g” L an AA) A ALAN Rae A AABAAAE AR RA RAA TA aaa ES ar eg Anna A2 nf à A A 1 . AAA NAN 2 A2 AA AA° AAA RAMA AARR annee Faner ie RARARAGARANA AAA RAA AA ana a Anar ae RAR AAARAAA M mA A A AAA Arr” ALAE DERRMRAAAQNT MP APAANA AN à RAT l'aRRAÀ AAAAA ne f: A) A AÂRARA ; RS A CPS AIN) AAA AAA 4 2RRA ANA aan Ann an Ana ANA AR EME" r AAA A Mange AARAARAR A AAA Rnnne AAA sr AERTEEER AAA YEAR AA k. A nn ah rs te. Ts AA AA? AAAAA AAAAA CYAN NARAIEEES RAA AMAR AAAm RAR AA AN A js AN À A À SD. » >»>) BL») 22 »)>2 D >»> »>_2 222 D 5 ——, 2 >» 7 y 5 Æ >» 2 D > 2e) De) 0» 3 dr 24») ÿ» »> 27 9> > 22 5 > D >» D => æ > SE >] +2 à TZ » D Zip > > »7 D 22 y >>D3 DDR > DR SE Mi ne. re D)» > AAAAA AAA AA AAA ns CA AA Mas AAA aan AAA AAA AS PR AAAA AAA AAARA ms ARAR Ana AAA RAP RAA ARTAS LAALANN TAN ANSAAAAANA AN a a =. x AAA AAA AAA AE F2 F AAA NUE A ne HRAARARLAA ZAR RAA AAAAR pans AA A RaaRA AaARAR RS AA ANANAE 5 » 335 >» BD! 2 LT ; >? > DS 2 > S >»: > 2 D > DS DES AREA JA / Pr Aananar ge aRARRAA; AAA A 3 ; ARAAF" 4 À AARA AAAAA SH ans jt jt A AAARS “à ere AAA ARAA AAA AE ana Mar au? ne ne ere ARR AR ER AN NNRE A AA AAA A RAR AAA RARE ARR RAA REP PE EC EEE CCE LEE CCC CCC AECEETS IAc a VA ES Ta Ar VA AAR | SEE ARAS FRE | = PACE Mat ALYE ARARA ARR RARRAR SA CF san AAA MraeanR AN ASE is na FARARAR A RAA an a ussanate ee 2 ES ARR AAAARARE \ARARARARA AAA AAA AA AARARARAAA AAA A AAA AAA ! MMA AAA AAA MAR EE NS Aa An AR À FAR ADR A AA AR AAA AAA AAA à À ARR LL" AAAË ANA AA k Ré FARRARRAR AAARE ARAMA Va) N k AAA Aa RNA AA a ARARAAAÉ AAA AAA SARA AR AAA À RAR AN AAA AA aan = RANAAAA A! BARRE RAA: AAAAR: AAA NA AAA à NS M PURE AAA, AAA ARARAMAANT à ARR D EPA RA AAA à JAAÂAA RAR AAA AMAAAA AAA AAA AAA AA AAA Nr as Pat "AAaaaaAaA 6 Penn non RTL AAA AA A x As ù À SA A AR pa - CAR ca un ae | Due AA AR AARRA en AAAA ae AAA AA NRA AAA Ÿ \ NA APT AA AREA = 4 a < D AMMRAAR PAARAEA APTE RAA ARR R AAA AR RE AAAAAARA RAA ARR RAA ARR RAM AAA ne AURA RAARR PAR ARE PARA, RARAR SAS PARÉPARRA RE RRPAAA AAA AAA AAA A ARMES ARR: à RAA AAA \ AAA AARAAA A AAAAAR = AR na PARA RAAAAMRAR AAA Ana AAA AAA ART RAA An AAA à A RE 2 RAA ARR AA RATE ne AAA AAA ARE RARARS Ÿ A ARR IARan 2 AAAARA A À AAA AAA à Ÿ Wal AYaT AA AN A PTT AR À AAA : ts 2 22227 NAANAR AA 5 FACULTÉS INTÉRIEURES DES ANIMAUX INVERTÉBRES. L =. + # Lu + , : ? : er” : = F > : PAST AE MAT # ; ser RU FACULTÉS INTÉRIEUREN DES ANIMAUX INVERTÉBRÉS, # PAR J. MACQUART,  Membre de plusieurs Sociétés savantes. In his tam parvis atque tam nullis que ratio! quanta vis! quam inextricabilis perfecto. PLINE. IMPRIMERIE DE L. DANEL, GRANDE-PLACE. 1850. ; > AMETUN = AANNTANA LIANIME A) LEA PRES 14 PTT nine conti st iimal( LA - . Es . Re æ o ms ns RE Ur dite au st NE rm eéng ter débns AS up elles Nr F PTE NOR LUE …°{ ETCuUE ee (PE ke PRÉFACE. En offrant aux hommes du monde ce petit ouvrage, produit de mes lectures, de mes relations avec les naturalistes , et de mes faibles observations personnelles, j’éprouve le besoin d'exprimer ma reconnaissance aux savants amis qui ont bien voulu se mettre en rapport avec moi, et le désir de faire connaitre les circons- tances dans lesquelles j'ai fait les observations que j'y ai consi- gnées. Ce double motif me conduit à esquisser ma vie de natu- raliste , à laquelle je voudrais donner une partie de l'intérêt que j'y ai trouvé moi-même. Je ne devrais cependant pas y pré- tendre , n’ayant à mentionner ni voyages {ce n’est pas voyager que de parcourir une partie de la France et des pays circonvoi- sins), ni événements considérables , ni observations importantes ; mais je crois ulile de montrer combien l'étude de l’histoire na- turelle m’a procuré de jouissances, afin d'en faire naître l'attrait aux autres comme il m'a été inspiré à moi-même. Mon père, dont les douces vertus s’alimentaient de la contemplation reli- gieuse des œuvres divines, transmit à ses trois fils (1) le goût des (:) L’aîné, membre de la Société des Sciences de Lille, forma une collection ornithologique nombreuse qui, à sa mort, devint la base de celle du Musée de cette ville. Le second se fit un jardin botanique où il cultiva jusqu’à 3,000 espèce de plantes de pleine-terre. VI PRÉFACE. sciences naturelles. Dans la retraite où il vécut , après la tour- mente révolutionnaire de 1789 (1) , il forma dans s2 maison de campagne d'Hazebrouck, mon berceau, un jardin paysagiste où il réunit successivement la plupart des arbres et plantes exotiques qui commençaient à s’introduire en France à cette époque. C’est dans ce jardin planté de nos mains, que naquit en moi 'altrait pour les insectes et les plantes ; c’est vers ce temps que Je fis l’une de mes premières observations, celle que publia depuis la Société des Sciences de Lille, sur le développement et l'instinct des Psylles du mélèze (2), et que Bosc cila peu après dans son article sur cet arbre. (Encyclopédie). (1) Avant 1789 il faisait partie des magistrats de la ville de Lille. (2) En voici le résumé : à peine cet arbre a-t-il repris son feuillage au prin- temps, qu’il s’y répand une multitude de jeunes Psylles dans l’état de larves. Peu de jours après ils se couvrent d’une matière filamenteuse, et ils se fixent comme les cochenilles. An commencement de juin, une partie de ces Psylles, les mâles, se montrent munis de rudiments d’élytres et d'ailes, tandis que les femelles : restent aptères; quelques jours après, les premiers se transforment en insectes ailés. Après avoir vécu sous cette forme peu de jours pendant lesquels ils montrent beaucoup de vivacité, ils disparaissent. À la même époque les secondes, sans perdre la forme aptère, déposent un assez grand nombre d'œufs, en les fixant chacun à l'extrémité d’un pédicule dont la base est fixée à la feuille, et en les couvrant en partie de leur matière filamenteuse. Ces œufs donnent naissance , au bout de huit jours, à de nouvelles larves qui se dispersent bientôt sur le feuillage. Cette nouvelle génération se développe. Au mois d’août, l’on voit de nouveau des Psylles sans ailes devenir mères; mais on voit aussi des individus aïlés se fixer sur les feuilles du mélèze et déposer des œufs également pourvus d’un pédi- cule, On observe avec intérêt le soin que prend la nature de préparer à ces œufs un abri fort remarquable. À mesure que les Psylles déposent leurs œufs, leur abdo- men diminue de longueur , de sorte qu'il est entièrement oblitéré à la fin de la poute. Les œufs remplissent alors tout l’espace qu'il occupait , et ils sont couverts par les élytres et les ailes en toit de l’insecte, qui vit immobile pour les garder, et dont la dépouille leur sert encore d'abri après sa mort. Outre ces individus dont le sexe n’est pas douteux , on en voit d’autres en même temps, qui n’en diffèrent que par leur légèreté quand on veut les saisir et qui sont sans doute les mâles. Les petites larves, qui tardent peu à éclore, se dispersent au mois de septembre , et, lorsque le feuillage commence à tomber , elles se retirent dans les cannelures des jeunes tiges pour y passer l'hiver. PRÉFACE. vil Mais bientôt après, je partis pour l'armée du Rhin. J'arrivai a Manbeim, où dans les travaux et les loisirs de l’état-major du génie (1), j'explorai les rivages de ce fleuve si riche en produe- tions comme en souvenirs, limite entre deux natures si diffé- rentes au physique comme au moral, trait de séparation entre le pays où règnent l'esprit , la plaisanterie ; l’activité , la socia- bilité , et celui où dominent l'imagination, le sérieux , la vie intérieure. Je visitai Schwetzingen, aus charmants ombrages, aux ruines simulées de l'élégante mosquée ; Heidelberg et les ruines trop réelles de son château, où des lierres centenaires semblent vou- loir couvrir de leur immense manteau ce grand vestige du pala- tinat ravagé , et peu de jours après, je vis se renouveler une scène de dévastation : c'était le bombardement de Philisbourg ; je vis la ville en flammes , la haute flèche de l’église tout-à-coup dépouillée de ses ardoises, montrant sa charpente en feu dessinée dans les airs , et peu après s’abimant sur sa base. J'en- tendis les cris de douleur, de frénésie des habitants; je me re- présentai le désespoir des orphelins, des veuves, des pères 4 privés des objets de leurs affections , et je mandis la guerre et ses glorieuses tueries. Transporté à Mayence en état de siége , je vis avec intérêt les nombreux vestiges de la domination romaine , et le berceau de la merveilleuse industrie qui a popularisé les œuvres de l'esprit , fait de l'instruction le domaine public, et assuré contre le ravage du temps tous les trésors de la pensée. De Mayence, je passai en Suisse, où les Russes faisaient inva- sion. Je saluai cette admirable nature, cette terre classique des (x) Entré dans le 3.2 bataillon des sapeurs . j'en fus détaché en qualité de secrétaire et de dessinateur par le général Marescot, commandant le géme 3 l’armée dn Rhin. VIII PRÉFACE: sciences naturelles , qui a produit Gessner, Haller, Saussure , Bonnet, Pictet , Tremblei, Jurine, de Candolle , Huber, cette brillante pléïade qui la couronne d’une auréole immortelle. En arrivant à Arau, où s'élablit d’abord le quartier-général, mon ardente curiosité se trouvait vivement excitée dans un cercle très-restreint. De l’antique tour de Roore , reste du vieux château autour duquel se forma la ville, je passais aux bords de l’Aar aux vastes et nombreux circuits, dont la source, voisine de celles du Rhin, du Rhône et du Tessin, se cache dans les hauteurs des Alpes, et dont le cours , se précipitant en replis tortueux, avait traversé les lacs de Brienz et de Thun, et baigné les murs de Berne et de Soleure avant de parvenir à Arau. Je voyais, près de son confluent avec la Reuss, autre grand torrent qui tombe en bondissant du haut des Alpes, l’humble village de Windisch , seul vestige de la grande cité de Vindo- pissa , que Vespasien se plaisait à orner de temples et d'arcs de triomphe. Je parcourais le champ de bataille de Birrfeld , où les helvétiens furent vaincus par Aulus Cœcinna. Je gravissais le Vulpelsberg pour contempler les ruines du château de Habs- bourg, ce nid de l'aigle aux deux têtes, dont les serres ont été si puissantes , et près de là , les restes de celui de Braunegg, d’où le bailli Gessler descendait pour cpprimer le peuple. D'autres fois, je montais au sommet du Gislifluh pour y jouir du lever du scleil, presque aussi admirable que sur le plateau du Righi, et j'en rapportais des insectes et des plantes dont je rem- plissais mon dictionnaire allemand. Dans une autre excursion , j'admirais, à Neuenhof, le vaste établissement de Pestalozzi, ce premier modèle de nos fermes - modèles et de nos colonies agricoles. Après un séjour prolongé à Arau, l'état-major se porta à Zurich , où se dirigeait l’armée de Souwarof. Je courus au lac, à la maison de Lavater, qui touchait au terme de sa vie; au mo- nument encore récent de Gessner. le chantre de la mort d’Abel. PRÉFACE» IX Je ne pouvais détacher mes regards de ce lac, dont les belles eaux reflètent les bords riants , les nombreux villages éclatants de blancheur , le sauvage mont Utli, où j'allais recueillir des plantes et des insectes, et, au bout de l'horizon , les Hautes- Alpes dont je regretlais si vivement de ne pouvoir me rappro- cher, et que je pus enfin explorer bien longtemps après. Le charme qu'avait pour mes vingt ans la lecture de Gessner, dans sa langue, se répandit sur le monument élevé à sa mémoire. Le chantre si pur d'Abel, du premier navigateur , des Idylles, était là devant moi, entouré des bommages de ses concitoyens ; je me rappelais ces peintures délicieuses des mœurs primitives , je lisais avec émotion l'inscription empruntée de l’auteur même : « La postérité honore justement l’urne ceinte du vieux lierre, » renfermant les cendres du poète que les muses se sont consa- » cré pour enseigner au monde l'innocence et la vertu. » J'aurais désiré cependant que ce monument , au lieu d'être érigé sur une promenade publique , embellie à la vérité par les eaux de la Limmat et de la Sihl, qui s'y réunissent , mais trop fréquentée par des indifférents ou des profanes , eût été à demi caché dans le fond d’un vallon ombragé de vieux arbres, au bord d’un ruisseau au doux murmure , et visité seulement par des cœu’s aussi simples que ceux qu’il a chantés. Lavater, qui recevait avec une grande bienveillance tous les étrangers (1), m'offrit cette physionomie si empreinte de la finesse et de la profondeur avec iesquelles il est parvenu à faire les obser ations physiognomoniques les plus délicates, et à (1) 11 demandait à ceux qui avaient une tête à caractère la permission de la dessiner, et c'est ainsi que se trouve dans son ouvrage celle de M. Godefroy, de Lille, l’un des membres de cette famille d'élite, qui compte jusqn'à sept généra- tions successives de savants historiens, et dont l'héritier actuel soutient dignement le nom. X PREFACE. fonder sa science , ou plutôt à étayer son système de prédilec- tion. Nous ne croyons pas à la science physiognomonique à cause de la diversité et des nuances infinies des modifications orga- niques, el à cause de l'influence qu'exercent l'éducation et les habitudes sur nos penchants , tandis que les signes extérieurs restent les mêmes. D'ailleurs, si elle était une science. la craniologie en serail une également, puisque l’une et l’autre dérivent du même principe, et consistent à rechercher, à üxer et à classer les signes extérieurs des facultés intérieures , et l'on sait {ous les démentis que les observations donnent tous les jours à cette dernière. Il n'est pas moins vrai que Lava- ter était un profond physionomiste, et il la prouvé en mille occasions, come lorsqu'un homme s’est présenté , et lui a dit : Monsieur, je viens de Paris pour vous voir, pouvez-vous me dire qui je suis? Lavater l'examina de son œil pénétrant et lui ré- pondit : « Vous êtes homme de lettres ; vous êtes observateur , vous êtes salyrique, vous devez être l'auteur du tableau de Paris;» et c'élait en effet Mercier, qui avait alors de la réputation. Au reste , si l'on peut contester à Lavater sa science, on était unanime à Zurich sur ses vertus et son éloquence ; on le com- parait à Fénélon et on lui trouvait de la tendance vers le catho- licisme. Le peuple chante encore maintenant les cantiques dans lesquels il épanchait toute la: tendresse de son âme. Quelques jours avant la bataille de Zurich, le quartier-général se reporla à Arau, et peu après à Bâ e, la vieille ville impériale, rivale de Strasbourg , berceau scientifique du botaniste Bauhin, dont la famille était originaire d'Amiens ; d'Euler, qui popula- risa les mystères de la physique par ses lettres à une princesse ; de Bernoulli qui, à 18 ans , inventa le calcul différentiel ; tombeau d'Erasme , l’apologiste de la folie. Logé avec mon chef d'état-major chez le banquier Burckart, qui avait placé dans l’un de ses salons le portrait du charbonnier de la Forét-Noire, dont il tirait son origine , je visilais tons les PREFACE: x jours ce qui répand de l'intérêt sur cette ville aux habitudes austères : ses monuments , ses bibliothèques , ses musées riches des tableaux d’Hojlbein ; la danse des morts, qui remplissait en- core alors de toutes ses scènes philosophiques le vaste cloitre d'un ancien couvent. Je recherchais les vestiges de la ville d'Au- guste (11, je visitais le champ de bataille de St.-jacques, ces Thermopyles de la Suisse, dont le Xerxès fut le Dauphin, depuis Louis XI (2. Mais (outes les jouissances que je trouvais à Bâle furent tout- à-coup anéanties par le plus grand malheur; car quel événe- meni plus malheureux que de perdre sa mère, de la perdre étant loin d’elle, sans recueillir sa dernière parole si douce, sans rece- voir sa dernière bénédiction ! Elle avait succombé, jeune encore, aux ravages qu'avaient produils sur sa complexion frêle et nerveuse à la fois, toutes les alarmes , les angoisses, que lui avaient fait éprouver son mari et ses fils, tour à tour dénoncés , traduits comme suspects devant les tribunaux révolutionnaires, fugiifs, incarcérés, se réfugiant à l’armée , blessés dans les combats. Le désir de mêler mes larmes à celles de mon père me délermina à rentrer dans mes foyers (31. Je revins à Lille après dix-huit mois d'absence, en traversant la Lorraine et en m'ar- rétant pieasement à Vaucouleurs et à 'omremy, dans les bois où Jeanne-d'Arc, dont je m'honcre d'être l'arrière-neveu , venait prier à la chapelle pour le salut de la France et recevoir la mis- sion d'opérer ce miracle. ; Je rapportais d'Allemagne et de Suisse des livres allemands , un herbier, des insectes, des oiseaux , tout ce qu’un attrait vif, (1) Augst (Augusta Rauracorum). (2) C’est en 1444 que 1,500 Suisses se firent tuer, a l'exception de 12, pour s'opposer à l’envahissement de 60,000 hommes. (3) Le remplacement venait d’être autorisé par la loi, et jy eus recours. XII PRÉFACE. mais non spécialisé encore, vers les sciences naturelles, m'avait fait recueillir. Je réglai l'emploi du temps entre les études zoolo- giques et la botanique; le séjour alternatif de Lille et de la cam- pagne, à Hazebrouck, favorisait ce genre de vie. Pendant la belle saison, je m'occupais d’horticulture, de botanique, de conchylio- logie, d'entomologie; je mettais à profit le voisinage de la forêt de Nieppe, dont la végétation est si riche, du mont Cassel, dont la couche végétale la plus fertile a pour base d'immenses dépôts de coquilles fossiles ; la proximité même de la mer, à Dunkerque , où je fouillais les filets des pêcheurs, les Algues et les Fucus de la grève, les sables des dunes , à la recherche des Mollusques, des Crustacés et des Insectes de nos côtes (1). Pendant l'hiver, Lille m'ouvrail ses bibliothèques , me donnait les moyens de former la mienne, me mettait en relations avec ses naturalistes ; je clas- sais mes collections, je commencçais à écrire. L'un de mes faibles essais fut de traiter une question mise au concours par la Société d'agriculture de Douai sur les plantations dans le département du Nord. Ce travail m'ouvrit les portes de la Société des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille (2). Cette Société , à laquelle j'ai dû tant d'encouragements , qui m’a témoigné tant de bien- veillance, n'avait alors que peu d'années d'existence , et elle comptait déjà parmi ses membres résidants des hommes très-re- commandables par leur science et les services qu’ils rendaient à leurs concitoyens, tels que Saladin, Trachez, Féron , Bec- quet. Depuis, j'y ai vu siéger successivement Malus, l'émule de Newton par la découverte de la polarisation de la lu- (1) C’est dans une de ces excursions à Dunkerque que J'observai, sur les esta- cades de la jetée, des Diptères d'espèces nouvelles des genres Scalophage et Médétère, dont les individus me paraissaient d’autant plus nombreux que J'avançais davantage sur la mer, et qui donnèrent lieu à une notice publiée en 1838, par la Société Entomologique de France. (2) Le 27 nivôse de l’an XI, PRÉFACE, XNI mière (1); Delezenne, trois générations de Lestiboudois, Desma zières, Degland , Chamberet, Vaidy, Fée, Pelouze , Kuhlmann , Leglay, dont plusieurs sont devenus membres de l'Institut, et tant d’autres noms chers aux sciences ; et , parmi ses membres cor- respoudants, un grand nombre des sommités scientifiques de la France ct de l'étranger. Toujours animée du désir de justifier la mission qu'elle s’est donnée , elle a tous les ans publié ses mémoires, qui lui ont valu un rang honorable dans le monde savant , et elle s’est acquis des droits à la reconnais- sance de ses concitoyens en dotant la cité, par l'intervention de l'administration municipale, de ses principales institutions scientifiques et artistiques. C’est ainsi qu’elle a successivement déterminé la formation de cours gratuits de physique, de chimie, de zoologie, et qu'elle leur a fourni des professeurs. C’est elle qui a fondé le Musée d'histoire naturelle, devenu l’un des plus importants de la France (2) ; et celui des antiquités et médailles, dont l'importance s’accroit chaque jour ; c'est-elle qui, ayant été mise en possession d’une inestimable collection de dessins des grands peintres par le testament du célèbre Wicar, de Lille, l’un de ses membres correspondants , voulut en faire jouir ses conciloyens , en donna la propriété à la ville, en s’en réser- vant l'administration, et l'inaugura sous le nom de Musée- Wicar. C’est elle encore qui rend les services Jes plus signalés aux intérêts agricoles par sa commission d'agriculture, com- posée de plusieurs membres résidants, initiés dans les connais- sances agronomiques , el d’un grand nombre de cultivateurs, (3) La Société royale des Sciences, de Londres, avait proposé un prix à l’auteur d’une découverte en physique qui égalerait en importance celles de Newton, et Malus remporta ce prix. Lille se glorifie de ce qu'une de ses familles, celle de Montd’hyver, lui est alliée. (2) Depuis son établissement, je suis l’un des membres de la commission admi- nistrative, et j'ai formé les diverses collections des animaux invertébrés, XIV PRÉFACE. l'élite de ceux de l'arrondissement de Lille (1). Cette heureuse combinaison de la théorie et de la pratique a donné lieu à l'établissement de conférences dans lesquelles chaque science est successivement traitée dans ses applications à l’agricul- ture (2). C’est peu après mon admission dans cette société que je fis plusieurs excursions qui m'intéressèrent sous le rapport des sciences nalurelles. Ainsi, j'allai avec M. de Busne , l'ami de mon père, et une seconde fois avec M. de Norguet, mon ami, chez le Haron de Courset, dans sa terre du Boulonnais. Le savant auteur du Botaniste-cultivateur était visité par {ous les amateurs d'horticulture , qui étaient également charmés de ses riches collections et de son äimable accueil. Atteignant alors un âge un peu avancé , ayant servi. ayant connu beaucoup les hommes et les choses de son époque , cullivant les sciences naturelles et aimant les arts (3), sa conversation était pleine d’aménité, d'in- térêt et d'instruction. Ses jardins élaieit à la fois dessinés en pro- menades charmantes et appropriés à la culture des plantes de pleine-terre de tous les sites, de tous les sols, de toutes les expo- sitions ; le voisinage des côtes avait opposé les plus grands obs- tacles à ses plantations, et il n’était parvenu, qu'après avoir lutté avec la plus grande persévérance contre les vents de mer, à créer des abris derrière lesquels , à la longue , une végétation vigou - (r} C'est surtout aux soins de MM. J. Lefebvre, Loiset et Demesmay que cette commission doit depuis longtemps son utilité, et elle a provoqué l'institution d’un concours régional de bestiaux, à Lille, et l'établissement récent d’une ferme- école dans l’arrondissement de Lille. (2) Je me suis chargé des conférences sur l’Entomologie appliquée à l’agri- culture , c’est-à-dire, de faire connaitre les irsectes nuisibles aux plantes cultivées el aux bestiaux , et d'indiquer les moyens préservatifs. (3) I aimait particulièrement la musique, et je me rappelle qu’il accompagnait sur la harpe les airs de nos meilleurs opéras que chantait sa fille, M.m° la baronne de Coupigny , qui faisait les honneurs et le charme de son château. PRÉFACE. XV reuse avait pu prendre son essor. Il y avait dans ses jardins des pelouses où croissaient des arbres isolés, et, entre autres, un mélèze d'une beauté incomparable. Il y avait des tertres rocail- leux pour les plantes alpines ; l'ombrage ei la terre de bruyère s’unissaient en faveur d’une multitude d’arbustes charmants ; aux bords d’un étang croissaient les plantes riveraines les plus remarquables. Tout prospérait, parce que tout était à sa place ; ses serres n'élaient pas moins bien ordonnées : j'y distinguais surtout les végétaux si remarquables de la Nouvelle-Hollande , rapportés par le capitaine Baudin, et qui, cultivés d’abord à la Malmaison sous les yeux de Joséphine , étaient entrés depuis peu dans le domaine public. Le baron de Courset avait dû, en 93, sa mise en liberté et peut-être la vie à ses cultures, qui lui ont fait pardonner sa naissance, de même qu’à la même époque, Latreille avait échappé à l’échafaud , grâce à un insecte (1) qu’il put faire parvenir à son ami d'Argelas, seul moyen de lui faire soupçonner son in- carcération. L'ouvrage de M. de Courset a puissamment contribué à déve- lopper l'horticulture en France , et, quoique parmi les plantes cultivées maintenant il y en ait un grand nombre qui à’y sont pas mentionnées , il est fort utile encore à consulter, parce que nos plantes nouvelles ont souvent de l’analogie avec celles dont la culture y est indiquée, et que nous pouvons avec fruit leur en faire l’application. Les deux séjours que je fis chez M. de Courset accrurent beau- coup mon ardeur pour l'uorlicullure ; j'eus l'honneur d'entrete- nir des relations d'échange et d'amitié avec lui, et je conserve précieusement ses lettres. C'est vers celle époque où dés-lors j'aimais tant les jardins, que je voulus voir celui de la France, ces bords de la Loire, où (1) La Necrobia ruficollis. XVI PRÉFACE: la nature se montre si prodigue de ses dons, et l’histoire, de ses souvenirs; où Orléans montre à la fois le Loiret, qui sort tout entier de sa source, el sa statue de Jeanne-d’Are qui accomplit là le premier prodige qui devait conduire Charles VIT à Rheims; et à quelques lieues de là Chambord , aux grands bois , dont les échos parlent d’une haute destinée. Puis Tours qui vit Charles Martel sauver la France et le christianisme , et tous ces autres lieux consacrés par l’histoire , Amboise , Blois, Chenonceaux, Le Plessis-les-Tours et tous ces champs de bataille de la guerre des géants vendéens. Après avoir salué Nantes , des relations de famille me condui- sirent au château de la Gaudinaie (1) sur les bords de la Vi- laine , aux confins de la Basse-Bretagne où je pénétrai pour en observer la langue , la nature , les mœurs, si étrangères aux pôtres, mais qui ont aussi leurs éléments de bonheur. C'est en parcourant les landes de Langon , en cherchant des insectes sur les ajoncs, que je trouvai une Panorpe aux ailes de laquelle était restée attachée la dépouille de la nymphe , pre- mière connaissance acquise des transformations de cet in- secte (2). Je voulus voir aussi, près de Rennes, le château des Ro- chers (3), célébré par Mme. de Sévigné, ces larges allées, ces grands bois, ce mail, à l'extrémité duquel elle donna ia collation (1) Ce château était habité par M.me de la Chevière, sœur de mon père. A Tours J'avais vu une autre parente, veuve de M. Macquart de Rullecourt qui, pendant la guerre d'Amérique avait commandé , eu qualité de colonel d’une légion étran- gère, une expédition contre l'ile de Jersey. (2) Cette dépouille conservait la forme eutière de Ja nymphe. Elle avait celle de l’insecte adulte, à l'exception de la tête qui ne se prolonge pas en bec, et dont les mandibules sont grandes et bidentées. Le fourreau des ailes atteint la moitié de la longueur de l'abdomen. (3) Ce château est passé par succession dans la famille des Nettumières, dont un membre avait épousé la petite-fille de M.we de la Chevière. PRÉFACE. XVIT à M. de Chaulnes , décrite dans ces lettres dont on ne dit pas ce qu'elle disait de celles de Mme. de Grignan : « Je n'ose les lire » de peur de les avoir lues », puisqu'on les relit toujours. Je revins ensuite à Lille par la Normandie dent j’admirai les monuments , les plaines fertiles, les gras pâturages , les belles races animales. Dès cette époque, j'allais souvent à Paris et commençais à connaître le célèbre Latreille dont je suivais les cours d’entomo- logie. Je lui soumettais le produit de mes chasses et de mes observations, et j'étais heureux lorsque j'obtenais ses encoura- gements. Il tenait dès-lors le sceptre de cette science. Fabri- cius , qui l'avait possédé longtemps , avait fondé une méthode artificielle de classification, principalement sur les organes de la autrition ; il l'avait exécutée avec uue grande profondeur d’ob- servation ; mais l’étude en était hérissée de difficultés et acces- sible sealement à un petit nombre d'adeptes. Latreille entreprit d'y substituer la méthode naturelle ; il la basa sur l'observation de tous les organes , et il obtint un succès complet , qui rendit cette science plus attrayante que loutes les autres branches de l'histoire naturelle. C'est encore à cette époque que je fis une excursion en Hol- lande (1), pays cher aux sciences naturelles, où Linnée vint cultiver et illustrer les jardins de Cliffort, comme Pierre-le- Grand immorialisa Saardam par son célèbre apprentissage ; ber- ceau de Swammerdam qui eut la double gloire de fonder l’ana- tomie des Insectes et d’être le précurseur de notre Réaumur et de Degeer dans l'observation de leurs métamorphoses : de Boerhave, l’une des gloires de l’anatomie humaine ; de Lyonnet, qui fit de (1) Une affection de famille m’attirait en Hollande comme en Bretagne, Une parente que l’émigration avait mariée à Amsterdam , madame de Galz, qui était pour moi presqu'une sœur, avait eu l’art de se faire uue société charmante au milieu des éléments les plus rebelles à la sociabilité. XVIII PRÉFACE. l'anatomie de la Chenille du saule {1}, un titre de gloire impé- rissable, et qui y joignit cette délicatesse de sentiment qui ménage la vie et les souffrances de ces faibles créatures, car il affirma que ses observations si multipliées, si minutieuses, si conscien- cieuses , n’avaien( coûté la vie qu’à trois de ces animaux ; enfin Mile. Mérian qui reproduisit dans un ouvrage splendide toute la beauté etla grâce des fleurs et des Papilions de Surinam (2). Je ne visilai pas seulement les villes les plus remarquables de ce pays, mais j'allai fouiller la grève de Schevelinghe, les bords de la Meuse et du Wahal, les vastes pâturages couverts de bes- tiaux de Schiedam, les vergers de Brouck. les bruyères des environs d'Utrecht, les carrières d’ossements fossiles de Maes- tricht, si bien décrits par M. Goldfuss. A cette époque du blocus continental, la Hollande, privée de communications avec sa colonie de Java, n'avait pas encore reçu cette immense quantité d’Insectes si remarquables qui, peu d'années après, ornèrent les collections , et particulièrement ce Mormolyce qui frappe tous les regards par ses formes fantastiques et intéresse plus encore mes souvenirs par les relations de douce sympathie que j'ai entretenues avec celui qui l'a nommé, classé, décrit, figuré, Hagenbach qui donnait tant d'espérances à la science, mais dont la frèle existence fut bien vite emportée par l’ardeur du travail. Peu de temps après mon retour, ma vie un peu errante se fixa par un heureux mariage, suivi d’une heureuse et nombreuse paternité. Ayant dû échanger en été le séjour d'Hazebrouck contre celui de Lestrem (3), je me trouvai dans une habitation (1) Il a observé 40,000 muscles dans cette chenille. L’homme n’en a que 539. (2) La Hollande a encore donné le jour à Leuwenhock , à Knoxr, et de nos jours, à M. Temminck , de Haan. (3) La terre de Lestrem , après avoir appartenu pendant plusieurs siècles à la famille de Hornes, passa en 1742, par un mariage, dans celle de Salm Kirbourg PRÉFACE: XIX formée en partie de Jeux tours, reste &’un château du XIV.* siècle, transformées en salon et salle à manger, au milieu d’on beau village, au bord de la Lawe, affluent de la Lys, et dont les jardins consistent surtout en prairies, en vergers, en bos- quets, riches de fleurs et d'insectes. Aussi l’entomologie prit-elle de plus en plus place dans mes occupations. J’abordai d’abord tous les ordres. J'aurais désiré pouvoir déterminer toutes les espèces qui me tombaient sous la main ; mais alors les ouvrages spéciaux étaient fort insuffisants, ‘et trop souvent les Insectes restaicot sans nom dans mes cartons. Un seul ordre me présen- tait plus de facilité sous ce rapport : c'était celui des Diptères, grâce à l'excellent ouvrage allemand de Meigen sur les espèces européennes. Outre ce motif de préférence, je me persuadai que je pourrais rendre quelque service à l’entomologie française en dirigeant particulièrement mes travaux vers ces Insectes qui étaient {rès-peu connus en France : cette époque, quel que fut l'intérêt qui s’y attachât, ant par le nombre infini des espèces et des individus, que par leur organisation, leurs mœurs et leurs métamorphoses, et par le rôle important qu'ils remplissent dans la nature. Je me mis donc à les recueillir spécialement, à les observer, à les comparer aux descriptions de Meigen, et à les décrire moi-même. J'avais remarqué aussi que les nervures des ailes offraient l’un des caractères les plus propres à distinguer, comointemen. avec les principaux organes, les familles, les genres. souvent les espèces et même quelquefois les sexes. Je les dessinai, je fis quelques observations nouvelles sur les mœurs de ces Insectes, et je publiai ce travail sous le titre de Diptères du nord de la France (1). qui en fut dépossédée par les créanciers du dernier possesseur. Elle fut achetée en 1862 par M. Aronio de Fontenelle , mon beau-père. (r) Cet ouvrage en cinq livraisons a paru de 1898 à 1833. XX PRÉFACE: Cet ouvrage accueilli par Latreille , mentionné dans le règne animal de Cuvier, me mit en relation avec MM. de Blainville, Geoffroy Saint-Hilaire , de Férussac, qui ouvrait si largement les portes de ses salons et de sa riche biblio- thèque , Lepelletier de Saint-Fargeau , Audinet Serville, Au- douin, Carcel, Al. Lefebvre (1), Brullé, de Castelnau, de Brebisson père, Mabieu, médecin au lazaret de Bordeaux, Escher Zollikofer , de Zurich, Von Winthem , de Hambourg, qui avaient comme moi recueilli des Diptères et qui les mirent à ma disposition avec la plus grande bienveillance. Ces commu- nications me firent connaître un grand nombre d'espèces nou- velles parmi les Diptères de France. De plus, je fs quelques observations nouvelles sur l'instinct et le développement de ces Insectes. C’est ainsi que j'ai fait connaître les transformations de la Mycétobie pieds-pâles (2), de la Cécidomyie du saule (3), (1) M. Al. Lefebvre me communiqua les Diptères qu'il avait trouvés dans son voyage en Sicile et ensuite en Égypte. ° (2) J'avais trouvé des larves inconnues dans le détritus de l’orme ; je les avais élevées , et leur dernière transformation m'avait donné la Mycétobie pieds-päles. (3) Cette petite tipulaire fixe chacun de ses œufs sur un bourgeon du saule au mois de juin. Ce bourgeon, lors de son évolution, au lieu de s’allonger en branche, s’élargit à sa base, et les feuilles qui devaient revêtir la longueur ‘de la tige, se développent en groupe autour de cette base, en prenant une forme arrondie, privées de nervure principale , et d’une grandeur décroissante du centre à la cir- conférence de cette espèce de galle ; les plus intérieures , fort petites et linéaires forment, par leur réunion, un tube conique dans lequel la larve est logée. Ces singulières productions que l’on n’apercoit pas dans les commencemeuts de leur formation sont très-apparentes au mois de septembre ; elles le deviennent bien plus encore pendant l'hiver , puisqu'elles sont la seule partie du feuillage qui soit persistante ; les larves sont ovales, d'un rouge jaunâtre, leur bouche et même leur tête sont peu distinctes. Ce n’est qu'après l'hiver qu’elles passent à l’état de nymphes. Sous cette nouvelle forme, elles sont d'un beau rouge et montrent à découvert les organes de l’insecte adulte, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas ren- fermées dans une coque. PRÉFACE: XXI du Pachygastre noir (1), de l'Empis opaque (2) et de quelques autres. Quelque temps après la publication des Diptères du nord de la France, Latreille, qui tenait de plus ea plus le sceptre entomo- logique, mais qui touchait au terme de sa carrière, reconnais- sant l'utilité d’un ouvrage général et spécial à la fois sur les Insectes, ouvrage qui ne pouvait être entrepris que par une association d'entomologistes , en projeta une dans laquelle il me proposa de traiter les Diptères. Ce projet, dont l'exécution fut arrèlée par la mort tant regrettée de son auteur, fut repris en- suite, mais agrandi et modifié sous le titre de Suites à Buffon, dont Roret fut l'éditeur. Honoré d’une collaboration avec une partie des naturalistes (1) Les larves des Pachygastres sont allongées , fort déprimées, d’un gris rous- sâtre, et marquées de trois bandes obscures. Le corps est composé d’onze segments distincts, munis d’une soie allongée de chaque côté. La tête est conique, obtuse, beaucoup plus étroite que le corps. A l'extrémité supérieure, on distingue une tiès- petite pointe. En-dessous, la bouche paraît entourée d’un rebord ; mais l’on nf apercoit aucun organe , si ce n’est un petit corps blanc qui semble en occuper l'ouverture. Un point noir, qui est probablement un stigmate, se trouve de chaque côté de la tête. Le dernier segment du corps est noir, grand , demi- circulaire et bordé de noir. Ces larves se trouvent dans le detritus de l’orme. Tant qu’elles prennent de la nourriture , elles se tiennent dans la partie basse et hu- mide ; avant de devenir nymphes, elles s'élèvent vers la surface et y restent im- mobiles jusqu’à la dernière transformation. (2) J'ai trouvé à la fin d'avril un Empis opaque, dont l’un des pieds posté- rieurs était engagé dans une peau de nymphe, de laquelle il était évident qu'il était sorti, et qui conservait tous les traits de la nymphe elle-même, Cette dé- pouille était ovale, allongée; la partie antérieure offrait en-dessous l’empreinte de la trompe et des pieds de l’insecte. Les neufs segments, depuis l’extrémité da thorax jusqu’à celle du corps, étaient fortement ciliés de spinules d’un roux foncée, au bord postérieur en-dessous. L'on pent juger par cette description que la nympbe de cet Empis ressemblait à celles de l’Asile à tenailles, observée par Degeer. Les spinules des segments de l’abdomen indiquent qu’élle {tail sortie de la terre par les contractions de son corps. Ces premiers renseignements ainsi que l’analogie , nous portent à croire que les larves des Empides sont terrestres et conformées à peu près comme celles des Asiliques. IT xxXH PRÉFACE. les plus connus de France (1), je me mis à l’œuvre avec un désir extrême de justifier la confiance qui m'était accordée, et je publiai une histoire naturelle des Diptères (2), qui a peut-être contribué à faire sortir cet ordre d’Inseetes de l’état d’infériorité où ilétait relativement aux autres ; mais je fus contraint, pour me renfermer dans le cadre trop étroit qui m'était accordé, de ne donner que des développements insuffisants aux descriptions, et de laisser sans emploi une partie des matériaux que j'avais rassemblés. Je crois y avoir amélioré la classification en la ren- dant plus conforme à l’ordre naturel (3), en même temps que j'ajoutai aux connaissances acquises de nombreuses observalions et descriptions nouvelles. ' Je rencontrai, pour une partie de mon travail, une source de lumière et en même temps une assez grande difficulté dans l’emploi que j'en devais faire : Il avait paru, peu avant la publi- calion de mon histoire naturelle des Diptères, un ouvrage de M. Robineau Desvoidy, intitulé : Æssaë sur les Myodaires, classe qui répond à celle des Muscides ou Mouches, qni comprend les fa- milles inférieures de cet ordre d'Insectes, ouvrage de grand mérite et rempli d'observations très-importantes. Cependant l’auteur avait négligé presque complétement la synonymie, c'est-à-dire, le travail qui consiste à rechercher les travaux antérieurs et particulièrement à reconnaitre les noms donnés par d’autres auteurs aux êtres que l’on décrit. Je ne pus me dis- penser de soumettre à ce travail de confrontation les Diptères décrits et nommés par M. Robineau Desvoidy, et de leur resti- tuer quelquefois les noms qui leur avaient été donnés antérieu- (1) MM. Audinet-Serville, Audouin, Bibron , Boisduval, de Blainville, de Bré- bisson , Brullé, A. de Candolle, Fr. Cuvier, Dujardin, L. Geoffroy-Saint-Hilaire, Huot , Lacordaire, Lesson, Milne Edwards, Lepéletier de Saint-Fargeau , Spach, Walckenaer. (2) Cet ouvrage , en deux volumes , a paru en 1834 et 1835. (3) Par exemple en rapprochant les Notacanthes des Tabaniens , ce qui a été généralement adopté depuis. PRÉFACE, XXIIT rement par Meigen el les autres auteurs. Je dus aussi modifier et simplifier son système de classification, afin de le mettre en harmonie avec l’ensemble de mon travail. La publication de mon ouvrage donna beaucoup d'extension à mes relations entomologiques. Il m’arriva de toutes parts des Diptères en communication. Je décrivis ceux recueillis aux îles Canaries par MM. Webb et Berthelot, et consignés dans leur bel ouvrage ; ceux de la Sardaigne trouvés par M. Gené, dont la perte récente et prématurée a enlevé aux sciences naturelles une de ses gloires et à moi un ami bien cher ; ceux que rapporta de la Morée la Commission scientifique qui accompagnait notre expédition libératrice; ceux de l'Algérie rapportés par une Commission semblable à la suite de notre glorieuse conquête. Enfiu, l'administration du muséum d'histoire naturelle de Paris me confia la détermination des Diplères faisant partie de ses collections, et je sentis toute la valeur de cette mission; je me trouvai pour ma faible part associé à tous les hommes qui ont successivement élevé ce grand monument aux scienres natu- relles : depuis le docteur Bouvard, médecin de Louis XIE, Tournefort, Antoine de Jussieu, Buffon, Bernardin de Saint- Pierre, D’Aubenton, Brongniart, Bose, Lamarck, jusqu'à Cavier, Geoffroy Saint-Hilaire , Blainville , Latreille, Audouin, Milne Edwards, de Mirbel, Flourens , Cordier, Becquerel. J’eus parti- culièérement avec M. Audouin des relations dont le charme ne s’effacera pas plus de ma mémoire que le regret de sa mort. ({) J’entrai également en rapport avec un grand nombre d’ento- mologistes français et étrangers, et particulièrement avec M. Léon Dufour, émule de Réaumur dans l’art d'observer et de dé- crire les transformations des Insectes, et de Cuvier, dans la (1) M. Audouin, à sa mort, à l’âge de 42 ans, était professeur-administrateur du Jardin des Plantes, membre de l’Académie des Seiences, dont il était le biblio- thécaire, auteur d'excellents ouvrages, aimé et estimé de tout le monde, beareur dans son intérieur. XXIY PRÉFACE. science de l'anatomie comparée appliquée à ces petits êtres; Dejean, Guérin, Duponchel, Boisduval, Chevrolat, de Brème, Mulsant , de Fons Colombe, Gourean, tous ces hommes , l’hon- neur de l’entomologie française contemporaine. (1) A l'étranger, je commençai des relations aussi agréables qu’utiles : en Bel- gique, avec MM. Robyns, de Bruxelles, qui fait un si noble usage de son riche cabinet, Wesmael, De Selys Longchamps, Robert , de Chesnaie (2), Payen (3), Demoulin (4), Carlier et Lacordaire que la France a prêté à l’Université de Liége, et qui professe les sciences naturelles avec autant d'autorité que son frère nous inspire d'enthousiasme par la sublimité de ses instruc- tions religieuses. En Hollande, M. De Haan, qui a mis dans le plus bel ordre toutes les richesses javanaises du musée de Leyde ; en Angleterre, MM. Hope et Westwood (5), qui ont fait entre- voir ce que leur science pourrait extraire des trésors immenses de J’Asie, enfouis au musée britannique; en Danemarck, M. Staeger (6) qui a fourni tant de matériaux à M. Zetterstedt sur les Diptères de la Scandinavie ; en Russie, M. Eversman, que j'ai rencontré à Paris, el qui, professeur à Cazan, va tous les ans passer deux mois dans les monts Oural, pour en recueillir les Lépidoptères; en Allemagne , MM. Loew , savant dip- térologiste, de la Prusse, et Hoffmeister , de Hesse-Cassel ; en Suisse, M. Brémi , de Zurich, qui fait des observations (1) Je suis encore en relation avec MM. Herpin, de Metz ; Dagunet, de Chälons Philippar , de Versailles, qui observent les Insectes sous le rapport des dommages qu'ils causent à l’agriculture. (2) M. Robert débutait en entomologie par des observations importantes quand la mort vint l'arrêter. (3) M. Payen, directeur du musée de Tournai, a résidé pendant plusieurs années àBatavia et en a rapporté beaucoup de productions naturelles. (4) M. Demoulin, directeur du musée de Mons , m'a communiqué un très-grand nombre de Diptères. Il est aussi horticulteur distingué. (5) M. Westwood a publié d'excellentes monographies sur les Diapris et les Nyctéribies. (6) Auteur d’un excellent travail sur les Dolichopodes du Danemarck. PRÉFACE. xx importantes sur les déprédations que les Insectes causent aux