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University of Toronto
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FRAGMENTS
PHILOSOPHIQUES
PHILOSOPHIE DU MOYEN AGE
OEUVRES DE M. VICTOR COUSIN
Ille SÉRIE
FRAGMENTS PHILOSOPHIQUES
5 vol. in-1 2 à 3 fr. 50 c.
CeUe coUeclion comprend -.
FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE ANCIENNE : Xénophane— Zenon dEtée— Socrate—I'laton — Ennaj>r — Proclus — Olympiodore, 1 vol. in-12.
FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE DE MOYEN AGE : Abélard —Guillaume de Champeaux — Bernard de Chartres — Saint Anselme, elc. I vol. in— 12.
FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE CARTESIENNE : Fanini— Le Cardinal de Retz — Malebranche et Mairan — Leibnitz, etc. 1 vol. in-12.
FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE MODERNE: Lettres inédites de Descaries,
Malebranche, Spinoza- — Correspondance de Leibnitz el de Vabbé Niçoise — Le l'ère André, 1 vol. in-12.
FRAGMENTS DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE : Dugald-Slewart-Buhle— Tennemann — Laromignière — Degérando — Maine de Biran, etc. 1 v. in-12.
PARIS.— IMPRIME CHEZ HONAVENTIRE ET DDCESSOIS, 55, QUAI DES GRANDS-ACfiDSTINS.
FRAGMENTS
DE
PHILOSOPHIE
DU MOYEN AGE
M. VICTOR COUSIN
iloubrlle édition.
ABELARD
Guillaume de Champeaux.
Bernard de Chartres. — .Gerbert.
Guillaume de Conches. — Saint Anselme, etc.
PARIS
DIDIER, LIERAI R E É DITE U R
35 , QUAI DBS AI GUS1 INS.
Droit d« traduction réservé,
1855
^-90?
FRAGMENTS
PHILOSOPHIQUES
PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
ABÉLARD.
J'ai fixé ailleurs * le caractère général, marqué les pé- riodes, signalé les grands noms, esquissé les principaux systèmes de la philosophie scholastique. J'ajoute ici que la scholastique appartient à la France, qui produisit, forma ou attira les docteurs les plus illustres. L'université de Paris est au moyen âge la grande école de l'Europe. Or, l'homme qui par ses qualités et par ses défauts, par la hardiesse de ses opinions, l'éclat de sa vie, la passion innée de la polémique et le plus rare talent d'enseigne- ment, concourut le plus à accroître et a répandre le goût des études et ce mouvement intellectuel d'où est sortie au treizième siècle l'université de Paris, cet homme est Pierre Ahélard.
Ce nom est assurément un des noms les plus célèbres ; et la gloire n'a jamais tort : il ne s'agit que d'en retrou- ver les titres.
Ahélard, de Palais, près de Nantes, après avoir fait ses premières éludes philosophiques en son pays, et parcouru
\. Cours de l'histoire do lu philosophie moderne, 11e série, t. n, le» <;mi ixc, Philosophie scholastique.
II. \
2 PHILOSOPIIIE SCIIOLASTIQUE.
les écoles de plusieurs provinces pour y augmenter son instruction, vint se perfectionner à Paris, où d'élève il de- vint bientôt le rival et le vainqueur de tout ce qu'il y avait de maîtres renommés : il régna en quelque sorte dans la dialectique. Plus tard, quand il mêla la théologie à la philo- sophie, il attira une si grande multitude d'auditeurs de toutes les parties de la France et même de l'Europe que, comme il le dit lui-même, les hôtelleries ne suffisaient plus à les contenir ni la terre à les nourrir1. Partout où il allait, il semblait porter avec lui le bruit et la foule ; le désert où ilse retirait devenait peu a peu un auditoire immense2. En philosophie, il intervint dans la plus grande querelle du temps, celle du réalisme et du nominalisme, et il créa uu système intermédiaire. En théologie, il mit de côté la vieille école d'Anselme de Laon 3, qui exposait sans expli- quer, et fonda ce qu'on appelle aujourd'hui le rationa- lisme. Et il ne brilla pas seulement dans l'école; il émut l'Eglise et l'État, il occupa deux grands conciles 4; il eut pour adversaire saint Bernard, et un de ses disciples et de ses amis fut Arnauld de Brescia 5. Enfin, pour que rieu
J. Abœlard. opp. éd. Anib., llist. Calamil., p. 19 : « Ut nec locus hos- pitiis nec terra sufûceret aliiuentis. » Voyez aussi la lettre de Foulques à Abélard. Ibid., p. 218 : « Roma suos tibi docendos transruittebat aluui-
nos Kulla terraruni spatia, nulla montium caeuruina, nulla concava
vallium , nulla via difticili licet obsita periculo et latrone , quominus ad te properarent , retincbat. Anglorum turbam juvenum mare interjacens et
undarum terribilis procella non terrebat Remota Britannia Ande-
gavcnses Pictavi, Vascones et Hibcri; Normania, Flandria, Theuto-
nicus et Suevus... Praetereo cunctos rarisiorum civitatem habitantes...»
2. Ibid., p. 28 : « Oratoriuni quoddam ex calamis et culino priinum
construxi Scbolares cœperunt undique concurrere, et relictis civita-
tibns et castellis solitudinem inbabitare.
3. Hist. littéraire de la France, t. x , p. 170.
A Le concile de Soissons en \ 121 , et celui de Sens en li-ïO. 5. Condamné au concile de Sens avec Abélard.
ABÉLARD. 3
ne manquât à la singularité de sa vie et a la popularité de son nom , ce dialecticien qui avait éclipsé Roscelin et Guillaume de Champeaux, ce théologien contre lequel se leva le Bossuet du douzième siècle, était beau, poète et musicien ; il faisait en langue vulgaire des chansons qui amusaient les écoliers et les dames1 ; et, chanoine de la cathédrale, professeur du cloître, il fut aimé jusqu'au plus absolu dévouement par cette noble créature qui aima comme sainte Thérèse, écrivit quelquefois comme Sénè- que, et dont la grâce devait être irrésistible puisqu'elle charma saiut Bernard lui-même 2. Héros de roman dans l'Eglise, bel esprit dans un temps barbare, chef d'école et presque martyr d'une opinion, tout concou- rut à faire d'Àbélard un personnage extraordinaire. Mais de tous ses titres, celui qui se rapporte à notre objet, et qui lui donne une place à part dans l'his- toire de l'esprit humain, c'est l'invention d'un nouveau système philosophique et l'application de ce système et en général de la philosopbie à la théologie. Sans doute avant Abélard on trouverait quelques rares exemples de
4. Hist. littéraire de la France, t. ix, p. 173; t. xn,p. 133. — Abael. opp. Epist. Helois. , p. 46 : « Duo auteni , fateor, tibi spccialiter inerant quilms fœminarum quarumlibet aninios statini allicere poteras, dictaudi
videlicet et cantandi gratia amatorio nictro vcl rhythuio composita rc-
liquisti carniina quae, prœ nimia suavitate taui dictaminis quam canins sœpius frequentata, tuuni in ore omnium nomen inccssanter tcnebant. »
2. Hist. littéraire de la France, t. xn, p. G42 , article Héloïse: « Les plus grands hommes de son temps se firent une gloire d'être en relation
avec elle Saint Bernard, depuis sa rupture avec Aliélard, ne cessa
point d'estimer Héloïse , malgré rattachement inviolable qu'il lui con- naissait pour son époux. Elle, réciproquement, consena toujours les mêmes sentiments de vénération pour l'abbé de Clairv au\. Bagues Metel , autre adversaire d'Abélard, ne fut pas moins zélé partisan de i'ubbesse du Paraclet. » Voyez les deux lettres de Metel, citées daus cet article, et la lettre de Pierre le Vénérable.
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4 PHILOSOPHIE SCBOLASTIQGB.
celte application périlleuse, nais utile dans ses ■Abcs aux progrès de la raison ; mais - .lard qui
. 1 principe : c'est doae lui qui contribua le plus à fonJer la scholastique. car la scholastique u'est pas autre chose. Depuis Cbarleimgne. et même auparavant, on enseignait daus beaucoup de lieux un peu de mam- maire et de logi jue : en même temps un enseigueineut
- eux ne manquait pas: mais cet euseiguemeut se
réduisait a une exposition plus ou moins régulière des
s - icrvs : il pouvait suffire a la foi , il ne fécondait
I intelligence. L'introduction de la dialectique dans la tbc - .uvait seule amener cet esprit de contro- verse qui est et le vice et l'honneur de la scholastique. Abélard est le principal auteur de cette introduction : il est donc le principal fondateur de la philosophie du moyen de sorte que la France a donné a la fois a l'Europe la scholastique au douzième siècle, par Abélard. et au com- mencement du dix-septième, dans Descartes, le destruc- teur de cette même scholastique et le père de la philoso- phie moderne. Et il n'y a point là d'inconséquence: car le même esprit qui avait élevé l'enseignement religieux or- dinaire a cette forme systématique et rationnelle qu'on appelle la scholastique. pouvait seul surpasser cette forme même et produire la philosophie proprement dite. Le même pays a donc très-bien pu porter, à quelques s - clés de distance, Abélard et Descartes: aussi remarque- t-on entre ces deux hommes une similitude frappan: travers bien des différences. Abélard a essayé de se ren- dre compte de la seule chose quon pût étudier de son temps, la théologie ; Descartes s'est rendu compte de ce qu'il était enfin permis d'étudier du sien, l'homme et la
AEÉLARD. 5
nature. Celui-ci n'a reconnu d'autre autorité que celle de la raison; celui-là a entrepris de transporter la raisou dans l'autorité. Tous deux, ils doutent et ils cherchent; ils veulent comprendre le plus possible et ne se reposer que dans l'évidence : c'est là le trait commun qu'ils em- pruntent à l'esprit français, et ce trait fondamental de ressemblance en amène beaucoup d'autres ; par exemple, cette clarté de langage qui nait spontanément de la net- teté et de la précision des idées. Ajoutez qa'Àbélard et Descartes ne sont pas seulement Français, mais qu'ils ap- partiennent à la même province, à cette Bretagne dout les habitants se distinguent par un si vif sentiment d'indé- pendance et une si forte personnalité. De là, dans les deux illustres compatriotes, avec leur originalité uaturelle, une certaine disposition à médiocrement admirer ce qui s'é- tait fait avant eux et ce qui se faisait de leur temps, l'in- dépendance poussée souvent jusqu'à l'esprit de querelle, la conflancedans leurs forces et le mépris de leurs adver- saires ', plus de vigueur dans la trempe de l'esprit et du caractère que d'étendue et de profondeur dans la pensée, plus d'invention que de sens commun ; abondant dans leur sens propre plutôt que s'élevant a la raison univer- selle, opiniâtres, aventureux, novateurs, révolutionnaires. Abélard et Descartes sont incontestablement les deux plus grands philosophes qu'ait produits la France, l'un au moyen âge, l'autre dans les temps modernes; et cepen-
t. Pour Descartes, voyez le Discours sur la Méthode et toute sa corres- pondance; pour Abélard, la fameuse lettre, Bist. Calamil., où il s'ac- cuse lui-même d'arrogance, et tous ses ouvrages. Othon de Freisingen , son contemporain, qui l'avait connu personnellement, s'en exprime ainsi , De Gestis Friderici , lib i , cap. 47 . <v Tam arrogans suoque tantuni ingenio confidens. ut vis ad audiendos magistros ab altitudiue mentis sua1 humiliatus deseenderet. »
I.
6 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
dant, il y a douze années, la France n'avait point une édition complète de Descartes, et elle attend encore une édition complète d'Abélard. Le volume donne en -1616 parle conseiller d'État François d'Amboise1, contient toute l'Histoire des rapports d'Abélard avec Héloïse, le Com- mentaire sur l'épitre de saint Paul aux Romains, et l'In- troduction à la Théologie; mais les pièces si précieuses de ce recueil sont publiées sans aucun ordre, je pourrais dire sans aucun soin. Quelques autres écrits d'Abélard sont épars et presque perdus dans les collections bénédic- tines 2. Un bon nombre d'ouvrages jadis célèbres sont en- core ensevelis dans la poussière des bibliothèques de la France et de l'Europe 3. J'appelle de tous mes vœux, je seconderais de tous les moyens qui sont en moi une édi- tion des œuvres de Pierre Abélard. Si j'étais plus jeune , je n'hésiterais point à l'entreprendre, et je signale ce travail a la fois patriotique et philosophique a quelqu'un de ces jeunes professeurs, pleins de zèle et de talent, aux- quels j'ai ouvert la carrière et que j'y suis avec tant d'in- térêt4. Je veux du moins me charger d'une partie de cette tâche, en publiant et en faisant connaître ici quelques ou-
\. Pétri Abœlardi opéra, in-4, avec des notes de Duchesne.
2. La Theoloyia Chrisliana et ÏHexameron, dans le Thésaurus no- vus anecdotorum deMartenne et Durand, 1717, t. \;VElhica seu liber Scito le ipsum, dans le Thésaurus anecdolorum novusinms de B. Pez, 1721 , t. m, p. 626-C88.
5. M. Rheinwald a publié à Berlin , en 1831 , le Dialogus inler philo- sophum, Judœum et Chrislianum.
4. Nul ne se présentant, j'ai moi-même entrepris cette tâche, assisté de mes deux jeunes amis, M. Jourdain et M. Despois. Deux volumes in— i pa- raîtront bientôt, qui comprendront fous les ouvrages d'Abélard , à l'excep- tion de ceux que je fais connaître ici et que j'ai déjà publiés sous ce titre: Ouvrages inCdils d'Abélard, \ vol. in-4, imprimerie royale, 1836.
ABELARD. 7
vragcs jusqu'alors inédits de ce Descartes du douzième siècle.
C'est l'application régulière et systématique de la dia- lectique a la théologie qui est peut-être le titre historique le plus éclatant d'Abélard ; c'est par la qu'il exerça une action si vive sur les hommes de son temps. Mais l'instru- ment de celte action était la philosophie d'alors , la dia- lectique, et il n'appartenait qu'au plus grand dialecti- cien de son siècle d'appliquer avec un pareil succès la dialectique a la théologie. Le dialecticien est en quelque sorte dans Abélard le père du théologien ; c'est le génie de l'un qui a fait la gloire, les erreurs et les infortunes de l'autre. La dialectique était l'étude chérie d'Abélard, son goût dominant, son talent suprême ; elle avait fait l'oc- cupation de sa jeunesse et rempli de ses luttes pacifi- ques toute la première moitié si brillante et si heureuse de sa vie.
Quelle était donc la dialectique d'Abélard, sa philoso- phie proprement dite? 11 est impossible de supposer qu'il n'ait été que professeur : il avait beaucoup écrit. Dans le prologue de X Introduclio ad Theologiam, il dit lui- même : « Cùm enim a nobis plurima de philosophicis « studiis et sa:cularium litterarum scriptis studiose legis- « sent, ac eis admodum lecta placuissent... *. » Voilà des écrits et même des écrits nombreux de philosophie, plu- rima, avoués par leur auteur. Plus bas, dans cette même Introduction , Abélard cite son traité de la Quantité : « Sicut de Quantitate tractantes ostendimus, cùm gram- « inaticam scriberemus 2. n Dans le quatrième livre de la
1. Abœl. opp., p. 1 12:>.
2. Ibid.
8 PHILOSOPHIE SCUOLASTIQUE.
Theologia Christiana ', il cite encore sa grammaire: « Sed de hoc diligentem, ut arbitror, tractatum in relrac- « tatione prœdicamentorura nostra continet gramma- « tica. » Eulin, au même livre de cette môme Théologie, à l'occasion d'une règle de dialectique, il s'exprime ainsi : « Sed de qualibus qu'idem argumentationibus « in dialectica nostra latins persecuti sumus 2. » Ces témoignages sont irrécusables. Abélard avait composé plusieurs ouvrages philosophiques , entre autres un traité de dialectique; et il paraît que Duchesne avait entre les mains ce traité, puisqu'il promet de le publier \ Malheureusement, il n'a pas accompli son dessein, et l'on ne sait ni ce qu'est devenu le manuscrit qu'il possédait, ni d'où il l'avait tiré; de sorte que le public ne connaît pas aujourd'hui le plus petit écrit philosophique de l'homme qui a rempli de sa dialectique tout le douzième siècle, et que, pour se faire une idée de son système, on est réduit à quelques indications rares et obscures, éparses dans ses autres ouvrages, ou a des témoignages étrangers d'une fidélité très-douteuse. Nous nous sommes donc adressé à la Bibliothèque royale de Paris, et nous avons recherché si, parmi les monuments de philosophie scho- lastique dont elle abonde, elle ne possédait pas la dialec- tique d' Abélard signalée par Duchesne et dont la trace a disparu, ou quelque autre ouvrage du même genre.
Nous avons trouvé à la Bibliothèque royale trois ma- nuscrits inédits d' Abélard, qui ont traita la dialectique,
\. Thés. Anecd., t. v, p. 13 il.
2. Ibhl., p. 1507.
3. Et haec dialectica, sive logica propediem in philosophie candidato- rum gratiam favente Dco seorsim edetur. Ahad. opp. uol., p. 1 160.
ABELARD. 9
ce sont : -1° le manuscrit du fonds du roi, n° 7193; 2° un manuscrit du fonds de Saint-Germain, n° -1310; 3° un manuscrit du fonds de Saint-Victor, n° 844. Voici les résultats de l'étude attentive et scrupuleuse que nous avons faite de ces trois manuscrits.
Description du manuscrit du roi , no 7-593.
Le manuscrit n° 7493 est un in-4° en parchemin, aux armes de France et au chiffre de Charles IX, comprenant cent quatre-vingt-trois feuillets numérotés au recto sans aucune interruption, mais écrits de différentes mains et à diverses époques.
11 contient d'abord le traité de Grammaire de Dio- mède, et une table de notes Tyroniennes. Ces deux mor- ceaux sont d'une main très-ancienne et comprennent dans le manuscrit jusqu'au feuillet ^7. Les seize autres feuillets sont d'une toute autre main, écrits sur deux co- lonnes avec de nombreuses abréviations, mais en lettres parfaitement tracées et qui présentent tous les caractères de l'écriture du treizième siècle. L'ouvrage qu'ils renferment est intitulé : Pétri Abailardi super Topica glosœ inci- piunlur felici omine. L'Histoire littéraire de la France ', dans la notice sur les ouvrages inédits d'Àbélard, indique ce manuscrit comme étant un commentaire sur les Topi- ques d'Àristote. Il n'en est rien. En parcourant ce ma- nuscrit, on reconnaît d'abord que c'est tout simplement un commentaire sur le traité de Boëce : De differentiis iopicis 2. Ce commentaire, comme le litre l'indique, est
\. Tom. xii, p. t29.
2. 1 Mit. lias., in-fol., 4570, p. 857.
40 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
une glose où, après un assez court préambule sur le but, la forme et l'utilité de l'ouvrage de Boëce, l'auteur s'atta- che a son texte, le suit pas à pas, et explique plus ou moins longuement chaque phrase, et souvent même cha- que mot. Cette glose est incomplète, et comprend seule- ment le premier livre et le commencement du second livre du traité de Boëce, lequel est divisé en quatre li- vres : il manque donc près des trois quarts de cette glose. Mais cet écrit est-il d'Abélard, et quelle en est la va- leur? Je répondrai a la dernière question qu'un pareil écrit ne pouvait servir qu'à des écoliers, auxquels il faci- litait l'intelligence littérale du texte de Boëce, Bien d'a- lambiqué ni de subtil, mais en revanche rien d'intéressant. La diction eu est assez claire et assez correcte, mais de la plus grande sécheresse. Quant a savoir si cette glose est d'Abélard, le titre, qui est ancien et du treizième siècle, comme le reste du manuscrit, le dit positivement ; et dans le corps de l'ouvrage, s'il n'y a rien qui confirme cette inscription, il n'y a rien non plus qui la démente. Pour les preuves internes, outre qu'il faut être fort réservé sur ce genre de preuves, ici le défaut absolu d'ouvrages ana- logues d'Abélard, nous ôtant toute comparaison, rend toute induction très-difficile. Le peu de valeur de cette glose, prise en elle-même, n'est point une raison pour en révoquer en doute l'authenticité. Le genre de la glose admis, il fallait bien s'y conformer, et, précisément pour être un bon glossateur, se borner à expliquer littéralement le texte pour des commençants qu'on suppose n'avoir aucune connaissance ni du sujet ni de l'ouvrage. C'est d'ailleurs un éloge que Jean de Salisbury, dans le Mela- logicus, fait de la manière d'Abélard, que dans son eusei-
ABÉLARD. 41
gnement il s'attachait avant tout a être compris, qu'il se mettait a la portée de ses auditeurs, et que, malgré l'usage contraire de la plupart des professeurs de son temps, il évitait dans ses leçons une profondeur déplacée, et s'en tenait aux explications les plus simples, a des explications presque verbales *. Si telle était la manière d'Abélard dans le commentaire et la glose, au rapport de J. de Salisbury, qui l'avait entendu lui-même, cette glose, quelque simple qu'elle soit, peut très-bien appartenir à Abélard ; et nous avons cru devoir en publier le prologue 2, qui en est la partie la moins aride. Mais assurément ce n'est pas ce manuscrit qui nous donnera les lumières que nous cherchons sur la dialectique d'Abélard : tout au plus y apprendrons-nous ce que pouvaient être ses leçons h ses plus faibles écoliers. Nous serons plus heureux avec les deux autres manuscrits.
Voici ce que disent de ces deux manuscrits les auteurs de l'Histoire littéraire de la France :
« 11 y a quatre ouvrages d'Abélard conservés dans la « bibliothèque de Saint-Victor, dont le premier est in- « titulé : Pétri Peripaietici libri quatuor Caicrjoria- « rum, sive super Prœdicamenta Aristotelis. Le second : « Pétri Peripaietici Analyticorum liber prinnis et
\. Joh. Salisb., Metalogicus, lib. ni, cap. i. « Quomodo Porphyriuir lcgi oporteat et alios auctores. — Equidem ex animi mei sententia sic omiieni librum lcgi oportet ut cpaam facillime potest eorum quœ scribun- lur bnbeatur cognitio. Tvon cnim nccasio quœrenda est ingerendoo difDcul- tatis, sed ubique facilitas generanda. Qoem niorem secutiiiii recolo Pe- ripateticum Palatinum... malens iustruerc et proniovere suos in puerilibus quam in gravitate pliilosophornin esse obscurior; faciebat enini gtndiosis- sirae quod in omnibus prœcipit ficri Augustinus, id est icrum intellectui serriebat. » 2. Ouvrages inédits d'Abélard, p. 003.
12 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
(( sccundus. Le troisième : Pétri Peripatetici liber « Divisionum (ce même livre se trouve dans la biblio- « thèque de Saint-Germain-des-Prés). Le quatrième : « Pétri Peripatetici liber definitionum . »
Description du manuscrit de Saint-Germain, no -1510.
Commençons par examiner dans ce peu de lignes ce qui se rapporte au manuscrit de Saint-Germain-des-Prés.
11 semblerait que ce manuscrit renferme un seul ou- vrage d'Abélard : Pétri Peripatetici liber Divisionum. On va voir que rien n'est plus inexact.
Oudin {de Scriptoribus ecclesiasticis, t. I, p. -1 172) fait beaucoup mieux connaître ce manuscrit.
D'abord Oudin fait mention d'un manuscrit de la bi- bliothèque de Fleury, qui contiendrait la logique d'Abé- lard avec celle de Raban-Maur. « In bibliotlieca floria- « censi, littera A. 4. exstat logica Pétri Abœlardi, una « cum logica Rhabani. » Puis arrivant au manuscrit de Saint-Germain, il avoue qu'il ne l'a pas eu entre les mains. « In bibliotlieca Sancti-Germani de Pratis, co- « dice 633 , Pétri Abœlardi divini Peripatetici dia- « lectica. Paucis autem post titulum carie exesis : In- « tentio de propositione calegorica una apta categorico « syllogismo regulari. » Nous allons donner une des- cription fidèle de ce manuscrit de Saint-Germain qui est à la Bibliothèque du Roi, manuscrit dont parle si négli- gemment l'Histoire littéraire, et dont Oudin rapporte le titre et la première ligne.
Le manuscrit de Saint-Germain est un petit in-4° en parchemin, écrit de plusieurs mains, presque toujours a deux colonnes. L'écriture est du treizième siècle. Il a au-
ABÉLARD. 43
jourd'hui pour numéro 1310; sur la première page est l'inscription : Sancti Germani à Pratis numéro 4310, « olim 635. » C'est donc bien évidemment le manuscrit de Saint-Germaiu cité par Oudin. De plus, sur le reclo du 9e feuillet, dans l'intervalle des deux colonnes, est écrit, il est vrai d'une main récente : « Bibliotheca Floria- censis » ; et en effet nous montrerons tout à l'heure que ce manuscrit contient un écrit de logique de Raban-Maur, avec divers écrits du même genre d'Abélard , comme Oudin le dit du manuscrit de Fleury.
Notre manuscrit renferme, -1° la règle de saint Au- gustin; 2° une collection de sentences et de décisions ecclésiastiques; 3° le dialogue de saint Augustin : de Qua- Utate et Quantitate animai; A° des lettres et extraits de saint Augustin, de saint Basile, de saint Jérôme et autres Pères : après ces divers écrits vient un traité de logique d'Abélard dont le titre est a moitié effacé : Pétri Abœ...
summi Peripalctici ed , puis, a la ligne, en
lettres ordinaires : intentio A. est de proposilione
cat/tegor... una a cathegorico silloyismo regu-
lari, etc. C'est le titre et le début cités par Oudin, qui donne par erreur divini au lieu de summi, et qui ajoute gratuitement dialeclica, titre qui n'est pas dans le ma- nuscrit. En parcourant ce traité, on se convainc facile- ment que c'est un commentaire spécial sur le traité d'Aristote de V Interprétation. Le litre à demi effacé doit avoir été : « Pétri Abœlardi junioris Palatini summi « Peripatetici fditio super Aristotelem de Interpreta- « tione » , et le début : « Intentio Arislotelis est in lioc « opère Iraclare de propositione catégories, una ac de « calegorico syllogisme regularj. » Ce traité d'Abélard est II. 2
4 4 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
une véritable glose du môme genre que celle du manu- scrit du Roi 7493 sur le traité de Boëcc : De differentiis topicis. Il y a d'abord un polit prologue, puis la citation des diverses phrases d'Aristotc avec une explication lit- térale. Cette glose n'est pas achevée.
Au feuillet \ 8 est une lacune, et au \ 9 recto commence un nouveau traité d'Abélard dont le titre, écrit en encre rouge, est parfaitement lisible : Pétri Abœlardi junioris Palatini summi Peripatetici de Divisionibus in- cipit. Et cet écrit est évidemment celui que citent les auteurs de YHistoire littéraire, lesquels dans ce ma- nuscrit n'auront fait attention qu'à ce traité, parce que celui-ci y est en effet plus facile à discerner que tous les autres. L'inscription complète du traité de Divisionibus nous a permis de rétablir avec certitude celle de l'ou- vrage précédent; et nous verrons que partout dans ce manuscrit Abélard est désigné sous le nom de junioris Palatini summi Peripatetici, c'est-à-dire Abélard le grand péripafélicien moderne de Palais, ou plutôt Abé- lard le jeune de Palais. Car Abélard nous apprend lui- même qu'il avait cédé à ses frères son droit d'aînesse ' ; il était donc volontairement devenu junior. Voici la pre- mière phrase de ce commentaire : « Intentio Boethii est « in hoc opère agere de divisionibus et dare prœceptiones « ad componendum divisiones. »
Cette glose est semblable a la précédente; seulement elle est complète et s'étend jusqu'au feuillet 29 recto, où se rencontre un autre traité d'Abélard : « Pétri Àbœ- « lardij. (junioris) p. (palatini) 5. (summi)/?. (peripa- « tetici) editio super Porphyrium incipit. — Intentio
1. Atœl. opp. Hist. Calamit., p. U.
ABÉLARD. 4 5
« Porpbyrii est iu hoc opère tractare de sex vocibus et de « génère et de specie et de differenlia et de proprio et « de accidenti et de individuo et de signifleatis eorum. » C'est encore une glose, mais incomplète, qui s'étend jus- qu'au feuillet 35 verso, où se présente une nouvelle lacune. On pouvait espérer de trouver dans ce commen- taire quelques renseignements sur l'opinion d'Abélard touebant les universaux. Loin de là, l'auteur se borne encore à l'explication littérale du texte. On ne peut s'em- pêcher de penser, en lisant cette glose, que c'est après l'avoir entendue que Jean de Salisbury a tracé le modèle d'une interprétation de Porphyre, et qu'il fait allusion a cette glose lorsqu'il vante la manière simple, brève et appropriée a l'enfance (puerilem) qu'Àbélard employait dans ses leçons aux commençants. Le passage du Meta- logicus que nous avons cité ', si bien d'accord avec le caractère du commentaire que nous avons sous les yeux, démontre l'authenticité de ce dernier; et en même temps la parfaite conformité de manière de cette glose avec les précédentes et avec celles que nous allons rencontrer est une démonstration de l'authenticité de toutes et même de la glose sur les Topiques de Boëce, indépendamment de la preuve extrinsèque qui se lire des inscriptions de la plupart de ces traités. Mais poursuivons la description de notre manuscrit.
Le feuillet 36 est en blanc: au recto du feuillet 37, sans aucun litre, commence brusquement un autre ou- vrage : Propterca ita determinandum est ; et ce
nouvel ouvrage , de la même écriture que les précédents, s'étend jusqu'au feuillet M ; en le lisant, on reconnaît
1. Voyez plus haut, p. M.
16 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
que c'est un fragment d'une glose sur les Catégories. Elle a le même caractère que les gloses précédentes. Il est donc très permis de supposer qu'elle est également d'Àbélard.
Au feuillet 41 recto commence, avec une autre écri- ture et sans aucun titre, un morceau d'un genre tout différent. Ici la forme aride de la glose disparaît et fait place a une manière plus libre et plus heureuse. 11 y est traité du tout et des parties, du genre , de l'espèce et des individus; et, a cette occasion, la question des univer- saux est vivement controversée. Ce fragment est incontes- tablement d'Abélard, car l'auteur y parle de Guillaume de Champeaux comme de son maître ; il combat a la fois les réalistes et les nominaux, et expose cette opinion in- termédiaire qui depuis a été appelée le conceptualisme.
Ce morceau important s'étend du feuillet h\ recto au feuillet 48 verso; au milieu de la première colonne est un petit intervalle, indice d'une solution de continuité. Ici se rencontre un nouveau morceau sans titre sur les propositions modales, lequel va jusqu'au recto du feuillet 50, à la fin de la première colonne. Ce fragment a le même caractère de style que le précédent, mais il n'a pas Je moindre intérêt. Il n'y a pas de raison pour ne pas le considérer comme appartenant aussi a Abélard.
A la deuxième colonne du recto du feuillet 50, l'écri- ture ou plutôt l'encre change, et on tombe dans un mor- ceau assez insignifiant où il est encore question de la dif- férence, de l'espèce, du genre et de l'accident, avec des citations de Porphyre.
Au verso du feuillet 52 vient encore une encre nou- velle et un fragment nouveau, comprenant les deux co- lonnes de ce verso, et se rapporlant au commencement
ABÉLARD. M
du traité de l'Interprétation. Aux trois quarts de la 2e co- lonne de ce verso est une lacune, et au feuillet 53 recto, sans aucun titre, on trouve une écriture nouvelle, d'une finesse extrême, remplie d'abréviations et presque illi- sible; elle s'étend jusqu'au feuillet 57; c'est encore un fragment d'une glose assez étendue sur ce même traité de l'Interprétation.
Avant le feuillet 57, au recto du feuillet 56 , est encore une assez forte lacune. Au feuillet 57 l'écriture change de nouveau jusqu'au feuillet 63, où se présente une lacune nouvelle. Ces six feuillets contiennent la fin d'une glose sur les Catégories , sans nom d'auteur. Ce fragment com- mence avec le commencement des Post-prœdicawenta et finit à la fin du chapitre de motu. Il manque donc la glose sur le dernier chapitre de habere, et le dernier fragment est terminé par ces mots : Finis laboris.
Au feuillet 63 se rencontre une glose, toujours sans nom d'auteur, mais complète, sur le traité des divisions de Boëce. Elle commence ainsi, f° 63, 2e colonne : « In- « tentio Boethii est in hoc opère de regularibus divisioni- « bus disputare », et au verso du feuillet 66, Ve co- lonne , on lit : Expliciunt glossœ.
Le reste du verso est rempli par des règles et des exemples de syllogismes hypothétiques, également em- pruntés a Boëce.
Au feuillet 67, Ve colonne, recommence une glose nouvelle, continue et complète sur les Catégories d'Aris- tole , sans nom d'auteur, avec un prologue et les titres des divers chapitres du texte, y compris les Post-prœdi- cumenta. Ve ligne du prologue : « Inlentio Arislotelis est « in hoc opère de primis vocibus prima rcrum gênera
18 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« significantibus disputace. » Et feuillet 81 verso, co- lonne 2 : « Explicit de prœdicamentis. » Viennent en- suite les Post-prœdicamenta, et feuillet 85 verso: Ex- plicit. Maintenant de qui est celle glose? on ne peut guère supposer qu'Abélard ait fait deux gloses sur le même ouvrage, et le premier fragment de celle que nous avons rencontrée précédemment semble bien lui appartenir; mais il serait possible qu'il y eut plusieurs cahiers diffé- rents de la même glose, comme nous croyons avoir prouvé ailleurs 1 qu'il y a plusieurs rédactions diffé- rentes du commentaire d'Olympiodore sur le Pbédon. 11 serait possible encore qu'il y eût dans cette collection des morceaux de différents auteurs mêlés a des écrits d'Abé- lard ; car ce volume paraît être une collection de gloses dialectiques.
En effet, après les écrits dont nous venons de parler, vient une glose de Rabau-Maur, sur l'introduction de Porphyre ; elle porte le titre de Rhabanus super Por- phyrium, et commence ainsi : « Intentio Porpbyrii est « in hoc opère facilem intellectumadPrœdicamentaprœ- « parare, tractando de quinque rébus vel vocibus, etc. » Le prologue s'étend depuis le feuillet 86, -lre colonne, jusqu'au feuillet 87 verso, au milieu de la 2e colonne; suit la glose avec un titre a chaque nouveau chapitre. Cette glose n'est pas complète, et elle s'arrête au folio 93 verso.
Au feuillet 94 recto, l,e colonne, on trouve un frag- ment sans nom d'auteur sur le traité de Boëce, De diffe- rentiis topicis.
Enfin, au feuillet 95 recto, 2e colonne, nous relrou-
I. T. i de cette me série, pliilosophie ancienne.
ABÉLARD. 49
vons une glose de Raban-Maur, sur le traité de l'Inter- prétation, avec ce titre : Rhabanus super terencivaa (sic), et commençant ainsi : « Intentio Aristotelis est in « hoc opère de simplici enuntiativa interpretatione et de « ejus démentis, nomine siiicet alque verbo, gratia ip- « sius simplicis enuntiativœ interpretationis pertractare. » Cette glose s'étend jusqu'au feuillet -100 verso, et ne pa- raît pas achevée.
Elle est suivie d'un commentaire anonyme sur les psau- mes, qui termine le manuscrit.
Pour résumer cette longue et minutieuse description . nous croyons avoir établi que notre manuscrit 1310 est bien l'ancien manuscrit de Saint-Germain, mentionné par Oudin et l'Histoire littéraire; que ce manuscrit ne renferme pas seulement, comme l'Histoire littéraire sem- ble le dire, un traité d'Àbélard sur les Divisions, mais bien divers écrits dialectiques d'Àbélard, eu totalité ou en fragment, avec ou sans nom d'auteur, tantôtsous la forme de glose, tantôt sous une forme plus libre et plus déve- loppée. Tout ce qui est glose ne renferme rien d'impor- tant; on y trouve seulement la confirmation de ce que J. de Salisbury nous apprend de la manière d'enseigner d'Abélard. Il nous a donc paru suffisant de publier quel- ques pages de chacune de ces gloses, et nous avons cru devoir placer ces différents morceaux, non dans l'ordre qu'ils occupent en ce manuscrit , mais dans celui qui est le plus naturel, et que suivait probablement Abélard dans son enseignement, à savoir : l°la glose sur l'Introduction de Porpbyre ' ; 2° la glose sur les Catégories 2; 3° la
1. Ouvr.inéd. d'Abélard, p. o'oô.
2. lbid., p. 579.
20 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
glose sur le traité tic l'Interprétation '. Quanta la glose sur le traité des Divisions de Boëce , et quant au fragment de celle sur le traité De differentiis topicis , du même auteur, nous croyons d'autant moins les devoir repro- duire, que, pour donner une idée du manuscrit du Roi 7493, nous publions2 le prologue de la glose que ce ma- nuscrit renferme sur ce même traité De differentiis to- picis, et qu'il attribue positivement à Abélard.
La plupart de ces publications n'auront guère d'autre avantage que de faire connaître la forme de l'enseigne- ment d'Abélard , et encore de la partie de son enseigne- ment qui s'adressait aux commençants. Il n'en est point ainsi du fragment sur les genres et les espèces. Nous le publierons en entier 3, avec la conviction que nous ne possédons rien de plus important sur la philosophie de cette époque, et qu'une fois mis en lumière et livré aux historiens de la philosophie, ce fragment sera désormais la pièce la plus intéressante du grand procès du noniina- lisme et du réalisme, dans le siècle d'Abélard.
Description du manuscrit de Saint-Victor, no 844.
Passons maintenant au manuscrit de Saint-Victor. Ce manuscrit contiendrait, selon l'Histoire littéraire delà France, quatre ouvrages : -1° Pétri Peripatetici libri quatuor Categoriarum, sive super Prœdicamenta Aris- totelis; 2° Pétri Peripatetici Anahjticorum liber pri- mus et secundus; 3° Pétri Peripatetici liber Divisio- num , 4° Pétri Peripatetici liber Definitionum. Il est
1. Ouvr. inê.L, p. 597.
2. ll'hl., p. G05.
5. lbitl., p. 507-oàO.
ABÉLARD. 21
vraiment inconcevable que les auteurs de l'Histoire litté- raire aient donné une description aussi superficielle et presque toujours aussi fausse du manuscrit de Saint-Vic- tor, et cela quand ils avaient sous les yeux la description détaillée qu'Oudin a faite de ce manuscrit, qu'il déclare avoir vu et examiné lui-même. Nous allons reproduire la description d'Oudin :
« In Victorina canonicorum regularium divi Auguslini, « codex eximius notatus m. m. m. c, ubi omnia fere plii- « losopbica Pétri Abœlardi Palatini Peripaletici. In « hoc itaque ms. codice Logicalia dicti Abœlardi or- « dinc isto procedunt :
« Super Prœdicamenta Aristotelis , folio -117, Com- mentarius incipit : Union vero universaliter in generi- bus substantiarum accipiendum esl , etc. »
« Ejusdem de modis significandi , folio 127. Evolu- tus super ius textus ad discretionem significationis nominum et rerum, naturas quœ vocibus désignait- tur, diligenter secundum distinctionem decem Prœdi- camentorurn apcruit. »
« Ibid., folio 132. Pétri Abœlardi Palatini Peripa- tetici Analyticorum priorum liber primus. Incipit : Justa et débita série textus exigente, post tractation singularum dictionion, etc. »
« Folio 137. Explicit liber primus, incipit secundus eorumdem , hoc est Caiegoricorum : Categoricanon igitur proposilionum partibus sex membris guibus ipsœ coinponunlur, diligenter pertractatis. »
«Folio 143. Explicit secundus, incipit tertius : Quoniam aulem propositionum naturas in his cnun- liationibus oslendimus, etc. »
22 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
«Folio 449. Pétri Abœlardi Palatini Peripatetici Topicorum primus. Sicutante categoricorum syllogis- morum constitutionem ipsorum materiam in catégo- riels propositionibus oportuit prœparari, etc. »
« Folio \ 83. Pétri Abœlardi Palatini Peripatetici Topicorum liber explicit. Pétri Abœlardi Palatini Peripatetici Analyticorum posteriorum primus. No- vam accusationis calumniam advenus me de arte dia- lectica scriptitantem œmuli mei novissime excogita- verunl , affirmantes quidem de his quœ ad fidem non pertinent christiano tractare non licere, etc. »
« Folio -187. Explicit primus hypotheticorum, inci- pit secundus. Omnium autem hypotheticarum propo- sitionum natura diligenter pertractata, ad earum syllogismos discedamus, etc. »
« Folio -191. Pétri Abœlardi Palatini Peripatetici Analyticorum posteriorum secundus liber explicit. Pétri Abœlardi Palatini Peripatetici de Divisionibus. Dividendi seu diffiniendi peritiam non solum ipsa doctrinœ nécessitas commendat. »
« Folio J99. Ejusdem de Difûuitionibus. Hactenus quidem de Divisionibus tractation hafaiimus, de qui- lus satis est disputasse; nunc vero consequens est ut ad definitiones nos convertamus , quia, sicut dictum est, ex divisionibus nascuntur. »
Il est évident que le manuscrit que vient de décrire Oudin est bien le nôtre, celui qui est inscrit a la Biblio- thèque royale au n° 844, fonds de Saint-Victor. Il porte a l'extérieur les armes de l'abbaye de Saint-Victor, et à l'intérieur, sur le verso delà feuille qui sert de couverture, le numéro m. m. m. c.; qui était celui de ce manuscrit a la
ABÉLARD. 23
Bibliothèque de Saint-Victor, et le numéro même cité par Oudin. C'est un petit in-folio en parchemin, à une seule colonne, composé de deux parties bien distinctes, et de deux mains différentes. La première partie est un recueil de lettres de divers papes ; la seconde, une collection d'é- crits logiques d'Abélard. Cette seconde partie comprend depuis le feuillet -1-17 recto jusqu'au feuillet 202 verso. Le feuillet -H 7 porte un titre qu'Oudin n'a pas fidèlement transcrit. 11 y a dans notre manuscrit : Saripta super Prœdicamenta Aristotelis; et ce titre qui devait s'appli- quer à l'ensemble de la collection (scripta), est très- inexact, puisque cette collection embrasse beaucoup plus que les Catégories d'Aristote. Mais le premier écrit qui s'y rencontre roule en effet sur les Catégories. Le commence- ment manque, et en supposant que cet écrit suivît l'ordre des chapitres d'Aristote, le commentaire des deux premiers chapitres aurait péri, et notre manuscrit tomberait sur le troisième de ces chapitres, intitulé : De la substance. Oudin a mal cité la première ligne ; il faut lire : Undenon uhivermliter , etc. Ce premier ouvrage s'étend jusqu'au feuillet 127, où se rencontre non pas un autre écrit d'A- bélard, mais la suite du même écrit sous le titre : De modis significandi. Ce titre couvre une sorte de com- mentaire sur le livre de l'Interprétation. Au verso du feuillet 128 estime lacune apparente et non réelle; car le feuillet 129 est une continuation de ce qui précède, et ce commentaire se poursuit jusqu'au feuillet -132 verso, où pour la première fois paraît le nom d'Abélard, dans le titre suivant : Pétri Abwlardi Palatin i Peripalclici Ana- lyticorum priorum primus. Ici on peut se demander si les deux écrits qui précèdent sur les Catégories et sur Pin-
24 PHILOSOPHIE SCUOLASTIQITE.
lerprélalion appartiennent aussi a Abélard, dont le nom ne se trouve dans aucun des titres que nous avons rap- portés. Tout doute disparaît quand on entre un peu dans le contenu de ces deux écrits. D'abord ils sont intimement liés a ceux qui les suivent, lesquels portent le nom d'A- bélard, de sorte que l'auteur des derniers est nécessaire- ment celui des premiers. Ensuite, dans le traité sur les Catégories, qui par parenthèse n'est nullement divisé en quatre livres, comme le dit, on ne sait pourquoi, l'Histoire littéraire de la France, et aussi dans le traité sur l'Inter- prétation, l'auteur parle sans cesse, comme dans les trai- tés qui suivent, de Guillaume de Charapeaux comme de son maître. H y a plus : il se nomme lui-même, et à l'oc- casion de l'imposition des noms et du rapport des mots a la nature des choses, il dit (fol. 127, v° *•:) « Eas igilur a solas oportet exequi (voces), quae ad placitum signifi- « cant, hoc est secundum volunlatemimponenlis, qaaevi- « delicet, prout libuit ab hominibus formatée, ad huma- « nas loculiones constituendas sunt repertœ et ad res de- « signandas impositae, ut hoc vocabulum Abœlardus mihi « in eo collocatum est, ut per ipsuni de substantia mea « agatur. »
Au verso du feuillet -132 se trouve, comme le dit Ou- din, expressément attribué a Abélard, un ouvrage inti- tulé : Analylica priora, ouvrage divisé en trois livres, et qui s'étend jusqu'au feuillet 449, verso. Mais ces pre- miers Analytiques forment la suite des deux écrits qui précèdent, comme le commentaire sur l'Interprétation était la suite du commentaire sur les Catégories. Le début
\. Ouvr. inéd., p. 212.
ABELARD. zo
de chacun de ces écrits résume l'écrit précédent, et mar- que la continuité du tout.
Au verso du feuillet ^9 commence encore, sous le nom d'Abélard, et toujours avec la désignation de Pala- tini Peripatetici, un traité des Topiques en un seul livre, quoique le titre, fidèlement cité par Oudin (Topicorum primus), semblât annoncer plusieurs livres. Ce traité, où les ouvrages qui précèdent sont rappelés et les suivants indiqués d'avance, forme un tout parfaitement complet qui comprend jusqu'au feuillet -183 recto, où revient, toujours sous le nom d'Abélard , la deuxième partie des Analytiques, les seconds Analytiques divisés en deux li- vres, et qui vont jusqu'au feuillet 4 91 recto.
La commence un traité îles Divisions et des Définitions, intitulé seulement Divisionum. Le traité des Divisions proprement dit s'étend jusqu'au feuillet 199 verso, où se trouve sans aucun titre particulier le traité des Défini- tions, qui comprend jusqu'au feuillet 202 recto, et ter- mine le manuscrit. S'il pouvait rester le moindre doute sur l'authenticité de ce traité des Divisions et des Défini- tions, il serait entièrement levé par une phrase où l'au- teur, parlant des noms propres, se désigne lui-même : Ut Abaclardus quod mihi uni adhuc convenire videlur (fol. -197, recto) '.
J'ai déjà fait remarquer que les divers ouvrages de dia- lectique que contient ce manuscrit, et qui appartiennent incontestablement à Abélard, se lient les uns aux autres, et forment un seul et même corps, un ouvrage unique. C'est ce que n'a pas vu Oudin , et ce que démontre un examen attentif de notre manuscrit. Au lieu de gloses sé-
). Ouur. inéd., p. 480.
il. 3
26 PHILOSOPHIE SCnOLASTIQUE.
paréos sur les diverses parties de la logique d'Aristote, nous avons ici un traité de logique parfaitement régulier et méthodique, où l'auteur parle en son nom et pour son propre compte, mais en s'appuyant sur Aristote et sur Boëce, et en adoptant les formes et les titres des princi- paux écrits dont se compose l'Organum. Voici le plan de l'ouvrage entier, tel que nous le tirons de l'étude appro- fondie du manuscrit de Saint-Victor.
Plan de l'ouvrage de dialectique renfermé dans le manuscrit de Saint-Victor.
La logique commence par constater et classer les élé- ments les plus simples de la pensée, lesquels, exprimés en paroles, deviennent les éléments mêmes, les parties du discours. Telle est la première partie de toute logique, et de la logique d'Abélard. Elle s'appelait le livre des par- lies, liber Partium , parce qu'elle roulait sur les par- ties du discours. Ce liber Partium se divisait en trois livres ; un premier, qui correspondait très-probable- ment à l'Introduction de Porphyre, et exposait les élé- ments les plus simples de la pensée et du discours; un second livre, correspondant aux catégories d'Aristote, où ces éléments de la pensée et du discours étaient plus am- plement éclaircis et développés; enfin un troisième livre où ces éléments étaient considérés sous un point de vue grammatical , correspondant à celui de l'Interpréta- tion. C'est ce qui résulte évidemment de divers passages de notre manuscrit. Ainsi, au fol. Hl 32 verso ', avant les Analytiques, Abélard s'exprime ainsi : « Hactenus qui-
4. Omit, inéd., p.22G.
ABÉLARD. 27
« dem...de partibus orationis quas dictiones appellamus, « sermonein texuiinus; quaruin tractatum tribus volu- « miDibus compreliendinius. Primam namque parteni « libri Partiura ante Prœdicamenta posuimus; debinc « autem Prœdicanienta submisirnus, denique vero Prœ- « dicameûta novissime adjecimus, in quibus Partium « textuni complevimus. » Rien de plus clair. Le livre des parties en comprenait trois autres, et nous possédons le troisième, appelé ici Postprœdicamenta, expression qui ne doit pas rappeler les Postprœdicamenta d'Aristote ; car les Postprœdicamenta d'Aristote sont ici renfermés dans le second livre ou Prœdicamenta , et ce second li- vre, ces Prœdicamenta , nous les possédons aussi ; seu- lement le commencement nous manque. Mais ce qui nous manque entièrement, c'est ce qu'Abélard appelle primam partem libri Partium. Cette prima pars, ce premier livre du livre total des parties, devait traiter du geure, de l'espèce, du propre, de la différence, de l'accident. C'était le livre essentiel, et, à proprement parler, c'était tout le livre des parties. Aussi Abélard, en y renvoyant souvent, l'appelle-t-il plus d'une fois le livre des Parties, comme si à lui seul celui-là renfermait tous les autres. Par exemple, au fol. ^23 recto ', où il parle incidemment de l'espèce et de l'individu , il renvoie aux développe- ments qu'il a donnés, dit-il, dans le livre des Parties : « Neque enim substantia specierum diversa est ab essen- « tia individuorum, sicut in libro Partium ostendimus. » Et plus bas : « Si quae vero de speciei aut individuorum « natura bic minus dicta sunt, in libro Partium requi-
1. Ouvr. inèd., p. 20-!.
28 PHILOSOPHIE SCUOLASTIQUE.
« ranlur * . » On eu pourrait citer beaucoup d'autres exemples.
Après les parties du discours doit venir et vient ici en effet le discours ou la proposition elle-même, et avec la proposition le syllogisme , qui est composé de proposi- tions , comme les propositions sont composées de leurs parties, ou idées simples. Les propositions se divisent en catégoriques et hypothétiques; les syllogismes se divisent de même. De Ta deux traités distincts, l'un sur les propo- sitions et syllogismes catégoriques, qui doit suivre immé- diatement le traité des parties de la proposition; l'autre qui doit venir après, et qui renferme les propositions et les syllogismes hypothétiques. C'est ce qui est parfaite- ment exposé dans le début des premiers Analytiques, fol. 4 32 verso 2 : « Justa et débita série texlus exigente, « post tractatum singularum dictionum occurrit compa- ct ratio orationum. Oporluit enim materiam in partibus « prreparari, ac demum ex ea totius perfectionem con- « jungi. Sicut ergo partes natura priores erant, ita quo- « que in tractatu procedere debueraut, atque ad ipsas « compositionem totius subsequi decebat. Non autem « quarumlibet orationum constructionem exequimur, sed « in bis tanlum opéra consumenda est quœ veritatem seu « falsitatem continent, in quarum inquisitione dialecti- « cam maxime desudare meminimus. Unde cùm inter « propositiones qua?dam earum simplices sint et natura « priores, ut categorica?, quaîdam vero compositœ ac pos- « teriores, ut qute ex categoricis junguntur hypothetieae, « bas quidem qucc simplices sunt prius esse tractandas
1. Ouvr. inéd., p. 205.
2. lbid., p. 205.
ABÉLARD. 29
« ex supra posita causa, unaque carum syllogismos ex « ipsis componendos esse apparet. » En conséquence AbéJard traite d'abord des propositions catégoriques et des syllogismes qui s'en forment. Cette partie de sa logi- que eu est en quelque sorte la seconde, qu'il appelle les premiers Analytiques, divisés en trois livres, ainsi ter- minés (fol. H 49 verso) ' : « Hœc de catégoriels tam pro- « positionibus quani syllogismis dicta doctrinae suffi- « ciant. o
Après les premiers Analytiques devaient venir nalu- rellement les seconds, destinés à traiter des propositions hypothétiques et des syllogismes auxquels elles donnent lieu. Mais tout syllogisme hypothétique, comme toute proposition hypothétique, suppose quelque chose d'ac- cordé, sans quoi la conséquence ne serait pas solide, quelque chose de général, des axiomes, des principes qui constituent la force cachée de l'argumentation. Il ne se- rait donc pas rigoureux de traiter de l'argumentation, du syllogisme et de la proposition hypothétique avant de s'être expliqué sur le compte de ces axiomes, de ces prin- cipes appelés ordinairement lieux communs. De la la nécessité de faire intervenir un traité des Topiques entre les premiers Analytiques et les seconds, pour ne laisser aucune lacune dans la dialectique. Ahélard explique fort bien (fol. \ '«9 verso)2 l'introduction de cette nouvelle partie : « Sicut, ante categoricorum syllogismorum con- « stitutionem, ipsorum materiam in catégoriels proposi- « tionibus oporluit praeparari, ita étante hypolheticorum « compositionem connu propositiones hypothelicas, undc
1. Oltvr. inéd. , [i. S23.
2. lbid., ik ôdi.
30 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« et ipsi noniinantur, necesse est tractari. Nullœ autem « idoneœ propositiones ia constitutione syllogismi su- « muiitur, uisi quibus auditor conseusit, boc est quas pro « veris recipit, sicut ex difOuitione syllogismi quam iu « extrema parte Catcgoricorum posuimus, manifestum « est. Quoniam ergo bypotbeticœ enuntialiones qua- « runi seusus sub consecutionis conditione proponitur, « inferentiae siue sedem ac veritatis evidentiam ex locis « quammaxime tenent, ante ipsas rursus bypotbeticas « propositiones Topicoruin tractatum ordinari convenit , « ex quo maxime bypotbeticarum propositionum verilas « seu falsitas dignoscitur. » Viennent ensuite les seconds Analytiques, exactement sur le même plan que les premiers (fol. -183 verso) '. « Sicut, ante ipsorum catcgoricorum « (syllogismorum) complexiones , categoricas proposi- « tiones oportuit tractari, ex quibus ipsi materiam pariter « et nomen cœperunt, sic et Hypotheticorum tractatus « prius est in bypotbeticis propositionibus eadem causa « consumendus. » Ces seconds Analytiques comprennent deux livres dans lesquels sont exposées en détail les rè- gles des syllogismes bypotbétiques.
Eufin, un traité de logique n'eût pas été complet s'il n'eût fini par l'exposition des règles de la définition ; et la déûnitiou supposant la division , cette dernière partie de la dialectique d'Abélard devait comprendre la divi- sion et la définition dans un seul et même livre où la di- vision précède et où la définition termine. « Quoniam « vero (f°-!91 recto)2 divisiones difûnilionibus natu- « raliter priores suut, quippe ex ipsis conslitutionis
\. Ouvr. inéd., p. 437. 2. lbid., p. -550.
ABÉLARD. 31
« suœ originem ducunt, ut posterius apparebit , in « ipso quoque tractatu divisiones merito priorem lo- ti cum obtinebunt, diffinitiones vero posteriorem. Quœ « etiarn qualiter divisionibus ipsis nécessaire sint non « prœlermiltemus , quibus ita quoque adjunctœ suut, ut « eosdem terminos participent atque in eadem materia « consistant ; unde et recte earum tractatus conjunxinius, « de quibus deinceps disserenduni est. »
Tel est l'ouvrage que renferme le manuscrit de Saint- Victor. On voit qu'il se divise de lui-même en cinq parties, l'une qui traite des éléments ou parties de la pro- position; la seconde, des propositions simples, dites pro- positions catégoriques, et des syllogismes qui en dérivent; la troisième, des lieux communs ou principes de toute argumentation; la quatrième, des propositions et syllo- gismes hypothétiques ; la cinquième , de la division et de la définition. L'auteur, sans distinguer aussi expressé- ment ces parties que nous le faisons ici, les indique clai- rement, marque et sans cesse rappelle leur enchaînement dans l'économie de la composition générale. Lui-même, au commencement des premiers Analytiques (fol. 1 32 verso) ', dans un passage du plus grand intérêt pour l'his- toire, et sur lequel nous reviendrons plus tard, en faisant mention des ouvrages qu'il a employés dans la composi- tion du sien , nous révèle tout le plan de sa dialectique, et ses diverses parties : « Sunt autcm très quorum septem « codicibus omnis in bac arte eloquentia latina armatur. « Aristotelis enim duos tantum, Pnedicamenlorum scili- « cet et Péri ermenias libros usus adliuc latinorum co- ït guovit ; Porphyrii vero unuin, qui videlicet quinque
I. Ouvr.inéd., p. 228-229.
32 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« vocibus conscriptus, génère scilicet, specie, differentia, « proprio et accidente, iutroducliouem ad ipsa praeparat « Prœdicamenta. Boethii antem quatuor in consuetudi- « nem duximus libros, videlicet Divisionum et Topiconim « cum syllogismis lam catégoriels quam liypothelicis. « Quorum omnium summam nostrœ dialecticœ textus « plenissime concludet et in lucem usumque legenlium « ponct, si nostrœ Creator vitre tempora pauca concesse- « rit, et nostris livor operibus frena quandoque laxave- « rit. »
Que cet ouvrage est probablement la Dialectique d'Abélard.
Ce passage résume l'ouvrage entier et montre la haute importance qu'y attachait Abélard. 11 y avait employé toutes les ressources de sou érudition, et il nous est per- mis de supposer que nous possédons ici sa fameuse Dia- lectique. Celte conjecture paraît bien vraisemblable quand on rapproche de plusieurs passages de notre manuscrit celui de la Theoloyia christiana, où Abélard cite lui- même sa Dialectique. Ce passage que nous avons cité plus haut1, pour démontrer qu' Abélard avait en effet com- posé un traité de dialectique, renvoie à une exposition étendue de la règle célèbre : Tout ce qui s'affirme de l'attribut, s'affirme du sujet, avec les distinctions qu'elle admet et les exemples dont elle a besoin. Or, celte règle est exposée tout au lougdans noire manuscrit, feuillet 163 verso 2 sous ce titre : a prœdicato vel subjecto. H y a quelque chose eucore sur cette matière, feuillet \ 35 verso D
\. Page 8.
2. Ouïr. inéd. , p. 580.
3. IbuL, p 2 JG.
ABÉLARD. 33
sous le litre de prœdicato. Mais c'est surtout au feuil- let H 43 recto ', sous ce titre : De unis et multiplicibns seu compositis et simplicibus propositionibus , qu'on trouve développée la relation, portée quelquefois jusqu'à l'identité par la disposition des mots, du sujet et de l'at- tribut, avec les mêmes exemples qu'apporte la Theologia christiana. On pourrait établir d'autres rapprochements encore; on pourrait même retrouver dans notre manu- scrit cet autre ouvrage cité dans les deux autres passages que nous avons mentionnés 2, l'un de V Introduclio ad theologiam , l'autre de la Theologia christiana, ou- vrage qu'Abélard appelle lui-même sa grammaire. Du- chesne, qui a connu et rapporté le premier passage, celui de V Introductio , propose d'y lire 5 dialecticam au lieu de grammatical», , parce qu'il s'agit d'un sujet de lo- gique, la quantité, laquelle est en effet une des catégo- ries d'Aristote. Mais à ce compte, dans l'autre passage de la Theologia christiana, il faudrait donc introduire le même changement, et lire aussi dialectica au lieu de grammatica, car il s'agit aussi de logique et d'une sorte de commentaire ou révision des Catégories, in retracta- tione Prœdicamentorum. Ces changements ne sont point nécessaires. D'abord, en principe, les deux copistes n'ont pu s'entendre pour faire tous deux la même faute dans deux ouvrages différents, et l'identité des deux leçons est une preuve de leur commune authenticité. Ensuite la logique et la grammaire, surtout la grammaire générale dont il est question, se ressemblent fort, et Abélard a très-
\. Ouvr. inéd., p. 29 s.
2. Pages 7 ei 8.
5. Aliœl. opp., i>. Il2"i, IICO.
34 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
bien pu appeler grammaire la première partie de sa logique , celle qui traitait des parties de la peusée et du discours , de partibus orationis , et qui contient dans notre manuscrit les commentaires sur Porphyre, sur les Catégories d'Aristote , et sur l'Interprétation. Celte hypo- thèse semble se vérifier quand on rencontre dans notre commentaire sur les Catégories un traité de la quantité, de Quantitate ( feuillet \M verso) ', ce qui est le titre de l'ouvrage cité par X Introductio , et dans ce môme commentaire encore un traité des relations , de Relalivis (fol. -122 recto) 2, où les relations sont démontrées n'avoir d'existence que dans leurs sujets , ce qui est la thèse même du passage de la Theologia christiana. On y retrouve précisément le même exemple à la fois logique et théologique. De tout cela on pourrait induire l'identité de la Grammaire d'Abélard et de sa Dialectique , et sur- tout on peut en conclure que sa Dialectique est bien en effet l'ouvrage contenu dans notre manuscrit.
Mais quelque plausibles que nous paraissent a nous- même ces conjectures, n'oublions pas que ce ne sont que des conjectures. Après tout, il serait possible qu'Abélard, qui avait beaucoup écrit sur la dialectique, pliirima, comme il le dit lui-même, eût fait un traité de grammaire différent de sou traité de dialectique , bien que ces deux écrits dussent avoir plus d'un trait de ressemblance et plus d'une matière commune; et il serait possible encore que le manuscrit de Saint-Victor ne fût ni l'un ni l'autre de ces deux écrits. Faute d'un témoignage positif et irré- cusable, il vaut mieux nous en tenir ace que nous avons;
1. Ouvr. inéd. , p. 178.
2. ibid.,?. 201.
ABÉLAUD. 35
et, soit que notre manuscrit renferme ou non l'ou- vrage auquel la Théologie chrétienne fait allusion et le traité de dialectique que paraît avoir possédé Duchesne , nous pouvons affirmer du moins avec la plus entière cer- titude qu'il contient un monument de dialectique d'une vaste étendue, parfaitement ordonné, composé avec le plus grand soin, qui peut représenter a nos yeux les au- tres écrits d'Àbélard sur les mêmes matières, et qui nous donne une idée exacte et complète de ses idées et de ses travaux dialectiques. Nous publions donc presque inté- gralement cet important ouvrage '.
Il n'est pas très-facile de déterminer l'époque où il a pu être composé. Nous n'avons trouvé dans le texte au- cun fait, aucune donnée positive qui nous permette de prétendre ici à un résultat certain.
Date probable de la composition de ce traité de dialectique.
Les gloses du manuscrit de Saint-Germain ont été très- probablement composées pendant le cours de l'enseigne- ment d'Abélard , qu'elles reproduisent; mais ce ne sont point ici des gloses , ce n'est pas même un commentaire, a proprement parler; c'est un ouvrage original où Abé- lard a libremeut employé et mis a profit tous les auteurs qui faisaient autorité sur la matière. Ce ne sont plus des cahiers de professeur, rédigés avec négligence, c'est un livre travaillé avec soin. Il est adressé à un frère de l'au- teur. On sait par Abélard lui-même 2 qu'il avait plusieurs
\. Ottvr.inM.,?. ^3-503.
2. Abwl. opp. Histor. Calam., p. 4. Abélard était certainement l'aîné de ses frères. Cela résulte de la phrase : Sic itaijue primogenlttm snum quauto cariorem habebat (pater), tunlo diïtgentlus erudiri cwavii.
26 PHILOSOPHIE SCIIÔLASTIQUE.
frères auxquels il avait cédé son droit d'aînesse. On sait encore, par le registre du Paraclet cité par Duchesne ' , qu'un de ses frères se nommait Raoul, Radulphus. Ce- lui auquel ce livre est adressé y est appelé Dagobert, Dagoberius. Abélard en parle avec tendresse; il a com- posé ce livre à sa prière, pour l'instruction de ses ne- veux : (Fol ^2 v°) - « Cumvoluminis quantitatem men- « tis imaginatione collustro, et simul quae facla sunt res- « picio et quœ facienda sunt penso, pœnitet, frater « Dagoberte, petilionibus tuis assensum prœstitisse, ac « tanlum agendi negotium prœsurnpisse. Sed ciun lasso « mihi jam et scribendo fatigato lua3 memoria caritalis ac « nepolum disciplinée desiderium occurrit, vestri statim « coutemplatione mibi blandiente, languoromnis mentis « discedit; et animatur virlus ex amore, quae pigrafue- « rat ex labore , ac quasi jam rejectum onus in humeros « rursus caritas tollit, et corroboralur ex desiderio quae « languebat ex fastidio. » Cependant, quoique Abélard ait parliculièrement destiné cet ouvrage a sa famille, il avait aussi en vue le public et l'utilité commune : (Fol. -191 verso) 3 « Ad tuam, frater, imo ad commun em om- « nium utilitatem. » Partout, dans cet ouvrage, respire une fierté qui va souvent jusqu'à l'orgueil et qui éclate à travers une mélancolie profonde. Souvent Abélard parle de ses ennemis et de ses malheurs en homme découragé
La phrase qui suit, bien entendue, loin de conlrcdirc la première, la con- firme : Tanlo earum ( litterarum ) amore illectus sum, ut mililaris glo- rice pompam cum hœreditale et preeror/ativa primogenitorum meo- rwn fralribus derelhiquens, etc. Lisez meis au lieu de inconnu.
\. AbcTl. opp. Noix, p. \ \\i.
2. Ouvr. indtl., p. 220.
5. Ibid. , p. 430.
ABÉLARD. 37
et abattu ; mais souvent aussi le sentiment de son génie et la grandeur de ses desseins le relèvent, et ce dialecticien du douzième siècle s'exprime quelquefois comme plus tard auraient pu le faire Roger Bacon ou Galilée. Je ci- terai pour exemple le début des premiers Analytiques, fol. -132 verso1 : « Necpropter œmulorum detractationes « obliquasque invidorumcorrusiones, nostro decrevimus « proposito cedendum , nec a communi doclrinœ usu « desistendum. Etsi enim invidia nostrœ tempore vitœ « scriptis nostris doctrinal viam obstruât, studiique exer- « cilium apud nos non permittat, tum sallem eis habenas « remitti non despero, cum invidiam cum vita nostra su- « premus dies terminaverit, et in bis quisque quod doc- « trinae necessarium sit inveniet... Post omnes tamen ad « perfectionem doclrinœ locum studio nostro reservaluni « non ignoro... Conlido autem in ea quœ mini largius «est ingenii ahundantia, ipso coopérante scientiaruni « dispensatore, non pauciora vel minora me prœstiturum « eloquentiœ Peripaleticœ munirnenta quam illi prestite- « runtquoslatinorum célébrât studiosadoctrina. » Ce lan- gage, à la fois superbe et inquiet, trahit un homme plein du sentiment de ses forces et de la beauté de son entreprise, mais qui a déjà éprouvé ce qu'il en coûte d'oser appli- quer la dialectique à la théologie , et cet écrit suppose in- contestablement pour nous la première condamnation d'Abélard au concile deSoissonsen \\2\ ;car auparavant il n'aurait pu dire, comme il le fait ici , qu'on lui a in- terdit d'enseigner et d'écrire.
Il y a même un autre passage qui pourrait faire placer cet écrit après le concile de Sens. On sait qu'à ce dernier
l. Ouvr. inéd., p. 227.
il. 4
38 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
concile une des principales accusations intentées contre Abélard fut de trop imiter Platon et de défigurer l'idée du Saint-Esprit en le considérant comme l'aine du monde. En effet, cette analogie est tout au long développée par Abélard dans l'Introduction et dans la Théologie. Inlrod., lib. I, pag. -J0I5. « Bene autem Spiritum Sanctum ani- « mam mundi quasi vitam universitatis posuit.... Quod « dicit vero Deum excogitasse terlium animoo genus, quod « animam mundi dicimus, laie est ac si tertiam a Deo et « vow personam adstruat esse Spiritum Sanctum in illa « spirituali divina subslantia. » Theol. christ., lib. I , pag. -H86 : « Nunc autem illa Platonis verba de anima « mundi diligenter discutiamus, ut in eis Spiritum Sanc- « tuni integerrime designatum esse agnoscamus. » Sur quoi saint Bernard s'était écrié : « Dum multum sudat « quomodo Platonem faciat ebristianum, se probat ethni- « cum » [Epist. ad pap. Innoc). Ici, au contraire, Abélard combat celte même doctrine qu'il a professée dans l'Introduction et la Théologie. Ce morceau est trop im- portant pour ne pas être rapporté tout entier (fol. -195 verso ') : « Sunt autem nonnulli catholicorum qui, alle- « goriœ nimis adhœrentes, Sanctœ Trinitatis fidemin bac « consideratione conantur ascrihere, cum videlicet ex « summo Deo queni Tagaion appellant, Noi naturam « intellexerunt quasi filium ex pâtre genitum ; ex Noi « vero animam mundi esse quasi ex filio Spiritum Sanc- « tum procedere. Qui quidem spiritus cum lotus ubique « diffusus omnia contineat, quorumdam tamen fidelium « cordibus per inhabilantem gratiam sua largitur charis- « mata quœ vivificare dicilur suscitando in eis virtutes 7
\. Ouv. inéd., p. 47».
ABÉLARD. 39
« in quibusdara vero dona ipsius vacare videulur quoj « sua digna habilatione non invenit, cum tanien et ipsis « prœsentia ejus non desit, sed virtutuni exercitium. Sed « bœc quideni fldes Platonica ex eo erronea esse convin- « citur quod illam quam inundi auiniam vocat, non co- « œlernain Deo sed a Deo , more creaturarum , originem « babere concedit. Spiritus enim Sanctus ita in perfec- « tione divina) Trinitatis consistit, ut tam patri quam « filio consubstantialis et coœqualis et coœternus esse a « nullo fidelium dubitetur ; unde nullo modo tenori ca- « tholicœ fîdei adscribendum est quod de anima inundi « Platoni visum est constare. » Cet avis s'adresse à quel- qu'un des pbilosopbes platoniciens du douzième siècle, et vraisemblablement a Bernard de Chartres1 ; mais il peut aussi fort bien s'appliquer à Abélard. C'est un désaveu in- direct très-positif, et Saint Bernard lui-même aurait dû s'en tenir pour satisfait. Il semblerait donc impossible de ne pas admettre que ce morceau , de la plus rigoureuse orthodoxie, a du suivre et non pas précéder le concile de Sens. En ce cas , il faudrait supposer que l'ouvrage que nous examinons a été composé après -H 40, dans les dernières années de la vie d'Âbélard, lorsque après sa der- nière condamnation il était retiré à Cluny, auprès de Pierre le Vénérable. Dans cet asile, il écrivait et travail- lait encore, comme nous l'apprend la lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse 2. « Nec momenlum aliquod prsc- « terea sinebat quin simper aut orarct aut legeret aut « scriberet aut diclaret.... antiqua sua revocans studia, « libris semper incunibcbat. » A l'appui de celte bypo-
1. Voyez l'Histoire littéraire de la France, t. xn, p. 271.
2. Abœl. opp. epist. 23, p. 341.
40 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
thèse, on pourrait dire encore qu'excepté quelques échap- pées d'amertume et de fierté douloureuse , il règne en général dans cet écrit un ton assez calme sur les hommes et sur les choses. Dans VHistoria calamitatum écrite à Saint-Gildas entre ses deux condamnations, Ahélard s'ex- prime sur son maître Guillaume de Champeaux avec irri- tation et dédain. Ici il le critique quelquefois, plus sou- vent il le défend , toujours il le traite avec une considé- ration marquée. A l'égard de Roscelin, la violence de la lettre a févêque de Paris qui se trouve dans la collection ded'Amboise1 contraste singulièrement avec le langage exempt de passion du manuscrit de Saint-Victor. La doc- trine de Roscelin y est censurée sévèrement , mais sans aucun fiel. Il semble même que toutes ces querelles dia- lectiques sont déjà bien loin d'Abélard , car il en parle comme de souvenirs d'un autre âge.... memini.... di- cere solebam.... Ces formules reviennent sans cesse. A ce propos, il faut remarquer que le fragment de Saint- Germain est d'un ton bien différent. C'est une polémique serrée, vigoureuse, incisive, on y sent une âme encore tout engagée dans les luttes de l'école. Il serait donc pos- sible que ce fragment appartînt à une époque de la vie d'Abélard plus voisine de sa jeunesse, tandis que le tran- quille, l'orthodoxe, le mélancolique ouvrage que nous a conservé notre manuscrit, semble avoir été composé dans la dernière partie de la vie d'Abélard , après sa seconde condamnation , dans la paisible et laborieuse so- litude où cet ardent génie est allé s'éteindre.
Mais une grave difficulté s'oppose à cette conclusion. Si le traité que renferme le manuscrit de Saint-Victor est
I. Abxl. opp. epist. 23, p. 334.
ABÉLARD. 41
en effet postérieur à la seconde condamnation d'Abélard, il s'ensuit qu'il n'a pu être cité dans la Theologia ehris- tiana, et que par conséquent il n'est pas la célèbre dia- lectique a laquelle la Theologia christiana fait allusion. Ou si Ton persiste à reconnaître la dialectique dans le manuscrit de Saint-Victor, il faut alors renoncer à sou- tenir que notre traité ait été composé dans les dernières années de la vie d'Abélard. Quelle que soit donc la véri- table date de la composition de cet écrit , nous allons le considérer et l'étudier en lui-même, et le réunissant au fragment de Saint-Germain sur les genres et les espèces, ainsi qu'aux diverses gloses du même manuscrit, recher- cher ce que ces anciens monuments, publiés pour la pre- mière fois et rassemblés daus ce volume, peuvent nous fournir de lumières nouvelles sur Abélard, sur sa philo- sophie et sur celle de son siècle.
Des ouvrages d'Abélard jusqu'alors inconnus, qu'indiquent nos manuscrits.
I. Une des premières questions que la curiosité adresse à tout ouvrage d'un auteur célèbre, qui voit le jour pour la première fois, est celle-ci : Ce monument, jusqu'alors inconnu, ne nous en révélerait-il pas d'autres encore du même auteur? Puisque Abélard avait fait tant d'ouvrages de philosopbie , la découverte de l'un d'eux pourrait con- duire ii celle de quelques antres; ainsi c'est YIntroductio ad Theologia/// et la Theologia christiana qui nous ont appris qu' Abélard avait composé un traité de dialectique, traité que nous croyons avoir retrouvé dans celui que nous publions. Celui-ci, à son tour, ne pourrait-il nous mettre sur la trace de quelque autre écrit, aujourd'hui perdu ou
4.
42 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
peut-être encore enseveli dans la poussière d'une biblio- thèque , comme le nôtre l'était il y a si peu de temps? A cet égard , le manuscrit de Saint-Victor nous fournit plus d'un document précieux. D'abord , comme nous l'avons déjà dit, il nous apprend, par plus d'un passage, que la Dialectique commençait par un livre qui , dans l'économie générale de ce grand traité, occupait la place de l'Introduction de Porphyre dans l' Organum , et vrai- semblablement roulait sur les mêmes matières. Ce livre, appelé le livre des Parties, liber Parlium, manque dans notre manuscrit, et probablement il est à jamais perdu pour nous ; car le manuscrit de Saint-Victor paraît unique en Europe. C'est dans ce liber Partium que devaient se trouver les questions les plus curieuses et les plus impor- tantes de la dialectique, et, à en juger par le reste de l'ouvrage dont il formait le commencement , il devait cire aussi étendu et aussi développé que la glose sur l'In- troduction de Porphyre est brève et aride. A défaut du livre lui-même, du moins en avons-nous quelques frag- ments dans les allusions nombreuses qu'Abélard fait à son propre ouvrage. Ces allusions recueillies feraient suffisam- ment connaître ce premier livre de la Dialectique ' ; mais ce n'est pas là le seul document que contienne le manu- scrit de Saint-Victor. Il nous révèle encore l'existence d'un autre ouvrage d'Abélard que rien jusqu'ici ne pouvait nous faire soupçonner. Il parait qu'outre ses gloses sur Porphyre, sur Aristote et sur Boëce, et notre grand traité de dialectique , Abélard avait aussi composé un autre traité de dialectique beaucoup plus élémentaire que le
\. Elles sont dans les Ouv. inéd., aux pages 20î, 205, 227, 537, 400, 4-17, etc.
ABÉLAKD. 43
noire, à l'usage des commençants. Voici, en effet, ce que nous trouvons, fol. 4 37 recto ' : « Quaj autcm in— « viccm contraria; propositions vel contradictoriœ, quae « etiam subalterne vel subcontraria) dicantur aut quas « ad invicem inferentias vel differentias qualesque con- a versiones habeant , in his introductiouibus diligenter « patefecimus quas ad tenerorom dialecticorum erudi- « tionem conscripsimus. » Et ailleurs, fol. -147 recto2: « Quam etiam diffinitionem ( syllogismi) Boethius in se- « cundo Categoricorum suorum commémorât ac diligen- « ter singulas expediondo differentias pertractat , sicut in « illa altercatione de loco et argumeutatione monstravi- « mus quam ad simplicem dialecticorum institutionem « conscripsimus.» Ailleurs encore, fol. \ 51 verso 3 : « Non « est autem prœtermittenda ad cognilionem loci diffe- « reuliœ doctrina introductionum nostrarum quas ad « primam tenerorum institutionem conscripsimus, in « quibus.... » Il semble bien que cette introduction élé- mentaire a la dialectique portait le nom d'Introduction , lntroductiones ; car ce nom, que nous avons déjà ren- contré deux fois, revient constamment. (Fol. \ 67 verso) ''. « Non est autem prajtereunduni illas determinationes « cassas et inutiles esse quœ a quibusdam minus eruditis « maximis proposilionibus apponunlur superflue , quasi « integris vestimentis panniculi quidam assuantur; quas « quidem in his introductiouibus quas ad parvulorum « institutionem conscripsimus nos posuissc meminimus. »
\. Ouvr. inëd,, p. 2:. i.
2. Ibid., p. 332.
3. Ibid., pages 303, 300.
4. Ibid., p. 366.
ii PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Il résulte de celte dernière citation que ces Introrluctiones avaient été composées par Abélard à une époque déjà éloi- gnée de lui et probablement dans sa jeunesse : on pour- rait même supposer que leur vrai titre n'était pas seule- ment lnlroductiones, mais Introductionesparvulorum; car on trouve cette formule, fol. 163 verso ' : « Sicut in introduclionibus parvulorum ostendimus ; » et encore, fol. \ 85 verso 2 : « Unde me introductfonibus parvulorum « confirmasse memini lalium consequentiarum conver- « siones. » Toutes ces citations ne peuvent donc laisser aucun doute sur l'existence d'un ouvrage élémentaire de dialectique composé par Abélard dans sa jeunesse, et qui avait pour titre : Introductionesparvulorum.
Faut-il voir encore l'indication d'un ouvrage nouveau dans cette phrase où, a propos d'un sophisme de dialec- tique, Abélard dit, fol. -180 recto 3 : « Hujus autem supra « posita; argumentationis sophisticee solutionem primus « fantasiarum nostrarum liber plene continet. » Le ma- nuscrit donne bien fantasiarum ; mais ce mot nous est fort suspect. Abélard a-t-il pu faire et publier un ou- vrage sous ce titre : Mes rêveries, Mes caprices? Mais nous ne sommes pas encore au temps où les écrivains traitent assez familièrement le public pour lui adresser leurs fantaisies. Ou bien fantasiœ désignerait-il d'avance les quodlibeta du quatorzième et du quinzième siècle? On lit encore, fol. \tf recto 4, à l'occasion des diverses pro- positions du syllogisme et de leurs rapports : « Sed de bis
\. Ouvr. inéd., p. 581.
2. Ibid., p. -i 10.
3. //;;</., p. 12A. -$. Ibid.,, p. 308.
ABÉLARD. 45
« quidemquaeulroque termino participant in secundo Poi- « clierii nostri satis dictum esse arbitror. » Le manuscrit donne bien poicherii comme il donnait/an tasiarum. Mais Poicherii n'a pas de sens ; c'est évidemment une leçon corrompue. Ce mot caclie-t-il un opuscule inconnu d'Abélard, ou faut-il y voir seulement la citation alté- rée d'un ouvrage déjà connu? Eu tout cas, il s'agit toujours du même sujet; de sorte que nous serions tenté de retrouver encore ici les Introductiones, et, par exemple, au lieu de poicherii , de lire enchiridii, ou tout autre mot qui désignerait le manuel déjà mentionné. Sans doute il ne faut pas tourmenter les textes pour les ramener a une hypothèse; mais il ne faut pas non plus être esclave des fautes d'un copiste, et, sur de trom- peuses apparences, multiplier sans nécessité les écrits d'un auteur. Nous nous garderons donc de conclure des deux phrases que nous venons deciterqu'Àbélard, outre les Introductiones parvulorum, avait composé deux autres écrits de dialectique, l'un nommé Poicherium , l'autre Fantasias ; nous nous contenterons de tirer avec certi- tude, des nombreuses citations que nous avons mises sous les yeux du lecteur, l'existence incontestable de ces In- troductiones parvulorum >,, Introduction à la dialectique à l'usage des commençants; puis ramenant l'inconnu au connu, l'absurde au raisonnable, nous pourrions propo- ser de réduire les deux autres écrits que désignent les deux phrases en question, à des altérations diverses du titre du même ouvrage authentique , tant de fois cité par notre manuscrit.
Ainsi l'existence d'un traité élémentaire de dialectique, que n'indiquait aucun catalogue, que rien ne permettait de soupçonner, pas même la plus légère allusion ou d'Abé-
46 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
lard ou de quelqu'un de ses contemporains , tel est le premier renseignement que fournit cette nouvelle pu- blication à l'histoire de la philosophie du douzième siècle. Ce renseignement n'est point à dédaigner; en voici un autre plus important.
Que Roscelin a été le maître d'Abélard.
