DIRECTEUR GASTON RICHARD GAMILLE VALLAUX es 4 4 4 : LA PAL 1,2 Te A er 2 MIT SRE NÉ TT Prof, Mecking Octave DOIN, éditeur, 8, place de l'Odéon, Paris ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE Publiée sous la direction du D' TOULOUSE BIBLIOTHÈQUE BA SOCIOLOGIE Directeur : GASTON RICHARD Professeur de science sociale à l’Université de Bordeaux La bibliothèque de Sociologie, ou des sciences sociales, de l'Encyclopédie scientifique, ne sera pas l'exposition d'un sys- tème sociologique aspirant à faire tenir l'explication de la réalité sociale dans un petit nombre de formules dogmatiques. L'exposition, sinon la constitution, d’une sociologie générale, nous semble être une tentative légitime en elle-même, mais actuellement prématurée. Les sciences physiques ont précédé ta physique générale, car il a fallu étudier les lois empiriques des différents phénomènes physiques avant de pouvoir s'élever à la théorie de l'unité des forces. Les différentes sciences de la vie et de l’organisation ont précédé la biologie. De mème, la constitution des sciences sociales doit précéder celle de la sociologie. Sans le point d'appui que les premières lui offrent, celle-ci ne peut être qu'une vague hypothèse, un système d'analogies sans précision, souvent sans fondement, ou encore une réduction prématurée des faits sociaux à quelque facteur trop simple pour en rendre vraiment compte. Toutefois les sciences sociales ne méritcraient pas leur nom si les sociétés n'offraient pas à la recherche scientifique un objet d'étude propre, distinct de celui que lui propose soit le monde extérieur, soit la nature humaine abstraitement consi- Mn] . ment, enfin celle des attributions de l'Etat. Chacune de ces Fe à à IV ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE parente si les différents phénomènes dont elles sont à la fois | LA le milieu, la condition et aussi la conséquence n'étaient pas liés et réciproquement dépendants. La notion de la sociologie, entrevue par Montesquieu et par les encyclopédistes, formulée par Auguste Comte, rendue plus précise après lui par Herbert 2 3 Spencer. Gumplowiez, Gabriel Tarde, Sinimel, Ardigo, Emile Durkheim, Giddings, Steinmetz, et tant d’autres, nous paraît | donc entièrement légitime. Quelque réserve que nous ayons. dû faire sur la validité actuelle de la sociologie générale, nous pensons que cette notion d’une science ÉGUbIE d’embrasser la | succession des états sociaux et la connexité des phénomènes : que manifeste chacun d’eux doit être toujours présente à | celui qui étudie un aspect particulier de la vie sociale. | Le programme de notre bibliothèque embrasse la géo- graphie humaine, l'étude ie des ty pes SOCIaux, celle et collectifs ainsi que des SA celle de l’art au point de vue sociologique, celle de la nature du droit et du gouverne- questions a été, autant que possible, confiée à un spécialiste français ou étranger, mais tous les collaborateurs de Ja biblio- des faits sociaux, de la succession historique des états sociaux des formes simples aux formes complexes et de l'applicabilité à de la méthode historico-évolutive à toutes les branches de da $ science sociale. TABLE DES VOLUMES ET LISTE DES COLLABORATEURS (Les volumes publiés sont marqués par un *) A) GÉNÉRALITÉS. 1. Formation de la sociologie, par Gasron Ricxarn, professeur de science sociale à l’Université de Bordeaux. * 2, La Solidarité sociale; ses fondements, son évolution, par G.-L. Duprar, professeur de philosophie au lycée de Ra- chefort, docteur ès-lettres. B) SocloLociE COMPARÉE ET ETHNOGRAPHIQUE. *3. Les Types sociaux et le Droit, par J. Mazzarerra. 4. L'Assimilation des peuples, par Paur Lars, professeur de philosophie à l’Université de Bordeaux. C) GÉOGRAPHIE HUMAINE ET SOCIALE. 5. Géographie sociale. Le Sol, par Camirce Varraux, pro- fesseur de géographie à l'Ecole navale, docteur ès-lettres. * 6. Géographie sociale. La Mer, par Camize VaLLaux. D) ScrENcE DES MoŒURS. 7 L'Éthologie collective, par Gasrox Ricxarp. 8. La Science des mœurs d'après la statistique morale, par Gasron Ricxarp, SGIENCE DE L'Erar. 9. La Société et l'ordre juridique, par Azexavpre Lévr, profes- seur de philosophie du droit à l’Université de Ferrare, > À“ 0 CRE l'Université de Dijon. | nn 11. Le Gouvernement, par Anorrne Posapa, prof l'Université d'Oviédo, membre de l'Institut de ciale de Madrid, w z E) Esrnérique. 12. Les Conditions sociales de l'art, par Cuanres Lao, de philosophie, docteur ès-lettres. ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION du D' TOULOUSE, Dirécteur de Laboratoire à l’École des Hautes-Études. Secrétaire général : H. PIÉRON, Agrégé de l'Université. BIBLIOTHÈQUE DE SOCIOLOGIE Directeur : GASTON RICHARD Professeur de science sociale à l'Université de Bordeaux, GÉOGRAPHIE SOCIALE a —— LA MER Les Campagnes des armées françaises (1792-1815). 1 vol. in la Bibliothèque d’histoire contemporaine. Paris, Alcan, 1899. La Basse Bretagne, étude de géographie humaine. 1 vol. avec cartes et figures. Paris, Cornély, 1907 (Ouvrage couror la Société de géographie ms AE de Paris). se Paris, Cornély, 1907. EN PRÉPARATION ; > - Géographie sociale, Le sol CRT sont ÉquE 0. éditeur). in are DRE. - @ # GÉOGRAPHIE SOCIALE LA MER Populations maritimes Migrations — Pêches — Commerce Domination de la mer PAR Camille VALLAUX PROFESSEUR DE GÉOGRAPHIE A L'ÉCOLE NAVALE DOCTEUR ÈS-LETTRES PARIS HET AVE RIRE DETTE UE 8, PLACE DE L'ODÉOX, S 1908 Tous droits réservés LoxstEUR EuiLe BOURGEOIS à ge | PROFESSEUR A LA SORBONNE PRÉFACE Les personnes auxquelles sont familières les choses de la géographie reconnaitront aisément dans ce livre l’influence prépondérante des idées de Ratzel'. Nous ne cherchons pas à dissimuler ce que nous devons à ce vaste et puissant esprit. Toutefois nous nous sommes eflorcé de repenser par nous-mème les idées maïtresses exprimées dans l’An- thropogeograplue et surtout dans la Politische Geographie, au sujet de l'adaptation de la vie humaine collective à la mer. Nous espérons que notre travail aura quelque utilité. Le petit format de l'Encyclopédie nous a empêché de joindre à notre volume des cartes générales : il eût fallu les replier trop de fois sur elles-mêmes. Mais cette lacune ne présente guère d'inconvénients, car les cartes d'un atlas ordinaire suffisent pour l'intelligence complète de /a Mer. Nous avons restreint les références en bas des pages aux renvois des citations textuelles entre guillemets, et aux autorités de quelques faits ou chiffres trop particuliers ou peu connus. L'index bibliographique placé à la fin du volume contient en caractères gras l'indication des prin- 1 Frigpricn Rarzez, professeur à l'Université de Leipzig (1844-1904) La Mer. I _cipaux instruments de travail, et en caractères ordi PRÉFACE les sources moins importantes. V8 Un vocabulaire technique donne l'explication de Dec phques ou nautiques {autres que les à fait usuels), employés et non expliqués au cot l'ouvrage, où ils sont marqués d’un astérisque. | Kerhuon, décembre 1907. L "1 tt PR INTRODUCTION GÉNÉRALITÉS ET DÉFINITIONS 1. La mer et les peuples maritimes. — 2, Définition de l’æœcoumène maritime proprement dit. — 3. Définition des migrations par voie de mer. — 4. Définition des faisceaux de circulation. — 5. Mé- thode générale d'exposition. 1. La mer et les peuples maritimes. — hRatzel fait dans son Anfhropogeographie la remarque évidenie, et pourtant utile à signaler, que l'homme est avant tout un « terrien ». La race humaine, qui a tant augmenté ses moyens d'action sur la planète en maïtrisant la mer, voit dans l'océan soit un champ d'exploitation, soit un espace commode pour la circulation des hommes et des produits ; mais, en général, elle n'y voit pas un habitat, ou, pour employer un mot aujourd'hui courant, un « æcoumène ». Peu nombreux et peu importants sont les groupes d'hommes qui vivent exclusivement de la mer et sur la mer. S'il fallait ne comprendre sous la rubrique des popu- lations maritimes que celles qui se nourrissert des produits marins et qui passent sur les eaux marines la plus grande partie de leur existence, tout au plus cette qualification s’appliquerait-elle : à quelques tribus placées, dans l'hé- 4: INTRODUCTION misphère arctique, sur l'extrème limite de l'œcoumène, comme les Eskimos: — aux habitants des petites iles coralliennes du Pacifique; — aux pêcheurs d'un certain nombre d’archipels côtiers, comme les Aléoutiennes, les Kouriles, le skœrgaard de Norvège, les Hébrides; — et, en général, aux communautés humaines, dispersées et médiocres en nombre, placées aux avancées extrêmes des. continents, sur les débris insulaires de continents ruinés, et dans les petites îles éruptives et coralliennes; groupes auxquels la terre manque, si l'on peut dire, et qui sont obligés de tirer de la mer toute ou presque toute leur subsistance. Cependant, il est certain que cette conceplion de la population maritime, limitée aux petits groupes fraction nés qui ne vivent que de la mer, serait trop étroite. L'océan impose aujourd'hui des modalités particulières d'existence à un grand nombre d'hommes qui ne sont pas des marins d'origine. S'il est exact de dire que l'homme a conquis la mer, il n'est pas moins vrai que la mer a conquis l’homme. Devenue le champ commun où les grandes routes du commerce tracent leurs sillons, devenue aussi l’objet d'ambitions impériales, mieux connue comme champ d'exploitation, la mer s’est de plus en plus mêlée, au cours de l'histoire, à la vie des peuples. On pourrait considérer, non sans exactitude, le développement histo- rique comme se mouvant dans un cadre où la part de la mer devient de plus en plus grande. Au point de vue du monde occidental, tout au moins, la civilisation a passé de la phase fluviale à la phase méditerranéenne, puis à la ‘ INTRODUCTION J phase atlantique: elle entre aujourd’hui dans la phase océanique . * * Cette pénétration croissante de l'Océan dans la vie des peuples a rendu très variables sur le plan historique, qui est celui du temps, les effets des conditions naturelles , (vents dominants, courants, nature des côtes, climat, productions marines) #qui servent de cadre à l'existence maritime de l’homme; la même pénétration, différente suivant les lieux et suivant les états de civilisation, rend les mêmes effets assez variables aussi sur le plan géogra - phique, qui est celui de l’espace. Par là on comprend qu'il est malaisé de soumettre à un ordre scientifique rigide l'étude de faits si mobiles. Il n’en est que plus nécessaire de définir avec précision les termes généraux dont nous devrons nous servir au cours de ce travail. C’est autour des définitions que les faits dont l'indétermination n'est pas trop grande viendront se fixer d'eux-mêmes et se grouper, de manière à rendre intelligible ce qu'il y a de permanent dans ces modalités en apparence si variables. 2. Définition de l’æœcoumène maritime proprement dit. — Malgré l'extension croissante de la vie maritime et le nombre grandissant des hommes mêlés aux métiers de la mer, il nous paraît convenable, pour la clarté de l'exposition, de restreindre le concept élémentaire de l’œcoumène, appliqué à l'Océan. Il n'y a œcoumène, au point de vue maritime, que r lorsqu'il y a cantonnement d’un agrégat social déterminé Le 6 INTRODUCTION dans une région géographique particulière, comprenant, M soit une lisière littorale avec le plateau continental qui lui sert de socle, soit une lisière littorale avec une mer . secondaire (mer en bordure*, méditerranée ou me fermée par-des îles), soit une ile ou un grand groupe d'îles, soit encore une zone de rendez-vous de grande pêche. in un mot, il n'y a œcoumène maritime que lorsqu'il y stationnement prolongé ou habituel dans un cadre géo graphique de côtes et d’eaux marines. L , Au contraire, il n y a pas œcoumène- lorsque le es à océanique n'est qu'une zone de passage, même quand la = circulation y atteint un haut degré d'activité : si peuplé que paraisse l'Océan dans une pareille zone, il ne l'est pas sh ee au sens propre du mot, car il est pole de ne ‘ Re dans les foules qui ne cessent de le traverser, un RM groupe d'hommes dont la vie dépende réellement du cadre océanique considéré : ce cadre ne contient pas d' mn il ne contient que des voyageurs. AE] Le 4 Quelques exemples aideront à comprendre cette distinction. Considérons l'espace maritime entre 43° et 48° lat. N ho° et 59° long. W. Gr*. Cet espace renferme le grand + banc de Terre Neuve et d'autres bancs plus petits. € une des régions de pêche les plus productives du monde. ; Tous les ans, des flottilles nombreuses y M mois. Il : a en France, en AE, aux Etats-Unis et. au Canada une quantité d'hommes dont l'existence se. passe en grande partie sur le banc de Terre Neuve, et pe INTRODUCTION 4 » les intérêts économiques séjournent en permanence, si l'on peut ainsi parler, dans ce cadre géographique. Le banc de Terre Neuve présente donc, au même titre qu'une plaine fertile ou qu'une région industrielle, les caractères de l’æcoumène. Une mer secondaire en impasse, comme la Baltique, sert aussi d'œcoumène plutôt que de zone de passage. D'un bord à l’autre, les communications ne sont pas fragmentées et périodiques : elles sont constantes et ne s'interrompent jamais, de mème que dans les différents . œcoumènes terrestres. Soit par l'exploitation de la mer, étendue en permanence sur toute la surface de la Baltique, qui appartient, à l'exception de quelques fosses étroites, au plateau continental, soit par la communauté de races et de langues des populations sur les deux rivages opposés, . la Baltique révèle qu'elle n’est pas une lacune dans l'œæcou- mène; au contraire, elle est tout entière circonscrite dans Phabitat particulier que forme le bouclier ballique* des géologues, sur une partie duquel elle étend une mince pellicule d’eau salée. Ün littoral cisaillé de rias et d’estuaires et reposant sur un plateau continental riche en espèces comestibles, comme le littoral breton-vendéen, constitue encore un œcoumène maritime, car la pêche et le cabotage y retiennent une population stable de marins ; et il ne faut pas oublier, en parlant d’un œcoumène de ce genre, que le plateau continental en fait partie aussi bien que la côte. Ces trois exemples mettent en lumière quelques-unes 8 INTRODUCTION des formes les plus saillantes de l’œcoumène maritime : une zone de grande pèche, une mer secondaire en impasse, un littoral à estuaires avec socle continental. Considérons maintenant un espace maritime où la wie humaine se présente sous des formes plus complexes que dans les cas jusqu'ici mentionnés : nous voulons parler de la Manche. Boysen a remarqué que la Manche, à cause de la circu- lation active qui y règne, possède en permanence une population aussi dense que la province d'Iakoutsk; ne : serait-elle donc pas, tout aussi bien que la province d'Iakoutsk elle-même, un œcoumène dont l'étude s'impose aux géographes ? La remarque de Boysen est intéressante; mais, prise au pied de la lettre, elle amènerait certaines confusions que nous devons prendre à tâche d'éviter. Sans doute, si nous considérons la Manche comme socle continental (elle en est un, puisque sa profondeur, ne dépasse 100 mètres que dans l'étroite fosse d'Aurigny), et si nous la considérons, par conséquent, comme zone de x pêcheries, c'est un œcoumène, moins peuplé en fait que … d'autres zones semblables, comme le Dogger Bank ou le | littoral breton-vendéen. Si nous la considérons comme région de passage constant et ininterrompu entre la France et l'Angleterre, c'est encore un œcoumène. Mais, si intéressants que soient ces deux caractères de la Manche, ce n'est pas à eux surtout qu'elle doit la nombreuse popu- lation qui sillonne ses eaux et que Boysen avait en vue : elle la doit avant tout à sa position comme voie d’accès de INTRODECTION : 9 l'Europe du nord-ouest vers l'Atlantique, et comme voie d'arrivée de tout l'Atlantique vers l'Europe continentale. A ce titre, qui est son principal titre, la Manche n'est pas un œcoumène. Car la population des paquebots et des cargo—boats traverse cette mer sans s’y arrêter jamais et sans séjourner, pour la plus grande part au moins, sur ses bords, À cette population mobile et voyageuse la Manche ne donne pas un cadre géographique : la Manche sert simplement de trait de jonction aux nombreux cadres fixes d'où se détachent, par groupes, par masses ou par unités, les hommes qui la traversent. On peut objecter que les peuples des zones désertiques, telles que le Sahara, le Ve oud d'Arabie, les sables (Koum) du Turkestan russe et du Gobi, sont aussi très mobiles, et que cependant personne n'hésite à regarder ces régions comme des œcoumènes particuliers et bien déterminés. Mais, au fond, le cas d’un désert et celui d’une mer de passage diffèrent entièrement. Les tribus des déserts, malgré leur mobilité, vivent toujours dans le même milieu. car elles ne sortent d’un cadre géographique que pour entrer dans un autre cadre identique, ou à peu près. Elles sont soumises aux mêmes conditions de climat. Leur nourriture et leur genre de vie ne changent pas. Leurs relations avec le monde extérieur obéissent à des règles uniformes et permanentes. Elles ne se déplacent que parce qu'elles ont besoin, pour subsister, de plus d'espace que les populations agricoles: leur domaine est plus grand, mais il est tout aussi nettement déterminé que celui des sédentaires. ee RE ACT E_ rh EX cn RU LR urdieine di bo Sete LES er de Che MA PE x BR CRE PT DR 2 te he LU NES TNA 10 INTRODUCTION I n’en est pas de même pour les hôtes habituels d'une mer de passage comme la Manche. Ceux-ci viennent de tous les points de l'horizon maritime et continental ; ils traversent, avant ou après leur passage, les zones dt ques les plus diverses : ils proviennent des milieux sociaux | les plus variés et les plus complexes qui existent ; ils ne . % groupent en Manche que pour en sortir le plus tôt pos- EUR sible : leur présence dans cette mer n'’établit donc entre eux “4 x: qu'un lien artificiel, aussitôt dissous que formé. Ces con sidérations suffisent pour exclure des œæcoumènes la. Manche, considérée dans toute l'ampleur de son rôle géographique. CV raison, pour les grands espaces Re où n ‘existen : même pas des œcoumènes secondaires comme celui qui si s’est formé entre la France et l'Angleterre. Nous aurons er ‘pare If, chap. v, à étudier ces espaces en tant que + 10 « vides dans l’æœcoumène » : ce qu'ils furent longe 12 à sens le plus général du mot, ce qu'ils sont encore à plu- sieurs points de vue. à 3. Définition des migrations par voie de mer 0: à Si la mer, considérée comme œcoumène, ne joue pas “nc à rôle de premier ordre dans l'existence des sociétés, elle es à au contraire souveraine comme agent de jonction et de mélange, dans les déplacements humains qui se font en grandes ou en petites masses et que l'on peut réunir sous : k nom de migrations. Nous attribuons à cette notion un sens très étendu. ; INTRODUCTION IT Tout essaimage d'hommes qui se fait en vue d'un dépla- cement soit définitif, soit durable, et qui a pour résultat de modifier en nombre et en qualité les groupes établis à demeure sur n'importe quel point de l’œcoumène terrestre, doit être regardé comme une migration. Un mouvement de cet ordre affecte les formes les plus variées. Il peut être définitif ou temporaire ; permanent ou périodique : guerrier ou pacifique; organisé ou livré à lanarchie des inspirations individuelles ; fait en vue de Vempire politique et commercial, ou de l'empire com- mercial seul. Quelle que soit sa nature particulière, tout mouvement migrateur renverse, pour sa part, l'équilibre de répartition en quantité et en qualité établi sur le globe, pour le remplacer par un autre équilibre presque aussitôt détruit que formé. | Nous allons donner quelques exemples des formes typiques de migrations. La plus importante migration définitive qui ait eu lieu sur le globe, depuis de longs siècles, est celle des Euro- péens à travers l'Atlantique, vers l'Amérique du Nord. Ce grand mouvement maritime a pour résultat d'effacer vite, au delà de l'Océan, les distinctions ethniques, lin guistiques et sociales qui tendent plutôt à s'affirmer davantage dans le cadre continental de l'Europe. Nous saisissons 1c1 un trait sur lequel nous reviendrons, le rôle de la mer comme creuset des peuples, si j'ose employer celte métaphore ; la circulation et le déplacement en masse des hommes par voie de mer les rapprochent nlus vite les uns des autres que ne le font des siècles entiers d'histoire 12 INTRODUCTION continentale. C'est au reste une vérité générale que la mer précipite les manifestations de la vie collective, les rend plus hâtives et plus fiévreuses, et abrège aussi leur durée : tels sont par exemple les caractères de tant d'empires maritimes, rapidement élevés et non moins rapidement détruits. Un exemple de migration à la fois temporaire et pério- dique, soumise aux conditions géographiques, nous est donné par les ouvriers agricoles itaens qui vont faire la moisson à la Plata pendant l'été de l'hémisphère sud (décembre-mars), et reviennent faire la même chose en Europe pendant l'été boréal. Le mouvement de migration, comme nous l'avons dit, peut être aussi guerrier ou pacifique. Les exemples de migrations guerrières abondent. Soit dans les mouvements restreints des périodes historiques anciennes, soit dans les mouvements à grande amplitude des périodes colo- niales modernes, l’Europe, qui est devenue le principal centre de rayonnement des races civilisées, n’a guère essaimé de chez elle que les armes à la main. Depuis” l'invasion des Angles et des Saxons en Grande Bretagne jusqu'à l'extinction des races indigènes d'Australie et de Tasmanie, prochaine dans le premier pays et achevée dans le second, les migrations maritimes européennes ont été accompagnées de la destruction ou de la décimation des aborigènes sur toutes les côtes océaniques. Les seules migrations pacifiques de l'Europe se sont faites dans les pays où il n'y avait personne, dans les anciens vides polaires où insulaires de l’œcoumène terrestre, comme INTRODUCTION 13 l'Islande colonisée par les Vikings, la Réunion et l'ile Maurice colonisées par les Français. Cependant il ne faut pas oublier qu'à la première expansion guerrière succède toujours, dans les migrations maritimes durables, une infiltration pacifique qui continue pendant des années et pendant des siècles. Dans les mouvements de cet ordre, le commerce se superpose à la guerre,et l'exode pacifique au delà des mers remplace l'exode belliqueux. Il ya des migrations spontanées, qu'aucune autorité n'organise ni ne dirige. En contraste absolu avec ces migrations, il y en a d’autres tout à fait involontaires et forcées. Comme exemple des premières, citons le rush des chercheurs d’or vers l'Australie, la Californie, le Klondyke et le Transvaal. Ces poussées d'hommes ne se sont formées et ne sont arrivées à leur but que parce qu'elles avaient surtout de la mer à traverser en venant de l'Europe, centre de dispersion. Si les routes à suivre avaient été principalement continentales, jamais on n'eût vu un tel flot d'émigrants. Pour s'en convaincre, on n’a qu’à se rappeler les difficultés inouïes opposées aux émi- grants du Klondyke par la médiocre épaisseur d’un morceau de l'Alaska, ainsi que la lenteur avec laquelle le courant des mineurs australiens est parvenu aux champs d'argent de Coolgardie. Le type des migrations forcées nous est donné par le commerce des esclaves, qui a suivi longtemps les routes tropicales d'Afrique en Amérique, et qui suit encore Îles routes traversières de la mer Rouge ainsi que la côte orien- tale d'Afrique; le même type nous est donné, à peine = atténué, par l'exportation de coolies chinois et hindous à travers le Pacifique et l'Océan Indien. Lei encore, la mer. est la grande voie qui facilite le mouvement de masses nombreuses d'hommes vers les points les plus éloignés. & Dans cette migration particulière, elle s'associe d'une manière intéressante au désert, qui diffère beaucoup d’e comme œcoumène, mais qui lui ressemble comme cad de circulation. Les caravanes marines qui aboutissent aux ports de Djeddah, de Mascate et de Zanzibar ne trans +4 portent pas plus d'hommes que les caravanes désertiques qui traversent les dunes et les hamäda* entre Kouka, Mourzouk et Tripoli. Ra LES Enfin, parmi les migrations volontaires et organisées, è" les unes sont faites en vue de la domination politique et commerciale, les autres en vue de la domination comm | ciale seulement. L'essaimage des Espagnols vers leurs colonies du Nouveau-Monde avait pour objet un empire | politique absolu non seulement sur les corps et sur les. biens, mais sur les consciences des populations sujet réduites à un état d'ilotisme complet. A l'antipodec l'essor politico-religieux de l'Espagne, il conicnis placer la formation des colonies phéniciennes : fondées vue du commerce, égrenées en bordure sur les côtes € Méditerranée et même de l'Atlantique européen: ell n'eurent, à l'exception de Carthage, aucune ambition politique et territoriale, TARA de Depuis le commencement de la poussée coloniale des temps modernes, dont toutes les routes d'expansion son maritimes, 1l est impossible de mettre en doute l ample x INTRODUCTION 14 Dr 2 LR 7 LT AS Ke ME UL: ; 4 r ON _ INTRODUCTION 19 tude et l'importance des migrations par voie de mer. Mais, contrairement à une opinion assez commune, l'essor maritime n'est pas récent. Îl y a très longtemps que le mélange des peuples et des races se fait par les routes de mer. Pendant de longs siècles, il est vrai, les routes océa- niques ont été peu fréquentées ; mais les routes des mers secondaires, et mème celles des grandes mers semées d'archipels et des océans à vents réguliers ont été suivies de longue date par les migrations humaines. « C'est un service de Hermann Hirt, dit Ratzel (Politische Geographie, 2° éd. chap. xxu. $ 319, d'avoir appelé l'attention sur la signification de ce fait, à une époque où l'on pensait que les migrations de peuples n'é- taient presque que des migrations terrestres, quoique l’'anthropogéographie eût depuis longtemps des indica- tions sur de grands déplacements de peuples par mer, comme ceux des Polynésiens et des Esquimaux ». C'est en vain qu’on objecterait à cette conception l'état rudimentaire de l'art de la navigation aux premiers siècles historiques. D'abord, dans toutes les mers secondaires à riches articulations (Méditerranées d'Europe et d'Amérique, mers du Nord de l'Europe, mers de l'In- sulinde) une navigation uniquement litlorale pouvait mener très loin. Ensuite, dans les mers à vents réguliers (alizés et moussons), c'étaient les conditions météorolo- giques elles-mêmes qui suppléaient et qui suppléent encore à l'insuffisance de l’art nautique, en traçant aux marins des routes déterminées et à peu près invariables. Nous concluons donc que les migrations par voie de 16 INTRODUCTION mer sont, non seulement des faits de tout premicr ordre, mais des faits très anciens, dont l’analysesociogéographi- que devra nous retenir. 4. Définition des faisceaux de circulation. — Si les routes des migrations tracent sur les cartes océaniques un réseau véritable, ce réseau ne peut cependant se comparer, au point de vue de la complexité et de la finesse des mailles, à celui que tracent les routes suiviss par les mar- chandises et les passagers. Il n'y a point de route qui ne transporte en même temps des hommes et des produits, puisque les intérêts économiques qui relient les continents entre eux tracent nécessairement de nouvelles voies so- ciales. Et 1l n'est pas inexact de dire que les nouvelles voies maritimes sont frayées d'abord par les marchandises, et ne sont suivies que plus tard par les hommes. ou tout au moins par de grandes masses d'hommes. Longtemps l'Insulinde et l'Inde elle-même ne furent que le pays des épices et des marchandises précieuses, où ne fréquentaient, venant d'Europe, que quelques navigateurs munis d'un mo- nopole exclusif, avant que le flot des voyageurs européens apprit à connaître cette route. Il en a été de même des voies côtières africaines. Et, de nos jours, les routes du Pacifique nord, routes à peu près neuves où la circulation des marchandises se développe d’une manière puissante, nous montrent, par des faits comme l'exclusion des Chinois de Californie et les difficultés rencontrées par les Japonais dans la même Californie et dans la Colombie britannique, que la circulation régulière des produits s'établit plus aisé INTRODUCTION À IN ment que celles des hommes : la première précède la seconde et l'annonce, mais elle l’annonce parfois de loin. En apparence, les routes de navigation peuvent être tracées sur la surface sans obstacles de la mer, de ma- nière à relier indistinctement, par des lignes aussi rap- prochées que possible de l'arc de grand cercle”, les points importants des côtes opposées. Les routes maritimes n'ont point affaire aux obstacles ou aux facilités topographiques qui dictent souvent d’une manière impérieuse le tracé des routes terrestres, et l’objet de l’art nautique est précisé- ment de faciliter aux navires une route aussi géométrique . que possible ; l'application de la vapeur à la navigation, en affranchissant pour une grande part le marin de la sujétion aux vents et même aux courants, a rendu plus stable et plus simple le tracé des principales voies océani- ques. Cependant les routes maritimes ne sont point indé- pendantes les unes des autres. Elles sont groupées en faisceaux au départ et à l'arrivée, parce que les échanges tendent de plus en plus à se concentrer dans quelques grands ports. Cela est vrai pour la navigation à voiles comme pour la navigation à vapeur. En outre, chaque route, prise en particulier, présente des divergences au large et des convergences près de terre, par suite des nécessités de la navigation, de sorte qu’elle croit en largeur vers la haute mer et devient très étroite vers la terre, ce qui en fait un faisceau de sillages différents, d’abord très proches les uns des autres, et ensuite éloignés. De très bons exemples de ces faisceaux nous sont of- ferts, dans l'Atlantique : par les voies qui unissent l'Europe _ 18 INTRODUCTION du nord-ouest et la Méditerranée, d'une part, aux Etats- k Unis et au Canada de l'autre ; par celles qui vont de tous les ports européens à Madère, aux Canaries, au Sénégal - et aux ports du Brésil et de l'Argentine. | Comme nous l'avons déjà vu à propos de la Manche, les faisceaux de circulation donnent à la mer, sur pistes bien délimitées, l'aspect d’un œcoumène, tant: allées et venues sont nombreuses en de semblables région C'est pourquoi Ratzel avait cru pouvoir parler d'un æcoumène de la circulation, un peu plus petit, suivant RE 3 Les que ie véritable œcoumène ; l'existence de l'œcoumène de la circulation proviendrait Fe la nécessité d'établir, dans le sens du méridien et par conséquent à travers les El maritimes, des relations entre les continents, qui sont d is. posés plutôt dans le sens de la latitude. Nous ne pouvons admettre, comme nous l'avons dit, qu'il s'agisse ici d? u œæcoumène, au sens primitif du mot; nous aimons mieux parler de faisceaux de circulation, expression qui impliqu nécessairement l existence de grands vides. rs nature très PR éise ses racines due ries de causes d’ordre différent. RS se Il y a des causes uniquement naturelles, et des causes surtout humaines. 272680 238 Nous devons considérer les premières d’abord dans Jai # routes du large, puis dans les routes côtières. Gré #; ra En examinant les cartes qui indiquent, en même temps … que la configuration des Océans, les directions suivies par INTRODUCTION 19 les vents réguliers ou périodiques, par les grands courants dularge* et par les courants de marées*, on se rend compte que ces directions donnent des routes précises et constantes sur certaines zones de la sphère, et indécises ou variables sur d’autres zones. Considérons l'Atlantique nord.entre l'équa- teur et le 6o° degré lat. N. Il y existe trois zones du large, que l’on peut considérer, en employant une expression maritime courante, comme des lits de vents et de courants où les agents naturels tracent nettement aux navires leur direction. La première renferme, de l'équateur au 10° lat. N. en moyenne, le courant équatorial qui porte les eaux de la côte de Guinée vers celles de la Trinité et du Vene- zuela : dans cette voie, aucun faisceau n'existe, parce que toutes les routes maritimes de ces paragessont traversières, ce qui empêche l’effet d'attraction du lit marin de se faire sentir. En revanche, cette attraction est extrêmement sen- sible sur les deux autres zones, celle du Gulf-Stream et celle des alizés. Du 30° au 50° degré lat. N., sur une di- rechion du S. W. au N. E., le lit du Gulf-Stream concen- tre à peu près toutes les routes de voiliers et mème de va- peurs entre l'Europe et l'Amérique du Nord ; il en est de même, du 102 au 30° lat. N., entre le 15° et le 30° long. W. Gr., région des alizés du N. E., pour les voies d'Europe vers l'Afrique et vers l'Amérique équatoriale. Avec ces grandes rues océaniques, la région située au SE E: des Açores, du 30° au 37° lat. N., du 25€ au 52° long. W. Gr. fait un contraste remarquable. C'est un vide, parce que c’est une région de calmes et de brises folles”, où n'est tracée aucune direction déterminante, de sorte 20 INTRODUCTION que cet espace océanique est évité même par les navires dont la route géométrique passerait par ces parages. Il est évident que de semblables considérations s'appliquent sur- tout aux voiliers ; mais on aurait tort de croire que la na- vigation à vapeur n'y a aucun égard. Pour les routes côtières, 1l suffit de remarquer que les plus actives sont des routes de détroits, où la circulation s'établit, comme dans la Manche, dans les détroits danois; dans la mer Rouge et dans les manches d'Extrême-Orient, le long de deux côtes qui se font face. Il est évident que sur ces voies, la forme et l'homogénéité des faisceaux dé- pendent étroitement de la configuration des rivages. Or, sur la plus active des routes côtières du globe, qui est la route indo-méditerranéenne de Gibraltar à Singapour, les étranglements sont nombreux, et souvent ils sont fort res- serrés : à Gibraltar, à Malte, au canal de Suez, à Aden et à Singapour, une multitude de routes venant des points les plus divers se concentre en une seule masse. La part de l'homme dans la formation des faisceaux de circulation dérive surtout du perfectionnement de l'outil= lage naval et industriel. A cause de son énormité riême et de sa complication, cet outillage tend à se concentrer sur quelques points des côtes et sur une petite quantité de grands navires, au lieu de s’éparpiller sur de nombreux bateaux et de se disperser le long des ports. Une ville commerciale telle que New-York, qui attire à peu près tout le mouvement des hommes et des marchandises dans l'Atlantique Nord, réunit en un faisceau, par son existence même, toutes les voies qui, sans elle, divergeraient peut INTRODUCTION 21 être le long de la côte des États-Unis. La mer du Nord tient à ce point de vue, dans l’Europe du nord-ouest, presque la même place que New-York aux États-Unis. Le faisceau est donc moins serré du côté européen ; mais il n'en existe pas moins, et la manière dont les grandes voies maritimes évitent presque les grands ports français pour aboutir- à Londres, à Anvers, à Rotterdam et à Ham- bourg nous indique comment l'artère de circulation est dessinée dans les mers d'Europe. Non seulement les faisceaux ne présentent pas une den- sité uniforme sur toute leur étendue, mais les différences qui existent entre les uns et les autres, à ce point de vue, sont assez grandes et assez régulières pour qu’on y recon- naisse, dans les routes du large, l’action de causes géné- rales. Les faisceaux tracés dans les zones tempérées à vents variables des hémisphères du nord et sud sont d’une tex- ture uniforfne et serrée. Les routes de ces régions, si longues qu'elles soient, se développent dans un milieu phy- sique qui ne change guère, où les conditions favorables et défavorables à l'établissement de la route, dans le sens de l’aller et dans celui du retour, se compensent à peu près dans une sorte de balancement qui ne provoque que des déviations secondaires. Si l'on prend par exemple la route d Europe aux Etats-Unis, on constate que la seule dévia- tion qu'elle subisse est due à la dérive des glaces flottantes au S.—E. de Terre-Neuve, dans les mois de la débâcle arctique ; encore cette déviation ne dépasse guère deux ou trois degrés en latitude. Le grand faisceau de l’hémis- 22 INTRODUCTION phère austral, le « tour du monde austral » qui utilise . ! les vents et les courants d’W. en E. au sud de l'Amérique, de l'Afrique et du cap de Tasmanie, ne subit même pas la déviation temporaire des routes de l'Atlantique nord, car le faisceau austral se tient toute l’année à peu près hors d…_ portée des glaces flottantes. Ainsi les faisceaux de cette nature sont assez serrés et à peu près invariables. Il n’en est pas de même dans les faisceaux de circulation Le À des zones à vents réguliers (alizés et moussons . Comme . ME les faisceaux de cet ordre ne peuvent se borner au domaine … assez étroit de la mousson et de l’alizé d'un seul hémis- | phère, — domaine dont l'étendue ne dépasse pas 10 où 4 20 degrés de latitude —, ils doivent se prolonger, soit - dans la région de l'alizé ou de la mousson contraires, soit Sa | dans les zones de vents variables, et dans les deux cas, sui- vant les saisons et suivant les régions traversées, les routes ; subissent des oscillations d’une amplitude assez grande. … Ces oscillations peuvent être ressenties dans une certaine | mesure par les vapeurs, mais elles modifient surtout les directions des voiliers. Elles ont pour effet principal d'é= = loigner notablement les unes des autres les routes d'aller et les routes de retour, qui se confondaient presque dans les faisceaux serrés. Tel est le cas, par exemple, de la route des voiliers d'Europe au Cap. A l'aller, cette route se confond à peu près, jusqu'à l'équateur, avec le faisceau de l'Europe à l'Amérique du Sud :car les voiliers du Cap atteignen 5 l’alizé du N.-E, à peu près au 30° lat. N, entre Madère et les Canaries, et se laissent porter par lui jusqu'aux calmes * INTRODUCTION 23 équatoriaux. Mais, dans l'hémisphère sud, les voiliers sont contrariés par l’alizé du S. E. : ils sont donc obligés de naviguer au plus près* en faisant un long détour qui les porte en vue de Trinidad et de Tristan da Cunha, jusqu'à ce qu'ils atteignent, en face de ce dernier groupe, la zone des vents et des courants d'W.en E. de l'hémisphère aus- tral, qui les mène au Cap. Au retour, la situation se retourne exactement : l’alizé du S. E. permet aux voiliers de suivre à peu près la ligne droite du Cap à l'équateur ; mais, dans l'hémisphère nord, ils doivent louvoyer longue- ment à l'W des Açores, avant d'atteindre les vents variables _ des latitudes tempérées, qui les portent vers l'Europe. Ainsi, le faisceau de cette route n’est serré que sur l’équa- teur, dans la partie étranglée de l'Atlantique qui va du cap des Palmes au cap Saint-Roch ; partout ailleurs, 1e faisceau s étend sur d'immenses espaces maritimes qui com- prennent jusqu’à 35 degrés en longitude, sous les lati- tudes tropicales. Serrés ou lâches, les faisceaux ne remplissent pas le domaine océanique tout entier. Ils laissent entre eux et en dehors d'eux des vides, qui peuvent fort bien ne pas être des vides dans }œcoumène. Ainsi la mer de Barentz, redevenue aujourd'hui, comme au xvu* siècle, un rendez-vous de baleiniers, au large du Finmark et de la côte mourmane, fait partie de l’œcoumène maritime, mais elle est en dehors de tout faisceau de circulation. Inversement, le faisceau de voies qui se développe de San Francisco aux Sandwich est en dehors de l'œcoumène. Les régions maritimes qui se trouvent à la fois en dehors des faisceaux et des œcou- 24 INTRODUCTION Es > mènes fixes représentent le vide à peu près absolu, au point de vue humain : par exemple, l'océan Indien entre les” Seychelles et le plateau des Chagos. 5. Méthode générale d’exposition.— Nous grouperons tous les faits que nous essaierons d'expliquer autour des trois grands ordres defaits dont nous venons de donner la définition, et auxquels nous ajouterons les mouvements généraux, d'ordre historique et politique, qui visent à la. 3 domination de la mer. Ces quatre cadres d'exposition, œæcoumène marilime, migrations marilimes, faisceaux de 4 circulation, domination de la mer, nous donnent les quatre É: 4 aspects principaux de la vie des sociétés humaines en rap= M TES notre exposition nous amène à présenter chacun de ces faits 4 sous des arêtes un peu trop vives, de manière à paraître #4 les isoler les uns des autres, nous essaierons cependant de ne jamais méconnaître leurs connexions et de montrer leur véritable valeur : tâche assurément délicate, car la balance des faits d'ordre naturel. des faits d'ordre social actuel et des faits d'ordre historique, ainsi que leurs in 44 fluences réciproques, qui donnent l'expression exacte de la vie des sociétés, sont très difficiles à établir et à mesu— rer. dv LA MER PREMIÈRE PARTIE L'ŒCOUMÈNE MARITIME CHAPITRE PREMIER COTES DE CONDENSATION 6. Répartition inégale des populations sur les côtes, — 7. Théorie de Karl Ritter sur les articulations littorales.—— 8. Les rias.— 9. Les fjords.— 10. Causes véritables des mouvements de condensation. — 11. Côtes des mers secondaires, des détroits et des isthmes. — 12. Débouchés fluviaux et pays d’alluvion. — 13. Pêcheries cô- tières ; le plateau continental. — 14. Modes de groupement des pêcheurs côtiers. — 15. Industries dérivées de la pêche côtière. — 16. Variations naturelles de l’æcoumène côtier. — 17. Vue d’en- semble sur les côtes de condensation. 6. Répartition inégale des populations sur les côtes. — Un rivage maritime n'est pas une simple ligne : c'est une zone frontière entre le domaine marin et le domaine terrestre. Cette zone n'a pas une largeur uni- forme, mais extrêmement variable, qui dépend du degré 2 26 L'OECOUMÈNE MARITIME de pénétration mutuelle des deux domaines : l'un et l’autre s’amalgament, soit par la constitution du sol littoral (ter- rains meubles d'alluvions, dunes sablonneuses, cordons littoraux , soit par la hauteur du flot de marée qui pénètre au loin dans les estuaires, soit par le dessin tourmenté. des côtes articulées, soit par l'existence d’une ligne d’iles et de rochers en face de la terre ferme, soit par l'extension du climat maritime sur la lisière terrestre, soit, enfin, par plusieurs degrés de transition biologique entre la faune et. « la flore de la mer et celles du continent. Cette variété de la constitution physique des côtes rend compte en partie, mais non à elle seule, de leurs valeurs diverses comme … œæcoumènes. Valeurs si diverses en effet, que sur les 261 700 kilomètres’ de côtes de l'espace planétaire … tous les degrés de densité se présentent, depuis les rivages tout à fat déserts jusqu'aux rivages surpeuplés: Les contrastes sont aussi vifs qu'entre les plus différents des œcoumènes terrestres : comparons seulement la côte du Labrador et celle de l'Etat de New-York, la côte de l’'Hadramaut et la côte du Malabar. Ces contrastes s'ac— centuent'encore par l'opposition fréquente entre la lisière maritime peuplée et l'hinterland médiocrement peuplé, ou par l'opposition ‘beaucoup plus rare, il est vrai) de la lisière déserte et de l'intérieur habité. Dans la partie tem— pérée du Canada et dans les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, les hommes sont massés dans les régions côtières et le long des estuaires maritimes, tandis qu’à l'intérieur, sauf dans le pays des grands lacs, la population est clair- semée. Dans la Bretagne relativement très peuplée, la den- sité est deux fois plus forte sur la côte qu'à l’intérieur du … = 1 Pen, t. I, p. 128. COTES DE CONDENSATION 27 pays. À Terre Neuve, les neuf dixièmes des habitants sont sur le littoral. En Espagne, toutes les grandes villes sont côtières, sauf la capitale politique. En revanche, nous voyons les côtes mexicaines des terres chaudes (lerra caliente presque désertes par rapport au plateau intérieur de l'Anahuac. Ainsi, d'une côte à une autre côte, et d’une côte à son hinterland, on constate des inégalités de répartition qui font entrevoir la valeur de la lisière mari- time comme æcoumène. Nous appelons côtes de conden- salion celles où se groupent des populations denses, et côtes de dispersion les littoraux où la population est très clairsemée ou tout à fait abseñte. <. Théorie de Karl Ritter sur les articulations'lit- - torales. — Karl Ritter et son école ont donné une expli- cation géographique générale qui rend compte, selon eux, du développement de la vie maritime, de la variété de ses formes et de la densité humaine sur les côtes de condensa- tion. D'après Ritter, toute côte richement articulée est desti- née à un grand développement maritime. Les articulations, comme les golfes, les caps, les presqu'iles, les estuaires, les rias, les fjords, multiplient les points de contact avec l'Océan. Elles fournissent de nombreux abris, tant à la navigation côtière qu'à la navigation du large. Elles invitent, en quelque sorte, les peuples à se familiariser avec la mer : il semble évident, de prime abord, que l'adaptation à la vie maritime sera beaucoup plus aisée sur une côte découpée et hospitalière, comme celle de Pro- vence, que sur un littoral rectiligne, sablonneux et tem pêtueux comme celui des Landes. Cette vertu particulière. du littoral articulé serait indépendante de toute autre . 28 L'OECOUMÈNE MARITIME contingence physique ou humaine. Ce ne serait qu'une question de dessin et de structure, Les côtes découpées sont toutes, ou presque toutes, assez élevées ou fort élevées. Elles abondent donc en ports en eau profonde, par suite de la correspondance qui existe toujours entre le profil de la côte et celui des fonds marins littoraux ; les ancrages sont sûrs, sur fond de gravier ou de roche, autant qu'ils sont incertains au large des côtes basses rectilignes. Com= ment la vie maritime ne se concentrerait-elle pas sur des zones où tout est préparé pour son éclosion et pour son développement ? ; L'exemple classique de la Grèce. dont Curtius vantait, à la même époque, les articulations littorales, où 1l voyait la cause de la splendeur maritime des peuples helléniques, a certainement agi plus que tout autre sur l'esprit de Ritter. En fait, le contraste entre les terres stériles de la Grèce et les ports admirables de ses côtes et de ses iles, le rôle joué par la mer dans l'histoire de ses plus brillantes civilisations, celles d'Athènes et de l’'Ionie, toutes deux développées en pays articulés, l'éclat des républiques mari times et l'obscurité relative des régions situées loin des côtes découpées, comme l'Elide, l'Arcadie et la Béotie, semblent donner aux idées de Ritter toute la confirmation désirable. En outre, on peut trouver, sans grand effort: d’autres exemples du même ordre, sur les côtes d'Europe. Les côtes à plissements à demi submergés de la Dalmatie, avec leurs nombreuses iles littorales. nourrissent une nom- breuse population de marins, tandis que la côte recti- ligne italienne qui fait face au pays dalmate, des bouches du Pô au Monte Gargano, n'est que le revers mal peuplé de l’Apennin. Sur la côte articulée de la Provence, toute la population s’entasse sur le littoral : sur la côte rectiligne COTES DE CONDENSATION 29 et basse du Languedoc, c'est à l’intérieur que l'on vit, et la mer est évitée : les Provençaux sont des marins, les Languedociens sont des paysans. La Bretagne articulée fait ‘aussi contraste avec la Vendée et même avec la Normandie non articulées. - Cependant, le déterminisme géographique de Rütter paraît un peu simpliste et superficiel. À examiner de près les exemples que nous avons cités, on relève pour chacun d'importantes diversités ; des caractères particuliers appa- raissent, qui s'accordent mal avec une théorie simple et “uniforme et qui, dans chaque cas, s'imposent au moins autant à l'attention que le dessin et la structure de la côte. Considérons d'abord le cas de la Grèce. Les Grecs, ou tout au moins les plus actifs d’entre eux, étaient à l'époque la plus brillante de leur histoire un peuple de navigateurs et de marins : cela est exact. Mais l'ont-ils toujours été ? Ratzel! fait remarquer avec raison que la mer n'a pris une place prépondérante dans l’histoire de la Grèce qu'à par- tir du moment où les Grecs se sont mis à l'école des Phéniciens ; or ces Phéniciens, qui furent le peuple le plus maritime de l'antiquité classique, venaient précisément de la côte la moins découpée qui soit. On peut ajouter que la vie maritime de la Grèce ne se développa pendant long- temps qu'en lonie, c'est-à-dire sur les côtes de la massive presqu'ile de l'Asie mineure où les articulations existent, mais pénètrent relativement peu dans l'intérieur, tandis ‘que la Grèce d'Europe, qui est bien plus découpée, menait encore une existence presque uniquement continentale (du van au v° siècle . Et sur les côtes européennes de la Grèce, que de points semblaient prédestinés, d'après les 1 Razer, 7, $ 281. 30 L'OECOUMÈNE MARITIME idées de Ritter, à une brillante prospérité maritime, alors 1 que cette prospérité n'a jamais lui pour eux! Nulle part, il n'y a de digitations plus complexes que celles de la Chalcidique : et pourtant la Chalcidique n'avait ni ports, \4 ni marins, et jusqu'à maintenant, elle n'en a jamaïs eu; la | mince presqu'ile de Hagion-Oros ne contient que les cou- « vents du mont Athos et leurs moines. Ne vaut-il pas mieux penser que les articulations littorales ont été une circons—. tance favorable, sur certains points, au développement maritime de la Grèce, mais que les causes profondes de ce développement sont à la fois plus étendues et plus com=" plexes : > Des agents physiques, plus nombreux et plus variés que le croyait Ritter, y ont travaillé en même temps que les influences historiques v. $ It). PR Sur les côtes de Dalmatie, où les articulations paraissent 5 aussi jouer un rôle souverain, on peut reconnaître assez aisément que la vie maritime est imposée aujourd'hui par l'aridité du sol pierreux du Karst, après avoir été autre= fois conseillée par la présence des anciennes forêts riches en bois de construction : les Dalmates auraient été marins, É- moe ence est un pays maritime plutôt à à cause de son so ingrat et de sa situation comme débouché de la vallée du … Rhône qu’à cause de sa richesse en ports et en rades: En Bretagne, les parties de la côte où il y a le plus de marins" sont précisément lés moins découpées, comme le front « No de la _. sud-ouest entre Penmarch et ee : Me à 7 arttiine fait défaut, ou à peu près. Par contre, il n’est pas malaisé de trouver des ee. : 4 de côtes articulées où manquent les gens de mer et les métiers de la mer. La grande île de Célèbès, type de Le COTES DE CONDENSATION 3E côte à grands lobes! comme la Chalcidique et le Pélopon- nèse, n'est pas seulement une des moins peuplées parmi les principales terres de l’Insulinde ; c'est également une terre où la vie maritime est aussi embryonnaire dans ses formes stables, comme la pêche côtière, que dans ses formes mobiles, comme le commerce et les relations par voie de mer. La Corse, dont la côte occidentale est si articulée, est habitée par des gens qui ne sont point desmarins*. En Ecosse, c'est précisément sur la partie du littoral où se trouvent les découpures les plus profondes, celles des lochs" marins aussi creusés que des fiords, et les îles les plus nombreuses, les Hébrides et l'archipel côtier de Skye, de Mull, d'Islay et de Jura. c'est-à-dire sur la côte ouest, du cap Wrath au Mull de Kintyre, qu'il y a le moins d'activité maritime : aucun port important, aucune grande ligne de navigalion, des côtes désertes, des détroits et des. golfes déserts. Il semble donc que la vue générale indiquée par Ritter, non seulement ne suffit pas à expliquer tous les cas de condensation, mais ne peut réellement en expliquer aucun, puisque dans les cas de condensation cités, nous trouvons, à côté de l'articulation littorale, des caractères physiques et sociaux qui rendent compte mieux qu'elle de la forma- tion des groupes maritimes. L'insuffisance des idées de Ritter paraîtra plus nette- ment encore. si nous soumettons à une analyse serrée les types les mieux définis des côtes articulées. Ces types sont au nombre de deux : les rias et les fjords. L'obser- 2Pencr, t. IL, p. 583. 2 Exception faite pour les Bougi de Macassar. 3 Rarze, 4. 32 L'OECOUMÈNE MARITIME vation nous apprendra comment se fait, dans l’un et dans l’autre, l'adaptation maritime. S. Les rias. — On entend par rias de longues vallées marines avec un débouché fluvial en général médiocre ; elles existent sur un certain nombre de côtes rocheuses à formation hétérogène, et elles sont dues, croient les géo- logues, à un mouvement positif ou submersion partielle du continent, avec inondation marine des vallées préexistantes. Si les idées de Ritter sont exactes, rien ne vaut mieux que cette formation pour faire naître et développer les sociétés maritimes. Ces vallées marines, qui pénètrent à 20,40 et même 60 kilomètres dans l'intérieur des terres, donnent une très grande extension à la ligne des côtes et multiplient les points de contact ; elles constituent des rades de refuge de premier ordre, car elles ont presque toujours, au moins sur une assez grande longueur, une profondeur suffisante ; elles tracent même vers l'intérieur des chemins commodes. Rien ne leur manque, en apparence, pour devenir les œæcoumènes de populations maritimes : et cependant, dans la réalité, ces populations leur manquent. Sur le pourtour de la péninsule bretonne, depuis le Trieux jusqu’à la rivière d'Auray. les rias sont fort nom=— breux. On peut en compter une quinzaine ; mais il n'y en a pas un seul où vive une nombreuse population de marins. Ni les pêcheurs d'Islande de Paimpol, ni les pêcheurs de sardine des baies d'Audierne et de Douarnenez, ni les thoniers de Groix, ni les pêcheurs de crustacés n'habitent à l’intérieur des rias, et le maigre commerce maritime qui se fait sur les côtes déserte de plus en plus quelques unes de ces vallées marines, comme celles de Lannion, de Morlaix, de Landerneau et de Quimper, où COTES DE CONDENSATION 33 « il venait autrefois. Il n’y a point de bateaux dans le ria, … peu ou pas de pècheurs, pas de villages maritimes. S'il - était possible de combler tous les débouchés des rias et de _ donner ua dessin très simple au pourtour côtier de la Bretagne, la vie maritime de la presqu'ile n’en serait ni altérée, ni diminuée. En Corse, les rias si dentelés de la côte occidentale sont encore plus déserts que ceux de Bretagne, à l'exception du golfe d'Ajaccio, et « Ajaccio, dit Ratzel, doit sa posi- tion et sa prospérité non à son golfe, mais à la fertilité de ses environs ‘ ». Sur les rias comme à l’intérieur du pays, le Corse n'est pas un homme de la mer: c'est un monta- gnard. La mer corse est vide jusqu’au fond des baies les plus encaissées, et il semble que rien n'’attire les habitants du pays vers la vie et vers les métiers maritimes. Sur les côtes de la Galice et des Asturies, où les rias sont nombreux, — c'est même de cés pays qu'est venu - leur nom géographique, — les rivières marines ne sont peuplées que lorsqu'elles servent de débouché aux mine- rais espagnols, comme à Bilbao et à Santander, ou lors- qu'elles sont placées à la pointe extrême du continent, où se trouvent des ports-escales et des ports militaires (la Corogne et le Ferrol) ;: la vie maritime dépend, sur ces points, non de la structure de la côte, mais de sa position géographique sur la carte de l'Atlantique d'Europe. _ Ainsi, le ria ne favorise nullement, par lui-même, l'éclosion des groupes maritimes; bien ‘plus, il semble qu'il la contrarie. 9. Les fjords. — Plus encore que les rias, les fjords | Rarzez, 4. 34 L'OECOUMÈNE MARITIME donnent bien l’idée de la valeur véritable des articulations. Les fjords sont des golfes étroits, profonds et souvent ramifiés, qui entaillent des côtes montagneuses. Îls ont une origine à la fois tectonique* et glaciaire. Leurs profondeurs sont les plus grandes qu'il soit possible de rencontrer à la base même d’une muraille côtière. Leurs articulations sont les plus complexes qui existent sur le globe. Elles sont encore accrues par les innombrables îles et ilots qui accompagnent tous les littoraux fjordiens. 3 Nulle part les eaux marines ne se mêlent si étroitement que dans les fjords aux ondes terrestres, dont la mer sou- ligne tous les détails de topographie. Si cette pénétration constante suffit à faire naître les groupes maritimes, nul doute que les fjords soient, par excellence, des côtes de condensation. | Il n’y a pas de région RTE mieux connue et mieux caractérisée que la Norvège. Ce sont les fjords qui développent jusqu'à 17000 kilomètres les 2500 kilomètres à vol d'oiseau du littoral norvégien. Le massif montagneux ou fjeld scandinave est entaillé de toutes parts, du côté de l'Atlantique, par ces ravins profonds qui arrivent presque jusqu'au pied des névés et des glaciers du Justedalsbrae et du Folgefond. Le Nordfjord pénètre à 45 milles marins dans l'intérieur, le Sognefjord à 90. Les profondeurs du premier vont à 454 et à 565 mètres ; dans le second existe une fosse de 1244 mètres. Ramifiés et développés en tous. sens, les fjords de Norvège tracent partout des voies de communication. marine. Et cependant, les fjords ne sont pas des pays de marins. Il est bien exact que la Norvège est avant tout un pays maritime, si l'on entend par là une contrée dont les res= sources de trafic et d'expansion sont fondées principale— » r COTES DE CONDENSATION 35 ment sur la mer. Mais l’origine de l’activité maritime norvégienne ne doit point être cherchée dans les fjords. Elle réside avant tout dans la richesse des pècheries de morue et de hareng qui se font sur le front marilime _ extérieur, c'est-à-dire en dehors des articulations fjor- diennes. Tout au plus le chenal qui sépare les îles du continent (/ndre-Led}reçoit-il comme une répercussion des pêcheries de l'extérieur, car c'est sur les îles que résident la plupart des marins. La Norvège a dû aussi sa valeur maritime à l’abondance des bois, utiles pour la construction des navires et utiles comme fret de sortie. Mais ces bois sont clairsemés sur la muraille fjordienne : c’est à l'intérieur du pays qu'il faut chercher les principaux. À mesure qu'en avance dans les fjords, on voit disparaitre rapidement toute trace de vie maritime. Les rares maisons {qaard), accrochées de part et d'autre aux pentes rapides, sont des maisons de paysans qui vivent surtout de leur terre. Les eaux fjordiennes, à moitié douces, ne donnent * guère que du saumon. Les habitants se servent de barques uniquement pour les transports ; mais ces transports ne peuvent développer chez eux des qualités nautiques, sur les eaux toujours tranquilles des fjords. On trouverait encore moins de marins au fond des entailles fjordiennes qu'au fond des rias de Bretagne ! Même spectacle dans l'intérieur des /ochs marins d'Ecosse et des loughs d'Irlande, qui ne sont en réalité que des fjords. L'frlande, où aucune population de marins n'a jamais pu grandir, malgré ses côtes extrème- ment découpées, donne un exemple très intéressant. Mème spectacle encore dans une région fjordienne dont les 1 Bureau, passim. 36 L'ŒCOUMÈNE MARITIME TS +. a re beautés naturelles sont égales à celle de la Norvège, Ian « Colombie britannique. Ici, l'absence de toute condensa- M tion maritime est encore plus visible. Les côtes sont désertes ; les chenaux intérieurs et les fjords sont déserts. « Pratiquement, toute la population de la Colombie bri= tannique (200,000 habitants en 1891, sur un million de kilomètres carrés), est concentrée dans la partie S. et dans l'ile Vancouver... Les îles de la Reine Charlotte, très boisées, sont à peu près désertes ‘. » Comme en Norvège, la trop grarde profondeur des fjords devient un obstacle à la navigation. « Beaucoup de fjords de la Colombie bri= tannique sont trop profonds pour offrir un ancrage ?. ». Aujourd’hui, le peuplement de la Colombie britannique se fait par l'intérieur, vers les mines de l'Alberta et du haut Mackenzie, et les côtes fjordiennes demeurent désertes. 