plantes; en Italie, M.le marquis Spinola, qui joint à l’an- cien éclat de son nom l'illustration que donne la science, et M. Randoni , qui trouve tant de nouveaux Diptères dans les prés fleuris de Parme; à Malte, M. Schembri, qui recherche les applications de l’entomologie à l’agriculture; à Alger, M. Guyon, chirurgien en chef de l’armée, qui s'occupe des Insectes nui- sibles à la santé de nos soldats ; enfin, en Espagne, M. Ramon de la Sagra, dont j'ai recu la visite à Lille, explorant en même temps les musées et les hôpitaux en qualité d'ancien professeur de botanique à la Havane, et d'homme d'état à Madrid. Cependant mon ardeur pour les recherches diptérologiques croissait toujours ; je chassais parlout ; je concevais le comte Dejean, (dans une charge de cavalerie,) ne pouvant résister au désir de capturer un Coléoptère volant à sa portée, et se faisant un filet de son casque. J’explorai tous les lieux où m'’appelaient mes fonctions ou mes affections, ou mes relations. Je mis à profit les assises de Saint-Omer, pour parcourir les bruyères, ou la vallée de l’Aa, quelquefois avec le docteur Pes- champs, le savant botaniste connu; les loisirs bien courts du conseil général à Arras, pour visiter les bois d'Ecouavre, les pierres d'Acq (1) et les tours de Saint-Éloi (2), je parcourus Blen- decques (3): si verdoyant, si animé, si industriel par le cours de l'Aa ; Kemmel (4) et cette petite chaîne de montagnes où Rubens, revenant d'Italie, retrouvait les beautés pittoresques (r) D’après la tradition du pays, ces pierres sont un trophée de deux victoires remportées sur Charles-le-Chauve par Baudouin , depuis I.er comte de Flandre. (2) Ces tours, situées sux un point élevé, dominent tous les environs d'Arras ; elles ont servi aux triangulations ordonnées pour la confection de. la carte de Frauce. Chargé du rapport relatif à l'acquisition de ces tours, menacées de destruction , Je n’eus pa sde peine à y déterminer le conseil. (3) Résidence de mon frère l’hortieulteur, C'est là que j'ai découvert les Aricies Victorine et Eulalie. (4) Domainedes Navigheer, ancêtres de ma lemme. XXVI RRÉFACE. des Apennins; Ranchicourt {1}, au beau parc, aux souvenirs mélancoliques; Vaudricourt (2), Wailly (3), Sachin (4), Héri- court (5), lieux chers à mes affections paternelles qui m'ont conduit aussi à Lunéville (6) et à Fontainebleau (7). J'ai exploré souvent cette admirable forêt si riche en beaux sites, en beaux arbres, en beaux Insectes, où le mail d'Henri IV, Franchart, les gorges d'Apremont, le rocher des Deux-Sœurs, la roche qui pleure, charment tour-à-lour nos regards. Je me rappelle d'avoir montré le produit d'une excursion à M. L. Dufour qui y avait chassé la veille, et pendant que nous disculions, que nous dissertions, que nous nous appesantissions sur quelques Mouches, le docteur Donné , chez qui nous étions et qui nous regardait en souriant, nous dit : oh! que les mœurs des ento- mologistes doivent être douces! Dans une excursion à Rabodanges (8), où Henri IV daigna accepter un asile, et dont les hautes terrasses dominent les bords pittoresques de l'Orne, je visitai tour-à-tour les sites de cette beile nature et les naturalistes du voisinage, c'est-à-dire de Falaise et de Guibraï : M. de Brébisson, le cryptogamiste , fils de mon ancien ami, et M. de la Fresnaie, l’ornithologiste , qui ne pouvait se consoler encore du naufrage dans lequel il avait failli périr, mais surtout de la perte qu'il y avait faite des oiseaux les plus rares de l'Inde qu'il rapportait d'Angleterre. (1) M. Philibert de Ranchicourt, mon beau-frère, mort à la fleur de l'âge, joi- gnait aux qualités sociales les plus aimables un talent pour la peinture tel, qu'un de ses tableaux placé dans le beau cabinet de M, Vandercruysse, de Lille, n’est pas effacé par les toiles charmantes qui l’avoisinent. (3) Manoir de mon gendre, M. de Beaulaincourt, chef d’escadron d'artillerie. (3) Résidence de la mère et du beau-père de mon gendre, M. de Linas, l'archéo!ogue. (4) Résidence de la famille de Briois, à laquelle mon fils Hippolyte s’est allié, (5) Résidence de mon gendre, M. de Servins. (6) Mon gendre, M. du Vigier, major au 9. régiment de chasseurs, y était en garnison. (7) Fontainebleau a été long-temps la résidence de mon gendre, M. Magon de la Giclais, sous-inspecteur des eaux et forêts. (8) Cette terre appartient à mon beau-frère, M. V. de Buus d'Hollebeke. PRÉFACE. XXVIT En revenant par Abbeville, j'y vis M. Baillon, digne fils du correspondant de Buffon, et M. Picard, mort prématurément au milieu de travaux importants sur les Mollusques ; à Boulogne, M. Bouchard m'initia dans un grand nombre de faits relatifs à l'instinct de ces mêmes animaux; et le beau musée de cette ville me fut obligeamment montré par M. de Rincquesent, pro- tecieur éclairé des sciences et des arts, dont la perte toute récente afflige profondément sa famille et ses concitoyens. Je dois mentionner encore d’autres lieux où les relations sociales m'amenèrent à différentes époques de ma vie. Wam- brechies, Froyennes, Oxelaere, Wattignies, Fournes, Haubour din, Bondues, Hem , La Buissière , Roquetoire , Busnes , Sains , Fouquières , Hersin Coupigny, le Mont Éventé,"où je rencontrai cet aimable accueil dont le bon curé Sanderus donnait le naïf emblême-dans la Flandria illustrata , en représentant les che- minées des chateaux hospitaliers surmontées d’une fumée d’heu- reux augure. Les résultats de ces relations avec les entomologistes et de ces recherches assidues. furent divers mémoires spéciaux sur les Diptères, insérés pour ia plupart dans les Annales de la Société entomologique de France (1) et de la Société des Sciences de Lille. Tels sont ceux sur les différences sexuelles des Diptères du genre Dolichopus, lirées des nervures des ailes (Ann. de la Soc. ent.) sur les divers organes du genre Pangonia (mêmes annales) ; sur l'apparition , dans le nord de la France, du Sphinx du laurier rose en 1835, et quelques autres (2). Ayant été agréé comme collaborateur de l'Encyclopédie du (x) Cette Société, fondée par Latreille en 1832 , Compte parmi Ses membres fran- cais les plus actifs MM. Aubé, Amyot, Bellier de la Chavignesie, Bigot, Blanchard, Blisson , Buquet, Chavannes , Coquerel, Desmarest, Donzel, Fairmaire, de Feis- thamel , de Graslin, Laboulbène, La Ferté Sénectère, Leprieur , Levaillant, Lucas, Mellié, Perris, Pierret, Poey, Rambur , Reiche, Savigny , Signoret. (2) Description d’un nouveau genre de Diptères, tribu des Notacanthes (Exo- chostoma) de France. Ann. de la Soc. ent. 1849 ; XX VIII PRÉFACE. XIX.e siècle, j'y travaillai avec d'autant plus de zèle que ce grand ouvrage a toutes mes sympathies par l'esprit qui y pré- side et par le choix des auteurs (f). lei se place une excursion sur les bords du Rhin que je fis en famille, avec la réserve que l'entomologie serait du voyage. Chemin faisant, je revis à Bruxelles MM. Robyns et Wesmael, et je recueillis des Insectes à Laeken et à Tervueren (2); à Liége, je visitai M. Lacordaire, sa collection et sa bibliothèque, pré- cieuse en livres allemands sur les sciences naturelles ; à Spa (3), de tous ses beaux sites je ne connaissais pas encore la grotte de Rémouchamps, si remarquable par ses stalactites. A Aïx-la- Chapelle, après avoir vu la tour de Granus, le tombeau de Char- lemagne, Borscheid et le Lousberg (4), je courus à Stolberg pour y voir Meigen dont j'avais sans cesse les ouvrages entre les mains el avec qui je correspondais depuis longtemps. J’en- {rai dans son humble demeure avec le respect dû au sanctuaire de la science, et je me trouvai presque aussitôt dans les bras Notice sur trois Diptères nouveaux des genres Medeterus et Scatophaga,ann 1838; Description d’un nouveau genre de Diptères, tribu des Némocères (Blepharicera) de France , ann. 1843: Description d'un nouveau genre de Diptères, tribu des Tachinaires (Tamiclea) de France, Mém. de la Soc. de Lille ; Description d'un nouveau genre de Diptères de la tribu des Notachantes ( Phyl- lophora) d'Afrique . Mém. de Ja Soc. de Lille. (x) Tels que MM. Artaud, Beugnot, Boitard, Briffault, Bonnetty, Champol- lion, Milne Edwards , Flourens, J. Geoffroy St.-Hilaire, Leglay , Laurentie, d'Orbigny, de Pastoret, Receveur, Valmy. (2) Je trouvai en abondance le Chrysosoma viridis (Tachinaire) sur des troncs de hêtres , au mois de juin. (3) Je trouvai dans les bois le Nematocera bicolor, que je n'ai rencontré que là. (4) Le Lousberg ou Louisberg , du nom de Louis-le-Débonnaire , près d’Aix-la- Chapelle, était resté inabordable, lorsque sous la domination francaise , un jeune ingénieur des ponts-et-chaussées fut chargé d'y faire les travaux nécessaires pour le rendre accessible , afin de faire jeuir les habitants de la vue admirable qu'on y dé- couvre. C'était M. Bosquillon de Genlis, depuis ingénieur en chef du département du Nord. PRÉFACE - XXIX d'un petit vicillard affectueux, encore plein de chaleur et de vivacité, avec qui je passai des heures pleines de charme. Je re- connus dans sa conversation tout le jugement, le tact, la préci- sion qui distinguent ses ouvrages, l'admiration pour les beautés de la nature et le sentiment religieux dont il s’y montre pénétré. Il mit sous mes yeux sa collection, le recueil inédit des dessins, au nombre de 3,000, de tous les Diptères décrits dans son ou- vrage, et sa bibliothèque, riche seulement des ouvrages dont il lui avait été fait hommage. Après m'avoir montré tous ses trésurs scientifiques, il me dit en soupirant : « Mon âge et mes infirmités m'avertissent de ma fin prochaine. J'éprouve un regret comme père d'une famille de quatorze enfants : quoique j'aie eu le bonheur de les élever au gré de mes désirs, et même d’en établir avantageusement plusieurs, j'aurais désiré leur procurer quelque bien-être en vendant avant ma mort ma collection de Diptéres et le recueii de mes dessins: mais j'ai lieu de craindre que ces produits de quarante. ans de travaux ne leur soient d'aucun avantage et qu’ils ne soient en même lemps perdus pour la science. Je le crains d'autant plus que mes amis ont fait beaucoup de démarches pour les vendre, soit au roi de Prusse, mon souverain, soil aux musées ou aux entomologisies de l'Allemagne, et qu'elles ont toutes été vaines. Cependant mes prétentions sont bien modé- rées. Voulez-vous en être l'acquéreur? » Heureux de-trouver l’occasion d’être utile à cet excellent homme, de contribuer à répandre quelque consolation sur ses derniers jours. d'assurer la conservation de ces deux appendices précieux de son ouvrage et de les conquérir pour la France, je lui répondis que je les acceptais avec empressement aux conditions qu'il désirail ; mais que pour les placer de la manière la plus digne de lui et la pius utile à la science, j'allais, en passant par Paris, proposer à MM. les administrateurs du muséum de leur en faire la cession, afin d'en enrichir cet étab issement ouvert à toute l'Europe. Pen XXX PRÉFACE. après, je pris congé de Meigen comme d'un ami que je ne devais plus revoir; je vis à Paris M Audouin, qui saisit avec tout son zèle scientifique l'occasion que je lui offrais; il obtint de suite l’assentiment de ses collègues, et le muséum ne tarda pas à pos- séder la collection de Diptères de Meigen et le recueil de ses dessins, l’une et l’autre si utiles à consulter. D'Aix-la-Chapelle à Cologne, la plaine la plus monotone s'anime des couvenirs historiques les plus saisissants. On foule les champs de Tolbiac (1; , le berceau de la France chrétienne. On remonte de Charlemagne à Clovis pour s'élever à Auguste el Tibère. Je laissai errer mes pensées comme mes pas et mon filet dans une prairie émaillée de fleurs, à Duéren , au milieu de ces campagnes pleines du passé. À Cologne, après avoir adoré la puissance divine dans cette cathédrale où se manifeste la puis- sance humaine, j'allai revoir le Bhin, comme un ami absent pendant de longues années, et dès le lendemain , je le remontai jusqu’à Goddesberg, près de Bonn. De cette position charmante, en face des sept montagnes, nous fimes des excursions au Drachenfels, dont le site et la légende gothique ont perdu de leur charme depuis que, transformé en jardin anglais, on y rencontre une foule de touristes , et au sommet, un café restau- rant près de l'antre du terrible Dragon. Le lendemain nous allâmes à Bonn, qui célébrait dignement l'anniversaire de la naissance de son grand artiste Beethoven , et je visitai l'univer- si:é et son riche musée, où je vis avec un grand intérét l’im- mense collection des Ichneumons d'Europe recueillis et décrits par Gravenhorst , et celle des cssements fossiles des carrières de Maestricht, publiés par M. Goldfuss. Le jour suivant, j’allai voir ce savant professeur au château d'architecture gothique qu'il s’est construit sur un tertre à Kessnicb, près de Bonn. Il attendait à déjeüner le prince royal de Prusse, qui lui avait annoncé sa (1) Zulpich ou Zuich. PRÉFACE. XXX1 visite ; et pour lui faire honneur il avait fait endosser de vieilles armures à ses gens qu'il avail postés à l’extrée el à diffé- rentes stalions de son jardin paysagiste, et 1l avait trans- formé ses salons en salles d’armes du moyen-âge. Je trouvai donc à plusieurs reprises le chemin barré par des hommes d'armes qui croisaient leurs hallebardes , et il me fallut parle- menter et faire entendre que, quoique je ne fusse pas le prince royal de Prusse, j'avais à entretenir le puissant châtelain; je pus enfin parvenir jusqu'à lui, et malgré ses préoccupations un peu courtisanesques, il me reçut avec beaucoup de politesse, et m'invita à attendre le prince dont je ne crus pas devoir grossir la cour. Je le quittai en comparant le château que j'avais sous les yeux à l’humble chaumière de Meiïgen , et en bénissant Dieu de ce que le bonheur , la science et la célébrité pouvaient loger sous des {oits si différents. Nous fimes ensuite une excursion à Alienahr, en quittant le Rhin à Remagen et en remontant l'Ahr le long de ses nombreux circuits, et au bas des montagnes qui le bordent. Nous admi- râmes l'industrie des habitants; nulle part nous n'avons vu plus industrieuse et plus pénible la culture de Ir vigne. Tout le flanc méridional des côtes les plus escarpées a été transformé en nombreuses terrasses superposées , soutenues par de petites murailles , et fertilisées par la terre et les cngrais que les fem- mes mêmes portent sur la tête dans des paniers, malgré la difii- culté de l'ascension. Arrivés à Altenahr, nous gravimes nous- mêmes la montagne , d'où notre vue s’étendait délicieusement sur toute cette contrée pittoresque, et comptait jusqu’à sept re- plis du Méandre qui arrose ce site admirable. Revenus à Remagen , nous reprimes la navigation ascendante du Rhin ; nous vimes en passant Rheineck avec le vieux château de ses Burgraves , Andernach {{), qui ne le cédait qu'à Trèves, (1) Son nom (l'autre après) est interprété ainsi. XXXH PRÉFACE. dit-on, en puissance et en beauté, et je mis pied à terre à Neu- wied , résidence du prince naturaliste qui, par passion pour la chasse , ne trouvant plus rien qui put l’intéresser dans les forêts de l'Allemagne, alla chasser dans celles du Brésil, et se fil un musée considérable des trophées de ce simulacre de la guerre. J'y remarquai entr'autres. un tigre noir que je ne con- naissais pas. Avant de passer le Rhin, j'explorai les vastes prai- ries qui séparent Neuwied de ce fleuve, et au-delà, je saluai le monument élevé à Marceau, de glorieuse mémoire. Arrivés à Coblentz, qui doit son origine comme son nom ({{) au confluent de la Moselle . cette petite Meuse qui apporte un si riche tribut au Rhin, nous voulûmes la (traverser sur son vieux pont pour mieux voir sa réunion au grand fleuve qui semble se refuser assez longtemps à confondre ses eaux avec les siennes. Nous accordämes quelques heures à une ville où la noblesse française alla rejoindre le prince de Condé , et nous nous diri- geâmes ensuite vers Ebrenbreitstein {2), ce grand rocher de l'honneur, qui vit si souvent l'honneur engagé dans l'attaque el la défense de sa forteresse. Le voisinage d'Ems nous y attira, et nous vimes près d’un amas de chétives chaumières et de la plus pauvre petite église, une longue rangée de somptueux hôtels tout récents, et un salon de conversation, on plutôt un palais de marbre et d’or, prêt à inaugurer , et en face , le paysage délicieux d’une petite rivière aux eaux claires et rapides, au bas d'une côte escarpée et boi- sée qui, en suivant une sinuosité de la rivière, se détourne pour (1) Cobleutz, Confluentes ou Confluentia , où l'on voit la lettre F c* angée en B, comme le V en B en Gascogne. (3) Je préfère cette étymologie à celle d'Ehrenbreistein (Eriberti Saxum). En y montant nous entendimes un chœur de voix assez harmonieuses, et, étant arrivés sous la voûte, nos vimes une compagnie de Prussiens qui , assis en cercle, chantaient : Freut euch des Lebens de Bürger, en épluchant des pommes de terre. PRÉFACE. XXXIIL découvrir une perspective charmante jusqu'à l'horizon. C'est là que les puissances de la terre commençaient à arriver pour échapper à leurs ennuis , et rendre par les eaux quelque vi- gueur à leurs corps infirmes, comme par le jeu quelques émo- tions à leurs âmes blasées. Revenus à Coblentz, nous reprimes le cours du Rhin vers Mayence, dans sa partie la plus pittoresque, la plus ornée par les ruines romaines et gothiques, par le château de Rheïnstein re- levé de ses ruines et converti en musée du moyen-âge , où nous vimes la main de fer de Gotz von Berlichingen; par celui de Johannisberg , si cher aux gourmets, si visité par les courtisans de M. de Metternich , tant qu'a duré son règne, et Baccharach , cet autre autel de Bacchus (1), déjà consacré par les romains, et Riedesheim, et Kostheim et Hocheim qui rivalisent avec Sau- terne, Chambertin et le clos Vougeot. Nous débarquâmes encore à Biberich , cette charmante rési- dence du prince de Nassau. Entrés dans les jardins qui emprun- tent leurs principales beautés des perspectives du Rhin, comme ils sont eux-mêmes l’un des ornements de ses rivages , nous passions devant le château avec le désir de le visiter, lorsque nous vimes une porte s'ouvrir ; un domestique en grande livrée se présenta, nous invita à y entrer , et nous en montra toute la somptuosité princière. Revenus vers la porte , j'avais préparé le prix de sa complaisance , lorsque je m’aperçus qu’il avait dis- paru, évitant une libéralité lorsque tant d’autres la provo- queni. Enfin je revis Mayence après quarante années, avec les souve- nirs de mes vingt ans. Je cherchai l'hôtel où le général Marescot tenait son état-major et donnait des fêtes, la maison où, logé mi- litairement , j'avais trouvé la bienveillance, l'amitié , presque la (x) Ara Bacchi. XXXIV PRÉFACE. vie de famille. Le changement que le temps avait apporté dans cette ville était te! que je ne retrouvai rien. Mes souvenirs sculs avaient survécu. Une institution nouvelle , la société des naturalistes des bords du Rhin, me présenta beaucoup d'intéret , et je me mis en rela- tion avec les savants docteurs Reiter et Graser, qui en étaient les directeurs. Ils s'occupaient de la formation d’un musée d’his- toire naturelle , et nous nous fimes réciproquement des commu- nications et des offres de services. Arrivés à Wiesbaden, j'allai avec empressement voir M. Bec- ker, qui me montra sa rare collection de Papillons, et tous les bocaux dans lesquels il élevait une multitude de Chenilles d’espèces différentes. Ses explorations avaient été si productives qu’elles étaient devenues désormais stériles ; il s'en plaignait et projetait une émigration à l'instar du prince de Neuwied , pour donner. un nouvel aliment à son ardeur Jlépidoptérique : il balançait entre le Brésil , la plus riche des contrées, et Paris, le centre du monde scientifique. Paris l’emporta ; et M. Becker est devenu l’émule des Guenée, des Boisduval ; je vis aussi M. Vigelius, le microlépidoptériste, dont j'admirai l'extrême dextérité à étendre les aïîles, les pieds, les antennes de ces papillons presque microscopiques , qui surpassent en pelit [s'il est possible la beauté des espèces que nous admirons à l'œil nu; il m’en céda un grand nombre pour le Musée de Lille, avec un désintéressement qui m'inspira une vive reconnais- sance. Francfort, qui est en quelque sorte la chaussée d’Antin de l'Allemagne, nous charme par sa beauté, son opulence, ses monuments; nous parcourûmes ses superbes boulevards trans- formés en jardins anglais , ornés de bassins , de fontaines et de statues des hommes qui ont bien mérité de leurs concitoyens par leur célébrité ou leurs bienfaits. Nous vimes à l’hôtel-de-ville la salle immense où étaient élus les Empereurs d'Allemagne; les PRÉFACE. XXXV œuvres de Thornwaidsen et de Danekker ; au cimetière nous remarquâmes l'appareil que l’on met en contact avec les cadavres présumés en léthargie, et qui s’ébranle et sonne au moindre signe de vie qui s'y manifeste; enfin j'errai sur les bords du Mein et dans le jardin de Rotschild, pour en obser- ver et recueillir les productions entomolcgiques. Les sciences naturelles brillent à Francfort par la présence de M. Ruppel, le célèbre auteur des voyages en Egypte, en Nubie, en Abyssinie, dont les produits enrichissent le musée de cette ville. Une autre illustration scientifique est M. le sénateur Von- Heyden , qui s’est dévoué à l’observation des petits Coléoptères qui , comme les Lépidoptères , ont leurs pygmées qui réclament une étude particulière. Nous nous dirigeimes ensuite vers Darmstadt, dont nous vimes le beau château, et où je visitai Hœæpfner , le savant ento- mologiste, et ensuite vers Carlsruhe, cette capitale naissante où le palais occupe ua centre auquel viennent aboutir d'un côté toutes les rues longitudinales, et de l’autre autant de longues avenues de la forêt. Puisse le grand-duc mettre autant d'ordre dans le gouvernement de ses états qu'il a mis de symétrie dans ses constructions. Puisse le repos de Charles ne pas devenir un lieu de tortures. Nous fûmes touchés de la bonté avec laquelle il abandonne son palais à la curiosité des étrangers , ne se déro- bant lui-même à leurs regards que par un paravent. ‘À Marheïm, je vis M. Kilian , savant entomologiste, qui mit sous mes yeux , avec une obligeance extrême, toutes les richesses du musée d'histoire naturelle. Arrivés à Bade , nous y jouimes de tous les plaisirs, à l’excep- tion de,.ce qui y. attire le plus, le jeu. Nous visitâmes tous les sites charmants, la maison de chasse, la Favorite où la grande duchesse sybille passait des plaisirs aux austérités, et des austé- rités aux plaisirs. Nous assistâämes le dimanche à la messe du couvent de Lichtenthal, où nous entendimes avec délices les XXXVI PRÉFACE. voix si suaves des religieuses qui semblent placées là pour offrir ie tableau du bonheur que donnent le recueillement, la piété, la douce charité , en comparaison de la dissipation, du trouble et des passions qui s’agitent tout près de là. Nous fimes aussi une excursion à Forbach, ce beau village où le site, les costumes, les mœurs annoncent le voisinage de la Forêt- Noire, et où je recueillis beaucoup d'insectes dans les bois et sur les bords de la Murg. A mon passage à Strasbourg j'eus le plaisir de revoir l’aimable auteur de la Flore de Virgile, mon ancien collègue, M. Fée, qui me fit, avec son aménité ordinaire, les honneurs du beau musée d'histoire naturelle, et j’allai voir M. Silbermann, le savant éditeur de la revue entomologique. En retournant à Lille par Paris, je vis MM. les administra- teurs du musée d'histoire naturelle pour leur proposer, comme je l’ai dit, l’acquisition de la collection et des dessins de Meigen ; ils l’accueillirent avec empressement, et peu de temps après nous fûmes en possession de ce précieux résultat de quarante ans de travaux de ce célèbre entomologiste. M. Audouin , à qui j'avais renvoyé partiellement les Diptères du muséum, après les avoir déterminés et décrit les espèces inédites, m’en remit de nouveaux et particulièrement des exo- tiques reçus récemment de plusieurs voyageurs attachés au muséum. En quittant cet excellent ami, j'étais loin de penser que je lui disais un dernier adieu et que la mort tarderait peu à briser une vie si jeune encore, si heureuse en apparence, si chère à sa famille, si utile aux sciences. A mon retour de cette excursion , l’une des plus agréables que l’on fasse en Europe, je me remis à l’ouvrage pour mettre en ordre et classer le produit de mes recherches, et pour remplir mon engagement envers l’ädministration du muséum. J'avais trouvé parmi les Diptères exotiques de cet établisse- ment un assez grand nombre d'espèces nouvelles pour me PRÉFACE. XXXVIL persuader qu'il serait utile d'en publier les descriptions et les figures , et de continuer ainsi l'ouvrage du célèbre Wiedemann. Ces matériaux {{) et beaucoup d’autres qui furent successive- ment mis à ma disposition , m'intéressaient sous plusieurs rapports. J'avais sous les yeux des Diptères de toutes les parties de la terre; ils avaient animé par leur vol, embelli de leurs riches couleur: . les sites les plus divers; ils avaient humé le suc des fleurs , ou poursuivi leur proie dans les forêts du Nouveau- Monde, sur les bords de l'Indus, dans les solitudes de la Nouvelle - Hollande. Cette Némestrine avait plongé sa longue trompe dans la corolle égaiement alongée des glayeuls du Cap. Ce Diopsis, au front dilaté en marteau, avait plané sur les collines boisées du Dekkan. Ces Moustiques , dorés par le soleil de l'équateur, avaient infesté les bords de l’Orénoque. Tous ces Diptères avaient été recueillis dans les expéditions de nos céle- bres voyageurs, de nos navigateurs intrépides : du capitaine (1) Ces matériäux consistaient d’abord dans les Diptères provenant des voyages de Gérard et Barthélémi en Barbarie, de Goudot à Tanger, de Robert et Eydoux au Sénégal et à l’île Gorée, de Lalande et Verreaux au Cap, de Desjardins à l'ile de France, de Bréon à l'ile Bourbon, de Riche , Bernier , Goudot à Madagascar ; de Botta en Nubie , de Joannis, Bové en Egypte; de Roux, Marc, Jacquemont dans l'Inde; de Bellanger , Dussumier, Macé, Durre, Duvaucel au Bengale , de Gode- froy, Desjardins à la Chine et à Manille; de Reybaud au pays des Birmans , de Péron, Quoy, Gaimard dans l'Australie, pendant leurs voyages avec Freycinet et linfortuné Dumont-Durville ; de Gay et Fontaine au Chihi et au Pérou ; de Syl- veyra, Gaudichaud , Wauthier au Brésil, de Leprieur, Leschenault, Doumere, madame Rivoire à la Guyane, de Lebas dans la Colombie ; Richard, Lacordaire, Banon à Cayenne; Plée aux Antilles ; de la Sagra , Poey à Cuba , Hogard à Saint- Domingue; Beaupertuis à la Guadeloupe , de l’'Herminier à la Caroline; de Larue de Villaret à la Géorgie ; de Peck, Milbert, Lesueur, Bastard, Noisette dans l'Amé- rique du Nord; de Lapilaye, Léguillon à la Terre-Neuve. A ces Diptères exotiques du muséum, je joignis ecux qui me furent obligeam- ment communiqués par MM. Serville, de Saint-Fargeau, Guérin , Percheron, Gory, de Castelnau, Viard, de Jousselin, possesseur de la collection d'Olivier: de M. Robyns, du marquis Spinola ; du marquis de Brème, acquéreur d’une partie de la collection du comte Dejean. 111 XXXVIII , PRÉFACE. Baudin , à la Nouvelle-Hollande ; de Jacquémont , dans la Perse : de Desjardins, à l’île de France; de Duvaucel , au Bengale ; de Péron, dans l'Océanie; de l’infortuné Dumont-Durville, dans sa navigation autour du monde. Le pic de Ténériffe, le Chimbo- razo, l’Hymalaya , les bords du Gange, la chute du Niagara, sont représentés dans nos collections par des Diptères qui en proviennent. Les Cyphomyies, les Herméties, les Acantho- mères, les Mallophores que nous avons sous les yeux ont été capturés dans ces forêts vierges du Brésil où des arbres de toutes les formes , de toutes les couleurs, confondus, croissant ensemble, élèvent leurs cimes à une hauteur qui fatigue les regards, où, on l'épaisseur de ces domes de verdure, mille plantes aro- matiques répandent au loin les odeurs les plus suaves, mille fleurs épanouissent leurs brillantes corolles, où les Colibris se balançant aux lianes, brillent de l'éclat du rubis et de l’émeraude. : C'est en fouillant dans les cartons provenant de ces nombreux voyages que J'ai réuni les matériaux pour la description d’en- viron dix-huit cents espèces (1) de Diptères exotiques nouveaux ou peu connus , qui ont été publiées dans les mémoires de la Sociélé des Sciences de Lille. Les modifications organiques qu'ils m'ont offertes, m'ont amené à former environ cent quarante genres nouveaux, distingués par des caracteres qui récla- moient cette formation pour être en harmonie avec le système de classification le plus généralement adopté par les entomolo- gisles actuels. Il ne faut pas cependant conclure de cette multiplicité de (1) Cet ouvrage comprend trois volumes in-8.9 en sept parties dont deux de supplément; la première à paru en 1838. Il est :ccompagné de figures coloriées ou noires, représentant un grand nombre des espèces décrites soit en entier, soit ilans les parties les plus caractéristiques. Un nouveau supplément contenant plus de aa espèces paraîtra en 1850. PRÉFACE. XXXIX genres nouveaux que les Diptères exotiques différent extrême- ment de ceux de l'Europe. , que leur organisme présente de nom- breux types extraordinaires. Il n'en est rien. Quelle que soit la partie de la terre où nous portions nos pas scru- tateurs; dans les forêts de l'Amérique méridionale , dont la végétation luxuriante des tropiques nous cffre si peu de rapports avec celle de l’Europe; dans la Nouvelle-Hollande où les masses immenses d'Eucalyptus, de Casuarina el de tant d’autres végétaux étonnent encore plus nos regards par leurs formes étranges, les Diptères, quoique la plupart, sous la forme adulte ou de larves, doivent leur subsistance aux plantes, présentent très-souvent la même organisation que les nôtres ; et si l’européen, jeté par la tempête sur des plages loin- taines , s'attriste de ne point voir l'arbre de son pays, qu'il jette les yeux sur ces insectes, et à l'aspect de leurs formes con- nues, il se croira moins exilé, l’espoir de la patrie renaîtra dans son cœur, et il se livrera avec plus d'abandon aux soins de la Providence. Mes affections paternelles m'appelant à Bourges en 1845, me déterminérent enfin à un voyage en Suisse, que je révais depuis que dans ma jeunesse j'avais effleuré ce beau pays, sanctuaire des sciences naturelles. J'étais accompagné de deux de mes chères filles. J’arrivai à Bourges où tout m'intéressa, exceplé mes courses entomologiques , qui furent d’une stérilité complète. Dans ce point central de la France, la nature s'incline cn quelque sorte devant l'art; c'est l'art chrétien, au lieu de la nature, qui élève l'âme vers Dieu , qui excite la prière, ce par- fum du cœur. La cathédrale . par sa grandeur, son élévation, sa nob'e simplicité , l'harmonie de toutes ses parties, le jour mys- térieux de ses admirables vitraux , et sa consécration à Dieu , donne les mêmes émotions que ces belles fôrets du nouveau monde, dont les arbres assombrissent l'air par l'épaisseur de leur feuillage , le parfument de la suavité de mille fleurs et XL PRÈ FACC. proclament la Divinité par toutes les harmonies dont cette belle nature pénètre l’âme. Après la cathédrale vient l'hôtel de Jacques-Cœur , comme au théâtre, après Athalie, la petite pièce remplie de grâce, d'esprit et de gaité. Un autre souvenir me reste de Bourges. Le génér ral Alzaa , qui m’honorait de son amitié depuis qu’il avait trouvé à Lille l’hos- pitalité due au malheur, me proposa de me présenter, ainsi que mes filles , à son roi Charles V , à la reine, et ensuite au jeune prince , aujourd'hui le comte de Montémolin. J'acceptai , non par la vaine curiosité de voir l'ombre d’un successeur de Charles- Quint, mais par sympathie pour les grandes infortunes. Nous fumes reçus par la bonté mêlée à la dignité. Don Carlos, prévenu par Alzaa , m’entretint des sciences naturelles en homme du monde et en philosophe chrétien. Ensuite il me parla de son abdication récente en faveur de son fils. Il espérait que cet acte rendrait possible le mariage de ce jeune prince avec sa cousine isabelle et ferait cesser enfin la guerre civile qui ensanglantait l'Espagne. Dans son désir de rendre le bonheur à ses états, il se faisait illusion au point de croire que les ministres d'Isabelle, qui l'avaient dépossédé , pourraient consentir à donner la cou- ronne à son fils. La reine , assise sur le même canapé que le roi, avait pris mes filies près d'elle, et se mit à leur parler avec tant d'af- fabilité et de grâce , que le trouble qu’elles ressentirent d’abord se dissipa bientôt , et la présentation intimidante devint une douce causerie dont elles conservent un charmant souvenir. Le jeune prince est d’un extérieur agréable ; il a reçu ure éducation royale, une instruction. solide ,et des talents qui, joints à un ardent amour de sa parie et aux leçons de l'adver- sité, le rendent digne du trône de ses pères. En quittant Alzaa, en luiserrant la mais, c'était un adieu sans retour ; aussi fidèle à ses convictons politiques qu'à sa foi PRÉFACE. XLI religieuse , il s’est rendu au poste que son devoir lui assignait , el il y a trouvé la mort d'un martyr. Le lendemain nous arrivions à Clermont, dans cette Auvergne où la nature actuelle , si accidentée à sa surface, si converte de cendres , de laves, de scories, accuse tant les feux intérieurs qni ont soulevé ses montagnes el se sont fait jour en volcans depuis longtemps éteints. Mais si la nature physique est grandiose en Auvergne , si elle présente des sommilés imposanies , telles que le Puy-de- Dôme , le Mont-d'Or , le Cantal , la nature humaine n’y a pas moins de grandeur, et présente avec orgueil le berceau de Grégoire de Tours , du chancelier de l'Hôpital, et de Pascal , ces trois grands. noms qui ne s'éteindront jamais comme les vol- cans de ces montagnes ; et quel souvenir encore que celui de Ja première croisaie préchée à Clermont , le plus grand événement du moyen âge, qui a produit tant de grands hommes, de grandes actions, de grands résultats ! Après avoir parcouru Clermont, sa cathédrale aux riches vitraux, aux colonnes de lave, aux voûtes élancées ; la fontaine pétrifiante de-St.-Ailyre , le jardin botanique, la collection des minéraux indigènes , la plupart volcaniques ; après avoir fait la charmante excursion de Royat, dont le site, la grotte, le ruis- seau et les énormes chataigniers enchantent l'œil , nous allâmes passer quelques jours au Mont-d’Or , où l’on retrouve la santé du corps , le repos de l’esprit , la chaleur de l’âme , grâce aux eaux thermales, aux douces promenades dans la vallée, au spectacle sublime que présente le sommet de la montagne la plus élevée de la France centrale. Le cratère , les pics sour- cilleux, le vallon d’Enfer, ont un aspect sévère ; rien de plus riant que les bords de la Dore et de la Dogne qui se réunissent près de là ; de plus gracieux que la haute cascade de l’Écureuil et son entourage. Aussi dès l'époque romaine, la beauté du site amcna sans doute-la découverte des eaux minérales , et les Ro- {IL PRÉFACE. mains y construisirent des thermes sur les fondements desquels s'élève le bel établissement actuel. Des volcans éteints de l'Auvergne, nous pas:âmes au volean toujours incandescent que présente Lyon et la Croix-Rousse son cratère ; mais, ainsi que rien ne surpasse la fertilité de la base du Vésuve, Lyon n’en est pas moins riche en monuments , en institutions, en hommes célèbres. Le Rhône et la Saône ont sou- vent été teints de sang ; mais leur cours, comme Île temps , en emporte da trace, et leurs eaux reprennent toute leur limpidité, « celle du Rhône est bleue comme les glaciers d'où elle s’é- » chappe, comme le ciel du pays où le fleuve prend naïssance ; » elle est froide comme les hautes régions où les neiges éter- » nelles alimentent ses sources ; son cours majestueux , impé- » lueux, participe du caractère des monts, sommets culmi- » nants de Europe, et où mille torrents se réunissent pour le » former... La Saône, plus modeste, roule paisiblement une » eau verte comme les riches campagnes qu’elle arrose, comme » les riantes collines qui s’y réfléchissent, tiède comme les bel'es » vallées qu'elle parcourt. » (1) L'histoire naturelle doit à Lyon sa célèbre famille des Jus- sieu , gloire de la botanique francaise. L’entomologie actuelle y compte plusieurs hommes tels que MM. Donzel, Foudras, Mulsant (2) qui, à divers titres, se recommandent à la science. Ce dernier , par exemple , débuta dans la carrière par les Lettres à Julie sur l’entomologie, dans lesquelles il répandit sur les Insectes tout le charme de la poésie. Actuellement, après les avoir chantés avec une gracieuse légèreté, il les décrit avec une profondeur d'observation admirable. Ses Co- léoptères d'Europe le placent dars un rang très-élevé parmi (1) France pittoresque. (3) De plus MM. Gacogne , le capitaine Godard, Guillebeau , Hénon , Rey, Perroud , Jordan , Merck. PREFACE. XLII ] les naturalistes vivants. Non-seulement il les décrit avec une rare perfection, mais quelque nombreuse que soit la pha- lange des coléoptéristes français et leurs amples moissons , il est parvenu à glaner après eux une multitude d'espèces nou- velles. J'avais espéré trouver, dans une excursion entomologique aux environs de Lyon , quelques spécimens de la faune méridionale ; jy retrouvai celle de Paris et même de Lille. Sous ce rapport Lyon est plus septentrional que Foutainebleau où les roches , les sables, les carrières accroissent l'intensité de la chaleur des rayons solaires. | Enfin j'arrivai à Genève et je revis cette Suisse, non plus avec l'ivresse de mes vingt ans, mais avec un- sentiment profond, réfléchi des beautés de la nature ; non plus seulement dans une petite partie de sa région septentrionale, mais dans son admi- rable ensemble ; j'allais gravir ses Alpes, naviguer sur ses lacs, contempler ses glaciers, explorer sa faune et sa Flore, visiter ses naturalistes. Tout ce que mon imagination me promettait de jouissance fut grandement dépassé. Ce fut une suite continue de Journées charmantes où la Suisse m'offrit avec une variété inta- rissable ses aspects tantôt srandioses, sévères, sublimes, tantôt riants , suaves , délicieux. Ce qui décore par-dessus tout Genève, c’est la science dont elle est l’un des sanctuaires les plus vénérés; c’est le lac et ses bords : le lac dont ies eaux d’un bleu charmant, légèrement ver- dâtre, on( une pureté el une transparence qui laisse pénétrer les regards dans leur profondeur ; les bords si souvent décrits, chantés, célébrés, et dont nous n’apprécions la beauté qu'après: les avoir vus. Du côté de la Savoie, l'aspect sévère des Alpes, le Môle, les deux Salèves, les Voirons, derrière lesquels se dressent le Buet, l'Aiguille d’Argentières et le Mont-Blanc dans toute sa splendeur; du côté de la Suisse la rive riante et animée où les yeux, l'esprit, le cœur sont tour-à-tour émus, charmés à la XLIV PRÉFACE. vue de Coppet, de Lausanne, de Vevey, de Clarens, de Chillon. La science à Genève semble un produit du sol, tant elle s’y perpétue et s’y montre florissante. À la gloire d'un grand nombre de savan!s que la mort a successivement moissonnés , se joint celle de la génération actuelle qui soutient dignement la com- paraison. À des noms tels que Saussure, Trembley. Bonnet, Delue , Jurine , Sennebier, Tronchin, ont succédé ceux de MM. De Sismondi, De Candolle, Prévost, Pictet, P. Hnber, dont les derniers doivent à leurs pères un nom déjà célèbre. Nous pou- vons, dans le domaine de l’entomologie, y joindre ceux de MM. Seringes et de la Serre, avec qui je me félicite d’avoir eu des rapports. Parmi ces hommes dont la société répand tant de charme à Genève, je dus par mes goûts distinguer surtout M. Pictet, l’un des entomologistes les plus connus de l’époque actuelle. Son ouvrage sur les Névroptères est d’une rare perfection par la classification, les descriptions, les observations sur les habitudes, et les figures qui l'accompagnent. C’est le produit de recherches infinies sur les rives et dans les eaux du lac, du Rhône, de l’Arve et des mille ruisseaux qui s’y jettent, surtout pour y découvrie les larves des Éphémères, des Perles, des Friganes, et en faire connaître jusqu'aux moindres modifications organiques, les moindres détails de mœurs. Le don qu'il voulut bien me faire de ce chef-d'œuvre fut encore relevé par l’urbanité avec laquelle il me fit les honneurs de Genève dont il est l’un des citoyens les plus honorés. Parmi les excursions que nous fimes, le plus souvent en navi- guant sur le lac, tantôt à la tour romantique d'Hermance, à Ferney, à Genthod, résidence de B:nnet, le célèbre psycholo- giste et en même temps le premier investigateur qui ait fait des observations suivies sur la génération singulière des Pucerons ; au château de Coppet où le souvenir de M.m° de Staël se con- servera comme celui de Corinne et de | Allemagne , nous dûmes PRÉFACE. XLY à un malentendu une soirée agréable dans une familte char- mante. Je savais de M. Pictet qu'il y avait entre Genève et Ferney un point d'où l’on avait une vue admirable du Mont- Blanc, et d’après des renseignements pris à l'hôtel des Berghes, je m'y étais fait conduire en recommandant à un cocher allemand de nous arrêter à l'entrée des jardins de M. Budée ; mais tout en m’assurant qu'il connaissait M. Pitée et qu'il m'entendait très- bien, au lieu d’arréter sa voiture à l'entrée de l’avenue, il l’en- fila , et, avant que j'eusse le temps de lui dire qu'il ne m'avait pas compris et qu'il devait rétrograder , il arrivait devant le perron de la maison de campagne et ouvrait la portière, fier de la vitesse de ses chevaux. Nous apercümes en même temps à travers la porte vitrée quelque mouvement dans la maison, et une jeune personne venant à nous, je lui dis l'erreur du cocher et je m'en excusai. Elle me répondit qu'en attendant le retour de son père, qui. nous receyrail avec beaucoup de plaisir, elle nous engageait à nous promener dans les jardins ; e{ nous avions à peine passé un demi-quart d'heure dans un beaë parc, que M. Budée arriva chez lui, vint nous rejoindre et me dit qu'il rendait “grâce au hasard qui lui procurait notre visite , el il nous inviia à nous reposer dans ses appartements où il nous présenta ses filles qui accueillirent les miennes avec une bonté et une grâce par- faites ; le reste de la journée se passa agréablement , {ant dans les jardins que dans l'habitation. Ayant dit à M. Budée que c'était la vue du Mont Blanc qui avait été l'objet de notre excursion, el que, loal en nous félicitant des plaisirs que nous trouvions chez lui . nous aurions désiré y joindre celui qui nous avait amenés , il nous engagea à monter aux ap- partements du premier étage , et nous découvrimes à l'instant l'une des plus belles vues de la Suisse , le lac dans: tou'e son imposante étendue, encadré à sa gauche par les collines riantes et animées’ du pays de Vaud et les montagnes de l'O- berland ; à sa droite , par les Alpes , surmontées par leur ma- jestueux géant. XLVI PRÉFACE. Enfin le soleil descendit derrière le Jura , etil fallut prendre congé d'une famille charmante avec le regret d’avoir joui si peu de temps de son aimable aceueil , mais en conservant un long souverir des jouissances que nous avions recueillies d’une heureuse méprise. Tout ce que j'ai connu à Genève m'a paru animé de cet esprit hospitalier en même temps que patriotique, et, en ma qualité de Lillois , je ne puis passer sous silence un acte de reconnaïssance qui honore à la fois cette petite république et la famille ce Lille qui en a été l'objet. Une branche de cette famille, connue par ses travaux historiques, s'était établie à Genève; elle y avait acquis l'estime de ses concitoye:s adoptifs , avait été appelée aux empluis , avait rendu des services signalés à l’état, et , après plusieurs générations , s'était éteinte ; mais la reconnais- sance publique avait survécu, et il y a quelques années , le conseil supérieur statua que des recherches seraient faites en France pour découvrir des membres de cette famille , et pour les prier d'accorder à la république un de ses jeunes rejetons qui serait adopté par l'état et élevé à ses frais ; une députation vint à Lille, fit part de cette jétermination au chef de la famille ; mais il n'avait qu'un filset il était trop bon français pour ne pas le consacrer à son pays. Nous quittâmes Genève pour visiter la vallée de Chamouni , celle vallée célèbre entre toutes celles de l’Europe , par tous les spectacles qu’elle présente à nos âmes ; dout la découverte for- tuite , il y a un siècle (1), accrut la célébrité de Pocoek , et qui depuis attire tous les admirateurs de la nature ; nous y arrivions en suivant les bords de l’Arve par Bonneville, Cluse , Sal- lanches, Sf.