II. C'est un problème longtemps agité et non encore résolu parmi les historiens de la philosophie, si Ahélard a eu Roscelin pour maître : Abélard lui-môme , dans YHis- toria calamitatum , raconte en détail ses études sous Guillaume de Champeaux, leurs querelles et sa victoire; et nos manuscrits disent sans cesse : magister noster V. et W. Mais Roscelin a-t-il été aussi le maître d'Abélard? Àventinus, Annal. Boior., lib. VI, dit positivement : « Ilisce quoque temporibus fuisse reperio Rucelinum , « magistrum Pétri Abaelardi. » Aventinus a évidemment emprunté cette opinion a Othon de Freisingen , contem- porain d'Abélard, De Gestis Friderici, lib. I, cap. xlii : « Habuit tamen primum prœceptorem Rocelinum quem- « dam, qui primus nostris jtemporibus in logica senten- « tiam vocum instituit. » L'autorité de ce deruier témoi- gnage est telle qu'elle semble devoir emporter tout le reste ; cependant on y a résisté , et par des raisons qui ont leur poids. La première est que , dans celte hypo- thèse, il est impossible de comprendre comment Abélard, qui, dans YHistoria calamitatum, nous raconte toute sa vie et nous entretient de ses rapports avec Guillaume de Champeaux, aurait oublié un maître aussi célèbre que Roscelin ; la seconde est que , s'il avait eu Roscelin pour maître , il l'aurait un peu plus ménagé dans sa lettre à
ABÉLARD. 47
l'évoque de Paris. Mais la raison la plus solide est l'ex- tréme difficulté de trouver l'époque de la vie d'Abé- lard où il aurait pu étudier sous Roscelin. Abélard est mort en 1442, à l'âge de soixante-trois ans, quelque temps après sa condamnation au concile de Sens, en 1 MO. D'un autre côté , il semble bien que Roscelin n'a pu en- seigner, soit à Compiègne , soit a Paris, soit ailleurs, qu'avant sa condamnation au concile deSoissons, en \ 092 ; car, depuis, il vécut dans l'exil en Angleterre; et quand, exilé aussi d'Angleterre , il revint en France , il dut y être trop en disgrâce pour qu'il lui fût permis d'ensei- gner. Or, en 4 092, Abélard n'avait pas plus de treize ans. Ces raisons sont si fortes, qu'elles ont entraîné presque tout le monde, et les auteurs de V Histoire littéraire ', et Meiners 2, et en dernier lieu Tennemann 3. Cepen- dant voici un passage qui met au néant toutes ces raisons. Fol. 194 verso ', Abélard dit lui-même : « Fuit autem, me- <( mini, magistri nostri Ros. (évidemment Roscelini) tam a insana sentenlia, ut nullam rem partibus constare vel- « let, sed sicut solis vocibus species, ita et partes adscri- « bebat. » Ainsi nous n'avons plus seulement le témoi- gnage d'Olbon de Freisingen, nous avons celui d' Abélard, qui n'a pas pu se tromper sur un pareil point. Si donc il est certain que Roscelin a été le maître d' Abélard , il faut bien que la ebose ait été possible. Aventinus dit que Roscelin était de Bretagne comme Abélard ; Otbon, qu'il fut le premier maître d' Abélard ; et celui-ci nous apprend
\. Tome ix, art. Iioscelin.
2. Comm. Goit., tome xi. De Nominaliutn ac Realium iniliis, etc., p. 29. 5. Tome vm, ire part., p, 170. ■*. Ouvr. inéd., p. ni.
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lui-même que de très-bonne heure il eut la passion des lettres et de la dialectique. Il n'est donc pas impossible que, vers l'âge de treize ans, ou môme un peu plus tard, car on place aussi le premier concile de Soissons vers -1093, Abélard ait eu pour premier maître en Bretagne dans sa première jeunesse son compatriote Roscelin. Mais il est plus vraisemblable qu'à son retour en France, Ros- celin, sans enseigner en public, aura fait quelques leçons dans l'ombre , et qu'Abélard avant de se fixer à Paris , l'aura entendu ou en Bretagne ou a Compiègne , dans les dernières années du onzième siècle ou dans les premières du douzième, c'est-à-dire vers l'âge de vingt ans. Ce premier enseignement lui aurait inculqué de bonne heure le nominalismc, dont il ne rejeta que les extravagances, et expliquerait comment, en arrivant dans l'école de Guillaume de Champeaux , il s'y trouva tout formé, en quelque sorte , pour résister au réalisme. Si Abélard ne parle pas de Roscelin dans YHistoria calamitatum , c'est qu'alors sous le poids d'une condamnation, et ayant eu gravement à se plaindre de Roscelin , il ne pouvait lui convenir sous aucun rapport de rappeler ce qu'il lui de- vait; et il était encore bien moins tenté de le faire dans sa lettre a l'évêque de Paris, où, attaqué par Roscelin, il se défend avec l'amertume et l'emportement de sa situa- tion et de son caractère. D'ailleurs, tout cède à l'autorité du témoignage d'Abélard lui-même : et ce témoignage décisif, qui met fin à toute discussion , nous le devons à notre manuscrit.
Qu'Abélard <Hait tri's-ignoraut en mathématiques.
III. Le savoir d'Abélard, l'étendue et les limites de ce
ABÉLARD. 49
savoir, forment un problème qui a bien plus d'impor- tance encore que le précédent. En effet , il ne s'agit plus seulement d'Abélard, mais de son siècle entier : car il est bien vraisemblable qu'Abélard savait tout ce qu'on savait de son temps . et les bornes de ses connaissances peuvent être considérées à peu près comme celles des connais- sances mêmes du douzième siècle. Si l'on en croit dom Gervaise, Abélard n'aurait rien ignoré '. L'auteur de l'ar- ticle Abélard , dans V Histoire littéraire de la France, dom Clément, a fort réduit le catalogue des connaissances d'Abélard, mais sans apporter plus de preuves de ses jugements, sévères quelquefois jusqu'à l'injustice, que dom Gervaise n'en donnait de ses éloges exagérés. Parmi les connaissances que celui-ci attribue à notre auteur, sont les matbématiques et l'astronomie. V Histoire lit- téraire remarque que « la géométrie , l'aritbmétique et « l'astronomie étaient des sciences aussi communes que a peu approfondies au douzième siècle ; qu'on se conten- « tait alors d'en apprendre les éléments, et qu'il ne pa- « raît pas qu'Abélard ait porté ses recliercbes plus loin 2. » Ces assertions avaient au moins besoin de preuves. Le manuscrit de Saint-Victor nous les fournit. Abélard, qui nulle part n'exagère la modestie , y avoue lui-même son entière ignorance en mathématiques. Déjà on avait très- bien senti, d'après lloëce, la difficulté de tirer le solide du point qui, considéré rigoureusement, est ou semble une abstraction. Dans cet embarras, Abélard déclare adopter l'opinion de son maitreGuillaumede Champeaux, qui dérivait la ligne du point, et en général le composé
t. Vied'AbèL, t. n, p. 207.
2. Histoire littéraire, i. m, i>. U8.
II. 5
50 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
du simple, folio 117 verso, an chapitre : De puncto et guœ ex eo nascuntur quant itatibus, linea, superficie, corpore; insuper de loco * . « Affermit quoque advenus « liane constilutionem linea1 quae de punctis est, quod in « arilhmetica Boethins ponit . cnm scilicel ait : Si punc- « tum puncto supraponis , nihil eftîcies, tanquam si ni- « liiluni niliilo jungas. Cujus quidem solutionis et si mul- « tas ab aritlimeticis solutiones audierim , iiullam tamen « a me praeferendam judico, quia ejns artis îgnarum o omnino me cognosco. Talem aulem, memini, rationem « magistri nostri sententia praeteudebat, » etc.... Il est donc certain qu'Abélard était dépourvue de toute con- naissance mathématique. La citation qu'il fait de Boëce prouve qu'il connaissait son traité d'arithmétique ; il est probable qu'il connaissait aussi le peu de pages insigni- fiantes que Boëce a laissées sur la géométrie, mais il ne connaissait rien au delà ; et nul en France, ni même en Europe, n'en savait davantage au douzième siècle, excepté peut-être ceux qui, comme Adékird, de Bath, et avant lui Constantin et Gerbert, avaient voyagé en Espagne ou en Orient, et puisé à des sources arabes un savoir plus étendu.
Qu'il ne savait pas le grec.
Maintenant. Abélard savait-il le grec? Jusqu'ici la cri- tique n'avait guère le droit d'aller au delà du doute. 11 était même naturel de supposer qu'Abélard savait le grec, puisqu'il en cite très-souvent des mots, il est vrai isolés, et que ces mots sont écrits en grec dans l'édition de d'Amboise. Ensuite, dans la lettre qu'il écrit aux reli-
•i. Ouvr. inéd., p. iso.
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gieuses du Paraclet, de Studio litterarum ', il leur re- commande d'étudier non-seulement le latin , mais le grec et l'hébreu. Il insiste sur l'utilité et la nécessité de savoir ces deux langues , pour lire dans l'original le Nouveau Testament; il propose aux religieuses du Paraclet l'exem- ple de leur abbesse Héloïse, qui sait a la fois , dit-il , le latin , l'hébreu et le grec : « Magisterium liabetis in matre. . . « quai non solum latinte, verum eliam tam hebraicae « quam grœcœ non expers littérature , sola hoc tempore « illam trium linguarum adepla peritiam vidclur. » Il n'est guère vraisemblable que le maître n'en sût pas au- tant que f écolière. Enfin, on se rappelle la lettre d'Abé- lard a saint Bernard, sur \epanem supersubstantialem*, qu'Abélard avait persuadé aux religieuses du Paraclet de substituer, dans l'oraison dominicale, a panent quoti- dianum, sur divers motifs, et d'après l'autorité de l'Église grecque qui dit : tot âprov t\\ûùs rôv êmoûaiov. On peut très- bien préférer la leçon grecque à la leçon latine, dans ce cas comme en d'autres. Pour réfuter les hérétiques dans la question de la Trinité n'a-t-on pas eu recours à un mot grec qui rend parfaitement les rapports des trois per- sonnes entre elles, a savoir le mot 5(aooô«ov? Toute cette érudition semble attester une connaissance même assez grande de la langue grecque; et cependant il n'en est rien. Le manuscrit de Saint-Victor contient plusieurs pas- sages qui démontrent qu'Abélard ne savait pas le grec. Nous allons rapporter ici intégralement ces divers pas- sages.
■i . Abœl opp., p. 2-i -S , 2. Ibid., p. 2-SO.
52 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Premier passage, fol. 121 verso ' : « De bis quidem « prœdicainenlis [quando, ubi, situ, habere) difficile est « perlractare quorum doctrinam ex auctoritate non ha- « hemus, sed numerum tantum. Ipse enim Aristotdes , « iu tola prœdicamentorum série, sui sludii operam non « nisi quatuor prœdicamenlis adhibuit, subslantiaj scili- « cet, quantitati, ad aliquid , qualitati ; de facere aulcm « vel pati niliil aliud docuit, nisi quod contrarietatem ac « comparatiouemsusciperent. De quibus quidem, Boetliio « teste , ipse in aliis operibus suis plene perfecteque « tractaverat. De reliquis aulem quatuor, quaudo scili- « cet, ubi, situ, babere, eo quod manifesta sunt , nibit « prœter exempla posuit. Manifesta autem bœc quatuor « vel iudedixil quod ex aliis innascantur, vel ex eo quod « in aliis operibus suis de bis satis traclalum sit. De ubi « quidem ac quando, ipso quoque attestante Boelbio, in « Pbysicis, de omnibusque altius subliliusque in bis libris « quos Metapbysica vocat, exequitur. Quœ quidem opéra « ipsius nullus adhuc translator latinae linguœ aptavit ; « ideoque minus natura borum nobis est cognita. »
Deuxième passage. Au cbapitre sur le relatif, de Re- lalivis, fol. 123 verso 2, après avoir examiné la défini- tion de Platon et celle d'Aristote, et avoir pris parti pour celte dernière , il dit : « Hœc quidem de relativis Arislo- « telem plurimum sequentes diximus, eo scilicet quod ex « ejus operibus latina eloquentia maxime sit a r mata, ejus- « que scripta anlecessores nostri de grœca in banc lin— « guam transtulerint. Qui fortassc si etiam scripta ma- « gistri ejus Plalonis in bac arte novissemus, uti(jue et ea
1. Ouvr. inéd., p. 200.
2. lbid., pages 205, 20G.
ABÉLARD. 53
a recipercmus . nec forsitan calomnia discipuli de difii- « nitioue magislri recta videretur. Novimus etiara ipsum « Aristotelem et in aliis locis adversus eunideni magis- « trum suum et primum totius philosophie ducem , ex « fomite fortassis invidia? aut ex avaritia oominis , ex « manifest itione scientiœ insnrrexisse, quibusdara et so- « phisticis argumeutationibus adversus ejus senlentias « inhiantern (lirnicassse, ut iu eo quod de uiotu animœ « llacrobius meminit ... Sed quouiaui Platonis scripta « iu hac arle uondum cogaovit latinitas nostra, eum de- « fendere iu his quae ignorâmes non prœsumamus. »
Troisième passage, fol. 132 verso ' : i Sunt autem très « quorum septem eodicibos omnis in hac arte eloquentia « latina armatur. Aristotelis enim duos tautum, Praedica- « mentorum scilicet et Péri ermenias libres, usus adbuc « latiuurum cognovit ; Porphyrii vero uiuim, quividelicet « dequinque vocibus coDseriptus, génère scilicet, specie, « differentia, proprio et accidente, introductionem ad « ipsa préparât Pnedicamenla. Boethii autem quatuor in « consuetudiuem duximus libros, videlicet Divisionum « et Topicoruni cum syllogismis tam catégoriels quam « hypolheticis. Quorum omnium snmmam nostra? dialee- « ticae textus plenissime concludet , et in locem usumque « legeutium ponet... »
Quatrième passage, fol. 168 verso9: «De contra - « rietaie autem in vi prœdicamentorum nihil omniao in « textu Pnedicamenloruni quem habemus déterminait, « horum scilicet : quando, ubi , situs , uabere. Nec uns « qoidem quod aoetoritas indeterminatum reliquil de-
) Ouvr. mid., [>. 228, 220. 2. lbtd,\>. 390.
6.
54 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« terrninare prœsumemus, ne forte aliisejus operibus quœ « latina non novit eloquentia contrarii reperiamur. »
De ces quatre passages jusqu'ici entièrement inconnus, et qui s'éclairent et se développent l'un l'autre, nous allons tirer une suite de conséquences certaines, qui met- tront dans une lumière manifeste le véritable état de l'érudition philosophique d'Abélard et de son siècle.
La première de ces conséquences résout la question si Abélard savait le grec. Il ne le savait pas ; il en convient lui-même quatre fois dans le manuscrit de Saint-Victor, puisqu'il y convient quatre fois qu'il est condamné à ignorer tout ce qui n'est pas écrit en latin. Cette preuve de fait est au-dessus de toutes les apparences contraires, et une fois admise elle les explique facilement. D'abord , il a plu a d'Amboise d'écrire en grec les mots grecs que cite de loin en loin Abélard ; mais il est probable que , dans les manuscrits de d'Amboise , ils étaient écrits en latin : car ceux qui se rencontrent dans la Theologia christiana sont écrits en latin , et l'habile éditeur s'est bien gardé de leur restituer leur vraie forme ; il l'a ré- servée pour les notes. Il en est de même de nos manu- scrits et de notre édition. D'ailleurs, quand Abélard au- rait écrit lui-même dans leur forme véritable quelques mots grecs , cela ne prouverait nullement qu'il sût le grec ; car presque tous ces mots sont déjà dans plusieurs Pères latins, par exemple, dans saint Jérôme ; et nous ne voulons pas dire qu' Abélard ignorait le grec au point de ne pouvoir se rendre compte de quelques mots isolés dont il avait sous les yeux la traduction. Il est possible qu'il eût quelque teinture des éléments de la grammaire grecque; mais il ne savait pas véritablement le grec , et il ne pou-
ABÉLARD. 55
vait mettre à proGt les Pères et les auteurs grecs en très- petit nombre qu'on possédait a cette époque. Et môme , quoi qu'il en dise , ou plutôt , sans excéder ses propres paroles, nous soupçonnons fort que l'habileté d'Héloïse en ce genre se bornait a ne pas être étrangère à la langue grecque, grœcœ..., non expers littératures, etàen con- naître les éléments comme Abélard pouvait les connaître lui-même : car elle, qui sans aucune pédanterie se com- plaît à citer tant d'auteurs latins, comment aurait-elle mauqué a citer aussi quelques passages d'auteurs grecs alors non traduits, si l'un et l'autre avaient pu lire ces auteurs?
Si donc Abélard ne savait pas le grec, il est clair, et il le dit lui-même, qu'il ne pouvait connaître de l'antiquité philosophique que ce qui en avait été traduit en latin ; et ici on se demande quels étaient les auteurs grecs, j'en- tends les philosophes, dont il existait des traductions la- tines au douzième siècle ? Par exemple , existait-il a celle époque une traduction latine de Platon ou du moins de quelques-uns de ses dialogues ?
Qu' Abélard ae connaissait tout au plus, de Platon, que le Tiniée dans la version de Chalcidius.
Il semble, au premier coup d'oeil, qu'Abélard était très- familier avec Platon. Loin de là ; il y a dans Ylntroduc- tio ad thcologiam et dans la Tkeoloyia christiana des citations du Tiniée qui prouvent qu'Abélard possédait seu- lement leTimée de Chalcidius; il est certain qu'il ne con- naissait véritablement aucun autre dialogue du maître d'Arislole. Dans un des passages que nous avons tirés du manuscrit de Saint-Victor, Abélard dit lui-même qu'il ne
S6 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
connaît pas les ouvrages de Platon , parce que ces ouvrages n'ont pas été traduits en latin : « Si etiam scripta ma-
« gistri ejns Platonis in bac arte novissemus ; sed
« qnoniam Platonis scripta in hac arte nondiira cognovit « latinilas nostra, eum defendere in lus quœ ignoramus « non prsesumamus.... » El il ne faut pas être dupe de la restriction apparente cachée dans les mots in hac arle\ car cette restriction, prise a la lettre, n'irait pas a moins qu'a attribuer à Abélard la connaissance de tous les ou- vrages de Platon qui ne sont pas consacrés a la dialectique. Mais il ne peut être question pour ces ouvrages, le Timée excepté, que d'une certaine connaissance vague et très- générale , d'après des témoignages étrangers , tels que ceux de Cicéron , de Macrobe, de Cbalcidius ; tandis que, pour la théorie dialectique de Platon , ces auteurs n'en disant absolument rien , tous les témoignages latins man- quent ; par conséquent , Abélard en est réduit à ce qu'en dit Arislote , et n'en peut porter aucun jugement assuré. Tel est, selon nous, le seul sens raisonnable de la phrase de notre manuscrit.
Qu'Abélard ne connaissait d'Aristotc que VOrganum, et de VOrganum que les trois premières parties traduites par Boèce.
Du moins cette phrase même semble- t-elle indiquer qu'à défaut des ouvrages de Platon, ceux d'Aristole étaient alors traduits en latin, et qu'ils étaient connus d'Abélard. Mais M. Jourdain a soutenu et démontré ' que la plupart des grands ouvrages d'Aristotc étaient inconnus en Eu- rope et en France avant le treizième siècle ; qu'on ne pos-
1. Recherches critiques sur l'âge et sur l'origine des traductions latines d'Aristotc. 1 819.
ABÉLARD. 57
sède aucun manuscrit d'une traduction latine de la Phy- sique et de la Métaphysique antérieure a cette époque ; et que jusque-là nul philosophe sciiolastique ne parle de ces deux ouvrages comme les ayant véritablement lus. Le premier passage d'Abélard, que nous avons emprunté au manuscrit de Saint-Victor, est péremptoire : « Qua3 qui- « dem opéra (la Physique et la Métaphysique) ipsius nul- « lus adhuc translator latinae linguce aptavit, ideoque mi- « nus nalura horum nobis est cognila. » Toutes les re- cherches de M. Jourdain aboutissent à cette phrase , qui les confirme et les résume.
Il est donc établi qu'Ahélard et ses contemporains n'avaient point de version latine de Platon, et que d'Aris- tote ils ne possédaient que la logique, ce qu'on appelle YOrganum, à savoir : les Catégories avec l'Introduction de Porphyre, l'Interprétation, les Analytiques, les Topi- ques et le Traité des arguments sophistiques, dans la tra- duction et avec les commentaires de Boëce. C'est à quoi les critiques les plus sévères ont réduit l'érudition philo- sophique avant le treizième siècle. C'est là l'opinion au- jourd'hui régnante. Cette opinion nous paraît trop in- dulgente encore. Selon nous , il faut réduire encore la part déjà si faible du douzième siècle, ou du moins de la première moitié du douzième siècle. Abélard ne con- naissait pas même tout YOrganum , mais seulement ses trois premières parties : l'Introduction de Porphyre , les Catégories et l'Interprétation dans la traducti on de Boëce ; quant à celle des trois dernières parties de YOrganum , à savoir : les Topiques, les Analytiques et les Arguments sophistiques, elle existait sans doute quelque part, mais elle était encore à peu près inconnue. Plusieurs passages
58 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
authentiques du manuscrit de Saint-Victor placent cette opinion, en ce qui regarde Abélard, au-dessus de toute contestation.
M. Jourdain (Recherches, etc., page 32) fait observer que les œuvres d' Abélard offrent des citations de l'Intro- duction de Porphyre, des Catégories, de l'Interprétation, des Topiques et des Arguments sophistiques, et que plu- sieurs contemporains d' Abélard citeut les Analytiques; mais la question est de savoir si ces citations sont de pre- mière ou de seconde main. Nul doute qu'au douzième siècle on ne sût parfaitement qu'Aristote avait écrit tous les ouvrages dont se compose YOrganum , comme on savait que Platon avait composé la République; mais il s'agit de savoir si on possédait ces ouvrages mêmes tra- duits en latin. Incontestablement Abélard connaissait l'Introduction de Porphyre, les Catégories et l'Interpré- tation : notre publication le démontre, puisqu'elle con- tient des gloses détaillées d' Abélard sur ces trois ouvrages. Ces gloses portent sur la traduction latine de Boëce, et elles témoignent d'une connaissance entière des commen- taires de Boëce sur ces trois premières parties de YOrga- num. Il est encore manifeste qu' Abélard connaissait, car il les cite sans cesse, les Topiques de Boëce, ses deux traités des syllogismes catégoriques et des syllogismes hy- pothétiques , et son Traité, de la Division ; mais il igno- rait sa traduction des Analytiques , des Topiques et des Arguments sophistiques d'Aristote. Remarquez que dans cette multitude de gloses dialectiques d' Abélard , que contient le manuscrit de Saint-Germain, il n'y en a pas une seule sur aucun de ces trois traités, qui certes en avaient grand besoin, et qu'Abclard aurait étudiés et
ABÉLARD. 59
commentés s'il les avait eus. Quant au livre des Argu- ments sophistiques, Abélard ne le cite qu'une fois, et cette unique citation, que rapporte M. Jourdain, prouve seu- lement qu' Abélard n'ignorait pas qu'Aristote avait com- posé un traité sous ce titre; mais elle ne prouve nulle- ment qu'il connût ce traité. Voici cette citation, Abeel. opp., p. 239-240 : « Unde et a scriploribus diatecticae « nec hujus arlis tractatus est prœtermissus, cum ipse « Peripateticorum princeps, Aristoteles, hanc quoque tra- « diderit, elenchos scribens sophisticos. » Dans le long traité de dialectique que contient le manuscrit de Saint- Victor, les citations que nous rencontrons des Arguments sophistiques ne sont guère plus significatives. Ainsi , fol. 4 38 verso ' : « Sex autem sophismatum gênera Aris- « tolelem in sophisticis elenchissuis posuisse Boethius in « secunda editioue Péri ermenias commémorât. » Peut- on admettre qu' Abélard eût cité de cette façon les Argu- ments sophistiques, s'il les eût connus directement et par lui-même? Jean de Salisbury donne sans doute des Topiques et des Analytiques une analyse 2 qui atteste une vraie connaissance de ces deux ouvrages dans la tra- duction de Boëce : mais Jean de Salisbury est déjà posté- rieur à Abélard. Pour ce dernier, tous les doutes doivent céder au passage péremploirc que nous avons tiré du manuscrit de Saint - Victor. Abélard dit positivement qu'il n'y avait, de son temps, que sept ouvrages de dia- lectique écrits en latin : deux d'Arislole , les Catégories et l'Interprétation; un de Porphyre, l'Introduction; et quatre de Boëce (outre ses commentaires sur les trois
i. Onvr. inêd., p. 2:;s.
2. Melalofjicus , libl>. m etiv.
60 PniLOSOPIIïE SCIIOLASTIQl'E.
précédents ouvrages), savoir, le Traité des divisions, le Traité des Topiques (c'est-à-dire de Différent ris topi- cis), et les deux traités des Syllogismes catégoriques et des Syllogismes hypothétiques. Abélard déclare qu'il n'a connu et employé que ces sept ouvrages. Le passage est for- mel : « Aristotelis euim duos tantura, Prsedicameutorum « scilicet et Péri ermennis libres usus ad hue lalinorum « cognovit. » On ne peut pas s'expliquer plus nettement. Ce passage authentique, écrit au milieu du douzième siècle, renverse toutes les objections et toutes les appa- rences contraires; et nous regardons désormais, sur l'au- torité irréfragable d'Abélard lui-même, comme un point démontré et acquis a la critique, qu'Abélard ne connais- sait de YOrganum q'.:e l'Introduction de Porphyre, les Catégories et l'Interprétation dans la traduction de Boëce; qu'il n'avait aucune traduction ni des Topiques, ni des Analytiques, ni des Arguments sophistiques; qu'aucune traduction latine de ces trois ouvrages n'était répandue de son temps; et qu'outre les trois écrits ci-dessus men- tionnés de Porphyre et d'Aristote, il n'avait à sa dis- position d'autres ouvrages de l'ancienne dialectique que ceux de Boëce.
Si ces conclusions, déduites des passages précédem- ment cités du manuscrit de Saint-Victor, sont incontes- tables, on est frappé et comme effrayé de la pénurie des ressources philosophiques de celte époque. Quatre écrits de Boëce, commentateur clair et méthodique, mais sans profondeur; d'Aristote lui-même, l'Interprétation, c'est- à-dire un traité de grammaire, et les Catégories, qui, n'étant plus rattachées b la Métaphysique et à la Physique, n'offrent guère qu'une classification dont on n'aperçoit
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pas tonte la portée; enfin l'Introduction de Porphyre, évidemment destinée à des commençants, et où l'auteur évite à dessein toutes les grandes questions et s'arrête a la surface des choses : tels sont les seuls matériaux que possédaient Abélard et ses contemporains, .le dis ses con- temporains; car il n'est pas vraisemblable qu'Abélard, si curieux de philosophie, si passionné pour Platon et pour Aristote, n'ait pas recherché avec le plus grand soin toutes les traductions connues des écrits de ces deux grands hommes. Ses contemporains n'étaient donc pas plus riches que lui ; évidemment ses deux maîtres de la fin du onzième siècle et du commencement du douzième, Ros- celin et Guillaume de Charapeaux, devaient être tout aussi dépourvus que leur disciple. Il n'y a pas non plus de raison pour que le neuvième et le dixième siècle aient connu des traductions qui auraient disparu au onzième. Nous nous sommes engagés dans la lecture des diverses gloses de Raban-Maur que contient le manuscrit de Saint- Germain '. Sur quoi portent ces gloses? sur l'Introduc- tion de Porphyre, dont la fin manque, sur l'Interpréta- tion, et sur les Topiques de Boëce. La traduction de Por- phyre et d'Aristote sur laquelle sont établies ces gloses, est celle de Boëce. Il n'y a de gloses ni des Topiques d'Aristote ni des Analytiques ni des Arguments sophis- tiques. Dans tout le manuscrit, il n'y a pas un seul mol qui puisse faire soupçonner que Raban connût ces ou- vrages, et il y a un passage qui prouve formellement qu'il n'avait jamais eu entre les mains les Analytiques. « Volunl enim quemdam libium esse qui vocelur liber
i. Kabanut super Porphyrlum, fol 80 recto, col. i, jusqu'au fol. 100 verso, col. 2.
H. 0
C2 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
(i demonstrationum, qui apud nos in usa non est'. » Ainsi Boëce, et sa traduction des trois premières parties de YOrganum, voilà le point de départ de l'esprit hu- main au moyen âge, voilà le cercle dans lequel il se meut en talonnant pendant plusieurs siècles.
Ici on se demande naturellement ce qu'on a pu faire avec de si faibles ressources; et après avoir recueilli les divers documents que contenaient nos manuscrits pour l'histoire extérieure de la philosophie dans le siècle d'Abé- lard, nous allons instituer, avec leur secours, des re- cherches d'un ordre différent et entrer, pour ainsi dire, dans les entrailles mômes de la scholastique.
Que la philosophie scholastique est sortie d'une phrase de Porphyre , traduite par Boëce.
Nous l'avons vu : Boëce peut être considéré au moyen âge comme le lien entre le passé et les temps nouveaux. Chrétien et latin, il traduit de la philosophie grecque et païenne ce qui pouvait servir à polir et à façonner un peu la rude enfance du christianisme barbare. Remar- quez que la grammaire et la logique péripatéticienne con- venaient admirablement à celte éducation ; car YOrga- num n'est pas plus païen que chrétien : il formait l'esprit sans compromettre la foi. Aussi l'étude de Boëce devint- elle aisément universelle, et elle fut longtemps utile pour aiguiser, assouplir, fortifier la pensée et lui imprimer l'habitude de la rigueur et de la précision ; mais tombant uniquement sur la forme, elle eût fini, trop prolongée, par épuiser l'esprit humain en le retenant dans une dia- lectique aride. Heureusement dès le début de YOrga-
1 . Fol. 86 verso , col. 2.
ABÉLARD. 63
num, dans l'Introduction de Porphyre, se rencontrait une phrase d'un tout autre caractère, une phrase qui n'était plus seulement logique et grammaticale, et qui, au lieu d'imposer une théorie, présentait un problème avec l'alternative de deux solutions opposées, entre les- quelles on pouvait choisir sans compromettre sa loyauté envers Porphyre, qui posait le problème et ne le résol- vait pas, ni envers Aristole, qui ne l'abordait pas direc- tement, ni môme envers Boëce, qui n'avait pas l'air d'y attacher une grande importance. Plusieurs siècles de gloses et de commentaires passèrent sur ce problème sans en apercevoir la portée; on ne l'entrevit guère qu'au mi- lieu du onzième siècle. Mais a peine livré à l'examen, les deux solutions contraires qu'il présentait se parta- gèrent les esprits; et bientôt agité en tous sens, et fé- condé à la fois par la témérité et par la sagesse, il en sortit à la fln du onzième siècle, et surtout au commen- cement du douzième, la philosophie scholastique dans toute son originalité et sa grandeur.
Quel était donc le problème qui contenait un pareil avenir? C'était un débris de la philosophie antique; non de celle qu'avait commentée Doëce, à l'usage des contem- porains de Théodoric, mais de cette grande philosophie qui avait rempli douze siècles de ses admirables dévelop- pements. Ce problème, aujourd'hui glacé et comme pé- trifié sous le latin de Boëce, avait été vivant jadis dans un autre monde; il avait occupé Platon et Aristote, il avait provoqué des luttes immortelles et enfanté des sys- tèmes qui s'étaient longtemps maintenus debout l'un contre l'autre. Ces luttes avaient cessé; celte noble phi- losophie était éteinte; la société qu'elle éclairait était à
65 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
jamais ensevelie; la langue même dans laquelle toutes ces grandes choses avaient été pensées et écrites, avait fait place à une autre langue, qui elle-même n'était qu'uue transition à une langue nouvelle. Ainsi marche l'huma- nité; elle n'avance que sur des débris. La mort est la condition de la vie; mais pour que la vie sorte de la mort, il faut que la mort n'ait pas été entière. Si dans les orages de l'humanité le passé disparaissait tout en- tier, il faudrait que l'humanité recommençât a frais nou- veaux sa pénible carrière. Le travail des pères serait perdu pour les enfants; il n'y aurait plus de famille hu- maine; y aurait solution de continuité entre les généra- tions et les siècles. Et d'un autre côté, si le monde, qui doit faire place à un monde nouveau, laissait un trop riche héritage, il empêcherait que le nouveau ne s'établît. Il faut que quelque chose subsiste du passé, ni trop ni trop peu, qui devienne le fondement de l'avenir et main- tienne, à travers les renouvellements nécessaires, la tra- dition et l'unité du genre humain. Ainsi , la plupart des langues de l'Europe moderne ont leur germe primitif dans la langue latine, qu'elles supposent et dont elles s'écartent. Otez le roman, il n'y aurait pas eu de fran- çais, et le roman est une ruine du latin. Cette ruine est devenue peu a peu le plus admirable édifice. 11 est prouvé aujourd'hui qu'un certain nombre de procédés de l'art antique n'avaient pas entièrement péri au moyen âge, et que ces procé dés ont puissamment servi à l'art nouveau. Dans l'architecture, ce premier de tous les arts, entre les deux extrémités du style grec et du style gothique est l'in- termédiaire du style byzantin. En poésie, le Dante assu- rément ne vient pas de Virgile; mais lui-même n'eût ja-
ABÉLARD. 65
mais été sans une certaine culture latine qui guiderait, sans l'altérer, l'inspiration de la muse chrétienne. Tant qu'il ignore absolument l'antiquité, le moyen âge de- meure barbare. Dès qu'il connaît assez l'antiquité pour qu'elle le polisse, sans la connaître assez pour qu'elle le subjugue, alors il porte avec une fécondité admirable les plus belles choses, que le monde n'avait pas encore vues. Avant ce point, tout est barbarie; passé ce point, et quand plus tard l'antiquité sort de son tombeau et repa- raît tout entière a la lumière, dans cet âge qu'on célèbre tant sous le nom de renaissance, il n'y a plus guère en tout genre qu'un commencement d'imitation , qui tue peu à peu l'inspiration et produit l'abâtardissement, et par suite encore la manière, la petitesse ou le faux gran- diose. 11 en devait être de même, et il en a été de même eu philosophie. De Charlemagne jusqu'à la fiu du on- zième siècle est la barbarie de la pensée, le règne de la glose et du commentaire verbal. Au milieu du onzième siècle, une ère nouvelle commence. L'antiquité, un peu mieux connue, fait éclore un mouvement intellectuel d'abord très-faible, mais qui, s' accroissant par degrés, éclate au douzième siècle, et jusqu'à la fin du quinzième produit sans relâche des chefs-d'œuvre originaux. Le point de départ de ce grand mouvement a été la philoso- phie ancienne et VOrgamim de boëce. Otez ce premier mobile, et le mouvement n'aurait pas eu lieu ; mais une fois né, il s'est soutenu par sa propre force et s'est déve- loppé par ses effets mêmes : les pensées heureuses ont suscité d'autres pensées dignes d'elles; les chefs-d'œuvre ont enfanté des chefs-d'œuvre et les grands hommes des grands hommes. On était parti des plus faibles restes de
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la philosophie ancienne, et on est arrivé au développe- ment le plus original dans sa substance et même dans ses formes, a part un peu de pédanterie. Cependant, à la fin du quinzième siècle, la philosophie ancienne reparaît presque tout entière. On possède enfin tout Aristote; on acquiert Platon ; on lit dans leur langue ces deux grands esprits; on s'enchante, on s'enivre de cette merveilleuse antiquité; on devient platonicien, péripatéticien, pytha- goricien, épicurien, stoïcien, académicien, alexandrin; on n'est presque plus chrétien et assez peu philosophe. On est savant avec plus ou moins d'imagination et d'en- thousiasme; on imite à tromper les plus habiles; on est plein d'esprit; on a peu de génie. Le seizième siècle tout entier n'a pas produit un seul grand homme en philosophie, Toute l'utilité, lamission ' de ce siècle n'a guère été que d'ef- facer et de détruire le moyen âge sous l'imitation artificielle de l'antique, jusqu'à ce qu'enfin, au dix-septième siècle, un homme de génie, assurément très-cultivé mais sans au- cune érudition, Descartes, enfante la philosophie mo- derne avec ses immenses destinées. Entre la philosophie ancienne et la vraie philosophie moderne est la philoso- phie du moyen âge, la scholastique. Elle est née d'une certaine connaissance de l'antiquité, viviflant le génie et vivifiée par lui; elle est morte a la fin du quinzième siècle, a la renaissance de l'antiquité, dans une érudi- tion sans critique, animée et gâtée par l'imagination. Le théâtre de la philosophie du moyen âge a sans doute été toute l'Europe chrétienne ; car l'Europe était une alors par la religion, comme aujourd'hui elle tend a le deve-
\. ne série, t. n, leç. se, et Fragments de philosophie cartésienne, art. Vanini oo la puilosophie avant Descautes.
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nir par les mœurs et le gouvernement représentatif; mais dans cette forte unité se détache la France, qui crée la philosophie scholastique et demeure jusqu'à la 6n le foyer où elle prend sans cesse de nouvelles forces et d'où elle se répand sur l'Europe entière. On peut dire que la philosophie scholastique est née à Paris et qu'elle y est morte. Une phrase de Porphyre, un rayon dérobé à l'an- tiquité, la produisit; l'antiquité tout entière l'étouffa.
Du problème de la nature des genres et des espèces , tel qu'il est posé dans la plirase de Porphyre.
Voici cette phrase de Porphyre, telle que la rencontra le moyen âge dans le latin de Boëce, avec ce qui la pré- cède et ce qui la suit immédiatement : « Cum sit necessa- « rium , Chrysaori, et ad eam quae est apud Aristotelem « Prœdicamentorum doctrinam, nosse quid sit genus, « quid differentia, quid species, quid proprium, et quid « accidens , et ad difflnitionum assignalionem, et om- « nino ad ea quœ in divisione et in demonstratione sunt, « utili istarum rerum speculatione, compendiosam tibi « traditionena faciens, tentabo breviter, velut introduc- « tionis modo, ea quœ ab antiquis dicta sunt, aggredi : « ab altioribus quidcm quœstiouibus abstinens, simpli- « ciores vero mediocriter conjectans. Mox de (jeneribus « et speciebus illud quidcm sire subsistant sive in so- it lis midis intellectibus posita sint, sive subsistcntia « corporalia sint an incorporalia, et utrum separata « a sensibilibus an in sensibilibus posita et eirca hœc « consislentia , dicere recusabo. Allissimum enim nc- « gotium est hujusmodi, et majoris egens inquisitionis. « Hoc vero queniadmodum de his ac de proposilis proba-
08 PHILOSOPUIE SCUOLASTIQUE.
« Mliler antiqui traclaverunt, et horum maxime Peripa— « letici, libi mine tentabo monslrare. i
« Chrysaore, puisqu'il est nécessaire pour comprendre « la doctrine des catégories d'Aristote de savoir ce que « c'est que le genre, la différence, l'espèce, le propre et « l'accident, et puisque cette connaissance est utile pour « la définition, et en général pour la division et la dé- « monstralion, je vais essayer, dans un abrégé succinct « et en forme d'introduction, de parcourir ce que nos « devanciers ont dit a cet égard, m'abstenant des ques- « lions Irop profondes et m'arrèlaut même assez peu sur « les plus faciles. Par exemple, je ne rechercherai point « si les genres et les espices existent par eux-mêmes « ou seulement dans l intelligence, ni, dans le cas où i ils existeraient par eux-mêmes, s'ils sont corporels « ou incorporels, ni s'ils existent séparés des objets « sensibles ou dans ces objets et en faisant partie; ce « problème est trop difficile et demanderait des recherches « plus étendues. Je me bornerai a indiquer ce que les an- « ciens, et parmi eux surtout les Péripatéticiens, ont dit « de plus raisonnable sur ce point et sur les précédents. »
Il faut mettre aussi sous les yeux du lecteur le grec même de Porphyre :
Aùrixa jrepi yÉvwvte /.%'. ÉtoMV, to \j.vi eits txps<mpccv Etre kcu vi umWkC, y.'i.vl', i~'.-/'.:.y.:ç xeitcu, cÏtï xcù ù<pE<mBU>ra Gwu.arâ ectIv y âaâfuaa, ruù TroTepov captera r, i-i t„T; aiabitrûç v.x: srepi raûra ûœEoxwTa Tïaoairnaofuu XÉyeiv PaOuratTTjç '.!/T/.: ttiç tgioûtyk "f27" aaTEtaç, /.ai xXÂY); u.iiZvir,: Bîcj.iir,; ïii-y.ïi&z.
A ce langage barmonieux , a celle manière de s'expri- mer nette et précise et en même temps gracieuse encore; il est impossible de ne pas oublier un moment le moyen
ADÉLARD. 69
âge, pour reporter sa pensée vers l'ancien monde, et songer aux deux grandes écoles et aux deux grands hommes qui y représentent la philosophie. Platon et Aristote sont évidemment les deux termes opposés de l'al- ternative que renferme la phrase de Porphyre. Pour Pla- ton, les espèces et les genres, c'est-à-dire les Idées, sont l'essence même des choses; non-seulement elles existent, mais elles existent seules d'une existence permanente, tandis que les individus, les choses particulières, sont dans un mouvement perpétuel et paraissent et disparais- sent tour à tour. Les Idées ne sont pas de simples con- ceptions de l'esprit, des notions abstraites purement sub- jectives, comme on dirait dans la langue de la philosophie moderne (et c'est là le vrai sens de ÇiXaT; È«iv«atç, que Boëce traduit d'une manière presque inintelligible par nudis intellectibus); elles ont une valeur indépendante de l'esprit même qui les conçoit, une réalité objective, 6çs'(m»cev. Selon Platon, les Idées n'ont rien de corporel; et alors même qu'elles feraient leur apparition dans les objets sensibles, elles n'en font point partie, elles ne s'y rapportent point comme la partie an tout, la qualité au sujet, l'accident a la substance; mais elles en sont sinon séparées, xuptorâ, du moins séparables. Aristote, au con- traire, sans adopter absolument la thèse opposée, y in- cline; il a bien l'air de réduire les espèces et les genres à de simples notious générales, et de ne leur accorder qu'une valeur psychologique et logique; du moins il se prononce sans cesse et avec la plus grande force contre leur indépendance des objets particuliers ; il tient pour des chimères les Idées hors des choses, et les genres et les espèces sont pour lui dans les individus eux-mêmes,
70 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
dans les objets sensibles : èv t«ç sùoônroïç /.?/. ttssI Taùra û<pE5TWTa. Or, Platou est tout entier dans la théorie des Idées, et l'on peut dire avec une rigueur parfaite que la Métaphysique d'Aristote est une polémique perpétuelle contre cette théorie '. Ce n'est pas là une querelle de dé- tail, c'est toute la différence qui sépare ces deux grands hommes, car c'est Ta le problème même de la philoso- phie. Les expressions de ce problème varient suivant les diverses époques de la philosopbie et de la civilisation. Les données en sont plus ou moins nettement posées, les conséquences plus ou moins rigoureusement tirées; mais le problème est toujours celui qui à toutes les époques tourmente et féconde l'esprit humain ', et, par les diverses solutions qu'il soulève, engendre toutes les écoles. Il se teint en quelque sorte de toutes les couleurs du temps où il se développe; mais partout il est le fond duquel partent ou auquel aboutissent les recherches phi- losophiques. Il a l'air de n'être guère qu'un problème de psychologie et de logique, et en réalité il domine toutes les parties de la philosophie ; car il n'y a pas une seule question qui dans son sein ne contienne celle-ci : tout cela n'est-il qu'une combinaison de notre esprit faite par nous a notre usage, ou tout cela a-t-il en effet sou fondement dans la nature des choses? La théorie plato- nicienne des Idées a donné son nom a tout un côté de la philosophie, l'idéalisme, et l'idéalisme a survécu a Pla-
\. Voyez dans notre écrit intitulé : De la Métaphysique d'Aristote, notre opinion sur la vraie nature des idées platoniciennes, p. 48, et la note où sont indiqués tous les passages d'Aristote relatifs à la Théorie des Idées. Voyez aussi ire série , t. n, leç. vu et vm, et leç. ix et x, t. iv, leç. xxi et leç. xxn;ne série, t. ii, leç. vu; et dans cette me série, t. 1er, De la phi- losophie ancienne , Largos de la théorie des idées.
ABÉLARD. 71
ton ; il a traversé les âges, il vit et vivra autant que l'es- prit humain et la philosophie. En revanche, la théorie contraire n'est pas moins vivace. La longue rivalité des deux écoles platonicienne et péripatéticienne est le com- bat des deux solutions opposées, et la phrase de Porphyre, au troisième siècle, est le résumé de ce grand différend. Ce résumé lui-même n'est qu'un point de départ pour l'école d'Alexandrie. Au quatrième siècle, le plus grand représentant de cette école, Proclus, a composé sur le Parménide de Platon un commentaire qui n'est pas autre chose qu'un nouvel et dernier examen du fatal problème, envisagé sous toutes ses faces et poursuivi dans tous ses développements. Cetimmensecommentaire, achevé etcom- plélé au sixième siècle parDamascius, est comme le dernier mot de la philosophie ancienne : c'est une longue et ré- gulière apologie des Idées. La question de Porphyre y est reprise en sous-œuvre, et la solution platonicienne enri- chie de toutes les nouvelles lumières, et fortifiée de tout le progrès de l'esprit humain pendant plus de huit siècles. Porphyre avait décomposé en trois questions précises la question générale; Proclus retranche judicieusement la seconde question de Porphyre, et divise les deux autres en quatre questions : 1° si les Idées sont; 2° de quelles choses il y a des Idées; 3° quelle est la nature des Idées; 4° comment les choses sensibles, les objets particuliers, les individus, participent des idées '. Il n'y a pas une de ces quatre questions qui ne se décompose elle-même en
\. Procius, Comtn. in Parmenidem Platonis, liv. m, p. A et 5 du
t. v de notre édition : TeTTOtpaN roîviw Svtwv bi -.'j:.'.~iy. :wv iSeâs Çnnnaeat TvpoëXY)|/.aT<t>v , 7rptûTou u.sv, v. fan rà etîm ' t! "yi: co t-.; ■/.i.\ 77=:': a!»TÔ)v i-'.n/.ïysr.', u.t, toûtc »TpOO{/.oXo")poa«U4voÇ ; SWrspou
7'2 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
un certain nombre d'autres questions dont les dévelop- pements embrassent les sept livres du commentaire alexandrin et toute la philosophie ancienne.
Mais il faut supposer le monde ancien détruit, la phi- losophie ancienne ensevelie avec la civilisation dont elle faisait partie, et la longue et brillante polémique qui avait fait la vie même de cette philosophie, réduite à la phrase de Porphyre dans la traduction latine de Boëce. C'est sur cette phrase et autour d'elle que va peu a peu se reformer une philosophie nouvelle. Les commencements de cette philosophie seront bien faibles, il est vrai, et se ressenti- ront de la profonde barbarie du temps ; mais une fois née, la puissance de l'éternel problème la développera et lui ouvrira une carrière immense.
La scholastique a trois époques : 1° du onzième siècle jusqu'au treizième et jusqu'à l'organisation de l'Université de Paris ; c'est l'enfance de la scholastique ; 2° du trei- zième siècle jusqu'au quinzième; c'est l'âge de sa virilité, où toutes les grandes universités de l'Europe, les grands ordres religieux fleurissent; 3° du quinzième siècle jus- qu'au milieu du seizième; c'est le temps de son déclin, où elle languit et s'éteint peu à peu dans la décadence du moyen âge, sous les premiers essais de réforme en tout genre, aux approches d'une langue nouvelle, d'un esprit nouveau, d'une nouvelle époque de l'humanité. Et si dans la scholastique on écarte la théologie pour considé- rer seulement la philosophie proprement dite, cette phi-
Ss , Tivûv s'oti xat tivwv tùx é'an Ta eïJyi ■ xaï -yàp toùto iroXXàç ëyei ^tajAcptaëriTiiiffÊi; • Tp Jtgu Se. , oiuoïa <5ti Ttvâ èoti xà e'$yi , xal tî; r, î&OTiiç ftûriûv ' TETflcpTcu Sk , ttw; jj.srfy_£7at iash twv i"i8zf xa»
ABÉLARD. 73
losophie est tout entière dans la querelle du nominalisme et du réalisme, et cette querelle peut se diviser aussi en trois époques : \° elle naît à l'occasion de la phrase de Porphyre, et sa naissance est celle de la philosophie scho- lastique; 2° aux luttes vives et passionnées de cette pre- mière époque succède le règne au moins apparent de l'une des deux opinions rivales ; 3° l'opinion vaincue dans la première époque et condamnée au silence dans la se- conde reparaît dans la troisième et finit par triompher, et son triomphe est le tombeau de la scholastique. De ces trois époques, la seconde et la troisième sont assez con- nues, surtout la seconde, qui forme, pour ainsi dire, les beaux jours de la philosophie du moyen âge. C'est le temps des dominicains Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin, Vincent de Beauvais ; des franciscains Alexandre de Haies, saint Bonaventure, Duns Scot, Roger Bacon. Les ouvrages de ces illustres personnages ont été depuis long- temps, pour la plupart, recueillis et appréciés. Mais, comme toutes les origines, celles de la philosophie scho- lastique sont couvertes de profondes ténèbres. Les deux opinions qui commencent a se montrer dans la première époque ont par leurs luttes réveillé l'esprit humain, c'est là leur gloire ; mais elles étaient trop faibles encore pour produire aucun monument durable. L'opinion vaincue a presque entièrement péri dans sa défaite ; et on est ré- duit à en rechercher quelques lambeaux dans les rares écrits des vainqueurs. C'est celte première époque si in- téressante à la fois et si obscure que nous allons parcou- rir et éclairer, s'il est possible, a L'aide de nos manu- scrits, car celte époque est clic que représente et couronno Abélard.
ii. 7
74 PHILOSOPHIE SCHOL ASTIQUE,
Point do départ de la philosophie [scholastique : opinion de Boéce sur le problème des espèces et des genres.
Pour voir clair dans la naissance et les commencements de la philosophie scholastique, il faut se reporter au point de départ du grand débat dont elle est sortie, c'est-à-dire à Boëce, et se rappeler que Boëce n'avait pas seulement traduit la phrase de Porphyre, mais qu'il l'avait aussi commentée, et qu'il s'était expliqué sur les deux solutions contraires du problème posé par le philosophe alexandrin.
11 y a deux commentaires de Boëce sur l'Introduction de Porphyre.
Le premier est présenté sous la forme du dialogue, et il est beaucoup plus court que le second. Boëce examine les trois questions sur les genres et les espèces : s'ils exis- tent par eux-mêmes ou s'ils ne sont que des conceptions de l'esprit ; s'ils sont corporels ou incorporels; s'ils exis- tent seulement dans les objets sensibles ou s'ils en sont séparés; et il applique ces questions non-seulement au genre et à l'espèce, mais aussi a la différence, au propre et à l'accident. Sur la première question, qui peut nous tenir lieu des deux autres, Boëce déclare positivement que le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident existent réellement; et la raison qu'il en donne est que sans eux rien ne serait , puisqu'il n'y aurait ni accident ni propriété, ni différence ni genre '. Ici, il est évident que Boëce n'a pas compris la question de Porphyre. Por-
I. Boeth. opp. edit. Bas. -loTO, p. S.«Scicnda enim sunt ntrum vere sint, nec esset de lus disputalio coDsideratioque si non sint. Sed si rerura \e- ritatem atquc integritatem perpcndas,non est dubium quic vere sint. Nam cum res omnes quœ vere suni, sine his quinque esse non possent , bas ipsas quinque rcs vere intellcctas esse non dubites, Sunt autem in reluis
ABÉLAKD. 75
phyre n'a jamais demandé si la différence, l'accident, le propre existent par eux-mêmes ; car il suffit de poser la question pour la résoudre négativement. Porphyre n'a pas non plus mis en question la réalité ou la non-réalité du genre et de l'espèce considérés abstractivement ; car il serait trop clair aussi que ce ne sont que des conceptions de l'esprit, des généralisations commodes pour la pensée et pour le langage. Porphyre se demande si les genres et les espèces, et non pas l'espèce et le genre, existent réelle- ment : par exemple, si tel genre déterminé, à savoir l'hu- manité, existe indépendamment des individus qui le composent ; ou bien, si ces individus seuls existent, et si le genre humanité n'est pas une pure abstraction. Sans doute Porphyre, dans son Introduction, traite du genre et de l'espèce, de la différence, du propre et de l'acci- dent, d'une manière abstraite, logique et grammaticale, puisque sou Introduction est une préparation aux Catégo- ries, lesquelles, avec l'Interprétation, forment un traité de grammaire et de logique. Mais à l'occasion de ces cinq notions abstraites sans lesquelles il n'y a ni pensées ni paroles, et qui sont par conséquent le fondement de toute logique et de toute grammaire, et particulièrement à l'occasion des notions du genre et de l'espèce, févoç, eT£oç, Porphyre se fait une question d'une tout autre nature ; il se demande si les genres et les espèces, -pwv -t wù e?£wv,
omnibus eonglntinatae et quodam modo conjunctœ atquc compacta;. Cur enirn Aristoteles de pi inu- decem sermonibuB gênera rerum significantibus disputaret, \ oi connu différencias propriaque coUigerel el principaliter de accidentibus dissereret, nisi hœc Lu rébus intimata e( quodam modo adu- nala vidisset? Qnod bi ita es! , non esl dubiotn qnin vere sint et eerta aniini consideratione teneantur, quodipeius quoque Porpbyrii probatur assensu. »
7(5 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
existent ou n'existent pas réellement. C'est là, pour ainsi dire, un regard détourné sur un problème d'un tout autre ordre que Porphyre pose et abandonne en même temps, pour revenir au sujet de son Introduction. Boêce n'a pas compris cela, et il a converti la grande et légitime ques- tion de la réalité des genres et des espèces, en la question insensée, et qui n'en fut jamais une, de la réalité du genre, de l'espèce, de la différence, du propre et de l'ac- cident. Cette confusion placée dans l'ouvrage du maître a produit un malentendu perpétuel dans toute la polémique qui a suivi. Encore une fois, Porphyre n'a fait qu'une Introduction a la logique et à la grammaire ; et le titre de son ouvrage le dit assez : De quinque vocibus, rapi tûv wsvte cpwvwv , des cinq voix ou mois. Il ne traitait donc que d'abstractions verbales; mais parce qu'a cette occasion et pour déterminer avec plus de précision son sujet même, il indique, pour l'écarter, une question de haute méta- physique, la question de la réalité ou de la non-réalité des espèces et des genres, voilà Boêce, le péripatéticien Boëce, qui, brouillant tout, confondant tout, réalise les cinq noms, et ouvre par là la porte à ce double danger : si on le suit, de réaliser toutes les abstractions, ce qui n'est plus difficile dès qu'on a réalisé cinq abstractions aussi manifestes que les cinq noms dont il s'agit, et de se jeter ainsi dans un réalisme absurde ; ou bien, si on lui résiste, si on s'aperçoit que le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident, ne sont que des notions abstraites et des noms, de confondre avec ces abstractions et ces noms les genres et les espèces, qui peut-être ne sont pas de purs noms, et, par l'exagération même, d'une vérité utile, de se précipiter dans un nominalisme universel.
ABÉLARD. 77
Nous croyons signaler ici la source première et la racine historique de la querelle que nous avons à raconter.
Ainsi, dans son premier commentaire, Boëce, au moyen d'une confusion ridicule, est plus platonicien que Platon lui-même et que tous les alexandrins ; il est réaliste absurde, et il prétend donner son opinion pour celle d'A- ristote et de Porphyre. Maintenant, dans le second com- mentaire ' nous allons trouver un tout autre Boëce, avec une opinion diamétralement opposée à celle que nous venons de rapporter. l£t ici Boëce nomme quelquefois les genres et les espèces universalia, expression empruntée à la philosophie antique, xà xaô' SXou, et que plus tard on a traduite en français par celle des universaux, et selon nous avec beaucoup de raison ; car par la on laisse indé- cise la question de leur réalité. Au contraire, traduit-on par idées, et prend-on le mot idées dans le sens platoni- cien ? on est réaliste ; ou prend-on le mot idées dans son sens ordinaire, celui de notions et de conceptions ? on fait évidemment des idées de simples abstractions dont il est trop facile de démontrer ensuite la non-réalité. 11 faut donc s'en tenir au mol universaux : c'est la formule de la scholastique: et il importe de prendre la langue du siècle que l'on veut faire connaître ; autrement, on confond les siècles en confondant les langages. La nouvelle opinion de Boëce sur la nature des universitaux, des genres et des espèces, est que les genres et les espèces ne peuvent avoir d'existence réelle. Il en donne les arguments suivants :
-1° Tout ce qui est, est nécessairement un ; or, le genre est commun à plusieurs objets, donc il n'a pas d'unité, donc il n'est pas. Cet argument, dont Boëce n'indique
I, lîoctli. opp. p. oi. « Oiunc quod commune est uno tempore plu-
7.
78 PHILOSOPHIE SCUOLASÏIQUE.
pas la source, appartient à Aristote dans la polémique contre la réalité de l'idée platonicienne, Métaphysique, Iiv. m * et livre vu 2. Comme Boëce n'en cite pas l'au- teur, on le lui a attribué jusqu'au treizième siècle, où la Métaphysique d'Aristote commença a être connue. C'est un des arguments constamment employés contre la réa- lité des universaux.
2° Si le genre n'est pas un, dira-t-on qu'il est multiple, et que c'est encore la une manière d'exister ? Mais s'il est multiple, il faut un genre supérieur qui comprenne cette multitude, et ainsi à l'infini, ce qui est absurde 3. Ce se- cond argument est encore d'Aristote, qui l'a présenté lui- même sous des formes diverses ; c'est l'argument si célè- bre dans l'antiquité sous le nom d'argument du troisième
rilms, id in se unuoi esse non poterit. Multorum enirn est quod com- mune est, prœsertim cum una atque eadem res in multis uno tempore tota sit. Quantsecumque enim sunt spccies, in omnibus genus unum est, non quod de eo siugulae species quasi partes aliquas carpant , sed singulae uno tempore totum genus habeant : quo fit ut tolum genus in pluribus singulis uno tempore positum, unum esse non possit. Neque enim fieri potest ut, cum in pluribus totum uno sit tempore, in semet- ipso sit unum numéro. Quod si ita est, unum quiddam genus esse non poterit, quo fit ut omnino nihil sit; omne enim quod est, idcirco est quia unum est. Et de specie idem convenit dici. »
1. Ed. Brand., p. 62.
2. Ibid.,v- 458 et 174.
5. Boeth. opp. ibid. « Quod si est quidem genus ac species, sed multi- plex , neque unum numéro, non crit ultimum genus, sed babebit aliud super se positum genus , quod illam multiplicitatem unius sui nominis vo- cabulo concludat. Ut enim plura animalia, quoniam habent quiddam si- mile, eadem tamen non sunt, et idcirco eorum gênera perquirunt: ita quoque quoniam genus quod in pluribus est , atque ideo multiplex, habet sui similitudinem quod genus est , non est vero unum quoniam in pluribus est : ejus generis quoque genus aliud quxrendum est, cunique fucrit in- ventum eadem ratione çpise superius dicta est, rursus genus tertium ves- tigatur ; itaque in infinitum ratio procédât necesse est, cum nullus disci- plinai terminus occurrat. »
ABELAHI». 79
homme *. Si l'iiomme est multiple, il lui faut un geure supérieur, un homme universel, lequel ne pouvant être un à cause du premier argument, et condamné a être mul- tiple, suppose de nouveau un autre homme plus univer- sel, et toujours ainsi sans fin. Cet argument, longtemps rapporté à Boëce, comme le premier, a été aussi un des arguments favoris du nominalisme.
La conséquence est donc que l'universel n'étant ni un ni plusieurs n'a pas de réalité et n'existe que dans l'in- telligence.
Boëce s'explique ensuite sur la nature et l'origine des universaux considérés comme simples conceptions de l'esprit.
Toute conception a un sujet, subjecta res , nous di- rions aujourd'hui un objet, auquel elle se rapporte. Cette conception est telle ou elle n'est pas telle que son objet. Dans le premier cas, c'est-à-dire si la conception générale était telle que l'objet de celte conception, l'universel au- rait une véritable réalité et serait ailleurs que dans l'in- telligence; hypothèse écartée par la précédente démons- tration. Dans le second cas, le seul admissible, si la conception n'est pas telle que sou objet, celle conception est vaine. Mais il faut distinguer : il n'y a erreur et faus- seté que dans la réunion de ce qui est séparé dans la na- ture ; il n'y en a pas dans la division ou abstraction. La conception d'un abstrait, pour n'être pas conforme à la réalité, ut sese rcs habet, n'est pas fausse pour cela ; par exemple, l'idée abstraite de la ligne n'est pas une idée fausse, quoique la ligne n'ait d'existence réelle que dans un corps. I. 'esprit peut donc séparer dans la nature l'in- i. Voyez notre écrit déjà cité De la Métaphysique d'Aristote , p. ioî.
80 PHILOSOPHIE SCHOL ASTIQUE.
corporel du corporel, et en cela il n'y a pas d'erreur. Les universaux se forment de la manière suivante : L'intelligence recueillant dans plusieurs individus une ressemblance, la contemplant et l'examinant dans sa vé- rité, cette ressemblance devient une espèce, et la ressem- blance des espèces devient à son tour un genre *. Les universaux existent donc en tant que pensées ; et il ne faut entendre par espèce qu'une pensée recueillie en vertu d'une ressemblance substantielle en une multitude d'in- dividus dissemblables2. Dans le particulier, cette ressem- blance est sensible; dans l'universel, elle est intelligible; et réciproquement, sensible elle demeure dans le parti- culier; conçue, elle devient universelle 3. Le sujet de l'u- niversalité et de la particularité est donc le même, mais considéré sous deux points de vue. 11 est universel dans la conception, particulier pour les sens 4.
La conclusion dernière de Boëce, par rapport aux trois questions renfermées dans la phrase de Porphyre, est que : 1° les genres et les espèces dans un sens existent par
1. Boeth. opp., p. 56. « Cum gênera et species cogitantur, tune ex sin- gulis in quibus sunt eorum similitude- colligilur, ut ex singulis bominibus inter se dissimilibus liumanitatis similitude); quœ similitude) cogitata animo veraciterque perspecta fit species; quarum specierum rursus diver- saruni considerata similitude., qua> nisi in ipsis speciebus aut in earum individuis esse non potest, effieit genus. »
2. lbid. « Cogitantur vero universalia nihilque aliud species esse pu- tanda est nisi cogitatio collecta ex indi\ iduorum dissimilium numéro substantiali similitudiue ; genus vero cogitatio collecta ex specierum sinii- litudine. »
5. Ibid. « Ha>c similitudo cum in singularibus est, fit sensibilis; cum in universalibus , fit intelligibilis, eodemque modo , cum sensibilis est, in singularibus permanet; cum intelligitur, fit uuiversalis. Subsistunt ergfl circa sensibilia , infclliguntur autem pra'ler corpora. »
A. lbid, « Singulaiitati et universalitati unum quidem subjectum est, sed alio modo universale est cum cogilatur, alio singulaxc cum sentitur. >\
ABÉLABD. 31
eux-mêmes, et dans un autre n'existent que dans l'esprit ; 2" ils sont incorporels, mais ils n'existent que dans les choses corporelles et sensibles; 3° quoiqu'ils n'aient d'existence réelle que dans un objet particulier et sensi- ble, on peut les concevoir à part du sensible et du parti- culier comme quelque chose d'incorporel et de subsistant par soi-même '. Selon Platon, dit Boëce, les genres et les espèces, les universaux, n'existent pas seulement en tant que conçus, mais en eux-mêmes et hors des corps; selou Aristote, ils n'ont d'existence réelle que dans les objets sensibles, et ils ne sont universels et immatériels que dans l'intelligence 2. Au reste, Boëce ne prétend pas se pronon- cer entre l'un et l'autre : la décision de ce débat appar- tient à une branche plus haute de la philosophie. S'il a exposé de préférence l'opinion d'Aristote, ce n'est pas qu'il l'approuve plus que celle de Platon ; c'est que le livre qu'il commente est une introduction a celui des Catégories, dont l'auteur est Aristote 3.
On voit par cet exposé fidèle que si , dans son premier commentaire, Boëce a l'air de favoriser sans mesure et fort peu judicieusement l'opinion platonicienne, dans le second, sans avoir une opinion qui lui soit propre sur la
\. Ibid. « Gênera et species subsistunt quidem alio modo, intelliguntur vero alio modo : et sunt incorporalia, sed sensibilibus juncta subsistunt in sensibilibus ; intelliguntur vero prster eorpora ut persemetipsa subsis- tentla, ac non in aliis esse suuni babentia. »
2. Ibid. « Plato gênera et speeies cteteraiiue non modo intelligi univer- salia, verum etiam esse atque prseter eorpora subslsterc putat; Aristoteles vero intelligi ([iiidem incorporalia atfjue universalia, sed subsistere in sensibilibus putat. »
3. Ibid. « Quorum dijudicare sentcntias aptiim non du\i ; altioris cnim est puilosophiae. ldcirco vero studiosius Aristotelis senlcntiam exsecuti sumus, non quod cam maxime prnbaremus , sed quod bic liber ad Pnedi- cainenta consciiptus est , quorum Aristoteles auctor est. »
82 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
nature des universaux, en sa qualité de traducteur et de commentateur d'Aristote, il adopte l'opinion péripatéti- cienne, l'expose assez clairement, et la développe avec quelque étendue, tandis qu'il accorde une seule ligne à l'opinion de Platon ; de sorte que des deux grandes écoles qui avaient partagé l'antiquité, une seule, celle d'Aristote, était un peu connue, et présentait sur le problème de Porphyre une doctrine plus ou moins satisfaisante, mais du moins nette et bien arrêtée. Ajoutez à cela que l'Intro- duction de Porphyre et les deux ouvrages d'Aristole tra- duits par Boëce sont des ouvrages de logique et de gram- maire ; qu'ils étaient seuls étudiés et commentés, toujours d'après Boëce; et que de cette étude exclusive il ne pou- vait guère sortir que des tendances et des habitudes in- tellectuelles entièrement opposées au réalisme. Mais, d'un autre côté, Aristote et Boëce avaient un puissant rival, et ce rival était le christianisme. En effet la religion chré- tienne est une religion essentiellement idéaliste, qui porte l'âme et l'esprit au culte et à la foi de l'invisible, com- mande le sacrilice des sens, et adore le Verbe incréé comme le 01s de Dieu et Dieu même. Le christianisme est né et s'est formé sous le règne de la doctrine platoni- cienne ; les Pères grecs sont en général platoniciens, et saint Augustin , le représentant et l'oracle de l'église la- tine, saint Augustin est enthousiaste de Platon, et tous ses écrits respirent et répandent l'idéalisme. L'esprit chrétien était donc pour Platon, et toutes les habitudes d'école, toute l'éducation savante étaient pour Aristote. Aussi dans la scholastique, en apparence, tout est péripa- téticien, et la méthode et le langage ; car on n'avait pas d'autres ouvrages philosophiques que ceux d' Aristote;
ABÉLARD. 83
mais, en réalité, (ont est platonicien ; et on pourrait, avec une parfaite vérité, défiait' la philosophie du moyen âge, la lutte du fond chrétien avec une forme étrangère, que le fond décompose quelquefois et refait a son usage, et qui, à son tour, réagit souvent sur le fond, règle son développement, et quelquefois aussi l'entrave ou l'égaré.
Voila donc au sixième siècle, grâce à Boëce, la solution péripatéticienne du problème de Porphyre. déposée dans le monde chrétien, comme le dernier résultat de la sa- gesse du monde antique. Voyons ce que va devenir ce germe semé dans toutes les écoles et sans cesse favorisé par la culture assidue de la grammaire et de la logique péripatéticienne.
Nous savons par des témoignages certains que, dans toute l'étendue delà première époque de la scholastique, Boëce, avec les parties de Porphyre et d'Arislote qu'il nous a conservées, partagea d'abord, pour la dialectique, le sceptre de l'école avec Martien Capella et Cassiodore, et finit par les remplacer. VOrganum devait donc pré- sider à l'enseignement de la dialectique dans toutes les grandes écoles. On devait y commenter sans cesse et Por- phyre et Aristote, à l'aide de Boëce. Que sont devenues tant de gloses, tant de commentaires, qui retentissaient d'un bout de l'Europe a l'autre? Chose admirable ! pen- dant six siècles on n'a connu, on n'a expliqué que VOr- ganum, et de tout ce travail il ne reste rien, ou du moins rien n'a vu le jour. De Boëce jusqu'à Albert, du sixième jusqu'au treizième siècle, on ne possède aucun commen- taire de cet Organum tant commenté, pas même la moin- dre glose. Notre publication interrompt seule ce long si- lence ; elle met en lumière pour la première fois des
84 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
gloses du douzième siècle, sur Boëce, sur Porphyre et sur Aristote. Pourquoi n'existerait-il pas de semblables monuments du même siècle ou des siècles antérieurs? Heureusement dans le môme manuscrit de Saint-Germain où nous avons trouvé plusieurs gloses dialectiques d'Abé- lard, se rencontrent aussi d'autres gloses sur YOrganum que ce manuscrit attribue à Raban-Maur, le pins célèbre disciple d'Alcuin. Nous avons déjà dit un mot de celte partie du manuscrit de Saint-Germain ; nous croyons de- voir en parler ici avec un peu plus d'étendue, puisque c'est le seul monument qui nous fournisse quelques ren- seignements sur l'état de la question qui nous occupe, au neuvième siècle.
Opinion de Raban-Maur au ix.e siècle.
Rodolphe, élève de Raban, qui a laissé une vie de son maître, y donne un long catalogue de tous ses écrits ', parmi lesquels un assez bon nombre ne sont pas arrivés jusqu'à nous. Dans celte liste, il n'y en a aucun qui se rap- porte directement ou indirectement à la dialectique ; et pourtant nous trouvons dans notre manuscrit une glose sur l'Introduction de Porphyre, intitulée : Rabanus su- per Porphyrium. Cette glose n'est pas achevée ; elle est suivie d'un fragment de quelques feuilles sur le De dif- ferentiis lopicis de Boëce; le commencement manque, ce qui explique le défaut d'inscription ; mais l'identité de la manière et du style, et la place de ce fragment après une glose positivement attribuée à Raban et avant une autre qui lui est également, attribuée, ne permettent guère
\. Opp. Raban., t. i, p. 8.
ABÉLARD. 85
de douter que ce court morceau n'appartienne au même auteur. Vient ensuite un autre écrit intitulé : Rabanus super Terencivaa : ce dernier mot n'a pas de sens, et c'est probablement une corruption de Rabanus super Péri ermenias, car cet écrit est un commentaire sur le traité de l'Interprétation. Ces gloses du neuvième siècle prouvent qu'alors on possédait et on commentait dans les écoles et l'Introduction de Porphyre et l'Interprétation d'Aristote, ainsi que les Catégories, auxquelles se rattache l'Introduction, et les Topiques de Boëce, et Boëce tout entier. En effet, une étude attentive de ces gloses nous permet d'aflirmer 1° que la traduction de l'Introduction et de l'Interprétation qui y est employée, est la traduction même de Boëce; 2° que, pour l'Introduction, l'écrit de Baban est une pure glose extraite des deux commentaires de Boëce, et que, pour l'Interprétation, ce n'est plus une glose, mais un commentaire, avec d'assez longs dévelop- pements, mais toujours d'après Boëce; 3° que non-seu- lement on se servait alors des commentaires de Boëce pour commenter Àristote, mais que Boëce lui-même était une grande autorité; et qu'on le commentait à défaut d'Aristote, ainsi que le prouve la glose sur le traité De differentiis topicis; 4° que les formes de cette glose et de ce commentaire du neuvième siècle sont à peu près les formes des gloses et du commentaire d'Abélard au dou- zième siècle, ce qui établit une tradition non interrompue dans la forme de l'enseignement dialectique ; 5° qu'on possédait au neuvième siècle ni plus ni moins les mêmes ressources qu'au douzième, c'est-à-dire tout Boëce et rien que Boëce.
Nous avons déjà donné le commencement du commen- ii. 8
86 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Inire de Rabau sur Porphyre : « Intcntio Porpliyrii est in « hoc opère facilem inlelleclum ad Prœdicamenla prapa- « rare, tractando de quinque rébus vel vocibus, génère « seilicet, specie, differentia, proprio et accidente, quo- « rum cognitio valet ad Prœdicamentorum cognitio- « nera. » On voit par ces mots, « tractando de quinque « rebus vel vocibus, » que Raban avait eu la sagesse de mettre en doute si dans celte Introduction Porphyre veut parler de choses réellement existantes ou simplement de noms. En avançant dans ce commentaire, on s'aperçoit que ce doute n'est pas particulier à l'auteur ; on apprend qu'il y avait déjà deux partis sur celte question et comme deux écoles constituées, et que l'une de ces écoles préten- dait que Porphyre ne considère dans cette Introduction le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident, qu'abstraclivement el comme des noms. Rabau nous fait connaître les arguments de cette école; il en énumère deux qui depuis ont été souvent employés par l'école no- minaliste, et que nous trouvons ici dès le neuvième siècle : -1° Le genre dont parle Porphyre ne peut pas être le genre en soi, mais la notion, le mot de genre, puisqu'il le dé- finit : le genre est ce qui se dit de, etc. : or, Cire dit s'en- tend des noms et non des choses, car une chose n'est pas dite, énoncée, proférée, 2° L'introduction de Porphyre aux Catégories d'Àristole doit être de même nature que l'ouvrage auquel elle conduit : or, dans les Catégories, Aristote ne traite pas de choses, mais de mots ; et c'est la l'opinion de Boëce, qui dans son premier commentaire sur les Catégories appelle ces catégories des noms 1.
1. Manuscrit de Saint-Germain, 1510, fol. 86 recto, col. I. « Quorum- dam tamen sententia est Porpliyrii intentionem fuisse iu hoc opère non
ABÉLAKD. 87
Raban ne fait pas connaître les arguments de l'école opposée; il dit seulement qu'elle peut aussi invoquer l'autorité de Boëce, qui, dans le traité de la Division, dé- clare que la division du genre est relative a la nature et par conséquent aux choses '.
Quoique llaban se contente de rapporter les opinions des deux écoles opposées, a la complaisance avec laquelle il fait valoir les arguments de la première, il est aisé de voir qu'il appartient a cette école.
Quand il arrive au problème de la réalité ou de la non- réalité des genres et des espèces, il suit Boëce pas à pas , ou plutôt il le transcrit mot pour mot; il adopte en tiè-
de quinque rébus sed de quinque vocilius tractarc, id est Porphyrium in- tcndere naturam generis ostendere, generis dico in vocuni designationem accepti. Dicunt eliam quod si Porphyrius in designatione rerum tractât de génère et de cœteris, non liene diffinit : genus est quod prœdicatur, etc.; res enim non prœdicatur; quod hoc modo probant : si res prœdicatur, res dicitur; si res dicitur, res enuntiatur; si res enuntiatur, res profcrlur. Sed res proferri non potest. Nibil enim profertur nisi vox neque enim aliud est prolatio quam aeris plectro linguœ percussio ; aeris autem plectro linguae percussio nibil aliud est quam vos. Si igitur Porphyrius de génère in rerum assignatione tractaret, maie generis difûnitionem dedisset dicendo : si genus est quod prœdicatur, etc., cum genus in rerum designatioue acceptum nullatenus prœdicatur. Ejus igitur inten- tioncm dicunt esse de génère, non in rerum sed in vocuni designatioue tractarc. Adhuc alia ratio cur Porphyrius tractet de génère accepto non in rerum sed in vocuni designatione. Cum enim tractatus istc introductorius sit ad Aristotelis Categorias, et Aristoteles in Categoi iis de vocibus principaliter agere intendat, convenions non eum esset de rébus agcre (|iii ad liluuin dejvOCibOS principaliter tractarc intendebat... Prœter- ca i\ lioi'lliii autoritatc in primo super Categorias comiuento confiiniatiir gênera et species voces significare. Oicit enim i I la nomina novein esse ; quod si voces non signilicarent, nullo modo nomina novem esse possent. » \. Ibitl., fol. 86 verso, c. i. « Non tamen genus in rerum designatione aceipi posse oeganf (je lirais volontiers negandum ou potest ne tari ); dicit enim Boethius in libro Dlvislonum generis divisionem esse ad nota- rain , id est ad les ( le manuscrit : ajiml o)li)ies ) ; per quod demonetratur Boethius non in vocuni sed iu rerum designatione genus aceepisse. »
00 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
rement son opinion , et celte opinion est la non-réalité des espèces et des genres, la réalité renfermée dans les objets particuliers, dans l'individu, les universaux con- çus seulement comme des points de vue des choses indi- viduelles, et les genres et les espèces comme de simples ressemblances, abstractivement considérées '.
11 termine en citant d'après Boëce l'opinion d'Aristole et celle de Platon 2.
L'ouvrage dont nous venons de rendre compte, peut nous représenter l'enseignement dialectique de l'école de Tours que dirigeait Alcuin et où Raban fut élevé, et celui de l'école de Fulde qu'il dirigea lui-même avant de pas- ser au siège archiépiscopal de Mayence. Le commentaire de Raban reproduit a peu près celui de Boëce; il est pour la solution péripatéticienne du problème de Porphyre : et il n'en pouvait guère être autrement. Boëce restait seul debout sur les ruines de l'antiquité, et dans la nuit pro- fonde où dormait alors l'esprit humain , son opinion, quelle qu'elle fut, devait être la lumière du temps et l'au- torité souveraine en matière de philosophie.
4. Mari, de Saint. -Germ. 1510, fol. 87 verso, c. i. « Nihil aliud est genus quani substantialis similitudo ex diversis speeiebus in cogitatione col- lecta. » Plus bas : « Alio naruque modo universalis est ( substantia eadem ) cum cogitatur, alio singularis cum sentitur. Hic innuit nobis Boethius quod eadem rcsindividuum et species et genus est, et non esse universalia individuis quasi quiddam diversum , ut quidam dicunt, scilicet specieni nihil esse quani genus informatum, et individuum nihil aliud esse quain speciem informatam. Aliter autem non diceretur universalitas et singu- laritas eideru subjecto accidere. lis ita determinatis, ut dicit Boelbius, supradicta quœstio soluta est. »
2. Ibid. u Haec enim, ut dicit Boethius, sententia est Aristotelis ; Plato vero gênera et species non tantummodo intelligi universalia sed etiani prêter individua subsistere putavit. Quorum , ut ipse dicit , Boethius in corn" niento sententias dijudicare noluit, etc. »
ABÉLARD. 89
Opinion d'un anonyme du xe siècle.
Si au neuvième siècle, comme il vient d'être démon- tré, on connaissait et on commentait les trois premières parties de YOrganum avec les commentaires de Boëce, il n'y a aucune raison de supposer qu'il n'en ait pas été de même au dixième siècle, et que le travail des écoles carlovingiennes se soit arrêté ou ralenti. Malheureuse- ment ou ne possède aucun monument dialectique de cette époque, excepté la petite dissertation de Gerbert, depuis le pape Sylvestre II, adressée a l'empereur Othon III sur une difficulté que cet empereur avait rencontrée dans 1'Inlroduclion de Porphyre. L'explication de Gerbert est aussi vaine que la difficulté de l'empereur Othon; mais ce petit écrit * nous apprend au moins qu'au dixième siècle on continuait à s'occuper avec zèle de YOrganum, puisqu'un jeune empereur , au milieu des soucis d'une guerre périlleuse, proposait à Gerbert et aux savants de sa cour des difficultés sur Porphyre. Il est donc plus que vraisemblable qu'il doit exister des commentaires du dixième siècle sur YOrganum. Mabillon 2 et, d'après lui, Y Histoire littéraire de la France nous signalent l'exis- tence d'un commentaire inédit de ce temps sur la dialec- tique et les Prédicaments dans le manuscrit de Saint- Germain n° 613. Nous nous sommes empressé de recher- cher ce manuscrit dans le fonds de Saint-Germain de la Bibliothèque royale. Mais le catalogue particulier des manuscrits de ce fonds indique comme perdu le manu-
\. Thcsaur. Anecd. noviss., tom. u, part, n , pag. 131. 2. Jfouveau traite de diplomatique , tom. m, pag. 3o'J; Wst.litt., toni. xn, pag -ici.
8.
90 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
scrit coté autrefois sous le u° 613 : 613 deest ; et nous désespérions de le retrouver, lorsqu'en examinant divers livres du même fonds et a peu près du même siècle, nous avons rencontré l'ouvrage que déjà nous ne cherchions plus , dans un manuscrit de Saint-Germain coté aujour- d'hui \ 108 et autrefois 442. La démonstration sans ré- plique que ce manuscrit est bien celui de Mabillon , c'est qu'il renferme la note célèbre sur l'existence des antipodes que le savant bénédictin a tirée du manuscrit 613 et que rapporte l'Histoire littéraire. C'est une note marginale au feuillet 30 verso. Elle fait partie d'une glose sur le traité des Catégories attribué a saint Augustin, et qui est précédé dans le manuscrit par la Dialectique également attribuée au même Père ' . Les éditeurs des œuvres de saint Augustin avaient sous les yeux ce même manuscrit en imprimant le traité des Catégories dont nous venons de parler, et sans indication de numéro ni de siècle ils l'appellent « Codex sangermanensis pervetustus. » Ils en ont tiré un prologue envers d'Alcuin. Cet ancien manuscrit, qui est impor- tant à plus d'un égard, contient, parmi beaucoup d'au- tres opuscules, l'Introduction de Porphyre, l'extrait des Catégories attribué à saint Augustin , et l'Interprétation d'Aristote, avec des gloses interlinéaires et marginales sans nom d'auteur. La traduction latine de l'Introduction et de l'Interprétation est toujours celle de Boëce, et c'est encore à Boëce que ces gloses sont empruntées. Nous en extrairons seulement ce qui se rapporte au problème de Porphyre.
L'opinion de ce dialecticien anonyme du dixième siècle
I. August, opp., tom. s, Append.
ABÉLARD. 9J
ne diffère guère de celle de Raban et de Boëce ; quelque- fois elle va plus loin dans le même sens.
Selon noire auteur, les genres et les espèces ont un seul et même sujet, a savoir, telle ou telle chose. Sous le point de vue de l'existence, cette chose est individuelle, sen- sible, matérielle ; mais le point de vue de la conception est tout différent. Eu effet, l'intelligence conçoit un genre comme étant commun à plusieurs choses individuelles , et pnr conséquent comme n'étant pas exclusivement ren- fermé dans l'une d'elles : eu ce cas les genres sont con- çus comme universels et incorporels. Le caractère du sys- tème de Platou est de ne pas admettre seulement la no- tion des universaux dans l'intelligence, mais leur existence indépendante en dehors des choses individuelles et cor- porelles1.
Arrivant aux trois questions dans lesquelles se décom- pose le problème général de Porphyre , sur la première question , si les genres et les espèces ont une existence réelle, l'anonyme répond avec Boëce, daus son pre- mier commentaire , qu'assurément ils existent , puisque sans eux rien ne serait; et il n'a pas l'air de se douter plus que Boëce que cette réponse, sérieusement examinée, ne serait pas très-facile a concilier avec l'opinion formel- lement exprimée dans le passage précédent 2.
