal, belle) A fon juge le pafioureau : Pour vn mariage nouueau, De fa caufe emporte le gain. Paris Alexandre foudain Qiiite les Idiens bordages Son bétail & fes pâturages : S^en vient à Sparte en efperance D'auoir de moy la jouiffance. Mais lunon, qui eft indignée De fe voir ainfi condannee Et n^auoir emporté le pris, Frufire le defir de Paris, Et fon attente deceuant Tourne tout fon efpoir en vent. Au fils de Priam elle donne, Non moy-mefme en propre perfonne,
DES POEMES. l85
Mais vn fantôme à moy femblable,
Mouuant, viuant [chofe admirable)
Qii^au ciel elle aiioit compofé
Pour ejlre pour moy foupofé.
Et Paris penfe bien m'auoit*
Me tenant ce luy femble à voir.
Mais il tient ma femblance véne
Non moy qui fuis la vraye Hélène.
Or tous ces malheurs font fuiuis
D'autres malheurs. Ce fut l'auis
De Jupiter, qui par la guerre
Veut aleger la mère Terre
De la foule & pefante prejfe
Des chetifs hommes, qui Vopprejfe :
Et fait armer par ces moyens
Les Grecs encontre les Troyens,
Pour faire aparoir la prouëjfe
Du plus braue preu de la Grèce.
Ainfi pour le pris de la lance
Des Grégeois, & de la vaillance
Des Phrygiens, Ion me propofe
Non moy, mais mon nom qu^on foupofe
Car Jupiter eut quelque foin
De me garder à mon befoin,
Qiii, conoijfant la preudhomie,
Et de Proté la bonne vie,
Me fit enleuer par Mercure,
Couuerte d'vne nue ofcure,
Et me rendre en cette maifon
Pour fuir toute ocafton
D''offenfer au lit tiuptial
Menelas mon mary loyal.
Cependant qu'en ce lieu je fuis Mon pauure mary plein d^ennuis Affemble vne année, qu'il paffe Aux murs d'Jlion : & pourchaffe De me rauoir ardentement. Par vn autre rauijfement.
12'
i86 un. LivRE
Là plufieurs âmes font peries Deffus les ondes Scamandvies : Et moy de tous maux miferable, Suis maudite & fuis exécrable A tous eux : car ils croyent tous, Qit^étant traitreffe à mon époux l'ay allumé cette grand' guerre. Pourquoy vi-ie encores fur terre? Auffi y ay fceu du Dieu Mercure Vne parole, qui m'affure Qii'cncorcs te retourneray, Et qu'encores fejourneray En la noble ville de Sparte, Sans que jamais plus ie m'écarte De mon mary,fçachant adoncques. Que dans Troye ie ne fus oncques, Pour ne honir point déloyale De fon lit la foy nuptiale. Or tandis que le Roy Proté Voyoit du Soleil la clarté Nul n'attentoit mon mariage: Mais depuis que le noir ombrage De la terre le tient caché, Le fils du defund a tâché De m'époufer. Mais honorant Mon mary, fay pris à garant Proté, faifantfafepulture Ma franchife, à ce qu'il ait cure De preferuer de tout outrage L'honeur de mon faint mariage : Afin que ft ma renommée En Grèce efl à tort diffamée. Au moins icy en ma perfone le ne foufre aucune vergogne.
DES POEMES.
CARTEL DES TENANS
POVR AMOVR.
A MONSIEVR D'ENTRAGVES.
PovR honorer les noces de tafœur le compofay ces vers en ta faneur, Sur les combats qui par jeu s'y drejferent, Les VHS louans, les vns blamatis l'amour. Puijfe ma rime, Entragves, dire vu jour Que tes vertus dans le cœur me pafferent.
Novs Qvi PORTONS Ics armcs nuit & jour Pour maintenir la magejié d'Amour, A qui rendons tout feruice f délie, En ce Perron auons ouuert le pas, Oîi cheualiers s'offriront aux combas Sur le deffi de fijujle querelle.
Nous ne voulans manquer à tel deuoir, Mais ayans tous ce bon heur que d'auoir Chacun Maitrcffe en vertus acomplie, Pourfoutenir Pexcellente valeur Au me/me fait & d^ Amour & la leur, Cy prefentons & l'honneur & la vie.
Nous maintenons qu'Amour jeune & gaillard Ne vieillifl point. Des jeunes ne départ, Jeune s'aimant auecques la jeuneffe. Qu'il ejl toufiours le plus jeune des Dieux: Qu'il rajeunifl le courage des vieux : Que délicat il fuit toute rudejfe.
Pour ce il choifitfa demeure dedans Les doux efpris, de bon defir ardans
i88 nii. LIVRE
A la vertu : ce font eux qu'il aprouche. Si quelque efprit dur fauuage & rétif Rejette Atiiour, luy bénin & creintif, Fuit le fejour de telle ame farouche.
H c(l tout beau : l^ennemy de hideur, Luy gracieux : Amour & la laideur Ont par entre eux guerre perpétuelle. Beauté le fuit : il aime la beauté: Où qu'il s'afftét la gaie nouueauté Des belles fleurs du printems renouuelle.
Il efl tout bon : les hommes ne les Dieux Ne luy font tort. En terre ny aux deux Il ne reçoit ny ne commet outrage : Entier & droit il tient ce qu'il promet. La violence {où c'efi que s^entremet Cejufle Dieu) n'exerce point fa rage.
De gré à gré parfait fes beaux d'^fîrs: Mais il refraint tous les f aies plaifirs, Leur commandant par bonne Tempérance. Il efl vaillant : ^fars le Dieu des vaillans, Sous qui fléchit le cœur des bataillans, Domté d'Amnur témoigne fa vaillance.
Il efl fçau.mt : il fçait tout. Qji'ainft foit Nul, fi dans l'ame Amour il ne reçoit, Ne parfait rien en nul art qu'il exerce. C'efi luy qui rend les hommes inuentifs : Grans Maifires fait de nouueaux aprentifSy Maifîre parfait en fcience diuerfe.
Amour grand Dieu donne aux humains la paix, Vnifl les cœurs, redouté des mauuais, Cherché des bons., aux heureux agréable: Père de joie, amy de vray plaifir. C'efi luy qu'il faut feul & fuiure & choifir Pour condudeur en tout aâe louable.
Marchans fous luy, conduis de fa faueur. Nous maintiendrons à preuue de valeur, Qii' Amour fleur ifl en plaifante jeuneffe : Trefbeau, trefbon, tempérant, droiturier,
DES POEMES. 189
Sage,fçauant, magnanime guerrier, Qiii joint en vn & Sageffe & Proueffe. Qiiiconq loyal f on enfeigne fuiura, Ferme & conjlant, à la fin receura De fes trauaux Vheureufe recompenfe. Voire oublira tout le mal enduré. Prenant heureux en repos ajfuré, D'vn rare bien la fainte iouiffance.
CARTEL
DES ASSAILLANS
CONTRE AMOVR.
Moy, qui portant les armes pour l'honneur, De nos trauaux le certain guerdonneur. Me fuis aquis du vray bien cognoiffance, Protefteray pour Vhonneur, contre Amour Et fes tenans, prcft de montrer au jour L'abus de ceux qui luy portent créance.
Mon poil chenu le témoin de mes ans,
Deuroit gagner les cœurs des jeunes gens
Pour fe régler à noftre long vfage :
Si quelcun d'eux par fa témérité
De l'âge vieil foule l'autorité,
Vieillard je fuis de poil, non de courage.
Venons aux mains. S' aucun fe peut trouuer Si mal conduit, qu'il me force à prouuer du Amour n'eft rien qu'vne aparence vaine D'vn bien trompeur, qui naifl d'vn fol defir.
igo un. livre
Par mille viatix cherchant vn faux plaifir, le liiy promê la proiiue très certaine.
le maintiendray que les hommes deçuj Pour Je jlater en leur mal, ont mis fus D'vn Dieu d'Amours la miferable idole: Amour n^efi rien qu'vne poifon d'efprits Enforcele^ iufques au cœur furpris Par le regard qui la raifon afole.
Amour yi'efl rien qu'vne aueugle fureur : Et qu'ainfi foit, qui tombe en telle erreur, Fuit & pourfuit : il fuplie & menajjfe : Il fe trauaille & cherche le repos : Il efl muet forgeant mille propos : Il fe courrouce & fe remet en grâce.
Signe vraiment d'vn courage mal fain. Nul doncque plus n'adore ce Dieu vain, Qui des humains efl la pefte & la rage. Lon chet par luy en mille auerfite^: Par luy fouuent Royaumes & cite:^ Sont mis àfac & jettes en feruage.
Donque fuïe:{ ce mauuais guerdonneur Qit'on nomme Amour. Ne fuiue:{ que l'honneur Le faint honneur luy-mefme fe guerdonne : Qui le fuiura par pénible f entier , Sur le haut mont receura pour loyer De la vertu, l'immortelle couronne.
SALMACI.
AV SIEVR MANDAT.
Mandat, il ne faut pas que de ta courtoifie Paye cueilly du fruit, fans de ma poéfie Te donner quelque fleur, par qui foit confejfé
DES POEMES. igi
Que tu m'as le premier en plaifir dauancé. Les Naj ad es jadis dejfous les canes d'Ide Nourrirent vn enfant, que la belle Cypride Et Mercure auoyent fait : dans fa face le trait De la mère & du père efloyent en vn portrait: Des deux il eut le nom. Apres que cinq années Furent au jour natal par trois fois ramenées, Les lieux de fa naiffance ardant abandonna, Et Ide fa nourrice : & du tout s'adonna A courir le pais par terres i>iconnuës, Et pajfcr nions nouveaux & riuieres non vues: Le defir & plaifir qui de voir luy venoit Amoindrijfant toufiours le trauail qu'il prenoit. Il va par les cite:^ de Lycie, & tant erre Qii'il arriue en Carie, vne voifine terre Du labour Lycien, où il auife vne eau Claire juf que s au fond argenté, net & beau. Là ny le jonc pointu, ny la canne eflulee, Ny le grefle rofeau de l'onde reculée N'entoure le baffin : l'étang efl découvert. Et le jet efl paué d'vn ga^on toufiours verd. Vne Nymphe s'y tient : 7nais qui le tems ne paffe Ny à tirer de l'arc, ny àfuiure la chaffe, Ny à courre à l'enuy. Seule Najade elle efl, Qjii de Diane vifîe en la court ne fe plaifl. On dit que bien fouuent fes fœurs l'ont avertie: Salmaci, pren le dard, pren la trouffe garnie, Pren l'arc dedans le poing : le loifir que tu as Employ'-le de la chaffe aux honnefies ébats: Mais étant, Salmaci, de tes fœurs avertie, Tu n'as pris ny le dard ny la trouffe garnie, Ny Varc dedans le poing, ny ton loifir tu n'as Employé de la chaffe aux honnefies ébats.
Mais tantofl dansfon eau fon beau cors elle baigne, Tofl d'vn buys dentelé fa cheuelure peigne : Par fois en fe mirant au tranfparant fourjon. S'y confeille que c'ejl qui luyfied bien ou non. Puis de crefpe fubtil fur le nu habillée
192 un. LIVRE
s'étend fur l'herbe drue ou Vépeffe fueillee. Souuent cueille des fleurs : S- lors mefmes auint Qii'elle cueillait des fleurs quand le garçon y vint. Elle le voit venir : & le voyant fur l'heure Deflre d'en jouir : mais quelque tetns demeure [Bien que bouillant d^amour) à fes cheueux treffer. Agencer fa veflure, & fa face dreffer. Tant qu'elle mérita vraiment de fembler belle.
Beau fils, pour ta beauté trefdigne {ce dit-elle) Qiiifois eflimé Dieu, ou foit que Dieu tu fois, Le beau Dieu Cupidon tu peux eflre & le dois : Ou foit que fois mortel, heureufes les perfonnes De qui fus engendré pour Vaife que leur donnes: Bien-heureufe ta mère, & tafœurfi en as. Et la nourrice à qui les maminelles fuças : Mais fur toutes la mieux & la mieux fortunée Celle qui te fera pour époufe donnée: Celle que daigneras combler de tant d'honneur, Que de luy départir de ton lit le bon heur. Or s'aucune eft déjà de tant d'honneur comblée, Qii'aumoins le don d\Amour je reçoiue à l'emblee : Ou fi nulle ne l'efl, que celle làjefoy. Et dans ton lit noffal feul à feul me reçoy.
Ce dit, elle fe teut ; vue honte naïue Les joués du garçon peignit de couleur viue, Qui les rufes d'Amour encor ne comprenoit : Toutefois le rougir ne luy mefauenoit. Vne telle couleur fur les pommes éclatte, Qu'à demy le Soleil a teint en écai latte: Tel eft l'iuoire peint de fanguin vermillon: Telle eft la Lune auffi, quand le haut carillon Du refonant érein n'a puiffante efficace Pour rendre clair-bruny l'argenté de fa face. Lors que les charmes forts de fa trouble pâleur Ont taché la clarté de vermeille couleur.
La Nimphe requérant au moins d'eftre baifee Du baifer dont lafœur ne feroit refufee, Déjà tendant les bras, afin de fe jetter
DES POEMES. 193
A fon col inoirin : Veux-tu point arvejlev : [Dit-il) ou je m'en fuy & te quitte la place. Lors Samalci creignant, Non, non, amy, de grâce, [Dit-elle] je Vy laiffe en toute liberté: Et par feinte reprend vn chemin écarté: Mais elle tourne court, & ne s'eloignant giiiere. Met vn buijfon épais deuant elle : & derrière Des arbrijfeaux branchus s'embuchant Je plia Sur vn genoil en terre, & l'enfant épia. Tandis, comme celuy qui ne fe donne garde Pour le happer d'aguet qu'on le guette & regarde, E)i enfant qui n'a foin, le voicy le voila: De là reuient icy, d'icy reua delà, Par V herbe fe jouant : deffus la riue humide Mouille le bout du pié, puis là oii l'onde ride Trampe la plante entière : & gagné tout foudain De la trampe de l'eau fe propofe vn doux bain: Et de fon cors douillet la jointiffe veflure Il dépouille & met bas fur la molle verdure. Lors Salmaci s'éperd & brufle de defir De celle beauté nué, efperant lafaijir: Ses yeux eflincelloyent comme vn miroir éclaire, Qiti du Soleil ferein reçoit la flamme claire: Et ne peut délayer, ne fe peut contenir: Le plaifir qu'elle attend efï trop long à venir. Luy defes creufes mains bat fes flancs & fes hanches, S'élançant dans l'étang : là oit fes cuiffes blanches Et fes bras fous l'eau claire àj'ecoujfes jettoit, N'étant non plus caché, que fi quelcun mettait Des images d^iuoire ou des lis fous v» verre, Q_ui net & tranf parant fans les cacher les ferre. Victoire, tu es mien [dit la Nimphe en huant) Sans robbe ny chemife emmy l'eau fe ruant. Bon gré maugré le tient : & quelque refiflance Qit'il face, luy rauit plus d'vn baifer d'auance: Met les mains deffous luy : de fes tetins étreint Son efïomac douillet quardante elle contreint : Et tantofl d'vne part, puis de l'autre s'attache lean de Baif.— II. ij
I 94 1 1 1 1 . L I V R E
Alentour de l'enfant, qui au contraire tafche D'échapper, mais en vain: car elle le retient Empêtré, comme on voit vu ferpent que foiijîient En l'air l'oifeau royal, & qu'amont il emporte: Il luy ceint des replis de fa queue retorte, ïambes, aifles & col : ou comme court lacé Le lierre importun fur le chefne embraffé: On comme les pefcheurs fouuent prennent le poupe Dans le fond de la mer, qui veincueur enueloupe Son ennemy furpris jettant de toutes pars Les liens étreignans de fes fouets efpars. Le jouuenceau s'obfline : & plus elle s'abufe De l'efpoir du plaifir, d'autant plus la refufe : Elle toufiours le prejfe, & fe laijfant aller Sur luy de tout fon cors,fe met à luy parler : Deba-toy fort, Mauuais : tu as beau te débattre, Si ne pourras-tu pas d'auec moy î'ecombattre : Dieux, ordonnés-le ainfi : que depuis ce joiirdhuy lamais ne nous laiffîons, ny luy moy, ny moy luy. Ce veu fut exaujfé : leurs cors mefle:^ enfemble, Des faces de tous deux vn vifage s'affemble. Comme qui deux rameaux d'vne écorce enceindroit , Et nourris d'vne feue en vn tronc les joindroit : Ainfi les membres pris d^vne étroitie méfiée, Ils ne furent plus deux : leur forme fut doublée, Si qu'on ne pouuoit dire ou fis ou file il efï : Car ou l'vn feul ncfl pas, l'vn & l'autre apparoifl.
Or s'étant apperçu que l'eau de force étrange Auoit fait dedans luy fi merueilletix échange, Qti'homme entier y entrant n'en fortoit que demy, Et fon cors émâflé s'y ejioit afemmy, Tendant les mains en haut d'vne voix agrelie : Hermaphrodite dit, Voftre enfant vous fupplie. Vous fon père S- fa mère, eflant nommé d'vn nom, Que tous deux vous porte:^, luy ottroyer vn don : Quiconques abordant dans cette fource forte Homme entier entrera, que demy-homme^en forte, Et depuis qu'il fera teint de cette liqueur.
DES POEMES. 195
Sente amollir foudain fa première vigueur. L^vn & l'autre parent é)nu^ de la prière De leur biforme fils, l'accordèrent entière : Et par venins fegrets cette promte vertu Verferent dans les eaux, que depuis elV ont u.
LES ROSES.
AV SIEVR GVIBERT.
GviBERT, qui la vertu chéris, Afin que l'dge à venir f cache, Que ma Mufe ingrate ne cache Le nom de fes plus fauoris, Pren de ces Rofes le chapeau, A qui ne chaleur ne gelée N^ojlera ce qu'il a de beau Pour honorer ta renommée.
Av mois que tout ejl en vigueur, Vnjour que la blanche lumière Poignoit, comme elle efi coufiumiere, Soufflant la piquante frefcheur D'vn petit vent qui deuançoit Le char de l'Aube enfafranee, Et deuancer nous auançoit Le chaud prochain de la journée :
L'vn chemin puis l'autre prenant Autour des planches compaffeeSy Atraucrs les fentes dreffees le m'en alloy' me pourmenant.
196 un. LIVRE
Au point du jour m'étant leué, A fin que me regaiVardife Dans vn jardinet abreuué De mainte rigole fetiffe.
le vy la rofee tenir
Pendant fous les herbes penchantes,
Et fur les fîmes verdiffantes
Se concreer & contenir:
le vy deffus les choux fueillus
loufler les goûtes rondelettes,
Qui de l'eau tombant de là-fus,
Se faifoyent déjà groffelettes.
le vy les rofiers s'ejoulr Cultive^ d'vne façon belle ; le vy fous la clarté nouuelle Les frefches fleurs s'épanouir : Des perles blanches qui pendoyent Aux raincelets rofoyans nées, Leur mort du Soleil attendoyent A fes premières rayonnees.
Les voyant vous euffie^ douté Si V Aurore fon teint colore De ces fleurs, ou ft de l'Aurore Les fleurs leur teint ont emprunté. Sur la belle étoile & la fleur Venus pour dame efl ordonnée, Vne rofee, vue couleur, Et vne mefme matinée.
Peut-efîre qu'elles n'ont qu'vn flair : Nous fentons celity qui efl prouche, A nofire fens Vautre ne touche. Car ilfe perd là haut dans l'air. De la belle étoile & la fleur Venus la Deeffe commune, Veut que l'odeur & la couleur En l'vne & l'autre foit tout-vne.
Entre peu d'efpace de tems
Les fleurons des Rofes naijfantes
DES POEMES. 197
Diuerfement s'épanijfantes, Par compas fe vont departans : L'vn de l'étroit bouton couuert Se cache fous la verde fueille, L'autre par le bout entrouuert Pouffe l'écarlatte vermeille.
Cetui-cy plus au large met La haute fime de fa pointe, Et l'ayant à demy déjointe Decouure fon pourprin fommet : Cetuy-là fe defafubloit Le chef de fa tenue coiffure , Et déjà tout prejl il fembloit D' et aller fa belle fueillure.
Bien toft après il a declos Du bouton riant Vexcellence, Décelant la drue femence Du faffran qu'il tenait enclos. Luy qui tantojl refplendiffant Monjlroit toute fa cheuelure, Le voicy palle & fletriffant, Qui perd l'honneur de fa fueillure.
le m'emerueilloys en penfant Comme l'âge ainfi larronneffe Rauit la fuitiue jeuneffe Des Rofes vieilles en naiffant: Quand voicy V incarnate fleur, Ainfi que j'en parle s'efueille: Et couuert e de fa rougeur La terre en éclatte vermeille.
De toutes ces formes l'effet, Et tant de foudaines muances, Et telles diuerfes naiffances, Vn jour les fait & les défait. O Nature, nous-nous pleignons, Qjie des fleurs la grâce ejl fi breue. Et qu'auffî tofl que les voyons Vn malheur tes dons nous enleue.
198 IIII. LIVRE
Autant qu'vnjour ejl long, autant L'âge des Rofes a durée : Qiiand leur jeuneffe s'ejl montrée, Leur vieillejfe accourt à l'injlant. Celle que l'étoille du jour A ce matin a veu naijfante, Elle-mefme aufoir de retour A veu la me/me vitillijfante.
Vnfeul bien ces fleurettes ont. Combien qu'en peu de tems periffent, Par fuccés elles refleuriffent, Et leur faifon plus longue font. Fille, vien la Rofe cueillir Tandis que fa fleur efl nouuelle : Soiiuien-toy qu'il te faut vieillir, Et que tu flétriras comme elle.
AV SEÎGNEVR
BERTELEiMI.
Ici, Bertelemi, tu verras la compleinte Qii'Amour tyran tira d'vne ame au vif atcinte D'vn Prince qui 'parmi les deffeins turbulents Pratiqués en fon nom par efprits violents: Lors que pleins de fureur enflés d'outrecuidance Atentoyent renuerfer les vieux droits de la France) Sent les feux amoureux, quand Amour elanfa D'vne tirade vu trait qui deux cœurs offcnfa. l'en teray ce qu'on fçait. Par ma Mufe empruntée En faneur de l'amant cette rime diéiee
DES POEiMES.
199
S'alant montrer au jour dira, Bertelemi, Que tu me fus courtois & gratieux ami.
Si ie ne pvis assez comme ie le defire, O mon vnique foing, découvrir le martyre Que j'ay de ton ennuy, aux larmes dont verras Ceji efcrit effacé, mon dueil remarqueras: Et cognoiffant ma main ie ne fay point de doubte Qti^vne pluie de pleurs de tes yeux ne dégoûte: Mais n'en verfe pas tant qu'ils fempefchent devoir Ce difcours douloureux temoing de mon deuoir.
Las! fi tojî que j'ouy la piteufe nouuelle De ta trijle aduotture, vne marrijjon telle M'enuironna le cœur, que ie cheiis efperdu Ayant auec l'efprit tout fentiment perdu. O moy lors trop heureux ft mon ame fortie Sans jamais reuenir fujl de moy départie. Hé doncques ie reuy, fi me vanter ie doy Que ie vy, puis qu'il faut que ie viue fans toy. La vie n'efl pas vie oîi tant de mal abonde. Qu'on fouhaitte fans fin d'aller en Vautre monde. Et j'iroy volontiers fi ce n'efioit l'efpoir Qji'en mourant ie perdroy d'encores te reuoir. La vie n'efl pas vie oit l'ame feparee S'enfuit cent fois le jour de fon corps égarée, Tellement qu'il me faut tous les jours encourir Cent morts pour ne pouuoir d'vne mort bien mourir.
Entre tous les tourmens qu'abfent de toy j^ endure Nul me tourmente tant, ma belle ie t'en jure, Que penfer à ton mal, lequel iej'ens autant Qiie tu peus lefantir, me le reprefentant. '
O que ie fceuffe bien quelques oublieux charmes Pour appaifer les plains & retenir tes larmes: le fçay que fi pouuoy tes peines alléger, Le faix de mes ennuis me feroit plus léger.
Mais de quelles raifons, 2>Iaifireffe, efi-il poffible Que j'aille confoljr ta douleur indicible, Qtiand moy-mefme dolent, abbatu, defolé Ne puis trouuer de quoy puiffe efire confolé?
200 IIII. LIVRK
Au moins que j'ujfe à qui mes trauaux pouuoir dire:
Mais faute d'en auoir, ma langueur qui s'eynpire
Auec tous les ennuis, feul me faut digérer
A par moy, pour n' auoir à qui me déclarer.
O pauure reconfort, ie n'ay d'autre alegeance
Qiie de penfer comment de cejle doleance
l'acompagne la tienne! 6 foulas trop cruel
Qu'ainfi coynme l'amour le mal efl mutuel!
Aucunement heureux lors que la douleur tienne
l'eflime de beaucoup moindre que n'efl la mienne.
D'autant que ton eiiniiy naifî d'vn tout feul malheur.
Mais de plufieurs malheurs ie fouffre la douleur.
Car tous les maux paffe^ deuant mes yeux reuiennent
Et d'angoijfe oppreffà, tout doubteux me retiennent
Lequel ie doy plus plaindre : & tout bien repenfc,
De ce dernier mechef ie fuis plus offerfé.
Lors mefme que ie voy qu'à Vinfîante pourfuite
De mon ardente amour en ces maux t'ay conduire :
Et fi Vamour Ion doit grande faute eflimcr,
l'ay commis grande erreur, ô belle, de f aimer :
Et faillir ay toufiours, n'efîant en ma puijfance
Me garder de t'aimer ayant ta cognoijfance.
Car f au droit que ie fuffe ou de roc ou de fer
Si ie ne me fentoy, ie ne dis échavfer.
Mais tout brufler d'amour, puis que j'ay peu cognoijïre
Tes beaute:{ & vertus, & te faire paroijire
Qu'elles m'auoyent faid tien, fi bien que ta douceur
D'vn mutuel defir me donna gage feur.
Maintenant j'ay grand peur que durant mon abfence Lon charge griefuement vers toy mon innocence, Et qu'auffi mon bon droid pour n''eftre défendu Comme il peut mériter, ne s'en aille perdu. Mais ie me trompe fort fi ta bonté na'iue Et ta ferme amitié demourant toufiours viue, Ne mefprife l'effort du defaflre enuieux. Plus m'aimant, plus Ion fait pour me rendre odieux.
Las ! foit jour, oufoit nuidfans ceffe en toy ie veille : Souuent de mon dormir en furfaut ie m'efueille.
DES POEMES. 201
Apres t' auoir fongee en l'ejlat quelque fois
Qjte belle, propre, & gaye en la Court triomphois :
Qiielque fois te voyant auecque trijle mine,
Nonchalante d'habits, pale, fombre, chagrine,
Comme vne qui auroit perdu fa liberté
Refferree en prifon hors de toute clairté.
Or quand tu m'apparois en ce gracieux fonge
le me pay quelque peu d'vne douce menfonge :
Puis ie me lâche au dueil, & dolent & dcfpit
D'vnfur l'autre cofïé ie me tourne en mon lid :
Et quand la vifion à mes yeux reprefenle
En quel ennuy te tient ta fortune prefente,
Helas c'efl faiél de moy ! ie fuis comme au trefpas,
Et ie hay le repos, & ie hay le repas.
Nul plaifir ne me plaifl : ny par les frais onibrages
Ouir des roffignols les babillars ramages,
Ny les chants muficaux, ny du fleury printems
La gaillarde verdeur, ny tous les paffetems
Des armes & chenaux n'appaifent ma trijleffe:
Mais où que puijfe aller, vne griefue detreffe
Me poife fur le cœur : de mon cœur ennuyeux
Sortent mille foufpirs, mille pleurs de mes yeux.
Cependant cet ennuy ne fert que d'vne amorce
A mon affedion qui toufiours fe renforce,
Et l'amour qui jamais ne fut mince en mon cœur
Au milieu du tourment redouble fa vigueur.
Ainjt de ton coflé ie m'ofe bien promettre
Qiie tu ne veux fouffrir ton amour fe remettre
Ny fléchir fous les maux : mais comme V or fondu
Et refondu au feu plus fin en efl rendu:
Ainfi nofïre amitié plus Ion en fera preuue
Dans les plus griefs tourmens plus nette fe retreuue:
Et recuiâe au fourneau de toute aduerfité.
Sorte pure toufiours nofire fidélité.
i3*
202 IIII. LIVRE
GONTRETRENE. A NICOLAS VERGECE,
CANDIOT.
r EE, ces mignardifes laijfe, le ne puis entendre à tes jeux: Lâchons vn peu couuer nos feux. Afin que m'acquite à Vergece, Qui m'a mis en foucy plaifant, M'étrenant d'vn mignavd prefant Qite la Mufe auec la Charité Ont ourdi de fleurons d'eflite.
Ces beaux vers en langue Latine Confits au miel Catullien, Vers de bon heur, méritent bien Que beuffe de l'eau Cabaline: Mais varfe-moy de ce bon vin Plein ce verre, qui tout diuin M'échauffe de fureur non vaine, Pour n'eflre ingrat en Contretréne.
Amy, qu'en la prime jeuneffe l'acointay che\ le bon Tufan, Voicy cinq fois le cinquième an Tout nouueau venu de la Grèce : Lors que j'efioy fi jeune d'ans Que venoy de muer les dents, Et mon Printems n'entroit qu'à peine Dedans la deuxième femaine.
Compagnons d^vne me/me cfcole, De mefme efiude & mefmes mœurs.
DES POEMES.
203
Et prefque de pareils malheurs, Pareille amitié nous affole. Bien jeune tu vis efcumer Deffous toy la ronflante mer Tiré de rifle ta naiffance Qjii vit de Jupiter l'enfance.
Moy chetif enfantelet tendre. Ce croy-ie, encore emmailloté, En des paniers te fus ofté, Pour dur à tout ennuy me rendre, Hors la maternelle Cité: Ou la noble poflerité D^Antenor dans le fons de l'onde [Miracle grand) fes manoirs fonde.
Depuis auoué de la France Mon aimé pais paternel, Par quinze ans d'heur continuel l'accompagnay ma douce enfance. Mais dés que mon père mourut L'orage fur mon chef courut : Pauureté mes efpaulles preffe, Me foule & jamais ne me laiffe.
le fuis pauure, & tu n^ es pas riche: Vien-t'en me voir, Amy trefdoux: Embrajfons-nous, confolons-nous : Le ciel ne fera toiifiours chiche Enuers nous du bien qui des mains De fortune vient aux humains : Or viuons vne vie eflroitte En pauureté, mais fans fouffrette.
Nature, mère charitable. De fes faâures n^a mis loin Ce qu'à leur eflre fait befoin, A qui efl de façon traitable : Le bien croijfant ne le fait tant Eflre ny riche ny contant Que la conuoitife, qui franche Tout deftr fuperfln retranche.
204 I n I . LIVRE
LA FVRIE.
ExNTREMETS DE LA TRAGEDIE
DE SOPHONISBE.
Or ay-ie bien raîfon d'auoir le cœur enjoye Moy qui ris des malheurs qu'aux hommes on enuoye De nos hideux manoirs. Sus ferpensfur ce chef, Sus fifjlei[ fautelans joyeux de ce mechef: Sus fus flambeau fumeux en figne de liejfe Ta flamme noire efpan pour la grande trifîeffe Qui tient toute l'Afrique : & fur tout pour les Rois Aufjuels j'ofte l'Empire, & leurs braues arrois.
Cecy me meine icy, moy hideufe Megere, Qui fuis des infernaux fergente é' mejfagere : Car aux trifles enfers le plus de leurs efbas C'efl quand quelque malheur ie rapporte là bas.
Syph.ix qui penfoit bien d'vn plaifant mariage Recueillir le doux fruicl, de Roy mis en feruage, Efclaue efl enchaîné de pieds, de bras & mains. Pour mener en Triomphe au plaifir des Romains.
Sophonifbe fa femme aujourdhuy s' efl donnée {DeJJ'ous condition de n'eflre point menée Captiue dedans Rome) àfon plus grand amy, Mais qui fe doit monfirer Jon plus grand ennem-'- .
C'ejl Mafiniffe Roy, qui luy a fait promejfe, Qu'il ne pourra tenir, car il faut qu'il la laiffe Emmener aux Romains, & de lafecourir
DES POEMES. 20D
// h'<3 plus beau moyen qu'en la faifant mourir : Mafiniffe aujourdhuy fait à fa mieux aimée Prefent cTvne poifon : la poifon efl humée ; Sophonifbe aime moins la vie que l'iionneur : L'amy de fon amie efl fait l'empoifonneur: Le mary de fa femme. A moy toute la gloire, A moy feule appartient de tant belle vidoire: L'honneur enfoit à moy, puis que feule j'ay mis Les amis en rancueur au gré des ennemis.
Puis que j'ay rebrouillé tout le bon-heur & l'aife De ces Rois, les tournant en malheur & mal a if e : Puis qu'en fi piteux point feule ie les ay mis, Qite leur pitié fera pleurer leurs ennemis.
Seule de Cupidon feule j'ay fait l'office, De ma rage empliffant Syphax & Mafiniffe Auec ce flambeau mefme : & feule on m'a peu voir De ce mcfme flambeau faire tout le deuoir, Enfemble de lunon & du bel Hymenee Le jour que Sophonifbe à Syphax fut menée: Car l'vn & l'autre Dieu fur moy fe repofa A l'heure que Syphax Sophonifbe efpoufa.
Telle efl toufiours la fin de ceux que la furie D'vn nopu malencontreux hayneufement marie: Or puis qu'en cet endroit ie voy fait mon vouloir, Il faut qu'en autre lieu ie me face valloir : Firois à nos enfers en porter la nouuelle. Mais tout ce qui en efl ils fçauront bien tojî d'elle: Parquoy plus d^vne part adreffer ie me veux, Toufiours en plus d'vn lieu Megere fait fes jeux.
206 III I. LIVRE
A NICOLAS NICOLAl.
I'ay grand' pitié de nôtre race humaine, Nicolai, quand ie yenfe à la peine Dont nous troublons nous me/mes nojlre vie, Faits malheureux, /oit par nojlre folie, Soit par dejlin, auquel dés la naijfance Nous a fommis la diuine ordonnance. Mais ie ne puis que ie ne m^efmerueille Confiderant cette ame nompareille Qui de tant d'arts nous a fait ouuerture En renforçant noffre foible nature. Lon a domté mainte bejîe farouche : Mettant à l'vne vn mors dedans la bouche, A l'autre on a fous le joug qu'elle porte Lié le front d'vne courroye forte : L^vne nous fert en tems de paix & guerre, L'autre d'vn foc ouure la bonne terre: Lon a trouué le foigneux labourage. Et du fourment & des vignes l'vfage: Lon a cherché dans le terreflre ventre Le dur acier. Deffus la mer on entre Dans les vaiffeaux : S- à rame ou à voile Lon vogue ayant l'œil fiché fur retoile S'il fait ferein : s'il fait nulle, en la carte Par le quadran lon voit fi on s'écarte.
Mais de cecy rien fi fort ie n'admire, Ny de cent ars que ie delaijfe à dire, Comme ie fuis rauy de l'efcriture Que tu as jointe auecque la peinture. Quand ayant vu tant S- tant de contrées Tu nous en as ces figures monfirees:
DES POEMES. 207
OÙ ton burin & ta plume na'iue
Nous font de tout voir la nature viue :
Soit que par art au vif tu reprefenies
En tes portraits les perfonnes viuantes,
Le Turc hautain, le trijîe luifauare,
L'Arabe caut, le Perfe moins barbare:
Soit que l'habit de mainte & mainte forte
Tu faces voir comme chacun le porte,
L'homme ou la femme, à la mode Gregeoife,
A la façon Perfienne ou Turquoife,
Le tout tu as par ta main bien apprife
Sceu imiter d'vne peindure exquife.
N'oubliant rien de ce qu'on peut comprendre
Entant qu'on voit l'art du Peintre s'étendre.
Puis par efcrit les meurs tu viens dépeindre
Que ion burin ne pourrait pas ateindre.
Ayant dépeint comme toute contrée
D'habillements tu trouuois acouflree,
Tu viens après raconter leurs polices,
Leur naturel, leurs vertus & leurs vices.
Du grand fcigneur la court tu viens décrire
Et fa maifon, & quel ejî fon Empire,
Et quels eflats il a fous fa puiffance,
Et quel tribut, & quelle obeiffance
Par fes pais de lointaine eflendue
Afes Bâchas efi des peuples rendue:
En quel arroy il fait chaque voyage,
Quel en efi l'ordre., & quel efl l'équipage:
Puis tu écris quelles cérémonies
Sont en leur Loy : & de quelles manies
Aucuns enclins à mefchante luxure
Aux yeux de tous la font contre nature:
Aucuns leur honte en des boucles enferrent,
Et demi-nus dedans les villes errent:
D'autres hache^ de taillades fanglantes
Ont par le cors mille playes coulantes.
Tu dis après des pais les montagnes,
Les eaux, les bois, les deferts, les campagnes,
208 un. LIVRE
Les habitants : les biens que Ion y ferre,
Qiiels animaux vivent en chaque terre.
Et de qiioy plus chacune à part fe vante,
Comme tout ejl en cet âge prefente.
Et cependant tu ne laiffes arrière
Ce qu'ont efcrit de leur race première
Les anciens, qui parlent des Barbares:
Mais les fuiuants du vray tu ne t'égares,
Nicolaï, car non contant de fuiure
Ce que Ion voit efcrit dedans le Hure,
Tu as voulu voir tout,. à leur fcience
Fidellement joignant l'expérience:
Qiie tu acquis au danger de ta tejle,
Par mille morts que le fort nous apprejle
Dejfus la terre & la mer : Les naufrages
Deffus les eaux, les périlleux paffages
Et les aguets des inhumains corfaires
Font aux paffants embufches ordinaires:
Et d'autre part mille voleurs fur terre
Aux voyageurs font fayis mercy la guerre,
Et de ferpents vne enjance infinie
Defes venins aguettent nofîre vie.
Mais animé d^vn defir de cognoiflre
De quelles mœurs la nature fait naiflre
Chacune gent, aux terres plus lointaines
En eprouuant ces ha^ars & ces peines
Toy feul pour nous, des dangers tu rapportes,
[Ayant paffé de périls mille fortes)
Hors des dangers tu rapportes ce Hure
Oii chacun peut de tout danger deliure
Sans voyager auoir la jouiffance
De ton labeur & de ta cognoiffance.
Qui à couuert regarde du riuage
En pleine mer le nauire en naufrage.
Il efl heureux : qui tes efcrits veut lire
Il voit du bord aux vagues la nauire.
Mais, las, j'ay peur qu'à la peine bien grande Qite tu as pris, dignement on ne rende
DES POEMES.
209
La recompence : O fiecle detejîable! Auquel on voit la vertu miferable Sans nul honneur, fans loyer ynefprifee EJîre du peuple, & des grands la rifee.
Age peruers, qui fe veautre en ordure ! Vne putain, vn monjlre de nature, Vn nain, vn fou, vn mataffin emporte Tout ce qu'il veut : la vertu demi-morte Pleure & fe plaint de voir trainer leur vie En pauureté à ceux qui Vont fuiuie. Age peruers ! ny Vertu ny lujlice Ne régnent plus : Tout ployé fous le vice. Q.ue pleufl à Dieu, ou qu'il nous eu^ fait eflre Deuant ce fiecle, ou long tems après naiflre.
DITHYRAMBES A
LA POMPE DV BOVC
d'estienne iodelle.
i553.
AV SEIGNEVR lAN DE
SADE SIEVR DE MAZAN.
QvAND Iodelle bouillant en la fleur de fon âge Donnoit vn grand efpoir d^vti tout diuin courage. Apres auoir fait voir marchant fur l'echaufaut La Royne Cleopatre enfler vn fïile haut,
Jean de B ai f.— Il 1 +
210 IIII. LIVRE
Nous jeunejfe d'alors defir ans faire croijlre Cet efprit que voyons fi gaillard aparoijlre, O Sade, en imitant les vieux Grecs qui donnoyent Aux Tragiques vn bouc dont ils les guerdonyioyent. Nous cherchâmes vn bouc : & fans encourir vice D'Idolâtres damne^, fans faire facrifice, [Aiyifi que des peruers fcandaleux enuieux Ont mis fus contre nous pour nous rendre odieux) Nous menâmes ce bouc à la barbe dorée. Ce bouc aux cors dore{, la befle enlïerree, En la fale ou le Poète auffi enlierré, Portant f on jeune front de lierre entouré, Atendoit la brigade. Et luy menans la befle , Pefle méfie courans en folennelle fefîe, Moy recitant ces vers, luy en fîfmes prefent, Le pris defon labeur honorable & plaifant. Ces vers fans art fans loy ie te dedi', ô Sade, De nom Sade & de cœur : & qui n'es ami fade. Mais qui fçauras trefbien rembarrer & tanfer Les méchants qui voudroyent nos honeurs offenfer. Av Dieu Bacchien facron cefie fefle
Bacchique brigade,
Qu'en gaye gambade
Le lierre on fecouë
Qui nous ceint la tefle:
Qu'on joué,
Qu'on trépigne,
Qu'on face main tour
Alentour
Du bouc qui nous guigne.
Se voyant enuironné
De noflre effain couronné
Du lierre amy des vineufes carolles. lach iach ia ha. Le bouc ne fçait pas
Où fes fourchus pas,
Se guident ainfi de nos dextres folles ;
Mais fa fiere trogne
DES POEMES. 21 I
AJfe^ nous témoigne,
Gourmant fan maintien,
Que rogue il fent bien
Son poil aualé d^vn or riche teint.
Et le reply jumeau
De fes cornes peint,
Se biclant fi beau.
Eiioé iach ia ha, Crion d'vne voix Trois & quatre fois, Sentans la fureur Du Dieu conquereur Des gemmeux riuages d'Inde : Monflron qu'il nous guindé Hors de la terre au ciel De fa gaillarde liqueur Nos veines bouillantes enflant. Crion recrion fouflant refoujlant Le joyeux fumet De fon miel, Qui du fond du cœur Remonte au fommet Flater la ceruelle. Ha ha ha rion Crion recrion La chanfon nouuelle
Iach iach ia ha
Euoé iach ia ha. C'efl ce doux Dieu qui nous pouffe Efpris de fa fureur douce A refufciter le joyeux myfîere De fes gayes Orgies Par l'ignorance abolies. Qui nous pouffe à contrefaire {Crians iach ia ha Euoé iach ia ha) Ses Satyres antirfe:{ : Qui vers de pampre & de lierre
212 IIII. LIVRE
Les tigres prejfe:( Folajlrans fuiuoyent à cojîé Retrepignans la terre : Quand il eut dotnté Celle gent haflee Qiii loing reculée Voit de près Ce foleil Apres Son reueil Tirer f es cheuaux Aux naseaux Jlammeux Hors des flots gemmeux A leurs journaliers trauaux : Quand du ciel voujfé Grimpans la raideur^ Haletans d''ahan, Vne epejje haleine De feu toute pleine : Leur fumeufe fueur Au creux Océan, Dégoûtent laborieux Du plancher des Dieux, lach iach ia ha, Euoé iach ia ha. Sur cette gent noire Le Dieu foudrené gaigna la viâoire. Ce Roy triompheur, Ores ores commande , Que d'vn deuot cœur La raillarde bande Son chantre guerdonne Du bouc mérité, Pour auoir de voix hardie Reueillé la tragédie Du fomme oublieux De l'antiquité, De lierrine couronne,
DES POEMES. 2r3
A udacieux, Eii vu gay rond Verdoyant Son jeune front Ombroyant.
Jacli iach ia ha,
Euoé iach ia ha. O père Eiiien Bacche dithyrambe, Qui retiré de la fou freufe flambe Dedans l'antre Nyfien, Aux Nyfides tes nourrices Par ton deux fois père, Meurdrier de ta mère, Fus baillé jadis à nourrir: De tes fureurs propices Vien nous vien, Vien Euien Secourir, A fin que lodelle Ton cher enfançon Reçoiue la dine gloire D'immortelle Mémoire,
Qu'il mérite au braue fon De fon enflée chanfon.
Iach iach ia ha,
Euoé iach ia ha. A celle fin qu^en dine verue. Comme à ta deité conuient, Noflre promte fureur le férue, Rendant le pris à ton Poète : Oeft ceft de ta deité Que nous vient La fainte gayeté, Qui dehette Tellement Ce troupeau tempefié
214 IIII. LIVRE
De ton chatouillard affolement,
lach iach ia ha,
Euoé iach ia ha. C'eft en ton honneur, Dieu donnebonheuv, Que cette fejle Ainfi
S'apprejle, Dieu brife-foucy, O Nia e lie 11, O Semelien,
Iach iach ia ha,
Euoé iach ia ha. En ta gloire, ô Dieu, Par ce lieu Rebondiffant, Dieu dou-rauijfant Cette Mufe jolie De gaye folie Ores nous chantons : C'eft en ton honneur, Dieu donnebonheur, Qiie de libre cadence La terre battons. Sous des vers Librement diuers En leur accordance : O Semelien, O Niâelien Daimon aime-dance, Iach iach ia ha, Euoé iach ia ha
DES POEMES. 2l5
L'AV RO RE.
A PEROTON ET BATISTE
TIBAVS.
Ues Mvses douce cure, D'Apollon nourriture, O chantres de mes vers, TiBAVs, aimei V Aurore L'honneur de l'vniuers, Qu'en cet hymne j'honore .
A vous deux ie Vadrejfe A fin que de pareffe Ne vous affommeillieai : Mais dés la matinée Au labeur éueillie:^ Vofire âme fi bien née.
Par là fur vofire tefie
Plus d'vn chapeau s aprefie, Qui vous guerdonnera : Quand par toutes prouinces Vofire art s^efiimera Des peuples & des Princes.
Déesse auant-couriere De la belle lumière, De qui le teint vermeil Et le rofin vifage, Deuance du Soleil Le grimpant attelage :
Il me plaifi, ô Deejfe,
2l6 un. LIVRE
{Puis qu'auec toy ie laiffe Le fornme pareffeux, A fin que me recrée Dedans l'antre mouffeux De la Mufe facree.)
Il me plaijî, Aube amie, De ma Mufe endormie Reueiller la chanfon, Pour célébrer ta gloire. Ca depen-moy, garçon, Ma guiterre d'yuoire,
A fin que ie la fonne. De la Deeffe bonne Entonnant les honneurs : Et que ma chanterelle Sous mes doigts fredonneurs Fredonnent de la belle.
Mais quoy premier diray-ie? Par oit commenceray-ie? Celuy qui va bûcher Dans vn toffu bocage, Deuant que rien toucher Dejfeigne fon ouurage.
La trop grande cheuance A coup me defauance. Et quel chant dinement A tes louanges dire, O des deux l'ornement, Me pourrait bienfuffire?
A chanter de voix dine Ta cheuelure orine, Defaffran ton chapeau. Tes doigts de Rojes belles, Et ton vif âge beau, Peint de cent fleurs nouuelles?
Et comme quand tu montes Dans les deux, tu furmontes De ta claire beauté
I
DES POEMES. 217
Les étoiles plus claires, Qiti perdent leur clarté Qiiand là haut tu éclaires ;
Voire la Lune me/me Quand tu viens, toute blefme Du ciel s^éuanouit. Sans que la gent mortelle, De tes prefents jouit, D'vne nuit éternelle
Serait enfeuelie.
Sans toy la rude vie De V homme fans honneur Nous ferait demeurée : Rien n'aurait fa couleur, O Deeffe honorée.
Sans toy, dont la rofee, Par la terre arrofee De ta douce liqueur, Rafrefchit les herbettes, ■ Et de gaye vigueur Reflaure les fleurettes.
Les paupières oyfiues
Du lourd fomme tu priues, Somme image de mort : Sous ta clarté benine, A l'œuure l'homme acort Gayement s'achemine.
Le voyager déplace
Qiiand tu montres ta face, Et les gais pafloureaux Leur bétail mènent paitre : Sous le joug les toreaux Vont au labeur champêtre.
Chacun tu deffommeilles. Mais fur tous tu reueilles Celuy qui ardant fuit Le mefîier des neuf Mufes, Languijfant toute nuit,
14"
2i8 un. LIVRE
Qitand tardiue tu mufes.
Deejfe vigoureiife,
Qui te fait parejfeufe? Ton vieillard ne vaut pas, Que de nous defiree, Tu te caches là-bas Si long tems retirée.
Vien donc, & fauorife Ma petite entreprife, D'écrire des chanfons, Qui facent immortelles Mes amours de leurs fons, Et mon nom auec elles.
S'ainfin cft, ie te jure D^vne volonté pure De te rendre l'honneur. Comme des neuf Pucelles A la dixième fœur, Te reuerant comme elles.
A lAN VATEL.
QvEL Pan, ou quel fol Corybante Peut tant d'vne erreur forcenante Le fens de Maflin embrouiller. Que d'outrager vn faint Poète, Ofant bien de fa langue infette Traitrement fon renom fouiller?
Ainfi d'vn enuieiix médire, Ma douceur enfielant d'ire Vamy de la Mufe offenfer?
DES POEMES. 219
Le non-irritable courage Ainfi d'vn faint Poète, en rage Otitrageufement élancer?
Quoy? penfoit-il le miferable, Qu'ainfi qiCvn enfant larmoyable, Enfantinement outragé, Sans rejetter fur luy le blafme. Sans luy redoubler ce diffame, le pleuraffe non reuengé?
Qjioy? efl-ce tant peu de merueilles, Qti'outrant des Mufes les abeilles, Leurs faintes ruches attoucher? Qiie d'agacer par jangleries De leurs eguillons les furies, Qiie le teins nepeut reboucher?
Qiii playent d'éternel outrage. Et l'outrageur & fon lignage. Pour auoir le cœur irrité, D'vn de qui la voix efl vallable De faire au faux le vray femblable, La menfonge à la vérité?
O Vatel, ce n efl pas V injure
QiCon dit de bouche, & qui ne dure Qu'autant que l'homme efl furuiuant : Contre celuy qui nous irrite L'injure bruit toufiours écrite D^vn âge en l'autre âge fuiuant.
Contre les flancs la Mufe porte Deux arcs tir ans en double forte. Dont Vvn chatouille, & Vautre poind : L'vn efl d'If, & l'autre d'iuoire : L'vn efl bandé par ire noire. Et Vautre par les Grâces oint.
Heureux pour qui la fainte bande Son doux arc iuoirin débande! Celuy fuyant le trifle oubly Au lac de Lethe ne fe bagne. Mais aux immortels s'acompagne
220 II II. LIVRE
Immort ellement ennobly.
Ce bel arc décocha la gloire Des héros, de qui la mémoire Vit au monument des chanfons, Qiii malgré le tems qui tout mine, Encor en voix Grecque & Latine Sous l'archet retrainent leurs fons.
Par cet art Hercule indomtable D'Hcbe mary, boit à la table Des dieux le Neâar Janoureux : Et par liiy des frères de Sparte Le calme feu V orage écarte Du pilot qui pâlit pour eux.
Des Mufes le hautain Pindare Eut cet arc : & du gouffre auare Des étangs Stygiens par luy Etrangea le nom des Athlètes, Qid dedans f es chanfons bien faites Encores viuent aujourdhuy.
Ce doux arc la Deejfe prefle A celuy qu'elle ha pour Poète Dés le lange enfant auoué, Si quelcun aniy de la Grâce Bénin le chérit & l'embraffe Pour enfes chants efire loué.
Cet arc, ô louangere Mufe, Mon cher foucy ne me refufe Pour chanter d'vn amy le nom, Si que tant bien mon lut ie touche Qii'oii le Soleil fe leue & couche, On puijfe entendre fon reyiom.
De l'autre arc encontre Lycambe Archiloc pouffa fon ïambe Tant aigrement injurieux, Qite luy & fes filles honnies D'vne hart efiouffans leurs vies Perdirent leur honte & les deux.
Callimach, & depuis Ouide
DES POEMES. 221
Sous le nom de Voifeau qui vide Ses boyaux de fou bec plein d''eau, Contre leurs ennemis leurs rages Poujfans, vengèrent leurs outrages, Et diffamèrent cet oifeau.
Hipponax encontre Bubale, En décochant J'on ire pale, Feit que fes miferables doigts, Qjà mal-cautsfes outils guidèrent, Eux-mefmes le cordeau nouèrent, Qtti boucha fa vie & fa voix.
Prenant au poing cet arc qui tire Des traits plonge^ en trempe d'ire, Qiii ronflent l'air fifflant trenchans Pour cheoir fur le criminel pale, Comme vne eau qui roulant deuale Troncs & cailloux des monts aux chams,
le veu, ie veii de ma tempejîe Ecra:{er l'exécrable tefte A mon Maflin vain aboyeur, Ne fouffrant qu'il ait fa dent noire Monfîré pour offenfer ma gloire Sans fentir mon bras foudroyeur.
Mais, Amy, veux-tu bien qu'il meure Sans éprouuer la playe feure De tes ïambes enflamme:^, Qiti pouffe^ de voix furieufe Contre la befle iniurieufe Vangeront tes amis blafme:{?
Ca, Ronfard, ça Filleul auance: Belleau, Felippe, à la vengeance : O des Sœurs les chéris mignons, Tonne:{ contre elle par la France, Et prouue^ que qui Vvn offcnfe, Offenfe tous fes compagnons :
Si que nul tant hardy fe montre, Qiie de blafphcmer alencontre De Vhonneur d'vn Pocte faint,
222
IIII. LIVRE DES POEMES.
Chacun fe courbant fous leur foudre, Qui peut éparpiller en poudre Tout l'heur du chetif quUl atteint.
FIN DV Q.VATR1EME LIVRE DES POEMES.
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LE CINQVIEME LIVRE
DES POEMES
L^HYMN E DE
LA PAIX.
A LA ROYNE DE
NAVARRE.
Vos beauté^ & vertus (ô des Grâces aimée, De roys soevr fille et femme) en tous lieux renommée. Vous crioyent loing & près, dcuant qu'euffte:^ tant d'heur, Que porter l'ornement de royale grandeur : Et vont rejleurijfant depuis que la courone Du peuple Nauarrois vojlrc chef cnuirone. Or fi vous aprouue:^ le beau nom que porte:{, Qiti la Mufe & les fiens a toufiours fuporte:{.
224 ^- LIVRE
Vous ne dédaignerez ny ma baffe perfone,
Ny le petit prefent que ma Muje vous donne.
Selon vojlve bonté les petis vous prife:{.
Et vojlre fçauoir fait que vous fauorife^
Les Mufes 6' leurs dons. Or en vojlre prefance
Auecque leurs prefens pour chanter je m'auance.
Mais que doy-ie chanter? Deeffes infpire^
Mon cœur, & je diray ce que vous me dire^.
Diray-ie vos valeurs, 6 trefdigne Princeffe?
Mal-hardy je craindroy que leur grande richeffe
N^apauurît mon dejir : & que ma foible voix
N^entrepi-ît pour fa force vn chant de trop de poix.
Mais fur tout j'auroy peur que voflre modeflie
( Quand bien ma voix fer oit affe^ forte & hardie
Pour fonncr vos honneurs) nacufdt mon chanter,
Come fi je vouloy voflre bonté flater.
le fuy l'outrecuidance enfi haute entreprife,
le fuy qii'opinion fi mauuaife foit prife
Par vous de mon bon cœur. De vous je me leray,
Et d^vn autre argument vn chant je chanteray.