-Gervais, et successivement charmés de la vue que nous offraient le Salève , le Breson , la caverne de Balme , les (1) Eu 1541. - PRÉFACE. XLVI bosquets de Maglans aux échos mullipliés, le Nant (torrent) d’Arpenas et sa belle cascade, les bains de St -Gervais, les som- mets du mont Joly, dont le vaste panorama présente un des plus beaux aspects des Hautes-Alpes, avec leurs neiges, leurs aiguilles, leurs glaciers , leurs escarpements , leurs précipices. Arrivés à Chamouni, lout ce que nous Yoyions accroissait notre avidité de voir, et nous ne savions par où commencer nos excursions, auxquelles il fallait cependant mettre des bornes, mes jeunes compagnes de voyage ayant bien la curiosité , mais non l'intrépidité de M.elle d’Angeville pour oser entre- prendre et exécuter l'ascension du Mont-Blanc. Au lieu de cette héroïne, nous avions rencontré un jeune couple parisien , qui était venu répéter aux échos et aux torrents des Alpes le ser- ment de s'aimer toujours. Mme. D. aux jolis yeux , aux petits pieds , au fin corsage , à défaut de force avait la souplesse , à défaut d'instruction l'esprit et le sentiment. Sa société nous fut très-agréable.- Nous nous bornâmes d'abord à visiter la belle source de l’Arveyron qui sort tumultueusement d’une im- mense caverne située au pied du glacier des Bois surmonté de hauts rochers et du pic du Dru. Nous vimes la cascade du Pèlerin, qui tombant de haut el en masse dans un étroit bossin, se relève et jaillit tout entière en gerbe brillante et s'épanouil en large panache. Ne pouvant aspirer à gravir le Bréven jus- qu'au sommet, nous voulümes au moins le monter jusqu’au châlet de Pliampra, d’où la vue admirable s'étend sur toute la vallée que nous venions de quitter, sur les aiguilles Rouges. im- menses rochers de granit, et sur l’ensemble grandiose que pré- sente le Mont-Blanc , sa chaine et ses glaciers. Ensuite nous fimes l’sccension du Montanvert, nous désalté- rant à la fontaine Caillet, gravissant successiveme:t les zones végétales des chénes , des sapins , des mélèzes cl des rhododen- drons dont nous traversâmes une vaste étendue couverte de fleurs ; arrivés au sommet, nous nous trouvions à la limite de XLVIIL PRÉFACE. la Mer de glace, dont nous franchimes le$rivages silencieux et les vagues durcies. Avec quels regrets fûmes-nous réduits à arrêter notre marche à cette base du Mont-Blanc, et à saluer de loin le glacier des Bossons , les rochers des grands Mulets , le dôme du Gouté , les grandes Montées , les rochers Rouges, et cette immense bosse du Dromadaire , ce sommet sublime qui domine tout l'ancien monde. Aux impressions que je ressentais à la vue des Alpes , se mélait le souvenir de Haller, qui les a chantées , de Deluc, de Saussure, de M. Elie de Beaumont , qui les ont explorées, étu- diées, analysées ; je voyais d’après eux les glaciers fondant toujours à leur base, descendant toujours en glissant le long de leurs pentes, réparant loujours les pertes de leurs bases par les nouvelles glaces de leurs sommets. Je voyais celle grande chaîne des Alpes occientales , dont les sommets sont couverts de neiges éternelles, dont les profondes vallées sont revêtues d'une admirable végétation ; je la voyais accompagnée parallé- lement de chaines latérales de hauteurs décroissantes , et qui s'sbaissent d'un côté vers les plaines de la Lombardie, de l'autre vers la France orientale ; mais si je reconnaissais quelque régu- larité dans la disposition des Alpes occidentales , je me perdaïis comme dans un dédale inextricable , dans la complication que produit la jonction de cette chaine avec celle des Alpes orien- tales , lorsque le St.-Gothard et toutes celles qui l'entourent viennent pour ainsi dire se croiser avec tout le système dont le Mont-Blanc est le centre. Mes excursions entomologiques me procurèrent un grand nombre d'espèces alpestres qui m'intéressèrent, telles que l’Apollon, ce papillon des cimes neigeuses ; parmi les Diptères, je capturai la Pédicie des rives , la Tipule géante. Je cherchai sur la mer de glace le Borborus glacial que Von Wienthem y avail trouvé ; je ne le trouvai pas. Nous passâmes de la vallée de Chamouni dans celle de Valor- PRÉFACE. XLIX sine , c'est-à dire de la région des Chaimois dans celle des Ours (1). Argentiéres nous fit admirer sa haute aiguille et son glacier. Nous gravimes péniblement la gorge sauvage des Mon- tées, et nous descendimes ensuite dans la sombre vallée du Triant, tantôt par Valorsine et la Tête-Noire , tantôt par le col de Balme pour revoir la vallée de Chamouni dans toute sa beauté , et le Mont-Blanc en profil, et pour monter au col de la Forelaz, d’où la vue, s'étend délicieusement sur le Valais. Arrivés à Martigny , nous nous empressâmes de monter aux ruines du château de Labatie . et de là nos regards suivirent avec admiration cette célèbre vallée du Rhône , c’est-à-dire le Valais avec ses montagnes , Ses glaciers , Ses vieilles tours , ses villes pitto:esques : Sion, et ses deux collines au pied du Wildhorn ; Loëche et ses bains, abrités par la sauvage et dou- ble Gemmi{(2); Viège, au confluent de la Visp, dont le long cours remonte jusqu'aux glaciers du mont Rose , aux confins de l'Italie ; Brieg,. où débouche dans l2 vallée la route du Sim- plon (3), où les prodiges de l'art disputent la palme aux mer- veilles de la nature (4) ; enfin les villages qui se rapprochent du glacier et de la source du Rhône , et des défilés redoutables de la Furca , du Grimsel et du St.-Gothard. (r) Plusieurs autres lieux de la Suisse paraissent devoir leurs noms à ces ani- maux : Orsières, près de Martigny; la vallée d'Ursern, sur le Saint-Gothard; Berne est à peu près la traduction de l'ours en allemand, et l'écusson de cette ville vient à j’appui de cette opinion. (2) Le nom de cette haute montagne paraît dériver de Geminus. (3) Mons Scipionis. (4) Le passage du Simplon, avant la construction de la route, a donné lieu à un trait de la vaillance française, que je veux retracer ici, d'autant plus que des ani- maux y ont pris part : Pendant que l’armée de réserve passait le grand Saint-Bernard, sous les ordres du premier consul , le 27 mai 1800, on envoya le général Béthen- court à la tête d'une colonne de 1,000 hommes , tant Français qu'Helvétiens, avec ordre de passer le Simplon et d'occuper les pas de Vesselles et de Domo d'Ossola. Des chutes de neige et de rochers avaient emporté un pont , de sorte que le chemin L PRÉFACE. Non loin de ces grandes scènes de la nature et de cette route du Simplon , monument mémorable de la puissance des hommes, aous allions voir une autre montagne célèbre , un autre passage en Italie , et au lieu de l’industrie humaine , nous allions admirer l’héroïsme de l’homme animé du sentimentreligieux, enflammé de la charité chrétienne. Nous parlimes pour le grand Saint-Bernard , traversämes le torrent impétueux de la Dranse , Orsières, Liddes, St-Pierre où nous trouvämes d’autres voyageurs. Arrivés à la zone des neiges , nos mulels, que nous croyions pouvoir ÿ marcher, s’y abattirent dès les premiers pas, et nous fûmes obligés de mettre pied à terre , et d'y marcher nous-mêmes l'espace de trois quarts de lieue, par la pente la plus raide; cà et là quelques parties découvertes du sol présentaient encore des touffes de rhododen- drons el des gentianes des deux espèces alpines d'un bleu céleste. Nos guides nous disaient : c’est ici que Napoléon fit passer les canons démontés et lrainés chacun par 64 hommes ; c'est ici qu'un des nôtres le retint sur les bords de cet abime dans lequel il allait s’engloutir avec ses grandes destinées. Nous arrivâmes à l'un des refuges à mi-côle , ouverts aux voyageurs se trouvait interrompu par un abime épouvantable de 60 pieds de largeur. Un volontaire plein d'intrépidité s’offrit de tenter l’entreprise la plus hasardeuse : il avait remarqué les trous de la paroi latérale, lesquels servaient auparavant à rece- voir les poutres du pont , et ayant eu la témérité de passer ses pieds d’un trou dans l’autre, il arriva heureusement sur l’autre bord du précipice ; une corde dont il tenait le bout fut fixée à hauteur d'appui des deux côtés du rocher. Le général Béthen- court passa le second après lui. suspendu à la corde au-dessus de l’abime , et cher- chant à appuyer ses pieds dans les trous de la paroi; après quoi les 1,000 soldats qu'il commandait le suivirent tous, chargés comme ils l’étaient de leurs armes et de leurs havresacs. Il se trouvait cinq chiens à la suite des bataillons: lorsque le dernier homme eut franchi le pas, ces pauvres animaux se précipitèrent tous à la fois dans l'abîme. Trois d’entr'eux furent entraînts à l'instant par les eaux du torrent; les autres eurent assez. de force pour lutter avec succès contre le courant, ét, parvenus sur la rive opposée , ils arrivèrent tout écorchés aux pieds de leur maître. PRÉFACE. LI égarés et affaiblis, et où les religieux vont chaque jour à leur recherche. Nous montions de plus en plus lentement ; moins dispos que les autres voyageurs, je restais en arrière , ralentis- sant le pas et m'arrêtant souvent, harassé et oppressé par la raréfaction de l’air , et je commencais à craindre de ne pouvoir parvenir au sommet, où était arrivée notre caravane, lorsque je vis accourir à moi un religieux qui, avec empressement me fit prendre un cordial , me présenta le bras et me hissa , pour ainsi dire , à l'hospice. Là , (ous les soins nous furent prodigués, et, en attendant l'heure du souper, les nombreux voyageurs arrivés dans la soirée se trouvèrent bientôt réunis dans des salles bien chauffées , dont plusieurs religieux faisaient les hon- neurs avec toute l'aménité que leur inspire leur vocation , par- lant à chacun sa langue. Parmi les hôtes de ce jour-là il se trou- vait un grand nombre de pauvres savoyards qui allaient demander des moyens d'existence à la France hospitalière , des Allemands , des Italiens , et entr'autres une dame de Milan d'un grand air de distinction; un habitant de Coire, dont l'esprit et la gaîlé nous charmèrent ; un brésilien, de haute et belle stature, sérieux, mais poli, ayant vu et comparant entre eux les sites les plus remarquables du globe ; enfin une famille anglaise telle qu'on en voit partout , et plus étonnée que partout ailleurs , de ce qui se passait autour d'elle, et surtout du sentiment qui inspirait l’hospitalité dont elle était l’objet. Après un souper ‘agréable, nos trouvâmes un doux sommeil dans de bons lits. Le lendemain, levés de bonne heure , nous visitâmes l’hospice et ses environs, si dignes d'intérêt sous le rapport topographi- que, géologique , historique et religieux. Nous vimes le petit lac dont l’eau est mélée de neige ; le mont Velan, voisin du St.-Bernard , et bien plus élevé encore, le grand rocher de pierre polie par le temps, la mine de fer spéculaire ; les ves- tiges, ou au moins l’espace qu'occupait le temple de Jupiter; les nombreuses antiquités romaines qui ont été recueillies dans LI PRÉFACE. les environs el réunies dans la bibliothèque. Nos esprits évo- quèrent les souvenirs d'Annibal, de Charlemagne, de Napoléon, qui y passèrent avec leurs armées; nos âmes s’émurent à la pensée que, depuis près de mille ans, des hommes s’y consacrent au soulagement de l'humanité souffrante, se condamaent à habiter le site le plus âpre , le pius désolé, où ils ne voient le ciel le plus souvent qu'obscurci de sombres nuages, le sol, que couvert de neige, lorsqu'il n’est pas de la plus triste nudité, comme sur les flancs abruptes du mont Velan ; où ils n’enten- dent que le sifflement de l'ouragan , le grondement de l’avalan- che , le cri sauvage de l'aigle des Alpes. !/amour des hommes excité par l'amour de Dieu a opéré ce prodige , a édifié ce monument le plus élevé au-dessus de l’ancien monde, comme il en est le plus sublime , par le sentiment qui seul le rend habi- table. Tout entier à l'intérêt que m'inspirait ce lieu si digne de sa célébrité, je ne m'étais livré à aucune observation entomolo- gique. Cependant je vis un seul insecte, etil caractérisait très- bien le site : c'était un Diptère (1) que l’on voit en France dès le mois de février , lorsque les neiges commencent à fondre, et nous étions en juillet. Aprés avoir visité l’hospice qui peut recueillir 800 voyageurs, caressé les chiens associés au zèle charitable de leurs maîtres , prié à l'asile dela mort et à l’église , honoré le sarcophage du général Desaix et déposé notre offrande dans le tronc , nous primes congé des bons religieux. Comment concevoir que l'esprit irréligieux ait pu produire un aveuglement capable de sapper une institution aussi juste- ment vénérée de l’Europe entière? Comment a-t-il pu braver le blâme , la réprobation qu'il a encourue de lout homme qui con- (3) Le Trichocera maculipennis. PRÉFACE. lil serve encore quelque chose d’humair ; mais imitons ces héros chrétiens, qui, chassés du sanctuaire de la charité , n’ont trouvé dans leur cœur que la parole de leur maître : Pardonnez-leur , Seigneur; ils ne savent ce qu'ils font. En revenant à Martigny, nous eûmes pour la première fois sous les yeux quelques malheureux affectés de crétinisme , et nous éprouvâmes la plus pénible seusation à la vue de cette horrible altération de l'humanité ; mais à côté du malheur qui les accable , il y a une tendre compassion qui leur prodigue des soins. « Regardez, dit le père Lacordaire , au pied des Alpes, ce » vil cretin sans yeux , sans sourire et sans larmes , qui ne con- » naît même pas sa dégradation, et qui semble un effort de la » nature pour s’'insulter elle-même dans le déshonneur de ce » qu’elle a produit de plus grand; gardez-vous de croire qu'il » n'ait trouvé le chemin d'aucune âme , et que son opprobre » lui ait ravi l’amitié de l'univers. Non, il est aimé, il a une » mère , il a des frères et des sœurs , il a une place au foyer de » Ja cabane , il a la meilleure et la plus sacrée , parce qu’il est le » plus déshérité. Le sein qui l’a nourri le porte encore , et la » superstition de l'amour n’en parle que comme d'une bénédic- » lion envoyée par Dieu. » ({) De Martigny , nous primes le chemin de St. Maurice qui fut témoin, sur le mont Vérollat, d’un autre triomphe de la religion. Nous allâmes voir en passant la chute de la Salanfe (9), l’une des ‘ beautés de Ja vailée du Rhône. Les dents du Midi et de Morche nous offrirent leur étroit passage; nous trouvâmes partout des traces de la domination romaine. Les salines de Bex nous rap- pelèrent le souvenir de Haller qui les exploita , et, arrivés à Villeneuve , nous nous rembarquâmes sur le lac de Genève, (1) Conférence 47.°, année 1848, p. 80. (3) Connue sous le nom de Pissevache. IV LIV PRÉFACE. adressant nos adieux à ces hautes Alpes, dont les beautés sé- vères nous avaient laissé des impressions ineffaçables, saluant sur la rive opposée, les pentes du Jura, qui devaient nous conduire aux montagnes et aux lacs de l'Oberland, où d’autres émotions non moins vives nous attendaient. Cette navigation avait tant de charmes pour nous, que nous n’abordämes pas sans regret à Lausanne ; mais nous allions voir les autres beaux lacs de la Suisse , et varier nos jouissances. A Lausanne, après avoir regretté l'absence de mon collègue M. Bugnion , l’entomologiste distingué dont j'avais espéré voir la riche collection , nous admirâmes la belle cathédrale, avec ses vitraux et ses nombreux tombeaux, entre lesquels brille celui de Mme. Canning, par Canova , et nous fimes des excur- sions vers les points les plus remarquables du canton de Vaud. A Payerne, nous rendimes hommage au tombeau de la reine Berthe la bonne , et nous vimes la selle avec le trou qui recevait sa quenouille lorsqu'elle chevauchait tout en flant , et en ré- pandant ses bienfaits sur les pauvres. (1) À Grandson , nous par- courûmes l’un des champs de bataille les plus glorieux de la Suisse ; le château de Chillon et ses sombres cachots nous rappelèrent l’infortuné Bonnivard , l’un des héros de Genève , Vevay, l'antique Vibiscum , nous offrit ses vues délicieuses du lac , ses sites romantiques. el le hameau de Clarens et les ruines du temple de Bacchus. | C'est de Vevay que nous primes le chemin de Fribourg en gravissant lentement le Jura et en nous retournant sans cesse pour revoir encore le lac et ses enchantements. Bientôt après la chaine des Gruyères , le château des puissants seigneurs qui y étendaient leur domination , l’abbaye de la Part-Dieu, la petite ville de Boulle, la Saune et ses beaux pâturages , forment un (x) La pierre tumulaire porte : elle construisait des églises, elle fortifiait les châteaux, elle cultivait le pays et nourrissait les pauvres. PRÉFACE. LY paysage charmant , surtout vu du mont Moléson qui le domine. Arrivés à Fribourg , nous vimes avec respect le Lilleul planté en 1476 en mémoire de la bataille de Morat. Nous entendimes avec recueillement les orgues célèbres qui. sous les doigts de Vogt, soupirent , chantent, tonnent à la gloire de fieu. Nous admirâmes le pont suspendu dans les airs, à près de 1000 pieds de hauteur , entre deux rochers Nous visitâmes le collége des Jésuites , aujourd’hui ravagé, qui a partagé le sort ce l’hospice de St.-Bernard. Le. fanatisme anli-religieux y à produit les mêmes effets. Tandis qu’au St.-Bernard l'hospitalité la plus charitable accueillait les pauvres voyageurs exténués de fatigue au milieu des neiges éternelles , l'éducation la plus solide était donnée à Fribourg , et préparait la jeunesse au voyage périlleux de la vie, la prémunissant contre les écueils , les tempêtes , les mirages décevants qui la menaceront sans cesse. Mais c'était à des Augustins , à des Jésuites , qué cette hospita- lité, cette éducation étaient dues ; ils ont été chassés , exilés, assassinés. L'indépendance des cantons catholiques a été odieu- sement violée; le pacte fédéral a été déchiré ; une agression a porté le pillage (1:, la dévastation , le carnage , chez des compatriotes qui défendaient leurs droits politiques et leurs convictions religieuses. cat, | Poursuivant notre voyage, nous allâmes de Fribourg à Berne, en parcourant une route charmante à travers de riches cultures, des villages où se déploie tout le luxe rustique de la Suisse , et voyant toujours dans le lointain les ondulations molles ou abruptes des montagnes. Berne nous présenta ses rues en arcades , et les jolis ruis- seaux qui y entretiennent la propreté et la salubrité ; ses nom- (1) Je citerai la maison de campagne de M. de Diesbach , appartenant à l'une des familles les plus honorables de la Suisse et de l’Artois. LVI PRÉFACE. breuses fontaines, sa haute terrasse, d’où la vue admirable s'étend sur les montagnes de l'Oberland et les Alpes au front de neige , ses fossés aux ours ; son beau pont (alors inachevé) sur l’Aar , son ancienne cathédrale, aux ogives hardies, aux vitraux salyriques et protestants. La reconnaissance publique y a érigé le mausolée de Berthold de Zaeringen , fondateur et bienfaiteur de la ville. On y cherche en vain celui de Haller, que lui devait Berne , pour l'honneur de lui avoir donné le jour. Je m'empressai d'aller voir M. Perty , le célèbre professeur de zoologie , le savant auteur du Delectus animalium, dans lequel i] a décrit les animaux découverts au Brésil par Spix et Martius, pendant leur voyage scientifique avec le prince Maximilien de Bavière. Il me montra obligeamment les belles collections en- tomologiques qu'il a en grande partie recueillies et classées ; il m'introduisit à l'académie , au jardin botanique , au musée , à la bibliothèque, toutes institutions qui attestent la culture des sciences. Un vif intérêt me portait à la bibliothèque ; c'était d'y voir le beau travail sur les plantes alpines de M. de Gillaboz, mon ancien ami , mort depuis peu d'années à Lille. Conseiller au Parlement de Flandre avant la révolution , émigré pour sous- traire sa tête à l’échafaud ; il s'était réfugié dans le canton de Berne , s’y était livré à l’étude de la botanique et à l’art de la peinture , et avait employé les années de son exil à recueillir , à décrire et à peindre les plantes des Alpes. Cet ouvrage volumi- neux dans lequel les fleurs sont représentées avec leurs carac- tères botaniques et beaucoup de talent artistique, fut offert en hommage par l’auteur, au grand conseil de la république, pour prix de la généreuse hospitalité qu'il en avait recue. Rentré en France , et s’élant fixé à Lille, il avait accepté les fonctions de conservateur de la bibliothèque publique, qu'il rem- plit avec distinction jusqu’à sa mort. Parmi les amis que son mérite lui avait faits en Suisse , se trouvait Clairville , l’un des PRÉFACE. LVIL naturalistes célèbres de ce pays , qui passa plusieurs fois à Lille en allant en Angleterre (1), et qui, amené chez moi par notre ami commun , m'iospira autant de respect pour ses qualités sociales que pour son mérite scientifique. Son ouvrage sur l’en- tomologie helvétique occupe une place d'autant plus distinguée dans ma bibliothèque , que j'ai connu personnellement l’auteur, et qu'il me fut légué par le testament de mon ami Gillaboz. Quant au bel ouvrage de ce dernier , M. Perty m’apprit qu'il aété jugé digne d’être continué, ct que le gouvernement de Berne a chargé un peintre botaniste de ce travail. Nous quittâmes cette ville pour aller à Thun et visiter l’Ober- land , cette partie des Alpes si remarquable par la multitude des montagnes surmontées de pics, par les’glaciers , les cascades , les torrents qui s’en précipitent ; par les lacs charmants de Thun et de Brienz, qui les reflètent. Si l’on compare ces montagnes aux hautes Alpes , plusieurs ne le cèdent en hauteur qu'au Mont- Blanc ; telles que le Niesen , la Jungfrau. Elles sont moins cou- vertes de neige, d’un aspect moins sévèrement grandiose, mais cependant d’une beauté imposante, et les vallées ainsi que les deux lacs sont délicieux par les douces pentes de leurs coteaux et les replis sinueux de leurs rives. Après avoir joui de la position de Thun et monté la haute tour du château qui, depuis le 12e siècle , domine cette contrée romantique , nous nous embarquâmes sur le lac , et les deux rives passèrent sous nos yeux avec leur extrême diversité de sites tour à tour sauvages, saisissan(s , se perdant dans les nues, ou gracieux , fleuris , couchés au bord des eaux ; le gigantesque Niesen , la Jungfrau et ses délicieux chälets , le Schreckhorn, le Stockhorn , le Wetterhorn , et toutes les autres montagnes voi- (#3 M. de Ciairville, déjà vieillissant, avait épousé une anglaise jeune encore qui l'entrainait tous Les ans dans son pays. LVII PRÉFACE. sines, dont les pics se dessinent sous toutes les formes dans les airs; les vieux châteaux et les vieilles tours d'Unspunnen,de Ralli- gen, de Wimmis , de Strættligen , autrefois Goldenenlust (séjour d'or et de plaisir); ceux de Spiez , qui furent construits, dit-on, pour arrêter les dévastations d’Attila; les beaux villages de Leis- sigen, de Sigriswyl, de Merligen, d'Aeschi dont la reine Berthe fonda l’église ; la grotte de St. Béat , avec ses bruyantes cascades; l'embouchure de nombreux torrents et surtout de la Kander , dont la source remonte à la Gemmi, du côté opposé à la vallée du Rhône: et si l’on se rappelle que tout cet immense tableau est resserré dans l’espace de cinq lieues , l'admiration redouble , et il semble que l’on a visité une province tout enlière. Arrivés à Interlaeken, à l'extrémité du lac où l’Aar se préci- pite , après avoir quitté celui de Brienz, nous entreprimes l’ex- cursiou de Lauterbrunnen, ea suivant la vallée de la Lutschinen, à travers ses défilés bordés de montagnes et de rochers : ici celui de Rothenfluh, aux couches sanguines , où s'élevait un vieux château ; là , la tache du fratricide dont le souvenir assombrit cette belle nature (4). Plus loin la rivière se divise en deux : celle aux eaux noires, qui descendent du Wetterhorn ; celle aux eaux blanches , de la Scheideck ; ensuite les rochers de Hunnen- flub , le torrent de Sausbach , et avant d'entrer à Lauterbrun- nen., la vue de la Jungfrau dans toute sa beauté. Enfin la cas- cade de Staubbach , but de notre course, sé découvrit à nos yeux , tombant de son rocher de 900 pieds de hauteur , se ré- duisant pour ainsi dire en poussière vaporeuse où les rayons du (1) Nous nommerons encore le Geltenhorn , l’Althorn , le Riessenhorn, le Weiss horn , l’Eigerhorn , le Grosshorn , le Doldenhorn , le Breithomi, (2) Le baron de Rothenfluh y tua son frère , et , eomme Caïn, il tratna le reste de sa vie dans l'exil et le désespoir. PRÉFACE, LVIX soleil se décomposent , ainsi que dans les bassins , et produisent un arc-en-ciel orné de toutes ses couleurs. Après avoir longtemps admiré ce brillant spectacle , nous pri- mès le chemin du Grindelwald, où nous attendait une scène plus belle encore, mais sévère, imposante , solennelle. En suivant de nouveau la vallée , nous traversâämes le village de Burglaue- nen ; nous descendimes dans une plaine tellement offusquée par la montagne, que le soleil n’y peut pénétrer pendant un tiers de l'année ; nous remontâmes en traversant l’étroit défilé de l'Enge; plus loin , le (torrent du Schwendenbach , et, peu après, nous étions en face de ces immenses glaciers qui couvrent le flanc des hautes montagnes de l'Eiger, du Mittenberg et du Wetterhorn, couronnées de leurs neiges éblouissantes , et derrière lesquelles s'élèvent encore le Schrekhorn et ses terribles pics. L'impression profonde que produisit sur nous l’aspect saisis- sant de ces lieux , s’accrut encore de tout ce qui les avoisine : la Jungfrau , pleine de majesté’, la grande Scheideck , le Rothhorn, le Viescher dont le flanc méridional descend dans la vallée du Rhône ; le Grimsel avec son périlleux passage, vers le'St.-Go- thard, le Handeck où l’Aar se précipite sur des blocs de rochers, en énorme calaracte qui s'accroit encore dans sa chute de la cascade de l’Aerlibach. Tout est-grand, sauvage, formidable , dans cette haute région. Accablé d’admiration, je m'étais retiré , et j'errais dans un bois bordé par un ruisseau rapide , formé des eaux fondues des glaciers ; je recueillais des insectes ; je venais de prendre l’Atopa cènerca pour la première fois, lorsque j'aperçus à peu de dis- lance une personne que je jugeai aussi étrangère que moi dans ces lieux. Nous nous rapprochämes l’un de l’autre, et nous ne tardâmes pas à découvrir que nous étions animés des mêmes goûts , et que nous n'élions pas inconnus l’un à l’autre. C'était M. Melly, de Liverpool, coléoptériste distingué, et men collègue à la société entomologique de France, De ce moment , que de LX PRÉFACE. choses à nous dire, que de nouvelles à nous apprendre : nous ressentimes le charme d’une douce confraternité. Le crépuscule étant venu , nous rentrâmes à l'hôtellerie du Grindelwald , où nous devions passer la nuit. La sympathie nous rendit la soirée fort agréable. Pendant le souper , l'hôte nous demanda s’il nous plairait d'entendre chanter ; la curiosité nous ayant fait accepter la proposition, il entra peu après quatre jeunes villageoïses qui Se mirent à chanter des tyroliennes à quatre parties, de manière à nous faire grand plaisir. Ce n’était pas de l'art , mais c'était le sentiment musical, c'étaient des voix fraiches et pures. Le lendemain matin, après avoir dit adieu avec regret à M. Melly et au site du Grindelwald’, nous revinmes à Interlaeken, et nous nous embarquâmes sur le petit lac de Brienz, d’où nous vimes les ruines des châteaux de Brienz et de Ringgenberg qui nous parlèrent des croisades et de la chevalerie ; lè charmant village d'Iseltwald au fond de sa baie, avec son île couverte de beaux arbres , et son rocher qui s'élève sur le lac, et qui, terminé par une plate-forme nommée Tanzplatz , vit un jour les plaisirs d’une fête se changer en douleur et en deuil, par la mort funeste de deux amants ; nous vimes encore les cas- cades du Muhlibach et du Giessbach. Cette dernière diffère de toutes celles que nous avions déjà vues par les sept chutes successives dont elle se forme. Nous montâmes par un sentier escarpé , à chacune d'elles, pour voir leurs différentes beautés, et, parvenus au sommet, nous jouimes de la vue délicieuse du Jac et des montagnes d’alentour. En descendant du bateau à vapeur , à Brienz , nous trouvâmes sur la plage , la femme du capitaine , dans tout l’éclat de sa beauté , et le pittoresque de son costume suisse , le chapeau de paille orné de roses des Alpes (1) fraîchement cueillies. Elle (x) Rhododendron PRÉFACE. LXI nous conduisit à l'hôtel qu’elle rend très-conforlable aux nombreux voyageurs qui lui demandent l'hospitalité. Nous nous dirigeâmes ensuite vers Meyringen , par la vallée de l’Hasliberg , en abordant plusieurs fois l'Aär au milieu des campagnes les plus riantes , des paysages les plus gracieux, des bois , des prairies , des troupeaux , des chälets ; le lac derrière nous , de hautes montagnes en avant et sur les côtés ; arrivés à Meyringen , fous nous retrouvions aux confins de la nature la plus sévère, à l'entrée des défilés les plus sombres , au pied des rochers , au bord des torrents; nous étions sur les premières rampes de cet amas confus de montagnes qui se lient au Grim- sel , au St.-Gothard , à la Gemmi, au Finsteraarhorn , où les Alpes orientales se croisent avec les occidentales, Nous allâmes admirer au pied du Swirgi , la chute de Reichenbach, l’une des plus béiles de la Suisse , celle qui réunit au plus grand volume d’eau le plus d'obstacles à sx triple cascade, le plus d'accidents de rochers, de cavernes , de fissures , de blocs détachés , entre- mélés de sapins suspendus sur l’abyme. Ce spectacle, joint au bruit semblable au tonnerre, que produit la chute des eaux , renouvela les émotions les plus vives que nous avions éprouvées dans les hautes Alpes. =. En quittant Meyringen , nous primes le chemin de Lungern , dans le canton d'Unterwald , en passant près des ruines du chà- teau de Resti, en cotoyant le torrent de l'Alpbach , EN gravis- sant le Hasliberg et le Brunig , le long d’un étroit sentier taillé dans le roc ét bordé d’un profond abime , que nos mulcts ren- däient plus effrayant encore par l'instinct qu'ils ont de marcher le plus près possible du bord ; mais la crainte était absorbée dans ce voyage par l'admiration que nous causaient les vues sur le lac de Brienz, la vallée de Hasli , la plate-forme üu Swirgi , le glacier de Rosenlaui , les sommets orgueilleux du Wettenhorn et du Wollhorn ; enfin nous descendimes par le chemin le plus escarpé, dans la vallée de l’Obwalden, et nous arrivâmes à Lun- gern , au bord de son joli lac. LXII PRÉFACE. Nous avions dit adieu à l’Oberland et aux hautes Alpes ; nous quittions la Suisse, embellie de ses grandes sommités , de ses pics, de ses neiges , de ses glaciers ; mais nous entrions dans la Suisse héroïque ; nous allions rencontrer partout les lieux histo- riques.. les vestiges , les ruines, les souvenirs qui illustrent le berceau de la liberté helvétique. Cette belle épopée allait se dérouler sous nos yeux el émouvoir nos âmes , dans les vallées pastorales de l'Unterwald , et surtout sur les rivages du lac des quatre cantons. Près de nous se montrait déjà le Melchthal , berceau d’Arnold , l'un des trois libérateurs ; nous arrivions à Sarnen, au pied de la colline où le château de Landenbreg fnt le théâtre de deux actes qui préludèrent à la délivrance du pays : C'est là que le bailli Beringer fit crever les yeux au père d’Ar- nold , atrocité qui lui fit jurer d'en tirer vengeance; c’est là que plus tard, sous prétexte d'apporter leur tribut (1), des suisses y pénétrèrent, s'en emparèrent et donnèrent je signal convenu entre les confédérés , en allumant des feux , en même temps que l’Axemberg , le Rowberg , le Pilate , le Righi , s’enflammèrent de même pour proclamer la délivrance de la Suisse. Les bords du lac de Sarnen nous offrirent encore les lieux qu habita un autre héros de la révolution helvétique : St. Nicolas von der Fluh , né à Kerns , longtemps retiré sur un rocher du Melchthal , d'où il sortait pour apaiser, par sa sainte aulorité, les dissensions de ses concitoyens , mort à Sachseln où ses reli- ques sont l’objet de la vénération publique. Arrivés à Slanz, nous nous inclinämes devant la cotte de mailles et la statue d’Arnold de Winkelried, le héros de Sein- pach (2), qui, dans le moment où la bataille paraissait perdue, se précipite sur le front des ennemis, embrasse un grand nombre (x) Le r.e janvier 1308. (2) Le 9 juillet 1386. PRÉFACE. LXIII de lances qui lui percent la poitrine, mais qui laissent une ouverture où se jettent les Suisses, ce qui leur donne la victoire. Enfin nous atteignimes à Beckenried le lac des Quatre-Cantons. el, nous embarquant pour Altorf, nous nous trouvâmes sur la scène principale de ce grand drame. Là, le Grutli, cette prairie au pied du Selisberg, arrosée de trois sources qui portent les noms si connus de Werner Stauffacher , d’Arnold de Melchthal et de Walter Furst , ces trois hommes qui, venant des cantons de Schwitz, d'Unterwald et d'Uri, se réunirent pendant la nuit pour concerter les moyens de délivrer leur pays de la tyrannie, el jurèrent d'y consacrer toute leur existence. Sur la rive oppo- sée , Brunnen , à l'embouchure de la Muotta, où fut fondée l'alliance Helvétique ; (1) Lucerne, patrie de Gundoldingen , maire de cette ville, qui, blessé à mort à Ja bataille de Sempach, dit à un de ses hommes qui lui demandait ses dernières recom- mandations à sa famiile : « rien à ma famille ; mais dis à mes concitoyens que les fonctiôns de maire doivent être annuelles. » Burglen , berceau de Guillaume Tell, Aitorf, où nous allions voir le théâtre des épreuves de sa grande âme ; près de Fluelen , la chapelle érigée sur le plateau où il s’élença de la barque dont Gessler lui avait confié le gouvernail pour échapper à la tempête: l’autre chapelle, près de Kussnach, où il immola le tyran d’un coup de fléche; et enfin le torrent de Schaechenbach, où il perdit la vie en voulant sauver celle d’un enfant. Le vif intérêt que nous éprouvious dans celte navigation continua à notre arrivée à Altorf, en voyant le lieu où s’élevait le mât portant le bonnet de Gessler , devant lequel Guillaume refusa de se découvrir ; le cachot où il fut jeté; l'anneau de fer où il fut attaché; la fontaine qui a remplacé le tilleul sous lequel (1) Un petit monument commémoratif porte cette inscription : Hier geschah der erste uwige bund, anno 1315 , die grund-feste der Sc'weitz. LXIV PRÉFACE. avail été lié son fils, la pomme fatale sur la tête, et à cent pas de là, l’autre fontaine, portant sa statue, d’où il abattit cette pomme, à la confusion atroce du tyran, à la joie mal comprimée des spectateurs, aux sentiments inexprimables du père. Tout à Altorf respire l’amour de la patrie, joint au sentiment religieux. À côté de ces monuments élevés à l’héroïsme patrio- tique , nous vimes l'hôpital fondé par saint Charles Borromée, une communauté de saintes femmes , un couvent d'hommes, le plus ancien de la Suisse ; l’église paroissiale , ornée d’un tableau de Vandyck, et dans laqueile nous assistâmes à une messe, où nous entendimes des chants exécutés par des voix d'une pureté et d'une expression angéliques. Quelques jeunes personnes d’Altorf consacrent leur talent à solenniser les fêtes religieuses qui élèvent les âmes vers la Divinité. Cette union de la religion et du patriotisme est d’ailleurs commune à toute la Suisse primitive. Tous les lieux où l'amour de la patrie s’est signalé ont été consacrés par un monument religieux, souvent aussi modeste que l’action a été héroïque. Les chapelles de Morgarten, de Sempach , de Burglen, de Kussnach et beaucoup d'autres, ont toutes été érigées pour remercier le Ciel des triomphes de leurs pères. Cependant les impressions que nous recevions de ces lieux héroïques allaient faire place à d’autres; nous allions retrouver les Hautes-Alpes dans une de leurs plus grandes beautés; nous alions monter le Saint-Goth:rd, mesurer de l'œil les immenses rochers, les cimes des montagnes, les ravins, les torrents qui lui servent pour ainsi dire d’échelons; nous allions voir en même temps l’art dans toute sa hardiesse aux prises avec la nature la plus hérissée de difficultés, dans cetie admirable route où tous les obstacles ont été surmontés , et qui monte doucement, égale- ment jusqu'au faile , tandis que la rivière, ou plutôt le torrent de la Reuss, bondit de rocher en rocher avec une impétuosité à donner le vertige. Rien n’égale la diversité des aspects tour à PRÉFACE. LXY tour pittoresques , rian(s, sauvages , animés , déserts, qui pas- sérent sous nos yeux. Nous traversämes jusqu'à onze fois la Reuss sur des ponts plus ou moins remarquables, soit par leur construction ou par leur position. . De nombreux villages et hameaux ornés d’églises et de chapelles occupent l'entrée des vallées ou les premières rampes des montagnes, Dans celui d’At- tinghausen, nous vimes la maison de Walter Furst, l’un des trois héros de Grutli et beau-père de Guillaume Tell, Des ruines de vieux châteaux aitirérent nos regards à Silenen , à Gestinen, à Amsteg; ce dernier passe pour étre le célèbre Twing-Uri, bâti par le tyran Gessler, De belles vallées, des gorges étroites séparent de hautes montagnes , recoivent des torrents, ouvrent des passages vers diverses parties des Alpes. La vallée de Madiran où l’impétueux Kerstelnbach descend de son glacier au pied du baut Dædi, qui, par son côté opposé, verse la Linth au canton de Glaris et au lac de Zurich ; le débouché de Wasen, qui, en suivant le cours de son torrent, nous aurait ramenés dans la vallée de Hasli ; le Gœschenthal , qui s'enfonce entre des montagnes cou- vertes de neige jusqu'aux glaciers voisins du Grimsel et à la célèbre grotte da la Sandbalme. En continuant à monter’, nous vimes bientôt les rochers qui bordent là route se rapprocher , s'élever, prendre des formes fantastiques : ce sont les Schællenen. La Reuss se resserre; ses eaux sont plis profondes, et en même temps son lit devient tellement incliné qu'elle ressemble à une cataracte immense. C’est ainsi qu’arrivés sur le pont du Diable, nous la vimes se précipiter d’une grande hauteur, de rocher en rocher, se briser avec fracas, rebondir, retomber, s’'engouffrer en tour- billons , se relever en masses écumantes avec un bruit assour- dissant. Nous nous étions à peine arrachés de ce spectacle saisissant , que nous nous vimes en face d'un haut rocher à pic, le Teufels- berg , dont le pied plonge dans la Reuss , et nous entrâmes dans LXVI PRÉFACE. le ténébreux Urnerloch, ce long et effrayant tunnel, d’où nous revinmes avec d'autant plus de plaisir à la lamière que nous nous trouvâmes tout-à-coup à l'entrée de la riañte et large vallée d'Ursern , ornée de bois et de prés fleuris où circule paisiblement la Reuss , aussi calme que nous venions de la voir impétueuse : el nous arrivämes au joli village d'Andermatt, et peu après à celui de l’Hospital. Cette vallée nous offrait de toute part les hautes montagnes des Alpes helvétiques ; au midi, nous voyions s'élever la cime du Saint-Gothard , dont le versant méridional produit la source du Tessin, tandis que le septentrional alimente le lac Luzendre , source de la Reuss; à l’est, les crêtes de l'Ober-Alp, derrière lesquelles se forme l’une des sources du Rhin (1) , et à l’ouest, la Furca, à la source du Rhône. Au centre de loutes ces sommités sauvages , de ces rochers inaccessibles , de ces neiges , de ces glaciers, de ces torrents, la vallée d’Ursern , fort élevée (2), quoiqu’une fois moins que la cime du Saint-Gothard, nous offrait la température la plus agréable , la végétation la plus florissante. Dans une exploration entomologique que je fis dans les prairies au pied du rocher qui porte les ruines du vieux château d'Hospen, je fus ébloui du nombre et de la diversité des fleurs, et en même témps des. insectes dont elles sont ornées et animées. Jamais je n'en avais tant vu. Nulle part je n’en ai recueilli une plus grande mulüitude , d'autant plus que j'y trouvai un assez grand nombre d'espèces qui étaient nouvelles pour moi. Je devais cette jouis- sance au site, circonscrit de hautes montagnes , et au voisinage de la zone méridionale. La cime du Saint-Gotbard seule s'élevait entre deux régions (1) Le Vorder Rhein. (2) Andermatt est situé à 4,500 pieds au-dessus du niveau de la mer, tandis que le sommet du Saint-Gothard s'élève à 8,300 pieds. PRÉFACE. LXVII différentes. J'étais près d’Airole, de Bellinzona , du lac Majeur ; en douze heures je pouvais être à Milan , près de Florence, de Rome, de Naples: douze heures seulement me séparaient de cette belle nature , de ce beau ciel, des grands monuments des arts et de’l'histoire, et, comme Enée à la vue de ces rivages, mais avec toute l'amertume du regret, je m'écriai : Italie! Italie ! \ De retour à Altorf, nous nous embarquâmes pour nous rendre à Lucerne. Au charme hislorique que nous présentait le beau lac se joigaait celui de ses eaux limpides et profondes, de ses contours fantastiques, de ses golfes , de ses promontoires . des villages assis.sur ses bords, des vallées et des montagnes qui s'y reflètent. Nous voyions sur notre gauche les ruines du château de Seedorf; Fluelen ; assise sur la rive droite, s’abritait au pied du Rorstoch; plus loin la vallée d’Isenthal, ou plutot d’Isisthal, (un temple consacré à Isis n'en était pas éloigné} s'étend jusqu’au mont Rothstock et au glacier de Getschenen ; ensuite Brunnen , située au coude qu'y forme le lac; Beckenried, au pied du Sélisberg , où nous vimes les ruines des châteaux de Béroldingen’et de Blumenstein ; Buochs, au fond de son golfe ; à l'entrée de la longue vallée qui s'élève jusqu'à Engelberg, résidence du savant conseiller Muller , et jusqu’au pied du gigan- tesque Titlis, d’où l'on aperçoit la cathédrale de Strasbourg ; Gersau, à la base du Rhigi que nous devions revoir. En passant en face des golfes de Kussnach et d’Alpnach, nous décou- vrimes le mont Pilate, si remarquable par son élévation, ses pics , ses rochers , son lac, son merveilleux écho et la singulière légende que tout le monde a lue dans les impressions de voyage d'Alexandre Dumas. En débarquant à Lucerne , notre première pensée , en qualité de Français , fut de visiter le lion mourant , mäis glorieux , qui rappelle une si douloureuse époque de notre histoire : la chute du trône qui fit pendant tant de siècles la gloire de la France, LXVIU PRÉFACE. trophée en même temps de la fidélité et de la valeur des suisses qui succombèrent en le défendant. L’émotion qui nous saisit à la vue de ce monument s’accrut encore de la beauté de l’exécu- tion , de la poésie de la pensée, du grandiose des dimensions du rocher dans lequel il est sculpté et du bois qui l'entoure. Thornwaldsen (1) a su représenter dans le noble animal tout le pathétique et l’héroïsme de l’action qui a ajouté un si beau fleuron à la couronne glorieuse des Suisses. 