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FACULTE DE DROIT DE PARIS

DES

FRANÇAIS EN TURQUIE

SPÉCIALEMENT

AU POINT DE VUE DE LA

Propriété immoMlière et du régime successoral

THÈSE POUR LE DOCTORAT

PRÉSENTÉE ET SOUTENUE

Le samedi 5 mai 1900 à 8 heures 1/2,

PAR

Ange ALIOTTI

Lauréat de la Faculté de droit de Paris.

Président : M. RENAULT, professeur.

e ^ , ( MM. LAINE, professeur.

Suffragants j ESTOUBLON, professeur.

PARIS MARCHAL .^ BILLARD

Imprimeurs-éditeurs, libraires de la Cour de Cassation

Maison principale : Place Dauphine, :i7

Succursale : Rue Soufi-"lot, 7

1900

La Faculté iCentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doiue/it être considérées comme propres à leurs auteurs.

SRLF URL

^^^7420

PREFACE

Les étrangers, en Turquie, jouissent de pri- vilèges considérables : ils relèvent de l'autorité du Consul, leurs contestations, sauf en matière immobilière, sont soumises aux tribunaux con- sulaires et ils forment en quelque sorte, dans le vaste Empire Ottoman, autant de groupes indépendants qu'il y a de nationalités différen- tes.

On a déjà beaucoup écrit sur cette situation exceptionnelle, des auteurs remarquables ont étudié avec soin tous les actes de la vie civile, commerciale et pénale des étrangers dans les Echelles du Levant, mais il nous a semblé qu'à travers toutes ces œuvres d'érudition il est dif- ficile au lecteur de se faire une idée d'ensem- ble bien précise.

En écrivant aujourd'hui nous-mêmes sur cette même question, nous n'avons par conséquent pas la prétention de présenter notre étude comme une création, mais de faire un résumé dans les

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grandes lignes de ce qui a déjà été dit, d'insis- ter davantage sur certains points négligés et enfin d'ajouter notre part d'expérience person- nelle. Heureux si nous arrivons à donner cette idée d'ensemble dont nous constations l'absence tout à l'heure !

Nous avons divisé notre étude en trois titres, subdivisés eux-mêmes en chapitres et en sec- tions.

Titre premier. Des capitulations et de la juridiction.

Chapitre I. Origine des capitulations.

Chapitre II. Historique des capitulations. Ces deux chapitres sont un simple résumé, très succinct même, de ce qui a déjà été écrit sur ces questions; si nous avons tenu à le (aire, c'est que pour bien comprendre la condition des étrangers en Turquie il est indispensable d'avoir, au moins dans les grandes lignes, une idée générale de ces traités unilatéraux qui lient la Turquie envers les Etats chrétiens.

Chapitre III. Juridiction en matière civile et commerciale. Ce chapitre comprend trois sections : l'une a trait aux contestations entre Français, l'autre entre Français et étrangers de nationalité différente, la troisième entre Fran- çais et indigènes. Dans la première section.

nous faisons une étude de la règle ce locus ré- git actum » dans deux de ses principales ma- nifestations, le prêt à intérêt et le mariage ; nous finissons la section par l'examen d'une question spéciale, à savoir si la femme étran- gère qui épouse un ottoman ou la femme ottomane qui épouse un étranger suit la con- dition de son mari. Le changement de nationa- lité présente un intérêt très grand en matière de succession, c'est pour cette raison unique que nous avons cru utile d'en parler.

Chapitre IV. Juridiction en matière pé- nale.

Titre deuxième. De la propriété immobi- lière .

Chapitre ï. Régime de la propriété immo- bilière. — Avant de savoir quels sont les droits des étrangers en matière immobilière,il est inté- ressant d'apprendre à connaître les différentes catégories d'immeubles et de voir quels sont les droits qu'ils sont susceptibles de conférer.

Chapitre II. Organisation des tribunaux en Turquie : tribunal religieux et tribunal civil. Cette organisation est utile à connaître aux étrangers propriétaires d'immeubles qui, comme nous le verrons, sont soumis aux tribunaux

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ottomans pour toutes contestations en matière immobilière.

Chapitre III. Du droit pour les étrangers d'acquérir des immeubles en Turquie. On sait qu'avant la loi de Sépher, les étrangers ne pou- vaient être légalement propriétaires d'immeu- bles, qu'ils en possédaient malgré cette défense et que la loi de 1867 est venue régulariser cette situation anormale. Nous faisons un petit résu- mé historique de la situation des étrangers avant la loi de Sépher, et nous reproduisons enfin cette loi ce in extenso >:> ainsi que le protocole de 1868.

Chapitre IV. Interprétation de la loi du 7 Sépher. ^ Cette interprétation est d'une impor- tance capitale, elle domine toute la question immobilière et justifie ainsi l'étendue que nous avons cru devoir lui donner.

Chapitre IV. Applications de la loi du 7 Sépher. Ce chapitre est divisé en trois sec- tions ; nous nous occupons du louage, de la vente et de l'hypothèque.

Chapitre VI. Exécution des jugements consulaires. Nous insistons particulièrement sur les difficultés d'exécution en matière immo- bilière et nous cherchons quels sont, d'après la loi ottomane, les immeubles qui répondent des dettes du propriétaire.

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Titre troisième. Des successions. Chapitre I. Succession mobilière. Chapitre II. Régime successoral ottoman. Ce régime est intéressant à connaître pour les propriétaires d'immeubles,quinepeuvent donner par testament que les immeubles dont la dispo- sition sous cette forme est permise par la loi territorinle. Nous examinons en même temps quels sont les droits des héritiers, quelle est la part revenant à chacun d'eux, etc. Tout cela est utile à connaître, les autorités turques préten- dant être seules compétentes en matière de suc- cession immobilière, toutes les fois que le « de eu jus )) est mort ce ab intestat. »

Nous n'avons donné qu'un aperçu de celte difficile et compliquée matière, mais suffisant tout de même pour avoir une idée assez précise du régime successoral ottoman. Tous nos efforts ont tendu à présenter cette étude aussi claire- ment que possible ; elle est en effet fort embrouil- lée et nous avons multiplié les exemples pour la rendre plus compréhensible.

Chapitre III. Succession immobilière. Chapitre IV. Influence de la différence de nationalité en matière successorale.

Chapitre V. Créanciers d'une succession ottomane. Nous examinons d'abord les droits des étrangers, créanciers d'une succession otto-

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niane ; et en second lieu, les modifications qui interviennent au décès du débiteur en matière d'exécution immobilière.

Tel est le plan que nous nous sommes tracé. C'est un ensemble des principaux droits que peuvent avoir les étrangers résidant en Turquie. Nous avons négligé le côté théorique pour nous attacher principalement aux solutions de la vie pratique.

Notre étude intéresse tous les étrangers de quelque nationalité qu'ils soient, mais elle a été écrite surtout en vue des Français et c'est à eux seuls qu'elle s'applique entièrement, Puisse-t- elle leur faire connaître ce pays illustré par les armes victorieuses de leurs ancêtres, puisse-t- elle être utile à tous ceux désireux de donner un nouvel essor à l'influence française, à tous ceux qui quittent leur patrie pour chercher fortune sous ce beau ciel d'Orient !

TITRE PREMIER

DES CAPITULATIONS ET DE LA JURIDICTION

CHAPITRE I

ORIGINE DES CAPITULATIOiNS

On a expliqué de différentes manières le mot c( capitulation )), sans avoir pu jusqu'ici en trouver l'étymologie exacte. Quoi qu'il en soit, on entend par ce capitulations )) les conventions existant entre les Etats Européens ou Améri- cains d'une part et la Porte ottomane d'autre part.

Ce qu'il y a de particulier dans ces conven- tions, c'est qu'elles sont unilatérales, c'est-à- dire que la Turquie seule s'engage vis-à-vis des Etats chrétiens en accordant à leurs sujets de nombreux et importants privilèges sans base de réciprocité.

Voilà déjà un point qui au premier abord pa- raît extraordinaire, on ne comprend pas un Etat s'engageant seul vis-à-vis d'un autre et consentant à abandonner une part considérable de sa souveraineté car nous verrons que tel

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est le cas des capiUilalioiis cela sans réci- procité aucune. L'explication unique se présen- tant à l'esprit, ce serait de supposer de sembla- bles conventions imposées par le vainqueur au vaincu. Mais s'il en était ainsi, ces conventions loin de paraître extraordinaires seraient au con- traire dans l'ordre des choses, car il est tout naturel que le vainqueur dicte ses volontés. Ce qui précisément semble ici anormal et ce qu'on a de la peine à comprendre, c'est que les capitulations ont été librement consenties par la Porte à l'époque de sa toute-puissance et alors qu'elle était la terreur des plus grands Etats de l'Europe. Gomment résoudre ce pro- blème ?

Sans remonter plus haut dans le passé, il ar- rivait souvent, au moyen-àge, que des commer- çants établis dans un pays étranger formaient un groupe à part, étaient en quelque sorte séparés des habitants naturels du pays et vivaient sous l'empire de leurs propres lois. Ces commerçants avaient l'habitude d'élire un chef, désigné le plus souvent sous le nom de ce consul d'outre-mer )^, qui était chargé de veiller au bon ordre et de régler les différends qui auraient pu s'élever entre eux. Ce consul représentait aussi la colonie de- vant les autorités territoriales. Ce n'est que plus tard que la nomination des consuls appartint

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directement aux Etats dont ils étaient les sujets. Ces privilèges accordés à des commerçants sur un sol étranger nous paraissent aujourd'hui exorbitants, mais au moyen-àge l'idée de sou- veraineté était peu développée et les Etats se montraient moins susceptibles pour tolérer sur leur territoire l'exercice de certains actes éma- nant d'une autorité étrangère. C'était au con- traire une chose alors toute naturelle, il y avait des consuls dans les Etats chrétiens comme dans les Etats musulmans et les étrangers jouissaient chez les uns comme chez les autres de privilè- ges spéciaux. Ces privilèges leur étaient recon- nus par le souverain territorial soit sous forme de cession d'un quartier de la ville, d'une rue, ce qui alors rendait les cessionnaires maîtres absolus dans le dit quartier, dans la dite rue, soit simplement en leur permettant sur son propre territoire l'exercice de certains droits attachés à la souveraineté. C'est ainsi que les Génois purent acquérir la propriété de certaines rues à Jérusalem, Jaffa, Saint-Jean-d'Acre, etc; et que d'autre part un traité conclu avec Mi- chel Paléologue en 1270 contient en leur faveur les stipulations suivantes :

«... Si un Génois offense un sujet impérial ou un « Jiutic protégé quelconque de l'empereur, que le po-

16 « destat génois le punisse selon le cas, en se confor- « mant à la loi ; si le podestat s'y refuse, l'empereur « fera raison selon l'équité.

« 3" Si les Génois faisaient la course et causaient des « dommages aux sujets ou aux terres de l'Empire, que « le podestat les saisisse et les châtie.

« Si un Génois venait à offenser ou à tuer un Grec « ou un sujet quelconque de l'Empire, il serait châtié « par le podestat ».

Des privilèges analogues leur furent accordés au commencement du siècle suivant par l'empe- reur de Trébizonde.

Telle était la situation des peuples commer- çants et dans les Etats chrétiens et dans les Etats musulmans. Concernant ces derniers, on prétend queCharlemagne, qui entretenait des re- lations très-amicales avec le khalife Haroun-al- Raschild, fut le premier à envoyer des consuls chez les Sarasins vers l'an 800. Hautefeuille, dans son c( Histoire du droit maritime interna- tional », dit qu'un traité, une capitulation aurait été même conclue à cette époque. Cependant ce sont plutôt des suppositions et si l'on veut préciser il ne faut pas essayer de remonter au- delà du xiif siècle. Ceci nous amène à Saint- Louis qui en 1252 stipule du sultan d'Egypte l'établissement de deux consuls, à Alexandrie

et à Tripoli. Philippe le Hardi, en 1270, fait un autre traité avec le roi de Tripoli.

A cette époque, un nombre considérable de villes maritimes, telles que Pise, Florence, Gê- nes, Venise, Barcelone, Montpellier, Marseille avaient des comptoirs dans les différents ports de la Méditerranée. Le commerce était floris- sant, un seul négociant français, Jacques Cœur, dans la première moitié du xv' siècle, avait une véritable flotte et trois cents facteurs chargés de ses affaires remplissaient en même temps les fonctions de Consuls.

Lorsque les Turcs, en 1453, s'emparent de Constantinople et que l'Empire d'Orient s'é- croule, la plupart des étrangers résidant dans ces pays qui venaient d'être conquis par le Croissant jouissaient depuis de longs siècles déjà de droits acquis et de privilèges consacrés par le temps. Les Turcs, qui avaient fait trem- bler les plus puissants souverains et qui mena- çaient d'envahir l'Europe entière, respectèrent cet état de choses. Mahomet II, au lendemain même de sa victoire, donna un patriarche aux Grecs et trois autres aux Arméniens, en leur maintenant la juridiction des affaires civiles et religieuses ; il s'intéresse même aux Juifs dont le tribunal suprême était composé de trois rab- bins. Toutes les religions sont tolérées et il

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accorde à toutes la liberté de leur culte public. Loin donc de détruire l'état de choses existant depuis de longs siècles, il le confirme au con- traire et Ton peut même dire que sous certains rapports il étend encore davantage les privilèges dont jouissaient déjà certaines colonies chré- tiennes. En effet, tous los. chrétiçns n'étaient pas placés sur le même pied vis-à-vis du nou- veau pouvoir. On distinguait d'une part les su- jets de républiques ou de monarchies puissan- tes, les chrétiens d'Occident proprement dits ; et d'autre part, les chrétiens indigènes connus sous le nom de ce raïas ».

Les premiers étaient confondus par les Turcs, ceux-ci ne faisaient aucune distinction entre un Génois, un Vénitien ou un Français, tous les chrétiens d'Occident étaient connus sous la seule dénomination de Francs. Grâce aux croisades et aux luttes légendaires que le Croissant avait eu à soutenir contre la Croix, les Turcs ne voyaient que des Français parmi tous ces étrangers relevant d'Etats différents. Connus tous sous le nom de ce Francs », ils jouissaient de garanties spéciales. Ils étaient, il est vrai, cantonnés dans un quartier à part, et ce quartier s'appelait Khan, Okelle ou Fondi- que, suivant les pays. Mais c'est précisément dans ce traitement à part qu'ils puisaient leurs

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principales garanties, ce quartier constituait une cité dans la cité et était sous la sauvegarde et l'autorité d'un Consul. Les chrétiens de la « Fon- dique » formaient en quelque sorte une nation à part, ils avaient leurs assemblées et l'accès de leur quartier était interdit même aux autorités locales.

Telle n'était pas la situation des raïas^ qui malgré certains privilèges et la reconnaissance des patriarches grecs et arméniens, eurent maintes fois à souffrir du despotisme et de l'ar- bitraire des Turcs.

En Egypte également, les Sultans Mameluks avaient accordé aux Français une série de privi- lèges. Lorsque l'Egypte fut conquise par les Turcs, ces privilèges furent confirmés d'abord par Sélim P' et ensuite par son fils Soliman IL dans la capitulation de 1528.

Nous n'avons pas à nous occuper directement de cette capitulation, puisque l'Egypte est en dehors du cadre de notre étude, mais cet acte est trop important pour le passer sous silence.

c( Cet acte a de l'importance, dit M. Eéraud- c( Giraud, car il sert de base aux privilèges qui c( ont été accordés plus tard à la France dans « le Levant » (1).

1. Féraud-Gir&ud. De la juriiiction consulaire datis les Echelles du Levant et de Barbarie, I, p. 40.

-.^o Cette capitulation commence ainsi :

« Le royal et très hault commandement de l'ordre « libéral ;

« Le grand Dieu l'exalte et luy doint toute grâce et « le passe à tous ceulx qui lui viendront au-devant des « cadis, émins, escrivains et parleurs et ministres et « présidentz de l'ordre en Alexandrie^ leur faisons « sçavoir que l'honoré consul et de bonne créance, « Jehan Benoist de Pierre Benoist, consul des Cathe- « lans et Françoys, est comparu en nostre présence et « nous a présenté cinq commandements pour lesdits « Françoys et Cathelans avec aucunes conditions et « pactes qui s'observent, et nous a demandé cinq « commandements en confirmation d'icellcs avec les « les articles et conditions qui sont contenus en icelluy « à savoir : »

Nous remarquons tout d'abord que cette capitulation ne fait pas mention du roi de France, de François F' à cette époque, elle est conclue directement avec le Consul. Nous remarquons en second lieu que ce Jehan Benoist de Pierre Benoist, consul des Cathelans et Fran- çoys », stipule également en faveur des uns et des autres.

Cette capitulation a pour objet principal le

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commerce, elle reconnaît aux Français le droit de commercer et de circuler librement. Elle continue ensuite en ces termes :

« S'il survenoit quelque différant entre les Cathelans « ou Françoys, le consul ave à le juger, exceptans « toutesfois s'il y intervenoit sang; que en ce cas, nos « présidens l'auront à juger; et si aulcuns d'eulx estoit « débiteur à la douane et partit sans avoir sans avoir « satisfaict, la douane ne doyve demander à aucun « autre pour celluy-là ! »

Et plus loin :

« Que aulcun des Cathelans ni Françoys, ou qui « s'appelle Gathelan ou Françoys, ne soit empesché « avec demandes appartenans à aultres, et ne soit « molesté ny touché, en terre ou en mer, sy toutesfoy « il n'estoit plaige, autrement ne soit molesté seule- « ment pour conte de soy-mesme et propre personne.

« Si aulcun des Cathelans ou Françoys passoit de « ceste vie et fist son testament, soit fait de son bien « sellon qu'il sera ordonné par le dit testament, et « s'il mouroit ab intestat, que le consul ordonne de « ses robes ; et si le consul n'estoit présent ou aultre « de ses Francs, que noz présidens envoyent les robes « jusques au lieu sera le consul ».

Ces passages ont trait à la juridiction, à la responsabilité individuelle et à la succession testamentaire ou ab intestat d'un Français.

Telle était la situation des Francs à la veille de la première capitulation officielle conclue à Constantinople en lo3o. Comme la précédente, cette capitulation fut conclue pendant le règne de Soliman II et de François I, mais cette fois ce n'est plus le consul qui figure, c'est un véri- ble traité dans lequel intervient l'autorité du roi de France.

Avant de passer en revue cette capitulation et toutes celles qui l'ont suivie, venant confirmer, préciser et étendre les privilèges précédemment accordés aux Français, faisons un retour en arrière pour résoudre le problème que nous nous étions posé au début de ce chapitre, c'est- à-dire la raison d'être des capitulations qui^ à l'exception de celle de 1535, sont des conven- tions unilatérales tout au profit des sujets d'Etats européens ou américains, sans réciprocité au- cune pour les sujets dif l'Empire Ottoman.

Nous avions en effet trouvé surprenant l'aban- don par la Turquie, au moment de sa toute- puissance, d'une part si considérable de sa sou- veraineté, et nous nous étions demandé la rai- son de cet état de choses existant encore de nos jours.

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Nous avons vu qu'au Moyen-âge lorsque des commerçants allaient s'établir dans un pays étranger, ils avaient l'habitude de nommer un consul chargé de défendre leurs intérêts et jouis- saient de privilèges spéciaux octroyés par le souverain territorial. Il y avait des consuls non seulement dans les ports de la Méditerranée mais dans ceux de l'Océan, de la mer du Nord, de la Baltique et ailleurs encore.

Au xv' siècle, on voit des consuls italiens dans les Pays-Bas ; des consuls anglais en Suède, Norwège, Danemark ; et des consuls Catalans à peu près partout. Nous avons vu de même que des privilèges importants étaient accordés par les empereurs de Byzanceaux commerçants éta- blis sur leur territoire. Il en était également ainsi dans les pays occupés par les Sarrasins -^t nous avons étudié la condition des Francs en Egypte.

Assurément il y avait quelque chose d'exor- bitant, et c'est aujourd'hui un principe admis dans le droit international que chaque Etat doit être le maître unique du territoire qu'il occupe, que le gouvernement de cet Etat doit seul avoir l'exercice de la souveraineté. Mais autrefois il n'en était pas ainsi ; les Etats d'alors n'avaient pas une idée bien nette de la souveraineté, ' ils admettaient volontiers que des colonies établies

sur leur sol eussent leur propre organisation, une juridiction à eux pour les contestations entre compatriotes. Les Etats y trouvaient l'avantage de faciliter chez eux l'établissement des étran- gers, d'encourager le commerce et d'augmenter en quelque sorte la richesse du pays en don- nant aux transactions le plus d'extension pos- sible.

Telle étant la situation à cette époque, quoi de plus naturel pour les Turcs que le maintien de l'ancien état de choses. Les Turcs n'avaient pas à la différence des autres Etats une idée plus nette de la souveraineté, et comme les autres Etats ils avaient intérêt à encourager chez eux l'établissement des étrangers. D'ailleurs, n'a- vaient-ils pas joui eux-mêmes de privilèges analogues? Les Vénitiens leur avaient bien accordé à Salonique le droit de juridiction en ce qui touchait les affaires civiles. Les empe- reurs de Byzance en avaient tait autant, et quel- ques années avant la prise de Constantinople les Musulmans qui y résidaient avaient à la tête de leur communauté un Gadi rendant lajustice selon la loi du Shéri.

Ces concessions paraissaient donc toutes na- turelles à cette époque et les idées n'avaient pas encore changé en 1535, date de la première ca- pitulation officielle. Plus tard, il est vrai, la

souveraineté territoriale prenant tous les jours un caractère plus exclusif, les Etats européens se refusèrent à toute nouvelle concession de cette nature et abolirent les anciens privilèges, mais ce qui est important à remarquer c'est que ces mesures ne furent prises que longtemps après la conclusion du traité de 1535. Nous ver- rons qu'à un certain moment les Turcs eux- mêmes ont voulu et veulent de plus en plus retirer les concessions autrefois librement accor- dées par eux, mais les Etats chrétiens unis dans un intérêt commun opposent une résistance énergique aux prétentions, très légitimes d'ail- leurs, de la Turquie, qui, bien malgré elle, est obligée de céder devant la force. Donc aujour- d'hui comme autrefois, les étrangers résidant ou étant de passage en Turquie jouissent de privilèges spéciaux, mais avec cette différence qu'autrefois ces privilèges avaient été librement consentis par la Porte, tandis qu'aujourd'hui ils lui sont imposés.

Nous ne sommes donc pas d'accord avec M. Ortolan lorsqu'il nous dit :

« La diffërence de religion, la séparation des « croyances religieuses, des institutions publiques et « des mœurs privées entre les peuples musulmans « et les peuples chrétiens, séparation bien plus pro-

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« fonde encore autrefois qu'elle ne l'est aujourd'hui, « l'utilité commune qu'il y avait cependant pour l'em- « pire Ottoman et pour la France à rendre possibles « et sûres nos relations commerciales avec les par_ « ties de cet Empire communément désignées sous « le nom d'échelles du Levant ou de Barbarie, ont « depuis longtemps amené entre cet Etat et nous « une situation exceptionnelle en droit international, « quant au pouvoir de répression pénale, de police et « de juridiction sur le territoire de la Porte dans ces « échelles (1). »

M. Féraud-Giraud écrit dans le même sens :

« Chez les Musulmans, nous devrons rencontrer dfs « concessions semblables en faveur des étrangers ap- « pelés à résider temporairement dans les villes commer- « çanres, alors que ces étrangers ont des lois religieu- « ses, civiles et criminelles, des mœurs, des habitudes, « des coutumes et des croyances si différentes de cel- « les des Turcs et une civilisation éclairée par leChris- « tianisme.

« Aussi, est-ce à ces différences que les auteurs « rapportent la cause des pouvoirs de juridiction en

1. Ortolan. Éléments do. Droii pénal, t. I, n* 943, p. 428.

« matière civile et criminelle accordés aux consulsdans « le Levant » (1).

Ces auteurs donnent aux capitulations une origine motivée par une différence de religion, de mœurs et de civilisation. Ce sont sans doute ces raisons qui poussent actuellement les Etats chrétien? à exiger le maintien des anciens pri- vilèges, mais le fait même d'une concession gracieuse, au moment de la toute-puissance de la Turquie et alors que ces concessions exis- taient à peu près partout, ne nous permet pas d'en chercher l'origine dans une opposition d'idées ou de mœurs. Comme nous l'avons dit plus haut, il faut voir l'origine des capitulations comme une suite naturelle des idées au moyen- âge, et la différence de religion ou de civilisa- tion n'a pu être prise en considération que plus tard, lorsqu'il s'est agi de forcer la Turquie au maintien des anciens privilèges.

Telle est, quant à nous, la solution du pro- blème que nous nous étions posé : les capitu- lations ont une origine pour ainsi dire coutu- mière, leur caractère s'est transformé plus tard et de nos jours ce sont de véritables traités im- posés par le plus fort au plus faible.

1. Féraud-Gir-aud. De la juridiction consulaire dai^'* Echelles du Levant el de Barljarie. T. I, p. 31.

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Ce rapide aperçu des origines des capitula- tions nous semblait utile à faire, car pour bien comprendre le régime spéc^-ial qui en résulte, il faut nécessairement remonter aux sources pre- mières et voir comment ces traités qui aujour- d'hui nous paraissent si exorbitants ont-ils pu prendre naissance.

CHAPITRE II

HISTORIQUE DES CAPITULATIONS

Il faut arriver à l'année 1535 pour rencontrer un véritable traité, c'est-à-dire une convention conclue au nom des deux souverains, le roi de France et le Sultan. En effet, jusque-là ce sont des concessions purement gracieuses, dans les- quelles le concédant seul intervient, et dès lors il demeure libre de révoquer au gré de sa pro- pre volonté les privilèges qu'il a bien voulu con- sentir, mais qu'à l'avenir il ne voudra peut-être plus maintenir. C'est à la France qu'il était réservé de conclure la première un traité pro- prement dit et il est curieux de voir dans quel- les circonstances cet acte fut conclu.

On sait la mésintelligence qui existait entre Charles-Quint et François P^', une guerre s'en était suivie et le roi de France fut fait prisonnier à Pavie. Pour obtenir sa liberté, il dut signer le traité de Madrid par lequel il s'engageait à

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céder le duché de Bourgogne et le Gharolais, à payer une forte rançon et à s'allier en même temps à Charles-Quint pour marcher contre les Turcs. L'empereur commanderait l'armée et le roi de France l'accompagnerait.

François I^' mis en liberté n'eut qu'une pen- sée : méconnaître ses engagements et au lieu de marcher contre les Turcs conclure au contraire une alliance avec eux contre Charles-Quint. C'était pour les idées de l'époque un projet audacieux, c'était en quelque sorte braver l'opi- nion des Français et du monde chrétien en géné- ral que de s'allier avec l'ennemi acharné du christianisme. Mais François P' doué d'un esprit large a su fort heureusement ne pas confondre la religion avec la politique, et faisant alors ce que l'Allemagne fait de nos jours au grand scan- dale de la politique sentimentale, son ambassa- deur Jean de la Forêt signa en 1535 la première capitulation officielle.

Cet acte est d'une importance considérable, il est le point de départ de l'influence toujours grandissante de la France dans les Echelles du Levant.

La capitulation de 1535 commence en ces termes :

« Au nom de Dieu tout puissant soit manifeste à un

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« chascuii, comme en l'an de J.-C. mil Vc trente et « cinq, au moys de fiburier et de Mahomet neuf cens « quarante- ung en la lune de Redjeb se retrouvant en « l'inclite cité de Constantinople, le sieur Jehan de la « Forest, secrétaire et ambassadeur de très excellent « et très puyssant prince Françoys, par la grâce de « Dieu roy de France très chrestien, mandé au très « puyssant et invinsible G. S. Soltan Soliman Empe- « reur des Turcqs, et raysonant avec le puyssant et « magnifique seigneur Ibrahim cherlesquin Soltan du « grand Seigneur, des calamités et inconvéniens qui « adviennent de la guerre, et au contraire, du bien, « repos et seureté qui procèdent de la paix, et par ce « cognoissant combien l'un est de préférer à l'autre, « se faict chacun d'eulxfort des susdits Seigneurs leurs « supérieurs au nom et honneur desdits seigneurs, « seureté des estais et bénéfices de leurs subgets, ont « traité et conclud les chapitres et acordz qui s'ensuy- « vent.

« Premièrement : ont Iraitté, faict et conclud bonne « et seui'e paix et sincère concorde au nom des sus- « dits grand Seigneur et Roy de France, durant la vie « de chascun d'eulx, et pour les royaulmes, seigneu- « ries, provinces, chasteaulx, cilés, portz, eschelles, « mers, isles et tous les lieux qu'ils tiennent et possè- « dent à présent et . posséderont à l'advenir, de ma- « nière que tous les subgetz et tributaires des dicts « Seigneurs qui voudront, puyssentlibrement et seure-

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« ment, avec leurs robes et gens, naviguer avec navi- re res armés et désarmés, chevaucher, venir, demou- « rer, converser et retourner aux portz, citez et quel- « conques pays les ungs des autres, pour leur négoce, « mesmement pour faict et compte de marchandise ».

A la différence de la capitulation de 1528, nous voyons ici pour la première fois un traité conclu entre le Sultan et le roi de France, un traité figurent deux parties contractantes et dans lequel intervient l'autorité du souverain étranger.

Un autre caractère de cette capitulation, c'est qu'elle devait être valable ce durant la vie de c( chascun d'eulx », c'est-à-dire des deux sou- verains.

Cette capitulation confirme les privilèges dont jouissaient déjà les Français et contient en plus un article, dans lequel il est stipulé que le Pape ainsi que le roi d'Angleterre pourront adhérer à cette convention, en envoyant leur acceptation dans les huit mois. C'est ainsi que la France, toujours généreuse, tout en inaugurant une po- litique nouvelle, a le souci des autres nations chrétiennes et en même temps qu'elle stipule pour elle, prend soin de laisser une porte ou- verte à d'autres souverains chrétiens. C'est cette politique loyale et désintéressée qui a fait dire

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à M. Mancini que la France au xvf siècle était digne de ce l'admiration c( de l'Europe entière )) .

digne de ce l'admiration et de la reconnaissance

François T'" mort en lo47, la capitulation de 1535 devenait caduque. Henri II, successeur de François 1"", négligea de la renouveler et il en aurait été de même sous Charles IX, si une circonstance lout-à-fait extraordinaire et inat- tendue n'était venue appeler l'attention du roi de France vers l'Orient. Pour connaître les rai- sons qui ont provoqué la seconde capitulation consentie en 1569 par le Sultan Sélim II, il suffit de lire le préambule de la dite capitulation qui est d'ailleurs fort long. Il s'agit d'un nommé Joseph Miques, qui prétendant être créancier du roi de France obtint la permission de saisir toutes les marchandises venant à Alexandrie par des navires battant pavillon français. On lit en effet dans le dit préambule :

« Et pour que ceste seulle occasion des grands rja- « lions et autres vaisseaux dudict empereur de France « ont coustuine venir par deçà, soubz son nom ethan- « nière, comme Genevois, Siciliens, Anconnetois et « autres ».

Charles IX s'en plaignit par l'intermédiaire de

Aliotti 3

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Claude du Bourg, sieur de Guérines, et le Sul- tan révoqua l'autorisation donnée à Joseph Miques. C'est dans ces circonstances que fut signée la capitulation de 1569.

Cette capitulation confirme en quelque sorte les privilèges accordés par celle de 1335 et sti- pule en outre pour la France les privilèges consentis aux Vénitiens. Son' article XVI est conçu en ces termes :

« Voulons aussi que toutes les choses contenues et « escriptes en la nostre très haute capitulation accor- « dée et Laiilée aux Vénitiens, qu'elles soyent et de- « meurent encore certifiées en faveur des François. Et « que contre nostre puissante raison et très haute ca- « pitulalion, seul ne l'empesche et donner moleste ».

A la mort de Charles ÏX, son successeur Henri III ayant eu à propos de la Pologne des mésintelligences graves a\ec le sultan Amu- rat III, qui venait de succéder à Sélim II, les bons rapports existant entre la France et la Turquie faillirent être compromis. Déjà les An- glais, qui jusqu'alors avaient toujours navigué sous le couvert du pavillon français, obtinrent la faveur d'arborer leurs propres couleurs. Henri III s'en émut et par l'intermédiaire du sieur de Germigny, baron de Germâtes, fut si- gnée en 1851, la troisième Capitulation.

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Celle-ci n'est autre chose que la répétition des précédents traités. Nous ferons toutefois remarquer la révocation du privilège accordé entre-temps aux Anglais et la confirmation de l'influence du pavillon français. L'article V' s'ex- prime en ces termes :

« Que des Vénitiens en hors, les Genevois et An- « glais, et Portugais et Espagnols, et marchands Ca- « tellans et Siciliens, et Anconitains, et Ragunis et « entièrement tous ceux qui ont cheminé soubs le nom « et bannière de France d'ancienneté jusques à ce « jourd'huy, et en la condition qu'ils ont chemine, que « d'ici en avant, ils ayent à y cheminer en la mesme « manière ».

D'autre part, nous voyons l'article 3 accor- der à l'ambassadeur de France la préséance sur tous les autres représentants des Souverains étrangers auprès de la Porte.

L'art. 3 contient le passage suivant :

« Quand ils (les ambassadeurs de France) iront aux « Serrails et Palais de nos grands et honorez vizirs, « que au-dessus des ambassadeurs d'Espagne etaustres « princes des chrestiens, selon qu'il a esté d'ancienneté, « ainsi soit à toujours, et que les susdits ambassadeurs « de France ayent la précédence ».

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La quatrième capitulation fut conclue en 1597 entre Henri IV et Méhémet II. Elle n'offre rien de particulier à signaler, sinon qu'il y est fait mention des Anglais qui, à l'avenir, pourront naviguer sous leur propre pavillon.

En 1604 fut signée la cinquième capitulation, toujours entre Henri IV d'une part et le sultan Ahmed I de l'autre. Celle-ci plus longue que les précédentes renferme de nouvelles conces- sions, les unes intéressant le commerce, les autres ayant trait aux franchises accordées aux agents diplomatiques français sur les droits de douane. Dans l'art. 2i, le roi de France est en outre autorisé ce si les coursaires d'Alger et c( Thunis n'observent ce qui est porté par cette (( nostre capitulation» à les châtier directement sans avoir besoin d'avoir recours au sultan.

Cette capitulation mentionne enfin pour la première fois les Lieux saints : les articles 4 et 5 assurent pleine sécurité aux Français visitant Jérusalem ainsi qu'aux religieux y résidant.

Après la mort d'Henri IV, l'Europe entière agitée par une longue période de troubles et de guerres continuelles, nous n'avons pour cette époque aucun nouveau traité à signaler. Cepen- dant, Richelieu sut tirer profit des anciennes

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relations qui existaient entre les deux pays pour seconder sa politique et pousser les Turcs contre les ennemis de la France. Quant au commerce, loin de s'étendre il diminua au contraire consi- dérablement et, malgré les termes des capitula- tions, les Anglais et les Hollandais jouissaient de faveurs spéciales : c'est ainsi que pour les importations de marchandises ils payaient un droit de douanes de 3 0/0 tandis que les Fran- çais se voyaient obligés de payer 5 0/0.

Plus tard, sous Louis XIV, l'ambassadeur du roi à Constantinople ayant pris des engagements auxquels il ne put faire face, il fut arrêté et emprisonné. D'autre part, les bâtiments français ayant eu maintes fois à lutter contre les attaques des corsaires d'Alger et de Tripoli, Louis XIV dut organiser une expédition contre eux et fit même bombarder certains ports, celui de Chio par exemple les navires tripolitains avaient été chercher un refuge. Un moment il avait même été question de forcer les Dardanelles.

La situation était donc très tendue entre les deux pays et la Turquie faisait de grandes diffi- cultés pour renouveler les anciennes capitula- tions. Il était cependant indispensable de le faire pour rétablir l'ordre et donner au commer- ce un nouvel essor, aussi fallut-il tout le pres- tige des récentes et glorieuses victoires de

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Louis XIV pour amener le Sultan Méhémet IV à conclure un nouveau traité.

Cette capitulation fut signée en 1673. Elle commence par confirmer les anciennes conces- sions et continue par une série d'articles addi- tionnels stipulant des avantages nouveaux.

On y remarque d'abord une extension sensi- ble donnée à la protection des religieux (( qui sont sujets à la France >y ; en second lieu, les droits de douane sont ramenés à 3 0/0; et enfin, au point de vue de la juridiction, les paragra- phes 12 et 13 s'expriment comme suit :

« Si quelqu'un de nos sujets a quelque procès contre « quelque Français, dont la somme soit plus de qua- « tre mille aspres, nous défendons qu'il soit fait justi- ce ce autre part que dans notre divan.

« Et s'il arrive qu'on tue quelqu'un dans des quar- te tiers sont les Français, nous défendons qu'il soient * molestez en leur demandant le prix du sang, si ce « n'est qu'où prouve en justice que ce sont eux qui ont « fait le mal ».

Pour comprendre le paragraphe 12 addition- nel, il est indispensable de le rapprocher du paragraphe 3 de la Capitulation de 1673 qui, conformément à ce qui se pratiquait jusqu'alors, soumettait, sous certaines garanties, les contes-

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tations entre Français et Turcs aux tribunaux ordinaires, quel que fût le montant du procès. L'article 12 innove en ce sens que si le procès dépasse un certain chifFro, il ne pourra plus être jugé dans les Echelles.

A la suite de cette capitulation, une nou- velle ère de prospérité s'ouvre pour le commerce français. De plus, Louis XIV profite des événe- ments politiques pour se rapprocher de la Tur- quie. Mais avec la guerre du Palatinat en 1689 et la guerre de la Succession d'Espagne en 1700' la marine marchande reste sans aide ni sécurité et le commerce périclite de nouveau.

Avant d'arriver à la septième et dernière capi- tulation, il s'écoule un long intervalle. Pour relever le commerce qui eut à souffrir terrible- ment pendant presque toute la première moitié du xviii^ siècle, il fallait de toute nécessité re- nouveler les capitulations, mais les Turcs se rendant enfin compte qu'il était contraire à la dignité de la souveraineté territoriale d'accor- der des privilèges, sans base de réciprocité n'étaient nullement disposés à les confirmer à nouveau. Toutefois grâce à la diplomatie admi- rable du marquis de Villeneuve, la septième capitulation comprenant 85 articles fut signée en l'année 1740.

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Cette capitulation confirme les anciens privi- lèges résumés en 42 articles, auxquels le mar- quis de Villeneuve a ajouté 43 articles nou- veaux. Cette capitulation a une importance con- sidérable, c'est encore elle qui sert de base aux droits des étrangers en Turquie. Contrairement à la pratique suivie par les anciens sultans, Mahomet 1"" s'engagea non-seulement pour lui- même mais aussi pour ses successeurs. Nous lisons en effet dans l'article 85 : ce je m'engage c( sous notre auguste serment le plus sacré et le c( plus inviolable, soit pour notre sacrée per- ce sonne impériale, soit pour nos augustes suc- c( cesseurs >:>.

Telle est la septième et dernière convention connue sous le nom de capitulation. Mais celle- ci fut suivie d'autres traités, qui ne firent en quelque sorte que confirmer les anciens privilè- ges, en insistant particulièrement sur les rap- ports commerciaux des deux Puissances, ce sont surtout des traités de commerce.

En 1802 fut conclu un traité de paix entre la République française et le sultan Sélirn III. Ce traité qui comprend dix articles statue c(. d'une c( paix et amitié perpétuelles » et confirme les anciens privilèges. Ce caractère de perpétuité lui donne une importance toute spéciale.