1. Fol. -56 recto. « fienora et species, id est universalc et singulare , unum quidem subjectum babent. .Subsistunt vero alio modo, intelliguntur alio. Et suntineorporalia; scdsensibilibus juncta subsistunt inscnsibilibus, et tune est singulare ; intelliguntur ut ipsa substantia, ut non in aliis esse suum habentia, et tune est universalc. Sed Plato gênera et species non modo intelligi universalia, verum etiam esse atquc prœter corpora subsistera putat »
2. lllud quidem sive subsistant. Prima qnsstio est utrum gênera et species verc sint. Sed scicudum est quod non esset disputatio de cis si non
92 , PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Sur la seconde question , si les genres et les espèces sont matériels ou immatériels, notre anonyme s'explique plus nettement que Raban-Maur. Les genres, dit-il , sont matériels ou immatériels selon le point de vue sous le- quel on les considère. Sous le point de vue de l'existence, comme ils n'existent substantiellement que dans les choses sensibles et matérielles, on peut dire qu'ils ne sont point immatériels; mais ils le sont si on les considère sous cet autre point de vue, que le genre est commun a plusieurs espèces , comprend sous lui plusieurs espèces. A ce titre, l'espèce aussi est incorporelle, l'espèce homme, par exem- ple, si on ne la considère que par cet endroit qu'elle est comprise sous le genre, car pouvoir être compris sous un genre n'est rien de matériel ; et a ce titre encore, la dif- férence est immatérielle; par exemple, le quadrupède, si ou le considère non pas en lui-même, mais en tant que différent du bipède, et ainsi du reste : c'est-à-dire, en d'autres termes, que les genres comme les espèces et les variétés n'existent que comme des abstractions de l'esprit, et que c'est en cela seul que consiste leur immatérialité *.
Sur la troisième question , si les genres existent hors des choses ou dans les choses , l'auteur se prononce moins directement que sur la question précédente. En tant
vere subsistèrent; nam res omnes quac vere sunt, sine eis non esse pos-
Mllll, »
-I. « An corporalia ista sint an incorporalia. Quoi! dnobus niodis ac- cipitur. Nam genus si in eo quod genus sit, non quod res natura constat consideralur, seiuper incorporale est; verbi gratia, si substantia non con- sideratur in eo quod substantia est, sed in eo quod sub se species liabet, incorporalis est. Item si species quoe est homo consideratur tantummodo in eo quod sub génère est, est incorporalis et ipsa; eodem modo et diffe- rentia quadrupes non respicitur quod sit quadrupes differentia , sed unde a bipède differl, ac per hoc et ipsa incorporalis est. Similiter de ca?teris accipiendum est. »
ABÉLAftD. 93
qu'immatériels, les genres peuvent exister hors des cho- ses, mais cela n'empêche pas qu'ils ne puissent aussi exister dans les choses, comme L'âme dans le corps, de telle sorte qu'ils soient à la fois inséparables des corps sans cesser d'appartenir aux êtres immatériels. Comme existant dans les choses, on peut les comparera ces di- mensions des corps qui sont immatérielles, puisqu'elles ne tombent pas sous les sens , et qui pourtaul n'abandon- nent jamais les corps; et d'un autre côté, on peut aussi les comparer à l'âme qui vit dans le corps sans y être nécessairement attachée : question ardue sur laquelle Porphyre déclare qu'il veut garder le silence1.
Un autre passage confirme ce que nous avous déjà vu dans le commentaire de Raban-Maur, qu'il y avait a cette époque des philosophes, plus platoniciens que Raban et notre auteur, qui n'admettaient point cette solution équi- voque, que les genres sont à la fois corporels et incorpo- rels, et qui pensaient qu'ils sont seulement incorporels. Cette autre école s'appuyait aussi sur Porphyre et es- sayait de le mettre de son côté 2.
\. « Aeceptio ( le manuscrit : exceptio ) itaquo incorporalitatis génère fit quod et prêter corpora separatum esse possit et corporibus jungi pa- tiatur, ut anima, sed ita ut, si corporibus juncta fuerint, inseparabitia sint a corporibus neque ab ineorporalilms separentur, et utrasque in se contineant potestates. Nam si corporalibus junguntur, talia sunt qualis illa prima versus terminos incorporalitas quœ nunquam discedit a cor- porc. Si vero incorporalibus, talia sunt qualis est animas quf nunquam corpori copulatur. nie se Porpbyrius tacere poUicetur. »
2. « Hi qui penus et speciem iucorporalia solummodo dicunt, iioc pro- bare videntur Porptiyrii ipsius sententia, qui, veluti jam probato quod incorporca sint, ita ait: eluirwn separala an Ipsis sensibilibus juncta. Quod et si ha'c aliquando corporalia exlilissent, ahsurdum esset quaerere utrum (le manuscrit : utrum iucorporalia sej.) sejuncta essent a sensibi- libus, au juncta, cum sensibilia ipsa sint corpora. »
94 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
L'auteur revient encore sur sa comparaison de l'imma- térialité des genres avec celle des dimensions du corps. Les dimensions d'un corps n'existent que daus ce corps, et cependant on les conçoit comme étant immatérielles , par exemple, la surface ; et c'est là le premier degré de l'immatérialité , la première transition du corporel à l'in- corporel. On peut comparer à cette immatérialité celle du genre et de l'espèce. L'animal et l'homme conçus abs- tracti veinent sont immatériels , mais ils sont corporels dans les individus dans lesquels seuls ils existent *,
La conclusion de l'anonyme est exactement celle de Boëce que déjà Raban avait adoptée : le genre n'est pas autre chose qu'une conception formée de la ressemblance de plusieurs espèces comparées entre elles 2.
Il résulte de ces différents passages, qu'au dixième siècle comme au neuvième, les premières parties de VOrganum étaient connues et étudiées daus la traduction de Boëce, et commentées à l'aide des commentaires de ce même Boëce ; que le problème posé par Porphyre dans les pre- mières lignes de l'Introduction excitait déjà quelque at- tention ; que la solution péripatéticienne répandue par Boëce prévalait généralement , mais qu'il y avait pour- tant à côté de celle-là une solution différente , qui , sans être aussi accréditée, avait aussi ses partisans. Voilà donc
\. « ... Termini cum sint semper circa corpora quorum termini sunt, incorporel tamen intelliguntur, sicut est epiphania (sTTttpâvcta) ; et haec prima incorporalitas, primus transitus a corporibus ad incorporea... Huic ergo incorporalitati assimilatur generis et speciei incorporalitas. Nam, verbi gratia, animal et hoiuo, licet per se intellecta incorporalia sint, in individuis tamen quibus subslaut corporalia sunt. »
2. « Geuus est cogitatio collecta ex singularum similitudine spe- cierum. »
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deux doctrines, deux écoles eu présence au neuvième et au dixième siècle. Mais il ne suffit pas que deux opinions soient déjà dans un temps pour appartenir à l'histoire. Le réalisme et le nominal isme étaient sans doute en germe, et dans la phrase de Porphyre et dans le commentaire de Boëce et dans celui de Raban-Maur et dans les notes mar- ginales de notre anonyme; mais leurs vrais principes avec leurs nécessaires conséquences étaient profondé- ment ignorés , leur rapport à toutes les grandes ques- tions religieuses et politiques n'était pas môme soupçonné. Ce n'étaient encore que deux manières différentes d'in- terpréter une phrase de Porphyre, qui restaient inaper- çues dans l'obscurité de l'école et vivaient assez bien en- semble sous la foi de leur insignifiance commune ; mais en se connaissant mieux , en grandissant et en se déve- loppant, ces deux interprétations étaient appelées à sou- lever des discussions mémorables , à troubler l'Église et l'Etat, et à prendre ainsi leur rang dans l'histoire.
Comment s'est opérée celte métamorphose? comment le péripalélisme indécis de Boëce, de Raban-Maur et de l'anonyme est-il devenu cette doctrine altière qui rompit d'abord en visière avec toutes les doctrines et toutes les puissances du temps? C'est le onzième siècle qui a mis au monde le nominal isme. Tout était préparé pour cet enfantement. L'esprit humain, formé pendant plusieurs siècles dans les écoles fondées par Charlemagnc, sous la discipline de la dialectique péripatéticienne et d'une théologie sublime, était mûr pour les questious sérieuses. Les événements de ce siècle disent assez quel était son es- prit. La lutte naissante du sacerdoce et de l'empire, de Henri IV et de Grégoire VII, annonçait les luttes morales
96 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUË.
qui se préparaient dans l'intérieur même du moyen âge, et le siècle de Bérenger pouvait bien être celui de Roscelin.
Nominalisme de Roscelin.
Du Boulay a le premier cité, et, d'après lui, la plupart des historiens de la philosophie répètent cette phrase d'une vieille chronique, qui raconte les faits écoulés de- puis le roi Robert jusqu'à la mort de Philippe Ier : « In « dialectica ni potentes extiterunt sophistae : Joannes, qui « eaindem arlem sophisticam vocalem esse disseruit; Ro- « bertus Parisiacensis, Roscelinus Compendiensis. Arnul- « fus Laudunensis. Hi Joannis fuerunt sectatores, qui « eliam quam plures habuerunt auditores '. » L'auteur du nominalisme serait donc un certain Jean, qui aurait eu un bon nombre d'élèves, parmi lesquels aurait été Roscelin. Ce fait, s'il était bien certain, n'aurait rien d'é- trange au onzième siècle, puisque déjà au neuvième et au dixième nous trouvons le principe du nominalisme, et que ce principe était dans Boëce lui-même. Selon Du Bou- lay, Jean, dont il est ici question, avait été le médecin du roi Henri Ier. Il était de Chartres, et il fut appelé Surdus, à cause de sa grande surdité. Ainsi Roscelin n'aurait pas, à proprement parler, inventé le nominalisme ; mais en- core une fois, pour l'histoire, l'auteur d'une opinion n'est pas celui qui la soupçonne le premier, mais celui qui lui donne son vrai caractère en l'appuyant sur des preuves nouvelles, en eu tirant des développements nouveaux, surtout eu la répandant parmi les hommes. Or, à tous
\. Du Boulay, Histor. Univ. Par., t. i, p. -J43.
ABliLARD. 97
ces titres, on ne peut mettre en doute que Roscelin ne soit l'auteur du nomiualisrae.
Si Roscelin s'était contenté de choisir dans les deux so- lutions indiquées par Porphyre du problème philoso- phique la solution péripatéticienne; s'il eût répété Boëce et Rahan-Maur, ou même si, comme son maître Jean, les universaux ayant été réduits par ses devanciers à de sim- ples conceptions de l'esprit, il eût réduit à son tour ces conceptions a des produits du langage, a des mots, il n'eût été peut-être ni plus célèbre ni plus persécuté que Jean son maître et ses autres condisciples ; mais ce qui lit sa réputation et ses malheurs, c'est la hardiesse mer- veilleuse avec laquelle cet homme du onzième siècle alla d'abord presque aussi loin qu'Occam au quatorzième siè- cle. En effet, Roscelin a fait ces trois choses : 1° en phi- losophie il a établi le nominalisme; 2° il a transporté le nominalisme dans la théologie, et attaqué le dogme de la Trinité, sur lequel repose le christianisme; 3° enfin, pas- sant de la philosophie et de la théologie à la politique, il a attaqué la plus grande puissance du temps, la puissance ecclésiastique, dans un de ses abus les plus répandus et les plus choquants.
Il n'est pas facile de se faire une idée nette de l'opinion philosophique de Roscelin. Othon de Freisingen dit seu- lement : « Roscellinum quemdam qui primus nostris tem- « poribus sententiam vocum inslituil '. » Jean de Salis- bury, dans les deux endroits où il parle de Roscelin, ne nous en apprend guère davantage. « Alius 2ergo consislit « in vocibus, liect lucc opinio cum Roscelino suo fere
i. Voyez plus haut , p. 46. 2. Metitlogicus, m, <7.
98 PHILOSOPHIE PCIIOLASTIQUE.
« omnino jam evanuerit. » « Puerunt et qui voces ipsas « gênera dicerent et spccies, sed eorum jam explosa sen- « tentia est, et facile cum autore suo evanuit '. » Ainsi Roscelin soutenait que les genres et les espèces ne sont que des mots : mais comment le soutenait-il? Quel était l'ouvrage où il avait déposé son opinion? Etait-ce un traité spécial de dialectique? était-ce un simple commen- taire de Porphyre? Tous les monuments se taisent à cet égard, et nous en sommes réduits sur la doctrine de Ros- celin à deux documents très-peu sûrs, la réfutation qu'en a donnée saint Anselme, réfutation beaucoup plus théolo- gique que philosophique, dans le Defide Trinitatis sive Jncarnatione Verbi, contra blasphemias Roscellini, et la lettre d'Abélard à l'évêque de Paris. C'est là qu'il nous faut chercher avec une extrême précaution quelque ombre du principe philosophique qui a conduit Roscelin à ses doctrines théologiques.
Saint Anselme se plaint de la mauvaise philosophie qui, ^introduisant de son temps dans la théologie, y mine les grandes vérités du christianisme. Il s'élève contre ces dia- lecticiens, hérétiques même en dialectique, qui préten- dent que les universaux ne sont que des paroles 2. Ce qu'il ajoute nous fait pénétrer davantage dans l'opinion de Roscelin. Ces dialecticiens, dit-il, admettent bien l'exis- tence du corps coloré, mais non pas celle de la couleur ; et par la sagesse d'un homme, ils n'entendent pas autre chose que l'âme de cet homme3. Leur raison est tellement
1. Polycraticus , vu, 12.
2. Anselm. opp. éd. Gcrl>eron, p. -SI. « Illi ulique nostrl temporis dia- leclici, imo dialecticc haerelici, qui non nisi flalum vocis putant esse uni- versales substantias. »
5. « Qui colorem non aliud queunt intclligere quam corpus , nec sa- pientiam hominis aliud quam animàm. »
ARÉLARD. 99
enveloppée dans des imaginations corporelles, qu'elle n'en peut sortir et distinguer les objets qu'elle seule peut aper- cevoir '. Or, dès qu'on ne reconnaît d'autres réalités que celles qui tombent sous les sens ; quand on ne peut pas distinguer l'existence de la couleur d'un cheval de celle du cheval lui-même; quand on n'admet comme existant que ce qui est individuel ; quand on ne peut pas com- prendre que plusieurs hommes individuels contiennent eu eux quelque autre chose encore que ce qui les distin- gue, et que, dans ces différents hommes, il y a une seule et même humanité, comment pourrait-on comprendre que les trois personnes de la Trinité , dont chacune est Dieu, ne constituent qu'une seule et même divinité 2? 11 suit de ce passage important que Roscelin n'admettait de réalité que daus les individus, et que, selon lui, tout ce qui n'était pas l'individu lui-même, n'existait pas, était un pur nom. Et il résulte encore de ce même passage qu'il n'attaquait pas seulement les universaux, mais qu'il s'en prenait aussi aux qualités des corps, par exemple , à la couleur : il ne l'admettait pas en elle-même, il admettait seulement le corps coloré ; et ceci doit nous aider à com- prendre cette autre opinion qu'on lui attribue, qu'il niait la réalité des parties et les regardait aussi comme de purs
\ , « In corum çroippe animabus ratio, quoc et princeps et judex omnium débet esse quae sunt in homine, sic est in imaginationibus corporalibus Obvoluta ut ex eis se non possit evolvere, nec ab ipsis ea quœ ipsa »ola et pura eomtemplari débet, \aleat iliscernere. »
2. « Qui enim nondum Lntelligltquomodo plures homines in specie sint bomo unus, qualiter in il la secretissima natura comprehendet quomodo plures personœ, quarum singula quœque est perfectus Deus, sint Deus unus? Et cujus mens obscura est ad discernenduni Infer equum suuin et colorem ejns , qualiter discerne! inter unum Deum et plures relationes ? Denique qui non potest IntelUgere aliud esse hominem, nisi indivldumn, nullulcims inteUiget hominem nisi uumanam personam. »
100 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQIE.
mois. C'est du moins ce qu'on peut inférer de la lettre d'Àbélard à l'évoque de Paris : « Aussi faux dialecticien que faux chrétien, dit Abélard, il soutient dans sa dialec- tique que nulle chose n'a de parties, et corrompt par là le sens des saintes Écritures; car, a ce compte, dans l'en- droit où l'Ecriture rapporte que Jésus mangea une partie d'un poisson, il devrait dire qu'il s'agit seulement d'une partie du mot poisson, et non pas d'une partie de la chose elle-même '. »
Voilà les seuls documents qui subsistent sur le noinina- lisme de Roscelin. Cette disette extrême de témoignages donne le plus grand prix aux moindres renseignements nouveaux qui nous peuvent survenir, et par conséquent à un passage du manuscrit de Saint-Victor, où Abélard nous fait connaître l'opinion de Roscelin avec brièveté, mais non pas sans précision. Livre de la Division et de la Définition, fol. 4 99 verso 2 : « Fuit autem, memini, ma- « gistri nostri Roscelini tam insana sententia, ut nullani « rem partibus constare vellet ; sed sicut solis vocibus « species, ita et partes adscribebat. » Ce passage confirme pleinement celui de la lettre à l'évêque de Paris. Roscelin ne se contentait pas de réduire les universaux à des abs- tractions verbales; en vertu du même principe, sicut, il prétendait que les parties n'ont point d'existence. Abé- lard ne s'en tient pas la : il nous fait connaître l'argumen- tation même sur laquelle s'appuyait Roscelin ; et comme
1. Absel. opp., p. 334. «Hic sicul pseudo-dialccticus, ita et pseudo- christianus , cum in dialectica sua nullani rem partes uabere sestimat, ita divinara paginant impudeuter pervertit, ut eo loco quo dicitur Dominus partem piscis coniedisse, partent hujus vocis, quœ est piscis , non parlem ici intelligerc cogatur. »
2. Ouvr. inéd. in-4, p. -J9I.
ABÉLARD. 101
nous avons démontre qu'il avait eu Roscelin pour maître et avait suivi ses leçons, c'est de sa bouche même qu'il avait dû recueillir cette argumentation ; elle mérite donc toute notre confiance.
Roscelin faisait deux arguments pour prouver que les parties n'ont pas d'existence réelle : 1° Dire qu'une partie d'une chose est aussi réelle que cette chose, c'est dire qu'elle fait partie d'elle-même, car une chose n'est ce qu'elle est qu'avec toutes ses parties; 2° la partie d'un tout devrait précéder ce tout; car les composants doivent précéder le composé; mais la partie d'un tout fait partie du tout lui-même; donc la partie devrait se précéder elle- même, ce qui est ahsurde. Citons textuellement cette ar- gumentation : « Si quelqu'un disait que cette chose, qui est une maison, consiste en d'autres choses, a savoir les murs et les fondements, Roscelin lui opposait ce raison- nement : Si cette chose qui est un mur est une partie de cette chose qui est une maison , comme la maison n'est rien que le mur lui-même, le toit, le fondement, etc., il en résulte que le mur sera une partie de lui-même et du reste; or, comment pourrait il être une partie de lui- même? De plus, toute partie précède naturellement son tout; or, comment le mur peut-il se précéder lui-même et le reste, puisque rien ne peut en aucune manière se précéder soi-même? » « Si quis autem rem illam quai « domus est , rébus aliis, paricte scilicet et fundamento « conslare dicèret, tali ipsum argninentalione impugna- « hal : si res illa quœ est paries, rei illius quœ domus est, « pars sit, cum ipsa domus nihil aliud sit quam ipse pa- ît ries et lectuni et fundainenlimi , profecto paries suî ip- « sius cl exterorum pars ciit. At vero quomodo suî ipsius
102 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« pars fuerit? Amplius : omnis pars naturaliter prior est « suo loto. Quoinodo autem paries prior se etaliis dice- « tur, cuin se uullo modo prior sit ? ' »
Voilà donc en quoi consistait le nominalisme de Ros- celin : il soutenait que les universaux, à savoir les genres et les espèces, ne sont que des mots ; et que de même, les parties d'une chose n'existant que dans cette chose, dès qu'on les en sépare on n'a plus aussi que des mots. On peut supposer qu'il en disait autant des qualités par rapport à leur sujet. Le principe commun de ces diverses théories est qu'en réalité il n'existe que des individus, des choses particulières, et que hors de la il n'y a que des conceptions et abstractions de l'esprit, et par consé- quent des mots. Le principe admis, la conséquence sem- ble irréprochable. Eu effet, si les genres et les espèces, si les universaux existent autre part que dans l'entende- ment de l'homme, s'ils sont autre chose que des con- ceptions et abstractions de notre esprit, il est impossible de les réduire a des noms ; mais si les universaux ne sont que des notions abstraites, évidemment alors toute la réalité appartient ou aux choses individuelles auxquelles ces notions sont empruntées ou à l'esprit qui a la puis- sance de former de pareilles abstractions; et ces abstrac- tions en elles-mêmes sont de purs mots. La conséquence est légitime; elle est même fort naturelle. Mais le génie consiste souvent à tirer une conséquence nouvelle, à dé- couvrir une face nouvelle d'un principe déjà connu. Or, on ne peut nier qu'avant Roscelin ou son maître Jean, au onzième siècle, personne n'avait songé a tirer cette conséquence de la doctrine que tout le monde enseignait.
i. Ouv. inéd.,y. -491.
ABÉLARD. 4 03
Raban-Maur et notre anonyme enseignaient aussi que les genres et les espèces, les universaux, sont des concep- tions de l' esprit, et qu'ils n'ont de réalité que dans les individus où l'esprit les recueille par voie de comparaison et d'abstraction. De là à conclure que les universaux ne sont que des mots, il n'y avait qu'un pas; mais ce pas, ni Raban, ni l'anonyme ne l'ont fait; Boëce non plus n'avait pas été jusque-là. Dans l'Introduction de Por- phyre, cette expression, les cinq mots, ne s'applique, comme nous l'avons déjà dit, qu'aux Prœdicabilia, aux abstractions évidemment verbales, à savoir, le genre, l'espèce, la différence, le propre, l'accident, et nulle- ment aux universaux proprement dits, les genres et les espèces. Porphyre, dans la double solution qu'il énonce du problème de la nature des universaux, n'indique en opposition à la solution platonicienne que la solution péripatéticienne, et celle-ci n'allait pas jusqu'au nomina- lisme. Dans toute l'antiquité, le péripatétisme, développé et commenté par tant d'esprits pénétrants et rigoureux, et dans une indépendance philosophique illimitée, ne produisit jamais une telle conséquence, ou du moins cette conséquence n'y eut jamais le rang et la dignité d'une doctrine. Si donc le nominalisme n'est qu'une consé- quence du péripatétisme, et si par là il se rattache à la philosophie ancienne, il faut reconnaître que c'en est une conséquence nouvelle, inconnue, inouïe; c'est un fruit tout a fait nouveau, éclos à la On du onzième siècle, et donné à la philosophie moderne par la scholastique et par un Français. Or, une époque philosophique, reli- gieuse ou politique, n'existe qu'à une condition : qu'elle possède un principe nouveau, qui devienne le fondement
104 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
d'un grand déliât et produise un grand mouvement. Ce grand mouvement, ce grand débat est ici la lutte du no- minalisme et du réalisme; et cette lutte ne pouvait pren- dre de l'importance et de la grandeur qu'autant que s'élè- verait une opinion nouvelle, nette et précise, qui, allant droit a toutes ses conséquences éclaircît d'abord l'hori- zon nébuleux du péripatélisme indécis légué par Boëce aux écoles carlovingiennes. La scholastique, comme épo- que originale de l'histoire de la philosophie, commence avec la querelle du nominalisme et du réalisme : c'est le nominalisme qui a engagé cette querelle; c'est donc lui qui l'a produite , et avec elle la philosophie scholas- tique.
Dès qu'un principe nouveau est déposé dans le monde, s'il a de la vie et de la force, il le fait voir, en se déve- loppant, par la variété et l'importance de ses applica- tions. Le nominalisme, a peine né, s'appliqua d'abord à la théologie, qui était la grande affaire, l'intérêt vivant de l'époque. Roscelin transporta dans la théologie le même esprit d'indépendance et de conséquence qu'il avait montré en dialectique. Ici nous possédons ses pro- pres paroles, rapportées par saint Anselme. Jusque-là la théologie consistait dans l'exposition plus ou moins régu- lière des dogmes sacrés; Roscelin essaya d'introduire une méthode nouvelle. « Les païens, dit-il, défendent « leur religion, les juifs défendent la leur; nous aussi, « chrétiens, il faut que nous défendions noire foi. » « Pa- « gani défendrait legem suam, judaei defendunt legein « suam; igitur et nos chrisliani debemus defendere fidem « nostram '. » Ici défendre voulait dire expliquer : niais
I. Ansclra. opp. De fide Trinilalis , p. 43.
ABÉLARD. 105
les premières explications ne furent pas heureuses; celles de Roscelin détruisaient le christianisme dans le dogme de la Trinité. En effet, si les parties, les qualités et les rapports n'existent pas et ne sont que des mots, les rap- ports des trois personnes divines entre elles s'évanouis- sent, et il n'y a plus ou qu'un seul Dieu sans trinité de personnes, ou trois personnes, ou plutôt trois êtres, trois Dieux, sans unité; car l'unité qui n'est pas celle de l'in- dividu est pour le nominalisme un pur mot. De la le di- lemme de Roscelin : Ou les trois personnes de Dieu ne sont pas seulement trois personnes, mais trois choses qui existent chacune individuellement et séparément, comme existent trois anges ou trois âmes, et n'ayant de commun entre elles que la ressemblance ou l'identité de volonté et de puissance; ou bien les trois personnes ne font qu'un seul Dieu, et dans ce cas ce Dieu seul existe sans distinction de personnes; il agit tout entier quand il agit; et par conséquent il faudrait dire que le Père et le Saint- Esprit ont dû s'incarner quand le Fils s'est incarné. Or, cette dernière hypothèse est absurde : donc il faut adop- ter la première, et admettre que les trois personnes sont en effet trois êtres distincts, et pour ainsi dire trois Dieux. Telle est l'opinion renfermée dans trois passages dont la ressemblance atteste assez qu'ici encore nous pos- sédons les paroles mêmes de Roscelin. Le premier de ces passages est la lettre d'un nommé Jean a saint Anselme, pour lui demander son avis sur la question soulevée par Roscelin : « liane enim indc quastionem Roscelinus de « Compendio movet. Si très personœ sunt una lanlum « res et non sunt tics res per se, sicut très angeli aut « 1res anima», ila tamen ut voluntate et potenlia omnino
106 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« sint idem ; ergo Pater et Spiritus Sanctus cum Filio in- « carnatus est '. » C'est après avoir reçu cette lettre que saint Anselme, encore abbé du Bec, écrivit a Fulcon, évoque de Beauvais : « Audio... quia Roscelious clericus « dicit in Deo très personas esse très res ad indicem se- « paratas, sicut sunt très augeli, ita tamen ut una sil vo- « luntas et potestas ; aut Patrem et Spiritum Sauctum « esse incarnatum, et très Deos vere posse dici, si usus « admitteret 2. » Le dernier passage est celui du De fide Trinitatis, écrit plus tard, et qui ne porte plus sur de simples bruits. « Si in Deo très persouœ sunt una tantuni « res, et non sunt très res, unaquœque per se separatim, « sicut très augeli aut très anima?, ita tamen ut voluntate « et potentia omnino siut idem, ergo Pater et Spiritus « Sanctus cum Filio incarnatus est. » Encore une fois, c'est là ou la non-distinction des personnes de la Tri- nité et leur confusion dans un seul être réel, ou bien la substitution de trois substances réelles à la simple dis- tinction de personnes. Cette dernière opinion est celle de Roscelin : c'est le trithéisme ; il dérive ici du prin- cipe métaphysique qu'il n'y a de réalité que dans les individus et dans les choses particulières, et cette mé- taphysique était absolument incompatible avec le chris- tianisme.
Arrivé a cette nouvelle conséquence, le nominalisme ne pouvait manquer de soulever contre lui l'esprit du temps et l'autorité ecclésiastique. Roscelin, né peut-être en Bretagne 3, et qui était chanoine de Compiègne 4, et
\. Baluze, Miscell., tom. iv, pag. <57S, i79.
2. Ansclm. opp., epislol- lil>. n, epist -'.! , p. 337.
3. Aventinus, Annal. Boior. lib. vi, pag. 193.
A. Passim. Uisloire littéraire, tome ix, pag. 539.
ABÉLARD. 1 07
probablement y enseignait, fut traduit devant un con- cile, celui de Soissons, en H 092 ou eu 1 093. Il parait qu'il essaya de se mettre a l'abri sous l'autorité de Lan- franc et de saint Anselme, auxquels il attribua son opi- nion; mais hautement désavoué par ce dernier, il fut obligé d'abjurer, non par conviction, mais dans la crainte d'être massacré par le peuple '. Il ne fut pas moins con- damné, forcé de quitter la France et de se réfugier en Angleterre 2. La leçon était sévère ; elle fut inutile : en Angleterre, Roscelin déclara qu'il persistait dans son opi- sion 3, et il la répandit même en secret; c'est alors que saint Anselme , qui de l'abbaye du Bec était passé à l'ar- chevêché de Cantorbéry, se décida a publier contre lui son traité de la Trinité et de l'Incarnation.
Mais ni sa première condamnation ni la nouvelle accu- sation que lançait contre lui le puissant et vénéré arche- vêque de Cantorbéry, ne corrigèrent Roscelin. En philo- sophie, il avait troublé l'école avec le nominalisme ; en théologie, il avait attaqué le dogme fondamental du chris- tianisme : il ne lui manquait plus, pour combler ses mal- heurs et pousser jusqu'au bout son rôle de novateur, que de s'attaquer a la puissance ecclésiastique elle-même. On sait qu'à celte époque les mœurs du clergé anglais étaient fort relâchées; beaucoup de prêtres avaient des concu- bines; souvent même ils étaient mariés; leurs enfants entraient dans l'Église , et par la protection de leurs pè- res envahissaient les bénéfices. Roscelin s'éleva contre
\. Ansplm. opp De fide Trinltatis, pag. 12. « ... Audivi prœfatœ novi- tatis auctorem... dlcere se non ob allud abjurasse nlsi quod dicebat quod a populo interfici timebat. » 2. AIp.tI. opp. pag. 53 ; , 335, a ... hœrcsis... exillo punila. » 5. Ansciin. opp. ibid. « in sua persewantem sententia. »
4 08 ttULOSOPIUE SCnOLASTIQUE.
cet abus. Un Français qui était comme lui en Angleterre, et enseignait a Oxford, Thibault d'Etampes, prit la dé- fense du clergé anglais dans une lettre adressée à Rosce- lin; et, en réfutant ses arguments, il nous les a con- servés '. « Roscellino Compendioso magistro Theobaldus « Stampensis magister Oxfordiœ : ïNon plus sapere quam « oportet, sed sapere ad sobrietatem. » Roscelin préten- dait 1° que les enfants de prêtres, nés en dehors d'un lé- gitime mariage, sont hors de la loi, exleges, et qu'il était injuste de les préférer a ceux qui n'avaient pas contre eux une pareille origine ; 2° que le baptême de ces enfants effaçait leurs péchés, mais sans changer leur condition; 3° qu'en ne les recevant pas dans les ordres, on empêche- rait le scandale d'enfants de prêtres élevés aux dignités ecclésiastiques. Sans doute, Roscelin exagérait , et ce qu'il demandait était injuste relativement a des enfants qui ne devaient pas être punis des fautes de leurs pères; mais il est certain qu'en admettant trop facilement dans l'Eglise de pareils candidats, on ouvrait la porte à mille abus, on laissait impunie une licence coupable, et on avait l'air de l'autoriser. Aussi l'Eglise elle-même prit-elle a cet égard de sages mesures, à la fois éloignées d'une injuste rigueur et d'une scandaleuse indulgence -. Mais le clergé d'An- gleterre trouva plus commode de persécuter Roscelin que de réformer ses mœurs, et il s'éleva contre notre pauvre compatriote un tel orage, qu'il courut risque de la vie et fut contraint de quitter l'Angleterre3 et de venir rc-
1. Dachery, SpicUégium, t. m, p. I !2.
2. Au concile de Clernionl, il fut décidé que les fils de piètres n'entre- raient dans les ordres qu'avec une dispense spéciale.
5. Al>a?l. opp. ibid.a AL utroque reguo in quo conyersalus est, (aiu An-
ABELARD. 109
demander un asile à la France. 11 parait qu'il dut faire une rude pénitence et subir de sévères corrections, <. ut « aiunt, a canonicis verberatus, sans pouvoir rentrer dans ses droits et dans ses fonctions de chanoine '. Dans sa détresse. Roscelin s'adressa à Yves, évêqoe de Char- tres, et lui demanda une place dans son église. Mais la réputation île Roscelin était si mauvaise . qu'Yves n'osa point le recevoir : et dans une lettre qui nous est parve- nue, le prélat motive son refus sur la crainte de se rendre suspect lui-même en accueillant Roscelin . et que son arrivée a Chartres n'y soit l'occasion de graves désor- dres : il va nume jusqu'il dire qu'on pourrait bien le la- pider 2. D'ailleurs, il reconnaît qu'on l'a injustement dépouillé \ Mais il se plaint qu'après sa condamnation il ait recommencé à répandre sa doctrine et d'autres tout aussi mauvaises. Il lui insinue qu'il doute de la sincérité de ?a conversion actuelle, et l'engage à publier une i< - tractation formelle : à ce prix, il lui promet sa protection. le pardon de 1 Éiilise et un bénéfice \ Roscelin ne suivit pas ce conseil. Est-ce alors ou auparavant qu'il écrivit une lettre contre le bienheureux Robert d'Arbrisselle ,
glorum scilicet quam Francorum, cum summo dedecore etpulsus rat... ut a 1 . imperium ab Ançlia turpiter impudens ejns contumacia
sit éjecta et \i* tom cura \ita evraa
I. lb . - • . cujus pndore canonicus dicitnr. beati Martini ec-
elesia, nunquam, ut ainnt , a canouicis \erbtratu>. more m solituiu >er- Taver
■ arnot opp. epislol. Tit. « ... Et audito nomine tuo et pristina conver-atione tna . more suo solito, ad lapides contolarent et lapidum aggere praefocar.
3. Ibid. i Si... te affliiit et rébus tuis te nnda\it quorumdani violento- rnm râpai a\arr.
4. \btd. « Restât içitar ut palinodiam scril' - ..eticûs poterU amplian. »
II. to
410 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
qui allait faisaut partout des prédications ardentes, des conversions et des miracles? Abélard appelle cette lettre insolente: « Contumacemausus estepistolamconfingere '.d Roscelin reparait dans l'histoire vers H 21, pour dénon- cera l'évêque de Paris, Guillaume, Geoffroy ou un autre2, le livre d' Abélard sur la Trinité. On ne voit pas bien quel avait pu être son motif, mais il trouva dans Abélard un adversaire impitoyable. Celui-ci écrivit a l'évêque de Paris une lettre où, en repoussant la dénonciation de Roscelin, il l'accable sous l'histoire de sa vie, el lui pro- digue les plus durs sarcasmes. Depuis, Roscelin disparaît entièrement, et on ne sait comment il a fini; mais il n'y a pas un seul texte véritablement applicable à Ros- celin d'où on puisse conclure qu'il se soit rendu et qu'il ait fait ses soumissions5.
Telle fut la destinée du père du nominalisme. Il souf- frit toute sa vie pour la même cause pour laquelle souf- frit aussi, 300 ans plus tard, l'Anglais Occam, qui, sous tous les rapports, a tant de ressemblance avec Roscelin. Tous deux sont comme les héros du nominalisme, et ils en ont presque été les martyrs. Mais Occam, au quator- zième siècle, devançait a peine son temps : même dans ses attaques contre l'autorité papale, il avait de son côté la moitié de son siècle, et il s'appuyait sur un roi et sur un empereur. A la fin du onzième siècle, Roscelin com- battit et souffrit sans espérance. Il a laissé à la philoso- phie moderne ces deux grands principes H ° il ne faut
1. Ahœl. opp. ibid.
2. Ibid.
5. Il n'est pas possible d'admettre à ee sujet les hypothèses de Mabillon ni des autres auteurs. Histoire littéraire, t. ix, p. 365.
ABÉLARD. 1 1 1
pas réaliser des abstractions; 2° la puissance de l'esprit humain et le secret de son développement sont en grande partie dans le langage. Roscelin est le précurseur de l'école empirique. Sans doute cette école est bien faible encore dans Roscelin; mais elle commence avec lui pour ne plus finir. Il paraît qu'indépendamment de la témé- rité de ses opinions, l'inquiétude et l'opiniâtreté de son caractère ajoutèrent à ses malheurs; mais il ne faut pas oublier d'abord que nous le connaissons seulement par ses adversaires; ensuite que les opinions hardies et les innovations prématurées veulent de pareils caractères, et que ce n'est pas la parfaite sagesse qui entreprend et achève les révolutions même les plus utiles. EnGn, on ne peut pas du moins lui refuser uue constance qui ne s'est ja- mais démentie. A tous ces titres, Roscelin a sa place dans l'histoire de l'esprit humain. Le nominalisme du quin- zième et du seizième siècle le désavoua, par calcul peut- être; celui du dix-huitième siècle ne s'est pas même sou- venu de lui, et c'est un adversaire déclaré de l'école à laquelle il appartient qui le premier en France lui rend ce juste et tardif hommage ".
.Nous avons raconté les orages que souleva le nomina- lisme de Koscelin. L'anathème qui accabla les conséquen- ces remonta jusqu'au principe. En voyant où conduisait la solution péripatéticienne du problème de Porphyre, on devait être naturellement tenté de se rejeter a l'extrémité opposée et dans la solution platonicienne, plus conforme
I. il y a en Allemagne un écrit assez insigniGant sur Roscelin : Chla- (lciiii dissertatio historien de vila et bœresl Rosceilini ; Erlang. 1 7:i0. Réimprimé dans le Thésaurus Biographies ti lUbliographicus de Wul- dau; Cnemnitz, 1792.
*H2 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
et plus favorable à l'esprit du christianisme. La première solution avait jusqu'alors prévalu et régné presque sans partage, dans la parfaite ignorance des résultats qu'elle contenait : le marlyr Boëce et le bienheureux Raban- Maur sont péripatéticiens. C'est dans la résistance au nominalisme naissant que renaît à son tour et commence à se montrer sur la scène la solution platonicienne; car une opinion fortement prononcée a toujours pour effet de susciter une opinion contraire d'une égale énergie. Ainsi s'engage la lutte, et par la lutte marche l'esprit hu- main.
Le premier adversaire de Roscelin est, ainsi que nous l'avons vu, et devait être un prêtre orthodoxe.
Réalisme théologique de Saint-Anselme.
Anselme, Italien, que l'Église a canonisé pour ses ver- tus et aussi pour son dévouement a la cause de l'autorité ecclésiastique, était élève de son compatriote Lanfranc, l'adversaire de Bérenger, et sortait de la célèbre école du Bec. Né avec le génie de la méditation, dans un autre siè- cle il eût été peut-être un grand métaphysicien ; au on- zième siècle, il concentra toutes ses forces sur la théolo- gie, et avec un esprit naturellement vigoureux et élevé, il arriva a cette philosophie chrétienne qui lui a dicté le Monologhtm, le Proslogium elle Dialogus de Veri/ate. Sa méthode, car il en a une1, est de partir des dogmes, consacrés, et sans s'écarter jamais de ces dogmes, en les prenant tels que les donne l'autorité, mais en les fécon- dant par une réflexion profonde, de s'élever, pour ainsi
4. Sur saint Anselme, i;e série, t. u, leçon ix«.
ABÉLARD. 113
dire, des ténèbres visibles de la foi a la pure lumière de la philosophie : fides quœrens intelleclum *. Dans le Monologium el le Proslogium il a dérobé a Descartes la preuve fameuse de l'existence réelle de Dieu, par la seule conception d'un idéal de grandeur et de perfection abso- lue, sur lequel nous mesurons toutes les perfections et les grandeurs relatives. Dans le Dialogue sur la Vérité, avec une simplicité qui n'ôte rien à la rigueur, il a dé- montré que la vérité est le fond et l'essence môme des choses; que par conséquent ce qui est faux n'est pas, et que par conséquent encore tout ce qui est est bien, le vrai et le bien étant la même chose ; d'où il suit que le mal lui-même a sa raison légitime, qu'il doit être à la fois et qu'il ne doit pas être ; il ne doit pas être, car c'est une infraction de la volonté humaine a l'éternelle loi du bien, et il doit être, car celte infraction, qui témoigne de la liberté de la volonté, témoigne par là de la bonté du sys- tème général dont cette liberté fait partie 2. Enfin, comme toutes les grandeurs supposent une grandeur absolue, de même toutes les vérités supposent une vérité unique. Saint Anselme compare la vérité au temps. Quand on parle de la durée de telle ou telle chose, il ne faut pas entendre que c'est telle ou telle chose qui dure par elle-même el qui contient intégralement la durée; loin de là, c'est la durée qui, dans son sein , comprend toutes choses et la succession mobile des événements qui la mesurent et ne
1. Anselin. opp , p. 29.
2. Anselm. opp., Dial. de Ver., c. vu, p. IM.«Est ijritur veritas in omnium quae sunt essenfla... quod falso est non est. . omne quod est , recto est. . Débet enim esse et non esse (malum) , quia bene et sapienter ab eo quo non permttiente fleri non posset, permittitur; et non débet esse quantum ad illuni eujus iniqua voluntate concipitur. »
10.
114 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
la constituent pas. De même, quand on parle de la vérité de telle ou telle chose, ce n'est pas que la vérité appar- tienne à ces choses, ce sont bien plutôt ces choses qui appartiennent à la vérité, car la vérité n'appartient qu'a elle-même \ Saint Anselme se soutient à cette hauteur tant qu'il reste dans les régions de la métaphysique chré- tienne; mais il retombe dans la barbarie de son temps dès qu'il abandonne le christianisme et aborde la philoso- phie d'alors, la dialectique scholastique. Ainsi le dialogue 2 de Grammatica, qui est malheureusement de lui, roule sur une misérable difficulté du livre d'Aristote de V Inter- prétation ; et il est tout aussi vain et tout aussi insigni- fiant que le morceau de Gerbert, adressé à l'empereur Otbon, sur une difficulté de l'Introduction de Porphyre. Ce n'est pas là qu'il faut chercher saint Anselme ; c'est dans les trois ouvrages que nous avons cités, ainsi que dans ses grands traités de théologie, et particulièrement dans le traité : Defide Trinitatis, composé contre Ros- celin.
Ce traité est exclusivement théologique. Saint Anselme n'était plus alors écolàtre et prieur du Bec, mais archevê- que de Cantorbéry ; et dans la haute et périlleuse situation où il se trouvait, il avait mis la plume à la main, non dans l'intérêt de telle ou telle théorie philosophique, mais pour défendre le dogme sur lequel repose le chris- tianisme, et que Roscelin avait attaqué; c'est donc seule-
1. Anselm. opp., Dial. de Ver., c. xm. « Quod una sit veritas in onini- lius veris. Sicut tenipus per se consideratum non dicitur tenipus alicujus, sed cum res qiiac in illo sunt consideramus, dicimus tenipus hujus vel illius rei , ita suinina veritas per se subsistons nullius rei est; sed eu ni ali- quid secundum illani est, tune ejus dicitur veritas seu rectitude »
2. Anselm. opp. Dial. de Ver., c. xm, p. iôi.
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ment d'une manière indirecte qu'il réfute l'opinion de Roscelin sur la nature des universaux, et qu'il lui échappe quelques mots dont on peut tirer une sorte de théorie. Nous nous sommes déjà servi de ce passage, et nous allons le reproduire intégralement : « ï 11 i utique nostri « temporis dialectici, imo dialectice haeretici, qui non nisi « flatum vocis putant esse universales substantias, et qui « coloremnon aliud queuntintelligerequam corpus, nec « sapientiam hominis aliud quam animam, prorsus a spi- « ritualium quaesliouum disputatione sunt exsufflandi. In « eorum quippe animahus ralio, quœ et princeps et judex « omnium débet esse quae sunt in homine, sic est in iraa- « ginationibus corporalibus obvoluta ut ex eis se non « possit evolvere, nec ab ipsis ea quœ ipsa sola et pura « conlemplari débet, valeat discernere. Qui enin nondum « inlelligit quomodo plures homines in specic sint unus « homo ; qualiter in il!a secretissima et altissima nalura « comprehendel quomodo plures personœ, quarum sin- « gula quœque est perfectus deus, sint unus deus? Et « cujus mens obscura est ad discernendum inter equum « suum et colorera ejus, qualiter discernel inter iinum « deum et plures relationes ejus? Denique qui non potest o intellïgerealiquidessehominem, nisi individuum,nulla- « tenus intelliget hominem, nisi, humanam personam. » Ce passage fait naître les observations suivantes : -1° Saint Anselme appelle les universaux, substantiels universales, expression évidemment réaliste.
2" Il rattache le nominalisme à l'empirisme, rapport que l'histoire entière démontre, mais qu'au moyen âge saint Anselme a le premier signalé; et il rattache le réa- lisme à cette autre philosophie qui admet au dessus des
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sens et des facultés qui en dérivent, un moyen spécial de connaître, une faculté propre et indépendante, l'intelli- gence, la raison. Selon l'empirisme, comme on ne peu1 ni voir ni toucher les universaux, et pas davantage se les représenter « sic est in imagination ibus, corporalibus ob- « voluta ut ex eis se non possit evolvere », on en conclut fort naturellement que ce sont de vains mots. On arrive à un tout autre résultat avec la philosophie qui admet la raison comme distincte des sens et de l'imagination, comme étant la faculté de connaître par excellence, « ra- « tio quoe princeps et judex omnium débet esse , » et comme ayant des objets qui lui sont propres, et de la réalité desquels elle est seule juge compétente, « ea qme « ipsa sola contemplari débet. » Ce langage est à peu près celui que Platon adresse à Protagoras, les Alexandrinsaux Péripatéliciens, et l'idéalisme moderne à Hobbes, à Gas- sendi et a Condillac, qui sont nécessairement et ouverte- ment nominalistes, parce que pour eux la raison n'est point une faculté spéciale et indépendante, et que toutes nos facultés viennent de la sensibilité, pour laquelle assu- rément les universaux sont des chimères.
3° Saint Anselme reproche au nominalisme de ne re- connaître d'autre réalité que les choses particulières, dans l'homme, par exemple, que l'individu : « non potest in- « telligere aliquid esse hominem, tiisi individuum, etc. » Donc, en attribuant à saint Anselme la doctrine contraire à celle qu'il réfute, nous croyons pouvoir légitimement conclure de ce qui précède que, selon saint Anselme, l'homme n'est pas tout entier dans l'individu. Il accuse le nominalisme de ne pas comprendre comment plusieurs hommes particuliers ue sont qu'un seul et même homme,
ABÉLARD. 117
« nondum intelligit quomodo plures horaines in specie « sint unus horao; » donc il pensait que non-seulement il y a des individus humains, mais qu'il y a en outre le genre humain, l'humanité, qui est une, comme il admet- tait qu'il y a un temps absolu que les durées particulières manifestent sans le constituer, une vérité une et subsis- tante par elle-même , un type absolu du bien , que tous les biens particuliers supposent et réfléchissent plus ou moins imparfaitement, selon la doctrine du Monologium, du Proslogium et du Dialogus de veritate. Et ici nous ne pouvons nous empêcher de donner raison à saint An- selme contre Roscelin, au réalisme contre le nominalisme, et en général à l'idéalisme contre l'empirisme. Il nous est impossible de ne pas croire avec le sens commun et le vulgaire, qu'il y a en effet un genre très-réel, appelé le genre humain, composé de mille et mille individus, tous très-différents entre eux, mais qui tous aussi ont quelque chose de commun. Or, ce quelque chose qui leur est com- mun a tous, au milieu de toutes les différences qui les séparent, ce quelque chose de commun ne peut pas être individuel aussi ; car tout ce qui est individuel et particu- lier est nécessairement dissemblable. Il faut donc bien que ce quelque chose de commun à tous les êtres hu- mains, individuels et dissemblables, soit quelque chose d'universel et d'un, qui constitue ce qu'on appelle le genre humain. Ainsi le genre humain n'est pas un mot, ou bien il faut prétendre qu'il n'y a réellement rien de commun et d'identique dans tous les hommes, que la fra- ternité et l'égalité de la famille humaine sont de pures abstractions, et que la seule réalité étant l'individualité, la seule réalité est par conséquent la différence, c'est-à-
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dire l'inimitié et la guerre, sans autre droit que la force, sans autre devoir que l'intérêt, sans autre remède que la tyrannie ; tristes mais nécessaires conséquences que la lo- gique et l'histoire imposent au nominalisme et à l'empi- risme, et qui soulèvent contre eux, avec le christianisme, le sens commun et la conscience du genre humain.
4° Jusqu'ici le réalisme de saint Anselme a raison contre le nominalisme de Roscelin ; mais le réalisme devait avoir aussi ses exagérations pour que la querelle, qui devait être si utile a l'esprit humain, pût être continuée ; car c'est par leurs erreurs que les systèmes se combattent, et c'est par leurs combats qu'ils se développent et se per- fectionnent. Voici le point sur lequel le réalisme perd ses avantages, prête le flanc aux attaques du nominalisme, et par la le rend nécessaire et le légitime.
Oui, sans doute, il y a dans les êtres, sous leurs élé- ments particuliers et individuels, quelque chose de com- mun et de général qui nous permet de les ranger en di- verses classes, dont chacune a son unité : cet élément gé- néral, pris en lui-même, a sa réalité et n'est point un pur mot; mais il ne s'ensuit nullement qu'on puisse prendre au hasard dans une chose, au lieu de son attribut fonda- mental et générique, telle ou telle qualité accidentelle pour la considérer séparément, et s'imaginer alors que celte réalité accidentelle possède en effet quelque réalité hors du sujet individuel où elle a été prise ou hors de l'esprit qui la considère : ce serait réaliser des abstrac- tions. C'est la la pente et recueil du réalisme; c'est donc là le point d'attaque et le triomphe du nominalisme, Saint Anselme admet très-légitimement la réalité du genre humain distincte de la réalité des individus dont il se
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compose. A la bonne heure; mais, la carrière une fois ou- verte à l'abstraction, le platonicien saint Anselme y commence cette longue suite de faux pas et d'erreurs qui vont à leur tour décrier le réalisme. Il reproche a Rosce- lin de ne pas savoir distinguer la sagesse d'un homme de l'àme dans laquelle cette sagesse réside, « non... queunt « inlelligere... sapienliam hominisaliudquamanimam. » Il y aurait ici bien des explications à demander. Mais saint Anselme va plus loin; il reproche à Roscelin de ne pas savoir distinguer la couleur d'un corps de ce corps, « co- « lorem non aliud queunt inlelligere quam corpus; » et plus bas : « cujus mens obscura est ad discernendum inter « equum suum et colorera ejus. » Entendons-nous. Rosce- lin n'avait pu nier que l'esprit de l'homme a la faculté déconsidérer une qualité à part de son sujet; mais il avait nié qu'une qualité ainsi abstraite de son sujet eût aucune réalité. C'est la réalité de celte abstraction et non pas sa possibilité qui était en cause; et, ou le reproche que saint Anselme adresse au nominalisme n'a pas de sens, ou il en faut conclure que saint Anselme admettait que la couleur a de la réalité hors du corps coloré, comme le genre humain a sa réalité indépendamment des individus qui le composent. Or, cette assimilation du pré- tendu universel, la couleur, avec les vrais et légitimes universaux. n'est passoutenable. Le nominalisme pouvait répondre à saint Anselme, et aujourd'hui toute saine philosophie répondrait que la couleur est à la fois une sensation de l'âme et une modilicalion des corps, qu'une sensation n'existe que dans l'âme qui l'éprouve, et une modilicalion dans le sujet modifié; que, dans cette modi- licalion, les seuls éléments réels sont, d'une part, la lu- mière, de l'autre, le corps avec ses formes el ses proprié-
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tés, et que c'est la combinaison de ces éléments qui pro- duit l'accident appelé la couleur, On peut bien dire que cet accident a sa réalité comme accident, mais rien de plus; et il n'y a point la d'universel. Sans trop insister, car il nous faut bien subordonner la discussion philoso- phique a l'histoire, on voit poindre déjà une de ces abs- tractions réalisées, une de ces entités imaginaires qui ont fait si beau jeu a l'école nominaliste et ont tant nui à la réputation des universaux et aux véritables réalités '.
Nous venons de reconnaître pour ainsi dire le champ de bataille de la scholastique naissante, le caractère, les prétentions, les vices et les avantages des deux écoles qui la constituent en la divisant. L'école réaliste admet la réa- lité des universaux, c'est-à-dire des espèces et des genres, du genre humain par e\emple, et cet exemple, qui re- monte à Arislote, une fois mis en circulation par Boëce, et accepté par saint Anselme, comme il l'avait été très- probableraenl par Roscelin, devient l'exemple sur lequel les deux partis se donnent rendez-vous. Dans ces limites, l'école réaliste a raison ; mais elle en sort, et, confondant avec les vrais uuiversaux, avec les vrais genres, de pures abstractions comme la couleur séparée du corps coloré, elle tombe dans le vice célèbre de réaliser des abstrac- tions. D'un autre côté le nominalisme montre l'illusion des abslractions réalisées, et il en donne le secret; ce se- cret c'est la puissance du langage, qui réalise en quelque sorte les conceptions de l'esprit en les revêtant d'une forme à laquelle ensuite on s'arrête, comme si elle avait une réalité intrinsèque. Le nominalisme a donc raison à son tour, et il est utile en signalant le danger des abs-
1. Sur ce point capital, voyez ire série, t. îv, leçon xxie, p. 457--S61, et ne série, t. m, leçon xx, p. 215-217.
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tractions réalisées et en appelant l'attention sur la mer- veille du langage; mais il a tort, et il est lui-même pro- fondément dangereux, lorsqu'il réduit des attributs essentiels à des qualités accidentelles, et confond avec des conceptions purement verbales des existences immaté- rielles, il est vrai, mais réelles , qui sans doute sont des conceptions dans la pensée de l'homme et des mots dans le langage, mais qui sont indépendantes des conceptions que l'homme s'en forme et des mots dont il les revêt; des existences sans lesquelles les conceptions que nous nous en formons, et toute conception générale, et par conséquent le langage lui-même, serait impossible; des existences enfin dont la réalité détruite emporte avec elle celle de toutes nos sciences avec leurs classifications, et les réduit a des arrangements conventionnels dépourvus de vérité et indigues d'occuper un seul jour un homme sérieux. Ne voir partout que des conceptions abstraites empruntées aux données sensibles et réalisées par des mots, c'est la tendance du nominalisme et de l'école dont il est l'expression extrême mais fidèle, à savoir, l'école empirique ; et réaliser des abstractions est la tendance de l'école opposée et la pente fatale où la pousse le génie de l'idéalisme. Telles sont les deux écoles que représenîent, a la fin du onzième siècle et au commencement du dou- zième, Roscelin et saint Anselme. Nous allons les voir en se développant manifester leurs qualités et leurs défauts, et par les uns comme par les autres servir presque éga- lement à leur insu la véritable philosophie.
Réalisme plus scientiO<[ue de Guillaume de Champeaux.
Le traité de la Trinité, composé quelque temps après h. M
122 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
le concile de Soissons, peut être considéré comme le ma- nifeste du christianisme contre le nominalisme. Dans la polémique que nous venons de retracer, saint Anselme représente l'Eglise ; Guillaume de Champeaux est en quel- que sorte le représentant de la science. L'archevêque de Cantorhéry n'avait touché la philosophie de Roscelin que pour arriver à sa théologie; Guillaume de Champeaux paraît s'être attaqué spécialement a la partie philosophi- que du nominalisme. Saint Anselme est réaliste presque sans le savoir et sans le vouloir : Guillaume Test, le sa- chant et le voulant, et c'est sans doute pour cela que les historiens de la philosophie le considèrent comme le fon- dateur de l'école réaliste et le véritable adversaire de Roscelin.
Guillaume de Champeaux est ainsi appelé du village de Champeaux en Brie, près de Melmi, où il était né vers le milieu du onzième siècle. La date précise de sa naissance est inconnue, ainsi que les événements de sa jeunesse. L'histoire ne le rencontre que dans les premières années du douzième siècle, à Paris, archidiacre de Notre-Dame, et enseignant lui-même dans l'école delà cathédrale, avec le plus grand succès. C'est dans cette position que nous le fait voir, en -1 103, la chronique de Landulphe '. Guil- laume continua son enseignement, à Notre-Dame , jus- qu'en 1 108, où il quitta l'école du cloître et sa vie de sa- vant et de professeur pour se faire moine. Il se retira dans un faubourg de Paris, auprès de la chapelle de Saint- Victor. Mais il ne put échapper a sa renommée et résister longtemps aux sollicitations de ses amis et de ses élèves, qui le supplièrent de reprendre ses -leçons. Il le lit gra-
\. Muratori, Rer. Italie , t. v, p. '<8b.
ABÉLABD. 123
tuilement pendant cinq années, et c'est ainsi que s'éta- blirent l'abbaye et l'école de Saint-Victor. Il faut donc reconnaître que Guillaume de Cbampeaux est le fondateur de cette grande école de Saint-Victor de Paris, qui jeta depuis un si grand éclat sous Hugues et sous Richard; comme il est le premier maître célèbre del'écoledela cathé- drale, où professèrent après lui Abélard et Pierre le Lom- bard. C'est le talent de Guillaume qui donna du lustre à l'école du cloître, et c'est sa retraite qui donna naissance â l'école de Saint-Victor. Eu il 13, il fut nommé évoque de Châlons-sur-Marne. Il se consacra tout entier à ses nouvelles fondions, se lia intimement avec saint Bernard, et fui l'âme de plusieurs conciles. Il mourut au commen- cement de H 21 .
Voila les fails certains, dégagés des anecdotes, des in- terprétations, et du commérage des contemporains qui a passé jusque dans l'histoire, sur la foi de YHUtoria ca- lamitatum. Les ennemis de Guillaume prétendent ' qu'il ne se fit moine que par ambition , pour se faire une ré- putation de sainteté et arriver a l'épiscopat; mais c'est une accusation gratuite ; car il est attesté 2 que Guillaume refusa trois fois l'épiscopat, et ne l'accepta que malgré lui. Si d'ailleurs il s'opposa à ce qu'Abélard lui succédât immédiatement dans l'école de la cathédrale, et même â ce qu'il enseignât dans Paris3, il ne fit que rendre â Abélard guerre pour guerre; car celui-ci l'avait attaqué , à Notre-Dame et â Saint-Victor, avec une violence et un acharnement qui avait bien pu blesser Guillaume et chan-
t. Abael. opp., Uist. ittlam., p. s.
2. Voyez la Chronique de Ruiiert , Ilisl. littéraire , t. g , p. 510.
3. Abœl. opp., Uist. calam., p. 6.
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gersa première affection pour Abclard en des sentiments contraires. Mais toutes ces misères n'appartiennent point à l'histoire. Ce qui importe à l'histoire, c'est de savoir ce qu'enseignait Guillaume de Champeaux à Saint-Victor et à Notre-Dame, et en quoi consistait le réalisme qu'on lui attribue. Malheureusement il n'a été publié de notre au- teur que deux opuscules théologiques, très-probablement de la Go de sa vie; l'un , qui est un fragment sur l'Eu- charistie*; l'autre, un petit traité sur l'origine de l'âme2. La bibliothèque du Roi, fonds de Notre-Dame , possède un autre écrit de Guillaume, intitulé les Sen- tences, qu'on a donné 3 pour un abrégé de théologie, et comme l'antécédent du fameux livre des Sentences de Pierre le Lombard. Mais c'est une erreur; nous avons examiné avec soin le manuscrit de Notre-Dame4, et c'est tout simplement un recueil d'explications sur certains points de doctrine, sur des vertus et des vices, ainsi que sur des passages de l'Écriture sainte. Quant aux nom- breux ouvrages philosophiques que Guillaume avait com- posés, quibus , dit de Wisch 5, realium doctrinam non parum illustravit, il n'en reste pas un seul, qui soit ins- crit du moins dans aucun catalogue; on n'a même con- servé le titre d'aucun d'eux, et Guillaume de Champeaux n'est plus qu'un nom célèbre.
Nous savons qu'il avait délini l'invention en dialectique, la science de trouver le moyen terme; et Jean de Salis- bury, sans donner cette définition comme parfaite, la
t. Mabillon, Annal., t. y; Hist. lilt., t. x , p. 312.
2. Martenne , Thesaiir. nov. anecdot., t. v, p. 884 .
3. L'abbé Lebœuf, Dissert., t. II, p. t30.
4. Coté no 220 , d'une écriture du treizième siècle.
5. Biblioih. cisterc, p. 433.
ABÉLARD. 425
trouve au moins excellente, et déclare qu'il ne connaît rien de plus propre a faire découvrir la vérité '. En effet, l'invention en dialectique ne consiste pas à construire des majeures, des axiomes généraux d'une abstraction très-souvent stérile, mais a trouver des mineures , c'est- à-dire ces propositions plus voisines des faits, qui rap- prochent par leur intermédiaire efticace les généralités de la majeure de la conclusion spéciale à laquelle le raison- nement aspire. Mais , faute de renseignements , on ne peut savoir quelle était la portée de cette définition dans l'esprit de son auteur. Nos manuscrits ne nous fournis- sent a ce sujet aucun éclaircissement. Ils renferment d'ailleurs plus d'un document intéressant sur la dialec- tique deGuillaunie de Champeaux. On trouve dans le manu- scrit de Saint-Victor et dans le fragment de Saint Germain un assez grand nombre de passages 2 où, plus juste envers sou ancien maître, Abélard se plaît à rappeler les argu- ments que , dans leur première liaison , il faisait valoir en faveur des opinions du professeur de Notre-Dame. Il n'y a pas une des parties du manuscrit de Saint-Victor où ne se rencontre quelque allusion a l'enseignement de Guillaume de Champeaux. Pour ne pas trop multiplier les citations, nous nous contenterons de signaler le fol. 4 17 verso3 du Commentaire sur les Catégories; les
1. Meialogicus , lit», m, c. ix. a Venator in his inventionls materia qiunn liiiiiiis mémorise Gulieiraus de Campellis, postmodum Catalaunensis episcopus, delinivit, etsi non perfecte, esse scieutiam reperiendl médium terminera , et inde eliciendi argumentant. Cam enim du inhœrentia dubi- tatur, necessarium est aliquod inquiri médium , eujus inlerventu copu- lentur extrema : qua speculatione an aliqua subtilior et ad rem efficacior tnerit , non facile dixerim. »
2. Par exemple , manuscrit de Saint-Victor, fol. (3( verso et 13C verso ; Ouv. inéd., p. 2-2-i etp. 2S1.
5. Ibid., p. 179-201.
41.
126 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
fol. 127 verso », 128 recto2, 121) verso 3, J 3 1 verso 4 du commentaire sur l'Interprétation ; les fol. -136 recto 5 et 140 verso6 des Analytiques, le fol. 152 recto 7 des Topiques; peut-être même le chapitre qui termine le livre des Divisions et des Définitions, fol. 202 recto 8. Tant de citations qui se rapportent aux questions soulevées par les diverses parties de la logique d'Aristote semblent bien attester un commentaire sur l'Organum. Mais ce n'est pas là seulement une conjecture. Dans le manuscrit de Saint- Victor, fol. 132 recto <J, à propos d'une opinion de Guil- laume de Champeaux, il est fait mention d'un de ses ou- vrages , et cet ouvrage est une glose sur le livre de l'In- terprétation : In (jlossulis ejus svper Péri ermenias inverties. Voilà donc enfin le litre certain d'un écrit dia- lectique de Guillaume. Or, s'il avait commenté l'Interpré- tation, il n'y a pas de raison pour qu'il n'eût pas aussi commenté l'Introduction et les Catégories.
Ces renseignements ne sont pas sans intérêt ; mais nous attachons un bien autre prix a ceux qui peuvent éclairer la grande querelle qui nous occupe, celle du réalisme et du nominalisine. C'est le rôle de Guillaume de Champeaux dans cette querelle qui a sauvé son nom de l'oubli : c'est donc sur ce point qu'il importe de recueillir soigneuse-
1. lbid., y. 210.
2. lbid„p. 2U. 5. lbid., p. 219. 4. lbid., p. 224. :;. lbid., p. 250.
C. lbid., p. 2W-27Î.
7. lbid., p. 555.
s. lbid., p. 495. si le nom de GuiUaume de Champeaux n'est pas cité dans ce passage, son école y est clairement indiquée.
0. Ouv. inéd., p. 225.
ASÉLAU). 4 27
ment tontes les lumières que nous pouvons tirer de nos manuscrits.
Jusqu'ici on ne possédait qu'un seul document sur le réalisme de Guillaume de Champeaos, le passage célèbre de VHûtoria calamitatum. Tous les historiens de la philosophie ont cité ce passage, et nous le citerons à leur exemple. Abélard y raconte comment , après avoir fait à Guillaume , à l'école de Notre-Dame, beaucoup d'objec- tions oui l'avaient embarrassé , il l'avait de nouveau at- taqué à Saint- Victor sur la question des nniversaus, et avait Uni par le forcer à chauger d'opinion. • Inter ese- « tera disputationum nostrarum conamina, antiqnam t ejus de universalibus sententiam paleutissimis argu- ■ mentatiooum disputalionibus ipsnm commutare , imo
• destruere compuli. Erat autem in ea sententia de com-
• munitate uoiversalium, ut eamdem essentialiter rem
• totam siraul singulis suis inesse adstrueret individuis : <f quorum qu'idem nulla esset in essentia diversitas, sed
• sola mullitudine aecîdentium varietas. Sic autem islam « suam corre\it sententiam, ut deiuceps rem eamdem t non essentialiter, sed individualiterdiceret. Et quoniam
• de universalibus in hoc ipso pracipua semper est apud t dialectieos qmestio, ac tanta ut eam Porphyrius quo-
• que in 11 g gis rais, oum de universalibus scriberel , « difiinire non pra?sumeret. dicens : altissimum enii:
• bojnsmodi ne.otium: cum hanc ille co; imo « coactus dimisisset sententiam, in tantam lectio ejusde- « voluta est negligentiam uljamad dialeclica* lectionem
• vu admitteretur : quasi in hac scilicel de univers^
• sententia Iota hujus ' summa '. a La
128 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
conclusions immédiates a tirer de ce passage sont : \° Que la question des universaux était alors plus que jamais la question fondamentale de la dialectique; 2° que toute la philosophie de Guillaume de Champeaux était dans sa doctrine des universaux, puisque cette doctrine renver- sée ou modifiée avait détruit sa réputation ; 3° qu'il pro- fessait depuis longtemps cette doctrine, « antiquam ejus « de universalihus sententiam, » c'est-à-dire non-seule- ment h Saint-Victor, mais à l'école du cloître, au com- mencement du douzième siècle et probablement aussi a la fin du onzième, à l'époque où le nominalisme de Ros- celin faisait le plus de bruit ; 4° enfin que cette doctrine avait fini par subir, sous les attaques d'Abélard, une mo- dification importante, et que Guillaume, aux deux extré- mités de sa carrière , avait eu deux opinions différentes sur la nature des universaux. Ce sont ces deux opinions en elles-mêmes, et dans leur rapport, dont il s'agit de nous bien rendre compte.
Quelle était la première opinion de Guillaume de Cham- peaux sur les universaux ? Abélard l'exprime en peu de mots, mais avec la plus parfaite précision. L'universel, selon Guillaume de Champeaux, c'est-à-dire le genre, est quelque chose de réel, rem, qui est identique, eamdem , essentiellement, es senti aliter, intégralement et siinullané- ment, totam simul, dans tous les individus qui en partici- pent et composent le genre; de sorte que ces individus ne diffèrent aucunement dans leur essence, quorum quidem nulla esset in essentiel diversitas, mais seulement dans leurs éléments accidentels , sed sola multitudine acci- dentium varietas. Rien de plus net que celte théorie : c'est le réalisme dans toute sa rigueur, à savoir, l'es-
ABÉLARD. 129
sence des choses attribuée aux universaux et aux genres, et l'individu réduit à un simple accident. Mais il n'est pas aisé de se faire une idée aussi claire de l'autre théorie, celle a laquelle, selon le passage en question, Guillaume deChampeaux aurait été poussé par son antagoniste. Elle est tout entière dans cette ligne : rem eamdem non essen- tialiter sed individualiter. Les historiens de la philoso- phie, Tennemann entre autres , reproduisent l'un après l'autre cette ligne sans aucune remarque , comme si elle portait son évidence avec elle-même Meiners ' s'est le pre- mier avisé de mettre en doute sa signification. En effet, elle ne signifie absolument rien , ou même elle renferme une absurdité : « Une chose est la même qu'une autre, « non par son essence, mais par son individualité. » C'est bien là le contraire, il est vrai , de la première théorie de Guillaume de Champeaux : qu'un individu est iden- tique à un autre, non par ses côtés individuels et acci- dentels, mais par son essence ; mais cette nouvelle théo- rie est en elle-même absurde et intolérable ; car il est trop évident qu'une chose ne peut pas être identique a une autre par son individualité, l'individualité d'une chose étant précisément ce qui la sépare d'une autre. Aussi l'édition de d'Amboise donne-t-elle la variante in- dif/erenter au lieu de individualiter. M. Baumgarten- Krusius9 approuve cette variante, et pense qu'elle va mieux au sens : sensus certe expedilior : non numéro eadem sed naturel lamen. Nous adoptons aussi la va- riante des manuscrits de d'Amboise; mais nous l'enten-
4. De nominalium ac realium initiis, Comment. Gottlng., n, p. 3o.
2. De veto scholasiicorum realium et nomtnalium discrimine, Annal. Aead. Jcncnsis, t. î, p. 528.
130 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
dons tout autrement que M. Bamugarten et de la manière suivante. L'identité des individus d'un même genre ne vient pas de leur essenee même, car cette essence est dif- férente en chacun d'eux, mais de certains éléments qui se retrouvent dans tous ces individus sans aucune diffé- rence, indiffèrent er. Cette nouvelle théorie diffère de la première en ce que les universaux ne sont plus l'essence de l'être, la suhstance même des choses ; mais elle s'en rapproche en ce que les universaux existent réellement, et qu'existant dans plusieurs individus sans différence, ils forment leur identité et par là leur genre. La diffé- rence des deux théories est grande, il est vrai , mais elle ne va pas jusqu'à mettre en cause la réalité des univer- saux. Celle-ci subsiste dans l'une et l'autre théorie. Passer de l'une a l'autre , c'était changer sans doute, mais ce n'était pas abandonner le réalisme , et la seule consé- quence qu'il faut tirer de la phrase d'Àbélard, c'est que, dans son premier enseignement à Notre-Dame, Guillaume de Champeaux faisait des universaux l'essence même des individus du même genre, et que, dans son second ensei- gnement à Saint-Victor, il finit par les considérer non plus comme constituant l'essence des individus d'une même classe, mais comme formant leur identité, parce que dans tous ces individus, différents d'ailleurs, ils se retrouvent sans différence.
Ces inductions, qu'autoriserait déjà la seule variante donnée par d'Amboise, nos manuscrits les convertissent en démonstrations historiques.
Le manuscrit de Saint-Victor renferme deux passages où il est fait allusion a l'opinion de Guillaume de Cham- peaux sur la nature des universaux : le premier , dans
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le commentaire sur les Catégories, fol. 119 recto1; le deuxième , au livre des Définitions et des Divisions, fol. -192 verso2. Ce dernier passage mérite d'être cité ; il re- produit deux points de doctrine entièrement conformes à la première théorie réaliste que VHistoria calamitaium attribue a Guillaume de Champeaux : 1° les différences vont quelquefois jusqu'à constituer une espèce ; il faut alors les prendre substantivement, de sorte que raison- nable ait la valeur d'animal raisonnable, et animé celle d'être animé; 2° d'ailleurs les différences sont de purs accidents, a Quœ (differentia?) a quibusdam sumi dicun- « tur in offlcio specialium nominum ac pro speciebus « designandis usurpari, ut tantumdem rationale valeat « quantum rationale animal , et tantumdem animatum « quantum animatum corpus, ut non solum formae signi- « Gcatio, verum etiam materia? teneatur in nominibus « differenliarum. Quœ quidem sentenlia W. magistro a nostro praevalere visa est. Volebat enim, memini, tan- « tam abusionem in vocibus lieri, ut cum nomen dif- « ferentia? in divisionegeneris prospecie poneretur, non « sumptum esset a differentia, sed substantivum speciei « nomen poneretur. Alioquin subjecti in accidentia di- « visio dici polest secundum ipsius sentenliam, qui diffe- « rentias generis per accidens inesse volebat. Per nomen « itaque differentia? speciem ipsam volebat accipere. »
Mais c'est surtout le fragment de Saint-Germain qui nous fournit des documents précieux. Ce fragment est encore tout plein de l'ardeur de la grande querelle dans laquelle intervint Abélard, et il contient sur toutes les
i . Ouv. inéd., p. 190. 2. Ibid., p. -«35.
132 PHILOSOPHIE SCHOLÀSTIQUE.
écoles contemporaines d'abondants renseignements, mê- lés a la polémique dirigée contre ces écoles. Plus tard , nous ferons amplement usage de cette pièce ; ici nous de- vons nous en servir avec une extrême circonspection, parce que les diverses écoles y sont attaquées sans dési- gnation d'aucun nom propre. La longue discussion d'Àbé- lard contre le réalisme doit renfermer bien des traits re- latifs a Guillaume de Champeaux, qui était le grand réa- liste de ce temps, Mais, pour éviter toute erreur et toute confusion, nous ne détacherons de cette vive polémique que ce qu'il est impossible à la critique la plus scrupu- leuse de ne pas rapporter a Guillaume de Champeaux, bien qu'il ne soit pas nommé, et ce qui confirme, éclair- cit et développe la phrase de YHistoria calamitatum.
Dans les premières pages, et comme à l'entrée du frag- ment de Saint-Germain, se rencontre une discussion sur le tout et les parties, qui a une relation étroite avec la discussion qui suit, sur les genres et les espèces ; car on peut dire que les espèces sont par rapport au genre ce que sont les parties par rapport au tout. Aussi Roscelin embrassait-il ces deux questions. L'exemple sur lequel opère Guillaume de Champeaux (fol. h\ recto c. \) ' est toujours celui de la maison, exemple emprunté à un pas- sage de l'Interprétation , plusieurs fois reproduit par Boëce, et que nous avons vu employé par Roscelin, aussi usuel, à ce qu'il paraît, dans la question du tout et des parties que l'exemple de l'humanité dans celle des uni- versaux. La discussion sur le tout et les parties conduit bientôt l'auteur aux genres et aux espèces. Ici Abélard distingue nettement dans l'école réaliste deux théories
\. Ouv. inéd., p. b07-555.
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qui rappellent de la manière la plus frappante celles que VHisloria calamitatum attribue a Guillaume de Cliampeaux.
Citons d'abord les passages qui se rapportent à la pre- mière opinion de Guillaume : « Il est des philosophes, « dit Àbélard, qui font des genres et des espèces des es- « sences universelles, qu'ils croient exister intégralement « et essentiellement dans chacun des individus. » « Alii « vero quasdam essentias universales fingunt quas in sin- « gulis individuis tolas essentialiter esse credunt » (fol. 41 recto c. 2) '. Cette théorie est bien évidemment celle de Guillaume. Les explications qui suivent la mettent dans tout son jour. « L'homme est une espèce, une chose « essentiellement une, à laquelle adviennent accidentel- « lement certaines formes qui font Socrate. Cette chose, « tout en restant la même essentiellement, reçoit de la a même manière d'autres formes qui font Platon et les « autres individus de l'espèce homme ; et à part les for- et mes qui s'appliquent à celte matière pour faire Socrate, « il n'y a rien dans Socrate qui ne soit le même en même « temps dans Platon, mais sous les formes de Platon. « C'est ainsi que ces philosophes entendent le rapport des « espèces aux individus, et des genres aux espèces. » « Homo quaedam species est, res una essentialiter, cui « adveniunt formac quaedam et cfliciunt Socratem : illam « eamdem essentialiter eodem modo informant forma' « facientes Platonem et caetera individua hominis ; nec « aliquid est in Socrate, praeter illas formas informantes « illam materiam ad faciendum Socrafcm, quih Lf lue] idem « eodem tempore in Plalone informaturà sit l'ormis Pla-
\. ouv. i7iéd, p. :>(8.
n. 12
434 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« tonis. Et hoc intelligunt de singulis speciebus ad indi- « vidua et de generibus ad species. » Un peu plus bas : « Suivant cette école, lors même que la rationalité ne se- rait pas en quelque individu, elle n'en subsisterait pas moins réellement. » « Secundum eos, etsi rationalitas « non esset in aliquo, tamen in natura renia neret. »
Voici maintenant des passages qui se rapportent a la seconde opinion de Guillaume de Champeaux. La preuve manifeste que dans l' Hisloria calamitatum il faut lire indifferenier et non pas individualité)', c'est que nous retrouvons dans le fragment de Saint-Germain cette expression, élevée à l'importance d'une théorie, la théo- rie de la non-différence ; et il paraît que c'était un nom reçu, qui avait cours dans la classification des opinions et des écoles du temps : « Nunc illam quœ de indifferen- « lia est sentenliam ; » et plus bas : « Ipsi tamen ad in- « differentiam currentes, » pour dire les partisans de la non-différence. Les mots d'indifferens et d'indiffe- rentia sont prodigués dans tout ce morceau. Nous tenons donc la variante de d'Amboise pour incontestable, et nous regardons comme définitivement résolu par nos manu- scrits ce point de critique si souvent controversé. Il y a plus: on pouvait supposer, d'après la seule phrase que l'on possédât, que l'opinion a laquelle Guillaume avait été réduit était celle d'Abélard, et comme nous n'avions pas jusqu'ici un seul mot d'Abélard sur sa propre doctrine, cette conjecture était fort spécieuse. Mais nos manuscrits la renversent entièrement; car, au lieu de s'arrêter à la théorie de la non-indifférence comme fondement de l'identité des individus d'un même genre, Abélard l'atta- que avec tout autant de vivacité que celle qui fait des
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universaux l'essence des êtres. Il l'attaque et avec l'auto- rité et avec la raison ; ce qui a bien l'air de prouver que cette seconde opinion de Guillaume n'avait pas été aussi mal accueillie du public que le prétend VHistoria cala- mitatum. Àbélard l'expose avant de la combattre, comme il a t'ait pour la première opinion. Le principe de la nou- velle théorie est que l'essence de chaque chose est leur individualité, que les individus seuls existent, et qu'il n'y a point en dehors des individus d'essences appelées les universaux, les espèces et les genres ; mais que l'individu lui-môme contient tout cela, selon les divers point de vue sous lesquels on le considère. Ainsi Socrate, pris en ce qui le fait être Socrate, est un individu, parce qu'il est ce dont la propriété ne se retrouverait jamais tout en- tière en un autre ; car il y a d'autres hommes, mais il n'y en a pas d'autres que Socrate où soit la soeratité. Mais on peut négliger la soeratité pour ne considérer dans Socrate que l'homme, c'est-à-dire l'animal raisonnable et mor- tel ; et voila l'espèce. Si on néglige encore la rationalité et la mortalité, pour ne considérer que l'animal, voilà le genre. Si enfin, négligeant toutes les formes, on ne con- sidère dans Socrate que ce qu'exprime le mot substance, c'est ce qu'il y a de plus général. On peut en dire autant de Platon sous tous ces rapports. Socrate, en tant que Socrate, n'a que des éléments de différence. Il n'a rien de non-différent qui puisse ainsi se retrouver en un autre; mais, en tant qu'homme, il a des éléments non-différents qui se retrouvent en Platon et en d'autres individus; car Platon est un homme comme Socrate est un homme, quoiqu'il ne soit pas essentiellement le même homme que Socrate. Et il en est de môme de l'animal et de la sub-
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slance. (Fol. 43 recto c. 2) ' : « Nilnl omnino est prseter « individuum, sed et illnd aliter et aliter attentum , spe- « cies et genus et gênera lissimum est. Itaque Socrates in « ea natura in qua subjectus est seusibus, secundum « illam naturam quam signiûcat adesse Socrati, indivi- « duum est ideo quia laie est, proprietas cujus nunquam « tota reperitur in alio. Est enim alter homo, sed socrati- « tate nullus liomo prteter Socratem. De eodeni Socrate « quandoque habetur intellectus non concipiens quidquid « notât hœc xox Socrates; sed socratitatis oblitus, id tan- « tum perspicit de Socrate quod notât idem homo, id est « animal rationale mortale, et secundum hoc species est; « est enim prœdicabilis de pluribus in quid de eodem « statu. Si intellectus postponat ralionalitatem et morta- « litatem, et id tantum sibi subjiciat quod notât hœc vox « animât, in hoc statu genus est. Quod si, relictis oinui- « bus formis, in hoc tantum consideremus Socratem quod « notât substantia, generalissimum est. Idem de Plalone « dicas per omnia. Quod si quis dicat proprietatem So- ft cratis in eo quod est homo non magis esse in pluribus « quam ejusdem Socratis in quantum est Socrates ; œque « enim homo qui est socralicus in nullo alio est nisi in « Socrate, sicut ipse Socrates; verum, quod concedunt; « iia tamen determinandum pu tant : Socrates in quan- ti tum est Socrates nullum prorsus indifferens habet quod « in alio inveniatur; sed in quantum est homo, plura « habet indifferentia quœ in Platone et in aliis inveniun- « tur. Nam et Plato similiter homo est, ut Socrates, o quamvis non silidem homo essentialiter qui est Socra- « tes. Idem de animali et substantia. »
I. Ouv. inéd., p. SI8.
ABÉLARD. 137
Grâce à nos manuscrits, nous avons restitué pour la première fois la seconde opinion de Guillaume de Cliam- peaux , el nous pensons que cette opinion appartenait encore au réalisme ; mais nous convenons avec Àbélard que la substitution de cette opinion à la première dut pa- raître et est en effet une concession à l'école nominaliste. C'est la première théorie qui contient véritablement le réalisme de Guillaume de Cliampeaux; c'est celle-là qui lit sa réputation de son vivant et à laquelle son nom de- meure attaché dans l'histoire. Elle est juste le contre- pied de la théorie de Roscelin. Pour Rosceliu, les indivi- dus seuls existent et constituent l'essence des choses ; le reste n'est qu'abstraction de l'esprit et jeu du langage. Au contraire, pour Guillaume de Cliampeaux, l'essence des individus est dans le genre auquel ils se rapportent; en tant qu'individus ils ne sont que des accidents. Il y avait bien quelque chose de cette doctrine au fond de la théologie de saint Anselme; mais Guillaume est le pre- mier qui l'ait dégagée et élevée à une formule nette et précise, diamétralement opposée à celle de Roscelin, et capable a son tour de porter et de soutenir toute une école. Aussi est-ce de Guillaume de Cliampeaux que date l'écoie réaliste, comme l'école nominaliste date de Rosce- lin. Une fois érigé en doctrine philosophique, le réalisme fleurit à l'ombre du christianisme, qu'il servit et qui le protégea. La vie de Guillaume de Cliampeaux fut aussi heureuse que celle de Roscelin avait été agitée. Sa philo- Sophie était selon l'esprit du temps, c'est-à-dire selon l'esprit de l'Eglise; et l'esprit du temps l'en récompensa en lui donnant de longs succès, une belle renommée, une dignité émincnte, et l'amitié de saint Bernard.