5 Nous vimes avec intérêt à Lucerne ses vieilles églises, ses ponts couverts , ornés de peintures souvent historiques; le plan en relief de toute cette partie de la Suisse, dont le général Pfyffer a reproduit, avec l'exactitude la plus minutieuse , la topographie si accidentée , si hérissée ; l'arsenal où , parmi les nombreux tro- phées de Ja gloire helvétique, nous nous inclinâmes devant la bannière de Lucerne , teinte encore. du généreux sang de Gan- doldingen. Nous quittâmes Lucerne pour faire l’ascension du Righi et d là gagner le pord de la Suisse. Débarqués à Wæggis, nous nous réunimes à une caravane agréable, et, parcourant un chemin large, doux el facile ;, découvrant sans cesse des points de vue charmants, nous arriviämes au Kulm, qui présente l’un des plus beaux panoramas de Ja Suisse, embrassant tout l'horizon ; nous revimes au midi, et vers l’est, sous la forme d’une frange argentée de neiges , légèrement ondulée , ces chaines des Alpes dont nous avious gravi les sommets sourcilleux, mesuré de l'œil les aiguilles , les rochers , les glaciers, entendu le bruit des torrents , des avalanches ; sondé la profondeur des vallées. Au nord.et à l’ouest , nos regards s'étendirent sur la Suisse des prairies parsemées de bois, où les montagnes moins élevées , (1) Lhoruwaldsen qui en a-fait les dessins en a confié l'exécution à M: Ahorh , jeune sculpteur de Constance. PRÉFACE. LXIX sont coùuronnées de sapins , de chênes séculaires, au lieu de neiges perpétuelles; de toutes parts nous vimes briller des lacs (1), serpeñter des rivières ; une multitude de villes et de villages avec tous leurs beaux souvenirs se présentèrent à la fois. / nos pieds , Schwitz, le berceau de la liberté helvétique, et ————————————_——_—__—_— er) (1) Staunton. (2) Lenoble. (3) M. Murray. (4) Annales de la Société Entom, de France. (5) La longueur de la soie n’est arrêtée que par la volonté de l'animal lorsqu'il ferme sa filière. (6) M. Huber a revu très-souvent les mêmes ascensions. (160 ) portée se dispersent d’après la loi imposée à tous les animaux qui vivent de proie. : Tels sont les principaux travaux que les Araignées exécutent avec leur soie. Ils signalent hautement l'intelligence suprême par l'instinct prodigieux qu'Elle leur a donné pour l'emploi de cette précieuse matière. Des nombreux vaisseaux où elle s'élabore , il sort des fils de différentes natures, qui se modifient en bourre, en flocons, en pellicules , en gazes légères, en mol édredon, en filaments secs ou visqueux, toujours appropriés aux besoins par- ticuliers de chaque espèce, et dont nous venons de signaler le merveilleux usage. C'est par l’accumulation de ces filaments, particulièrement en automne, lorsque les Araignées sont le-plus nombreuses, que nous en trouvons quelquefois la terre et les eaux pour ainsi dire couvertes et que nous voyons voguer dans l'atmosphère ces légers flocons, ces fils de la Vierge, dont l’origine a été longlemps méconnue. Souvent de jeunes Araignées s’y trouvent engägées ; elles traversent ainsi les airs, dit Virey, sur ce char floconneux conduit au gré des zéphirs ; elles descendent sur quelque terre inconnue, ainsi qu’on nous peint les divinités assises sur des nuages comme sur d’épais coussins. Après avoir signalé l’industrie des Araignées, surtout dans les soins qu'elles prennent de leurs œufs, nous devons parler de leur sollicitude pour leurs petits, qui ne présente pas moins d'intérêt. Les unes les portent sur leur dos, lorsqu'ils sont éclos, et ce sont particulièrement celles qui se creusent des retraites souterraines. Celles qui vivent sur les plantes conservent les leurs dans les grandes Loiles qu’elles construisent à cet effet. C’est ainsi que les jeunes Dolomèdes restent longtemps en société dans le nid ma- ternel, en sortent pour aller chasser et y reviennent avec leur proie. La Clubione nourrice, qui retient également îes siens près d’elle, les défend courageusement dans le danger, et semble en être réciproquement défendue ; lorsque nous faisons une ou- (161 ) verture dans son nid de feuilles, une multitude de ses petits se présentent à l'entrée el semblent protéger leur mère. Le Drasse noirâtre, qui établit son cocon en dehors de son nid tubuleux, y retire ses petits lorsqu'ils sont éclos et les nourrit du produit de sa chasse. Une particularité remarquable que présente la génération chez les Araignées, est celle qui a été signalée parmi les espèces qui font plusieurs cocons consécutifs. Un Théridion observé par M. Doumerc, en 1840, fit un premier cocon dont tous les œufs don- nèrent naissance à des individus mâles. Cinq jours après, il forma un second cocon qui ne donna que des femelles. Dans une obser- vation suivante, le premier cocon vit éclore des femelles, et le second des mâles. Le savant auteur de cette double observation, cherchant la cause de ce phénomène, fait remarquer que les Araïgnées femelles ont une double matrice, et il les compare aux ruminants à uterus bicorne, dont nous voyons constamment les femelles mettre bas deux petits de sexe différent. - Quoique les femelles scient généralement chargées seules des soins de leur progéniture, il existe quelques exemples d’amour conjugal et paternel qui contrastent avec l’isolement où elles vivent habituellement. Le mâle d'une Clubione construit une toile nuptiale unique- ment destinée à y recevoir l'objet de sa prédilection (1). Le mâle de la Dolomède admirable partage avec sa femelle les soins de la famille ; il ramasse, dit M. Walckenaer, le cocon que sa com- pagne laisse tomber, le place comme elle sous sa poitrine, et le défend contre toutes les attaques. Parmi les Mygales, on voit le père et la mère accompagnés de leurs petits (2). Quelques es- pèces se montrent sociables , telles que les Théridions, dont les (1) Un observateur cité par M. Walkenaer. (2) Observation de Dorthez. 11 (162 ) uns rapprochent leurs toiles (1), et d’autres vivent en société, ou au moins en famille dans de grands nids construits en commun (2). Enfin elles se laissent apprivoiser par l’homme, ce qui prouve le souvenir des bienfaits ou des sensations agréables qu’elles en ont reçus. C’est ainsi que M. L. Dufour a appris à une Lycose à venir prendre une mouche entre ses doigts ; que M. Walcke- naer a accoutumé une Araignée aquatique à sortir de l’eau à un signal donné; que M.‘lle de Béarn et Grétry les rendaient sen- sibles aux sons du piano, et les faisaient descendre du plafond, suspendues à leur fil; et qui ne sait l’histoire touchante de Pé- lisson, charmant les ennuis de sa captivité à l’aide de l'intérêt qu’il prit à une Araignée attirée par la proie qu’il lui présentait et par les sons de la musette de son basque? À tous ces actes de l'instinct des Araignées, ilse mêle plus ou moins ceux du discernement. Toute leur industrie filandière montre à la fois l'invariabilité rigoureuse de’un dans le fond et la liberté de l’autre dans les accessoires. J’ai dans mon jardin à Lestrem, un ajone à fleurs doubles, formant un buisson moins remarquable au printemps par l'abondance de ses fleurs qu'en automne par ses loiles d'Araignées, lorsque le brouillard fait de chaque fil un collier de perles. J’ai compté au-delà de 50 de ces piéges insidieux, de deux espèces différentes; les uns ver- ticaux, composés de cercles concentriques croisés par des rayons qui se réunissent à un centre commun : ce sont ceux des Épéires; les autres horizontaux, à mailles serrées et formant une espèce de nappe ou de hamac suspendu entre les branches, et surmon- tées de grandes toiles à trames formées de fils croisés dans tous les sens et à distance : ce sont ceux des Linyphies. Dans les uns et les autres j'admire l'instinct aveugle qui leur inspire un plan invariable, et le discernement et la variété avec lesquels ils choi- (x) Le Théridion sisyphe. ( ) 2) L’Araignée dont parle Azzara dans son voyage à la Plata et au Paraguay. | (163 ) sissent leurs points d'attache, assujettissent leurs cables, dressent leurs arcs-boutants , et cachent le fourreau de soie dans lequel ils guettent leur proie. Parmi les traits de discernement qui se mélent à l'instinct des Araignées, nous citerons les suivants : J’ai vu, dit Dugès, une Micrommate qui se sert ordinairement de trois folioles de la ronce cousues bord à bord, mais qui, au besoin, sait rouler en cornet les feuilles de Verbascum et de Rumex. Le cocon dans lequel elle est enfermée avec ses œufs, ayant été détaché du buisson avec les feuilles qui l'entourent, elle sort, pendant la nuit, de cette demeure trop peu stable, et la fixe de toutes parts, au moyen de cordages attachés à tous les objets. d’alentour. La Clubione nourrice en fait autant. L’uneet l’autre rentrent ensuite dans leur retraite et en recousent l’ouverture. C'est encore un trait de discernement que l’acte de vengeance exercé par une Âraignée contre un jeune homme qui avait excité son ressentiment. Il avait, pendant plusieurs jours, détruit la toile qu’elle fabriquait au sommet d’une petite lucarne fréquen- tée par des mouches. Il venait de dévaster de nouveau le produit d’une journée de travail, lorsque l’Araignée monte au plafond, se laisse tomber sur le front de son agresseur et lui fait une blessure si envenimée que tous lessecours de l’art peuvent à peine dissiper | les effets de la vengeance (1;. L’atirait que nous ressentons pour ces petits animaux, en ‘dépit de leur aspect repoussant et de leurs mauvaises qualités, s’accroit encore par l'utilité que nous en retirons. À la vérité, nous ne leur devons pas de productions précieuses comme au Ver à soie et à l’Abeille; jusqu'ici au moins leur soie n’a guère produit que la paire de bas dont le président Lebon fit hommage à Louis XIV et celle que Tremeyer présenta à Charles III; et - (x) Observation de M. Recluz. ( 164) elle ne nous sert encore qu’à arrêter le sang de nos blessures et à construire les micromètres que l’on adapte aux lunettes astro- nomiques (1) ; mais les Araignées même ont toujours été en pos- session de fournir des remèdes à la médecine. Depuis Pline et Galien jusqu’à nos jours, elles ont été employées, tantôt contre les affections des yeux et des dents, tantôt contre la fièvre et les inflammations ; elles sont narcotiques, aphrodisiaques ; les femmes du Kamtchatka les mangent pour avoir des enfants, et certaines peuplades de nègres ont une si grande opinion de cette vertu fécondante, qu’elles s’imaginent que l'homme fut créé par une Araignée (2). Comme aliment, ou au moins comme friandise, elles font les délices des habitants de la Nouvelle Calédonie, ainsi qu’elles flattaient la sensualité de l’astronome Lalande. Une utilité plus réelle des Araïgnées est celle de nous débar- rasser d’un grand nombre d'insectes fâcheux ou incommodes, comme les Cousins et les Mouches. Aussi, les habitants de la Si- bérie, plus prévoyants que nous, les protégent, les recherchent et favorisent leur multiplication. Les insulaires des Antilles les considèrent comme des animaux sacrés, et les achetent pour les établir dans leurs habitations et les opposer aux Blattes Kaker- lacs dont les déprédations leur portent tant de préjudice. Ils doivent trouver bien extravagante la proscription dont elles sont l'objet en Europe, et la fantaisie qu’eut un jour Héliogabale d'employer ses esclaves à les recueillir. Il donnait des prix à ceux qui lui rapportaient un miile pesant d’Araignées, et l’on raconte qu'il parvint ainsi à réunir dix mille pesant de ces ani- maux, et par là, selon lui, on pouvait apprécier la grandeur de Rome (3). (1) On se servait précédemment de fils d'argent qu’on réduisait à De de pouce de émet tandis que les Araignées produisent des fils qui n'ont que depuis +53 jusqu'à 555 de pouce, C’est Throughton qui a introduit ce moyen devenu général. (2) Histoire générale des Voyages (3) Lampridius, August, Script. (165) ARACHNIDES PULMONAIRES. Les Scorpions montrent peu d’instinct, et se confiant en leur force et en leur poison, ils n’emploient aucune ruse, et font une destruction d'insectes plus grande encore que les Araignées ; mais ils atteignent quelquefois aussi l'homme de leur dard re- doutable , ils sont devenus un objet d’épouvante, et, dès l’anti- quité la plus reculée, ils représentaient dans le zodiaque égyp- tien le terrible Typhon par qui le mal a fait invasion dans le monde. Cependant, cette aversion qu'ils nous inspirent n’est pas universelle ; les habitants de la Californie leur trouvent un goût agréable et en font un aliment. ARACHNIDES TRACHÉENNES. Les Arachnides (rachéennes présentent une série beaucoup plus composée que celle des pulmonaires : nous y voyons des conformations , des habitudes plus diversifiées, mais très-peu de cet instinct si développé dans la série précédente ; la plupart se bornent à choisir pour leur progéniture le lieu où elle trou- vera des moyens de subsistance adaptés à ses organes. Cette diversité de conformation produit une diffusion qui les répand partoul , quoique souvent inaperçues par leur petitesse , sur les autres animaux où ils vivent en parasites , sur toutes les parties des plantes, sur les substances végétales ou animales en décom- ‘ position, dans nos livres, dans nos musées, sur la terre et enfin dans les eaux et même dans l'Océan. Nous distinguons entre elles comme nous l'avons fait dans les Crustacés et les Mollusques, des tribus qui se nourrissent de matières solides et dont les parties de la bouche font l’office de mâchoires, et d’autres groupes qui vivent de substancesliquides, ayant pour cela la bouche modifiée en trompe. Ceux qui vivent en parasites n'ont généralement pas d’yeux, aïnsi que nous l'avons également observé dans les Crustacés ; ils poursuivent les petits ( 166 ) insectes à la course, courageux au point de faire face à la main qui cherche à les saisir, et de se dresser sur leurs pattes de der- rière en menaçant de leurs palpes : les Chelifères , à la forme de Crabes , qui se glissent sous les écorces, dans les herbiers et les livres, où, loin d’être nuisibles , ils font la guerre aux petits insectes rongeurs, tels que la Mite appelée Érudite. Les Pycno- gonons, aux formes bizarres, mais indécises , vivent sur les Baleïines ; il en est de même des Nymphons, qui attaquent les Moules en s’insinuant dans leurs coquilles. Puis viennent les Faucheurs , qui trouvent dans la conformation de leurs pieds , à la fois d'énormes échasses pour hâter leurs courses et de longs bras rangés en rayons autour du corps pour l’avertir de l’ap- proche de l'ennemi. Ges pieds sont doués d'une extrême sensi- bilité quien fait un organe du tact autant que de la locomotion, et qui se prolonge même assez longtemps après que le membre a élé séparé du corps. Aussitôt qu’un insecte vient à lui toucher les pieds, ils se rapprochent en se relevant et ils forment alors de hautes arcades sous lesquelles le Faucheur voit sans danger passer l'ennemi. Les innombrables Acarides qui se présentent ensuite, com- prennent un grand nombre de groupes : Les Trombidions, ces points vivants, d’un rouge orangé, que nous voyons se mouvoir sur les Faucheurs dont nous venons de parler, et qui, vus au microscope, nous font admirer la struc- ture des yeux portés sur des tubes comme des télescopes. D’autres , qui leur sont (1) voisins par leur conformation , mais bien différents par l'instinct, élaborent de la soie dont ils forment, sur les feuilles de l’orme et de l'ajonc, de petites toiles très-fines qui leur servent d'abri. D’autres vivent en société sous les pierres et s’abritent également sous des tentes (2). (1) Le Tetranychus telarius, (a) Les Bdelles et les Oribates. (167) Les Hydrachnes, habitantes des eaux, subissent des transfor- mations qui ne le cèdent pas en singularité à celles des insectes, et qui déterminent les habitudes les plus variées. Les œufs déposés en grand nombre par la sollicitude maternelle au centre des tiges spongieuses du Potamogéton , produisent des larves, d’abord arrondies et déprimées en lentilles ovales, et sous cette forme elles nagent librement à l’aide de leurs pieds garnis de cils. Ensuite ces larves se fixent en parasites sur les insectes aquatiques , tels que les Dytiques, les Nèpes, les Ranâtres, et changeant de forme , elles s’allongent eu fuseaux , puis se ren- flent en poires, et passent à un état intermédiaire entre la larve et la nymphe, c’est-à-dire , que dans leur mue, elles restent comme dans un four, renfermées dans la peau qu'elles ont quittée, et continuent à vivre aux dépens de leur insecte nourricier. Plus tard, elles se dégagent de cette enveloppe et recom- mencent à vivre en liberté dans les eaux sous une forme ovoide. Quelques semaines après, elles se fixent encore, mais cette fois c’est à l’aisselle des feuilles du Potamogéton; elles y deviennent immobiles, passent à l’état normal de la Nymphe en conservant leur peau pour enveloppe , et enfin , en éclosant pour la troi- sième fois, elles arrivent à l’etat adulte et prennent la figure globuleuse (1). Tant dut couter de peine le long enfantement de ce petit Protée à peine accessible à nos regards Les Gamases et les Uropodes sont particulièrement les para- sites des insectes Coléoptères. Ces derniers présentent la singu- larité de se suspendre temporairement comme un petit champi- gnon à un pédicule corné, peut-être pendant la période de leur vie analogue à l’état de Nymphe (2). Eafin une dernière tribu comprend les Sarcoptes, accusées de produire la honteuse maladie de la gale, soupconnées même de (1) Cest Dugès qui a fait ces observations sur l’'Hydrachne géographique, (2) Uropoda vegetans. ( 168) causer la plupart des autres fléaux épidémiques qui sévissent contre les hommes. MYRIAPODES. Nous avons vu la série vaste et continue des Crustacés exposer successivement à nos yeux l’organisation propre aux animaux articulés depuis ses plus faibles rudiments jusqu'aux dernières limites de son développement. Nous avons parcouru la classe bizarre el industrieuse des Arachnides. Nous passons à un petit groupe d'articulés qui ne présente qu'an point dans la série de ces animaux, qui se refuse à toute fusion avec les autres classes , mais qui présente avec quelques- unes des rapports par lesquels elle parait servir de transition, les unes aux autres : ce sont les Myriapodes ou Millepieds, qui ont des points de contact avec les Annélides, les Crustacés, les Arachnides et les Insectes (1). Le nombre de ces pieds, qui diffère beaucoup dans les diffé- rents genres de Myriapodes et qui varie depuis vingt-quatre jus- qu'au-delà de 500 , est en rapport avec les segments du corps, dont chacun en porte une paire dans les uns, et deux paires dans les autres. Indépendamment de la singularité que présente la multiplicité des pieds, les Myriapodes présentent plusieurs particularités dans leurs organes : la bouche est accompagnée de pieds mä- choires, comme dans les Crustacés et les Arachnides (2). Les yeux sont très-diversifiés : absence complète dans les uns (3), des (x) Is se rapprochent des Annélides et surtout du genre Péripate; des Crustacés et particulièrement des Cloportes ; des Arachnides, des Insectes par leurs rapports avec les Thysanoures. (2) La bouche est composée généralement de deux mandibules et de deux pieds mâchoires sous la forme de lèvre. ( 3) Les Polydesmes, Géophiles, ete. ( 169:) ocelles en, petit nombre (1), ou une multitude formant des yeux composés dans les.autres.(2). La reproduction et le développement des Myriapodes pré- sente également. de l'intérêt: tantôt ovipares (3), tantôt vivi- pares (4), leurs petits, à leur naissance, n'ont le corps composé que de trois segments acccompagnés chacun d'une paire de pieds (5), et c’est de cette simplicité organique qu'ils arrivent successivement au complément de l’âge adulte; la même progression se manifeste dans le nombre des yeux, qui s’accroit également avec l’âge. La manière de vivre des Myriapodes se diversifie comme l’organisation. Les uns se nourrissent de substances végétales (6), les autres vivent de proie (7). Parmi ces derniers, les Scolo- pendres, et surtout les espèces gigantesques de l'Inde (8), ne sont que trop connues par leurs cruelles morsures et le venin qu’elles distillent dans la plaie et qui hâte la mort de leur victime (9). La plupart vivent cachées sous la mousse ou sous les pierres, creusent des routes souterraines, recherchent l'humidité, fuient la lumière et ne sortent que le soir de leur retraite ; cependant quelques-uns sont phosphoriques et laissent une trace lumineuse sur leur passage (10). Comme ils ne jouissent de (x) Les Scolopendres , les Jules, etc. (2) Les Scutigères. (3) Les Jules, etc. (4) Les Scolopendres. (5) Dans les Jules. Savi prétend même qu'ils n'en ont pas du tout à leur naissance, (6). Les J'ules , les Glomeris,, etc. (7) Les Scolopendres, les Géophiles , ete. (8) Elles atteignent la longueur de huit pouces. (9) Les pieds mâchoires des Scolopendres sout creusés d’un canal-qui aboutit intérieurement à une glande, réservoir de ce venin, et extérieurement à une ouverture par laquelle s'écoule cette sécrétion. - (ro) Elles traussudent à certaines époques de l’année une matière lumineuse, qui provient de sacs placés sur les côtés de chaque segment du corps. (170 ) cette propriété que pendant une époque de l'année , probable- ment dans la saison des amours, il est naturel de la consi- dérer comme un moyen de rapprochement pour les sexes , au moins pour ceux qui sont pourvus d'yeux. Quelques-uns pa- raissent électriques, et trouvent peut-être dans cette propriété un moyen de défense contre leurs ennemis. INSECTES. Parvenus aux Insectes, nous sommes d'abord frappés d’un contraste bien singulier. L’Insecte est la créature la plus chétive qui frappe nos yeux ; il est ce qui paraît le plus vil au monde; s’il inspire un sentiment aux hommes, c’est l’aversion, s’il lui fait faire un mouvement, c’est pour le détruire ; et cependant, si l'on se donne la peine de l’examiner, on découvre en lui la plus grande merveille de la création matérielle. Vu isolément, il pré- sente l'organisme le plus composé qui existe , adapté aux actions les plus compliquées , servant l'instinct le plus déve- loppé ; considérés collectivement , ies Insectes sont les êtres les plus nombreux de la nature ; ils sont ceux qui jettent le plus de vie sur la scène que nous avons habituellement sous les yeux ; ils forment la classe la plus diversifiée , la plus répandue sur le globe (1); ils sont de tous les animaux ceux qui exécutent les travaux les plus ingénieux ; enfin ils sont investis des fonctions les plus importantes que la sagesse suprême ait confiées aux êtres vivants pour le maintien de l’ordre sur la lerre : ils contribuent à maintenir la pureté de l'air en hâtant la décomposition des animaux et des plantes que la vie a abandonnés ; ils restreignent la surabondance des végétaux et des animaux inférieurs, qui (x) Ils se trouvent dans les températures les plus opposées. M. Duponchel a trouvé des Dytiques dans les eaux thermales d’Acqui, à 40 degrés. M. Al. Lefebvre a découvert des Charencons dans les bouches sulfureuses du Vésuve, à 100 pieds de profondeur, dans les parois internes où le thermomètre était à Go degrés de Réaumur. ( 171 ) par leur prodigieuse fécondité, envahiraient le globe , et détrui- raient l'équilibre entre les êtres vivants ; ils servent à leur tour de nourriture aux races supérieures qui en font une consomma- tion immense ; mais autant la vie des individus est prodiguée, autant l'existence des espèces est assurée, et aucune classe animale ne nous présente le bienfait de la vie répandu avec autant de profusion et sans cesse renouvelé par de nouvelles générations. Avant de parler des insectes sous le rapport des facultés intérieures, qui font le sujet de cet ouvrage, il nous parait nécessaire , pour être entendu , de donner quelques notions sur leur organisme. ORGANISME DES INSECTES, Les Insectes sont généralement organisés pour vivre sur la terre avec la faculté de se transporter dans les airs lorsqu'ils ont atteint le terme de leur développement. Leur corps, composé de la tête, du thorax et de l'abdomen » est couvert de téguments solides. La tête porte les yeux, la bouche , les antennes. Le thorax porte six pattes et quatre ou deux ailes. A l'intérieur, le canal alimentaire présente à peu près les mêmes parties que dans les animaux supérieurs. L'appareil nerveux est composé d’une double série de ganglions plus ou moins éloignés ou rapprochés; ils donnent naissance aux nerfs qui se ramifient dans toutes les parties du corps. Le système musculaire est très-développé. La circulation du sang s'opère par les contractions d’un cœur sous la forme de vaisseau dorsal. La respiration a lieu par des canaux nommés frachées qui, communiquant à l’extérieur par des ouvertures appelées stigmates, portent l'air dans toutes les parties intérieures du corps. Les organes de la génération ont une grande analogie avec ceux des animaux vertébrés. Les Insectes jouissent des mêmes sens que les animaux supé- rieurs ; mais les organes n’en sont pas tous également connus. Ceux du goût et de la vue ne laissent aucun doute ; le toucher (172 ) se perçoit particulièrement par les antennes, au moins dans un cerlain nombre de ces petits êtres ; ce même organe parait étre en même temps le siége de l’odorat, dans une proportion relative plus ou moins grande, suivant sa forme et ses dimensions, et d'une manière semblable à ce que nous montrent les Mammi- fères , et surtout le Sanglier, le Tapir , l'Éléphant , où le nez sert à la fois au tact et à l’odorat, ainsi que l'expliquent les nerfs qui se distribuent dans l’organe olfactif (1). Quant à loue, il paraît que les Insectes n’ont pas d’organe spécial pour ce sens , mais qu'ils perçoivent les vibrations sonores par la surface du corps ; ils sentent le bruit au lieu de l'entendre. Il résulte de l’ensemble de cette organisation, que les Insectes sont, malgré leur petitesse , au nombre des animaux le plus admirablement conformés, et l’extrême complication de leur structure , la multitude de leurs muscles (2) , la vigueur et la légèreté de leurs mouvements, le jeu de leurs organes sont dans la plus parfaite harmonie avec toutes les fonctions qui leur sont dévolues. La manière dont s’opère généralement le développement des Insectes présente un spectacle plus merveilleux encore que leur organisme. Dans le cours de leur croissance, depuis la sortie de l'œuf jusqu’à l’âge adulte, ils changent plusieurs fois, non seulement de peau comme les Crustacés, mais de forme et d'état, ils se métamorphosent, et c’est aiusi que la Chenille qui rampe, se change en Chrysalide immobile, et puis en Papillon qui voltige de fleur en fleur. Cette évolution est d’abord remarquable par son analogie avec celle des animaux renfermés dans l’œuf. Elle présente également des changements de formes dans les diverses parties et même la production de parties nouvelles. Les larves sont le plus souvent en harmonie avec les feuilles des plantes nr ee de D ET dd ie PR (1) Dugès. (2) Lyonnet à calculé qu'il y avait plus de 40,000 muscles dans la Chenille du saule. L'homme n’en a que 529. (178) auxquelles leurs mères les ont confiées à leur naissance et qui leur donnent leur premier aliment ; mais lorsqu'elles ont revêtu toute leur beauté et pour ainsi dire, leur parure nuptiale, l'har- monie se transporte entre elles et la fleur qui leur fournit le doux suc des nectaires. Ces transformations n’affectent pas seulement l'extérieur , mais l’organisation intérieure se modifie également et se met en rapport avec les changements dans la manière de vivre. Ainsi, l'organe de la respiration , approprié à l’eau dans une Jarve aquatique, devient propre à respirer l'air atmosphérique lorsque l'insecte parfait est terrestre. A l'appareil digestif de la Chenille, qui a toute l'ampleur nécessaire pour recevoir un aliment grossier , succède l’étroit canal qui reçoit le suc des fleurs, dont se nourrit le Papillon. Il en est de même de l'instinct, qui change aussi complétement que l'organisme, de sorte que le méme insecte, dans ses différents états , présente souvent trois êtres qui n’ont pas de ressemblance entre eux ; et cependant ces métamorphoses qui confondent notre raison , et dont les causes nous sont incon- nues, ne sont qu'une évolution, un développement progressif, qui amène l’insecte de l’état d'embryon à l'état adulte par le dépouil- lement successif des enveloppes de formes diverses dans les quelles le corps et ses parties extérieures et intérièures sont ren- fermés; mais dans ceite évolution nous voyons des organes nécessaires à la larve s’oblitérer dans l'insecte parfait, comme d’autres 2)paraissent dans ce dernier état , qui n’existaient pas précédemment, de sorte que si ce développement détermine tou- jours une plus grande centralisation du Système nerveux, et s'il a toujours pour terme l’état adulte , il n’amène pas toujours un progrès sous d’autres rapports, et même la larye est souvent supérieure en instinct à l’insecte parfait, la Providence ayant voulu renforcer la faiblesse de ses organes et de ses moyens de défense par les ressources de la ruse et de l’industrie. Si chaque insecte présente des modifications progressives, sou- (174) vent prodigieuses dans son développement, la classe entière en présente de plus merveilleuses encore dans la série incalculable qu'elle forme et qui a dépassé tout ce que l'imagination la plus fantastique pourrait concevoir. Cependant ces modifications in- finies se concentrent, comme dans les autres séries zoologiques, en un assez petit nombre de types dont les principaux ont donné lieu aux ordres suivants : 4. Les Diptères ; 5. Les Névroptères ; 2. Les Lépidoptères ; 6. Les Coléoptères ; 3. Les Hémiptères ; 7. Les Orthoptères. 4. Les Hyménoptères ; La progression organique de celte série est très-distincte , si nous la considérons à ses deux extrémités , si nous comparons les premiers ordres aux derniers ; elle se manifeste encore plus ou moins dans chaque ordre en particulier. DIPTÈRES. Les principales familles des Diptères sont les innombrables Mouches, les Syrphes, les Bombyles;, les Anthrax, les Asiles, les Taons , les Cousins , également redoutables par leur importu- nité, et les Tipules ou Moucherons dont les Myriades , réunies en nuages vivants , célèbrent les belles soirées par leurs danses aériennes. LÉPIDOPTÈRES. Les Lépidoptères, considérés sous le rapport de leurs organes, ne sont aussi que des Insectes; mais ils ont tellement la beauté en partage par la parure de leurs ailes, ils en sont tellement re- levés, anoblis, qu'à moins d’être entomologiste , on ne les croit pas de la même nature que la Mouche , que la Guêpe que l’on écrase sous les pieds. Cette beauté, soit qu’elle nous charme par le vif éclat des couleurs, ou par l'élégance du dessin, ou par l'harmonie des nuances, dépasse tout ce que la nature nous pré- sente de plus admirablement coloré. Les plus brillantes fleurs, les (175 }) minéraux et les coquilles les plus éblouissantes, les oiseaux les plus somptueux le cèdent en éclat, en magnificence, en élégance à ces petiles merveilles. Aussi croyons-nous qu’elles ont été créées comme les fleurs pour charmer les yeux de l’homme, et en effet, dès son enfance il les admire, il en fait l'objet de ses désirs , il les poursuit sur les collines, dans les prairies, dans les clairières des bois ; il ap- prend à admirer la puissance divine jusques dans ses moindres productions; c'est par eux qu’il a été attiré vers l’étude des autres Insectes , si pleine d'instructions, si riche d’harmonies. Ils l’ont amené par le charme de la beauté à la connaissance approfondie des êtres qui, par leur admirable organisation et leurs prodigieux instincts , élèvent le plus nos âmes vers la Divinité. Enfin leurs formes légères , leur vie en quelque sorte immatérielle leur ont valu l’honneur de devenir aux yeux de la Grèce l'emblème gra- cieux de l’âme. Cependant ils n’acquièrent cette beauté, cette existence aérienne qu'après avoir vécu sur la terre sous la forme rampante de Chenille, assujétis aux besoins les plus grossiers , et qu'après avoir passé à l’état de mort apparente de la Chrysalide, suivie d’une résurrection triomphante (1). \ Mais, si les Chenilles sont disgracieuses, hideuses même, elles intéressent sous bien des rapports les contemplateurs de la na- ture. Elles présentent une diversité infinie de couleurs, de formes, d’habitudes, d'industries, et un instinct bien plus développé que celui des Papillons. Leur conformation, leur coloration, les poils AR Re. (x) Les Lépidoptères sont caractérisés par quatre ailes recouvertes de petites écailles , et une trompe roulée en spirale. Ces écailles , si admirablement colorées et que le moindre contact détache en brillante poussière , affectent une multitude de formes suivant la partie de l’aile qu’elles occupent, et suivant les genres et les familles. La trompe est formée de la seconde paire de pièces (mächoires) de la bouche ; elle est protégée par les palpes labiaux. Les lèvres supérieures , les mandi- bules , les palpes maxillaires et la lèvre inférieure sont visibles, mais à l’état rudimentaire. (1%) et les épines qui les hérissent souvent, les poses, les attitudes qu’elles affectent, telles que celles de Sphinx, de rameau desséché (4), ont tous leur raison physiologique, an but commun, une tendance générale à s’harmoniser avec les formes et les couleurs des végétaux, afin de les soustraire aux yeux de leurs ennemis, et de pourvoir ainsi à la conservation des espèces. Sous le rapport de leur industrie, elles rivalisent presque avec les Araïgnées dans l’art de filer, et leurs produits bien plus solides sont la malière première de nos plus brillants tissus. La filière (2) di- versifie les fils, non-seulement sous le rapport de l'épaisseur et de la ténuité ; mais elle leur donne encore la forme cylindrique, aplatie, cannelée, diversement renflée. Les Lépidoptères constituent une série dont la progression est très-distincte et qui présente de très-nombreuses modifications organiques, réparties dans trois familles, nommées, d’après leurs habitudes : les Nocturnes, les Crépusculaires et les Diurnes. HÉM\PTÈRES. Les Hémiptères présentent un ensemble organique très-distinct de celui des Lépidoptères, ne se liant avec eux par aucune tran- sition, et ne subissant d’autre transformation que l'acquisition des ailes; cependant, ils ont avec eux des rapports essentiels, surtout dans la conformation de la bouche également façonnée en trompe et conséquemment dans les aliments liquides qu'ils absorbeut ; et la composition de cet organe qui représente plus complétement les parties constitutives de la bouche des Insectes (8), les placent à un degré contigu, mais plus élevé, de l'échelle entomologique. (1) La Chenille de la Noctuelle Cassini, dans le repos, élève la partie anté- rieure de son corps et renverse la tête en arrière jusque sur son dos. (2) La Filière, qui n’appartient qu'aux Chenilles fileuses , est insérée à l’extré- mité de la lèvre inférieure ; elle constitue un tube composé de fibres longitudi- nales , alternativement cornées et membraneuses , qui permettent à l’insecte d’en contracter le diamètre. (3) La trompe des Hémiptères est composée de la lèvre supérieure , d’un sucoir (CAT | Les deux types principaux des Hémiptères sont la Punaise et Ja Cigale ; l’odieuse Punaise, rébabilitée par l'intérêt qne répand sur cetle famille non-seulement l'éclat et l’agréable disposition des couleurs d'un grand nombre d'espèces, mais surtout l’admi- rable diversité et l'appropriation de ses modifications organiques Lour-à-tour à la terre, à l'air, à l'eau, aux animaux, aux plantes; la Cigale, qui étonne souvent par ses traveslissements fantas- tiques (1}, et dont l'instinct vital est si manifeste, tantôt dans la lumière phosphorique que répand l'énorme lanterne du Fulgore dans les sombres forêts de Surinam , tantôt dans le chant de la Cigale provençale , qui nous intéresse, sinon par le charme de la voix, au moins par l’artifice de l'instrument, à la fois violon et tambour de basque et admirablement combiné pour produire , répercuter et renforcer le son. HYMÉNOPTÈRES. Cet ordre d'Insectes se distingue de tous les autres par la con- formation des parties de la bouche, dont la partie inférieure forme une trompe comme dans les ordres précédents, et la su- périeure présente une lèvre supérieure et-des mandibules inci- sives comme dans les suivants. Cette conformation mixte déter- mine la place qu'occupent les Hyménoptères dans la série entomologique..Ils en: occupent le centre; et quoique, sous plusieurs rapports organiques, il faille les regarder comme infé- rieurs aux ordres suivan{s, on pourrait, par d’autres considéra- tions, les placer au sommet de la série. En effet, leur organisa- formé de quatre soies représentant les mandibules et les mâchoires des insectes masticateurs , et de la lèvre inférieure servant de gaine à ces soies. Il ne manque que les palpes maxilluires et labiaux. (1) Les Centrotes, les Membracis , les Bocidium , les Darnl ont le dos gro tesquement affublé de cornes, de carapaces , de queues, de raquettes, de bonnets chinois, et d’une multitude d’autres appendices fantastiques qui paraissent être des moyens de déguisement pour échapper à leurs ennemis, 12 (178) tion est, au moins dans Je plus grand nombre, plus complexe que celle de ces ordres, et leur donne plus de moyens d'action. Elle leur fournit des instruments et des matériaux qui, employés avec un instinct supérieur, produisent des prodiges d'industrie. C’est ainsi que des parties de la’ bouche, l'inférieure seule, la trompe, est l'organe dela nutrition, et que les mandibules servent, tantôt à transporter des matériaux, comme chez les Fourmis, tantôt à ralisser et à fabriquer le carton chez les Guêpes, tantôt à construire les cellules de cire chez les Abeilles; ainsi, les pattes postérieures se creusent en cuillers, ouse munissent d'une brosse chez ces mêmes Abeilles pour ramasser le pollen des fleurs. Ainsi des vaisseaux intérieurs élaborent ce pollen en cire, et les sucs recueillis par la trompe, en miel. L'abdomen se termine souvent par une longue tarière, ou par une robuste scie, ou par un aiguillon envenimé. Les [yménoptères. subissent des métamorphoses complètes. Leurs larves sont généralement vermiformes. Avant de passer à l'état de nymphe, elles se filent ordinairement une coque au moyen d'une filière qui se trouve à l'extrémité de leur lèvre. Les Hyménoptères se partagent en deux grandes familles : les porte-tarières et les porte-aiguillons. Dans les premières, l'oviductus, diversement conformé en tarière, sert à percer les tissus des plantes et des animaux. On y distingue les Tenthrèdes, munies d’une scie; les Gynips, qui s'enferment dans les galles vé- gétales ; les Chrysis, aux couleurs étincelantes; les Ichneumons, aux antennes vibraliles et investigatrices. Dans les porte-aiguillons, l’oviductus n’est pas seulement des- tiné à déposer les œufs, mais en même temps à servir d'arme offensive et défensive, ayant la forme d’un dard et versant une liqueur vénéneuse dans les blessures. Nous y remarquons les tribus des Fossoyeurs solitaires, des Guêpes, des Abeilles, des Fourmis, toutes sociales, toutes admirablement et diversement industrieuses. | 179 ] NÉVROPTÈRES, Les Névroptères comprennent les Insectes qui ont quatre ailes membraneuses, comme les Hyménoptères, mais formant un ré- seau serré, et les parties de la bouche propres à broyer des ali- ments solides, comme dans les ordres suivan{s ; mais ces carac- tères présentent quelquefois des anomalies singulières, el ils se modifient, ainsi que les autres organes, de manière à altérer for- tement l'unité de cet ordre, ou au moins à le diviser en plusieurs familles qui conservent peu de rapport entre elles. La plus grande diversité règne également dans leur manière de vivre terrestre ou aquatique dans l’état de larves. Quelle que soit l’espèce d’incohérence qui existe entre les di- verses familles des Névroptères, elles forment cependant une série organique qui établit une certaine subordination entre elles, et qui se divise en deux rameaux très-distincts (4). Le pre- mier se compose des Éphémères et des Libellules, c'est-à-dire, et par une singularité bien remarquable, la plus grande faiblesse organique de leur ordre, voisine de la plus grande puissance. Il semble qu'ils soient les deux exirémes d'une grande série dont tous les intermédiaires restent à découvrir. Les Éphéméres dans l’état adulte ne prennent pas de nourri- ture et ne vivent que le temps nécessaire pour s’apparier et laisser tomber dans l’eau les deux grappes d'œufs qu’elles portent à l'extérieur. Écloses le soir, elles voient rarement l'aurore sui- vante ; mais celte existence adulte de quelques heures n'est que la dernière phase d’une longue vie d’insecte. Les larves vivent pour la plupart dans des cavités submergées qu’elles se creusent avec un instinct que nous mentionnerons plus loin. Les Libellules, plus connues sous le nom de Demoiselles, ER PO A SA AE GS (x) Les Subulicornes et les Plicipennes , réunies aux Planipennes. ( 180) qu’elles doivent à leur fin et élégant corsage, à la gaze de leurs ailes, à la grâce et à la légéreté de leurs mouvements, sont en même temps d’intrépides chasseresses. Aucun insecte n’a pour celte destination le vol plus rapide, plus soutenu ; aucun n’a les mandibules divisées en dents plus nombreuses, plus incisives. Le second rameau des Névroptères comprend les Phryganes et les Perles, dont l'instinct nous offrira de l'intérêt, les Panorpes (1), au rostre allongé du Charençon, à la queue menaçante du Scorpion; les Némoptères, dont les ailes inférieures s’allongent en plume élégante, aimables hôtes des bosquets de Cos, berceau d'Hippocrate; les Hémerobes aux yeux d'or, le Fourmilion, si connu par les artifices de son instinct solitaire, et enfin les Termès, par les merveilles de leur instinct social. COLÉOPTÈRES Ce nom scientifique est devenu presque vulgaire par la faveur avec laqueile ces Insectes ont été recueillis, étudiés, classés, dé- crits, figurés par la grande majorité de la nombreuse phalange des entomologistes, faveur qui a surpassé celle même dont jouissent les Papillons, et qui à fait négliger tous les autres ordres d'insectes ; prédilection produite par bien des causes: les plaisirs de notre enfance, le goût des collections d’une facile conservation, la beauté des uns, la singularité des autres, la diversité prodigieuse répandue sur la conformation, la multi- plicité sans égale des espèces, la satisfaction que donne la diffi- (1) Nous avons, seul encore à notre contfaissance , laissé entrevoir la confor- mation de la Panorpe dans l’état de nymphe, en rapportant une de nos obser- ätions : nous avons trouvé un individu adulte dont les ailes étaient restées enga- gées dans la dépouille d'où il était sorti, et nous avons pu nous assurer que la uymphe a la forme de l'insecte parfait, à l'exception de la tête, qui ne se prolonge pas en bec, et dont les mandibules sont” grandes et bidentées. Le fourreau des ailes atteint la moitié de la longueur de l'abdomen. (181) culté vaincue, vu la délicatesse des organes à observer, enfin l'esprit d'investigation longtemps dirigé de préférence vers les sciences naturelles, se divulguant souvent chez les jeunes gens par l'attrait pour ces petits êtres, persistant avec l’âge, facilitant l'étude des autres parties de la zoologie, ainsi que le reconnais sait l’immortel Cuvier, qui revenait souvent à eux comme à ses premières amours. Les Coléoptères sont caractérisés, ainsi que l'exprime leur nom, par les ailes supérieures modifiées en écailles ou élytres crusfacées et par les inférieures plus longues que les supérieures, mais pliées transversalement sous les élytres (1). L'organisme des Coléoptères, en conservant fidèlement cette unité de composition, se modifie plus qu'aucun autre et atteint les dernières limites de la diversité, 1] présente une série pro- gressive qui, d'un degré relativement fort bas, s'élève peu à peu en passant par une mullitude d’échelons intermédiaires, jusqu’à un sommet trés-élevé. C’est ainsi que cette série, assez heureuse- ment représentée dans ses principales divisions par le nombre ascendant des articles des tarses, offre successivement à nos yeux les humbles Coccinelles, ou Bétes à Dieu, les Eumorphes, hôtes des champignons, la brillante famille des Chrysomeles ei celle des Cassides en forme de bouclier ; puis la belle cohorte des Capricornes, celle des Xylophages et l’innombrable groupe ‘des Charençons ; plus loin, nous voyons les molles Sténélytres, les noires Mélasomes et l'imposante tribu des Lamellicornes, puis celles des Malacodermes, des Sternoxes, des Slaphylins et des Hydrocanthares. Enfin, la série se termine par la phalange ro- buste el pesamment armée des Carabes. mm (1) Les parties de la bouche sont semblables à celles des Névroptères, et éga- lement propres à broyer les aliments. Ces insectes subissent des métamorphoses complètes ; les larves sont vermiformes, à tête écailleuse, et ont six pieds comme les Chenilles; Jes nymphes sont inactives et enveloppées d’une pellicule qui ne lie pas les membres entre eux. (18 ) Après la prodigieuse diversité que présentent les Coléoptères, ce qui frappe le plus, c’est la beauté des uns, la singularité des autres. Le Charencon impérial étincelle au nombre des joyaux des Brésiliennes, comme la brillante dépouille des Oiseaux- Mouches et des Colibris: une multitude d’autres sont ornés de riches reflets, de moelleux duvets, d’épaisses fourrures, ou hé- rissés de soies ou d'épines, ou gravés, ciselés, guillochés avec une délicatesse que l'art ne peut atteindre. Parmi les singularités, nous citerons la forme fantastique des Brentes, dont la tête, le thorax, l'abdomen s'allongent et s'atténuent comme s’ils étaient passés par une filière. Les-Gyrins, qui tournoyant à la surface des eaux, ont quatre yeux sifués de manière à voir en dessus et en dessous de