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Un autre traité conclu en 1838 réglemente d'une façon plus précise encore le commerce en général et c( confirme aujourd'hui et pour tou- « jours ):> les privilèges déjà existants.

Après la guerre de Crimée, la France profi- tant de sa situation exceptionnelle en Turquie, fit avec cette puissance un nouveau traité qui fut signé en 1861. Les anciens privilèges furent encore une fois confirmés, mais c'est avant tout un traité de commerce.

Il est important de remarquer que ce traité (art. 17) ne devait être valable que pour une période de 28 ans. Entré en vigueur en 1862, il expirait en 1890 (1). On a maintes fois essayé de le renouveler, mais la Turquie, encouragée par la politique toute de complaisance de l'Empe- reur d'Allemagne, voulut prendre pour base le traité de cx)mmerce conclu avec cette dernière puissance (2), lequel traité s'écarte tellement des anciennes traditions que les négociations ne purent aboutir et furent renvoyées sine die.

1. Archives diplomatiques. Recueil international de diplo- matie et d'histoire, par M. L. Renault. Relations commerciales avec la Turquie; discussion à la Chambre des députes fran- çaise, 1, 35:^; II, 98 ; Au Sénat, II, 74, 1890.

2. De la proteclio?i diplomatique et consulaire dans les Echel- les du Levant et de Barbarie, par Francis Rey, p. 497.

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Pour le moment c'est donc le traité de 1861 qui en fait est toujours en vigneur.

Il importe encore de remarquer qu'en dehors des immunités et privilèges accordés directe- ment à la France par les capitulations et les divers traités, les Français ont le droit de se prévaloir de la clause de la nation la plus favo- risée, clause insérée dans toutes les conventions passées avec la Turquie, notamment art. 16 de la capitulation de 1S69 ; art. 18 de la capitula- tion de 1581 ; art. 30 de la capitulation de 1597; art. 51 de la capitulation de 1604; art. 40 delà capitulation de 1673; art. 29 de la capitulation de 1740.

Les articles que nous venons de citer visent exclusivement les Vénitiens, qui à un certain moment avaient été particulièrement favorisés par les Sultans. Dans les conventions qui sui- vent les capitulations cette clause est générali- sée: art. 9 du traité de 1802 ; art. 1 du traité de 1838; art. 1 du traité de 1861.

Tel est dans son ensemble le résumé très succinct de l'historique des capitulations. Nous tâcherons dans le chapitre suivant de faire en quelques pages un tableau de la juridiction con- sulaire, tableau indispensable pour se rendre compte de la situation privilégiée des étrangers

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en Turquie et indispensable également pour bien comprendre notre étude sur les contesta- tions qui peuvent naître à l'occasion de la pro- priété immobilière et des successions compre- nant des immeubles. Nous distinguerons cha- que fois suivant qu'il s'agit de contestations entre Français exclusivement, entre un Français et un étranger et enfin entre un Français et un indigène.

CHAPITRE III

JURIDICTION EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE

Section I. Contestations entre Français.

Il a été expressément stipulé dans toutes les capitulations que les Consuls de France seraient seuls compétents pour toutes les contestations entre Français, soit en matière civile, soit en matière commerciale.

La capitulation de 1535 mentionne formelle- ment dans son article 3 le droit de juridiction des consuls et stipule que dans le cas un procès serait porté devant les juges turcs, le ju- gement rendu par eux serait nul et non avenu : (( et si d'aventure lesdicts caddis jugeoient, que ce leur sentence soit de nul effect ».

Cette clause se trouve reproduite dans toutes les autres capitulations. Il s'agit ici de diffé- rends nés entre étrangers en général, sans dis- tinction aucune de nationalité ; l'art. 52 do la

i5

Capitulation de 1740 distingue pour la première fois suivant qu'il s'agit de f'rançais exclusive- ment ou d'un différend entre un Français et un étranger de nationalité différente. Nous ne par- lerons pour le moment que du cas deman- deur et défendeur sont tous deux de même na- tionalité, c'est-à-dire des Français.

L'ordonnance de la marine de 1681, liv. I, tit. 9 règle les pouvoirs judiciaires des consuls et l'Edit de 1778 est en quelque sorte leur code de procédure. Or, les Français ont non-seule- ment le droit de porter leurs différends devant le tribunal consulaire, mais ils en ont même l'obligation d'après l'article 2 de l'Edit de 1778, sous peine de loOO livres d'amende. Il importe do remarquer que l'Edit ne prononce pas la nullité du jugement rendu par un tribunal étranger, ce jugement est donc valable, mais le Français qui aura contrevenu à l'Edit sera pas- sible de l'amende.

D'après l'article 6 de ce même Edit, le consul, président de droit du tribunal consulaire, doit s'adjoindre deux assesseurs parmi les notables de la colonie, qui ont voixdélibérative au même titre que les juges en France. Dans le cas il ne serait pas possible au consul de se faire as- sister par deux citoyens notables, il a le droit de siéger seul, en ayant toutefois soin de faire

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mention de cette impossibilité dans les senten- ces (art. 7). Le chancelier siège comme greffier. Dans la pratique, le consul préside rarement le tribunal : il se fait généralement remplacer par le consul suppléant ou même le chancelier, et "dans ce dernier cas c'est un commis de chan- cellerie qui remplit l'office de greffier.

Quanta la compétence du tribunal consulaire, l'article i^' de l'Edit s'exprime en ces termes : ce Nos consuls connaîtront en première instance c( des contestations, de quelque nature qu'elles c( soient, qui s'élèveront entre nos sujets négo- ce ciants, navigateurs et autres, dans l'étendue c( de leurs consulats )). Cet article est formel, il parle de contestations de quelque nature qu elles soient. Cependant des auteurs ont sou- tenu, les uns que les consuls ne sont compé- tents que pour les affaires sommaires re(îuérant célérité ; les autres que les questions d'état, de nullités de donations ne sont pas de leur ressort. Il y a encore d'autres systèmes. Quoi qu'il en soit, la jurisprudence n'a jamais fait aucune distinction et reconnaît aux tribunaux consulai- res une compétence absolue tant en matière civile qu'en matière commerciale. Tel est sans aucun doute l'esprit de l'Edit de 1778, comme on peut le voir par l'article 1" de la loi du 8 juillet 1852 : « Les contestations en matière

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a civile et commerciale qui s'élèveraient en « Chine entre Français seront jugées par les tri- ce bunaux consulaires, conformément à celles des « dispositions de l'Edit du mois de juin 1778, c( qui sont encore en vigueur dans les Echelles ce du Levant et de Barbarie >:>.

Ce principe est presque unanimement admis de nos jours et ne fait aucune difficulté. Cepen- dant, à titre d'exemples, nous citerons deux ju- gements du tribunal consulaire de France à Smyrne, l'un en matière civile, l'autre en ma- tière commerciale :

Séparation de corps. Le tribunal pro- nonce la séparation de corps au profit de la de- manderesse et ajoute :

« Qu'aux termes de l'art. 311 du Code civil, les « époux Moïse Cohen, séparés de corps, seront en « même temps séparés de biens et que la dame Moïse « Cohen rentrera en possession et administration de « ses biens » (1).

Liquidation judiciaire. Le débiteur ayant présenté sa requête en admission au béné- hce de la liquidation judiciaire, le tribunal con- clut en ces termes :

1. Consulat de France à Smyrne : Rachel Arditi épouse Moïse Cohen contre Moïse Cohen, '2i juillet 1888.

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« Attendu qu'il paraît, dès lors, mériter la faveur « que la loi du 4 mars 1890 accorde au débiteur mal- « heureux ; considérant d'autre part, que les forma- « lités légales, dont l'observation est exigée pour l'ob- « tention du bénéfice de la liquidation judiciaire, ont « été remplies dans l'espèce ;

« Par ces motifs :

« Faisant application des articles i, 2 et 4 de la loi « précitée, admet la requête d'André Icard, prononce « la liquidation judiciaire de sa maison commerciale « et en fixe provisoirement l'ouverture au 18 avril, « date de la cessation des paiements.

« Nomme M. Ernest Pagy, membre assesseur du « tribunal, juge-commissaire et M. Albinola, liquida- « leur provisoire.

« Dit que les dépens du présent jugement entreront « en frais privilégiés de la liquidation (1). »

Un jugement du 24 février 1891 (2) déclare en faillite la débitrice Anaïs Guirrard ; et un au- tre jugement en date du 16 avril 1891 prononce la clôture de la faillite sus-mentionnée pour in- suffisance d'actif.

A propos de la faillite, dont nous n'avons

1. Consulat de France à Smyrne : liq. jud. André Icard, 29 avril 1890.

2. Consulat de France à Smyrne : Faillite Anaïs Guirrard , 24 fév. 1891.

/'

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d'ailleurs pas à nous occuper, nous ferons observer que toutes les fois que parmi les créan- ciers il se trouve un sujet ottoman dont la créance est contestée, celui-ci aie droit de pour- suivre le syndic devant le tribunal mixte pour décider de l'admission de sa créance (1).

Pour ce qui est de la compétence au point de vue du domicile, on admet généralement qu'il suffit d'une simple résidence, on pourrait même soutenir conformément à un arrêt de la Cour d'Aix de 1862 que deux Français, fussent-ils simplement de passage en Orient, seraient jus- ticiables du tribunal consulaire. Il est vrai qu'il faudra souvent avoir égard à la nature des con- testations, le passage momentané d'un Fran- çais ne pouvant le priver du droit qu'il aurait de se prévaloir de son domicile légal en France. Mais le principe est tel que nous l'avons indi- qué et il est généralement admis. D'ailleurs l'Edit de 1878, qui fixe la compétence des con- suls, ne parle pas de domicile mais de Français se trouvant dans l'étendue de leurs consu- lats

Des auteurs ont soutenu, se conformant stric- tement à la lettre de l'Edit, que tout jugement

1. Cette manière de voir n'est pas acceptée unanimement. Voir nos raisons dons le chapitre consacré à la succession mobilière.

Aliotti 4

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consulaire est susceptible d'appel. La jurispru- dence est en sens contraire, elle reconnaît aux tribunaux consulaires les mêmes pouvoirs qu'aux tribunaux civils et aux tribunaux de commerce en France : l'appel n'est donc pas recevable pour les demandes n'excédant pas 1500 francs. L'appel est porté devant la cour d'Aix, qui a remplacé l'ancien Parlement dont fait mention l'article 37 de l'édit.

Pour les autres voies de recours, il y a lieu de suivre les mêmes règles que pour les juge- ments rendus en France.

Il résulte de l'article 26 in fine de la capitu- lation de 1740 que la loi applicable c'est la loi française. Voilà le principe, mais on y déroge le plus souvent en vertu de la règle locus régit actum.

Le but que nous nous proposons ne nous per- mettant pas de passer en revue les différents actes de la vie civile ou commerciale, nous nous bornerons à examiner l'application de cette règle dans deux hypothèses très différentes, mais in- téressantes toutes deux au premier chef. Il s'agit du taux de l'intérêt et des formes du mariage.

Taux de V intérêt. En Turquie, le taux de l'intérêt d'abord fixé à 12 0/0 est aujourd'hui de 9 0/0 d'après la loi de 1303 (1887).

En France, la loi du 3 septembre 1807 avait

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fixé le taux maximum de l'intérêt conventionnel à 5 0/0 pour les dettes civiles et 6 0/0 pour les dettes commerciales. Mais une loi du 121 jan- vier 1886 a admis, en matière de commerce seu- lement, le principe de la liberté de l'intérêt. L'intérêt légal est toujours de 5 ou 6 0/0, sui- vant que la dette est civile ou commerciale.

Il se présente donc la question de savoir si deux Français contractant en Turquie peuvent se prévaloir de la loi locale. La doctrine et la jurisprudence ne font aucune difficulté quand les parties ont réglé d'avance le taux de l'inté- rêt ; depuis la loi du 12 janvier 1886 la chose va d'ailleurs toute seule en matière commerciale. Mais en dehors de stipulations formelles, il n'en est plus ainsi. Féraud-Giraud refuse dans ce cas aux parties le droit d'exiger l'intérêt légal en Turquie, il s'appuie sur un arrêt de la Cour d'Aix du 12 juin 1862 et s'exprime en ces ter- mes : (T Si la partie devant les tribunaux consu- c< laires se bornait à conclure à ce qu'il pût « être accordé une somme avec intérêts de « droit, cet intérêt devrait être fixé à 6 0/0 j) (1).

A notre avis, à défaut de stipulations formel- les, la loi locale devrait seule être applicable.

1. Féraud-Giraud. De la juridiction consulaire dans les Echelles du Levant et de Barbarie. II, p. 236.

O'I

En effet, les parties peuvent ignorer les disposi- tions de la loi française, elles sont peut-être nées dans le pays et ne connaissent que les usa- ges locaux. D'autre part, du moment qu'on leur accorde le droit de déroger aux prescriptions de la loi de 1807 par une convention expresse, pourquoi ne pas admettre une convention tacite qui logiquement doit être présumée conforme aux usages quand les contractants ont négligé de s'expliquer sur ce point (1). Nous croyons trou- ver un puissant argument en notre faveur dans un jugement du tribunal consulaire de France à Constantinople du 15 mars 1893 (2). Il s'agit d'un procès intenté par un sujet italien contre un sujet français. Dans l'espèce, les intérêts avaient été stipulés à 12 p. 0/0. Or, ces intérêts se trouvaient être exagérés et d'après la loi otto- mane qui, en 1887, a fixé le taux à 9 p. 0/0 et d'après la loi française qui, en matière civile, les fixe à 5 p. 0/0. De son côté, le demandeur insiste pour la validité de l'opération en faisant

1. Voir MM.EsLoublon et Lefébure.Gode de l'Algérie annoté, la loi (lu 27 août 1881 ainsi que le rapport fait au nom du Sénat par M. Casimir Fournier, d'où nous extrayons le pas- sage suivant : « Il paraît donc juste et naturel de faire subir « à l'intérêt légal une diminution qui le mette en rapport « avec le taux actuellement pratiqué pour l'intérêt conven- « tionnel », p. 561.

2. Glunet. Journal du Droil i/ileDiational privé, 1893, p. 015.

observer que d'après la loi italienne le taux de l'intérêt est libre, même en matière civile.

Tels sont les faits. Dans l'espèce le tribunal aurait pu déclarer qu'il n'avait pas à se reporter à la loi du demandeur, que le défendeur sujet français n'avait pu s'engager contrairement aux prescriptions de sa loi nationale, mais que cette dernière permettant de se référer aux usages il y aurait lieu d'appliquer la loi locale. Au lieu de cela le tribunal, dans un passage que nous déta- chons du dit jugement, se prononce comme suit :

« Attendu qu'en présence de ces deux théories oppo- « sées, il n'y a lieu d'établir sous l'empire de quelle « loi les billets dont il s'agit ont été créés ; Ait. sur ce «point, que le taux de l'intérêt est chose essenlielle- « ment variable, qui diffère, avec les conditions éco- « nomiques, d'un pays à un autre et, parfois même, « d'une colonie à la métropole ; Qu'il est de doctrine et « de jurisprudence d'appliquer, en pareille matière la « maxime de droit lociis régit actiim ; Que c'est donc « à la loi locale, c'est-à-dire, en l'espèce, à la loi otto- « mane que les parties auraient se conformer, etc. « Dit que ces intérêts seront comptés à raison de « 9 0/0 l'an ».

Nous faisons remarquer que le tribunal passe sous silence qu'il s'agissait dans l'espèce d'une

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créance civile, c'est que sans doute cette ques- tion ne le préoccupe pas et que sa solution aurait été la même s'il s'agissait d'une créance commerciale. Le tribunal se borne à déclarer que le taux de l'intérêt est chose essentielleme.it variable et différant, avec les conditions écono- miques, d'un pays à un autre ; qu'il faut par conséquent appliquer la loi locale. On pourrait déduire de la raison économique alléguée par le tribunal que les parties n'auraient pas pu stipu- ler un intérêt supérieur au taux légal en Tur- quie, même autorisées par les dispositions de leur loi nationale. Ainsi par exemple en matière commerciale, deux Français n'auraient pas pu stipuler un intérêt supérieur à9 0/0. Mais alors, si même dans une convention expresse il faut avoir en vue les conditions économiques d'un pays et s'il n'est pas permis de stipuler un inté- rêt supérieur à celui fixé par la loi locale, nous ne voyons plus pour quelle raison il ne faudrait pas également déclarer qu'en cas de silence des parties c'est encore la loi locale qui l'empor- terait.

Les raisons économiques sont identiques dans un cas comme dans l'autre. Que l'on suppose, en effet, un individu débiteur d'un autre et que pour une raison quelconque le taux de l'intérêt n'ait pas été convenu. Il ne s'agit pas, bien en-

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tendu, d'un prêt à titre gratuit. Le créancier demande le remboursement du capital et des intérêts au taux de la loi locale. Le débiteur refuse et ne veut payer que 6 0/0. Si le tribunal donne raison au débiteur, il arrivera que ce dernier, ayant placé à 9 0/0 l'argent détenu peut-être indûment, profitera de la différence entre le taux légal en France et le taux légal en Turquie. L'équité est certainement contraire à cette solution.

Cependant, il ne serait pas juste de dire avec le jugement cité plus haut^ que deux Français contractant en Turquie ne pourraient pas sti- puler en matière commerciale un intérêt supé- rieur à 9 0/0. Il n'appartient pas en effet à un tribunal de modifier ou d'écarter une loi sous prétexte de satisfaire à des besoins économi- ques, mais, à notre avis, il faudrait sans hési- tation aucune, avoir recours à la loi locale tou- tes les fois que les parties ont gardé le silence sur le taux de l'intérêt. L'équité le veut et les considérations économiques l'exigent.

La question ne se présente, il est vrai, que rarement dans la pratique, mais il suffit qu'elle puisse se présenter pour justifier les détails dans lesquels nous avons cru devoir entrer.

Mariage. Suivant quelles formes le ma- riage doit-il être valable? Faut-il avoir recours

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au Consul? La règle ce Locus régit actum >:> est-elle applicable? Nous examinerons cette question d'abord pour les Français et nous don- nerons en terminant un aperçu des législations étrangères.

Aux termes de l'article 170 du Code civil :

« Le mariage contracté en pays étranger entre « Français, et entre Français et étrangers, sera vala- « ble, s'il a été célébré dans les formes usitées dans le « pays, pourvu qu'il ait été précédé des publications « prescrites par Tarticle 63, au titre des actes de l'état <i civil, et que le Français n'ait point contrevenu aux « dispositions contenues au chapitre précédent ».

Cet article consacre l'application de la règle c( Locus régit actum » et ses termes sont mê- me si catégoriques qu'il semble en résulter que le mariage de deux Français en pays étranger ne peut être célébré que « dans les formes usi- tées dans le pays >:>.

Tel n'est cependant pas le sens de l'art. 170 qui n'a pas pour objet d'exclure la compétence des Consuls, mais d'autoriser l'application de la règle c( Locus régit actum ». Pour avoir la portée exacte de ce texte il faut le rapprocher des art. 47 et 48 du code civil. Or, de ces ar- ticles combinés une distinction s'impose :

S'agit-il du mariage de deux Français, le

Consul est compétent, mais le mariage peut aus- si être célébré selon les usages des lieux ; s'a- git-il au contraire du mariage d'un Français avec une étrangère, la règle a Locus régit ac- tum )) est obligatoire.

C'est dans ce sens que jurisprudence et doc- trine se prononcent à l'unanimité, sauf quel- ques rares auteurs qui ont d'ailleurs chacun une opinion différente. L'un d'eux, Favard de Langlade, ne reconnaît aucune compétence au consul pour célébrer un mariage, fût-ce entre deux Français. En interprétant l'art. 170 il s'exprime de la façon suivante :

« Nous sommes portés à croire que tous mariages « contractés, à l'étranger, soit entre Français et étran- « gers, soit entre Français seulement, sont nuls, s'ils « ne sont célébrés suivant les formes usitées dans le « pays ils ont lieu » (1).

Vazeille, au contraire, exagérant la fiction d'exterritorialité soutient que le consul est tou- jours compétent, quelle que soit la nationalité des futurs époux. Voici d'ailleurs ce qu'il écrit lui-même :

« Que les agents de la France n'aient pas le pouvoir « de commander aux étrangers hors du royaume, il

1. Répertoire : t. 3 sect. 3, parag. 2, il, p. 472

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« n'en résulte pas qu'un officier de l'état civil français « soit incapable d'engager dans le mariage, pour la « France, l'étranger qui vient volontairement deman- « der à s'unir au Français ».

Et plus bas il ajoute :

« Le lieu différent de la célébration, au dedans ou au « dehors du royaume, ne met donc pas de différence « essentielle entre les mariages; et si l'un est valable « en France l'autre ne doit pas y être nul » (1).

Féraud-Giraud (2) également se prononce à peu près dans le même sens.

A part donc quelques rares auteurs, la ques- tion ne fait aucune difficulté et ne se pose même plus en réalité depuis le célèbre arrêt Somma- ripa. La seule difficulté sérieuse, à notre avis, c'est de bien préciser le sens de la règle ce Locus régit actum » et sous prétexte de respecter les usages établis de ne pas en établir de nouveaux. C'est certainement le point le plus délicat et il n'est pas toujours lacile aux tribunaux, surtout à ceux de la métropole, de se rendre un compte exact et précis de la pratique étrangère.

Nous avons parlé plus haut de la célèbre

1. Traité du mariaye : I n. 186.

2. De la juridiction consulaire dans les Echelles du Levant et de Barbarie : II p. 130.

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affaire Sommaripa. II s'agit d'un Français qui voulant épouser une femme de religion grecque mais de nationalité turque a fait célébrer le mariage par le vice-consul de France à Gonstantinople. La Cour de Rouen, dans une fausse interprétation du Code civil français et dans une méconnaissance absolue des usages pratiqués en Turquie, déclare, par son arrêt du 24 février 1818, la femme Sommaripa non recevable dans sa demande en nullité du mariage :

« L'usage s'étaiit introduit, accrédité et généralement « répandu, de les former (les mariages), soit entre « Français, soit entre Français et étrangers, devant « les agents diplomatiques et consuls de la résidence « des parties et que cet usage avait été ratifié par les « articles 47, 48 et 170 du Code civil ».

Cet arrêt fut cassé par la cour de cassation le 10 août 1819. La cour de cassation, dans des termes formels, blâme la cour de Rouen d'avoir d'abord mal interprété les articles ci-dessus cités du Code civil, d'avoir en second lieu tout- à-fait méconnu les usages pratiqués en Turquie et dit enfin que dans l'espèce le consul n'avait aucune compétence :

« Attendu que l'article 48 est en harmonie avec les « ordonnances constitutives des consulats, notamment

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« avec celle du 24 mai 1728 art. 31, avec les traités de « 1604 et 1740 conclus avec la Turquie ;et attendu que, « dans l'espèce, la dame Sommaripa, sujette de l'empire « ottoman, dont elle n'avait jamais quitté le territoire, « n'était soumise qu'aux lois de son pays. »

La Cour de Cassation a eu sans doute raison de casser l'arrêt de la Cour de Rouen, mais elle a eu tort, il nous semble, de parler ici du régi- me introduit par les capitulations, celles-ci n'ayant jamais eu pour but de régler le mariage, acte laissé tacitement à l'appréciation des puis- sances étrangères. Nous en trouvons une preu- ve décisive dans ce fait que la Porte, quand il s'est agi de régler les conditions de célébration du mariage des individus se trouvant sur son territoire, s'est occupée exclusivement des su- jets ottomans de religion autre que musul- mane. C'est ainsi qu'une loi de 1881, vint comfirmer le droit consacré par d'anciens usa- ges, droit qu'avaient les communautés otto- manes de connaître de la célébration des ma- riages, de leur nullité, etc. Cette loi introduit une innovation en ce sens seulement qu'elle pres- crit aux dites communautés de déclarer tout mariage célébré par elles au directeur de l'état civil ottoman, dans un délai de huit jours.

Pour éclairer tout cela d'un exemple, nous

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dirons que lorsque deux chrétiens de nationali- té.ottomane mais de religion grecque se marient par-devant un prêtre grec, ce dernier doit dans les huit jours en faire la déclaration au directeur de l'étatcivil, Le gouvernement turc ayant gardé le silence sur le mariage des étrangers, nous en concluons qu'il n'avait pas à s'en occuper. C'est donc à tort également que la Cour de cassation fit intervenir les traités conclus avec la Porte. Depuis l'arrêt Sommaripa de nombreuses dé- cisions son venues confirmer le principe posé par la cour de la cassation, en distinguant cha- que fois la nationalité des parties. Unarrêtdela Cour d'Aix du 20 mars 1862 s'exprime en ces termes :

« Attendu que les mariages contractés en pays étran- « ger, tant entre français qu'entre français et étran- « gers sont valables s'ils ont été célébrés dans les « formes du pays (art. 170 G. N.) ; que d'après la loi « et les usages de Constantinople, le curé est compé- « tent pour procéder à leur mariage, suivant les règles « ecclésiastiques ; que l'art. 48 Code Napoléon n'est « nullement limitatif ni impératif, et qu'il offre seule- « ment un choix à nos nationaux, etc. ».

Une circulaire du ministre des affaires étran- gères du 4 novembre 1833 dit que :

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« Si l'un des époux est élranyer, le consul cessant « d'être compétent, le mariage devra être célébré « dans les conditions prévues par l'article 170 du « Code civil ».

Une lettre du ministre de la justice au minis- tre des affaires étrangères du 16 septembre 1878 dit également que les consuls sont incompétents si l'un des futurs est de nationalité étrangère.

Il est donc aujourd'hui constant que le con- sul de France ne peut célébrer un mariage que si les futurs sont tous deux des Français; si l'un des deux est étranger, le mariage devra être con- tracté conformément à la règle « Locus régit actum )). Mais quels sont ces usages? Toutes les décisions qui ont eu à se prononcer sur la question parlent de « formes usitées dans le pays )) sans préciser davantage, ou tout au plus mentionnent le curé d'un des époux comme com- pétent. C'est exact, mais nous verrons qu'il y a lieu d'ajouter à ces indications trop restreintes.

Voilà pour la France ; il est cependant ques- tion d'un projet de loi qui permettrait au con- sul, sous certaines conditions, de marier un Français avec une étrangère. Quant aux autres législations, elles consacrent également toutes l'application de la règle « Locus régit actum):) et la plupart reconnaissent au consul le pouvoir

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(le célébrer un mariage entre deux nationaux. Quelques-unes vont même plus loin et autori- sent le consul de procéder aux mariages entre nationaux et étrangères. Passons certaines légis- lations en revue :

Italie, D'après la loi consulaire du HSjuin 1866 (art. 29), les consuls peuvent célébrer un mariage entre un Italien et une femme étran- gère, toutes les fois que les lois, les usages ou coutumes locales ne s'y opposent pas.

Belgique. Depuis la loi du 20 mai 1882, art. unique, les consuls belges peuvent, après autorisation, célébrer le mariage entre un Belge et une étrangère. Les consuls en Turquie ont cette autorisation.

Hollande. La question est controversée. On s'appuie sur l'art. 12 de la loi du 25 juillet 1871 réglant la compétence des agents consu- laires en matière d'actes de l'état civil pour leur reconnaître le droit de procéder aux mariages entre nationaux et étrangers.

Allemagne. Par les lois du 4 mai 1870 et 6 février 1875, on reconnaît généralement le droit aux consuls de célébrer le mariage d'un Allemand avec une étrangère et aussi d'une Alle- mande avec un étranger, ce qui dépasse la com- pétence des consuls des autres Puissances.

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Angleterre. Les consuls anglais peuvent aussi célébrer le mariage entre anglais et étran- gères (loi du 28 juillet 1849).

Autriche. En principe, le mariage reli- gieux est seul reconnu. Cependant, une loi du 25 mai 1868 a apporté quelques dérogations à cette règle autrefois générale : son article 2 est ainsi conçu :

« Dans les cas l'un des pasteurs chargés par le « Code civil de la publication des bans refuserait d'y « procéder, comme dans celui l'un des pasteurs « appelés à recevoir la déclaration solennelle du con- « sentement refuserait de recevoir cette déclaration de « la part des fiancés qui se seraient présentés devant « lui dans ce but, sous le prétexte d'un cas d'empêche- « ment non reconnu par la loi de l'Etat, il est permis « aux fiancés de s'adresser à l'autorité civile pour « faire publier leurs bans et de procéder devant cette « même autorité à la célébration de leur union par la « déclaration solennelle de leur volonté commune (1) ».

Au sujet de cette loi, M. Glasson nous dit : (( Le mariage civil est entré dans la législation c( autrichienne, mais comme un véritable pis- ce aller )> (2).

1. Annuaire de législation étrangère ; 1871, p. 281.

2. Le 7nariage civil et le divorce, p. 400.

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Il convient peut-être de remarquer que cette loi ne concerne que les mariages célébrés en Autriche. Que nous sachions, les consuls en Turquie n'ont reçu aucune autorisation à cet égard.

La Russie et la Grèce ne reconnaissent que le mariage religieux.

Une question qui se pose est celle de savoir si le mariage célébré par un consul entre un national et une étrangère, ou même entre deux nationaux, est valable partout. Pour nous, la question ne fait pas de doute. En effet, pour dé- cider de la validité d'un mariage, il suffit de con- sulter la loi des conjoints et celle du pays le mariage a été contracté. Prenons un exemple et supj)osons une Française qui épouse un Ita- lien en Turquie par-devant le consul d'Italie.

La loi italienne attribue compétence au con- sul ; la loi française se réfère aux usages et la loi Ottomane ne dit rien. Du moment que la loi territoriale ne s'oppose pas à la validité d'un tel mariage et que la loi française reconnaît tout mariage contracté d'après les usages du pays, ce mariage est certainement valable en France puisqu'il est d'usage en Turquie que les Italiens se marient par-devant leur consul. C'est une simple application de la règle ce locus régit ac- tum )) et ce mariage doit conséquemment être

Aliotti 5

m

reconnu valable dans tous les pays cet acte a été sécularisé.

Cependant le tribunal civil d'Epinal, par un jugement du 14 août 1889, a méconnu ces prin- cipes tout à fait élémentaires. Il s'agit précisé- ment d'une Française et d'un Italien ayant con- tracté mariage par-devant le consul d'Italie à Port-Saïd. Ce jugement dit que :

« Si l'un des futurs époux est étranger, les auto- « rites du pays le mariage doit avoir lieu ont « à l'exclusion des agents diplomatiques et consu- « laires français, seuls qualité pour procéder à la « célébration du mariage ; que le mariage des par- « ties en cause qui appartiennent à des nationalités « différentes ne pouvait donc, au regard de la « loi française, être contracté que devant les auto- « rites égyptiennes et conformément à la loi égyp- « tienne ; que, dans l'espèce, le consul qui a célébré « le mariage était incompétent, qu'il était sans qualité « pour procéder à cet acte ; que, non-seulement la loi « française ne lui a pas donné et n'a pas pu lui don- « ner aucun pouvoir à cet effet, mais que la loi de son « pays, la loi italienne elle-même ne l'autorisait pas « non plus à procéder à la célébration du mariage en « (jucbtion ainsi que le prouvent les articles 100 et 368 « du code civil italien ». (1)

1. Clunet: Journal du droit inlernational privé, p. 836, 1889.

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Ce jugement renferme d'abord une erreur ma- nifeste en proclamant l'incompétence du Conseil d'Italie. Le tribunal ignorait sans doute qu'une loi consulaire du 28 juin 1866 est venue déroger aux articles cités du code civil italien, sans quoi il laisse entendre que sa décision aurait été peut-être différente. En second lieu, doncle tribunal a-t-il trouvé cette prétendue règle que si l'un des futurs époux est étranger, les auto- rités du pays, sont seules compétentes ? L'art. 170 du Code civil ne parle pas cV autorités lo- cales, mais des formes usitées clans le pays et la différence est grande. Sans doute, si ce mariage avait été contracté en France à l'ambas- sade d'Italie, il aurai! été nul en France et pro- bablement partout ailleurs qu'en Italie, mais il faut se mettre en garde contre cette tendance à assimiler la Turquie aux Etats chrétiens, et c'est ce qu'a fait le tribunal d'Epinal. Il serait d'au- tant plus dangereux de suivre son exemple que la plupart des mariages entre individus de nationalité différente sont contractés par-devant le consul du national, toutes les fois que la loi de ce dernier ne s'y oppose pas. C'est une pratique constante en Turq uie et les étrangers habitant ce pays seraient bien surpris si on leur disait que leur union légitime n'est peut-être qu'un concubinage.

APPENDICE

CHANGEMENT DE NATIONALITÉ PAR MARIAGE

Cette question présente une grande utilité au point de vue du régime successoral en Turquie.

Nous examinerons d'abord si la femme otto- mane qui épouse un étranger perd sa nationalité; et en second lieu, si la femme étrangère qui se marie avec un sujet ottoman devient elle-même ottomane.

La femme ottomane qui épouse un étranger perd-elle sa nationalité ? Avant la loi du 19 jan- vier 1869 sur la nationalité, la femme ottomane qui épousait un étranger conservait sa natio- nalité d'origine. Ce principe était certain et ne donnait lieu à aucune discussion. Depuis la nouvelle loi, la question est au contraire très controversée, la loi de 1869 ne contenant aucune disposition précise à ce sujet. Elle ne renferme qu'un seul texte se référant à la femme mariée et ce texte, sans dire si la femme suit ou non la

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condition de son mari, prévoit une hypothèse la femme mariée aurait perdu la nationalité ottomane pour lui permettre de la recouvrer après son veuvage. Nous faisons allusion à l'ar- ticle 7 ainsi conçu :

« La femme ottomane qui a épousé un étranger peut « si elle devient veuve, recouvrer sa qualité de sujette « ottomane, en en faisant la déclaration dans les trois « années qui suivront le décès de son mari, etc. »,

D'après une première opinion qui, disons-le aussitôt, ne tient pas dehout, la femme ne perd sa nationalité d'origine que s'il se trouve dans la loi étrangère une disposition conférant à la femme la nationalité de son mari. Pour réfuter cette interprétation, qu'il nous suffise de dire qu'il a fallu en France le texte précis de la loi de 1889 venant modifier l'art. 19 du Code civil pour décider que la femme reste française dans le cas c( son mariage ne lui confère pas la nationalité de son mari )).

Cette théorie étrange s'appuie sur les mots c( peut recouvrer, etc. », de l'art. 7. Il ne faut pas un grand effort de raisonnement pour voir que le mot ce peut )y accorde simplement la faculté à la femme de recouvrer sa nationalité d'origine. Avant la loi de 1889, l'art. 19 du C. civil, ancien

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texte, renfermait une disposition analogue et cependant la femme perdait sa nationalité quel- les que fussent les. prescriptions des lois étran- gères. Il est donc inutile d'insister davantage, l'art. 7 delà loi de 1869 signifie que la femme devenue veuve a la faculté, sous certaines condi- tions, de reprendre la nationalité ottomane.

Une autre théorie, bien plus solide et difficile à réfuter, rapproche l'art.? de l'art. S de la même loi qui refuse tout effet à la naturalisation étrangère obtenue par un sujet ottoman sans une autori- sation préalable de son gouvernement. On répond à ce système que l'art. 5 n'a pas pour objet de régler la condition de la femme, mais d'empê- cher que les sujets de la Porte n'émigrent pour obtenir la naturalisation étrangère et jouir ainsi des immunités accordées aux étrangers en gé- néral parles Capitulations. C'est ainsi qu'en 1863 déjà, un règlement vint limiter le nombre des sujets ottomans qui autrefois pouvaient prendre service dans un consulat et obtenir la protection consulaire. Malgré ce règlement, les abus ne cessèrent pas et un grand nombre de sujets otto- mans trouvaient encore le moyen de se faire na- turaliser étrangers, soit en continuant à vivre dans leur pays, soit en le quittant juste le temps nécessaire pour obtenir la naturalisation recherchée. Ce sont ces abus qui amenèrent la

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rédaction de l'art. 5, c'est dans ce sens d'ailleurs que s'exprime le grand vizir Ali Pacha dans la circulaire adressée à ses représentants à l'étran- ger.

« En vue et dans le but unique d'empêcher le sujet « ottoman ayant son domicile dans l'empire de se sous- « traire à son autorité légitime, la loi exige l'autorisa- « tion préalable du souverain pour le changement de « nationalité. Le gouvernement impérial a le devoir de « poser et de maintenir cette condition qui paraît, il « est vrai, restreindre les droits découlant de la li- « berté individuelle, mais tant que les étrangers con- « tinuent à ne pas être soumis au droit commun en « Turquie, il n'y a malheureusement pas d'autre alter- « native ».

A ces raisons qui ébranlent sérieusement le système de l'autorisation, ne pourrait-on pas ajouter un autre argument tiré précisément du rapprochement des articles 5 et 7 ? L'article 5 visant le sujet ottoman qui a acquis une natio- nalité étrangère avec autorisation du Gouverne- ment impérial ne dit pas si le dit sujet a la facul- té de recouvrer sa nationalité d'origine. On est donc en droit de déduire de ce silence que lors- qu'un sujet ottoman a volontairement perdu sa nationalité il ne lui est plus permis de la re-

prendre. Quant à l'article 7, il est muet sur la question d'autorisation, mais par contre, il per- met à la femme de recouvrer sa qualité de sujette ottomane. Le législateur aurait dit à tous ses sujets indistinctement, à l'exception des femmes mariées : « Si vous voulez changer de nationa- (n lité, peut-être le gouvernement vous donnera- « t-il son autorisation, mais sachez que pour ce vous punir de votre peu d'amour pour la ((patrie, moi législateur, je ne veux pas que (( vous puissiez recouvrer la nationalité otto- (( mane, que volontairement vous avez perdue». Puis s'adressant aux femmes mariées il leur aurait dit : (( Quant à vous, si vous avez perdu (( la nationalité ottomane c'est contre votre gré (( et parce que vous étiez tenues de suivre la (( condition de votre mari. Vous n'avez pas à (( exprimer votre volonté à cet égard et moi- (( même je n'ai pas d'autorisation à vous don- (( ner, aussi je vous permets de redevenir (( sujettes ottomanes lorsque les liens du ma- (( riage seront rompus ):>.

Une troisième théorie soutient que l'art. 7 prouve implicitement que la femme ottomane qui épouse un étranger suit la condition de son mari. Sans doute, l'art. 7 ne formule pas expres- sément ce principe, mais il le fait entendre en disant que la femme ottomane peut recouvrer sa

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nationalité d'origine. Pour qu'elle puisse la recouvrer c'est qu'elle l'avait perdue, et comme le texte n'exige pas d'autorisation il n'appartient pas aux interprètes de la loi d'être plus sévères que la loi elle-même. Nous avons d'ailleurs la circulaire adressée le 26 mars 1869 par le Grand Vizir aux gouverneurs généraux des vilayets de l'Empire :

« Comme la femme ottomane qui épouse un étranger « cesse d'être sujette ottomane, l'art. 7 lui accorde la « faculté de recouvrer, si elle devient veuve, sa natio- « nalité originaire, en le déclarant à l'autorité ottomane « dans les trois ans qui suivront la mort de son mari ».

En 1872, le général Ignatieff ayant demandé à la Porte le sens de l'art. 7 de la loi de 1869, Server Pacha, minisire des affaires étrangères, lui adressa la note suivante :

« Pour ce qui concerne les sujettes ottomanes qui « épousent des sujets russes, la loi sur la nationalité « ottomane dispose qu'elles suivent la condition et la « nationalité du mari, de même que les femmes sujettes « russes qui épousent des sujets ottomans suivent la « condition de leur mari ».

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La même réponse fut faite à l'Italie qui avait fait une demande analogue.

Il semble donc, bien que la loi de 1869 ne s'exprime pas en termes catégoriques, que la femme ottomane qui épouse un étranger est considérée par la loi locale comme également étrangère.