«2.
138 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Développements du réalisme. Odon de Cambray et Bernard de Chartres.
Sous les auspices de saint Anselme et de Guillaume de Cliampeaux, le réalisme ne pouvait manquer de nom- breux parlisaus : parmi les plus remarquables sont Odon, a la On du onzième siècle, et surtout Bernard de Chartres, dans la première moitié du douzième.
C'est une vieille chronique du douzième siècle, l'his- toire du monastère de Saint-Martin de Tournay, qui nous fait connaître Odon '. Il était d'Orléans; il enseigna d'a- bord à Toul, puisa Tournay; fonda ou releva en 1092 le monastère de Saint-Martin, près de cette ville, embrassa définitivement l'état monastique en 1 095, et devint évêcjue de Cambray en 1 106. C'était à la fois un dialecticien, un mathématicien et un poète. Il avait écrit plusieurs ouvra- ges qui ne se trouvent plus; l'un intitulé le Sophiste, l'autre le livre des Complexions, le troisième de la Chose et de l'Être. Tant qu'il fut a la tête de l'école de Tour- nay, c'est-à-dire avant 1 092, il y enseigna le réalisme, pendant qu'a Lille un nommé Raimbert enseignait la nou- velle doctrine de Roscelin. Mais de ces deux écoles, soit à cause de la supériorité d'Odon, soit à cause de la dé- faveur que les opinions théologiques de Roscelin répan- dirent sur sa philosophie, l'école de Tournay effaça bien- tôt celle de Lille. Nous ne savons en quoi consistait précisément le réalisme de maître Odon. la chronique dit seulement qu'il n'enseignait pas la dialectique d'après les nouveaux professeurs nominalistes, mais à la manière de
I. Dachery, Spicilegium, t. u, p. 888; Histoire littéraire, t. u, p. 585.
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Boëce et des anciens doelems réalistes '. Or, nous avons vu quel était le réalisme de Boëce, au moins dans son se- coud commentaire sur l'Introduction de Porphyre. Ce n'était guère qu'un péripatétisme équivoque, plus voi- sin du nominalisme que de la doctrine de Guillaume de Champeaux.
Le réalisme de Bernard de Chartres nous est beaucoup mieux connu, et il est tout autrement prononcé. Bernard enseigna très-longtemps avec le plus grand succès a Chartres, dans l'école illustrée par Fulbert. Contemporain de Guillaume de Champeaux, il lui survécut et poussa sa carrière jusqu'au milieu du douzième siècle *. L'auteur du Metalogicus nous apprend que Bernard avait formé l'entreprise difficile de concilier Aristote et Platon 3. Mais il penchait du côté de ce dernier. Il adoptait la théorie des idées, qu'il identifiait avec les genres et les espèces 4. Il admettait l'éternité des idées 5; mais il n'osait pas les dire coéternelles à Dieu, la coéternité ne pouvant exister qu'entre ce qui a même pouvoir et même dignité, par exemple entre les trois personnes de la Trinité. L'idée
1. Dachery, ibid. « Sciendum (amen de eodem magistro quud eamdeni dialeelicam non juxta quosdain niodernos in voce , sed more Boethii an- tiquorumque doctorum in re discipulis legebat. Unde et magister Raini- bertus qui eodem tempore in oppido insulensi, dialeelicam clericis suis in voce legebat... »
2 Histoire littéraire, t. xn, p. 2G3.
3. Metalogicus , lib. n, c. 17. « Egerunt operosius lïernardus Carnoten- sis et ejus sectaloies ut composèrent inter Aristotelem et Platonem, sed eos tarde venisse arbitror et laborasse in vanum ut rcconciliarentmortuos qui, qnamdiu in vita licuit, dissenserunt. »
k Ibid., lit), iv, c. 55 « llle ideas ponit, Platonem eemulatus et imitans Bernardum Carnotensem , et nibil prœter cas genus dicit esse vel spe- Cicm. »
5. ibid. « Ideam vero œternam esse consentiebat, admittens eeternitatem Providentiie. »
440 PHILOSOPHIE SCHOL ASTIQUE.
est donc postérieure à Dieu , comme l'effet est pos- térieur à la cause; mais, pour être, elle n'a besoin que de Dieu et ne relève d'aucune cause extérieure '. Ber- nard avait développé cette doctrine dans une exposition de Porphyre que nous n'avons plus 2. Il l'avait aussi développée dans un poème dont .lean de Salisbury nous a conservé quelques vers 3. En effet, Bernard de Chartres était poêle aussi bien que philosophe, et la Bibliothèque royale possède plusieurs exemplaires d'un traité de cet auteur, divisé en deux parties, le grand monde et le petit monde, Megacosmus et Microscomus, ouvrai:»1 mêlé de prose et de vers, a l'imitation de Boèce. C'est un système de l'univers à la manière de Platon, et qui atteste un esprit nourri de Macrobe et peut-être même du Timée. L Histoire littéraire a fait connaître cette composition singulière et en a donné quelques extraits. Nous l'avons étudiée à notre tour, dans le beau manuscrit du fonds du Boi, nu 04 13, et nous en tirerons un petit nombre de passages relatifs à notre sujet. Selon Bernard de Chartres, les deux éléments primitifs et éter- nels sont la matière et l'idée. La Providence applique l'idée à la matière, et la matière s'anime et prend une forme 4. Dans l'intelligence divine étaient d'avance les exemplaires de la vie, les notions éternelles, le monde
1. Metalogicus, lib. n, c. 17. « Idoam vero, quia ad hanc parilitatem non consurgit, sed quodammodo natura posterior est, et ^elut quidam effectus, manens in arcano consilii, extrinseca causa non indigens, sicul ii'ternain audebat dicere, sic coa>ternam esse uegabat. »
2. lbid. a Ut enim ait in expositione Porphyrli ..»
3. lbid. « liernardus quoque Carnotensis perfectissimus inler Platonicos saeculi nostri, banc fere senlentiam métro complexus est. »
■i. Yle (GÀr, ) cœcitatis sub veterno quas jacuerat obvoluta vullus ves- tivit alios idaearum signaeulis eircuniscripta. »
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intelligible et la prescience des choses qui doivent arriver un jour. Or, ce qui est dans l'intelligence suprême lui est conforme, et l'idée est divine de sa nature '. Daus la for- mation des choses la Providence a été des genres aux es- pèces, des espèces aux individus, et des individus elle revient a leurs principes dans un cercle perpétuel. Le monde est éternel ; il ne connaît ni vieillesse ni décrépi- tude. Du monde intelligible est sorti le monde sensible, production parfaite d'un principe parfait. Celui qui a produit était plein, et sa plénitude devait produire la plénitude. Le monde est complet parce que Dieu l'est. Il est beau parce que Dieu est beau ; il est éternel dans son exemplaire éternel. Le temps a sa racine dans l'éternité et il retourne dans le sein de l'éternité. C'est le temps qui de l'unité tire le nombre et de la stabilité le mouve- ment. Le temps est le mouvement même de l'éternité. Le monde est gouverné par le temps, mais le temps est gouverné par l'ordre. Tout ce qui parait est l'enfantement de la volonté divine et des exemplaires éternels qu'elle porte dans son sein 2.
i. b In qua vite viventis imagines , notiones œterna?, mundus intelli- gibles, rerum cognitio praefiuita. Erat igitur videre velut in speculo ter- siore quicquid operi Dei scerctior destinaret affeclus. 11 lie in génère, in specie, in individuali singularitatc conscripta quicquid vie, quicquid mundus, quicquid parturiunt elementa; illic exarata supremi digito dis- punctoris texlus temporis, fatalis séries, dispositio sa:culorum; illic la— crymœ panpenun , fortnnaqne renun ; illic potentia militaris; illic pbi- losophorum felicior disciplina; illic quicquid aogelus, quicquid ratio comprehendit humana; illic quicquid cœluin sua complcctitur cunatura. Qnod igitor taie est, illnd œternitati contiguum, idem natura cinn Deo, nec suh>tantia est disparaturu. »
2. « Sic igitur Providentia de generibus ad species, de speciebus ad in- dividus, de individuis ad sua rnrsus priocipta repetitis anfractibos rernm origineni retorquebat. . Mundus nec invalida seneetnte decrepitus nec su- premo estobitu dissohendus... Ex mundo intelligibili mundus sensibilis
142 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Ces extraits, que nous aurions pu multiplier, prouvent quel essor avait prisle réalismeau commencement du dou- zième siècle. Obscur encore et indécis dans saint Anselme, il se dessine nettement dans Guillaume de Champeaux ; et dans Bernard il va jusqu'à un platonisme où sont même d'assez fortes teintes alexandrines1. L'imagination s'y mêle à la raison, une poésie barbare colore le style et la pensée, et dans ce professeur de Chartres il y a quelque chose de Jordano Bruno. Le commencement du douzième siècle est donc le moment le plus brillant de l'école réaliste dans la pre- mière époque de la philosophie scholastique. A peine alors
perfectus natus estes perfecto. Pleriuseratquigenuit,plenumqucconstituit plenitudo. Sicut enim integrascit ex integro, pulchrescit ex pulchro, sic cxemplari suosternatur œterno. Ab œternitate tempus initians, in aeterni- tatisresolvitur gremium, longiore cireuitu fatigatum. De unitate ad nume- rnm, de stabilitate digreditur ad momentum... Has itaque vias itu semper redituque continuât, cumque easdem totiens totiensque itineribus œterni- tatis evolverit, ab illis nitens et promovens , nec digreditur nec recedit... Ea ipsa in se revertendi neeessitate et tempus in œternitate consistere et aternitas in tempore visa est commoveri. Suum temporis est qiiod move- tur. .Eternitas est ex qua nasci , in quam et resolvi habet; quod in ini- mensuin porrigitur. Si Oeri possit ne décidât in numéros , ne defluat in momentum, idem tempus est quod œternum. Solis successionum domini- bus variatur, quod ab a;vo nec continuatis nec essentia separatur. JEter- nitas igitur , sed et œternitatis imago tempus, in moderando mundo curam et operam parliuntur. Mundus igitur tempore, sed tempus or- dine dispensatur. Sicut enim divinœ semper voluntatis est prœgnans, sic exemplis aeternarum quas gestat imaginum Noys Endelychyam, Ende- lychia Naturam, Noys Ymarmenem,' quid mundo debeat informavit. Substantiam animis Endelychia subministrat; habitaculum anima: corpus artifex natura de initiorum materiis et qualitate componit; coutinuatio temporis ymarmenem, çruœ coutinuatio temporis est, sed ad ordinem constituta disponit, texit et retexit quae complcctitur universa. »
\. Dans un manuscrit de la Bibliothèque royale, fonds de Sorbonne , n° 326 A (olim R 580 c.), parmi un grand nombre d'opuscules de toute espèce, se trouve un ouvrage de Bernard de Chartres dont nul auteur et nul catalogue ne font mention ; c'est un commentaire sur l'Énëide, où l'esprit alexandrin est plus manifeste encore que dans le Mégacosme. Tout y est présenté sous un point de vue allégorique.
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rencnntre-t-on quelques traces de l'école nominaliste. Roscelin l'avait sans doute élevée très-haut ; mais il l'avait précipitée bien vite, en faisant tomber sur elle le poids de sa propre condamnation. Après le concile de Soissons en 1 092 ou \ 093, le nominalisme demeura longtemps abattu. Jean de Salisbury nous dit que de son temps il était presque [fere] ' éteint, et qu'après Roscelin , ceux qui restaient attachés a cette doctrine désavouaient son auteur, et n'o- saient pas aller jusqu'au bout de leur opinion 2. L'école nominaliste subsistait donc, mais dans l'ombre et presque entièrement éclipsée, et l'école opposée était à peu près maîtresse du champ de bataille. Mais cette école restée seule se fût perdue dans son triomphe, si la lutte à la- quelle elle devait sa naissance se fût arrêtée. La victoire absolue, c'est la mort en philosophie : un système rival est nécessaire au meilleur système, et la critique est la vie de la science. Il fallait donc au réalisme, dans son intérêt même, une contradiction puissante : il la trouva dans son propre sein. Le nominalisme, battu et flétri sous son nom propre, s'amenda dans sa défaite, se métamorphosa, s'in- sinua dans le cœur même du réalisme, et y fomenta des dissensions qui éclatèrent bientôt par de nouveaux com- bats. Déjà cette lutte intérieure du réalisme victorieux se trahit dans la modification que Guillaume de Champeaux dut apporter a sa doctrine. Ce premier succès était le si- gnal d'une école nouvelle qui, sortie du nominalisme, tout en l'abandonnant dans ses conclusions extrêmes, prétendait retenir ce qu'il pouvait avoir de sain et de bon, et en adoptant le réalisme n'en pas épouser les
1. Metalogicus , Lil). u, c. 17.
2. Polycraticus, lib. vu, c. 12.
144 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
exagérations, et qui , participant ainsi et s' écartant de l'un et de l'autre, aspirait à les comprendre et a les surpasser tous les deux : cette école nouvelle est celle d'Abélard.
Entreprise d'Abélard.
Telle est la place d'Abélard dans la philosophie du dou- zième siècle. Formé d'abord, nous l'avons démontré, à l'é- cole deRoscelin, il assiste ensuite au premier enseignement de Guillaume de Champeaux a l'école de Notre-Dame; il y étudie et y reçoit la doctrine réaliste. Il était donc en pos- session des deux doctrines contraires. Il pouvait les com- parer, les critiquer l'une par l'autre, et il n'était pas homme à y manquer. S'il commence par se montrer dis- ciple docile et même zélé de son nouveau maître, il n'ou- blie pas pour cela les leçons de l'ancien ; car, encore élève à I\"otre-Dame, il propose déjà contre la doctrine enseignée des objections, probablement empruntées au nominalisme, qui embarrassent le célèbre professeur; et dans le second enseignement de Guillaume, a l'école de Saint- Victor, l'écolier n'embarrasse plus seulement le maître, il le fait reculer, il lui arrache une concession importante, et lève enfin un nouvel étendard. Cet étendard nouveau appelle la foule, et au bout de quelque temps le nouveau système est victorieux a son tour ; il prend possession de l'école du cloître; et à travers les fortunes les plus diverses, tantôt dans la gloire et tantôt dans la persécution, par ses principes et par ses conséquences, par ses erreurs comme par ses vérités, surtout à l'aide de l'esprit d'indépendance ei de critique qu'elle représente et qu'elle propage, l'école d'Abélard éclipse toutes les autres écoles à Paris et dans
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toute la France, pendant la première moitié du douzième siè- cle, et, parses disciples et ses adversaires , prolongesou in- fluence à travers la seconde moilié de ce siècle, jusqu'à la fin de la première époque de la philosophie schoiastique. Il y a trois choses dans l'entreprise d'Abélard : 1° une polémique contre les deux écoles qui l'avaient précédé; 2° l'établissement d'une école nouvelle; 3° l'applicatiou de la nouvelle philosophie a la théologie, application qui faisait alors l'intérêt et l'éclat d'un système, comme le font aujourd'hui son caractère social et ses conséquences politiques. Or, de ces trois points, jusqu'ici un seul nous est bien connu, la théologie d'Abélard; mais sur le pre- mier et sur le second, c'est-à-dire sur le fond même de l'entreprise, tout nous manque, et nous ne possédons d'Abélard que la phrase toute négative de Y Historia ca- lamitatum. Lb, il nous apprend qu'il attaqua et renversa le réalisme de Guillaume de Champeaux, « patenlissimis « argumentorum disputationibus. » Mais quels étaient ces arguments évidents? il ne nous en dit pas un mot; pas un mot non plus de son opinion sur l'école nomiualiste; pas la moindre mention du système qu'il établissait sur les ruines des deux écoles rivales; et nous en sommes ré- duits sur tout cela à une tradition incertaine et au té- moignage équivoque de Jean de Salisbury. Grâce à Dieu, nos manuscrits nous permettent aujourd'hui de combler toutes ces lacunes, de reproduire la polémique de notre philosophe contre les deux écoles qu'il voulait remplacer, et de faire connaître pleinement et d'après lui-même son propre système. Nous allons établir et développer ces deux points essentiels de l'entreprise d'Abélard avec tout le soin et toute l'étendue qu'ils réclament.
II. 4 3
4 46 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
I. POLÉMIQUE d'aBÉLARD CONTRE LES DEUX ÉCOLES RÉALISTE ET NOMINALISTE.
Réfutation du réalisme.
Abélartl lui-môme, dans le fragmeut du manuscrit de Saint-Germain , signale et décrit les deux écoles qu'il trouva aux prises l'une contre l'autre. La première était l'école nominalisle, qui prétendait que les genres et les espèces ne sont que des mots pris dans un sons universel ou dans un sens particulier, et qu'il n'y a en réalité ni genres ni espèces; la seconde était l'école réaliste, qui soutenait que les genres et les espèces existent réellement. Mais cette dernière école se divisait elle-même en deux écoles : l'une qui imaginait certaines essences universelles qu'elle considérait comme étant essentiellement et inté- gralement dans cliaque individu; l'autre, d'après laquelle les espèces et les genres, les plus élevés comme les plus inférieurs, sont les individus eux-mêmes, considérés sous divers points de vue. (Fol. 42 recto c. 2-42 verso c. -1 ) \ o De generilms et speciebus diversi diversa sentiunt. Alii « namque voces solas gênera et species universales et sin- « gulares esse affirmant, in rébus vero nihil liorum assi- o gnant. Alii vero res générales et spéciales universales et « singulares esse dicunt ; sed et ipsi inter se diversa sen- « liunt. Quidam en ira dicunt singularia individua esse « species et gênera, subalterna et generalissima, alio et « alio modo attenta. Alii vero quasdam essentias univer- « sales fingunt, quas in singulis individuis tolas essenlia- « liter esse credunt. »
1. Oav. inéd., p. 513.
ABÉLARD. 147
La première école que combat Abélard dans notre ma- nuscrit n'est pas l'école nominalisle ; c'est l'école réaliste, et dans celle-ci l'école particulière a laquelle se rapporte la première doctrine de Guillaume de Cliarupeaux, qui est en effet l'expression la plus rigoureuse et la plus élevée du réalisme.
Cette polémique est fort étendue : on sent qu'Abélard a devant lui une école puissante et nombreuse. Aussi, tout en rapportant précédemment à Guillaume de Cbam- peaux quelques traits de la doctrine ici combattue, lors- que des indications positives nous y autorisaient, nous n'avons pas osé lui attribuer cette doctrine dans sa tota- lité; car Abélard ne cite aucun nom, et il y a un passage qui évidemment ne s'applique pas a Guillaume de Cham- peaux, mais a Bernard de Chartres*. C'est donc l'école réaliste elle-même, non pas dans tel ou tel de ses repré- sentants, mais dans ses principes les plus généraux et dans ses arguments les plus accrédités, qu'Abélard entre- prend de réfuter, et qu'il nous fait connaître en la réfu- taut. Sous ce rapport nous répétons que le fragment de Saint-Germain est du plus grand prix. Mais c'est surtout l'argumentation d' Abélard qui doit nous occuper.
Avant d'attaquer l'école réaliste, il rappelle d'abord la thèse qu'elle soutenait : « L'humanité est une chose es- « sentiellement une, qui ne possède pas en elle-même « mais à laquelle adviennent certaines formes qui font « Socrate. Cette chose, en restant essentiellement la même, « reçoit de la môme manière d'autres formes qui font Pla- « ton et les autres individus de l'espèce homme; et hormis « ces formes qui s'appliquent à celte matière pour faire
(. Voyez plus bas, p. ISO.
148 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« Socrate, il n'y a rien en Socrate qui ne soit le même « en même temps dans Platon , mais sous la forme de « Platon. » La polémique d'Abélard contre cette doc- trine est longue et serrée, et il est bien diflicile d'en déta- cher quelques anneaux; mais les divers arguments dont elle se compose tiennent à un premier et fondamental argument, qui la représente presque tout entière, et dont les autres ne sont guère que des développements. Cet ar- gument est en quelque sorte la protestation du sens com- mun contre le réalisme, et, comme tout argument tiré du sens commun, il attaque par le ridicule et il a l'air irrésistible. Aussi Abélard le présente-t-il avec la plus grande confiance : il déclare que nulle réplique n'est pos- sible. Le voici, dans sa plus simple expression : Si le genre est l'essence de l'individu, et s'il est tout entier dans chaque individu, de sorte que la substance entière de Socrate est en même temps la substance entière de Platon, il s'ensuit que, quand Platon est à Rome et So- crate à Athènes, la substance de l'un et de l'autre est en même temps à Rome et à Athènes, et par conséquent en deux lieux à la fois. Autre forme de l'argument : La sub- stance de Socrate, l'homme universel dans Socrate, l'homme devenu Socrate, c'est l'homme socratique, ou en d'autres termes Socrate lui même : or, l'homme uni- versel, en revêtant la forme de Socrale, l'a admise tout entière dans son essence, et la transporte partout où il est; donc, quand l'homme universel dans Platon et dans Socrate est à Rome et à Athènes, l'homme socratique, c'est-à-dire Socrale, est a la fois a Athènes et à Rome; et de même pour Platon, et pour les autres hommes. « S'il « en est ainsi, dit Abélard, comment pourra-t-on nier
ABÉLARD. 419
« que Socrate ne soit dans le même femps à Rome et à « Athènes? En effet, là où est Socrate, là est aussi « l'homme universel, qui a dans toute sa quantité revêtu « la forme de la socratité; car tout ce que prend l'uni- « versel, il le prend en toute sa quantité. Si donc l'uni- « versel qui est tout entier affecté de la socratité est a « Rome dans le même temps tout entier dans Platon, il « est impossible qu'en même temps et au même lieu ne « se trouve pas la socratilé qui contenait cette essence « tout entière. Or, partout où la socratilé est dans un « homme, là est Socrate; car Socrate est l'homme socra- « tique. A cela un esprit raisonnable n'a rien a répon- « die. » (Fol. 42 verso, c. I) '. « Quod si ita est, quis « polest solvere quiu Socrates eodem tempore Roinaj sil a et Athenis? Ubi enim Socrates est, et homo universalis « ibi est, secundum totam sua m quantitatem in forma tus « socratilate. Quicquid enim res universalis suscipit, tota « sui quanti ta le retinet. Si ergo res universalis, tota so- ft cralitate affecta, eodem tempore et Ronue est in Platone « tola, impossibile est quin ibi etiam eodem tempore sit « socratitas, qnae totam illam essenliam continebat. Ubi- « cumque aulem socratitas est in hoinine, ibi Socrates « est; Socrates enim homo socraticus est. Quid contra « hoc dicere possit, rationabile ingenium non habet. »
Peut-être cet argument n'est— il point aussi irrésistible que le ci oit Abélard, et un esprit raisonnable pourrait y faire plus d'une réponse solide. Toute la force de cet ar- gument repose sur la confusion, dans Socrate, du genre et de l'individu, de l'homme universel et de l'homme particulier, de l'humanité et de Socrate. Mais cette confu-
i. Ouv. inéd., p. 513.
13.
150 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
sion, c'est Abélard qui l'impose gratuitement à l'école réaliste, dont le principe au contraire est la distinction en chaque chose d'un élément général et d'un élément particulier. Ici, les deux extrémités également fausses sont ces deux hypothèses : ou la distinction de l'élément général et de l'élément particulier portée jusqu'à leur sé- paration, ou leur non séparation portée jusqu'à l'aboli- tion de leur différence; et la vérité est que ces deux élé- ments sont à la fois essentiellement distincts et insépa- rablement unis. Toute réalité est double : le lien de cette dualité est l'organisation, et son résultat la vie. Abélard suppose toujours qu'un universel, pour parler ce langage, ne peut prendre une forme sans la retenir constamment dans toute sa quantité : « quicquid res universalis susci- « pit, lola sui quantitate relinet, » proposition très-équi- voque qui implique que, quand le genre humanité a pris la forme de Socrate et qu'il vient à prendre une autre forme, celle de Platon, il garde la première, ce qui est absurde; et qu'une substance ne peut prendre successi- vement plusieurs formes et rester identiquement la même, ce qui pourtant est incontestable. Prenons l'exem- ple le plus évident et le plus voisin de nous, à savoir, nous-mêmes. Ce moi identique et un que nous sommes, est essentiellement tout entier dans chacune de ses ma- nifestations. C'est essentiellement et intégralement le même moi qui raisonne, qui se ressouvient, qui veut, qui pense, etc. Le sens commun le dit et la conscience l'atteste1; le moi ne change ni ne s'altère, ne diminue ni ne s'agrandit dans la diversité et la mobilité de ses ma- nifestations; nulle d'elles ne l'épuisé et n'est absolument
1. ire série, 1. 1", leç. xix-xxn, etc., et passim.
ABÉLARD. 151
adéquate a sou essence; il ne preud aucune forme pour la garder à toujours et dans tout son développement; car il est essentiellement distinct de chacun de ses actes, même de chacune de ses facultés, quoiqu'il n'en soit pas séparé. Le genre humain soutient le même rapport avec les individus qui le composent; ils ne le constituent pas : c'est lui au contraire qui les constitue. L'humanité est essentiellement tout entière et en même temps dans cha- cun de nous, comme nous sommes essentiellement, inté- gralement et simultanément dans nos différents actes et nos différentes facultés. L'humanité n'existe que dans les individus et par les individus; mais, en retour, les indi- vidus n'existent, ne se ressemblent et ne forment un genre que par l'unité de l'humanité, qui est en chacun d'eux. Voici donc la réponse que nous ferions au pro- blème de Porphyre, mfrepoN x«p»nù [f&m) r, §»«?« 7.i<jH-oU- distincts, oui; séparés, non; séparantes, peut-être; mais alors nous sortons des limites de ce monde et de la réa- lité actuelle. Dans le véritable réalisme, le genre n'ab- sorbe pas plus l'individu que l'individu n'absorbe le genre; il n'y a donc pas de contradiction a prétendre que le même genre est à la fois tout entier dans deux individus qui demeurent l'un a Athènes et l'autre à Rome; car deux individus qui participent du même genre, delà même essence, ne forment pas pour cela un seul et même individu ; et par conséquent il ne faut pas dire que cet in- dividu existe en deux lieux à la fois, quand les deux indi- vidus sont loin l'un de l'autre. S'il y a en effet du ridicule à supposer que Socrale suit en même temps en deux lieux différents, c'est Abélard qui tombe dans ce ridicule, puis- qu'il confond dans Sociale l'espèce et l'individu. Ou si,
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PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
en se moquant de l'homme universel, il n'admet dans l'individu que l'individu même, alors il tombe dans un bien autre ridicule, celui de faire des individus qui n'ap- partiendraient a aucune espèce, et, par exemple, un So- crate et un Platon qui, comme individus, étant absolu- ment différents, et habitant d'ailleurs des lieux différents, n'auraient rien d'identique entre eux, et seulement quel- ques ressemblances qui se perdent sous mille différences. Nous lui demanderons si c'est bien là l'humanité, si, a ces traits, le genre humain se reconnaît, et si l'adversaire de Guillaume de Champeaux n'a pas à son tour contre lui l'argument du ridicule et le sens commun de l'espèce humaine.
Nous avons insisté sur le premier argument d'Abélard contre l'école réaliste, parce que cet argument est celui qui revient sans cesse dans le cours de la discussion. Ainsi ce qu'Abélard a dit tout à l'heure du rapport de l'individu Socratc et de l'individu Platon au genre hu- main, il le dit de la saolé et de la maladie par rapport à l'animal, et du blanc et du noir par rapport au corps. Nous nous contenterons de traduire presque littérale- ment ce morceau ; on y pourra juger de la manière d'Abé- lard.
« Si ' l'animal qui existe tout entier en Socrate est « affecté de maladie, il l'est tout entier, puisque tout ce
I. Fol. 42 verso, c. ) ; page 51-i de notre édition. « Quod si animal to- « tum existens in Socrate languore afficitur, et totum, quia quicquid « suscipit, tota sui quantitate suscipit, eodem et moniento nusquam est «•sine languore, est autem in Platone totum illud idem; ergo etiam ibi « langueret; sed ibi non languet. Idem de albedine et nigredine circà cor- « pus. Ad haec enini non réfugiant ut dicant ita : Socratem languere, am- ie mal non languere; si enim Socratem; et animal conecdunt in infe- « riori. »
ABÉLARD. 153
« qu'il prend, il le prend dans loule sa quantité, et dans « le même moment il n'est nulle part sans maladie; or « ce même animal universel est tout entier dans Platon; « il devrait donc y être malade aussi; mais il n'y est pas « malade. Il en est de même pour la blancheur et la noir- ci ceur, relativement au corps. Que nos adversaires ne « pensent pas échapper en disant : Socrate est malade, « mais non pas l'animal ; car s'ils accordent que Socrate « est malade, ils accordent que l'animal est malade aussi « dans l'individu... S'ils s'imaginent ' que l'animal uni- « versel n'est point malade quand l'individu l'est, ils se « trompent bien ; car l'animal universel et l'animal indi- « viducl sont identiques. Ils ajoutent : l'animal universel « est malade, mais non pas en tant qu'universel. Plaise « à Dieu qu'ils s'entendent eux-mêmes ! S'ils veulent dire: « l'animal n'est pas malade en tant qu'universel, c'est-à-
t. Fol. 42 verso, c. 2; page 51 i de notre édition. « Si attendant animal « in universalitate, id est animal unhcrsale, non langnere, falsi sunt, « eum langueat in inferiori, cum idem si t animal universalc et ipsum in « inferiori. Addunt : animal universalc languet, sed non in quantum est « universalc l'tinam se videant! si enim id intelligunt : animal non lan- ce guet in quantum est universale , id est, hoc quod est uni\ersale, non « confert illi languerc, idem dicant : in quantum est singulare non lan- « guet, quia hoc quod est singulare non confert. Si id dicant : in quantum «est universalc non languet, id est hoc quod est universalc auferl , « nunquam languet, quia semper est universale, similiter hoc et sin- « gulare auferl in quantum est singulare, quod niilliiin singulare lan- « guet in quantum est singulare, et ita his hahemus in quantum, ita : « in quantum est universale non languet in quantum est universale. Si ad « status se transférant, dicentes : animal in quantum est universalc non « languet in univcrsali statu; respondeant de quo velinl agere per has « voecs : in stala universa.lt? utrum de snbstantia an accidenti? si de « accidenti, concedimus nihil languerc in illo accidenti. Si de snbstantia « agilur, aut de animait, aut de alia Si de alia , et hoc quoque concedi- « mus quod animal in suhslantia alia a se non languet. Si de animali agi- « tur, falsum est animal in universali statu non langnere; id est animal « in se languorem cum habeat. Ncc enim hoc vidoo illis refuginm. »
154 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« dire que ce n'est pas de son universalité qu'il tient « d'être malade, qu'ils disent donc aussi : il n'est pas « malade en tant qu'individu, puisqu'il ne tient pas de « son individualité d'être malade. S'ils disent : il n'est « pas malade en tant qu'universel, c'est à-dire que son « universalité l'empêche d'êlre malade ; il ne sera jamais y malade, puisqu'il est toujours universel. Et semblable- « ment son individualité l'empêche d'êlre malade, puis- « qu'aucun individu n'est malade en tant qu'individu... « S'ils ont recours à l'expression d'état {status), et qu'ils « disent : l'animal en tant qu'universel, n'est pas malade « dans l'état universel, qu'ils nous expliquent ce qu'ils « veulent dire par ces mots : dans l'état universel. S'agit- « il d'une substance ou d'un accident? Si c'est d'un acci- « dent, nous accordons que rien n'est malade dans l'ac- a cidenl ; si d'une substance, c'est de la substance animal « ou de quelque autre substance. Si c'est d'une autre, a nous accordons encore que l'animal n'est pas malade « dans une substance autre que la sienne. Si enfin a il s'agit de l'animal, il est faux que l'animal ne soit pas « malade dans l'état universel , c'est-à-dire que l'animal « en soi ne soit pas malade quand l'animal est malade. Je « ne vois pas qu'il y ait ici moyen d'échapper. »
Vient ensuite une argumentation à peu près semblable sur le rapport des espèces aux genres. Il s'agit de savoir si la différence qui en s'ajoutant au genre fait l'espèce, a ou non son fondement dans le genre, et plus particuliè- rement quel rôle joue dans l'homme la raison, la ratio- nalité. « Toute ' différence qui advient au genre prochain
1. Fol. 42 verso , c. 2 ; -53 recto, c. 1. Ouv. inéd.,p. 515-3)7. « Item
ABÉLARD. 155
« fait une espèce, comme par exemple la rationalité dans « l'animal. En effet, dès que la rationalité touche cette m nature, à savoir l'animal, aussitôt se forme une espèce « où la rationalité trouve son fondement. Elle donne donc « sa forme a l'animal tout entier; car tout ce que prend « le genre, il le prend en toute sa quantité. Mais, de la « même manière, l'irrationalité donne sa forme dans le « même temps à l'animal tout entier. On a donc deux « opposés en un même sujet et relativement à la même « chose. Et que nos adversaires ne disent point qu'il n'y « a pas d'ahsurdilé a admettre deux opposés en un même « universel; car Porphyre réclame et nie qu'en un même « universel se trouvent deux opposés. « L'animal (dit-il « en parlant du genre) n'a point les différences opposées; « car on aurait alors des opposés en une même chose (a). » « Puis il ajoute : « Rien ne se fait de ce qui n'est pas, et « des opposés ne se rencontrent pas dans le même (b). » « Qu'ils ne croient pas échapper en disant que Porphyre « ne voit pas d'absurdité a ce que deux opposés se ren- <i contrent dans le même, pourvu qu'ils ne soient pas
omnis differenlia vcniens in proxintum gcnus spccieni facit ut rationalitas in animal!. Qùara statim enim rationalitas illam naturam tangit , seilicet animal, tam statim species eflicilur, et in ca rationalitas fundatur. Illa ei'Ro totum informat animal. Quic([uid enim gcnus suscipit, tota sui quan- tilatc suscipit. Sed eodcm modo irrationalités totum animal informât codcm (empote. Ita duo opposita sont in codent sectinduni idem. Nec hoc dicant : non est Inconvenicns duo opposita esse in codcm univcrsali , quia ad hœc réclamât Porphyrius negans in codent univcrsali esse oppo sit.t : << neqne enim opposita babcl; nam in eodeni slfttul habeltlt oppo- sita; » atque in solationo hac sic : " nequc ex his quai non sunt, aliquid flet, nec opposita circa idem sunl , » cnin de génère loqttitur. Nec ad hoc réfugiant, ut dicant l'oiphyrium i )>i non haherc pro inconvciiienti duo
(a) l'orplnr. Uagog., c m, éd. Jluhle, I i, p, 381. {b) Ibid.
156 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« dans la constitution du sujet où ils se rencontrent, car « alors il n'y aurait pas d'absurdité à ce que dans le môme « sujet se trouvassent ensemble la blancheur et la noir- ci ceur, parce qu'elles ne le constituent pas. Il est donc « [ilus simple de dire, comme le font quelques-uns, que « les différences adviennent au genre, mais qu'elles n'ont « pas leur fondement dans le genre; et c'est pour cela « que le genre est dit être par lui-même, parce qu'il est « à lui-même son propre sujet. Mais je dis : l'espèce est « faite du genre et de la différence substantielle; et comme « dans une statue l'airain est la matière et la figure est la « forme, de même le genre est la matière de l'espèce, et « la différence en est la forme. La matière est ce qui « prend la forme. Ainsi, dès que l'espèce est constituée, « elle y sert de substrat à la forme; car dès qu'elle est « constituée, elle est composée de matière et de forme, « c'est-à-dire de genre et de différence, et nous voilà « ramenés à cette proposition que la différence elle-même « est fondée dans le genre. A cela nos adversaires répon- « dent : la rationalité a son fondement dans le corps, dans « la chair qui est un genre en dehors de l'espèce, mais « non pas dans l'espèce elle-même. Ils admettent ainsi « deux impossibilités; la première, que le genre est en
opposita esse ineodem, dum non sint in actu constitutionis illius in quo sunt; alioquin non est inennveniens alliediacm et nigredinem esse in eodem, quœ non hoc constiluunt. Ulud ergo majoris simplicilalis quod dicunt quidam, quia différend» quideni advoniunt generis sed in génère non fundantur. Unde et per se dicitur quia sibi ipsi facit subjectum, sed dico : facta est speeies ex génère et substantiafi differentia, et sicut in statua a>s est niateria , forma autem figura, similiter genus est materia speciei, forma iiutcin differentia. Materia est quœ suscipit forniam. Ita genus in ipsa specie constituta formam sustinet. Nam et postquam consti- tutaest, ex malcria et forma constat, id est ex génère et differentia. Et
ABÉLARD. 157
« dehors de l'espèce et de ses individus, tandis que Boëce « dit : le genre (a) résulte de la ressemblance d'espèces « différentes, laquelle ressemblance ne peut se trouver « que dans des espèces et dans leurs individus ; la seconde, « qu'il y a dans l'espèce quelque cliose qui est identique « dans le même moment avec le genre eu dehors de l'es- « pèce, et qui pourtant n'est pas le genre. Ensuite, si la « forme a son fondement dans l'espèce, elle a son fonde- « ment en une chose qui est constituée par elle-même et « par le genre; de sorte que ce qu'elle constitue lui sert « de fondement. L'intelligence pourrait alors séparer le « fondement et la forme; car c'est le pouvoir de l'esprit « d'unir ce qui est séparé et de séparer ce qui est uni. « Mais quel est l'esprit qui pourrait séparer de l'homme « la rationalité? De plus, si la rationalité est quelque « chose , elle doit être contenue dans quelqu'un des « membres de cette division d'Aristole : une chose se dit « d'un sujet et n'est pas en un sujet, ou bien elle est en « un sujet et ne se dit pas d'un sujet, ou elle se dit d'un
ita redimus ad idem, quia ipsa differentia in génère fnndatur. Sed dicunt : rationalitas quidem fuudatur in carne quai extra speciem genus est, sed non in ipsa specie, et sic duo impossibilia concedunt, alterum , quod ge- nus extra speciem sit et ejus individua, cuni dicat Boetbius : « speeierum <( diversaruni siniilitudo, quai nisi in speciebua et individuis carum esse « non potest , eflicit genus; » alterum vero, quia concedunt quiddamesse existens in specie illam rem quai eodem momento est genus extra spe- ciem, et illud piimuni tantum non esse genus. item si forma fnndatur in ipei lie, (undatur in constituto ex se et génère , et ita ipsuni constitutum est ei fundainentum; undc et intellcctu posset disjungi fundamentum et forma. Animi enim potestas bœc est, et disjuncla conjungere , et con- juncta dtojungerc. Sed quis aniiuus rationalitatem disjungeret ab bomine,
[a) Boetli. opp., p. 5C.
H. 14
4 58 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« sujet et elle est en un sujet, ou elle n'est pas en un sujet « ni ne se dit d'un sujet (a). On la rangera, je pense, a parmi les choses qui se disent d'un sujet et sont en « un sujet; car la rationalité s'affirme d'un sujet qui est « telle ou telle rationalité, et elle est en un sujet qui est « l'homme. Si elle est dans l'homme comme en un sujet, « elle n'y est pas comme une partie, mais elle ne peut « jamais en être séparée; car c'est la la définition que « donne Arislote de ce qui est en un sujet; cependant « elle est une partie formelle de l'homme, et par là elle « est une partie; il faut donc lui chercher un autre sujet « dont elle ne soit pas une partie. Nos adversaires diront : « la rationalité est dans l'homme comme en un sujet; elle « n'y est point comme partie intégrante; et c'est tout ce « que demande Arislote. Mais je nie que l'animal puisse « être dans l'homme comme en un sujet sans y être « comme partie intégrante. S'ils disent que la dernière « partie de la définition, ce qui ne peut jamais être séparé « de ce en quoi il est, ne convient pas a l'animal, parce « que l'animal peut être sans l'homme et sans aucune des
cum in homine claudatur rationalitas ? llem cum rationalitas aliquid sit, sub aliquo membro Arislotelicœ divisionis continebitur, hujus scilicet : « dicitur de subjecto et non est in subjecto, etc. » Credo, buie aptabunt : <c quod dicitur de subjecto et est in subjecto. » Kam rationalitas de sub- jecto dicitur bac rationalitate. In subjecto auteni est homine. Quod si est in homine aut in subjecto, non est ibi sieut quœdam pars, etc.; sic enim diflinilur ibidem esse in subjecto; sed hominis est pars formalis, et sic est pars ; querendum ergo est illi aliud subjcctuin cujus ipsa non sit pars. Sed dicent : rationalitas est in homine ut in subjecto, ncc in eo est ut pars integralis, quod solum negavit Aristoteles; et hoc contradico. Animal in homine est ut in subjecto, nec est ibi sicut pars integralis. Quod si dicant
(a) Aristot., Categ., éd. 13., p. Wt,
ABÉLARD. 4 59
« espèces inférieures, en prenant être clans un sens large « et non dans le sens de l'existence actuelle, j'en dirai « autant de la rationalité; car, suivant eux, lors même « que la rationalité ne serait pas en quelque individu, « elle n'en subsisterait pas moins réellement... »
Voici maintenant un autre argument qui , comme le premier dont nous avons rendu compte , a été depuis mille fois répété. Il est ici principalement dirigé contre Bernard de Chartres. Celui-ci avait ramené les espèces et les genres aux Idées de Platon ; or les Idées sont éternelles; elles semblent donc de la même nature que Dieu ; et c'est pour prévenir cette objection ou y répondre que Bernard, selon le témoignage déjà cité de Jean de Salisbury dans le Melalogicus , avait admis l'éternité des Idées, mais non pas leur coéternité avec Dieu '. Dans un autre en- droit du même ouvrage 2, Jean de Salisbury, sans nom- mer Bernard, combat sa doctrine et rappelle un dilemme qu'on opposait alors à la théorie des Idées : tout ce qui est, est ou créateur ou créature. Ces diverses indications sont éclaircies et développées par le passage suivant d'Àbélard : « Les 3 genres et les espèces sont ou créateur a ou créature. S'ils sont créature , le créateur a dû être « avant sa créature. Ainsi Dieu a été avant la justice et « la force, que quelques-uns n'hésitent pas à considérer
quia ultima pars diffinitionis illi non convenit : « Quod enim impossibile est esse, etc. "Nain possibilc esl esse animal sine homineetsinealiis inferio- ribus, esse large, non actunliter; scdidemdicas derationalitate. Nani,secun- dumeos, clsi ratiunalilas nonessetin aliquo, tanicn in natura remaneret. »
1. Voyez plus haut, p. 159.
2. Melalog., lib. iv, c. 37.
3. Fol. -iô recto, c. 2; Ouv. inéd., p. !H7. m Item gênera et species aut creator sunt aut creatura. Si créature sunt, ante fuit suus creator quain
160 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« comme étant en Dieu, et comme quelque chose de clif- « férent de Dieu ; de sorte que Dieu aurait été avant d'être « juste ou fort. Mais il y en a qui ne considèrent pas « comme suffisante cette division : tout ce qui est, est a créateur ou créature, et qui voudraient y substituer « celle-ci : tout ce qui est, est ou engendré ou inengen- « dré. Or, on appelle les universaux inengendrés; par « conséquent, il faudrait les appel* r coéternels ; de sorte « que, suivant ceux qui avancent cette proposition, l'âme « (ce qu'on ne peut dire sans sacrilège) n'est soumise en <( rien à Dieu puisqu'elle a toujours été avec Dieu, et ne « tire son origine que d'elle-même. Et Dieu n'a fait au- « cune cliose, car Socrate est composé de deux choses « coéternelles à Dieu. 11 n'y a donc rien eu de nouveau « qu'une réunion ; il n'y a pas eu de création (a) : car la « forme est universelle comme la matière, et comme elle « coéternelle a Dieu. Combien cela est loin du vrai, c'est
« ce qu'il est facile de voir »
Telle est l'argumentation d'Abélard contre cette partie de l'école réaliste qu'on pourrait appeler la branche pla-
ipsa creatura. Ita ante fuit Dcus quam justitia et fortitudo, quas quidam esse in Deo non dubitant et aliud a Deo. Itaque ante fuit Deus quam esset justus vel fortis. Sunt autem qui negant illam divisionem esse sufficien- tem : quicquid est, aut est ereator aut creatura : sed sic faciendam esse dicunt : quicquid est, aut genitum est aut ingenilum Vniversalia autem ingenita dicuntur et ideo coaetema, et sic secundum eos qui hoc dicunt, aninius, quod nefas est dictu, in nullo est obnoxius Deo, qui semper fuit cumDeo nec ab alio incœpit , nec Deus aliquorum factor est. Nam Soera- tes ex duobus Deo coaternis conjunctus Nova ergo prima fuit conjunctio, non aliqua nova creatio. Nam œqtie ut materia, ita et forma universalis est et ita Deo concerna, quod quantum a vero deviet, palam est, »
(a) Voyez plus baut, l'extrait du Megacosmus, p <-S0.
ABÉLARD. 161
tonicienne do cette école. Il nous reste à foire connaître les combats qu'il a livrés à l'autre branche de la même école, celle qu'on en pourrait appeler la branche péripa- téticienne, par opposition a la première, et qui considé- rait les espèces et les genres comme de* manières d'être des individus, lesquelles manières d'être n'ayant aucune différence entre elles dans les différents individus y consti- tuent les universaux ; d'où la théorie delà non-différence, indiffère ntia. Cette école nous est comme révélée par le fragment du manuscrit de Saint -Germain. Le seul ves- tige qu'on en pouvait trouver avant notre publication est la variante in diffère nier pour individualiter dans la phrase de VHistoria calamitatum. Voici comment Àbé- lard expose cette théorie avant de la discuter :
« Examinons maintenant, dit-il ', la théorie de la « non-différence, qui met en avant la thèse suivante : « Il n'y a rien autre chose que l'individu ; l'individu, « considéré sous différents points de vue, devient l'es- « pèce , le genre, et ce qu'il y a de plus général. Ainsi « Socrate est un individu, parce qu'il est une chose dont « la propriété ne se retrouverait jamais tout entière en « une autre; car, s'il y a d'autres hommes, il n'y en a
I. Fol. -53 recto, c. 2, i3 verso, c. I. Ouv. inéd , p. S 18. « Nunc itaque illain quœ Je imiifferentia est sententiam perquiramus. Cujus liœc est po- silio : Nihil omnino csl prœlcr individuum ; sed et illud aliter et aliter at- tentuni specics et genus et generallssimum est. Itaque Socratcs in ea na- tura in qua subjectus est sensiluis, seeundum illani naturam quani signi- ficat adesse Socrati , iodlvidaum est Ideo quia taie est propriétés eu j as nunquam tota reperitur in alio. Kst enim aller homo, sed socratitate nul- lus homo prœter Socratem. De eodem Socrate quandoque habetur intellec- tus non concipiens qulcquid notât h»c vox Socrates; sed socratitatis olili- tus, id tantum perspicit de Socrate quod nolat idem homo, id est animal
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462 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« pas d'autre que Socrate où se trouve la socratité. Mais « on peut quelquefois peuser a Socrate sans penser a tout « ce que désigne ce mot de Socrate; on peut négliger la
« socratité pour ne considérer dans Socrate que ce que
« signifie le mot homme, c'est-à-dire l'animal raison-
« nable mortel, et sous ce rapport il est espèce; car il peut
« s'affirmer comme essence de plusieurs choses. Si on
o abstrait encore la rationalité et la mortalité, pour ne
« considérer que ce qu'exprime le mot animal, à ce
« nouvel état c'est le genre. Si enfin, négligeant toutes
« les formes, on ne considère Socrate que dans ce qu'ex-
« prime le mot substance, c'est ce qu'il y a de plus gé-
« néral. Ou peut en dire autant de Platon sous tous ces
« rapports. Si on oppose que la propriété de Socrate, en
« tant qu'homme, n'est pas plus en plusieurs choses que
o la propriété de Socrate en tant que Socrate, attendu
« que l'homme socratique n'est en aucun autre homme
c que Socrate, pas plus que Socrate lui-même, ils l'accor-
« dent, mais avec l'explication suivante : Socrate, en tant
« que Socrate, n'a rien en soi qui se retrouve en un
« autre sans aucune différence; mais en tant qu'homme,
rationale morfale, etsecundum hoc species est; est enim pradicabilis de pluribus iu quid de eodem statu. Si intcllectus postponat rationalitatem et înortalitatem, et id tantuiu sibi subjiciat quotl notât hœc vox animal, in hoc statu genus est. Quod si, relietis omnibus forinis, in boc tantum con- sideremus Socratem quod notât substantiel, gcncralissimum est. Idem de Platone dicas per omnia. Quod si quis dicat proprietateni Socratis in eo quod est liomo non magis esse in pluribus quam ejusdem Socratis in quantum est .Socrates; se que enim bomo qui est socraticus in nullo alio est nisi in Socrate, sicut ipse Socrates; verum quod concedunt; ita tamen determinandum putant : Socrates in quantum est Socrates nullum prorsus indifférons habet quod in alio inveniatur: sed in quantum est homo plura
ABÉLARD. 163
« il a plusieurs qualités qui se retrouvent non différentes « en Platon ou en d'autres individus. Car Platon est un « homme comme Socrate est un homme, quoiqu'il ne a soit pas essentiellement le même homme que Socrate. « Le même raisonnement s'appliquera a l'animal et a la « substance. »
Abélard divise en deux parties son argumentation contre cette théorie. Il l'attaque 1° par l'autorité, 2° par le rai- sonnement.
1° ' « Porphyre dit : « Il y a («) dix genres; les espèces « sont en un certain nombre, mais qui n'est pas infini; « les individus sont en nombre infini. » Au contraire, « dans l'hypothèse que nous examinons, tous les indi- « vidas, par cela seul qu'ils existent, sont des genres; « d'où il suit que les genres sont aussi nombreux que les « individus. Nos adversaires se tirent de cette difficulté « en disant : que les genres sont, il est vrai, infinis en « nombre sous le rapport de l'essence, mais qu'ils ne sont « que dix sous celui de la non-différence. Car autant d'in- « dividus existants, autant d'essences générales: mais tous « ces genres ne forment qu'un seul et unique genre, parce « qu'ils sont non-différents entre eux. En effet, Socrate,
habct indifferentia qun in Platonc et In aliis inveniunlur. Nain et Plato si- militer lionm est, ut Sociales, quamvls non sit idem hoino esscntia'.iter qui est Sociales. Idem île animal! et substantia. »
l. Fol 15 verso, c. I, 45 verso, c. 2. Oiwr. Inêd., p. 5i9-r>20. « Porpby- riiis dicit : « decem quidem ccncralissiina ; specialissima quittent in nu mei ci qnodam, non tamen indeflnito; individus vero infinita sunt. » Po- sitio vero lutjus gententiœ hoc habei : singnla Individus substantise , in quanluni sunt substantia, généralissime, esse, itaque non putius individus
(a) Porph. Isagog., cd. R , p. 581 .
164 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« en tant que substance, n'est pas différent a l'égard de « toute substance en tant que substance. Porphyre ajoute « un peu après (a) : « L'espèce rassemble plusieurs choses « en une seule et même nature, et le genre encore plus « que l'espèce. » C'est ce qu'on ne peut pas raisonna- it Moment dire de Socrate; car Socrate ne communique « pas a Platon quelque nature qui soit en lui, puisque ni « l'homme qui est Socrate, ni l'animal qui est en lui ne « sont en aucun autre qu'en Socrate. Cependant ils re- « courent a leur non-différence, et disent que Socrate en « tant qu'homme réunit Platon et tous les hommes; d'où « il suit que, l'essence n'étant pas différente dans l'homme, « Socrate est Platon. Porphyre dit encore (b) : « Le genre « est ce qui s'affirme, relativement a l'essence, de plu- o sieurs choses différentes d'espèce; l'espèce, ce qui s'af- « firme de plusieurs choses numériquement différentes. » « Si donc Socrate en tant qu'animal est un genre , il se
infinita sunt quam generalissima. Solvunt tamen il 1 i dicentes : generalis- sima quidein infinita esse essenlialiter, sed per indifferentiam decem tan- tum;quot cnim individus substantia;, tôt et sunt generalissima; sub- stantia;. Omuia tamen illa generalissima géneralissinmm unum dicuntur, quia indifferentia sunt. Socrates enim in eo quod est substantia, indiffé- rons est cum qualibet subslantia in eo statu quod substantia est. Item paulo post dicit Porphyrius : « collectivum enim multorum in unam natu- ram species est, et magis id quod genus est; quod de Socrate rationabi- liter dici non posset. JN'eque enim Socrates aliquam nalurara quam babeat Platoni communicat, quia neque homo qui Socralis est neque animal in aliquo extra Socratem est. I psi tamen ad indifferentiam currentes, di- cunt quia Socrates in eo quod est homo colligit Platonem et singulos bo- mines, proinde quia indifferens essentia homini, socrates est Plato. Item Porphyrius : « genus est quod prœdicatur de plurihus différente bus specie in eo quod quid sit, species quidem de plurihus differentibus
(a) Porph. lsagog., éd. B., p. 582. (6) Porph , lsagog., éd. B , p. 375.
ABÉLARD. 165
« trouve en plusieurs choses d'espèces différentes; si en « tant qu'homme il est une espèce, il s'affirme de plu- « sieurs choses numériquement différentes; ce qui est « absolument faux, car ni l'animal ni l'homme qui est « Sociale n'est en un autre qu'en Socrate. Mais nos gens « répondent : Socrate eu aucun état n'est essentiellement « en un autre qu'en lui-même: mais à l'état d'homme il « est dit être en plusieurs individus, parce que ces indi- « vidus sont des hommes qui ne diffèrent pas de lui; et il « en est de même pour l'animalité. Boëce réfute en plu- « sieurs endroits l'opinion que nous attaquons ici : « On « ne doit, dit-il (a), entendre autre chose par espèce « qu'une conception collective, qui se forme en vertu « d'une ressemblance substantielle sur des individus dif- « férents en nombre. » Ce qui ne s'accorde pas avec « l'opinion que Socrate en tant qu'homme serait une es- « pèce ; car on ne peut le recueillir en tant qu'espèce en « plusieurs individus, s'il n'est pas en plusieurs. Cepen-
numero. » Si ergo Socrates in statu animalis genus est, pluribus diffe- rentibus speciebus inbasret; si in statu Uominis spccics est, pluribus dif- ferentibus numéro. Ouod minime est verum ; neque c-nim vel animal vel lioinn qui Socrates est, alii quam Sncrati inest. Sed et hi dicunt : Soerates in nullo statu alicni inlueret uisi sibi essentialier ; sed in statu hominis pluribus dicitur inhœrere , quia alii sibi indifferentcr inhsereot; eodem modo in statu animalis. Boethius quoque huic sententiœ multis refraga- tur locis. In secundo commentario super Porphyr uni sic ail : » Nibilque aliud species putanda est, nisi cogitatio collecta ex individunrum dissi- milium numéro, substantiali siniililudine; gcnus vero est cogitatio ex specierum similitndine. » Ouod in liac scntenlia non convenu : Sociales, in quantum homo est, species est , qui tamen nullo modo de pluribus col- ligitur, quia in plnribus non est. Quod tamen ipsi ad indifferentiam refe- rentes, dicunt ita : Sociales, in quantum est liomo, de se colligitur et de
(a) Boeth. opp., p. 56.
166 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« liant, ils rapportent encore cela a leur non-différence, « et disent : Socrate en tant qu'homme se recueille en « lui-même, en Platon, et en tous les autres hommes; tout « individu en tant qu'homme peut être recueilli de lui- <( même. Il est facile de voir comhien celte explication est « ridicule, si l'on remarque que de toute chose on pour- « rait dire également qu'elle est un homme, par cela seul « qu'elle contient quelque chose de non -différent à l'égard « de l'homme. Nous lisons aussi dans le commentaire sur « les Catégories : « Les (a) genres et les espèces ne ré- « sultent pas île la considération d'un seul individu; ce « sont des conceptions que l'esprit recueille en tous les « individus pris ensemhle. » Boëce déclare formellement « dans ce passage, que le mot homme exprime une essence « qui n'est pas tirée de Socrate tout seul, mais recueillie « en tous les hommes. Or, ceux qui disent que Socrate en « tant qu'homme est une espèce, tirent l'espèce d'un seul » individu. Il serait fatigant d'accumuler toutes les au- « torités qui sont contraires a cette opinion. » 2° ' « Dans ce système, chaque individu humain, en
Platone ca'terisque; nnumquodque individuum in quantum est honio do se colligitur. Quod quant ridiculum sit , inde patet quod codera modo dici polest de quolibet et quod ipse fuit honio quia quoddam indifferens illi ibi est. Item in commentario super Categorias : « gênera et species non ex uno singulo intellecta gant, sed ex omnibus singulis mentis ratione collecta vel concepta. » Hic plane confirmât homo unam esseutiam , sieut hominem non ex solo Socrate collcctum, sed quod ex omnibus colligitur. Qui veio Socratem in eo quod est homo esse speclem dicunt, ex solo in- dividuo colligunt speciem. Omnes apponere auctoritates qute hanc sen- tentiam abnuunt, gravaremur. »
1. Fol. iô verso, c. 2 ; 4-ï recto, c. t. Ouv. inéd., p. 520-522. « Sed nunc
(a). Boeth. opp., p. 129.
ABÉLARD. 167
« tant qu'homme , est une espèce. D'où il suit que l'on « pourrait dire de Sociale : cet homme est une espèce. 11 « est certain que Socrate est cet homme; donc on peut « conclure avec toute raison, suivant les règles de la troi- « sième figure du syllogisme : Socrate est une espèce. Car « si une chose s'affirme d'une autre, et qu'il y ait encore « un autre sujet au sujet , le sujet du sujet sert de sujet « au prédicat du prédicat : c'est ce que personne ne peut « raisonnablement nier.
« Je poursuis. Si Socrate est une espèce, Socrate est un « universel , et s'il est universel, il n'est pas singulier; « d'où cette conséquence : il n'est point Socrate. Ils se « refusent à cette conséquence : s'il est universel, il n'est « pas singulier; car, dans leur système, tout universel est « singulier, et tout singulier est universel sous des rap- « ports différents. Cependant, lorsqu'on dit : toute sub- « stauce est universelle ou singulière, personne, je pense, « ne niera qu'une division semblable ne soit une divi- « sion par l'accident, comme dit Boéce, dans le livre « des Divisions : « La règle commune à foutes les divi-
ut rationi sit consentanea videamus. Unumquodque individmim bominis, in quantum est homo,spcciem esse Iutc sententia asserit. Inde verc pos- ait dici de Socrate : hic homo est species; sed Socrales est hic homo vere dicitur; i laque secundum modum prima; figura; rationaliiliter tond ml i tu r: Socrates est species. Si enini aliquid prœdicator de aliquo et aliud subji- ciatur subjecto, subjectum subjecti subjicitur prœdicato prffidicaii. Iloc nemo nitionabiliter denegabit. Procède Si Socrates est species , Soeratcs est univcrsale; et si est universale, non est singulare; unde se(|uitur : non est Socrates. Ncgant banc consequentiani : si est universale non est singulare. Naui impositione sas sententiœ habelur : omne universale est singulare, et omne singulare est universale diversis respectibus. At contra cum dicitur : substantia alla universalis, alia singularis, talem divisio- Dcm, credo, nemo negat esse secundum accidens. Sed, ut dicit lioctbius
168 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« sions (le cette nature (a), c'est qu'elles se partagent en « opposés. » Ainsi, si nous partagions un sujet en ses ac- « cidents, nous ne dirions pas : les corps sont ou blancs « ou doux, car ce ne sont pas la des opposés; mais bien : « les corps sont ou blancs ou noirs , ou ni blancs ni « noirs. Il faut de même considérer comme selon l'acci- « dent celle division : car universel et singulier sont plus « opposés que blanc et doux. Ils répondent que Boëce n'a « pas voulu parler de toutes les divisions par l'accident ; « mais seulement de celles qui sont régulières. Si vous « leur demandez quelles sont celles qui sont régulières, « ils répondent : celles auxquelles cela s'applique. Voyez « quelle impudence! ce que l'autorité aftirme d'une ma- « nière si explicite, lorsqu'en parlant des divisions par « l'accident, elle dit : c'est la la règle commune de toutes « ces divisions, ils nient, contre toute évidence, que ce « soit un précepte universel. Mais ils ne pourront tenir « dans celle position ; car l'autorité s'exprime d'une ma- « nière formelle sur l'universel et le singulier : Aucun
in libro Divisionum : « harum commune est prœceptum : quicquid eorum dividitur in opposita segregari; » ut si subjcctum in accidentia separe- mus, non dicamus : corporum alia sunt allia, alia dulcia, quae non op- posita sunt, sed : corporum alia sunt alba, alia nigra, alia neutra. Ecce eodem modo negare possumus liane non esse divisioneni seeundum acci- dens : subslantia alia universalis , alia singularis ; hœc enim magis oppo- sita sunt, universale et singulare, quam album et dulce. Dicunt illi non esse dictum de omnibus divisionibus seeundum accidens, sed de regula- ribus. Si quœras quae sunt regulares, aiunt : quibus illud convenit. Videte quantœ impudentiae sint! quod tani plane dicit auctoritas, cum de divisio- nibus seeundum accidens loqueretur, « harum omnium commune prtecep- tum est , etc., » non dictum universaliter mentiuutur. Sed in hoc non
{a). Boeth. opp., p. 638. sqq.
ABÉLARD. 4 69
« universel n'est singulier, et aucun singulier n'est uni- « versel. En effet, Boëce, dans son commentaire sur les « Catégories, dit, en parlant de cette division (a) : « Toute « substance est universelle ou singulière. Il est impossible « qu'un accident prenne la nature d'une substance, ou « une substance la nature d'un accident. Or, la parlicu- « larité et l'universalité ne s'impliquent pas, car l'uni- « versalité peut bien s'affirmer de la particularité, comme, « par exemple, l'animal de Socrate ou de Platon, et la « particularité reçoit l'universalité comme son prédicat; « mais il est impossible que l'universalité soit particula- « rite . ni que ce qui est particularité devienne univer- « salité. » Universalité et particularité sont pris ici pour h universel et particulier ; c'est ce que prouvent les exem- « pies qui sont donnés ensuite, comme l'animal dans son « rapport à Socrate.
« À cela on ne peut faire aucune réponse raisonnable. « Cependant ceux à qui nous avons à faire ne se tiennent « pas eu repos. Ils disent : Aucun singulier, en tant que
consistent. Nam de his specialiter, id est universali et singulari, negat auctoritas : nuIUim universale est singulare, et nulluni singulare est uni- versalc. Boethius enini in Commentario super Categorias, cuin de hac di- visione loqaeretur; substantia alia universalis, alia singularis, ait : « nt autcni accidens in naturam substantia transeat esse non potest, vel ut substantia in naturam accidentis transeat liabcri non potest. At vero nec particolaritas nec universalités in se transeunt. Namque universalitas potest praedicari de particularitate, ut animal de socrate vel Platone, et particularitas suscipit prœdicationem univcrsalitatis; sed non ut universalitas sit particularitas , nec quod particulare est universalitas fiât. » Universalitas et particularitas hase nomina pro universali et particulari accipi notant exempta, ut animal de Socrate. Contra hoc rationabilitcr nibil dici potest. Illi tanien non quiescunt, sed, dicùnt : uni loin singulare in quantum est singulare, est universale, et e con- versojet cuni universale est, singulare est universale, et e converso
(a) Boclh. opp., p. 120.
I. 18
170 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« singulier, n'est universel , et réciproquement ; mais pris « c-imme universel, le singulier est universel, et récipro- « quement. À quoi je réponds : Ces mots: « aucun singulier « eu tant que singulier » semblent vouloir dire : aucun o singulier demeurant singulier n'est un universel demeu- « rant un universel : ce qui est certainement faux ; car So- o crate, tout en demeurant Socrate, est un homme qui de- o meurehomme.il se pourrait encore que l'on voulût dire : « L'universel ne dérive, dans aucun singulier, de sa sin- « gularité, ou bien c'est la singularité qui interdit l'uni- « versalité a l'homme singulier; ce qui est absolument « faux, dès que l'on considère le rapport de Socrate et de « l'homme; car, dans Socrate, cela même qui est Socrate « exige la présence de l'homme. Et d'ailleurs rien n'em- « pèche aucun singulier d'être universel, s'il est vrai, « comme ils le prétendent, que tout singulier est uni- « versel. De même, s'ils disent: Socrate, en tant que « Socrate , c'est-à-dire dans toute la propriété qui est « désignée par ce mot de Socrate, n'est pas un homme « en tant qu'homme, c'est-a-dire dans la propriété
Contra quod dieo verba ista : nulliini singulare in quantum est singulare hune sensum vhletur habere : nullum singulare, manens singulare, est universale manens universale; quod utique falsum est. Nam Socrates ma- nens Socrates est homo manens homo. item hune sensum habere posset : nulli singulari eonfeit hoc quod est singulare esse universale; vcl homini singulari aufert hoc quod est singulare esse universale, quod totum fallit inter Socratem et homineni. Nam in Socrate hoc quod est Socrates exigit hominem , et nulli singulari aufert aliquid esse unhersale ; nam secun- dum eos omne singulare est universale. Item si dicant : Socrates in quan- tum est Socrates, id est in tota illa proprietate in qua notatur al) hac voce quae est Sacrales, non est homo in quantum est homo, id est in illa pro- prietate in qna notatur ah hac voce • homo est ; hoc quoque falsum est. Nain Socrates notât hominem socraticum, in quo et hominem , quod sci- licet notât homo. »
ABÉLARD. 171
« qu'exprime le mot ft homme /cela est encore faux ; car « Socrate désigne l'homme socratique et par conséquent « l'homme.... »
Avant de quitter la polémique du manuscrit de Saint- Germain contre l'école réaliste, peut-être conviendrait-il de rechercher aussi dans le manuscrit de Saint-Victor et de reproduire tous les passages qui se rapportent a cette polémique. Dans l'impuissance d'accumuler tant de cita- tions, nous voulons du moins signaler les fol. \ 93 recto ', 195 verso et 196 recto2, 198 verso 3, surtout le fol. 168 verso4 et le chapitre entier du livre de la Division sur le tout et les parties 5. Ces documents réunis font connaître suffisamment l'opinion d'Ahélard sur l'école réaliste, considérée dans ses deux grandes divisions . et nous croyons pouvoir passer a l'argumentation de notre au- teur contre l'école nominaliste. Nous remprunterons encore au manuscrit de Saint-Germain.
Réfutation du nominalisme.
Cette argumentation est bien plus brève que celle dont nous venons de rendre compte ; on s'aperçoit qu'elle est dirigée contre une école qui est loin d'avoir la même puissance et le même crédit que la première. Toutefois, la formule qui revient sans cesse : Exponunt — dictait... ipsi qui hanc sentent iam tenent , etc., fait assez voir que cette école n'était pas tout entière dans Iloscelin ; et
1. Ouv. inéd,, p. 458.
2. Ibid., p. 477-478.
3. Ibid., p. -S85 sqi[. A. Ibid., p. 399 sqq. 5. Ibid. , p. -'.60-479.
172 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
c'est ce qui nous a empêché , en parlant de ce dernier, de lui attribuer toutes les propositions nominalistes ici mentionnées; mais il est probable que la plupart lui ap- partiennent, et certainement le fond de toutes lui appar- tient. On y reconnaît l'esprit d'indépendance qui carac- térise l'école nominaliste. Elle ne craignait pas d'affirmer que, si Arislote etBoëce ne sont point allés jusqu'au no- minalisme, c'est que, par dissimulation et par mensonge, ils n'ont pas osé proclamer cette conséquence de leur doctrine; et elle soutenait que toutes les expressions d'Aristote et de Boëce qui ont une apparence réaliste ne sont que des figures sous lesquelles est véritablement ren- fermé le nominalisme. Voici ce morceau dans sou inté- grité :
« Examinons ' cette opinion suivant laquelle les genres « et les espèces ne sont pas des choses, mais des mots, « universels et particuliers, pris comme prédicats et « comme sujets. »
« L'autorité affirme que les genres et les espèces sont « des choses. Boëce dit dans son second commentaire sur a Porphyre (a) : « On ne doit entendre par espèce qu'une « conception recueillie en vertu d'une ressemblance sub-
1. Mss. de Saint-Germain, fol. 44 recto, c. 2; 44 verso, c.\. Ouvr. inéd., p. 522-52 4. u Nunc illam sententiam quœ voces solas gênera et spe- cies universales et particulares prœdicatas et subjectas asserit et non res, insistanius. »
« Res quidcm gênera et species esse auctoritas affirmât et Boethius qui in secundo commentario super Porphyrium : « Nihil aliud species esse putanda est, nisi cogitatio collecta ex individuorum dissimilium numéro substantiali similitudine; genus vero collecta cogitatio ex specicrum si- inilitudine. » Quod autem has similitudines res appellet, paulo superius aperte denionstrat : « sunt igitur hujusmodi res in corporalibus atque in
(a) Boeth. in rorphyr., pag. 56.
ABÉLARD. 1 73
« stantielle sur une multitude d'individus dissemblables ; « par genre, une conception qui résulte de la ressem- « blance des espèces. » Que ces ressemblances soient « appelées par lui des choses, c'est ce que démontre « clairement un passage qui se trouve un peu plus haut : « « Il y a donc des choses de cette nature dans les objets « corporels et sensibles, mais elles sont conçues indé- « pendamment des objets sensible?. » Le même Boëce dit « encore dans son commentaire sur les Catégories (a) : « « Puisqu'il y a dix premiers genres des choses, il fallait « qu'il y eût aussi dix mots simples que l'on pût appli- « quei' aux choses simples. » Mais nos adversaires enten- « dent par genres des manières de parler (b). Cependant « Àristote, dans l'Interprétation (c), reconnaît des choses « universelles : « Parmi les choses, les unes sont univer- « selles, les autres sont singulières. » Mais ils expliquent « choses par mots. Nous lisons encore dans le commen- « taire de Boëce sur les Catégories (d) : « Quand je dis
sensibilibus. Intelliguntur autem prœter sensibilia. » Item idem Boetbius, in eommentario super Categorias, dicit : « quoniani rorum deeem gênera sunt prima, necesse fuit deeem tiuoque esse simplices voces çruœ de sim- plieibus rébus dieerentur. » Hi tamen exponunt gênera, id est manerias. Quasdam autem res universales ait Aristoteles in Péri ermenias : « rcrum aii.-c sunt universales, ali;e sunt singularcs. » Hi tamen exponunt reruiu, id est vocimi. Boetbius quoque in eommentario super Categorias : « cum dico animal, talem substantiam significo quœ de pluribus prœdicatur. »
(a) Boctb. in Pr.-edicam., pag. tl".
(b) « Hi lamen exponunt gênera, id est manerias. » Faute de passages analogues, il est très-difficile de déterminer avec certitude le sens du mot manerias, et nous ne donnons notre Interprétation que comme une con- jecture.
(c) Aristot. edit R., t. ii, de Interpret., pag. 23. [d, Boeth. in Prsdicam., pag. 131.
15.
<74 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« animal, je désigne une subslance qui s'affirme de j>lu- « sieurs. » Celle autorité affirme donc qu'il y a des « universaux, puisqu'elle parle d'une ciose affirmée de « plusieurs; ce qui est la définition de l'universel. Que « ce soient aussi des choses que l'on prend pour prédi- « cats et pour sujets, c'est ce que Boëce atteste en ces « termes, dans les Hypothétiques (a) : « La proposition ca- « tégorique énonce que la chose dont elle fait le sujet, « prend le nom de celle qui est le prédicat. » Ne pouvant « donc nier avec quelque raison des autorités si for- « nielles, ou bien on accuse l'autorité de mensonge, ou « bien en s'efforçant de l'expliquer on lui fait violence et « ou i'écorche. »
« Les mots ne sont ni des genres ni des espèces, ni « universels ni singuliers, ni prédicats ni sujets, puisqu'ils « ne sont aucunement ; car ce qui est purement successif « ne forme pas un tout réel ; nos adversaires sont d'ac- « tord avec nous sur ce point. Si donc les mots ne sont « pas, ils ne sont ni genres ni espèces, ni universels ni
Hœc auctoritas res esse universales asserit, cum dicat : de pluribus pr»- dicari, quœ est diffinitio universalis. Quod aiitern res et prœdicata; et subjectœ sint, dicit Roethius in Hypotheticis, his verbis : » Itaque prœdi- cativa rem quam subjicit praedicatse ici nomen suscipere deelarat. » His autem tam apertis auctoritatibus rationabiliter obviarc non valeotes , aut dicunt auctoritates mentiri, aut exponere l^borantes, quia excoriare nes- ciunt, pellem incidunt. »
« Item voies nec gênera sunt nec species nec universales nec singulares nec prœdieatœ nec subjectœ, quia omnino non sunt. Kam ex bis quac per successionem fiunt, nullum omnino totum constare ipsi qui banc senten- tiam tenent, nobisemn credunt. Si ergo non sunt nec gênera nec species nec universales nec singulares nec prœdicata; nec subjectœ, et in omnibus
(a) Boeth. de Syllog. hypoth., pag. 607.
ABÉLARD. 175
« singuliers, ni prédicats ni sujets. Mais ils disent qu'en « tout cela l'autorité ne s'est pas trompée, mais qu'elle a « menti. En outre, de même que la statue est composée « d'airain, qui en est la matière, et d'une figure, qui en « est la forme, de même l'espèce a pour matière le genre « et la différence pour forme : ce qu'on ne peut dire de « simples mots ; car l'animal est bien le genre de l'homme, « mais il n'y a point de mot qui soit la matière d'un « autre mot; l'un ne pouvant être dans l'autre ni être « fait de l'autre. Le mot homme n'est pas fait du mot « (mimai, et n'est pas eu ce mot. Mais ils disent que toute « cette locution n'est qu'une figure: que cette proposi- « tion : le genre est la matière de l'espèce, ne veut rien « dire autre chose sinon : ce qui signifie le genre est la « matière de ce qui est signifié par l'espèce; mais cela, « suivant eux-mêmes, est insoutenable (a). En effet, puis- « que, suivant eux, il n'y a rien que des individus, et que « cependant ces individus sont exprimés tant par des mots « universels que par des mots singuliers, animal et
hisdicunt auctoritatem mentitam,sednon deceptani esse. Amplius : quem- admodum statua constat ex are niateria, forma auteni figura , sic spc- cies ex génère niateria, forma autem diffcrentia, quod assignare in voci- hus impossibile est. Nam cuni animal genus sit hominis, vox vocis nullo modo est altéra altcrius niateria; nam neque in qua sit neque de qua sit. Nam de hac voce animal non fit licec \ox homo, neque in ea. Sed aiunt liguram totam esse loculionem : genus est niateria speciei. id est : signi- licutiun generia niateria est siguificati speciei. Sed hoc secunduni eos stabile est. Nam cuni liabeat eorum sententia niliil esse pnater individua, et hœc tanicn signilîcari a vocibus tain univcrsalibus quom singuluribus, idem prorsus signilicabil animal et homo ; unde hoc e converso vcre dici potest : signilicaluui speciei esse materiam significati generis Quod si
(a) Le manuscrit : Sed hoc secunduni eos stabile est. Lisez : non sia- bile est.
176 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« homme signifieront absolument la même chose; d'où « il suit que l'on pourra renverser la proposition énon- « cée plus haut, et diie : que ce qui est signifié par l'es- u pèce est la matière de ce qui est signilié par le genre. « S'ils l'accordent, et ils ne pourront raisonnablement s'y a refuser, ils sont contredits par Boëce, qui, au traité des « Divisions, donne pour marque de la différence du genre « et du tout (a), que le genre est la matière des espèces, « tandis que le tout a pour matière les parties. Or, si les « espèces sont la matière des genres, comme les parues « le sont du tout, il n'y a plus la différence : il y a iden- « tité. De plus, ce que signifie le genre ne peut être la « matière de ce que signifie l'espèce, si le genre et l'espèce « ont le même sens, ce que l'on a appelé non-différence; « car ce n'est pas la même chose qui se constitue elle— « même en prenant la forme. «Mais, nous dit Boëce (6), « le genre, en prenant la différence, passe à l'espèce. » « Une même chose n'est pas partie d'elle-même; car si « la même chose était à elle-même tout et partie, le
ipsi concédant , cum rationabiliter ncgare non possint, lœdunlur a Boe- thio in Divisionibus, qui in hoc osteudit differentiam divisionis generis et totius, quod genus materia est speciebus, totius vero materia sunt par- tes. Quod si œque ut partes totius, ita speeies sunt materia generum, non utique in hoc differunt , imo conveniunt. Amplius : signilicatum generis signiûcati speciei materia esse non potest, cum prorsus idem sint in sen- tentia, quod indifferentia dictum est. Nam idem formam non suscipit ad se ipsurn constituendum ; sed, ait Bocthlus , « genus accepta differentia transit in speciem. » Nec idem est pars sui ipsius. Nam si idem sibi esset totum et pars, idem esset sibi oppositum : et de bis haclenus. »
(a) Boelh. de Divis., pag. 640.
[b) Boeth. ibid.
ABÉLARD. 177
« même serait opposé à lui-même. En voilà assez sur « celte opinion. »
Ces dernières lignes sur le tout et les parties nous rap- pellent l'argumentation de Roscelin que nous a eoDservée le manuscrit de Saint-Victor. Nous avons déjà cité cette argumentation *, et nous la reproduisons ici, en y joi- gnant la réfutation d'Abélard.
« Mon maître Roscelin, dit-il, professait celte opinion « insensée, qu'aucune chose n'est formée de parties; il « réduisait a de purs mots les parties, comme il faisait « les espèces.
« Si quelqu'un disait que cette chose, qui est une mai- « son, consiste en d'autres choses, savoir les murs et les « fondements, il lui opposait celte argumentation : Si « celle cho-e qui est un mur est une partie de cette chose « qui est une maison, comme la maison n'est rien que le « mur lui-même, le toit et le fondement, il en résulte « que le mur sera une partie de lui-même et du reste. « Or, comment pourrait-il être une partie de lui-même? « De plus, toute partie précède naturellement son tout. « Or, comment le mur peut- il se précéder lui-même et « le reste, puisque rien ne peut en aucune manière se « précéder soi-même? »
Abélard réfute Roscelin en ces termes :
« On peut dire du mur qu'il fait partie de lui-même et « du reste, mais en tant que réunis et pris ensemble. « Lorsqu'on dit que la maison est ces trois choses, le « mur, le toit et le fondement, on ne veut pas dire qu'elle « est chacune d'elles prise à pari, mais toutes trois unies « et prises ensemble ; de même le mur est une partie de
I. \'<>><>z plus haut, p. 100.
178 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« lui-même et du reste réunis, c'esl-a-dire de la maison « entière, mois non pas de lui-même tout seul : il pré- « cède lui et le reste réunis, mais il ue se précède pas « pour cela lui-même, car le mur a été avant d'être « réuni au reste. Il faut semblablement que cliaque par- « tic existe avant de former la collection où elle sera « comprise. »
II. EXPOSITION DU SYSTÈME d'abÉLARD.
Conceptualismc d'Abélard.
Nous pouvons maintenant nous faire une idée exacte de la polémique d'Abélard contre les deux écoles qu'il rencontra au commencement du douzième siècle : sa tac- tique est de les combattre l'une par l'autre. Au nomina- lisme, il emprunte son principe fondamental, que rien n'existe que le particulier et l'individu, et ce priueipe il l'oppose au réalisme. La première division du réalisme, l'école de Guillaume de Cham peaux, disait : L'universel, le genre et l'espèce sont l'essence de l'individu, et l'indi- vidu, la forme ; la différence n'est qu'un accident. Abé- lard répond avec le nominalisme qu'au contraire l'indi- vidu est sa propre substance a lui-même. La seconde division de l'école réaliste, la doctrine de la non-diffé- rence, en acceptant le principe que rien n'existe que l'in- dividu, trouvait dans l'individu même l'espèce, le genre, l'universel, comme états divers de l'individu, lesquels étals étant absolument les mêmes au sein de toutes les différences, sont les fondements des espèces ou des gen- res. Abélard répond encore avec le nominalisme que dans l'individu tout est individuel, et qu'il n'y a point d'état
ABÉLARD. \ 79
universel dans aucune chose particulière. Ainsi l'espèce, le genre, l'universel ne sont pas l'essence des individus, et ils n'en sont pas non plus des états, des éléments inté- grants. D'un autre côté, sont-ce de purs mots, comme le veut l'école nominaliste? Ici Abélard, après avoir tourné les principes du nominalisme contre le réalisme, invoque les arguments de celui-ci contre celui-là; il soutient que les universaux ne sont pas non plus de purs mois, car de purs mots ne sont rien, et assurément les universaux sout quelque cliose. Voilà pour le raisonnement. Quant aux autorités, il oppose au platonisme traditionnel de l'école réaliste les inductions qui se tirent de YOrganum d'Aris- tote et les explications positives de Boëce ; et contre le péripatétisme de l'école nominaliste, il s'arme encore de ce même Arislole, et de son interprète Boéce, qui, tu effet, n'a jamais dit que les universaux ne sont que des mots. Mais entre ces deux écoles qui se réfutent et se dé- truisent réciproquement, quel système élèvera donc Abé- lard ? Un seul est possible encore. Si les universaux ne sont ni des choses ni des mots, il reste qu'ils soient des conceptions de l'esprit. C'est la toute leur réalité ; mais celle réalité est suffisante. Il n'existe que des individus , et nul de ces individus n'est en soi ni genre ni espèce ; mais ces individus ont des ressemblances que l'esprit peut apercevoir, et ces ressemblances, considérées seules et abstraction faite des différences, forment des classes plus ou moins compréhensives qu'on appelle des espèces ou des genres. Les espèces et les genres sont donc des pro- duits réels de l'esprit : ce ne sont ni des mois, quoique des mots les expriment, ni des choses en dehors ou en dedans des individus; ce sont des conceptions. De la ce
180 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
système intermédiaire qu'on a nommé le conceptua- lisme.