leur élément: Les Scarabées ont souvent les pieds, lo thorax et la tête armés de pioches, de socs, de cornes, de capuces, grotesquement agencés ; les Charencons portent une trompe qui ne semble propre qu'à humer des éléments liquides, et cependant elle se termine par tout l'appareil de la mastication réduit à une extrême exiguité. | En voyant la multitude de modifications organiques qui carac- térisent les 50,000 espèces connues des Coléoptères, et qui sont chacune en harmonie avec autant de modifications dans les ha- bitudes, les instincts, les besoins, nous éprouvons le désir de nous inilier à {ous les pelils mystères de leur vie privée. A ls vérité, ce que nous en connaissons présentera moins d'intérêt que les mœurs des Hÿménoptères, mais nous y verrons toujours la ma- nifestation de la sollicitude suprême pour le bien-être des plus chétives créalures. ORTHOPTÈRES. Les Orthoptères terminent l'immense série entomologique et nontrent leur supériorité par le développement et la complica- ‘ion de leurs organes extérieurs et intérieurs, ainsi que par leur ( 183 ) grandeur. Îls sont caractérisés par leurs ailes, dont les supé- rieures forment des élytres coriaces, et les inférieures sont mem- braneuses et pliées en éventail (1). Ils se divisent en plusieurs familles représentées par les Forficules (perce-oreilles), armées de tenailles menaçantes, les Blattes aplaties, ainsi que l'exprime leur nom dérivé de l'allemand, les Mantes aux bras suppliants, aux pinces rapaces; les Phasmes qui. trompent les regards sous la forme de bâton rugueux ou de feuille sèche et chiffonnée : les Grillons, les Courtillières, dont la jambe antérieure se dilate en large main pour creuser leurs souterrains ; les Sauterelles et les Criquets, trop connus par la dévastation qu'ils sèment sur leur passage, pas assez remarqués daus leur système nerveux par la grandeur et la forme bilobée du ganglion céphalique, qui montrent l'appareil sensitif perfectionné dans ces petits êtres au point d’of- frir un cerveau rudimentaire, dernier degré de développement auquel le type de l’insecte püt atteindre (2). INSTINCT DES INSECTES, Si la diversité que nous venons de signaler dans l’organisation des Insectes est infinie, celle de leur instinct ne l’est pas moins et (1) La bouche, semblable à celle des Coléoptères, présente de plas une pièce annexée aux mâchoires et sous la forme d’un casque. Ils se distinguent particuliè- rement des Coléoptères par leur mode d’accroissement sans autre changement que les ailes, qui leur viennent graduellement à mesure qu’elles approchent de l’état adulte. Li (2) Parmi les caractères des Orthoptères, les mandibules , par leurs différentes dentelures , présentent de l'harmonie avec leurs différents modes de nourriture , comme les dents des Mammifères , et M. Marcel de Serres, qui a fait cette obser- vation , a donné à ces dentelures les noms de dents incisives, laniaires et molaires. Ces trois modifications n’existent pas simultanément , et c’est par leur présence ou leur absence qu'on peut reconnaître la nature des aliments de ces insectes : les Blattes, qui sont omnivores , ont des laniaires et des molaires; les Mantes, qui vivent de proie, n’ont que des laniaires ; les Sauterelles et les Criquets, qui sont herbivores , ont des incisives et des molaires. (184) elle est bien plus digne de nous intéresser en nous dévoilant un monde en quelque sorte intellectuel, infiniment supérieur à tout ce que nous avons décrit jusqu'ici. Les Arachnides nous ont montré une seule industrie, portée à la vérité à un haut degré ; les Insectes ont toutes celles que l'imagination peut nous faire concevoir. Par la multitude d'instruments dont ils sont pourvus, ils font servir à leur usage et avec une adresse inouie toutes les substances matérielles, et, de plus, ils en élaborent qui leur sont propres, {els que la cire, le miel. la soie. Excités par le soin de leur conservation et de leur reproduction, ils ne montrent pas seulement une industrie merveilleuse, mais quelquefois une sorte de génie très-supérieur à l'industrie, qui les réunit en grandes sociétés constituées en républiques, en monarchies, et régies par ces lois conservatrices qui confondent notre raison. En un mot, ils dérouient à nos yeux un tableau d'industries, de ruses, de guerres, d’amours, d'associations, qui représente la vie humaine en miniature : nous y retrouvons particulièrement l'iné- galité des conditions, depuis le Grillon, qui se cache seul dans son trou, jusqu'à la reine des Abeilles, qui gouverne un peuple nom- breux, célèbre par ses mœurs et son génie architectural, L'instinct des Insectes présente une série progressive comme leur organi- sation ; mais au lieu d'être en proportion avec celle-ci, il en est très-indépendant sous plusieurs rapports, et souvent méme il se montre en proportion inverse avec elle, de telle sorte que les larves quine présentent que l'ébauche de l'état parfait et les ordres d'Insectes les moins avancés en organisation (1), ont-gé- néralement l'instinct le plus développé. Considérant l'instinct des Insectes dans ses deux principales modifications, l'instinct vital et l'instinct animal. qui se coor- er (x) Les Diptères , parmi les insectes à trompe; les Hyménoptères, parmi ceux à mandibules, ( 485 ) donnent diversement entre eux sans se confondre, nous voyons dans le premier l'intervention immédiate de la Providence qui, sans la moindre participation de la volonté de l'animal, pourvoit à sa sûreté el à celle de sa progéniture par des moyens inhérents à l'organisation. Ainsi le Papillon de jour, trop brillant pour n’avoir pas d’ennemis, échappe le plus souvent à leur poursuite par son vol inégal et en zigzag ; et il vollige ainsi parce que ses quatre ailes ne frappent pas l'air simultanément comme les oi- seaux qui les poursuivent ; mais elles batient d'un côté, puis de l’añtre alternativement. Les Papillons crépusculaires et nocturnes qui sont poursuivis par les Chauve-Souris dont le voltigement est inégal comme celui des Papillons diurnes, ont, au contraire, un vol plus direct ; leurs ailes frappent l'air simultanément et ils esquivent ainsi leurs hideux ennemis (1). Ainsi encore les Insectes aquatiques ont dans leur organisme {toutes les conditions nécessaires à ce genre de vie. Ils sont géné- ralement couverts d’un vernis satiné qui les rend imperméables. Les uns vivant submergés, respirent, soit en se meltant en contact avec l'air atmosphérique au moyen de tubes qui aboutissent à leurs stigmates, soit en s’enveloppant d'une couche d'air par l'effet du duvet court et serré dont leur corps est couvert (2). Les autres vivent à la surface des eaux, où ils se meuvent en mar- chant (3), en glissant {4}, en nageant, les uns par saccades, d'autres en tournoyant (51, quelques-uns dans une position ren- (1) Virey. (2) Les Dryops, petits Coléopières , vivant dans les ruisseaux , relirés sous les pierres , ont le corps entièrement velu. Les Elmis , qui vivent de la même manière et dont le dessous seul du corps a de chaque côté une large bande de duvet qui recouvre les stigmates. (3) Les Hydromètres marchent sur l’eau au moyen d’une bulle d'air constam- ment attachée à la plante des tarses. (4) Les Gerris glissent par sace?de, (5) Les Gyrins. (18 ) verseé {1} suivant les modifications de leurs organes de loco- motion. OEUFS, La sagesse suprême montre surtout de la sollicitude pour les œufs des lusectes, ce frêle berceau de la vie. Leur coque, ordi- nairement dure, est quelquefois membraneuse, élastique, et ils grossissent après la ponte dans quelques espèces (2). Ils pré- sentent une immense diversité de formes; ils figurent des sphères, des cylindres, des cônes, des disques, des navettes, des turbans, des tambours, des pyramides, des timbales; leur sur- face est lisse, ridée, sillonnée, ciselée, guillochée ; quelquefois leur circonférence est coupée par des stries qui correspondent aux segments de l'embryon qu'ils renferment (3); nous ne pou- vons douter que chacune de ces formes n’ait son utilité, quoique nous l’iguorions encore ; mais nous connaissons un grand nombre de modifications dont la destination est évidemment protectrice. Les œufs de quelques Insectes sont couverts de duvet (4), ou de poils (5), ou de soies, ou d'écailles imbriquées (6). Quelquefois ils sont pourvus à leur extrémité de deux cornes divergentes, destinées à les maintenir à la surface de la substance liquide sur laquelle ils sont déposés (7). Les œufs des Nèpes, des Ranâtres, placés dans l'intérieur des plantes aquatiques, sont terminés par quelques filaments saillants quiservent peut-être à la respiration. Ceux de l’Ichneumon jaune ont un long support articulé au moyen duquel ils sont implantés dans le corps des Chenilles. = — (1) Les Notonectes. (3) Les œufs des Tenthrédines. (3) Ceux de quelques Bombyx. (4) Ceux du Puceron du frêne. (5) Ceux du Pentatome du genévrier. (5) Ceux dn Satyrus janira. (7) Ceux des Scatophages. Diptère. { 187 ) D'autres œufs sortent réunis et abrités dans des berceaux de di- verses substances; ceux des Sauterelles, dans des étuis, oùils se trouvent rangés régulièrement; ceux des Mantes, dans des sa- chets d’une sorte de parchemin ; ceux des Blattes, dans des cap- sules à double rang de loges exactement séparées. Les agréga- tions d'œufs de quelques Insectes aquatiques ({) sont entourées, comme le frai des Grenouilles, d’une sorte de gelée qui sert à leur sûreté et à leur développement. Le même soin que la Providence prend pour garantir les œufs des Insertes contre les causes de destruction, se manifeste pour assurer la sortie des larves. Ils sont souvent munis d’une calotte peu adhérente à ses bords et qui se soulève au moindre mouve- ment que fait la larve pour’ sortir (2). Ceux d’une sorte de Pu- naise (3) ont aussi un couvercle; mais par un arlifice merveil- leux, il s'y adapte un appareil comparable à une arbalète, dont la corde, en se détendant tout-à-coup, le fait sauter ét donne issue à la larve, qui, sans ce secours providentiel, n'aurait pu ouvrir la porte de sa prison. INSTINCT ANIMAL. o L'instinc animal, non moins prévoyant, ingénieux, que l'ins tinct vital, avec lequel il a beaucoup d'analogie dans ses effets, nous montre la sagesse suprême agissant dans les Insectes par l'intermédiaire d'une volonté spontanée, irréfléchie, mais en har- monie avec leurs organes et avec leurs besoins. Ainsi, en prenant encore pour exemple les œufs des Insectes, nous voyons les mères chercher toujours, pour les déposer, les lieux les plus favorables à la sûreté et à la subsistance des larves qui doivent (1) Les œufs de Friganes et d’une espèce de Botys, B. Potamogeti. (2) Ceux d’un grand nombre de Lépidoptères. (3) Ceux d’une espèce de Pentatome. 18) en provenir, et employer dans cette action mille moyens simples ou compliqués, de l'adresse, de l'industrie, de la ruse, des pré- cautions inouies, en un mot, tous les soins que la tendresse maternelle peut suggérer pour protéger le berceau de leurs petits. L'une scie, l'autre râpe; celle-ci fore, celle-là pétrit; telle laboure, telle mine, telle maçonne, chacune avec des instruments appropriés à ces actions et qui sont des chefs-d'œuvre de mé- canique. Elles déposent leurs œufs dans la terre, dans l’eau ; elles les suspendent quelquefois dans l'air; elles les confient aux végé- taux, soit aux racines, soit à l'écorce, aux rameaux, aux feuilles, aux fleurs, aux fruits; elles Les fixent sur les animaux vivants ou morts; quelquefois elles les portent sous elles dans un sachet de soie (1); elles les déposent dans les nids des oiseaux (2); et dans tous ces choix, elles montrent toujours une parfaite con- naissance des besoins futurs de leurs larves, quoique si dissem- blables à elles-mêmes. Il n'y a pas moins de diversité dans la manière dont elles rangent leurs œufs. Celles qui ne les déposent pas isolément, les groupent artistement en chaines, en colliers (3), en chapelets (4), en rubans (5), en anneaux (6), en spires, en les plaçant, soit bout à bout, ou accolés latéralement, ou réunis obliquement par leurs côtés, et toujours de manière que les larves peuvent sortir libre- ment lorsqu'elles éclosent. Pour mettre leur ponte à l'abri du danger, les unes la re- 4 couvrent d’une légère membrane (7) ; d’autres l’enveloppent, (1) La Perla bicaudata. (3) Les Pupipares, (3) Quelques Diptères. (4) Quelques Tipulaires. (5) Les Éphémères. (6) Le Bombyx neustria. (7) La Casside verte, ( 189 ) soit d'une sécrétion écumeuse ({), soit d'une fourrure composée de leurs propres poils, dont elles composent d’abord un lit informe, et ensuite un toit artistement ouvragé et impénétrable à l'eau (2; ; d’autres encore entourent chacun de leurs œufs d’un duvet cotonneux dont elles se dépouillent également (3). Quel- ques-unes emploient ieur corps même pour abriter leur ponte : après avoir préparé un lit de leur toison, elles y déposent leurs œufs, el ieur corps, réduit à une mince pellicule, les protége encore après leur mort (4). La Tenthréde du pin dépose ses œufs dans une feuille de cet arbre, après y avoir fait une incision avec sa scie, et en ferme ensuite l’ouv :rture avec des fragments de feuilles. Des Charançons, après avoir déposé un œuf à l'extrémité d’une feuille, roulent celle-ci en cornets, en estompes, en valises, avec une industrie très-remarquable (5). Pour exécuter cette opération, qui semble au-dessus de sa force, l’insecte a l'instinct d’assouplir la feuille en mordant la nervure principale dans toute sa longueur, en la déchiquetant de manière à lui ôter sa rigidité, ce qui lui permet, à l’aide de ses pattes, de la rouler, d'y enfermer son œuf et de pourvoir ainsi à la sûreté et à la subsistance de sa larve à sa naissance. Les Nécrophores déposent les leurs dans les cadavres des Taupes, des Mulots, qu'ils enterrent, L'Hémerohe met ses œufs en sûreté en leur donnant pour (1) La Liparis du saule. (2) Les Liparis chrysorrhea, dispar , etc. (3) Les Pucerons de l’aune , du prunier. (4) Les Galtinsectes. (5) On dit que le Copris lunatus emploie la fiente du mouton, dont la forme arrondie abrège le travail de l’insecte. Lorsque la femelle du Géotrope Stercoraire pond dans ces boules, le mâle les tient complaisamment entre les jambes, et à l’aide de ses premières pattes, il introduit les œufs dans leur intérieur. ( 190 ) support un pédicule long et capillaire. Pour le former, elle appuie sur une feuille l'extrémité de son long abdomen au mo- ment où un œuf s’y présente enduit d’une substance glutineuse qui se colle à la feuille. Elle le relève ensuite en tirant cette substance qui s’allonge et sèche à l'instant, et elle abandonne l'œuf à l'extrémité de ce filament. Parmi les Insectes qui déposent leurs œufs dans les eaux, nous citerons un Diptère qui les agglomère dans une masse gé- latineuse qu'il attache par l’une de ses extrémités à un brin d'herbe. L'Hydrophile les enferme dans une coque de soie, in- dustrieusement ourdie, qu'il fixe sur quelque plante à la surface de l’eau. Le Cousin, plus ingénieux encore, dépose ses œufs allongés sur les eaux, au nombre de 2 à 300, et en forme un radeau qui surnage. Pour cette opération, il se fixe, au moyen de ses pieds antérieurs, sur un corps flottant, de manière que l'extrémité du ventre dépasse ce corps; ensuite il croise hori- zontalement ses pieds postérieurs en X, place un premier œuf, dans une position verticale, à l'angle intérieur ; un second est collé au premier, et ainsi des autres, en formant un triangle. Les pieds qui les soutiennent s'allongent peu à peu, forment un angle de plus en plus aigu, et, en éloignant ainsi le sommet du triangle, présentent toujours le côté intérieur: à portée de l’in- secte, pour qu'il puisse continuer sa ponte sans changer de posi- tion. Non content de disposer le groupe de ses œufs de manière à surnager, le Cousin lui donne, en relevant les deux extrémités, la forme d’une nacelle qui reste toujours à flot, quelle que soit l'agitation de l’eau, et qui n’en laisse jamais pénétrer dans son intérieur. {n his täm parvis atque tm nullis quæ ratio ! (1) (1) Pline. (191 ) LARVES. Après cette légère esquisse de l'instinct que montrent les In- sectes pour la sûreté de leurs œufs, nous allons considérer celui de leurs larves dans les soins qu’elles prennent pour se garantir de leurs ennemis, pour pourvoir à leur subsistance et pour assurer leur repos dans l’état de nymphe ou de chrysalide. C’est dans celte première phase de leur vie que, faibles, molles, lentes, n’offrant qu’une ébauche plus ou moins déguisée de leur forme adulte, une organisation rudimentaire, elles sont généralement douées de l'instinct le plus perfectionné: L'industrie, l'adresse, l'invention, les combinaisons, sont chez elles en raison inverse du développement du système nerveux et des divers organes. Souvent l’insecte parfait ne possède, en échange de toutes ces facultés instinctives, que sa robuste enveloppe; l'agilité de ses pieds, la rapidité de ses ailes. Tant la sagesse et la bonté su- prêmes se révèlent dans la dispensation de leurs dons ! L'instinet dont les larves se servent pour s’abriter, se mani- feste dans une progression très-distincte ; il est ordinairement fort oblus dans celles qui éclosent et résident dans la terre ou dans l'intérieur des végétaux ou des animaux ; elles y sont natu- rellement à couvert ; mais celles qui vivent en plein air et qui sont exposées au froid, au chaud, au vent, à la pluie, et à la voracilé de nombreux ennemis, emploient mille moÿens pour s’y soustraire. Elles naissent quelquefois avec des formes ou des couleurs protectrices, et leur instinct se borne à se dérober à la vue de leurs ennemis, tantôt en se donnant, par leur attitude sur les arbres, l'apparence de petits rameaux ({}, tantôt en se posant sur le lichen ou la mousse des écorces, colorés comme ET (1) Les Chenilles arpenteurs. Moyen dont se serve les larv pour sepréser: de leur ennemis (192 ) elles (1). Plus favorisées encore, il y en a qui, comme les Camé- léons, paraissent changer de couleur suivant le terrain sur lequel elles se trouvent. Ainsi, une espèce de Mantes du désert de l'Égypte est brune, si on l’observe sur une terre brune ; si, plus loin on se trouve sur un sol couvert de débris de coquilles ou de pierres calcaires, éblouissantes de blancheur, les mêmes Insectes participent de cette couleur argentée et se confondent avec les aspérités du sol. Les larves des petites Cigales du saule (2) se mettent à l'abri des rayons du soleil en s’enveloppant de l’écume blanche qu'elles élaborent de la sève ; celle du Criocère du lys se rend un objet de dégoût pour les Insectes carnassiers en se couvrant de sa fiente, et souille cette belle fleur dont il relève plus tard la blancheur par la couleur purpurine de ses élytrés. Les Cassides emploient aussi ce moyen , mais avec plus de raffinement. Elles ont à l'extrémité du corps une sorte de four- chette qui se relève horizontalement ‘au-dessus du corps dont elle atteint la longueur. Elles font passer leur fiente sur cet ap- pareil qui les couvre sans les toucher et leur sert de parasol. Une espèce (3) de cette tribu se sert de ces sales matériaux avec une grotesque élégance. Elle en forme une sorte de bouclier convexe formé de filaments nouéux disposés en cercles concentriques. Les Hémerobes, plus bizarres encore, se font un manteau des dépouilles des Pucerons qu’elles ont dévorés, horrible trophée de leur voracité, qu'elles élèvent en jetant d’un coup de tête sur leur dos ces restes de leurs victimes. Les Céroplates qui vivent sur les Agarics ont l'instinct de re- (r) Les Chenilles des Noctua nupta , etc. (2) Dans le reste de ce chapitre sur les larves, nous nommerons les insectes sans répéter que c’est dans cel état que nous les considérons. (3) Décrite dans les Annales du Muséum et dans le Dictionnaire pittoresque d'Histoire naturelle. (193) vêtir d'une couche de soie le plan sur lequel elles se posent ; en marchant, elles s’assujétissent à tapisser l’espace qu'elles par- courent, et lorsqu'elles se fixent, elles construisent un pavillon qui les recouvre entièrement (1). Un grand nombre d’Insectes et particulièrement les Chenilles des petits Papillons nommés Teignes, s’abritent dans des four- reaux, tantôt fixes, tantôt portatifs, dont l'extrémité antérieure est ouverte, de sorte que leur tête et leurs pieds peuvent en sortir. La plus grande diversité règne dans ces abris. Ce ne sont quelquefois que des feuilles réunies par quelques fils, ou roulées en corunets; d’autres fois c’est un tissu de soie sans mélange; souvent la soie ne fait que lier des parcelles de diverses sub- stances, telles que plumes, laine, crin, feuilles, bois, lichens, ré- sine, sable. La forme de ces fourreaux ne varie pas moins que la malière (2) : ils sont tantôt faconnés en nacelle (3), arrondis en cylindre, tantôt déprimés, portant une arête longitudinale, dentée en scie; les uns se contournent en crosse de pistolet, (x) Suivant les observations de M. L. Dufour, cette Tipulaire sécrète par les filières buccales, une mucuosité gluante qui est reprise en sous-œuvre par une caroncule anale qui , fonctionnant comme une truelle , l’étend en forme de ruban. (2) Les fourreaux des Psychés sont aussi de soie et recouverts des parties de différents végétaux. Ces matières varient suivant les espèces, et permettent par là à l’entomologiste exercé de les reconnaitre à la livrée particulière de chacune d’elles. Ainsi l'habit de quelques-unes est revêtu de parcelles de feuilles imbri- quées ; celui de quelques autres est garni de particules d'herbes, de genêts ou de bruyères; plusieurs montrent le leur chamarré de lambeaux de lichen ou de mousse. La femelle est aptère et ne quitte pas son fourreau. Merck. Suivant une observation de M.-Bois-Duval, les Chenilles des Psychés, lors- qu’elles doivent produire un mâle, se retournent dans leur fourreau au moment de la métamorphose , de manière à ce que la tête de la chrysalide se trouve placée à l’ouverture postérieure du cocon. Dans le cas où c’est une femelle qui doit naître , qui sera sans ailes et qui ne sortira pas de son fourreau, la Chenille ne se retourne pas en vue de la fécondation future de l’individu adulte qui dépose ensuite ses œufs dans le cocon de la Cheuille. (3) Pyralis quercana. 13 ( 19%) d’autres en hélices; ceux-ci se recourbent en corne et sont enve- loppés depuis leur base jusqu’à la moitié de leur hauteur de petites pièces membraneuses rangées par étages les unes au dessus des autres comme les volants des robes de nos dames (1); ceux-là sont enveloppés à leur base de deux appendices sem- blables aux valves d’une coquille. Un fourreau de soie est parfois recouvert d'un manteau ouvert d'un côté et dont le tissu forme des écailles nombreuses et transparentes comme celles des pois- sons (2). Quelquefois c’est un hamac suspendu au moyen de deux fils dans un cocon renfermé lui-même dans une feuille de tremble roulée en cornet. Quelques larves aquatiques se construisent aussi des four- reaux, ou se creusent des demeures tubuleuses dans l'argile. Celles de quelques Éphémères ont ce dernier instinct, qui se mo- difie d’une manière singulière : les tubes ordinairement simples, se composent parfois de deux branches parallèles, communiquant ensemble dans le fond par un coude. Celles des Phryganes, après avoir tissé un cylindre de soie, le recouvrent de pierres, de feuilles, de bois, de coquilles, en se servant exclusivement de l'un de ces matériaux, et elles les mettent en œuvre, tantôt d’une manière grotesque, tantôt avec beaucoup d’art, tel que le fourreau où la Lenticule présente une mosaïque en spirale aussi élégante que régulière. Une Chenille aquatique (3) file une coque de soie sur les feuilles et vit submergée dans une cavité pleine d'air, comme l’Araignée que nous avons mentionnée, et, chose singulière, la tête peut sortir de cette cavité et y rentrer sans donner passage à l’eau. Les abris que se font les Insectes sont quelquefois communs à de nombreuses réunions d'individus : (1) Les Adëles, (2) La Teigne pallidatella. (3) Hydrocampa. (195 ) Telles sont les grandes toiles que se construisent de concert les Chenilles des Bombyx du chêne, du pin (1), si remarquables encore par leurs longues processions. Celles du chêne se singu- larisent par l'espèce de discipline qui règle leurs travaux, leurs promenades, leurs repas; renfermées dans de grandes bourses de soie qu'elles ont filées en commun, elles sortent chaque après- midi pour prendre leur nourriture, dans un ordre invariable; une seule d’abord, puis deux, puis trois, toujours sur la même ligne parallèle et toujours en augmentant de nombre. Elles ne s’avancent jamais qu’en tirant un fil de la longueur de leur marche pour se tracer une route et revenir sur la même voie comme sur un tapis de soie. Celles du pin ne sont pas moins re- marquables par l'espèce du tic nerveux qui les agite toutes à la fois comme frappées d'une commotion électrique. Elles marchent sur un seul rang, à la suite les unes des autres, en se touchant si exactement par la tête et par la partie postérieure , qu’elles pa- raissent au premier coup-d’œil former une immense Chenille de 15 ou 20 pieds de longueur. On les croit d’abord immobiles ; mais en regardant attentivement, on voit qu’elles font toutes ensemble et à des intervalles de temps égaux, un mouvement progressif et saccadé d’environ une demi-ligne. À chaque saccade, toutes les têtes et toutes les parties postérieures font, sans se séparer, un petit mouvement à droite; alors la colonne avance. Après une petite pause, le même mouvement à gauche et une nouvelle saccade portent la colonne en avant. Si on touche la Chenille qui est la première de la file, elle se contracte en s’agitant vivement et la dernière de la file, y en eût-il 600, fait au même instant, ainsi que toutes celles qui le précèdent, le même mouve- ment (2). (x) Bombyx pithyocampa. (2) Godard, Il en est de même de celles du Papillon Archelaüs du Brésil, Moyens dont les larves se servent pour se nourrir. Larves qui vivent de substances végétales. ( 196 ) D’autres Chenilles processionnaires, observées dans la Terre Van Diémen {1}, et qui éclosent sur l’eucalyptus, marchent en cercle et se suivent l'une l’autre en rond pendant des heures entières. Lorsqu'on divise une grande bande en plusieurs, la marche est continuée en autant de cercles séparés. Parmi les moyens de défense que les larves opposent à leurs ennemis, nous menlionnerons encore les appendices de quelques Chenilles : telle est la queue fourchue de celle de ce nom, garnie d'épines, qui, si quelque chose inquiète l'animal, fait sortir de ses deux lobes un long tentacule charnu auquel il donne toutes les inflexions qu'il lui plait, et qui paraît servir de fouet pour écarter les Insectes qui veulent se poser sur lui et déposer leurs œufs sur son corps; telle est la corne que les Chenilles des Sphinx portent vers l'extrémité du corps, et le tentacule bifide que d’autres ont derrière la tête et qu’elles retirent à volonté. Une{Chenille de la Nouvelle-Hollande s’arme à volonté de huit faisceaux d’aiguillons dont la blessure est extrémement doulou- reuse. Le Diable cornu du platane (2), cette grande Chenille américaine, porte derrière la tête plusieurs longues épines qu'elle relève et secoue d’un air menaçant quand elle est io- quiétée. Les larves, sous le-rapport de la nourriture, se divisent en deux grandes sections : les unes se nourrissent de substances végétales, les autres de substances animales. Les larves qui se nourrissent de substances végétales rem- plissent ua rôle bien important à l'égard des plantes, si l’on en juge par leur incalculable multitude, par l'extrême diversité qui se metteut en mouvement la nuit, placées côte à côte, en colonnes serrées. Si l’on en touche une, elle s’agite aussitôt, et toutes les autres limitent à l'instant. (1) Observation de M. Ewing. (2) Cerocampa regalis, (197 ) d'action qu’elles exercent sur toutes les parties de la végétation et par la manifestation d’un instinct, soit vital, soit animal, plus ou moins remarquable. Leur destination paraît être de modérer l'exubérance de la sève et de mettre des bornes à la multiplica- tion des plantes qui envabhiraient la surface du globe et le ren- draient inhabitable à l’homme et aux animaux. Cependant, elles nous nuisent souvent en dévastant nos plantations, nos cul- tures, nos récoltes, résultat de l’accumulation que nous faisons de plantes de la même espèce dans nos champs où dans nos bois, ce qui détermine une multiplication excessive des Insectes qui leur sont propres, multiplication à laquelle l’agronomie apprend à mettre des bornes. Nous commencerons par les larves qui vivent de la substance des champignons. Elles appartiennent à divers ordres d’Insectes et particulièrement aux Coléoptères et aux Diptères dont elles forment plusieurs familles. Le nombre considérable de leurs es- pèces est en rapport avec celui de ces singuliers végétaux. Aucun d'eux n'est à l'abri de leur voracité. La truffe elle-même, quoique souterraine, nourrit celle d'une sorte de mouche (1). Elles y vivent, soit solitaires, soit en société, et montrent quel- quefois un instinct remarquable. Celle du Céroplate (2), munie d'une filière à la bouche, revêt d’une couche de soie le plan sur lequel elle marche, et, lorsqu'elle se fixe, elle construit un pa- villon qui la recouvre. Un grand nombre de larves dévorent les racines des végétaux. Celle du Hanneton, sous les noms de Verblanc, de Man, n’est que trop connue par les dévastations qu’elle cause, tant dans les forêts que dans les champs, attaquant la plupart des plantes, et aussi avide des racines que l’insecte parfait l’est du feuillage. D'autres attaquent les plantes au collet et les détruisent au (1) Helomyza tuberivora. (2) De la famille des Tipulaires, (198 ) moment où commence la germination. Tels sont le Cryptophage de la betterave (1), l’Altise du lin (2), si préjudiciables à l’agri- cullare. Il y en a qui rongent les tiges herbacées et qui nuisent quel- quefois à nos récoltes. C’est ainsi que la larve du Chlorops (3), naissant à la base de l’épi du froment, creuse un sillon dans le chaume en descendant jusqu’au premier nœud qu’elle ne pour- rait probablement pas percer, mais auquel elle arrive lorsque son développement est terminé. Les tiges du seigle sont at{aquées par la larve du Céphus (4), qui, née à la base, pénètre à l’intérieur, et monte en rongeant la substance médullaire et en perçant les nœuds quelquefois jusques près de l’épi. Arrivée alors au terme de sa croissance, elle descend jusqu'à la racine, scie la paille, ferme le tuyau qu'elle occupe par un tampon de sciure, et se file une coque de soie où elle se transforme en nymphe et passe l'hiver (5). Les tiges de l’avoine restent quelquefois courtes et tuméfiées (x) Cet insecte ravage tellement les semis de betteraves à sucre, qu’il oblige les cultivateurs de ressemer jusqu’à trois à quatre fois le même champ, jusqu’à ce que le temps de l’éclosion de leurs larves soit passé. La multiplication excessive de ces insectes provient surtout de ce que l’on fait produire de la betterave pen- dant plusieurs années consécutives dans la même terre, (2) La multiplication des Altises est tellement considérable dans la commune de Lestrem, que j'habite, que les cultivateurs ne peuvent récolter du lin qu’en prenant jour entre eux pour le semer simultanément. Ceux qui Le font isolément le voient dévorer par toutes les Altises du canton qui se réunissent sur ce point et qui font perdre la récolte. (3) Chlorops lineata , de la famille des Mouches, (4) Les Céphus sont des Hyménoptères de la famille des Tenthrèdines (Mouches à scie), dont les larves (fausses Chenilles), qui rongent ordinairement le feuil- lage, ont des pieds. Les larves du Céphus, par une exception singulière , sont apodes, ce qui est en harmonie avec leur vie dans l’intérieur des tiges. (5) Il en résulte que les épis attaqués restent droits à cause de la légèreté des grains altérés, (199 ) par la présence de la larve de l’Agromyze {1}, qui y creuse un sillon en hélice, en dessous de l’épi, et s'oppose ainsi au passage de la sève. Les épis de l'orge sont aussi infestés par des larves de Chlo- rops (2) qui, au nombre de six à dix, dans chacun, détruisent les organes de la fructification ; et ceux du blé, par les larves d'un plus grand nombre encore de Cécidomyies (3). Ces déprédateurs des céréales, auxquels il faut joindre l’Alucite du blé, et surtout la Calandre, sont des ennemis que nous devons combattre par tous les moyens que nous fournit la science. Cependant nous avons de puissants auxiliaires dans les Ichneu- monides qui déposent leurs œufs sur ces Insectes, et dont les larves vivent en parasites de leur substance. La sagesse suprême a dit aux êtres vivants comme aux flots de la mer : « Vous n'irez pas au-delà (4). Le tronc des arbres n’est pas moins en proie aux larves des Insectes que la tige des herbes. Des forêts entières périssent quelquefois par les ravages qu'elles commettent sous l'écorce des chênes, des hêtres, des frênes, lorsque l’incurie ou l'igno- rance laissent un libre cours au progrès du mal, aux générations toujours plus nombreuses des Insectes rongeurs. C’est parmi les Coléoptères que se trouvent les plus grands déprédateurs. Les Xylophages, les Longicornes, les Hétéromères, les Sternoxes pa- raissent n'être pourvus d’élytres que pour garantir leurs ailes contre la rudesse du bois où ils doivent se mouvoir. Le Sco- (rx) Observation de M. Dagonet. Les Agromyzes sont des Diptères voisins des Chlorops. (2) Chlorops Herpinii , Guérin. Observation de M. Herpin, Nous y avons aussi trouvé les larves de l’Oscinis cornuta. (3) C’est la Cecidomyia triticr. (4) Les pâturages du Jura ont été dévorés en 1833, au point de ne pouvoir y mettre le bétail, par la chenille du MNoctua segetis et la larve de la Galeruca tanaceti. La première dévorait les racines et la seconde l’extrémité de l'herbe. ( 200 ) lyte(1), le plus funeste de tous, pénètre sous l’écorce du chéne, en choisissant une fissure, il pratique dans la couche la plus récente du boïs une galerie horizontale aux bords de laquelle il dépose une multitude d'œufs et revient mourir à l'entrée qui reste fermée par son cadavre, afin de prolonger au-delà de la mort même ses soins maternels. Lorsque les larves sont écloses, elles creusent chacune, les unes en montant, les autres en descendant, des sillons longitudinaux extrêmement rapprochés entre eux (2). Un Bupreste (3) dépose ses œufs sur le tronc des hêtres, en choisissant le côté exposé au midi pour les garantir des intem- péries et hâter leur éciosion. Les jeunes larves pénètrent dans le bois en ligne droite et perpendiculaire à sa surface. Afin de se préserver de toute atteinte extérieure, elles bouchent l'entrée de leur demeure, de manière à la rendre non-seulement inac- cessible , mais même invisible; car il faut de l’attention pour apercevoir sur l'écorce de petites taches qui ne dépassent pas la surface, et qui sont formées de détritus de bois, finement haché et fortement cimenté (4). Certaines larves (5), après s'être creusé des galeries sinueuses dans le tronc des chênes, se réunissent bout à bout en assez grand nombre dans une seule, afin, sans doute, de n’avoir qu’une seule (x) Le Scolyte pygmée. Plus de 50,000 pieds de chênes, âgés de 35 à 4o ans, sont morts et ont du être abattus dans la forêt de Vincennes en 1835; leur mort était due aux Scolytes. (2) Un Charencon (Pissodes notatus) a occasionné dans la forêt de Rouvroy, près de Rouen, des dégâts , en 1835, tels qu’on a été contraint d’abattre 190 bectares de bois. (3) Le Bupreste Manca. (4) Observation de M. Perris. En 1835, dans la forêt de Compiègne, des hèêtres, âgés de 5 à 6 ans, avaient l’aubier percé jusqu’au centre par de nom- breuses galeries parallèles et longitudinales, dans lesquelles vivaient des larves du Buprestis beroliensis, Observation de M. Audouin. (5) Le Platypus cylindrus. Observation de M, Perris. n ( 201 ) issue à pratiquer à travers le bois pour en sortir toutes lors- qu’elles seront arrivées à l'état ailé. A ces exemples nous pourrions en joindre bien d’autres et citer les larves qui creusent des galeries sinueuses et obliques daos les souches des arbres : la Strangalie dorée, la Mélandrye à scie (1). dans celles de l’aune, l'Hélops noir, dans celles du charme, de l’acacia (2). La larve de la Mordelle s’introduit dans le bois mort du peuplier et du chêne, à l’aide, non-seulement de ses mâchoires, mais aussi de l'extrémité du corps qui, terminé en pointe et muni d’aspérités, fait l’office de râpe pour polir la galerie. La nymphe de cette espèce n’a pas l'immobilité ordi- naire à cet état : de petites épines, placées aux segments du corps, lui donnent la faculté, par les contorsions qu'elle se donne, d'avancer dans ses galeries, de se rapprocher de l’ou- verture et de se dégager plus facilement de son enveloppe pour passer à l’état ailé. Elle se défend contre les moindres excita- tions en roulant sur elle-même comme une broche (3). Une multitude de larves dévorent le feuillage : telles sont les Chenilles si fatales à nos vergers, à nos potagers, à nos vignes. Il suffit de citer la Pyrale pour rappeler les ravages dont elle dé- solait la Bourgogne avant que la science entomologique vint les arrêter ; mais aussi il suffit de nommer le Ver à soie pour recon- naître en lui une compensation à ces ravages par le bienfait de son industrie si admirablement utilisée par l’industrie humaine. (x) Observation de M. Perris. (3) Observation du même. (3) Observation de M. L. Dufour. La nymphe du Pyrochroa, qui se trouve seus l’écorce du bouleau, du chène, du noyer, est douée de la même mobilité, également à l’aide de spinules qui garnissent son corps et que l’on retrouve géné- ralement aux nymphes des Coléoptères qui ne sont pas enveloppées d'une coque. (Observation de M. Goureau. } M. L, Dufour a trouvé aussi des larves de l'OEdemera dispar dans les fibres décomposées d’un madrier de chêne, (202 ) D'autres larves n’attaquent que le parenchyme des feuilles et viventen mineuses entre les deux membranes qui en forment les surfaces. Telles sont les Phytomyzes, les Pégomyes, les Agro- myzes (1), qui (rouvent ainsi le vivre et le couvert dans l'épais- seur des feuilles les plus minces, réduites souvent en pellicules transparentes. Un grand nombre de larves infestent les fruits et les graines, et paraissent destinées à restreindre la fécondité surabondante des végétaux dans les organes mêmes de la fructification. Nous ne citerons que le Charancon des pommes, celui des noisettes, celui de la graine du trèfle, l'Ortalis des cerises, la Siphonelle des noix, le Dacus de l’olive, le Cératitis de l'orange, le Cynips de la figue, dont la présence hâte la maturité de ce fruit, suivant une opinion très-ancienne qui a donné lieu à un procédé connu sous le nom de caprification, longtemps usité dans cette vue par les Grecs et encore en usage dans quelques iles de la Grèce. Ce procédé consiste à suspendre aux branches des figuiers cultivés des chapelets de fruits du figuier sauvage, habités par ces Cynips, qui, lorsqu'ils en sortent, vont piquer, pour y déposer leurs œufs, les figues placées à leur portée. Ii y a quelquefois un instinct remarquable dans les précau- tions âvec lesquelles les larves pénètrent dans les graines Celle de la Bruche des poix, des fèves, des lentilles, après sa sortie de l'œuf que sa mère a déposé sur une gousse, perce celle-ci et pé- nètre dans l’une des graines qu’elle contient, non en se frayant directement une voie à l'intérieur, mais en parcourant quelque espace entre le colytédon et son enveloppe avant de se diriger vers le centre. Par cette manœuvre, la loge qu'elle creuse et agrandit peu à peu, est sans contact immédiat avec l’ouverture par laquelle elle est entrée, et elle se trouve plus en süreté (2). 