Il nous reste maintenant à examiner l'hypo- thèse inverse, celle une femme étrangère épouse un sujet ottoman. Ce point est encore plus délicat que le précédent, l'article 7 visant uniquement la femme ottomane qui épouse un étranger. A notre avis, il y aune raison a for- tiori pour décider que la femme étrangère de- vient ottomane. Du moment que la Turquie con- sent à ce que ses sujettes changent de nationa- lité par mariage, nous ne voyons pas en effet pour quelle raison elle refuserait ce même droit aux étrangères épousant des Ottomans.

D'ailleurs les autorités turques, consultées plus d'une fois à ce sujet, ont toujours répondu in- variablement que la femme étrangère qui avait contracté mariage avec un Ottoman devenait ot- tomane comme lui.

La jurisprudence française n'est pas de cet avis, toutes les fois qu'elle a eu à se prononcer sur cette question elle a décidé que la femme

étrangère mariée à un Ottoman restait étrangère. Il en est résulté souvent que la femme étran- gère, qui d'après sa loi nationale avait perdu sa nationalité d'origine par suite du mariage et qui d'après la jurisprudence française n'avait pas acquis la nationalité ottomane, se trouvait être sans nationalité aucune. C'est ce qu'a jugé notamment le tribunal civil de la Seine en date du 20 févr. 1893 ; il s'agit d'une Anglaise ayant épousé un tujet turc domicilié à Paris(l). Une espèce très intéressante qui a suivi tou- tes les échelles de la juridiction française est celle d'Ibrahim Freige, sujet ottoman, cjntresa femme de nationalité française. Le tribunal civil de Marseille a rendu le 16 juillet 1891 unjuge- ment décidant que la dame Freige avait conser- vé sa nationalité d'origine. Ce jugement fut confirmé [)ar la Cour d'Appel d'Aix à la date du 14 décembre 1891. L'arrêt de la cour d'Aix fut cassé pour défaut de motifs par la cour de cas- sation en date du 2 août 1893 et l'affaire ren- voyée à la Cour d'Appel de Montpellier qui ren- dit son arrêt le 28 janvier 1895. Nous en extrayons les passages suivants :

« 11 ne suffit poiat, pour que la femme française « acquière la nationalité de son mari, que la loi du

1. Glunet: Jina-nal dic droit inlevnational p>n'ue,189o, p. 1167.

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« pays de ce dernier ne la lui refuse pas; qu'aux ter- « mes de l'article 19 du Code civil, elle doit la lui con- « férer, et qu'elle ne peut la lui conférer que par une « disposition formelle, ainsi qu'a fait elle-même la loi « française dans l'article 12 du Code civil, lorsqu'elle « confère la nationalité à la femme étrangère qui épouse « un Français; attendu qu'on ne saurait voir cette dis- « position implicitement contenue dans l'article 7 de la « loi ottomane du 19 janvier 1869, lequel s'occupe de « la femme ottomane épousant un étranger, et non « point de la femme étrangère épousant un Ottoman ; « que malgré l'autorité qui s'attache à des circulaires « ministérielles, à des notes diplomatiques et à des « avis ou décisions du Conseil d'Etat ottoman, ces di- « vers documents ne contiennent que l'expression d'une « opinion qui n'oblige point la leur, et que, pour les « motifs ci-dessus, elle ne peut partager ».

Les raisons invoquées par la cour de Mont- pellier sont loin de nous paraître décisives, ce- pendant la jurisprudence semble trop bien as- sise pour espérer la voir revenir de sitôt. En attendant les autorités turques continuent à considérer comme ottomane une femme mariée à un Ottoman, d'où des complications sans fin. Tout récemment encore, le 4 mars 1895, un document émané du consulat général de Tur- quie à Paris, s'exprime en ces termes :

« Je soussigné, Consul général de Turquie à Paris, déclare et certifie que, d'après les lois de l'Empire « ottoman, la femme étrangère qui épouse un sujet « ottoman devient, par ce fait, sujette ottomane ».

Nous avouons que nous ne comprenons pas la persistance des tribunaux françaif^ à donner à la loi de 18()9 une interprétation contraire à celle donnée invariablement par toutes les autorités turques. La nationalité joue en Tur- quie un rôle considérable dans les succes- sions, de graves intérêts peuvent ainsi être lésés et nous émettons des vœux pour qu'une entente internationale vienne nous éclairer d'une manière précise sur une question de si haute importance.

Section II. Contestations entre Finançais et étrangers.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, la capitulation de 1740 est la première qui s'occupe des con- testations entre étrangers de nationalité diffé- rente. Son article 52 est conçu en ces termes :

« S'il arrive que les consuls et les négociants fran- « çais aient quelques contestations avec les consuls et les « négociants d'une autre nation chrétienne, il leur sera

78 « permis, du consentement et à la réquisition des par- « lies, se pourvoir par -devant tous ambassadeurs qui « résident à ma Sublime Porte ; et tant que le deman- « deur et le défeidiiur ne consentiront pas porter « ces sortes de procès par-devant les pachas, cadis, « officiers de douaniers, ceux-ci ne pourront pas les y « forcer, ni en prendre connaissance ».

Celte disposition ne dit pas quel est dans ce cas le tribunal compétent, d'où des difficultés qu'on a essayé d'aplanir par la constitution de commissions mixtes composées de trois juges, dont deux de la nationalité du défendeur et un de la nationalité du demandeur. Ces commissions fonctionnaient depuis plusieurs années, lorsqu'un arrêt de la Cour d'Aix du 28 novembre 1864 jugea que leur juridiction n'était pas obligatoire pour les Français. Cet arrêt leur porta le coup de grâce . Aujourd'tiui toutes les con- testations entre étrangers de nationalité diffé- rente sont portées devant le tribunal consulaire du défendeur, qui naturellement ne saurait dé- cliner la compétence de son propre tribunal. Quant au demandeur, en supposant qu'il obtien- ne une condamnation, il a également l'avantage d'arriver facilement à l'exécution du jugement.

Dans les pays de l'Orient comme en France, le demandeur étranger est tenu de fournir la

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caution judicatum solvi. Un jugement du tri- bunal consulaire de France à Smyrne (1) se pro- nonce en ces termes ;

« Attendu que ce principe ne souffre d'exception « que lorsqu'il s'agit d'affaires commerciales ou bien « lorsque l'étranger a légalement établi son domicile « en France on bien encore lorsque cet étranger est « originaire d'un pays un Français peut, d'après les « traités, plaider, même en demandant, sans fournir « caution, etc. ».

Il en résulte que toutes les fois qu'un étranger serait admis à plaider 3n France sans fournir de caution, cette même faculté lui serait accordée en Turquie. Or, dans la pratique il n'en est pas toujours ainsi. Nous avons vu, par exemple, de nombreux jugements du tribunal consulaire de France à Smyrne exigeant chaque fois la caution de la part du demandeur sujet italien. Cette pra- tique est contraire au traité franco-sarde du 24 mars 1760 (art. 22) qui a été étendu au nouveau royaume d'Italie par la déclaration de Turin du II septembre 1860 et par la jurisprudence cons- tante des tribunaux en France. Le consulat d'Ita- lie à Smyrne, malgré le traitement arbitraire fait à ses sujets, ne demande jamais de caution à un demandeur français.

1. Kenissoglon o. David el Salomen Cohen, 19 mai 1885.

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Si en prijicipc c'est le tribunal du défendeur qui est compétent, cela ne veut pas dire que les parties d'un commun accord ne puissent saisir un autre tribunal, celui du demandeur. Voici une espèce que nous empruntons au tribunal consulaire de France à Smyrne (1) :

« Sur l'exception présentée avant toute discussion « au fond par les défendeurs, tendant à ce que vu « leur nationalité étrangère, le tribunal français se dé- « clare incompétent ; attendu que par le contrat de lo- « cation (art. 9) les parties se sont formellement et « expressément soumises à la juridiction des tribunaux « français ; Vu les articles 111 du code civil et 59 du « code de procédure civile ; Par ces motifs : Déclare « Kyriadis, Mandrakidis et Scaliarino non recevables « dans l'exception d'incompétence qu'ils ont présentée; « Ordonne qu'il sera passé outre et plaidé au fond; « Condamne Kyriadis, Mandrakidis et Scaliarino aux « dépens de l'incident ».

En pratique, sauf convention contraire, c'est donc toujours le tribunal du défendeur qui est compétent. Mais cet état de choses est loin d'of- frir satisfaction à tous les intérêts.

1. Tissot et Mille c, V. Kyriadis A Mandral<i<lis et P. T-ca- liarino, 22juillel 1890.

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En effet, qu'on suppose le défendeur voulant introduire une demande reconventionnelle, il ne le pourra pas le plus souvent, le tribunal saisi n'étant pas compétent par rapport au de- mandeur.

La loi anglaise, dans le but de remédier autant que possible à cet inconvénient, n'admet un étranger à plaider devant les tribunaux consu- laires anglais, que si cet étranger a obtenu l'au- torisation de son consul et si en outre il fournit les sûretés nécessaires pour assurer l'exécution de la sentence (art. 81 order in council 1873).

Cet expédient est certainement d'une grande utilité, mais que le demandeur ne puisse fournir les sûretés exigées par la loi anglaise ou que le consul du demandeur refuse son autorisation, l'étranger créancier n'aura aucune action contre son débiteur sujet anglais. On aboutit ainsi à un véritable déni de justice.

Un étranger contre un Français est également obligé, il est vrai, de fournir une caution, mais celle-ci n'est tenue que des frais ou dommages- intérêts résultant du procès. Il est donc plus facile de trouver une caution aux termes de la loi française, qu'une caution répondant aux exi- gences de laloianglaise et qui est tenuedes con- damnations pouvant résulter d'une demande reconventionnelle.

Aliotti 6

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Cette raison suffit pour nous faire préférer le système français.

On voit parce qui précède qu'une entente in- ternationale pourrait seule écarter les inconvé- nients existant actuellement pour toutes contes- tations entre étrangers de nationalité différente.

Section III. Contestations entre Français et indigènes.

Toutes les capitulations prévoient le cas un étranger aurait une contestation avec un indi- gène pour accepter la compétence du tribunal turc. Pour nous en tenir à la capitulation de 1740, nous avons deux articles, l'art. 26 et l'art. 41, s'occupant de cette question.

L'art. 26 s'exprime en ces termes :

« Si quelqu'un avait un différend avec un marchand « français, et qu'ils se portassent chez le cadi, ce « juge n'écoutera point leur procès, si le drogman « français ne se trouve présent ; et, si cet interprète « est occupé pour lors à quelque affaire pressante, on « différera jusqu'à ce qu'il vienne ; mais aussi les « Français s'empresseront de le représenter, sans abu- « ser du prétexte de l'absence de leur drogman. »

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Cet article établit que toutes les fois qu'un différend naîtra entre un Français et un indigè- ne, les parties s'adresseront au tribunal ottoman présidé par le cadi, mais ce dernier ne pourra s'occuper du litige que si le drogman français est présent aux débats. C'est une garantie of- ferte aux Européens forcés de plaider devant une juridiction qui est loin d'avoir leur confiance. L'art. 26 ne fait aucune distinction suivant l'im- portance des intérêts engagés dans le procès, mais l'art. 41 réserve au Divan Impérial les pro- cès excédant 4000 aspres, somme réduite plus tard à 500 piastres. C'était accorder aux étran- gers une garantie de plus, le Divan Impérial offrant une juridiction censée composée déju- ges autrement versés dans la science du droit. Mais d'autre part, cette disposition présentait l'inconvénient sérieux d'obliger les parties à se rendre à Constantinople. aussi peut-on dire que le privilège accordé par l'art. 41 a été rarement invoqué.

Pour remédier aux inconvénients résultant de cet état de choses, on institua des commissions mixtes présidées par le chef de la Douane assisté d'assesseurs pris parmi les notables ottomans et européens.

En 1848 fut créé un tribunal de com- merce composé de 14 juges, dont 7 de nationa-

84 lité ottomane et 7 de nationalité étrangère.

Une autre réforme fut faite en 1860, et depuis les tribunaux mixtes de commerce sont compo- sés comme suit : un Président ottomann, deux juges ottomans et deux juges pris parmi les no- tables de la colonie à laquelle appartient l'Eu- ropéen partie au procès. De plus, la présence du drogman du consulat est indispensable, il assiste aux débats et aussi à la délibération, aucune sentence ne peut être rendue s'il est absent ou s'il se retire, ce qui peut arriver s'il constate des irrégularités de nature à pouvoir nuire au national qu'il assiste. Le drogman n'a pas voix délibérative et il n'a même pas le droit de don- ner son avis, mais dans la pratique il arrive souvent qu'un drogman exprime sa manière de voir.

Le tribunal mixte de commerce est compétent non seulement en matière commerciale, mais aussi en principe, en matière civile. Cependant, s'il sagit d'une affaire civile dont le chiffre soit inférieur à 1000 piastres, elle doit être jugée par le tribunal civil ottoman composé d'un Prési- dent et de deux juges, dont l'un non musulman, le drogman du consulat présent. En outre, toute contestation ne dépassant pas 1000 piastres, soit en matière civile, soit en matière commer- ciale, doit être portée devant le tribunal civil de

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première instance lorsque les parties se trou- vent établies dans une localité distante de plus de 9 heures de la résidence consulaire (protocole du 9 juin 1868). Dans ce cas le tribunal statue sans la présence du drogman, mais à titre de garantie l'appel est recevable, si minime que soit la contestation, et il est porté devant le tribunal du Sandjak avec l'assis- tance du consul.

Le jugement rendu par le tribunal de com- merce ne devient exécutoire qu'après avoir été signé par les juges et le drogman. Il faut en outre que ce jugement soit présenté au bureau exécutif des jugements qui ordonne l'exécution en s'assurant au besoin le concours du consul.

Les sentences des tribunaux mixtes de com- merce sont susceptibles d'appel pour toute de- mande excédant la somme de 5.000 piastres. Une seule Cour d'appel a été instituée pour toute la Turquie, son siège est à Constantinopîe. Voilà pour les sentences rendues par un tribu- nal de commerce de province. Mais les parties sont privées du droit de faire appel, lorsque l'affaire a été jugée devant le tribunal de com- merce de Constantinopîe, la requête civile seule est recevable et encore ne l'est-elle que dans certains cas déterminés.

Le recours en cassation n'est jamais possible.

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Les tribunaux de commerce jugent d'après le Gode de commerce ottoman et l'appendice au Gode de commerce (1860) et le Gode de procé- dure commerciale (1862). Dans le silence de la législation commerciale, on applique en géné- ral les dispositions du Gode civil ottoman.

Dans certaines hypothèses, le jugement rendu par le tribunal de commerce doit en quelque sorte être confirmé par le tribunal consulaire. Si par exemple on s'adresse au tribunal mixte de commerce pour faire une saisie contre un Français, mais pour des biens se trouvant entre les mains d'un sujet ottoman, il faut ensuite se pourvoir devant le tribunal consulaire de France pour lui demander confirmation de la validité de saisie. Voici une application de cette idée que nous empruntons au tribunal consulaire de France à Smyrne (1).

« Petrini, condamné ea date du 4 août 1891 à payer « à Aldridge une somme de cent |cinquante-trois livres « turques 34 centimes avec intérêt à 9 0/0, n'ayant pas « exécuté le jugement, le sieur Aldridge fit faire par le « tribunal de commerce une saisie sur les appointe- « ments du défendeur employé à la Compagnie du che- « min de fer de Cassaba. Aldridge demande aujour-

1. M. James A. Aldridge c. Louis Petrini. 13 juillet 1892.

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« d'hui que le consulat de France valide cette saisie. « Le Tribunal estimant qu'Aldridge a agi régulièrement « en faisant opérer la saisie par le Tribunal de com- « merce, la Compagnie de Cassaba étant de nationa- « lité ottomane, valide la dite saisie et décide qu'elle « portera sur 3 Lt. par mois (les appointements « étaient de 12). Le tribunal dit que ces 3 Lt. seront « versées chaque mois au bureau exécutif des juge- « ments jusqu'au paiement de la créance et qu'elle « sera productive d'intérêts à raison de 9 0/0 l'an ».

En règle générale, toute contestation entre étrangers et indigènes est donc de la compétence des tribunaux mixtes de commerce. Cependant cette règle souffre exception en matière de faillite ou de liquidation d'une succession, le tribunal consulaire est ici compétent.

Une question intéressante serait de savoir si rottoman demandeur a le droit d'actionner un étranger devant le tribunal consulaire et si ce tribunal peut connaître de l'affaire. D'après Férand-Giraud (1), il arrive très fréquemment qu'un Turc cite un Français devant le tribunal consulaire de France. Dans une très intéressante étude des Capitulations par un ancien diplomate,

1. De la juridiction consulaire dans les Echelles clic Levant et de Barbarie. II. p. 2'31.

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nous trouvons exprimée la même idée. II dit que les indigènes ont souvent préféré avoir recours à la justice française et continue en ces termes :

« Il en est résulté qu^en fait la juridiction consulaire « s'est à peu près généralement substituée à la justice « musulmane et que encore le principe du droit ro- « main Actor seqiiitur forum reî a prévalu dans la « pratique. Aujourd'hui, dans l'usage sinon en droit, « l'Européen, quand il est défendeur, se réclame de son « consul et se rend justiciable de ses tribunaux dans « les divers degrés de juridiction qu'ils comportent (1).

Il est certain que ces auteurs ont fait une con- fusion entre les usages pratiqués en Turquie et ceux suivis en Egypte, souvent en effet, avant la réforme judiciaire, le demandeur sujet otto- man citait l'étranger défendeur devant le tribu- nal consulaire. Mais cette pratique, tout-à-fait contraire aux capitulations, n'a jamais pu s'éta- blir en Turquie, la surveillance du gouverne- ment a de tout temps été plus active.

En fait, un usage de cette nature n'existe donc pas en Turquie, mais en droit l'Ottoman peut-il renoncer à la juridiction de son pays et porter son litige devant le tribunal consulaire

1. Régime des capitulations, p. 240.

du défendeur? Nous ne le croyons pas, il n'ap- partient à personne de renoncer à ses juges naturels, dans son propre pays, pour recourir à des juges étrangers sous prétexte qu'ils lui con- viennent mieux.

D'autre part, les tribunaux consulaires ont- ils le droit de se déclarer compétents lorsqu'une des parties est un sujet ottoman? Nous ne le pensons pas davantage, les puissances étrangères ont en Turquie un droit de juridiction concédé par les traités, elles ne peuvent pas de leur pro- pre autorité étendre ce droit au-delà de ses limites.

Comment d'ailleurs les ambassades pour- raient-elles réclamer ce droit et prétendre que les tribunaux consulaires sont compétents toutes les fois qu'ils ont été volontairement saisis par un Ottoman. Ce serait tout à fait contraire à la théorie qu'elles soutiennent dans une hypothèse voisine et qui consiste à dire qu'un sujet étran- ger ne peut, même volontairement^ se faire juger par un tribunal turc en dehors de la pré- sence du drogman.

Aujourd'hui il est de jurisprudence constante auprès des tribunaux consulaires de toutes les Puissances qu'un sujet ottoman ne serait rece- vable dans sa citation par-devant un consul, que si ce sujet ottoman a été autorisé par l'autorité

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locale. Il est à peine utile d'ajouter qu'une telle autorisation ne saurait être donnée. Récem- ment, en date du 31 octobre 1896, le tribunal consulaire de France à Constantinople s'est ex- primé en ces termes :

« Il est de principe constant que le tribunal consu. « laire n'est juge que des contestations qui peuvent « s'élever entre Français ou entre Français et étran- « gers non Ottomans demandeurs ».

La juridiction des tribunaux mixtes de com- merce est donc obligatoire toutes les fois qu'une des parties relève de l'autorité locale et que, bien entendu, nous ne nous trouvons pas en présence d'un cas réservé, comme la faillite ou la liquidation d'une succession.

CHAPITRE IV

JURIDICTION EN MATIÈRE PÉNALE

L'article 15 de la capitulation de 1740 s'ex- prime en ces termes :

« S'il arrivait quelque meurtre ou quelque autre « désordre entre les Français, leurs ambassadeurs et « leurs consuls en décideront selon leurs us et coutu- « mes, sans qu'aucun de nos officiers puisse les inquié- « ter à cet égard ».

Parmi les privilèges accordés aux Français, celui-ci n'est certes pas le moindre et c'est un avantage inappréciable que celui d'être jugé par un tribunal national. L'article 15 ne prévoit pas les délits commis par des Français contre d'au- tres Européens, mais cette lacune se comprend quand on sait qu'anciennement tous les étran- gers étaient confondus sous le nom de Francs. D'ailleurs on n'a jamais fait de difficulté pour

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décider que la juridiction française était seule compétente pour connaître d'un délit commis par un Français, la victime fût-elle de natio- nalité différente. En sens inverse, si la victime est française et le coupable un étranger, c'est comme en matière civile le tribunal du défen- deur qui est compétent. Mais il n'en est plus de même lorsque la victime est un sujet de l'Empire ottoman. En effet, l'article 65 de la capitulation de 1740 est ainsi conçu :

« Si un Français ou un protégé de France commet- « tait quelque meurtre ou quelque autre crime, et qu'on « voulût que la Justice en prît connaissance (1), les « juges de mou empire et les officiers ne pourront v « procéder qu'en présence de l'ambassadeur et des « consuls ou de leur substituts dans les endroits ils « se trouveront ; et afin qu'ils ne fassent rie;i de con- « traire à la noble justice ni aux capitulations impéria- « les, il sera procédé de part et d'autre, avec atten- « lion, aux perquisitions et recherches nécessaires ».

Il en résulte qu'un Français est justiciable de

1. On a essayé d'expliquer les mots « qu'on voulût que la justice en prît connaissance », en disant que les consuls ont la l'acuité de déférer aux tribunaux ottomans ou de se réser ver la connaissance des crimes commis par un Français contre un indigène. V. F. Pages, Ds lu coniilion des Fran- çais en Orient, p. 151.

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l'autorité locale toutes les fois qu'un délit a été commis contre un indigène. Cette disposition est formelle, néanmoins des Français coupa- bles d'un délit envers un indigène ont souvent été jugés par le tribunal consulaire. Mais en droit il est toujours vrai de dire que cette prati- que ne s'explique que par l'incurie du gouver- nement turc. Il arrive en effet que par suite d'une entente entre la victime ou sa famille et l'auteur du délit, l'autorité locale soit désarmée. L'action publique étant inconnue, en Turquie, le coupable qui a désintéressé sa victime par une transac- tion pécuniaire, ne peut plus être poursuivi et jouit ainsi de l'impunité la plus scandaleuse. C'est dans ces cas spécialement que les consuls demandent à juger leurs nationaux, car il est évident que si le coupable a déjà été condamné par l'autorité turque, il ne peut pas subir une seconde condamnation pour le même crime. En dehors de cette hypothèse, il arrive fréquem- ment que les consuls demandent la faveur de juger leur national, même après que l'autorité locale en a été saisie, et souvent cette faveur leur est accordée. C'est cependant une conces- sion de l'autorité territoriale, la preuve c'est que plus d'une fois elle a refusé de se des- saisir de l'affaire, malgré les protestations des agents diplomatiques.

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Une question intéressante est celle de savoir si la police turque a le droit d'arrêter sur la voie publique un étranger considéré par elle comme coupable d'un crime.

La question est vivement disculée : les am- bassades contestent ce droit à la Porte, celle-ci prétend au contraire que l'arrestation d'un étran- ger sur la voie publique n'est interdite par au- cun traité.

C'est également notre sentiment ; les étran- gers ne sont plus comme autrefois confinés dans un quartier spécial sous la surveillence et la police du consul, il faut donc de toute néces- sité accorder le droit d'arrêter un malfaiteur qui se promène librement à travers les rues d'une cité et de l'empêcher ainsi de commettre peut-être un nouveau crime, à la seule police qui veille ou est censée veiller à la sécurité pu- blique. Plus d'une fois les drogmans de l'am- bassade de France à Constantinople furent con- sultés sur l'interprétation de l'art. 65 de la ca- pitulation de 1740, quiestle siège de toutes les discussions de cette nature, et les notes remises par eux sont empreintes, à notre avis, d'une très grande faiblesse (1).

Mais en dehors de l'art. 65 de la capitulatijQn

1. Voir «le Régime des capitulations » par un ancien diplo^ mate, p. 250.

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de 1740 que les Puissances essayent en vain d'interpréter en leur faveur, nous trouvons à l'appui de notre manière de voir un argument tout à fait décisif et que nous n'avons vu repro- duire par aucun auteur. Nous voulons parler du protocole du 9 juin 1868, sur lequel nous re- viendrons quand nous traiterons de la propriété immobilière. Son art. 7 in fine s'exprime en ces termes :

« En dehors de la demeure, l'action de la police « s'exerce librement et sans réserve ; mais dans le « cas un individu prévenu de crime ou de délit se- « rait arrêté et que ce prévenu serait un sujet étran- « ger, les immunités attachées à sa personne devraient « être observées à son égard »,

Les mots sans réserve et les autres plus explicites encore de prévenu arrêté qui serait un sujet étranger prouvent incontestablement l'exercice libre du droit de police et le droit d'ar- rêter un étranger sur la voie publique. Est-il en effet possible de demander à la police de s'infor- mer d'abord de la nationalité d'un individu et de l'arrêter ensuite ? Nous ne voudrions pas toutefois accorder à la police locale le droit d'ar- rêter un étranger aussi librement qu'un indigène. Une distinction s'impose: ou bien la police con-

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naît la nationalité de l'individu qu'elle veut ar- rêter et alors, en dehors d'un flagrant délit, elle est en devoir d'aviser au préalable le Consul ; ou bien elle ignore sa nationalité et alors elle peut l'arrêter librement. Dans ce dernier cas, l'autorité turque pourra être déclarée responsa- ble s'il est prouvé que l'arrestation a été pure- ment vexatoire et arbitraire.

L'article 70 de la capitulation de 1740 inter- dit formellement l'accès dans le domicile d'un Français, à moins d'une autorisation du consul et avec l'assistance des personnes commises par lui. Le protocole du 9 juin 1868 apporte à cette règle une grande dérogation en permettant aux autorités locales de pénétrer dans la de- meure d'un Français, lorsque cette demeure se trouve :

« Dans les localités éloignées de 9 heures ou de plus « de 9 heures de marche de la résidence de l'agent « consulaire. »

Pour en revenir au cas oii la victime n'est pas un sujet Ottoman, nous avons vu que le Fran- çais coupable d'un délit est justiciable du tri- bunal consulaire. L'édit de juin, qui de même qu'en matière civile avait posé les règles de procédure pour l'instruction et le jugement de

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ces délits, a été abrogé en ce qui touche les affaires criminelles dans le Levant et en Barba- rie. Les articles 39 et suivants jusqu'à l'article 81 inclusivement ont été abrogés et remplacés par la loi de 1836 qui comprend 82 articles. Cette loi établit trois degrés de juridiction :

i" Contraventions. Le consul juge seul les contraventions.

T Délits. Les délits sont jugés par le tri- bunal consulaire présidé par le consul et assisté de deux assesseurs pris parmi les notables de la colonie.

3" Crimes. Le tribunal consulaire n'est pas compétent. Cependant l'instruction de l'af- faire est faite par le Consul, qui après que tou- tes les formalités ont été remplies, la renvoie pour être jugée devant la première Chambre et la Chambre des Appels de Police correctionnelle de la Cour d'Aix. La loi de 1836 n'accorde pas aux Français ayant commis un délit dans les Echelles du Levant le bénéfice de l'institution du jury, d'où une différence entre un individu qui a commis un crime en Turquie et un autre qui a commis le même crime dans un pays de Chrétienté, ce dernier est justiciable de la Cour d'Assises.

Voilà pour les délits commis dans les Echel- les du Levant, ceux commis en France ne sont

Aliotti 7

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pas de la compétence du tribunal consulaire, mais le consul a le droit et le devoir d'arrêter le coupable et le faire conduire en France. Ceci nous amène à parler d'un droit exorbitant con- féré au consul par l'art. 82 de l'Edit de 1778, article qui n'ayant pas été abrogé par la loi de 1836 est toujours en vigueur. Il s'agit du droit qu'a le consul d'expulser un Français qui par sa mauvaise conduite ce pourrait être nuisible au c( bien général )).

Sous l'empire de l'ordonnance de 1681, le consul ne pouvait prendre cette mesure qu'avec l'avis conforme de deux députés de la nation ; depuis l'Edit de juin, le consul peut de lui- même et de sa propre autorité expulser un Fran- çais. Ce dernier a la faculté d'un recours devant le ministre des affaires étrangères, mais il ne peut plus rien contre la décision ministérielle venant confirmer l'ordre d'expulsion. Est-il né- cessaire d'ajouter que cette faculté d'un recours devant le ministre est purement illusoire : devant son chef hiérarchique le consul a toujours rai son contre un simple particulier.

Heureusement ce droit d'expulsioa n'a été exercé que très rarement, cependant il existe et cela suffit pour nous le faire condamner. Cette disposition de l'Edit se comprend facilement pour l'époque oii un Français ne pouvait s'éta^

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blir dans les Echelles du Levant qu'après avoir été agréé par la Chambre de commerce de Mar- seille et avoir fourni un cautionnement variant de 40.000 à 60.000 francs, mais ces entraves n'existent plus depuis l'ordonnance du 18 avril 1835 qui dans son article l"" s'exprime en ces termes :

« Il ne sera plus exigé d'autorisation ni de caution- « nement des Français qui forment des établissements « commerciaux aux Echelles du Levant et de Barbarie « ou qui s'y rendent pour le fait de leur commerce ».

Donc plus d'autorisation pour s'établir et cependant l'article 82 de l'Edit est toujours en vigueur ! Voilà un individu établi depuis plu- sieurs années en Turquie, il y est peut-être né, il a tous ses intérêts dans ce pays, et sous pré- texte qu'il a commis un acte nuisible au renom français le consul va pouvoir l'expulser! Peut- on dire que de nos jours la colonie tout entière soit responsable de la faute d'un de ses mem- bres? Non, cet article 82 devrait être abrogé, il a pu être utile autrefois, mais c'est une dis- position qui a fait son temp^ et ne saurait plus être justifiée. A l'appui de notre manière de voir, nous citerons le passage d'un article de M. Renault qui s'exprime en ces termes :

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« Le droit d'expulsion peut être indispensable à « raison de la situation des étrangers dans des pays « on est porté à faire retomber sur toute une nation « la responsabilité d'actes individuels ; mais il faudrait « le soumettre tout au moins à certains tempéraments « et à certaines garanties » (1).

Presque toutes les législations ont une dispo- sition analogue à celle de l'article 82 de l'Édit, mais la plupart, comme l'Angleterre et l'Italie, ont entouré le droit "d'expulsion de certaines garanties.

Une conséquence du droit d'expulsion, c'est que la France n'a pas et n'a pas besoin de traité d'extradition avec la Turquie (Arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1858).

1. Journal la « Loi » du 8 janvier 1881.

TITRE DEUXIEME Dï: LA PROPRIÉTÉ IMMOBILIÈRE

CHAPITRE I

REGIME DE LA PROPRIETE IMMOBILIÈRE

Les immeubles, en Turquie, peuvent être divisés en huit catégories : les Mulk ; les Mi- rié ; les Mevcoufé; les Métrouké ; les Mévat ; les Vaeouf; les Mukata; les Guédik.

Mulk. Les biens mulk ont pour origine la conquête. Ce sont :

Ceux abandonnés aux vaincus ;

2" Ceux partagés entre les vainqueurs ;

Ceux d'abord réservés au domaine public et qui plus tard en ont été distraits par les Sul- tans, pour les donner en pleine propriété à des particuliers.

Les biens Mulk constituent l'immeuble libre par excellence, celui dont on a la propriété pleine et entière, celui dont on peut disposer par testament.

De plus, le propriétaire d'un immeuble Mulk a la faculté, à prix égal, d'être préféré à tout

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autre acquéreur dans l'achat d'un terrain con-

tigu au sien.

Mirié. Ce sont les champs, les montagnes, les forêts, les lieux de campement et de par- cours d'été et d'hiver, qui font partie du domaine public et sur lesquels l'État a cédé la possession à des particuliers. Cette possession est acquise moyennant un titre appelé ce tapou » revêtu du sceau impérial cr toughra )),qui est remis parle ministère des finances contre une certaine som- me payée au Trésor.

Ce qu'il importe de remarquer, c'est que l'Etat reste propriétaire et ne transfère que la posses- sion des terres domaniales. Aussi le possesseur n'a-t-il que le droit d'user et de jouir de la chose, à charge d'en conserver la substance, sous peine de payer la valeur de la terre dont il s'est servi pour un usage contraire à son titre, par exemple pour faire des briques, ou encore sous peine de payer la valeur d'un arbre venu naturellement et qu'il a coupé sans droit.

Pour faire des plantations ou élever des cons- tructions, il doit en demander l'autorisation à l'autorité compétente, qui sans cela a la faculté de les arracher ou de les démolir. Cependant, en ce qui touche les arbres, l'Etat perd le droit de les arracher après un délai de 3 ans et de

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plus le possesseur acquiert la propriété Mulk sur les dits arbres. Quant aux constructions qu'il a bâties et aux arbres qu'il a plantés avec l'assentiment de l'agent de l'Etat, il en acquiert immédiatement la propriété Mulk. Si enfin le possesseur d'une terre Mirié la laisse improduc- tive pendant 3 années, l'Etat a la faculté de lui en retirer la possession.

Le possesseur peut céder son droit à la pos- session, mais il ne peut le faire qu'avec l'auto- risation de l'Etat qui est, il ne faut pas l'oublier, seul véritable propriétaire des terres Mirié. La vente est susceptible de résolution pour défaut de paiement du prix ; elle est aussi annu- lable pour dol, violence, incapacité ou violation de la loi. Nous avons vu également que les terres Mirié sont parfois doublées de biens Mulk, ce qui donne lieu à une nouvelle difficulté. Si l'on suppose la possession du fonds à Primus et la propriété Mulk des plantations ou constructions à Secuîidus, ce dernier a un droit de préférence sur le fonds et peut faire rescinder la vente faite au profit d'un tiers acquéreur ; Secundus a également un droit de préférence à l'égard de Primus. Ce droit peut être exercé pendant 10 ans et le prix doit être réglé d'après la valeur au tenips de la demande; son exercice présente une réelle utilité, en ce sens qu'il a pour résultat

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d'empêcher que sol et surface ne s^oient entre les mains de personnes différentes.

Les droits de vente, les contributions et im- pôts sont versés dans les caisses du Trésor.

Mevcoufé. Tout ce que nous avons dit des biens Mirié s'applique également aux biens Mevcoufé, avec la seule différence que les reve- nus provenant de ces derniers, au lieu d'être versés dans les caisses du Trésor, sont versés entre les mains de Tadministration des Vacouf.

Il ne faut pas confondre les Mevcoufé avec les Vacouf dont nous aurons à nous occuper. Les Mevcoufé sont comme les Mirié la propriété de l'État, mais les revenus ont reçu une affectation spéciale, une œuvre de bienfaisance ou d'utilité publique.

Métrouké. On donne le nom de Métrouké aux terres abandonnées à l'usage public et qui par conséquent ne peuvent être la propriété de personne. Ce sont les rues, les places; les cours des mosquées, les lieux de prière, les lieux de campement, les pâturages, etc.

Mévat. Ce sont les terres relevant du domaine public et qui n'ayant été cédées à per- sonne sont restées improductives. Mais l'État a la faculté d'en conférer la possession et de déli- vrer un titre de ce tapou ».

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Vacouf. Sont Vacouf, les biens qui soit en pleine propriété, soit en jouissance, sont affectés à des fondations pieuses. Il paraît que l'origine première des biens Vacouf remonte à Mahomet. On raconte à ce sujet qu'un certain Amar ben El Khattab, riche propriétaire, ayant demandé au Prophète quel emploi il devrait 'aire de sa terre pour plaire à Dieu, Mahomet lui répondit ; ce Immobilises-en les revenus et c( donne-les aux pauvres d.

Quoi qu'il en soit de celte légende, on peut croire qu'elle a été exploitée par les autorités re- ligieuses qui se sont vues ainsi constituer une grande source de revenus. Les Vacouf propre- ment dits comprennent les biens qui sont censés appartenir à Dieu, dont les revenus sont desti- nés à la création et à l'entretien de fondations pieuses, ou encore à l'établissement de fontai- nes, puits et autres objets d'utilité publique.

Il y a des biens Vacouf qui remontent au temps de la conquête, d'autres qui ont été cons- titués plus tard par les sultans ou même par des particuliers. Cette catégorie d'immeubles est susceptible d'augmentation et tous les jours on voit des terres Mulk devenir Vacouf, grâce à la générosité des riches propriétaires musulmans.

Il existe encore une autre classe de Vacouf, composée d'immeubles achetés par les admi-

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nistrations des mosquées. Ces acquisitions sont très originales : un propriétaire voudrait volon- tiers faire abandon de sa propriété à la mos- quée, mais il n'est peut-être pas assez riche pour en perdre en même temps la jouissance. I^ s'adresse alors à l'administration de la mosquée et lui propose de lui vendre sa propriété pour une somme modique, à condition qu'il en con- servera la jouissance moyennant une faible redevance, qui calculée au prix de vente en représente à peu près l'intérêt. Si l'administra- tion accepte, l'immeuble devient Vacouf. Cette opération est avantageuse pour la mosquée, qui pour une somme minime acquiert un immeuble d'une valeur bien supérieure et qui d'autre part fait un placement solide, l'immeuble répondant de l'intérêt de l'argent. Si enfin le possesseur meurt sans postérité, l'immeuble devient la propriété pleine et entière de la mosquée. Le fondateur, de son côté, trouve l'avantage de se mettre à l'abri des poursuites de ses créanciers pour toute dette postérieurement contractée. L'immeuble Vacouf est en effet sacré et par conséquent insaisissable ; nous verrons cepen- dant qu'une loi de 1869 a apporté des modifica- tions à cet état de choses. Enfin, à la mori du fondateur, la possession de l'immeuble passe à ses enfantb.

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Les Vacouf sont inaliénables, la jouissance seule peut en être cédée. Généralement ils sont loués pour une période ne dépassant pas 3 ans et portent le nom cVidjaré. Un autre mode de location, qui à vrai dire ressemble bien à une aliénation, c'est la location perpétuelle et à dou- ble redevance dite idjaréteïn. Cette double loca- tion se pratique de la manière suivaiite : le loca- taire paye une première fois une somme égale à la valeur de l'immeuble et puis tous les ans il paye à titre de loyer une redevance très minime, qui constitue en quelque sorte la reconnaissance de la précarité de sa possession. A tous autres égards, il jouit des privilèges d'un véritable pro- priétaire : il a la faculté de céder l'immeuble avec l'nutorisation de l'administration des Va- couf, qui n'a pas le droit, croyons-nous, de refuser son assentiment.

Mukata. On donne le nom de Mukata aux terres Mirié ou Vacouf sur lesquelles le posses- seur a fait des constructions avec l'autorisation de l'autorité compétente. Ces constructions sont Mulk et deviennent la propriété du possesseur. Ce qu'il y a de particulier dans les biens Muka- ta, c'est que le sol, bien que restant Mirié ou Vacouf, peut être transmis par testament au même titre que les constructions Mulk.

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Guédik. Les Guédik sont des immeubles Mulk ou Vacouf achetés moyennant une rente annuelle et qui donnent le droit d'exercer à perpétuité une de ces quatre industries : mar- chands de farine, de frangeoles, de pain et de tabac. Ce genre de propriétés n'a pas sa raison d'être, aussi une loi de 1861 a-t-elle interdit la création de nouveaux Guédik.