10. Causes véritables des mouvements de con- densation. — Il nous faut donc chercher ailleurs que dans la théorie de Ritter les causes qui accumulent les groupes maritimes sur les côtes de condensation. Nous le ferons en essayant de nous rapprocher autant que possible des conditions primitives où ne jouaient que les agents naturels, plus puissants alors qu'ils le sont aujourd'hwi sur la destinée des sociétés ; mais nous ne méconnaîtrons pas les modifications de premier ordre apportées dans l’æcoumène par l'établissement des faisceaux de cireula- tion sur toutes les mers praticables de la planète. Nous étu- dierons dans la III° partie de ce livre les nouveaux groupes qui s'agrègent aux extrémités de .ces faisceaux ; COTES DE CONDENSATION 37 dès maintenant, nous devons reconnaître que la constitu- tion de ces nouveaux groupes amène infiniment plus d'hommes à la vie maritime que tous les mouvements de condensation antérieurs. Ramené à ses termes les plus simples, le problème de la condensation se présente sous un double aspect. La mer est utilisée par les hommes comme moyen de transport additionnel, en quelque sorte, le long des côtes et dans les mers resserrées, avant l'établissement des grands fais- ceaux océaniques ; à ce titre, les côtes que leur situation, bien plus que leur nature, désigne comme sièges ou plu- tôt comme zones de départ et d'arrivée de relations mari- times commodes, deviennent des œcoumènes, et fréquem- ment, à ces relations primitives, étroites et localisées, se superposent celles que de nos jours déterminent les grands faisceaux, de sorte que l’æcoumène des relations locali- sées sert de noyau à l'æcoumène des relations planétaires. C'est ainsi que Hambourg et Brème ont commencé par être des ports de la Hanse, dont les relations s’étendaient seulement, du S. au N., du Rhin au Norrland de Nor- vège, et, dans la direction W. E., de l'Écosse au golfe de Finlande ; après une longue période de relations loca- lisées et restreintes, languissantes même depuis la chute de la Hanse, les villes de la Weser et de l’Elbe ont vu un nouvel horizon s'ouvrir devant elles avec les faisceaux de circulation modernes. Mais, dans son état primitif et, si l’on peut dire, comme génératrice d'œcoumènes mariti-- times côtiers, la circulation marine est avant tout une cir- culation de littoral et de passes resserrées. Elle redoute les grands vides : son principal ennemi, c’est l'espace en ap- parence indéfini, dépourvu de points de repère et de sta- tions de relâche. Par conséquent, les côtes de condensa- La Mer, 3 De. A Os ES ne dr cie 38 L'OŒECOUMÈNE MARITIME NL: , tion, au regard de la circulation marine, ne seront pas celles qui s'ouvrent sur l'espace sans limites du large. Ce seront, soit les rivages où une navigation même imparfaite. à trace aisément sa voie à travers la mer, comme les côtes des mers secondaires, des Méditerranées, des détroits et des isthmes, soit les côtes où la navigation littorale trouve à la fois d'abondants moyens de subsistance et une péné- tration facile vers l’intérieur, comme les estuaires et les pays d'alluvions fertiles qui les avoisinent ordinairement. On doit donc. sous ce rapport, étudier la condensation … humaine sur les côtes des espaces maritimes resserrés et : À H des débouchés fluviaux. En seconi lieu, les hommes utilisent directement la mer comme moyen cle subsistance, dans les zones de pêcheries. Il semble, au premier abord, que ce second mode d'utih= ( sation ne pent servir à l’étude de la répartition côtière Pa: En effet, il n’y a pas de région littorale où la mer ne soit, peuplée d'espèces comestibles, aptes à nourrir une popu— 1" lation assez nombreuse. Par conséquent, on pourrait croire que la population des pêcheurs doit dérouler sur les côtes … un ruban à peu près uniforme. Mais, dans la réalité, il. n'en est pas ainsi. De toutes les industries humaines. la pèche maritime est peut-être la plus mal organisée, en gé- néral, au point de vue économique : elle en est à peu près. partout à la phase primitive de la cueillette ; elle ne pra= tique, ni l'économie de l'effort, ni la proportion des résul- tats aux efforts donnés, de sorte qu'elle est frappée de stérilité, ou tout au moins de langueur, dans toutes les régions où la matière vivante exploitable ne se trouve pas, si l’on peut dire, en surnombre ; car la cueillette marine, 701 comme la cueillette terrestre, ne peut être fructueuse que s'il y a surabondance de produits. Aussi l'exploitation de … & vf Far AA x Pc + * à COTES DE CONDENSATION 39 la mer a-t-elle toujours tendu à se localiser dans les ré- gions marines que des causes naturelles rendent exception- nellement riches en matière vivante, et comme ces ré- gions sont presque toujours voisines des côtes, elles ont déterminé sur les rivages qui les touchaient ou qui les en- cadraient la formation d’œcoumènes stables. Les bonnes régions de pêche sont en général situées sur le plateau continental; leur extensior et souvent leur pro- ductivité dépendent donc de l'extension du plateau conti- nental lui-même. Nous verrons que ce plateau est étendu et riche surtout dans les zones tempérées : il donne par suite à ces zones un avantage certain au point de vue de la formation des populations maritimes, et i] convient de relier ce fait aux difficultés particulières que rencontre la navigation dans les régions de vents variables et souvent violents, pour avoir une idée de la naissance et de l’évo- lution progressive de la navigation au large dans les pays des zones tempérées de l'hémisphère Nord. Les causes véritables des mouvements de condensation sont donc à la fois plus variées et plus flexibles que l'école de K. Ritter l'avait imaginé. Leur flexibilité même, ainsi que les variations et les modifications qu'elles présentent sur le plan du temps et même sur celui de espace, expli- quent la mobilité et l'instabilité que montrent parfois les groupes maritimes ; mais la part des causes permanentes est assez grande pour que les œcoumènes côtiers demeu- rent en Béhert fixés autour des points où se sont d’abord établis les groupes de marins, de sorte qu’à travers les ré- volutions historiques et les progrès de l’art de la naviga- tion, les côtes primitives de condensation continuent à attirer les hommes. Te) L'OECOUMÈNE MARITIME 11. Côtes des mers secondaires, des détroits et des isthmes. — Il n'y à rien d’arbitraire dans la division classique de l'espace marilime en Océans et en mers se— condaires ; de même, les noms particuliers que l’on donne à ces mers ne sont point des fantaisies géographiques sans valeur ; la toponymie ne fait ici que souligner l’exis- tence de réalités qui ne sont pas moins sociales que phy- siques. Quoique l'étendue totale des mers secondaires bien définies ne représente que 6,4°/,! de l’espace océanique, les bassins resserrés de la Méditerranée, de la Baltique, de la mer du Nord, de la mer Rouge, de la mer des An- tilles, des mers de Chine et de l’Insulinde ont contenu pendant longtemps toute l'existence maritime de l’huma- nité, et, aujourd'hui encore, ces espaces étroits sont les principaux foyers de la navigation et du commerce par mer. Il n’est pas étonnant que leurs côtes soient le siège de groupes maritimes nombreux, si bien spécialisés dans leur navigation méditerranéenne, que pendant longtemps ils n’en ont pas conçu d'autre, et que, jusqu'à mainte- nant, les mers intérieures ont leurs peuples de marins qui ne connaissent guère que leur navigation littorale ou à courte distance. Il y a des marins des bassins secondaires et des marins du ‘large : les premiers, plus nombreux, mais aussi plus casaniers et plus routiniers, parce que les côtes ferment de toutes parts leur horizon, comme les montagnes pour les habitants des plaines ; les seconds, qui ont moins de zones de condensation, mais dont l'in- telligence nautique est plus aiguisée parce qu'elle doit lutter contre l’espace indéfini. Les Chinois et les anciens { En excluant ce que Krümmel appelle la « Méditerranée arc- tique ». En y comprenant cette mer, la proportion arrive à * 12,050/, (Krümmez, 1 t. E, p. 2.) { rs COTES DE CONDENSATION Ux Japonais étaient des marins de mers intérieures; de même, les Grecs et tous les peuples de la Méditerranée, sauf les Phéniciens. Il est exact, cependant, que les ma- rins de la Méditerranée eux-mêmes ont dû, à certains mo- ments, secouer leurs habitudes et innover avec audace, car ils forment le vrai noyau de l’humanité maritime, et les premières navigations océaniques sont sorties de leurs efforts, au temps de Colomb et de Gama. Mais les navi- gations du large, au xv° siècle, furent le résultat de ces coups de pouce du génie qui font vivre à la race humaine des siècles entiers en peu d'années, pourvu que l’état général du monde ne fasse pas obstacle à l'impulsion dans tout le reste de l’histoire et jusqu'à maintenant, les côtes des mers secondaires ont formé un œcoumène mari- time particulier et séparé du large. Il se distingue de l'œ- coumène océanique par la continuelle fusion des groupes qui vivent sur les côtes opposées des mers secondaires. Les rivages de ces mers sont peuplés de races cosmopolites, qui, sans êlre nécessairement maritimes de goûts et de mœurs, ont évidemment leur origine dans les relations très actives que favorisent les mers étroites. On ne com- prendrait pas l'existence des Levantins des côtes médi- terranéennes, des lascars de la côte de Coromandel, des Malais de l'archipel asiatique, des créoles et des mu- lätres des Antilles, si l'on supprimait par la pensée la Mé- diterranée, le golfe du Bengale, les mers de l’'Insulinde et des Antilles. Toutes ces mers ont été créatrices d'œcou- mènes maritimes et créatrices de peuples. On peut trouver pour chacune d'elles des raisons particulières qui expli- quent ces développements ; mais la raison qui l'emporte D Jar, LIT, mém. no 6, p. 263. 42 L'OECOUMÈNE MARITIME > sur toutes les autres, c'est la médiocrité, le caractère défiru . et limité de l'espace. | Car l’espace est le grand ennemi que pendant longtemps les hommes non seulement ne pouvaient vaincre, mais ne pouvaient comprendre. Tant que les voyages de circumnavigation n'eurent pas permis de déterminer l'étendue véritable des vides océ= aniques, on se les figura comme plus petits qu'ils n'étaient en réalité, et on se les figura, surtout, comme peuplés d'iles et de continents fabuleux. Jusqu'à la mappemonde d'Ortelius, en 1587, et même plus tard, les cartes marines fourmillent de représentations de cette espèce, qui indiquent combien l'idée des proportions exactes du monde terrestre et du monde océanique échappait aux hommes, et qui révèlent par là même l’extrème importance attribuée aux mers secondaires, sièges de la vie maritime du monde. Sur toutes ces mers la navigation était principalement litto- rale. Toutes les routes adhéraient à Ja côte, et les faisceaux de circulation, s’il est possible de parler de faisceaux quand il est question de relations intermittentes comme les relations maritimes d'autrefois, reproduisaient exacte- ment le dessin des rivages. Par suite, les zones de conden- sation des hommes se multipliaient le long de ces rivages au point de toucher presque les unes aux autres et de former un ruban à peu près ininterrompu, Au temps où la Méditerranée était le principal centre de l’activité maritime, toutes ses côles, sans exception, étaient un æcoumène, et il est tel point de ses rivages. aujourd'hui désert, qui ne le cédait à nul autre par le nombre et par l'étendue de ses relations. C'est ainsi que les côtes de 1Vivrex DE Saint-Marin, Atlas. COTES DE CONDENSATION 49 Cyrénaïque et de Phénicie se sont en grande partie dépeuplées de marins. Cependant, l'ancienne densité de la vie maritime sur les côtes des mers secondaires et in térieures a laissé assez de traces pour qu'il soit possible de considérer presque partout de tels rivages comme des côtes de condensation. Lorsque la densité des âges de Ja navigation littorale se maintient, cela dépend souvent de la situation des mers comme avancées de l’espace océanique dans l’intérieur des continents, et par conséquent comme points d'aboutissement désignés des grandes routes trans- océaniques. C’est à ce caractère de simple position géo- graphique que la mer du Nord et la Méditerranée doivent aujourd hui le renouveau de leur ancienne splendeur du temps de la Hanse et du temps de l'empire romain. Comme æcoumènes maritimes permanents, les détroits, qui sont des mers secondaires réduites, ont un rôle encore mieux défini que les mers secondaires elles-mêmes. Les hôtes permanents et les hôtes de passage du détroit sont - les uns et les autres très nombreux. Ils assurent nette- ment aux côtes de cette forme géographique ie caractere de l'æcoumène condensé. Une étude approfondie des principaux détroits fait reconnaître que ces accidents physiques de la surface terrestre sont presque tous de très fraiche date il en est de même pour certains isthmes comme celui de Suez). La Manche et le Pas de Calais ont remplacé l'ancienne masse continentale qui englobait les Iles Britanniques dans l'Europe de l’ouest. La coupure du Bosphore et des Dar- danelles rompt depuis peu la continuité des plissements dinaro-tauriques*, qui sont eux-mêmes de date récente. Les détroits danois dissimulent à peine l'homologie des sables et des alluvions du Jutland avec ceux de la Scanie h/ L'OECOUMÈNE MARITIME suédoise. La courbe occidentale des plissements alpins livre - passage aux eaux marines par la fente de Gibraltar, mais l'identité de formation de structure et d'âge se reconnaît aisément sur les deux côtes d'Espagne et du Maghreb. Tous les détroits des arcs insulaires de l'Asie orientale portent la marque des éruptions violentes et des efflon- drements qui les ouvrirent, et qui les bouleversent de temps à autre, comme il arriva en 1883 au détroit de la Sonde. Le détroit de Manaar, entre Ceylan et le continent indien; nous montre encore les piles «ruinées de la chaussée, qui a. réuni Ceylan à la terre ferme (le Pont d'Adam). Comme conséquence de ces cassures toutes fraîches et de la similitude absolue des conditions physiques, d’un côté à l'autre des détroits, nous ne sommes pas surpris de trouver fréquemment sur les deux bords une homologie parfaite des caractères sociaux (langue, race, mœurs, degré de civilisation), qui prouve que ces bras de mer, contrairement à une illusion géographique assez répandue, ne sont point des barrières et des lignes séparatrices de l’œcoumène, mais bien plutôt des lignes d'attraction et des centres de jonction où s’entassent les hommes, pourvu, cependant, que le détroit soit placé entre deux masses, continentales ou insulaires, assez considérables toutes les deux. Car les détroits situés aux extrèmes avancées des continents, entre de grandes masses terrestres et des îles minuscules, forment réellement barrière, parce qu'il n'y a, en général, dans les petites iles, aucun motif d'attraction assez puissant pour déterminer une fusion sociale par dessus le détroit. C'est ainsi qu'à la pointe de Bretagne, les ilots de Batz, de Sein, d'Ouessant et de Molène, qui ne sont ni assez étendus, ni assez fertiles pour attirer les. habitants de la grande terre, ont gardé sur bien des points COTES DE CONDENSATION 45 leur autonomie sociale. Mais tout détroit placé entre deux terres suffisamment étendues pour devenir toutes deux des œcoumènes à ressources variées ne fait qu'unir ces deux terres, loin de les séparer. Du détroit, l'on peut dire ce qui a été dit du fleuve : ce n’est pas une limite naturelle; il ne peut servir à sectionner l’œcoumène. Le Pas de Calais, comme le Rhin, n’est qu'un trait de jonction; une barrière montagneuse, bien mieux, un simple haut plateau, stérile et ol comme le Fsernagora ct les Ardennes, isolent davantage les peuples. Aussi les côtes. opposées des détroits Pie désignées pour devenir des côtes de condensation, de même que sur les deux bords d’un fleuve comme le Rhin se déroule un chapelet à grains serrés de villes et de villages. Considérons à ce point de vue la Manche et le Pas de Calais. Les falaises crayeuses de Kent et de Sussex font face à celles de Picardie et du pays de Caux, tandis que les roches anciennes du Devonshire et de Cornwall repro- duisent presque trait pour trait le terrain ancien de Bretagne. Les races s'ordonnent de la même manière des deux côtés du détroit. Les Anglo-Saxons de Kent et du Sussex sont d’une souche voisine de celle des Gallo-Ger- mains de Normandie, et à la communauté celtique de la Bretagne répondait la communauté plus petite du Cornwall, dont la langue est aujourd'hui éteinte. La conquête normande du x siècle rendit plus étroite la parenté entre les populations voisines, dans ia partie orientale de la Manche. Pendant deux siècles, les deux côtes furent réunies sous la même domination; pendant trois siècles, il y eut d'un bord à l’autre une constante circulation guerrière, qui n'était que la préface de la cir- culation commerciale aujourd'hui si active. À la longue, 3. 46 L'OECOUMÈNE MARITIME les deux côtes du détroit se sont disjointes politiquement et sont retournées à leur centre d'attraction, insulaire | pour l’une et continental pour l’autre: mais cette sépa- ration politique ne les a empêchées n1 l’une ni l’autre de demeurer des côtes de condensation, vers lesquelles l'existence du détroit a attiré les hommes, soit pour le commerce, soit pour la guerre. C'est aussi l'attraction du détroit qui a fait des xilles maritimes aussi peuplées et aussi vivantes que Comstan— tinople et Singapour. Les nombreux détroits qui forment réseau dans les îles de l'Archipel, entre les côtes d'Ionie et la Grèce d'Europe, expliquent, mieux que ne peuvent le faire l'abondance des ports et des articulations littorales, l’activité de la vie maritime entre Athènes et Milet dans l'antiquité, entre Athènes, Syra et Smyrne dans les temps modernes. Des deux côtés du détroit de Gibraltar, les hommes ont débordé sans cesse, malgré l'opposition des religions et des civilisations, de l'Europe sur l'Afrique et de l'Afrique sur l’Europe. Le fameux passage de l’Arabe Tarik, en 711, a été précédé et suivi de bien d’autres, depuis les Vandales jusqu aux débarque- 3 ments espagnols sur les côtes du Maroc. Chaque civili= sation et chaque grande période de l'histoire ont laissé 1 leur empreinte, de l’un et de l’autre côté, en multipliant les centres de groupement. L'Espagne possède Ceuta et les presidios, et Tanger est une ville à demi européenne ; en revanche, les villes du Guadalquivir ont un caractère africain très prononcé. ‘ Cependant, il se peut que, dans certains cas particu- liers, les détroits ne servent pas de traits de jonction, lorsque quelque agent physique accroît la difficulté du passage el supprime ainsi les commodités pour la fusion À me COTES DE CONDENSATION 47 qui résultent de l’espace resserré. Aucune condition natu- relle ne produit des résultats identiques sur toute la sur— face du globe, parce qu'il n’y en a pas une, pas même l’espace et la distance, qui ne puisse être combattue, . affaiblie ou annihilée par d’autres agents physiques. Ainsi s'expliquent les rares exceptions que nous relevons parmi les détroits considérés comme centres de condensation. Entre la Nouvelle Guinée et l'Australie, le détroit de Torrès sépare réellement, au lieu de les unir, les popula- tions de ces deux grandes terres, qui n'eurent jamais entre elles que des relations très clairsemées ; aujourd'hui encore, les centres de groupement, tant européens qu'in- digènes, de l'Australie, sont très éloignés de la péninsule du cap York. presque aussi déserte que l’intérieur austra- lien ; de même, les côtes de la Nouvelle Guinée ne sont peuplées et actives que vers l'W., près des ilots au moyen desquels s’établissent des relations avec les terres de l’In- sulinde, tandis que vers le détroit de Torrès, la création anglaise de Port-Moresby forme le seul œcoumène perma- nent ; encore Port-Moresby est-il à 600 kilomètres à l'E. du détroit. C’est que le détroit de Torrès, par sa nature corallienne très prononcée, est un des passages les plus dangereux du monde. Il est hérissé d’écueils et de pointes de coraux; les premiers explorateurs ne le traversèrent qu en courant de grands dangers, et l’un d'eux, Edwards, y laissa son navire, la Pandora, en 1793. Les hommes fuient le séjour sur les côtes de ce détroit, comme ils en fuient le passage. Sans valoir les détroits comme centres d'attraction, les isthmes, ces détroits continentaux, points de croisements de routes tracées par la nature, fixent souvent sur leurs côtes des populations maritimes dont la position géogra- 18 L'OECOUMÈNE MARITIME phique suffit seule à expliquer la présence. Les deux isthmes méditerranéens, au sens géologique du mot, de Suez etde Panama, dont le nom s'impose de suite à l'esprit, ne donnent point cependant les meilleurs exemples de la force d'attraction des isthmes : car l’un et l’autre doivent surtout aux voies artificielles d'être devenus des œcou- mènes maritimes ; le premier le doit au canal, le second à sa route et à son chemin de fer. L’isthme de Suez, en par- ticulier, malgré sa situation merveilleuse, a été à peu près désert jusqu'au canal, et Port Saïd, Ismaïlia, Suez même sont des établissements tout jeunes. Il est certain que le cadre de l'æœcoumène, à Panama et à Suez comme dans les autres isthmes, était préparé par la position géogra- phique : mais il a fallu un long développement historique pour que le cadre püt se remplir. Au contraire, d’autres isthmes, moins remarquables au premier abord sur la carte du globe, ont joué depuis longtemps leur rôle de fixateurs de peuples. Tel est l’isthme de Syrie, entre l'Euphrate et le golfe d'Alexandrette, qui a servi, long= temps avant Suez, de trait d'union entre l'Asie et l'Europe. Si l’on veut trouver une raison purement géographique au développement maritime de la Phénicie, c'est dans la situation des côtes phéniciennes sur l'isthme de Syrie qu'il faut la chercher. D'un côté, l'Euphrate menait à la Chaldée, où est née l'astronomie et par conséquent la science nautique, puis, de la Chaldée, par le golfe Persique, vers les côtes de l'Inde; de l'autre, la mer phénicienne s’ouvrait sur toute la Méditerranée orientale. De même que le détroit perd toute sa valeur comme œæcoumène quand il sépare deux masses terrestres dont une est petite et insignifiante, de même l'isthme cesse de devenir un centre d'attraction lorsque, situé à une extré- PONT EN PRET VON VE RP ER TT. pédis àt COTES DE CONDENSATION 49 mité continentale, il ne relie à la terre qu'une presqu'ile de petites dimensions. Ainsi l'isthme de Kra, entre l’Indo-Chine et la péninsule malaise, n'a jamais attiré une population maritime, parce que la jonction qu'il établit, à l'extrémité S.-E. de l'Asie, n'a qu'une très faible valeur. L'isthme de Corinthe et ses côtes n'ont eu qu'un rôle subordonné dans l'histoire du développement mari- time de la Grèce ; l'isthme a servi de barrière militaire plutôt que de trait d’anion politique et social. 12. Débouchés fluviaux et pays d'alluvion. — Les débouchés fluviaux, estuaires largement ouverts, ou deltas aux digitations variées (l’on sait combien sont complexes les formations deltaïques), attirent en général des grou- pements nombreux dans les zones où les eaux fluviales se mêlent aux eaux marines. L’estuaire ouvre une voie vers l’intérieur ; 1l est, sous ce rapport, assimilable aux golfes et aux mers secondaires, et il est supérieur, comme œcoumène, aux rias et aux fjords, qui se terminent très souvent en impasse. Dans les estuaires à marée, cette route s'élargit et s'approfondit par le double flot quotidien des eaux marines ; mais, dans les estuaires à marée comme dans les esltuaires sans marée, l'apport irrégulier quoique incessant des troubles venant de l'intérieur modifie sans cesse les traits physiques de l'estuaire, les routes fluviales et même les rivages. Les mêmes phénomènes physiques se produisent sur une plus grande envergure dans les deltas, où l'accumulation des troubles donne un caractère divagant aux débouchés flu- viaux ; aussi, dans les régions de deltas comme dans les régions d'estuaires, ’œcoumène maritime, au lieu d’être fixé sans variation aucune, emprunte au sol lui-même } . UE TRE _ 50 L'OECOUMÈNE MARITIME 4,58 quelque chose de sa mobilité. De même que les bancs de la Seine maritime se déplacent sans cesse, de même le principal centre de navigation du bas feu a passé de Honfleur au Havre ; dans ie Loire, il a passé de Paimbœuf à Saint-Nazairé. Ces variations seront étudiées plüs loin en détail‘ {$ 16); mais il était nécessaire dès à présent de les indiquer comme un caractère essentiel de l’œcoumène maritime sur les débouchés fluviaux. = Sauf dans le cas très rare des estuaires dus à une faille de dislocation* ‘par exemple, l'embouchure du Congo). | s les deltas et les estuaires se dév eloppent, au bord des mers, Ke dans les pays d’alluvion à peu près horizontaux, peu à peu constitués par le dépôt des troubles au niveau de base* fluvial. Ces régions, favorisées par l'abondance des eaux et par la fertilité d'un sol facile à travailler, en ne | dans les pays tropicaux où elles sont les terres d' élection des cultures qui ont un égal besoin d’eau et de soleil, comme le riz, nourrissent le populations les plus denses qui soient sur le globe, et cette extrême densité, remar= " quable dans le Bengale, dans les deltas du Nil, du Mé= kong, de l'Iraouaddi et de la Salouen, provient de la super- position d’une vie fluvio-maritime active à une vie agricole également active. Le delta du Rhin et l'estuaire de l'Es- caut nous donnent, dans les régions tempérées, un spec= LR analogue, dû à des causes un peu différentes, car e rôle agricole des terres basses de Hollande et de Belgi- que, quoique assez notable, est insignifiant par rapport à la valeur purement maritime de ES grandes places com— merciales, Anvers et Rotterdam. | \u reste, le terrain d'alluvion côtier n’est pas toujours propre à l'établissement d'une zone de condensation. Qui dit alluvion ne dit pas nécessairement fertilité et habita= A | a: FU ES COTES DE CONDENSATION Dr bilité. Lorsque les apports des fleuves entassent sur la lisière marine les galets et les boues glaciaires, lorsque les alluvions, trop meubles et trop spongieuses, se changent en marécages, lorsqu'une végétation trop abondante d’ar- bres ou de plantes inutilisables croit sur les terrains de formation récente, les débouchés fluviaux, estuaires et deltas, et surtout les deltas, demeurent déserts ; il yaun vif contraste entre ces zones « intermédiaires entre la terre et l’eau » que fuient les hommes, et les centres sur- peuplés comme la Basse-Egy pte, le Pégou, le Bengale; le Tonkin et la Cochinchine. Les deltas du Pô et du Rhône, chargés tous les deux des troubles glaciaires apportés par les torrents des Alpes, ne sont point sur leur front maritime des côtes de conden- sation. La mobilité trop grande des apports torrentiels chasse les populations loin des nervures deltaïques. L'œæcou- mène de condensation se trouve reporté, pour le Pô, au N., et pour le Rhône, à l'E. du delta : à Venise pour le premier, à Marseille pour le second. Dans l’un comme dans l’autre cas, on doit tenir compte à la fois, pour expli- quer lg caractère désertique des deltas, de l'infertilité des _ galets et des boues de transport, et de l’excessive instabilité des chenaux. Dans le cas du Mississipi et du Niger, les causes sont un peu différentes, mais le résultat est le même. La rapi- dité relativement grande conservée par le Mississipi dans son cours inférieur entraine les troubles hors de la ligne des côtes, dans le golfe du Mexique, où ils forment des jetées de boues inhabitables, bouleversées par les volcans de boues ou mudlumps, ravagées par la fièvre jaune. Aussi le port de sortie du Mississipi, la Nouvelle Orléans, se trouve-t-1l à une assez grande distance dans l'intérieur, n" L 52 L'OECOUMÈNE MARITIME . : > hors de la zone de formation actuelle du delta. Aux bou- ches du Niger, la barrière forestière et fiévreuse des man- gliers et des palétuviers, qui sépare de la mer les régions intérieures du delta, exclut de l’æcoumène le front mari- time du bas pays fluvial, comme elle en exclut, au reste, la plus grande partie des côtes du golfe de Bénin. 13. Pêcheries côtières ; le plateau continental. — Nous arrivons maintenant aux parties de l'œcoumène cô- tier où la condensation humaine se détermine, non d’après la facilité des communications vers les terres situées en face ou vers un hinterland aux ressources variées, mais uniquement d'après les ressources en nourriture animale fournies par l'exploitation de la mer. Comme nous l'avons dit ($ 10), cette exploitation, dans toutes les mers du globe et pour la plupart des espè- ces utilisées, ne dépasse pas encore le stade de la cueillette. Elle donne donc l'exemple d’une modalité de l'existence humaine assez rigoureusement soumise à certaines condi- tions naturelles, dont plusieurs nous sont encore incon— nues. Les populations qui vivent de la pêche, malgré leur stabilité pour le moins égale à celle des ruraux, sont ex= posées à des hasards et à des périls qui dépendent, non seulement de leurs luttes contre les coups de vent et contre les brumes, mais du caractère aléatoire de leur cueillette. Cependant les œcoumènes côtiers déterminés par la pêche ne se modifient guère. C'est que, malgré les variations fréquentes du produit de la pêche, il y a des régions dési- gnées comme champs d'existence favoris des espèces mari- times comestibles, et c'est autour de ces champs, exploités en commun, que s’établissent et que se maintiennent les groupements de pêcheurs. COTES DE CONDENSATION 53 L'observation nous apprend que la pèche est surtout productive sur le plateau continental, dans les zones tem- pérées et subpolaires. On entend par plateau continental les fonds côtiers jusqu'à 200 mètres de profondeur environ (limite anglaise : 100 fathoms — 185 mètres. Ces fonds sont très développés dans l'Atlantique nord, sur les côtes d'Amérique et surtout sur les côtes d'Europe. Le golfe du Saint-Laurent et les banes de Terre-Neuve dans l'Amérique du Nord, la Man- che, la mer d'Irlande, la mer du Nord et la Baltique en Europe, leur appartiennent. Les zones de o à 30 mètres, où se tiennent la plupart des espèces marines comestibles (morues, harengs, sardines, poissons frais, crustacés), sont tapissées de l’abondante végétation des algues. Cette végétation sert d'habitat, pour la nourriture et pour le frai, soit aux espèces comestibles elles-mêmes, soit plutôt à la gelée vivante du planl:lon* dont ces espèces se nourrissent. Les algues croissent sur les fonds de roche ou de sable grossier, dont la dureté et les anfractuosités favorisent l'existence des animaux rampants, comme les crustacés, et servent au développement des coquillages. La biologie marine ne peut déterminer encore la part exacte de la végétation des algues et de la nature des fonds dans la croissance des différentes espèces : mais cette part est sûre- ment notable. _ A la végétation et aux fonds s’ajoutent les effets de la transparence des eaux, de la salinité moyenne’, de la tem- - ! La salinité supérieure de l'Atlantique, par rapport aux deux autres Océans, n’est pas étrangère au développement plus grand de son plankton et de ses pècheries. (Atlantique, 35.35°/,, Océan Indien, 34.81, Pacifique, 34.91). Krowuez, 1, t. I, p. 133. ACTE RRQ, TOR 5 LENS PP AE NN TT ET LT y SSP D: : l , "T L'OECOUMÈNE MARITIME üt re pérature et des courants qui transportent l'eau oxygénée # du iarge jusqu'au fond des baies et des mers secondaires. La transparence des eaux, lorsqu'elle est trop grande, comme en Méditerranée et surtout dans les mers trop cales, peut assurément nuire à la pêche : d'autre part, les poissons, à l'exception de quelques espèces, évitent les eaux trop trowbles des embouchures des fleuves et des côtes vaseuses. Les conditions de salinité et de température … ont aussi leur i importance. La température, en parties A | suffit à faire varier extrêmement la production des zones de pêcheries. En général, une température trop chaude des eaux superficielles, comme celle qui règne dans les. mers tropicales et dans les mers équatoriales, chasse les poissons de la surface et diminue le plaukton : aussi la plu= part des pêches se font-elles de nuit dans les pays tropicaux. et jusque dans les mers méditerranéennes, tandis que les 4 pêches des pays tempérés et des pays du nord se font de jour’. Enfin, s’il est exact, comme l’affirme Mackinder?, = que la venue du hareng au printemps, dans la mer du Nord, soit due à l’afflux des eaux oxygénées amenées par les courants de la partie nord de l'Atlantique, il faut penser que des courants de cette nature ont aussi leur part dans Ja formation des zones de pêches. Sans qu'il soit possible, à l'heure présente, de résoudre complètement cette ques- tion, il ÿ a lieu de remarquer que les mers à forts cou rants et à forte salure, comme la Manche, la mer du Nord et la mer de Norvège, sont celles où les pêcheries pro= ! Les mers tropicales et équatoriales sont bien moins riches en plankton que les mers tempérées et polaires ; les mers du large sont moins riches que les mers littorales. Krümuer, 1, t. I, p. 315- 318 /, ? Macriper, p. 44. |. Shi - #2 «dE COTES DE CONDENSATION 59 duisent le plus, tandis que les mers à faibles courants, et à faible salure, comme la Baltique et la mer Noire, sont très inférieures sous ce rapport. Toutes ces conditions favorables, dont nous pressentons l'importance, à l'heure présente, plutôt que nous ne la mesurons, se trouvent réunies et comme entassées dans les mers côtières de l'hémisphère Nord, du 4o° au 60° de latitude, tandis que, dans les autres mers côtières de la planète, nous ne trouvons ni une telle extension du pla- teau continental, ni une température aussi convenable, ni des courants aussi accentués. L'extension du plateau con- tinental, dans la partie nord de l'Atlantique, donne aux zones côtières de pêcheries, surtout à Terre-Neuve et dans la mer du Nord, une largeur partout ailleurs inconnue. Une semblable extension n'existe pas dans la partie nord du Pacifique, dont les profils côtiers sont beaucoup plus déclives ; toutefois les nombreuses découpures des rivages et la présence d’archipels côtiers comme ceux de la Colombie britannique, des Kouriles et du Japon permettent aussi à la pêche de se développer dans les zones tempérées du Pacifique septentrional”. Ainsi se sont accumulés en Europe les centres de pêche, sur la périphérie de la mer du Nord, qui sur 500,000 kilomètres carrés de surface n'atteint nulle part r00 mètres de profondeur, sauf dans le ravin côtier de Norvège; on peut donc regarder cette mer tout entière comme une dépendance des pêcheries liltorales, et en fait, avec le remplacement de l'outillage primitif de la vieille pêche par des moyens puissants comme le chalutage * à vapeur, 1 En particulier dans la baie de Sagami, au Japon. Dorcerx, Ostasienfahrt, 1906. 56 L'OECOUMÈNE MARITIME toute la mer du Nord pourvoit aujourd'hui presque tous. les jours à l'alimentation de ses côtes. Mais, tant que les procédés de la vieille pèche ont été uniquement employés, les pêcheries côtières de cette mer ont été réduites à la lisière littorale et au Dogger Bank, où la capture de Ja morue et surtout du hareng attire depuis des siècles tant de flottilles des nations riveraines. Les côtes de la mer du Nord sont la seule partie de la planète où les pêcheries aient fait naître et vivre de grosses villes, tant l'exploitation est activement menée et fructueuse. Il est vrai que le voi- sinage des régions industrielles surpeuplées des Iles Bri— tanniques et de l’Europe du nord-ouest contribue pour beaucoup à l'organisation et à l’activité de la pêche dans la mer du Nord. Comme sur les côtes de Chine, et encore plus que sur ces côtes, parce que les besoins des foules européennes sont très supérieurs à ceux de la foule chinoise, ni les ressources de la terre, ni les subsistances apportées par le commerce ne suffisent à nourrir les populations extrêmement denses de l’Angleterre, de l'Allemagne, de’ la Hollande, pour lesquelles la vie serait trop chère, impos- sible même, sans l'appoint des pêcheries maritimes. Aussi peut-on dire que sans la houille et le fer du Lancashure, des Midlands, de la Belgique, de la Ruhr et de la Saxe, la mer du Nord ne serait pas exploitée et fouillée avec tant d'activité ; de même, on ne verrait pas sur ses bords les villes de pêche qui étalent leurs flottes nombreuses et leur outillage moderne, comme Hull, Grimsby, Yar- mouth, Lowestoft et Aberdeen dans les îles Britanni-— ques; Ostende en Belgique; Vlaardingen, Maasluis et Scheveningen en Hollande ; Geestemünde en Allemagne ; et aussi, peut-on ajouter, la place française de Boulogne, dont les pêcheurs vont dans la mer du Nord. Ainsi l'ac- COTES DE CONDENSATION ot 1] A tive industrie de l'Europe du nord-ouest a rendu actives “et industrielles les pêcheries maritimes en cette région du | globe : ; c'est le seul point de l’œcoumène où des moyens - puissants soient appliqués à l'exploitation de la mer; mais il s'en faut que là, comme ailleurs, cette exploitation se fasse avec méthode (v. part. I, chap. 1). Sans offrir le même spectacle d'activité que la mer du Nord, la barrière d'îles ou skærgaard de Norvège (notam- ment dans les îles Lofoten et dans le Norrland), la Manche, la mer d Irlande, le plateau continental du golfe de Gas- cogne (littoral breton-vendéen), comptent aussi parmi les zones où la richesse des pêcheries a déterminé la fixation sur les côtes de nombreux groupes de marins, qui pra- tiquent, soit indifféremment la pêche de toutes les espèces marines exploitables, soit d'une manière spéciale des pêches saisonnières comme celles de la sardine, du maque- reau et du thon, mais qui, dans presque tous les cas, échappent encore aujourd'hui à la centralisation indus- trielle si prononcée sur des points tels que Grimsby et Geestemünde. Aussi la grosse ville de pêche fait-elle place, sur toutes les côtes de l’W. de l'Europe, à la petite ville et au village de pêcheurs, où la vapeur et le pétrole sont encore à peu près ignorés, et où la petite barque en bois se couvre de voiles brunes pour aller à la mer, sans s'aventurer, le plus souvent, hors de la vue des côtes, de manière qu'elle laisse inexploitée, de la pointe d'Irlande à l'estuaire de la Gironde, une bonne partie du plateau continental. Sur les côtes de pêcheurs de l'Europe, la population est très dense. Toutefois, dans un continent de vieille civilisation comme l'Europe, où l’æœcoumène entier est mis en valeur jusque dans ses parties les plus reculées et 8 L'OECOUMÈNE MARITIME de les plus ingrates, et où l'habitabilité est une qualité à peu. près également répartie sur toute la surface, il est dificile de noter l'attraction particulière exercée sur les hommes par les côtes riches en pêcheries. Cette attraction existe =« pourtant. Dans les régions où le poisson abonde, la pêche, malgré ses périls et son caractère hasardeux, attire la pre- mière à elle l’activité humaine, précisément parce qu'elle est une cueillette. De même que, dans les régions tropi= cales riches en produits végétaux, l’homme: se borne « . longtemps à la cueillette avant de se livrer au travail diffi- cile de la culture, de même, sur les côtes des pays tempérés dont la richesse en poisson se révèle à lui avant tout défrichement, il aime mieux exploiter la mer que la terre, ce qui entraîne, non seulement la condensation des hommes sur l’œcoumène côtier, mais un retard considé= rable dans la colonisation et dans le peuplement de + l'hinterland. Rien de plus instructif à ce point de vue que l'exemple des côtes atlantiques de l'Amérique du Nord situées sous la même latitude que les zones de pêcheries de l'Europe : Terre-Neuve, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick. Terre-Neuve, malgré son étendue, n'a jamais été qu'une station de pèche, depuis les jours lointains où les Portu— gais, les Basques et les Bretons commencèrent à y prendre le baccalaos (la morue) (commencement du XVI° siècle). L'intérieur a été, non seulement inexploité, maïs iñex— ploré pendant trois cents ans. Toutes les communications se faisaient par bateau, le long de la côte. La première route de terre n'a été ouverte qu'en 1825, lorsque la colo=. nisation régulière avait déjà deux siècles de date, puisque les premières tentatives, aussitôt réprimées, des planters pour s'établir à l'intérieur remontent à 1633. Aujourd'hui COTES DE CONDENSATION 59 u Es « encore, le quart des habitants de Terre-Neuve (52,500 “ sur 202,000) est occupé à prendre et à saler le poisson, … et l’on peut affirmer que les intérêts des trois autres quarts … dépendent plus ou moins directement de la pèche. Sur cette terre, l'exploitation du sol et les autres modes de l'activité humaine ne comptent pas". En Nouvelle Ecosse, la terre n’est pas cultivée : on ne pratique que la pêche sur les côtes, la chasse à l'intérieur. Au Nouveau-Brunswick, dit Dawson, « les ressources agricoles n'ont jamais été développées, parce que les énergies du peuple ont trouvé des débouchés dans la pêche et dans la coupe du bois. » De même pour la pé- minsule de Gaspé. « L'intérieur n'est pas exploité, pas mème exploré ; il n'y a que des villages de pècheurs sur la côte. » C'est que « toutes les rivières de Gaspé sont renommées pour leurs saumons, et les côtes pour leurs morues. » Et, au Nouveau= 132 L'OECOUMÈNE MARITIME . nisés et mal défendus, a été accompagnée, dans toutes les Méditerranées, de sa conséquence inévitable, qui a été la flo= raison extraordinaire de la piraterie, tant que la police mari- timeaétéinexistanteouimpuissante.La piraterie aétéle fléau des Méditerranées d'Europe des Antilles etdel’Insulinde:elle est encore le fléau de certains archipels du Pacifique tropical. Sa naissance à été extrêmement favorisée par la structure géographique des Méditerranées. Les petites îles en face des grandes et en face du continent ont servi aux pirates de cen=. tres de réunion et de points de départ pour leurs attaques :- aux Antilles,les premiers boucaniers * français sont partis de l'île de la Tortue pour fondre sur les Espagnols de Saint- Domingue, et les pirates anglais ont eu leur centre prin- cipal à la Jamaïque. Les îles Galapagos ont été, en fact de la Colombie et de Panama, un repaire de pirates, d’où partaient, sans cesse, au xvu° siècle, les incursions des flibustiers contre les colonies espagnoles. Dans l’insulinde, nous avons parlé plus haut de « l'archipel des Pirates », Jolo et Mindanao : mais la piraterie n'a pas été bornée à ces îles ; elle s’est étendue à toutes les petites terres et à tous les détroits resserrés de l’archipel malais et des côtes de la Nouvelle Guinée. Dans la Méditerranée, les îles de l’Archipel ont toujours servi de refuge aux pirates, depuis la guerre de Pompée jusqu'à celle de l'indépendance grec- que et même plus tard. C'est en Méditerranée aussi que l’on voit les pirates, là où les îles sont trop peu nombreuses, s'établir, faute de mieux, sur les parties péninsulaires ou difficiles d'accès des côtes continentales, comme les Barba- resques sur les côtes d'Alger, du xvr° au xix° siècle, et les Ara- bes à la Garde Freynet en Provence, du vin au x° siècle. I est facile de comprendre, en effet, l'avantage offert à la piraterie par les îles nombreuses et peu accessibles et par D LES ILES ET L'INSULARITÉ 133 les couloirs maritimes tortueux ; la piraterie a été long- temps une forme capitale de la vie maritime dans les Méditerranées ; elle avait ses bateaux, ses marins, ses pilotes, ses postes de refuge, ses tributaires. Voici comment un homme qui connaissait bien les pirates de l’Archipel, puisqu'il leur avait servi de pilote, décrivait leurs évolutions et leurs rapports avec les îles, en 1692 : « Depuis la mi-décembre jusqu'au mois de mars, les pirates se tiennent d'ordinaire aux iles de Paros, d'Anti- paros, de Nio et de Milo ; ensuite ils vont à Furnos, où ils se cachent sous la terre haute, après avoir mis une sen- tinelle sur la montagne, avec un petit pavillon, pour donner le signal à la vue de quelque vaisseau. Dès qu'il en paraît un, ils sortent, se mettent au travers du canal de Samos et l’enlèvent. Au printemps et durant les premiers mois de l'été, ils se nichent de même sous Necaria, Gadronise et Leppiso, où ils continuent leur manège. Vers la mi-juillet ils rangent la côte de Cypre.... Vers la fin de l'été ils se rendent sur les côtes de Syrie... En automne ils rebroussent chemin versles iles de l'Archipel, où ils croisent sur les canaux jusqu'à l’arrivée de l'hiver, qu'ils entrent dans un port". » 30. Iles tropicales de monoculture. — Lesarchipels tropicaux présentent encore un caractère général et très saillant, qui les distingue de toutes les autres parties de l'œcoumène insulaire. Les îles de monoculture y sont nombreuses. En particulier, des îles d’étendue médiocre ou infime, comme les petites Antilles, les Mascareignes, 1 Damprer, t. V. p. 314. LEE RE SR meer OC PPT RE TORRES 2 26 Æ se a" ee À Si - a a LE F: , + L = 134 L'OECOUMÈNE MARITIME à une culture uniforme, la canne à sucre pour les unes, la noix de muscade ou le giroflier pour les autres. Cette sorte de concentration économique de toutes les forces productives des îles provient à la fois de leur altitude, de leur latitude, de leur régime climatique, et de leur situation maritime ; ce dernier caractère n’est pas le moins important. Il est vrai que la nature même du sol, si souvent composé de débris éruptifs dans les archipels tropicaux, et par làmême apte aux plus riches cultures, facilite l'extension des plantes à végétation exigeante etluxuriante comme la canne à sucre et le cacaoyer ; il est vrai aussi que l'insolation constante » et accompagnée d'humidité, ainsi que l'altitude modérée des périphéries insulaires sur une zone plus ou moins large, donnent à ces cultures une extension relative plus grande que sur les continents voisins. Mais toutes ces -conditions physiques n'auraient pas suffi à la multiplica— üon si remarquable des îles de monoculture entre les deux tropiques. La position maritime des îles importe plus encore : c'est la raison décisive. Car c’est cette position, dans toute ile tropicale, qui assure à l'unique produit du pays une sortie commode et peu coûteuse vers les grandes routes du globe et vers les centres de surpeuplement et de civilisation : c'est cette position qui met, en général, les insulaires à l’abri de la surproduction et des engorge- ments qui les atteindraient d’une manière infaillible, s'ils n'avaient pas la mer à leur portée. Pour s'en convaincre, on n’a qu'à étudier le mode d'extension des produits tro— picaux sur les continents voisins. Des cultures comme celles de la canne, du cacao, du poivre, de la noix mus- cade, des clous de girofle, du sagou, ne se sont pas bornées « aux Iles », comme on disait au xviu° siècle: elles sont maintenant continentales aussi bien qu'insulaires ; mais elles ne dépassent guère, en général, les zones litto— rales des pays tropicaux, où elles trouvent les mêmes avantages de positiomet de débouché commode que dans les espaces insulaires ; la monoculture tropicale, ainsi que toutes les conséquences sociales qu'elle entraîne, est l’œuvre des relations maritimes et des voies de circulation trans- océaniques. Nous verrons (Il° partie, que cette mono- culture, si elle n'a pas créé la traite des esclaves, l’a maintenue pendant des siècles ; 1l n’est pas exagéré de dire qu'elle la maintient encore. La culture de la canne à sucre donne un exemple ins- tructif de la répartition géographique d'un produit tropical .de premier ordre. La zone climatique de la canne est com- prise entre les 3/° degrés lat. N.et$S. ; mais, en fait, ilest rare qu elle avance très loin dans l'intérieur des continents, à l'exception de ceux qui sont bien pourvus de voies de communication, comme le sud des Etats-Unis et l'Inde anglaise. Au Mexique, en Afrique, dans l'Amérique du Sud, la canne est côtière ou insulaire. Elle est ou a été la culture unique de la Jamaïque, d'un grand nombre des Petites Antilles, de la Réunion, de Maurice: elle fait aujourd hui la fortune des Hawaïi, où l'existence de pres- que tout le monde est fondée sur le roi sucre, King Sugar ; mais elle est aussi très cultivée, exclusivement dans la région côtière, au Pérou, au Venezuela, au Brésil, dans la Nigeria, dans le Pégou, dans le Tenasserim et au Queensland. Si, de nos jours, les anciennes îles des épices, les Moluques, sont dépossédées de leur royauté commerciale, c'est que les progrès de la civilisation occidentale et surtout des transports ont permis d'étendre sur d'immenses LES ILES ET L'INSULARITÉ 135 ne ci EE LEP" 7, PA 136 L'OECOUMÈNE MARITIME espaces, dans l'Inde, en Indo-Chine, en Chine, à Suma-- tra, à Java et à Bo:néo, des produits comme le poivre, le gingembre, la noix muscade et le giroflier, dont la M consommation est forcément étroite et ne prête pas à une extension illimitée des zones de culture. Les petites iles tropicales de monoculture sont celles où se font le mieux sentir cette lenteur et cette difliculté. d'évolution sociale qui s'opposent si nettement, dans un … certain nombre d'espaces insulaires, à la facilité de trans= formation, d'évolution et de croisement que l'on constate en d’autres iles. Car, dans les îles de monoculture, à la rigidité du cadre côtier s'ajoutent la rigidité et l’unifor- … mité de l'existence économique pour interdire le chan- gement, ou pour faire de tout changement imposé une crise douloureuse. C’est ainsi que l'abolition de l'esclavage et le remplacement partiel du sucre de canne par le sucre de betterave ont appauvri les Antilles et les Mascareignes, et ces îles n'ont pu renouveler complètement, en soixante années, leur existence sociale. Une petite île comme la Dominique! a connu une prospérité inouïe lorsqu'elle cultivait uniquement le café, dans la deuxième moitié du xviu* siècle; après l'abandon des plantations, elle a essayé en vain de remplacer le café par la canne; aujourd'hui elle cherche sa voie dans la production du jus de citron et dans la culture du cacao. La Réunion ne cesse main-- tenant de s'appauvrir, malgré l'importation de travail= leurs hindous ?. s 31. Densité des populations insulaires. — Lesiles, 1D'après Srerxe Eapezse. 2 D'après G. MERVEILLEUX. % z = LES ILES ET L’INSULARITÉ 137 . pourvu qu'elles soient assez étendues, présentent tous les « degrés possibles de densité. La densité est déterminée, dans les grandes terres, à la fois par les ressources du sol et par la position maritime; dans les petites, la position maritime est la cause prédominante, puisque c’est cette position qui assure, soit l'unité de culture dans la zone tropicale, soit le produit des pêcheries dans toutes les zones. Aussi n'y a-t-il pas de milieu dans le mode de peuplement des micronésies. Elles sont très peuplées, où elles sont désertes. Dans les zones tempérées et subpo- laires, toute micronésie habitable peut être considérée comme le centre d'une région de pêche plus ou moins vaste : la petite île ne constitue pas l’æœcoumène à elle toute seule; il faut y rattacher une zone maritime sou- vent étendue; aussi on constate, dans les espaces insu- laires de cette nature, une concentration extraordinaire d'habitants, que le sol, souvent ingrat et toujours balayé par les vents de mer, ne suflirait pas à nourrir. Si, au contraire, une micronésie tempérée ou subpolaire est trop petite, trop peu habitable par elle-même, trop peu accessible, ou trop basse pour offrir un séjour sûr contre les coups de mer, elle n'aura pas d'habitants du tout. On aura donc, dans ces petites îles, les extrêmes de l'œcoumène de condensation et de l'æcoumène absolument vide d'habi- tants, et ces contrastes existeront assez souvent sur des terres très voisines les unes des autres. Ainsi, dans l’ar- chipel de Molène, l’île Molène est très habitée, puisqu'elle renferme cinq cents personnes sur un tout petit espace ; mais les îlots voisins, Bannec, Balanec, Trielen, Qué- ménès, n'ont pas un habitant. Même contraste dans les terres extraordinairement nombreuses du Skærgaard de Norvège, où les ilots déserts succèdent, sans transition, 8. v De Se dé PC Dé Med 138 L'OECOUMÈNE MARITIME aux îlots de concentration dans lesquels se trouvent maisons de pêcheurs. Dans les zones tropicales, le peuplement de la île est déterminé, soit par la place de l'ile sur une grande route de navigation, soit par la richesse des pêcheries qui l'entourent, soit par la monoculture. Quand une miero- « nésie se trouve favorablement placée à ces trois points de . vue, elle renferme une population très dense; mais dans les régions où les espaces insulaires se fractionnent et se \ Gp ee ces avantages sont souvent neutralisés, pour certaines îles, par l’attraction toute puissante que d' autres îles exercent autour d’elles, en faisant, si l'on peut dire, le vide dans l'œcoumènre qui les avoisine. On ne peut comprendre d'une autre manière comment, dans le détroit de Singapour, les îles Riouw sont en grande partie inba- bitées!, comment. dans les Moluiqués! Halmahera n'a. guère plus de deux habitants au kmq, et comment, dans le voisinage d’Halmahera, les îles d'Obi et de Morotai n'ont pas d'habitants du tout': Singapour d'une part. L Ternate, Tidor et Amboine de d'été ont tout: attiré à | eux?. " Quand aux grandes terres, soit dans les régions tem— à pérées, soit dant les régions tropicales, leur Detipléneit obéit, dans l'intérieur, aux mêmes règles que celui des continents, et, sur la côte, il suit les Toi ordinaires des | côtes de IP TTRERR et de dispersion (chap. et m): mais on peut remarquer que, sauf dans les pays de grande civilisation et de commerce actif comme la Grande. Bretagne et le Nippon, il existe, non seulement une 1Reczus, 1, t. XIV, p.250. 2 Recuvs, 1, t. XIV, p. 490. x PESTE, men de ARR LES ILES ET L'INSULARITÉ 139 séparation sociale assez tranchée entre les gens de l'inté- rieur et ceux de la côte, mais une différence de densité: même dans les îles à population clairsemée comme Mada- gascar, la Nouvelle Guinée, Sumatra, Bornéo, Luzon, Formose, la Sardaigne, la Corse, la Crète, il est possible de constater une densité plus grande sur les côtes qu'à l'intérieur, car, grâce à la facilité des relations et aux ressources des pêcheries qu'elle procure, la ceinture mari- time accroît toujours la population côtière; mais cet accroissement est souvent très peu accusé. . Là abri CHAPITRE IV EXTENSION DE L'OŒCOUMÈNE PAR LES PÊCHERIES DU LARGE 32. Causes de l’extension des pècheries. — 33. La grande pèche et les campagnes lointaines. — 34. L'économie destructive sur les côtes (Raubwirtschaft) : Va pèche hauturière et le chalutage à vapeur. — 35. Un grand centre de pêche : le Humber, Hull et Grimsby. — 36. Chasse aux baleines et aux phoques. — 37. Ins- tabilité des terrains de chasse. 32. Causes de l'extension des pêcheries. — De mème que; sur les continents, l'exploitation du sol donne aux groupés humains un cadre déterminé et fixe géo graphiquement leur premier œcoumène, sur lequel la complexité sociale croissante, qui résulte de la civilisation et des relations commerciales, vient ensuite broder un tissu nouveau de répartition, plus mobile et plus varié que le premier, de mème la fixation de l'æcoumène mari- time commence par celle des pêcheries côtières et des centres du commerce littoral, de cap en cap, de baïe en baie. Mais à ce cadre primitif ne tarde pas à se superposer une série de cadres nouveaux, qui n'ont pas un caractère aussi stable et aussi permanent que le premier, et dont la facilité de déplacement, sur la carte du globe. est en raison directe des besoins croissants de la civilisation et de l’acti- vité dela vie sociale. Nous verrons, dans la IIl° partie, comment, du développement du réseau de routes cormer- ciales du globe, résulte le développement de l’œcoumène EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 141 maritime. Pour l'exploitation de la mer, bien que son extension ne puisse déterminer des déplacements d'hommes aussi importants, elle n as pas non plus à cette loi “de « mobilité dans le sens de l'agrandissement », qui est la loi générale de l’œcoumène sur toute la partie habi- table de la planète. L'extension des pêcheries dépend “d'abord de l'extension des connaissances humaines sur la ‘surface océanique. Bien que les pêcheries côtières fussent les plus faciles à pratiquer, les hommes n'ont pas tardé à s'apercevoir qu'elles n'étaient pas nécessairement les plus productives. Dans les zones tempérées et subpolaires, surtout dans celles de l'hémisphère Nord où les mers se mêlent étroitement aux étendues continentales, des con- ditions physiques comme la descente de courants froids sous des latitudes relativement chaudes (courant du Labrador à Terre-Neuve', ou au contraire la remontée de courants chauds jusqu'à des latitudes élevées (a f Stream en Islande et en Norvège), accompagnées de la présence de fonds relativement faibles, ont déterminé, sur de vastes espaces du large, la formation de milieux favorables, par leur équilibre de température et par la richesse en plankton “de leurs eaux, au développement en quantités innombrables “d'espèces comestibles telles que le hareng et la morue. C'est au large également, ou sur des îles lointaines, qu'il “a fallu chasser les animaux marins de grande taille, cétacés et phoques, dont l’industrie utilise la graisse et l'huile. Ensuite est venu, sur les côtes des pays de grande civili- sation, l'épuisement graduel des fonds côtiers, résultat d'une cueillette imprévoyante et intensive ; les procédés industriels pour remédier à cet épuisement, soit par l’éle- age artificiel des animaux marins, soit par leur multi- plication dans les établissements de pisciculture, ne suf- A A. de : D bé Fe SUR TN ae PE RAT OU PTE RTE CON " ARS 1/42 L'OECOUMÈNE MARITIME fisent pas à compenser la raréfaction qui résulte d'u e consommation sans cesse accrue et d’une destructi on aveugle ; aussi le champ de l'exploitation, dans les mers qui baignent les pays très civilisés et très peuplés, se déplace peu à peu vers le large. Sauf pour la chasse aux grands animaux qui se fait sur tous les endroits favorables" an toutes les mers du globe, l'extension de F æcoumène maritime vers le large, par les pêcheries, n’aflecte guère jusqu'ici que les mers de l'Atlantique Nord, parce que. ces mers sont situées entre les deux plus grands foyers de« civilisation industrielle qui existent sur la terre; maïs x} est à prévoir que toutes les mers des zones tempérées et. même subpolaires des hémisphères nord et sud subiront plus tard la même extension. 33. La grande pêche et les campagnes lointaines. — Au point de vue social, la grande pèche diffère de la pêche” côtière par la transplantation temporaire et forcée des’ hommes qui s'y appliquent. Elle marque donc une étape fort importante dans le déracinement. Le marim breton qui pêche des homards au large de son petit port, sans perdre la terre de vue, et celui qui s'expatrie pendant si mois pour pêcher la morue sur les côtes d'Islande ou au large de Terre Neuve, sont deux hommes très différents. Le premier, pourrait- on dire, ne fait que glaner les pro- duits maritimes à sa portée ; le second se Fa déjà à une exploitation presque rationnelle, puisqu'il transporte son activité dans des régions marines déterminées dont la richesse a été reconnue par expérience. Le premier Mi pour lui et par lui seul, car ses courts séjours en mer ne. nécessitent ni la discipline maritime, mi la hiérarchie du bord ; le second fait partie pendant plusieurs mois d’un un EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 143 elit groupe où les liens d'une subordination étroite sont out à fait nécessaires. Le premier ne fait subir aucune ransformation au produit de sa pêche : ce produit con- quis. il se hâte de ie vendre ; le second, au contraire, est bligé, par son éloignement même, de pratiquer quelques industries sommaires pourconserver ses produits jusqu'au jour et au lieu où il trouvera le débouché. Le pêcheur * côtier peut être souvent un ferrien aussi bien qu'un homme _de mer, et, dans la pratique, mème sur des côtes peuplées de marins comme celles de Bretagne, une grande partie des pêcheurs cultive autant le sol que les eaux côtières : au contraire, le marin de la grande pèche doitse consacrer presque exclusivement à la mer, et il a besoin, à un degré assez élevé déjà, d'expérience maritime et de science nau- - tique. Les résultats sociaux de la grande pêche sont donc - partout les mêmes et se produisent inévitablement. Qu'il s'agisse des pêcheurs bretons de Paimpol et de Saint - Malo, des pêcheurs normands de Granville, de Fécamp et - de Boulogne, des pêcheurs flamands de Dunkerque, des . pêcheurs anglais qui vont aux Far-Oër et en Islande, des … pêcheurs norvégiens et danois qui courent les mers du - Finmark au Groënland, des Américains et des Canadiens * qui vont aux bancs de Terre Neuve, ou des Japonais qui travaillent à supplanter les Russes, les Kamtchadales et * les Américains depuis Sakhaline jusqu'aux Aléoutiennes, la naissance et le développement de la grande pêche déter- - minent la formation de l’homme de mer véritable, qui - passe de longs mois entre le ciel et l'eau, sur les bancs de pêche devenus pour lui un véritable æœcoumène. Son exis- tence en partie double comprend un habitat de repos et un habitat de travail, éloignés parfois l’un de l'autre de plusieurs milliers de kilomètres. ses R “0 vw L'OECOUMÈNE MARITIME Lu = pu] Rien ne donne une meilleure idée de l'adaptation ma time d’un groupe social que la grande pêche sur les bancs! de Terre-Neuve. Ces bancs si abondants en morues s'étendent au S. et au S. E. de la grande île ; ils forment un cadre bien déterminé dans l'œcoumène maritime: ls ont leurs caractères physiques spéciaux, et par suite des“ dangers qui leur sont propres ; ils nécessitent done une adaptation particulière, que des générations de pêcheurs. européens ont acquise el transmise à leur lointaine com- | munauté d’origine, depuis le commencement du xvr° siècle où le Portugais Cortereal a découvert les bancs et reconnu leur Eobee C'est une zone de brumes et de glaces flot-« tantes : deux ennemis auxquels s'ajoutent, Re hui, les paquebots transatlantiques à grande vitesse, dont la route: directe, de Queenstown et du Lizard à New-York, coupe la. région des pêcheries. Il en résulte pour le pêcheur dem morues une existence de hasards et de périls maritimes, mais de hasards et de périls bien définis qui l’emportent, « dans ses préoccupations, sur les chances ordinaires de la vie maritime. Ainsi, comme les brumes épaisses de Terre Neuve sont toujours accompagnées de calmes plats, les mers démontées et les violentes tempêtes sont moins à. craindre pour le pêcheur de Terre Neuve que pour 3 l'Islandais, par exemple. Aussi le pêcheur terre-neuvien M quitte son bord et s’en va capturer la morue, avec un seul. compagnon, sur une pirogue légère, la doris, tandis que M l'Islandais reste sur sa goélette toujours balancée par le « roulis, et de là tend sur la mer ses longues lignes appâtées de nombreux hameçons. Cette adaptation locale dans les régions de grande” pêche, ainsi que la nécessité d’une expérience maritime déjà fort développée, montrent comment l'extension de EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 14ù l'æcoumène par la grande pèche façonne les groupes so- ciaux et les rend plus propres à la vie de la mer que n’im- porte quel groupe de pêcheurs côtiers. On constate ici, dans une proportion moindre, ce qui se révèle d’une ma- nière bien autrement étendue et profonde dans l'étude de l'extension de l'æcoumène commercial par la navigation au large ; l'homme, que sa structure physique et ses ins- tincts primitifs prédisposent seulement, comme le dit . Ratzel, à la vie « terrienne », s'adapte progressivement aux conditions spéciales d'existence nécessitées par la mer, et ajoute ainsi à l'espace habitable de sa planète cet espace maritime primitivement hostile. Toutefois, l'extension de l'æcoumène que détermine la grande pèche proprement dite des espèces comestibles, comme celle qui se pratique en Islande et à Terre-Neuve, ne peut dépasser des limites assez étroites. Car cette pèche ne sort pas, ellé non plus, de la phase de la cueillette. Elle profite d’une somme d'expériences et d'observations acquises une fois pour toutes ; mais elle ne songe guère à les étendre. Ses procé- dés, son outillage, ses mœurs, ses époques et ses lieux d'exploitation sont encore aujourd'hui, à très peu près, ce qu'ils étaient il y a trois siècles. Les goélettes qui sortent chaque printemps des ports de Dunkerque, de Paimpol et de Saint-Malo continuent sans rien innover, à toute saison de pêche, le procédé machinal de capture de la saison pré- cédente. Dans ce petit cadre de bois de la goélette, tou- jours pareil à lui même, le petit groupe de quinze à vingt pêcheurs. uni par une forte discipline, n'évolue guère plus, dans ses idées et dans ses formes sociales, que les pêcheurs du littoral fixés à leurs rochers ou à leurs grèves. Aussi, l'extrème mobilité sociale, la fusion constante des races et la tendance au nivellement qui caractérisent, La Mer. vapeur. — Îln'en est pas de même pour les conséquences. 146, | L'OECOUMÈNE MARITIME ap à comme nous le verrons plus loin, lextension commerciale de l'œcoumène maritime (IE partie), n'existent à aucun è degré dans l'extension de l'œcoumèëne maritime par la 4 AT pèche. En dernière analyse, les pêcheurs de bareng | et de morue, malgré leurs campagnes lointaines, ne Sont « pas des déracinés ; ce sont des transplantés provisoiresset. 4 temporaires, quoique héréditaires ; leur existence marque une extension réelle de l'œcoumène, mais cette extension, acquise une fois pour toutes. n’appelle aucune autre ex= | tension ultérieureet n’amène ni soudure, ni mélange entre les différents groupes humains. AS 34. L'économie destructive sur les côtes (Raub- wirtschaît); la pêche hauturière et le chalutage à: de l'épuisement graduel des fonds côtiers, qui constitueces que les Mlemands appellent l’économie déstructive (Raub-, wirischaft), appliquée à l'exploitation de la mer. Ces conséquences, dont les unes se développent déjà sous nos ; yeux, tandis que les autres se laissent, seulement soup- conner, sont très étendues et très profondes : elles méritent: une analyse détaillée. car c’est par elles que l'exploitation M de la mer tient ure si grande place, aujourd'hui, damst le: bilan économique et même social des populations: indus trielles à vie suractive ; par elles l'Océan devient réelle= 4 ment nécessaire à la nourriture des hommes jusqu'aufond des provinces les plus continentales et les plus reculées, au lieu de se borner, comme autrefois, à nourrir en partie les habitants des zones littorales*. 1 Il s'agit ici des produits non salés ei non conservés. Les produits salés et conservés entrent depuis très longtemps dans l'alimentation - du continent [harengs et morues au moyen âge, p. ex.). 