2 ee (x) Diptères. (>) Observation de M. Audouin. ( 203) Une petite Chenille habite au centre de la tête du chardon bonnetier. L'écorce de cette plante étant fort dure, le Papillon nesaurait sortir de sa retraite, si la Chenille n’avait soin de percer les parois de sa cellule vis-à-vis l'extrémité de sa coque; mais pour prévenir les incursions d’un ennemi, elle va prendre sur la tête du chardon quelques-unes des graines qu’elle porte et elle les assujétit à l'extérieur du trou que sa prévoyance a pra- tiqué pour la sortie du Papillon. Ces graines, ainsi disposées, permettent la sortie et interdisent l’entrée (1). Une Chenille de la Nouvelle-Hollande (2) a l'instinct de se ca- cher d’une manière remarquable. Elle éclot d’un œuf déposé sur l'écorce d’un arbre, pénètre immédiatement dans la tige en y forant une cellule cylindrique dans laquelle elle établit sa rési- dence. Elle en assure l'entrée en filant un couvercle convexe. Cette porte est attachée fortement à l'extrémité supérieure, tandis que l’inférieure reste libre de manière que la Chenille (r) Les larves des Pamphilies, qui vivent sur les abricotiers , ne peuvent mar- cher, et se tiennent toujours sur le dos, tendant autour d'elles des ceintures de soie qu'elles fixent contre le plan de position. Elles avancent ou reculent en glis- sant par les mouvements des anneaux de leur corps contre ces ceintures placées de distance en distance, et c'est ainsi qu’elles se transportent d’un lieu à un autre. Si elles sont forcées d'abandonner momentanément leur domicile, elles se suspendent à un fil de soie qu’elles dévident en descendant à terre; la manière dont elles remontent le long de ce fil, est très-singulière. Elles commencent par en attacher le bout au milieu de leur corps, puis elles s’entourent d’une ceinture de soie et glissent dedans jusqu’à ce qu’elles y aient placé l'extrémité du corps. Alors , avant de s’en dégager entièrement, elles s’en font un point d'appui, pen- dant qu’elles fixent plus haut, autour d’elles , une seconde ceinture dont elles se servent également pour s'élever ; elles continuent ainsi de remonter, traçant de nouveaux échelons séparés par des intervalles qui n’excèdent pas la moitié de leur longueur et tonjours glissant dans ces ceintures par le mouvement vermicu- laire des anneaux de leur corps (*). (2) Celle du Cryptophasia irrorata, Lewin, mentionnée par Swainson, (*) Jehan, (204) peut passer et repasser à volonté. Après le coucher du soleil, le prudent solitaire sort pour se pourvoir de subsistance, il coupe des feuilles et les {transporte une à une à l'entrée de sa cellule, dans laquelle il se glisse à reculons, en ouvrant la porte avec la partie postérieure du corps et trainant après lui la feuille qu’il tient avec ses mâchoires par l'extrémité du pétiole jusqu’à ce qu'elle soit entrée dans sa cellule. Cette laborieuse occupation est conlinuée toute la nuit; mais, à l'approche du jour, il se repose dans sa retraite, et commence tranquillement son repas. Un Papillon (1\ pond ses œufs sur la tige de l’arundo phragmites, roseau à balai. Les petites Chenilles pénètrent dans l'intérieur et se nourrissent de la moëlle. Lorsqu'elles sont devenues assez grandes et qu’elles ne peuvent plus y vivre, elles percent leur demeure commune pour se répandre sur les plantes environ- nantes. Chacune de ces Chenilles s’introduit dans une nou- velle tige en perçant un trou dans une des articulations supé- rieures. Elle y vit quelque temps de la moëlle de roseau, et quand elle vient à en manquer, elle perce un second trou par où elle sort. La Chenille pourrait alors changer de roseau et aller habiter la partie la plus tendre d’une nouvelle plante ; mais la sage économie de la nature s'oppose à ce gaspillage. Elle descend donc le long de la même tige et y choisit à un ou deux pieds de la partie submergée la retraite où s'opéreront ses der- nières mues et sa transformation. Elle y entre par le bas de l'articulation, à deux ou trois pouces du nœud. Lorsqu'elie y est entrée, elle travaille à boucher le trou avec les rognures du ro- seau et en les collant ensemble. Quand le temps de sa transformation approche, elle monte vers le haut de l'articulation. Là elle ronge un espace ovale, destiné à faciliter sa sortie quand elle sera devenue Papillon, en laissant (1) Nonagria paludicola , observé par M. Guënée , de Chateauroux. ( 205 ) en son entier l’épiderme du roseau dans (oute la largeur de son trou. Pour plus de süreté, elle compose avec les débris du roseau qu'elle vient de ronger, un plancher immédiatement au- dessus de son trou. Enfin elle descend de deux à six pouces plus bas ; elle y forme, pour soutenir sa chrysalide, un nouveau plan- cher très-léger et là elle se change en nymphe. Mais le phénomène le plus remarquable que présentent les larves des Insectes dans leurs rapports avec les végétaux, est la formation des excroissances connues sous le nom de galles, et produite sur les diverses parties des plantes par la présence des œufs ou des larves elles-mêmes, qui détermine l'afflux de la sève. Cedernier mode, qui manifeste si hautement la bonté su- prême en faveur de ces pelits êtres, offre le spectacie singulier de l’ordre, de la régularité, de la convenance, provenant d’une dévialion accidentelle des sucs végétaux, d’une perturbation, d’un désordre dans l'organisme végétal. Il y règne aussi une di- versité et une progression bien remarquables. La boursouflure des feuilles des pêchers, des groseilliers, produite par la piqûre des Pucerons, montre le point de départ ; ensuite viennent les feuilles opposées du buis que les Psylles arrondissent en globe creux, herméliquement fermé ; les pétioles des feuilles du peu- plier noir, qui, se dilatant et se contournant en hélices par la succion des Pucerons, finissent par former également des loges sphériques dns lesquelles des centaines d'individus vivent en sécurité. Le plus souvent les galles ne contiennent qu’une seule larve, quelquefois deux ou plus, habitant ensemble (1) ou dans _des cellules, soit séparées (2), soit communiquant les unes aux autres (3). L'ordre qui règne à l’intérieur n’est pas moins re- (x) La galle du groseillier. (2) Celle du Serratula arvensis. (3) Celle du Rubus cæsius. ( 206 ) marquable au dehors. La plupart des galles prennent des formes régulières et souvent élégantes : elles figurent des fleurs (1), des baies (2), des graines (3), des fruits (4) ; quelquefois même avec des saveurs agréables : telles sont les galles du lierre terrestre, querecherchent les enfants, et celles de la sauge pomifére, qui se vendent à Constantinople. L'une d’elles nous est d’une haute utilité : c’est la noix de galle, à laquelle sont si redevables les sciences, le commerce, les arts et tout homme qui a un ami ab- sent (5). On doit peut-être compter au nombre de ces produc- tions la célèbre pomme de Sodome, image des plaisirs criminels qui charment les sens de toutes leurs séductions, mais qui ré- duisent le cœur en cendre et n’y laissent de vivant que le ver rongeur (6). Les larves dont toutes ces excroissances sont le berceau , et qui y trouvent sécurité et abondance, appartiennent générale- ment aux Diptères et surtout aux Hyménoptères. Une Punaise (7) détermine le gonflement de la fleur de la germandrée (8), qui reste fermée pour lui servir d'asile. Un Charançon (9) détermine sur l’ajonc (10) la production de tumeurs semblables à des grains de chapelet paraissant enfilés par les tiges. Les Cécidomyies (11) font naître des protubérances sur diverses plantes , telles que le tithymale, le lychnis, l’aristoloche, le génèvrier, le (1) La galle du saule. (2) Celle en grappe du chêne. (3) Celle de l’ajonc. (4) Celle en forme de poire du pavot. (5) Kirby. (6) On croit, mais sans certitude, que cette pomme est le fruit d’une espèce de Solanum. (7) Tingis clavicornis. (8) Teucrium chamædris. (9) Apion ulicicola. Observation récente de M, Perris. (10) Ajonc nain. (11) Genre de Diptères. ( 207 } pin, le saule. Les galles de ce dernier sont ces rosettes que nous voyons à l'extrémité des branches, seule végétation qui reste à cet arbre pendant l'hiver. Une petite Mouche (1) dépose un œuf sur un bourgeon du chiendent. Ce bourgeon s’allonge , se renfle en fuseau et se revêt d'écailles symétriquement imbriquées. Une Téphrite (2) produit sur les tiges d’une espèce de chardon d’épaisses tumeurs en forme de melons. Enfin, le plus grand nombre des galles sont dues aux Cynips, et elles sont si diver- sifiées que le chêne seul en produit un grand nombre d'espèces parmi lesquelles on croit voir des pommes, des grappes de gro- seilles, des boutons de fleurs, des têtes d’artichaut, des cham- pignons. Parmi les larves qui se nourissent de substances végétales , je mentionne enfin celles qui, sous lenom de Heerwurm et par leurs immenses agrégations et leurs migrations , ont excité l’étonne- ment, la stupeur des populations de la Scandinavie. Pontoppidan en à parlé comme d’un phénomène rare, propre à la Norwége. Dans les épaisses forêts de bouleaux, on croit apercevoir un étrange animal , ayant la forme d’un serpent , quelquefois long de 20 mètres, rampant avec la lenteur de l’escargot, franchissant ou tournant les obstacles, laissant sur le sol humide une longue traînée qui indique son passage: c’est une colonne en marche, de la largeur de la main, de l’épaisseur de deux à trois doigts, composée de myriades de petits vers agglutinés, grimpés les uns sur les autres; rencontre-t-elle une pierre ? elle se divise souvent dans sa longueur en deux bandes qui se réunissent bientôt après. La queue de la colonne se trouve-t-elle par accident séparée de la tête, elle la rejoint à marche forcée. La tête par hasard vient-elle à toucher la queue, elle forme alors un anneau qui roule longtemps sur lui-même. ee pe nt et (x) Lonchæa parvicornis (Diptère). Observation récente de M. Perris. (2) Chardon hémorroïdal, Serratula arvensis. ( 208 ) Des observations ont démontré que ces Vers étaient des larves d’une espèce de Moucheron (1); mais on ignore encore la raison de ces migrations; nous croyons par analogie que ces larves se réunissent, comme les Chenilles processionnaires, pour chercher un lieu favorable à leur métamorphose. Faces Les larves qui se nourriseent de substances animales sont LL ane inertes ou actives. Les premières trouvent dans le berceau que substances leur a donné leur mère une proie morte ou vivante. Les unes, “imals. Comme la Mouche de la viande, naissent sur les dépouilles mor- telles. Elles ont la mission d’en bâter la dissolution , et elles y mettent tant d’activité que , grâce à la fécondité et à la succes- sion rapide de leurs générations, Linnée a pu dire que trois Mouches dévoraient le cadavre d’un cheval aussi vite qu’un Lion pourrait le faire ; d’autres, telles que les Ichneumons, les Tachines, éclosent dans le corps des Chenilles ; ils en absorbent la substance sans offenser les organes nécessaires à la vie, n’en occasionnent la mort par épuisement que lorsqu'ils sont parvenus au terme de leur développement, et contribuent ainsi à en res- treindre la multitude et à mettre desbornes à leurs dévastations. Dans cette grande famille des Tachines , quelques espèces ont l'instinct de préparer pour nourriture à leurs larves la proie d’autres insectes. C’est ainsi qu’au moment où les Philauthes, les Crabrons et d’autres Hyménoptères fossoyeurs ont porté dans leurs souterrains les Abeilles , les Charençons, dont ils se sont emparés pour servir de pâture à leurs propres larves, de petites Tachines (2) au front d'argent, épiant l'instant favorable, se glissent furtivement dans ces retraites, et déposent leurs œufs sur ces victuailles destinées à d’autres convives. Leurs larves , plus hâtives, en font leur curée et réduisent les autres à mourir (x) Sciara thomæ , Diptère de la famille des Tipulaires. (3) Les Métopies. ( 209 ) d’inanition. Cet instinct est accompagné de la plus grande agilité, de l'opiniâtreté et de l'audace nécessaires à ce brigandage , et, d’un autre côté, les Hyménoptères, frappés de crainte ou de stu- peur , n'opposent aucune résistance à leurs ennemis , et, quoi- qu'ils fassent une guerre incessante à divers insectes , jamais ils n'attaquent ceux dont ils ont tant à se plaindre, et qui cependant n'auraient aucune défense à leur opposer. Un grand nombre d’autres larves se développent aussi en parasites sur divers insectes el souvent avec des circonstances singulières : celle d’une Mouche brillante vit, comme la hideuse Mouche-Araignée , sur les petits des Hirondelles (1). La femelle de la grande Scolie au front jaune s’attaque à la larve du grand Oryctès nasicorne , la blesse toujours dans un . point donné et dépose un œuf dans la blessure qui reste ouverte et laisse la larve paralysée. Celle qui vient d’éclore introduit la partie antérieure du corps dans celui de sa victime et en dé- vore peu à peu la substance sans en offenser les téguments exté- rieurs, qui conservent, quoique vides, leurs formes primitives (2). Les larves des Volucelles naissent dans les nids des Bourdons, dont elles dévorent les larves. Leurs mères , pour y déposer leurs œufs , semblent tromper la vigilance de leurs ennemis, dont elles ont la forme et les couleurs, pour s’introduire frauduleu- sement dans leurs souterrains. Celles des Conops subissent leurs métamorphoses dans le corps des mêmes Insectes et en sortent par les intervalles des segments de l'abdomen , particularité que présentent aussi les larves des Rhypiptères (3), parasites des Guëêpes , et dont le type organique (1) Observation de M. L. Dufour. (2) Observations de M. le marquis Spinola,. (3) Les Rhypiptères sont caractérisés par des ailes plissées en éventail, des élytres recouvrant plus ou moins les ailes, et, en avant des élytres, de deux 14 (2140 ) a nécessité, pour les trois espèces connues jusqu'ici, la formation d’un ordre qui marche de front avec ceux dont les cent mille espèces répandent leurs myriades d'individus sur tout le globe ; tant la chaîne des êtres est inégale dans ses anneaux, tantôt faible ruisseau, tantôt immense océan. Les larves des Méloës présentent encore un singulier exemple de parasitisme : écloses dans la terre, elles montent sur les fleurs et s’attachent au corps des Abeilles qui viennent y puiser leur pâture. Celles ci les emportent dans leurs ruches où les jeunes Méloës établissent leur demeure et subsistent de la nourriture préparée pour les Abeilles (1.) D’autres larves vivent en parasites comme les vers intestinaux dans les bestiaux : ce sont les OËstres, dont l'introduction dans le corps de ces animaux est quelquefois si singulière. L'OEstre du bœuf insère un grand nombre d'œufs sous le cuir du dos ; les larves qui en proviennent s’y développent, y attirentles humeurs par la succion, y produisent des tumeurs assez analogues aux galles végétales, et en sortent pour se retirer dans la terre et y passer à l’état de Nymphe. L'OËstre des moutons (2) dépose ses œufs dans les narines de ces bestiaux, et les larves , à leur naïs- sance, se meltent en mouvement, avancent à l'intérieur et pé- nètrent jusqu'aux sinus maxillaires et frontaux, où elles de- meurent jusqu’à leur sortie (3). L'OEstre des chevaux, doué d’un instinct! bien plus singulier encore, fixe ses œufs sur les épaules petits corps crustacés , mobiles, en forme de petites élytres, rejetés en arrière, étroits, allongés , dilatés en massue et courbés au bout. (1) Observation de M. Newport, qui ajoute : la croissance de cette larve est rapide , et sa forme change totalement ; elle perd ses antennes, ses Jambes, tous ses appendices extérieurs , et devient, avant de se changer en nymphe, un corps épais et apode. Après sa métamorphose, l’insecte parfait reste dans sa cellule, sous terre, pendant l'hiver, et n’en sort qu’au printemps. * {a) Cephalemyia ovis. (3) La larve de la Cephenemya trompe, vit dans les sinus frontaux du renne. (°211-) ou à la partie interne des jambes de ces animaux. Que deviennent les larves ? le cheval , en se léchant, les enlève à peine écloses, et les porte à la bouche, d’où elles arrivent à l'estomac, S'y cramponnent pour n'être pas entrainées avec lesaliments (1), s’y agglomèrent souvent en se suspendant en grappes et s'y nour- rissent de chyme. Ce qui accroît encore le merveilleux de cet instinct , c'est que les OEstres choisissent les bestiaux les plus sains et les plus jeunes pour leur confier leurs œufs, et que les larves, loin de leur nuire, les maintiennent en bonne santé ; celles qui habitent dans l’esto- mac des chevaux facilitent la digestion; celles qui vivent dans les tumeurs des bœufs leur procurent une suppuration salutaire (2). De ces diverses larves qui se nourrissent de substances ani- males et dont ia vie est intérieure et plus ou moins inerte , nous passons à celles qui vivent de proie, à l'extérieur , avec plus ou moins d'activité, et dont l'instinct s'élève graduellement à une hauteur inconcevable. A la base de cette série se montrent les larves des Syrphes , qui naissent sur les tiges couvertes de Puce- rons, el qui, bien qu'aveugles et sans pieds, en font un grand car- nage, en allongeant la tête de côté et d'autre, et en perçant leur proie stupide de leur dard à trois pointes. Celles des Hémerobes, armées de leurs mandibules creusées en pompes aspirantes, dé- vorent aussi les Pucerons. Celles des Libellules cherchent insi- dieusement leur proie au fond des eaux , en approchent lente- ment, et tout-à-coup elles la saisissent en allongeant leur masque perfide qui s'ouvre en deux larges serres. Quelques-unes vivent aux dépens des Colimaçons ; c'est ainsi qué la larve du Drile LE de le ne M Bt role de ie until el. orne (x) Ces larves respirent par le moyen de stigmates, qui sont recouverts par des espèces de lèvres évidemment destinées à les protéger contre les sucs qui se trouvent dans l’estomac. (2) Observations de Réaumur et de Clark , l’un des vétérinaires les plus savants de l'Europe. (2412) lorsqu'elle a choisi sa victime (1), monte sur la Spire, s’y accroche et attend patiemment que l’Hélice sorte de sa coquilleet se mette à ramper. Alors elle se glisse sous le manteau du Mollusque dont elle fait sa proie, et elle en dévore plusieurs autres de la même manière, avant de passer à l’état de Nymphe (2). D’autres s’insinuent sous les écorces ou dans le bois, à la recherche des Insectes qui paraissaient le plus en süreté, et elles re- restreignent ainsi leurs dévastations. Celle du Notoxe va décou- vrir les Vrillettes dans les trous dont elles criblent nos boi- series (3). Celle du Sirex géant, que l’on a accusée longtemps de dévaster les forêts de pins , est enfin réhabilitée et reconnue au contraire comme un des Insectes les plus utiles à ces forêts en (x) Cette observation , faite primitivement par M. Mielzinski, a été renouvelée par M. Picard , d’Abbeville, enlevé récemment aux sciences naturelles. Cet excel- lent observateur ajoute que, lorsque cette larve s’est renfermée définitivement dans une coquille , elle en nettoie l’intérieur avec un soin étonnant, et au moyen des bouquets de poils qu’elle porte sur les côtés du corps, elle rejette au dehors une sanie noire et fétide, produit de la décomposition d’une portion de l’Hélice. (2) Plusieurs autres larves d’insectes vivent en parasites dans les Hélices : on a sigualé celles d’un Mélanophore, d’une Anthomyie (A. Caricularis). Les Osmies, qui font leurs nids dans les fentes des murs, les établissent quelquefois aussi dans les coquilles. La larve du ver luisant a été observée par M. Goureau. Il en trouva une qui attaquait une jeune Limace. Elle essaya à plusieurs reprises de la mordre et de la renverser; mais le mucus abondant que sécrète ce Mollusque le tenant fortement attaché au sol, elle ne put y parvenir d’abord. Alors elle étendit son abdomen en arrière dans toute sa longueur, fit sortir le mamelon frangé qu’elle. porte à l’extrémité du corps, et elle l’épanouit sur le sol pour y prendre-un appui plus ferme, et tiraut à eMe la Limace qu’elle avait saisie avec s es mandibules, elle parvint, après diverses tentatives, à la renverser; elle la traîna ensuite en reculant et en répétant la même manœuvre. De temps en temps elle l'âchait prise, et courbant son abdomen, elle faisait passer l’ongle d’une de ses pattes dans la frange de son mamelon , comme pour le nettoyer, et lorsque ce moyen n’était pas suffisant, elle se servait de ses mandibules. (3) Observation de M. Aubé, qui ajoute que lorsque cette larve a dévoré un de ces insectes, elle sort du trou qui le renfermait et se rend dans un autre qu’elle sait agrandir au besoin pour atteindre sa proie. (2418) faisant une guerre incessante aux Scolyles , ces funestes dépré- dateurs des arbres résineux (1). La larve du Staphylin (2) se creuse un trou profond , à l'ou- verture duquel elle se tient en n’y cachant que son abdomen sans défense. De là, elle se jette sur tous les Insectes qui passent à sa portée. Celle de la Cicindèle (3) renchérit sur cet instinct en construisant un trou semblable, dont elle dissimule l’ouverture à fleur de terre en y tenant sa tête quiesttrés-large et écailleuse. Quand un Insecte vient à passer sur cette espèce de piége la larve, en inclinant brusquement la tête par un mouvement de bascule, le fait tomber au fond du trou et en fait sa proie. Celle du Ver- Lion (4), vermiforme et très-flexible, fait dans le sable de petits enfoncements coniques. Pour y parvenir, elle lance le sable en courbant son corps et le débandant comme un ressort ; ensuite cachée au fond de ce trébuchet , elle y attend le moment où quelque insecte y tombe , lève brusquement la tête, serre sa victime dans les replis de son corps et la dévore. Enfin celle du Fourmilion , trop célèbre dans les fastes entomo- logiques pour la décrire encore , nous rappelle sa conformation anomale qui la contraint à une marche rétrograde, désavantage compensé par tant de facultés physiques et instinctives : la mobi- lité des articles des tarses , la flexibilité du cou, la forme aplatie de la tête, la conformation en pompes à siphon des robustes man- dibules, et bien plus, l'usage qu'elle fait de ces moyens d'action; l’industrie avec laquelle elle forme son entonnoir par ses marches concentriques et en chargeant sa tête, à l’aide de l’une de ses pattes (5), de grains de sable qu’elle rejette au dehors; l’adresse et D (1) Observation commencée par M. le comte Lepelletier de Saint-Fargeau et vérifiée par M. le marquis Spinola. (2) Observation de M. Leer , rapportée par M. Lacordaire. (3) Observation de M. Desmaretz , rapportée par M. Lacordaire. (4) Observation de Degeer. (5) Lorsque la patte employée est fatiguée , celle qui lui correspond la rem- Précautions dout les larves se server.t avant de passer à l’état de nymphe. (214) la persévérance ({) qu’elle met à transporter sur son dos les pierres trop pesantes pour les jeter, sa patience à attendre, les pinces ou- vertes , qu'un Insecte tombe dans le piége , et la’ vivacité avec laquelle elle lui lance une grêle de sable lorsque, s’accrochant sur le talus, il fait des efforts pour remonter. C’est ainsi que la Providence prodigue à cette larve les lu- mières de l'instinct pour la dédommager du désavantage mie sa conformation sous le rapport de la locomotion. Lorsque les larves sont arrivées au terme de leur dévelop- pement, elles ont la prescience de la métamorphose que la plu- part d'entre elles doivent subir et de l’état d'inertie dans lequel elles vont (umber. Alors elles commencent à prendre des précau- tions simples ou compliquées pour se mettre à l'abri du danger, et dont quelques-unes nous intéressent à un haut degré. Les unes se bornent à se retirer sous la terre ou dans le bois , ou à rester à découvert en s'aftachant à quelque branche à l'écart, les autres se renferment dans des cocons ordinairement de soie , et diversifiés à l'infini. Celles qui restent à découvert sont particulièrement les Che- nilles des Papillons diarnes, qui avant de passer à l’état de Chry- salides , prennentles précautionsles plus ingénieuses pour assurer leur tranquillité; les unes se suspendent verticalement par la queue (2), les autres, après avoir pris le même moyen, se ga- rottent transversalement au moyen d’une ceinture de soie ; et ces opérations hérissées de difficultés se font avec un art, un tact, une complication qui semblent le résultat de longues médi- place ; mais peur cela il faut que la larve traverse l'aire en ligne droite et qu’elle reprenne au point opposé ses circonvolulions eu sens inverse (Jehan.) (x) On l’a vu répéter jusqu’à sept fois de suite celte même manœuvre, offrant ainsi aux yeux du spectatenr étonné et presque attendri ;une image bien naturelle de l’infortuné Sysiphe, (Jehan) (2) Le papillon lo, ete. ( 215) tations. Pour se suspendre , la Chenille commence par fixer sur le lieu qu’elle a choisi un petit monceau de fils de soie présen- tant à sa surface un grand nombre de boucles ; elle ÿ accroche ses pattes postérieures ; ensuite la Chrysalide, après s'être tirée de la dépouille de la Chenille par les contractions de son corps, parvient à s’y suspendre elle même à l'aide de crochets dont sa queue est pourvue, et avec des efforts et une apparence de péril qui émeuvent le spectateur (1). Celles qui se font des ceintures s’y prennent de plusieurs ma- nières différentes, et non moins industrieuses, soit en fixant de nombreux fils de soie de chaque côté du plan de position du corps, en y portant alternativement la tête (2), soit en se glissant sous une ceinture qu’elles ont filée d'avance (3) Les larves qui se préparent à passer à l’état de Nymphes en se fabriquant des retraites n’y emploient guëères que la soie, mais avec une diversité infinie et une industrie quelquefois rivale de la nôtre, à laquelle elle fournit de précieux matériaux. Les unes, déjà revêtues de fourreaux comme celle des Friganes. se bornent à en fermer l’ouverture par un grillage. Une multi- tude d’autres se forment des cucons tantôt de diverses substances liées avec des fils de soie, tantôt de soie sans mélange. Les pre- mières emploient des grains de sable, des parcelles de feuilles, (1) « Quand la Chrysalide est entièrement hors de la peau de la Chenille, » elle saisit entre deux segments de son abdomen , eomme avec une pince , une » portion de cette peau ; elle s’en sert en quelque sorte comme d’uue échelle, et » arrive enfin à l’éminence soyeuse qui doit lui servir de support. » Lacordaire. (2) Le Papillon du chou. (3) Le Papillon Machaon. Les Chenilles du Polyommate Argus, qui, comme toutes les espèces de la mème tribu, ent le corps très-court et rigide . Après avoir courbé leur tête d’un côté et fixé un fil, se redressent , et, par une manœuvre difficile à décrire , passent leur tête sous ce fil, qu'eiles attachent de l’autre côté et qu’elles poussent sous leur corps jusqu'à ce qu'il en occupe le milieu, en con- tractant et dilatant Llour-à-tour leurs anneaux, (216 ) d’écorces, de la résine , les poils même dont elles sont revêtues. Parmi celles qui se servent de ce dernier moyen, nous citerons la petite Chenille qui se nourrit de lichen et qui forme son cocon en plaçant ses poils debout l’un à côté de l’autre, aussi régulièrement que les pieux d’une palissade, et les unitaumoyen de quelques fils qui les obligent à se courber et à x une sorte de toit à leur sommet. Une larve qui vit sur le pin maritime (1), s'établit dans le sillon que forme la feuille , se couvre d'une voûte de résine, artistement arquée, sous laquelle elle se forme ensuite un cocon de soie. Celle du Charançon de la Scrophulaire (2) n’emploie pas cette substance, mais une humeur visqueuse, d’une}nature analo- gue, qui transsude de la peau, couvre tout le corps d’une couche transparente à l’époque dela métamorphose et s'épanche sur la tige à laquelle l’insecte reste fixé. Ensuite la larve, en diminuant d'épaisseur , se dégage de cette couche, qui prend l'apparence d'une vessie et qui lui sert d’abri. Enfin elle pousse l'instinct jusqu’à vernir les parois intérieures de sa demeure d’un fluide dont le réservoir se trouve dansune poche située dans les derniers segments du corps, et qui est recueilli par les mandibules chargées de le mettre en œuvre (3). Celles dont les cocons sont entièrement de soie en diversifient de mille manières la texture. Souvent une enveloppe très-lâche en recouvre une très-serrée. Quelquefois le tissu semble de gaze ou de dentelle (4). Le cocon du Paon de nuit est construit en forme de nasse à double entonnoir, de manière à faciliter la sortie du Papillon, et à interdire l’entrée aux Insectes ennemis. Les (1) Celle de la Cécidomyie du pin, observée ct M. L. Dufour. (2) Cionus scrophulariæ. (3) Observation récente de M. P. Huber, de Genève. (4) Les cocons de quelques Teignes et de Coléoptères, ( 217) précautions vont quelqufois au point de suspendre le cocon à un long fil qui l'isole (1). Les Chenilles qui vivent en société enveloppent leurs cocons individuels d’une toile, comme les Séricaires de Madagascar qui renferment souvent les leurs, au nombre de plus de 500, dans une enceinte de 3 pieds de hauteur. Enfin les cocons varient quelquefois de contexture suivant le sexe des Chenilles. Ceux des Vers à soie qui doivent produire des mâles sont un peu plus garnis de soie aux extrémités , et par conséquent plus arrondis que ceux des femelles (2). Mais tout cel intérêt s’efface devant celui qu’inspire la Chenille qui donne à l’homme son plus riche vétement , qui fournit l’ali- ment de tant d'industries, qui a fait changer le nom de l'antique Péloponèse en celui de son arbre nourricier, et qui procure aux Chinois la matière, non-seulement de leurs somplueux Lissus , mais encore de leurs habillements de papier et de leurs maisons de carton. Les Nymphes et Chrysalides , généralement privées de mou- Nymphes vement, présentent quelques exceptions singulières et quelques Chrysali ne marques d'instinct que l’on ne s'attend pas à rencontrer dans cet état. Plusieurs trouvent des moyens de locomotion dans les con- tractions des segments du ventre et les pointes dont les bords sont munis. C’est ainsi que les unes montent et descendent alter- nativement dans leurs amples cocons (3) ; que d’autres, du fond de leurs retraites, gagnent l’ouverture quelquefois éloignée d’où l'Insecte ailé doit prendre son essor (4). Celles qui sont suspen- dues par la queue ont la faculté de tourner comme un fuseau (x) Celui de quelques Ychneumonides. La Nymphe qui y est renfermée a la faculté de faire des sauts prodigieux. (2) Lacordaire. (3) L’Hépiale du houblon. (4) Le Cossus Gâte-Bois. Insectes parfaits, (218 ) et s'en servent pour se débarrasser de la dépouille de la Chenille. Quelques-unes exécutent des sauts qui montrent une grande force musculaire. Les Insectes, parvenus au terme de ieur développement, se dégagent de leur dépouille de Nymphe et de leurs cocons, et cette opéralion est encore empreinte de l'instinct prévoyant des larves, qui, en filant ces enveloppes, ont laissé la partie qui répond à la tête moins solide et s’ouvrant au moindre effort. Quoique les Insectes parfaits aient généralement moins d’ins- tinct que les larves, ils en montrent beaucoup encore; c’est même dans cet état que les Insectes sociaux , et à leur tête , les Abeilles, en sont si éminemment pourvus et qu'ils exécutent leurs travaux, prodiges d'industrie. Nous les considérerons dans leurs moyens de défense et de subsistance, dans leurs amours et dans les soins de la maternité. Leurs moyens de défense, bien moins nécessaires que dans l'état de larves, en raison de leurs téguments plus solides ; des organes plus développés de leurs sens, qui les prémunissent( contre les dangers, et surtout de la faculté de les éviter par la course ou le vol, consistent, tantôt, pour les moins agiles, à se laisser Lomber au moment où l’on va les saisir, tantôt à simuler la mort pour y échapper, ce qu'ils font quelquefois avec une imitation parfaite en étalant leurs membres , en les raidissant comme de véritables cadavres (1). Il y en a qui se couvrent de poussière. Ainsi le font les Réduves de nos appartements rare- ment balavés , et cette précaution est tellement instinclive que, lorsqu'elles muent et qu’on leur ôte les moyens de se procurer (5) Les Géotrupes. La larve de l'Hydrophile non-seulement simule la mort comme tant d’autres, mais elle devient subitement flasque et molle , comme si elle avait cessé de vivre depuis long-temps. (Lacordaire). Cependant cet instinct n’est pas général dans les genres d'insectes où il se montre, et il est remarquable que lorsqu'on prend au filet la Zygène du Mélilot , il fait à l’instant le mort , tandis que ses congénères s’y débattent en yvoltigeant ct en s’agitant sans cesse. (219) de nouvelles poussière , elles enlèvent laborieusement celle de leur dépouille pour s'en recouvrir (1). D'autres éloignent leurs ennemis en exhalant des odeurs, ou en sécrétant des fluides qui leur répugnent, ou même en lächant des décharges d’une merveilleuse artillerie, dont l'explosion et la fumée produite par une liqueur volatile leur a valu le nom de tirailleurs ou de bombardiers (2). Un grand nombre cherchent leur sécurité en se creusant des terriers, comme les Courtilières, les Grillons , les Tridactyles. Ces dernières ont aux pattes antérieures une espèce de rateau et de (ruelle hérissée de poils, et, à l'aide des mandibules qui servent de pioches , elles creusent leurs souterrains , en raffer- missent les parois , et y appliquent le ciment le plus lisse (3). D'autres s’abreuvent de sucs végétaux : tels sont les Pucerons qui pullullent sur toutes les-plantes, et dont la destination parait être de restreindre la sève dans de justes bornes. Leur organisme est remarquable par deux tubes situés vers l'extrémité du corps et desquels sort une liqueur sucrée qui sert de premier aliment à leurs petits, et qui, répandue si généralement sur le feuillage, paraît constituer la miellée, et contribue en même temps à la substance d’une multitude d'Insectes. Leur fécondité est merveil- leuse. Les nombreuses générations qui se succèdent chaque année sont vivipares, à l'exception de la dernière, et ne contiennent que des femelles qui naissent fécondées comme leurs mères. La der- nière, en automue, comprend des individus des deux sexes ; ils s'unissent , et, cette fois, les femelles sont ovipares, et déposent (1) Observations de M. Brullé. (2) Les Brachines. (3) M. L. Dufour, qui a fait cette observation, avait renfermé des Tridactyles dans nn vase de verre pour les voir travailler. L’un d’eux sortit de sa relraite , se mit à récrépir toute la surface du verre, et se déroba ainsi à la vue de l’obser- Yatenr, Nourriture des insectes. ( 220 ) sur les tiges leurs œufs qui supportent les rigueurs de l'hiver, et qui sont l’origine de nouvelles générations annuelles. La Sagesse suprême a sans doute donné une mission bien impor- tante à ces petits êtres, puisqu'elle a modifié exclusivement en leur faveur les lois de la génération chez les Insectes, et qu’elle a étendu leur fécondité au-delà de toutes les limites connues. Les Insectes parfaits n'ayant pas d’accroissement à acquérir, et ne prenant de nourriture que pour entretenir leur vie, ce besoin est généralement moindre que dans les larves ; il est même nul, ainsi que l’organe dela nutrition, dans quelques races, telles que les Éphéméres, les OEstres , qui traversent rapidement cette phase de la vie. Les substances végétales ou animales sont le fonds ordinaire de la subsistance des Insectes parfaits comme des larves. Le suc des fleurs alimente la plupart de ceux qui sont munis d'une trompe; les uns se posent sur les corolles, les autres y enfoncent leurs longs siphons en planant au-dessus d'elles ; leurs essaims, si diversifiés de formes , de couleurs, de mouvements, font de chaque plante fleurie la scène la plus animée, et, quelle que soit la muliitude des convives, le banquet est inépuisable, sans qu'il résulte aucun dommage de ces innocents larcins. Seulement il arrive que l’épais Bourdon, après avoir fait de vains efforts pour pénétrer dans les corolles à long col et d’étroite embouchure , a l'instinct ou plutôt l'esprit de faire une ouverture à la base, à l'aide de ses mandibules, et d'insipuer sa trompe dans les nectaires. S D'autres dévorent le feuillage , et nous ne connaissons que trop leurs dévastations. Les Hannetons, qui en sont aussi avides que leurs larves le sont des racines, ravagent les forêts, les dé- pouillent de verdure ; les Sauterelles, les Criquets , dans leurs fatales migrations , détruisent toute végétation , et Dieu les fit fondre sur l'Égypte, à la voix de Moïse, pour châtier Pharaon. Parmi ceux qui se nourrissent de substances animales , les { 291 } uns vivent sur les cadavres et en accélèrent la dissolution. Jamais anatomiste ne disséqua les muscles avec autant d'art, n’en décharna si habilement le squelette, jusqu'aux moindres arti- culations, que les Nécrophores, les Sylphes, les Staphylins , les Dermestes. D’autres vivent aux dépens des Insectes : tels sont les Carabes et surtout le Calosome Sycophante, qui nous délivre d’un si grand nombre de Chenilles (1) ; les Libellules ou Demoi- selles, ces infatigables chasseresses ; les Mantes, aux bras sup- pliants, aux serres rapaces , les Asiles , dont la trompe perce les corselets les plus épais , les Empis, ennemis des humbles Mou- cherons. Les autres s’abreuvent du sang des animaux supérieurs. Les Pupipares vivent en parasites sédentaires sur les Mam- mifères et les Oiseaux. Les OEstres et les Taons ne sont que trop connus par la guerre qu'ils font aux bestiaux , et Virgile lui- même les a décrits dans ces beaux vers : Est lucus silari cireà, ilicibusque virentem Plurimus alburnum volitans, cui nomen asilo Romanum est, Æstron graii vertère vocantis; Asper, acerba sonans ; quo tota exterrita sylvis Diffugiunt armenta, furit mugitibus œther Concussus , sylvæque, et sicci ripa Tanagri. Le Cousin s'attaque particulièrement à l'homme ; il.est au nombre des fléaux de la triste humanité: c’est pour se préserver de ses piqûres envenimées que le Lapon se frotie de graisse la figure et les mains et s’enveloppe d’une atmosphère de fumée, et ce dernier moyen paraît avoir donné naissance à l'usage du tabac, qui, avant de devenir un symbole de la paix dans le calu- met des Caraïbes, et ensuite une ressource contre l'ennui , une (1) M. Lamoureux , de Nancy, me dit un jour avoir observé que ces Insectes mettaient régulièrement douze minutes pour monter sur un arbre de son jardin, et en descendre avec une Chenille, qu’ils dévorent probablement quand ils sont rentrés sous terre. F Amours des insectes. ( 222 ) jouissance pour les oisifs , était brûlé sous la hutte de l’Indien pour chasser par son odeur cet odieux parasite. Les Insectes manifestent dans leurs amours des instincts , la plupart vitaux, qui montrent toute l'importance du résultat, la perpétuité des espèces. Leur forme adulte est adaptée à cette grande destination : leur dernière enveloppe est leur robe nuptiale ; le rôle des deux sexes est généralement le même que dans les autres êtres animés : le mâle cherche, la femelle attire. Le màle a les organes des sens et particulièrement les yeux et les antennes plus développés ; ceux de la locomotion, les ailes, les pieds ont plus de vigueur. La femelle, souvent cachée, trahit sa présence par des émanations, soil odorantes, soit lumineuses, quelquefois inaccessibles à nos sens. C’est ainsi que, si l’on trans- porte au centre d’une ville une femelle de papillon de nuit, les mâles quittent la forêt voisine, et arrivent en foule, attirés par l'odeur qu’elle -exhale. Celle du Cébrion se divulgue de la même manière dans le berceau souterrain -où elle est éclose, et qui devient son lit con- jugal avant qu'elle en sorte pour déposer ses œufs. Il en est de même de celle d'un Papillon (1), qui reste renfermée dans sa coque ; mais qui y pratique une ouverture par laquelle la fécon- dation s'opère ; ensuite elle ferme l'ouverture , et dépose ses œufs dans la coque, par couches entremélées des poils blancs de son abdomen. Celle du Lampyre, connue ‘sous le nom de Ver luisant , reléguée dans l'herbe par sa forme aptère, allume le soir son fanal de phosphore (2) et indique sa retraite aux mâles dénués de lumière, mais pouvus d'ailes. On peut croire que’d’autres femelles d’Insectes répandent une (x) Observation de M. Saporta. (2) Les Lampyres du nord de l'Europe répandent une lumière continue, égale et tranquille, tandis que l'espèce italienne, la Luciole, en répand une scintil- lante, qui jaillit, pour ainsi dire, par étincelles. (223 ) lumière qui, imperceptible à nos yeux, favorise également leurs amours . el , c’est ainsi que l'on explique l’ardeur avec laquelle les Noctuelles mâles, par une fatale erreur, se jettent dans la lumière de nos flambeaux et même dans les flammes, croyant poursuivre l’objet de leurs désirs (1). Le même attrait d’un sexe pour l’autre donne lieu au vol im- pétueux des uns, aux danses aériennes de beaucoup d’autres. C'est souvent au sein des airs que les Insectes s'unissent , et quelquefois avec des circonstances bizarres. Nous avons vu dans de belles soirées d'été des milliers de couples d'Empis (2(tour- billonner auprès des eaux, chaque femelle, tenant en même temps au bout de sa longue trompe , une Mouche, un Cousin, une Ephémère qu’elle suçait. Enfin les bruits que font entendre les Insectes ont souvent rapport à leurs amours : le chant de la Cigale, la stridulation du Criquet, le bourdonnement de la Mouche et tant de bruisse- ments , de strideurs, de piaulements, de tapotements, de tinte- ments , de murmures, de frémissements qui se font entendre du fond des gazons , de l’intérieur des écorces , de l'épaisseur des buissons, du sein des forêts, sont de doux appelsqui nese perdent pas dans les airs. Après les amours viennentles soins de la maternité, qui pré- sentent tous les-degrés de l'instinct le plus simple jusqu’au plus compliqué. Ainsi la Gallinsecte, très-vive et vagabonde à sa naissance, se fixe bientôt sur une feuille ou une tige dont elle suce la sève ; son corps se renfle, s'arrondit, perd plus où moins la forme animale et prend celle d'une galle végétale. Cette dila- tation du corps s'opère en faveur des œufs nombreux qu'il ren- (1) Ce qui paraît appuyer eette opinion, c’est la phosphorescence de quelques Chenilles, qui a été observée récemment par M. Gimnerthal , naturaliste russe et par M. Boisduval. (2) Empislivide, Soins maternels. (224 ) ferme et qui y grossissent. Ensuite la mère les dépose sous elle, enveloppés dans un duvet cotonneux qu'elle élabore ; son corps se réduit en une double pellicule qui sert d’abri à ses petits même après qu’elle a cessé d'exister. Telle est la Cochenille , à qui nous devons la pourpre moderne, et qui nous donne en même temps un touchant exemple de la tendresse maternelle. Les soins de la maternité se prolongent rarement au-delà de la ponte , et nous ne mentionnerons encore que les Punaises des bois et les Forficules (Perce-Oreilles) qui, comme les Scorpions , soignent leurs petits, les conduisent à la pâture, les rassemblent sous elles, avec la même sollicitude que la poule guide ses pous- sins. On pourrait dire comme Molière : Où l'amour maternel va-L-il se nicher ? Nous avons déjà parlé de l'instinct plein de prévoyance avec lequel un grand nombre de femelles pourvoient à la sûreté de leurs œufs et les déposent à portée de la substance nécessaire aux larves lorsqu'elles en sortiront. Nous allons signaler celui avec lequel les autres déposent de la nourriture près de leurs œufs. Cet instinct appartient principalement à plusieurs familles d'insectes Hyménoptères , tant solitaires que sociaux (4) , et il est accompagné de l’art de construire des nids et des cellules avec des modifications infinies , et graduées depuis le procédé le plus simple jusqu'aux combinaisons les plus compliquées. Nous les divisons en deux sections : ceux qui préparent pour nourri- ture à leurs larves des Insectes ou des Araignées, et ceux qui leur destinent une pâtée de pollen ou de miel. Parmi les premiers, les uns (2) se bornent à profiter d’un trou abandonné par un autre Insecte. Ils le nettoient, l’agrandissent, le revétent d’une couche de terre ; ils y déposent ensuite un œuf (1) Les Fossuyeurs , les Andrénètes , les Guépiers et les Apiaires. (2) Les Trypoxylons. (225 ) près duquel ils placent un insecte qu’ils viennent de prendre et de tuer , et ils se retirent après avoir fermé l'entrée avec de la terre. D'autres (1) creusent des galeries souterraines souvent sur les terrains :sablonneux en pente, et y déposent également avec leurs œufs des cadavres d’Insectes. C’est ainsi quelle Philanthe apivore détruit une grande quantité d’Abeilles qu’il donne pour unique nourriture à ses larves. D’autres (2) construisent aux angles des corniches, comme les hirondelles , un nid globuleux de terre formé d'un cordon en spirale , inférieurement percé de deux ou trois séries de trous qui servent d'entrées à autant de cellalles, l'Insecte dépose un œuf dans chacune d'elles avec une Araignée ou une Mouche et en ferme les ouvertures. D'autres (3)enferment dans leurs trous plusieurs Chenilles ou Araignées sans les tuer , mais en les piquant de leurs aiguillons de manière à leur causer une sorte de paralysie dont on ne con- naît pas d'autre exemple, qui leur ôte les moyens de fuir, ou de nuire à la larve , et qui se prolonge jusqu'au moment où elles en sont dévorées. D'autres (4) ajoutent à leurs galeries souterraines des tuyaux extérieurs, formés d’une terre pétrie, el recourbés en bas, soit pour les garantir de la pluie , soit pour rendre l’accès de 1 inté- rieur plus difficile aux Insectes parasites. Ils les approvisionnent de dix à douze larves vivantes de Charancçons (5), roulées sur elles-mêmes. (x) Les Sphex, les Bembex. Ces derniers rovisionnent leurs larves de Bom- byles , de Syrphes. (3) La Pélopée. (3) Les Pompiles, (4) L’Odynerus spinipes. (5) Celles du Phytonomus variabil 15 ( 226 ) D’autres (1) creusent des trous dans les vieux murs, en pre- nant la singulière précaution de ne pas laisser tomber les par- celles de pierre ou de sable qu'ils détachent , mais de les em- porter à quelque distance et dans différentes directions, afin sans doute de cacher leur travail. Ils donnent à ces trous la forme de bouteille à goulot étroit et recourbé; ils l’enduisent d’argile, et y renferment plusieurs Araignées et Chenilles en même temps que leurs œufs. D’autres (2) établissent leurs nids dans les tiges sèches de la ronce en choisissant celles qui sont horizontales ou couchées vers la terre. Ils les creusent profondément en rongeant la moelle; ils les revêtent quelquefois de terre délayée, les divisent en loges de six à sept lignes de long, en nombre proportionné à la longueur de la tige, et séparées l’une de l’autre par une cloi- son de moelle et de terre (3). Enfin ils déposent successivement dans chacune d'elles un œuf, ainsi qu’une pâtée mielleuse (4) ou quelques petites Araignées empilées(5). Les larves ne tardent pas à éclore. Peu de jours leur suffisent pour atteindre le terme de leur développement. Elles tapissent alors leur loge de soie et tombent dans une sorte d’engourdissement qui dure dix à onze mois, avant de passer à l’état de Nymphe (6). _— (:) L’Odynerus murarius, L’un de ces insectes ayant laissé tomber une de ces parcelles au pied du mur, la chercha, la trouva et l’emporta au loin. Observa- tion de John Rennie. (2) Les Odynerus rubicola, industrius. hospes , L. Dufour. (3) Cet instinct de creuser la moelle des tiges sèches de la ronce est commun à un assez grand nombre d'Hyménoptères des genres Osmie, Cératine, Odynère, Solénie, Trypoxylon. Ils y déposent leurs œufs dans des loges diversement modi- fiées. Leurs larves sont souvent la proie d’autres Hyménoptères qui déposent leurs œufs près d’elles. Ils appartiennent au genre Stélide, Prosopis. Stigme, Pemphrédon, Chrysis, Hédychre , Ichneumon. L. Dufour. (4) Osmia parvula. L. Dufour. (5) Trypoxylon figulns. (6) Le Solenius lapidarius (Crabronite), dépose ses œufs dans le bois mort (227 ) Dans le cours de ces diverses opérations , ces ingénieux În- sectes nous montrent une crainte très-prononcée des dangers aux- quels leur progéniture est exposée. Outre la précaution générale de fermer leurs galeries après y avoir déposé leurs œufs et les victuailles qu'ils destinent à leur larves, les uns (1), ayant à y enterrer cinq à six Insectes , ont le soin de boucher l’ouverture avec du sable, chaque fois qu'ils viennent d’en apporter un. D'autres n’y déposent d’abord qu'une seule Chenille et ferment l'entrée (2). Quelques jours après , lorsqu'ils jugent que la larve a consommé sa provision , ils lui en apportent une seconde en prenant la même précaution, et ainsi de même jusqu’à son entier développement. Cette crainte n’est que trop justifiée par les nombreux Insectes parasites (3) qui épient le moment favorable pour se glisser fur- livement dans ces galeries, afin d'y déposer également leurs œufs. Les larves qui en proviennent dévorent les vivres destinés à celles-ci, qui meurent d’inanition. La Blatte porte à l’extrémité du corps un petit coffret con- tenant ses œufs; lorsque les larves sont près d’éclore, elle dépose son fardeau , le prend entre ses pattes de devant et y fait une ouverture dans toute sa longueur. À mesure que cette fente s’élargit, on voit sortir de petites larves roulées et attachées deux à deux; la mère, qui préside à cette opération, les aide à se et dans les galeries que les larves d'autres insectes y ont creusées. 