Mines et carrières. Avant de terminer avec le régime de la propriété foncière, disons un mot de la propriété du sous- sol. Les mines et carrières découvertes sur une terre Mirié, Mevcoufé, Mulk ou Vacouf appartiennent aupro- priétaire du sol, sauf indemnité à payer au tiers détenteur pour le préjudice que l'exploitation a pu lui causer ; celles découvertes sur une ter- re Métrouké et Mévat appartiennent pour les 4/0 à l'inventeur et 1/5 à l'Etat.

Le propriétaire du sol ne peut exploiter une mine sans autorisation, mais il lui est une redevance à titre de compensation toutes les fois que l'État a consenti ce droit en faveur d'une tierce personne.

CHAPITRE II

ORGANISATION DES TRIBUNAUX EN TURQUIE TRIBUNAL RELIGIEUX ET TRIBUNAL CIVIL

Après avoir fait une énumération des différen- tes catégories d'immeubles, il est utile de remar- quer que ces immeubles ne sont pas tous régis par les mêmes lois. 11 y a en effet en Turquie deux législations, Tune religieuse ou Cheriat, l'autre civile ou Canoun. C'est ce qui explique également la coexistence de tribunaux religieux d'une part et de tribunaux civils de l'autre.

Tribunaux religieux. Ils sont composés d'un seul juge, cadi, lequel est nommé par le Cheikh-ul-islam .

Le Cheik-ul-islam est premier dignitaire spirituel de la Turquie, c'est le grand-prêtre, celui qui est au-dessus de tous les ministres du Culte (imams). En sa qualité de chet spirituel, personne n'était mieux placé que lui pour être en même temps à la tête des ulémas^ c'est-à-

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dire du corps religieux fournissant les juges dits Hakim ou cacliei des Mufti, c'esi-k-dive les ju- risconsultes ou interprètes de la loi religieuse. Le Cheikh-ul-islam estparconséquent le chef delà religion, le premier des juges est l'interprète su- prême des lois religieuses. Ce personnage de si haute importance a son siège à Gonstantinople. Cependant il est intéressant de remarquer que tout en étant lepremier des magistrats, il ne fait office de juge que pour certains cas déterminés et sur renvoi de la part du Sultan. La plupart du temps il n'a qu'un rôle consultatif, mais ses avis sont strictement suivis dans la décision du juge. Le cadi est donc pris dans le corps des ulé- mas, il est choisi par le Cheikh-ul-islam et à lui seul il forme le tribunal religieux. Ce tribu- nal ne suit que la loi religieuse, dite Chériat : elle a pour source première le Coran et le Suma qui est censé renfermer les paroles et explica- tions du Prophète. Le Coran et le Suma ont été commentés au f et au if siècle de l'Hégire par Isman Ebou, Hanif Malik, Schafi et Ilanbali, qui ont chacun donné naissance à une école ; en Turquie, c'est la doctrine Hanifite qui est généralement suivie. Aujourd'hui, la loi reli- gieuse ou loi du Chéri comprend dans son ensemble les commentaires de la doctrine Hani- fite et les décisions de la jurisprudence musul-

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mane. En cas de désaccord entre les opinions des jurisconsultes commentateurs, le Cadi juge d'après sa conscience.

Le gouvernement turc a pris l'initiative de codifier la loi du Chéri, mais cette œuvre d'un intérêt capital n'est pas encore achevée.

Les tribunaux religieux (Mékémés) jugent d'après leurs propres iois, aucune loi civile ou règle de procédure civile n'est admise par eux. C'est ainsi, par exemple, que la loi religieuse défend le prêt à intérêt, qu'elle ne reconnaît pas aux personnes morales le droit d'être proprié- taires, qu'elle n'accorde aucune valeur à la preuve écrite, etc. Cette dernière observation est d'une importance énorme, car à supposer un créancier en vertu d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou autre écrit quelconque, ce créancier sera à la merci de son débiteur qui peut contester ou simplement nier la dette, sans pour cela méconnaître son écriture.

La mauvaise foi est ainsi élevée à la hauteur d'une institution. En effet, la prc-^izie par témoins étant admise sans restriction aucune, il suffît à un débiteur cV acheter deux faux témoins qui n'auront aucun scrupule d'affirmer sa libération. Il est important de remarquer encore que le témoignage des chrétiens est sans valeur auprès des tribunaux religieux. A ces inconvénients, il

Aliotti 8

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faut ajouter également que l'assistance du Con- sul étant interdite, de quelque nature que soit la contestation, l'étranger se trouve sans protec- tion aucune, il est livré à la conscience du Cadi. Et ce n'est pas tout : que l'on suppose un créan- cier résidant dans un pays étranger et que le Cadi veuille d'office lui déférer le serment, le demandeur doit nécessairement se présenter en personne. Après avoir surmonté toutes ces difficultés, le demandeur qui a enfin obtenu un jugement en sa faveur doit ensuite citer son ad- versaire devant le tribunal civil, pour l'entendre condamner aux frais judiciaires.

En matière immobilière, les tribunaux reli- gieux connaissent de toutes les contestations concernant les biens Mulk, Vacouf, Guédik et Mukata Vacouf, ainsi que de tout procès ten- dant à la vente pour paiement de dettes d'un immeuble rentrant dans une de ces catégories. Nous verrons plus tard leur compétence en ma- tière successorale.

Tribunaux civils. Les tribunaux de pre- mière instance (Bedayet Mehkiemeni) sont com- posés d'un président choisi parmi les Ulémas par le Cheikh-ul-islam, mais nommé par le gouvernement, et de deux juges ottomans dont l'un seul est musulman. Les jugements rendus

115 en première instance peuvent être, suivant cer- taines distinctions dans lesquelles nous n'avons pas à entrer, portés en appel ou en cassation. Ce qu'il importe de remarquer, c'est que ces tribunaux sont composés de musulmans et de non-musulmans, et que l'on y suit exclusi- vement les lois civiles promulgées par les Sul- tans. Cette législation, d'origine récente, est susceptible de recevoir des modifications, elle a une base légale et non doctrinale comme la législation religieuse.

La preuve testimoniale n'est admise qu'à dé- faut de preuve littérale, dans certaines conditions et suivant les prescriptions de la loi.

Les tribunaux civils constitueropt peut-être, dans un avenir plus ou moins proche, une juri- diction intelligente, mais pour le moment ils fonctionnent mal. Les tribunaux de première instance spécialement et les cours d'appel aussi sont composés de juges n'ayant aucune notion du droit et d'ailleurs assez insouciants des intérêts qui leur sont confiés, aussi voit-on la plupart des jugements ou arrêts cassés par la Cour de cassation. C'est dans le but de remédier à cet état de choses et de rendre des juges plus attentifs qu'une loi récente permet à la cour de cassation de révoquer les juges, toutes les fois que la moitié des jugements ou arrêts rendus

116 dans le cours d'une année ont été cassés par elle. C'est une disposition assez curieuse, mais elle est la preuve manifeste de l'incompétence juridique de la plupart des juges des tribunaux civils.

Les tribunaux civils ottomans sont compé- tents en matière immobilière pour toutes les contestations relatives aux biens Mirié, Mev- coufé, Métrouké, Mévat et Mukata Mirié.

Observation. Il est à peine utile de faire remarquer combien ce système de deux juridic- tions différentes et opposées complique l'étude de la propriété immobilière. Le régime de la propriété foncière est déjà par lui-même d'une complication telle, que souvent les plus habiles et les plus vieux jurisconsultes ottomans se voient embarrassés pour savoir si telle action doit être portée devant le tribunal religieux ou le tribunal civil.

En dehors de ces difficultés qui se rencon- trent tous les jours dans la pratique des affai- res, il faut également compter avec les abus qui se commettent en matière de compétence. C'est ainsi, par exemple, qu'un propriétaire influent parvient avec des démarches officieuses à faire se déclarer incompétent tantôt le tribu- nal religieux, tantôt le tribunal civil, suivant qu'il a intérêt à porter son procès devant l'une

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OU l'autre juridiction. La Sublime Porte, fort heureusement, semble vouloir étendre les attri- butions des tribunaux civils et il arrivera peut- être un jour les tribunaux religieux seront supprimés. D'un autre côté, grâce à l'Université de Constantinople, la science du Droit fait des progrès et il est permis d'espérer que la Turquie sera enfin dotée d'une organisation judiciaire assise sur des bases plus solides, que les juges seront plus compétents et qu'ils auront surtout un plus grand souci de l'application des lois. Espérons-le !

CHAPITRE III

DU DROIT POUR LES ÉTRANGERS D'ACQUÉRIR DES IMMEUBLES EN TURQUIE

Nous avons vu que les Sultans avaient accordé aux étrangers de larges immunités, que leurs différends étaient portés devant les tribunaux consulaires, qu'ils formaient en quelque sorte un Etat dans un Etat. Ils jouissaient donc d'une situation privilégiée sous tous les rapports, mais défense absolue leur était faite d'acquérir des propriétés immobilières ; il répugnait au fana- tisme religieux des vieux Musulmans de se dé- posséder en faveur des étrangers, contre lesquels malgré tout ils gardaient et gardent encore une haine sourde, alimentée par une différence de civilisation, de mœurs et surtout de religion.

Il faut croire qu'à l'origine la défense faite aux étrangers de devenir propriétaires ne contrariait pas beaucoup les gouvernements étrangers, si- non on ne s'expliquerait pas l'ordonnance de

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1781 venant à son tour détendre aux Français d'acquérir des biens-fonds en Turquie. L'ordon- nance s'explique au contraire, si l'on veut y voir une disposition de nature à empêcher les Fran- çais de se constituer des attaches solides en Turquie et leur enlever ainsi tout esprit de re- tour. Cette interprétation paraît encore plus naturelle, quand on sait que la défense de l'or- donnance n'était pas absolue : les Français pou- vaient acquérir des immeubles pour leur loge- ment ou des magasins pour les marchandises. En d'autres termes, ce que l'ordonnance voulait c'était faciliter aux Français leur commerce dans les Echelles, mais en même temps les empêcher de placer leurs économies en immeubles, on espérait ainsi qu'après fortune faite, ils n'au- raient d'autre désir que d'apporter en France les richesses acquises en pays étranger.

Quoi qu'il en soit, les étrangers qui, endroit, ne pouvaient pas devenir propriétaires, avaient cependant trouvé moyen de le devenir, en fait. Ils avaient imaginé de faire figurer dans les ac- tes translatifs apparents les noms de sujets ou sujettes de l'Empire ottoman, qui a leur tour déclaraient dans une contre-lettre quel était le véritable propriétaire. Tel était le système pra- tiqué par la plupart des étrangers, mais il y en avait aussi qui désireux de posséder en leur

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propre nom changeaient de nationalité, d'autres qui se faisaient passer pour Turcs. Ce sont des faits certains, et chose extraordinaire, cette pra- tique n'était pas ignorée des autorités locales.

En 1839, l'Empire ottoman semblait entrer dans la voie des réformes en publiant le HatLi- Schérif de Gulhané. Cet acte pose les bases d'un nouveau droit public ottoman, il promet de grandes réformes administratives, judiciaires et économiques, mais il ne renferme aucune dis- position nouvelle concernant la propriété fon- cière.

Cependant les relations commerciales de l'Europe avec le Levant avaient pris une grande extension et le nombre des étrangers proprié- taires augmentait sensiblement. Avec ce système de prête-noms, défectueux et de nature à engen- drer les plus graves complications, la situation des étrangers inspirait de légitimes inquiétudes et il fallait de toute nécessité arriver à un ar- rangement. Les puissances finirent par s'en émouvoir et par insister énergiquement auprès de la Porte, pour qu'elle régularisât cet état de choses en accordant aux étrangers le droit d'acquérir en leur propre nom. On se trou- vait alors à la veille du Congrès de Paris et le moment était favorable pour engager la Turquie à compléter ses réformes. C'est dans ces cir-

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constances que fut promulgué en 1856 le célè- bre Rescrit impérial, dii. Hatti-Humaïoun, qui vint confirmer le Hatti-Schérif de Gulhané et promettre cette fois formellement que les étran- gers pourraient, sous certaines conditions, ac- quérir des propriétés immobilières au môme titre que les sujets otttomans. Le Hatti-Hu- maïoun s'exprime en ces termes :

« Comme les lois qui régissent l'achat, la vente et

« la disposition des propriétés immobilières sont com-

« munes à tous les sujets de mon Empire, il pourra

« être permis aux étrangers de posséder des proprié-

« tés foncières dans mes Etats, en se conformant aux

« lois et aux règlements de police, en acquittant les

« même-s charges que les indigènes, et après que des

« arrangements auront eu lieu avec les puissances

« étrangères. » ,

Ces conditions n'étaient guère compatibles avec le régime des capitulations. Les négocia- tions furent longues et pénibles, la Turquie espérait lasser les puissances et arriver non seu- lement à réserver à ses tribunaux compétence pleine et entière des contestations en matière immobilière, mais aussi à abroger ou au moins à modifier les anciens traités. Les exigences de la Porte percent clairement à travers la note

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suivante de Server pacha adressée aux Grandes Puissances en 1862 :

« Comment la Sublime Porte pourra-t-elle accorder « le droit de venir s'établir comme propriétaires à des « populations qui ne relèvent pas- de son autorité, qui « ne reconnaissent pas ses lois, qui ne se soumettent « pas aux obligations auxquelles les sujets de S. M. « Impériale le Sultan se trouvent assujettis, qui ne « sont justiciables que des tribunaux étrangers. »

Les négociations continuèrent quelques an- nées encore et ont enfin abouti à une entente. La Porte édicta alors la célèbre loi du 7 Sépher 1284 (16 juin 1867), qui vint permettre aux étrangers d'acquérir des biens immobiliers.

Cette loi est d'une importance considérable, nous aurons maintes fois l'occasion d'en parler et de la commenter, aussi croyons-nous utile de la transcrire in-exte7iso :

« Loi concédant aux étrangers le droit de propriété immobilière dans l'Empire ottoman (7 Sépher 1284).

« Rescrit Impérial

« Qu'il soit fait en conformité du contenu. Dans le « but de développer la prospérité du pays, de mettre « fin aux difficultés, aux abus et aux incertitudes qui « se produisent au sujet de l'exercice du droit de pro-

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« priété par les étrangers dans l'Empire ottoman et de « compléter au moyen d'une réglementation précise, « les garanties dues aux intérêts financiers et à l'ac- te tion administrative, les dispositions législatives sui- « vantes ont été arrêtées sur l'ordre de Sa Majesté « Impériale le Sultan.

« Art. 1. Les étrangers sont admis au même ti- « tre que les sujets ottomans et sans autre condition « à jouir du droit de propriété des immeubles urbains « ou ruraux dans toute l'étendue de l'Empire, à l'ex- « ception de la province de l'Hedjaz, en se soumet- « tant aux lois et règlements qui régissent les sujets « ottomans eux-mêmes, comme il est dit ci-après.

« Cette disposition ne concerne point les sujets otto- « mans de naissance qui ont changé de nationalité, « lesquels seront régis en cette matière par une loi « spéciale.

« Art. 2. Les étrangers, propriétaires d'immeu- « blés urbains ou ruraux sont en conséquence assimi- « lés aux sujets ottomans, en tout ce qui concerne leurs « biens immeubles.

« Cette assimilation a pour effet légal :

« 1" De les obliger à se conformer à toutes les lois « et à tous les règlements de police ou municipaux qui « régissent dans le présent et pourront régir dansl'a- « venir la jouissance, la transmission, l'aliénation et « l'hypothèque des propriétés foncières.

« 2" D'acquitter toutes les charges et contributions,

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« sous quelque forme et, sous quelque dénomination « que ce soit, frappant ou pouvant frapper par la suite « les immeubles urbains ou ruraux.

« De les rendre directement justiciables des tri- « bunaux civils ottomans, pour toutes les questions « relaliv^es à la propriété foncière et pour- toutes ac- « tions réelles, tant comme demandeurs que comme « défendeurs, même lorsque l'une ou l'autre partie « sont sujets étrangers. Le tout au même titre, dans « les mêmes conditions et dans les mêmes formes que « les propriétaires ottomans, et sans qu'ils puissent en « cette matière se prévaloir de leur nationalité per- « sonnelle, mais sous la réserve des immunités atta- « chées à leur personne et à leurs biens meubles aux « termes des traités.

« Art. 3. En cas de faillite d'un étranger proprié- « taire d'immeubles, les syndics de la faillite se pour- « voleront devant l'autorité et les tribunaux civils otto- « mans pour requérir la vente des immeubles possédés « par le failli et qui par leur nature et suivant la loi ré- « pondent des detttes du propriétaire.

« Il en sera de même lorsqu'un étranger aura obtenu « contre un autre étranger propriétaire d'immeubles « un jugement de condamnation devant les tribunaux « étrangers.

« Pour l'exécution de ce jugement sur les biens ira- « meubles de son débiteur, il s'adressera à l'autorité « ottomane compétente afin d'obtenir la vente de ceux

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« de ces immeubles qui répondent des dettes du pro- « priétaire; et ce jugement ne sera exécuté par les « autorités et tribunaux ottomans qu'après qu'ils auront « constaté que les immeubles dont on requiert la vente « appartiennent réellement à la catégorie de ceux qui « peuvent être vendus pour payer la dette.

« Art. 4. Le sujet étranger a la faculté de dis- « poser par donation ou par testament de ceux de ses « biens immeubles dont la disposition sous cette forme « est permise par la loi.

« Quant aux immeubles dont il n'aura pas disposé « ou dont la loi ne lui permet pas de disposer par do- « nation ou testament la succession en sera réglée con- « fermement à la loi ottomane.

« Art. 5. Tout sujet étranger jouira du bénéfice « de la présente loi, dès que la Puissance de laquelle « il relève aura adhéré aux arrangements proposés « par la Sublime Porte pour l'exercice du droit de « propriété ».

On voit par les termes de cette loi que les étrangers peuvent être propriétaires au même titre que les sujets ottomans, mais comme eux ils doivent se soumettre aux lois, règlements et tribunaux ottomans, pour toutes les questions relatives à la propriété foncière. Cependant cette loi stipule expressément dans son art. 5. que l'étranger ne pourra devenir propriétaire qu'après :

126 « Que la Puissance de laquelle il relève aura adhéré « aux arrangements proposés par la sublime Porte ».

A cet effet, un protocole fut rédigé et signé à Constantinople en date du 9 juin 1868, par P. Bourée, représentant de la France, et Fuad, représentant de la Turquie. Ce protocole, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler en nous occupant de la juridiction consulaire, est ainsi conçu :

Protocole du 9 juin 1868.

« S. M. l'Empereur des Français et S. M. le Sultan, « désirant constater, par un acte spécial, l'entente « intervenue entre eux sur l'admission des sujets fran- ge çais en Turquie au droit de propriété immobilière « concédé aux étrangers par la loi promulguée en date « du 7 sefer 1284, ont autorisé (suivent les noms) à « signer le protocole dont la teneur suit :

« La loi qui accorde aux étrangers le droit de pro- « priété immobilière ne porte aucune atteinte aux immu- « nités consacrées par les traités et qui continueront « à couvrir la personne et les biens meubles des étran- « gers devenus propriétaires d'immeubles.

« L'exercice de ce droit de propriété devant enga- « ger les étrangers à s'établir en plus grand nombre « sur le territoire ottoman, le Gouvernement impérial « croit de son devoir de prévoir et de prévenir les

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« difficultés auxquelles l'application de cette loi pour- « rait donner lieu dans certaines localités. Tel est « l'objet des arrangements qui vont suivre.

« La demeure de toute personne habitant le sol Otto- « man étant inviolable et nul ne pouvant y pénétrer « sans le consentement du maître, si ce n'est en vertu << d'ordres émanés de l'autorité compétente et avec l'as- « sislance du magistrat ou fonctionnaire investi des « permis nécessaires, la demeure du sujet étranger « est inviolable au même titre, conformément aux trai- te tés, et les agents de la force publique ne pourront y « pénétrer sans l'assistance du consul ou du délégué « du consul d'où relève cet étranger.

« On entend par demeure la maison d'habitation et « ses attenants, c'est-à-dire les communs, cour, jar- « din, et enclos contigus, à l'exclusion de toutes les « autres parties de la propriété :

« Dans les localités éloignées de moins de 9 heures « de la résidence consulaire, les agents de la force pu- « blique ne pourront pénétrer dans la demeure d'un « étranger sans l'assistance du consul, comme il est « dit plus haut. De son côté, le consul est tenu de prê- « ter son assistance immédiate à l'autorité locale, de « telle sorte qu'il ne s'écoule pas plus de 6 heures en- « tre l'instait il aura été prévenu et l'instant de « son départ ou du départ de son délégué, afin que « l'action de l'autorité ne puisse jamais être suspen- « due durant plus de 24 heures.

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« Dans les localités éloignées de 9 heures ou de « plus de 9 heures de marche de la résidence de « l'agent consulaire, les agents de la force publique « pourront, sur la réquisition de l'autorité locale et avec « l'assistance de trois membres du conseil des anciens « de la commune, pénétrer dans la demeure d'un su- « jet étranger sans être assistés de l'agent consulaire j « mais seulement en cas d'urgence et pour la recher- « che ou la constatation du crime de meurtre, d'incen- « die, de vol à main armée ou avec effraction ou de « nuit, dans une maison habitée, de rébellion armée et « de fabrication de fausse monnaie, et ce, soit que le « crime ait été commis par un sujet étranger ou par « un sujet ottoman, et soit qu'il ait eu lieu dans l'habi- « tation de l'étranger ou en dehors de cette habitation « et dans quelque autre lieu que ce soit.

« Ces dispositions ne sont applicables qu'aux parties « de la propriété qui constituent la demeure telle « qu'elle a été définie plus haut. En dehors de la de- « meure, l'action de la police s'exercera librement et « sans réserve ; mais dans le cas un individu pré- « venu de crime ou de délit serait arrêté et que ce « prévenu serait un sujet étranger, les immunités atta- « chées à sa personne devraient être observées à son « égard.

« Le fonctionnaire ou officier chargé de l'accomplis- « sèment de la visite domiciliaire dans les circonstan- « ces exceptionnelles déterminées plus haut et les mem-

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« bres du conseil des anciens qui l'assisteront, seront « tenus de dresser procès-verbal de la visite domici- « liaire et de le communiquer immédiatement à l'auto- « rilé supérieure dont ils relèvent, qui le transmettra « elle-même et sans retard à l'agent consulaire le plus « rapproché.

« Un règlement spécial sera promulgué par la « S. Porte pour déterminer le mode d'action de la po- « lice locale dans les cas prévus plus haut.

« Dans les localités de plus de 9 lieues de la rési- « dence de l'agent consulaire et dans lesquelles la loi « sur l'organisation judiciaire du vilayet sera en vi- « gueur, les sujets étrangers seront jugés, sans l'assis- se tance du délégué consulaire, par le conseil des anciens « remplissant les fonctions de juge de paix et par le « tribunal du Gaza, tant pour les contestations n'excé- « dant pas 1,000 piastres que pour les contraventions « n'entraînant pas la condamnation à une amende de « 500 piastres au maximum.

« Les sujets étrangers auront dans tous les cas, le « droit d'interjeter appel par devant le tribunal du Sand- « jak, des sentences rendues comme il est dit ci-après, « et l'appel sera :*uivi et jugé avec l'assistance ducon- « sul, conformément aux traités.

« L'appel comprendra toujours l'exécution.

« Dans tous les cas, l'exécution forcée des sentences « rendues dans les conditions déterminées plus haut

Aliotti 9

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« ne pourra avoir Jieu sans le concours du consul ou « de son délégué.

« Le gouvernement impérial édictera une loi qui dé- « terminera les règles de procédure à observer par « les parties dans l'application des dispositions qui « précèdent.

« Les sujets étrangers, en quelque localité que ce « soit, sont autorisés à se rendre spontanément justi- « ciables du conseil des anciens ou des tribunaux des « cazas, sans l'assistance du consul, dans les contes- « tations dont l'objet n'excède pas la compétence de « ces conseils ou tribunaux, sauf le droit d'appel par devant le tribunal du sandjak, la cause sera « appelée et jugée avec l'assistance du consul et de « son délégué.

« Toutefois, le consentement du sujet étranger à se « faire juger, comme il est dit plus haut, sans l'assis- « tance du consul, devra être donné par écrit et préa- « lablement à toute procédure.

« Il est bien entendu que toutes ces restrictions ne « concernent point les procès qui ont pour objet une « question de propriété immobilière, lesquels seront « poursuivis et jugés dans les conditions établies par « la loi.

« Le droit de défense et la publicité des audiences « seront assurés en toute matière aux étrangers qui « comparaîtront devant les tribunaux ottomans, aussi « bien qu'aux sujets ottomans.

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« Les arrangements qui précèdent resteront en « vigueur jusqu'à la révision des anciens traités, vi - « sion sur laquelle la S. P. se réserv e de provoquer « ultérieurement une entente entre elle et les puissan- ce ces amies.

« En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont « signé le présent protocole et y ont apposé le sceau « de leurs armes ».

On doit considérer ce protocole comnie abro- geant implicitement la disposition restrictive de 'ordonnance de 1781 .

Nous nous sommes déjà occupés des déro- gations portées aux capitulations en ce qui con- cerne la juridiction ou l'inviolabilité du domi- cile pour les localités éloigaées de plus de 9 lieues de la résidence consulaire, il est inutile de revenir sur cette question. Nous ferons tou- tefois remarquer que ces dérogations ne sont pas bien sérieuses, puisqu'il suffit d'établir une agence consulaire dans une localité quelconque pour enlever toute ingérence aux autorités loca- les. Peut-on même dire que ce sont des déro- gations?

Lors des capitulations, les étrangers étaient cantonnés dans un quartier à part, ils vivaient sous la surveillance des consuls et en fait ils étaient censés ne pas aller dans des localités éloignées aucun intérêt ne pouvait les attirer. Mais

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depuis la situation était devenue tout autre : le nombre des étrangers avait augmenté, le com- merce prenait tous les jours plus d'extension et enfin la loi du 7 Sépher allait peut-être décider les étrangers, à s'enfoncer plus avant dans le pays pour exploiter des contrées vierges encore en grande partie. Mais alors il fallait prévoir le cas les puissances ne voulant pas trop multi- plier les agences consulaires, les étrangers se seraient trouvés en dehors de toute surveillance et sans un tribunal compétent pour connaître de leurs différends. Dans ces conditions, une réforme devenait indispensable et c'est ce qui a été fait d'un commun accord entre la France et la Turquie dans le protocole de 1868, pour les localités éloignées de plus de 9 heures de la ré- sidence consulaire.

A notre avis, ce n'est pas une véritable dé- rogation, nous y voyons même un nouveau pri- vilège ajouté aux anciens, car enfin il faut bien que dans un pays la police locale puisse s'exer- cer là la police consulaire n'existe pas, et l'on peut considérer comme un avantage pour les étrangers de n'être soumis aux autorités otto- manes que pour les localités situées à une telle distance. Il a d'ailleurs été expressément stipulé dans le protocole que toutes les immunités et privilèges résultant des capitulations seront

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maintenus. Les étrangers sont donc soumis, comme autrefois, à leurs lois et tribunaux pour tout ce qui concerne leur personne et leurs biens mobiliers, ils ne sont assimilés aux otto- mans qu'en ce qui touche les questions fonciè- res. Il n'était pas, en effet, possible d'attribuer aux tribunaux consulaires compétence en ma- tière immobilière, c'eût été porter une trop grande atteinte à la souveraineté de la Turquie. Toutes les puissances suivirent l'ensemble donné par la France, mais quelques-unes ne con- sentirent qu'avec regret à soumettre leurs natio- naux à la juridiction ottomane et à reconnaître les prétendues dérogations portées aux capitula- tions. L'Angleterre et l'Autriche donnèrent leur adhésion au/C arrangements proposés par la Su- blime Porte dès l'année 1868 ; la Russie et l'Ita- lie en 1873, les Etats-Unis en 1874 seulement. Le 29 juin 1870, une circulaire de la Sublime Porte fut adressée aux ambassades des puis- sances ayant déjà donné leur adhésion au pro- tocole, dans le but de les prévenir que les étran- gers ayant des titres irréguliers pourraient les échanger contre de nouveaux. Cette circulaire est ainsi conçue ;

« Monsieur... Il parvient à la connaissance de la Su- «( blime Porte qu'avant la promulgation de la loi qui

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« confère aux étrangers le droit de propriété, le désir « de posséder personnellement des immeubles en Tur- « quie, a pour but, pour un certain nombre de sujets « étrangers, de se faire passer pour sujets ottomans afin « d'obtenir les titres de propriété en leur propre nom.

« La loi du 7 Sépher 1284 ayant fait disparaître les « anciennes restrictions en matière de propriété pour « les sujets des puissances qui ont adhéré au protocole « annexé à cette loi, la Sublime Porte, en vue de témoi- « gner à ces puissances, son désir de faciliter l'appli- « cation de la loi et d'écarter les difficultés auxquelles « donneraient lieu dans les transactions immobilières des « titres obtenus dans les conditions qui viennent d'être « rappelées, vient d'autoriser le ministère de l'Evcaf à « échanger, le cas échéant, les titres de cette nature, « sauf vérilication, contre de nouveaux titres indiquant « la vraie nationalité de leurs détenteurs.

« En vous priant de vouloir bien porter cette déci- de sion à la connaissance de vos nationaux, je saisis ^ cette occasion, M. le Ministre, pour vous réitérer « l'assurance de ma parfaite consicferation ».

(Signé) Aali.

Depuis cette époque, les autorités ottomanes ne consentent à rédiger les actes relatifs aux immeubles, que si l'étranger leur présente une déclaration du consul constatant sa nationalité et mentionnant l'objet de la demande.

CHAPITRE IV

INTERPRÉTATIOxN DE LA LOI DU 7 SEPHER

Aux ternies de la loi du 7 Sepher, les Euro- péens sont placés sur le même pied que les Ottomans et comme eux ils sont justiciables des tribunaux ottomans. Tel est le principe et ce- pendant il donne lieu à de déplorables compli- cations dans la plupart de ses applications. C'est qu'il n'est pas possible d'assimiler entièrement les étrangers aux indigènes, la loi de Sépher elle-même dans son article 2, paragraphe 3 in fine, réserve les immunités attachées à leur per- sonne et à leurs biens meubles aux termes des traités. Le protocole de 1868 ne s'exprime pas autrement.

Tout le monde est donc d'accord pour admet- tre que la loi du 7 Sépher ne soumet les étran- gers à la juridiction ottomane que pour les con- testations relatives aux matières immobilières. Mais tandis que les uns veulent que toutes les actions immobilières indistinctement soient sou-

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mises aux tribunaux turcs, les autres insistent pour réserver aux tribunaux consulaires les actions personnelles immobilières. L'article 2, paragraphe 3 est le siège principal de toutes les discussions. Cet article commence par assimiler les étrangers propriétaires d'immeubles aux su- jets ottomans, le législateur précise ensuite sa pensée et dit que cette assimilation a pour effet légal :

« de les rendre directement justiciables des tribu- « naux ciuils ottomans pour toutes les questions rela- « tives à la propriété foncière et pour toutes actions « réelles. »

Les controverses qui surgissent à propos de ce texte ont un intérêt considérable et il est impossible de comprendre la question immobi- lière en Turquie, sans connaître en même temps les arguments invoqués par les autorités otto- manes d'une part et les autorités consulaires d'autre part.

Nous essaierons d'en faire l'exposé, mais afin de ne pas compliquer davantage cette difficile matière, nous n'examinerons que les arguments ayant quelque valeur.

Autorités ottomanes. Nous prétendons, disent-elles, connaître indistinctement de toutes

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les actions immobilières. Le texte français no parle, il est vrai, que des actions réelles, d'où l'on conclut que nos tribunaux sont incompé- tents dès qu'il s'agit d'une action personnelle immobilière, mais le texte français n'est que la traduction du texte turc et ce dernier ne con- tient pas les mots c< actions réelles ».

Voici d'ailleurs la traduction littérale de la phrase d'où l'on a cru devoir tirer les mots a: actions réelles d :

« Pour toutes les actions relatives aux immeubles et « lorsqu'il y a procès relatif à ces immeubles. »

Cette expression est générale, elle ne fait au- cune distinction sur le caractère des actions

immobilières. Il est sans doute malheureux que la traduction ne soit pas conforme au texte ori- ginal, mais nos tribunaux sont tenus de se con- former à ce dernier, lui seul ayant obtenu la sanction impériale qui a eu pour effet de la ren- dre exécutoire.

Mais n'y a-t-il pas encore une autre raison d'écarter toute distinction entre les actions réelles et les actions personnelles immobiliè- res ? Avant la loi du 7 Sépher, n'était-il pas in- terdit aux étrangers de se dire propriétaires d'immeubles ? Eh bien ! toutes les fois qu'un

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étranger agit en qualité de propriétaire, il tient ce droit de la loi de Sépher et cette loi réserv e expressément aux tribunaux ottomans la con- naissance des procès relatifs aux immeubles. Qu'importe après cela que l'art. 2, p. 3 de la traduction française parle d'actions réelles, il n'en est pas moins vrai que nos tribunaux sont compétents toutes les fois que sans déroger aux capitulations un étranger invoque un droit qu'il n'aurait pu avoir avant la nouvelle loi.

On voudrait également se baser sur la traduc- tion française pour enlever toute compétence à nos tribunaux religieux. Le texte français dit que les étrangers sont ce justiciables des tribu- naux civils «Ottomans ». Mais cette fois encore la traduction est inexacte, le texte turc dit sim- plement ce les tribunaux ottomans 2). Or, pour les raisons développées plus haut, toutes les fois que d'après nos lois une contestation doit être portée devant les tribunaux religieux, nous nous en tiendrons au texte turc qui seul a force de loi.

Autorités consulaires. Il est possible que le texte turc ne soit pas conforme au texte français, cela ne nous regarde pas. Quand il s'est agi de faire des arrangements avec la Porte, est-ce le texte turc ou bien le texte français que nous avions sous les yeux? Nous ignorions

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même qu'il existât un texte turc, le comte Gorti, ambassadeur d'Italie à Constantinople, l'a bien fait observer à la Sublime Porte. C'est d'ailleurs le texte de la traduction française qui a été signé et reconnu, c'est là-dessus également que les puissances se sont basées pour donner leur adhésion au protocole de 1868. Ne peut-on pas dire aussi que les autorités turques sont au moins coupables de négligence en soumettant une traduction inexacte à l'approbation des puis- sances ? En agissant ainsi , le gouvernement otto- man était censé reconnaître valeur pleine et entière au texte français et il n'a pas le droit de venir nous dire maintenant qu'il s'était trompé, que la traduction n'est pas conforme au texte turc. Quant à l'argument qui consiste à dire que les tribunaux ottomans sont compétents toutes les fois qu'un étranger agit en qualité de pro- priétaire, du moment qu'avant la loi du 7 Sépher il n'aurait pu invoquer cette même qualité, nous répondrons qu'on peut intenter une action à propos d'un immeuble sans pour cela demander aux tribunaux de statuer directement sur une question de propriété. S'il fallait avoir recours aux tribunaux ottomans toutes les fois qu'on intente une action personnelle, fût-ce à propos d'un immeuble, il faudrait en même temps re- connaître que la loi du 7 Sépher est venue res-

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treindre les privilèges anciens, qui cependant ont été expressément réservés et par la loi de Sépher et par le protocole.

Nous avons d'ailleurs pour nous les termes du texte français qui seul à nos yeux a force de loi, conséquemment nous ne reconnaissons compétents que les tribunaux civils ottomans et encore cette compétence doit-elle être limi- tée aux actions réelles seulement.

Tels sont les arguments soutenus de part et d'autre, et nous avouons que les uns comme les autres ne sont pas faciles à réfuter. Cependant, à notre avis, les tribunaux consulaires ont rai- son de s'en tenir au texte français, le seul dont ils aient eu à prendre connaissance. N'est-il pas d'ailleurs conforme aux règles suivies par toutes les législations de distinguer entre les actions réelles et les actions personnelles? La loi de Sépher elle-même, en commençant par dire que les étrangers sont assimilés aux sujets ottomans en ce qui concerne les biens immeubles et en ajoutant ensuite que cette assimilation a pour effet légal de les rendre justiciables des tribu- naux civils ottomans pour les actions réelles^ s'exprime en termes si précis qu'il était impos- sible aux puissances de prévoir que la traduc- tion française n'était pas conforme au texte

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turc. Il était au contraire facile aux autorités turques de remarquer que les mots a: cette assi- milation a pour effet légal )) annonçaient une exception en taveur des étrangers, et le gouver- nement ottoman est certainement coupable de n'avoir voulu remarquer l'inexactitude de la traduction qu'après avoir reçu l'adhésion des puissances au protocole de J868.

A cet argument de texte, il faut ajouter qu'a- vant la loi de Sépher, toutes les actions per- sonnelles étaient de la compétence des tribu- naux soit consulaires soit mixtes. Il n'y avait pas alors, il est vrai, à distinguer entre les actions personnelles mobilières et immobilières, mais la loi du 7 Sépher ainsi que le protocole ont expressément réservé les anciens privilèges et il serait contraire à tous les principes de reconnaître la compétence des tribunaux otto- mans pour une action personnelle, toutes les fois du moins qu'un étranger n'invoque un droit de propriété que pour conclure à des dommages- intérêts.

Sans doute, de pareilles contestations ne pouvaient pas avoir lieu avant la loi de Sépher, mais il n'en est pas moins vrai qu'une action qui n'affecte que la personne du défendeur ne touche pas directement au régime delà propriété foncière en Turquie et le tribunal ottoman n'au-

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rait aucune raison de se déclarer compétent. Quand un étranger invoque un droit de pro- priété ou un droit réel immobilier, et que cette qualité lui est contestée par son adversaire, nul doute que les tribunaux ottomans ne soient seuls compétents pour se prononcer sur la ques- tion de propriété ou de constitution d'un droit réel ; mais la compétence des tribunaux otto- mans s'arrête et une fois le droit du deman- deur reconnu, celui-ci doit se pourvoir devant le tribunal consulaire ou mixte pour intenter son action en dommages-intérêts. Peu importe que sa prétention soit fondée sur un droit de propriété, du moment que le procès est mainte- nant dirigé contre une personne et non plus contre un fonds. 11 en est de même a fortiori si dès le début il intente une action personnelle à l'occasion d'un immeuble, mais sans viser cet immeuble lui-même.

Si nous avons tellement insisté sur l'action en dommages-intérêts, c'est que toute action en paiement d'une somme d'argent étant essentiel- lement personnelle et mobilière^ aucun doute ne devrait s'élever sur la compétence des tribu- naux consulaires pour en connaître. Mais il est important précisément de remarquer que les autorités ottomanes n^ïoni aucune distinction entre les actions personnelles mobilières ou

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immobilières, ces dernières étant d'ailleurs fort rares. Peu importe que l'action soit mobilière ou immobilière, ce qu'il tant rechercher, c'est si elle a pris naissance à Voccasion d'un im- meuble, cela suffit pour que les tribunaux otto- mans se disent compétents. Pour bien saisir la doctrine ottomane, il faut en d'autres termes voir si l'étranger demandeur qui intente une action invoque un droit qu'il pouvait ou non avoir avant la loi du 7 Sépher. Dans cette théo- rie, peu importe qu'il s'agisse d'une action réelle ou d'une action personnelle mobilière ou immobilière, il suffit que l'action intentée ait pris naissance à l'occasion d'un immeuble pour que les tribunaux ottomans se déclarent compé- tents. Ces actions ont leur source dans la loi de Sépher et par conséquent on ne saurait nous accuser, disent les autorités locales, de ne pas respecter les privilèges attachés à la personne et aux biens immeubles des étrangers aux ter- mes des traités, antérieurs à la loi d'> Sé- pher.