4 EXTENSION DE L'OECOUMÈNE | 147 Ilest hors de doute que la capture et la destruction im- -prévoyantes qui constituent l’économie destructive ne se sont . pas exercées seulement aux dépens des espèces maritimes - et continentales polaires, comme le phoque, l'ours blanc, … Je renard bleu, qui sont aujourd'hui réfugiés ou parqués … dans les terres lointaines, sur les limites de la banquise. … L'économie destructive atteint, sur les côtes des pays civi- lisés et surpeuplés, toutes les espèces marines comestibles, … malgré leur extrème fécondité, à l'exception de quelques unes, comme les harengs et les thons, que leurs migra - tions saisonmières, dont les lois nous échappent encore, mettent à l'abri de la destruction rapide. Toutes les espèces de poissons côtiers qui vivent entre les roches et les gra- = viers des petits fonds, tous les crustacés nageant ou ram- pant à peu de distance de terre, et les mollusques fixés au rocher ressentent les effets des pêches intensives. Non seu- lement ces animaux vivent en troupes innombrables très près des côtes; mais il semble probable que les forêts … d'algues marines qui tapissent les petits fonds sont les - gites de leur reproduction, ou tout au moins la demeure _ naturelle des larves et des alevins aux premiers stades de leur … développement. Larves et alevins sont donc plus exposés … que les adultes eux-mêmes aux massacres en masse que - les pêcheurs opèrent avec leurs sennes ou avec leurs filets - de dérive. Et, pour satisfaire aux besoins d'une consom- … mation sans cesse accrue et toujours plus exigeante à me- sure qu'augmente la densité des populations civilisées, les … pêcheurs, déjà trop portés à la cueillette aveugle, sans - souci du lendemain, accentuent leurs ravages. À peine - Pexploitation intensive el irréfléchie du plateau continen- : tal européen date d’une cinquantaine d'années, et déjà la + pêche côtière est gravement menacée dans quelques unes L L A e 1/48 L'OŒECOUMÈNE MARITIME de ses ressources les plus abondantes. Les crises pério- diques de la pêche de la sardine sont bien connues; des mollusques comme les huîtres auraïent aujourd'hui totale- ment disparu sans le secours de l’ostréiculture ; et l'an- cienne abondance de la pèche du poisson frais, modèle achevé de la cueillette irréfléchie, fait place à une diminu- tion graduelle des produits. Une page remarquable de Coste donne une idée de la manière dont se fait le dépeuplement de la zone côtière et du plateau continental : « On voit vers des époques fixes, dit Coste, aux em— bouchures des canaux [de Comacchio|, s'élever à la sur- face des myriades de très petits poissons diaphanes qui s’avancent par masses plus ou moins compactes, et qui suffiraient au repeuplement de toutes les eaux de la terre si des lois protectrices les préservaient des causes de des- truction, ou en ordonnaient le transport dans des réserves où ils pussent, comme à Comacchio, se convertir en abon- dantes récoltes de chair alimentaire. Mais telle est l'impré- voyance des sociétés, qu'elles ne semblent même pas se douter de l’étendue des ravages que leur incurie laisse s’'accomplir. Aussi, dans certaines contrées, les popula- tions riveraines, confiantes dans leur impunité, accourent- elles aux lieux où ces apparitions se manifestent, armées de longues perches au bout desquelles sont emmanchés des tamis, pour se livrer à ce plaisir de destruction. Elles plongent ces tamis dans l’eau jusqu’au tiers de leur dia- mètre, et après les avoir promenés quelques instants afin d'écumer tout ce qui surnage, elles les retirent chargées d'une matière vivante qu'on verse dans des barriques où on l’entasse. Cette matière vivante, quand on l’examine de près, se montre exclusivement formée, tantôt par des ani- à EXTENSION DE L'ŒCOUMÈNE 1/9 _malcules filiformes, qui ne sont autre chose que des jeunes anguilles nouvellement écloses, quittant le lieu de leur naissance pour se disperser dans les ruisseaux et dans Îles lacs qui communiquent avec les fleuves dont elles remontent le cours ; tantôt par des soles, des plies, des muges, des loups, des dorades, etc., dont on détruit des générations entières. »!. Il est difficile de mesurer exactement l'importance rela- tive de cette destruction. Toutefois, on l'a essayé sur quelques points des côtes d'Europe. En particulier, les dosages précis et patients faits dans le golfe du Forth par le bateau le Garland, de 1889 à 1895, sous l'impulsion du Fishery Board écossais, ont montré que les fonds si exploités des côtes d’Ecosse ont subi un appauvrissement réel. La nécessité, de plus en plus impérieuse, de produire beaucoup, et la raréfaction des poissons sur la zone côtière obligent les pêcheurs à reporter vers le large leur champ habituel d'exploitation. Mais leur vie sociale, leur outil- lage, leurs habitudes économiques se transforment à mesure qu'ils s'éloignent de l’étroite tranche littorale où leur existence s'était déroulée jusqu'alors. Leur œcoumène restreint et rigide se modifie ; il devient très étendu et plus mobile : peu à peu, la petite pêche côtière fait place à la pèche hauturière. Par les instruments dont elle se sert, la pèche hautu- rière montre nettement qu’elle est une forme nouvelle de la vié maritime. Ces instruments sont le bateau de fort tonnage el le chalut. La frèle barque du pêcheur côtier, déjà si peu armée ! Coste, p. 196. MÉTRERE SIA RON " HD re hu SE PE SAT PET dr PTT : | < w 1 L rt JL | 1 LNPUGEETEE à æe 5 r® % 150 L'OECOUMÈNE MARITIME . contre les mauvais temps et contre les dangers de la côte, ne peut servir à rien au large ; de mème, le petit groupe associé de deux, trois ou quatre hommes, sans subordi- nation bien marquée, qui pêchait dans cette barque; fait place au groupe plus nombreux et mieux hiérarchisé que nécessite la manœuvre d'un bateau plus lourd et plus grand. Par exemple, dans l'Atlantique, les dundees de Groix, qui font la pêche du thon, sont de grands bateaux d'environ 35 tonneaux. Il en est de même des cotres de la Manche, qui pèchent entre les côtes de France et d'An- gleterre'. Tous ces bateaux emploient la voile comme moyen de propulsion ; quelques uns ont maintenant.des moteurs auxiliaires à pétrole pour la manœuvre des lourds instruments de pèche, cordes de fond et chalut ; maïs, dans les zones de production très active, comme les bancs de la mer du Nord. ils s’effacent de plus en plus devant le grand bateau de pèche, qui réunit à la puissance des ins- truments celle de l'agent de propulsion : c'est le chalutier à vapeur de 100 à 200 tonneaux, dont il existe, à l'heure présente, une flotte d'environ 1500 employés à la pêche dans la mer du Nord. Les appareils dont se sert la pêche hauturière dérivent | de la nécessité où l’on s'est trouvé de pêcher en eaux plus agitées, à mesure que l'on s'est éloigné des petits fondsde la zone littorale. Le type essentiel de ces appareils est de grand filet de dragage que l'on appelle le chalut ; les bäti- ments de pêche trainent lentement derrière eux cette sorte de vaste poche immergée, qu'ils promènent aù fond de la mer ou parfois, comme cela arrive dans la Méditer- ranée, entre deux eaux. La manœuvre de cet outil de 1 D’après Rocné, 2. EXTENSION DE L'OECOUMÈNE POI À pêche est tout automatique; elle n’exige aucune des . qualités spéciales de flair et de recherche avec lesquelles le … pêcheur côtier supplée à la faiblesse de ses engins; elle se fait, sur les bâtiments modernes, à l'aide de la vapeur et du pétrole. Les hommes embarqués pour la pèche sur les grands . Chalufiers mènent donc une vie très différente de il du petit pêcheur. Les uns sont marins, les autres sont méca- niciens; tous subissent les effets de l’industrialisation de la pêche ; comme la production du chalutage offre beaucoup moins d'incertitude que celle de la petite pêche, ils peuvent recevoir un salaire fixe. A terre, beaucoup d'entre eux _de la mer du Nord, de Hull à Geestemünde. Le type social du paysan et celui du pêcheur s’effacent donc également - chez eux; ils se rapprochent notablement, au contraire, de l’ouvrier de la grande industrie, et la grève qui a éclaté en 1902, chez les pêcheurs de Grimsby, a révélé d’une manière éclatante leurs nouvelles tendances sociales. Même quand la pêche hauturière n'’atteint pas cette forme perfectionnée du chalutage à vapeur qui est désor- mais la sienne sur les bancs de la mer du Nord, et … Jlorsquelle se contente d'outils de transition comme la barque à voiles de moyenne taille et le petit chalut, ce qui =. est le cas sur presque joutes les côtes de France, la seule … «extension de l'œcauminène maritime suffit à marquer les gens de mer d'une empreinte profonde. Gràce à cette . extension, le pêcheur hauturier est obligé de faire de véra- tables campagnes au large; pendant une ou deux semaine, et dayantage parfois, il ne voit autour de lui que l'horizon de mer; il est placé souvent, comme le pêcheur de Terre- Neuve, sur les faisceaux de circulation où se pressent les habitent de grandes villes, comme il arrive sur le pourtour ai EN LINE ve À — 152 L'OECOUMÈNE MARITIME grands paquebots ; il est exposé, comme lui, aux collisions, aux brumes et aux coups de vent ; il reçoit donc une édu- cation nautique très supérieure à celle du pêcheur côtier, et il perd tout à fait, par suite, ce caractère mixte de paysan et de marin que le pêcheur côtier possède en tant d'endroits. Par la pêche hauturière, non seulement l'œcou- mène maritime reçoit une extension très grande, mais la transformation sociale des groupes maritimes se produit à la fois dans le sens de l'industrialisation et dans le sens d'une adaptation nautique plus complète. L'extension de l’æcoumène dû à la pêche hauturière affecte le plateau continental tout entier. Par conséquent, toutes les mers en bordure de l'hémisphère Nord, sur les côtes d'Europe, d'Asie et d'Amérique, où le plateau con- tinental occupe, comme dans la mer du Nord, dans la Manche, dans le golfe du Saint Laurent, dans la mer de Behring, dans la mer d'Okhotsk, d'immenses superficies, se rattachent, dans le présent ou dans un avenir plus ou moins rapproché, à l’œcoumène maritime permanent, tandis que les fosses trop profondes et trop peu productives des Méditerranées, avec leurs pentes abruptes et leurs eaux trop chaudes, ne seront jamais parcourues par des flottes de chalutiers semblables à celles du Dogger, du Fisher Bank ou des îles Shetland. C’est une supériorité de plus donnée, au point de vue de la vie et de l’activité mari times, aux zones tempérées et subpolaires de l'hémisphère boréal. Déja le mouvement d'extension vers le large a conquis tout le plateau continental du N. W. de l'Europe, dans la Manche, dans la mer d'Irlande et dans la mer du Nord. Autrefois, jusqu’au milieu du xix° siècle, la pèche de la mer du, Nord était limitée à la lisière côtière et au Dogger : aujourd’hui, elle s’est étendue à peu près sur la LR intl ot bn doté PURES EVE MIT ET te AUTO EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 153 mer tout entière, à l'E. et au N. du Dogger, jusqu'au parallèle du cap Skagen; c’est le Grand banc des pêcheurs (Greal Fisher Bank). Toute la mer du Nord fait donc partie de « la surface bonne pour le chalutage » (area available for trawling); tout ce qui est en deçà de la ligne de profondeurs de 200 mètres à l'W. de l'Europe en fait également partie. 30. Un grand centre de pêche : le Humber, Hull et Grimsby.— Les flottes de chalutiers de la mer du Nord n'essaiment pas, comme les barques de la pêche côtière, d'une multitude de petits ports semés le long d’une eûte de condensation. Elles sont concentrées dans les bassins de quelques grands ports où l'outillage industriel et com- mercial va de pair avec celui de la pêche. Sur 1500 cha- lutiers à vapeur, plus de 400 sortent de l'estuaire du Humber, où sont les deux villes maritimes de Hull et de Grimsby : la première, ville de commerce et de pèche; la seconde, ville de pèche seulement, reliée par des voies rapides aux grands centres de consommation du Royaume Uni, Londres, les Midlands, Liverpool. Grimsby est en réalité un port exploité par une compagnie de chemin de fer. Les flottes qui partent de Hull et de Grimsby sont soumises à une sorte de discipline militaire. Les chalutiers de Hull se divisent en quatre flottes, dont chacune est commandée par un patron pêcheur d'une compétence reconnue, auquel on donne le nom d’amiral; tous les bateaux de la flotte évoluent d'après ses indications. Les flottes du Humber passent en général huit semaines hors de leur port d'attache, sur les bancs. Pendant ce temps, on peut dire que la majeure partie de la popu- lation ouvrière de Grimsby et de Hull mène une existence 9. 194 : r'OECOUMÈNE MARITIME 2 flottante, sur les eaux de la mer du Nord. Aussi cette po- pulation transportet-elle sa vie, ses habitudes et ses mœurs sur son œcoumène mobile du Dogger et du Fisher. Des bâtiments spéciaux trafiquent du tabac et de l'alcool ; ils vont débitant leur marchandise dechalutier en chalutier; ce sont les coopers où bum-boats. Les habitudes d'intem— pérance qu'ils ont entretenues ont déterminé, en 1893, 14 signature d'une convention internationale, qui a régle- menté la police des cabarets flottants de la mer du Nord”. Les ouvriers pêcheurs de Grimsby appartiennent, comme nous l'avons dit, au « type industriel ». et non à l’ancien « type maritime » auquel appartiennent encore, par exemple, tous les pêcheurs de France. S'ilen fallait une preuve nouvelle, les motifs de la grève de 1901-1902 nous la donneraient. Cette grève éclata à la suite d'une tentative pour diminuer le salaire fixe et pour le remplacer, en partie, par un pour cent sur le produit de la pèche. Or, cette rémunération « à la part » dont les pêcheurs de Grimsby repoussaient toute application, mème partielle, constitue encore l'unique forme derémunération de presque tous les pêcheurs français, que la transformation indus trielle n'a pas atteints. 36. Chasse aux baleines etaux phoques. — Comme l'étude de la pêche hauturière, celle de la chasse faite, soit au large, soit sur des côtes, aux grands animaux marins comme les baleines et les phoques, montre les avantages assurés par les conditions naturelles aux zones tempérées, subpolaires et même polaires des deux hémis— phères et en particulier de l'hémisphère boréal. La capture 1Beavrirs, p. 355 et suivantes. EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 193 Du: - _ des phoques et des baleines est très peu développée, faute d'aliment, entre les deux tropiques, tandis qu’au sud et . surtoutau nord, elle reporte jusque dans les glaces polaires . les extrêmes limites de l’æœcoumène maritime. Aussi la population maritime qui consacre spécialement son acti- - wité à ces chasses ne se forme, comme les marins de la grande pêche et comme ceux de la pêche hauturière, que -sur les côtes des pays tempérés et subpolaires. . Nous ne pouvons résoudre ni même discuter la question toute biologique de l'unité ou de la bipolarilé d’origine des grands animaux marins; nous ne savons si chaque -calotte polaire forme pour les différentes espèces de … baleines, de cachalots, de phoques et d’otaries, un habitat particulier dont aucune espèce ne peut sortir sans passer dans l’autre, ou s'il y a eu communication et mélange, -anciens et récents, entre les espèces des deux hémisphères. Il est certain que les grands courants marins de surface … ont influé et influent encore sur la répartition de ces . espèces; c'est le courant de Humboldt qui a porté les otaries antarctiques vers le nord, jusqu'aux Galapagos. … Mais, sauf dans les régions de mousson du sud-est de l'Asie, où le renversement des courants et leurs oscilla- tions saisonnières d’un hémisphère à l’autre mélangent les - eaux par grandes masses, les principaux courants forment - pour chaque hémisphère un réseau autonome! : ce n’est 2 dl … D'autre part, il est vrai que les zones équatoriales ne for ment pas, comme on l’a cru quelquefois, des régions inaccessibles aux grandes espèces de cette nature et en particulier aux cachalots ; mais elles sont toujours rares Exception faite pour le mélange des eaux équatoriales à l'W. de PAtlantique. C4 pas ainsi qu'une large fusion des espèces peut s'établir. - Zu Pain “08 Le Ps CPS TA A" CDR 4 Li 4e 156 L'OECOUMÈNE MARITIME La dans ces zones et ne s’y trouvent que sur quelques points. Ainsi, dans l'Atlantique, on rencontre un certain nombre de cachalots par troupes {suivant l'habitude de cette espèce) entre Saint-Hélène et Mossamédès, dans les para- ges de l’Ascension et au fond du golfe de Guinée ; on les chasse en hiver autour des îles du Cap Vert, et de mars à mai entre les 10° et 15° degrés lat. N. et 35° et 4o° de long. W. Gr. Dans l'océan Indien, les cachalots sont assez nombreux entre Java et l'Australie ; dans le Pacifique, on les chasse autour des îles Marshall, des Gilbert, des Fidji, des Samoa et des Marquises, et dans une zone qui va du 5° au 10° lat. S. et du go° au 117° long. W. Gr., au S. W. des îles Galapagos. Mais toutes ces régions de chasse sont relativement peu étendues, peu productives, et sont parti- culières du reste au cachalot (Physeter macrocephalus). Au contraire, si nous considérons les régions océaniques situées au N. et au S. des tropiques, nous y voyons se multiplier‘ les terrains de chasse des animaux recherchés soit pour leur huile, soit pour leur graisse, soit pour leurs fanons, soit, comme certains phoques, pour leurs fourrures. La répartition des terrains de chasse se fait actuellement de la manière suivante. A) Atlantique et océans polaires du Nord et du Sud, entre les prolongements des méridiens côtiers atlantiques. — 1) Zones boréales. La baleine du Groënland (Balaena mysticetus) est chassée du mois d'avril au mois d'août sur les côtes W. du Groënland et E. de la Terre de Baffin, du 63° au 75° lat. N. La baleine blanche (Delphinapterus leucas) + trouve entre la Terre de Baffin et le Labrador. La baleine bleue (Balaenoptera sibaldiü), fréquente les abords du Spitzhberg et de la Novaïa Zemlia, et surtout la mer de Barentz jusqu'aux côtes norvégiennes du Finmark. 2 EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 197 Les phoques communs (Phoca vilulina et P. Groenlandica), abondent sur les côtes septentrionales de Norvège. ainsi que sur celles du Groënland, de la baie d'Hudson, de Terre-Neuve et du Labrador ; c’est sur ces deux dernières côtes que se fait aujourd’hui le plus grand massacre de phoques chassés pour leur graisse et pour leurs peaux. Plus au S., mais dans la zone tempérée, entre le 30° et le 49° lat. N., sont les principales régions de chasse des cachalots : autour et surtout à l'W. des Acores, et au S. E. du cap Hatteras, au large de Charleston. 2) Zones australes. À partir du 30° degré de lat. $., on rencontre en grande quantité la Pre AA (B. australis.. Elle diffère notablement de la baleine du Groënland. Les baleiniers la poursuivent surtout entre Tristan da Cunha, Diego-Alvarez et le Cap, du mois de juin au mois d'août, et entre la Plata et les Malouines, de novembre à janvier. Parmi les phoques, il y a surtout lieu de remarquer un phoque à fourrure (Arclocephalus nigrescens), chassé aux îles Lobos, à l'estuaire du Rio de la Plata, et sur les côtes de Patagonie. B) Océan Indien el océan austral, entre les prolonge- ments des méridiens côliers. — On chasse de nombreux cachalots sur la côte W. de l'Australie, et, en Afrique, au large de la baie Delagoa. La baleine australe fréquente les parages de Saint-Paul, de la Nouvelle Amsterdam, de Crozet, de Kerguelen, et la grande baie australienne. Parmi les phoques, l'éléphant de mer (Macrorhinus leonina) se trouve à Heard et à Kerguelen. C) Pacifique, mers au N. du délroil de Behring, et mers anlareliques au S. du Pacifique. 1) Zones boréales. — Les principales espèces de cétacés s’ordonnent nette- ment suivant la latitude. Tout au N., dans le golfe PAR RE M LS PTT A PET a SR k | cs $ r pile Le VE d TN 158 L'OECOUMÈNE MARITIME \ à d’Anadyr, dans le détroit de Bebring et dans la mer Gla=_ ciale, jusqu’au parallèle de la ponte de Barrow et de l’île Wrangel, on chasse la baleine du Groënland (B: myslicetus); à cette espèce se rattache celle que prennent les Kamtchadales dans la mer d'Okhotsk ; vient ensuite, baleine du nord-ouest des Américains), chassée surtout à l'E. du Japon, et entre Kadiak et l’archipel de la Reme. Charlotte. Les insulaires aléoutes poursuivent le phoque ‘4 à fourrures du Pacifique nord (Callorhinus : ursinus); en particulier aux iles Pribyloff ; les habitants de Sakha= 4 du 30° au 55° degré, la baleine du Japon (B. japoniea, line le poursuivent aussi sur leurs côtes. Les loutres sont | nombreuses sur la côte américaine. Enfin, dans les zones tempérées et tropicales se place, comme dans l'Atlantique, … da chasse du cachalot. 2) Zones australes. La partie Sud du Pacifique a son espèce particulière de baleine /B. antipodum. : bien qu'elle ait élé poursuivie presque jusqu’à extinction, on la ven- contre encore parfois entre l'Australie et la Nouvelle Æ Zélande, à VE. de cet archipel et sur les côtes de l'Amé= rique du Sud, où elle remonte tout près de l'équateur, | jusqu'à Payta, au S. de Guayaquil. Quant aux phoques, dont toutes les espèces vivent sur les côtes, 1ls sont natu- rellement rares dans l'immense espace ouvert de l'Océan austral ; ils peuplent cependant les rivages de l'archipel\ méridional du Chili (otarie du sud, éléphant de mer. Ce plan de distribution géographique montre que les chasses des espèces précieuses sont localisées dans les mers tempérées et polaires; les tropiques et l'équateur n'ont que le cachalot. La chasse des différentes espèces de phoques ne pré- sente guère d'intérêt au point de vue de la formation = “ EXTENSION DE L'OBCOUMÈNE 190 e sociale des peuples de la mer. Ces animaux sont incapa- les de se défendre, et ils vivent sur les côtes ou dans les petits fonds, entre les récifs côtiers ; leur chasse n’est qu'un massacre sans danger ; elle donne seulement une valeur “économique et des habitants à des ilots subpolaires qui, sans elle, n'auraient ni valeur, mi habitants, comme les iles Pribyloff et Saint-Paul. En revanche, les baleines et “les cachalots, que l'on poursuit au large, au milieu des plus grands risques maritimes, et qu'il est assez difficile F de capturer ou de mettre à mort, valent toutes sortes de peines à ceux qui les chassent ; leur capture est une rude k ole, qui a formé,-pendant de siècles, des marins résolus, aventureux et expérimentés. L'ancien navire baleinier, tel quil exista depuis les chasses hollandaises du xvr° siècle jusqu à l'application de la vapeur à la grande pêche, était “un bateau de 400 à 500 tonneaux, lourd et trapu, apte à la navigation au milieu des icebergs et des glaces de “dérive *. L'attaque de la baleine au Le pon était une opé- _ ration Sas qui demandait beaucoup de coup d'œil “ct de sang froid. Aussi citait-on les baleiniers comme les plus audacieux marins. Dans les régions arctiques et antarctiques, ils ont suivi de près les explorateurs polaires ; - souvent mème ils les ont précédés. . «uen ne peut égaler, dit Parry, la hardiesse et l'esprit “entreprenant que déploient nos pêcheurs dans la poursuite de la baleine. À quelque heure du jour et de la nuit que celui qui est de garde dans Le nid de corbeau annonce une baleine, ils se jeitent à l'instant dans les barques, souvent en tenant leurs habits à la main, et se mettent à la pour- suivre avec une ardeur qu'on trouve à peine sur les flottes es mieux disciplinées. »'. ! Panny, p. 281. 160 L'OECOUMÈNE MARITIME Aujourd’hui, les flottes de fbaleiniers qui subsistent viennent surtout de Norvège et des Etats-Unis. Le lourd baleinier à voiles n’est plus guère qu’un souvenir : ce sont des bateaux à vapeur qui chassent les baleines, comme les” phoques. Ils élargissent donc singulièrement, grâce à leur mobilité, les terrains de chasse où se confinaient autrefois les vieux baleiniers. Ainsi les bateaux de Norvège vont de” la Novaïa Zemlia aux Far-Oër, en passant par le Spitzherg, les côtes du Finmark, Jan Mayen et l'Islande. 37. Instabilité des terrains de chasse. — (Celte. mobilité est, aujourd’hui plus que jamais, nécessaire aux navires qui pêchent la baleine, et mème le phoque, mais. surtout la baleine. Si les phoques, les loutres et les otaries « se reproduisent assez vite, les baleines se reproduisent len- tement, et une chasse active et durable, dans une région déterminée, suffit en peu d'années à les rendre rares et même à les faire disparaître. [l n'est pas douteux que si les. cétacés sont devenus des animaux polaires, cela provient surlout de la chasse acharnée qui leur a été faite dans les mers tempérées, où ils ont été nombreux autrefois. Le cachalot, qui s'adapte mieux aux mers chaudes que les baleines proprement dites, a abondé dans les mers d'Europe, où il voyageait par troupes, suivant son habi- tude. Jusqu'au xvu° et même jusqu’au xvmr° siècle, on le” rencontra fréquemment dans les passages çcôliers de” l'Atlantique nord et du golfe de Gascogne. On nous raconte qu’à la fin du xvrr' siècle, 102 cachalots échouèrent à Kairston, dans les Orcades ; il en vint 31 à terre après” une tempête, en 1784, à Audierne‘. Mème dans les hautes ! Cancer Freurieu, t. II, p. 603. EXTENSION DE L'OECOUMÈNE 161 latitudes horéales et australes, l'exploitation trop active de certains terrains de chasse, sur la limite des glaces, a amené la disparition, au moins temporaire, des cétacés, et la ruine des établissements de pêche. De là provient, en grande partie, l'instabilité de la colonisation européenne sur les côtes des régions polaires. Ainsi, les établissements permanents fondés par les Hollandais au Spitsberg, au xvu siècle, durent être abandonnés après un siècle d’ex- ploitation. Même sort échut aux colonies de pêche de la côte mourmane. Par la même raison, appliquée à la chasse des phoques, s’explique la mobilité des Eskimos et l'im- mense extension de leur œcoumène. Par la même raison encore on arrive à comprendre pourquoi, dans le $. de l'océan Indien, Saint-Paul, l'ile d'Amsterdam et Kerguelen n'ont reçu que des colonies intermittentes, presque aussi- tôt abandonnées que formées. « Dans le sud de l'Océan Indien, dit la Deutsche Seewarte (1891, la chasse, qui s'était exercée depuis une dizaine d'années avec de très bons résultats, a fait récemment une faillite presque complète. C’est à cause d'une poursuite inconsidérée que les ani- maux, que l'on rencontrait auparavant si fréquemment, sont devenus rares. Aujourd’hui, la chasse couvre à peine ses frais! ». L'instabilité des terrains de chasse a été suivie de l'ins- tabilité des régions d'origine où se recrutaient les balei- niers. Nulle part, depuis quatre siècles, les habitudes et la pratique de la pêche à la baleine n'ont pu s’ancrer assez, dans une population côtière civilisée, pour subsister malgré tous les déboires. Tandis que la grande pêche lointaine du hareng et de la morue demeure aussi stable au point de vue ! Deurseue Seewanre, 1, p. 16, carte 35. que la pêche d'Islande et de Terre-Neuve n'a cessé, depuis 4 elle a subsisté près d’un siècle; enfin elle a disparu. Les été remplacés par les Norvégiens et par les Américains. Ha au bout d'une certaine période, le terrain de chasse rede— k 102 L'OECOUMÈNE MARITIME des lieux d’origine de ses marins qu'au point de vue d ses terrains d' exploitation, la pèche baleinière a connu de nombreuses transformations. Ainsi, en France, pendar le xvr° siècle, d'être pratiquée par les Bretons et parles. Normands, il n'y a guère eu de baleiniers, jusqu'à Ktfin du xvur° siècle, que sur la côte basque, à Saint Jean de ; Luz ; puis la pêche s s’est reportée au N., à Dunkerque, où Hollandais, grands pêcheurs de baleines au xvu siècle, « ont cédé le pas aux Anglais, et ceux-ci, à leur tour, ont. chasse de la baleine ne se ce vrainrent nulle part. Toutefois. instabilité ne veut pas dire improductivité finale. Dès que les baleïniers disparaissent d’une région. trop exploitée, les baleines, à leur tour, y re et vient productif. Or, comme il y a certaines zones, en par- ticulier dans les régions boréales, qui sont les heux d'élec- on d'espèces ne et où celles-ci reviendront toujours, tant qu'il restera quelques individus pour, les _ représenter, cesont, en dernière analyse, les mèmes endroits de la planète qui concentreront, à l'avenir comme dans le à passé, les efforts des grandes pêches. C'est ainsi que les Norvégiens exploitent aujourd’hui, dans la mer de Barentz, les mêmes parages où les Hollandais, au xvu° siècle, pour- suivaient la baleine. Lorsque l'on compare le tableau de law réparlition des principales espèces. dressé à la fin du vu siècle par Carlet Fleurieu ‘, à la répartition actuelle, on est frappé d’une analogie qui va, sur bien des points, à | !Cacer Freureu, t. Il, p. 627-699. ntité presque complète, malgré fé chasse acharnée Jont les baleines ont été l’objet depuis cette époque. C'est ue la chasse intensive ne s’est pas portée sur tous les ints à la fois : elle à été très active tantôt dans un isaient sans cesse dans les endroits et dans les périodes ‘où on les laissait en repos. L'extension de l’œcoumène déterminée par la grande pêche de la baleine a donc un aracière de fixité véritable qui permet d'en tracer avec précision les limites : mais c'est une extension en quelque sorte intermittente. QC ET a} DEUXIÈME PARTIE MIGRATIONS MARITIMES CHAPITRE V RELATIONS | ENTRE LES CONTINENTS ; ANCIENS VIDES OCÉANIQUES 38. L'espace hostile. — 39. Idées anciennes sur la petitesse des mers et sur le développement de l'insularité. — 4o. Le vide atlantique et le problème normand. — 41. Le vide pacifique et le problème asiatico-américain. — 42. Le vide austral. 38. L'espace hostile. — Le grand ennemi du peu- plement humain, c'est l’espace dépourvu de points de fixation et de routes tracées. Pour l'humanité primitive, les océans, qui forment 93,6 °/! de la surface maritime, étaient un espace de ce genre. L'absence d'îles, le lointain des côtes opposées, sur lesquelles on n'eut aucune notion scientifique jusqu’à la fin du xv° siècle de notre ère, donnaient à l'océan un caractère indéfini fait pour com- primer toute tentative d'expansion et toute migration spontanée. La notion des lois naturelles qui régissent les mouvements de la masse atmosphérique et de la surface marine, et qui tracent à la navigation des routes presque 1Voir $ 11, note. AE ON A EPP DA abrrer. LL. 4: bei: NH PT mn % 166 MIGRATIONS MARITIMES certaines, n'a été acquise que fort tard. De même, ponts 2 longtemps la régularité et la pérennité des courants du large a été méconnue, tandis que les courants côtiers, qui 1 seuls s imposaient à l'observation, maintenaient la navi-” gation sur la lisière continentale. L'étude de la carte céleste, qui supplée à l’absence de points fixes à la surface de la mer, ne permit que peu à peu de déterminer avée précision le lieu d’un navire : l'astronomie nautique s'est « longtemps bornée au calcul de la latitude, d’abord uni- quement par la hauteur de la polaire, puis par la hauteur méridienne du soleil : c'est au xvin* siècle seulement que les procédés astronomiques pour le calcul de la longitudé de repère sur la PRE RAT dis eaux, dépourvus de connaissances exactes sur les routes naturelles que la mer et le ciel leur traçaient, les marins considéraient lesespaces océaniques à peu près de la même manière que les vOYa- geurs terrestres considéraient les déserts de dunes mobiles privés d’oasis et de points d’eau : c’étaient des espaces à éviter. L'œcoumène maritime, qui s’étendait sur toute ou sur presque toute la surface des mers intérieures . comme la Méditerranée et les fosses de l'Insulinde, n'oceupait qu'une lisière étroite sur les fronts océaniques des continents, où il était restreint par la crainte de l'espace sans bornes. 39. Idées anciennes sur la petitesse des mers et … sur le développement de l'insularité. — (Juoique le caractère indéfini de l’espace maritime parût,avant Colomb, s'imposer aux hommes, de manière à arrêter tout raid x. travers l'Océan, l'esprit humain, habitué à se mouvoir. dans un cadre spatial défini et pourvu de points de fixa- DE IR" NT ,-0 EE PA LEE? l'habtst … RC ne EU D EME CE ‘ n nombreux, se faisait volontiers illusion sur l'étendue éritable de la mer et sur la quantité ainsi que sur |’im- 20e points de fixation insulaires qui s’y trouvaient. Avant la reconnaissance scientifique du globe, poursuivie e la fin du xv° siècle Jusqu ‘à nos jours, rien ne fut plus commun dans les anciennes sociétés civilisées que la “croyance à la proximité de continents situés au-delà des Mers, ainsi que la croyance à l'existence d’iles nombreuses semées dans l'espace maritime et à la médiocre grandeur absolue de cet espace. Par ces idées mêmes on se rend | compte de la grande difficulté avec laquelle l'esprit humain s’est be aux notions de l'étendue véritable de mer et:de la rareté relative des espaces insulaires dans “les milieux océaniques. Si ces notions ont mis un temps trés long à venir au jour, cela provient surtout de la _ naissance et du développement des sociétés civilisées mäutour de mers intérieures, où l’espace maritime était “étroitement limité et semé de myriades d'iles. La propor- tion des terres et des mers en Méditerrannée ne donnait aucune idée de la proportion qui existe dans FAtlantique ; se tromper, en appliquant au Pacifique les règles de poor entre. les terres et les mers que devaient leur ggcrer la mer Jaune, la mer de Chine et les mers de Mine Sans doute, à cette raison générale se sont äjoutées, sur bien des points, pour rapetisser l'étendue wine et pour multiplier lés îles fabuleuses, des légendes crées, des mythes héroïques et religieux, des récits de toYageurs dupes d'illusions et de mirages aussi fréquents sur les eaux. marines que dans les déser ts, et enfin de … simples fables. On trouverait toutes ces sources variées à * l'origine des traditions qui ont servi à la construction des b AS RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 167 “mème, les peuples d’Extrème Orient ne pouvaient que ACT NOT ETS A 168 MIGRATIONS MARITIMES É essayaient de représenter la surface et les limites de l'Atlantique, en tout ou en partie : carte catalane, carte du camaldule Fra Mauro, globe de Martin Behaim de A92. pour ne citer que ces exemples; et l’on peut ajouter que ces légendes avaient la vie tellement dure, que l'on voit les îles fabuleuses de l'Atlantique se perpétuer jusque \ sur la mappemonde d'un géographe aussi consciencieux … et aussi informé qu'Ortelius (1587). Mais précisément, ces légendes n'auraient pas subsisté si longtemps, sans la 4 croyance profondément enracinée chez les hommes. d'Europe et d’Asie que les mers étaient toutes méditerra- néennes, comme celles qu'ils avaient sous les yeux et qu'ils avaient coutume de parcourir. Cette idée les entrainait à croire que les mers étaient plus petites . qu'elles ne sont en réalité, que le développement des continents était plus grand que celui des eaux, et que ces eaux elles-mêmes étaient semées de nombreux points de fixation insulaires qui corrigeaient en quelque sorte l'immensité de l'espace. Ce sont même ces idées fausses qui ont aidé, en dernière analyse, l'homme du xv° siècle à triompher de la terreur que lui causait l'espace maritime : sans elles, l'expédition de Colomb à la recherche des Indes par l’W. n'aurait eu lieu mi à l époque, 3 ni sous la forme que nous connaissons. Humboldt, qui, en étudiant les raisons de la multipli- cation prodigieuse des îles sur les cartes atlantiques du « moyen âge, donne une place trop grande, selon nous, à lan simple fantaisie des dessinateurs et au désir qu'ils avaient « d'indiquer les terres vaguement décrites par les anciens », reconnaît pourtant que « la persuasion intime de l'existence de terres, éparses dans l’espace inconnu des mers, est den ee KELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 160 beaucoup antérieure à la construction des mappemondes.»! Mais, d'après lui, cette persuasion provient uniquement de la tendance de l’homme à accroitre, par l'imagination, l'étendue de l’espace planétaire habitable, par suite d’une sorte d'appétit de l'mdéfini. « Il paraît si naturel à l'homme de rêver quelque chose au-delà de l'horizon océanique, que même à l'époque où la terre était encore considérée comme un disque à surface plane ou légèrement concave, on pouvait croire qu'au-delà de la ceinture de l'océan homérique il y avait quelque habitation des hommes, un autre œcoumène, le /6käl6kä des mythes indiens, anneau de montagnes placé au-delà de la septième mer? ». Nous croyons au contraire que c'est, non par appétit de l'indéfini, mais par impuissance à se représenter l'étendue de l’espace océanique et par tour d'esprit méditerranéen et insulaire, si l'on peut dire, que le hommes du moyen âge ont couvert d'iles l'océan qu ils imaginaient, et ont en même temps fortement di- minué son étendue, par rapport aux terres émergées. Il n'est donc pas surprenant de trouver au moyen âge, dans les écrits qui donnent aux idées courantes une forme doctorale et dogmatique, la petitesse de l’espace océanique affirmée comme une vérité indiscutable. Cette tendance ne contredisait pas la crainte instinctive que les marins avaient de l'espace indéfini ouvert au-delà du détroit de Gibraltar : tendance dogmatique et crainte instinctive se complétaient et se corrigeaient plutôt. Les frayeurs mêmes des rares navigateurs qui s'étaient aventurés sur l'espace océanique avaient contribué à peupler l'océan sans bornes * Huusozpr, 1, t. Il, p. 156-157. ?Huwsozpr, 1, t. 1, p. 114. 10 RS RS CO MIGRATIONS MARITIMES d'îles fabuleuses, « entrevues dans les brumes du soir »> ces apparitions, quoiqu'elles ne fussent jamais confirmées, avaient pour résultat, dans l'esprit des hommes de science comme dans celui des marins, une sorte de rapetissement de l'Océan occidental. On ne peut donc être surpris des idées exprimées par Roger Bacon, en 1267, et par Pierre d’Aully, em 14m0 Ce dernier, dans le chapitre vur du traité de Imagine Mundi, qui a sûrement imspiré et guidé Colomb, traiterde … l'étendue de F'œcoumène : De quantitate terrae habitabilis);t il croit, d'après le livre apocryphe d'Esdras, que cette étendue s'élève aux de la planète, et que la mer ne recouvre, par conséquent, que la septième partie du globe. Même après la traversée de l’Altlantique, ces idées subsistaient, de même que les îles légendaires se perpé= tuërent jusqu à la mappemonde d'Ortelius. « Je vous le. répète, écrivait Colomb aux rois Catholiques, le 5 juil= » let 1503, le monde n’est pas si grand que le vulgaire l'imagine :.. d'ailleurs, six parties de la surface du globe sont à sec, la septième seulement est couverte d'eau. »° Ainsi l'esprit hunian, croyant à la petitesse des mers età un développement extrême de l'insularité, n'avait pu ac- quérir une notion netle des vides maritimes qui existaient dans l'œcoumène, et dontil avait pourtant une crainte ins- ünctve. Rienne montre mieux qu'il n'y avait aucune rela- tion océanique entre les sociétés qui existaient à la surface des continents : chacun des grands groupes continentaux, Eurasie et Amérique, vivait d'une vie autonome, et si des relations ont existé entre eux avant le xv° siècle, elles se tHuusoror, t. [.. p. 83. RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 17I - sont établies, soit par les voies continentales, soit par les _ détroits et par les mers resserrées. ho. Le vide atlantique et le problème normand. — … L'Atlantique a été longtemps un grand vide, dont le com- blement à marqué une étape décisive dans l'adaptation maritime des peuples de l'Europe occidentale. Cet Océan, qui à joué pendant des siècles un rôle d'écran impéné- trable, ne présente pas cependant, à première vue, d'in- surmontables difficultés au point de vue de l'espace. Au lieu d'être aussi étendu dans le sens de la latitude que dans celui du méridien, comme le Pacifique, l'Atlantique forme une longue vallée marine qui va de la région polaire arctique à l'océan austral, et qui, sur quelques points, se trouve assez resserrée, par exemple au nord, entre les iles Britanniques et Terre-Neuve, et surtout sur l'équateur, entre la côte africaine (cap des Palmes), et la côte brési- lienne (cap Saint-Roch). Les courants atmosphériques réguliers ou variables, comme les alizés et les vents d'ouest, et les courants marins des hémisphères N. et S., avec leur va-et-vient des côtes d'Amérique à celles d'Europe et d'Afrique, jettent des ponts naturels entre les deux conti- “ nents. Mais ni les étranglements entre les masses conti- ? nentales, ni les facilités de circulation offertes par la mer 5, elle-même n'ont suffi à assurer, avant le xv° siècle, des … communications régulières d'un bord de l'Océan à l'autre. “ Même si l'absence de toute preuve historique véritable et … Pabondance des légendes merveilleuses et inexactes ne « démontraient pas que les races humaines n’ont jamais | traversé l'Atlantique avant Colomb, la solitude profonde que trouvèrent les premiers explorateurs dans les îles océ- aniques, vierges jusqu à eux de tout pas humain, malgré pu trs à ni DST DE CEST EP VITE Fe LÉ] 172 MIGRATIONS MARITIMES les commodités qu'elles offrent à la vie, prouverait à elle seule que si ces îles, comme l’a montré Wallace, sont le plus souvent autonomes au point de vue biologique et possèdent une flore et une faune particulières. leur auto— nomie comportait encore l'absence de l'homme. Les archi- pels situés à proximité des continents étaient les seuls habités : par exemple, les Lucayes et les Antilles à l’arrivée de Colomb, les Canaries lors du débarquement de Jean-de Béthencourt; mais 1l n'y avait personne dans les îles océ- aniques lointaines, qui n'avaient jamais servi d'étapes à d'anciens déplacements de peuples. Les Açores étaient inhabitées quand les Portugais les découvrirent en 1425; de même les Bermudes, à l’arrivée des Espagnols en 1510; de même l’Ascension, Sainte-Hélène et Tristan da Cunha; de sorte que sur toute la zone centrale de l'Atlantique, depuis les glaces flottantes qui dérivent du pôle nord jusqu'à celles qui remontent des mers antarctiques, le vide a été complet jusqu'au voyage de Colomb". Cependant, une communication s’est établie par le nord, au moyen àge, entre les terres d'Europe et celles d'Amé- rique. Cette communication n'a eu aucune valeur au point de vue ethnique et social, puisque rien n'en est sort : aucune voie de circulation permanente n'a relié les deux continents à travers l'espace atlantique, aucune fusion de races ne s’est élaborée, aucun peuple américain ne s’est greffé sur les peuples d'Europe, et réciproquement. Tou- tefois, comme l'établissement de la voie éphémère dont nous parlons a été la conséquence immédiate des lois naturelles et de la configuration des côtes, nous devons en dire quelques mots. C'est la voie d'expansion qui a Hecwmocr, t. VIII (Atlantischer Ozean), p. 583-610. cdi do! Lin eng Li à 1 3e ns RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 173 conduit, au x° siècle, les Vikings du Danemark et de Nor- vège vers les côtes du Groënland et du Labrador. Ilest facile de constater, à l'examen de la carte, que pour arriver sur les côtes d'Amérique cinq siècles avant Colomb, les Vikings, habitués aux longues randonnées … qui les ont menés des rivages de Norvège à ceux d'Italie, “ n'ont pas eu besoin d’une audace particulière. Ils ont * trouvé comme les piles d'un pont naturel d'Europe en … Amérique dans les Shetland, les Faroër, l'Islande et le Groënland, car entre chacune de ces terres il n’y a Jamais plus de 500 milles marins, au lieu des 3000 milles hors de toute vue de la terre qui séparent les pays tempérés de l'Europe et de l'Amérique septentrionale. Dès qu'ils furent arrivés en Islande, en 874 de notre ère, ils étaient en mesure d'atteindre les terres américaines, où ils parvinrent un siècle plus tard avec Eric le Rouge; ils prirent terre sur le Groënland, puis, au-delà du détroit de Davis, sur le Labrador et au sud de l'embouchure du Saint Laurent (Mark:land et Vinland). H est impossible de savoir au juste quelles furent les terres occupées par eux; on ne connait pas non plus leurs rapports avec les peuples américains, puisque la colonisation norvégienne n'a laissé aucune trace : les effets des entreprises d'Eric le Rouge et de ses successeurs demeurent un problème insoluble. Ce qui est certain, c'est que la communication établie au x° siècle fut rompue au xiv° ; il est certain aussi que la voie nouvelle ouverte par les Vikings à l'expansion transocéanique de l'Europe ne fut suivie par personne. L'espace atlantique que les Vikings avaient tourné, mais non franchi, au moyen des passes resserrées du Nord, opposa jusqu'à Colomb un obstacle insurmontable aux mouvements géné- raux de la circulation humaine. Il convient de remarquer LATE" 10, 174 MIGRATIONS MARITIMES Æ qu’en tout cas, les Vikings n’ont pu avoir aucune relation | avec la masse des peuples américains, car les rivages où" parvinrent les Européens du nord étaient déserts ou habités" par de rares tribus éparses. , 41. Le vide pacifique et le problème asiatico-amé- ricain. — Pour le vide dans l'œcoumène que ,détenmi=, nait l'étendue immense du Pacifique, les questions qui se. posent sont plus complexes. L A première vue, le Pacifique est un obstacle plus aiff- cile encore à surmonter que l Atlantique. Son étendue est double (160 millions de kilomètres carrés au dieu de So). cette étendue, au lieu de se répartir surtout dans an sens comme celle de l'Atlantique, se répartit à peu près égale- ment dans le sens du méridien et dans celui de la latitude. La circulation générale des vents et des courants, dans cet - espace si vaste, atteint un développement presque indéfini, qui l'empêche de s’accentuer et de tracer des routes aussi - pr écises que dans les couloirs étroits des mers resserrées, où la topographie canalise et fixe la circulation. Ce déve-« loppement ajoute encore aux diflicultés qui proviennent, dans le Pacifique, de l'étendue absolue de cette mer. Pou- « tefois, il convient de remarquer que deux caractères 4 géographiques généraux atténuent et corrigeut un peu, l'immensité de l’espace pacifique. Au N 48 deux conti- nents d'Amérique et d'Asie se post bien plus lun de l’autre, soit par eux-mèmes, soit par leurs arcs insu— laires, que ne le font, au N. de l'Atlantique, les continents J d'\mérique et d'Europe : non seulement les Aléou-. tiennes jettent un pont du Kamchatka à l'Alaska, comme le font l'Islande et les Faroër du Groënland à l'Europe, mais les deux continents se touchent presque, au point de RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 179 me laisser entre eux que quelques dizaines de kilomètres, au détroit parfois glacé de Behrmg. Ensuite, entre les tropiques, le Pacifique est par excellence un océan insu-- laire, dans toute sa partie occidentale et centrale ; la partie orientale, seule, correspond aux déserts d'eau de la vallée atlantique. L'activité des forces ‘éruptives qui ont multi- phié les terres nouvelles sur les failles de dislocation du Paci- fique, l’activité des constructions coralliennes éparpillées sur tout l'axe insulaire* des Carolines au Pomotou, ont abouti à semer sur la surface du Pacifique une grande quantité d'æœcoumènes fractionnés, nouveaux venus sur la planète, comme l’homme lui-même, etpropres, à première vue, à favoriser son expansion à travers l'océan. Malgré ces éléments favorables, il semble très douteux que les races humaines se soient tracé de grards chemins à traversle vide pacifique, d'Amérique en Asie. Deux sortes de communicationsauraientpu, soit tourner, soit traverser le vide. La première est analogue à la vieille route des Vikings : c'est la route si facile d'Asie en Amé- rique par les Aléoutiennes et par le détroit de Behring. La seconde aurait um les archipels coralhiens orientaux aux côtes de l'Amérique équatoriale et tropicale. Il est probable que la première route, si elle n'a jamais été un grand chemin des hommes et des choses, a tout de mème été suivie, et quil s'est produit, par la mer de Behring et par les \léoutiennes, un mélange des peuplades boréales et subpolaires qui vivent clairsemées, d'une part, au N. Æ. de da Sibérie, et de l’autre dans l'Alaska et dans CSA EN ENORME NE TIRER EST 3% 7 ni AG n'atteignirent sans doute jamais, du côté de l'Asie, les peuples civilisés de la race mongole, Chinois et Japonais. « Quel intérêt, demande Humboldt, pouvait attirer au-delà RENE TE" DES Sy d sien le N.de la Colombie britannique. Ces communications D 2e PAU T PIN 170 MIGRATIONS MARITIMES du 50° de lat. N. des peuples qui habitaient d'heureux cli- mats, et dont les navigations, comme leur boussole, étaient plutôt dirigées vers le sud‘? » Toutefois, 1l n’est pas sans exemple que, du temps de la navigation à voiles, les hasards de la mer aient jeté sur la côte américaine des marinset des marchands chinois et japonais. « Le 1° janvier 1833, une Jonque de Yeddo, ayant des Japonais à bord, vint s’'échouer près d'Honoloulou, dans les îles Sandwich; l'année suivante, une autre jonque, jetée par un coup de vent sur la côte d'Amérique, a naufragé à l'entrée du détroit de Juan de Fuca, près de la pointe Martinez. D'abord faits prisonniers par les Indiens, les Japonais furent recueillis par les agents de la compagnie d'Hudson, puis envoyés à Londres et de là dans l'Inde ». Mais ces faits sont tout accidentels ; ils aident seulement à com-— prendre comment des relations maritimes ont pu s'établir, à l'extrémité septentrionale du Pacifique, entre les tribus asiatiques et les tribus américaines : ces relations, com- mencées peut- être à la suite de la dérive des courants ou à la suite de coups de vent semblables à celui qui jeta des Japonais au détroit de Juan de Fuca, ont continué grâce au pont des Aléoutiennes et à la médiocrité de l’espace de la mer de Behring. Si actives qu'on les suppose, ces relations entre les deux continents n’ont pas dépassé une zone assez restreinte. De mème quau N.E. de l'Amérique, les Normands du Labrador ne sont pas entrés en contact avec la masse des peuples américains, de même les courants migrateurs du \.E. de l'Asie à l'Amérique n’ont pas atteint, semble-t-il, les civilisations américaines étagées sur les plateaux qui Huwsouor, 1, t. IL, p- 65. *Durcor pe Morras, t. Il, p. 329-330. RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS ir dominaient les côtes du Pacifique. On n'entrevoit aucune relation historique possible entre les Indiens de l'archipel de la Reime-Charlotte et les Aztèques du plateau de l'Anahuac. Par terre, ces relations étaient impossibles, car des forêts Ma nénétrables et des déserts séparaient le Mexique de la Colombie britannique. Par mer, des relations côtières seraient plus vraisemblables, car le courant de Californie porte des latitudes subpolaires vers les latitudes tropicales. Mais, comme nous le verrons plus tard, les migrations côtières Jalonnent d'habitude leurs routes de place en place, sur la côte, par des établissements dont quelques vestiges auraient sans nul doute subsisté. Tout au moins, le passage d’un courant humain important eût-il Yalu quelques lueurs de civilisation à l’ancienne Californie. Or, tous les explorateurs de cette côte, de Drake à Vancouver et à Marchand, en parlent comme d'un pays entièrement livré à la sauvagerie primitive. Ainsi, quoique les relations entre le N. E. de l'Asie et le N. W. de l'Amérique aient été plus durables que les navigations normandes de la Norvège au Vinland, elles n Lo pas beaucoup plus enr ni pour le peu- plement américain, ni pour la fusion des sociétés améri- caines et asiatiques, ni pour la suppression du vide paci- fique par les courants de migration spontanée. [nous faut chercher maintenant plus au S., dans les zones tropicales, si la liaison qui ne s’est pas établie dans l’immense bassin du nord à pu se faire au moyen des archipels coralliens et érupüls de la région centrale. Ces archipels, comme nous aurons l'occasion de le montrer (chap. vu), ont été traversés par des courants migrateurs dont les principaux ont été orientés, selon À. Bernard, de l’ouest à l’est, et qui ont abouti à un peu- TOME NE OR A LES La EE ve Ke CLARUREE À NT + = L » ? à 4€ F I 8 MIGRATIONS MARITIMES plement presque uniforme des îles malayo—polynésiennes,« des Hawaï à la Nouvelle Zélande et des Carolines à Pile de Pâques. Mais les archipels situés à l'extrême «est, les Hawaï, les Marquises, les Pomotou, sont encore séparés des terres américaines par des espaces à peu près égaux à la largeur moyenne de l'Atlantique, «et les îles situées près des côtes d'Amérique, fort rares du reste, échappent aux lois du peuplement malayo-polynésien ; car, comme des iles atlantiques, les deux groupes des Galapagos et de Juan Fernandez étaient déserts quand les Espagnols y abor= dèrent. ; À en croire certaines légendes, les civilisations de pla- teau qui se développèrent au Mexique et au Pérou auraient eu de lointaines relations avec la mer. « La tradition de l’ancien Mexique attribue l'introduction d'une civilisation supérieure à un grand prophète (Quetzalcoatl), qui vint en bateau aborder à la côte de Panuco. Il fut prêtre, légis- lateuret roi dans le royaume des Toltèques. I abolit les sacrifices humains, enseigna l'astronomie, régla les fètes annuelles, etc. Après avoir longtemps séjourné dans le royaumes cle Toltèques, il revint à son bateau entourée serpents et quitta le pays sans laisser de traces! ». Au Pérou, les Quichua auraient connu les Galapagos : une légende péruvienne attribue à Toupac-Inca-Yupangui la découverte de l’île du Large et de l’île du Feu ?. Mais ces récits dépourvus de tout fondement authen- tique ne sauraient prévaloir contre les contrastes si frap- pants qui existent, au point de vue maritime, entre les côtes américammes du Pacifique et les archipels polynésiens. \ ! GuMpLowIcz, p. 276, n° 2. *Recuus, 1, t. XVIIL, p, 465. RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 179 Non seulement les civilisations du Mexique et du Pérou avaient un caractère essentiellement continental qui n'aurait pas mançqué de: se modifier sous les influences d’outre mer, “mais l'état de grossièreté primitive où sont demeurés, sur les côtes de l ue art nautique et les constructions navales. s'opposetrès vivement à l'habileté de constructeurs -etde marins acquise par les Malay o-Polynésiens, dans leurs traversées, d'archipel en archipel. On ne comprend pas * comment les marins de la partie centrale et occidentale du Pacifique n'auraient pas transporté sur les côtes de | Amé- «rique tropicale leur habileté et leur savoir, s'ils étaient || same à attendre ces terres. Au lieu des embarcations [à grossières du Pérou et de l'Ecuador; balsas et janqadas, * simples radeaux avec une voile, à peine capables de gou- * veuner, on aurait comnu les pirogues simples et doubles et la manœuyre du balancier sur les côtes d'Amérique, comme * en Malaisie eten Poly nésie. Comme rien de pareil n'existe, il est probable qu'aucune communication ancienne n’a relié l'Amérique et les archipels tropicaux du Pacifique. Toute la partie orientale du Pacifique, du N. au S., se L - présente donc x nous comme un ancien vide dans l’œæcou- - mène, dont les analogies avec l'Atlantique sont singulières. Comme l’ Mbaique c'estun long bassin maritime étendu du N. au S., dans le sens de la Ltétdie : comme l’Atlan- lique, cet espace océanique a été anciennement tourné par le N., sans grand résultat au point de vue de la transfor- malion et de la fusion des communautés humaines : comme le vide atlantique, le vide pacifique n’a été réduit où supprimé que depuis que l'homme d'Occident a fait la _ conquête maritime de la planète. € À : L2>. Le vide austral.— Aux vides atlantique et-paci- 180 MIGRATIONS MARITIMES r + fique s'en ajoute un troisième, dont l'importance est moins grande au point de vue des communications permanentes « établies entre les groupes humains, mais qui a joué cepen- « - dant son rôle dans la distribution des hommes sur la surface planétaire habitable. C'est le vide austral, créé par la jonction, auS. des 35°, 44° et 56° degrés de latitude, des espaces maritimes de l’ Océan Indien, 46 Pacifique et de l'Atlantique, qui se prolongent sans aucune terre con- sidérable jusqu'à la limite des glaces. Les trois continents d'Amérique, d'Afrique et d’Australie- Tasmanie se termi- nent en pointes plus ou moins émoussées qui font face, au cap Horn, au cap de Bonne Espérance et au cap Sud de Tasmanie. à cet Océan indéterminé qui réalise, aujourd'hui encore, le vide le plus absolu dans l'œcoumène, puisqu'au S. des routes des navires et des terrains de chasse des baleiniers on n'y trouve plus rien, même en mer libre. Les quelques îles océaniques qui émergent de loin en loin dans cet immense espace sont encore inhabitées ou l'ont été jusqu'à la prise de possession européenne ; ni les unes ni les autres n’ont eu leurs peuplades primitives Naturvülker). Tel a été le cas des Malouines, de Diego Alvarez, des îles Marion et Crozet, de Kerguelen et de Heard, des îles Auckland, Campbell et Macquarie, et même des Mascareignes, malgré la position de ces iles sous des latitudes déjà tropicales et au voisinage de Madagascar. La puissance d'isolement de l'Océan austral a changé : en impasses, avant l'établissement de la circulation océa- nique générale des hommes et des choses, toutes les pointes méridionales des continents. Les routes des migra- tions spontanées et du commerce primitif se détournaient « de ces extrémités du monde, qui servaient, comme les RELATIONS ENTRE LES CONTINENTS 181 presqu'iles écartées et peu accessibles dont nous avons parlé plus haut ($ 27). de refuge aux races faibles et vaincues, que leur misère physique ou intellectuelle ou leur manque de cohésion sociale condamnaient à recourir à cet asile. L'infériorité si remarquable des Fuégiens de l'Amérique du Sud, des Hottentots et des Boschimans de l'Afrique australe, et la rapide extermination des Tasma- niens (quoique cette dernière race fût très supérieure aux précédentes et eût émigré par mer, au lieu d’être refoulée par terre), montrent bien l’action déprimante de l'immense vide austral sur les parties de l’œcoumène qui l'avoisi- naient de près. La présence du vide et des impasses terrestres déterminait une sorte de sélection à rebours dans le peuplement de l'æcoumène austral, où s’entas- saient les résidus les moins assimilables des fusions, des mélanges, des migrations et des guerres qui se dérou- laient sur les continents. La Mer, 11 CHAPITRE VI MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE ET DANS LES BASSINS FERMÉS, * 43. Les Méditerranées et leurs caractères généraux. — 44. Pipes 4 ment par les côtes dans la Méditerranée d'Europe et dans lInsu- he 4 linde. — /5. Fragilité politique du peuplement côtier. — 46. Ré sultats des combinaisons ethniques : peuples et langues composités: — 473. Les mers en bordure : mers du Nord de l'Europe. ==" 48. Mers de l'Inde. — 49. Le mélange des peuples et la concen- tration urbaine. 43. Les Méditerranées et leurs caractères géné- raux. — Pendant que les grands Océans, développés dans le sens de la latitude, ont empêché pendant longtemps toute fusion et même toute communication entre les prin- cipaux groupes humains, les Méditerranées, bassins à demi … fermés, clos par des archipels comme la mer des Antilles ou les mers de l’Insulinde, ou par de grandes presqu'iles comme la Méditerranée d'Europe, et développés les uns et” les autres dans le sens du méridien, sous des climats chauds ou tièdes qui favorisaient une extension rapide de l'œcoumène, sont devenues les centres de rencontre des peuples, et, par suite, les zones de formation de variétés sociales sans cesse renouvelées. Sans doute, les trois Mé - ‘diterranées n'ont pas la même valeur à ce point de vue. Ce que nous savons de la destinée historique de la Méditer. \ ë ranée d'Europe nous autorise à la présenter comme letype le plus complet du centre géographique où les peuples se Du: anez DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 193 ès - rencontrent continuellement, tantôt pour fusionner, tantôt . pour accentuer les oppositions ethniques et sociales qui - existent entre eux. Nous pourrons en dire autant, quoique à un moindre degré. des Méditerranées de l'Insulinde, où les variétés en présence sont au moins aussi nombreuses que dans la Méditerranée d'Europe, mais où l’infériorité générale de l'organisation politique, due en partie à un fractionnement insulaire excessif, empêche les oppositions d'être aussi tranchées et les fusions de produire des résul- tats aussi définis’. Quand à la mer des Antilles, elle est à tous égards inférieure aux deux autres comme centre d’op- position aussi bien que de fusion. Cette infériorité peut provenir, pour une partie, de l'ignorance où nous sommes du passé historique de l'Amérique centrale, jusqu'à une date très récente : mais elle provient aussi de raisons pure- ment géographiques. Le caractère général méditerranéen, qui comporte avant tout une grande richesse, soit en pres- qu îles, soit en îles, est moins accentué dans la mer des Antilles que dans les deux autres Méditerranées. Comparée à la Méditerranée d'Europe, elle est bien pauvre en pres- qu iles, et ces presqu iles ont une médiocre étendue et un médiocre développement de rivages : on ne peut mettre en parallèle la Floride et le Yucatan, d’une part, avec l'Es- pagne, l'Italie, la péninsule des Balkans et l'Asie mineure de l’autre. Comparée aux mers de l’Insulinde, la mer des Antilles comprend relativement peu d'îles. L’are unique des Antilles se développe sur une seule ligne de Cuba à la Trinité, tandis que l'Insulinde est formée par le croise- ment de deux grands arcs, celui de Sumatra à la Nouvelle ! Au point de vue politique seulement. V. plus loin pour la com- paraison des deux mers au point de vue social. WT te : qe » Mie ge co CT RS x À M à PC CR ON MO RC SE Unee e U Pt Del S PR Li CI et 1. ER PSE EE CREME PET ONE PS ét oi hd TEE LÉ. jet cr he CHER 184 MIGRATIONS MARITIMES Lx Guinée, celui de la Nouvelle Guinée aux Philippines, et qu'entre les deux se développe encore le monde insulaire de Bornéo et de Célèébès. Donc, bien que la Méditerranée des Antilles soit comparable aux autres par sa situation générale, les caractères géographiques dont la somme fait une Méditerranée se sont trouvés très affaiblis entre les deux Amériques. tandis qu'ils ont obtenu leur sigmifica— tion et leur développement complets entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, aussi bien qu'entre l'Asie et l'Australie. Nous avons déjà noté ($ 29), l'instabilité physique et la variété de structure des espaces méditerranéens. Les mers encaissées et relativement profondes qui ont rempli ces fosses étroites bordent des pays où l'on remarque de suite la complication et la jeunesse du relief, que les secousses terrestres comme les éruptions et les séismes rendent très sensibles. Dans le Maghreb, en Europe et en Asie mineure, les plissements montagneux alpins et leurs lignes filiales enserrent entièrement la Méditerranée dans leurs ramifica- tions, en ne laissant ouverte que la partie $S. et S. E., où le désert africain borde la mer intérieure par une lisière de côtes rectiligne qui fait contraste avec le reste de la Méditerranée. Les îles et les mers de l’Insulinde sont des témoins de la submersion partielle qui a affecté les plisse- ments montagneux de l'Asie, à leur extrémité orientale et sud orientale, développée en éventail vers le Pacifique. Dans l’une comme dans l’autre mer, les lignes de struc- ture, si complexes, ont un développement sous-marin aussi bien que continental. Cela explique le sectionnement des Méditerranées en bassins peu étendus, ainsi que leur richesse en articulations insulaires et péninsulaires. Et ces faits se rattachent par des liens très étroits à la formation sociale des peuples méditerranéens. MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 189 Comme les côtes des Méditerranées ont vue, toutes, sur des côtes situées en face, à peu de distance, l'espace maritime, dès les premiers temps de l’évolution historique, a presque cessé d'être un obstacle pour devenir un ruban ou un centre de jonction. Les premières rues et les premiers carrefours fréquentés de la planète ont été ceux de la Médi- terranée d'Europe. En particulier, Archipel avec sa mul- titude d'îles, les Dardanelles et le Bosphore avec l'étran- glement extrème du passage maritime, ont favorisé de tout temps le passage des peuples d'Asie en Europe, d'Europe en Asie. Pareillement, les Malais n'ont eu aucune peine, dans l’Insulinde, à passer d’une ile à l’autre. Il y a peu de grands événements qui n’aieñt eu leur répercussion au moins dans une moilié de la Méditerranée d'Europe, et les îles de l'Insulinde, depuis que nous les connaissons, sui- vent d'une manière plus ou moins rapide une évolution à peu près semblable. Cela montre l'espèce de solidarité poli- tique, signe extérieur de la solidarité sociale, qui ne peut manquer de s'établir entre les riverains d'espaces mari- times aussi resserrés que les Méditerranées, où les activités humaines doivent s'opposer ou s’accorder, et ne peuvent se désintéresser les uns des autres. Toutefois, si la jonction, et par suite le mélange des peuples, sont favorisés par la constitution physique des Méditerranées, celle-ci ne concourt pas moins à souligner, souvent avec une force extrême, la multiplicité et l'oppo- sition sociale des groupes qui vivent sur les rivages médi- terranéens. Ce que nous avons dit plus haut pour l’Insu- linde s'est appliqué aussi, à un moindre degré, à la Méditerranée d'Europe : dans l'une comme dans l'autre, les articulations côtières ou insulaires ont préservé souvent l'autonomie des groupes, et par suite les contrastes mo- v* ke k SEP 7 » La VU QT UNI RUN NS a EL 8 + M, A RCPE OR TS V "at 7er MR 2 » PRE TS PER RTE CR RS SN LES NES VE $ ST ME OR PUS 186 MIGRATIONS MARITIMES | A: | raux et sociaux qui existent entre ces groupes, el qui sont accusés avec d'autant plus de vivacité’ que les groupes vivent côte à côte dans un espace restreint. Get espace est hétérogène à cause de la variété structurale des Méditer- ranées. el 1} est sectionné par la mer : ce sont deux raisons pour que les sociétés méditerranéennes, malgré leurs com= munications nombreuses et malgré des fuel partielles, ne puissent évoluer vers ce ER RE que la circulation économique et les efforts politiques réussissent à opérer dans les grands espaces continentaux, lorsque ceuxsei présentent peu d'obstacles naturels. Fl est instructif de comparer à ce point de vue la plaine russe et la Méditer= ranée d'Europe. On peut entrevoir l'époque où les nom- « breuses diversités éthniques que présente la Russie d'Eu- - rope seront ramenées à une diversité bien moindre et même à l'unilé complète, tandis que rien de pareil ne semble possible, dans l'avenir le plus lointain, pour là Méditerranée, où cependant le travail de rapprochement qui résulte de la facilité des communications a commencé depuis bien des siècles déjà. \insi, les espaces méditerranéens semblent destinés, à la fois, à préparer la fusion des peuples, qui résulte du va-et-vient actif des hommes et des choses, et à accentuer 4 la vivacité de leurs contrastes, qui résulte du sectionne- ment maritime et insulaire, et de l'hétérogénéité de l'es— » pace. Entre ces deux termes existe une antimomie apparente : ils ne sont pas contradictoires, mais contraires. Les forces de fusion et les forces de contraste peuvent agir simultanément, dans le plan de l'espace, sur deux régions 4 différentes des Méditerranées; elles peuvent aussi agir successivement, dans le plan du temps, sur une même région. Les unes ou les autres l’emportent selon le poids + MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 187 ajouté dans la balance par les agents historiques ou par les agents géographiques secondaires, qui poussent, tantôt à la fusion, tantôt à l'opposition. On peut même soutenir avec vraisemblance que les agents géographiques secondaires poussent plutôt à l'op- position qu'à la fusion des peuples. Par exemple, les côtes de la Méditerranée d'Europe sont remarquables par leurs profils trés déclives. De même que le plateau continental est réduit presque partout à une lisière très étroite, et qu'à peu de distance du rivage on trouve les grandes profondeurs, de même les côtes s'élèvent en terrasses, en gradins et en pentes montagneuses. D'innombrables villes maritimes s’étagent en escaliers au-dessus des côtes méditerranéennes. Tel est le cas d'Alger, de Constantinople, et des petits ports de la Grèce, de la Calabre, de la Sicile, de la Sardaigne, des iles Joniennes et d’une partie de l’Asie Mineure. Puis, dans la Méditerranée d'Europe comme dans celle de l’Insulinde, les débouchés fluviaux sont rares et peu importants, soit à cause des conditions climatiques qui donnent aux rivières un régime torrentiel, soit à cause des plissements montagneux côtiers et du fractionnement péninsulaire et insulaire, qui empêchent l'extension du . réseau fluvial. Pour ces raisons, les centres de peuplement côtier sont très souvent isolés les uns par rapport aux autres, et ils sont très souvent séparés de l’intérieur par de véritables barrières naturelles. Sur les côtes aux profils déclives. les communications ne se font pas par voie de terre d’un port à l’autre ; elles se font par mer seulement ; la ville maritime est donc orientée vers la mer, et rien que vers la mer; elle ne prend pas racine comme centre de peuplement continental, et la difficulté de la pénétration de AL TRES LT eur y ds CE: z > Li mie" An 4 NS 0 RC EL CPR D TP ST M ht nn Ab eue 27 Ci QE, de pri 1 188 MIGRATIONS MARITIMES +: vers l'intérieur accentue encore cette séparation entre la ville côtière et les groupes sociaux éloignés de la mer. La médiocrité des fleuves conspire au même résultat, earilest rare, dans l'Insulinde en particulier, qu'ils puissent servir de traits de jonction utiles entre la partie continentale et la partie maritime des mondes méditerranéens. 