11 divise ces galeries par des cloisons transversales, construiles avec dela sciure de bois. Il pond un œuf dans chacune de ces cellules, et puis, il y entasse sans ordre, mais après les avoir mis à mort, dix à quinze Diptères destinés à servir de nour- riture à sa larve; il parait fort peu dufficile sur le choix des espèces ; car jai trouvé dans un seul nid des Stomoxes, des Cyrtonèvres, des Chrysogastes , des Anthomyes. (1) Le Bembex tarsata. Lacordaire. (2) L’Ammophila sabulosa. Lacordaire. (3) Les Chrysis, quelques Chalcis, plusieurs Crabronites, tels que les Cerceris le Blepharipus pauperatus, le Corynopus tibialis, ( 228 ) développer, en les frappant doucement de ses antennes, en les touchant de ses palpes. Le Psoque du Cytise seul peut-être entre les Insectes adultes, possède la faculté de filer. et dépose ses œufs sous un pavillon de soie qu'il ourdit et place sur la principale nervure de la feuille. Il se livre à ce travail avec toute la vivacité de l'amour maternel, courant d’un bord à j’autre de sa tenture pour attacher ses fils, les croisant dans tous les sens, les rapprochant au point d'en faire le tissu le plus serré. Un autre Psoque ne croit pas ses œufs en sûreté sous une seule tente ; il en fäbrique deux superposées ; la supérieure à quelque distance de l’autre, composée de fils beaucoup plus forts, mais formant un tissu moins serré. Cette seconde tenture est toujours fermée d’un côté et ouverte de l’autre. L'amour maternel inspire à la femelle du Scolyte, déprédateur des forêts, une précaution dont l'effet ne se produit qu'après sa mort : après avoir déposé ses œufs dans la galerie qu'elle s’est creusée dans le chêne, elle vient expirer à l’entrée qui se trouve ainsi obstruée, employant son cadavre même pour préserver sa progéniture contre les attaques des Insectes ennemis. Un autre instinct singulier et qui se rapporte sans doute aussi aux soins de la maternité, est celui d’un Coléoptère(1) de la Guade- loupe et de Cayenne, qui scie horizontalement les branches du MimosaJuga. Pour effectuer cette œuvre ardue, il saisit la branche de ses longues et robustes mandibules, et, par un vol circulaire et rapide, il parvient en peu d’instants à la couper, quoique plus épaisse qu’un canon de fusil, comme avec un instrument tranchant ; mais si nous trouvons cette opération difficile, nous ne trouvons guères moins de difficulté à en découvrir le motif. L'auteur de l'observation, M. Lherminier, présume que le but (x) Le Macrodontia cervicornis. ( 229 ) que se propose la Saperde est de préparer une certaine quantité de sciure qu’elle reprend ensuite pour lui confier sa faible progé- niture. Si cette explication ne paraissait pas satisfaisante, ne pourrait- on pas présumer que cet Insecte scie les branches pour déposer sesœufs dans la moelle qui en occupe le centre, à peu près comme fait le petit Charançon, qui coupe les jeunes rameaux encore herbacés de nos pommiers après avoir inséré un œuf dans la partie qui est tombée à terre, et nourrit la larve qui ne tarde pas à éclore ? Les Scarabées (1) forment laborieusement une boule volumi- neuse de fiente; ils y déposent un œuf dont la larve y trouvera abri et subsistance. Ils roulent cette boule dans un trou et le re- couvrent de terre. Le mâle et la femelle y travaillent en commun. Cependant, par une erreur remarquable par ses résultats, les Égyptiens ont cru que le Scarabée -n’avait pas de femelle, qu'il se propageait de lui-même; ils en ont fait danseurs hiéroglyphes le symbole de l’homme et de la fécondité, et il est devenu l'un des objets de leur vénération. Les Insectes qui déposent près de leurs œufs une pâtée de pollen mélé de miel, ont pour faire cette récolte le corps et les pieds hérissés de poils et les tarses postérieurs dilatés en une sorte de cuiller pour la contenir. Ils montrent une industrie pro- gressive bien plus grande encore que les précédents, favorisée par une organisation appropriée à la construction de cellules, et, dans les familles supérieures, par la sociabilité qui les réunit en grandes agglomérations; par l'existence, dans leurs associa- tions, d’un grand nombre d'individus neutres, ou plutôt de fe- melles aux organes sexuels-avortés, qui sont uniquement des- tinés-aux travaux de la communauté, et surtout par le prodi- ES ——— (x) Les Ateuchus. ( 230 } gieux développement de l'instinct, qui confond notre raison et manifeste la sagesse suprême. Cette série commence, comme la précédente, par un groupe, les Andrènes, qui se contentent de déposer leurs œufs dans des trous au fond desquels elles placent une pâtée pour la nourriture des larves. Les Collètes, qui en sont voisines, enduisent leurs souterrains d'une sorte de gomme et les divisent, avec la même substance, en plusieurs cellules superposées, de la forme d’un dé à coudre. Les Mégachiles, dont nous avons déjà parlé, garan- tissent leurs œufs en tapissant leurs galeries souterraines de fragments de feuilles ou de pétales de fleurs qu’elles découpent avec beaucoup d'adresse, donnant toujours convenablement à ces fragments la forme ronde, ou de demi-cercle, ou de croissant, suivant l'usage qu’elles veulent en faire. Les Anthidies se servent du duvet des fleurs labiées, au lieu de feuilles et de pé- tales. D'autres Mégachiles sont maçonnes. Au lieu d'établir leurs nids sous la terre, elles forment un tas de terre à l'angle d’un rocher ou d’un mur et y construisent plusieurs cellules dont l'intérieur est poli avec un grand soin. Plusieurs Osmies et Cératines établissent leurs cellules dans les tiges de ronce, comme les Odynères, dont nous avons fait mention. D’autres Osmies s'emparent de coquilles vides (1). y cons- truisent plusieurs cellules séparées par des cloisons papyracées et en ferment l'ouverture avec un opercule d'une sorte de carton. Les Halictes forment une transition singulière entre les In - sectes solitaires et les sociaux. Les femelles construisent seules des cellules de terre sous la forme de cornues, dans lesquelles elles déposent leurs œufs; mais elles se réunissent à plusieurs pour creuser une galerie souterraine et une sorte de vestibule a ————————_—_—_—— oo (r) Particulièrement celles de l'Hélix aspersa et nemoralis, (231) commun qui communique à chacune des cellules, et dont la voüle est soutenue par de nombreux piliers. Parvenus aux Insectes sociaux, dont l'instinct va nous offrir tant de merveilles, nous observons dans leur mode d’existence un phénomène qui leur est propre : c’est la présence dans leurs sociétés d'individus neutres chargés de tous les soins domes- tiques. La grande fin des sociétés d'Insectes étant, comme il a été observé, la rapide multiplication dans ces espèces, la Providence a employé des moyens extraordinaires pour assurer l'accom- plissement de ce dessein , en créant dans chaque société un ordre particulier d'individus, qui, dégagés de toute occupation sexuelle, pussent se dévouer entièrement au travail, et affran- chir ainsi les feme:les de toute autre fonction que de pourvoir l'association des œufs nécessaires pour le maintien de la popu- lation dans son état normal (1). Ces neutres sont ordinairement des femelles dont les organes de la génération sont oblilérés. La progression de la série nous offre d’abord ceux qui forment des sociétés annuelles seulement. Les Bourdons se présentent les premiers, et, quoique très-supérieurs aux Insectes précédents, ils ne sont guère aux suivants que ce que le sauvage hottentot est à l'homme civilisé. Nous bornant au précis de leur histoire, nous prendrons une femelle fécondée de Bourdon au moment où, ranimée par le printemps et sortant de la retraite, elle creuse un cheminsouterrain et puis une cavité dont elle recouvre la voûte de mousse cardée avec beaucoup de soin, et d’une légère couche de cire. Cette substance dont nous avons à parler pour la première fois et que nous retrouverons bien plus artiste- ment employée dans les Abeilles, est une élaboration du miel , particulière à ces Insectes et qui sort par les incisions de l'abdo- —————————_——_—————— —_.————————————ç_——— (x) Kirby. Insectes sociaux. Bourdons. ( 232) men. Ensuite le Bourdon forme une ou plusieurs, masses arrondies de pollen dans lesquelles il. dépose quelques œufs, d'où sortent au bout de peu de jours des larves d'ouvrières. Ces: larves se nourrissent du pollen, et à mesure qu’elles le. consomment, leur mère. en apporte de nouveau qu'elle applique aux masses primi- tives. Lorsque ces larves ont atteint le terme de leur dévelop- pement, elles se filent une coque de soie ovale, modelée sur leur corps, et dans laquelle elles passent à l’état de Nymphe. Ces coques, accoléesles unes aux autres, forment une serte de rayon ou de gâteau irrégulier, grossière ébauche de ceux des Abeilles. Aussitôt. que ces Nymphes sont transformées, en ouvrières, elles travaillent avec leur mère à agrandir le nid; et à apporter du pollen: à leurs sœurs qui sont. encore à l'état de larves. Peu. après, la mère pond de nouveau , mais cette fois ce sont des œufs de femelles et de mâles, et elle les dépose dans les coques. vides d’où sont sorties les ouvrières ; celles-ci ont bientôt à. nourrir les jeunes larves et elles le font, non plus avec du pollen, mais avec du miel , c’est-à-dire, le: suc des fleurs élaboré. dans. leur estomac ; de plus, elles en font un approvisionnementzelles en remplissent les coques vides et des espèces de godets qu'elles fabriquent en cire. lorsque ces mâles et ces femelles, plus petits que leur mère, arrivent. à, l’état adulte, ils s'unissent, et. ces dernières Pondent: à leur tour des œufs, mais de mâles. seu- lement, destinés à féconder les jeunes femelles qui doivent passer. l'hiver el fonder de nouvelles familles. Bientôt.après, l'automne arrive, les mâles meurent. et ensuite le: reste de. la famille, à l'exception de ces dernières femelles, qui se. dispersent.et s’a- britent jusqu’au printemps suivant. Dans toute cette.économie sociale, ce qu’il y. a de plus.remar- quable, c'est l’ordre. et la convenance. avec lesquels. il nait d’abord des ouvrières pour aider leur mère dans les soins d’une ( 238.) nombreuse postérité (1) et ensuite une. première génération de, mâles ct de femelles qui,,ne devant vivre que pendant les beaux: jours, n'ont qu'une complexion. délicate, et enfin une seconde, plus robuste, dont les femelles doivent résister à la rigueur des gelées, et. qui sont, destinées à propager l'espèce l’année suivante, Quelle admirable concordance entre les besoins et les facultés, entre la fin etles moyens (2; ! Les Guêpes forment, comme les Bourdons, des sociétés an- nuelles qui sont constituées de la même manière, excepté que la femelle qui a commencé seule le guépier, après avoir donné naissance à des ouvrières, produit des mâles et des femelles sans qu'il y ail une seconde: génération dans l’année ; mais,,si, sous ce. rapport, la: nature des, Guêpes: est moins remarquable que celle des Bourdons, elle l'est incomparablement davantage sous celui de l'industrie. C’est à peine sh elles cèdent. le pas.aux Abeilles. dans l’art de bâtir, et: aussi dans l'activité qu'elles mettent à nourrir leurs larves. Une feinelle de l'espèce ordinaire, sortant de sa retraite hi- vernale, cherche une cavité sous quelques racines. Elle com- mence par construire quelques cellules formant un fragment de gâteau, qu'elle suspend par des piliers'au haut de la cavité. Ces cellules, d’une délicatesse extrême, ont la forme hexagonale comme celles des. Abeilles, tant admirées par les géomètres. Elle ébauche en même temps l'enveloppe qui, plus tard, entourera entièrement le guépier. La. matière. dont.elle se sert pour ces (x), Les.nids de Bourdons contiennent deux à trois cents individus, (2) Suivent M. Bydder, le Bourdon terrestre, lorsqu'il est couvert de Mites (Gämasis Gymnopterorum), qui l’infestent si souvent, a le singulier instinct de se poser-shr. une:fourmilière: et, de la: troubler en: grattant la: terre: Les Fourmis irritées sortent et l’attaquent. Le: Bourdon. cependant est en sûreté contre-leurs morsures par son épaisse fourrure ; mais les Mites en sont les victimes ; elles sont saîsies par les Founnis et ellés* sont of dévoréés où emportées, tandis que le Bourdow, ainsi) délivréde sestparasités, reprendtsat vigueuriet:s'envole; Guèpes. (234) travaux est une sorte de papier très-friable, composé de parti- cules de bois sec qu’elle hache de ses mandibules, humecte de salive et met en œuvre avec un art infini. L’enveloppe, en appa- rence grossière, est composée de nombreuses couches de cette substance, en forme de larges valves convexes, attachées les unes aux autres par leurs côtés, superposées et espacées de ma- nière à donner de l'épaisseur à l’ensemble et parfaitement dis- posées pour préserver le guépier de l'humidité extérieure. Les cellules, posées verticalement et l'ouverture en bas, forment des gâteaux horizontaux d’un seul rang , remplissent l'intérieur par étages suspendus les uns sous les autres par de nombreux piliers, et laissent seulement l'intervalle nécessaire pour la circulation d’une population active de plusieurs milliers d'individus. Nous avons laissé la fondatrice de la colonie au moment où elle avait construit quelques cellules. Elle dépose un œuf d’ou- vrière dans chacune d'elles. À la naissance des larves, elle les nourrit en leur donnant la becquée comme la mère des oiseaux, soit du suc des fleurs, ou des fruits, soit d'insectes broyéstet ré- duits en pâte. Avant de passer à l'état de nymphe, ces larves s’enferment dans leurs cellules, en filant un couvercle de soie. Les ouvrières, dès leur naissance, se mettent à l’œuvre, conti- nuent le merveilleux édifice, nourrissent les nouvelles larves qui éclosent, et même leur mère, qui ne quitte plus le guépier, et ne s’adonne dorénavant qu'aux devoirs que lui impose son- extrême fécondité. Cependant, jusques vers le milieu de l’été, elle ne met au jour que des ouvrières, tant elle a besoin d’auxi- liaires pour ses travaux. Enfin elle s'occupe de sa postérité. Ses ouvrières, mues par un instinct de prévoyance, donnent aux cel- lules des dimensions supérieures à celles des autres et de deux grandeurs différentes, et elle dépose dans les plus grandes des œufs de femelles ; dans les autres, des œufs de mâles au nombre de plusieurs centaines, Lorsque cette génération est parvenue (235 ) à l’état adulte, au commencement de l'automne, la fécondation a lieu ; les mâles y survivent peu; les femelles se dispersent dès les premiers froids, et elles cherchent des abris contre les : rigueurs de l'hiver. Enfin, les ouvrières ne trouvant plus de nourriture pour les larves qui restent à éclore, leur donnent la mort et tardent peu à périr elles-mêmes, ainsi que leur mère. C'est ainsi qu’un seul et chétif Insecte, dans le court espace d'une belle saison, produit en une seule génération une famille prodigieusement nombreuse, élevée, nourrie, logée avec des soins infinis et qu’il édifie , avec le concours de ses enfants , l’un des monuments les plus merveilleux de l'instinct animal. Indépendamment des travaux que nécessite la construction des guépiers, ces Insectes ont à pourvoir à la nourriture non-seule- ment des larves , mais des femelles, des mâles et des ouvrières retenus à l’intérieur, et c’est pour remplir cette fonction de pour- voyeuses que les Guêpes se jettent avec tant d'avidité sur nos fruits. Quand nous les accusons de voracité , elles ne sont ani- mées que d’un zèle extrême pour la subsistance de tout un peuple de viugt à trente mille individus. A leur retour au guépier elles se posent au sommet , dégorgent quelques gouttes de liqueur sucrée que viennent recevoir leurs compagnes ; et ensuite elles vont en distribuer aux larves dans leurs cellules. Le spectacle plein d'intérêt que nous donnent ces petites créa- tures est bien propre à combattre l’aversion qu’elles nous ins- pirent par leur importunité, leurs brigandages, les déprédations qu’elles font de nos fruits, et la douleur que nous causent leurs piqûres quand nous les irritons. Elles ont droit à notre admira- tion bien plus qu’à notre haine. Des sociétés ou plutôt des familles annuelles d’Insectes , nous passons aux permanentes; et notre étonnement redouble à la vue du développement que prend l'instinct dans les Abeilles , les Fourmis, les Termès , ces petits êtres dans lesquels cette faculié se montre dans sa plus haute puissance. Abeilles, ( 236 ) Les Abeilles sont de la même famille que les Bourdons : elles nourrissent également leurs larves de pollen et de miel; élaborent la cire ; elles ont comme les Guépes l’art de construire dés alvé- oles hexagones et d’en composer des rayons : leurs sociétés sont également formées de femelles , de mâles et d’ouvrières. Ellés leur ressemblent donc sous des rapports essentiels , et elles ne font en quelque sorte que réunir les facultés des unes et des autres; maïs elles le font avec tant de perfectionnements ; leur économie sociale est tellement développée par une multitude de loïs relatives à la sûreté , à la salubrité, à la perpétuité de leurs associations, qu’elles ont une supériorité immense , et que leur histoire a intéressé les hommes depuis les premiers âges du monde. Il est vraï qu’à tous les prodiges de l'instinct elles joignent dés qualités qni nous les rendent précieuses. La production de la cire et du miel, que nous détournons à notre profit, au moyen de l’espéce de domesticité à laquelle nous les avons asservies, les niet au premier rang dés animaux inférieurs qui sont utiles à l’homme. et il semble que la sagesse suprême nous ait amenés par nos intérêts matériels, à la connaïssance de ces mérveilles de la création par lesquelles elle se révèle à notre intelligence. Voici les principales différences qui distinguent les Abeilles des deux familles précédentes : Les ouvrières se divisent en deux variétés . se partageant le travail. Quoiqu’elles soient de forme presque semblable, les unés produisent la cire et la mettent en œuvre, les autres four- nissent le miel ét sont chargées d'en nourrir les larves et d’en faire les approvisionnements. Au lieu de construire leurs gâteaux d’une sorte de papier, comme les Guêpes, les Abeilles emploient la cire’: au lieu dé les établir horizontalement, elles le font verticalement; au liéu de les former d’un seul rang, elles les adossent l’un à l’autre et d’uné mañière admirablement combinée pour épargner l’espace et la matière, Comme les cellules: ont le fond légèrement concavé!et (287 ) formé de trois portions triangulaires, ces portions font partie du fond de trois cellules du rang opposé (1). Au lieu d'employer, pour garantir les parois de leur demeure, la même matière dont elles forment leurs gâteaux , comme les Guêpes , les Abeilles se servent d’une gomme résineuse nommée propolis, qu’elles recueillent sur les bourgeons des arbres, tels que le peuplier noir. Au lieu que les sociétés de Guëpes et de Bourdons doivent leur naissance à une seule femelle , celle des Abeilles commence par un essai composé d'une femelle nommée reine, d’un grand nombre de mâles nommés faux Bourdons , et d’une multitude d’ouvrières animées de l’activité la plus industrieuse. Lorsque les habitants d'une ruche sont devenus trop nombreux, un essaim s’émigre, vers le mois de mai , et il va s’établir dans le creux d’un arbre ou d'un rocher, s’il n’est pas recueilli par l’homme. Les ouvrières commencent par calfeutrer leur demeure au moyen de la propolis ; ensuite elles construisent des alvéoles avec tant d'activité qu'on en compte plus de cent par jour, quoique Je nombre des ouvrières soit encore peu considérable. Ces premières cellules doivent servir de berceau à des ouvrières. Dix à douze jours après ,‘el'es en font de plus grandes, maïs en moindre quantité pour des mâles , et enfin quelques-unes plus spacieuses encore dont le nombre ne dépasse jamais vingt-sept, pour des reines. À mesure que ces cellules sont construites , la reine dépose un œuf dans chacune d'elles en mettant un jour d'intervalle entre la ponte de ceux qui doivent produire des reines. Les larves éclosent le troisième jour après la ponte. Alors les ouvrières les nourrissent d'une bouillie composée de (x) Cette disposition peut être rendue palpable au moyen d’une expérience fort simple : introduisez trois épingles dans l’intérieur d’une cellule , et percez-en le foud au centre-des trois chambres qui le constituent, chacune d’elles aboutira alors à une cellule différente du côté opposé, Audouin, (238 ) pollen et de miel, élaborée dans leur estomac, et différente suivant le sexe et la qualité que doivent avoir les Abeilles. Cinq jours après, les ouvrières ferment l'entrée des cellules d’un cou- vercle de cire , et à la fin du troisième jour elles passent à l'état de Nymphe. Enfin sept jours et demi sont nécessaires pour ame- ner les Nymphes à l’état ailé. La ruche devenue trop peuplée à son tour par cette généra- tion, la reine mère en sort avec un premier essaim ; elle va fonder une nouvelle colonie et cède l'empire à la jeune reine qui sort la première de son berceau. Celle-ci tarde peu à prendre l'essor, ainsi que les mâles, et la fécondation a lieu dans les airs. Une seconde reine ne tarde pas à naître, et il en résulte la sortie d’un nouvel essaim ou un combat entre les deux reines , dont l’une succombe. Ces scènes se renouvellent plusieurs fois et l'une des reines victorieuses s'assure la puissance en perçant de son dard toutes les Nymphes royales qui restent à éclore ; peu après les ouvrières immolent tous les mâles devenus inutiles , et qui ne peuvent opposer de résistance étant dénués d’aiguillon. Enfin l'hiver arrive ; la société tombe alors dans une sorte d’assoupis- sement , et au retour du printemps, elle recommence la même série d'actions que nous venons d’esquisser. Mais dans cette esquisse combien de faits accessoires ou acci- dentels nous avons omis : les soins empressés des ouvrières pour leur reine, le cortège qu’elles lui font pendant la ponte, le miel qu’elle lui présentent au bout de leur trompe ; la garde de la ruche qui leur est confée; les sentinelles attentives qui se re- lèvent autour de l'entrée et la reconnaissance qu'elles font de tous les individus qui se présentent, en les palpant de leurs antennes (1), la salubrité de la ruche , qu’elles ÿ entretiennent surtout en renouvelant l’air par une ingénieuse ventilation au (x) Une souris s'étant introduite dans une ruche, et les ouvrières ne pouvant la mettre dehors, prirent le parti de l’envelopper de propolis. (239 ) moyen de la vibration de leurs ailes. Arrive-t-il que la sortiè d’une jeune reine de son alvéole doive être retardée jusqu’au moment où la population puisse fournir à un nouvel essaim , les ouvrières la constituent prisonnière , en renforçant le couvercle de sa cellule; cependant elles ont le soin de la nourrir, et à cel effet elles pratiquent à l’alvéole une ouverture par laquelle la reine captive passe l'extrémité de sa trompe, et elles y versent du miel. Arrive-{-il qu'une reine meure sans laisser d'héritier au ber- ceau, ses sujettes réparent sa perte en transformant une larve d'ouvrière en larve royale, en lui donnant la nourriture ré- servée aux reines et en agrandissant son alvéole; faculté prodi- gieuse réservée pour leurs crises en quelque sorte politiques, et propurtionnée aux intérêts de leurs grandes popuiations. Telles sont sur les Abeilles nos connaissances actuelles si supé- rieures à celles qu'avait recueillies l'antiquité. Elles sont fondées sur les observations les plus authentiques et en grande partie le fruit de la science expériment4le moderne; et comme les œuvres de Dieu sont d'autant plus admirables qu'elles sont mieux con- nues, tous les phénomènes que les Abeïlles dévoilent à nos yeux éclairés par la vérité, l’emportent infiniment sur les fausses mer- veilles que leur attribuaient les anciens qui avaient sur ces petites créatures les idées les plus confuses et les pius erronées. Ils les faisaient naître, soit au sein des fleurs, de germes qu’elles trans- portaient dans leur alvéoles (1), soit du sang des Taureaux (2); elles couvaient ces germes comme les oiseaux (3); les rois (ils appelaient ainsi les reines) ne passaient pas par l’état du Ver (4); (1) Pline. (2) Virgile, Géorgiques. (3) Aristote. (4) Aristote, (240 ) elles affrontaïent les vents, lestées d’un grain de sable (1). Elles se livraient des combats dans les airs; le miel qu'elles recueil- laient était une rosée du ciel. Cependant Aristote, en rap- portant, sans les adopter, les opinions qui étaient émises de son temps, en cite une qui se rapproche de la vérité, et d’après la- quelle les Abeilles sont produites par les rois de la ruche, que quelques-uns même appellent les mères à cause de leur fécondité. Suivaut une autre, les faux Bourdons sont reconnus comme des mâles qui fécondent les Abeilles {les ouvrières). Au milieu de cette grande confusion les anciens avaient pour les Abeilles la plus grande admiration fondée sur leur industrie et leur économie sociale. Ils les exaltaient au-dessus de l’homme lui-même. A leur infatigable et féconde industrie, dit Pline, quels nerfs, quelles forces, quel génie humain pourrions-nous com- parer (2)? Ils leur attribuaient une nature en quelque sorte divine , ils pensaient qu'un céleste rayon, dans leur sein fut versé (3). C'était surtout commme productrice du miel qu’elles étaient glorifiées : « l'Abeille est petite entre les animaux qui volent , » dit l’auteur de l’Ecclésiastique, et cependant son fruit l’em- » porte sur ce qu'il y a de plus doux. » Elles inspiraïent à l'ima- gination des Grecs les fictions les plus gracieuses : elles avaient partagé avec la chèvre Amalthée l'honneur d'être les nourrices de Jupiter enfant , qui, par reconnaissance, leur avait donné leur merveilleux instinct. Pindare, dans son enfance, ayant été exposé dans une forêt, avait été nourri de miel par des Abeïlles sau- vages. Un essaim d’Abeilles était venu se poser sur les lèvres de Platon au berceau, présageant la douce et divine éloquence (1) Virgile. (2) Virgile. (3) Virgile. Aeri mollis cœlestia dona. (244 ) de celui qui devait préparer les Grecs aux lumières de l'É- vangile. La science moderne , en dissipant l’obscurité dont était envi- ronnée l'histoire des Abeilles, leur a acquis des droits à une admiration mieux motivée encore. Elles sont toujours un des chefs-d'œuvre de la création animale. Elles proclament toujours la sagesse suprême ; si leur miel n’est plus le plus doux, le plus subtil , le plus salubre des sucs (1), leur cire continue à brûler sur nos autels, et elles sont encore l'emblème de la Providence. En présentant à la contemplation de l’homme l’Abeille et tous les prodiges de son organisation, de son instinct, de son économie sociale, de ses constructions et des dons qu’elle nous fait, la sagesse suprême semble arrivée au degré le plus élevé qu'elle voulait atteindre : elle n’a créé aucun Insecte en effet qui égale l’Abeille dans l’ensemble de ces propriétés. Cependant , comme si elle voulait entretenir notre admiration en en diversifiant l’objet, elle a opposé au spectacle dont nous venons de donner un léger aperçu, celui d’un autre Insecte qui, malgré d’assez grandes similitudes, présente des qualités si différentes qu'il semble fait pour en être le contraste, et qui, sous des rapports nouveaux, est encore plus admirable : c’est la Fourmi. Tels sont ses points de rapport avec l’Abeille : elle est de l'ordre des Hyménoptères, c’est-à-dire qu’elle a quatre ailes, une trompe et des mandibules; elle forme des sociétés perma nentes, composées de femelles, de mâles et d’ouvrières ; ces der- nières seules, chargées des travaux, construisent des habitations, rendent des soins aux femelles, leur forment un cortège pendant la ‘ponte, nourrissent les larves, et ouvrent les coques des Nympbhes. En regard de ces ressemblances, voici les principales diffé- (1) Pline. 16 Fourmis. ( 242 | rences : les Fourmis, mâles et femelles, seuls entre tous les Insectes, à l'exception des Termès, dont il nous reste à parler, perdent leurs ailes après la fécondation, et les ouvrières n’en ont jamais: leurs antennes sont douées d’un tact beaucoup plus sen- sible, elles ne recucillent pas le pollen des fleurs, elles ne sécrètent ni la cire, ni le miel; le suc des nectaires n’est pas leur nour- riture, au moins'ordinaire ; elles ne commencent pas leurs asso: ciations par des essaims, mais par une seule femelle; elles n’édi- fient pas leurs fourmilières avec régularité; elles n’y construisent pas de cellules pour les larves ; au lieu d’une seule femelle, qui régit exclusivement la société , il y en a plusieurs vivant paisi- blement ensemble et coopérant à augmenter la population. Parmi elles, point de massacre des mâles devenus inutiles, et des femelles rivales ; ne construisant pas de cellules pour recevoir les œufs, elles les déposent par terre ; les ouvrières les réunissent en petits tas; elles ne connaissent pas le sexe des individus qui doivent en sortir, et elles n’ont pas l’art de convertir en larves de femelles celles de leur condition lorsque les besoins de l’état exigent ; enfin, moins policées, peu soucieuses de l’ordre, igno- rant les pratiques d'hygiène, telle que la ventilation, des Abeilles, elles paraissent connaître moins le confortable, les délicatesses de la vie sociale; mais si elles ne jouissent pas de toutes les pré- rogatives qui ont été accordées à ces dernières, elles en possèdent d’autres qui lesen dédommagent amplement. Au lieu de prendre pour principale nourriture le suc des fleurs, les Fourmis la trouvent dans la liqueur sucrée qu’élaborent les Pucerons et les Gallinsectes (1); elles emploient les moyens les plus diverfiés et les plus ingénieux de se la procurer, au point de transporter ces Insectes et même leurs œufs dans leurs fourmilières , de les (1) Les Fourmis du Brésil transportent dans leurs nids les Cicadelles comme les Pucerons.(Lacordaire.) (243) soigner, de les nourrir et d’en faire, en quelque sorte , leurs bêtes laitières. Des Fourmis du Mexique (1)se procurent leur subsistance d’une manière non moins singulière. Parmi elles il y a deux sortes d'ouvrières, comme parmi les Abeilles : la première, de forme ordinaire ; la seconde, dont le ventre. susceptible d'une grande distension, prend la forme sphérique et devient énorme et dia- phane; la première est active, sort de la fourmilière, et y re- vient chargée de provisions alimentaires qu’elle distribue à la seconde. Celle-ci, qui est sédentaire, et même à peu près im- mobile, élabore de cette nourriture une espèce de miel qu’elle dégorge dans des réservoirs analogues aux alvéoles des Abeilles et qui sert aux besoins de la fourmilière. Ces fonctions exclusive- ment culinaires, qui ont une apparence burlesque, se rapportent à quelque circonstance encore inconnue, et nous en admirerons sans doute la convenance lorsque nous connaîtrons la nature des provisions qu'apportent les pourvoyeuses. Non contentes d’avoir des animaux domestiques, les Fourmis se procurent des esclaves en faisant la guerre à des tribus d’autres Fourmis, dont elles enlèvent les ouvrières dans l’état de larves et de nymphes. Les jeunes Iiotes qui proviennent de ces razzias, adoptent les fourmilières où elles se sout développées, se livrent à tous les travaux domestiques, construisent les cases, soignent les œufs, nourrissent les larves de leurs ravisseurs, avec le même zèle qu’elles auraient montré dans les habitations de leurs mères. Cet empire qu’exercent les Fourmis sur d’autres races dont elles font ieur bétail et:leurs serfs, constitue une grande supé- riorité inslinctive, non-seulement sur les Abeilles, mais encore sur tous les autres animaux ; elles ne partagent qu'avec l’homme, (1) Observation récente de M. le baron de Normann , envoyé du gouvernement belge au Mexique, ( 244) mais avec toute la différence du relatif à l’absolu, de l'instinct à l'intelligence, le privilége de les asservir et d'utiliser leur vie et leurs travaux. Elles sont encore supérieures aux ‘ beilles dans les rapports qu’elles ont entre elles-mêmes. Tandis jue celles-ci, si zélées pour la nourriture des larves, si empressées près de leur reine, se montrent assez indifférentes les unes pour les autres, et con- courent aux mêmes occupations sans étre en communication, au moins distincte, sans se donner ou recevoir d'impulsions entre elles, les Fourmis ont entre elles les relations les plus affec- tueuses ; elles s’aident réciproquement, s’avertissent des dan- gers, volent au secours les unes des autres : rencontrent-elles une de leurs compagnes blessée, elles s’empressent de l'emporter dans leur demeure. On a vu une Fourmi s’approcher de plusieurs de ses compagnes auxquelles on avait coupé les antennes, et dé- poser sur les plaies une goutte &e liqueur transparente sortie de sa bouche et dont elle connaissait sans doute la propriété vulné- raire (1). On a vu une fourmilière partagée en deux parties avec leurs habitants, l’une d’elles prisonnière, isolée au moyen de l’eau et entièrement séquestrée de l’autre. Au bout de quatre mois, quelques Fourmis de celles qui étaient en liberté, ayant pu franchir l’obstacle qui les séparait des autres, les reconnurent et les délivrèrent successivement de leur prison (2). Ces communications bienveillantes s’établissent entre elles au moyen de signes, de manifestations, d’une sorte de langage qui paraît très-composé, si l’on en juge par la multiplicité des idées qu'il est destiné à transmettre. Il consiste dans des coups de tête contre le thorax, dans le contact de leurs mandibules et surtout dans l’attouchement de leurs antenues, qui est tantôt une ca- (1 Observation de Latreille. (2) Observation de M. Huber. (245 ) resse, tantôt un signal, un avertissement. Un des moyens les plus ordinaires qu’emploie une Fourmi pour montrer à ses com- pagnes un lieu, un objet qui intéresse la société, c’est d’y porter l’une d’elles en la saisissant avec les mandibules; et elles le font sans aucune résistance, ce qui prouve que c’est un moyen d'in formation convenu ou plutôt instinctif. Elles reviennent ensuite l'une et l’autre, pour retourner chargées de nouveau, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l'impulsion générale soit donnée. Lorsque la ponte commence, la femelle est l’objet des plus grands hommages ; les ouvrières se pressent autour d'elle, lui présentent des aliments et la conduisent de case en case en la te- nant par les mandibules, à traversles aspérités de la fourmitière. Quelquefois même elles la portent en la suspendanit sur leurs mâchoires, croisées à leur extrémité, et elle s’y prête en se sou- levant et en se tenant serrée de manière à donner peu de peine à son porteur. Quand celui-ci la pose à terre, les ouvrières l’en- tourent, la caressent l’une après l’autre en lui touchant la tête de leurs antennes. Une joie universelle se répand autour d'elle et est exprimée de différentes manières. Elles sautent, elles se cabrent en se tenant sur leurs jambes postérieures et gesliculant avec les autres, elles dansent autour d’elle et forment toujours une foule compacte autour d'elle. (Swainson.) À mesure que les œufs (1) sont pondus, les ouvrières les sai- sissent, les réunissent en tas dans les cases et sont assujéties à les tenir dans un état constant d'humidité en les mouillant à l’aide de leur langue ; elles donnent la becquée aux larves; elles président à la sortie de l’Insecte parfait en coupant le cou- verele de la coque que les Nymphes se sont filé ; enfin elles main- tiennent Les uns et les autres dans une température favorable en (1) Ges œufs sont du petit nombre de ceux qui grossissent avant la naissance des larves. ( 246 ) les portant, suivant les variations de l’atmosphère, du bas de la fourmilière dans le haut et du haut dans le bas. Toute fourmilière commence, après la fécondation des fe- melles, au mois de septembre, par l'une d'elles à laquelle se joignent quelquefois el occasionnellement plusieurs auxiliaires: elle construit quelques cases, y dépose des œufs d'ouvrières et nourrit les larves qui en proviennent, quoique plus tard elle n'ait plus à s'occuper de ces soins. Aussitôt que les Fourmis sont développées, elles agrandissent la fourmilière , amassent les œufs que la femelle continue à pondre, soignent les larves et les nymphes qui se développent à leur tour. Peu après, l’hiver arrive. Dans nos climats, toute la population s’engourdit; dans les régions chaudes, elle reste animée, mais sort peu et subsiste des vivres recueillis pendant la belle saison. Au retour du prin- temps. la femelle recommence sa ponte, et, cette fois, ce sont des œufs, non-seulement d’ouvrières, mais encore de mâles et de femelles qui, après leur développement, sortent ensemble de la fourmilière pour s'unir. Les premiers tardent peu à mourir ; les dernières vont fonder de nouvelles colonies ; mais quelques- unes reviennent à leur berceau, ou y sont ramenées forcément par les ouvrières, et joignent leur fécondité à celle de leur mère pour accroitre et perpétuer la société (1). Cependant, ces instincts si remarquables, dont nous venons (1) La fécondation a lieu dans les airs comme celle des Abeilles. Les mâles, réunis en troupes nombreuses, prennent leur essor ; des groupes de femelles s’élè- vent ensuile. L’essaim tout entier monte et descend alternativement dans l’atmos- phère, les mâles volant obliquement et en rapides zigzags , les femelles paraissant suspendues sans mouvement dans les airs , la tête tournée vers le vent. Swainson. Aussitôt qu'une femelle est fécondée et rentrée dans la fourmilière, elle devient l’objet d’attentions singulières de la part des ouvrières ; l’une de ces der- nières, qui paraît chargée de guetter le moment où elle commencera sa ponte, porte sa surveillancekau point de monter sur elle, les pieds postérieurs touchant le sol , et elle est fréquemment relevée dans ses fonctions de sentinelle, (247 ) d’esquisser le tableau, n’appartiennent pas à toutes les Fourmis : elles s’en partagent les différentes particularités. Toutes n'élèvent pas des troupeaux de Pucerons ; toutes ne font pas la guerre pour se procurer des esclaves. Toutes ne construisent pas leurs fourmilières avec les mêmes matériaux, mais chaque espèce a ses mœurs particulières : l’une forme un peuple pasteur, l’autre une tribu guerrière ; nous trouvons chez elles des architectes qui construisent uniquement en terre, ouen bois, ou en feuilles ; d’autres qui mettent la plus grande variété dans leurs maté- riaux, et toutes ces modifications de l'instinct présentent une diversité admirable au milieu de l'unité du type. Les Fourmis qui bâtissent leurs demeures avec de la terre, l’emploient de diverses manières, mais toujours humide, et pour cela elles ne travaillent que pendant la nuit ou la pluie. Celles qui déploient le plus de talent (1) creusent le sol de quelques lignes de profondeur en laissant ça et là des massifs, des murailles, des piliers sur lesquels elles construisent des voûtes avec la terre qui provient de l’excavation. La surface creusée présente des corridors, des cases, de grandes salles. Au-dessous de ce premier plan elles en établissent un second de la même manière, et avec le deblai, elles forment un étage au- dessus du sol, et plus élevé au centre qu’à la circonférence, en construisant des pilastres, des arcades, des arcs-boutants, sur- montés également de voûtes ; et c'est ainsi que ces fourmilières s’approfondissent et s’exhaussent successivement de manière qu’elles présentent jusqu’à 20 étages en dessous du sol et autant au-dessus. Ces derniers, formant un monticule arrondi, s'élèvent obliquement de la circonférence au faite, de sorte que le supé- rieur embrasse et recouvre entièrement celui qui le précède. Cette disposition fait participer la fourmilitre à toutes les varia- ———_—_—_—_——p—Z— (1) Les Fourmis brunes. (248 ) tions de la température extérieure et détermine les Fourmis à transporter les œufs, les larves et les nymphes d’un étage à un autre, suivant le degré de chaleur qui leur est nécessaire. Les Fourmis qui construisent leurs demeures en bois (1) pé- nètrent dans l’intérieur d'un arbre, en rongeant la substance ligneuse, quelle qu’en soit la dureté. Elles y creusent une mul- titude de galeries, de loges, de chambres séparées par des cloi- - sons et des colonnes qui supportent les plafonds d’un étage su- périeur, de sorte que le tronc entier de l'arbre est quelquefois sculpté de cette manière et présente plusieurs centaines d’étages (2) superposés avec plus ou moins de régularité. Les cloisons et les colonnes sont aussi disposées avec une certaine symétrie parce qu'elles suivent les couches concentriques et parallèles du bois, el il en résulte, quand le regard peut pénétrer dans la profondeur de l'un de ces étages, une vue d'intérieur qui rappelle les vastes basiliques aux nombreuses colonnades, au demi-jour mysté- rieux, où les yeux disposent l'âme au recueillement et à la prière. D'autres Fourmis.