Tout ce que les historiens de la philosophie ont avancé sur le conceplualisme d'Abélard est emprunté aux témoi- gnages plus ou moins fidèles d'écrivains postérieurs; mais jusqu'à présent nous ne possédions pas une seule li- gne d'Abélard lui-même sur son propre système, et le fragment de Saint-Germain est à cet égard un monument unique. Nous sommes presque embarrassé de l'abon- dance des documents qu'il nous fournit. Et ici encore, il n'est pas facile d'abréger; car notre manuscrit ne con- tient pas une simple exposition, mais toujours une polé- mique, non plus contre le nominalisme et le réalisme en eux-mêmes, mais contre les objections que ces deux écoles opposaient a la nouvelle doctrine. Ces objections et les réponses d'Abélard forment une longue discussion dont, sans doute, toutes les parties n'ont pas pour le dix- neuvième siècle la même clarté et la même importance, mais on n'en peut retrancher aucune sans nuire à la vé- rité de l'ensemble et sans affaiblir la fidélité historique du tableau de cette grande controverse. Au risque donc de fatiguer quelquefois le lecteur, nous donnerons ce mor- ceau presque en entier, et nous laisserons le plus possible Abélard s'expliquer lui-même, comme il l'a fait pour ses contemporains, pour ses partisans et ses adversaires. Nous abrégerons quelquefois, nous traduirons presque toujours, et nous nous effacerons nous-même pour faire assister directement le lecteur à une polémique des écoles de Paris au douzième siècle.
Commençons par dégager l'opinion d'Abélard : cette opinion fait de l'espèce et du genre une simple notion
ABELARD. 181
collective qui se forme par comparaison, et par abstrac- tion.
« Puisque ' nous avons réfuté par le raisonnement et « par l'autorité les doctrines dont il a été question jus- ci qu'ici, il nous reste a exposer, avec l'aide de Dieu, « l'opinion que nous croyons devoir adopter.
« Tout individu est composé de forme et de matière. « Socrate a pour matière l'homme et pour forme la socra- « tilé. Platon est composé d'une matière semblable qui « est l'homme, et d'une forme différente qui est la pla- « tonité, et ainsi des autres hommes. Et de même que la a socratité, qui constitue formellement Socrate, n'est « nulle part bois de Socrate, de même celte essence « d'homme qui est, en Socrate, le substrat de la socra- « tité, n'est nulle part ailleurs qu'en Socrate; et ainsi des « autres individus. J'entends donc par espèce, non pas « cette seule essence d'homme qui est en Socrate ou en « quelque autre individu, mais toute la collection formée « de tous les individus de celte nature. Toute celte col- ci leclion, quoique essentiellement multiple, les autorités
\. Fol. AA verso, c. \. Onvr. itléd., p. 524. « Quoniam supradiclas sen- tentias rationilnis et auctoritatiluis coufutavimus , quid noliis potins te- uendnm rideator de bis, Deo annuente, modo ostendemus.
« Unumquodqnc individnum ex materia et forma compositam est, ut Socralcs ex honiinc materia et socratitate forma ; sic Plato ex simili ma- teria, sciliect bouline, et forma divorsa, scilicet platonitate, componitur ; sic et singuli boulines. Et sicut socratitas, qiue formaliter constituit So- cratem, nus<iuam est extra Socratem, sic illa bominis essentia, qnae soera- litatem sustiiiel in Socrate, nusquani est nisi in Socrate. lta de singulis. Speciem igitur dico esse non illam essentiam hominis solum quas est in Socrate, ?el quas est in aliquo alio individuoruin , sed totam illam COllec- tionem ex singulis aliis bujus natnrœ cODJnnctam. Quœ tota collectio, quanivis essentialiter niulta sit, ab aiutoritalibus tamen una species,
II. 46
4 82 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
(( l'appellent uue espèce, un universel, une nature, de « môme qu'un peuple, quoique compose de plusieurs « personnes, est appelé un. Ensuite chaque essence par- ci ticulière de cette collection que l'on appelle humanité « est composée de forme et de matière; la matière est « l'animal ; la forme n'est pas une, mais plusieurs; c'est « la rationalité, la mortalité, la bipédalité, et tous les « autres attributs substantiels de l'homme. Et ce que" « nous avons dit de l'homme, savoir, que cette portion « d'homme qui est le sujet de la socratité n'est pas essen- « tiellement celui de la platonité, cela s'applique égale- « ment à l'animal. Car cet animal, qui est le substrat de « la forme d'humanité qui est en moi, ne peut être essen- a tiellement ailleurs... »
Vient ensuite la discussion proprement dite; elle est divisée en deux parties, l'une au nom du raisonnement, l'autre au nom de l'autorité.
Dans la première partie de celte discussion, Abélard a bien l'air de répondre la plupart du temps, non pas à des objections qu'il se fait à lui-môme, mais aux objections que lui faisaient ses adversaires, et surtout l'école réa- liste, qui paraît jouer le plus grand rôle dans ce débat.
La doctrine d'Abélard était que l'espèce, l'humanité
timmi universale, una natura appellatur, sicut populus, quamvis e\ îmillis personis collectus sit, unus dicitur. Item unaquseqac essentia liujus col- lectionis quœ humanitas appellatur, ex materia et forma constat, seilicet ex animali materia, forma autem non una, sed pluribus, rationalitatc et mortalitate et bipcdalitale, et si quœ sunt ci ali;e substantiales. i:t sicut de homine dictum est, silicet quod illud hominis quod sustinet socratila- tem, illud essentialiter non sustinet platonitatem, ita de animali. Nam il- lud animal quod formant humanitafis quœ in me est, sustinet, illud essentialiter alibi non est. »
ABÉLARD. 1 83
par exemple, est une collection d'individus semblables entre eux. Or, disait l'école réaliste, l'espèce est la ma- tière des individus ; d'où il suit que, la matière étant ce qui prend la forme, c'est l'espèce homme qui prend la forme de la socratité; argument qui tend à réduire la so- cratité, c'est-à-dire l'individu, à une accidence et qui réserve la substanlialité à l'espèce. Mais Abélard nie la conséquence. « Ce qui prend la forme de la socratité, « dit-il ' ce n'est pas l'humanité en soi, mais ce qu'il y a « d'humanité en Socrate. Or, l'espèce n'est pas cette por- « lion seule d'humanité, mais son rapport, sa réunion :< avec toutes les humanités semblables. Faites attention. « Toute espèce est la matière de son individu et en prend « la forme ; oui : mais ce n'est pas que tous les individus « de cette espèce prennent cette forme. Un seul la prend ; « mais comme il est semblable par sa composition a tous « les autres individus de cette nature, les auteurs veulent « que tout ce qu'il prend soit pris en même temps par « toute la collection qui se compose de cet individu et « des autres. Ils n'ont pas considéré cet individu qui fait « partie de la collection comme différent de la collection « elle-même; ils les ont pris comme identiques, non pas
\. Fol A4 verso, c. 2. Omit, inéd., p. S26. <c Ulud lantum humanitatis informateur socratitate quod in Socrate est. Ipsum auteni species non est, scd illud quod ck ipsa et cœteris similibus essentiis conficitur. Attende. Materia est omnis species sni individui et ejus formant snseipit, non ita scilicet quod sinpula1 cssentia; illius sneciei informentur illa forma, scd una tantuni, quae lumen quia similis est compositionis, prorsus cum om- niUis aliis ejusdem nature essentiis, quod ipsa snseipit compaetnm, ev ipsa et ca'teris suscipere auctores voluerunt. Neque enim diversum judi- eaverunt unam essentiam illins concollectionis a tota concolleclionc, scd idem, non quod hoc esset illud, scd quia similis crcalionis in materia et
484 philosophie scholastique.
« que l'un soit l'autre, mais parce que l'un et l'autre sont « de même nature pour la forme comme pour la matière. « Le langage commun prouve encore qu'il en est ainsi. « Lorsque nous voyons une masse de fer dont on doit « fabriquer un couteau et un stylet, nous disons : ceci « sera la matière d'un couteau et d'un stylet, quoique la « masse ne doive pas prendre tout entière chaque forme, « mais une partie celle du stylet, et l'autre celle d'un « couteau.
« Nouvelle objection ' : L'espèce est ce qui s'afGrme de « plusieurs choses, selon leur caractère fondamental. « S'affirmer d'une chose, c'est être en elle; mais la col- « Iection qui fait l'espèce n'est pas en Socrate ; car de « toute cette collection , il n'y a qu'une seule esseuce « particulière qui touche Socrate. Écoutez et faites atten- « lion. On dit qu'être affirmé d'une chose, c'est être en « elle. Je sais que cette proposition est en usage, mais je « ne l'ai point trouvée dans les autorités : je l'admets « cependant; mais, tout en accordant que l'humanité est « en Socrate, je n'accorde pas qu'elle soit épuisée en « Socrate; il n'y en a qu'une partie qui prenne la forme « de la socratilé. Ainsi on dit queje touche a un mur sans
forma hoc crat cum illo. Sic autem esse et usus loqucndi approbat. Nani niassani aliquam ferream de qua faciendi sunt cultcllus et stylus, videntes, dicimus : hoc futurum materia cultelli et styli, cum tamen nunquam tota suscipiat alterutrius, sed pars styli, pars cultelli. »
t. Ibid. « Item species est quœ de plurihus in quid prœdieatur. Prtcdi- cari autem est inhœrere; sed il la nmltitudo Socrati non inhecret; Socra- tem enim non tangit nisi una essentia illins multitudinis. Audi et attende. Prœdicari quidem inhœrere dicunt. Osus quidem hoc liahet ; sed ex aucto- ritate non inveni; concedo tamen : inhœrere autem dico humanitatem So- crati, non quod tota consumalur in Socrate, sed una tantum ejsis pars so- cratitatc iniormahir. Hoc enim dicor tangerc parictem, non quod singula)
ABÉLARD. 185
« qne pour cela toutes les parties de mon corps soient « appliquées à ce mur, pourvu que j'y touche seulement a du bout du doigt ; de même on dit d'une armée qu'elle « touche a un mur ou à un endroit quelconque, sans que « tous les individus de cette armée y touchent; il suffit « d'un seul. Il en est de même pour l'espèce, quoique « l'identité soit plus grande entre un être de la collection « et la collection totale qu'entre l'armée et une personne « de l'armée; car chaque être de la collection est iden- « tique avec son tout, tandis qu'il n'en est pas de même « pour l'armée.
« On ajoute ' : L'espèce s'affirme de l'individu selon « son caractère fondamental. Or, s'affirmer selon le carac- « tère fondamental, c'est s'affirmer selon l'essence; et « s'affirmer selon l'essence, c'est être identique. Lors « donc que l'on dit : Socrate est un homme, l'espèce s'af- o firmant ici de Socrate selon l'essence, le sens de cette « proposition est : Socrate est cette multitude d'êtres; ce « qui est absolument faux. Et nous retombons dans la « même absurdité que les autres doctrines : le singulier « est universel. Car Socrate étant homme, est cette raul-
partes mei paricti hœreant, scd forsilan sola summitas digiti , qua hœ- rente, diçor tangerc. Eodem quelque modo cxorcilus aliquis dicilur bsrere muro vel alicui loco , non quod singulœ personœ exercilus illi hœre.int, sed aliquis de exercita. Simillter de specie, quamvis major sit identitas alieujns essentia illius coileclionis ad tolum quam alicujus persona; ad exercitum ; illud enim idem est cum suo loto, hoc vero dhersum. »
i Fol. -Ji verso, c. 2. Ouv. itléd., p. 527. « Item specics in quid prffidi- catur de individuo; pradicari antem in quid, ut aiunt, est pradicari in essenlia; prœdicari autem in essentia est hoc esse illud. (".uni ergo dici- tur : Socratcs est 1 », cura hic specics pradicetur de Socralc in essen- tia , liic est sensus : Socratcs est illoc mulla; csscnliae; quod jilanc falsum
u.
186 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
<t titude : or l'homme est une espèce ; d'où il suit que le « singulier est universel. Ecoutez bien : s'affirmer selon «le caractère fondamental, c'est, dit-on, s'affirmer « selon l'essence. Je le veux bien, mais je nie que l'iden- « tité en suive. Car, selon, Boëce (a), s'affirmer selon « l'essence, c'est s'affirmer d'un sujet; or ce qui s'af- « firme d'un sujet c'est ce qui s'affirme d'une chose « qu'il contient et dont il est l'essence. Cela est com- « mun aux genres , aux espèces et aux différences sub- « stantielles, a l'égard des choses qui en tiennent leur « essence. Car l'homme et la rationalité s'affirment éga- « lement de Socrate selon l'essence et comme d'un sujet. « On ne dit pas pour cela : Socrate est rationalité, mais « Socrate est raisonnable, c'est-à-dire qu'il est uue chose « en laquelle est la rationalité. De même encore l'espèce « homme s'affirme de Socrate : on dit Socrate est un « homme, c'est-à-dire Socrate est une chose où l'huma- « nité est en substance ; et l'on ne dit pas pour cela :
est. Et habebimus illud idem inconveniens quod in aliis sententiis, scili- cet : singularc est universale. Nam Socrates homo est illa multitude», homo autem species; quare singularc est universale. Audi vigilanter. Prœdicari, inquiunt, est prasdieari in essentia. Hoc consentio pradicari in essentia dicere, hoc esse illud nego. Nam proedicari in substantia dicit Boethius idem esse cum prsedicari de subjecto; prœdicari autem de sub- jecto dici de inferiori cujus sit essentia. Hoc commune est generibus et speciebus et substantialibus differentiis , respectu illorum quibus confe- runt essentiam. Nam et homo et rationalitas œque pra?dicantur de So- crate, ut de subjecto et in substantia. Nec tamen dicitur : Socrates est ra- tionalitas, sed Socrates est rationalis, id est res in qua est rationalitas. Eodem modo homo species prsedicatur de : Socrates est rationalis, id est res in qua est rationalitas in substantia. Nec tamen dicitur : Socrates est homo illa species, sed Socrates est unum de his quibus inhaeret illa species. »
(a) Boeth. in Prœdicam.,p. 12-i.
ABELARD. 187
« Socrate est l'espèce homme, mais bien : Socrate est un « des individus où se trouve cette espèce.
« À cela ou répoud ' ; la comparaison n'est pas légitime, « car raisonnable est le nom d'une chose a laquelle il « est imposé, c'est-à-dire de l'animal, et il y a une autre « chose qu'il exprime par son sens principal, savoir la « rationalité, dont il fait un prédicat et un sujet. Mais « ['homme n'exprime et ne signifie autre chose que l'es- « pèce homme. Ce raisonnement est inadmissible; non- « seulement raisonnable et homme, mais tout universel, « est le nom substantif d'une chose a laquelle s'applique « ce qu'il exprime principalement. Par exemple, les noms « de raisonnable ou blanc ont été donnés à Socrate, ou « à un objet sensible quelconque, par rapport aux formes « que ces mots expriment principalement; de la môme « manière, le nom d'homme a été donné à tout être ma- « tériellcmeut constitué par l'homme, pour le désigner « par rapport à sa malière, c'est-à-dire par rapport à « l'espèce que ce nom désigne principalement. Lors donc « que l'on dit : Socrate est un homme, le sens est : So-
i. Fol. A'6 recto, c. I. Ouv- inéd., p. 327. « Sed, dicunt, similitudo non procedit. Nam rationale alterius nomen est, pro impositione scilieet ani- malis, ctaliud est quod principaliter significat, scilieet rationalitas quam prœdicatet subjicit; bomo yero nihil aliud vel norainat velsigniflcat quam iUam specieïn. Absit hoc; imo sicut rationale et homo, sic et quodlibet al î ii il aniveraale substantivum alterins nomen est, per impositionem quidem cjus quod principaliter significat. Verbi gratia : rationale \elai- bnm impositura fait Socrati vel alicui sensibilium ad nominandum propter foi mas, id est ralionalitatem et albedinem , qnas principaliter signiQcant. Eodeni modo bomo impositum fuit cuilibef materialiter constituto ex lio- mine ad nom inandum, propter eorum materiam , scilieet speciem quam principaliter signiflearet. Itaque cum dicitnr : Socrates est homo, bic est sensus : Socrates est unus de materialiter constitutis ab lioniine, vel, ut
4S8 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« craie est un des individus qui ont l'homme pour ma- « lière, et pour ainsi parler, Socrate est un des humains. « De même quand on dit : Socrate est raisonnable, cela « ne veut pas dire: le sujet est le prédicat, mais bien : « Socrate est un des sujets de celte forme qui est la ra- « tionalité. Que le nom d'homme ait été imposé a ceux a qui sont matériellement constitués par l'homme, c' est- ci a-dire aux individus et non pas a l'espèce, c'est ce que « dit Boëce dans ce passage du commentaire sur les Ca- « tégories (a) : « Celui qui le premier a dit homme n'avait « pas en pensée l'homme qui résulle de la collection des « individus, mais un homme individuel et singulier au- « quel il voulait donner ce nom d'homme. » Et notez « qu'on appelle substantifs ces noms-la seuls qui sont « donnés à quelqu'un pour le désigner, soit par rapport « à sa matière, comme homme et tous les autres subslan- « tifs universels, soit par rapport à son essence expresse, « comme Socrale; car Socrate désigne une chose une et <i identique, le composé de l'homme et de la socratité. « On appelle adjectifs les noms qui sont donnés à quel- « que chose à cause de la forme qu'ils désignent princi- « paiement; ainsi raisonnable et blanc nomment les « choses où se trouvent la rationalité et la blancheur. « Car de dire, comme on le fait ordinairement, que l'ad-
ita dicam , Socrates est iinus de lnimanis. Sieut cum dicitur : Socratcs est rationalis, non iste est sensus : res snbjecla est rcs pra-dicata, sed So- crates est unus de sulijectis liuic forniae çruœ est rationalitas. Quod autem homo impositum sit liis quai materialiter constiluuntur al) liomine, id est individuis, et non speciei, dicit Boefbius in commentario super Cafcgo- rias, his vernis : « qui enini primas hominem dixit, non illum qui ex sin- gulis conficitur in mente haïrait, sed hune individuum atque singularcra
(a) Boelii. in Prxdicam. , p. 129.
ABÉLARD. 189
« jcclif est ce qui signiOe l'accident, et le substantif ce « qui signifie l'essence, c'est une définition ridicule ou
« même dépourvue de sens
« On objecte encore* : Si l'homme, qui est le nom des « individus, désigne dans son sens principal l'espèce, a et si l'espèce n'est autre chose qu'une collection d'in- « dividus, l'homme exprime une multitude; l'esprit de « celui qui entend ce mot d'homme embrasse donc dans « sa conception cette multitude, et ainsi il conçoit ou un « seul individu de cette collection ou plusieurs, ou il en « conçoit la totalité : toutes hypothèses également fausses; a car celui qui entend dire homme ne descend pas par « la pensée à aucun individu de la collection que ce mot « exprime. Cela est vrai, je l'avoue; car souvent nous « avons la conception d'une multitude d'hommes que « nous voyons de loin, sans en connaître aucun indi- « vida. Nous ne descendons pas pour cela par la pensée « a un individu ou a plusieurs ou à tous, et cependant
cui nomon hominis imponeret. » Et nota quod nonrina î lia tantum dicun- tur substantiva quœ imponuntur ad nominandum aliquem propter ejus materiam, ut homo et caetera universalia substantiva, vel propter expres- sam esscotiam , ut Socrates; idem eniin nominat et significat, scilicet compositum ex humanitate et socratitate ; adjectiva vero illa dicuntur quai imponuntur alicui propter formam quam principaliter significat, ut ra- tionale et album res illas nominant in quibus inveniuntur ralionalitas et albedo. Nain quod diei solet adjeclivum esse quod significat accidens, secunduin quod adjacet, et sul)stantivum quod significat essentiam , ut essentiam, ridicnlum est vcl sine intcilectu. »
1. Fol. A'6 recto, c. 2; 43 verso, c î. Ouv. inCd , p. 529-550. « Item opponitur : si liomo, ciim nomon sit inferiorum , principaliter significat spccicin , species autem nihil aliud sit quam illa essentiarum collectio, homo autem illam maltitudinem significat; et sic anima alicujus audiens liane vocem homo, conciplendo operatur iu illa muHitudinc, et ita vcl unam tantum essentiam illius collectionis vcl plures vcl omnes concipit;
190 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« notre pensée se porte sur la multitude entière. Ainsi « nous voyons souvent un monceau, sans diriger notre « esprit sur aucune partie de ce monceau. C'est là, ce me « semble, ce que Boëce a voulu dire dans ce passage de « son second commentaire sur l'Interprétation [a) : « Lors- « que nous considérons quelque chose de ce genre, notre « pensée ne se promène pas sur chaque personne, mais, a sous ce nom d'homme, elle embrasse tous les indivi— « dus qui participent à la définition de l'humanité. » Et « ailleurs [b) : « L'humanité, recueillie dans les natures « des différents individus, se résume en une seule et « même conception, en une seule et même nature. » « On nous fait encore l'objection suivante ' : Si l'es-
qute singula falsa sunt. Audicns enim homo, in millam cssentiam illias collectionis auditor per hoc nomen descendit. Verum quidem istud con- cède-. Nam saepe intellectuni habemus de aliqua hominum multitudina quam a longe videmus cujus forte nnllum cognosciiuus, et neque tamen in unum vel in plures vel in omnes cogitatione descendimus, et tamen in tota nmltitudine cogitando laboramus, ut de aliquo acervo quem aliquando videmus, neque tamen ad aliquara cssentiam illius acervi animum diri- gimus. Hoc autem voluisse mihi plane videtur Boethius in secundo com- mentario super Péri ermeuias, his verbis : « cum enim taie aliquid animo speculamur, non in uuamquamque personam mentis cogitatione deduci- mur, sed per hoc nomen quod est homo, scilicet in omnes quicumque diffînitioiicm huinanitatis participant; » et alibi : « humanitas ex singulo- rum hominum collecta naturis in unam quodam modo redigitur intelli- gentiam atque naturam. »
I. Fol. 45 verso, c. I. Ouv. inéd., p. 550-55I « Item coutra dicitur : si nihil aliud est species quam illud quod confleitur ex multis essentiis , quotiens et illud mutabitur, mutabitur etiam species. Illud autem singulis horis mutatur. Verbi gratia : ponamus humanitatem constarc tantum ex deceni existentiis, in momento nascetur aliquis homo, et jam conficietur alia humanitas. Non est idem acervus conslans ex undecim existentiis, et deceni et, ut plus dicam , siugulœ essentias humanitatis quœ illam spe-
(a) Bocth. opp., p. 559.
(b) Ibid., p. 5-iO.
ABÉLARD. 191
« pèce n'est autre chose qu'un composé de plusieurs in- « dividus, toutes les fois que le composé changera, l'es- « pèce changera aussi : or ce composé change à toute « heure. Par exemple, supposons que l'humanité soit « constituée par dix hommes seulement, qu'un homme « vienne à naître, voilà une autre humanité; car dix in- <i dividus et onze individus ne constituent pas la même « collection. Bien plus : les individus humains qui avaient « formé l'espèce homme ont certainement péri tous, il y a a plus de mille ans, et de nouveaux ont paru, dont est « formée l'espèce actuelle de l'humanité. Par conséquent, « si l'on ne change à tout instant le sens du mot homme, « on ne peut pas dire deux fois de suite : Socrate est un « homme; en effet, lorsqu'on le dit pour la seconde fois, « si l'on parle de l'humanité dont il était question aupa- « rayant, on émet une proposition fausse; car cette hu- it inanité n'est déjà plus. Faites attention. Il est vrai que « cette humanité qui existait il y a mille ans ou même « hier n'est pas celle qui existe aujourd'hui, mais elle est « identique avec elle, c'est-à-dire d'une nature sembla- it ble; car tout ce qui est identique avec une chose n'est « pas pour cela cette chose même : ainsi l'homme et l'âne
cicm confecemnt, anlc mille annos modo prorsus perleront, et no\œ suli- crèveront quœ humanitatem qua liodie specios est, conficiunt. I laque nisi singulis înomentis signifleatio najas vocis hotno matetur, non l'Olest vere dici bis : Socrales est homo. Ram eura iterum dixerls : Socratcs est homo, si dicas esse de hnoianitate qnara piîiis dixeris, falsum est ; nain ill.i jam non est Attende. Verom est quod illa linmanltas qnx ante mille annos fuit vel quœ lie ri, non est ill.i quœ hodie est ; sed tamen est eadem euin illa , id est crealionis non dissimilis. Non enim qnicquid idem est fcnm alio, idem est illud; homo enim et asinus idem sunt in génère, nec tamen hoc est illud. Socratcs qnoque c\ plnribus atomis constat \ Ir qnam puer, et tamen idem est. Vocis qnoque signifleatio non mutatur quaiuws
192 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
« sont identiques dans le genre, et l'un n'est pourtant « pas l'autre. Socrale homme fait est composé de plus « d'atomes que Socrate enfant, et cependant il est le « même. La signification du mot ne change pas non plus « parce que le sujet change : ainsi César désigne encore « la même chose après que César est mort, quoiqu'il ne « soit plus vrai de dire : César est César. Lorsqu'on dit « aujourd'hui : César a vaincu Pompée, on pense à la « même chose qu'on l'eût pu faire du vivant de César, et « cependant César aujourd'hui n'est plus César. Sem- « hlahlement le mot homme nomme quelque chose qui a « pour matière l'homme, c'est-à-dire l'humanité ; mais « ce mot n'exprime pas par lui-même si c'est une hurna- « nité formée de dix individus ou de plusieurs. 11 sera « donc vrai de dire : Socrate est un homme, aussi long- ci temps qu'il aura sa matière dans L'humanité, de quel- « que nomhre d'individus humains qu'elle soit com- « posée.
« En outre ' : l'espèce est ce qui s'affirme de plusieurs « choses différentes en nomhre, selon leur caractère fon- « damental; en d'autres termes, c'est ce qui est matériel-
hoc non sit illud, ut patet in hac voce Ccesar quœ idem signiOcat mortuo Cœsare, quamvis non sit veruin diccre : Cœsar est Cœsar; cum enini dici- tur hodie : Cœsar vieil Pompeiuni , de eadem re habetur intelleclus de qua vivente Cœsare ; hodie tanicn Cœsar non est Cœsar. Similiter liomo nominal aliquid materiatum ab homine, scillcet humanitate; sed non ex vocis signiCcatione est utrum ex humanitate constante ex decem sive ex amplioribus. Taindiu ergo verum est dicere : Socrates est homo, quanidiu est materiatum ab humanitate , ex quantislihet essentiis humanitatis constante. »
i. Fol. kV> verso, et, c. 2. Ouv. inéd., p. 531-553. « Amplius : species est quœ dcplurihus differentihus numéro in eo quod quid est, prœdicatur, id est quœ plurihus inhœret materialiter. Quod si verum est etiam di- cere quod oiune quod sic prœdicatur, sit species, non una tantuni crit
ABÉLARD. 1 93
« lement en plusieurs choses. Or, s'il est vrai que tout « ce qui s'affirme de cette manière est une espèce, l'hu- « manité ne sera pas une seule espèce, mais plusieurs. « Supposons, en effet, que dix individus humains con- « stituent l'humanité, je dis que cinq de ces iudividus « formeront une espèce, et les cinq autres une seconde. « Car celte collection de cinq s'affirme de plusieurs, c'est- « à-dire est comme matière en plusieurs, en cinq indi- « vidus qu'elle constitue matériellement; et il en est de « même de l'autre collection de cinq. Mais vous devez « savoir que l'autorité ne dit nulle part clairement ce que « c'est que s'affirmer d'une chose. Car de dire que s'af- « firmer d'une chose c'est être en elle , c'est une défi- « nilion usuelle, mais qui ne procède d'aucune autorité. « Pour moi il me semble que s'affirmer d'une chose, c'est « être la signification principale du mot qui sert de pré- « dicat; et qu'être sujet, c'est être la signification priu-
« cipale du mol qui sert de sujet Revenons, et
« voyons si cetlc simple collection de cinq individus s'af- « Arme, comme on l'a dit, de plusieurs choses selon le
spccics bumanitas, scd malts. Ponamus cnini dcccm tantum csscntias esse humanitatis quea illam speciem confieront, Dico quod quinque i lia— rum crunt unu species et quinque alia. Nain illud cunfectuin ex quinque prsdicalur, hoc est inhaeret materialiler pluribus, id est quinque indivi- duis ab cis matérialité!* constitutis, et eodein modo illud quod ex aliis quinque efficltur misse debes quod nusquam quidsit prœdicari plane dicit aucloritas. Nam quod solet dici quod praedicari est inhœrere, usus est ex nulla auctorltate procedens. Mihi autem vldetur quod praedicari est prin- cipaliter slgnificari per voeem prœdicatam, subjici >ero signilicari prin- cipalitcr per vocem SUbjectam, et hoc quodaminodo vidcor habere a i'risciano, quod in traclatu orationis ante nomen dicit prœpositiones et conjuncliones syncategoreumala , id est consiguiGcantla. Sclmns autem syn apud graxos cum prœpositlonem signihearc, caleqorare autem pricdicari; unde catégories prœdicamenla dicuntur. Si ergo idem est
H. M
194 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« caractère fondamental. Lorsque l'on dit : Socrate est « un homme, on n'af firme de lui que ce qui est constitué « par tous les individus réunis de l'humanité; car le nom « d'homme n'a pour signification principale que celte « collection tout entière ; il ne désigne pas d'une manière « actuelle un seul individu pris à part ou une collection « partielle d'un certain nombre de ces individus. Il ne « faut pas, du reste, dans la définition de l'espèce, prendre « à la rigueur cette expression : s 'affirmer actuellement ; « autrement, si personne ne parlait, il n'y aurait plus « d'espèce, C3r rien alors ne serait expressément signifié : « il faut entendre par là être en état d'être affirmé d'une « chose, c'est-à-dire, d'être la signification principale du « prédicat; ce qui ne peut s'appliquer a une collection de « cinq individus. En effet, on ne pourrait imaginer deux « noms dont l'un signifiât l'une des deux collections, et « l'autre la seconde; car on ne pourrait concevoir aucune « diversité de matière, ni de forme, ni même d'effets; et « les deux mots ne produiraient qu'une seule et même « conception , comme glaive et épée. On peut nous dire
calegoreumata quod slgnificantia, idem erit prœdlcari quod signifiearl principaUter, quani solam significafionem reeepit Aristoleles *, juxta illud : « album nil signifient, nisi qualitatcm. » Cum enim album subjec- tuni albedinis nominando significet, illam solam signiDcationcm nolavit Aristoleles, in qua intellectus constituitur per vocem. Revertamur ergo et videamus an illud constitufum tantum quinque essentiis, pradicetnr in quid de pluribus, ut diclum est. Cum enim dicitur : Socrates est homo non praedicatur nisi qnod ex singulis humanitatis essentiis eonsliluitur. Neque enim principaliter aliud significatur per hoc nomen homo quod est homo, quani tota multilndo, née aliqua una essenlia nec aliquid con- stitutum ex pluribus essentiis illius multitlidinis, juxta illud Boethii quod dictum est « bumanitas, etc., » utique actualiter signilieatur. Nec ita
*Aristot. Categ., P. -*S0.
ABÉLARD. 195
« aussi : Cette collection de cinq individus est en état d'être « affirmée de plusieurs choses; demain peut-être elle le « sera sous le nom d'homme : car il peut arriver que l'hu- « inanité, qui est formée aujourd'hui de dix individus, le « soit demain de cinq seulement. Il n'en est rien. Celte « collection de cinq individus, si elle fait partie de l'en- « semble d'une humanité constituée par un nombre d'iu- « dividus plus considérable, n'est pas en état de former « une conception unique , quoiqu'elle doive en former « une dès que l'humanité sera réduite au nombre de cinq « individus. Comme un mot, avant d'avoir reçu son ap- « plication, a la puissance de signifier, mais n'est pas pour « cela en état de le faire; et comme une plume a la puis- « sauce d'écrire avant d'être taillée, et n'est cependant « pas encore en état de le faire, de même la collection de « cinq individus, tant qu'elle fait partie d'une humanité
accipiendum est in difunitione speciei pra-dicari actualiter; alioquin omnibus tacentibus nulla species esset; nain nil significaretur; sed aptum ad prœdicandum , id est ad prineipaliter signilieandum per voccru prœdi- catuni, qraod convenit collecto ex quinque essentiis. Possent enim duo nomina poni quorum alterum daret intelleetum de uno collecto, et alte- rum de altero; hoc falsum est , per nullum enim nomen talis haberetur intellectus de illo conjuncto discernens ab alio conjuncto. Non enim con- ciperct vel diversam materiam vcl diversam formam vel rcs diversorum effectuum , quod quale sit post dicetur, sed sicut ensis et gladius eumdem générant intelleetum, ita iUa duo nomina faccrent. Item opponi potest: illud constitutum ex quinque essentiis aptum est preedicari de plurilus; quarc cras forsan prœdicabitur per hoc nomen homo. Contingere enim potest ut humanitas quas bodie ex decem essentiis constat, ex quinque tantum essentiis cras constituatur ; falsum est. illud constitutum ex quin- quo essentiis , dum sit in constitutione humanitatis constitutae ex amplio- ribus, non est aptum ut de ea habeatur intellectus, quamvis paulo post habebitur, cum ad nuinerum quinque essentiarum bumanitas redigetur. Sicut enim vox aliqua ante imposilionein potest quidem signilicare , sed tamen non est apta ad signilicanduiu , licet post inipositionein signiflcet,
196 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
« constituée par un plus grand nombre, a la puissance, « il est vrai , d'être signifiée par le mot humanité, mais « n'est pas encore en état de l'être. Que si l'on prend être v affirmé d'une chose pour être en cette chose, ce que « nous admettons, car nous ne voulons pas abolir un bon « usage, il faut s'exprimer ainsi : Toute nature qui est « matériellement en plusieurs individus est une espèce. » « Si l'on vous oppose ' que la collection de cinq indi- « vidus est une espèce, puisqu'elle est matériellement en « plusieurs individus, répondez seulement : cela ne fait « rien à l'affaire, parce que ce n'est pas une nature; or « il ne s'agit ici que de natures. Vous me demanderez ce « que j'entends par nature; écoutez : j'appelle nature toute « chose essentiellement différente de tout ce qui n'est pas « cette chose ou ne se rapporte pas a cette chose, qu'elle « soit du reste un seul individu ou plusieurs; ainsi, So- « crate est une chose essentiellement différente de tout ce « qui n'est pas Socrate. De même l'espèce homme est une « chose essentiellement différente de toutes les choses qui « ne sont pas cette espèce ou quelque individu de celte
et sicut penna potens est ut per eam scribatur ante ineisionem , nec tamen apta est, sic illud conslitutum ex quinque essentiis, dum manet pars humanitatis ex pluribus constitua, potens quidem est signiûcari per vo- cem , sed non est aptum , dum sit pars humanitatis ex pluribus eonstitutae. Quod si prfedicari quidem pro inhœrere accipiatur, quod et nos concedi- nms, neque enim bonum usum abolerc volumus , sic dicendum est: omnis natura qusc pluribus inhœret individuis matcrialiter, species est. » 1. Fol. 4G recto. Ouvr. irtéd., p. 533. « Quod si quis opponat : ergo con- stitiitum ex quinque essentiis species est; Ipsum enim pluribus inhaeret matcrialiter; respondc modo : nil ad rem, quia non est natura; hic autem tantum agitur de naturis. Si autem quœras quid appellem naturam, exaudi : naluram dico quidquid dissimilis creationis est ab omnibus qua? non sunt vel illud vel de illo, sive una essentia sit sive plures, ut Socrates dissimi- lis creationis ah omnibus quœ non sunt Socrates. Similiter et homo spe-
ABÉLARD. 197
« espèce; ce qui n'est pas vrai d'une collection quelcon- « que, d'un nombre quelconque d'individus de l'huma- « nité. Mais celte collection partielle n'est pas une chose « essentiellement différente des autres individus compris « dans l'espèce.
« On demande ' encore si cette propriété de s'affirmer « de plusieurs choses , selon leur caractère fondamen- « lai, s'applique à toute espèce. Si nous répondons affir- « malivement, on objecte que cela s'applique pourtant « au phénix, qui n'est pas le résultat de la collection de « plusieurs individus, mais bien un seul et unique indi- « vidu, et qui ne peut être en plusieurs choses, ni être « une signification principale comme matière de plusieurs o sujets, puisque étant une seule essence indivisible, il ne « peut se trouver dans le même temps en plusieurs in- « dividus. Nous répondons avec Boêce (a) : « il y a beau- « coup de choses qui sont en essence sans être en acte : » « ainsi, quoique le phénix ne s'affirme pas actuellement « de plusieurs individus, cependant il est en état d'eu « être affirmé; ce que je n'entends pas, à moins que l'on
cies est dissimilis creationis al> omnibus reluis quso non sunt illa species vel aliqua essentia illius specici ; quod non eonvenit cuilibet collecto ex aliiiuot essentiis humanitotis. Nam illud non est dissimilis creationis a reliquiis essentiis quai In illa specie sunt. »
1. Ihid. « Amplius trmerltur utruin omni spceiei conveniat pradicari in quid, etc. Quod si coneedatur, dicunt quod eonvenit phœnici qu;e ex plu- ribus essentiis collecta non est, sed una taiilum est essentia, sed ista nec pluribus est apta inluererc nec priiuipaliter gigniflcarl, pluribus cxislen- tibus subjectis quorum sit materia, quia, cum una indivisibilis essentia sit, pluribus codem temiiore esse non polest. nespondemus : Boctbins Lanc facit oppositionem , et sohit quia illa difQnitio non eonvenit omni
(fl)lioc(h. in Prœdicam.] p. 71.
47.
198 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« ne dise : cette matière qui est le sujet de la forme de ce « phénix peut la perdre, et, eu prenant une autre forme, « constituer un autre individu ; et de la sorte, la même « matière, qui n'est autre chose que l'espèce, peut, mais « dans différents temps et non pas dans le même temps, « être en plusieurs individus. Voici donc comment il faut « prendre la définition en question : l'espèce est cette na- « ture qui peut être affirmée de plusieurs individus, etc., « soit dans le même temps, soit en des temps différents. « On dira peut-être : puisque la matière du phénix est « une seule et unique essence, ce phénix pourrait être « considéré avec raison comme sa matière à lui-même ; « ce qui ne peut se dire des individus humains et de l'es- « pèce, c'est-à-dire de l'homme; Socrate n'est pas ces « différents individus qui sont l'espèce. Mais je le nie; « autrement nous tomberions dans cette contradiction « que le singulier serait l'universel, par le raisonnement « que voici : ce phénix est sa matière même ; or, cette « matière est un universel, donc ce phénix est un uni- « versel. Au contraire, nous disons d'une manière géné-
specici, sed a majori parte data est. Sed aliter solvit. Multa dicuntur se- cundum naturam quœ non sunt secundum actum, itaphœnix, quanivis actualHer non prœdicetur guident de pluribus, apta est tanien prœdi- cari, quod qualiter veruni sit non video, nisi dicatur : i lia materia quœ sustinet formant hujns phœnicis, potest illani amillcre et , alia accepta forma, aliud individuum constituera ; et sic eadeni materia quœ species est, diversis temporibus et non codem pluribus potest inhœrere. Ita ergo intelligenda est difflnitio : species est illa natura quœ de pluribus apta est prœdicari, etc., sive codem temporc sive diverso. Forsitan dicciur : ciini una tantuin essentia sit phœnicis materia, poterit vere dici ba'c phœnil sua materia, quod non poterit dici inter individua homiuis et speciem, llomlnem scilicet ; neque Socrates est illœ multa; essenliœ quœ sunt spe- cies. Hoc negamusj alioquin haberemus inconveniens, quod siugulare est
ABELARD.
« raie que toute matière est opposée à ce dont elle est la « matière, de sorte que l'une u'est pas l'autre. »
« Ou dira encore ' : cette essence d'homme qui est en a moi est quelque chose ou rien ; si elle est quelque chose, « elle est substance ou accident ; si elle est substance, elle « est substance première ou seconde; substance pre- « inière, elle est individu; substance seconde, elle est « genre ou espèce. Nous répondons que cette sorte d'es- « sence n'a pas reçu de nom ni d'une manière directe, ni « par métaphore. Car les autreurs n'ont donné de uoms « qu'aux natures véritables ; or, nous avons montré que « cette essence n'est pas une nature. On ne peut donc « dire proprement que ce soit quelque chose ni que ce « soit une substance. Si cela semble absurde, nous accor- « derons que ce soit quelque chose, une substance, mais <i nous n'accordons pas que, si elle est une substance, elle « est une substance première ou une substance seconde ; « car cette division n'a été faite que pour les natures vé- « ritables. Et si en effet nous nous y soumettions ici, nous « tomberions dans cette difûculté de faire de l'essence « dont nous parlons, on bien un individu, ou bien un
univcrsaie, hoc modo; base phœnix est phœnix sua niateria ; secl il la est univcrsalc ; ergo ha?c phœnix est nniversalis. Generalitcr autem dicimus omneni materiam oppositam esse suo materiato, ita scilicet ut hoc non sit illud. »
1. Fol. 40 recto, c. I, c. 2. Ouvr. inêd , p. 33 i. « Amplius opponetur : iii.i essenlia hominis quœ in me est, aliquid est aut nihil ; si aliquid est, iiut sul)6tantia aut acoidens; si substanlia, aut prima aut secunda; si prima, indivlduum est; si secunda, aut genus aut species. Respondemus tali essenlia' niiiiiim aomen esse datum, nec per impositionem nec per translationem. Nequc ciiim auctorcs dederunt nomiua nisi naturls ; liane autem ostensura est non esse naturam. ltaque nce aliiiuid nec substanlia potest appellari proprie. Quod si absurdum Yideatur, coacedimus aliquid
200 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« genre ou une espèce; car les secondes substances sont « les espèces et leurs genres, comme dit Aristote (a). Et « que Ton ne s'étonne pas de nous voir avancer que « toute substance n'est pas nécessairement première ou « seconde; d'autres font de même, lorsqu'ils disent « qu'homme blanc est une substance et n'est pourtant ni « une substance première ni une substance seconde. »
Après avoir ainsi parcouru les objections de ses adver- saires et opposé à ces objections les réponses que nous venons de rapporter, Abélard passe a l'autre partie de la discussion, l'examen des autorités. Comme il y a un peu de tout dans Boëce, les adversaires d'Ahélard avaient essayé de tourner contre lui plusieurs passages de Boëce, qu'il s'attache a expliquer ici dans un sens favorable à sa doctrine. Nous traduirons encore ce morceau, parce qu'il est court et que cette partie de la discussion avait, au xnc siècle, une importance égale ou supérieure même a la première.
« Boëce ' dit dans son second commentaire sur Por- « pbyre (b) : « Quelque nombreuses que soient les es- « pèces, il y a en toutes un seul et unique genre : non
vel substantiaru esse. Sed hoc non conecdinius : si est substantia vel prima vel seeuuda, haec divislo non est faeta nisi de naturis. Qnam si concederemus, duccremur in arctuni, scilicet ut vel individuum esset vel genus vel species. Secundae eniin substantia; sunt species et earum gê- nera, ut ait Aristoteles. Nec cui mirum videalur nos concedere non esse omnem substantiani vel primamvel secundani ; hoc idem alii faciunt; concedunt enim homincm album esse substantiam, nec tamen primant vel secundam. »
1. Fol. 46 recto, c. 2 ; 46 verso, c. I , c. 2. Ouvr. illéd., p. *635-o37.
(n) Catcg., p. 45).
(b) Boeth. in Porph., p. 54.
ABELABD.
« pas que chaque espèce eu prenne une partie, mais de « telle sorte que chacune le contient tout entier dans le « môme temps. » Ici il semble nier formellement ce que « nous disons. Car dans notre opinion une partie des « individus qui constituent le genre animal , prend la a forme de la rationalité pour constituer l'homme; une « autre partie prend celle de l'irrationalité pour consti- « tuer l'âne, et jamais la quantité totale n'est dans quel- « qu'une des espèces. Or, Boëce dit tout au contraire que o ce n'est jamais la partie, mais le tout qui est en eba- « cune. Voici notre solution: Boëce s'exprime ainsi dans « le traité où il prouve que les genres et les espèces ne « sont pas; ce qui ne pouvait se prouver que par un « sophisme. Nous soutenons donc que ce qu'il dit est « faux ; et il n'y a rien d'impossible à ce qu'en faisant un « sophisme il glisse une proposition fausse; car on ne « peut prouver l'absurde que par le faux. On peut dire « encore : lorsque Boëce nie que les espèces prennent des « parties du genre, il ne parle pas des individus qui com- « posent la collection, mais des parties de la définition. « Par exemple, l'animal, qui est un genre, est composé « d'un corps qui en est la matière et delà sensibilité qui
« Boethius in secundo eommentario super rorphyrium dieit : « quanta1- cumi|uc enini sint species, in omnilms genus unum est; non quod de co ■...i ■ ui.r species quasi partes aliquas carpant, sed quod singulx uno tera- porc totiim gênas hahent. » Mie plane videtur negare quod dicimus; hoc enim hahet nostra sentciilia quod pars essentiarum aninialis quœ illud genus faciant, infornratur rationalitate ad faciendum Imminent ; pars vero Irrationalitate ad faciendum asinum, et nunquam î 11 a tota quantitas in aliqua specierum est. Boethius autein c contra dicli nuniquani parlent, sed totum esse in singulis. Hoc sohimus. Boethius dieit hoc in eo trac- tilu obi proli.it gênera et species non esse ; quod si non sophismate prohari non poterat. Dicimus ergo illud esse falsuni quod dieit; nec est
202 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
a en est la forme. Lors donc qu'il passe dans les espèces, « une des espèces ne prend pas la matière sans la forme, « et l'autre la forme sans la matière; mais dans chacune « des espèces est la forme et la matière du genre. De a même dans le traité de la différence, à propos de ce « passage : « La différence (a) est ce par quoi L'espèce « surpasse le genre. » Boëce dit (6) : « En effet, il n'en « est pas du genre comme d'un corps, où une partie est « blanche et une autre noire; car le genre, considéré en « lui-même, n'a point de parties, si ou ne le rapporte « aux espèces. Ainsi tout ce qu'il possède , il le possède « en toute sa graudeur, c'est-à-dire en toute sa quan- « tité. » Cela semble contre nous; car, selon nous, L'a n b- « mal, qui est le genre, prend en une partie de lui-même « la rationalité et en une autre l'irrationalité, et il est « impossible que la partie affectée de la rationalité prenne
ineonveniens si , dum sophisma facit, falsum interserit. Inconveniens enim nisi per falsum probari non potest. Potest et aliter dici : cura negat Boethius species partes generis carpere, non de essentiis illnm multitu- dihem conjungentibus agebat, sed de partibus diffinilhis. Verbi gratia, animal genus ex corpore constat materia , ex sensibilitate forma. Cum ergo per partes sua- quantitatis transit in species, non arripit una de speciebus materiam et non formant, et alia materiam et non formant, sed in singulis speciebus materia et forma generis est. Item in tractalu differentiae super hune locum : « Differentia est quae abundat species a génère » sic ait Boethius : « neque enim sicut in corpore solet esse alia pars alba, alia nigra, ita fieri in génère potest. Genus enim per se consi- dération partes non habet, nisi ad species referatur. Quicquid igitur ha- bet , non partibus sed tota sui magnitudine » quantitatc « relinebit. » Et hoc esse contra nos videtur. Hoc enim habet nostra sententia, quod animal illud genus in parle sui suscipit rationalitatem et in parte ir- rationalitatem. Kcc aliquo modo pars illa quœ rationalitate tangitur,
(a) Porphyr. Jsag., p. 391.
(b) Boeth. in Porph., p. 87.
ABÉLARD. 203
ft l'irrationalité; car c'est par la que nous échappons a « l'absurdité d'admettre des opposés en une même chose; « absurdité que ne peuvent éviter ceux qui tiennent pour « la doctrine que nous combattons. Voici notre solution : « Bocce dit cela dans un passage où il prouve que les dif- « férénces ne sont rien , ou bien que deux opposés se « rencontrent en une même chose ; ce qui est faux et ne « peut être prouvé que par un sophisme. Il a donc glissé « dans son argumentation cette proposition fausse, et il « n'est pas pour cela dans l'erreur; car il voyait bien la « fausseté de sa proposition, mais il ne l'en a pas moins « avancée pour mener a fin son sophisme. Vous pourriez « dire encore qu'il n'appelle pas quantité celle qui est (i formée des individus qui composent le genre, mais celle « qui est constituée par les parties de la définition ; et « sous ce rapport on pourrait dire : chaque individu de « ce genre a la quantité du genre. Quant à celle proposi- « lion, que le genre et l'espèce ne sont pas composés « de parties intégrantes, nous la déclarons absolument « fausse ; à moins que l'on ne veuille admettre que les « auteurs n'ont appelé parties intégrantes que celles qui « sont de nature différente : et dans ce cas ils n'auraient « pu appeler parties les individus dont se composent les
irrnl'omlifale cfficilur , vel c converse Hoc enim per quod vitamos tin o opposita non esse in eodeni , quod scilicet inconveniens effugerc non possunt qui grandis asini sentenfiam tenent. Solvlmus hoc : hoc fflcil Bocfhlns in eo loco in quo probat aut ditfercnlias nil esse an t duo opposita esse in eodeon, quod utique falsttm est, nec si non sophts- matc prohari potest. In bac ergo probatione falsurn hoc intersoril, et tamen non fallitnr. Sciebaf enim falsum esse, inter serait tanien, ut ad finem suum sophisma perdneeret. Vel dicas eum qnantitatem appellera non illam qu;u essenliis genus illud eonjungeutibus conficitur, sed illaiu
204 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« genres ou les espèces; car ces individus sont de nature « tout à fait semblable. Boëce dit encore dans le même « commentaire (a) : « De môme que la même ligne est « convexe et concave, de même c'est une même chose « qui est le sujet de l'universalité et de la particularité. » « Boëce semble vouloir dire que le singulier est univcr- « sel. Mais au fond nous ne sommes pas en contradiction « avec lui; il suffit de se rendre compte de ses paroles. « 11 n'a pas pris particulier pour singulier, comme on se « l'imagine, mais pour espèce; car il a dit : Les genres « et les espèces, c'est-à-dire l'universalité et la parlicu- « larité, ont même sujet. Il a donc entendu par univer- « salité le genre, et par particularité l'espèce de genre. « Voici donc quel est le sens de ce passage : de même « qu'une seule et même ligne est le sujet de lu concavité « et de la convexité, considérées comme ses accidents, de « même Socrate est le sujet du genre et de l'espèce, de
qu» ex difflnitivis partlbus. L't secunduin hoc dici possit : unaqua?quc cssentia illius gcneris quantitatem generis habet. Quod autcm dicitur ge- nus et species ex partibus iutegralibus non constare, plane falsum esse dieimus, nisi hoc concedanuis quia auctores partes intégrales non appel- laverunt, nisi essent dissimilis creationis ; unde essenlias genus vel spe- cies confleientes recte partes appellare non potuerunt; ipsa? enim sont similis prorsus creationis. Item in eodem conimentario dicit 13oethius : « queraadniodum eadem linca curva et cava est, ita et univcrsalitati et particularitati idem subjeelum est. » Hoc videtur Boctbius voluisse, sin- gulare esse universale. Sed nulla est oppositio; tantum vide quod dixerit. Non enira accepit particulare pro singulari, ut œstimant, sed pro specic ; dixit enim : « generibus et speciebus , id est universalitati et particula- ritati, idem subjectum est; » per universalitatem genus et parlicularila- tem speciem generis. Sic ergo intelligendum est : quemadmodum cavitati et eurvitati eadem linea subjecta est , ut accidentibus, sic idem Sociales generi et speciei, scilicet homini et animali, subjeetum est ut prœdicatis.
(a) Boeth., p. 56.
ABÉLARD. 20^
u l'homme el de l'animal, considérés comme ses prédi- (i dicats. Ou Lien autrement : la matière de ce phénix et « l'individu sont même chose, c'est-à-dire ne diffèrent « pas substantiellement. Mais la matière est le sujet de « l'universalité, et l'individu de la singularité; et cepen- <i dant le singulier n'est pas l'universel ; quoique l'un « soit identique avec l'autre, ainsi qu'il a été dit plus haut. « Voila les autorités qui semblent le plus contraires a « notre opinion. Mais il serait fastidieux d'énumérer « toutes celles qui l'appuient. Citons-en seulement quel- « ques-unes. Porphyre dit(a) : L'espèce estee qui exprime « la collection de plusieurs choses en une même nature, « et le genre encore davantage. » Boëce dit dans son se- « cond commentaire sur Porphyre {b) : « Lorsque l'on « pense aux genres et aux espèces, on en recueille la res- « semblance dans les individus où ils se trouvent, et ainsi « d'hommes dissemblables entre eux se forme la ressem- « blance de l'humanité. Celte ressemblance, envisagée et « achevée par l'esprit, devient l'espèce. De la ressem- « blance de ces espèces, qui ne peut se trouver que dans « les espèces elles-mêmes ou dans leurs individus, résulte
Vol aliter : materia hujus pbœnic's et ipsum individuum idem sunt , id est non sulistantialiter differunt. Materia vero suhjecta est universalitati, individuum singularitati sul'jcctum est. Nec tamen singulare est univer- sale, quamvis hoc sit idem enm illo, sicut supra dictum est.
« Et ha; guidera sunt aoctoritates cruœ maxime huic sententiœ videntur contraria, nias autem omnes enumerare qua> ipsi firmamentum confe- runt, gravaremur. liicamus modo aliquas de multis quaj hanc confirmant. Videamus : Porphyrius dicit : « collectivum in unam naturam species est et niagis id quod genns. » Collectionem vero in alia sentenlia non re- peries. Iioelbins in secundo commentario super Porphyriuin : ic Cum gc-
(a) Porph. lsag.,p. 382.
[b) Boeth. in Porph., p. 56.
u. 48
206 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
o a son tour le genre. Il ne faut voir dans l'espèce autre « chose qu'une conception qui résulte, en vertu d'une « ressemblance substantielle, d'une multitude d'individus « dissemblables. » De même dans le commentaire sur les « Catégories (a) : « Les genres et les espèces ne résultent « pas de la considération d'un seul individu ; l'intelligence « les tire de la collection de tous. » Cela est évidemment « contre la doctrine de la non- différence. Nous lisons « encore dans le même ouvrage : « Celui (b) qui le pre- « mier dit homme n'avait pas en pensée l'homme géné- « rai, qui se forme de tous les individus, mais tel ou tel « individu particulier auquel il voulait donner ce nom « d'homme. » Ainsi dans le second commentaire sur le « traité de l'Interprétation (c) : « Le nom d'homme ne « promène pas notre pensée sur chaque homme en par- « ticulier, mais sur tous ceux en général qui participent « a la définition de l'humanité. » Et dans le même com- « mentaire [d) : « L'humanité, recueillie dans les natures « différentes des différents hommes, est résumée en quel-
ncra et species cogitandtr, tune ex singulis in quibus sunt, eorum simi- litude- colligitur, ut ex singulis hominibus inter se dissiruilibus liumani- tatis similitude-. Qua3 similitude- cogitata anime- veraciterque perfecta lit species. Quarum specierum diversarum rursus simililudo considerata, qua; nisi in speciebus aut earum individuis esse non polest, eiQcit genus. Kilnlque aliud species esse putanda est, nisi cogitatio collecta ex indivi- duornm dissimilium numéro, similitudine subslanliali. Genus vero col- lecta cogitatio ex specierum similitudine. » Item in commentario super categorias : « gênera et species non ex uno singulo intellects sunt, sed ex omnibus singulis mentis ratione coneepta. » Hoc plane est contra senten-
(rt) Boetb. in Prœdicam.,p. 123. (fc) Ibid.
(t) lioeth. in Prœdicam., pag. 539. [cl) Ibid., pag, 3-50.
ABÉLARD. 207
« que sorte en une même conception, en une même na- « tare. » On pourrait a peine compter toutes les autori- « tes que l'on trouverait à l'appui de notre opinion en « feuilletant attentivement les traités de logique. »
Il semble que la discussion pourrait être considérée comme épuisée, mais Abélard a réservé pour la un l'ob- jection la plus épineuse, qui transforme eu quelque sorte la question des universaux, et lui donne une face nou- velle. La doctrine d'Abélard repose sur ce principe qu'il n'existe que des individus et dans l'individu rien que d'in- dividuel. Dans l'individu Socrate il n'y a pas autre chose que la forme qui le fait être Socrate, la socratité ; et le su- jet de cette forme, n'est pas l'humanité en soi, mais ce quelque chose de la nature humaine qui est la nature de Socrate. La matière dans l'individu Socrate est donc tout aussi individuelle que sa forme. Or, cette conséquence soulève l'objection suivante : mais est-il possible que dans ce composé qu'on appelle l'individu il n'y ait rien que d'individuel, et ne reste-t-il pas à chercher d'où viennent et cette forme et cette matière tout individuelles auxquelles l'analyse s'est arrêtée? 11 y a dans tout composé des élé- ments antérieurs à ce composé; par exemple le feu, la
tiam de indifferentia. Itom in eodcm : « qui primus hominem dixit , non illuni qui ex singulis conficitur in mente tiabuit, sed hune individuuni atquc singularem cui nomen hominis imponeret. » Aliquem voluit confici ex singulis. Item in secundo comnientario super Péri ermenias : « Cum taie aliquid animo speculamnr, non in unam quamquo personam mentis cogitatione deducimur per lioc nomen quia" est homo , sed in oiunes qui- cuniqtie huraanitatis diffinitionc participant. » Item in comnientario eodcm : « Humanitas ex singulorum hominum collecta naluris in unam quodam modo reducitur intelligentiam atque naturam. « Vix numéro com- prehendi poterunl lirmamenta sententirc hujus qua? diligens logicorum scriptorum inquisilor inveniet. »
208 PHILOSOPHIE SCHOL ASTIQUE.
terre, l'eau, l'air, ou bien le sec, l'humide, elc. Ces élé- raenls eux-mêmes supposent un sujet, un sujet corporel ou incorporel. Et si, au terme de l'analyse, on est forcé de supposer quelque chose de simple au delà de quoi il n'y a plus rien a chercher, ce quelque chose de simple, cette substance, cette essence pure est alors le fondement de tout le reste, le substratum de tous les accidents ulté- rieurs et de toutes les formes, le sujet véritable dans le- quel s'opérera plus tard la merveille de l'individualité; or, ce sujet dans cet état n'est-ce pas l'universel ? Ainsi la doctrine des éléments appliquée à la question des uni- versaux, conduit Abélard a la question de l'origine et de la formation des individus.
« C'est là ', dit-il, une dure question dont aucun de « nos maîtres (a), a mon sens, n'a donné une solution « raisonnable. Voici cependant ce qui me semble le plus « vrai. Los physiciens, faisant de la nature l'objet de leurs « recherches, s'occupèrent primitivement des objets visi- « blés qui tombaient sous leurs sens. Mais il leur élait « impossible de connaître la nature de ces composés sans « connaître les propriétés des parties. Ils s'attachèrent a donc a subdiviser les parties composantes, jusqu'à ce
\. Fol. 4G verso, c. 2; 47 recto, c. 1,2. Onu. im'd., p. 538-b-il. « Dura est hœc provincia, nec ab ullo magistromm nostrorum anfchac, ut intellexi, dissoltita rationabiliter. Tamen quod mihi venus videtur hoc est. Physici, rerum naturas investiganles, visibiles res quas subjeclas sensil)iis babc- bant, primitus inquisicrunt. Eornm vero naturani ntpotc intcgraliler cniii- positorum cognoscere non poterant plane , nisi ipsoruin componentium proprietatem cognovissent. lnsliterunt ergo ipsas partes componentes subdividendo, usque dum ad illam parleni niinutissimam intelleclu veni-
(a) Ici Abélard reconnaît qu'il a eu plusieurs maîtres.
ABÉLARD. 209
« qu'ils fussent parvenus a la partie la plus petite qu'il fût « possible de concevoir, et qui ne fût plus divisible en « parties intégrantes. Le terme de la division des parties s intégrantes une fois atteint, ils se mirent à cherclier si « un pareil petit être était composé de forme et de ma- « tière, ou s'il était absolument simple. Le raisonnement « trouva que c'était un corps chaud ou froid, ou de toute « autre forme; car c'est là, je pense, ce que Platon a « nommé les éléments. Laissant donc la forme, il se de- « manda si la matière du moins était simple. 11 trouva « que c'était un corps, et que par conséquent elle était « constituée par la corporéité et par la substance. Pour « la substance, il la trouva encore constituée par une « forme, la faculté de recevoir les contraires, et par une « matière , l'essence pure. En considérant celle matière « de tous les côtés, on la trouva absolument simple, et « non plus constituée par une forme et une matière « Celle essence pure, avec tous les autres sujets essentiels « des formes sensibles, on l'appela universel, c'est-à-dire a sans forme, non qu'elle ne soit pas le sujet des formes,
rent, quai in partes intégrales dividi non poferat. Integralium vero par- tiuni déficiente divisione, investigare cœperunt an talis essentiola es ma- teria cunstarct et forma, an oninino simplex esset. Invenit itaque ratio illa corpus esse calidumvel frigidum vel altérais formée. Hujus modi enini pnto a PI atone appellata esse pura éléments, r.elicta itaque forma, consi- dérant materiam, an et illa simples esset. Invenit cam corpus, et il a constarc ex corporeitatc et substaulia. Relicta Harpie forma consideravit materiam , sed et ipsam invenit constarc ex susceptibilitate contrariera m forma, malcria autem mera essentia. Quani item materiam undique spé- culantes simpliciter omnino invenerunt, nec omnino ex aliqua matei'ia vel forma constantem. liane itaque nieram essentiam cura aliis qute esseu- tialitcr rcrum sensiliuni formas sustinebant , univcrsalc appellavit, id est informe, non sciliect quod formas non sustinet , sed cruod ex forniis
«8.
£40 PHILOSOPHIE S CHOL ASTIQUE.
« mais parce qu'elle n'est pas constituée par des formes. « Vous direz peut-être : l'âme est doue constituée par un « universel ; si en effet elle est constituée par une sub- « stance, constituée elle-même par l'essence pure que l'on « appelle universel, il faut bien qu'elle soit constituée « par un universel.
« Si vous voulez savoir comment se fait la constitution « des choses corporelles, faites attention... Prenons pour « exemple Socrate, afin que ce que le raisonnement nous « fera découvrir en lui, nous n'hésitions pas a l'appliquer « a d'autres. Il y a dans Socrate une pure essence que « l'on appelle universelle... Il faut de plus la faculté de « recevoir les contraires, qui donne la forme, et il en « résulte alors une essence réelle. Mais la faculté de re- « ceYoir les contraires, qui advient à toute l'essence, « advient aussi à chacune de ses parties. Ensuite ce ré- « sullat de l'essence pure qui est en Socrate et de la fa- « culte de recevoir les contraires, prenant la forme de la « corporéité, il s'en fait une certaine essence de corps.
non constaret. Sed dices : constatât itaque anima ex universali. Si enim materialiter constat ex substantia, quae niaterialiter constaret ex ruera essen- tia, quai universale appellatur, ex universali constare necesse est. Quic- quid enim materialiter constat, ex materiato et ex ejus inateria, ut ani- mal, quia materialiter constat ex corpore et ex substantia. At contra, qui sic opponit, non intellexit quod dixeram. Neque enim universale appel- lata est tota illa collcctio essentiarum omnium quœ, susceptibilitate con- trariorum informata, parlim distribuitur in corpus, partial in spiritum, sed illud tantum de illa multitudine quod susceptibilitate contrariorum in- formante csscntialiter sustinet corporeitatom ; in quo essentia non com- municat spiritus.
« Nec adhuc cessât opposilio. Dicetur enim : impossibile est parti illius multitudinis imposituin esse nonien et nonalii parti quœ ei indifférons est. sicui supra in speciem diclum est ; sed contra verum quidem est nullum
ABÉLARD. 211
« Mais dès l'instant où le tout est affecté de la corporéité, « toutes les différentes parties de ce tout sont affectées « de corporéités particulières, et forment des êtres cor- « porcls. L'animation advient à ce tout de la môme ma- « nière, et donne une essence de corps animé. Mais l'ani- « mation n'advient pas pour cela a toutes les parties de « ce tout, mais bien son contraire, l'inanimation ; car, « tandis que le tout est animé, ses parties sont animées. « De môme advient au tout la sensibilité, qui donne une « essence d'animal, et aux parties d'autres formes qui « donnent des essencee d'espèces, dont les noms ne me
dari illi nomen dans intcllectum rem dissimilis creationis concipientem ab illa quac illi est indifférons ; hoc autem dietnm est in tractatu specici. Ilhid vero nemo poterit cogère hujus vocabuli irupositionem œque in animo habuisse essentias çpiffi informanlur in spiritum , ut illas çpaœ infornianda) erant in corpus; neque enim ab insensibilibus ascendit ad intellectualia, sed ab sensibilihus tantuui. Illi ergo materis tantum, quam essentialiter offendit cogitatio nieans a sensibilibus ad intellectualia, physicus nomen imposuil, et non cuilibet quod erat indifferens cum illa, quod forsan vel non cogitavitvcl non curavit. Neque enim officium ejus est simulare vel dissimulare, ut dialectici; unde et Plato de hac ante teinpus suum nul- lum egisse dicit. Ut igitur clare appareat qualiter incorporalium reruin constitulione suboriantur elementa, quanivis omnia ex generali et speciali constent materia vel forma, sic attende. TJnumquodque individuuni cor- poris quantum est, tantum in se habet fructum ; habiles formée enim su- pervenientes quantitates non auxerunt, sed aliam naturam fecerunt. Po- namus ergo Socratem nobis in excmplum , ut quod in eo ratio inveniet , in aliis quoque idem esse non dubitet. Kst igitur in Socrate quaedam pars merœ essentia! quœ universale appellatur, quai integraliter ex essentia constat cfuœ in se quoque partes habet; sed hffiC non est substantia, sed susccptibilitas contrariorum ; eain informant, et ex bis consliluilur qua- dam essentia substantiœ. iioc autem Bciendum quod , sicut illi toti advenit susceptibilitas contrariorum, tta singulls partieiilis illius essenliœ; sed et illuil (imstitutum ex niera essentia quœ in socrate est, et Busceptibilitafe contraiiorum et corimieitate eflicitur, et ex bis quœdam essentia corporis ellicitui'. Sed quam statim corporeitas illud totum aflicit , tain statim suai corporcitates singulas illius totius particulas afticiunt, et faciunt corporeas
212 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQEE.
« viennent pas maintenant a l'esprit. De. même encore « advient an tout la faculté d'apprendre, qui constitue « l'homme, et aux différentes parties d'autres formes « qui donnent d'autres essences animées. Enfin la socra- « tité donne sa forme a toute celle essence d'humanité, « et il en résulte Socrale. Mais au même instant d'autres « atomes de celle essence de l'humanité sont affectés des « couleurs et des formes du feu, d'où résulte le feu; « d'autres des formes de l'eau, d'où résulte l'eau ; d'au- « 1res des formes de l'air, d'où résulte l'air; d'autres des « formes de la terre, d'où résulte la terre; et de la sorte « toutes les différentes particules sont feu, eau, air ou « terre. Ainsi il n'est pas plus impossible que Socrate soit « formé de quatre éléments, qu'il ne l'est qu'il soit formé
essentias. Ita illa toti advenit animatio, et facit quamdam essenliam ani- mafi corpoiis. Sed non jarn aliquilms partibus illius totius advenit anima- tio, sed contiarium illius , inanimatio; cum enim totum animatum sit, singula? particules illius inanimala? sunt. Item loti advenit sensibilitas, et facit essentiam quamdam animalis, partibus vero ejus alia? forma? quaj faeiunt aliquas essentias speeicrum in animalis, quarum nomina in promplu non babeo. Item toli advenit perceptibilitas disciplina?, et facit homincm; singulis vero particulis adveniunt forma? qua?dam , et faeiunt alias essen- tias in animatis Tandem socratitas totani illam essentiam humanitalis in- formât, et Socratcm facit. Tam statim vero alios atomos illius essentia? bumanitatis afficiunt colores et forma? ignis et ignem faeiunt, alias forma? aeris cl aéra faeiunt, alias terra? et terrain faeiunt, et sic singula? particula? vel ignis sunt vcl aqua vel aer vel terra. Ita non plus est impossibile So- cratcm constare ex quatuor elemenlis, quam constare ex manibus et pedi- bus; sicut enim sunt parles componentes, ita et illa. Nota quia hic ortum clementorum resignavimus et ortum individuorum , ne absurdum videatur générales et spéciales essentias ex •lementis constare. Quod tamen si dice- retur, quam statim animatio aflicit corpus, tam statim singulas essentias illius corporis informari formis clementorum, v cl saltem quam cito sensi- bilitas aflicit animatum corpus, tam cito singulas partes illius effici elc- menta , non niultum maie diceretur, cum dicit Aristoteles ignis, animal, et aqua, et alia hujus modi, ex quilms ipsum animal constat, ante sunt quam animal omuino. Et nota quod dicit Tlato ex hylc prius fieri ele-
ABBLABD. 213
(i de pieds et de mains; car ces éléments sont aussi des « parties composantes. Nous avons expliqué l'origine des « éléments et l'origine des individus... »
Nous doutons fort que ces explications satisfassent lo lecteur et éclaircissent a ses yeux le mystère de l'indivi- dualisation. Du moins faut-il convenir que cette discus- sion est l'anlécédent de celle qu'instituèrent sur ce pro- fond sujet les maîtres les plus célèbres du siècle suivant. La question de principio individuationis, tant agitée au treizième siècle, n'est pas autre chose que le point de vue métaphysique et ontologique du problème général de Por- phyre ; point de vue qui remplit toute la seconde époque de la pbilosophie scholastique, de même que le côté lo- gique de ce problème remplit la première. L'histoire a marché comme la raison. La raison, la méthode, veulent qu'on gravisse successivement les hauteurs de l'ontologie et de la métaphysique, par les degrés de la psychologie et de la logique. Aussi la première époque delà philosophie scholastique a-t-elle été toute dialectique; et c'est dans la seconde que sont arrivées toutes les grandes questions et les grandes solutions, sous la double inspiration delà phy- sique et de la métaphysique d'Aristote, euDn connues, et de la théologie chrétienne, interrogée avec une indépen- dance suffisante et une admirable intelligence. Le pro- blème de Porphyre s'est développé régulièrement a travers ces deux époques ; mais dans la première même, où il se
nicnla cl e\ démentis calera. Nos aufem e converse, videmnr fecisse. Alia via incedil quod dicit Plato : generatis est régula simplicia priora esse compositis ; undc Plato prius considera\it coinpositioneni sinipliciuni, quilms conjnnctisrescorporeas suiijcctas sensibus constantes dixit. Et ha;c hactenus. »
21 4 PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE.
réduit en général au point de vue dialectique, on peut dire qu'il a eu aussi son progrès. Les écoles carlovin- giennes l'exhument pour ainsi dire. On commence par répéter en bégayant les solutions équivoques qu'en avait laissées Boëce. Roscelin le soumet a une critique indépen- dante; mais il est évident qu'il ne l'envisagea d'abord que sous le point de vue logique, puisqu'il arriva à une solution toute grammaticale. Guillaume de Champeaux le considéra sous un point de vue plus relevé. Sa première opinion est déjà métaphysique; la seconde est presque un retour a la psychologie et à la logique. Abélard em- brassa les différents points de vue de ses devanciers et les agrandit encore. La polémique que nous venons de reproduire est sans contredit le mot le plus avancé et le plus compréheusif du douzième siècle et de la première époque de la philosophie scholastique. Toutes les manières d'envisager le problème fondamental sont dans Abélard ; mais Abélard est de son siècle, et la face du problème de Porphyre qu'il a le plus considérée est sa face logique ; et la solution qu'il en a donnée, élevée à sa formule la plus générale, a reçu un nom qui témoigne assez de son ca- ractère essentiel, un nom psychologique et dialectique en quelque sorte, le conceptualisme.
Maintenant quelle est la valeur de cette solution et de l'école intermédiaire que prétendit élever Abélard entre le réalisme et le nominalisme * ? Cette école est en effet éga- lement éloignée des deux écoles qu'elle combattait? A-t-elle un caractère qui lui soit propre? et quel service a-t-elle rendu à la philosophie et à l'esprit humain? Ce sont là
I . I rc soi ic, t. iv, leç. xxi, p. 538, etc.
ABELARD. 215
des questions auxquelles aboutit naturellement cette longue) exposition des faits.
Il ne faut pas s'y tromper : l'école que fonda Abélard n'estpasune école éclectique; c'est même précisément tout le contraire. Le drapeau de l'éclectisme est ce grand mot de Leibnitz : « Tous les systèmes sont vrais en grande « partie par ce qu'ils affirment; ils sont faux par ce qu'ils « nient. » L'éclectisme, s'il est profond, doit donc cire positif; il doit emprunter aux écoles rivales toutes leurs parties positives, et ne leur laisser que leurs parties né- gatives, leurs contradictions et leurs querelles. L'éclec- tisme, au douzième siècle, dans la querelle des universaux, eût consisté a discerner dans le réalisme et le nomina- lisme les vérités essentielles sur lesquelles ces deux sys- tèmes reposaient, et a les réunir, à les organiser dans le sein d'un système plus vaste. Ce n'est point là ce que fit Abélard. Au lieu de mettre à profit les trésors de l'école réaliste, dépositaire de tant de vérités, tou- jours anciennes et toujours nouvelles, il se borna a la combattre, et il ne lui emprunta aucune maxime positive: il n'eut guère de réaliste que la négation du nominalisme. Il est vrai qu'il emprunta davantage à l'école nominaliste : il y avait été formé, et s'il était d'un parti, il était de celui-là. A l'égard du réalisme, il n'est qu'adversaire; a l'égard du nominalisme, il est adversaire sans doute, car il le combat dans ses conséquences excessives; mais il en garde l'esprit et le principe fondamental, à savoir que rien n'existe que l'individu, et dans l'individu rien que d'indi- viduel. On pourrait donc avancer que l'école fondée par Abélard est une branche nouvelle, un développement du nominalisme; développement où les principes nomina-
216 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
listes, dégagés des extravagances qui les décriaient, ont pu reparaître a la lumière, se soutenir contre les principes de l'école opposée, et faire leur chemin à travers les siè- cles. Ce rapport du prétendu système intermédiaire d'A- bélard avec le nominalisme est attesté par l'histoire ; car dans l'histoire le rôle le plus marqué d'Ahélard, comme philosophe, est sa querelle avec Guillaume de Cham- peaux. : or, l'adversaire public et constaut de Guillaume de Champeaux était, qu'il le sût ou qu'il l'ignorât, un allié de Roscelin ; et c'est peut-être par le sentiment con- fus de cette vérité qu'à une certaine distance, et quand le temps eut mis en ouhli les intentions et fait paraître les choses sous leur véritable jour, plus d'un historien1 a raugé Abélard dans l'école nominaliste.
En effet, examinons le conceptualisme en lui-mcme, et nous reconnaîtrons aisément que ce n'est pas autre chose qu'un nominalisme plus sage et moins conséquent. D'a- bord; le nominalisme renferme nécessairement le concep- tualisme. Abélard argumente ainsi contre son ancien maître 2 : Si les universaux ne sont que des mots , ils ne sont rien du tout, car les mots ne sont rien ; mais les uni- versaux sont quelque chose, puisque ce sout des concep- tions. Roscelin aurait très-bien pu répondre : Qui a jamais songé a nier cela? Assurément, quand la bouche prononce un mot, l'esprit y attache un sens, et ce sens qu'il y at- tache est une conception de l'esprit.
Je suis donc conceptualiste comme vous. Mais vous, pourquoi n'étes-vous pas nominaliste comme moi? Dire que les universaux ne sont que des conceptions de l'es-
i. Entre autres, les auteurs de l'Histoire littéraire, t. M, p. 389. 2. Voyez plus haut , p. 171.
ABELARD. 217
prit, c'est dire implicitement qu'ils ne son! que des mois; car, dans mon langage, les mots sont les opposés des choses, et, n'admettant pas que les universaux soient des choses, j'ai dû en faire des mots. Je n'ai rien voulu dire de plus; rejetant le réalisme, j'ai conclu au nominalisme, en sous-enlendant le conceptualisme.
Bien plus , ces conceptions de l'esprit, auxquelles vous avez réduit les universaux, sont, comme vous l'avez dé- montré, des abstractions, des généralisations, nées do comparaisons plus ou moins étendues. Or, la comparaison, l'abstraction, la généralisation, exigent et supposent un plus ou moins long emploi de la mémoire; et un emploi quelque peu long de la mémoire exige et suppose des si- gnes, un langage, des mots; car les mots ne servent pas seulement à s'entendre avec les autres, mais ils servent d'abord à s'entendre avec soi-même. Pour abstraire et généraliser au point d'arriver à cette conception que vous appelez une espace, il faut des mots, et ces mots-la sont encore plus nécessaires pour s'élever a une abstraction et à une généralisation plus haute, celle du genre. Vous me dites que si les espèces et les genres sont des mots, comme les genres sont la matière des espèces, il s'ensuit qu'il y a des mots qui sont la matière d'autres mots '. Au langage près, qui vous appartient, tout cela n'est pas si déraison- nable. Comme c'est avec des idées moins générales que dans la doctrine même du conceptualisme ou arrive à des idées plus générales, de même c'est avec des mots moins abstraits qu'on fait des mots plus abstraits encore. Il est incontestable que, sans l'artifice du langage, il n'y aurait pas d'universaux, en entendant les universaux comme nous
1. Plus haut, ibid.
H. 49
218 PHILOSOPHIE SCnOLASTIQUE.
l'entendons tous les deux, de pures notions abstraites et comparatives. Donc , encore une fois , les universaux , précisément parce qu'ils ne sont que des notions, des con- ceptions abstraites, ne sont que des mots ; et si le noini- nalisme part du conceptualisme, le couceptualisme doit aboutir au nominalisme.
IN'ous ne savons trop ce qu'Abélard aurait pu répliquer à cette réponse de son premier maître, et nous ne con- naissons qu'un seul moyen de le faire, c'est de se placer dans la doctrine de son second maître, Guillaume de Chainpeaux. Si le réalisme est faux, le nominalisme est vrai; mais si le réalisme est vrai, le nominalisme est faux. Or, le conceptualisme est le principe du nominalisme ; c'est le nominalisme lui-même, sauf la conclusion, qui pourtant est nécessaire et qui , dans sa nécessité à la fois et dans son extravagance, trahit le vice du conceptualisme.
11 y a un rapport si intime entre le conceptualisme et le nominalisme que, selon les temps et les circonstances, et le plus ou moins de force et de hardiesse des esprits, le nominalisme, sans se détruire, se réfugie et se métamor- phose dans le conceptualisme, ou le conceptualisme se développe en nominalisme. Ainsi, après l'orage qui, au concile de Soissons, éclata sur Roscelin, le nominalisme, proscrit et couvert d'anathèmes, se réduisit au concep- tualisme, perdant ainsi de sa rigueur , mais sauvant ses principes , où sont déposées toutes ses conséquences. Et quand le conceptualisme, après avoir laissé passer l'orage et le règne de l'orthodoxie et du réalisme, eut fait ainsi quelque temps son chemin dans l'ombre, dès qu'il trouve au quatorzième siècle de meilleures circonstances, il re- prend sa forme et son nom de nominalisme. Avancez dans
ÀBÉLARD. 219
l'histoire ; entrez dans la philosophie moderne : le nomi- nalisme y passe tour à tour par les mêmes métamorphoses. Il se montre dans Hobbes a visage découvert ; mais Hobbes décrie le nominalisme au commencement du dix-septième siècle, comme Roscelin à la fln du onzième. Aussi, entre les mains du sage et inconséquent auteur de l'Essai sur l'en- tendement humain, le nominalisme s'efface un peu sans cesser d'être, et redevient une sorte de conceptualisme1. L'esprit plus libre du dix-huitième siècle lui restitue son caractère et son nom : Condillac l'érigé en une doctrine régulière et complète, avec tous ses principes et toutes ses conséquences, sans aucune limite, mais aussi sans aucun contre-poids2. On ne peut pas s'arrêter au conceptualisme'; il faut ou remonter jusqu'au réalisme ou descendre jus- qu'au nominalisme. Il y a cinquante ans , le judicieux Reid rencontre sur son chemin cette vieille querelle des univer- saux, et tout en rejetant le nominalisme, il témoigne une certaine sympathie pour le conceptualisme5. L'école écos- saise fait un pas. Dugald Stewart4 développe la doctrine de son maître, et il ne s'arrête plus au point fixé par Reid : il s'avance jusqu'au nominalisme. Quelquefois aussi, quand le conceptualisme se rencontre dans une doctrine qui in- cline a l'idéalisme, alors ne pouvant suivre la pente qui d'ordinaire l'entraîne au nominalisme, et ne pouvant pas non plus s'arrêter a ce point indécis et mobile qui est le conceptualisme, à proprement parler, il remonte invinci-
4. C'est Reid quia mis Locke dans le parti du conceptualisme; \ou>z 4" série, tom. iv, leç. xxi, p. 258. « Locke devrait être placé parmi les conceplualisles. » La vérité est que Locke est à la fois conceptualisle et nominaliste; voyez 2« série, leç. xx, p. 213.
2. 4re série, t. m, leç. ne et mf.
.". |t« série, t. îv, leç. xxi.
■i: Philosophie de l'esprit humain, en. iv, sect. 2, avec les notes.
220 philosophie scholastiqie.
blement jusqu'au réalisme. C'est ainsi qu'en Allemagne nous avons vu le couceptualisme defeant s'élever successi- vement jusqu'au système le plus réaliste et le plus objectif qui ait été depuis Platon. Au fond, Abélard est un nomi- naliste qui s'ignore ou qui se cache. Moins conséquent et moins hardi, il ne révolte plus le sens commun, et il regagne en bonne apparence tout ce qu'il perd en pro- fondeur. Plus faible dans la doctrine, il est plus fort dans la polémique, il prête moins le flanc aux attaques du réa- lisme, et le combat avec plus d'avantage. Quand Abélard descendit dans l'arène, le nominalisme ne pouvait plus soutenir la lutte, et le réalisme était victorieux sur tous les points. Abélard renouvela la lutte; il força le parti vainqueur décompter avec le parti vaincu; il maintint sous un autre nom les droits du nominalisme; il le sauva en le tempérant ; et d'un autre côté, sans le vouloir, en combattant le réalisme il l'épura. On ne peut donc nier qu'il n'ait par là servi d'une manière mémorable la cause de la philosophie et celle de l'esprit humain.
III. APPLICATION DE LA PHILOSOPHIE d'ABÉLARD A LA THÉOLOGIE.
Nous avons reconnu le rapport du réalisme et de l'or- thodoxie chrétienne dans saint Anselme et dans Guillaume deChampeaux. Roscelin nous a montré la tendance hété- rodoxe du nominalisme; nous retrouvons cette même tendance dans Abélard et dans toute son école. Abélard est en théologie ce qu'il est en philosophie : ni tout à fait orthodoxe, ni tout à fait hérétique, mais beaucoup plus près de l'hérésie que de l'orthodoxie, et cela par une con- séquence nécessaire de l'esprit du nominalisme.