44. Peuplement parles côtes dans la Méditerranée d'Europe et dans l’Insulinde. — ]l résulte des considé- rations générales que nous venons d'exposer que le peuplement par les côtes, en particulier dans la Méditer- ranée d'Europe et dans les mers de l’Insulinde, a pris les allures d'un phénomène spécial, indépendant des mouve- ments de peuples qui se produisaient dans les masses péninsulaires et même dans les grands espaces insulaires, et capable seulement de modifier la population des petites iles et d'une zone côtière très étroite. Ce mode de migra- tion des hommes a donc constitué surtout des peuples d'archipels, dont on peut comparer l’æcoumène à un tissu très-ondoyant, aux mailles très lâches ; les Grecs dans la Méditerranée, les Malais dans l'Insulinde. La Méditerranée d'Europe est une étendue-limite Grenzgebiel,, autour de laquelle se sont épanouis les rameaux des peuples de race blanche : Arvens! au N., Sémites à l’'E., Hamites au S. Il semble que la primitive extension côtière s’est faite dans cette mer uniquement par des mouvements orientés de l'E. à l'W., de même que l'extension continentale s’est faite, en Eurasie, dans une direction à peu près identique. C'est en partant de l'E. que les colonies phéniciennes ont entouré les bassins ! Nous prenons ce terme dans son sens vulgaire, en faisant toutes réserves sur sa valeur scientifique, qui semble à peu près nulle. LS MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 139 méditerranéens, en Europe et en Afrique, d’une ceinture d'établissements, premiers modèles (à l'exception de Carthage, politique, guerrière et dominatrice), des comp- toirs commerciaux dont les membres s’isolaient volontai- rement et se soustrayaient à la juridiction aussi bien qu'à l'influence du peuple chez lequel ils s'étaient établis, comme le font aujourd'hui les Européens dans les villes chinoises. C’est aussi vers l'W. que les Grecs dirigèrent leur principal effort, puisque leurs colonies littorales n'étaient nulle part aussi nombreuses et aussi rapprochées que dans le S. de l'Italie (Grande-Grèce). Mais le flux et le reflux continuels des mouvements de peuples, autour de la Méditerranée, ont substitué à la simplicité primitive des migrations côtières la complexité de directions variées, grâce auxquelles a pu se faire, sur certains points, la pénétration mutuelle des éléments ethniques. Les Grecs eux-mêmes ont conquis à l’hellénisme tout le bassin oriental de la Méditerranée, des côtes de la Crimée aux embouchures du Nil; l’empire romain a imposé pendant plusieurs siècles, sur toute la lisière méditerranéenne, les formes sociales de la culture gréco-romaine ; les Arabes ont fait suivre la voie côtière à leur expansion vers l'E., vers le S. et vers l'W. de la Méditerranée ; les Vénitiens et les Génois dumoyen âgeont repris la tradition insulaire et côtière des Grecs et des Phéniciens, dont ils ont fait revivre l'ancien esprit commercial et entreprenant dans la mer lonienne, en Crète, dans l’Archipel, sur les côtes byzantines et jusqu'au fond de la mer Noire, à Caffa et à Théodosie ; les Turcs eux-mêmes, peuple du continent, ont pratiqué le peuplement côtier dans l'Afrique du Nord ; “ des mouvements du même ordre ont amené, dans la période moderne et contemporaine, les Espagnols, les 11, a ttd vie les 190 MIGRATIONS MARITIMES Français. les Italiens et les Anglais sur les côtes afri- , caines de la Méditerranée. De toutes parts on constate l'extension côtière sous les formes qui lui sont propres, et qui peuvent se résumer eomme suit : l'extension côtière se fait, non par le cheminement le long des côtes, maïs par la traversée maritime vers les côtes situées en face, surtout aux points où les espaces resserrés facilitent le passage (détroit de Gibraltar, détroit de Sicile, Archipel, Dardanelle et Bosphore). Comme nous le verrons plus loin ($ 45), ces migrations 4 côtières donnent peu de résultats durables ; elles déter-. minent dans lœcoumène une sorte d’agitation en surface qui n'atteint pas la répartition fondamentale des peuples et des races, lentement établie dans la suite des siècles. Les produits de la fusion maritime sont, le plus souvent, superficiels et extérieurs, si l’on peut dire ($ 46). Toutefois, les migrations maritimes déterminent la naissance et « l'expansion des peuples d’archipels, qui sont si bien adaptés à leur œæcoumène particulier, fractionné par la « mer et cohérent grâce aux seules relations maritimes, . qu'aucune migration ultérieure et aucune conquête étran- gère ne réussissent à les déposséder sans retour. Les Grecs ont formé, dans la Méditerranée, un groupe insulaire et côtier dont la naissance a été protégée par les articulations et par les îles de l’Archipel. Son extension hors du monde insulaire que forme cette mer n’a pas été durable ; mais. dans l’Archipel, personne n'a pu extirper l'hellénisme ; » c'est lui, au contraire, qui a fini par triompher des Slaves des Arabes, des Francs, des Vénitiens et des Turcs tour à tour établis ee les îles, sur les golfes et sur les pro— ù montoires grecs ! 1 Pairiepsox, p. 199-207. Ca a, À MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. IQ L'extension côtière s’est faite inégalement sur les côtes N.etS. de la Méditerranée. Elle a été rapide et facile surtout sur lx côte N. et sur celle du Maghreb, c’est-à-dire dans tout le domainèdes plissements montagneux alpins ; elle a été lente, pénible et clairsemée entre le golfe de Gabès et le Nil, sur la zone où les sables et les plateaux sahariens viennent jusqu'aux eaux méditerranéennes. Toutefois, 1l n’est aucune partie des côtes de la mer inté- rieure, même la partie désertique, qui n'ait senti ou qui ne doive sentir les effets du peuplement par les côtes. La Cyrénaïque n'a pas été la moins florissante extension de l'hellénisme, et le peuplement italien se réserve, pour l'avenir, les rivages de la Tripolitaine. Même sur ses côtes africaines, la Méditerranée a été tout entière entraînée dans le mouvement politique et social de l'Eurasie : la mer intérieure n'a rien d'africain, à propre- ment parler ; l'Afrique ne commence qu'au Sahara. C'est que l'umiformité des conditions climatiques, qui résulte elle-même pour une bonne part de l’espace maritime peu étendu en latitude, a donné à toutes les côtes de la Médi- terranée une valeur à peu près identique comme œcou- mènes ; nulle part l'extension côtière des hommes n’a été arrêtée par une transformation trop brusque des conditions de la vie. Les Phéniciens de Tyr qui émigraient à Car- thage retrouvaient la nature de Syrie dans celle du Maghreb, et les Grecs avaient la vigne et Polivier en Italie et en Sicile comme sur les côtes de lArchipel. Aujourd'hui encore, les Français qui émigrent en Algérie sont surtout des gens du Languedoc et de Provence ; ni les uns ni les autres ne sont trop dépaysés quand ils pas- sent des plaines du Languedoc à celles de la Mitidja et du Chélif, ou des Alpes brûlées de Provence aux pentes de tr 7: je ee LA PME AT 4 ]J 092 MIGRATIONS MARITIMES l'Atlas. Sur toutes les côtes méditerranéennes existe une nécessité générale, celle de l'irrigation arüficielle, qui établit un lien évident entre des pays comme là Grèce, la Cyrénaïque, les régions de l'Atlas, la Huerta de Valence, le Languedoc et la Crau*. On ne peut discerner des affinités symétriques aussi nettes dans les mers et sur les côtes de l’Insulinde. Les pays qui vont de l’Indo-Chine à l'Australie sont trop insulaires et trop fractionnés pour qu'on y retrouve les courants de migrations réguliers que la Méditerranée doit à ses grandes péninsules et à son unité climatique et structurale. Pourtant, le peuplement par les côtes a été aussi le fait dominant de la répartition des hommes dans l'Insulinde, où les groupes malais établissent, de Sumatra à Céram et de Mindanao à Timor, une sorte d’uniformité ethnique sur le littoral et parfois dans l’intérieur (Suma-— tra et Java). Soit que les groupements malais soient les dérivés d'anciennes migrations provenues du continent asiatique ou de l’archipel japonais, soit, comme on a tendance à le croire aujourd'hui, qu'ils représentent la fusion, accomplie sur les côtes plus aisément qu'ailleurs, des primitifs habitants de l’Insulinde avec des produits de migrations fragmentaires qui auraient compris des Bir- mans, des Négritos, des Chinois, des Hindous, des Papous, il est constant que le dessin même de la côte, la vie mari- time et les habitudes commerciales ont déterminé sur une multitude de points les modes particuliers de la migration indonésienne. Tout se passe à Bornéo, à Sumatra, à Java, comme si les Malais avaient été apportés par le flot sur les côtes qu'ils occupent. « Dans les pays malais, les rives 1 Prirppsox, p. 208. - MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 1409 des fleuves sont dites droites et gauches, non d'après la marche du voyageur dans le sens du courant, mais au con- traire comme s’il remontait de l'aval à l’amont, cequisemble prouver que les colons sont venus de la mer; on a cons- taté aussi de grandes ressemblances entre les cases ma- … laises et les barques: en maints endroits les villages ont l'aspect d'une flottille échouée'. » Même chose aux Phi- lippines, où les villages littoraux tirent leurs noms géné- riques des barques malaises et chinoises, les balangay et les sampans. Les villes côtières et fluviales pleines de constructions flottantes (rakil), où une bonne moitié de la population vit sur l’eau, comme à Bandiermassing, donnent aussi l’idée d’une population dont les routes normales de déplacement sont marines et non terrestres : il semble que ces migrateurs d'autrefois soient toujours prèts à émigrer de nouveau par mer. Cette extension littorale des Malais, que les Chinois et les Arabes ont imitée, dans une mesure moindre, aux Philippines, à Sumatra, à Ternate et à Tidore, a suivi une multitude de petites voies, comparables aux nervures délicates d’une feuille; cependant les Malais et leurs imi- tateurs maritimes n’ont pu prendre pied sur tout le riche développement côtier de l’Insulinde. Tandis que la Médi- terranée d'Europe ne renferme pas une seule zone côtière qui nait été atteinte par mer, l'archipel indonésien contient beaucoup d'îles, et même des portions de côtes de grandes iles, que les mouvements de migration n'ont jamais touchées. Car l’insalubrité et l'épaisse forêt côtière ont détourné les efforts de la colonisation, sur une fraction considérable des côtes de l'Insulinde, Les côtes équato- Réopus, 2, + XIV, p.'215. I 94 MIGRATIONS MARITIMES rale des mers chaudes. L'unité méditerranéenne est faite « d'une habitabilité à peu près égale à elle-même sur toute » l'étendue de la Méditerranée, tandis que la nature indo= nésienne s'oppose souvent à l'extension de l’œcoumène, - même pour des peuples aussi adaptés que les Malais à la vie maritime et côtière des zones tropicales. Avec la sou- plesse et la promptitude d'adaptation qui distinguent « presque partout les peuples de la mer, les Malais ont colonisé, dans les mers de l’insulinde, tout ce qui était M colonisable : ils se sont incrustés dans tous les endroits habitables des côtes indonésiennes, et ils s’y sont établis « assez solidement pour défier toute tentative de refoulement et d'expulsion. : à Lo. Fragilité politique du peuplement côtier. — Cependant, si le peuplement par les côtes se fait assez M aisément et offre à la fois le cadre et la matière au mélange de peuples qui,sur le continent, continueraïent à vivretsolés, . il est rare que ce peuplement aboutisse à la constitution: « de sociétés politiques durables. En effet, le peuple côtier ne présente jamais la masse compacte de sol occupé et la cohésion sociale qui sont nécessaires pour qu'un établis- sement politique vive et se perpétue. Le groupement des sociétés sur des îles d’une étendue médiocre, ou sur des“ points séparés de côtes articulées dont les relations s'éta=" blissent naturellement avec l'au-delà de la mer. et non avec les parties éloignées de la côte elle-même, fait du peuple et de la colonie côtière des agrégats morcelés et M ut cie CRE re mn à RO RS ET "#4 x a D Mer) ETS * À 0. EC] MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 199 faibles, destinés à servir de tremplin aux peuples conti- nentaux et à ceux des grandes îles. Cette oppression du peuple côtier peut être pacifique ou guerrière; elle prend tantôt la forme d’une absorption qui ne laisse pas de traces de l’ancien peuplement côtier, comme il est arrivé aux colonies phéniciennes des côtes de la Méditerranée, et tantôt: la forme d’une conquête brutale qui ne laisse subsister les peuples côtiers qu'à l'état de groupes subor- donnés. De pareilles transformations sont souvent aidées par la faiblesse numérique de la colonie maritime. Car s'il est vrai que les mers ont transporté et transportent beaucoup plus de migrateurs qu'on ne le croyait autrefois, il est vrai aussi que les courants humains se dispersent et s’éparpillent volontiers sur la surface océanique, où ils ne sont pas con- centrés et canalisés, comme les courants de migration terrestre, par la nécessité constante de la défense et par le choix de la route. Toute migration terrestre ressemble pius ou moinsau déplacement d'unearmée,commeles chercheurs d'ordu Witwatersrand et du Klondykenous en ont donné le plus récent exemple: au contraire la migration maritime, moins nombreuse en général, plus fractionnée, et sujette à s’émietter encore dès qu’elle arrive à son but, comme le montre l'éparpillement des colonies puritaines dans l'Amérique anglaise, n'aboutit qu’à grand peine à la for- mation d'un corps politique durable, surtout sur les côles des Méditerranées. où le maigre filet d'extension côtière se perd si aisément dans les masses humaines continen - tales qui l'entourent de toutes parts. L'exemple de la Méditerranée d'Europe nous montre nettement ce rôle passif des migrations maritimes médi- terranéennes, condamnées, dans la plus grande partie des cas, soit à subir tôt ou tard les lois continentales, soit à { D 2 it tnt nt a 196 MIGRATIONS MARITIMES être entièrement submergées par les retours offensifs des peuples de l'intérieur. Sans remonter à l’ancienne extension phénicienne, qui a laissé si peu de traces et si peu de souvenirs durables, comment ne pas être frappé du carac- tère éphémère de l’hellénisme des Séleucides et des Ptolé- mées, sur les côtes de Syrie et d'Egypte ? Comment méconnaitre que la domination romaine, malgré sa solidité et sa durée, n'a pu implanter le « romanisme » sur les côtes de l'Afrique du Nord'? Et cependant, dans ce dernier cas, l’inexistence politique de la masse continen— tale du désert africain, auquel s’adosse le Maghreb, faisait la part belle aux établissements maritimes de la côte de l'Atlas : c’est la présence du Sahara et l'isolement presque insulaire du Maghreb qui donnent leur meilleure chance de durée aux peuplements français, espagnol et italien dans l'Afrique du Nord. En fait, le cas du Maghreb excepté, et en réservant aussi celui de l'Egypte dont la situation est très parti- culière, les dominations politiques qui existent aujourd'hui dans Ja Méditerranée ne sont issues ni les unes ni les autres du peuplement côtier. Ce n'est pas en colonisant les côtes que les Russes sont arrivés à dominer dans la mer Noire, et que les Turcs se sont emparés du Bosphore et de l’Archipel. L'état italien est né en Piémont, l'état français dans l'Ile de France, l'état espagnol dans les Asturies et plus tard en Aragon et en Castille, très loin des centres du peuplement littoral, qui subissent à l'heure actuelle, de Gibraltar à Beyrouth, la loi du continent, mais qui ne la font pas. C'est un spectacle analogue que nous offrent les Malais 1 PunxppsON, p. 197. MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC, 107 de l'Insulinde, avec cette différence qu'ils n'ont pu être subjugués par une poussée continentale, puisqu'ils ont colonisé un archipel; pour eux la domination politique extérieure est venue d'outre mer, et elle seule a pu substi- tuer aux petits états malais, à peine organisés et trop nombreux, le groupement de toute l'Insulinde en quelques grandes colonies européennes. Les Malais se sont toujours montrés incapables d'union, comme les Grecs de l’anti- quité classique, et, pour les Malais comme pour les Grecs, cette incapacité s'appuie sur des motifs historiques ; mais elle a aussi pour cause la faible cohésion géographique propre aux peuples des micronésies et aux peuples côtiers. A6. Résultats des combinaisons ethniques : peuples et langues composites. — La fragilité politique des éta- blissements issus du peuplement côtier ne doit pas nous faire méconnaitre les importants résultats sociaux des cou- rants de peuples qui ont traversé en tous sens les Méditer- ranées, pour déposer les alluvions les plus variées sur les côtes où s'agrégaient les colonies littorales. Le caractère essentiel de ces combinaisons ethniques, c’est leur com- plexité. Cette complexité est assez grande pour qu'il soit le plus souvent impossible de discerner, dans les nou- veaux types sociaux qui se forment, leur principale filia- tion. L'exemple des Malais et des discussions auxquelles a donné lieu leur origine le montre d'une manière assez claire : mais les Malais ne sont pas le seul groupe dans ce cas; on peut en dire autant de la plupart des populations purement côtières établies autour de la Méditerranée, Levantins, Maltais, Dalmates. La complexité des combi- naisons ethniques côtières, si elle rend fort difficile l'étude particulière de chaque groupe, présente du moins l'avan- 198 MIGRATIONS MARITIMES tage de nous éclairer au sujet de la nature propre des déplacements et des relations qui s’établissent entre les différentes souches des colonies littorales. Ce ne sont mi le politique, ni la guerre même maritime, ni l’agriculture, ni l'industrie qui font le peuplement côtier : c’est le ‘com merce. Seules, les relations commerciales peuventexpli= quer cette pénétration mutuelle d'éléments ethniques div ers et venus de points ou d'espaces souvent très éloignés, don it on trouve les traces dans le peuplement côtier. M LL mélange n'est plus ri et ne donne des résultats. plus inattendus que celui-là. Sans doute, si ces résultats sont tout particulièrement curieux et bigarrés, comme on le constate dans les grandes villes méditerranéennes, comme Marseille, Smyrne, Alexandrie, Smgapour ou Batavia, il sont plutôt superficiels que profonds, en ce sens que là pénétration mutuelle des éléments ethniques, si elle aiteint un très grand nombre d'éléments, n'affecte aucun d'eux d'une manière assez forte pour: qu'il soit absorbé en entier dans le nouveau type social de forma tion maritime. C'est ainsi que si l’on peut admettre que les. Malais sont issus des Hindous, des Papous, des Négritos, des Chinois et des Birmans, il n'en est pas moins vrai qu'il reste, même dans l'Insulinde, un nombre d'individus assez grand, dans chacun des ces groupes, pour qu'aucun: groupe ne coure le risque d'être absorbé entièrement par la formation sociale malaise. Il en est de même des! Levantins de la Méditerranée, à côté desquels subsistent les Grecs, les Arméniens, les Juifs, les Slaves, les Tures; qui ont sans doute tous contribué à la formation du type levantin. La fusion qui résulte des pénétrations médi ranéennes donne done des résidus sociaux dont la na nn - MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 19 » tion sur un espace resserré et aux relations commerciales ; - mais ces groupes, qui sont très souvent uniquement urbains et côliers, manquent de la force: d'expansion nécessaire pour rayonner sur l'espace continental. Aussi l'expansion des groupes issus de combinaisons ethniques maritimes demeure uniquement maritime. Ces groupes, s'ils s'adaptent avec aisance à toutes les formes de la vie maritime et côtière, ne se prêtent pas, d'habitude, aux mouvements de pénétration profonde dans les con- tinents. Ilest intéressant de comparer leur immobilité et leur stagnation, quand les voies qui s'offrent à eux sont continentales. à la mobilité extrême dont ils font preuve, quand ils ont devant eux l’espace maritime. Les Malais n'ont même pas extirpé les peuplades inorganisées qui vivent à l'intérieur de leur péninsule continentale; en revanche, ils ont essaimé sur tout le Pacifique et sur tout l'océan Indien (v. chap. vu). Les Phéniciens, qui ont dépassé les colonnes d'Hercule et qui se sont aventurés les premiers sur les côtes de l'Atlantique, n'ont pu, chez eux, se rendre maîtres de l'hinterland de la Syrie. Les Grecs n ont pris pied, ni à l’intérieur de FAsie mineure, ni en Yhrace, mi dans la partie continentale de FItalie : la Grande Grèce était une ligne de côtes, comme la Grèce elle-même. Le lieu d'origine des groupes composites, qui sert de point de départ à leur expansion, peut être une large zone côtière, marilime et insulaire, ou un canton très restreint. En d’autres termes, les proportions d'éléments primitifs nécessaires à la formation des groupes nouveaux existent, soit dans une région étendue où se croisent en tous sens les voies d’afllux, soit sur un seul point où la plus grande partie de ces voies se rencontrent et se concentrent. pa: Le NUE LR at ee Me RER 8 RAR LUS ES 200 MIGRATIONS MARITIMES Comme, dans la Méditerranée d'Europe et dans l'Insu- linde, les conditions géographiques sont favorables à l'un et à l’autre mode de formation, puisque dans les deux mers intérieures la richesse du développement côtier per- met aux voies de pénétration de se multiplier en tous sens, et qu'en même temps la demi-clôture des bassins mari- times donne à beaucoup de voies de communication un dessin concentrique, on n'est pas étonné de trouver, dans l'Insulinde comme dans la Méditerranée, des groupes dont le lieu d'origine comprend toute une zone géographique, et d'autres dont le lieu d’origine se réduit presque à un point. Les Levantins et les Malais sont dans le premier cas ; les Maltais et les Bougi sont dans le second. Les Levantins ne sont originaires ni d’une ville, ni d’une région nettement déterminées. Leur individualité sociale est bien plus certaine et mieux définie que leur filiation et leur cadre géographique. Ce sont des Méditerranéens orientaux, et ils sont nés et se sont développés dans tout l'orient de la Méditerranée. Le type ethnique arménien, qui est celui dont le Levantin des ports se rapproche peut- être le plus, se soustrait lui-même à une localisation géographique précise, et c'est cette indétermination dans l’espace qui a valu aux Arméniens les persécutions dont ils ont souffert. Le Levantin est un type social ou plutôt un ensemble de types urbains et maritimes, que l'on ren- contre dans toutes les Echelles, de Constantinople à Alexandrie, et par extension dans les ports de la mer Noire, sans qu'il soit possible de leur assigner une origine commune et une souche définie. Seulement, comme les races dont ils proviennent sont assez proches les unes des autres par la constitution physique et aussi (à l'exception des Osmanlis) par les habitudes morales et sociales, les \ CIO. été Done pe nb dl au odlnemien ini a Pr ." MÉLANGE DES, PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 201 - Levantins se mélangent aux autres éléments ethniques par des transitions longuement ménagées et presque insensi- bles : ils s'encadrent naturellement dans la bigarrure orientale ; ils constituent, plutôt qu'un peuple, une classe … déterminée par les habitudes sociales et par les aptitudes économiques. . Il n'en est pas de même des Malais, qui sont un peuple authentique, bien que leur mode de formation, s'il faut - en croire les théories modernes, ne diffère guère de celui des Levantins de la Méditerranée. Comme ceux-ci, les « Malais sont les produits de combinaisons multiples, favo- risées par les infinis replis côtiers, par les rues, par les couloirs et les carrefours de l’espace maritime. Mais ces combinaisons unissaient les uns aux autres des éléments dont les différences originelles étaient bien plus tranchées quen Méditerranée. Si l'on conçoit aisément que les Levantins, issus de Grecs, d'Arméniens, de Slaves, de « Latins ou de Turcs, tous, o1 à peu près, de race blanche, et tous voisins les uns des autres par l'organisation sociale, . lranchent relativement peu sur les peuples qui les entou- rent et ne se détachent pas, comme groupe ethnique, du fond du tableau, on conçoit de même que les Malais issus de Négritos, de Papous, d’Arabes, d'Hindous et de Chi- “nois, c'est-à-dire des variétés les plus différentes les unes “des autres que présente la planète, se distinguent à leur “tour avec une grande netteté des groupes si divers d’où “ils sont sortis. Aussi les ethnologues et les géographes “peuvent-ils dresser des cartes de la répartition des Malais dans l'Insulinde*, tandis qu'il serait vain de faire une ten- tative analogue pour les Levantins de la Méditerranée. 1 Carte de la répartition des Malais dans Reczcs, 1,t. XIV, p. 213. ra ’ ‘5 } : é 4 7 res 2023 MIGRATIONS MARITIMES Toutefois, bien que les Malais soient un peuple déterminé, ils n'ont pas de région d'origine délimitée. Il estimpossible de reporter leur formation première à une île où à une « péninsule du monde indonésien. Partout, à Sumatra, à Java, comme à Bornéo, à Célébès, à Mindanao et à Timor, le Malais senible un produit d'immigration mari- time et côtière. Aux Levantins et à l'ensemble des Malais s'opposent d'une manière très nette les Maltais et les Boug gi. Ceux-ci sont des groupes qui ont un point d'origine fixe et situé au centre de chacun des mondes méditerranéens ; c'est de ce point qu'ils ont rayonné sur toute la zone maritime et - côtière des Méditerranées, tout en conservant le nom de. leur habitat originel, et en gardant une cohésion sociale que les grands groupes ne connaissent pas. La position centrale de l'ile de Malte, entre le monde latin et le monde gréco-turco-slave, qui se partagent la… Méditerranée d'Europe, et sur la route de Gibraltar à Alexandrie, a fait de ce rocher un point stratégique de premier ordre, une « île de commandement » politique et militaire {v. chap. in et IV° partie, Domination de la mer): Mais, à ce rôle politique se joint pour Malte un rôle social . des mieux définis. Cette île pourvoit d'émigrants les côtes voisines de Sicile, de Tunisie, et de Tripolitaine ; ces” émigrants ne sont pas absorbés, en quittant Malte, par les peuples où ils transportent leur habitat ; ils gardent leur. individualité ethnique, tout en étant eux-mêmes les pro. duits des alluvions successives qui se sont déposées sur Malte au cours des migrations marines, des invasions et des guerres. Marins, commerçants, industriels, pêcheurs, et parfois agriculteurs, les Maltais montrent une grande souplesse et une faculté d’assimilation remarquable sur ANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 203 toutes les côtes méditerranéennes où ils se sont implantés ; “leur nombre dépasse depuis longtemps, et de beaucoup, le nombre maximum d'habitants qu'aurait pu produire et “nourrir leur île originelle. Les Bougi de l'Insulinde ne sont pas, comme les Maltais, originaires d’une micronésie ; mais, comme eux, ils ontjuu point de départ déterminé et une grande puis- sance + extension. Les Bougi sont un A ONRE de la population malaise, originaire de Boni, au S. E. de “Célébès. On doit remarquer la place centrale, tout à fait “semblable à celle de Malte, qu'occupe Boni dans le monde “de l'Insulinde. Le golfe de Boni s'ouvre sur la mer de … Banda, c'est-à-dire sur les Moluques. les « îles des épices », ainsi que sur la Nouvelle Guinée, sur Florès et sur Timor ; mais en même temps Boni est fort proche de Macassar et “lu monde indonésien occidental, celui de Java et de Bornéo. Cest donc la position géographique qui a fait de ‘Boni, comme de Malte, à la fois un point de rencontre des voies de croisement social et un point d’ essaimage ers toutes les parties de la périphérie dites rate nee) a rencontre les Bougi de Boni, comme marins et marchands, dans toutes les mers indonésiennes ; ils sont marins intré- bpides, et marchands pleins d'initiative. « Dans plusieurs îles de l’Insuhinde 1ls ont monopolisé le trafic, et chaque Wille commerçante a son A ampong habité uniquement par des Bougi, qui s’'administrent eux-mêmes et ne laissent point l'étranger empiéter sur leurs privilèges hérédi- taires ‘. » Les Bougi sont donc non-seulement les Maltais, mais les Phéniciens de cette Insulinde où la fragmentation Sociale et mème politique rappellent sur bien des points Ja fragmentation ancienne de la Méditerranée. 1 Receus, 1, t. XIV, p. 467 Us 204 MIGRATIONS MARITIMES Un témoignage excellent de l’origine commerciale des combinaisons humaines variées qui peuplent les côtes des bassins fermés nous est donné par l’éclosion, sur les bords méditerranéens, de ces langues composites, réduites au strict nécessaire du vocabulaire commercial, qui emprun- tent quelque chose à chacun des principaux idiomes parlés sur les côtes, sans tenir aucun compte des règles philologiques qui régissent d'ordinaire la filiation des langues. Ces jargons côtiers et maritimes donnent une véritable image de la complexité ethnique des groupes qui les parlent. C’est, dans la Méditerranée orientale et afri- caine, la langue franque (linqua franca), et le sabir, mélange de mots anglais, français; italiens et turcs. C’est, dans les ports de l'Insulinde et de l’Extrème Orient, le pigeon english, où se rencontrent des mots chinois, anglais et portugais !. C’est, à Curaçao et sur les côtes du Vene- zuela, dans la Méditerranée des Antilles, le papimiento, composé de mots espagnols, anglais et hollandais, aux= quels s'ajoutent étrangement des lambeaux d'anciens idiomes caraïbes, la langue aruba et le goajire®. Ges parlers composites sont surtout répandus sur les côtes des Méditerranées ; mais on les rencontre aussi sur les côtes des mers en bordure dont nous allons parler ($ 47 et 48), 4 et où ils se développent pour des raisons analogues : par exemple, le langage souaheli, l'idiome des côtes de Zan- : zibar, l’ancien domaine commercial des Arabes, où ceux- ci se rencontraient avec les nègres africains *. 1 DENIKER, p. 198, n. 1. 2 Reczus, 1, t. XVIII, p. 100. 3 WuiTE, P. 210. 12 ra ) 4 % k \ arr 2 Fix LR . MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE , ETC. 209 47. Les mers en bordure; mers du nord de l'Europe. — On retrouve dans les mers en bordure, bassins côtiers ouverts sur le large, les traits généraux du croisement et de la fusion des peuples, tels que nous venons de les étudier pour les Méditerranées ; mais ces traits sont très affaiblis ; ils s’estompent, si l'on peut dire, à mesure que le cadre géographique s’élargit et s'ouvre sur l'espace océanique. Il ne peut en être autrement. Les hommes qui vivent sur les côtes des mers en bordure ne sont pas de toute nécessité obligés d’avoir des rapports aveciles hommes des côtes situées en face ; ces côtes sont souvent plus éloignées, et toujours moins articulées et moins riches en iles ; la multiplicité des débouchés vers le large dévie les courants sociaux vers les côtes et les mers lointaines. et il n'est pas étonnant que, dans les grands mouvements que nous étudierons plus loin (chap. vu de PEurope vers l'Amérique, à travers l'espace océanique, les Européens occidentaux, et même les Scandinaves, aient précédé de longue date les gens de la Méditerranée. Ensuite, non seulement les caractères du peuplement méditerranéen s’affaiblissent dans les mers en bordure, - mais quelques traits nouveaux s'ajoutent, produits par les différences notables qui distinguent la constitution phy- sique des Méditerranées et celle des autres mers. L'ana- … lyse du peuplement dans les mers en bordure du nord de … l'Europe (mer du Nord et Baltique) nous donnera le déve- loppement et la justification de ces principes. Les déplacements d'hommes qui ont eu lieu dans la Baltique et dans la mer du Nord révèlent, par rapport à la Méditerranée, une moindre importance du peuplement des côtes par d’autres côtes situées en face, et une plus grande importance des débouchés fluviaux comme centres 12 MO as ; AP ” puissantes dislocations et de profonds dénivellements de 206 MIGRATIONS MARITIMES | - d'attraction des colonies maritimes. L'un et l'autre k caractères s'expliquent aisément. La mer du Nord et la Baltique sont pauvres en + et. a relativement pauvres en articulations côtières. Elles n’ont “ pas été engendrées, comme les Méditerranées, par de l'écorce terrestre. Elles sont le résultat de la submersion partielle et superficielle d'anciens plissements aux trois quarts détruits et de plateaux peu élevés. Aussi sont-elles … peu profondes : tandis qe le maximum de profondeur de - la Méditerranée atteint 4 404 mètres, celui de Ja: Baltique n’est que 427. et celui de la mer du Nord de 687 mètres. Par suite, les côtes du nord ne s'élèvent guère en étages et. en gradins : elles sont basses, plates et re de hauts ©! fonds; on n’y peut aborder partout; les points de fixation « que donnent les iles, au large et sur les côtes de la Médi-« terranée, manquent ici le plus souvent; la démarcation entre le domaine terrestre et le domaine marin est tracée, - non par une ligne, mais par toute une zone souvent très 1 défavorable à l'extension de l'æcoumène ($ 16), et d'autant “ plus large que la marée s y élève davantage, au lieu d° être presque nulle comme dans la Méditerranée. Si cette extension de la marée manque à peu près totalement dans la Baltique, comme dans la Méditerranée elle-même, la Baltique n’en a pas moins, comme la mer du Nord, sur toute la ligne dés côtes E. et S,, une zone littorale vaseuse ou sablonneuse. Par conséquent, le peuplement côtier par « migrations maritimes serait fort entravé, même si les côtes situées en face étaient très développées et très arti= culées. Comme les voies de la migration spontanée ne suivent pas, d'ordinaire, les passages difficiles et semés” d'obstacles, il n'est pas étonnant qu’elles franchissent | MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 207 rarement les mers ainsi constituées. Le peuplement par . les côtes. sur les mers en bordure du Nord de l'Europe, s'est souvent fait par une extension continentale le long de | la ligne côtière, au lieude se faire, comme dans la Médi- . terranée, par traversées vers les côtes situées en face; et - l'on peut même dire que, en exceptant le cas de la Grande Bretagne que l'on ne pouv#t atteindre que par traversée, le peuplement côtier de ces mers ne s’est pas fait autrement, et que toutes les tentatives pour réunir socialement et po- lhitiquement deux côtes situées face à face ont échoué d’une manière bien plus radicale encore que dans la Méditerranée (expansion de la Hanse germanique, domination danoise sur les côtes scandinaves, domination suédoise au $. et à V'E. de la Baltique). En revanche, les débouchés fluviaux. qui ne comptent pas, pour ainsi dire, dans les Méditerranées, prennent dans la Baltique et dans la mer du Nord une signification de premier ordre. La partie non submergée des plaines et des plateaux recouverts par les deux mers s'étend au loin dans l'inté- rieur du continent européen, et favorise, par son étendue même et par la douceur de ses pentes, l'établissement de vastes réseaux fluviaux au cours lent et au débit puissant et réguher, tandis que les profils abrupts des côtes médi- terranéennes ct la proximité de leur ceinture montagneuse entravent l'extension intérieure, la régularité et la naviga- bilité du réseau méditerranéen. Les fleuves du Nord cana- lisent non seulement les eaux des plaines, mais les courants humains ; leurs débouchés maritimes, généralement larges et profonds, ouvrent aux relations commerciales, sur les mers en bordure, des portes nombreuses et commodes, tandis que les mers intérieures ne possèdent des portes de PRES CARPE CR PR CE SL 7 Ga à de Let D Ont die 208 MIGRATIONS MARITIMES ce genre qu'en petit nombre, et encore sont-elles incom- modes presque toujours. Que l’on compare, à ce point de vue, l’Elbe, le Rhin, la Meuse, l'Escaut et la Tamise, au Rhône, au PÔ, à l'Adige, et même au Danube et au Dnieper : la première série de fleuves présente autant de facilités à la combinaison et à la fusion des courants mi- grateurs maritimes et continentaux, que la seconde présente d’inconvénients et d'obstacles. Il n’est pas sur- prenant que les matériaux et l'outillage de la vie écono- mique s'entassent aujourd'hui en quantités énormes sur les débouchés fluviaux de la mer du Nord (v. II° partie); mais, même avant l'extension moderne du commerce ma- ritime, ces débouchés étaient les points désignés, naturels et nécessaires où les courants de migration maritime affluaient dans l’œcoumène terrestre, ou bien divergeaient vers les côtes prochaines et vers les mers du large. Une concentration des courants supérieure à celle qui existait dans la Méditerranée, un développement tout particulier de la voie fluvio-maritime (par exemple, dans les Pays Bas), et aussi moins d'activité dans la fusion des peuples, qui ne se rencontraient pas sur une zone côtière aussi déve- loppée, et par suite l'absence ou la rareté des forma tions sociales hétérogènes que nous avons étudiées plus haut {$ 46) : telles sont les conséquences de la structure générale des mers du Nord de l'Europe. L'analyse de ces conséquences nous permet d’assigner aux mers en bordure, au point de vue des courants de migration maritime, un rôle sensiblement inférieur à celui des Méditerranées. Cependant, sur les côtes des mers du Nord, le peuple- ment côtier par extension continentale, épousant en quelque sorte les formes de la côte et suivant la lisière de L . | * Ve pe _ MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 200 mer, s est fait sur d’assez grandes proportions, et il a eu des suites durables ; mais ces suites, c'est à son caractère avant tout continental qu'il les a dues. L'extension, le long des côtes de la Baltique, des chevaliers Teutoniques et des Porte-Glaives, de la Vistule au golfe de Finlande, n'avait à peu près rien de maritime à l'origine : c’est seulement après la conquête militaire et après l'établisse- ment des colons allemands dans les anciens pays slaves que vinrent de Lubeck les marchands de la Hanse, et si le premier peuplement du pays conquis a eu un caractère uniquement militaire et continental, le second a eu un caractère surtout commercial et maritime : c’est ainsi que les guerriers du xur° siècle se sont transformés, au xvi° et “aux siècles suivants, en colons pacifiques, ce qui favorise aujourd'hui la reprise de l’ancien territoire des Porte- Glaives par le peuplement continental russe, suivant la loi générale de subordination des groupements côtiers que nous avons expliquée plus haut {$ 45). Un mouvement analogue de cheminement le long des côtes (mais celui-là purement maritime et commercial, jusqu'à nouvel ordre), se dessine sur les rivages des Pays Bas depuis l'unification et l'expansion économique de l'Allemagne : c’est l'emprise du germanisme commercial et industriel sur les ports de - la Hollande et de la Belgique, et en particulier sur Rotter- : … dam et sur Anvers. Sur ces points, les débouchés fluviaux, 1 * Ÿ AE Lt, - puissamment aidés par la canalisation artificielle, ont été et sont encore les routes des hommes et des produits allemands pour la prise de possession graduelle des côtes de la mer du Nord. Ces deux exemples de l'extension littorale du germanisme, sur la mer du Nord et sur la Baltique, nous montrent le caractère particulier des mi- grations proprement côtières (et non traversières), dans les mers en bordure. ni b . il s’est effondré sans laisser, peut-on dire, sauf dans la : y CTP + 210 MIGRATIONS MARITIMES Lis LUE à différentes l’une de l’autre par leur caractère originel, M puisque les Hanséates étaient des commerçants et les - Suédois des conquérants, elles ont été éphémères toutes M les deux, parce que c’étaient, comme dans les Méditerra= « nées. des mouvements vers les cûtes situées en face, et de 1 tels mouvements, en général, ne sont pas durables. La” Hanse a étendu ses comptoirs, non seulement sur les côtes orientales de la Baltique, mais sur tout le littoral scan= « dinave; elle a eu dans tous ses ports chefs-lieux une orga- M nisation semblable à celle dont le souvenir est demeuré vivace à Bergen, avec son quartier réservé et fortifié, son M port et son quai spéciaux, ses règles intérieures presque conventuelles, son champ d'opérations très défini et. souvent très étendu. Rien ne paraissait aussi solide que les institutions hanséatiques, et cependant, elles n’ont brillé que d’un éciat assez court, dont la brièveté est due, pour « une grande part, au fractionnement et à la dispersion des Hanséates sur les côtes opposées des mers en bordure. « Quant à l'empire suédois, lui aussi n’a pas pu résister au même vice d’origine. Après avoir uni presque toutes les côtes de la Baltique pendant un demi-siècle (1661-1721), Finlande (occupée un siècle de plus par la Suède) la, moindre trace d'ordre ethnique et social. 18. Mers de l'Inde. — Dans les mers de l'Inde, entre l'Afrique, l'Arabie, l’Indoustan et l'Indonésie, le mode d'extension côtière et les migrations maritimes se rap" prochent, plus que dans les mers du Nord, des caractères que nous avons étudiés dans l’Insulinde et dans la Médi Q E MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EX BORDURE, ETC. 217 terranée. C'est que, ni au point de vue de la structure, ni à celui des débouchés fluviaux, les mers de l'Inde ne se rattachent au type des espaces maritimes de submersion superficielle, qui est celui des mers du Nord de l'Europe. Elles ne se rattachent à'ces dermières que par leur extension les autres conditions naturelles, c'est aux Méditerranées qu'elles sont directement comparables; leur situation même sous les latitudes tropicales, d'où dérive l'ancienneté de la civilisation dans ies mers de l'Inde, a fait remonter très haut dans l'histoire les courants de migration de l'océan Indien, et leur a permis ainsi de produire tous leurs effets sociaux. Aussi retrouvons-nous pour une grande parte, dans les mers de l'Inde, les résultats ordinaires aux courants migrateurs dans les Méditerranées, et nous y constatons surtout la présence, sur les côtes, de ces for- mations sociales hétérogènes que nous n'avons pu trouver dans les mers du Nord. L'activité déployée dans l'océan Indien par les Arabes :et par les Malais, leurs extensions côtières dans tous les sens, la fusion de ces éléments mari- times avec les groupes marins des peuples de l'Inde ont abouti, sur quelques points comme Bombay, Colombo et Zanzibar, à une complexité sociale presque aussi riche que celle des villes de l'Indonésie. Nous avons parlé plus haut de l'activité et de Pesprit d'entreprise des marins arabes, si remarquables parce qu'ils ont eu comme foyer primitif, à Mascate, à Ormuz, à Aden et à Djeddah, une côte de dispersion ($ 22): ces marins ont étendu leurs opérations, leurs traditions, leurs mœurs, leur religion et même leur domination, non seu- lement sur les côtes du trafic des esclaves v. chap. vin), mais encore sur tout le pourtour de l'océan Indien, de vers le large, qui les différencie des Méditerranées:; pour’ ss = = « # à 4 1 k ÿ 4 ï : +22 “ "2 “ tie pie ee Sn SN flans, « >. 212 F MIGRATIONS MARITIMES p Sumatra à Madagascar. Flacourt, le vieil historien de Madagascar. parle des Rohandrians (princes, seigneurs) ou blancs de Madagascar, qui étaient des Arabes. « Il parle comme témoin oculaire des Arabes qui avaient été envoyés à Madagascar dans de grands canots, à ce qu'ils dirent à ‘Flacourt, par le calife de la Mecque, pour instruire ces peuples; la race qui en sortit avait beaucoup multiplié du temps de Flacourt {xvn° siècle); ils enseignaient à lire l'écriture arabe! ». En 1781, ces écoles arabes existaient encore ; le terme de Rohandrians s'était conservé au Fort Dauphin pour désigner les gens d’un rang distingué; les habitants de Sainte-Marie se disaient toujours issus de la race d'Abraham (Zaffe Hibram)*. Les courants migrateurs d'origine malaise se sont pro- bablement mêlés aux courants arabes, à Madagascar (voir chapitre vin); mais c’est surtout sur les côtes de l'Inde, à la faveur des voies nombreuses qui reliaient les côtes vpposées des trois péninsules du sud de Asie, que le flux el le reflux des migrations multiples ont abouti à la for- mation de groupes maritimes en état de mobilité conti nuelle, composés surtout, les uns de marins, les autres de travailleurs ou d’ « engagés », qui ne cessent d’aller et de venir des côtes de l’Hindoustan à celles de l'Arabie, de l'Indo-Chine, de l'Indonésie, de l'Afrique et des Masca- reignes. Les premiers sont les Lascars, les seconds sont les Malabares. Les Lascars sont. si l’on peut dire, les résidus sociaux formés par les continuels passages d'hommes sur les côtes de Malabar et de Coromandel; leur filiation est donc extrêmement complexe, et c'est Le Genrix, t Il, p. 5o1. 2Le Gex, t. Il, p. 502. 4 , = 5 ;a s, . —_ MÉLANGE DES PEUPLES DANS LES MERS EN BORDURE, ETC. 219 comme sang-mêlés, autant que comme gens adonnés à la mer, que les différentes castes de l'Inde les méprisent: ils composent, depuis longtemps, la majeure partie des équi- pages des navires, même européens, qui font l'intercourse dans les mers de l’Inde,.et même ils figurent pour une proportion respectable dans le contingent des grands pa- quebots anglais et allemands qui vont d'Europe en Chine et en Australie. Les Malabares ne sont pas exclusivement spécialisés, comme les Lascars, dans les métiers de la mer : parmi les Malabares, les uns constituent l’écume de la population dans les grandes villes-escales des mers de l'Inde, comme Colombo et Singapour; les autres sont des travailleurs à tout faire, engagés de gré ou de force pour la main d'œuvre dans les îles de monoculture et dans toutes les entreprises de mines et de travaux publics sous les ciels tropicaux; ce sont des engagés, des cooles, en réalité des esclaves (v. chap. vin); leur transplantation forcée en compagnie d'hommes qui proviennent de souches irès différentes, comme les nègres et les Chinois, accen- tue encore leur complexité ethnique, déjà très grande dans leur pays d’origine. 19. Le mélange des peuples et la concentration urbaine. — On ne se ferait pas une idée satisfaisante des croisements de peuples accomplis par migrations dans les mers en bordure et dans les bassins fermés, si l’on croyait que ces croisements se font avec une activité égale sur toute une ligne de côtes, ou sur une portion de côtes assez étendue. Un croisement complexe de cette nature, où se rencontrent les représentants de nombreuses variétés ethniques et sociales, ne peut se comprendre que si les échantillons humains de toutes ces variétés se rencontrent 214 MIGRATIONS MARITIMES | + 1500 | dans un espace étroit, y vivent, y fixent leurs occupations | et leurs séjours: en d'autres termes, c'est la ville maritime, e et de préférence la grande ville, qui forme le creuset né- à cessaire des nouvelles combinaisons sociales, de sorte que | l'on pourrait représenter l'æcoumène des peuples mati= times de formation complexe, non comme un ruban con- | tinu sur la ligne des côtes, mais comme une série de points. dont chacun correspondrait : à un grand port. Ces points … deviennent aujourd” hui de plus en FE importants et de moins en moins nombreux : la concentration urbaine “ s'accélère dans les pays maritimes, avec presque autant de rapidité que dans les pays industriels, et nous expli= … querons, dans nôtre IIT° partie, les raisons économiques de ce mouvement. Mais nous devons le noter ici én passant, au point de vue de la vitesse accrue de la fusion maritime | des peuple s. Points de rencontre de toutes les races du « globe, les grandes villes maritimes sont les seuls endroits de la planète où les hommes venus &es pays les plus éloi- » gnés se coudoient, vivent et commercent ensemble. Elles ont comme creusets de fusion un rôle très supérieur à celui des capitales continentales comme Paris, Vienneet Berlin. Aucune capitale continentale ne présenteune com- … plexité d'éléments ethniques et sociaux comparable à à celle que l’on constate à Marseille, à Smyrne, à Colombo, à Hong-Kong et à Singapour. LA De CHAPITRE VII MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 50. Migrations océaniques en sens inverse des vents et des courants généraux. — 91. Développement précoce et arrêt de l’art de la navigation. — 52. Les Maori en Nouvelle Zélande. — 53. Peuple- ment de la Tasmanie. — 54. Peuplement malais à Madagascar. 00. Migrations océaniques en sens inverse des vents et des courants généraux. — Le Pacifique et,àun moindre degré, l'Océan Indien sont les'seuls espaces océ- anîiques où il est possible de constater, avant l’établis- sement de la circulation maritime générale, des traces certaines de grandes migrations. Pour se répandre sur la surface des mers et dans les archipels océaniques, entre Madagascar et l'ile de Pâques, en passant par l’Insulinde, les peuples n'ont pas eu besoin du paquebot en acier de dix mille tonneaux, ni même du grand voilier de haut bord qui a fait la découverte de la planète. C'est un des faits les plus intéressants de la répartition maritime des hommes ; car c'est un fait que le déterminisme physique, sauf peut-être pour l'océan Indien, n'explique pas entiè- rement ou explique mal. Aucune cause naturelle ne semble avoir été assez puissante pour entrainer, à elle seule, ou même combinée avec d'autres causes, les Malayo-Poly- nésiens vers les archipels éruptifs et coralliens du Pacifique. Cela est si vrai, queen présence de l'insuffisance bien démontrée des causes géographiques on a mis en avant, see ete 4 ASE CT on bg à TS de ee Fe di Re, à 21 6 MIGRATIONS MARITIMES pour expliquer ces migrations, l'hypothèse géologique … de la disparition de tout un continent équatorial, dont les îles du Pacifique ne seraient que les rares débris émergés. La théorie de Darwin sur le développement progressif des formes coralliennes a donné quelque force à cette hypo— thèse, encore que les idées darwiniennes soient à rectifier sur plusieurs poinfs. Mais, comme nous l'avons déjà indiqué /$ 16), nous devons séparer, autant que possible, l'étude de l’évolution géologique et celle de l'évolution humaine, parce que nous n'avons presque aucun moyen de vérifier leur concordance sur le plan du temps, parce que leur coexistence sur le plan de l’espace amène de trop faciles confusions. L'argument géologique est de ceux qui se prêtent aisément aux interprétations les plus diverses. Nous exposerons donc, tels qu'ils sont, les faits géographiques et les faits sociaux, sans dissimuler les obstacles qui entravent ou qui semblent entraver leur rapprochement. Dans sa partie occidentale et centrale, le Pacifique est un océan semé d'archipels. A l'exception de la Nouvelle Guinée, de la Nouvelle Calédonie et de la Nouvelle Zélande, qui se rattachent en réalité, non aux îles océaniques, mais à la série d’arcs insulaires qui borde les côtes orien— tales de l’Asie et de l'Australie, les archipels du Pacifique sont tous composés de micronésies, véritable poussière d'îles qui semble s’éparpiller davantage dans l’immensité marine, à mesure que l'on avance vers l'E., pour se terminer, aux Marquises et à l’île de Pâques, très loin encore des côtes américaines, dont les sépare un des plus grands vides de la planète ($ 41). Dans ces archipels, les débris éruptifs sont nombreux : et plus nombreuses encore sont les constructions coralliennes, des Gambier aux L s'il ns in lite bte 5 7 + 4 an a Los LCR. MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 217 Pomotou, sur l'axe insulaire du Pacifique, où se succède une multitude de récifs-barrières et surtout d'atolls, ces îles annulaires composées d'une sorte de chapelet circu- laire de corail, où quelques grains seraient absents, - autour d'une lagune centrale peu profonde. Le grand nombre de ces iles compense en quelque sorte leur peti- tesse. D'un archipel à l’autre, il n’y a jamais l’espace d’un grand vide : tout au plus cinq ou six degrés en latitude et en longitude. Mais on peut remarquer que le nombre des archipels et même la grandeur des îles principales dimi- nuent à mesure qu'on avance de l’W. à l'E. Il n'est donc pas inexact de dire que la topograplue insulaire, prise à elle seule, trace aux migrations humaines leur voie d'W. en E. Les grandes terres de l’'Insulinde et de la Nouvelle Guinée sont très voisines des premiers archipels coralliens. d’où les tribus errantes des Malayo-Polynésiens ont pu essaimer, par étapes, jusqu'aux extrémités orientales du monde insulaire, aux Marquises et aux Pomotou. Mais si la topographie fait admettre l'établissement d'un courant de ce genre, l'étude des causes qui sont toutes . puissantes sur la navigation primitive, en particulier dans les mers tropicales et équatoriales, c'est-à-dire les vents el les courants généraux, inspire des doutes très forts sur Ja réalité du mouvement. : Au point de vue de la circulation atmosphérique, les vents dominants sont les alizés dans la zone tropicale ; la présence de grandes terres au voisinage de l'équateur, comme la Nouvelle Guinée et les principales îles de l’In- sulinde, prolonge ces vents, parintermittences saisonnières, jusqu'à l'équateur et même au-delà, en déterminant le phénomène de la mousson. Or ces vents sont opposés, dans les deux hémisphères, à la direction hypothétique La Mer. 13 218 MIGRATIONS MARITIMES Le des migrations. Ils soufflent du N. E. dans l'Héniaphets nord, de S. E. dans l'hémisphère sud. Au lieu de porter vers les archipels océaniques, ils portent vers les terres de la Nouvelle Calédonie, de l'Australie, de la Nouvelle Guinée et de l’Insulinde. Et la mousson étend leur action, pendant six mois, jusqu'aux approches de l'équateur. Sans doute, lorsque la mousson, simple prolongement de. l'alizé, dépasse cette ligne, sa direction est très sensiblement modifiée, suivant une courbure qui fait de la mousson du - N. E. un vent du N. W.,et de la mousson du S. E'un vent du S. W. Cette extension ultra-équatoriale de la « mousson, tantôt au N., tantôt au S., concorderait, au voisinage de l'équateur, avec la direction des migrations supposées des Malayo-Polynésiens. Mais la portée de cette extension semble trop faible pour qu’on lui attribue lé peuplement des archipels coralliens du Pacifique. En effet, l'extension de la mousson, qui suit les oscillations de l’équateur thermique*, ne dépasse pas 3 ou 4 degrés en latitude au S. de l'équateur, 7 ou 8 degrés au N. Par conséquent, elle ne saurait rendre compte du peuplement d’archipels comme les Sandwich, les Marquises, les Pomotou, Taïli, Samoa, les Tonga, les Fidji, les Nouvelles » Hébrides, — c'est-à-dire la majeure partie du monde … insulaire du Pacifique. En dernière analyse, les directions « des courants atmosphériques ne concordent pas avec celles des migrations. Même chose pour les grands courants marins de surface. Ces courants, sans doute, sont moins rapides et moins" nettement déterminés dans la partie centrale du Pacifique, ouverte de toutes parts, qu'ils ne le sont dans les parties resserrées des Océans et surtout des mers secondaires. Toutefois, leur existence est certaine, et l'on peut admettre DEN EEE Ten + D PET va AT L'an Le 2 SR - _ MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 219 sans invraisemblance que par beau temps, dans les con- ditions normales de la navigation, ils sont capables d’aider utilement ou de contrarier, suivant la direction suivie, des navigateurs montés sur des esquifs légers et sensibles à la moindre impulsion, comme ceux des Malayo-Polynésiens. Les courants auraient donc tracé aux migrations des voies naturelles. Mais précisément ces voies sont, comme celles des courants atmosphériques, au rebours de la direction supposée des migrations. Dans l'hémisphère Nord, le courant nord-équatorial va des Sandwich aux Marshall, aux Carohnes et aux Philippines ; — en sens inverse du déplacement hypothétique des Malayo-Polynésiens. Dans l'hémisphère Sud, le courant sud-équatorial va des Mar- quises aux Samoa, d'où il projette des ramifications vers les Gilbert, les Salomon, les Tonga et la Nouvelle Calé- donie, — toujours en sens inverse du courant des peuples. Le contre courant équatorial, dont la direction concorde avec celle des migrations. n'existe que dans la partie orientale du Pacifique, du 167° long. W. Gr. aux côtes américaines, vers le 10° de lat. N., précisément dans une zone déserte, loin du centre de dispersion supposé des courants migrateurs. Il est donc diflicile de trouver une opposition plus complète que celle qui existe, dans cette partie du monde océanique, entre les phénomènes naturels et les phénomènes humains. Les uns et les autres ne semblent liés par aucan rapport de causalité ; au contraire, ils paraissent absolument séparés. La disposition topographique des archipels demeure donc le seul fait physique que l'on puisse relier aux migrations. Mais ce fait, à l'analyser de près, n'a pas une très grande portée. Il ne faut pas se faire illusion sur la proximité des archipels du Pacifique; il ne faut pas se ses A td ÉRs 220 MIGRATIONS MARITIMES faire illusion, surtout, sur l'étendue absolue des terrés émergées par rapport à l'espace océanique. Nos cartes nous trompent à ce point de vue. Elles sont obligées de représenter par des dessins, forts petits sans doute, mais néanmoins visibles, les terres du Pacifique. Or ces terres, si elles étaient représentées à l'échelle exacte des cartes, feraient des points visibles seulement au mieros- cope. Toutes ces minuscules micronésies n'ont globale: ment que 30,000 kilomètres carrés, tandis que l’espace maritime en compte 160 millions. Ce sont des têtes d'épingle perdues dans l'immensité de l'Océan. Il est impossible de les comparer, comme lieux d'étape d'un mouvement à travers la mer, aux îles de l’Archipel ou aux terres de l'Insulinde. D'un archipel océanique du Paei- fique à un autre, on se perd dans l’espace maritime sans bornes visibles, tandis que d’une Cyclade à une autre, on ne perd jamais la terre de vue. Les archipels pacifiques ne limitent pas et diminuent à peine l'étendue du désert d'eau. On ne peut expliquer autrement que Magellan, en 1921, ait traversé tout le Pacifique en diagonale, dans la zone des micronésies, sans voir autre chose que deux petits îlots ; et avec la notion exacte de ces rapports pré- sente à l'esprit, on comprend que des archipels, découverts au xvi° siècle par Mendana et Quiros, aient été perdus après eux, et retrouvés seulement à la fin du xvm® siècle, quand la détermination des longitudes acquit une préci- sion sufhisante. Ainsi, rien ne nous autorise à représenter les migrations du Pacifique comme les résultats nécessaires des condi- tions naturelles. Et pourtant ces migrations ne sont pas douteuses ; il est assez vraisemblable, de plus, que la plupart des peuplades éparpillées dans l'Océan ont une MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 221 souche et une origine communes, et que souche et origine doivent être cherchées dans l'archipel indonésien. C’est une seule famille linguistique que forment avec le malais, dit-on, tous les dialectes parlés dans le Pacifique et dans l'Océan Indien, de Madagascar à l’île de Päques: il y aurait donc une extension indonésienne dans toute cette étendue, et cette ligne d'extension aurait seulement été traversée, vers son milieu, par une autre ligne reliant les Négritos du sud de l'Inde à la Nouvelle Guinée, aux Nouvelles Hébrides, à l'Australie et à la Tasmanie. Mais les preuves tirées de la communauté des idiomes ou plutôt de l'identité de leurs racines originelles ne doivent être acceptées qu avec de fortes réserves. D'autre part, il est certain qu'il existe une grande simi- htude entre les traditions mythiques et sacrées de toutes - les tribus polynésiennes. « Les légendes divines des îles de la mer du Sud, dit Lang, n'ont point seulement entre elles ces ressemblances générales qui se retrouvent entre les mythes d’un bout du monde à l’autre ; elles offrent de Si nombreuses et de si essentielles analogies, qu'on est contraint de supposer qu'elles émanent toutes d'un centre commun et probablement assez voisin ? ». Peut-être pourrait-on admettre que, si le peuplement des archipels polynésiens s'est fait au rebours des voies tracées par la nature, il faut chercher les causes du peu- plement originel dans de purs accidents. Des perturba- tions atmosphériques et des coups de vent auraient jeté -hors de leurs voies ordinaires les barques malayo-polyné- siennes, en contrariant, pour un temps assez court, les directions normales de l'air et des eaux de la mer. Dans 2 Tan; p.178. ‘truclions navales et leurs connaissances astronomiques 222 . MIGRATIONS MARITIMES loin de chez eux, à des distances telles, que les moyens de navigation limités dont ils disposaient leur ôtaient . tout espoir de revenir, même en suivant les vents etles « courants ordinaires. Mais nous ne méconnaissons pas la faiblesse de cette explication. D1. Développement précoce et arrêt de l’art de la navigation. — Une chose demeure certaine : c'est É l'aptitude des Polynésiens à parcourir de vastes espaces … maritimes, malgré la médiocrité des moyens matériels M dont ils disposaient, et auxquels ont suppléé leur expé- rience et leurs qualités nautiques. Comme les Eskimos, ce peuple a un volume mental très développé, qu'il doit M à la dissémination de son œæcoumène ; comme les Eskimos encore, 1l est maritime faute d’une étendue suffisante de terre habitable, et il manœuvre ses frêles barques avec … adresse au milieu des dangers de la mer, qui ne sont pas. moindres entre les tropiques qu'aux abords du cercle po= « laire : car, à défaut d’icebergs et de glace de dérive, lin= sulaire polynésien a contre lui les barrières et les pointes … coralliennes, qui sont presque aussi nombreuses et à peine moins mobiles, puisque le développement continu des polypiers transforme sans cesse les petits fonds où évo-. luent les pirogues polynésiennes. Seulement, ces pirogues disparaissent aujourd'hui, comme les mœurs des Poly-. nésiens et comme les Polynésiens eux-mêmes, sous l’in= Îluence de la civilisation européenne. Ces peuples n'onk pas eu la chance d’être comme les Eskimos, des peuples= bordure (Randvülker) protégés par la difficulté d'accès dem leur œcoumène. Leur développement nautique, leurs cons DE MIGRATIONS EE ET MÉLANÉSIENNES 223 Ë n ont plus guère aujourd'hui qu’une valeur de souvenir. Foutefois, il est utile de les «noter pour .comprendre la Là D persion des Polynésiens sur la vaste étendue du Paci- fique. Entre le praô malais, bateau de mer intérieure et de navigation littorale, et la pirogue polynésienne, il y avait une différence essentielle : le premier se servait du balan- cier double, la seconde du balancier simple. Or, « l'effet du balancier double, dit l'amiral Päris, est contraire à celui du simple ; le simple rend le bateau ardent et trouve d'autant moins de résistance que la brise est plus forte: le double tend à faire arriver le bateau et force à placer la mâture en arrière pour compenser cet effet... Le balancier simple est plus marin, si l’on peut dire ! ». En d’autres termes, la pirogue polynésienne était un bateau léger et un bateau de course, capable de parcourir de grandes étendues ; c'était un bateau océanique, et 1l est très remar- quable que, comme elle, la pirogue de l'océan Indien, à Ceylan et sur la côte de Malabar, était à balancier simple, tandis que les bateaux des mers fermées de l'Indonésie avaient le balancier double. Ainsi. les Polynésiens pou- vaient aller loin et vite. De plus, comme on le sait, Fart - de se diriger d'après les étoiles et celui de construire des cartes ne 18 étaient pas inconnus ; ce fut un ces grands étonnements de Cook et de son compagnon Forster, quand ils furent pilotés à travers l'archipel de la Société par l’indigène Toupaïa (1769). Toutefois, cet art nautique si remarquable et relative- ment si perfectionné, chez les Polynésiens, a été vite arrêté dans son développement. Faute d'une concentration suffisante du travail, faute de matières premières indispen- OR ER Li dd ter it (DR ++ RTE PEU eZ, 1 Paris, p. 65. 