(3) s'élablissent dans des arbres creusés par le temps el construisent leurs édifices avec la vermoulure qu’elles trouvent à la base, el qui, humectée de leur salive, reprend la solidité du boïs. Des Fourmis du Brésil (4) emploient les feuilles d'orangers ; mais nous ne connaissons encore que la manière dont elles se servent pour les recueillir. Des milliers d’ouvrièrés montent à l'arbre, attaquent les feuilles, en coupent le pétiole et les font tomber comme au soufle des vents d'automne, tandis qu’une 0e Se ne (1) La Fourmi fuligineuse et quelques autres. (2) Chaque étage ayant 5 à 6 lignes de hauteur, il y en a au moins 24 par pied , et un tronc de 30 pieds de long peut en présenter 720. (3) Les Fourmies jaunes et éthiopiennes. (4) L’Atta (œcodoma) cephalotes, Observation du M. Lund. ( 249 ) autre troupe postée sous l'arbre, les découpe et emporte les fragments. Des Fourmis de l'Inde {1} bâtissent leurs nids sur des branches d'arbre avec de la bouse de vache. Elles leur donnent une forme ovale et en composent l'extérieur de feuillets disposés comme les tuiles d’un toit, mais dont l'extrémité se relève en arcades et forme des issues et des entrées protégées contre les pluies. L'inté- rieur, construit dans le même système, présente une ingénieuse distribution de chambres d'autant plus grandes qu’elles se rap- prochent davantage du centre : les nombreux étages en sont oc- ‘ cupés par rang d'âges des membres de la société : les œufs sont déposés dans le bas; les larves plus haut, les nymphes dans la partie supérieure. Une grande salle centrale est réservée pour la femelle, qui est seule, dit-on, chargée de propager la popula- tion et qui, après la fécondation, y est retenue captive par les ouvrières, afin d'assurer à l'état les fruits de sa fécondité. Parmi les Fourmis qui construisent leurs habitations avec des matériaux variés, les mieux connues sont celles {2) qui élévent dans les bois des monticules, amas confus, à l'extérieur, de brins de bois, de paille, de feuilles, de petits cailloux, de coquilles, de graines; et ces dernières, dont elles ne font aucun usage ali- mentaire, ont sans doute donné lieu à la haute réputation de prévoyance dont elles jouissaient dès le temps de Salomon, longtemps avant qu’on y reconnüt leurs véritables droits. Elles mélangent ces substances avec la terre qu’elles extraient du fond de leurs fourmilières, pour former des galeries et des cases sem - blables à celles que nous venons de décrire, mais aussi irrégu- Tières que les matériaux en sont hétérogènes. Toutes ces galeries aboutissent à une grande salle dont la voûte est composée de ) La Myrmice de Kirby. ) Les Fourmis fauves. (: (2 ( 250 ) poutrelles artistement enchevêtrées. Cette salle est sans cesse le rendez-vous d’une population affairée. C’est le forum de la république. Les galeries communiquent aussi aux ouvertures multipliées qui sont pratiquées dans un ordre circulaire à la surface du monticule, depuis le faite jusqu’à la base. Ces Fourmis ont l’ins- tinct de se barricader le soir. Aux dernières heures du jour, elles rentrent en travaillant à leur sécurité; on voit graduellement les avenues qui mènent à la cité se rétrécir, s’obstruer de tout ce qui peut arrêter l'ennemi : les portes sont barrées, grillées, mas- quées; le repos a succédé au travail, la solitude à la foule : quelques sentinelles seules restent au dehors pour répandre : l'alarme en cas de danger. Cependant, au point du jour plusieurs éclaireurs sortent pour s'assurer de la tranquillité extérieure et même pour inspecter la température. Si la journée s'annonce menacante, ou sombre, pluvieuse, on reste renfermé ; si tout est calme et serin, la population ne tarde pas à se remettre en mouvement. Peu à peu les portes se rouvrent, les entraves sont rejetées sur les côtés, les avenues se dégagent, s’élargissent; travailleurs, pourvoyeurs se remettent en campagne et l’exté- rieur du monticule présente de nouveau l'aspect le plus animé. En voyant la grande diversité avec laquelle les Fourmis cons- truisent leurs demeures , qui ne croirait qu’elles différent entre elles autant par leurs formes que par leurs habitudes ; et que chaque espèce présente des modifications organiques appro- priées à leurs travaux ; il n’en est rien cependant. Elles ne se distinguent le plus souvent que par la grandeur ou les couleurs et elles sont d'accord avec ce principe de Cuvier, trop généra- lisé par son auteur, que l'instinct n’a aucune marque visible dans la conformation de l'animal. Outre les constructions principales qui constituent les four- milières, ces Insectes en font de secondaires qui ont générale- ment rapport aux Pucerons, leurs animaux uourriciers , et qui ont pour objet de s'en assurer la jouissance exclusive. Non ( 251 ) contentes de les transporter dans leurs habitations , et de les établir sur les racines qui y pénètrent, elles en prennent quel- quefois possession sans les déplacer, en les enfermant sur les tiges mêmes qu'ils habitent , dans des sphères ou des cylindres de terre creusés en cases artistement faconnées, el qui, plus ou moins rapprochées des fourmilières, en sont pour ainsi dire les parcs ou les étables. C'est ainsi que les Pucerons du tithymale, du chardon, du plantain (1), du groseillier (2), se trouvent par- fois investis dans d'étroites clôtures, privés de la lumière et de la liberté, mais protégés contre leurs nombreux ennemis et livrant tous les trésors de leurs sécrétions à leurs jaloux envahisseurs. Les combats quese livrent les Fourmis sont de diverses natures, sans être jamais des guerres civiles comme chez les Abeilles el les Guépes. Ils ont pour objet, soit de détruire l'ennemi, soit de l’asservir. Leurs armes sont leurs redoutables mandibules, le venin, c'est-à-dire, cet acide formique, si pénétrant , qu'elles lancent contre leurs adversaires, et, dans quelques espèces, l’aiguillon acéré qu’elles leur plongent dans le corps. Les habi- tants de deux fourmilières voisines, se trouvant trop rapprochées pour se procurer leur subsistance , se font une guerre acharnée, avec une tactique variée suivant les espèces. Tantôt ce sont de petites bandes qui se mettent en embuscade et qui tombent à l’improviste sur les maraudeurs isolés. Un corps plus nombreux marche-(-il contre elles ? des courriers vont demander des secours à la fourmiliére , et il en sort des forces supérieures pour les combattre. Tantôt deux armées innombrables avancent l’une contre l’autre et se livrent une bataille rangée. Le choc est violent, une mêlée furieuse commence; des luttes corps-à-corps (1) Voyez l'ouvrage d'Huber. (2) Nous avons vu des Fourmis travailler à une enveloppe de terre qui parais- sait destinée à entourer le sommet d’une tige de groseillier dont les feuilles reco- quillées étaient couvertes de Pucerons. (252 ) s'engagent ; le carnage est grand; longtemps le combat se main- tient également ; enfin la victoire se déclare; les vainqueurs pour suivent leurs ennemis jusques à l’entrée de leur fourmilière, et souvent le résultat du combat est l'émigration des vaincus. Par- fois il arrive que les Fourmis qui se combattent ainsi sont de la même espèce el elles montrent alors un tact admirableà distinguer, malgré la similitude, parfaite à nos yeux, de forme et de couleur, leurs ennemis d'avec leurs amis. Il arrive cependant des mo- ments d'erreur. Dans l’ardeur du combat, elles attaquent quel- quefois l’une des leurs ; mais presque aussitôt elles reconnaissent leur méprise, el la réparent par les mouvements les plus cares- sans de leurs antennes. Dans la plupart des Fourmis guerrières, il y a deux espèces d'individus neutres : ceux chargés de tous les travaux et com- posant le gros de l'armée quand ils se mettent en campagne ; d'autres, en petit nombre, d’une taille supérieure et paraissant remplir les fonctions de chefs. « Placés sur les flancs des colonnes, » on les voit marcher en avant, puis revenir sur leurs pas, » s'arrêter un instant comme pour voir défiler la troupe, tra- » verser quelquefois les rangs, enfin se porter en hâte partout » où leur présence paraît nécessaire , lorsque, par exemple, » l'armée rencontre quelque obstacle sur sa route. Nous les » avons vus même grimper sur les plantes et regarder de ce » point élevé le passage de leurs troupes (1). La guerre qui a pour objet de faire des esclaves n’est propre qu'à un petit nombre d'espèces connues (2), et constitue l’un des instincts les plus singuliers que la Providence ait donnés aux animaux. Une cohorte nombreuse sort d’une fourmilière, se (1) Lacordaire. (2) Le Polyergue roussâtre , la Fourmi sanguine. C’est dans les nids des Four- mis caniculaire et obscure qu’elles vont enlever les larves et les nymphes. Plu- sieurs espèces exotiques ont aussi cet instinct. ( 253 ) dirige vers une autre d'espèce différente, y pénètre non sans une vive résistance , en faisant de larges brèches à la surface ; elle en sort peu après, chaque individu tenant entre ses mâchoires une larve ou une nymphe d’ouvrière de la fourmilière envahie, et elle emporte ce butin dans ses propres foyers. Ces larves et ces nymphes, soignées par leurs ravisseurs, atteignent le terme de leur développement , et aussitôt après, elles s'occupent, en auxiliaires zélées , des travaux domestiques de l'habitation en nemie, devenue leur patrie adoptive , tandis que leurs maîtres ne prennent désormais d’autre soin. indépendamment de ceux de la maternité chez les femelles, que d'augmenter par de sem- blables expéditions la population de leur fourmilière (1). Des Fourmis du Brésil font une guerre semblable à une espèce qui se compose de deux sortes d'ouvrières de grandeur différente; mais, au lieu deslarves et des nymphes, elles enlèvent les ou- vrières même, de la plus grande espèce, dans un but qui n’est pas encore connu ; mais probablement pour en faire également des ilotes. (1) Les Fourmis qui font des esclaves sont si indolentes, excepté dans leurs expéditions guerrières, qu'elles en sont dépendantes pour tous leurs besoins, et que ceux-ci paraissent souvent être les maîtres et exercent à leur tour une autorité sur elles. C’est ainsi qu'ils ne leur permettent pas de sortir seules ou avant le temps convenable; qu’ils les maltraitent lorsqu'elles rentrent sans provisions , et qu'ils les forcent de sortir en les traînant dehors. M. Huber, pour s’assurer de ce que feraient ces Fourmis , réduites à leurs propres forces, en renferma trente dans une boîte vitrée, avec des larves et des nymphes de leur espèce, excluant les esclaves et placant un peu de miel dans un coin de leur prison. Il est difficile de le croire, mais elles ne prirent aucune nourriture, et, quoique d'abord elles donnassent quelque attention à leurs larves, les portant çà et là, elles les déposèrent bientôt comme un fardeau trop pesant. La plupart d’entre elles mou- rurent en moins de deux jours, et celles qui restèrent en vie paraissaient extré- mement faibles et languissantes. À la fin, ayant pitié de leur situation, M. Huber introduisit un seul esclave , et cette petite créature active rétablit l’ordre par sa présence ; elle fit une case dans la terre, y plaça les larves, aida les nymphes prêtes à se développer , et préserya de la mort les Fourmis qui vivaient encore. ( 254 ) Un autre genre d’'expéditions occupe quelquefois les Fourmis: c'est l’émigration lorsque les vivres sont devenus rares‘: l’ini- tiative en est prise par un seul individu qui, après en avoir touché un autre de ses antennes, le porte suspendu par les mâchoires, et roulé autour du cou, de la fourmilière à l'endroit proposé. Là, il le dépose, revient avec lui et l’un et l’autre, après s’être chargés de nouveaux individus, retournent au nouvel établisse- ment et ainsi de suite jusqu’à la translation complète de la colonie. On y voit aussi les esclaves transportant les œufs, les larves , les nymphes et même les membres indolents de la fourmillière (1). Si les Fourmis ont leurs guerres, elles ont aussi leurs jeux. Elles suspendent quelquefois leurs travaux et sortent de leurs nids pour jouir de la chaleur du soleil. Réunies en multitudes au- dessus des fourmilières, elles se livrent à des exercices différents selon les espèces : tantôt elles courent çà et là, tenant une de leurs compagnes entre leurs mandibules , et la déposent ensuite sans lui faire le moindre mäl; tantôt elles font des cavalcades, montées l’une sur le dos de l’autre, le cavalier tenant sa monture par le cou et l’embrassant de ses jambes (2) ; quelquefois elles s’abordent en agitant leurs antennes avec rapidité; elles se tapent légèrement les joues de leurs pieds antérieurs, et après ce pré- ambule, elles se lèvent sur leurs pieds de derrière, et luttant par couples comme deux jeunes chiens, en se saisissant par une man- dibule, par une jambe , par une antenne , elles s’étreignent , se culbutent , s’enlèvent tour-à-tour , et puis , elles lâchent prise pour recommencer avec d’autres. La persévérance est le trait caractéristique de ces Insectes; c'est par elle surtout qu'ils exécutent des travaux qui semblent si supérieurs à leurs forces ; ils, en ont donné, dit-on, une lecon (1) Huber. (2) Formica rufa, ( 255 ) bien malheureuse pour l'humanité à l’un des plus grands rava- geurs de provinces qui aïent épouvanté le monde. Tamerlan, au commencement de sa Lerrible carrière , venait d’essuyer une défaite, celle peut-être où il reçut les deux blessures qui le pri- vérent de l’usage d’un bras et d’une jambe , et il s’était réfugié la nuit dans une masure en ruines, où, plongé dans ses réflexions, il se demandait s’il devait s'arrêter ou persévérer dans ses projets d'envahissement. Ses regards errants tombèrent sur une Fourmi (1) qui , chargée d’un grain de blé plus grand qu’elle, s'efforçait de gravir un mur. Le grain tomba; la Fourmi des- cendit, le reprit et recommença son voyage vertical ; le grain retomba et i [nsecte le reprit encore. Le Tartare , continuant à observer ce manége, compta 69 tentatives infructueuses, et, faisant un retour sur lui-même, il allait renoncer à des efforts qu'il jugeait inutiles d’après l'exemple qu’il avait sous les yeux, Jlorsquela Fourmi, dans une soixante-dixième ascension, parvint au haut du mur ct à sa destination: De ce moment la conquête de l'Asie fut résolue, et, fléau de Dieu comme Attila , Tamerlan remplit sa mission comme ur lorrent dévastateur. Les Fourmis dont nous venons d'esquisser l’histoire, particuliè- rement d’après leur célèbre historien, M. Huber, ne sont passeu- lement douées d’un instinct prodigieusement avancé, mais encore d'un degré de discernement que l’on ne saurait méconnaître. Dans toutes leurs actions, elles montrent une liberté, un choix de moyens, une connaissance des circonstances éventuelles, qui ne peuvent exister que par la faculté du raisonnement. Dans leurs constructions nous voyons: à la fois l'instinct de l’archi- tecture dans l’ensemble d’une fourmilière et l'appréciation des mille parties qui la composent, et dont chacune porte l'empreinte d’une volonté individuelle, indépendante et déterminée souvent (x) Quarterly review. Aug. 1816. ( 256 ) à par la rencontre fortuite de matériaux favorablement disposés. Ainsi le hazard a-t-il arqué un brin d'herbe, ou coudé un fétu de paille , une Fourmi en prend occasion pour en faire la voûte d’une galerie, ou le toit d’une case nouvelle , et quelques-unes de ses compagnes, adoptant son plan , se joignent à elle pour continuer son travail. Dans leurs expéditions guerrières, ou dans leurs excursions pour se procurer leur subsistance, la diversité des moyens qu’elles prennent pour arriver à leurs fins, atteste également les ressources de leur imagination. Nous avons souvent à lutter avec elles d'adresse , de ruse , d'invention, de persévé- rance, pour défendre nos provisions debouche contre leur rapa- cité, et nous ne triomphons pas toujours. Voilà la Fourmi telle que la science actuelle, bien imparfaite encore (1), nous la fait connaitre. Observée dès les premiers âges du monde, chaque découverte successive l’a montrée plus digne d'attention ; elle est devenue l’objet de l'admiration des contem- plateurs de la nature. La divine Providence l’a proposée, par la bouche de Salomon (2), pour modèle à l’homme insoucieux de son avenir ; elle l’a destinée, par toutes les observations mo- dernes, à lui révéler l'intelligence souveraine sous le gazon qu'il foule aux pieds, comme les astres la proclament dans les profon- deurs de la voûte céleste (3). (1) Nous ne pouvons douter que nos connaissances sur les Fourmis ne soient encore bien faibles, en découvrant de nouvelles mœurs dans chaque espèce nou- vellement observée. (2) Le Paresseux, va vers la Fourmi, considère ses voies et deviens sage. Les Proverbes. VI, 6. (3) L'histoire des Fourmis présente encore quelques autres particularités. Ces insectes sont quelquefois attaqués d’une maladie par l’effet de laquelle ils perdent la faculté de se diriger en ligne droite ; ils ne peuvent marcher que dans un cercle très-étroit et toujours dans le même sens. Une femelle, renfermée dans un pou- drier, prit cette manie et faisait environ mille tours par heure. Elle tourna constamment pendant sept jours et sept nuits. Il est assez remarquable de voir quelques animaux supérieurs, tels que les (257) TERMES, Cependant, comme si cette manifestation ne devait pas suffire et qu'elle ne fût pas accessible à tous les yeux, la sagesse su- prême la reproduisit-en de plus grandes dimensions dans d’autres Insectes. Les Fermès , sous le rapport de l'instinct et de la plu- part des habitudes, ont les rapports les plus intimes avec les Fourmis, quoique, par une grande singularité, ils appartiennent par leur organisation à un autre ordre d’Insectes, à celui des Névroptères. Ces rapports sont la vie sociale en communautés perpétuelles ; la diversité des fonctions réparties entre plusieurs sortes d'indi- vidus ; les habitations construites avec art et diversité ; les exeur- sions faites avec tactique à l’aide d’une espèce de langage; la perte des ailes après la fécondation, la formation de nouvelles sociétés. Les différences consistent principalement dans la nature des individus qui composent la communauté, autant qu’on peut en juger par les connaissances encore incertaines que nous en avons. Une femelle, un mâle, des travailleurs qui sont les larves aptères et ensuite les nymphes pourvues de rudiments d'ailes, soit de mâles, soit de femelles ; enfin, des soldats qui, selon cette der- nière opinion, seraient les larves des mâles (1). 11 résulte de Fourmiliers , se nourrir exclusivement de ces insectes , et pourvus pour cela d’une langue cylindrique , longue, rétractile, glutineuse, qu’ils enfoncent dans les fourmilières et retirent couverte de Fourmis. Enfin le fond des fourmilières sert d’asile à plusieurs races d'insectes qui s'y développent et paraissent y être attirés par la température élevée qui y règne : tels sont les Myrmechixènes, genre de Coléoptères. Les Célyphes, Diptères, se trouvent à Calcutta, dans les conduits des Fourmilières et sur les buissons avec les Fourmis qui y font leurs nids et paraissent vivre avec elles. (1) Cette opinion est celle de M. Guéiin dans une Monographie qui n’est pas encore publiée. Cependant M. Lacordaire prétend que les soldats parviennent à l'état parfait et prennent des ailes qui tombent ensuite. 17 | 258 ) cette composition sociale que tous les travaux de la communauté sont exéculés par ses membres encore incomplètement dévelop- pés. Les Termès diffèrent encore des Fourmis par leurs aliments qui consistent en substances solides, au lieu de fluides, confor- mément à la nature de leurs organes de nutrition, et particulière- ment en des gommes dont ils font des approvisionnements. Ils en différent enfin par le nombre infiniment supérieur des indi- vidus qui composent les sociétés et par la grandeur de leurs ha- bitations. La fécondité de la femelle est telle que son abdomen rempli d'œufs, s'étend au point d’avoir 1500 ou même 2000 fois plus de volume que le reste du corps, et que la ponte qui est d’au moins 80,000 œufs par jour peut durer deux ans. Leurs habitations sont diversifiées selon les espèces ; mais nous n’en connaissons encore qu'un bien petit nombre, quoique ces Insectes paraissent répandus dans tous les climats chauds : les unes ({) se présentent sous la forme de monticule conique, haut de dix à douze pieds et d’une solidité telle que les taureaux sauvages de la Cafrerie s’en servent quelquefois comme d’obser- vatoires pour découvrir leurs ennemis. L'intérieur, qui s’agran- dit encore en s’enfonçant sous le sol, présente au centre une grande cellule dans laquelle-les Termès renferment la femelle et le mâle, en y laissant seulement des ouvertures par lesquelles les travailleurs seuls peuvent passer pour leur apporter de la nourriture et pour emporter les œufs de la première. Autour de cette cellule centrale il y en a une multitude d’autres, commu- niquant entre elles par des galeries qui montent en spirale du bas jusqu’au sommet. On remarque même un pont qui, de cette cellule, s'élève obliquement aux supérieures et franchit ce grand espace en une seule arche, soutenue par de solides ares-boutants. De ces nombreuses cellules, les unes sont occupées par les diffé- (1) Celle du Termès fatal, de Smeathman , de la côte occidentale d'Afrique. (259 ) rentes classes de la communauté, d’autres recoivent les œufs et les jeunes larves avant qu’elles prennent part aux travaux ; le reste sert de magasins pour les subsistances. Les galeries inté- rieures communiquent à un grand nombre d’extérieures et sou- terraines, qui s'étendent au loin et se divisent en nombreux ra- meaux avant de déboucher à la surface. D’autres Termès (1) donnent à leur habitation la forme*d’une tour surmontée d'un toit qui déborde comme le chapiteau d’un champignon ; d’autres (2) s’établissent dans le creux des arbres, et ce sont particulièrement les espèces du midi de la France; d’autres encore (3) bâtissent au sommet des arbres et composent leurs énormes nids, irrégulièrement sphériques, de parcelles de bois liées avec de la gomme. Le nombre incalculable des individus qui composent ces so- ciétés, et leur voracité, qui s'étend à tout ce qui est susceptible de leur servir d’aliment, rendent les Termès très-redoutables dans plusieurs parties du globe et particulièrement dans l'Amé- rique méridionale et l’Afrique. Ils le sont d’autant plus qu'ils opèrent leurs dévastations d’une manière clandestine en cachant leurs agressions par des marches souterraines et en minant dans les ténèbres toutes les substances qu'ils rongent et surtout les poutres des habitations. Ils n’en laissent d’intact qu’une mince surface insuffisante pour soutenir l'édifice, qui s'écroule au moindre coup de vent, quand on le croit plein de force et de so- lidité. Cependant, lorsqu'une pièce de charpente leur est nécessaire pour arriver au toit dont ils dévorent le chaume, ils savent sub-- stituer au bois qu’ils ont rongé à l’intérieur, un ciment très- (x) Le Termès atrox et le Mordax. (2) Le Termès lucifugus. (3) Le Termès destructor arborum. ( 260 ) compact qui rend de la solidité à la solive, ne laissant que le vide nécessaire pour leur servir de passage. Ils détruisent également les meubles, les instruments, les livres, les tableaux, et apportent ainsi des obstacles même à la civilisation des contrées intertropicales en s’opposant à la con- servation de tout ce qui l’alimente et la développe (1). Mais s'ils nuisent par leurs ravages à la civilisation humaine, ils nous en présentent eux-mêmes le simulacre le plus étonnant. Nous avons signalé leur économie sociale et les vastes édifices dus à l'association de leurs travaux. Guidés par leur instinct architec- tural, ils ne montrent pas moins de discernement dans leurs excursions stratégiques. Nous voyons une troupe innombrable sortant de ses galeries souterraines, marchant avec ordre, se divisant en colonnes, ou se réunissant en corps d'armée, obéis- sant à des chefs, dont les uns parcourent les flancs pour maintenir la discipline, dont les autres, portés sur une plante élevée, ob- servent la marche et excitent l'ardeur de l’armée par le cliquetis de leurs pieds, auquel elle répond par un long sifflement et par un redoublement de vitesse (2). Si leur habitation est attaquée, si une brèche est ouverte dans les murs extérieurs, les ouvriers, inhabiles aux combats, se retirent à l'intérieur et donnent (r) L’anecdote suivante sur les Termès a été racontée par le capitaine Wil- liamson : Un indien était dépositaire d’une caisse d’argent, qui étant placée sur le plancher de sa maison, ne tarda pas à être assiégée par des Termès établis sous le sol dans le voisinage. Le fond de la caisse fut naturellement la première partie qu'ils attaquèrent; ils détruisirent ensuite les sacs contenant l'argent, qui tomba graduellement dans leurs souterrains, Lorsque le dépôt fut réclamé, les détenteurs furent dans la stupéfaction sur la puissance prodigieuse des dents et de l'estomac de ces petits maraudeurs, qu'ils aceusaient, dans leur simplicité, d’avoir dévoré le trésor. Dans des recherches ultérieures, cependant, l'argent fut tout retrouvé enfoncé profondément dans la terre, mais couvert de fragments, de bois. (Swainson. ) (2) Voyez le voyage de Sparmann, ( 261 ) l'alarme. Un soldat parait, évidemment chargé de la reconnais- sance; il retourne sur ses pas el un instant après il revient avec deux ou trois autres. L’alarme étant devenue générale, les sol- dats commencent à se répandre hors de la brèche, surtout si l'at- taque continue ; car il est remarquable que leur nombre est toujours en proportion de l'hostilité. Ces petits héros présentent le spectacle le plus étonnant. Ils paraissent animés d’une furie extrême; mais, étant privés d’yeux, ils ne peuvent l'exercer que sur ce qu'ils viennent à toucher. Ainsi, ils tournent la tête dans tous les sens, étendant leurs longues mächoires , prêtes à saisir le premier ennemi qui se présente; jamais ils ne se font le moindre mal entre eux. Lorsque le danger est cessé, les soldats se retirent, et les ouvriers reviennent en foule apportant du ciment pour fermer la brèche, ce qu'ils font avec autant d'ordre que d'activité. Toutes les opérations des ouvriers sont faites, dans certaines espèces, sous l’abri de leurs murailles. Non-seulement la cité entière est défendue contre les ennemis extérieurs; maïs aucun de ses habitants ne s'expose à la lumière du jour au moins ha- bitueilement. Comment donc s’écartent-ils aux environs et par viennent-ils à pourvoir de subsistance Lant de milliers d’indi- vidus? La méthode qu'ils emploient est fort singulière. De l'intérieur de leur forteresse, de nombreuses voies souterraines rayonnent et s'embranchent dans toutes les directions. Jamais ils n'en sortent et cependant ils prenoent toujours le chemin le plus court pour arriver , par exemple, à un arbre en décompo- sition, et pour en faire un moyen de subsistance, quoiqu'ils ne puissent ni le voir ni le sentir. Il semble qu'ils ne puissent pro- céder avec tant de justesse qu'à la suite de quelque reconnais- sance faite extérieurement par des éclaireurs. lei se lermine l’exposition des actes instinciifs chez les ani- maux invertébrés dans la série progressive, immense, qu'elle déroule à nos yeux. Nous ne voyons pas seulement la bonté Discerne- ment des Insectes. ( 262 ) divine accorder à chacun de ces êtres, généralement si faibles, un instinct loujours en parfaite harmonie avec ses organes, avec les nécessités de sa vie, avec sa destination providentielle. Nous y découvrons encore un enseignement donné à l’homme, une manifestation de la puissance, de la sagesse et de la bonté divines. Dans les actes instinctifs des Insectes que nous venons d’ex- poser, nous avons vu souvent se mêler des traits de discerne- ment que nous ne pouvons méconnaitre, surtout dans les fa- milles sociales dont nous venons d’esquisser l’histoire. Nous allons maintenant rapporter quelques faits dans lesquels le discernement nous paraît dominer l'instinct. Libres, volon- taires, électifs autant que ceux de l'instinct sont aveugles, invo- lontaires, irrésistibles, ils montrent combien cette faculté, que nous avons vue si élémentaire dans les rangs inférieurs des Ani- maux invertébrés, peut s'élever suivant le développement de l’organisation. Quoique l'instinct leur ait été si amplement accordé pour suppléer à leur peu de discernement naturel; quoique leur appareil cérébral soit si rudimentaire, comparé à celui des Animaux vertébrés même les moins avancés en orga- nisme, ils nous montrent quelquefois une connaissance des effets et des causes; ils font sous nos yeux des actes de volonté, de choix, de combinaison qui n’ont rien d’instinctif. Nous ne pou- vons nous rendre compte de cet étrange phénomène. Il semble que leur extrême vitalité, leur force musculaire, leur puissance sensitive, la complexité de leurs organes locomoteurs, si appro- priés tout à la fois aux airs, à la terre, souvent méme à l’eau, la véhémence de leurs amours, de leur affection maternelle, leur rendent la viesi auimée, les mettent si activement en rapport avec tout ce qui les entoure, que leurs instincts les plus développés ne leur suffisent pas, et alors le discernement leur vient en aide, et ils en montrent à un degré dont nous ne les croyions pas sus- ceptibles. Rien ne nous parait plus propre à démontrer l’impor- lance du rôle qu'ils sont appelés à remplir dans l'économie gé- nérale. ( 263 Les traits que nous allons citer signalent l'aptitude des In- sectes à agir suivant les circonstances, à se déterminer avec juge- menti, à discerner la convenance de leurs actions. Un Sphex venait de s'emparer d’une Mouche presque aussi grosse que lui-même, pour la subsistance de sa progéniture. Après avoir coupé avec ses mandibules la tête et l'abdomen de la victime, il s’envola vers son nid, emportant le thorax auquel les ailes étaient restées attachées; mais un souffle de vent ayant frappé dans ces ailes, fit tourbillonner le Sphex sur lui-même, et l’'empéchait d'avancer ; là-dessus, il se posa, coupa l’une après l'autre les ailes de la Mouche, puis il reprit son vol avec le reste de sa proie (1); que pouvait-il faire de plus judicieux, de mieux raisonné ? Un autre Hyménoptère parasite, l'Hédychre royal, place ses œufs dans le nid de l’'Osmie maçonne. Une femelle, après être entrée la têle la première dans une cellule presque achevée de cette Osmie, en était ressortie et commencait à y introduire la partie postérieure du corps dans l'intention d’y déposer un œuf, lorsque l'Osmie arriva portant une provision de pollen. Elle se jeta sur l’Hédychre, la saisit avec ses mandibules. Celle-ci se contracta en boule. L’Osmie, ne pouvant la blesser, lui coupa les quatre ailes et la laissa tomber à terre. Elle visita ensuite sa cellule; puis elle retourna aux champs. Alors, l’'Hédychre re- monta le long du mur, et alla tranquillement pondre un œuf dans la cellule de l’Osmie (2). Celle-ci, en privant son ennemie de ses ailes et en la laissant tomber à terre, croyait se mettre à l'abri de son agression ; mais elle ne lui avait ôté que l’un des moyens d'arriver à sa cellule. Si elle avait agi par instinct, elle lui aurait aussi enlevé les pieds. (1) Observation de Darwin, (2) Observation de M, Lepelletier de Saiut-Fargeau, ( 264) Un autre parasite, du genre Pompile, s’élait emparé d’une Araïgnée pour la porter à son nid, et la tenait avec ses mandi- bules par l'extrémité de l’abdomen, afin d’évite:ses morsures. Comme il s’aperçut qu’elle entravait la marche en étendant les pattes, il les coupa toutes, à l'exception de l’une des antérieures qui sont courtes, ayant jugé, après avoir enlevé l’autre, que cette amputation était superflue. Il se mit ensuite à trainer l'Arai- gnée ainsi mutilée, en gravissant un mur au haut duquel il prit le vol, sans doute pour porter sa proie à sa cellule éloignée ; mais son discernement n’alla pas jusqu’à une appréciation exacte de ses forces. Le poids de l’Araignée les dépassait, et il tomba à terre à peu de distance avant d’avoir pu prendre son essor. Ayant laissé échapper sa victime, il la ressaisit avec ia même précaution, reprit son chemin et sa détermination éprouva de nouvelles contrariétés, mais rien ne put abattre sa persévé- rance ({}. Î Un Hyménoptère du genre Odynère alimente ses larves de petites Chenilles qui se renferment dans des feuilles de lilas rou- lées en longs cornets ouverts aux deux bouts. Un individu vint se poser sur un de ces cornets, courut successivement à chaque extrémité, s'y arrêta un instant pour introduire dans l’ouverture l'extrémité de ses antennes, sans doute pour s'assurer de la pré- sence de la Chenille, puis revint se placer sur le milieu du cornet. Là, ilse mit à en pincer la surface entre ses mandibules, et presque aussitôt 1l se précipita de nouveau, et tour-à-tour aux deux extrémités, dans l'espérance que la Chenille, effrayée par cette agression, se serait réfugiée à l’une d'elles, N'ayant pu la déterminer à quitter le centre de son cornet, l'Odynère recom- mença sa manœuvre, se remit à assiéger cette forteresse de la même manière sans plus de succès. Enfin, elle revint encore à Cr) Observation de M. Westwood. ( 265) la charge, pinça le cornet au point d'y faire une entaille, et s'étant portée rapidement à l’une des extrémités, elle y trouva cette fois la Chenille et la saisit avec dextérité (1). Les Bousiers ne montrent pas moins de discernement dans les soins qu’ils donnent à leurs larves. Le père et la mère agissent de concert pour former les boules de fumier, dans lesquelles elles doivent se développer, et pour les rouler dans des cavités sou- vent éloignées. Dugès a suivi les manœuvres d’un de ces couples. Le mâle dirigeait les évolutions, poussant à reculons la boule avec ses longues pattes postérieures, tandis que la femelle, re- eulant aussi, la tirait à elle avec les pattes de devant. Le terrain paraissant favorable pour l’enterrer, le mâle s’y enfonça pour l’explorer, laissant le précieux dépôt à la garde de sa compagne, qui l'attendait immobile. Bientôt il sortit; la femelle s’enfonça à son tour, reparut aussitôl, et tous deux continuèrent leur voyage; var une pierre assez volumineuse se trouvait à peu de distance de la surface du sol, et les avait forcés de chercher un lieu plus favorable à leur dessein. Illiger rapporte qu'un de ces Coléoptères, ayant laissé tomber sa boule dans un trou, alla réclamer au fumier voisin l’aide de trois de ses semblables qui l’aidèrent à la relever. Clairville a vu un Nécrophore qui, voulant enterrer une souris morte pour la subsistance de ses larves, et trouvant trop dure la terre sur laquelle gisait le cadavre, alla creuser à quelque dis- tance une cavité dans un terrain plus meuble. Cette opération terminée, il essaya d’y transporter la souris; mais n’y pouvant réussir, 1l s’envola et revint quelques instants après, accompagné de quatre autres de ses pareils qui l’aidèrent à la trainer et à l'enterrer. On ne peut méconnaitre dans ces actes discernement el même communication de pensées. (1) Observation de M. Wesmael, ( 266 ) Gléditsch rapporte qu’un de ses amis, voulant faire dessécher un crapaud, l'avait placé au sommet d’un bâton planté en terre, afin d'éviter que les Nécrophores ne vinssent l'enlever; mais cetle précaution fut inutile. Ces Insectes, ne pouvant pas at- teindre le crapaud , creusèrent sous le bâton, et, après lavoir fait tomber, ensevelirent le cadavre. Les Abeilles ont donné un exemple remarquable de leur mé- moire. Un essaim était venu s'établir sous les tuiles d’un toit et en avait été délogé par son propriétaire. Pendant huit années consécutives, il ne sortit pas de la même ruche un seul essaim sans que quelques individus vinssent en éclaireurs recon- naître cet endroit où le gros de l’armée se fût sans doute établi, si on l’eût laissé faire. Ceci n’était pas un effet du hasard, car les essaims des autres ruches ne faisaient rien de pareil (1). Steadman, dans son voyage à Surinam, rapporte le trait suivant de discernement et de mémoire d’une espèce d’Abeilles sau- vages : « Je fus un jour visité dans ma cabane par un de mes » voisins, que je fis monter dans ma demeure aérienne ; mais il » n°y fut pas plutôt entré qu'il redescendit précipitamment, ru- » gissant de douleur, et courut se plonger la tête dans la rivière. » Je découvris à l'instant que la cause de cet accident était un » énorme nid d'Abeilles sauvages placé dans le chaume au- » dessus de la porte. Je pris la fuite à mon tour et ordonnai aux » esclaves de le détruire sans délai; l'arrêt allait s’exécuter, » lorsqu'un vieux nègre mouta, et offrit de subir tel châtiment » que je voudrais lui infliger si jamais aucune de ces Abeilles » me piquait. Massera, me dit-il, elles vous auraient piqué » depuis longtemps, si vous aviez élé un étranger pour elles; » mais étant vos hôtes, ayant recu l’hospitalité chez vous, elles » vous connaissent vous et les vôtres et ne vous feront jamais le (5) Kirby et Spence, M. Lacordaire. ( 267 ) » moindre mal. J'acceptai la proposition, et, liant le vieux » nègre à un arbre, j'ordonnai à mon valet Quaco de monter en- » tièrement nu au haut de l'escalier, ce qu'il fit sans être piqué; » je me hasardai alors à le suivre, et je déclare, sur mon hon- » neur, que même après avoir secoué le nid au point que ses » habitantsse mirent à bourdonner à mes oreilles, aucune Abeille » ne tenta de me piquer. Je relächai ensuite le vieux nègre et » le récompensai de sa découverte. J'ai gardé depuis cet essaim » d’Abeilles comme mes gardes du corps. J'ai pris plaisir à m’en » servir comme moyen de châtiment envers les surveillants. Je » les faisais monter l'échelle sous quelque prétexte, lorsque je » voulais les punir de quelque injustice ou cruauté envers les » nègres, Ce qui n’était pas rare (1). » Parmi les traits de discernement qui ont été signalés chez les Abeilles, nous citerons encore le suivant : Pour se défendre contre le Sphinx tête de mort, elles ont re- cours à un procédé plein de prévoyance; elles barricadent l'entrée de leur ruche par un mur épais de cire et de propolis. Ce mur interdit le passage du Sphinx ; mais il est percé d’une ou deux ouvertures suffisant pour l’entrée d’une ouvrière. Cependant, ces fortifications sont diversifiées selon le besoin. Quelquefois il n’y a qu'un seul de ces murs; d’autres fois plusieurs petits bastions sont construits l’un derrière l’autre. Les chemins qui aboutissent aux portes sont parfois détournés et masqués par les murs intérieurs. Enfin, les Abeilles déploient dans leurs moyens de défense toules les ressources de la stratégie et les proportionnent toujours aux dangers de l’attaque. (x) Le vieux nègre m’assura que sur la plantation de son maître, il y avait un vieil arbre dans lequel s'étaient logés un essaim d’oiseaux et un autre d’abeilles . qui vivaient dans la meïlleure intelligence; que si quelques oiseaux étrangers . venaient à attaquer les abeilles, ils étaient à l’instant repoussés par leurs alliés emplumés , mais que si des abeilles étrangères osaient s'aventurer près des nids des oiseaux , l’essaim natif se Jetait sur les assaillants et les piquait à mort, { 268 } Les Fourmis donnent un singulier exemple de mémoire : Celles qui s'établissent dans le voisinage d’une ruche, ne cherchent pas à y pénétrer, malgré leur passion pour le miel, tant qu’elle est habitée ; mais si elles en rencontrent une privée de ses habi- tants, elles y accourent en foule, et s'emparent du miel qui y est resté. D'où peut venir ce respect pour la première ruche, si ce n’est que quelques-unes d’entre elles, ayant essayé d'y pénétrer, ont été mises à mort par les Abeilles, leçon dont le reste de la communauté a fait sou profit (Dugès.) Voici un trait de discernement : Deux troupes de Fourmis se disputaient un Vermisseau, et le Uiraient en sens contraire ; une d'elles se détacha, saisit par der- rière une de ses anlagonisies, el ne pouvant lui faire lâcher la proie en litige, la ramena, bon gré malgré, dans une direction opposée à celle selon laquelle elle tirait d'abord, neutralisant ainsi tout d’un coup sa résistance (Dugès.) M.elle Mérian et après elle Azara, nous ont appris que les con- trées marécageuses du Paraguay sont habitées par une petite Fourmi noire, dont les nids sont des monticules coniques de terre, hauts de trois pieds et piacés très-près l’uu de l'autre. Lorsqu'il survient une inondation, on voit les Fourmis amoncelées en une masse circulaire d'environ un pied de diamètre et quatre doigts d'épaisseur ; et, dans cet état, elles flottent sur l’eau tant que dure l'inondation. L'un des côtés de cette masse qu’elles forment est attachée à un brin d'herbe ou à une pièce de bois, et, lorsque les eaux sont retirées, les Fourmis retournent à leur habitation. Le coionel Sykes nous a signalé un exemple du discernement etde l'obstination avec lesquels les Fourmis parviennent à l'objet de leur convoitise. Pendant son séjour dans l'Inde, il avait dans sa salle à manger une table contre le mur, sur laquelle était placé le dessert. De nombreuses Fourmis, attirées par odeur, ayant pénétré dans la salle, parviarent à la table en gravissant le mur el se Jetèrem sur les friandises. Pour leur ôter le moyen de re- ( 269 ) commencer, on éloigna la table du mur; elles y arrivèrent par les pieds. On prit le parti de plonger les pieds dans quatre bas- sins pleins d’eau; les Fourmis, dans leur aversion pour ce li- quide, hésitèrent quelque temps, mais la gourmandise l'emporta : elles bravèrent le danger et franchirent l'obstacle. On s’avisa alors d'un nouvel expédient : on recouvrit les pieds de la table d’une couche de térébenthine immédiatement au-dessus de l’eau. Cette fois, les Fourmis durent renoncer à ce moyen d’invasion, et l’on chanta victoire. Cependant, l’on ne tarda guère à les re- voir sur le dessert et l'on découvrit qu’elles montaient sur le mur plus haut que la table à laquelle elles parvenaient en sautant de manière qu'elles imprimaient à leur corps une secousse qui les portait en ava::{ et tellement calculée qu’elles tombaient sur les conserves. C'était un siége en règle où l’on employait de part et d'autre tous les moyens stratégiques que peut fournir la ruse, le calcul, le discernement pour l'attaque et la défense, et les Four- mis triomphèérent dans la lutte. Je m'arrête, non par l'épuisement d’un sujet intarissable, mais parce que je crois avoir surabondamment démontré par les faits l'existence des deux facultés qui président à toutes les ac- tions des Animaux invertébrés. J'en ai trouvé les preuves sous le brin d'herbe de mon jardin, comme sur les sommets des Alpes, comme dans les profondeurs de l'Océan; toute la nature animale en est à divers degrés imprégnée, animée, en quelque sorte spi- ritualisée. Le moindre Moucheron, le plus faible Vermisseau, nous donnent des exemples de courage, d'affection maternelle. Nous avons vu l'instinct varier à l'infini comme les modifications infinies de l’organisme qui lui fournit les instruments et les ma- tériaux de toutes ses manœuvres, de toutes ses industries. Nous avons vu le discernement suivre les développements du système nerveux, prêler son flambeau à linstinet el en corriger en quelque sorte l’inflexibiliié, surtout lorsque les éventualités d'une existence compliquée, comme celle des Insectes sociaux, (270 ) le rendent nécessaire. Tous les phénomènes que nous présentent les facultés de ces petits êtres, nous dévoilent un ordre de choses, un monde à part, qui, quoique dans les dimensions les plus exiguës, et même en raison de cette exiguité, excite notre atten- tion et nous ouvre un horizon immense de découvertes faites et surtout de découvertes à faire. Nous croyons que la sagesse su- prême, en donnant aux petits Animaux, et aux Insectes en parti- culier, un organisme si développé, plus compliqué à proportion que celui des Animaux supérieurs; en y joignant un instinct et quelquefois même an discernement qui confondent la raison hu- ‘ maine, nous croyons qu'elle a adopté ces petites dimensions pour multiplier à l'infini les enseignements qu’elle voulait donner à l’homme par les animaux, pour exciter à toujours son attention par des observations inépuisables ; pour la frapper d'autant plus d’admiration à la vue de tant de prodiges, qu'ils sont opérés par de plus petites créatures. Natura maxime miranda in minimis. Nous croyons avoir exalté la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu : sa puissance qui ne se manifeste pas moins dans la créa- tion de ces myriades d'Alomes animés par la vie, l’instinct, le discernement, que dans celle de ces myriades de corps célestes qui gravitent avec tant de régularité dans l'espace; sa sagesse, par les lois qui régissent la nature zoologique et qui y établissent l'unité, l’ordre, l'harmonie; sa bonté, en pourvoyant au bien-être de la moindre créature, en veillant à son berceau, en ouvrant sa main libérale pour lui donner la pâture; et, dans notre humble ébauche sur tant de merveilles, nous aussi, nous croyons avoir non chanté, mais balbutié un hymne à sa gloire suprême. Béébire me, Jeu Généralités... , . Instincts.. . Discernement, . Infusoires. . « . Animaux rayonnés.. . Pülypes. . + . . Acalèphes. . . : Echinodermes.. . . . Animaux binaires. . . Mollusques.. . . . . Meéphales. . . .+ . . Raniciers + 2: 1 Lamellibranches.. . Branchiopodes. Gastéropodes, . . Céphalopodes.. . . , Animaux articulés. . M. Helminthes.. . Annelides. . . . Lombries. . Girripèdes. : . . . . Condylopes.. . Crustacés. . . . Crustacés suceurs. . en ere ste Cris le tset Lee ra CAO MC EM CRE DRE CC 0 Entomostragés. . . . . . , Maiacostracés. . Stomapodes . see Décapodes . sise vebte PEUR RE 0 RSR ERETTENPENTS CTE Arachnides pulmonaires. Arachnides trachéennes. Myriapodes. . . Insectes. . . Organisme des insectes. … . . . . PDhicres: ee ne ei dur Re jai Édbidantèsés 40 Los oise ve Hémiptéres. «4 nee eee 000 Hÿménoptères. 4 mn; ee . Névroptéres. 6 Mrs M: Coléoptères.. . .…. Orthoptères.. . . ., . Instinct des insectes. PRET PRO REMIER Instinct animal, ... Mesure À à 2 00 TN? Nymphes et Chrysalides. . . . , . . . . sectes parfaites: 42" 4 (ee us dis + ere s + Insectes sociaux, , Béardomas se 2 AE, Guêpes. . Abeilles, . . Fourmis..… . AITIO EE. 32 eu 2 198 0 MN noie Discernement des insectes. . . . . « . . , . et ré lient 6 26 e + e . . + -« CR e e e . dE Es rente] WE À OT ME SE ù d Fe a Re Ces = Las r A » Fm LS > A À À à A 2 2 / ‘0 l'a l'A AURA! AA RARE LP" | Pa '4 AAAARA AA 22 MAAAT AAA A LA FT RAA AANA RAS ARR RAR D OA ANA AA A PTT LA ARE uAuuRl SAP ARE A ARR AA DR AAAR ANA RAR RAR AR RAA ARE AA RARES an AS NARA RAA ARAARAR A2 PARA À LIT AAAA 4" nn TT NA A 4 AAG ananas AE ET AAA ANT FE AM AA = FA Al = à rs AAN AA Tee Aïn AAA: AAAAAA 21 A ai A DRAE- - 20 R AAA AA À af: AA SAS A À ARAARA Te nr ñ NA VAL PA AAA AR À À A À ANA MMA FARA 2 AÛNAAA à 1 / AY. \A € PRET Ne MMS Man non ARRETE RARE | AA At: ANA A4: r ARARAE | AAA AAA Pa... 777 PT ARR AM ANT MAANRAZA 2. AAAAAA APE PT | ARE RAA Ta RAA : AA …£ APAARARAR RAA RAR RARES TM EE Lau \ \ A A = < < MA PRE PR RANRES VAT | pese A LATE : AAGA Ÿ” = À À A} AA Aa - AAA LS \ U, A AAA 224 AARARAËR An AA A 2 2 AA°AAAA AAAA AsA ARR AA A LÉVTAS dc ARABES AARANA EE LIAYYYTTPREERRRSSE 327 2eR AN AA NN An À de , =: d/ NA FA gd NA À a 2RBEBÊRR" 18% 4/7 Aa RAA AAA AÂaA Mina | RRCRÉRRARAAAL RAR Are AAA AAA NT ARR AARRRANS I LA AA f/ \ LR RSR QAR AAA RRARRI ANR RRRA ST na à DRE RATE ASIA ARTE VAAARAARARA AAA à AA ANA PE RAR RARE RAR ae AAA RAR AAA RAA RAA RAA pan ARR ARE ñ 27 ARE AE 2 AAA PLANS AA a al là À / ù AA VEN AI NAN 2 AA Ne AARRA A | AaArñA AAA f AAA A ar \ | \ NN aa VISE INK À NN NA D ap A AAA MAUR AT RAT 7 pa Rañâñan. "7" ©