JOHN M. KELLY LIBRARY

IN MEMORY OF

CARDINAL GEORGE FLAHIFF CSB 1905-1989

University of St. Michael's Collège, Toronto

CONFERENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS

EXPOSITION

DU

DOGME CATHOLIQUE

CARÊME 1887 XV

PROPRIETE DE L'EDITEUR

L'éditeur réserve tous droits de reproduction et de traduction.

Imprimatur :

Parisiis, die 8 Decembris 1901.

£ Franciscus, Card. RICHARD,

Arch. Parisiensis.

Cet ouvrage a été déposé, conjormément aux lois, en janvier igo3.

CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS

EXPOSITION

DU

DOGME

CATHOLIQUE

GRACE DE JÉSUS-CHRIST V. - MARIAGE

Par le T. R. P. J.-M.-L. MONSABRÉ

des Frères Prêcheurs

ONZI ÈME ÉDITION

CARÊME 1887 |

PARIS (Vie) P. LETHIELLEUX, Libraire-Éditeur

10, RUE CASSETTE, 10

APPROBATION DE L'ORDRE

Nous, soussignés, Maître en sacrée Théologie, avons lu, par ordre du T. R. P. Provincial, les Conférences du T. R. P. Jacques-Marie-Louis Monsabré, Maître en sacrée Théologie, lesquelles sont intitulées : Exposition du dogme catholique, Grâce de Jésus-Christ, Mariage, Carême 1887. Nous les avons jugées dignes de l'im- pression.

Fr. ântonin VILLARD,

Maître en sacrée Théologie.

M.-D. SOUAILLARD,

Maître en sacrée Théologie.

IMPRIMATUR

Fr. Thomas FAUCILLON,

Prieur provincial.

ÛUATRÏ-YIÏfil-CINflUIEMÏ CONFERENCE

LA SAINTETÉ DU MARIAGE

CARftME 1887. 1

QUATRE-VINGT-CINQUIÈME CONFERENCE

LA SAINTETE DU MARIAGE

Monseigneur l, Messieurs,

Je n'ai point à vous annoncer le sujet que je dois traiter cette année; vous le connaissez. Dans l'intéressante étude de la grâce de Jésus- Christ, qui nous occupe depuis cinq ans, il ne nous reste plus à examiner qu'un sacrement : c'est le second des sacrements sociaux, ordonné à la réparation des pertes que fait la société chrétienne sous les coups de la mort et à la préparation de la sainte lignée des enfants de Dieu, le mariage.

Comme la famille naturelle est le fondement

de toutes les sociétés civiles, la famille chré-

ienne est le fondement de la grande société

I. Monseigneur Richard, archevêque de Paris.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE

spirituelle agrégée, gouvernée, perfectionnée par le sacerdoce. La source de la famille natu- relle est l'union maritale de l'homme et de la femme ; mais, pour que cette union devint la source de la famille chrétienne, Dieu Ta trans- portée du monde de la nature dans le monde de la grâce, en l'élevant à la dignité d'un sacre- ment.

Voilà, Messieurs, un fait considérable. Il va nous servir de principe pour hier? déterminer l'état de ceux qui s'unissent sous la loi de grâce, et pour confondre les erreurs de ceux qui prétendent réduire le mariage à la condition d'une chose profane et le livrer aux caprices sacrilèges des législations humaines.

Permettez -moi une déclaration préalable, pour me dégager, à l'avance, des accusations de ceux qui, après m'avoir entendu, voudraient ne voir en moi qu'un frondeur. Personne n'a plus que moi le respect des lois humaines, mais ce respect est subordonné au culte de la vérité divine et de l'éternelle justice. Si les lois humaines contredisent à ces deux choses sacrées, ce n'est pas moi qui me révolte contre elles, ce n'est pas moi qui les condamne;

LA SAINTETÉ DU MARIAGE

c'est la vérité, c'est la justice, dont je suis l'apôtre et qu'aucune crainte ne me fera jamais trahir.

Et maintenant, voici les sujets que nous traiterons pendant le cours de cette station : La sainteté du mariage, le lien conjugal, le divorce, la législation du mariage, les profana- tions du mariage, et enfin, le célibat et la virgi- nité, très délicats, très purs et très glorieux ornements de la société, dont le mariage pré- pare les éléments.

Aujourd'hui, nous considérerons la sainteté du mariage dans son institution primitive par Dieu, créateur de l'humanité, et dans son exal- tation par le Christ, auteur des sacrements.

Monseigneur, du lieu vous présidez aujourd'hui cette grande et belle assemblée, j'ai reçu de trop aimables et trop précieux encouragements pour ne pas envoyer au saint prélat, qui me les a donnés, l'hommage public de mes pieux regrets et de ma filiale recon- naissance. Une seule chose me console de son absence, c'est de continuer sous les auspices de votre Grandeur le travail que votre vénérable prédécesseur m'avait confié, car je suis sûr de

LA SAINTETÉ DU MATUAGE

rencontrer dans votre cœur paternel la même bienveillance et la même affection, et dans vos mains très saintes les mêmes bénédictions.

Après avoir affermi les fondements de la terre et ordonné ses éléments, Dieu, pour l'orner, y créa les forces vivantes auxquelles il donna l'ordre de croître et de se multiplier : oc Crescite et multiplicamini1 . » Ce court épithalame inaugura, dans les plaines et dans les airs, sur les montagnes et au fond des eaux, les noces universelles. Elles précédèrent, pen- dant de longues époques, l'apparition de l'hu- manité. Discret hynlénée des fleurs au fond des corolles embaumées, amoureuses rencontres des. vivants qui se meuvent, cherchant des compagnons ou des compagnes, pour renaître et se propager en de nouvelles familles, union des couples et multiplication de la vie, tout

\. Gènes., cap. I, 22.

LA SAINTETE DU MARIAGE

cela est plein de mystères vénérables, parce qu'en tout cela Dieu a mis quelque chose de son infinie puissance et de son éternelle vitalité En obéissant au précepte divin, les individus se complètent l'un par l'autre, pour devenir un seul principe dévie. Associés à la fécondité de Dieu, ils perpétuent ce qui doit périr et pro- longent, à travers l'espace et le temps, l'effica- cité de l'acte créateur.

Ce mystère, Messieurs, grandit avec la vie. Dieu n'avait orné la terre que pour la préparer à recevoir son roi. Il l'appelle au dedans de lui- même : « Faisons l'homme, dit-il : Faciamus hominem; faisons-le pour qu'il soit maitre : Faciamus ut prœsit1 ; » et il le fait à son image et à sa ressemblance : si grand, si beau, si parfait que tous les vivants viendront, tout à l'heure à ses pieds, reconnaître son empire et recevoir de lui les noms qui leur conviennent*. Il a tout ce qu'il faut pour commander, et ce- pendant Dieu prononce « qu'il n'est pas bon pour lui de rester seul, et qu'il faut lui donner

i. Gen., cap. r, 25, 27. 2. Gènes., cap. n, 19, 20.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE

un aide semblable à lui : Non est bonum horni- nem essesolum, faciarnus ei adjutorium simile sibi%. »

Je vous l'ai dit, Messieurs, lorsque nous avons étudié l'origine de l'humanité; parce que l'homme doit imiter son principe dont la ten- dance est de se communiquer, parce qu'il ne peut garder pour lui tous les germes de vie que Dieu a déposés dans ses flancs, parce que, selon la profonde réflexion de saint Thomas, les hautes fonctions de l'intelligence humaine ne doivent pas être sacrifiées aux fonctions infé- rieures d'où nait la vie du corps, il faut à Thomme un aide en qui réside toute la force passive de la génération, dont il conserve, en souverain dispensateur, toute la force active, a Faisons donc, pour l'homme, dit le Seigneur, un aide qui lui ressemble : Faciarnus ei adju- torium simile sibi*. »

D'où viendra cet aide? Du limon dont Vhomme est sorti? Non. L'homme ne serait plus comme Dieu l'unique et premier

1. Gènes., cap. :i, 18.

2. Cf. Exposition du Dogme catholique, vingt-sixième conférence : L'Humanité dans Adam, première partie.

LA SAINTETE DU MARIAGE

principe de la vie dans sa race, si l'être humain qui doit lui être associé n'était pris dans ses flancs. « Dors, mon fils, dit le Seigneur, dors. » Et sous l'influence d'un magnétisme divin, Adam, couché sur les fleurs du paradis, est envahi par un mystérieux sommeil pendant lequel Dieu retire une de ses côtes, la revêt de chair et fait, de cette partie de l'homme animée d'une autre âme, la femme, charmante et pu- dique fiancée de l'endormi1. Toute étonnée de la vie qu'elle vient de recevoir, elle attend. .. Aux noces ! aux noces ! roi du monde réveille- toi ! Et Adam se réveille. Il contemple des yeux celle qu'il a entrevue dans un rêve pro- phétique, et comprend qu'en elle sa perfection sera achevée. Il est l'intelligence, elle est le cœur; il est la pensée, elle est le sentiment; il est la majesté, elle est la grâce ; il est la force, elle est la douceur ; il est le commandement, elle est l'insinuation ; il est le semeur de la vie, elle est la terre fertile la vie doit germer. Il l'admire, il s'attendrit, il s'exalte, et, de son cœur rempli d'un nouvel amour, s'échappe le

1. Gènes., cap. n, 21, 22

10 LA SAINTETE DE MAlUAGB

célèbre épithalame qui révèle au monde futur l'essence et les saintes lois du mariage. « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair. On lui donnera un nom pris du nom de l'homme, parce qu'elle a été tirée de lui : c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'atta- chera à son épouse et ils seront deux dans une seule chair1. » A ce cri d'amour Dieu répond par une bénédiction d'où jaillit l'humanité, et qui soumet à son empire les êtres qu'il a déjà bénis et fécondés. « Croissez et multipliez- vous. Remplissez la terre; qu'elle vous soit soumise et soyez les maîtres de tout ce qu'elle contient : Crescite et multiplicamini et replète

terrain, et subjicite eara, et dominamini* »

Tel est, Messieurs, le premier mariage, le mariage typique. Je vous prie d'en bien consi- dérer l'essence, car c'est à cette vérité fonda- mentale que se rattachent les importantes

{. Hoc nv. ne os de ossibus meis, et caro de carne mea. lkcc vocabilur virago, quoniam de viro sumpta est. Quamobrem relinquet homo patrem suum, et malrem, et adhœrebit uxori suœ. et erunt duo in carne una. (Gen., cap. il, 23, 24.)

2. Gen., cap. i, 28.

LA SAINTETÉ ..U MARIAGE 11

questions de droits et de devoirs que nous aurons à traiter prochainement.

D'après l'opinion courante, l'essence du ma- riage est l'échange des deux actes libres par lesquels l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre, pour reproduire leur propre vie, créer une famille et se compléter mutuellement dans une vie commune. Je ne crains pas de me tromper en affirmant que la plupart d'entre vous, tout en tenant compte de la bénédiction de l'Église, à laquelle ils attribuent la vertu de donner à l'union conjugale un caractère sacré, n'ont pas d'autre idée du mariage. C'est un pur et simple contrat, dont toute l'essence consiste dans l'acte réciproque par lequel se fait la donation et l'acceptation des personnes. Eh bien, Messieurs, laissez-moi vous le dire, il y a une erreur.

Assurément, le mariage est un contrat, un contrat qui ne ressemble point aux autres con- ventions humaines : le plus élevé, le plus véné rable, je dirai presque, le plus singulier des contrats. Ce que l'homme y transmet, ce n'est pas un de ces biens subalternes qui ne sont que des accessoires de sa personne ou de sa vie :

12 LA 8AINTETÉ DU MARIAGE

ce n'est pas son champ, sa maison, son trou- peau, sa fortune, son travail, ses services, le fruit de son intelligence et de son industrie; c'est lui-même, sa propre personne, sa per- sonne vivante, et avec sa personne, les biens qui en dépendent et qui s'y rattachent, et sur sa personne, les droits les plus délicats et les plus intimes.

L'homme, Messieurs, a osé mettre la main sur son semblable. Abusant de la force, il s'est emparé violemment de toutes les vies humaines impuissantes à se défendre contre ses bruta- lités; il a créé l'esclavage. C'est à moi, disait-il, jadis, des misérables qu'il asservissait à ses besoins, à ses avidités, à ses caprices, à ses passions, à ses débauches. A moi ! Cri féroce et sacrilège qui rappelle les plus tristes jours de l'humanité. A moi ! Oh non ! l'homme n'a pas le droit de dire cela d'un autre homme. Deux êtres seulement peuvent se dire l'un à l'autre tu es à moi, parce qu'ils se donnent librement et tout entiers. Tu es à moi! je suis à toi ! c'est le cri qui fît tressaillir l'Eden, lorsque le père et la mère du genre humain se marièrent sous l'œil de Dieu.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 13

L'homme et la femme se donnent l'un à l'autre par l'échange de leurs volontés et con- sentements. Pourquoi, Messieurs? Est-ce seu- lement pour obéir au commandement divin qui veut que l'acte créateur, dont l'humanité est issue, se prolonge indéfiniment à travers les siècles? Est-ce seulement pour le bon- heur de se voir revivre dans des rejetons qui leur ressemblent? Est-ce seulement pour l'honneur d'entretenir au sein des sociétés hu- maines un foyer de vie dont dépendent leur existence et leur force? Non, Messieurs. La multiplication de l'espèce est un bien qui honore le mariage; mais il est un bien plus relevé, plus délicat, plus intime auquel tend l'union conjugale. Ce bien, c'est la péné- tration de deux vies pour n'en faire qu'une ; c'est le mutuel perfectionnement de ces deux vies Tune par l'autre; c'est une intelligence se fondant dans une autre intelligence, un cœur dans un autre cœur : Cor unum et anima, una; c'est le caractère donnant ou em- pruntant à un autre caractère ce qui lui manque; ce sont les qualités se tempérant et s'équilibrant l'une par l'autre, les vertus se

U LA SAINTETÉ DU MARIAGE

communiquant de l'une à l'autre des nuances harmonieuses.

Tous ces perfectionnements au profit des conjoints qui les acquièrent, et plus encore au profit des enfants qu'ils doivent élever après leur avoir donné la vie. Car, à l'enfantement matériel succède un enfantement plus noble et aussi plus laborieux, l'enfantement à la vie intellectuelle, morale et religieuse. C'est à cette œuvre que les deux vies perfectionnées de l'homme et de la femme appliquent toute leur vertu, et cette œuvre est la sublime fin de leur contrat.

A la manière dont elle est accomplie, on reconnaît, Messieurs, l'influence du motif qui a déterminé l'union des volontés et des con- sentements. Entre l'homme, la femme et l'en- fant, il y a société d'amour, l'amour seul a pu J.a fonder. Non pas l'amour qui n est que dans le sens, passion aveugle et fragile qui s'évanouit dès qu'elle est satisfaite, mais l'amour du cœur : d'un cœur clairvoyant que la raison illumine, d'un cœur qui ne s'éprend pas folle- ment des charmes éphémères dont les yeux seuls peuvent jouir, mais qui cherche dans le

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 15

respect et dans l'estime les assises d'un fidèle et durable attachement.

Voila le contrat matrimonial dans son objet, sa fin, son motif. Il me fait comprendre la diffé- rence des deux bénédictions par lesquelles Dieu communique aux vivants sa fécondité. Aux plantes et aux animaux il se contente de dire : « Croissez et multipliez-vous : Crescite, mul- tiplicamini. » C'est assez. La fleur immobile et silencieuse laisse tomber ou se laisse ravir inconsciemment la poussière fécondante qui la doit reproduire ; l'animal obéit aux lois fatales de l'instinct qui le pousse à la rencontre d'une compagne; sa fécondité est le fruit d'un accou- plement brutal, et son union passagère ne change rien à sa nature. Mais à l'homme et à la femme qui mettent leur raison et leur cœur dans le choix de l'être qu'ils associent à leur vie, à l'homme et à la femme qui se donnent librement et tout entiers, à l'homme et à la femme qui se savent participants de l'action créatrice de Dieu, à l'homme et à la femme qui comprennent le grand honneur d'engendrer leur semblable, à l'homme et à la femme qui se perfectionnent et communiquent leur per-

15 LA SAINTETÉ DU MARI AGE

fection dans la société conjugale, à l'homme et à la femme qui ne s'accouplent pas comme les vivants des espèces inférieures, mais qui se marient, Dieu devait une bénédiction plus ample et plus magnifique.

Aussi, vous l'avez entendu, tout à l'heure, élever le couple humain au faîte de la nature, et joindre l'empire du monde aux promesses de la fécondité et au commandement de la reproduction : « Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre, assujettissez-là et soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel et de tous les animaux qui se meuvent sur le globe : Crescite et multiplicamini et replète terrant, etsubjicite eam et dominantini piscibus maris, et volatilibus cœli et universis animantibus quœ moventur super terrant1. C'était la digne consécration du vénérable et singulier contrat dont l'objet est si précieux, la fin si noble, le motif si pur et si doux.

Toutefois, Messieurs, ce contrat n'est pas l'essence même du mariage. Si les théologiens ont appelé le mariage un contrat, c'est pour en

1. Loc. cit.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 17

déclarer la cause1 et non pour en déterminer l'essence. Mais enfin, me direz-vous, quelle est donc cette essence? Ecoutez bien et comprenez bien, car nous posons ici un principe d'une suprême importance pour toute notre doctrine matrimoniale. L'essence du mariage, c'est la conjonction, l'obligation, le lien résultant de l'accord consensuel*. Aussi le mariage a-t-il été défini par le droit : t La conjonction mari- tale de l'homme et de la femme entre person- nes légitimes, les tenant enchaînées en une vie commune : viri et mulieris conjunctio mari-

1. Causa matrimonii regulariter est mutuus consensus per verba de prœsenti expressa. (Conc. Flor.)

2. Saint Thomas dit de la conjonction matrimoniale qu'elle se fait ad modum obligationis in contractibus materialibus (supp ., quœst. 45. a. 2). Mais cette conjonc- tion est le mariage même : conjunctio potest accipipro ipsa relatione quje est matrimonium. (ibid . quœst. 48, a. 5, ad 2.) Docendum est, quamvis haec omnia in perfecto matrimonio insint, consensus videlicet interior, pactio externa verbis expressa, obligatio et vinculum quod ex pactione efficitur, et conjugum copulatio, qua matrimonium consummatur ; nihil horum tamen ma- trimonii vim et rationem habere, nisi obligationem istam, et nexum qui conjunctionis vocabulo appellatur. (Catechism. Trid., part. II, De matrimonii sacramento, 5.)

CAKÈML L887. 2

18 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

talis, inter légitimas personas, individuam vitœ consuetudinem retinens. » Cette défini- tion a passé du droit dans la théologie, de la théologie dans le catéchisme typique nous devons aller chercher l'idée nette des dogmes chrétiens1. C'est la traduction juridique et scholastique des poétiques élans de notre pre- mier père, lorsqu'il s'écriait : « L'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à son épouse et ils seront deux dans une seule chair : Et erunt duo in carne una. »

Vous me direz, sans doute, que de tout accord consensuel résulte une obligation, un lien, et que, si l'on se contente d'appeler le mariage un contrat, c'est assez pour en déter- miner l'essence. Je vous demande bien par- don, Messieurs; non, ce n'est pas assez, car U lien qui résulte du contrat matrimonial n'est pas le même que celui qui résulte des autres contrats.

Dans les conventions humaines, l'obligation se confond, en quelque sorte, avec les consen-

i. Institut., I, 9. Magist, Sent. Catechism. conc. Trid., loc. cit.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 19

tements parce qu'elle en dépend d'une manière absolue. Tous les contrats en usage dans la vie sociale : ventes, échanges, locations, servi- tudes, donations et le reste sont résiliables au gré de ceux qui les ont faits. Il suffit que les volontés, qui se sont accordées dans un sens, s'accordent en sens inverse pour que le contrat soit rompu et que l'obligation cesse1. Il n'en va pas ainsi, Messieurs, dans le contrat matri- monial. L'homme et la femme qui s'épousent se donnent l'un à l'autre, mais cette donation, une fois faite, ne dépend plus de l'accord consensuel. Les conjoints auront beau dire: nous nous sommes trompés ; la vie à deux est un fardeau trop lourd pour nos épaules las- sées, retirons-nous. Ils ne peuvent plus se reti- rer car ils sont liés, non par l'unique force de leurs volontés, mais par une puissance mysté- rieuse qui les a saisis, enchainés dans une commune vie et de laquelle ils dépendent désormais. Cette mystérieuse puissance, c'est

1. Quœ consensu contrahuntur contrario consensu dissolvuntur . « C'est, dit Pothier, un principe commun à tous les contrats consensuels. » (Du Contrat de A/a- riage {fiançailles), part. II, cap. vu.

50 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

la main même de Dieu, auteur de notre nature, donnant à l'union conjugale un caractère reli- gieux et sacré auquel les hommes ne peu- vent rien changer1. Ce caractère n'est point un accident qui s'ajoute au contrat; il sort du contrat lui-même, il est la note spécifique qui le distingue de toutes les autres conventions humaines et le met à part2. C'est par que le mariage est saint dans sa première institu- tion : « il l'est par sa propre force, naturelle- ment et de lui-même, » dit une mémorable encyclique : « Matrimonium est sua vi, sua natiwa, sua sponle sacrum* : »

L'antiquité témoigne de cette sainteté. « Consultez ses monuments, étudiez les moeurs et les institutions des peuples les plus policés et les plus versés dans la connais- sance du droit et de la justice, vous y verrez,

1. Conjunctio potest accipi pro ipsa relatione, quai est matrimonium : et talis semper est a Deo. (Summ. Theol., supp., qurest. 48, a. 2. ad. 2.)

2. Inest in eo sacrum et religiosum quiddam, non adventitium, sed ingenitum, non ab hominibus acceptum, sed natura insitum. (Leonis XIII, Encyclic. Arcanum divinse sapientiae,

3. Ibid.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE *2i

comme par une sorte d'anticipation sur les mystères de l'avenir, le mariage apparaître sous la forme d'un acte pénétré de religion et de sainteté, et les noces consacrées par les cérémonies du culte, l'autorité des pontifes et le ministère des prêtres ; tant la voix de la nature, le souvenir de nos origines et la con- science du genre humain ont eu de puissance, même sur les âmes que la révélation n'a pas éclairées. Ita magnant in animis cœlestt doc- trina carentibus vint habuit natura rerum, memoria originum, conscientia gêner is hu- mani1. »

Messieurs, c'est le Souverain Pontife Léon XIII qui vient de parler. Soft autorité infaillible nous rappelle que la nature a fait du mariage une chose sainte; chose plus sainte

\. Testantur et monumenta antiquitatis , et mores atqae instituta populorum qui ad humanitatem magis accesserant, et exquisitiore juris et œquitatis cognitiono prïestiterant : quorum omnium mentibus informatum anticipatumque fuisse constat, ut cum de matrimonio cogitarent, forma occurreretrei cum religione et sancti- tate conjunctœ. Hanc ob causam nuptire apud illos non sine cœremoniis religionum, auctoritate pontificum, mi- nisterio sacerdotum fieri sœpe consueverunt. l!a mag- nam, etc. (Encyclic. cit. sup.)

22 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

encore, si l'on considère la dignité du sacre- ment.

II

Le mariage, institution divine, avait pour but, non seulement de reproduire la nature humaine dans l'espèce, mais de perpétuer une race sainte comme le couple qui devait l'en- gendrer. Ce qu'il aurait été dans l'état d'inno- cence nous pouvons le conjecturer, si nous nous rappelons la perfection originelle de nos premiers parents : la noblesse, la majesté, la grâce de ieur corps, harmonieux ensemble de lignes, de contours, de tons, de mouvements, pétri par Dieu lui-même et animé d'un souffle de vie qui transpire à travers une chair imma- culée, rayonne sur un front royal, et nous fait admirer, dans une virginale beauté, le double épanouissement de la grâce et d'une nature parfaite. Corps affranchi des humiliantes ser- vitudes de la matière et laissant à la vie con- templative les loisirs d'un plein épanouisse- ment: âme illuminée par une science divine.

LA SAINTETÉ DU MAHIAGE 23

sensible au toucher de la grâce, habituée aux visites et aux embrassements de Dieu, investie d'un souverain empire sur les créatures de ce monde. Couple charmant, enchainé par un inaltérable amour dans un lieu de délices et pour qui tout est saint dans la chair même dont ils voient sans rougir la chaste nudité, dont ils ignorent les révoltes et dont ils ne soupçonnent pas les criminels plaisirs; souche vénérable et très pure de rejetons qu'ils engendrent sans honte et sans douleur, et aux- quels ils communiquent, par la génération, l'intégrité et les privilèges de leur nature sanc- tifiée1. Qui pourrait dire les joies et les gloires de cette union !...

Hélas! ces joies et ces gloires ont passé comme un rêve. L'union de nos premiers parents ne fut pas longtemps ce que Dieu l'avait faite. L'homme, en désobéissant, ren- versa les desseins de son Créateur et fit à sa nature une blessure mortelle dont toute sa race devait se ressentir. Le mariage ne cessa

1. Cf. Exposition du Dogme catholique, vingt-sixième conférence : L'humanité dans Adam, deuxième partie.

24 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

point d'être une chose divine, et fut longtemps respecté dans les traditions de l'humanité; mais, contre les souvenirs sacrés qui se trans- mettaient d'âge en âge, les passions de la nature déchue ourdissaient une universelle conspiration. Elles eurent le dessus, et les saintes lois du mariage furent bientôt partout méprisées. Dieu pour punir la femme l'avait écrasée sous le poids de cette terrible malé- diction : « Sub viri potestate eris et ipse domi- nabitur tui : tu seras sous la puissance de l'homme et il te dominera. » Horreur! L'homme a abusé, jusqu'aux plus abominables excès de l'injustice et de la cruauté, de cette malédiction divine. Chaste amour et serments du paradis, il oublia tout. La femme ne fut plus l'inséparable compagne de sa vie, pour laquelle il devait tout quitter, l'aide qui lui demandait un cœur sans partage, l'os de ses os avec lequel il ne devait plus faire qu'une seule chair. On le vit, despote sensuel et impla- cable, multiplier les unions, rassembler autour de lui des troupeaux de femmes pour varier les

1. Gènes., cap. ni, 16.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 25

plaisirs de sa couche, répudier, vendre, don- ner, échanger, traiter comme une esclave la mère de ses enfants. Aucune plume honnête n'oserait raconter tous les déshonneurs de l'union conjugale parmi les gentils.

Un peuple avait été séparé de la gentilité, pour donner son sang au libérateur que le monde attendait. Gardien des saintes tradi- tions de l'humanité, il honora le mariage plus que les autres peuples; et cependant, à cause de la dureté de son cœur, qui l'exposait à des violences capables d'ensanglanter le foyer domestique, Dieu, son maître et seigneur, dût relâcher les liens de l'institution primitive, et lui, abusant de cette indulgence, se donnait des libertés que ne pouvaient contenir les rigoureuses formalités de la loi et qui ten- daient à confondre ses mœurs avec celles des païens.

L'institution divine était donc partout bat- tue en brèche et menaçait de s'écrouler. Il était temps qu'un Dieu vint le restaurer. Le voici! Il entre dans le monde par l'ineffable et éternel mariage de son infinie nature avec la nôtre, et, entre toutes les répararations qu'il

26 LA SAINTETÉ DU MAK1AGE

médite et entreprend, il n'oublie pas celle de la société conjugale. Dans les premiers jours de sa vie publique, il assiste aux noces et les honore par le premier de ses miracles ! : mira- cle figuratif de la merveilleuse transformation qu'il veut opérer dans l'union de l'homme et de la femme. A son commandement, l'eau se change en vin; à son commandement, le ma- riage naturel, déjà saint, deviendra un signe sacré entre toutes les choses divines, une source de grâce, un sacrement1. Il ne déclare pas encore son dessein; et bientôt interrogé par les pharisiens sur la délicate question du divorce, il échappe à leurs embûches en les ramenant à l'institution primitive du mariage. « N'avez-vous point lu, dit-il, que celui qui

i. Joan., cap. h, 1-11.

2. Per hoc ergo Dominus invitatus venit ad nuptias, ut conjugalis castitas servaretur, et ostenderetur sacramen- tum nuptiarum. (S. Aug., Tract. IX, in Joan., 2.)

Christus ipse cum discipulis suis invitatus venit (ad nuptias) non tam epulaturus, quam ut miraculum faceret, ac prseterea generationis principium sanctificaret, quod ad carnem nimirura attinet. Conveniebat enim, ut qui naturam ipsam hominis renovaturus erat, non solura iis, qui jam in ortum vocati erant, benedictionem im- pertirelur, sed et iis quoque, qui posteanascituri essent,

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 27

créa l'homme au commencement le créa un seul homme et une seule femme et qu'il dit : l'homme quittera son père et sa mère et s'atta- chera à son épouse et ils seront deux dans une seule chair. Et moi je dis : ils ne sont pas deux, mais une seule chair : Itaque jnm non sunt duo, sed una caro. » Et il les renvoie sur cette grave et profonde parole : « l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni : Quod Deus con* junxit homo non separet1. »

Messieurs, pour qui sait méditer et com- prendre, cette parole est grosse de consé- quences. C'est plus qu'une protestation contre les désordres qui déshonorent l'union conju- gale; on y entrevoit la promesse d'une grâce

sratiam praestitueret,et eorum ortum sanctum efficeret: HexàTiUevoç Se XptGTOç xat auxoç tgT; otxstotç cuvas ixvEtTat (xa8r(Taîç ôauaaTOupYrjCWv iaSaàov, rpto £<jTta<70u.Evoç, eti te ?rpo; TO'jtw xat oÙttjv àytacoiv rrjç àvOpwzou yivs.GiM<; tï]v ap'//,v oaov oc ^xsv eiç tt,v (raexa, cpatxÉv "Ecsi y^p auT7,v tt,v àv6pu)~ou tp^arv avax£cpaAatouu.£vov, xat oAr,v àvaaxEvaÇovTa irpo; xb ày.E'.vov, ur, (xovov toTç r,Sri 7ipoc to uirapHat x£xXr,u.£voiç 8iavÉfj.£iv xr,v EiÀoyiav, aXXà xat toTç oaov ouSetto) TEyGr^ouEvo'.s icposvxpeiciÇsiv tt,v yàçtv, xat àytav aoTwv xaTacrriaat xr,v Et; to ETvat rapooov. (S. Cyrillus Alex., Comment, in Joan , lib. II, cap. Il; V. 1, opp. éd. Pans 1658, tome II, page 155.) 1. Matth., cap, xix, 3-6.

28 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

qui doit exalter l'institution divine, en la fai- sant entrer dans la sainte hiérarchie des cau- ses surnaturelles. Les apôtres, confidents du Christ, l'ont ainsi compris. La doctrine matri- moniale qu'ils ont enseignée de bouche, saint Paul l'a consignée, pour l'instruction de toutes les générations chrétiennes, dans une de ses immortelles épitres.

Ecoutez-le, Messieurs :

« Que les femmes soient soumises à leurs •< maris comme au Seigneur ; car l'homme est « la tête de la femme, comme le Christ est la « tête de l'Église, lui, le sauveur de son corps. « Comme l'Église est soumise au Christ, que « les femmes soient pareillement soumises en a toutes choses à leurs maris. Hommes, aimez « vos femmes comme le Christ a aimé l'Église, « jusqu'à se livrer pour elle, afin de la sancti- « fier, en la purifiant par le baptême d'eau « dans la parole de vie, voulant se donner à a lui-même une Église glorieuse, n'ayant ni « tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte, « immaculée. Ainsi les maris doivent aimer « leurs femmes comme leur corps. Celui qui « aime sa femme s'aime lui-même. Personne

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 29

a oncque ne hait sa propre chair, mais on ia c nourrit et on l'entretient avec soin, comme a le Christ l'Église; car nous sommes les a membres de son corps, nous sommes de sa « chair et de ses os. C'est pourquoi l'homme « abandonnera son père et sa mère et s'atta- « chera à son épouse, et ils seront deux dans « une seule chair. Ce sacrement est grand ; et a moi je dis dans le Christ et dans l'Église l. » Que l'hérésie subtilise tant qu'elle voudra sur ces paroles de saint Paul, elle aeffacera

1. Mulieres viris suis subditse sint, sicut Domino; quoniam vir caput est mulieris, sicut Christus caput est ecclesise; ipse salvator corporis ejus. Sed sicut ecclesia subjecta est Christo, ita et mulieres viris suis in omni- bus. Viri, diligite uxores vestras, sicut et Jhristus dilexit ecclesiam, et se ipsum tradidit pro ea, ut illam sanctifi- caret, mundans lavacro aquse in verbo vitae, ut exhiberet ipse sibi gloriosam ecclesiam, non habentem maculam aut rugam, aut aliquid hujusmodi, sed ut sit sancta et immaculata. Ita et viri debent diligere uxores suas ut corpora sua. Qui suam uxorem diligit, se ipsum diligit. Nemo enim unquam carnem suam odio habuit; sed nu- trit et fovet eam, sicut et Christus ecclesiam. Quia membra sumus corporis ejus, de carne ejus et de ossi- bus ejus. Propter hoc relinquet homo patrem et matrem suam, et adhserebit uxori suœ; et erunt duo in carne una. Sacramentum hoc magnum est, ego autem dico in Çhristo et in ecclesia. {Ephes., cap. v, 22-32.)

30 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

pas de l'histoire l'interprétation qu'en ont donnée les saints Pères. Elle n'empêchera pas le bon sens de croire à la transformation et à l'exaltation du mariage, en le voyant rap- proché, dans l'enseignement apostolique, de l'union mystérieuse et typique du Christ et de son Église. « Ce texte de l'apôtre est plein de mystères ineffables : mystère dans l'union du Christ et de son Église ; mystère dans l'union de l'homme et de la femme. Et ce sont ces deux unions que l'apôtre appelle un grand sacrement : Sacramenturn hoc magnum est1. Ni l'une ne serait le type, ni l'autre ne serait

I. Idipsum per allegoriam in Christo interpretatur et in Ecclesia; ut Adam Christum, et Eva praefiguraret Ecclesiam. Scio quia locus iste ineffabilibus plenus sit sacrnmentis, et divininum cor quaerat interpretis. (S. Hieron., Comment, in Epist. ad Ephes., lib. III, cap v.)

Quod si lex sancta est, sanctum est matrimonium. Mysterium ergo ad Christum et Ecclesiam ducit Apos- toi us : 'Ay-'ou es #vtoç too vo'uou ayto; 6 vauo;. To auffr^pto toi'vuv touto eîç rov XpiffTOv xai iry ExxA7)<nav ayei ô 'AttoctoXos (Clem Alex., lib III, Strom., tome I.)

Mysterii sacramentum grande in unitate viri ac mu lieris esse significat. (Int. opp. S. Ambros., in append in Ep. ad Ephes.)

Hoc en? m mysterium, induit divus Paulus, magnum es.

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 31

la copie fidèle, le symbole, le signe, s'il n'y avait dans celle-ci comme dans culle-là une vertu sanctifiante. Ni l'homme n'aimerait la femme comme le Christ aime l'Église, ni la femme n'aimerait l'homme comme l'Église aime le Christ, sans une grâce qui purifie, annoblit, surnaturalise l'amour. Le Christ en se donnant à son Église la sanctifie, l'homme et la femme, en se donnant l'un à l'autre, doivent se sanctifier mutuellement. Et voilà pourquoi le mariage est un grand sacrement : Sficramentum hoc magniun est.

Du reste, Messieurs, quand bien même

eo quod omnis qui agglutinatur uxori ambo unum cor- pus sunt : « To u.u<7Tr,piov yap touto, cp*)<n, us'ya é<ni »> xaQw; EÏ7rsv ô uoexaptoç flayÀo;, on uaç ô xoààwusvoç x9j yuvaixt ev gojixi eîaiv àjxrçôrepot. (S. Athanas., hb. De Virgiliitate, 2, tome II.)

Rêvera mysterium est, et magnum mysterium, relicto eo qui genuit, eo qui aluit, etiam ea quae peperit, quœ misère et cum labore parturivit, adhserere virum illi quœ antea neque visa sit : atque hanc omnibus praeferre : "Ovtgoç yap, ovtw; fAU<roqpidv sari, xat li-sya iauct^ûiov, on tov ouvra, tov ysvv7;(Tau.£vov , tov avaOps'i/ausvov, tt(v wO'.vv^aacav, zry

TaXatTOopyiôeTcav àcpetç xrj [xr,Se &p8êi(nj, u-rfil xoivbv tc s/oùcr,

7rpbç aùxov -npoexo^axat, xai râVrcov ai>Trtv 7rpoTifxa. (S. Chrys., HomP XX, in Epist. ad Ephes., 4.)

32 LA SAINTETÉ DU MARIAGI

l'autorité de l'apôtre nous serait contestée en cet endroit, il faut bien l'admettre dans la tra- dition universelle et constante de l'Église qui est et ne peut être qu'un écho des doctrines apostoliques. Or, d'après le langage de la tra- dition « le mariage est une union scellée par la bénédiction de Dieu1. Il ne suffit pas que les consentements se joignent et que les' per- sonnes se donnent, il faut que l'auteur de la grâce intervienne. En vertu de son interven- tion l'union est sanctifiante et sanctifiée '. La grâce divine la pénètre, l'affermit, en res-

1. Quod (matrimoniumi Ecclesia conciliât, et confir- mât oblatio, et obsignat benedictio. [Tertul., lib. II, ad Uxorem, cap. viii.i

Nam quod in ipsa conjunctione connubii a sacerdote benedicatur, hoc est a Deo primo in ipsa conjunctione hominis factum est. (S, Isidor. Hispal., De origine Ecoles , lib. II, cap. xix.J

2. Neque vero nos negamus sanctificatum a Christo esse conjugium. [S. Ambros., Epist. ad Siricum Papam, 5.)

Bonum nuptiarum per omnes gentes, atque omnes homines in causa generandi est in fide castitatis ; quod autem ad populum Dei pertinet, etiam in sanctitate sacramenti. (S. Aug., De bono conjugaliy cap. xxiv n* 32.)

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 33

serre les nœuds1. C'est un sacrement1; et dans les noces chrétiennes, plus vaut la sainteté du sacrement que la fécondité du sein : « In christianis riuptiis plus valet sanc- titas sacramenti quam fœcunditas uteri1'. »

Un sacrement! nous voyons ce mot écrit dans tous les conciles, toutes les liturgies et tous les sacramentaires. Les hérésies orien- tales et le grand schisme grec ne l'ont point effacé. Il retentit dans toutes les écoles théo- logiques du moyen âge; c'est à peine si l'on

1. Si ergo ratum est apud Deum matritnonium hujus- modi, cur non et prospère cedat, ut pressuris, et angus- tiis, et impedimentis, et inquinamentis non ita lacessa- tur, habens jam ex parte divinœ gratis patrocinium. (Tertul., lib. ad Uxor., cap. vu.)

Cognoscimus veluti prrcsulem custodemque conjugii esse Deum, qui non patitur alterum thorum pollui; et si qui fecerit peccare eum in Deum, cujus legem violât gratiam solvat : et ideo quia in Deum peccat, sacramenti cœlestis amittit consortium. (S. Ambros., lib. I, De Abraham, cap. vu, r\- 59.)

2. In nuptiis bona nuptialia diligantur proies, fides, sacramentum. (S. Aug., lib. I, De myst. et concupisc, cap. xvi, n- 19.)

Hujus procul dubio sacramenti res est ut mas et fœ- mina connubio copulati, quamdiu vivunt, itiseparabiliter persévèrent. (S. Aug:, lib. I, De nuptiis, cap. x, a' il.)

3. S. Aug., De bono conjugali, cap. xvm, 21.

CARÊME 1887. 3

34 LA SAINTETÉ DU MARIACB

rencontre dans la foule des maîtres es science sacrée un scolastique original qui équivoque sur sa signification1.

Après cela, Messieurs, que Luther nie la transformation opérée par le Christ dans le mariage; que Calvin prétende que se marier, labourer et faire des souliers ne sont pas choses plus sacrées l'une que l'autre ; que les légistes s'efforcent de réduire le mariage à la condi- tion d'un contrat purement profane, il est bien temps, après quinze siècles d'un enseignement qui n'a pas varié et qui fait remonter au Christ lui-même la sanctification des noces chrétien- nes. Le concile de Trente a eu raison de dire : « l'impiété délire lorsqu'elle s'attaque à ce vénérable sacrement, et veut introduire, sous le couvert de l'Évangile, la liberté de la chair. Il faut exterminer son erreur*, » et il l'exter-

i. Concile de Vérone, 1181. II. Concile de Lyon, 1374. Sdcramentaires de S. Léon, 461 ; de S. Gélase, 496; de S. Grégoire le Grand. Sacramentaires des Grecs. Liturgies des Nestoriens, des Coptes, des Ja- cobites, des Arméniens. Cf. Perrone, De matrimonio christiano, tome I, cap. i, sect. i, art. 1.)

2. Impii homines hujus sseculi insanientes, non solum perperam de hoc venerabili ateramento senseri nt, sed

LA SAINTETÉ DU MAHIAGE

mine par cette sentence : «Si quelqu'un dit que le mariage n'est pas vraiment, et propre- ment un des sept sacrements de la loi évangé- lique, institué par le Christ, Notre Seigneur, mais qu'il a été inventé dans l'Église par les hommes et qu'il ne confère pas la grâce, qu'il soit anathème1. »

Remarquez, Messieurs, que le concile ne dit pas qu'il y a dans le mariage un sacrement, mais que le mariage iui-même est un sacre- < lent. Ces paroles sont d'une souveraine im- portance. Elles protègent l'union conjugale contre des usurpations dont nous aurons à nous occuper, et nous enseignent qu'on ne peut pas séparer ces deux choses : l'acte humain par lequel l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre, et l'acte divin par lequel la grâce

de more suo, prcctcxtu Evangelii, libertatem carnis in- troducentes multa... scripto et verbo asseruerunt,... quorum... sancta et universalis synodus... hsereses et errores exterminandos duxit. (Sess. XXIV, De Matri- monio.)

1. Si quis dixerit matrimonium non esse vere et pro- prie unum ex septem legis Evangelicae sacramentum a Christo Domino institutum, sed ab hominibus in Ecclesia inventum; neque gratiam confcrre ; anathemasit. (lbid.p can. i.)

36 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

est conférée. Comme le caractère religieux et sacré que donne au lien conjugal la mysté- rieuse puissance dont nous avons constaté l'intervention dans le mariage naturel, le sacre- ment sort du contrat. Je dis plus ; il est le contrat lui-même, le contrat investi par Dieu du pouvoir de produire la grâce, à l'instar de tous les signes sensibles dont il a fait des ins- truments de sa toute puissance comme auteur surnaturel. On ne peut donc pas dire : ici le mariage, le sacrement; le mariage contracté par l'échange de consentements, le sacrement répandu comme une huile bienfaisante, sur l'union qui se contracte. Non, c'est dans l'échange même des consentements que se trouvent les éléments sacramentels dont résulte, non plus seulement un lien purement naturel, comme dans le mariage primitif, mais un lien surnaturel imprégné et pénétré de la grâce de Dieu.

Entendez bien ce mystère, époux qui devenez par votre union la souche de la famille chré- tienne, et reconnaissez votre dignité. Vous avez reçu au baptême une participation au acerdoce de Jésus-Christ, un caractère a été

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 37

imprimé dans vos âmes, les creusant comme on creuse les canaux par l'on veut faire passer les eaux d'un grand fleuve. Ce caractère vous donnait droit à toutes les largesses et à tous les bienfaits de la vie divine, et j'ai dit qu'il était une puissance passive par laquelle vos âmes régénérées devenaient aptes à rece- voir les choses sacrées. Je dois ajouter au- jourd'hui que, pour une circonstance de la vie chrétienne, il y a dans le caractère baptismal une puissance active qui vous configure de plus près au sacerdoce du Christ : c'est la puis- sance de donner, en même temps que vous la recevez, la chose sacrée qui transfigure le ma- riage et le rend plus saint que Dieu ne l'a fait aux origines du monde.

Lorsque debout, en face de l'autel et sous les yeux de l'Eglise, les jeunes gens qui vont s'unir se donnent la main, ils sont prêtres, prêtres à la manière de l'homme sublime dont nous célébrions naguère les grandeurs, car, comme lui ils font et donnent une chose sacrée. Us disent : Voulez-vous me prendre, je me donne. C'est la matière du sacrement. Ils répondent : Je vous reçois pour mien ou

38 LA SAINTETÉ DU MARIAGfc

pour mienne. C'est la forme du sacrement. Et, lorsque la donation et l'acceptation se sont jointes de part et d'autre, le lien surnaturel est fait, la grâce jaillit, le sacrement est con- sommé.

Ce sacrement ne passe pas, dit un savant théologien, il demeure comme l'ineffable mys- tère que nous adorons sur nos autels et dans nos tabernacles. De même que les espèces eucharistiques restent après l'acte qui les con- sacre, comme le symbole de l'aliment spirituel qu'elles contiennent, de même la vie commune des époux chrétiens, manifestation sensible du lien qui les enchaine, reste comme le symbole de l'union indissoluble du Christ et de l'Eglise qu'elle copie1.

\ . Est matrimonium simile Eucharistise, quse non so- lum dum fit, sed etiara dum permanet, sacramentum est. Dum enim conjuges vivunt, semper eorum societas sacramentum est Christi et Ecc'esise... Nam, negari non potest ipsos conjuges simul cohabitantes, sive externam conjugum societatem et conjunctionem, esse materiale symbolum externum Christi et Ecclesiae indissolubilem conjunctionem referons; qusemadmodum in sacramento Eucharistiae. consecratione peracta, rémanent species consecratae, quse sunt symbolum sensibile atque exter- num interni alimenti spiritualis. (Bellarmin, De Matri- monio, cap vi.)

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 39

Voilà pourquoi saint Paul appelle le mariage un grand sacrement : « Sacramentum hoc ma- gnum est. »

Il y a plus, Messieurs, ce sacrement persé- vère dans le lien conjugal avec toute la virtua- lité que lui a donnée l'échange des serments. Ce n'est pas seulement en face de l'autel qu'il produit la grâce; il garde le pouvoir de la pro- duire pour toutes les circonstances et tous les temps dans lesquels la vie commune des époux chrétiens la requiert. Et quelle grâce! Le saint concile de Trente la décrit en quelques mots qui n'oublient rien : « C'est une grâce qui perfectionne l'amour naturel, affermit l'union jusqu'à l'indissolubilité absolue et sanctifie les conjoints1. »

L'amour naturel se laisse prendre à des charmes fragiles que la main cruelle du temps n'épargne jamais. Chaque jour, cet impitoyable ravageur de l'humaine beauté fait son œuvre.

1. Gratiam vero, quae naturalem illum amorem perfi- ceret et indissolubilem imitatem confirmaret, conjuges- que sanctificaret, ipse Christus venerabilium sacramen- torum institutor atque perfector. sua nobis passione promeruit. (Sess. XXIV, De Matrimonio.)

10 LA SAINTETÉ DU MARIAGE

Il efface les radieuses couleurs de la jeunesse, déforme les traits, ride les fronts, jette dans les cheveux ses frimas, courbe les corps, dé- truit, l'un après l'autre, les attraits qui parlent aux yeux, et l'on n'a plus, à la fin, devant soi qu'une idole défigurée qui fait regretter au cœur trop épris ses folles adorations. L'amour naturel, si bien fondé qu'il soit sur le respect et l'estime, ne résiste pas toujours aux soudaines révélations qui nous mettent sous les yeux des imperfections, des défauts et des vices auxquels nous n'avions pas songé. Notre sécurité ébranlée, notre paix menacée découragent le pauvre cœur qui se croyait si bien affermi et l'invitent à ne plus aimer. L'amour naturel, dans un être déchu et peu maitre de ses passions, se lasse d'être attaché au même objet. L'inconstance et le caprice le retournent trop facilement, hélas! vers un autre objet près duquel il oublie son devoir et ses serments. Lamentable faiblesse dont le ma- riage a souffert en tous les temps. Mais depuis que le Christ Ta sanctifié, la grâce perfectionne l'amour. Elle le rend sage. Elle lui apprend que rien n'est parfait ici-bas ; que l'infinie

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 41

beauté de Dieu est le seul idéal capable de con- tenter un cœur avide de perfection ; que lors- qu'on n'a pas tout ce que l'on voudrait aimer, il faut aimer ce que l'on a. Elle purifie les yeux de la nature, rend supportables les disgrâces, touchantes les infirmités, aimables la vieil- lesse et les cheveux blancs. La grâce rend l'amour patient. Elle l'affermit contre le choc des défauts qu'il a pu connaître, et contre la révélation trop brusque de ceux qui ont échappé à sa pénétration. La grâce rend l'amour juste et miséricordieux. Elle lui persuade aisé- ment que, si nous avons à souffrir, nous faisons souffrir nous-mêmes, et que, dans la vie à deux plus que partout ailleurs, il faut mettre en pratique cette maxime évangélique : « Portez les fardeaux les uns des autres. » A la place des reproches, elle suggère des excuses. Elle change les récriminations en bons conseils, sages exhortations, doux encouragements, aimables corrections ; elle incline les cœurs qu'elle attendrit à de faciles pardons. Enfin la grâce rend l'amour fidèle au devoir; elle le lui fait voir dans un jour éclatant que ne peuvent obscurcir les nuages de la fantaisie,

42 LA SAINTETÉ DU MARIAGB

du caprice, de l'illusion et du mensonge, et lui fait trouver dans la constance un honneur et des joies dont il remercie Dieu, si fidèle, lui, même envers ceux qui l'outragent.