224 MIGRATIONS MARITIMES - sables telles que le fer, la navigation polynésienne n'a pu - agrandir ses esquifs ; elle n’a pu leur donner mi la soli- dité, ni la durée, ni la sécurité qui auraient permis d'éta- blir, avant l'arrivée des Européens, des relations cons- tantes entre les archipels du Pacifique. et qui auraient subs- titué aux migrations accidentelles les communications régulières. Les survivances, qui se sont prolongées jus- qu'à nous, de l’ancienne construction navale, dans l’Indo- nésie ét dans le Pacifique, montrent que l'arrêt du déve- loppement nautique est dû à l'insuffisance et à la misère des moyens matériels. « Les habitants de l’île Keï, à l'W. de la Nouvelle-Guinée, construisent leurs embarcations à l'ancienne manière en attachant les membrures, et lorsque ces membrures, ainsi fixées à l’ancienne mode, sont hors d'usage, ils les remplacent par des membrures neuves, qu'ils fixent avec des clous à la manière européenne. Les habitants des îles Samoa et ceux des îles Fidji calfatent leurs bateaux avec la résine de l'arbre à pain, ceux des Kingsmill avec les fibres des feuilles du Pandanus ! ». b2. Les Maori en Nouvelle-Zélande. — Parmi les migrations malayo-polynésiennes, il en est une sur la-. quelle un peu plus de lumière historique est répandue que sur les autres, grâce au développement supérieur du peuple qui l’a faite et au caractère défini de ses traditions. C'est la migration des Maori depuis leur centre d'origine, Hawaiki, que Percy Smith identifie avec Rarotonga, Jus- qu’en Nouvelle-Zélande. Cette migration daterait du xiv° siècle (vers 1350); maisil est probable qu'elle ne se fit pas en une seule fois. Le type physique et social du 1 Suess, t. I, p. 4x. 4 is MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 225 Maori est très mélangé, et de nombreuses pénétrations ethniques y sont discernables, comme chez la plupart des populations maritimes, de sorte qu'on est conduit à supposer que les Maori actuels représentent plusieurs alluvions successives. D'autre part, Percy Smith pense - qu'avant d'aborder en Nouvelle-Zélande, ils parcoururent la majeure partie du monde polynésien. Quoi qu'il en soit, on conserve au musée de Wellington un morceau de bois qu'on dit avoir appartenu à l’un des deux grands canots qui vinrent d'Hawaiki, et à défaut de cette preuve fort douteuse, l’habileté nautique des Maori, leur langue et leurs traditions montrent leurs étroites affinités avec les habitants des îles polynésiennes, dont les séparent dix à quinze degrés de latitude au moins !. Mais cette migra- tion du N. au $S., en travers de toutes les directions de vents et de courants, vient à l'appui des idées que nous avons exposées plus haut {$ 50) : elle n’a été déterminée par aucune des conditions naturelles existantes, et elle est trop récente pour ,que l’on puisse admettre, même un seul instant, qu’elle a été en rapport avec une révolution géologique. b3. Peuplement de la Tasmanie. — Tandis que les Malayo-Polynésiens s’étendaient à travers le Pacifique, un autre courant de migration reliait les Négritos de la Méla- nésie et de la Nouvelle-Calédonie à la Tasmanie. à travers une partie de l'océan austral. Le peuplement de la Tas- manie a présenté une particularité intéressante ; il a été, selon toute vraisemblance, complètement indépendant de celui du continent australien. Les indigènes australiens 1 Grecory, p. 603 et suiv. Lo: 226 MIGRATIONS MARITIMES étaient des continentaux, et le peu qui subsiste aujour ‘ d'hui est relégué au fond des terres ; les indigènes tasma=« niens, dont l'extermination est complète depuis une tren— taine d'années, étaient des marins audacieux, « des na geurs experts, habiles dans l'aménagement de leurs catamarans : ces pirogues, manœuvrées à la pagaie, al® laient à la mer par très mauvais temps ‘». Ces qualités nautiques permettent d'interpréter le eu plr de la Tasmanie comme le résultat d'une migration côtière que aurait suivi le littoral et traversé quelques parties de mer resserrées, entre les iles mélanésiennes et la Tasmanie, à moins que, comme l'ont pensé Lathamet Huxley, la Pas= manie ne soit, avec la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles. \ Hébrides, un lambeau d'une ancienne Australie efflondrée;* à travers laquelle aurait eu lieu une extension continen: : tale de la race mélanésienne. Il faut convenir qu'ici Par gument géologique semble avoir plus de poids que dans Le cas cités plus haut ($ 50 et 52. parce qu'il s'appui sur des faits paléontologiques M rmettent de le dater avec précision. « Clarke, dit Suess, s'appuyant sur ce fat que les dépôts marins tertiaires font défaut sur les côte E: du continent australien et de la Tasmanie. a émis l'hypo- thèse que le prolongement du continent australien vers l'E. aurait été coupé par un affaissement récent. Ce moderne, que l'ile de Lord Howe, avec son étendue a€ tuelle, n'aurait jamais pu nourrir ? ». Il n'est donc ! Grecorx, p. 245 et suiv. 2 Suess ss, +." ps 6 ENS RE MIGRATIONS MALAYO-POLYNÉSIENNES ET MÉLANÉSIENNES 227 sûr que le peuplement de la Tasmanie se soit fait par voie de migration maritime ; mais, en tout cas, l'extension continentale, si véritablement il ÿ en a eu une, a pris la forme du cheminement le long des côtes; forme dont il existe d'autres exemples plus certains et plus importants, comme nous l'avons vu plus haut ($ 47). 04. Peuplement malais à Madagascar. — On ne peut se poser une question semblable au sujet de Fimmi- gration malaise à Madagascar, qui a été suivie de l'éta- blissement des Hova sur le plateau central de la grande île. Cette migration a été sûrement maritime, comme toutes celles des Malayo-Polynésiens ; mais elle a eu un résultat dont il serait sans doute impossible de trouver un autre exemple : d’une population maritime à l'origine, elle a fait une population de plateau. Il est vraisemblable que la route du peuplement malais à Madagascar a été toujours voisine des côtes ; elle a suivi, au départ de l'In- sulinde et de l'Inde, les courants réguliers de la mousson, qui ont aidé de très bonne heure à l'établissement des re- lations d'Afrique en Asie ; puis elle s'est étendue le long des côtes orientales de l'Afrique, en ouvrant la route que les marins et les trafiquants arabes ont suivie à leur tour : mais ces derniers sont demeurés des gens du littoral, tandis que les Malais de Madagascar ont peu à peu rompu les liens qui les rattachaient à la mer. Ils n'en conser- vaient, au temps du royaume hova, quele souvenir d’une origine maritime, s’il faut interpréter ainsi le nom de canot d'argent que l'on donnait à la tombe où l’on ense- velissait le souverain ‘. Il est important de noter que la LReccus, 1, t. XIV, p. 86-87. NE trs ss PR ET ‘2 le VUE 1, ON . FAO TER LE AURA à. dar ae CR ue à d'be 228 MIGRATIONS MARITIMES À É # migration malaise à Madagascar fit, en quelque-sorte, le … tour des côtes de l'Océan Indien, au lieu de la traverser en diagonale des îles de la Sonde à Madagascar ; car on com- ou ainsi pourquoi les Mason qui offraient tant de ressources comme œæcoumènes et qui étaient au moins égales. sinon supérieures à Madagascar, ont été inhabitées jusqu'à l’arrivée des Lboeens, au xvir siècle. Dans 6 l'Océan Indien, le vide austral commençait au S. de la zone de la mousson : cette zone était seule fréquentée par le. “@ commerce comme par les migrations : elle avait donné à la navigation, dans les mers de l'Inde, son cadre et ses: formes immuables, que la navigation européenne seule à pu changer (v. IIT° partie. CHAPITRE VII MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 55. Appel d'hommes des foyers de condensation vers les vides conti- nentaux, à travers les espaces maritimes, — 56, Migrations mari- times et migrations terrestres. — 57. Migrations forcées (esclaves, engagés, coolies) ; leurs rapports avec la navigation commerciale. — 58. Peuplement européen des deux Amériques. — 59. Recul des foyers d’origine des migrations vers l’intérieur du continent. — Üo. Peuplemient des côtes du Pacifique par la race jaune. 55. Appel d'hommes des foyers de condensation vers les vides continentaux, à travers les espaces maritimes. — On doit considérer les phénomènes de mi- gration, lorsqu'ils relient des zones d'arrivée et des zones de départ étendues, comme les signes extérieurs d’une tendance vers l'égalité de répartition des hommes sur la surface planétaire. Les courants migrateurs pratiquent une sorte d’exhaustion du trop plein des masses humaines dans les foyers de condensation tels que l'Europe, la Chine et l'Inde. Soit que les ressources manquent totale- ment dans les centres surpeuplés, soit que la complexité croissante des besoins y entraine une agoravation des charges et du taux moyen d'existence (standard of life, soit que le rayonnement des voies de circulation com- modes et rapides, sur mer et sur terre, autour des foyers de condensation et de civilisation, amène à lui seul, à dé- faut de nécessités impérieuses, le déracinement des hommes, c'est toujours d'un centre de plus grande den- 230 MIGRATIONS MARITIMES + ANT sité vers un centre de moins grande densité que la migra= lion par zones établit son réseau de circulation humaine. È Jusqu'à maintenant, les Etats-Unis sont moins peuplés que l'Europe, et ce qui est vrai des Etats-Unis l’est encore plus de l'Amérique du Sud, du Canada, de l'Afrique du à Sud, de l’Australasie. Les coolies de l'Inde trouvent. par- à tout où ils vont, des régions moins peuplées que les côtes à du Malabar et du Cut Les Chinois et les Japo- nais qui essaiment sur les côtes du Pacifique ont devant eux, en Colombie britannique, au Pérou, en Australie et mème aux Etats-Unis, des espaces presque déserts, en comparaison de la condensation extrème de leur terre na=M tale. A la vérité, tous les courants migrateurs ne-relèvent pas de la migration par zones. Ceux qui relèvent de Jam migration concentrique ont des effets tout opposés. Nous entendons par migrations concentriques celles qui entas-" sent sur des points définis les hommes auparavant répar-« tis sur de vastes espaces. Ces migrations sont fort nom=—" breuses, soit à l'intérieur des anciens foyers de condensa- tion où elles provoquent le phénomène du développement" des grandes villes ou urbanisme, soit à l'extérieur de ces foyers où elles amènent la croissance rapide des villes ma ritimes, la fusion des races °v:$ 49 et III° partie), et même sur certains points de la planète (Etats-Unis), | 3 formation presque soudaine des ciés-champignons: Comme nous l'avons vu, la migration concentrique ca- ractérise la plupart des déplacements de populations pro prement maritimes, vers des points déterminés ou vers des espaces restreints ; c'est elle qui donne à ces populas tions leur complexité ethnique. Mais, de nos jours sur=. tout, à mesure que les voies de circulation terrestre den viennent plus étendues, plus commodes et plus rapides, v MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 291 et se soudent mieux aux faisceaux de circulation marine, la migration concentrique le cède en importance à cette migration par zones qui, à considérer l’ensemble de la planète, corrige quelque peu les excès de l’urbanisme. La migration par zones n’a pu naître que du jour où les barrières atlantique et pacifique sont tombées, et où les anciens vides océaniques (chap. v), se sont ouverts à l'extension de l'œcoumène. C'est de ce jour seulement qu'a commencé une sorte de poussée vers l'équilibre de répartition des hommes sur la planète, — poussée inter mittente, souvent suspendue, et parfois reprise avec vi- gueur, en harmonie avec le développement intérieur des foyers de condensation et de l'Europe en particulier ; mais, en somme, l'impulsion n'a fait que croître depuis le xvi° siècle jusqu'au temps présent, et elle a peu à peu gagné jusqu'aux régions les plus éloignées du foyer d’origine, grace à la domestication des forces naturelles et aux pro- grès de l'outillage de transport. Jusqu'ici les Blancs de Europe. ont donné l'impulsion, soit en émigrant eux- mêmes, soit en déterminant des migrations forcées de races sédentaires comme les Nègres africains ; mainte- nant, les Jaunes d'Extrème-Orient se mettent en mouve- ment à leur tour. Il y a donc eu, à travers les anciens vides océaniques peu à peu comblés et effacés, un appel d'hommes presque continuel des foyers de condensation vers les régions dé- sertes ou relativement désertes et politiquement inorgani- sées de l’œcoumène terrestre. Ces régions étaient vastes surtout dans le continent américain, dont elles couvraient la plus grande partie : en outre, l'Amérique, étroite et relativement peu étendue dans les malsaines régions tro- picales et équatoriales, s'épanouit largement, au Sud Me. Lifds re nd ares es Cp A ee iron A cé di NS et Le 12e “ lier, THE As-7 pi re PPT. 232 MIGRATIONS MARITIMES cr comme au Nord, mais surtout au Nord, dans les régions subtropicales et tempérées où la race blanche trouve l'æœcoumène qui lui convient, presque identique à son foyer d'Europe : on peut en dire autant pour les Sino- Japonais dont le groupe est le plus nombreux, sinon le plus dense, du globe. Par conséquent, l'Amérique, autre- fois protégée contre les migrations par les deux grands vides maritimes, mal peuplée, politiquement inorganisée sur toutes ses côtes, organisée seulement sur ses plateaux intérieurs du Mexique et du Pérou dont il était facile de cerner et réduire les habitants, devait devenir et est deve- nue le but principal des migrations transocéaniques. A l'Amérique se sont ajoutées, comme champs de peuple ment, les pointes méridionales des continents, autrefois protégées et isolées par le grand vide austral : l'Afrique du Sud et l’Australasie ; il est donc facile de voir à quel point l'existence des anciens vides océaniques est liée à celle des vides de l'æœcoumène terrestre : les seconds étaient une conséquence des premiers, et non, comme on pourrait le croire, les premiers des seconds. 06.Migrations maritimes et migrations terrestres. — Depuis que les barrières océaniques sont tombées, les grandes migrations par zones ne se sont faites que par mer. Dans le cas de l'Amérique et de l'Australie, la voie maritime océanique nous semble, au premier abord, s'im- poser comme une nécessité physique absolue. Cependant, en examinant les choses de près, on se rend compte qu'il n y avait aucune impossibilité matérielle à ce que le peu- plement de l'Amérique se’fit (comme il a failli se faire), par les chaînes d'îles et par les espaces maritimes resserrés de la zone subpolaire arctique {$ 4o et 41); et l'Australie : MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 239 aurait pu, semble-t-il, recevoir par les îles et par les dé- troits de l’Insulinde ses colons civilisés, de même qu'elle a reçu vraisemblablement par cette route ses peuples primi- üfs. Quant à l'Afriquesdu Sud, aucune condition natu- relle ne s'oppose absolument à son peuplement par exten- sion continentale. Et cependant, ni l'Afrique du Sud, ni l'Australie, ni l'Amérique n'ont été atteintes par le moin- dre courant migrateur terrestre’. C'est que, dès le com- mencement de la navigation au large, dès le comblement des vides océaniques, et bien avant la navigation à vapeur, lorsque le vent et la voile seuls conduisaient les hommes au delà de l'océan, la mer s’est révélée comme la route la plus commode et la mieux adaptée aux migrations par zones. À des migrations déterminées par les mobiles gé- néraux et particuliers les plus divers, et, par conséquent, souvent incertaines dans leur but géographique, comme on le voit par les tâtonnements des conquistadores, des pi- rates, des boucaniers, des flibustiers, des marchands d’es- claves, des chercheurs d’or et de marchandises précieuses, le caractère divergent et quelque peu indécis des anciennes routes maritimes ne nuisait pas, bien au contraire : les os- cillations des routes de mer étendaient sur de vastes es- paces les courants migrateurs, qui rayonnaient aisément sur de nombreuses directions, au lieu de se canaliser dans une seule et étroite voie. Le rayonnement répond assuré- ment mieux que la canalisation aux tendances psycholo- giques des chercheurs de ressources nouvelles et d’aven- tures. Or, la canalisation est, d’une manière presque in- faillible, la forme prise par les migrations terrestres. {Rappelons qu'il ne s’agit ici que des courants migrateurs venant des foyers de condensation (Europe, Chine, Inde). RE 234 MIGRATIONS MARITIMES y Celles-ci ne peuvent guère, comme les migrations mari= times, s'étendre presque uniformément sur une surface | | plane où les obstacles humains n'existent pas et où les obstacles naturels sont presque partout les mêmes. Le flot de la migration terrestre ne peut qu’à grand’ peine couvrir - de vastes espaces où s'opposent à lui KA conditions topo- graphiques et climatiques très variées, et où 1l doit comp- E ter à chaque pas avec la résistance de l'homme. La mi= gration terrestre doit donc le plus souvent, au lieu dem rayonner dans l’espace comme la migration maritime, se concentrer et se canaliser dans une seule et étroite voie. Ajoutons que, quoique ainsi concentrée et canalisée, la M migration terrestre est moins sûre de la position précise de sa zone terminale, et par conséquent, moins énergique dans sa poussée, que la migration maritime. En effet, 4 cette dernière, si divergente qu'elle soit, se propose tou=. jours comme objectif précis un front d'aboutissement dé- « terminé par une ligne de côtes où toutes les ramifications. viennent finalement se souder, de sorte que, malgré les incertitudes de direction et le vaste champ offert aux di-" vergences des migrations maritimes, celles-ci ne se per- dent jamais entièrement et finissent toujours par produire leurs conséquences sociales. IL est instructif de comparer, à ce point de vue, 1 dif- férentes formes d'expansion de l'Europe au delà de ses” frontières. Tandis que les mouvements maritimes au delà des mers atlantiques et australes ont couvert d'Européens « les immenses espaces des deux Amériques, de l'Afrique " du Sud et de l’Australasie, les migrations terrestres sur les frontières continentales n’ont eu que de maigres résul=s lats, souvent éphémères, toujours restreints et circons- crits. Du temps des croisades, les hommes d'Occident ont 2e "à MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 239 à peine pris pied, en venant par terre, sur le sol rocailleux de la Syrie et de la Judée, et encore n’ont-ils pu s'y maintenir deux siècles que grâce aux expéditions mari- times qui venaient detemps à autre alimenter et renfor- cer le peuplement occidental en Palestine. La migration russe en Sibérie et en Asie centrale a suivi d'abord les pistes des fracls qui reliaient les grands fleuves les uns aux autres, et ensuite elle s’est étendue le long des voies de chemin de fer; mais, malgré la prolificité et la pau- vreté de la population russe, et malgré le défaut d’obsta- cles naturels, l'absence d'organisation politique et l’épar- pillement humain qui facilitent les courants de migration dans l’Asie du nord et de l'ouest, la colonisation russe ne dessine que de longues et étroites bandes dans l'infini du steppe, de la taïga et du Koum'. Lorsque le pangerma- nisme invite l'expansion allemande à prendre la direction continentale de l'Est, vers les plaines de la Hongrie et du Bas-Danube, et au delà du Bosphore, vers l’Anatolie et la Mésopotamie, il ne tient pas compte des difficultés d'ordre terrestre qui, malgré là proximité géographique, empè- cheront imfalliblement les courants de migration alle- mande de se dessiner, de ce côté, avec la même force et avec la mème suite que sur les côtes transatlantiques. Le paquebot d'émigrants qui jetait, il y a peu d'années en- core, une masse d'Allemands sur les quais de New-York et de Rio-de-Janeiro, menait, d'une manière à peu près certaine, les émigrants à bon port, dans des milieux ma- rimes et urbains tout préparés pour leur réception, pour leur apprentissage d'assimilation et pour leur redistribu- tion à l'intérieur. Le chemin de fer qui suit et qui suivra la voie de la « poussée vers l'Est », ne fera que jeter les émigrants désarmés, isolés et dépaysés, au milieu de po- 236 MIGRATIONS MARITIMES pulations continentales hostiles, où les étrangers devront, soit se plier à des règles d'existence sociale peu flexibles et nullement cosmopolites, soit affronter des luttes et des rivalités parfois violentes. Cette seule comparaison montre combien les migrations maritimes ont plus de chances de succès que les migrations continentales ; aujourd hui, comme nous le verrons plus loin /$ 58), ces dernières sont surtout, pour les premières, de simples affluents et des. courants d'alimentation. 27. Migrations forcées (esclaves, engagés, coo- lies) ; leurs rapports avec la navigation commer- ciale. — Pour que les migrations maritimes produisent d’importants effets sociaux, 1l n’est pas nécessaire qu'elles soient spontanées. La traite des nègres d'Afrique, le transport des engagés et des coolies de la Chine et de l'Inde ‘deux faits qui ont les rapports les plus étroits), comptent, au même litre que les exodes des paysans ita- liens, hongrois et slaves, parmi les grands courants océa- niques qui ont modifié ou qui modifient la répartition des hommes sur la terre. La traite dure encore sur la côte orientale d'Afrique, entre les pays nègres et les pays d'Is- lam : elle a cessé sur la côte occidentale, entre la Guinée et les pays de culture tropicale des deux Amériques, après avoir déversé pendant trois siècles les nègres afri- cains sur les plantations de coton, de canne à sucre et de café des Etats-Unis, des Antilles, des Guyanes et de l'ancienne Amérique espagnole et portugaise. La traite atlantique se reliait très nettement aux conditions d'exis- tence et de développement de la marine de commerce à voiles, avant l’ère de la grande industrie. La prospérité de la traite importait à celle de la marine, et il n'est pas MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 237 étonnant que les pavillons européens aient tous pris part, dans l’ordre de leur importance maritime, au commerce des esclaves, auquel Anglais, Français, Hollandais, Es- pagnols et Portugais ont excellé, tour à tour ou en- semble. Car, à l'époque où le trafic par mer consistait encore uniquement ‘xvi° au xvir° siècle), en marchandises légères et souvent précieuses, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui (v. IIl° partie), la traite fournissait le moyen de compléter les cargaisons avec un chargement humain, pour les navires qui allaient d'Europe aux «Iles » et que les alizés poussaient lentement le long des côtes d'Afrique, avant qu'ils ne prissent la rout2 de l'Amérique tropicale ; d'autre part, les légères marchandises expor- tées par l'Europe donnaient, sur la côte de Guinéc, les éléments du troc en nature qui procurait les esclaves aux négriers. Ainsi, les bateaux français obtenaient leurs nègres, à Sierra Leone, contre de l'indienne, de la toile de Rouen, des mouchoirs de Cholet, de la toile de Bre- tagne, de l’eau-de-vie, du tabac de Virginie, des fusils de munition, des barils de poudre, des couteaux, des taba- tières, des chaudrons, des parasols, des pierres à fusil, des verroteries ; toutes ces marchandises étaient ramenées, pour les négociations, à l'unité monétaire de la barre (va- lant 4 livres tournois) ‘. Il est si vrai que la traite a été un des principaux objets du commerce maritime, que la vieille métropole commerciale de l'W. de l'Angleterre, Liverpool, a traversé deux phases ; depuis le commence- ment de la grande industrie, Liverpool est surtout le port du coton ; auparavant, c'était le port des négriers. Le commerce des esclaves a pratiqué, parmi les peuples 1 Bec, p. 39-43. 2 A. 258 MIGRATIONS MARITIMES + 3 Pr noirs de l'Afrique intérieure, une sorte d'exhaustion qui a diminué leur nombre ou arrêté leur développement; il a réalisé, sur les côtes de Guinée, du Sénégal au Came- - roun, et en particulier au Sierra Leone, un mélange très varié de peuples et de langues, qui rappelle les fusions les plus complexes des rivages et des iles méditerranéens et indonésiens ; enfin, il a abouti à l'établissement, sur la côle américaine, de noyaux africains assez forts pour ne pas se perdre dans les populations qui les entouraient, et même pour acquérir l'indépendance politique (nègres des | Etats-Unis, république d'Haïti). | Les factoreries de négriers établies en permanence sur les « côtes de Guinée avaient à l'intérieur des terres, le plus loin possible, leurs aflidés qui avaient mission d'acheter des esclaves aux chefs et aux tribus ; les tribus et les chefs amenaient souvent eux-mêmes leur marchandise hu- maine. Des milliers d'esclaves de toutes provenances s'en- tassaient dans les baracons côtiers. Tous ne partaiïent pas pour l’Amérique : un certain nombre s'échappaît ou par- venait à rester sur le littoral africain : de là une extrême … complication ethnique et linguistique. « Dans le Sierra Leone, cette colonie d'esclaves affranchis, on trouve les | représentants de 200 tribus nègres, ne parlant pas moins « de 150 langages différents ‘, » Il est vrai que ces Nigri=. üens ressemblent à tel point les uns aux autres, au point - de vue du type physique ?, que le mélange littoral s'est” fait avec la plus grande ie: Les continuels voyages des navires européens aux côtes de Guinée ont même eu» un résultat assez rare chez les peuples nègres, celui de dé= ! Ware, p. 144 £ ? Dexixer, p. 265. “À MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 239 velopper les aptitudes et lhabileté nautiques chez les …—. Kroumen du littoral guinéen, que tous les navires d’Eu- rope venant dans l'Afrique équatoriale employaient comme matelots, « pour ménager les forces de leur équi- page sous un climat meurtrier ‘ ». Le séjour prolongé des Européens, ainsi que la déportation politique et péni- tentiaire pratiquée par les Portugais aux Bissagos et dans les Rivières du Sud, ont encore mêlé un peu de sang eu- ropéen à la complexité nègre. ia exemple chez les Métis (Gourmettes). de Zighincor, sur la Casamance, et de Ca- cheo sur le rio Cacheo ?. C'est ainsi que la Guinée, quoi- qu'elle eût un front maritime peu articulé et développé sur les mers du large, est devenue, tout comme les côtes rte des espaces méditerranéens, un centre de fusion _ des peuples. Elle le doit avant tout à la traite. En Amérique, les nègres exportés étaient destinés sur- tout, comme nous l'avons vu, aux plantations des pays tropicaux de monoculture. Il n’en était pas ainsi au dé- but de la traite, qui avait été provoquée par Las Cases (1917), en vue de procurer des travailleurs aux mines d'or et d'argent du Nouveau Monde, où les indigènes pé- rissaient en foule. Mais l'exportation des nègres ne tarda pas à dépasser de beaucoup les besoins des mines, et les Européens, maîtres de la terre américaine, trouvaient plus commode et aussi productif d'employer les Africains aux plantations des îles et des -côtes tropicales, toutes proches des lieux de débarquement. C'est ainsi que le peuplement nègre en \mérique arriva très vite à se loca- liser sur les terres basses, humides et chaudes, où étaient 1 Wuure, p. 147. ? BrosseLarm FAIDHERBE, p. 19-20. TES os A ET GR VA T'es TR RPPMENTE à CT EP eee Dee VP a RES CNE AN NE Er TR CT Re sh né LE Lt, or 15 CPL 240 /_ MIGRATIONS MARITIMES la plupart des plantations, ou sur les premières rampes montagneuses qui dominaient la zone littorale. Dans ces deux régions les nègres retrouvaient les conditions clima- tiques de la Guinée ; ils prospéraient et se développaent là où languissaient les Européens de race, et où les créoles, issus du séjour des Européens dans les îles, et les métis, issus du croisement des Européens et des indi- gènes, ne consentaient pas à se soumettre au travail exté- nuant des plantations. Les nègres ont donc peuplé les. côtes des Etats-Unis, entre le Texas et la Virgimie ; ils sont devenus les maîtres politiques et à peu près les seuls habitants de l’ancienne colonie française de Saint-Do- mingue ;:1ls sont très nombreux dans les autres Antilles, et forment même, dans la plupart des Petites Antilles, la grande majorité de la population ; ils comptent d'une manière très notable dans le peuplement du Venezuela, des Guyanes et du Brésil. Telles ont été les conséquences de la traite et la part prise par l’Afrique au peuplement américain. La contribution africaine est donc, en Amé-— rique, essentiellement insulaire et côtière : le nègre afri- cain s’est peu répandu à l'intéfieur, sauf dans quelques parties du Brésil, et l'achat de nègres, aux temps esclava- gistes, par des tribus de Peaux-Rouges du Far West américain, n'a laissé que des traces isolées, fort curieuses, mais peu importantes, dans quelques localités du Ne- braska et de l’Arkansas, On ne peut séparer de la traite des esclaves l’engage- : ment des coolies de la Chine et de l'Inde. L'engagement a remplacé la traite; les coolies sont une marchandise humaine, comme les esclaves ; les prétendus contrats si- gnés entre eux et leurs exportateurs ne peuvent avoir à nos yeux la moindre valeur juridique, car ces contrats ne MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 241 sont volontaires, en réalité, que du côté de l’entrepreneur européen, et du côté de l'intermédiaire chinois ou hindou qui s'engage à embarquer un nombre d'hommes déter- miné, et qui y parvient de gré ou de forcee. Par consé- quent, il s’agit ici d’une migration forcé, tout comme dans le cas de la traite, avec la différence que cette mi- gration porte sur des pays surpeuplés, au lieu de dévaster, comme la traite africaine, des pays de faible densité. Comme autrefois la traite, l'embarquement des engagés et des coolies est devenu un élément très sérieux de la navi- gation commerciale. Sans doute, le troc ne se fait plus en nature, avec des verroteries, de l’indienne et des fusils de munition ; il se fait en argent, grâce à la diffusion des espèces monnayées ; il n'est donc plus nécessaire que les bateaux qui transportent les coolies aient dans leurs cales de quoi les payer ; le coffre-fort du capitaine suffit. Mais le développement du transport des marchandises lourdes (v. II partie), permet aux bateaux qui font l'intercourse des mers de Chine et de l'océan Indien de joindre des opérations commerciales portant sur les choses aux opé- rations qui portent sur les hommes. Il n°y a donc plus de bateaux spécialement négriers. Au reste, l'objet et les conséquences du transport des coolies ressemblent à ce que nous avons vu au sujet de la traite. Ilest vrai que, comme les moyens de recrutement sont moins violents, et comme les pays de recrutement peuvent suffire, sans s’épuiser, à d'importants mouve- ments de migration, on ne peut ‘constater, sur les côtes de la Chine et de l'Inde, l’exhaustion qui a dévasté pen- dant trois siècles les côtes de Guinée, et qui dévaste encore l'Afrique orientale ; il est vrai aussi que, comme aux pre- miers temps de la traite, c’est surtout pour l'exploitation 1/4 242 MIGRATIONS MARITIMES >. des mines que se fait l’exode des coolies. À ce point de vue, les mines de l'Australie et de l'Afrique du Sud sont aujourd'hui des foyers d’appel, comme autrefois les mines de Guanajato, de Zacatecas et de Potosi. Maïs aux mines s'ajoutent encore les cultures tropicales, et surtout les travaux publics comme les chemins de fer et les ports des zones équatoriales, où le travailleur européen suc comberait à la tâche que l’on confie au Chinois ou aù Malabare. En outre. les populations ainsi transportées par force ne forment pas, en général, comme les nègres de l'ancienne traite, de nouvelles fractions ethniques dis- tincies de tout ce qui les entoure. Car les migrations des coolies ont un caractère urbain très prononcé. C’est vers de grandes villes, qui sont en mème temps de grands chantiers, qu'ils se dirigent. Des villes se fondent près des mines et le long des nouvelles lignes de chemin de fer. Au lieu de prendre possession, de gré ou de force, d’un morceau de sol, les engagés et les coolies s'entassent dans les baraquements en we, et en zinc des villes nou- velles, ou dans les ruelles sordides des vieilles villes mari- times. C'est d'eux que proviennent des populations comme les métis de Sydney, de Melbourne, de Zanzibar, et en particulier l'étrange composé de nègres, d'Hindous, de Malais et de Chinoïs qui vit au cap de Bonne Espé- rance, les garçons du Cap, Cape-boys ‘. Ainsi la migra- tion forcée tend plutôt à devenir concentrique, au lieu de maintenir son ancienne forme de migration par zones. Il n’en est pas de même, dans la plus grande partie des cas, » pour la migration spontanée des Européens. ? Lerox-Brauzreu, p. 246-247. c MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 243 58. Peuplement européen des deux Amériques. — Quoiqu'on ne puisse comparer les agences d’émigra- tion, ni aux anciens négriers, ni même aux enrôleurs de coolies chinois et hindous, il n’y a pas, entre les migra- tions forcées des esclaves africains et des engagés asia- tiques, et les migrations spontanées des paysans et des prolétaires urbains de l'Europe, une différence si tranchée qu on pourrait le croire. L'Italien, le Hongrois et le Slave - qui s'embarquent à Hambourg, à Anvers, au Havre ou à Le Gênes, pour trouver au delà de l'Atlantique l’espace né- - cessaire à leur existence, qui leur manque dans leur patrie - d'origine, suivent à leur insu la même voie sociale que … Les cookies et les nègres. Comme ceux-ci, les émigrants européens sont devenus d'importants éléments de prospé- rité pour la navigation commerciale, que la régularité des phénomènes migrateurs, aussi rigoureuse que si elle était déterminée, comme au temps des esclaves, par la volonté - humaine, habitue à compter sur un contingent normal d'émigrants,qui remplissent les entreponts des grands pa- quebots d’acier,sur les routesd'Europe vers l'Amérique du Nord, et à un moindre degré, vers l'Amérique du Sud. Ce n'est pas le flot des passagers ordinaires qui a créé et “ quiconserve, sur les voies atlantiques, l'imposant ou- tillage de la marine moderne : c’est l'abondance de la marchandise humaine, les émigrants, avec l'abondance des marchandises lourdes et de faible valeur, qui a déter- miné le rapide accroissement du tonnage des paquebots transatlantiques. Aux foules que le foyer de condensation européen ne cesse de déverser sur l'Amérique encore mal peuplée, il faut des villes flottantes capables de contenir , les masses d'émigrants que jettent soudainement sur les quais des ports les lignes de chemins de fer de l'Europe. none Me pie TE en E. F La * “ 244 MIGRATIONS MARITIMES Les paquebots mixtes dont les plus grands atteignent 20 à 23.000 tonneaux de jauge nette, comme la série en ie de la White Star Line (Baltic, Cedric, Celtic, Teutonie, etc.) . qui ne réalisent qu'une vitesse assez modeste (16 à 17 nœuds), et qui, malgré le bruit fait autour de leurs brillants rivaux à marche rapide (Deutschland, Kaiser Wilhelm IT, Provence, Lusitania) concentrent encore dans leurs entreponts et dans leurs cales la plus grande masse du trafic transatlantique, transportent surtout des mar chandises lourdes et des émigrants. C’est autour de la Maison des émigrants de Brème que s'est développée la prospérité maritime du Norddeutscher Lloyd: c'est l'af- fluence des émigrants slaves et hongrois à Hambourg qui, à travers toutes les crises, maintient au beau fixe, depuis dix années, le baromètre commercial de la Ham burg Amerika Linie ; ce sont des émigrants italiens et slaves qui remplissent les entreponts des paquebots de la Compagnie française transatlantique: c'est enfin, l'ab- sence de tout courant de retour, en comparaison de cette puissante affluence de l'aller, qui explique, mieux peut- être que toute considération de pure économie ou de po- litique financière, l’infériorité de la marine de haute mer des Etats-Unis par rapport aux puissantes marines de l'Europe (v. IIT° partie). On voit donc que,si le trafic né- grier assurait la prospérité de la navigation commerciale, au temps des voiliers et des routes des alizés, c'est le tra- fic des émigrants qui le remplace exactement, au temps présent de la marine à vapeur et des routes tracées suivant l'arc de grand cercle. Ce que furent les Anglais, les Français, les Hollandais, les Espagnols et les Portugais comme transporteurs d'esclaves, les Anglais, les Alle- mands, les Français et les Italiens le sont aujourd'hui - comme transporteurs d'émigrants. MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 249 Toutefois, les migrations européennes à travers l’Atlan- tique sont antérieures au puissant essor du xn° siècle. Les premières remontent au comblement du vide atlantique par Colomb et par ses successeurs. Elles n'avaient pas alors et n'eurent jamais, jusqu'au développement de l'Eu- rope industrielle, le caractère qu'elles ont aujourd'hui. À de rares exceptions près (migrations de gens fuyant les persécutions religieuses, comme dans la Nouvelle Angle- terre, ou tentatives de transplantation agricole, comme celles de Champlain au Canada), les migrations euro- péennes n eurent d'autre objet, pendant trois siècles, que la conquête des richesses réelles ou légendaires du Nou- veau Monde. Soit qu'elles fussent déterminées par l’action immédiate d'une politique et d'un Etat, comme ce fut le cas pour les migrations espagnoles et portugaises, soit que cette politique s’exerçàt par l'intermédiaire de puis- santes compagnies de colonisation, comme il arriva en France, en Angleterre et en Hollande, le peuplement eu- ropéen des Amériques ne ressemblait en aucune manière au débordement d’un foyer de condensation surpeuplé sur des espaces déserts. La colonisation officielle a fait alors sur la plus grande partie de l'Amérique ce qu'elle fait aujourd'hui sur l'Afrique tropicale et équatoriale : elle a envoyé dans les territoires conquis des fonction- naires, des soldats, des chefs et des agents de compagnies commerciales, des planteurs, en un mot, un personnel de direction ; elle n'y envoyait pas l'énorme masse de pay- sans et d'ouvriers, surtout de paysans, qui traverse au- jourd'hui l'Atlantique. Sans doute, la densité de la popu- lation indigène de l'Amérique était si faible, que les quelques groupes d'Européens qui s’y sont établis, depuis Colomb jusqu à l'époque de la grande industrie, ont suffi 14. 246 MIGRATIONS MARITIMES | à européaniser des pays comme le Canada, les treize co- lonies américaines et une partie de l'Amérique espagnole et portugaise, ou tout au moins à donner au sang euro- péen une part notable dans les métissages qui peuplent les plateaux et les montagnes du Mexique, de l'Amérique centrale, de la Colombie et du Pérou, les côtes du Véné- zuéla et du Brésil, les plaines argentines, la lisière litto= … rale du Chili. Mais l'œuvre de peuplement était insuf- - fisante et incomplète, comme le montre la persistance des populations indigènes sur de vastes territoires de lan- cienne Amérique espagnole et portugaise. Qu'on opposeà cette survivance des indigènes du centre et du sud Flex- termination presque complète, au xix° siècle, des Peaux Rouges du Far West, dont la force de résistance et d'en- durance était supérieure à celle des Indiens de l'Amérique espagnole : on comprendra mieux qu'une différence pro- fonde distingue les maigres filets migrateurs de l'ancien peuplement américain et le flot puissant qui porte aujour- d'hui les masses européennes au delà de VAtlan— tique. L'émigration moderne se fait en quête, non de la ri- chesse, mais du pain, à l'exception toutefois de l'émigra- tion britannique, qui relève des caractères particuliers de l'expansion insulaire ($ 26 et 25), et qui du reste tend à décroître. Tous les autres courañts de migration euro- péenne vers l'Amérique naissent à la fois sur de vastes ré- gions,comme l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie, la Russie, où l'équilibre s'est trouvé ou se trouve encore rompu entre les forces de production et de consommation. Ce M sont, par conséquent, des migrations par zones, au dé- part. [l'en est de même à l’arrivée, malgré les apparences contraires. On sait,en eflet,qu'à l'exception des émigrants MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 247 qui vont aux ports du Brésil et de l'Argentine, presque tous les courants migrateurs issus des diverses régions de l'Europe se concentrent à New-York. Mais l’Empire City ne les immobilise pas.à leur confluent. Elle en retient sans doute une partie, puisque ce sont des prolétaires eu- ropéens,et notamment des Juifs,qui peuplent ses faubourgs énormes. Cependant la grande masse sort de-New-York, où elle ne vivrait pas plus aisément que dans les grandes villes d'Europe, pour se redistribuer, grâce aux voies fer- rées qui étendent leur réseau jusqu à Vancouver, San Francisco et Mexico, sur presque toute la surface de l'Amérique du Nord, selon la présence, dans une région ou dans une autre, de foyers d'appel économiques, sous forme de terres vacantes, de mines ou d'industries ac- tives. Les courants de migration se répartissent donc par zones, à l’arrivée comme au départ. Malgré la diversité des conditions économiques où se sont trouvés, depuis le xvr° siècle, les pays américains, et malgré les oscillations historiques qui ont fait passer et feront passer des uns aux autres le privilège d'attirer les émigrants d'Europe, les hommes de l'ancien continent se sont répartis en général, dans le nouveau, de manière à retrouver dans leur pays d'adoption une image plus ou moins exacte de leur pays d'origine. Ce ne sont assuré- ment pas des considérations sentimentales qui les ont guidés : mais le déterminisme géographique montre ici sa puissance, relative et limitée sans doute, mais néan- leur œcoumène primitif entre le 36° et le 72° degré de latitude N. (ce dernier degré correspond, dans l'Amérique du Nord, au 55° à peu près), les Européens se sont moins réelle. Fils de climats tempérés et localisés dans: établis de préférence, dans les deux Amériques, soit sur en os à 2 el éhe sai 248 MIGRATIONS MARITIMES les plateaux tropicaux (Mexique, Pérou, Bolivie), dont. l'altitude compensait la latitude trop proche de l'équateur, soit dans les latitudes tempérées (Etats-Unis, Canada, sud du Brésil, Chili, Argentine), où la vie, les produc- tions et le mode d'activité possible rappelaient le mieux l’Europe. La race blanche a laissé les pays trop chauds, trop humides et trop boisés (Antilles, Guyanes, Ama- zonie, Amérique centrale), soit aux nègres importés d'Afrique, soit aux anciens habitants du pays. Les Français qui allaient au Canada constataient, dès 1535, la ressemblance des pays du Saint-Laurent avec la Nor- mandie et la Bretagne, et c'est au Canada que s’est con- centré le peuplement français. Les Anglo-Saxons, les Allemands, les Italiens et les Slaves qui ont accru dans d'énormes proportions, de 1850 à 1900. la population des Etats-Unis, trouvaient sur le territoire de la grande république une diversité physique qui rappelait, avec des proportions plus vastes, la diversité européenne. Pour les Espagnols, les plateaux du Mexique, de l'Ecuador et du Pérou rappelaient sur des proportions plus vastes aussi les terrasses du Léon et de la Castille et les sierras d'An- dalousie. Les Portugais ont trouvé sur les côtes du Brésil une Lusitanie australe. Les Allemands qui vont dans les provinces tempérées du Brésil, Saû Paulo et Rio Grande do Sul, ne songent pas à coloniser la chaude et humide Amazonie. Les Espagnols, les Italiens, les Allemands et les Français vont en masses croissantes dans l'Argentine parce qu'ils retrouvent, à cette pointe sud de l'Amé- rique, le climat tempéré, les cultures et les productions des zones tempérées de l'hémisphère boréal. D'une ma- nière générale, c’est dans les pays tempérés, Etats-Unis et Argentine, que l'Europe se reflète le mieux, avec sa di- OP MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 2/9 versité de peuples et de races. Ces pays sont de petites . Europes pour le présent, de grandes Europes, peut-être, pour l'avenir, où s'émousseront, grâce à l étendue de l’es- « pace ct à l'absence de tout passé historique, les distinc- - tions ethniques, linguistiques et sociales qui s’affirment “si nettement dans le cadre européen ($ 3). L'Europe a à laissé, en revanche, à l'élément africain, mêlé à l'élément . indigène et à une certaine quantité de résidus européens, “ les espaces intermédiaires des côtes tropicales et équato- É riales, que les Européens Ne encore pour une partie, mais ne peuplent pas ($ 57). Ainsi, les pays tempérés - sont et seront les plus ee et les plus civilisés des deux Amériques ; ce sont aussi ceux où l'élément africain et l'élément indigène ont le moins de part. Sur les points où l'élément africain s’avance jusqu'à toucher le domaine « des peuples de race blanche et mème à le pénétrer, comme “en Virginie et en Caroline, éclatent des luttes de races “qui révèlent un manque de mise au point dans la répar- “hition géographique : c'est l'origine de la « question - noire » aux Etats-Unis. …— On n'aurait pas une idée complète du peuplement mo- “derne de l'Amérique par l'Europe, si on négligeait d'ob- “server que grâce à l'accélération et à la commodité des “transports, les courants migrateurs ont aujourd'hui une rapidité et une mobilité autrefois inconnues. L’actif mou- “xement d'hommes de l'Europe vers l'Amérique se com …plète aisément au moyen du retour, partiel et fractionné, “des éléments inassimilables. Et même, il y a mieux. L'émigralion temporaire, dans un but économique, et “sans déracinement définitif, s'est établie sur une voie de _ migration, celle qui va d'Italie en Argentine. Tous les | Vans des € équipes d'ouvriers agricoles italiens vont faire la 4 s #7 at 220 MIGRATIONS MARITIMES moisson en Argentine pendant l'été de l'hémisphère aus tral, et reviennent pour la même besogne en Europe pen- « dant l'été boréal. C'est ainsi que le rapetissement de la planète, qui provient de la rapidité des transports, en traine déjà, suivant les oscillations saisonnières, des os- cillations régulières de l'œcoumène. Nul doute que cette M forme RE" de migration ne soit appelée à se dévelop à per dans l'avenir. 29. Recul des îfoyers d'origine des migrations vers l’intérieur du continent. — Les zones d'origine. des courants de migration transatlantique s'élargissent de … plus en plus vers l'intérieur de l'Europe. Après avoir été confinés, pendant longtemps, à la lisière côtière de Eu. rope occidentale, seule partie maritime, expansive et co- lonisatrice, les courants migrateurs ont gagné vers l'inté- rieur, et leurs zones d'origine ne cessent de reculer et de. | s'éloigner des mers atlantiques. Au temps de la colonisa- tion officielle et des grandes compagnies coloniales, du xvi au xvu° siècle, l'Angleterre, la Hollande, la France, l'Espagne et le Portugal ont fourni les premiers éléments du peuplement américain, auquel ne prenaient part mi l'Europe du centre, ni l'Europe de l'est. À partir de 1820 et surtout de 1860, les pays allemands sont entrés en ligne : pendant que les anciens courants de migration se” maintenaient, un peu affaiblis, en Espagne, en Portugal et en Angleterre, disparaissaient en France, et n'augmen- taient notablement qu'en Irlande, un nouveau et puissants courant se formait au départ de Brème et de Hambourg et jetait les Germains par centaines de mille au delà de l'Océan. Puis cette émigration s’est affaiblie à son tour au point de devenir presque négligeable, et ce sont main= & ë, L ELLE b: MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 391 tenant des foules hongroises, italiennes, slaves et même scandinaves qui abandonnent l'Europe pour l'Amérique. Depuis dix ans environ, l'Italie est le foyer des princi- paux exodes. Le puissant courant italien tend à substituer, en Méditerranée, aux déplacements limités de presqu'île en ile et de côte à côte opposée ($ 44), une voie nouvelle qui fait sortir les peuples de la Méditerranée de leur cadre borné, pour les amener à prendre part au peuplement américain. La route maritime et commerciale de la Mé- diterranée à New-York, que l'on pouvait regarder comme inexistante, 1l y a trente ans à peine, compte aujourd'hui parmi les voies actives du globe. Un élément inattendu de complexité ethnique menace, aux Etats-Unis, l'an- cienne prépondérance anglo-saxonne. De même, les Hon- grois, les Slaves des deux empires d’Autriche-Hongrie et de Russie, les Suédois et les Norvégiens, ont appris et suivi en foule le chemin des Amériques et en particulier celui des Etats-Unis. Il en résulte que, tandis que l'an- cienne aptitude migratrice et expansive de l'Europe occi- dentale et même du monde germanique demeure station- naire, s'afflublit ou s'épuise, les peuples de la Méditerranée, dé la Scandinavie et des plaines orientales, autrefois éloi- gnés des voies de la circulation atlantique, prennent part à leur tour aux migrations transocéaniques. Ce sont les progrès des transports terrestres et leur haison de mieux en mieux assurée avec les transports maritimes, aux grands points de soudure comme Brême, Hambourg, Rotterdam et Anvers, qui ont ouvert sur l'Atlantique, aux pays continentaux, les fenêtres que seuls, les pays maritimes de l'Occident possédaient autrefois. Le chemin de fer met aujourd'hui les côtes de l'Atlan- tique plus près de Kiew et de Buda Pesth que ne l'étaient 292 MIGRATIONS MARITIMES jadis Reims ou Cologne. C’est maintenant toute l’hu- manité européenne qui glisse vers la vallée atlantique, * d’abord connue et pratiquée seulement par les habitants: des côtes ; et l’ancien bassin fermé de la Méditerranée, presque privé de relations avec l'Atlantique du Nord et « orienté seulement au S. W. et au S., vers l'Amérique du sud et vers l'Afrique, devient à son tour un immense affluent des courants migrateurs du nord. 60. Peuplement des côtes du Pacifique par la race jaune. — Pendant longtemps, on a pu croire que l’expan- sion européenne à travers l'Atlantique, si énergique et si variée, s’étendrait sans obstacles jusqu'aux côtes paci-" fiques du continent américain, de même qu'il était légi- time de penser que les courants partant d'Europe et diri— gés, à travers le vide austral, vers l’Australasie et vers la Nouvelle-Zélande, recouvriraient seuls d’alluvions hu- maines les terres presque désertes de l'hémisphère sud. Mais il n’en sera sans doute pas ainsi. Les Jaunes de Chine et du Japon, foyer de condensation moins outillé et moins pourvu de voies de rayonnement que l'Europe, mais plus peuplé et appelé, par la prolificité de la race, à se peupler davantage encore, ont commencé à leur tour à émigrer sur les côtes les plus lointaines de l'océan Paci- fique, qui s'ouvre devant eux. Ce phénomène montre d’une manière saisissante la supériorité, que nous avons indiquée plus haut ($ 56) de la voie maritime sur la voie terrestre, au point de vue des migrations. L'innombrable fourmilière chinoise n'a jamais débordé d'une manière. notable du côté de la terre, vers la Sibérie, le Turkestan et le Tibet. La Chine a pu établir jusqu'au Tian Chan, au Kouen Lun et au Karakorum, ses fonctionnaires et ses MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES 253 marchands : mais elle n’a pas peuplé le pays ; au con- traire, au temps de sa plus grande puissance, l'empire chinois songeait plus à se défendre qu'à attaquer du côté de la terre, par inaptitude à asseoir le peuplement chi- nois au delà des Dix-huit Provinces (construction de la Grande Muraille). De même, un peuple aussi énergique et aussi entreprenant que les Japonais a pu s'emparer de la péninsule de Corée et des rivages méridionaux de la Mandchourie : mais c’est vers les pêcheries du Kamchatka et des Aléoutiennes, vers les forêts et les mines de la Co- lombie britannique, vers les ports américains du Paci- fique, et jusqu'au Pérou, au Chili et à l'Argentine que se portent de préférence les visées japonaises, guidées par une profonde entente des conditions géographiques et historiques des migrations. Les Chinois, de leur côté, sans plan prémédité, ont quitté leur pays, dès que les canons européens ont fait tomber les barrières qui le sé- paraient du monde extérieur : ils se sont dirigés, d'un côté, vers l'Australie et vers la Nouvelle-Zélande ; c'était comme une prolongation naturelle de leurs antiques mi- grations de mers intérieures vers les côtes de l’Insulinde !$ 44) ; mais les colons européens d’Australasie, trop peu nombreux, ont été pris de peur devant l'invasion chi- noise ; ils ont mis des restrictions sévères à l'immigration des jaunes, mais 1l est douteux que ces restrictions suf- fisent toujours à fermer les portes de l'Australasie. D'un autre côté, les Chinois ont essaimé sur toutes les côtes américaines du Pacifique, de la Colombie britannique au Chili. Appelés au Pérou comme coolies, pour l’exploita- tion des îles de guano, ils s’y sont établis et multipliés. En Californie, l'exploitation des mines et le développe- . ment de l’agriculture et de l’industrie ont attiré une mul- La Mer. 15 294 . MIGRATIONS MARITIMES litude de Chinois, jusqu'au jour où les Californiens ont » opposé les mêmes mesures restrictives que les Australiens | à l'immigration chinoise. Au Mexique, où aueune Moi restrictive n'existe, le courant migrateur chinois se dessine aussi. Aux îles Hawaï, où tout le monde vit de l'exploi- tation de la canne à sucre, ce sont les Japonais qui tra- vaillent pour le compte M propriétaire américain, êt © est en vain que les Américains ont essayé d'opposer à rie ; migration japonaise celle de Portugais des Açores !. C'est ainsi que, sur tout le pourtour du Pacifique, se dessinent des courants de migratien suivis par les jaunes d'Asie, vers l’Australasie, les archipels océaniens et les côtes amé- ricaines. Le Pacifique semble destiné à devenir un grand champ d'expansion pour la race jaune, comme l'Atlan— lique pour la race blanche. Seule, la politique exclusive | des colons d'Europe s’oppose à la conquête des côtes du Pacifique par les Sino-Japonais : mais qui pourrait ré- pondre que cet obstacle les arrêtera toujours? 