ABÉLARD. 221
Méthode théologique d'Ahélard. Du Sic et non , d'après les manuscrits de Saint-Michel et de Marmouticrs.
Roscelin, au lieu de se borner à l'exposition Adèle du dogme chrétien, avait tenté de l'expliquer, et en l'expli- quant dans le sens du nominalisme, il l'avait détruit. Abélard entra d'un pas ferme dans la roule frayée par Roscelin, et ce qui n'avait été jusqu'alors qu'une tentative incertaine, il Térigea en un principe général, il en (it une méthode. Partout dans ses ouvrages imprimés, il pro- clame l'introduction de la philosophie dans le domaine de la foi '. Mais on ne démontre que ce qui est ou parait douteux, et pour convertir les dogmes en démonstrations, il faut d'abord en faite des problèmes; et il faut poser ces problèmes avec le pour et le contre, avec des solutions contraires tirées d'autorités presque égales, avant d'éta- blir soi-même la véritable solution. C'est ce qu'Abélard a tenté dans un ouvrage original et hardi qui représente et résume sa méthode théologique. Cet ouvrage est le fameux Sic et non; le oui et le non, que nous avons re- trouvé et que nous publions ici pour la première fois. 11 convient donc à tous égards de faire connaître en détail ce curieux monument.
Guillaume de Saint-Thierry en dénonçant à saint Ber- nard la théologie d'Abélard , déférée plus tard et con- damnée au concile de Sens, en 1140, lui parle du Sic et non, comme d'un ouvrage suspect qui circulait mysté- rieusement parmi les élèves et les partisans d'Abélard 2.
I. Abœl. opp. Invectiva in qucmdam ignarum dialeciices, pag. 258 ; îi1 début de l'Introductio in theologiam christianam , pag. 974, et le Beond et le troisième livre de la Theologia christiana dans le Thésau- rus anecd noviss. de Pez, lom. v.
-'. s. Bernard, opp., tom. i , p. 301. « Sunt cutem , ut amlio, adhuc alia
1!).
222 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
C'est la la seule mention qu'on rencontre du Sic et non dans tout le moyen âge. Cependant l'ouvrage oublié n'avait point péri. Marlène et Durand ' nous apprennent qu'il existait encore de leur temps à Saint-Germain, et que leur confrère Dachery avait songé a le mettre au jour; mais qu'après l'avoir examiné sérieusement, il n'avait osé le publier de peur de scandale 2. Ce que les his- toriens de la philosophie ont dit du Sic et non n'a pas d'autre fondement que ce peu de lignes des deux savants bénédictins3. L'auteur de l'article Abélard , dans l'Histoire littéraire de la France , D. Clément , en parle seulement sur les notes laissées par ses prédécesseurs , car il déclare qu'il n'a pu retrouver à Saint-Germain le manuscrit qu'avaient eu entre les mains Dachery , Martène et Du- rand ; il suppose que ce manuscrit n'apppartenait pas à Saint-Germain, et que c'était l'un des deux exemplaires qui se voyait de son temps, à ce qu'il assure, à la biblio- thèque de Marmoutiers et a celle du mont Saint-Michel 4. En effet, le Sic et non n'est point aujourd'hui dans le fonds de Saint-Germain conservé à la Bibliothèque royale de Paris. Il n'est pas non plus et il ne passe point pour
« ejus opuscula, quorum noraina sunt : Sic et non, Scito te ipsnm, et alia <c quaedaiu de quibus timeo ne, sicut monstruosi sunt nominis, sic etiam « sint monstruosi dogmatis ; sed , sicut dicunt, oderunt lucem, nec etiam « quœsita inveniuntur. »
1. Préface du tome iv. du Thesaur. nov. anecd.
2. ïbid. «. Est pênes nos ejusdem Abaclardi liber in qno, genio suo in- « dulgens, omnia Christian» religionis mysteria in utrainque partem ver- te sat, uegans quod asserucrat et asserens quod negaverat ; quod opus ali- « quando publici juris faeere cogitaverat noster Dachcrius, verum serio " examinatum œternis tenebris potius quam lucc dignum de viroruui eru- « ditorum consilio esistimavit »
5. Brucker, tom. m, p. 765; Tiedemann, t. iv, p. 280, et Tcnnemann, t. vin, p. 490. ■ -î. Hist. lillér. de la France, t. su, p. 131.
ABÉLARD, 223
avoir jamais été dans l'ancien fonds du Roi, ni dans ceux de Saint-Victor, de Sorbonne et de Xotre-Dame. Toutes nos espérances se reportaient donc sur Marnioutiers et sur Saint-Michel ; et elles n'ont pas été trompées.
De la dévastation de la biliothèque du mont Saint- Michel pendant la révolution , nous savions qu'il était échappé un bon nombre de manuscrits qui avaient été transportés au chef-lieu du département , à Avranches. Un écrit réceût * donne une sorte de catalogue de ces manuscrits , fait par M. de Saint-Victor. On y trouve l'indication suivante : Commentarius in psalterium ac in Sic et non, sans nom d'auteur. Il n'était pas bien dif- ficile de soupçonner sous ce titre le Sic et non d'Abé- lard ; et ayant obtenu la communication de ce manuscrit par l'entremise de M. le ministre de l'instruction pu- blique, en l'ouvrant nous y lûmes d'abord en caractères rouges, parfaitement formés : Incipit prologus Pétri Abœlardi in Sic et non. Et la preuve incontestable que ce manuscrit est bien celui de Saint-Michel, c'est que sur le dernier feuillet est écrit d'une main ancienne : Iste liber est monasterii Montis sancti Michaelis in periculo maris.
Sur le dos de la couverture est le titre suivant : In psalterium ac in Sic et non, avec le n° 2384 , qui est probablement celui do la bibliothèque d' Avranches, tan- dis qu'à l'intérieur, sur la marge du premier feuillet, est marqué, d'une écriture beaucoup plus ancienne, le n° 237, qui doit avoir été celui de la bibliothèque de Saint-Michel.
i. Histoire pittoresque du Monl-Saint-Mkiiel, par Max. Raoul. Paris, 1833, in-8«.
2iï PHILOSOPHIE SCIIOLASTIQUE,
Le manuscrit est hi-4°, en parchemin, réglé, écrit avec soin, mais avec beaucoup d'abréviations; il appartient certainement au treizième siècle.
Il contient deux ouvrages : le commentaire de Bruno de Segui sur le psautier, qui a été publié ', et le Sic et non sans autre titre que celui-ci : Incipit prologus Pétri Abœlardi in Sic et non ; ce dernier ouvrage occupe -I7C) feuillets, qui forment le tiers du manuscrit.
Cependant notre parfaite conliance dans l'exactitude de Dom Clément nous laissait convaincu que le Sic et non devait se trouver aussi parmi les manuscrits de l'abbaye de Marmouticrs, et par conséquent a la bibliothèque pu- blique de la ville de Tours où ces manuscrits sont dépo- sés aujourd'hui. Aussi, au premier examen , et sur les indications que nousavions transmises, \eSic etnon fut-il trouvé sous le n° 99, dans un in-folio intitulé : Glossœ in sacrant scripturam ; et nous parvînmes à obtenir de la ville de Tours que ce manuscrit nous fût envoyé, afin de le collationner avec celui d'Avranches, et de tirer de l'un et de l'autre un texte plus sur.
Nul doute que ce manuscrit ne soit celui de l'abbaye de Marmou tiers ; car on lit sur le premier feuillet : Glossœ in scripturam sacram major is monasterii congr. S. Mauri. C'est un in-folio en parchemin, d'une écriture qui appartient, comme celle du manuscrit d'Avranches, au treizième siècle.
Ce manuscrit est une collection d'un grand nombre de pièces de toutes sortes. Un savant bénédictin, peut-être Dachery, Martène ou Durand, en a fait un examen ap-
{. Voyez Falmcius, Uibl. med. lai., art. Bruno,
ABÉLARD. 225
profondi et a déterminé le sujet et le titre de chacune de ces pièces, dans un index placé en tête du volume.
Le Sic et non occupe dans le manuscrit de Tours viugt-sept feuillets, à deux colonnes.
Quand on compare ce manuscrit a celui d'Avranclies, on le trouve plus complet sous certains rapports et moins complet sous quelques autres. L'ouvrage comprend d'abord une préface, appelée prologue, prologus, exactement de la même étendue dans les deux manuscrits. Puis vient l'ouvrage lui-même, composé d'un certain nombre de cha- pitres, sous la forme de questions. Chacune de ces ques- tions a son titre soigneusement marqué en encre rouge dans le manuscrit d'Avranclies, tandis que les titres man- quent assez souvent dans celui de Tours. Souvent aussi plusieurs questions sont réunies en uue seule dans ce der- nier manuscrit; celui d'Avranclies divise davantage. Quel- quefois l'ordre des chapitres ou questions n'est pas le même dans tous les deux , et il y a une foule de morceaux qui dans celui-ci se rapportent à telle question et dans celui-là à telle autre; et dans chaque question, l'ordre des paragraphes n'est pas le même non plus. Enfin les der- nières questions manquent entièrement dans le manuscrit de Tours. Mais , en revanche, il contient de fort longs ex- traits de Bède le Vénérable, qui peuvent très-bien avoir été faits par Abélard dans le même but que le reste de l'ouvrage; à la suite de ces extraits viennent encore d'autres extraits du livre des Retractationes de saint Augustin, que le prologus promettait formellement dans l'un et l'autre manuscrit, et que celui d'Avranclies ne donne point.
Si maintenant on examine ces deux manuscrits sous le
226 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
rapport de la pureté du texte, celui de Tours nous paraît eu général préférable. Il présente rarement de ces fautes grossières qui trahissent un copiste sans intelligence. Nous avons donc pris pour base de notre travail le manuscrit d'Avranches, a cause de son ordonnance, de ses divisions bien marquées, de ses titres commodes , et nous l'avons fréquemment rectifié dans le détail sur le manuscrit de Tours.
Mais il est temps d'arriver a l'ouvrage lui-même. Expli- quons-en d'abord le sujet et le titre.
Le dialecticien Abélard, en entrant dans la théologie, y transporta d'abord ses habitudes philosophiques. Il conçut l'idée très-simple en elle-même, mais très-féconde, d'établir sur tous les points de quelque importance le pour et le contre, a l'aide de passages des saintes Ecri- tures et des saints Pères qui semblent se combattre et dire le oui et non, le Sic et non.
Au premier coup d'œil, c'est donc ici une pure com- pilation d'autorités contraires ; mais, en réalité, c'est une construction de problèmes et d'antinomies théologiques puissamment établies , qui condamnent l'esprit a un doute salutaire, le prémunissent contre le danger de toute so- lution étroite et précipitée, et le préparent a des solutions meilleures. Mais ces solutions ne sont pas même indi- quées , et elles ne devaient pas l'être; car Abélard eût fait alors un traité de théologie, et non pas ce qu'il voulait faire, une préparation critique à la théologie. Et il ne faut point s'effrayer ici, avec Dachery, Durand et Mar- tène, de l'apparence du scepticisme ; car ce scepticisme n'est que provisoire : Abélard se réservait de lever ensuite les contradictions qu'il avait d'abord amassées, et de re-
ABÉLARD. 22
conduire à la foi et a l'orthodoxie chrétienne à travers le doute et parla puissance même de la dialectique.
Les questions du Sic et non embrassent la théologie tout entière, et forment en quelque sorte la table des ma- tières des traités dogmatiques de théologie et de morale composés par Abélard. Chaque question ou chapitre sup- pose une assez grande lecture , et le choix des autorités une érudition bien entendue. Les auteurs le plus fré- quemment employés sont , avec les saintes Écritures, les pères et les docteurs de l'Eglise latine, surtout saiut Au- gustin, saint Jérôme, saiut Ambroise, saint Hilaire, saint Isidore, saint Grégoire, Bède le Vénérable. Les pères de l'Eglise grecque sont bien plus rarement invoqués , et on se sert toujours des traductions latines. Boëce revient souvent et comme théologien et comme philosophe. Des autorités profaues sont mêlées aux autorités sacrées. Aristote est cité plusieurs fois, et dans la traduction latine de Boëce. A côté de Boëce et d'Aristote, sujets habituels des études d'Àbélard, on rencontre quelquefois Sénèque et Cicéron. Un seul poëte est cité, et ce poëte est Ovide, et Ovide dans l'Art d'aimer.
Quant aux questions elles-mêmes , elles sont posées avec une grande indépendance. Par exemple, les ques- i tions suivantes contiennent et renouvellent les vieilles controverses de l'arianisme et du sabellianisinc : Q. <>. Quod sit Deus tripartitus ? et contra. 7. Quod in tri- nitate non sunt dicendi plures œterni ? et contra, il. Quod non sit substantia ? et contra. -Il . Quod divinœ personœ ad invicem differunt? et contra. 12. Quod in trinitate alter sit unus cum altero ? et contra. 13. Quod Deus sit causa jilii ? et contra, \A. Quod sit
228 PHILOSOPHIE SCI10LASTIQUE.
filius sine principio ? et contra. 15. Qaod Dcus non genuit se. 17. Quod soins paler dicatur ingenilus ? et contra. 4 8. Quod œlerna generatio filii narrari vel sciri vel intelligi possit ? et contra. Voici des questions qui ne sont pas sans rapport au nestorianisme : 62. Quod Deus personam hominis non susceperit, sed na- turam ? et contra. 63. Quod filins Dei mntalus sit sus- cipiendo carne m ? et contra. Eu voici d'autres qui re- muaient les cendres du pélagianisme : Q. 27. Quod prœ- destinatio Dei in bono tantum sit accipienda ? et contra. 35. Quod nihil fiât Deo nolente ? et contra. 54. Quod homo liberum arbitrium peccando amiserit ? et contra. Je veux encore signaler la question 23. Quod philosophi quoque trinitatem seu verbum Dei credide- rint? et non ; question qui peut nous faire comprendre cette autre accusation portée contre Àbélard , qu'il était trop favorable a la philosophie païenne et surtout à Pla- ton '. Du reste, il est impossible de donner une idée plus précise du travail d' Abélard : ce serait citer des citations; nous renvoyons à l'ouvrage lui-même 2. i\ous avons pu- blié intégralement toutes les questions qui présentent en- core aujourd'hui quelque intérêt, et nous avons eu soin de donner le titre de toutes les autres et de marquer leur place, afin qu'on eût une idée exacte de l'ensemble de cette singulière composition.
Mais la partie la plus curieuse du Sic et non, celle qui lui donne son vrai caractère, c'est l'introduction, le prologus où Abélard indique lui-même le but qu'il s'est proposé, et découvre de loin en loin l'indépendance de
\. Epistol. ad papam Innoccntiura. S. Bern. opp. t. i, p. 650. 2. Ouvr. inéd., p. 5-UîO.
ABELARD. 229
ses vues. Il s'y rencontra plus d'un germe, faible encore, que le temps a développé.
1° Abélard commence par remarquer l'extrême diffi- culté de l'interprétation des textes sacrés, et il en énu- mère plusieurs raisons ; celle sur laquelle il insiste da- vantage, est le caractère particulier du langage des saintes Ecritures et même de la plupart des saints Pères. Ce lan- gage n'était pas destiné aux doctes ; il a été fait pour les ignorants, et il en est d'autant mieux approprié aux be- soins du peuple. A cette occasion, Abélard prend vive- ment le parti de cette façon d'écrire et de parler, et, en manière d'apologie des saints Pères, et par la bouche de saint Augustin il adresse aux professeurs de son temps les conseils de la sagesse la plus ingénieuse et la plus hardie.
2° La seconde difficulté d'une bonne interprétation est la corruption des textes, et la multiplicité des ouvrages apocryphes. Ici Abélard est encore plus en avant de son temps. 11 n'hésite pas a déclarer que souvent « on a « mis parmi les livres sacrés bien des ouvrages qui ne le « sont pas, afin de leur donner de l'autorité. ».... « Et « dans les ouvrages authentiques, et qu'il faut véritable- « ment attribuer à l'Esprit saint, beaucoup de passages « sont corrompus. » Il ne s'en tient point a cette asser- tion générale; il l'explique, et il donne un assez bon nombre d'exemples décisifs. Or, « s'il en est ainsi dans « le texte des saintes Ecritures, à plus forte raison en est- « il de même dans les ouvrages des Pères. La source de « ces altérations est l'ignorance des copistes. Les églises « primitives étaient composées de gentils ignorants, et le « copiste qui ne comprenait pas tel ou tel mot, kl ou tel h. 20
230 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
« tour de phrase , croyait faire merveille en les chan- « géant; et pour corriger de prétendues erreurs, il en « introduisait de véritables \ »
3° Une condition essentielle d'une saine interpréta- tion, est de rechercher si le passage de tel ou tel Père, dont on s'autorise, n'a pas été rétracté par lui; par exemple, il y a beaucoup d'assertions de saint Augustin, sur lesquelles on pourrait être tenté de s'appuyer, si on ne connaissait pas ses Rétractations.
4° Il y a dans les Pères bien des choses qui se sentent de leur érudition profane, et qu'ils ont avancées sans y attacher une grande importance.
5° Ils parlent quelquefois selon le sens apparent, et d'après les opinions reçues de la multitude a laquelle ils s'adressent.
6° Leurs contradictions apparentes viennent souvent de la diversité du sens que les différents Pères attachent quelquefois au munie mol.
7° Quand les contradictions ne peuvent pas être réso- lues de cette manière, il faut s'en rapporter aux témoi- gnages les plus accrédités; et pour les passages dont on ne peut pas se rendre compte, il faut les abandonner en se disant, non que tel Père a tort, mais que le manuscrit dont on se sert est défectueux, ou telle autre raison qui n'ôte rien a l'autorité générale de ce Père.
8° Distinguer les écritures canoniques de l'Ancien et du Nouveau Testament, où tout est nécessairement vrai, d'avec tous les autres écrits ecclésiastiques, qu'il faut consulter sans qu'on soit tenu de les suivre. Faire excep- tion en faveur des apôtres, mais des apôtres seuls, et
\. Et ut errorera emendaret, fecit errorem.
ABÉLARD. 231
bien se garder encore de confondre les commentaires avec les textes.
Ces dernières règles sont exposées par Abélard avec beaucoup de réserve et entourées d'une foule d'autorités. On voit qu'il redoute de passer pour un téméraire, et de paraître trop donner a la raison ; aussi va-t-il jusqu'à recommander de porter dans l'interprétation sacrée l'es- prit d'humilité et cette charité « qui croit tout, espère « tout, supporte tout, et ne soupçonne pas aisément les « défauts de ceux qu'elle aime. » 11 faut avouer que, sous cet appareil de précautions et de citations, la pensée d'A- bélard fléchit au milieu de ce prologue, et le style avec la pensée; mais l'un et l'autre se relèvent a la fin, quand Abélard arrive au but du Sic et non. La il proclame hau- tement que la vraie clef de la sagesse est le doute. « Hàéfc « quippe prima sapientiœ clavis definitur, assidua scili- « cet seu frequens interrogatio.... Dubitando enim ad « inquisilionem veuimus; inquirendo veritalem percipi- « mus '. » Il s'appuie sur Aristote. 11 cite le témoignage de la Vérité elle-même, qui a dit : Cherchez-, et vous trouverez; frappez, et on vous ouvrira. Il invoque et présente a ses auditeurs l'exemple de Jésus-Christ lui- même, qui dès l'âge de douze ans s'asseyait parmi les docteurs, interrogeait, étudiait et faisait l'office d'écolier. C'est précisément, dit Abélard, parce que les saintes Écri- tures sont inspirées qu'il faut s'efforcer davantage d'en pénétrer le sens caché.
Il resterait à rechercher l'époque a laquelle a pu être composé le Sic et non. On voit par la lettre de Guillaume de Saint-Thierry qu'il parut dans le monde vers le môme
\. Ouvr. inéd., p. 10.
232 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
temps que les deux traités de théologie et de momie, et quelques autres ouvrages, par lesquels probablement il faut entendre X H examer on et surtout le commentaire sur les épîtres de saint Paul, commentaire évidemment écrit après X Introduction à la théologie, qui y est ci- tée, et avant la Théologie morale, qui y est annoncée. Le Sic et non parut donc ou plutôt commença a être connu en même temps que ces différents ouvrages; mais nous regardons comme assez vraisemblable qu'il aura été composé auparavant. En effet, il semble répugner qu'on pose des questions après les avoir résolues. Il eût été aussi inutile pour Abélard que pour les autres de revenir sur des contradictions qu'il aurait déjà levées; et c'est un homme au début de la carrière, et non pas un athlète consommé, qui fait ainsi provision de passages et d'auto- rités. Par cette même raison, on pourrait penser que cet écrit est même antérieur au concile de Soissons; car où ne conçoit guère que notre auteur ait pu entreprendre un traité dogmatique de la Trinité, avant les études d'é- rudition et de critique que représente le Sic et non. Nous inclinerions donc à le placer avant le concile de Soissons, c'est-à-dire avant H 21 . Dans ce cas, il ne resterait que deux époques à choisir : ou, lorsque après les malheurs qui suivirent sa liaison avec Héloïse , retiré à Saint- Denis, Abélard donna dans un lieu voisin de cette abbaye ces leçons qui attirèrent tant d'auditeurs, lui firent tant d'ennemis, et frayèrent la voie à sa première condamna- lion; c'est l'époque certaine de la publication du traité sur la Trinité ' ; ou lorsque, avant de connaître Héloïse, à son retour de Laon, il commença à appliquer la dialec-
4. Abœl. opp., p. 49-20.
ABÉLARD. 233
tique à la théologie, et qu'en possession de l'école du cloître il faisait, comme il le dit lui-même, des leçons de philosophie et de théologie ', avec des succès incroya- bles, attestés par la lettre de Foulques2. Celte dernière hypothèse semble préférable, parce qu'il est difficile d'ad- mettre aucune publication ni aucun enseignement théo- logique régulier d'Abélard avant ce premier travail, en quelque sorte préparatoire. Il y a une analogie frappante entre notre prologue et un opuscule du même auteur, in- séré dans la collection de d'Amboise 3, contre un igno- rant en dialectique, qui prétendait qu'elle était contraire à la théologie. Une grande partie des citations que ren- ferme ce petit écrit sont celles dont se compose la pre- mière question du Sic el non: Quod fuies humanis ra- tionibus sit adstruenda ? Aristote y est cité comme dans le prologue, avec le litre de Peripatelicorum princeps, presque a l'égal de Jésus-Christ. Sans doute on reconnaît dans ces deux écrits un homme qui se lient en garde contre les interprétations fâcheuses; mais son aventure de Laon, a l'occasion de son début en théologie et de son commentaire sur Ézéchiel 4, suffit à expliquer ces pré- cautions; et les écrits qu'Abélard a composés depuis sa première condamnation, entre le concile de Soissons et celui de Sens, contiennent des précautions bien autre- ment fortes. Le Sic et non serait donc de la même époque que YInvcctiva; ce serait le premier ouvrage théolo- gique d'Abélard, ouvrage qui n'aurait pas été d'abord fort répandu dans le monde : ce qui explique la plainte lar-
\. Abocl. opp., p. 9.
2. Ibid., p. 2(8.
3. Ibid., p. 238-252. ^. Ibid., p. 9.
10.
234 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
dive de Guillaume de Saint-Thierry; parce qu'il avait été composé pour les besoins personnels du professeur, comme une compilation commode d'autorités diverses, où il pouvait puiser dans l'occasion , et peut-être aussi comme un texte à son enseignement. Par tous ces mo- tifs, et sans prétendre donner ces conjectures pour des démonstrations , il nous semble que le Sic et non peut être considéré comme l'ouvrage de théologie le plus an- cien que nous possédions d'Abélard, et comme un mo- nument précieux de la première application de sa mé- thode théologique.
Doctrine théologique d'Abélard.
Maintenant à quelle théologie cette méthode l'a-t-elle conduit? Le Sic et non ouvrait une voie périlleuse ; com- ment Abélard y a-t-il marché? A-t-il vraiment expliqué la foi chrétienne, ou, comme Roscelin, a-t-il détruit ce qu'il entreprenait d'expliquer? Ici les écrits d'Abélard et tous les monuments du douzième siècle parlent assez haut. On sait qu'Abélard, dès ses premiers pas dans la théologie, y rencontra le dogme de la Trinité, ce fondement de la foi chrétienne, et qu'il y échoua comme avait fait avant lui Roscelin. On sait qu'en LI2I, traduit à un nouveau con- cile de Soissons comme Roscelin l'avait été en 1092 à un concile du même nom, il fut obligé de désavouer l'expli- cation qu'il avait donnée du redoutable mystère; et que, malgré ses rétractations, ayant persévéré dans sa doctrine, il fut vingt ans plus tard traduit à un autre concile, celui de Sens, condamné de nouveau et relégué dens la soli- tude. Le premier écrit sur la Trinité, qu'il fut contraint de brûler lui-même eu -H 21, n'a laissé aucune trace;
ABÉLARD. 235
mais les écrits condamnes au concile de Sens subsistent et sont imprimés. Ce sont, avec le Sic et non, V Introductio ad theologiam et la Theolog'ia christiana. Nous avons donc le corps du délit en quelque sorte, et l'acte d'accusa- tion préparé par Guillaume de Saint-Thierry, dressé et soutenu par saint Bernard ; car saint Bernard a été pour Abélard ce que saint Anselme avait été pour Boscelin. « Habemus in Francia, dit saint Bernard, novum de veteri « magistro theologum qui ah ineunte a?tate sua in arle « dialectica Iusit et nunc in scripturis sanctis insanit... « Et dum paralus est de omnibus reddere ralionein, eliam « quae sunt supra rationem, et contra rationein prœsumit « et contra fidem \ » En effet, quand on lit aujourd'hui les deux ouvrages incriminés, Y Introduction à la théo- logie et la Théologie chrétienne, on y trouve la dialec- tique, placée a la tête de la théologie, et l'esprit caché du nominalisme y minant les bases du christianisme, au lieu de les attaquer directement. C'est là la seule différence qui sépare ici comme ailleurs le disciple du maître. Le principe fondamental du nominalisme est que rien n'existe qui ne soit individuel, c'est-à-dire un. Mais le mystère de la Trinité est bien difficile à concilier avec ce principe, et Boscelin n'avait pu se tirer de cette alterna- tive : ou Dieu seul, qui est un, existe, et les trois préten- dues personnes de la Trinité n'ont pas d'existence propre et ne sont que des points de vue de notre esprit; ou les trois personnes existent réellement, cl alors ce sont trois
1. Epistol. ad pap. Innocent. — Opp. S. Bern. t. i, p. Gii, sqq. Guil- laume de Saint -Thierrj s'exprime de même [ibid , t. i, p. 501 ), ainsi que Gautier de Mortagne ( Dachery, Spicileijium, t. m, p. 524). Voyez aussi une lettre d'un anonyme dans le Thésaurus aneul. noiiss, de Pez,
t. V, p. oui.
236 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
réalités non-seulement distinctes pour l'esprit, mais sé- parées entre elles et formant chacune une unité indépen- dante, et dans ce cas l'unité qui les comprend est une chimère. Ahélard, qui part du même principe et qui est imbu du même esprit, rencontra la môme alternative, et il y succomba également, mais différemment. Roscelin avait sacrifié la réalité de l'unité de Dieu a la réalité des trois personnes ; Abélard paraît avoir sacrifié la réalité des trois personnes à l'unité de Dieu. 11 est certain, du moins, que les interprétations qu'il a données des trois personnes ont bien l'air de substituer des distinctions logiques à de véritables existences. Tantôt il compare les trois per- sonnes de la Trinité aux divers termes d'un syllogisme'; tantôt à l'empreinte d'un cachet relativement a ce cachet lui-même, ou bien encore a la forme relativement à la matière 2. Plus d'une fois il assimile les rapports des trois personnes entre elles au rapport dialectique de l'espèce et du genre3, analogie dont il résultait une subordination de rangs, une hiérarcbie enlre les trois personnes 4. 11
1. ïnlrod., lib. n, p. 1078. a Idem igitur est propositio quornodo con- clusio, sed differunt, etc , etc. » Theolog. christ., lib. m, p. 1281; lib, iv, p. 4295.
2. Inlrod., lib. n , p 1081. Ibid., lib. îv, p. 1505 et 1517. 5. Ibid. ,Vib. ii, p. 1083.
4 S. Bern. opp., t. ix, p. G47 : «. Execranda illa de génère et specic non
« similitude sed dissimilitudo quoniam cum genus quidem et species
« quod ad se in\ieem sunt, alteruni superius, alta inferior sit, Dcus aiitem
« unus Absit ut buic acquiescamus dicenti hoc esse filium ad patreni
« quod speeiem ad genus, quod honiinera ad animal, quod areuni sigillum
« ad ses, quod aliquam potentiam ad potentiam Ibid., p. C-Î8. Tenemus
« autem te docente ad hominis positioneni poni animal, sed non e con- <c verso, secundum regulam dialcctica; tas qua non quidem posito génère « ponitur species, sed posita specie ponilur genus. Cum ergo patreni ad « genus, filium ad speeiem referas, nonne id oratio similitudinis postulat « ut similiter posjto filio , patreni poni osleudas et non converti : ut quo-
ABÉLARD. 237
aime à comparer la Trinité chrétienne a celle de Platon, et dans cette comparaison le Saint-Esprit est Pâme du monde '. Mais, dans cet abaissement du Saint-Esprit, le dogme augustinien de la grâce devait nécessairement re- cevoir quelque échec; de sorte qu'à parler sincèrement, saint Bernard était assez fondé à lancer contre Abélard ces formidables paroles 2 : « Cuni de trinilate loquitur « sapit Arium, cum de gratia sapit Pelagium, cum de « persona Christi sapit Nestorium. » On peut le dire au- jourd'hui, si Roscelin était Irithéiste, Abélard était sabel- lien. Car, encore une fois, dès qu'on admet que rien n'existe que ce qui est individuel et un, ou la Trinité se résout en trois dieux, ou les trois personnes ne sont plus que ce que sont les genres et les espèces, c'est-à-dire des ressemblances mêlées de différences, c'est-à-dire des points de vue divers de la même chose, des conceptions distinctes de notre esprit, que le langage personnifie. Le conceptualisme, en philosophie, donne le sabellianisme en théologie, et le conceptualisme n'est pas autre chose que le nominalisme dans son principe, moins ses consé- quences extrêmes qui en révèlent toute la portée 3.
«modo qui homo est, necessario animal est, sed non eonvertitur; ita « quoque qui filius est necessario pater sit, et œque non convertatur? Sed « eontradicit tibi in hoc catholica fides. »
1. Inlrod., lib. ii , p. 1015. Tlieol. christ., lib. i,p. 1186. S. Bernard, opp., ibid.
2. S. Bcrn. opp., t. i, p. 185, epistol. ad Guidoncm de C.astello.
5. Ce jugement est celui qu'a porté de la théologie d'Abclard un de ses contemporains les plus éclairés, Othon de Frcisingen , de Gestis Frid., lib. i : « Sententiam vocum seu nominum in naturel! tenens tacaltate non « caute thcologia; adniiscuit. Quarc de sancta theologia docens et scribens, « très perso a as quas sancta ecclesia non vacua Domina tantum , sed res « distinclas suisque proprietatibus discretas bactenus et pie credidit et « ûdeliter docuit, nimis allenuans, non bonis usus excinplis, inter cœtera
238 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
Conclusion.
Tel fut Pierre Abélard. Il est, avec saint Bernard, dans l'ordre intellectuel, le plus grand personnage du douzième siècle. Comme saint Bernard représente l'esprit conserva- teur et l'orthodoxie chrétienne, dans son admirable bon sens, sa profondeur sans subtilité, sa pathétique élo- quence, mais aussi avec ses ombrages et dans ses limites parfois trop étroites, de même Abélard et son école repré- sentent en quelque sorte le côté libéral et novateur du temps, avec ses promesses souvent trompeuses et le mé- lange inévitable de bien et de mal, de raison et d'extra- vagance. Il exerça sur son siècle une sorte de prestige. De 1 108 à 1-140, il obtint dans l'enseignement des succès inouïs jusqu'alors, et qui, s'ils n'étaient attestés par d'ir- récusables témoins, ressembleraient à des inventions fa- buleuses. Il avait trouvé a Paris deux écoles célèbres, celle du cloître et celle de Saint-Victor, et il en suscita une foule d'autres pour soutenir ou pour combattre son système , et c'est de la qu'est née l'Université de Paris. Malgré ses erreurs et les analhèmes de deux conciles, sa périlleuse mais féconde méthode est deveuue la méthode universelle de la théologie scholastique. Les erreurs s'effa- cèrent, et la méthode resta, comme une conquête de l'es- prit d'indépendance. Pierre le Lombard est le fondateur reconnu de la théologie scholastique ; or, Pierre le Lom- bard est un élève direct d'Abélard, et l'héritier sinon de sa doctrine, au moins de sa méthode épurée et perfection- née : le Sic et Non est l'antécédent du livre des Senten-
« dixit : sicut eadeni oratio est propositio, assumptio et conclusio, ita ea- « déni essentia est pater et filius et spiritus sanctus. »
ABÉLARD. 239
ces '. Voilà pour la théologie. En philosophie, l'école que fonda Abélard eut un succès presque universel par le moyen terme commode qu'elle avait l'air de présenter a toutes les opinions. Chose assez rare, la modération du conceplualisnie fit sa fortune. Toute son originalité con- sistait peut-être a ne pas aller jusqu'au bout de ses prin- cipes : cette retenue lui conquit les esprits prudents, et l'autorité deBoëce lui donna la foule. Il resta bien encore quelques nominalistes, mais sans aucun crédit ; le réalisme se soutint honorablement; mais les esprits les plus distin- gués passèrent sous les drapeaux d'Abélard. Le concep- tualisme est en possession du sceptre des écoles , il joue le principal rôle dans le curieux et frappant tableau que Jean de Salisbury 2 nous trace du mouvement des études et des luttes des écoles à Paris au milieu du douzième siè- cle. Jean de Salisbury, sans contredit le plus bel esprit de son temps, libre penseur, élégant écrivain, est un dis- ciple fidèle d'Abélard3, et partout, dans le Policraticus 4 et dans le Metalogicus 5, il expose ouvertement son opi-
\. Uisl. lill., t. su, p. S88.
2. Mort vers 1180. Hist. littér., t. xiv, p. 80.
ô. Jletalog., n, 10. Ibi ad pcdes ejus prima artis liujus (la dialectique) rudiments accepi, et pro module ingenioh mei, quidquid excidebat ab ore ejus, tota mentis a\iditate excipiebam.
■5. Policratic, lib. il, c. 18. Quod (universale) forte facilius in iutel- leclu quam in natura rerum poterit inveniri, in quo gênera et species, dif- ferentias, propria et accidentia, quœ universaliter dieuntur, planuin est invenire, cum in aetu rerum substantiam universalium quœrere exiguus fructus sit et labor infinitus, in mente vero utiliter et facillime repe- riunlur
5. Metulog., n, 17. Alius serniones intuetur et ad illos detorquet quid- quid alicubi de univcrsalibus meminit scriptum. In bat autem opinionc depeehensus est Peripatetkus Palatinus .\b;ilardus noster, qui multoa re- liquit et adlnic quidem aliquos liabct liujus sedatores. Aiuici mei sunt....
240 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQVE.
nion sur les universaux, et cette opinion est celle d'Abé- lard, c'est-à-dire le conceptualisme.
Ainsi finit la première époque de la philosophie scho- lastique. Cette première époque s'est formée et développée sur le problème antique de la nature des universaux, transmis par Boëce a l'Europe chrétienne. Les diverses solutions de ce problème ont fait toute la philosophie de ce temps et les trois systèmes qui la partagent, à savoir, le nominalisme, le réalisme et le conceptualisme ; nous avons vu aussi comment ces trois systèmes philosophiques, dans leur application à la théologie, ont engendré autant de systèmes théologiques, dont chacun porte les carac- tères du principe qui l'a produit et qui le domine tou- jours. Et c'est ici qu'il faut se donner le spectacle de la puissance des principes. Un problème, digne à peine, ce semble, d'occuper les rêveries des philosophes, donne naissance à divers systèmes de métaphysique. Ces sys- tèmes troublent les écoles ; mais d'aboi d ils ne troublent que les écoles. Bientôt de la métaphysique ils passent dans la religion, et de la religion dans l'État. Les voilà sur la scène de l'histoire; ils interviennent dans les évé- nements de ce monde, suscitent des conciles, occupent des rois. Un Guillaume le Conquérant est mis en mouve- ment par le clergé d'Angleterre contre le nominaliste Ros- celin, et Louis VII préside l'assemblée où saint Bernard, le héros du siècle, porte la parole contre le conceplualisle Abélard, le maître d'Arnaud de Brescia. Encore n'est ce là qu'un prélude. Laissez marcher le temps : le concep- tualisme, qui pendant près de deux siècles a retenu dans son sein le nominalisme, le laisse échapper enfin, et cette nouvelle conséquence, ou plutôt cette conséquence re-
ABÉLARD. 241
nouvelle du môme principe, trouvant des temps plus fa- vorables, jette un bien autre éclat, soulève de bien autres tempêtes. Un autre Roseelin, Occam, en appliquant en- core une fois le norainalisme a la théologie et par la théo- logie a la politique, fait échec au Pape, met dans sa que- relle un roi et un empereur; et s'abritant contre les foudres de Rome sous les ailes de l'aigle impériale, il peut dire avec un légitime orgueil au chef du saint empire : « Dé- « fends-moi avec ton épée ; moi, je te défendrai avec ma « plume. » « Tu me défende gladio, ego te défendant ca- « lamo. » Abandonné par le roi de France, secouru par l'empereur d'Allemagne, l'indompté franciscain, échappé au cachot de Roger Racon , meurt dans l'exil à Munich ; mais il a enseigné à Paris; et cette terre n'a jamais laissé périr aucun des germes qui lui ont été confiés. L'Univer- sité de Paris embrasse la doctrine proscrite ; le nomina- lisme victorieux répand l'esprit d'indépendance; cet esprit nouveau produit les conciles de Constance et de Râle, où siègent les grands nominalistes, Pierre d'Ailly, Jean Ger- son, ces pères de l'Eglise gallicane, sages réformateurs dont la voix n'est pas écoutée, et que remplace bientôt cet autre uominaliste qui s'appelle Luther. Il ne faut doue pas tant piaisanter avec la métaphysique; car la métaphy- sique ce sont les principes premiers et derniers de toutes choses. La philosophie scholaslique a donc aussi sa gran- deur : elle mérite l'intérêt de l'histoire et par elle-même et par les événements auxquels elle se lie ; et quelque chose de cet intérêt doit se réfléchir jusque sur son en- fance, si obscure et si négligée. La première époque de la philosophie scholaslique est une époque de barbarie à la fois et de lumière : c'est Chailemagne qui l'ouvre ; ce il. 21
242 PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE.
sont les écoles carloviugiennes qui la remplissent; tout son trésor est l'Aristote de Boëce, tout son travail est la glose, et son résultat une première polémique où luttent déjà toutes les opinions. Abélard résume cette polémique et couronne cette époque. A ce titre, il méritait d'être sé- rieusement étudié, et nous croyons avoir jeté quelques lumières nouvelles et sur l'école qu'il a fondée et sur celles qui Tout précédé, à l'aide des manuscrits que nous avons retrouvés, et que la munificence nationale nous a permis de tirer de la poussière des bibliothèques et de livrer a l'étude des amis de la philosophie.
APPENDICE.
APPENDICE.
1.
Raban Maur.
Pour en finir avec les écrits de Raban que contient le manuscrit de Saint-Germain, et que précédemment *, nous avons considérés seulement par rapport au pro- blème de Porphyre, nous croyons devoir en donner ici une notice régulière et complète.
Le manuscrit de Saint-Germain 4310, autrefois 635, renferme deux gloses de Raban Maur, et, entre ces deux gloses, un fragment d'une troisième sans aucun titre et qui peut bien être du même auteur. Nous allons examiner successivement ces trois morceaux
I. Au fol. 86 r°, col. \, se présente une glose de Raban Maur sur l'Introduction de Porphyre, avec ce titre : Ra- bamis super Porphyriiw).
Elle commence par un long prologue, qui occupe sept colonnes et demie, et qui est divisé en deux parties : la première où Rahan détermine l'objet du traité de Por- phyre, et la place qu'il doit occuper dans l'ensemble de la logique; la seconde (fol. 83 v°, col. 2), où il examine le préambule du traité en question. Ce prologue commence ainsi :
I. P. 12, p. 18, p. 8-i-SS.
il.
246 APPENDICE.
« Intentio Porphyrii est in hoc opère facilem intellec- « tum ad Praedicanienta prœparare, tractando de quinque « rébus vel vocibus, génère scilicet, specie, differentia, « proprio et accidente, quorum coguitio valet ad Praedi- « canientorum cognitionem. Licet Porphyrius in hoc trac- « tatu de rébus iunumerabilibus agat, de omnibus scilicet « rébus generalibus et omnibus speciebus et differentiis « propriis et accidentibus , de quinque tamen agere di- « citur, quia de bis omnibus secundum quinque proprie- « lates tractât secundum bas scilicet quod vel gênera vel « species vel differentia? vel propria vel accidentia ea om- « nia dicuntur. Dicitur etiani Porphyrius de proposais « duobus modis tractare, scilicet secundum proprium « esse et secundum hoc quod ad aliquid referuntur.... »
L'auteur discute ensuite la question de savoir si Por- phyre, dans son Introduction, traite de mots ou decboses. Nous avons cité ce passage '.
Après avoir montré, d'après Boëce, l'utilité de l'Intro- duction de Porphyre pour l'intelligence des Catégories, et aussi pour la Division et la Démonstration, Raban exa- mine à quelle partie de la Logique cette Introduction doit être rapportée.
« Queeritur (fol. 86 r°, col. \ ) autem cui parti philo- « sophiœ supponatur. Dividitur enim pbilosophia in très « partes, Pbysicam, Etbicam, Logicam. Physica? non sup- « ponitur nec Ethicse, cum neque de rerurn naturis trac- « tet, quod ad pbysicam pertinet, neque de moribus, quod « ad etbicam pertinet, loquatur. Restât ergo ut logicae « supponatur. Post quam vero partem logica1 supponatur, « quaerendum est. Habet enim logica très partes, grain-
RABAN MAUR. 247
« maticam, rhetoricam, dialeclicam. Post granimaticam, « non enirn de génère secundum grammaticara tractât, « quia neque quomodo genus declinitur ostendit, neque « si sit priinitivum an derivativum, quœ omnia ad grani- « maticam pertinent. Neque in hoc tractatu docemur quo- « modo causas debeat disponere orator, quod ad rheto- « ricam pertinet. Reliuquitur igitur ut per dialecticam « logicae supponatur. Quœritur post quam partem dialec- « ticœ. Dialecticee euim duae sunt partes, una scilicet « scientia inveniendi, alia scientia judicandi, etc. »
Ruban aborde alors le préambule de Porphyre : Cum sit necessarium. « Talis est descensus ad litteram, etc. »
Nous voyous dès la première colonne que Raban ne connaissait pas les Analytiques d'Aristote. « Vel in de- « monstratioue, id est ad librum demonstrationum. Vo- « huit cniin quemdam librum essse qui vocelur liber de- « monstrationum, qui apud nos in usu non est. »
De la Dn de la 2e col. du fol. 86 v°, jusqu'au milieu de la 2e col. du fol. 87 v°, s'étend le commentaire sur la phrase célèbre Mox de generibus et speciebus. Nous avons cité ce morceau , page 87.
On arrive ainsi à la partie de la glose qui porte sur le corps même de l'ouvrage de Porphyre.
Fol. 87 v°, col. 2. Explicitprologus. Puis vient le com- mentaire sur le premier chapitre de Porphyre : De gé- nère.
Fol. 89 r°, col. 2. Explicit de génère. Incipit de specie.
Fol. 90 v°, col. 2. Explicit de specie. Incipit diffé- rentiel.
248 APPENDICE.
Fol. 92 v°, col. \ . Incipit de proprio. Fol. 93 r°, col. -I. Incipit de accidenti.
Ici les titres et les divisions manquent dans la glose de Raban. Cependant, pour plus de clarté, nous continuons de la diviser suivant les chapitres de l'édition de Buhle.
Fol. 93 r°, col. -I. De communitate et discrimine ge- neris et differentiœ.
Fol. 93 v°, col. I . De convenientia et discrimine ge- neris et speciei.
Ibid. De convenientia el discrimine generis et pro- prii. — Generis et accidentis.
Iiiid. De convenientia et discrimine speciei et dif- frentiœ.
Fol. 93 v°, col. 2. De convenientia et discrimine pro- prii et differentiœ.
Il faut remarquer dans cette glose l'emploi de formes qui se reproduisent dans les gloses d'Abélard avec plus de suite et d'uniformité. Ainsi Raban indique quelquefois le lieu commun auquel peut se ramener l'argument de Porphyre. Par exemple, fol. 88 r, col. I, genus enim. « Probat quod genus non dicitur simpliciter, sic: sigeuus « dicitur tripliciter, tune non dicitur simpliciter. Locus « ab appositis, maxima propositio : si aliquid oppositum « convenit alicui, suum oppositum removetur ab eodem.» On trouve aussi la forme vere.... quia, si fréquente dans Abélard. Fol. 88 r°, col. 2 init. : « Vere ille qui genuit « et locus in quo quis genitus est, vocatur genus , quia « Tantalus et Hercules, et Tlieba? et Atbenre. » Ces rap- prochements établissent l'existence d'une espèce de Ira-
RABAN MAUR. ~Ï0
dition do formes chez les glossateurs, au moins du neu- vième au treizième siècle.
Du reste, la glose de Raban n'offre rien qui mérite d'être cité. Nous indiquerons seulement, fol. 89 r°, col. I , un passage où il examine une contradiction apparente entre Porphyre et Àristote dans les Catégories. Porphyre avait dit : « Eorum enim quae prœdicantur, alia quideni « de uno dicuntur solo, sicut individua. » Raban ajoute : « Aïdelur etiam Porphyrius esse contrarius Aristoteli, « quia concedit individuum substanliœ de aliquo prae- « dicari; Aristoteles autem dicit nullum individuum sub- « stantia? de aliquo prœdicari : ibi a principalisubslantia « nulla est prœdicatio. Sed respondendum est ibi Aristo- « lelem agere tantum de pra?dicatione ut de inferiori. « Hic vero Porphyrius accipit pnedicationem vel ita quod « superius pradicelur de inferiori, vel etiam ita quod « idem de se ipso prœdicetur. »
II. De la feuille 94 r°, col. I, à la feuille 93 r°, col. \, inclusivement, se trouve un fragment de glose sur le De differentiis Topicis, lequel commence au milieu de l'ex- plication de celte phrase de Boëce : « Aliquotiesenim quaî « dividuntur siinul esse possunt, ut si voceni in signiGca- « tiones dividamus, omnes simul esse possunt, velnti cum « dicimus : amplector , aut actionem siguiûcat aut pas- « siouem, utrumque simul signilicare potest; » c' est-a- dire vers la fin du IIe livre de l'ouvrage de Boëce. Au tiers environ de la 2e colonne du fol. 9 ï r°, commence le com- mentaire sur le IIIe livre. La dernière phrase du texte qui soit citée est celle-ci : « nain mullorum in multis similitudo « proportio est. » La glose se termine ainsi : I\'am mul-
250 APPENDICE.
« torum. Vere locus a proportione est locus a simili, quia « proportio est similitudo mul torum in multis. Locus a « causa, et hoc est : nam multorum iu multis, etc. » Il manque donc la glose sur les dernières lignes du IIIe livre ; et il n'est pas question du IVe, qui traite des lieux de rhétorique et ne se rapporte plus à l'étude de la dialec- tique.
Dans cette glose, comme dans celle de Raban sur Por- phyre, nous retrouvons souvent cette forme qui se ren- contre sans cesse dans Abélard, locus a causa, a pari, etc., pour indiquer le lieu d'où est tiré l'argument. Dans la dernière phrase que nous venons de citer, elle est suivie de la forme et hoc est qui annonce la citation du texte original. Mais cette forme, si familière à Abélard, est ici très-rare. En revanche celle de vere... quia est très-fré- quente.
Ce fragment ne présente rien en lui-même d'où l'on puisse tirer quelque induction sur l'époque a laquelle il a pu être composé, ou sur l'auteur auquel il faut le rap- porter; mais comme il se trouve placé entre deux ouvrages qui portent le nom de Raban, et qu'il est de la même écriture que le second et unit sur la même feuille où celui-ci commence, il est naturel de l'attribuer également a Raban.
III. Après ce fragment vient un commentaire de Raban, qui s'étend du fol. 95 r°, col. 2 init., au fol. 100 v°, col. 2, après quoi il est brusquement interrompu.
Ce commentaire a pour titre : Rabanus super teren- civaa; ce dernier mot n'a pas de sens, et, comme nous l'avons dit, page 85 , il cache probablement Perierme-
h
RABAN MAUR. 251
nias, car cet écrit est un commentaire sur le Traité de r Interprétation.
La version latine qui sert de texte est celle de Boëce.
En tête sont d'assez longs prolégomènes, qui s'étendent depuis le commencement de la 2e colonne du feuillet 95 r°, jusqu'au tiers de la -lre colonne du verso de ce même feuillet, ce qui fait trois ou quatre pages in-4°, au moins.
Voici le début : « Intentio Aristolelis est in hoc opère « de simplici enuntiativa interpretatione et de ejus ele- « mentis, nomine scilicet atque verbo, gratia ipsius sini- « plicis enuntiativœ inlerpretationis pertraetare, in tan- « tum in quantum animi cogitationes intellectusque signi- « ficant. »
Cette introduction est calquée sur celle de Boëce dans son second commentaire sur le Traité de l'Interprétation. Raban rapporte d'après Boëce les opinions des différents commentateurs, d'Audronicus de Rhodes, d'Àspasius, d'Alexandre d'Aphrodisée. C'est par les mêmes arguments et dans les mêmes termes qu'il défend l'authenticité de l'ouvrage original, contestée par Androuicus; c'est dans les mêmes termes encore qu'il en assigne la place et le rôle dans l'ensemble de la logique d'Aristote.
Par l'extrême subdivision du texte, le commentaire de Raban finit par se rapprocher de la forme de la glose. En voici le contenu.
Fol. 96 v°, col. I. : explication du premier chapitre du traité de l'Interprétation : De nomine.
Fol. 96 r°, col. -I. De verbo.
Fol. 9 v°, col. I. De oratione.
Fol. 96 v, col. I. De enuntiatione.
Fol. 97 v°, col. -I . De affirmât iow et negationc
252 APPENDICE.
Fol. 97 v°, col. 2. De affirmationum et negationum vontrarietatibus et contradictionibus.
Fol. 98 r°, col. 2. De oppositione quando non est una affirmatio aut negatio.
Ibicl. De oppositionibus in futur is continentibus.
Fol. -100 r°, col. \. De oppositione enuntiationum tertiiadjacentis (Boëcc : De enuntiationibus infiiiitis). Le manuscrit s'interrompt sur ce chapitre à la moitié en- viron du commentaire. Vient ensuite une paraphrase des Psaumes d'une écriture différente.
II.
GLOSES DU Xe SIÈCLE SUR LES CATÉGORIES , ETC.
Le manuscrit de Saint-Germain n° H 18, autrefois n° 442', est évidemment celui dont parlent Mabilion et l'Histoire littéraire. Voici d'abord ce qu'en dit Mabillon (Nouv. Traité de diplom., tome III, page 519) : « Dès le « dixième siècle, on commençait à conjecturer qu'il pou- « vait y avoir des antipodes. Dans une note marginale « sur la Dialectique et les Prédicaments renfermés dans le « manuscrit Cl 3 de Saint-Germain- dès-Près, qui est de « ce siècle-là, on lit : JManifestum est quod antipodes « supra se cœlum habent. Ferunt quidam esse antipodes « homines in alio orbe, quos dividit a nobis Oceanus, « quos eliam dicunt viverc more et cultu Persarum. Quod « autemvivere possint subtus lerram, non répugnât lidei, « quod hoc agit natura terra? quai speroides (sphaToides)
1. Plus liant, p. 00.
GLOSES DU Xe SIÈCLE SIR LES CATÉGORIES. 253
a est. » En effet nous trouvons cette note marginale dans le manuscrit 1 108, fo!. 30 r°.
Ce manuscrit contient un assez grand nombre d'opus- cules latins :
^ ° Traité de l'Interprétation d'Aristote : Incipiunt Pe- riermeniœ Arisiotelis. C'est la traduction de Boëce. Sur les marges et entre les lignes de la première page, on lit le commencement d'une glose, éNidemment empruntée au premier commentaire de Boëce sur le Traité de l'In- terprétation. En voici les premières lignes : « lste liber « inscribilnr Periermenias, id est de inlerpretalione. Est « autem interpretalio vox signilicativa, per se ipsa aliquid « significans. Hoc facit nomen, ut bomo; boc et verbum, « ut currit, etc. » La glose ne s'étend pas au delà de la première page, et elle s'arrête à la sixième ligne du cba- pitre de nomine. F0 \ \ \°, fin. Eaplicit liber Perierme- niarum Aristotelis.
2° F0 12 r°. La dialectique, attribuée à saint Augustin, « Aurelii Auguslini Dialectica incipit liber, » accompa- gnée d'une glose marginale et inlerlinéaire, précédée d'un prologue, sans nom d'auteur, que nous donnerons tout entier :
« Aurelius vocatur dompnus Augustinus abaura, id est « favore populari; Augustinus item propler ampliflcatus, « eo quod ampliticaverit rem publicam in libris scriben- « dis. Episcopus Hipponaa segregat eum ab alio Auguslino « qui fuit doctor in Anglis. Nam scimus bunc Augustinum « esse episcopum de Ilippona civitate. Dia enim, quando « per iota scribitur, signilicat de vel ex pra'positionem; « quando vero per y, signilicat duo, sicut est dyalogus;
ii dyu enim duo, logos sermo dicitur, unde et dijalogos ii. ii
254 APPENDICE.
« duorum sermocinatio exponilur. Sed omisso isto no- « mine, transferanius nos ad dialecticam, de qua nunc « nobis loqui oportet. Dyalectica autem proprie de dic- « tione quum in ea rationabiliter de diclis disputatur. « Ne quidern videretur de per appositionem dici, quem- « admodum dicimus de monte, de domo; junctim pro- « ferenda est dyalectica. Secundum vero Joannem Scot- « tum, est dyalectica quaxlam fuga et insecutio , vit cum « quis dicit : omnis honestus est, et insequitur alius di- « cendo : omnis honestus non est, talis hœc disputatio « fugœ et insecutioni videtur esse consimilis. Dicitur mi- « crologa, id est parviloga, sicut rhetorica macrologa, id « est longiloga dicitur. Macron enim dicunt grœce Ion- « gum. Est autem dialectica disciplina rationalis diffi- « niendi, disserendi, ac vera de falsis discernendi potens.
« Hune libellum edidit dompnus Augustinus de origine, « elymologia verborum, partim quidern ad immunitio- « neni Stoicorum, partim vero ad confusionem. Nain « Stoici dicebant nullum verbum esse quod non babeat « originem, aut sciatur, aut lateat. Quibus ille contradi- « cit, innumerabilia inquiens verba quorum ratio reddi « non possit. »
La glose commence en prenant pour point de départ cette phrase du prologue où la dialectique est dite micro- loga et la rhétorique macrologa. « Dialectica nempe est « pugnus astriclus, sicut et rhetorica palma quœdam « extensa. Unde raros et studiosos requirit magislros. « Pauci enim sunt qui eam diligentissime ac plenissime « scire et investigare possunt. Rbetorica autem in lurbas « populorum procedit veliementissime, sicut videtur in « legislatoribus et reliquis viris qui optime sciant rheto-
GLOSES DU Xe SIÈCLE SUR LES CATÉGORIES. 255
« rizare, et longe lateque verba sua extendendo fun- « dere. »
On trouve dans le courant de cette glose un assez grand nombre de mots latins traduits en grec et écrits en carac- tères grecs. On n'avait à cette époque qu'une connaissance fort superficielle du grec, comme ou a pu le voir par le prologue, où dialogus et dialectica sont dérivés de £ûo et niL'ine de £ûa, qui n'est pas grec. De même, à la marge du feuillet 46 v°, nous lisons : Bonus, agatos ; melior, agatoteros.
3° F0 21 v°-22 r°. Deux courts fragments, sans nom d'auteur, sur le rapport de l'être à la forme et au bien. Comme les morceaux de métaphysique sont rares au dixième siècle, nous donnons ces deux fragments.
I. « Nonnulli differentiam quaerunt inter esse nostrum « et id quod est in forma. Quibus sciendum est esse nos- « truni in Deo esse simplex. Id vero quod est et apparet « in forma. Licet ab esse Dei quod est nostrum esse pro- o cedat, compositum tamen esse non simplex, et ideo « particeps est accidentium dum in forma consistit cui « subjecta est materia. Ipsum vero esse nostrum nullum « accidens admittit, quippe iu Deo est, et, ut dicam, Deus « ipsum est, cui nihil extrinsecus accidit, sed idem ei est « esse quod est ens, nobis autem longe aliter. Quanto « euiin longius iu ipsa creationis mutabilitate ab ejus esse « recessimus, tantoamplius nostrum ens compositum ejus « simplici dissimile est.
II. « Ornnia quae sunt bona sunt in eo quod sunt, id « est in hoc quod esse habent bonum; non tamen sunt « substantialia bona, quia non perse ipsa bona sunt, sed « a Deo qui est esse omnium sumpserunt ipsum bonum.
250 APPENDICE.
« Posset autem aliquis dicere : quia ergo dicis non a se « ipsis habent bonum, sed aliunde, id est ab esse suo « acceperunt, bonuin quod habent parlicipatione habent, « id est per accidens. Boethius oceurrit ei argumentando. « dicens nec participatione ipsa bonum babere. Nain si « participationem haberent, taie esset in eis bonum par- ti ticipatione bonilatis quale est album in bis qme alba « sunt participatione albedinis, id est accidens. Non sunt « igitur participatione bona, quia in eo quod sunt, id est « quod subsistunt, a bono esse suo habent bonum. Alba « vero quae sunt non sunt alba in eo quod sunt, quia non « ab esse suo hoc acceperunt quod alba sunt : hoc enim « non habent albedinem in essentia sua, sed extrinsecus « acceperunt eam, per accidens, id est per eventum ali- « quem contingentent substantif. Ideo etiam alba non « sunt alba in eo quod sunt, id est in eo quod subsistunt, « quia il le qui albus non est ea esse alba voluit. Sed nec « justa sunt in eo quod sunt, id est in sua essentia ea « quaî justa sunt, licet justus sit ille qui ea justa esse vo- « luit. Hoc enim differt bonitas a justitia quod bonitas ab « esse procedit, justitia ab actu. Orane igitur quod est « bonum est, sed non omne quod est justum est; ac « per hoc bonum générale est, justum vero spéciale; « ideoque omne justum bonum, non omne bonum jus- ci tum. »
Le dernier de ces deux fragments est évidemment une sorte de résumé du traité de Boëce intitulé An omne quod est bonum sit.
4° Entre le feuillet 23 v° et le feuillet 24 r°, est inter- calée une petite feuille de parchemin qui contient quel- ques vers de différents auteurs, savoir : de Jean Scot, de
GLOSES DU Xe SIÈCLE SUR LES CATÉGORIES. 257
Bède, de Juvencus, de Prudence, de Virgile, de Perse, et enfin quelques vers d'anouymes ; entre autres une épi- laplie de saint Augustin.
Nous ne rapporterons que les deux vers de Jean Scot, que caractérise le mélange bizarre du grec avec le latin :
Si vis uranias sursum volitare per auras, Ouiraate glaucivido lustrabis templa sophyaï.
5° F0 24 r°. Le traité sur les Catégories, attribué à saint Augustin, avec le prologue en vers d'Alcuin imprimé dans les œuvres de saint Augustin, t. I, appendix, et une glose marginale et inlerlinéaire. L'auteur de cette glose, d'ailleurs insignifiante, paraît avoir été un certain Henri, professeur a Reims; car on lit au haut de la quatrième page, f° 25 v° : « Henricus , magister Remigii , fecit lias « glossas. »
A la lin du texte se trouvent ces vers :
Explicil ampla suum stringens dialectiea pugnum. Augustine, tonas divini fulmina verbi, De quibus humanos pneterebras animos.
6° Entre les feuillets 32 v° et 33 r° est intercalée une petite feuille de parchemin contenant une épitaphe en vers, sans nom d'auteur, sur Diogène le cynique :
Die, canis, hic cujus tumulus? Canis. 0 canis, inquit,
Diogenes obiit? non obiit, sed abit; Diogenes, cui pana penus, cui dolia sedes,
Ad mânes abiit, Cerberus unde vetat. Parva polenta, tripos, baculus, scyphus, aria supullex
Ista fuit cynico; députât hoc nimium.
C'est répigramme de V Anthologie citée par Ménage,
258 APPENDICE.
notes sur Diogène de Laerte, tom. n, lib. vi, page 254.
7° F0 38 v°. Dissertation anonyme, d'une demi-page environ, sur le rapport et la différence de Y image, de la similitude et de Y égalité.
8° Ibid. Dissertation anonyme, adressée à un abbé qui en avait fait la demande par l'entremise d'un certain Fredilo, sur le mélange d'huile et de cire dont les athlètes se frottaient avant le combat.
9° Sur la marge et au bas de la seconde page de la pe- tite dissertation dont nous venons de parler se trouvent les noms des Muses avec leurs attributions, le commen- cement d'une fahle en vers, l'Homme, le Serpent et le Sanglier, et quelques phrases détachées de saint Augus- tin, etc.
4 0° F0 40 r°. \° Fragment d'un auteur ecclésiastique, désigné par ces seuls mots : Johannis episcopi ; proba- blement saint Jean Chrysostôme. 2° Glose sur quelques passages de la seconde épîlre de saint Paul aux Corin- thiens. 11 y est fait mention d'une copie de cette cpilre, qu'un évêque Chuduin avait apportée d'Angleterre en Bretagne, et qui était ornée de miniatures. Il s'agit de ce verset : « A Judœis quinquies qnadragenas una minus « accepi.... » « Prœceptum namque eral legis, ut qui dé- fi linquentem verberarent, ita modum vindictœ tempera- ci rent, ut plagarum modus quadragenarium numerum « minime transcenderet. Quod ita ab anliquis intellectum « testatur eliam pictura ejusdem libri quem reverentissi- « mus ac doctissimus vir Chuduinus, orientalium Anglo- « rum antistes, veniens a Roma, secum Britanniam de- q lulit, in quo videlicet libro omnes pêne ipsius apostoli « passiones sive labores per loca opportuna erant de-
GLOSES DU Xe SIÈCLE SDR LES CATÉGORIES. 259
« picta. Ubi hic locus ita depictus est quasi denudatus « jaceret apostolus, laceratus lacriniisque perfusus, su- « perastaret ei tortor quadrifldum habens flagellum in « manu, sed unam e fidibus in manu sua retentam , très « vero reliquas solum ad feriendum babens exertas. »
\\° F0 40 v°. \° Explication d'un certain nombre de mots grecs et hébreux , et étymologie de quelques mots latins. 2° Fragments du commentaire de saint Jérôme sur le traité d'Origène, wepî às/ûv.
-12° F0* 41 \"-A\ v°. Tables du cours de la lune, par Bède. C'est une partie de l'Embolismus imprimé dans le 4er volume de ses œuvres.
43° F° 42 r°. Table des lettres dominicales composée à ce qu'il paraît par un frère de Jean Scot, nommé Aldel- mus : on lit au haut de la page :
« Frater Johannis Scotti Aldelmus fecit istam pa- « ginam;.... anno Domino dcccxcvi, etc. » C'est ici la seule mention que nous connaissions d'un frère de Jean Scot.
-14° F° 42 v°. Table de saint Jérôme, pour trouver la lune de chaque jour.
4 5° F0 43 r°. Fragment d'un traité de musique, sur les sons que donnent deux flûtes qui sont entre elles dans différents rapports de diamètre et de longueur.
-16° F03 43 r0-44 r°. Fragment sur les quatre classes d'iiommes qui seront jugées au jugement dernier, sur la nature delàme, sur les vertus, etc.
-17° f° 44 r°. Liste des noms de nombre cardinaux en grec, avec la traduction latine, et pour titre, ce vers :
Grxcorum lalio produntur grammala rhylhmo.
260 APPENDICE.
•18° F0 44 v°. Fragment sur les vies des premiers pli i— losophes ; les sept sages, Phérécyde, Thaïes, Anaximandre, Anaximène, Xénophane, Parménide , Pythagore , Empé- docle et Heraclite. Ce fragment n'occupe que treize lignes, et est tout à fait insignifiant.
4 9° F0 45 r°. Fragment anonyme d'un sermon sur la nécessité de la pénitence.
20° Fos 45 v°-52 v° fln. Introduction de Porphyre aux Catégories , avec glose marginale et interlinéaire. Celte glose est précédée d'un prologue, calqué sur le prologue du second commentaire de Boëce, et qui, par conséquent, ne nous a pas paru mériter d'être publié. Nous avons donné, pages 90-93 , les passages qui se rapportent à la phrase célèbre du texte de Porphyre sur la nature des genres et des espèces. F0 52 v°. Explicitas est liber Porphyrii.
Scripturae fmem sibi quœrunt hic Isagogœ;
Parva quidera moles, magna sed utilitas. Jepa (?) hune scripsi glossans utcunque libellum;
Quod logiese si sit, scire legens poterit.
2-1° F0 52 v°. Fragment du commentaire de Boèce sur les Catégories, chapitre des Oppositions.
22° F0 33 r°-47 r°. « Anitii Manlii Severini Boethii viri « clarissimi et illustris exconsulis ordinarii patrilii incipit « liber : QuomodoTrinitas unusDeus ac non très dii, ad « Quintum Aurelium Memmium Symmachum et illus- « trem virum clarissimum exconsulem ordinarium at- « que patritium socerum. »
23° Fcs G7 r° fin .-58 i°. « Boethii de sancla Trinilate « liber explicit. Anitii Manlii Severini Boethii viri cla-
GLOSES DU Xe SIECLE SUR LES CATÉGORIES. 261
« rissiuii et illustfis exconsulis ordinarii patritii ad Jo- « hannem diaconum : Utrum Pater et Filius et Spirilus a Sanctus de divinitate substantialiter prœdicentur. » Il y a un commencement de glose a la marge de la pre- mière page.
24° Fos 58 r°-60 r°. « Item ejusdem ad eumdem : « Quomodo substantiœ in eo quod sint bonœ sint, cum « non sint substautialia bona. »
25° Fns 60 r°-62 v°. Traité, sans nom d'auteur et sans titre, sur la foi chrétienne et ses principaux dogmes, contre les Sabelliens, les Manichéens, les Pélagiens et les Nestoriens. Ce morceau ne se trouve dans aucun des ou- vrages imprimés de Boëce. Par les pensées et par le style il ne s'éloigne pas de la manière de cet auteur.
26° F0 62 v\ Ticilpxe [explicit renversé). « Boethii « adversus Nestorium et Eulychen pro persona et natura « Christi ; Domino sancto ac vencrabili patri, Joanni dia- « cono Boethius filius. » Il y a quelques gloses sur les marges.
27° Fos 71 r°-80 r°. Traité d'Apulée sur l'Interpréta- tion. « De Periermeniis. Sequitur dehinc liber perierme- « nias subtilissimus et per varias formas iterationesque « caulissimus, de quo dicitur Àristoteles : quando peri- « ermenias scriptitabat, calamum in mente tingebat. » F0 80 r°. « Periermenue Apulei expliciunt, in quibuscon- « tinentur calegorici syllogismi. »
2S° F0 80 v°. Commencement du premier commen- taire de Boëce sur le Traité de l'Interprétation. Ce frag- ment occupe deux pages (fol. 80 v°-8l r°) qui terminent le manuscrit.
En résumé, voici les données que fournit le manuscrit
262 APPENDICE.
de Saint-Germaiu n° \ 108 pour l'histoire de la philoso- phie scholastique :
^ ° Une glose du dixième siècle sur le traité de Por- phyre ;
2° Quelques renseignements sur Jean Scot Erigène : de cet auteur célèhre deux vers sur la philosophie , et une sentence sur la Dialectique. Nous apprenons qu'il avait un frère nommé Aldelme, versé dans les mathématiques ;
3° Une glose d'un écolâtre de Reims, nommé Henri, sur les Catégories attribuées à saint Augustin.
III.
Guillaume de Champeaux.
Le manuscrit de Notre-Dame coté 222 ', petit in-4°, d'une écriture du douzième ou treizième siècle, renferme une collection d'opuscules ou d'extraits relatifs a la théo- logie, parmi lesquels se trouvent deux écrits de Guillaume de Champeaux, l'un déjà publié, l'autre inédit. C'est par celui-ci que commence le manuscrit que nous allons par- courir.
1°FS -1-23 r° «Incipiunt sententiœ Guillelmi Catha- « launensis episcopi. Symoniaca hœresis a Simone mago « non habuit principium. Multi enim ante Symonem « eadem haeresi peccaverunt; ut ille qui dixit domino « Jesu : Magister, sequar te quocumque ieris, etc. »
Ce livre n'est pas, comme on pourrait le penser d'après
1. Plus haut, p. \24.
GUILLAUME DE CHAMPEAUX. 263
l'analogie du titre avec celui de l'ouvrage de Pierre le Lombard et de tous les livres de sentences qui ont suivi, et comme le dit l'abbé Lebeuf [Dissert., II, H3o), un cours de théologie et de morale chrétienne; c'est un as- semblage de petits chapitres détachés contenant des dis- sertations ou explications sur des points spéciaux de doc- trine , sur des vertus ou des vices, et sur des passages de l'Écriture sainte : ainsi, f° 1-3 r°, de la simonie; f° 3 v°-7 r°, du mariage ; f° 7 r°, du sens de cette sentence : « Que l'homme est conçu et engendré dans le péché ; » f° 7 v°-8 v°, de la prophétie ; f° M v°-12 r°, de la cha- rité ; f° 12 r°-!3 r°, de l'orgueil; f° 20 r°, du péché, etc. Ces passages sont souvent très-courts , et de quelques lignes seulement. Ils sont mêlés de citations des Pères , principalement de saint Augustin et de saint Grégoire le Grand. Voici les dernières lignes : « Voventibus virgini- « tatem vel viduilatem vel caslitatem, non solum nubere, « sed eliam velle damnabile est. Omnis enim hujusmodi « similis est uxoris Loth, qiue rétro aspexit. Si quis la- « men talis alicui nupserit, non solvatur conjugium, nisi « sacra ta vel a sacerdole fuerit velata; sed pro voto « fracto injungetur pœnitenlia. »
2° Fos 23 r°-25 v°. « De origine animée, secundum ma- « gistrum Guillelmum. » C'est l'ouvrage que Martène a imprimé dans le tome V (p. 884) de son Thésaurus anec- dote rum.
3° FoS 25 v°-80 r°. Collection d'extraits d'auteurs ec- clésiastiques, principalement de saint Augustin, saint Jé- rôme, saint Ambroise et saint Grégoire le Grand, et de dissertations ou interprétations théologiques analogues à celles dont se composent les sentences de Guillaume de
264 APPENDICE.
Champeaux. Celte compilation commence par une lettre du pape Melchiades sur le baptême et la confirmation, et se termine par un passage de saint Augustin. Les disser- tations ont pour objets principaux les sacrements , les cérémonies de l'Église, l'excommunication, et surtout les allégories et figures de l'Ancien Testament.
4° Du feuillet 86 r° jusqu'à la fin du manuscrit, f° \ 07, r° : « Incipit altercatio cujusdam christiani et judaei de « fide calholica. » On trouve aux douzième et treizième siècles un assez grand nombre d'ouvrages théologiques sous la forme d'une controverse entre un juif et un chré- tien. Celui-ci, qui ne porte pas de nom d'auteur dans notre manuscrit, est dédié à Alexandre, évêque de Lin- coln. Ce n'est ni l'écrit de Gislebert Crispin, abbé de Westminster, qui est imprimé dans les œuvres de saint Anselme sous ce titre : Disputatio Judœi cum Chris- tiano; ni Y Altercatio Ecclesiœ et Sinagogœ , publiée par Martène [Thés, anecd., tom. V, p. 1 497). Voici le prologue de cette petite composition ; l'auteur nous y ap- prend dans quel but et à quelle occasion il a écrit et publié son dialogue :
« Heverentissimo Alexandro, Dei gratia Lincolnensi « episcopo, quidam fidei Christian* propugnalor et ser- « vus in spiritu Dei recta sapere et de ejus seraper con- « solationc gaudere. Quoniam plurimum litteris estis iu- « struclus, et non solum humauis sed etiam divinis legi- « bus eruditus, et personalis gratia; honore pradatus, « mitlo vobis disputatiunculam parvam vestro exami- « nandam judicio, quam nuper cum quodam judœo con- « fligens cdidi. Quidam mihi cum cognilus esset judœus « cujusdam negotii causa, tandem , cogente amore, fre-
GUILLAUME DE CHAMPEAUX. 26Î)
« queuter illi suadcbara quateuus jiuîaismo relicto chris- <i tiauus eflicerelur. Cui etiam multimodas erroris sui « vias verilatis luce monstraveram, et quod dicebam suœ « legis et nostrœ testimoniis approbabam. Sed eu m ob- (i durato corde in sua inlidelitate persisteret , et errorem a suum ineptis questionibus vel argnmentationibus tuere- « tur, tandem amicabili conventioueconvenimusetdispu- o tandi gralia resedimus.Igilur rogaveruntmeaudiloresut « hoc pro utilitale Cdei litleris traderem; quibus libenter « obaudiens, pro capaeitate ingenioli raei sub persona « Jtidœi et Chrisliani disputantis apicibus annotavi. In « quo si quid bene dietuni est, Dei gratia^ tribuatur; si « quid otiosum vel inutile, vestra prudentia noverit re- « secare , sive totum sive partem ; libentissime fecerim « quicquid vobis inde placueril facere. Ergo jiuUeus ille « plurimum sua lege perilus , nostrarumque etiam litte- « rarum non inscius , sic incipit : Judœus. Si patienter « nie velles audire, etc. »
Le dialogue se termine par ces paroles du chrétien : « Inde quoque venturus est ad judicium quo singulis red- « det secundum suum meritum, malos mittens in ignem « a?ternum, bonos autem in vitain a'ternara, quam nobis « tribuat qui fecit eam. Amen. »
IV.
Bernard de Chartres.
Les deux poèmes du Megacosmus et du Microcosmus sont déjà connus par l'analyse étendue qu'en a donnée l'Histoire littéraire de la France. Nous ne voulons pas
23
266 APPENDICE.
refaire ici ce travail, mais y ajouter seulement, d'après le manuscrit 6445in-f°, delà Bibliothèque royale1, quelques extraits qui puissent servir à donner une connaissance plus complète de la philosophie de Bernard de Chartres. On sait que les deux poëines en question sont un mé- lange de prose et de vers , que le sujet du premier est la création du inonde, et celui du second la création de l'homme.
MEGACOSMUS.
Le Megacosraus commence par un dialogue entre l'In- telligence, noys, et la Nature, natura. Ces deux per- sonnages allégoriques s'entretiennent ensemble de la né- cessité de tirer le monde du chaos, sylva, où il est en- seveli ; puis ils se mettent a l'œuvre. La matière dont toutes choses doivent être tirées est la matière première :
« Erat yle vultus anliquissimus , generationis utérus « iudefessus, formarum prima subjectio, materia corpo- « rum, substantiae fundamentum. Ea siquidem capacitas « nec terminis nec limitibus circumscripta tantos sinus « tantumque a principio continentiam explicavit quan- « tam rerum universilas exposcebat... lllud igitur incon- « sistens et convertibile liujus et illius conditionis , qua- « lilatis et formée cum propriœ desci iplionisjudicium non « expectel, elabilur vultus vicaries alternando , et quod « figura rum omnium susceptioneconvertitur, nullius suoe « forma? signaculo specialius insignitur. »
C'est a cette matière que la Providence applique les empreintes des Idées : « Clinique quam fert silva grossi- « tiem elimatius expurgasset, ad œternas introspiciens
1. Plus haut. p. MO.
BERNARD DE CHARTRES. 267
« notiones, germana et proximante similitudine reruin « specics reformavit. Yle cœcitatis sub veterno quœ ja- « cuerat obvoluta , vultus veslivit alios , idearum signa- « culis circutnscripta. »
De la masse primitive sortit d'abord le feu , puis la terre, ensuite l'eau, enûn l'air.
Après la création des éléments vient la création de laine du monde, que Bernard de Chartres appelle endelychia , par une corruption de L'évriXé^eia d'Aiïstote. Elle émane de l'intelligence divine : « Ea igitur Noys summi et exsu- « perantissimi Dei est intellectus et ex ejus divinitate nata « pâtura, iu qua vitœ vivenlis imagines, notiones œternse, « mundus intelligibilis, rerum cognitio prœflnita. Erat <i igitur videre velut in speculo tersiore quicquid operi « Dei secretior destiuaret affectus. Illic in génère, in spe- a cie, in individuali singularitate conscripta quicquid « yle, quicquid mundus , quicquid parturiunt elementa. « Illic exarata supremi digito dispunctoris textus tempo- « ris, fatalis séries , dispositio sœculorum. Illic lacrimœ « pauperuin fortuuaque regum; illic polentia militaris ; « illic pbilosophorum felicior disciplina ; illic quicquid « angélus, quicquid ratio compreliendit humana; illic « quicquid cœlum sua compleclitur curvalura. Quod igi- « tur taie est, illud œternitati contiguum , idem natura « cum Deo, nec substantia est disparatum. Hujusce igitur « sive luce, sive lucis origine vita jubarque rerum Ende- « lychia quadam velut emanatione defluxit....
« Comparuit igitur exporrectœ magnitudinis globus, « terminaUe quidem continentite, sed quam non oculis, « veruin solo provideas intelleclu. Ejus admodum clara « substantia liquentis lluidique fontis imaginem prœfere-
268 APPENDICE.
« bat, inspeclorcm suum qualitatis ambiguo prœconfun- « dens, cum plerumque acri, plerumque cœlo cognatior « viderelur. Quis enim tulo diffinivit essentiam quae coa- ti sonantiis vel qiue numeris carerct (cod. emoveret)? « Cum igitur quodam quasi prœsligio veram imaginera « fraudaretur, non erat in manibus inspectants unde fo- « mes ille viviCcus sic maneat ut proire non possit, cum « speciatim singulis totus et integer refundatur. Hœc igi- « tur endelycliia propinquis contiguis ad Noyra natalibus « oriunda. Mundura silva maire progenitum ne ma ri tu m « sponsa gloriosior imparera recusaret, cujusdam fœderis « pactiones providentia curavit, quibus silvestris cœles- « tisque natura congruo per congruos numéros modula- « mine convenirent. Quod enim spontanea obtusitati sub- « tilitas non accedit , applicatior nuraerus in virlute « complexionis raedius intercessit, qui corpus animamque « quodam quasi glulino copulisque conjugibus illigavit. a Ergo moribus ad gratiam iramutatis, cum alteri in al- « tero complaceret, consensus amicitiam peperit, amicitia « fldem, quod bactenus approbatur. Pulsationibus etmo- « lestiis aîgritudinum quas patitur plerumque mundus in- « doluit, quotiens vel de calore pyrosis, vel de bumore « niraio cataclysmus, cursum naturœ solitum perturbavit. « Ad id endelycliia totius auxilioceleritatisoccurrit, etre- « sarcire citius sedes quas incolit, élaborât. Fide quidem « hospilii reservata, cum expugnatore tabernaculi sui nec « participât nec consentit. Ubi igitur animœ raundique « de consensu mutuo societas intervenit, vivendi mundus a nactus originem, quod de spiritus infusione susceperat, « raox de toto reporlavit ad singula , eo vitse vel vegela- « tionis génère cui pro captu proprio fuerant apliora.
BERNARD DE CHARTRES. 269
« iEtherea œthereis, pura puris conveniunt. Niniirum « consenlaneum natura iidelius amplexatur. Cum cœlo, « cum syderibus endelychiœ vis et germanitas invenitur. « Uiide plenaque ncc decisa potentiis ad confortanda cœ- « lestia supera regione consistit. Yerum in inferioribus « virtus ejus dégénérât. Quippe imbecillitas corporum « tarditatem importât, quo se minus talem exerat, qualis « est per naturam. Itaque viventis anima? beneficio con- « fortata, de nutricis silvae gremio se rerum séries expli- « cavit. »
Après avoir décrit en vers toutes les espèces d'êtres, Bernard ajoute :
« Eam igitur generatorum sobolem multiformem cum « ignita cœli subslantia levitate qua tiahitur circuiret in « gyrum, secutum est ut elementa, partes mundi prima- « rias partesque parlium porrecliore contineret circulo « circumferenlia lirmamenti. Quicquid enimad essentiam « sui generis promolione succedit, ex cœlo lanquam ex « Deo, vitœ substantiœ sua1 causas suscipit et naturam.... « Sic igitur providentia de generibus ad species, de spe- « ciebus ad individua, de individuis ad sua rursus priu- « cipia repetitis anfraclibus rerum originem retorquebat. « Ex eo incipientis vilae primordio cum volvente cœlo de « motu quoque siderum subslantia temporis nasceretur, « quœ successerunt sœcula simplici œternitatis initiata « principio cum sua numerus varictate suscepit. Rerum « porro universilas mundus, nec invalida sencclute de- « crepitus nec supremo est obilu di.-solvcndus, cum de « opilice causaque operis, utrisque sempiternis, de ma- « leiia formaque materiœ, utrisque perpetuis, ratio ces- « scrit permanciuli. Usia namque primaria, teviterna
23.