Il faut avouer que cette théorie, quelque exor- bitante qu'elle soit, est défendue par un raison- nement très serré. Nous pensons cependant avoir trouvé un argument direct pour la com- battre et nous nous permettons de le soumettre à l'appréciation de nos autorités consulaires.

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L'article 3 de la loi du 7 Sépher dit que toutes les fois c( qu'un étranger aura obtenu contre d un autre étranger propriétaire d'immeubles ce un jugement de condamnation devant les tri- ce bunaux étrangers, )) il devra s'adresser aux tribunaux civils ottomans pour acquérir la vente des immeubles possédés par le débiteur con- damné. Cet article a une portée générale, il comprend tout jugement de condamnation à une somme d'argent, sans rechercher si cette condamnation se rattache ou non à une obli- gation qui a pris naissance à l'occasion d'un immeuble. S'il devait en être autrement, l'arti- cle 3 aurait précisé et dit : ce Toutes les fois ce qu'un étranger aura obtenu contre un autre ce étranger un jugement de condamnation, pour c( un procès non relatif aux immeubles, etc. » Ce silence calculé de l'article 3 d'une part, et ses expressions générales d'autre part prouvent que le législateur a distingué entre les actions réelles et les actions personnelles. En effet, dans l'article 2, p. 3, il a eu bien soin de réserver aux tribunaux ottomans (( les procès relatifs aux immeubles )) ; dans l'article 3, au contraire, il parle de toute condamnation à une somme d'ar- gent sans distinction de la source de l'obliga- tion, c'est donc que dans l'article^le législateur n'avait en vue que les actions réelles tendant à

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la revendication, la constitution ou la recon- naissance d'un droit réel immobilier. Peu im- porte au législateur que la condamnation soit intervenue à l'occasion d'un immeuble, si Vim- meuble lui-même n'est pas en jeu.

Tel est le raisonnement suggéré par le rap- prochement des articles 2 et 3, et si maintenant les autorités turques se déclarent compétentes pour toute contestation apparaît l'image d'un immeuble, nous ne pouvons qu'y voir une interprétation arbitraire et ayant pour but de s'attirer la connaissance de la plupart des pro- cès.

Nous avons ainsi démontré que, même en prenant pour base le texte turc de l'art. 2, p. 3, les tribunaux ottomans ne doivent connaître que des actions réelles immobilières. Quant aux actions personnelles, mobilières ou immobiliè- res, elles sont toutes indistinctement de la com- pétence des tribunaux consulaires ou mixtes suivant la nationalité des parties.

Malheureusement notre argument n'est pas décisif en face de l'interprétation que les auto- rités ottomanes donnent à l'art. 3. Elles préten- dent que encore la traduction est inexacte et que l'art. 3 contient précisément les mots qui manquent dans le texte français. La traduction littérale serait la suivante :

Aliotli 10

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« Lorsqu'un étranger a contre un autre étranger pro-

« priétaire d'immeubles un procès pour une affaire

« qui ne concerne pas les biens immeubles et qu'il

« gagne ce procès par jugement de la chancellerie, etc.».

Ce n'est plus une traduction inexacte, c'est une phrase entière qui manque. En présence d'un tel état de choses, le problème devient in- soluble. Les autorités consulaires retiennent la connaissance de toutes les actions personnelles, mobilières et immobilières en se basant sur le texte français ; les autorités turques, au con- traire, refusent toute valeur à unjugement étran- ger dès que le demandeur fait valoir un droit de propriété ou un droit réel immobilier. De des difficultés insurmontables pour assurer l'exécution du jugement.

Nous nous sommes longuement étendu sur l'interprétation de la loi de Sépher, pour prou- ver que les meilleurs arguments ne valent rien en face de l'arbitraire des autorités turques, qui, ayant la force exécutoire entre les mains, imposent aux puissances étrangères le sens qu'elles veulent bien donner au texte turc. Il est donc inutile défaire intervenir les principes, il faut porter la question sur son véritable ter- rain, c'est-à-dire voir entre les deux textes, français et turc, lequel doit primer l'autre. Or,

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il est un fait incontestable, c'est que le texte français seul a été communiqué aux légations étrangères. Peu nous importe par conséquent le vrai sens du texte turc, on ne nous a soumis que le texte français, lui seul est à nos yeux l'expression de la loi, lui seul doit être suivi et par les autorités consulaires et par les autorités ottomanes, pour peu que ces dernières aient conscience de la loyauté qui doit régner dans les conventions internationales. Or, tout le monde sait que la loi du 7 Sépher a été pro- niulguée à la suite d'une convention et que le protocole qui l'accompagne n'est lui-même qu'une convention synallagmatique. Si donc les grandes puissances ne veulent pas s'entendre pour faire respecter une convention à laquette elles ont été, si je puis m'exprimer ainsi, parties contractantes, comment un particulier, avec l'ap- pui simplement personnel du consul, pourra-t- il obtenir justice auprès des autorités turques!

Nulle part l'utilité d'une intervention des puissances ne se fait sentir davantage. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de nous en aperce- voir plus d'une fois en étudiant les diverses applications delà loi de Sépher, auxquelles nous arrivons maintenant.

CHAPITRE V APPLICATIONS DE LA LOI DU 7 SEPHER

Section I. Du louage.

Avant d'examiner la pratique suivie par les tribunaux consulaires de France, en matière de louage, il est bon de voir quel est à ce sujet l'avis des autorités ottomanes.

En date du 18 décembre 1888, le gouverneur général du Vilayet d'Âïdin, qui a son siège à Smyrne, a adressé aux autorités consulaires de cette dernière ville la circulaire suivante :

« Conformément au premier paragraphe de l'art. 2 « du protocole (lisez loi du 7 Sépher) relatif à l'organi- « sation des immeubles, les étrangers sont directement « justiciables des cours ottomanes pour toutes les « questions et contestations relatives à ces propriétés, « comme demandeurs ou défendeurs, et même quand « les deux plaideurs sont des sujets étrangers. Dans « une action introduite à raison du loyer d'un immeu- « ble appartenant à un sujet étranger, le propriétaire « et demandeur, quoique sujet étranger, n'a pas be-

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« soin de la présence d'un drogman. Mais, conformé- « ment à l'ordonnance récemment rendue, si le loca- « taire est un sujet étranger, ^affaire doit être jugée « en présence du drogman de ce consulat.

« Comme il est inutile de l'expliquer, le règlement « des questions de loyer entre propriétaires et loca- « taires, tous deux sujets étrangers, devant les Tri- « bunaux consulaires et la requête pour obtenir l'assis- « tance des autorités locales afin de mettre à exécu- « tion des sentences rendues en pareille matière par « les Cours consulaires, sont des actions contraires à « la teneur du traité (lisez protocole de 1868).

« Malgré que les consulats, qui élèvent des objections « etdes prétentions en présence des dispositions expli- « cites du traité sur la matière, ont été maintes fois «K informés que toutes les questions relatives à la « propriété immobilière, y compris celles soulevées « par les locataires, sont de la compétence des tribu- « naux ottomans, les autorités locales ont été infor- « mées que plusieurs consulats continuent encore à « régler des questions de cette nature devant leurs « Tribunaux ; aussi la matière a-t-elle été soumise à « la Sublime Porte afin de mettre un terme à ces dif- « ficultés.

« La réponse récemment reçue du ministre des affai- « res étrangères constate que suivant l'usage en vi- « gueur à Constantinople les questions de l^yer, « même quand les deux parties, propriétaire et loca-

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« taire, sont sujets étrangers, ne peuvent être ré- « glées devant le consulat, mais sont exclusivement « de la compétence des Tribunaux ottomans, et que « le propriétaire, en de telles contestations, bien qu'é- « tranger, ne requiert pas l'intervention de son con- « sulat, mais devient justiciable des Tribunaux ottomans « et n'a conséquemment pas besoin de la présence de « son drogman pendant le procès ; mais si le loca- « taire est sujet étranger, le procès est jugé en pré- « sence de son drogman.

« Nous avons donc à vous informer que des ordres « stricts ont été donnés à ceux qu'il appartient afin que « cet usage soit désormais observé ; les sentences pro- « noncées par les tribunaux consulaires en ces matiè- « res concernant même un propriétaire ou un locataire « étranger, sont considérées comme nulles et non ave- « nues par les autorités locales ».

Le consul anglais répondit à cette circulaire par la lettre suivante adressée au Vali, en date du 31 décembre 1888.

« Excellence, en accusant réception de la circulaire « que V. E. a bien voulu m'adresser en date du 25 de « ce mois concernant le règlement des contestations « relatives aux propriétés immobilières qui appartien- « nent aux étrangers, j'ai l'honneur de faire observer

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« à V. E. que les questions de location ou arrangements « temporaires entre les sujets des puissances étran- « gères ne paraissent pas avoir été considérées jusqu'ici « comme touchant en aucune façon aux responsabilités « qui s'attachent à la possession de ce genre de pro- « priété dans cet empire et que les tribunaux consu- « laires des puissances respectives sont en conséquen- ce ce compétentes pour juger de telles actions entre « étrangers dans le cas leurs protégés seraient les « défendeurs.

« Quant aux tribunaux consulaires britanniques dans « ce pays, l'usage a toujours été que de telles plaintes « soient jugées par devant eux, et à moins d'instructions « de la part de mon gouvernement ordonnant le con- « traire, je ne pourrais promettre à V. E. aucune modifi- « cation à l'usage actuel. Veuillez agréer, etc.

En analysant tout d'abord la circulaire, nous remarquons que les autorités ottomanes se dé- clarent toujours compétentes en matière de louage. Peu importe la nationalité des parties, le tribunal turc est seul compétent. Toutefois la circulaire fait une distinction suivant que le demandeur agit en qualité de propriétaire ou de locataire. Le demandeur agit-il en qualité de propriétaire? Non seulement, il doit intenter son action devant le tribunal ottoman, mais il .n'a même pas le droit de requérir l'assistance

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du consul. Est-ce au contraire le locataire qui intente une action? C'est encore le tribunal ottoman qui est compétent, mais cette fois avec l'assistance du drogman son consulat.

On voit par cette analyse que les autorités ottomanes ne cherchent pas à savoir si l'action est réelle ou personnelle. Conformément à ce que nous avons dit dans le chapitre précédent, la seule question intéressante à leurs yeux con- siste à chercher si avant la loi de Sépher l'action du demandeur était possible. Or, il est évident que l'étranger, qui, avant la loi de Sépher, ne pouvait être propriétaire d'immeubles, ne pou- vait non plus avoir une action en paiement d'un prix de location. Cette seule raison suffit pour qu'il soit entièrement assimilé à un sujet ottoman. Mais si avant la loi de Sépher il n'y avait pas d'étrangers propriétaires d'immeubles, il y avait bien des locataires étrangers. Et cette raison suffit encore pour permettre au preneur étranger ôr. requérir l'assistance de son consul.

Nous voyons encore dans la dite circulaire que malgré la défense faite aux étrangers de s'adresser aux tribunaux consulaires, les con- testations en matière de louage étaient presque toujours portées devant le tribunal du défendeur étranger. La circulaire ajoute que des ordres stricts ont été donnés afin que les autorités

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locales n'accordent aucune valeur aux jugements des tribunaux consulaires. Cette observation nous ramène à ce que nous avons déjà dit dans notre étude interprétative de la loi de Séphor, à savoir quil ne suffit pas qu'un tribunal consu- laire se déclare compétent pour que le jugement rendu donne satisfaction à celui qui a gagné son procès, il faut aussi que l'autorité locale consente à prêter son concours au consul. Or, il est facile de comprendre que si le locataire est condamné au paiement d'une certaine ^omme représentant le loyer dû, et qu'il soit nécessaire de vendre un de ses immeubles pour donner satisfaction au propriétaire, les autorités locales refuseront de revêtir le jugement étranger de la formule exécutoire.

Dans la réponse du consul anglais, nous voyons une protestation basée sur les usages, protestation à l'appui de laquelle il ne fait valoir aucune raison juridique.

Mais, en général, les autorités consulaires qui se déclarent compétentes en matière de louage posent en principe, que le droit du bailleur com- me celui du preneur est personnel et n'est pas par conséquent du ressort des tribunaux otto- mans, qui d'après le texte français de la loi de Sépherne sont compétents qu'en matière réelle.

On le voit, tandis que les autorités turques

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S0 préoccupent peu de savoir si le droit est réel ou personnel, les autorités consulaires au con- traire recher(îhent le caractère de l'action. Dans ces conditions, un accord n'est guère possible, la discussion est portée par chaque partie sur un terrain différent.

Un jugement du tribunal consulaire de France à Smyrne, dont nous aurons l'occasion de parler plus tard, s'occupe incidemment du contrat de location et dit que :

« D'après les errements et la jurisprudence établis, « le tribunal consulaire a qualité pour retenir et juger « les différends qui peuvent se produire en matière de « location ou fermage entre Français, même si l'une « des parties en cause est propriétaire » (l).

Un autre jugement du même tribunal en date du 22 septembre 1891 s'exprime comme suit :

« Attendu que P. Aliotti se prétend créancier de de « Varèze, pour loyers échus, de la somme de vingt- « trois livres turques ; attendu que le bail a pris fin et « que Pierre Aliotti demande à rentrer en possession « de l'immeuble pir lui loué à de Varèze, condamne

1. Marc Pallamary contre Epoux Summa, 3 juillet 1888.

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« Achille de Varèze à payer à Pierre Aliotti, pour « solde de loyers échus au treize septembre dernier, « la somme de vingt-trois livres turques; ordonne qu'il « quittera la maison qu'il occupe, appartenant au de- « mandeur, dans un délai de quinze jours à partir « d'aujourd'hui et dit, que faute de ce faire, dans le « dit délai, il en sera expulsé, etc. » (1),

* Ce jugement condamne le locataire à payer le solde de son loyer, et de plus lui ordonne de quitter la maison, sous menace d'expulsion.

Le Consul a en effet le droit d'employer la force contre un national qui refuse d'obéir à un jugement rendu contre lui. Ce sont les eavass du consulat qui manu militari font sortir le locataire récalcitrant. Si celui-ci résiste et que les eavass ne puissent à eux seuls en venir à bout, le consul a recours aux autorités locales qui, en fait, prêtent leur assistance.

Donc en fait, les autorités locales se montrent conciliantes toutes les fois qu'on leur demande leur concours pour aider à l'expulsion d'un locataire, mais encore faut-il que ce dernier ne soulève pas d'exception d'incompétence pour réclamer la compétence du tribunal Ottoman. Il

1. Pierre Aliotti contre Achille de Varèze.

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est aisé de comprendre que dans ce dernier cas, les autorités locales seraient trop heureuses de contester toute valeur au jugement étranger.

Nous venons de voir que les autorités consu- laires se déclarent compétentes en matière de louage, tant pour le paiement du loyer que pour l'expulsion du preneur. Il en est ainsi pour les consulats de toutes les Grandes Puissances, ex- cepté l'Angleterre. En effet, depuis la protesta- tion du Consul anglais de Smyrne en date du 31 décembre 1888, de nouvelles instructions, dont malgré nos démarches nous n'avons pu avoir communication, ont lui être données par son gouvernement. Actuellement le consul anglais se déclare compétent pour condamner son national au paiement du loyer, mais non à l'expulsion. Loin de contester la compétence des tribunaux ottomans, il la confirme au con- traire en prêtant son concours anx autorités locales qui ont condamné à l'expulsion le pre- neur sujet anglais.

Tout ce que nous venons de dire ne s'appli- que qu'au cas bailleur et preneur sont tous deux de nationalité étrangère. Mais si Tune des parties est un sujet ottoman, peu importe que l'action soit intentée par l'étranger ou l'otto- man, elle devra nécessairement être portée devant la juridiction locale. Il faut cependant

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faire une distinction : supposons l'action inten- tée par le propriétaire, cellii-ci n'aura aucune assistance du consulat ; si au contraire l'action est intentée par le preneur étranger contre le bailleur ottoman, l'étranger réclamera la pré- sence du drogman consulaire. Ce sont les mêmes règles étudiées plus haut, d'après les- quelles le propriétaire, quelle que soit sa na- tionalité, est assimilé aux sujets ottomans.

Le tribunal mixte de commerce n'est jamais compétent en matière de louage.

Dans la pratique ordinaire, le propriétaire et le preneur dressent un acte privé énumérant leurs obligations respectives. Mais cet acte pré- sente des inconvénients vis-à-vis des autorités locales.

Un moyen plus sûr consiste à dresser un acte authentique : les parties se présentent à la municipalité du lieu se trouve l'immeuble, elles exposent les conditions du louage qu'on transcrit dans un registre spécial et au bas duquel elles apposent leur signature. La muni- cipalité délivre ensuite à chacune des parties une feuille contenant leurs stipulations, contre paiement par moitié d'un droit de 1 0/0 sur le montant du loyer. Ce contrat présente un avan- tage évident, on évite ainsi les difficultés de preuve devant les autorités locales. Grâce à lui,

158 si le locataire est ottoman, on arrive à l'expul- sion au bout de deux à trois semaines ; si le locataire est étranger, les autorités ottomanes prêtent toujours leur concours à l'autorité con- sulaire chargée de l'exécution du jugement de condamnation.

En résumé, la situation du bailleur, comme d'ailleurs celle du preneur, n'est pas nettement définie en présence des prétentions soulevées par les autorités ottomanes. On en revient ainsi toujours à l'interprétation de la loi de Sépher.

Section II. De la vente.

Les formalités qui accompagnent la vente sont fort simples : les deux parties se présen- tent devant l'autorité compétente, le vendeur dit avoir cédé sa propriété moyennant tel prix qu'il déclare avoir reçu, l'acheteur de son côté dit consentir à l'achat et déclare avoir payé en espèces la contrevaleur de son acquisition.

Quant aux propriétaires résidant à l'étranger, ils ont la faculté de nommer des mandataires par acte authentique, dressé conformément aux prescriptions de la loi locale, lequel acte est ensuite légalisé par le consulat ottoman.

Deux règlements, l'un du 9 septembre 1874

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(28 redjeb 1291) applicable aux immeubles Mulk, l'autre du 4 avril 1876 (9 rebe-ul-ewel 1293) applicable aux immeubles Mirié, Mev- coufé etVacouf ont eu pour objet de concentrer tous les titres de propriété au Defterhané, soit à la direction des archives du Ministère des finances.

Dans les provinces également, tous les regis- tres sont entre les mains des agents de la direc- tion des archives. Mais ce qu'il faut remarquer, c'est que dans les provinces, les titres délivrés sont jjrovisoires. En droit, un état des achats et ventes devrait être adressé tous les mois au Defterhané'à Constantinople, qui en échange des titres provisoires délivrerait des titres défini- tifs. Mais dans la pratique, on se contente dés titres provisoires, d'autant plus que ceux en- voyés de Constantinople sont le plus souvent erronés, ce service étant spécialement fait par de jeunes employés qui n'ont aucun souci de l'exactitude ni de la précision.

Les titres de propriété sont munis du toughra impérial et du sceau de la direction des archi- ves ; mais les Vacouf constitués parles particu- liers doivent en plus porter le cachet de l'admi- nistrateur (Mutevelli) des dits Vacouf.

Tous les titres de propriété sont donc con- centrés au Defterhané, cependant toutes les fois

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qu'il s'agit d'un Vacouf mis aux enchères, il appartient à l'administration de l'Evcaf de remet- tre le bordereau d'adjudication au dernier enché- risseur, et c'est sur le vu de ce bordereau et du rapport du conseil administratif local que la di- rection des archives délivre le titre, provisoire ou définitif, suivant que la vente a eu lieu dans les provinces ou à Constantinople.

Il faut encore noter que malgré la concentra- tion des titres de propriété au Defterliané, l'a- liénation n'est parfaite pour les biens domaniaux qu'après avoir obtenu le consentement du repré- sentant de l'Etat, et pour les Vacouf celui du représentant de l'Evcaf. Ce consentement cons- titue une simple formalité et ne se refuse jamais.

Cela étant, quel est en matière de vente le tribunal compétent dans le cas l'une des par- ties refuserait de tenir son engagement ? II n'est pas possible de donner une réponse unique, tout dépend de la nature de la contestation. Si nous supposons le demandeur concluant au transfert de la propriété, il est évident que le tribunal consulaire serait incompétent. Ce juge- ment statuant sur une question réelle immobi- lière n'aurait aucune valeur par-devant les auto- rités turques qui, avec raison d'ailleurs, refuse- raient leur exequatur, indispensable en cette

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matière. Mais si, au lieu de conclure au trans- fert de la propriété, le demandeur réclame des dommages-intérêts pour inexécution de l'obli- gation, il ne s'agit plus alors que d'une action personnelle et en vertu de la loi du 7 Sépher, traduction française, le tribunal consulaire se déclare compétent. On peut consulter à ce sujet deux jugements rendus par le tribunal consu- laire de France à Constantlnople, l'un en date du 17 juillet 1891, l'autre du 7 août 1891(1). Il en est ainsi de toutes les actions personnelles, mobilières ou immobilières, mais il n'est pas inutile de faire remarquer que les autorités locales s'en tiennent au texte turc et refusent toute compétence au Consul, dès que la contes- tation a pour fondement un droit immobilier quelconque. Peu importe que l'action tende à des dommages-mtérèts, si cette action a pris naissance à l'occasion d'un immeuble. C'est toujours le défaut d'harmonie entre le texte turc et le texte français. Toutefois, il peut être inté- ressant de voir dans des jugements mêmes quelles sont les raisons invoquées par les tribu- naux consulaires ; dans ce but, nous citerons

1. Glunet. Journal du Droit international privé, 1893, p. 61 à 63.

Aliotti il

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in extenso un jugement inédit du Consulat Gé- néral de France à Smyrne. Il a été rendu le 25 septembre 1885 et est ainsi conçu (1) :

« Le Tribunal, après avoir délibéré conformément « à la loi, jugeant en matière civile et en premier res- « sort, ouï les parties contradictoirement sur la pré- « tention émise par Bachadour que l'instance actuelle « ayant pour objet la prise de possession d'un immeu- « ble, la juridiction consulaire est incompétente aux « termes du protocole de Sépher 1284 qui en admet- « tant les étrangers au droit de propriété en Turquie, « les a formellement assimilés aux sujets Ottomans en « tout ce qui concerne leurs biens immeubles, et que « le tribunal civil ottoman a seul qualité pour se pro- « noncer sur un litige de cette nature, attendu que, s'il « est incontestable, que la loi internationale précitée a « conféré aux tribunaux turcs une compétence entière « pour statuer sur tous les procès et contestations re- « latifs à la propriété foncière et sur toutes les actions « réelles, quelle que soit la nationalité des parties, les « dispositions de cet acte, concernant les allribulions « de la justice ottomane, ne doivent pas être interpré- « tées dans un sens absolu; que ces stipulations ne sau- « raient également s'étendre aux actions personnelles

1. Zecchini contre Bacliadou"".

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« ou de nature mixte provenant de causes telles que « l'occupation matérielle d'un immeuble, l'exécution « d'un contrat de location, une demande en expulsion « ou en dommages-intérêts ou toute autre cause simi- « laire d'an caractère personnel ; que les litiges de ce « genre peuvent être valablement portés, le cas « échéant, par le demandeur étranger propriétaire par « devant les juges naturels du défendeur; considérant) « dans l'espèce, que la demande de Zecchini tend uni- « quement à obtenir que Bacliadour quitte les lieux par « lui occupés, et qu'elle a, en conséquence, le caractère « non d'une ac'ion réelle, mais d'une simple action per- « sonnelle et mobilière; que la qualité de légitime pro- « priétaire en laquelle agit le demandeur, ressort suf- « fisarament du temessuk qu'il a présenté à l'audience, « litre revêiant toutes les formes extérieures des actes « authentiques émanant de l'autorité locale par-devant « laquelle s'opèrent légalement, à la suite de ventes et « achats, les transferts de biens immeubles ; considé- « rant que la prétention du défendeur à la propriété de « l'immeuble en question n'est appuyée sur aucun do- « cument régulier et probant et constitue, en fait, une « pure obHgation ; relativement à l'action en revendi- « cation de l'immeuble dont il s'agit, que le défendei-r « a portée devant le tribunal civil ottoman, attendu que « cette introduction d'instance qui, au dire des parties, n'a « d'ailleurs abouti àaucun jugement, ne saurait entraver « le cours de la présente affaire, la juridiction consulaire

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« statuant sur les contestalions qui lui sont soumises dans « des conditions de complète indépendance vis-à-vis de « la justice ottomane ; pour ces motifs rejette comme « non recevable l'exception d'incompétence soulevée par « Bachadour, le condamne aux dépens de l'incident « et invite les parties à plaider au fond. Après le pro- « nonce de ce jugement, le défendeur ayant déclaré se « retirer de l'audience, le tribunal poursuivant l'exa- « men de la cause, ouï le demandeur dans l'exposé de « sa requête et dans ses conclusions ; attendu que la « réclamation de Zecchini paraît justifiée et admissible « en droit ; attendu que le défendeur a renoncé à plai- « der et s'est retiré, et qu'il y a lieu d'accorder à son « adversaire le bénéfice du défaut qu'il a requis ; par « ces motifs décide que Bachadour aura à évacuer la « maison et dépendances par lui occupées rue des Ver- « reries ; dit qu'il paiera, en outre, à Zecchini : 1" une « livre turque par jour, à partir du 27 septembre cou- « rant jusqu'au 6, date de la requête introductive d'ins- « tance, conformément à l'acte de mise en demeure « signifié le 29 août ; cinq livres turques par jour « de retard, à partir de la dite requête jusqu'à l'éva- « cuation complète de l'immeuble dont il s'agit ; met à « sa charge les dépens ; déclare ce second jugement « exécutoire sans caution, sauf opposition, ou autre « voie de recours, dans les délais prévus par la loi ».

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L'espèce est très intéressante : i! s'agissait d'un immeuble vendu aux enchères publiques par une personne dont le droit de propriété était contesté, précisément par le détenteur du dit immeuble. L'adjudicataire intente une action contre le détenteur concluant à sa mise en pos- session de la maison ; de son côté, le défendeur soulève une exception d'incompétence basée sur la loi de Séfer. Le côté intéressant de l'espèce soumise au tribunal, c'est que les deux parties prétendaient agir en qualité de propriétaire. Le demandeur, il est vrai, avait un titre de pro- priété (temessuk) ; tandis que le défendeur s'ap- puyait sur des documents d'ordre privé. La question était cependant délicate, car il semble que le tribunal consulaire ne pouvait ordonner au défendeur d'évacuer la maison qu'après s'être prononcé sur le fond, à savoir lequel du deman- deur ou du défendeur était le véritable proprié- taire. Mais en analysant le jugement, on voit bien que le tribunal n'avait pas à se prononcer sur une question de cette nature. En effet, le défendeur ne contestait pas la valeur du titre possédé par le demandeur, mais uniquement son droit de propriété, prétendant que le ven- deur n'étant pas propriétaire n'avait pas pu cé- der un immeuble qui ne lui appartenait pas. La question posée au tribunal était donc la

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suivante : Faut-il accorder foi à un titre pré- sentant toutes les apparences d'un acte régu- lier?

Dans ces conditions, le tribunal n'avait pas à se prononcer sur l'attribution d'un droit de pro- priété, le titre suffisant par lui-même pour re- connaître que le demandeur était propriétaire. Mais à notre avis, il n'aurait pas suffi au défen- deur d'alléguer que le titre possédé par le de- mandeur ne remplissait pas les conditions de validité exigées par îa loi territoriale, il aurait fallu qu'à son tour il produisît un titre présen- tant également l'apparence d'un acte régulier. On comprend aisément que sans cette condition il aurait été commode à tout détenteur de con- tester soit le droit de propriété, soit la valeur du titre invoqué par le demandeur, pour con- clure à l'incompétence du tribunal consulaiie, chaque fois qu'il aurait intérêt à porter la con- testation devant les tribunaux ottomans. Dans l'espèce, et sans chercher à savoir si le défen- deur avait des raisons sérieuses pour se dire lui-même propriétaire, il nous semble que le tribunal consulaire ne pouvait qu'ajouter foi au titre unique présenté devant lui et rejeter con- séquemment l'exception d'incompétence soule- vée par le défendeur.

La partie condamnée ayant fait appel, la Cour

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d'Aix a rendu le 4 novembre 1896 un arrêt con- firmant le jugement attaqué (1).

Nous citerons un autre jugement inédit du tribunal consulaire de France à Smyrne, se trouvent examinées une question de louage et une autre de résiliation d'une vente à réméré. Ce jugement rendu en date du 3 juillet 1888 est ainsi conçu (2) :

« Le Tribunal après en avoir délibéré conformément « à la loi, les parties ayant été respectivement enten- « dues en leurs dires, offres et conclusions; Vu les dis- « positions de la convention conclue entre les parties, « le 27 mars 1886 et par laquelle d'un côté, les époux « Summa ont rendu au sieur Pallamary et transféré « en son nom, une maison d'habitation et deux vignes « situées àBoudja, au prix de 800 liv. Lt., avec facul- « de réméré au profit des vendeurs, pendant un « intervalle de trois ans, et, d'un autre côté, le sieur « Pallamary, acqnéreur, a remis à ferme aux époux « Summa les dites propriétés, moyennant la somme « de 72 liv, Lt. par an, l'attention des juges ayant « été d'ailleurs particulièrement appelée sur les « clauses résolutoires contenues dans l'acte et notam- « ment, sur celle portant qu'en cas de non paiement « à l'échéance, les époux Summa seront déchus du

i. Clunet. Journal du Droit int. privé, 189r, p. 609. 2, Marc PailamcH^y contre époux Summa.

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« droit de rachat, le contrat sera résilié, et le sieur « Paliamary sera libéré de tout engagement vis-à-vis « d'eux et deviendra libre, sans sommation préalable, « de disposer immédiatement des immeubles dont il « s'agit et de les aliéner, comme bon lui semblera, « sans que les vendeurs puissent s'y opposer ; vu le « commandement fait à la date du 11 juin, aux époux « Summa, d'avoir à payer la somme de 72 Lt. « montant du loyer échu, sans préjudice des droits « résultant, pour le sieur Paliamary, du défaut de «paiement; vu le procès- verbal de saisie-gagerie, « pratiqué le 15 juin, à la requête du demandeur, par « la chancellerie du consulat général sur les meubles « garnissant la maison des époux Summa ; considé- « rant que les locataires du sieur Pallamarv n'ayant « pas acquitté à l'échéance du 27 mars 1888 le mon- « tant de la deuxième annuité de fermage, il était loi- « sible à ce dernier d'assurer, par l'acte précité, le « remboursement des loyers à lui dus ; considérant, « toutefois, que le sieur Paliamary en demandant la « validation de la saisie-gagerie en vue de procéder à « la vente aux enchères des meubles sur lesquels elle « a été pratiquée, a conclu, en même temps, à ce « que le tribunal prononce la résiliation du contrat « du 27 mars 1886, et que, par conséquent, le « point principal sur lequel doit porter la décision « des juges est de savoir si le fait du retard mis « par les époux Summa, dans le versement de l'an-

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« nuifé de fermage doit, suivant les termes rigou- « reux de la convention et nonobstant les offres de « paiement faites par eux postérieurement au com- « mandement, entraîner leur déchéance du droit de « rachat des immeubles vendus sous cette condition et « rendre cette vente définitive; attendu que si, d'après « les errements et la jurisprudence établis, le tribunal « consulaire a qualité pour retenir et juger les diffé- « rends qui peuvent se produire en matière de fermage « ou location entre Français, même si l'une des par- « ties en cause est propriétaire, il ne lai appartient « point, aux termes de l'acte inlernational en vigueur, «qui a concédé aux étrangers le droit de propriété « en Turquie, de décider sur les contestations rela- « tives aux propriétés foncières, telles que vente « d'immeubles comme dans l'espèce, et exercice dans « des conditions déterminées de la faculté de rachat ; « Attendu que la réclamation actuelle de loyers se « trouve en fait, étroitement jointe et liée à la ques- « tion immobilière proprement dite et que cette der- « nière question est dominaïite en la cause, l'autre « n'étant qu'accessoire ; Attendu qu'il y a lieu de « prévoir des conflits possibles de juridiction et qu'il « importe essentiellement d'éviter les inconvénients « résubant de jugements contradictoires rendus par « des autorités judiciaires différentes; Pour ces « motifs et tout en maintenant la saisie-gagerie exis- « tante sur les meubles des époux Summa, surseoit à

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« se prononcer sur la validité de ladite saisie; renvoie « les parties se pourvoir devant l'aulorité locale com- « pétente en ce qui concerne la résiliation de la con- « venlion du 27 mars 1886 ».

Cette fois le tribunal consulaire a eu raison de se déclarer incompétent, car la demande tendant à l'attribution d'un droit de propriété il appartient aux autorités locales seules de se prononcer sur une question de cette nature.

Par les jugements cilés ci-dessus, on voit qu'il n'est pas toujours aisé de savoir quelles actions sont de la compétence du tribunal con- sulaire et quelles autres de celle des tribunaux ottomans. A cette première et considérable dif- ficulté, il faut ajouter que les autorités locales n'accordent aucune valeur aux jugements ren- dus par les tribunaux consulaires en matière immobilière, lut-ce à l'occasion d'une action personnelle. Cette observation a déjà été faite plus d'une fois, mais il n'est pas inutile de la répéter encore; peut-êlve les puissances fini- ront-elles par s'émouvoir des embarras créés à leurs nationaux et par s'occuper d'eux avec plus de sollicitude. Une entente internationale est indispensable pour fixer d'une façon précise et définitive le sens de la loi de Sépher ; tant que cette entente ne se produira pas, les consuls

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seront impuissants à lutter avantageusement contre les prétentions de la Sublime Porte. .

Section III. De l'hypothèque.

L'hypothèque a été organisée par la loi du 26 décembre 18G9 (23 ramazan 1286) relative aux immeubles domaniaux et Vacouf, et par la loi du 20 juillet 1870 (21 rebi-ul-arhir 1287) relative aux Mulk.

Pour les immeubles domaniaux ou Vacouf, les fbrmalilés sont fort simples : les parties dressent un acte authentique en présence de l'autorité compétente, laquelle remet au créan- cier un titre de tapou dit hudjet.

Pour les immeubles Mulh, on exige d'abord un certificat du Conseil des Anciens ou du Moukhtar du quartier établissant qu'il s'agit bien d'un immeuble Mulk, ce certificat est pré- senté au tribunal civil qui délivre un permis d'hypothèque, et c'est sur le vu de ce permis que le tribunal religieux fait au créancier la re- mise du liire.

Mais il ne faut pas perdre de vue que les lois du 9 septembre 1874 et 4 avril 1876 ont modifié les règles ci-dessus en concentrant tous les titres de propriété ou Deflerhané, qui est maintenant

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chargé de recevoir tous les actes, quels qu'ils soient, et de délivrer tous les titres (hudjets) sans distinction de la nature des immeubles.

Il est intéressant de faire remarquer que l'hy- pothèque, en Turquie, est consentie sous forme d'une vente à réméré. Il y a deux manières de procéder à cette vente. Un premier système con- siste à atîecter l'immeuble au paiement de la dette et à donner en même temps mandat à une personne déterminée de vendre l'immeuble, si à l'échéance le débiteur n'a pu se libérer. Dans le second système il n'intervient aucun mandat, ce qui fait qu'à l'échéance le créancier, à la dif- férence du mandataire, ne peut vendre l'immeu- ble affecté à son hypothèque qu'après autorisa- tion de l'autorité compétente.

Mais quel que soit le mode employé, cette vente à réméré n'a jamais pour objet de rendre le créancier propriétaire. Le créancier est tout simplement un dépositaire, dont les droits sont plus ou moins étendus, suivant que l'hypothè- que a été constituée avec ou sans mandat de vendre.

Si le débiteur paye à l'échéance, le créancier doit lui faire remise du titre et mention en est faite dans un registre spécial.

A la mort du débiteur, les droits du créancier varient suivant que l'hypothèque portait sur un

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immeuble Miil k , domanial ou Vacouf. S'il s'agit d'un immeuble Mulk et que celui-ci soit insuf- fisant pour le paiement total de la dette, le créancier peut concourir pour le solde de sa créance sur tous les biens meubles et immeubles Mulk de la succession. Si au contraire il s'agit d'un immeuble domanial ou Vacouf, le créancier doit d'abord s'attaquer aux biens meubles ou immeubles Mulk dépendant de la succession et cas d'insuffisance seulement sur l'immeuble domanial ou Vacouf affecté à la garantie de sa créance. Mais en aucun cas, il n'a le droit de se faire payer sur les autres immeubles domaniaux ou Vacouf, qui vont aux héritiers libres de toutes charges.

Quel est le tribunal compétent en matière de garantie hypothécaire ?

Pour répondre à cette question, nous ne sau- rions mieux faire que de reproduire deux juge- ments inédits du consulat général de France à Smyrne, rendus tous deux dans la même affai- re ; nous les commenterons ensuite. L'espèce est assez intéressante : le débiteur avait remis en garantie des immeubles situés à Rhodes et les avait transférés au nom du créancier. L'opé- ration se présentait ainsi comme une vente ré- gulière, mais le créancier avait à son tour déli- vré une contre-lettre reconnaissant que l'acte

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translatif était fictif et représentait uniquement une garantie hypothécaire. De plus, le débiteur avait remis en dépôt des meubles, tableaux et objets d'art que le créancier gardait dans une maison de campagne qu'il possédait au hameau de la Treille, banlieue de Marseille. Le débiteur intente une action contre son créancier lui de- mandant la restitution des biens sus-indiqués contre paiement de sa dette, et conclut à des dommages-intérêts pour le cas le créancier refuserait d'opérer les dites restitutions. Le dé- fendeur fait défaut et le tribunal en date du 2 juillet 1889, prononce la condamnation sui- vante (1) :

« Le Tribunal condamne, par défaut, Cayol à resti- « tuer à Cova, dans un mois à partir du jour de la si- « gnification du présent jugement, les immeubles sus- « indiqués, sis à Rhodes, en effectuant un nouveau « transfert des titres de propriété au nom de Cova ; « que, de son coté, et en vue de l'exécution de la pré- « sente décision, Cova devra se tenir à la disposition de « Cayol, ou sinon lui désigne":* une personne chargée « de le représenter pour l'accomplissement des forma- « lités du transfert et la réception des susdits immeu- « blés ; Dit que Cayol devra remettre également Cova

1. Jean-Baptiste Cova contre Guillaume Cayol.

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« en possession ou livrer à toute personne qu'il aura « choisie à cet efï'el, les meubles, tableaux et objets « d'art à lui confiés et qui avaient été déposés à la « maison de la Treille ; Que ces restitutions n'auront « lieu toutefois que contre paiement par Cova de la « somme de 11.600 francs dont il se reconnaît débiteur « envers Cavol ; Décide, d'autre part, qu'en cas « d'inexécution, par la faute de Cayol, des dispositions « préciiées, il sera procédé à toute enquête et à l'em- « ploi de tous moyens estimatifs qui seront jugés con- « venablespour déterminerla valeur des immeubles et « objets mobiliers dont s'agit, à l'etret de fixer le mon- « tant des dommages-intérêts qni pourront être éven- « tuellement attribués à Cova ».

Le second jugement est ainsi conçu (1) :

« Le Tribunal après avoir ouï le demandeur dans son « exposé des circonstances de la cause, et le défendeur « dans son exception tendant à faire prononcer Tin- « compétence du tribunal pour la partiede l'instance « qui concerne les immeubles, sis à Rhodes et inscrits « en son nom ; sur la question préjudicielle soulevée « par Cayol ; Considérant que, si en principe général et « par application des dispositions des art. 2 et 3 delà loi « ottomane du 7 Sépher 1284 concédant aux étrangers « le droit de propriété immobilière en Turquie, les

1. Cova c. Cayo', 4 mars 1890.

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« juridictions consulaires ne peuvent être valablement « saisies de procès relatifs à la propriété foncière « ainsi que de touies actioas réelles ayant pour objet « la discussion ou la revendication de biens immeu- « blés, cette incompétence ne saurait, toutefois, s'é- « tendre aux contestations dans lesquelles le droit de « propriété n'est point en litige et qui revêtent un « caractère personnel et mobilier ; considérant que le « procès actuel présente ce.> dernières conditions en « ce qu'il tend à l'obtention d'un règlement de comp- « tes entre les parties et à la fixation éventuelle de « dommages-intérêts au profit de l'une d'elles ; con- « sidérant que, telle's étant les circonstances de Va^- « faire, la question du droit de propriété étant hors de « discussion et s'agissant en réalité d'une action per- « sonnelle en règlement de compte judiciaire, la ju- « ridiction consulaire a qualité pour déterminer une « base juste et équitable du règlement à intervenir « et qu'elle n'excède pas la limite de ses pouvoirs en « s'attrlbuant, à cet effet, la faculté de prononcer sur « les conséquences dolosives qu'aurait pour Cova le re- « fus de Cayol soit à lui restituer les immeubles contre « acquittement du prêt sus-mentionné, soit de lui tenir «compte delà différence qu'il prétend exister entre « leur 'valeur estimative et le montant de cette dette ; « pour ces motifs, décide que l'exemption d'incompé- « pétence soulevée par Cayol n'est point admissible, « l'en déboute et met à sa charge les dépens. »

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Nous remarquons que le tribunal se préoccupe de la distinction entre les actions personnelles et les actions réelles. S'il se déclare compétent, c'est qu'il s'agit d'une action essentiellement personnelle et même mobilière, du moment que le demandeur conclut à des dommages-intérêts. Il est évident que le tribunal consulaire aurait été incompétent s'il s'était borné à ordonner au créancier de transférer à nouveau les titres de propriété au débiteur. Ce jugement serait resté sans effet, car il appartient aux autorités otto- manes seules de se prononcer sur une question d'attribution de propriété. Voilà pourquoi le tribunal, qui commence par ordonner au créan- cier de retransférer les titres de propriété, a soin de condamner à des dommages-intérêts en cas d'inexécution. En d'autres termes, le tribunal consulaire est compétent toutes les fois qu'il s'agit d'une action personnelle ne touchant pas au régime de la propriété foncière. Conformé- ment à cette théorie, il connaît des contestations ayant trait, comme dans l'espèce visée plus haut, à un règlement de comptes, à une fixation de dommages-intérêts, ou encore d'un procès ayant pour objet l'existence ou l'extinction de la dette. Mais, d'autre part, sont de la compétence des tribunaux ottomans, tous différends ayant pour objet la validité de l'acte hypothécaire, ainsi

AUotti 12

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que toutes les actions tendant à la vente de Tim- meuble, à l'exercice du droit de préférence et à la répartition du prix entre créanciers.

Mais nous devons encore ajouter ici que les autorités locales ne reconnaissent aucune valeur aux jugements consulaires en matière hypothé- caire, d'où des difficultés insurmontables toutes les fois que pour donner satisfaction au bénéfi- ciaire du jugement, il est nécessaire de procéder à une vente immobilière. Peu importe que la condamnation ait pour objet une somme d'ar- gent, le procèsa pris naissance à l'occasion d'un immeuble, et cela suffît aux yeux des autorités ottomanes.

CHAPITRE VI . EXÉCUTION DES JUGEMENTS CONSULAIRES

La plupart des difficultés qui surgissent à l'occasion de l'exécution des jugements ayant pour objet des immeubles, nous avons pensé qu'elles seraient mieux comprises en plaçant cette question à la fin de notre étude sur la pro- priété immobilière.

Aux termes de l'article 3 in fine de la capi- tulation de 1533 :

« Au cas que les ordonnances et sentences des dits

« bailles et consulz ne fussent obéyes, et que pour

•« les faire exécuter ils re:[uissent les sousbassy et

« autres requis devront donner leur aydeet main for(e

« nécessaire. »

Cette disposition est toujours en vigueur, mais il est utile de rappeler que les étrangers ne pouvant à cette époque être propriétaires d'immeubles, elle ne s'applique qu'au cas la

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contestation est survenues l'occasion des biens meubles et qu'il s'agit d'exécuter la sentence sur des biens meubles également.

Eh bien, toutes les fois que des immeubles ne sont pas en jeu, la règle est fort simple : un jugement consulaire a en Turquie la même force qu'a en France un jugement rendu par les tri- bunaux français. Dans ce cas, la fiction d'exter- ritorialité est parfaite, le jugement consulaire est censé avoir été rendu sur le sol français et n'a pas besoin de l'exequateur des autorités ter- ritoriales. Les consuls connaissent de l'exécu- tion de leurs jugements, mais si l'aide des auto- rités locales peut leur êlre utile, ces dernières sont obligées de prêter main forte.

Il en est de même d'un jugement rendu en France par un tribunal français contre un sujet Français. En vertu de l'article 10 de l'ordon- nance de 1833, ce jugement est exécutoire dans les consulats pourvu qu'il ait été légalisé par le ministère des affaires étrangères (1). Les auto- rités ottomanes ne peuvent pas s'y opposer, sous prétexte qu'il a été rendu dans un pays étran- ger, car on ne leur demande rien, c'est le con- sul qui procède à son exécution, tout comme si ce jugement avait été rendu par lui.

1. Féraud-Giraud, De la Juridiction française dans les Echelles du Levant ^ vol. 2, p. 306.

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Mais si le jugement a été rendu en France contre un étranger, quelle valeur ce jugement aura-t-il en Turquie? Nous exceptons le cas d'un sujet ottoman en cause, soit comme deman- deur, soit comme défendeur. Eh bien, tout dé- pend des traités existant entre le pays qui a rendu le jugement et le pays dont relève l'étran- ger condamné ; à défaut de traités, il faudra .consulter la législation de ce dernier pays et voir à quelles conditions le jugement est rendu exécutoire. L'étude de cette question nous écar- terait du but que nous nous proposons, nous ne faisons que l'indiquer.

Si le jugement a été rendu en France en faveur d'un ottoman contre un Français, établi ou résidant dans les Echelles, il sera exécutoire en Turquie, tout comme s'il avait été rendu au profit d'un autre étranger. Mais si nous suppo- sons ce même jugement rendu en France contre un Ottoman, il sera sans valeur dans l'espèce, car pour être rendu exécutoire il faudra le por- ter par-devant le tribunal de commerce mixte et nous savons que, par un usage constant en Turquie, ce tribunal est seul compétent pour connaître d'un procès dont une des parties est sujet ottoman.

Cette règle, toute exorbitante qu'elle paraisse lorsqu'il s'agit d'un jugement émis dans un

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Etat étranger, s'explique par ce fait qu'il n'existe aucune convention entre la Sublime Porte et les autres pays concernant l'exécution des juge- ments rendus à l'étranger, et que d'autre part la législation ottomane est muette sur la ques- tion qui nous intéresse.

Dans la première hypothèse, nous avons donné, il est vrai, une solution différente, mais c'est parce que le jugement rendu contre un Français est exécutoire de plein droit.

Tout ce que nous venons de dire s'applique exclusivement aux jugements entraînant une exécution sur les biens meubles et sur la per- sonne. Nous arrivons maintenant à la partie la plus délicate, celle ayant trait à l'exécution im- mobilière. A cet effet, il est utile de se reporter à l'article 3 de la loi du 7 Sépher qui dit que toutes les fois qu'un étranger a fait faillite et qu'il devient nécessaire de vendre ses immeu- bles, le syndic devra s'adresser aux autorités turques, qui auront à examiner si les dits im- meubles sont susceptibles d'être vendus en paie- ment de dettes. Il en sera de même pour tout jugement consulaire, quel qu'il soit, en vertu duquel on requiert la vente des immeubles du débiteur. On se rappelle que dans le chapitre relatif à l'interprétation de la loi de Sépher, nous avons relevé que le texte turc ne parle pas

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de tout procès indistinctement, mais d'un procès pour une affaire qui ne concerne pas les biens immeubles.

Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, c'est qu'un jugement du tribunal consulaire ne peut plus être considéré comme exécutoire de plein droit, dès qu'il s'agit d'une vente de biens im- mobiliers. Dans la pratique, les choses se pas- sent de la façon suivante : le consul ne pouvant pas de sa propre autorité procéder à la vente, il déclare par écrit sur le dos du jugement qu'il est exécutoire. Alors sur la demande du bénéfi- ciaire du dit jugement, le Président du tribunal civil ottoman, en sa qualité de chef du bureau exécutif, ordonne la vente forcée de l'immeuble. Mais le rôle du Président ne se limite pas à or- donner la vente forcée de l'immeuble, il doit au préalable, vérifier si l'immeuble en question ré- pond des dettes du propriétaire et d'autre part, se référant au texte turc de la loi de Sépher, si le jugement n'a pas été rendu à la suite d'un procès concernant les biens immeubles. Les investigations du gouvernement turc ne vont pas plus loin, ainsi le Président du tribunal otto- man n'a pas à voir si le débiteur a été justement condamné. Cela ne le regarde pas.

Un premier point à noter, d'une importance considérable, c'est que certains inimeubles ne

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peuvent être vendus pour paiement de dettes.

Sous l'empire du code de 1858, les immeu- bles Mirié, Meveoufc et Vacouf idjareteïn ne répondaient pas des dettes du propriétaire, ils ne pouvaient être vendus sans son consente- ment. C'était, comme on le voit aisément, une prime accordée à la mauvaise foi ; le débiteur pouvait être riche et cependant le créancier était impuissant contre lui. Il n'était même pas possible d'opérer une saisie sur les biens meu- bles qu'il aurait eu la précaution de cacher dans les appartements du harem, cette partie de l'habitation étant en quelque sorte sacrée pour les Turcs.

Cette dernière observation reste toujours vraie, mais une loi du 2 décembre 1869 (28 chaban 1286) complétée par une autre loi du 28 décem- bre 1871 (15 Chewal 1288) vint décider qu'à l'avenir les immeubles Mirié, Mevcoufé et Va- couf idjareteïn pourraient être vendus sans le consentement du propriétaire.

Aujourd'hui donc, tous les immeubles répon- dent des dettes du propriétaire, mais une loi du 17 juin 1879 (27 Djemaz-ul-ahir 1296) réserve au débiteur une maison de peu de valeur pour y loger ainsi que sa famille, ou un lot de ter-re suffisant pour subvenir à leur entretien.

Ces lois ont réalisé un progrès énorme, mais ^

185

il n'en est pas moins vrai que dans la pratique toutes les difficultés ne sont pas encore apla- nies. Pour n'en citer qu'une seule, une pre- mière difficulté consiste à fixer quelle maison ou quel lot de terre il convient de laisser au débi- teur. Or, il est aisé de comprendre que si le demandeur est étranger et le défendeur otto- man, cette difficulté, qui n'en serait pas une avec un peu de bonne volonté de la part des au- torités locales, devient presque insurmontable et donne lieu à des lenteurs désespérantes.

Toutes ces lois sont applicables aux étrangers au mémo titre qu'aux Ottomans.

A notre avis, la loi de 1879 est quelque peu immorale. Que l'on suppose en effet un indi- vidu qui de mauvaise foi, à la veille de faire faillite, a acheté une maison avec l'argent de ses créanciers, ceux-ci ne pourront rien contre lui, car il a droite une maison d'habitation. Le consul n'ayant pas la faculté, de sa propre auto- rité, de procéder à la vente de l'immeuble, son national jouira en paix du fruit de sa mauvaise foi.

Les débiteurs de mauvaise foi ont encore une autre flèche à leur arc : dès qu'ils sont menacés d'une condamnation, ils transfèrent leurs immeu- bles au nom d'une tierce personne et il devient dès lors très difficile d'en découvrir la fraude.

186

Pour la preuve, on exige généralement l'aveu ou le serment du prête-nom. Ici encore le consul est impuissant contre son national.

Le second point relevé dans la loi de Sépher, c'est que le jugement consulaire ne doit pas être intervenu à l'occasion d'un procès concernant un immeuble. Nous n'entendons pas par un procès ayant pour objet l'attribution de la pro- priété ou la constitution d'un droit réel, mais tout procès d'après le texte turc s'agite l'image d'un immeuble, un procès en domma- ges-intérêts par exemple pour inexécution d'une obligation personnelle immobilière.

Il résulte de ce qui précède, que l'exécution d'un jugement est toujours difficile en matière immobilière, que souvent même elle est insuf- fisante pour satisfaire à tous les intérêts du créan- cier. Deux raisons surtout en sont la cause : d'abord le fonctionnement parallèle de plusieurs juridictions; et plus encore le mauvais vouloir des autorités turques qui, dès qu'un étranger est en cause, font tout pour le décourager et entra- ver la justice.

TITRE TROlSiEiME

DES SUCCESSIONS

CHAPITRE I

SUCCESSION MOBILIÈRE

Toutes les capitulations ont prévu le cas un Français mourrait dans les Echelles du Le- vant, pour stipuler expressément la compétence du consul en matière successorale.

L'article 9 de la capitulation de 1S35 estainsi conçu.

« Tous marchantz et subgetz du Roy en toute part « de la seigneurie du G. S. puissent librement tester, « et mourant de mort naturelle ou violente, que toute « leur robe, tant en deniers comme en toute autre « chose soit distribuée selon le testament ; et mourant « ab intestat, ladite robe soit restituée à l'héritier ou à « son commis par les mains ou autorité dudit baille ou consul, au heu sera l'un ou l'autre, et il n'y « aurait ni baille ni consul, soit ladite robe mise en « sauveté par le cady du lieu, soubz l'aucthorité dudit

190 « G. S., faisant d'icelle premièrement inventaire en « présence de tesmoins ; mais seront lesdits baille « et consul, qu'aucun caddy, battelmagy, ou autre se « puysse empescher de ladite robe, ains si elle estoit « en mains d'aucun d'eulx et d'autre et que lesdits baille « ou consul la requissent premier que ledit héritier ou « son commis, qu'incontinent, et sans contradiction, « elle soit entièrement consignée audit baille ou consul « ou à leurs commis pour puys après estre restituée « à qui elle appartient ».

Cet article est très intéressant et nous fournit la solution delà plupart des questions que nous aurons à examiner, aussi voudrions-nous aussi- tôt en faire l'analyse. Nous y voyons :

Qu'un Français peut librement tester.

2" Que ses biens seront distribués selon le testament.

Que s'il meurt sans avoir fait de testament^ c'est au consul à faire le partage des biens.

Que si le Français meurt dans une localité autre que celle se trouve la résidence consu- laire, les autorités locales doivent procéder à l'inventaire de la succession et garder les biens à la disposition des héritiers ou du consul.

Que les autorités locales n'ont aucun droit d'immixtion dans les localités se trouve une agence consulaire.

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Que toutes les fois que les biens de la suc- cession se trouvent entre les mains des autorités locales, celles-ci doivent s'en dessaisir à la pre- mière réquisition du consul, à moins que lesdits biens n'aient déjà été appréhendés par les héri- tiers du de cujus.

Les autres capitulations ne s'expriment pas autrement : 1569, art. 5 ; 1581, art. 7; 1597, art. 20 ; 1604, art. 41 ; 1673, art. 28 ; 1740, art. 22.

Il résulte de ce qui précède, que la Turquie ne s'est réservé aucun droit d'immixtion dans la succession d'un Français mort sur son territoire. Les termes des capitulations sont formels, au- cune difficulté à cet égard. Le consul est donc seul compétent pour régler la liquidation ou le partage d'une succession.

Nous avons supposé jusqu'ici des héritiers de même nationalité quele de cujus. Prenons main- tenant une succession dont les héritiers sont des Français, des étrangers de nationalité diffé- rente et des Ottomans. Le Consul de France est- il toujours compétent? Aucun doute à. ce sujet, pour ce qui concerne les Français et les étran- gers. Cette solution est exacte, non seulement à cause des termes même des capitulations qui ne s'inquiètent pas de la nationalité des héritiers, mais aussi en vertu des règles de compétence

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sur la juridiction consulaire, règles qui décident que les consuls connaissent de toutes actions in- tentées contre leurs sujets par des étrangers de nationalité différente. Or, en supposant des hé- ritiers étrangers venant demander leur part d'héritage à leurs cohéritiers de même nationa- lité que le de cujus^ ils devront nécessairement s'adresser au tribunal devant qui la succession est ouverte.

La question est sans doute plus délicate quand parmi les héritiers se trouve un sujet ottoman. En étudiant la compétence des tribunaux dans les Echelles du Levant, nous avons vu que toute contestation entre sujets étrangers et ottomans doit nécessairement être jugée par le tribunal mixte de commerce. Cette règle doit-elle encore être suivie en matière successorale ? La ques- s'est présentée à Salonique en 1879 dans les termes suivants : un ottoman, créancier d'une succession hollandaise, prétendait que le tribu- nal mixte était compétent; le consul hollandais insistait au contraire pour la compétence du tribunal consulaire. Pour donner une solution à Taffaire, on s'en référa à Gonstantinople, et la Sublime-Porte adressa une note à la légation de Hollande disant que le tribunal consulaire au- rait été sans aucun doute compétent si le sujet ottoman avait exercé son action en qualité d'hé-

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ritier, mais il avait agi en qualité de créancier, ce qui est tout différent.

Nous prenons donc note que le gouvernement turc ne fait aucune difficulté pour reconnaître la compétence du tribunal consulaire, toutes les fois que parmi les héritiers se trouve un sujet ottoman. Mais si au lieu d'être héritier, le sujet ottoman est créancier du de cujus, le consul cesse-t-il toujours d'être compétent ? Une distinction s'impose suivant que la créance est admise ou contestée. La créance est-elle admise ? la question ne se pose même pas, le consul reste compétent pour la liquidation et distribution entre créanciers des biens de la succession. La créance est-elle contestée ? le créancier ottoman peut porter son action par- devant le tribunal mixte de commerce. En som- me, nous retrouvons ici les mêmes règles qu'en matière de faillite, dont nous avons dit un mot dans le chapitre ayant trait à la juridiction con- sulaire. Ce qu'il importe surtout de mettre en relief, c'est que la succession comme la faillite sont de la compétence exclusive du consul, qui seul a le droit de régler le partage et la distri- bution des biens. Et si nous permettons au su- jet ottoman de s'adresser au tribunal mixte, c'est uniquement au point de vue de la validité de sa créance. Il avait ce droit au moment de

Aliotti 13

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la création de l'obligation, et la survenance d'un événement, tel que la faillite ou le décès de son débiteur, ne saurait le lui enlever. Le seul changement amené par la faillite ou le décès, c'est la concentration entre les mains du consul de la liquidation, du partage et delà dis- solution des biens entre les ayant -droit.

Cette manière de voir est conforme à la note de la S. Porte citée ci-dessus, mais nous sommes obligés d'avouer qu'elle est généralement con- testée par les puissances, qui refusent toute immixtion des tribunaux ottomans en matière de faillite ou de succession. Quant à nous, nous croyons plus juridique la théorie du gouverne- ment turc.

Mais si le consul est seul compétent pour régler la succession d'un national, quelle loi doit-il appliquer ? Est-ce la loi nationale du de cujus, est-ce la loi de son domicile ? Toutes les législations ne suivent pas en effet les mêmes règles, les unes sont dans un sens, les autres dans l'autre. En France également cette ques- tion est controversée, la doctrine et la juris- prudence sont divisées. Notre éminent maître M. le professeur Renault se prononce nettement en faveur de la loi nationale. Voici d'ailleurs ce qu'il dit à ce sujet :

195

« Il est assez difficile de dire quelle est exactement « la solution de la jurisprudence, ses décisions n'étant « ni très précises, ni très concordantes. Générale- « ment, les arrêts parlent de la loi du domicile, con- « formément à l'ancienne doctrine qu'ils appliquent « soit aux étrangers en France, soit aux Français à « l'étranger ; quelquefois ils contiennent des expres- « sions ou des réserves qui supposent la doctrine de « la loi nationale. Nous pensons que c'est la nationa- « lité qui doit déterminer ici la loi applicable ; il sem- « ble, en effet, résulter de l'art. 3, al. 3, du code civil, « que la. loi française régit l'état et la capacité des « Français, quel que soit le caractère de leur établis- « sèment en pays étranger ; il n'y a pas de raison « sérieuse de distinguer entre la loi sur l'état de la « perso.nne et la loi sur la dévolution de la succession. « Nous ne nous écartons pas de la doctrine ancienne ; « celle-ci s'attachait au domicile, parce que, pour elle, « le domicile déterminait le statut personnel. Comme, « pour nous, la nationalité règle le statut personnel, « elle doit avoir le même effet pour la succession mobi- « lière » (1).

M. le professeur Laine, dans sa remarquable c( Etude critique de jurisprudence », définit ainsi la pratique suivie par les tribunaux français :

1. Glunet : Journal du droit ini. privé, 1875, p, 342,

196 « Notre jurisprudence admet que la succession mo- « bilière des Français est régie par la loi du pays « ils sont domiciliés ; que la règle de droit internatio- « nal reçue dans, ce pays soumette, au contraire, la « succession soit à la loi du lieu les biens sont « situés, soit à la loi nationale du défunt, ce sera cette « règle étrangère, non la règle française, que nos tri- « bunaux auront à suivre (1) ».

M. Laine s'élève avec force contre ce système qu'il appelle ce étrange d.

Nous ne pousserons pas plus avant l'examen de cette question, ce qui nous écarterait du but de notre étude, d'autant plus que, d'après nous, quel que soit le parti que l'on adopte, la solu- tion sera la même. En effet, la Turquie est pla- cée sous un régime tout autre que celui des États chrétiens. Il ne faut pas perdre de vue que les étrangers ne sont pas soumis aux lois loca- les, qu'ils relèvent de l'autorité du consul et que toutes leurs contestations sont portées devant le tribunal consulaire qui applique les lois natio- nales. Mais, du moment que sans restriction aucune, excepté toutefois en matière immobi- lière, les étrangers ne sont soumis qu'à leurs lois nationales, nous ne voyons aucune raison pour établir une règle différente en matière de

1. Glunet : Journal du droit int. privé, 1896, p. 257.

197

succession mobilière. C'est d'ailleurs dans ce sens que se sont toujours prononcés les tribu- naux consulaires, même ceux relevant d'un Etat qui, d'ordinaire, soumet la succession mobilière à la loi du domicile.

Une autre question assez intéressante est celle de savoir quelles conditions doit remplir un tes- tament fait en Turquie pour être valable.

Aux termes de l'article 999 du Code civil :

« Un Français qui se trouvera en pays étranger, « pourra faire ses dispositions testamentaires par acte « sous signature privée, ainsi qu'il est prescrit en l'ar- « ticle 970, ou par un acte authentique, avec les for- « mes usitées dans le pays cet acte sera passé. »

Cet article a donné lieu à des interprétations différentes. D'après certains auteurs, les mots par acte authentique sont pris par opposition aux mots par acte sous signature privée, et désignent toute forme de testament autre que la forme olographe. D'après d'autres, prenant à la lettre l'article 999, ils disent que le Français ne peut tester que de deux manières différentes :

Dans la forme olographe, conformément à l'article 970. Il importerait peu que la loi du pays n'admît pas cette forme de testament.

Par acte authentique passé suivant les for-

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mes prescrites, quelles qu'elles soient, par la loi du lieu se trouve le testateur.

Sans prendre parti pour le moment dans cette controverse, nous nous contenterons de remar- quer que l'article 999 consacre l'application de la règle locus régit atum, toutes les fois qu'il s'agit d'un testament par acte authentique. Mais, dit-on, si cette règle est vraie partout, il faut faire exception pour la Turquie, oii en vertu des capitulations les étrangers sont considérés comme n'ayant pas quitté le sol de leur patrie. C'est pousser bien loin la fiction d'exterritorialité, il est facile de voir que la situation des étrangers n'est pas tout-à-fait telle qu'on veut bien le dire. Qu'il nous suffise de rappeler que le Français n'est pas toujours justiciable de ses propres tribunaux, c'est donc qu'il ne peut être consi- déré comme vivant sur le sol français.

Nous avons d'ailleurs vu que la règle locus régit actum est applicable au mariage, le plus solennel des contrats, et nous ne voyons aucu- ne raison de faire exception en faveur du tes- tament. Nous y puisons au contraire un argu- ment pour prendre parti dans la controverse signalée plus haut et pour pencher plutôt vers le premier système, c'est-à-dire celui admet- tant comme valable tout testament fait dans la forme locale, autre que la forme olographe.

199

Nous savons bien que cette interprétation n*est pas conforme aux termes restrictifs de l'article 999, mais elle résuite de l'ensemble de l'esprit de notre législation. En effet, si un mariage est valable, même s'il n'a été entouré d'aucune for- malité, comme par exemple en Ecosse et dans certains Etats de l'Amérique, le seul consen- tement des parties suffît, comment adopter une règle différente pour un autre acte, certaine- ment moins important que le mariage.

Féraud-Giraud se prononce dans ce sens. Il se demande quelle valeur il faut attribuer à un acte sous-seing privé, lorsque les coutumes des Echelles autorisent cette forme, alors même que les lois de la métropole exigent l'emploi de la forme authentique et conclut en disant que :

« Dans ce cas encore la règle locus régît actiim doit « recevoir son application et la validité de l'acte doit « être reconnue » (1).

Nous lisons encore dans un jugement cité par M. Colin, qui d'ailleurs ne partage pas l'a- vis du tribunal :

« Que la jurisprudence a même autorisé, par une

1. Juridiction française dans les Echelles du Levant et de Barbarie, t. II, p. 106.

200

« exception nécessaire, l'absence des formes solennel- « les ou publiques, lorsque ces formes sont inconnues « dans le pays traversé par le testateur » (2).

Eh bien, taisons un pas de plus et reconnais- sons la validité de tout testament fait dans la forme locale, autre que la forme olographe, même dans un pays les formes solennelles ou publiques ne sont pas inconnues.

Nous reconnaissons cependant que doctrine et jurisprudence se prononcent en général dans un sens opposé.

Quoi qu'il en soit, en Turquie, un testament est considéré authentique quand le testateur ac- compagné de témoins se présente chez le Cadi, que ce dernier dresse l'acte et que le testateur le signe. Le testament est même considéré au- thentique, lorsque, fait en présence de témoins, il est légalisé par le chef d'une communauté religieuse ottomane.

Un testament fait dans ces conditions est cer- tainement valable aux termes de l'art. 999. Ce- pendant Féraud-Giraud est d'un avis contraire pour ce qui concerne le cadi :

« Parce que les autorités locales parfaitement com- « pétenles dans les pays de chrétienté, ne le sont pas

1. Glunet. Journal du Droit international privé, 1897, p. 84.

201

« à l'égard des Français dans les pays hors chrétienté « par ses traités et par ses lois, la France a réser- « à ses agents sur les lieux, le droit de recevoir « ces actes à l'exclusion de tout agent du gouvernement « du pays (1) ».

Féraud-Giraud se trompe assurément, nous n'en voulons pour preuve que les stipulations formelles des capitulations, dont celle de 1740 art. 23 dit que les Français ce se rendront chez le Cadi, ils %ront dresser un acte de leurs ac- cords, etc. i)

Sans doute, les capitulations ne prévoient pas spécialement le testament, mais elles se pronon- cent d'une manière générale et il n'y a pas lieu d'introduire des exceptions. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes dans le sens que que nous indiquons.

Il nous reste à voir si les Français, qui peu- vent tester dans laforme locale, suivant les pres- criptions de l'art. 999, peuvent aussi s'adresser aux agents consulaires pour la rédaction des dispositions testamentaires.

L'art. 24 de l'ordonnance de 1681 s'exprime en ces termes :

l.T. II, p. 106.

202

Les testaments reçus par les chancelie rs dans « Pétendue du Consulat, en priésence du Consul et de « deux témoins, sifjnés d'eux, sont réputés solennels».

Or, on s'est demandé si en présence de la loi du 25 ventôse an XI et de l'art. 999 du Code civil, il ne fallait pas considérer comme abrogée la disposition relative aux testaments de l'or- donnance de 1681. Cette question était discu- tée jusqu'en 1834, époque à laquelle une circu- laire du ministère des affaires étrangères vint reconnaître la compétence des chanceliers pour recevoir les testaments. Nous avons encore l'art. 988 du Code civil (loi du 8 juin 1893) qui établit clairement leur compétence. Celle-ci ne peut donc plus être contestée, mais on discute sur les formalités que les chanceliers peuvent avoir à observer.

Un premier système s'en tient aux prescrip- tions de l'art. 24 de l'ordonnance de 1681.

Un second, système reconnaît la compétence du chancelier, mais ce dernier remplissant les fonctions de notaire il doit observer tant les for- malités imposées par la loi du 25 ventôse an XI que celles du Code civil. Par conséquent, il faut quatre témoins, le chancelier doit écrire le tes- tament sous la dictée du testateur, le lire et en faire mention expresse.

203

Un troisième système admet que, conformé- ment à l'ordonnance de 1681, la présence du chancelier, du consul et de deux témoins suffit, mais que les autres formalités concernant la dic- tée, la lecture et la mention expresse doivent être observées.

C'est ce troisième système qui est aujourd'hui consacré par la jurisprudence.

On a toutefois essayé de faire une exception pour les pays hors chrétienté en appliquant le second système ; un arrêt de la Cour de Cassa- tien du 4 février 1863 est dans ce sens (1). C'est encore la fiction d'exterritorialité qui intervient ici, mais ainsi que nous l'avons déjà dit, cette fiction ne doit pas être exagérée et il n'est pas possible raisonnablement d'assimiler le sol otto- man au sol français.

En résumé, la succession mobilière d'un fran- çais est de la compétence exclusive du consul et la loi nationale seule est applicable. Quant au testament, il peut être fait dans la forme ologra- phe conformément à Tarticle 970 du code civil; dans la forme admise dans le pays oii l'acte est passé, authentique ou privée suivant l'interpré- tation à donner à l'article 999 ; et enfin par devant le chancelier du Consulat.

1. s. 63, 1,201; D. 63, 1,306.

CHAPITRE II

RÉGIME SUCCESSORAL OTTOMAN

La loi du 7 Sépher, qui a permis aux étran- gers de posséder des biens immeubles en Tur- quie, a en même temps posé certaines règles en matière de succession immobilière.

Aux termes de l'art. 4 :

« Le sujet étranger a la faculté de disposer par do- « nation ou par testament de ceux de ses biens immeu- « blés dont la disposition sous cette forme est permise « par la loi.

« Quant aux immeubles dont il n'a pas disposé ou « dont la loi ne lui permet pas de disposer par dona- « tion ou testament la succession en sera réglée con- « formément à la loi ottomane ».

Avant d'examiner si cette disposition a pour objet d'assimiler entièrement les étrangers aux sujets ottomans, nous croyons utile et intéres-

205

sant de passer en revue les différentes catégo- ries d'immeubles, de voir quels sont ceux sus- ceptibles de disposition testamentaire et quelles lois régissent les successions en général, en supposant le de cujus sujet ottoman.

Mulk. Ces biens constituent la propriété libre par excellence, ils sont régis par la loi re- ligieuse (c El Chériat i> et peuvent être transmis par succession ou par testament, en observant les prescriptions de la loi. Voyons dans les gran- des lignes quelles sont les règles édictées par cette loi.

L'Ottoman qui a des héritiers légitimes ne peut disposer que du tiers de sa fortune, mais il n'a pas la faculté de disposer de ce tiers en faveur de certains héritiers et au détriment des autres.

On peut classer les héritiers en deux grandes catégories : les héritiers à part fixe et les héri- tiers universels.

Héritiers à part fixe. On appelle héri- tiers à part fixe ceux qui ont droite une quotité déterminée par la loi. Il y a des héritiers à part fixe dans la ligne descendante, ascendante et collatérale.

Quels sont ces héritiers et quelle est la part leur revenant ?

Descendants :

- 206

1' Une fille ou une petite fille unique : 1/2 de la succession.

Deux ou plusieurs filles, deux ou plusieurs petites-filles : 2/3 de la succession, à parts éga- les.

3" Une ou plusieurs petites-filles en présence d'une ou plusieurs filles : filles 1/2 ou 2/3 sui- vant qu'elles sont une ou plusieurs ; petites- filles 1/6 à partager entre elles.

Ascendants :

1" Le père en présence de fils ou de petits- fils : 1/6.

2" Le père en présence de filles ou de petites- filles : 1/6 et le restant de la succession non absorbé par les autres héritiers à part fixe.

3" Le grand-père paternel, à défaut du père, mais en présence de fils ou de petits-fils : 1/6.

4" Le grand-père paternel, à défaut du père, mais en présence de filles ou de petites-filles : 1/6 et le restant de la succession non absorbé par les autres héritiers à part fixe.

La mère en présence d'enfants ou petits- enfants : 1/6.

La mère en présence d'un frère ou d'une sœur unique : 1/3.

La mère en présence d'un frère ou d'une sœur unique, mais le père et l'époux ou épouse du de cujus en vie: 1/3 de la succession après

207

déduction de la part revenant à l'époux ou à l'épouse. Si à la place du père, nous mettons le grand-père : 1/3 de la succession entière.

La mère en présence de deux ou plusieurs frères, de deux ou plusieurs sœurs : 1/6.

La grand'-mère maternelle, à défaut de mère : 1/6.

10° La grand-mère paternelle, à défaut de père et mère : 1/6.

11° Les grand'-mères paternelle et maternelle en concurrence . 1/6 à partager.

Collatéraux :

La sœur germaine unique, à défaut d'en- fants, petits-enfants, ascendants paternels et frères : 1/2. Plusieurs sœurs germaines : 2/3 à partager.

Il en est de même pour une ou plusieurs sœurs consanguines.

Mais si elles se trouvent en présence d'une sœur germaine : 1/6.

Frère utérin ou sœur utérine unique, à dé- faut d'enfants, de petits-enfants et ascendants paternels : 1/6.

4 Deux ou plusieurs sœurs ou frères utérins : 1/3 à partager à parts égales sans distinction de sexe.

Observation. Les frères germains n'étant pas héritiers à part fixe peuvent se trouver pri-

208

mes par les frères utérins et être par le fait ex- clus de la succession.

Passons aux droits des époux ;

L'époux, à défaut d'enfants ou petits-en- fants : 1/2.

L'époux, en présence d'enfants ou petits- enfants : 1/4.

L'épouse, à défaut d'enfants ou de petits enfants : 1/4.

L'épouse, en présence d'enfants ou de pe- tits-enfants 1/8. Si le défunt avait plusieurs femmes, la polygamie étant admise en Turquie, elles se partagent le quart ou le huitième à parts égales.

Avant de passer aux héritiers universels, éclairons nos indications de quelques exemples :

l*-- Exemple: Supposons d'abord une succes- sion à laquelle viennent prendre part une fille unique, une petite-fille, le père, la mère :

Fille (descendants n" 1) . 3/6

Petite-fille (descendants 3) . 1/6

Père (ascendants 2) . 1/6

Mère (ascendants n*^ 5) . 1/6

Ensemble. . 6/6

2' Exemple: Deuxfilles, le grand-père pater- nel, l'époux :

209

Deux filles (descendants 2). 8/1 2

Grand-père (ascendants 4). 2/12

Epoux (d'' des époux 2) 3/12

Ensemble. . 13/12

Les parts fixes dépassant l'ensemble de la succession, il y a lieu à réduction et on y arrive d'une manière fort ingénieuse. On élève sim- plement le dénominateur d'un chiffre et l'on obtient le résultat suivant :

Deux filles 8/13

Grand-père 2/13

Epoux 3/13

Ensemble. 13/13

Exemple. Au lieu de réduction, il peut y avoir accroissement. Supposons une succes- sion à laquelle viennent prendre part deux fil- les et sa mère :

Deux filles (descendants 2) . 4/6 Mère (ascendants 5). . 1/6

Ensemble. 5/6

Il reste 1/6 à partager en cinq parts, dont quatre aux filles et une à la mère. On arrive à ce résultat en remplaçant le dénominateur 6, par le dénominateur 5, total du nombre de parts, et nous avons enfin :

AUotti U

210

Deux filles 4/5

Mère 1/5

Ensemble. 5/5

Exemple. Une fille elle père :

Fille (descendants 1) . . . 3/6

Père (ascendants 2). . . . 1/6

Ensemble. 4/6

Dans notre espèce le père, ne se trouvant pas en présence de descendants mâles, joint à sa qualité d'héritier à part fixe la qualité d'héritier universel et il prend les 2/6, solde de la suc- cession. En définitive le père et la fille auront 3/6 chacun.

5^ Exemple. La mère, l'époux, des frères utérins et des frères germains :

Mère (ascendants no 8). 1/6

Epoux (d'Mes époux n" 1). 3/6

^Frères utérins (collatéraux no 4). 2/6

Ensemble. . 6/6

^Les frères germains n'auront rien, la totalité de la succession étant absorbée par les héritiers à part fixe.

Observation. Toutes les fois que nous parlons de petites-filles, il s'agit de petites-filles issues de fils ; les petites-filles issues de filles

211

n'ont droit à la succession qu'à défaut d'héri- tiers à part fixe ou d'héritiers universels. Il en est de même des grand-pères maternels et de tous les cognais en général.

Héritiers universels. Les héritiers uni- versels sont ceux qui ne peuvent exercer leurs droits qu'après lès héritiers à part fixe. Mais en revanche ils reçoivent la succession entière, tou- tes les fois qu'il n'y a pas d'héritiers à part fixe. Il y a trois catégories d'héritiers universels. Ce sont :

le Lès héritiers universels de leur propre chef : les fils et leurs descendants, les ascen' dants mâles, les frères et leurs descendants, les oncles paternels et leurs descendants. Il s'agit des descendants mâles seulement.

Ces quatre classes d'héritiers viennent dans l'ordre nous les avons désignés. La classe la plus rapprochée exclut la suivante et ainsi de suite. Quant aux héritiers d'une même classe, ce sont ceux du degré le plus rapproché qui sont préférés. Mais si l'on suppose des frères germains en concurrence avec des frères con- sanguins, les premiers sont préférés en vertu de leur double lien.

Il est importajit de remarquer que la repré- sentation n'étant pas admise, le petit-fils ne peut pas concourir avec le fils.

212

2" Les héritiers à jyart fixe qui deviennent universels, parce qu'ils sont en concurrença avec d'autres héritiers lesquels sont universels de leur propre chef: les filles et petites-filles ou les sœurs germaines et consanguines en con- currence avec leurs frères.

La fille ou petite-fille perd tout droit à une part fixe et vient à la succession concurremment avec l'héritier mâle qui dans le partage prend une part double.

Les héritiers à part fixe en concurrence avec d'autres héritiers à part fixe et qui pren- nent tous la qualité d'héritiers universels: les sœurs germaines ou consanguines en présence de filles ou petites-filles. Dans ce cas la fille ou petite-fille est préférée à la sœur, la sœur ger- maine est préférée à la sœur consanguine et en- fin la représentation n'étant pas admise, la petite- fille ne pourra pas concourir avec la fille.

Il est très important de faire observer que les héritiers universels ne viennent qu'après que les héritiers à part fixe ont eu la part qui leur re- vient. Cette règle est d'autant plus curieuse, que les héritiers universels sont ceux qui légitime- ment auraient être préférés.

Il est rare que dans une succession il n'y ait en même temps des héritiers à part fixe et des héritiers universels. Nous allons éclairer, par de

213

nouveaux exemples, cette matière que le légis- lateur s'est plu à compliquer d'une manière ex- traordinaire.

1^^ Exemple. Un fils, une fille et un petit-fils ^ssu d'un fils prédécédé. La succession se com- pose de 9 unités. L'homme ayant toujours une part double, le fils aura 6/9 et la fille 3/9. Quant au petit-fils, il n'aura rien, la représentation n'é- tant pas admise.

2' Exemple. Une sœur germaine et un frère germain. Le frère prendra une part double de la sœur.

3" Exemple. Une sœur germaine, un frère germain, un frère consanguin et un trère uté- rin:

Le frère utérin (collatéraux 3) aura 1/6, le frère consanguin sera exclu par le frère et la sœur germains, à raison du double lien qui unit ces derniers du de cujus.

Le frère et la sœur germains auront les 5/6 qui restent, sur lesquels le frère aura une part double à celle de la sœur. Le chiffre 5/6 n'étant pas exactement partageable il faudra additionner la part des deux, soit 2 + 1 et multiplier la somme obtenue par 6, soit 3x6. Nous obte- nons ainsi le résultat suivant :

214

Le frère utérin 1/6 soit 3/18

Le frère germain les 2/3 de 15/18 » 10/18 La sœur germaine le 1/3. >:> » 5/18

Ensemble. . ^ Î87Î8

4^ Exemple. Le père, la sœur, l'époux, un fils et deux filles :

Le père (ascendants n" 1) . 1/6 La mère ( » n" 5) . 1/6

L'époux (d ^ s des époux n" 2) . 1/4

Le rçste revient au fils et aux deux filles, hé- ritiers universels.

Comme il y a des dénominateurs différents, il faut d'abord chercher le plus petit multiple commun aux dénominateurs 6 et 4 et l'on trou- ve que c'est 12. Nous avons ainsi r

Le père 1/6 2/12

La mère 1/6 2/12

L'époux 1/4 3/12

Ensemble. . 7/12

Il reste 5/12 à partager entre le fils qui a une part double et les deux filles qui ont chacune une part simple, soit 2 -^ i -j- \ = 4.

Nous multiplions le nombre des parts, soit 4 par le dénominateur 12 et nous divisons la suc- cession en 48 unités. Finalement nous obtenons le résultat suivant :

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Le père 1/6 . 8/48

La mère 1/6 8/48

L'époux 1/4 12/48

' Le fils. 10/48

Chacune des deux filles 5/48. 10/48 Ensemble. . "W/W

Mirié et Mevcoufé. Les Mirié comme les Mevcoufé sont des terres domaniales sur les- quelles l'Etat a concédé un droit de possession. La seule différence entre ces deux catégories de fonds, c'est que les revenus provenant des Mi- rié sont versés dans les caisses du Trésor, tan- dis que ceux des Mevcoufé sont versés entre les mains de l'administration des Vacouf. Ce qu'il importe de rappeler c'est que l'Etat reste propriétaire et transfère que la possession des terres domaniales.

La loi de 1858 disposait qu'à lamort du pos- sesseur les biens domaniaux passeraient à ses enfants, à défauts d'enfant à son père et à dé- faut de père à sa mère. La liste des héritiers était donc bien courte ; les collatéraux n'avaient qu'un droit, celui de continuer la possession de cujus en payant la taxe du tapou, sinon les immeu- bles Mirié et Mevcoufé étaient mis aux enchères.

Une nouvelle loi du 21 mai 1867(17 Muharem 1284), dans le but d'encourager à l'acquisition

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des terres domaniales, vint abroger les disposi- tions trop restrictives de la loi de 1858 et étendre jusqu'au huitième degré la transmission de ces biens. Ce sont :

1" Les enfants ;

T Les petits-enfants ;

Le père et la mère ;

Les frères germains et consanguins ;

Les sœurs germaines et consanguines;

Les frères utérins ;

Les sœurs utérines ;

l'époux ou l'épouse.

Les héritiers viennent à la succession dans l'ordre indiqué, celui du premier degré exclut celui du second et ainsi de suite. Il faut toute- fois faire observer que le survivant des époux a droit à 1/4 de la succession à partir du troisiè- me degré, il n'est donc exclu entièrement que par les descendants du de cujus.

Une autre remarque du plus haut intérêt c'est que les descendants viennent à la succes- sion par portions égales et sans distinction de sexe. Déplus, la représentation est admise pour les enfants issus de fils ou filles prédécédés ; ainsi le petit-fils ou la petite-fille viendra con- courir avec le fils ou la petite-fille et recueillir la part revenant à son père. Toutes ces disposi- tions dérogent à la loi religieuse El Chériat et se

217

rapprochent des législations chrétiennes pour la dévolution par succession des biens doma- niaux, lesquels sont régis par la loi civile pro- mulguée par les Sultans.

On ne peut pas disposer des immeubles do- maniaux par testament.

Vacouf idjaréteïn. Les Vacouf proprement dits sont des immeubles censés appartenant à Dieu, sur lesquels la jouissance seule a été concédée à des particuliers et dont les revenus servent à la création et à l'entretien des fonda- tions pieuses.

Ces biens, à la mort du possesseur, passaient à ses enfants et à défaut d'enfants revenaient en pleine propriété à l'administration des Vakouf. En date du 3 février 1867, un iradé impérial étendit aux biens Vakouf les dispositions de la loi du 17 mai 1867 qui a depuis été confirmée par la loi du 4 août 1875. Mais à la différence des biens domaniaux, les héritiers des biens Vacouf sont classés en sept catégories, qui sont les suivantes :

Les enfants ;

Les petits-enfants ;

Les père et mère ;

Les frères germains et les sœurs germai- nes;

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Les frères consanguins et les sœurs con- sanguines.

Les frères utérins et les sœurs utérines ;

Le survivant des époux.

Nous remarquons que les sœurs héritent con- curremment avec leurs frères et que le privilège du double lien l'emporte sur les frères consan- guins, qui à leur tour sont préférés aux utérins.

La représentation dans la ligne descendante est admise au même titre que pour les immeu- bles du domaine public ; entre héritiers du même degré le partage se fait par portions égales sans distinction du sexe ; l'épouse a droit à 1/4 de la succession à partir du troisième degré.

Il est intéressant de remarquer que les biens Vacouf sont régis par la même loi civile que les biens domaniaux et cependant il y a, comme nous venons de le voir, quelques différences entre ces deux catégories d'immeubles. Mais ce qu'il importe surtout de mettre en .relief, c'est que les lois de 1867 et 1875 ne s'appliquent aux Vacouf qu'à la condition de remplir certaines formalités. II faut d'aboH obtenir un nouveau titre de propriété, payer 3 0/0 de la valeur de l'immeuble et consentir à augmenter de 1/1000 le montant du loyer annuel. C'est une compen- sation offerte par le gouvernement ottoman aux fondations pieuses, qui par l'extension donnée à

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la loi de Muharem ont bien moins de chances de voir les immeubles tomber en déshérence et par conséquent lui faire retour. Il n'est pas inu- tile de répéter que Taccomplissement de ces formalités est indispensable ; en effet, faute de les remplir, les enfants seuls du de cujus ont droit à leur transmission.

Les immeubles Vacouf ne sont pas suscepti- bles de disposition testamentaire.

Guédik. Pour les Guédik, il y a lieu de distinguer s'ils sont Muîk ou Vacouf et leur appliquer les règles y afférentes.

Mukata. On doit leur appliquer les mêmes règles qu'aux immeubles Mulk.

Nous n'avons rien à dire au sujet des terres Métrouké, abandonnées à l'usage public, ni des terres Mevat qui sont du domaine public mais n'ont été cédées à personne.

En résumé, les Mulk proprement dits, les Mukata ei, les GuédikMulk sont les seuls immeu- bles susceptibles de disposition testamentaire.

On peut s'apercevoir, par les indications que nous venons de donner, combien le régime suc- cessoral en Turquie est compliqué. Deux légis- lations tout à fait différentes se font concurrence

220

l'une à l'autre, et comme si ce n'était déjà pas assez, la loi civile est venue augmenter la con- fusion en édictant pour les biens Vacouf d'au- tres règles que pour les biens domaniaux. L'étude du régime successoral en Turquie est d'une difficulté inouïe, les plus doctes juriscon- sultes ottomans eux-mêmes ne se retrouvent qu'avec peine dès qu'ils veulent s'enfoncer un peu dans le détail.

CHAPITRE m

SUCCESSION IMMOBILIERE

Nous avons vu dans le chapitre précédent la disposition de la loi de Sépher ayant trait à la succession immobilière, et nous avons constaté que les étrangers peuvent disposer de leurs biens immeubles au même titre que les sujets ottomans. Nous avons vu :

lo Que les étrangers ne peuvent disposer par testament que des immeubles dont la disposi- tion sous cette forme est permise par la loi territoriale.

Quant aux immeubles dont les étrangers n'ont pas disposé par testament, soit parce qu'ils n'étaient pas susceptibles de disposition testa- mentaire, soit parce qu'ils ne l'ont pas voulu, la succession en sera réglée conformément à la loi ottomane.

De ces deux règles, la première est tout à fait claire : on ne peut disposer par testament que

222

des immeubles c( dont la disposition sous cette forme est permise par la loi ».

Quant à la seconde, celle qui semble avoir pour objet de régler la succession ab intestat conformément à la loi ottomane, elle nous paraît plus délicate.

Une chose certaine, sur laquelle nous croyons inutile d'insister, c'est que toutes les contesta- tions en matière immobilière, qu'il s'agisse de succession testamentaire ou de succession ab in- testat^ sont du ressort des tribunaux ottomans. L'art. 2, paragr. 3, proclame leur compétence pour toutes les actions réelles indistinctement et aucune exception n'est possible devant une règle aussi impérative.

La seule question qui se pose est donc celle de savoir si la succession testamentaire ou ab intestat doit être réglée conformément à la loi nationale du de cujus, ou bien suivant la loi ottomane. Commençons par la succession testa- mentaire.

Tout d'abord, dans quelles formes le testament doit-il être fait? Le Conseil d'Etat, consulté sur cette question, a répondu que le testament fait par le sujet ottoman non musulman et légalisé par le chef de la communauté dont il relève est parfaitement valable. Il en est de même du tes- tament d'un étranger fait en chancellerie ou lé-

22S -

galisé par elle. Il est à peine utile d'ajouter que le testament dressé par le Cadi jouit d'une au- torité pour le moins aussi forte. A notre avis, on a eu tort de consulter le Conseil d'Etat et les ambassades auraient pu se passer de la circulaire du Ministère des affaires étrangères du 31 mars 1881, circulaire ayant trait à la forme des testa- ments. Les concessions que les puissances ont faire à la Porte pour qu'elle permît aux étran- gers d'acquérir des immeubles sont déjà assez considérables, pour ne pas les étendre gratuite- ment. La loi de Sépher est muette sur la forme des testaments, c'est donc que pleine liberté est attribuée à cet égard aux étrangers, qui n'ont à observer que les prescriptions de leur loi natio- nale. En supposant que le gouvernement ottoman veuille maintenant régler la forme des testaments , il n'en a plus le droit, ce point n'ayant pas été discuté d'accord avec les puissances. Nous con- cluons très énergiquement que la Porte n'a aucun droit d'ingérence concernant la forme des tes- taments.

Voilà pour la forme, quels sont les droits du testateur quant au fond ? Nous nous trouvons en présence de deux opinions diamétralement opposées.

Un premier système prétend que les lois im- mobilières en Turquie sont tout à fait exclusi-

224

ves, qu'elles sont territoriales à l'excès et que par conséquent les successions testamentaires ou ab intestat sont indistinctement et sans hé- sitation aucune régies par la loi ottomane.

Un second système prétend au contraire qu'un étranger n'a pas à observer les règles qui gouvernent les successions testamentaires des sujets ottomans. A l'appui de ce système on fait valoir que la loi de Sépher, quand elle dit que C( la succession sera réglée conformément à la loi ottomane », ne vise que les immeubles dont on n'a pas disposé par testament, seules par conséquent les successions ab intestat.

Et la preuve qu'il en est ainsi, c'est qu'une circulaire du ministre de la justice en date du 3 février 1895, adressée au Patriarcat de Gons- tantinople, s'exprime en ces termes :

« Tout testament qui sera trouvé dans la succession « de toute personne qui laissera des héritiers mineurs « ou majeurs chrétiens une fois approuvé par !e Pa- « triarcat, le Métropolite ou I'Evêque,sera tenu valable « par le Mehkiémé ».

Cette même circulaire prescrit que le chef de la communauté non-musulmane sera compé- tent pour toute contestation concernant la va- lidité du testament.

225

Les partisans de ce système soutiennent par conséquent que les autorités locales n'enten- dent s'attribuer aucune compétence ni quant à la forme ni quant au fond des testaments. Ce- pendant un léger doute naît de ce que la circu- laire du 31 mai 1881, adressée aux ambassades et que nous avons citée plus haut, vise la forme des testaments et non le fond. Mais, malgré cette circulaire, les partisans de ce système pré- tendent que la loi de Sépher ne réservant que les successions ah intestat, liberté entière est laissée aux étrangers et pour la forme et pour la substance des testaments.

Quant à nous, nous ne saurions nous ralliera aucun de ces deux systèmes, nous exposerons notre théorie dans notre étude de la succession ah intestat, à laquelle nous arrivons.

Succession ah intestat. Si la loi du 7 Sé- pher n'a pas dit quelle loi est applicable en ma- tière de succession testamentaire, elle a stipulé au contraire en termes très précis que la succes- sion ah intestat doit être réglée conformément à la loi ottomane.

Mais, tandis que les uns veulent, malgré le silence de la loi, que la succession testamen- taire soit également régie par la loi ottomane, les autres distinguent et disent que celle-ci est régie par la loi nationale. Le premier système

Allotti 15

226

nous paraît bien plus logique, non que nous l'approuvions, mais parce qu'il n'y a aucune raison de distinguer.

En effet, dans quel pays voit-on les lois éta- blir une distinction de cette nature ? Est-ce en Italie, le Gode civil (art. 8) soumet à la loi nationale toute succession mobilière ou immo- bilière ? Est-ee en France (art. 3), toute suc- cession immobilière est régie par la loi françai- se sans distinction suivant que l'étranger est mort testât ou intestat ? Voici ce que nous dit M. Renault:

« Peu importe que les intéressés soient Français ou « étrangers ; quand même il n'y aurait que des étran- « gers en cause, la loi française est seule compétente « pour déterminer dans quel ordre ils viennent, com- « ment se fait la répartition entre eux. Les immeubles « situés en France forment une succession distincte « qui doit être réglée et partagée séparément, sans « qu'il y ait à se préoccuper d'aucune autre considéra- « tion (1).

Donc aucune distinction entre la succession testamentaire on ah intestat.

Quoi qu'il en soit, tout le monde est

l.Glunet : Journal du droit int. privé, 1875, p. 339.

227

d'accord c'est que la succession immobilière ab intestat est régie par la loi ottomane (1).

Ce principe, dit-on, est conforme à la plupart des législations et il est naturel que Turquie l'ait voulu conserver également. D'ailleurs la loi de Sépher est formelle, elle dit que toute suc- cession ab intestat sera réglée conformément à la loi ottomane. Ces deux points sont cer- tains, mais que faut-il réellement entendre par les mots « réglée conformément à la loi otto- mane » ? Il faut entendre, dit-on, que la suc- cession d'un étranger est entièrement assimilée à celle d'un Ottoman, que c'est la loi locale qui établit la quotité disponible, que c'est elle qui détermine l'ordre des héritiers et que c'est elle enfin qui fixe la répartition entre eux. Nous au- rions en Turquie exactement les mêmes règles que nous trouvions dans le passage cité de M. Re- nault, où il est dit qu'en France la loi française est seule applicable « que les intéressés soient Français ou étrangers ».

Mais est-il vrai de dire que cette règle con- sacrée en France par une jurisprudence cons- tante puisse être transportée en Turquie ? Pour

1. Glunet : Journal du droit int. privé, 1899, p, 475, ZJe la succession immobilière des étrangers en Turquie^ par R. Sa- lem.

ce qui nous concerne, nous avons de grands doutes à cet égard. Nous demandons la permis- sion d'exposer une théorie qui nous est person- nelle et qui nous paraît plus conforme à l'esprit de la loi de Sépher.

Tandis que les uns veulent que la succession testamentaire soit régie par la loi nationale du défunt et la succession ab intestat par la loi ottomane ; que d'autres au contraire ne font aucune distinction et les soumettent toutes deuj aux lois ottomanes, nous aussi, comme les par- tisans de ce dernier système nous ne faisons aucune distinction, mais au lieu de faire dé- pendre ces successions de la loi ottomane, nous les plaçons toutes deux sous le régime de la loi nationale du défunt.

Cette théorie va sans aucun doute être quali- fiée pour le moins d'originale, nous sommes toutefois convaincu qu'elle est la seule vraie et voici nos raisons.

Tout d'abord, quel était le but du législateur ottoman en disant que l'étranger n'aurait le droit de disposer par testament que des immeubles susceptibles de disposition testamentaire ? A-t- il voulu régler une question de compétence, a- t-il voulu dire que toute succession testamen- taire serait régie par la loi nationale ? Non cer- tainement. Le législateur n'a eu qu'un but,

229

celui d'assimiler les étrangers aux Ottomans et de déclarer que comme ces derniers ils ne pour- raient pas disposer par testament de toutes les catégories d'immeubles indistinctement, qu'ils devraient se référer sur ce point à la loi locale.

Mais pourquoi cette restriction concernant les dispositions testamentaires? Il est utile à ce propos de se rappeler que les Mulk sont les seuls immeubles dont on peut avoir la pro- priété pleine et entière. Quant aux biens do- maniaux ou Vacouf, nous avons vu qu'on ne peut en acquérir que la possession. Eh bien, il est logique qu'on ne puisse céder par testa- ment que des biens dont on a la propriété. C'est tout ce qu'a voulu dire l'art. 4 premier paragraphe et il ne faut pas y chercher la solu- tion d'une question qu'il n'a pas essayé de ré- soudre. Il est muet sur la question de savoir quelle loi doit régir la succession testamen- taire.

Le second paragraphe au contraire s'occupe de la succession ah intestat et dit qu'elle sera réglée conformément à la loi ottomane. On en conclut par un raisonnement a contrario que la succession testamentaire doit par conséquent être réglée par la loi nationale. Le raisonne- ment nous paraît juste, d'autant plus que le lé- gislateur ayant gardé le silence dans le premier

230

paragraphe, le seul moyen de découvrir sa pen- sée c'est de la chercher dans le deuxième. Or, ce deuxième paragraphe n'ayant en vue que la succession ab intestat, c'est que la succession testamentaire n'intéresse pas le législateur. Nous en concluons donc d'une façon certaine, que la succession testamentaire est réglée par la loi nationale.

Nous avons vu que les Mulk sont seuls sus- ceptibles de disposition testamentaire.

Quels sont les biens faisant partie de la suc- cession ah intestat ? Ce sont les immeubles domaniaux, Vacouf et Mulk.

De nouveau donc les biens Mulk et chose ex- traordinaire, tandis que les Mulk dont on a dispo- sé par testament sont régis d'après la loi nationa- le, ceux dont on n'a pas disposé par testament sont régis par la loi ottomane. Est-il possible que le législateur se soit désintéressé des im- meubles dont on a eu soin de disposer par tes- tament et qu'il se soit au contraire intéressé aux autres ! D'une part, il laisse les héritiers testa- mentaires aux prises avec la loi nationale du défunt; d'autre part, il accorde toute sa solli- citude aux héritiers ab intestat, il les choit, il les place sous la tutelle bienveillante de la loi ottomane! Non, ce serait certainement faire in- jure au législateur ottoman que de lui faire dire

231

cette naïveté phénoménale, à savoir qu'il ne considère comme réellement immeubles que ceux des immeubles dont on n'a pas disposé par testament.

La loi de Sépher est sans doute mal rédigée, mais ce n'est pas une raison pour lui donner une interprétation antijuridique. Or, c'est à ce résultat qu'on aboutit en faisant dépendre la succession testamentaire d'une loi et la succes- sion ab intestat d'une autre. Mais nous avons vu que la succession testamentaire est sans hési- tation aucune régie par la loi nationale du dé- funt, il faut donc que la succession ab intestat soit réglée également par la loi nationale. Il nous reste par conséquent à interpréter les mots du deuxième paragraphe a: la succession ab in- testat sera réglée conformément à la loi otto- mane )),pour les mettre enharmonie avec notre système. Ces mots semblent en effet très gênants, ils sont impératifs et à première vue on ne com- prend guère qu'on puisse traduire la phrase c( conformément à la loi ottomane » par cette autre c( conformément à la loi nationale d,

Tel est cependant notre sentiment, consultons la pratique suivie et nous verrons que le gou- vernement turc ne fait aucune distinction entre les successions testamentaire et ab intestat. A la mort du propriétaire, le bureau des archi-

232

ves (Defter Hakain) délivre les titres de pro- priété aux légataires ou aux héritiers reconnus tels par un certificat du consul, sans s'inquiéter autrement de savoir si la quotité disponible a été dépassée ou de faire fixer par les autorités ottomanes la part qui leur revient d'après la loi territoriale. Bien plus, dans la pratique, les étran- gers qui font un testament disposent de tous leurs biens indistinctement, non seulement des immeubles Mulk, mais aussi des immeubles do- maniaux ou Vacouf. Le gouvernement turc a-t- il jamais contesté la validité des dispositions testamentaires de cette nature ? Que nous sa- chions, il ne s'est jamais opposé à délivrer les titres de propriété conformément aux certificats du consul.

Que voyons-nous dans la pratique suivie? est-elle la distinction entre les successions tes- tamentaires ou ab intestat ? Ces dernières sont- elles régies par la loi ottomane? Nous venons de voir que le gouvernement turc ne s'en occupe pas plus que des successions testamentaires.

Peu leur importe aux Turcs que l'étranger n'ait pas une part double de celle de la femme. Quand il s'agit d'eux-mêmes, cette mesure les intéresse, mais les étrangers sont pour eux des êtres inférieurs, des infidèles (;omme ils les appellent, des ghiaours pour qui rien n'est

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assez mauvais, cr Nous vous avons permis, di- c( ront-ils, d'acquérir des immeubles, parce c( que nous étions forcés de le faire, mais nous c( n'avons pas à défendre vos intérêts ; peu nous c( importe que la femme ait droit à la même « part que l'homme ou que le de cujus ait c( épuisé toute sa fortune en libéralités, c'est c( à vos lois d'être plus prévoyantes. Le sort de c( la propriété nous intéresse sans doute, non c( pour savoir si vous héritez au même titre que c( votre sœur, voire même si elle vous est préfé- c( rée, mais parce que la loi ottomane ayant li- ce mité le droit d'héritage à un certain nombre de c( degrés, il ne faut pas diminuer les chances de c( déshérence en étendant comme la loi'française c( par exemple (art. 755) au douzième degré, la a transmission des biens par succession ».

Voilà toute la clef du système, ceci nous expli- que pourquoi les Mulk dont on a disposé par testament sont régis par la loi nationale et les autres par la loi ottomane. C'est que les Mulk appartenant en pleine propriété au de cujus, il a pu les léguer à qui il a voulu ; mais s'il est mort sans testament, les Mulk comme les Mirié ou les Vacouf sont susceptibles de déshérence au même titre.

Il est aisé de comprendre maintenant que les mots c( conformément à la loi ottomane » signi-

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fient que Timmeuble dont on n'a pas disposé par testament sera déclaré vacant (Mahloul) con- formément aux lois territoriales.

Voilà certainement le seul moyen de conci- lier les textes avec la pratique suivie : les suc- cessions ab intestat comme les successions testamentaires sont toutes deux régies par la loi nationale du défunt, elle seule a le droit d'éta- blir la quotité disponible, de déterminer l'ordre des héritiers et de fixer enfin la part revenant à chacun d'eux. La loi territoriale n'a qu'un droit et un souci unique, celui de vérifier la qualité des légataires ou des héritiers, de peur que la loi nationale ne multipliant le nombre des degrés, les immeubles ne deviennent plus diffi- cilement vacants.

Une autre question est celle de savoir isi un Français, à qui les tribuneux ottomans auraient appliqué la loi territoriale, peut se prévaloir des dispositions de la loi française du 14 juillet 1819 pour s'assurer une compensation sur les biens meubles. A notre avis, tout dépend de l'inter- prétation donnée à l'article 4 de la loi de Séfer. Si l'on reconnaît la loi ottomane seule compé- tente, le prélèvement n'est pas possible, les puissances ayant accepté les dispositions de cette loi. Si au contraire, on ne reconnaU,

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comme nous, les autorités ottomanes compé- tentes que pour régler jusqu'à quel degré les parents peuvent succéder, le droit de prélève- ment est légitime et peut s'exercer. Il faut bien entendu qu'il s'agisse de cohéritiers français et étrangers, car comme nous le dit M. Renault :

« Quand les héritiers sont tous français, il faut « appliquer la doctrine générale sans restriction (1) ».

L'interprétation de l'art. 4 de la loi du 7 Sé- pher est du plus haut intérêt ; il faut savoir accorder aux Turcs les privilèges auxquels ils ont droit et ne pas les leur refuser départi pris, mais il convient encore moins d'étendre gratui- tement les avantages considérables qu'ils se sont réservé en matière immobilière.

Par l'exposé que nous avons fait dans le cha- pitre précédent du régime successoral ottoman, il est aisé de voir combien il serait malheureux que les étrangers dussent se trouver aux prises avec une législation, non-seulement d'une com- plication inouïe, mais encore tout-à-fait con- traire aux usages et aux lois des pays chrétiens.

1. Gluiiet. Journal du Droit international privé, 1876, p. 22.

CHAPITRE IV

INFLUENCE DE LA DIFFÉRENCE DE NATIONALITÉ EN MATIÈRE SUCCESSORALE

Une question de la plus haute importance est celle de savoir si la différence de nationalité entre le de cujus et les héritiers est un empê- chement à la succession. Or, aux termes de l'ar- ticle 110 du code de la propriété foncière (loi du 21 avril 1858 (7 Ramazan 1274) :

« La terre du sujet Ottoman ne passe pas à ses « enfants, père ou mère, sujets étrangers ».

Il en résulte qu'un étranger est incapable de succéder à un ottoman. Nous remarquerons toutefois que l'article 110 a été promulgué à une époque les étrangers ne pouvaient acquérir des propriétés immobilières, et l'on comprend que dans ces conditions il leur ait été également défendu de recevoir par succession. Mais il n'en est plus ainsi depuis la loi du 7 Sépherl284 qui a permis aux étrangers d'acquérir des immeu-

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bles en Turquie, et Ton ne voit plus alors pour quelle raison ils pourraient recevoir d'un sujet ottoman à titre onéreux et non à titre gratuit. Théoriquement la question ne tient pas debout l'article 110 doit être considéré abrogé comme incompatible avec les dispositions de la loi de Sépher 1284.

Telle semblait être l'opinion au ministère des affaires étrangères, lorsque le Conseil d'Etat saisi à son tour en date du 12 juillet 1876 (24 temouz 91) se prononça en sens contraire. Il a dit qu'il ne fallait pas confondre le droit de pos- séder et celui de succéder ; que si la loi de Sépher a autorisé les étrangers à être proprié- taires d'immeubles, elle ne leur a pas permis de succéder aux biens d'un sujet ottoman ; que l'article 110 est toujours en vigueur pour empê- cher les Ottomans de changer de nationalité; et que conséquemment les étrangers ne sont pas admis à succéder aux biens domaniaux, meu- bles ou immeubles, délaissés par un sujet otto- man.

La raison donnée par le Conseil d'État s'ex- plique donc comme une punition infligée aux héritiers qui ne sont plus de nationalité otto- mane, parce qu'ils se sont fait nationaliser su- jets étrangers. Mais comment expliquer l'hypo- thèse inverse, celle le de cujus aurait perdu

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la nationalité ottomane tandis que ses héritiers l'auraient conservée ? Faut-il dire que les héri- tiers ottomans sont admis à succéder à leur pa- rent sujet étranger? Dans ce cas, quel sens al' lons-nous donner àl'art. 111 du codedela pro- priété foncière ainsi conçu :

« La terre d'un individu qui a fait abandon de la na- « tionalité ottomane ne passe pas, par héritage, à ses « enfants, père ou mère, sujets ottomans ou étrangers».

Va-t-on punir les héritiers, parce que le de cuj us 3. changé de nationalité ? Cette disposition, qu'on a de la peine à comprendre à première vue, s'explique encore quand on se rappelle qu'à l'époque le Gode de la propriété fonciè- re a été promulgué il n'était pas permis aux étrangers d'être propriétaires. Si donc un sujet ottoman se faisait naturaliser étranger, il ces- sait d'être propriétaire et par conséquent sa suc- cession était réputée en déshérence.

Et si prenant une troisième hypothèse, nous supposons un étranger qui s'est fait sujet otto- man, peut-on dire encore que la disposition de l'art. 110 a pour objet de punir les héritiers?

Nous concluons donc très énergiquement, que les articles 110 et 111 avaient uniquement pour but d'empêcher les étrangers d'être propriétai-

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res et non de punir les héritiers qui avaient changé de nationalité. Si la raison alléguée par le Conseil d'État est bonne dans une hypothèse, nous avons vu qu'appliquée aux deux autres elle demeure incompréhensible. Non seulement le le Conseil d'État fait une fausse interprétation de l'art. 110, mais sous prétexte d'interpréter la loi il fait office de législateur, en étendant aux meubles un texte qui ne vise que les immeu- bles.

En effet, les art. 110 et 111 parlent le pre- mier c( de la terre du sujet ottoman » ; le second ce de la terre d'un individu qui a fait abandon de C( la nationalité ottomane ». Cette observation vient encore à l'appui de notre théorie, à savoir que les art. 110 et 111 n'ont pas eu pour but de faire de la différence de nationalité un empê- chement à la succession, mais celui d'empêcher les étrangers d'être propriétaires d'immeubles. Sans cela, les articles précités n'auraient pas visé uniquement « la terre :ù, mais aussi les meubles. Donc en droit, ces dispositions se trouvent implicitement abrogées depuis la loi du 7 Sépher 1284 qui a permis aux étrangers d'acquérir des immeubles en Turquie.

Si les étrangers sont admis à la succession d'un sujet ottoman, ils doivent l'être a fortiori

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à la succession d'un étranger de nationalité dif- férente. Mais il est utile d'examiner la situation qui serait faite à l'étranger, héritier d'un autre étranger, dans le cas l'on admettrait avec le Conseil d'Etat qu'un étranger ne peut succéder à un sujet ottoman.

Tout d'abord, nous constatons qu'aucun texte ne vise cette hypothèse et par conséquent les autorités turques ne pourraient par analogie appliquer à une succession étrangère, ce que l'art. 110 dit d'une succession ottomane. En second lieu, nous avons vu que toutes les fois qu'un étranger est justiciable des tribunaux otto- mans, il ne peut réclamer l'assistance de son consul. Qu'en conclure, sinon que devant les autorités locales il n'y a pas des Français, des Anglais ou des Russes, il y a des étrangers sans distinction de nationalité. Et ces étrangers sont aux termes de la loi de Sépher assimilés aux sujets ottomans, ils sont donc tous ottomans aux yeux de l'autorité compétente. Mais s'ils sont tous ottomans et que la nationalité étran- gère ne joue aucun rôle, peu importe que la suc- cession soit française et les héritiers anglais ou russes. Sans doute avant la loi de Sépher on distinguait entre les ottomans et les étrangers en général, mais c'est parce que ces derniers ne pouvaient être propriétaires. Il n'en est plus

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ainsi maintenant, les étrangers peuvent acqué- rir des immeubles et les puissances ont con- senti, en adhérant au protocole de 1868, à ce que leurs sujets perdent leur nationalité étran- gère pour prendre la nationalité ottomane, tou- tes les fois qu'ils sont justiciables des tribunaux de la Sublime Porte. Si donc tous les étrangers sont aujourd'hui considérés comme sujets otto- mans en matière immobilière, il en résulte né- cessairement qu'ils sont tous de même nationa- lité par-devant les autorités turques. Tel paraît être d'ailleurs l'avis du Conseil d'Etat, qui con- sulté, comme nous l'avons vu sur l'interpréta- tion à donner à l'art. 110, termine son parère en disant :

« Que les immeubles acquis par les étrangers en « vertu de la loi leur concédant le droit de posséder « doivent être dévolus par succession à leurs héritiers « légitimes ».

Cette décision reste vraie, même si l'on veut faire une distinction entre les Ottomans et les étrangers. Le Conseil d'Etat distingue, en effet, en donnant une solution différente pour le cas le de cujus étant ottoman les héritiers sont étrangers, et le cas \e de Cîijus et les héritiers sont de nationalité étrangère. On est toujours en

Aliottl 16

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droit de dire qu'en matière immobilière il y a des Ottomans d'une part et des étrangers d'autre part, sans distinction de nationalité entre ces der- niers. Ils se présentent devant les tribunaux otto- mans sous l'assistance de leur consul respectif, ils sont tous des étrangers au même titre et uni- quement par opposition aux sujets ottomans.

Voilà pour l'art. 110 du code de la propriété foncière et la loi de Sépher. Mais cette première difficulté aplanie, il s'en présente une autre. 11 s'agit de la loi religieuse qui établit que la dif- rence de nationalité est un empêchement à la succession (I). Eh bien, nous pensons qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter devant cette objection. Les puissances en adhérant au protocole de 1868 n'ont pas eu à s'occuper des lois religieuses, elles ont traité avec le gouvei:nement turc non le Cheikh-ul-islam.

D'ailleurs, la loi du Chéri ne fait aucune dis- tinction entre les meubles et les immeubles, pour elle la différence de nationalité entre le de cujus et ses héritiers est un empêchement ab- solu à la succession. Or, nous avons vu dans

1. Celte règle n'est pas applicable aux Musulmans qui se succèdent réciproquement quoique de nationalité différente. Glunet 1887, p. 288. Voir l'intéressante étude de M. R. Salem •* Du droit des étrangers de recueillir par succession en Turquie. Glunet 1899, p. 966 et 973.

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notre étude de la succession mobilière, que celle-ci, de l'avis de tous et sans hésitation au- cune, est régie par la loi nationale du défunt. C'est donc que les puissances n'ont pas à con- sulter les prescriptions du Chéri, mais unique- ment les traités qui lient la Porte avec les Etats chrétiens.

Mais si les étrangers ne sont pas soumis à la loi du Chéri quant au meubles, il n'en est pas moins vrai, dira-t-on, qu'ils sont justiciables des tri- bunaux religieux aux termes larges du texte turc de l'art. 2 p. 3 de la loi de Sépher pour certaines catégories d'immeubles, et que la succession des ottomans eux-mêmes est régie par la loi religieuse en ce qui concerne lesMulk, meubles ou immeubles. Sans doute, la loi du Chéri n'est applicable aux étrangers qu'en matière immobi- lière, mais elie l'est entièrement. C'est elle qui détermine la quotité disponible, la part des héritiers, etc., c'est elle également qu'il faut con- sulter pour savoir si un étranger peut hériter d'un autre étranger de nationalité différente.

Cet argu ment est loin d'être décisif. En effet, la loi religieuse n'est applicable que dans les matières non réglementées par le code civil otto- man. Or, le législateur a précisément statué sur ia question qui nous intéresse, en décidant que les étrangers sont assimilés aux sujets ottomans.

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En admettant même qu'il faille les distinguer de ces derniers, nous avons vu qu'on ne sau- rait les considérer comme étrangers que par opposition aux Ottomans et que par conséquent ils sont censés être tous d'une même nationa- lité.

Mais s'il est vrai qu'un étranger peut hériter d'un autre étranger de nationalité différente, il convient toutefois d'ajouter que l'héritier ne saurait recevoir par succession ou même par testament des immeubles délaissés par le de cujus, que s'il relève lui-même d'un état ayant adhéré au protocole (art. 5) de 1868. Ne pouvant acquérir à titre onéreux, il ne saurait non plus recevoir à titre gratuit.

En résumé, il résulte de ce qui précède que depuis la loi de Sépher de 1867 et le protocole de 1868, l'article 110 est incompatible avec les dispositions de la loi précitée. Les étrangers sont donc en droit habiles à succéder à un sujet ottoman. Quant à la question de savoir si les étrangers de nationalité différente peuvent se succéder réciproquement, il faut avant tout chercher si le pays dont relève l'héritier a adhéré au protocole de 1868, et en cas de réponse affir- mative aucune hésitation n'est permise.

Dans notre étude interprétative de l'article 4 de la loi de Sépher, nous avons démontré,

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contrairemont à l'opinion généralement admise, que toute succession immobilière, sans distinc- tion entre la succession testamentaire et ah in- testat, est régie par la loi nationale du de cu~ jus. Nous avons cependant reconnu à la loi ter- ritoriale le droit de déterminer jusqu'à quel de- gré il est permis de succéder. Faut-il comme conséquence de notre théorie admettre que toutes les fois qu'une différence de nationalité peut être une cause de déshérence, l'étranger ne serait pas habile à succéder? L'hypothèse est facile à trouver : il suffit de supposer un héri- tier unique de nationalité autre que \Qde cujus. Bien certainement non. Peu importe que l'on considère, comme nous, la succession ab intes- tat comme régie par la loi nationale ou au con- traire par la loi ottomane. Du moment qu'en matière immobilière les étrangers sont censés être des sujets de la Porte, il y aurait contradic- tion évidente à les considérer d'une part comme tels pour les rendre justiciables des tribunaux ottomans, et d'autre part de faire intervenir des distinctions de nationalité pour déclarer la suc- cession en déshérence.

Comme dernier argument, nous reprendrons les articles 110 et 111 et nous ferons le raison- nement suivant : ou bien les articles 110 et 111 sont abrogés et alors la question ne se pose

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même pas ; ils sont encore en vigueur et les étrangers sont quand même habiles à se succé- der réciproquement. En effet, l'article 111 dit que c( la terre d'un individu quia fait abandon (T de la nationalité ottomane ne passe pas, par héritage, à ses enfants, père ou mère, sujets <r ottomans ou étrangers ».

Nous avons déjà rencontré ce texte et nous avons dit qu'ayant été promulgué avant la loi de Sépher, le sujet ottoman qui avait changé de nationalité cessait en même temps d'être pro- priétaire et sa succession était réputée en déshé- rence. Mais aujourd'hui que les étrangers sont autorisés à acquérir des immeubles, nous som- mes en droit de nous servir de ce texte, que nous supposerons un moment en vigueur, et par un argument a contrario nous obtenons la dis- position suivante : ce la terre d'un individu qui n'a pas fait abandon de la nationalité otto- c( mane pas^e, par héritage, à ses entants, père « et mère, sujets ottomans ou étrangers )). Conformément au texte ainsi retourné, toutes les fois que le de cujus est et a toujours été étranger, ses héritiers, quelle que soit leur na- tionalité, sont habiles à lui succéder.

Il est évident qu'en cdictant la loi de Sépher, la question de nationalité n'a pu seprésentei- à l'esprit du législateur. Du moment, en effet,

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que les étrangers peuvent acquérir des immeu- bles au même titre que les Ottomans, peu lui importe que le de cujus et l'héritier soient de nationalité différente. Il suffit qu'ils appartien- nent tous deux à des pays ayant adhéré au pro- tocole de 1868.

Après avoir examiné le côté théorique de la question et avoir constaté qu'en droit la dif- férence de nationalité ne peut exercer aucune influence en matière successorale, voyons com- ment les choses se passent en fait.

La question s'est présentée, il y a quelques années, par-devant les autorités ottomanes de Salonique. Il s'agissait d'une succession fran- çaise comprenant des immeubles Mirié. Le de cujus n'ayant pas laissé de postérité, son héri- tier unique se trouvait être son frère qui était sujet autrichien. Les autorités turques de Salo- nique le déclarèrent inhabile à la succession, sous prétexte qu'il était de nationalité autre que le défunt. On s'en référa naturellement à Cons- tantinople, et le ministre de l'intérieur décida en date du 19 juillet 1886 que la France et l'Au- triche ayant adhéré au protocole de 1868 les sujets de ces puissances sont capables de se succéder réciproquement malgré la différence de nationalité.

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Voilà une saine interprétation de la loi de Sépher. Peu importe la différence de nationalité si toutes les parties rélèvent d'Etats ayant donné leur adhésion au protocole.

Une espèce analogue a été soumise à Smyrne au tribunal du Chéri, qui malheureusement n'a pas suivi la voie tracée par les autorités civiles. Le jugement rendu par ce tribunal en date du 8 Séfer 1312 (1895) est fort long, mais il est inté- ressant à plusieurs égards et nous croyons utile de le reproduire in extenso. La traduction en est la suivante :

« La dame Fortunée, personnellement connue, a « introduit une demande au Tribunal Religieux de « Smyrne, chef-lieu de la province d'Aïdin, dans la- « quelle elle exposait que la succession de la dame Ro- « sine Lopo (Loubeau), née Vicencio, citoyenne françai- « se, décédée en l'an 1890, et veuve de Pierre Coulomb, « citoyen français, demeurant de son vivant, rue Pap- « pazoglou, quartier Cassab Hizir, à Smyrne, et décédé « vers la fm de l'année 1886, revenait à elle, en sa « qualité de fille de la défunte, et à Anne et à Rosine, « en leur qualité de, filles mineures du fils de la dé- « funte : Honoré, mort avant sa mère.

« Elle concluait, en conséquence, au partage de la « maison ci-après désignée.

« La détention des maisons ci-dessus indiquées de

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« la part de la demanderesse Fortunée, ayant été éta- « blie par la déposition des témoins (suivent les noms « dont plusieurs sont illisibles), l'honorabilité desquels « a été prononcée par une enquête secrète et une en- « quête publique ;

« Edhem Effendie, fondé de pouvoirs de la demande- « resse, prenant la parole en présence de Kircor Effendi « Tchilinguirian, fondé de pouvoirs de la dame Marie « née Antoine Giudici, mère des mineures précitées, et « nommée leur tutrice par acte du Tribunal religieux « (Hodjet Ghér'y), pour l'administration de leurs biens « jusqu'à leur majorité, et en présence de HafizMéîiémet « Effendi, fils de Hassan, mandataire de Hadijé Hanoum, « née Mustapha, Mutevelli du Vacoiif, ci-après dési- « gné, domiciliée au canton de Palamoud, dépendant « de Magnésie, chef-lieu du Sandjak de Saroukhan;

« Déclara au Tribunal qu'une maison,

« Payant un loyer annuel de 75 piastres au Vacouf « de Gara Osman Zadé Mustapha Agha, sise dans la « rue Pappazoglou, inscrite sous les n°^ 1 et 26, limi- « tée par la maison de Marigho Pappa Antoine, par la « rue Djerdjer, par la rue précitée Pappazoglou et par « la voie publique, et ayant deux portes extérieures,

« Etait possédée, à double loyer (idjareteïn), par la « dame Rosine Lopo, de son vivant, et qu'à sa mort « elle échut, par droit de succession, à sa fille sus-nom- « raée Fortunée ;

« Qu'une autre maison Mu/k, bâtie sur un terrain

250 « Ghédik, payant un loyer annuel de 36 piastres à « Yakhoumaki Filippucci, sise dans la rue Filippucci « à Smyrne, inscrite sous le n" 26 et limitée : d'une part « par la maison de Djivani Marino Vitali, de deux parts « par le jardin de Marigho Djouro et de la quatrième « part par la voie publique, avait appartenu de son « vivant à la susnommée Rosine Lopo.

« Et qu'à sa mort, sa mandante Fortunée et les « mineures précitées en héritèrent dans la proportion « suivante : 6/8 revient à Fortunée et 1/8 à chacune « des dites mineures.

« Que, nonobstant, la tutrice susnommée des mineures « s'ingérait dans la première maison en y cohabitant « avec les mineures et sa mandante Fortunée, et s'op- « posait au partage de la seconde maison ;

« Que, par ces motifs, il réclamait que le Tribunal « ordonnât à la tutrice susmentionnée de cesser son « immiction dans la première maison, et qu'au cas « elle ne consentirait pas au partage, à l'amiable, de « la seconde maison, qu'il procédait au partage judi- « ciaire de cette seconde maison.

« En réponse, TchilinguirianKircor Effendi, fit obser- ^ « ver que la maison Vacoiif est séparée par un mur « en deux parties, dans l'une desquelles habite la de- « manderesse et dans l'autre sa mandante avec les « mineures, ses enfants.

« Il reconnaît que l'autre maison Ghédik est détenue « par la demanderesse ;

251

« II ajouta cependant, que le défunt Pierre Cou- « lomb, ayant acheté de ses propres deniers la mai- « son Vacouf sus-indiquée, à une époque les étran- ge gers n'avaient pas le droit d'acquérir des propriétés « en Turquie, il l'avait fait inscrire au nom de son « épouse susmentionnée Rosine;

« Que le nom de Rosine, figurant dans le titre de propriété de la dite maison, n'était donc qu'un prête- « nom, et que, par ce motif, cette maison revient, par « suite de la mort de Pierre Coulomb, (et pour les « raisons ci-après énoncées), à son fils Honoré seule- « ment, et par la mort de ce dernier à ses enfants « mineures sus-mentionnées;

« Qu'en ce qui concerne la seconde maison, le sus- « nommé Honoré l'avait achetée, étant encore céli- « bataire, et l'avait inscrite au nom de sa mère Ro- « sine ;

« Que celle-ci avait reconnu et avoué avant sa mort « que la maison FacoM/ appartenait à son mari Pierre « Coulomb, et la maison Ghédik à son fils Honoré, et « que, son nom à elle, qui figurait dans les titres de « propriété de ces deux maisons, n'était qu'un prête- « nom, et qu'elle n'y avait aucun droit;

« Que bien que la demanderesse Fortunée soit la fille « de Pierre Coulomb et la sœur d'Honoré, elle est ce- « pendant privée de sa part d'héritage, pour cause de « diuersité de nationalité, car elle a, du vivant de ses « parents, épousé un sujet hollandais : le sieur Joseph

852

« Narik, el, tant la loi ottomane que les lois française « et hollandaise, sur la nationalité, disposent que la « femme qui épouse un étranger, acquiert la nationa- « lité de son mari ;

« Qu'il résulte d'un acte officiel émanant du consu- « lat hollandais (que le fondé de pouvoirs précité a « exhibé au tribunal), en date du 29 mars 1309 (1895), « que la demanderesse a conservé jusqu'à ce jour la « nationalité néerlandaise;

« Ome, dès lors, la maison Vacoiif appartenant à « son père Pierre Coulomb revient aussi, par droit de succession, aux mineures précitées ;

« Le susdit fondé de pouvoirs concluait en conséquen- « ce à ce que le tribunal condamnât la dame Fortunée à « cesser toute ingérence dans les dites maisons et à « les rendre aux mineures sus-mentionnées,

« Changeant toutefois de langage, Tchilinguirian Kir- « cor EfFendi allégua que la maison élevée sur le ter- « rain FacoM/" avait été bâtie par le défunt Pierre « Coulomb, de ses propres deniers, et qu'elle n'avait < été ni démolie, ni rebâtie depuis l'an 1280;

« Que, quant à la maison bâtie sur le terrain Mulk, « celle-ci avait été construite par Honoré de ses pro- « près deniers, il y a seize ans;

« Que Rosine, mère de ce dernier, a reconnu de son « vivant, que son nom ne figure qu'en command « dans les titres de propriété de ces deux maisons ;

« Que Pierre Coulomb a, en qualité de propriétaire

253

« exclusif, habité ladite maison Vacoiif, avec sa famille, « jusqu'à sa mort survenue le 10 Kebiul-Ahher 1304 ;

« Qu'Honoré a, jusqu'à sa mort, survenue le 8 Cha- « wal 1304, agi en maître, à l'égard de la maison « Ghedik qui lui appartenait, en la donnant à bail et en « touchant les loyers, le tout à la connaissance de « sa mère Rosine, et sans qu'aucun litige ait été sou- « levé.

« Hafiz Méhémet Effendi, fondé de pouvoirs de la « dame Hadidjé Hamoum, mutevelli du Vacouf sus- « énoncé, déclara que la dame Rosine, qui possédait à « double loyer(Idjareteïn),lamaison affectée au Vacouf^ « qu'il représente, bien qu'elle ait laissé à sa mort sa « fille, la demanderesse Fortunée, celle-ci est privée « de la succession de sa mère, pour avoir épousé, du « vivant de cette dernière un sujet hollandais : le « sieur Joseph Narik, dont elle a acquis la nationahté ;

« Que, dans ces conditions, la susdite dame Rosine <K étant morte sans enfants, la maison Vacouf précitée « doit revenir, pour cause de déshérence, au Vacouf « qu'il (lui Hafiz Méhémet Effendi) représente ;

« Qu'en conséquence il réclame que la demande- « resse Fortunée, soit condamnée à cesser toute ingé- « rence dans la dite maison, et à la restituer au Va- « couf.

« Edhem Effendi, mandataire de la demanderesse « Fortunée, oppose une dénégation aux allégations de « Tchilinguirian Kircor Effendi, relatives au prête-

254

« nom et à l'aveu imputés à la défunte Rosine Lopo ;

« Il déclara, en outre, que celle-ci ayant acheté avec « l'autorisation du mutevelli le terrain Vac ouf sus-énon- « ce, payant un double loyer (Idjareteïn) annuel de « 75 piastres au FacoM/* précité, en vertu d'un titre de « propriété, daté du 20 Djemaz-ul-uwel 1280, (titre « qu'il a produit au tribunal), elle y a, de son vivant et « à la date sus-indiquée, construit, de ses propres « deniers, une maison qu'elle a affectée au dit Vacovf,

<< Que, en vertu d'un autre titre, daté du 9 septem- « bre 1283, elle a loué le terrain sur lequel est cons- « truite la maison Ghédik,et elle y a élevé de ses pro- « près deniers, la maison Mulk qui s'y trouve.

« Qu'elle a agi en propriétaire à l'égard de ces deux « maisons, et sans avoir à soutenir aucun procès les « concernant, durant toute sa vie, et en la connais- « sance et jusqu'à la mort de son fils Honoré, surve- « nue le l.r juillet 1301, c'est-à-dire pendant une « période de 28 à 32 ans ;

« Que le nommé Honoré n'ayant, de son vivant et « alors qu'il le pouvait, soulevé aucune contestation « contre la dame Rosine, sa mère, l'action relative à « l'aveu imputé à cette dernière, intentée comme ci- « haut par ses héritiers, n'est point recevable pour « cause de prescription ;

« Que la dame Fortunée sa mandante ne saurait être « privée de la succession de sa mère française, pour

- 255

« cause de diversité de nationalité, résultant de son ma- « riage avec un sujet hollandais ;

« Qu'en conséquence, il requérait que l'action re- « lative à la maison Vacoiif fût rejetée, et que le « tribunal procédât au partage de la maison Ghé- « dîk entre les héritiers. « Le Tribunal,

« Attendu que le fondé de pouvoirs précité de la « demanderesse a reconnu que sa mandante est sujette « hollandaise, et la mère de celle-ci, la défunte dame « Rosine, citoyenne française ;

« Que la diversité de sa nationalité avec celle de « sa mère, entraînant sa privation de l'héritage de « cette dernière, la maison Ghédîk susvisée doit re- « venir par droit de succession à Anne et à Rosine, « filles mineures d'Honoré, fils de la défunte Rosine I « Attendu que l'examen de l'action relative au « prête-nom soulevée comme ci-haut par Tchilinguirian « Effendi est défendue par une ordonnance vizirielle « en dats du 14 Zilhidjé 1286;

« Que Tchilinguirian Effendi a commis une contra- « diction en reconnaissant d'abord la nature Vacoufàt « la maison Facou/ précitée, et en alléguant ensuite « qu'elle est Mulk ;

« Qu'appert le titre de propriété produit au tri- « bunâl et ci-dessus énoncé, relatif à la maison Vacouf « sus-mentionnée, celle-ci, possédée à double loyer « (Idjareteïn) par la dame Rosine, revient par la

256

« mort de cette dernière sans enfants et pour cause « se de déshérence, au Vacouf auquel elle est affectée.

« Par ces motifs,

« Ordonne que la demanderesse Fortunée cesse son « ingérence dans la maison Ghédik et la rende aux di- « tes mineures ;

« Déboute Tchilinguirian Effendi de son action rela- « tive à la susdite maison Vacouf;

« Et

« Ordonne à la demanderesse Fortunée de cesser « toute ingérence dans la maison Vacouf précitée, et « de la restituer au Facow/ sus-mentionné ».

Ce jugement, bien que d'une rédaction con- fuse, est une véritable curiosité juridique ; la traduction en est peu correcte dans l'ensemble, mais nous l'avons reproduite telle qu'elle nous a été remise, de peur d'en dénaturer le. sens et aussi pour conserver le plus possible au juge- ment une saveur d'origine.

Un résumé, très succinct d'ailleurs, de la sen- tence ci-dessus est indispensable pour bien comprendre la décision du tribunal. L'espèce est la suivante :

Rosine Lopo, française d'origine et par ma- riage, est morte en laissant comme héritiers :

{" Sa fille Fortunée, française d'origine, mais

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devenue hollandaise par suite de son mariage avec Joseph Narick, sujet hollandais ;

T Deux i-^etites-filles mineures issues de son fils Honoré, sujet français.

La succession comprenait deux maisons, dont une Vacouf idjareteïn et l'autre Mulk.

Fortunée prétend avoir seule droit à la mai- son Vacouf.

Pour saisir la prétention de la demanderesse, il faut se reporter à notre étude du régime suc- cessoral ottoman, nous avons vu que faute de remplir les formalités prescrites par les lois de 1867 et 1875, les enfants seuls du de cujus ont droit à leur transmission par succession. Le jugement n'en dit rien, mais telle semble être l'explication légale de la prétention de la dems^n- deresse.

Fortunée demande en outre le partage de la maison Mulk en réclamant les 6/8 pour elle.

Nous avons également vu dans le 3' Exemple du chapitre précité, ayant trait aux héritiers à part fixe, que telle est la part revenant à une fille unique en présence d'une ou plusieurs pe- tites filles.

D'autre part, les petites-filles prétendent que la maison Vacouf doit leur revenir, non en leur qualité de petites-filles mais de filles. En effet, disent-elles, la défunte Rosine Lopo n'était

Aliotti i7

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qu'un prête-nom et la dite maison appartenait en réalité à Pierre Coulomb, époux de Rosine Lopo. Or, à la mort de Pierre Coulomb, la maison revenait par succession à son fils Honoré, et au décès de celui-ci à ses filles. C'est donc comme venant à la succession de leur père Honoré et non comme petites-filles de Rosine Lopo qu'elles réclamaient la maison Vacouf. Quant à Fortunée, bien que fille de Pierre Cou- lomb, elle est exclue de tout droit d'héritage pour avoir perdu sa nationalité d'origine par mariage.

Pour ce qui est de la maison Mulk, elle n'ap- partenait pas à Rosine Lopo mais à son fils Honoré. Rosine Lopo n'étant ici encore qu'un prête-nom, la maison devait revenir comme filles d'Honoré, véritable propriétaire de la mai- son Mulk.

De son côté, le représentant (Mutevelli) du Vacouf repousse les allégations des petites- filles, qui prétendaient que Rosine Lopo était un prête-nom. Dans ces conditions, la maison doit faire retour au Vacouf pour cause de déshé- rence. En effet, Rosine Lopo est censée morte sans enfants, du moment que la seule enfant survivante, la dite Fortunée, avait changé de nationalité.

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Les trois parties intéressées ayant exposé leurs prétentions, le Tribunal décide que Rosine Lopo n'était pas son prête-nom, mais la vérita- ble propriétaire des deux maisons Vacouf et Mulk. La situation étant telle, le tribunal décla- re la maison Vacouf en déshérence, Rosine Lopo étant censée morte sans enfants, du moment que Fortunée qui était sa seule enfant survivante avait changé de nationalité, et ordonne la resti- tution de la dite maison Vacouf à l'administra- tion du Vacouf. Quant à la maison Mulk, For- tunée ayant encore perdu ici tout droit de suc- cession par suite de son changement de natio- nalité, elle doit revenir en entier aux petites-fil- les de Rosine Lopo.

Il résulte des explications ci-dessus, que la différence de nationalité est la préoccupation constante du tribunal religieux. C'est pour cet- te raison que la maison Vacouf est dite en dés- hérence ; et que la maison Mulk est déclarée appartenir aux petites-filles.

Le tribunal a-t-il bien jugé? La question est délicate, car il s'agit d'une espèce toute parti- culière. En effet, les deux parties étaient d'ac- cord pour porter leur différend devant le Chéri, et l'on peut alors se demander si le tribunal re- ligieux n'était pas en droit déjuger d'après ses

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propres lois. Malgré cette raison qui, nous l'a- vouons, n'est pas commode à écarter, nous pen- sons quant à nous que les étrapgers n'ayant pas de nationalité distincte par devant les autorités civiles, il doit en être de même devant les auto- rités religieuses. Ainsi que nous en avons déjà fait l'observation, les puissances ont traité avec le gouvernement turc et non le Cheikh-ul-islam. Sans doute, ceux qui admettent que la succes- sion immobilière est régie par les lois civile ou religieuse d'après lanature de l'immeuble, ceux- doivent accepter les règles de partage et autres comme applicables également aux Otto- mans, mais il ne doit pas en être de même pour une cause de déshérence basée sur une diffé- rence de nationalité. On peut aussi, si l'on veut, soutenir qu'Ottomans et étrangers sont inca- pables de se succéder réciproquement, mais ce serait certainement dénaturer le sens de la loi et aller à l'encontre de l'esprit du législateur que d'appliquer aux étrangers, de quelque na- tionalité qu'ils soient, une disposition visant uniquement la succession ottomane.

Il est encore vrai de dire que si l'on veut assimiler entièrement les étrangers aux Otto- mans, il faut leur appliquer les règles qui régis- sent ces derniers et non leur donner un traite- ment moins favorable. Or, on arriverait à ce

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résultat en décidant que deux étrangers de na- tionalité ditîérente ne peuvent se succéder res- pectivement.

Les étrangers sont dits tels par opposition aux Ottomans, mais ils sont considérés eux- mêmes comme sujets de la Porte et partant aucune distinction de nationalité n'est à faire entre eux.

Le jugement du tribunal religieux de Smyrne fut porté en cassation à Constantinople devant le Ghickh-ul-Islam. L'arrêt rendu en date du 12 Moharem 1317 (1898) ne vise pas le fond de l'affaire et ne tranche pas directement la ques- tion de savoir si une différence de nationalité entre le de cujus et les héritiers est un empê- chement à la succession ; l'arrêt dit simplement que d'après la loi religieuse la femme ne suit pas la condition de son mari, casse pour viola- tion de la loi le jugement du tribunal de Smyrne, et renvoie l'affaire devant le même tribunal pour être jugée à nouveau.

Nous regrettons vivement de n'avoir pu nous procurer le texte même de l'arrêt, nous y aurions peut-être découvert des choses intéressantes, tandis que nous sommes réduits à en rapporter le sens tel qu'on a bien voulu l'interpréter.

Toujours est-il que nous constatons une di- vergence de vues entre les autorités religieuses

262

et les autorités civiles en -ce qui concerne la na- tionalité de la femme mariée. Nous avons vu, en effet, que d'après la loi de 1869 et d'accord avec les autorités civiles ottomanes, la femme suit la condition de son mari. Or, voilà que le Cheikh-ul-islam se prononce en sens contraire. Eh bien, quelle est aux yeux des puissances l'opinion à suivre ? Est-ce celle du gouverne- ment turc ou celle du Cheikh-ul-islam? La ré- ponse ne saurait être douteuse : les puissances ne reconnaissent que le gouvernement, les au- torités religieuses sont inexistantes à leurs yeux. Si donc le gouvernement turc décide que la femme suit la condition de son mari, il doit en être ainsi et peu importe que les lois religieuses soient en sens opposé.

Quant à la question desavoir, si la différence de nationalité est un obstacle à la succession, nous savons également que le gouvernement turc, toutes les fois qu'il a eu occasion de se prononcer à ce sujet, a invariablement déclaré que les étrangers, fussent-ils de nationalité dif- férente, sont habiles à se succéder respective- ment. La seule condition du gouvernement turc, c'est que l'Etat dont relève l'étranger ait adhéré au protocole de 1868. A cette condi- tion, tous les étrangers propriétaires d'immeu- bles sont considérés comme sujets ottomans et

263

sont par conséquent d'une nationalité unique. Telle est la décision du gouvernement turc, elle est conforme à la seule interprétation pos- sible de la loi de Sépher et c'est la seule à sui- vre par les Etats étrangers.

CHAPITRE V CRÉANCIERS D'UNE SUCCESSION OTTOMANE

Une circulaire du ministre de lajustice en date du 25 mai 1886 (2i chaban 303) dit que:

« Le tribunal compétent dans les affaires successorales, «c'est le tribunal religieux ; que, en conséquence le « jugennent du tribunal Mizamié (tribunaux civils ou « de commerce ottomans) que le créancier aurait ob- « tenu du vivant même de son débiteur n'est -pas vala- « bie devant le tribunal religieux, et qu'enfin, le créan- ce cier doit malgré ce jugement faire yérifier sa créance « conformément à la loi religieuse ».

Il s'agit bien entendu de la succession d'un musulman sujet ottoman. Quant aux sujets ottomans non musulmans, lehatti-hamaïoun du 18 janvier 18o6 s'exprime en ces termes :

« Les procès civils spéciaux, comme ceux de succes- « sion ou autres de ce genre, entre les sujets d'un « même rite chrétien ou autre non musulman, pourront,

265

« à leur demande, être renvoyés par-devant les con- « seils des patriarches ou des communautés »

Il ressort clairement de ce texte, que toutes les fois qu'il s'agit de la succession d'un non- musulman quoique sujet ottoman, les parties peuvent, si elles sont toutes d'accord, porter leur contestation devant le chef de la commu- nauté dont relevait le de cujus . Mais qu'une seule des parties conteste la compétence du chef de la communauté et ce dernier ne pourra plus connaître de l'affaire, qui devra nécessairement être portée devant le tribunal du Chéri.

Quand une succession est ouverte devant le tribunal religieux, c'est ce dernier qui est char- gé de la liquidation et du partage des biens. Est-il également compétent pour connaître de la créance qu'un sujet étranger peut avoir contre la succession ? Il faut distinguer suivant que la succession est ou n'est pas soumise à la forma- lité de l'inventaire. Or, aux termes de la circu- laire déjà citée du 25 mai 1886, dans toute suc- cession soumise à l'inventaire, c'est-à-dire dans laquelle il y a des héritiers mineurs ou absents, la créance doit être vérifiée par le tribunal reli- gieux, qui ne reconnaît aucune valeur aux juge- ments des tribunaux civils ou de commerce, fussent-ils rendus du vivant même du débiteur.

266

Il en résulte que toutes les fois que, dans une succession, il y a parmi les héritiers des mi- neurs ou des absents, le créancier ottoman ou étranger doit nécessairement s'adresser au tri- bunal du Chéri, qui seul a qualité pour vérifier la créance et condamner la succession à payer. Telles sont les prétentions desautorités ottoma- nes, elles sont l'expression même de la circu- laire de 1886.

On conteste vivement au tribunal religieux le droit de connaître de la vérification des créan- ces, quand le créancier est de nationalité étran- gère. On fait valoir à cet effet plusieurs argu- ments. On dit d'abord que d'après une nou- velle circulaire du ministre de la justice du 18 oct. 1887 (SOmuharem 305), le Trésor pourra citer les héritiers devant les tribunaux civils ottomans qui décideront de la valeur de la créan- ce, et ce parce que la plupart des créances du Trésor proviennent de causes non reconnues par le tribunal religieux.

Mais cette circulaire, au lieu d'apporter une dérogation à celle de 1886, ne fait au contraire que la confirmer en introduisant une exception pour le Trésor seul.

Un second argument consiste à dire qu'une simple circulaire n'a pu abroger une loi préexis- tante, laquelle prescrivait que tout jugement

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rendu du vivant du débiteur devrait être reconnu valable par le tribunal religieux. Nous croyons l'argument insuffisant et de nature à entraîner des discussions sans fin ; il est d'ailleurs facile de faire remarquer que cette loi ne parlant que des jugements rendus du vivant du débiteur, elle laisse intacte la question de savoir quelle est à son décès la juridiction compétente.

Un troisième système invoque les articles 23 26 et 41 de la capitulation de 1740. Cette fois nous trouvons l'argument tout à fait mauvais, car d'après les capitulations, tout procès avec un indigène doit être porté devant les tribunaux ottomans; à moins qu'on ne veuille en conclure que les articles 23, 26 et 41 sont tombés en désuétude et qu'aujourd'hui tout procès, autre qu'en matière immobilière, dans lequel un Otto- man se trouve en cause doit être porté devant les tribunaux mixtes de commerce.

Présenté sous cette forme, l'argument devient bon au contraire. Le créancier étranger avait certainement le droit, il avait même l'obligation, de poursuivre son débiteur ottoman devant le tribunal mixte de commerce. Or, de ce que son débiteur est mort, doit-on considérer le juge- ment obtenu contre lui comme nul et non avenu ? Qu'importe que le débiteur soit mort avant que le créancier ait pu obtenir l'exécution du juge-

seg- ment, ce jugement constitue pour lui un droit acquis qu'un événement indépendant de sa volonté ne saurait lui faire perdre.

En supposant même le débiteur mort avant qu'aucune condamnation ait été prononcée con- tre lui, est-ce une raison pour enlever au créan- cier le droit qu'il avait de poursuivre le recou- vrement de sa créance devant le tribunal de commerce? Mais en nous référant aux capitula- tions mêmes, nous savons que si le Cadi était compétent il ne pouvait juger qu'en présence du drogman. Or, nous savons également que devant le tribunal religieux, le drogman n'est pas admis à assister son national. Le législateur ottoman peut-il de sa propre autorité et sans l'assentiment des puissances abroger les capitulations? Non certainement. Eh bien, il ne peut pas davantage priver le créancier étranger du droit qu'il avait de poursuivre son débiteur par-devant le tribunal mixte de commerce, qui conformément à un ac- cord avec les puissances a remplacé les tribu- naux ottomans, compétents d'après les capitu- lations.

Un quatrième argument consiste à dire, que du moment qu'un créancier ottoman d'une suc- cession étrangère a le droit de poursuivre les héritiers devant le tribunal de commerce mixte, il doit en être de même, à titre de réciprocité,

269

quand la succession est ottomane et le créan- cier étranger.

Comme conclusion, nous dirons que le tri- bunal consulaire étant compétent pour connaî- tre de la succession d'un national, il doit en être de même du tribunal du Chéri concernant une succession ottomane; mais que toutes les fois qu'une créance sera contestée par les par- ties en cause, le tribunal mixte de commerce sera seul compétent pour connaître de la vérifi- cation de la dite créance, sans préjudice du droit qu'a le tribunal saisi de la liquidation de la suc- cession de procéder à la répartition des biens entre créanciers.

Les étrangers ont un intérêt évident à décli- ner la compétence du tribunal religieux qui, comme nous l'avons vu dans le chapitre consa- cré à l'organisation judiciaire, est défectueux à plusieurs égards.

En dehors de la question de compétence, il est intéressant d'examiner les modifications qui interviennent au décès du débiteur en matière d'exécution immobilière.

Nous avons vu que depuis la loi de 1869, les immeubles Mirié et Mevcoufé peuvent être ven- dus sous le consentement du propriétaire pour faire face aux obligations qu'il a pu contracter, mais il n'en est plus de même après le décès du

270

débiteur. Peu importe que de son vivant il soit intervenu un jugement ordonnant la vente des dites propriétés, ce jugement est sans valeur si le débiteur meurt avant qu'on ait procédé à la vente. Ces biens vont aux héritiers libres de toutes charges, quand même le débiteur n'au- rait laissé pour toute fortune que des terres do- maniales. Un seul moyen est offert au créancier pour sauvegarder ses intérêts en cas de décès du débiteur, c'est de se faire consentir une hypo- thèque sous forme de vente à réméré. Alors seulement la vente devient possible contre les héritiers.

Tout ce que nous venons de dire des immeu- bles Mirié et Mercoufé s'applique également aux Vacouf depuis la loi de 1869. Pour ces derniers nous devons toutefois noter que d'après un au- teur musulman, Omar Hilmy Effendi (1), toutes les fois qu'un débiteur dont le passif excède l'ac- tif transforme ses immeubles libres en immeu- bles Vacouf, et qu'à sa mort il ne se trouve pas dans la succession d'autres propriétés ou encore que ses propriétés libres ne soient pas suffisan- tes pour l'acquittement de toutes ses dettes, les créanciers peuvent obtenir du juge l'annulation

1. Ithaf Ul. Akhfaf Fi Ahcam II Amkafs, c'est-à-dire : Présent fait à mes successeurs des lois qui régissent les Am- kafs. Article 120.

271

du Vacouf et se faire payer sur le prix des im- meubles. Mais, si le débiteur n'avait pas de det- tes au moment il a transformé ses immeubles en Vacouf, nous retombons alors dans la règle générale, c'est-à-dire qu'à moins d'une hypo- thèque sous forme de vente à réméré, la vente n'est guère possible contre les héritiers.

Ces règles sont communes sux étrangers com- me aux ottomans. Les héritiers étrangers con" damnés par le tribunal consulaire n'ont qu'à soulever une exception d'incompétence, et le tribunal ottoman se refusera bien certainement à exécuter le jugement consulaire.

Que de complications et que de primes à la mauvaise foi î

CONCLUSION

La situation des étrangers en Turquie, pour être exceptionnelle et privilégiée, n'en est pas plus nettement établie. Nous entendons la situa- tion qui leur est faite en matière immobilière, la seule qui pour le moment doive arrêter l'at- tention des puissances.

Toutes les difficultés et tous les ennuis ont pour source unique la loi du 7 Sépher 1284. Lequel des deux textes, français ou turc, doit primer l'autre? Il ne suffit pas que les consuls insistent pour le texte français, il faut encore que les autorités ottomanes consentent à les suivre dans cette voie. Sinon que de conflits, que d'obstacles dans l'exécution ! Quel avantage l'étranger retire-t-il d'un jugement consulaire condamnant un autre étranger à des dommages- intérêts, pour inexécution d'une obligation en matière immobilière? Si le défendeur a des valeurs mobilières, tout va bien ; mais qu'il soit nécessaire de procéder à la vente d'un immeuble pour donner satisfaction au demandeur, les autorités locales se retranchèrent derrière le

273

texte turc pour refuser toute valeur au jugement du tribunal consulaire.

Il en est de même pour la compétence des tribunaux ottomans. Le texte vise-t-il les tribu- naux civils, ou aussi les tribunaux religieux?

Tout cela est de la plus haute importance et nous avons vu à quels ennuis et à quelles incer- titudes les étrangers sont exposés.

Sans doute le texte français est celui qui en droit a seul force de loi, puisque lui seul a été connu et approuvé des puissances. Mais il ne suffit pas de le dire, il faut insister pour qu'il soit également reconnu par les autorités com- pétentes. Il est aisé de comprendre qu'un con- sul,voire une ambassadeur ne peut rien s'il agit seul et isolément ; peut-être arrivera-t-il dans certains cas à imposer sa volonté, mais il n'en est pas moins vrai que chaque fois et à chaque occasion la même difficulté se représente et chaque fois l'étranger doit avoir recours à l'agent consulaire. î)ans ces conditions, il arri- ve souvent que les étrangers, las de faire des démarches qui toujours traînent en longueur et le plus souvent n'aboutissent pas, préfèrent lais- ser les choses suivre un cours anormal et pla- cent leurs intérêts sous la sauvegarde de l'au- torité locale, au risque même de perdre leur procès.

Aliotti 18

274

Il ne s'agit pas de demander à la Porte de nouvelles concessions, mais de préciser celles qui existent. Si malgré tout, c'est le texte turc qui est le bon, qu'on nous le dise; nous préfé- rons une solution mauvaise à une situation in- certaine et sans solution aucune. Mais qu'on nous dise des choses précises, les étrangers sauront au moins quels sont leurs droits et pourront alors s'arranger de manière à défendre leurs intérêts.

En matière de succession immobilière, la si- tuation est à peu près la même. Sans doute, il ressort clairement du texte de l'art. 4 de la loi de Sépher que la succession testamentaire et la succession ah intestat sont toutes deux régies par la loi nationale du défunt; nous savons éga- lement que la pratique suivie par les autorités locales est large et conforme à notre manière de voir, mais il n'en est pas moins vrai que s'il s'agit d'une succession ah intestat et que les héritiers ne soient pas d'accord pour reconnaî- tre la compétence du tribunal consulaire, les au- torités ottomanes se déclarent alors compétentes et jugent d'après leurs propres lois. C'est cet état de choses qu'il faut faire cesser, les autori- tés ottomanes n'ayant strictement qu'un droit, celui de fixer jusqu'à quel degré les parents peuvent respectivement se succéder.

275

De même pour l'influence de la nationalité en matière successorale, tandis que le gouvernement turc cherche uniquement à savoir si l'héritier appartient à un État ayant adhéré au protocole de 1868, les tribunaux religieux jugent que la différence de nationalité est un empêchement à la succesion.

Il est évident que le gouvernement turc doit et peut avoir raison sur le corps des alimas, mais pourquoi le législateur ne trancherait-il pas di- rectement cette question en nous évitant d'avoir recours aux interprétations des Ministres et du Conseil d'Etat, et cela chaque fois qu'une nou- velle affaire est soumise aux tribunaux.

Nous avons déjà fait remarquer qu'une con- vention internationale devenait indispensable et qu'elle seule pourrait mener à bonne fin les dif- ficultés que nous venons d'examiner. La ques- tion étant d'une importance considérable, il n'est pas inutile de récapituler nos revendica- tions, ce que nous ferons en les résumant dans les trois points suivants :

1" Lequel des deux textes, français ou turc, doit primer l'autre ; préciser d'une façon claire et dire enfin aux étrangers quels sont leurs droits et leurs obligations en matière immobilière.

%" Obtenir du gouvernement turc la déclara- tion que la loi nationale du défunt régit toutes

276

les successions indistinctement ; et qu'en matière de succession immobilière seulement, les auto- rités ottomanes ont le droit de fixer jusqu'à quel degré les parents peuvent se succéder réci- proquement.

Exiger un texte enlevant aux tribunaux religieux tout pouvoir de juger qu'une différence de nationalité est un empêchement à la succes- sion.

Sur le premier point, la discussion pourrait être assez délicate, bien qu'en réalité le gouver- nement turc n'ait aucun intérêt sérieux à réser- ver à ses tribunaux la connaissance de procès ne touchant en rien au régime de la propriété foncière.

L'accord se fera plus facilement sur le second point, du moment que la pratique suivie est con- forme à nos prétentions et que d'ailleurs le seul intérêt évident de la Sublime-Porte est d'empê- cher qu'une loi étrangère ne diminuât les chan- ces de déshérence.

Quant au troisième point, la question ne tient même pas debout, le gouvernement turc est lui- même d'une opinion opposée à celle des auto- rités religieuses et tout ce qu'on lui demande c'est d'imposer sa volonté à ces dernières.

La situation des étrangers est d'autant plus intéressante, que leur nombre augmente tous les

277

ans dans des proportions prodigieuses. Ils vivent principalement dans les villes maritimes, dans la plupart d'entre elles le commerce tout entier est entre leurs mains et ils ont déjà acquis la majeure partie des immeubles. Ce qui empêchait les étrangers, il y a quelques années à peine, de s^avancer plus avant dans le pays, c'était le manque absolu de communications. Aujour- d'hui même, le transport des marchandises est si difficile pour certaines localités, qu'il n'est pas rare, dans une année d'abondance, de voir des récoltes pourrir sur les lieux de production, faute de pouvoir les livrer au commerce. Cette situation va nécessairement s'améliorer, la Tur- quie sera bienôt sillonnée de chemins de fer et il est certain d'avance que dans un avenir, peut- être pas si éloigné, la population chrétienne sera égale sinon supérieure à la population musul- mane.

Le Turc, essentiellement agriculteur, est rou- tinier par la force des choses et ne sait pas tirer profit de la richesse inouïe du sol. L'étranger, grâce à la facilité des communications, ira ap- porter son savoir et son expérience à ces popu- lations enfoncées dans l'intérieur du pays, il leur fera connaître les nouvelles machines et les dernières inventions du monde civilisé. Il ne sera pas certainement reçu à bras ouverts^

278

mais qu'il se contente de faire fortune sa ns sou- lever (les dissentiments religieux, et avec de l'intelligence et surtout de la loyauté, il finira par diminuer la distance qui sépare le musul- man du chrétien.

L'élément étranger va certainement être la source d'une nouvelle ère de prospérité pour la Turquie, le Sultan actuel qui est doué d'une in- telligence profonde l'a si bien compris, que pour faire pénétrer la civilisation dans l'intérieur de son vaste empire, il a accordé d'importantes concessions de chemins de fer et bientôt tout le pays sera sillonné dévoies ferrées.

Dans ces conditions, le nombre des étrangers iras'augmentant tous les ans, et les puissances ne sauraient trop s'émouvoir de la situation faite à leurs sujets en matière immobilière. Une entente internationale est indispensable pour réclamer de nouvelles réformes et, quant à nous, nous exprimons le vœu que la France, qui la première a introduit en Turquie le régime des capitulations, soit aussi la première prenant l'initiative d'un concert européen.

Vu : le Président de la thèse , RENAULT Vu : le Doyen,

GLASSON

Vu et permis d'imprimer : Le N'ice-Recteur de l'Académie de Paris

GRÉARD

TABLE DES MATIERES

Pages Préface 5

TITRE PREMIER Des capitulations et de la juridiction.

Chapitre I. - Origine des Capitulations 13

Chapitre II. Historique des capitulations 29

Chapitri III. Juridiction en matière civile et commer- ciale 44

Section I. Contestations entre Français .... 44

Taux de l'intérêt 50

Mariage 55

Appendice. Changement de nationalité par mariage. 68

Section II. Contestations entre Français et étrangers. 77

Section III. —Contestations entre Français et indigènes . 82

Chapitre IV. Juridiction eii matière pénale .... 91

TITRE DEUXIÈME De la propriété immobilière.

Chapitre I. Régime de la propriété immobilière ... 103 Chapitre II. Organisation des tribunaux en Turquie : tri- bunal religieux et tribunal civil 111

280

Chapitre III. Du droit pour les étrangers d'acquérir des

immeubles en Turquie 118

Chapitre IV. Interprétation de la loi du 7 Sépher. . . 135

Chapitre V. Applications de la loi du 7 Sépher ... 148

Section T. Du louage 148

Section II. De la vente , . . . 158

Section III. De l'hypothèque 171

Chapitre Yl. Exécution des jugements consulaires . . 178

TITRE TROISIÈME Des successions.

Chapitre I. Succession mobilière 189

Chapitre IL Régime successoral ottoman 204

Chapitre III. Succession immobilière 221

Chapitre IV. Influence de la différence de nationalité en

matière successorale 236

Chapitre V. Créanciers d'une succession ottomane . . 264

Conclusion 272

JJUVE et BOYER, imprimeurs-éditeurs, 15, rue Racine, Paris.

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