1 Reccus, 1, . XIV, p. 966. TROISIÈME PARTIE LES FAISCEAUX DE CIRCULATION CHAPITRE IX FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE Gr. Constitution des faisceaux : divergence en haute mer, conver- - gence à l’atterrage. =— 62. Problème de l'accélération pour les voikers et pour les vapeurs. — 63. La transformation des échanges et l’économie du transport. — 64. Accroissement du tonnage et spécialisation des navires. — 65. Enumération des grandes routes océaniques. Gr. Constitution des faisceaux: divergence en | haute mer, convergence à l'atterrage. — Lien que - nous ayons donné plus haut ($ 4), une définition générale - de la circulation maritime, il est essentiel que nous ana- lysions de plus près la formation des faisceaux où se grou- pent les routes suivies, à travers l'Océan, par les vapeurs et par les voiliers. Si les grandes migrations se font par zones ($ 55), la circulation océanique, qui est l’instru- ment du transport des hommes aussi bien que des choses, ne se fait par zones ni au départ, ni à l'arrivée. Aucun navire du large ne quitte la côte et n’y aborde entre Bor- deaux et Bayonne : l'exportation et l'importation des hommes et des choses, pour la Gascogne et la Guyenne, 296 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION se font aux deux points de Bayonne et de Bordeaux, et sur- tout au second. De même, c'est à Nantes et à Saint- Nazaire que se concentre tout le trafic transocéanique entre la Pallice et la pointe de Bretagne. Partout nous constatons, aux points de soudure des transports terrestres et des transports maritimes, l'existence de canaux étroits, mais puissants et rapides, où s’entassent tous les départs et toutes les arrivées destinés à de vastes régions littorales et intérieures. Et cette concentration originelle des routes ne fait que s’accroître au temps présent, pour les raisons que nous étudierons dans notre chap. XI. Un port, ou mème, d’une manière plus générale, une mer secondaire ou intérieure ouverte sur l'Océan, contient un en- semble de voies d'origine qui sont d’abord fortement ser- rées les unes aux autres, et qui ensuite essaiment au large en digitations variées vers leurs destinations lointaines. Ces digitations dessinent, sur la carte générale de Ja pla- nèle, de vastes faisceaux de départ et d'arrivée, discer- nables surtout, à la surface des mers, aux approches des régions très peuplées où règne une grande activité écono- mique : l'Europe du nord-ouest, la côte atlantique des Etats-Unis, les débouchés méditerranéens vers Gibraltar et vers Aden, les côtes de la Chine, de l'Insulinde et de l'Argentine. Un examen même superficiel de la carte jus- tifie donc l'expression de faisceaux de circulation et l'idée générale qu'elle contient. Mais il serait inexact de croire que la formation en faisceau se borne au groupement des grandes routes près des points de départ et d'arrivée, On la retrouve d’une manière très nette, en étudiant chaque voie dans le détail. Toute route de navigation forme sur l'espace maritime, non une ligne, mais un faisceau de lignes, de plus en plus écartées les unes des autres vers de FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 297 large, de plus en plas serrées el rapprochées vers la terre. On pourrait comparer une route maritime (et non pas une seule, mais toutes, sans exception), à ces grands courants de surface comme le Gulf Stream, qui commencent par d'étroits rameaux souvent étranglés entre les îles et le con- tinent, qui s'épanouissent ensuite en drifts ® immenses à travers Fespace océanique, et qui se rapetissent de nou- veau à l'achèvement de leur circuit, en minces ramifica- tions. Dans tout trajet en mer, si parfaites que soient les méthodes de navigation, il y a divergence en haute mer, convergence à l’atterrage. Et cela est vrai pour la naviga- tion à vapeur aussi bien que pour la navigation à voiles. Pour les voiliers, la question souffre peu de difficulté. Il est évident que le voilier ne peut faire une route recti- ligne à travers l'Océan. Sa route est soumise aux circons- tances de navigation particulières au moment précis où il la fait. Par conséquent, deux voiliers allant tous deux, par exemple, du Havre à New-York, ne tracent jamais le même sillage, ét leurs sillages sont d'autant plus séparés l’un de l’autre que leur distance de la terre est plus grande, parce que la somme des forces de divergence ne fait que croître vers le large, jusqu’au moment où les capitaines jugent nécessaire de corriger ces forces à tout instant, pour se rapprocher de leur point d'arrivée. Et non seule- ment les routes dirigées dans le même sens, mais encore, et surtout, les routes d'aller et de retour différent les unes des autres, parce que, pour celles-ci, aux divergences nées des circonstances journalières de la navigation s’ajou- tent des divergences d'ordre plus général et plus perma- nent, qui dépendent, soit de la direction des vents domi- nants (vents d'ouest des zones tempérées), soit de celle des vents réguliers (alizés), soit des courants de surface, soit 228 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION de la périodicité des glaces de dérive et des brumes. Om peut dire que, pour le voilier, la navigation astrono- mique à pour objet principal de corriger, tous les jours où les observations sont possibles, les divergences qui re- naissent constamment de la multiplicité et de la diversité des forces de propulsion et de dérive, que la navigation par l'estime * ne parvient pas à combattre d'une manière efficace. Ce que le voilier recherche, c'est une route moyenne, qui l'écarte aussi-peu que possible de son but, non seulement dans l’espace, mais surtout dans le temps ($ 62. Celui qui le dirige se livre donc à un calcul con- tinuel des probabilités basé sur l'expérience, et il se tient à l'affût des circonstances favorables pour réduire, autant que possible, les déviations de la route. Mais il est le pre- mier à faire subir à son bâtiment une déviation, et, par conséquent, à accroître l'angle de divergence, lorsque cette déviation a pour but, par exemple, d'éviter une zone de calmes ou de vents contraires, où le navire aurait chance, en restant immobile ou en louvoyant, de perdre dans le temps plus qu'il ne perd dans l'espaceen passant au large. Il n'est donc pas exagéré de dire que, si l’art de la nawi- sation se propose de tracer aux voiliers, autant que pos- sible, une route moyenne qui se rapproche de la ligne droite, cet art lui-même peut et doit tout le premier con- seiller souvent des déviations : en outre. les routes d'aller diffèrent nettement des routes de retour. Toute voie suivie par les voiliers forme au large un faisceau de sillages di vergenis. . Citons à ce propos la page éclatante de bon sens où Maury, qui a tant fait pour donner aux voiliers leurs meilleures routes moyennes, s'élève contre la superstition graphique qui entrainait certains marins de son temps à FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 299 sur la carte : « Quand je trace, dit Maury, certaines lignes représen- tant une route, on doit comprendre qu'elles n’en donnent que la direction, et non la position absolue; de-plus, on n'a jamais supposé qu'avec un vent favorable un navire allât perdre son temps à reproduire tous les contours ainsi tracés ; pourtant quelques marins ont eu la singu- lière idée que ces contours, ces lignes avaient une vertu propre, et qu il fallait s'astreindre à les suivre aussi stricte- ment que si elles indiquaient un chenal en dehors duquel le navire serait de chaque côté contrarié par quelque obs- tacle. Qu'est-il résulté de cette méprise? C'est que cer- tains capitaines, jetés hors de la route qu'ils s'étaient tracée, se sont ensuite obstinément attachés à y rentrer, négligeant ainsi de mettre à profit les bons vents qu'ils trouvaient pour continuer ce qui eût été leur route véri- table, et louvoyant mal à propos au lieu d'employer ces vents à faire du chemin en bonne direction ! ». . Ilest certain que, pour les bâtiments à vapeur, les di- vergences du sillage en haute mer se réduisent dans de fortes proportions. Elles se réduisent d'autant plus que la vitesse des bâtiments est plus grande, car plus cette vi- tesse s'accroît, plus la force d'impulsion du bateau est _ capable de triompher des causes naturelles de divergence. C'est en pensant à la rectitude et à la fixité des routes nouvelles que Ratzel a déclaré que l'installation de la ma- chine à vapeur sur les navires était le plus grand progrès réalisé depuis l'invention du compas. Cependant, on au- rait tort de croire que les routes océaniques, pour les 1 Maury, 1, p. 221. 260 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION bâtiments à vapeur eux-mêmes, se ramènent tout simple- ment à une ligne droite pour les petits trajets, et à ’arc de grand cercle pour les grands. Des causes de divergence demeurent ; les unes sont naturelles, les autres sont humaines. La dérive par les vents et par les courants se réduit à peu de chose pour les vapeurs; cependant, elle existe et peut devenir sensible pour les très longs trajets où les causes de dérive se totalisent dans le même sens. Une correction constante de la route, au moyen de points * faits d'une manière continuelle, pourrait sans doute neu- traliser sans peine ces forces, si triomphantes contre les voiliers et si faibles contre les vapeurs. Toutefois, dans la pratique, la correction constante est impossible, On ne fait le point qu'à intervalles assez longs, tous les jours, en général, et la navigation astronomique « fixe, en réalité, dit le cours de l'Ecole navale, des lieux géométriques suc- cessifs de la position du navire, lieux que la navigation par l’estime permet de relier les uns aux autres » ; mais la navigation par l'estime n'empêche pas, au large, le jeu des causes de dérive et par conséquent des forces de divergence. En outre, la navigation astronomique elle- même a ses lacunes forcées, et elle a ses erreurs. Elle a ses lacunes, lorsque l’état de l’atmosphère empêche pen- dant des jours, et même pendant des semaines, les obser- vations astronomiques. Elle a ses erreurs, qui proviennent des imperfections aujourd’hui très réduites, mais non pas inexistantes, des instruments de mesure comme les sex- tants et les chronomètres, et qui proviennent aussi des défaillances de l'œil ou de l'attention, possibles chez des observateurs même très exercés ; dans les deux cas, ces erreurs représentent l'espèce de flottement psychologique minime, sans doute, mais impossible à supprimer, que FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 261 comporte toute méthode de calcul, même la plus rigou- reuse, lorsqu'elle est fondée sur l'observation. On voit donc que la navigation à vapeur ne supprime pas tout à fait les divergences dela route maritime : elle les diminue seulement. La route des bâtiments à vapeur représente, comme la route des bâtiments à voiles, un faisceau de lignes ; mais ces lignes sont assez rapprochées. Lorsque Maury proposait, en 1855, de déterminer une route des steamers d'Europe à New-York, il observait que la zone parcourue par les vapeurs de la Cunard Line avait 300 milles de largeur quand ils allaient à l'W. ‘en sens inverse du Gulf Stream et des vents dominants, et 100 milles quand ils allaient à l'E. ; il suggérait de ré- duire ces routes à une largeur de 20 milles, et même de 15 en allant vers l'E., afin de laisser le reste de la zone aux voiliers et de diminuer pour ceux-ci le danger des collisions, et il ajoutait : « Une route de dimensions plus étroites eût été trop diflicile à suivre ! ». Et, plus loin : « Bien qu'un bon navigateur connaisse généralement sa latitude à quelques milles près, il n'en pourra pas moins avoir à raisonner dans l'hypothèse d'une erreur de 10 milles, ou même de 20, de 30 et davantage, selon le temps écoulé depuis les dernières observations ? ». Mal- gré les progrès de l'outillage, de la vitesse et de l'art nautique depuis Maury, ces remarques conservent une grande partie de leur vérité. Nous avons donc établi que, pour un même trajet, les lignes de vapeurs et de voiliers divergent, au large, en faisceaux plus ou moins serrés, Mais ces lignes se concen- trent en une masse homogène à l’atterrage. 1 Maury, 1, p. 213. ? Maury, 1, p. 219. RATE, ÿ not EL Crete. : DE Me Ha Es a Cà à 4 NET E cote ds 262 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION La notion de l’atterrage est une des plus importantes à bien définir pour comprendre le tracé des faisceaux océa- niques. Tout navire qui vient de faire une grande traver- sée dans l'Océan a été dépourvu, pendant un temps plus ou moins long, de points de repère terrestres. Le compas. et l'estime pour une part, l'observation de la carte céleste. pour une part bien plus grande, lui ont permis de con= naitre Jour par jour sa position. Mais le navigateur, aux approches de la terre, n'en cherche pas moins à recon— naître un point terrestre précis sur lequel il atterrit, c'est- à-dire où il prend néttement connaissance de sa position par rapport à la côte. Il est rare que ce point d'atterrage se confonde avec le port sur lequel le navire se dirige. Car le port, et en particulier, le grand port de concentration commerciale et industrielle, ne se trouve généralement pas. comme nous le verrons plus loin (chap. x), à un point d'avancée extrème des continents. Au contraire, il occupe presque toujours un retrait de l’espace maritime, golfe, baie, estuaire, détroit, mer intérieure, dont la situa- tion à la fois maritime et intra-continentale facilite éta- blissement des carrefours commerciaux. Dans la majeure partie des cas, le navire qui se dirige vers un grand port prend d'abord connaissance, sans avoir besoin de se dé- tourner de sa route, d'un point terrestre en avancée, cap, presqu'île, ile en bordure ou simple banc rocheux, dont la valeur économique est nulle, mais dont la valeur au point de vue de la navigation est de tout premier ordre, suriout quand ce point en avancée est pourvu de phares et de sémaphores. Aussi, tous les navires qui veulent aboutir à un port ou, successivement, à un ensemble de ports placés dans un espace maritime en retrait, se dirigent, au milieu de l'Océan, non pas précisément vers le but final 4 \ LA FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 263 du voyage, mais vers le point d’atterrage où se concen- trent les faisceaux océaniques. Grâce aux cartes, ce point sert, en réalité, à reconnaître, non seulement le lieu géo- graphique qu'il occupe, mais tout l’ensemble de côtes in- sulaires et continentales auquel il se rattache. À partir de l’atterrage, la navigation peut se poursuivre longtemps encore, comme du Lizard à Hambourg, par exemple : mais elle cesse d’être océanique, pour devenir une naviga- tion de littoral et de mer intérieure. Les navigateurs ne choisissent pas arbitrairement leur point d’atterrage. Ce- lui-ci est déterminé par la réunion d’un certain nombre d'avantages géographiques et maritimes. À une position à la fois avancée et centrale, qui fixe la situation d’une as- sez grande zone maritime et côtière, le point d’atterrage joint d'ordinaire une certaine facilité d'accès : il n’est pas défendu, du côté du large, par une série trop étendue de dangers à fleur d'eau ou sous-marins (rochers, basses, bancs de sable) ; il n’est pas recouvert trop souvent par les brumes ; il est visible d'assez loin, soit par l'élévation de la côte, soit par la hauteur de son phare et de son séma- phore. Très souvent, ces deux dernières conditions sont réunies, car il est évident qu'en principe, un point situé en avancée d'une côte élevée vaut mieux, pour l'atterrage, qu'un point quelconque d'une côte basse. L'étude des points d’atterrage, sur les grandes routes de l'Atlantique Nord, fait bien comprendre que ce sont les points d'origine où se forment tant les faisceaux de routes distinctes que les faisceaux formés par les sillages des bà- timents à l’intérieur de chaque route. Tous les bateaux qui sortent de Liverpool pour l'Amérique du Nord, de mème que ceux qui viennent de l'Amérique du Nord à Liverpool, reconnaissent le cap Clear, au S. E. de l'Ir- 264 LES FAISCEAUX DF CIRCULATION lande. L'importance du cap Lizard, au S. W. du Corn- wall, à l'entrée de la Manche, est plus grande encore. Car le Lizard sert de point d’atterrage, non seulement à un port. mais à une série de grands ports, tous ceux de Ja Manche et de la mer du Nord, du Havre et de Southamp- ton jusqu'à Hambourg ; et ce ne sont pas seulement les bateaux de l'Amérique du Nord qui se servent du Lizard pour l'atterrage, mais une grande partie de ceux qui vien- nent de l'Amérique centrale et même de l'Amérique du Sud. Aussi est-ce bien une vraie rue maritime, étroite et fréquentée, qui s’est formée au pied de la falaise du Lizard. Des carrefours comme le détroit de Gibraltar, le canal de Suez et le détroit de Singapour sont déterminés, d’une manière exclusive, par l'étranglement de l’espace mari- time, tandis que le carrefour du Lizard n'est déterminé que par les besoins de l’atterrage. Nous avons vu trente- cinq vapeurs de haute mer sur l'horizon maritime de ce cap, et ce spectacle se répète tous les jours. Il est inté- ressant d? comparer, à ce point de vue de l’atterrage, les deux avancées de l'entrée en Manche, le Lizard et lile d'Ouessant. Ouessant, grâce à sa position avancée, est aussi un point d’atterrage pour beaucoup de navires, no- tamment pour ceux qui viennent des côtes d'Afrique, de la Méditerranée et même de l'Amérique du Sud. Mais Ouessant, à cause de ses récifs, de ses brumes et de ses courants violents qui portent à la côte, ne vaut pas le Lizard, et n’a jamais en vue autant de mâtures et autant de fumées. Les points d'atterrage sont sujets à varier, avec les né- cessités du trafic et avec celles de la navigation. Ainsi, au temps de la navigation à voiles, les vaisseaux qui allaient d'Europe en Amérique, vers le Canada ou vers les Etats- : FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 265 Unis, avant l'énorme développement de la prospérité de New-York, reconnaissaient assez généralement le cap Race, situé à la pointe S. de Terre-Neuve, au point où le continent américain serapproche le plus de l'Europe. Ce cap a porté les noms des principales nations maritimes, au temps de la première exploration de l'Amérique. La première carte de Juan de la Cosa (1500), l'appelle Cavo de Ynglelerra. La carte Ruysch; dans le Ptolémée de 1508, l'appelle Cavo de Portugesi'. Aujourd’hui, le cap Race n'est un point d’atterrage, ni pour les paquebots ra- pides qui vont d'Europe à New-York, ni même pour ceux qui vont à Halifax et à Québec : les routes des uns et des autres passent plus au S., car elles suivent l'arc de grand cercle qui va, soit du cap Clear, soit du Lizard, aux abdrds de New-York. Même l'île de Sable, cette insigni- fiante langue de terre, a été un point d’atterrage impor- tant : on ne peut expliquer autrement que le marquis de la Roche ait eu, en 1598, l'idée, qui nous parait singu- lière, d'y fonder une petite colonie ?. Aujourd'hui, les pa- quebots de New-York cherchent leur point d'atterrage, soit aux bancs de Nantucket, soit aux abords immédiats du port, sur Sandy-Hook, car le ravin sous-marin qui prolonge en mer la vallée de l'Hudson permet de recon- naître aisément à la sonde les approches de New-York : il existe donc ici une « ligne d’atterrage sous-marine », fait assez rare, puisque la plupart des points d’atterrage sont côtiers ou insulaires. Au reste, plus la navigation devient rapide et précise, plus le nombre des points d’atterrage diminue ; ils ten- 1 Dawson, p. 663. 2 Dawsow, p. 146 266 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION dent à se réduire. pour de vastes zones maritimes et con— tinentales, à un tout petit nombre de points essentiels au- tour duquel se groupent aisément, grâce aux progrès du balisage, de l'éclairage et de l'hydrographie côtière, les points de reconnaissances secondaires. On comprend que le voilier, toujours incertain de la zone où il peut atterrir, a besoin d’un assez grand nombre de points de reconnaïs- sance Capitaux, afin d'être sûr de n'en pas manquer, … quelle que soit la zone côtière où le vent le pousse, tandis que le vapeur qui peut, sinon maintenir à tout moment sa route, du moins la corriger à coup sûr, n’a besoin que d’un petit nombre de points bien choisis. Le Lizard com- mande, aujourd’hui, les routes océaniques qui vont dans la Manche et dans la mer du Nord, tandis qu'autrefois, les points de reconnaissance multiples des deux avancées anglaise et française se valaient à peu près. 62. Problème de l'accélération pour les voiliers et pour les vapeurs. — Les considérations qui pré- cèdent nous font déjà entrevoir la véritable portée du pro- blème de l’accélération des traversées, ainsi que l'in fluence. de cette accélération sur le tracé des routes. Ce : serait une vue trop simpliste que celle qui ferait de la solution de ce problème l'unique et mème le principal « objet de la navigation moderne. Les prouesses des grands paquebots rapides, qui transportent les voyageurs riches et les marchandises précieuses, nous font parfois illusion. En réalité, comme nous le verrons plus loin ($ 63), le problème de la navigation, lié aux exigences de l'échange moderne et à ses objets essentiels, est beaucoup plus com- & plexe. Cependant, on ne peut-méconnaître que l'accéléra=« tion des traversées répond à un besoin d'ordre autant : y FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 267 - psychologique qu'économique, dont la géographie doit . tenir le plus grand compte dans l'étude de la circulation générale, aussi bien sur terre que sur mer. Ce besoin est celui de la diminution des distances planétaires, réalisée par la diminution du temps consacré aux transports. Une telle diminution entraine nécessairement, sur terre, la tendance toujours plus prononcée des voies de circulation vers la ligne droite. Même dans la traversée des massifs montagneux, les tunnels permettent d'orienter vers la ligne droite le tracé des voies ferrées. Sur mer, 1l n’en est pas de même, et le problème ne se pose pas avec la même simplicité. Le but à atteindre, qui est la diminution de la distance, peut très bien comporter, avec la réduction du temps, un développement linéaire supérieur de la route parcourue et, par conséquent, l'extension de l’espace, sur- tout dans le sens de la longueur, mais aussi dans le sens de la largeur, suivant les principes posés plus haut ($ 67). En effet, il s’agit, non de réduire le nombre de milles marins parcourus, mais de réduire le nombre de jours de la traversée. Maury avait le sentiment très net de cette nécessité, lui qui mesurait ses routes, non en unités de distance, mais en unités de temps. Lorsqu'il promettait, en 1848, de réduire de quarante-huit jours à vingt-quatre la durée moyenne de la traversée de Baltimore à Rio-de- … Janeiro, il ne promettait pas de diminuer dans la même proportion la distance parcourue. Il savait que sur mer, avec les voiliers surtout, où le moteur ne consomme rien * et ne coûte rien, le facteur de la distance parcourue est à peu près négligeable. Il cherchait, comme l'ont fait tous les marins expérimentés, la route la plus courte dans le lemps, et non dans l'espace. Voici, par exemple, les dis - tances des routes, conseillées par lui, pour les six premiers Pan ct 268 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION mois de l'année, entre New-York et Liverpool, depuis New-York jusqu'au 10° long W. Gr.; la colonne (1) donne en milles la route ordinairement suivie du temps de Maury ; la colonne (2) donne la route conseillée, en te- nant compte des moyennes de calmes et de vents con- traires : (i) (2) Janvier fu RE EE RE-CNP RE ee 3075 FEI ME RME EEE TU EEE 2 096 Mars hu TUE a se ED 3154 ASE Re Ar er ENONCE 3 379 MR RD MERE Re as 0t EP STR IEE 3 377 TD ne ES EURE. Lei De TR SRE 3 181 On voit que les routes conseillées sont sensiblement plus longues que les routes usuelles, ce qui ne les em- . pèche pas d’être en réalité plus courtes, puisque le second … trajet, d'après les observations de Maury, fait gagner du … temps sur le premier. Ce n'est pas seulement dans les zones des vents va- riables, comme celle de l'Atlantique Nord, que les voi-. liers sont souvent obligés, en appliquant les principes de . Maury, de développer l'espace parcouru pour gagner du. temps. Ils doivent le faire aussi dans les zones des calmes … tropicaux et équatoriaux, et dans les zones d’alizés, c'est= à-dire, en somme, sur toutes les parties de la planète où. se développe la circulation maritime. Ce qu'on appelle. les calmes tropicaux, du 30° au 37° de lat., n’est en réa lité qu'une région de brises folles, sans direction fixe, où, le voilier est obligé de louvoyer sans cesse, sans réussie toujours à abréger sa traversée. Les brises folles concen=n trent autour des Acores, à certains moments de l’année: un grand nombre de voiliers qui ne peuvent progresser FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 269 au milieu de l'anarchie des vents. Quant aux alizés, il est exact qu ils donnent aux navires une direction à peu près régulière et constante, de sorte que sous leur latitude, par exception, les routes des voiliers se rapprochent de la ligne droite. Mais, comme les alizés soufflent toute l’année dans le même sens, c’est dans ce sens seulement qu'ils donnent aux routes de voiliers leur allure rectiligne ; les routes contraires, ou routes de retour, doivent se déve- lopper sur d'immenses espaces pour gagner sur le temps et pour triompher des obstacles qu'oppose le retour di- rect. C'est ainsi que la grande piste des voiliers dans l'At- lantique, de Londres au Cap (sailing across the equalor) qui traverse les deux zones d’alisés, donne à l'aller et au retour des routes très différentes dans les deux hémis- phères ; c'est seulement gräce à d'immenses variations dans l’espace parcouru que l'on parvient à compenser, sur cette route, les inégalités de temps, à l'aller et au re- tour ($ 65). On peut dire que c’est uniquement dans les zones très limitées des moussons que les conditions natu- relles offrent aux navigateurs des routes d'aller et de re- tour à peu près rectilignes, où marchent de pair la dimi- nution du temps et celle de l’espace; et nous verrons (chap. x) que précisément dans ces zones de la mousson, où la nature faisait à elle seule les frais des routes, l’art de la navigation n'a pu prendre aucun développement Sérieux. Peut être dira-t-on que ces conditions de l’accélération, où la réduction du temps s’achète si souvent au prix d'une extension de l’espace, sont particulières à la navi- gation à voiles, et que cette navigation semble condamnée. Nous aurons à traiter ($ 63), cette question de la persis- tance ou de la disparition du voilier, et nous verrons qu'il 270 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION serait irréfléchi de conclure de sa décadence à son extinc- tion totale. En tout cas, les conditions générales de lac célération s'appliquent aussi, quoique d’une manière un peu moins visible et surtout moins générale, aux bâti- “ments à vapeur. Pour eux également, la route la plus courte dans l’espace n’est pas toujours la route la plus courte dans le temps, et le tracé de l'arc de grand cercle sur la carte océanique ne suffit pas, à lui seul, à résoudre le problème de la navigation. Cette affirmation peut sur- prendre au premier abord, tant notre pensée est habituée à voir dans la route du vapeur une ligne droite, où l’ac- célération s'obtient, d'une manière exclusive, au moyen de la puissance sans cesse accrue du moteur. Mais à la. réfiexion, on se rend compte que l'accélération indéfinie, sur l'arc de grand cercle, ne serait possible que sur une mer dépourvue d'obstacles et changée en une sorte de piste océanique réservée. Or, les routes de l'Océan ne sont pas comparables à une piste de vélodrome. En ad- mettant même que les capitaines des grands paquebots. rapides méprisent les obstacles qui s'opposent à eux du fait de l'homme, et qu'ils soient sûrs d'écarter ou de ba- layer les autres bateaux qu'ils peuvent rencontrer sur leur route, ils doivent toujours tenir compte des obstacles na— turels, qui ne s’effacent pas si volontiers. Pour naviguer à 22 ou 25 nœuds, il faut naviguer en toute sécurité. Or, il n'y a plus sécurité, mais un danger terrible de tous les. instants pour le vapeur ainsi lancé. lorsqu'il traverse à toute vitesse une zone de brumes ou bien une région jus- qu'où descendent les icebergs et les glaces de dérive. Il en sera de même, s'il range de trop près la côte, dans une mer littorale où la moindre erreur d'observation pourra avoir pour le bateau lancé à toute vitesse des consé= FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 271 quences fatales, en le précipitant sur des dangers que la rapidité du navire ne lui permettra pas d'éviter à temps. Pour ces raisons, l'accélération de la route doit tenir compte de la sécurité relative où se trouve le bâtiment rapide. L'accélération croissante va de pair avec les pré- caulions croissantes, et ces précautions se traduisent tou- jours par une légère extension dans l'espace de la route prévue, qui évite, autant que possible, les zones dange- reuses, pour donner au navire un tracé où il fait de la vitesse en toute sécurité. C’est ainsi qu'au voisinage des bancs de Terre-Neuve, où descendent au printemps les glaces de la mer de Baffin, qui amènent avec elles, non seulement le danger des collisions, mais les brumes épaisses dont le manteau opaque enveloppe Terre-Neuve, la route des paquebots d'Europe à New-York fait pendant plusieurs mois de l’année un crochet sensible, qui la re- porte à environ un degré au Sud. On y gagne largement en temps ce que l’on semble perdre en espace. Sur les bancs couverts de brume et d'icebergs, les vapeurs ne pourraient maintenir leur maximum de vitesse océanique, qu'ils parviennent aisément à garder en contournant la région dangereuse. 63. La transformation des échanges et l’économie du transport. — Si le problème de l'accélération à tout prix était le seul qui se posät, les faisceaux de circulation océanique se simplifieraient très vite. La voile aurait déjà disparu, et les bâtiments à vapeur copieraient tous, pour le tonnage et pour la vitesse, un type unique. Mais la circulation maritime ne se laisse pas ramener à une seule formule, parce qu'elle doit résoudre plusieurs problèmes très différents, et même, en certains cas, presque contra- 272 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION dictoires. Elle doit obéir à la fois aux exigences de la na vigation et aux règles économiques de l'échange. La vi- tesse est un article de luxe, qui coûte déjà fort cher et qui est appelé à coûter encore davantage dans l’avenir. Pour une accélération comparativement insignifiante, elle com- porte un tel accroissement de dépenses, aujourd'hui, qu'en la recherchant d'une manière irréfléchie on boule- verserait l'équilibre économique des transports. On a cal= culé que, pour porter la vitesse moyenne de 25 à 26 nœuds, sur la route de Liverpool à New-York, il faudrait consommer par voyage 1 200 tonnes de charbon de plus, sans compter les frais plus élevés de la construction du navire. Cette accélération à tout prix peut être recherchée par des compagnies avides de réclame ou par des voya— geurs fastueux qui cherchent à retrouver, dans les trans- ports maritimes, une image des vitesses auxquelles les habituent aujourd'hui les transports terrestres. Mais, si quelques passagers croient avoir besoin de cette vitesse, la majeure partie n’en a aucun besoin, et les conditions économiques du transport des choses s'y opposent nette ment. Or, les mouvements de migration mis à part (et ces mouvements ne sont importants, aujourd'hui, que sur quelques routes bien déterminées), la circulation ma- rilime se propose deux objets principaux : 1° le transport instantané de la pensée. par le moyen des câbles sous- marins ($ 65) ; 2° le transport à vitesse moyenne et en grande quantité des matières brutes nécessaires aux cen- tres industriels pour la vie et pour le travail de leurs ha- bitants, ainsi que le transport des matières ouvrées par eux. C'est ce second objet qui doit retenir notre attention: L'analyse des conditions où se trouve maintenant le trans- port des choses à travers l'Océan nous donnera l’explica= cn FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 273 tion, non seulement du tracé des routes maritimes, mais de la diversité des navires et des routes. Avant l’âge de la grande industrie, dont les foyers de développement se trouvent dans la zone tempérée de l'hémisphère nord, sous la même latitude, des deux côtés de l'Atlantique (pourtour de la mer du Nord, [lés Britan- niques, États-Unis entre New-York et les grands lacs), la circulation maritime se proposait comme objet principal le transport des produits tropicaux et des marchandises précieuses vers les régions civilisées de l'Europe. Les na- vires n'avaient dans leurs cales que des objets qui présen- taient une assez grande valeur sous un volume relative- ment faible, comme les épices, le sucre, les métaux précieux, les étoffes de soie. Soit que leur route fût tra- cée de l'Amérique tropicale aux côtes d'Europe, soit qu'elle vint de l'Insulinde par le cap de Bonne Espérance, soit même qu'en reprenant la vieille piste du trafic arabe et vénitien, la route maritime fût tracée de l'Insulinde et de l'Inde vers le fond du golfe Persique et de la mer Rouge, il s'agissait toujours de faire passer d’une zone climatique de la planète à une autre zone les choses que la première possédait du fait même de son climat ou de ses mines, et que la seconde ne pouvait avoir. Une car- gaison présentait toujours une valeur très élevée sous un petit volume. Souvent, comme nous l'avons vu ($ 55) la cargaison se complétait au moyen de la traite des nègres ; mais cette marchandise aussi avait une grande valeur, parce qu'elle était nécessaire au développement des pro- duits tropicaux. Il y avait intérêt pour toutes les choses transportées, quelles qu'elles fussent, à rester en mer le moins possible. Le problème de l'accélération se posait donc seul pour les voiliers; mais 1l ne se posait qu'en 27h LES FAISCEAUX DE CIRCULATION termes assez simples, qui ne pouvaient comporter que des « solutions limitées, puisque les principales voies du com— merce maritime se déroulaient surtout dans les zones des moussons et des alizés. Tout a changé avec l'avènement de la grande industrie et avec l'accroissement de la population urbaine et ou- vrière. Le transport des denrées précieuses à passé at second plan. Au premier plan est venu le transport du « blé, du maïs, du coton nécessaire pour nourrir et pour vêtir les foules urbaines, et celui de la houille, du fer, des métaux et du bois dont l’industrie a besoin en quantités croissantes. Sous un petit volume, toutes ces matières ont une faible valeur. Pour que la circulation maritime réponde à son but économique, il faut qu'elle les trans- porte en très grandes quantités à la fois. D'autre part, ces matières peuvent presque toujours supporter sans in- convénient les longs séjours à la mer, et, pourvu que le courant d'échanges soit établi d’une manière normale et que les entrepôts soient convenablement approvisionnés, il n'y a aucune urgence à les jeter rapidement sur les quais des ports. Ainsi, par suite de l'accroissement du tonnage des bateaux, qui rend la vitesse fort chère pour les bâtiments à vapeur, et par suite de la nature même des courants d'échanges, la question de l'accéléra- tion devient secondaire. La question de l'économie du transport prend une importance de premier ordre. C'est elle qui a défini et précisé peu à peu Île type maritime du cargo boal; c'est elle aussi qui maintient et qui maintiendra les voiliers, tout en limitant leur domaine. Le cargo-boat s'oppose assez nettement au paquebot rapide. Le cargo a pour but essentiel le transport en ñ FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 279 masse, dans ses cales immenses, de marchandises lourdes d'une faible valeur. Ce bâtimert se sert de sa machine, non seulement pour avancer, mais aussi pour faire toutes ses opérations de chargement et de déchargement à quai. Il est intéressé à ménager autant que possible sa provision de charbon et à marcher à une vitesse modérée, d'autant plus que, comme l'équipage du cargo est peu nombreux par rapport à son tonnage, les frais qui résultent de la prolongation du séjour en mer sont relativement peu élevés. Un cargo suit, en moyenne, à 10 ou 12 nœuus, les voies océaniques où les paquebots rapides le précèdent de si loin. Mais les paquebots rapides ne sont pas en très grand nombre, tandis que les cargos forment l'immense majorité du peuple des navires. Le voilier moderne, construit en acier, avec son grée- ment simplifié, n’est guère qu'un cargo sans machine, où - l'absence du moteur permet d'accroître l'espace destiné . aux marchandises, mais où existent souvent, pour la ma- nutention des marchandises. des moteurs auxiliaires. à vapeur ou à pétrole. Cette survivance du voilier s'explique par la mise au second plan de l'accélération qui avait fa- vorisé la naissance du cargo. Dans les régions comme les zones d'alizés, où la route du navire à voiles est presque - aussi sûre que celle du navire à vapeur, tout en étant plus - lente, le grand voilier conserve ses avantages pour le transport des marchandises encombrantes. Aussi, au lieu de disparaître, a-t-il pris une figure moderne, et sa pré- * sence introduit un élément de complexité dans le tracé * des routes maritimes, où 1l conserve aux agents physiques, - comme les vents et les courants, une partie de leur an- cienne influence. k AM pe + ARS 276 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION 6%. Accroissement du tonnage et spécialisation des navires. — Ce qui montre bien que l'économie du transport prime l'accélération, c'est que l'économie déter- mine en maitresse presque absolue les formes, la gran- deur et l’utilisation des principaux types de navires. Aï- dée par les progrès techniques de l'outillage maritime et industriel, ‘elle modèle les flottes marchandes selon les” besoins commerciaux. Elle tend à réduire le nombre total des navires qui peuplent l'Océan : mais c'est pour ac- croitre dans de vastes proportions le tonnage de ceux gui restent, et pour donner à chacun une destination aussi spéciale et aussi limitée que possible. Donc, elle con- centre et elle spécialise à la fois. C’est la construction en fer et en acier qui permet d'al- longer, d'une manière presque illimitée, les coques des navires, que la construction en bois empêchait de dépas- ser d'assez modestes proportions. Les navires en bois, de 70 mètres de long, atteignaient le maximum ; les bateaux en acier de 240 mètres, comme les plus grands transat- - lantiques actuellement à flot, seront facilement dépassés. Le tonnage, la capacité et l’économie relative de trans- port s’accroissent dans la même mesure. Aussi l'empire maritime a-t-1l passé du bois à l'acier, comme 1l a passé de la voile à la machine. Cette transformation de l'ou- üllage a entraîné des conséquences profondes. C'est elle qui a décidément donné à la marine son caractère indus- triel, en l’annexant aux grandes industries assises autour des foyers de production de la houille et du fer. Les ré- sions ou les pays qui ont l'empire industriel ne peuvent M manquer d’avoir aussi l'empire maritime. Il n'en était pas ainsi du temps de la marine en bois, où les régions riches en forêts situées près de la mer, comme la Norvège, FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 277 étaient les centres de la plus grande activité dans les constructions navales. Celles-ci avaient alors leur domaine propre, qui dépendait surtout de l'abondance en bois près des côtes. Il en est encore ainsi dans les mers secondaires éloignées des grandes routes maritimes, où la marine ne se transforme que lentement et conserve ses bâtiments et ses lignes d'autrefois (chap. x). Mais partout où agissent le besoin social de l'économie des transports et le besoin psy- chologique de l'accélération, l'empire maritime passe ou tend à passer aux régions riches en houille et en fer. Dans ces régions, le besoin crée l'organe ‘en l'espèce, le bateau à vapeur en acier , et à son tour, l'organe surexcite les be- soins. L'Angleterre a dû les premiers siècles de sa supré- matie maritime à sa position insulaire et à l'esprit d’entre- prise de ses habitants ; mais cette suprématie ne se serait peut-être pas maintenue d’une manière si durable, et sur- tout, elle n'aurait pas distancé au point que nous voyons aujourd'hui les entreprises navales des autres nations, si le Royaume Uni n'avait pas eu ses immenses réserves de houille et de fer. Tout est organisé, dans l’industrie ma- ritime anglaise, pour une production constamment ac- tive, rapide et peu coûteuse des coques et des machines. Les chantiers de la Clyde, qui déroulent le long de cette rivière, de Glasgow à Greenock, un ruban à peu près ininterrompu de cales de construction, donnent l'im- pression saisissante de cette activité. Les chantiers de la Tyne, en aval de Newcastle, produisent aussi, tous les ans, des flottes entières. Si l'Allemagne met aussi à l’eau, de notre temps, des flottes de plus en plus puissantes et de plus en plus nombreuses, on peut soutenir que l'im- pulsion originelle de ce mouvement est due à une pensée d'impérialisme commercial et politique, pour laquelle la 10 278 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION 4 circulation et la domination maritimes sont étroitement « liées l’une à l’autre {v. IV° partie) : mais cetle pensée se rait demeurée à l’état de rêve imprécis et difficilement réalisable, si les ressources en fer et en houille du sol'al- lemand n'avaient permis de développer, pour tousdes. buts industriels et en particulier pour le but maritime, um puissant outillage. Le développement maritime de l'Alle=… E magne sera 1mité et peut-être surpassé, demain, par les Etats-Unis et le Japon. C’est donc sur toutes les parhes « maritimes de la zone tempérée de l'hémisphère Nord, dans le Pacifique comme dans l'Atlantique, que la marine industrielle prend son essor pour s’élancer sur toutes les routes du globe. Si nous rapprochons ce fait de l'abon- dance des populations maritimes et des pêcheries dans les « mêmes régions (1° partie), ainsi que de la présence, tou— jours sur les mèmes latitudes, des principaux foyers de surpopulation d'où rayonnent les plus actives migrations maritimes ([l° partie , nous obtenons une vue d'ensemble des causes qui assurent aux pays tempérés du Nord l'em- « pire maritime social et économique, auquel est nécessaire- ment attaché l'empire politique. L'accroissement presque illimité du tonnage des na- vires et la réduction de leur nombre s’accompagnent d'une spécialisation progressive de leurs tâches économiques. | Cette spécialisation n'est pas encore complète ; il est . même permis de croire qu'elle ne se complètera jamais, car la circulation maritime ne saurait avoir des cadres « tout à fait rigides ; il y aura toujours intérêt à conserver \ à un certain nombre de bâtiments une souplesse d’utilisa- tion qui puisse s'adapter tour à tour aux conditions chan- geantes de la boussole économique. Lorsque les. bateaux vagabonds, les /ramps, qui sont presque tous des cargos, FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 279 vont au petit bonheur, de port en port, recueillir le fret qu'ils peuvent trouver, ils montrent que le trafic mari- tire est souvent obligé de laisser le champ libre à l'im- prévu. Cependant, la spécialisation s'impose pour cer- taines catégories de transports. Cette spécialisation aboutit .à la création de types déterminés de navires ; mais la na- ture même de ces types montre bien que l'outillage de la circulation maritime se conforme aujourd'hui à des règles de l'ordre économique plutôt qu'à des règles de l’ordre nautique. Un modèle de navire, à l’époque’ présente, ne se distingue pas d'un autre par des qualités nautiques spéciales, mais par le mode d'utilisation économique pour lequel il est fait. Il n'en était pas de même avant la grande industrie, dans l'ère de la navigation à voiles et . des cargaisons peu encombrantes. Alors, un bâtiment se distinguait d’un autre par les qualités particulières de marche et de manœuvre qui résultaient de sa voilure et de son gréement. Un brick, une goélette, un trois-mâts ré- pondaient chacun à des exigences nautiques d'un ordre déterminé ; il était assez indifférent qu'ils fussent consa- crés à un mode de transport plutôt qu'à un autre, aux passagers plutôt qu'aux marchandises, aux marchandises lourdes plutôt qu'aux marchandises légères. Maintenant, au contraire, les bâtiments à vapeur peuvent suivre indis- tinctement les mêmes routes, où ils font preuve des mêmes qualités, sans autre inégalité que celle de la vi- tesse ; mais l'affectation économique de chaque type s’est - précisée et se précise chaque jour davantage. Quand le be- soin de vitesse et de service régulier passe en première « ligne, comme il arrive sur la route d'Europe à New-York, le type nécessaire est celui du grand paquebot à marche rapide (22 à 25 nœuds aujourd'hui en moyenne, 12 à “a 4 & a 280 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION 25000 tonnes), comme la Provence, le Kaiser Wil- helm IT et la Lusilania. Si le bateau est fait pour le trans- port d'émigrants et de marchandises en très grande quan- tité, 1l a besoin d'une vitesse encore assez grande, moins grande toutefois que le type précédent, mais il a besoin surtout d'un gros tonnage : c'est le grand paquebot miæte de la série en ic de la White Star Line dont nous avons parlé au $ 58 (20 à 25000 tonnes, 17 à 18 nœuds). Si le. bateau est destiné à la fois aux voyageurs et aux marchan- | dises d'assez faible volume, sur les routes où règne une : activité un peu moindre, sa vitesse et son tonnage dimi= nuent à la fois : c’est le cas des paquebols moyens qui { sillonneat les lignes de l'Amérique du Sud, de l'Afrique, | de l'Australie et de l'Extrème Orient (6 à 12000 tonnes, 1/4 à 15 nœuds). Lorsque le bateau est destiné à peu près exclusivement au transport des marchandises lourdes, c'est le cargo-boal ; quelques cargos atteignent aujour- d'hui des dimensions colossales (20 000 tonnes) ; maïs la majeure partie est comprise entre les grandeurs de 5 à 10 000 tonnes, et les vitesses moyennes de 9 à 14 nœuds. Comme le type précédent, le grand voilier en acier, trois- mâts barque ou carré, où quatre-mâts (et même parfois davantage) répond aux besoins du transport océanique 1500 à 5000 tonnes. La spécialisation va même plus loin. Elle se porte jusqu'à la nature des marchandises transportées, surtout quand ces marchandises sont dange- reuses où quand l’incommodité de leur manutention ex- clut à peu près tout autre chargement. C'est ainsi qu'il y aujourd'hui des cargos pétroliers, des cargos charbon- niers, des cargos cotonniers. Tous ces types ne sont pas si nettement tranchés que notre classification le ferait croire : entre les uns et les autres existent d’assez nom ET REC Ie NE TN Ge edit islhhi obéit DE | 1] 15 LRRANELE LAS ei £ L< Pres FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 281 breux types intermédiaires, et, au-dessous de tous, les anciens voiliers et les petits vapeurs forment, dans la na- vigation méditerranéenne et littorale, un monde com- plexe, au rayon de circulation très restreint. La naviga- tion océanique n'a donc pas perdu sa diversité en devenant industrielle ; mais cette diversité a changé d’allure, si l’on peut dire ; elle est devenue plus économique que nau- tique, 69. Enumération des grandes routes océaniques. — Les grandes routes de la circulation maritime relient maintenant tous les foyers industriels et commerciaux des continents ; combinées avec les routes terrestres, elles tracent autour de la planète, dans le sens du méridien, un réseau de communications ininterrompu. Comme les con- ünents, et en particulier le continent américain, s'éten- dent plutôt dans le sens de la latitude, il en résulte que les routes maritimes capitales sont celles qui suivent le méri- dien, soit dans l'hémisphère Nord, entre l’Europe, l'Amé- rique du nord, l'Asie orientale, soit, sur l'équateur et dans l'hémisphère sud, entre l'Afrique et l'Amérique du sud, entre l'Asie et l'Australie. soit, enfin, entre les trois pointes australes des continents. Ces routes ont comblé les anciens vides atlantique et pacifique :$ 40 et Ar); elles se relient, le plus souvent, aux réseaux de la télégra- phie sous-marine, qui obéissent, comme elles, aux be- soins généraux des échanges ; elles font participer d'im- menses étendues marines au mouvement de la vie humaine ; cependant il ne serait pas exact de croire que la mer libre tout entière se rattache, dès maintenant, à « l'œcoumène de la circulation » de Ratzel. Des vides existent encore : ils existent entre les faisceaux distants 16, PAR ES VE RTE PT ON 2 A TS PET OP TRE 282 LES FAISCFAUX DE CIRCULATION les uns des autres; ils existent même, parfois, à l'inté- rieur des faisceaux, lorsque dans ceux-c1 les routes d'aller \ et de retour sont bien distinctes. « Tandis que certains carrés de nos cartes, dit Maury, nous donnent jusquà mille observations et plus pr seul mois, d'autres à côté, et pour d’autres mois. n'en ont pas une seule, tant l sont tracées d’avance et restreintes les routes que le com— merce suit sur l'océan. Ainsi, dans l'Atlantique sud, entre « les routes des navires qui doublent, soit dans un sens, soit dans un autre, le cap Horn ou le cap de Bonne Es- pérance, il se trouve une immense étendue de mer rare- ment traversée par les navires, étendue sur laquelle nos cartes restent muettes jusqu'ici { ». Les grands faisceaux océaniques sont les suivants : À. Routes de l'Atlantique. — 1, La route des vapeurs de l'Europe (cap Clear et cap Lizard) à New-York (Sandy Hook) suit deux itinéraires distincts. Du 15 août au 1/ janvier, elle est tracée, à très peu près, suivant Farc de grand cercle. Du 15 janvier au 14 août, elle fait un angle vers le S., à hauteur des bancs de Terre Neuve ; le som met de l'angle se trouve par 42° lat. N.et 47°long. W.Gr. « Ce détour est déterminé par la présence des glaces ft tantes et des brumes, à la fin de Fhiver et au printemps, sur les bancs. Les routes de retour sont tracées de ma- nière à passer à 1 degré au $. des routes d'aller, vers le milieu de l'Atlantique, dans la zone où le faisceau s'élargit le plus. : La route des vapeurs de la Méditerranée à New— York suit l'arc de grand cercle de Gibraltar à Sandy= Hook. La route d'aller passe au S. des Açores ; la voïe de: 4 1 Macrr, 1, p. 179 FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 283 retour est déviée un peu au N. de ces îles, afin de pro- fiter dans une certaine mesure, de l’afflux des eaux de PW. à l'E. (Gulf Stream) et des vents du S. W. domi- nants. 3) La route des vapeurs du cap Clear et du Lizard aux Antilles est tracée entre l'Europe et les deux points d’atter- rage de Sant-Thomas aux Antilles ‘pour les Petites An- tilles), et de Nassali aux Bahama (pour Cuba et le golfe du Mexique). Comme la précédente, elle profite, pour le retour, du Gulf Stream et des vents dominants, tandis qu à l'aller elle est à peu près rectiligne. Par conséquent, elle passe à l'aller au S. E. des Açores. et au retour au N. W. de ces iles. Particulièrement, la route de retour du détroit de Floride à la Manche dessine presque sur la carte le bord oriental du Gulf Stream. 4) La route des vapeurs de la Manche à F Amérique du Sud n'a pas un caractère transocéanique aussi prononcé que les précédentes. C'est presque une ligne d’escales, comme beaucoup de faisceaux méditerranéens. Elle tra- verse l'Atlantique dans sa partie la plus étroite. entre Saint-Vincent du Cap Vert et le cap Saint-Roch. Elle subit à l'aller et au retour quelques variations, dues au choix des escales : les navires peuvent s'arrêter à Madère ou aux Canaries, aux îles du Cap Vert ou à Dakar. Le faisceau est absolument côtier du cap Saint-Roch à Buenos Ayres et au delà. 5) La route des vapeurs d'Europe au Cap serait pres- que exclusivement côtière, si elle ne prenait le large de * Dakar au Cap au lieu de suivre le retrait du golfe de Guinée. 6) En revanche, la grande route des voiliers du N au de l'Atlantique (sailing across the equator) est tout (9 Dre". 284 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION entière océanique, dans ses trajets variables. Le voilier est intéressé à suivre une route qui l'éloigne de la côte, et qui le mette à l'abri, non seulement &es dangers terres- tres, mais de la brusquerie des changements météorolo- giques habituelle au voisinage du littoral ‘. La route d'aller, d'Europe au Cap ou à l'Amérique du Sud, suit. Jusqu'à la zone équatoriale, d’une manière à peu près. reculigne, les alizés de l'hémisphère Nord, du N. E. au S. W.,en passant non loin de Madère et des îles du Cap-Vert. Au delà de l'équateur, elle se bifurque. Pour l'Amérique du Sud, la présence du courant de l’hémis- phère austral (courant du Brésil), permet aux voiliers de parvenir assez aisément à leur but ; mais pour le Cap, les alizés du S. E. obligent les navires à faire un grand dé- tour, par Trinidad et par Tristan da Cunha. La route de retour se fait suivant la même méthode ; celle-ci est favo- risée par les alizés du $S., et contrariée par ceux du N.: aussi, dans l'hémisphère N., les voiliers sont obligés de faire le périple des Açores, pour gagner la zone du Gulf Stream et des vents dominants du S. W. - B. Routes du Pacifique. — Elles sont encore peu nom- breuses et relativement peu fréquentées. 1) La ligne des vapeurs de Yokohama à Victoria (île de Vancouver) et à San-Francisco est symétrique à la ligne atlantique d'Eu- rope à New—York ; mais son tracé est plus simple ; il se confond avec l'arc de grand cercle, parce que la navi= gation n'a pas à redouter, dans le Pacifique Nord, la dé- rive des glaces, et parce que le petit nombre des bateaux engagés sur cette route dispense de prendre les mêmes précautions que dans l’Atlantique. Maury, 1, p. 266. Le pa Er FAISCEAUX DE LA CIRCULATION OCÉANIQUE 289 >) Les lignes de vapeurs de Sydney (Australie) et d'Auckland (Nouvelle-Zélande) à Victoria et à San-Fran- cisco, sont déterminées dans leurs tracés par les escales des Fidji et d'Honoloulou. 3) La route des vapeurs du cap Horn à San-Francisco est uniquement côtière. 4) La route des voiliers de Sydney à San-Francisco passe, à l'aller, au S. de la Nouvelle-Zélande, et profite longtemps, dans les latitudes australes, du mouvement général des eaux d'W. en E. Elle ne remonte au N. que dans la partie orientale du Pacifique, vide d’archipels co- ralliens. Dans l'hémisphère N., elle est contrariée par les alizés de N.E., et obligée à décrire un détour pour par- venir à San- ne La route du retour est engagée, par les alizés du N. E., au miliev des archipels coralliens du Pacifique, d'où elle ne parvient pas sans difficultés jusqu'à Sydney. 5) La route des voiliers du cap Horn à San-Francisco est tour à tour, comme la grande route atlantique, con- trariée ou favorisée par les alizés : à l'aller, elle passe à Honoloulou, et au retour entre l'ile de Pâques et les Po- motou. C. Routes de l'océan Indien et du tour du monde austral. — La partie océanique de l'océan Indien ne comprend que deux grandes routes de vapeurs : 1) du Cap à Co- lombo par Madagascar ou les Mascareignes ; 2) de Co- lombo à Melbourne et à Sydney. Les principales routes de voiliers de cet océan résultent de la mousson et font partie des faisceaux de la circulation méditerranéenne. Quant au tour du monde austral, c'est une route de voi- liers. L'afflux des eaux d’W. en E., sur toute la partie mé- ridionale de la planète, permet aux voiliers d'aller avec bon « dos brises » de l'océan Indien et ‘du _fique. CHAPITRE X FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE . 66. Voies maritimes indo-méditerranéennes. — 6=. Isolement des anciens faisceaux ; la navigation dans les mers de la mousson, — 68. Jonction des faisceaux méditerranéens et sino-indiens : la route de Suez et la navigation à vapeur. — 69. Escales et pays d’entrepôts. — 5o. Equipages cosmopolites. — 1. Concurrence des voies terrestres et des voies maritimes. 66. Voies maritimes indo-méditerranéennes. — De Gibraltar à Yokohama se développent à travers des bassins maritimes étroits et encaissés (Méditerranée, mer Rouge, mers de Chine), ou soumis à un régime clima- tique particulier (N. de l'Océan Indien , les faisceaux de arculation méditerranéens. Leur plus grande extension est dans le sens du méridien, comme pour les faisceaux océaniques : mais là s'arrête la ressemblance des uns et des autres. On comprend aussitôt, au seul examen de la carte, que le faisceau des voies maritimes, dans la Médi- terranée et dans les mers de la Chine et de l'Inde, ne peut se former d'après les règles qui expliquent la genèse des faisceaux dans l'Océan. Tout l’ensemble maritime dont nous abordons l'étude au point de vue de la circulation se compose d'un complexe de mers intérieures, de mers en bordure, et de mers fermées par des iles. Ce n’est donc pas un tout uniforme comme l’Océan : c'est une mosaïque de bassins qui n’ont aucune coordination physique, sinon r #b als Ad ait. 288 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION celle qui provient de relations structurales lointaines, aux-" quelles l'évolution même de la face de la terre a mis un ! terme par l’assèchement de l'ancienne « Méditerranée cen- trale » (Tethys de Suess), et par le comblement du dé- troit de Suez ; ni par le climat, qui oscille, d'une région à l'autre, entre le régime des saisons tranchées et celui des saisons intermédiaires, ou entre le régime de la mous- son et celui des vents variables, n1 par la faune ou par la flore, les régions de la circulation méditerranéenne ne se ; rapprochent étroitement : elles contrastent plutôt, et c’est ce contraste qui en a fait les grandes voies du commerce maritime, au temps où ce commerce n'avait d'autre objet que de suppléer, par le transport, aux différences de pro- duction végétale qui séparent les pays tropicaux des ré- gions tempérées de l'Europe ($ 63. Les bassins indo-sino- méditerranéens n’ont de commun que leur extension médiocre, On ne peut évaluer à plus de 19 millions de kilomètres carrés l’étendue totale des mers où se déroule « la circulation de Gibraltar à Yokohama : c’est à peine Je quart de l'Atlantique, et le huitième du Pacifique. En outre, cet étroit espace est très sectionné. Les voies ma- ritimes qüi le sillonnent sont étranglées dans de nombreux couloirs : détroits de Messine et de Sicile, Bosphore et. Dardanelles, canal de Suez, mer Rouge et Bab-el-Mandeb, détroits de Malacca, de la Sonde, de Macassar, canal de Formose, détroit de Tsou-Shima. À chaque couloir im- portant s'est établie une escale, point d'arrêt qui est en même temps un centre de rayonnement des voies mari= üimes sur les deux bassins qui réunissent leurs eaux dans le détroit. Gibraltar, Messine, Tunis, Constantinople, Port Saïd, Aden, Colombo, Singapour, Batavia, Shanghaï et Nagasaki occupent sur la carte des situations analogues FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 289 ou identiques. Points d’eau, points de charbon, carre- fours commerciaux, centres de croisement des races, pos- sédant tous ces caractères soit au même degré, soit à des degrés très différents, ces villes relient, réunissent et con- fondent ensemble les voies méditerranéennes; ce sont comme les nœuds solides où se serrent les mailles du ré- seau de ces voies. Cette jonction des routes aux escales d’étranglement n'empêche pas chaque bassin méditerra- néen de garder son un:té humaine, comme son unité physique. Car, de même que chacun des bassins se dis- tingue par son relief particulier, par ses lignes isobathes* fermées et par un régime météorologique spécial, de même chacun possède, en dehors des grandes voies qui l'unissent aux autres, un réseau à part, souvent très actif, où nayires, équipages, passagers et marchandises vont et viennent dans l’étroit espace maritime d’un golfe ou d’une mer intérieure, sans en sortir Jamais. Ainsi, le cabotage de la Méditerranée occidentale, entre la France, l'Es- pagne, l'Italie et l'Algérie-Tunisie, vit de sa vie propre, sans presque rien emprunter au dehors. Il en est de même de la navigation des Echelles du Levant, entre Marseille, Gênes, Naples, Trieste, Odessa, Batoum et Alexandrie, par le Pirée, Syra, Salonique, Constantinople, Smyrne et Beyrouth. Cette navigation, qui constate et souligne l'unité de la Méditerranée d'Europe, est presque exclusi- vement méditerranéenne. Même caractère régional dans le commerce « d'Inde en Inde », ou dans les relations par jonques entre la Chine et les mers de l’'Insulinde. Cette circulation, limitée à des bassins presque fermés et très peu étendus, où de médiocres distances séparent les côtes opposées, substitue assez souvent, au va ct vient rectiligne des grandes routes de l'Océan, des voies tracées La Mer, 17 290 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION suivant des courbes fermées, ordinairement ellipsoïdales et parfois presque circulaires. Des voies de ce genre ré— pondent à la nature des choses. Un navire qui fait, par exemple, dans un but commercial, le tour des Echelles du Levant, n’a pas, pes le moment où il quitte son port d'attache jusqu’à celui où il y revient, une route d'aller et une route de retour bien séparées. Il fait une sorte de périple, comme les légendairès vaisseaux de 4 l'Odyssée et de l'Énéide. W n'est pas rare que. les paque- bots des lignes régulières du Levant aient des escales. 3 d'aller et FAR cales de retour différentes. À plus forte raison le bateau chercheur de fret va ouil peut en trouver, « en faisant, s’il le faut, le tour des ports de la mer inté- ricure. Ce n'est pas dans l'Atlantique que sont nés les « tramps, les bateaux vagabonds : ils sont méditerranéens ; … ce sont, par exemple, les bateaux de caravane des marins « grecs ; ces petits voiliers, construits hàâtivement en sapin, quittent leur port d'attache pour n'y revenir jamais, car. leur courte existence (quatre ou cinq ans environ) se passe tout entière en voyages dans le cycle des ports mé- diterranéens, sans direction fixée longtemps à l'avance. . Les routes en courbes fermées ont été la règle dans toutes | les mers secondaires sino-indo-méditerranéennes, sauf - cependant dans les zones de la mousson, où la régularité. des vents imposait des tracés rectilignes, semblables en » alizés dans un sens seulement ($ 67). 2 67. Isolement des anciens faisceaux ; la naviga- tion dans les mers de la mousson. — C'est un fait re lativement récent que la jonction maritime des bassins indo-sino-méditerranéens. Cette jonction a eu une aussi FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 291 grande valeur, pour la circulation méditerranéenne, que le comblement des grands vides pour la circulation océa- nique. La jonction s’est faite, pour la navigation à voiles, par la découverte de da route du Cap, et pour la naviga- tion à vapeur, par le percement de l’isthme de Suez. Avant que la circulation maritime se frayät ces routes nouvelles, et surtout avant l'établissement de la seconde, : dont la brièveté a corrigé la longueur démesurée de la première, les faisceaux de la circulation méditerranéenne appartenaient à deux domaines tout à fait séparés par mer, entre lesquels il n’y avait que quelques pays d’entre- pôt et d'incommodes voies désertiques qui offraient, outre leurs inconvénients propres, tous ceux des opéra— tions de transbordement ($ 69). Ces deux domaines étaient la Méditerranée d’une part, les mers de la mousson de l’autre. Les conditions de la navigation et, par suite, les constructions navales ainsi que la pratique du métier de la mer différaient totalement dans les deux séries de bas— sins maritimes que séparaient, non seulement la langue de terre de Suez, mais l'étendueet les côtes inhospitalières de la mer Rouge. La Méditerranée d'Europe est située non loin de la bordure nord de la zone tropicale ; mais elle est encore, tout entière, en dehors de cette zone; elle fait partie par conséquent de la zone des vents variables, malgré la cons- tance relative du climat méditerranéen à saisons tran- chées. Non seulement les vents variables, mais les vents locaux qui dominent soit toujours, soit de temps à autre, dans des régions particulières de la Méditerranée (autan, sirocco, mistral, fœhn, vents étésiens) donnent à cette mer une grande variété et même une certaine instabilité de régime météorologique. La route des bateaux à voile 292 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION n’y est pas toute tracée, et elle n’est pas exempte d'obs- tacles. La Méditerranée rappelle, en petit, les océans des mers tempérées. Quoiqu'elle ne connaisse pas, en gé- néral, des tempêtes aussi violentes que celles des mers en. bordure du Nord de l’Europe, où le régime instable de l'Atlantique Nord s'aggrave et s’exaspère au voisinage des côtes, la Méditerranée ne saurait être regardée comme une mer toujours maniable pour les voiliers. Sa richesse structurale multiplie les lignes dangereuses des côtes, où soufflent violemment et parfois soudainement les vents locaux. Le louvoyage côtier est souvent malaisé ; par là même il constitue un bon apprentissage du métier de la mer, comme le louvoyage dans les mers difficiles du nord de l'Europe. D'après de vieilles instructions nautiques du rv° siècle avant notre ère, les anciens Grecs considéraient les mois d'hiver, entre novembre et mars, comme une époque où la navigation au large était à peu près impos- sible *. Il n'est pas étonnant que l'art de la navigation, qui progresse seulement par les difficultés qu'il rencontre, se soit développé d'abord dans la Méditerranée. Pour les relations qui leur étaient nécessaires, les peuples de la mer intérieure avaient affaire, non à un lac où des bateaux primitifs leur auraient suffi, mais à une sorte d’océan de proportions réduites, où les cartes, les compas, l’obser-— vation du ciel et la pratique de la manœuvre à la voile ont été utilisés aussi tôt que sur les côtes de l'Atlantique, plus tôt même, si l’on en croit les paroles de Henri le Navi gateur, qui affirmait, en r430, que les marins du Nord ne savaient encore, ni se servir de la boussole, ni se guider d’après les cartes. 