270 APPENDICE.
« perseveratio, fœcunda pluralitatis simplicitas. Una est, « sola est ex se vel in se tota natura Dei, cujus quicquid « loci est nec essentiae nec rnajestatis inûnibile circuni- « scribit; hujùs modi, si virtutem, si salutem, si vitaui « diffiniendo dixeris, non errabis. Ex eàigitur luce inac- « cessibili splendor radiatus emicuit, imago nescio dicam « an vultus patris imagine consignatus. Haec est Dei sa- « pientia, vivis œternitatis fontibus vel nntrita vel genita, « de sapientia consiliom, voluntas de consilio, nascitur « de divina mundi molitio vohinlale. Porro Dei voluntas « omnis est bonitas. Dei ergo vel voluntas vel bonitas « summi patris est, ejusque mentis in eadem operatione « consensus. Quisnam ergo mundo et œternitati ejus au- « deat derogare, ad cujus continentiam causas seternas « videat convenisse, Dei quidem de voluntate consensum, « de sapientia consilium, de omnipotentia causas pariter « et effectum? De stabilitate, de œlernitate sibi mundus « conscire praesumit, quod gradatim firmoque dispositis « causarum sibi succedentium ordinibus mundus sensilis « integrascit. Prœcedit yle, natura sequitur elementanti « natura? elementa, démentis elementata conveniunt; sic « principia principes; sed a principe principio cobœse- « runt. Nisi cœlum, nisi motus sydereus illis quas impor- « tat varietatibus afûciat elementa, pigra jaceant, jaceant « otiosa luminaria sol et lima, et qui dicuntur erratici, « quorum conversio non quiescit; elementa qua? subja- « cent non pr&ferunt non moveri. Est igitur elementans « natura cœlum, stellœque signifero pervagantes, quod « elementa commoveant ingenitas actiones. Sua igitur in « mundo non fatiscunt ligamina nec solvuntur, quod uni- « versa a cardine, nexu sibi continuo, deducuntur. Ve-
BERNARD DE CHARTRES. 271
« mm incolumitas vitaque mundi causis quidem princi- « palibus et antiquis, spiritu, sensu, agitatione, ordina- « tione consistit. Vivit Noys, vivuot exemplaria, sine vita « non vivit et rerum species œviterna. Prœjacebat yle, « praejacebat in materia, prœjacebat in spiritu vivacilatis « œlernœ. Neque euini credibile est sapientem opiOcera « insensatœ materiœ nec viventis origiuis fundamina prae- « locasse. Mundus quidem est animal ; verum sine anima « subslantiam non invenias animalis. De terra porro ple- « raque consurgunt; sed sine vegetatione non stirpea , « non plantaria, non caetera compubescunt. Ex mentis « igitur vita, silvœ spiritu, anima mundi, mundialium « vegetatione rerum œternitas coalescit. In Deo, in Noy « scientia est, in cœlo ratio, in syderibus intellectus; in « magno vero animali cognitio viget, viget et sensus, cau- « sarum prœcedentium fomitibus enutritus. Ex mente « enimcœlnm, de cœlo sydera, de syderibus mundus unde « viveret, unde discerneret, linea continuationis excepit. «Mundus igitur quiddam continuum; et in ea catena « nihil vel dissipabile vel abruptum ; unde illum rotun- « ditas, forma perfeclior, eircumscribit. Si se igitur ple- « rumque influeatis sylvae nécessitas vel turbidius vel im- « pensiusimportabit, qui multiplex inestmundo vel sensus h velspiritus malitiam non patitur ultra lineas excursare. « Quicquid extenditur spatiis, vel annosum vel saeculare « vel perpeluum vel œternum. Annosum senio, sœculare « dissolvitur;evitate; seterno perpeluum durabilitale coo- « certal, sed, quia quaodoque cœperit, ad supremam aeter- « nilatis cminentiam non aspirât. Mundus igitur qua> « dam annosa , qiuedam saeculari, qiuedam agitatione « perpétua vel continuât vel evolvit. Eqiueva namque
272 APPENDICE.
« generatione mundus et tempus quibus innascunlur « principes eorum imagines propinquas et simillimasœinu- « lantur. Ex mundo intelligibili mundus sensilis, perfec- « tus natus est ex perfecto. Plenus erat qui genuit, ple- « numque constituit pleniludo. Sicut cniin iutegrascit ex « intègre-, pulchrescit ex pulcliro, sic exemplari suo oeter- « nalnr eeterno. Ab œlcrnitate tempus initians, in eeter- (i nitatis resolvitur gremium, longiorecircuitu fatigatum. « De unilale ad numerum, de stabilitale digreditur ad « momentum. Momenta temporis prœsen lis instanlia, ex- « cursus prœteriti. lias itaque vias itu semper redituque « continuât ; clinique easdeni toliens totiensque itineribus « aeternitatis evolverit, ab illis nitens et promovens, nec « digreditur nec recedit. Quandoque ubi finiunt, inde « renascuntur, relinquitur ad ambiguum quaenam prœ- « cessio in lempore, ut non eadem consecutio videatur. « Ea ipsa iu se revertendi necessitate, et tempus in œler- « nitale consistere et seternitas in tempore visa est com- « moveri. Suum temporis est quod movetur. /Elernitas « est ex qua nasci, in quara et resolvi habet ; quod in « immensnm porrigilur. Si fieri possit ne décidât in nu- « meros, ne defluat in momentum, idem tempus est quod « œternum. Solis successionum nominibus variatur, quod « ab œvo nec continuatione nec essenlia separatur. JEler- « nitas igitur, sed et œternitatis imago tempus, in mode* « rando mundo curam et operam partiuntur. Ignés side- « reos œternitas naturœque aelherea puriot is utraque vege- « tanda suscepit. Dcpressas et ab aère subtus inclinatas « materias vel continuât vel evolvit agitatio tempo - « ralis. Mundus igilur lempore, sed tempus ordine dis- « pensatur. Sicut enim divinœ semper vol un la lis est pra>
BERNARD DE CHARTRES. 273
« gnans, sic excraplis œternarum quas gestat imaginum « Noys endelycbiam, endelycliia naturam, natura ymar- « menem , quid mundo debeat, informavit. Subslantiam « animis endelycliia subministrat , habitaculum anima? « corpus ai lifex natura de initiorum materiis et qualitate « componit; continuatio temporis ymarmenem , qua? « continuatio temporis est, sed ad ordinem constitula « disponit, lexit et retexit qute complectitur imiversa.
Expiicit Meyacosmus. »
MICROCOSMUS.
Le monde créé, Noys se félicite de son œuvre auprès de
la déesse Nature : < Ecce mundus operis mei, ex-
« cogitata sublilitas, gloriosa constructio, rerum speci- « men prœdecorum, quem creavi, quem formavi sedula, « quem ad œternam ydeam ingeniosa circumtuli, men- « tem meain propiore vestigio subsequuta. Ecce mundus « cui Noys vita, cui ydeœ forma, cui materies elementa.» Suit une description pompeuse du monde. Ensuite les deux déesses se mettent en route afin d'aller implorer le secours d'Uranie pour la création de l'homme.
Ce voyage, dont on trouve dans l'Histoire littéraire (t. XII, page 268) une analyse exacte, sauf l'orthographe du mot Aneslros, l'une des régions célestes, qui est écrit Anaslros dans notre manuscrit, n'offre guère de remar- quable que l'hypothèse de la préexistence des âmes.
« Cancri circa conlinium turbas innumeras vulgus as- « picit animarum; qine quidem omncs vultibus quibus « itur ad cœlum et quibusdam quasi lacrymis cxturbala'. « Quippc de splendore ad tenebras, de ca;lo ditis ad im-
274 APPENDICE.
« perium, de œternitate ad corpora per cancri domici- « lium quœ fuerant descensurœ , sicut purœ, sicut simpli- « ces obtusum coecumque corporis quod apparari prospi- « ciunt habitaculuni exhorrebaut. »
Arrivée au dernier cercle du firmament, Noys y ren- contre le dieu Pantomorphos et le génie subordonné à Pantomorphos, Oyarsès :
« Hoc igitur in loco Pantomorfos persona deus vene- « rabili, etdecrepitœsub imagine seneclulis occurrit. lllic « Oyarses idem erat et genius in aitem et oflicium piclo- « ris et Dgurantis addictus. In subterjacente enim modo « rerum faciès universa cœlum sequilur, sumptisque de « cœlo proprietatibus ad imaginent quam conversio con- « lulit figuratur. Namque impossibile est formam unani- « quamque alteri simillimam nasci, borarum et climatum « distantibus punctis. Oyarses igitur circuli quem panlo- « morfon grœcia, latinitas nominat omniformem, formas « rébus omnes et associât et adscripsit. »
Uranie déclare à Nature que ce n'est pas à elle de construire un corps à l'homme, mais qu'elle instruira l'âme humaine dans les choses du ciel, dont le souvenir lui restera dans sa vie terrestre :
Mens humana mini tractus ducenda per omnes
JEthereos, ut sit prudentior. Parcarum leges et ineluctabile fatum,
Fortunteque vices variabilis; Qute sit in arbitrio res libéra, quidve necesse,
Qui cadat ambigui sub casibus; More recordantis quam multa reducet eorum
Quce cernet penitus non immemor. Ingeniis animoque deos cœlumque sequetur;
Ut regina suum vas ineolet.
BERNARD DE CHARTRES. 275
Qu» stellis virtus et quanta potentia ccelo,
Et quis sydereis vigor axibus, Quid valeant radiis duo lumina, quinque planetie,
Sentiet ingrediens vas corporis. De cœlo speciem, vultus animiqae lenorem,
Et morum causas sibi conlrahet, Legibns astrorum vivendi tempora nactus,
Extremique viam discriminis , Corporejam posito cognata redibit ad astra,
Additus in numéro superum Deus.
Les trois déesses partent ensemble pour aller trouver la déesse Physis, qui peut seule construire le corps hu- main.
Arrivée aux confins de la région de la Lune, tJranie décrit à Nature les divers ordres d'esprits qui peuplent les régions supralunaires, lunaires et sublunaires; les anges, les démons, les Pans, les Sylvains, les Néréides, etc. Celle idée d'une biérarcbie de génies chargés de fonc- tions différentes dans les différentes parties du monde, dérive des doctrines du Timée. Bernard de Chartres dé- signe aussi le Dieu suprême, Dieu le père, par la déno- mination platonicienne de Tagaton.
« E sedibus quidem quas Tagaton suprema divinilas « habitatrix insistit, splendor emicat radiatus. — In su- « blimiori igilur fastigio, si quod cœlo sublimius laber- « nacalum, Tagaton suprema divinitas collocatur. »
L'ranic et Nature aperçoivent Physis dans un jardin fleuri : « Eo igitur in loco Physim residem superaspiciunt, « Ihcoricrc et practiese individ.no filiarum consorlio colia1- « rentem. Sludiosa rerum in seposito et tranquillo ubi « nichil offenderet mansitabat, uaturarum omnium ori- « gincs, propriclates, potentias, effectus, postremo uni-
276 APPENDICE.
« versara omneraque Aristotclis categoricam maleriam « cogitationis effecerat. »
Lorsque les quatre déesses sont enfin réunies, Noys leur adresse sur la créature à la formation de laquelle elles vont procéder, un discours en vers qui n'est pas dépourvu de noblesse et d'harmonie :
Pignora cara, Dca;, quas ante creala creavi
Sœcula, de partu glorior ipsa meo. Sunura voluntalis hœc est : venistis ad istas
Consilii partes proposilique mei. In rébus formisque suis si defuit orbi,
Suppléât id nost.ro numine vestra marras. Plena minus, perfeeta minus, minus esse décora
Quae feci toliens est mihi turpe nimis. Sensilis hic rnundus, mundi mêlions imago,
Ut plenus plenis partibus esse queat, Effigies cognata deis et sancla meorum
Ac felix operum clausula fiel homo, Qualis ab aîterno, sub inundo principe, vivit
Digna nec inferior mentis ydea mese. Mentent de cœlo, corpus trahet ex elementis,
Ut terras habitet corpore, mente polum. Mens, corpus, diversa licet, jungentur ad unum,
Ut sacra complacitum nexio reddat opus. Divus erit, lerrenus erit, curabit utrumque,
Consiliis mundum, relligione Deos; Naturis pote rit sic respondere duabus,
Et sic principiis congruus esse suis, Ut divins colat, pariter terrena capessat,
Et geminae curam sedulitatis agat. Cum superis commune bonum rationis habebit;
Distrahet a superis linea parva hominem. Bru ta patenter habent tardos animalia sensus,
Cernua dejeclis vultibus ora feront; Sed majestatem mentis lestante figura,
Tollet homo sacrum solus ad astra caput, Ut cœli leges indeflexosque meatus
BERNARD DE CHARTRES. 277
Exemplar vite possit habere suce. Dii superi stelkeque sibi cœlumque loquelur.
Consiliuni Lachesi notiiicante sunm, Vident in lucem mersas caligine causas,
Ut natura nihil occuluisse queat. Aerios traclus, tenebrosa silentia «Jitis,
Alta poli, terrœ lata, profunda maris Viderit; unde vices rerum, cur œstuat testas,
Siccilat autumnus, ver tepet, alget hvenis; Viderit unde suum Phœbo jubar, unde sorori,
Uude (remit lellus, unde marina tiraient; Cnr longis tcsliva dies extendilur horis,
Parvaque conlrahitur nox breviore mora. Ut sua sinl elemenla, volo sibi ferveat ignis,
Sol niteat, tellus germinet, unda ilnat, Terra sibi f'ruges, pisces sibi nutriat unda,
Et sibi nions pecudes, et sibi silva feras. Omnia subjiciat, terras regat, imperet orbi;
Primatcm rébus pontiiicemque dedi. Sed cum nutarit, numeris in tine solutis,
Machina corporeae collabefacla domus, ^Ethera scandet homo, jam non incoguitus hospes,
Prœveniens siellte signa locumque sua;.
Pour guider chacune de ses trois compagnes dans la part qu'elle doit prendre à la formation de l'homme, Noys leur donne a l'une le miroir de la Providence, à l'autre la table ou Destin, a la troisième le livre de Mé- moire. Dans la description du miroir de la Providence, il est encore question des Idées.
« Providcnlia; spéculum Uraniae; tahulam Fati Natime; « et tibi, Physi, librnm Kccordalionis cxhiheo. Trina haec « est, ut vernm falear, consiliorum Dei notitia, veritaset « purgatissima certitudo. Krat igitur spéculum Providen- « lia', cujus magna admodum circumferenlia, inlermi- « nala latiludo, extensa sempcr faciès, pcrspicuus intio-
ii. 24
278 APPENDICE.
« spectus, ut quas olim conlineret imagines non rubigo « detereret, non deleretantiquitas, non lurbaret incursus. « Vivebant idea? ; vivebant exemplaria, nulla nata tem- « pore, nulloqùe in tcmpore desitura. Spéculum igitur « Providentiae, mens oeterna, in qua sensus ille profun- « dissimus, in qua rerum genitor extortorque omnium « intellectus. Erat in exemplaribus invenire simulacrum, « cujus vel generis, quale, quantum, quando et quomodo « proventurum. »
La table du Destin est d'une grandeur finie, faite de bois; le temporel y est représenté comme l'éternel dans le miroir de la Providence : « Ea speculi tabulaeque diffe- « rentia quod in speculo specialiter status naturam cœ- « lestium indefiexus, in tabula quidem quam maxime « temporales qui permutantur eventus. »
Enfin le livre de Mémoire représente le contenu du miroir de la Providence et de la table du Destin, mais sous la forme seulement de la probabilité : « Erat quoque « et liber Recordalionis, non commun i bus lilteris, verum a cliaractere notisque conscriptus, brevis ad sentenliam, « et pagina pauciore contentus. In ea quidem brevitate « res Providenliœ Fatique congestœ subnotari poterant, « non poterant provideri. Liber enim Recordationis non « aliud (juam qui de rébus se ingerit et compellat memo- « riam intellectus, ratione sœpe veridica, sed probabili « srepius conjectura. »
Les trois déesses se mettent à l'oeuvre et combinent les éléments pour en former liiomme. Nous ne suivrons pas Bernard de Chartres dans la longue description du corps Immain, par laquelle il termine son poëme.
Le Microcosme est suivi dans notre manuscrit d'un
BERN'ARD DE CHARTRES. 279
poërae de huit cent quarante-huit vers élégiaques, inti- tulé Mathematicus.
Les auteurs de l'Histoire littéraire en font mention sans en donner le titre, mais en citant les deux premiers vers :
Semper ut ex aliqua felices parte querantur, Leges humante coiulitionis habent.
Ce poënie, qui est incomplet, semble fait pour prou- ver que nul ne peut échapper à sa destinée, qui est écrite dans les astres.
Deux époux accomplis se désolent de n'avoir pas d'en- fants. La femme consulte un astrologue. 11 lui annonce qu'elle accouchera d'un fils qui deviendra le maître de l'univers, mais qui tuera son père. Le père, instruit par sa femme de cette prédiction, lui donne ordre de faire périr son enfaut dès qu'il viendra au monde. Elle le sauve, et le fait élever loin d'elle. Ce fils devient en effet général, puis empereur de Rome. Lorsqu'il apprend de sa mère la prédiction qui pèse sur lui, il assemble le peu- ple romain, et demande la permission de se donner la mort pour éviter le crime que le destin le condamnerait à commettre. Quelques orateurs cherchent à le détourner de son dessein. Le poëme en reste ù un discours fort obscur d'un certain Camille :
Pone citus trabeam, veruni citus exue regem. Liber el explicilus ad mea vola meus.
Explicit Mathematicus. Le dernier vers est probablement une addition de quel-
280 APPENDICE.
que copiste qui a cru le poëme achevé. Du reste, la perte de la lin de ce poëme ne peut donner lieu a beaucoup de regrets : ce qui nous en reste est plein de longueurs et de déclamations.
A la suite du Mathematicus vient un petit poëme de quatre-vingt-huit vers hexamètres, rimes deux a deux. C'est celui dont les auteurs de l'Histoire littéraire (p. 273) citent le premier vers :
Roma duos babuit, res est non fabula vana,
et qui, d'après l'Histoire littéraire, est intitulé : De ge- millis dans le manuscrit 370 du Vatican. Dans notre ma- nuscrit ce poëme n'a point de titre.
La courte analyse qu'en donne l'Histoire littéraire n'est pas exacte. Il ne s'agit pas, dans ce poëme, de « deux ju- meaux dont l'un aurait été très-heureux et l'autre très- malheureux pendant tout le cours de leur vie, et cela par la force du destin et l'influence des astres. » Les deux frères, parfaitement semblables l'un à l'autre, sont atteints eu même temps de la même maladie. Les médecins dé- clarent que tous deux périront si l'on ne prend le parti d'en ouvrir un pour chercher le principe du mal, et sau- ver l'autre. Le père y consent : un des jumeaux est sacrifié et l'autre guérit. La mère accuse le père devant le tribu- nal; le père se défend sur ce qu'il valait mieux sauver un de ses fils que de les perdre l'un et l'autre. Le poëme se termine ainsi :
Res ubi facta fuit et disceptatio tali.s, Diffinivit eam sentenlia judicialis.
Le De gemillisal suivi d'un troisième poëme intitulé
BERNARD DE CHARTRES. 281
De quodam qui pro paupertate se suspendit. L'Histoire littéraire en fait mention sous le titre De paupere in- grate. Il commence ainsi :
Mœsta parais miser* paupertas anxietatis Aillictis satis est dura superqne nimis.
Il est composé de quatorze disques rimes. C'est l'his- toire d'un homme que la misère détermine à se pendre, et qu'un soldat sauve de la misère et nourrit pendant onze mois. Puis il l'abandonne, croyant avoir assez fait pour lui. Le pauvre lui intente un procès, soutenant qu'il fallait ou le laisser mourir ou continuer de lui fournir les moyens de vivre. Ici encore nous ne savons pas ce que décident les juges ; le dernier vers est celui-ci :
Res hœc judicibus discutienda datur.
Enfin notre manuscrit se termine par deux petites piè- ces, l'uue de sept vers, la seconde de huit, la première en hexamètres, la seconde en disques rimes. Il n'en est fait aucune mention dans l'Histoire littéraire.
Le premier de ces petits poèmes est intitulé Déforma vivendi. Nous allons le transcrire.
Formula vivendi preesto est tibi : pauca loquaris, Plurima fac; sit utrisque cornes modus, utile, pulchrum. Sobrius a mensis, a lecto surge pudieus. Obsequiis instes; ea pro te praemia poseant Ut decet et prodest. Et amabis et oderis idem. Slans casum metuas, speres prostratus et illum. Quem colis in titulis, miserum abjectumque tuere.
Ces vers pourraient bien avoir fait partie du Liber dic- taminum dont il est fait mention dans un ancien catalo- gue de la bibliothèque de Saint-Iîenoit de Burn en Ba-
91
M 't.
282 APPENDICE.
vière (Pez, Anecdot. III, pag. 3, pag. 62) , et auquel les auteurs de l'Histoire littéraire (pag. 274) inclinent à rap- porter ces trois vers cités par Jean de Salisbury :
Mens humilis, studiura qugerendi, vita quieta, Scrutinium tacitum, paupertas, terra aliéna, Hœc reserare soient niuliis obscura legendo.
Les quatre distiques qui suivent le Déforma Vivendi ne portent pas de titre et commencent par
Esse quidem dicam rem prosperitatis amorem.
Le sens en est que les dangers qui accompagnent les aventures amoureuses en empoisonnent les plaisirs. Cette pièce est de tout point indigue de Bernard de Chartres, et il nous semble très-douteux qu'il en soit l'auteur.
Le Megacosmus et le Microcosinus se trouvent aussi dans les manuscrits de la Bibliothèque royale cotés 6752 A, 7994, 8808 A, 8320, 8751 C.
Dans le manuscrit 8751 C, du treizième siècle, le Me- gacosmus porte le titre de Cosmographia : « Incipit cos- « mographia magistri Bernardi Sylvestris, seu mundi « descriptio. » Il se termine par explicit Megacosmus.
Dans le manuscrit 6752 A, il est intitulé Cosmogra- phus : « Incipit Cosmographus Bernardi Sylvestris. »
Dans deux manuscrits, l'un du douzième siècle (8808 A), l'autre du treizième (7994), les deux mots grecs qui forment les titres des deux poèmes sont suivis d'une explication de leur signification : Megacosmus, id est major nmndus; Microcosmus, id est minor mun- dus.
BERNARD DE CHARTRES. 283
Dans les deux manuscrits G752 A et 8808 A, l'cpître dédicatoire adressée a Thierri (Terricus) est placée a la suite des poèmes.
Dans les manuscrits 6752 A, 8S08 A, et 7994 se trouve, soit en tête, soit à la suite des poëiues, un sommaire eu prose des matières qui y sont traitées. Dans le manu- scrit 8808 A ce sommaire a été ajouté par une main plus récente de près de deux siècles que celle qui a copié les deux poèmes.
Dans le manuscrit 8320, du treizième siècle, le Micro- cosmus est incomplet : il en manque plusieurs feuillets , vers la fin.
Dans le manuscrit 8751 C, il est suivi du Formula vitœ honestœ qui a été imprimé parmi les œuvres de saint Bernard.
Nous n'avons trouvé dans tous ces manuscrits aucun des petits poèmes qui suivent le Microcosmus dans le manuscrit 6'< 15.
COMMENTAIRE DE BERNARD DE CHARTRES SUR LES SIX PREMIERS LIVRES DE L'ENÉIDE.
Dans le manuscrit du fonds de Sorbonne, 526 A, au- trefois R, 580 C, iû-fol., de plusieurs écritures, toutes du quinzième siècle, parmi un grand nombre d'ouvrages de différents auteurs et sur différents sujets, se trouve, au feuillet 38 r% et à la suite d'un traité de mythologie par lequel commence le volume {Poelria magistri Albe- rici), un fragment d'un commentaire de Bernard de Chartres, sur l'Enéide, qui comprend vingt-quatre feuil- lets et demi.
Il n'est fait aucune mention de cet ouvrage dans l'His-
28 i APPENDICE.
toire littéraire de France, et aucun auteur, que nous sachions, n'en a parlé. 11 n'est donc pas sans intérêt de le faire connaître par quelques extraits. En voici le pro- logue :
« Incipit commentuui Bernardi Silvestris super sex li- ft bros /Eneidos Virgilii.
« Geminae doctrinae observationem perpendimus in « sola /Enéide Maronem liabuisse, teste namque Macro- « bio qui et vcritatem philosophise docuit, et figmeutuui « poeticum non prœterniisit. Si quis vero iEneida légère « studuerit ita ut ejusdem voluminis lex depôscit, liaecin « primis oportet unde agat et qualiter et cur demon- « strare, et geminara observationem in bis prœmonstran- « dam non relinquere. Quoniam autem in hoc opère et « poeta et philosophus perbibetur esse Virgilius, primo « poette intcntionem et modum agendi et cur agat « breviter exponemus. Intendit itaque casus JEneac alio- « rumque Trojanorum pariter exulantium labores evol- « vere. Itaque hoc non secundum historiae veritatein « quam Phrygius Dares descripsit, sed utique ut Augusti « gratiam lucretur, JEnex facta ligmentis extollit. Scribit « auteni Virgilius, latinorumpoetarummaximus, imitando « Ilomerurn, grœcorum poelarum maximum. Quemadmo- « dum namque ille in Iliade trojanum exilum, in Odyssa « vero Ulixis exilium enarrat, ita et iste in secundo libro « breviter enarrat Trojae subversionem, in cœteris autem « JEneœ laborem. Notaudum est quidem in hoc loco ge- « ininum esse narrationis ordinem, naluralem et artili- « cialem. Naturalises! quando narratio secundum rerum « et temporum seriem describitur, quod lit dum ordine « quo gesla est enarratur, dumque qnid tempore primo,
BERNARD DE CHARTRES. 'ÎSo
« quid secundo, quid ultimo gestum sil distînguitur. Ilunc « ordinern habuerunt Lucanus et Slatius. Artificialis vero « est quando a média narralione incipimus atque inde ad « principium recurrimus. Hoc ordine scribit Terentius o atque iu hoc opère Virgilius. Tum enim iste foret ordo « naturalis si primo excidium Trojœ describeret3 atque « inde Trojànos in Cretam, a Creta in Siciliam, a Sicilia « vero in Lydiam deduceret. Primo eos ad Didonem de- « ducit, atque /Eneam subversionem trojanam et cœtera « quœ passus est enarrantem introducit. Hactenus unde « agat et qualiter ostendimus ; deinceps cur agatinspicia- « mus. Poetarum quidam causa utilitatis, ut satyrici; « quidam causa deleclationis, ut comœdi ; quidam causa « utriusque, ut historici. Unde Horatius :
Aut prodesse volant aut delectare poetae, Aut simul et jucunda et idonea dicere vitae.
« Ex hoc opère ex ornatu verborum et figura orationis « et ex variis casibus et operibus hominis enarratis quae- « dam habetur declaratio. Si quis vero hœc omnia studeat «imitari, maximain scribeudi peritiam consequetur; « maxima etiam exempla et excitationes aggrediendi ho- « neste, et fugiendi illicita per ea quce uarrantur, liaben- « tur. Est itaquelectorum gemina utilitas : una scribendi « peritia, quœ habetur ex imitatione, altéra vero recte « agendi prudentia, qiuïcapitur exemplo et exhortatione; « verbi gralia, ex laboribus JEnex tolerantioe exemplum « habemus ; ex affectu ejus in Anchisem et Ascanium ; pie- « tatis, ex veneratione quam Diis exhibebat, et ex ora- « culis quae poscebat, ex sacrificiis quœ offerebat, ex votis « et precibus quas fundebat, quodammodo ad religionem
286 APPENDICE.
« excitaraur ; per iinuioderatuin vero Didouis arnoreni ab « illicitorum appetitu revocaniur. Cum proœmium ofOcii « in captanda lectoris vel auditoris benevoleutia, docili- « tate et attentione totuni consistit, relictis septem quse a « plerisque nuntiis voluminum quœruntur3 bsec tantum « nos considérasse sufOciat : unde agat antor ut docilis « reddatur lector ; qualiter ut sit benevolus ; cur ut atten- « tus. Nunc vero baec eadein circa pbilosopbicani verita- « tem videamus. Scribit enini in quantum est pliilosopbus « humanaa vita? naturarn. Modus vero agendi talis est: « sub integumeuto describit quid agat vel quid patiatur « huma nus spiritus in humano corpore lemporaliter po- « situs. Atque in hoc scribendo, naturali utitur ordine, « atque ita utrumque narrationis ordiuem observât, arti- « ficialem poeta, naturalem philosophus. Integumentum « vero est genus narrationis, sub fabulosa narratione ve~ « ritatis involvens intellectum, unde et involucrum dici- « tur. Utilitatem vero capit homo ex hoc opère secundum « suî agnitionem; hominis vero magna utilitas est, ut ait « Macrobius, si se ipsum cognoverit. Unde de cœlo des- « cendit : noti sheliton (sic cod. pwôi aeauro'v), id est co- « gnosce te ipsum.
« Hactenus unde agat et qualiter et cur secundum « utramque doctrinam perspeximus. Ordo est deinceps « ut singulorum duodecim voluminum integumentum « secundum ordiuem apeiiamus. »
Le commentaire est une explication allégorique. Bernard de Chartres voit dans toutes les fictions de Virgile des sym- boles physiques ou moraux dont il prétend dévoiler le sens. Ainsi il retrouve dans l'épisode de Junon et de ses nymphes, d'Iris et d'Eole, tous les phénomènes météoro-
BERNARD DE CHARTRES. 287
logiques. Énée est l'esprit qui habite le corps. Les tem- pêtes qu'il éprouve sur la mer sont les sécrétions et les excrétions du corps, « influxiones et effluxiones; » ses sept vaisseaux sont ses sept volontés; ses compagnons sont les membres de son corps ; sa femme Creuse est le désir du bien ; ses voyages en différentes contrées mar- quent les passions que traverse l'âme humaine.
Parvenu au sixième livre, le commentaire, toujours conçu dans le môme esprit, devient très-dcveloppé. « Sic « fatur, etc. Quoniara in hoc sexto volumine descensus « JEneœ ad inferos enarralur. idcirco in primis de locis in- « ferorum et de descensu inlueamur. Et quia profundius « philosophicam veritatem in hoc volumine déclarât Vir- « gilius, ideo non tantummodo summam, veruin etiam « verba exponendo, in eo diutius immoremur...
« Eorum enim quœ sunt quœdam sunt spiritus, quœ- « dam sunt corpora, quœdam spirituum vel corporum « accidentia. Spiritu vero corpus esse inferius evidentis- « si mu m est, cum spiritus sit immorlalis, ralionabilis, « indivisibilis, corpus vero mortale, irrationale sit atque « divisibile. ïtcrum spiritus régit, corpus regîlur. Acci- « dentibus etiam inferius est, cum illa incorporalia sint, « ut ait Boethius, immutabilem sui substantiam sortita. « Itaque corpus inferius spiritibus et accidentibus. Cor- « porum ilerum qua?dam sunt cœlestia, qusedam caduca. « Sunt caduca quœ sunt dissolubilia. Quis non videat ta- ct men caduca etiam natura inferiora? Caducorum quœ- « dam sunt bominum, quœdam bestiarum et herbarum « vel arborum, quœdam inanimatorum. Ilumanum vero « reliquis est inferius; bestial i, quia corpora boua nia- « jora sunt in eo quam in luunaoo. Non enim, ut ait
288 APPENDICE.
« Boethius, elephantes mole, tauros robore, tigres veloci- « tate prœibimus. Àrboribus hoc corpus inferius est Im- « manum, quia arbor, si prsescisa fuerit, rursus virescit « et rami ejus pullulant. Inanimatis quoque inferius est « bumanum corpus. Inter inanimata naraque quid fragi- « lius est vitro? quo bumanum corpus est inferius. Cor- « pus enim bumanum et violenta collisione et moibo et « seneclute interire potest. Illud autem collisione, non « morbo nec senectute potest deficere. Cumque ita nil « inferius bumano corpore, infernum idem appellatur. « Quod autem inferis legimus animas coactione teneri, « quaedam a spirilibus carceriis, boc idem dicebant pati « animas in corporibus a vitiis. »
La suite est remplie d'interprétations du même genre que celles des livres précédents, et nous croyons inutile de les reproduire. Le seul morceau qui eût pu offrir un intérêt vraiment philosophique eût été l'explication de ces vers célèbres : « Principio cœlum ac terras camposque « liquentes, etc. » Mais le fragment que nous possédons du commentaire de Bernard de Chartres ne s'étend pas jusque-là; il s'arrête au vers 637 : « His deinuni exaclis, « perfecto munere clivœ. » Nous nous contenterons de citer la dernière page. Elle commence avec le commen- taire sur le vers 616 :
Saxum ingens volvunt alii, radiisve rotarum Districti pendent.
« Saxum, laboriosum conatum. Radiis , casibus. « Rotarum, foi tunarum, quia forluna ad modum rotae « volubilis est, ita quod quoslibet sistit summos, quos- « libet imos, quosdam de summo ad immum trudit,
BERNARD DE CHARTRES. 289
« quosdam de imo atl summum crigit. Unde quidam o dixit :
Glorior elatus, descendo minoriiicatus, Imus in axe teror, rursus ad astra feror.
« Ideo per rotam figurantur. Pendent, dubii sunt, ut « expouit Macrobius. Theseus, sapientia. Infelix, cala- « mitosa. Miseriae enim hujus vitoe plurimum pbiloso- « phos urgent, ut patet per Socratem, Platonem, Senc- « cain, Anaxagoram, Scanios, Soranos, in quibus sapientia « ab ipsis est lacessita. Flegias, quia flegeia, id est ar- « dens, virtus dicitur. Miserrimus , quia bomo babet a proprium omnes labores tolerare. Voce, instructione. « V?nbras, bona temporalia. Discite ; ccce bortamentimi « virlutis. Divos, scientia et virtus. Yendidit, Iioc est « virtutes quasdam vitiorum notare exemplis. Non « w«7tz;quia nefas est castos intrare tarlarum, ideo Sy- « billa non introduxit /Eneam; per quod datur intelligi o quia intelligenlia contemplantem spiritura non conlami- a net. In malani vitamnon sisiit; pravorum tantum erro- o res ei aperit. Et boc bactenus. Sy billa /Eneam quce sint « in tartaro docuit. Centum ora babet Sybilla, quoniam « centum probationes babet intelligentia; ceutum pro « infinito numéro. Formas, species. Yiam; contempla- « tione perûcere; quia enim agnovistis qua3 sint in tar- « taro, restât requiicre quœ sint in Elysiis. Mcenia; visi- a bilibus peregratis, restât invisibilia perquirere, et ideo « dicit Sybilla se ccrnere cœlum. Cyclopum ; quia cyclops « polis (sic cod. x'j/.Xg; 770X6;), id est pluralitas circulorum. o Per circulos autem fine carentes et punctui indivisibili « et immutabili adbœrentcs vel acccdentes Gguranlur n. 23
290 APPENDICE.
« spiritus immortales creatori indivisibili et imrnutabili « adbœrentes. Cyclops ergo mullitudo circulorum, est « ordo spirituum; plures Cyclopes, spirituum multitu- « dines. Mœnia ergo Cyclopum sunt cœli, quœ sunt na- « turales regiones spirituum. Conspicis; patent enim « cœlestia inlelligentiae. Educta, altiora caeteris. Cami- « nis, igneistabernaculis quœ sunt duodeciin partes cœli ; « non enim solum zodiacum in duodecim a pbilosopbis « legimus divisum, sed totum cœlum a polo australi « usque ad arcticum, unde austrina et... signa nullis « partibus dicunlur esse, vel ipsœ superœ stellares; atque « fornix est cerebrum bumanum testudineum. Porlœ, « cellulœ. Per lias enim, ut supra dictum est, exercendo « ingenium, ralionem, memoriam, cœlestia contempla- « tione ingredimur. Adverso respicit capite ad cœlum. « Eœcubi, id est in quibus portis, quia in cellula memo- « riœ. Dona, pbilosopbiam. Pariter, socialiter incedunt. « Viarum, virtutum. Médium, ipsam virtutem quœme- « dium est bominum et divinarum substantiarum. Fori- « bus appropinquant , dum quœdam ingenio inveniunt, « ratione discernunt, mémorise commendant. Occupât, « occupât adituin dum exercet ingenium. Corpus spargit « recentiaqua, dum substantia se ipsam scilicet nova « irrigat doctrina. Hœc enim intelligenda sunt, scilicet « ingenium, exercitium, et doctrinœ erudimentum. Unde « Horatius :
Natura tieret laudabile carmen an arte Quœsitum est.
« Scilicet quia sequitur ingcnii inventionera, niemoriœ
ÉCRITS DE GERBERT. 291
« commendationem addit. Ramum, philosophiam. Li- « mine adverso, ccllula postica. »
Expliciunt glosulœ Eneidos secundum integumentum.
V.
Plusieurs écrits de Gerbert. — Commentaire anonyme sur le Timée.— Introduction de Porphyre et Catégories d'Aristote mises en yers.
Nous trouvons à la Bibliothèque du Roi uu manuscrit de Saint-Germain, coté 4 093, qui contient divers morj ceaux intéressants pour l'histoire de la première époque de la philosophie scholastique. Nous donnerons d'abord la description complète du manuscrit et nous y joindrons des extraits des deux morceaux les plus remarquables.
,|o p° ^.fo g vo# xraité en latin, sans titre et sans nom d'auteur , d'une écriture du treizième ou quatorzième siècle, sur un jeu consistant en certaines combinaisons de nombres et que l'auteur appelle rythmimachia : « Rythmimachia grœcenunierorunipugnaexponitur.»etc. C'est le même traité dont l'abbé Lebeuf a parlé, d'après le manuscrit de Colbert n° 40(M , dans sa Dissertation sur l'état des sciences depuis Charlemagne ( page 85), et qu'il attribue à Gerbert. En effet, dans le manuscrit de Colbert, que nous avons examiné, et qui porte aujourd'hui à la Bibliothèque royale le n° 7185, ce traité, ou plutôt le fragment de ce traité qui y est contenu, vient à la suite de la géométrie de Gerbert, et il est d'une écriture du onzième siècle. Toutefois nous devons faire observer que récriture du traité de géométrie est d'un temps posté-
292 APPENDICE.
rieur, et que dans le manuscrit de Colbert, comme dans celui de Saint-Germaiu, la Rythmimachia ne porte pas de nom d'auteur, mais bien ce simple titre : Ludusqui di- citur rythmimachia. Oudin assure que cet ouvrage a été imprimé.
2° F0 7 r°-4G v°. De la même écriture que ce qui pré- cède : l'Arithmétique de Boëce; la fin manque.
3° F° 47 r°-48 v°. D'une écriture du onzième siècle : fragment d'un traité sur la multiplication et la division appliquées aux mesures.
« Init. : Id de omnibus generaliter tenendum est quia « singularis quacmnque multiplicaverit sive decenum « sive ccntenum sive millenum vel ulteriores, in eodem « ponet digitum, in secundo articulum », etc. Fin. : « Yi- « deor in culpam illam incidisse in quam Porphyrius cum « de génère tractabat dicitur devenisse. Cum enim om- « nem demonslralionem ex notioribus oporteat constare, « députant illi in vilium ad gencris diffinitionem speciem « innotiorem habuisse. Egosimiliter quoque feeisse com- « probor. Cum enim untiarum comparationes ex notio- (i ribus monstrare debuissem, minutias ignotiores, id est « sextulam, sicilicum et caHeras intermiscui. Sed Boe- « thius Porphyrio succurrit et mibi, dum dicit nullam « rem nisi ab iis in quibus substantiam suam habet posse « demonstrari. Sicut enim genus a specie substantiam su- « mit, sic et untia a partibus suis, id est sextula, sicilico « et ca?teris quibus pereunlibus ipsa non manebit. Nunc « autem, paululum uotiis intermissis, aliquantulum non « pigeât scribere de minutiis, ut, et minuliis et untiis « pleniter cognitis, de utrarumque divisionibus et duc- « tionibus poslmodum abunde dicatur. »
ÉCRITS DE GERBERT. 293
4° F0 48 v°-52 v°. « Régula; e\ libris Plolcmei régis « de compositione astrolapsus, » Règles tirées des livres de l'tolémée, pour la composition de l'astrolabe, de la même écriture que le fragment qui précède. Il n'y a pas non plus de nom d'auteur ; mais c'est évidemment le même ouvrage dont l'abbé Lebeuf1 a fait mention et cité le commencement d'après les manuscrits de la Sorbonne nos \ 249 et 1 269, et que ces manuscrits attribuent a Ger- bert : « Incipit liber Gileberti de Astrolabio. » Voici ce commencement, d'après notre manuscrit; il ne diffère de celui que donne l'abbé Lebeuf que par de très-légères variantes :
a Quicumque astronomie» peritiam disciplina? et cœ- « lestium spbararum geometricaliumque mensurarum « altiorem scientiam diligenti veritatis inquisitione allius « rimari conatur, et certissimas horologiorum quornmli- « betve climatum rationes etquaelibet ad licec pertinenlia « industrius discriminare nitifur, banc vualzacoram 2, « id est planam sphaeram Ptolemei seu astrolapsum so- ft lerti indagatione perquirat. »
Tout porte à croire en effet que ce traité est de Ger- bert; on y trouve une connaissance de l'astronomie et de la langue scientifique des Arabes, telle que lui seul pou- vait la posséder dans ce siècle. Il y a un chapitre intitulé : « De vocabulis latinis et arabicis stellarum et formalio- « nibus eorum, etc. » Ce traité, dans notre ms. -1095, étant de la même écriture que le fragment sur les me- sures dont il est immédiatement précédé, il se pourrait bien que celui-ci fut aussi de Gerbert, dont le nom se se-
i. Lebeuf, État des sciences en France depuis Charlemagne jusqu'au roi Robert (recueil de divers écrits, clc.), 1738, in-S, t. n,p. 89. 2. Lebeuf : ivalzagoram.
25
294 APPENDICE.
rait trouvé au commencement, que nous n'avons plus. 5° F0 53 r°-60 v°. Commentaire anonyme, incomplet, d'une écriture de la fin du douzième siècle, sur le Timée de Platon.
On sait que le Timée de Platon était connu par le com- mentaire de Cbalcidius, au moins dès le huitième et le neuvième siècle, puisqu'on le trouve dans des manuscrits qui remontent à cette époque. On sait aussi que les doc- trines qui y sont exposées étaient devenues au douzième siècle un sujet d'étude et de controverse. L'influence des théories platoniciennes est visible dans Bernard de Char- tres. Voici maintenant le premier commentaire régulier sur le Timée, de la main d'un scholastique; l'auteur doit être celui de la Philosophia mundi et de Y Imago mundi, attribuées à Honoré d'Autun, et qui pourraient bien être de Guillaume de Couches ; car il y a une ana- logie frappante entre la Philosophia mundi et le de Ele- mentis philosophia?; Bedœ opp. n, p. 31 2. Non-seu- lement dans le premier livre de Y Imago mundi (c. lxxxi et lxxxiii), Honoré ou Guillaume s'occupe de l'explica- tion des fameux nombres du Timée; mais dans le premier livre de la Philosophia mundi (I. i, c. xv), après avoir rapporté plusieurs opinions qui avaient cours de son temps sur l'âme du monde, il renvoie, pour l'explication de la doctrine platonicienne sur ce point, à des gloses qu'il aurait écrites sur Platon : « Hanc dicit Plato ex di- « vidua et individua substantia esse excogitatam et ex ea- « dem natura et diversa : cujus exposilionem si quis « quœrat, in glosulis nostris super Platonem inveuiat. » 11 serait donc possible que le commentaire contenu dans le manuscrit de Saint-Germain, 1095, lut celui qui est ici
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SUR LE TIMÉE. 295
désigné. En effet, l'auteur (f° 60 v°, c. \ ) nous apprend qu'il avait composé sur la physique un livre, qu'il appelle Nostra philosophia, et où il avait démontré qu'il ne peut y avoir de corps situés dans une région supérieure à celle du feu. « Nullum ergo naturali aspiratione superius débet « esse igné. Quod enim dicunt aquas congelatas esse ibi, « ita absurdum quod illud dedignamur refellere. In nos- « tra philosopbia satis idem diximus. « Or, nous retrou- vons cette idée en plusieurs eudroits de la Philosophia mundi (1. ni, c. v, vi, etc.). Enfin les auteurs dont il est fait mention dans le commentaire que nous avons sous les yeux, sont précisément les mômes que cite ordinaire- ment l'auteur de la Philosophia mundi et du de Affec- tibus solis : ce sont Boëce, Macrobe et Constantin l'Afri- cain.
Nous donnerons tout a l'heure un extrait de cet ou- vrage ; mais continuons la description du manuscrit.
6° F0 61 r°-6S v°. Commentaire anonyme incomplet sur le traité de Priscien. De la construction : « Gramma- « ticalia super Priscianum de constructione. » Ce titre est d'une écriture beaucoup plus récente que celle du corps du traité, laquelle paraît être du douzième siècle.
7° Abrégé en vers, précédé d'une préface, de l'Intro- duction de Porphyre et des Catégories : écriture du dixième au onzième siècle.
La préface est adressée à un évoque nommé Bennon, que l'auteur traite comme un personnage éminent, amateur des lettres, et qui avait dû subir un exil dont il était revenu. Est-ce Bennon, évoque de Meisseiu, qui joua un si grand rôle dans les querelles de l'empereur Henri IV, et qui mourut en ^07, âgé de près de 'JOans?
296 APPENDICE.
Quant a l'auteur de cet opuscule, il est possible que son nom soit caché dans le signe figure au-dessus do la ligne
où se trouve le nom de Bennon, Âa Bennoni. Faut-il
lire Yvo ou Odo? Rien n'est moins certain, et nous nous contenterons de donner cet écrit comme l'œuvre d'un dialecticien anonyme du dixième ou du onzième siècle.
Nous allons publier maintenant des extraits du com- mentaire sur le Timée, et l'Abrégé en vers de l'Introduc- tion de Porphyre et des Catégories d'Aristole, sans essayer de restituer par d'arbitraires conjectures les mots que le mauvais état du manuscrit ne nous a pas permis de dé- chiffrer.
COMMENTAIRE SUR LE XIMÉE.
« Incipientibus Thimeum Platonis inquirendum est « quaj compositions illius causa fuerit, et unde in eo aga- « tur, et qualiter, etc.j et cui parti philosophie subpona- « tur, et titulus. Causa vero compositionis hujus operis « lalis fuit : cum inter omnes recte philosophantes justi- « tiam in conservatione reipublica? principatum obtinere « certum sit, circa illius inquisitionem maxima fuit eo- « ruin intentio. Quorum Thrasymachus orator sic ipsam « definivit : Justitia est quae plurimum prodest ei (sup- « plevimus ei) qui plurimum potest, illud attendens quod « propter conservalionem justitiœ ad illum qui plurimum « potest gubernaudœ reipublicœ transferuntur. Cujus de- « finitione relata in scholis, Socrates ait : non ; imo jus- « titia est quae plurimum prodest ei qui minimum potest. « Qui enim plurimum potest, se et sua sine omni justitia
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SUR LE TIMÉE. 297
« conservât; sed qui minimum, minime. Et quia tam « perfectam de ea dederat sententiam, rogaverunt eum « sui discipuli ut de illa tractatum componeret. Quorum a satisfaciens voluntati, de parte ipsius justitia?, id est de a positiva justitia tractavit. Juslitia enim alia positiva, a alia naturalis.Etest positiva, qiw abhominibus inventa, « ut suspensio latronis, naluralisvero quœnonest ab ho- « mine inventa, ut parentum dilectio, et similia. Sed « quoniam positiva justitia circa inslituta reipublica? ma- o xime apparet, in tractatu de ea ad rempublicani se « transtulit, ut circa eam justitiam ostenderet. Sed quia in a nulla republica perfectam potuitinvenire justitiam quam « in exemplum prœtenderet, novam secundum veterem « Atbeniensium confmxit. Deinde Plato, ejusdem disci- « pulus, cum decem volumina de republica composuisset, a volens perficere quod magister suus praetcrmiseral, de « nalurali justitia hoc opus composuit. Sed quoniam illa « circa creationcm mundi maxime apparet, ad illam se « transfert. Unde possumus dicere quod raateria hujus « libri est naluralis justitia vel creatio mundi. De ea enim « propter naluralem justitiam agit. Agit hoc modo de lali « matcria : ostendendo efficientcm, formalem, finalem, « materialem causam mundi, deinde causam excogita- « tionis anima?, et modum et conjuuctioncm ejus cum « corpore, et potentias quas in eo exercet; postea crea- « tionemcœlestisaniraalis, acrii,aquatilis, replilis. Deinde « agit de aetatibus hominis, de oflicio et utilitatemembro- « rum ejusdem, ad ultimum de primordial] materia. Hac « utilitate agit de lali materia lali modo, ul, visa polen- « lia divina et sapientia et bonitate in ciealionc rerum, « timeamus tam potentem, vencremur tam sapientem, di-
298 APPENDICE.
« ligamus tam benignum. Non uni lantum parti pbiloso- « pbiœ supponitur, sed de pluribus aliquid in eo conti- « netur. Quod ut melius intelligatur, partes pbilosopbiœ « divisione prodamus. Philosopliia igitur eorum quœ sunt « et non videntur et eorum quœ sunt et videntur vera « cornprebensio. Hujus duœ sunt species : practica et « theorica. Practicœ vero sunt très : ethica de i îstruc- « tione raorum, elhos enim mos, etbonomica (sic) dis- « pensatura : elbonomus enim est dispensa tor ; bœcdocet « qualiter unusquisque propriam familiam debeat dis- « pensare; politica, civilis, polis enim est civilas; hœc « docet qualiter respublica tractetur. Theoricœ similiter « sunt species très : tbeologia, matbeinatica, physica ; et « est tbeologia de divinis ; theos enim est Deus ; logos est « ratio. Matbeinaticaquadriviumcontinet, dicta matbema- « ticaidest doctrinalis. Mathesis cum aspiratione est doc- « trina, sine ea est vanitas; et dicitur doctrinalis antonoma- « sicequiascilicetperfectiorsitdoclrinainquadrivioquam « in cœteris artibus. In aliis enim sola voce fit doctrina ; « in isla ut et voce, et oculis ; ut enim dicitur ab ore re- « gula, ostenditur sub oculis in figura. Mathernaticœ sunt « quatuor species : aritbmelica, musica , geometria , as- « tronomia. Pbysica vero de naturis et complexionibus « corporum est ; physis enim est natura. Musicœ sunt « species très : instrumentalis, mundana, bumana. In- « Irumentalis très, melica, metrica, ritbmica. Melicœ très: « diatouica, enarmonica, cromatica. De omnibus igitur « artibus in boc opère aliquid continetur; de practica, in « recapitulationepositivavjustitiae de tbeologia, ubideeffi- « cienle, formali et finali causa mundi et de anima mundi « loquitur; ubi vero de numeris et pioportionibus, de
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SUR LE TIMÉE- 299
« raathematica; ubi vero de quatuor démentis et crea-
« tione animalium et de primordial! materia, pliysicœ.
« Titulus talis est : Incipit Thimœus Platonis, dictus a
« quodani discipulo suo. Mos eniui Platoni fuit intilulare
« volumina a nominibus discipulorum, ut conferret ho-
« norem discipulo, ut et vitaret arrogantiam et ut sub-
« tralieret œmulis occasionem repreliendendi. Vel Tbi-
« uiceus dictus est quasi flos; thimio (sic) enim est flo-
« reo, quia in eo est flos philosopbiae. Isocrates , etc.
« Thymaîus Platonis diu difOcilis babitus est; non quia
« tam perfectus auctor aliquid obscure dixisset, sed quia
« lectores ignorabant artes quarum ex necessitate facit
« mentionem. Cum enim de creatione mundi ageret, de
« diversis artibus mentionem facere oportuit, juxta unius-
« cujnsqneproprietates probationes inducendo. Est igitur
« ignoratus a latinis usque ad tempus Osii papa3 ; qui,
« cum sciret in eo multa utilia nec Ddei contraria conti-
« neri, rogavit Cbalcidium, arcbidiaconum suum, in utra-
« que lingua peritum, ut degraeco in latinum illum trans-
« ferret. Cujus auctoritati obediens , primas partes illius
o transtulit. Sed quia ignorabat utrum placeret annon,
« misit ad illum ut de illis judicaret, ut, si placèrent,
« cum majori audacia caetera aggrederetur. Et quoniam
« difficiles erant ad intelligendum, super illas commen-
« tum fecit, et cum parte translata et commento bas lit-
« teras misit, quarum continentia bœc est. In principio
« excusât se de ignorantia ; postea captât ejus benevolcn-
« tiain; deinde ostendit quare totum illum non transtulit
« et quare super parlem translatam commentum fecit.
« Descensus ad littcram talis est. Diflicilis ics erat « transferre librum Platonis de gncco in latinum ; sed
300 APPENDICE.
« virtus tua et amicitia fecit eam raihi facilcm. Sed ad « hoc quidcm aliquis posset dicere : poteslne virtus hoc
« facere? Probat quidcm auctoritate Isocratis, sic di-
« cens : Jsocrates \ ille rhetor de quo in rhetorica legi- « tur, in exhortationibus suis, id est in eo libro sic « vocato, laudans virtutem, virtus est habitas animi « modo natura3 rationi consentaneus , dixit pênes eam « (virtutem) consistere causam totius prosperitatis ; ex « virtute enim oinnis prosperitas, quia, ut probat Boe- « thius, omnia qua3 contingunt bonis bona sunt, quae « vero malis, mala sunt ; et omnium bonorum , id est « temporalium et œlernorum. Et cum hoec diceret, addi- « dit eam (virtutem) solam esse quœ redigeret ad pos- « sibilem facilitatem, id est faceret faciles res impossi- « biles, non natura sed usu. Et ne putaret aliquis eum « mcnlitum esse, subjungit prœclare , id est aperte et « vere. Quid enim. Probat quod virtuti res difficilis fa- « cilis est, removendo a virtute ea quœ générant diflicul- « tatem. Hœc sunt invita incœptio, impatientia laboris , « et hoc est quod dicit : quid enim generosam magna- « nimitatem, id est virtutem, et est periphrasis ; aggredi, « id estincipere, ac si diceret nihil honestum. Vel quid o cœptum, id est incœptuni/rt^e£, nihil scilicet. Aute- « quam enim incipiat, providet an ad perficiendum sufû- « ciat. Ut temperel se a labore. Sed quia quod caret al- « terna requîe durabile non est, subjungit: tanquam « victa difficultatibus. Interpolare enim labores naturaî « est nécessitas, sed vinci fragilitas. Eadem est. Probato « quod virtus faciat rem difflcilem facilem, hoc idem de
). Chalcidii cdit. (cur. Mcursio, Lugd. Batav. IC07) : Socralei, maie.
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SUR LE TIMEE. 301
« amicîtia, quae quaedam virtus est, dicens : eadetn est « vis amicitiœ quae ot virtutis est. Est amicitia vol un tas « bonorum erga aliquem causa illius ipsius qui diligitur, o cuiu ejus pari voluntate. Exponit qûaliter sit eadem « vis, et est par extricatio, id est expositio, rerum pêne « impossibilium, id est difflcilium. Tricœ sunt maculai « relis ; inde intricare dicitur involvere, extricare, evol- « vere. Cum aller. Subjungit qûaliter amicitia rem dif- « ficilem faciat facilem , scilicet cum alter ex ami- « cis; i n ter duos enim ad minus est amicitia re ipsa. « Religiose imperare est débita et bonesta imperare et « possibilia ; adminiculentur, id est subveniant effectui « complaciti operis, id est ad efticientiam operis utri- « que placiti. Alter volo parendi, id est ex voto et vo- « lunlatc obedieiulo. Ex voto obedire est sine spe remu- « neralionis, sine coaclione timoiis , sine conjunctione « sanguinis obedire. Conceperas, etc. Hue usque excu- « savitsc de arrogantia ; modo captât benevolentim Osii « ejusdem, per hoc quod utilem rem praavideat. Conce- « peras animo, id est praevideras; sed antequam osten- « dat quidem , ne videretur mala conceptio, commendat « Osium sic : florente omnibus studiis humanitatis. « Studium est vcliemens applicatio animi ad aliquid « agendum cum magna voluntate. Sed studia alia sunt « humanitatis, ut practicœ, alia divinitalis, ut theoricœ. « Sed cum istc in omnibus florerét, maxime in studiis « humanitatis, quia humanus homo erat. Vel studia hu- « Diana dicuntur omnia quco ab homiue sciri possunt, « in quibus omnibus isle ilorebat. Sed quia studium sine « ingenio non suflicit, secundum illud lloralii
n. 26
302 APPENDICE.
Ego nec studium sine divite vena, Nec rude quid possit video ingenium.
« addit et ingenium. Iugenium est naturalis vis ad aliquid « cito intelligendura ; unde dicitur ingenium quasi inlus « genitum. Sed quia ingeniorum alia sunt summa , alia « niiniina, alia média, ad cumulum laudis addit excel- « Unix. Deinde, commendato eo, ostendit quod conce- « perat dignam spem operis proventu, id est operis Pla- « tonis de grœco in Iatinum proventuri. Sed ne videre- « lur superflua hœc translatio, addit intentait; nullus « enim adhuc transtulerat. Et quanquam. Alio modo « captât ejusdem benevolenliam , scilicet removendo ab « ea arrogantiam. Continuo , hoc quod mihi injunxisli « melius quam ego posses facere. Et quanquam hoc « ipse, id est banc translationem posses ïacerefacilius, « quia doctor, commodius quia majoris auctoritatis, « tamen eipotius malueris injungere, id est mihi, quem « judicares alterum te, id est quem ut te diligebas. Et « tractum esta Tullio qui in lihro Amicitiœ dicit : « ami- « eus meus est alter ego. » Sed ne videretur injunxisse « vel propter ignorantiam vel propter indignationem , « ait : credo propter admirabilem verecundiam. Est « enim quœdam verecundia bona, quaedam mala. Mala « est quando in bono frigidi malum quod fecimus con- « ûteri vel dimittere erubescimus; bona est qua malum « perpetrare erubescimus, et scientiae vel virtuti quœ « in nôbis sunt nos impares judicamus. Possemne. Ad « hoc quidem aliquis posset dicere : etsi iste iinpe- « rasset, tamen ex arrogantia incœpisti, cum te posses « excusare; probat quod non posset, et hoc est : oro te, « o aliquis vel o Osi. Excusare munus , id est hoc ofti- « cium injunctum mihi a te, quamvis res, id est trans-
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SLR LE TIMEE. 303
« lalio operis illius esset ardua, ego de quo ita senseras ' , « queni te alterura judicabas, ac si diceret : non. Et qui « niinquam; probat quod non posset, argumento a mi- « nori, quia nec in aliqua parva re voluntati illius un- « quam contradixerat, nedum in ista ; et boc est : et ego « contradicereui huic tanto; ad quantitatem, quia multa « magna viliasunt, subjungit : et tam honesto desiderio, « qui nunquam.... id est ofûcium ad te pertinens ; oflî- « cium id est congruus actus, quem juxta mores et in- « stituta civitatis, vel ex lege vel ex ûatura oportet nos c adimplere. Nec etiam in solemnïbus , id est commu- « nibus; solon [sic) enim est commune; inde solemnia « quasi festa communia dicuntur. Usilatis, id est quoti- « dianis, in quibus amicus amico quasi in nugis contra- « dicit sœpe, sed in seriis nunquam. In quo. Diceret ali- « quis : et si ita non posses excusare, diceres te ignorare. « Responsio : uolui , qui putaretur callida simulatio « scienliœ. Quidam enim sic negantes callide simulant, « et boc est : in quo, id est in qua pelitione déclinai io7 « id est evitatio bujus speciosi muneris excusalione « ignorationis , id est excu5ando per ignoranliam, sci- « licet dicendo me ignorare futura esset, id est reputari « posset callida simulatio scientiœ. Jtaque, etc. Non erat o conveniens excusatio ; parut, et maxime quia sciebam « te Deo voleute boc imperare , et lioc est : certus id « munus, id est liujus translationis oi'ticium, non injungi « mihi a te sine divino instinctu, id est divina volun- « tate. Proplerea, quia non erat causa excusationis et « quia non imperabas sine divino instinctu, aggressus « primas partes Thimœi Platonis alacriore mente de
4 Sic cod. Lilit. : censeres.
304 APPENDICE.
« incœptione, spe confirmatiore de perfcclione, non so- « lum transluli , sed etiam partis ejusdem translata « commentarium feci. Ut ait Priscianus super cxercila- « tionibus puerorum : « comminisei est plura studio vel o doetrina in mente habita in unum colligere. » Unde « commcntiun possil dici plurium studio vel doetrina in « mente habitorum in unum colleetio ; et quia seeun- « dum liane definitionem commenlum possit dici quisli- « bel liber, tamen non bodie vocamus commenlum nisi « alterius libri expositorium, quod differt a glosa. Com- « menlum enim solum senlentiam excquens , de conti- « nuatione vel expositione lilterœ nihil agit. Glosa vero « omnia illa esequitur; unde dicitur glosa quasi lingua. « lia enim aperte débet exponere ac si lingua doctoris vi- « derettir docere. Put an s, etc. Hue usqueexeusavit se de « arroganlia, recldiditque benevolum illum laudando, « deinde docilem, quod translulit Tbimseum Platonis os- « tendendo. Modo ostendit quare super eas partes com- « mentarium fecerit, scilicët quia per se ad ïntelligendum « erant difficiles, et ita reddit altentum, dicens : Feci « commentarium et superflue; scilicët putans, etc. Est « excmplum vel res recondita liber Platonis in grœco, « simulacrum vero ejusdem in latino. Sed simulacrum « estobscurius ipso cxemplo, quia obscurior estcujuslibet « libri translalio quam ejusdem in prima lingua compo- « sitio. Causa vero, etc. Quare librum divisit et non tolum «simul translulit, ostendit; est operis prolixitas, et « utrum placeret annon dubietas, et hoc est causa, etc. » On pourrait croire, d'après ce début, que notre com- mentaire ne sera qu'une paraphrase du commentaire de Chalcidius. Mais il n'en est pas ainsi. Chalcidius ne s'est
COMMENTAIRE DU XI 1° SIÈCLE SUIl LE TIMÉE. 303
proposé que de donner L'interprétation des passages du Timée qui supposent la connaissance des sciences, telles que l'arithmétique, la géométrie, la musique, etc. Ici nous avons un commentaire régulier, qui suit le texte pas à pas, et sans rien omettre.
« Unus, duo, très. Plato, tractaturus de naturali jus « titia, récapitulât ea qme dixerat de positiva justitia, ut « sit unus et continuais justitia; traclalus, quod facit tali «modo, iutroducendo quatuor personas, Socratem, « Thirnœum, llermocratem, Ciitiam, sub tali (igmento. « Cum esset id moris Atlieniensium ut in festa die Palladis « in domum alicujus philosophi convenirent, ut ab « eodem in aliquo instruerentur , confingit Thimaeum, « llermocratem et Critiam quartumque, cujus nomen liic « rcticet, die feslo Palladis in domum Socralis convenisse, « ctab eodem in positiva justitia instructos esse, ûniloque « tractatu, qiuTsitoque ab eis mutuo , id est traclatu de « naturali justifia, promissoque, in crastinum venit. Sed « quartum de sociis non inveniens, sic incipit narrare : « unus, duo , très. Sed quseritur cur Plato , quem con- « stat nihil sine causa fecisse, cur librum suum a numeris « incœpit; et si a numeris fuit incipiendus, quare al) « istis numeris potius (supplevimus£>o/m.v) quam ab aliis, « et quare très numéros nec plures posuit, et quare per « cardinalia nomina, non ordinalia illos vocavit. Primo <( igitur, ut Pylliagoricus, scions maximam perfectionem « in numeris esse , quippe cum nulla scilicet creatura o sine numéro possit cxislere, numerus tamen sine quo- « libet potest existere, ut perfectionem sui operis osten- « deret , a perfeclis scilicet numeris incœpit. Ab istis « vero numeris ideirco quia sunt parles perfeeti numeri ,
26.
306 APPENDICE.
(i id est senarii. Perfectus est numerus cujus partes « aggregatœ reddenl œqualem summam. Pars autera se- « narii secunda surit très, tertia duo, sexta uuurn, quœ « aggregata talem summam reddunt , id est sex. Prop- « ter ergo perfeclioncm , a partibus perfecti incœpit. « Amplius iuter hos numéros inveniuntur proportiones « quœ musicas reddunt consonanlias. Inter duo enim et « uuurn est dupla proportio : ex hac nascitur diapason ; « inter très et unum sesquiquarta, ex qua diapente ; in- « ter quatuor et très sesquitertia, ex qua diatessaron. « Quia igitur de creatioue rerum, quœ coucorditer et « proportioualiter facta est , tractare disposuerat, recte a « numeris obstinentibus proportiones incœpit. Tresvero « tautum numéros ponit, quia de tribus simplici modo , « secundum auctoiitatem Boethii, agit : de divinis intel- « lectualiler, de mathematicis doctriualiler , de physicis « naturaliter. Tractare de divinis intelleclualiter est, re- « mota omni opiuione, quicquid dicatur de divinis certa « ratiuue subjecta coiiûrmare. De mathematicis doctri- « naliter agere , est de eis quœ pertinent ad quadrivium « sic tractare, utquod régula dicilur sub oculis in figura « ostendatur, ut in quadrivio agitur. De physicis vero « naturaliter agere est de naturis corporum , subjecta « physica ratione, tractare. Per cardinalia nomina illos « vocat, non ordinalia, ne uni alium prœferre videretur. « Et hœc sunt verba Socratis in crastinum venientis, nec « omnes socios invenientis : unus, duo, très; o Thimœe, « requiro quartum de numéro ves'ro. Quartus ille « Plato fuit, qui quasi ab opère se subtraxit, dum non « sibi , sed Thimœo, propter piœdictas rationes, illud « attribuit. Qui hes terni, etc. »
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE SUR LE TIMÉE. 307
L'auteur continue de conmieuter longuement le préam- bule du Timée. Il est inutile de le suivre dans ses déve- loppements sur le déluge de Deucalion, fondés sur une mauvaise physique, et absolument dépourvus d'intérêt. Ses explications sur l'origine d'Athènes et la fable d'E- riclitou n'ont pas plus de valeur.
Le commentaire sur le discours môme de Timée com- mence aux deux tiers de la première colonne du feuil- let 56 v°. Eu voici le début :
« Est (fol. 56 v°, c. -I) igitur Thiiuœus de naturali jus- « titia tractatus ad creatiouem mundi circa quam maxime « apparet se transferre. Ut eum perpetuitati.... quatuor « illius causas, scilicet efûcientem, formalem, finalem, « materialem ostendit, ut ex talibus causis quoddam per- « petuum posse creari manifestet. Est efficiens causa di- « viua essentia, formalis divina sapientia, Onalis divina « bonitas, materialis quatuor elemeuta. Quae ut melius « intelligantur, bimembrem proponit divisionem, in « cujus altero membro efficiens, formalis, fiualis causa « mundi conlinetur, in altero materialis, et effectus. « Qua? divisio talis est : quicquid est vel est carens gene- « ratioue et semper est, vel habet generationem nec sem- « per est. Haec ut melius intelligamus, dicamus, quid sit « generatio, quid sit habere generationem, quid carere « generatiouc, quid semper esse uec semper esse. Gene- « ratio igitur, ut ait Boethius in quiuto super Categorias, o est iugressus in substantiam, id est priucipium existen- « lia?; carere vero generatione est carere principio exis- « tentia;. Semper esse est sine praHerito et futuro existere ; « non semper esse est per temporales successiones(fol. 56 « v°, c. 2) transire. Caret ergo geueralioue et semper est,
308 APPENDICE.
« guod numquam incœpitesse nec aliquid praeteritum nec « futurum habet. Hoc convenit divinœ essentiœ : ea cnitn « nec habuit principium existehtiae noc vices temporis. « Haec est efflciens causa mundi; ipsa enim est omnium « creatrix. Hoc idem convenit divina? sapientiœ. Si enim « Dcns caret principio, nec potnit sine sapicntia esse; « idem est enim illi et esse et sapientem esse. Ergo et ejus « sapienlia caret principio. Semper vero est quia illi nihil « praeteritum, niliil futurum est, sed omuia prasentia. « Hœc formalis causa mundi est, quia juxta eam crea- « tione mundum formavit. Ut enim fabricator, volens « aliquid fabricare, prius illud in mente disponit; postea, a quœsita mateiia, juxta menlem suam opcratur, sic « creator, anlequam aliquid crearct, illud in mente ha- « huit, deinde opère illud adimplevit. Htcc cadem a Pla- « tone dicilur archetipus mundus : mundus, quia omnia <i continet quœ in mundo sunt; archetipus, id est prin- « palis forma. Archos (sic) enim est princeps, tipos (sic) « forma vel figura. Idem convenit divinae bonitati; ca « enim caret principio et semper est prœsens. 111a est D- « nalis causa mundi, quia sola bonitate, ut in sequcnli- « bus apparebit, omnia creavit. Ita sub boc membro, « efficicns, formalis, fmalis causa mundi continentur ; « sub alio vero materialis et effectus, et duo elementa ; « et quicquid ex eis est principium habent essenliaî et per « succcssiones temporales variantur, etc. »
Nous ne croyons pas nécessaire de pousser plus loin ces extraits. Nous ne donnerons plus qu'un passage qui présente un intérêt particulier, puisqu'il y est question des Idées. H s'agit de cette phrase de Platon : Sensilem mundum in quo omnia gênera et quasi quidam fontes
COMMENTAIRE DU XIIe SIÈCLE Sl'tt LK TIMEE. 309
continentur animal/ um inlellîgibiliwm. — (Fol. 59 i°, c. 2.) « Et hic peripbrasis archetipi mundi, id est divinro « sapientiœ in qua continenlur intelligibilia animalia. Mos « fuit Platonis divinam cognitioncm de aliqua re nomme « ipsius rei vocare, sed etiam differentiam adjungere in- « tclligibilem. Unde divinam cognitioncm de Iiomiue « vocat iiilelligibilcm bomiuem, de lapide, intelligibilem « vocat lapidera, quaeeadem vocabat ydeas, id est formas, o lia enim ut cognovit res formavit. In divina igitur « mente, quae est archetipus mundus, gênera intelligibi- « lium animalium continentur, id est cognitiones de di- « versis gcncribus animalium. Et quasi quidam fontes. « Ut enim rivus est a fonte, sic omnia ab eis sunt qua3 « sunt in divina mente, si quidein verc in eo continen- « tur. »
Le commentaire ne s'étend pas dans notre manuscrit au delà du feuillet GO \°, a la On duquel il est tout à coup interrompu. Ainsi nous ne possédons de l'ouvrage d'Honoré d'Autun ou de Guillaume deConches, qu'un fragment qui comprend à peine la moitié de la première partie du Timée. En voici les dernières lignes :
« Nec vero manus fuerunt ei necessariœ cum ni- « Itil, etc., nec pedes, quia nullus motus ad quem pedes « sint necessarii ei convenit. Quod ut sit facilius, dica- « mus quod motus alius localis, alius non. Et est localis « motus cum tota res modo inuno loco, modo in alio in- « venitur. Sed localis motus specics sunt septera : aille, « rétro, sursum, deorsum, dextrorsum, sinistrorsum, in « circuitu. Ad bos pedes sunt necessarii. Sed nullus isto- « runi potest mundo convenire, extra quem nullus locus « est. Motus non localis, qui et ration alis dicitur, alius
310 APPENDICE.
« spiritualis, alius corporalis est; qui rationalis mollis « corporalis motus in eodcm loco est, id est habere par- « les aliter simul in eo loco, qui firmamento convenit « quia pars illius modo est in oriente modo in occidente. « Spiritualis vero molus aniinoe est; movenlur enim ad « intelligendum, etc. Ita rationalis motus convenit ani- « ma) et firmamento, sed corporalis firmamento, spiri- « tualis anima', et lioc est : nec pedes duxit ei necessa- « rios quoniam nullo modo motus localis ei compete- « bat, ut expositum est, sed rationalis, id est in eodem « loco, qui dicitur rationalis. »
Abrégé en vers de l'Introduction de Porphyre et des Catégories d'Aristote.
Benuoni. Quod frater fratri vel quod pia mater utris- que.
« Postquam, frater dilectissime, litteris dilectionis tuœ « inspectis, sanum te ab exilio reversum et secundum vello « tuum scliolaribus curis absolutum quae tibi, frater « amande, sœpe tacdio erant, tamen quasi usui forent, « si bene valeres et non displicerent pro libitu tuo vivere « intellexi, Deo gralias egi. Sed enim de magistri mei, « patris etiam nostri, avunculi tui infirmitale tristitia « quanta affectus si in et exanimatus, Deum cui me pro « salute ejusdem bostias immolare prout meruisset, scrip- « tis luis hortatus es, contestor ; quod... patris etiam loco « qui me advenam et peregrinum pie, ut nosli, laribus « suis suscepit et ut te ipsum propinquum suum incor- « ruptissimus custos nutrivit et docuit. Ad boc etiam pro
ABREGE EN VERS DE L'iNTROD. ET DES CATÉG. 311
« et quo il l i laus debetur a me et gratia major, quod te « talem ac tantum mihi associavit amicum. Nulla etenim « mihi te fors obtulit, sed optimus ille. His pro beneOciis « mihi ab illo impensis, cum grates condignas nequeo « persolvere ad prœsens, hostias, utmonuisti, pro illo « Christo quotidie immolavi. Ibec hactenus. Petitionibus
« vero tuœ caritatis, pro versibus in quihus primum
« per vacuum imposuisti vestigia, tametsi majora petiisses « salins et adhuc scholarum curis implicilus, si legatus « ille de quo me nihil dubitare suasisti ad me perveniret, « statim libens, fidus ut amico, satisfacerem. Tamen ad « me non pervenit, et adhuc incertus sum quis esset. II... o mitto petita et promissa majora r... Quoniam complu- « rium mei ordinis scholnslicorum, prassul venerande, « oblatas tibi lilteras omni gratiarum alacritate scepius te « audio suscepisse, horum licet omnium parvitate ingenii « et totius professione virlutis me cognoscam intimum « esse, tuœ conOsus tamen pietati aliqua et ego offerre « liltcrarum jocularia praesumo tuœ majestati. Fert ani- « mus, Dei aspirante gratia, quam paucissimis ora- « tione metrica absolvere, quod Porphyrii Isagoge et « Aristotelis Calegoriœ videntur in se continere. Quod « hanc ob causam maxime decrevi agere, ut qua3 il 1 i Ia- « tius diffudere breviter collecta per me tenaci diligenlius « crederem memoria). Nomina quoque grœca quacdam « intcrposui ubi lege metri constrictus latina non potui ; « quod cuique facilius li([uel)it, qui talium notitiam ha- « bebit. ld mihi ne ducatur vitio, primum abs te, paler « piissime, cui hoc litterarum munere ingenii mei primi- « tias immolo, dcinde ab omnibus veniam postulo. »
Doctor Aristotiles, cui nomcn ipsa dédit res,
312 APPENDICE.
Ingeuio pollens miro praecelluit omnes.
Hic ', nalis post se dialectica ne latuisset,
Primos componens Analiticos studiose,
De syllogismis ralio perpenditur in quis,
Credidit ut sapiens hos pianos omnibus esse.
Sed eu m nullus eis 2 intellectu capiendis
Sufficeret, rursus tenlat proferre secundos;
Quos neque posse capi cum sensit, Topica scripsit;
Hinc Perihermenias, postremo Cathegorias;
Post quas tinitas, descendere noluit infra.
Hic genus ac speciem, proprium, distantia 3, stringens,
Simbebicos " etiam quid sint omnino lacebat.
Porphyrius tandem cernens, nisi cognita quinque 5
Ha^c sint, bis quinas nesciri cathegorias,
Cuique suuni linem signavit eonvenienlem :
Dicens esse genus quod pnepositum speciebus;
At speciem generi subjectam maxime dici
Ex individuis numéro distantibus uno;
Ordine quae 6 sequilur pest islam ' quale quid infert,
Adsumpta generis vi formatrix specierum.
Ast hoc est proprium quod soli semper et omni;
Cujus s id est ibrnne junctum non deseril illam a.
Restât symbebicos l0, varium et mirabile semper,
Sed non subjecto corrupto, cernitur in quo.
Ni nimis est longum, communia dicier horum
Non nos horreret ; sed malumus ergo tacere,
Ne generelur in liis tibi nausea discutiendis.
Cathegoriarum liber primas de substanlia.
Post hœc, bis quinas pandamus cathegorias,
1. Supra lincam, cadem manu : Scilicet Aristoteles.
2. Supr. lin. : Analylicis.
3. Supr. lin. différentiel.
4. Sufj.ëeSwi'ç. Sup. lin. : id est accidens.
5. Supr. lin. genus, species, différentiel, proprium, accidens. G. Supr. lin. scilicet différentiel.
7. Supr. lin. scilicet speciem.
8. Supr. lin. proprii.
9. Supr. lin. formant vcl speciem.
10. Supr. lin id est accidens.
ABRÉGÉ EN VERS DE l'i.NTROD. ET DES CATÉG. 313
In quis vir doctus non ex ipsis quasi rébus,
Setl signaliris de rerum vocibus orans,
Sumit ab onionymis ' tractandi synonymisque 2
Principium, proprium dicens hoc omonymorum,
Nomine concordent ut solo, non ratione,
Ut canis est pictus, latrabilis, atque marions.
Synonymis autem nomen dédit et rationem ,
Ut generis ratio 3 speciebus cougruat a?que.
Hinc aplum qua'rit proprium quod paronymis det.
Concordant etenim re, nomine, prselitulatis ',
Hxc extrema 5, nisi disjungit syllaba veibi ;
Exempli causa pater est ut voxque paterna.
His ita iinitis, iusistit calbegoriis,
Dicens omne quod est usiam B symbebicosque :,
Qua? generalia sunt aut particularia semper.
Non tamen est ab re sciri quid cuique sit esse.
Consonat usité generali particularis,
Non in subjecto sed subjectum simul ut sint.
Hoc autem distant : de subjectis sibi multis
Jus generalis habet dici , sed particularis
Prorsus de nullis, nisi solis ex enarithmis 8.
Symbebicos superest, générale et particulare,
Conjunctum quibus est subjecto semper inesse.
At quadam longe distant alia ratione.
Nam générale potest de subjectis sibi dici.
Particulare quidem negat ex aliquo potuisse.
Hinc quidnam dicis post quod niliil inferius sit?
Quatuor his rerum natura viget variarum
Qua.' fuerat, quae sunt, qtuecumque futura sequentur.
Adde a quod ut dénis nequit lû addi cathegoriis,
\. Supr. lin. id est œquivocis.
2. Supr. lin. id est univocis.
3. supr. lin. différentiel.
4. Sr.pr. lin. id est denominativis.
5. Supr. lin. id est denominativa.
C. Oùoïa. Supr. lin. id est substanliairt.
7. Supr. lin. id est accidens.
8. sup. lin. ici est individuis.
9. Cod. atque.
<0. Cod. lie quid.
n. 27
314 APPENDICE.
Sic ' nihil hîs 2 demi, quod dodo cuique liquebit.
At cur usias cognomine
Est ratio testis, quoniam sunt subdita cunctis,
Unde quidem species, genus autem
Quœ patet usyas sapientibus esse secundas.
His 3 nisi subjectis, etiam qui symbebicotis
Ad subsistendum primum locus eiigeretur?
Nam generalem quis cignum cognosceret album
Aut corvum nigrum, nisi viso parliculari ?
Post hœc usia? proprium scrutando requirens,
Primum proponît quod non soli, licet omni '
Congruat, hinc soli quod consonet, haud tamen omni 5;
Quod sequitur jungi nec soli nec valet omni l! ;
Postremo soli scmper concurrit et omni,
Quod vere proprium dici constat manifestant.
Hoc tali cupiens usyte claudere linem,
Semotis aliis, soli dédit illud et omni,
Una eademque manens contraria sumat ut in se.
Haec super usyam praecepta dédisse patescat.
Symbebicota novem restant, quibus omnibus esse
Pendet in bac sola, sine qua nain sunt nihil ipsa.
De quantitale.
At post usyam cur statim proxima quanta ' Subjunganlur ei, non hoc ratione carebit. Nam simul ulla tuis obtutibus objicitur res, Primum perspicies hœc : an sit mulla vel una; Quee quis quanta neget? Sed nos, cognoscere quccrens Ilujus R quot species sint, doctor sic docet ipse : Principio ponens discrelum continuumque ; At sub continuo quinas, quarum patet oido :
S. Cod. si.
2. supr. lin. scilicet quatuor.
5. Supr. lin. scilicet individuis.
4. Supr. lin. scilicet ut hominem esse gressibilem.
5. Supr. lin. ut hominem grammalicum esse.
G. Supr. lin. ut gênera et species de individuis sola prcedicantitr, quoniam et differentiœ siniiliter de individuis dicunlur.
7. Supr. lin. id est quantitas.
8. Supr. lin. scilicet quanlitatis.
ABRÉGÉ EN VERS DE LlNTR'Ut. ET DES CATÉG. 315
Gramme1, planilies -, corpus, teuipus, locus atque;
Discrète binas tribuit : logon ° numerumque.
His déliai lis septem, nullam magis addit.
Quid tamen inter se distent baec, claret aperte :
Punctuiu pes ' grammes, caput atque, nec est tamen illa
Qua poteris solum sine laia cernere longum
Purius et per se, eapias licet interius te.
Haud tamen banc caiqaam monstras nisi eorpore mixtam;
Totum namque quod est subjectu débita solvit.
Epiphania * quidem cum longo suseipit ■ ipsa
Latum per spatium meDsura quanta vocata;
Cujus communis medio fit linea finis.
Juncta simul longum, latum quod cernis, et altum
Perficiunt coipus dimensum sex perioehis 7 :
Prie, post, dextrorsum, keva, sursuinque deorsum.
Terminus hujus item fit gramme planitiesque.
Nemo negare potest etiam tempusque locumque
Subdi eontinuo, cum partes temporis unum
Finein commoaem médium teneaut et eumdem,
Ad quem perpétua vice se simul ullima jungant,
Inter praeteritum pnesens felnl eslqne futurum,
Hujus ■ perspicue finis, caput illius L' autem.
Dicimus ergo locum qui circumfunditur ipsum
Corpus, sive supra, laterum vel parte, vel infra.
Hinc ubi continuum corpus, locus ' esse probatnr.
Post haie discretum tractât quot sit specierum,
Apposilis hinis. sermone simul numeroque.
Nam quis secerni non cognoscat duo ternis.
Ant hoc quis dubitet quod quaevis syllaba distet
Ex alia, numéro vel natune ratione,
1. T : y.j.j.r. Supr. lin. id est linea.
2. Supr lin. id est superficies. '■',. A :-:•>. Supr. lin. orationem. ■i. Supr, lin. finis.
5. Supr. lin. id est superficies.
6. Cod. cosuscipit.
7. Supr. lin. id est circumstanliis.
8. Supr. lin. prœlerili.
9. Supr. lin. futuri.
10. Supr. lin. scilicet contmuus.
316 APPE.NDICE
Cum manifeslum sit quia longa sit aut brevis omnis? Horum quantorum fit subdivisio rursum : In queisdam situs est, partes numerentur ut ejus, In queisdam non est; quibus exemplum dat utrisque. Linea cum solido, locus, insuper epiphania, Quatuor ista situm retinent, tria caetera nullum, Logos, et numerus, tempus. Nam qui ' potuisses Cujusquam numeri dexlram vcl cernere kevam? De sermone quidem vel lempore daret id ipsum. Tempus enim currit, semperque volubile transit; Sermo non dictus nihil est, dictusque peribit. His definitis, non sunt plures 2 speciebus. At si qme 3 fuerint alite, pro symbebicolis Debent apponi. Multum dieelur et album; Non lioe immensum per sese dicittir album, Mulla superficies sed quod sit, cernitur in qua. Restât (piod soli quanto propriumque quod onmi Adsit qiueratur, quod taie (|uidem replicalur : Aut par aut impar, sequale suumve répugnons * Suscipit; at numerus solus specialiter illud Par imparque tenet proprii meriti ralione; Caîtera corporete nalurae quanta subesse Rectius œquali vel imequali staluuntur.
De rclationo.
Quale 5 sequi quantum 6 deberet conlinualim; Ast in calce : quia ([nanti sunt insita qiuedam Qu;e genus in pros ti - videantur posse referri, Ceu minus et maius, prius ex hoc dicere mavult, Ut discussis his qua> convenienler ulristjue Aptentur, tandem dissolvatur chaos omne.
\. Supr. lin. quomodo.
2. Supr. lin. scilicet ipecies.
3. Supr. lin. aliquœ.
A. Supr. lin. id est inœquale, 5. Supr. lin. id est qualiCas. G. Supr. lin. id est quantitatem.
7. Supr. lin. fine.
8. Iïpoç ti. Supr. lin. id est aliquid [leg. ad aliqukl).
ABRÉGÉ EN VERS D!i l/lNTROD. ET DES CATEG. 317
Dicitur iil pros li oui pendet i» alterlus vi Esse, tluplum veluti si sit, praecedere simplum
Débet; idem ex aliis poterit cognoscere quivis :
Thesin ', diathesin 2, episthemin 3, estesiu ', exiu b.
At non vos turbet species quia dantur esedem
Pros ti qua3 poètes 6, dum dissimili ralione
Fiat; nam sensus cum sensilis esse alicujus
Dicitur, est pros ti; cum per se, quale fit illud.
Addidit hinc aliam veram pros ti rationem,
Dicens occasu vel in uno claudier ortu,
Servus ut et dominos, qui vel non sunt simul aut suut.
Hac tamen ergo via privatim calhegoriam
Pros ti : désignant ad singula singula tantuin
Ut referantur, uti sonat hujus gratia verbi :
Est Cato Platoni similis Ciceroque Maroni.
Sed quidam, vires rerum nimis inspieientes,
Affirmant qiuedam pros ti sibi dissociata,
Et dant exemplum eum sensu sensile junctum,
Ha?c in nalura dicentes esse priora
Guucta quibus constant, ignem, terrain, mare, cœlum,
Hisque ex sensilibus primis procedere sensus,
Dum corpus quodvis subsistere suniit ab illis.
Queis depellendis melior sententia surgit.
Dicitur omne quod est vel eneria 8 dinamive ';
Quns si dissociet quis. non intelligit ,0 ille
Quod (liclum pros ti subsislit in altérais vi.
Sensile quippe simul snnsusque cohaeret in unum.
Non licet eneria dinami ; hincque remotis
\. O-'a'.v. Snpr. lin. positia.
2 A'.âOï'j'.v. Snpr. lin. affeclio.
7,. Et.'. 7-i,[j:r:i. Snpr. lin. disciplina.
■S. Àtadr.aiv. Supr. lin. sensus.
s. E|tv. Snpr. lin. httbilns.
G. n','.07ï,7o;. Supr. lin. vel qualis.
7. Snpr. lin ij eu ad aliquid.
8. Evep-YEta. Supr. lin. operatione.
9. Àuvâusi. Supr. lin. polesiate.
10. Cod. inicllexit.
318 APPENDICE.
Omnibus ambiguis, veruni communiter illud
In pros ti qu&dam genitivura perque dativum
Atque ahlativum dici, patris est uti natus,
Parque pari velut est, nec non vel sensile sensu.
Antistrophenta ' quidem grata vice cathegoriae
Huic insunt semper, si liant convenienter.
Namque cbaos 2 fuerit, conversio dum titubabit,
Imprudenter avis pennani quis dixerit ut si,
Antistrophen vacuum; nam penna nec est avis omnis ;
Sunt etenim penna; quas non avium liquet esse,
Ut mirmicarum, muscarum, vel reliquarum
Quas dédit ejusdem naturae forma fuisse.
Quod si quis pennam penuali dixerit, illa
Creditur a queisdam quasi sit conversio vera.
Sed tamen usiae partes in symbebicotis
Ne sic ponantur, meliore via aggrediamur :
Prœtitulamus uti solius sunt ea pros ti,
Est quibus occasus semper simul unus et orlus ,
Ut domiui et servi, conversio recta lit in queis.
De qualitate.
Quale, quod bine sequitur, ne cursim prœtereamus. Cui cum bis binse species numerentur adesse Exis !, diatbesis 4, phisices 5 dinamis ,; poetesque 7 Passibilis, potius seu pathos a, scemata 9 morplue ", Cuique suum linem jungens disterminal a se. Exin enim dicit quod longo tempore duret, Diathesim mentis virtutein quis velut artis Cujusquam capiat, valeat quam prodere nunquam
i. Supr. lin. id est convevsibilia. 2. Supr. lin. confusio. 5. Supr. lin. habitus. ■i. Supr. lin. a/fectio.
5. Supr. lin. naturalis.
6. Supr. lin. potestaS. 1. Supr. lin. qualilas.
8. Supr. lin. passio.
9. 2yjiaaTa. Supr. lin. figurai. \0. Ncfôr,;. Supr. lin. formœ.
ABRÉGÉ EN VERS DE L'iNTROD. ET DES CATÉG. 319
Corporis hanc gravior forsan périmât nisi languor.
Contra diatliesis levis est impulsio mentis;
Inspicit et si quis, vere cognoverit exis
Ut sit diatliesis, lantum permanserit h;ec si.
At phisicen dinamim ' tradit sic posse videri,
Ut si (pios pueros membrorum mole torosos
Conspicimus, quoddam mox dicimus inde futurum,
Vel gladiatores vel cursores fore fortes;
Non his quod studiis jam sint vel in arte; sed illis
Un m membris vigeant, promittere magna videntur.
Passibilis poêles, vel pathos tertia pars est,
Quale dat albedo nobis signumque nigredo ;
Non ita passive quicquam patiantur ut ipsœ,
Sed quo quamque pati rem cogant cui socianiur.
Dulce sit ut nam mel, non a dulcedine passum est,
Infert sed sensum suavem gustantibus illud.
Quod tamen has species disjungat percipe paueis :
Passio jam simnl est, confestini desinit esse, Quis velut ignitam subito sit mollis in iram,
Et mox, bac 2 posita, linguam mentemque refraenat. Asl ex adverso poètes passiva, secundum Quam quales diei nos couvenit, usque 3 manebit; Pallidus nt si quis procedens viscère matris, Quam longum vit* spatium sit, palleal omiie. Quarta dehinc species, cui forma; sunlque figura;, Pone sequens, Uadi quaerit formas auimatis; Dicimus euinoifos ut quosque viros vel amorfos, Atque figuras bis quae non animata vocanlur. Circulus et trigonus velut est, conusque kylindrus. Coniplures alias buic cuiii videamus inesse, Quid tamen has omues per singula dicere prodesl ? Sufliciat tantum proprium nunc quale sit ejus Scrutari, soli quod consociatur et omni , Ut poêles similis dicatur dissimilisve.
De facere et pati.
Cum sint bis bimc majores cathegoriai
\. supr. lin. naturalem potestatem.
2. Supr. lin. ira.
3. Supr. lia. id est semper.
320 APPENDICE.
Laïc diffusa?, breviter sequimur rémanentes : Procedunt qualis de stirpe pati facere atque; Ignis enim calidum qui quodque facit, calet ipse; Et calor et calidum quod fit, sunt qualia dicta. Confligunt multi quae non opus est super istis; Quorum quid refert nobis discernere lites? Tantuin sufiîciat nobis luec régula certa : His commune genus, sed non est una duobus Forma. Proinde liquel contraria suscipere in se Et magis atque minus; veluti nam quisque calere Plusve minusve potest, ita quantum vult calefiet. Non dubitatur et boc quia passio semper et actus Sunt simul; et neutrum disjungitur alterius vi. His quid sit proprium de nobis nemo requirat, Cum nec Aristotiles quid id esset diceret ipse.
Subsequitur post liœc silus ordine conlinuato.
In pros ti quamvis ejus natura sit omnis,
Ut queisdam placuit, per se tamen est aliud quid ;
Nam quod ' stare quidem denominat a slatione
Quisquam non failli; sed si contendcrit ut sint
H;cc uiium, longe declinabil ratione;
Sicul enim sapiens non est sapientia, sic nec
Stare quod est statio, sed erit cognalio qùaedam.
De ubi et quando.
Jam videamus Ubi, Cum, Quando, quid sit in il lis. Quando non tempus, vel ubi locus esse prohatur; Temporis atque loci sed certa statuta requiruut. Aulumat et ratio contraria quod teneant h?ec, Ut dicalur, ubi velut est, sursumve deorsum; Tempus prseteritum, prœsens, junctuinque fulurum, Qiue negat inter se contraria nemo fuisse.
De babere.
Restai babere modis bis dinumerare quaternis Gujus eam speciem primant cognoscimus esse
I. Quod supplcvimus.
ABRÉGÉ EN VERS DE L-'lNTROD. ET DES CATÉG. 32
Quœ vonions ammi monslrat bona vol mala quae siut, Ut sit in exemplum pielas simul impietasque. Inde secunda sequens palet, ex qua corpore quales Dieinuis, albedo velut est pariterque nigredo. Tertia do quando prodit, domus haec ut in alto Centenos cuhitos babet, in longumque duceutos. Cognilio quartae posl liane est, cum quid habore Firmamur, tolo non corpore, parte sed ejus, Ut pedibus podieas, aut in manibus chirotecas '. Quinta quidem circa corpus consislit et extra, Ceti sint veslitus, noslros tegimus quibus artus. In sexla parles ipsas narramur habere Corporis, ut naies, oculos, digitos, caput, aures. Seplimus bic gradus est, veluli dicamus habere Vas aliquid vinum, gonus alteriusve liquoris; Octavus vero, quem limite ponimus imo. Cognoscetur iu his quae nostri sunt bona juris, Ut ([dis liaberc doniuni, rus dicilur atque palornura. Hoc etiani verluim înulli tirmant maie dictum Uxor habere viruni cum dicilur, ille 2 vol illam 3; Quicquid habelur enim non est habeat qtfod habentem. llectius uxori conlendunt esse maritum.
Tandem bis quinis completis calhegoriis, Quaejuogi scimus contraria ne taceamus. Quorum jugis in his cum menlio facta fuissot, Ut quae suscipiant contraria qiueve remittanl , Quid tamen ipsa forent niliil est quod adliuc patuisset. Idcirco nunc est inslandum dicere plane H;ec cl verborum quasdam formas aliorum, Teque rogamus sis sequus super bis capiendis. Oppositum genus est ejus, speciesque quaternae. Prima relativa est, si conferimus dupla simplis; Inde secunda subest, contraria dicta secundum; Quae sont inter se longe disjuncta, noc haerent. Namque bonum pariterque malum, contraria cum sint,
1. Cod. cyrotecas.
2. supr. lin. scilicet vir.
3. cod. Ma. supr. lin. sciliccl uxorem.
322 APPENDICE.
Iudiget alterius neutrum vi possit ut esse; Psamque mali bonitas non est eonversio nec fit. Attamen est borum tripla subdivisio rursuni. Sunt etenim qiuedarn mediata vel inimediata; Insuper et qua?dam quœ, quamvis sint mediata, Sed nou nomen habet, utriusque negatio ni quid Junxerit oppositi; pandetur quid tamen haec sint. Sunt mediata quidein, velut est albedo nigredo, Cum permultorum siut, ut claret, medioium Est nain sandiceus ', venetum, fuscum rubeumque. Inimediata quidein médium queis non eril ullum; Illud ut est : icgrum quemvis sanumque fuisse; Alterum inest quorum subjeclo corpore semper. At mediata carent quae nomine lucida clarent, Ut cum dieo boni mediata malive fuisse Ha'c qua? nec bona sunt, nec sunt mala; qualiter illud Esse polest, quisquam si projicit ore salivam. Terlia post prodit species, babitus steresisque 2 ; Id proprium quibus est in tempore reque locoque Semper ut uno sint, quod veri luce patebit. Stullitia et ratio consistunt in sapiendo, Queis idem locus est, animi cordisque sub antris. Optatum tempus tamen hiec duo maxime quterunt. Calvus enim nemo recte dicetur in illo Tempore, ni careat cum débet habere capillos. Nuper enim uatus probibetur qui fore calvus, Prorsus adhuc nulli cui debeut esse capilli; At vir si caret bis, mox calvi nomen habebit. Inter quai' tandem decet biec et nos meminisse Quod non unum sint ratio atque capax rationis; îson tamen est ratio 3 sunt idcircoque nec unum. Hinc affirmando quartam speciemque negando, Declarare licet veri falsique capacem. In qua nou minimas retinet complexio vires, Cum nil firmemus sine qua nihil atque negemus; IS'amque quid est veruin vel falsum, nomine solo
i. Supr. lin. scilicel médium albi et nigri.
2. 2Tapy,c>iç. Supr. lia. id est privalio.
3. Supr. lin. scilket humanum yenus,
ABRÉGÉ E\ VERS DE L'iNTROD. ET DES CATÉG. 323
Cum quis ait : Socrates, complexio ni fit adh?erens, Disputât ut Socrates, Socrates non disputât atque? llaml hoc nos etiam tacitos transire licebit Opponi mala posse malis contraria; namque Sunt mediata mali qusedam, velut ecce liquebit Inter plusque minus justum. Mediam sibi justum Elegit sedem; quod babet nomen médiocre.
De priore.
Quinque modis dici prius ex hoc rite patescit, Quorum primus hic est, cum tempore quis prior esse Dicitur, ut Sanson prsecedit tempore Salmon. Ille secundus erit qui débet id omne priori Ipse quod est, veluti débet binarius uni. Namque duo non sunt, nisi pnecedat prior unus. Tertius est autem constans, ut in ordine quodam. In libris etenim scribendis littera primum, Syllaba deinde, locum post dictio quserit habere. Ex his sermonum corpus componitur omne. Vulgaris quartus nimis a doctis reprobatus, Ut re majores cum dicimus esse priores; Ut quoties pariter duo sunt, potius tamen hoc est Esse quod alterius facit; hinc, uti constat apertuin, Si sit homo, mox nos animal concedimus esse, Quod ratione vigens, risus capax, moriatur, Quamvis hfec recte duo convertantur utrinque. Sed quoniam ratio constare nequivit aperta, Ni verax hominis natura prius patuisset, Ex his propterea quœ verti diximus in se, Jure videtur homo sedem retinere prioris.
De siniul.
De simul et motu restât nos solvere votum. Sed simul in ternas prior (est) divisio formas; Quarum prima palet, quantum quimus meminisse, Cum duo sunt tempus quibus est communis et ortus, Ut calor et splendor solari luce videntur. Qu;e sequitur species sic discutienda liquescet, Cum per naturam simul existant duo qiuedam
324 APPENDICE.
Alterius juri quorum neulrtim dabit ut sit, Ut si sit simplum pariteTque duplum liqucl esse; Illud al bis tan tu m clat so!a relatio quod sunt. Terlia ponc subit, quisquam quotiens ea jungit Quœ sunt ejusdem generis manantia fonte, Una natura, sed non concordia forma, Mulus ut atque caper manant simul ex animali, Quorum discordant species, cum sit genus unum.
De speciebus motus.
Post hœc quot species sint motus scire volentes, Ex hoc ter binas noscant procedere formas, Nomina sola quibus damus, et nibil addimus bis plus. Qute quia metrica vis prohibet sermone latino, Sit licitum petimus nos saltem promere grœco. Auxesis1, megesis 2, genesis 3, ftoras ', aliusis 5, Et kata ton foras °, metabeles ' associata, Congrua désignant bis ternis nomina formis.
Hœc, pater, ex nostro quee paupere carpsimus horto, Apposila modica tu clemens suscipe mensa.
VI.
TRADUCTION INÉDITE DU PHÉDON, DU XIIe OU DU XIIIe SIÈCLE.
Le manuscrit de Sorbonnc \\\~, du treizième siècle, in-4°, renferme uue traduciion latine du Pliédon. C'est la seule version que nous connaissions du Pliédon
1. ASfwnç. Supr. lin. augmentum.
2. MEÏtoff'.;. Supr. lin. diminutio. 5. rÉvecnç. Supr. lin. orlus.
h. <I>ôopcc. Supr. lin. interilus.
5. AXXoïwaiç. Supr. lin. commulalio.
6. Katà tÔv T07T&V. Supr. lin. secunditm locum.
7. METaêo>.Yi. Supr. lin, transgressio.
TRADUCTION DU PIIÉDON DU XIIe OU XIIIe SIÈCLE. 325
avant la renaissance, et la date Je cette version serait très- importante a connaître. IS'ons n'en pouvons rien dire, si- non qu'elle se trouve ici dans un manuscrit du treizième siècle, ce qui permettrait de supposer dans les grands docteurs de ce siècle une connaissance assez étendue de la philosophie platonicienne, puisque alors on possédait le Timée et le Phédon.
« Ipse, o Fedon, aft'uisti Socrati illa die qua bihit far- « macum in carcere, sive ab aliquo alio audivisti. Fedon. a Ipse, o Echecrate. Echecrates. Quœ igitur sunt qua? « dixit vir ante mortem et quomodo obiit? Libenter enim « ego audirem. ÎS'ainque neque civium Fliasiorum nemo « penitus... nunc Athenas, neque quis peregrinus adven- o tavit a tempore crebro abinde, qui equidem nobis cer- « tum quid nunciare quiret de hiis, prœter quant farma- a cum cum bibisset expiravit; crcterorum profecto nihil e habuit referre. Fedon. Neque de judicio igitur percunc- « tatus es quo pacto fuit? Echecrates. Nœ ; ha?c nempe « nobis relulit quiddam et miramur equidem, quoniam o pridem lato eo multo posterais visus est mori. Quid <i igitur erat hoc, o Fedon? Fedon. Fors quredain ipsi, o a Echecrate, contigit ; accidit enim pridie causam puppis o laureala navigii quam in Delum Athenaei mittunt quot- « annis. Echecrates. Hoc vero quid est ? Fedon. Hoc est a illud navigium, ut aiunt Athenaei, in quo quondam « Theseus in Cretam bis septem illos vehebat agens, et a salvavit equidem et ipse salvatus est. Itaque Apollini « voverunt, ut fertur, lune si salvareutur uniuscujusque « anni spectaculum actum ire in Delum, quœ U tique sem- « per etiam nuncadhuc ex illo quotannis divo mittuntur. « Quando quidem ergo inchoant spectaculum, lex est eis n. M
326 APPENDICE.
« in tempore isto expiare iirbeut et publiée nullum inter- o iniere priusquam in Delum abeat ' navigium , et ite- « rum veniat. Hoc auteni interdum in multo tempore fit, « quotiens contingunt veuti detinentes eos. Initinm certe « spectaculi est, cum sacerdos Apollinis coronet puppiiu « navigii. Hoc auteni accidit, ut aio, pridie causant ac- « tuin. Propterea et multum teinpus factum est Socrali « in carcere, qui inter causam quoque et mortem. »
Voici les dernières lignes :
« Hic vero finis, o Echecrates, ainici nobis fuit, viri, « ut nos asseriraus , eorumque nunc quorum experien- « tiam babuimus optimi , et aliter prudentissimi atque « justissimi.
« Finit Fedonem Plato. »
VIL
Commentaire anonyme du xne siècle sur le traité de l'Interprétation.
Parmi un assez grand nombre de pièces de différents siècles et sur toutes sortes de sujets, renfermées dans le manuscrit de Saint-Victor, n° 456, se trouve un com- mentaire anonyme, d'une écriture de la fin du douzième siècle ou du commencement du treizième, sur le traité de l'Interprétation. Ce commentaire, écrit sur deux colonnes et en caractères très-fins, s'étend du feuillet -180 r° au feuillet 499 t°, et n'est cependant pas complet. Il ne va pas au delà du commencement du chapitre d'Aristote sur
1. Cod. habeat.
COMMENT. ANONYME DU XI[e SIÈCLE SUU L'iNTERP. 327
l'opposition de contradiction. L'auteur fait beaucoup d'usage du commentaire de Boëce, sans le copier servile- ment. Il rapporte et discute d'après lui avec détail les opinions des anciens commentateurs Aspasius, Herminus, Alexandre d'Aphrodisée, etc. ; mais il ne fait pas la moin- dre mention d'aucun de ceux qui sont venus après Boëce. Ce commentaire, en général, ne nous a pas paru offrir plus d'intérêt que les gloses du manuscrit de Saint-Vic- tor 844, dont il reproduit toutes les formes, et dont il ne diffère que par l'étendue. Voici le commencement du prologue, et de l'explication du texte.
« Doctrinœ sermonum huic arti accommoda tœ in tri— « 1ms integritas consistit, id est in doctrina incomple- « xorum, propositionum et syllogismorum. Aristoteles « autem hujus artis prœceptor, ut ex intégra sermo- « num traditioue artis conferrct integritalem, trium « pnemonstrator, perfectam executus est doctrinam. Sed « quoniam ex incomplexis propositiones, ex propositioni- « bus vero contexuntur syllogismi, ut tam doctrinali « quam naturali subserviret ordini , primo incomplexo- « rum, secundo propositionum, tertio syllogismorum na- « turas non mediocri invesligatione inquirit, sed specu- « latione ipsorum suflîcientem faciens traditionem. Com- « parata si quidem in primis incomplexorum doctrina, « convenicnter propositionum cxcquilur naturam, ut « eorumdem plenam comparet noliliam. Quod autem « tractatns iste de propositionibus instituaUir monstrant « tain operis inscriplio quam assignatio intcntionis. Iu- « scribitur quidem liber Perierme?iias, id est de inter- « pretatione; péri enim greece de latine, enncnias inler- « iiretalio dicitur. Interpretationis vocabulum diversas
328 APPENDICE.
« habet signilicationes. Dicitur enim intcrpretatio expo- « sitio unius dicLionis per dictionem allerius linguœ, ut « idem interpretatur olytos '. Quandoque dicitur inter- « pretatio yox qua)libet ad placitum signiûcativa, sive sit « dictio sive oratio, et in bac quidem signiOcatione pos- « teriori accipitur in tali inscriptione. In parte bujus ope- ci ris agitur de dictionibus, nomine videlicet et verbo, in o parte de propositionibus. Sed quia non intendit de qua- « libet orationis parte, ideo Boetius assiguat intentionern. « Docet de interpretatione enuntiativa simplici et de ejus « démentis id est de propositione categorica et de ejus « partibus principalibus, scilicet de nomine et verbo. « Circa enim liane solam orationis speciem Iota illius ver- « salur intentio. De nomine et verbo gralia ipsius pro- « positionis agit. Nomen enim et verbum ejus partes sunt « principales, quia ipsa? prolatœ per se significationem « habent, et per se junctae bujusmodi propositioncm a reddere sufficiunt, et in eas ultima propositionis fa- « cienda est solutio. Unde Boetius ; Nomen autem et « verbum dico principales partes, ne quis conetur divi- « dere proposilionem in syllogismos qutc in ea signiQca- « tîvae non sunt. Primo itaque loco quantum ad signiDca- « tionem vel inventionem de propositione categorica « agitur. Secundo loco de partibus ejus, scilicet nomine « et verbo. Iguorala enim partium proprietate, ad in- « telleclum non venitur totius. Sed asserunt quidam de « nomine et de verbo hic agi per hoc quod inlellectum « signilicant. Cuni enim duplex sit signiûcatio vocum, « una quidem de rébus, altéra vero de intellectibus, di-
I. Sic anon. b aÙTo';.
COMMENT. ANONYME DU XIIe' SIÈCLE SUR I/1NTERP. 329
« cunthic de vocibus agi, per hoc quod intellectum signi- « ficant. Cura enira duplex sit significatio vocum una qui- a dem de rébus, altéra vero de intelleclibus, hic de a vocibus agi, secundum hoc quod intellectum signilicant, « qua3 principalior est. Ex quo aperle hujus operis inten- « tio a Prœdicamentorum inlentione dislare oslenditur. « Ibi enim de vocibus incomplexis secundum rerum si- ci gniDcationem agitur, quoe secundaria ab intellectuuni « signiQcationehabetur posterior. Primo enim intellectus, a secundario res significanlur. Àd nihil enim aliud facta « est vocum institulio, nisi ad intellectum. Nil quippe « voces in sentenlia 1 rerum faciunt, sed tanlum intellec- « lus de eis excitanl. Unde eorum officiuni ad quod insli- <i lu tse sunt, signilicare est, id est intellectum conslituere. « Unde cum tam res quam iutellectus significetur, asse- « runl hic de vocibus non secundum rerum sed secundum « intellectuum significationem agi. Hic enim significatio « sola ad constitutionem propositions simplicis quam « tractare intendit (fol. 4S0 r° col. -I) maxime atlinere « monstratur. Ex ea enim semper dictioncs ad conslilu- « tionem orationis sufflciunt, quse ex rerum signilicalione a minime haberepossunt.Ilerum quippe significatio trans- « iloria esl; inlellecluum vero stabilis et permanens. « Destructis enim rébus sive non , licet rerum signilica- « tionem non teneant, significatio lamcn intellectus non « variatur. Sive enim res sint sive non, intellectum sem- « per conslituunl. Unde propositionem semper reddere « possunt, et semper ad animi conccptioncm, non quan* « tum ad rerum nomiualionem significarc dici possunt.
I. Cod. S
2 8.
330 APPENDICE.
« Quare Aristoteles de nomine et verbo ibi agit, propter « orationis constitutionem, cum maxime in eis attendit « significationem, ex qua maxime orationem constituere « conlrahunt. Quod autem de vocibus hic tantum secun- « dnm intellectuum significationem agatur, monstrat « bifaria vocnm distinctio facta, in nomen et verbum, « quibus simplicibus sive conjunctis quilibet intellectus « exprimi possunt. In Prœdicamentis enim, ubi de'voci- « bus secundum rerum significationem agitur, secuudum « rerum decem diversitatem denaria vocum incomplexa- « rum facta est parlitio. Nos autem dicimus quod licet « de nomine et verbo secundum intellectuum siguifica- « tionem agat Aristoteles, tamen quod de vocum signiû- « calione communiter inducit non est ex intentione sed « incidenter, ut inferins demonstrabilur »
F0 180 v°, col. \. a Mis prrclibatis, accedamus ad
« ea qtiae quidem, nimia verborum brevitate constituta et « sententiarumsubtililate referta, opusconficiunt Aristo- « telis inter omnia scripta excelleutissimum. Quocirca « plus hic quant in aliorum expositione subauditur.
« Primum. Auctor breviloquus proœmium ponit bre- « vissimum, in quo ea de quibus tractabitur in tota série « libri summatim tangit, eorumdifûnitiones pra3inittens. « Quorum quidem prœmissio et quœdam docibilitatis et « attentionis comparatio. Nibil enim est quod tantum « alicujus perficiat instructionem quantum diffinitio quœ « explicite et intègre nominis iguoti aperitsignificationem. « Littera siclegitur : Primum oportet constituere, id est « diffinire, quid nomen et quid verbum sit, id est per « diflinitiones proprietates nominis et verbi declarare. « Recte pro diffinire ait constituere ; unde etiam consti-
COMMENT. ANONYME DU XIIe SIÈCLE SUR L'iNTERP. 331
« tutive diffinire dicmitur qua? in difOnitione apponun- « tur, de difflnitione vel constitutione demonstranda. « Est tamen prius constituere quam difûnire ; consti- « tuere enim est difûuire quod nondum difûnitumest... »
Nous ne relèverons dans ce qui suit qu'un passage où l'auteur fait mention des idées, et se déclare ouvertement contre l'hypothèse platonicienne :
A l'occasion d'une discussion sur la signification origi- nelle des mots, il réduit les idées à des conceptions for- mées de l'imagination et de la mémoire :
F° \ 81 r°, col. 2. « Si enim propter sensus inventa? « essent, ut videlicet per cas non sensus baberemus, sed « etiam esercitium eos, profecto omnis vocum significatio « ad aliquid sciendum nos pertrahere deberet, quod om- « nino falsum est, cum sint voces signiQcativae insensibi- « Hum, ut anima? ; veritalis et falsitatis, et aliorum. Si « vero propter imaginationem, qua? indiscreta? concep- « tionis et quiddam imperfectum est, voces essent re- « perla?, tune per voces nulla certa fieret doctrina. Unde « Boetius recte ait nominibus et verbis incerta, id est con- « fusa et imperfecta sigaificari, sed perfecta et secundum « aliquid concepta. Quod autem idea?1 in corpore noslro « meditata? a Platone a vocibus primo loco non signiQ- « centur planum erit, si prius quid ipsa? sint iuspexe- « rimus. Sunt itaque forma? imaginaria? quas sihi pro « rébus animus conGgurat, ut illis res ipsas speculelur et « per eas rerum imagioationes sive memoriam retineat, « quas quidam ideas sive exemplairs formas nominant. « Plato vero eas incorporeas naluras id est insensibiles 2
1. c.od Ulœ.
2. Cod. inscissibiles.
332 APPENDICE.
« similitodines nuneupat. Naturam quippe bene dieunt o similitudinem rerum nasoentium. Sunt aulein similitu- « dines qmvdam in quibus sensibilia intelliguntur, sieul « statua Acbillis, qua-dain vero iu quibus insensibilia pér- il cipiuutur, sicut ista rerum siruulacra, et cognitioni tan- « tum, non sensui subjacent. Inde cas effigies iucorpo- « reas id est non tractabiles corporeis sensibus Plato « nominat, quas quidem * volebat a voeibus primo loeo « siguilîcari; quod Aristoteles (P I S 4 v°, col. -Ijimprobat. « Non eniiu propter rerum vel intellecluum similitudines a voces repertse sunt , sed magis propter res ipsas et « earum intellectus ut de rébus 2 nobis doetrinam face- i rent. non de bujus modi tigmenlis, et intelleetum de <( rébus constituèrent non de figmeutis. »
Voici les dernières lignes par lesquelles se termine ce commentaire dans le manuscrit que nous avons sous les yeux [P 199 r°} col. -I) : « Quare considcrandum est. ci Qnëmadmodum est iu opinione, ut simiiiter judicet « de voeibus et propositionibus. A causa , et boc est « Qua considerandum est eu i opinion i. ulrum nega- « tiva, scilieet utrum hic aftirmatioui : Galbas justus est, o sit negatio bac contraria : Callias injustus est. Nota « quod œquivocat particulariter, iu boc vocabulo opinio « particulariter, quia quando dicitopinionem esse falsum « intelleetum, tune non œquivocat, quia falsus intellec- « tus est opinio. Quando vero accipit verum intelleetum o pro opiuio, œquivocat 3. JJico autem hoc modo; ponit « opiuioues boni diversas, quaerens qua) cui sit contraria,
1. Cod qui quidam.
2. Cod. rerum.
3. Cod. non œquivocat.
ADAM PI" PETIT-PONT. 333
« ut postea osteiulat quod ( illa qase praedical contrariuin c non est contraria ; et hoc est : dico. Et lioc modo con- « siderandum est : est guœdam opinio boni, quoniam « bonum est. »
La glose que nous venons de faire connaître, n'a point de caractère prononcé et n'est guère qu'une répétition des commentaires de Boêce. Aucune mention des contro- verses contemporaines, aucune allusion d'où l'on puisse induire à quel auteur ou même à quelle école on pourrait rapporter cet écrit. C'est probablement l'ouvrage d'un de ces nombreux professeurs de dialectique qui ensei- gnaient à Paris vers la fin du douzième siècle, au rapport de Jean de Salisbury.
VIII.
Adam dc Petit-Pont.
Le manuscrit de Saint-Victor coté 32, in-folio, d'une écriture du treizième siècle, composé de traités philoso- phiques, traduits pour la graude partie de l'arabe d'Al- gasel, d'AIkindi, d'Isaac et d'Avicebron, des Questions naturelles d'Ailélard de Bath, de la Logique de Saint-Jean Damascène, etc., renferme aussi un traité de dialectique écrit au milieu du douzième siècle, par Adam du Petit- Pont.
Adam du Petit-Pont nous est connu par Jean de Salisbury qui fut de ses amis, et qui en parle en deux
I. Cotl. quœ.
334 APPENDICE.
endroits de son Metalogicus. 11 tenait son école près du Petit-Pont, à Paris, comme l'indique son surnom, et y enseignait la grammaire, la rhétorique et la dialectique. Il fut depuis chanoine de la cathédrale de Paris, et devint enfin évêque de Saint-Àsaph. « C'était, dit Jean de Salis- bury, un homme d'un esprit fort pénétrant, fort lettré, quoi que d'autres en puissent penser, et plus attaché à Aristote que qui que ce fût ', » Mais on lui reprochait beaucoup d'obscurité. Il disait qu'il n'aurait pas un au- diteur s'il exposait la dialectique avec la simplicité d'ex- pressions et la clarté d'idées qui conviendraient à cette science 2. Aussi était-il tombé volontairement dans le dé- faut de ceux qui semblent vouloir, par la confusion des noms et des mots, et par des subtilités embrouillées, trou- bler l'esprit des autres, et se réserver à eux seuls l'intel- ligence d' Aristote. « Ce défaut, ajoute Jean de Salisbury, était bien sensible dans le livre qu'il avait intitulé Ars disserendi 3. Plût à Dieu qu'il eût bien dit ce qu'il a dit de bon. » Ce livre sur Y Art de la dialectique est précisé- ment celui qui est renfermé dans le manuscrit de Saint- Victor 32. C'est donc un monument de renseignement philosophique au douzième siècle, qu'il n'est pas sans intérêt de faire connaître avec quelque détail. Nous de- vons nous attendre à des formes peu attrayantes; mais le fond, à en croire Jean de Salisbury, vaudrait mieux que la forme.
Le de Arle dialectica fut composé en l'année 1 1 32,
\. Metalog. h, 10.
2. Ibid., m,3.
3. Ibid. iv, 3.
ADAM DU PETIT-PONT. 335
c'est ce que nous apprend le titre : Anno 3i° c° xxx° n° ab incarnatione Domini editus liber Adam de Arte dialectica. Ce traité s'étend dans notre manuscrit du feuillet 246 r° au feuillet 262 r°; il occupe donc seize feuillets in-folio sur deux colonnes. 11 est divisé en deux livres, dont le second commence au feuillet 253 verso, col. 2 : explicit liber primus Adam de Arte dialectica. Incipit secundus.
Nous allons en donner quelques extraits.
F0 246 r°, col. 2. « Incipit ars dialectica. Principium « propositi de quo et ad quid et qualiter ars disserendi « instituenda dicere; propositum autem de eo ad id et « sic (?) artis rationem inslituere. Erit autem qualiter « artem institui conveniat, cognito ejus initio manifestius. « Ut igitur ab artis initio negotii initium suini possit, sit « trium prœmonstrandorum primo prius ultimum.
« Innotescat igitur quoniam initium non idem scientiœ « et artis et facultatis disserendi. Id autem innotescet, ex « qui bus horum initia cognitio ; sunt autem ex tribus, « ingenio, usu, arte. Tria igitur et quorum et ex quibus « initia, sed non ex singulis singulorum. Scientiag enim (?) « disserendi ex ingenio absque cœteris initium ; artis au- « tem ex boc et usu ; facultatis autem ex biis et arte. Cujus « enim primi disserere propositum solo quidem ingenio « ad propositum exequendum rationes invenire et expli- « care ejus attentioni innotuit. Nondum quidem (?) dis- « cendi usus, nam adliuc laiitum {? ) initium. Nondum « disserendi ars ; prius enim disseri oportuit quam de boc « ars lieret, prius enim de quo ars quam ipsa. Sic igitur « scienti;e hujus initium ex ingenio, non ex usu vel arte. « Non auloiu boc dicere videamur quae non ex horum
336 APPENDICE.
« quolibet disscrendi scienlia. Nam scientia quantum (?) « ex uno quo eorum; scienlia) autem initiant ex uno. « Non enim exusu vel arte, sed ante ulrunique, ut ostcn- « suni est; artis autem initium ex ingenio, non sine usu. « Cum enim usus scientiam disserendi abundantiorem « redderet, eo quod pluribus scientiis disserebalur, eô « plures disserendi varietates patiuntur, ex ingenii quo- « niam (?) babilissima facilitate et usu disserendi fre- « quenti. Incidit in hoc qualiter dissereret considerantis « induslria, ut comperiret sicut capteras scientias arte el « disciplina faciliores, sic et de eis disserendi et eas in- « telligendi scientiam arte aliqua certiorem et faciliorem « posse Ceri. Inde igitur ex quo modo jara tune disserero « consuetum attenliones induslria paulo plus compe- a riente, artis quasi prima rudiments comperiri contigit. « Sic igitur ex ingenio et usu artis hujus initium.
« Et primo autem de ea re ' compertis, plurium plu- « ribus notitiam sumentibus, et posteriorum singulis in- « venlioni aliquid addenlibus, diversorum diversis insti- « tutionibus, plurima de arte ad disciplinam edisseri « accidit. Artis igitur ratione plenius innolescente, usu « disserendi jam ad plénum augescente, ingenii indus- ci tria, artis prœceptionem usu exequente, aliquid facul- « tatis ad disserendum pervenisse non est dubium, si igi- o tur facullatis ex tribus quse dicta sunt initium. »
Ce début justifie bien le reproche d'obscurité que l'on avait adressé a Jean du Petit-Pont; et ce défaut n'est point racheté ici par une grande originalité de pensée. Nous omettons le reste du prologue, et nous arrivons au corps de l'ouvage.
1. Cod. aère.
ADAM DU PF.TIT-PONT. 337
F° 2'<7 r°. « Principiuni disserendi ab interrogatione « vel cnuntiationc quooiam igilur ab ipso disserendi prin- « cipio docendi disserere propositum inclioari conve- « niens, sic de eis docendi disserere principium a quibus o est disserendi. Quare mine proposito non sit parum « qualiler ad principia prompti disserendo simus, expe- « dire. Sunt antein disserendi principia non ab lus quœ o dicta sunt sola, ut ab iis solis neab hiis omnibus ut ab « bis omnia. Ab euuntiatione enini vel interrogatione « non solum disserendi, sed et omnium pêne quœ ad dis- « serendum principia. Quare si qua in disserendo enun- « tiationes et interrogationes fieri convenit arte docueri- « mus, quod propositi nunc suscepimus executi erimus, « et proposito erit amplior propositi executio. Sic enim « et ad principia prompti erimus et ad singula in disse- « rendo, vise plurimum habebimus.
« Est igitur enuntiatio veri vel falsi dictio, ut ad disse- « rendum. Interrogatio vero quid sit, notius est quam ut « diffiniri oporteat. Quoniam autem non nisi de aliquo « aliquid enuntiari vel interrogari contingit, est autem de « quoquam quid de eo prions cognitionis, erit de quo ali- « quid enuntiari vel interrogari conveniat, et in arte do- « cere, et ex arte attendere, primuin quid de eo secun-
« dum confusa sit ad boc et in arte inslitutio et ex
« arte atlentio. Duplicem ' utrinque considerationem ad- « bibendam instiluimus, alteram eorum de quibus et qua? « dicuntur, alteram verborum quibus ea de illis. Quo- « niam enim qute consideralione percipiuntur verbis de- « signari a;que conveniens de quo et quibus enuntietur « vel interrogetur, ex arte consideralo qualiler socundum
1. Cod. (tuplicadonem.
ii. 29
338 APPENDICE.
« locutionem utrumque ut ad disserendum designari con- « veniat, non minus attente consideraudum. Erit autem « utrinque inodus attentionis non idem. De quibus enirn « et quœ euuutiari vel interrogari conveniat nostrœ in- a titutionis rationi primo, ut docebitur, perspiciendum. « Disserentis industria demum non videbilur eligendum. « Hujus enim cognitionis ab bac arte principium; reli- « quuni ex arbitrio considerationis. Qualiler autem, de « quo et quibus enuntietur vel interrogetur designandum, « ut a pluribus ex loquendi rudimentis pernoscetur, ut « disserenti conveniat, et ex nimia multitudine compe- « rietur. Hujus enim cognitionis ab ea quam loquendi « rudimentum vocamus principium, reliquum ex nostrœ « artis erudilione, etc. »
F0 253 v°. Explicit liber primus Ada de arte dialec- tica : incipit secundus.
« Ad prioris a sequenti libro sit distinctiones quid in « boc dicenduni, quid in illo dictum inlerserere. De quo « et ad quid et qualiter artis disserendi institutio prœ- « monstravimus. A quibus disserendi principium in eo- « rum principes duplicem, in ipsis dupliciter duplicem « disserenti attenlionem prœscripsimus, de quo dicat et « qualiter id designet; post principia item duplicem : « quid de eo dicat et qualiter id assignat. De quibus au- « tem dicat primo in quatuor, denique distinctius dis- « tinsimus, et ex hoc principiorum gênera quœ sant et « ad quœ docuimus, etc. »
Voici la dernière colonne : f° 262 r°.
« De his inde quœ separate multiplicia appeilamus an « electivis connumeranda sint an disciplinalibus dubitare « poterit, primam interrogabilium distinctionem remi-
ADAM DU PETIT-PONT. 339
« niscens. Quoniam eligentis arbitrio expositis sumenda « est ad hoc responsio, a disciplinalibus non electam dif- « ferre invenientur. Quoniam autem nec ad hujusraodi « sic est, ut non respondendum videtur, et non ex toquo « tum affinnationis tum negationis ad liœc sit responsio. « Nec ex duolms tantum semper elegit. Ab electivis per « eadem differre videntur per quœ disciplinalia ab elec- « tivis, a principio distinximus. Sed ne ibi dicta aut inter « se aut bis dicendis contraria videri accidat, inlelligan- « tur eorum quoedam, quae ad prima illa interrogabilium « gênera internoscenda dixinius, ne ut quaelibet uuius
« geueris a quibuslibet alterius internoscendum sed
« pleraque a plerisque et separate multiplicia non disci- « plinalibus sed electivis dicta ratione annuntientur. Elec- « tive ergo quœrendorum multi[)licia a simplicibus, et « multiplicium gênera sex, ut dictum est, internoscautur. « Dubitari autem poterit quibus talium annumeranda sunt « qiuesitqmeruntur ; ut an omne verbum sitambiguum, « ut ait Clirysippus, an nullum, ut Diodorus, an nec « omne nec nuilum, ut plurimis videtur. Quoniam? non « huic et tamen affirmando respondetur; simplex autem « quando (?) dicetur, cum triplicatum videalur, sed nec « aliquod prœdiclorum quinque modorum multiplex ap- « paret. Quoniam <?) autem bujusmodi interrogatio dis- « similitudine principii non partis se det... »
Le manuscrit s'interrompt brusquement avec ce mot. La dialectique d'Adam du Petit-Pont est donc ici incom- plète. Mais ce que nous en avons vu n'est pas de nature à faire regretter bien vivement la perte du reste.
340 APPENDICE.
IX.
Guillaume de Conçues.
Le manuscrit de Saint-Germain n° 1112, in-4°, d'une écriture du douzième siècle, renferme, en outre de l'épitre apocryphe d'Aristote à Alexandre connue dans le moyen âge sous le nom de secretum seeretorum, et des règles d'Avicenne de conservations sanitatis, deux opuscules de Guillaume de Conches intitulés : secundo, philosophia et tertia philosophia. Ce sont les mêmes ouvrages dont Y Histoire littéraire de la France (tome XII, page 465) fait mention d'après le manuscrit du Roi 6588. Comme le dit l'Histoire littéraire, le premier est un dialogue sur l'anthropologie entre le maître et le disciple ; et le second, dans la même forme que le précédent, est un abrégé de cosmographie, tiré de ce que l'auteur avait dit sur ce sujet dans sa Philosophia minor , intitulée, dans l'édi- tion qui en a été donnée parmi les œuvres de Bède : -rrepl âi£â;Ewv, sive quatuor libri de démentis philosophiœ. Ce dernier ouvrage lui-même n'était qu'un abrégé do la Magna de naturis philosophia , où Guillaume de Conches avait traité fort au long de toutes les matières que la philosophie embrassait de son temps. Ainsi, en sui- vant cet auteur dans ses différents écrits, nous le voyons procéder par résumés successifs de sa Philosophia ma- gna; il la reprend tout entière dans sa Philosophia mi- nor, qu'il décompose dans sa jihilosophia secunda et ])hilosophia tertia. Ces deux petits traités offrent peu d'intérêt par eux-mêmes, comme nous nous en sommes assuré, et ne renferment guère d'idées que l'auteur n'ait
GUILLAUME DE CONÇUES. 341
exposées avec plus d'étendue dans ceux de ses écrits qui sont publiés. Nous croyons devoir nous contenter de donner la table des chapitres de l'un et de l'autre, avec quelques-uns des chapitres qui se rapportent plus parti- culièrement à la philosophie.
Inclpiunt capitula in Iil>ro qui dicitur secunda philosophla magistri Willermi de Conclus.
I. De homine.
II. De spermate.
III. Quare pueri non coeunt.
IV. De matrice.
V. De sterilitate.
VI. De menstruis.
VII. De stomaco.
VIII. De vesica.
IX. De sompno.
X. De sornpniis.
XI. De capite.
XII. Qualiter capilli crescunt.
XIII. Quare fœmine et pueri carer.t barba.
XIV. Quare quidam homo calveseit, quidam non.
XV. Quare capilli fiant cani.
XVI. De cerebro.
XVII. De cellulis capilis.
XVIII. Deoculis.
XIX. De visu.
XX. De ymagine speculi.
XXI. Quare quaedam animaliu nocle vident, die voro non.
XXII. De auditu.
XXIU. Quomodo sibilus fornuttur.
XXIV. De écho.
XXV. De odore.
XXVI. Quomodo fiât gustus.
XXVII. De tactu.
XXVIII. De voluutario motu.
XXIX. De imaginatione.
XXX. De anima.
Ï9,
342 APPENDICE.
XXXL De creatione animarum.
XXXII. De ingenio.
XXXIII. De opinione et ralione.
XXXIV. De intelligente.
XXXV. De memoria.
Incipit sccunda philosophia magistri AVilIerrai de Conchis, et primo de homine.
« Dicendum est Igitur de terreno animali quod in duo « dividitur, scilicet in rationabile et irrationabile. Sed « quoniam irrationabilia sunt inQnita , nec ad lectionem « philosophorura , proptcr quam hoc opus incipimus , « multum pertinentia , de ipsis tractare postponamus , « ut de homine, qui dignior est cœteris animalibus, dis- « seramus. Homo est igitur animal rationale mortale, ex « anima vel corpore conslans. Sed quamvis corpus anima « sit inferius, prius tamen nostrœ cognitioni occurrit ; « ideo prius de ipso, deinde de anima disseremus. Et « quoniam de primi hominis compositione, quare vide- « licet de limo terrée sit factus, su péri us" docuimus, de « quotidiana hominis creatione, formatione, nativitate, « cctatibus, membris, membrorum officiis et utilitalibus « dicamus. »
XXIX. De imaginatione.
« Est prœterea quœdam animalis aclio quœ dicitur « imaginatio. Est enim imaginatio vis anima?, per quam « percipimus tiguram et colorem. Per imaginationem « nobis comportâmes (sic), ideoque cum iterum illum « vidimus, statim recognoscimus. Quod nunquam vidi- « mus, nunquam imaginamur, sed similitudem ejusdem « generis quam vidimus, ut ille virgilianus Tityrus Ro-
GUILLAUME DE C0NCHES. 343
« mam quam non viderat similein suae civitati imagina-
« batur. Dicit enim Àugustinus : Mare Rubrum quod
« nunquam vidi imaginor ad similitudinem alterius raa-
« ris quod vidi, sed colore mutato. Ista enim est nobis
« et brutis animalibus communis ; inde est quod brûla
« animalia videutur dominos suos agnoscere, unum fu-
« gère , alium appetere ; quod non ex discretione , ut
« quidam autumant , faciunt, sed ex imagiuatione. Hae
« sunt duœ serenissiraœ animales actiones, quoe nobis et
« brutis animalibus sunt communes, et in quibus ab ipsis
« superamur. Aculius enim videt lynx quam bomo,
« discretius odorat canis , velocius lepus progreditur.
« Qui igitur in figuris, coloribus, odoribus , saporibus
« prœ regimine beatitudinem ponunt, minus beatos se
« brûlis animalibus constituunt. Ad servitium non ad
« dominium dati sunt sensus bomini , nec per eos bea-
« tior, imo miserior efficilur bomo. Si enim retinens ra-
« tionem et intelligentiam istis careret, non solum bea-
« tior sed beatissimus esset. Nonne beatissimus et
« sapientissimus ille ait : Ecce mors intrat per fenestras?
« Discipulus : Istae actiones in nobis aut sunt animœ aut
« corporis , aut composite aut neutrius. Sed si corporis
« sunt, quare anima per eas damnalur? quare corpus
« vidualum anima istas non haberet? Et si anima) sunt,
« unde sensus corporis nominantur? Si neutrius sunt,
« nec compositura ex utroque, compositum namque suas
« qualitates contraint a suis partibus. Philosophas : Hoc
« actiones in nobis anima? sunt, unde juste per eas dam-
« natur etcooperatur anima. Sensus cura triplici ratio ne
« dicuntur corporis : quia nibil nisi circa corpus ope-
« rautur ; et quia per instrumenta corporea explentur ,
344 APPENDICE.
« et quia duntaxat anima duin est in corpore per illos « operalur. Sunt aliœ actiones quœ nohis et divinis spi- « rilibus sunt communes , quœ faciunt hominem supra « hominem, imo vere hominem, de quo amodo dicemus, « si prius pauca de anima liominis dixerimus. Discipu- « lus : Niliil milii dulcius esse potest hoc tractatu. »
XXX. De anima.
« Phi losophus : Est igitur anima hominis spiritus qui « corporiconjunctusest. Idoneitatem discernendi homini « confort et intelligendi. Constat igitur homo ex duobus, « vidclicet ex anima ralionali et corpore. Discipulus : « Cum corpus et anima suit de constitutione hominis, vel « anima est apposita corpori, vel commixta , vel con- « creta, vel conjuncta. Sed si appositum illi, et extra ip- « sum est. Item omne quod est apposilum alicui, fortius « exercet vires inexteriori parte illius quam in inleriori. « Ignis appositus mihi plus me accendit extra quam intus, « aqua apposita plus humectât. Sed anima magis exercet « vires suas in nostris interioribus quam in exterioribus; « non ergo corpori apposita. Si igitur corpori mixla esset, « ex illis duobus unum (ieret, neulro rémanente quod « prius erat, ut cum aurum et argentum in commixtione « electri misceantur. Cum igitur in homine utrumque « suum esse oblineat, non est mixta corpori. Si corpori « concrela est , lune in qualitalem corporis est versa , ut « aqua in qualitatem salis ; quod non est verum. Si est e conjuncta, cum proprius locus spirituum cœluin sit, et « omnis res quod suum est appétit atque suum conlra- « rium fugit, quid est quod se tam in immundo vase « conjungit, et eam amarc facit? Philosophas : Quia
GUILLAUME DE CONÇUES. 345
« causant philosophicam quaeris, illam accipe. Omni cnim « aniniœ tautus amor proporlionis et concordiœ a Deo « datus est, ut etiam in sonis qui extra ipsum sunt pe- « uitus illa delectetur. Et hoc estquod Plato signilicare « voluit, cum Deum animant ex musicis consouantiis « constituisse narravit. Corpora naïuque humana ex qua- « tuor démentis proporlionaliter et concorditer con- « junctis sunt eonslituta. Hrec proportio et concordia « animam allicit, et corpori conjungit, et in corporo re- « tinet. Et si proprie et vere velimus loqui, dicemusani- « mam nec corporis ejus qualitates, sed proportionem et « concordiam quîbus partes corporis sunt conjunctae di- « ligerc ; unde ea qua? liane proportionem conservant « appétit, et quœ illam destruxerint , fugit. Sed ex quo « incipiunt clementa discordare, abhorret anima corpus, « et ab eo separatur. Discipulus : Si anima corpori est « conjuncla, estne in una parte illius, aut in quibusdam, « aut in singulis tota? Philosophus : Nulla pars homani « corporis est in qua anima tota non sit. ; non tamen idem « operatur in omnibus. Discipulus : Si in manu hominis « tota est anima , abscisa manu , separabitur anima a « corpore. Philosophus : Si tota esset in manu, itaque « non esset tota in alio membro, valeret tune tua objec- « tio. Etsi igilur manus in qua est tota absciditur, rc- « manet tamen in aliis membris in quibus prias crat tota. « Discipulus : Cui sententiœ accedis, an illorum qui « dicuut omnes animas simul creari ? »
XXXI. De creationc animarum.
Philosophus : « Christianus sum , non academicus. « Unde cum Angustino credo et senlio quotidie novas
346 APPENDICE.
« animas non ex traduoe , non ex aliqua subslantia , sed « ex nihilo, solo jussu creatoris, eas creari. Sed quando « creatur, an ex quo homo concipitur, an quando corpus « est aptum animœ in utero formatum, an in die motus , « an in hora nativitatis, non legi. Conjiciuuttamen multi « quia corpore praeparato illi adjungitur , quia corpori « Adam formato inspiravit in faciem ejus spiraculum vitœ. « Cui videtur consentire Plato, cum dicit : aptatœ mate- « rice, irriguo et fluido corpori circumligabant circuitus « animœ. Discipulus : Sufficit mihi de anima. Sed de « ejus actionibus quas brûla animalia non habent audire « desidero. Philosophas : Illœ actioues nmllœ et diversae « sunt : estingenium, opinio, ratio, memoria, intelli- « geutia. »
XXXII. De ingenio.
« Est autem ingenium vis quaedarn animis insita , suis « viribus prœvalens, vel ingenium vis animœ naturalis ad « aliquid cito percipiendum ; iinde qui cito intelligunt « illud quod audiunt, boni et acuti dicuntur ingenii ; qui « tardi et duri, bebetes. »
XXXIII. De opinione et ratione.
« Opinio et ratio ex sensu boc modo proveniunt. Cum « anima in prœdicto insfrumento visus Cguram et colo- « rem rei percipit, statim quod ipsa res sit, et quanta et « qualis perpendit, in quo conveniat cum aliis rébus et « in quo différât. In boc quandoque decipitur. Pulatenim « saepe rem esse quod ipsa non est, quanta non est , vel « qualis non est, vel convenire in quo non convenit, « vel differre in quo non differt ; et bœc opinio falsa di-
GUILLAUME DE CONÇUES. 347
« citur. Aliquando in istis non decipitur anima, sed fluc- « tuât et nescit an ita sit, necue , et tune vera opinio di- « citur. Est igitur opinio falsum de rébus judicium, vel « verum fluctuans et incertum. Si vero hoc judicium de « re corporea vel assensu sapientum vel argumentis ne- « cessariis conflrmetur, est ratio. Ratio est certuni et flr- « mura judicium de re corporea. Quaedam opinio in ratio- « nem potest transire. Si vero anima de corporeis judicat « et fallitur, tune est falsa opinio ; sed si non fallitur et « fluctuât, vera est opinio; sed si praedicto modo con- « lirmatur, est intelligentia. Sed quia incorporea a sen- « sibus nostris remota sunt, pauci sunt qui de eis certi « sunt. Unde in Platone : intelligentia solius Dei, admo- « dum paucorum hominum. Discipulus : Quod opinio « e sensu est nata, ratio ex opinione, video; sed an in- « telligentia ex ratione, ignoro. »
XXXIV. De iDtelligentia.
Philosophus : « Intelligentia nascitur ex ratione, non « quia ratio liât intelligentia, sed quia a causa illius est. « Cum enim primi boulines , ratione ducente, uaturas a rerumeognoscerent, perpenderuntquod corporea agere « possent. Percipieutes aclus qui ex corporibus esse non « possunt, perpenderunt agentem esse quod non crat « corpus. Iluuc vocaverunt spiritum, dirigentesque in « eum acumen ingeuii, prius de eo babuerunt quasdam « opiuiones falsas, quasdam veras. Falsas vero longo « tempore et magna iudustria elongaverunt, veras ne- « cessariis argumentis conlirmaverunt ; sicque, ratione « ducente, vera est intelligentia. Intelligentia est verum « et certum judicium de incorporels, luleiligcnlia ista
3i8 APPENDICE.
« nobis a creatione ascendit. Cum enim vider uni primi « philosophi actioncs qua? nec horaini nec angelo nec « natura? poterant ascrihi , cognoverunt quamdam invisi- « bilem esse subslantiam cujus essent illae actiones. « Deinde diu méditantes et disputantes de ipsa, ejusque « proprietates , si non oranes, tamen quasdam compre- o henderunt et scripserunt. Testatur enim se Angustinus « in scriptis pliilosopborum legisse quicquid in principio « Joannis Evangelii usque ad hune locum legitur : fuit « iiomo missus a Deo. »
XXXV. De memoria.
« Memoria est vis anima?, qua firme retinet homo ante « cognita. Discipulus : Ex verbis tuis perpendo : aliud « est ratio, alliud est intelligentia. Quid? DicimusneDeum « habere rationem ? Si rationem non habet , rationalis « non est. Philosophas : Aliud est proprietates sermo- « num cognoscere, aliud usus et translaliones. Proprieta- « tem hujus nominis quod est ratio audisti ; modo usum « illius accipe. Aliquando esse verura et certum judicium « de quacu nique re dicilur ratio ; juxta hoc dicimus in « Deo esse rationem. Aliquando quodlibet ralionale; « unde dicimus quod ratio est qua Deum diligimus. Ali- « quando compulatio, ut ibi : redde rationem villicalio- « nis tua?. Aliquando ordo rerum gerendarum quo co- « gnoscimus quid in quo loco faciendum, dicendum sit; « multisquealiismodis idemunumaccipitur. Discipulus: <t Cum sint illae actiones anima?, unde est quod infantia « et pueritia , acliones ration is et intelligentia? cum ha- o bent7 carenl? Philosophas : Animam hominis si cor- « pus, quod corrampilur, non aggravaret, ex quo esset,
GUILLAUME DR CONÇUES. 349
« plcnam et perlectam scienliam haberet eorum quœ ia
« bac vita sciri possunt. Quod ex anima priini parentis
« quae, ex quo fuit, plcnam sapientiam liabuit, perpendi
a polest. Sed modo corrupta humanitate, ex quo conjun-
« gilur corruplo , gravatur. Poteslalem vimque discer-
« nendi et intelligendi retinens, nec intelligit nec discer-
a iiit ; nec oisi longi usus experientia et alicujus doctrina
« excitata incipit intelligere et discernere, ut acutos ha—
« bens et tenens oculos, si (supplevimus si) tenebroso
« carcere detruditur, videre non polest, nisi in tenebris
« consuescat, vel lumine accendalur. Quod vero ex cor-
u poro sic bebetatur anima , teslatur Salomon , qui ait :
« corpus quod corrumpitur aggravât animam, et depri- « mit terrena babitatio sensummulta cogitantem. De quo
« Yirgilius :
.Quantum corpora noxia tardant.
« In prima œtate nec expressit usus convenienliam , « nec est œtas doctrinœ conveniens. Illa enim celas , cum « sitcalida et bumida, stalim cibum digerit et alium ap- « petit; unde frequentius influxione et refluxione indi- « get, spissusque communis fumus generatur : qui cere- « brum petens, in quo anima exercet discernendi et in- « telligcndi ofûcium , ipsam turbat. Si ad juventutem , « quac est calida et sicca , pervenerit, dessiccatus est bu- « mor quem homo ex utero matris contraxit. Non enim « nascitur tam spissus fumus, nec est tan ta interior tur- « batio, et tune homo aptus ad discernendum perfecle « consequitur, si lampas doctrina? convenientis accenda- « tur. Juventutem sequitur seuectus quœ est fiigida et « sicca; extinctus est enim calor naturalis; unde est n. 30
350 APPENDICE.
« quod in bac œtate viget memoria ; sed vires corporis « deficiunt. Ex frigiditate enini et siccitate quorum est « constringere, est memoria; ex calore eujus est impe- « tum facere, sunt vires corporis. Ultimum est senium « frigidum et humidum; unde in illa œtate madida fit « memoria et debilitantur homincs. Extincto enim natu- « rali calore, desinit bomo vivere. »
Explicit secunda philosophia magistri Willermi de Conchis.
« Incipiunt capitula in libro qui dicitur terlia pbiloso- (( pbia magistri Willermi de Concbis. »
I. De eonstitutione mundi.
II. De uinbra qute videtur in medio lunaris corporis.
III. De pluviis.
IV. De arcu cœli.
V. De nive et grandine.
VI. De fulmine et lonitruo.
VII. Quare mare est salsum.
VIII. Quare quaedam aqua videtur dulcis et qmedam salsa.
IX. Quare aqua putei est calida in byeme, et frigida in testate.
X. De herbis terrae et crescenlibus.
« Incipit lertia pbilosopbia magistri Willermi de Con- « cbis et primo de eonstitutione mundi.
o Mundum istum ad similitudinem ovi esse constilu- « tum philosopbi conlirmant. Ut igitur in medio ovi est « medulla, ex ovi ejus parte est albinum, et tela, juxta « quam testa, extra quam nibil est de ovo, sic in medio « mundi est terra, circa quam ignis, extra quem nibil est. « Nota quod, tempore Martii, pori superficiei terra?, fri- « gore byemis prius clausi, calore solis aperiunlur. Sol « vero ad radiées berbarum et arborum penelrans, bumo- « rem quem coordinatum in byeme reperit attrabere ni- « titur. Herba vero et arbor suam monitionem senliens, a
GUILLAUME DE CONÇUES. 351
a terra attrahit humorem, quem in sui similitudinern , o adjuvante calore, transmutât, sieque reviviscit. Inde est « quidem quod mensis Aprilis dicitur, quia terrain prae- « dicto modo aperit. Est antem proprium hujus tempo- ci ris qnod sit inconslans; nam modo pluviosum ex \ici- « nilate byemis, modo sieeum ex vicinitale a^statis; « eadem ratione modo calidum modo frigidum. Inde « est quod in Martio sa?pe inûrmantur liomines. Cum « corpora liumana aperta sauf calore, frigus subito « ortum ad interiora pénétrât, et inlirmitatem juxta « materiam praeparatam générât. Sed si quis in hoc tem- « pore sibi provideret, tardius in illo quam in alio in- « firmaretiir. Discipulus : Qaœro, cum hoc tempns sit « temperatum, unde est quod, si aliquis intrat Iiyemem « cum aiiqua infirmitate. non tam saepe moritur in hyeme « sicnt in vere. P/ii/osophus : Respondeo : inflrmitates « ex bumoribus generantnr ffequentissime, quae ex fri— « giditale byemis constringnntur, ne possint defluere; ex « calore antem veris dissolvuntur ; qnibus per membra « concurrent! bus, succumbit homo et moritur. Nota : a dicit Conslantinus quod infirmitas qnae nascitur ex hu- « more contrario tempori est pcssima. Verbi gratia : si « quis incipit in hyenie tertianam pati, significal magnam « abundantiam esse choiera?, qnœ in tempore frigido et « Immido potest accendi.Si tamen idem in a?state eamdem « terliannm incurrerct, graviorem illam senliret, et difti- « cilior ad curandum os^et. Similiter de aliis judica. « Nota : in autumno est utile ut i calidis et humidis, quia « est lempus inssquale ex vicinitate byemis et sestatis, ex « quo ex fructibus et succis eorumdem tune abundanlium « periclitantur homines. »
352 APPIi.NDICË.
X.
NOUVEAU MANUSCRIT D'ABÉLARD
Sur les esprits.
On lit dans Y Histoire littéraire de la France, à l'ar- ticle des ouvrages inédits d'Abélard, t. xh, p. 130 : « Un a manuscrit de la Bibliothèque du mont Saint-Michel ren- a ferme les deux ouvrages suivants : -1° Tractatus Abail- « lardi de inlellectibus. 2° Ejusdem Abaillardi Phy- « sica Arùlotelis.
« Dans un autre manuscrit de la Bibliothèque on trouve: « Pétri Abaillardi sermo de generatione et corruptions, a Item de intellectibus et spéculai ionibus. Mais ce der- a nier écrit est le même que le premier du précédent a manuscrit. »
Remarquez que, le monastère de Saint-Michel appar- tenant à l'ordre des Bénédictins, on avait tout lieu de croire que les Bénédictins auteurs de YHistoire litté- raire devaient être parfaitement bien informés sur les manuscrits que renfermait cette célèbre abbaye. Et pour- tant il paraissait bien étrange qu'Abélard eût écrit sur la Physique d'Aristole et sur le traité de la génération et de la corruption, qui tous les deux passent sur de bonnes raisons pour avoir été inconnus en France avant les pre- mières années du treizième siècle. D'ailleurs Abélard lui- même dans sa Dialectique, que nous avons publiée, dé- clarait qu'il ne connaissait d'autre ouvrage d'Aristote que l es premières parties de XOrganon. On conçoit donc la vive curiosité que nous avions de juger par nous-inême
NOUVEAU MS. d'aBÉLARD SUR LES ESPRITS. 353
du véritable contenu des manuscrits du moût Saint- Michel.
La Bibliothèque publique d'Avranches qui a recueilli les restes de celle du mont Saint-Michel, possède en- core sous le n° 2963, un manuscrit contenant d'après le catalogue de M. de Saint-Victor, publié par M. Raoul ' : Aristotelis physica cum notis. Tractatus Abailardl de intellectibus. Ethica Aristotelis. Liber Galieni de dé- mentis Hippocratis libri vm. Aristotelis de genera- tione et corruptione, ancien n° 91, \ vol. in-4°.
On voit que cette description diffère déjà beaucoup de celle de V Histoire littéraire , et qu'il n'y est plus ques- tion d'un traité d'Abélard sur la Physique d'Aristote, ou sur le traité de la génération et de la corruption.
A force d'instances, nous avons obtenu de la ville d'A- vranches que le manuscrit 2963 nous fût communiqué, et nous allons en donner une description exacte et com- plète, afin qu'une fois pour toutes on sache à quoi s'en tenir sur un manuscrit dont le titre, à s'en rapporter a Y Histoire littéraire, était si propre a exciter des espé- rances en opposition avec les faits jusqu'ici counus.
Le manuscrit 2963 est un petit in-4°, en papier vélin, composé d'ouvrages différents, écrits de différentes mains, eu général d'une écriture élégante, et qui appartient évi- demment a la première moitié du trezième siècle. Voici l'ordre de ces différents ouvrages.
V Le traité De generalione et eorruptione, avec des remarques a la marge.
2° Un traité intitulé : P. Abœlardi tractatus de intel- lectibus.
t. Histoire pittoresque du mont Saint-Michel, par Max. Raoul. Paris, 1833.
30.
351 APPENDICE.
3° Quelques pages de V Éthique d'Aristote.
4° Quelques pages sous ce litre : Différentiel inter ani- mam et spiriium.
5° Aristotelis Ethicœ ISicomachicœ liber secundus. — Aristotelis Elhicœ ISicomachicœ liber tertius, etc.
6° Liber Galieni de Hippocratis elementis, avec des gloses marginales.
7° Libri octo physicorum.
8° Quelques pages détachées qui semblent appartenir aux petits traités de physique d'Aristote.
9° Le premier livre de la Métaphysique. Omnes homi- nes scire desiderant natura ; signum autem est, etc.; avec quelques gloses marginales.
Au dernier feuillet, on lit : Jste liber est Abbaciœ montis Sancti- Michaelis in periculo maris , ordinis sancti Benedicti.
La première conclusion a tirer de cette description fi- dèle est que, conformément au catalogue de M. de Saint- Victor, le manuscrit en question ne renferme aucun ou- vrage d'Abélard, ni sur la Physique d'Aristote , ni sur le traité de generatione et corruptione, et qu'ainsi il ne donne aucun démenti à l'opinion commune. Le seul ou- vrage d'Abélard que renferme ce manuscrit est un traité de intellectibus. Quel est ce traité qu'aucun historien ne fait connaître, que le catalogue d'aucune autre biblio- thèque en Europe n'indique, et qui ne paraît se trouver aujourd'hui que dans le manuscrit de Saint-Michel ?
Commençons par une description minutieuse de la partie de ce manuscrit où ce traité est renfermé.
Ce traité a pour titre général : P. Abœlardi tractatus de intellectibus ; il se compose de huit feuillets, a une
NOUVEAU MS. DABÉLARn SUR LES ESPRITS. 355
seule colonne, d'une écriture très-fine et pleine d'abré- viations, mais d'une netteté parfaite. A la fin du hui- tième feuillet v°, le manuscrit s'arrête et l'ouvrage est inachevé.
Reste à savoir si c'est un seul et même ouvrage. Le titre semble bien l'indiquer, et en avançant, on reconnaît les divers chapitres d'un même écrit, avec des titres dis- tincts jusqu'au feuillet 3 v°, où se présentent des chapi- tres qui ne sont plus marqués d'aucun litre. Jusqu'au feuillet 3 v°, nul doute qu'il n'y ait un seul et même ou- vrage, un traité de intellectibus. Mais les autres feuillets contiennent-ils la suite de ce même ouvrage, moins les titres ordinaires, ou une simple collection non achevée de passages qui ont plus ou moins de rapport avec le sujet? Pour le reconnaître, nous allons examiner d'abord la partie du manuscrit qui forme évidemment un seul et même ouvrage.
C'est un petit traité de psychologie, qui a son mérite pour le douzième siècle. Si notre manuscrit n'attribuait pas ce traité a Abélard, rien dans le texte ne ferait soup- çonner l'auteur de la Dialectique et de la Théologie chrétienne ,• d'autre part, dans aucun de ses écrits Abé- lard ne fait allusion à ce traité ; mais rien non plus n'au- torise a contester la légitimité de la rubrique de notre manuscrit. L'ouvrage est bien divisé ; le style est clair, pas trop diffus, et quelquefois il offre ce caractère de force un peu rude et ce mélange de subtilité et de vigueur qui dislingue Abélard. Voici les titres des divers chapi- tres de ce traité.
-1° Le litre général : P. Abœlardi tract atus de intel- lectibus, et un morceau d'un tiers de feuillet.
356 APPENDICE.
Fol. I r°, IS lignes; 2° Differcntia sensus ab intcl- leetu.
Fol. 1 r°. 7 lignes: 3" Rationis ab rationalitate.
Fol. ^ r°, 5 lignes ; V Quod idem sit animus quod ratio.
Fol. I r° el v°, 66 lignes ; 5° Difjcrentia imagina- tion is ad intellectum.
Fol. 2 r°, 9 lignes; 6° Differcntia existimationis ad intellectum.
Fol. 2 r°, 4 lignes; 7° Scientiœ ad existimalioncm sive intellect.
Fol. 2 r°. 5 lignes; 8° De differcntia intellectuum.
Fol. 2 r° et v°, 38 ligues ; 9° Qui intelleclus simplices qui compositi.
Fol. 2 v\ \ > lignes ; 10° In quo differunt intelleclus disjunclorum a disjungente.
Fol. 2 v°, i7 ligues: 11° Qui uni qui multipliées intelleclus.
Fol. 3 r°. 12° Qui sani intellectus vcl cassi.
Jusque-là il est évident que uous avons un seul et même ouvrage: mais il ne faut pas se hâter de conclure que cet ouvrage cesse , parce que les chapitres qui sui- vent n'ont pas de titre comme les précédents. En effet , les deux chapitres qui suivent immédiatement le dou- zième : qui sani intellectus tel cassi, et qui compren- nent la lin du feuillet 3 r°, le verso de ce même feuillet, le feuillet 4 jusqu'à la lin de la page, continuent l'examen de ce qui fait un entendement sain et un entendement malade; il s'agit toujours de l'entendement et de ses différentes opérations.
Vers la fin du feuillet î r°, sans division apparente de
NOUVEAU MS. D ABÉLARD SUR LES ESPRITS. 3o7
chapitres, se trouve celte phrase : nunc autem aliam proposili nostri persequamur partent, utrum videlicet omnis intellectus sanus sit dicendus qui ita ut sese res habet eatn intelligit. On voit que c'est toujours la con- tinuation du douzième chapitre. Celui qui vient ensuite et s'étend de la fin du feuillet 4 r° jusqu'au milieu du verso, contient une réfutation des objections qui avaient été faites à la doctrine renfermée dans les chapitres pré- cédents : nunc ilaque suprapositas solvamus quœstio- nes, atque impugnationes ipsas quœ veritatem pertur- bare videntur impugnemus.
Même feuillet ; nouveau chapitre qui continue le môme sujet : nunc ad alterius quœstionis ierminationem transeamus ; et il est hors de doute que les chapitres qui suivent, f° 5 r° et v°, se rapportent encore, sinon au su- jet du chapitre 4 2e : qui sani intellectus vel cassi ; du moins à celui de tout le traité de inlellectibus : solet fréquenter quœri de signifœationc atque inlelleclu universalium vocum quas res videlicet significare ha- béant, aut quœ res in eis intelligantur; ut, cum audio hoc nomen iiomo, quod pluribus commune est rébus ad quas œqualiter se habet, quam rem in ipso intelligam quœritur. On voit paraître ici la question des universaux, les mêmes idées et presque les mêmes expressions que dans les traités que nous avons publiés et qui appartien- nent incontestablement à Abélard. Nous retrouvons même ici un mot qui a été la matière d'une intéressante controverse \ le mot indi/ferenter avec son explication légitime, f° S r° : sire cum discrelionc certœ personœ ut Socratis vel alicujus alterius, sive inpiiteukster
I Voyez plus haut, p. (29 et 134.
358 APPENDICE.
absque idla scilicet personœ certiludine. Cette discus- sion se prolonge à travers tout le feuillet 5 r°, jusqu'au milieu du verso, où le chapitre se termine ainsi : kœe de spéculai ionibus hoc est intellectibus dicta nunc svffi- ciant. Nous sommes donc bien sûrs d'avoir en entier le traité de intellectibus attribué positivement a Abélard dans notre manuscrit, et qui lui convient parfaitement pour le fond et pour la forme ; et ce petit traité, complet et achevé, est un ouvrage de plus a ajouter à la liste de ceux d'Abélard. Il ne serait pas sans intérêt de le publier intégralement, et nous n'aurions pas manqué de l'insérer dans notre collection (ouvr. inéd d'Ab.) si nous eussions possédé en temps utile le manuscrit de Saint-Michel.
Il s'agit maintenant de reconnaître si les trois feuillets qui suivent sont aussi d'Abélard, et de quel sujet ils trai- tent. Un examen attentif y découvre un certain nombre de chapitres sans liaison apparente , mais qui tous se rapportent plus ou moins directement a la question trai- tée ou plutôt mise en avant dans les derniers chapitres du de intellect/bus, à savoir le sens des universaux ; et nous n'hésitons point a affirmer que ces nouveaux cha- pitres isolés ont aussi leur importance : on y trouve une foule de choses précieuses pour la question des univer- saux, des discussions qui ont leur valeur historique et qui dans la forme trahissent souvent la main d'Abélard , telle que la montrent les traités déjà publiés.
Le premier chapitre, f° 5 v°, est consacré à cette ques- tion : si la division de tout ce qui est en substance et ac- cident est complète et suffisante : quœritur an hœc di- visio eorum quœ sunt , aliud est substantia , aliud est accidens , sit sufficiens. Accorde-t-on que cette di-
NOUVEAU MS. D'ABÉLARD SUR LES ESPRITS. 359
vision est complète, clans ce cas, dit l'auteur , il faudra mettre les universaux parmi les substances ou les acci- dents ; sur quoi une discussion qui rappelle celles de notre philosophe. Le ton est allier , et la polémique inci- sive. En parlant des opinions contraires a celle qu'il expose, il s'exprime ainsi : quod quam irrationabiliter ayant apertum est.
Le fragment qui suit, fol. 6 r°, a plus d'importance encore que le précédent et se rapporte au miMne sujet. Les formes sont-elles des essences? De forints diversi diversa sentiunt, c'est précisément le début du traité de generibus et speciebus que renferme le manuscrit de Saint-Germain, de notre édition, page 51 3. Voici, sui- vant l'auteur, les diverses solutions de cette question. Il y en a trois : ou bien on soutient que toutes les formes sont des essences; ou bien que nulle forme n'est une essence ; ou bien encore que certaines formes sont des essences et d'autres non. Ces trois solutions sont tour à tour exami- nées avec soin. L'auteur prend parti pour la troisième , qu'il attribue expressément à Abélard et à son école : alii quasdam formas essentias esse, quasdam mi- nime perhibent, sicut Abœlardus et sut qui artem dia- lecticam non obfuscando sed diligentissime perscru- tando dilucidant. Ce fragment ne semble donc pas écrit de la main même d'Abélard •, cependant on y rencontre plus d'une trace de la manière d'Abélard : d'abord , comme nous l'avons dit, le ton superbe avec lequel l'au- teur combat les deux écoles opposées a la sienne ; ensuite et surtout cette opinion intermédiaire entre le réalisme absolu et l'absolu nominalismc, qui, dans l'histoire, ca- ractérise Abélard. Selon notre auteur toutes les formes
360 APPENDICE.
ou uuiversaux ne sont pas des essences , mais seulement quelques-unes. Mais quelles sont celles qu'il regarde comme des essences? Il ne s'exprime ici que négative- ment et avec une assez grande incertitude. Ce sont, dit-il, ces qualités qui se trouvent dans le sujet sans que le su- jet suflise pour les constituer ; ou bien une disposition de parties entre elles qui n'est pas inhérente et nécessaire au sujet lui-même ; ou bien encore ces propriétés qui n'exis- tent daus un sujet que conditionnellement et relativement à quelque autre qualité non nécessaire sans laquelle elles n'existeraient point.
Vient ensuite un fragment sans aucun intérêt sur les propositions modales, qui s'étend depuis le feuillet 6 r° vers la fin, jusqu'au milieu du recto du feuillet 7. Ce même feuillet recto et verso contient plusieurs morceaux également sans intérêt et qui contiennent encore diverses maximes de logique.
Le feuillet 8 r° et v° est rempli par de nouveaux cha- pitres sur des sujets analogues et qui ne présentent ni aucune idée digne d'être mentionnée ni aucune citation intéressante. A la fin du feuillet S v° le manuscrit s'in- terrompt au milieu d'une phrase inachevée : aut autan facio conseguentiam, non aliquid
En résumé, ce manuscrit de Saint-Michel , qui d'après l' Histoire littéraire renfermait des commentaires d'Àbé- lard sur la Physique d'Aristote et le de generatione et corruptione, et qui par conséquent aurait renversé toutes les idées reçues sur les connaissances péripaté- ticiennes du douzième siècle, ne contient rien de pareil, et il ne fournit d'autre ouvrage d'Abélard qu'un petit traité, moitié psychologique, moitié logique De inlellec-
NOUVEAU MS. d'ABÉLARD SUR LES ESPRITS. 361
tibus , un recueil de remarques sur l'entendement , et annexés à ces remarques, sans en faire partie , des frag- ments de fort peu d'intérêt, parmi lesquels il y en a deux plus importants que les autres , et où il est fait mention de l'opinion intermédiaire d'Àbélard et de son école sur la nature des universaux. Ainsi ces nouvelles données , loin de changer quelque chose aux conclusions que nous avions tirées des grands traités dialectiques d'Abélard que nous avons publiés , les confirment et ne peuvent que s'y ajouter utilement.
FIN Dl' TOME DEUXIEME.
M
TABLE DES MATIERES
DU TOME DEUXIÈME.
Pages.
Description du manuscrit du Roi, n° 75-93 9
Description du manuscrit de Saint-Germain, n° 1310 12
Description du manuscrit de Saint-Victor, n° 844 20
Plan de l'ouvrage de dialectique renfermé dans le manu- scrit de Saint- Victor 26
Que cet ouvrage est probablement la Dialectique d'Abélard. 32
Date probable de la composition de ce traité de dialectique. 35 Des ouvrages d'Abélard jusqu'alors inconnus, qu'indiquent
nos manuscrits 4-1
Que Pioscelin a été le maître d'Abélard 46
Qu'Abélard était très-ignorant en mathématiques 48
Qu'il ne savait pas le grec 50
Qu'Abélard ne connaissait tout au plus , de Platon, que le
ïimée dans la version de Chalcidius 55
Qu'Abélard ne connaissait d' Aristole que VOrganum, et de VOrganum que les trois premières parties traduites par
Boëce 56
Que la philosophie scholastique est sortie d'une phrase de
Porphyre, traduite par Boëce 62
Du problème de la nature des genres et des espèces, tel
qu'il est posé dans la phrase de Porphyre 67
Point de départ de la philosophie scholastique : opinion de
Boëce sur le problème des espèces ut des genres 74
Opinion de Raban-Maur au neuvième siècle Si- Opinion d'un anonyme du dixième siècle 89
Nominalisme de Roscelin 96
Réalisme théologique de sainl Anselme US
Béalisme plus scientifique de Guillaume de C.hampeaux.. 121
364 TABLE DES MATIÈRES.
Pages. Développement du réalisme. Odon de Cambray et Bernard
de Chartres 138
Entreprise d'Abélard 144
I. Polémique d'Abélard contre les deux écoles réaliste et
nominaliste 146
Réfutation du réalisme ibid.
Réfutation du nommalisme 171
II. Exposition du système d'Abélard 178
Conceptualisme d'Abélard Hid.
III. Application de la philosophie d'Abélard à la théologie. 220 Méthode théologique d'Abélard. Du Sic et non, d'après
les manuscrits de Saint-Michel et de Marmoutiers. . . . 221
Doctrine théologique d'Abélard 234
Conclusion 238
Appendice 245
I. Raban-Maur ibid.
II. Gloses du dixième siècle sur les Catégories, etc 252
III Guillaume de Champeaux 262
IV. Bernard de Chartres 265
Commentaire de Bernard de Chartres sur les six pre- miers livres de l'Enéide 283
V. Plusieurs écrits de Gerbert. — Commentaire anonyme
sur le Timée. — Introduction de Porphyre et Catégories
d'Aristote mises en vers 291
Commentaire sur le Timée 2%
Abrégé en vers de l'Introduction de Porphyre et des Ca- tégories d'Aristote 310
VI. Traduction inédite du Phédon, du douzième ou du treizième siècle 324
Vil. Commentaire anonyme du douzième siècle sur le
traité de l'Interprétation 326
VIII. Adam du Petit-Pont , 333
IX. Guillaume de Conches 340
X. Nouveau manuscrit d'Abélard sur les esprits 352
3 O*
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