Ie vev louer la Paix : c'efî la Paix que je chante,
La file d^amitié deffur tout excellante.
Amitié nourrit tout : tout vit par amitié,
Et rien ne peut mourir que par inimitié.
La concorde & l'amour font l'apuy de la vie,
Et l'effroyable mort vient de haine & d'enuie.
Le ciel, la terre, Vair, & la mer & le feu.
Et tout le monde entier, d'vn amiable neu
S'entretienent conjoints. Cette belle machine
Sans la bonne amitié tomberoit en ruine.
Car, s'ils n^efloyent lie^ de liaifons d'émant.
On verrait rebeller tout mutin élément.
Et guerroyer Vvn Vautre : & foudain toutes chofes
Dans l'ancien chaos retomberoyent enclofes.
Le ciel refuferoit aux terres fon ardeur.
Et de fcs chauds rayons la vitale tiédeur
Ne départirait plus les benincs fcmences.
Dont toutes chofes ont leurs premières naiffances.
DES POEMES. 225
Le feu fec hruleroit Vairfon moite voifm,
L'air ne dégoûterait [feché d'vn chaud malin)
La pluye en la faifon : la terre defertce
Ne raporteroit plus : par la mer débordée
La chaleur s'eteindroit : ou la profonde mer
Tarie fe lairroit par le feu confumer:
Corne il auint jadis, quand le fils de Clymene
L'infenfé Phaéthon ne put tenir la rêne
Aux chenaux foufe-feus : telle peur il reçut
Quand les monjlres efpars dans les deux aperçut.
Alors que [dedégnant la bonne remontrance
Que fan cher père fit) par grand' outrecuidance,
Trop plein de fon vouloir mit tout le monde en feu :
Et tout aloit périr : mais lupiter Va veu,
Qui lâchant de fa dextre vne orrible tempête
Au malureux Charton ecarbouille la tête.
Il tombe de fon char d'vn foudain foudre ateint,
Et le feu qui fardait dans le Pô fut éteint.
O qu'on deût bien chérir la Paix toute diuinc, La fille d'Amitié fur toutes chofes dine! Tout bien & tout plaifir par fes grâces fleurît : Les arts font en honneur: la vertu fe nourrît, Le vice efl amorty. Lors fans peur de domage, De meurdre & de danger le marchand fait voyage: Alors le laboureur au labeur prend plaifir Quand le cliamp non ingrat répond à fon defir. L''ennemy fourageur fon beflial n'emmcne, Et pillant ne rauît le doux fruit de fa pêne : Le vin efï à qui fait des vignes la façon, Et qui fait la femaille en leue la moiffon. Et Ceres & Bacchus & Paies & Pomone Font que par my les chams grande planté foifone De fruits & de bétail. Par tout règne le jeu, Et le gentil Amour chaufe tout de fon feu. Par tout roullent les fruits du plein cor d.'' abondance : Sous Vombrage Ion voit s''egaïer en la dance, Trépignant pellemelle & filles & garçons, Tantofi au flageolet & tantofl aux chanfons. lean de Baif.- 11. i5
226 V. LIVRE
Qiiand Saturne fut Roy fous vue faifon telle La Paix auoit fan règne, & le nom de querelle Pour lors n'etoit conu : ny V homicide fer N'auoit cflé tiré des abyfmes d'enfer.
Mais humains inhumains quelle fureur fi forte Vos efprits forcené^ d'aueugle erreur tranfporte, D'anoblir le cruel qui dans le fan g humain Trampe plus hardiment fon inhumaine main? Et vous n'eflimere^ ny louange ny gloire Digne de mériter éternelle mémoire, Si vous ne l'emporte^ par outrager celtiy Qjii jamais ne penfa de vous doner ennuy? Certes il n''y a chofe au monde plus maline, Ne qui fait plus contraire à la raifon diuine, Qii'efî la brutale guerre : & fa rage faudrait, Qiii voudrait honorer la raifon & le droit. Mais Erinnys comande : on obéît au vice. L^ambition des grands & la gloute auarice Font qu'ils tentent les Rois de rancueur anime:^. Pour fe trouuer aux chams camp contre camp arme!(. Là le premier armé la ville forte affiege: L'autre hatif après vient pour leuer le fiege, Ou s'il ne vient à tems d'affaut la ville on prend, Ou ne pouuant tenir fans force ellefe rend. Apres le pauure peuple & la foible vieillejfe Les femmes & V enfance en cris & larmes leffe Son pais facagé. L'injurieux foudard Rauît le faint honeur aux filles fans égard.
O la pitié de voir la flamme qui facage Deuorant fans mercy les maifons d'vn vilage! De voir dans le faubourg le pauure citoyen Qiii ne pardonne pas au logis qui efl fienî O la pitié de voir les mères defolees, De leurs piteux enfans tendrement acolees. S'en aler d'huis en huis leur vie quémander, A qui bien peu deuant Ion foulait demander! O la pitié de voir labourer vne ville! O la pitié de voir la campagne fertile
DES POEMES. 227
Faite vn hideux defert! O pitié, mais horreur De voir l'exploit cruel d'vne chaude fureur! De voir en fens raffis vn horrible carnage De morts & demi-morts cacher vn labourage : Ouir les trijles cris : Voir hommes & cheuaux Pefle-mefle entajfe^ : Voir de fang les ruijfeaux !
Et quel plaifir prens-tu, race frelle chetiue, De te hâter la mort, qui jamais n''ejî tardiue, Sinon qu'en te donnant mille maux ennuieux Tu fais le viure tel que le mourir vaut mieux? Ta fote outrecuidance & ta folle auarice Redouble ton malheur faifant de vertu vice. O de la bonne terre inutile fardeau, {Qiii dois en peu de jours geté fous le tumbeau Auiander les vers) tu partroubles ta vie De vaine inimitié de tant de maux fuiuie. Qiie veux-tu conquefler? le croy tu te promis En ce monde incertain vne vie à jamês. Aueugle ouure tes yeux : Regarde miferable Qtie ta condition eft pauure & peu durable. Où vont les plus grands Rois & plus grands Empereurs? Mais que font aujourdhtty les plus grands conquereurs? Qiii par force ont donîê, rangeans fous leur puijfance Les trois parts de la terre en férue obeïffance? Ils ne font plus que poudre, & n'en refle finon, [Si nous en refle rien) que le fon de leur nom, QuUls ont voulu nommer la bonne renommée, Qj(i n'efl après la mort qu^vne ombre de fumée.
Mais qui veut en ce monde vn bon bruit aquerir, Qiii foit loué de tous, & ne puijfe périr, Guerdonne la vertu, face punir le vice, Maintienne le bon droit : exerce la juflice : Détourne du forfait les courages peruers Leur propofant la peur de chatimens diuers: Qii^il enhorte à bienfaire : & donne recompanfe Aux fages qui prendront la difcrete prudance Pour guide à la vertu : Elle montra le bien Faifant juger le bon & ce qui ne vaut rien.
228 V. LIVRE
Qii'il mette en tous ejîats la bonne difcipline : Qiie prejîant fa faneur aux hommes de doârine Il honore les arts, & qu'il n'ait à mépris Ceux à qui les neuf Seurs leurs fegrets ont apris. Que, droiturier, prudent, libéral, debonaire, Ne mefaifant à nul, tâche à tous de bien faire. Rigoureux aux plus fers, aux humbles gracieux, Qu'il ait toufiours l'honeur de Dieu deuant les yeux, [Qui font cuures de Paix) fon renom & fa gloire Seront dignes alors d'immortelle mémoire, Et fera mieux famé que quand il aroit mis En route le pouuoir de cent Rois ennemis.
Doncques Rois puis que Dieu a voulu vous élire, Et mettre dans vos mains les Sceptres de l'Empire, Pour régir & garder fes enfans bien-voulus, Penfe\ à quelle charge il vous a tous élus. Non le dur Canibal, non le More Barbare, Non l'infidèle Turc, non le vagant Tartare, Il a fait vosfugets-.Il vous foumét les fiens. Nous, qui de CJirifl fon fils auons nom Chrefliens : Nous qui fommes laués de l'eau du faint Battefme : Nous qui fommes facrés & croi^^és du faint Crefme : Nous qui au facrement de la communion Sommes frères de Chrifl par diuine vnion, Auoués fils de Dieu, qui à voflre puiffance A voulu que rendions la deué obe'iffance, Vous commet ant fur nous : & du gouuemement Faudra que rendiés conte au dernier jugement. Las! que de Chrefliens ont enjonché la terre Entretués pour vous par l'exploit de la guerre ! Que de fang exécrable [ô forfaits inhumains!) Pour rien s'efl répandu par fraternelles mains!
O Rois penfés à vous : & puis que Dieu vous donc Le beau don de la Paix, chacun de vous s'^adone A Vaimer & garder. Qui premier Venfreindra, Qii^il tombe à la mercy du Roy qu'il affaudra. Que de fon ennemy fon pais f oit la proye : Qu'en fon trône royal jamais ne fe reiioye :
DES POEMES. 229
Jamais ceux de fon fang n'y puijfent reuenir,
Puis que la bonne Paix il n'afceu maintenir.
Mais ce Diev, qui les cœurs des grands Princes infpire,
Vous conduifeji bien, qu'à jamais vojlre empire
Demeure à vos en/ans, fi vous prene:^ le foin
D'entretenir la Paix chajjant la guerre au loin.
Diev veille détourner la difcorde mortelle
D'' entre les Rois Chrejliensfur le peuple infidelle.
Chacun de vous renclos aux confins anciens
N'entrepregne plus loin que de garder les fiens.
Nul ne paffe la borne {ou de la mer barbare,
Ou dufieuue, ou du mont, qui vos païs fepare)
Sinon pour s' entraider. La concorde & la Paix
Par vous & vos fugets foit gardée à jamais.
A V R O Y.
Sire, Si vous fouuient de la bonne journée, Qiie le Mois de Feurier nous auoit amenée Lors premier commmençant. O mon Roy vous dijnie^, Et difnant fobrement audience donie:{. Il vous pleut de m' ouïr : Sire ie vous ren comte Du tems de vojlre abfence, & du long vous racomte Qiie c'ejl que nous faifions. le di premier comment En vojlre académie on euure incejfamment Pour, des Grecs & Latins imitant l'excellence, De vers & chants regle^ décorer vojlre France Auecque vojlre nom : & quand il vous plairait Que vous orrie:{ l'ejfay qui vous contenteroit. le di qu'ejlant piqué de la fureur plaifante Des Mufcs, plus d'vn chant en vojlre honeur ie chante Déclarant le defir qui d'vne douce ardeur Brufle mon cœur deuofl enuers vojlre grandeur.
23o V. LIVRE
le di que f effayoy la graue Tragédie
D'vn Jlile magejieux, la baffe Comédie
D^vn parler fimple & net: Làfuiuant Sophoclés
Auteur Grec qui chanta le decés d'Hercules:
Icy donnant l'abit à la mode de France
Et le parler François aux joueurs de Terence,
Tevence auteur Romain, que j'imite aujourdhuy
Et comme il fuit Menandre en ma langue j'enfuy.
Ce que j'ay fait m^étant commandé de le faire
A fin de contenter la Royne voflre mère,
Qiii de fur tout m^ enjoint fuir laffiueté
En propos offenfant fa chafle mageflé.
Apres ie vous difoy comment ie renouuelle
Non feulement des vieux la gentilleffe belle
Aux chanfons & aux vers : mais que ie remettoys
En vfage leur dance : & comme j'en efloys
Encores en propos vous contant l'entreprife
D'vn ballet que dreffions, dont la démarche efl ynife
Selon que va marchant pas-à-pas la chanfon
Et le parler fuiui d'vne propre façon.
Voicy deffous la table vne rumeur emué
De chiens s'entre grondans qui à coup ce remué.
Vous leuajles foudain. Là finit mon propos
Des chiens entrerompu. Vous gaillard & difpos
Auecque le baflon, qu'entre les tnains vous prijîes
Du maiflre quiferuoit, ceffer alheure fïfles
Le gronder de ces chiens, qui fans plus rechigner
En repos & en paix vous laifferent difner.
Sire, ce di-j'en moy. Tout à mon auantage A Vhoneur de mon Roy ie prens ce bon prefage. Les chiens s^ entre grondans ce font mes enuieux Qiii jettent deuant vous des abbois ennuieux A voflre Mageflé contre mon entreprife Qu'en voflre fauuegarde.1 6 bon Prince, aue\ prife. Le baflon aue^ pris: le baflon vous prendre^ Et contre le malin la vertu deffendre^. Soudain les menaffant vous les aue^ fait taire: Auffi nos enuieux [car vous le pou ue^ faire)
DES POEMES. 23l
Fere^ taire tout coy, quand les menaffere^ :
Ainfin imitateur d'Hercules vousfere^
Qiii tira des enfers le Cerbère à trois tejles.
Et quejl-ce l'affemblage en vn cors de trois bejîes
Sinon que V Ignorance & l'Enuie & V Erreur?
Jette Vilain Cerbère autrepart ta fureur
Loing bien loing de mon Roy. Mais fi enfaprefence
Tu ofes dégorger contre mon innocence
Quelques malins abbois, Qiie puijfes-tu fentir
Par fa bonté vers nous vn jiifie repentir.
LA GENEVRE, PAR SAINGELAIS
ET BAIF.
A MONSIEVR DE ROYSSI CHANCELIER
DV ROY DE NAVARRE.
Cy prend fan cours de Geneure l'hifloire Par Saingelais de fon âge la gloire. Ba'if après {O memme) la pourfuit Et promtement à fa fin la conduit En tafaueur, pluflofl voulant te plaire Qiie propofant quelque bel œuure faire : Mais tel quil efl {car tu l'as conuié
232 V. LIVRE
De l'acheuer) il te l'a dédié.
Apres le long & périlleux orage Qui tourmenta la nef & le courage Du fort Regnaut, & luy feit mille ennuis Deux jours entiers, & deux entières nuiâs. En luy faifant toucher prefque les nues, Puis tout foudain les arènes menues, Et le pouffant par différentes courfes Or vers midy, or vers les froides ourfes : En fin de loing il defcouurit la terre Et veit première Hirlande & Angleterre, Doit plus pouffé du vent que du defir Il s'approcha, & fans loy de choifir Il fe trouuafourgir au vert riuage De la plus rude Efcoce & plus fauuage, Vers le quartier où efpeffe encore cfi De Calydon la fameufe forefl. Là jour & nuid retentiffent les places De coups donnés fur armets & cuiraces, Efîant le lieu, ce femble de nature Faiâ pour auoir rencontre & aduenture. Là vont errans entre apparans dangiers Maints cheualiers, voifins & eflrangiers, Ceux que la mer Aquitanique baigne, Ceux de Norusge, Holande, & Alemaigne, Et ne faut point qu'homme foit la trouué Qiii ne fe fente en armes efprouué. Là feirent voir leurs forces & vertus, ladis Trifîan, Lancelot, & Artus, Et autres preux cogneus par tout le monde De Vancienne S- neuue table ronde: Et y voit on encores pour trophées De leurs hauts faicls colomnes efloffces.
Qiiand donc Regnault eut terre ferme pris, Et l'afpre lieu entendu & compris, Il commanda au patron du nauire Qiie quand Eurus feroit place à Zephire, Il ne faillifl de fes voiles cflendre,
DES POEMES. 233
Et de l'aller à Beroich attendre. Ainfi au port laiffa fon équipage, Et fans conuoy d'efcuyer ny de page Ny autre efpoir qu'en fa propre vertu, Sa lance a pris, & fon harnois vejïu : Puis à cheual fe meit en l'efpeffeur De l'ample bois, n'y tenant chemin feur, Mais trauerfant par où il fe propofe Qitelque nouuelle & ha^ardeufe chofe. Et tant alla de fentier enfentier Sans faire arrejl ce jour là tout entier, Qii'il defcendit le foir en vn conuent Où ejlrangers arriuoyent bien fouuent. Lieu efîimé tant du bel édifice Qiie de l'honnejle & charitable office, Qiie les deuots au fejour demourans Faifoyent à tous les Cheualiers errans : Car ils mettoyent leur fçauoir & leur bien Et leur plaifir à les recueillir bien. Grand fut l'honneur & bon le traitement Qiie receut d'eux vniuerfellement Le nouuel hofle, & la façon plus rare QiiUl n'efperoit en pais Ji barbare.
la fatisfaid auoit à fa faim grande Par maint feruice & diuerfe viande. Et penfoit-on defia de fon repos, Qjiand s'eflendant de propos en propos, Il les pria leur dire en quel endroit De la forefl prendre voye il faudroit. Pour y trouuer, comme on dit qu'il fe tretiue, Quelque aduenture, où par louable efpreuue Vn Cheualier defirant quelque nom, Peut faire voir s'il en mérite ou non.
Il n'efl endroit [dirent-ils) là dedans Où Ion ne trouue efiranges accidens : Mais tout ainfi que la forte abondance Des chef nés grands, & la longue diflance Du clair Soleil rend le lieu obfcurci,
i5»
234 ^- LIVRE
Obfcurs y font les faits d'armes auffi,
Tant qu'à grand' peine après longue fouffrance
De mille l'vn renient à cognoiffance.
Cherche^, feigneur [difoyent-ils) à vos gefles
Lieu qui les rende au monde manifejîes,
A fin qu'au moins après le labeur pris,
Louange enfuiue, & vous mette à haut pris:
Et fi defir d'effayer vous aue^,
Comme vn grand fait demefler vous fçaue^,
Suiuant d'honneur la perfuafion,
Maintenant s'offre à vous l'occafion
De la plus digne & plus haute entreprife
Qui oncques fut de Gentil-homme prife.
Noflre Princeffe & du Roy fille vnique, Par vn efirange accufateur inique, Nommé Lurcan, de crime efi pourfuiuie. Qui met au vent f on honneur & fa vie, S'elle ne treuue en camp qui fe pref ente Pour la prouuer honnefie & innocente. Ce Lurcan là, plus pource qu'il la hait Qiie pour raifon {peut eflre) qu'il en ait, L'a accufee à noflre Roy fon père (Qjii s'en tourmente & prcfque defefpere) De l'auoir veuë entour my-nuit che^ elle Vn fien amy tirer par vue efchelle Sur vn perron : & s'il ne vient exprés Dedans vn mois, dont la fin efi bien prés, Qui la deffende & fon honneur ajfeure. Selon nos loix par feu faut qu'elle meure. Vafpre, feuere & rigoureufe loy De nofire Efcoce, & du trop jufie Roy, Veut que fi femme à homme s'abandonne Autre qu'honneur & foy ne luy ordonne, Viue elle purge en violante fiâyne L'ardeur d'amour violante & infâme. Or a le Roy fait entendre & fçauoir Par tous les lieux oîi s'cfiendfon pouuoir, Qiie qui prendra en fa proteâion
DES POEMES. 235
(Soit d'Efcoçoife on autre nation ) Dame Geneure {ainfi fa fille on nomme) Pourueii qu'il vainque & qu'il foit Gentil-homme, Aura pour pris de fa bonté loyale Enfemble efpoufe & cheuance Royale, Telle entreprife ejl fans comparaifon A vous plus propre & a plus de raifon, Qu^aller ainfi par lieux couuers & forts Enfeuelir vos belliqueux efforts: Car outre l'heur de louange immortelle Qiti en viendra, vous aure^ la plus belle Maiflreffe, amie, obligée & compagne Qiii foit du Gange à la dernière Efpagne. Puis vn ejlat fuperbe & plantureux, Qjii vous rendra contant & bien-heureux, Sans ce qu'ofiant au Roy fon dueil extrême. Il vous tiendra non moins cher que luy mefme : Et quand ne los, ne biens, ny alliance, Ny autre efgard n'auroyent point la puiffance De vous induire à ce faix receuoir, Si efies vous tenu par le deuoir De noble fang & de cheuallerie De refifier à fraude & metiterie, Et de tant plus à ceux qui par diffames Rendent fufped l'honneur des gentifemmes : Et fi d'aucune il vous print onc enuie N^en attende^ fcruir de vofire vie A meilleur droit, au moins plus apparant Qiie cefie-cy : car elle a pour garant. Premièrement le cours des ans paffe\, Oîi elle a tant d'exemples amaffe^ De fa valeur, qui peuuent feuls dédire Qiiiconque auroit entrepris d'en médire: Puis les majeurs dont elle efi defcendue. Rendent affe:{ fa caufe deffendue, Entre lefquels l'antiquité ne cache Nul qui ait eu de vice aucune tache. Renaud penfif tint les yeux abaiffe\
236 V. LIVRE
A terre vn temps, puis les ayant haiijfe^ Vers eux tretous, leur refpondit ainfi : Ne prene^ point, mes amis, de fouci De ce combat, ny craigne^ qu'on offenje Telle beauté par faute de deffenfe. Nul Roy, ne peuple, ou leur commandement Sçauroit contraindre vn libre entendement, De trouuer bon, que pour auoir laijfé Vn feruiteur de forte amour prejfé Venir à foy & fes maux alléger, On doyue à mort vne Dame juger : Phtfîojl deuroit eflre à mort dejlinee Vne cruelle, ingrate & obflinee, Qiii peut pour elle vn amant voir mourir Deuant fes yeux, & ne le fecourir. Soit vray ou non que Geneure ait tiré Sur vn perron fon amy martyre, Ce m'efi tout vn, & la cbofe auouée Seroit de moy encores plus louée Si tellement elle l'auoit receu Qii'il neufl eflé de nul homme apperceu. Mais quoy qu'on vueille en fon honneur reprendre, l'en veu la caife & querelle entreprendre ; Faites fans plus que j'aye vn conducteur lufques au lieu où. efl Vaccufateur ; Car, Dieu aydant, certain d'ofler ie fuis, Luy de ce monde, elle de fes ennuis : Non que pourtant maintenir ie propofe Qii'il ne f oit rien de ce qu'on luy impofe : Car ie pourroy, n'en eflant pas bien feur, Eflre du faux & du tort deffenfeur: Bien fouftiendray que pour vn tel effeâ Mal ne luy doit ny outrage eflre faiâ. Et fi diray injufie & hors du fens Qiiiconque feit ces fiatuts indecens. Et qu'on les doit comme fols reuoquer, Et loy meilleure en leur lieu coUoquer. Si conuie^, voire & forcer nous fommes
DES POEMES. 237
Egallement tretous, femmes & hommes,
Par me/me ardeur & femblable defir.
De tendre au but de V amoureux plaifir
Si fort blafmé du vulgaire ignorant:
Pourquoy va-Ion femme vitupérant
Qid auecq'vn, ou plus d'vn a commis
Ce qui défaire aux hommes efl permis
Auecq' autant que l'appétit les meine.
Et dont ils ont louange au lieu de peine?
En ces flatuts inégaux & infâmes
Efl fait vn tort exprès aux pauures femmes :
Et fi Dieu plaijl, de monflrer ie m'attens
Qii'on fait tres-mal d'en vfer fi long temps.
Chacun loua de Renaud la raifon,
Difant que ceux de l'antique faifon
Qi'i approuué telle ordonnance auoyent.
Bien peu du monde, & du droit moins fçauoy eut.
Et que le Roy qui peut loix ériger,
Faifoit tres-mal de ne la corriger.
Si tofl que Vaube au teint clair & vermeil Auec le jour eut chaffé le fommeil, Renaud armé fan fort Bayart a pris Enfemble vn jeune Efcuyer bien apris, Qiii le guida par ces eflranges lieux Bienfeuremcnt vn bon nombre de lieux Vers la cité, où. la querelle neuue Ai-mes & gens deuoit mettre en efpreuue. Or auoyent-ils le grand chemin laijfé Pour vn fentier droit & mieux addrejfé, Quand retentir ils ouirent les bois D'vne piteufe & lamentable voix. Vers ce bruit là leurs chenaux courir font : Si ont de loin en lieu bas & profond Veu deux brigans & vne Damoifelle, Qjti me/me ainfi de loin leur fembla belle: Bien qu'efpleuree & trifle fut autant Qu' on qu es fut femme extrême ennuy portant. Ces deux mefchans tenoyent dagues eflreintes
238 V. LIVRE
Pour de fonfang rendre les herbes teintes:
Et elle ejloit à pleindre & requérir.
Pour différer quelque peu le mourir,
Tant que Renaud vint à grans cris & cours
Et grand' menace apporter le fecours.
Tojl les vilains tourner V ef chine fceurent
Qitand tel fecours efbranler apperceurent,
A l'obfcur bois remettant leur falut,
Où de lesfuiure à Renaud ne chalut.
Mais à la Dame il vint & s'enquijt d'elle
De quel mesfait luy venait peine telle.
Et cependant en croppe la fit prendre
Pour gaigner temps, & le chemin reprendre.
Lors en allant mieux & mieux la regarde
Au teinct, aux traits, aux façons il prent garde,
Tout luy en plaifl, & plus de biens y voit
Que prompt ement efiimé il n'auoit,
Bien qu'elle fufi encore efpouuantee
De la frayeur de la mort pref entée :
Mais quand requife elle fut derechef
De raconter d'où venait fon mcfchef:
Elle à voix baffe & cœur prefque tranfi
Leuant les yeux fe mit à dire ainfi :
Vous entendre:^, Seigneur, la plus nouuellc Mefchanceté, la chofe plus cruelle Qjii en Mycene, Arges, ou Thebes oncques Fut perpétrée, ou autres lieux quelconques. Et fi d'icy le foleil n'efi fi près Comme d'ailleurs, ie croy que tout exprès Il s'en retire & au loin fe pourmeine, Pour ne voir gent fi fiere & inhumaine. Car procurer mal àfes ennemis Efi excufable, & efi prefque permis, Mais donner mort à qui rien ne demande Que tout feul bien, efi cruauté trop grande: Et pour la caufe au vray fçauoir vous faire, Pourquoy ceux-cy efioyent prefis à défaire Mes jeunes ans & ma fin auancer.
DES POEMES. 239
Le tout vous veii de tous points commencer.
Sçache\, feigneiiv, qu'on fit prefent de moy Dés mon enfance à la fille du Roy, Là où croijfant j'en le vent fi à gré, Qu'en court ie tins honnorable degré : Mais dur amour portant, ie croy, enuie A ma tranquille & trop heureufe vie, Feit que de moy fa fuitte s'augmenta, Feit qu'à mes yeux nul ne fe prefenta De tant de grans, dont l'Efcoce ejl garnie, Qiti me pleut tant que le Duc d'Albanie : Lequel de moy fe monfirant plus qu'épris Se veit tout feul régner en mes efpris. « Las, on voit bien des hommes le vifage, « On en entend la voix & le langage, « Mais ce qu'ils ont en leur entendement « Fuit no/ire veué & nofire jugement ! De croire en luy & d'aimer ne cejfay Tant qu^en mon lia entrer ie le laiffay , Sans regarder [fi peu j'efioy difcrette) Que celle chambre efioit la plus fecrette Qii'euft ma maijlreffe, & oii efioyent enclofes Les grans valleurs defes plus chères cliofes. Que fi honnefie & feure la tenait, Que bien fouuent coucher elle y venoit : Et pouuoit-on entrer de mefme place Sur vn perron découuert en terrace Sortant du mur, par oii quand ie voitloy L'auoir tout feul quant & moy, ie couloy En temps obfcur [qui aux amans s'accorde) Segrettement vue échelle de corde, Et luy faifoys autant de fois venir Qjie le moyen m'en pouuoit aduenir. Qui efioit lors que Geneure changeait De lit ou chambre & ailleurs fe logeait, Selon ce qu'elle allait l'ennuy fuyant Du froid humide, ou du chaud effuyant : Et de le voir ynonter on n'auoit garde,
240 V. LIVRE
Car du palais ce cotté là regarde
Sur vn décombre & cheute de maifons,
Où nul )i'alloit en aucunes faifons,
Bien qu'à maints tours mauuais l'eujje pu voir
Si i'eujfe ejlé faine & en mon pouuoir.
Maints jours & mois entre nous à loifir
Dura fegret cet amoureux plaifir :
Toufiours croijfant mon amour eufeflâme,
le me fenty toute en feu dedans l'âme,
Et ne conu, m'aueuglant de mon jeu,
Qii'il feignait prou, S- qu'il aimoit bien peu.
Bien peu après touché d'amour nouuelle Se montre amant de Geneure la belle : le ne fçay pas s'a l'heure il commença, Ou fi dauant de m' aimer fe laffa. Voye^l comment & de quelle arrogance Deffus mon cœur exerce fa puiffance, Qiiand fans rougir requiert de moy fecours Me decouurant fes nouuelles amours? Bien, difoit-il, que l'amour enuers elle N'étoit pas vraye, & ft ti' et oit pas telle Comme la nofîre, ains feignoit de l'aimer En efperant les noces confommer, Eflant aifé que le Roy s'y confente, Pourueu qu'on eufl le vouloir de l'Infante : Car f on pais n'en auoit aujourdhuy D'eflat & fang vn plus digne que luy. le le croyoy quand me donnait entendre Que s'il pouuoit du Roy deuenir gendre Par mon moyen, auprès de fon feigneur Il monterait au premier lieu d'honneur : Qu'il m'en ferait à jamais redeuable Sans oublier vn bien-fait ft notable, Et que toufiours aimer il me pourrait Plus que fa femme ou autre n' aimerait. May qui à rien qu'à luy plaire ne tire, le ne voulu ny ne pu l'éconduire, N'ayant nul bien qu'aux jours que j'auoy pu
DES POEMES. 241
Trouuer de quoy ie luy eiijje complu. Donc le phtjîojl que ie puis, ie la tante. De luy ie parle &fes louanges chante. Bref, ie n'ay rien vers Geneure oublié Pour mon amant mettre en fon amitié, le fy de cœur & d'effet [fen appelle Dieu à témoin) tout deuoir enuers elle, Mais ie nefceii tant faire de deuoir Qiie le Duc peujlfa bonne grâce auoir: La raifon eft, que toute fa penfee Efî de Defir & d'Amour empefchce Pour vn feigneur beau, gentil & courtois, Venu de loin au pais Efcojfois, Qiti d'Italie auec fon ie une frère Vint à la court pour y eflre ordinaire. Et fe rendit fi adroit bataillant Que le pais n^en eut vn plus vaillant. Le Roy l'aimoit : & faifant demontrance D'vn bon vouloir luy donna grand' cheuance Le ft feigneur de cliafleaux & maifons. Et l'égalla voire aux plus grans Barons.
Ce cheualier Ariodant s'appelle : Il pi ai fi au Roy, mais bien plus à la belle : Luy le conoifl preux, hardy, valeureux, Ellefçait bien quil cfïfon amoureux. Le mont Vefuue, & celuy qui flamboyé En la Sicile : & la ville de Troye Nefentit onc vne fi grande ardeur, Qii'elle conoifl vn grand feu dans fon cœur Pour fon amour. L'amour qu'elle luy porte D'vn cœur loyal, fincere, ardente & forte. Fit que parlant pour le Duc ie ne fu Trop bien ouye : & que nul mot ie n'u De bon efpoir : car plus ie la fupplie, Plus d'obtenir mercy ie m'efîudie Pour mon amy, plus le defcflimant Se va toufiours de haine enuenimant. Souuentesfois le Duc ie reconforte,
L'an de Baif. — ÎI. '6
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Lïiy confeillant que d'heure il fe déporte Du vain efpoir de Jlechir à pitié Celle de qui vn autre a l'amitié : Et clairement luy découure & l'auife QiCelle cjl fi fort d'Ariodant éprife, Qiie VOcean de toute fon humeur N'éteindroit pas fa plus lente chaleur.
Or Polynés ( ce Duc ainfi Ion nomme ) Bien auerty qu'en vain il fe confomme Par mon raport, mefme ayant apperçu Que fon amour n'ettoit pas bien reçu: Non feulement ne tafche s'en défaire, Mais mal-contant que l'autre on luy préfère, Comme orgueilleux le prenant fort à cœur, Se lafche tout à courroux & rancœur. Telle dif corde il ofe fe promettre Entre Geneure & fon amoureux mettre. Et les pouffer en telle inimitié, Qu'ils ne nour ont jamais leur amitié: Voire honnir Geneure d'vn diffame Dont viue S- morte on la déchire & blafme : Et ne fait part à d'autre ny à moy De fa traifon, mais la braffe àpar foy.
Le projet fait, il me dit, Ainfi comme, O ma Dalinde [en ce point Ion me nomme ), L'arbre couppé par trois & quatre fois Rejette après par le pié plus de bois. Mon plus confiant que bien-heureux courage, Bien qu'on Vabbatte en tout defauantage, Ne laiffe pas de plus fort regermer Pour à la fin fon defir confommer. Pour le plaifir tant ie ne le defire, Que pour l'honneur du combat où j'afpire Refier veincueur : ne le pouuant d'effet, Pauray foulas d'imaginer le fait. Parquoy ie veu, lors que Geneure nue Repofera, que tu viennes, veftuë De fon atour & tout l'accoujlrement.
DES POEMES. 243
Me receuoir au doux contentement. Comme tu fçais que fon poil elle agence, Range le tien : mê toute diligence Pour luyfembler. En ce point te rendras Sur le perron, doit V échelle tendras, l'iray vers toy croyant que tu es celle De qui l'habit te deguife & recelle. Faifant cecy j'ofe bien efperer Dans peu de jours mon defir modérer.
Il dit ainfi : moy, qui d^ amour furprife Suis hors de moy, fimple ie ne m'auife Qii'en tout cela, dont il me preffe tant Vne traifon il allait apprejlant. Comme il vouloit, en Gêneur e habillée, De ce Perron l'échelle ay deuallee, Pour deceuoir en ce deguifement Deux qu'il vouloit trahir injujlement : Moy qui nejloys aucunement coupable De trahi/on fi fort abominable, le fçay plus tojl le mal exécuté, Que le confeil de fa méchanceté.
Ariodant & le Duc quife tindrent Pour grans amis, deuant qu'ils entrepriyidrent D'aimer Geneure, entre eux eurent propos Deffus la fin, & fe dirent ces mots :
le m'ébahy [le Duc tint ce langage) Veu que ie t'ayfur tous ceux de tnon âge En grand refped & grand amour tenu, Qiie mon bien-fait foit tant mal reconu. Tu fçais pour vray ( comme i'ay conoiffance ) De ma Geneure & de moy l'alliance Pieça parfaitte. S- que bien tofi la doy Pour femme époufe obtenir de mon Roy: Pourquoy viens-tu me troubler? Pourquoy e/I-cc Que fans nul fruit tu luy fais tant de preffe? le te portroy refped, j'en jure Dieu, Si nous tenions toy le mien, moy ton lieu.
Mais 7noy [refpond Ariodant à l'heure)
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De ni'ébair i'ay bien raifon meilleure, Ayant cet heur pour Maijlreffe l'auoxr Long tems dauant que tu I'ay es peu voir, le fçay que fçais nojlre Jlâme telle ejïre Qu'elle ne peut d'auantage s'accroijlre : le fçay que fçais qu'elle ne veut de toy: Et ne defire autre mary que moy. Doncques pourquoy [puis que fi fort refpeâes Nojlre amitié) maintenant ne me tretes, Comme de moy veux eJlre refpedé, Si mieux que moy d'elle fujf es treitté? Tu tiens du bien par deçà dauantage, Mais ie m'atten Vauoir en mariage. le n'ay pas moins de crédit vers le Roy, Et vers fa fille en ay bien plus que toy.
O, dit le Duc, fauffe erreur & trop vaine Oîi maintenant la folle amour te meine! Tu cuides eJlre [& ie le cuide auffi) Le mieux aimé. Pour auerer cecy, Fay moy paroir que fait pour toy la belle. Et tu verras la faueur que j'ay d'elle : Et qui de nous fe verra moins auoir. Cède au veincueur & fe voife pouruoir. le jureray de ne dire nouuelles (l'enfuis tout prejl) de fegret que reueles, Si par ferment auffi tu me promets Sçachant le mien de n'en parler jamais.
Or par entr'eux de jurer fe promirent, Et les deux mains fur les faints Hures mirent Puis quand la foy fut prife çà & là, Ariodant tout le premier parla, Et fans mentir ou déguifer expofe Comme auec elle allait toute la chofe: Comment Geneure écrit S- dit auoit Qii'autre que luy époufer ne deuoit, Et quand le Roy voudroit tout le contraire Luy promettoit d'à jamais fe retraire De tous maris qu'elle refuferoit,
DES POEMES. 245
Et que fes jours toiifiours feule vferoit.
Qiiant à fa part qu'il auoit efperance Par fa vertu, fa proneffe & vaillance, ( Dont auoit fait déjà preuue & feroit Lors que le tems des faits-d'armes feroit) De mériter tant de faneur & grâce Enuers le Roy, que du bien qu'il pourchajfc Defon bon gré digiie l'eflimeroit. Si que fa file époufer luy feroit.
Il dit après : Si prcs du but ie touche, Qiie ne croy pas que nul autre en approuche, Et ie ne cherche & ne fuis defirant Defon amour figne plus apparant, Ny ne voudroy de plus grand auantage QiCentant que Dieu permit le mariage : Car autrement on n'y gagnerait rien: le fçay qu'elle e fi par trop fille de bien. Ariodant dit au vray du falaire Qtt^àfes trauaux amoureux il efpere. Mais Polynés qui en l'efprit s'eft mis Comment que foit de les rendre ennemis, Commence ainfi : Ton heur du mien n'approuchc, le te feray le dire de ta bouche. Et confeffer [quand mon bien auras fceu) Qiie feul ie fuis heureufement receu. Elle fabufe, & ne Vaime ny prife. Mais te repaifl d' efperance & feintife : Voire elle tient ton amoureux émoy Pour grand' fotife en parlant auec moy. Moy d'être aimé i'ay preuues trefcertaines Bien autrement que de promeffes vaines : Et fur ta foy te les va reueler, Bien que ie fçay que duffe les celer: Mois ne fe paffe auquel ou trois ou quatre Six ou dix nuits ie ne voife m'ébattre Nu dans fes bras, reccuant le plaifir Qiti fat is fait à l'amoureux dejtr. Or tu peux voir Ji à ma iouïffance
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Dois égaller ta friuole efperance. Quitte moy donc: & puis que te fay voir Que fay vaincu, cour ailleurs te pouruoir
le ne te veu [dit Ariodant) croire De tout cecy : c'ejl menfonge notoire Qu'en ton cerueau tu es allé forger Par mal-talent, pour me décourager De Ventrcprife : Il faut que tu foufliennes Tous ces propos pleins d'injures vilaines : Et fur le champ te prouueray comment Traître tu es, non menteur feulement. Le Duc refpond : Il ne feroit honnefle Mettre au combat la chofe qui efî prefle, Qitand tu voudras, à mettre tout à cler Deuant tes yeux, fans plus auant aller.
Ariodant à ce propos fe plante Tout éperdu : vne friffon tremblante Court par f es os : & s'il eufl creu cela De deplaifir alloit trefpaffer là. Nauré au cœur & palle outre couflume, A voix tremblant la bouche en amertume, Il dit ainfi : Quand tu me feras voir Le rare bien qu'on te fait receuoir, le te promê de te laiffer la belle Qiii t'eftfi douce & qui m'efî fi rebelle: Mais ne croy pas que ie fajoufle foy, Si de ces yeux premier ie ne le voy. le Ven feray l'occafion entendre, Dit Polynés, ains que de congé prendre.
le penfe bien que dans deux nuits après De m'apofler le Duc fit fes apprêts. Donc pour s'aider de fa ré déjà mife Si finement, fon corriual auife La nuit fuiuant de fe venir cacher Dans ces maifons oii nul ne vient coucher. Et vis à vis du Perron, alencontre Doic ie fortoy, vne place luy montre.
Ariodant fe doutant fur cela,
DES POEMES.
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Qu'il ne cherchaji le faire venir là,
Comme en vn lieu d'affiette propre, élue
Pour l'aguetter, a creinte qu'on le tué,
Sous fiâion de luy faire vn fait voir
Qjii luy femble eflre hors tout humain pouuoir.
Ilfe refout d'y venir, mais en forte
Qu'il puiffe auoir fa partie auffi forte.
Si qu'aucnant qu'on vint fur luy courir,
Ne fe trouuafl en doute de mourir.
Or il auoit en la court vn ficn frère, Sage au confcil & vaillant à bien faire, Nommé Lurcain, duquel plus s'affeuroit Que quand près luy dix autres il aurait: 1 Le fait armer, la nuit àfoy l'appelle Pour le mener, tion que rien luy décelé De fon fegret : car jamais dit ne Vufl Ny à Lurcain ny autre quel qu'il fufl. De foy le place à vn bon jet de pierre: Et quand m'orras t'appeller, vien grand-erre {Ce luy dit-il) fi tu ne m'ois, & fi Tu me veux bien, frère, ne par d'icy. Vafeurement, dit Lurcain. Sans plus dire Ariodant à fon embûche tire. Et fe cacha dans la vuide maifon Tout vis-à-vis de mon fegret Perron. D'autre part vient le trompeur qui fe baigne A diffamer celle qui le dédaigne. Fenten lefigne entre nous vfité N'entendant rien de fa méchanceté. Moy, qui m'efloy pour luy plaire, parée De robbe blanche au fons toute barrée De bandes d'or, & par les bords encor, Ayant le chef voilé d'vn re^eid d'or^ De rouges fleurs parfemé, de la forte Qii'autre finon Gcneure ne la porte : Le figne ouy couru fur le perron, Oit Ion pouuoit me voir d'alenuiron. Tandis Lurcain {ou craignant que fon frère
248 V. LIVRE
Ne fejettajl en périlleux affaire, Ou, comme c'ejl, que la volonté prend Voulant guetter ce qu^vn autre entreprend) Tout bellement le fuit & le cojloye Tenant toufiours la plus obfcure voye. Et près de hiy à des pas moins de dix Se vient tapir dans le me/me logis. Moy ne /cachant rien de telle entreprife Vien au perron, habillée en la guife Que vous ay dit : comme auoy déjà fait Plus de deux fois auec heureux effet. L'habit treluit aux rayons de la Lune : Et prefque ayant la rencontre toute vne, La taille auffi comme Geneiire l'a, Fit que le mien fon vifage fembla. D'autant que plus il y auoit d'efpace, Doit tjie monffray iufques à celle place, Où à l'abry les deux frères efloyent, De tout l'abus d'autant moins fe guettoyent, Croyans le faux. Or penfe la detrejfe, Qjii le las cœur d'Ariodant empreffe. Polynés vient, à l'échelle fe prend Qiie luy deualle, en haut à moy fe rend. A l'aborder les bras au col luy jette, Ne penfant point que pas vn nous aguette: Et bouche & front de baifer fy deuoir, Comme fouloy quand il me venoir voir. Luy plus qu'il n'a de couflume, s'efforce Me careffer, & fa fraude renforce: L'autre conduit au fpeâacle piteux Voit tout de loin, miferable honteux: Voire en conçoit fî grande fafchcrie Qiie tout à l'heure en veut perdre la vie : Met le pommeau de fon épee en bas, Veut s'enferrer. Lurcain ne fçachant pas Qiie fufl le Duc, monter à moy l'auife Emerueillé de fi haute entreprife : Et ne bougea qu'alors qu'il apperçoit
DES POEMES.
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L'indigne fait que fon frère braffoit. Va Vcmpefcher qu'il nefeffî outrage, Et s'enferrafl en celle chaude rage : S'il fut moins près ou moins tofl accouru, Jamais à tems n'eufi eflé fecouru.
Ah {cria-t' il) panure frère malfage, Pourquoy pers-tu de la raifon l'vfage? A l'appétit d'vne femme mourir! Puiffe phiflofl tout leur f exe périr. Braffe la mort à qui Va dejfcruie, Et contregarde à plus d'honneur ta vie : Si l'as aimée ignorant fa traifon, Or tu as bien de la haïr raifon, Puis qu'elle s''efl à tes yeux decouuerte Prifer fi peu de fon honneur la perte. Garde ce fer que tournes contre toy Pour fon forfait prouuer deuant le Roy.
Ariodant, quand furpris il s'auife, A delaijfé pour lors fon entreprife : Mais du dejfein qu'en fon efprit auoit D'aller mourir, point ne fe démouuoit. De là s'en part, & le cœur piqué porte Ainçois nauré d'vne douleur trcsforte : Feint toutesfois n'auoir plus la fureur Qui le pouffoit en ft félonne erreur. Le lendemain [fans decouurir Vaffaire A nul amy, ny me/mes à fon frère) S'en va conduit d'vn mortel defefpoir.
Lon fut vn tems fans nouuelle en auoir, Nul ne f cachant, fors le Duc S-fon frère. Qui l'auoit fait fi promtement retraire.
Par toute Efcojfe & par toute la Court Vn bruit diuers de fon partement court. Au bout de Jiuit ou neuf jours fe prefente Quelque paffant à Geneure dolente. Qui donne auis d'vn mifcrable fort : Qit'Ariodant dans la mer efloit mort, Mort & noyé, non par vn vent contraire
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25o V. LIVRE
D'OeJl OU de Nord, mais de mort volontaire, D''vn roc qui boute en la mer droit en haut Pies contre-mont ayant pris vn grand faut.
Il raportoit qu'auant ce malencontre L'ayant trouué en chemin de rencontre, Luy dit: Vien-t'en auecque moy, afin Qii'au vray Geneure oye de toy ma fin. Tu luy diras ce que me verras faire, Et le motif de toute la mifere Venir d'auoir veu par trop, & trop f ce u : Las trop heureux fi des yeux ie n'euffe eu!
Nous efiions lors dejfus Cap bas qui boute Loin dans la mer vers l'Irlandoife coûte: Quand il eut dit, ie le vy du coupeau D'vn roc tomber à chef bas dedans l'eau. le l'ay laijfé dans la mer en la forte. Et promtement la nouuelle V apporte. Geneure lors perdant voix & couleur Chet demy-morte outrée de douleur. O Dieu, depuis que dit-elle & fit-elle Qiiand feide fut dedans fon lit fidelle? Se bat le fein, deffire fon habit, Ses beaux cheueux arrache par dépit, Difant fouuent en piteufe manière D'Ariodant la parole dernière, Qiie le motif du niechef auenu D'auoir trop veu feulement eft venu. De ce malheur le bruit s'épand & feme Qiie par defpoir il s'efi tué luy-mefme. Le Roy Ion vit auoir la larme à l'œil. Les Cheualiers & Dames en font dueil. Mais par fus tous fon frère fe tranfporte, Et fon cœur plonge en detrcffe fi forte, Qii'à fon patron peu s'en faut que d'ennuy Il ne s'occifi pour aller après luy.
Souuentesfois des regrets il va faire. Dit que Geneure a fait mourir fon frère : Qiie rien, finon l'aâe vilain & ord <•
DES POEMES. 25t
Qii'en elle il vit, ne l'auoit mis à mort. S^aueugle tant & de douleur & d'ire, Qite rien finon le vanger ne defire: Mais qiCil fe vange, ayant mis à mépris Haine & faneur du Prince £■ du pats.
Lafalle ejlant de plus de gens enceinte, Deuant le Roy s'en vient faire fa pleinte : Sire, dit-il, f caches que la fureur Qiii print mon frère, & toute celle erreur Qui le conduit à mort fi miferable, Vient de ta fille : elle eft feule coupable : Car pour fa faute il s'attrifîa fi fort Qu'il aima mieux que la vie la mort: Il luy efioit feruiteur, & pour l'eflre Honneflcment, le fait à tous paroifire. Par fes vertus & loyaument feruir, L'auoir pour femme efperant deferuir: Mais cependant que le pauuret s'amufe Flairant de loin la fueille, vn autre en vfe Monté fur l'arbre, & recueut à plaifir Tout le doux fruit defon chafïe defir. Il conte après que Geneure il a vue Sur le perron, dont elle a defcenduê L'échelle en bas, par laquelle vn ribaut Qu'il ne cognoifî, monta vers elle en haut. Car il auoit fous fine degui^ure Couuert fon poil & changé fa vefiure. Ajoufie après qu'aux armes prouueroit Qu'il efioit vray tout ce qu'il découuroit. Tu peux pcnfer fi le perefe fafche D'vn tel forfait, dont fa fille on atache, Tant pour ouïr (dont efi tout éperdu) Ce que jamais il n'eufi d'elle attendu, Que pour fçauoir que ce luy fera force [S'vn Cheualier, qui de prouuer s'efforce Lurcain menteur, ne la vient recourir) La condamner & la faire mourir. le ne croy pas que ne fait de vous fceuë
252 V. LIVRE
La loy, Seigneur, en ce pais receuë, Qui toute femme & fille met à mort S'il efl prouué qu'à l'honneur face tort, Si dans vn moys Cheualier ne fe treuue Dejfus les rancs, qui le contraire preuue, En maintenant contre Vaccufateur Elle innocente, & lity faux délateur. Le Roy bénin cherchant fa deliurance [Car accufee à grand tort il la penfe ) A fait crier que qui la deffendra Auec grand dot pour femme la prendra. On ne dit point qu'aucun guerrier fe mette Dejfus les rancs: mais l'vn l'autre fe guette: Car ce Lurcain connu preux & vaillant Efl redouté de chacun bataillant.
Le mal-heur veut que Zerbin frère d'elle N^eft au pais pour prendre fa querelle : Mais long tems a qu'aux Martiaux dangers Braue il s'épreuue entre les étrangers. O s'il efloit affe^ près pour entendre Nouuelle à tems, peu fe feroit attendre Ce grand guerrier, ce gaillard defenfeur, Qiii ne faudroit au fecours de fa fœur. Le Roy tandis cherchant, par autre preuue Qiie du combat, fçauoir ce qui fe treuue Du faux ou vray : fi à droit ou à tort Sa chère fille on iroit mettre à mort, Des femmes tient, qui toutes chofes duffent Sçauoir au vray, fi vrayes elles fujfent : Parquoy preuy que fi Ion me prenoit, Au Duc & moy grand danger en venait. La mefme nuit de la Court me retire Droit chei le Duc : promptement luy va dire, Et luy fay voir, s'en prifon m'arrefioyent, En quel ha:{ard nos deux tejles efioyent. Il m'en loua ; me dit que ie m'ajfeure : Puis me parlant de la retraitte feure D'vnfien chafieau qu'il a tout icy près.
DES POEMES. 253
Me fait mener par deux hommes exprès.
Seigneur, tu as ouy de quelle forte L'ay fait certain de l'amour que luy porte: Et vois ajfe:{ fi pour cefle raifon Efloit tenu de m'auoir chère ou non. Oy maintenant le loyer qu'il me donne, Et voy comment mon mérite il guerdonne : Voy fi jamais femme doit eflimer Qii'on l'aymera pour loyaument aymer: Qiiand cet ingrat, inhumain & parjure A la parjîn de ma foy ne s'ajfure, Se défiant de moy qu'au long aller Ses trahifons n^allâjfe deceller. Il feint, afin qu'il m'efloigne & me cache lufques à tant que le Roy fe de fâche, De m'enuoyer en vn lieufeur £■ fort, Et me vouloit enuoyer à la mort! Car enfecret à la guide commande [Qiiand me tiendroit dans cefle fore fï grande) De me tuer, en paytnent de ma foy. Ce complot fufl exploitté contre moy, Sans que tu vins à la clameur qu'ay faiâe : Voy comme amour ceux qui le fuiuent, traiâe!
Dalinde ainfi tout le fait deduifoit. Et cependant le chemin fe faif oit . Le Cheualier trop plus aifefe monfire De ce bon-heur que de nulle rencontre, Prenant plaifir à ce qu'elle contoit De l'innocence en qui Geneure efloit: Et s'en alloit auec plus d'affeurance, Sçachant le tort, empoigner fa deffence, Bien refolu que l'honneur luy garderait, Quand mefme on Veufî accufée à bon droit. Vers faint André la cité bien peuplée, [Là où le Roy tient fa Court affemblee, Là où deuoit fe faire le combat, Auquel l'honneur de la fille on débat) Renaud fe hafle : & jufques à la ville
254 ^- LIVRE
Ne rejloit rien qu'vn petit plus d'vn mille: D'vn Efcuyer qu'il trouue s'ejl enquis, Qui luy donna ce plus nouuel auis.
Que là ejloit vn Cheualier ejlrange Qui de Geneure entreprend la reuange: Et qui depuis qu'il ejloit là venu, Toiijiours ejloit demouré inconnu : Non remarqué d'aucune enfeigne aperte, N ayant à nul fa face defcouucrte. Son Efcuyer propre qui le fcruoit, luroit difant que f on nom ne fçauoit.
Apres cecy long temps ils ne marchèrent Que juf qu'aux murs de la ville approchèrent. D'aller plus loin la Damoifelle a peur: Soudain Renaud luy fait reprendre cœur. La porte efl clofe, il s'enquiert à la garde Pourquoy c'ejtoit que fermée on la garde : Et luy fut dit que tout le peuple efloit, Oïl le duel alheure s'apprefloit, [A l'autre bout de la ville oit la pree Vnie & large au camp cfl préparée] Entre Lurcain & vn non-découuert, Et que defta le combat efl ouuert.
On leur ouurit pour leur donner entrée. Puis derrière eux la porte fut barrée. Renaud Dalinde en vn logis laiffa. Et le defcrt de la ville paffa. Mais il luy dit qu'en feurté là f ajourne lufqucs à tant que vers elle retourne, Qitifera tofl : puis court droit au combat Oîi les guerriers en maint douteux débat S'entre-mandoyent fur refponce demande. Ainfi Lurcain branfle en dctrcjfe grande Contre Geneure : & là pour f on honneur L'autre foufiient auec plus de faueur.
Six Cheualiers auec eux en la place A pied marchoyent arme^ de leur cuirajfe, Qttand & le Duc d^ Albanie monté
DES POEMES. 255
D'vn fort courfier de bon haras ojlé: Il a le foin & la charge honorable De tout le camp, comme grand Conneflable, Le cœur joyeux, l'œil orgueilleux & fier De voir Geneure en ce mortel dangier. Renaud arriue, & par la foule paffe: Son fer Bayard s'ouure vne large place : Qiii voit venir fon foudre tempejleux En fon chemin, n'ejl tardif ny boiteux. Haut deffus luy Renaud vient comparoiflre, Tel que lajleur on le jugeait bien eflre Des plus gaillards : & fe plante alendroit Là-oii le Roy tous venans efcoutoit : Renaud luy dit, Ne permé pas, ô Sire, Qiie plus auant cefle bataille tire : Car de ces deux qui que mourir verras, Sçaches qu'à tort mourir tu le lerras. L'vn penfe auoir la raifon, & s^abufe: Ment & ne fçait que l'innocent accufe: Le mefme abus qui jetta dans la mer Son frère aimé, ceflui-cy fait armer. U autre ne fçait s' au tort ou droit fe donne. Mais feulement d'vne volonté bonne Vient le hasard de la mort encourir Pour ne laijfer fi grand beauté mourir. La fauueté j'apporte à l'innocence, Et la ruine à la faujfc mcfchance : Pour Dieu depar le combat de ces deux, Puis entendras ce que dire te veux. L'autorité d'vn Clieualierfi dine. Comme Renaud en portait bien la mine, Emut le Roy : qui fit figne, approuuant Qtie le combat ne paffafi plus auant. Aux Roy, Barons & Cheualiers, enfemble Au peuple efpaix, qui pour l'ouïr s'affemble, Le lûfclie tour Renaud a proclamé. Que Polynés à Geneure a tramé. Il s'offre après par armes faire preuue
356 V. LIVRE
Qii'il dit le vray, & que rien li'en contreinie.
Là Poîynés appelé comparoijl,
Mais fon regard tout effaré paroijl :
Si nia-il effrontément l'affaire.
Or, dit Renaud, la preuue t'en veu faire.
Tous deux arme^ trouuent tout prejlle camp,
Si qu'' il faut joindre au combat fur le champ. O que le Prince 3 fon peuple deftre
Qiie du hasard Geneure Ion retire!
Tous ont efpoir que Dieu monfl'ra comment
On l'a voidu honnir iniufiement :
Et nul ne tient pour bien grande merueille,
Que Polynés telle fraude appareille, Auare, fier, faux, mefchant S- cruel.
Car de tout temps on le tenoit pour tel.
Là Polynés auec face chagrine^
Le cœur tremblant fous blemiffante mine,
Au tiers fignal met la lance en l'arrefl:
De l'autre part Renaud qui n'efl moins prefl.
Mais plus ardant de finir celle feffe,
A le paffer d'outre-en-outre s'apprefle
Auec fOiJance : & fit ce qu'il penfa.
Car à my-fuft dans le corps l'enfonça.
Tout embroché de fa grand' lance forte
A fix pas loin de fon defirier le porte :
Soudain Renaud difpos à pié fe met ;
Ains qu'il releue empoigne fon armet :
Le luy défait : luy que le fang dclaijfe,
Requiert pardon liumblement, S confeffe.
Le Roy Voyant & fa Court, fon forfait.
Et fa traifon qui mal finir le fait.
Il n'acheua : car la voix & la vie
Fuit au milieu de fon propos rauie.
Le Roy qui voit fa fille en fauueté
Et de fa vie S- de fa chafieté,
Plus de foidas & de joye fe donne,
Que fi efiant priué de fa couronne
Se la voyoit refiablir promptement.
DES POEMES. 25/
Parquoy Renaud honore uniquement : Et quand il fut defarmé par la tejle Le recogneut, & luy fit grande Je fie, (Car d'autres fois le bon Roy l'auoit veu) Et loua Dieu, qui luy auoit pourueu (( D'vn tel fecours. Malheureux efi qui penfe « En mal-faifant deguifer fon offenfe: « Quand bien plongée en ténèbres ferait, « Vair la criroit, la terre en parlerait. « Dieu fait foiiuent en retardant la peine, « Qiie le péché le pécheur fi bien meine, « Qite fans pourfuitte & fans s'en auifer <(. Coupable vient luy-mefme s'accufer. Faux Polynés tu prins ferme créance D'enfeuelir ta peine & ton offence, Faifant mourir Dalinde qui fçauoit Seule ton fait, & parler en pouuoit. Or adioufiant vne traifon dernière, Plus defloyale encor que la première, Ton grand mal-hcur tu vins précipiter, Qiie tu pouuois pour vn temps repiter, Le repiter, voyre parauanture Fuir le pris de celle forfaiture : Mais ton mefchef Va fait plufiofi courir, Efperonné par toy-mefme à mourir. T'a fait mourir : & perdre auec la vie En mefme temps amis & feigneurie : Voire l'honneur, fans lequel ny le bien Ny l'amitié ny le viure nefi rien: Auecques toy ton nom & ta mémoire Deuoyent périr couuerts de la nuit noire, Si ton patron ne monfiroit, nul péché Ne fefauuer tant puijfe cfire caché.
Le Cheualier qui pour l'honneur deffendre De fa Geneure en fon plus grand efclandre, Gaillard efioit auec armes venu, Pour voir le tout apar s'cfioit tenu. Le Roy courtois dire fon nom le preffe,
lean de Baif.— U 17
258 V. LIVRE
A tout le ynoins que regarder fe laiffe
A decouuert, pour guerdon receuoir
De fon bon cœur, qu'à tous auoit fait voir.
L'armet il ojie : & fa face fut veuc
A decouuert, tant chère & tant cogneué,
Et leur parut que c'efl Ariodant
Qiie par l'Efcoce on auoit pleuré tant:
Ariodant, pour qui Geneure atteinte
De grand regret auoit fait tant de pleinte,
Le penfant mort : que fon frère efploré,
Le Roy, la Court, le peuple auoyent ploré.
Adoncques faux le meffage fe monflre Qjue le pajfant a fait de fa rencontre: Si fut-il vray que du haut d'vn rocher Dedans la mer l'auoit veu irebufcher. Mais comme fait vn que le defpoir tire, Qui quiert la mort & de loin la defire, Et puis la hait, & la fuit par-apres, [O fâcheux pas!) quand il s'en trouue près. Ariodant plongé dans la marine Se repentit d'vne mort tant indine, Et comme il efl hardy, vaillant & fort, Se met à nage & regagne le bort: Et fe blafmant appelle grand' folie Son fou defir d'' abandonner la vie: Puis s'achemine, & trampé qu'il efloit Vient au logis qu'vn hermite habitait. Là délibère en fecret fur-attendre Tant qu'en ce lieu nouuelle peufl entendre. Si fon mefchef à Geneure plaira, Oufi plus trifte £■ piteufe en fera. Premier il f cent que de triflejfe grande Ne veut plus viure & le mourir demande, Contraire effet à ce que par erreur Croit auoir veu qui luy fait grand' doideur Depuis il fceut comme Lurcain fon frère Auoit blafmé Geneure enuers fon père, Dont contre luy fon courroux s'enflâma,
DES POEMES. aSg
Plus ardamment que Geneure il n'ayma. Tant luyfembla cet ade detejlable De cruauté par trop abominable. Bien que Lurcain, finon en/on égard Pour le vanger, ne tentajl ce hasard. Apres /cachant que nul à la deffendre N'ejl comparu, qui l'ofajl entreprendre Contre Lurcain, d'autant qu'il a renom D'ejlre tant fage & difcret & fi bon Qii'il n'eujl voulu, s'il ne fujl véritable, Se hasarder à mort fi detejlable: Ariodant penfe de s'oppofer Contre Lurcain qui la vient accufer. Ah, moy chetif! {dit-il) que ie fouffrijfe Qji^ainfi par moy ma Prince ffe perijfe? Ma mort après trop fafcheufe ferait Si deuant moy ma Geneure mouroit. Elle eft ma Dame & Deejfe adorée : Ma vie n^ejl d'autre jour efclairee : Pour elle faut ou à droit ou à tort Qite j'entre au camp, & qu'y demeure mort. l'auray le tort? le tort me plaijl deffendre: Et j'en mourray? la mort à gré veu prendre, Si ne fçauoy que quand ie feray mort Si grand' beauté Ion ira mettre à mort. Mais au mourir vn poincl me reconforte, Son Polynés, qui tant d'amour luy porte, Deuant fes yeux elle a defiapeu voir Pour fon fecours nullement s'efmouuoir. Et moy à qui elle a fait telle offence, Me verra mort & pour fa deliurance. Du frère mien encor me vengeray Qui meut ce mal : dueil fur dueil luy feray Luy f ai faut voir vn exploit déplorable De fa fanglante entreprife exécrable, Guidant vanger vn fien frère germain L'auoir enfin mis à mort de fa wMin. Ayant conclu fur entreprife telle.
200
Nouueau harnois & monture nouuelle Va recouurer : de noir il s'ejl couuert: Porte efcu noir, bordé de jaune & vert. Vn Efcuyer ejlranger d''auanture Se rencontra, le prend & s^en ajfure : Et defcognu comme ay defia conté, Contre fon frère au camp s'eji prefenté. Renaud Juruient, & vange l'innocence: D'Ariodant on fait recognoijfance : Et moins joyeux le Roy n''en a ejîé, Que quand on mit fa fille àfauueié. Penfe apar foy qu'on ne fçauroit oit prendre Amant plus vray : qui prompt à la deffendre. Croyant auoir tant d'outrage fouffert, Contre fon frère au combat s'efl offert.
Or tant preffé de fa volonté mefme, Qtie par fa Court, outre cela quil Vaime, Et par Renaud qui l'en requiert fur tous, Le fait fon gendre & de fa fille efpoux. Polynés mort la Duché d'Albanie Retourne au Roy à fon domaine vnie : A meilleur temps n'y pouuoit retourner, Car à fa fille en dot la va donner. Renaud obtient pour Dalinde fa grâce, Qiii de ce monde eflant & foule & laffe Délibéra s'en ofler, & fit vœu L'abandonnant fe donner toute à Dieu. Soudainement hors d'Efcoce partie Nonnain reclufe en la baffe Dacie Allafe rendre, oii elle vfe fes jours Plourant l'erreur de fes jeunes amours.
FIN.
DES POEMES. 261
FLEVRDEPINE.
A MONSIEVR DE MAIN- TENON, CHEVALIER
DE l'ordre DV ROY,
Grand Marchai des lo£ris.
A TON AMI qui tes dons fauorife, Miife, conton l'amoureufe entreprife De Richardet frère de Bradamant : Mais commençon à V amoureux tourment De Fleurdepine, & la folle pointure Qii'elle receut par eflrange auanture Sous faux-femblant, quand elle rencontra En habit mafle vn bel œil qui l'outra.
De Montauban la guerrière vaillante Seulete vn jour par le pais errante Se va trouuer envloppe^ alentour D'ofl Sarrasin : là fe fit vn eflour Cruel fur elle : & de malle fortune Dejfus le chef n'' ayant armure aucune, Y fut bleffee : & non fansfe vanger Se demefla de ce hurt eflranger : Mais pour guérir la vierge fut contrainte De fe coupper fa cheuelure fainte, Qu'elle apendit d'vn haut Pin, au milieu De la forefl, la vouant àfon Dieu. Depuis toufiours. jtifqu'à la reuenué De fan beau poil, alécart s'efl tenue, A trauers boys broffant deçà delà,
202 V. LIVRE
lufques à tant qu'vne fois elle alla Se repofev, laffe de longue peine, A la frefcheiir d''vne ombreufe fontaine. De fon deflrier à bas elle defcend : Son chef defarme : & gagner fe laijfant Au doux fommeil, fui- la terre couuerte Du mol tapis de l'herbe drue & verte. Se va coucher : & fes yeux defia clos Efloyent voyle^ d'vn fommeilleux repos :
Quand Fleurdepine allant à l'affemblee Pajfe par là : €■ la voit toute armée Fors le vifage : & penfe fermement Vn Cheualier dans cet accoufîrement. Tofl qu'elle vit, en cette face belle De Damoyfeau, grâce de Damoyfelle, La voyla prife : &foudai>\ par les yeux Amour luy lance vn defir furieux : Or luy tardant que tant elle fommeille, Le cœur en feu de ces doux mots Véueille :
Beau Cheualier, cependant que tirant Vn profond fomme icy vas refpirant, Ne creins-tu point qu'vn paffant ne Vemmeine Cefle monture, & ne te laiffe en peine Dans ce defert à pied, à la mercy Des bandoliers qui trauerfent par cy? Reueille toy, debout, & pren la bride De ton deflrier, & me fuiuant pour guide, Si ie le vaus, monte fur ton cheual : Vien à la chaffe auec moy dans ce val.
D'Emon la fille à Vhonnefle demande Prompte s'efueille, & fe met de la bande: Suit l'Efpagnole, & fans fe déceler En deuifant la fait chaude brufler De plus en plus : & d'amour enflamee La fait vouloir en aymant d'efire aymee: Car le defir eft dcfia fi ardant Qu'il va l'honneur & la honte perdant. Plus ne luy plaifi Ventreprifc première
DES POEMES. 263
De qiiejler bejle : elle met en arrière
Et chajfe & chiens & toiles & veneurs :
Meute & relais elle laiffe aux piqueurs.
Vne autre quejle, vne chaffe nouuelle
D'amour veneur luy entre en la ceruelle :
Les piqueurs, font les penfers : les clabauds,
Sont les foufpirs de/on cœur prompts & chauds:
L''œil, le limier : & la bejle ejlancee
Qui court au fort de fa vague penfee,
Oejl la beauté : la prife qu''elle attend,
EJl de jouir de ce qui luy plaijt tant.
Se trouuant donc en vn lieu foUtaire
Loin de la chaffe, & ne pouuant plus taire
Le chaud defir qui luy boujl dans le cœur,
Se refolut à defcouurir l'ardeur
De fon amour, & chercher fans rien feindre
Tous les moyens jouiffant de l'efleindre :
Auec regards d'yeux tous eflincellans
D'amoureux feu, par des foufpirs bruflans,
Par gefles pleins de folie & de rage,
Décelé vne ame efperdué mal-fage.
Pallifl, rougifl, tremble, foufpire, & tant
Se ha:{arda qu'vn baifer elle prand:
Non vn baifer que la fille à fon père,
Ou que lafœur donnerait à fon frère,
Mais vn baifer vn des plus chaleureux
Que tirer oit vn vray cœur amoureux.
Par ce baifer commença Bradamante
De voir l'abus de la peu fine amante,
Qtd la prenant pour autre que n'ejioit
Trop vainement fon amour fouhettoit :
Mais il vaut mieux [en foy-mefme elle peufe)
Rompre du tout cefle folle créance,
Me decouurant femelle de valeur,
Que de fembler homme de lafche cœur.
Auffi feroit-ce vne lafcheté grande
A Cheualier d'auoir à fa commande
Si belle Dame, après fi doux baifer.
264 V. LIVRE
Et ne fçauoir de fi belle offre vfer. Pour ce luy dit, comment elle eftoit fille Née en Afrique en la ville d'Arfille Deffus la mer : qu enfuiuant la valeur D'vne Hippolite ou Camille au grand cœur, Pour acquérir le renom de prouéffe, Elle exerça dés fa tendre jeuneffe Le mafle fait des armes aux tournoys, Acoufiumant la lance & le pauoys. Et que depuis enfon âge plus forte, Cuiraffe au dos, armet en tefie porte : En temps de paix auantures querant, Eyi temps de guerre aux batailles courant. Mais pour cela d'vne feule efiincelle Ne s'amoindrifi le grand feu de la belle Pleine d'amour : peu luy vaut tel entrait, Trop eft auant de Cupidon le trait. Pour cela n'eft moins belle celle face, Pour cela n'efi moins belle celle grâce, Pour cela n'efi inoins beau le doux regard Qui ont nauréfon cœur de part en part.
Car la voyant en l'habit qu'elle porte. Ne peut garder que defir ne l'emporte Hors de raifon, qui par le faux-femblant Toute fe perd hors de lame s'etnblant. Rien ne luyfert de fonger apar elle, Comme il eft vray, que c'eft vne femelle : Mais d'autant plus que vain eft f on defir, Plus à fon mal elle prend de plaifir. Se deut, fe plaint, crie, f ouf pire, pleure: Tantofi bénit, & tantofi maudift l'heure Que rencontra l'obiet de fon malheur: Puis en ces mots dégorge fa douleur:
Qiielle douleur fut jamais fi cruelle. Que ccfie-cy, qui mon efprit mar telle. Ne foit plus grieue? Amour, puis que mon heur Et mon repos t'cfioit à contrecœur, Tu me deuois trauailler d'vn martyre
DES POEMES. 2iÇ5
Aconjlumé, que ton arc commun tire,
Sans deffiis moy la nature forcer
Pour mon tourment de dcfpoir renforcer.
Mon defir fuit la façon naturelle:
On ne voit pas que femelle à femelle
Les animaux s'entrefacent l'amour:
Les doux oyfeaux qui nichent dans la tour,
Le befîial qui l'herbage paflure,
Et les poijfons ploy ans fous la nature,
Femelle au ma/le aparie^, fe vont
Entrechercher, & leur enjance font :
Et folle moy femelle malheureufe,
D'vne femelle, helas ! fuis amoureufe.
Toute autre amour, foit ou bon ou mefchant,
A quelque but fon mal va relafchant.\
Le mien me tient hors de toute cfperance
De recueillir le fruit de jouïjfance.
Pafifaé peruerfe trouua beau
Au temps jadis dedans Crète vn Toreau:
Villainement elle fut amoureufe.
Mais en cela plus que moy fut heureufe :
Elle femelle vn ma/le dcfira,
Et fon amy par fineffe attira
Pour en jouir fous vue feinte vache,
Où non en vain furieufe fe cache.
Reuole auec fon pennage ciré
L'ouurier Dédale: à mon cœur martyre
Qiiefcra-til? pourra-til de femelle
Par fon bel art me faire ma/le ou elle?
Si ie pouuoy {mais helas! ie ne puis)
Faudrait tuer cefle flamme où ie fuis.
Ainfi fe plaint l'amante Fleurdepine, En larmes fond, fe frappe la poiârine, Rompt f es cheueux. Bradamant de pitié Tafche l'ofler de fi folle amitié.
Reuien à toy, reuien à toy, dit elle, Chajje de toy cefle chaleur nouuelle Qiii ejlfi folle, & hors de tout moyen
'7'
206 V. LIVRE
Et de confeil :fi ne t'abufes bien, Si n'es du tout de fens abandonnée, Tu conois bien & vois qui tu es née, Et qui ie fuis : ne corrom point les loix De la nature : aime ce que tu dois E/tant femelle : & penfe qu^efperance Joint & foujlient Vamoureufe alliance: En ce que fais l'efperance te faut : « Efpoir ejl vain où nature défaut. Sont mots perdus : car elle qui defire Non reconfort, mais fecours, fe martyre De plus en plus. Dans l'Océan le jour S'alloit plonger : & la nuit àfon tour Venant au ciel, à faire la retraitte Les conuioit : alheure la pauurette Pri' Bradamant pour fa peine alléger De s'en venir aiiec elle loger. Ce qu'elle fit : & là fut recueillie De Fleurdepine en toute courtoifie: Qui la veflant de féminin habit. Pour damoifelle à tous la decouurit. Tant pour n'auoir trouué nidle allegence La regardant en virile apparence, Qiie pour ofler toute l'occafion De mal p enfer de fon affedion: Et ce faifant (mais c'efl en vain) cffaye De refermer la douloureufe playe. Qu'elle reçut du mafle accouflrenient, Par luy reuoir féminin vefiement.
Toute la nuit elles couchent enfemble, Mais le repos des deux ne fe refcmble. L'vne dormoit : de l'autre gemiffant De plus en plus le mal va s'aigriffant : Le lit luy efl vn dur champ de bataille : Son cœur bouillonne, & fon efprit trauaille Et fi par fois vn fommeil ennuieux D'vn voile noir ferme fes trifles yeux, Il dure peu, voire ce peu qu'il dure
DES POEMES. 267
EJl plein defonge & de menfonge pure, Dont lefemblant à/es defirs renient: Sa Bradamant de femme homme deuient.
Comme vn fieureux {dont la gorge ejl bruflee D'ardante foif) quand fa vue efl voilée D'vn lent fommeil, en dormant ramentoit L'eau qu'il defire : ainfi fe prefentoit A Fleurdepine en fonge fa penfce Comme auenuë : & tout foudain laijfee Du fomtne & fonge, elle allonge la main, Et tafîant bien, trouue le fonge vain. Combien de vœux & combien de prières Fait à Mahon, qui ne luy vallent guieres. En fouhaittant que Bradamant il ffi Homme parfait qui f on aife parfifl.
En tels fouhaits auffi vains que fumée, Pleins de douleur, la nuit fut confumee: Mais quand le jour le monde eut decouuert De fa clairté, Fleurdepine qui perd Ce qu^elle aimoit, augmente fa triflejfe: Car Bradamant de la grieue dctrcffe Qiii l'emprejfoit, cherchant fe dépêtrer, Prent tofl congé : l'autre fait accoutrer D'vn harnois d'or vn beau ginet d'Efpagne Qii'elle luy donne : & promte Vaccompagne Dehors la ville où l'adieu s'entredit.
Enfon chafleau dolente fe rendit La pauure amante: & Bradamant enjoye, De fa maifon tire la droitte voye : Et pique tant que de jour arriua A Montauban : là où elle trouua Sa mère trifle & fes frères en peine Pour fon abfence : oii le dueil qui fe meine Se tourne en fefle à ce joyeux retour.
Frères & mère elle a tout-alentour A la fefler, qui en joyeufes larmes A qui pluflofl, la deueflent des armes. L'armét oflé tous furent étonne^
268 V. LIVRE
De ne trouuer fes cheueux cordonne^ç, Qiii longs fouloyent, trouffe^ deffus le fejie De fon beau chef, lity enceindxe la tejle: Et fi rejloyent émeriieille^ de voir Tout autre habit que ne foulait auoir.
Or Bradamant conte fon auanture De point en point, & premier fa bleffure: Apres comment fon poil elle tondit, Et comme errant vn tems elle attendit Qii'il luy reuint :la chajfe & la rencontre De Fleurdepine : & l'amour qu'elV luy montre, Amour bien folle: & comme elle logea Dans fon chafleau, & comme en délogea. Là Richardet, fis d''Emon, jeune frère De Bradamant, Voyant dire s'altère De promte ardeur, luy qui auparauant Auoit pu voir l'Efpagnole fouuant En maint endroit, & d'Efpagne S- de France. Non fans gonfler quelque gaye plaifance Dedans le cœur d'vn amour chatouilleux Qu'elle dardoit du regard de fes yeux: Mais n' auoit pas laiffé prendre racine A ce defir, craignant d'auoir l'efpine « Et non la fleur : car fans jouir aimer f Efî fans efpoir de recueillir, femer.
Or quand il vit occafion fi belle, L'ancien feu foudain fe renouuelle, Qiii l'auifa [quand fouuent pour fa fœur On V auoit pris) que l'accès ferait feur Vers Fleurdepine : & quoy que fufl ru\ee, Qii' elle ferait aifément abufee, Quand le verrait au mefme accouftrement Qii'elle auoit veu fa belle Bradamant. Il fe refoult, fait qu'il vienne ou qu'il faille A fon deffein : & dit qu'il faut qu'il aille : Ne 5'cn decouure à nul autre, & ne prend Canfeil d'vn autre en ce qu'il entreprend Va s'accoiifirer, €■ des viejmes armures
DES POEMES. 269
Qti'auoitfafœur, & des me/mes vejlures: Prend fon chenal, s'achemine la nuit: Autre finon Amour, ne le conduit. S'en va trouuer la belle Fleurdepine Dans fon chajleau, deuant que la tnarine Eujî dans fon fans le Soleil retiré. Heureux celuy qui de luy defiré, Peut le premier à la Princeffe belle, Venir porter lajoyeiife nouuelle, Efperant bien pour meffage fi bon Gaigner fa grâce & rapporter vu don.
Tous le prenoyent pour fa fœur, tant de face Luy refembloit, & d'habits & de grâce: Soudain après Fleurdepine au deuant De luy s'en vient, & va le receuant Le bien-veigner auec tant de careffe, Si gay vifage & fi grand' allegreffe. Que plus ne peut : luy jette fes beaux bras Autour du col : témoigne le foulas Qui tendrement dedans le cœur la touche: L'etreint, le ferre & luy preffc la bouche D'vn long baifer. Dieu fçait fi le cœur chaud A Richardét d'aife & d'amour trefaut. Luy prend la main, en fa chambre le mcine, Ne veut fou ffrir qu'' autre prenne la peine Le defarmer, S- fi fait promtement Luy apporter vn riche habillement. Et tout ainfi que s'il fuft v ne fille De-feminin accoufirement Vhabille, Dvn re:{eul d'or luy couurant les cheueux.
Le fils d'Emon modefiement fes yeux Et baiffe & tourne : & curieux agence Son mol regard, fa marche & contenance Et fon parler, de fi fine façon Qiie nul n'en prend aucun mauuais foupçon. Puis vontfortir dans v ne f aile grande Où de feigneurs & dames vne bande Les attendoit, qui auec grand honneur
270
Les recueillit. Là quelque homme de cœur Gaillard & gay îrotnpé de la femblance De Bradamant, d'yeux amoureux élance Regards lafcifs, & dedans fon cfprit, Richard qui fait bonne mine, s'en rit.
La nuit ayant f es ténèbres jettees Par l'air obfcur, quand les tables ojlees Eurent fait place au bal qui peu dura, Lors Flcurdepine ardente n'endura Qiie Richardet luy declarajl l'auance De fon retour: mais elle le deuance Et le conuie à coucher celle nuit Auecques elle, & dans vn me/me lit.
Qiiand d'auec eux fe furent retirées Dames d'honneur & filles bien parées : Et les feruans & feruantes dehors Furent fortis de celle chambre : alors Au jour que font les flambeaux, toutes nues Dedans vn lit fe trouuant deuefluës, En vn cotté la faujfe Bradamant, De Vautre part Fleurdepine : Vrayment {Dit Richardet frétillant de grand' joye) Vous ne penfie^ quand ie me 7nis en voye Pour m'en aller, Madame, vion retour Eflre fi près : le jure voflre amour, Qiti m'efl plus cher que nefl ma propre vie, le ne feindray de ma promte partie L'occafion, & le motif heureux De mon retour des plus auantureux.
Si j'euffe peu faifant cy demourance A voflre mal donner quelque allégeance. Si j'euffe peu voflre ardeur fecourir, l'euffe voulu viure férue S- mourir Auecques vous, fans que ie pourfuyuijfe Vn plus grand heur que vous faire feruice : Mais vous voyant de m'auoir empirer. Ne pouuant mieux, conclu me retirer.
Or m'en allant, m'écartay d'auenture
DES POEMES. 271
Au plus efpais de la forejl obfcure
Loin du chemin : oîi d'vne dame j'oy
Sonner vn cry plein de piteux effroy,
Criant à l'aide. Accourant là j' au if e
Vn Faune fier, qui d'aguet auoit prife
La damoifelle, ainfi que dedans l'eau
Elle nageoit au plus clair du ruiffeau,
Les membres nuds : Et le méchant fauuage
Afriandé à l'inhumain carnage,
L'alloit cruel viue & crue manger,
Quand furuenant ce monfire bocager
[Ne pouuant mieux) d'outre en outre ie perce
De mon ejloc. Il chet à la renuerfe:
Lâche fa prife : & la belle d'vnfaut
Se relança dans le fons le plus haut
De la riuiere ; & tremblante s'arrejîe,
Monfirant fur l'eau tout le fein & la tejie :
Et quand elle eut recueilly fes efprits
Me dit ainfi: Vrayment vous n'aure:^ pris
En vain le foin de me fauuer la vie:
Dittes dequoy vous aue\ plus d'enuie,
le le feray. Moy Nymphe que ie fuis
Viuant dans Veau maint miracle ie puis :
Mes charmes forts la Lune font defcendre.
Le feu ie fay comme la glace prendre,
le fay trembler la terre s'il me plaifi,
La mer grondant, fi ie parle, fe taifi.
Qiiand Ventendy fon offre, & moy bien aife: Et ne l'ay point requife quUl luy plaife Me faire auoir plus de bien & d'honneur Ou de vertu: que reuinfe vaincueur De tous combats : feulement luy demande, Qjii m'efi bien plus, que de fa vertu grande Par tel moyen qu'elle fçaura choifir, Soit accomply vofire amoureux defir. le n'eu fi tofi ma demande acheuee Qiie la voyla plongée S- releuee : Et fans me dire autre chofe,foudain
272 V. LIVRE
Piiifant de l'eau dans le creux de fa main, Et l'enchantant me la jette à la face, le la fenty, enfemble l'efficace: Nefçay comment ie change :ie le voy: le le fen bien, & fi ie ne le croy: Tvanfmué fuis en mafle de femelle: Et comme lors que fejloy damoifelle Suis toufiours voJlre:& nouueau Damoifeau Ne fuis pouffé d'autre deftr nouueau. Lors ie vouloy vous rendre obeiffance, Encor le veux-ie : employé:^ ma puiffance : Commande^ moy : ne pouuant ie vous fuis Tout dédié, mais plus quand ie le puis.
Qiiand Richardet eut acheué de dire, Comme il auient à celuy qui defire Long tems vn bien:& ne pouuant l'auoir Entre à la fin du tout en defefpoir: Mais s'il échet qu'après ilfeprefente. Et qu'il luy vienne, encores qu'il le fente, Le voye & touche, à foymefme ne croit: Son heur ainfi Fleurdepine mécroit. Penfe dormir, & dormant qu'elle fonge, Et que tout tant qu'elle tafîe efl menfongc. O Dieu, fi c'eji vn fonge menfonger, Fay moy {dit-elle) à tout jamais fonger.
Ny des tabours, ny le fon des trompettes Aux chauds combats des gayes amourettes De ces amans, le fignal ne donna: Mais ce tournoy Cupidon ordonna. Baifers mignards, & lafciues œillades, Enlaffements, moifures, accollades, C'efioyent les coups de ces deux champions: Et fi le lit fut plein de paffions Et de foufpirs & de grieues complaintes La nuit daiiant, lors de joyes non J'eintes Il fut témoin : de mille beaux defirs Là renaiffoyent mille amoureux plaifirs.
DES POEMES. 273
COMPLAINTE DE LA ROYNE MARIE.
AV SEIGNEVR SIMON NICOLAS.
VoY, Nicolas, d'vne Royne les plains Faits à la chaude: & qui lors n'etoycnt feints: Mais il nejl point de fi ferme douleur Qiii par le tems ne s'arrache d''vn cœur.
PovR Dieu ceffc^ : n'effaye^ par raifon Au mal que fay d'apporier guerifon : le vous fçay gré de vofïre bon vouloir, Mais ie ne puis laijfer à me doulcir.
Or ie vous pry ne plus vous trauailler Me defirant aider ou confeiller: Mon mal efl tel, que plus on tafchera De l'alléger, plus fe rengregera.
Las! ie le fçay, les pleurs ne peuuent rien Enuers la mort qui nVa rauy mon bien : On ne peut plus la vie racheter Puis qu^il liiy plaifl vne fois nous l'ofler.
Mais n'efperant que mon Roy qu'ay perdu Me foit jamais en ce monde rendu, le luy donray, ne pouuant faire moins. Mes pleurs qui font de ma douleur témoins:
De ma douleiir & de Ventiere aviour Qiii dedans moy font éternel fejour: Et les regrets qu'en mourant m'a laiffe:{, Par moy feront chèrement careffe:^. Jean de Baif. — II. iS
274 '^ ■ LIVRK
Tel ejl l'amour, tel le dueil, & l'amant N'ejl giiiere plaint qu'on aime froidement : Celuy auffi n''ejî guiere attaint au cœur Qiti peut borner à fon gré fa douleur. Le feu bruflant ne peut cfhe couuert En lieu fi clos, qu'il ne foit découuert: On ne pourrait empefcher que toufiours Du fleuue enflé la grand^ eau n'ait fon cours. Le feu caché s'accufant de fon bruit, Ou fait fumée, ou fa flamme reluit: Le fleuue gros fe fait voye à trauers Vne grand' digue, & la jette à l'enuers. Le dueil auffi dans ma poitrine enclos, Ne fe tiendra qu'il ne forte àfanglos: Et par mes yeux deux chauds fleuues de pleurs Courront toufiours dégorgeant mes douleurs. Qiti-que foye^ vofire confeil n'ay pris. O trop heureux, 6 non encore apris Aux hurts cruels de fortune, celuy Qiii donne loy aux trifiejfes aautruy! Celuy redouble & mon mal & mon dueil. Plus que deuant oiiure aux larmes mon œil, Ouure aux foupirs la porte de rnon cœur, Ouure ma bouche à pleindre ma langueur. Et qui pourroit me blafmer qu'à grand tort De regretter mon Roy, mon mary mort? Si ie faifois autrement, à bon droit D'impiété mon ame on reprendroit. Dieu n'y eft point [ce penfe-jc) offencé: Car ce mal-heur par luy m'efi difpencé: En ce mecheffajufiice me met, Et fa bonté le douloir me permet. De fait ou dit ie ne veux attenter
Contre fon vueil, mais ie vcu lamenter. Qite peut-on moins? fouffre:{ qu'en liberté Le mal-heureux pleigne fa malheurté. Au moins peuffé-je à Vaife foupirer, Peuffé-je au moins de l'eflomac tirer
DES POEMES. 275
En ma dolente & fanglotante voix, Tous les ennuis qu'ay reçus à la fois.
le le voudroy, pour vous faire apparoir L'occafion que fay de me douloir: Mais le grand dueil qui tout à coup s^emeut Romt mon propos, & rienfortir ne peut.
Vene:(,voye{, oye:^, mes pleurs & pleins, Et les voyans, croye:[ qu'ils ne font feins, Reconoiffe^ le gafl de ma douleur, Les yeux battus, cette palle couleur.
Dieu m'auoit fait quelque don de beauté, Mais aujourdhuy le foin m^en efl oflé, Ayant perdu mon feigneur & mon Roy, Pour lequel feul l'auoir ie defiroy.
Las, f en fuis veuue! O veuues.fi de vous Aucunes ont tant aimé leurs époux Lors qu'ils viuoyent, que viefme après la mort Les ont aime:^, fuyant tout reconfort.
S^aucunes ont entre l'efpoir de mieux Venues fenty le départ enuieu.v Ainfi que moy, au beau de leur Printems Lors qu'ils auoyent leurs defirs plus contens.
Vene:{ me voir, nos trifîejfes joignons, En dueil commun nos fortunes pleignons, Remplijfons l'air des foupirs de nos cœurs, Faifons couler vn fleuue de nos pleurs.
Mais entre vous, puis qu'il plaifoit à Dieu Durant mon heur qu'eujfe le premier lieu, C'ffl bien raifon qu'encores aujourdhuy Me f oit quitté le premier de l'ennuy.
O mon doux Roy, feul amy, cher époux, Pour qui dauant le viure me fut doux. Maintenant m'cfl plus que la mort amer, Perdant Vamy que feul voulois aimer!
Tu m'es rauy, la mort t'a deuancé A peine ayant ton Printems commencé : Tu m'es rauy, rauis font aiiec toy Tous les efpoirs, las, que ie projettoy!
276 V. LIVRE
Tu m'as laijfee, & rien après ta mort Ne m'ejl rejlé quvn piteux deconfort! Rien que de toy le trijle fouuenir. Que ie te jure à jamais retenir.
Plujloji ira toute chofe au rebours,
Les jours, les nuits: les nuits feront les jours Qiie ie foublie, & que ce vieil faucheur Qiii finit tout, finiffe ma langueur.
Mais comme on voit que les petits ruiffeaux Plus vont auant plus accroiffent leurs eaux: Auffi mon dueil plus auant il ira Ferme & confiant, moins il affaiblira.
Or fi du tems j'efpere quelque bien,
Non, ce n'efi pas qu'il me donne moyen De foublier, ne qu'il puiffe guérir Mon cœur dolent, fans me faire mourir.
Ce fera lors que ce long médecin M'approchera de mon heureufe fin, En me faifant quelque jour conceucir L'efpoir certain de bien-iofi te reuoir.
O ame heureufe, à fi là haut d'icy lufqucs à vous monte quelque foucy, Pren bien à gré ces pleurs & vrais ennuis. Le feul prefent que donner ie te puis.
A MADAMOISELLE VICTOIRE.
Si de fon fils Venus étoit en quefie, le lui criroy : Mère d'amour arrefie: le t'en diray la nouuelle bien feure. Ou dans vion cœur trouueras fa demeure,
DES POEMES. 277
Ou dans le fein de la belle Viâoire. Victoire donc, ô des Grâces la gloire Et des Amours, quand à vous ie dédie Amour fuitif, la raifon ie n'oublie.
Contre/ou _^/s vn jour Venus la belle Se courrouça : s'' enfuit d'auecques elle, Et tout dépit vagabond fe pourmeine Seulet, fans garde, oîi fon plaifir le meine. Elle durant le feu de fa colère N'en faifoit cas, après comme fa mère Le regretta d'vn doux defir atteinte, Qui de chercher fon cher fils Va contreinte. Elle courant de village en village Alla chercher fon petit Dieu volage, Qjielque chemin que Venus puijfe prendre Rien de certain elle n^en peut entendre. A la parfin, non du tout refroidie De fon courroux, à voix haute elle crie :
Qui me dira de mon fuyart nouuelle {C'efl Cupidon que mon fuyart j'appelle) Il receura de Venus pour fa peine, Non vn baifer feulement s'il l'ameine, Mais plus encor qu^vn baifer amiable.
Ce garçonnet efl bien fort remarquable : Tu le pourras entre vingt reconoiflre. Il n efl point blanc : fon teint tu verras eflrc Comme de feu :fcs yeux comme chandelles Brillent autour d'ardentes eflincelles: D'autant qu'il ha la parolle benine. Dedans fon cœur fa penfee efl maline. Il dit de Vvn lors que de Vautre il penfe : Ce n'ejl que miel le parler qu'il auance : Son cœur efl fiel : il efl impitoyable, Fier, dédaigneux, abufeur, variable, Menteur, trompeur : qui lors qu'il joue, braffc Ses cruauté:^ -.fa tefîc efl fri:{otce De beaux cheueux : fa face efl effrontée. Il ha les mains petites, & ne laijfe
278 V. LIVRE DKS POEMES.
D'en fraper loin quelque part qu'il s'adrejfe: Témoin fera que bien loin il en tire Le Roy Pluton, qui d'Enfer ha VEmpire. Son cors ejl nu, mais fon ame veflué De traïfons & fraude, n''efl pas nue. Comme vn oifeau il vole ayant des aifles De cœur en cœur des mafles & femelles : Son arc petit, S- petite ejt fa flèche, Deffus l'arc prefle à faire toufiours brèche : L^arc ejî petit, mais il ha grand'' portée, Car jiifqu'au ciel la flèche en efl portée : Sa trouffe d'or il a deffous l'aiffellc, Et dedans efl mainte flèche cruelle, Dont bien fouuent il me bleffe moy-mefme. Tout tout efl plein d'vn^ amertume extrême: Mais par fur tout vne torche qu'il porte, Qiii efl petite, £■ de fa flamme forte Ard le Soleil. Si tu peux me le prendre, Vien fans mercy garroté me le rendre: Et fi tu vois que de larmes il vfe, Garde toy bien, garde qu'il ne t'abufe : Et s'il te rit, amené & ne le laiffe : Si te voulant baifer il te careffe. Son baifer efl dangereux, ne Vattouche, C'efl tout venim,fes leures & fa bouche : Et s'il te veut toutes fes armes rendre, Te les tendant, garde bien de les prendre, N'y touche point: qui les touche il s'altime D'vn feu cruel, qui fans pitié confume.
FIN DV CINQ.VIEME LIVRE DES POEMES.
LE SIXIEME LIVRE
DES POEMES
HYMNE DE VENVS.
A M A D A M O I S E L L E
DE GHATEAVNEVF.
Noble Sang de Rieux, Si mes vers ne dédaignes. Nymphe, fi ta beauté par les Grâces compagnes EJl digne d'vn grand Dieu mériter le liaut cœur, A cet Hymne chanté prcjle quelque faneur.
MvsE, di-moy les faits de Venus bien-doree, La Deejfe mignarde en Cypre veneree. Qui pouffe vn doux defir dans les Dieux immortels, Et domte des humains tous les peuples mortels, Et les oyfeaux volans, & toute fauuagine Qu'en grand nombre nourrit la terre & la marine.
28o VI. LIVRE
Tout fent l'aigre foucy de la douce Venus, Trois cœurs tant feulement fe font toufiours tenus En franche liberté, qu'elle ne peut feduire, Ny par fes mois attraits à lafciueté duire. Le premier c'efl le cœur de Minerue aux yeux vers, Fille de Jupiter qui régît l'vniuers: Car les faits de Venus onc ne luy fceurent plaire, Mais bien Vœuure de Mars, l'exercice ordinaire Qiii plaifl à la guerrière : alarmes & combas, Efcarmouches, affauts, ce font tous fes efbas. Elle premièrement fe furnommant ouuriere Aux hommes fuflerrains enfeigna la manière De façonner le bois, & de barrer d'erein Les chars & chariots charpente^ de leur main : C'efl elle qui apprend aux pucelles tendrettes, Tout le temps qu'elles font clofes en leurs chambreitcs, Mille gentils labeurs, mettant Vhonnefîeté Dans leur chafle penfee, oflant Voifiueté.
lamais auffl Venus la riarde Princejfe Ne domte en amitié Diane ehaffereffe, Par ce qu^elle aime l'arc dont elle fait broncher Les befies qu'elle va aux montagnes chercher. Elle aime auffi la danfe, & les gayes hulees Qui refonent bien loin dans les creufes valees. Et le bocage ombreux, & la belle cité Des hommes bicn-viuans où règne l'Equité.
Le doux fait de Venus auffi n^efi agréable A la vierge Vejla, la fille vénérable Enee de Saturne: & par vouloir exprès De ce grand Jupiter, puis-nee par après: Neptune & Apollon tous deux amoureux d'elle Voulurent Vepoufer, mais jamais la Pucelle Ny voulut confentir, ains niant fermement Aplat les refufa, & feit vn grand ferment ( Qii'apres elle accomplit) en touchant à la tefle Du père Jupiter qui brandit la tempefle, Qji'à la chafte Dceffe à perpétuité Demeurerait l'honneur de fa virginité.
DES POEMES. 281
Le père lupiter en lieu de mariage Liiy donne vn beau prefent & fait cet auantage, Qii' elle fe placerait des maijons au milieu Choififfant le plus gras & le plus digne lieu : Qii\-n tous Temples aux Dieux la première honorée^ Par tous liommes aux Dieux elle fujl préférée. De ces trois Dames cy Venus n a le pouuoir Ny de gagner les cœurs ny de les deccuoir: Au refle il n'y a rien qui deuant elle efchappe De tout cela qui vit qu'enfin elle n'atrape: Nul ne la peut fuir, ny des Dieux bien-heureux Ny des hommes mortels, qui nefoit amoureux : Aie/mes elle a feduit la penfee ef garée De ce grand lupiter, à qui le foudre aggree. Combien qu'il fufl le Roy trefgrand & trefpuiffant, Et de trefgrand honneur deffus tous joui ffant : Toutesfois deceuant quand bon femble à la belle Son fage efprit gagné d'vne douce cautelle, El le fait aifément d'Olympe deualler, Et par amour en terre aux femmes fe méfier, Par fes rufes faifant qu^oublieux il dédaigne La prudente lunon fa fœur & fa compagne, Encore qu'elle paffe en parfaitte beauté Les Deejfes des deux, 6'- bien qu^elle ait efïé De Saturne le caut & de la bonne Ree, Pleine de majeflé & d^honneur, engendrée. Et lupiter fçachant toute l'eternilé Se foit fait fon mary pour fa pudicité. A Venus mefme vn jour il fit que fa penfee Fut d^amoureux defir doucement élancée A vn homme mortel de donner fon amour: A fin qu^elle ne peufl s'affranchir à fon tour Dliumaine affdclion, & qu'en eflant exempte La folajlre Cypris doucetement riante Seule entre tous les Dieux ne s'en allafl vanter De les auoir bien pu d'humaine amour domler, Les faifant engendrer en des femmes mortelles Des Jils qui font mortels, méfiant des immortelles
252 Vr. LIVRE
Auecques des mortels, & qiC elle feule ejloit
Celle qui fon amour aux hommes ne mettait:
Et pourcc lupiter a fon ame furprife
D'vn gracieux defir, V énamourant d^Anchife,
Qui pour lors pajtoureau par les roides coupeaux
De la montagne d'Ide, oiijourdent maintes eaux,
Menoit paijlre les bœufs dedans le gras herbage,
Aux heureux immortels rejfemblant de corfage.
Elle en fut amoureufe auffi tofl qu'el-le vit
D'vn merueilleux dcfir qui le cœur luy rauit:
Et s''en allant en Cypre en Paphos eji entrée
Dans fon temple odoureux, où. elle efl adorée:
Là elle s'enferma les portes rebarrant:
Les Grâces Vont lauee, & d'vn bafme odorant
Délicat & diuin l'ont toute parfumée.
Le temple fut empli de l'odeur embafmee
De Vhuile Ambrofien fouéf & précieux.
Qu'on luy auoitfacré tel qu'il faut pour les Dieux.
Venus aimant le ris proprement accouflree De beaux habillements :£■ richement parée De joyaux d'or fringant : vers Troye s'eflança, Et Cypre bien flairante en arrière laiffa: Puis defpechant chemin en haut par les nuages Defcendit en Ida, mère aux befles fauuages, Doit fourdent maintes eaux, & trauerfant le mont Va droit oîi d'Anchifes les longs eflables font.
Tout du long du chemin venoyent chérir la bslle Les Loups & les Lyons à la face cruelle, Auec les Ours velus, les vifles Lyepars Qui ne fc foulent point des Cheureux montaignars. Les voyant ellefent dans Vefprii grande joye, Et foudain en leurs cœurs vn doux defir enuoye, Qui les feit à V infiant accoupler deux à deux. Et s'en aller bourdir par les buiffons ombreux. Elle marchant toiifiours vient à la métairie, Et trouue feul apart près de fa vacherie Le bel Anchife Héros des autres écarté, Anchife à qui les Dieux donnèrent la beauté.
DES POEMES. 283
Luy tout fciil demeuré çà & làfe pourmeine Parmi la court fonnant de fa Lyre hautaine: Tous les autres vallets par les pajlis herbeux EJloyent alle^ aux chams à la garde des bœufs.
La fille à lupiter Venus debout fe plante Tout à coup deuant luy, à vue reffemblante Qiii ferait vierge encor de face & de grandeur, A fin que de la voir il ne prinjl quelque peur. Anchife la voyant émerueillé regarde Sa taille, fa beauté, fa veflure bragarde: Son guimple plus que flamme eflincelloit dehors, Bordé, femé par tout de ga^^erans retors Et de boutons luifants : Deffus fa gorge tendre On voyoit alentour de belles chaînes pendre D'or piolé d'email : & f on fe in délicat Icttoit, comme vne Lune, vn merueilleux efclat.
Anchife incontinent d'vn chaud deflr s'affole. Et vers elle tourné luy dit telle parole :
Dame, ie te falué, qui que fois, qui ainfi Des Deeffes t'en viens en ces maifons icy: Ou Diane ou Latone ou Venus atournee Ou Minerue aux yeux verds, ou Themide bien-nce, Ou que l'vne tu fois des Charités qui vont Accompagnans les Dieux & immortelles font: Ou des Nymphes d'icy qui ces bocages hantent, Ou qui le beau fcjour de ces hauts monts fréquentent, Et les fourgeons des eaux S- les valons herbeux: Qiiant à moy te dreffer va bel autel ie veux Sur quelque haut fommet en place decouuerte, Où en chaque faifon te feray mon offerte. Mais toy m'eftant propice encline à ma faueur, Fay qu'entre les Troyens ie foys homme d'honneur. Et fais à l'aduenir que ma race f.euriffe : Et des hommes aimé fay que long temps ie puiffc Voir la clarté du jour : & viuant longuement Au fueil de la vieilleffe atteindre heureufement.
A ce propos Venus refpondit en la forte : O le plus honnoré des hommes que f. apporte
284 VI. LIVRE
La grande terre leur mère, Anchife, ie ne fuis Aucunement DeeJTe ainfi que tu me dis. Pourquoy me penf es-tu fembler quelque immortelle, Veii que mortelle fuis, & ma mère fut telle? Mon père c'efl Otreus de nom bien renommé, [Il n'efî pas qu^ autre fois ne t'ait eflé nommé) Qiii commande aujourdhuy par toute la Phrygie, De chafïeaux bien mure^ & de cite^ munie.
Or ie fçay voflre langue & la nofîre, à raifon Que che^ Tros j'ay eflé nourrie en fa maifon Encor petit enfant par ma nourrice chère, Qui m'auoit prife es mains de ma trefdouce mère, Et c'efl pourquoy ie fçay voflre langage encor. Mais le tueur d'Argus à la baguette d'or Efi venu maintenant m'enleuer de la fefle De Diane, à qui plaifî de parcourre la befle: Plufieurs Nymphes enfemble £■ filles de grand lieu Par ébat nous dancions en vn rond, au milieu D'vn grand peuple infini. De là ie fu tirée Par le tueur d'Argus à la verge dorée, Qiii m'emporta deffus maints labeurs des humains, Et deffus maint pais non touché de leurs mains Ny rayé ny bafli, que les befies fauuages Hantent tant feulement par les cache:{ ombrages. Et comme il me fembloit [tant mes pieds furent hauts La terre ils ne touchoyent, mère des animaux. A tant il me difoit que j'efloy deflinee Pour eflre en mariage à Anchife donnée Pour fa première efpoufe : enfemble que j'efloy Prife pour engendrer de beaux enfans de toy. Apres t'auoir monflré, & m'auoir fait entendre Quelle fin ce voyage à l'inflant deuoit prendre. Le vaillant Tu-Argus s'en voilant de mes yeux Efl retourné là haut vers la troupe des Dieux. Mais icy deuers toy ie me fuis addreffee. Comme ce m'a eflé vue force forcée. Oii pour l'honneur de Dieu & de tes bons parents ( Car tel tu ne pourrois eflre ijfu des mefchans)
DES POEMES. 285
Me prenant [moy qui fuis auec mon pucelage. Et qui nefçay d^amour ny l'ejfay ny l'vfage ) A tes mère pudique & père monjlre moy, Et tes frères qui font de mefme fang que toy, [Car ie ne feray point honte à ton parentage) Pour voir fi ie feray digne de ton par âge. Mais foudain il te faut en Phrygie enuoyer Vers ma mère dolente & mon père, vn courrier: Et puis ils t'enuoiront de l'or en abondance Et force draps tiffus, louant noflre alliance. Or tous ces beaux prefents te faudra receuoir : Et après tout cecy tu feras ton deuoir D'apprefîer de la nopce vn feflin de lieffe, Aux hommes & aux Dieux enfaifant allegreffe.
Venus parlant ainfi fe fentoit dans le cœur Chatouiller jufqu au fond d^amoureufe douceur: D'autre part Anchifes qu'vn defir mefme affolle, S'' enhardit de luy dire vne telle parolle.
S'vne femme efl ta mère, & mortelle tu es, Si Otreus efl ton père ainfi que tu le fais, Si l'immortel Mercure a conduit ce voyage. Afin que tu me fois donnée en mariage, Nul ny homme ny Dieu ne pourroit m'empefcher Qu'en ton amour méfié ie ne faille toucher, Icy tout maintenant : quand Apollon, qui jette De fon arc argentin au loin mainte fagette, Meffagere de mal, s'en viendroit à Veffroy Luy-mefme décocher fcs flèches contre moy: le fuis content après [à femme qui es telle Qite ta beauté te fait fembler vne immortelle) Sifay pris dans ton lit les amoureux ébas, De defcendre au palais du noir Pluton là bas.
Cecy dit, il la prend par la main & la tire ; La Deeffe Venus, à qui plaifi le doux rire, Marchoit tournant la face ayant le front baiffé. Oit le lit du feigneur fouloit eflre dreffé De mattelats mollets & de mantes lanijfes, Et tendu par deffus des fauuages peliffes
286 VI. LIVRE
De gros Ours montagnars £■ rugiffans Lyons, Qu'il aiioit affommes^ de fa main par les mons.
Qitand ils furent entre:{ dans la chambre parée, Premier tous les joyaux dont elle efloit dorée Deffus elle il deffit, boucles S- ardillons Et ga^erans retors & chaînes & boutons. Apres il defnouafa propreté ceinture, Ei puis la dcfpouilla de fa belle veflure: Et fcs riches habits à grand' hafle rangeant Il mit fur vn placet ferré de doux d'argent. Anchife puis après par fatale ordonnance Et du vouloir des Dieux receut la jouijfance De Deeffe immortelle, efîant homme mortel, Sans cognoiflre fon heur n'attendant rien de tel.
Mais lors que les pafteurs ramènent aux eflables Des herbages fleuris les brebis amiables, Et les bœufs remachans, alors deffus les yeux D\inchife elle répand vn fomme gracieux : Et defes beaux habits la Deeffe gentille Ses membres délicats entièrement habille: Puis s'eflant habillée en beau lieu fe plaça Sus vn placet faitis, & fe contenança Tenant la tefle droitte : Vne beauté diuine En fes joués reluit qui de Venus efl dine : Lors de fon doux fommeil elle romt le repos, L'appellant par fon nom: & luy tient ce propos:
Debout Dardanien: qu'as-tu que tu fomeilles D'vn fomme fi profond qu'à peine t'en éueilles? Pren garde fi ie femble efire telle comment le me fuis apparue à toy premier evient. Comme elle l'appelloit, en furfaut il s'éueille Entendant fa parole : & pafmé s'emerueille, Voyant la belle gorge & les yeux de Venus. Long temps fur ces beauté^ les fiens il n'a tenus, Ains les a defiournei : & deffous la couuerte Soudain fa belle face a voilée & couuerte: Puis en lafuppliant de fon humble parler. Hors de fa bouche il fit ces paroles voler:
DÉS POEMES. iêj
Si tojl que ie te vi premièrement, Princejfe, Deflors ie cognii bien que tu e/lois DeeJJe: Mais tu vie le nias. Pour Dieu ie te fuppUj Vif entre les humains ne me laijfe en oubli Comme homme de néant : ains fois moy pitoiablé : Car l'homme ne doit pas viure icy miferable, Qiti i7iortel a receu tant d'heur & de crédit, Qiie d'efîre parvenu des Dec-ffes au lit.
La fille à Jupiter la parole a reprife: O, le plus honnoré de tous hommes, Anchife, AJfure toy, ne pren nulle creinte en ton cœur: Tu n'as occafion d'auoir aucune peur, Qii'aucun mal de ma part à ta perfonne on face, Et moins des autres Dieux, car tu es en leur grâce: Tu auras vn cher fis à qui obéiront Les Troyens, & de qui des enfans fortiront, Et des enfans après d'vne longue lignée. Le fils que tu auras portra le nom d'Enee, Enfigne de l'ennuy qui m'efï venu faifir, Pour au lit d'vn mortel auoir mis mon defir. Mais on voit de tout tems que ceux de vofîre race Sont approchans des Dieux de beauté & de grâce Sur tous autres mortels. ladis pour fa beauté Ganymede le blond fut là haut emporté Par le caut lupiter en Vimmortelle gloire, A fin qu'en fon palais il prefentafî à boire Aux Dieux, fait échanfon [à voir miracle grand] Et chacun immortel honneur luy fait & rend Qitand le rouge neâar d'vn vafe d'or il verfe.
Tandis vn long ennuy l'efprit dolent trauerfe De fon cher père Tros, pource qu'il ne fçauoit Qiivn diuin tourbillon raid fon fils auoit. Depuis V auoir perdu toufiours il continué De fe pleindre & douloir de la perte auemic. A la fin Jupiter s'en compaffionna, Ec pour fon cher enfant vn prefent luy donna De chenaux hauffcpieds, pris du haras, doiifortent Les généreux courfiers qui les Dieux mefmes portent,
200 VI. LIVRE
De/quels le Tii-Argus du mandement exprès
De Jupiter luy fit vn prefent : puis après
Luy conta tout du long, comme il viuoit fans ce [Je
Immortel à jamais exempt de la vieillejfe.
Or dés l'heure que Tros ce mejfage ut oui,
Il mit fin à/on dueil, & s^en efi refiouï:
Et fur ces beaux cheuaux de legiere viteffe
Il s'alloit pourmenant plein de toute lieffe.
En la mefine façon Tithone fut encor Enleué par Aurore au fie g e efioffé d'or: Lequel efioit iffu de vofire noble race Semblant aux Immortels & de taille & de face, lupiter Roy du foudre elle va requérir De prolonger fa vie à jamais fans mourir: lupiter luy accorde, & parfait fa demande: Mais Aurore auoit fait vne faute bien grande, La pauure ne fçachant ce qu'elle fouhettoit, De qui le fimple efprit auifé ne s'efioit Demander pour Tithone à toufiours la jeuneffc. Et luy racler du tout la fafcheufe vieilleffe.
Or tandis que la fieur de la jeuneffe il eut, Le mignon de l'Aurore au fie g e d'or il fut, Faifant J'a demourance es confins de la terre Au bord de VOcean qui de fes bras l'enferré. Mais dés le premier poil blanchiffant qu'elle a vu Deffus fa belle tefie & fon menton barbu, La vénérable Aurore encommence dés l'heure Découcher d'auec luy, & voulant qu'il demeure Toufiours en la maifon, luy fait bon traittement De nedar, d'ambrofie, & de beau vefiement. Mais depuis que du tout l'odieufe vieilleffe L'ut gagné, le jettant en fi greue defireffe, Qii'à ce chetif vieillard défaillit tout pouuoir En fes membres perclus de leuer & mouuoir, A l'heure pour le moins elle auife en la forte Le tenir en la chambre & bien fermer la porte: Là fa voix fe renforce, & ne demeure plus Si foible que deuant en fes membres crochus.
DES POEMES. 289
Tel ie ne te voudroy, combien que jamais eujffes
A viure entre les Dieux, & qu'immortel tu fujfes.
Mais fi tu pouuois viure en l'ejlat où tu es
De taille & de beauté le gardant à jamais.
Qitand ie feroy de tous ton efpoufe appellee,
Et toy nojlre mary, ne m''en tenant foulée.
N'en auroy point de dueil : mais tout incontinant
La vieillejfe viendra d'aguet te furprenant,
VieilleJJe fans mercy, à tous hommes commune,
Pénible, malheureufe , otieufe, importune,
Des Dieux nicfmes hayé. Or j'auray quant à moy
Entre les Immortels grand vergongne pour toy:
Qiii parauant craignoyent mes mignardes eau telles,
Par qui tous Immortels à des femmes mortelles
le mefloy par amour : car à ma volonté
Tout chacun d'eux efloit par mes rufes donté.
Or entre eux maintenant ie n'auray plus courage
Me vanter de cecy : Pay par eflre mal fage
Grand blafme & grand malheur, d'auoir mis vn enfant
Deffous mon ceinturon, d'vn mortel me coiffant.
Or fi tofl que forti du ventre de fa mère Il aura veu premier du Soleil la lumière, Les Nymphes au beau fein montegnardes feront Nourrices de l'enfant, & qui l'eleueront : Nymphes qui aux deferts de ces montagnes viuent. Et ny les immortels ny les mortels ne fuiuent : Elles viuent long temps, & pour viure elles ont Vn manger non humain, dont leur pafl elles font. Elles fouuentesfois font par refiouïjfance Auec les immortels mainte plaifante dance. Silens & Tu-Argus qui de guetter a foin. Des antres écarte:^ dans le plaifant recoin Se méfient par amour auec ces Nymphes belles. Quand elles vont naiffant, enfemble auecques elles Ou des fapins tigeus ou des chcfncs branchus De la terre produits fur les fommets bojfus, Sont plante:^ beaux & verds : & leurs tiges facrecs Ce font aux immortels les touches confacrees : le an de Bai/, — II. 19
290 VI. LIVRE
OU ne feroit permis aux hommes de bu/cher.
Mais lors que de leur mort le temps vient approcher Les beaux arbres premier dans la terre fe meurent. Et leur feue fe perd tant que fecs ils demeurent : L' ef cor ce fe pourrit, toute la fime chet : Lors des Nymphes auffi la vie fe déchet.
Celles-cy nourriront mon fils en leur mefnage : Etfi tojl qu'il verra le printems de fon âge, Les Deeffes viendront V amener jufqu'icy, Et te monjirer V enfant : mais à fin qu'en cecy le ne te celé rien, tu dois encor entendre Qii'au cinquième an après ie viendray te le rendre : Et quand ce beau plantard verras deuant tes yeux, Te plairas de le voir tant reffembler aux Dieux.
Soudain il te faudra le mener dedans Troye. Et fi quelque mortel de fortune s'efmoye Qiielle mère t^a fait ce cher fils, ne fau point Suiuant ce que diray luy rcfpondre en ce point.
Ils difent qu'il efi né d'vne Nymphe incognué De celles par qui efi la montagne tenue. Là oii Vombreufe horreur de l'efpaiffe forefi De hauts arbres facre^ fon efchine reuefi. Car fil tu t'oubliois fil fort que par vantife Tu l'allaff es vanter, ou comter par fottife D'auoir eu la fiaueur te méfier par amour Auecque Cytheree au riche & bel atour, lupiter courroucé te viendroit mettre en poudre Dardant deffus ton chef fon efiincellant foudre.
Or ie Vay dit le tout qu'il tefalloit entendre: Mês-le dans ton efprit : garde toy de mefprendre. Et ne me nomme point : mais crein l'ire des Dieux.
Ce dit, en s'élançant elle faillit es deux. Venvs, ie te falué ô Royne redoutée, Princejfe, qui régis Cypre bien abitee. Ayant fini ton hymne icy ie cefferay, Et quelqu'autre chanfon ie recommencera}' .
DES POEMES. 291
LA SORGVE.
A MONSIEVR DE LA TOVR.
GoNDi, qui de plus d^vne grâce As de ma Mufe mérité, A fin que la mémoire en pajfe lufques à la pofierité, Sous ton nom coure la fonténe Oie le Toiifcan chante fa pêne.
O SoRGfE fontaine facree,
Qui par vn clair coulant ruiffeau, Comme verre, atrauers la pree, Belle & nette répans ton eau : Où Laure la gente pucelle A laué fa perfonne belle.
O toy le bien heureux ombrage Qiii t'egayes de rameaux verds : Dont ce bien mefuré corfage. Et ces beaux membres as couuerts: Oit Laure fa tefte a pofee, Et de fon long s'ejl repofee.
Et toy floriffante verdure,
Qiii dans ton giron amoureux As receu toute fa vejlure. Voire fon beau flanc vigoureux, Qui dans ton herbe plus cpaijfe Sa chaleur amoureufe laiffe.
Et vous petits vents dont les œles L'air ferén vont rafrechiffant : O vous touts les témoins fidèles De l'amour dont fuis languiffant,
292 VI. LIVRE
Vene^ voir en quelle manière le vous fay 771a plainte dernière.
Si la cruelle dejlinee L'a defia co77clu dans les cieux: Si c'cjl chofe deter}72inee Par le certain vouloir des Dieux: Qu'Amour d'vne 7nort {qui ii'ejt due] Dauant vous me fer7ne la vue.
Si fay toufiours eu l'ame entière, Detejlant la méchanceté, A ma demande la dernière Soit faite gracieufeté. le veu fans plus que voflre terre. Froid & 77ioi-t que feray, 7n enferre.
Si vous m'en donner ajfurance, le mourray gaillard S- de hait, Auecque la douce efperance D'acoi77plir vn fi bonfoukait. le ne fçay lieu que ie choififfe Oii mon efprit mieux ie rendijfe.
O s'il pouuoit échoir alheure, Qiie celle qui hâtant mon jour M'ofle de la claire de77ieure, Pour me chajfer au noir fejotir ! O fi corne elle efl coutut7iiere, Elle aporte icy fa lumière!
Si elle re77iarque la place.
Oit par ce beau jour biot-heurcux Elle me vit daua7it fa face Soupirer d'vn cœur langoureux : Si des yeux, dont t7tiUe amours tire, Elle 77xe cherche & me defire.
Si 77ie voyant efire pouffiere Entre ces piei-res enfermé, Dans la poitrine de la fiere Vn feu pouuoit efire allu77ié ; Et d'affeâion fi ardente Du fort ?ne l'auoir elle tente,
DES POEMES. 293
Qu'elle puiffe obtenir la grâce De me remettre l'ame au cors : Et qu'enuers les Dieux elle face Que ne foy du nombre des mors, Torchant de fa main blanche & nette Sa jou' de larmes toute moette.
En celle journé' defirée
Des gentiles branches plouiioit De fleurs vne nege pourprée, Qite fon beau giron receuoit: Qiii voloyent autour de fa tefle En figne de luy faire fefle.
Telle Venus s'ejouijfante Dans l'Idaliene forefl, Se couche à l'ombre florijfante Du mirte plaijant, qui fe vefl Toufiours d'vne fueillure verte: Venus rit de rofes couuerte.
Vne fleur luy baife la joué : Vne en fes cheueux blondelets, L'autre plus hardie fe joué Entre fes tetins rondelets. Vvne en paffant le nés luy touche: Uautre fa vermeillette bouche.
Vne volée de fleurâtes Chute dans l'herbe ne bougeoit : L'autre deffus les ondes nétes Du clair-coulant ruiffeau nageoit: L'autre d'vne ronde fecotiffe Corne vn tourbillon fe tremoujfe.
Vous euffie:{ oui le Zefire Par tout ce lieu folacieux, AJfe:^ ouuertement vous dire De fon murmure gracieux: C'efi icy vrayment que régente Du bon Amour la Mère gente.
Lors à par-moy trois fois & quatre, Ou elle {ce di-je) des deux
294 "^'- LIVRE
Vient Deejfe en terre s'ebatre Dans ce valon délicieux: Ou c'ejl quelque tendre Naïade, Ou c'ejl quelque blanche Oreade.
Tellement fa douce rudejfe, Tellement fa gaye vigueur, Et fa puceline fimplejfe , Et fon parler plein de douceur, Tout enfemble d'amour extrême M'auoyent enleué de moy-mefmc:
Que du profond de ma poitrine Tirant des foupirs chalureux, Corne plein de fureur diuine le dy haletant langoureux. En ce lieu par quelle auenuê Suis-je entré? quand fut ma venue?
Tant mon efprit éperdu erre, Corne fi je fuffe empenné, Il me fembloit que hors de terre Au ciel j'auois eflé mené, Pour viure en la joye éternelle Bien-heureux auecque ma Belle.
Depuis cette heureufe journée. Cette fontaine & fa frefcheur. Et cette verdoyante prée. Et ce bel arbre tout en fleur, M'ont fi folement enlacée. Et de telle Amour ma penfee.
Qiie fait que la nuit fombre chaffc De fes ténèbres le beau jour: Soit qu'au Soleil quitte la place Pour éclairer noflre fejour: Soit que ie viue ou que ie meure, le ne defire autre demeure.
DES POEMES. 29D
A PHELIPPES DES PORTES.
Il ne faut pas, 6 Mufe chère, ( Qiii te plais d'aller bien difant De ceux qui d''vnfoucy plaifant Outrent mon cœur) il ne faut taire Celuy qui d''vn foucy plus doux M'a blejfé Vame par fus tous, Pour fes vertus qui refplendijfent, Et qui de leur gentil honneur Tant à gré les yeux vieblouïffent, A moy qui feray leur fonneur.
A moy qui le carcan admire,
D'vn cabinet V honneur plus beau, Qid luit fur maint autre joyau Oit mainte pierre Ion voit luire : Là Vemeraude verdoyant, Icy le Rubis flamboyant. Le lacinte & la Cryfolite. Luy fe fent foudain attaché Sur vn beau Diamant d'élite, Qui retient fon regard fiché :
Ainfi tout rauy je regarde,
O DES Portes, tant de joyaux De tes vertus, qui brillent beaux Au trefor que ton ame garde. Là des Mufes le beau prcfent M'aueugle fur tous me plaifant, Et premier faute fur ma lyre, S'égayant d'y eflre fonné. Bien qu'vnfon ie ne fçache élire Qui vaille luy ejlre donné.
296 VI. LIVRE
Mais de ma peu hautaine Mufe, Ta douce & nette volonté D'vne gracieufe bonté Les petis prefens ne refufe: Car toy-j qui rond ne me déçois, Lors que mes chanfons tu reçois D'vn cœur ennemy de Venuie, Tu démens d'Afcre la chanfon, Qiii dit que des hommes la vie Nourrit l'enuieufe tançon,
Qiiand vn métier me/me ils pourfuiuent . Toy qui es vn fçauant ouurier Auec moy d'vn mefyne mejlier, Tu m'aimes, S- de ceux qui viucnt Le me/me métier rauaudans, La plu/part jaloux clabaudans Contre nous d'enuie fe creuent. Nojlre bon heur les fait creuer, Qjn mif érables plus fe greuent Quand plus ils nous tafchent greuer.
En ce monde cy chafque chofe Engendre ce qui la pourrit , Et dans fes entrailles nourrit En foy-mefme fa pefle enclofe : La rouille confomme le fer, Le bois fe mange par le ver, La tigne les vefîemens mine, Et Venuie d'vn mal-talent Nuifant dedans l'ame maline Le trahifi de fon venim lent.
Le méchant qui fe paifl d'enuie Souffre chet if double douleur, Greué de fon propre malheur, Et de l'heur qui pare la vie De celuy qui fuit la vertu: Tandis de tout heur deuefîu Contre foy forcenant fe bleffe, Bourrelé d'vn cruel ennuy.
DES POEMES. 297
Sentant oifiue la foiblejfe
De fa dent contre Vlieur d'autruy.
Mais qui veut aller au folage Tirant contre le clair Jlambeau D'vnjour luifant fcrein &beau, Sans traîner derrière vn ombrage? Mais, ô Des-Portes, voudrois-tu Tirer à la claire vertu Sans traîner, maugré ta lumière, Vne ombre noire d'enuieux, Qui n'obfcurcit que par derrière, Au deuant des plus troubles yeux?
V ombre la clarté ne deuance:
Les ouuriers qui font les meilleurs, Ne peuuent addonner leurs cœurs A machiner quelque nuifance Contre ceux qui en démarchant En mefme jour, vont decachant En leur ouurage leur mérite: Mais l'ignorant qui fuit de loin Des vertueux la courfe vijîe, Se traine enfon pénible foin.
Si les biens du cors & de l'ame Efloyent partis égallement, On yVorroit gronder nullement De ces malins le méchant blafne: Mais puis qu'ils ne font départis D'égal poix, toitfiours les petis Sur les grans s'enflent de rancune: Et toufiours le plus malheureux, Difgratié de la fortune, Creuefur l'heur du bien-heureux.
Toufiours le liège dejfiis Vonde Maugré le plomb, s'éleue en haut. Aux filets, que le pefcheur caut Traine aux eaux, & jamais n'afonde: Ny du palmier le roide bois Ne fléchit point deffous le pois :
19'
298 VI. LIVRE
Ny la gloire bien méritée Ne fe laiffe jetter en bas: La vertu non jamais dumtee Sous Venuieux ne ployé pas. Plus, d'vn vouge crochu Ion tranche Le tige verdoyant du houx, Plus vigoureux contre les coups L'' arbre fe peuple en mainte branche: Non Venuie, mais la pitié Au malheur joint f on amitié: le ne veux ejlre pitoyable : Des-Portes, il me plaijl bien mieux Ejlre heureufement enuiable, Que chetiuement enuieux.
h'h M O VR DE MEDEE.
A MONSIEVR DE MAINTENON.
Xv as voulu que je raconte en ryme Comme Medee en fa jeunejje prime, D'ANGENNES,/eiif du nouueau Cupidon, Premièrement la flèche & le brandon: le te complais, encores que bien rare le prenne en main cette mode barbare, Me plaifant plus aux nombreufes chanfons
DES POEMES. 299
Des vieux Grégeois, qu'aux modernes façons. Telle qu'elle ejï, puis que l'as demandée, Te vienne à gré cette ardente Medee, Qui Je va pleindre en ce vers rechanté Apres le chant qu'Ouide en a chanté.
Iazon déjà dans le palais d'Aëte Du Mouton d'or la demande auoit faitte. Et le labeur luy ejloit commandé Pour conquérir le joyau demandé. Du Roy Colchois en ce pendant V infante Couuoit au cœur vne ardeur violante: Apres auoir ores bien debatu Pour f on dcfir, ores pour la vertu. Quand elle voit qu^auecques lafagejfe De la fureur ne peut ejlre maitrejfe, Medee dit, Tu debas vainement, Nefçay quel Dieu te donne empefchement : le m'eynerueille, helas! que ce peut eJlre : le fen le mal, & ne le puis conoijlre: Seroit-ce point ce qu'on appelle Aimer? Car doù me vient que j^entrepren blafmer Du Roy mon père, ainji que trop cruelle La volonté? vraiment aufjï ejt-elle Par trop cruelle : & comment puis-je auoir Crainte pour vn qu'ores je vien de voir Le premier coup? & fi crain qu^il ne meure? Qui peut caufer fi grand' crainte fur Vhcure? Chajfe, Medee, hors de ton chaflc cœur Le feu conçu: racle cefle fureur, {Si tu le peux) de ton lafche courage. Si je pouuoy, je feroy bien plus f âge, Mais ie me fen d'vn violent émoy Toute enleuer & tirer maugré moy. Amour de Vvn, la raifon me confeille Soudain de Vautre, 6 peine non-pareille ! faprouue & voy ce qui efl pour le mieux, le fuy le pis : ô defir vicieux! Pourquoy bruflant, panure fille Royale,
300 VI. LIVRE
Vas-tu donner ton amour de/loyale
A V étranger? Comment defires-tu
D'vn autre monde vn mary non conu?
Tu trouueras en ce pais où mettre
Ton amitié: les Dieux peuuent permettre
Oii^il viue ou meure: Il viue toutesfois!
Le fouhaitter je le puis & le dois.
Sans que njoii cœur fon amour en luy mette:
Et quelle faute a jamais la^on faite?
Qiti, s'il n'efloit trop cruel fans raifon,
N'attendrirait pour l'âge de laiton,
Pour fa nobleffe & fa vertu? le refle
N'y eflant point, qui fa beauté celefle
N'émouueroit? Certes elle a pouuoir
Dans l'eflomac de 7iion cœur émouuoir.
Mais fi te faux de luy p refier mon ayde,
le le verray mourir fans nul remède :
Ou des Taureaux le feu l'enflamera :
Ou la moiffon cruelle le tu'ra
Par Pennemy engendré de la terre,
lettant fur luy tout le flot de la guerre:
Ou bien fera fait le repas piteux
Du goulu ventre au dragon impiteux.
Si deuant moy ce maffacre j'endure,
Faut confejfer qu'en ma poitrine dure
le porte vn cœur de rocher & d'acier,
Et que ie fuis fille d'vn Tigre fier.
Pourquoy mourir donc ne le regardé-je?
Pourquoy mes yeux de fa mort ne foulé-je?
Et que ne vâ-je eguillonner les bœufs
A renflammer encontre luy leurs feux?
Et que ne vâ-je encourager l'armée
Des fiers geans contre luy animée?
Et que ne vâfe enhorter le dragon
Toufiours veillant, pour deuorer Ia:^on?
due Dieu luy doint bien meilleure auenture!
Ce n'efi pas tout d'vne volonté pure
Luy fouhaitter du bien: mais or endroit
DES POEMES. 301
Luy pourchajfer par effet il faudrait.
Quoy? de mon père iray-je, déloyalle,
Ainji trahir la couronne Roy aile?
Et ne fçay quel étranger auolé
De mon fe cours fe verra confolé?
A fin qu'étant par moy fauf, il déployé
La voile au vent, & qti'vn autre en ait joye
En l'époufant? & que Medee icy
Porte la peine, helas! de tout cecy?
S'il pouuoit bien vn fi grand tort me faire,
QiCen prendre vn autre à mon defir contraire,
Qii'il meure ingrat : Mais la beauté qu'il a,
Et fon geyit cœur ne me promet cela.
Son œil deffend que j'aye deffiance
QuUl me deçoiue, ou mette en oubliance
Mon grand mérite : & puis il jurera,
Et me jurant les Dieux attefiera
Ains que rien faire : étant bien ajjuree
Qiie craindras-tu? tu as fa foy jurée.
Depefche donc & franchy tout arrefi.
A tout jamais Ia:{on redeuable eft
En ton endroit de fa propre perfonne
Et de fa vie : à toyfeul il fe donne:
Te prend à' femme : & folennellement
Eft ton époux : perpétuellement
Tih acquerras titre de fauuereffe :
Et bien veignee en trefgrande allegreffe
Tu te verras, des mères qui fçauront
Qtie leurs enfans de toy leur vie auront.
Donc par les vens hors d^icy emportée
Bien loin fur mer, dans la Grèce jettee, <
le quitteray fœur, frère, père, & Dieux,
Et mon pais? Ce font barbares lieux:
Mon père eft rude, S- mon frère en bas âge.
Et ma fœur efi tout d'vn mefme courage
Auecques moy : & puis vn Dieu trefgrand
Règne en mon cœur, qui ce fait entreprend :
Ce que ie cherche efi grand: ce que ie quitte
302 VI. LIVRE
N'ejl pas fort grand : ce n'ejl gloire petite Que de fauuer de la Grèce la fleur. Et ce n'ejl peu voir vn pais meilleur, Mieux cultiué, & ces illuflres villes Dont on nous parle, ars & façons ciuilles, Et ce Ja\on, pour qui [tant il m'cjl cliier) le quitteroy le monde tout entier. Egayant mary, bien heureufe cjlimee Seray de tous, & des Dieux bien-aimee Et des humains. Qiiand fa femme feray Du haut du chef les deux ie toucheray. Mais quoy? Ion voit fur les profondes vagues S'' entreheurter deux hautes roches vagues: Vne Charybde ennemie des naus Tantojl humer, tantojl vomir les flots : Mefme vne Scylle aux eaux Siciliénes Afpre glappir entourée de chienes Fieres à voir : ie n'auray point de peur Si vne fois ie puis auoir tant d'heur Qjie de tenir d'vne douce embrajfee Ce qu'aime tantifi de peur fuis preffee, Si fay frayeur, feulement ce fera Pour mon Ia\on, qui lors m''embraffera. Qjioy? Penf es-tu que cefoit mariage? A ton forfait, 6 Medee mal f âge [Pour le mafquer) tu donnes vn beau nom. Regarde, voy quelle grande traifon Tu entreprens : regarde, confidere Le grandj'orfait, & ta proche mifere, Si tu le fais : parauant qu'il foi t fait, Si tu le peux, garde toy du forfait. Elle auoit dit : Droitture & reuerance Deuant fes yeux renforçait la conflance Du cœur bridant : deuant fon bon propos Amour vaincu déjà tournoit le dos. Elle s'en va de fes paffions vuide Au vieil autel d' Hécate Perfeide, Qu'vn bois ombreux & fegret encouuroit :
DES POEMES. 3o3
Déjà l'ardeur plus ne fe decouuroit, Ains au dedans fous la honteufe crainte EJloit cachée & comme toute éteinte. Mais aufft tojl que Ia\on elle vit, La flamme morte incontinent reuit : Vne rougeur fes deux joués va prendre, Et par fa face vn grand feu fe répandre, Et comme on voit par le fouffle du vent Vne bluette affoupie dauant Deffous la cendre au deffus étendue. Se rallumer par la paille épenduë. Et s'augmenter prenant nourriffement Et fe remettre, à force du toitrment, En moins de rien, en fa vigueur première : Ainfi V Amour qui t'eujl femblé n'aguiere Déjà languir, déjà tout adoucy, Voyant la^on, par vn ardent foucy De fa beauté qu'elle voit en prefence, Plus violent que deuant recommence : Et de ha^art ce jour le jouucnceau Se montroit plus que de couflume, beau: Si qu'aifément Vaffeâion renée Pour fa beauté, luy eu ffe s par donnée. Le regardant, comme s'elle venoit Lors de le voir premièrement, tenoit Ses yeux ficlie:{ toufiours en fon vifage. Ne penfant voir [la pauurette mal-fage) Face mortelle ; & tant luy plaijl à voir, Ne peut de luy fon regard demouuoir. Incontinent que l'étranger commance D'ouurir la bouche, & tout priué s'auance lufqu'à la prendre & tenir par la main, Et la requiert que d'vn courage humain [Parlant tout bas) au bcfoin le fequeure, Et luy promet mariage. -fur l'heure Medee dit, refpandant larmes cTyeux : le voy mon fait: l'ignorance de mieux Ne me feduit, c'efi Amour qui me meine,
304 VI. LIVRE
Par mon moyen mis feras hors de peine. Quand tu feras dehors de peine mis, Fay d'accomplir ce que tu m'as promis.
la^on adonc promtement ajfermente, En attejlant la deité prefente Dans ce lieu faint : Par le père jurant De fon beau père :& fa foy raffurant Par luy qui fçait toute fon entreprife, Et fon iffuê, & l'amitié promife, Et les ha^ars auf quels il fe mettoit: Luy eflant creu de ce qu'il promettait, D'elle reçoit les herbes enchantées, Et d'elle entend les façons vfitees Pour s'en aider -.puis joyeux départant En fon logis s'en retourne contant.
HYMNE DE PAN.
AV SEIGNEVR DE BRAY
TRESORIER ORDINAIRE DES GVERRES.
Bray, libéral amy d'effet,
Pour le plaifir que tu m'as fait
Pren cette grâce petite, Qui après nous plus de cent ans, Difant qu'auons eflé d'vn tems Témoignera ton mérite.
DES POEMES. 3o5
Caliope à la belle voix, O Mufe habitante des bois De la fnne Olympiene, Et toy qui ton chef blondoyant Pares du laurier verdoyant, O race Latoniene: Au pié de ce beau chefne ombreux, Ou vene^ dans cet antre creux
Guider ma main fredonnante, De forte qu'en doux bruyant fon Elle reueille vne chanfon Sur ma corde refonante : Dont Vaccord pinfé doucement Retienne en ébayffement
La mère louue affamée, Qjii oublira fes louueteaux Affamei dans ces chefneteaux, Et fa quefle accoufiumee. Mon chant fi bien foit entonné, Qite le flot de Seine étonné
De douceur rauy s'arrefle,
Et que tout arbre l'écoutant,
Ententif aux vers fe voûtant,
P anche fon encline tefle.
Mais lequel d'entre tous les Dieux
Pour de ce chant mélodieux
L'orner deuons nous élire? N'ejl-ce pas toy Dieu des troupeaux, Amy des bois & des coupeaux A qui j'ay voué ma lyre? Soit donc fur ma lyre loué Le fis de Mercure auoué,
Pan le cornu le mi-befle. Oyei fa douce flufle oye:^ : Voye^ comme il branle, voye:^. Le pin qui luy ceint la tefle. Le voicy venir: ie le voy:
Les Nymphes, les Satyres foy :
lean de Baif. II -
3o6 VI. LIVRE
Loin, loin, qui fe fent coupable. Chacun, ô Pan n'a le pouuoir, O Dieu cheurepié de te voir, Tout œil n^enfera capable. Loin tout ce jour plaints S- douleurs, Loin tout ennuy, loin toutes pleurs .
LieJJe y ejl ordonnée. Pajfon-le, pajfon-le en ébats. Sus danfon, fus drillon nos pas, Suiuans la notte fonnee. O Pan, fous les ombrages noirs Parmy les montagneux manoirs.
Au plat d'une haute roche {De qui nul errant berger et Par nul p affable f enter et
Ny fon troupeau ne s'approche) Tu dreffes, couplant le doux fon De ta mufette à ta chanfon, Le rond bal des Oreades, Qui de main en main carolant lette en l'air, la verdeur foulant, Gayment leurs gayes gambades. A ces plaudiffemens joyeux D'Echon les rochers enuieux De tous coJle\ rebondiffent: Les pins furfaillans doucement En double retentiffement
Par les monts leur aplaudijfent. Des Nymphes laffettes du bal La flotte après defcend au val
A la fontaine frechette, Oîi le riuage verdelet Du long du bruyant ruiffelet Fournit de molle couchette. Où le melilot fauoureux : Où les violiers odoureux,
Le thin & la marjolaine, De toutes parts embafment Vair,
DES POEMES. 307
Parfumé d''vn celejîe flair
Sous la Zephirine haleine: Làs'affied de rang ce troupeau: Là, toy reuejlu de la peau
De loupcerues mouchettees. Tu rampes d'elles au milieu, T'eflouïjfant d'ouir, ô Dieu,
En voix d^vn accord jettees. Comme le mejjager des Dieux, Quitant les hauts palais des deux,
Dieu blejjé d^aniour humaine, En Cyllene où ejl fon autel Immortel féru ant vn mortel.
Aux pafîis fes troupeaux meine. Comme là maiflre de fes vœux De fa Dryope aux blonds cheueux
Dormant aufein, il oublie Pour la forefl le ciel voûté: Tant fon cœur à luy mefine ofté
Amour à la Nymphe lie. Comme auec elle il fe méfia, Et la gente Nymphe de là
La neufieme Lune pleine. Son defiré fardeau mit bas: Et le poupard ne fouffloit pas
La douceur de l'air qu'à peine : Qitand les Dryades, qui efloyent Lors à ces couches, fe ynettoyent
A fuir toutes de crainte: Premier Lucine le laiffa: Sa mère mefmefe drejfa
D'horreur nouuelle contrainte. Voyant fon fils vn monflre tel, Qiii du fourchon de fon ortel
Efloit bouc jufques aux hanches: Au refle efloit tout homme, fors Deux cornes qui failloycnt dehors
De fon front comme deux branches.
3o8 VI, LIVRE
Mais fon père non ejîonné Seul ne Va pas abandonné,
Ains rajfeura les craintiues: Où fuye^ vous pleines d'effroy, O Nymphes, dit-il, vojlre Roy En allures fi hajiiues? Demeure^: voicy vojlre Dieu : C'ejl à luy tout champejfre lieu:
Honore:{-le dés cejle heure. OeJÎ luy qui doit les bois ombreux, Les champs, les monts, les antres creux Retenir pour fa demeure. Et c eft luy qui d'eaux ondoyans Et qui d'herbages verdoyans Paijlra les brebis foiblettes: Qui nommé garde des troupeaux Crefpera leurs efpejfes peaux, Mouffant leurs toyfons molletes. Le bejlailfcra bien gardé Qid paijlra l'herbe, regardé
Par luy d'vne œillade fainâe : La louue ne le rauira : Ny Vœil forcier ne luy nuira: Ny r herbe de venin teinâe. Heureux le roc, le bois heureux. Oit bruira fon chant doucereux :
Soit qu'aux voujles ar^urines Flamboyent les ajlres ardans: Soit que le jour fe plonge dans Le gouffre des eaux marines. Alors les ajlres par les deux Rebrilleront à qui mieux mieux :
L'air fcrenera fa face :
La plus ji ère eau fe calmera:
Flore de fleurs parfemera
Toute la voyfine place.
Ny Voyfeau blanc qui fur le bord
Delà Touure chante fa mort:
DES POEMES. Sog
Ny l'oyfeau qui fur la branche, Gemijfant fon meurdre cruel, D'vn latnenter continuel
En doux fredons l'air detranche, Sa chanfon n^égaleront pas. Sus arrejle:{ doncques vos pas
O troupe ore en vain poureufe: Vn tems viendra qu'à meilleur droiâ Maintes de vous en maint endroid
Fuire:{ fa courfe amoureufe. Ce dit Mercure. Puis après De fon fils s'aprochant plus près
Dans vn Heure il l'enuelope: Et tout joyeux partant de là En diligence il reuola
Sur l'Olympienne crope. Il entre au milieu du parquet Et là déployé fon paquet
Deuant la bande celefle: Le père aux Dieux de joye épris, Le premier entama le ris
Mettant en train tout le rejle. Dedans fes bras Bacchus le prit: Le Dieu de Dele le chérit:
Et Venus, quittant fa place. Put de ce monflre gracieux, Affe:{ long temps fes haues yeux :
Puis baiffant fa rouge face, O Dieu mi-bouc, ô Dieu petit, Petit ores [ç'af elle dit)
Mais qui le plus grand dois eflre De tous les autres demy-Dieux : Croy garçon, croy, pour en tous lieux
Te faire à mes jeux adejlre. le iefaluë, ô Chewe-pié, De ce chant à toy dédié,
Attendant que ie façonne Vn vers, ô Dieu des pafloureaux.
3lO VI. LIVRE
Qiti joint au bruit des chalumeaux Bien mieux tes louanges fonne.
ATALANTE.
AV SEIGNEVR IVLES
G ASSOT.
'V ovT)ROYS-tu , doux G AisoT, entre vn millier d'af air es Importuns & prejfans, qui te font ordinaires, O des Mufes Vami, dérober le loifir Pour lire ce difcours, & t'en donner plaifir?
Dv temps des Héros fut l'Heroine Atalante, On ne fçait lequel plus en vitejfe excellente Ou parfette en beauté. Comme elle s'enqueroit A l'oracle d''vn Dieu du mary qu'elle aiiroit, Le Dieu luy refpondit : Fuy fuy la compagnie D'vn mary Atalante, & ne fen prenne enuie. Tu fen pajferois bien: ne t'en pouuant pajfer Toy-niefme en ton viuant te conuiendra laijfer. Defon defîin ouï la pucelle cfpouree, Par les buiffons toufus du monde retirée Vit en virginité: mais d'vn cruel marché Son noffage promis efl toufiours recherché. EU' dit aux pretcndans : Nul n'aura joui ffance De moy, fi parauant ma courfe ne deuance: Courei donques à moy: qui me deuancera Pour le pris S- pour femme il me fiancera : Mais qui ie pafferay, pour loyer faut qu'il meure: C'efl la loy du combat, où ie veu qu'on demeure.
DES POEMES. 3ll
Bien félonne ejî la loy, mais [tant peut la beauté!) Encor y a il pveffe à telle cruauté. Hippomene voyant la courfe dépareille, Entre les fpeâateurs, fe moque & s'emerueille: EJl-il homme [dit-il] fi follement épris Qui pour cJiaJJ'e vne femme atrauers tels périls? Blafmant des jouuenceaux la fureur exceffiue : Mais quand il vit fon trait, & fa face naïue, Et fon faitis corfage, & fes beaux membres nus [Car nué elle courait) dignes d'vne Venus, Il fe tut efpamé. Recouurant la parole, Pardonne:^ moy, dit-il^ ma reprife trop folle, O vous quefay repris: quand ie vous ay repris Ne cognoijfois encor de vos courfes le pris. Plus la belle il louoit, plus il la trouuoit belle, Et plus de feux d''amour en fon cœur amoncelle: Il fouhaitte que nul ne l'aille deuancer. Il creint pour fon honneur, puis commence à penfer. Faut-il que lâchement ce combat ie regarde Sans tenter la fortune : il n'a qui ne ha:^arde : Dieu conduit qui a cœur: Tandis qu'il difcouroit Atalante volant d'vnpas aiflé couroit: Et bien qu'elle femblafl décocher plus foudaine Que la flèche de l'arc, tout béant Hippomene Admire fa façon : car fa grâce croijj'oit, Et plus belle au courir la fille paroiffoit. Hachant menu des pieds luy volletoit derrière, Oii Jembloit voUeier la double talonniere : Ses longs cheueux efpars par le dos yuoirin Treluifoyent au Soleil comme Por le plus fin : Sous le fouple jarret la peinte banderole D'vn jartier ondoyant fur la greue bauole: Et parmi la blancheur des membres qu'elle eflend Vn incarnat rofin flambe s^entrejettant, Tel que celuy quon voit au rougiffant fueillage De la rofe nageant dejfus le blanc letage, Ou quand la rouge vitre ardante du Soleil Peint le marbre poli fi bien qu'il trompe Vœil.
3l2 VI. LIVRE
Tandis que Vejlranger à tout cecy repenfe
Et remarque des yeux ce qui donne accroiffance
Au feu de fon amour, la courfe mife à chef
La vierge veinquereffe emporte fur le chef
La couronne en grand fefle, & tous les per dans blefmes
Payent félon V accord les amandes extrêmes:
Mais luy non effroyé du trifle euenement
Des pauures jouuenceaux, fe refout promtement
Et fe prefente au camp, & V œil fiché fur elle
Hardi vient l'affaillir d'vne parole telle.
A ces tiltres d'honneur aife:{ à conquefler Sur hommes de néant cuides-tu t'arrefier? Prouue-toy contre moy: oufoit que te furmontc, Eftre gagné d'vn tel ne te fera point honte: Megareus efl mon père: Onchefie mon ayeul: Neptune Roy des eaux j'ay pour mon bifayeul : Et ie tay la vertu qui la race accompagne : Oufoit que la fortune ordonne qu'on me gagne, D' Hippomene veincu à ton nom demourra Vn glorieux honneur, qui jamais ne mourra.
Comme il difoit cecy, Schencïde amiable Arrefie dejfus luy fon regard pitoyable: Et com.mence à douter qu'elle aimer oit le mieux Qu'il fufi d'elle veincu ou bien viâorieux. Puisfoufpirant, Quel Dieu {dit-elle) aux beaux contraire Veut perdre ce beau fils, en le picquant à faire Cette folle entreprife, & de me demander, Et de fa chère vie à la mort hasarder? Non, ie ne vau pas tant : & fi ne fuis atteinte De fa beauté, combien qu'en dujfe eftre contreinie: Sa jeuneffe m'atteint : le ne porte amitié A laperfonne, mais l'âge me fait pitié. Quoy? n'eft-ce rien auffi de celle vertu grande Qiii de la mort hideufe à la creinte commande? Qiioy? neft-ce rien qu'il eft le quatrième conté Du Dieu fous qui fiechit l'Oceane domté? Quoy? n'eft-ce rien qu'il m'aime? & d'amitié fi forte Qjie mon feul mariage il eftime, de forte
DES POEMES. 3l3
Qiie viefme il veut mourir, Ji le contraire fort Me déniant à liiy le conduit à la mort? Garçon, retire toy tant qu'en as la puiffance, Et delaiffe de moy la fanglante alliance: Mon noffage eji cruel :y n^ejl fille, combien Qiie trejfage elle/oit, qui ne te voulujt bien. Mais doîi vient que pour toy tellement me foucie Tant d'autres mis à mort qui ne m'ont adoucie? A fon dam : meure donc : puis qu'il n'a profité De voir les autres morts par leur témérité : Puis qu'il n'aime fa vie. Et faudra-til qu'il meure Pour auoir voulu faire vne mefme demeure En viuant auec moy : <& qu'il periffe à tort, Pour loyer de l'aynour guerdonné de la mort? En lieu d' auoir honneur , ie feray diffamée : En lieu de bon renom, ie feray mal-nommee De gain fi malheureux. Mais fi mal t'en aduient Il ne part de ma faute, ains de la tienne vient. Pleufi à Dieu maintenant que defifier vouluffes, Ou, puis qu'es obfiiné, que plus vifie tu fuffes! Ha, que Ion recognoifi en ce vifage beau Du trait de Damoifelle entre le Damoifeau! Ha chetif Hippomene, & pourquoy m'as-tu veuë? Vne vie plus longue, ô pauuret, t'efioit deué: Mefme fi de ma part plus heureufe euffe efié, Et les defiins fafcheux ne m'eujfent rejette Bien loin de tout efpoir du trifie mariage, Trifie à moy feulement par vn maudit prefage: Vraiment tu es l'vnic & le feul qu'euffe eflu, A qui joindre mon lit f euffe plufiofi voulu.
Voila ce qu'elle dit, & comme encor nouuelle Et lors goufiant d'amour la première efiincelle. Ne fçachant qu'elle fait elle aime, & n'y confent: Elle efi pleine d'amour, S- fon amour ne fent. Et le peuple & fon père au champ de la carrière la demandoyent à voir la courfe coufiumiere, Quand le Neptunien de foucis empreffé Vers la douce Venus s' efi ainfin adreffé :
3l4 VI. LIVRE
le te pry Citheree, aujourdhuy fauorife Et meine à bonne fin l'amoureiife entreprife D'vn qui fe voué à toy : foiifiien de ta faueur Le feu qu'as allumé toy-mefme dans mon cœur.
La requefie foudain à Venus annoncée D'vn vent non enuieux, d'elle fut exaucée: Qui pour l'heure prejfant [car ils alloyent courir) Hafliue s'auança de tojl le fecourir. Dans Cypre la plaifante eft vne belle pléne, Qiie les gens dupais appellent Damafcene: Qui du terroir fertile eft le plus gras endroit, Où nul autre, finon la Decffe, n'a droit : A qui des bons vieillars de jadis fut laijfee A fon temple facré pour jamais annexée. Dans le milieu du champ eft l'arbre jauni ffant En fueilles & rameaux de fin or fplendijjfant : Là Cypris de fa mai7i cueût trois pommes dorées, Les porte à Hippomene & les baille, faces Si que nul qu'Atalante & luy feul les verrait, Et l'inftruit promptement de ce qu'il en ferait. Le fignal fut fonné quand à tcfte baiffee L'vn & l'autre décoche à la courfe drejfee. Coulant d^vnpied legier fur le fable afieuré Non merqué de leur trac. Tu tiendrais affeuré Qu'ils raferoyent les fiots fans fe mouiller la plante . Et que les épies droits fous leur courfe volante Tiendroyent coup fans fléchir : les cris & la faueur Du peuple, au jouuencel efperonnent le cœur, Courage là, courage : afteure, c'eft afteure Qii'il faut doubler le pas : hafte-toy, ne demeure: Boute, boute Hippomene, efforce toy : te voy Qu^auecque la vidoire Atalante eft à toy. Lan doute lequel plus, ou l'héros Megaride S'efiouit de ces voix, ou bien la Scheneïde. O quantesfois, combien qu'elle peuft le laiffer Et gagner le dauant, la ton veu relaijfer! Apres auoir long tems tins l'œil fur Hippomene Contemplant fa beauté l'en retirer à peine!
DES POEMES. 3x5
L'aïeine lity faillant hanfeus ilhalletoit, Et le bout de la courfe encores loin ejloit, Quand la première pomme il jette en la carrière: La vierge s'ébaït, & demeure derrière, Enuieufe du fruit qu'elle veut amajjer Qiii roulant t relui/oit : & luy de la paffer Et l'air de retentir d'vne longue huée: Elle de refournir la courfe entrelaiffee, Et regagner le tems d'vn galoper dijpos, Et remettre l'Amant à luy foufler le dos. Encores amufee au jet d'vne autre pomme Legiere auoit rateint & repaffé fon homme. Et rien que le dernier du chemin ne refloit, Qitand l'amant qui pantois derrière fe hafloit, Aide afleure [difant] ton dernier don Deeffe, Rua l'or à cartier par deuant fa maiflrejfe Boulant à trauers champ, à fin de s'échapper, Et qu^elle s'amufant ne le puijfe atrapper. De nefe defiourner la pucelle fait mine: Venus luy donne cœur, tant qu'elle s'achemine A leuer le bel or: Et pour mieux l'amufer Plus qu'elle ne pefoit la pomme fit pefer. Tandis qu'elle tardant du tiers joyau s'empefche, Hippomene hafiif la carrière depefche: Et premier que fa femme à la borne venu En rapporte vainqueur le loyer conuenu. Meritoit pas Venus qui luy fut tant propice, Qu'il la remerciafi d'vn fi grand bénéfice, Enccnfant fon autel? Vingrat qui l'oublia N'encenfafon autel ny l'en remercia. La Deeffe en courroux foudainement s'irrite Pour vanger cette offence: & du mefpris defpite, Par l'exemple d'eux deux, arrefie d'auifer Ceux qui viendront après, de ne la mefprifer. Les deux Amans paffoyent par vn arbreux bocage Où fut vn temple vieil, qu'Echion au vieil âge A la mère des Dieux de veu fait dédia. Là de fe repofer l'endroit les conuia
3l6 VI. LIVRE
Lajfe^ du long chemin : Là Cy pris fit fur prendre
D^vn dcfir importun de l'ingrat le cœur tendre
Au plaifir amoureux. Contre le temple ejloit
Vn fombre obfcur caueau, qu'vn roc naïfvoujloit,
Lieu deuot & facré de maintes imagettes
Des vieux Dieux départis par des niches retraittes
Dans le tufeau caué. Hippomene entré là
D'vn forfait exécré le faint lieu viola.
Les Dieux tournent les yeux : Et la mère entourée
Penfa de les noyer dans Styge tant jurée:
La peine luy fembla légère pour le fait:
Donc fans les mettre à mort leur figure défait.
En houpeaux de poil roux leur blonde cheuelure
Se change ajjfauuageant leur douillette encoulure:
D'efpaule & d^eflomac en large fe harpans,
Euide^ par le flanc défia panchent rampans :
En lieu de pie^ & mains, fur des pattes velues,
Arme^ en lieu de doits de cinq griffes crochues:
La queue longue rende ballie le fablon:
En la face chagrine eft vn courroux félon :
Leur parler & crier, eji de rugir & braire:
Autre talame n'ont que le bois leur repaire :
Et deuenus Lyons des autres redoute:^
Sont au char de Cybele attelé^ & donte:{.
EPITHALAME. A MONSIEVR D'ASSERAC
SEIGNEVR DE LA EVEILLEE.
AssERAC, à qui de la bouche Peithon fait le doux miel couler, Qui par l'oreille glijfe & touche Les cœurs d'vn gracieux parler,
DES POEMES. 3l7
Tu auras {ce croy-ie] à plaifiv Lire ton nom dedans mon liure. Mais quel vers pouuoy-ie choifir Plus digne pour t'y faire viure, Qiie ce chant dont fut honoré To)} mariage bien heure?
Ne vovs vL'Ei g fi'Ez plus que la Lune Meine trop lentement fon cours: Ny que la grand' clairté commune Traine comme à regret les jours. Le jour que tant vous defirie^, Qiii vous donnera jouiffance, Du bien pour qui vous foufpirie^, L'heureux jour de rejouïffance , Le voicy venir l'heureux jour, Qtii n'efî dédié qu'à l'amour.
Amour efl de ce jour le maijlre, Et tout cela qui l'amour fuit, Tout le bon & beau qui peut eflre Pour aider l'amoureux déduit: Le jeu, la joye, le plaifir, La paix, les grâces, la concorde. Ce qui trouble le doux defir Soit loing d'icy, loing la difcorde, La jalousie & la rancueur, Loing tout foucy, loing toute peur.
Heureux efpoux, efpoiife heureufe, Toy compagne d'vn tel mary: Toy de fille tant vertueufe Le feul compagnon fauori. Efpoufe, tu peux te vanter D' eflre en mary bien fortunée : Efpoux, tu dois te contenter De la vierge qui t'efl donnée, Riche de prefens fi diuins, De la main de nos Rois bénins.
L'heur que c'efl la bonne nature: Mais au double on doit efiimei'
3l8 VI. LIVRE
Quand vne bonne nourriture Au bien la fait accoujlumer. Il ne cognoi/l pas la vertu, Qid de Conan n'a cognoijfance, Qui de/on tems a combattu Et Vinjujlice & l'ignorance. Ton efpoufe ejl le fang aimé De ce Conan tant ejlimé,
Si d'vn bon père ejlant bien née, L^air commun à tous elle but, Tu la diras mieux fortunée Pour l'heur qu'en fon enfance elle ut, D'aprendre de l'honneur les loix, Entre les filles de la Mère Et de nos Dieux & de nos Rois De toute bonté l'exemplaire: Sa main te donne ce bon-heur, Qui n''efl pas vn petit honneur.
Qui ne fçait l'antique Noblejfe Du fang illujlre de Rieux, Qui fe maintient par la prouéffe De cent cheualiers glorieux? Vn de ce noble fang iffu, Qui ne dément d'aucune faute Sa race, qu'il ne foit reçu Où Ion marche la tefle haute, Luy de mille grâces orné Pour mary va t'efïre donné.
Quoy? voicy la fainte journée. Que defirie^ de fi long tems: A voir voflre grâce eflonnee, Encor n'efîes vous pas contens: Vous aue:{ le jour defiré. Mais non celle nuit defiree: Ce jour fera tofl expiré, Voicy la nuit tant efperee: Soye:{ prefls Amans bien-heureux : Arme^-vous au choc amoureux.
DES POEMES. 3l9
Combien que celle nuit venue Te mette à me/me ton defir. En liberté d^embraffer nue Celle en qui gijl ton feul plaifir : Defires-tu ce que tu as? En as-tu quelque deffiance? Les fouhets il faut mettre bas Depuis qu^on a la jouïffance. Amant, de tes vœus jouijfeur, Chajfe la crainte, tout ejl feur.
Pucelle, tu trembles creintiue, Et celle nuit, que tu foulois Dire trop lente, eft trop hajliue: Tu crains le bien que tu voulais: OJle cette honteufe peur, OJle la honte dommageable , Qiti te fait prendre à contrecœur Ce qui t'efioit plus agréable : Vierge, en horreur le bien tu as, Qu^ étant femme tu aimeras.
Sus, Amour, choify dans ta troujfe Vne fagette au fer doré, Trempé de la trempe plus douce. Toute de miel trefepuré : Le fût foit d^vn roufeau trié Entre les rofeaux de Madère, Droit, rondelet, & délié, A qui fa manne encor adhère: le voudroy que les empannons Fuffent deux pannes de pigeons.
Cette flèche d'élite encoche Sur le nerf de ton arc tendu. Entefe l'arc, & la décoche: ^'oy, j'oy lefon qu'il a rendu: La flèche promte foy voiler: Tranche le vent & le trauerfe: Elle fifle & fillonne l'air: Deux cœurs d'vn beau coup elle perce,
320 VI. LIVRE DES POEMES.
Deux cœurs de deux amans heureux, Autant aime:{ comme amoureux.
Viue^ en concorde amiable. Exerce:^ vous au jeu d^amour: Vn baifer longuement durable Soit l'approche de tel etour: La prouejfe de tes ayeux, Ryeux, en ce combat oublie, Pour d'vn courage gracieux Debeller ta douce ennemie: Tu l'auras la priant bien fort, Tu la vaincras d^vn doux effort.
Toi auffi la belle époufee, Ne fois trop rude à ton époux: Souffre, fi tu es auifee, Qii'il te gaigne en ce combat doux: Et n'vfant de toute rigueur, En fon endroit foy gracieufe: Croy moy, quand il fera vaincueur, Tu feras la viâorieufe: Vofire plus grand débat fera Faire à qui plus s'entraimera.
Pique:{ de fi louable enuie Mene^ ce débat bien-heureux Au dernier foupir de la vie, Tous deux aimans corne amoureux : Cueille:^ les vigoureufes fleurs De vofire gaillarde jeuneffe: Ioigne\ l'amitié de vos cœurs lufques à l'extrême vieilleffe. Et plus vos âges vieilliront^ Plus vos amours rajeuniront.
FIN DV SIXIEME LIVRE DES POEMES.
LE SETTIEME LIVRE
DES POEMES
A MONSEIGNEVR LOVIS
DE GONZAGVE DVC DK
NE VERS.
O l'honevr du fan g de Mantoué, Mon fiiport : il faut que te loué, Qjii ne t'es voulu contenter De la fplendeur de l'alliance Et de l'Empire & de la France, Dont ta race peut fe vanter. Toy riche des biens de fortune, Doué de grâce non commune, Noble, prudent & généreux. Tu voulus munir ton courage De vertu, lefeur héritage D'vn cœur hautain & valeureux : lean de Baif. H
322 VII. LIVRE
Que la force ny les antiées, Par qui les grandeurs ruinées Tombent en piteux deconfort, Ne pourront nullement abatre : Car tu as de quoy les combatre, Refijlant contre leur efort.
Par telle vertu tu fais tejle
Au fort, qui douteux ne s'arrefle, Qiie trejbien tu as maitrifé, D'vne par trop cruelle preuue! Mais jamais home nefe treuue En tout du fort fauorifé.
Me/me cet heureux Alexandre
Tachant d'ajfaut les villes prendre Les hasards plus grands a tentent Oit reçut bleffure & louange. Mais par h- blafme elle fe mange Pour fes courroux enfanglante:{.
On fçait'que Ccefar le grand Prince, Vaincueur de plus d'vne prouince. Tombait du haut-mal abatu: Mais ce mechef rare en l'hifloire, Ne pointant obfcurcir fa gloire Chét ébloui de fa vertu.
Qiiand le boulet ta jambe bleffe
Du cors tu perdis quelque adreffe : L'efprit en efl plus vigoureux. Tu es entier, confiant & fage : Et ton bien atrempé courage, Sort du malheur plus valeureux.
Si ne faut-il pas que ta grâce Enuers nos Mufes j'outrepaffe: Tu les aidas de ta faueur, Quand d'vne louable entreprife Par nous la Mu fi que remife Luifit en fon premier honeur. O bon Dvc, je ne pourroy taire Combien ton confeil a pu faire
DES POEMES. 323
Pour maintenir l'antique foy. Si elle vit non amortie France t'en doit vne partie, Loyal Confeiller de mon Roy:
Quand tu conduijis la vengeance, Raclant des mutins la méchance. Came dauant fauoy chanté Aux noces du grand Duc de Gvise. Quand d'vne royale entreprife Renuerfas le roc enchanté.
Là le forcier & fa cautelle
Font le faut d'vne feinte belle, Qui cachait vne vérité : Que le tems qui fait tout conoiflre. Au bout de deux ans fait paroijlre, Terrajfant l'infidélité.
LE MARIAGE DE
FRANÇOIS ROYDAVFIN
ET DE MARIE ROINE
d'ecosse.
A MONSEIGNEVR LE
CARDINAL DE GVISE.
Rien de ferme, ô Prélat : Le tems fuit corne l'onde Combien de changemens depuis que fuis au monde, Quin'efi qu'vnpointdu tems? j'ay vu le grand Françoi: Lors que Van quatorzième à peine je pajfois. le vy régner Henri, je vy celle auenture Le rauir au tournoy. le vy fa fepulture.
324 VII. LIVRE
le vy facrer fon fils Roydaufin pavanant, Dont les noces je chante. Il pajja corne vent. Pîh'sCharles mon grand Roy vint enfant à V l'.mpive .
Rien ne peut auenir en Vétat qui foit pire Pour le peuple S- le Roy, qu'ejlre en enfance pris Apelé pour régner. De làfourdle mépris: Le mépris aux malins engendre V oubliance Du deuoir, les mouuant à toute outrecuidance: Come ces déloyaux & turbulens peruers. Qui ont voulu jetter ce Royaume alenuers. Mais fans guiere tarder Charles vangeur &fage. N'a pas fi tofl ateint d'home le premier âge, Qii'il a vangé le tort à fon enfance fait, Faifant mordre la terre au rebelle défait. Or à fin que le tems la mémoire n'éface Par l'oubly parejfeux de chofe que Ion face, Voicy come François, qui tofl fe repofa, La Roine vofire nièce à Paris époufa.
Pevple reiouï tuy : que pour ce jour les armes Ayent relâche vn peu : Repofe:{-vous genfdarmes, Mette:{ bas la cuiraffe : & vous foldats auffi Auec le corfelet dépouil'.e:{ tout foucy. Il fe faut reiouir : que par tout on s'aprefie A paffer la journée en bien-heureufe fefie. O Paix du peuple aimée, aujourdhuy montre nous, Pour le moins aujourdhuy, vn bon vifage & doux: Voy nous, ô bonne Paix, & répanfur la France Tous les fruits & les fieurs de ton cor d^abondance. Mars, va voir ta Venus pour ce jour, & demain Remê-nous fi tu veux les armes en la main: Nous te fuiurons par tout : Si Vennemy fe montre D'vne telle fureur nous irons alencontre QiCil fera mis en route : & deuant nous efpars Les Bourguignons chajfe:^, fuiront de toutes pars
Mars, donne nous ce jour : où fe fait l'aliance, Qui joindra pour jamais l'Ecoffe à notre France: O mariage heureux, que Dieu veule lier Pour faire fous vn Roy deux royaumes plier :
DES POEMES. 325
Et non deux feulement, mais fans meurdrc & fans guerre A la France & VEcoJfe alliant l'Angleterre, O François, ton époufe vn jour puiffe à tes loix Par vn acord amy foumettre les Anglais.
Mais à fin qu'aujourdhuy le facré mariage De François & Marie auecque bon prefage S'acotnplijfe en tout heur, tous d^vn confentement Prions Dieu de bénir ce diuin facrement. Loin d^icy tout ennuy, loin d'icy la trijîcffe: Qu'on ne voye Jînon toute joye & lieffe: Nojtre noble Daujïn, premier fils de HeiVri, D'vne Roine à ce foir doit ejîre le mary : Et fe peut bien vanter d'époufer la plus belle Des Roines de tout iems. Car cette Roine ejl telle [Qiie bien qu'elle fujl autre) elle auroit mérité D'ejlre femme d'vn Roy : telle ejl fa magefié.
Sus, que toute la terre en cette faifon douce, Les dons du beau printems en grande planté pouffe . Pour fefîer ce beau jour : Le ciel ferein & beau Témoigne le bon heur de ce doux renouueau. Sus, Ninfes de la Sene alle^ en vos prairies Cueillir de vos beaux doigts les herbettes fleuries Des meilleures odeurs : S- fur les flots aime^ De voflre fleuue verd les fleurettes feme^. Tien-toy le vent Marin: l'Auton moite s'apaife: La Galerne foit coye, & la Di^e fe taife: Nulle aleine de vent ne fouffle en nulle part, Si ce n'eft de Zefir le ventelet mignard. Qiie l'Océan, qui bat le riuage d'Ecoffe, Soit calme célébrant cette royale Noffe: Que les Tritons joieux dans leurs creux limaffons En l'honcur de leurs Roys entonnent des chanfons : Les Néréides feurs par les marines plaines, Facent leurs jeux, nageans fur les dos des balaints. Les autres en vn rond fe tenant par la main Dancent, & deffus Veau decouurent tout le fein. Qiie le ciel étoile fauorifant la fefle En Vhoneur de nos Roys aflres nouveaux apreflc,
326
VIT. LIVRE
A fin qu'il n'y ait point ne foi t & n'ait ejié Vn jour de toutes parts plus faintement fijlé.
Qiielle foule eft-ce là? N'oy-je pas que Ion fonne Les hauboys & cornets? Tout le ciel en refonne. La pompe va marcher. Voicy les marie^, Qui d'vn facré lien veulent efire lie::;.
Nofire grand Roy Henri deffus la troupe excelle Comme le clair Soleil en plein jour efiincelle: La Roine Caterine entre les Dames luit Comme vne claire Lune en vne belle nuit.
Mais généreux Enfans d'vn noble & vaillant Père, Qiiand vous fere^ en aage, ô que vous deue^ faire De beaux faits vertueux, pour donner argument Aux Poètes d'alors de chanter hautement . Croiffe^ heureux Enfans: Voftre cœur magnanime Poffible vn jour fera des Poètes ejlime, Qit'on méprife aujourdhuy : maugré les enuieux Leur nom ne fera plus, corne il efi, odieux.
Qtii font celles après qui ainfi que Planètes Qiii fortent de la mer, luifent claires & nettes? Ce font MESDAUEsfœurs :puiffie\-vous vne foi'< Acorder vne paix qui acorde nos Roy s.
Voye:{-vous pas auprès la fœur du Roy la Tante Du noble Roidavfin? d Prince [Je excellante, Pour ton rare fçai'.oir S- fainte chafieté, Lefurnom de Pallas tu as bien mérité.
Mais qui efi celuy-là qui en fi douce face Porte vne magefié? s'il n'efi Roy, à fa grâce Il efi Prince dufang. Oefi le Roy Nauarroys, Le fion fieurijfant de Yefioc de nos Roys. le voy là fa compagne, enfemble l'heritiere Du fçauoir de fa mère, & des biens de fon père: O diuin mariage, où le plus grand débat, C'efi qu'à aimer le plus vn chacun fe combat. Ses deux frères ie voy : Vvn que Mars fauorifc. L'autre qu'vn faint chapeau doublement autorifc Le troifiéme y ferait : mais [maleureux defiin ! Ne troublons de douleur ce bien-heureux fefiin.
DES POEMES. 327
De Princes j'aperçoy vne belle noblejfe, La race des vieux Roys, de/quels la grand'' proiiéff^ Conquit lerufalem, la Sicile donta, Naples & la Calabre, & les Turcs fur mont a. le voy corne vn beau lis le Prince de Lorraine Se leuer S- fleurir : L'attente ne foit vaine Qiie nous donne fa fleur : mais fait auec la tems Auffi bon f on œfté corne eft beau f on printems. Et puiffé-je luy dire vn chant bien deledable, O fes nobles Confins, qui vous foit agréable, Qiiand ie celebreray V heureux jour qu'on verra. Lors qu^vne que ie voy pour époufe il aura.
Voye:{ ce Cardinal en fa verde jeuneffe , Qiii furpajfe en confeil des plus vieux la fagefj'e : Charle, digne tu es de tenir en ta main Defaint Pierre les clefs mis au fiege Romain.
Voye^ le Duc de Guife auec fes nobles frères: Oefl par eux que Calais, que perdirent nos pei es. Nous a eflé rendu: & Dieu veut que par eux Contre nos ennemis nous f oyons plus heureux. La mère de l'époufe eft leur fœur. Angleterre, Tu fçais que peut valoir f on courage en la guerre, Qui n^ eft point féminin, qui, jamais abatu, Preuue de quelle part il retient fa vertu.
Mais entrepren-je bien chanter de Vajfemblee Vn chacun dignement, quand ma vue troublée S'éblouit de la voir, come fij'auoy l'œil Fiché pour contempler les rayons d'vn Soleil? Retirons-nous foudain de fi haute entreprife. Car chacun en ce lieu peut bien voir {s'il y vife) De la France la fleur^ l'honneur & l'ornement : Si non, il n'a point d^yeux & moins d'entendement.
Chantons le Roidavfin & la Roi ne Marie, Qite le Prélat f acre d'vne foy fainte allie En la porte du temple. Ils jurent en fa main. Le ferment qu'ils ont fait, 6 bon Dieu, ne foit vain. Bien-heureux marie^, que voftre foy jurée, Autant que vous viure:^ puiffe auoir fa durée.
328 VII. LIVRE
Or aUe![ dans î'eglife implorer la faueur
De ce grand Dieu qui done aux nojfes le bonheur.
Quelque pompeux fejlin ou feur traité qu''on face
Pour joindre les époux, ce n'ejl rien fans la grac^'
De ce grand Roy d'enhaut. Faites vojlre deuoir,
O Vepoux, 6 Vepoufe, & vous pourrez l'auoir.
Vojlre prière ejl faite : & foit elle exauffee.
Rentre^ en l'Euefché où la Jalle eft drejfee
Pour vous y receuoir : prene\ y le difner,
Mais le rejle du jour il n'y faut fejourner.
Alle^ dans le Palais acheuer la journée
Où pour vous fefioycr la grand' falle eji ornée:
Il faut paffer la nuit dans ce Palais Royal
Où Ion vous a dreffé vojîre lit nuptial.
Le peuple qui vous aime, à fin de pouuoir eftre
En place pour vous veoir n^a cure de repeflre :
Mais déjà par la rue ententif vous attent,
Et s'il ne vous voioit ne s'en iroit content.
Ocfl affe:{ pour le jour : fay chanté la journée, Vn plus hardy dira la nuit bien fortunée De vojlre chafle amour : Mais qui oferoit bien D'vne tantfainle nuit dire Vheur & le bien?
O noble fan g des Roy s, & duquel puijfent naiflre Des enfans pour régner quand vous cejfere^ d'ejlre : Dieu vous doint de tous biens heureux acroijjfement, Et de vous entraimer toufiours egallement .
A MONSEIGNEVR
LE DVC DE GVISE.
Chose n'efl tant dcfefperée, Si Vhome confiant a durée Pour gueter la place & le point. Que bien-heureux il ne par face .
DES POEMES. 329
Mais, qui fe hajle en fon audace, L^aifé me/me n^acheue point.
O fatig- des Roy s de la Sicile, Dieu le vangew vous rend facile Le fait que moins vous e/perie^ : Vos ennemis font en ruine: La fureur Royale & diuine Vous fait voir ce que defirie^.
Oefl honeur c''efï plaifir de prendre Les armes jufies, pour deffendre Le party de Vantique foy. Qiii fait contre mon Roy la guerre La fait au grand Dieu du toncrre: Qui contre Dieu, contre mon Roy.
Henri, Duc Valeureux de G vise, Ta race grandement je prife, Qiii reluit de tant de fplendeur : Ta beauté je loue & ta grâce: Mais ta noble vertu les pajfe De l'éclat d'vne viue ardeur.
Quafi dauant que l'âge tendre Permifi les dures armes prendre Pour t'en veflir, tu les veflis: Et t'en allas chercher la guerre Bien loin en étrangère terre, Par la tréue de ton pals.
Si tofi que les ciuiles armes
Nos chams recouurent de gendarmes, En plus d^vn lieu tu t'es prouué Vrayement ijfu de ta race. Marchant courageux fur la trace De ton Père tant éprouué.
Dans Poitiers ta force enfermée Repouffa l'effort de l'armée De ton ennemy décampé. A Moncontour dans la mellée Ta vaillance fut fignalée Par le boulet qui t'a frapé.
330 VII. LIVRE
Quand icy la fortune heureiife, Qjti fuit la vertu valeur eufe De HENRi/;ere de mon Roy, Menait fes fîdeles batailles: Et là deliura les murailles Du camp déloyal en fa foy : Vanter faut la meure fageffe En vnefi verde jeunejfe, Que tant de pointes élançoyent : Le meurtre félon de ton Père, Et les fierté^ d'vn aduerfére, Qiii toute bone âme offenfoyent. Mais plus que tout vn tel outrage Naure ton généreux courage, Qui entre deux deuoirs flotoit. Icy d'vn vray fils le bon :^ele: Et là d'vn feruiteur fidèle Enuers fon Prince l'emportait. Toy bien atrempé de nature, La parpaye de telle injure Acart tu as furattendu : Ne meprifant pas la prudence Des tiens, en telle furfeance, Qui au double vous l'a rendu. Ainfi ta vertu modérée Du deuoir ne s'efl égarée: Mais t'a doublement aquité. La mort de ton Père elle vange ■ Et garde, à ta grande louange, A ton R.OY ta fidélité. La diuinité vangereffe,
Et de mon Roy la caute adrejfe. T'ont mis les armes en la main, A l'heure & place deflinees, Où deuoyent choir exterminées Les grands pefles du genre humain. Qiti leur venim dans fon cœur celé, Dedans vne fraifle naffele
DES PO KM ES. 33 I
Ne paffe vn fleuiie auecque moy. Dieu courroucé par fois endure Soufrir auec Vâme parjure L'home qui tient la bone foy. Souuent parmy telle vengeance Le jujie voit fan innocence Quand 3 le méchant atraper. La peine qui boy tant darriere Suit le mal fait, ne laijfe guiere Le forfaiteur quite echaper.
LA MASCARADE DE MONSEIGNEVR LE
DVC DE LONGVEVILLE, A BA YONNE.
L'ENTREE DE LA FEE.
JliNTREZ, d brigade Faee, Pour cette Royale affemblee Honorer d'vn fpeâacle beau, Et d'vn miracle tout nouueau: Ebranle^ la parejfe lente Qui tient voflre allure pefante: Vous fuye:( [femble] le bon heur Dont ce jour vous fera donneur. Bois & rochers fuiue^ le fon De ma charmer effe chanfon. Vene^ : fi mon chant ne vous tire, A peine pourrez écondire
332 VII. LIVRE
La forçante neceffitê. Dont vojîre fort efl limité. Amour a pu de fa puiffance Endurcir voflre molle effence : Moy je puis fon fait abolir, Et voflre durté ramolir.
Bois & rochers fuyue^ le fon De ma charmer effe chanfon. Amphion au bruit de fa lyre Les murs de Tliebes put conflruire, Quand les pierres de toutes pars S'amoncelèrent en rampars: D'Arion la chanfon diuine Au Daufin domta bien Véchine: Orphée de fa douce voix Tira les rochers & les bois.
Bois £■ rochers fuyue:( le fon De ma charmereffe chanfon. Que pari é-je, moy qui fuis Fee, D' Amphion, Ar ion, Orphée^ Circe Fee come je fuis. Ne pouuoit non plus que je puis : Et fi fut bien ajfe^ pinjfante Muer de fa verge forçante Les compagnons d^Vlyjfe en porcs, Et leur rendre leurs premiers cors. Bois & rochers fuiue^ le fon De ma charmereffe chanfon. Non, cette verge que je porte N efl pas d'efficace moins forte : Par elle ie puis obfcurcir Le jour, & la nuit eclaircir. Par elle puis ofier la vie. Et la rendre l'ayant rauie : La perfonne en roc transformer, Voire le rocher animer.
Bois & rochers fuiuei le fon De ma charmereffe chanfon.
DES POEMES. 333
Mais les ordonnances fatales Donnent aux Majejle^ Royales Uhonneur de fi notable fait, Qiii le fait de V amour défait : En prefence de la compagne De ce grand Monarque d'Efpagne, Par elle vni d'eflroite foy Auec fan frère nojlre Roy.
Bois & rochers fuiue^ le fon De ma charmereffe chanfon. A cette vue folennelle, Qui Vaillance fraternelle Des deux plus grans Rois Chrefîiens Rejoint de cent fermes liens, Efi le terme ou fera finee Voflre piteufe deflinee, Efi la place ou doit prendre fin Voflre pitoiable deflin.
Bois & rochers arte^ au fon De ma charmer effe chanfon.
LA FEE.
Entre les hauts rempars des pointes Pyrénées Efi enclos vn pais de terres fortunées. Pais délicieux, où fait heureux fejour Vne paifible gent, fous V empire d'amour: Laquelle à Vhonorer & bien feruir encline Cueille touftours les fruits de la Paix trefbenine, Qui prodigue y répand tous les biens à foifon Qu'auoit du fiecle d'or la fertile faifon.
Au bout de ce grand val, d'vne longue ceinture De fertiles coflaux, oit la longue planure
334 VII. LIVRE
Se piejfe en vn valon, ejl vn coin écarté Ceint de rochers caue:[, de beaux arbres planté, Laué de cent ruiffeaux, qui faillans de leurs fources Font par les pre^ herbus cent tournoyantes cour/es: Tant que le jour ejï long le radieux flambeau Dans ce canton ferein éclaire net & beau.
Les Fées long tems a leur demeure ont choifie En ce Cartier nommé le Valon de Ferie, Depuis que des humains fuyans l'iniquité, Ont cherché les deferts & le monde quité: Là fe font aujourdhuy les miracles antiques, Que vous oye^ comter aux difcours poétiques, Ou par le fiecle vieil des fabuleux Payens, Ou par l'âge dernier des Romans Chrejtiens. On voit là ce qu'on dit du pourpris des Forcides, Des apajls Circïens, du parc des Hefperides ; Là les charmes d'Alcine & de Morgane on voit, Et ce que Melufine & qu'Vrgande fçauoit : Là font mille animaux & priue^ & fauuages. Mille oyfeaux bigarre:^ de colore:^ pennages, Différents de Nature, & de forme diuers, Dont les branches, les eaux, & les chams font couuers . Là mille arbres charme^, mille fleurs, mille plantes, Mille marbres change^, mille fources bouillantes, Jadis hommes viuans, acheuent leur defiin, Eternel ou terme félon l'arrefè diuin.
Par charmes non cognus des profanes oreilles, De ces efîranges lieux j'amène ces merueilles, Ces bois, & ces rochers, exemple qui fait voir De ce Dieu qui les fuit, Vinuincible pouuoir.
Ces arbres que voye:{, jadis fix Damoif elles Belles, mais fièrement contre l'Amour rebelles, Enflèrent à leur dam, leurs cœurs hautains & fiers D'extrême cruauté contre fix Cheualiers, Six gentils Cheualiers voué^ à leur feruage ! Des deux pars obfiine:^ en leur ferme courage, Eux à les bien aimer, elles à les haïr: Eux à les bien traitter, elles à les trahir.
DES POEMES. 335
Eux après longs trauaux, après angoijfes dures, Apres indignes tors & cruelles injures Qu'ilsfouffroyent tous les jours, ne pouuans plus fournir A tant de cruauté^, ny plus lesfoiijlenir, S^adrejferent aux Dieux pour fecours leur requerre, Frapant l'air de foufpirs, mouillant de pleurs la terre, Crians tous d'vne voix. O bons & puijfans Dieux, Si les vœux des humains montent jufques aux deux, Si pitié, fi jujlice auprès de vous fe treuuent, Et jujïice & pitié de nous ouïr vous meuuent : Ojîe^-nous de ce mal, tire^-nous en dehors, Soit ou mors ou viuans, ou ne viuans ne mors!
Ils furent exauce^ : loin de mort & de vie Auec leur fentimeut leur douleur ajfoupie Ceffa dans ces rochers : & Ion vit transformer Leurs Dames en ce bois portant fruit doux-amer. Mais fous diuers defîin : car ces pauures cruelles Demeurent fans changer, plantes perpétuelles: Et les rochers mue:{ fous vn fort plus bénin Attendent en ce lieu bien plus heureufe Jin : Tel fut l'arrejî des deux, telle la deflinee De ce change feé par les Dieux ordonnée: Et les Parques deflors grauerent fermement De cet Oracle exprès leur fatal Diamant:
Nymphes, par vos fiertés à jamais foye^ arbres : Cheualiers pour vn tems repofe^ dans ces marbres, Y repofent auffi vos dcfirs amoureux . Pour en rcfuf citer fous vn fort plus heureux. Quand la Paix répandra fur l'Efpagne & la France Le bon-heur, le doux fruit d^ éternelle alliance: Ou de Nibe & Ladour s' efiouiront de voir Des grandes Majefle^ le mutuel deuoir : Là vous rencontrerez moins rigoureufes Dames, Pour rechaufer vos cœurs d'autres plus douces fiâmes Là le Royal vouloir du frère & de la fœur Du beau jour vous rendront l'amiable douceur.
O le frère, ô la fœur, vous le premier des princes Qui ont feptres en main fur Chreftiennes prouinces.
336 VII. LIVRE
Vous fœur de ce grand Roy, vous l'efpoufe d'vn Roy, De qui l'EJl, le Sur, VOeJl, & le Nord prend la Loy : [Ainjî toufiours la Paix florijfant par vos terres Vos peuples face amis : & Vorage des guerres Loin, loin de vos fujets s'en allant de/charger Puiffe les mefcreans & les Turcs facager ) Prene^ en gré l'honneur que les dejlins vous donnent: Et d'vn commun accord, puis qu'ainfm ils Vordonnent, Rompe:{ cette Férié : ainfi vous le pouue:^. Commande:^, d^vn clin d'œil monJlre\ que l'approuue^ : Qui, par vojlre vouloir, de ces verges dorées Touchera par trois fois les majfes empierrées, Fera [miracle grand) faillir de ces rochers Arm.e^ pour le combat, Jîx braues Cheualiers. Eux à vos majeftsipour fi grand bénéfice Jureront & vouront perpétuel feruice. Vous redeuant leur vie : ô quheureufes feront Celles qui de ces preux maiflreffes fe verront! Amour icy prefent d'eflreinte mutuelle Joindra les cœurs vnis en foy perpétuelle : Qui leur ofler V honneur follement prétendra, A ces braues guerriers par force le rendra.
INSCRIPTION DES ARBRES.
Vovs, Dames, qui viue^ florijfantes & belles, Telles auons eflé: mais à V Amour rebelles Perdifmes nos beauté:^ -/"J'^i <ionc la rigueur. Et par nous apprenez d'adoucir vofîre cœur.
DES POEMES. 33'
IL
Pa/leurs, efloigne:{-vous de l'odorant ombrage De nos riches rameaux : nos branches néfueille:^, {Ces arbres font facre:^) nos pommes ne cueille^. C'ejl aux royales mains que portons ce fruitage.
III.
Pour n encourir des Dieux la vengeance ordonnée, Dejlourne, Bûcheron, de mon bois ta cognée: le fu Nymphe jadis : Par mon orgueil tournée En arbre, f accompli ma peine dejlinee.
IIII.
Autrefois fay vefcu, pour mon heur ne cognoiflre, Cruelle à qui m''aimoit : Si ie pouuoy renaijlre, le me garderoy bien que pour ma cruauté Le viure & le mourir me fufi jamais ojîé.
De ces arbres facre^ à l'Amour & fa mère
Le fruit retient le goufl de leur douceur amere : Le teint de nos cheueux, des fueilles la verdeur Témoignent nos beauté^ en leur prime vigueur.
VI.
Pour auoir dédaigné ceux qui nous ont aimées, Dames, en Orengers nous fufnies transformées : Les chams ne font ingrats à ceux là qui les fement: Amour mérite amour : aime^ ceux qui vous aiment.
lean de Baif. — 11.
3 38 V I r . L I V R E
INSCRIPTIONS DES
ROCHERS.
I.
Bien que ne penfes voir qit'vn rocher infenfible, Ne m'offence, Pajfant : Le dejîin imiincible M'a lié dans ce roc juf qu'au tems que viendra Vne royale main qui à moy me rendra.
II.
Six Cheualiers l'honneur de l'amour & des armes De fix Medufes ont efprouué les regars: Ils couuent fous la pierre encor les chaudes larmes, Et les faits courageux de l'Amour & de Mars.
III.
Puiffie:{-vous rencontrer, non maijîrejfes plus belles Qiieles nojlres, Amans, mais qui Joyent moins cruelles: Si que leurs cruautj:^ pour loyaument aimer, Ne vous puijfent en roc, comme nous transformer.
IIII.
La fource de nos pleurs au marbre n'efl tarie, Ny l'ardeur que Vamour allumoit en nos cœurs Au marbre n'efl efleinte : Vn tems vient que nos pleurs, Nos feux & nos foufpirs & nos coeurs auront vie.
V.
Nous fommes faits rochers, & non point par enuie Comme fut Aglauros : non qu'ayons trop parlé Comme Batte jadis : Noflre fort efl coulé D'eflimer comme mort fans amour, cette vie.
DES POEMKS. 339
VI.
Nous fommes les rochers d'Amour & Loyauté,
Nos maiftrejfes ejloyent roches de cruauté : Change Amour leur durté qui te fait refi/lance. Change auffi nojlre roc, non pas nojlre confiance.
INSCRIPTIONS DES
POMMES D^OR.
A LA ROYNE.
RoYNE, de fagejfe & douceur, Receue^ [ie ne fuis Difcorde) Ce beau fruit d'or, le gage feur D'éternelle paix & concorde.
AV ROY.
Sans Hercule Vauantureux, Sans Pallas S- fa grande targe, Enleue^, 6 Roy trefheureux. Des Hefperides le fruitage.
A LA ROYNE D'ESPAGNE.
Ayant voflre frère pour guide,
Vous qu'vn heur qui nejl moindre, fuit, Cueille:^, 6 Princeffe Hcfperide, Des Hefperides le cher fruit.
340 VII. LIVRE
A MONSIEVR.
Monjteur, cueille^ des pommes d^or: ladis vne s'y laijfa prendre. Qiielqu'vne pourrait bien encor Au me/me pris à vous fe rendre.
A MADAME MARGVERITE
SŒVR DV ROY.
Des grans Rois genereiife race, Prene^ la pomme hardiment : Elle ejl fans traifon & fallace, L'amour s^y meine faintement.
AV DVC D'ALBE.
Par toy la Paix & le bon-heur Du Jïecle d'or ejl retourné: A toy de la Paix moyenneur, Ce fruit d'or par nous efl donné.
SVR LES POMMES POVR
LES DAMES. I.
La pomme que ie vous prefente, Si vous plaifi la confidercr, Au vray mon amour reprefente. Dont le guerdon fofe efperer.
Elle efl de fin or, qui n empire, Mais embellit dans le fourneau : Mon cœur du feu d'amour fe tire, Plus entier plus pur & plus beau.
Elle efl faitte de forme ronde, Témoignant la perfeâion
DES POEMES. 341
Du defir, dont mon cœur abonde, Et de ma ronde affection.
De bonnes fenteurs elle ejl pleine Qiti font clofes dans fa rondeur: Puiffie^-vous de ma foy certaine Euenter l'agréable odeur!
A vous des belles la plus belle Offrant la pomme de beauté, Oferoy-ie attendre pour elle De vous le pris de loyauté?
II.
Si cette pomme, fecretaire De ma jldelle affeâion, Enuers vous pouuoit autant faire Qiie mérite ma paffion :
Celuy-la qui par vne pomme A fa dame faifant fçauoir Le chaud dcfir qui le confomme , Mefme dejir luy fit auoir.
Ne fe louroit de plus de grâce
Que vous m'en feriez, f en fuis feur Sa dame en beauté vous fait place, Ne luy cede:{ pas en douceur.
III.
O Venus, des amours la mère, Qid dame des loyaux amans, Méfies en irampe douce-amere Les plaifirs parmy les tourmens:
S'il ejl vray que fur Hippomene Ta grâce au befoin efiandis, Alors qu'en fon extrême peine Pitoyable tu l'entendis:
Alors qu'entrant en la carrière. Sans ton fecourable confort.
342 VII. LIVRE
Contre fa fuyarde courriere Il allait courir à la mort:
Dans cette pomme mé la force
Des trois pommes que luy donnas, Et de mille atraits la renforce Du Cejle amoureux que tu as:
A fin qu'elle rende fi lente Dedans la carrière d'Amour, Ma vite & legiere Atalante, Que ie la gagne quelque jour.
IIII.
Vous donnant cette pomme ronde, Voye^ de quoy vous fuis donneur: D'ejîre la perle de ce monde Vous donne le pris & l'honneur.
Le pris de beauté ie vous donne Remarqué par la pomme d'or: Du los de vertu vous couronne Signalé par ce fruit encor.
Pour la preuue, à vous me dédie Contre qui voudra s'en venir, Tout prejl au hasard de ma vie, L'honneur que vous ren, maintenir
A lAN POISSON GRIFIN.
Mon Grifin, non, ny toy ne moy N'endurons le rongeard émoy De ce qui palifl le vulgaire: Car bien autres joyaux que ceux Qui s' affoupiffent pareffeux, Nos libres cœurs peuuent attraire.
DES POKMES. 343
De nojîve heur nous tenir contans Et plus rien n'aller fouhaittans, A faid que plus riches nous fommes, Qiie ceux qui tiennent fous leur main L'Empire Grégeois ou Romain, Seigneurs des terres & des hommes.
Bien que de foldats cent milliers, Bien que vingt mille Cheualiers Autour remparent ta perfonne, O grand Empereur, fi n'es-tu Libre ne franc, fi ta vertu A couuoitife s'abandonne.
Elle eft maifireffe de ton cœur. Qjie vaut d'autruy cfire vainqueur A qui n'efi vainqueur de foy-mefuie? Des enfers le courroux des Dieux Ne pouffa jamais en ces lieux Vn pire que ce monfire blefme.
Couuoitife, ô de quels trauaux, O de quels ennuis, de quels maux Tu combles nofire trifie vie ! De la paix tu romps les ébas, Et de toy naiffent les debas, Les rancueurs, les guerres, l'enuie.
Par toy V ingrat & traifire fils, Hafie deuant le jour prefix La mort à fon père : & le père Méchamment auaricieux, En fon fils mort foule fes yeux: Et le frère meurdrit fon frère.
Par toy la marafire fans foy Méfie la poifon : & par toy L'hofie en fon hofie ne s'affeure: Par toy la venue fon mary, La mère de fon fils mcuidry, La trop hafiiue mort depleure.
Par toy le foldat inhumain Vfant de violente main
344 '^' ■ f • T' ' "^' R K
Montage la pucelle entière : Tu fais que l'enfant innocent, He! Ion va contre vn mur froiffant Arraché du fein de fa mère. Tu fais que d'vn bras outrageur Lan jette le feu faccageur Dans les Eglifes profanées: Et qu'au joug le toreau penchant Traine le coultre aigu, trenchant Le dos des cite:^ ruinées. O qu'heureux efl qui ne te fuit, O trijîe monflre: heureux qui fuit Ccfle porte-pefle Chimère: Puiffet elle en mes ennemis D'enuie amaigris & blefmis, Dégorger fa poifon amere ! Mais que fert par mille dangers Domteur des peuples eflrangers, Se bobancer en leurs richeffes. S'il faut auffi bien que tout nu Comme tu es au jour venu. Au panure égal, tes biens tu laiffes? Nous donc, Grifin, peu couuoiteux De ces grands palais fomptucux Répare^ de marbre & de cuiure, Beans ne les admirerons, Ains fans rien plus defirerons Autant quUl nous fuffife à viure: Et fur la riuc retire:^
Verrons de loing les flots ire:^ S^éleuer au ciel par l'orage: Les vens tempefier fur la mer, La mer blanchijfante écumer, Nous à feurté de grand naufrage.
DES POEMES. 345
CHANT, DES TROIS PARQVES
ET DE SATVRNE,
AV BAPTESME DE HENRI HVRAVT PREMIER FILS DE MONSIEVR DE CHEVERNI CHANCELIER DE MONSEIGNEVR LE DVC d'aNIOV PARREIN AVEC LE ROY DE NAVARRE ET MADAME DE LOR- RAINE.
A L'EN FAN T.
Vi BEL Enfant : & recompence La longue & tardiue efperance, Dont tes parents t'ont fouhetté. OJle Vennuy de leur attente D'vne joye, qui les contente Reparant la tardiueté.
Par bons sovhets dreffons le cours
D'vn âge heureux en heureux jours. Vi bien heureux iparfay ton âge: Enfant, qui fers au témoignage D'vne fraternelle vnion, Qiii pour la paix de nos prouinces Rejoint les efprits de nos Princes D'vne mefine Religion.
Par bons sovhets. Vi bien heureux : commence à croifire. Pour faire quelque jour paroiflrc, Qiie de bons parents tu es né: Marchant fur les pas de ta race, Qjii loyalle deffert la grâce Dufang des beaux Lis couronné.
Par bons sovhets.
346 VII. LIVRE
Vi bien heureux : Soit que Mercure Qjti des gentils efprits a cure De la paix t'infpire les arts : Soit que lupiter fauorable Aux plus grands te rende agréable: Soit que bouillant tu fuiues Mars. Par bons sovhets. Vi bien heureux : qui le faint crefme As receu du facré Baptefme, Entre ces valeur euf es mains. Il te faut, Gentile Ame, née Sous tant heur euf e deflinee, Paffer le commun des humains.
Par bons so\ -h-et: s drejfons le cours D'vn âge heureux en heureux jours.
LES BACCHANTES. A MONSIEVR PINARD,
SECRETAIRE D^ESTAT.
Pinard, qui gracieux prins de nous le doux foin. De ta main nous preflant le labeur au befoin, Qiiand ce Dieu nous piquoit de fa fureur benine: Qiiand des vers non communs à la France douions, Et des chants non ouis de mefure fonions, Datus à la façon & Gregeoife S- Latine:
Tu déclaras le cœur libéral de mon Roy,
Charles, qui m'efl vn Dieu, pour auoir tout Veffroy Qiii braffé nous efloit, épars comme la nué D'vn noir brouillas épaix, que le rayon ardant
DES POEMES. 347
D'vn foleil pur & net va foudain épartant, Et rend le jour ferén beau foulas de la vue:
Ainft par la faueur de Charles reluifant
De fur nous courageux, nos deffeins conduifant, Ouurîmes le fentier droit au mont de Pamaffe. Tu portas le flambeau qui dechaffa la nuit: Nous t'en deuons l'honneur : Nous t'en vouons le fruit : Et quoy que tard il faut que t'en payons la grâce.
Bacche où me ireines-tu plein de ta deité? En quels antres caue:^ me voy-ie iranfporté, En quels bocages noirs? O chère ame égarée. En quel recoin caché m'en iray-ie inuenter Vnfuget bien choifi que ie puiffe chanter. Pour en auoir honneur d'cternelle durée?
De nouueau ie prendray vn notable argument
Qu'autre bouche n'a dit. Aux mons non autrement L'Euiade effrayée autour decouure Thrace Toute blanche de neige, éueillee en furfaut Du fomme oîi elle ejloit de Rhodope au plus haut: Que moy qui ay perdu de tous hommes la trace,
le me trouue ébahy de voir ces bois couuers, Et ces antres profons, & ces ruiffeaux defers. O toy, dont le pouuoir s'eflend fur les Naiades, Sous qui ployent auffi celles qui font toucher La terre au plus haut fraifne en le faifant panchcr. Et peuuent l'arracher, les vaillantes Thyades.
Non, ie ne diray rien de bas flile, ny bas,
Ny rien qui foit humain, non ie ne diray pas, A rien de terrien mon efprit ne s^arrejle. Le doux danger que c'efl, après tes pas diuins S'égarer doucement, ô le bon Dieu des vins, Toy qui de pampre verd te couronnes la tejle!
l'ay vu Bacche alecart en des bocages verds ( Croy-le poflerité) corne il chantait des vers: Les Nymphes l'ecoutoyent par les boys épandues. Le bon Silen ejloit fur la mouffe couché, Et fon afne paiffoit près fon maijlre attaché: Les Cheure-piés tendoyent leurs oreilles pointues.
348 VII. LIVRE
Eiioé, je fremy tout de la grande frayeur: Mon efprit plein du Dieu, de lieffe & de peur, Se troublant pefle-mef le hors de moy me tranfporte : Euoé pardonne moy, Père pardonne moy, De qui le Thyrfe fort fait la joye & l'effroy : O Dieu, n'appefanty fur mon chef ta main forte. Permê-moy de chanter ton gay troupeau diuin. Et ta brigade bru/que : S- les fources de vin, Et le lait ondoyant par les riuieres blanches: Et le double Soleil que tu fais voir au ciel, Et les chefnes caue^ qui dégoûtent de miel, Dont la douce liqueur fuinte par les branches. Permê-moy de chanter : je diray le bon-heur Que ta femme receut: & des Aflres l'honneur Sa couronne flambanV dedans les deux plantée. De Lycurge méchant la mort je publiray. Si tu veux [tu le veux) le mechefje diray: Qiii démembra jadis ton outrageur Penthee. Trois fœurs Agaue, Inon, Autonoe v ne fois Trois Thiafes au mont menèrent elles trois, N'eflant qu^elles trois fœurs à conduire lafefle, Els allèrent cueillir dedans V7i chefne épais Force fueilles de chefne, £■ du lierre après Qui entortillonné le vefloit jufqu^au fefle. De la verueine auffi elles cueillent en bas:
Quand elles eurent fait de fueilles leurs amas. Des autels en beau lieu fur terre elles baflirent: Trois autels à Semele, à Bacche trois & fix, Puis ouurant vn coffret, ce qu^elV y auoyent mis Pour tout le facrifice, aux autels départirent. Et bénirent le tout faintement confacré.
Corne Bacche luy-mefme auoit le mieux à gré. Et corne il les auoit en fa fefle enfeignees: Penthee cependant de lafime du mont De lentifques muffé, guette ce qu'elles font, Selon qu'elles efloyent par Bacche endodrinees. Autonoe le vit, £■ premier s'éclata
D'vn cry épouuentable : & foudain fe jetta.
DES POEMES. 349
Et trépignant des pies troubla le faint myjlere: Myjlere qui ne doit ejlre vu par les yeux, Yeux non dignes de luy, des hommes vicieux, Ny des profanes fots, qui ne fçauent le taire.
La fureur la furprit : & foiidain la fureur Dans les antres auffi fe faifit de leur cœur: Penthee court pour eux, elles après fa vie, Ayans leurs veflements trouffe^ jufqu^aux genoux. Penthee leur crioit, Femmes, que voule:^-vous? Atten, tu le fçauras deuant qu'on te le die.
Ce luy dit Autonoê : & fon chef dépeçant Sa mère s'écria auffi haut rugiffant Que rugifl en Afrique vne mère Lyonne : Inon vn palei'on £■ Vépaule tira, Autonoé en fa part vne autre deffira. Son ventre repouffant d'vne plante felone.
Pour le refle hacher les ti-ois Thiafes font. Apres que mis à chef ce carnage elles ont, Elles vont à la ville ainfi de meurdres pleines. le n'en ay point d'horreur. Nul n'entreprenne tant Que fe faire haïr au Dieufe reffentant De fes fous outrageux par fi cruelles peines.
Toufiours des gens deuots les affaires vont mieux. Qui en deuotion honorent les grans Dieux: Mal finit qui des Dieux les honneurs ne reucre. Bacche,je te faluê, ô toy dont acoucha lupiter en Dracan, qui alors te lâcha Ouurant le gras enceint de fa cuiffe ta mère.
O Semele aux beaux yeux, je te falué auffi: Et vous fes bonnes fœurs, qui efles lefoucy Et l'honneur & Vappuy de mainte noble Dame, Vous que Bacche piqua pour ce fait mettre à chef. Qui vous reprend, reprend l'auteur de ce meclief: Nul [sHl n'efl hors du fens) les faits des Dieux ne blâme.
35o V [I. LIVRE
A MONSIEVR GARRAVT
TRESORIER DE l'ePARGNE.
Il n'a rien de bon dedans l'âme. Qui le bon renom & le blâme Tient nonchalant en me/me pris. La vertu nejl jamais amie Du cœur, dont la force endormie La louange met à mépris.
Mais il ejl de lâche nature,
Qui parejfeux n^a point de cure Chercher que la pojlerité Puijfc conoijlre en quelque forte , Par Vite mémoire non morte, Uhoneur qu'il aura mérité.
Vraiment, ô Garravt, il efl befle. Qui aux façons des bruts s'arrête. Dont nature baiffa les yeux. Pour ne fe perdre en long filance, L'home fuye la nonchalance, Puis que le front il leue aux deux.
C'efî pourquoy dés ma grand' jeuneffe. Aidant ma naturele adrejfe, Mon courage aux Mufes j'ay mis, Pour honorer de renomee Par le monde en mes vers femee, Mon nom & celuy des amis.
Laifferay-je pas témoignage,
Que nous véquimes d^vn mefme âge, O Garravt; moy de mon métier, Toy, qui pour ta viue prudance Gardas les trefors de la France, Affable, doux, loial, entier.
DES POEMES. 35l
Courtois en ta charge ordinaire :
Ceux qui ont vers toy quelque afaire Tu fçais tant bénin contenter, Qiie niefme celuy fe contente, Qiii repoujfé de fon attente Te voit de fa prejjfe exemter.
Suiuant la volonté Roiale Tu fçais de façon libérale Ou confentir ou refufer. Si c'efl chofe que doiues faire, Tu ne vas jamais au contraire: Si non, tu ne peux abufer.
Qiti de main gratieufe & promte Le don gangné du Prince comte, Double la grâce du bienfait. Et quand d^vn refus amiable Lon tranche l'efpoir deceuable, C^efl vn demy plaifir qu'on fait.
Mon amy, fans la poéfie Ta douceur & ta courtoifie D'icy à cent ans fe tera: Mais de ma Mufe bien traitée En vain tu n'auras méritée La grâce qui te chantera.
Car fi je dy chofe qui vaille Qii'on Vecoute :fi je trauaille En œuure qui pajj'e les ans: De ma voix la part la meilleure D'vn renom durable t'ajfeure, Qiii florira mille printans.
Quelque autre de plus longue alêne Volera d'cele plus hauténe La gloire de nos Koys fonant, Auffi haut s'eleuant de terre, Que Vaigle Roial qui enferre Le foudre du grand 'Dieu tonant.
Moy laborieux je voléte
Com.e vne induflrieufe auéte,
352 VII. LIVRE
Qiii va cueillant de fleur en fleur La moijfon qu'' elle fçait élire Diligente, pour en confire Vne fauoureufe liqueur ; Ainfi d'vne plaifante peine Deffur les riues de ma Seine Par les faujfayes m'ébatant, Petit que je fuis je compofe Des vers élaborés, que j'ofe A mes amis aller chantant.
E|P I T H A L A M E.
A M O N S I E V R M O R E L
A MB R V N O Y S.
C'est à toy, Morel, que je voué Ce chant que tiras vne fois De ma Mufe qui ces vers joué Au fon des trombons & hauboys. Si j'ay fenty leur âme ingrate, O bon Morel {ie ne t'en flate) Premier trompé tu me trompoys.
Qv' EST-CE quej'oy? quelle brigade Deuant le jour accourt ainfi? l'enten déjà, j'enten l'aubade. Des Mufes la bande efi icy. HymeiiJ fils de Vvne d'elles Conduit ces neuf doâes pucelles, Apollon les conduit auffi.
Le Lorier fon front enuironne.
DES POEMES. 353
// touche fa lyre au doux f on, Et Vautre porte vue couronne De Marjolaine qui f eut bon: Et branlant le flambeau qu'il ferre Au poin, des pies frappe la terre, Réglant f es pas à leur chanfon.
Toute la bande efî couronnée De chapelets faits à plaifir, Des fleurs qu'' elles dés la journée Dans leur parterre ont f eu choifîr : Mais la Mufique fe reueille: Ecoutons la douce merueille Tandis qu'en auons le loifir.
Peu fouuent ces Miificiennes
Viennent aux noces des mortels: Jadis aux noces Thetiennes Auec les autres immortels Chés Pelée elles fe trouuerent : Cadmus aiiffi, elles chantèrent. Mais qui en fçait deux autres tels?
Madelene, leur nourriture, Reçoit d'elles cette faueur : Madelene leur douce cure, Qu'elles tiennent comme leur fœur. Chacun à chanter fe difpofe: Elles chanteront quelque chofe Qiti doit cfire de grand valeur.
Apollon qui mené la dance,
Leur frère, leur guide & leur chef, Leur fait figne que Ion commance, Branlant le Lorier de fon chef: Premier fa chanfon il va dire : Loin loin de ces lieux fe retire Toute douleur & tout mechef.
APOLLON.
L'honneur des filles, Madelene: Huraut, l'ornement des garçons:
leuii de Baif. - II. 2i
354 "V"- LIVRE
Oye{, car ma voix n'ejl point vaine, La vérité de mes chanfons: One Amour vne couple tell2 Ne joignit d'vn neu plus fidelle, Qu'il vous joint. Ses deux nourrijfons.
GLION.
O Fille vnique d'vne mère,
Qiii fcait tout honneur S- tout bien,
Fille fage d'vn fage père,
Qid ejl de vertu le foujlien:
Par leur vouloir [que tu fçais creindre]
LaiJJe-toy doucement ejlreindre
De ce tant dejiré lien.
EVTERPE.
Voicy le jour quUl faut qu'on die EJlre faux ce que Ion difoit, Qit' entre-vous efioit refroidie L'amitié qui vous embrafoit. L'amour dans vous faintement née Efl d'autant mieux enracinée Que plus long tems on la iaifoit.
THALIE.
Maint gentil-homme & damoifelle
Bcnit l'heur qui vous vient des deux: Mais fi qiielcun te voyant telle Sur ion mary efl enuieux: Qiielcune aiîffi te porte enuie Diffus le bon heur de ta vie. Qui as mary tant gracieux.
MELPOMENE.
Apres auoir fait long voyage Atrauers maint fâcheux rocher, Vien prendre port fur le riuage.
DES POEMES. 355
Tous tes ennuis vien defafcher Entre les bras aime:{ de celle Qui ejï ta plus chère pucelle, Toy, celuy qu'elle tient plus cher,
TERPSICHORE.
Nulle autre mieux que Madelene D'entendre ne fe peut vanter, Qui fait vne mufique plene Des meilleurs accords à chanter: Nulle autre en plus douce armonie Vn lut refonant ne manie Pour les trijlejjes enchanter.
ERATON.
On ferait de la grande areine Pluflofl vn conte limité, Qu'on arrefle enfomme certaine De vos doux jeux l'infinité: Ioue:{, & deuant que l'an pajfe Faites qu^vne nouuelle race Démente voftre oifiueté.
POLYMNIE.
O bien-heureux ce mariage, Qui efl des Dieux fauorifé, Henri Jupiter de noflre âge, Charles ce Phebus tant prifé, Noflre lunon, & Marguerite, Noflre Pallas de grand' mérite, L^ont faintement autorifé.
OVRANIE.
le fçay la celefle influence, Qui accomplit voflre valeur : le fçay des Aflres la puiffance. Qui donne l'heur ou le malheur:
356 VII. LIVRE
Mais Jî mon art ne m'a deceuê A nulle noce que fay^ fceue Les ajlres n'' ont promis tel heur.
CALLIOPE.
Debout, nouuelle mariée,
Fay-toy vijlement atourner: Vien ejlre d'vne foy liée, Que nul tetns ne puiffe borner. L'Aube cft déjà par les cieux née: Il ejî jour : acheue Hymenee : Nous ne pouuons plus fejourner.
HYMENEE.
Ne foupire plus, ne foupire, Mê fin, HvRAVT, à ton defir: Ton cœur aura ce qu'il defire, Tu en jouirras à loifir. Toy, Madelene, n^aies crainte Du bien que Ion dit mal : c'ejl feinte, Apren que ce n'ejl que plaifir.
Ainsi chanta la belle bande, Qiii tout joudain fe difparut, Quand du jour la lumière grande Sur les campagnes apparut. Maint rauy de la mélodie Accourt pour voir la compagnie, Maispour néant il acourut.
Car elle ejloit euanouie Auec Vobfcurté de la nuit: Les murailles qui l'ont ouïe En ont retenu le doux bruit : Qui d'vn harmonieux murmure Retentiffant bien long tems dure, Apres que la bande s'enfuit.
Donc Huraut, doncque Madelene, O couple d^ Amans bien-heureux !
DES POEMES. 357
Vous joigne:^ d'vne foy certaine Vos cœurs faintement amoureux. Vojlre fortuné mariage, Parfait en tout heureux prefage, Sera de tous biens plantureux.
Dieu fait là que tout bien profpere, Y preflant fa fainte faueur, Où les fiance^ mère & père Des deux pars font d''vn mefme cœur: C'efl ce qu'en vous vn chacun prife, Et defl de là qu''on profeti^e Qu'il vous en viendra tout bon heur.
Toy, HvRAVT, gracieux & fage, La faueur des grans tu fuiuras: Toy, Madelene, en ton ménage, Chafle S- pudique tu viuras : Luy cherchant, pour mieux apparoiflre, En biens & grans honeurs de croifire, D'autres honeurs tu receuras.
Quand ta chafleté reluifante Vn tel honeur te donnera. Que la louange, qui tant vante Pénélope, moindre fera : le veu voir peupler voflre race D^vn petit Huraut, dont la face Les traits du père monflrera.
Vn chacun fans quHl le conoijfe, Auquel il fera pref enté, Du premier coup le reconoiffe. Voyant Huraut reprefenté : Clairement fon petit vifage Témoigne d'vn vray témoignage De fa mère la chafleté.
Luy d'entre les bras de fa mère Alongera fes petis bras. Voulant eflre pris de fon père, Qui ne l'en refufera pas: L'enfant d'vne leure mignarde
358 VII. LIVRE
Déjà leur rit : & les regarde, Et leur donne cent mille ébas. Auiene ainfi : mais couple heureufe De confors bien-heureux , viue^ En douce vnion amoureufe : Cent mille plaijirs pourfuYue:(. Paffans ainfi vojïre jeuneffe Par mille ébas, à la vieillejfe, Sans vn feul débat, arriue^.
ALLEGORIE.
A MONSIEVR BRETHE.
Lors que ie vy troubles recommencer Pour la rechute^ y venant bien penfer, Brethe, ces vers ie m pu retenir, Prefage vray des malheurs à-venir.
DoNCQVES les Jlots, ô miferable Néf, T'ont repoujfee en la mer derechef? Ne vogue plus : ne t' éloigne du bord: Gaigne foudain la retraite du port.
Le vois-tu pas? Ton Jlanc de bout en bout De fa palmante efî defarmé du tout: Mafl & trinquet de leur place écartei Par tourbillons volèrent éclate:^.
Voicy ta hune abatuê alenuers: Voicy rompus tes cordages diuers : Voicy ton fufl en cent lieux creuajfé Des hurs foufferts de V orage paffé.
Tu nas de quoy le fort tems endurer: Nul Dieu tu n'as, qui te daigne tirer
DES POEMES. 359
Hors du péril. En vain tu vanteras Tes pins Troyens, dont fille te diras.
Tes matelots l'vn contre l'autre émus De l'enroué Pilote n'oyant plus Le vain fignal, quittent pour leurs débats Cables, boulingue, ancres, voyles & majls.
Cor/aires font épandus fur la mer Veillans au guet, afin de t'abimer. Te facager, & racler de ton nom Par long oubly Vhonorable renom.
Voy le ciel noir d'vn nuage fumeux, Voy le troupeau des moutons écumeux Dancer à bonds : Oy la mer regrondant, De tems diuers figne trop euident.
Si tu ne veux les vens ebanoier^ Ou dans les mains du Pirate noter. Faite maifon des animaux nouans. Les Thons goulus rcpaijj'ant de tes gens:
Laijfe le vent jouer des flots marins : Rom le deffein des corfaires malins: Atten le tems pour en mer te gelter. Et dans le port vien te recalfreter.
A MICHEL
A N T E A V M E.
Mijîrt, Anieaume, à ta vaine douleur, Et au courroux qui t'aigrift tant le cœur, Pour voir ton cliien languir d^vne brûlure, Qiie par mégarde ou par mefauenture Il a reçue. Anteaume il ne faut pas Te tranfportant en faire tant de cas,
36o vrr. livre
Que d'outrager par injures écrites, Qidconq' l'a fait : car celuy tu irrites A te haïr pour l'amour de ton chien, Qiii parauant pojfible t'aimoit bien. Or fonge vn peu lequel ejl plus honejle Garder Vamour d'vn homme ou d'vne bejle : Et fi tu es maijlre de ta rai/on Dy qu'il n'y a nulle comparai/on.
Ne penfe point que ce f oit par rancune D'vn enuieux fur toy ou ta fortune: Encore moins qu^ aucun pour fe venger En vne befle ait voulu f outrager. Mais garde toy que de toy on ne penfe Que tu as moins que ton chien de confiance, Lequel foutient trop plus patiemment, Qiœ tu ne fais de fon mal le tourment. Car fans repos tu foupires & pleures. Le regrettant: courant à toutes heures Le vifiter & le reconforter, Et des morceaux plus frians luy porter, Lefquels ie voy que t'ofles de la bouche Pour les ferrer au linge qui te mouche: Et cependant ton malotru de chien Vit en repos ne fçachant gré de rien : Et retirant profit de ta fimplejfe, Ilfe gaudit de ta folle trifîeffc.
Or fi ton chien Veufl donné paffion Pour auoir eu quelque perfeâion. Ou de vitcjfe à pourfuiure la befle. Ou d''eflre bon pour la chaffe à la quefïe, Ou de {auoir monflré fidélité, Comme les chiens qui ont tant mérité Du tems jadis par leurs aâes infignes, Qtie d'eflre faits dans les deux nouueaux fignes: On receuroit Vexcufe de ton dueil. Et de ces pleurs qui te fortent de Vœil: Bien que Ion deufî auoir telle confiance, Que ne monflrer pour vn chien doleance.
DES POEMES. 36l
Mais tout chacun conoijfoit que le chien Qite tu plains tant, ne fçauoit autre bien Que de japper S- manger fans mefure. Et concilier vne mai/on d'ordure.
Donc, en arny je te veufubuenir De mon confeil, aumoins pour l'auenir: Si la douleur feft au cœur fi fichée, Qiie par rai/on n'en puijfe efire arrachée.
lamais par trop n'employé Ion defir A rien qui foit pour en auoir plaifir. On a moins d^aife oit le cœur moins dejire. Au/fi Ion a beaucoup moins de martyre.
A MONSIEVR DE P I M P O N T.
VAILLANT, que le ParnaJJe honore. De qui les vertus on adore, Et pour la douce humanité Qit'en tes grâces tes amis trouuent, Et pour la coulant granité D'vn parler que les fçauans prouuent . Quand tu guides l'outil Romain De ta nonchancelante main.
Maint meftier exerce les hommes, Oîi 7ie:[ mif érables nous femmes : L'vn qui par don, ou par achat. Se feignant Roy du populaire. Se fera pourueu d^vn efiat: L'autre dédaignant le vulgaire Qui à la variable Court Ambitieux court S- recourt.
362 VII. LIVRE
L'vn & l'autre quoy qu^on leur face Ne voudra pas changer déplace: Et quand bien tu leur promettrais Tous les joyaux que la mer bagne, Si n'eJJ'airont-ils les dejlroits Oii s'ejlreint la moite campagne : Tant vn chacun des deux Je plaijl Se cherijfant en ce qu'il ejl .
Le marchant qui fuit la tourmente De l'Auton qui par la mer vente, Pour VYi tems s'aime en fa maifon : Mais fi tofl que la mer bonaffe Se calme en la neuuefaifon, Attiré du gain quHl embraffe, Commet f es calfrete^ vaiffeaux Au plaifir des vens & des eaux.
Vn autre riche, efïimant vaine En cefle vie toute peine, N'hafoing que d'auoir des bons vins, Soit d''Orleans, ou foit de Beaulne, Ou f oit des coufleaux Angeuins : Et pareffeux de fous vn aulne, Ou prés d'vn fourjon, à fejour Pajfera fouuent tout vnjour.
Plufieurs fuiuans le train des armes, Se plaifent d'ouir aux alarmes Bondir clerons, tonner canons: Et ne craignent coucher en terre Entre leurs foldats compagnons, Flate^ de V honneur de la guerre: Dans les batailles s'agreant Que les femmes vont maugréant .
De fon gré le chajfeur endure De l'yuer la rude froidure D^vn trauail plaifant harajfé , Soit que dauant fes chiens fidelles Il pourfuiue vn Heure élancé. Soit qu'après les perdris ifnelles
DES POEMES. 363
// delonge fon efpreuier
Pour franchir maint ronceux hallier.
Qiiant à moy fi le verd lierre,
Guerdon des dodes frons, enferre Mes tempes d'vn chapeau gaillard, le fuis faiâ Dieu : les frais ombrages Me tirent du peuple alecart, Et parmy les forejls fauuages Des Nymphes le bal & les jeux Auec les Satyrs outrageux.
Mais cependant que Polymnie
Son lut doux bruyant ne m'enuie, Et que mon Euterpe par fois Joigne au plaifant lut que ie fmne Defes douces flufies la voix. Et fi, Vaillant, place on me donne Entre ceux qui chantent le mieux. Du fiont ie toucheray les deux.
DV TREPAS DE MAR- GUERITE DE VALOYS
ROYNE DE NAVARRE.
Si de P humaine gent les ennuis langoureux, Si des communs regrets les laments douloureux, O Mufe, ont quelques-fois ton ame chère atteinte: Qui Vauroit fait vomir quelque piteufe plainte En chant trifle & ploureux:
Aujourdhuy ta fureur s'échauffe tellement Pour noflre grief émoy, qu'ore non feulement Chaque befle viuant' eW rende pitoyable, Ains s'émeuue à Vefcry de ton chant larmoyable Vn chacun élément.
304 VII. LIVRE
Mais quel ejl Vêlement qui des-adonc à l'œil
Ne montrait fon ennuy pour nojlre commun ducil? La terre rioit-elle en fa gaye verdure, Le feu, l'air, ou les eaux lors que cette mort dure Mit la Royne au cercueil?
Qui ne veit nos forefls de leur gay veflement Adonc fe denucr? qui n'ouit hautement Redoubler les rochers en clameurs violentes Les viiferables cris de nos plaintes dolentes Ij'vn égal fentiment?
Qiiel fleuue, quel ruijfeau ne veit-on ondoyer Plus trouble, & plus enflé du piteux larmoyer Des Nymphes fe plaignans aux fources des fontaines? Qui n'auifa de l'air les régions hautaines Prefque en pleurs fe noyer?
Voire encore plus haut le feu du ciel ardent, De fon grand deplaifir monflra ftgne euident. Quand Ion veit flamboyer vue flambe apparante Sur le palais fatal, du Leuant éclairante lufques en l'Occident.
Donc ô cruelle Mort, Doncques tu as atteint Au plus de ton pouuoir! Puis que tu as éteint Des Princefj'es l'honneur, qui en claire apparance Aux yeux de toutes gens du plus haut de la France Dardait fon rayon faind .
Or' as-tu dépouillé par ton mortel rameau A ce fiecle appauuri fon ornement plus beau: Mais de fa grand' valeur la gloire non dontee Sous le venimeux dard de toy, Lyffe efhontee. N'ira pas au tombeau.
Ains tant que le Soleil au monde éclerera, Ta)t^que le ciel voûté la terre enferrera, Tant qu'au fein de Tethis s'iront les fleuues rendie, Tant que le genre ailé l'air vague pourra fendre. Son renom durera.
Soit qu^on voife lifant les vers laborieux Dont elle décora l'Agneav vidorieux, Soit que le père au Jils d'âge en âge raconte
DES POEMES. 365
Sa jujtice S- vertu, qui aux ajlres la monte D'vn voler glorieux. Comme au miel de fa voix le cœurron géant foucy Defon Frère captif, fut foudain adoucy, Luy eflant prifonnier fous la maiflreffe dextre Du puiffant Efpagnol, en bataille feneflre Soumis à fa mercy. Tu n'es-pas {difoit eW) prifonnier, ains vainqueur, Sien que ton ennemy tienne extrême rigueur, O cher Frère enuers toy : Qiii pourrait entreprendre La confiante vertu captiue & férue rendre De ton vertueux cœur? Mais que nous fert d'aler fes valeurs racontant. Puis que nofire regret d'autant plus va montant? Car plus grande fe voit la perte, plus s'augmente L'angoiffe, & la douleur d'autant plus véhémente Vient nofire ame dontant.
DV LATIN DE DORAT.
Comme le Prophète, dedans Vn Char tiré de traits ardans, Haut éleué par l'air liquide Monta jufqu'au ciel, regiffant D'vn bras tout en feu rougijfant, Des cheuaux enflammés la bride:
Alors que le manteau coulant
Hors du fein du Vieillard brûlant Cheut entre les mains ramenées Du moindre Prophète : & le feu. Flamboyant derrière, fut veu S'eclatter en longues traînées:
366 VII. LIVRE
Comme on voit vne etoille choir, Ou de loing on la penfe voir D'enhaut roidement dejettee, Trainer après foy mains filions Par le vague flambans & longs, Sous vne feréne nuittee:
Margverite ainfi maintenant Du manteau naturel, tenant De fa bourbe terreftre, laffe: Et s'ejlant foutraitte dehors Du lourd encombrier de fon corps, Et du faix de fa gourde maffe :
S'ejl eleuee de ces lieux
Deffus quatre roués aux deux, Sur Charité, Foy, Efperance, Et fur la Vertu, qui foutient Toute aduerfité qui luy vient, La portant de ferme conjiance.
En ce Char portée là haut Elle n'ayant de rien défaut Hante les bandes bien-heurees, Royne non de Nauarre, mais D'vn beau Royaume déformais En rantes bien mieux affeurees.
A MONSIEVR DE M A V R V.
Mavrv, y? quelque Promethee Auec la puiffance arrejiec Par le confeil de touts les Dieux, De tels mots venoit me pourfuiure ;
DES POEMES. 367
Quand feras mort te faut reuiure: Il efl conclu dedans les deux.
Et quand tu viendras à renaifîre Tu feras lequel voudras eflre, Bouc, ou Bélier, ou chat, ou chien, Homme, ou cheual, ou autre befle. Choifi-la fans plus & Varrefle : Et tel que tu voudras reuien.
Tu n'en pourras cjîre deliure : Car derechef il te faut viure: C'efi du dejlin la dure loy. Choifi donc ce que tu veux eflre. Ma foy ie luy diroy, Mon Maiflre. Tout, pourueu qu'homme ie ne foy :
Car de tous les animaux l'homme Efl le plus miferable, comme Tu l'entendras par mes raiforts. Plus injuflement il fe tréte Que nulle befle à luy fugéte, Maleureux en toutes faifons.
Le Cheual le meilleur on penfe Auecque foing & diligence Plufîofl que celuy qui moins vaut. On Vepouffete, on le bouchonne : Auéne foin paille on luy donne: Et jamais rien ne luy défaut.
Si fujfes vn bon chien de chajfe, D'vn Seigneur tu aurois la grâce, Qui t'efîimant f honorerait Plus qu'vn autre qui feroit pire: Et fçachant ta valeur élire. Hors du chenil te tireroit.
Vn coc s'il a de Vexcellance De fa race ou de fa vaillance, Efl mieux qu'vn lâche coc traité, Que Ion cgorge ou que Ion donne. Au bon la Court on abandonne. Oit l'orge à plein poing efl jette.
368
VII. LIVRE DES POEMES.
Mais l'homme tant bon qu'il puiffe ejire. Sage, vaillant, fçauant, adejire. Pour cela n'ejl plus haut monté. Car foudainfur luy court l'enuic: Et traifnant fa maudite vie Giji par fa vertu rebouté.
Vn flateur dauant touts fe pouffe, Qui traiflre de fa bouche douce Pipe par vn langage doux. Le Mcdifant après s'auance. Vn bon artifan de mechance Se fait rechercher entre touts.
l'aime donc mieux, s'il faut reuiure, Efïre afne., que d'auoir à viure Homme, dont la vertu n'a pris: Pour voir dauant mes yeux le pire Auoir tous les biens qu'il defire. Et le meilleur viure à mépris.
FIN D\' SETTIEME LIVRE DES r>OF. MES.
LE HVITIEME LIVRE
DES POEMES
A TRES AVGVSTE ET
TRES VERTVEVSE PRIN- CESSE CATERINE DE MEDICIS
ROTNE MERE DV ROY.
A ceux qui vont, tous prêts au nauigage, Encommencer par mer vn long voyage, Apres auoir leué Vancre du port Et fait les vœux, c'êt vn doux reconfort Et bon efpoir du retour defirable, Auoir le vent en poupe fauorable. Car Von s'attend, fous le plaifir diuin, D'Iieuretife entrée auoir heureufe fin.
Tout ainfi nous, qui par la mer deferte Alons chercher terre non decouuerte,
lean de Baif.- H. ^
370 vin. LIVRE
La voile à mont, O Roine, s'egûyant De vos faneurs, nous alons déployant Hardis bien loing. Voire pleins d'ajfeurance Voués à vous, nous auons efperance Que fains, au port nojlre vaijfeau rendu, Vous payerons le vœu qui fera du, Lors que d'vn chant porté de terre étrange. L'hymne dirons chantant voflre louange, Le beau loyer dejîiné pour l'honneur Qii'a mérité voflre noble valeur : Que, d'vn vouloir franc & net à merueilles Nous prefentans, à vos dignes oreilles Ferons ouir, d'acords doux & plaifans Et bien choifis, entonnant nos prefans.
Le bûcheron dans la forefl épaiffe, La hache en main, fufpens & douteux laiffe Couler vn tems parauant que bufcher L^ arbre qui doit à fon chois trebufcher : Auffi me faut incertain furatendre Pour defliner à quoy ie me doy prendre De tant d'honneurs que vien aperceuoir, Y demeurant pauure de trop auoir.
Car ce yi'efl pas feulement de nofîre âge. Mais de mille ans parauant, qu'au lignage Des Medicis la noble refplendeur De leurs vertus jette plus d'vne ardeur, Soit en la paix foit en la dure guerre.
Eux de fur tout defirans en leur terre Le doux repos parmy le Citoyen, Se trauaillans fans repos pour le bien De leur pais : V entreprife peruerfe Des fous malins jettans à la renuerfe, Bénins aux bons qu'ils ont toufiours foigné. Tout leur pouuoir n'ont jamais épargné. Or des le tems du grand Roy Cuarlemagne F/75 de Pépin, quand outre la montagne Il déploya f's volans étandars, Au pié des monts, la terreur des Lombars,
DES POEMES. 3/1
Vn preux François à Vanie valeureufe, Planta de/lors la race genereufe Des Medicis. Ev es. aïio fut fon nom Dit M EDI CI, premier de grand renom: Qjii fut aimé des peuples que le fleuue Z)'Arnk plaifant de fes ondes abreuue : Lors que, vainqueur, Mugel tyran maudit Mordant la terre, à fes pies étandit. Ny le fauua celle grojfc majfué Dont il s'armait : qui chaude cncores fué Le fang Tofcan innocent, qui lauoit Six gros boulets qu'en fon ami' il auoit De dur acier : Que la targue dorée Du Cheualier en fa gauche affeuree Ferme foutint : & le fang qui peignit Les fix boulets dedans l'or s'' empreignit.
Pour tout jamais il pend à fon lignage Ces armes cy -.par noble tefmoignage De fes vertus, les voulant enhorter D^ainfî que luy les hommes conforter. Luy recherché pour ce bienfait notable Des abitans de Mugel l'exécrable, Planta l'efloc à jamais valeureux. Et la maifon des Medicis heureux. Là longuement ont fait leur demourance : Vn tems après en fon giron Florence Les recueillit pour fes bons deffenfeurs: Oîi meritans du peuple les faueurs. De la vertu nul honneur ne fe treuue. Dont illuflre:{ ils n ayent fait la prenne, lufqu'à monter au fouuerain degré De leur efiat, fe comportans au gré Des Citoyens : Mais paffans les trauerfes Et les dangers des embûches diuerfes. Des ennemis enuieux, malins, faitls Concitoyens, foutindrent les affauts.
Marche au Soleil, une ombre par dénie) e Te va fv.iuant. Si cherches la lumière
372
VIII. LIVRE
De l'honneur vray, où que tu marcheras L'ombre d'enine après toy mèneras. Qiii tiendra bon fous ajlre fauorable, Ayant ateint le j'omét honorable De la vertu, trionfera veinqueur Et des malins éteindra la ranqueur.
Ce font chucas & corbeaux qui croaffent En vain contre eux, & qui traîtres agaffent L'honneur des bons, & deployent en vain Leur vol pefant contre l'aigle hautain. Où le vaillant & vahireux & fage Mefme toufiours & ferme en fon courage, Dure en tout tems foit d'heur ou de malheur. Marchant conduit de celefle faueur.
Tels les heureux Medicis de bone âme, De fils en fils loing toufiours de tout blâme, Des plus grands Roys <g^ des peuples aime:^, Pour leurs vertus, font dignes efiime^ D^efire honore:^ de plus d'vne alliance Des Empereurs & des Roy s de la France : Toufiours tenans le timon de Vejlat, lufticiers apaifans le débat, Bons, libéraux, ateints d'amour non feinte De la vertu, gagnayis louange meinte. Mais de fur tous le grand Cosme ê Louent Ont emporté le los plus aparent, Par les écris de tous ceux de leur âge, D'auoir des arts moyené l'auantage : Bénits d'auoir gracieux hébergé Des doâes Sœurs le troupeau délogé, Qui lors vagoit fans efpoir en trifieffe, Cruellement dcchaffé de la Grèce, Par le cruel fier Barbare infolent, Qiti fac & gafi y portoit violent. Mais il ne faut fous vn muet filence Cacher ce los. Car toute Vexcelence Que du bon tems aujourdhuy nous auons, Cosme & Lorent, à vous nous le deuons:
DES POEMES. 373
Soit en Gres^eoisfoit en Romain langage, Ou profe ou vers dont nous auons l'vfage, Nous leur dcuons. Tout fut fauué par eux, Qui de leur tems firent vn fiecle heureux. D'eux ejl ijfu le bon Lorent, qui ores Ejl regreté pour fa valeur encores. Luy Duc D'Vrbin, auec autorité Pour gouuerner, dans la belle cité De fa Florence entra, fous la puiffance Du grand Léon lors tenant la féance Au Romain trofne : S- qui fon oncle efioit. Et qui bénin en luy s'en demetoit.
Ce bon neueu de fon oncle en la place S'en vint Parrein de la Royale race, Du grand François tenir le Fils aifné : Mais plus grand fait deflors étoit mené.
Si tofl que l'œil fur Madeléne jette, Sang Doulenoys, de fa beauté parfétte Fut alumé. Le prompt defir l'époint D'vn faint lien d'eflre auec elle joint En mariage, efiimant & fa grâce Et les honneurs de fon antique race. Son doux fouhait ne fut vain, mais parfait : Au bout d^vn tems le mariage fait. Et bien heureux en amour gracieufe Viuoyent vnis, quand la Parque enuieufe Les dejoignant leur bon-heur vint troubler Pour tout foudain au ciel les raffembler.
Lorent, helas! ô trifiejfe piteufe! De dueilfur dueil recharge douloureufe ! Toy le premier au ciel tu t'en volas : Toy le premier ta chère époufe, helas. Tu as laijfee! Encores cinq journées Sur ton dece:{ n'efioyent pas retournées, Qji'elle (d douleur!) à qui le fort ofia Son doux confort, fon âme fanglota: Se confolant de la douce efperance De réunir au ciel voflre alliance :
374 VIII. LIVRE
Se deplaifant de quiter en fa fin De père o- mère vn enfant orfelin.
DiEv le grand Dieu l'heur qui doit venir celé Sous le brouillas d'vn dueil quUl amoncelé, Tel que l'œil gros des hommes durs à voir, Sinon au bout, ne peut Vaperceuoir. OGrande Roy ne, ainfi fut ta naiffance Quand tu nafquis en toute doleance, Pour mieux après refplendir en valeur, Qiiand les François afiige\ de malheur Tu fauuerois : Tout le bon-heur & l'âge. Dont tes parents n'ont pu garder l'vfage, Remis en toy. Puijfé-je m'éjouir Vn âge entier à te voir en jouir!
Or quand des ans la fin qu'auoit bornée Du ciel amy la bonne defiinee Vint à f on point : quand le Pape Clemext Ton oncle faint auoit le maniment Des clefs Saint Pierre, Il aima Valiance Du grand François : & pour vne affeurancs, A fin de plus à la paix l'inciter, Le voulut bien luy-mefme vifiter.
Défia l'acord du facré mariage De toy Princesse O Gaterine sage, Et de Hesri fils fécond de François, Etoit conclu deffous trejfaintes loix. Dedans Marfeille au port il vint defcendre : Là bien veigné luy-mefme te vint rendre, De Père & d'Oncle enfemble te faifant Vn deuoir faint, O Rot ne, en t'epoufant. De telle main peu de Roynes bénies Se vanteront. Toy qui de fes manies Sauue deuois la France maintenir, Tu t'es fenti de telle main bénir: Mère d'vn fang vraiment Royal & digne. Pour fa vertu magefieufe & bénigne. De gouuerner le monde fe rendant Dejfous la loy du François commandant.
DES POEMES. 375
Le plant commun incontinent foifone Prompt à germer : mais la fcmance bone Du fang royal tardiue le produit, Qjiand elle doit porter quelque bon fruit. Contre le ciel longuement indignée Tu defiras vne douce lignée : Mais tout ce tems ton efperit gentil Ne laiffe pas couler l'âge inutil. Mais te prouuant vraiment de ton lignage. Tu confolas ton généreux courage, Qiii fut orné des prefents gracieux Des dodes Sœurs : foulas foulacieux. Qui te donnant deflors quelque alegeance De tes ennuis, t'aquit la fuffance Pour quelque fait de plus haut [qui efïoit Au fein des Dieux) oit ton cœur s'aprefloit. Pour quand la Parque & des deflins Venuie Le bon He^irï priueroit de la vie, Ton cher efpoux : & quand ferait mené leune au trépas François ton prernier-né.
Lors que malheur fur malheur fe redouble lettant l'efîat de ce Royaume en trouble, Charles, ton fils mineur d'ans, laiffé Roy, Les Efîats ont tout pouuoir mis en Toy.
Le cœur bien né à qui V honneur fe done. De jour en jour l'honneur d^honeur courone: Mais qui mal-né contreint fe gefnera Mille vertus en vain il tentera.
Mefme au méchant c^efl chofe bien aifee Troubler la paix : mais d^vne âme auifee Raffeurer bien vn règne, qui paroifi Tout ébranlé, peu de Rois le pourroyent, Si de fa tnain Dieu mefme ne le range.
RoYNE, c'efi toy, toy qui cette louange Viens mériter : Toy à qui ma clianfon Grâces rendra de plus d'vne façon.
Si de ton tems France mal fortunée Souffrit des maux, ce fut fa dejUnee :
3/6 VIII. LIVRE
Mais toy d'vn cœur conjiant la fecouriis,
Dure au trauail à tous périls courus.
En fait de paix, en guerre commencée,
Des plus acorts tu guidas la penfee
De ton confeil, ne perdant la fa i/o n
D^amoderer la fureur par raifon.
Reffimeniant afable & debonaire
Grans S- petis d'vn acord falutaire :
Au bien public tu ne fus fommeillant.
De l'œil foigneux toufiours toufiours veillant:
Et loing & près tu rendis ajfuree.
Tant que tu pus, la paix tant defiree.
Vers ton mary te portas faintement
En tout devoir, à tes fils chèrement.
Q.VE TOVT le tems, ô Princesse admirable, Puijfe tout heur & plaifir defirable Durant tes jours amener dauant toy : Entre les tiens amour & vraye foy : Ton grand honeur : la ferme paix heureufe Au peuple vny : la France plantureufe : Concorde bonne aux royales maifons: L'heur des loyaux : ruine des traifons. Qu'à tes dejfeins naijfans de haut courage, Puijfes-tu mettre, 6 Roine avgvste et sage, Heureufe fin : tirant fous ton fuport Hors des dangers noflre néf à bon port.
A LA ROINE MERE DV ROY.
DiEv s'efl Icué comme vn tonnerre: ■ Ses ennemis gette:{ par terre Sont la plus-part mors étandus. Ceux qui refient d'eux, fans conduite,
DES POEMES. 3/7
Vaguent en miferable fuite. De honte & de peur éperdus. C'ejî à DiF.v c'e/7 à Diev la gloire : De tant mémorable vidoive Rendons-luy grâces & l'honeur. C'ejl Diev, qui dans les cœurs a niifc Vne tant fou daine entreprife, L'ajfiirance de tout bon heur. Mais après Diev, Roine trejfage, Haut louer faut voflre courage, Qiiand animafles vos enfans D'aprouuer fi jufle vangeance, Qui des ennemis de la France Les rendit acoup triomphans. Ce qui par guerre en long trainee Ne s^efi fait, vne matinée Par vojlre confeil l'a parfait: Quand faifant punir la malice Sous la rigueur d'vne jufiice Aue^ terraffé le forfait. En vn jour par vous reflauree Enuers Diev fe voit rajfuree La Splendeur de la fainte foy, La fureur ciuile abolie, Et la Paix certaine établie Sous le haut Sceptre de mon Rot. Ce chef d'euure de ta droiture, Bon Diev, de toute forfaiture Puijfe le Royaume expier! Et Paix & Concorde y fleuriffe:
Que la vertu chaffe le vice:
Tout fe viene à toy dédier. O peuple, fay réjouijfance,
Viue DiE\ & le Roy de France,
Qui maintiennent ta f cureté,
Que de chanter nul ne s'ennuye:
Charles jîOMr vray Charles s'apuye
Sur IvsTiCE 6- fur Pieté.
24*
378 VIII. LIVRE
A MONSEIGNEVR
DE LANSAC.
Debonaire Lansac, difons-nous mal-heureux D^cjîve nais en ce ficcle! 6 mille fois heureux Ceux qui font morts deuant, & ceux qui font à naijire. Pour ne voir les mal-heurs qu'entre nous voyons ejlre! Nous, qui du fang de Chrijl nous vantons racheté^, Qiii ne croyons qu'vn Dieu : quelles méchanceté^ Ne fe font entre-nous? Hé! le fils àfon père Va machinant la mort, & le frère à f on frère. Le voifin au voijîn : il ny a plus de foy : On ne creint plus vn Dieu, Ion foule aux pies fa loy.
Comme vn jeune cheual, qui fans bride & fans felle Echappé de Vétable, oit fan defir l'appelle, Puis deçà, puis delà léger fe remuant. Trotte, galope, court bondiffant & ruant: Ainfi le peuple fol fe mocquant de la bride, S^egare vagabond où fon plaifir le guide.
Comme vn nauire en mer, furpris au depouruu, Des corfaires cruels enuironné s'efl vu Pluflofl que de les voir : de Dieu lafainte Eglife Se voit de toutes parts de Pirates furprife, Qiii déjà dans fa nef partijfent le butin, Pelle-mefle brouillans droit humain & diuin : Pilotes, Matelots, foldats & Capitaine, N'y pouuans rejîfler font mis à la cadene.
En queljtecle a Ion vu par inhumains efforts Répandre plus de fang, S- tomber plus de morts, Plus de peuple apauury, de terres defertees, De villes & leurs forts dejfus deffous jettees? Et tout par nos peche^ : mais nofîre mauuaiflié Ne peut tant enuers Dieu qu'enuers nous fa pitié:
DES POEMES. 379
S'il eiijl voulu punir en rigueur nojlre offence. Tout ejloit ruiné : Cette douce efperance, Seul confort des humains, n^eujl pas daigné nous voir. Nous fuffions delaiffe:^ enproye au defefpoir. Bien que la terre ouurant les abyfmes du monde, Nous eujl tous engloutis dans fa pance profonde ; Bien que les deux déclos eujfent plu dejfus nous Les foudres orageux de leur jufle courroux; Et de fes flots enfle\ la grand' mer effroyable Eufl noyé des humains la race mifcrable, Encores neuffions-nous à moitié fat isf ait Au mal que méritait noflre méchant forfait.
Voye^ les faits de Dieu, & de quelle entrefuitte Sa bonté paternelle enuers nous s'efl conduitte : Dieu qui fonde en nos cœurs noflre malignité, Encore qu'à bon droit il fe fufî dépité Pour nous perdre du tout, il ne l'a voulu faire. Mais à la repentance a tafché nous attraire: A fin que deplaifans de noflre folle erreur Nous vinfions émouuoir à pitié fa fureur, Et que prenant en gré le deuot facrifice De nos cœurs bien contrits, il fe rendifl propice.
Il ne faut rechercher Vâge de nos ayeux: Regardons feulement ce que nous de nos yeux Voyons de noflre tcms, & y penfons de forte Que bien pour l'auenir du mal paffé refforte. Lors que François paya le dcuoir des humains. Et qu'il mit des Gaulois le fccptre dans les mains Du bon Henri /b»_/?/s, quittant cette demeure Pour paffer plus heureux en vne autre meilleure: La bonne Paix régnait : & la belle faifon De jeux & de plaifirs nous comblait à foifon : Les canons ne s'oioyent ny le bruit des alarmes, Et la rouille déjà mangeait les dures armes. Et l'iregne teffiere alentour des gouffets De fa toile maillée ourdiffoit les filets : Des dagues fe for geoy eut les faucilles courbées. En des faux fe changeoyent les meurdrieres épccs.
38o VIII. LIVRE
Ce Royaume paifible opulent fleuriffoit, Regorgeant de tous biens: le peuple joiiiffoit Des beaux dons de la Paix : la terre labourée Rendait planté de fruits au feigneur ajfuree: Tout ejîoit plein de joye, & rien ne fe faifoit Que noces & fejlins & tout jeu qui plaifoit.
Le plus fouuent on voit que la meconoijfance Et l'orgueil fuit de près l'exceffnte abondance. Quand à cœur foui l'homme a le plaifir S- le bien, Il ne peut le garder d'vn mefuré moyen : Il s'aueugle cnfon aife, & de gloire fe flatte , Et vers f on bien-faiteur decouure vne ame ingrate.
Comme vn rouffin rebours, de voyages laffé, Trauaillé, rudoyé, tant qu'il eft haraffé Obéit à fon yriaiflre, & le porte où la bride Auecque Vépcron luy commande & le guide. Mais quand d'vn long fe jour il s' eft remis en chair, Bien panfé, bien nourry, ne fe laiffe approcher, Et fier & déloyal ne veut fouffrir fon maiflre, Se cabrant & ruant : fi en fon premier eflre La peine & le chemin dccharjié le remet. Alors à la raifon contrainte le foumet.
Les hommes font ainfi : tant qu'ils ont fauorable Le vifage riant de Fortune amiable. Ils deconoiffcnt Dieu : & ne fçachant qu'ils font Ne fe contiennent point en ce bon heur qu'ils ont. Mais s'il auient foudain qu'après la faifon belle Ils fentent fur leur chef la tempefle cruelle, Quand Dieu pour leurs peche^ juflemenî irrité Echange leur doux aife en dure auerfité : Chacun le reconoifl & fa faute confejfe. Et pour luy obéir vergongneux le front baiffe.
Or foi t que le bon Dieu fufl alors indigne. Pour fe voir des plus grans follement dédaigné, Soit que la faute vinfl du peuple, qui s'oublie, Et de l'aife enyuré fe haujfc en fa follie, ( Car il ne m'appartient d'en faire jugement) ' Dieu le juge & le fçait : je diray feulement
DES POEMES.
38l
Qu'il n'ejl aucun bejoin que nos fautes ie prefche.
D'autant que la mémoire en cjl encore frefche.
Soit par l'vn,foit par l'autre, ou fait que tous les deux
Euffent delaijfé Dieu, Dieu fe détourne d'eux.
Les laiffant pour vn tetns, & permet que la rage
S'en vienne icy troubler du peuple le courage.
Cependant que HexNri du Piémont vifitoit Les villes & les forts : & qu'il ne fe doutoit Ny d'affaut d'étranger, ny de trouble en la France, Guidant tenir fon peuple en paifible affurance^ [Car ny V Anglais pour lors les armes ne prenait, Et Charles V empereur en paix fe contenait) Voicy fortir d'enfer la Rage écheuelee : D'afpics & couleureaux fa crinière efi méfiée: Vne torche flambante elle branle en fon poin, Qiii répand dedans V air vne fumée au loin, Vne fumée noire, aigre, obfcure, puante. Qiii fera mon amy, que jamais ne la fente. Mon amy ne les fiens : Qui la fent, a le cœur Soudain empoifonné de chagrin & rancucur : Le fomme fuit fes yeux, il fe ronge d'enuie. Et prend en mefme horreur la mort comme la vie : C'efl celle-là qui fait les amis ennemis, C'efl celle-là par qui les grans Princes font mis Dehors de leurs grandeurs, & leur couronne oflee Sur le chef étranger en triomphe efl portée. Encontre lesfugets elle anime les Rois, Leur faifant impofer des tailles & des laix Qu'ils ne peuuent porter : les cœurs elle mutine Des peuples à brajfer des feigneurs la ruine: Elle-mefme contraint les libres citoyens Au joug de feruitude : elle ouure les moyens Aux hommes afferuis de rentrer en franchife. Changeant des nations les eflats à fa guife.
Elle fartant vn jour par la France courut., Par où elle paffoit toute l'herbe mourut, Et les fruits auorte^, & les fleurs violées Churent de toutes parts fur les terres bruflees.
382 VIII. LIVRE
Soudain le menu peuple elle pouffe en fureur, Et luy troublant le fens pour ne voir /on erreur, Contre le Prince emplit les cœurs de felonnie. Et toute reuerence en a dehors bannie.
L ' A V A N T N A I S S A N C E DE M A D A M E.
Nay, Fille heureufe, d'eureux Père: Le chajle ventre de ta Mère Décharge de ton doux fardeau : Plus que neuf mors elle te porte. Vien : & fon ennuy reconforte De ton regard plaifant & beau.
Au bon efpoir de ta naiffance La comune rejouiffance Les elemens regaillardifî. Le ciel rit ferein de grand' aife : L^air coy fe taifl, la mer s'apaife, La terre gaie reuerdifl.
Le Soleil les beaux jours allume: Et confiant contre fa coutume, L'Autonne aprefle ce beau tems. Du froid hyuer lafaifon mourne En tafaueur lente fejourne. Pour ne troubler ce doux printems.
Mais, Fille heureufe d'heureux Père, Le chajle ventre de ta mère Décharge de ton doux fardeau : Plus que neuf moys elle te porte. Vien : & fon ennuy reconforte De ton regard plaifant & beau.
DES POEMES. 383
Puis que ton heureiife portée Pajfe de la groejje vfitee Le terme des neuf moys courans, Qiielque cas de grand tu dois naijîre. Nay, qui bien grand^ vn jour dois ejlre, Fille heureufe d'heureux parens. DiEV, qui du fang Royal a cure. Pour bien ajlrer ta geniture, Retarde ton heureux fe jour, lufques au point que les planètes De leurs clerte:{ bonnes & nétes Te conuiront fortir au jour. Bien que tout afpét malin cejje, Et le ciel fauorablc lejje Ses bons raions luire fur toy. Sur tout je pren mon ajfurance D'vn bon fruit de bonne femance De boue Roine S- de bon Roy. Si tofl que pour voir la lumière Tu deffilleras ta paupière. Montre nous fignes apparens, Qit'en toy ne languifl de ta race La valeur, l'honneur & la grâce, Que tu retiens de tes parens. Comme Diane enfoti enfance Donna toute belle cfperance D'auoir vn magnanime cœur: Lors que non poureufe elle arrache Le poil du Cyclops qui la fâche. Se maf quant pour luy faire peur. Auffi toy fi tofl que ta deflre Libre du maillot verras efïre, Vn fait de marque tu feras: Pour donner aux humains prefage, Qiie ny de fait ny de courage Aux Deeffes ne céderas. Puis quand tes premières années En jeux enfantins retournées.
3 84 V 1 1 1 . L I V R E
L'efprit vigoureux t'ouuriront : Ainfi qu'autrefois ta grand' mère, Et le grand père de ton père. Les neuf Mu/es te nourriront.
Auecques ces dodes Pucclles Tu aprendras les chofcs belles. Et de nature les fegrets: Remarquant de louable enuie Des grands Héroïnes la vie Es vieux Ebrieux, Romains & Grecs.
Soudain croijfant auecques Vàge, Princejfe courageufe & fage, Les plus grandes furmonteras : Et pour ta valeur amirable Aux grans & petis vénérable, Des plus grans feruir te feras.
Lors combien de langues fçauantes, O combien de mains écriuantes Doctement ton los publiront ! OJi je puis iufque-là viure, Vn tel œuure je veu pourfuiure, Qiie mille ans après n'oubliront.
Mais nul pouffé de fureur fainte. Au fons de fa poitrine enceinte, Ne te pourra Ji bien vanter Que toy-mefme, qui des l'enfance Auras aquis cette puiffance De bien écrire & bien chanter.
Lors tu bâtiras tel ouurage
Sur les faits du cours de ton âge, Qite le long tems n'abolira: Qui ta Grand' Mère Caterine, Ny ta Mère douce & benine, Ny Charles mon Roy n^oublira.
DES POEMES. 385
A MONSIEVR DE MARILLAC CONTRO-
LEVR GENERAL DES FINANCES.
Marillac, que la preudomie, Des vertus la certaine amie, Et la nonchancelante foy Aujourdhuy reconué auance A la générale intendance Sur les finances de mon Roy :
L'vn naitra fils d'vn riche père : L'autre par fortune profpere Seigneur de biens fe trouuera: Mais nul des deux, la iouijjance De ce qu'il tient en fa puiffance, Prendre à propos on ne verra.
Celiiy qui pauure fe lamente En vain defireux fe tourmente De mille beaux deffeins qu'il fait: Si quelque bon Dieu fauorable Acomplifl fon vœu deftrable, Il n^en met vti feul en effet.
C'efl chofe entre les hommes rare D'en voir vn bon qui ne s'égare Du vray deuoir de la raifon : L'vn veillant des biens à la quefie, Sans borne tous les jours aquefle, Et batifl vne grand' maifon.
Et cela, dont mille auront faute, D'vne couuoitife trop haute, Va pour deux ou trois entaffant : Et qui n'en jouiront [peut-eflre) ; Car fouuent tel auare maiflre Meurt pour Vétrangicr amaffant.
lean de Baif. — II, 2 5
386 vin. LIVRE
Uautre aura la bonne penfee, Par qui ferait mieux difpenjee La fortune s'il la tenoit : Mais elle fan heur luy dénie: Luy malheureux maudit fa vie, Qiii jamais content ne fe voit.
Rien n'efl plus fâcheux que d'entandre Que vaut le bien : lefçauoir prandre Et ne Vauoir en fon pouuoir: Mais feflime plus déplorable Des biens le feigneur miferable, Qiti n'' en fçait faire fon deuoir.
Peu-fouuent Ion voit la richeffe Et la vertueiife fageffe Dans vne famille abiter. Le bien efl vray bien en Vvfage: Et c'cfl des biens le bon ménage De bien pouuoir les débiter.
O Siècle de fange & d'ordure ! Le bon neceffiteux endure: Le periiers efl maiflre des biens, De qui voyons la maifon pleine D^vne racaille orde & vileine, Qui deuore tous fes moyens.
Tant peu, la vertu méprifee, Efl des puiffans fauorifee, Que fi tu ne veux reculer, Si ton eflomac en foy cache De bonté quelque belle tache, Il te la faut diffimuler.
Tant aujourdhuy règne le vice, Tant peu commande lajuflice, Tant le vray bien gijl abatu! Lon fait gloire de forfaiture. Cefl vergogne, c'efl grand' injure, Et faut rougir de la vertu.
Le grand qui aime la pauurcte, S'il la cherifl c'efl en cacheté.
DES POEMES. 387
Vn qui fait métier du forfait, A decouuert le pourra faire : Car c'efl la façon ordinaire Tenir pour fat qui ne malfait.
Nous maligne race des hommes,
Qui rien qu^vn vain fonge ne fommes, Mortels d'heure en heure toujîours, Ne fçauons vfer de la vie, Qui par entre nous meurt rauie, En lieu de nous donner fecours.
Mahillac, doué de prudance, Il nous faut arme:{ de conjiance, Maintenir nojlre intégrité. Le fang Royal, qui ne meprife La vertu, mais la fauorife, Luy rendra l'honneur mérité.
AMOVR DE VERTVN ET P O M O N E.
AV SEIGNEVR PELLOY.
V N Chajfeur de fa chajfe, vn pefcheur de fa pefche, OPelloy, te fait don : Moy que la Mtife empefche A compcfer des vers, je t'offre de mon art: Le prefent efï petit, mais pren-lc en bonne part.
Dessovs Procas régnant fur la gent Palatine, Fut Pomone la Fee en la terre Latine, Qiti à dreffer jardins fa pareille n'auoit, Et planter les vergiers par fus toutes fçauoit,
388 VIII. LIVRE
Dont elle tient fon nom. Elle nefe plaijl guieres Ny à l'ombre des bois n'au courant des riuieres. Sur tout ayant choify le doux labour des chams, Et les francs arbrijfeaux fous les pommes penchans: Ny le carquois & Varc en echarpe ne porte. Ny le dard en la main, mais vne ferpe torte Au trenchant affilé, tantofl en emondant Le fruitier de jetions trop épais abondant: Tantofl ouurant l'écorce, & la greffe aportee Antant pour la nourrir de la feue empruntée. Ny le fouffrant languir ny de foif efcué Ny étouffé dans terre, ains ou d'eaux abreuué Par canaux le reflaure, ou cerne d'vne foffe Son efioc racineux, & tout le pié dechauffe. Mettant là fon amour, prenant là fon plaifir, De la dou:e Venus ne fent aucun defir : Et toutesfois craignant des paifans l'injure De liaye & de foffé fes vcrgiers elle emmure. Repouffant â- fuyant des hommes les affaux. Qii'efî-ce que des Satyrs, legiers à faire faux, La jeuneffe, & les Pans, à qui vne couronne De J'apin verdoyant les cornes enuironne, Et Silène, toufiours plus jeune que fes ans, Ne monflrent, à les voir à ces jeux mal-duifans. Et le Dieu qui terrible ou de fa faux recrouche, Ou de fon gros tribal les oifeaux efarouche, N'ont fait pour en jouir? Mais Vertun amoureux, L'aimoit plus que tre-tous, & n'efloit plus heureux. Combien de fois efl-il venu en fa prefence D'vn outeron haflé fous la vraye femblance, Le van deffus iécliine, en la main le fléau? Combien de fois le front enceint de fein nouueau, La fourche & le râteau dentelé fur l'épaule? Saunent d'vn piquebeuf portoit la longue gaule Dedans fa dure dextre : & le voyant fueux Euffes dit qu'il vcnoit de decoupler fes beufs : S'il faut qu'auec la fcie au poing la hache mette, S'il faut qu'auec la houê il tienne la ferpette,
DES POEMES. 389
Ou tu voudrais jurer qu^iî ferait vigneran. Ou te ferait auis de voir vn bûcheron. Si d'vne longue échelle il fe charge la tejte, Tu dirais qu'à cueillir des pommes il s'apprejle: Tu le verras foldat quand l'épee il ceindra: Tu le verras pefcheur quand la ligne tiendra : Brief, de diuers habits fa perfonne acaujlree, Se dcguifant tovfiours, a tant cherché l'entrée, Qii'à la fin il paruient à cueillir le doux fruit Du defir qui l'auoit à ces ritfes conduit. Vne fois s^affublant d'vn couureclief de toile, S'encapant à chef-bas d'vn long S- large vcile, Et de cheueux chenus fes temples accouflrant, S'appuie d'vn bafîon, & vieille fe monflrant. Entre deuers Pomone : & d'alure tremblante. Pénible démarchant, non cognu fe prefente. Et de voir tant de fruits faifant bien l'ejîonné A celle qu'il aimoit ce falut a donné.
A toy font à bon droit toutes Nymphes hommages Qui fe jouent d'Albule entre les deux riuages: Vierge ie te faluê honneur d'honneflcté, O fleuron impollu d'entière chafîeté.
La louant il l'aproche, & des baifers luy donne Qiie ne donnerait pas vne vieille perfonne : Puis courbé s'affeant fur vn ga^on motu Contemple le vergier d'Autonnc rcueflu. Entre tout vn ormeau, qui deuant luy fe panche, Et s'égaille ombrageux de mainte verte branche Embellie à l'entour de pampre & de raifins, Effaçant les honneurs de tous arbres voifins. Et fur tout l'admirant à blafonner fe bagne Auecques le mary la vigne fa compagne : Quand ce tige, dit~il, fans le pampre ferait, Rien pour eflre cherché fars fa fueille n'aurait: Et cette vigne auffi deffus l'orme attachée, Qi'.i ne l'eufl attachée en terre fût couchée: Toutcsfois de les voir froide tu ne t'efmeus: Et fuis la compagnie, S- joindre ne te veux. '
390 VIII. LIVRE
Que le vouloir t'en vinji! Ta maifon ferait pleine De plus de pourfuiuans que n^ eut jamais Hélène, Ny celle qui jadis les Centaures arma, Ny celle qui Vlys fi loyaument ayma. Et me/mes aujourdhuy bien que rebelle fuies, Bien que de mil dédains tes amoureux ennuyés, Mille font après toy qu'hommes que Demi-dieux, Qjte ton amour gagné feroit deuenir Dieux. Mais toy,fi tu e (lois fille bien confeillee, S^il te prenait defir d'efire bien mariée, Et vauluffcs m'ouir en Page oit tu me vois, Qui t'aime plus qu'eux tous, & plus que tu ne crois. Tu renuoirois bien loin quelque party vulgaire, Et choifirois Vertun pour à jamais le faire Parfonnier de ton lit, lequel pour tnon deuoir Plegeray cors pour cors fi me veux receuair : Car il m'efl plus cognii qu'il ne l'efi à luy-mefme : Puis n'efiant vagabond autre demeure n'aime Que de ces enuirans : ny comme la plus part Des voilages muguets, fon amour ne départ A la première vue : Et tu es fa première, Et feras, fi tu veux, fa maifireffe dernière: Car d'autre que de toy ne pourrait s'auouér, Se voulant pour jamais à toy feule vouer: D'auantage il efi jeune, & doué de Nature En tout ce que Ion veut de former fa figure : Tout ce qu'ordonneras [ordonne feulement) Pour auoir tan amour fe fera dextremeni. Quay? N'efi-ce rien auffi que cela que tu aimes Il l'aime ainfi que toy? que tes fruitages mefmes Ejouiffent fa main? Et que fur tous prefens Tes prefens autonnaux liiy font doux & plaifans? Mais ne defirant plus, ny lesfrians fruitages De tes arbres exquis, ny les tendres herbages De tes jardins foigne:^, ne defir e que toy: Ay pitié de fan mal : ajoufie autant de foy A ce que ie t'en dy, que fi en ta prefence De fa bouche luy-mefme il faifoit fa. dolance :
DES POEMES. 391
Et crein les Dieux vengeurs & l'ire de Cypris, Qid punit, quoy que tard, les rebelles efprits, Donques Nymphe mê bas ta rigueur amolie: Defpouillant ton orgueil à cet amant te lie. Ainfi puijfent tes fruits, ny gele:[ au Printems, Ny grille^ en EJlé, Je yneurir en leur tems.
Quand le Dieu qui en tout abilement fe tourne Eut dit ces mots en vain, enjeuncffe il retourne, L'équipage & l'habit de vieille delaijfant : Et fe decouure à elle à coup apparoiffant Tel comme du Soleil la f ambiance trefpure Se dcuoile abbatant vue brotiée obfcure, Qui cachait fa clarté, quand fon aimé flambeau Débrouillé d'vn clin d'œil rayonne clair & beau. Vertun afpre & bouillant d'en jouir délibère Par force, mais de force il nauoit plus afaire: Car fi tofl que Pomone ainfi beau l'apperçoit, Mutuelle blejfure en fon ame reçoit.
A lOACHIM TIBAVD DE COVRVILE.
Bien que tout autre eftat mondain Par faueurs ou par dons s'acquefie, Ou fait pour fe couurir la tefle D'vn chapeau de riche cfcarlatte, Ou pour auoir deffur le fein L'honneur du collier qui éclatte. On n'a point vu que le Poète Par ce moyen fa gloire achette.
Mais, TiBAVD, auffi tofl qu'il naifl Il faut que d'vne douce œillade
392 VIII. LIVRE
Des Mufes la chajle brigade L'enfant bicn-ajîré fauorife: Dés l'heure defirant il n'ejl De pourfuiure vne autre entreprije : Il ne veut acroijlre fa gloire Par vne fanglante vidoire.
Il ne veut fe voir en honneur, Comme vn Magiflrat qui prefide Tenant aux rudes loix la bride: De mille ar-pens de labourage Il ne veut ejîre le feigncur : Il ne pâlira fous l'orage, Qui la mer vagueufe menace, Ny ne rira s'elV efl bonace.
La tromperejfe Ambition Vn vray Poète n'enueloppe, Ny des traiflres fonds la troppe, Qui l'homme couuoyteux tenaille, Ne donie fon affeâion : Ny aux richeffes il ne bâille : Rauy des Mufes il prend peine D'aller boire dans leur fonteine,
Qui fourd fur la fime d'vn mont : Et celuyfe trompe, qui penfe Rauir fi riche recompenfe, Sans l'auoir deuant defferuie Par noble fueur : comme font Ceux qui, s'enflans fur nous d'enuie, Tafchent nous defrober la gloire D'vne tant pénible vidoire.
Auec peine S- fueur il faut
Grimper la montagne fafcheufe, Afpre, rude, roide, efpineufe : Il faut froiffer dix viille afpreffes Deuant que monté fur le haut Tu fois receu par les Deeffes : Mais qui n'a point dés fon enfance Leur faueur, de rien il n'auance.
DES POEMES. 393
Car bien qu'aucun eujl furpajfé Le plus périlleux du voyage Forcé d'vn ojliné courage, S'elles ne Vont pris dés le lange. D'elles il nejl point embrajjé : Mais repouffé loing fans louange, Du furjon diuin de Veau claire, Dans Veau trouble fe defaltere.
Du previier fourjon maint ruiffeau Par maint conduit d'enhaut deriue, Mais Vonde n^y coule fi viue Comme dans la première fource, Ains fangeufe roule fon eau, Qui, plus loin du chef prend fa courfe, Tant plus s'en alant trouble & fale Par le pendant du mont deualle.
Tel de petit cœur pareffeux Regarde la haute montagne. Et fans partir de la campagne Boit de Veau qui coule fangeufe, Qui [effronté) fe ment de ceux. Qui d'vne peine courageufe Ont ofé jufqu'en haut atteindre, Et leur foif dans Veau viue ejleindre.
Tel de cœur en chemin fe met. Qui foudain recreu du voyage A mi-chemin rompt fon courage, Et boit dans le ruiffeau moins fale. Mais en vain, fi fur le fommet A longs traits foiueux il n'auale De celle fource clair-courante, Oii Vonde pure efi bouillonnante.
Au pied des Lauriers vigoureux. Qui fus la liqueur argentine Voûtent vne verte courtine, Couurans les eaux d'vn frais ombrage. Heureux, ô mille fois heureux A qui les Sœurs font Vauantage
23'
394 VIII. LIVRE
De liiy declorre leur fonteine, Qui adoucit toute leur peine.
Depuis par tout le monde en Vair Il ejt porté dejfus les aifles Des doâes Mufes immortelles: Et parmy la bouche des hommes. Se fent bien renommé voler: Et parmy nous qui mortels fommes Renouuelle toufiours prefente Sa mémoire à jamais viuante.
Il faut auffi que nojlre nom,
Tibaud, toufiours viue & reuiue Alaugré la Parque, qui chetiue En vain prefentera fa darde Contre noflre noble renom, Si des Sœurs la bande mignarde Donna faueur à noflre enfance Dés noflre première naiffance.
Sus, vainqueurs la Parque domtons, Dechajfons de nous la pareffe, Et picque:{ de promte allegrejfe Tirons au haut de la montagne. Au lieu plus efleué montons, A fin qu'en la baffe campagne, De là pleins de gaye affurance Sous nous dédaignions Vignorance.
A MONSEIGNEVR LE PRESIDENT
DE E I R A G V E.
BiRAGVE, de qui la prudence En tous afaires d'importance, A fend defia plufieurs Roys, Réglant des cite^ la police,
DES POEMES. 395
Bridant l'infolente milice, Promte à jeter le joug des loix.
Bien ejl ta loyauté cognué Entière & fidèle tenue , Pour n'auoir jamais foruoyé Du vray /entier de la droiture, Vers la nouuelle forfaiture Oîi le mutin s'efl deuoyé.
Bien as-tu fait preuue certéne. De la fainte foy qui te mène, Et du fain confeil où te plais, Au grand bien du François empire Qui fi bon confeiller admire En faifon de guerre S- de paix.
Le Roy ton vierite regarde : Et te choifiJTant, en ta garde Les féaux de la juflice met. Toy qui diligent ne fomeillcs, En ta charge fi bien tu veilles Que nul abus ne s'y commet.
Bien heureux l'état oit mérite Auance les hommes d'élite Au digne degré de l'honneur. Plufi à Dieu qu'en toute la France Le bien vfi telle reuerance Qu'il y trouuafi fan guerdonneur!
Ce qui fait qti'vne cité dure C'efi l'obferuance de droiture, Qui propofe pris au bien fait, Et les bien meritans guerdonne : Aux malfaiteurs la peine ordonne Pour les punir de leur forfait.
L'état n'efi pas en affurance Oîi Vorgueil joint à V ignorance Foule aux pieds le droit abatu. Mais tout fuccês Ion voit enfuiure Et la gent heureufement viure Où tout ployé fous la vertu.
396 VIII. LIVRE
Cejl la commune maladie Quand la jujlice abâtardie Soufre des indignes la loy. Lors il n'ejl point de preferance En pounoir ny en reuerance, Pour l'homme de bien & de foy.
Qiie le fainéant chaffé déplace Honteux abatant fon audace Dauant le cœur plus valeureux! Où le meilleur deffus le pire Pour commander Ion voit élire, Les Citoyens font bien heureux. Vn homme de bien qui profpere Faifant bien le bien qu'il doit faire, Il efï le bien commun de tous. Mais quand le méchant on auance En crédit, honneur ou cheuance, Mieux vaudroit viure entre les loups.
Autorifer l'ame méchante, C'efi metrc l'épee trenchante Dedans la main du furieux. S'il faut que le bon obeijfe A celuy qui n'efl rien que vice, L'outrage efl trop injurieux.
Si l'état dechét & décline, Lors tu jugeras fa ruine Que verras bobancey entrer, Apres elle furabondance, Puis venir outrage à la dance, Puis fa mort tu vas rencontrer.
Baïf, où te pouffe ta verue ?
Veux-tu porc enfeigner Minerue, Qui viens importun difcourir Des abus contre la droiture, A qui la maintient nette & pure? Laijfe tems & monde courir.
Ton Roy qui les vertus fuporte. Et de fes frères l'ame acorte,
DES POEMES. 397
Et la Mère de ce bon fang, Faifans chois de la fiififance Des bons à la jujle balance, Frémiront chacun à fon ranc. Et feront Jlorir vn bon âge,
Baniffans des humains l'outrage Sous les jujles loix abatu D'vne droite & fainte vangeance : Et d'vne belle recompance Les conuiront à la vertu.
AV SEIGNEVR DE NOGENT TRESORIER
DE LA MAISON DV ROY.
1 Rop méchamment vit abrutie L'engeance humaine peruertie. Qui ne fait comte de vertu. Le vice des hommes emporte D'vne acoutumance plus forte Qiie leur naturel abatu.
Rien n'efl fi doux que l'exercice De prudence jointe à juflice, Qjti toutes les vertus contient: Nulle vertu ne fe deftre, Où elle rend, tenant l'empire. Ce qui à chacun apartient.
Marteav, le bon Dieu qui ut cure De nous, créa noflre nature Telle que rien n'y défaillît, Joignant d'vne belle aliance L'immortelle & mortelle effence, Qitand l'ame dans le cors faillit.
398 VIII. LIVRE
Dieu voulut que l'ame éternelle Commandant dcfus la mortelle La rangeajl aux diuines loix. Mais contre l'ordre pourpenfee Dedans l'immortelle penfee, Pour le bien, du mal fai/ons chois.
Si nous fçauons bien nous cognoijlre, Des Vheure que venons à naijlre, Nous apurions en nojlre cœur De Dieu la vraye loy grauee: Mais nojlre bonne âme agrauee S'aueugle de la nuit d'erreur.
Rien n'ejl fi ayfé que de prendre Le deuoir d'homme & de le rendre: Car c'efi pourquoy nous fommes ne^. Mais traîtres à nojlre nature, Les vus des autres n''ayans cure, Nous fommes entrabandonne^.
Ayder à tous, à nul ne nuire: Vn autre ne point éconduire De quoy ne veux ejlre éconduit. Ce qui fait à toy, te doit plaire, Secourable à d'autres le faire : Conduire pour efire conduit.
Ce que tu fens en toy contrére Ne le faire point à ton frère : C'ejl qu'on doit jetter ou choijir. De nos faits la règle ceriéne, C'ejl aler droit oit pouffe & mène Ou l'aborreur ou le defir.
J'entan qu'à la jufle mefure De nojlre bien faine nature. Selon que nous voudrions pour nous, Juges fains en nos propres cfmes, EJlimans les autres nous mefmes, Nous nous comportions enucrs tous.
Sçachions qu'en ce monde nous fommes Hommes nés pour ayder aux hommes.
DES POEMES. 399
Et fi quelcun tient le rebours, On ne diijî pas l'ejUmer, comme Homme, s'il fuit le deuoir d'homme : Mais faut le tenir comme vn ours.
De telle maintaife coutume La pejle des humains s'alume, Qiiand chacun ne tire qu'àfoy: Qiiand d'autruy mcprifant l'outrage Et Vignorance & le dommage, Foule aux pies toute fainte loy.
Tellement qu'il vaudrait mieux ejlre Quelque brut fauuage ou champejïre, Que viure entre les hommes yié: [le di pour la terre/ire vie,) Tant l'homme oublieux fe deuie Du vray but à luy dejliné.
Il n'ejl plus trace dejujlice: Par tout règne toute auarice : Par tout forféne faux plaifir. Vertu n'efî qu'vn nom. inutile, Dont fe mafque le plus abile Qui borne le moins fon defir.
Vn feul ie ne voy qui bien face: Et ie ri de quoy leur audace Renuerfe la peine fur eux, Et quelque bien qu'ils fe propofent Jamais jouiffans n'y repofent, Au dernier foupir malheureux.
Toufiours la creinte au cœur les pique : Leur couuoitife magnifique Jamais ne fe peut ajfouuir. De ces médians à la lignée, En moins d'vn âge dédaignée. Honneurs & biens ie voy rauir.
400 VIII. LIVRE
A REMY BELLEAV.
QvEL autre bien plus grand Confole nojïre vie, Que la joye qu'on prend D^vne amitié qui lie, Belleau, les me/mes cœurs D'vn nœu de me/mes mœurs?
Parmy tant de trauaux Qui troublent yiojîre race, Le feul confort des maux Qiie le malheur nous brajfe, C'ejl Vamy qui Je gr et Entend noJlre regret.
Mais, 6 rare joyau, Q. loyau prefque aufjî rare
Qu'ejl rare cet oyfeau Qui au pais Barbare De fa cendre renaifî, L'oyfeau qui plus d'vn n'efl.
Maint de feinte amitié Trompe l'humaine vie De fauffe mauuaifïié. Et de traitreffe enuie. Et d'obfcure rancœur, Ayant enceint le cœur.
Maint par mainte moifTon D'vne apparence belle. Fuyant toute tançon Te fera du fï délie, Tirant fous bonne foy Tout le fecret de toy.
DES POEMES. 401
xMais Ji tojl qu'il fçain-a
Le fond de ta penfee.
Et que prejle il aura
Sa traifon pourpenjee,
Traijlre [fi le peut bien )
Tojïcra de ton bien. L'autre durant ton heur
Suiuira ta fortune :
Si tojl que le malheur
Menacera ta hune,
Débarqué de ta nef
Fuira de ton mechef. Et comme le Daujin,
Qui fuit la nef qui nage.
L'abandonne à la fin
Où l'eau faut au riuage:
Ainfi l'amy flateur
Delaijfe, ait cejfe l'heur. • Vn autre cependant
Que des biens la balance
Egalement pendant.
Plus à Vvn ne s'élance
Qu'à l'autre, te fuiura
Et ton amy viura. Mais fi tofl que le bien
Hauffera fa richeffe.
Adieu le beau lien
Qui pareils vous empreffe:
D'vn faut auec fon heur
Il éleùe fon cœur : Et du tout oublieux
De fa fortune baffe,
Ne daigne glorieux
Baiffer fa fiere face
Vers fon compagnon bas.
Qu'il ne recognoifl pas. La fincere Amitié
Auec la vierge Aflree, leande Baif.- II. 26
402 VIII. LIVRE
La vertu, la Pitié, Durant l'âge dorée Hantans ces manoirs bas Ne nous dedaignoyent pas.
Mais depuis qu'en argent Finit Vâge dorée. Et Vargent fe changeant En airein, la ferrée Retient après Vairein V empire fouuerain :
De pis en pis deflors
Toutes chofes s'empirent. Tous les vices dehors Des noirs enfers faillirent : Les rages, les rancueurs Empoifonnent les cœurs.
Des hommes vicieux Ajîree dédaignée S'enuola dans les deux, Des fœurs accompagnée, Q_ui fuoyent des humains Les violentes mains. Vertus dés ce tcms cy Fuyent l'humaine race: Et, s' elles ont foucy De quelcun de leur grâce. Leurs prefens précieux Coulent en nous des deux.
Mais des deux ferait point Noflre amitié venue, Qid nos deux amcs joint, Belle au, d'vne foy nué, Auec telle douceur Gliffant dans noflre cœur?
DES POEMES. 403
A MONSEIGNEVR
DE V I L L E Q V I E R.
O Ville Q.VIER, aux a foires adroit,
luge des vers, quand aucun demandroit
De mes écris le premier que jamais
Je mis au jour, le viene lire, mais
j\farquant le iems excufi' le bas âge
Où j'etoy lors, & loura le courage:
Quand jeune encor & fans barbe au menton,
[Lors dejîreux d'aqucrir vn beau nom]
Me ha:{ardc fous Henri Prince humain
{Au douzième an qu'il tint le Sceptre en main
Par mes labeurs à me fai- e conoijlre.
Vingt & trois ans continus j'ay fait croiflre
De mes trauaux d'an en an le monceau,
Où j'emploiay de mes jours le plus beau,
Mon doux printems : puis après mon œtc.
Sans recueillir nul loyer mérité.
Mais le Roy Charle & fa mère trefbonnc
Feront porter du fruit à mon autonne.
Ou le vaillant & fage Dvc d'Anjou
Me tirera du miferable jou
De pauureté. Gentil Duc d'Alençon
Tu me donras d'vne gaie chanfon
Digne argument : Alors que ma fortune
Vous aiderc:; de faujur oportune.
Et Vatendant à tous je feray voir
Qiie je n'auray delaiffé mon deuoir.
Car pareffeux je n'ay perdu mes ans,
Ny je ne cache aux Seigneurs mes prefens,
Jioneur à moy , pour eux reproche & honte.
Si de moy panure ils ne font aute conte.
404 vin. LIVRE
SVR LA PAIX AVEC LES AN GLOI S, L'AN
MIL CINQ CENS
QVARANTENEVF.
Montre tajoye, heureux peuple François, Pour les faueurs que des Dieux tu reçois. N'aperçois-tu, plus que dauant ce jour Luire ferain fus ton riche fejour? N aperçois-tu, que le Soleil s'allume En fes raions, plus clair que de couttume?
Tout ce jourdhuy qu'on orne les autels, Pour rendre grâce aux bénins i'umortels : Que ce jour fuit d'vn retour éternel A nos neueus d'an en an folennel : Qu'à ce jourdhuy fout homme & toute bejle Aille chommant cette diuine fcjîe: De l'oHuier tout voife verdiffant : Qu'on oye tout de joye bondijfant: Qu'en tous carfours on ne bruie Jinon De nojlre Roy la louange & le nom.
l'enten déjà la joieufe nouuelle Du fiecle d^or, qui fous luy renouuelle : Voicy la Paix, gui la fanglante main Serre & refreint du dieu Afars inhumain : La Paix ayant de nous hommes pitié. Les ennemis rallie en amitié: La bonne Paix de fes prefens nous orne, Verfant fur nous le meilleur de fa corne.
Vraiment le peuple efî exent de tout dueil. Que la Deeffe a guigné d'vn bon œil. Riche la gent, à qui, Benine Paix, De ton Neâar la bouch? tu repais:
DES POEMES. 4OD
Tu fus toujours Deejfe plantureufe, Dejjfous Saturne entre la gent heureufe.
Lors que n'ejloit le fapin abatu, Lors que le pin des jlots marins batu Au gré du vent ne foulait fe ranger Au nouueau fein du riuage étranger: Encor n^ejloient ceints de parfondes fojfes Les bourgs peuple:^, ne de murailles grojfes: Encor n''eJîoyent ne fagettes ny arcs Ne morrions ne trompettes ne dars: Ains toutes gens viuoyent hors de tout foin Sans point atioir du gendarme befoin. Et fins auoir nulle atteinte mauuaife Comme dormans ils mouroyent à leur aife.
Maudit, par qui fut le fer déterré Dans les boyaux de la terre enferré, Et qui premier a le chemin ouuert Dont ce metail fut au jour découuert : Et qui premier fus Venclume méchante. De luy forgea Valumelle trenchante .
Adonc malheur tomba fus les humains: Guerres, debas & meurtres inhumains Vindrent entre eux : le nocher d'Acheron Prefques quita fon pénible auiron: Telle fureur les pauures hommes meine Hafler la mort d^vne guerre inhumaine. Mais fous Henri ce malheur cejfera: LViumaine gent aux befles laiffera Leur cruauté, entre foy retenant Celle douceur aux hommes conuenant.
Les animaux arme\ de leur nature Doiuent aller contre toute droiture: Et nous humains, qui fans armes tous nus Sommes aux rais du clair Soleil venus, Deurions toufiours le repos meintenir, Et d'vn acord la Paix entretenir, Comme n'ayans, voire dés la naiffance, Que de la Paix feulement conoiffance.
406 VIII. LIVRE
Mais, 6 forfait, nous ejlions entre nous Pires, qu'entre eux, les lions £■ les lous: Les laides fœurs adonques fe fouloyent Aux lacs fanglans qui des meurtres couloycnt . Difcorde adonc nourrice de la guerre D'hommes naure^ jonchoit toute la terre: Et fût pery tout nojlre genre humain Si Jupiter dejjus n'eujî u fa main, Qiii nous fournit fous les benines lois Des Roys ijfus du bon fan g de Valois.
le reconoy des Deeffcs l'ainee Auec la Paix fous Henry ramenée.
O toy donc Pai.c! 6 toy fainte Equité! Garde^ le peuple en fa tranquilité, Hors d'auec luy tout débat dechaffans. Et pour fon Roy alle:^ auocaffans Vers Jupiter le patron des grans Princes, Qu'il le meintienne à fes coies prouinces. Si que cent ans ne puiffent voir le jour, Qu'il laiffera noflre François fejour. Ne Van centième en foy fe retournant Son règne heureux pas ne voife bournant, Ains fon mefme heur, de femaine en femaine. De mois en mois, d'an en an fe ramaine.
Mais fa vertu fans ccjfe va cherchant De trepercer le brouillart empefchant. Qiioy? par la Paix n'aton moyen, finon En guerroyant, d'allumer le Renom?
Le hautain lue à Ronfard, de fa gloire Ne téra pas la brûlante mémoire. Ne du Bellay, ne Mellin : & je croy Ma Mufe auffi ne téra ce bon Roy : S'il eft ainft quelle ait dés le berceau Eteint ma foif au greclatin ruiffeau.
Bien que la fleur de la jeuneffe encore De foy c d'or ma joué ne décore. Des faint es fœurs j'ay bien le pouuoir tel. Qui je louray, de le rendre immortel.
DES PO KM ES. 407
Puis qu'elles ont de mon mètre le foin, fay maintenant d'vn bon Prince befoin, Qui la main tende à moy, qui ores nage: Car mon cœur ejl trop plus haut que tnon âge.
A LA ROINE MERE^ D V R O Y.
Qvi pouffera Jî haut fa voix, Qit'il entone vne chanfon dine De vous, ô Roine Caterine, Mcre du peuple & de nos Rois? O voflre doux furnom fatal Et bien-heureux à nofire France, Puis que de fi promte alcgeance Aue^ apaifé fon chaud-mal !
Lors que du fer, quelle tenait En fes mains troublantes de rage, La pointe pour s'en faire outrage. Contre fon ventre elle tournoit. Mais vous fufles fa guerifon: Son mal tout à-coup fe relâche: Auffi tojl le fer elle lâche. Que luy rendifies la raifon.
La flamme par l'ofcure nuit Plus belle & profitable éclaire : Voflre vertu plus néte & claire Au tems plus orageux reluit, Pourueoir au bien commun de tous, Eflre aux afflige:^ pitoyable, Detejler le meurdre exécrable. Amollir le haineux courroux.
40 8
VIII. LIVRE DKS POEMES.
En paix & repos gracieux
Maintenir fon peuple & fon rêne: Ceji c'ejl la vertu fouueréne, Qiii ouure le chemin des deux. O Royne, à l'appuy des vertus, ( Trop nous fait befoin vojlre vie) De cent ans ne vous prene enuie Du loyer qu'attende^ là fus.
FIN DV HVITÎEME LIVRE DES POEMES.
LE NE V VIE ME LIVRE
DES POEMES
A M O N S E r G N E V R
L l:: D V C ]^ ' A N J O \\
O l'honevr, le fécond de nojire heureufe France, Fils & frère de Roys, doit prendray-je affurance De m'ofrir dauant toy? Toy fur qui {comme Atlas Se repofa du ciel, que foutenoyent fes bras, Sur la force d'Hercul) noflre Roy fe décharge, Te départant du foin de fa Royale charge. Toy de qui Vœil ouuert veille pour le bon heur Du pais, luy gardant fou aife & fon honeur: Toy de qui la maifon fourmille de perfones Attendans qu^à leur ranc leurs charges tu leur donnes : le crein t'cfire ennuieux, pour ne fçauoir choîfir L'heure que tu auras de m'ouîr le loifir.
2Û*
410 IX LIVRE
Ny les fueilles îoufiours aux arbres ne vcrdijfent, Ny toufiours dans les prés les herbes ne jleurijfent. Uair îempejle de vens. Cliams, bois en tout endroit, Mons, vaux, riuieres, prés herijfonnent de froid. L'yuer règne à fon tour : De brouillas S- nuées Les étoiles vn temsfe cachent aueuglees. Le doux printems après pouffe le rude yuer : Puis voicy de l'œjlé la chaleur arriuer, Qiii du beau renouueau la tiède faifon chaffe Grillant tout de fon feu : mais il faut qu^il déplace Pour laiffer régenter V automne fruâueux, Qiti tojl après fuira l'yuer tempeflueux. Toufiours en l'arc bandé la corde n'efl tendue: Ny le beuffans repos ne t raine la charué: Toute chofe a fon tems. Tel cours efl ordoné Par la fage nature en tout ce qui efl né. Ny ton efprit gentil toufiours ne fe doit tendre. Mais tu dois, fage Dvc, quelque relâche prendre De ton fogneux trauail : & ton graue foucy D'vn foulas gratieux vaut bien d'eflre adoucy.
Et quel plaifir plus doux pourrait fuiure la peine Que donne la vertu, que lajoye qu'ameine La louange & l'honeur? Pour tes honneurs chanter Courageux dauant toy je me vien prefanter. Mon emprife vraiment efl beaucoup plus hardie Qiie ma force ne peut. Ce que je te dédie Efï de peu de valeur, o Dvc cheualeureux. Au pris de tes vertus & tes faits valeureux.
La franche volonté quelque peu recompanfe Le défaut où je manque en ma foible puiffance : Et je fçay que quiconq tes vertus écrira, N'en écrira pas tant comme il en oublira.
Or bien que la fplendeur de ta Roiale race Soit pour t'orner beaucoup, ta gloire ne fe paffe A l'honeur de leurs faits. Car tu veux que les tiens Gangnent de tes aïeux les titres anciens. Aimant mieux décorer ta Roiale noblcffc, Qiie d'elle t'honorer : Difant la gentilleffe
DES POKMES. 41 I
Morne s'auilenii\ & fe perdre en celuy
Qiii en fes dcuanciers en met le feul apuy.
Mais toy noble vraiment c'ejl toy que vien élire
Pour vn Freu de ce tems, de qui je veus écrire
Sans chercher tes aïeux: {car tes faits fufifans
Rempliroycnt les écris de tous les mieux difans)
Qtii en âge Jt bas, par fagejfe admirable
Conjointe à ta valeur, t'es rendu vénérable.
Nul aui/Ji nefçait mieux guerroyer comme il faut :
Soit qu'' il faille pouffer les foldats à l'affaut.
Soit qu'il faille choifir lieu pour la baterie,
Doîi nul coup ne f oit vain de noflre artillerie,
Soit que tu faces rendre à la mercy du Roy,
Sans ha:{ard de tes gens, les châteaux pleins d'efroy.
Qui mieux pour l'ennemy prend le defauantage,
Auantageant les fiens? Et quel chef ejl plus f âge
A munir d'vn bon ordre vn camp au déloger
Contre toute furprije? Et qui fçait mieux ranger
Les batailles à point? tors qu'on doit faire te/le
Au rebelle mutin, quand deloial s'aprejle
Ou feint de s' ap refier pour tenir : mais en vain,
Car il fe gardra bien d'atendre main à main :
Par leur perte aiierty de ta bonne conduite.
Et de rheur qui te fuit pour le tourner en fuite.
Ce n'efl pas tout que d'eflre & fage & valeureux
Au péril des combas, mais il faut eflre heureux.
Toy GvERRiER bien aflré, tu as & lafageffe
Et le bonheur à toy. Le comble de proueffe
C'efl d'auoir aux hasards [comme aujfi les as-tu)
Compagne la Fortune S- guide la Vertu.
Les Preux, qui la Vertu jamais n'abandonnèrent, Pour guide la fuiuans d'honeur fe couronerent. Qu'ils ont par leurs beaux faits à jamais mérité, Pour feruir d'' exemplaire à la poflerité. Sage tu l'as choifi dés V enfance première: Mais tu les as laiffei bien loin bien loin derrière. Car ce que chacun d'eux apart tout feul auoit, AJfemblé dedans toy tout en vn on le voit.
412 IX. LIVRE
O fi tu veux qn'vn jour mes outils je déploie: Et mes viues couleurs, & mon pinfeau j'emploie ! le promé te tirer vn portrait Ji naïf, Qii'on t'y reconoijira comme s'il étoit vif. Jl fera vif auffi d\n viure perdurable, Qiii de mille & mille ans ne fera periffable: Mais d^enfuiure tes faits du tout s'étudira Le vaillant qui bien né mon ouurage lira. O que, Prince tref grand, je puffe les déduire, Apres que tu m'auras enchargé les écrire. Si bien qu'à mon fouhait tout te vint à plaifir!
Hardy je m'effairoy d'acomplir ton defir: Et par vn œiiure exquis j'efpere de toy faire Pour l'dge qui viendra vn notable exemplaire De prouejfe & vertu, quand mon fîile plus haut Serait pour honorer ta valeur comme il faut. Mais on pourroit blâmer mon trop d'outrecuidance. Si, premier que d'auoir éprouué ma puiffance, l'alois à l'etourdy mes épaules charger D'vn fardeau qui pour moy ne fufl ajfe^ léger.
Veux-tu donc qu'vn Héros face preuue certéne Si je puis ni'aquiter de tant louable pêne? Donque d'vn Preu choifi les beaux faits je diray, Et les tiens parapres plus Hardy fécriray, En des vers qui feront d^autant plus hauts & graues, Que tes faits valeureux plus nobles & plus braues L'autre furpafferont. Prenant vn argument Plus haut, je chanteray d'autant plus hautement : Commençant dés le tems, que faillant de l'enfance, (Deflors vn grand efpoir de noflre grande France) Tu montois à la fleur de la jeunejfe, lors Qiie généreux garçon tu t'en alois dehors Du château Saingermain, en la for efl prochaine. Pour tirer aux oifeaux d'vne adreffe non vaine. Vn jour las de tirer tu te mis alenuers Sous vn vieil chêne ombreux penchant fes rameaux verds.
Là feul tu pourpenfois en ton bien né courage Des manimens plus grands que ne poitoit ton dge:
DES POEMKS. 41 3
Quand voicy tout acoup au deuant de tes yeux Deux Ninfes aparoir auolantes des cieux. A la droite Vertu, à la gauche s'adrejfc La molle Volupté qui détruit la jeuneffe. L'vne tout alentour épandoit dedans l'air De parfums odorans vn doux & rare Jlair: Son vejiement ejloit d'vne toile argentée: En chapeaux d''or fri^é viuoit reprc/entee Mainte belle peinture, £■ d^arbres & de fleurs. De befles & d'oifeaux de cent mille couleurs. Jufqu'au dejfous du fein fa robe fut ouuerte : La fa blanche poitrine ondoioit decouuerte, Repouffant auec grâce vn précieux carcan Qjii luy pendoit deffus, ouurage de Vulcan. Du front vn diamant : & deux perles pareilles Luy chargeoyent les deux bouts de fes belles oreilles Ses cheueux de fin or d'art pajfefillone^ Ses deux temples couuroyent, proprement ordone^. Sa bouche elle agenfoit d'vn gracieux fourire, Dont celuy qui la voit en fes las elle atire : Et fes yeux atrayans, qui çà & là branloyent, D'vn regard afetté fans fin etinceloyent.
Telle fut Volupté. La Vertu plus modefle Efloit tout autrement & d'abit & de gefle. Vn manteau la couuroit d'enhaut jufques en bas Sans enrichijfement : Son chef qui n'etoit pas Atifé de grand art, fut acoutré d'vn voile Pour fes plus beaux atours, qui n'était que de toile. Sa façon, fon alure, & fon regard bénin De l'homme tenoit plus qu'il ii'étoit féminin. Volupté, qui en vain en fes atraits fe fie, S'auança la première, & te dit : Quelle enuie. Quelle fureur, mon Fils, te prend dhfer la fleur De ton âge plus doux en trauail & douleur? Voy bien ce que tu fais. Ce ferait grand domage, Que fi grande beauté vint àfentir outrage. Si tu ne fuis ce train Vertu t'adrejfera Au profond des dangiers & puis Vy laijfera.
4H 'X. LIVRE
La cruelle Vertu hasardera ta vie
Où du premier péril elle fera rauie:
Et te paitra le cœur du vain efpoir d'vn bien
Futur après la mort quand on ne fent plus rien.
Or Jt la quitant là, gaillard tu me veux fuiure, le Venfeigneray bien vn plus doux train de viure: Et fi tu le pourfuis, de l'œjlé la chaleur, Ny le froid de Vyuer ne te feront douleur. Ny le bruit des tambours ne te rompra le fomme, Ny tu ne craindras point les canonades, comme Le maleureux foldat, ny te faudra pancher Sur le bourbeux ruiffcau pour ta foif étanchcr. Mais efperant vieillir tu viuras à ton aife, Sans faire ny patir chofe qui te déplaife.
O combien les bons Dieux vous ont doné de biens, Hommes, fi d'en jouir vous fçauie:^ les moyens! O combien de plaifirs! Et qui bien les contemple De viure en doux repos les Dieux font vn exemple. Eux qui touftours contens de leur profperité Mènent fans detourbier vne tranquillité. Et fi tu veux fçauoir qui je fuis, je fuis celle Qui de tous animaux fay la race éternelle, Sans qui rien ne pourroit en efire demeurer. Sans qui de ce qui vit rien ne pourroit durer.
Enten cecy, mon Fils. L'homme ne peut guiere efire, Et depuis qu'il efi mort ne pourroit plus renaifire: Croy moy donc, & me fuy. Jamais homme n'efi mort Qid n''ait eu grand regret de me perdre en fa mort.
Ainfi te fermona Volupté : mais fon dire N'entra point dans ton cœur, qui d'vne autre part tire. Et comme la fumée on voit fe perdre en Pair, Ainfi le premier vent emporta fon parler. Quand la Vertu te dit : Enfant de noble race, le ne me trompe point, je ly bien en ta face. Que tu ne voudrois pas ta race démentir. Mon Fils, tu ne pourrais jamais te repentir De te fier en moy : mais la vaine plaifance De Volupté finifi toufiours en rcpentance.
DES POEMES. 4l5
Et fi par les plaifirs plus grands qu'elle promet Des bejîes fans rai/on au ranc elle vous met.
L^liODime à qui le bon Dieu la rai/on a donce, Et de Vâme diuine vue étincele ennee, Dautant que Dieu voulut loin de foy le laijfer, Dautant la bejle brute il le fait furpaffer, S'il ne veut s'abrutir. Voy des bejies l'enjance En terre fe pancher deffus leur orde pance : Et voy ton genre humain comme deucrs les deux. Les deux fon origine, il éleue les yeux.
Suy donc le naturel de ta noble origine, Et pren mon droit fentier qui au ciel achemine. Mais afin, mon Enfant, que tu ne difes pas, Que je t'aye abufé pour enfuiure mes pas, le ne t'en mentiray : je fay ma demourance Sur la fime d'vn mont, oit fans grande confiance Nul homme n'efl monté. Car pour y paruenir La fente étroite & roide efl facheufe à tenir. Il faut plus d'i>ne fois, que [dauant que Ion gagne L'honorable coupeau de ma haute montagne) La fueur monte au front. Auffi deffus le haut Quand on y peut monter on n'a de rien défaut. Alors on reçoit bien au double le falaire Des dangiers échape:{. Tu verrais le contraire A u train de cette-cy, qui tes pas guiderait Atrauers les plaifirs où tout te recréroit.
Elle fait fa demeure en vn val: £■ la fente Par ail conduit les fiens droite large en defcente, Efl aifec à tenir: mais vous tenant à bas Elle fait bien payer au double fes ébas.
Ah, Volupté combien de malheurs tu atifes! Ah combien de maifons alenuers tu as mifes ! Ah combien de cite:{! Ny le foudre des deux, Ny le canon tonant n'efl tant pernicieux, Comme feule tu es pefle pernicieufe, Depuis qu'étant maitreffe en l'ame vicieufe Des humains tu te mes. Toute poifon qui nuit Aux celefles efprits t'acompagne 6' te fuit.
4 I 6 I X . L I V R E
Pour compagnes tu as la gloute friandife, La molajfe pareffe, & l'orde paillardife. Toufiours autour de toy raude le de/honneur Sur vn pennage obfcur, des tiens le guerdonneur. Auec moy j'ay Vhonneur, la louange & la gloire Aux vifages riants : fay la noble vidoire: Et font dans mon palais pour y racueillir ceux Qiii de grimper le mont n'ont ejlé parejfeux.
Nul torrent ny boulet, mon Fils, ne fuit plus vifle Que fuit Vâge de l'homme. Et la mort il n'éuite, Et naiffant il fe meurt. Regarde fi tu veux Ou mourir à regret, ou finir bien heureux. Defur la feule fin comme elle efl enfuiuie, Heureufe ou malheureufe on jugera la vie: Car nul ne peut fe dire heureux parfaitement Dauant le dernier jour de fon trepajfement.
Qiii fuit de Volupté les trompeufes blandices, Lafche s abandonnant àfes vaines délices, O quel poignant regret {s'il efl homme) en fa mort D'auoir fi mal perdu fon âge, le remord!
Ou qui s'adonne à moy, jamais la repentance Ne luy ronge le cœur, qui muni de confiance, Rien qu'honneur & plaifir à fa mort ne fentant. Heureux ayant vefcu meurt heureux & contant. Et pource qu'aborrant de Volupté l'ordure Il a, bien confeillé, gardé fon ame pure, Franc du terrejlre cors vole dedans les deux Sur les afires marcher, fait compagnon des Dieux.
Ainfi t'araifona la Vertu, quand alheure Alheurc tu la prins pour ta guide meilleure, Quitant la Volupté, qui de rage & dépit Hochant fon front chagrin d'vne voix aigre dit:
Mille pour vn perdu. Bien Vertu, fay des tiennes: Autre faifon viendra que ie feray des miennes En vn autre que luy. Là ie m'adrefferay Oit feule à mon plaifir maitreffe ie feray.
Cecy dit, Volupté dans vn obfcur nuage Dépite difyarut. Et ton gentil courage.
DES POEMES. 417
Qjii de l'hunejle amour de Vertu s'onbra^oit, Des faits dignes d'honeur dejia fe propofoit, Qtte tu mettrais à chef venu en l'âge d'homme.
Or qui vVenhardira pour bien redire, comme Dés la fleur de tes ans, tu as tant mérité Que nul Cheualier nefl ne fera n'a eflé Qjii te puijfe paffer? Diray-ie ta prouêffe. Ou ton efprit acort d^vne meure fageffe? Ou diray-ie ton cœur des fortunes autant En l'vne comme en l'autre immuable 6' confiant?
O Prince valeureux l'heure n^efl pas encore Qiie j'entreprenne vu chant qui tes valeurs décore. Qjii du ciel bien feren les afires contera, Celuy de tes Vertus le comte arreflera.
Bien heureux le beau jour, digne qu'on le fcfloye, Que tu vis le premier pour la publique joye, Quand tu naquis au monde : & naquirent en toy Tant de grâces S- dons, dont ie ne ramentoy Que l'ombre feulement quoy que j' 01 puijfe dire.
Mais, O Dvc généreux, Ji moy petit j'afpire Plus haut que ie ne doy, Plaife toy m'excufer : Plaife toy le foutien au cœur ne refufer Qui plus qu'il ne peut ofe. Enuers toy ie me vante De mon afexion non des vers que ie chante. Prefle moy feulement ta faueur, qui fera Qit'enfemble auec mon cœur mon flile s'enflera. Et loi s après auoir ta grâce rencontrée, Si au repos heureux tu me donnes entrée, Noflre grand Roy, duquel j'admire le grand heur Autant qu'humble & deuôt j'adore fa grandeur. Faudra chanter fi bien que fon nomfe cognoijfe Par les âges fuiuans. Que la force me croijfc Pour entonner vn chant digne de fes grands faits, Et de fon Frère chier qui fous luy les a faits.
Car ny jamais nul Roy de cœur fi débonnaire N'embraffa pieteux la vertu de fon Frère, Ny jamais ne vcquit loyal Frère de Roy, Qui d'vn Frère fi bon méritât mieux la foy.
lean de Baif. \\. 27
4l8 IX. LIVRE
Lors de diiiin injlint ayant l'ame bouillante Faudra que fans farder Vvn & l'autre ie chante : Et que ie fçache en rien non ie ne mentiray: Car tels qu'ils feront faits tous vos faits ie diray.
Mentir nejï jamais beau : mais s'il efl excufable C'ejî lors que le fuget ejl de foy feu louable. Qiiand les Princes qu''on loué ont tant bien mérité, Qii'ejl-il befoin alors d'outrer la vérité?
W^yinifage vaillant, attendant que ie face Vn ouurage qui f oit plus digne de ta grâce. De ma deuôte main veuilles auoir à gré Ce petit auant-jeu que ie t'ay confacré: Auant-jeu qui fera d'vn bien rare exemplaire Que des Frères vnis, s'il vous plaifl, ie veu faire, Pour profiter vn jour à l'âge qui viendra, Qui autant que le nojlre en honneur vous tiendra.
A V ROY.
DE LA VICTOIRE DE
M O N C O N T O \' R S O \' S LA
CONDVITE DE MONSEIGNEVR
LE D V C D 'an 10 V.
M. A poiârine ardante bouillonne De chanter deuant ta grandeur, Vn chant digne de la couronne, Que ton frère par vn grand heur, O mon Roy, t'enuoye conquife De vidorieufe entreprife :
DES POEMES. 41g
Mais le cœur s'ejloufant dénie
L'aleine pour bien entonner,
Vne louange bien choifie .
Que ie puffe digne fonner,
Et de ta Majejlé Royale,
Et de fa proueffe loyale. Si faut-il efpandre la voile,
Et ma barque geter en mer :
Monflre:{ voflre gemelle étoile
Qjii me garde de m'abyfmer :
Et vogueray fur la marine
Sous vojlre lumière diuine. Foible moy, ie n'ay le courage,
[Tantfay crainte de me noyer)
De m'efcarter loing du riuage :
Il me faut le bord côtoyer.
Dieu me garde que fi haut j'erre, Que ne puiffe gaigner la terre. le voy les grans vagues emués Ouurir les abyfmes profons: Puis les voy par dejfus les nues Entaffer des humides nions : Les vents fortis de leur montagne Régner fur la moite campagne. De brouillas l'efpaijfeur obfcwe Cache les beaux aflres des deux : La groffc pluye & grcfle dure S'élance du fud pluuieux, La nef du péril menajfee De tourmente forte cjl braffee. le reuoy la gaye lumière
Du Soleil plus net que deuant, Ramener en forme première La mer fans vague & l'air fans vent : La nef vogant le vent en poupe Tient fa route, & les ondes coupe. Moy raffuré de la tempcfle Me trouuant au port defalut.
420 IX. LIVRE
De lorier ie me cein la tejle : le fay deffus les nerfs du lut Retentir VimmortcUe gloire D'vne bien heureufe viâoire. le chante le cœur débonnaire De Charles l'inuincible Roy, Et de Henry/o)z Royal frère La fainde fraternelle Foy, Tous les deux en deuifes belles Surnommant Domtevrs des rebelles. Par ce tems ie n'ofe entreprendre, Eflourdi du public malheur, De ma foible voix faire entendre, O Frères, voflre fainâ honneur. Mais vn jour remis en aleine, Puijfé-je auoir la bouche pleine. Pleine toufiours de vos louanges, Qiie plus hardy ie publiray, lufques aux langages eflranges: D'v)ie voix fi haute criray Le los de l'vn & l'autre frère, Et la fagejfe de la Mère, Qiii foigneufe en voflre bas âge En toutes vertus vous infïruit: ( Tant peut l'art en bienné courage!) Auant le tems voicy le fruit, Et de la bonne nourriture, Et de la Royale nature. D'Hydres, Harpies, & Chimères Voflre pais vous repurgés: Le rebelle aux loix de >io^ pères Par force & prudence rangés : Vous mene:^ j^'ft^ guerre exprès. Pour fonder vne ferme paix. Lors peut eflre plus de courage Qiie de pouuoir de mon efprit. Je feray vanter d'âge en âge Par l'art que la Mufe m'aprit,
DES POEMES.
Fo:f valeurs. Or mieux vaut s'en taire Qu'en parler de façon vulgaire.
LE RAVISSEMENT D ' E V R O P E.
A MONSEIGNEVR DE CHEVERNI CHANCELIER DE
MONSEIGNEVR d'aNIOV.
Pvis qu'vn de/ira mon ame enflammée Par les François pouffer ma renommée Dans mes écrits que ie va publier, Mufe, les noms il ne faut oublier De tes amis. Ton Hvravt, qui te prife, Qjii te fuporte & tes dons fauorife, Doux & courtois, amy de l'Equité, Cœur généreux plein de fidélité^ {Apres auoir célébré le battefme D'vn premier fils, qu'auec plaifir extrême Il a receu de la main du Grand Dieu) Vien honorer. Vieil planter au milieu De ton ouurage en vn front de ton Hure, Soii nom aimé pour ajamais y viurc. Tant que t^ies vers eftime^fe liront, Tant que François les François parleront.
La nuit, ayant aux limons efloyle^ D'vn char obfcur,fes moreaux attelé^, la deualoit fous les voufies pendantes Des plus hauts deux, & les flammes tombantes
422
Encontreual cfvne panchante coitrfe, S'entrepouffoyent dans la marine fotirce : Quand le fouvncil glijfant plus gracieux D'vn mol lien fille nos lafches yeux, Qiiand à/on tour la moins douteufe bande Des fonges vrais en/on heure commande :
Europe alors la pucelle tendrettc Fille à Phénix donnait en fa chambrette. Lors par Venus luy furent deux contrées Diuerfement en vn fonge montrées. Elle penfoit voir en fa fantafie De face & corps deux femmes, l'vne A fie Sa douce terre, S- l'autre de delà Que de fon nom depuis on appela.
Or laferroit Afie & tenoit prife. Et ne voulant lâcher en rien fa prife, Difoit que fienne elle ejloit par droiture. Comme fa propre & fille & nourriture. L'autre tirant de forte main vfoit En celle là qui point ne refufoit De lafuiuir, comme eflant ordonnée Par fon dejîin à luy eflre donnée.
Refuant cecy, acoup elle s^efueille : Mais comme encor vn peu elle fommeille. Hors de fes yeux les femmes ne fuirent, Ains peu à peu en l'air s'efuanouirent, Comtne Ion voit efparfe parmy l'air Vne fumée à néant s'écouler. Tant qu'en fes yeux la pucelle les voit. Tandis muette elle ne fe mouuoit : Mais auffi tojî qu'elle les perd de vue, Seule elle dit encores toute emué :
Bons Dieux, oùfuis-ie? oiifont ces damoy /elles, Qiii me fembloyent icy me/me tant belles? Qiti cfl le Dieu des celefles Royaumes, Qfii m'afaid voir en débat ces fantaumes? Quel fonge icy s'eji à moy prefcnté. Qui d'vn tel ayfe a mo)i cœur tourmenté?
DES POEMKS. 42:»
Mais qui ejloit celle douce cjlrangcre, dut m'afemblé tant aymable & fi chère? O lajfe moy ! ie bru/le de defv De la reuoir encor à mon plaifir, Tant me plaifoit fon acueil accointable, Tant la douceur de fa grâce traitablc! Or le bon Dieu à ce fonge me donne, D'autant qu'il plaijl la fin plaifante & bonne.
Ces mots finis, l'Aube au rofin atour Les deux voyfins bigarrait alentour. Les parfemant de fafran & de rofes : Et le foleil, fes barrières defclofes, Mit fous le joug fes cheuaux foufiefeux, Enflammant Vair de fes épars clieueux.
Lors fe leuant la pucelle s'aprefie, Nué en chemife, à fin que rien n'arrefie Son partement, quand fa pudique bande Frapra fon huys, qui déjà la demande.
La bande ejloit de dou:{e damoyfelles, V élite & fieur d'entre mille pucellcs Des enuirons, toutes de haut lignage, De mefmes ans & de mefme courage. Auccqucs foy toufiours la belle Europe Souloit mener cette gentile trope : Fuji pour chaffer par les monts cauerneux, Ou fe baigner aux fieuues areneux, Fufi pour cueillir par les vertes prairies Le bel efmail des herbettes fiories.
la tu tenois Europe à la fenefire Pour te pigner l'yuoire dans ta defire, Lors que voicy des filles la brigade Aux crins noue:{, en fimple verdugade. Portant chacune vn pannier en fes doits, Et te pignant accourre tu les vois : Mais tant te tient de jouer le defir, Qu'à peine adonc tu te donnes loifir, Ny d'agenfer ta blonde cheuelure, Ny d'auifer à ta riche vefiure :
424 IX. LIVRE
Ains tu troujjas en vn ncit fimplement Tes crins efpars : & pour abillcment Sur toy tu mis vne cotte de foye Rayée d'or, qui luyfamment ondoyé Panny Véclat d'vn Serien fatin : Puis te chauffant d'vn bienfailis patin, A ribans d'or à ta jambe lié, Hatiuement tu prens à chaque pié. D'vn ceinturon à doubles chefnons d'or Defus les jlancs tu te ceigtiois cncor, Quand les voicy : tu leurs ouures ta porte Les bienveignant la première en la forte:
Bon jour mes Sœurs, bonjour mon cher foucy Las, que fans vous il m'ennuyoit icy Vous attendant. Compagnes partons ores Qite la fraifcheur ejl roufoyante encores. Ores que Vair n'ejl encores cuifant Sous le rayon du foleil doux luyfant. Or que fa famme efpargne les campagnes Dardant fes rais aux fîmes des montagnes. Mais allon doncq, allon via chcre trope : Suiue^ les pas de voflre chère Europe.
Ainfi difant, en fa main elle prit Vn panier d'or, ouuré de grand efprit Et grand façon : en qui fe montrait Veuure Et l'art parfait de Vulcan le Dieu feuure. Vulcan jadis Libye en eflrena, Qimnd de Neptun au lit on la mena: Elle depuis le donne à Telephaffe. Europe après tant fa mère pourchaffe. Que la dernière elle en fut eflrenee, Ains que pour femme à nul cflre menée.
En ce panier Ion fille d'Inache Pourîraiâe d'or efloit encores vache. Ayant perdu toute fcmblance humaine: Vn tan au flanc l'epoiçone & la meine: Vn vent cpaix roulloit de fes narines: Elle nouait par les voycs marines.
DES POEMES. 425
La mer ejîoit d'a:{ur. Sus vn rocher Que l'eau cojloye, vn étonné nocher Ayant choiji la vache à l'impourueuê Beoit après fans détourner fa veuë. htpiter peint en doucette blandice De fa grand" main aplanit la geniffe: Et fur le Nil de vache la rappelle Au naturel d'vne femme trefbelle. L'onde du Nil de fin argent ejl faite: La vache efioit d'airain faune pourtraite : Et lupiter en fon orine image Le bout du pié mouille en l'eau du riuage. Sus le couuercle efioit tiré Mercure Sanglant encor : auprès de fa figure Arge gifoit roide mort étandu: Son fang pourprin par la terre épandu, Q,ui de ruiffeaux le couuercle enuironne, Va tournoyant l'entour de fa couronne: Puis il fe range, à ondée plus groffe, Deffous la voufle ainfi qu'en vne foffe: Vn pan en fort, qui en la couleur gaye De fon pennache enorgueilli s'cgaye. Il faid la roué, & pour la fin de l'œuure Du panier d'or les léures il encueuure.
Ce paneret chargeait la main d'Europe, Qjiand elle faute au milieu de fa trope, Et fe méfiant parmy elles, s'auoye Par vn fentier qui dans les pre^ conuoye, Où de coutume elles fnuloyent s'ébatre, Au bruit du flot qui la cofle vient batre.
Or auffi iofl qu'elles furent entrées Oîi commençait le tapis de ces prees. On les eufl veu alenuy fe pancher, Pour les honneurs des herbes detrancher D'ongles pillards, marchantes à chef bas, Comme aux moiffons démarche pas-à-pas Le peuple oyfif, par qui font ramaffej Les blonds efpis hors des gerbes laijfcy.
426 IX. LIVRE
Qui en glainant euitent paiiiireté,
Parmy les chams, an plus chaud de l'aljlé.
Aiiifin ejloyent par ces files baijfees A qui mieux mieux toutes fleurs amaffees. Sans nulle épargne on y ferre les lis, Les baffinets, l'œillet, & le narcis. Et lefafran: le tin, la mariolaine, Le ferpolet, s'arrachent de la plaine.
Tandis la vierge au milieu du troupeau, Tenant en main de rofes vn houpeau, Ores courbée auoit bajje la tejle, Les mains aux fleurs : ores elle s'arrejle, Encourageant fes compagnes hafliues, Courbes en bas à la pree ententiues : Là tout luy fied, ou/oit quellefe baijfe. Ou/oit encor que haute elle fe dreffe.
Mais tu ne dois, Pauure, tu ne dois pas Long tems aux pre^ jouir de tels ébats : Or, que tu as ta bande & le loifir. Or foule toy foule toy de plaifir, Voicy venir lupiter, qui t'aprefle Bien d'autres jeux, & bien vue autre fejle.
Ce Dieu Tonant reuenoit de Cyrenes, D'vne hécatombe à luy faide aux arènes Du vieil Ammon, par Vair prenant la voye Pour retourner à fon temple de Troye, Qiiand il auife, ajfe^ loing d'vne ville, Près de la mer, ce/le troupe gentile, Qiiand luy, pendant par le vague des deux, La feule Europe il choifit de fes yeux.
Comme Venus fous le ténébreux voyle Romt la lueur de chacune autre ejloyle. Comme la lune, en fa luifante face, La refplendeur de Venus mefme ejface : Non moins auffi la royalle pucelle En grand' beauté fes compagnes excelle.
Comme il la vit, auffi tôt fut épris Du feu cuifant du brandon de Cypris,
DES POEMES. 427
Qiii feule peut fous fa maiflreffe dcjlre Donter des Dieux & le père & le maijlre.
Non autrement qu'vn rauijfard Vautour Le Heure veu fait pardefus maint tour Virevoujtant, & ne vole point droit, Mais coup fur coup tournoyé vn mefme endroit. Le Heure ejl là : le pauuret ne s'en doutte: Q_ui tôt fe montre & tôt après fe boutte Sous vn buiffon. L'oyfeau fa proye guette lufques à tant qu'en prife elle fe jette.
Ainfi dans l'air foutenoit ce grand Dieu Guetant Europe, & ne bouge d'vn lieu: Mais de fon vol cernant vn mefme efpace, Tient l'œil fiché defusfa tendre face, Qtii plus Venflamme. Amour & grauité En mefme lieu n'ont jamais habité: Ce tout puiffant, ce père des hauts Dieux, Qui fait trembler & la terre S- les deux, Hochant le chef : qui a la defîre armée Du feu vangeur d'vne foudre enflammée, Voulant tromper vne nice pucelle, Il fe deguife, & fous vn bœuffe celé: Non fous vn bœuf, qui à pénible aleine D'vn coutre aigu va fdlonnant la plaine, Ny fous celuy, qui des vaches mary Pour vn troupeau dans Veflable eft nourry : Son poil luifant eujl bien de fa blancheur Eteint le teint de la plus blanche fleur : De fon front lé deux cors étinceloyent, Deux cors oi'ins, qui l'or mefme exceloyent : Son blanc fanon, & plus que neige blancs. D'étoiles d^or efloyent feme^fes flancs, Si que deflors on l'eufi peu juger digne D^eflre au ciel mis pour le dou:^iefme ftgne.
Or luy qui fut tant bénin & tant beau, Vint fe méfier au milieu d'vn troupeau. Qui de fortune en la prce champejlre Du mont voifin efloit là venu paijlre.
428 IX. LIVRE
Mais peu-à-peu, des autres fe tirant, Il fuit l'ardeur qui le va martyrant, Et fe robant alecart de ces bœufs, Toufiours toufiours s'aproche de fcs vœus.
Quand defta près les vierges l'aperceurent Loing du troupeau, de frayeur ne s^emeurent, Ains fon doux flair les attire £■ conuie, Et fa douceur donne à toutes enuie. En Vabordant de plus près Vapproucher, Et ce toreau tant aymable toucher.
Mais il s'arrcfle aux jambes de fa belle, Qid à fon dam ne luy eflant rebelle, De fon amant enhardie s'approuche Luy effuyant l'écume de la bouche: Non pas écume, ainçois vue ambrofîe Pajfant la gomme au mont Liban choifie. Sa douce aleine éteint, rauit & emble L'odeur des fleurs de tous les pre-{ enfemble : De fes nafeaux le fafran cliét menu. Tel qu'on l'eufl dit de Cilice venu. Elle le baife, & luy treffaillant d'aife Le vermillon de fes léures rebaife, Et ne pouuant prefque le refle attendre, Ores fa main, ores fa gorge tendre Il baife & lefche -.elle ores enuironne Son large front de tortijfe couronne. Ores de fleurs fes cornes entortille: L'amant aux bras de s'' amie frétille : Puis à chef bas fus Vherbe bondiffant, Il s'agenouille : S- d'vn œil blandiffant, Tournant le col il guigne fon Europe, Par doux atrait luy prefentant la crope. Mais du toreau cette mine rufee La vierge /impie a foudain abufee. Qui nicement d'vn fol defir éprife Va decouurir aux autres fon emprife.
O chères Sœurs, mais onques vifies vous Vn autre bœuf, ou plus bel ou plus doux?
DES POEMES. 429
^fais ie vous pry voye:^ vn peu fa grâce, Et la douceur qui fe montre en fa face. Apriuoifé fon échine il nous tend: Voye:^ voye^, il femblc qu'il attend Qii'vne de nous dejfus le dos luy monte. Qu'attende:^-vous? montons brigade pronte : Car de façon c'efl vn homme à le voir, Si de parler il auoit le pouuoir. Non ne craignes qu'il vous face vn faux pas : Aués-vous peur qu'il vous renucrfe à bas? Compagnes, fus, aide:^ moy à monter, le le veu bien la première donter.
Ces mots finis fur le dos elle monte De ce toreau, non fçachant qu'elle donte Le dos courbé fous foy premièrement D'vn qui la doit donter bien autrement : Et qui chargeant en cr ope fon defir Sur pies fe leue, & marchant à loifir Va va toufiours jufque à ce qu'il arriue. Portant fa proye, à la marine riue: Et dés qu'il fut fur le riuage, il entre Dedans la mer jufqu'à mouiller fon ventre: Puis perd la terre, & va tant qu'à la fin L'eau le porta nouant comme vn daufin. Elle pleurant crioit àfes compagnes, Qiii la fuiuoyent à trauers les campagnes : Et fes bras nus deuers elles tendait, Mais leur fecours en vain elle attendoit.
Comme le beufvogoit, les Néréides Saillirent hors de leurs antres humides, Chacune affife au dos d'vne baleine, Le conuoyant par la marine plaine. Mefme Neptun le grand Dieu de la mer Dauant fes pas fifi les vagues calmer: Et lors fe ruant à fon frère de guide Luy fifi paffage en fon pais liquide. Autour de luy, de leurs aleines fortes Les Dieux Tritons dans leurs coquilles tartes
43o IX. LIVRE
Vn chant noffal hautement entonnèrent. Citant que les rocs après eux refonnerent.
Europe ejlant dejfus le beuf affife D'vne des mains vne corne tient prife, D'vne, creignant les flots de la marine. Elle trouffoit fa veflure pourprine. Dejfus fon dos dans vn guimple de toyle Le vent s'entonne ainfi qu'en vne voyle. Dont la raideur d'vne aleine affe-{ forte Sur le toreau la pucelle fupporte. Incontinant les fleurettes qui furent En fon panier dans la marine churent, Et rien fi fort elle ne regrettait, Telle fimpleffe en la pucelle efioit.
Qiiand le beuf l'eut du riuage difiraite En haute mer d^vne fi longue traite, Qu'elle n'eufl fceu choifir nidle montagne, Ny bord aucun que la marine bagne. Quand l'air en haut fe voioit feulement, En bas la mer par tout egallement, Lors la creintiue au toreau dit ainfi :
Ne fçay lequel, beuf ou Dieu, qu^efi-cecy? O Dieu-toreau, qui es-tu qui me guides Voguant des pies par les voyes liquides? Mais, qui te fait aux eaux auenturer? Efi-ce pour boire, efi-ce pour pafiurer? Quelle pafture y penfes-tu trouuer? Et quelle humeur pour d'elle t'abreuuer? N'es-tu point Dieu? pourquoy donques fais-tu Ce que ferait la diuine vertu ? Ny le daufin fur la terre ne joué, Ny le toreau dedans la mer m noué, Mais fur la terre S- fur les eaux profondes Tu vas trejfeur fans que point tu affondes. le croy, tantofi f élançant de ces eaux Tu voleras comme font les oyfeaux. O laffe may! moy comble de viifere, Qiii va quittant pals, & pcrc £■ mère.
DES l'OEMKS. 43 I
Et tous ar.iis, pour ce beuf qui me meine D'vn train nouueau par le moyte domaine.
Roy de la mer, 6 grand prince Neptune, Ayde moy Dieu, & guide ma fortune Sous ta faueur -.par qui vraiment j'efpere Bien acheuer ce voyage profpere. Car fur ce beuf ces ondes je ne paffe Sans le fecours d'vne diuinc grâce.
Ainfi dit-elle, & les pleurs qui coulèrent De fes doux yeux par fes joués roulèrent Dedans fon fein : Quand le beuf adultère Meu de fes pleurs, plus long tems ne f cent taire Ce qu'il efloit, ains luy dit : Pren courage. Ne crein ne crein des flots marins l'orage, Tendre pucelle : autre chofe je fuis Qiie je ne femble, autre chofe je puis Qu'vn beuf muglant, dont la forme j'ay prife Pour ton amour dedans mon cœur éprife. Qui m'a forcé de veflir cette face. Et de pajfer de tant de mers l'efpace, Moy lupiter, moy le père des Dieux, Moy le feigneur fous qui branlent les deux, Pour apaifer de ma flamme fegrette La chaude ardeur en cette ifle de Crète Ma nourricière : icy faut que tu ailles, Jcy feront tes faintes epoufailles, Icy de moy tu auras des enfans, Roy s fur la terre en gloire triomphans.
Ainfi dit-il: & tout comme il dijbit D'ordre arreflé par après fe faifoit. Il vient abord, & dans Crète venu Le toreau feint }i^a long tems retenu, Ains fa figure au riuage a reprifc, Puis accomplit fon amour entreprife : Et dénouant le viergeal demiceint, Qit'Europe auoit pour Vheure encore ceint, Enfemble fit & femme & mère, celle, Qjii jufju'à lors auoit eflé pucelle.
432 IX. LIVRE
A MONSIEVR LE GRAND A V MON 1ER.
Amiot, quand je voy ton liiire, Qui mérite à jamais de viure, [Pi is d'vn précepteur d'Empereur, Le meilleur qui fut onc fur terre, Soit pour la paix fait pour la guerre, Bon jufticier bon conquereur :)
Que pour nofire public vfage
Tu traduis en François langage, Toy bon précepteur d'vn bon Roy, Qui pouffé de bonne nature, Infîruit de bonne nourriture, Droiturier embraffe la Foy.
Quand je voy ton Hure, & fon titre, Oii ton nom de croffe & de mitre Porte le facré faint honeur. Pris de merueille & non d'enuie, le dys en beniffant ma vie: Valeur trouue fon guerdoneur.
Car ce beau titre à plus d'vn âge Portera certain témoignage De la vertu d'vn Prince grand. L'honeur, quife donne en la forte. Double honeur des deux parts aporte, A qui le donc, & qui le prand.
Mais quand je vien mettre en lumière Mes vers, bien quUls ne valent guiere, Que je ne puis defejîimer, [Car chacun aime fon ouurage) Me voyant auant dans mon âge, Lequel j ay tout mis à rimer:
DES POEMES. 433
Quand moy, qui n'ay mitre ne crojfe, Vien publier la majfe groffe De mes ouwages affemble:^ : Si je penfe qu'en grojfe letre Bai/fans titre me faut mètre, le/en mes efpcrits troubl::^.
Non pas que trefbien je ne fçache, Qtie moy, qui mes œuurcs ne cache, le n'aquiere affe^ de renom : Il me deplaijl que, quand j'auauce Mes vers pour l'honorer, la France Rougiffe de mon pauure nom.
Vraiment c'cjl à la France honte, Que Ion y fait fi peu de conte De ceux qui plus d'honeur luyfont: Ce qui plus mon cœur époinfonne, C'efl, pour vn bien qui bien fe donne, Que mille fans mérite en ont.
Et fi ne fçay doîi vient la faute. Sinon de la bonté peu caute Des plus grans, qui, fans y penfer, Les biens donnent par trop faciles Aux perfonnes les moins abiles. Fors à courir pour s'auancer.
De là coule toute la mine Des abus, qui font la ruine De Vétat diuin & mondain. Trop long tcms a qu'elle commence: Car fi auant elle s'auance, Qu'on attend le mechcf foudam.
Dieu bon Dieu détourne ton ire : De mon Roy le bon cœur infpire De ta trejfainte volonté. Qu'il puiffe terrajfer le vice Sous la florijfante juflice Deffur l'apuy de fa bonté.
lujlice & Pieté je prife, Et pour très royale deuife
le an de Baif.— H. •sS
434 IX. LIVRE
Deuot je les honoreray.
Qu^vn Dodeur de Pieté parle,
Moy ton Pacte, 0 grand Roy Gharle,
De jujîice je parler ay. Il faut propofant belle montre
D'vn dejjein de telle rencontre.
Ne laijfer le rebours courir.
O bon Roy, fay qu'vn jour encore
lujlice & Pieté s'honore:
L^etat qui chet vien fecourir. luJlicc ejl la vertu de l'ame.
Vertu des vertus feule Dame,
Qiii départ le fien à chacun.
Qiiiconque la luflice exerce,
L'humain & diuin ne renuerfe :
Et n'endure forfait aucun. En telle luflice bien prife,
La Pieté mefme cfî comprife,
Qiti rend bien le diuin honeur.
Entre les amis départie
Et les parens £■ la patrie,
Et le fuget & le feigncur. En voflre luflice bien prife ' Prudence première efl comprife,
Qui refle vaine fans l'effet.
Et jufïice ejl l'effet d'icelle.
La Prudence feule apar-elle
Ailleurs qu'en l'ame rien ne fait, luflice contient l'atrempance,
Q.ui bien toutes chofes difpanfe,
Réglant nos violens defirs :
Et qui, à la hcnte ou domage
De fon prochain, ne s'auantage
De vouloir prendre fes plaifirs. luflice contient Fortitude,
Qiii contre les rebelles rude,
Aux humbles clémente fera :
Et gardera que l'ame ateinte
DES l'OEMES. 435
De friuole efperance ou creinte Vue lâcheté ne fera.
Daiiant libérale lujlice
S^ enfuit la taquine auarice, Qui Vautruy dérobe & le fien. Oit la jujïice ejl florijfante La prodigalité s'abfente, Qui perd ingratement le bien.
En elle ejl la vraie Efperance, Auec la fîdelle ajfurance, Et la loyale Charité. O jufie Roy, fay la juflice Régner vainquereffe du vice : Entrepren-le en profperité.
De tes aïeux l'vn Debonaire, „
L^vn du peuple, l'vn des ars Père, L'autre le Sage efl furnommé : De tous ces beaux noms la mémoire Seul aboliras de ta gloire, Gharle le Ivste étant nommé.
A MONSIEVR
DE B E LOT.
DELOT, que non vn faux vif âge. Et moins vn afeté langage, Ny quelque flateufe façon, Font aimer : ains vne bonne âme, Qiii le vice rejeté, & blâme Même du vice le foupçon.
De la Court ne te chaut plus guiere, Qui veux laijfer Vannée entière
4.36 IX. 1. 1 V R E
Couler, fans venir voir le Roy.
Creins-tu que la Court fait deferte Depuis la tant infigne perle De ces ennemis de fa foy?
Ou quelque amour toute nouuelle Auroit bien gagné ta ceruelle, Faifant oublier tes amis? Oit efl ce luin? voila Nouembre Paffé : nous entrons en Décembre : En Juin tu nous auois promis.
Voicy ta maifon arreflce. Et qui t'attend toute aprejlee: Et nous tes amis t'attendons. Qui te fait ion retour remettre? Aumoins à nous vn mot de lettie, Qjd tes nouuelles demandons.
As-tu conçu quelque rancune Contre la Court? Si la fortune Ne répond pas à ton defir ? Pour y voir l'indigne [peut efire) En honeurs & biens foudain croejlre. Le bien inutile moifir?
N'y vien pas, fi tu n^y veux viure Tenant le chemin qu'il faut fuiurc Pour lieureufement paruenir. Moy, fur l'autonns de mon âge. Par force je mes en vfage Le vray moyen qu'il faut tenir.
Neceffitc, des ars maitreffe, M'eufcigne la faine fagcjfe Contre lefçauoir mal apris. le cuidoy pour auoir falaire Que ce fufl affe:{ de bien f.nre : Et qu'ainfi Ion gangnuit le pris.
En cette fute fantaifie Le métier de la Poéfie l'ay mené bien près de vingt ifns: De mes vers mis en euidencc
DES POEMES, 437
refperoy quelque recompenfe, Qitand ne faifoy que perdre tems.
Mais depuis par expérience l'aquier bien vue autre fcience. Car outre qu' il faut faire bien, Sois importun en toutes fortes: Frape, demande à toutes portes : Autrement tu n^emportes rien.
Laiffe chés toy ta preudomie. Du vray la trop feuere amie. Si tu n'es flateur ou menteur, La vérité f cache s bien taire. Ne deplay ne pouuant complaire : Sois ou menteur ou lamenteur.
La Court requiert & que Ion mente. Et que fouuent onfe lamente: 7 oufiours faut fe ramcnteuoir. Et faut s'_>' trouuer en perfonne : Aux abfens jamais on ne donne. C'efl le chemin pour en auoir.
l'ay vu mon compagnon d'école, Et mon maiflre en cette bricole. Lequel ny a pas quator^^e ans, Voulait faire à toute fortune A partir entre nous commune, Des biens auenir & prefans.
Comme il auoit Vefprit agile, La langue fouple, & l'âge abile, En la Court ariue inconu. Tient ce chemin : pourfuit : s'auance, Digne encor de meilleure chance Pour ne s^eflre pas méconu.
Moy tardif qu^vne humeur pefante, Caufe d'vne honte nuifante. Rendait & fauuage & rétif: Suis retardé bien loin darriere. Sus fus redoublon la carrière Pour ne viure pauurc «S' chetif.
438 IX. LIVRE
Aux grans je me fuis fait conoiflve: Ils ont fait ma fortune croiflre : Et me donnent certain efpoir De la faire encore meilleure. S'ils le font, foit en la bonne heure: Sinon, j'auray fait mon deuoir.
LA NINFE BIEVRE. AV SEIGNEVR DE BERNI.
Brvlard, ta franche gaillardife, Qui noflre Alufe ne meprife, Me conuie à te rechanter. Ce qWvne fois deffus la riue De BiEVRE à /a Ninfe plaintiue, Elle fifl ainfi lamanter.
Race des hommes déplorée, Oie^ d'vne Ninfe éploree Vn grief & lamentable chant: Et fi n'en faites autre conte Pour le moins confeJJ'e:^ la honte De voflre fiecle tref méchant.
Moy qui dans mon giron ameine De cent fourjons l'eau néte S- faine, Gardant dés ma fource mon nom, lu/qu'à tant que mon ruijfeau treuue Contre Paris le large fleuue De voflre Séné au grand renom:
Moy de qui l'eau frefche conduite Par vne rigole conflruile
DES POEMES. 439
De ciment^ œuure des Romains, Sottloit abreuuer voftre ville: Aujoitrdhuy je me traîne vile Pour des teinturiers inhumains,
Qjti font de l'eau de mon riuage Dans leurs chaudières vn lauage De guefde & pajlel me/langé: Qu'après dans mon fein reuomiffent : Et de leurs drogues me honnijjent Mon courant ainfin enfangé.
Valait bien leur fale teinture, Vaine bobance toute ordure! Qui perd des laines le naïf, Que falajfe defhonoree Traîner mon eau décolorée. Perdant ce que j'auoy de vif?
Lors que d'vne courfe naïue Racueillant mainte fource viue le m'égaioy dans mon canal, Trempant le bas de la colinc. Dont la longue pampreufe échine S'étand du long d'vn plaifant val .
Menant ma riuerote néte, Qui ne couloit encor inféte Des poifons de vos Gobelins, Lors me jettoy non dédaignée Dans ma riue droit-alignee De la Sene aux flots a:{urins.
Côtoyant toufiours la montagne. Dont le pié de mon eau je bagne, le gardoy mes flots beaux & nets, lufqu'en la rué à qui demeure Le nom de Bieure encor afleure: Mais ils y fo>it le Troupunais.
Ainfi tout par tout vilenée En la malheure je fu née. Que mal viene à mes ennemis! Qui par auarice méchante
440 ' IX. LIVRE
Me gajîans mon eau clair-coulante. En defhoneur m'ont ainji mis.
O Dieu du jleuue de la Séné, Tu vois comme je vas à pêne. Reculant par mille détours En ma riuicre tortueuje : Tant je crein Vofenjer, honteufe De méfier mon eau dans ton cours :
Eiicor dans ton canal jettee, De leurs venims toute infeéiee, le coule tant loin que je puis, Sans que mon onde foit confufe Auec ton eau, qui me refufe Ainfi vilaine que je fuis.
ladis non ainfi dédaignée,
Mais de tes Ninfes bien veignee. Mes eaux je melloy dans vos eaux, Parauant que de leur teinture Cette enjance me fijl l'injure, Qjii déshonore n.es ruijfeaux.
Mais Ji mes eaux je vous aporte, Mon nom defia plus je ne porte, Qjie ces Gobelins m^ont ojïé. Ma honte je cache pauvreté: Et mon nom plus je ne regrete. Puis qu'ils m'ont tolit ma beauté.
O bande aux neuf Mu/es facree. Que mon onde fouuent recrée. Soit au valon de Geyitilly, Soit d'Arcueil au peupleux riuage, Oîi des arcs eft debout t'ouurage, Par où fur les mons je failly:
Douât des Poètes le père:
Ronfard à qui j'ay fceu tant plcre: Des-Portcs, Pajferat : Belleau.^ Qjii dois de ma piteufe plainte Dautant plus auoir l'ame aleinte, Qiie prens ton nom de la belle eau :
DF.S POEMES. 441
Si jamais fus via verde riue Au murmure de mon eau viue, Vous printes quelque doux fomeil : Si de mes ondes argentées Vos paupières aue^ frotees Vous lauans à vojlre reueil :
Si jamais à vos amour êtes: Si à vos verues plus fegrétes : {Quand vous foidaffie:^ à rcquoy En plus d^vne cacheté ombreufe) Témoin fidèle & bien-heureufe l'ay prefté mon riuage coy:
Touche:^ de cette doleance,
Vene:{ embraffer ma vangeance Contre la facrilege erreur Des mauuais qui me font outrage. Que vojlre bande s'encourage Contre eux d'vne jufie fureur.
Tant qu'où leurs fautes ils ref entent, Et fi bien ateins fe repentent, Qu'ils me rendent mon libre cours : Ou fi le gain tant les manie. Comme ils m'ont falement honnie, Soyent honnis par vofire fecours.
A MESDAMOISELLES, lANE DE BRISSAC, ET
HELENE DE SVRGERE.
Sovci des Mufes immortelles, O Pair de compagnes fidelles, Qtii, outre le fang qui vous joint, Vous belles & bonnes coufines,
442 IX. LIVRE
Sente:{ me/mes grâces diuines Sous mefme defir qui vous point :
Quand du vvay fçauoir ciirieufes le vous voy toufiours Jludieufes Tenir quelque Hure en la main. En langue nojlre ou étrangère, Ninfes de Brijfac & Sur gère, Qiie vous ne fueillete^ en vain.
Ainfi que les blondes auétes Vont voletant par les fleurétes En la faifon du renouueau: Qiiand de naturelle industrie Entre les fleurs font vne trie, Pour confire leur fruit nouiieau:
Et font dés la faifon noutielle De miel vne referue belle. Pour pajfer l'autonne & Vyuer. Ainft vous bonnes ménagères, Qiii tene\ les heures bien chères, En la primeur de voflre ver:
A tout le refle de voflre âge,
Pour voflre bien-heureux vfage, Par les Hures dignes à voir, A fin d'orner voflre belle âme, D'vn honneur mieux flairant que bdme, Vous cueille^ le miel du fçauoir.
Ainfi de meurs & de fagejfe Aquere:^ vne belle adreffe Dedans vos généreux efprits, Qiii font qu'en vertueufes grâces. Vous, comme les deux outrepajfes. De Vhonneur emporte^ le pris.
Moy rauy de la clairté belle. Qui de vos valeurs étincelle. Comme ingrat ie m'acuferoy Sans efpoir de valable excufe, Quand au jour enuoyant ma Mufe Vos mérites ie pafferoy.
DES POEMES. 443
Sans vos beaux noms mifc en lumière Dedans Voublieufe fondrière Digne ferait de deualer : Si de vos grâces admirées Mes rimes nefloyent honorées, Qiii ne peuuent les égaler.
Et comment mes chanfons rimees Pourroyent faire voir exprimées De vos anceflres les valeurs? Vos vertus qui font des plus rares. Vos grâces qui des plus barbares Atirent les plus rudes cœurs?
Bien que la fplendeur de riclieffe. Et le los d'antique nobleffe, Acompagne vos jeunes ans, Pour cela vous n'efles plus fieres: Mais vos gracieufes manières Se parent d'autres ornements.
Non par joyaux d'orfeueries, Ou precieufes pierreries Qu'on aporte de VInde mer: Non pour quelque riche veflure De broderie ou d'orfri^ure Cherchant de vous faire eflimer:
Pluflofl vous vous efles parées Des Vertus qu'aue:^ defirees Pardefus les perles & l'or: Dont la gloire vraye & maffiue Mille ans après nous fera viue, Luifant d'vn immortel trefor.
Soigneufes vous aue^ choifîe L'honnefie & graue courtoifie, Parement de grande valeur: Aquerant, loin d^ outrecuidance. Et le fçauoir & la prudance. Biens qui fe mocquent du malheur.
Si cette chanfonette baffe
Méritait de vous tant de grâce.
444 IX. LIVRE
Qu'elle pitjl bien vous conuier A lire vies autres ouurages, le vouspri, Damoyf elles fages, Vojlre fuport ne me nier :
Mais foutenir contre l'enuie
Les premiers labeurs de ma vie, Où, fans garder vue teneur, Ainji que ma vente me poiijje, Tantojl farouche & tantojl douce, le pourfuy quelque bel honneur.
Ainfi vos beaux noms puiffent viure A jamais dans mon heureux Hure, Et vos honneurs & vos vertus. Ainfin à la vue première De vojlre Jlambantc lumière Aies enuieux foyent abatus.
DV NATVREL
' DES FEMMES.
AV SEIGNEVR MOREAV
TRESORIER DE MONSEI- G N E V R D ' A N I O V.
Mo RE A V, d'amour & franc & vide le viuoy, quand de Simonide le tranfcris en ces petits vers. Ce que du naturel diuers Des femmes & de leur lignage, Il chante enfon Grégeois langage.
DES POEMES. 445
Moy François en François l'ay mis:
Mais ou quelcun de mes amis
En retient la feule copie
Dont par megarde ie m'oublie:
Ou quelque dangereufe main
Me la garde encore à demain :
Ou quelque mauuaife afetee
Sus mes vers fa pâte a jetée,
Qiii, prenant en mal tout le jeu,
Les a jette^ dedans le feu.
Tu en auras fans plus la fuite Que d'autres auteurs j'ay traduite: Si le tout m'efl jamais rendu. Tu l'auras tout, car il t'cfl du. En atendant la pièce entière Prcn ce rejle de la matière De la mefme ctofe £- façon, Garçon de la main d'vn garçon.
A TANrfe tera Simonide: Ces vers font pris de Focylide. Les Races des femmes qui font De ces quatre leur naiffance ont : Ou de la cliiene ou de l'auéte, Ou de la porque orde & mal-ncte, Ou de la cauale au beau crin.
Cette cy n'aura point de fin D'aller venir, difpofle abile, Belle à voir & de taille agile.
Celle de la porque n'a rien Ny de grand mal ny de grand bien.
Celle de la chiene efl mauuaife, Afpre aux abois, qui tard s'apaife:
Mais celle de l'auéte fçait Mener de la maifon le fait, Ménagère bonne & foigneufe, Aux ouurages non pareffeufe.
C'efl celle qu'il te faut tafcher A noir pour femme, Amy Irefcher.
446 I>^- LIVRE
Mais vn nouueau defir me tente, Recordant la fable que chante Le vieil A/crois à ce propos, De ne donner fi tojl repos A ma Miife qui s'aloit taire. Di-la, Mufe, & ne crein déplaire Bien que tu fois longue en ces vers. Plaifir fuit vn conte diuers.
Q.VAND le cauteleux Prometee, Aux Dieux la flamme dérobée Dans vn bois creux, ut mife es mains Des mortels & chetifs humains: Il mordit au fons le courage De lupiter d'ireufe rage, Si toft qu'il vit que l'homme auoit La flamme qu'il fe referuoit. Et pour la flamme [point n'arrefle) Vn grand mal aux hommes aprefle. Car l'ouurier boiteux renommé Auec de la terre a formé D'vne pucelle vue femblance. lupiter en fit l'ordonnance, Minerue Deeffe aux yeux vers Ses membres a ceints & couuerts D'vne veture déliée. Et defus le chef Va voilée D^vn guimple qu'en f es mains tenoit. Ce qui fort bien luy auenoit. Outre Palas luy enuironne Le chef d'vne belle couronne Faite de toutes fraîches fleurs Mellant par ordre les couleurs. Par fus les fleurs fon chef encore D'vne couronne d'or décore, Qiic le boiteux feure Vulcain Luy-mefme auoit fait de fa main. Et pour à lupiter complaire Autour de Vouurage ala faire
DES PO F, M ES. 447
Force imagetes d'animaux Nourris fur terre & dans les eaux, Ouurage à voir emerueillable Eclatant de grâce admirable, Tant les animaux rejfembloyent^ Qu^ejlre tous viuants ils fembloyent .
Apres qu'en lieu du bien il ha Fait ce beau mal, la mène & va Où font les autres im.nortels Auecque les pauures mortels.
Elle pannadoit acoutree Comme P ail as Va réparée: Et lavoyans dauant leurs yeux, S'ebaiffoyent hommes & Dieux, De la tromperie admirable Qui n'cjl aux humains euitable. De cette Pandore Ion tient Que la race des femmes vient.
Tel cfl des femmes le lignage Aux humains grand charge & dommage , Sortable, non à pauureté, Mais à bobance & fouleté.
Comme les chetiues auettes Dans leurs ruches en voûte faittes Nourrijfent les guefpes qui ont Part à leur œuure, & rien ne font: Elles du long de la journée lufques à la nuit retournée Sont à la peine bafliffant Leur doux goffrage blanchiffant . Tandis les guefpes pareffeufcs Acouuert fe tiennent oyfeufes. Et dans leur panfe font amas Du labeur qu'elles ne font pas. Tout ainfi lupiter qui tonne. Femmes [vn mal) aux hommes donne Parfonnieres de leur traual, Et pour vn bien vn autre mal.
448 IX. L [ V R F.
Qui abhorrant le mariage, Et des femmes le tribouillage. Marier point ne Je voudra: Qiiand en la vieilleffe viendra N'ayant perfonne qui le traitte. Languira riche en grand' difette : Luy mort, ceux qui s'en gaudiront Son bien par entr eux partiront. Mais qui fe met en mariage. Et rencontre vne femme fage, Honnefle & de bon entretien, Le mal fe contrepoife au bien A cetuy-cy toute fa vie. Mais auffi l'homme qui fe lie A celle du tige peruers, Vit acablé de maux diuers, Portant toufiours en fa poitrine Vn enntiy qui jamais ne fine, Et va tel malheur encourir Qii'on ne pourrait l'en recourir.
Ainfi ne peut eflre paffee Du grand lupiter la penfee, Qiie nul homme ne doit penfer Ny dérober ny deuancer.
MoREAV, que Dieu te doint l'auétc Ménagère qui bien te tréte. L'auéte auiene à mon amy. Et la gucfpe à mon ennemy.
A LA LYRE.
D o vcE Lyre, ie te loué. Mon foulas & reconfort. Par qui feule iefecoué De mon cœur tout deconfort.
DES POEMES. 449
Nulles joyes tant foyent douces
Ne te pourroyent égaler,
Toy qui mes ennuis repoujjes
Si tojl qu'ils t'oyent parler. Il n'a ny fens ny oreille
Digne d'ouïr ta chanfon,
Qui plein de gaye merueille
Ne fe rauift de ton f on. Amphion auec toy, Lyre,
De murs Thebes couronna :
Arion hors du nauire
Aux Daujîns s'abandonna. Aux hommes ils firent honte
En le famiant de la mort,
Qiiand fous le chant qui les domte
Le rendirent à bon port. Bien auoyent Vdme brutale
Ces pirates ajfaffins,
Cruels d'auaricefale.
Sourds à fes acors diuins: Qui par la campagne humide
Tiroyent les daufins courtois,
Menei, comme d'vne bride,
Du fon touché de fes doits. Douce Lyre enchantereffe,
Le mal tu fais oublier
Au malade, qui te laiffe
A fon mal remédier. La refonante armonie
De tes gracieux accents.
Si Courvile te manie,
Rend aux efprits le bon fens. Tel qui d'vne aueugle rage
Se lâchait à la fureur.
Amoliffant fon courage
Par elle voit fon erreur. Tel qui de gourde pareffe
Auoit le cœur abatu,
Jean de Baif. — II. 29
4^0 IX. LIVRE
Par elle empli de proueffe Se ranime à la vertu.
Douce Lyre ie te loue. Mon foulas & reconfort, Par qui feule ie fecouë De mon cœur tout deconfort.
Nulles joy es, tant foyent douces, Ne te pourroyent égaler, Toy qui mes ennuis repouffes Si tofl qu'ils foyent parler.
A MONSIEVR DE
LA M O S L E.
M. o S L E , ta douce courtoifie Fait qu^en ma libre poëfie, le vien à toy me décharger D'vn faix que j'ay dans ma poitrine, Qui m'étoufe & qui me chagrine, Et cuide me décourager :
Quand malcontent rcfueur ie panfe. Que vingt & cinq ans par la France l'ay fait ce malheureux mettier, Sans receuoir aucun falaire De tant d^ouurages qu'ay fçeu faire. O que j'uffe efié coquetier!
Deux fois me trouuant lafemaine Au marché, j'uffe de ma peine Le loyer par vn gain prefent : Là oit la nuit & la journée Trauaillant du long de Vannée, le n'ay pas vn chetif prejent.
DES POEMES. 4DI
Et ma tejîe ademy pelée
Grifonne : & ma barbe méfiée Montre des toiifets de poil blanc. De dents ma bouche ejî dégarnie : La goutte defia me manie : Et n'ay de rente vn rouge blanc.
Que benijle foit ta fortune, Qui te cherche tant oportune Qti^en la primeur de ton printems, Tu tiens vne grajfe abaîe. Toute la cour efl ebàie D'vn tel heur en fi peu de tems.
Ny defortune ny difgrace, yiosuE, jamais yie te déplace Du bon heur qui fi promt te rit. Mais croiffant l'amour de ton maiflre, Ton heur croiffant face decroiflre Toute enuie qui s^en raarrit.
Bien que'toute grande largeffe De Fortune la changereffe, Ne foit guiere fans grajide peur: Et bien qu'en la race mortelle Nztlle grandeur perpétuelle Ne s'exente du fort trompeur:
Ta fageffe bien attrempee Ne fera du hasard trompée: Mais comme vn marinier acort, Sous la faueur de ton étoile. Ou guindant ou calant ta voile. Te fçauras fauuer à bon port. Voulontiers la caute prudence Au moyen trouue Vaiïurance, Qiii de fon heur ne deckét pas : Lors que le mortel humain fage Retient fon modefle courage, Dealer ny trop haut ny trop bas. Car s'il faut que l'homme defcende, Du moyen la chute n'efi grande:
452 IX. LIVRE
Et le mecheffe peut porter. Mais tombant d'vne haute bu te, Par trop dangereufe ejl la chute, Qiii ne Je peut reconforter.
Qiticonque bien heureux profpere, Jamais ne croye ny n'efpere Que fa chanfe dure toufiours. Fortune inconfiante Deeffe, {S'il faut que ce tiltre on luy laiffe) Se laffe toft d'vn mefme cours.
Mais la maudite ne fe laffe
De me montrer toute dif grâce. Bien que des grands ie foy cognu : Et bien que ma Mufe facree Par fois leurs oreilles recrée. Tu me vois encores tout nu.
Et quatre di:^aines d'années En vain defiafont retournées, Depuis qu''au monde ie nafqui. le criray s'il faut que ie meure, {Si ie n'ay fortune meilleure) le meur qui jamais ne vefqui.
le n'eflime pas que f oit vie,
Viure plein d'vne bonne enuie. Et de defirs gaillards & fains : Et fçacliant bien le bien élire. Ne pouuoir, quand on le defire, Parfaire vnfeul de fes deffeins.
Encore fen-ie dans mon âme, Qii'vne fureur diuine enflâme. Quelque valcureufe vigueur, Pour entreprendre vn haut ouurage, Qiie pourfuiuray d'vn chaud courage, Si nos Princes nVaident le cœur.
Voire en dépit de ma mifere A nos enfans tnontrer j'efpere, Par Vongle quel fut le Lyon. Et que noflre âge par la France
DES POEMES. 453
De bejîes d'vne telle enjance
Ne nourrit pas vn million. Si les arts étoyent en ejlime,
Iefçay,fi ie ne fuis le prime,
Que ie ne fuis pas le dernier.
Lors ma vertu recompenfee,
Elargirait de ma pcnfee
Le defir qui meurt prifonnier. C'eji à mor malheur : mais c'ejl honte
A mon fiecle, ne faire conte
Du fçauoir ny de la vertu.
MosLE, il m'efl permis en mon âge
D^en dégorger bien dauantage,
Qiii n'ay pas le cœur abatu.
AV CHEVALIER B O N E T.
Bien que plu fie ur s larges campagnes, Bien que maintes hautes montagnes. Et longues trauerfes de mer, Bon ET, aujourdhuy nous feparent. Mon cœur entier elles n'égarent Du vray deuoir de bien aimer.
Car ie retien le mot du fage, Qjie ie mé fouuent en vfage: [Et vers toy ne foit pas omis. ) Aye des amis fouuenance En abfence autant qu'en prefence : C'efî le deuoir des vrais amis.
En cette fouuenance douce le difcour : & ie me courrouce
4^4 IX. LIVRE
Des fadê\es du genre humaiyi ; Qiii pour vn vain honneur aquerre, Ou pour du bien, vagabond erre. Ne /cachant s'il viura demain.
Encore pour vn tems j'excufe
Le jeune homme nouueau fans riife, Qiii ne peut che\ luy s'amufer : Mais voit des hommes les manières, Meurs S- façons particulières. Pour fe façonner & rufer.
Epoint de fi louable enuie M^atiint vne fois en ma vie Les monts des Alpes repaffer. Pour voir Venife ma naijfance. Vne fois défia dés l'enfance On me les auoit fait paffer.
Mais fils de François ie me vante François : & la France ie chante Que f honore pour mon pais. Autres que nos Princes ne prife Pour feigneurs : autre foy n'ay prife Pour tenir que la foy du Lis.
Doncque moy François ie repajfe Les monts, que l'éternelle glace Et la nége couure Vefié. Paffé de là ie confidere Tout tant que fy voy fait ou faire, Par bonne curieufeté.
le n'y voy rien que des campagnes, Torrents, riuieres, & montagnes : Coutaux, rochers, bois, vignes, eaux: Pre:{, friches, pafiis, pâturages : Bourgades, villes, & vilages: Châteaux, bordes, & des hameaux.
l'y voy qu'on laboure la terre: On féme blés : puis on les ferre: On met la vendange au preffoir. On trafique : on plaide : on temogne.
DES POEMES. 455
L'vn perd, l'autre gangyie : on befogne. Le matin y eft, S- le foir.
Le foleil de jour y éclaire: De nuit, pourueu qu'elle foit claire, La lune auec les ajïres luit. Il y pleut S- grej'le : il y tonne : Il y nége. Uejié, Vautonne, L'yuer, le printems, s'entrefuit.
l'y voy les humains enfans naijlre : Et puis garfons ie les voy croijire: Et d'autres hommes deuenus, Qt(i à diuers métiers s'adonnent, l'en voy de barbus qui grifonnent : Et d'autres défia tous chenus.
Et bien ne verray-ie autre chofe? Ce di-je en moy-mefme : & propofe Là plus long tems ne fejourner. Mes defirs contents ie ramajfe : Et foudain les monts ie repaffe Pour en ma France retourner.
Puis que fans bouger de ma terre, Sans que dans mille périls j'erre, l'y voy tout ce qu'on voit ailleurs : Oie ne font fontaines plus faines, Ny de vents plus faines alênes, Ny cher, ny pain, ne vin meilleurs :
due me fert changer de contrée? Que me fert d'auoir Vâme outrée De mille vains & fois defirs? Pour fe perdre loin à la quefie De la chofe qui près & prefte Nous offre l'aife des plaifirs?
Ce fut ma certaine penfee
Du tems que la Paix, embraffee Du peuple François, floriffoit : Et loin de ciuile rancune La France, patrie commune De tous, concorde nourriffoit :
456 IX. LIVRE
Mais s'il faut que d'auis ie change Pour chercher loin en terre étrange Sous bonnes loix ferme vnion? Qjie la mère en fujl auortee De celle maudite portée, Qui peruertit religion!
D'elle fut des-autorifee L'ancienne foy méprijee, Et l'honneur diuin terrajfé : Par elle chut en nojlre France Des loix la faintc reuerance Détruite, & le bonheur chajfé.
Que Dieu le bon Dieu fauorife De mon Roy la haute entreprife D'' extirper ces malins peruers ! Mais que le bon il garentiffe, Quauec le méchant ne patijfe, lettant fes dejfeins alenuers.
Tandis que fa promte fageffe Et de fes Frères la proue ffe Les fous rebelles réduira, Ma chiere Mufe, retirée Oit règne la Paix ajfuree, A plus haut flile fe duira.
Méditant en pais effrange
Des vers dignes de la louange De ces vaillans & nobles cueurs, le reuiendray vanter leur gloire. En quelque beau chant de viâoire. Lors qu'ils trionferont vainqueurs.
le le dy : mais il faut atendre,
Quelque fin qu'il en doiue prendre : Dieu me gardera fi luy plaifl. Meur ou vy quand & ta patrie : Bien meurt qui luy donne fa vie : Qui la furuit miferable efî.
Qjte Dieu d'vn œil bénin regarde Toufiours voflre bande gaillarde :
DES POEMES. 4?7
Et conduife en fes jeunes ans Du Marquis Vame genereuje. Tant que fa vertu valeureufe Soit la fraieur des mécreans.
Tu falûvas le bon Delbene, Luy difant, qu'il trompe la pêne De Vamour, du trauail de Mars. A tous ceux de ma conoiffance, {Bonet je t'en auouë) auance Milh fouliets bons £• gaillars.
Ainft vojlre guerre parféte Par vne Turque/que dejféte. Vous ramené pleins de butin. Nous dirons faifans bonne ckiere. Vous vos beaux faits, nous la manière Dont fera domté le mutin.
A SON LIVRE.
RvMESj/or/e^ï' de la pouffiere: Et vous decouure\ en lumière En beau papier bien imprimé. Qtii naguiere en brouillas traffees Gi:{iés da)is l'ordure leffees, Faites vn gros Hure ejiimé.
Tu veux donque furtir^ mon Liure. Que puffes-tu longuement viure De quelque bon ange conduit! l'ay peur de ton outrecuidance, Qiii vas te mettre en euidance En tems qui aux Mufes ne duit.
Toy canons, tambours & trompettes, Ecarmouches, affauts, deffettes :
29»
458 IX. LIVRE
Les Jleuues vont le fan g coulant. Rien que guerre, famine, pejïe. Ce qui d'elles echapé rejle, Le fac S- gajl le va foulant.
le voy galiaffes ramées,
le voy naus volantes gommées, Groffes d'armes couurir la mer. le voy grandes haines ouuertes : le voy les campagnes couuertes Des batailles qui vont s'armer.
Qite vois-tu que rage & turie? Vois-tu la meurtrière furie, Qjii hoche f es cheueux épars, Sa baue venimcufe crache, Les ferpens de fon chef arrache, Et les épand de toutes parts?
Les panures Mufes dédaignées Cherchent retraites éloignées En quelque defcrt écarté. Tant que la barbare fumiere, Qiti cache la bonne lumière, Refuiê dauant la clarté.
Plus promt à fortir deuois efîre : Ou plus rétif encore à neflre En quelque âge moins vicieux. Mais fouuent entre les épines. Et parmy les ronces malines, Sortent fleurons délicieux.
Que Dieu fauue les lis de France, Qui 710US gardent hors de foufrance, Des Mufes i' aimable confort! Le feul ornement de noflre âge. Des lettrés le bon auantage. Leur part Y fait toufiours plus fort.
Honore nos Princes : & t'arme De leur écu, comme d'vn charme De grande efficace & valeur: Qui me garentifl de Venuie,
DES POEMES. 459
Et garde mon heureitfe vie
Pour tout jamais de tout malheur.
Ne tay que leur bonté royale Ont ouuert la main libérale A Baif, qui ne veut tenir Sinon d'eux, & qu'à eux, Mon Liure, Te dedy' , pour y faire viure Leurs noms, & pour fe maintenir.
Mê donque Charle en aparance, Comme il afiert au Roy de France. Montre Henri Duc valeureux. François le gentil y reluife. Caterine bonne conduife En plus d'vn lieu mon cours heureux.
Les vns diront, que tu es rude : D'autres, que tu fens plus l'étude Que la Court : tant tu es diuers. Laijfe toy blâmer & reprendre, A qui ne voudra point aprendre De la ledure de tes vers.
Tel loura ce que moins je prife: Et tel, ce que plus j'autorife, En fe moquant méprifera. Jupiter ou pleuve ou ne pleuve, Toufiours quelque fâcheux fe treuve, Qtii du tems fe dnuleufera.
Dy, que je fuis du bon Lazare Fils naturel, qui ne nVégare De la trace de fa vertu: Afin qu'autant qu^on me retranche D'vne part, à mon âme franche Se rande l'honeur qui efl du.
Dy, que pauureté ny l'enuie N'ont fçu tant abatre ma vie, Qiie mon los ne f oit aparu : Et que volant d'affe^ haute celé Pour trouuer la gloire immortelle, Dauant les grands j'ay comparu.
460 IX. LIVRE
Four vn, qui mené d'ignorance Ou d'vne maline méchance, Voulut amoindrir mon renom. Dix fçauans & francs de rancune Ont dite ingrate ma fortune, Qiii ne répondoit à mon nom.
l'eu les membres grelles alegres,
Forts ajje:{, bien qu' ils fujfent megres, Pour gaillard & fain me porter. De hauteur moyenne & non baffe, Dieu m'a fait fouuent de fa grâce Valeureux le mal fuporter.
l'eu large front, chauve le fejle. L'œil tané creufé dans la tefîe, Affe^ vif, non guiere fendu : Le ne:{ de longueur mefuree : La face viue & colorée : Le poil chatein droit etandu.
Dy leur que je fu debonére :
Souuent penfif : par fois colère : Mais foudain il n^y paroiffoit. Oufl dans Paris vit le carnage. Le Feurier dauant de mon âge L'an quarentiéme acompliffoit .
L'afpét de Mercure & Saturne Me firent promt & taciturne Inuentif & laborieux. Des lumeaux la douce influance, Au ciel montant fur ma naiffance, Des Mufes m'ont fait curieux.
Venus d'vn regard amiable, Auec Iiipiter fauoiable, D^amour tn'aprindrent les ébas. Et fur le tard yn' ont fait conoitre Aux Grands: & dauant eux paroitre, M'empefchant d'auoir le cœur bas.
Mon Liure n''oubly pas à dire, A quiconque te viendra lire,
DES POKMES.
461
Que n'ay foriioyé de la foy : Dy que jamais dans ma ceruelle N'entra religion nouuelle, Pour ofter celle de mon Roy.
Dy que cherchant d'orner la France le prin de Courvile acointance, Alaijlre de l'art de bien chanter : Qiii me fit, pour l'art de Mufique Reformer à la mode antique, Les vers mefure\ inuenter.
Et fi quelcun autre fe vante
Wauoir pris le premier la fante, Sans mentir nous nous vanterons Dauanfant leur tardiue courfe, Qiie nous, des Mufes en la fourfe, Les premiers nous des-alterons.
FIN DES POEMES DE I. A. DE BAIF.
NOTES
I. Le premier des Météores, p. i.
Cet ouvrage a paru d"abord isolément. Baïf nous apprend les motifs qui l'ont empêché «d'achever la chanson » (Voyez p. 3i) et réclame, dans sa dédicace à Catherine di; Médicis, les moyens de terminer ce poème commencé sous ses auspices (p. 3). Ce premier livre a d'abord paru sous le titre suivant :
LE PREMIER
DES METEORES
DE lAN ANTOINE
DE BAIF
A CÀTERINE DE MEDICIS
ROYNE MERE DV ROY. A PARIS,
Par Robert EJlienm Imprimeur ditdiâ Seigneur
M.D.LXVIL
Auec priuilege de Sa Maiejïé.
Ce volume, de format in-4°, porte sur le frontispice la grande marque de Robert Estienne. Il se compose de 40 pages et de 4 feuillets non chiffrés, dont les 3 premiers portent les signatures typographiques : F. i, F. ii, F. iii. Voici ce qu'ils renferment :
464 NOTES.
F. i (recto) : A Monseignevr Lovis de Gonzagve Dvc DE Nevers, Pair de France (sonnet).
(Verso) : Av Pevple François, Dv Roy estant a Paris le I. de l'an i56y.
Ces pièces ne se trouvent pas dans les recueils généraux de Baïf. Nous les placerons à leur date dans les Poésies diverses.
F. ii et F. iii : Présages d'Orphevs... réimprimés en tête du premier livre des poèmes (Voyez p. 33-36 du présent volume).
Feuillet non chiffré ni signé (recto) : A la France. Elégie (signée Iodelle), réimprimée dans ses Oevvres (t. Il, p. i85- 186 de notre édition).
(Verso) : Sonet, en l'honneur de Baïf, signé : Philippe de
HOTMAN.
Quant à la pièce :Svr les météores de 1. A. de Baif, recueillie dans les Oevvres de Jodelle (Voyez t. Il , p. 184, i85 et 354 de notre édition), nous avons déjà fait remarquer qu'elle ne figure ni dans l'édition originale des Météores m dans les Oevvres de Baïf.
2. A...CaterinedeMedicis, p. I.
Dans l'édition originale on ne trouve pas^cette adresse à la Reine, et la dédicace commence, sans titre, par : le chante la faifon.
3. Les grand's pointes, p. i, v. 5. 1567. Les grand' pointes.
4. ...ouurier, p. 5, v. 19.
En deux syllabes, comme tous les mots de ce genre, jusqu'au XVIl'' siècle.
5. Sa fureur afoiblit, p. ;, 1. 27.
Ici afoiblit est neutre. Corneille l'a encore employé de la sorte :
y affaiblis, ou du moins ils se le persuadent.
(Tome X, p. 3 12, édit. des Grands Ecrivains.)
Cette leçon de l'édition originale était devenue,, dans l'édition de Granet : Je foiblis.
6. ...futile, p. II, V. 3. Orthographe conforme à la prononciation.
7. ..violemment fecouffe, p. 12, v. 10.
Sccouffe, secouée. Participe féminin du vieux verbe secure ou secour r e (sàcouiv), qui faisait au participe sscotix ou secuus.
NOTES. 465
8. ...l'enJlame-{on coulijfe, p. i5, v. 27.
Coulijfe, féminin de l'adjectif coulis, qui subsiste encore dans i< vent coulis «.
9. . ..071 la vcu', p. 23, V. 5. La est une réunion arbitraire du pronom féminin la tlidé et de a, 3° personne du présent du verbe avoir; quant à reu', c'est le participe féminin vcue avec élision de Ve muet.
10. .../<-' Sur, p. 23, V. 7. Le Sud. Les consonnes finales des monosyllabes, ne se prononçant pas, ou du moins se prononçant très faiblement, pouvaient sans inconvénient varier dans l'écri- ture. Sur figure dans le dictionnaire de Cotgrave; c'est la forme espagnole. Voyez J al , Glossaire nautique.
11. . ..baudrier, p. 28, v. 36. Voyez ci-dessus, note 4.
12. ...déjà defia, p. 67, v. 5.
Ce mot est ainsi répété dans le texte avec une double 01 tho- graphe.
i3. ...jouatil, p. 72, V. 3o.
Baïf a l'habitude d'écrire ainsi en un seul mot diverses locutions divisées par le sens, mais réunies par la prononciation.
14. Autour d'Orphée en vn rond ajfemblee, p. 76, v. 35.
Il y a Orphé dans le texte; mais nous avons suivi l'habitude la plus ordinaire de Baïf, qui écrit Orphée, devant une voyelle, avec élision de \'e muet :
Adonc Orphée à lajon... (p. 79, dernier vers); ou à la rime:
AiJifi le Preux s'acompagnant d'Orphée (p. 82, v. 22) ; et même dans le corps du vers, devant une consonne, quand ce nom compte pour trois syllabes:
Elles fuiuir d'Orphée les douxfons (p. 85, v. 7), et qui ne met Orphé que dans le corps du vers, devant une consonne, quand ce nom ne compte que pour deux syllabes :
Doncques Orphé race de Calliope (p. 81, v. 8).
i5. ...blafmeiir de la femme
De l'Atride puijné... p. 120, v. '56.
Stésichore, qui attaque dans ses vers Hélène, femme de Mendias, ous n'avons pas coutume de faire des notes historiques ou mythologiques; mais il y a ici une série d'énigmes dont il faut au mo.ns donner les mots.
16. ...le mari de fa mère, p. i2i, v. 3. Œdipe. lean de Baif— U. 3a
466 NOTES.
17. ,..lc chaftefds d'Hippolite guerrière, p. i2i, v. 10. Hippolyte, fils de Thésée et de l'Amazone Hippolyte.
18. ...le Roy de Megarc, p. 121, v. i3.
Nisus, à qui sa fille Scylla arracha le cheveu de couleur pourpre auquel était attachée la conservation de son royaume.
19. . ..violeur de laforejîjacree A Cerés... p. 121, v. 25.
Erisichthon, Thessalien, qui, ayant abattu une forêt consacrée à Cérès, fut puni par la déesse du supplice de la faim.
20. . . . l'aucuglc guide
Des preux par la coulombe, p. 121, v. 29. Phinée.
21. ...vn qui fe fouilla, domejlic ejlranger.
Dans le J'ang maternel pour fort père vanger, p. 122, v. i3. Oreste.
22. ...l'autre Hercule, p. 122, v. 25. Thésée.
23. ...le courbepin Sine, p. 122, v. 28.
Le brigand Siunis, surnommé n.izuo/.û.y.izry;;, u qui courbe les pins ».
24. ...le bourreau Sciron,
Qui les rocs mal-nomme\ diffama dejon nom, p. 122, v. 2g. Un passage le long des monts Géraniens portait le nom de « roches Scironides ».
25. ...le Duc Itacois, p. i23, v. 7. Ulysse. Duc a ici son sens latin de chef.
26. ...Egide, p. 123, v. 9.
Nom patronymique de Thésée , fils d'Egée. Au vers suivant, Minoïde désigne Phèdre, fille de Minos.
27. ...quelle à Prœte fut celle, p. i23, v. i3.
Sténobée, femme de Prœtus, roi d'Argos, qui, ayant accusé Bellérophon de l'avoir voulu séduire, fut cause qu'on lui donna la Chimère à combattre.
28. La niepce du Soleil, p. i23, v. 24. Pasiphaé, fille, et non pas nièce du Soleil.
39. ...celuy qui par trop aux parjures fidelle, p. 124, v. 4. Régulus.
NOTES. 467
3o. ...le fol Satyre, p. 12.1, v. 7.
Marsyas. ji. ...le trop cliajle Thefide, p. 124, v. 11.
Hippolyte, fils de Thésée.
32. ...le coturné Poète, p. 124, v. 16. Euripide.
33. ...de Calliope
Le trainebois enfant , p. 124, v. ig. Orphée.
34. ...les Belidesfœurs, p. I25, v. 3j.
Les Danaîdes, filles de Danaûs et petites-filles de Bélus. '35. ...le toreau, dont l'cfpreuue
Se feit par fon ouurier, p. 126, v. 35. Phalaris, tyran d'Agrigente, fit brûler Pérille dans le taureau d'airain que celui-ci avait fait.
36. ...à tout f on eau, p. i3o, v. 21.
.4 tout est ici une locution prépositive qui a le sens à'avec.
37. On a gaigné Rifban : laforlerejfe forcée, p. 149, v. 37. Ce vers a une syllabe de trop; mais fortcrejfc ne compte que
pour trois syllabes, conformément à sa prononciation populaire: fortrejfe.
38. ...entrait, p. i53, v. 10.
Entend à demi. Du verbe entr'ouïr, dont on trouve le parti- cipe présent, entr'oyant, au premier vers de cette page.
3g. Par elle m'ejloyent apprejlei, p. 154, v. 2G.
Il y a dans le texte : n'cjïoient, qui est une faute évidente.
40. ...lapas, p. 154, V. 3i.
En latin lapathiun. C'est l'herbe appelée patience ou parel!e .
4 1 . L'vn & l'autre parent émui de la prière
De leur bifornie fils, l'accordèrent entière, p. ig3, v. 2.
Cette expression bifornie n'est pas de la création de Baïf; elle est, ainsi du reste que le passage où elle est encadrée, littéralement transcrite des Métamorphoses d'Ovide (IV, 387) t
Motus uterque parens nati rata vota biformis Fecit...
L'un et l'autre, traduction du mot latin sintjulier uterque. a
468
NOTES.
a.mcniparent au singulier ; mais le sens a fait mettre ensuite émus et accordèrent au pluriel.
42. ...muances, p. 197, v. 32.
Changements. C'est la forme populaire, aujourd'hui disparue, tirée sur le latin mutatio, d'où l'on a fait plus tard mutation. Ce mot se trouve encore dans La Fontaine, à la fin du 2' livre de Psyché, dans un passage où l'auteur parle des « mûances », c'est-à-dire des changements de couleurs qu'on observe au cou- cher du soleil. Il faut toutefois avoir soin de lire ce texte dans l'édition originale , ou dans celles qui en sont des reproductions fidèles , car beaucoup de réimprs:ssions portent : nuances , qui change singulièrement le sens.
43. Parfuccés elles refleurijent, p. ig8, v. 11. C'est-à-dire elles fleurissent successivement, elles se succèdent.
44. La Fvrie Megere. Entremets de la traoedie
DE SOPHONISBE, p. 204.
Ce monologue de Mégère paraît avoir été destiné à faire partie de la représentation de la Sophonisbc de Saint-Gelais, jouée, comme nous le raconte Brantôme, devant Catherine de Médicis, a et très bien représentée par Mesdames ses filles et autres dames et damoiselles et gentilshommes de sa court, qu'elle fit jouer à Bloys aux nopces de M. de Cipière et du marquis d'Albeuf. » (Œuvres de Brantôme , édit. Lalanne , tome VII, p. 346.) Ce morceau ne figure pas dans la pièce imprimée.
45. Dithyrambes a la pompe dv bovc d'Estienne lODELLE. i553, p. 209.
Voyez, eu tète des Œuures d'Estienne lodclle, les pages XVIII- XXII [ de la Notice biographique sur ce poète.
46. Défaire au faux le vrayfemblable, p. 219, v. 20. Le texte original donne cette leçon inintelligible :
De faire au.xfaux le vrayfemblable.
47. ...// vous foumét les Jîens, p. 228, v. 19.
Le texte poTlQ fommét, qui est une faute évidente.
48. La Genevre, par Saingelais et Baif, p. 23i. Cette pièce a paru pour la première fois en 1372, dans les
Imitations de quelques chants de l'ArioJîe par diuers poètes français, — Paris, L. Breyer, iu-8°, où elle a pour titre : Geneure, Imitation des IV, V & VI chants de l'ArioJte.
Dans cette édition le texte de Saint-Gelais s'arrête à :
Qu'il feignait prou, & qu'il aimoit bien peu... (P. 240, V. II. d-: notre édition' ; mais, dans l'édition que nous reproduisons,
NOTES. 46g
le nom de Bai F est imprime en petites capitales un peu plus haut, en face du vers : 1
Toujioiirs croijfant mon amoureufc flâmc. p. 240, v. 8. C'est à ce même endroit que la continuation de Baïf est indi- quée dans VAriqfîe françoes de I. de Boefficres. Lyon , An- celin. i58o, in-S". — Suivant l'opinion la plus probable, la traduc- tion de Saint-Gelais s'arrêtait donc au milieu d'une période, sans que le sens fût achevé.
49. ...te les va reueler, p. 245, v. 'il.
Va est ici une première personne : Je vais te les révéler.
50. Si de ces yeux, p. 246, v. 27.
Le texte 'ç>or\.e. fes yeux, qui ne peut s'expliquer.
5 1 . Toute autre amour, fait ou bon ou me/chant, p. 265, v. 14 . Il y a bien toute, quoique les adjectifs qui suivent soient au mas- culin.
52. Efcarmouchcs, affattts, ce font tous f es efbas, p. 280, v. 10. Nous avons ajouté /es à ce vers, qui était faux.
53. Dame, ie te faltic, qui que fois, qui ainft, p. 283, v. 19.
Le vers, ainsi imprimé dans le texte, a un pied de trop. Il fau- drait, comme le font quelquefois les poètes de ce temps, supprimer \'e ds faille et le remplacer par une apostrophe : falu' .
54. ...qui de Venus ejl dine, p. 286, v, 24. L'orthographe suit ici la prononciation du temps, ainsi que fait
encore La Fontaine quand il écrit ?na//ne (Fables, liv. VI, fable i5).
55. O vous quej'ay repris, p. 3ii, v. i3. Le texte porte à tort : qui fay repris.
56. Le meurtre félon de ton Père, p. 33o, v. 10.
Il y a dans le texte le meutre. C'est assurément une faute, car Baïf met toujours meurtre et meurtrier ; mais cette faute nous in- dique peut-être la prononciation, et mérite, à cause de cela, d'être signalée.
57. Bois & rochers arte\ aufon
De ma charmercffe chanfon, p. 333, v. 19. Arte\ est une contraction du patois normand pour arrête-^ : A cela ne vous fault arter. {Farce d'un amoureux. Vo'ir Ancien Théâtre françois, collection de la Bibl. el^év., t. I, p. 214.) Les altérations de ce genre sont fréquentes dans les œuvres des poètes du XVI» siècle, et particulièrement chez Baïf:
Le fils que tu auras portra le nom d'Enee (p. 2^-. v. 18).
4/0 NOTES.
58. ...large, p. '33g, v. lo.
Ce mot, qui signifie un bouclier, rime ici :i\tz fruit âge, ce qui, contrairement aux habitudes des poètes de la Pléiade, ne donne qu'une simpfe assonance. Peut-être \'r de targe se prononçait-elle alors très faiblement.
59. La fureur lafxirprit : & fondai n la fureur
Dans les antres aiifjî fe faiftt de leur cœur, p. 349, v. 5. Peut-être faut-il lire autres au lieu de : antres.
60. Qxie le fainéant chajfé de place, p. jgô, v. 7. Fainéant ne compte ici que pour deux syllabes, suivant la
prononciation populaire _/<?7g«a«i, qui, du reste, suivant Génin {Des variations du langage français depuis le XII" siècle, 1845, in-8°, p. 371-373), se rattache au mot feindre.
61. Ati gré du vent ne fouloit fe ranger, p. 405, v. 5.
Ne, indispensable au sens et à la mesure, n'est pas dans le texte
62. O toy donc Paix.' ô toy fainte Equité! p. 406, v. i3.
Le premier toy manque dans le texte, ce qui rend le vers faux'
63. Comme au.K moijfons dernarche pas-à-pas Le peuple oyfif, p. 425, v. 36.
Il y a démarchent dans le texte.
64. Ne tay que leur bonté royale
Ont oiaiert la main libérale, p. 459, v. 3. Voici une construction qui dépasse les libertés de la syllepse la plus hardie; peut-être n"y faut-il voir qu'une faute qu'il eût été facile de corriger ; néanmoins ces tournures sont familières à Baîf. Voyez ci-après, la note 66.
65. lupiter ou pleuve ou ne pleuve,
Toujiours quelque fâcheux fe treuve, p. 459, v. 24. Il y a bien dans le texte des v dans les mots pleuve et treuve, et en général assez souvent après un u, ce qui n'empêche pas que, dans l'avant-dernier vers de cette page, on lit bien dans le texte, ainsi que nous l'avons mis : trouuer.
66. L'afpét de Mercure & Saturne Me firent, p. 460, v. 25.
Le'pluriel peut s'expliquer facilementen sous-entendant <?/'iî/ref de Saturne. Mais Des Iiimeaux la douce injluance... m'ont fait, qu'on trouve un peu plus bas, est une licence beaucoup plus forte.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME
LE PREMIER DES METEORES.
A trefaugufte & trelTage Princeffe Caterine de
Medicis Royne Mère du Roy i
(Le premier des Météores) 4
PREMIER LIVRE DES POEMES.
Prefages d'Orpheus fur les tremblemcns de terre.
A lan de Belot 33
Vie des chams 36
Le Laurier. A Monfieur de Fizes Secrétaire
d'Eftat 43
LE SECOND LIVRE DES POEMES.
A Monfeigneur le Conte de Retz 5 y
L'Hippocrene. A Monfieur de Villcroy Secrétaire
d'Eftat. — Vers Baifins 61
4/2 TABLK DKS MATIERES.
Les Mufes. A Monfieur Belot 71
Du Menil ia belle Agnes Sorelie. Au Seigneur
Sorel 92
Au Roy 95
Embaffade de Venus. Au Seigneur de Mondre-
uille 97
LE TIERS LIVRE DES POE.MES.
A Monfieur Brulard Secrétaire d'Eflat 109
Amymone. A Pierre de Ronfard 128
Remonflrance fur la prinfe de Calais & Guine. 148
A Monfieur de Fittes Treforier de l'Epargne. . i52
Amour vangeur. A Monfieur de Pougni i55
A lan Dorât 160
LE Q.VATRIEME LIVRE DES POEMES.
Le Meurier, ou la Fable de Pyrame & Thifbe. A Madame Claude Caterine de Clermont Com-
teffe de Rees i65
Hélène. A Madame de La Tour .... u ... . 182 Cartel des tenans pour Amour. A Monfieur d'En-
tragues 187
Cartel des affaillans contre Amour 189
Salmaci. Au Sieur Mandat 190
Les Rofes. Au Sieur Guibert 193
Au Seigneur Berteiemi 198
Contretrene. A Nicolas Vergece, Candiot. . . . 202 La Furie Megere. Entremets de la Tragédie de
Sophonifbe 204
A Nicolas Nicolai 206
TABLR DES MATIÈRES. 478
Dithyrambes à la pompe du bouc d'Eftienne lodelle. i553. Au Seigneur lan de Sade
Sieur de Mazan 209
L'Aurore. A Peroton & Batifte Tibaus 21 5
A lan Vatcl 218
LE CINQVIEME LIVRE DES POEMES.
L'Hymne de la Paix. A la Royne de Nauarre. . 223
Au Roy 229
La Geneure, par Saingelais & Baif. A Monfieur
de Royfû Chancelier du Roy de Nauarre ... 23 1 Fleurdepinc. A Monfieur de Maintenon, Cheua-
lier de l'ordre du Roy, Grand Marchai des
logis 261
Complainte de la Royne Marie. Au Seigneur
Simon Nicolas 273
A Madamoifelle Victoire 276
LE SIXIEME LIVRE DES POEMES.
Hymne de Venus. A Madamoifelle de Chateau-
neuf. 279
La Sorgue. A Monfieur de La Tour 291
A Phelippcs Des Portes 293
L'Amour de Medee. A Monfieur de Maintenon. 298 Hymne de Pan. Au Seigneur de Bray, Treforier
ordinaire des Guerres 3o4
Atalante. Au Seigneur Iules GafTot 3io
Epithalame. A Monfieur d'Affcrac Seigneur de
La FueiUee 3 16
3o»
474 lABLE DES MATIERES,
LE SETTIEME L IVRE DES POEMES.
A Monfeigneur Louis de Gonzague Duc de Ne-
uers 321
Le Mariage de François Roydaufin & de Marie Roine d'EcolTe. A Monfeigneur le Cardinal de Guife 323
A Monfeigneur le Duc de Guife 328
La iMafcarade de Monfeigneur le Duc de Lon-
gueuille à Bayonne 33i
L'Entrée de la fee 33 r
La Fee 333
Infcription des arbres 336
Infcriptions des rochers 338
Infcriptions des pommes d'or 339
A la Royne SSg
Au Roy 339
A la Royne d'Efpagne SSg
A Monfieur 340
A Madame Marguerite loeur du Roy. . . 340
Au Duc d'Aibe 340
Sur les pommes pour les Dames ..... 3^ o
A lan PoiCfon Grifin 342
Chant, des trois Parques & de Saturne, au bap- tefme de Henri Huraut premier fils de Mon- fieur de Cheuerni Chancelier de Monfeigneur le Duc d'Aniouparreinauec leRoy deNauarre & Madame de Lorraine. A l'enfant 345
TABLE DES MATIERES. 47D
Les Bacchantes. A Monfieur Pinard, Secrétaire
d'Eftat 346
A Monfieur Garraul Treforier de l'Epargne . . . 35o
Epithalame. A Monfieur Morcl Ambrunoj-s. . . 352
Allégorie. A Monfieur Brethe 358
A Michel Anteaume 359
A Monfieur de Pimpont. 36 1
Du trépas de Marguerite de Valoys Royne de
Nauarre . . , 363
Du latin de Dorât 365
A Monfieur de Mauru 366
LE H V ! T I E M E LIVRE DES POEMES.
A très augufte & très vertueufe Princefle Cate-
rine de Medicis Royne Mère du Roy 369
A la Roinc Mère du Roy 376
A Monfeigneur de Lanfac. . 378
L'AuantnailTance de Madame 382
A Monfieur de Marillac Contrôleur gênerai des
Finances = 385
Amour de Vertun & Pomone. Au Seigneur Pelloy 3S7
A loachim Tibaud de Couruile 391
A Monfeigneur le Prefident de Birague 394
Au Seigneur de Nogent Treforier de la Maifon du
Roy 397
A Remy Belleau 400
A Monfeigneur de Villequier 4o3
Sur la paix auec les Anglois, l'an mil cinq cens
quaranteneuf 404
A la Reine Mère du Roy 407
4/6
TABLE DES MATIÈRES,
LE N E V \' I E M E LIVRE DES POEMES.
A Monfeigneur le Duc d'Aniou 409
Au Roy. De la vi£loire de Moncontour fous la
conduite de Monfeigneur le Duc d'Aniou . . . 418 Le Rauiffement d'Europe. A Monfeigneur de
Cheuerni Chancelierde Monfeigneur d'Aniou. 421
A Monfieur le Grand Aumônier 432
A Monfieur de Bclot 435
La Ninfe Bicure. Au Seigneur de Berni 438
A Mefdamoifelles, Line de BrilTac, & Hélène de
Surgere 441
Du naturel des femmes. Au Seigneur Moreau
Treforier de Monfeigneur d'Aniou 444
A la lyre 448
A Monfieur de La Mofle 4^0
Au Cheualier Bonet 453
A fon liure 427
FIN DE LA TADLE.
Achevé d'imprimer
LE VINGT NOVEMBRE MIL HUIT CENT QUATRE-VINGT-TROIS
PAR D, JOUAUST
POUR A. LEMERRE, LIBRAIRE
A PARIS
PQ 1665 Al
1881 r< t. 2
Baïf, Jean Antoine de Ewres en rimé
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