1 Rarzez, 7, $ 314. DA. FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 203 Tout autre était le spectacle offert par la navigation dans les mers de la mousson. Il est bien remarquable que les Chinois, premiers découvreurs des propriétés de l'aiguille aimantée, ne s'en soient servis, pendant long- temps, que pour voyager dans les déserts sablonneux de l'Asie centrale, et n'aient pas songé à mettre des boussoles sur leurs bateaux. Ils croyaient n’en avoir pas besoin. Pour la navigation qui leur importait, entre la Chine mé- ridionale et les îles des épices, de même que pour la na- vigation hindoue entre l'Inde et l'Insulinde, et entre l'Inde et la côte orientale d'Afrique, la mousson dispen- sait les hommes de toute recherche nautique et de toute étude assidue du métier de la mer, soit pour la construc- tion, soit pour la manœuvre, soit pour la route des ba- ‘teaux. Les jonques chinoises, ces lourds bâtiments si peu marins, du port d'environ 600 tonneaux, se réunissaient en flottilles, à époques fixes, pour aller dans l'Insulinde et pour en revenir à la faveur de la périodicité de la mousson, comme Marco Polo l'avait remarqué dès le xin° siècle ‘. Comme les voiliers qui allaient de l'Inde en Afrique, ces bateaux n'étaient pas gréés pour marcher contre le-vent. La navigation chinoise, indienne et même indonésienne dépendait, plus qu'aucune autre au monde, du régime météorologique qui donnait aux bateaux des routes d'aller et de retour assurées, mais qui leur interdi- sait tout changement de route et toute recherche du mieux. « Les sommes chinoises, disait Le Gentil en 1781, ces bâtiments si peu faits pour tenir contre le vent, qui de tous les vaisseaux des mers orientales ont le plus be- soin de vents réglés, prennent bien garde de ne pas entre- 1 Rarzez, 7, $ 314. De À es ndh ft.» . PACE SRE OPEN DE RL PAT SE TE . + 57 CD TT TE £ 294 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION prendre des voyages contre mousson. Il va tous les ans d’Emouy [Amoy] à Manille plusieurs de ces sommes ; elles arrivent toutes au plus tard en avril. et repartent toujours de Manille à la fin d'août ou dans les premiers Jours de septembre. Sans cette précaution, elles ne gagne-= raient jamais Emouy, dont la position, à l'entrée du canal, en défend l'approche à tout vaisseau venant des mers de Chine ou de celle de Manille, pendant la saison des vents du Nord-Est !. » Sur la côte du Malabar, La mousson du S. W. suspendait, pendant sa période io- lente, toute activité maritime. « Dès que la mousson du S. W. commence à faire sentir son approche par des orages et des chaleurs, les bateaux rentrent dans les ports, et cherchent un refuge pour six mois ; les caboteurs se déchargent pour franchir les barres des rivières, se halent ordinairement à terre, enlèvent leurs mâts, leur gréement, et attendent, couverts de feuilles de cocotier, que la belle saison les rende à l’activité ; ils servent même souvent d'habitation à leurs équipages, lorsqu'ils sont ainsi re- misés loin de leur pays 2. » Si Bombay est devenue le grand port de la côte du Malabar, en détrônant Goa, Ga- licut, Surate et même Cochin, c'est que cette lle est le seul port du Malabar où il soit possible de mouiller pen- dant la mousson du S. W. : elle est, en même temps qu'un grand centre commercial, un vrai port de refuge. Le seul peuple des mers simo-indiennes qui fût habile dans l'art nautique était le peuple arabe dont nous avons étudié, plus haut, les bateaux et les marins ($ 22). Les « Arabes trouvaient bien, comme les Chinois et les Hin— $ Le Gexris, t. Il, p. 794 ? Paris, p. 16-17. FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENYE 299 dous, un secours dans la mousson, lorsqu'ils faisaient le commerce de l'Inde en Afrique; mais leurs voyages s’étendaient au delà des zones de la mousson, et les con- duisaient dans des mers difficiles pour les voiliers, comme la mer Rouge, le golfe Persique, le canal de Mo- zambique, où les aptitudes nautiques des marins arabes s'exerçaient et s’assouplissaient en luttant contre les obs- tacles. 68. Jonction des faisceaux méditerranéens et sino-indiens : la route de Suez et la navigation à vapeur. — a jonction des faisceaux de la Méditerranée et des faisceaux sino-indiens s'est opérée, comme nous Favons dit plus haut ($ 67). d’abord au moyen du périple africain de Diaz et de Gama. qui a conduit dans les mers * de la mousson les voiliers européens de l'Atlantique et de la Méditerranée. Cette route de la voile, seule suivie pen- dant quatre siècles, de 1498 à 1869, pour les communi- cahons entre l'Europe, l'Inde, les îles des épices et l'Extrème-Orient, détrôna l'ancienne route terrestre des pays d’entrepôts (Arabie et Egypte) par laquelle, au Moyen Age, les marchands arabes trafiquaient avec les marchands vénitiens ($ 69). Elle détourna la circulation de la voie la plus courte, dans l'espace, pour la reporter sur la voie la plus longues ; elle vérifia ainsi d’une manière éclatante, pour la circulation méditerranéenne, l'exacti- tude du principe du raccourcissement dans le temps, et non dans l’espace, que nous avons posé à propos de la circulation océanique ($ 62). C’est pour éviter les retards et l'incommodité du transbordement terrestre, et aussi les retards qui dépendaient du régime météorologique peu favorable de la mer Rouge et du golfe Persique, que les PR ER PT 296 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION grands voiliers de l’Europe cinglaient par le Cap vers les mers de l'Inde. Toutefois, l'ouverture de cette route ne pouvait faire cesser entièrement l'isolement maritime des mers sino-indiennes, par rapport à la Méditerranée. Au contraire, la route de Vasco de Gama eut pour résultat, en faisant entrer les mers sino-indiennes dans les faisceaux de la circulation générale, d'en exclure la Méditerranée d'Europe. Les ports méditerranéens se trouvèrent reportés à une plus grande distance des mers de l'Inde que les. ports atlantiques, et le commerce maritime d'Orient en. Europe passa à ces derniers. L'ouverture d'une nouvelle voie fut donc suivie, dans ce cas particulier, d’une véri- table anomalie. Tandis que toute route nouvellement frayée ouvre d'ordinaire à la circulation de nouveaux es- paces maritimes, sans rien diminuer de l'activité des an- ciens, le périple de Gama exclut pour longtemps la Mé- diterranée du grand mouvement maritime de la planète, en la réduisant strictement à son mouvement particulier. Les mailles méditerranéennes se trouvèrent donc, en fait, supprimées, dans le réseau de navigation d'Europe en Orient. Or, comme les mers atlantiques d'Europe et les mers de l'Inde et de la Chine étaient trop distantes et trop dissemblables pour que la soudure de leurs voies mari- times fût suivie d’une fusion des pratiques de la naviga- - tion et des peuples maritimes, le domaine sino-indien continua à vivre de sa vie propre, troublée de temps à autre par les prétentions rivales des Européens à l'hégé- monie politique et commerciale dans les mers de lnde. Comme la première colonisation, celle des Portugais, les colonisations qui suivirent, malgré la stabilité acquise par les établissements politiques et commerciaux de quelques- unes (Angleterre et Hollande), ne réussirent pas à assimi- FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 297 ler entièrement aux réseaux maritimes de l'Atlantique la circulation sino-indienne. Sans doute, cette assimilation rencontrait d’autres obstacles difficiles à vaincre, comme la solidité des viaillescivilisations et des habitudes com- merciales de l'Inde et de la Chine ; mais le principal obs- tacle, c'était l'éloignement. Trente ans de bateaux à va- peur et de canal de Suez ont plus fait pour le rapproche- ment de l'Extrème Orient et de l'Europe que quatre cents ans de voyages de voiliers vers le Cap. Le percement de l'isthme de Suez et les progrès de la navigation à vapeur sont deux faits inséparables. C'est le second qui a provoqué le premier, en lui donnant un ca- ractère d'utilité et même d'urgence que la construction du canal ne possédait pas auparavant. Pour les voiliers, obstacle n'était pas tant dans l'étroite langue de sable de Suez que dans la navigation presque imprati- cable de la mer Rouge. Cette mer, long et étroit couloir encaissé entre des côtes désolées et dangereuses, est trop rectiligne et trop resserrée pour les exigences de la navi- gation à voiles, surtout avec un régime météorologique qui comporte, quelles que soient l'époque de l’année et la route suivie, la moitié de la distance parcourue avec vents contraires, soit de Suez à Djeddah, soit de Djeddah à Aden. Aussi, le canal ne s'est-il pas imposé, tant que l'unique moteur des bateaux a été le vent. On le voit bien par l’insuccès du canal de Néchao, de Suez à Memphis, que les sables ont rapidement comblé et que personne n'a jamais essayé de rouvrir. Mais la navigation à vapeur a fait tomber l'obstacle des vents contraires, des calmes et de l’étroitesse de la mer Rouge, et la construction du ca- nal a suivi de près. Presque tous les bateaux qui passent par le canal de Suez, et qui font les 17 millions de tonnes 17. DROITS ET CET TES 4 ; ET es “x 2098 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION de son mouvement annuel, sont des steamers, des eroi- seurs et des cuirassés. À Aden, la vraie porte de sortie asiatique du canal, les bateaux qui font relâche « sont tous, pratiquement, des vapeurs », disent les Tables 0f Merchant Shipping. Cette route maritime est bien la plus” moderne qui soit au monde. Elle l'est par sa construc= tion, par l'homogénéité des bateaux qui la fréquentent, par la renaissance méditerranéenne qu'elle a déterminée, et par les nouveaux courants de jonction, sinon de fusion, qu'elle a établis entre les peuples maritimes de l’Europe, de l'Inde et de l'Extrème-Orient. Elle l’est aussi par son caractère international, qui contraste si vivement avec l’ancienne mainmise établie, au moyen du monopole et de la guerre, sur les mers d'Orient, par les anciennes puissances coloniales de l'Europe. Le mince filet du canal, large de 100 mètres seulement, donne plus d'air et de jour à la navigation européenne que n’en donnait l’espace maritime, presque sans bornes, du périple austral de l'Afrique, au temps où les compagnies de commerce de la Hollande, de l'Angleterre et de la France prétendaient se réserver exclusivement les profits de la navigation dans l'Inde et ne permettaient. à aucun vaisseau, au delà du Cap, de naviguer sans un laissez-passer signé de leurs di- recteurs. 69. Escales et pays d'entrepôts. — Le raccourcisse- ment de la route dans l’espace, procuré à la circulation méditerranéenne par l'ouverture du canal de Suez, a été suivi d'un raccourcissement progressif dans le temps. Comme dans PAtlantique, de nombreux progrès ont été faits, sur les voies d'Europe en Extrème-Orient, dans le sens de l'accélération. À mesure que la technique de Ia FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 299 navigation à vapeur se perfectionne, le nombre moyen des jours de traversée diminue. Cependant, l'accélération de la circulation méditerranéenne est sensiblement moins grande que l'accélération dans l'Atlantique. La Méditer- ranée, l'Océan Indien ét les mers de Chine ne connaissent pas encore, pour les longues traversées, les paquebots de 20 à 25 nœuds. Une vitesse moyenne de 15 à 16 nœuds, qui, d'Europe à New-York, est réalisée par les steamers de troisième ordre, est presque considérée, sur la route de Chine, comme un maximum. Deux raisons s'opposent à l'accroissement indéfini de la vitesse sur les faisceaux mé- diterranéens. La première relève de la psychologie so- ciale ; la seconde est d'ordre matériel. Tandis que la route d'Europe à New-York relie deux civilisations de climats tempérés, trépidantes et affairées toutes les deux. où l'économie de temps passe au premier rang des préoc- eupations, aussi bien à l'E. qu'à l'W. de l'Atlantique, les routes méditerranéennes relient, entre les climats tempé- rés et les climats tropicaux, des civilisations très diffé- rentes, celles de l'Europe, de l'Inde, de la Chine et de l'Insulinde, où le temps a une valeur fort inégale suivant les lieux : très estimé en Europe, il l’est moins en Chine, il Vest encore moins, peut-être, dans l'Inde, et ces diffé- rences de valeur se traduisent par une hâte moins grande dans les transports maritimes. Si l'Européen demeure toujours pressé d'arriver, les marchandises que transpor- tent ses bateaux ne sont pas impatiemment attendues, et celles qui sortent des ports de l'Inde et de la Chine sont expédiées sans hâte, de sorte que les vieilles crvilisations d'Orient mettent sur les paquebots d'Europe une sorte d'empreinte de leur lenteur séculaire. D'autre part, Fac- croissement indéfini de la vitesse comporte, de toute né— 300 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION cessité, un grand accroissement du tonnage, et les dimen- sions relativement restreintes du canal de Suez (37 mètres de largeur au plafond, 9",50 de profondeur), ne permet- tent pas d'y aventurer des bateaux semblables à la Lusita- nia où mème au Kaiser- Wilhelm IT ; bien qu'il soit pos- sible, comme on le fait en ce moment même, de rendre le canal plus large et plus profond, les parois et le fond, de sable mouvant dont il se compose feront toujours cou- rir aux navires des risques d'échouage, particulièrement dangereux pour les Léviathans modernes. Malgré l’infériorité de l'accélération dans les faisceaux méditerranéens, la médiocrité de l’espace y est telle que l'application de la vapeur à la navigation s’est déjà fait sentir d’une manière très vive sur les anciennes escales et sur les pays d’entrepôts, ces intermédiaires où l’on faisait halte dans les longs voyages d'autrefois, et où les mar- chandises étaient triées, classées et réparties pour jun nouveau parcours, tandis que maintenant, grâce à la va- peur, on brûle ces antiques étapes, de même que, sur terre, les trains express brülent les petites stations. Toute accélération des transports, comme le dit Ratzel, fait sau- ter les intermédiaires devenus inutiles. Ratzel lui-même en donne un exemple très particulier, mais bien saillant, en citant (Poktische Geographie, chap. xx1, 295), l'exemple de Wisby. dans l'ile baltique de Gütland, an- cienne escale obligatoire des petits voiliers qui allaient du Danemark vers le golfe de Finlande ; Wisby était, à cette époque, une cité maritime vivante et riche, tandis que maintenant elle est bien déchue. Ce qui est vrai de la pe- tite ville de Wisby, dans le minuscule domaine de la Bal- tique, est vrai, dans le domaine plus étendu des faisceaux méditerranéens, pour des villes comme Venise, et aussi FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 301 pour des pays entiers, les anciens pays entrepôts. L'Egypte et l’Arabie ont eu, avant Vasco de Gama, ce rôle d'entre- pôt général entre l'Europe et l'Inde, qui faisait de l’Ara- bie comme de l'Egypte des réservoirs temporaires de ri- chesses ; et, par une erreur assez facile à comprendre, les hommes d'Occident confondaient ces pays-entrepôts avec les pays de production, si bien que, pour eux, c’était di- rectement d'Arabie que venaient les étofles, les épices et les pierres précieuses dont trafiquaient les marchands arabes et vénitiens. On ne peut expliquer autrement la fabuleuse réputation de richesse dont a joui l'Arabie jus- qu'au voyage de Vasco de Gama. Ce pays d'Ophir et de la reine de Saba, qui n’est qu'un désert de sables et de pierres, passait en Europe pour un véritable Eldorado. Aujourd'hui, sur les routes méditerranéennes, comme sur les routes atlantiques, et d’une manière plus frappante sur les premières que sur les secondes, les pays-entrepôts ont disparu ou tendent à disparaître entièrement. Beau- coup d’escales subsistent encore, mais leur rôle s’est spé- cialisé. Des villes comme Port-Saïd, Aden et Colombo, au lieu d'être d’universéls réservoirs de marchandises, soni avant tout des dépôts de vivres et de charbon pour les ba- ieaux qui passent. C’est grâce à la nécessité du charbon que l'on assiste, sur les routes méditerranéennes, à une sorte de renaissance de l’escale vivante et prospère, que son antique rôle d'entrepôt ne suflirait plus à soutenir. Mais, pour que l’escale-dépôt de charbon se développe, il est nécessaire qu'elle se trouve à l’un des points précis qui divisent la route suivant la moyenne de charbon que peu- vent contenir les soutes des paquebots, une provision de sûreté mise à part. Les dépôts de charbon importants ja- lonnent donc, à distances à peu près égales, les routes de 302 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION Méditerranée et d'Extrème-Orient, et quand deux dépôts se trouvent trop près l'un de l’autre, une des deux escales est appelée à décliner au profit de sa rivale. els sont, par exemple, les cas de Gibraltar par rapport à Alger; de Pointe de Galle par rapport à Colombo, de Malacca par rapport à Singapour, et de Macao par rapport à Hong=, Kong. 7 C'est seulement aux extrémités des faisceaux méditer. ranéens, c’est-à-dire aux points où le trafic maritime se soude au trafic terrestre, que les dernières escales conser- vent intégralement le caractère d’entrepôts, car de nom= breux transbordements se font sur ces points, et ces trans- bordements sont suivis d’une redistribution nouvelle. C'est ainsi que des ports comme Hong-Kong et Shanghaï, où afflue tout le trafic terrestre de la Chine, demeurent des entrepôts, et ne sont pas de simples escales, même pour les navires qui suivent jusqu'à Yokohama les fais- ceaux d'Extrême-Orient. Mais, même dans ces régionsoù la circulation maritime vient aboutir, tout entrepôt de- … venu inutile pour des raisons géographiques ou historiques est appelé à disparaître. Nagasaki a déchu comme Venise, parce que, comme Venise, quoique d’une manière diffé- rente, celte ville est devenue un intermédiaire superflu. 70. Équipages cosmopolites. — Une des consé- quences lés plus saïllantes de l’activité moderne des trans- ports méditerranéens a été l’activité croissante du rappro- chement de races qui se traduit, non seulement par la bi- garrure des populations urbaines dans les bassins médi- M e rranéens ($ 49), mais par l’'embarquement d' hommes de. loute couleur et de toute provenance sur les navires vont d'Europe en Chine. Nous avons étudié (chap. wi) te u TEE FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 903 manière dont se font les mélanges de peuples dans les mers en bordure et dans les bassins fermés, au moyen de traversées vers les côtes situées en face; et ces traversées aboutissent assez souvent, comme nous l'avons vu, à éta- blir une similitude et même une identité ethnique entre deux côtes opposées, tandis qu'un nivellement de ce genre est beaucoup plus rare dans deux régions exclusivement continentales, si voisines qu'elles ‘soient l'une de l’autre. L'embarquement, sur les navires méditerranéens et sino- indiens, d'hommes de provenance très diverse, s’accorde avec cette règle générale du peuplement, qui fait des tra- versées maritimes les plus efficaces agents de mélange, dans les bassins fermés et dans les mers en bordure. D'au- tres mobfs, particuliers aux routes méditerranéennes, con- tribuent encore à Jeter toutes sortes de gens sur les bateaux européens. Les foyers de condensation surpeuplés de l'Inde et de la Chine, dépourvus de grandes industries qui puissent faire vivre leurs fourmilières d'hommes, n’expor- tent pas seulement des engagés et des coolies, mais aussi des marins et des employés maritimes de toute espèce, de- puis le maître d'hôtel et le cuisinier chinois jusqu'au /as- car hindou qui lave le pont etqui grimpe dans la mâture. En outre, dans les chaufferies des bateaux d'acier, qui sont d'intolérables fournaises sous le soleil brülant de la mer Rouge et des mers de Chine, les Arabes, les Hindous, les Chinois et les Nègres remplacent souvent les Européens d'une manière avantageuse. La marine britannique, pour iaquelle la navigation sino-indienne a une importance de tout premier ordre, n'emploie pas moins de trente mille lasears et natives sur ses lignes de l'Inde et d'Extrème- Orient, tandis que sur les mêmes lignes ne naviguent guère plus de treize mille matelots anglais. Aujourd'hui, PEL ALL L'L'rEE 30/4 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION ce mélange d'hommes de toutes races n'est plus particu- lier aux faisceaux méditerranéens; il se répand sur les voies maritimes du monde entier, à mesure que les ma- rins de race européenne deviennent plus exigeants et moins nombreux; mais, c'est toujours entre la Méditer- ranée et les mers de Chine que les équipages sont les plus composites, au point que sur beaucoup de navires anglais et allemands, l'état-major seul représente la nationalité du pavillon. Dès 1886, Froude observait l'hétérogénéité des équi- pages jusque sur les lignes du Pacifique, si peu actives alors, entre la Nouvelle-Zélande et la Californie. « Comme équipage, je prends des Danois, lui disait le capitaine amé- ricain de la Ville de Sydney ; je prends aussi des Norvé- giens, des Allemands, des Suédois. Les chaufleurs et les domestiques sont Chinois; je peux me fier à eux ‘ ». A celte époque, le gros des équipages était encore européen d'origine ; mais, aujourd’hui, la part de l'élément euro- péen s’est beaucoup réduite et tend à se réduire de plus. en plus, au profit des Nègres africains et des natives de l'Inde et de l'Extrème-Orient. 71. Concurrence des voies terrestres et des voies maritimes. — [l n'y a pas un seul faisceau océanique qui soit dans le cas d’être doublé, dans le présent et dans l'avenir, par une voie terrestre. Même pour les voies du Pacifique nord, entre le Japon et la Colombie britannique, il est impossible de penser que les hommes et les choses. suivront un jour la voie des migrations hypothétiquess 1 FrouDE, p. 207. FAISCEAUX DE LA CIRCULATION MÉDITERRANÉENNE 909 dont nous avons parlé ($ 41), par le détroit de Behring. Au contraire, les faisceaux méditerranéens ne s'imposent pas nécessairement à la circulation humaine. Tous les bassins maritimes qu'ils parcourent peuvent être aisément tournés par les voies terrestres, et en admettant (ce qui n’est pas toujours exact) que les voies terrestres auront le désavantage d’un plus grand développement dans l’espace, il est certain que cet inconvénient serait plus que com pensé par les 100 kilomètres à l'heure des locomotives modernes, qui s'opposent d’une manière si avantageuse aux 4o kilomètres des paquebots les plus rapides. Depuis que le Transsibérien existe, l'Européen peut arriver par terre dans la partie septentrionale de l'Extrème-Orient. Lorsque le chemin de fer de Bagdad sera construit, le point de départ des grands paquebots de l'Inde et de la Chine sera peut-être reporté au fond du golfe Persique, en attendant qu'une autre ligne relie directement le réseau ferré de l'Europe à celui de l'Inde. Mais, si de tels faits peuvent paraître assez rapprochés dans l'avenir, c’est tout de même dans l'avenir qu'ils sont, et non dans le présent. Pour le moment de l'histoire où nous vivons, c’est aux faisceaux maritimes méditerranéens qu'appartient le monopole des transports d'W. en E., sur la bordure méridionale de l'Eurasie, et le canal de Suez a consacré en quelque sorte leur prépondérance. Car ilexiste, entre l'Europe, l'Inde et la Chine, une double barrière de sépa- ration que les voies maritimes sont seules capables de franchir. Cette barrière est formée par le ruban de déserts qui s'étend d’'E. en W., du Gobi et du Takla-Makan au Sahara, et par le monde de l'Islam qui occupe la région désertique presque tout entière. Pour la voie ferrée, le désert et l’Islam sont deux ennemis redoutables tous deux, et le second peut être plus que le premier. Caril est « TT. ee M 4e LV APR OU SESINRUR & PER € me = ra 306 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION permis de penser que si le monde musulman ne séparait pas la vallée du Danube de celle du Gange, le rail courrait déjà, à peu près sans interruption, de l'une à l'autre. Mais l'hostilité islamique assure, pour longtemps encore, aux faisceaux maritimes, une prépondérance qu ‘ils n’ont pas toujours eue dans ie passé. Lorsque l'empire mongol réunit toute l'Asie centrale sous une même domination (1230-1368, les voies terrestres furent ouvertes entre | l'Europe, la Chine et l'Inde. Si la circulation terrestre en. Asie fut bien vite supprimée, c'est parce que l'empire mongol commença à « gauchir vers la Chine » ‘et perdit son point d'appui à l’intérieur, dès le début du XIV° siè- cle; c'est aussi parce que l'Islam triompha dans l'Asie occidentale. Ces événements firent des faisceaux mari- times méditerranéens les centres de la vie et du mouve- ment commercial en Eurasie, et le chemin de fer n'est pas encore en mesure de leur Ôter leur rang. 1 Caxux, p. 405. marge 4 \ CHAPITRE XI GENTRES DU COMMERCE MARITIME 72. Modes de répartition des centres du commerce maritime. — 73. Les grands ports et leur outillage industriel. — 74. Concen- tralion et spécialisation économiques et financières. — 73. Mou- vements des centres commerciaux vers l’amont des estuaires ou _ vers les pointes continentales. — -G. Commerce maritime dans les régions équatoriales et boréales : le comptoir et la factorerie. 72. Modes de répartition des centres du com- merce maritime. — Un examen superficiel porte à croire que les centres du commerce maritime, où les faisceaux de circulation se soudent aux voies terrestres, sont partout appelés à diminuer en nombre, tandis que l'importance de ceux qui restent est destinée à grossir d’une manière indéfinie. Il est certain que quelques grands ports de commerce ont pris une extension urbaine comparable à celle des plus grosses villes industrielles. Des villes comme Marseille, Rotterdam, Anvers, Hambourg et Liverpool ont eu, au moins depuis un demi-siècle, un taux d'accroissement aussi rapide que Birmingham ou Manchester. Et nous ne devons pas oublier que les deux plus grandes villes du monde, Londres et New-York, sont toutes deux des ports de commerce de premier ordre. Il semble donc que les points de jonction de la circulation terrestre et de la circulation marine soient voués à une concentration urbaine grandissante, ce qui aurait pour résultat d'accentuer, sur toute la carte maritime de la 308 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION planète, le groupement par faisceaux des voies de com- munication. Mais l'étude détaillée des faits montre que ce phénomène n'est pas tout à fait général et ne sauraît le devenir. Il est exact que la concentration urbaine s'opère presque partout aux extrémités de deux sortes de voies: « les premières sont les principales lignes transocéaniques; les secondes sont les lignes de jonction des bassins médi=n terranéens. Ainsi la mer du Nord, la Manche, la mer d'Irlande, et la côte N. E. des Etats-Unis, où aboutissent les voies traversières de l'Atlantique Nord, ont vu se pro- duire, de New-York à Hambourg, les faits les plus incon- testables de concentration maritime urbaine. Ces faits ne sont guère moins frappants aux points terminus et aux. points d’étranglement de la grande voie méditerranéenne qui longe, de Marseille à Yokohama, toute la côte SE. de l'Eurasie, comme le montrent le développement de Marseille, d'Alexandrie, d’Aden, de Colombo, de Singa- pour, de Hong-Kong et de Shanghaï. En revanche, 11 existe une catégorie distincte de lignes de navigation où on ne constate rien de pareil, et où le commerce maritime semble à jamais destiné à se. contenter du cadre des. moyens et des petits ports. Ce sont les lignes côtières des grands continents à formes massives et de quelques bassins méditerranéens, comme les lignes qui fontle périple de l'Afrique et celles qui suivent la côte W. de l'Amérique. du Sud, ou la côte d'Algérie. Si nous considérons les pre= mières, de Tanger au Cap et du Cap à Djibouti, nous y. relevons une multitude de ports dont aucun, pas même le Cap, ne semble capable d'absorber à son profit l'activité des ports voisins et de devenir, comme Anvers ou Ham - bourg, une capitale maritime. [Il serait impossible de pressentir qui l'emportera dans l'avenir parmi les ports” CENTRES DU COMMERCE MARITIME 309 rivaux comme Dakar, Freetown, Konakry, Lagos, Kotonou, Loango, Saint-Paul de Loanda, Le Cap, Port Elisabeth, Durban, Dar-es-Salam ou Mombaz; il est même fort vraisemblable que ces ports se maintiendront et prospéreront tous, ou à peu près tous, dans un cadre étroit et jusqu à une extension assez limitée. Nous pou- vons en dire autant des ports du Chili, du Pérou, de l'Ecuador et de la Colombie jusqu'à Panama; si Valpa- raiso, le Callao et Guayaquil ont sur les autres ports une certaine prépondérance, ils le doivent à leur situation de débouchés maritimes de capitales politiques ; mais ils n’entravent pas l’activité et le développement de Valdivia, d’Antofagasta, d'Iquique ou d’Arica. De même, en Algérie, rien de mieux connu que la dispersion du mouvement maritime entre Oran et Bône. Nous devons rechercher pourquoi, sur ces voies côtières, se manifeste une ten- dance de dispersion, tout opposée à la tendance de con- centration des voies transocéaniques et des voies de jonction méditerranéennes. On doit remarquer que les voies côtières actives, avec escales nombreuses, se développent pour la plupart sur le littoral de pays peu civilisés ou de pays montagneux, dans lesquels la circulation terrestre est peu sûre ou assez difficile. On n’a pas encore songé, et on ne peut guère songer, à faire un chemin de fer pour ie périple côtier du plateau africain, dans les zones de marais, de mal’aria, de forêts côtières et de tribus extrèmement diverses. Les côtes desséchées et escarpées de PW. de l'Amérique du Sud se divisent en petits compartiments qui n'ont que fort peu de relations par terre les uns avec les autres. Des massifs comme le Dahra suffiraient à interdire, en Algérie, toute communication littorale terrestre. L'insécurité et la 310 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION rareté des relations continentales empêchent, dans les pays de cette nature, les concentrations urbaines, qui sont toujours fondées sur l'abondance des routes et qui s'agrè- gent sur des carrefours. Par conséquent, chaque pointde \ débarquement conserve son autonomie par rapport ar voisin, de même que chaque bourgade ou petite ville l'intérieur poursuit son dévelophe tent propre, sans se vider au profil de capitales géantes. Le quai du moyen ou du petit port ne vaut ni plus, ni moins que le quai … voisin : il n’y a aucune raison particulière pour que les navires soient atürés sur un point plutôt que sur un autre; « il n'y a aucune raison non plus pour qu'ils négligent un point plutôt qu'un autre, ce qui conserve aux ports um degré d'activité uniforme et perpétue la médiocrité et Le | Epaion des centres du commerce. Au contraire, une voie active qui aboutit normalement, * en traversant l'Océan, à un pays de grande civilisation, suit toujours une pente qui la conduit vers un point déter-" miné où se trouve accumulées, pour cette voie et pour. celles qui ont le même point d'arrivée, les ressources nécessaires à l’embarquement et au débarquement des” voyageurs et des marchandises, et même, parfois, à la“ transformation de nombreuses matières premières. Pour. un pays de grande civilisation, il n’y a aucun inconvé- nient à débarquer loin du port d'arrivée véritable, à New York, par exemple, pour Boston, Philadelphie ou Rich= mond, où au Havre pour Caen ou Dieppe. En effet, réseau des voies ferrées, des canaux et même des lie: maritimes secondaires qui suivent les côtes per d'achever rapidement le trajet, sans autre inconvénient qu'un transbordement dont les lenteurs et les fs se réduisent tous les jours, au moins dans les plus gra CENTRES DU COMMERCE MARITIME 311 ports. Et:d’autre part, la concentration en un point de tout le mouvement maritime d'un littoral civilisé présente des avantages de premier ordre. Il est difficile de conce- voir que tous les porisad’une côte puissent être assez bien pourvus d'installations pour que chacun n'ait rien à envier à son voisin. Il y a donc intérêt à entasser sur un même point, où tout le monde viendra, l’imposant outillage du grand port moderne : bassins, docks, entrepôts, dont nous parlerons plus loin ($ 35), ainsi que les ressources en hommes et en argent nécessaires au fonctionnement d'un organisme si complexe. Dans ces conditions, la con- centration s'impose, et elle est d'autant plus complète que le réseau de la circulation terrestre lui-même est plus complet ; elle atteint sa plus grande puissance sur des côtes où il y a le plus d'activité maritime et commerciale, c'est-à-dire sur les côtes de l'Europe du N. VW. et de l'Amérique du Nord. 73. Les grands ports et leur outillage maritime et industriel. — C'est donc aux deux extrémités du faisceau transocéanique d'Europe aux Etats-Unis que nous trouvons les meiïlleurs exemples de concentration maritime commerciale, dans les grandes villes où s’en- tassent, pour être redistribués à l'intérieur des continents ou au delà des mers, les produits et les hommes venant du monde entier. Hommes et produits viennent ou partent, comme nous l'avons vu !$ 64) sur des bateaux de plus en plus grands, où l’énormité du tonnage, la puissance des machines et la complication des services exigent, à cha- que départ, des ressources de préparation et de charge- ment qui expliquent le caractère démesuré des installations, dans les nouveaux ports. Pour sortir des généralisations 312 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION trop vagues et pour se faire une idée exacte de la nécessité impérieuse de la concentration, il faut étudier à part cha- cun des organes vitaux d’un grand port. Le port capable de recevoir à toute heure de marée les transatlantiques et les cargos de premier ordre doit avoir des chenaux et des passes dragués à une grande profon— deur au-dessous du zéro des cartes *. C’est un travail très considérable, et c’est un travail à recommencer sans cesse. Qu'un port soit sur un estuaire ou sur une côte franche, que ses passes soient naturelles ou artificielles, leurs che- naux auront toujours tendance à s’envaser où à s'ensabler. Il ést fort rare qu’un port se présente dans des conditions naturelles qui permettent de maintenir, sans travail, les profondeurs suffisantes. Selon Corthell, les passes d'accès doivent être maintenues à 10 mètres,et les bassins intérieurs à 9,00 au-dessous du zéro. En fait, tous les grands ports cherchent à atteindre cette limite ou à la dépasser ; mais au N. W. de l'Europe, on est encore loin de compte. Les limites indiquées par Corthell sont celles des profondeurs minima désirables. Or, en 1903, les profondeurs maxima dans les chenaux d'accès des principaux ports étaient les suivantes : Londres, 13",40 ; Liverpool, 17 mètres ; Hambourg, 8",30 ; Bremerhaven, 10,50 ; Brême, 5",50; Rotterdam, 8,20 ; Anvers, 10",/40; le Havre, 9 mètres!. De ce côté, en tenant compte des hauteurs de marées, l'ou- tillage des ports était presque partout incomplet. L'étendue des bassins, soit à marée, soit à flot, ainsi que le développement des quais verticaux pour l'accostage des navires, sont aussi des nécessités impérieuses. Pour beaucoup de marchandises, le chargement et le déchar- 1 WIEDENFELD, P. 72. | sil Es - en ! CENTRES DU COMMERCE MARITIME 313 gement ne sont possibles que sur les quais mêmes où stationnent les wagons des réseaux ferrés, et ces opé- rations exigent à’autant plus de place que les bateaux d'acier ont une longueur plus grande. Aussi les ports de premier ordre doivent agrandir leurs bassins existants, et surtout en creuser de nouveaux. Marseille n'a p?s cessé de faire de nouveaux bassins, dans la direction du S. au N., depuis le creusement du port de la Joliette. Le Havre vient à peine de construire quelques centaines’ de mètres de nouveaux quais, et ces quais sont déjà insuffisants. Rotterdam, après avoir creusé, de 1888 à 1893, son bassin de Rijnhaven, de 38 hectares, achève en ce moment le bassin du Maashaven, qui en a 58 : 183 hectares composent aujourd'hui la superficie disponible des bassins de Rotter- dam. Anvers, où le besoin de bassins nouveaux est moins pressant, à cause de la grande extension des quais le long, de l'Escaut, a cependant augmenté de 28 hectares la super- ficie de son port artificiel, en attendant l'exécution de pro- jets bien plus vastes encore. Il ne suffit pas de creuser les voies d'accès et de cons- truire des bassins : il faut encore outiller les quais au moyen d'entrepôts et de hangars couverts, de voies ferrées reliées au réseau général, de grues hydrauliques, de grues électriques où à vapeur, et de bigues” dont la force va jusqu'à 120 tonnes et même davantage. Pour un grand nombre de ces appareils, la force motrice est produite par une source d'énergie centrale. Enfin, il faut donner aux navires toutes facilités pour leur carénage et pour leurs réparations, et pour cela, il est nécessaire de construire des grils de carénage, des docks flottants et des bassins de radoub de dimensions variables, en rapport avec le tonnage des navires qui fréquentent le port : c'est dire que la gran- 18 PERTE RP UE PEL JT ER ER NES 314 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION 5 "5 deur, le coût et la machinerie de ces installations sont appelés à croitre sans cesse, comme la grandeur msi navires eux-mêmes. Une grande ville maritime devient donc, atjoui une sorte d'usine colossale, dans laquelle, pour les seules opérations du commerce, la machine remplace le bras humain devenu insuffisant. Or, par suite de la règle si % remarquable et si rarement démentie de l'attraction mu- tuelle des industries mécaniques, il suffit que les opéra. tions commerciales d'un port en fassent un grand con-. sommateur de chevaux vapeur et d'énergie électrique, pour qu'autour des bassins et des entrepôts s'agrègent des. industries de toute espèce. Le développement maritime industriel appelle et provoque un développement indus- triel non-maritime, aiguillonné par le débarquement en masse de matières premières de tout genre et par l'accrois- sement de la population ouvrière autour des quais. C’est ainsi que les ports français du Havre, de Marseille, de Nantes et de Bordeaux, malgré leur lenteur à suivre le mouvement économique, sont devenus, comme les ports étrangers, de florissantes villes d’industrie : sur ces points, quoiqu'on puisse croire le contraire en n'’étudiant pas les choses de près, l'impulsion commerciale a précédé lim pulsion industrielle et l'a fait éclore. Il en a été ainsi dans | tous les grands pays maritimes. Hambourg était un port prospère bien avant que la grande industrie prit en Alle- magne le développement prodigieux que nous voyons. En Angleterre, au xvrr siècle, c’est la croissance du commerce maritime qui a stimulé lsdoitre: M. Mantoux a Jjuste— ment remarqué que la prospérité du port de Liverpool . est antérieure au développement industriel du Lancashire et qu'elle l’a favorisé, et il ajoute : « L'impulsion qui CENTRES DU COMMERCE MARITIME 319 a tout mis en mouvement est venue du dehors! ». Rien de plus exact, à condition d'ajouter que le port de com merce se transforme lui aussi, comme les régions sur les- quelles rayonne son imfluence. L'ancienne ville de com merce devient ville d'industrie. Autrefois, l’activité du grand port était tout entière sur les quais où les portefaix déchargeaient des caisses et roulaient des tonneaux; aujour- d'hui, elleest non seulement sur les quais industrialisés, mais dans les fabriques et dans les usines dont les hautes cheminées dominent les bassins et les docks. 74. Concentration et spécialisation économiques et financières. — Il nest donc pas étonnant que dans les grands ports devenus villes industrielles, la tendance à l'urbanisme exclusif, à la concentration des hommes, de l'outillage et des ressources se fasse sentir tout autant que dans les grands centres industriels eux-mêmes. Puisqu'il est impossible de multiplier sur de nombreux points d’une même côte les installations maritimes et l'énorme capital qu'elles représentent, les hommes, les navires et les pro- duits affluent sur les points que désignent, soit leur brillant passé commercial et le capital déjà accumulé sur ces points, soit le grand nombre et la commodité des voies terrestres et maritimes, soit ces deux ordres de causes ensemble. Ce n'est pas sans raison que des villes comme Marseille, Gênes, le Havre’ Londres, Liverpool, Rotterdam, Anvers et Hambourg drainent vers elles les navires et les capitaux : leur développement historique, leur situation géographique, les voies de communication maritimes et terréstres dont elles constituent le nœud solide, justifient !Maxroux, p. 00. 316 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION la concentration puissante d'hommes, de capitaux et de produits qui se fait dans ces agglomérations. C'est une sorte de loi sociale et économique dont il n’y a aucun inté- rêt à entraver les effets, comme on cherche quelquefois à le faire, en France, d’une manière assez étrange. Il serait aussi vain de réveiller les petits ports au détriment des grands, que de remplacer par des armateurs isolés les puissantes compagnies de navigation qui se partagent le trafic maritime sur toutes les routes du globe. Cette con— centration financière de la navigation commerciale aux mains des compagnies, bien qu'elle ne rentre pas directe- ment dans les faits de répartition que nous étudions au cours de ce livre, ne peut cependant être omise, parce qu'elle est comme le signe visible de la réunion, dans un petit nombre de ports, des centres d’origine et de forma- tion des armements maritimes, autrefois dispersés sur de grandes étendues de côtes. L'armateur isolé, possesseur unique, ou associé avec deux ou trois autres personnes, de quelques bateaux qui ne représentaient qu’un capitai mé- diocre, cadrait parfaitement avec le petit port qui était le point d'attache de ses navires. En fait, les armateurs isolés sont encore nombreux dans les villes maritimes de médiocre importance où ils ont une sorte de royauté commerciale, tandis qu'ils passent tout à fait au second plan dans les ports comme Hambourg ou Liverpool. La concentration de l’outillage et des produits se relie étroitement à la spécialisation des fonctions. Cette règle n'est pas particulière au commerce maritime, car toute production active entraîne la discrimination de plus en plus nette des éléments hétérogènes dont elle se compose et de l'outillage dont elle se sert. Les grandes villes de commerce maritime ne font donc que suivre les lois géné- CENTRES DU COMMERCE MARITIME 317 rales du mouvement économique, lorsqu'elles consacrent des bassins spéciaux aux bois, aux pétroles et aux char- bons, lorsqu'elles construisent des grues hydrauliques à charbon et des réservoirs à pétrole, lorsqu'elles délimitent leurs entrepôts et leurs hangars, d’après la nature et la provenance des marchandises qu’on y abrite, et lorsqu'elles sefforcent, en un mot, d'introduire dans toutes les instal- lations de leur port une sorte de classement logique. Elles suivent un mouvement analogue à celui qui spécialise aujourd'hui les navires de commerce, non d'après leurs qualités nautiques, mais d’après leur destination écono- mique {$ 64). Sans doute, la tendance vers la spécialisation dans les villes maritimes n'est pas née d'hier. Elle est si bien liée à toute bonne organisation d’un commerce actif. qu'il serait aisé d'en trouver des traces dans les anciens ports, avant la grande industrie. Mais il n'en est pas moins vrai que l'essor industriel a donné à ce mouvement une ampleur autrefois inconnue. 72. Mouvements des centres commerciaux vers l'amont des estuaires ou vers les pointes continen- tales. — De même que l'accélération des transports fait sauter, comme dit Ratzel, les intermédiaires devenus inu- tiles, de mêmes on peut dire que l'énormité matérielle de l'outillage moderne fait craquer les cadres naturels où le mouvement des ports se trouvait autrefois à l'aise. Nous avons déjà noté ($ r2 et 47), le rôle des estuaires comme avancées de l’œcoumène maritime vers l'intérieur: de longue date, dans ces formations physiques, la circulation s’est exactement modelée sur le cadre de l’æœcoumène, parce que les estuaires formaient la jonction naturelle des chemins d'eau de l'intérieur, et des chemins terrestres qui 18. LR CPR PE 9 RO CT EE +) F” “ 7—- 318 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION leur servaient d'’affluents ou de canaux latéraux, avec les voies maritimes. Aussi de nombreux centres de commerce se sont-ils établis, soit aux débouchés des estuaires (Le Havre, New-York), soit sur un point quelconque en amont du débouché (Anvers, Rotterdam), soit parfois, dans les. mers à marée, à l'extrême amont de l'estuaire mari-" time, c'est-à-dire au point où la marée commence à … se faire sentir (Nantes, Glasgow). Mais la capacité de transport de ces débouchés fluviaux est très limitée. Non seulement les vases fluviales ou les sables fins, charriés tantôt par la rivière, tantôt par la marée, rendent les, chenaux d'accès incertains et difficiles, mais la profon- deur absolue à basse et même à haute mer se trouvent souvent insuffisante pour les navires modernes, dans les meilleures parties du chenal, et les étranglements ainsi que les coudes brusques des rivières, avec la destruction des rives et l'affouillement sur certaines parties, l'allu- vionnement sur d’autres, rendent les évolutions difficiles et multiplient les chances d’échouage. Rien de plus justifié que les recommandations d'aller lentement (dead slow), répétées à chaque tournant le long de la Clyde, entre Grernock et Glasgow : mais cette lenteur fait perdre du temps : aussi est-on amené à se demander si les grands centres maritimes se maintiendront aux points où les petits bateaux d'autrefois évoluaient à l'aise dans d'’étroites rivières et dans d'étroits bassins, ou bien s'ils se déplace- ront vers l'avancée maritime et vers les pointes continen- tales, où ils trouveraient l’espace et l’eau profonde aujour- d’hui nécessaires. Malgré tous les inconvénients des ports d'estuaires, il y a lieu de penser que la tendance vers la permanence des points de concentration, dont beaucoup, notamment dans CENTRES DU COMMERCE MARITIME 319 1 la mer du Nord, sont sur des estuaires, demeurera la plus forte, et que l’homme s'ingéniera à améliorer les ports fluviaux, plutôt qu'à les déplacer. Selon la loi générale dont nous avons déj ja parlé à plusieurs s reprises ($ 64 et 74), les inconvénients et les avantages mari- times naturels d'un point déterminé ne pèsent guère, main- tenant, auprès de ses avantages ou de ses inconvénients économiques. Comme les conditions naturelles terrestres, les conditions naturelles maritimes ont beaucoup perdu de leur empire sur la détermination des voies de la circula- tion humaine. De même que toute côte balisée et éclairée “estdevenue non seulement accessible, mais facile, pour la navigation à vapeur, de même tout estuaire maritime sera » dragué, rectifié, corrigé, amélioré, et en fin de compte rendu accessible aux plus gros bateaux, si les intérêts éco- nomiques l’exigent, ou tout simplement si une concen— tration ancienne de la richesse et des voies du commerce justifie la pérennité du port d'estuaire. Les ports de cette espèce ont pour eux l'économie de transport qui résulte de l'augmentation du trajet des marchandises par eau ; ils ont aussi l'avantage d'être situés au cœur même de pays riches par l’agriculture ou par l’industrie, d'où les hommes et les ressources affluent vers eux de toutes parts, -au lieu d'être situés sur des pointes avancées ou sur des côtes toujours excentriques par rapport au mouvement ‘économique général. Plus les difficultés deviendront . grandes pour les ports d'estuaires, plus les travaux de cor- rechion prendront de l'ampleur et de l’importance; ils … pourront aboutir à la création de grandes voies maritimes … presque artificielles, comme l’est déjà le Nieuwe Water- - weg de Rotterdam, comme le sera peut être demain … l'Escaut rectifié et canalisé au-dessous d'Anvers, comme SR Er pet À à ONE Pat = rez 320 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION l'est depuis longtemps, à Glasgow, la rivière de Clyde, cette Clyde qui n'avait, en 1768, que 30 centimètres de profondeur au pont de Broomielaw, ‘et qui admet aujourd'hui les plus grands cargos le long de ses quais. Aussi n'est-il pas DrobaBle que les centres maritimes se déplacent jamais vers les pointes continentales. Ils reste. … ront où ils se trouvent aujourd'hui, avec des variations = dans leur activité et dans leur importance relative, selon - 4 la situation économique de leur arrière pays. On peut même ajouter que le développement, dans tous les pays civilisés, de la navigation fluviale, naturelle et artificielle, pour les marchandises lourdes, augmentera dans l'avemir les chances de prospérité des ports d'estuaires, mieux placés que tous les autres pour devenir les confluents de ces voies. On ne pourrait comprendre les ports placés aux pointes continentales que comme les points d’arrivée et de départ des voyageurs pressés, désireux d'éviter à tout prix quelques heures de trajet en mer; mais, comme nous l'avons indiqué plus haut ($ 63), l'étude de la circulation maritime ne doit pas tenir un très grand compte des fan taisies de vitesse et des trajets raccourcis à tout prix. À 76. — Commerce maritime dans les régions équa- toriales et boréales : le comptoir et la factorerie. — La grande ville maritime où aboutissent les voies trans- océaniques et les voies de jonction méditerranéennes, et mème le moyen et le petit port où font escale les lignes couères, ne sont pas les seules formes de centres commer- claux maritimes qui existent sur le globe. Il y a des régions où tout développement normal d'une ville côtière semble impossible, soit à cause de la répartition très inégale des hommes, soit à cause de leur degré de civilisation. Dans … ten CENTRES DU COMMERCE MARITIME 321 les zones équatoriales de l'Afrique, même avec la protection et la colonisation européennes, de longs rubans de côtes sont impropres au développement des villes maritimes, bien que les éléments du commerce par mer ne manquent pas. La rareté des Européens et la presque impossibilité de leur acclimatation, le fractionnement et la dispersion des populations indigènes, l'absence de tout tracé défini pour les voies terrestres réduites à des directions géné- rales ou à des. pistes indécises, l'insécurité même de ces pistes, empêchent les courants commerciaux de devenir assez forts et surtout assez constants pour alimenter l’exis- tence de villes maritimes. La nécessité d’un commerce monopolisé, protégé et armé donne aux établissements côtiers un caractère de simplicité et d'unité qui rappelle encore sur ces côtes les anciens établissements, forts et magasins tout à la fois, des Portugais et des Hollandais dans les mers de l'Inde, et qui rappelle aussi les lieux où s’abritait l'industrie des négriers. Ce sont les comptoirs et les factoreries, où le revolver et le fusil encadrent si souvent la balance commerciale. La multiplication très facile d'établissements de ce genre s'accorde avec le fait, que nous avons constaté plus haut ($ 72), de la dispersion des centres commerciaux sur la côte d'Afrique. A peu près pour les mêmes raisons, les centres du com- merce côtier et insulaire ont un caractère analogue, sinon identique, dans les régions boréales, où vivent des peuples bordure (Randvülker), à æcoumène très-dispersé ( 23 et 24). La rareté des hommes et des transactions et la mé- diocre variété des objets d'échange empêchent les établis- sements commerciaux de s’agréger en villes et en ports im- - portants ; là aussi, c'est la factorerie qui représente la mo- deste part prise par ces régions au mouvement maritime 322 LES FAISCEAUX DE CIRCULATION æ commercial ; les fourrures et l'alcool y forment les prin-… cipaux objets d'échange. La factorerie boréale ressemble donc, comme PRE sociale, à la factorerie africaine. Toutefois, il y a entre les deux une différence essentielle. Le comptoir africain est capable d'un certain développe- ment ; il peut disparaître, mais il peut aussi se transfor mer en ville, et il est permis de penser qu'à mesure que l'influence de l'Europe s'étendra sur l'Afrique, les comp- toirs feront place aux villes commerciales. Au contraire; les comptoirs arctiques ne pourront jamais se transformer (à l'exception de ceux qui avoisinent les régions minières). Placé sur les limites climatiques de l'œcoumêne, le comptoir représente exactement toute l'activité commer- ciale possible dans ces pays sans ressources et sans popu- lation condensée. Aussi, d'une époque à l’autre, 1l de= meure à très peu près identique à lui-même, malgré l'acti- vité du mouvement économique du globe. Les anciennes factoreries des Russes dans l’Alaska, comme celle que wit Billings dans l’île de Kadiak en 1790", ressemblent d'une manière complète à celles que les Américains ont étabhies dans les mêmes froides contrées. La description que Gil- der? a faite, en 1887, de Samt-Michel de l'Alaska, donne l'idée d’un établissement fort analogue à celui de Kadiïak en 1790. Dans ces régions, les conditions naturelles perma- nentes demeurent souveraïnes ; le temps historique et l'homme ne comptent guère. 1 SAUER, f. E. p. 327. ? Giver, p. 41-47. QUATRIÈME PARTIE LA DOMINATION DE LA MER CHAPITRE XII LA DOMINATION DE LA MER 77- Caractère$ généraux de la domination de la mer. — >à, Indé- pendance mutuelle de la puissance maritime et de l'extension côtière. — 79- Rapports des faisceaux de circulation et des voies de domination. —- 80. Points d’appui continentaux et insulaires. — 81. Fragilité de la puissance maritime. — 82. Les Etats à politique bilatérale. — 83. Développement parallèle de l'outillage industriel dans les marines de guerre et de commerce. 77. Caractères généraux &e la domination de la mer. — Comme l'espace terrestre, l'espace maritime s'ouvre aux ambitions militaires et conquérantes, qui se rattachent étroitement au besoin d'extension du cadre social et à l'accroissement du volume mental des sociétés. Toutefois, la domination de la mer, acquise et conservée par la force et par la ruse, ne peut s’entendre de la même manière, au point de vue géographique, que la domi- nation continentale. Les peuples et les armées en mou- vement sur les continents ont pour objectif, non seulement de subjuguer leurs adversaires, mais d'occuper, à demeure JUS ou temporairement, une partie déterminée de territoire, 32/4 LA DOMINATION DE LA MER ou tout au moins de faire sentir leur prépondérance sur un morceau d'espace dont l'extension planétaire et le cadre se délimitent aisément. La domination militaire sur terre se traduit par l'occupation et par la conquête. Il. m'en peut être de même sur la surface uniforme de l'Océan. L'Océan ne comporte ni la conquête, ni l'occupation, mi les délimitations aux sens terrestres de ces mots. Les eforts faits parfois par les hommes d'Etat pour couper les mers en tranches de souveraineté n’aboutissent à rien de durable : nous en avons un exemple fameux dans la ligne de démarcation tracée suivant le méridien, à travers l'Atlantique, par le pape Alexandre VI (14953), pour séparer les domaines coloniaux de l'Espagne et du Por- tugal. Tout au plus la domination de la mer peut-elle s'entendre en un sens voisin du sens terrestre, lorsqu'il s’agit de mers étroites ou de bassins fermés, lorsque ces bassins sont occupés par une seule puissance navale, ou lorsque cette puissance n’a pas de rivaux capables de lui tenir tête. Mais ce n’est pas aujourd’hui le sens important _et essentiel de la domination de la mer, dont les champs politiques préférés se trouvent maintenant, soit sur des. mers de passage qu'il est pratiquement impossible de fermer aux deux bouts (Manche, mer du Nord, mer de Chine), soit sur l'Océan lui-même, qui n’admet rien qui ressemble à une occupation permanente. Lorsque, dans le langage courant, on parle de flottes assez puissantes » pour « balayer les mers » et pour en interdire l’accès à qui M que ce soit, on se laisse duper par les métaphores. Toute flotte, si puissante qu'eile soit, ne fait que passer à la surface de la mer; elle n’occupe pas, elle ne domine donc“ pas. Il ne faut pas oublier, comme nous l'avons fait ressortir dès les premières pages de ce livre, que la mer LA DOMINATION DE LA MER 325 n'est point, sauf exception réduite à quelques tranches littorales ou lointaines, un œcoumène, au sens propre du mot. Elle est un champ d'exploitation et de passage, ouvert à tous par sa nature même. Donc, la domination de la mer ne peut se proposer d'autre but que de mono- poliser, en temps de paix, le passage et l'exploitation, ou de les interdire par la force en temps de guerre, ce qui revient au même. Le monopole, en temps de paix, d'une partie quelconque de la surface maritime, a été possible autrefois, aux époques où les grands vides créaient des zones de séparation naturelles entre les mers, et où les pays maritimes étaient peu nombreux. C'est ainsi que les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français ont tour à tour monopolisé à leur profit l'exploitation des mers de l'Inde; c’est ainsi que les Espagnols ont dominé les mers des Indes occidentales; c’est ainsi, enfin, que les Phéniciens et les Grecs dans l'antiquité, les Vénitiens et les Génois au moyen âge, ont changé en domaines d’exploi- tation particuliers, par le commerce et par la ruse plutôt que par la force, les bassins méditerranéens. Mais main- tenant, avec l'extension des réseaux de circulation sur toutes les mers et la multiplication des pavillons, il est difficile de croire qu'un monopole pacifique puisse exister, et en fait, ce monopole n'est établi nulle part, sinon sur la petite zone côtière de 5 milles de large, les «eaux territoriales, » que réservent les conventions interna- tionales : conventions qui n'ont d'arbitraire que la limite fixée, puisqu'il est évident que les eaux côtières sont sous la surveillance et sous la domination même du continent, car elles sont éclairées par ses feux et commandées par ses canons. Partout ailleurs, sur la vaste étendue des mers, la domination, au sens absolu du mot, ne peut être La Mer. 19 326 LA DOMINATION DE LACMER DORE que violente et temporaire : elle résulte donc de la guerre. < Elle a pour but, non d’ occuper une zone maritime déter- ä minée, mais d'y supprimer la liberté de Ja navigation Ni. pour le ou pour les pavillons hostiles. Deux moyens 4 s'offrent aux hommes de guerre pour parvenir 1 ce résultat. Le premier consiste dans la destruction des. flottes militaires ennemies : c’est la guerre maritime pro-. x prement dite. Le second consiste ane l'enlèvement des : bateaux de commerce, dans la rupture des lignes télégra= « phiques et dans le blocus des ports, c’est- à-dires en un mot, dans la destruction des faisceaux de la circulation normale : c'est, pour une partie, le guerre de course, et - pour une autre, le blocus opéré pe te flottes cuirassées. 4 Ces deux moyens de parvenir à la domination de la mer ne S S’excluent pas : ils se complètent et se subor- "2 donnent l'un à l'autre. On peut affirmer que le second, = dit aujourd’hui « guerre industrielle, » s'emploie utile- ment à la suite du premier, mais qu'il ne peut, à lui seul, conduire un peuple à la domination maritime. Sans entrer » 3 dans une discussion stratégique qui nous éloignerat de. notre sujet, nous devons constater qu'en raison des cqn- ditions mêmes où se présente la domination de la nfer, aucun Etat n’y peut parvenir que par la destruction des flottes de guerre ennemies, et que, cette destruction opérée, les Forex de circulation, œuvre de la paix etde < la libre concurrence, tombent en quelque sorte d'eux= TA mêmes, en livrant au’ peuple vainqueur l'hégémonie tem- . Le poraire de l'Océan, seule forme de RÉ RÉES qui soit dans la nature des choses. 78. Indépendance mutuelle de la puissance mari- time et de l'extension côtière. — Existe-t-il des con= > *: Det LA DOMINATION DE LA MER 327 ditions naturelles et sociales qui prédisposent particulié- rement un peuple et un Etat soit à exercer la domination temporaire de la mer, soit à obtenir une prépondérance pacifique durable ? Longtemps on a cru que des condi- tions physiques, sinon impérieuses, au moins très fortes, donnaient à priort à certains peuples une aptitude parti- culière à l'empire maritime. Un grand développement côtier, avec des articulations nombreuses, de bons ports, des golfes et des estuaires, semblait préparer les peuples dominateurs de la mer, tout comme un développement côtier du même ordre devait favoriser la croissance des populations maritimes et l'art de la navigation. En admettant ces vues, inspirées des anciennes théories sur l'excellence des articulations lhittorales, ce seraient les Etats péninsulaires et insulaires qui exerceraient, par une sorte de privilège indestructible, la royauté de l'Océan. Ce sont eux, en eflet, qui possèdent le plus grand déve- loppement de côtes par rapport à leur superficie. Mais le plus simple coup d'œil historique montre l'inexactitude d’une pareille généralisation. Rien de plus éphémère que l'empire de la mer possédé un instant par l'Espagne et par le Portugal, et l'Italie n'a jamais été une puissance navale prépondérante, depuis les temps ‘lointains où les Romains avaient fait de la Méditerranée leur domaine et leur chose, « mare nostrum ». On ne voit pas qu'une puissance maritime capable d'imposer ses volontés soit jamais née sur les terres si découpées de l’Insulinde, et le Japon a vécu quinze siècles d'histoire sans commander les mers qui l'avoisinent. « À elles seules, dit Ratzel, les côtes ne font point la puissance maritime. Le commandement de la mer a dépendu successivement du radeau, de la barque, du vaisseau de 120 canons, et du cuirassé d'acier 2) deu its UE Le et pe ed 7 at déptère PORTER TN E 328 LA DOMINATION DE LA MER de 12000 tonneaux'. » Toutefois, il convient de faire une restriction pour les Etats insulaires. Il est certain que, si les Etats de cette nature ne deviennent pas forcément de grandes puissances navales, ils ÿ sont, plus que les autres, prédisposés, sinon prédestinés. S'ils peuvent acquérir l’unité solide et la force d'expansion nécessaires pour déborder hors de leurs frontières, c’est la domination de la mer qu'ils recherchent; elle forme le but souvent exclusif #2 et toujours principal de leurs efforts impérialistes. Car le. développement bilatéral des pays à la fois continentaux et maritimes est interdit, par la nature même des choses, aux Etats insulaires. Ils ne peuvent aller que vers la mer. S'ils prennent part aux luttes continentales, c'est, soit par accident, soit par calcul destiné à renforcer leur situation maritime, comme l'exemple de l'Angleterre l’a tant de fois : montré, Mais les îles les mieux placées aux carrefours des grandes voies de circulation ne peuvent prétendre à aucune part de l'empire de la mer, tant que leur déve- loppement intérieur ne les a pas mises au point d'affronter les luttes et de projeter au loin leur puissance, par l'uni- fication, l'éducation maritime et la coordination de tous les groupes sociaux qui les peuplent. Les exemples de la France et de l’Allemagne contem- poraines éclairent avec beaucoup de netteté les questions de l'extension côtière et de la puissance maritime, en montrant combien la première est peu nécessaire à jan seconde. La France, avec 3000 kilomètres de côtes sur l'Océan et sur la Méditerranée, peut à peine garder son rang de puissance maritime, tandis que l’ Allemagne, qui. n’a que quelques centaines de kilomètres ‘de mauyaises 1Rarzez, 7, $ 321, LA DOMINATION DE LA MER ee D côtes sablonneuses et vaseuses, grandit tous les jours, avec une rapidité capable d’inquiéter même la première puissance navale du monde, l'Angleterre. 