Certes, Messieurs, ce perfectionnement de l'amour naturel par la grâce est déjà une forte garantie de solidité pour le lien conjugal, mais l'action sacramentelle concourt de plus près à son affermissement. Elle le saisit, le transfi- gure, et en resserre si bien les nœuds qu'on ne peut plus ni le détendre, ni le rompre. En le rendant plus sacré par la pénétration de sa vertu infinie, Dieu s'engage à n'avoir plus pour la faiblesse humaine l'indulgence qui lui arra- chait jadis des permissions et des dispenses dont notre nature perverse a tant abusé.

Enfin, Messieurs, la grâce sanctifie ceux qui s'épousent, elle descend ,en eux jusqu aux sources de la vie. Elle rend bon, chaste, res- pectable même, ce qui pourrait épouvanter la vertu et l'abreuver de dégoûts. Elle fait cher- cher, dans l'apaisement des sens, le grand hon- neur de participer à l'action créatrice de Dieu et de donner la vie, le grand devoir de peupler la terre de chrétiens et le ciel d'élus

LA SAINTETÉ DU MARIAGE 43

Voilà le mariage. Deux fois honoré de l'in- tervention de Dieu, aux époques solennelles de la création et de la rédemption, il s'impose à nos respects et j'ai le droit de dire aux hommes : N'y touchez pas, c'est une chose sainte. Oui, Messieurs, c'est une chose sainte. Il faut vous bien pénétrer de cette vérité, si vous voulez vous mettre d'accord avec moi sur les conclusions que j'en dois tirer. Ces con- clusions ne peuvent que confirmer la parole de saint Paul : « Ce sacrement est grand : Sacra- mentum hoc magnum est. »

a U A T R E-V f N G T-S I X I È M E CONFERENCE

LE LIEN CONJUGAL

QUATRE-VINGT-SIXIEME CONFÉRENCE

LE LIEN CONJUGAL

Monseigneur), Messieurs,

« Bien qu'il soit requis, pour un mariage parfait, que l'homme et la femme consentent intérieurement à se donner l'un à l'autre, que leur consentement soit exprimé extérieure- ment par un contrat verbal, qu'ils soient liés ensemble par la tradition et l'acceptation réci- proque de toute leur personne, que cette tra- dition et cette acceptation soient consommées par l'union charnelle, cependant il n'y a dans aucune de ces choses la force et la raison même du mariage, si ce n'est dans le lien et l'obli- gation qu'on appelle conjonction1. » Ainsi

1. Monseigneur Richard, archevêque de Paris.

2. Voyez le texte latin aux notes de la conférence pré- cédente.

48 LE LIEN CONJUGAL

s'exprime le catéchisme romain, tout imprégné de l'esprit et de la doctrine du saint Concile de Trente. C'est à lui que j'emprunte l'idée mère et centrale d'où procèdent et autour de laquelle gravitent les vérités que ie dois vous exposer.

Le lien conjugal, formé et noué par le con- cours de deux puissances, la volonté humaine et la volonté divine, voilà l'essence même du mariage. Ce lien, sacré par lui-même, et devenu plus sacré par l'institution du sacrement, est un lien qu'on ne divise pas, un lien qu'on ne rompt pas : voilà ses propriétés qu'il nous faut étudier présentement.

Je n'ai pas besoin, Messieurs, d'appeler votre attention sur cette question, vous en comprenez l'importance à l'heure actuelle, et vous allez suivre religieusement, je l'espère, le développement de ces deux propositions : L'indissoluble unité du lien conjugal est une loi divine; cette loi est dans la nature une loi de progrès et de perfection.

LE LIEN CONJUGAL 49

I

Dieu, principe de la vie, l'a répandue dans le monde avec une immense libéralité; mais il ne l'a point abandonnée à elle-même. Il en a réglé les évolutions, et a déterminé les pro- priétés des unions fécondes par lesquelles la vie se propage. En cela, il est le maitre absolu, et ce qu'il veut devient la loi des êtres qu'il associe à son action créatrice. Or, Messieurs, quand Dieu eut séparé de tous les vivants les deux êtres privilégiés auxquels il donnait l'em- pire du monde, et qui devaient être la souche d'une race marquée du sceau de la ressem- blance divine, il voulut qu'ils fussent indisso- lublement unis l'un à l'autre. S'il n'exprima pas verbalement sa volonté, comme il le fit à propos de l'arbre de la science du bien et du mal, il parla secrètement de son dessein au cœur du premier homme, et c'est par un ins- tinct divin, dit l'Église, que le père de l'huma- nité prononça ces paroles célèbres que je vous citais dernièrement : « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair. On lui donnera un nom pris du nom de l'homme, parce qu'elle a été

c.vnf.Mi; i>>7. - i

50 LE LIEN CONJUGAL

tirée de lui. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à son épouse; et ils seront deux datis une seule chair1. »

Vous entendez, Messieurs, deux et pas da- vantage. Et ces deux doivent adhérer l'un à l'autre, comme l'os et la chair d'Adam dont la femme est formée, adhèrent à son corps : « Quant obrem adhœrebit homo uxori suœ. » « Telle est la volonté de Dieu, dit Tertullien, manifestée dans ces noces typiques dont la forme doit être imitée par tous les hommes*. » La loi n'est point encore expresse et impérieuse comme elle le deviendra, mais les générations issues du couple primitif reconnaissent son autorité implicite, et longtemps l'indissoluble unité du lien conjugal est la règle de ceux qui fondent les familles et multiplient la race humaine. Lamech, le premier qui la viole pour

1. Matrimonii perpetuum indissolubilemque nexum primus humani generis parens divini Spiritus instinctu pronuntiavit, cum dixit : Hoc nunc os, etc. (Conc. Trid., sess. XXIV, Doctrina de sacramento matrimonii.)

2. Et ideo homo Dei Adam, et mulier Dei Eva, unis inter se nuptiis juncti formam hominibus Dei, de origi- nis auctoritatc, et prima Dei voluntate sanxerunt. (De exhort. cast., cap. v.)

LE LIEN CONJUGAL jl

satisfaire sa passion, est un homme de sang et de malédiction1.

Que dans l'humanité reconstituée, après l'universelle catastrophe qui noya le monde, la polygamie se soit établie; que le législateur du peuple juif ait permis dans certains cas, la rupture du lien conjugal ; que Dieu ait toléré ces pratiques qui contrariaient son dessein, il n'importe. L'institution primitive subsiste; elle attend des jours meilleurs. Mais, dans cette attente, Dieu, auteur de la nature et législateur de la vie humaine, est parfaitement maître de relâcher les liens d'une loi à laquelle il n'a pas encore donné sa forme définitive. Il sait mieux que qui que ce soit pourquoi il tolère des actes que ne défendaient manifestement ni sa loi positive, ni les premiers principes du droit naturel. Soit que, pour la réussite de son plan, il veuille accélérer la multiplication des familles et des nations; soit qu'il veuille rétablir l'équi-

1. Numerus matrimonii a maledicto viro cœpit. Pri* mus Lamech duabus. maritatus, très in unam carnem eft'ecit. (Tertul.. loc. cit.) Primus Lamech, sanermnanus et homicida , unam carnem in duas divisit uxores. (S. Hieronym., lib. I, Adoers. Jovinianum.)

52 LE LIEN CONJUGAL

libre des sexes troublé par les influences du péché ; soit qu'il veuille épargner à son peuple des crimes domestiques auxquels l'exposent l'impétuosité de ses passions et la dureté de son cœur; soit qu'il veuille laisser faire au genre humain l'expérience des désordres aux- quels peut l'entrainer le sens dépravé, dès qu'on se relâche, même sur les conclusions du droit naturel, moins apparentes et moins impérieuses que les principes, nous n'avons pas à le juger. Sa tolérance n'excuse pas les licences que prend la passion contre la volonté des épouses légitimes et pour des fins dés- honnêtes; et il n'y a que l'arrogance propre à l'hérésie qui puisse accuser de crime ceux qu'il n'a pas condamnés.

Toutefois, Messieurs, la tolérance de Dieu à l'endroit des générations antiques, ne lui fait pas oublier son premier dessein clans l'insti- tution du mariage, et l'on peut dire de l'indis- soluble unité du lien conjugal ce que saint Paui dit de Dieu lui-même : « Non sine testimonio semctipsum reliquit*. Dieu ne l'a pas laissée

1 Act., cap xiv, 16

LE LIEN CONJUGAL 53

sans témoignage. » De même qu'au milieu des ténèbres de l'idolâtrie, l'existence du vrai Dieu s'affirme par des preuves si évidentes que la raison est inexcusable de ne pas s'y soumettre, de même, dans l'universelle déchéance du ma- riage, l'unité et l'indissolubilité s'affirment et protestent par des faits et des enseignements qui soudront la restauration chrétienne à l'institution primitive. Il est facile de deviner, au langage de l'Ecriture, de quel côté penchent le droit de la nature et les préférences de Dieu. Les livres historiques, lyriques, sapientiaux et prophétiques sont pleins, à cet égard, d'indica- tions précieuses. « Nous sommes les enfants des saints, » dit le jeune Tobie à celle qu'il épouse; « nous ne pouvons pas nous marier comme se marient les gentils qui ne connaissent pas Dieu. 0 Seigneur! Dieu de nos pères : toi qui as fait Adam du limon de la terre et lui as donné Eve pour compagne, tu sais que ce n'est pas une basse passion qui me pousse au ma- riage, mais l'unique amour de la postérité qui doit bénir con nom dans les siècles des siècles ! » Et Sara complétant cette touchante prière : « Ayez pitié de nous, Seigneur, dit-elle, ayez

54 LE LIEN CONJUGAL

« pitié de nous, afin que nous vieillissions « ensemble, sains de corps et d'âme1. » C'est la femme unique et l'épouse fidèle que loue la Sagesse. C'est le mariage mystique, qui deviendra le type des noces chrétiennes, que célèbre le Cantique des Cantiques. Moïse a accordé l'acte de répudiation, mais cet acte est entouré d'une foule de précautions légales qu'on peut considérer comme autant de protestations des désirs de Dieu contre son indulgence; et ceux qui profitent de cette indulgence, pendant la longue période de temps qui s'écoule de l'exode à la captivité, sont si rares et se cachent si bien que l'histoire sainte n'en parle pas. Parmi les peuples chez les- quels ne se fait point entendre la parole de Dieu, il en est qui restent obstinément mono-

1. Filii sanctorum sumus, et non possumus ita con- Jungi, sicut gerites quse ignorant Deum... Domine Deus patrum nostrorum... tu fecisti Adam de limo terrae, de- distique ei adjutorium Hevam. Et nunc, Domine, tu scis quia non luxuriae causa accipio sororem meam conjugem, eed sola posteritatis dilectione, in qua benedicatur no- men tuum in srccula sseculorum. Dixit quoque Sara : Miserere nobis, Domine, miserere nobis, et consenesca- mus ambo pariter Bani. (Tob., cap. vu, 5-10.)

LE LIEN CONJUGAL 5u

games; et des barbares, même, méritent cette louange d'un grand historien : « Leurs vierges n'épousent qu'un seul homme, pour ne faire avec lui qu'un seul corps et qu'une seule vie. Leur pensée et leur désir ne vont pas plus loin, car c'est leur mariage qu'elles aiment plutôt qu'un mari1. » Un vieux législateur indien écrit : a L'homme et la femme ne font qu'une seule personne... la femme est la com- pagne de l'homme, à la vie, à lamort'. » Enfin, à l'heure le peuple roi se déshonore par des divorces capricieux et infâmes qui troublent toute la société romaine, il n'a point encore effacé de son droit cette belle défini- tion du mariage : « Divini humanique juris communicatio consortium omnis vitœ, indivi- duam vitœ consuetudem retinens*. Participa- tion commune au même droit divin et humain ; union de toute la vie dans le même sort; état

I. Virgines accipiuntunum maritum, quomodo unum corpus, unamque vitam, nec ulla cogitatio ultra, nec longior cupiditas, ne tanquam maritum, sed tanquam matrimonium ament. (Tacit., De moribus Germanorum, n. 19.)

2 Lois de Manou.

3. Digest., XXIII.

56 LE LIEN CONJUGAL

et coutume de deux vies qui n'en font plus qu'une. »

Malgré ces protestations, le relâchement a triomphé jusqu'à la corruption. Il aurait eu raison à la longue de l'indissoluble unité du lien conjugal si Dieu, à bout de tolérance, ne l'eût solennellement restaurée. Il parle, non plus par la bouche d'un homme inspiré, mais par la bouche de son fils. Vous l'avez vu, Messieurs, ce divin époux de notre nature, vous l'avez entendu lorsqu'il s'est agi de l'ins- titution du sacrement. Écoutez-le encore; car aujourd'hui, c'est sa parole qui fait loi,

« Les pharisiens s'étant approchés de Jésus pour le tenter, lui dirent : Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour quelque cause que ce soit? Et lui leur répondit : N'avez- vous pas lu que celui qui créa l'homme au commencement le créa un seul homme et une seule femme. A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, 3t ils seront deux dans une seule chair. Vous entendez : ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc ce que Dieu a uni que l'homme ne le sépare pas. Mais les pharisiens réplique-

LE LIES CONJUGAL

rent : Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de donner à la femme un libelle de répudiation et de la renvoyer? Et Jésus leur dit : Moïse n'a rien commandé, mais seulement, à cause de la dureté de votre cœur, il vous a permis de ren- voyer vos femmes. Au commencement, il n'en fut pas ainsi. Or, moi je vous dis que quicon- que renvoie sa femme, si ce n'est à cause de sa fornication, et en épouse une autre commet un adultère, pareillement celui qui épouse la femme renvoyée. Ses disciples lui dirent : Si telle est la condition de l'homme à l'égard d'une épouse, il est avantageux de ne pas se marier. Jésus leur dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné1. »

Il était impossible, Messieurs, d'enseigner plus clairement que Dieu, dans l'institution primitive du mariage, avait en vue l'indisso- luble unité du lien conjugal ; que cette indisso 'uble unité est explicitement voulue et com- mandée dans la loi nouvelle; qu'elle ne souffre plus d'exceptions; que la tolérance a pris fin:

1. Matth., cap. xix, 3-11

58 LE LIEN CONJUGAL

que les dispenses sont pour jamais abolies. Les crimes, même, qui peuvent autoriser une séparation, ne brisent pas le lien qui enchaîne deux vies l'une à l'autre, lorsqu'elles se sont épousées ; et la femme renvoyée du lit ou du toit conjugal, à cause de son infidélité, ne peut être remplacée que par un adultère. C'est dur pour l'homme charnel, mais c'est la loi du monde nouveau que crée le Rédempteur.

C'est la loi. Saint Paul la promulgue dans les églises de Rome et de Corinthe pour l'univers entier. « Ne savez-vous pas, mes frères, dit-il (je parle à ceux qui sont instruits de la loi), ne savez-vous pas que l'homme n'est soumis à la loi que tant qu'il vit? Par la loi du mariage, la femme est liée à son mari tant qu'il est vivant, quand il est mort, elle est dégagée du lien qui l'unissait à lui. Si donc elle épouse un autre homme du vivant de son mari, on l'appellera adultère. Mais si son mari vient à mourir, elle est affranchie et peut sans honte et sans crime en épouser un autre1. Ecoutez-

1. An ignoratis, fratres (scientibus enim legem loquor), quia lex in hominc dominatur, quanto tempore vivit? Nam qu* sub viro est millier, vivente viro, alligata est

LE LIEN CONJUGAL 59

moi bien, vous qui êtes mariés; ce n'est pas moi qui commande, c'est Dieu lui-même : que la femme ne se sépare pas de son mari. Si elle s'en est séparée, qu'elle demeure sans se marier ou qu'elle se réconcilie. De même que le mari ne se sépare pas de sa femme1. » Bref, être enchaînés par un lien que la mort seule peut rompre, c'est désormais pour les époux une loi divine et inviolable.

C'est la loi. Les successeurs des Apôtres, les pères des Églises, les docteurs des peu- ples refoulent devant eux les dernières résis- tances du judaïsme et du paganisme, les édits et les licences des princes de la terre, au nom de l'indissoluble unité rétablie par le Christ. « La monogamie, disent- ils, est entrée « dans les mœurs chrétiennes2. Plus de poly-

Iegi : si autem mortuus fuerit vir ejii8, soluta est a lege viri. Igitur vivente viro, vocabitur adultéra si fuerit cum alio Tiro ; si autem mortuus fueiit vir ejus, liberata est a lege viri, ut non sit adultéra si fuerit cum alio viro. (Rom., cap. vu, 1-3.)

1. lis qui matrimonio juncti sunt prœcipio, non ego, sed Dominus, uxorem a viro non discedere : quod si discesserit, manere innuptam, aut viro suo reconciliari, et vir uxorem non dimittat. (I Cor., cap. vu, 10-H.)

2. (Apud Christianos) temperantia adest, continentu

60 LE LIEN CONJUGAL

a garnie, le Christ l'a abolie1. Nous ne connois- « sons qu'un seul lien du mariage. Une seuJe « femme ou pas du tout, c'est la devise du g chrétien*. Tant que l'homme est vivant, fut- ce il chargé de tous les crimes, il reste le mari « de la femme qu'il a épousée1. Le sacrement ce le veut ainsi*. Ne nous parlez pas des lois de «i divorce édictées par les puissances sécu- « lières. Ce ne sont pas ces lois qui nous juge- ce ront, mais celles que Dieu a faites*. Autres

exercetur, monogamia servatur, custoditur castitas : lias ' oTç GMCppoGuwj ttocçsgtiv, ey/paTEia acrxsTTai, [AOVOYau.ia ■njpsÏTeu, àyvsia cpu/acccTat. (Theophil. Antiochen-, ad An- tolycum, lib. III, n. 25.)

4. Idem vir et Dominus (Christus) non amplius conce- dit polygamiam : AXa 'd auto; àvr,p xai Kuptoç ou ^oX^yau-iav èti cuyywpE'.. (Clemens. Alex., Strom., lib. III, p. 461.)

2. Unius matrimonii vinculo libenter inhseremus Cu- piditatem procreandi , aut unam scimus, aut nullam. (Minucius Félix, in Octamo, n. 31.)

3. Quamdiu vivit vir, licet adulter sit, lieet sodomita, licet flagitiis omnibus coopertus, et ab uxore propter hsec scelera derelictus, maritus ejus reputatur, oui alterum virum accipere non licet. (S. Hieronym., Epist. ad Amandum.)

4. Haud procul dubio sacramenti res est, ut mas et fœmina connubio copulati, quamdiu vivunt, inseparabi- liter persévèrent. (S. Aug., lib. I, De Nuptiis, cap. x.)

5. Ne mihi leges ab exteris conditas legas. prœcipientes dari libellum repudii et divelli. Neque enim juxta illas

LE LIEN CONJUGAL 61

« sont les lois des Césars, autres les lois du « Christ; autre chose est ce que permet <( Papinien, autre chose ce que défend notre « grand Paul1. Ecoutez la loi de Dieu à « laquelle sont soumis môme ceux qui font <c les lois : Qux Deus conjunxit homo non (, sépare ï1. »

C'est la loi. Les Pontifes romains la rap- pellent avec une souveraine autorité aux rois et aux peuples trop osés qui tentent de s'y soustraire.

C'est la loi. Toutes les écoles théologiques la proclament et la commentent. Malgré les résistances de la nature et des pouvoirs humains, elle s'établit partout se fondent

judicaturus est te Deus in die illa, sedsecundum eas quso ipse statuit . IWr, yap u-oi *<&? itapà xoTç sçwOev xstusvou; vduou; àvayvw;, toÙç xeXeuwrotç o'.oovat B'.o)aov ocTcodTaGiou . y.xi ào(<7Ta<j6ai. Ou yàp Syj xarà toutou; goi uiÀXsi xpivetv touç vo'y.ou; ô 0sb; ev r/j ^uica sxsivv), àXXà xaO ' ottç aùxoç eOr.xe. (S. Chrysost., iïomil. II, De Matrimonio.)

1. Alia3 sunt leges Csesarum, alise Christi; aliud Papi- nianus, aliud Paulus noster prœcipit. (S. Hieronym., Epist. ad Oceanum, n. 3.)

2. Audi legem Doniini, cui obsequaniur etiam qui leges ferunt : quœ Deus, etc. (S. Ambros., in cap. vi. Luc, n. 5.)

62 LE LIEN CONJUGAL

des Églises. Vieille de quinze siècles , elle règne sans conteste, à l'époque Luther inaugure l'âge de décadence morale qui tend à ramener le monde, régénéré par le Christ, aux mœurs relâchées et corrompues de l'anti- quité.

Luther, ce moine libertin que le froc tour- mente, aspire à se délier des serments qui l'en- chaînent à une perpétuelle chasteté. Pour se faire pardonner le scandale qu'il va donner au monde chrétien, il ne trouve rien de mieux que de contester au mariage restauré par le Christ ses austères propriétés d'unité et d'in- dissolubilité. Et, comme si la liberté du divorce ne suffisait pas pour lui gagner les bonnes grâces des princes dissolus dont il convoite la protection, il leur permet d'amorcer un sérail dans leur palais. « La polygamie, dit-il, n'est après tout qu'un retour aux mœurs patriar- cales1 ; mais pourtant il faut que ce retour soit discret pour ne pas effaroucher les peuples

I. Profitebatur Lutherus se « polygamiae consuetudi- nem nec introducere velle, nec improbare, posse autem quia Patrum exempla adhuc libéra sunt. » (Comment., in cap. xvi, Gènes Cit. Bellarra.)

LE LIEN CONJUGAL 03

habitués par la loi chrétienne à l'unité conju- gale. »

Luther a honte des licences qu'il octroie, mais l'Église attentive y voit une porte ouverte par la corruption des mœurs va entrer dans- la famille chrétienne. Il est temps de détermi- ner la formule dogmatique de la loi et de la mettre sous la protection de l'anathème. « Anathème, donc, dit le concile de Trente, à ceux qui*permettent aux chrétiens d'avoir plu- sieurs femmes, comme si cela n'était défertdu par aucune loi divine*. Anathème à ceux qui prétendent que le lien conjugal peut être rompu*. Anathème à ceux qui accusent d'erreur l'infaillible autorité de l'Église, lors- qu'elle affirme que l'adultère même n'a pas le pouvoir de dissoudre l'union que Dieu a faite3.

1. Si quis dixerit licere christianis plures simul habcr< uxores, et hoc nulla lege divina esse prohibitum; ana- thema sit. fSess. XXIV, can. 2.)

2. Si quis dixerit propterhaercsim aut molestam coha- bitationem, aut affectatam absentiam aconjuge, dissolvi posse matrimonii vinculum ; anathema sit. (Ibid., can. 5.)

3. Si quis dixerit Ecclesiam errare , cura docuit et docet, juxta evangelicam et apostolicam doctrinam, propter adulterium alterius conjusrum matrimonii vin-

64 LE LIEN CONJUGAL

Voilà la loi, Messieurs. Son origine n'est pas douteuse. C'est Dieu lui-même qui l'a édictée, implicitement et prophétiquement à l'origine du temps, explicitement et définitivement à l'époque solennelle le monde a été racheté et restauré. Armé de la même puissance que Celui qui tira le monde physique du néant, le remplit de vie et donna à la vie, avec le pou- voir de se multiplier, les règles de sa fécondité, Jésus-Christ, créateur d'un monde gfnoral et religieux auquel il communiquait une vie nou- velle, par l'inoculation de ses mérites et de son sang, avait bien le droit de régler les propriétés des unions dont devait naitre une race sainte. Il ne fait rien d'étrange. Il soude la régénéra- tion de l'humanité à sa création immaculée, en passant par-dessus tous les âges que le péché a déshonorés. Il détermine, il précise, il fixe par une loi absolue, le dessein divin qui devait originairement se poursuivre, sans heurt et

culum non posse dissolvi ; et utrumque, etiam innocen- tent qui causam adulterio non dédit, non posse, altero conjuge vivente, aliud matrimonium contrahere ; mœ- charique eum, qui dimissa adultéra, aliam duxerit, et eam, quœ, dimisso adultero, alii nupserit; anathema sit. (Sess. XXIV, can. 7.)

LE LIEN CONJUGAL 65

sans contradiction, dans le genre humain, s'il eut conservé sa primitive innocence. C'était son droit de créateur.

C'était aussi son droit de rédempteur. Poul racheter le monde, il avait humilié la majesté divine jusqu'à l'unir à notre nature déchue: union pleine de souffrances, qui devait être pour nous une source de vie et de gloire. N'était-il pas juste qu'il fît payer aux familles humaines, par le joug austère de l'unité et de l'indissolubilité, les abaissements féconds de son incarnation ?

C'était encore son droit de bienfaiteur. En rachetant l'homme, le Christ le transforme. A toutes les phases de sa vie spirituelle il met la grâce. C'est la grâce qui l'engendre surnatu- rellement ; c'est la grâce qui Taccroit. et le fortifie, c'est la grâce qui le nourrit et le restaure c'est la grâce qui le guérit de ses fautes et le réconcilie avec Dieu ; c'est la grâce qui achève sa purification et lui ouvre les por- tes de l'éternité; c'est la grâce qui lui donne une dignité et des pouvoirs divins dans le sacerdoce; c'est la grâce qui l'unit à celle qu'il a choisie pour la compagne de sa vie. En sano

CARÊME 1887. 5

56 tE LIEN CONJUGAL

tifiant cette union, le Christ n'a-t-il pas le droit de se montrer exigeant? Et si l'indissoluble unité du lien conjugal demande aux époux des efforts et des sacrifices, peuvent-ils s'en plain- dre sans être ingrats, puisque la vertu divine, qui annoblit leur joug, leur donne le courage et la force d'en porter jusqu'à la mort le far- deau sacré, s'ils la reçoivent dans un cœur pur.

Enfin, Messieurs, la législation du lien con- jugal était le droit du Christ en sa qualité d'exemplaire. L'homme est l'image et la res- semblance de Dieu; le chrétien est l'image et la ressemblance du Christ. Il doit l'être en toutes choses. Or, comme le mariage du Christ avec son Église a pour propriété l'unité indis- soluble dans la parfaite dilection, ainsi le ma- riage du chrétien avec la femme qu'il épouse ; afin que, d'un côté comme de l'autre, on puisse dire avec l'apôtre : « Voilà un grand mystère : Mysterium hoc magnum est. »

Oui, Messieurs, un grand mystère. Et dans les ombres de ce grand mystère, vos âmes chrétiennes devraient se soumettre à la loi cer- taine de Dieu, quand bien même vous ne ver-

LE LIEN CONJUfxAL 67

riez dans le monde de la nature aucune aspi- ration, aucun droit qui en justifiât la sainte austérité, mais il n'en va pas ainsi. La nature donne à la loi de l'indissoluble unité son plein acquiescement, car c'est une loi de progrès et de perfection.

II

Entendons-nous bien d'abord, Messieurs, sur ce mot la nature, car l'immense ma- jorité de ceux que révolte l'indissoluble unité du lien conjugal ne le comprennent pas comme nous. Pour eux, la nature ne dépasse pas la région ténébreuse et agitée des appétits et, en définitive, c'est de la bête humaine, plus que de tout le reste, qu'ils se préoccupent dans la question du mariage >Tout ce qui l'empêche de se satisfaire, tout ce qui la condamne à obéir à une plus noble puissance est mai vu de leur philosophie matérialiste. Contrarier la bête, c'est contrarier la nature.

Nous ne l'entendons pas ainsi, Messieurs. Pour nous, la nature; c'est tout l'homme :

68 LE LIEN CONJUGAL

l'homme charnel, avec ses appétits et sa force génératrice; l'homme spirituel, avec sa raison, son cœur, oon activité libre, son intelligence du devoir et ses aptitudes à la vertu.

Cet homme, Dieu l'avait créé parfait et maître du monde. Il convenait, n'est-ce pas, que, pour obéir au commandement divin qui voulait sa reproduction, il se distinguât dans l'acte générateur de tous les autres êtres par la plus parfaite des unions. Or, cette union quelle est-elle, Messieurs? Cherchons-la dans la création.

Au plus bas degré de l'échelle des êtres vivants, l'union qui prédomine est l'union de tous avec tous, la promiscuité. Là, il n'y a que des rencontres fortuites et aveugles et, par conséquent, point de lien, point de familles. Un peu plus haul. c'est l'union d'un seul avec plusieurs, la polygamie simultanée, état imparfait, tout à l'avantage d'un sexe auquel l'autre se sacrifie, plus pour l'apaise- ment d'une passion grossière que pour la satis- faction d'un tendre et noble sentiment. Un peu plus haut, c'est l'union d'un seul avec une seule, mais passagèrement et au profit d'un

LE LIEN CONJUGAL 69

instinct que le renouveau des saisons surex- cite : instinct capricieux, que rien ne fixe et qui, facilement oublieux des complaisances qui l'ont rassasié et des sollicitudes qu'il a dépen- sées sur une famille promptement affranchie, convole à de nouvelles noces : autre genre de polygamie dans lequel les unions se succèdent, à côté et du vivant de ceux qui déjà se sont unis. Enfin, Messieurs, au delà des confins de la pure animalité, au sommet de toutes les unions, c'est l'union d'un seul avec une seule et pour toujours, la monogamie, le vrai ma- riage, état parfait, dans lequel se trouvent réalisées les conditions d'intimité et de stabi- lité qu'indiquent le mot d'union, entendu au sens le plus élevé et le plus absolu.

Pour quiconque a l'intelligence de l'ordre, du progrès, de la perfection, il est évident, Messieurs, que Dieu répondait à un vœu de la nature et à l'appel des prérogatives royales de l'homme, lorsqu'il imposait au premier couple de notre race la loi de l'indissoluble unité du lien conjugal, et mettait ainsi la génération du plus parfait des vivants dans la dépen- dance d'une parfaite union; il es* évident que

70 LE LIEN CONJUGAL

l'homme est tombé du sommet d'où il domi- nait la nature, lorsqu'il se prit à imiter dans le mariage les unions des êtres inférieurs ; il est évident que le Christ ramenait l'humanité sur une voie de progrès et de perfection, lorsqu'il restaurait l'institution primitive du mariage, et promulguait explicitement et définitivement la loi de son indissoluble unité.

Mais je ne veux pas me contenter de |la rapide ascension que je viens de faire sur l'échelle de la vie. Entrons dans la vie humaine elle-même; appliquons-y la loi. Vous verrez que j'ai bien dit en l'appelant une loi de pro- grès et de perfection. C'est, en effet, la loi qui convient au véritable amour, c'est une école de vertus, c'est le ciment de la famille et l'hon- neur des sociétés humaines.

On ne peut s'expliquer honnêtement la dona- tion totale que se font l'un à l'autre de leur personne deux êtres humains, sans en cher- cher la cause dans ce profond et puissant sen- timent qui fait battre le cœur, et que nous appelons l'amour. Je ne rougis pas d'en par- 1er, car si les hommes l'ont s oui j lé, Dieu l'a purifié. Il était noble et grand dans le cœur

LB LIEN CONJUGAL 71

tout jeune de notre premier père, lorsqu'il appelait dans ses bras l'os de ses os, la chair de sa chair ; il peut être noble et grand dans le cœur de ceux qui, comme nos premiers parents, s'épousent sous l'œil de Dieu. Ne le cherchez pas dans cette fiévreuse passion dont la beauté charnelle provoque les élans, pas- sion forte comme une tempête et passagère comme elle, trop tendue pour ne pas fatiguer l'âme, trop attachée à de périssables attraits pour ne pas disparaitre avec eux. Le véritable amour sait se dégager des sens et s'éprendre des immatérielles beautés sur lesquelles le temps et les forces de la nature n'ont pas de prise. Il ne se laisse pas surprendre, mais il choisit son objet, et quand il l'a choisi, il se dit à lui-même : « Voilà mon repos pour toujours : Haec requies in sœculum sseculi. » C'est l'union qu'il désire, c'est l'union qu'il cherche, c'est l'union qu'il veut : l'union intime, pro- fonde, totale, si énergiquement exprimée par cette parole de nos Livres Saints : « Deux dans une seule chair : Duo in carne una. » Plus ses droits sont étendus, plus il comprend l'étendue de ses devoirs, et, s'il attend 'on se donne à

72 LE LIEN CONJUGAL

lui, en toute sincérité et sans réserve, il se donne lui-même avec la même plénitude. Il croirait s'amoindrir en se partageant, il s'accu- serait de mensonge s'il avait la pensée de se reprendre après s'être donné, et il ne s'exprime bien à son gré, que s'il peut dire : « Je suis à vous comme vous êtes à moi, à vous tout entier et pour toujours. Nos deux vies ne font plus qu'une seule vie, en voilà pour jusqu'à la mort. La grâce est fragile, la beauté s'évanouit : Fallax gratia et varia est pulchritudo . Mais, si la grâce et la beauté ont été pour moi des amorces, il y a d'autres biens que je con- voite, que je poursuis, que j'estime et que j'aime. Sur les ruines des charmes qui sédui- sent et parlent aux sens, ces biens me parais- sent plus beaux, plus désirables, plus dignes d'attachement. Laissons, laissons passer ce qui est périssable et aimons-nous toujours, toujours! »

N'est-ce pas ainsi, Messieurs, que vous com- prenez et sentez le véritable amour? N'est-ce pas ainsi que le comprennent et le sentent le?

\, Prov., cap. xxxi, 30.

LE LIEN CONJUGAL 73

nobles cœurs? Inutile, n'est-ce pas, de cher- cher longtemps la loi qui lui convient dans l'union conjugale. Il va spontanément au devant d'elle : c'est la loi de l'union indisso- luble.

Je dis en second lieu, Messieurs, que l'indis- soluble unité du lien conjugal est une école de vertu. Si pur et si fort que soit le véritable amour, il a besoin d'être protégé par la loi du devoir et de s'affermir par la pratique des ver- tus qui sont le plus bel apanage de la dignité humaine.

Il en est une que lui impose; de prime abord, la perspective de l'union indissoluble : c'est la prudence. On ne s'engage pas pour toujours, sans peser les chaînes que l'on veut porter; on ne se donne pas tout entier et pour toujours, sans sonder l'abime Ton va se jeter. L'aveu- gle passion des sens est capable de cette folie ; mais le véritable amour ne s'engage et ne se livre qu'à bon escient. Averti par la loi qui doit l'étreindre, il attend, il s'informe, il cherche, sous les attraits et les avantages extérieurs, les aimables et solides qualités qui peuvent lui assurer la paix et le bonheur; il demande au

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présent des augures favorables pour l'avenir. Il est possible qu'il se trompe, et alors, d'au- tres vertus pourront réparer son erreur ; mais il est certain que, le plus souvent, il doit à la loi austère, qui Ta rendu prudent, la tran- quillité et la joie du foyer sa vie s'est fondue dans une autre vie.

École de prudence, l'indissoluble unité du mariage est encore une école de justice. Par- tout où le lien conjugal se divise et se rompt, cette vertu est plus ou moins outragée, et c'est la femme surtout qui souffre de cet outrage. La concurrence d'autres amours diminue sa part, et, sous un maitre qui n'accorde que tour à tour ses caresses et ses faveurs, elle s'avilit jusqu'à n'être plus que la servante humiliée d'une passion capricieuse. Elle apporte dans la vie commune, avec les char- mes de son sexe, l'inestimable trésor de sa pudeur. Qui les lui rendra, si l'homme a le pouvoir de la renvoyer, lorsqu'il sera las d'une beauté flétrie et d'une chair déflorée? Il garde- rait, lui, tous ses avantages, et elle perdrait ses meilleurs biens! Dieu se mentait donc à lui-même, quand, au jour il complétait

LE LIEN CONJUGAL 75

l'œuvre de la création, il disait : « Faisons pour l'homme un aide qui lui ressemble : Fa- ciamus ei acljutorium simile sibi; » et il fau- drait croire que, dans la première des unions, si mystérieusement préparée et si solennellement bénie, pour servir de type à tous les mariages futurs, la femme n'apportait qu'une infério- rité de droit avec une infériorité de nature? Eh bien, non, Messieurs. Dans le dessein de Dieu la femme était le complément nor- mal de l'homme, et le lien qui les unit doit être noué par la justice. C'est l'indissoluble unité qui fait entrer dans le mariage cette sainte justice, en supprimant toute concurrence d'amour et en assurant l'égalité des donations, ainsi que leur perpétuité dans la vie à deux : l'époux devant être uniquement, tout entier et pour toujours à son épouse, et l'épouse uni- quement, tout entière et pour toujours à son époux.

Mais, la perpétuelle vie à deux ne peut plus être, aujourd'hui, ce qu'elle eût été si l'humanité eut conservé les privilèges de son innocence. Entre deux natures déchues et fatalement im- parfaites, il est impossible qu'il n'y ait pas des

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révélations inattendues et des heurts funestes les âmes se blessent. Et, si les volontés étaient libres de se dédire, peut-être ne pren- draient-elles conseil que de la mauvaise humeur et de la faiblesse humaine, pour rom- pre une union devenue laborieuse et lourde à porter. Mais la loi d'indissolubilité les retient et les oblige à la pratique d'une vertu, en laquelle se révèle la grandeur de l'homme. C'est la force : la force qui lutte courageuse- ment contre les défauts et les vices dont peut souffrir l'intimité conjugale, et s'applique à les atténuer, si elle ne peut les détruira; la force qui supporte avec patience les chocs doulou- reux qu'il est impossible d'éviter, et résiste aux poussées qui éprouvent la solidité d'un lien indestructible; la force qui sait humilier la fierté et demander des pardons; la force pénétrée de l'onction de la charité féconde en prévenances, en miséricordes, et en amoureux échanges de sacrifices.

Est-ce tout, Messieurs? Non. L'antique phi- losophie conviait l'homme au progrès moral et à la perfection par cette noble maxime : « Sup- porte et abstiens-toi : Sustine, abstine. » La loi

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d'unité et d'indissolubilité applique cette maxime, avec une souveraine autorité à la vie conjugale. La force qui supporte y doit être complétée par la tempérance qui s'abstient. Bien que le mariage ait pour but de calmer l'effervescence de la chair, il est pourtant des circonstances dans lesquelles la chair ne peut être satisfaite. Ceux qui ne savent pas résister aux instincts de la bête demandent d'autres unions ; mais l'homme, régénéré par le Christ et soumis à sa loi, comprend que les sens n'ont pas de droit contre le devoir, et qu'il est bon, qu'il est nécessaire, même, que l'âme affirme, de temps en temps, sur leurs basses exigences, sa dignité et sa maîtrise, en les sevrant des plaisirs qu'ils convoitent. Disci- plinés par la tempérance, ils laissent le champ libre aux plaisirs du cœur, les plus nobles et les plus doux que l'homme puisse goûter.

Vous avez souvent entendu dire, Messieurs, qu'il faut faire de nécessité vertu. Nulle part ce vieux proverbe ne s'applique mieux que dans l'indissoluble unité du lien conjugal. Si la loi divine fait violence à nos instincts, elle est d'accord, en cela, avec la raison qui veut

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le progrès et la perfection de notre vie morale. Mais, ce n'est pas seulement pour répondre aux voeux du véritable amour et pour ouvrir aux époux l'école des grandes vertus que Dieu a forgé la chaîne indestructible qui les tient unis. Il a eu égard aux droits d'un être faible et charmant qui, longtemps, a besoin de la double protection de la force et de la tendresse. Admirable disposition de la Providence ! Plus l'union de la vie avec la vie doit être parfaite, plus son fruit est lent à croitre. L'être qui nait de rencontres fortuites et aveugles de la pro- miscuité trouve, tout de suite, dans la nature les éléments nécessaires à son développement ; il a, pour s'en emparer et se les assimiler, des organes qui fonctionnent sans retard. Si l'ins- tinct plus parfait dessine les couples en rap- prochant les sexes, la vie a besoin, pendant quelque temps, de l'assistance de ses généra- teurs. Mais c'est l'affaire d'une saison, l'ani- mal a bientôt appris tout ce qu'il lui faut, pour assurer sa liberté et son indépendance. Au con- traire, là l'amour éclairé par la raison fait son choix, et c'est le privilège de l'être humain, l'enfant appelle, pendant de longues années, la

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sollicitude et les soins de ses parents au se- cours de son impuissance. Entre eux et le petit être qu'ils ont engendré quels liens puissants et tenaces! Ah! c'est bien le cas de dire de l'homme et de la femme : « Ils sont deux dans une seule chair : Duo in carne una. » Ils y sont par le sang de leurs veines, ils y sont par l'amour de leur cœur dans cette chair qu'ils ont tirée de leur propre chair, qui reproduit leurs traits et qui a reçu l'empreinte de leur âme; dans cette chair fragile la vie va s'é- teindre si on ne l'entretient, et si Ton ne veille sur elle avec une amoureuse et infatigable sol- licitude; dans cette chair ténébreuse l'âme endormie attend qu'on l'éveille et qu'on lui apprenne à penser et à vouloir. « Le mariage, dit un éloquent évêque, crée entre les parents et l'enfant des liens fermes et indissolubles, et l'on voudrait qu'il ne fût lui-même qu'un lien fragile ! Mais alors les effets seraient plus grands que leur cause1. » Père, mère, dussiez-

1. Il matrimonio créa vincoli indissolubili tra i coniugi ed i figli; e sarebbe esso un vincolo solubile; sarebbe mai, che gli effetti fossero maggiori délia loro causa. (Mgr Bonomelli, évêque de Crémone, Instruction pas- torale : Sul divorzio.)

LE LIEN CONJUGAt

vous fermer l'oreille à la voix de Dieu, vous ne pourrez jamais étouffer la voix de la na- ture qui vous dit : restez unis ! Restez unis! seul à seule; car un autre amour pourrait vous détourner de votre devoir, et éveiller des pas- sions jalouses et querelleuses qui trouble- raient la paix de votre foyer1. Restez unis! Père, pour protéger la femme qui se dévoue, jour et nuit, au petit être à qui tu as donné la vie ; mère, pour accomplir, sans inquiétude et sans crainte, ta noble tâche de dévouement*. Restez unis ! pour faire pénétrer dans l'âme de L'enfant les lumières de votre raison et les ten- dresses de votre cœur. Restez unis ! pour jeter dans cette terre vierge la semence des vertus sans lesquelles 1* homme n'a pas le droit de

1. Non facile potest esse pax in fâmilia, ubi uno viro plures uxores junçnintur, cum non posait unus vir suffi- cere ad satisfaciendum pluribus uxoribus ad votum; et etiam quia comrnunicatio plurium in uno officio causât iitem. (Summ. Theol, supp., quaest. 45, a. 1.1

::. Matrimonium ex int^ntiune naturae ordinatur ad educationem prolis, non solurn ad aliquod tempus, sed per totara vifcun prolis.... Ideo cum proies sit commune bonum viri et nxorif ' soiietatem eorum perpetuo

permanere indivisam, secundam legis naturœ dictamen. . Theol., quavst. 47, a. 1.)

LE LIEN CONJUGAL 81

vivre; restez unis ! pour cultiver ensemble les germes sacrés que vous avez semés. « Il faut être deux pour faire éclore la vie, deux aussi pour la conduire à son complet épanouisse- ment. Un père tout seul, c'est l'autorité trop dure, la raison trop froide, la force trop pe- sante; une mère toute seule, c'est l'amour sans frein, la douceur sans guide, la tendresse sans correctif. Tous deux sont nécessaires à l'éduca- tion. La nature les a accouplés et fondus comme deux éléments qui se complètent et d'où jaillit dans l'âme de l'enfant la lumière et la chaleur1.» Pères, mères, restez donc unis, pour multiplier la vie autour de vous et vous entourer d'une

i. Abbandonatela tutta (l'educazione) al solo padre: voi generalmente avrete l'autorità che riesce dura, l'in- telligenza che e fredda e la forza che aggrava; lasciate la in balla délia sola madré, e avrete l'amore senza au- torité, la dolcezza e la tenerezza senza il correttivo dell' intelligenza e délia forza. La natura stessa pertanto vuole accoppiati e fusi insieme i due elementi necessarii alla educazione dti fîgli ; l'elemento paterno e l'elemento materno : sono due forze, che per produire il loro elfetto, vogliono essere unité; sono due raggï, che si debbono concentrare sopra di uno punto per ottenerne la luce ed il calore. (Mgr Ronomelli, évêque de Crémone : Sul Vivorzio.)

OABftME L887. G

82 LE LIEN CONJUGAL

couronne de vivants qui seront votre gloire, parce qu'ils reproduiront vos vertus. Restez unis ! pour que vos enfants vous rendent en tendres respects et en pieuse assistance tout le bien que vous leur aurez fait. Restez unis! pour vous voir revivre encore dans les rejetons de ceux qui sont issus de votre généreuse sève. Restez unis ! pour servir de modèle à ceux qui s'uniront après vous, et pour cimenter par votre inaltérable fidélité la sainte unité de la famille.

Glorieuses familles que celles l'indisso- luble unité du lien conjugal relie le passé à l'avenir, et crée des traditions pacifiques à travers lesquelles chaque génération va cher- cher ses aïeux ! On n'y entend point les gémis- sements de l'amour trahi, ni les plaintes de l'abandon. On n'y voit point les enfants, odieu- sement mélangés, se transmettre le triste héri- tage des colères paternelles ou des rancunes maternelles. On n'y souffre point des sombres jalousies, ni des profonds antagonismes qu'en- gendrent le partage de l'amour et l'injustice des répudiations capricieuses. Glorieuses familles! On les respecte, on cherche leur

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alliance, et, en s'alliant, elles font rayonner Autour d'elles l'honnêteté, la paix et la pros- périté dont elles sont les foyers. Glorieuses familles! perpétuel honneur des sociétés elles sont les éléments de l'unité indispensable à tout peuple qui veut vivre.

Je n'en dis pas davantage aujourd'hui , Messieurs. Les vérités que vous venez d'en- tendre recevront un plus large développement, lorsque, dans une conférence prochaine, nous en ferons la contre-épreuve. Pour le moment, je crois avoir atteint mon but, qui était de prou- ver que la nature donne son plein acquiesce- ment à la loi divine de l'indissoluble unité du lien conjugal. Cette loi grandit l'amour, gran- dit la vie morale, grandit la famille, grandit la société : donc, c'est une loi de progrès et de perfection.

J'entends bien dire à certains réformateurs de la société conjugale qu'ils se désintéressent volontiers de cette perfection, et que, prenant le monde pour ce qu'il est, ils se contentent de discipliner ses vices. Misérable défaite de la lâcheté protestant contre le sublime mouve- ment que le Christ imprime, par sa loi, à la gé-

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nération humaine ! Qui donc a le droit de con- trarier la nature, quand il plait à Dieu d'aider la nature à se perfectionner ? Qui donc a le droit de faire reculer l'humanité en arrière, lorsque Dieu la pousse en avant ? Réformateurs mépri- sants ! vous vous mentez à vous-mêmes ; car, sur tous les tons, on vous entend dire que vous êtes des hommes de progrès.

Vous des hommes de progrès ! et vous faites fi d'une loi qui donne au véritable amour les satisfactions qu'il désire, met l'homme dans l'heureuse nécessité de perfectionner sa vie morale, consolide la famille et assure aux sociétés humaines les éléments d'une glorieuse vie! Vous des hommes de progrès! et vous prétendez nous ramener au temps l'homme déchu imitait, dans le mariage, les unions im- parfaites des espèces inférieures! Vous des hommes de progrès ! et vous résistez à l'im- pulsion divine qui tend à faire sortir l'homme générateur de l'animalité, pour le replacer sur le royal sommet d'où il domine toute la nature ! Allons, taisez-vous, plutôt que de mentir. Les hommes de progrès ce sont les apôtres et les fidèles observateurs de l'indissoluble unité du

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lien conjugal. Le Christ, faisant passer sous leurs yeux l'humanité amoindrie qui s'est rap- prochée de la bête, pour n'avoir pas été fidèle à l'institution primitive du mariage, le Christ leur a dit : « Montez plus haut : ascende supe- rius. » Et, obéissant aux nobles aspirations de la nature en même temps qu'à la voix de Dieu, ils ont généreusement répondu : « Mon^ tons : Ascendamus I . . . a

QUATRE -VINGT -SEPTIÈME CONFÉRENCE

LE DIVORCE

QUATRE-VINGT-SEPTIÈME CONFÉRENCE

LE DIVORCE

Monseigneur1, Messieurs.

Je vous ai promis la contre-épreuve des vérités exposées dans notre précédente confé- rence. Je viens, aujourd'hui, faire honneur à ma parole.

Les propriétés du lien conjugal, avons-nous dit, sont l'unité et l'indissolubilité. Ces pro- priétés, affermies par une loi divine et par la grâce du sacrement, répondent à un vœu de la nature, qui demande, pour le plus parfait des générateurs, la plus parfaite des unions, et qui aspire, dans l'individu, dans la famille et dans la société, au progrès et à la perfection. Vos nobles âmes, j'en suis persuadé, sont sym-

1. Monseigneur Richard, archevêque de Paris.

90 LE DIVORCE.

pathiques à cette doctrine; mais, parce qu'elle rencontre, de la part des prétendus réforma- teurs de la société conjugale, des contradic- tions dont vous pouvez être émus, il est de mon devoir de vous éclairer sur la valeur de ces contradictions.

Disons-le, à l'honneur des adversaires de la loi divine : ils n'ont point l'intention de ressus- citer les mœurs anciennes dont Luther per- mettait la libre pratique au.î gens de condition; et ils sont d'accord avec nous sur le caractère éminemment progressif de la monogamie, comme sur les désavantages et les inconvé- nients de la polygamie.

Dans ce dernier état, l'homme s'abandonne aux plaisirs troublants de la sensation, au dé- triment de sa vie intellectuelle et morale, et jusqu'à l'avilissement de sa dignité; la femme amoindrie devient la servante, on pourrait dire l'esclave, d'une basse passion; la famille hu- maine ressemble à un troupeau qu'agitent et que divisent les jalousies et les rixes. En un mot, la polygamie fait fléchir l'être humain, plus qu'il ne faut, du côté de l'animalité. Dix- huit siècles de christianisme nous ont désha-

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bitués de cette condition matrimoniale, à ce point que les ennemis les plus résolus de la loi chrétienne n'éprouvent, comme nous, que du mépris et du dégoût pour les harems des Orientaux et les folies licencieuses des Mor- mons.

Mais, il n'en va pas ainsi, quand il s'agit de l'indissolubilité du lien conjugal.

Dans l'opinion d'une foule de gens qui, de- puis les déclarations impies de la réforme, se mêlent de philosopher et de légiférer, l'indis- solubilité du lien conjugal est une loi tyran- nique qu'il importe de remplacer, pour le sou- lagement des sociétés modernes, par la faculté de rompre un joug que la nature humaine est incapable de porter.

Examinons d'abord, Messieurs, les raisons qu'on invoque contre la loi divine; j'espère vous prouver qu'elle n'en est pas ébranlée. Je vous montrerai, ensuite, que le divorce qu'on propose pour la remplacer est pire que tous les maux dont on veut rendre l'indissolubilité responsable, et qu'il est, pour les sociétés hu- maines, un principe de décadence.

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Quand on fait des décrets particuliers pour les individus, on les mesure à leur taille. Les lois n'ont point ce caractère étroit. Elles visent un bien général et sont faites pour les multi- tudes. Que, dans leur application à l'individu, elles aient des inconvénients et imposent, çà et là, une plus grande gêne, une plus grande contrainte, ce n'est pas une raison pour les abroger, du moment qu'elles font marcher les sociétés humaines dans une voie de progrès et de perfection.

Telle est la loi d'indissolubilité. C'est une loi de race, ordonnée, comme vous l'avez vu, au perfectionnement de notre nature et au bien général de l'humanité. Que l'individu en souffre quelquefois, cela n'est pas étonnant; qu'on prétexte cette souffrance pour s'affran- chir de la loi, c'est absurde. Admettez, en principe, qu'on peut et qu'on doit supprimer une loi, parce qu'elle devient gênante dans quelques - unes de ses applications particu-

LE DIVORCE. 93

lières, vous rendéfc impossibles tout ordre et toute moralité.

C'est un peu comme cela, cependant, que procèdent les adversaires de l'indissolubilité. Ils relèvent avec âpreté les inconvénients de la loi divine ; ils en inventent, même, pour grossir la somme de leurs griefs. On ferait un volume des fins de non recevoir qu'ils accumulent contre elle. Je n'entrerai point, Messieurs, dans le détail de ces inconvénients, griefs et fins de non recevoir. Il me suffira, pour en faire bonne justice, de les réduire à trois chefs que voici :

Premièrement : la loi d'indissolubilité ou- trage la liberté humaine qu'elle enchaîne jus- qu'à l'esclavage;

Secondement : la loi d'indissolubilité tend à frustrer le mariage de sa fin principale ;

Troisièmement : la loi d'indissolubilité expose ceux qu'elle unit irrévocablement à être privés, injustement et sans espoir, du bonheur auquel ils ont droit en entrant dans la société conjugale; elle les exaspère et les pousse au crime.

u°à liberté est un si grand bien, qu'il faut ne

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s'en dessaisir qu'à bon escient, et ne jamais abdiquer le droit de la reprendre. Se lier pour toujours, comme on le fait dans un mariage indissoluble; forger, en un instant, une chaîne qu'on ne pourra jamais rompre, c'est une cri- minelle folie. Est-ce qu'on est maitre d'un cœur qui nous dit aujourd'hui : « Je vous aime? » Est-ce qu'on est sûr de son propre cœur? Est-ce qu'on peut prévoir les défaillances de la faiblesse et les trahisons de l'inconstance? Est-ce qu'il est permis de se jeter, à pleine âme et à plein corps, dans l'avenir, comme si l'on était certain de n'y point rencontrer de décep- tions? Téméraires jeunes gens, qui échangez d'éternelles promesses, vous regretterez un jour la lourde et insupportable chaine que vous aurez rivée naïvement autour de votre liberté, et vous serez condamnés à ces deux inévitables hontes : ou de faire injure à votre parole, ou de subir un irrémédiable esclavage. Vous pleurerez votre malheur, vous vous accuserez de votre faute. Larmes et reproches, tout sera inutile. Non, non, vous ne pouvez pas, vous ne devez pas vous exposer ni à ces bassesses ni à ces infortunes. Unissez- vous si

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vous vous aimez, mais gardez votre liberté, comme une garantie contre les surprises de l'avenir . Et, s'il est une loi qui vous en de- mande le sacrifice, dites-lui, de toute la force de votre dignité outragée : Non licet! Cela n'est pas permis.

Messieurs, je suis d'accord avec les apolo- gistes de la liberté sur ce point : que la liberté est un grand bien et que c'est une criminelle folie de s'en dessaisir pour toujours, sans pré- voir l'avenir et sans pourvoir aux conséquences de ce délicat et redoutable sacrifice. Mais , écoutez : si la liberté est un bien, c'est mon bien à moi. J'en suis le maître; je puis en dis- poser comme je veux, pour aujourd'hui, pour demain, à perpétuité, pourvu que j'en dispose sagement et utilement. Je sais ce que c'est que les unions indissolubles; j'en ai contracté une avec la sainte religion dont je porte l'habit; et malgré les déceptions et les tristesses que j'ai pu y rencontrer et que j'avais prévues, je ne regrette point le sacrifice que j'y ai fait de ma liberté, parce qu'il a été payé par d'inestima- bles biens.

C'est le bien qu'on doit voir dans une œuvre,

96 LE DIVORCE.

et quand ce bien mérite un grand sacrifice, il faut le faire. Or, Messieurs, vous connaissez les biens de l'union conjugale affermie par l'indissolubilité : elle grandit l'amour, elle grandit la vie morale, elle grandit la famille, elle grandit la société. Cela vaut bien la peine qu'on s'y engage pour toujours. L'homme timide et amoureux de son bien-être ne veut tenir compte que des maux possibles dans l'avenir d'une vie à deux; l'homme généreux et sage tient compte des biens certains : de la noble sincérité et de la constance dont le véri- table amour doit faire preuve, en s'unissant à un autre amour ; de la sainte égalité des do- nations commandée par la justice; des im- menses avantages qui résultent de l'union persévérante de deux cœurs et de deux vies, pour l'éducation des enfants, l'affermissement et l'unité de la famille ; de l'honneur que reçoit la société tout entière, en s'incorporant les glorieux éléments de durée que lui fournissent les familles les traditions unissent le passé à l'avenir, l'indissolubilité du lien conjugal fait fleurir ta paix avec l'honnêteté. Il ne s'a- veugle pas sur les chances adverses qui pour-

LE DIVORCE. 07

raient lui faire regretter de s'être lié. Autant que le permet la prudence humaine, il s'efforce de les conjurer. Mais ses précautions prises, il place au-dessus des maux qu'il peut craindre les grands biens qu'il espère et qu'il veut ob- tenir, et, dût-il lutter et souffrir, il s'engage pour toujours. Qu'on ne dise pas que cela n'est pas permis; ce serait condamner toutes les nobles entreprises auxquelles les âmes gé- néreuses et osées lient leur vie. Moi, je pré- tends que c'est un des plus beaux et des plus louables actes de la liberté, de s'enchaîner perpétuellement à un bien dont tout le monde profite. Être enchaîné de cette manière, Mes- sieurs, ce n'est point être esclave. L'indissolu- bilité n'est pas faite pour peser comme un joug déshonorant, mais pour diriger et con- duire, sur le chemin du progrès moral, la liberté qu'elle étreint. En se faisant respecter, elle impose à l'homme de courageux efforts qui contiennent ses passions , corrigent ses Vices, atténuent ses défauts, perfectionnent ses qualités, affermissent ses vertus et multi- plient ses bonnes actions. Ce n'est pas en se soumettant et en obéissante cette règle divine.

CARÊME 1887.. 7

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mais bien en se révoltant contre elle, que l'homme se diminue, s'abaisse, s'avilit.

Du reste, les adversaires de l'indissolubilité n'ont pas tous le droit de se montrer si délicats et si prudes, à l'endroit de prétendus outrages que reçoit la liberté de l'engagement perpétuel qui enchaîne, l'une à l'autre, les deux vies qui s'épousent. Il en est, parmi eux, un grand nombre auxquels on pourrait renvoyer le re- proche de criminelle folie qu'ils nous adres- sent. Dans l'indissolubilité du mariage, c'est la religion qu'ils poursuivent et qu'ils espèrent blesser mortellement. Mais en cela, ils ne font qu'obéir au mot d'ordre des impitoyables sectes dont ils sont les esclaves assermentés. Ils sont liés, eux, par de sinistres promesses qui les ont engagés dans la ténébreuse cons- piration du mai contre tout ce qui est juste et saint. S'ils voulaient briser leur chaîne, le pourraient-ils impunément? Non. Les ma- riages secrets des âmes perverses sont trop bien scellés pour qu'on leur permette le divorce. Et ce sont eux, ces esclaves d'iniquité, qui repro- chent le plus âprement, aux âmes honnêtes et chrétiennes, les éternels serments par lesquels

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elles s'engagent à obtenir les grands biens de la société conjugale, au risque d'en souffrir ! Qu'ils lavent donc l'opprobre de leur liberté, avant de s'occuper de la nôtre. Nous n'accep- tons ni leurs avis, ni leur censure; car l'hon- nête homme et le chrétien ne sacrifient qu'à bon escient la liberté dont ils- ont le droit de disposer pour bien faire, et c'est la liberté elle- même qui accomplit ce sacrifice, une de ses plus nobles actions.

Soit, me dira-t-on ; que la liberté s'engage. Mais encore faut-il qu'elle soit sûre d'atteindre le but qu'elle vise en s'engageant. Parmi les biens qui honorent le mariage, la théologie, d'accord avec les instincts de la nature, met au premier rang les enfants : * Primum bonum m&trimonii est proies. » C'est pour se voir re- vivre dans ces êtres charmants que l'homme et la femme échangent leurs serments d'amour. L'enfant est leur honneur, car c'est en lui qu'ils participent à la paternité de Dieu; l'en- fant est leur bonheur, car c'est en lui que leurs cœurs se rencontrent pour s'aimer davantage. Heureux les foyers l'homme, contemplant d'un œil attendri les chers rejetons de sa vie,

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peut dire : « Non omnis moriar ! Je ne mourrai pas tout entier ! » Heureux les foyers l'amour conjugal se délasse et se ravive en un autre amour légitime et saint. Mais, hélas! il y a des foyers déserts l'impuissance et les infirmi- tés conspirent contre la vie; les époux attendent en vain, dans un triste tête-à-tête, les enfants qu'ils ont désirés et qui devaient réjouir leur existence. S'ils pouvaient se quitter et chercher ailleurs une union féconde ! Mais non ; l'indissolubilité les rive à la stérilité perpétuelle, prolonge sans fin leurs amères déceptions, et outrage, en leur personne, le mariage lui-même, en le frustrant, sans espoir, de son premier bien. N'avons-nous pas raison de nous révolter contre une pareille loi ?

Oui, Messieurs, les adversaires de l'indisso- lubilité auraient raison de se révolter si la stérilité dans le mariage était la règle, et la fécondité l'exception. Mais vous n'ignorez pas que c'est précisément tout le contraire. Nous devons donc ramener ici le principe qui nous a servi de point de départ : à savoir que, dans les applications d'une loi générale, il peut y avoir des individus en souffrance, mais que ce

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n'est point une raison pour abroger la loi. Des bas-fonds au sommet de la nature vivante, partout, la grande loi de la reproduction souffre des exceptions. En bénissant les ger- mes dont la vertu féconde devait peupler l'uni, vers, Dieu ne s'est point engagé à les garantir tous des accidents qui pouvaient limiter leur puissance. Que de vies perdues, sous ce rap- port, dans l'immense germination de vies qui se fait tous les jours! Si vous me demandez pourquoi ? je vous répondrai que c'est le secret du gouvernement de Dieu. Ceux qui croient à la Providence doivent adorer ses décrets et laisser marcher ses lois. Quant à celle qui nous occupe présentement, personne ne peut assurer que la rupture du lien conjugal remé- diera toujours aux unions infécondes; tout le monde sait que, si on le laissait faire, l'homme est capable de fraudes criminelles pour s'af- franchir d'un joug salutaire et bienfaisant, dès qu'il le trouvera trop lourd à porter.

Du reste, pour les époux qui savent se sou- mettre à la sainte volonté de Dieu, la vie à deux n'est pas sans compensations. Ils n'ont point à redouter les catastrophes domestiques

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qui dépeuplent le foyer, ni ces coups terribles qui broient le cœur des parents, lorsqu'ils se voient ravir par la mort les chers petits en qui ils avaient mis tout leur amour et toutes leurs espérances. N'ayant point à se répandre sur d'autres vies, ils s'attachent davantage à celle qui leur est unie ; ils s'aiment d'autant mieux qu'ils se sentent plus nécessaires l'un à l'autre. Si leur amour a besoin d'effusion, ailleurs que dans l'intimité, ils savent se faire une famille de tous ceux qui profitent des bienfaits de leur charité.

J'entendais dire, un jou^, d'un noble et ver- tueux couple à qui Dieu avait refusé l'honneur de la fécondité: « Quel malheur! ils n'ont pas d'enfants. » Un vieux prêtre qui les con- naissait répondit : « Ils n'ont pas d'enfants! Allez donc dire cela aux malheureux qu'ils assistent, aux affligés qu'ils consolent, aux pauvres petits qui leur doivent le pain de cha- que jour, le vêtement, l'instruction, et, ce qui vaut mieux, les principes de la foi et le saint amour de Dieu. Ne les plaignez pas, car ils sont heureux : heureux de s'encourager au bien ; heureux de se raconter dans l'intimité

LE DITORCK. 103

les prouesses de leur charité; heureux d'en- tendre autour d'eux les bénédictions des infor- tunés : bénédictions qui les suivront jusqu'au lieu de leur éternel repos. Dans cette maison bénie, il y a une grande privation, mais il n'y a pas de malheur »

D'accord, mais encore faut-il que les âmes s'entendent, que les vies se fondent, et que tous les biens résumés, par vos théologiens, dans ce seul mot : Fides, c'est-à-dire l'harmo- nie des caractères, les douces prévenances, le charitable support, la confiance mutuelle, la fidélité inviolable soient le prix d'un éternel engagement. Compter là-dessus, c'est mal connaître les bizarreries, les faiblesses et, disons-le franchement, les inclinations per- verses de la nature humaine. S'il y a des gens heureux ensemble qu'ils restent unis, nous n'a- vons pas l'intention de déranger leur bonheur. Mais, pour quelques couples bien assortis, combien de couples disparates, chez lesquels le bonheur conjugal n'a duré que le temps d'une lune ! Après cette lune de miel, il n'y a plus que des lunes d'amertume. Impossible de décrire les innombrables maux qui affligent les

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foyers, l'homme et la femme se sont en- chaînés pour jamais ; on n'en finirait pas. Ici, la révélation inattendue de répugnantes infir- mités ou d'un déshonneur que l'on avait tenus cachés ; là, l'explosion soudaine de passions et de vices habilement contenus : ici, des défauts qui se hérissent à la moindre contradiction et découragent la plus robuste patience ; là, des habitudes dégradantes qu'on ne sait comment dissimuler, et quelquefois des infamies publi- ques que la loi châtie : ici, des haines sourdes qui complotent sans cesse ; là, des colères qui éclatent comme la foudre : ici, des injures, des menaces, des querelles, des violences, des brutalités ; là, d'abominables perfidies : ici, l'infidélité enveloppée de ruse et de mensonge ; là, les trahisons de l'amour insolemment ins- tallées au foyer domestique. Tout ce qu'il faut, enfin, pour diviser les esprits, déchirer et désespérer les cœurs, tuer à jamais l'amour. N'est-ce pas ce que l'on rencontre en une foule de ménages ? Et, dans ces bagnes de mi- sères morales et de crimes, vous voulez que l'homme et la femme restent enchaînés l'un à l'autre, comme deux forçats traînant le même

LE DIVORCE. 105

boulet? Tous les deux coupables, quelquefois, parce qu'ils fi'ont rencontré l'un chez l'autre que des déceptions; et la plupart du temps l'innocent rivé au coupable ? Mais c'est absurde autant qu'odieux. Est-ce que la raison ne dit pas : rendez à ces. misérables la liberté au lieu de prolonger leur supplice; brisez le lien barbare d'indissolubilité qui les condamne à la perpétuelle privation du bonheur qu'ils avaient rêvé, et auquel ils avaient droit en entrant dans la société conjugale. Si vous les tenez en- chaînés, vous êtes responsables des colères qui grondent au fond de leur âme exaspérée et poussent ce cri féroce : tue-le ou tue-la !

Messieurs, voilà le plus fort coup des adver- saires de la loi divine. Je n'en suis point étourdi, et je conserve encore assez de pré- sence d'esprit pour faire remarquer à mes contradicteurs qu'ils abusent des teintes som- bres, et qu'il est plus habile que loyal de géné- raliser et d'exagérer le mal pour s'en feire un argument. Les statistiques ne nous montrent point le mariage sous de si noires couleurs, dans les pays l'indissolubilité du lien con- jugal est encore religieusement respectée. Je

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ne nie pas les imperfections de la pauvre nature humaine. Quand ces imperfections s'épousent, il n'est pas étonnant qu'elles se contrarient, et que ceux qui les ont unies en éprouvent quelques inconvénients. Mais cela ne va pas, régulièrement, jusqu'à la catastrophe, ni même jusqu'au malheur. La plupart des mariages ressemblent à ces régions tempérées le baromètre oscille entre la tempête et le beau fixe. Ces oscillations peuvent être désa- gréables, mais non pas jusqu'à nous donner l'envie de quitter nos heureux climats, pour nous réfugier aux pôles, aux tropiques ou à l'équateur.

Les situations tendues et violentes sont l'exception. Ce n'est point sur la loi qu'il faut en faire peser la responsabilité, mais bien sur ceux qui les ont criminellement ou impru- demment créées. Un auteur, trop amoureux des thèses paradoxales et qui s'est fait un nom dans la question du divorce, écrivait dernière- ment : « Ce qui fait qu'en général on ne s'a- pitoie guère sur les chagrins et les mésaven- tures de l'homme marié, c'est qu'il n'y a que des déceptions faciles à prévoir Tous

LE DIVUhCE. 107

les malheurs sont plus ou moins volontaires. On a voulu être plus heureux qu'on ne Tétait ;

on s'est trompé Et alors on se plaint du

sort, des circonstances, des autres, jamais de soi. Et pourtant, on est seul coupable au fond. Voilà pourquoi, l'égoïsme naturel aidant, on ennuie tous les gens à qui l'on conte ses infor- tunes1. » Vous comprendrez mieux, Mes- sieurs, la part de responsabilité qui revient aux époux malheureux lorsque je vous aurai parlé des profanations du mariage. Ces profa- nations sont cause de la plupart des maux dont on se plaint, et qui rendent insupportable le joug de l'indissolubilité. Si ce joug pèsf d'un poids trop lourd sur les épaules des cou- pables, a-t-on le droit de dire qu'il est barbare ? Non. Ses rigueurs sont justice. La loi se retourne contre ceux qui l'ont bravée et devient leur châtiment. Qu'ils se révoltent contre ce châtiment, qu'ils cèdent à la tentation d'en finir par un crime, la loi d'indissolubilité n'est pas plus responsable de ce crime que la

1. Lettre de M Alexandre Dumas à M. Adrien Marx citée par l'Univers, octobre 1886).

108 LE DIVORCE

loi qui défend le vol n'est responsable de Tas* sassinat commis par un voleur, quand il ne peut avoir la bourse sans prendre la vie.

Remarquez, je vous prie, qu'il n'est pas nécessaire pour braver la loi, d'entrer dans le mariage avec des intentions formellement cri- minelles ; il suffit qu'aveuglé par le plaisir ou l'intérêt, on oublie qu'il y a de graves devoirs à remplir, et qu'il faut s'y préparer par de généreuses et saintes résolutions. A ce compte, Messieurs, je ne crains pas de le dire, vous trouverez peu d'innocents parmi les époux malheureux.

S'il y en a, pourtant, la loi n'est pas obligée de fléchir devant leur malheur ; parce qu'elle est une loi générale, une loi de haute pré- voyance, une loi d'intérêt supérieur, une loi de perfection individuelle, domestique et sociale. Elle demande aux innocents le sacrifice du bonheur qu'ils avaient espéré. C est l'heure, pour eux, d'accomplir un grand acte d'abné- gation et de dévouement, comme c'est l'heure pour le soldat de mourir sous les balles do 1 ennemi quand il y va du salut de son pays ' *e leur refusez pas cet honneur, n'entamez

LE DIVORCE. 109

pas, par des licences sacrilèges, la grande loi du sacrifice dont dépend la gloire et l'existence même des sociétés. Le sacrifice, sans doute, est dur à la nature, et l'innocent peut se de- mander pourquoi la loi l'immole. Mais il est un élément dont il faut tenir compte dans cette situation critique, c'est la grâce que Dieu ajoute à sa loi pour prévenir les défaillances de la nature. Le chrétien peut souffrir du joug de l'indissolubilité; il n'en est pas écrasé ; car la grâce devient d'autant plus vivante et plus forte qu'il est plus malheureux Elle le sou- tient, elle l'affermit, elle le console, elle lui apprend l'art divin de rendre ses souffrances bienfaisantes, même à ceux qui le font souffrir; et, sur les ruines de tous les bonheurs que le pauvre cœur avait espérés, elle lui fait goûter les austères et nobles jouissances d'une immo- lation glorieuse à Dieu, et plus utile à la société que les sacrifices sanglants.

Quant à ceux qui ne veulent tenir aucun compte de la grâce, nous allons voir, Mes- sieurs, s'il est convenable d'accepter pour eux le remède que nous proposent les adversaires de la loi divine.

7

HO LE DIVORCE.

II

Le divorce, avons-nous dit, est pire que tous les maux dont on veut rendre l'indissolu- bilité responsable, et, par suite, un principe de décadence. Personne n'a rendu cette vérité plus saisissante que le docteur infaillible qui gouverne aujourd'hui l'Église : le souverain Pontife Léon XIII dans son encyclique sur le mariage chrétien. Je ne veux être, ici, que l'humble commentateur de sa parole. Ecou- tez-la.

« A peine pourrait-on énumérer les maux si a grands dont le divorce est la source. Le lien a conjugal perdant son immutabilité, atten- « dez-vous à voir la bienveillance et l'affection « détruites entre les époux ; un encourage- « ment donné à l'infidélité ; la protection et c l'éducation des enfants rendues plus diffî- « ciles ; des germes de discorde semés entre « les familles ; la dignité de la femme mécon- « nue ; le danger pour elle de se voir délais- ce sée, après avoir servi d'instrument aux pas* « sions de l'homme. Et parce que rien ne

LE DIVORCE. Hl

« perd les familles, et ne détruit les royaumes <x les plus puissants, comme la corruption des « mœurs, on voit facilement que le divorce, « qui ne naît d'ailleurs que des mœurs dépra- « vées des peuples, est l'ennemi le plus re- « doutable des familles et des États, et qu'il a ouvre la porte, l'expérience l'atteste, aux * habitudes les plus vicieuses et dans la vie « privée et dans la vie publique1. »

Ainsi donc, Messieurs, d'après l'auguste parole que vous venez d'entendre, tout souffre

1. At vero quanti materiam raali in se divortia conli- neant, vix attinet dicere. Eorum enim causa fiunt mari- talia fœdera mutabilia; extenuatur mutua benevolentia; infidelitati perniciosa incilamenta suppeditantur; tui- tioni atque institutioni liberorum nocetur; dissuendis societatibus doraesticis prœbetur occasio; discordiarum interfamiliasseminasparguntur; minuiturac deprimitur dignitas mulierum, quae in periculum veniunt ne, cum libidini virorum inservierint, pro derelictis habeantur. Et quoniam ad perdendas familias, frangendasque regnorum opes nihil tam valet, quam corruptela morum, facile perspicitur, prosperitati familiarum ac civitatum maxime inimica esse divortia : quae a depravatis popu- lorum moribus nascuntur ac. teste rerum usu, ad vitio- siores vitae privatœ et publicae consuetudines aditum januamque patefaciunt. (Encyclic. Arcanum divinae sapientiae.)

112 LE DIVORCE.

du divorce : le mariage lui-même, ceux qui se marient, les enfants, les familles, la société tout entière.

Devenu un contrat résiliable, le mariage n'est plus entouré des salutaires précautions qui doivent en assurer la paix et la durée. Dans le fait, il ne s'agit pas de fonder quel- que chose, mais de tenter une aventure. En cela, toutes les témérités et toutes les audaces peuvent se donner carrière. A quoi bon les sondages de la délicatesse et de la prudence, puisqu'il n'est pas question de s'établir pour toujours? Si le terrain sur lequel on s'engage n'est pas solide, on en sortira pour aller ailleurs. Inutile de faire appel à ce sentiment doux et profond, qui fond les coeurs ensemble, cherche et promet l'éternité ; l'appétit des sens suffit à qui ne veut se lier que pour un temps. Le mariage n'est donc plus le rapprochement de deux vies qui se confient l'une à l'autre, s' complètent et se perfectionnent dans une per manente union ; c'est une société à terme la défiance garde tous ses droits, et, commf on l'a dit énergiquement, une sorte de prosti- tution légale à laquelle l'homme et la femme

LE DIVORCE. 113

ne se livrent que pour s'amoindrir et se dé- grader.

En effet, au lieu que l'indissolubilité grandit la vie morale, en obligeant l'homme à de géné- reux efforts, pour corriger sa nature et sup- porter vaillamment les accidents de la vie com- mune, le divorce l'abaisse parce qu'il n'oblige à rien, et qu'il laisse à l'égoïsme et au caprice toutes leurs franchises. Pour être aimable, doux, bienveillant, prévenant, il faut s'en donner la peine. Mais pourquoi s'efforcer et se contraindre ? On ne craint pas de froisser ceux dont on peut se débarrasser. Cette pers- pective permet à tous les défauts un sans gêne qui les jette les uns contre les autres. On se choque, on se meurtrit, on se déchire, jusqu'à ce qu'on puisse dire : la vie devient insuppor- table; allons-nous-en.

Dans un dessein perfide, on exagérera même, les contradictions et les sévices, afin de lasser celui ou celle dont on ne veut plus. Que devient la sainte fidélité conjugale, en ce milieu troublé par le constant désir d'une rupture ? l'indissolubilité la protège contre les tentations qui attirent l'amour vers un autro

OAStHl 1SS7. 8

414 LE DIVORCE.

objet. A celui que tourmente une passion adul- tère, elle dit : « Prends garde, tu ne t'appartiens plus. » Le divorce, au contraire, encourage le cœur infidèle et lui dit : « Va l'amour t'ap- pelle, tu peux te reprendre. » Et précisément, parce que l'adultère est une des causes ma- jeures qui peuvent déterminer la rupture du lien conjugal, on en fait une industrie ; on le médite, on le prépare, on le consomme, avec le damnable espoir d'en tirer parti pour con- quérir sa liberté. Et voilà comment l'homme et la femme, qui pouvaient être si grands et si nobles, sous la loi d'indissolubilité, s'amoin- drissent et se dégradent, sous la loi du di- vorce.

La femme, surtout : la femme dont le chris- tianisme a relevé la dignité et que nos pères associaient dans leurs respects à leur Dieu et à leur roi : Malheur, disaient-ils, à qui trahit son Dieu, son roi et sa dame ! la femme est, plus que l'homme, victime des abaissements qu'entraîne après soi le divorce. L'homme peut sortir de la société conjugale avec tous les avantages de sa force et de son autorité, pour s'engager dans de nouveaux liens; la

LE DIVORCE. 115

femme n'en peut sortir avec toute sa dignité. Elle y laisse ses meilleurs biens : les prémices de son honneur et les charmes de sa jeunesse, et n'en retire qu'avec peine l'argent qu'elle avait apporté. Plante flétrie dont une bête im- pure a épuisé la sève, et mise hors de la famille qu'elle a enfantée quand elle ne peut plus es- pérer d'en fonder une autre, qui voudra d'elle ? Et si, jeune et vivante encore, elle a elle-même provoqué, sous l'empire de la passion, la rup- ture du lien qui l'enchaînait à un unique amour, peut-elle être, aux yeux du monde qui la méprise, autre chose qu'une femelle intem- pérante, dont chaque nouvelle union accroit la honte et l'opprobre ?

Encore, si les époux étaient seuls à souffrir du déshonneur et des injustices de leur sépa- ration ! Mais non. Le divorce est un mal qui retentit douloureusement dans les familles et dans la société. Il outrage le lien du sang qui unit l'enfant à ses générateurs ; et, ne pou- vant le briser parce que la nature l'a fait in- dissoluble, il en répudie les saintes obligations. Il interrompt, la plupart du temps, le grand travail de l'éducation, juste au moment

116 LE DIVORCE.

l'autorité et la persuasion, la force et la ten- dresse doivent s'unir plus étroitement pour le parfaire. Il arrache les enfants du lieu de leur naissance, les transplante sur une terre étran- gère et les expose aux antipathies, aux rebuts, aux mauvais traitements de nouveaux pères ou de nouvelles mères qui ne leur doivent rien. Il jette dans les jeunes cœurs, devraient germer le respect et l'amour, des semences de mépris et de haine : celui-ci prenant le parti d'une mère injustement abandonnée, celui-là le parti d'un père trahi. Il arme les unes contre les autres des familles entières qui épousent la cause de leur sang; les unes exagérant les torts du coupable; les autres cherchant des torts à l'innocent. Il provoque les plaintes, les récriminations et les reproches; il multiplie les discordes, les querelles et les procès1; il trouble l'ordre public, il corrompt la société.

1. Le bonheur de l'Etat est dans la paix et la concorde des citoyens, dans la bonne intelligence des diverses familles. Le mariage, unissant deux époux, rapproche les parents, les alliés : en faisant deux heureux, il fera vingt amis. Le divorce viendra, il fera vingt ennemis mortels; il suscitera les parents, les amis de l'épouse

LE DIVORCE. 117

ii la corrompt, parce qu'il y ruine le prin- cipe conservateur et régulateur de toutes les énergies sociales : le principe d'autorité. En livrant au jugement des enfants la conduite de leur père et de leur mère, il déconsidère le pouvoir primordial de la famille, dont le pouvoir public n'est qu'une imitation, une par- ticipation, une application en grand ; il forme, petit à petit, des générations impatientes de toute espèce de joug, parce qu'elles auront appris à mépriser leurs auteurs, et n'auront eu sous les yeux, au foyer domestique, que le spectacle de la licence sous la fallacieuse éti- quette de la liberté. Il corrompt la société, parce qu'il est le triomphe pratique de cette exé- crable maxime : que dans le mariage on peut

contre l'époux, contre sa famille et contre ses amis. Le mariage avait confondu les intérêts, raffermi les fortunes, le divorce viendra diviser les intérêts, renverser les for- tunes, élever des discussions, susciter des procès, anéan- tir des testaments, et les tribunaux ne retentiront plus que de plaintes contre l'époux, qui laisse l'épouse après avoir consumé sa fortune; contre l'épouse, qui laisse l'époux en redemandant ce qu'elle aura dissipé. {Barruel, Lettres sur le Divorce à un Député de l'As- semblée nationale, 1788.)

7-

118 LE DIVORCE..

tenir moins de compte de la stabilité des fa- milles que de la liberté du plaisir, des pro- messes de l'amour que des calculs de l'intérêt, du devoir que de la passion.

Messieurs, la conclusion de ce que vous venez d'entendre se présente d'elle-même. Le divorce enlève au mariage ses garanties de délicatesse, de prudence et d'amour ; le divorce supprime l'effort et le progrès dans la vie commune; le divorce fait déchoir la femme de la dignité que lui avaient assuré dix- huit siècles de christianisme ; le divorce outrage le lien du sang et viole les droits sacrés des en- fants ; le divorce désorganise et divise les fa- milles ; le divorce trouble Tordre public et corrompt la société : Donc, c'est un principe de décadence.

A ceux qui m'accuseraient de faire ici un procès de tendance, je répondrai : Prenez l'histoire, vous y lirez cette conclusion écrite en caractères sinistres, dans la vie et dans la mort de tous les peuples qui ont violé la sainte loi de l'indissolubilité. Vous y verrez la femme opprimée, jusqu'à l'avilissement, par le pou- voir exorbitant que prend l'homme, quand on

LE DIVORCE. 110

introduit dans le mariage le droit de répudia- tion. Vous entendrez retentir, sur les théâtres de l'antiquité, ce cri lamentable : « Entre tous les êtres vivants nous sommes, nous autres femmes, la plus misérable race1. » Vous consta- terez, chez les graves Romains, un progrès six fois séculaire, tant qu'ils prennent au sérieux cette définition de la société conjugale : « une communauté de droit divin et humain ; Juris divini et humani communicatio ; » et vous remarquerez que la décadence se précipite par la fissure du divorce, qu'ils ont oublié de fermer et que les édits des empereurs ont élargie. Le divorce triomphe ; c'est fini du res- pect dont l'auguste matrone était entourée. Cet ornement de la société romaine disparaît. La matrone est remplacée par des femmes licencieuses qui comptent leurs années, non par le nombre des consuls, mais par le nombre de leurs époux1, qui changent huit fois de

1. Omnium autem quœcumque sunt animata et men- tem habent, nos mulicres sumus, miserrima propasro , IlavTwv S' oa' s<tt ' su^ir/a, xal y^ouev s/t;, yuvaui£q iff'jiv àOAu.VraTov cpurov. (Médée d'Euripide, v. 230.)

2. Numquid jam ulla repudio erubescit, postquan?

120 LE DIVORCE.

ménage en cinq ans1 et qu'on enterre aprè3 qu'elles ont passé par les bras de vingt-deux maris'. Les deux sexes rivalisent d'incons- tance et de libertinage. L'homme n'obéit plus qu'à ses caprices et à sa passion. Il renvoie sa femme comme on se débarrasse d'un soulier qui blesse le pied3. « Trois rides au front, des dents dont l'émail se ternit, des yeux qui se rétrécissent, un rhume trop prolongé, cela suftit pour qu'il se sépare de la compagne de sa vie et de la mère de ses enfants. Il ne prend même pas la peine de l'avertir lui-même de sa répudiation; il lui envoie son affranchi. Madame, rassemblez vos hardes et partez. Nous ne pouvons plus vous souffrir ; vous vous mouchez si souvent ! Dépêchez-vous, le temps presse. Nous en attendons une autre qui aura

illustres qusedam ac nobiles fœminœ, non consulura nu- méro sed maritorum, annos suos computant. (Senec, I>e Beneficiis, lib. III, cap. xvi.)

4 Si crescit numerus, sic fiunt octo mariti.

Quinque per autumnos; titulo res digna sepulcri. (Juvenal, sat. VI, v. 229, 230.)

2. Saint Jérôme affirme avoir été témoin de ce fait.

3. C'est ce que disait Paul Emile en répudiant 22 femme Papyrie.

LE DIVORCE. Vi\

le nez plus sec1. Les patriciens font entre eux des échanges ; Caton cède sa femme à Hortensius ; « c'est l'habitude parmi les nobles gens5 » dit un historien. On ne se marie plus que dans l'espoir de divorcer ; le divorce est comme un fruit du mariage3. Maintes fois on en remanie la loi, sans en pouvoir faire autre chose qu'une loi d'adultère*. « Avec la religion nuptiale la pudicité s'est envolée, et les mêmes hommes, les mêmes femmes, qui étonnaient le monde par leur chasteté, l'éton-

4. Cur desiderio Bibulre Sertorius ardet? Si verum excutias, faciès non uxor amatur. Très rugse subeant, et se cutis arida laxet, Fiant obscuri dentés, oculique minores : Collige sarcinulas, dicet libertus, et exi ; Jam gravis es nobis, ut sœpe emuneeris. Exi Ocius, et propera ; sicco venit altéra naso.

(Juvenal, sat. VI, v. 142-148.)

2. Quce consuetudo vulgaris fuit. (Strabo., G<>ograph. lib. VII.) Tertullien (Apolog.) rapporte que îSocrate céda sa femme Xantippe à Alcibiade. Dans certaines contrées de la Grèce, les maris troquaient entre eux leurs femmes. (Cf. Potter, Archeolog. grxc.)

3. Repudium vero, jam et votum est, ut matrimonii fructus. (Tertul., Apoleget., cap. vi.)

4. « La femme qui se marie tant de fois ne se marie pas; elle est adultère par la loi. Quœ nubit tnties non nubit; adultéra lege est. » (Martial, Epig., vi, 7.)

122 LE DIVORCE.

nent par leur luxure1. » Ces débauches d'u- nions passagères, toutes de plaisir ou d'intérêt, dégoûtent du mariage et tarissent la vie. La population décroit, et Rome n'a plus assez de soldats valides pour se défendre contre les invasions des barbares. Elle emprunte leurs forces et les prend à sa solde. Vaine précau- tion ! Ceux qu'elle emploie s'énervent au con- tact de sa corruption, et ceux qui arrivent tout neufs des frontières de l'empire finissent par l'étouffer.

Les barbares ont vaincu le monde que le divorce a corrompu. Un nouveau monde se forme. La loi divine d'indissolubilité le pénè- tre, le façonne et crée les sociétés européennes, aujourd'hui si pleines de vie et de puissance. Mais, prenez garde, Messieurs, le pro- testantisme a rouvert la terrible fissure par doit se précipiter la décadence. Un demi- siècle à peine après son avènement, l'Alle- magne se plaint du divorce, comme d'une prime d'encouragement donnée aux dissen-

1. Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans VÊglise, x, 10.

LE DIVORCE. 123

sions conjugales1. « Jamais, dit un auteur protestant, on n'a tant vu d'époux séparés que dans ce siècle extravagant, caduc et voisin de

la fin du monde dans lequel des insensés

enseignent publiquement la légitimité et la nécessité de la pluralité des femmes2 » L'Angleterre, convertie à la réforme par un roi paillard, n'est pas plus heureuse. Le divorce y multiplie les crimes domestiques, à ce point qu'au commencement de ce siècle un prélat de la hiérarchie anglicane est obligé d'avouer, en plein Parlement, que, grâce à la loi du divorce, l'adultère est devenu une sorte d'industrie qu'on exploite au profit des maris mécontents et des séducteurs3.

1. « J'estime que jamais, depuis les premiers temps du christianisme, les séparations et les divorces ne furent plus communs que de notre temps, depuis qu'à l'exemple de Moïse, nous avons cru trouver un re- mède au libertinage. Il est fort à craindre qu'en permet- tant le divorce, on n'ait fait que donner une prime d'en- couragement aux dissensions conjugales.» (Schwenkfeld, Kpist. II, 1 (1538). Cf. Dollinger, La Réforme, son développement et les résultats quelle a produits dans la société luthérienne, tome II.)

2. Monner., De Matrimonio. (1501.)

3. a Dans les débats qui ont ev lieu, il n'y a pas long-

124 LE DIVORCE.

Sans doute, Messieurs, la décadence va moins vite dans nos sociétés chrétiennes que dans les sociétés païennes, et les peuples ont des pudeurs qui les retiennent sur les pentes d'une trop grande licence. Ce n'est point à leur caractère qu'il faut rendre grâce de ces pu- deurs et de ces retards, mais à la sainte loi d'indissolubilité qui les protège, et que per- sonne ne pourra abroger, tant qu'il y aura en ce monde une Église et des familles chré- tiennes.

Cependant, nous ne sommes pas à l'abri des catastrophes qu'amène infailliblement la cor- ruption des mœurs. Écoutez la parole du père des fidèles : « On comprendra mieux la gran- « deur des maux qu'engendre le divorce, si « l'on considère que, la faculté de divorcer a une fois accordée, aucun frein, si fort qu'il « soit, ne pourra la contenir dans de justes

temps, au parlement d'Angleterre, l'évêque de Rochester, répondant à lord Mulgrave, avança que sur dix demandes en divorce pour cause d'adultère, il y en avait neuf le séducteur était convenu d'avance, avec le mari, de lui fournir des preuves de l'infidélité de sa femme. » (De Bonald, Du Divorce au dix-neuvième siècle, etc., c. il.)

LE DIVORCE. 125

« limites, pas même dans celles qu'on lui « avait fixées d'avance. La force des exem- « pies est grande, plus grande encore la force « des passions. Il arrivera donc que, pareille « à une maladie que la contagion propage, ou « à une masse d'eau qui a surmonté ses digues « et qui se répand partout, cette fureur de a divorce croîtra chaque jour et gagnera l'es- a prit du plus grand nombre1. »

Voilà le péril, Messieurs. Si les enfants de Dieu, lassés de porter le joug des unions in- dissolubles, se laissent tenter par «les trop nombreux exemples de répudiations dans les- quelles la passion cherche ses franchises ; si les lois humaines triomphent de la loi divine ; si le divorce devient la coutume de nos socié- tés ; c'est fait : notre décadence est assurée,

i. Multoque esse gravioria hsec mala constabit; si consideretur, frenos nullos futuros tantos, qui concessam semel divortiorum facultatem valeant intra certas, aut ante provisos limites coercere. Magna prorsus est vis exemplorum, major cupiditatum : hisee incitamentis fieri débet, ut divortiorum libido latius quotidie serpens plurimorum animos invadat, quasi morbus contaçrione vuigatus, aut agmen aquarum, superatis aggeribus, exundans. (Encyclic. Arcanum divinse sapientiœ.)

126 LE DIVORCE.

plus profonde et plus honteuse que toutes les décadences historiques, parce que nous serons tombés de plus haut1. Le divorce licencie la bête humaine, et la bête humaine est insatiable. A chaque satisfaction qu'on lui accorde, elle crie: Encore! Encore! Affer! Affer ! Après la liberté restreinte, elle voudra la liberté illi- mitée; après l'union légale, l'union à volonté ; dans l'union à volonté la polygamie, après la polygamie la promiscuité. Les foyers domes- tiques ne seront plus que des basses-cours et des chenils ; et dans la race bestiale qu'aura faite la décadence, inaugurée par le divorce, on ne pourra plus définir le mariage que la rencontre sexuelle d'un mâle et d'une femelle, pour la propagation de cette espèce animale qu'on appelait jadis l'espèce humaine.

Nous n'en sommes pas là, Messieurs, Dieu

1. Ideoque nisi consilia mutentur, perpetuo sibi me- tuere familia et societas debebunt, ne miserrime confi- ciantur in illud rerum omnium certamen atque discrimni quod est socialistarum ac communistarum flagitiosis gregibus jam diu propositum.— Unde liquet quam ab- sonum et absurdum sit publicam salutem a divortii* expectare, quœ potius in certam societatie pernici<-n sunt evasura. (Encyclic. sup. cit.)

LE DIVORCE 127

merci, et j'espère que nous n'y arriverons pas. Mais, il faut pour cela que les vrais chrétiens et les hommes sensés s'unissent, fassent réso- lument leur choix entre le principe de déca- dence et la loi de progrès et de perfection ; qu'ils proclament, enfin, dans leurs mœurs plus que dans leurs discours, « qu'on ne sépare pas ce que Dieu a uni : Quod Deus conjunxit homo non separet. n

QUATRE-VINGT-HUITIÈME CONFÉRENCE

LA LEGISLATION DU MARIAGE

CARÊME iSST. û

QUATRE - VINGT - HUITIEME CONFÉRENCE

LA LEGISLATION DU MARIAGE

Monseigneur», Messieurs,

S'il n'y avait que les malheureux à se plain- dre des rigueurs de la loi divine, relativement à la propriété d'indissolubilité qu'elle assure au lien conjugal, on pourrait peut-être leur faire entendre raison. Mais les libertins et les impies sont plus nombreux que les malheu- reux. Ils ne se contentent pas de se plaindre; ils font appel à la puissance séculière et la somment de modifier dans l'intérêt de leurs passions, bien entendu, plutôt que dans l'in- térêt de la civilisation et de l'humanité dont ils font grand bruit, un droit qu'ils appellent criminel et barbare. Il n'est pas nécessaire que

\. Monseigneur Richard, archevêque de Paris.

132 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

la sommation soit bien menaçante. Depuis longtemps, la puissance séculière a l'oreille ouverte aux revendications qui flattent ses ambitions dominatrices, et lui permettent d'étendre ses empiétements. Les casuistes et les théologiens de cour l'ont singulièrement aidée à envahir le champ de la religion et de la conscience humaine, et les sophistes du naturalisme ont fini par lui persuader que l'Etat est, ici-bas, la puissance suprême et qu'il a tous les droits.

Dans la question qui nous occupe, rien n'est plus facile que de faire droit aux réclamations des libertins et des impies; il n'y a qu'à légi- férer. Est-ce que le mariage est autre chose « qu'un engagement stipulé au profit de l'Etat et de la société générale du genre humain1? » Et, par conséquent, n'est-ce pas à l'Etat, aux pouvoirs qui gouvernent les sociétés humai- nes qu'il appartient de ratifier cet engagement, d'en régler les conditions et de les modifier, se- lon les exigences des époques et des milieux

4. Portalis, dans Y Exposé des Motifs ouvrant le re- cueil des pièces présentées au Corps législatif sur le cin- quième titre du Code civil et la loi relative au mariage.

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 133

l'engagement se contracte? Le mariage est la chose de l'Etat avant d'être la chose d'aucune religion et d'aucune Eglise. Libre à ceux qui se marient de faire bénir et sanctifier par un rite « ce que l'Etat règle et opère1. » Mais ils doivent attendre son intervention; et même, après que la consécration a passé sur leur union, ils peuvent toujours recourir à cette intervention, et faire fléchir les lois et règle- ments de la société religieuse à laquelle ils appartiennent devant les lois et règlements de l'Etat.

Voilà, Messieurs, la prétention de la puis- sance séculière. Elle s'est imposée avec tant d'audace et de persistance, elle a été appuyée par tant de sophismes qu'elle a fini par trou- bler l'esprit public; et je ne serais pas étonné qu'elle eut produit, même dans vos âmes chré- tiennes la plus étrange confusion à l'endroit de la législation du mariage. Permettez-moi d'éclairer vos consciences et de mettre de l'ordre dans vos idées sur ce point important et délicat. Contre la prétention de la puissance

1 Loc. sup. cit.

134 LA LEGISLATION DU MARIAGE

séculière, je prétends que la législation du mariage, quant à son essence même et à ses propriétés essentielles, appartient à Dieu seul et à son Eglise. Cette vérité prouvée, je vous montrerai avec quelle sagesse et quelle force l'Eglise procède dans sa législation matrimo- niale.

I

Revenons sur nos pas, Messieurs, et met- tons-nous en présence du principe que nous avons énoncé dans nos précédentes confé- rences : à savoir que toute la force, toute la raison du mariage est dans le lien qui se forme entre l'homme et la femme par la donation et l'acceptation mutuelles de leurs personnes. « Ce lien, dit saint Thomas, est le mariage lui- même, et c'est toujours Dieu qui le fait : Et talis relatio est semper a Deo1. » Je me de- mande comment une puissance humaine peut avoir la prétention de saisir et de réglementer cette chose toute intérieure, spirituelle et

I. Summ. Theol., suppl., qurest. 48, a. 2, ad. 2.

LA LÉGISLATION DU MAHIAGE 13!

divine. Qu'elle l'oublie, c'est possible; mais cet oubli ne lui donne aucunement le droit de s'ingérer dans une action sacrée, Dieu figure comme maitre suprême des personnes et des vies qu'il enchaîne l'un à l'autre.

Je sais bien qu'on ne veut voir dans le ma- riage qu'un simple contrat, semblable à ceux par lesquels les hommes échangent, trans- mettent, engagent leurs biens, leurs services, les fruits de leur travail et de leur industrie : toutes choses sur lesquelles la puissance sé- culière peut avoir un droit de surveillance et déréglementation, dans l'intérêt de l'ordre et du bien publics ; mais c'est une notion radi- calement fausse, qui vicie toutes les consé- quences qu'on en peut tirer, dans la pratique, pour l'exercice du pouvoir législatif.

« Si le mariage est un contrat, dit Moser, il y a entre lui et les autres contrats, quant à la nature et à la substance, toute la distance du ciel à la terre: Quoad naturam ac substan- tiam suam a reliquis contractibus toto cœlo differt. Etudiez son origine et ce qu'il est en lui- même veus serez obligé d'avouer que ce con- tracta vraiment singulier, a été institué immé-

135 1.À LÉGISLATION DU MARIAGE

diatement par Dieu lui-même, qu'il en a pres- crit les règles qu'aucune puissance humaine ne peut ni changer, ni relâcher, et qu'il a pris la peine de déterminer, dans les Livres Saints les habiletés ou inhabiletés qui peuvent le rendre valide ou invalide... C'est pourquoi, saint Thomas l'appelle un contrat spirituel..., et il suit de que la puissance publique, qui peut résilier d'autres contrats parfaitement valides, et suppléer, dans certaines conditions, au consentement des contractants, ne peut rien et ne pourra jamais rien de tout cela quand il s'agit du mariage1. »

En effet, Messieurs, la puissance séculière n'a aucun droit sur ce qui se donne dans le mariage. Nos fortunes, nos champs, nos mai- sons, nos travaux, nos services avoisinent

l. Matrimonialis contractus, abstractions etiam faota a ratione sacramenti, quoad naturam et substantiam suam a reliquis contractibus toto cœlo differt.. . Qui ma- trimonii naturam atque originem attenta mente conside- raverit, statim fateri cogetur contractum esse vere eingularem, non ab hominibus sed a Deo ipso immédiate institutum, circa quem varias quoque ipse praescripsit régulas a nulla potestate humana immutandas aut re- laxandas : v. g. circa ejus unitatem, indissolubilitatem aiiasque proprietates; item circa personas, quai ad hune

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d'autres maisons, d'autres travaux, d'autres services ; nos intérêts temporels se com- binent avec d'autres intérêts, et l'on conçoit que, pour l'ordre public, pour le bien public, les actes extérieurs, les engagements, les con- trats, par lesquels toutes ces choses entrent en relations, soient réglées par le pouvoir public. Mais, quand l'homme et la femme en se prenant la main se disent l'un à l'autre : Je suis à toi ; tu es à moi, c'est leur personne, leur vie, leur liberté, leur cœur qu'ils se donnent mutuel- lement: biens sacrés, liés ensemble et ne sor- tant pas de la douce et sainte intimité en la- quelle ils sont enchaînés. En vertu de quel droit une puissance humaine viendrait-elle leur dire : vous ne vous donnerez pas ou bien vous vous donnerez de telle ou telle manière?

contractum valide ineundam habiles aut inhabiles non existèrent. Gen. n, 28. Levit. xvn, xx. Deut. xx, 22, 26. .... Ilinc matrimonium a S. Thoma contractais spiritualis appellatur.... hinc quoque fit, quod publica potestas, quaî ahos contractus, etsi valide initos, quandoque res- cindere, item requisitum in contrahentibus consensum certis in conditionibus supplere valet, nihil tamen horum circa contractum matrimonialem prœsiare possit, nec unquam potuerit. (De impcdim. matrim., cap. xxm. § 8, 9, 10, 11.)

138 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

Mon âme, mon corps, ma personne est à moi ; ma vie avec l'énergie créatrice dont Dieu l'a douée esta moi, ma liberté que j'en- chaineest à moi, mon cœur que je jette dans un autre cœur est à moi. Oui à moi et à Dieu. Je veux bien me soumettre à sa suprême juri- diction en disposant des biens qu'il m'a lui- même donnés ; mais je ne reconnais pas, je ne veux pas reconnaître d'autre juridiction. Mes biens sacrés, je ne les mets pas en cir- culation dans la vie sociale le pouvoir pu- blic légifère et gouverne. Je les garde pour moi ; car, en les donnant à celui ou à celle que j'aime, ils ne sortent pas de moi, puisque Dieu l'a dit : ce nous sommes deux dans une seule chair: Et erunt duo in carne unk. »

La puissance séculière n'a donc rien à voir à ce que l'homme donne en se mariant, elle n'a rien à voir non plus à ce que l'homme fait en se donnant. Que fait-il? un lien qui en- chaîne sa personne, sa vie, sa liberté, son cœur aune autre personne, une autre vie, une autre liberté, un autre cœur. Or, ce lien est chose toute intérieure et toute spirituelle qui ne re- garde que la conscience; et la conscience est un

LA LEGISLATION DU MAIUAGE 139

sanctuaire sur les portes duquel on lit : Loin d'ici les profanes : Procul hinc profani ! Le domicile, qui n'abrite que le corps, est déjà un lieu sacré que le pouvoir public ne peut violer, sans s'attirer l'indignation et le mépris des honnêtes gens ; et l'on voudrait qu'il put en- trer dans la conscience, pour voir ce qui s'y passe, pour empêcher de nouer ou pour dé- nouer à sa fantaisie le lien que fait l'amour? Eh bien, non, Messieurs, cela ne peut pas, cela ne doit pas être. Le pouvoir public a pour lui le for extérieur, qu'il y prenne ses ébats, mais il lui est défendu de pénétrer dans le for intérieur, dans la conscience et d'y sai- sir le lien spirituel qui s'y forme et qui est l'essence même du mariage.

Ce lien est d'autant mieux à l'abri de toute saisie humaine, que les volontés conjointes de l'homme et de la femme ne sont pas seules à le former et que, après avoir concouru à sa

rmation- elles ne peuvent pas le rompre. Les anciens, comme nous l'avons remarqué dans notre conférence sur la Sainteté du ma- riage, appelaient la religion aux noces, recon- naissant, par là, l'intervention d'une puissance

140 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

mystérieuse et surhumaine dans l'union des époux. Cette puissance, la véritable histoire de l'humanité nous la montre, à l'origine des temps, scellant par une solennelle bénédiction l'alliance du couple dont devaient naitre toutes les familles et toutes les sociétés. étiez-vous, pouvoirs publics, lorsque Dieu instituait le mariage et lui donnait le sceau de sa souve- raine puissance? En en déterminant lui-même l'essence et les propriétés fondamentales, il a voulu vous signifier que l'union intime, qui devait figurer les noces de son verbe, et que la multiplication de la race, qui devait peupler son ciel d'élus, étaient choses qui le regardaient et auxquelles vous n'avez rien à voir. La famille vous précède, constituée, uni- fiée, affermie par Dieu, avant que les hommes aient songé à vous délivrer le mandat de gou- verner la chose publique, afin de vous ap- prendre que le mariage en tant qu'il est union, n'a pas besoin de votre concours; que son essence est impénétrable et inviolable; qu'aucune puissance humaine ne peut empê- cher les volontés de l'homme et de la femme de se joindre à la puissance divine, pour former le

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 141

lien conjugal; et que, ce lien une fois fait, au- cune puissance humaine ne peut le saisir dans les griffes de sa législation.

Il suit de là, Messieurs, que le mariage, en dehors de Tordre chrétien, est ce qu'il peut être, quant à son essence et à ses propriétés fondamentales ; ce que nous n'avons pas à exa- miner ici : il nous suffit de savoir que, soumis à la loi de nature et à la loi de Dieu -, il est indé- pendant de toute loi civile.

L'incompétence du pouvoir séculier est plus manifeste encore, si nous entrons dans Tordre chrétien, parce que nous nous trouvons en face d'une chose sacrée, qui ne peut relever d'au- cune juridiction profane. Le mariage est un sacrement. Ce sacrement est depuis longtemps le tourment des juristes, dont l'ambition ja- louse ne peut souffrir auprès du pouvoir public aucun pouvoir indépendant, même quand c'est Dieu qui Ta constitué. Leur tendance à la sécularisation des choses religieuses, dans la question qui nous occupe présentement, a été encouragée par certains théologiens de mauvais aloi, pour lesquels le contrat et le sacrement sont dans le mariage deux choses distinctes :

142 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

le sacrement, condition surnaturelle, s'ajou- tant au contrat comme à une chose achevée et parfaite dans son genre.

Quand il en serait ainsi, Messieurs, la par- tie ne serait pas gagnée pour la puissance séculière, puisque que nous lui avons prouvé que le contrat matrimonial diffère, comme le ciel de la terre, des autres contrats sur lesquels elle légifère. D'autre part, si elle avoue, avec quelques-uns de ses juristes, que le contrat conditionné par les lois humaines peut deve- nir la matière d'un sacrement1, nous lui répon- drons que la matière d'un sacrement est une chose sacrée, dont un pouvoir sacré peut seul déterminer les conditions.

Mais nous n'avons pas de concessions à faire sur ce point. La séparabilité du contrat et du sacrement est une grave erreur, contre laquelle protestent la nature même du mariage, l'insti- tution divine et la constante doctrine del'Eglise. J'ai exprimé la crainte que cette erreur n'ait

1. C'est la théologie légale qu'on trouve dans Pothier (Contrat, de M av., t. I, chap. ni.) «Le contrat civil étanî la matière du sacrement de mariage, il ne peut y avoir u ^ sacrement de mariage lorsque le contrat civil est nul.

LA LEGISLATION DU MARIAGE 14,5

déteint sur l'opinion que vous vous faites du mariage chrétien. Il est temps de rectifier vos idées.

Impossible, Messieurs, de séparer dans la pratique deux choses qui sortent d'une seule et même cause, comme un seul et même effet. Or, tels sont dans le mariage le contrat et le sacrement. Les chrétiens qui s'unissent sont, ainsi que je vous l'ai enseigné dernièrement, investis par le baptême du pouvoir de faire et de donner une chose sacrée1. Leur mutuelle tradition, leur mutuelle acceptation se joignent et se perfectionnent comme la matière et la forme dans les autres sacrements, et à l'ins- tant même le lien conjugal est formé, la grâce jaillit, le sacrement est consommé. Il n'y a pas deux causes, mais une seule cause; deux actes, mais un seul acte, et, par la vertu de ce seul acte, le contrat et le sacrement sub- sistent comme une chose unique et indivisible. Dût-on accepter l'opinion de ceux qui dé- pouillent les contractants de leur pouvoir mi-

i. Cf. Quatrc-vinert-cinquième conférence : La Sain- teté du Mariage, '2* partie.

144 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

nistériel au profit du prêtre chargé par l'Eglise de bénir et de ratifier leur union, les choses ne se divisent pas. On ne peut pas plus séparer le contrat du sacrement qu'on ne peut séparer les contrats civils des formalités légales dont dépend leur validité. Le contrat, matière im- puissante et informe, est incapable d'opérer une conjonction et de former un lien, s'il n'est saisi par les paroles sacrées qui le sanctifient. Il ne peut être, par lui-même, que l'élément in- complet d'une action indivisible, et il s'identifie avec le sacrement dans cette seule et unique chose qu'on appelle le mariage chrétien.

C'est ce qu'a voulu le Christ, lorsqu'il a sanctifié par la grâce ce que Dieu avait béni à l'origine des temps. Le signe efficace de cette grâce n'est point un nouveau rite qu'il invente et qu'il ajoute au contrat matrimonial, c'est ce contrat lui-même élevé à la dignité de sacre- ment, et tellement ferme, dans cette surnatu- relle dignité, qu'aucune force humaine ne lepeut plus rompre : « Quod Deus conjunxit homo non separet. » Aussi l'apôtre saint Paul, ex- pliquant ce mystère, ne dit-il pas : « L'homme et la femme s'uniront par l'échange de leurs

LA LEGISLATION DU MARIAGE 145

consentements, et après cela ils seront sanc- tifiés par un grand sacrement », mais bien : « L'homme quittera son père et sa mère et se liera à son épouse et ils seront deux dans une ^eule chair : Voilà qui est un grand sacre- ment : Sacramentum hoc magnum est. . . »

Qu'on explore toute la tradition, on n'y trouvera pas la plus petite trace de la distinc- tion imaginée par les canonistes et les théolo- giens de cour, pour le service des juristes qui flattent les ambitions de la puissance séculière. Dépositaire d'un enseignement qui n'a jamais varié, l'Église l'a condensé en ces quelques mots: (cmatrimonium est sacramentum; le ma- riage est un sacrement. » Je vous ai expliqué, Messieurs, le sens de cette brève et significa- tive affirmation. Elle veut dire, non pas qu'il y a un sacrement au-dessus du contrat ou mêlé au contrat, mais que le sacrement est le contrat lui-même : le contrat investi par Dieu du pou- voir de produire la grâce, à l'instar de tous les signes sensibles dont il a fait des instruments de sa puissance, comme auteur surnaturel.

Du reste, l'Église s'est expliquée clairement par la bouche des souverains Pontifes, chaque

CARÊME 1887. 10

146 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

fois qu'elle a eu à se prononcer sur la doctrine delà séparation. « Aucun catholique, dit-elle, n'ignore, ni ne peut ignorer, que le mariage est, vraiment et proprement, un des sept sacre- ments de la loi évangélique institués par le Christ, et qu'il ne peut y avoir de mariage entre les fidèles, sans qu'aussitôt, et du môme coup, il y ait un sacrement1 » et ailleurs : « Elle est donc fausse et condamnable la doctrine qui prétend que le sacrement de mariage n'est qu'un accessoire du contrat, qu'on peut l'en séparer, et qu'il consiste simplement dans la bénédiction nuptiale1. »

i. Cum nemo e catholicis ignorât, aut ignorare pos- ait, iiiatriraonium esse vere et proprie unum ex septem evangelicae legis sacramentis a Christo Domino institu- tum, ac prnptcrca inter fidèles matrimonium dari non posse, quin uno eoderaque tempore sit sacramentum. (Allocut. Pii IX ad Patres Cardinales die 27 sept. 1852.)

2. Plura de matrimonio falsa asseruntur : Nulla ra- tione fieri posse Christum erexisse matrimonium ad dignitatem sacramenti : matrimonii sacramentum non esse nisi quid contractui accessorium, ab eoque separa- bile , ipsumque sacramentum in una tantum nupiiali benedictione situm esse (PiusIX, In Damnât, etprohib. operis Joan. Nepom. Nuytz profess. Taurinensis oui titulus : Juris Ecclesias'.ici institutiones. J. JSf Nuytz, eto.)

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 14"

Les juristes ont donc beau tirer ou peser sur le mariage chrétien, ils n'en arracheront pas le contrat pour en faire la chose de la puis sance séculière; ils n'en exprimeront pas la grâce du sacrement pour le réduire à la con- dition d'une convention purement civile. Fina- lement, entre le contrat et le sacrement, il y a plus qu'une juxtaposition, plus qu'une sou- dure, plus qu'une pénétration, il y a identité : la cause du contrat étant la cause du sacre- ment; l'obligation, le lien formé par le contrat étant ce qui reste du sacrement, ce que la théologie appelle la chose même du sacrement : res ipsa, sacramenti . »

Et maintenant, Messieurs, écoutez les con- clusions de cette doctrine d'inséparabiJité et d'identité ; elles sont graves et méritent d'être retenues :

Le mariage chrétien est une chose sacrée : donc, son essence et ses propriétés fondamen- tales ne peuvent être soumises au pouvoir législatif d'une autorité purement humaine;

1. Hujus procul dubio sacramenti res est ut mas ef fœminaconnubiocopulati,quandiuvivunt,inseparabilitei persévèrent. (S. Aug., Lib. De nuptiis, cap. x, li.

148 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

donc, la puissance séculière ferait de vains efforts pour empêcher des chrétiens de s'unir, elle n'empêcherait rien ; donc, elle aurait beau leur dire : Je vous unis, au fond de leur conscience, elle n'unirait rien; donc, elle essaie- rait en vain de briser le lien sacré qui les en- chaîne après qu'ils se sont unis, elle ne brise- rait rien ; donc, les sentences qu'elle pronon- cerait, dans les causes intéressant l'essence et les propriétés du mariage, ne décideraient rien; donc, s'il se rencontrait des fidèles assez oublieux de leur baptême pour se contenter des interdictions, de l'agrément et des juge- ments de la puissance séculière, dans la sainte cause du mariage, de quelque considération qu'ils jouissent auprès des hommes, ils n'é- chapperaient pas à l'opprobre de s'entendre appeler au tribunal de Dieu : fornicateurs et adultères1.

N'exagérez pas ces conclusions, Messieurs. Je suis loin de vouloir évincer le pouvoir

1. Quamlibet aliam inter Christianos viri et mulicris, praetersacramentum, conjunctionem, cujuscumque etiam civilis legisvi factam, nihil aliud esse, nisi turpem atque rxitialem concubinatum. (Allocut. Pie IX. sup.cit.)

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 149

public, et de lui interdire tout acte d'autorité relatif au mariage. Il a des devoirs à remplir et des droits à exercer à l'égard de cette véné- rable institution.

« Ceux qui gouvernent, dit saint Augustin, ne peuvent servir le Seigneur qu'en défendant et en châtiant avec une religieuse sévérité, tout ce qui se fait contre sa loi1. » Un pouvoir public qui comprend sa haute mission, ne doit jamais perdre de vue le droit naturel et le droit divin, afin d'y accorder sa législation. Toutes les institutions respectables, le mariage entre autres, ne peuvent que gagnera cet accord.

Toutefois, ce noble service de la puissance séculière, à l'endroit du droit naturel et divin, ne l'empêche pas de faire valoir ses droits sur le mariage, et l'on ne peut nier qu'elle en ait. Saint Thomas les constate avec sa précision ordinaire « Le mariage, dit-il, en tant qu'il est une fonction de la nature, relève du droit naturel; en tant qu'il crée une communauté, il

1. Quomodo ergo, reges Domino serviunt in timoré, nîsi ea quse contra jussa Domini fiunt, religiosa seve- ritate prohibendo atque plectendo. (Epist. clxxxv, ad Bonifac, c. x, 7.)

150 LA LÉGISLATION DU xMARIAGE

est régi par la loi civile; en tant qu'il est une chose sacrée, il appartient au droit divin1. 0 C'est du côté de la nature et du sacrement que nous avons rencontré l'essence, les propriétés intrinsèques et le lien du mariage ; nous avons mis toutes ces choses à l'abri des atteintes du pouvoir civil. Mais la communauté conjugale entrant dans la société civile, elle peut être un élément de trouble ou de prospérité, il est impossible de la soustraire à l'autorité de ceux qui ont la mission de pourvoir à Tordre public, au bien public.

Et d'abord, il importe de constater son exis- tence, et, par conséquent, de recevoir la décla- ration de l'acte qui la constitue. Il importe, en outre, de régler les effets civils dépendant de cet acte et des relations qu'il crée.

Pour prévenir la décadence et l'épuisement des forces physiques d'une nation, pour éviter les troubles de familles, les scandales et les

1. Matriinonium, in quantum est in officium naturss, statuitur lege naturaî, in quantum est in officium com- munitatis, statuitur letre civili; in quantum est sacra- mentum statuitur jure divino. (In IV. Sent. Dist. 34, a. 2, q , I, ad. 4. Cf. Lib. IV, Contra génies, cap. lxxviii.

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 151

funestes conséquences des unions capricieuses et immorales, pour assurer le fonctionnement des services publics dont dépend la sécurité et le salut d'un peuple, il peut être nécessaire do créer des habiletés ou inhabiletés résultant de certaines conditions d'âge, d'étatou de consente- ment. De là, des questions d'authenticité légale, de dot, d'hérédité, de successions, de tutelle, d'admission aux fonctions publiques, de légi- timité ou d'illégitimité civile, qui peuvent être l'objet d'une législation tracassière, vexatoire, injuste, tyrannique, impie, mais aussi d'une législation raisonnable et salutaire. Or, à cette législation raisonnable et salutaire, le chrétien doit se soumettre en conscience. Il en encourre, à ses risques et périls, toutes les pénalités, dès que, sciemment et volontairement, au mépris de la loi, il contracte un engagement sacré, sur lequel le pouvoir civil n'a pas de prise et qu'il ne peut invalider1.

1. Autrefois, en France, les mariages des fils de fa- mille, contractés sans le consentement des parents, étaient nuls quant à leurs effets civils : c'est-à-dire que les contractants pouvaient être déshérités , que les parents pouvaient les forcer légalement à resti-

152 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

Toutefois, Messieurs, vous remarquerez que, dans la sphère s'exercera l'autorité législative de la puissance séculière, il ne peut être question que de la condition civile et des effets civils du mariage. Le pouvoir civil légi- fère, non pas sur le mariage lui-même, mais autour du mariage; non pas sur l'essentiel et le principal du mariage, mais sur ses acces- soires. L'essence, les propriétés intrinsèques, le lien du mariage, transformé et grandi par le Christ, sont choses sacrées qui ne relèvent que d'une autorité sacrée.

Cette autorité, vous l'avez nommée, Mes-

tuer les dons qui leur avaient été faits avant le ma- riage. Ceux qui les avaient assistés dans ce mariage étaient punis au gré du juge, il y allait de la vie du no- taire et des témoins. « Après la dissolution de ces maria- ges, dit d'Héricourt {Des Lois ecclès., III part., chap. v, Du mariage, § 76), les veuves n'ont ni douaires, ni re- prises, ni aucunes autres conventions matrimoniales; et les enfants, qui sont nés de ce mariage ou qui ont été légitimés par leur moyen, sont traités comme illégitimes par rapport aux successions, t

Aujourd'hui sont considérées comme illégitimes, au point de vue civil, les unions des enfants faites sans le consentement de leurs parents , des militaires sans le consentement de leurs; chefs, et les unions de peux qui n'ont pas encore atteint l'âge prescrit par la loi.

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 153

sieurs, c'est l'Église1. La puissance séculière a voulu l'évincer, c'est pour cela qu'elle a ima- giné la doctrine delà séparabilité du contrat et du sacrement. Cette ingénieuse trouvaille lui a donné de l'audace; quand on prend des droits on n'en saurait trop prendre. S étant emparé du contrat, le pouvoir civil a voulu en être le maître absolu. Ses théologiens à gage n'ont pas craint de définir le singulier dogme de la dépendance de l'Église à l'égard de l'État, dans toutes les causes matrimoniales. Cet échaffaudage d'ambitieuses affirmations s'écroule sous les coups des démonstrations que vous vejiez d'entendre. Nous restons en présence d'une chose sacrée, par conséquent,

»en présence de l'unique pouvoir de l'Église. C'est Jésus-Christ lui-même qui l'a investie de ce pouvoir, car il n'a point séparé le mariage

1. A conjugali fœdere sacramentum separi nunquam posse, ot omnino spectarc ad Ecclesiae potestatem ea omnia decernere, quaj ad idem matrimonium quovis modo possunt pertinere. (Allocut. Pic IX, sup. cit.)

Cum matrimonium sit sua vi, sua natura, sua sponte sacrum, consentaneum est, utregaturac temperetur, non principum imperio, sed divina auctoritate Ecclesiae, quac rerum sacrarum sola habet magislerium. (Léo XIII Encyclic : Arcanum divinœ sapientiœ.

154 LA. LÉGISLATION DU MARIAGE

des autres sacrements dont il lui a confié la dispensation. Tous les mystères divins doivent passer entre ses mains : elle y représente le Christ lui-même: « Sic nos existimet homo ut ministres Christi et dispensatores mysteric- rum Dei1.

Si son ministère n'est point immédiat dans le mariage, comme dans les autres sacrements, il est certain que les contractants qui opèrent lui appartiennent parle baptême, et sontsoumis à son autorité souveraine. En les tenant, elle tient le sacrement tout entier ; rien ne peut s'y faire que selon sa loi. Elle lie, elle délie les volontés contractantes. Leurs consentements ne peuvent s'unir, si elle les en empêche ; il n'y a plus d'entraves dès qu'elle a dit : parlez. le lien est douteux, elle seule a le droit de prononcer sur sa valeur. Si elle décide que tout est bien fait, il faut rester unis. On est libre quand elle a dit : c'est mal fait. Sa péné- trante autorité peut aller jusqu'à la racine même de l'union conjugale, guérir le vice canonique d'un consentement, et lui rendre

I. I Cor., cap iv, i.

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 155

toute son efficacité. Le lien sacré que ne peu- vent rompre ni la rétractation de l'acte qui l'a formé, ni les sentences de la justice humaine, elle peut le rompre, elle, pour la plus grande gloire de Dieu, ou pour le bien de la société chrétienne, quand il n'a pas encore été défini- tivement affermi par l'union charnelle des époux. Et, lorsqu'elle ne peut plus rien sur la substance même de l'obligation contractée, elle trouve encore le moyen d'en adoucir les rigueurs pour les malheureux, en suspendant, par la séparation, l'exercice des droits et l'ac- complissement des devoirs qui leur sont deve- nus un intolérable fardeau. Vous le voyez, Messieurs, au lieu que les législations pure- ment humaines ne peuvent que s'agiter autour du mariage, la législation de l'Église pénètre jusqu'à son essence même; parce que le ma- riage est une chose sacrée, et qu'elle seule au monde possède un pouvoir sacré.

Ce pouvoir, elle l'a exercé, avec une suprême indépendance, dans les sociétés chrétiennes qui se formaient sous l'œil jaloux des puis- sances païennes; elle l'a maintenu à rencon- tre de toutes contradictions ; elle l'a défini dans

156 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

des actes solennels dont je n'ai pas le temps ie vous exposer la teneur1. Faites-moi grâce des citations. J'ai assez prouvé, ce me semble, que la législation intime du mariage appartient à l'Église. J'ai hâte de vous dire avec quelle

4. Aux deux définitions que nous avons données plus haut sur le pouvoir général de l'Eglise relativement au mariage, nous ajoutons les suivantes :

Les Canons du Concile de Trente (sess. XXIV).

Can. III. Si quis dixerit eos tantum consanguinitatis et affinitatis gradus, qui Levitico exprimuntur, posse impedire matrimonium contrahendum et derimere con- tracium; nec posse Ecclesiam in nonnullis illorum dis- pensai, aut constituere ut plures impediant et dirimant ; anathema sit.

Can. IV. Si quis dixerit Ecclesiam non potuisse cons- tituere impedimenta matrimonium dirimentia, vel in iis constituendis errasse; anathema sit.

Can. VI. Si quis dixerit matrimonium ratHm, non consummatum, per solemnem religionis professionem alterius conjugum non derimi; anathema sit.

Can. VIII. Si quis dixerit Ecclesiam errare, cum ob multas causas separationem inter conjuges, quoad tho- rum seu quoad cohabitationem, ad certum incertumque tempus fieri posse decernit; anathema sit.

Can. XII. Si quis dixerit causas matrimoniales non spectare ad judices ecclesiasticos ; anathema sit.

Les contradictoires des propositions condamnées par le Syllabus.

Piôô LXVIII. Ecclesia non habet potestatem impedi- menta matrimonium dirimentia inducere, sed ea potes-

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 157

sagesse et quelle force l'Église procède dans sa législation matrimoniale.

II

Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que j'entre dans les détails de la législation matri-

tas civili auctoritati compctit, a qua impedimenta exis- tentia tollenda sunt. (Litt. apost. Multipliées inter, lOjunii 1851.)

Prôo LXIX. Ecclesia sequioribus saeculis dirimentia impedimenta inducere cœpit, non juro proprio, sed illo jure usa. quort a civili potestate mutuata erat. (Litt Ad apostolicœ, 22 august 1851.)

PiÔÔ LXX. Tridentini Canones qui anathematis een- euram illis inferunt qui facultatem impedimenta diri- mentia inducendi Ecclesia3 negare audeant, vel non sunt dogmatici, vel de hac mutuata potestate intelligendi sunt. (Litt. apost. Ad Apostolicœ, 22 august 1851.)

Prôô LXXÎ. Tridentini forma sub infirmitatis pœnanon obligat, ubi lex civilis aliam formam prcestituat, et vclit hac nova forma interveniente matrimonium valere. [Ibid.)

Prôô LXX1V. Causse matrimoniales et sponsalio suapte natura ad forum civile pertinent. (Ibid , Alloc. Acerbissimum, 27 sept. 1852 )

Quant au pouvoir du Souverain Pontife pour la disso- lution du mariage ratifié et non consommé, il n'est point défini autrement que par la pratique du Saint-^iège. Noue renvoyons à l'Index pour cette question.

158 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

moniale de l'Église, ni que j'en fasse des appli- cations pratiques. Cette étude appartient au droit canon et à la casuistique. Elle est longue, aride, compliquée, nécessaire à ceux qui doi- vent gouverner les consciences ; vous n'en avez pas besoin. Il suffit, pour accroître en vos âmes chrétiennes le respect du pouvoir sacré dont l'Eglise est investie, de vous montrer qu'à la manière des législateurs vraiment dignes de ce nom elle sait unir la sagesse et la force, dans les mesures préventives, miséricor- dieuses et vindicatives qu'elle prend, pour pro- téger et affermir la vénérable institution du mariage.

On y peut fixer sa vie, mais on n'y entre pas comme on veut. Il y a, sur le chemin, toute une suite de barrières qu'on ne peut franchir sans examen et sans congé. On les appelle empêchements.

Les esprits superficiels ou malveillants ne voient, dans ces empêchements, qu'une sorte d'octroi dont l'Eglise profite pour remonter ses finances. La multiplication formidable de lois fiscales, dont ils pâtissent dans la vie civile, leur persuade, sans doute, qu'on ne

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 159

peut guère avoir un pouvoir, même spirituel, sans chercher à en faire de l'argent. Sot pré- jugé, contre lequel il est inutile d'argumenter; vous êtes trop raisonnables pour n'en pas faire promptejustice. Vos esprits sérieux cherchent, dans les mesures que prend la plus respec- table des autorités, les hautes raisons qui la déterminent à user de son pouvoir législatif; et, dans la compagnie de tous les graves pen- seurs, vous croyez qu'on ne légifère pas à la légère, ni pour des motifs de bas étage, sur une chose sacrée, et que les empêchements de mariage doivent avoir leur philosophie.

Vous avez raison, Messieurs, l'Eglise n'a multiplié les mesures préventives de sa légis- lation matrimoniale que dans l'intérêt de ceux qui s'épousent, de la famille et de la société. Aux empêchements qui s'imposent par la force du droit naturel, elle a ajouté ceux qu'elle croyait nécessaires pour assurer la paix et la sainteté de l'union conjugale, en même temps que sa liberté et ses fins â.

Le mariage étant, de tous les engagements

i, Pour aider la mémoire, bien plus que pour la satis-

160 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

que l'homme contracte avec son semblable, le plus relevé, le plus délicat, le plus intime, le plus irrévocable, la nature veut que la volonté y soit complètement libre. La démence ou l'im- bécillité qui l'enveloppent de ténèbres, l'erreur qui égare son choix, la violence et le rapt qui faussent et contraignent ses résolutions, sont autant d'obstacles qu'il est impossible de fran- chir, pour aboutira l'union des consentements et à la formation du lien conjugal. L'Eglise ne les crée pas, elle se contente de les signaler. Mais sa sagesse, profondément respectueuse de la liberté, va plus loin; elle écarte du ma- riage la condition servi le qui met l'homme en puissance d'un autre homme. Il ne lui suffit pas que ceux qui s'épousent se donnent lun à l'autre, il faut encore qu'ils se possèdent librement, et qu'une volonté étrangère ne puisse pas s'opposer tyranniquement à l'exercice d(

faction du goût littéraire, les quinze empêchements diri mants sont énumérés dans les vers suivants : « Error, conditio, votum, cognatio, crimen, Cultus disparitas, vis, ordo, ligamen, honestas, AmenSy affînis, si clandestinus et impos, Si mulier sit rapfa, loco nec reddita tuto. •»

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 10]

leurs droits respectifs. C'est grâce à cette sage disposition de sa loi que l'Eglise a obtenu, des maîtres chrétiens, la plupart des affranchisse- ments qui ont détruit, petit à petit, l'escla- vage et créé nos sociétés libres dans lesquelles l'empêchement de condition n'a plus raison d'être.

La liberté du mariage assurée, il faut qu'il puisse atteindre sa fin humanitaire et sociale : la propagation de l'espèce humaine et la fusion des familles dans cette grande société qu'on appelle un peuple. A cet effet, Messieurs, après avoir interdit le mariage aux infortunés dont la nature est incomplète, ou chez lesquels l'énergie créatrice est endormie, l'Eglise en éloigne encore ceux que la parenté unit de trop près. Elle sait, aussi bien que les physio- logistes, que deux sangs trop rapprochés de leur source sont difficilement féconds, que leur ressemblance les prédispose à l'hérédité pathologique, c'est-à-dire à la funeste trans- mission des infirmités et des maladies qui affli- gent une famille; que, semblables aux deux pôles de l'électricité, deux sangs qui viennent de loin se combinent plus aisément, et font

CARÊME 18S7. 11

16*2 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

jaillir plus vigoureusement l'étincelle de la vie; et, qu'en définitive, l'homme ne doit pas avoir moins de sollicitude pour la santé et la beauté de sa noble race, qu'il n'en a pour la santé et la beauté des races animales dont il se nourrit et dont il emprunte les services. Elle interdit donc, non seulement les unions incestueuses auxquelles la nature répugne comme à une monstruosité, mais elle pousse ses prohibitions jusqu'aux degrés inférieurs de la parenté elle aperçoit un danger : ne serait-ce que celui de trop concentrer leL familles en elles-mêmes, de créer dans la société des sortes de castes les affections restent endiguées, et les biens s'entassent pendant que la vie s'appauvrit. La prévoyante sagesse de l'Eglise, selon la belle pensée de saint Thomas, veut que le mariage, poursui- vant ses fins à l'extrême, puisse atteindre ces deux grands biens sociaux : la confédération des hommes et la multiplication des amitiés. C'est dans ce dessein qu'elle étend ses inter- dictions de la consanguinité à l'affinité, afin que l'unité sociale résulte de la double diffu- sion de la vie et de l'amour.

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 1 63

A ces garanties du dehors s'ajoutent les garanties de sécurité et paix domestique, qui permettent aux époux de vivre l'un auprès de l'autre, sans crainte et sans trouble. L'Eglise ne veut pas que l'homme et la femme puis- sent profiter d'un crime, pour s'unir au com- plice de leur passion. En fermant les portes de la société conjugale à l'homicide et à l'adultère, elle leur enlève tout espoir d'abou- tir à leurs fins scélérates, et étouffe, en leur germe, maintes entreprises hardies qui com- promettraient la sécurité du foyer domestique. Mais son plus grand souci, c'est la paix des âmes. Arrière, celles qui, rapprochées par un même amour, ne s'unissent pas dans une même foi. L'amour si chaud des premiers jours s'attiédit avec le temps, et la disparité des cultes, un instant oubliée, peut, avec ses désirs, ses exigences, ses susceptibilités, devenir une source d'interminables discus- sions , d'amers reproches et, peut-être , de haines incurables. Le foyer chrétien est un sanctuaire doit régner avant tout la paix religieuse; pour cela, il faut qu'il ny ait qu'une seule foi, un seul Dieu, un seul au-

164 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

tel, un seul culte, comme il n'y a qu'un seul baptême.

Ne l'oublions pas, Messieurs, le mariage est saint, et déjà l'Eglise veille à sa sainteté, en même temps qu'à sa paix, en proscrivant la disparité de culte. Mais plus sévères et plus pures sont ses exigences, à l'endroit de cette propriété caractéristique du mariage chrétien. Il cesserait d'être saint et deviendrait sacri- lège, s'il pouvait se faire au détriment d'un droit acquis par Dieu. Aussi l'Eglise estime- t-elle que le caractère sacerdotal et les vœux ' solennels de religion sont, de la part de l'homme des donations, de la part de Dieu des prises de possession qui ne permettent pas d'autres engagements.

Plus que cela, Messieurs; l'Eglise ne souf- fre pas que les droits acquis de l'homme soient violés. Non seulement, elle arrête aux portes du sacrement ceux qui voudraient se marier une seconde fois, avant que le lien qui les en- chaîne soit rompu par la mort, mais encore ceux qui ont engagé leur parole d'honneur dans de solennelles fiançailles, et qui oseraient braver l'honnêteté publique par une sorte de

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parjure. Elle est jalouse à ce point de la sain- teté du mariage, qu'elle ne veut pas que l'union de ses enfants puisse être soupçonnée de quel- que infamie, ni qu'on puisse abuser du secret pour surprendre leur bonne foi, et leur arracher des consentements dont ils auraient à rougir. Pour cela, elle les oblige, sous peine de ne pro- duire que des consentements impuissants, à sortir des ombres de la clandestinité, et à ve- nir au grand jour, pour prononcer devant elle leurs serments, et recevoir ses bénédictions.

Messieurs, qu'on accuse tant qu'on voudra l'Eglise de gêner ceux qui se marient par ses empêchements, il n'en est pas moins vrai, vous venez de le voir, que toute sa législation est faite dans l'intérêt de la liberté, de la mul- tiplication et de la santé des générations hu- maines, de l'unité sociale, de la sécurité et de la paix du foyer domestique, de la pureté de la foi, des droits de Dieu, des droits de l'homme, de l'honneur et de la bonne renom- mée du mariage lui-même. S'il plaît à l'Eglise de tempérer, autant qu'elle le peut, les ri- gueurs de sa légistation, elle a bien le droit d'exiger des compensations. C'est plus que de

10b LA LÉGISLATION DU MARIAGE

la mauvaise grâce et de l'humeur, c'est de la sottise, de l'ingratitude et de l'injustice, de profiter des dispenses que sa miséricordieuse bonté accorde à notre faiblesse et à nos be- soins, en accusant sa sagesse.

La sagesse de l'Eglise, avec toutes ses me- sures préventives, n'aurait pourtant pas sauvé le mariage des attentats de la passion, depuis dix-huit siècles appliquée à le dépraver, si elle n'eut mis toute sa force au service de sa lé- gislation. Vous l'avez entendue protester, à haute voix, contre les lois funestes par les- quelles les empereurs s'efforçaient de pro- longer les immorales libertés du paganisme, et proclamer que les décrets des Césars sont frappés d'impuissance par les décrets de Dieu. Sa courageuse résistance a fait fléchir, autour d'elle, les codes et les coutumes qui contra- riaient ses saintes lois; et elle est parvenue à fondre dans son droit le droit matrimonial des peuples qui recevaient son baptême.

Mais, après avoir triomphé de l'opposition des lois, il a fallu lutter contre la licence des grands. Pour eux, la parenté et les engage- ments pris ne comptaient plus, dos qu'il s'agis-

LA LÉGISLATION DU MARIAGE 167

sait de servir un intérêt ou de satisfaire une passion. Publiquement incestueux et adultères, ils eussent promptement ramené le monde chrétien aux mœurs licencieuses qui déshono- raient avant eux le mariage, si l'Eglise ne leur eût crié comme Jean-Baptiste à Hérode : « Non licet ! » et si elle n'eût écrasé, sous la foudre de ses censures, leur orgueilleuse prétention de se mettre au-dessus des lois.

Rien que chez nous, Messieurs, que de rois et de princes l'Église a avertir solennelle- ment et frapper impitoyablement, quand ils se révoltaient contre ses admonestations mater- nelles : Théodebert petit fils de Clovis, Clo- taire 1er, Câribert, Dagobert, Childénc d'Aus- trasie, Pépin d'Héristal, Charlemagne lui- même, Lothaire, Robert le Pieux, Philippe Ier, Louis VII, Philippe-Auguste, et combien de princes et de seigneurs de moindre impor- tance! Non seulement chez nous, mais tout autour de nous, l'Église a faire la guerre à linceste et au divorce couronnés. Excommu- nier les coupables, braver leur colère, jeter l'interdit sur leur royaume, fermer les temples et les cimetières, délier les peuples de leur

168 LA LÉGISLATION DU MARIAGE

serment de fidélité, provoquer leurs murmures et faire couler leurs larmes, rien ne lui coûtait pour vaincre le scandale. Dans ces combats du droit divin contre les passions humaines, bon nombre d'évêques ont sacrifié leur vie, et l'Église elle-même a mieux aimé se laisser déchirer le sein et couper les membres que de compromettre, par des concessions, la sainte cause du mariage. Les plaisantins ont ri de ses excommunications, et les sages du monde ont crié au scandale ! Singuliers scandales que ces actes répétés de vigueur spirituelle, qui châtiaient l'inceste et l'adultère, et les étouf- faient avant qu'ils ne devinssent contagieux. Sans le courage et la force que l'Église a déployés, pour maintenir sa législation matri- moniale, la licence des monarques eût été bientôt imitée par leur cour; de la cour elle eut passé au peuple, et les mœurs publiques des nations chrétiennes, semblables à celles de l'an- tiquité, n'offriraient plus aujourd'hui à nos regards que le répugnant spectacle d'une uni- verselle putréfaction. Dieu sait quels châti- ments nous seraient réservés après une pareille apostasie !

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Car entendez-le bien, Messieurs, ce n'est pas impunément qu'on viole les saintes lois du ma- riage, Dieu est toujours prêt à les venger. On a vu s'éteindre des races souveraines, dans des rejetons dont le peuple avait salué la naissance avec enthousiasme ; et l'espérance trompée a cherché bien loin la cause de ces étouffements providentiels. Il n'y en avait peut-être pas d'autre que des unions contractées au mépris des lois de Dieu et de l'Église. Les peuples s'éteindront, comme les familles, le jour ils ne respecteront plus ces lois, le jour l'Église n'aura plus la force de faire compren- dre à leur cœur corrompu cette sainte devise de l'Apôtre, en laquelle se résume toute sa législation matrimoniale : « Que le mariage soit plein d'honneur et le lit nuptial immaculé : Hnnombile connubium, et thorus immacu- isLtus. ;>

Q U A 1 R E-V I W G T-IM E U V I Ê IV! E CONFÉRENCE

LES PROFANATIONS DU MARIAGE

QUATRE-VINGT-NEUVIEME CONFÉRENCE

LES PROFANATIONS DU MARIAGE

Monseigneur», Messieur8,

Les conclusions de notre précédente confé- rence renversent les calculs de ceux qui comp- tent sur le pouvoir civil pour réformer la loi d'indissolubilité. Le pouvoir civil ne peut abso- lument rien, car il s'agit, non pas d'un effet civil, mais bien d'une propriété essentielle du mariage. Dans cet ordre, il n'y a que l'Eglise, investie d'un pouvoir divin, qui ait le droit de légiférer. Or, l'Eglise, en vertu de sa suprême magistrature, ne peut que se prononcer prati- quement sur la valeur du lien conjugal. S'il est bien fait, elle n'a ni mandat, ni commission de Dieu pour le défaire; et ceux qui se plai-

1. Monseigneur Richard, archevêque de Paria.

174 LES PROFANATIONS DU MARIAGR

gnent de ses rigueurs n'ont pas d'autre ré- ponse à attendre que ces paroles du Sauveur : « Ceux que Dieu a unis, l'homme ne les sépare pas : Quod Deus conjunxit homo non sépa- re^. »

Messieurs, je n'ai pas oublié ces plaignants, au nom desquels les adversaires de la loi divine nous ont importunés. C'est à dessein que je les fais comparaître de nouveau en votre présence, car je veux vous prouver, aujour- d'hui, que le plus grand nombre d'entre eux ne souffrent de la loi que parce qu'ils l'ont outragée, et qu'ils en ont fait eux-mêmes le châ- timent d'une profanation.

Le mariage, selon sa destination primitive, devait être une noble et heureuse union, mais là, comme dans toute chose, le péché a mis du sien. Saint Paul, qui l'appelle un sublime mys- tère, ne manque pas de nous dire qu'il faut s'at- tendre à y rencontrer des tribulations : « Tri- bulationem habebunt*. » Les imperfections et les vices de notre nature déchue peuvent rendre ces tribulations si nombreuses et si

1. I Cor., cap. vu, 28.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 175

fortes que Ton serait fou de les affronter, sous un joug indissoluble, si Dieu n'avait pas pré- paré à ceux qui se marient des compensations, en trois grands biens que la théologie appelle : Proies, fides, sacramentum.

« Proies : » c'est-à-dire, l'honneur et le bon- heur de revivre dans ses enfants, d'enrichir le monde d'êtres nouveaux, et de préparer pour le ciel une race d'élus.

« Fides : » c'est-à-dire les douceurs, les con- solations d'une intimité fidèle, l'on se ré- fugie pour rendre ses joies plus vives, ou pour parer aux coups de la mauvaise fortune.

« Sacramentum : » c'est-à-dire la grâce du sacrement qui affermit le lien conjugal, guérit les infirmités ou répare les sottises de la nature.

« Il ne faut rien moins que ces trois grands biens, dit saint Thomas, pour excuser le mariage et le rendre honnête : Hœc sunt bona quœ matrimonium excusant et honestum reddunt*. »

Or, Messieurs, quels sont ceux qui chcr-

1. Summ. Theol, suppl., quacst. 49, a. i.

176 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

chent avec candeur, sincérité et esprit de foi les trois grands biens du mariage ? Us sont rares. Et lorsqu'ils se sont trompés, lorsqu'ils souffrent, ils ne se plaignent pas, croyez-le bien, de ne pouvoir pas recommencer l'expé- rience d'une nouvelle déception. Quant à ceux qui demandent pour eux-mêmes ou pour qui l'on demande cette expérience, je prétends qu'ils ne méritent pas que la loi fléchisse de- vant leur malheur : car ils souffrent par leur faute, ils sont malheureux par leur faute, parce qu'ils ont tous quelque malhonnêteté à se reprocher à l'égard d'un des biens du ma- riage, peut-être à l'égard de tous à la fois.

C'est une étude à faire des unions contem- poraines. Elle sera plus utile et plus convain- cante que tous les arguments, pour répondre à ceux qui se mêlent de réformer le mariage, au lieu de mettre à leur place ceux qui le pro- fanent.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 177

La fécondité des êtres vivants est, dans la nature, l'accomplissement d'un précepte de Dieu et le fruit de sa bénédiction. < Croissez et multipliez-vous, » a dit le Seigneur : « Cres- cite, multiplicamini. » Et la vie s'est répandue clans tout l'univers dont elle est l'ornement et la gloire. Partout elle est absente, la nature est triste et désolée ; partout elle abonde, on reconnaît et l'on bénit la main paternelle de Dieu.

Mais, dans le petit monde de la famille hu- maine, plus que dans le grand monde, la fé- condité est une bénédiction. Dieu l'a promise à ceux qu'il aime. Il montrait à son vieux ser- viteur Abraham les astres du firmament qui devaient égaler en nombre les enfants de sa race1. Il a fait chanter par son prophète le bonheur de celui qui craint le Seigneur. « Tout

t. Eduxitque eum foras, et ait illi : Suspice cœ4um, et mimera stellas, si potes. Et dixit ei : Sic erit semcn tuum. (Gen., cap. xv, 5°.)

CARÊME 1887. -- 12

178 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

prospère entre ses mains laborieuses. Son épouse se tient à ses côtés, comme la vigne fertile aux parois de sa demeure, et ses nom- breux enfants entourent sa table, joyeux et pleins d'espoir, comme les jeunes pousses de l'olivier. Il verra les enfants de ses enfants : C'est ainsi que Dieu bénit : Ecce sic benedice- turhomo1. » Oui, Messieurs, c'est ainsi que Dieu bénit; et quand il veut maudire, il tarit la sève humaine : « Que les enfants du pécheur périssent, dit-il, et qu'en une génération son nom soit effacé : Fiant natiejus in interitum: in ger yratione una deleatur nomen cjus' . » Qu'il est beau le sourire de l'enfance! c'est comme un rayon de soleil au foyer, et plus il y a de sourires, plus le foyer resplendit. Mul- tipliez-vous, êtres charmants, remplissez de votre animation joyeuse et de vos cris la mai- son où vous êtes nés! Dieu aime à vous voir

1. Labores manuum tuarum quia manducabis : beatua es et bene tibi erit. Uxor tua sicut vitis abundans, in lateribus domus tuse. Filii tui sicut novellae olivarum, ïn circuitu mensœ tu»... —Et videas fîlios filiorum tuo- rnm... 'Ps.i'm. (W'.Wil.)

2. Psalm. CVIII.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE \79

et à vous entendre. Providence des petits oi- seaux et des lis de la prairie, il veut être plus particulièrement le Dieu des nombreuses fa- milles. Il tient en réserve pour elles ses meil- leures bénédictions, et il leur donne je ne sais quels charmes provocants qui leur attirent la sympathie, la miséricorde et les largesses des cœurs bien faits. Là, il n'y a point de ces mornes silences qui attristent les foyers dé' serts ; là, le cœur des parents n'est point exposé à ces idolâtries niaises qu'on voit ram- per autour de Tunique enfant; le nombre ne partage pas l'amour, il le multiplie; là, point d'absences irréparables, ni de deuils qu'on ne peut consoler; la fleur que Dieu mois- sonnne laisse après elle des sœurs aimables qu'on aime davantage, comme pour se venger des trahisons de la mort; là, le travail, le dé- vouement, le sacrifice s'imposent et se perpé- tuent en glorieuses et saintes traditions ; là, il y a des élus pour peupler le ciel, des soldats pour servir le pays, des pionniers pour prendre possession du monde: l'empire de la terre appartient aux nombreuses familles: t< Crescite, muitipiicamini et replète terrain. »

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Un chrétien qui comprend cela, et qui sait entrer dans les desseins de Dieu, se prépare, avec un profond respect de lui-môme, L l'honneur de la paternité. Et, quand l'heure est venue pour lui d'ouvrir les sources de la vie, qu'il a possédées, selon le conseil de l'A- pôtre, dans l'honnêteté et la sainteté1, il dit à Dieu, comme le jeune Tobie : « Seigneur, vous savez que si je prends une épouse, ce n'est pas pour satisfaire une vile passion, mais par amour* des enfants qui doivent bénir votre nom dans les siècles des siècles2. » Et il se réjouit d'entendre tomber sur la tête de celle qu'il a prise pour compagne, cette bénédiction de l'Église : « Qu'elle soit féconde en enfants : SU fcecunda in sobole ! »

Malheureusement, Messieurs, dans la foule de ceux qui se marient, les vrais chrétiens sont rares aujourd'hui, et le premier bien du ma-

1. Ut sciât unusquisque vestrum vas suum possidere in sanctificatione et honore. (I Thess., cap iv, 4 )

2. Et nunc, Domine, tu scis quia non luxurisc causa accipio sororem meam conjugera , sed sola posteritatis dilectione, in qua benedicatur nomen tuum in saecula sseculorum. (Tob., cap. vm, 9.)

LES PROFANATIONS DU MARIAGE tSl

riagc court grandement le risque d'être pro- fané.

Il l'est déjà dans le sang et dans les entrailles de la jeunesse, longtemps avant qu'elle ait songé à fixer sa vie par l'union conjugale. Dès l'âge de dix-neuf ans, la plupart de nos jeunes gens n'ignorent rien des secrets de la débau- che. Ils ont rencontré la fille de perdition, dont parle l'Écriture, et « ils l'ont suivie comme le lâche bétail suit le bourreau qui le mène à l'abattoir : statim eam scquitur quasi bos ductus ad victimam et quasi agnus lasciviens ; peu soucieux, les insensés, des liens qui les garottent ; et ignorans quod ad vincula stultus trahitur1. » Au Heu de se cacher, ils se sont fait une gloire de leur esclavage ; et n'ayant point à redouter les mépris d'un monde libertin, qui pardonne facilement les péchés de jeunesse, ils se sont livrés aux plaisirs des sens jusqu'à corrompre, jusqu'à épuiser en eux les sources de la vie. Us ne s'inquiètent pas de l'avenir. Quand ils auront été rassasiés des voluptés d'une vie licencieuse, ils sont sûrs de rencoo-

i. Prov., cap. VIL

182 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

trer des parents complaisants qui leur donne- ront l'absolution du passé. Ils n'auront qu'à dire : c'est fini, je me range, et on leur livrera une jeune fille de vingt ans, innocente peut-être, mais victime inconsciente des raffi- nements de la civilisation, anémiée, chlorosée par une vie molle et sensuelle, déformée, mu- tilée, atrophiée par des modes meurtrières ; être délicat et fragile pour lequel la maternité devient un supplice, quand ce n'est pas une catastrophe. Et avec de pareilles unions, on s'étonnerait qu'il y eut des foyers déserts? Et s'ils ne sont pas frappés d'impuissance, les malheureux que la débaucl e, la mollesse, la mondanité ont, en quelque sorte, excommu- niés, peuvent-ils, en s'assooiant à l'action créatrice de Dieu, donner à leurs enfants une santé qu'ils n'ont plus, et tirer de leurs en- trailles malsaines autre chose qu'une race in- firme, rachitiqueet défaillante?

Ce genre de profanation n'est pas rare, Messieurs, mais il en est un autre plus com- mun encore : c'est le crime de ceux qui, obéis- sant à de vaines craintes ou à de méprisables calculs, mesurent leur paternité. Dieu les a

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remplis de vie, et ils pourraient s'entourer d'une nombreuse famille; mais ils se défient de la Providence, ils ont peur de la gêne, ils ont résolu de se reposer et de jouir de bonne heure ; ils ne veulent pas être troublés, dans leur repos et leur jouissance, par les sollicitudes, les la- beurs et les privations que nécessite un sur- croît de famille ; ils ont rêvé de transmettre à un unique enfant, à deux tout au plus, la for- tune dont ils sont fiers. Ils disent donc à la vie : tu viendras jusqu'ici, tu n'iras pas plus loin. Encore, s'ils s'entendaient avec Dieu, s'ils lui demandaient la permission de se mon- trer prudents et discrets dans l'observation de sa loi ; s'ils payaient cette permission par le généreux sacrifice d'un plaisir; s'ils ne se re- fusaient la paternité que pour être chastes, Dieu pourrait être indulgent pour leur fai- blesse et entrer dans leurs vues. Mais non, chez ces calculateurs défiants et avares de leur peine, ce n'est pas une vertu qui retient la vie, c'est un vice honteux et lâche qui la supprime, un vice dont il faut dire avec le rude Tertul- lien : « Empêcher de naître c'est tuer à l'avance, car celui-là est homme qui doit le devenir;

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tout fruit est dans son germe1. » Pour s'é- pargner les soucis et les embarras de la pater- nité, sans se priver d'une jouissance, l'homme a recours à des artifices inconnus de la bête. En outrageant la loi de Dieu, il maltraite la conscience de sa tremblante compagne, s'il ne parvient pas à l'endormir par je ne sais quels mensonges, et à la rendre complice de son iniquité.

Et l'on voudrait que Dieu laissât tomber sa bénédiction sur ces familles tronquées par le vice, comme sur celles la fécondité obéit aux lois de la nature ? Cela ne se peut pas, Mes- sieurs. Contre les violateurs de sa loi, Dieu se prépare de terribles revanches. Il laisse jouir, pendant quelque temps, ceux qui l'ont trompé du fruit de leur parcimonieuse fécondité. Et quand leur cœur est bien pris, quand ils ont concentré tout leur espoir, avec tout leur amour, dans le fils unique ou dans les deux petits êtres après lesquels ils ont dit : c'est

1. Homicidii festinatio est prohibere nasci; nec refcrt natam quis cripiat animam an nascentem dislurbet. Homo est et qui est futurus : etiam fructus omnis jam in semine est. (Apolog., cap. ix.)

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assez, la mort, sombre messagère de la jus- tice divine, vient frapper à la porte de leur foyer, et emporte, malgré leurs cris et leurs prières, ceux qui ne laissent après eux ni frères, ni sœurs pour consoler de leur absence.

Encore, vaut-il mieux que Dieu se hâte, car sa vengeance retardée deviendrait peut-être plus terrible. L'enfant unique, objet d'un culte idolâtrique, ouvre son âme à toutes les pas- sions liées ensemble par un monstrueux égoïsme. Laissez-le grandir; ni les avertisse- ments, ni les pleurs, ni les menaces de ceux qui l'ont trop aimé ne le pourront arrêter sur le chemin de perdition il prendra sa course effrénée, et au bout duquel, victime de la dé- bauche ou de quelque honteuse catastrophe, il ne laissera plus à ses infortunés parents qu'un souvenir maudit, qu'ils ne pourront traduire que par ce cri désespéré : amour, espérance, fortune, honneur, tout est perdu !

Après cela, Messieurs, s'il y a des regrets, des gémissements, des larmes et des reproches au foyer dépeuplé par la justice de Dieu, à qui la faute? J'ai été plus d'une fois le témoin attristé de ces désolations qu'accroissent en-

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core les désirs impuissants. On voudrait rem- placer les enfants qui ne sont plus, mais le temps est passé ou bien Dieu s'y oppose. Et alors, on s'imagine que d'autres unions seraient plus heureuses ; on s'irrite contre l'inflexible loi qui tient enchaînées deux vies infécondes; mais la loi, juste et sainte, fait son œuvre; elle châtie ceux qui l'ont outragée. Ce châtiment leur est dû, non seulement parce qu'ils ont offensé Dieu et trompé la nature, mais encore parce qu'ils ont trahi leur pays.

Tous les hommes publics, qui s'inquiètent du sort des peuples, ont l'œil ouvert sur les recensements des familles dont ils se com- posent. Plus ces familles sont nombreuses, plus il y a de vraie richesse dans une nation; car la première de toutes les richesses, c'est la vie, c'est la force, qui ne croissent que pour envahir et posséder le monde. Dieu l'a voulu ainsi, Dieu l'a dit au premier couple humain : « Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre : Crescite multiplicamini et replète ter- ram. » Telle est la loi, Messieurs, l'empire du monde appartient aux peuples prolifiques. On les trouvera peut-être moins policés que les

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autres, grossiers, barbares, qu'importe! Ils ont dans leur sang généreux de quoi devenir les maîtres. Si le pays ils essaiment est trop étroit pour eux, comme les laborieuses abeilles, ils prennent leur vol vers d'autres contrées L'ancien et le nouveau monde, les continents et les îles se peuplent de leurs émigrations. Partout ils s'emparent des places libres, par- tout ils accumulent des générations fécondes, partout ils se tiennent prêts à remplacer les peuples qui vont s'éteindre.

Ces derniers trompent l'œil encore par une prospérité factice. En tronquant les familles, ils enflent les fortunes individuelles ; ils créent un mouvement d'affaires, de luxe, de plaisirs et je ne sais quels raffinements de civilisation qu'on prend pour de la vie. Mais la vraie vie s'épuise dans les abjects calculs qui limitent la fécondité. l'on a peur des enfants, la population décroit ; la population décroit, on la voit se cramponner avec une avidité égoïste à sa part de biens grossie par les ab- sences, et l'on n'a bientôt plus ni assez de mâles poitrines, ni assez de cœurs généreux à opposer aux innombrables et besoigneuses

188 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

légions que lancent, sur un peuple stérilisé, les peuples prolifiques. Que si l'étouffement ne se produit pas sous le coup d'une belliqueuse invasion, il sera le résultat des infiltrations pacifiques Le pays, dont la population dé- croit, incapable de suffire par lui-même aux exigences de sa vie molle et corrompue, se laisse, petit à petit, envahir par les étrangers qui lui envoient leur trop plein. Hier, ils étaient des centaines ; ils sont, aujourd'hui, des milliers; demain, ils seront des millions. Et, à force de se multiplier, ils rempliront la terre hospitalière se sont abattus leurs es- saims, et se substitueront au peuple qui ne voulait plus croître.

Est-ce que vous ne les sentez pas, Messieurs? Ah ! pardon. Depuis longtemps cette idée me poursuit comme un cauchemar, et je me de- mande s'il n'y a pas à l'heure qu'il est, un peuple à qui Dieu pourrait dire comme le vieux Jacob à son fils : « Ruben, mon aine, toi, ma force et la cause de ma douleur; toi, le premier dans les dons et le plus grand dans l'autorité, tu as perdu ta vie, tu l'as répandue comme l'eau, c'est fini, tu ne croîtras plus : Effusus es

LE8 PROFANATIONS DU MARIAGE 189

sicut aqua, non crescas1. Seigneur, faites que je me trompe !

II

Vous venez de voir, Messieurs, comment on profane le mariage dans son premier bien II en est un autre, sans lequel la vie à deux de- vient un supplice et qu'il faut s'assurer à tout prix : la fidélité. Doux commerce de deux vies qui se sont données l'une à l'autre pour ne ja- mais se reprendre, la fidélité est faite d'amour, d'estime, de confiance et de sincérité. Elle a pour base, non pas les qualités extérieures que le temps et les circonstances peuvent changer, mais les qualités solides de l'âme que l'expé- rience renforce et que l'émulation perfec- tionne. Elle vit d'épanchements et d'aimables confidences. Elle se prête, avec générosité et dévouement, au partage des sollicitudes, des

1. Huben primogenitus meus, tu fortitudo mea et prin- cipium doloris mei : prior in donis , major imperio. Kffusus es sicut aqua, non crescas. (Gen., cap. xlix, 3, 4.)

190 ' LES PROFANATIONS DU MARIAGE

travaux et des souffrances. Elle a pitié des dé« fauts et des faiblesses; elle pardonne les fautes et caresse les blessures. Elle est prudente et discrète et ne veut pas être soupçonnée. Enfin, elle enchaîne les cœurs, et rend heureuse l'union conjugale, autant qu'elle peut l'être, eu égard aux imperfections de notre pauvre nature.

Quel grand bien, Messieurs ! L'homme sage, le chrétien veut s'en assurer la posses- sion.

Permettez-moi de vous rappeler ce que je vous disais de ses nobles desseins au début de mon ministère parmi vous '. Le chrétien se prépare au mariage par l'apprentissage des vertus que doit pratiquer un cœur fidèle. Son amour est une fleur délicate et précieuse dont il réserve pour une fête unique l'éclat, la ^râce et le parfum. Personne ne le connaîtra, personne ne le touchera, personne n'en respi- rera les mystérieuses senteurs avant la vierge

1. Cf. Carême 1872. Radicalisme contre Radicalisme. Troisième Conférence : Constitution de la Famille c/iré- tienne. 2e partie.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE l(Ji

qui doit le posséder tout entier. Docile aux conseils de la sagesse divine, il ne donne à au- cune femme puissance sur son âme1. Sa mo- destie, sa réserve, ses généreux efforts lui permettent de ne rien laisser de son honneur et de ses forces, tant d'infortunés jeunes gens ont misérablement succombé. C'est de Dieu qu'il attend la compagne de sa vie, et il veut l'avoir méritée, car la femme prudente et bonne est la récompense du juste pour tout le bien qu'il a fait*. Au-dessus de toutes les convenances humaines, il cherche les divines convenances de son union. A la fortune que l'adversité renverse, aux grâces trompeuses et à la vaine beauté que le temps flétrit, il préfère la vertu. Les hommes pourraient le tromper; avant de se renseigner auprès d'eux, il de- mande à Dieu ses conseils, et il apprend des Saints Livres que l'objet de ses désirs, a c'est la

1. Non des mulieri potestatem anim» tuœ. (Eccli., cap. ix, 2.)

2. Domus et divitiae dantur a parentibus, a Domino autem proprie uxor prudens. (Prov., cap. xiv, 41.) Pars bona mulier-bona, in parte timentium Deum dabitur viro profaclis bonis. Eccli., cap. XXVI, 3.)

192 LES PROFANATIONS DU MARIAGB

femme forte que les trésors les plus précieux ne sauraient payer, et qui peut recevoir dans un cœur ferme la confiance d'un cœur viril1 ; c'est la femme sage qui édifie sa maison *; c'est la femme diligente qui est la couronne de son mari5; c'est la femme laborieuse qui ne mange que le pain qu'elle a gagné*; c'est la femme douce qui remplit de joie le cœur de son époux, et double le nombre de ses années5; c'est la femme simple qui méprise l'apprêt ridicule de sa personne, les surcharges d'ornements et le culte exagéré du vêtement6; c'est la femme aimante, prudente, chaste, sobre, soigneuse, bénigne, soumise, qui, non seulement ne donne

1. Mulierem fortera quis inveniet? Procul et de ultimis praetium ejus. (Jonfîdit in ea cor viri sui. (Prov., cap. xxxi, 10, il.)

2. Mulier sapiens sedificat domum suam. [Ibid., cap. xiv, 1.)

3. Mulier diligens corona est viro suo. (Ibid., cap. xii, 4.)

4. Consideravit semitas domus suae et panem otiosa non comedit. (Ibid,, cap. xxxi, 27.)

5. Mulieris bonae beatus vir, nurnerus enim annorum illias duplex. (Eccli., cap. xxvi, 1.)

6. Quorum non sit extrinsecus capillatura, aut cir- cumdatio auri, aut indumenti vestimentorum cultus. (I Petr., cap. III, 3.)

LES PROFANATIONS DU MARIAGE

jamais lieu de blasphémer la sainte parole de Dieu, mais jamais lieu de douter de son ado- rable bonté l. » Quand le chrétien l'a rencon- trée, il s'écrie : « Epouse de mon âme, d'autres filles, et beaucoup, ont amassé des richesses, mais toi, tu les surpasses toutes : Multse fîli& congregaverunt divitias, tu supergressa es uni» versas*. » Et comme il est heureux de la voir si belle de la véritable beauté, elle, qui s'est préparée dans le recueillement, la prière et la religieuse attente de la volonté de Dieu, est heureuse d'aimer en lui un sage, qui a gardé pour son épouse les trésors d'une vie sans tache, un fort, qui saura protéger sa faiblesse, un véritable enfant de Dieu, qui sera le plus aimable des maitres et le plus tendre des amis. Ils se conviennent, ils s'aiment, ils unissent leurs mains et leurs cœurs, et offrent à Dieu, avec le même religieux respect, le consente- ment qui les enchaîne l'un à l'autre. Ils sont

i. Adolescentulos ut viros a ment, lilios suos diligant, prudentes, castas, sobrias, domus curam habentes, be- nigoas, subditas viris suis, ut non blaspheinetur verbum Dei. (Tob., cap. n. 4, 5.)

2. Prov., cap. xsxi, 29.

CARÊME 1887. 13

194 LES PROFANATIONS DU M AlUAGB

entrés dans le mariage par la porte de la sa- gesse ; ils y demeureront sous la garde de la fidélité.

Hélas! Messieurs, on peut dire de la porte de la sagesse ce que Notre-Seigneur disait de la porte du ciel : « Quam augusta porta!.... quse ducitad vitam, et pauci sunt qui inveniunt eam l : Porte étroite ! . . . . Il y en a bien peu qui la trouvent. » Pour quelques consolations que nous donne le mariage chrétien, combien d'in- fidélités nous attristent! Elles sont dues, d'abord, aux profanations de ceux dont l'Ange Raphaël disait au jeune Tobie : « Ils se ma- rient sans tenir compte de Dieu et sans penser à lui; et, semblables aux bêtes, ils n'écoutent que leurs passions*. » La beauté de la chair les séduit, et, comme ensorcelés par les char- mes qui parlent à leurs sens, ils ne voient pas plus loin. Y a-t-il des vertus ou des vices sous le fragile manteau que le temps va détruire?

1. Matth., cap. vu, 14.

2. Hi namque qui conjugium ita suscipiunt, ut Deuit a se et a sua mente excludant, et sure libidini ita vacent sicut cquus et mulus,, quibus non est intellectus... 'Tob., cap. vi, 17.)

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 195

Ils n'y veulent point penser. Le mariage nest pour eux qu'une voluptueuse fête dont ils ou- blient le perpétuel lendemain, plein de décep- tions et d'austères devoirs.

Mais ils ne sont pas seuls à braver l'avenir. « La porte de la folie est large; une foule de gens s'y précipitent : Lata, porta, et multi sunt qui intrant per eam1. » On chercherait en vain dans leur cœur une étincelle de ce véri- table amour qui, seul, peut lier ensemble et pour jamais deux vies humaines : l'intérêt, la vanité, la légèreté, la mauvaise foi sont au- jourd'hui les agents trop ordinaires des unions matrimoniales.

Celui-ci veut sortir d'une honnête médio- crité où ses ambitions sont mal à Taise, ou bien refaire une fortune compromise. La dot le fascine, la dot a pour lui des charmes sou- verains qui éclipsent toutes les beautés et remplacent avantageusement toutes les vertus théologales et morales.

Celle-là rougit de l'humble condition d'où sa famille est partie, et des laborieux efforts

t. Matth., cap. vu. 13.

196 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

qui ont fait de sa petite personne une héritière enviable. Pour cacher sa roture et donner à sa vanité le droit de se rengorger, elle épouse les yeux fermés un nom et un titre, sans s'in- quiéter de posséder un cœur.

Ici, parents et enfants se hâtent au mariage, comme s'il s'agissait de conjurer la fin pro- chaine du monde. Personne ne songe à de- mander au passé des gages pour l'avenir, ni à sonder les âmes, pour y prendre la mesure des caractères et des vertus. Il suffit de s'entrevoir pour que Ton croie se connaître, et, sur la foi de banales convenances, deux vies presque étran- gères l'une à l'autre sont, du jour au lende- main, condamnées aux rencontres de la plus délicate et de la plus redoutable des intimités.

Légèreté criminelle, souvent compliquée de la plus insigne mauvaise foi : tout le monde conspirant à se tremper. Les uns cachant des tares, les autres dissimulant des infirmités. Ceux-ci donnant de faux reliefs à des fortunes aplaties, ceux-là couvrant de fausses appa- rences des vices artificiellement assoupis, et tout prêts à se réveiller dès qu'ils auront dou- blé le cap de l'hyménée.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 197

Messieurs, je ne saurais entrer dans le détail de tous les mobiles et de tous les agissements qui font du mariage contemporain une sur- prise des sens, une affaire d'argent, une satis- faction d'orgueil, un contrat sans dignité, un pacte déloyal ; mais, tenez pour certain qu'au- tour du vaste portique sous lequel passent la plupart des mariés, on peut écrire en lettres majuscules : passion, intérêt, vanité, légèreté, mauvaise foi.

Après cela, est-il étonnant que l'amour sen- suel froisse les délicatesses de l'amour chaste, et qu'il y ait dans le mariage tels désenchante- ments, telle désaffection, tels mépris qui datent du jour une bête incontinente a été sans respect et sans pitié pour une vierge parée de sa pudique ignorance? Est-il étonnant que des beautés sans vertus soient extravagantes, que d'autres les désirent et qu'elles se fassent dé- sirer? Est-il étonnant que des femmes qu'on prend pour leur argent ne livrent pas leur cœur; que des hommes qu'on épouse#pour leur nom et leur titre ne soient pas aimés? Est-il étonnant que des unions précipitées soient mal affermies; que des âmes que l'on n'a pas son-

198 LES PROFANATIONS DU MARIAGB

dées se montrent dans l'intimité sous un aspect rebutant, et que des gens qui se con- naissaient à peine s'éloignent l'un de l'autre, lorsqu'ils voient à nu leurs difformités mo- rales? Est-il étonnant que les tares, les infir- mités, les déchéances, les vices, auxquels on n'a pas voulu songer ou que la ruse et le men- songe ont déguisés, se révèlent tout à coup, au grand dommage de la paix et du bonheur do- mestiques? Est-il étonnant qu'on voie éclore dans la vie commune les soupçons, les jalou- sies, les répugnances, les mépris, les dégoûts, les colères, les haines, les rancunes? Est-il étonnant, enfin, que l'infidélité s'installe la passion, l'intérêt, la vanité, la légèreté, la mauvaise foi ont conspiré, à l'envi, contre le grand bien de la fidélité ?

Encore une fois, je vois des regrets amers ; j'entends des murmures et des reproches. On se plaint d'être écrasé sous l'inflexible joug de l'indissolubilité du lien conjugal ; mais à qui la faute? Le coupable, ce n'est pas Dieu, qui offre ses conseils dans la grande affaire toute la vie humaine est engagée, et qui n'a fait, en somme, qu'une loi de progrès et de perfection.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 199

Le coupable, c'est l'homme, qui n'a pris con- seil que de ses mauvais instincts et de sa sot- tise, et qui, connaissant la loi, a bravé ses saintes rigueurs. S'il souffre, je le plains; mais je ne puis m'empêcher de dire avec le Psal- miste : « Tu es juste, Seigneur et ton jugement est plein de droiture : Justus es Domine et rec- tum judicium tuum1. »

Encore quelques instants, Messieurs. Vous allez mieux comprendre les justes représailles de la loi divine, si vous considérez avec moi comment on traite, aujourd'hui, le meilleur et le plus saint de tous les biens de l'union con- jugale, le sacrement.

III

Les prudentes mesures que prend la sagesse humaine, conduite par l'Esprit de Dieu, sont pour le chrétien une précieuse garantie de la solidité, de la paix et de la prospérité de son union. Cependant, dans les âmes les plus hon-

1. r.sahn. CXVIIl.

500 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

nêtes et les mieux appareillées, la nature a des saillies, et peut faire sentir si vivement ses im- perfections que la vie commune en soit profon- dément troublée. Contre ces accidents, Dieu a voulu prendre ses sûretés, afin de justifier pleinement l'austérité de la loi dont il ^ fait revivre, pour les générations chrétiennes, l'in- flexible rigueur. Il a élevé le mariage à la dignité d'un sacrement dont la vertu persévère avec le lien conjugal. « Ce sacrement, dit saint Thomas, est le plus important de tous les biens du mariage, car il donne la grâce, plus digne que la nature et plus forte qu'elle pour affer- mir l'union de ceux qui s'épousent1. »

Je ne répéterai pas ici, Messieurs, ce que j'ai dit de l'efficacité de la grâce dans le ma-

1. Proies et fides pertinent ad matrimonium, secun- dum quod est in officium naturae humanse; sacramen- tum autem secundum quod est in institutione divina. Ergo sacramentum est pricipalius in matrimonio quam alia duo... perfectio gratiae est dignior perfectione na- turaî... iïdes et proies pertinent ad usum matrimonii,... sed indivisibilitas, quam sacramentum importât, perti- net ad ipsum matrimonium secundum se... et secundum hoc sacramentum est essentialius matrimonio quam fides et proies. {Summ. Thcol., supp., qua;st. 49, a. o,)

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 'J01

riage*. En perfectionnant l'amour naturel, en le rendant sage, patient, juste, miséricordieux, pur et fidèle au devoir, elle rapproche si bien les cœurs que rien ne peut plus les séparer. C'est surtout dans la vie religieuse des époux que se manifeste sa force unitive. Leur foyer resplendit des lumières de la foi et la paix du Seigneur y est souveraine. Ils croient les mêmes vérités; ils adorent, ils aiment, ils prient, ils servent ensemble le même Dieu et le même Christ qui les a bénis; ils l'appellent au partage de leurs joies ; ils se consolent de leurs peines au pied de la croix qu'ils tiennent embrassée; ils sont de moitié dans tous les travaux et toutes les adversités, comme dans tous les bonheurs. La religieuse unité de leur vie sert de modèle à la famille qui naît de leur amour sanctifié.

Voilà l'effet de la grâce! mais qui donc la reçoit? La plupart du temps, près dune âme croyante et vraiment chrétienne, une âme sans foi, et sans autres vertus qu'une vulgaire hon-

1. Cf. Quatre-vingt-cinquième Conférence, la Sainteté du mariage, 2e partie.

202 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

nêteté, vient s'offrir à la bénédiction de Dieu. L'une profite de la grâce du sacrement, mais

l'autre? Et l'on fait tous les jours de ces

unions-là! De pauvres jeunes filles ne savent pas résister à la pression de ce qu'on appelle les convenances humaines. Trompées par les vagues promesses d'une religiosité sans règle définie, elles se résignent à ces sortes de ma- riages mixtes qui allient leur foi à l'indiffé- rence ou à l'incrédulité, s'imaginant qu'à force d'amour, elles auront raison d'un cœur rebelle à la grâce de Dieu. Mais elles ne tardent pas à être châtiées d'avoir prêté leur concours à la profanation d'un sacrement, et à s'apercevoir que leur union est manquée.

C'est une union triste, parce que Dieu n'y est pas. On peut oublier cette absence de Dieu dans l'attrait de la nouveauté et les enivre- ments d'un amour tout jeune. Mais, peu à peu, le lien se détend, les préoccupations et les épreuves commencent à troubler la vie, et l'on ne rencontre autour de soi aucun appui com- mun, aucun refuge puissent se consoler ensemble deux cœurs affligés. La seule inti- mité que le temps respecte, l'intimité religieuse

LES PROFANATIONS DU MARIAGE. 203

est impossible. Chacun rentre douloureuse- ment en soi-même, et une incurable tristesse vient assombrir la vie de ceux qui comptaient sur un avenir sans nuage.

L'union est triste et elle est cruelle. L'épouse chrétienne peut-elle n'être pas frappée d'effroi à la pensée qu'elle est comme maudite dans la moitié de sa vie ; que Dieu, qui se penche vers elle, repousse celui qu'elle aime le plus au monde; qu'il y a une déchirante contradiction, presque un mensonge, dans les promesses par lesquelles deux cœurs qui s'aimaient se sont donnés l'un à l'autre, puisqu'ils ne peuvent se joindre dans la plus noble et la plus sainte portion de leur vie ?

Triste, cruelle, l'union est périlleuse. Sans foi et sans amour de Dieu, l'homme emploiera- t-il contre la religion de sa femme les armes déloyales du blasphème et de la raillerie? Fera-t-il une guerre impie à ses convictions et à ses pratiques religieuses, après lui avoir pro- mis sa liberté ? Peut-être . Mais, c'est par la séduction de son amour que l'homme assurera, plus facilement, le triomphe de son irréligion. Il saura se montrer si bon, si tendre, 6i rempli

204 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

de vertus naturelles et d'aimables qualités, que la malheureuse compagne de sa vie ou- bliera qu'il lui manque la grâce, se laissera aller à de lâches complaisances, et tombera, petit à petit, sur les pentes d'une méprisable apostasie.

Que si la femme chrétienne, jalouse de sa liberté et fidèle à son devoir, résiste à la vio- lence et à la séduction, la voilà condamnée à un martyre de tous les jours. Elle compren- dra, alors, qu'elle n'a pas le droit de se plain- dre, qu'il lui faut se repentir de ses illusions et demander à la grâce de Dieu la force d'être héroïque. Qui sait?... Par ses prières, par ses larmes, par les souffrances de son cœur mar- tyrisé, elle parviendra peut-être à obtenir la conversion de son cher infîdèb,et à jouir avec Lui de quelques beaux jours, dans l'hiver d'une union dont toutes les saisons ont été désolées.

Si tels sont les mariages dans lesquels le sacrement n'est qu'à moitié profané, que sera-ce, Messieurs, si la profanation est com- plète? Jtfalheureusement, ce crime est plus fréquent qu'on ne pense. Sous l'empire des lois qui séparent le contrat civil du mariage

LES PROFANATIONS DU YARIAGR 20»

religieux, on ne s'est que trop habitué à consi- dérer le sacrement comme une formalité de haut goût dont on pourrait se passer à la ri- gueur, mais à laquelle il faut se soumettre encore, sous peine de ne plus trouver place dans la bonne compagnie. On s'y prépare comme à une fête, qui donne aux noces plus de relief que la prosaïque comparution des fiancés et de leurs témoins, devant le pontife laïque de l'État. On songe à tous les détails de cette fête, on en suppute les frais, on y con- voque les parents et les amis, on jouit à l'avance de l'éclat qu'on veut lui donner. Une seule chose est oubliée : c'est qu'il s'agit de recevoir la grâce de Dieu. Après avoir extorqué, au dernier moment, une absolution qui ne sert à rien, on va se mettre à genoux devant l'autel. Et voilà que, sur l'invitation du prêtre témoin de leurs serments, deux ministres sacrilèges échangent entre eux une chose sainte dont ils ne peuvent recevoir, ni l'un ni l'autre, toute l'efficacité. Leur parole est assez forte pour leur imposer un joug, pas assez pour péné- trer ce joug de l'onction divine qui le rend suave et léger. Au lieu de la grâce, c'est la

206 LES PROFANATIONS DU MARIAGB

malédiction divine qui descend dans l'âme de ces deux profanateurs, condamnés à porter, jusqu'à la mort de l'un ou de l'autre, la chaîne que vient de forger l'échange impie de leurs serments.

Quand bien même leur union aurait été préparée avec toutes les précautions de la sa- gesse humaine, elle sera misérable, parce que la grâce n'est pas pour corriger les imper- fections, les défauts et les vices de la nature. Combien plus, si l'union est entachée des ini- quités et des sottises qui déshonorent la plu- part des mariages contemporains ! Attendez- vous à tous les maux, car la malédiction de Dieu poursuit et châtie le sacrilège tant qu'il n'est pas réparé. Les deux forçats de l'indis- solubilité se plaindront amèrement d'être rivés l'un à l'autre. Tant pis pour eux; leur supplice est trop juste. C'est ici qu'il faut appliquer, dans toute sa divine rigueur, cette sentence de la sagesse : « L'homme est puni par il a péché * Per qux peccat quis pev hœc et tor- quetur*. »

1. Sap., cap. xi, 17.

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 207

Je finis, Messieurs, il ne me reste plus qu'à tirer les conclusions des considérations que vous venez d'entendre ; elles se présentent d'elles-mêmes.

Ce n'est pas la loi divine qu'il faut rendre responsable des maux dont se plaignent les adversaires de l'indissolubilité. La loi divine est sage, parce que c'est une loi de progrès et de perfection ; la loi divine est juste, parce qu'elle châtie, selon leur mérite, ceux qui ont profané le mariage. Par pitié pour les inno- cents, qui souffrent quelquefois auprès des coupables, par pitié pour les coupables eux- mêmes, l'Eglise consent à des séparations qui, sans briser le lien conjugal, interrompent la vie commune, et permettent aux volontés in- constantes de s'épargner des fautes irrépara- bles, aux cœurs malades de se guérir loin de ce qui les blesse, au repentir de venir frapper un jour à la porte du pardon. C'est tout ce qu'elle peut faire. La loi divine ne doit pas fléchir devant des infortunes trop souvent et trop bien méritées. Bien loin de remédier à ces infortunes, en remplaçant la loi d'indisso- lubilité par une loi de répudiation et de rup.

208 LES PROFANATIONS DU MARIAGE

ture, on ne peut que les aggraver ; car le divorce, encouragement donné à la sottise et à la perversité humaine, multiplie fatalement les profanations dont je viens de vous exposer les lamentables conséquences. Aux maux du mariage, il n'y a qu'un remède, c'est le mariage lui-même, accompli dans des conditions de respect de soi-même, de confiance en Dieu, de prudence, de sagesse, de désintéressement, de gravité, de sincérité, de purification, d'esprit de foi qui assurent aux époux la possession des trois grands biens de leur union.

Jeunes gens, écoutez-moi bien. Il faut com- prendre aujourd'hui qu'il est injuste de n'ap- porter qu'une pudeur en lambeaux et une vie défaillante dans une union vous exigez, vous, l'intégrité de la vertu et la plénitude de la vie ; que chaque secousse immorale de vos sens est un coup funeste que vous portez à votre postérité ; que les familles nombreuses sont bénies de Dieu, que les enfants sont la couronne des parents, l'espérance, la force et la gloire de votre pays. Il faut vous défier de l'amour qui n'est que dans les sens, régler vos choix, non d'après les convenances hu-

LES PROFANATIONS DU MARIAGE 209

maines, mais d'après les convenances chré- tiennes, vous rappeler que ôes choix ne s'im- posent pas et veulent être réfléchis, et que la bonne foi est la plus proche parente de la fidélité. Il faut vous préparer au sacrement avec le religieux respect que l'on doit aux choses sacrées, et la ferme conviction que lui seul est le vrai mariage. En possession des biens que Dieu promet à ceux qui s'épousent saintement, pieusement chargés d'une chaîne qu'il a bénie et dont son onction adoucit les rigueurs, hôtes fortunés d'un foyer l'on s'aime, la religion resplendit, règne la paix du Seigneur, vous prouverez au monde, mieux que les discours, les livres et les trai- tés, que le mariage, avec ses austères devoirs et ses grâces, est un grand sacrement : Sacra- mentum hoc maanum est.

Il est toujours grand, toujours saint, même pour ceux qui l'ont profané. En arrêtant l'effu- sion de la grâce, ils n'en ont point tari la source; car cette source, c'est le lien même qui les unit. Au lieu de se plaindre de ses ri- gueurs et de s'épuiser en vains efforts pour le rompre, qu'ils se repentent de leur sacrilège

CARÊME 1SST. 1 l

210 LE» PROFANATIONS DU MARIAGE

folie. Le pardon de Dieu peut rouvrir la source ju'ils ont fermée, et la grâce sanctifier encore les derniers jours d'une union qui n'a été mal- heureuse que par la faute de ceux qui Font contractée, sans en prévoir les charges et sans se préparer, comme il faut, à en accomplir les devoirs.

QUATRE-VINGT-DIXIÈME CONFÉRENCE

LE CEL1B11 ET LA VIRGINITE

QUATRE-VINGT-DIXIÈME CONFÉRENCE

LE CELIBAT ET LA VIRGINITE Monseigneur1, Messieurs.

La première et principale fin du mariage est la propagation de la race humaine. Dieu a dé- claré ses intentions à cet égard par le com- mandement qu'il donna au premier couple : « Crescite, multiplicamini et replète terrain : Croissez, multipliez -vous et remplissez la terre ». Comment cette loi eût-elle été appli- quée dans Tétat d'innocence et d'immortalité? Nous ne le savons pas et n'avons pas besoin de le savoir. Contentons-nous d'apprendre de saint Thomas qu'il n'est pas raisonnable de croire, avec certains docteurs trop préoccupés de nos passions et de nos misères, que Dieu,

1. Monseigneur Richard, archevêque de Taris.

2U LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

par respect pour la pureté de nos premiers parents, devait renouveler, en chaque membre de l'humanité, le grand acte de la création \ En tout état, c'est un honneur de donner la vie et de ressembler ainsi au principe de tout être et de toute vie, et cet honneur eut été sans péril et sans tache pour une nature intègre, qui ne voyait dans la chair que la chaste beauté dont Dieu l'a originairement revêtue, qui en ignorait les révoltes, et n'en soupçon- nait pas les criminels plaisirs, qui devait mul- tiplier la grâce en même temps que la vie.

Dans notre nature déchue, ce n'est plus la même chose. L'honneur reste, mais il est ac- compagné de tant d'inconvénients et de dan- gers qu'on se demande s'il n'est pas permis d'y renoncer. Jamais, répondent certains interprètes trop fervents, et, peut-être, trop intéressés de la loi de multiplication. Cette loi oblige tous les humains. C'est un opprobre de ne pouvoir pas l'accomplir; c'est un crime de s'y soustraire volontairement. À ce compte,

{. Cf. Exposition du dogme catholique, vingt-sixième conférence : L'Humanité dans Adam, 2e partie.

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 215

Messieurs, il faut avouer que Dieu s'est montré trop prodigue d'opprobres pour notre pauvre race, et qu'il y a dans l'humanité chrétienne une foule de criminels bien intéressants et bien parfaits.

C'est de ces derniers que je viens vous parler aujourd'hui, non pas pour les excuser, mais pour faire leur apologie. Contre les préten- tions génétiques des partisans du mariage à outrance, je veux prouver que le célibat et la virginité peuvent devenir un état de choix : premièrement, parce que cet état est désiré de Dieu; secondement, parce qu'il est un des plus beaux et des plus utiles ornements de la société chrétienne.

Nous avons vu Dieu marcher progressive- ment dans l'institution du mariage. Sa volonté se manifeste dans les noces typiques de nos premiers parents; cependant, elle n'est pas encore expresse, impérieuse et définitivement

216 LE CÉLIBAT BT LA VIRGINITÉ

affermie, au point de lui interdire toute espèce d'indulgence pour les imperfections et les fai- blesses de la nature. L'indissoluble unité du mariage est décrétée, mais il en dispense pour des raisons clignes de son infinie sagesse et de sa miséricordieuse bonté. Toutefois, sa tolé- rance ne lui fait pas oublier son premier des- sein; et, pour empêcher l'infirmité et la per- versité de l'homme de prescrire contre l'unité et l'indissolubilité qu'il veut définitivement établir, il fait entendre dans les faits de l'his- toire et dans les enseignements de l'Ecriture des protestations qui témoignent de ses préfé- rences, et montrent de quel côté penche le droit de la nature. Ces protestations, nous l'avons vu, aboutissent à une déclaration formelle du Christ qui, en vertu de ses droits de créateur, ie rédempteur, de transformateur et d'exem- plaire, ramène le mariage à son institution pri- mitive, et décrète, pour l'humanité régénérée, l'indispensable unité et indissolubilité du lien conjugal : « Et erunt duo in carne unâ. Quod Deus conjunxit homo non separet ' s

1. Cf. Quatre-vingt-sixième conférence : Le Lien conjugal. lre partie.

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 217

Cette marche lente ot progressive de Dieu dans la préparation de la loi matrimoniale, nous la remarquons, Messieurs, dans la pré- paration du conseil évangélique qui demande à certaines âmes privilégiées un état plus noble et plus parfait que le mariage. Cet état, Dieu le désire; mais avant de se déclarer solennel- lement, il laisse se former clans le genre hu- main cette opinion commune dont un grand penseur a dit : « qu'elle est de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les religions, et qu'elle voit dans la continence quelque chose de céleste qui exalte l'homme et le rend agréa- ble à la divinité '. » Si le peuple juif, préoccupé et fier des oracles qui lui promettent un libé- rateur né de son sang, estime le mariage au- dessus de tous les états, et regarde la stérilité comme un opprobre, il demande pourtant la continence à ses prêtres, aux époques leurs fonctions sacrées les mettent en rapport avec Dieu. Il admire la sainte réserve des femmes qui s'ensevelissent, en quelque sorte, dans leur veuvage. « Parce que vous avez aimé la chas

1. Joseph de Maistre : Du Pape, liv. III, chap. ni.

218 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

teté, dit le grand prêtre Joachim à Judith, parce que vous n'avez pas pris un autre mari, la main du Seigneur vous a fortifiée, vous serez éternellement bénie1. » Les païens eux- mêmes entrevoient la beauté et la grandeur d'un état qui proteste contre la corruption de leurs mœurs. Ils louent, par la bouche de leurs poètes et de leurs orateurs :

Les prêtres qui toujours gardent leur chasteté2.

Ils appellent au service des dieux et des déesses le célibat et la virginité. Isis, Minerve, Cérès, Vesta sont entourées de vierges*. Les vierges seules sont dignes de garder le feu sacré et de recevoir les oracles du Ciel4; les

1 Eo quod castitatera amaveris, et post virum tuum alterum nescieris : ideo et manus Domini confortavit te, et ideo eris benedicta in œternum. (Judith., cap. xv, 11.

2. Quique sacerdotes casti, dum vita manebat. (Virg. JEn., vi, 661.)

3. Voy. Joseph de Maistre, ouvrage cité plus haut.

4. Dans le temple de Minerve, à Athènes, le feu sacré était conservé comme à Rome par des vierges, On a re- trouvé ces mômes vestales chez d'autres nations, nom- mément dans les Indes et au Pérou, il est bien remar- quable que la violation de leur vœu était punie du même supplice qu'à Rome. (Carli, Lettere americane, tom. I lett. v et xxvi.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ Î19

vierges sont vénérables et saintes1; les vierges méritent les plus grands honneurs; les fais- ceaux s'inclinent devant elles; les premières places leur sont réservées à toutes les fêtes se déploie la majesté du sénat et du peuple romain ; et ce n'est pas trop les punir que de les enterrer toutes vives lorsqu'elles ont trahi leurs serments. Enfin, Messieurs, c'est au sein des vierges, et sans le concours de l'homme, que se font les théophanies et les avatars divins2.

Etrange mystère que celui-là dans les tra- ditions du paganisme! Est-ce un écho des oracles annonçant que la vierge par excellence doit enfanter l'Emmanuel? Est-ce le rêve- mystique de l'instinct religieux, en quête de

1. (Numa) Virginitate aliisque cœremoniis venerabiles ac sanctas fecit. (Tit. Liv , I, 29)

2. Les livres des Brahmes déclarent que, lorsqu'un Dieu daigne visiter le monde, il s'incarne dans le sein d'une vierge sans mélange de sexes. (W. Jones, Supp t. II, p. 548.)

Suivant les Japonais, leur grand dieu Xaca était ne d'une vierge qui n'avait eu commerce avec aucun homme. (Vie de saint François-Xavier, par le P. Bou- hours, t. II, liv. v.)

Les Macéniques, peuples du Paraguay, racontaient aux

220 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

l'état qui convient le mieux aux visites de la divinité? Peu importe. Je n'y veux voir ici qu'une merveilleuse industrie de la Pro- vidence, préparant, dans le monde ancien, la déclaration du désir divin qui doit, un jour, convier les âmes à des noces bien autrement grandes et fécondes que celles de la chair et du sang.

A l'heure les oracles des sybilles vierges se rencontrent avec les célèbres prophéties d'Isaïe et de Jérémic : « Dieu crée une mer- veilleuse nouveauté sur la terre : Creavit Do- minus nocura super tevram. La femme toute seule est enceinte de l'homme par excellence : Fœmina, ciixumdabit virum1. Ecoutez, mai- son de David, voici le miracle du Seigneur :

missionnaires qu'une vierge de la plu3 rare beauté mit au monde un très bel enfant qui, devenu homme, opéra un grand nombre de prodiges devant ses disciples, et se transforma en ce soleil que nous voyons. (Muratori, Cristianesimo felice, tom. I, chap. v.)

Les Chinois généralisent cette doctrine. Suivant eux, les saints, les sages, les libérateurs naissent d'une vierge. (Mémoires des missionnaires, P. Cibot, tom. IX.)

Cf. Joseph de Maistre, op. et loc. cit.)

4 Tcem., cap. xxi, 22.

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITE 221

La vierge, fameuse et unique entre toutes les vierges, conçoit et enfante un fils qu'on appelle Dieu avec nous: Emmanuel1. » La virginité le donne au monde, la virginité de Marie et le célibat de Joseph gardent son berceau, protè- gent son enfance, et sont admis, par privilège, à contempler la beauté de sa grande âme et les splendeurs de la sagesse éternelle qui rayonnent dans tous les mystères de sa vie cachée.

Dieu est avec nous, vierge d'une vierge, il la rassasie dans l'intimité de la vision des choses célestes, et, à peine entré dans sa vie pu- blique, il promet cette vision à ceux qui ont le cœur pur : « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt*. » Et qui donc aura le cœur pur, sinon ceux qui se sèvrent volontairement et pour jamais des plaisirs permis de la chair ? Le Christ vierge n'a pas de commandement pour ceux-là, comme pour ceux qui s'épousent , mais, à l'heure même il arrête et fixe la

1. Audite domus David.... Dabit Dorainus ipse vobi? signum.Eccevirgo concipietet pariet filiura, etvocabitur noraen ejus Emmanuel. (Isai., cap. vu, 14.)

2. Matth., cap. y, 8.

222 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

législation du mariage, il déclare son désir de les attirer à lui, et leur assigne une place à part dans son royaume. Quand ses disciples, effrayés des rigueurs de la loi nouvelle, qui supprime les dispenses de l'ancienne loi et affermit jusqu'à la mort le lien conjugal, lui demandent s'il n'est pas meilleur de s'abstenir du mariage : « Oui, dit-il, mais tous ne comprennent pas cela, il faut avoir reçu le don de Dieu. Car, entendez-le bien ; il y en a que la naissance ou la cruelle industrie des hommes mutilent dans leur chair ; mais ceux qui ont reçu le don de Dieu se mutilent spiri- tuellement pour le royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. Il y a un mystère1. »

Eh oui, Messieurs, il y a un mystère ; et c'est assez pour nous donner à entendre que la virginité est un état de choix et de privilège qu'auucne loi ne commande, et qui répond à

1. Non omnescapiuntillud sed quibus datum est. Sunt enim eunuohi qui de matris atero sic nati sunt; et sunt eunuchi qui facti sunt ab hominibus : et sunt eunuchi qui seipsos castraverunt pi opter regnum cœlorum. Qui potest capere capiat. (Matth., cap. xix, 11, 12.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 223

e .

un désir intime et délicat du Dieu très pur et très saint qui veut configurer, de plus près, certaines âmes à sa perfection.

Ce désir une fois exprimé par le Sauveur, il n'y reviendra plus; il attendra que son Esprit répandu sur toute chair ait fait pénétrer dans les âmes le don de Dieu. Alors, le grand Paul sera chargé de rappeler aux enfants de la ré- demption le conseil du maitre divin auquel il a consacré l'amour de son cœur et l'intégrité de sa chair.

L'apôtre, en effet, écrit aux Corinthiens : « Mes frères, vous n'êtes plus à vous, car vous avez été achetés à grand prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps*. En réponse à vos consultations, je vous dis qu'il est bon à l'homme de ne ne toucher aucune femme. Je voudrais que vous fussiez tous comme moi ; mais chacun a reçu de Dieu un don qui lui est propre, celui-ci d'une manière, celui-là d'une

autre Que chacun demeure en l'état dans

lequel il a été appelé à la foi, toujours avec

i. Empti enim estis pretio magno. Glorificate et por- tate Deum in corpore vestro. (I Cor., cap. iv, 20.)

224 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

Dieu ou selon Dieu. Il est vrai que je n'ai point reçu de commandement du Seigneur re- lativement aux vierges ; mais je leur donne un conseil : moi, qui ai été touché de la miséricorde de Dieu pour être fidèle. 11 est bon d'être en cet état. On ne pêche pas en se mariant, mais on s'expose à des tribulations que je voudrais vous épargner. Celui qui n'a point de femme pense à Dieu et cherche à lui plaire ; celui qui est marié s'occupe des choses du monde et veut plaire à sa femme : le voilà partagé. La vierge pense aux choses de Dieu et veut être sainte de corps et d'esprit ; celle qui est mariée est in- quiète des choses de ce monde et veut plaire à son mari. Je vous dis cela pour votre bien et pour vous rendre plus facile le commerce avec Dieu... Encore une fois, celui qui marie sa fille fait bien, celui qui ne la marie pas fait encore mieux... Elle sera plus heureuse ainsi. Voilà ce que me dit l'Esprit de Dieu1. »

1 De quibus autem scripsistis mini : Bunum est ho- mini mulierem non tangere.... Volo enim vos esse sicut meipsum : Sed imusquisque proprium donum habet exDeo : alius quidem sic, alius vero sic.... Unusquis- que in auo vocatus est. fratres, in hoc permaneat apud

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITE tî,\)

Vous remarquerez, Messieurs, que l'Apôtre, pour encourager au célibat et à la virginité, ne parle que des tribulations et des sollicitudes de cette vie. Un autre vierge, l'apôtre saint Jean, ouvre les portes du ciel et nous montre, autour de l'Agneau, des milliers de chantres ravis, qui font retentir la sainte montagne de Sion d'un cantique nouveau que personne ne peut répéter après eux. Ce sont ceux qui n'ont point goûté les dangereuses douceurs de

Deum. De virginibus autem praeceptum Domini non habeo : consilium autem do tanquam misericordiam

consecutus a Domino, ut sim fidelis Si acceperis

uxorem, non peccasti; et si nupserit virgo non peccavit. Tribulationem tamen carnis habebunt hujusmodi. Ego autem vobis parco.... Volo autem vos sine sollicitudine esse. Qui sine uxore est, sollicitus est quse Domini sunt, quomodo placeat Deo. Qui autem cum uxore est, solli- citus est quse sunt mundi, quomodo placeat uxori, et divisus est. Et mulier innupta et virgo cogitât qua? Do- mini sunt, ut sit sancta corpore et spiritu. Quse autem nupta est, cogitât quœ sunt mundi, quomodo placeat viro. Porro hoc ad utilitatem vestram dico.... ad id quod honestum est, et quod facultatem praebeat sine impedi- mento Dominum obsecrandi... Igitur et qui matrimonio jungit virginem suam, bene facit.: et qui non jungit, me- lius facit.... Beatior erit si sic permanserit, secundum meura consilium : puto autem quod et ego spiritum Dei habeam. (I Cor., cap. vu, 1-40.)

CAKfiME L887. 15

226 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITE

l'amour terrestre; ce sont les vierges. Ils ont le privilège de suivre l'Agneau partout il va. Glorieuses prémices de l'humanité, Dieu les a achetées pour lui et pour l'Agneau l.

Ainsi donc, Messieurs, Dieu ne commande pas, il exprime un désir, il montre le ciel, c'est assez pour déterminer et fixer le choix de ceux qui veulent honorer par la chasteté de leur corps la chair très pure du Christ*. Les pre- miers apôtres ont à peine fermé les yeux, que toutes les conditions de la société chrétienne sont envahies par la germination touffue des vierges qui aspirent à ne vivre que pour Dieu. Les saints docteurs montrent, avec une légitime fierté, au monde infâme qui a corrompu le ma riage, ces parterres de lys vivants dont Dieu

1. Etvidi : et ecceAgnus stabat supra montem Sion et cum eo centum quadraginta quatuor millia.... Et canta- bant quasi canticum novum,... et nemo poterat dicere canticum Hi sunt qui cum mulieribus non sunt coinqui- nati : Virgines enim sunt. Hi sequuntur Agnum quo- cumque erit. Hi empti sunt ex hominibus primitiaa Deo et Agno. (Apoc., cap. xiv, 1-4.)

2. Si quis potest in castitate ad honorem carnis Christi.in humilitate maneat : Et tiç SûvotTai ev àpeia [/.sveiv ei'ç Titu.r,v r/jç ffapxoç xoiï Kudiou, ev axau/rjcil [uvéxot. (S. Ignat., ad Polycarp., vol. II.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 227

se plaît à respirer les parfums1. Tertullien, Ambroise, Augustin, Jérôme, Chrysostôme, dans des lettres sublimes ou de savants traités, vengent la virginité des injures de l'hérésie, conseillent et encouragent les âmes chastes qui ont renoncé aux noces terrestres, tandis que la lyre inspirée de Grégoire de Nazianze chante leur apologie, et demande à Dieu pour elles des couronnes qu'il ne peut accorder aux époux de la terre1. On pourrait, peut-être, reprocher à ces défenseurs, à ces admirateurs de la virginité, d'avoir traité trop durement le

1. « Parmi nous, un grand nombre de personnes des deux sexes, âgées de soixante à soixante-dix ans, qui, dès leur enfance, ont été instruites de la doctrine de Jésus-Christ, persévèrent dans la chasteté, et je m'oblige à en montrer de telles dans toutes les conditions de la société. » Kai ttoXaoi tcveç xal r.oklai £;Y)xovTouxa'. xcu sëSojxïj- xovTOtjxat, ot sx icaîSwv £ij.aÔrjT£uO/'((7av tw Xûurrip, aaOopoi 8ta« uivoucrr xai eu/ouai xaxà 7rav yi^oq àvôpwTrwv toioutou; ov.l'x . (S Justin., Apol. I, 15.)

« Il y a parmi nous un grand nombre d'hommes et de femmes qui vivent dans le célibat, par l'espérance d'être plus étroitement unis à Dieu. » Eupoi; S' àv ttoaXoÙ; tîw 7rap' ■fuûv, xai dfvSpaç xa\ yuvaïxaç xaTa^paffxovxa; àva;xou;, IXitfôt tou [iS^Xov ffuvéasaôoK xco ôew. (Athenagor., Legatio pro Clirislianis, n" 3.)

2. Carmen., in Laudem Virginitatis, I.

228 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

mariage et, partant, d'avoir exagéré le désir de Dieu, mais il est une autorité qui le ramène pour nous à sa juste mesure : c'est l'autorité de l'Église.

D'une part, l'Église a proclamé la sainteté du mariage et l'a couvert de la protection de sa forte et sage législation ; d'autre part, elle n'a dissimulé, en aucun temps, ses préférences pour le célibat et la virginité. Elle a voulu que ses prêtres fussent de ceux qui reçoivent le don de Dieu, et se mutilent spirituellement pour le royaume des cieux ; elle a tendu ses bras aux âmes chastes, et leur a offert une place privilé- giée dans son cœur maternel. Après le sacer- doce, les vierges ont droit, chez elle, aux plus grands honneurs et aux plus tendres sollici- tudes de son amour. Elle les a retirées du monde, la pureté de leur vie pouvait être contaminée par des spectacles scandaleux et de dangereux rapprochements; elle leur a bâti des demeures vastes et belles, quelquefois, comme des palais : angéliques sanctuaires, en faveur desquels elle intéresse la piété des fidèles, dont elle garde la porte, armée de ses censures et de ses anathèmes, elle règle

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 229

avec un soin jaloux tous les détails d'une vie entièrement consacrée au Seigneur. On n'entre que pour se marier à l'éternel époux; ces noces divines sont une fête qu'embellissent les plus touchantes cérémonies et les chants les plus suaves de la liturgie, et l'évêque, généra- teur du sacerdoce, a seul le droit de les bénir. Après quinze siècles de christianisme, qu'elle était belle, Messieurs, dans tout le monde catholique, la floraison de la virginité ! Autour des jardins fermés de l'époux, qui se délecte au milieu des roses et des lys, l'hérésie se tai- sait, et le mariage, honoré des bénédictions de Dieu, se reconnaissait vaincu par la noblesse et les grâces d'un état l'homme renonce aux douceurs et aux jouissances de l'amour terrestre, pour n'appartenir qu'à Dieu. Mais voici que la chair fait entendre, tout à coup, ses rugissements impies. C'est le protestantisme qui demande, au nom de Dieu et au nom de la nature, le mariage universel. Un moine libertin a besoin d'excuser son apostasie; il ne le peut qu'en décriant l'état dans lequel il s'est engagé par serment. a Arrière, dit-il, ce que l'on appelle le conseil évangélique ; nous

230 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITE

ne connaissons que la loi. Or, la loi à laquelle doivent se soumettre tous ceux qui ont assez de vie pour en donner, c'est la loi de multipli- cation promulguée par le Créateur : Crescite, multiplicamini. Personne n'a compris les paroles mystérieuses du Christ, ni saisi comme il faut le sens de l'Apôtre ; et l'admiration stu- pide clés premiers siècles, pour un état qui con- trarie la volonté de Dieu et outrage la nature, ne peut être que l'effet du plus pernicieux fanatisme. »

Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer, Messieurs, que cet argument intéressé avait pour but de recruter autour de Luther des imitateurs et des compagnons de sa trahison. Prêtre et religieux infidèle, il voulait pouvoir dire à d'autres prêtres et à d'autres religieux : Marions-nous, mes frères. Ils se sont mariés, mais ils n'ont rien changé à l'ordre de la perfection. L'Eglise, tranquille au milieu de cette tempête matrimoniale, s'est contentée d'inscrire au chapitre de sa doctrine l'erpres- sion de sa profonde estime pour un état qu'elle sait désiré de Dieu. « Si quelqu'un, dit-elle, prétend que l'état conjugal doit être préféré à

LR CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 231

la virginité et au célibat, et qu'il n'est pas meil- leur et plus heureux de rester vierge que de se marier, qu'il soit anathème1. »

Vous allez voir, Messieurs, que l'Eglise a eu raison

II

L'homme maitre de la terre est obligé de la cultiver. « Il sort le matin, dit le Psalmiste, pour aller à son travail, il y reste jusqu'au soir : Exibit homo ad opus suum et ad opéra- tionein suam usque ad vesperum*. Sous sa main diligente et courageuse, les sillons s'ou- vrent et reçoivent la semence féconde qu'on verra sortir au printemps, et qui, multipliée au centuple et dorée parles feux du soleil, vien-

1. Si quis dixerit statura conjugalem anteponendum esse statui virginitatis vel cœlibatus, et non esse melius ac beatius manere in virginitate aut cœlibata. quam jun^i matrimonio ; anathema sit. (Conc.Trid. , sess. XXIV, can. x.)

2. Psalm. CIII.

232 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

dra s'entasser dans les greniers du père de famille. L'homme a fait son devoir. Qui donc lui contestera le droit de se réserver, dans son domaine et tout près de sa demeure, un coin de terre moins vulgaire que la plaine féconde, les bosquets et les parterrres, la verdure et les fleurs réjouiront son regard et lui enver- ront des ondées de parfums, pour le reposer de ses fatigues et le remercier de ses labeurs ? Or, Messieurs, Dieu est plus grand seigneur que l'homme. Il lui a donné la terre, mais l'humanité reste son domaine, domaine dont la culture a grandi, depuis que le Christ, par l'effusion de son sang, y a affirmé ses droits de rédempteur. Dans le vaste champ de l'hu- manité régénérée, la loi de reproduction doit s'accomplir. Dieu y travaille tous les jours, et pour obtenir une moisson plus abondante et plus pure des rejetons de la vie humaine, il a sanctifié, vous l'avez vu, l'union de l'homme et de la femme. N'aura-t-il pas le droit, comme l'homme maître, de se faire des réserves dans son domaine? Et, s'il est un état de vie qui rapproche l'homme de sa majesté sainte et lui assure de plus parfaits hommages, doit-on

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 233

s'étonner qu'il le désire et qu'il s'y complaise? Et, s'il est vrai qu'il le désire et qu'il s'y com- plaise, n'y faut-il pas voir un des plus beaux ornements de la société chrétienne?

£et état de vie existe, Messieurs, l'Eglise vient de vous le montrer tout à l'heure : c'est l'état de célibat et de virginité.

Entendons-nous bien. Il est un célibat honteux que je livre à vos mépris et aux malé- dictions des économistes qui réclament pour la société des vies fécondes : c'est le célibat des lâches à qui le mariage ne répugne que parce qu'ils veulent en éviter les devoirs et les charges, afin d'être plus à l'aise pour jouir. Opprobre et chancre des sociétés, Rome l'a souffleté, jadis, par des lois vengeresses qui le reléguaient aux dernières places des jeux pu- blics, amoindrissaient l'autorité de ses votes dans les délibérations du Sénat, le privaient de tout héritage testamentaire, confisquaient les legs faits en sa faveur, et attribuaient à des pa- rents mariés sa part dans les successions. Rien ne put le décourager; aidé du divorce, il accé- léra la chute de l'empire. C'est ce qu'il prépare, sans doute, aux sociétés modernes. Mais n'ai-je

234 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

pas tort, Messieurs, d'appeler célibat ce qui n'est, au demeurant, qu'un libertinage égoïste? Ce n'est pas la chasteté froide et paresseuse qui se refuse, généralement, au mariage, mais bien l'immoralité sans excuse des misérables qui prétendent multiplier et varier leurs plai- sirs sans porter déchaînes. S'ils s'abstiennent, par hasard, de troubler les familles ou de sé- duire la vertu, ils ne se font pas faute d'afficher leurs scandaleuses liaisons, jusqu'à ce que, lassés de courir les aventures, ils tombent, épuisés de débauche, sous le joug déshonorant de quelque femme de service qui paiera de ses dernières complaisances leur héritage qu'elle convoite. Puisque les lois humaines n'osent pas toucher ces ennuques du vice, qu'ils soient du moins écrasés par votre mépris ; ils le mé- ritent bien.

Avec le célibat honteux, je vous abandonne encore cette virginité hargneuse qui ne par- donne, ni à la nature de l'avoir disgraciée, ni à la fortune de lui avoir refusé ses faveurs, ni au monde de l'avoir condamnée, par son indif- férence ou ses dédains, à la solitude perpé- tuelle. Triste partage de vieilles filles déçues,

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 235

dont les âpres désirs de l'hyménée se changent, avec l'âge, en regrets malfaisants. Dans leur corps sans souillure, leur âme aigrie ne songe qu'à se venger sur toutes les beautés, sur toutes les vertus, sur tous les bonheurs, d'un célibat forcé qu'elles considèrent comme un opprobre. Artisans passionnés du dénigre- ment, elles ne donnent aucun repos à leur lan- gue venimeuse, quand il s'agit de faire tort aux meilleures réputations. Fleurs sans parfums, lampes sans huile, Dieu, qui ne les a pas dési- rées, a promis de leur dire un jour : « Je ne vous connais pas : Nescio vos1. »

Les vierges que Dieu désire, qu'il connaît et qu'il aime, sont celles qu'il a touchées de sa grâce et qui, répondant à ses amoureuses prévenances par un libre choix, sont deve- nues les copies de sa perfection, les anges de la terre, les épouses du Christ, l'Evangile vivant.

Vous me demandez, Messieurs, comment la stérilité volontaire peut être une copie de la perfection de Dieu. La vie de Dieu est infini- té Matth., cap. xxv, 12.)

236 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

ment féconde. De lui procèdent tous les êtres, et dans le mystère de son essence il se donne l'ineffable joie de la famille, sans multiplier sa nature. Ils sont trois : le Père, le Fils et l' Es- prit-Saint, et ces trois ne sont qu'un. Fécondité éternelle, qui ne peut ni se passer, ni se lasser de produire; fécondité immanente, qui garde en elle-même ses fruits. Tout cela est vrai, mais, en même temps, la fécondité de Dieu est si pure qu'aucune fécondité créée ne peut la représenter. Je vous le disais naguère, en chan- tant les merveilles des processions divines1. « La vie immaculée de Dieu prend en elle-même le pouvoir de se féconder ; rien ne lui vient en aide, rien ne la déflore ; elle conçoit sans mou- vement, elle enfante sans labeur, elle aime sans trouble; ses processions tranquilles consom- ment sa béatitude sans altérer son repos, c'est, selon l'expression de saint Grégoire de Na- zianze, la plus belle et la première des vierges : Prima virgo est sancta, Trinitas*. »

1. Cf Exposition du dogme catholique : dixième con- férence : Les processions divines, 3e partie.

2. riçioTYi icopOgvoç ecTi'v aYvv) Tpta;. (S. Greg. Naz., Carm. In laudem Virginitatis, I, v. 20.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 237

Qui pourrait reproduire ici-bas ce chaste mystère ?. . . Les plus charmantes fleurs de l'humanité, comme les plus charmantes fleurs des champs, ne peuvent porter de fruits sans perdre leur virginité. Une seule créature s'ap- pelle, en même temps, la mère admirable et la vierge très pure. Mais Dieu n'a fait qu'une fois ce miracle. Dans le reste de l'humanité, il a comme dédoublé les copies de sa perfection. Aux uns l'honneur de représenter sa fécon- dité, aux autres l'honneur de représenter son adorable pureté. Si ceux qui enfantent peuvent être fiers de dire : Dieu est père, ceux qui renoncent aux noces terrestres, pour garder inviolé le trésor de leur chasteté, pourront être fiers aussi de dire : « Dieu est vierge; la première des vierges est la Trinité sainte : Prima, virgo est sancta Trinitas. »

Oui, Messieurs, Dieu est vierge, et c'est aux vierges qu'il réserve une plus profonde vue de son essence et de sa vie, c'est des vierges qu'il attend une plus parfaite louange de son infinie beauté. Ils sont vierges les esprits res- plendissants qui avoisinent son trône. Leurs pures essences ne s'aliient point entre elles

238 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

pour multiplier la vie, mais, toutes ensemble, elles se rassasient de la contemplation du Verbe fruit de la vie de Dieu, et reçoivent de la Trinité sainte, dont elles imitent la pureté, une immense lumière l. Qu'ils sont loin de ces purs esprits, ceux dont la chair déflorée enchaîne Tâme aux sollicitudes de la vie présente! Le ciel ne leur est pas refusé, mais ils n'y arrivent qu'à pas lents, dit le poëte de la virginité, comme cet animal rampant qui porte avec soi le poids de sa maison2. La virginité, au con- traire, a des ailes qui l'emportent vers les ré- gions célestes l'âme libre et maîtresse d'elle- même imite la vie des anges.

L Nullae illis nuptias... Unus omnibus optimus cibus, satiari Dei magni Verbo, atque lucida trahere ex Triade lumen iraraensum.

ToTci usv o8re ycÉjaoç

Tpcxpr, uua Taciv apumr)

AaivucÔat {/.êyocXoio 6soo Xoyov, /,8s cpaeivrjç 'EXxetv ix Tpiàooç aeXaç aTrXerov. . . . (S. Greg. Naz., Carra, in laudem Virginitatis, I, v, 35-46.)

2. Quasi domum suam sub testaceo pondère gcstaret, pigris passibus corpus humidum aeire trahentem. . . . 'Qç or, vêss'o'.xov ù- ' a/6si oaxpaxosvTt "Eaxougocv (jLoyepwç uypov ôeaaç "yvsas vorôpoiç. 6. Greg. Naz., In laudem Virginitatis, I, v, 535-536.)

LE CELIBAT ET LA VIHfMNITE 239

Il semble que les païens eux-mêmes ont en- trevu cette merveille. L'un d'eux, exprimant la pensée d'un célèbre jurisconsulte, a dit ces paroles remarquables : « Célibataire et homme céleste c'est la même chose. Le mariage divise 'l'homme en le répandant; la continence le re- cueille et le ramène à l'unité1. » Après la vie divine, rien de plus un que la vie angélique ; après la vie angélique, rien de plus un que la vie virginale. Dans cette vie, l'àme indivisible attire à elle la chair divisible, comme pour la configurer à sa chaste simplicité, afin de se fixer dans la contemplation, l'amour et le culte des choses divines. Dégagée des appétits et des sollicitudes de la chair par la chasteté, l'âme, dit saint Thomas, est mieux disposée aux opé- rations intellectuelles1. L'incorruption la fait vivre dans le voisinage de l'incorruptible : fn-

!. Oaius cœlibes dixit quasi eoelil.es et ecelestes, quod onere gravissimo vacent nuptiarum ; per continentiam quippe colligimur et redigimur in unum, a quo in multa defluximus. iQuintilian. , lib. I, cap. x.t

2. Castitas maxime disponit ad perfectionem opera- tionis intellectualis. (Summ. TheoL, I\ IIB, P. quaest 15, a 3.)

"240 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

corruptio facit esse proximum Deoi\ » et le Seigneur lui promet la vision des mystères divins : « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt. » L'âme virginale, en effet, voit Dieu partout; non seulement clans les principes éternels, qui lui apparaissent plus nets à travers la lumineuse transparence que lui donne la chasteté, non seulement dans les principes de la foi qu'elle peut méditer à loisir, mais dans toutes les créatures qui n'ont de charmes à ses yeux, purifiés des convoitises terrestres, que parce qu'elles représentent les infinies perfections du Créateur. Plus réjouie que les autres par la vision de Dieu, l'âme virginale se sent éprise pour lui d'un plus grand amour ; et cet amour, affranchi des atta- ches, des préoccupations et des peines qui enlacent, vulgarisent et appesantissent la vie conjugale, est toujours prêt à éclater en louan- ges. Voir, aimer, louer Dieu, n'est-ce pas la vie angélique?... Il fallait cela à notre monde humain depuis qu'un Dieu Ta visité. « Quand le fils de Dieu vint sur la terre, écrit saint Jérôme

4. Sap,, cap vi, 20

LE CÉLIHAT ET LA VIRGINITÉ 241

à sa chère vierge Eustochium, il se fit une fa- mille à part; et comme il avait au ciel des anges pour adorateurs, il voulut aussi avoir des anges pour serviteurs ici-bas1. »

Mieux que cela, Messieurs. Les vierges, qui ont méprisé l'alliance des hommes, doivent avoir dans la société chrétienne une plus haute destinée que de servir le Dieu dont elles sont les anges, ou, du moins, leur service est relevé par un titre auguste qui leur ouvre les portes des mystérieuses régions de la vie spirituelle Dieu se fait intime. La vierge sert le Christ à titre d'épouse privilégiée. « Le Roi des rois, dit l'Eglise, a convoité sa beauté : Concupiscet rex decorem tuum%. » Elle, de son côté, insen- sible aux attraits des créatures, a mieux com- pris les charmes du Dieu humilié qui la cher- chait. Ils se sont rencontrés dans des régions solitaires et sereines ne se font point enten- dre les bruits de la terre. Et le Christ a dit :

1. Statim ut Filius Dei ingressus est super terrain no- vam sibi familiam instituit, ut qui ab angelis adoraba- tur hi cœlo, haberet angelos et in terris. (Epist. IX, ad Eustochium )

2. Psalm. XLIV.

CARLME 18^7. - 16

242 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

« Veniy electa raea : Viens, ma choisie ! ...» Et la vierge s'est écriée : « J'ai méprisé le monde et les vains ornements du siècle pour l'amour de mon maître Jésus-Christ. Je l'ai vu, je l'ai aimé, j'ai confiance en lui, je le choisis pour mon partage : <* Quem vidi> quem amavi, in quem credidi, quem dilexi1. » L'union s'est faite.

Noces de la chair, que vous êtes peu de chose en regard de ces noces spirituelles! Là, aussi, il y a des serments. La vierge, en recevant le voile sacré, proteste de son humble et sincère soumission à l'époux divin qu'elle a choisi \ Mariée à l'immortel fiancé, elle ne peut plus rentrer dans la loi commune, « sans devenir adultère et digne de la mort éternelle : Adul- terium perpétrât et ancilla mortïs efficitur*. »

1. Regnum mundi et omnem ornatum sseculi con- tempsi, propter amorem Domini mei Jesu Christi quem vidi, quem amavi, in quem credidi. quem dilexi. (Répons de l'office des Vierges.)

2. Aecipe velamen sacrum, quo cognoscaris mundum contempisse, et te Christo Jesu veraciter, humiliterque toto corde sponsam in perpetuum subdidisse.

3. Quaî so spopondit Christo, et sanctum velamen ac- ccpit, jam nupsit , jam immortali juncta est viro, et jam

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 243

Mais en échange de sa fidélité, l'époux céleste la couvre de sa protection, lui prodigue ses grâces et lui réserve les intimes confidences de son amour. Grâce à ces confidences, elle con- naît, sur les perfections de Dieu, les mystères de la foi, le mérite des vertus, le progrès de la vie spirituelle, des secrets que l'âme chaste peut seule recevoir et comprendre.

Et maintenant, Messieurs, voici le noble fruit de ces noces divines : la vierge, confi- dente de la parole intime du Christ, son époux, devient sa parole extérieure, son Evangile vivant. Le Christ a parlé au monde, non seu- lement pour lui révéler des mystères que la raison ne peut ni connaître, ni comprendre par ses propres forces, mais pour lui donner la mesure de la perfection que peut atteindre la vie humaine. L'Evangile, avec ses préceptes et ses conseils, est le code de cette perfection. N'espérez pas la rencontrer facilement chez ceux qui se sont engagés dans les liens de la vie conjugale. Deux choses se font en eux la

si voluerit nubere communi lege, adulterium perpétrât, et ancilla mortis efficitur. (S. Arabros., ad Virginem lapsam.)

244 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

guerre : les sens et l'esprit, et c'est une rude tâche que d'établir l'équilibre entre ces deux puissances, et de faire marcher la bête domptée sous la conduite de l'âme. Quand Dieu permet au chrétien d'user des redoutables plaisirs de la chair, il ne doit jamais y perdre le respect de ce qu'il est devenu par la grâce de sa nais- sance spirituelle et la pénétration de la vie divine. Mais que de difficultés pour rester dans la règle; que de temps pour soumettre à la rai- son les impérieuses exigences des sens!. Fus- sent-ils maîtres de ce côté, l'homme et la femme doivent s'appliquer à déprenclre leur cœur qu'ils ont peut-être donné, sans assez de réserve, à un autre cœur, et réparer l'outrage qu'ils ont fait au saint amour de Dieu trop oublié dans un amour terrestre. D'autre part, associés par la génération à Faction créatrice de Dieu, ils de- viennent providences. Trop faibles pour cette grande fonction, ils plient sous le fardeau des préoccupations et des sollicitudes dont dépen- dent l'existence et le sort de la famille, et ne se sentent plus assez libres pour élever, au gré de leurs désirs, le niveau de* leur vie spiri- tuelle. Assurément, le mariage est un état

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 2 '* 5

respectable et saint, puisque Dieu l'a béni ; mais, si l'on peut y vivre chrétiennement, on ne doit pas se dissimuler que la perfection y rencontre mille obstacles et qu'elle y est rare. C'est déjà beaucoup de marcher droit dans la voie commune des préceptes.

La virginité, au contraire, va au delà des préceptes et entre, d'emblée, par la porte réser- vée des conseils évangéliques. Par son essence même, elle appartient à la vie parfaite; et, pour se protéger comme pour s'épanouir, elle appelle à son aide une foule de vertus qui la rendent plus belle et plus charmante. Il s'opère, dans la vie virginale, quelque chose d'analogue au phénomène physiologique que l'on remarque dans les fleurs que l'homme stérilise pour accroître leur beauté. Ici, la culture transforme les organes de la fécondité en pétales éclatants et en nectaires embaumés ; là, sous l'influence de la grâce, tout ce que la chasteté retranche à la vie des sens profite au développement des vertus. Elles naissent, comme spontanément, des réserves de sève divine qu'accumule une âme chaste dans une chair inviolée. L'humilité, la modestie, le recueillement, le mépris des

246 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

biens du monde, la pauvreté volontaire, l'ab- négation, l'obéissance, la mortification se groupent autour de la virginité pour la défen- dre et en relever l'éclat; et souvent la religion les affermit par des vœux, qui font de la vie virginale un perpétuel holocauste. Bref, Mes- sieurs, l'accomplissement des préceptes divins est couronné, dans l'état de célibat et de virgi- nité, par la pratique des conseils évangéliques. Cet état est une radieuse expression de la per- fection enseignée par le Sauveur : j'ai bien dit : son évangile vivant.

Je ne m'étonne pas, après cela, de l'enthou- siasme avec lequel un pieux admirateur de ce noble et saint état s'écrie : « Autant la vie de l'âme est au-dessus de la vie de la chair, autant le ciel immense au-dessus de notre étroite planète, autant la stabilité des bien- heureux au-dessus de notre existence flottante, autant Dieu au-dessus de l'homme, autant la virginité est au-dessus du mariage*. « A ce

I. T' ocffàxiov 7:co'^içouGy. yau-ou S'.otoio te §£aac5vf 'OasaT'.ov 'W/r( icpocpspearépï) ettàsto capxoç, Kai jrOavoç oupocvoç EÙpoç, ogov (Jiotoio {Ïsovto; *E(rt7)u>; uaxâcscG'.v, oaov 9eôç avSpoç àpeiwv. «S. Greg. Naz.. op. cit., v. 205-208.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 247

compte, Messieurs, vous voudrez bien conve- nir avec moi que nous sommes en présence d'un des plus beaux ornements de la société chrétienne. Vouloir le supprimer au profit de ce qu'on appelle les vies fécondes, c'est, par- donnez-moi la comparaison, comme si l'on pro- posait de dévaster, autour d'un magnifique pa- lais, les parterres, les pelouses et les bosquets pour les remplacer par un champ de pommes de terre, qui peuvent fort bien pousser ailleurs.

Du reste, il ne faut pas croire que la virginité soit dans le monde chrétien un ornement inu- tile. Il y a plus d'une manière d'être fécond, et le service de la multiplication de l'espèce peut être largement compensé, dans une société, par d'autres services domestiques et publics. Le temps ne me permet pas de donner à cette intéressante considération tout le développe- ment qu'elle comporte. J'espère, cependant, en dire assez, pour justifier la définition de l'Église et compléter l'apologie que j'ai entre- prise. Bornons-nous à signaler trois grands services sociaux de la virginité : le service do l'exemple, le service de la prière, le service du dévoûment.

248 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

Une lutte terrible est engagée, dans notre nature déchue, entre la chair et l'esprit; elle ne peut se terminer à notre honneur que par le triomphe de l'esprit. Or, Messieurs, ce triomphe n'est nulle part plus complet que dans la vie virginale. Le mariage est une concession faite à la plus basse partie de nous-mêmes; la virginité ne veut rien accorder, ce Entreprise héroïque, dit le grand Chrysostôme. J'en connais les difficultés et les violences du combat, et le lourd fardeau de cette guerre sans trêve ni merci. Il y faut une âme courageuse et forte, un cœur plein d'aversion pour les voluptés... Terre et cendre, nous avons résolu d'égaler ceux qui foulent -haut les célestes parvis. C'est la mortalité qui entre en lutte contre l'immor- talité1. » Lutte sublime, au bout de laquelle la virginité devient la lumière du monde :

1. Otàaxr.v ëi'av tov 7rpayu.aTOç, o*ca tûv àYOvKTixaTOJv toutow tov tovov, otoa tou Kokiitov 70 (Japu. <I>iÀoxeivou xtvoç xat [Uataç xai à^ov£vor(y.Évr1* XGcrâc tdw Eitt6op.u«v Seï 'îfo/r^ *H 77 xat

6 <7t:oûo; rot; sv oùpavw otaTpiCouTiv IçKTo^Oai çpiXovstxsî, xai ^ çOopa Tcpô; xr,v àcpôapai'av xrv auuA/av eOôto. (S. Chrysos., De Vir0i/iïtete, 27.)

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 249

Virginitas est splendor1. A tous ceux qui souf- frent des ardents conflits dont se plaignait l'apôtre, elle apprend qu'il y a dans l'âme chrétienne assez de force et assez de grâce pour discipliner et réduire la vie des sens. En faisant plus que Dieu n'exige, elle relève l'au- torité et la sagesse de ses commandements, et son exemple est, pour les âmes lâches, une vivante censure, pour les âmes de bonne vo- lonté, un souverain entraînement. Courage, leur dit-elle, vous aurez bien la force de régler le plaisir que Dieu permet, puisque, moi, je m'en suis sevrée pour jamais. Croyez-le bien, Messieurs, ce n'est pas peu de chose, pour un monde que les passions tourmentent, que d'avoir constamment sous les yeux la per- sonnification du triomphe de l'esprit sur la chair.

D'une manière plus active, la virginité entre dans la noble carrière des services sociaux par la prière. Toute créature raisonnable est

1. Conjugium est indulgentia libidini concessa; virgi- nitas autem splendor :

Fa^oc ouYYvwu-r, 7ra6ou;, aYva'oc os XajjLTrporr,;. 'S. Greg. Naz., Carm.III, Exhortât, ad Virgine*, v. 20.)

250 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

obligée à la prière ; le chrétien plus que toute créature. Mais, afin d'obtenir en cet acte une perfection qui le rapprochât davantage de son infinie majesté, Dieu a voulu que certaines âmes fissent de la prière leur travail et leur art. Il est une manière de s'élever jusqu'à lui, de contempler ses perfections, de lui en par- ler, d'exposer à son infinie miséricorde toutes les misères de la nature, d'émouvoir ses en- trailles paternelles et de le forcer à de pacifi- ques embrassements avec sa créature ; il est un état suréminent de l'âme chrétienne, dans lequel se révèle une si admirable élévation d'esprit, une si profonde tendresse de cœur, une telle puissance de souvenir, de vue, de sentiment, d'expression, d'accents inconnus aux arts les plus grands et les plus nobles ; un état, enfin, qui met l'homme si près de Dieu, Dieu si près de l'homme, qu'il faut y recon- naître l'art divin par excellence : ars divinior. Or, Messieurs, la vierge possède mieux quo qui que c ! soit les secrets de cet art divin, parce qu'ayant choisi Dieu pour son partage, elle le voit de plus près et vit dans sa familia- rité. D'autre part, du haut de sa vie dégagée

LB CÉLIDAT ET LA VIRGINITÉ 251

des sollicitudes et des tribulations du siècle, elle aperçoit ce qui manque au culte de Dieu dans la foule de ceux dont il attend l'hommage : impuissances, négligences, oublis, partis pris orgueilleux de ne compter que sur l'effort hu- main ; tous ces désordres religieux l'émeuvent profondément, et elle sent le besoin d'offrir à son divin époux des compensations prises sur sa propre vie. Elle multiplie donc les amoureux élans de son cœur et les chastes supplications de ses lèvres, afin que la société ait toujours la même somme de bienfaits, parce que Dieu aura toujours, grâce à son dévoûment, la même somme de prières.

Je viens de nommer le dévoûment, Mes- sieurs; c'est, vous ne l'ignorez pas, la source des plus utiles et des plus nobles services que les hommes puissent échanger entre eux dans la vie sociale. Tout homme, tout chrétien est capable de dévoûment. Toutefois, la faculté de se dévouer est, la plupart du temps, en- chaînée, dans les diverses conditions de la vie, par des devoirs qui retiennent le cœur près de ceux qu'il aime, et l'empêchent de se jeter, à l'aveugle et sans réserve, dans la voie du sa-

252 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

crifice. On se dévoue pour les siens, mais oublier les siens pour se dévouer à des étran- gers, c'est plus que ne peut faire l'humaine nature. Je vois bien qu'elle s'illustre, de temps en temps, par des actes héroïques ; elle n'en peut faire ni une habitude ni une profession. La virginité, seule, lui donne cet étrange pou- voir. En renonçant aux noces terrestres, la vierge s'affranchit des servitudes de la chair et du sang, et de ces impérieuses affections de famille qui mesurent les largesses du cœur et lui imposent des réserves. Tout lui appartient, tout est libre chez elle. A toutes les infortunes, à toutes les misères qui demandent consola- tion et secours, à tous les malheurs publics, à toutes les grandes causes auxquels il faut se sacrifier, elle est toujours prête à dire : « Me voici : ecce adsum ! »

Et maintenant, Messieurs, vous allez mieux comprendre pourquoi l'Église demande à ses prêtres le célibat. Pour un ministère de choix, il faut un état de choix. Le prêtre, investi de la plus haute des dignités, confident officiel de Dieu et ministre de sa grâce, doit lui appar- tenir tout entier. Moins la créature a de droits

LE CÉLIBAT ET LA VIRuINITÉ 253

sur lui, plus il est homme de Dieu ; plus il est homme de Dieu; plus il doit ressembler aux anges que l'Écriture appelle ministres du Très- Haut. Divin capitaine de l'armée chrétienne, dans la lutte qu'elle soutient contre les pas- sions de la chair, il est d'autant plus propre à régler le combat, qu'il peut montrer ses vic- toires; et le triomphe absolu de l'esprit dans son corps vierge parle plus éloquemment que tous les discours. Précenteur du monde chré- tien, dans l'accomplissement de ses devoirs religieux, il faut qu'il ait tout son temps, toute son attention et tout son cœur pour se mettre en rapport avec Dieu. Obligé d'immoler tous les jours une victime divine, il ne peut pas y avoir pour lui de nuits troublées par les volup- tés des sens. Confident des pécheurs, il met leurs aveux plus à l'aise dans une âme virgi- nale dont aucun amour intime ne sonde la dis- crétion. Ministre de la Providence, il n'est pas tenté, s'il est seul, d'économiser, sur la part des malheureux, le patrimoine d'une famille. Apôtre de la vérité, il peut la porter, du jour au lendemain, d'un lieu à un autre, et jusqu'aux extrémités du inonda, s'il n'a pas d'autre souci

15

254 LE CÉLIBAT ET LA VIKliiNlTfi

que de se déplacer lui-même. Défenseur d'une doctrine sainte, il pourrait céder aux menaces des persécuteurs pour sauver la liberté et la vie de la femme qui serait avec lui une seule chair, des enfants auxquels il aurait donné son cœur avec son sang; vierge, il peut dire sans hésiter aux tyrans : Prenez ma liberté et ma vie, vous n'aurez pas ma foi.

Comprenez encore, Messieurs, pourquoi l'Église cultive les vierges avec amour. C'est la dime sacrée du plus pur de ses biens qu'elle offre au Christ son époux ; c'est la suprême ressource de son cœur désolé par les prévari- cations humaines. Dieu est profondément ou- blié et grièvement offensé dans le monde; mais, au moins, l'Église a élevé, dans l'état de virginité « une montagne sainte, une mon- tagne fertile, une montagne la grâce s'en- tasse, une montagne Dieu seplait à habiter : mons Dei, morts pingnis, morts coagulatus, morts in quo berteplacitum est Deo habitare in eo\ » C'est de qu'il répand une grande partie des dons qu'il fait à la société chrétienne, pour

1. Psalm. LXVII.

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ 255

la réconforter dans les luttes quotidiennes du bien contre le mal ; c'est de que part le per- pétuel miserere qui arrête en chemin la colère divine. Sans les compensations des prières virginales, la vie sociale serait continuelle- ment tourmentée par les visites de la justice de Dieu.

Mais non seulement les vierges, que l'Église aime et cultive, nous protègent contre la jus- tice de Dieu, elles sont les plus actifs et les plus dévoués instruments de sa miséri- corde. Les ignorants, les insensés, les orphe- lins, les vieillards, les pauvres, les malades, les infirmes, les incurables trouvent en elles des mères, des filles, des sœurs, toujours prêtes à leur rendre les services les plus déli- cats et les plus rebutants. Les épidémies et les maladies contagieuses les attirent. Elles y courent d'un cœur libre et joyeux, car aucune voix désolée ne crie derrière elles : n'y va pas; et la voix de l'époux qu'elles ont choisi et qui s'est incarné dans les malheureux, leur dif : viens à moi.

Elles ne sont pas toutes dans les couvents, ce^ douces mères des misères humaines. Il y

256 LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

en a dans maintes familles que le malheur a visitées. Vous les avez rencontrées, Messieurs, et peut-être les avez-vous regardées avec une dédaigneuse compassion. C'était une faute. Toutes ne sont pas, comme vous le croyez, victimes des disgrâces de la nature et de la fortune. Il en est qui ont entrevu les joies d'une heureuse union et les douceurs de la vie reli- gieuse; mais elles ont immolé leurs espérances et leurs désirs, pour se consacrer à des tâches obscures leur vie se consume. Je ne puis mieux les peindre, qu'en copiant un grand écrivain qui a vu de près leur dévoûment1. Par amour de Dieu, elles se sont refusées à l'amour des hommes et au service même de Dieu; par charité, elles se sont sevrées des joies de la charité. Elles n'ont, pleinement, ni la paix du cloître, ni le soin des pauvres, ni l'apostolat dans le monde, et leur grand cœur a su se priver de tout ce qui était grand et parfait comme lui. Elles ont enfermé leur vie en de petits devoirs : soutiens de vieux parents qui les accablent de leurs exigences, servantes

I. Louis Veuillot : Ç'à et là.

LE CELIBAT ET LA VIRGINITE 257

de frères ou de sœurs frappés dans la chère moitié de leur vie, mères d'orphelins, elles remplacent des absents que l'égoïsme ou la mort ont emportés ; se donnant tout entières et ne recevant qu'à demi. Jeunesse, liberté, avenir, elles ont tout sacrifié ! 0 vierges veuves, religieuses sans voile, épouses sans droits, mères sans nom, soyez bénies ! La voix méprisante du monde vous appelle vieilles filles, mais vous serez fières et bien vengées, lorsqu'en présence du monde entier, le Christ vous ouvrira ses bras et vous dira : veni sponsa, mea! viens, mon épouse !

Voilà la virginité, Messieurs ! Si vous avez compris les grandeurs de ce saint état, vous me dispenserez de répondre aux fades consi- dérations économiques et aux injustes récri- minations de ceux qui accusent les vierges de diminuer la vie sociale et d'outrager la nature1. Du reste, vous trouverez dans l'apologie que vous venez d'entendre, tous les éléments d'une réfutation, et, pour peu que vous laissiez par- ler votre bon sens, il vous dira, avec saint

1. Cf. Index, à la fin du volume.

CARÊME 1887. 17

258 LE CÉLIBAT 'ET LA VIRGINITÉ

Grégoire de Nazianze : « Nobis fas non est probrum infundere virginitati1, il ne nous est pas permis de jeter l'opprobre sur la virgi- nité. »

Mais vos âmes chrétiennes ne se contente- ront pas de s'abstenir de l'outrage; avec l'Église, elles chanteront ce beau cantique de la sagesse : « 0 qu'elle est belle la race des chastes dans la lumière de ses vertus ! sa mé- moire est immortelle; elle est en honneur devant Dieu et devant les hommes2. »

Aussi bien, le mariage n'est qu'une condi- tion de notre vie de passage; la virginité est un état éternel, comme la pureté des anges qu'elle imite en ce monde et dans les cieux : Neque nubent, neque nubentur sed erunt sicut angeli Dei in cœlo*.

•1 'HuTv 8' ou ôsuuç é<rrlv SktyyEir^ xata/eueiv

IlapOevir,;

(S. Greg., Carm. II, Prœcepta ad Virgines, v. 507-508.)

2. O quam pulchra est caéta generatio cum claritate ! Immortalis estenim memoria illius: quoniamapudDeum nota est et apud homines. (Sap., cap. iv, i.)

3. Matth.,cap. xxn, 30.

INDEX

INDEX

DES PRINCIPALES ERREURS CONTRAIRES AUX DOGMES EXPOSÉS DANS CE VOLUME

ï

QUATRE-VINGT-CINQUIÈME CONFÉRENCE

(Voyez première partie : Sainteté du mariage dans l'ordre de la nature.)

Les anciens hérétiques : Simon, Saturnin, les Gnos- tiques, enseignaient que le mariage n'avait pas été institué par Dieu et le considéraient comme une chose honteuse. Les Manichéens, conséquemment à leur sys- tème, qui attribuait au mauvais principe la création des corps, soutenaient que la procréation des enfants était suggérée par le démon et ne servait qu'à étendre son empire. Ils condamnaient donc le mariage comme une institution absolument mauvaise. « L'homme, disait Mâ- nes, dans sa conférence avec Archelaùs,évêque de Char- car, l'homme ne peut pas être l'ouvrage de Dieu, puisque l'intempérance, la passion, la fornication président à sa génération. Aussi, dans le manichéisme les élus ou par- faits renonçaient au mariage. S'ils le permettaient aux imparfaits, c'était avec le conseil d'empêcher la généra- tion. Les Eustathiens, les Euchites . lea Priscillianis- tes, les Albigeois, les Lollards, rejetons du manichéisme enseignaient que le mariage n'est qu'une prostitution

2G2 INDEX

jurée; et, pour éviter cette prostitution, ils se livraient à la plus abominable promiscuité.

La plupart de ces hérétiques ont été réfutés par saint Irénée, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène, saint Epiphane, saint Augustin, Théodoret.

Le Concile de Gangres (341) condamne ceux qui blâ- ment le mariage et embrassent la virginité, non pour l'excellence de cette vertu, mais parce qu'ils croient le mariage mauvais» «Nous admirons la virginité, » disent les Pères du Concile, « ainsi que la séparation d'avec le monde, pourvu qu'elles soient jointes à la modestie et à l'humilité; mais nous respectons aussi le mariage, et nous souhaitons que l'on pratique tout ce qui est con- forme aux Saintes Eoritures. »

(Voir deuxième partie : Le Sacrement.)

Le protestantisme ne nie pas l'institution divine du mariage, mais il l'exclut du nombre des sacrements. Luther n'y voit point un signe sacré institué par Dieu ni la promesse de la grâce. (Lib. de Captivitate Babylon., cap. De Matrimonio.) Calvin affirme qu'il n'y a pas plus de sacrement dans le mariage que dans 1 exercice des plus vulgaires métiers : « Non magis sacramenti ratio matrimonio convenu quam agriculture, aut tonstrinœ, aut sutoriœ arti. » (Lib. IV, Institut., cap. xix, § 34.) Melanchton et Khemnitz semblent s'être rattachés à l'opinion de Durand qui prétend que le mariage ne peut être rigoureusement appelé un sacrement, mais seule- ment d'une manière équivoque. Le patronage de Durand est peu de chose en regard de l'enseignement de tous les théologiens et de la tradition constante de l'Église.

Bergier fait, à propos de la doctrine protestante, cette judicieuse remarque : a Dès qu'il a plu aux protestants de décider que les sacrements ne produisent point par eux-mêmes la grâce sanctifiante dans l'âme de ceux qui

INDEX 263

les reçoivent, que tout leur effet consiste à exciter la foi qui seule justifie, nous ne voyons pas pourquoi ils excluent le mariage du nombre des sacrements. Cette cérémonie est-elle donc moins propre à exciter la foi dans les fidèles, que celle du baptême ou de la cène? Les promesses mutuelles que se font les époux d'une fidélité inviolable, la bénédiction de l'Église qui consacre ces promesses, doivent leur persuader, sans doute, que Dieu les ratifie, qu'il leur donnera les grâces et la force dont ils ont besoin pour vivre saintement, pour s'aider et se supporter, pour élever chrétiennement leurs enfants. » (Diction, théol., art. Mariage.)

(Voir ibid. : Le ministre du sacrement.)

Nous avons considéré les contractants dans le mariage comme les ministres du sacrement. C'est l'opinion à la- quelle reviennent aujourd'hui toutes les écoles théolo- giques, parce que, en somme, c'est l'opinion tradition- nelle.

Un assez grand nombre de théologiens ont dévié de cette opinion, à la suite de Melchior Cano. Ils ensei- gnent que le prêtre est le premier ministre du sacrement de mariage. Les contractants ne font que présenter la matière qui est leur consentement; le prêtre fait le sa- crement en appliquant la forme à la matière par ces paroles : Ego vos conjungo.

Les principaux arguments sur lesquels s'appuie cette opinion sont :

Dans le Nouveau Testament, les paro'es par les- quelles l'apôtre saint Paul déclare que les prêtres sont les dispensateurs des mystères divins : « Sic nos existi- met homo ut ministros Christi et dispensatores mys- teriorum Dei. » (I Cor., cap. vi. 1.)

Dans la tradition, le témoignage des Pères qui requièrent la bénédiction sacerdotale, et lui attribuent

264 INDEX

le pouvoir de lier les époux et de conférer la grâce : Obsignat benedictio. (Tertul., Ad uxor., cap. vin ) Cum ipsum conjugium velamine sacerdotali et bene- dictione sanctificari oporteat (S. Ambros , Epist. xix, ad Vigilium.) Jugum per benedictionem impositum sit distantium conjunctio. (S. Basil., in Hexameron, hom. vu.) Quantum ad voluntatem attinet et adsum, et simul festum celebro juvenilesque dextras inter se jungo atque utrasque Dei manui. (S. Greg. Naz., Epist.

lvii, ad Procopium), etc Aux témoignages des

Pères s'ajoutent les témoignages des conciles : du IIIe concile du Latran qui défend aux prêtres de « rien recevoir pour bénir les noces et conférer les autres sa- crements. » (Cap. Cum in Ecclesia IX de simonia) ; du concile de Florence qui déclare que dans tous les sacre- ments de la loi nouvelle, il faut trois choses : la matière, la forme et la personne du ministre conférant le sacrement : « Omnia sacramenta novœ legis tribus perfîcientur, videlicet, rébus tanquam materia verbis tanquam forma, etpersona ministri conferentis sacramentum.

Ces arguments d'autorité ont peu de force et sont fa- ciles à réfuter.

Et d'abord, il est manifeste que, dans le chapitre saint Paul appelle les apôtres dispensateurs des mys- tères de Dieu, il veut parler du ministère de la prédica- tion. Appliquer ce texte à l'administration des sacre- ments, et s'en servir comme d'une machine de guerre pour battre en brèche un enseignement traditionnel, c'est aller au delà de l'intention de l'Apôtre, qui, lors même qu'il aurait voulu désigner indirectement les sa- crements, n'aurait parlé alors que de ceux dont l'admi- nistration est confiée aux prédicateurs de l'Evangile

Quant aux Pères et aux Conciles, s'ils recommandent la bénédiction nuptiale, il est évident que c'est pour protester contre les mariages clandestins, exciter la piété

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des fidèles et leur donner une plus haute idée du sa- crement.

Tertullien, dans son livre Ad uxorem , engage les fidèles à recevoir cette bénédiction, pour écarter les soupçons de fornication et de concubinage qui pèsent sur ceux qui se marient clandestinement.

Saint Ambroise, dans sa lettre a Virgile, ne parle point de la bénédiction qui, selon l'opinion de Cano, se- rait la forme du sacrement, mais de celle qui accompagne l'imposition du voile sur la tête des époux; bénédiction qu'on ne donne point aux secondes noces, qui pourtant sont un sacrement.

Saint Basile ne désigne point la bénédiction sacerdo- tale, mais la bénédiction que Dieu donna à nos premiers parents.

Dans le texte de saint Grégoire de Nazianze, qui s'ex- cuse de n'avoir pas assisté aux noces d'Olympiade, il est évident qu'il s'agit d'une présence destinée à donner plus de solennité au mariage, et non d'une bénédiction dont dépend la validité du sacrement.

Quant au décret du concile du Latran contre la simo- nie, il n'assimile aucunement le mariage aux autres sacrements, sous le rapport du ministère sacerdotal. Il parle simplement de la célébration des noces, comme d'une fonction sacrée pour laquelle on ne doit point de- mander d'argent. Si l'argumentation de ceux qui consi- dèrent le prêtre comme ministre du mariage était vraie 3n cet endroit, il faudrait dire que les services funèbres et les sépultures, dont parle le concile dans le même dé- cret, sont des sacrements.

Le texte du concile de Florence ne prouve absolument rien en faveur de l'opinion de Cano. Il requiert la pré- sence d'un ministre, mais il ne dit point que ce ministre doit être le prêtre. Du reste, la doctrine des Pères de Flo- rence, sur ce point, est manifestement exprimée dans le

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texte ils disent que la cause officiente du mariage est le consentement mutuel des contractants : « Causa effi- ciens Tnatrimonii regulariter est mutuus consensus per verba de praesenti expressus. » L'opinion de Cano est plus pressante du côté des arguments théologiques. Elle entasse les difficultés, mais il n'en est aucune qu'on ne puisse résoudre. Voici les principales :

Tout doit être sacré dans un sacrement, la matière, la forme, le ministre. Or, dans le contrat tout est pro- fane; rien ne distingue, quant aux éléments, celui des catholiques de celui des infidèles.

Dans le sacrement, la forme précise et déterminée doit être appliquée à la matière: Accedit verbum ad ele- mentum et fit sacramentum. Or, dans le contrat ma- trimonial, on ne sait trop comment distinguer la forme de la matière,, et les consentements peuvent s'exprimer de diverses manières, même par des signes.

L'Église permet quelquefois les mariages entre ca- tholiques et non catholiques. Mais si les contractants sont ministres, ils commettent un double sacrilège, l'un en administrant un sacrement à un indigne, l'autre en remplissant une tonction sacrée dont il est incapable.

Enfin, il est impossible que l'Église mette dans la bouche de ses ministres des paroles qui ne signifient rien. C'est ce qui arriverait, cependant, si les contrac- tants étaient ministres. Leur consentement les unirait et ces paroles du prêtre : Ego vos in matrimonium con- iungo, n'auraient absolument aucun effet.

On répond à cela :

Que tout devient sacré dans le contrat du moment que Dieu l'élève à la dignité d'un sacrement, conférant la grâce et représentant l'union du Christ et de son Église.

Que, dans le contrat, on distingue parfaitement la matière de la forme. La matière est la donation que fait d'elle-même une dee parties, la forme est l'acceptation de

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cette donation par l'autre partie. Il importe peu que la donation et l'acceptation soient exprimées de différentes manières, et même par des signes, pourvu qu'il y ait un véritable contrat, que Dieu élève à la dignité de sa- crement.

Que, lorsque l'Église permet un mariage entre ca- tholique et non catholique, ce dernier reçoit le pouvoir de conférer le sacrement à son conjoint. Il suffit, pour cela, qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'Eglise. Par conséquent, il n'y a pas de sacrilège de sa part. Il n'y en a pas davantage du côté de la partie catholique qui ne voulant que ce que veut l'Église n'a que l'intention de former le lien et non de donner la grâce à celui qui ne peut la recevoir.

Que les paroles du prêtre dans la célébration du mariage ne sont pas insignifiantes. Elles expriment l'ap- probation solennelle que donne l'Eglise à l'union qui se contracte sous ses yeux.

Peu de temps après que Cano eut émis son opinion, un grand nombre de théologiens l'épousèrent, parmi les- quels Sylvius, Estius, Juvenin, Piette, Gibert. Du Hamel, L'Herminier, Tournely. Ce dernier avoue cependant que, « si le nombre doit décider de la victoire, l'opinion des scholastiques l'emporte : Si ex auctoritate et numéro scholasticorum pugnandum hic foret, vinceret haud dubio opposita sententia. » (Tract, de matrimonio.) Mais, depuis, le nombre des partisans de Melchior Cano a considérablement augmenté, si bien que Hoskovany ose écrire : « qu'il n'y a plus parmi les modernes qu'un très petit nombre de théologiens qui soutienne l'opinion des contractants ministres : Ex recentioribus paucis- simi veterum scholasticorum complecLuntur opinio- nem, quasi scilicet ipsi contrahentes sacramentum matrimonii sibi administrèrent. » Benoît Stattler va plus loin; il prétend que l'Eglise peut définir dogmati-

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quement aujourd'hui cette proposition : t Le prêtre est le ministre du sacrement du mariage. »

Stattler se trompe. L'Eglise ne définira, l'Eglise ne peut pas définir une opinion entièrement nouvelle, qui est une manifeste déviation de l'enseignement des écoles jusqu'au concile de Trente.

Cano comprenait si bien la haute portée et l'autorité de cet enseignement qu'il s'efforce de rattacher son opi- nion à celle de quelques scholastiques. Mais Guillaume de Paris et Pierre de la Palu {Paludanus) lui échappent, et saint Thomas, dont il exploite quelques textes équi- voques, lui donne un démenti formel.

Selon le saint Docteur, « la bénédiction du prêtre n'est point de l'essence du mariage. C'est simplement, comme beaucoup d'autres bénédictions, une sorte de sacramen- tal : Benedictio sacerdotis non est de essentia matri- monii, sed est quoddam sacramentale. » (In-4, sent, dist. 26, q. 1, a. 1 ad 2.) Et ailleurs, il affirme que les paroles, par lesquelles les contractants expriment leur consentement, font directement le lien conjugal qui est le sacrement de mariage : « Verba consensum experi- mentia directe faciunt nexum quemdam, qui est sacra- mentum matrimonii. » (Ibid., a. 3, ad 3.)

L'autorité de cet enseignement est une grande force pour l'opinion de ceux qui considèrent les contractants comme les ministres du sacrement de mariage. Les té- moignages de l'Ecriture et de la tradition ne leur man- quent pas.

Dans le texte saint Paul compare l'union de l'homme et de la •femme à l'union du Christ et de son Eglise, il n'est aucunement question de l'intervention du prêtre ni de sa bénédiction, et il est manifeste que c'est à l'acte par lequel les époux se donnent l'un à l'autre que l'Apôtre applique cette parole : Sacramentum hoc magnum est.

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Quant aux Pères, si l'on examine de près leurs té- moignages, on se convaincra qu'ils ne considèrent la bénédiction du prêtre que comme une cérémonie néces- saire à la publicité et à la solennité du sacrement et non à son essence.

Tertullien, par exemple, après avoir dit que la béné- diction du prêtre scelle l'union des époux, ajoute : « Il y a parmi nous des unions qui ne sont pas faites devant l'Eglise, elles courrent le risque d'être accusées d'adul- tère et de fornication : Ideo pênes nos occultas quoque conjunctiones, hoc est non prius apud Ecclesiam pro~ fessœ, juxta mœchiam et fornicationem judicari péri- clitantur. » (Lib. II, ad uxorem.)

Ces paroles indiquent bien que la bénédiction sacerdo- tale est une mesure d'honnêteté publique et pas autre chose ; sans quoi Tertullien aurait dit simplement que les unions clandestines sont des fornications.

« Il convient, dit saint Ignace, martyr, que les époux et les épouses fassent leur union avec l'assentiment de l'évêque1. » Ce sont donc les époux qui font l'union et l'intervention du prêtre n'est qu'une chose de conve- nance.

Saint Augustin, dans son livre I, de nuptiis et conçu- piscentia, explique le texte de saint Paul dans le sens que nous avons indiqué plus haut : « Quod in Christo et sinEcclesia est magnum sacramentum, hoc est in sin- gulis quibusque viris atque uxorihus minimum, sed tamen conjunctionis inseparabile sacramentum. »

Mais le plus fort argument en faveur des contractants est assurément la doctrine et la pratique de l'Église.

Or, le concile de Florence, après avoir dit : « Septi- mum est sacramentum matrimonii, ajoute : Causa effi- ciens matrimonii regulariter est mutuus consensus per verba de prxsenti expresus. »

Le concile de Trente, dans le chapitre premier de la

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vingt-quatrième session , déclare que les mariages clan- destins sont de vrais mariages, ayant le caractère de sacrements, tant que l'Église n'a pas pris de mesures pour les invalider, et il dit anathème à ceux qui contre- disent à cette doctrine : « Tametsi dubitandum non est, clandestina matrimonia libero contrahentium con~ sensu facta rata et vera esse matrimonia, quandiu Ecclesia ea irrita non fecit ; et proindejure damnandi sint illif ut eos sancta synodus anathemate damnât, qui ea vera ac rata esse negant... »

Le sens du mot rata qu'emploie le concile de Trente est clairement déterminé par Innocent III. (Décret., cap. Quanto.) Comparant le mariage des chrétiens au mariage des infidèles, ce Pontife appelle le dernier ve- rum et non ratum, le premier verum et ratum, parce qu'il est un sacrement. « Xam etsi matrimonium ve- rum inter infidèles existât, non tamen est ratum : inter fidèles autem verum et ratum existit : quia sa- cramentum fidei , quod semel ut admissum , num- quam amittitur, sed ratum efficit conjugii sacramen- tum, ut ipsum in conjugibus illo durante perduret. *

En pratique , les mariages clandestins sont considérés comme de vrais mariages partout le concile de Trente n'a pas été publié.

En exigeant la présence du prêtre, le concile n'a donc point prétendu le désigner comme ministre du sacre- ment, mais comme témoin chargé par l'Église de sur- veiller une action sainte. En introduisant l'empêchement de clandestinité, il n'a point nié le pouvoir sacré des contractants, mais il les a rendus inhabiles à contracter.

Cet argument nous paraît irréfutable; c'est le plus fort qu'on puisse invoquer en faveur des contractants mi- nistres.

Un ne comprend pas comment Stattler a osé affirmer que l'Église était en mesure de définir dogmatiquement

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cotto opinion : Le prêtre est le ministre du sacrement de mariage. C'est en vain qu'on invoque en faveur de cette opinion l'autorité de Benoît XIV. Ce savant pape ne l'appelle très probable qu'en considération du nombre de ses adhérents. Mais dans le même ouvrage (De synodo diœcesana) il lui donne ce témoignage, il affirme po- sitivement que le prêtre n'est dans le mariage qu'un té- moin représentant l'Église, pour autoriser l'action des contractants : «Parochus interest matrimonio tanquam testis authorizabilis pro Ecclesia. » Et, d'autre part, comme Pape, dans sa décrétale à l'archevêque de Goa, il reconnaît qu'il y a dans l'action des contractants tous les éléments du sacrement : « Materia est mutua corporum traditio, verbis ac nutibus assensum exprimentibus, et mutua corporum accevtatio forma. »

Le P. Perrone fait judicieusement ressortir les incon- vénients de l'opinion de Cano et de ses adhérents. Le plus grand de tous, c'est qu'on peut facilement abuser de cette opinion pour établir la doctrine impie de la sépara- tion du contrat et du sacrement dans le mariage chrétien, et justifier ainsi tous les empiétements de la puissance séculière.

(Cf. Perrone. De matrimonio christiano, lib. I, aect. \, cap. il, art 5.)

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II

QUATRE-VINGT-SIXIÈME CONFÉRENCE

(Voyez première partie : Unité du mariage.) Nous n'avons pas parlé de la polyandrie. Cette ques- tion est à peine traitée par les théologiens; tous la con- sidèrent comme une abominable turpitude. Elle est con- traire au droit naturel, divin et social. Elle s'oppose à la fin principale du mariage en frappant d'impuissance la fécondité de la femme; elle rend la paternité incertaine, incertaine par conséquent l'obligation de l'éducation ; elle renverse l'ordre de la famille en soumettant la femme à plusieurs maîtres. Bref, dit saint Thomas, « elle est con- traire aux premiers principes de la nature : « Est contra prima naturx principia. » (In-4, sent. d. 33, q. 1, art 1 ad 7) Aussi n'est-elle jamais entrée dans les mœurs d'aucun peuple à l'état d'habitude, mais seulement à l'état de fait monstrueux.

Il appartenait à notre siècle, si fécond en théories ab- surdes, de tenter l'organisation de cette monstruosité. Le Saint-Simonisme, ébranlant toutes les vieilles bases de l'ordre social, prétendit que le mariage, législation de l'adultère, devait faire place à la souveraineté des pen- chants et à la liberté du plaisir. A cet effet, il proclama par la bouche d'un de ses patriarches , Enfantin, la ré- habilitation de la chair et l'émancipation de la femme. Dans ce système « la famille n'est plus qu'une simple réunion de reproduction; et le premier élément social, c'est le phalanstère ou la commune ; mille deux cents personnes au moins habitant dans une même maison, y

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vivent en commun, sans concurrence, sous la seule loi de la capacité, de l'harmonie et des attraits... Les hom- mes n'ont que l'embarras du choix.» (Victor Considérant : Exposition du système phalanstèrien de Fourier, p. 72 et 98.)

Quant à la femme émancipée, « elle peut avoir à la fois : Un époux dont elle a deux enfants; un générateur dont elle n'a qu'un enfant; un favori qui a vécu avec elle et qui a conservé ce titre; plus, de simples posses- seurs qui ne sont rien devant la loi. (Le même : Théorie des quatre mouvements, p. 146 )

Les essais de communisme ont misérablement avorté. Mais qui nous dit qu'ils ne se renouvelleront pas avec plus de succès, après que les lois désorganisatrices du mariage auront triomphé?

polygamie n'est point autant que la polyandrie con- traire au droit naturel; quoi qu'en dise Calvin, qui pré- tend qu'elle n'a jamais pu être permise et que les patriar- ches ont été criminels en la pratiquant. Dans son Commentaire sur la Genèse (in cap. xvi, xxiv et xxx), il gourmande Sara, Abraham et Jacob. Sara a perverti la loi du mariage et souillé le lit conjugal, en donnant à Abraham sa servante Agar pour épouse : « Sara connu- bii legem pervertit, lectum conjwjalem, qui duobus dicatus erat, polluendo. » Abraham ne pouvait pas appeler épouse celle qu'il introduisait contre la loi de Dieu dans le lit d'une autre : u Improprie Agar vocatur uxor quse prœter legem Dei in alienum torum indu' citur. » Les prétendus mariages de Jacob avec Rachel et ses servantes, après qu'il a épousé Lia, nous montrent que le péché n'a pas de fin dès qu'on ne tient plus compte

de l'institution divine Et l'on a droit de s'étonner

que Dieu ait daigné honorer par la fécondité ces unions adultères : c Unde colligimus nullum esse peccati

OARilfE L887. - 1S

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finem, ubi semel neglecta est institutio Dei... Mirum est quod Deus adulterinum conjugium prolis honore dignatus fuerit. »

Calvin se fut épargné ces absurdes récriminations, dont pâtit l'honneur de Dieu aussi bien que l'honneur des pa- triarches, s'il eut distingué entre les premiers principes du droit naturel et leurs conclusions. La polyandrie est contraire aux premiers principes du droit naturel, il n'en est pas de même de la polygamie. Il y a même des théo- logiens : Durand, Gerson, Cajetan, Simonet, Sardagna, Schwarz, Merlin, qui pensent que la pluralité des fem- mes n'est aucunement défendue par la loi de nature ou du moins qu'il n'est guère possible de le prouver. « Ce qui était coutume n'était pas crime ; Quando mos erat, crimen non erat, » disent-ils avec saint Augustin. (Lib. XXIÏ, contra Faustum.)

D'autres, au contraire, et c'est le plus grand nombre, pensent que la polygamie est contraire au droit naturel qu'ils appellent secondaire et dérivé. C'est le sentiment de saint Thomas. « Pluralitas uxorum dicitur esse contra legem naturœ, non quantum ad prima prae- cepta ejus, sed quantum ad secunda quœ quasi con- clusions a prîmis principiis derivantur. » En effet, elle détruit l'égalité des droits dans la donation que se font de leur personne l'homme et la femme, laquelle do- nation devrait être pleine et parfaite; elle empêche la complète et intime union des âmes qui doit exister dans la société conjugale; elle met l'homme dans l'impossibi- lité do satisfaire au devoir conjugal autant qu'on peut l'exiger de lui; elle est la source de mille troubles do- mestiques que l'autorité du mari ne peut pas toujours apaiser; elle compromet l'éducation des enfants issus de femmes moins aimées; elle est plutôt une excitation qu'un remède à la concupiscence.

D'autre part, il est certain que l'intention de Dieu dans

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l'institution du mariage était Vunitê en même temps que l'indissolubilité. Toutefois, cette intention était comme voilée dans l'institution divine, pour servir plus tard de fondement à la loi du Christ. On ne voit point à l'ori- gine de la famille humaine de loi expresse qui interdise la polygamie.

Dieu pouvait la permettre, malgré ses inconvénients, parce que ces inconvénients peuvent être primés par la fin principale du mariage qui est la génération. Il est incontestable que la polygamie est éminemment propre à l'exécution de cet ordre divin donné à tous les vivants : « Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre. i Et elle a pu être nécessaire, pendant un certain temps et dans certains climats, à l'équilibre des sexes. < Chez les patriarches, dit saint Thomas, elle avait pour but la mul- tiplication de la race destinée au culte du vrai Dieu. Or, comme une fin principale mérite plus d'attention qu'une fin secondaire, Dieu a pu permettre qu'on tint moins de compte pendant un certain temps des fins se- condaires du mariage, auxquelles est ordonnée la prohi- bition de la polygamie, alors qu'il était plus nécessaire d'assurer la fin principale, c'est-à-dire la multiplication du peuple de Dieu : « Oportebat prsedictum naturae prœceptum prœtermitti, ut major esset multiplicatio prolis ad cultum Dei educandœ. Semper enim prin- cipalior finis magis observandus est quam secunda- rius. Unde cum bonum prolis sit principalis matrU monii finis, ubi prolis multiplicatio necessaria erat debuit negligi ad tempus impedimentum, quod posset in secundariis fînibus evenire, ad quod removendum prseceptum prohibens plural itatem uxorum ordinatur. (Siiïum. Theol , supp., qurest. 45, a. 2.)

Les patriarches ont-ils eu besoin d'une inspiration divine pour se croire autorisés à la polygamie? Saint Thomas le croit . « In hoc a solo Deo dispensatio fieri

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potuit pet inspirationem internam. » (Loc. cit.) D'au- tres pensent que, dans l'absence d'une loi expresse et déterminée, les patriarches ont pu se conformer à la coutume, excusée par la fin honnête qu'ils se proposaient la multiplication du peuple de Dieu. « Sufficiendœ prolis causa erat uxorum plurium simul uni viro habenda- rurn inculpabilis consuetudo. » (S. Aug., De doctrin. Christ., lib. III, cap. xn, 20.)

Remarquons, du reste, que la polygamie ne pouvait être permise aux patriarches qu'à certaines conditions qui devaient s'unir à l'honnêteté de la fin.

Premièrement, toutes les femmes devaient être de véritables épouses. Secondement, l'épouse première et principale devait expressément ou tacitement céder de son droit.

L'exemple des patriarches n'excuse pas les infidèles chez qui la polygamie était devenue une véritable dé- bauche.

Pendant que Calvin grondait les patriarches et leur faisait un crime de la polygamie, Luther permettait au landgrave de Hesse d'avoir deux femmes à la fois : par la raison, disait-il, qu'un chrétien doit être libre de suivre l'exemple des patriarches. Touchant accord de deux ré- formateurs qui partaient de la même règle de foi : l'uni- que autorité des livres saints.

La polygamie simultanée est interdite dans la loi nouvelle, en est-il de même de la polygamie successive, c'est-à-dire des secondes noces après la mort d'un des conjoints?

Les Montanistes, imités par les Novatiens, ont abso- ment condamné les secondes noces comme illicites et exécrables. Tertullien s'est fait leur interprète dans son livre de la monogamie.

Remarquons que l'Eglise, bien qu'elle ait condamné

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cette erreur, a toujours manifesté peu de sympathie pour les mariages successifs. Elle supprime, dans les secondes noces, des cérémonies qu'elle accorde comme une faveur aux premières noces : dans l'Eglise latine, la bénédiction avec le voile; dans l'Eglise grecque, le couronnement.

Remarquons, en second lieu, que l'Eglise grecque s'est montrée beaucoup plus sévère que l'Église latine. Bien qu'elle ne considère pas les troisièmes et quatrièmes no- ces comme absolument illicite», elle les a toujours hau- tement désapprouvées comme une preuve d'incontinence. Remarquons, enfin, que l'Eglise a toujours manifesté ses préférences pour l'état de viduité qu'elle regarde comme un état plus parfait que le mariage, quand on y reste par amour pour la chasteté.

Ces remarques faites, nous devons reconnaître avec l'Eglise que les secondes noces sont parfaitement légiti- mes. L'Apôtre a clairement proclamé le droit de la femme après que le lien conjugal est brisé par la mort : « Mulier... si dormierit vir ejus, liberata est : cui vult nubat. » Celui qui se marie quand il est devenu veuf, ne pèche pas, » dit Hermas : « Qui nubit post viduitatem non peccat. » [In Pastor., lib. II.) Clément d'Alexandrie écrit absolument la même chose, en faisant remarquer toutefois que celui qui se remarie s'écarte de la haute perfection prêchée par l'Évangile : « Non implet autem summam illam vitae perfectionem, quœ agitur ex evan- gelio. » (Lib., III, Stromat.)

Quelques théologiens se sont émus de la sévérité avec laquelle les saints Pères ont parlé des secondes noces; plusieurs ont pensé qu'ils les condamnaient comme illé- gitimes. C'est une erreur. Cotelier a dépensé toute son érudition pour prouver ce sentiment : En somme, il n'a pu réunir que onze témoignages d'Athena^ore, de Théophile d'Antioche, de saint Irénée, de Tertullien, en- core catholique, de Minucius Félix, d'Oriarèr" *- ?aint

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Grégoire de Nazianze, de saint Amphiloque, de saint Chrysostôme, de saint Ambroise et de saint Jérôme. Or, ces témoignages, dit le P. Perrone, ne s'écartent point de la doctrine catholique, si on les interprète avec soin. Ils prouvent seulement l'intention qu'avaient les Pères d'ex- citer les fidèles à une plus grande perfection, en les exhor- tant à garder la chasteté dans le veuvage.

Mais, si les secondes noces sont légitimes, pourquoi infliger des peines à ceux qui se remarient? Ils sont in- habiles aux ordres sacrés. On leur imposait autrefois une pénitence publique, des prières, des abstinences, des jeûnes. On leur refusait la bénédiction du prêtre et, dans l'Eglise grecque, le couronnement. On les privait des aumônes de l'Eglise, et leur mariage devait se faire en quelque sorte en cachette. Cela prouve que l'Eglise ne voit pas les secondes noces d'un œil favorable, parce qu'elles indiquent une tendance aux plaisirs de la chair, mais cela ne veut point dire qu'elle les condamne comme illégitimes.

Bien qu'elle répugne aux troisièmes noces et aux sub- séquentes bien plus qu'aux secondes, elles ne les interdit pas, et ses rigueurs de discipline à cet égard ne font pas dogme. Les paroles de l'Apôtre, qui permettent de se ma- rier après la rupture du lien conjugal par la mort, sont générales et n'indiquent aucune borne à la répétition du mariage, a Les hommes , dit saint Augustin , agitent la question des troisièmes et quatrièmes noces. Moi, je n'ose rien condamner. Qui suis-je pour définir ce que l'Apôtre n'a pas défini? De tertiis et de quartis nuptiis soient homines movere quœstionem. Unde, ut breviter res-

pondeam, nec ullas nuptias audeo damnare Quis

enim sum, qui putem definiendum, quod nec Aposto-

lum video definiisse Quel que soit le nombre des

noces, je n'ose pas les condamner de ma propre autorité et en dehors de l'autorité et l'Ecriture : Nec ex corde

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meo prœter scripturae sanctae auctoritatem, quotaslibet nuptias audeo condemnare. » (Lib., De bono viduit., cap. xii.)

Saint Jérôme, celui de tous les Pères qui s'est montré lo plus dur à l'endroit de la réitération des noces, jus- qu'à l'appeler une prostitution ou une fornication dé- guisée, proteste en ces termes contre ceux qui l'accusaient decondamner le mariage: aQu'il rougisse le calomniateur qui prétend que je condamne ceux qui se marient, lors- qu'il a pu lire dans mes écrits que je ne condamne ni les bigames, ni les trigames, ni même ceux qui prendraient successivement huit femmes. Mais autre chose est de ne pas condamner, autre chose est de recommander : « Erubescat calumniator meus, dicens me prima dam- nase matrimonia, quando legit : non damno digamos et trigamos, et si dici potest octogamos. Aliud est non damnare, aliud prœdicare. » (Epist. Ad Pammach, XLVII.) Ces dernières paroles de saint Jérôme résu- ment parfaitement le sentiment et la conduite de l'Eglise à l'égard de ceux qui se remarient.

(Cf. P. Perrone : De matrimonio christiano, tome III, lib. III, cap. i et n.)

(Voir ibid. Indissolubilité.)

Le mariage est indissoluble de droit divin, c'est incon- testable. L'est-il de droit naturel?

Une opinion, que saint Alphonse de Liguori appelle très commune, répond affirmativement et d'une manière absolue à cette question.

Le divorce, disent les partisans de cette opinion, viole l'égalité qui doit exister entre les deux époux ; car la femme ne peut pas se retirer de l'union conjugale avec les mêmes avantages que l'homme. Si elle provoque la rupture, elle se soustrait à l'autorité de son mari auquel elle doit être soumise; si le mari a le pouvoir de l'aban-

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donner, sa condition dégénère en une véritable ser- vitude.

En second lieu : le divorce détruit l'union qui doit exister entre les deux époux; il favorise les mariages mal assortis; il refroidit et affaiblit l'amour; il est un en- couragement aux passions inquiètes et violentes qui multiplient les dissensions pour se débarrasser d'un lien qui les gène, afin de conquérir leur liberté et le droit de rechercher une autre union; il ouvre la voie aux crimes les plus honteux, en particulier à l'adultère.

En troisième lieu : le divorce nuit à l'éducation des en- fants, qui ne peut être achevée que par le concours simul- tané du père et de la mère.

En quatrième lieu : le divorce trouble profondément les familles. Il y sème les haines, les discordes, le3 procès et, par suite, il devient un principe de dissolution pour la société.

Enfin, il déshonore le mariage lui-même condamné à n'être bientôt qu'un pur concubinage, une sorte de pros- titution légale. Nous avons développé tous ces argu- ments dans notre quatre-vingt-septième conférence, en commentant les remarquables paroles du Souverain- Pontife Léon XIII dans son Encyclique Arcanum divinœ sapientiae. On doit ajouter, disent les théologiens dont nous exposons le sentiment, la condamnation de la soixante-septième proposition du Syllabus : « Jure na- turas matrimonii vinculum non est indissolubile et in variis casibus divortium proprie dictum auctori- tate civili sanciri fjotest. »

D'où il faut conclure que l'indissolubilité est non seu- lement conforme au droit naturel, mais qu'elle est com- mandée, exigée parle droit naturel.

Il y a du vrai dans cette opinion, mais la conclusion des arguments qu'elle emploie est exagérée. Si l'indisso- lubilité est commandée par le droit naturel, on s'explique

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difficilement les dispenses que Dieu a accordées. Il faut recourir au sentiment de Scot, généralement abandonné des théologiens : à savoir, que Dieu a le pouvoir de dis- penser des préceptes de la seconde table à l'exception de celui qui défend le mensonge; ou bien expliquer la con- duite de Dieu par cette supposition bizarre, qu'il ne dispense pas d'un précepte de la loi naturelle en autori- sant le divorce, mais qu'il use de son droit absolu pour briser le lien conjugal et détruire le mariage, afin qu'on puisse en contracter un autre. Ces actes d'autorité ne nous paraissent pas conformes à l'ordre habitué de l'ac- tion providentielle.

Une autre opinion extrême, dont les principaux repré- sentants sont, parmi les théologiens : Sanchez, Bellarmin. Swartz, Simonnet, Lherminier, Collet, Sardagna, etc., *:i parmi les philosophes chrétiens : Galluppi, Genoves:. Liberatore, soutient que l'indissolubilité n'est pas de droit naturel ou, du moins, qu'il est impossible de le prouver par la raison.

Bien loin d'être contraire à la fin principale du mariage, la propagation de l'espèce humaine, le divorce peut être, dans certains cas, le seul moyen d'obtenir cette fin, lorsque, par exemple, un premier mariage est stérile, surtout si la stérilité de l'un des conjoints n'est que rela- tive. Si l'on considère le mariage comme un remède à la concupiscence, on ne voit pas pourquoi le divorce ne se- rait pas permis, lorsque l'infirmité incurable de l'un des époux empêche d'user de ce remède. Enfin, s'il est vrai que l'enfant est plus facilement et mieux élevé par le con- cours simultané du père et de la mère, le divorce ne rend cependant pas son éducation abfolument impossible, et ne la compromet pas plus que la séparation qui peut être perpétuelle. Donc, la principale raison qu'on apporte pour prouver que l'indissolubilité est commandée par le droit naturel, c'est-à-dire la nécessité de l'union du père

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et de la mère pour l'éducation des enfants, n'est pas ab- solument convaincante et, d'autre part, la nature, loin de répugner au divorce, semble le demander dans cer- tains cas.

Du reste, il est un fait historique qui confirme cette opinion, c'est la permission du divorce donnée par Dieu à son peuple, dans la législation mosaïque. Cette per- mission n'eut certainement pas été accordée, si la rup- ture du lien conjugal eut été contraire à une loi de la nature.

Remarquons que les patrons de cette doctrine ne pré- tendent point que l'on puisse briser le lien conjugal à volonté. Il faut, pour cela, des raisons graves, et il est bien entendu que la dissolution du mariage ne doit por- ter aucun préjudice à la génération et à la première éducation des enfants.

Malgré ces réserves, nous ne voyons pas comment, en écartant complètement le droit naturel, on peut échapper à la condamnation de la proposition que nous avons citée plus haut : « Le lien du mariage n'est pas indissoluble de droit naturel, et dans les divers cas qui se présen- tent, le divorce proprement dit peut être décrété par l'autorité civile. »

Entre les deux opinions que nous venons d'exposer, il en est une troisième, qui lève toutes les difficultés du côté de la dispense accordée par Dieu et du côté de la condam- nation de la proposition quatre-vingt-septième du Sylla- bus, c'est l'opinion de saint Thomas adoptée par le P. Per- rone dans son traité : De matrimonio christiano. (T. III, lib. III, sect. il.)

L'indissolubilité du mariage, dit le saint docteur, est de droit naturel : Inseparabilitas matrimonii est de lege naturœ. {Summ. Theol, supp. quœst. 57, a. 1.) Ce- pendant, elle n'appartient pas aux premiers préceptes de la loi de nature, mais seulement aux seconds précepte^

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c'est-à-dire au droit naturel secondaire et dérivé, dont Dieu peut dispenser pour des motifs pris dans la nature même. Il suffit, par exemple, qu'il veuille prévenir un plus grand mal pour qu'il puisse permettre qu'une des fins secondaires du mariage, l'éducation des enfants, ne soit qu'imparfaitement atteinte, comme cela peut arriver dans le divorce. Bref, « le divorce n'étant point immédia- tement et directement opposé à la première intention de la nature dans le mariage, qui est la génération des en- fants, et, par conséquent, aux premiers préceptes du droit naturel, Dieu a pu le permettre : * Non videtur esse contra primam intentionem naturœ dimissio uxoris; et per consequens, nec contra prima prœcepta, sed contra secunda legis naturœ; unde etiam primo modo (id est ex aliqua causa naturali, per quam alia causa naturali impeditur in cursu suo) sub dispensatione posse cadere videtur. » (Loc. cit., a. 2.)

De fait, Dieu a permis le divorce à son peuple pour pré- venir des crimes domestiques auxquels l'exposait la du- reté de son cœur : « Libellus repudii in lege permissus fuit.... propter majus malum cohibendum, scilicet uxoricidium ad quod Judaei proni erant, propter cor- ruptionem irascibilis. {Loc. cit. a. 3.)

Cette opinion nous paraît la plus raisonnable. Elle permet d'invoquer le droit naturel contre les adversaires de l'indissolubilité, au moins pour justifier pleinement la loi divine, comme nous l'avons fait dans notre confé- rence. D'autre part, elle nous offre un facile dégagement pou» esquiver l'objection tirée de la loi mosaïaue.

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III

QUATRE-VINGT-SEPTIÈME CONFÉRENCE

(Voyez première partie.)

La plupart des philosophes de l'antiquité, même les plus sages , refusaient au mariage l'indissolubilité et considéraient le divorce comme parfaitement légitime : Platon, Caton, Cicèron, ainsi que les jurisconsultes Paullus, Caius, Ulpien, ont professé la doctrine de la répudiation sans limites.

Cette doctrine absolue, longtemps oubliée depuis la transformation opérée par le christianisme dans les insti- tutions et dans les mœurs , reparaît sous la plume des philosophes modernes et des politiques. Hennet (1785), Braun (1788), Wertsmeister, Dentham, Ferrari et, géné- ralement, tous les apôtres du socialisme et du commu- nisme réclament la liberté du divorce. Les romanciers, eux-mêmes, se mêlent de philosopher sur cette grave question. Nous renvoyons le lecteur à notre conférence, dans laquelle nous avons exposé les raisons invoquées par les divorcistes et les funestes conséquences de leur doctrine.

Le protestantisme avait ouvert la guerre contre l'in- dissolubilité sur un moins vaste champ. L'hérésie, les sévices capables de rendre la maison conjugale inhabi- table, l'absence affectée d'un des époux, l'adultère, sur- tout, lui paraissaient être des raisons suffisantes de rompre le lien conjugal. Nous avons cité dans les notes

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de notre quatre-vingt-sixième conférence les canons du concile de Trente qui condamnent cette erreur.

C'est sur l'adultère que le protestantisme insiste da- vantage, parce qu'il se prétend autorisé par ces paroles que Notre Seigneur adresse aux pharisiens : « Dico autem vobis quia quicumque dimiserit uxorem suam nisi ob fornicationem , et aliam duxerit mœchatur; ef qui dimissam duxerit mœchatur ; Je vous dis que qui- conque renvoie sa femme, si ce n'est à cause de sa forni- cation , et en épouse une autre, commet un adultère; pareillement celui qui épouse la femme renvoyée. » (Matth., cap. xix, 9.) Ces paroles avaient déjà été pronon- cées dans une autre occasion, à peu près dans les mêmes termes : « Ego autem dico vobis : quia omnis qui di- miserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, fa- cit eam mœchari : et qui dimissam duxerit adulte- rat. » (Matth., cap. y, 32.)

D'après l'exégèse protestante, Jésus-Christ, tout en supprimant le divorce dans les autres cas tolérés par la loi judaïque, l'a autorisé pour le cas l'un des époux se rend coupable d'adultère. C'est le sens qu'il faut donner à ces paroles : « Nisi ob fornicationem,— excepta fornicationis causa. »

Les théologiens et les exégètes catholiques, afin de mettre la doctrine de l'Eglise a couvert des attaques de l'hérésie et du schisme, ont imaginé diverses interpré- tations des deux textes de saint Matthieu. Nous n'en parlerons pas , parce que nous ne croyons pas qu'elles soient vraies.

Avec les conciles de Florence et de Trente , nous croyons que Jésus-Christ, dans la circonstance les paroles citées plus haut ont été prononcées, interdit le divorce d'une manière absolue, parce qu'il proclame d'une manière absolue l'indissolubilité du mariage. A ne considérer que le texte même, il semble, en effet, que

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Jésus-Christ établit une exception à l'indissolubilité pour .e cas d'adultère, mais le contexte ne nous permet pas de nous arrêter à cette opinion, parce que ce serait met- tre le Sauveur en contradiction avec lui-même.

Que veut-il? Ramener le mariage à son institution primitive. Ceux que Dieu a unis ne sont plus qu'une seule chair, et l'homme n'a pas le droit de les séparer. Si Moïse a permis le divorce, c'était par pure tolérance et à ren- contre de l'institution primitive. Dans le royaume mes- sianique, on reviendra strictement au plan divin. Voilà certainement le sens obvie du discours de Notre Seigneur aux pharisiens. Or, toute cette belle argumentation tombe à l'instant, détruite par la parole même du Christ, du moment qu'il pose, comme les juifs, le principe que le divorce peut exister dans certains cas, contrairement au droit naturel et divin. Les mots « nisi ob fornicatio- nem » ne sauraient donc s'appliquer au lien du mariage, ni établir un cas spécial dans lequel le divorce serait permis.

Autre contradiction. D'une part, dans la première par- tie du texte, Jésus-Christ affirmerait que l'union est dis- soute par l'adultère de la femme et que l'homme devient libre de convoler à d'autres noces; d'autre part, dans la seconde partie, il interdirait d'épouser la femme infidèle, sous peine d'adultère : <t Qui dimissam duxerit msecha- \ur. » Il supposerait donc que le lien du mariage est dissous pour l'homme offensé et qu'il ne l'est pas pour la femme infidèle, ce qui est une absurdité. Si les mots « niêi ob fornicationem » indiquent une condition de rupture, ils auraient être répétés après le mot dimis- sam. Par exemple, Jésus-Christ aurait dire : Qui dimissam duxerit maechatur, nisi mulier fuerit di- missa. ob fornicationem.

La concession faite pour le cas d'adultère doit donc nécessairement s'entendre d'une simple séparation de lit

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et de toit, et non d'une rupture du lien conjugal. Le dé- cret d'indissolubilité contient ainsi trois articles :

Article premier. Il n'est permis à un mari de se sé- parer de sa femme que dans le cas elle est adultère.

Art. 2. Même dans ce cas, il ne peut épouser une autre femme sans devenir adultère lui-même.

Art. 3. Quiconque épouse la femme infidèle se rend coupable du même crime.

Telle fut certainement la pensée de Notre-Seigneur, et c'est dans ce sens que sa parole fut interprétée par ses auditeurs. Les apôtres, en particulier, expriment leur étonnement de l'austère condition faite au mariage de la loi nouvelle, jusqu'à demander s'il ne vaut pas mieux s'abstenir du mariage. Ils n'eussent point été effrayés à ce point, si Jésus-Christ eut toléré le divorce, au moins dans le cas d'inconduite de la part de la femme.

Si l'on compare le texte de saint Matthieu aux autres écrits du Nouveau Testament, la lumière se fait davan- tage et la doctrine catholique se confirme.

Saint Marc et saint Luc s'expriment d'une manière absolue, sans faire la moindre mention de la clause em- barrassante de saint Matthieu. Nous lisons dans saint Marc : « Quicumque dimiserit uxorem suam et alium duxerit adulterium committit super eam; et si uxor dimiserit virum suum et alii nupserit mœchatur, » (Cap. x, 11.) Dans saint Luc : « Omnis qui dimittit uxorem suam et alteram ducit, mœchatur; et qui di- dimissam a viro ducit mœchatur. » iCap. xvi, 18.) Rien de plus clair. L'exégèse nous fait un devoir d'éclair- cir le passage obscur de saint Matthieu par ces textes pleins de netteté. Saint Paul n'est pas moins précis. « La femme est liée à son mari tant qu'il vit... Elle est adul- tère, si elle a des rapports avec un autre homme du vi- vant de aon mari : Mulier alligata est legi quanto tem- porevir ejus vivit. (I Cor., cap. vu, 39.) Igitur vivent?

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viro vocabitur adultéra si fuerit cum alio viro. » (Rom., cap. vil, 2, 3.

Quant à la tradition, Maldonat la résume en ces quel- ques paroles : e La doctrine de l'indissolubilité absolue du mariage a pour elle les auteurs les plus anciens, les plus nombreux et les meilleurs : Hsec sententia anti- quiores, plures, meliores habet auctores. » Nous ren- voyons le lecteur au savant traité De matrimonio christiano, dans lequel le P. Perrone démontre que l'enseignement de la tradition est parfaitement conforme à la doctrine de l'Evangile et de l'Apôtre, telle que nous l'avons exposée. Après avoir cité les témoignages indis- cutables d'Hermas, de saint Justin, d'Athenagore, de Clé- ment d'Alexandrie, d'Origène, de saint Cyprien, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Ambroise, de saint Chry- sostôme, de Théodoret, de saint Jérôme, de saint Augus- tin, de saint Innocent, du concile d'Elvire (305), du con- cile d'Arles (314), du quatrième concile de Milève (418), le docte théologien discute ies textes et les monuments antérieurs au VIe siècle, sur lesquels les adversaires de l'indissolubilité absolue s'efforcent d'établir leur sen- timent. Il démontre que la plupart peuvent être inter- prétés dans le sens catholique et que, s'il reste de l'obscurité sur quelques-uns, pas un seul ne permet ouvertement le mariage aux époux séparés pour cause d'adultère.

Il est donc faux de dire que les sentiments des Pères sont partagés et que la tradition des premiers siècles, en cette question, oscille entre l'affirmative et la né- gative.

Les documents certains du moyen âge ne sont pas moins explicites. Il résulte de leur examen qu'à partir du VIe siècle, la doctrine de l'indissolubilité absolue a toujours été enseignée et pratiquée, et que partout on s'est appuyé sur l'autorité de l'Evangile et de l'Apôtre,

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pour interdire aux chrétiens le mariage du vivant de leur conjoint, même dans le cas de séparation pour cause d'adultère.

Les documents du moyen âge, exploités par les adver- saires de l'indissolubilité absolue, sont ou des documents douteux, ou des documents mal interprétés. Quand on y parle de la rupture du lien conjugal, on doit toujours l'entendre d'une simple séparation qui n'implique aucu- nement le droit de contracter une nouvelle union.

A supposer qu'un ou deux conciles provinciaux aient mal interprété le texte de l'Evangile, et enseigné que le lien conjugal était rompu par l'adultère, on doit tout simplement conclure qu'ils se sont trompés. Leur doc- trine ne saurait prévaloir contre celle de l'Eglise univer- selle. Du reste, comme le fait judicieusement remarquer le P. Perrone, si le sens attribué au texte de saint Mat- thieu par les adversaires de l'indissolubilité absolue était un sens vrai, conforme à la doctrine de l'Apôtre et à la tradition, comment se ferait-il que, malgré les exigences des passions et les licences accordées par les lois civiles, nous ayons, au point de vue doctrinal et pratique, un sens contraire coulant à pleins bords dans le lit des siècles depuis l'origine du christianisme jusqu'à nos jours?

La pratique de l'Eglise grecque, qui permet, même chez les Grecs unis, aux époux séparés pour cause d'adultère, de contracter un nouveau mariage, n'est point une difficulté dont puissent triompher les adver- saires de l'indissolubilité absolue. Il est certain que les deux Eglises d'Orient et d'Occident étaient, dans les premiers siècles, d'accord sur l'interprétation de l'Evan- gile et que jamais il ne s'est élevé entre elles de con- troverse au sujet de la rupture du lien conjugal par l'adultère. Cette rupture n'a été introduite dans l'Eglise grecque qu'après une longue pratique de l'indis-

CABÊME 1887. 19

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solubilité absolue. La cause en est aux lois civiles; ce n'est que très tard, lorsqu'ils ont été repris par l'Eglise latine de leur abus, que les Grecs ont songé à invoquer les témoignages de l'Ecriture et des Pères. Les té- moignages des Pères invoqués par les Grecs manquent de clarté et peuvent être ramenés , pour la plupart, au sens orthodoxe; en tout cas, ils n'infirment pas les fran- ches déclarations de saint Grégoire de Nazianze, de saint Jean Chry sostôme et de Théodoret qui condamnent les lois civiles d'où est venue la pratique du divorce. Les Grecs se sont toujours senti si peu appuyés sur l'Ecriture et sur la tradition qu'ils n'ont jamais osé reprocher à l'Eglise latine sa doctrine de l'indissolubilité absolue, ni l'introduire parmi les prétextes même les plus futiles de leur schisme. Chaque fois qu'il s'est agi de la réunion des deux Eglises, sous Etienne V, sous Grégoire X, sous Eugène IV, jamais il n'a été question d'un dissentiment doctrinal touchant l'indissolubilité absolue. Les Pon- tifes romains n'ont jamais cessé de reprocher aux Grecs ' leur abus, jamais les Grecs n'ont pu se défendre, jamais ils n'ont accusé d'erreur l'Eglise romaine qui condam- nait leur conduite bien qu'ils y aient persévéré. De tout cela, il faut conclure que l'erreur des Grefs est plu- tôt pratique que théorique. Cependant, depuis la défini- tion du concile de Trente, il est impossible de considérer cette question comme purement disciplinaire; elle est doctrinale et dogmatique.

On a essayé d'amoindrir la partie du septième canon de la XXIVe session ainsi conçue : a Si quelqu'un dit que « l'Eglise a été et est dans l'erreur lorsqu'elle a enseigné « et enseigne, selon la doctrine évangélique et apostoli- a que, que ie lien du mariage ne peut être rompu par a l'adultère de l'un des époux ; que l'époux, même inno- a cent, ne peut du vivant de son conjoint contracter un « nouveau mariage, qu'il commet un adultère si, mari,

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a il prend une autre femme ; femme, un autre mari ; qu'il a soit anathème »

Sarpi, Courrayer, Launoy et d'autres auteurs plus ré- cents prétendent que, dans ce canon, il s'agit d'une ques- tion purement disciplinaire, que l'Eglise peut changer selon les exigences des temps et des lieux, et que l'ana- thème a été prononcé seulement, à propos de cette ques- tion, contre les protestants et les calvinistes qui contes- taient à l'Eglise son privilège d'inerrance.

Vaine subtilité. Le concile de Trente a modifié sa rédaction primitive sur les instances des Vénitiens qui demandaient que les populations des îles grecques sou- mises à leur domination ne fussent pas directement frappées par l'anathème; mais son but était manifeste- ment de définir une question dogmatique. Les termes du canon en font foi, puisqu'il s'agit de couvrir par l'in- faillible autorité de l'Eglise « un enseignement conforme à la doctrine de l'Evangile et de l'Apôtre : o Cum docuit et docet, juxta Evangelicam et apostolicam doctri- nam. » D'où nous devons conclure que le canon du concile de Trente est un canon dogmatique, ayant pour objet direct l'inerrance de l'Eglise lorsqu'elle enseigne l'indissolubilité absolue, et pour objet indirect cette in- dissolubilité enseignée selon la doctrine évangélique et apostolique. Quiconque nie l'inerrance de l'Eglise en cette matière est hérétique et tombe sous l'anathème. Quiconque enseigne une doctrine contraire à celle de l'Eglise sur ce point particulier tombe dans une erreur voisine do l'hérésie.

(Cf. Perrone, Tract. De matrimonio christiano, sect. De indissolubilitate matrimonii ckristiani* cap. il, m. IV.)

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IV

QUATRE-VINGT-HUITIÈME CONFÉRENCE

(Voyez première partie.)

Nous avons établi le pouvoir législatif de l'Eglise sur ces deux principes : Que le mariage, dans son es- sence, est une chose sacrée appartenant au for intérieur, sur laquelle, par conséquent, le pouvoir civil n'a aucun droit. Que, dans le mariage chrétien, le contrat est inséparable du sacrement, ce qui met l'union conjugale entre les mains de l'Eglise, seule dispensatrice et régu- latrice des choses sacrées. Ces principes, universelle- ment admis dans l'Eglise, furent rejetés par le protes- tantisme. Nous avons cité la sacrilège comparaison de Calvin qui met l'institution du mariage sur le même pied que l'agriculture et les plus vulgaires métiers : « Tout cela vient de Dieu, dit-il, et rien de tout cela n'est sacré : Non satis est matrimonium esse a Deo, ut sacramen- tum censeri possit ; nam etiam agricultura et ars sutoria est a Deo, nec tamen est sacramentum. p {Inst., lib. IV, cap. xix, § 54.)

Khemnitz ne tarda pas à tirer les conséquences de cette erreur, et prétendit que ce n'était pas à l'Eglise, mais au pouvoir politique qu'il appartenait d'édicter des lois sur le mariage. Toutefois, la théorie des droits de la puissance séculière sur l'union conjugale ne s'est pro- duite, avec toute sa brutale impudence, que lorsque les théologiens et les juristes de cour revendiquèrent pour les princes le droit d'établir des empêchements diri- mants.

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Luther refusait ce droit à l'Eglise, parce qu'il ne l'ac- cordait qu'à Dieu, et ne reconnaissait pas d'autres em- pêchements que ceux qu'il a établis entre les plus proches parents et alliés, et qui sont consignés dans le chapitre quinzième du Lévitique. (De captiv. Babyl. De matrimonio.) Calvin, Bucer et Mélanchton sont du même avis. Mais d'autres novateurs ont été plus osés. Marc-Antoine de Dominis, évêque apostat, tient la tête des flatteurs qui revendiquèrent pour le pouvoir séculier le droit de créer des empêchements au mariage. Sa doc- trine sacrilège a été aggravée par Launoy. Ce luthérien masqué n'a pas craint d'affirmer que le droit du pouvoir séculier, en cette matière, lui est tellement propre que l'Eglise ne peut l'exercer sans usurpation, s'il ne lui est concédé par les princes : « Jus statuendi impedimenta, quae dirimant matrimonium , ita propria ac nativa potestate ad solos reges ac principes civiles pertinet, ut Ecclesia nequeat sine usurpatione, aut indulgentia et concessione principum illud exercer e. » (De regia in matrimonium potestate, 4674.)

Lhuillier a démontré la mauvaise foi de Launoy, en relevant dans son ouvrage les nombreuses altérations de textes dont il s'est rendu coupable. (In. lib. mag. Launoii parisiensis, qui inscribitur, Regia in matri- monium potestas , observationes, auctore theologo pa- risiensi.

L'erreur de Launoy fut vulgarisée, en Autriche, par Benoît Oberhauser, professeur de droit canon , avec ce tempérament qu'il réserve à la puissance civile le droit des empêchements dirimants, parce qu'elle est maîtresse du contrat, et concède à l'Eglise le droit de légiférer en tout ce qui regarde la sainteté du sacrement , sans que cependant elle puisse rien statuer sur la validité du contrat. C'est sur ces principes qu'est établie la législa- tion matrimoniale de Joseph II.

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Parmi les théologiens catholiques, il y en a qui, tout en reconnaissant que le pouvoir de créer des empêche- ments appartient, originairement et en propre, à l'Eglise, enseignent que ce pouvoir est partagé par la puissance séculière. Telle est l'opinion de Sanchez, P. Soto, Tour- nely, Collet, et, de nos jours, de M. Carrière, professeur au séminaire de Saint-Sulpice. Mais ce dernier, danfc une nouvelle édition de son Traité dumariage, a amendé son opinion et déclaré se soumettre à la doctrine du Saint-Siège apostolique.

Quelle est cette doctrine?

Nous la trouvons d'abord dans les canons du concile de Trente, par lesquels l'Eglise définit qu'il y a d'autres empêchements au mariage que ceux exprimés dans le Lévitique et qu'elle a le droit d'établir ces empêche- ments.

« Can. III. Si quis dixerit eos tantum consanguinei- v tatis et affinitatis gradus, qui Levitico exprimuntur « posse impedire matrimonium contrahendum, et diri- « mère contractum, nec posse Ecclesiam in nonnullis u illorum dispensare, aut instituere, utplures impediant o et dirimant; anathema sit. »

« Can. IV. Si quis dixerit Ecclesiam non potuisse « constituere impedimenta matrimonium dirimentia, a vel in iis constituendis errasse; anathema sit. d (Sess. XXIV.)

En vain Launoy prétend que cette définition n'est pas dogmatique, et qu'elle n'établit pas une vérité de foi. II suffit d'en considérer l'objet pour se convaincre du con- traire. Le canon IV a pour objet non pas un fait mais ui droit, par conséquent, une vérité. Il anathématise ur enseignement erroné et établit du même coup rensei- gnement contradictoire.

Du reste, l'intention de l'Eglise est manifestement ex- primée dans le titre même de la XXIVe session : Doc-

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trina, de sacramento matrimonii ; et le concile déclara ouvertement qu'il veut exterminer des hérésies et des erreurs : Haereses et errores exterminandos duxit.

Dira-t-on que l'Eglise, en affirmant son droit, n'exclut pas celui des princes? Ce serait méconnaître sa cons- tante doctrine, et sur la prééminence de sa législation et sur l'essence même du mariage. Nous prions le lecteur de relire, dans notre conférence sur le lien conjugal, les textes des saints Pères qui affirment si nettement l'auto- rité supérieure de l'Eglise. Nous y ajoutons ici ces pa- roles du Pape Nicolas Ior : « Les lois des empereurs ne pouvent porter aucun préjudice aux lois évangéliques, apostoliques et canoniques : Civiles imperatorum leges nullum posse prœjudicium inferre evangelicis, aposto- licis atque canonicis decretis. »

Quant à l'essence du mariage, l'Eglise la consklère comme une chose sacrée : « Matrimonium est sua vi, sua natura, sua sponte sacrum, » dit le Pape Léon XIIT dans son encyclique De matrimonio christiano. Lo concile de Trente l'appelle un sacrement, et Pie IX, après avoir condamné l'erreur de Nuytz, qui considère le sacrement comme un accessoire séparable du contrat, enseigne qu'il ne peut y avoir de mariage entre les fidèles sans qu'aussitôt, et en même temps, il n'y ait un sacrement : « Inter fidèles matrimonium dari non posse, quin uno eodemque tempore sit sacramentum. b (Allocut., 27 sept. 1852.)

La même doctrine est enseignée dans l'encyclique dp Léon XIII. Il suit de là, comme nous l'avons fait remar- quer dans notre conférence, que le droit de légiférer sur le mariage appartient à l'Eglise : c Un contrat à la fois naturel et divin, dit le P. Perrone, ne peut être régi que par Dieu, immédiatement ou médiatement, e*e^t-à-dire par une autorité spirituelle, quant à sa substance . Con- tractus naturalis atque divinus simul, cujus modi est

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conjugium a sua institutione.... a Deo solo sive im- médiate sive médiate, per auctoritatem nempe spiri- tualem, régi decet quoad substantiam suam. » Or, les empêchements dirimants portant sur le lien conjugal, c'est-à-dire sur la substance même du mariage, il est évi- dent qu'ils appartiennent à l'Eglise. Accorder à la puis- sance séculière le droit de les établir, c'est mettre une chose sacrée à la merci d'un pouvoir profane, assujettir l'autorité divine à l'autorité humaine.

Remarquons que l'erreur qui attribue au pouvoir séculier le droit de légiférer sur la substance même du mariage est fondée sur cette autre erreur : que le contrat est séparable du sacrement. Malheureusement, cette erreur s'est accréditée parmi les juristes et elle a donné lieu à la détestable pratique du mariage civil.

Nous n'entendons point désigner, sous ce nom, les ma- riages que les infidèles contractent devant les magistrats, et que le Pape Innocent III appelle de vrais mariages, bien qu'ils ne soient pas complètement conformes à la loi divine, qui a élevé l'union matrimoniale à la dignité d'un sacrement : « Matrimonia vera et non rata. »

Pareillement, il ne s'agit pas des unions contractées par les fidèles devant les magistrats civils, dans les pays le décret du concile de Trente n'a pas été promulgué. Ces unions sont, à la fois, de légitimes contrats et de vrais sacrements : Matrimonia vera et rata.

Nous voulons parler des mariages qui se contractent devant l'autorité civile, dans les pays le décret du concile de Trente, qui exige pour la validité du sacrement la présence du propre curé, a été promulgué. Dans ces mariages, il n'y a pas de contrat. Les gouvernements modernes les considèrent comme des unions légitimes auxquelles ils accordent tous les effets civils, ils ne sont, en effet , que de honteux et funestes concubinages :

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c Praeter sacramentum, conjunctionem cujuscumque, c etiam civilis legis vi initam, nihil aliud esse nisi u turpem ac exitialem concubinatum ab Ecclesia tan- « topere damnatum. » [Allocut. Pie IX, ad cardinales, 27 sept. 1852.)

Nous ne refusons pas au pouvoir civil tout droit de ré- glementation à propos du mariage, mais ce droit ne peut s'exercer sur la substance même de l'union matrimo- niale. Constater par un acte public la formation et l'existence de la société conjugale, établir certaines con- ditions pour que le mariage obtienne tous ses effets civils, c'est le droit de la puissance séculière; mais pré- tendre qu'on est légitimement marié par un magistrat, sans le concours de la puissance spirituelle, c'est une erreur contre laquelle l'Eglise proteste de toute la force du droit souverain que Dieu lui a conféré sur la subs- tance même du mariage.

En vertu de son droit souverain, l'Eglise a le droit de juger toutes les causes matrimoniales qui ont rapport à la substance même de l'union conjugale. Marc Antoine de Dominis, Launoy, Tamburini, Litta, Nestius, Nuytz attribuent ce droit à la puissance séculière. Le canon, par lequel l'Eglise définit son droit, n'exclut pas, disent-ils, celui des tribunaux civils. Le concile de Trente, en effet, s'exprime ainsi : « Si quis dixerit* causas matrimoniales non spectare ad judices eccle> siasticos; anathema sit. (Sess. XXIV, can. 12.) Dam ces termes, il condamne ceux qui refusent à l'Eglise le droit de juger les causes matrimoniales, mais non ceu7 qui prétendent que ce droit est partagé par la puissance civile; car le concile ne dit pas : * Ad solos judice' ecclesiasticos. »

Pour qui compare le canon que nous venons de citer avec la doctrine do l'Eglise sur l'identité du contrat et

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du sacrement, il est évident que le concile n'avait pas besoin d'exclure les juges civils, puisqu'ils ne peuvent avoir aucune espèce de droit sur une chose sacrée. Mai? le Souverain Pontife Pie VI a dissipé tous les doutes sur ce point, dans sa lettre du 17 septembre 1787 (ad episcop. Motulensem.) Il y parle en juge suprême de la doctrine : a Tanquam is qui jus habet suprema Christi ipsius auctoritate sibi collata docendi et confirmandi ; » et il déclare : « Que le droit défini par le concile appartient à l'Eglise seule, qui a reçu de Dieu la dispensation des sacrements; qu'il est faux que le concile n'ait pas exclu le pouvoir civil, bien qu'il ne se soit pas servi de ces ex- pressions :' ad solo s judices ecclesiasticos ; que l'esprit et la raison de la législation ecclésiastique excluent toute idée d'exception et de limitation. Enfin, il cite ces remar- quables paroles du juriste Van-Espen : « Unanimi con- sensu receptum est causas sacramentorum esse mère ecclesiasticas, easque quantum ad substantiam eorum, ad judicem ecclesiasticum private spectare, nikilque circa eorum validitatem et invaliditatem judicem sœ- cularem posse decernere, eo quod haec natura sua sint mère spirituales. Et sane si quaestio versatur de vali- ditate ipsius matrimonii, solus judex ecclesiasticus est competens, ipseque solus de hac qusestione cognoscere potest. (Jus. eccles., p. III, tit. II, cap. i, n. 4, 11 et 12.)

Donc, les invalidités ou séparations prononcées par les juges civils ne peuvent regarder que les effets civils du mariage. Le lien conjugal lui-même et les droits qu'il crée appartiennent au for de la conscience et sont du res- sort unique de l'Eglise.

4e Jusqu'où s'étend la puissance de l'Eglise sur le lien conjugal? Si elle peut créer des empêchements qui s'op- posent à sa formation, peut-elle le rompre quand il est formé?

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La réponse à cette question n'est pas difficile s'il s'agit du mariage consommé par l'union charnelle des époux. Il est certain que l'Eglise ne peut le dissoudre.

Quant au mariage conforme à la loi divine et qu'on appelle le mariage ratifié et non consommé, il est de foi qu'il peut être dissous par les vœux solennels de religion. Le concile de Trente a défini cette vérité dans le ca- non VIe de sa XXIVe session : « Si quis dixerit matri- monîum ratum non consummatum, per solemnem religionis professionem alterius conjugum non di- rimi; anathema sit. »

Ce canon est dirigé contre les protestants qui, par une singulière contradiction, en se montrant faciles au di- vorce, mèmequand il s'agissait du mariage consommé, se refusaient absolument à la rupture du lien conjugal quand il s'agissait d'embrasser une vie plus parfaite. Les jan- sénistes ont imité en cela les protestants, et ont pré- tendu que la définition du concile de Trente est contraire à l'Ecriture et à la tradition. C'est ce qu'affirme Léri- dant, dans son Examen de deux questions sur le ma- riage (p. 458 et suiv.). Pite, dans sa Dissertation sur l 'indissolubilité absolue du lien conjugal, prétend que le décret du concile de Trente est nul, parce que les Pères n'ont pas eu en l'édictant la liberté nécessaire.

Quant aux théologiens catholiques , ils considèrent tous le canon du concile de Trente comme la définition d'une vérité de foi, mais leurs sentiments diffèrent, lors- qu'ils expliquent pourquoi le mariage simplement ratifie peut être dissous par la profession religieuse.

Les uns, tels que les théologiens de Salamanque, Bel- larmin, Habert, Drouin, etc., sous la conduite de saint Thomas, invoquent le droit naturel.

Il doit être toujours permis, dit le docteur angélique, de passer d'un état moins parlait à un état plus parfait. Le bien des enfants n'en souffre pas, puisque le mariage

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n'est pas consommé ; ni l'honneur de la femme, puis- qu'elle garde sa virginité ; ni le droit mutuel des époux, égal en cette question de part et d'autre. Avant la con- sommation du mariage, il n'y a encore entre les époux qu'un lien spirituel. Or, ce lien spirituel peut être rompu par la mort spirituelle, comme le lien charnel est rompu par la mort physique : « Ante carnatem copulam est inter conjuges tantum vinculum spirituale; sed post etiam est inter eos vinculum carnale. Et ideo sicut post carnalem copulam matrimonium solvitur per mortem carnalem; ita per ingressum religionis, vin- culum, quod est ante carnalem copulam, solvitur; quia religio est quœdam mors spiritualis qua aliquis saeculo moriens vivit Deo. » (Summ. Theol., supp. qusest. 61, a. 2.)

Les autres : Kugler, Antoine, Simonet, La Luzerne, Pothier, sous la conduite de Suarez, s'en tiennent pure- ment et simplement au droit ecclésiastique. La rupture du lien conjugal, dans le cas dont il est question, est l'application du pouvoir de lier et de délier que le Christ a confié à son Eglise.

On peut opposer à ces deux sentiments de graves dif- ficultés ; c'est pourquoi Sanchez, Pontius, Tournely, Billuart, Collet et presque tous les modernes, appuyés par la grande autorité de Benoît XIV, invoquent le droit divin. En promulguant la loi d'indissolubilité, le Christ, disent-ils, a fait une réserve. Il faut rapprocher l'un de l'autre les deux textes de sa réponse aux pharisiens : i Jam non sunt duo sed una caro, » et o Quod Deus conjunxit homo non separet. » Ce qui veut dire que l'in- dissolubilité du lien conjugal n'est absolue que lorsque l'homme et la femme sont devenus une seule chair par la consommation du mariage. Telle est l'interprétation de l'Eglise.

Les protestants et les jansénistes ont beau invoquer

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l'Ecriture, il ne leur appartient pas d'en déterminer le sens d'après leur sentiment privé. Ce droit n'appartient qu'à l'Eglise. Sa pratique traditionnelle et ses définitions sont la règle de notre foi.

La question de la rupture du mariage ratifié, pour d'autres raisons graves que la profession religieuse, offre plus de difiicultés. Sanchez donne une longue liste d'anciens théologiens qui refusent au Souverain Pontifô le droit de dissolution, et il dit de leur sentiment qu'il est le plus probable. Parmi les modernes, Pontius, Sylvius Tournely, Drouin, Collet et d'autres ont épousé cette opinion.

Mais, il est à remarquer que les arguments dont ils se servent pour la prouver, sont, en partie, les mêmes que ceux dont les hérétiques usent et abusent contre le décret du concile de Trente. De plus, ils sont obligés d'avouer que, maintes fois, depuis plusieurs siècles, les Souve- rains Pontifes ont dissous les liens du mariage avant sa consommation, sans réclamation de la part de l'Eglise. En niant qu'ils en aient eu le droit, ne sont-ils pas con- damnés par ce principe général qu'on peut considérer comme un axiome : « Douter du pouvoir du Pape après qu'il a dispensé, c'est une sorte de sacrilège; car c'est reprocher au Christ de n'avoir pas pourvu comme il faut au gouvernement de son Eglise : De pontificiis potes- tate, postquam dispensavit dubitare, instar sacrilegii est. Est enim Christo quasi exprobrare quod non satis Ecclesix suae providisset? » (Tit. De convers. conjug., cap. vu.)

Il faut donc considérer comme vraie l'opinion des théo- logiens qui, avec Suarez, Bellarmin, l'Ecole de Sala- manque, Kugler et presque tous les canonistes, ensei- gnent que le Pape a le droit de dissoudre, pour des causes justes et graves, le mariage avant sa consomma-

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tion. Rien de plus précis que les déclarations de Be- noît XIV sur cette question : « Cessât quoque indisso- lubilitas matrimonii rati in aliis omnibus casibus extra professionem religiosam, in quibus Summus Pontifex, justis et gravissîmis causis, censet ejus dis- solutionis esse locum, ita suadente Tridentino , ita exposcente observantia, ita demum convincente conti- nuata plurium sœculorum praxi sedis apostolicœ ex quibus interpretatio juris divini optime colligi po- test. » (Quaest. canon., q. CXLVI, 36.)

« Nullam de potestate summi Pontificis moveri amplius posse quœstionem in eo, quod attinet ad dis- pensandum super matrimonio rato et non consum- mato, cum hodie opinio affîrmativa sit communis inter theologos et canonistas, et in praxi recepta, uti notorium est. » {Ibid., qusest. CCCCLXXIX.)

Devant une si grande autorité, il serait plus que té- méraire de soutenir la première opinion. (Cf. Perrone, Tract. De matrimonio christiano, lib. III, cap. v. De dissolutione matrimoni rati non consummati.)

V

QUATRE-VINGT-DIXIÈME CONFÉRENCE

(Voyez première partie.)

Dès l'origine du christianisme nous voyons fleurir la virginité dans l'Eglise. Saint Justin et Athénagore, que nous avons cités, témoignent de l'empressement avec le- quel un grand nombre de chrétiens embrassaient la con- tinence. On peut joindre à leurs témoignages ceux de

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Clément d'Alexandrie, de Tertullien, d'Origène. de saint Cyprien.

C'était une chose étrange, pour le monde païen, que cette multiplication d'une race chaste dans un milieu corrompu, il était difficile d'obtenir la continence de quelques prêtre- ses en les comblant de biens et d'honneurs et en suspendant sur leurs têtes les plus ter- ribles menaces. On comprenait difficilement l'attrait mystérieux qui pouvait décider tant de personnes des deux sexes à se sevrer des plaisirs de la chair. Les apo- logistes en profitaient pour faire valoir l'excellence du christianisme capable de produire une si grande mer- veille.

Bientôt ils se virent obligés de défendre la virginité contre. les attaques de l'hérésie. Un moine, Jovinien, après avoir passé quelques années dans un monastère de Milan, appliqué aux pratiques d'une vie austère, sous la conduite de saint Ambroise, se dégoûta de son état et, comme tous les apostats, se mit à le décrier. Il enseigna, entre autre erreurs, que la virginité n'était pas plus par- faite que le mariage, et se mit à insulter le modèle des vierges, la très sainte Mère du Christ. Passant de Milan à Rome, il eut un grand nombre de sectateurs. Une foule de gens, qui avaient vécu, jusque-là, dans la continence et la mortification, renoncèrent à un genre de vie qu'on disait sans profit pour leur salut et leur perfection, se marièrent et s'adonnèrent à une vie molle et volup- tueuse.

Jovinien fut condamné par le pape Sirice et par un con- cile de Milan, présidé par saint Ambroise, l'an 390. ^aint Jérôme, dans ses écrits contre l'hérésiarque, s'est livré à toute la véhémence de sa dialectique et de son style, à ce point qu'on l'accusa de condamner le mariage. Le saint docteur fit voir qu'on interprétait mal sa pensée et s'ex- pliqua plus exactement. Les protestants, héritiers de

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l'erreur de Jovinien, ont renouvelé contre saint Jérôme les reproches des sectateurs de l'hérésiarque et ont pré- tendu qu'il s'était contredit. « Mais, comme le fait juste- ment remarquer Bergier, se dédire ou se rétracter, quand on reconnaît que l'on s'est mal exprimé, ce n'est pas une contradiction Si les hérétiques étaient d'assez bonne foi pour faire de même, loin de les blâmer, nous les applau- dirions; saint Jérôme n'était pas dans ce cas. » {Dict. de thèolog., art. Jovinianistes.)

Le protestantisme ne s'est pas contenté de rééditer les reproches des. Jovinianistes contre saint Jérôme, il a attaqué les premiers chrétiens et les Pères qui les ins- truisaient, prétendant qu'ils s'étaient trompés. Luther, en cela, a été dépassé par ses disciples. Le patriarche de la réforme invoquait contre le célibat et la virginité la loi de multiplication ; mais, depuis, on a trouvé que le zèle des chrétiens pour ce saint étatprovenait d'une fausse pré- vention, du plus pernicieux des fanatismes ; que c'était une erreur greffée sur d'autres erreurs. Elle est venue, dit-on, d'une admiration stupide pour tout ce qui exige un effort, de l'ambition de se distinguer et de recevoir des honneurs, de la rivalité des sectes qui divisaient alors le christianisme, surtout de celles qui admet- taient deux principes, l'un bon, l'autre mauvais, de la mélancolie du climat, de l'envie de réfuter les fausses accusations des païens, du système de la préexistence des âmes, de l'opinion des néoplatoniciens qui soute- naient la nécessité de la continence et de la mortification pour s'unir à Dieu.

Rien de plus frivole et de plus niais que ces af- firmations : Admirer l'effort de la vertu qui cher- che à établir l'empire de l'âme sur la chair n'est point une chose si stupide, il nous paraît bien plus stupide de n'en être pas touché. La vie retirée des vierges ne ressemble guère à l'ambition des honneurs, et tout

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le monde sait que la principale vertu recommandée par ceux qui les dirigeaient était l'humilité qu'ils consi- déraient comme le premier rempart de la chasteté. 3# Ce n'est point par esprit de rivalité que les premiers chré- tiens embrassaient la virginité, puisque les premiers hé- rétiques se posaient précisément en ennemis de la chair. La virginité eut favorisé leur erreur. La mélancolie du climat est une trouvaille. Elle prouverait que tous les climats sont mélancoliques, puisqu'il y a eu des vierges dans tous les pays. Quand bien même les chrétiens auraient voulu confondre par la pratique de la continence les païens, qui les accusaient d'impudicités révoltantes, quel mal y aurait-il à cela? C'était bien la meilleure manière de réfuter la calomnie. Il est ridicule de con- sidérer l'amour de la virginité comme une conséquence de la croyance à la préexistence des âmes. Pourquoi pratiquer la vertu pour un motif tiré d'une erreur con- damnée par l'Eglise, lorsqu'on a, à sa portée, un dogme qu'elle enseigne et qui explique suffisamment les géné- reux efforts de l'âme appliquée à protester par la chas- teté contre la corruption originelle de la nature? Il y avait plus d'un siècle que saint Justin, Athénagore et d'autres s'étaient glorifiés de la multitude des vierges, célibataires, religieux et ascètes que le christianisme avait produits dans toutes les conditions de la société, lorsque le néoplatonisme fit son apparition. Hermas, Tertullien et saint Cyprien, apologistes de la virginité. étaient étrangers à cette école, et établissaient leur doc- trine sur l'Ecriture. D'où il suit que cette dernière hypo- thèse, chère à Moshein et à Bruker, est une pure rêverie. Les physiologistes et les économistes sont intervenus dans cette haute et délicate question ; l'hérésie a trouvé chez eux du renfort. A les en croire, l'état de célibat et de virginité est un état contraire à la nature et aux inté- rêts de la société.

CAïa'MK 1887. 20

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Contraire à la nature, car ceux qui se condamnent par vœu à la continence absolue, entreprennent de lutter contre un des plus impérieux besoins de la chair et de- viennent fatalement ou prévaricateurs ou tabescents. Heureusement, cette affirmation n'est point un oracle scientifique pour les physiologistes consciencieux. Un homme qui a résolu de ne jamais boire de vin peut s'ha- bituer à cette privation, et est certainement moins exposé à l'ivrognerie que celui qui en boit et le trouve bon. La chair est exigente en raison des satisfactions qu'on lui accorde. Chez le libertin , ses exigences deviennent furieuses. Il suffît même de la trop bien nourrir pour y entretenir des excitations malsaines. C'est le cas des cé- libataires honteux que nous avons livrés, dans notre conférence, au mépris des honnêtes gens. Discipliner la chair par la tempérance, pousser la tempérance jusqu'à l'austérité, c'est assurer l'empire de l'âme sur la bête et se mettre au-dessus de ces impérieux besoins dont les physiologistes, ennemis de la continence, nous font un épouvantail. Si vous ajoutez à l'austérité la prière et la grâce, qui occupent une large place dans l'état de virgi- nité, on ne voit pas pourquoi l'homme ou la femme qui se sont liés par le vœu de chasteté deviendraient fatale- ment prévaricateurs. Ceux qui prétendent cela sont des gens qui créent en eux les besoins de la chair au lieu de les prévenir.

Quant à la tabescence qui doit résulter d'une conti- nence absolue, c'est une pure imagination contre la- quelle protestent les plus simples notions et la constante expérience de la physiologie, aussi bien que les calculs de la statistique

Il y a dans le corps humain des organes essentiels à l'entretien de la vie qui ne peuvent ralentir leur action sans que l'organisation tout entière en soit ébranlée jus- que dans ses fondements. Il en est de même du système

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nerveux, qui étend à la fois Bon empire et sur la vie de

relation et sur la vie de nutrition; car c'est lui qui com- munique la vie et l'animation à toute l'économie. Mais il est des organes dont l'action se borne à établir nos rap- ports avec les êtres environnants On conçoit qu'ils puis- sent suspendre leur activité fonctionnelle sans que la vie générale ait beaucoup à soulfrir de leur inaction.

Tels sont les organes générateurs. Ils n'ont pas une part directe, immédiate, dans l'entretien de l'organisme; leur fin n'étant pas la vie individuelle, mais la vie de l'espèce. Aussi peut-on dire, en thèse générale, que l'inaction de ces organes ne peut guère influer sur la santé de l'homme d'une manière fâcheuse, puisqu'ils ne sont pas destinés à accomplir le travail de nutrition, établi dans l'économie pour la conservation de l'individu.

Il est vrai qu'ils vivent aux dépens de la nutrition gé- néraient l'on pourrait croire que la virginité est capable de déterminer les accidents pléthoriques les plus cri par l'abondance et la richesse des matériaux qu'appelle la vie générale et que l'inaction condamne à devenir inutiles. Mais la nature a paré à ces accidents en établis- sant une élimination spontanée des éléments destinés à la génération par des émissions accidentelles, bien plus encore, par des absorptions vésiculaires qui suppléent a une fonction physiologique, préviennent des accumula- tions dangereuses, maintiennent l'équilibre dans l'éco- nomie humaine et favorisent la santé des célibataires.

La dégradation d'esprit, l'épuisement de corps, dont on les menace au nom de la science, sont démentis par la science. Elle trouve dans la continence une source d'énergie et de \igueur pour la vie organique comme pour la vie intellectuelle.

Ce qui est dangereux pour l'homme, c'est l'abus des organes générateurs. Leur simple usage est déjà une cause d'affaiblissement. « Les plaisirs de l'amour nous

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débilitent, » dit le vieil Hippocrate (De genitura). « Le danger de la continence, dit Colmeil (Dict. de médecine, art. Continenxe) n'existe réellement que pour certains tempéraments ardents et qui constituent, en quelque sorte, des exceptions dans l'organisme. La continence ne saurait être trop sévèrement gardée dans une foule d'af* fections chroniques, et notamment dans la plupart des affections nerveuses. Dans l'état de santé même, une continence modérée n'est pas sans avantage. L'homme qui mesure ses jouissances se sent plus de forces, plus d'énergie, de vigueur intellectuelle et physique. Il est positif, malgré ce qu'en ont pensé certains médecins, que le nombre des maladies le coït peut être avanta- geux est fort restreint. » J'ajoute qu'il y a de petites vies qui ne peuvent se conserver que par la continence. C'est l'huile sainte qui entretient ces lampes toujours prêtes à s'éteindre.

La statistique est d'accord avec la physiologie. Il est vrai que, d'après certains calculs, la vie moyenne des célibataires est inférieure à celle des gens mariés; mais dans ces calculs on comprend tous ceux qui ne se ma- rient pas, quels que soient leur constitution ou leurs mœurs. Mettons de côté ceux que des infirmités natives condamnent au célibat, ceux qui esquivent les devoirs du mariage pour se livrer sans retenue au libertinage et ae prenons que ceux qui embrassent par amour de la rertu l'état de virginité, la moyenne de la vie s'élève On a constaté que celle des anachorètes était de 76 ans, celle des prêtres, religieux et religieuses de 58 à 63.

On trouvera, dans le savant ouvrage du docteur Duf- fieux : Nature et virginité, des détails techniques sur cette intéressante question que je ne puis donner ici. Mais je ne résisterai pas au plaisir de citer la belle lettre écrite par le P. Lacordaire à cet auteur pour le remer- cier de lui avoir fait hommacre de son livre.

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c Toulouse, 31 juillet 1854.

« Monsieur,

u J'ai lu votre ouvrage : Nature et virginité, et je m'empresse de vous en témoigner toute ma satisfaction. Vous avez appuyé d'arguments tirés de la science une thèse moralement évidente, mais que la passion atta- quera jusqu'à la fin du monde, et vous Pavez fait avec une clarté, une mesure, une prudence et un talent que j'ai sincèrement admirés. Malgré les détails techniques nécessaires, il ne me semble pas que votre livre puisse blesser un cœur pur. Vous avez dit ce qu'il fallait pour être entendu des savants, et votre science est demeurée assez chaste pour instruire sans péril, il me semble, ceux qui ne sont pas initiés aux mystères du corps hu- main.

a Vous avez donné à ma conviction des preuves qu'elle ne connaissait pas, qui m'étaient personnellement inu- tiles, mais qui éclaireront des esprits plus sensibles aux démonstrations scientifiques qu'aux raisons tirées de l'expérience et de l'ordre moral, que, du reste, vous n'a- vez pas négligées. C'est un service éminent rendu à une vertu qui est la base même de la régénération de l'hu- manité. L'humanité monte ou descend dans le degré même la continence s'accroît ou s'abaisse parmi les hommes : elle est le principe de toute foi, de toute force, de toute incorruptibilité, et un peuple qui la perd ne peut échapper à la décadence et h la servitude. Comment serait-elle donc, cette vertu, un crime contre nature? C'est l'incontinence qui est contre nature, la suite et la punition du péché, le plus horrible désordre léjué à la race humaine, et une marque évidente de sa déerra dation.

<: Il n'est même pas vrai de dire que la continence est

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difficile à la plus grande partie de notre espèce. Les femmes, vous l'avez remarqué, la supportent générale- ment avec une facilité bien honorable pour elles, et qui s'explique par la sensibilité même dont elles ont reçu le don. Plus le cœur est aimant, moins il cherche les plaisirs du corps, et réciproquement, plus le corps est chaste, plus le coeur devient délicat et tendre. Je n'ai pas rencontré un jeune homme aimant parmi ceux qui se livrent aux débauches de l'imagination et des sens.

« Les femmos ne sont pas les seules à qui la conti- nence soit facile. J'ai souvent été étonné du peu qu'il faut pour arracher un jeune homme à la dépravation. La fuite des mauvaises compagnies, la cessation des lectures dangereuses, une vie sobre, un travail sérieux, la pratique suivie de la prière, de la confession, de la communion et des œuvres de charité, suffisent pour transformer des cœurs qui se croyaient incurables, et ceux qui ne se corrigent pas ou que peu le doivent à une vie désœuvrée et pleine de délices. Il peut y avoir des exceptions, qui tiennent à la nature du tempérament; mais je suis convaincu qu'une grande partie des hommes vivrait aisément dans la continence absolue si elle vivait chrétiennement.

« Quant aux observations de M. le docteur Lallemand su les effets de la continence dans le sacerdoce, c'est une bien triste aberration.

« A part des constitutions maladives, tout prêtro qui n'est pas chaste n'a pas vécu même chrétiennement; il n'a eu ni sobriété, ni travail sérieux, ni fuite des occa- sions, ni habitude de la méditation et de la prière, ni croût de la pénitence : entré sans vocation dans la milice sainte, il y a vécu en profane et succombé en indigne.

« Que si quelques-uns souffrent, par suite de la conti- nence, de quelques infirmités, c'est une rare exception, et la longévité du prêtre et des religieux témoigne assez

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que cette vertu, qui est un principe de vie spirituelle, est aussi la plus admirable hygiène pour le corps.

« Vous avez dit tout cela, Monsieur, beaucoup mieux que moi, et je ne fais qu'ajouter le témoignage de mon expérience à l'autorité de vos déductions scientifiques.

t Veuillez agréer tous mes remerciements de votre beau et excellent travail, ainsi que l'hommage des senti- ments très distingués, avec lesquels j'ai l'honneur d'être, « Monsieur, « Votre très humble et très obéissant serviteur, « F. H. D. Larcordaire. »

Les économistes reprochent au célibat et à la virgi- nité d'être contraires aux intérêts de la société. Nous avons répondu à ce reproche dans notre conférence en faisant remarquer qu'il y a plusieurs manières d'être fécond, et que le service de la multiplication de l'espèce peut être largement compensé, dans une société, par d'autres services domestiques et publics.

Cependant, les économistes insistent et prétendent que le célibat et la virginité arrêtent le mouvement de la po- pulation. Qu'ils nous permettent de leur demander s'il ne serait pas plus à propos de s'en prendre au liberti- nage. Voilà la véritable cause des arrêts et des défail- lances qu'on peut considérer comme les sinistres pré- curseurs de la décadence et de la ruine des peuples. Supprimez ce qui est' évidemment immoral avant de vous attaquer à une vertu qui, par son exemple, relève le niveau des mœurs et contribue plus qu'on ne pense à la multiplication de l'espèce et à la santé des généra- tions. Nous croyons pouvoir affirmer que parmi les peu- ples qui savent obéir à la loi de Dieu dans le mariage et à ses appels pour l'état réservé de célibat et de virginité, '.a population, loin de décroître, augmente dans une sage proportion. Les célibataires et les vierges y maintiennent

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un équilibre nécessaire, et leurs services de dévoûment ont précisément pour but de remédier aux misères qui éprouvent les familles trop nombreuses.

Et puis les économistes devraient se mettre d:accord avec eux-mêmes. Ennemis de la virginité, ils l'accusent de diminuer la vie et d'autre part ils se plaignent des excès de la vie. Ils craignent qu'en obéissant aux lois de la nature le mariage ne produise des populations exhu- bérantes, et ils conseillent aux époux les honteuses pra- tiques de l'onanisme conjugal. A les entendre, tout le monde devrait se marier; mais ce serait à la condition que le mariage, mesurant sa fécondité, ne fut qu'un voile destiné à déguiser des raffinements de corruption incon- nus de la bête. Aucun honnête homme ne peut acceptei de pareils calculs.

Le mariage n'est respectable que lorsqu'il obéit à la loi de Dieu; et la conscience nous dit que s'il faut que sa fécondité soit mesurée, elle doit l'être par une vertu et non par un vice exéorable

TABLE

OARfiME 1387. - 20*

TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES

QUATRE-VINGT-CINQUIEME CONFERENCE

LA SAINTETÉ DU MARIAGE

Dans l'intéressante étude de la grâce deJ.-C, il ne reste plus à examiner qu'un sacrement, le second des sacrements sociaux : le mariage. On considère dans cette conférence la sainteté du mariage : l°dans son institu- tion primitive par Dieu, créateur de l'humanité; dans son exaltation par le Christ, auteur des sacrements. I. Noces universelles dans la nature ; elles sont pleines de mystères vénérables ; ces mystères grandissent avec la vie. Noces de nos premiers parents. C'est le mariage typique; il faut en considérer l'essence, car c'est à cette vérité fondamentale que se rattachent les importantes questions de droits et de devoirs qui se- ront traités. Le mariage est le plus élevé, le plus vé- nérable, le plus singulier des contrats dans son objet, sa fin, son motif. Cependant, ce contrat n'est pas l'es- même du mariage. Quelle est cette essence? Quelles puissances concourent à la formation du lien conjugal? Comment ce lien est-il sacré par sa propre force, na- turellement et de lui-même? II. La nature a fait du mariage une chose sainte : chose plus sainte encore si

316 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

l'on considère la dignité du sacrement. - Un regard sur ce qu'aurait été le mariage dans l'état d'innocence. Comment il a été dépravé dans la suite des siècles. Comment J.-C. est venu le restaurer. Comment les apôtres ont compris son dessein. Doctrine du mariage consignée pour l'instruction de toutes les générations chrétiennes dans les épitres de saint Paul. Enseigne- ment de la tradition, doctrine de l'Eglise sur le sacre- ment de mariage. En quoi consiste ce sacrement. Quels en sont les ministres? Comment le sacrement persiste dans le lien conjugal. Quelle est la grâce qu'il produit ? - Conclusion : Le mariage est une chose sainte, les hommes n'y doivent pas toucher 3

QUATRE-VINGT-SIXIEME CONFERENCE

LE LIEN CONJUGAL

Le lien conjugal est l'essence même du mariage; c'est un lien sacré par lui-même, devenu plus sacré par l'ins- titution du sacrement; un lien qu'on ne divise pas, un lien qu'on ne rompt pas ; voilà ses propriétés étudiées ians ces deux propositions : l'indissoluble unité du lien jonjugal est une loi divine; cette loi est dans la nature une loi de progrès et de pertection. I. Comment Dieu manifeste sa volonté dans les noces typiques de nos pre- miers parents; comment sa loi, non expresse et impé- rieuse, comme elle le deviendra plus tard, est respectée par les générations issues du couple primitif. Tolé- rance de Dieu relativement à la polygamie et au divorce , raisons de cette tolérance. La tolérance de Dieu à l'endroit des générations anciennes ne lui fait pas oublier

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 317

son premier dessein dans l'institution du mariage. Comment l'unité et l'indissolubilité s'affirment et protes- tent par des faits et des enseignements qui soudront la restauration chrétienne à l'institution primitive. Com- ment J.-C. restaure l'indissoluble unité du lien conjugal, et comment il en fait la loi du monde nouveau qu'il a racheté Triomphe de cette loi dans l'Eglise jusqu'à l'avènement du protestantisme. Comment le concile de Trente a déterminé la formule dogmatique de la loi et l'a mise sous la protection de l'anathème. Raisons de cette loi édictée par le Christ; c'était : son droit de créateur; son droit de rédempteur; son droit de bienfaiteur; son droit d'exemplaire. Conclusion: La loi doit être respectée, quand bien même on ne verrait dans le monde de la nature aucune aspiration , aucun droit qui en justifiât la sainte austérité; mais la nature donne à cette loi son plein acquiescement, car c'est une loi de progrès et de perfection. II. Ce que nous enten- dons par la nature. Dieu, ayant créé l'homme parfait et maître du monde, il convenait qu'il se distinguât dans l'acte générateur par la plus parfaite de toutes le^ unions : cette union, c'est le mariage indissoluble. La loi de l'indissoluble unité du mariage est une loi de progrès et de perfection : parce que c'est la loi qui convient au véritable amour; développements. 2* Parce que c'est une école de vertus , développements. Parce que c'est le ciment de la famille et l'honneur des sociétés humaines; développements. Apostrophe aux pré- tendus hommes de progrès. Les hommes de progrès. ce sont les apôtres et les fidèles observateurs de l'indis- soluble uni^ du lien conjugal •"

118 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRE8

QUATRE-VINGT-SEPTIEME CONFERENCE

LE DIVORCE

Dans cette conférence, on fait la contre-épreuve des vérités exposées précédemment Les adversaires de la loi divine sont d'accord avec nous sur le caractère émi- nemment progressif de la monogamie, comme sur les désavantages et les inconvénients de la polygamie. Ce n'est plus la même chose, quand il s'agit de l'indissolubi- lité du lien conjugal, ils prétendent que c'est une loi ty- rannique qu'il importe de remplacer, pour le soulagement des sociétés modernes, par la faculté du divorce. Nous montrons : Que les raisons qu'on invoque contre la loi divine sont incapables de l'ébranler ; Que le divorce, qu'on propose pour remplacer cette loi, est pire que tous les maux dont on veut rendre l'indissolubilité responsa- ble, — et qu'il est, pour les sociétés humaines, un prin- cipe de décadence. I. Caractère des lois générales. Qu'on ne doit pas les abroger à cause de leurs inconvé- nients — Examen des griefs invoqués par les adversaires de la loi divine contre l'indissolubilité du mariage : La loi d'indissolubilité outrage la liberté humaine qu'elle enchaîne jusqu'à l'esclavage. Réponse. La loi d'indissolubilité tend à frustrer le mariage de sa fin principale. Réponse. -— La loi d'indissolubilité ex- pose ceux qu'elle unit irrévocablement à être privés, injustement et sans espoir, du bonheur auquel ils ont •Iroit en entrant dans la société conjugale ; elle les exas- père et les pousse au crime. Réponse. II. Le divorce pat pire que tous les maux dont on veut rendre l'indisso- lubilité responsable et, par conséquent, un principe de

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décadence. Belles et énergiques paroles de Léon XIII à ce sujet. Tout souffre du divorce : Le mariage lui- même. Ceux qui se marient. Les enfants, les familles, la société tout entière. Développements. Comment il est facile de comprendre à la suite de ces développements que le divorce est un principe de déca- dence. — A ceux qui nous accuseraient de faire ici un procès de tendance, nous répondons par l'histoire : \°Le divorce dans l'antiquité. Le divorce dans les sociétés chrétiennes depuis l'avènement du protestantisme. Si le divorce devient la coutume de nos sociétés, notre dé- cadence sera plus profonde et plus honteuse que truites les décadences historiques, parce que nous serons tom- bés de plus haut. Nécessité pour les vrais chrétiens et les hommes sensés de proclamer dans leurs mœurs plus que dans leurs discours : « Quon ne sépare pas ce que Dieu a uni. » 89

QUATRE-VINGT-HUITIEME CONFERENCE

LA LÉGISLATION DU MARJAGE

Prétention de la puissance séculière pour répondre aux réclamations des adversaires de la loi divine : Elle veut que le mariage soit la chose de l'Etat avant d'être la chose d'aucune religion et d'aucune Eglise, elle veut que les lois et règlements de la société religieuse fléchissent de- vant les lois et règlements de l'Etat: Contre cette pré- tention delà puissance séculière, on établit que la ! lation du mariage, quant à son essence même et à ses propriétés essentielles, appartient à Dieu seul et à son

320 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Eglise. Cette vérité prouvée, on montre avec quelle sagesse et quelle force l'Eglise procède dans sa législa- tion matrimoniale. I. Retour sur les vérités exposées dans les précédentes conférences touchant l'essence du mariage. Ce principe posé : que toute la force, toute la raison du mariage est dans le lien qui se forme entre l'homme et la femme par la donation et l'acceptation mutuelle de leurs personnes ; que ce lien est le mariage lui-même, et que c'est toujours Dieu qui le fait, on dé- montre : Que la puissance séculière n'a aucun droit sur ce qui se donne dans le mariage; Quelle n'a rien à voir à ce que l'homme fait en se donnant; par consé- quent, que le mariage, même en dehors de l'ordre chré- tien, est, quant à son essence et à ses propriétés fonda- mentales, soumis à la loi de la nature et à la loi de Dieu et indépendant de toute loi civile. L'incompétence du pouvoir séculier est plus manifeste encore, si l'on consi- dère que le mariage est un sacrement. Inséparabilité du contrat et du sacrement. Le mariage étant une chose sacrée au premier chef, le pouvoir civil ne peut avoir aucune autorité sur son essence et ses propriétés fondamentales. A quoi se borne le pouvoir législatif de la puissance séculière relativement au mariage. L'essence, les propriétés intrinsèques, le lien du mariage transformés et grandis par le Christ, sont choses sacrées qui ne relèvent que d'une autorité sacrée. Cette auto- rité, c'est l'Eglise : Détail de son pouvoir. II. L'Eglise investie d'un pouvoir sacré, à la manière des législateurs vraiment dignes de ce nom, sait unir la sagesse et la force dans les mesures préventives, miséricordieuses et vindicatives qu'elle prend pour protéger et affermir la vénérable institution du mariage : 1* Sagesse. Philo- sophie des empêchements. Toute la législation de l'Eglise sur ce point est faite dans l'intérêt de la liberté, de la multiplication et de la santé des générations hu-

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maines, de l'unité sociale, de la sécurité et de la paix du foyer domestique, de la pureté de la foi, des droits de Dieu et des droits de l'homme, de l'hon- neur et de la bonne renommée du mariage lui-même. Développements. Force. La courageuse et per- sévérante résistance de l'Eglise a triomphé : de l'op- position des lois; de la licence des grands. Conséquences de cette résistance. L'Eglise a sauvé la sainte cause du mariage 131

QUATRE-VINGT-NEUVIEME CONFERENCE

LES PROFANATIONS DU MARIAGE

On montre dans cette conférence que le plus grand nombre de ceux qui se plaignent de la loi divine ne souf- frent de cette loi que parce qu'ils l'ont outragée, et qu'ils en ont fait eux-mêmes le châtiment d'une profanation. Trois grands bien» du mariage : Proies, Fides, Sacra- mentum, c'est-à-dire : les enfants, les douceurs et les consolations d'une intimité fidèle, la grâce du sacrement. Comment ces trois grands biens sont profanés. I. La fécondité est une bénédiction de Dieu; il l'a pro- mise à ceux qu'il aime. Spectacle de la famille, les enfants se multiplient. Comment le chrétien qui com- prend cette bénédiction sait entrer dans les desseins de Dieu et se préparer, avec un profond respect de lui-même, à l'honneur de la paternité. Comment, au contraire, il y a des misérables qui profanent le premier bien du mariage par les épuisements prématurés de leur propre vie. Une autre profanation, plus commune, c'est le crime de ceux qui, obéissant à de vaines craintes ou à

322 TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES

de méprisables calculs, mesurent leur paternité. Com« ment Dieu se venge de ce crime. Ses châtiments sont dus aux profanateurs, non seulement parce qu'ils ont offensé Dieu et trompé la nature, mais encore parce qu'ils ont trahi leur pays. Développements II. Ce que c'est que la fidélité. Comment l'homme sage, le chré- tien, veut s'assurer la possession de ce grand bien. Manière dont les époux chrétiens se préparent au ma- riage. — Ils y entrent par la porte de la sagesse, ils y demeurent sous la garde de la fidélité. Comment, au contraire, chez une foule de gens, l'intérêt, la vanité, la légèreté, la mauvaise foi sont les agents trop ordinaires des unions matrimoniales. Est-il étonnant que l'infidé- lité s'installe tout conspire, à l'envi, contre le grand bien de la fidélité; et si l'on se plaint d'être écrasé, sous le joug inflexible du lien conjugal, à qui la faute? III. Grâce du sacrement. Efficacité de cette grâce pour corriger les imperfections de la nature. Quels sont ceux qui reçoivent cette grâce? Unions tristes, cruel- les, périlleuses des jeunes filles, qui allient leur foi à l'indifférence ou à l'incrédulité. Comment elles sont châtiées d'avoir prêté leur concours à la profanation d'un sacrement. Si tels sont les mariages dans lesquels lo sacrement n'est qu'à moitié profané, que sera-ce si la profanation est complète? Sacrilèges qui se commet- tent dans l'échange des serments. Comment l'homme et la femme se transmettent la malédiction de Dieu, au lieu de sa grâce. S'ils sont malheureux après cela, ils sont punis par ils ont péché. Conclusion de ces considérations. Appel aux jeunes gens. ... 173

TABLE ANALYTIQUE DES MATILRES 323

QUATRE-VINGT-DIXIÈME CONFÉRENCE

LE CÉLIBAT ET LA VIRGINITÉ

D'après certains interprètes, trop fervents de la loi de multiplication, cette loi oblige tout le monde; c'est un opprobre de ne pouvoir pas l'accomplir; c'est un crime <le s'y soustraire volontairement. Contre ces'partisans du mariage à outrance, on démontre : Que l'état de céli- bat et de virginité est un état désiré de Dieu ; Qu'il est un des plus beaux et des plus utiles ornements de la société chrétienne. I. Comment on remarque une marche lente et progressive de Dieu dans la préparation de la loi matrimoniale, et aussi dans la préparation du conseil évangélique, qui demande à certaines âmes pri- vilégiées un état plus noble et plus parfait que le ma- riage. — Traditions de l'humanité. Comment on doit les entendre. Apparition du Christ vierge. A 1 heure il fixe la législation du mariage, il déclare son désir d'attirer les vierges à lui et leur assigne une place à part dans son royaume. Interprétation de ce désir par les apôtres. Germination touffue de la virginité dans la société chrétienne. Les saints Pères, leurs apo- logies de la virginité. Conduite de l'Eglise. Sa doctrine sur l'état de célibat et de virginité. L'Eglise proclame qu'il est meilleur et plus heureux de rester vierge que de se marier. Elle a raison. II. Coup d'œil général sur le vaste champ de l'humanité régénérée, domaine de Dieu. Il a le droit de se faire îles réser- ves dans ce domaine. Quelles sont ces réserves? Le célibat honteux, la virginité hargneuse n'appartiennent pas aux réserves de Dieu. Les vierges que Dieu désire,

324 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

qu'il connaît et qu'il aime, sont celles qu'il a touchées de sa grâce et qui, répondant à ses amoureuses prévenances par un libre choix, sont devenues : les copies de sa perfection; les anges de la terre ; les épouses du Christ ; l'Evangile vivant. Développements de ces privilèges et caractères de la virginité. Evi- demment, ils nous mettent en présence d'un des plus beaux ornements de la société chrétienne. C'est un ornement utile. Trois grands services sociaux de la virginité : Le service de l'exemple; le service de la prière; le service du dévoûment. On com- prend pourquoi l'Eglise demande à ses prêtres le cé- libat, pourquoi elle cultive les vierges avec amour. Toutes les vierges que Dieu aime ne sont pas dans les couvents, et celles que la voix méprisante du monde appelle vieilles filles seront fières et bien vengées, lors- qu'en présence du monde entier, le Christ les appellera ses épouses, Cantique de la sagesse en l'honneur de la virginité .213

INDEX

Index des principales erreurs contraires aux dogmes -xposés dans ce volume 261

L 187-23. Imprimerie des Orphelins-Apprentis d'Auteuil, 40, rue La Fontaine, PARIS (16").

BX 1751 .M65 v.15 SMC Monsabre, Jacques Marie Loui Exposition du dogme catholique : carême 1873-189 47086050

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