79. Rapports des faisceaux de circulation et des voies de domination. — Il n'est donc pas exact que les centres de la puissance navale coïncident nécessairement avec des cadres préparés par la morphologie. Bien plus justement peut-on dire que le tracé des grands faisceaux de circulation et la place de leurs points de soudure prin- cipaux avec les voies terrestres déterminent, dans une certaine mesure, les conditions favorables à l’éclosion d’une ou de plusieurs puissances navales aux points d’abou- ‘tissement des faisceaux, soit que ces puissances se forment spontanément en de tels endroits, soit que des puissances lointaines viennent y chercher les points d'appui de leur domination. Jusqu'à mainteñant, dans tout le cours de l'histoire, le commerce maritime et la guerre navale se sont révélés, à de fréquentes reprises, comme deux phé- nomènes jumeaux, si l’on peut dire : dans les régions maritimes et littorales où se concentrent les voies commerciales, les forces militaires se concentrent aussi, et les concentrations voisines opérées par des Etats rivaux ne manquent pas d'aboutir à l'explosion de ces «crises de puissance » où la domination de la mer est conquise par . un Etat au détriment d’un ou de plusieurs autres. Jusque dans la guerre russo-japonaise, malgré le caractère mixte de cette crise, les tentatives des Russes pour asseoir leur empire commercial sur la mer Jaune ont précipité les événements, et c'est parce que l’empire russe a voulu faire une capitale commerciale à Dalny qu'il a perdu Port Arthur et le Liao Toung. Les luttes de prépondérance 330 LA DOMINATION DE LA MER maritime entre la France et l'Angleterre se sont déroulées au voisinage des foyers commerciaux les plus actifs au xvnr et au xvnrt siècle, la Manche, la Méditerranée” occi- sont appelées à protéger les flottes commerciales, non par « le procédé grossier et inapplicable de l'escorte directe,” dont La défaite entraine ipso facto la liberté complète de” à pavillon prépondérant. Nous voyons, de nos jours, les « centres de l’action muilitaire maritime, dans l'Europe du fée N. W., rétrograder vers l'E. de la même mamèreet presque dans la mème mesure que les centres commer-" ciaux. Ces derniers centres ne sont plus entre la France et l'Angleterre, mais entre Londres et Hambourg: aussi, à mesure que l'Allemagne développe sa flotte militaire, pour protéger son commerce croissant, le foyer de con— centration militaire, où se débattront peut-être un jourles … destinées maritimes de l'Allemagne et du Royaume Uni, » se dessine plus nettement entre Sheerness et Wilhem- « shaven. Ë Ces considérations nous conduisent à admettre l’exis= tence des voies et des zones de domination, comparables : en partie aux faisceaux de circulation, car elles coïnci= « dent avec les extlrémutés ou avec les points d'étranglement de ces faisceaux, c'est-à-dire avec les points où l'espace” maritime ps a subit la plus grande diminution d'exercer une surveillance étroite sur les flottes de guerre” et de commerce, et de forcer les premières au combat e LA DOMINATION DE LA MER 331 lessecondes à la fuite. Dans leur répartition géographique, les centres de la puissance navale se superposent donc, à peu près, aux places d’aboutissement et aux nœuds de jonction des faisceau* ; ce qui ne veut pas dire que ces points voient nécessairement naître des puissances mari- times indépendantes, car, de même que les pavillons com- mereiaux qui flottent en ces endroits appartiennent sou- vent à des puissances très lointaines, de mème les centres de puissance navale peuvent faire partie d'une constella- tion maritime dont la principale étoile se trouve à une grande distance. Tel est le cas des zones de domination placées sur la route de l'Atlantique vers l'Inde, par la Mé- diterranée. Autour de Gibraltar, de Malte, du canal de Suez, de la mer Rouge et de l'Hindoustan, la puissance anglaise aétabli des rayons d’action navale qui suppriment ou qui refoulent toute domination maritime indigène. Elle en a fait autant sur la route de l'Afrique du Sud et même sur celle des Antilles, quoique, sur cette dernière, son action soit limitée par celle des États-Unis. Les États-Unis ont essayé d’imiter, au N., du Pacifique, l'exemple que l'Angleterre leur avait donné dans l’Atlan- tique et sur les voies méditerranéennes ; la prise de pos- session des Sandwich et de Philippines est avant tout le signe extérieur de la domination maritime à laquelle 1ls prétendent sur cet Océan. Ces épanouissements lointains de la puissance navale n'ont commencé que du jour où les faisceaux de circulation, autrefois côtiers ou tracés dans les mers secondaires, sont devenus océaniques. Les voies et les zones de domination maîtrisent donc les points stra- tésiques des faisceaux, non au milieu des Océans où la prise de contact des flottes de guerre serait difficile, mais aux abords des côtes, des détroits et des mers secon- bus, à ul, Ê ait | cr ES RE SES AS 5 dose 332 LA DOMINATION DE LA MER daires. Sans doute, il est impossible de délimiter le champ stratégique des armées navales avec la même précision que celui des armées du continent. Toutefois ce champ existe, lui aussi, avec l’indétermination et la faculté de dé= placement qui sont dans la nature même de l’élément ma= ritime. 80. Points d'appui continentaux et insulaires. — La mobilité des champs stratégiques maritimes, où se dé- roulent les crises de puissance, n’en est pas moins conte- … nue dans de certaines limites, puisqu'il est très rare que les chocs navals aieñt lieu en plein Océan, loin de toute terre. Ces limites dérivent de la nature même du bateau de guerre moderne. Le cuirassé, quel que soit son rayon d'action, dépend étroitement de la terre. Sa machinerie compliquée, si délicate dans son énormité, exige à tout instant les secours des arsenaux, non seulement pour les menues réparations, mais pour des accidents en apparence insignifiants et capables, en réalité, d’annihiler l'outil de guerre, comme il en arrive à chaque instant en temps de paix et comme il en arriverait, à plus forte raison, au cours d’hostilités prolongées. Les soutes à charbon s’épui- sent vite, surtout si le bateau est obligé de forcer sa vi tesse, et il faut se ravitailler au bout d’un temps assez court, une semaine ou deux au plus, dans la moyenne des cas. Les soutes à munitions s’épuisent vite aussi, au moins pour la grosse artillerie, car on ne peut approvi= sionner qu'à un petit nombre de coups certaines énormes pièces de marine comme les calibres de 274 et de 305. Pour toutes ces raisons, le cuirassé ne peut s'éloigner de ses bases nationales, ou s’ilest appelé à faire campagne au loin, il est nécessaire qu’il trouve en terre coloniale ou LA DOMINATION DE LA MER ÉSK: en terre étrangère les ressources dont il a besoin : il faut donc multiplier les points d'appui continentaux à mesure que l'on étend le champ d'action des flottes de guerre. Ces nécessités existaient aussi, dans une certaine mesure, pour les vaisseaux de l’ancienne marine, mais elles étaient moins impérieuses. Le vaisseau à voiles vivait plus aisé- ment et plus longtemps sur son propre fond que le cui- rassé. Bien pourvu d’eau et de vivres, il pouvait faire campagne au large pendant des semaines et des mois sans toucher terre. Sûr d’avoir toujours le vent, il n'avait pas de soucis au sujet de son rayon d'action, et la plupart des réparations courantes nécessitées par le séjour à la mer se faisaient par les moyens du bord. C'est seulement pour se radouber et pour se caréner que le vaisseau était forcé de cingler vers les ports ; mais le premier port venu, même dépourvu d'outillage, lui suffisait ordinairement pour cet objet. Ainsi, l'application de la machine à vapeur et de l'acier aux flottes armées a eu ce résultat de les rendre moins mobiles et de restreindre leur rayon d'action, au moment même où l'extension des faisceaux de circula- tion, le comblement des vides océaniques et la naissance de nouveaux intérêts commerciaux et coloniaux agran- dissaient jusqu'aux extrêmes limites de l'Océan le domaine de la puissance navale. C'est pour résoudre cette sorte d'antinomie que l'outillage de la domination de la mer a dû s'étendre et se compléter sur terre. Aucune domination maritime nest possible aujourd'hui sans points d’appui et sans dépôts de charbon. Les points d'appui sont des arsenaux maritimes sem- blables, en petit, à ceux des métropoles, et capables de fournir aux cuirassés et aux croiseurs les ressources de ravitaillement dont ils ont besoin, ainsi que d'assurer le 19. PATES COR CAR re s ‘He Tir è HE + Fe aa ai + LT da — ÿ e RON 4 PE > s + nr: 334 LA DOMINATION DE LA MER ie L “+ carénage et les réparations les plus nécessaires. cab F naux sont fortifiés du côté de la terre. et on cherche Li. À assurer, autant que possible, une protection naturelle! même temps qu’à augmenter leurs points de contact aw la mer: par conséquent, ils sont souvent placés sur d Sa presqu'iles, des caps et des îles. Les exemples de Gibraltar, de Malte, d'Aden et de Périm, des Bermudes, sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d’insister sur ce poimi. Les points d'appui véritables ne sont pas très nombreux, même dans l'empire britannique, tout insulaire et mari- time, dont la cohésion a plus besoin que toute autre d’être » assurée au moyen de la puissance navale. Aussi est-il … nécessaire aux flottes de pouvoir s approvisionner- en dehors des points d'appui. Les dépôts de charbon où il serait possible de puiser en temps de guerre sont ne plus multipliés que les points d'appti ; ils coïncident presque toujours avec des centres commerciaux ou avec des escales dépourvues de toutes défense militaire ; leur … utilisation dans les mers lointaines est donc grosse d'im-. prévu, et peut être à la merci d'incidents qui accroissent la fragilité de la puissance navale, dont nous parlerons plus la (S Sr. ? Le véritable but du point d’ appui est de ravitaillér. les flottes. Il pourrait se composer à la rigueur, comme le dit Ratzel, tout simplement « d'un fond d’ancrage, et d'un morceau de sol solide pour les provisions de charbon et pour les autres{. » Son outillage est tout entier tourné vers la mer et consacré à la mer. Cependant, si le point d'appui se trouve placé sur la lisière maritime d’une re masse continentale inorganisée, il n’est pas sans exemple“ 4 1 Rarzez, 7, S 322. M LA DOMINATION DE LA MER 333 surtout dans le passé, qu'il cesse d’être purement maritime pour devenir une base de conquêtes terrestres. Les petites iles en face des continents, dont nous avons parlé ($ 27), et d'où les hordes des pirates, des flibustiers et des pion- niers se sont élancées à la conquête des terres de l'intérieur, n'étaient autre chose que des points d'appui qui avaient d'abord été occupés et utilisés par les conquérants de la mer. L'incontestable nécessité des points d'appui ne doit tromper ni le géographe, ni le politique sur le rôle véri- table qu'ils doivent jouer. A eux seuls, les points d'appui, même s'ils sont supérieurement outillés, ne suflisent pas à assurer à ceux qui les possèdent la domination de la mer. La multiplication des arsenaux fortifiés ne donne à elle seule, comme l'extension côtière, qu'un élément de puissance négatif, si l'on peut ainsi parler. Les côtes dé- veloppées et articulées, les points d'appui et les dépôts de charbon nombreux ne sont que des cadres inertes, auxquels la vie est donnée par la présence de la flotte agissante et combattante. 81. Fragilité de la puissance maritime, — Les considérations qui précèdent montrent déjà, d'une manière non douteuse, que la puissance politique navale et la domi- nation de la mer ne disposent pas, dans les parties essen- tielles de leur organisation, d'éléments aussi stables et aussi constants que la puissance terrestre. Sur mer, ce qui est puissant et vivant, c'est précisément ce qui est le plus mobile et le plus fragile, et on peut même dire le plus délicat : le navire. Une flotte, malgré l'appareil imposant de ses cuirasses et de ses canons, peut être détruite en peu d'heures par un adversaire bien armé, et les défaites 336 LA DOMINATION DE LA MER navales, dans l’âge contemporain surtout, sont plus com— plètés et plus écrasantes que les défaites terrestres. Toute l'Europe a été été étonnée de la facilité et de la rapidité avec laquelle les cuirassés russes de Rodjestvensky ont chaviré, sombré et brûlé sous les coups des Japonais ; en. deux ou trois heures de combat, ceux qui restaient debout n'étaient plus qu'une informe ferraille. Quelques instants suffisent à détruire le résultat de longues années de tra- vaux, de patience et d'énormes dépenses entassées. Ces effets foudroyants du combat naval ne font que traduire d'une manière concrète la fragilité et l'instabilité de. la puissance marilime, et par conséquent la médiocre solidité de la domination de la mer. Cette domination, comme nous l'avons dit ($ 77), n’est réelle et effective que pendant les crises violentes où se joue l'hégémonie. Une crise nouvelle peut donc la déplacer d'une manière com= plète, tandis que les crises continentales ne font que chan- ger le degré de puissance relative des deux Etats en lutte. La France, vaincue sur terre par l’Allemagne, en 1871, conservait pourtant, avec son territoire homogène et son armée, des éléments de force qu'il n’était pas au pouvoir … de son ennemie de lui enlevér. La Russie, vaincue sur mer, par le Japon, en 1905, n'a pas conservé un seul navire apte à faire campagne, et a subi une éclipse, mo- … mentanée sans doute, mais totale, comme puissance ma- ritime en Extrème-Orient. Ces deux exemples opposés permettent de mesurer la soudaineté des élévations et des chutes maritimes, comparées aux chutes et aux élévations « continentales. Il n’est donc pas étonnant que la puissance maritime, soumise à des oscillations si brusques, soit moins durable; « en général, que la puissance terrestre. Lorsque la domi- LA DOMINATION DE LA MER 337 nation de la mer demeure longtemps aux mains d’une même nation, comme l'Angleterre, il n’est pas douteux qu'une telle consistance ne se réalise que par des moyens indirects, comme les combinaisons diplomatiques et l’in- tervention opportune dans les affaires des Etats capables de briguer à leur tour l'empire de l'Océan. En jetant un coup d'œil sur l’histoire des trois derniers siècles, et en suivant sur la carte les progrès de la puissance maritime anglaise, on se rend compte que cette puissance ne s'est établie de vive force qu'à la faveur des grands conflits européens, et qu'en dehors des conflits, elle a poursuivi sa marche ascendante sans interruption, par des moyens détournés, par les voies diplomatiques et par l'application du système du protectorat. En outre, comme elle était protégée, par sa nature insulaire, contre les fluctuations de la politique continentale, elle s'est consacrée sans par- täge à son but maritime, et l'esprit de suite qu'elle a montré a corrigé pour elle la nature instable et capri- cieuse de la domination de la mer. L'exemple de l'Angleterre montre qu'à ce point de vue, les pays insulaires ont un avantage certain, puisqu'ils sont affranchis des préoccupations étrangères à la mer, et puisqu'ils sont capables de modifier, dans une certaine mesure, l'instabilité propre à l'empire maritime. Mais cette situation privilégiée comporte, comme correctif, « linextensibilité » du sol politique. L'Etat insulaire ne peut s'agrandir d'une manière durable aux dépens des Etats continentaux voisins ; dès qu'il a affaire à des pays organisés et formant des êtres politiques, le pays insulaire est incapable de tirer de ses incursions continentales un avantage durable. Ainsi l'Angleterre, à l’époque de la guerre de Cent ans, ravagea et conquit même temporai- RAF Ce RE ép r M A RRS APS Da À as de 7 a, 1 : x PARENTS EU M ÉQE PE LSTAD 79 RÉ à SE Z 3 338 LA DOMINATION DE LA MER rement le territoire français ;: maïs, en fin de comple) elle- ne put rien garder de ses conquêtes. Si le Japon s’est em- parée de la Ce et de la Mandchourie, il doit cette oecu- pation à la faiblesse des Russes, mais aussi, et surtout, à # l'absence de toute organisation politique en Mandchow eten Corée. Le sol est presque toujours destiné à manquer aux puissances insulaires ; mais, d'un autre côté. la mer. s'offre à elles, comme un champ d’ expansion illimité jusqu'aux rivages les plus lointains ; aussi ces puissances … ont-elles un caractère agressif très prononcé ; ce caractère, se retrouve, du reste, Me tous les peuples qui ee à la domination maritime. La fragilité et l'incertitude de cette domination obligent les Etats à faire de continuels efforts pour la conserver, et par conséquent à se tenir sue un qui-vive propre aux pensées audacieuses eb aux. marches en avant. É s S2. Les Etats à politique bilatérale. — (Ces carac- tères propres à la puissance navale expliquent pourquoi le développement politique sembie parfois si contradictoire: et si décousu dans les Etats à politique bilatérale, c'est-à= dire dans ceux qui regardent à la fois vers la terre et vers la mer. Des Etats de cette espèce sont appelés à résoudre des problèmes d’allure contradictoire. Le souci du main— üen de leur situation continentale tend à faire prédominer dans leur politique une sorte d'instinct conservateur ennemi des aventures : car les aventures continentales, si elles n’ont pas d’oscillations soudaines et compiètes comme … les conflits maritimes, sont extrêmement meurtrières par le trouble profond qu'elles apportent dans le corps politi=. que tout entier. Au contraire, le souci de l’expansion sur” mer entraîne les Etats à lol comme nous venons à # , LA DOMINATION DE LA MER 339 de le voir ($ Sr). Selon que l'une ou l'autre de ces deux tendances l'emporte chez ceux qui dirigent la politique d’un Etat, la mer ou la terre sont négligées, et l'Etat, à la fois terrestre et maritime, présente toujours une face vulnérable. Il est rare que sa force d'expansion soit sufli- sante pour lui permettre de soutenir une politique mart- time et contimentale à la fais, comme il arriva à la France du xvu° siècle. Dans la majeure partie des cas, il y aura une rupture d'équilibre au profit de la terre, ou au profit de la mer. Aussi la domination de la mer appartient-elle platôt aux peuples exclusivement maritimes, qu'aux peu- ples à la fois maritimes et continentaux. L'exemple de la France est peut-être le plus instructif que l’on puisse citer jusqu ici, pour donner une idée des inconvénients de la « bilatéralité », au point de vue mari- time. La France n’a jamais pu se dispenser d’avoir une politique maritime; mais on peut fout aussi bien dire qu'elle n'a jamais pu en avoir une énergique et suivie. Elle a eu parfois des velléités d'arriver à la domination de la mer ; parfois aussi elle à fait, dans ce but, une dépense d'efforts assez énergique, mais à toutes ces tentatives ont manqué, soit le temps, soit cette coordination des efforts et cette clarté des idées directrices qui assurent le succès aux puissances maritimes dont la cohésion sociale est supé- rieure et dont la ligne politique est plus constante. L'exemple de l'Allemagne, qui suit aujourd'hui l'exemple de politique bilatérale donné autrefois par la France, et qui semble apporter plus de continuité dans ses idées, ne peut encore nous renseigner complètement, puisque l'Alle- magne n'est qu'au début de son évolution vers la mer : mais il nest pas douteux que les aspirations maritimes compliquent singulièrement la politique extérieure de 340 LA DOMINATION DE LA MER l'Empire, qui était assez simple aux temps bismarckiens. Toutefois, avec les conditions générales où se meutla marine militaire moderne, l'Allemagne jouit d'un avantage # qui manquait autrefois à la ne L'ancienne marine, organisme spécial vivant de sa vie propre, tend à faire. 4 à place, comme nous l’avons déjà indiqué à plusieurs Ne reprises, à la marine industrielle : en d’autres termes, k% marine n'est plus sous bien des rapports qu'une des bran- 4 ches (une des plus puissantes à la vérité) des industries « mécaniques. L'empire allemand, avec sa puissante indus- trie, dispose donc d'un cadre de préparation et d'outillage qui est déjà, à lui seul, un instrument des plus eflicaces pour servir à la domination de la mer. + 83. Développemert parallèle de l'outillage indus- triel dans les marines de guerre et de commerce. — C'est l'industrialisation croissante de la marine qu’il con= vient de mettre en lumière à la fin de cette étude. Cette industrialisation est un des faits les plus importants de la séographie sociale, car elle s’étend ou cherche à s'étendre à toutes les modalités des rapports de l’homme avec la mer. La marine de guerre, la marine de commerce, les pècheries elles-mêmes en sentent les effets. Pour le déve M loppement de l'outillage, la marine de guerre a suivi une marche parallèle à la marine de commerce. Tout en se séparant de plus en plus dans leur appareil extérieur et dans leur mode d'action, et en se spécialisant chacune dans son domaine propre, les deux marines dépendent … toutes les jeux de l acier, de la vapeur et de l’ élec ctricité. marine de guerre avance ie vite dans cette voie que la marine marchande. Car les sujétions économiques, qui. LA DOMINATION DE LA MER 9/1 sont souvent, comme nous l'avons plusieurs fois indiqué, toutes puissantes sur la seconde, sont indifférentes à la première. Or, ce sont les considérations économiques qui conservent, dans la marine marchande, une place relati- vement si importante à l'ancien moteur, le vent, de même que les vieux bateaux de commerce n'ont pas à redouter de se démoder : ils vont tant qu'ils peuvent trans- porter une cargaison à une vitesse suffisante. La marine de guerre, au contraire, ne peut admettre la survivance des vieux bateaux, qui lui seraient non seulementinutiles, mais nuisibles. Un navire de guerre de 20 ans a fini sa carrière, tandis qu'un navire de commerce marche sou- vent jusqu'à 40 ans et au dela. La marine militaire met donc toujours à profit les perfectionnements les plus récents de l'outillage nautique. Depuis longtemps, elle n’a plus de voiliers ni de bateaux en bois : tous les navires de guerre, cuirassés, croiseurs, contre-torpilleurs et torpil- leurs, sont des navires à vapeur et en acier. Comme la marine de commerce, mais dans de moindres proportions, la marine de guerre obéit à la loi de l'accroissement du tonnage, qui est déterminé chez elle, soit par le dévelop- pement de la grosse artillerie, soit par celui des machines destinées aux grandes vitesses. Comme la marine de commerce encore, la marine de guerre se conforme à la loi d'accélération : elle recherche des vitesses supérieures. Sans doute, la vitesse ne peut passer, dans la flotte cuI- rassée, pour une question capitale, et les cuirassés cons- truits d’une manière rationnelle sacrifient plutôt la vitesse à l'artillerie. Cependant, il ne faut pas oublier qu'un certain degré de vitesse favorise la manœuvre, que le vent commandait autrefois : c’est à ce titre d’auxihiaire de la manœuvre que la vitesse acquiert une importance mili- + Ÿ : M = Ga LA DOMINATION DE LA MER taire. Enfin, de même que les navires de guet + navires de commerce grandissent parallèlement, KE les arsenaux maritimes s’accroissent comme les _ commerciaux; dans les uns comme dans les aut 4 produisent des mouvements de concentration et de s cialisation plus nettement dessinés de jour en jour; d les premiers, comme dans les seconds, l’espace e e profondeur deviennent les éléments indispensables l'établissement maritime, et, si on ne les trouve : donnés par la nature, on les obtient à force de travs Ainsi se manifeste l’unité profonde des modes d'adaptat des hommes à la mer et à la vie maritime, si Me A si variables que paraissent ces modes à première vue. CONCLUSION La mobilité sociale et l'extension des échanges n'ont acquis une valeur planétaire, si l'on peut ainsi s'exprimer, que du jour où les hommes ont su s'adapter eux-mêmes et adapter leur technique industrielle aux conditions de l'existence maritime. Cette adaptation a été favorisée ou contrariée, selon la nature des régions où l’homme prenait vue sur la mer, par les multiples agents naturels de la topographie ou du cli- mat; mais elle n'a été rigoureusement déterminée par aucun d'eux. C'est en eux-mèmes et par eux-mêmes que les groupes sociaux ont trouvé les ressources ou subi les nécessités qui les ont menés à la conquête de l'Océan ; ni les uns, n1 les autres ne leur sont venus du dehors. Ce ne sont pas les côtes articulées qui ont fait les sociétés mari— times prospères, el l'abondance de la cueillette marine n'aboutit qu'à la formation de groupes qui ne se distinguent mi par leur mobilité, ni par leur énergie progressive. Tout au plus peut-on soutenir que, dans les Méditerranées, la médiocrité de l’espace à déterminé, dès l'aube historique, d'actifs mouvements d'échange et de migration. Mais, comme ce mouvement n'a pas été universel dans toutes les Méditerranées, il est facile de voir qu'il s'agit encore ici d'un facteur secondaire incapable d'orienter, à lui seul, l’adaptation de la vie active des hommes vers la mer. Il ne résulte pas de là qu'il convienne de nier la valeur et l'importance de l’espace maritime dans l’évolution so- 344 CONCLU SION ciale. Au contraire, dans l'étude de cette évolution, l'es- pate maritime est un élément de premier ordre. Mais c'est, en quelque sorte, un élément passif, dont le rôle, d'un moment à l'autre de l’histoire, s'est entièrement modifié” | Au point de vue social, l'Océan et les fractions de l Océan F ont eu tour à tour, soit sur le plan du temps, soit sur Je. + plan de l’espace, une « valeur négative » et une « valeur : positive » ; la première s'oppose tout à fait à la seconde ; la première fait de la mer un centre de dispersion, la seconde en fait un centre de jonction et de fusion. : La mer n'a qu'une valeur sociale négative, lorsqu'elle M éloigne les sociétés les unes des autres, ou lorsqu'elle les M isole, c'est-à-dire quand elle est l’espace hostile ou l'es- pace ignoré. Dans le premier cas, qui a été, à divers moments de l’évolution, celui des Méditerranées et des - mers secondaires, la médiocrité de l’espace n'a pas. empêché celui-ci, si pelit qu'il fût, d'opposer à la mobi- lité sociale un obstacle insurmontable d'abord, considé- rable ensuite, et enfin de plus en plus réduit, jusqu'au jour où l’espace maritime a cessé d’être un obstacle pour devenir un auxiliaire. Dans le second cas, qui a été celui des océans Atlan- tique et Pacifique, et, à un moindre degré, celui del'Océan Indien, c’est-à-dire de toute la Weltmeer, l'espace mari= … time a formé les vides planétaires, dont les dimensions et les limites ont été longtemps ignorées, et dont l'existence a entravé l'extension de l'œcoumène sur toutes les ni RERES du globe. < CONCLUSION 349 l'ancien obstacle la zone planétaire la plus commode pour l'échange en masse des hommes et des produits. Alors les cadres anciens de l'existence économique et sociale des peuples ont été bouleversés. Le désert d’eau s’est trans- formé en une grande piste ouverte à tous, où se sont tra- cées sans obstacle les routes du monde. Il est devenu le champ commun où les races se coudoient avant de se mé- langer. Par lui se prépare et se réalise l'équilibre de répar- tition des hommes à la surface de la planète. Sans doute, présentée en raccourci, cette transforma- tion radicale de la valeur sociale de la mer ne donne pas une idée exacte des choses. La pénétration et la maitrise de l'Océan ont été réalisées d’une manière progressive. Peu à peu, en appliquant leurs ressources et leurs forces, en proportion croissante, à l’utilisation de la mer et à la solution des problèmes qu'elle imposait à l'intelligence humaine, les sociétés, civilisées ou non, ont annexé, par tranches successives, des parties de surface marine au cadre géographique où elles se développaient ; plus tard est venue la conquête complète qui a fait entrer dans le domaine de la géographie sociale toute la Weltmeer, jus- qu'aux limites où les glaces des pôles, au Nord et au Sud, arrêtent à jamais les efforts de l’homme pour aménager la planète. L'exploitation et l’utilisation de la mer ont donc com- mencé par être étroitement localisées, et il n'est pas éton- nant que les effets sociaux de l'adaptation maritime aient été longtemps assez restreints. Lorsque nous considérons la cueillette des produits de la mer, telle qu'elle se fait encore aujourd'hui sur beau- coup de côtes de condensation et sur les zones, riches en vie marine, du plateau continental, ou même telle qu’elle USSR RUU RE MEN EDR LP NUS Av e + Fe? 346 : CONCLUSION mer du Nord), et sur les bancs d'Islande et de Neuve, nous Re ar pourquoi, dès le débuf der tation de a mer, PET RE confinés dans leurs occ tions et tout autant localisés que les groupes agricol n'ont pu devenir des foyers de transformations sociales profondes. 4 Si même nous étudions le Ant 4e par eau des hom— mes et des choses, tel qu'il s'est fait.et se fait encore le j long des côtes ou à travers d'étroits espaces, dans les. mers secondaires et dans les bassins fermés, nous arrivor rapidement à nous convaincre que, bien que la valeur de cette forme de circulation soit supérieure à celle de la … cueillette marine, la timidité de la navigation littorale, brièveté de ses parcours et leur a Loin aux règles la répartition continentale des peuples n’ont pu abaïsserten- tièrement les barrières qui séparaient les groupes sociaux. C'est ainsi que les petits mondes à part formés par les À Méditerranées et par les mers en bordure ({ Méditerranées | du Sud et du Nord de l'Europe, mers de l Insulinde, mers si côtières d'Extrême-Orient), sont devenus de très bonne heure des annexes maritimes de l’œcoumène. Autour € de ces lacs marins et à travers eux, dé nombreux groupes û ont trouvé soit des limites d’ expansion, soit des zones de fusion avec les groupes voisins. L'activité des relati s. an R Semen à déterminé ge formation des peuples. ee #4 même ont annexé à RARE une aSUÉ de la W Ineer, ee à la rene de l’archipel indonésien et di CONCLUSION 347 terranéens se sont donc transformés très tôt en foyers de mobilité sociale. Mais cette mobilité était très limitée. Avant la conquête complète de la Weltmeer, les mondes méditerranéens n'ont eu aucune communication marilime constante les uns avec Îles autres. La mobilité des groupes qui s y croisaient était à peu près bornée à la périphérie de chacun de ces petits mondes. Si les Vikings allèrent au Saint-Laurent, si les Phéniciens parvinrent aux Cassité- rides, si les Carthaginois firent le tour de l'Afrique et si l'amiral d'Alexandre, Néarque, lança une flotte sur l'Océan Indien, ces exploits isolés n’aboutirent pas à une jonction durable des microcosmes maritimes. Une péné- tration ethnique assez superficielle, à peu près bornée aux côtes, un outillage maritime varié, mais encore rudimen- taire et presque uniquement adapté aux besoins locaux, une sorte d'état d'esprit insulaire, pour parler comme Ratzel, la croyance que toutes les mers étaient semées d'archipels comme les Méditerranées, et par suite l’inapti- tude, non seulement à triompher des espaces étendus de la Wellneer, mais même à concevoir leur existence, telles étaient les formes générales que prenait l'adaptation à la vie maritime dans les Méditerranées. Lorsque deux mondes méditerranéens communiquaient d'une manière assez constante l’un avec l’autre, comme il arriva, dans l'antiquité et au moyen âge, pour les mers de l'Inde et pour la Méditerranée d'Europe, cette commu- mication s'établissait par des intermédiaires continentaux. Ce sont l'Arabie, l'Egypte et la Perse qui ont joué ce rôle entre la Méditerranée et les mers de l'Inde. De tels inter- médiaires étaient plutôt des barrières que des zones de jonction. Ils ne se prêtaient qu'à une circulation très limitée des hommes et des choses. Ils aident à comprendre 348 CONCLUSION pourquoi les contrastes sociaux ne s’atténuèrent jamais entre les groupes qui gravilaient vers chacune des mers intérieures : ils aident à comprendre aussi pourquoi les échanges interméditerranéens étaient strictement limités aux objets précieux et aux produits des tropiques: formes d'échange ne pouvaient pas plus se généraliser les hommes ne pouvaient se mêler. Ainsi, l'adaptation maritime, qui prenait dans chac obstacle que présentàt cet espace, va était l étendue, était aussi le seul que les hommes n’apprenaient pas à sur— monter dans les Méditerranées. L'adaptation océanique a. exigé de nouvelles ressources intellectuelles et l'impulsion. de nouveaux besoins sociaux. Ressources et besoins, appliqués à l'élément passif de dispersion qu'était la. Welimeer, ont fini par en faire l'instrument par excellence ÿ de la fusion sociale et des échanges universels. 1 L'homme n’a eu qu'à transporter du monde méditer= ranéen dans le monde océanique son outil de propulsion marine, qui de tout temps a été la voile. Mais la déter— mination des positions successives des navires et la direction des routes, qui n'avaient aux âges méditerra= néens qu'une importance médiocre, puisqu'il était rare“ CONCLUSION 349 découverte de la Weltmeer les procédés de la navigation méditerranéenne, la détermination de la latitude par la polaire a fait place à la détermination par la méridienne. Du xvu° au x1x° siècle se sont lentement établis et per- fectionnés les procédés de la détermination des longitudes, par les distances lunaires et par l'observation des étoiles. Ces applications représentent les points d'aboutissement d'une longue série d'efforts intellectuels, dont la source première se trouve, non dans les nécessités de la navigation méditerranéenne, mais dans les spéculations désintéressées des géomètres de la Chaldée et de la Grèce. C’est donc de l'intelligence spéculative. et non d’un empirisme gouverné par les besoins de l'heure présente, que dérive l’astro- nomie nautique, au moyen de laquelle les hommes ont appris à la fois à concevoir l’espace maritime, à ne plus le redouter, à l’explorer et à le conquérir. Ce premier pas vers l'annexion de la mer au domaine humain a été suivi de beaucoup d’autres, à mesure que je navire, adapté autrefois, à peu près exclusivement, aux besoins de la navigation sur une seule mer ou dans une seule région maritime, accroissait ses dimensions et ses qualités nautiques de vitesse et de résistance, de manière à passer indifféremment des tropiques aux pôles et d’un océan à l'autre. Le navire a profité, plus qu'aucune création humaine, des progrès faits dans la voie de l’asser- vissement de la matière. En lui viennent se concentrer et se résumer une foule de techniques séparées, où le génie industriel de l'Europe occidentale à trouvé une multitude . de formes nouvelles d'utilisation et d'adaptation à la mer. L'application aux constructions navales du fer et de l'acier et la propulsion par la vapeur sont les deux termes prin- cipaux de cette condensation complexe et de cette fusion 20 350 CONCLUSION des techniques particulières dans la technique maritime. >. L'assujettissement de la matière s’est révélé j sq 1e di la modification des formes topographiques qui im la circulation maritime le dessin de ses route percement du canal de Suez a fait cesser l’ancien isolem: de la Méditerranée d'Europe par rapport aux mers” bordure et aux Méditerranées de l'Inde et de la Chine : sorte qu'à côté du monde océanique, où les vides disparu, se place aujourd'hui tout un monde méditer néen où les anciens intermédiaires continentaux disparu aussi. el Ainsi, la spontanéité humaine s’est taillé une forte pañt 14 dans | MR EN successive des sociétés à la vie océani que la can A nier Mais l expansion a été sans nul doute stimulée: par 5 nécessités qui dépendent de la dynamique sociale et « nomique. Ces nécessités sont de deux sortes : les proviennent de la pléthore numérique d’un certain nom de groupes humains; les autres dérivent de la Es duction industrielle. Le développement rapide de la population de l’Ex la saturation depuis longtemps établie des art PS de l'Inde et de la Chine, montrent assez que l'accroisse des peuples ne correspond pas à l'accroissement des ï sources directement utilisables pour chacun d'eux. D' part, d'immenses territoires sont encore inutilisés ou utilisés, et le manque d'équilibre dans la répartition groupes sociaux sur les différentes parties de l’œcoi s'accuse davantage, à mesure que se développe la ci tion industrielle. Si pendant longtemps les guern CONCLUSION 39 famines et la peste ont atténué de temps à autre l'excès de condensation dans l'Inde, dans la Chine ‘et même en Europe, il est certain que ces forces, qui représentent les tendances naturelles vers l'équilibre, s’affaiblissent et sont appelées à s'affaiblir encore. Les migrations terrestres ne peuvent les remplacer, car ces migrations n'aboutissent qu à des pénétrations lentes et le plus souvent très loca- lisées ; elles ne mènent pas les émigrants très loin de leur pays d'origine, et ne modifient donc la répartition des peuples que par une sorte d'extension en auréole des _ grandes zones de condensation. Au contraire, les migra- tions maritimes en masses et par zones, comme celles qui jettent depuis un siècle des millions d'Européens sur les côtes de l'Amérique du Nord, et comme celles qui, peut- être, jetteront demain sur tout le pourtour du Pacifique des millions de Chinois et de Japonais, modifient d'une manière très sensible le mode de répartition des hommes sur la planète. Ce que nous venons de dire des hommes peut s’appli- _quer, presque trait pour trait, aux choses, et notamment aux produits manufacturés. La surproduction des pays de grande industrie ne trouve, ni sur place, ni immédiate- ment autour d'elle. des débouchés suffisants. Il faut donc qu'elle les cherche au-delà des mers. Elle ne trouve pas davantage sur place les matières premières qui lui sont nécessaires en quantités énormes : ces malières, c’est encore . Ja mer qui les lui apporte. Malgré les progrès de la circu- lation terrestre, 1l serait difficile de concevoir, sur un globe . tout continental, un mouvement d'échanges aussi univer- sel et aussi actif que celui que nous connaissons. Sur les navires, le fer, le bois, la houille et le blé courent sans obstacle et à peu de frais entre l'équateur et les hautes 392 CONCLUSION latitudes, sous tous les méridiens. Sur les rails, + ne par- courraient qu'une minime partie de ces tee et les marchés locaux continueraient à l'emporter sur le mar hé universel, comme aux siècles où l'Océan n'était q é espace hostile et privé de routes. L'expansion des hommes et celles des marchandises pa voie de mer sont donc commandées l’une et l’autre par des nécessités rigoureuses ; de là leur généralité; de là aussi l'importance et la profondeur des effets sociaux qui résultent de la circulation des hommes et des choses sur les vastes espaces de l'Océan. Le mélange des peuples et des races, autrefois bor aux rivages es ranéens, Où 1l aboutissait à des fusions limitées aux archipels et aux régions littorales, est devenu interocéanique, et, au lieu de n’intéresser que les popuiis 4 tions côtières, il affecte des continents entiers, comme le montre, en Europe, le recul des foyers d'origine des mie. grations de l’ouest à l’est, de l” Atlantique à à la plaine russe. Non séulement l'extension dans l’espace, mais l'impor- tance numérique de ces mouvements dépasse tout ce que donnent encore aujourd’hui les migrations méditerrané-" ennes. Toutefois, le mode de répartition des groupes, d'un bord à l’autre de l'Océan, ne diffère pas essentiellement du mode de répartition méditerranéen : le mouvement océa- nique n’est que la répétition, sur une échelle agrandie, du | mouvement de la Méditerranée. C’est ainsi que dans leurs: migrations transatlantiques, les Européens se sont groupés de préférence dans les contrées qui rappelaient leurs pays d’origine, et il n'est guère douteux que les jaunes en feront | autant sur les Wir du Pacifique. Dès maintenan l'Atlantique est, si l'on peut ainsi parler, la Méditerra de la race blanche. . CONCLUSION 399 A côté des mouvements spontanés des masses humaines, il ne faut pas oublier ceux qui résultent de la contrainte, soit ouverte, soit dissimulée, et qui, moins importants que les premiers pour l'équilibration des grands groupes, n’en sont pas moins dignes de remarque par la profondeur et la durée de leurs effets, sinon par leur extension. La traite des nègres de Guinée sur les côtes américaines, l’exporta- tion, à travers l’océan Indien et le Pacifique, des coolies et des engagés de la Chine et de l'Inde, sont des faits que seule a rendus possibles l’adaptation océanique de l'homme civilisé. Si l’on tient compte du nombre croissant des groupes sociaux qui sont affectés par la mobilité océanique, puisque de nos jours, grâce au développement des voies rapides terrestres et à leur soudure avec les voies maritimes, l'in- fluence de la mer rayonne jusque dans les parties les plus reculées des continents, si l’on rapproche de ces faits les pénétrations profondes, qui résultent de la multiplicité des échanges, on comprend que l'accélération de la circulation maritime, les câbles télégraphiques, la suppression de nom- breuses escales en des pays ou des ports devenus inutiles, la concentration d’un outillage de plus en plusimposant et coù- teux dans quelques ports géants et l’internationalisation du personnel de la marine marchande s'imposent comme des conséquences nécessaires cle la conquête de l'Océan. Mais parmi toutes ces conséquences, aucune n'est comparable comme importance, à notre point de vue, à la nouvelle répartition des groupes humains qui résulte de la circula- tion océanique. Cette répartition conduit à deux résultats en apparence contraires. D'une part, le déversement constant, sur des continents à population clairsemée, de masses provenant 20. 394 CONCLUSION de foyers surpeuplés, représente une tendance ce l'équilibre. De l'autre, l’entassement de la pop maritime autour des grands ports, où les villes croi aussi vite que dans les plus actifs foyers d'indus prouve que, sur les bords de la mer comme dans les tricts du fer et de la houille, la concentration industrielle produit ses effets. 130 Ces deux faits, pourtant, sont en corrélation étroite l'a mn avec l’autre. Il est naturel de considérer la nombreu je population qui s’entasse dans les faubourgs des villes | maritimes comme un résidu des migrations, dont la masse principale est redistribuée à l'intérieur des continents % New-York nous donne le meilleur exemple d'un grand ‘port où les choses se passent ainsi. Ce qui le prouve, c'e l'infinie complexité d'origine que l’on discerne dans k population des grandes villes maritimes. Nulle part sur k globe les races Ts plus diverses ne sont aussi étroiteme rapprochées et mélangées. L’urbanisme maritime est u sorte de creuset où fasionnent les éléments les plus b rogènes que l’on puisse imaginer. L3 22 Toutes ces formes, les unes nouvelles, les autres agrandies et développées, de l'adaptation de l’homme à la vie maritime, expliquent et justifient l'importance prise, | au regard de la puissance politique, par les problèmes de. la mer, ainsi que le développement de l'outillage de domination navale, qui s’est accru et perfectionné lèlement à l'outillage de la circulation. Les zones de la “domisatief navale se sont agrandi comme les zones d'exploitation et de circulation, "par tranches successives. Elles ont été d’abord exclusiveme méditerranéennes et littorales ; elles sont devenues en océaniques. Mais, à mesure qu'elles augmentai CONCLUSION 395 étendue, elles devenaient de plus en plus difficiles à mai- triser réellement, d’abord à cause de leur étendue même, et ensuite parce que la technique militaire moderne, en faisant suivre au navire de guerre une voie de transfor- mation parallèle à celle du navire de commerce, n’a-guère moins accru la fragilité que la puissance de combat des flottes. De là est née la nouvelle conception politique et militaire des points d'appui extérieurs, indispensables svutiens de la domination de la mer. Mais ces soutiens nempèchent pas la puissance maritime d'être soumise aux causes de variabilité et d’instabilité qui lui sont propres. Le navire de guerre, outil délicat et merveilleux, peut être en peu de temps mis hors de combat où même entièrement anéanti. Des oscillations soudaines, auxquelles il n'ya rien à comparer dans l'équilibre continental des forces, résultent parfois des crises maritimes. C'est un des faits les plus généraux, dans l'étude de la mer au point de vue social, que l'instabilité introduite par la conquête de l’océan dans la balance des énergies humaines. Ces énergies sont décuplées ; les fusions et les oppositions de peuples produites par la circulation mari- time agissent comme autant de stimulants efficaces, et les relations politiques et économiques arrivent à leur maxi- mum d'activité : mais cette sorte de trépidation vitale entraine avec elle un déplacement continu et parfois im-— prévu de la force : les élévations sont rapides, les déca- dences et les chutes ne le sont guère moins. … LA VOCABULAIRE TECHNIQUE Arc de grand cercle. — Les grands cercles tracés à la surface de la sphère sont ceux dont le rayon est égal à celui de la sphère. La trajectoire la plus courte entre deux points de la terre est le plus petit des deux arcs du grand cercle qui passe par ces deux points. Atoll. — Ensemble de récifs coralliens entourant une lagune centrale. £ Au plus près. — Un navire fait route au plus près quand il fait l'angle le plus petit possible avec un vent con- traire à la direction générale de la route. Axe insulaire. — Ligne tracée des Carolines aux Po- _motou par les archipels coralliens du Pacifique. Barre. — Ligne de brisants existant sur les côtes basses ; se dit aussi de la vague formée aux embouchures des fleuves par la rencontre des eaux douces et du flot de marée. Bigue. — Appareil de levage pour les poids très lourds, dans les grands ports de commerce. Boucaniers. — Aventuriers européens établis, au xvu° siècle, dans les Antilles. Bouclier baltique. — Massif tabulaire de roches an- ciennes sur la périphérie de la Baltique. Brises folles. — Les zones de brises folles sont situées entre les alizés et les vents d’ouest, vers le 35° degré lat. Ghalut, chalutier, chalutage. — Le chalut est un grand filet que l’on traine au fond de la mer ou entre deux eaux, à bras ou au moyen de moteurs mécaniques (vapeur et pétrole). Un chalutier est un bateau de pèche pourvu d’un chalut. Le chalutage est la pêche au chalut. Courants du large. — Grands courants généraux dé- terminés à la surface par les différences de poids spécifique, par la rotation de la terre et par les vents dominants. Courants de marée. — Courants déterminés par le flux et le reflux. Ils ne sont sensibles qu'aux approches des côtes ou dans les mers resserrées. RÉ RS LD A AT cé eg 20 in s Re PONT IU EPS PE) SOI PIE CPR SREEE » x Là ve D. r 358 VOCABULAIRE TECHNIQUE < Drift. — On entend par drift un courant du 1éredl formé, loin de sa zone d’ origine, en une sorte de nappe élargie. où les eaux se ralentissent et où les bords du cout ne nt pas nettement marqués. ‘ Equateur Thermique. — L'équateur thermique une ligne joignant les points des méridiens où la rature moyenne, saisonnière ou annuelle, est la plus é K équateur thermique saisonnier oscille ire 10° lat. N° 3° lat. S. L'équateur thermique annuel se trouve, en génér à quelques degrés au N. de l'équateur géographique. Estime. — La navigation par l'estime est celle qui se fait. sans le secours des dires à l'aide du loch* et du compas. Faille de dislocation. — Solution de continuité entre deux ensembles de couches stratifiées, provenant d'un gli sement en masse ou d'une rupture d’une partie de l’ écorce. à Glaces de dérive. — Glaces flottantes descendant se À hautes latitudes vers les mers tempérées. Gr. — Méridien de Greenwich, généralement adopté is F les cartes étrangères. Hamâda. — Plateaux rocheux du désert saharien. Holothurie. — Classe de l'embranchement des Echm dermes, dont les représentants sont pourvus d’un anne: cales ‘4 Iceberg. — Glace flottante d’origine terrestre, dans les à vd 0- mers polaires. is Intercourse. — Navigation commerciale faite entre 4 des pays d'uneautre nationalité que le ou les navires transporteurs. % Isobathes. — Lignes d'égale profondeur tracées sur les cartes marines, analogues aux isohypses ou courbes de niveau des cartes terrestres. 2n Koum. — Déserts sablonneux du Turkestan russe. Loch (1,. — Appareil destiné à mesurer la distance p: courue par un navire. Loch (2). — Nom donné aux lacs d’ Ecosse, et par sion aux golles étroits et allongés de la côte d'Ecosse, logues aux fjords de Norvège. Mer en bordure. — Mer secondaire communic largement avec l'Océan, sans interposition d'iles ou presqu'iles. LL VOCABULAIRE TECHNIQUE 399 Modelé. — Dessin de la surface terrestre et des côtes dé- terminé par les agents météoriques. Niveau de base. — Point où une rivière atteint, soit le niveau de la mer, soit une autre rivière. Plankton. — Ensemble des petits animaux océaniques qui servent à la nouriture des animaux de plus grande taille. Plateau continental. — Lisière maritime httorale, de o à 200 mètres de profondeur environ. Plissements dinaro-tauriques. — Ensemble monta- gneux de la péninsule des Balkans et de l'Asie mineure. Point. — On entend par faire le point déterminer la po- sition d'un navire en longitude et en latitude à la surface du globe. Quebrada. — Nom donné aux vallées sans eau qui des- cendent des Andes vers l'Atlantique, au Pérou et au Chili. Raz de marée. — Vagues séismiques déferlant sur les côtes. RER Taïga. — Forêt sibérienne d'arbres nains, du 60° au g0°.lat. N. Tectonique. — Branche de la géologie consacrée à l'étude des plissements, des failles et des effondrements de l'écorce terrestre. Zéro des cartes. — Niveau de convention auquel on rapporte les sondes des cartes marines, Ce niveau varie sui- vant les pays. En France, on a choisi comme zéro le niveau des plus basses mers observées. 6 BIBLIOGRAPHIE I. Périodiques Annales de Géographie. Paris. Geographical Journal. Londres. La Géographie, Bulletin de la Société de géographie. Paris. Petermann'’s Mitteilungen. Gotha. Supan (A.) Die Bevülkerung der Erde. Gotha [depuis 1852]. Il. Atlas Barrnoromew (J.-G). Atias of the World's Commerce (Edinburgh geographical Institute). Londres et Edimbourg, 190%. Bercmaus. Physikalischer Hand Atlas. Gotha. 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Beru. . Behring ( E 4). 2 TENTE Poe... . Berxarp (A.) . Biesboch. . . Bigues Bamnese. SN. BraGpex. Bombay. . Bonin (iles). Bougi Brème Se Bretagne . . . Brises folles. . 219 . 0) Archipel (mer) . 132 ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS ET DES MATIÈRES BrosseLarD FAIDHERSE Câbles télégraphiques. Canne à sucre . Cap (Le) Caravane (bateaux de) Cargo-boat . Carcer-FLeurie . Cauri (Pêche du) . Chalut : Chantiers anglais . Célébès . Corse Corail (pêche aa Cordon littoral . Comptoirs . Coolies . Cotres Ve Courants généraux Cosrr: Cuirassés Cunard Line Cuonrius . Dalmatie Daupter. Dawsos . 2 Dellas Serre Dépôts de das Détroits . TR Deurscue SEEWARTE . Dixox Dogger Bank 370 TABLE ALPHABÉDMIQUE DES AUTEURS ET DES Pages LÉ Domination de lamer,323 342 ; Guerre industrielle . + ee Dominique (ile) . , . 136 |[UGulf stream: 00 HDundées. , 237, 500 150 |. 'Guwrowicz, 2:00 DRE: T. CL TARQE 3 | Halmabierx 2727 208 Durcor DE Morras . . 176 | Hambourg . . . . Echelles du Levant . 989 | Hanse . . . . 20 Economie destructive. . 146 | Havre (Le). . . . Emigration en Améri- Etdl”: "#6 re me ques - 500 085 abat) Humbert eee Emigration japonaise et Huwsorntr . . . , chinoise ..-. :. 202 254 |'Iles US CO ONE Eponges (pêches ee 3 62 | Insulinde . . . Éselaves 71 OUT 4 2:30 1 Islande PER RRES Éebiinos : 21 NANTERRE . 99 Izdubar (épopée d’) . Estuaires / 71 rs 200 19 J6lo: "CERN Expansion germanique . 209 Jonques- "08e Factoreries . > 1. : Sox. | Kilwaroe 100 Faisceaux de Re Labrador: 27484 16,-255, 306 | Langues composites . Bar OËr 245 RON 85: | Lascars "4040 Fisher Bank - 51021 COCA ILE NGEME NRUE Fishery Board écossais . 149 | Levantins . . . .. Ports. #72. URSS 36 | Lizard (Cap) . . . Esacouer -. -. Un N gara l NelPonl ER Forêt côtière . _. : :_. 88 | Londres. . FROUDE . . 2 NV 78041 IP MAGRINDER ONE Galapagos ( îles) .. . 70108 E Madapascan re Gaspé (péninsale de). . 59 | Magdalena . . . . Gênes :...",%, 407: 20315 MEME TTAURESS GEDER PAL OT SON ONE FER RE Glasgow. , . . 318, 320 | Malabar (Côte du). ; Goélette de grande pêche. 145 | Malaria. . . . . Gonxarp. -: . 218, 56 Mai RSR Grande pêche . : 142, 146 | Maltais … 2 Gore eTTE TAN Z 39 | Manche... GRecons: 1067 Ent 226 | MaxtToux. 2.20% Grimsby. "7.7. 4544-1159 1 Mao ere Grands ports . . . . 3rr Mirco Poro 27e TABLE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS ET DES MATIÈRES Pages een. . . So ER | 7 En 259 DT . . . 99 Méditerranée . . . . 287 Mers secondaires . . ‘: 4o Micronésies. ... . . 129 Migrations forcées etspon- A . 13 AMAAMADN 0. . 129 De. . . 197 293 ROME, 53 Nord (mer du) (pèches) . 153 » (zonesd’inondation) 78 . » (migration). 205 208 MONO... LL. . 54 39 Nouveau Brunswick . . 59 OEcoumène maritime, 5 10 PS 0. . 108 Panama (isthme de) . . 4S Paquebots + . . 279 280 TO . 223 RL -. . 159 Pays-entrepôts. . . 307 RL -, , 26 PER Sat |: . . 29) Peamnile), . . . 12/4 Phsse océanique . . . 5 PEREIRESON -L. .. . . 190 Phôques.. . . AR 22): 196 Plateau Pkacntal Sr 53 Points d'appui. . . . 333 Pribyloff (iles). . . . 158 OkEPradas - … . : 99 Rarzez 29, 31, 33, 111, "17; 292, 293, 300, D TD 0, 33! Reczus 61, 65, 69, 77, 90, 99, 107, IT8, 121, 1393/1930, LE TO 20 MIO Rias . Riouw (iles) RitTEer . : Rotterdam : . Routes océaniques Sakhaline Sainte-Marie (ile) Saint-Paul (ile) SKEAT Sommes chinoises . ie Spitzherg SHSS 0 0 PIS, AE 193, Suez (the et canal) 48, SuPAx s Syrie (isthme) . Tasmaniens. . Teck (bois de). Ternate . Terre-Neuve Midozes.: : Hamon Torrès (détroit FA Tramps . ee ; Trepang ( pèche du) ) Tristan da Cunha. Urbanisme Valleuses : Miktngs . - Vinland . Voiliers modernes. Weltmeer Wuire Wisby. (we TABLE SYSTÉMATIQUE DES MATIÈRES Prérace INTRODUCTION Généralités et définitions 1. La mer et les peuples maritimes. — 2, Définition, de Vœcoumène maritime proprement dit. — 3. Définition des migrations par voie de mer. — 4. Définition des faisceaux de circulation. — 5, Méthode générale d’exposition. PREMIÈRE PARTIE L'Œcoumène maritime CHAPITRE PREMIER Côtes de condensation 6. Répartition inégale des populations sur les côtes. — 7. Théorie de Karl Ritter sur les articulations littorales. — 8. Les rias. — 9. Les fjords. — 10. Causes véritables des mouvements de condensation, — 11. Côtes des mers secondaires, des détroits et des isthmes., — 12. Débouchés fluviaux et pays d’alluvion. — 13. Pêcheries côtières; le plateau continental. — 14. Mades de groupements des pêcheurs côtiers. — 15. Industries dérivées de la pêche côtière. — 16. Varialions naturelles de l’œcoumène côtier. — 17. Vue d'ensemble sur les côtes de condensation Pages LD ot sens es is FLE À! LA A Ve Te CRE DENIS si 4 2e & a Re PISTE » à De À a F L « Ç LÉ ER Fe Ts L YI ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE au courant des progrès, dans la partie qu'ils cultivent e dans tout le domaine scientifique Elle fera jurisprudence, dicte le devoir d'impartialité qu’elle aura à remplir. Il n’est plus possible de vivre dans la société moderne en les diverses formes de cette activité intellectuelle qui révoluti o! les conditions de la vie ; et l’interdépendance de la science ne KR . plus aux savants de rester cantonnés, spécialisés dans un 6 domaine. Il leur faut, — et cela leur est souvent difficile, — mettre au courant des recherches voisines. À tous, l'Eneyclop offre un instrument unique dont la portée Per et socia peut échapper à personne. * ‘: IV CLASSIFICATION DES MATIÈRES SCIENTIFIQUES La division de l'Encyclopédie en Bibliothèques a rendu nécess l'adoption d’une classification des sciences, où se manifeste néce rement un certain arbitraire, étant donné que les sciences se | tinguent beaucoup moins par les différences de leurs objets que 1e F les divergences des aperçus et des habitudes de notre esprit. produit en pratique des interpénétrations réciproques entre 1 domaines, en sorte que, si l’on donnait à chacun l'étendue à laquell il peut se croire en droit de prétendre, il envahirait tous les & toires voisins ; une limitation assez stricte est nécessitée par le même de la juxtaposition de plusieurs sciences. e Le plan choisi, sans viser à constituer une synthèse philosophit des sciences, qui ne pourrait être que subjective, a terdu urta 1 à échapper dans la mesure du possible aux habitudes ART d esprit, particulièrement à la routine didactique, et à M + principes rationnels. sT Il y a deux grandes divisions dans le plan général de l'Encyel die : d’un côté je sciences: pures, et, de l’autre, toutes les tech gies qui correspondent à ces sciences dans la sphère des applicati À part et au début, une Bibliothèque d'introduction es ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE VII consacrée à la philosophie des sciences {histoire des idées directrices, logique et méthodologie). Les sciences pures et appliquées présentent en outre une division générale en sciences du monde inorganique et en sciences biologiques. Dans ces deux grandes catégories, l’ordre est celui de particularité croissante, qui marche parallèlement à une rigueur décroissante. Dans les sciences biologiques pures enfin, un groupe de sciences s'est trouvé mis à part, en tant qu’elles s'occupent moins de déga- ger des lois générales et abstraites que de fournir des monographies d'êtres concrels, depuis la paléontologie jusqu’à l’anthropologie et T'ethnographie. Étant donnés les principes rationnels qui ont dirigé cette classifi- cation, il n'y a pas lieu de s'étonner de voir apparaître des groupe- ments relativement nouveaux, une biologie générale, — une phy- siologie et une pathologie végétales, distinctes aussi bien de la botanique que de l’agriculture, — une chimie physique, etc. En revanche, des groupements hétérogènes se disloquent pour que leurs parties puissent prendre place dans les disciplines auxquelles elles doivent revenir. La géographie, par exemple, retourne à la géologie, et il y a des géographies botanique, zoologique, anthropo- logique, économique, qui sont étudiées dans la botanique, la zoolo- gie, l'anthropologie, les sciences économiques. Les sciences médicales, immense juxtaposition de tendances très diverses, unies par une tradition utilitaire, se désagrègent en des sciences ou des techniques précises ; la pathologie, science de lois, se distingue de la thérapeutique ou de l’hygiène qui ne sont que les applications des données générales fournies par les sciences pures, -et à ce titre mises à leur place rationnelle. Enfin, il a paru bon de renoncer à l’anthropocentrisme qui exigeait une physiologie humaine, une anatomie humaine, une embryologie humaine, une psychologie humaine. L'homme est intégré dans la série animale dont il est un aboutissant. Et ainsi, son organisation, ses fonctions, son développement s’éclairent de toute l’évolution an- térieure et préparent l'étude des formes plus complexes des groupe- ments organiques qui sont offertes par l'étude des sociétés. On peut voir que, malgré la prédominance de la préoccupation pratique dans ce classement des Bibliothèques de l'Encyclopédie scientifique, le souci de situer rationnellement les sciences dans leurs ec Pin de LIL 'e LE Le CE 2 “de N. + w ie pet "À FR fa le QE.” VIII ENCYCLOPÉDIE SCIENTIFIQUE | Ée rapports réciproques n'a pas été négligé. Enfin il est + d'ajouter que cet ordre n'implique nullement une hié dans l'importance ni dans les difficultés des diverses scien taines, qui sont placées dans la technologie, sont d’une con extrème, et leurs recherches peuvent = à parmi les plus Prix de la publication. — Les volumes, illustrés pour nr pl la part, seront publiés dans le format in-18 jésus et cartonnés. De dimensions commodes, ils auront 400 pages environ, ce qui repré= sente une matière ie pour une monographie ayant un ob défini et important, établie du reste selon l’économie du projet qui saura éviter l'émiettement des sujets d'exposition, Le prix étant fixé uniformément à 5 francs, c’est un réel progrès dans les con tions de publication des ouvrages scientifiques, qui, dans ce spécialités, coûtent encore si cher. | Î | | Î TABLE DES BIBLIOTHÈQUES Dinecreur : Dr TOULOUSE, Directeur de Laboratoire à l'École SECRÉTAIRE GÉNÉRAL 1. Philosophie des Sciences. des Hautes-Études. H, PIÉRON, agrégé de l’université, Directeurs pes BisriornÈQues : P. Panrevé, de l'Institut, professeur à la Sor- bonne, I. Sctences PURES A. Sciences mathématiques : © 2. Mathématiques . . . DA AÉLANIQUE en: de J. Dracu, professeur à la Faculté des Sciences de l’Université de Poitiers, J, Dracu, professeur à la Faculté des Sciences de l'Université de Poitiers, B. Sciences inorganiques : MÉIQUE RTS «|. + 3. Chimie physique . . DAME TL 7. Astronomie el Physique | céleste . . 8. Météorologie . 9. Minéralogie el Pétro- graphie. 10. Géologie. , . 11. Océanographie physi- EE ON SEUME A. Leouc, professeur adjoint de physique à la Sorbonne. J. Perrin, chargé de cours à la Sorbonne, A. Picrer, professeur à la Faculté des Sciences de l’Université de Genève, J. Mascanr, astronome adjoint à l'Observatoire de Paris. B. Bruxnes, professeur à la Faculté des Sciences de l'Université de Clermont-Ferrand, di- recteur de l'Observatoire du Puy-de-Dôme, A. Lacroix, de l’Institut, professeur au Muséum d'Histoire naturelle. M. Boure, professeur au Muséum d'Histoire naturelle. J. Ricman», directeur du Musée Océanogra- phique de Monaco, z2. 13. 14. 19: 16. 17: 18. 19. 20. Patho- 22. Bota- \ C. Sciences biologiques normatives : ne. A. Biologie généralé . Biologie | R. Océano- graphie biologique Physique biologique . Chimie biologique . . Physiologie et Patholo- gie végétales . . . Physiologie . . . . Psychologie . . . . Sociologie . . . . : Microbiologie et Para- silologie . . ! A, Patholog. médicale . B. Neurolo- TEL FENTE C. Paih. chi- rurgicale . logie. | \ - D. Sciences biologiques descriptives: 21. Paléontologie . . . { À. Généralités H. Lecowre, professeur au Muséum d el phanéro- games … . nique. \ MES LENS ’ \ e X “ : TABLE DES BIBLIOTHÈQUES B. Cryptoga- L. Max, professeur au Muséum. d M. Caurzerx, professeur adjoint à J. Ricnarp, directeur du Musée phique de Monaco. : L A. Iuserr, professeur à la Faculté « cine de l’Université de Montpellier. G. Berrrann, chargé de cours à la Sorbon L. Maxen, naturelle. professeur au Muséum d ci J.-P. Laxcrors, professeur agrégé à la F de Médecine de Paris. pe: E. Tourouse, bee de Laboratoire à l'É des Hs) Études, médecin en chel l'asile de Villejuif. G. Ricuanp, professeur à la Faculté des de l’Université de Bordeaux. A. Carwerre, professeur à la Faculté de N cine de Une directeur de /° Pasteur de Lille, : M. Kuverz, médecin des Hôpitaux dé des Hautes-Études, l'asile de Villejuif. L. Picqué, chirurgien des Hôpitaux d médecin en ch M. Bouze, professeur au Mass a naturelle. : naturelle. naturelle. CUT 0 TABLE DES BIBLIOTHÈQUES XI . G. Loisez, directeur de Laboratoire à l’École des Hautes-Études. 24. Anatomie et Embryolo- G Loisez, directeur de Laboratoire à l'École PL F1 LT: TANT ORDEEPRES » des Hautes-Études. … 25. Anthropologicel Ethno- G. Parcraurr, directeur-adjoint du Laboratoire graphie. . . d’Anthropologie à l'Ecole des Hautes Etudes, professeur à l’École d’Anthropologie. 26. Economie pol'tique . D. Berrer, secrétaire perpétuel de la Société s d'Economie politique, professeur à l’École des Sciences politiques. IT. Sciences APPLIQUÉES A. Sciences mathématiques : HUÉES ES". 25. Mécanique appliquée et génie . 29. Industries physiques } * LE PRE LH Photographie : 31. Industries chimiques L 4 9 ES Géologie ei minéralogie appliquées. . . L CE 33. Construction. . . 34. Industries biologiques . % 35. Botanique appliquée el EL. agricullure. . . . 36. Zoologie appliquée. 7. Mathématiques appli- M. »'Ocacxe, professeur à l'École des Ponts et Chasse répétiteur à l'E École polytechnique. M. »'Ocacxe, professeur à l’ École des Ponts et Chaussées, répétiteur à l’École polytechnique. B Sciences inorganiques : H. Cnaumar, sous-directeur de l'École supé- rieure d’Électricité de Paris. A. Sexewerz, sous-directeur de l’ École de Chi- mie industrielle de Lyon. J. Derôue, professeur agrégé de Physique au collège Chaptal, inspecteur des Établissements classés. L. Caveux, professeur à l’Institut national agronomique, professeur de géologie à l’École des Mines. J, Picer, professeur au Conservatoire des Arts _et Métiers et à l’École des Beaux-Arts. C. Sciences biologiques : G. Berrrano, chargé de cours à la Sorbonne, H. Lecoute, professeur au Muséum d'Histoire naturelle, R. Barox, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort. PPS: ENS 2 UF EC] Ai, © LE ‘ : XIL .; TABLE DES BIBLIOTHÈQUES ne 37. Thérapeutique générale G. Poucuer, membre de V’Acadén et pharmacologie. . cine, professeur à la Faculté de l’Université de Paris. 38. Hygiène et médecine À, CaLMETrE, professeur à la Facdlé de M publiques . . . '. cine de l’Université, directeur de l'Inst } Pasteur de Lille. 39. Psychologie appliquée . E,. Tourouse, directeur de Labora des Hautes-Études, médecin en ch de Villejuif. 4o. Sociologie appliquée . Tu. Russe», professeur à la Faculté de l’Université de Dijon. ù M. Azcserr Mare, bibliothécaire à la Sorbonne, est chargé de M n de l'Encyclopédie scientifique. » \ y 4 D EAN le CN: 1 + L | +74 “ LA Vallaux, Camille Géographie sociale PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY