Ds EE FusA G: ï Ont D (ll 2 ie AS \ AL Qu à AE KR LR \ RS RL AN N NT NAS ANT NS | NS AN KS KW SANT NX NS \ \N C2 Léo LA Lee SS JT Purt Sc up s V0. 1 À GG HISTORIQUE DE L'AMERIQUE MLRIDIONAL SE FAIT PAR'ORDRE DU:'ROI D'ESPACNTE Pr DON GEORGE JUAN, COMMANDEUR D ALIAGA DANS L'ORDRE DE MALTHE, ET COMMANDANT DE LA COMPAGNIE DES GENTILS-HOMMES GARDES DE LA MARINE, Pxæ DON ANTOINE DE ULLOA, LIEUTENANT DE LA MEME COMPAGNIE, Tous deux Capitaines de Haut-Bord de l'Armée Navale du Roi d’EsrAGNE, Membres des Sociétés Royales de Lonpxes & de Brruin, & Correfpondans de l’Académie des Sciences de Paris. OUVRAGE ORNE DES FIGURES, PLANS ET CARTES NECESSAIRES, ET QUI CONTIENT UNE HISTOIRE DES YNCAS DU PEROU, Et les Obfervations Aftronomiques € Phyfiques, faites pour détermi- ner la Figure € la Grandeur de la Terre. TOMEDALIHMILR me SK À à j + #7 mn D ” JPnife A PARIS, RUE DAUPHINE, Chez CHARLES-ANTOINE JOMBERT, Libraire du Roi pour lArtillerie & le Génie, à l'Image Notre - Dame. MU OCT CL TE 2 ANS VA tft 444 qu AN LE PRINCE ROYAL DE ‘PO L. OMG IN (a) SON ALTESSE ROYALE MONSEIGNEUR PRE NIET Eds EC TT O0 KR-A EL DE SUA NUE, NC. SC LE: MONSEIGNEUR, V otre ÂLTESSE RoyALE toujours char: mée d’obliger ceux qui ont recours à fa bon- 15 8 te I CR: bonté, & déjà inftruite du mérite de cet Ouvrage, a daigné nous permettre de lui en dédier la T'radué&tion. Cette permiflion, MonserGnEUR, dont nous ne faurions affez témoigner notre fincére reconnois- fance, ne peut que confirmer le Public dans l'opinion avantageule qu 1l a conçue de POuvrage même ; & cet un préjugé bien favorable pour un Livre, que dy voir à la tête le nom d'un Prince qui a un goût fi décidé pour les Arts & pour les Sciences. Souffrez, MoNsEIGNEUR, qu’en mettant cette l'raduction à vos pieds, nous vous prélentions en même tems les très-hum- > * \ in {à 2) bles Fe: or re RES ee RTS PUNTO, KR E bles aflurances du refpe& très-profond } avec lequel nous fommes, MONSEIGNEUR, DE VOTRE ALTESSE ROYALE Les très-bumbles ÊS très- Joumis Serviteurs. ARKSTE’E & MERKUS. PRE- AVERTISSEMENT DES L 1 B KR A I RES. E Voyage des Académiciens François , envoyés au Pérou par Sa Ma- jefté Très-Chrétienne , pour y mefurer un degré du Méridien, a fait trop de bruit en Europe, pour qu’on ne fouhaite p45 d’en avoir une réla- tion un peu circonftanciée: ce qui en a été publié jufqu’à-préfent à Pa- ris, fe borne presqu’uniquement aux Obfervations tant Aftronomiques que Phyfiques, qui ont été le principal objet de ce Voyage, mais qui en même-tems ne font à la portée que d’un petit nombre de Lecteurs. Cependant les remarques que de fi habiles gens ont faites fur lHiftoire tant Civile que Naturelle, & fur la Géographie d’un Pays fi peu connu, où ils ont pañlé plufieurs années, ne peuvent qu'être extrêmement intéreflan- tes. Mrs. les Académiciens François ne manqueront pas fans-doute d’en donner un détail circonftancié: en attendant qu’ils fatisfaflent à l’impa- tience du Public à eet égard, on verra avec plaifir la Traduction de l'Ou- vrage que nous publions à-préfent. C’eft celui des deux Mathématiciens Efpagnols, qui ont été choifis par Sa Majefté Catholique, pour accompa- gner Mrs. les Académiciens de Paris, & les affifter dans leurs Obferva- tions. Par la lecture de ce Livre on fe convaincra que ce choix n’auroit pas pu tomber fur des fujets plus capables. Il ne laïffe rien à défirer fur cet important Voyage. Tous les Pays que ces Meflieurs ont parcourus y font décrits avec la derniere exaétitude; & rien de ce qui regarde les Mœurs des Habitans, leurs Loix, leur Gouvernement & leur Commerce , n’y eft oublié, non plus que ce qui a rapport à l’Hiftoire Naturelle. Dans le fecond Volume on trouvera une Hiftoire Abrégée des Yncas, & des Vicerois qui ont gouverné jufqu’a-préfent le Pérou; nous l'avons ornée de plufieurs Planches qui ne fe trouvent point dans l'Original £/pa- gnol, mais quil ne faut pas cependant regarder comme étrangeres au fujet, puisqu'elles font toutes tirées de l’Hifloire des Tncas de Garcillaffd de la Vega. À la fin de ce même Volume on trouve le détail de toutes les Objervations Aftronomiques € Phyfiques fur lesquelles a été fondée la mefure du degré du Méridien fous l'Equateur. Et qu’on ne croye pas que cette derniere Partie ne contient que ce qu’on a déjà vu dans les Ouvrages qui ont été publiés en France. Si les François ont la gloire d’a- Tome JL. (b) voir AVERTISSEMENT DES LIBRAIREYS. voir formé les premiers le deflein de faire cette mefure, nos Auteurs Efpagnols ont l'avantage d’avoir les: prémiers fait part au Public de {on exécution, puisque leur Livre a paru en 1748, c’eft-à.-dire, qu'il eft an. térieur à Cerqui a Été publié fur lé même füujet en Pince; & ceux qui font en état d’en juger, nous aflurent qu’on trouve dans cet Quvrage une clarté & une précifion bien propres à prouver que les Sciences les plus difficiles ne font pas moins cultivées en E/pagne qué dans le refte de l’Eu- rope, & qu’on à lieu d’efpérer qu’elles y feront pouflées à un haut degré de perfection, fous les aufpices du grand Prince qui y régne à-préfent, & qui accorde aux Gens de Lettres une proteétion toute particuliere. Mr. d'ULLoA eft aétuellement occupé à donner de éclairciffemens fur la difpute qui s’eft élevée à l’occafion des Pyramides érigées aux deux extrémités de la Baye, qui a fervi de fondement à la mefure du de- gré du Méridien : cet Ouvrage appartient naturellement à celui-ci, auffi dès-qu’il-paroîtra nous ne manquerons pas d’en publier incefflamment la -Traduétion, qui fera faite fous les yeux de Auteur, & nous limprime- rons dans le même format & avec le même caraétere que celle-ci, pour qu'on puifle les relier enfemble. Au-refte les Leéteurs s’appercevront aifé- ment que nous n’avons rien négligé pour rendre cette Edition aufli belle qu’il nous a été poflible; & afin qu’elle fût également corrette, des gens au fait des matieres qui font traitées dans ce Livre, ont bien voulu la revoir, & la comparer avec le texte original. PREFACE DON ANTONIO DE ULLOA. E Roi PrrLirpe V. d'heureufe memoire; ayant jugé à ; propos d'envoyer dans ? #mérique Méridionale deux per- “ {onnes de confiance pour y faire diverfés obfervations, principalement celles qui pouvoient fervir à déterminer la véri- table figure de la Terre, le choix de ce Monarque tomba fur Don George Fuan & fur moi, & c’eft la relation de ce voyage qui fait le fujet de ce Volume & des trois autres fuivans. Dans le Tome écrit par Don George Juan on eft.entré dans un détail convenable; & pour que tout füt traité avec plus de fuccès & de clarté, nous 4vons cru, comme on peut le voir dans fa Pré- face, devoir partager notre travail, & que Don. Géorge ; fuan fe chargeât de décrire les Obfervations Aftronomiques faites par l'un & l’autre tant en commun qu’en particulier, pendant. que Jaurois foin du détail Hiftorique de notre: Voyage: , 1. Le préfent Ouvrage eft divifé en deux Parties: la premiere comprend depuis notre départ de Cadix jufqu’a la conclufion de la mefure des degrés du Méridien Terreftre contigus à lEquateur, & c’eft le fujet des cinq premiers Livres, & le lixiéme.contient une defcription de la Province de Quito. La:feconde Partie rou- le fur les voyages faits à Lima & au Royaume de-Chi/y en deux Livres qui forment le Tome IIL & un autre Lavre forme le IV. Volume, qui contient la rélation de notre Voyage de. Ca//ao jus- qu’en Europe, à quoi on a joint une Chronologie des Monarques qui ont régnéau Péroë depuisle premier nca Manco Capac Fon- dateur de ce vafte Empire jufqu’au Roi glorieufement régnant FERDINAND VI. avec la Lifte des Vicerois quisont gouverné cet Empire depuis la conquête: jufqu'a:préfent:» On a joint à cette Chronologie un récit abrégé des principaux événemens ar- rivés fous les régnes des Empereurs Pncas & dans la fuite. En lune & l’autre partie de cet Ouvrage on trouvera la des- cription des Mers où nous avons navigué ; & des Pays que nous avons traverfés, avec un détail de ce qui nous à paru mériter quelque attention, tant à l'égard des Mœurs & Coutumes des Habitans, que par rapport à la nature du Climat, du Eetrok » b) 2 es PNA NE M ATC CE des Plantes particulicres qu’il produit, & autres point Curieux d'Hiftoire Naturelle. Je dois pourtant avertir le Lecteur que les Philofophes & les Botaniftes de profeffion ne trouveront pas ici des defcriptions aulli complettes & aulli détadlées qu’ils pour- roient le défirer; une apphcation indifpenfable aux Obierva- tions Aftronomiques & Géométriques, principal objet de notre million dans les lieux où nous avons féjournè ou par où nous avons pañlé, ne nous a pas permis de donner une plus grande attention à d’autres objets. Ces fortes de recherches n’ont pu être que le fruit de quelques heures de loifir. Mais fi ces Meflieurs nous trouvent trop fuccints à certains égards, & particulierement au fujet des Plantes, le peu que nous avons dit pourra bien paroître long & ennuyeux à une au- tre efpéce de Lecteurs, qui veulent des avantures ou des faits hiftoriques dans un voyage, & ne goütent aucune autre forte de détail. Vouloir plaire à tout le monde, ce feroit une entre- prife trop difficile, vu que ce qui fait plaifir aux uns, comme ayant rapport à leur profeflion , paroît fade & languiffant à ceux qui ne cherchent qu’à s’amufer. J'ai tàché de tenir un milieu: pour cet effet, j'ai parlé des Plantes & des Animaux pour la fatisfaction dés Cufieux , & j'ai évité la prolixité pour ménager la délicateffe des autres, & le dégoût qu'auroient pu leur caufer des détails trop circonftanciés. On trouvera peut-être aufli que je m'étends trop au fujet des Mers & des Vents; mais ces détails qui rebuteront ceux qui ne font pas marins, ont paru utiles & néceflaires pour la perfection de la Navigation, puifque fans cela les Gens de mer ne retire- roient aucune utilité de la lecture d’un pareil Ouvrage: il leur faut à eux des variations de l’Aiguille , des notices des Vents qui régnent dans chaque Parage ; les Oifeaux, & les Poiffons qu’on y rencontre, ce font-là autant de marques qui contribuent à ré- gler leur route: Je n’ai pas cru devoir m’amufer à réfuter -certains traits .ré- pandus dans diverfes Hiftoires & Rélations de voyages ,au füujet de ces Pays. Mon deflein m'a été que de fare part au Public de mes remarques, & non de m’engagtr dans des difcuilions critiques potr ruiner des opinions peu fondées, & en, acréditer de plus probables qui ne s'accordent point avec celles-la. Il füff- ra d’aflurer le Lecteur qu’on n'avance rien.dans cet Ouvrage-qui n'ait été vérifié & examiné ayec une attention extrême,tant en AT os DE DON ANTONIO DE ULLO A. gros qu'en détail; qu'il n’y eft fait mention d’aucun lieu où nous n'ayons été & fait quelque {jour ; & qu'a l'égard de ceux dont nous parlons fans y avoir pallé, comme cela arrive dans la defcription Géographique de la Province de Quito & dès Corré- imens de la Viceroyauté de Lima, nous avons entrepris d’en y mention qu'après avoir confulté les perfonnes les mieux au fai. Nous en avons ufé de-même à l'égard: des Millions des Peres Jéfuites,. de l'étendue de chaque Diltrict, & des Peupla- des y contenues, des Paroifles & de ceux qui les dirigent, & de ce qui concerne l’Hiftoire naturelle de chaque lieu: Ceux à qui nous nous fommes adreflés , ont concouru avec zéle à rem- plir les vues de Sa Majefté : 1ls ont fatisfait à nos queftions, €- clairci nos doutes, & répondu à toutes nos difficultés avec toute la bonté imaginable.. Chacun néanmoins eft le maître de fuivre l'opinion. qui lui paroîtra la plus probable ; en rendant 2-tous la juftice qui leur eft due. *« On a infèré dans d’autres Rélations plufieurs propriétés d’Ani- maux & de Plantes, aufli nouvelles pour nous en Europe, qu'il nous a été impoflible de les trouver en Æmérique, où elles font entierement inconnues. 51 quelqu'un s'étonne que nous n’en faffions pas mention, qu'il foit affuré que nous n'avons manqué ni de travail ni d'application pour approfondir jufqu’aux moin- dres chofes; mais que fouvent nous avons trouvé des propriétés contraires à celles dont on nous avoit parlé, & que nous avons pris, pour ne nous point tromper, des précautions qu’obfer- vent rarement ceux qui font des rélations de ces Pays; vu qu'ils adoptent fouvent fans examen ce qu'ils ont ouï dire à des /n- diens, à des Métifs, & autres fortes de gens femblables, - qui parlent de bonne foi, mais qui étant peu éclairés font caufe que ces Ecrivains en impofent au Public fur des chofes qui exami- nées de près ne fe trouvent pas telles qu'ils ies fuppofent. Cela fait d'autant plus de tort à la vérité, qu'il eft difficile de defabu- fer des perfonnes autorifées du témoignage de ces Ecrivains; & attachées à tout ce qui porte un caraétére de merveilleux &-d'ex- traordinaire. De-là naïffent des préjugés dont on a de la pei- ne à fe défaire, quoiqu’on en fente l'abus. Si l’on trouve donc que nous avons omis certaines chofes dans cet Ouvrage, ou que fur certains points nous difons le contraire de ce que d’autres ont afhirmé, on peut compter que l'omiflion vient de ce que nous avons trouvé ces chofes ou faufes ou peu avérées, & que la con- (b 3) tra PREFACE DE D. ANT. DE ULLO A. tradiCtion naît de ce que nous avons trouvé le contraire ,ou dus moins que les faits allégués nous ont paru douteux & incertains. Comme la repréfentation des objets fait plus d’impreffion qu'un fimple récit, tout l'Ouvrage eft enrichi des Figures & Planches néceflaires tant pour l'intelligence de l'Hiftoire du Voyage que pour celle des, Obfrvations Aftronomiques, Géométriques & Phyfiques, le tout exécuté par les plus habiles Graveurs d'Efpa- gne. Ces Planches feront placées dans les lieux qui leur con- viennent. De maniere que celles qui repréfentent les Bruyeres où fe font faites les obfervations, & les fignaux pour la mefure de la M£ridienne dont il éft traité dans le premier Tome, & trouveront à la fin du fécond, parce qu’il contient la defcription générale de toute la Province de Quito, Bruyeres, Fleuves & autres chofès qui appartiennent ‘à cette defcription. Dans le premier Tome on trouvera les fisures des habillemens des Ha- bitans de Quito, tant Blancs que Métifs (ou Métices ), & n- diens dont il eft parlé dans le même Tome. On y trouvera aufli la figure & la ftructure des Ponts. Les autres Planches contenant des Plans de Villes & de Ports, des Profpects que la terre offre dans la Navigation, feront placées dans les lieux où elles ap- partiennent. Parmi les Plans on trouvera à dire ceux de la Ville de Pana- ma, & de fon Golphe, lesquels f font égarés lorfque eus le malheur d’être pris par les Anglois ; & comme Don George fuan n'en avoit pas les Duplicata, il n’a pas été poflible de les inférer ici, comme on l’auroit fait fans cet accident, d'autant plus fà- cheux que les Duplicata des autres Plans dont j'ai été chargé; {e trouvent ici à Madrit , y ayant été envoyés à mefure aw’ils étoient levés fur les lieux. Enfin nous efpérons que le Public nous faura quelque gré de notre travail, & qu’il nous pardonnera les défauts qu’il pourra remarquer dans notre ftile :on ne doit pas attendre que des Ma- rins s’expriment en Orateurs, ni en Hiftoriens fleuris & élo- quens. TABLE DES LIVRES ET DES CHAPITRES PREMIERE PARTIE. Oyage au Royaume du Pérou, comprenant la defcription des mœurs | &ufages. jufqu’au Royaume de Quito, avec diverfes remarques fur la navigation & la connoïffance des Mers. Defcriptions de Villes & de Provinces, & méthode obfervée pour mefurer les degrés du Méridien fous J’Equateur. LOT UV CRC P- NC EU L ER, Raïfons pour lesquelles ce Voyage eft entrepris. Navigation de la Baye de Cadix à Carthagéne des Indes. Defcription de cette derniere Vil- le, & remarques fur ce fujet. Pag. 3 CHapirre I. Motif du Voyage à ? Amérique Méridicnale ; deffein de mefurer quelques degrés du Méridien fous l Equateur; Jortie de la Baye de Cadix ; arrivée à Carthagéne des Indes; remarques fur la Navigation dans cette traverfte. ibid. Cxar. IL. Séjour à Carthagéne. Defcription de cette Ville, fa fituation, Ja découverte , fa grandeur, fes édifices & Jes riche{fes. Tribunaux qu'elle renferme, ES leur Furisdiction. 19 Car. LIL. Defcription de la Baye de Carthagéne des Indes, /a grandeur, Ja difpofition, € Jes marées. 24 Car. IV. Des Habitans de Carthagéne, de leur qualité; différence des Cas- tes ou Races, € leur origine; Génie € Coutumes. 27 Car. V. Du Climat de la Ville de Carthagéne des Indes. Maniere dont les- Habitans divifent les Saifons. Maladies auxquelles font Jujets les Européens nouvellement arrivés en ce Pays; caufes de ces maladies. Autres maladies qui affligent également les Créoles €ÿ les Chapetons. 38 Car. VI. De ? Agrément des Campagnes aux environs de Carthagéne, des Plantes € des Arbres communs € particuliers qui y croi[fent. 44. Cnar. VII Des Animaux € Oifeaux domeftiques & Jauvages qui Je trou- vent dans les Campagnes £? Montagnes de Carthagéne. E/péces differen-- ces de Reptiles &ÿ Infeites venimeux avec leurs propriétés. 48 Crrap. TABLE DES LIVRES Cuar. VIIL Où il eft traité des denrées que produit le terroir de Carthagé- ne, €ÿ de la nourriture des Habitans. Gi Cuar. IX. Du Commerce de Carthagéne après l'arrivée des Gallions ; € au- tres Vailfeaux venans d'Efpagne. Du Commerce qwelle fait des Marchaw difes € Fruits de fon cr avec les autres Contrées des Indes. 79 Let Vin D SUD 0 O0 INT Voyage de Carthagéne au Royaume de Tierra- Firme, & à la Ville de Portohélo. AS Cuar. I. Départ de Carthagéne pour Portobélo. Vents alifés ou généraux qui régnent fur ces côtes. Avis Jur les courans & Jur le tems qu'ils arrivent. ibid. Cuar. Il. Dejfcription de la Ville de Saint Philippe de Portobélo. ré Cuar. II. Dejfcription du Port de Portobélo. 79 Cuar. IV. Climat de Portobélo. Maladies épidémiques à funeftes aux Equi- pages des Gallions. 82 Cuar. V. Habitans de Portobélo: Jeur Génie & leurs Ufages. Plantes, Arbres €S Animaux qui Je trouvent dans les Campagnes de cette Ville. Ma- niere de Je pourvoir de Vivres. 85 Cnar. VI. Du Commerce de Portobélo pendant le Jéjour des Gallions, €$ du peu qu'il y en a en téems mort. 99 Lima LR OS L'EM IE Voyage de Portobélo a Panama. Defcription de cette derniere Ville, & Remarques fur le Royaume de Tierra-Firme. 93 Caar. L Départ de Portobélc. Navigation par la Riviere de Chagre, €ÿ Voyage de Cruces 4 Panama par terre. ibid, Car. 1. Dejcription de la Wille de Panama. Maniere dont les maïlons % Jont bâties. Tribunaux, € Richef]es des Habitans. 98 Car. IT. Du Climat €ÿ des Habitans de Panama; des Champs ES der Fruits qu'ils produifent. 104 Car. IV. De la nourriture ordinaire des Habitans de Panama, avec quel- ques Obfervations particukeres. 106 Cuar. V. Commerce que la Ville de Panama fait en tout tems avec les Royau- mes du Pérou £$ de Tierra-Firme. 108 Car. VI Etendue de la Furisdiétion de l Audience de Panama au Royaume de Tierra-Firme. Limites de ce Royaume € Provinces dent il ef compofé. 114 L I- ET DES CHAPI1' ENS LIVRE QUATRIBME Voyage du Port de Périco à Guayaquil. Remarques fur cette Navigation, & Defcription de la Ville de Guayaquil & de fon Corrégimeng ou Sé- nechauftée. 12i Cuar. I. Voyage du Port de Périco à Guayaquil. ibid. AppiTIoN au Chapitre précédent, contenant la Defcription d'un Inftrument de nouvelle invention pour prendre hauteur en Mer, £S où l’on fait voir. les avantages qu'il a [ur tous ceux dont on Je Jert dans la Navigation. 126 Cuar. Il. Remarques fur la Navigation depuis le Port Périco jufqu’à la Pu- na. Vents € Courans dans cette traverfée. 137 Car. II. De notre féjour & Guayaquil , € des mefures que nous prîmes pour nous rendre à la Montagne. 140 Cuar. IV. Defcription de Guayaquil. Sa fituation, découverte, fondation, grandeur, € Jtruêture des Maifons de cette Ville. IAI Car. V. Habitans, Coutumes € Rüicheffes de Guayaquil, & différence des Habillemens des Femmes. 144 Cuar. VI. Climat de Guayaquil. Divi/fion de l'Hiver 6 €ÿ de l'Eté. Incommo- dités du Pays £5 maladies qui y régnent. 147 Car. VII. Alimens ordinaires des Habitans de Guayaquil. Rareté € cher- té de quelques Denrées, €ÿ maniere d'appréter les Méts. 150 Cuar. VIIL Etendue du Corrégiment de Guayaquil. Lieutenances € Bail- lages dont il efè compojc. 152 Cuar. IX. Remarques Jur le Fleuve de Guayaquil, > Jur les Habitations gui peuplent Jes bords. Fabrique des Bâtimens qui trafiquent Jur ce Fleuve, € Pêche qui s’y fait. 163 Crrar. X. Du Commerce qui Je fait par la voye de la Ville £? du Fleuve de Guayaquil entre les Royaumes du Pérou, de Tierra-Firme € les Côtes de la nouvelle Efpagne , € de celui que le Corrégiment de Guayaquil fait de Jes Denrées avec ces Provinces. | 174 LIN KE CINQ MEME Comprenant notre Voyage depuis Guayaquil jufqu’à la Ville de Quito : me fure de la Méridienne dans la Province de ce nom: difficultés à faire les ftations dans les points qui formoient les triangles: defcription de la Ville de Quito. 178 Cuar. IL Pallage de Guayaquil au Caracol, où Je fait le débarquement en Hiver. V. oyage du Caracol 4 Quito. ibid. Tome I. (€) Cxar. TABLE DES LIVRES Cuar. IL De la peine ‘que ‘nous eümes à faire les Obfervations de la Mér:- dienne, € de la maniere de vivre à laquelle nous fümes réduits tant que ces Opérations durerent. 192 Cuar. IL. Comprenant les noms des Bruyeres , €? autres Lieux où ctoient les Signaux qui formoient les Triangles dela Méridienne , € ceux où chaque Compagnie féjourna pour, faire les Obfervations convemables ; avec de courtes remarques Jur le tems qu’il fit pendant ces Opérations. 206 Cuar. IV. Dejcriptionde la Ville de Quito. Tribunaux qui y font établis. 218 Cap. V. Des Habitans de Quito, de leurs différentes Claffes, de leurs Mœurs, €ÿ de leurs RichefJes. 227 Cuar. VI. Climat de. Quito: smaniere de diftinguer l'Hiver de l'Eté , fes particularités ; les inconvériens auxquels on y eft expojé 3 les avantages €. les maladies qui.y régnent. | 288 Car. VIL. De la Fertilité du Terroir de Quito: des Alimeus ordinaires ces Habitans , de leur efpéce, ES de leur abondance sen tout tems. 243 Cuar. VIIL Commerce de Quito € de toute la Province. de ce mom ; tant en marchandifes d'EApagne qu'en celles du Pays ÉD autres du Pérou. / .: 254 LI V RE S:I.X. LE. ME. éfcription de la Province de Quito quant à l'étendue de la jurisdiétion de fon Audience. Remarques fur la Géographie, l'Hiftoire tant Poli- tique que Naturelle de ce Pays, & fur.fes.Habitans. 254 Cyar. I. Etendue de la Province de Quito, ou Furisdi&ion de l Audience de ce nom: Gouvernemens € Corrégimens qW'elle comprend ,-£$ notice des der- niers en particuliër. ibid. Cuap. LE Continuation des Remarques fur les derniers Corrégimens de la Pro- vince de Quito. f 269 Cuar: IH. Comprenant la Defcription du Gouvernement de Popayan € d'A- tacames, appartenant à la Province de Quito. Comment ce Pays fut dé- couvert, conquis:€S peuplé. 282 Cuar. IV. Dejcription des Gouvernemens de Quixos, de Macas , & de Jaën “de Braçamoros , avec ‘une. ile abrégée de ‘la découverte €? de la conquête qui.enfuxent faites. LB, efif: 296 Car. VW, Dejcription du Gouvernement de Maynas , € de la Riviere du Ma- rannon ou des Amazones. Découverte ES cours de ce Fleuve. Rivicres qui s'y:jertent. 306 -f. I. Où il eft parlé des Sources du Marannor, “& de diverfes Rivieres "qui E T -DE:sS CHAPITRES. qui grofiffent ce Fleuve ; du cours qu’il a, & des divers noms fous les- quels il eft connu. | 306 $. IL. Premieres Découvertes & Navigations entreprifes en divers tems pour reconnoître le Marannon:. 319 $. III. Où il eft traité des conquêtes faites fur le Marannon, des Miffions qui y font établies, des Nations qui habitent fur les bords de ce Fleu- ve, avec d’autres particularités dignes de l'attention du Leéteur. 325 Car. VI. Génie, Coutumes, € Qualités des Indiens de la Province de Quito. | 334 CHar. VIL Defcription Hifiorique des Montagnes 3 Bruyeres les plus re- marquables des Cordilleres des Andes; des Rivieres qui en vienñent ; & .‘ da manicre de les palfer. 351 Cuap. VIII. Continuation des particularités des Paramos ou Bruyeres. Ani- maux € Oifeaux qu'on y trouve ; € autres particularités de cette Province, … desquelles il n'a point encore Été fait mention. 360 Citap. IX. Phénoménes finguliers fur les Paramos € dans le refté de la Pro- . vince. Maniere de courre le chevreuil, € adreffe des chevaux de ce Pays. 367 Car. X. Courtes Remarques [ur les Minieres d'Argent € d'Or dont la Pro- vince de Quito abonde. Maniere d'extraire le Métal de quelques Mines d'Or. 871 Cuar. XI. Monumens des anciens Indiens dans la Province dè Quito, & Remarques fur quelques Pierres curieufes qui. fe trouvent dans les Carrieres. 381 SECONDE PARTIE. s 04088 QE lé à eat PR EMI EUR Conténant les motifs de notre Voyage à Lima. Relation de ce Voyage. Defcription des Peuplades qui fe rencontrent fur la route, & de Ja Vil- le de Lima. | 399 Cuar. L Voyage par terre de Quito à Truxillo. Raïfons de notre départ pour Lima. Relntion de la Route €9 des Peuplades, avec la maniere de voyager en ces Pays. ibid, Cuar. Il, Arrièée 4 Truxillo. Defcription abrégée de cette Ville, & conti. nuation du voyage jufqu'à Lima. 414 Cat. Il. Defcription de lu Ville de Lima Capitale du Pérou & réfidence de fes Wicerois; fon adinirable fituation, fon étendue, &5 la majefté de Jes Tribunaux. 422 Cuar. IV. De la Réception que la Ville de Limia fait à Jes Vicerois. Pompe ES (c 2) Joinp- TABLE DES LIVRES Jomptuofité de cette Cérémonie, 65’ d’autres qui reviennent tous les ans. 437 Car. V. Du nombre des Habitans de Lima; leur race, leur humeur, leurs ufages , leur riche[]e, avec leur maniere de s’habiller. 442 Cuar. VI. De la température dont jouït la Ville de Lima ain/fi que tout le Pays des Vallées. Divifion des Saifons de l'Année. 452 Cuar. VII. Fléaux auxquels la Ville de Lima ef? fujette. Particularités des Tremblemens de terre. Maladies dont les Habitans de cette Ville font affi- ges. 464. Cuar. VIII. Fertilité du terroir de Lima. Efhéces € abondance de Fruits qu'il produit, avec la maniere de cultiver les Terres. 476 Cuar. IX. Abondance de nourriture à Lima; différentes efhéces d'alimens € maniere de S'en pourvoir. 484 Car. X. Commerce de Lima, tant en Marchandifes d'Europe, que de cet- les du cri du Pérou, €S de la Nouvelle Efpagne. 488 Cuir. XI. Etendue de la Viceroyauté du Pérou. Audiences qui y font conte- nues. Evéchés dépendans de chacune. Corrégimens ou Sénéchaufltes felon leur rang, € en particulier de celles qui appartiennent à l Archevéché de Lima, 493 Cuar. XII Où l'on traite des Corrégimens contenus dans les Diocéfes de Truxillo, Guamanga, Cuzco € Arequipa. 500 Cuar. XIII. Audience de Charcas. Evéchés Suffragans de cet Archevéché, € Corrégimens compris dans ce DiocéJe. 517 Cuar. XIV. Notices des trois Evéchés de la Paz, Santa Cruz de la Sierra, €? Tucuman, € des Corréginrens qu’ils contiennent: 5390 Cnar. XV. Notices des deux derniers Gouvernemens de Ÿ Audience de Char- cas, le Paraguay € Buénos-Ayres, €ÿ des Miffions que les Jéfüites y ont établies, avec la maniere dont ils les gouvernent , ES la Police qu'ils y font ob[erver. 540 La LM AR 2 rS EnC ©Q-N D: Retour de Lima à Quito. Navigation du Callao à Guayaquil , & remarques à ce fujet. Voyage fait à Guayaquil pour mettre cette Ville en état de réfifter à l'Efcadre Angloile, commandée par l Amiral An/on: Second Voyage à Lima ,& de-là aux Iles de Ÿean Fernandez & à la Côte du Chili. Defcription des Mers & Villes de ce Pays, & retour au Callao. Pag..1 Chapitre I. Voyage par mer du Port du Callao à celui de Payta, & de ce dernier à Guayaquil € 4 Quito. Defcription de Payta, & remarques Jur cette traver/ée. ibid: Cuar. ET DES CHAPITRE Car. IL. De ce qui nous Jurvint 4 Quito, €? qui nous obligea de différer la conclufion des Obfervations. Motif qui nous fit partir Jubitement pour Guaya- quil. Le Wiceroi du Pérou nous appelle pour la feconde fois. Nouveau voyage à Lima. ÿ Cuar. IT. Voyage du Port de Callao aux Iles de Juan Fernandez. Notices des Mers € des Wents qu'on rencontre dans cette Navigation. 13 Cuar. IV. Defcription des Iles de Juan Fernandez. Voyage de ces Iles à celle de Ste. Marie, & de celle-ci à la Baye de la Conception, avec des remarques fur la Navigation , les Vents , € les Mers dans cette traverfée. 27 Cuar. V. Dejcription de la Ville de la Conception au Royaume de Chili. Ra- vages qu'elle a Joufferts de la part des Indiens. Situation, Climat, €? Ha- bitans de cette Ville. Fertilité de Jon terroir, € Jon Commerce. 32 Cuar. VI. Dejfcription de la Baye de la Conception. Remarques fur les Ports de cette Baye. Poiffons qu'on y prend. Carrieres fingulieres de Coquilles. 42 Car. VIL Defcription de la Ville de Santiago, Capitale du Royaume de Chili; Ja Fondation, Ja Grandeur, Jes Habitans &ÿ [es Tribunaux. 47 Cuar. VIII Rélation du Royaume de Chili en ce qui eft de la Furisdiétion, de lAudience de Santiago ; Gouvernement €ÿ Capitainie-Générale; des Gou- nemens particuliers € des Corrégimens. SI Enxar. IX. Du Commerce du Chili avec le Pérou , Buënos- A yres €? Je Pa- raguay , € de celui qui Je fait entre [es propres Provinces. Remarques Jur les Indiens Gentils qui habitent fur les Frontieres. Maniere de traiter avec eux, > de les engager à vivre en paix. 58 Car. X. Woyage du Port de la Conception: aux Iles de Juan Fernandez , 3 de-là au Port de Valparayfo. Defcription de ce Port. CG Car. XI Voyage de Valparayfo au Callao. Remarques fur cette Navigation. Second retour à Quito pour terminer les Obfervations. Troifiéme Voyage à Lima pour palfer de-là en Efpagne par le Cap Hornes. 71 LEFVRE FAR@CSUE ME. Voyages du Port de Callao en Euripe, avec des Rertarques fur la Navi- gation, depuis l4 Conception de Chili jufqu’à l'Ile de Fernando de: Noron- na, Cap-Breton, Terre-Neuve, & Portsmouth en Angleterre; & depuis le même Port du Callao jufqu’à celui du Cap François en l'Ile de St. Do- mingue, & de-la à Breft en France. r7 CHaPiTRE LE. Départ du Callao: arrivée au Port de la Conception: € Oya- ge de-là à l'Ile de Fernando de Noronna. ibid. Car. IL Réflexions fur le Voyage par le C ap de Hornes.. Nctice des Cou-- À G 20) Fans TABLE DES BIVRES ET DES CHAPITRES. rans Éd,dès Veñts ordinaires dans Cette traver/ée ; des tems.que nous y eùs mess ÈS des Variations de l Aiguille obfervées depuis la Conception ju/qu'à l'Ile de Fernando de Noronna. 87 Cuar. ILT. Enirée au Port de VIe de de Fernando de Noronna. Defcription de ce Port. 95 Cuar. IV. Départ ‘de l'He. de Fil de N oronna pour les Ports d'Efpa- gne... Combat des Fregates Françoiïfes contre deux Corfaires Anglois, € fes Juites. 102 Car. V. Joyage de la Délivrance au Portde Louïs-Bourg dans l'Tie Roya- le ou Cap Breton; où elle fut auf] LOS Remarques fur cette Navi: ..-gation. 108 Cuar. VI. Relation du voyage que fit D: Jorge Juan du Port de la Conception au Cap François en l'Ile de St. Domingue ; ÉS de-là à Breft en France) jufqwà for retour. en Efpagne € x Madrid. 17 Cuar. VIL. De la Carte Marine qui comprénd les Gêtes da Pérou, € pañ tie de la Nouvelle Efpagné, € Jür quels fondemens elle a été drefJéé. 129 Cuar, VIIL Defcription du Port & ‘de.la Fortéreffe de Éouisbourg an Cap Breton. Siège de cètte Fortereffe par les Anglois, €3 cuufes du fuècès de ce Jaëge, avec quelques remarques particuliéres fur le commerde que les François failoient dans ce Port par le wivyéèn de la pêche de la Morue. 189 Cuar. IX. Contenant quelques remarques fur la Colonie de Bofton; Jon orig mes Jon trogrès, Ëÿ aütres chofes par ticulieres. 1 É, Cnar. X. Vuyage de l'Ile Royale 4 celle de Terre-Neuve. Maniere dont on Jfait la péche de la Morue, € Voyage de Terre-Neuve en Angleterre. 157 ERRA. T TT “ERRAT A} Pour Le Tome Prenÿer.. Vues n'es Pig. 9 lig. 24 741 lifez 471, pag. 12 ge 24, er icr. Ji/ez does iré, | pag. 29 lig. ans Rues Vite dans le queux Fffancias fs qu'eux End les Rues de la “Ville, Le les Eenelas. ae , Chayre, -Chagx br 7 1e W: pat Ouëft Ga, be Fous. pag. 94 lig. 16 4 du foir, lifez à 4 apiès midi. ag. 102 Lg. 23 Le flot co té, lilez à faut pleine Mer, ra CE A ri fond a la PRE quantité, de 110 14 4 ji lifez 43. # . 117 lg. 9 a fine Catique li/ez Cacique Urraca, . | 4 141 lig. 13 & fine Fa sh prés Pie, ! pag. 167 lig. 3 4 fine Marée, /li/ez Vagues. pag. 269 lig. 20 Ceranfe, life Pre pig. 303 lig. 8 a fine defcéndre ifez aller par terre. pag. 314 lig. 13 arrive a. lifez ce Lieu à l’égard de. pag. 353 lig. 3 Nord. li/ëz ET )à par jour fuffifent, Zi/ez en differens jours de fuite. Um lig. 9 Province du Hz Province Méridionale du. pag. 369 lig. de l'Occident'au Sud. /i/ez entre P'Ouët & le Sud. —— lig. 23 à courre. /j/ez à la courir. Pâgi 407 lig. 13 15000 lifeé 750.7 Page 416 lg. 9 a fine louvoyant lifez retournant. pag. 464 lig. 18 Fennin: “Lhz Fermin. big. s2s lig. 27 Gruro. ifez Orurr, pag 534 lig. 16 il y a 7o lifez il y a en quelques endroits 70. ERRATA pour Je Tome Second. LI ms a & re an ro ER 02 ww LS pag. -3 lg. 22K23° Sud- Oueft fe Sud - ri Pig. 43 lig. 17 arer le Vaïfleau /yez chafler les Vaifeaux fur leurs ancres. pag. 79 lig. 34 prendre un ris &/ez prendre tous les xi$s ; ——— lig. 3 à fine deux grandés /i/ez deux baffes.' pag. 583 lig. 2 afinek remiqnes ns voiles de hune /i/ez & nous montâmes nos mâts de perroquet. Hag- 114 lig. 13 22 min. à l'Orient de La Conception difez 22 min, & à bu à + Ja Canceprion de : 19 deg. T min. page 116 lig. ro fefter lifez Mixte. é ae. 117 lig. 2 afine de 3$ deg. #1 min. li/ez 35 degrés & 11 degrés: Ag. 118 lig. 12 $$ deg. Aféz'ss deg. aæ#— lig. 26 minutes lifez milles. page 119 lig. 6 Paru li/ez Paris. Let pi. 137 lig. 9 ce font lesfeules dans la Carte qui foiént bre toutes celles qui font dans la Carte font Tome Second, Partie Seconde. pag. 3 lig. 1 4 fine La fuperficie, l5/2 fa furface.; pag. 4 lig. 16 Six ans li/ez fix cens ans. —— lig. 24 Circumpolaires li/ez près des poles, pag. 8 lig. 21 en quoi lifez dans fehaels —— lig. 28 qu'ils li/ez qu’elles. pag. 212 en marge pl. s. lifez pl. XLIT. pag. 223 en marge pl. 6. li/ez pl. XLIII. pag. 235 en marge pl. 7. liÿfez pl. XLIV. pag: 235 & 236 en marge pl. 7. li/ez pl. XLIV. pag. 242 en marge pl, 8, li/ez XLV. AVIS ÆNTIS AUTRE LIEUR POUR PLACER LES FIGURES. Tome Premier. Planche L II. pd Nes Lt sr rase eme ue nm oa 19 20 24 79 126 122 166 220 230 358 363 382 380 387 389 XXL. N°. 1, 2 & 3. Ces trois demi feuilles doivent être collées, afin de ne faire qu'une Carte, XXIL XXIIT. XXIV. XXV. 206 Tome Second, Premiere Partie. Planche XX VI. Pag. 21 XXVII. 28 XX VIII, 31 XXIX. 32 XXX. 49 XXXL 25 XXXII. si XXXIIL. 68 XXXIV. 95 XXXV. 122 XXXVI. 129 XXXVIL 139 Tome Second, Seconde Partie. Planche XXXVIIL Pag. 30 XXXIX. 53 XL. 105 XLI. 210 XLIL 216 XLIIT. 224 XLIV. 238 AV. 808 XLVI, 85 VOYAGE P BR O.U: PREMIERE PARTIE. CONTENANT LAURE EAU EN DE LA ROUTE SUIVIE JUSQU’'AU ROYAUME DE QUITO. AVEC DIFFERENTES OBSERVATIONS Sur la Navigation, & la Connoiffance des Mers, la Defcription des Villes & des Provinces, & la Méthode obfervée pour mefurer quelques degrés du Méridien immédia- tement fous l'Equateur. Tome LI À pérdnt À AE Ed ay y RER TE te fiècÿ med 4 VOTAGE A NU VE LD, RSR REA D ARE AR AE NE D UE QUE EEE RE RE UE ARE EEE EEE ON ROUE EEE QE EDR QG ME EMEA EE GE LIVRE PREMIER. Raiïfons pour lesquelles ce Voyage eft entrepris. Navigation de la Baye de Cadix, a Carthagéne des Indes. Defcription . e cette derniére Ville, & Remarques fur ce fujet. —. 066 : dite. RE ES MES: DONS: AUS D Motif du Voyage à l'Amérique Méridionale; deffein de mefurer quelques de- grés du Méridien fous PEquateur; fortie de la Baye de Cadix; arrivée à Carthagéne des Indes; Remarques fur la Navigation dans cette traverfte. E cœur de l'homme eft naturellement porté aux chofes, qui, plus elles préfentent de difficultés, plus elles paroïflent avantageufes. I n’épargne aucune peine pour en venir à bout, & il s’anime à melure que les difficultés femblent devoir le rebuter. L'éguillon de la gloi- À 2 re 4 4 V GT AOL A UP EROU. re inféparable des grandes entreprifes, eft un puiffant attrait qui enchan- te l'efprit; l'efpoir du gain fe joint à ce motif & détermine la volonté; ik diminue les périls, adoucit les incommodités, & applanit les obftacles, qui fans cela paroîtroient énormes & infurmontables. Souvent néanmoins il ne fuffit pas pour réüffir d'avoir le défir & la réfolution; & les moyens dont la prudence & la politique des hommes fe promettoient d’heureux fuccès par les mefures les plus juftes, ne font pas toujours efficates. La divine Providence, qui par fes fuprêmes & incompréhenfibles jugemens dirige le cours de nos aétions & de nos fuccès, femble leur avoir prefcrit des bornes , au-delà defquelles toutes nos tentatives font vaines ; les points où nous voulons pénétrer, nous reftent cachés, par un effet de fa fagefle infinie ; & ce qui réfulte d’une femblable conduite, doit plutôt être l'objet de notre refpeét que de nos fpéculations. La connoiffance des bor- nes de l'efprit humain, une recréation honnête, l'emploi de nos lumiéres pour la démonftration des vérités, qu'on ne peut découvrir que par une étude continuelle propre à bannir l’oifiveté, & à donner du plaifir & du repos à l'âme, tous ces avantages méritent une eftime finguliére, & font des objets qu'on ne peut trop recommander. De tout tems le défir de pouvoir éclairer les autres par quelque nouvelle découverte, a excité les hommes au travail, & les a engagés dans des recherches continuelles qui ont été la principale fource des progrès des Sciences. Quelquefois le hazard a découvert des chofes, qui ont réfifté longtems à la fagacité & à l'application. Souvent l'objet de la penfée s’offrant comme environné d’écueils inévitables, a rebuté la plus ferme réfolution. La raifon en eft, que les obftacles fe préfentent fous les couleurs les plus vives qu'on puifle imaginer, & que les moyens deles furmonter échappent aux re- cherches, jufqu’à ce qu’applanis à force de travail & d’application , on vient enfin à bout de les furmonter avec plus de facilité. De toutes les découvertes dont l'Hiftoire fait mention, foit que nous en foyons redevables au hazard, ou à l'étude, celle des Jndes n’eit pas la moins confidérable. Ces Régions furent pendant plufieurs fiécles rgnorées des Européens, ou du-moins effacées de leur fouvenir, obfcurcies dans les ténébres de Antiquité, & enveloppées dans la confufion & l'ob- {curité où elles fe trouvoient. Enfin l’heureufe époque arriva, où l'induftrie & la conftance devoient faire difparoître toutes les difficultés que l'igno- rance augmentoit. C’eft cette époque qui fignala le régne, déjà recom- mandable par tant d’autres endroits, de Ferdinand d’Arragon & d'Ifabelle ve VOYAGE AU PEROU. Liv:LCLL # se Cdflille. La raifon & l'expérience diffipérent toutes les idées de té- mérité & de ridiculité, dont on avoit été prévenu jufqu’alors. I] fem- ble que la Providence ne permit le refus des autres Nations que pour rele- ver la gloire de la nôtre, & pour récompenfer le zéle de nos Souverains qui dirigérent cette importante affaire, la prudence de leurs Sujets qui l'en- treprirent, & la pieufe fin que les uns & les autres fe propofoient dans tous leurs defleins. Au-refte j'ai parlé du hazard & de l'étude, parce qu’il ne me paroît pas bien décidé fi Chriftofle Colomb a dû à fa feule capacité & à fon habileté dans la Cofmographie, l'affurance avec laquelle il fou- tenoit qu'il y avoit du côté de l'Occident des Régions & des Terres qui n'étoient point encore connues ni découvertes, ou s’il fut inftruit par un certain Pilote qui les avoit déouvertes y ayant été jetté par la tempête, & qui ayant été reçu & bien traité dans la maifon de Colomb, en reconnois- fance de ce favorable accueil, lui remit en mourant les Papiers & Mé- moires qui contenoient un détail de cette découverte. Quoi qu'il en foit, l'étendue de ce vafte Continent, la multitude & Ja grandeur de fes Provinces, la variété de fes Climats, fes productions, fes {ingularités, & enfin la difficulté de la communication entre cette partie du Monde & les autres, furtout avec l’Europe, tout cela eft caufe que ce Pays, quoique découvert & habité dans fes principales parties par les Européens, eft inconnu dans la totalité, & qu’on en ignore une infinité' de chofes qui ne contribueroient pas peu à donner une idée plus parfaite d’une fi confidérable partie du Globe. Ces fortes de recherches font fans doute dignes de l'attention d'urgrand Monarque, & de l'application de fes Sujets les plus éclairés; mais ce ne fut pas-là l’objet principal de notre Voyage. Un deffein plus grand & plus important avoit furtout influé dans la réfolution que le Roi prit de nous envoyer dans ce Continent. On n'ignore pas dans la République des Lettres la fameufe queftion qui s’eft élevée dans ces derniers tems fur la figure & la grandeur dela Terre, & que jufques-là on l’avoit crue parfaitement fphérique. La prolixité des derniéres obfervations avoit fait naître deux opinions différentes par- mi les Philofophes. Suppofant tous qu’elle étoit elliptique, les uns pré- tendoient que fon plus grand diamétre étoit aux Poles, & les autres qu'il étoit à l'Equateur. On peut voir le détail de cette diverfité dans les Ob- fervations Aftronomiques & Phyfiques, faites par ordre de Sa Majefté dans le Royaume du Pérou. La décifion de ce procès, qui intérefloient non À 3 feuile- 6 VON RU: LEO D. feulement la Géographie & la Cofimographie, mais encore la Naviga- tion, l'Aftronomie & d’autres Arts & Sciences, fut ce qui donna lieu à notre entreprife. Qui auroit cru que ces Pays nouvellement décou- verts, feroient le moyen par lequel on parviendroit à la parfaite connois- fance de l’ancien Monde, & que fi le premier avoit été découvert par ce- Jui-ci, il le récompenferoit à fon tour par la découverte de fa véritable f- gure jufqu’a-préfent ignorée ou controverfée? Qui, dis-je, auroit penfé que les Sciences trouveroient dans ce Pays-là des tréfors non moins efti- mables que l'or des Mines qu’ils renferment, & qui ont tant enrichi les autres Contrées? Que de difficultés ne s’eft-1l pas rencontré, que d’obita- cles n’a-t-il pas falu vaincre dans des opérations fi longues? l’intempérie des Climats & des lieux où il les faloit faire, enfin la nature même de l’en- treprife, comme on le voit en partie dans le Livre déjà cité, .& comme on le verra dans celui-ci. Toutes ces circonftances relévent infiniment la gloire du Monarque par la proteétion duquel l'entreprife a été heureu- fement exécutée. Ce fuccès étoit réfervé à ce fiécle, & aux deux Ma- narques E/pagnols, Philippe V. défunt & Ferdinand VI. notre Souverain. Le premier a fait exécuter l’entreprife, le fecond l’a honorée de fa pro- teétion, & en a fait publier la relation, non feulement pour que fes Sujets profitaflent des lumiéres qui y font répandues, mais aufli afin que les au- tres Nations en recueilliffent le même avantage, comme n'y étant pas moins intéreffées. Et afin de rendre cette relation plus inftruétive nous parlerons des circonftances particuliéres qui ont donné lieu à notre Voya- ge, & qui ont été comme la bafe & le fondement des autres entreprifes dont nous ferons mention dans la fuite, chacune felon fong rang. L'Académie des Sciences de Paris, toujours attentive aux progrès des Connoilfances humaines , & toujours emprefiée à faifir les moyens propres à les étendre, ne voyoit pas tranquillement l'incertitude où l'on étoit tou- chant la véritable figure & grandeur de la Terre, objet qui occupoit de- puis plufieurs années les premiers génies de l'Europe. Cette célébre Com- pagnie repréfenta à fon Souverain la néceflité de terminer une difpute, dont la décifion feroit extrêmement avantageufe à la Géographie & à la Navigation. Le moyen qu’elle propofa pour y parvenir, fut de mefurer quelques degrés du Méridien dans le voifinage de l'Equa- teur, & de les comparer avec ceux qu'onsavoit mefurés en France, ou (comme on fit encore avec plus de juftefle aprés notre départ) avec d’autres degrés pris & vérifiés fous le Cercle Polaire, afin qu'on püt juger VOYAGE AU PEROU. Liv. LCLI # juger des différentes parties de fa circonférence par leur égalité ou leur inégalité, & par cette connoiffance déterminer fa figure & fa grandeur. La Province de Quito dans l'Amérique Méridionale parut la plus propre au fuccès de l’entreprife. Les autres Pays par où pañle la Ligne Equinoxi1a- ke tant en #/ie qu'en Afrique étoient ou habités par des Barbares, où d'une trop petite étendue pour ces fortes d'opérations; & toute réflexion faite, celui de Quito fut jugé le feul convenable au plan projette. Le Roi Très-Chrétien Louis XV. le Proteéteur des Arts & des Sciences, fit folliciter par fes Miniftres le Roi Philippe V. de vouloir bien permettre que quelques Membres de Sa Royale Académie fe tranfportâflent à Quito pour y faire les. obfervations projettées, lui faifant en même-tems infinuer quel en étoit le but & l'utilité : objets fimples & fort éloignés de tout ce qui peut infpirer cette méfiance politique qu'on nomme raifon d'Etat. Sa Majefté, perfuadée de la fincérité de ces inftan- ces, & voulant concourir à un fi beau deflein, fans préjudicier à fa Cou- ronne ni à fes Sujets, demanda l'avis du Confeil des Indes. Ce Tribu- nal ayant examiné l'affaire, & donné une réponfe favorable, la permiffion fut accordée avec toutes les recommandations néceffaires, & les affurances de la proteétion Royale aux perfonnes qui devoient pañler dans ces Pays pour ce fujet. Les:Patentes qui leur furent expédiées le 14. & 20. Août 734. contenoient les ordres-les plus précis aux Vicerois, Gouverneurs & autres Officiers.de Juftice, ainfi qu’à tous les Tribunaux, de les favorifer, aider & fecourir dans tous les lieux par où ils pafferoient , leur facilitant les tranfports, de forte que perfonne ne pôt leur faire payer plus que ceux du Pays n’étoient obligés de payer; ajoûtant d’ailleurs toutes les preuves ima- ginables de fa munificence Royale, & de fon empreffement à contribuer aux progrès des Sciences, & à l’eftime de ceux qui en: font profeffion. A cette attention générale Sa Majefté en ajoûta de particuliéres pour honneur de la Nation E/pagnole, & pour entretenir parmi fes Sujets le goût des Sciences. Elle deftina deux Officiers de fes Armées, habiles dans les Mathématiques, pour concourir aux obfervations qui fe devoient faire, & pour leur donner plus de relief & en étendre l'utilité, ne voulant pas que les E/pagnols fuflent redevables à d’autres qu’à eux-mêmes du fruit qu'on s’en promettoit. D'ailleurs Sa Majefté confidéroit que les Académiciens rançois voyageant en compagnie de ces Officiers feroient plus confidérés & refpeétés par les naturels du Pays, & ne donneroient aucun ombrage dans les Lieux par où ‘ils devoient pañler, aux perfonnes qui n'étoient pas 8 VIO-Y. AIGE AU PÉROT. pas fuffifamment inftruites. En conféquence, il fut ordonné aux Chefà & Directeur; du noble Corps des Gardes de la Marine, de choifir & pro- pofer deux perfonnes, non feulement douées des lumiéres néceffaires & d’une prudence à pouvoir entretenir une Correfpondance amicale & ré- ciproque avec les Académiciens François, mais encore pour exécuter éga- dement & avec une jufte proportion, les obfervations & expériences qu’on fe propofoit. | Don George Fuan Commandeur d’Aliaga , de l'Ordre de Malthe, Sous-Briga- dier des Gardes de la Marine, auffi recommandable par fon application aux Mathématiques, que par fes fervices, fut un de ceux fur qui tomba le choix de Sa Majefté & qui parut propre à contribuer au fuccés.de l’entre- prife. Quoiqu’inférieur à lui à cet égard, je ne laïffai pas d’avoir la même deftination. L'un & l’autre revêtus du grade de Lieutenans de Vaifleau, & munis des ordres & des inftruétions néceffaires, nous reçûmes com- mandement de nous embarquer fur deux Vaiffeaux de guerre qu’on armoit à Cadix pour tranfporter à Carthagéne des Indes & de-là à Portobello le Mar- quis de Välla- Garcia nommé Viceroi du Pérou. À peu près dans le même tems les Académiciens François devoient partir à bord d’un Bâtiment de leur Nation, & prenant leur route par l'Ile de St. Domingue, nous venir joindre à Carthagéne, pour continuer le Voyage tous enfemble. Les deux Vaiffeaux de guerre à bord defquels nous devions nous eme barquer, étoient le Conquérant de 64 Canons, & l’Incendie de $o. Le pre- mier commandé par Don Francifco de Lianno de l'Ordre de Malthe, & Ca- pitaine de Haut-bord; le fecond par Don Auguftin d'Iturriaga, Capitaine de Fregate, lefquels décidérent que Don Gecrge Fuan s'embarqueroit fur le Conquérant, & moi fur l'Incendie. Nous ne pûmes partir que le 26. de Mai 1735. jour auquel nous fimes voile de la Baye de Cadix ; mais le vent &yant changé, nous fûmes forcés de venir jetter l’ancre à une demie lieue environ de Las Puercas, & de demeurer-là tout le jour du 27. étant fort incommodés du vent & de la mer. Le 28. le tems s'étant remis au beau & le vent devenu Nord-Eft, on remit à la voile, & l'on continua Ja route de la maniére qu’on le verra dans les deux Journaux fuivans. VOYAGE AU PEROU. Liv. I CL 9 FO U.R_N A" DE DON GEORGE JUAN SUR LE VAISSEAU LE CONQUERANT. E 2 de Juin 1735 on eut connoïffance des Iles Canaries, & les vents, qui font d'ordinaire fort variables dans cette traverfée, furent où Nord- Oueft, ou Nord, ou Nord-Eft. Don George Juan trouva par fon eftime, que la Longitude entre Cadix & le Pic de Ténériffe étoit de rodegr, 30 min. Selon les obfervations du Pere Feutllée, faites à Lorotava, à 6! minutes à l'Orient du Pic, la Longitude entre ce dernier & l'Obfervatoire de Paris eft de 18 degr. 51 min. En fouftrayant 8 degr. 27 min. que la connois- fance des tems compte entre l'Obfervatoire & Cadix, la Longitude entre cette Ville & le Pic de Ténériffe refte à 10 degr. 24 min. & differe par conféquent de 6 minutes de l’eftime de Don George Fuan. Le 7. on perdit de vue les Canaries, & l'on continua à naviguer vers la Martinique, gouvernant au troifiéme Quadrant par les 42 & 45 degrés, dont l'angle s’'augmenta chaque jour, jufqu'à ce qu'approchant de l'Ile, on eontinua par fon paralléle, & le 26 de Juin, on découvrit la Martinique & la Dominique | au milieu defquelles on pañfa. La Longitude entre Cadix & la Martinique fut, felon leftime, de 59 degr. 55 min. ce qui eft 3 degr. 55 min. plus que celle qui fe trouve dans la Carte dreflée par le Pilote Æntonio de Matos, fuivie généralement par ceux qui font cette route. Selon les Obfervations du Pere Laval faites à la Mar- tinique, la différence en Longitude eft de 55 degr. 83 min. & du Pere Feuillée 55 degr. 19 min. Cett: erreur vient en partie du peu d’exaétitude de la Ligne de Lok; puifque fi le Pilote du Conquérant, qui éprouva le même défaut, avoit don- né à la Ligne de Lok 50 piés Anglois au-lieu de 74!, la Longitude efti- mée n’auroit été que de 57 degrés. Cette faute de marquer mal la Ligne de Lok eft prefque générale parmi les Pilotes Efpagnols & ceux des autres Nations: & ce defaut ainfi que bien d’autres qui fubfiftent dans la Navi- gation, n’eft point corrigé à caufe du peu d’attention qu’on y fait. La Ligne de Lok doit, d’un nœud à l’autre, contenir ,:,; de mille, en fuppofant que l'horloge ou fablier eft jufte d’une demi-minute: & quoique Tome I. B tous jo VOYAGE AU PEROU. tous cofviennent à cet égard, il n'en eft pasde-même parrappottaumille, pour lequel on devroit fe régler fur les mefures les plusexaétes, comme font celles de Mr. Caffini en Frances, celles que nous ont icele dans la Pro- vince de Quito, & celles que Mr. de Maupertuis a faites en Laponie. Si l'on prend le degré felon les méfures de Mr. Caffini de 57060 toifés, une minute où mille contiendra.954 toifes , «ou: 5706 piés de Roi, dont ;55—47 piés 6: poucés, réduits aux piés d'Angleterre, qui font à celui de Paris comme 16 à 15 *, font à peu de chofe près 50 piés 8 pouces, ce qui fait la diftance qu’on devroit donner à:la Ligne de Lok. _ Cette mefure, fur laquelle on-auroit dû fe régler jufqu’a-préfent, n'eft pourtant pas entiérement exaéte, fi on la compare avec celle qui a été prife en déterminant la figure de la Terre bien différente de çe qu’on l’a- voit crue jufqu’aujourd’hui ; deforte qu'il n’eft pas étonnant qu'il y ait eu des erreurs dans ce qui regarde la Navigation, dont les régles, ainfi que: l'explication de fes problêmes, pour procéder avec fuccès, fe trouvent dans le Traité des Obfervations que nous avons déja cité. MON JOURNAL A BORD DE LA FREGATE L’INCENDIE, E même jour 28 Mai nous mîmes à la voile, & après avoir fait la rou- te ,par les 52 & 56 degrés au troifiéme du quart de nonante , nous ap- perçûmes le 2 de Fuin fur les fix heures du foir l'Ile des Sauvages & les Cana- ries, & le 3. l'Ile de Ténériffe. Je trouvai 1x degr. 6 min. de Longitude en- tre Cadix & la pointe de Naga, ce qui eft conforme aux Cartes marines des Anglois & des Hollandois , mais un peu different de la véritable Longitude déterminée par le Pere Feuillée à Lorotava dans la même Ile de Ténériffe. Le 4. nous reconnûmes les Iles de Z4 Palme , la Gomere , & Y'Ile de Fer, que nous perdimes de vue le 5. Le 29. fur le midi nous reconnûmes la Martinique, & pourfuivant notre route, nous pafñlâmes entre cette Ile & la * Le pié de Paris eft à celui de Londres, comme 864 à 811 felon le dernier régle. ment fait par la Société Royale de Londres, & les mefures qu’elle a envoyées à l’Aca- démie des Sciences à Paris, lefquelles m'ont été communiquées par le Préfident de la di- te Société Mr. le Chevalier Fülkes, d'où l'on peut juger que celles que le Pere Tofcu a données ne font point du tout exaétes. * do à mr: VOYAGE, AU PER OU: Erv, L:Cn TN ai la Dominique...LLa Longitude entre cette Ile & la Baye de Cadix fe trouva, felon mon eftime, de 57 degr. &.5 min. ce qui eft un degré de plus qu’il ny a fur la Carte de San Telmo. Mais il eft bon d’avertir que pour réduire ma route fans courir rifque de trouver une grande différence en abordant à terre, j'eus la précaution de fuivre deux calculs differens, l'un felon la mefure que les Pilotes donnent communément à la Ligne de Lok de 47: piés Anglois, & l’autre en la réduifant à 47 piés de Roi; car quoi- qu’à la rigueur elle devroit être de 474 piés.de ceux-ci, la différence n'étant pas grande, je crus qu'il falloit abandonner ce demi-pié, comme inutile, pour arriver à la terre par mes points avant le Navire: par le premier, la Longitude entre Cadix & cette Ile fut de 60 à 61 degrés, ce qui s’ac- corde à peu de chofe prés avec le Journal de Don George Fuan. De l'He de la Martinique nous continuâmes à faire route pour celle de Gene: que nous apperçûmes le 3. de Fuller. La différence des Méri- iens entre celle-ci & la Martinique fut trouvée par Don George Juan de 6 degr. 49 min. & par moi, de 7 degr. 56 min. La caufe de cette inéga- lité, c'eft qu'ayant trouvé une différence fenfible dans la Latitude, je me réglai fur les courans,. me figurant, fuivant le fentiment de tous les Ma- zins, qu'ils alloient vers le Nord-Oueft, ce que Don George Fuan ne fit point, & voila pourquoi fon eftime fe trouva conforme à la veritable diftance qui eft entre ces deux Iles, & que la mienne ne le fut pas. Il n'eft pas douteux que l’eau n'ait été en mouvement; car dans toutes les Latitudes, depuis le 30 de Yuin, jufqu'au 3 de Juillet, celles qui font obfervées , excédent celles qui ne font qu'eftimées de 10. 13. & de 15 minutes: d’où il faut conclure, que les courans portent direétement au Nord, & non pas au Nord-Oueft. Depuis le 2. à fix heures du matin jufqu’au jour que nous découvrimes l'Ile de Curaçao & celle d'Uruba, nous naviguâmes fur un eau verdâtre & peu profonde, d’où nous ne fortîmes que de foir fur les fept heures & demie, que nous entrâmes dans le Golphe. Notre route depuis la Martinique jufqu'a Curaçao fut ; les deuxpre- _miers jours , par l'angle de 81 degrés au troifiéme Quadrant, & les deux derniers jours par l'angle de 64 degrés. De-là jufqu'a Carthagéne notre route fut à une fi médiocre diftance de la côte, que nous pouvions re- connoître fes Caps,.& diftinguer Jes lieux habités. Le 5. nous découvrîmes les Montagnes de Ste. Marthe, fameufes parleur hauteur & la neige dont elles font toujours couvertes ; & le 6. au matin B 2 nous à 12 VOYAGE AU PEROU. nous paflèmes au travers de la Riviere de la Madelaïne, dont l'eau trou: ble fe fait remarquer à quelques lieues dans la Mer. Nous nous trouvâ- mes fur les fix heures du foir au Nord de la pointe de Canoz, & nous mîmes à la Cape avec les Huniers. Nous reflâmes ainfi jufqu’au fept au matin, que nous remîmes toutes nos voiles au vent ; & continuant notre route nous vinmés & huit heures du foir jetter lancre fous le Fort de Boca- Chica à 34 braffes d’eau, fond de vafe. Ee 8. nous effayâmes d’entrer dans la Baye de Carthagéne ; maïs nous n’en pûmes venir à bout que le 9. auquel jour nous fûmes amarés fous la Ville même. Pendant que nous avions pañé entre les Iles Canaries, mous avions eu des vents foibles. & variables , avec quelques calmes de peu de durée ; mais à mefure que nous nous en éloignions, nous commençâmes à les éprouver plus forts, quoique néanmoins modérés, & ils fe maintinrent de la for- te jufqu'à 170 à 180 lieues de la Martinique, que nous eûmes des grains, ou boufées mêlées de pluye. Depuis que nous eûmes pañlé les Canaries, & à vingt lieues environ de ces Iles, nous eûmes le vent Nord-Oueft, & à la diftance à peu près de 8o lieues ils fe tournerent au Nord-Eft, & Eft-Nord-Eft. Ils fe trouverent à peu près les mêmes au milieu du Gol- phe, puis tournerent à l'Eft, fraichiffant tantôt plus, tantôt moins, fans toutefois que cette variation occafionnât aucune incommodité. Tels font les-vents alifés que l’on éprouve prefque toujours dans cette traverfée. Quelquefois ils fe tournent au Nord-Oueft & Ouett-Nord- Oueft, ce qui arrive rarement de continuer: d’autrefois ils font interrom- pus par de longs caimes, qui rendent le Voyage plus long que régulier. Tout cela dépend des faifons ; & felon celle où l’on fait cette traverfée, on a des tems plus ou moins favorables, & des vents plus ou moins pro- pres à la Navigation. Letems le plus proprepour profiter de ces vents gé- néraux, lorfqu'ils commencent à foufler , eft dès que le Soleil, retournant du Tropique du Capricorne, & pañfant vers celui du Cancer s'approche le plus de l'Equateur ; car dès-qu'il approche de l’Equinoxe d'Automne, c’eft le tems où l’on éprouve ordinairement les calmes. Depuis les Iles dela Martinique & de la Dominique, jufqu’a celle de Cu- raçao & les côtes de Carthagéne , les vents continuerent du même côté que dans le Golphe, quoiqu’avec moins de conftance & un tems moins ferein. J'ai déjà dit qu'environ r70 lieues avant d'arriver à la Martinique, ils étoient mêlés de grains; lesquels étant plus fréquens après qu’on a dé- palfé ces Iles, on éprouve des calmes de peu de durée, & le vent recom- men-- VOYAGE AU PEROU. Liv, I. Cu I. 13 mence à foufler une demi-heure après, une heure, deux heures & quel- quefois davantage. Je ne faurois dire précifément de quel côté ces grains fe forment ; tout ce que je puis aflurer, c’eft que dés-quils foïrit paffés, le vent recommence à foufler du-même côté qu'auparavant, &:à peu près avec la même force. Ileft bon d’avertir que la moindre apparence qu’on apperçoive de ces grains dans l’Atmofphere, il faut tenir là manœuvre préparée à les recevoir; car ils affaillent avec tant de promtitude, qu'ils ne donnent pas le tems de fe reconnoître, & la moindre né gligence à cet égard peut avoir de fâcheufes fuites. Dans la traverfée de Cadix aux Canaries, y a des occafions, où quoi- que les vents foient d’ailleurs modérés, la Mer eft quelquefois agitée par ceux de Nord & Nord-Oueft; quelquefois les vagues font groffes & lon- gues, quelquefois petites & fréquentes, ce qui arrive quand il fait des tems venteux fur les côtes de France & d'Efpagne; car dans le Golphe, les vents font fi modérés ,-que fouvent on ne s’apperçoit pas du mouvement du Vaifleau, deforte que la traverfée en eft extrêmement douce & com- mode. Depuis les Iles de Barlovento jufques dans le Golphe, & avant d'arriver à ces Iles, dans les parages où l’on fent ces violentes bouffées ougrains, la mer eft agitée à proportion du tems qu’ils durent &. de leur force : mais fitôt. que le vent fe modere les eaux redeviennent elai. res & unies. L'Athmofphere du Golphe eft précifément aufli ferein & auffi paifi- ble que les vents & la mer, deforte qu’il eft rare qu’on ne puiffe obfer- ver la Latitude faute de Soleil ou de clarté en l'horifon. Cela doït s’en- tendre de la bonne faifon; car dans la mauvaiïfe, il y a des jours fombres où l'air eft couvert de vapeurs, & l’horifon fort brouillé. En tout tems on le voit dans le lointain, rempli de nuées blanches & élevées, qui ont divers rameaux, & forment quantité de figures qui fervent d'ornement au Ciel & divertiflent la vue fatiguée de voir continuellement deux oibjets fi femblables , le Ciel. & la Mer. Depuis les Iles de Barlovento en dedans, l'athmofphere eft beaucoup plus inégal; la quantité de vapeurs quela Terre exhale le troublent fi fort, que quelquefois on ne voit que nuages, dont une partie eft néanmoins diflipée par H chaleur du Soleil; deforte qu’on y voit des efpaces fereins. & d’autres obfcurs, & qu’il n’eft pas offufqué tout Je long du jour. C’eft une chofe connue & avouée dé tous les Marins , que dans lé cours de cette Navigation, auffi loin que s'étend le Golphe, on ne fent pas le: B 3 MOI: - 4 . : VO YA CEA PEROU: moindre courant, mais bien depuis les Iles ; &: même dans quelques para- ges les courans y font fi violens & fi irréguliers, qu’il faut une grande at- tention, pour ne pas fe mettre en danger dans cet Archipel. Nous traite- rons plus au long ce fujet, ainfi que celui des vents, comme étant des propriétés de ces côtes; mais comme ce n’en eft pas ici le lieu, nous con- tinuerons à parler des chofes qui appartienent à ce Chapitre. Avant que d'arriver à la Martinique & à la Dominique , 1 y a unefpace, où l’eau blanchître fe diftingue fenfiblement de celle du Golphe. Don Geor- ge Juan trouva par fa route, que cet efpace fe termine à cent lieues de Ja Martinique , & felon moi acent huitheuesenviron. Sur quoi l’on peut pren- dre un milieu entre.ces deux opinions, & mettre 104 lieues. Cette diffé. rénce vient fans-doute de ce que la couleur de cette eau ne fe diftingue pas {i facilement de celle du Golphe, lorfqu’on eft au bout de cet efpace. II commence à environ -140 lieues de la Martinique, ce qui doit s’entendre de-là où la différence de la couleur de fes eaux eft bien fenfible: car fi l’on compte de-là où l’on commence à s’en appercevoir un peu, il faudra met- tre la diftance à 18o lieues. Au-refte c’eft fans-doute une eau croupiffante, qui peut bien fervir à juger des points où l’on veut aller, puifqu’après la- voir quittée on peut favoir à coup für le chemin qu’on a encore à faire. Les Cartes. ordinaires ne manquent point cet efpace, excepté la nouvelle Carte qu’on a fait en Jrance; mais 1l feroit à-propos qu'il fût marqué dans _toutes.celles dont nous nous fervons. Il me refte à parler des Variations de l’Aiguille, felon lesdifférens para- ges, par la latitude & la longitude où fe font trouvés les Navires. C’eft un des points les plus importans dela Navigation , non feulement à caufe de l'utilité générale qu’il y a pour un Navigateur de favoir de combien de de- grés fon Nord apparent differe du véritable Nord du Monde; mais encore a caufe de l'avantage particulier de pouvoir perfeétionner, par des obfer- vations reïtérées, le Syftême dela Longitude, &connoître, aundegré, ou un degré & demi près, le parage où fe trouve le Vaifleau. C’eft-là le plus haut point d’exaétitude où ce Syftême ait pu être portéipar ceux qui l'ont renouvellé au commencement de .ce fiécle. De ce nombre ef le célé- bre Anglois Mr. Halley, à l'exemple duquel d’autres perfonnes de la mé- me Nation, & des François fe font attachés à le perfeétionner. On com- mence à jouïr des fruits de leur travail dans les Cartes de Variations, 1m- primées depuis peu: bien que l'utilité qu’on enpeuttirer fe réduife jufqu’à- préfent aux. Voyages de long cours, où la différence de deux & même de trois Lu VOYAGE AU PEROU, Liv. I. Cu]. is trois degrés, n’eft pas regardée comme une erreur confidérable , dès-qu'il eft certain que cela n'ira pas au-delà. Ce Syftême, quoique nouveau à l'égard de l’ufage qu’on en fait aujourd'hui, ne l’eft pas en foi-même , pour les E/pagnols & lés Portugais : on en trouve des traces affez-marquées dans plufieurs anciens Aüteurs, qui ont traité de la Navigation. Manuël de Figueÿrédo, Cofmographe Major de Portugal, a donné ; dans fon Hydrogra. phie, où Examen des Pilotes, imprimé à Lisbonne en 1608.Chap.9.& 10. la.méthode de connoître,. par le moyen de la variation de l'Aigüille, le chemin qu’on fait en naviguant Eft-Oueft; & Don Lazare de Flores dans fon. Art de Naviguer, imprimé.en 1672.. Chap. 1. Part. 2. fait,en citant cet Auteur & s'appuyant de fon autorité, la même remarque ; ajoûtant au Chap. 9. que les Portugais regardent cette méthode comme fi fure, qu’ils la recommandent dans tous leurs réglemens fur la Navigation. Tou- tefois il faut avouer que ces anciens Auteurs n’ont pas traité ce point-là avec la délicateffe & la fagacité avec lefquelles les Anglois & les François l'ont traité par le fecours d’un plus grand nombre d’obfervations qu’ils ont employées. Et pour que ceux à qui ces fortes d’obfervations font utiles, puiffent profiter de celles qui ont été faites dans notre Voyage, je les mar- quérai dans les deux Tables fuivantes , après avoir averti le Lecteur, que les longitudes correfpondantes à chaque obfervation font les véritables, parce qu'on ‘y a Corrigé l'erreur de la route quant à la différence qui fe trouve entre elle, & la véritable différence des Méridiens, felon les ob- fervations des Peres Laval & Feuille. Variations obfervées par Don George Juan, dans lesquelles la Longitude Occidentale Je compte depuis Cadix. Degrés de La Degrés de Lon- Variation ob-+— Variation par fa Différénce, . titude. ra fervée, Carte de Vars. 27 + »+ 30 1E,:..00 o8..0ooN.0.? 09..00N.0. or..00 25 + .-. 30 Tete 20 06 . . 20 07 .« « 20 OI . « OO QD... 00 17 ‘00 O4..« + 30 06 .. 0Q OI . 90 23 - -.20 18 . .. 30 as : 20 O5 ».+ OO OI .. 30 22 . .. 30 A0 + 62 02; . 30 O4 .", 30 2 + « 00 21... 50 22 + . . OO OI .. 30 O4 « - OO 02 .. 30 AA 26 :..00 00:. 30 03. 02 ..30 rt . 20 43% :.00 o©4.. 30N.E. 02..30 02 . . 00 Bi it AG 45 «00 OS «+ » O0 03 : OI ..40 Audelfès de la Martinique . “5,06. . 09 05 : Qt. 00 V’aria- # WOYMAGE AU PEROU. Variations que j'ai obferwées. La Longitude Je compte de même que dans les précédentes. Degré. Mih. Degrés. Min. Degrés. Min. 36 ...20 00... 25 o9 . . 3ON-O. 13 . . ooNO. 03. . . 30 91 . « 18 DRE Re ET 75727108 10 . « 30 03 » « 50 9O . «PE 10. . + 21 06 . … 00 O9: . i 20 09. 25 26. SEULE 0 64. OE: 3: 00 OX. 00 03 . . OO DE Lundi LE + 015.089 108 +: «00 60. + 40 02 . . 50 He M. AS. . A 4004 : 30 02:. . 00 OI . . 30 PR COR APE SE O5 "00 O4 . . O0 ÔE x 30 Au-deflus du Cap de la 7/ela. 06 . . 00 . . ©7 . . 30 01:20 A ces obfervations de la Variation de l’Aiguille, comparées avec celles de la Carte de Variation inventée par le favant Mr. Halley en 1700 & corrigée en 1744 fur les avis & les Journaux de Guillaume Mountaine & de Facob Doofon, à Londres, je joindrai quelques réflexions, pour faire voir le peu de foin qu’on apporte dans la fabrique des Aiguilles. Premiére- ment il paroît par les deux Tables précédentes qüe les Variations obfer- vées par Don George Fuan ne font point conformes aux miennes. Cequ’on ne peut attribuer au défaut des obfervations. Il n’y a qu'à les comparer pour fe convaincre du contraire : en effet les différences remarquées par Don George Juan & celles de la Carte, font toujours uniformes en- tre elles, à peu de chofe près, puifque la plus confidérable de toutes eft d'un degr. & 30 min.; car d’un côté 1l y a 2 degr. 30 min. & de l’autre un degré ; ce qui ne vient probablement que du roulis du Vaiffeau, qui ne lais- fe point repofer l'aiguille, & de ce que le Difque du Soleil n’eft pas bien déterminé à caufe des vapeurs, ou d’autres accidens inévitables, & qui ne caufent pas une erreur fenfible dans ces obfervations, quand la diffé- rence n’eft aue d’environ un desré. Ainfi en pfenant un milieu entre toutes , il faudra conclure, que l'aiguille qui fervit à ces obfervations va- rioit moins d’un degré 43 minutes, que celles qui s’accordent avec la Carte. La même chofe fe remarque dans les différences qui réfultent de mes obfervations avec celles de la Carte ; mais il faut obferver que les ayant fai- tes avec deux differentesaiguilles, cellesqui appartiennent à chacune d'elles, s'accordent; deforte qu'entre les cinq premieres, la plus grande altéra- tion eft de 40 minutes, qui interviennent depuis la plus petite différence de deux degr. jufqu’à $o min. jafqu’a la plus grande de 3 degr. 30 mm.: or, En prenant un milieu entre elles, la différence entre mes eh gr VOYAGE AU PEROU. Liv. LI CH L 17 & celles de la Carte fera de 3 degr. 16 min. celles-ci moindres que celles- A. Lestrois dernieres n'ont pas befoin de cette opération, pruifque la différence d’un degré 30 min. y eft égale, & que les obfervatioins font auffi moindres à l'égard de celles qui font établies dans la Carte,, l'efpéce ayant encore paflé à un figne contraire, c’eft-àa-dire, du Nord-(Oueft au Nord-Eft. Il paroît de-là que la premiere aiguille dont je me fuis fervi, foit qu’elle eût été mal touchée, foit que l'acier en fût mal placé, varioit au Nord-Oueft d’un degré 33 min. moins que celle de Don George Fuan. Et comme cet Officier continua fes obfervations jufques à la fin du Voya- ge avec la même Aiguille, la différence qui d’abord étoit négative, de- vint pofitive auflitôt que le figne de la variation changea: & comme dans les miennès, je changeaï d'inftrument, cette différence refta toujours né- sative à mon égard. La raifon en eft, que la différence des cinq premieres obfervations provenoit, moins d’une différence réelle dans la variation, que des poles des aciers, qui ne correfpondant pas parfaitement à la li- gne Nord-Sud de la Rofe, s’inclinoient vers fa partie Nord-Eft; & par conféquent, quelle que fût la valeur de cette inclinaifon, elle diminuoit la variation de l’efpéce contraire. Par ces Obfervations ainfi comparées, on voit évidemment les: erreurs où s’expofent les Pilotes, pour ne pas donner affez d'attention aux Aiguil- les qu’ils devroient choifir non feulement bien faites & exattes , mais aufi éprouvées fur la ligne méridienne par des perfonnes d’une int:elligen- ce fuffifante, avant que de s’en fervir dans aucun Voyage. Il régme à cet égard en E/pagne une négligence, qui eft la fource de mille erreurs que cette inattention rend inévitables; puisque fi un Pilote employe dans la correétion du Rumb qu’il a navigué, une variation différente de la vérita- ble, il trouvera néceflairement de l'inégalité entre la latitude terminée par la route, & la latitude obfervée. Et pour faire l'équation néceffaire felon les régles le plus communément reçues, s’il navigue dans les Rumbs près du Nord & du Sud, il faut qu’il augmente ou diminue la düftance, jufqu’a ce qu’elle s’accorde avec la latitude; car dans ces fortes de cas la caufe principale procéde du Rumb. La même chofe arrive dans les Para: ges où l’on foupçonne qu’il y a des Courans; car ces foupçons naiflent fouvent dans la Navigation, quand on voit que la latitude de la route ne s'accorde pas avec celle de l’eftime, quoique les eaux ne faffenit pas le moindre mouvement. Et cette différence vient de ce qu’on a employé une autre variation dans Ja correétion du Rumb, que celle que l’ Aiguille Tome I. C 43 18 VOYAGE AU PEROU: a, &.par où l’on gouverne le Navire. -C'eft ce qui m’arriva depuis l'Ile de la, Martinique jufqu'an.dedans, & tous les Pilotes du Vaiffeau concou- rurent à cette erreur. . Il y a encore dans la Navigation une erreur à quo les Pilotes font fort fujets, quoique moins par leur propre faute: c’eft de gouverner le Vaïfleau par une Aiguille, & d’obferver la variation par une autre; Car quoiqu’elles ayent été comparées, & qu’on ait remarqué en quoi elles different, comme leurs mouvemens font inégaux, quand même il. n'y auroit au commencement du Voyage que quelques degrés de différence entre elles, le mouvement que celle-là fait continuellement fur le pivot, l'appefantit plus que l’autre qu'on ne monte ordinairement que pour faire les obfervations, & qui tout.le refte du tems eft gardée avec foin; de-là vient que l’altération-de l’une:& de l'autre réfte dans la même différence. Pour remédier à cela il conviendroit que ‘toutes les: Aiguilles. deftinées au fervice des Navires, fuffent également propres aux obferva- tions de la variation, & qu’on fît ces obfervations avec les mêmes Aiguil- les qui fervent. à diriger la route du Vaïfleau; &'pour tirer avantage des: Cartes de variation, il faudroit que les Aiguilles fuffent touchées avec une même méthode, & ajuftées au méridien d’un Parage avec la précifion de- la variation qu'en fait y être la: véritable. De cette maniere on ne re- marqueroit pas tant de différence entre les obfervations faites fur un Na-. vire, & celles qui ont été faites fur-un autre dans le même lieu, quand l'intervalle entre les deux obfervations n’éft pas affez confidérable, pour rendre {enfible la différence formelle de la variation obfervée depuis main- tes années & admifé par toutes les Nations. … 4: - Telles font les caufes qui font que les Aiguilles different entre elles. I peut y en ayoir d'autres, mais il fuffira d'avoir touché les principales. Comme il eft fortutile pour la connoiffance des Terres qu'on a découver+- tes; de repréfenter les figures qu’elles forment felon-les afpe&s qui cor- refpondent àla fituation où fe trouve celui qui les obferve, on doit ap- porter beaucoup:de foin à bien deffiner celles qui.n’étant point ofufquées de vapeurs, fe peuvent diftinguer clairement; c’eft ce qu’on verra dans les Eflampes fuivantes, dont les deux premieres ont été-deffinées par Don George Fuan, &les trois autres par moi, |‘Eé | CIHA- Riviere de la Madeleine Rir.de BE ERP be dla Haine guides cn rl 17 p Gnboiiohserés À a int mornes avañcés du la terre, cel eau diMer etjürme comme une lsière fèrente de l'a autre eau. Sr Fer de Le ce côte #3 nil ns de Aorro z 7mOSO reste au SF, e£ la pointe de Samba au S S O. Zig ure que e fut da cote depus la Pointe de Jenba jusqu a da Popaa arthagene N Pointe de Samba. 7. der . aie . S DE 15 PCT est trouble vroggeûtre à er Lo ES * PL, ne : 6 N SRI S ss er Def Cefialt hat de Zyel Orua, eine von denCariben, dicht an der Kuste Caracas.wenn mans bis E See-1 Vue de l'Isle d'Orua une des Caraibes pres dela cote de Caragues,quandonenest as à & Lieuës . meilen von ihr ist Der B erg B.ist/o wo enfeiner Fijur.als auch deswegenbekannt. well wenn er La Colline B .estfort connue tant parsa figure qu'a cause que quand elle reste au SS O. elle paroit egen S SW. bleibt er hinter dem andern Berge zu Leger f£hernt. und hernachfichhervor begebt . etre derrure l'autre «Plontagne, et ensuite on avoit devant : À io B . js RE = È TS | Re ET 0.50 à ke | | £ 1 «Ausfiché des Berges Br er Zn Orua,;wenn er gegen WS Win der Éxsfernung von 6 Seemeilen bleibt.. } Vue da. AHogote B. dans LZs Oruag lreste a L'OS , à E'ou 7 Lieuës de Loin. { Ds de Coqubacoa . “4 LCA A “pd me si \ Er KE < A IS + — \ RNR re N° ee K Le ss KQ N ee € RER Ne a € " S Vs é ne ca <<. PRE ne. = 1 Def Cefialt hat FIRE, Gus an das Segel vorgebtrge.wennmanz BE 4 Jéemedendaron entfernetist; aus | Vue de La cote jus quäu dela Vel quand onen est à 3 ou Lieues de distance De ce Cap sort un 4 de/EemVorgebirge ehtetr Berg wieB.undwenn er.wte hier -gegenS S Wélebt fc 0 ftehter [Eh nahe amlLande, | À. og0te B, et quand dreste comme tci au S SO. ilest tfortpres de terre; mais ensuite Ü. enparoit plus i Han iegeter hist ammer tneiner -groeern Casferrung von demfelben DieLooÿenund See erfahrnen luelten| clone. Les Pilotes et. Marins du vasseau croyotent que lu Montagne À etot celle de la Popa et que la k den Berg À \ ar den Popa,und de Spitze oder das Vorgebirge Car das Vorgebirge Abuxa. and /Chrieben den\ Pointeou Cap € étoit cel d'Abuxa, attribuant aux Courans la grande difference des points, mass Le { grofSen unter/éhied, der fichunter den Spitzen Éefand, den Stroemen zu-Digfès wurde auf dem Schife bekannt| Pilotes du Vaisseau Com agi la chose fit commuriguee les trerent de cette erreur. b à À LE Jeine Piloten aber hoben den zwerfel. | Cap de la Ven . ; ; É à , Cauo dela cd. das S egel vorgebirge $ £ 1 sa LATE “& a D À AC Vue de C Bl L Fine ur L Es Jusqu' à la Le Orientale Vue du “Pie de Lib. be à D a à. dunes de à 4 lieues re 18. leuës. marines . A F3 Lt F: ee Ph ml re COIrIneE elle se Pre ente V de L Lie de Pal #72 eue ue s ma, comme no e ; a j ou 6 lonés de: défiance: : a la diftance de 5 lieues . Z Tsle-de”Zer l'une des. Canaries, comme elle se prefente & une dñnés de 3 bn #5. 50. Zi de FES 7 une Pa Céraides près D: cotes des pu comme 2 se prefe erte à ‘environ 4 leuës de diflance À ue LS LS he à 2 I Fe elles D "RME de a d'angle 16 Cd A Vue dela otep DL labre .C Pointe dois ÆLranilles s qui me restoit à l'angle du 53° Cadran 3. a 4 ous leuës de distance . Sr 5/2 HS SR RO = rre . C étant à l'angle de 26° a 14 leuë de dstance, et F a l'angle de 20° Cadran 3. G Pointe de Samba, 1 Pointe de l'Isle ane Sables © étant a d'angle de 37° Cad.2.et À à l'angle de 42° Cadran 3. ugio del Gato.B.StLararo .C. Montagne , dela Popa D Tiérra bomba 5. Baye de Carthag agene: Dr, eg DATE rm mn Tire ie Nordlshe Spiese Loge im Mnbelron 50 =. and die Silihe in , 7 dan ame vor a des 3 Quadranten in äner 2 EE von 6 bis 7 Seemeilen. Za Pointe Nord est à angle de 40° 45 'et celle de l'Ouest à L Za Pornte Nord à TL. æ É174 2et à angle de 53%° ré D ' du 3 Ras a ‘ou 7 lieues ARE À : 2 Quadran, 10 au Lieuës PIC DE TENERIFFE Der Cigfel ist in Wirkebror 84°des ter Quadranterin einer Exférnung von 19 bis 20 Seemeilen. l 0R 04° Le Sommet est à l'angle de 84° du 2 Quadran à 18 où 20 Liouës | Wie der P Feuille will wter2283104/er über die Meeres s flæche erhaben . \ ISLE DE CURAZAO 2/1 SN SE à 7 en 5 à rs Pie Lee UN SNS | | aa a EE Cage ên Mine vor 15 des géen Quadtrenten and de Nord flche in intel von a: | La Pointe Sud Êt étant à 2277 15° du 3 Quadran, et ce de Nord ét a l'angle de 41° ISLE D ORUBA Ps TS Pr EE = Æ s Se Die Offliche De Legt znke. von 82°des 3ten Quadranten . ZLaPointe de l'ét GE des + EL Pan a Va de 82 ‘du z Quadran . S SNS et est fucvant le P. Feuilles, 2283 Zoises au dessus de Lx Superficie de la Mer . SA Ê A Pre “à dé … gas. ra 1 VOYAGE AU PEROU. Liv. L Cm IL 19 CHAPITRE IL Séjour à Carthagéne. Defcription de cette Ville, Ja fituation, fa dicouvbrte, » Ja grandeur, fes édifices & Jes richeJes. Tribunaux qu'elle renferme, leur Furisdiétion. E 0. de Yuillet 1735, jour de notre débarquement, Don George Fuan & moi nous allâmes faluer le Gouverneur de la Place, & nous appri- mes que les Académiciens n’étoient point encore arrivés, & qu'on n'en avoit aucunes nouvelles. Sur quoi nous réfolûmes de les attendre confor- mément à nos inftruétions, & d'employer notre tems à quelque chofe d'utiles Malheureufement nous n'avions point d’inftrumens, ceux que Sa Majefté avoit commandés à Paris @& à Londres n'ayant pu etre achevés avant notre départ de Cadix, & ne les ayant reçus qu'après notre arrivée à Quito. Nous fûmes cependant informés qu’il y en avoit dans la Ville quelques-uns, qui avoient appartenu à Don uan de Herréra, Brigadier des Armées du Roï,.& Ingénieur de la Place, & qui après fa mort é- toient tombés entre les mains de fon fils & de quelques autres Officiers, que nous priâmes de vouloir bien nous les prêter, ce que nous obtinmes; & par le moyen de ces inftrumens nous obfervâmes la latitude, la lon- gitude & la variation de l'Aiguille, & réglâmes les Plans de la Place & de la Baye fur ceux que le même Ingénieur avoit lévés, en y ajoûtant ce qui manquoit, felon qu’il nous parut néceflaire. Nous employämes à ces occupations jufqu’au milieu de Novembre 1735, fort impatiens de voir arriver les Académiciens François, & fort inquiets’ de ne point recevoir de leurs nouvelles. Enfin le 15. de ce mois un Bà- timent François armé en guerre vint dañs la nuit donner fond à Boca- Chica, & nous apprîmes qu’il portoit ces Meffieurs.. Le 16. nous paflà- mes à bord de ce Bâtiment, où Mr. de Ricour, Capitaine de Vaiffeau & Lieutenant de Roi de Guarico dans l'Ile de St. Domingue, qui le comman- doit, nous fit mille politefles, ainfi que Mrs. Godin , Bouguer & de la Con- damine Académiciens, qui étoient accompagnés de Mrs. de Fufjieu Bota- nifte, Seniergues Chirurgien, Verguin, Couplet, & Defordonnais Aflociés, Moranville Deffinateur, & Hugot Horloger. Les trois premiers défcendi- rent à terre avec nous, & aprés les avoir accompagnés chéz le Gouver- | neur, nous les conduisîmes à la maifon que nous leur avions fait préparer. Le four fuivant tous les autres vinrent à terre. | C2 Com- so :: VOYAGE AU PEROU. Comme notre deflein étoit de pañfer à l'Equateur le plutôt poñfible, il ne fut plus quéftion que dechoifir la route que nous prendrions pour faire no- tre voyage plus commodément jufques à Quito. Nous étant déterminés pour la route de Porto-bello, Panama, & Guayaquil, nous nous difpofâmes à nous embarquer tous enfemble pour ce premier Port, &en attendant nous recommençâmes à faire avec les inftrumens que les Académiciens avoient apportés, de nouvelles Obfervations fur la Latitude, le poids de l'Air, la variation de l’'Aiguille; obfervations dont nous donnerons le réfultat dans la Defcription fuivante. La Ville de Carthagéne des Indes eft fituée à 10 degr. 25 min. & 48 ! fec. de Latitude Boréale, à 282 degr. 28 min. 36 fec. de Longitu- de à l'Occident du Méridien de Paris, & à 301 degr. 19 min. 36 fec. du Méridien du Pic de Ténériffe, fuivant ce que nous avons conclu par la fuite de nos obfervations, comme on pourra le voir dans le Livre des Oë- Jervations Aftronomiques & Phyfiques. Nous trouvâmes que l’Aiguille va- rioit au Nord-Eft de 8 degr. & nous nous en affurdmes par les obferva- tions que nous fîmes à ce fujet. La Baye & le Pays, appellé auparavant Calamari, furent découverts: en 1502, par Rodrigue de Baftidas; & en 1504 Juan de la Cofa, & Chri- ftoval Guerra, commencerent la guerre contre les Jndiens qui l'habitoient. Ils trouverent plus de réfiftance qu’ils ne fe l’étoient imaginés; car ces ]n- diens étoient belliqueux, vaillans ; & les femmes mêmes ne fe difpenfoient pas des fatigues & des périls de la guerre. Leurs armes étoient des flé- ches qu’ils empoifonnoient avec le fuc de quelques herbes, de maniere que les plus légeres bleffures étoient mortelles. 4lonfo de Ojéda faccéda aux deux premiers dans la même entreprife, & vint dans le Pays accom- pagné du même Yuan de la Cofa, qui étoit premier Pilote, & d’ÆAméric V. 'efpuce Géographe de ce tems-là; mais il n’avança pas plus que les autres, quoiqu'il remportât divers avantages fur les Indiens. Alonfo fut fuccédé par Grégoire Hernandez de Oviédo. Enfin Don Pédra de Hérédia vint à bout de domter les Indiens; car ayant remporté fur eux diverfes victoires, il établit & peupla la Ville avec titre de Gouvernement. Carthagéne eft fi avantageufement fituée, fa Baye eff fi large & fi füre, qu'elle eut bientôt une part confidérable au Commerce de ce Continent Méridional , & qu’elle fut bientôt jugée digne d'être érigée en Siége Epis- copal. . Toutes ces circonftances contribuerent à la conferver & à l'agran- dir, étant recherchée non feulement par les E/pagnols qui venoient s’y é- tablir, "OA 22m gs 7e ya IS2E DE MANGA. Ne L'an at à Lo TR 2 san = SLA delas Merct. cRuNDRISS (9: rs. s ARTHAGENAin INDIE re, ME S ee er 48 S'ecNonder brette;\.- A k POS Stadt 4 4 | HA : mr £ de Philipe AMartyr . E [HZasé 7 en - PE L T- Ron M rte f ÈE TI SCUT Past de S'Jean ._ [Lx artey eng BP on 200 Pen ee ss E ? Re RE JBast de ST Vincent E< : CZ 08 e 3 À + ru 2. EAgre e NUE < / ce ë Ce ee LH < 6: s; Rs w 5à ‘æe “ RCE e L == ; md’ G'ast. de la Bouc Le £e-- | | : - AL Bast. du Pont. M PBast. de S'Jgnace. QPast. S'EJsabelle. R Bast. S'Zaurent.. SBast.STZoseph. AT Past. dela demi-Lune. “VZast. de SEMichel de Camboc XZortdeS Phul. de Baragas . 12. /Gpital de S'Lazare. Æ 1 Porte dela Contaderte . NE de. ES ù ; es | e LÉ ET PARENT Put ver 1» Porte dela demi-Lune. y ST AL ES Erasde Dios 7ollege des Jepuites . SÉylseneure des mêmes . SE" Drego . Jess : SA(lara,ou Clairines . S'É7Zherese. J'Françots . gParoisse de la tres ST. : se | ‘Trinité. A ni > £ 2 4 = d N LA / we, 4 È ï. 5 " s $ Hermitage d C FOR a — orne : arte Pre Nue RES À Mirère L'on a fout Les —— SEE EE ‘ ÿ | a ne Le : ÿ . observations . M An EN SPEARS ù : es s 7. La Luerte . 13 8.la Boucherie . 1 f k \ | VOYAGE AU PEROU. Liv.I. Cnil 2x7 tablir, mais enviée des Etrangers, qui excités, ou par fon importance, ou par fes richefles, l'ont envahie, prife, & faccagée plufeurs fois. La premiere invañion arriva peu de tems après fa fondation en 1544 par certains Avanturiers François guidés par un Corfe de nation, qui y ayant fait un long féjour, les mit au fait de fa fituation, & leur enfeigna par quel côté ils pouvoient entrer & s'en rendre maîtres, eomme en effet ils le firent. La feconde fois, par François Drak, appellé le De/truéteur des nouvelles con- quêtes, en 1585. Ce Pirate, après l'avoir abandonnée au pillage, y fit mettre le feu, & ayant réduit en cendres la moitié de cette Colonie, il voulut bien épargner le refte pour 120000 ducats d'argent que les Colo- nies voifines donnerent pour rançon. Elle fouffrit une troifiéme invafon en 1697 de la part des François fous la conduite de Mr. de Pointis, qui fe rendit devant la Place avec un gros armement, confiftant en partie en Fibufliers, forte de Pirates fujets du Roi de France, & protégés par ce Monarque: ayant débarqué fon monde, emporté la Forterefle de Boca-Chica ;& rendu l’entrée du Port libre, il mit le fiége devant le Fort de St. Lazare, & Vayant emporté, la Ville battit la chamade. La capitulation ne la fauva pas du pillage auquel la cupidité lavoit condamnée. Quelques-uns ont attribué la facilité de cette conqué- te à une intelligence fecrette entre le Gouverneur de la Place & Pointis; & ce qui augmenta le foupçon, fut que celui-là s’embarqua fur l'Efcadre ennemie avec tous fes tréfors, qui avoient été exemts du pillage. La Ville ef fituée fur une Ile de fable, qui formant un paflage étroit du côté du Sud-Oueft, ouvreunecommunicationavec la partienommée Tierra- Bomba, jufqu’a Boca-Chica. La gorge qui les joint aujourd’hui, étoit autrefois l'entrée de la Baye, & fubfifta ainfi longtems; mais l'ordre étant venu de la fermer, il n’eft refté que l'entrée de Boca-Chica, qui même a été com- blée depuis la derniere entreprife que les Anglois ont faite contre cette Place durant la derniere guerre, lesquels s’étant rendu maîtres des Forts qui la défendoient, entrerent par-la,, & le devinrent bientôt de la Baye, efpérant de l’être aufli incefflamment de la Ville: mais ils fe tromperent prodigieufement; car ils furent repouflés, & obligés de fe retirer avec honte & un perte très-confidérable. Ce fuccès fut caufe qu’on eut ordre de rouvrir l'ancienne entrée, & c’eft par-la que tous les Vaifleaux entrent aujourd’hui dans la Baye. Du côté du. Nord-Eff, la terre eft de-même fort refferrée, n'ayant que la largeur de 35 toifes d’une Mer à l’autre proche de la muraille; mais le terrein s’élargiffant forme une autre Ile à ce côté, & C 3 toute. 22 VOTYT'A GE" APE RIO!U: toute la Ville eft exaétement environnée de la Mer, éxcepté dans ces deux endroits, qui font même fort petits. Un pont de bois qui eft à l'Ef dela Ville fert de communication à un grand: Fauxbourg qu’ils appel- lent Xéxémani, bâti fur une autre Ile, & qui communique à la terre-ferme par un autre pont de bois. Les fortifications de la Ville, & celles qui défendent le Fauxbourg, font à la moderne, & revêtues de bonnes pierres de taille. La Garnifon en tems de paix confifte en dix Compagnies de Troupes réglées de 77 hommes chacune, y compris les Officiers. Ily a aufi un Corps de Milice compofé de Compagnies Bourgeoifes. Du côté de Xéxémani, à une petite diftance de ce Fauxbourg, eft une Colline d’une hauteur médiocre, fur laquelle eft un Fort nommé le Fort de San Laxaro, qui commande toute la Ville & fon Fauxbourg. La Col- line a de hauteur 20 à 21. toifes, ayant été mefurée géométriquement. Cette Colline eft accompagnée de plufieurs autres, qui s'étendent à l'ER, & s’élévent au-deflus d'elle. Celles-ci font terminées par une autre plus élevée encore, appellée le Mont de la Popa, qui a 84 toifes de haut, & fur le fommet duquel eft bâti un Couvent d’Auguftins Déchauflées, fous le nom de Noftra Sennora de la Popa. On jouït dans cet endroit d'une vue admirable; car n’y ayant rien qui la borne, elle s'étend fort au loin fur les Campagnes & fur la Côte. La Ville & fes Fauxbourgs ne font pas moins beaux en-dedans Les rues en font droites, larges & toutes pavées ; les maifons bien bâties, la plupart d’un feul étage fans le rez-de-chauflée, les appartemens bien dis- tribués, & toutes bâties de pierres & de chaux, excepté quelques-unes qui font de briques. Toutes ont des balcons & des treillis ou jaloufies de bois, matiere plus durable pour ces fortes d'ouvrages que le fer; car ce- lui-ci eft bientôt rouillé & détruit par l'humidité, & par des vents nitreux, qui rendent les murailles enfumées, @& font caufe que les édifices parois- fent toujours fales en dehors. Les Eglifes & Couvens qui font dans la Ville font lJgléfia Mayor, ou Cathédrale , la Paroifle de la Trinité au Fauxbourg, bâtie par l'Evêque Don Gregorio de Molléda, qui a auffi fondé. dans la Ville en 1734 une Succurfale dédiée à San Toribio. Les Ordres Religieux qui ont des Cou- vens à Carthagéne , font celui de St. François dans le Fauxbourg, de St. Dominique, de St. Auguftin, la Merci, de St. Diégo Recollets, un Collé- ge de Féjuites, & l'Hôpital de San Juan. Les Monafteres de Filles font ceux de Ste. Claire & de Ste. Théréfe. Toutes ces Eglifes & Couvens font VOYAGE A URE ROUX: law L'Cn. IT 23 font d’une affez bonne’architecture ,- & afféz grands. Dans les ornemens fervant au Culte on remarque feulement quelque pauvreté , & tous ne font pas d'une décence convenable. Les. Communautés , & en particulier celle de St, François , font fournies d’un nombre fuffifant de füjets , tant Européens que Créoles blancs ; & Indiens du Pays. Carthagéne avec fon Fauxbourg fait une Ville comme celle du troifiéme rang en Europe; elle eft bien peuplée, quoique la plus grande partie de fes habitans foit de race Indienne. Elle n’eft pas des plus riches de ces Contrées; çar outre les pillages qu’elle a foufferts, comme on n’y cultive ni n’ex- ploite aucune Mine, on n'y voit guere d'autre argent que celui qu'on y fait tenir de Santa-Fé & de Quito, par voye de remife, pour les gages du Gouverneur, & des Officiers Civils & Militaires, & pour la folde des. Troupes que le Roi y tient en garnifon: cependant iJ:s’y trouve des per: fonnes qui fe font enrichies par le Commerce, & qui. fent logées d’une maniere convenable à leur opulencé. Le Gouverneur fait fa réfidence dans la Ville, & a été indépendant dans le Gouvernement Militaire jufqu’en 1739. A l'égard des Affaires Civiles on peut appeller à l'audience de Santa-Fé, le Roi ayant érigé dans cette derniere Ville, cette: même année 1739, un, Officier. fupé-- rieur fous le titre de Viceroi de la Nouvelle Grenade. Celui qui a été re- vêtu le premier de cette Viceroyauté, c'eft Don Séhaflian de Efluva, Lieutenant - Général des Armées du Roi; le même qui a défendu Car- thagéne contre la puiflante invañfon des Ang lois en 1741, & qui les for- ça, après un long fiége , à fe retirer &. à laiffer la Ville libre. . Il y a à Carthagéne un Evêque, dont la Jurisdiétion fpirituelle s'étend auffi loin que le Gouvernement Militaire & Civil. L'Evêque & les Pré- bendiers forment le Chapitre Eccléfiaftique. Il y a auffi un Tribunal de la Sainte Inquifition, dont la jurisdiétion s’étend jufqu’aux trois Provinces de l'Ile E/pagnole où il fut d’abord établi, & fur Tierra Firme & Santa-Fé. Outre cés Tribunaux, il y a un Magiftrat Séculier, compofé de Ré- gidors, parmi lesquels on élit tous les ans deux Alcaldes, pour la Juftice & Police de la Ville: ces deux charges font d'ordinaire deftinées aux perfonnes les plus diftinguées parmi les habitans. Il y a auffi un Tréfor Royal à Carthagéne , & deux Officiers des Finan- ces du Roi; qui font un Maître-des-Comptes, & un Tréforier. Ce font eux qui perçoivent tous les Droits Royaux & Deniers du Roi, & qui les difiribuent.… Enfin il y a encore un Homme de Loi, av ec le titre d' Au 4 VOYAGE AU PEROU. d’Auditeur des Gens de guerre, lequel a auffi une efpéce de Jurisdiétion. : La Jurisdiétion du Gouvernement de Carthagéne s'étend par l'Orient jufques aux bords de la large & profonde Riviere appellée Rio de la Mag- dalena ; d'où elle s’étend au Sud jufques aux confins de la Province d’An- tioquia, & au Couchant, la Riviere de Duarien lui fert de bornes. Au Septentrion elle s'étend jufqu’à l'Océan tout le long des côtes entre les em- bouchures de ces deux Rivieres. Ce Gouvernement, felon la plus commune opinion, a de l'Orient à l'Occident 53 lieues, & du Midi au Septen- trion 85. On trouve dans cet efpace plufieurs Vallées ‘fertiles appellées, aux Indes, Savanes ; telles que celles de Zamba, de Zenu, Tola, Mompofe, la Barranca, & autres; où il y a diverfes Peuplades, grandes & petites, compofées d’Européens, de Créoles Efpagnols, & d’Indiens. C’eft une tra- dition dans le Pays, que tous ces lieux, aufli-bien que Carthagéne, abon- doient en Or avant l’arrivée des Chrétiens ; & quoiqu’on voye encore des traces des anciennes Mines de ce métal dans les lieux de Simiti, San Lucas, & de Guamaco, il eft certain qu’elles font entiérement négligées, peut-être parce qu’elles font épuifées. Maïs ce qui ne contribuoit pas moins alors à la richefle de cette Contrée, c’eft le commerce qu’elle faifoit avec les Pays voifins, d’où elle tiroit, en échange de ce métal, tous les ouvrages ._ que l’induftrie y fabriquoit & dont ces Pays avoient befoin. Ce prétieux métal étoit la plus commune parure des Indiens tant hommes que femmes. RHIN SORA TE TD ER SRAERAAR ESRI DA AS SOI DUO TRS DROLE) HUE HD a. 0 GE: VE 7 né à € MO Defcription de la Baye de Carthagéne des Indes, Ja grandeur, [a difpofition, €S Jes marées. A Ville de Carthagéne a une des meilleures Bayes qu’on puifle voir, non feulement fur cette côte, mais même dans tous les parages connus de ce Continent. Elle a deux lieues & demie d’étendue Nord- Sud, beaucoup de fond & bon. L'air y eft toujours fort ferein, de- forte qu’on n’y fent pas plus d’agitation que fur une Riviere tranquille. Néanmoins, en y entrant, il eft néceffaire de bien gouverner, à caufe de quelques baffes qui s’y trouvent, & où il y a fi peu de fond que les moindres Bâtimens y échouent. Pour prévenir ce danger ,ilefta propos de prendre un Pilote du Port avant que d’y entrer. C’eft aufñi pour cette raifon que le Roi en entre- von de BAM CARTAGENA in I NDIEN Ko A sk. L 2 a 7: a 707 1000 76e 72 M Ai. a... À ss 4 D Fe E F ie 208 300 400 #00 72 7co 8x * Soo A Ris ve, + A ee pe RE CA à LT > vod 1 EE G 33 "te TA AE um — à. À @ TERRES D VS . 5 » Ve 29 A. 36 æ:: ET LARGE ES DA È re a Cae 1000 _ se Mo Le es un 10 Cr 25 A. 48 Sec -Nérde ra und 1 Jo1 C 2ge he LT #2 A us ÈS mg re Cale EU. fer Ru — À RIRE ” 42 2 sh A, oyy nm, SN OL Ne A. - le. 2000 2000 35 EE # ie j von der- Jn1e/ ZTenerifa ar der 7207 ro lichen XAufte des «Ait CARE e AU rca RE Ces à ie on Z LS: #1 4 en ste, Tv Uf Bofekl te erege 25 1 Jpanien un JT. 2735 aufre J CROIENT. « . ss PLAN Dela BAYF. de CARTHAGENE des Indes. par des 10 Dey 25. Min. 48. Se de Labitu ON , 30 DégIo1A 38. Sec. de Longitude comptée de L'Îsle de Jenerije > Ladite Baye: !) étant située à la Côte S éplentrionale del Ancrigue Meridionale . TETE Lere. par ordre du Roy CR 1735. & S- ke TRES (2 ée = SR ES D : CS nn ie ds - sk ps és, ET 0e a + à = M: FR Tu LR TENTE æ ns Pierab sx 0d A, @ TS a ee +4 SS * Ve ep “Ausicht.. Ê Le + : : : Re HS apres Ar es | eg FN SN RS LT re ho sn ne M 4 ARTS 7. Ke ri. A Qu 0e MR, EE 7 Pr < Cyr de Cabod” ne Æalkoen . - C& rnb à eLaus- na 40 de Cl Era Laus ur AE r ie Re Village Urucfer 2 dela de 53 3 23€ 26 ra STE TE ti 7 STÉRe 2 7 ’ = TRE 8 20 12 120 2 , ÀA à . barzarbo 25 mes A lzerra Bonba 49 He créifèn >Cn pan 2crra Bonba dre EZ Clin, 23 %eine Mindu Boca Chica 5 À S: = 1 A SJago| PRE r > | LA cerrada où = =—— Énére € fèrmee ee sé Sora cu LE ti pr di dé : étés PSS RER RS PE TE La RSS sc = ; ee eg ge mage 2e qe de à er MR 2m mme + RE pet ne. 2 om mue TI ue tee 9 cree pe eme me de 1 es gear = REA + bee eequpnte eme 1 —- es ———— - — = — “+ T— # ‘ ; L ou ‘ d r Hi î LR | i ' 4 x j in 1 : . * L . ; = ! _ ‘ , 4 { (! à À i mn “ ù j ni ñ pr # i 4 ‘ + NI 2 22 : . . a & . de ne Gr RAGE D éd ee nue mate 66 LÉ hu L een DR Te OR PE PRE D EE EE Gé nr À - init ———… VOYAGE* AU PEROU. :Liv. L CA. 2$ entretient un qui. a’ foin de masquer: ces: endroits pe is quand le befoin l'exige: On entroit dans ja Baye. comme il a vie, été. die pu le Canal étroit de. Boca-Chica, nom convenable à fa petiteile (car Boca-Chica en Efpa- gnol fignifie bouche petite } puifqu’il n’y pouvoit pafñler qu'un Vaifleau à la fois, encore faloit-il qu’il rafàt la terre de bien près. Cette entrée étoit défendue par un Fort nommé San Luis de Boca-Chica, bâti du côté de lEft, à l'extrémité de Tierra-Bomba, & par unautre Fort nommé de St. Fofeph, fitué du côté oppofé dans l'Ile de Baru.. Celui-là, après a- voir foutenu une rude attaque par mer & par terre de la part des 4n- glois, dans les dernier fiége, & ayant été canonné pendant 11 jours, fe trouva enfin fans défenfes, fes parapets démolis, fon Artillerie tou- te démontée, & enfin abandonné: Les Ennemis s’en étant ainfi rendus maï- tres, s’ouvrirent l'entrée, & pañlerent au fond de la Baye avec toute leut Efcadre & leur Armement ; mais par la précaution & la diligence des n- tres, ils trouverent toute r Artillerie du Fort de Santa. Cruz, enclouée, Ce Fort s’appelloit aufñfi le Grand Fort à caufe de fa grandeur, & il domi- moit tous les Navires qui donnoient fond dans la Baye: Les Forts de Bo- ca-Chica, de St. Fofeph, & deux autres, l’un nommé Munzanillo , & 'au- tre Paftelillo, lors de la levée du fiége & de l'évacuation du Fort, furent démolis par l'Armée ennemie, défefpérée du mauvais fuccès de fon en- treprife. Ce fut le fuccès de cette invafion, qui, comme je l’ai dit dans le Chapitre précédent, a fait penfer , s’il ne feroit pas mieux de fermer & ren- dre impraticable l’entrée de Boca-Chica , & d'ouvrir l’ancien Canal , en le for- tifiant de mamiére qu'il ne fût pas facile aux Efcadres ennemies de le forcer. Les marées de la. Baye ne font rien moins que régulieres, & l’on peut dire la même chofe, à peu de différence près, de celles de toute la cô- te. . On remarque d'ordinaire qu’elle monte pendañt un jour entier, & qu’elle baïffe enfuite dans 4 ou 5 heures. Le plus grand changement qu’on obferve dans fa hauteur eft de deux pieds, oudeux pieds & demi, quelquefois-même il eft moins fenfible, & ne fe remarque que par les flots que l’eau pouffe. Et c’eft alors qu’il eft dangereux d’échouer, mal- gré la férénité qu'y régne, & qu'il n’y ait pas le moindre changement de tems; mais la raifon eft que le fond étant de vafe, quand un Bâtiment vient à s’y affabler, il faut néceflairement l’alléger pour le remettre à flot. Du côté de Boca-Chica, & à deux lieues & demie de diftance, on trouve un bas-fond de gravier & de gros fable , où il n’y a pas en plufieurs endroits plus d’un pied & demi d’eau. Eu 1731. le Vaïfleau de guerre Tome I. D | k 55 VOYAGE AU PEROU Je Conquérant partant de Carthagéne pour Portobello, & paffant par ce bas fond, eut le malheur de toucher, & fut en grand danger de périr; mais il fut favorifé par le grand calme qui régnoit en mer, & il s’en tira heureufement. Quelques -uns prétendoient que ce banc étoit connu & diftinguée des autres par le nom de Swlmédina, mais tous les Routiers qui évoient dans le Nävire, s’infcrivirent en faux contre ce fentiment, & aflurerent qu'avant que le Vaiffeau touchât , il le leur avoit été in- connu. Les Pilotes & les Routiers remarquerent, pendant que le Vais- feau étoit affablé, que Notre Dame de la Popa étoit à l'Eft-Nord-Eft, deux degrés vers le Nord; le Fort de San Lui de Boca-Chica à l'Eft Sud-Oueft à trois lieues & demie ou à peu près,)& la pointe Septen- trionale de l'Ile de Po/aria au S.?S.O. Bien entendu que ces remarques font faites fur les rumbs apparens de l'Aiguille, La Baye abonde en Poiflons de diverfes efpéces, fains &.de fort bon goût : les plus communs font les Alofes, qui à-la-vérité ne fonit pas d'une gran- de délicateffe: des Tortues en grande quantité, fort grofles , & d'un goût agréable. Il s’y trouve auffi beaucoup de Taburous où Requins, amimal: monftrueux & dangereux pour les Gens de mer, puifqu’ils attaquent les hommes qui ont le malheur de tomber dans l’eau, & même dans. les barques, & les dévorent en un inftant. Les Matelots des Navires qui s'arrêtent quelque tems dans la Baye, fe divertiflent à la pêche de ce monftre, avec des hameçons pendus au bout d’une chaîne. Quand ils en prennent quelqu'un, ils le mettent en. piéces, fans pouvoir s’en régaler , car leur chair n'étant qué graifle n’eft bonne qu’à faire de l'huile. On ena vu qui avoient quatre rangs de dents molaires: ceux qui ne font. pas fi vieux n’en ont ordinairement que deux, Il eft fi voracc qu’il avale toutes les immondices au’on jette des Vais- féaux dans la mer: J'en ai vu un qui avoit dans l’eftomac le corps en- tier d’un chien. dont il n’avoit encore digéré que les parties le plus mol- les. Lés Naturels du Pays prétendent avoir vu auffi dans la Baye, des Caymans , forte de Lézard monitreux & amphibie; mais comme cet ani- mal n’aimé que l’eau de Riviere, il eft probable que fi on en voit dans: l'eau de Mer, ce ne peut être que trés-rarement. C'eft dans cette Baye qu’arrivent iés Gallions. Is y demeurent jus- qu'à ce que celui du Pérou foit artivé devant Panama. Au premier a- vis qu'ils en reçoivent, ils lévenc l'ancré & fe rendent à. Portobello,. ou: Portovelo, & à la fin de la Foire qui s’y tient, ils reviennent dans la:Baye , y font les vivres & provifions qui leur font nécéTaires pour leur rétour, & le | plu VOYAGE AU PEROU, Lai. T Cr IV. plutôt qu’ils peuvent ils remettent à la voile, Pendant Jeur abfence la Baye eft fort folitaire, n'y ayant que quelques Bâtimens du Pays, en petit nombre;ce ne font même que quelques Balandres-& Felouques, qui ne s'arrêtent que pour fe carêner & ‘fe radouber, afin - continuer leur oi vers ‘les lieux d’où elles font venues. PA: coeur ae : 10 A: SH : ee Aura 1 Des Habitans de Carthagéne ; de leur qualité, différence des Caftes ou Ra- ces, € leur origine; Génie € Coutumes. Près avoir donné une defcription aflez détaillée de la Ville de Car- thagéne, ïl nous paroît convenable de dire un mot de fes Habi- tans. On les divife en diverfes Caftes ou Races, formées par l'union des Blancs avec les Négres & les Indiens. Nous traiterons de chacune felon fon rang. Les Blancs qui habitent à Carthagéne fe peuvent divifer en deux efpé- ces: l’une d’Européens , & l’autre de Créoles ,ou de Blancs nés dans le Pays. Les premiers font communément appelés Chapetons, & le nombre en eft peu confidérable, vu que la plupart, ou s’en retournent en Euro: pe après avoir acquis un certain fond, ou pañlent plus avant dans les Provinces intérieures pour augmenter leur petite fortune. Ceux qui’ fe font fixés à Carthagéne, y font tout le commerce, & vivent dans l'opu- Jence , tandis que les autres habitans font miférables , & réduits à vivre du travail de leurs mains. Les familles des Créoles blancs poflédent les Terres où Champs ; & il y en à quelques‘unes de grande diftinétion , comme étant defcendues d’ayeux venus dans le ‘Pays pour y exercer des emplois con- fidérables, & qui y ayant amené leurs familles avoient jugé à propos de s’y fixer: ‘Ces familles fe font maintenues dans Jeur luftre, en S’alliant dans le” Pays avec leurs égaux, ‘où avec des Eur opéens qui firent far:les Gal- hons. ‘Il eft'vrai qu'il ÿ en a quelques-unes qui commencent à décheoir. ÿ'T] ya auffi d'autres familles de Blanés pauvres, qui font ou éntées fur de famillés Indiennes , où du-moins ‘alliées ivec elles, de maniere qu’il y à quelque mélange dr leur fang; mais quand la couleur ne les trahit pas, céla leur fuffic pour fe’ croire msitines a jouïflent de l'a- vantage d'être: Blañes. f ‘Paflüns maintenant aux Efpéces di trans, Jeur origine au mélange D 3 des > 28 VOYAGE AU PEROU des Blancs avec les Noirs, où Négres. Nous commencerons par les’ Mulâtres, fi connus de tout le monde, qu'il feroit fuperfu d'expliquer la fignification de ce nom: après ceux-là vient la troifiéme Efpéce ou Clafle, appellée Claffe des Tercerons , qui proviennent de l'union des Mulâtreffes avec les Blancs, ou des Blanches avec les Mulâtres, & commencent à approcher des Blancs, bien-que leur couleur les décéle. La Claffe des Quarterons, où quatriéme Clffe, provient du mélange des: Blancs avec la: Clafle des Tercerons ; la derniere enfin; ou la Clafle des Quinterons, vient du él ange des Blancs avec les Quarterons , où quatrié- me Clafe. Quand ils font arrivés à cette Claffe, il n’eft plus queftion de race Négre, & l’on ne peut plus les diftinguer des Blancs ni pour leurs manieres, ni pour leur couleur, & qui plus eft les Enfans d’un Blanc & d'une Quinteronne font appellés Dhalonl. -&. on les regarde comme hers dé-toute race de Négres , quoique leurs Grands-peres ,. qui fouvent font encorelen vie ,ne.different guere des Muñtres. Ils font fi jaloux de l’or- dre de leurs Cafles ou Race;que fi par hazard on.s’y méprend, & que on les traite un degré plus bas, ils s’en formalifent, & le tiennent à mjure, quelque éloigné qu'on ait été-de les vouloir He Ils reprennent ceux qui ont commnis cette faute par mégarde, & leur difent qu’ils ne font pas tels qu’ils les ont nommés, & qu’ils efperent qu’on ne voudra pas les pri- ver d’un bien que la fortune leur a fait. Avant que d'arriver. à la, Claile des Quinterons ; 1: y a plufieurs obftacles qui quelquefois les en éloignent car entre le Mulâtre & le Négre, il y a encore une Race intermédiaire qu’ils appellent Sambo,, laquelle eft formée du mélange de ces deux races avec le fang ‘Indien, où des deux races. nrêmes.:. On. les diftingue aufi, par la race! de leurs Peres. Entre les Tercerons: & les. Mulâtres, les. Quarterons & les Tercerons:, & ainfi de fuite, font-ceux;.qu'ils appellent T'en eenel Ayre,, eomme qui diroit les Enfans en l'air; parce qu’ils n’avancent,; ni ne recu- kent. Les Enfans nés du mélange des Quarterons où des, Quinterons avec: ke fang Mulütre on Terteron, font appellés Salto.atrés ,-© e-dire, Saut en, arriere; parce qu'au-lieu d'avancer & de devenir Blancs, ils. ont reculé, & fe font rapprochés.de la-Cafle,. où Race des Négres. De-même:tous les Enfans iffus du mélange depuis le Négre jufqu'au Quinteron, avec le. fang Indien, font nornmés Sembes.de Négre, de Mulûtre , de, Terceron, &c.. Ce font-la les Cafles où Races les plus connues & les- plus. COMMUNES ; non qu'il n’y en ait! EE Mg d'autres qui proviennent : -de Punion des uns avec les autres; mais les efpéces font fi différentes &en:ff ‘grand nombre, qu'ils ne favent pas eux-Mémes: à! Iqhelle Chers appartiennent 2, quon d 3: £ L sie « VOYAGE AU PEROU. Liv. I Cr IV. ‘29 ne voit les dans les rues de la Ville, dans lesqu’eux Eflancias * & dans les Villages. C'eft par hazard que l’on rencontre des Blancs dans ces endroits, fur-tout des femmes ; car celles qui n’ont pas renoncé à toute pudeur, vi- vent fort retirées dans leurs maïfons. : Ces Caftes où Races, à compter depuis les Mulâtres jufques aux Quinterons, font toutes vêtues à l’E/pagnole, & les unes & les autres d’habits fort légers, à -caufe de la chaleur du Climat. Ilsn’exercent que des Arts Méchaniques dans la Ville. Les Blancs, Créoles & Chapetons, regardent ces occupations comme fort au-deffous d'eux, & ne s’adonnent qu’au Commerce ; mais comme la fortune he prodigue pas également fes faveurs, & que plufieurs ne peuvent fe fou- tenir par le crédit, on en voit qui aiment mieux vivre dans la mifere, que d'exercer les profeffions qu’ils ont apprifes en Europe; & qui bien éloignés d'acquérir les richeffes dont ils s’étoient flattés au feul nom dés Zndes ,tom- benñt dans la derniere indigence. ‘Parmi toutes ces Cafles où Races, celle des Négres n’eft pas la moindre. On les divife en deux Clffès, en Négres Libres, & en Négres Efclaves; & on les fubdivife encore en Créoles & en Bozales, ou nouveaux-venus; une partie de ces dermers eft employée à la culture des Haxiendas où Es- tancias. : Ceux qui habitent dans la Ville y font employés aux travaux les plus rudes; au moyen de quoi ils gagnent leur vie, en payant néanmoins 4 leurs Maîtres une certaine portion de leur falaire par jour, & du peu qui leur refte il faut qu'ils fe nourriflent. La violence des chaleurs ne leur pér- met pas de porter aucun habillement, & par conféquent ils vont tout nuds, à la réferve d’un petit pagne, ou morceau de toile de coton qu'ils portent pour couvrir ce que la pudeur défend de montrer. Les Efclaves Négrefles nant pas d'autre habillement. Les unes vivent dans les Es- tancias,: mariées avec les Négres: qui cultivent ces champs; & les autres dans la Ville, où elles gagnent à vendre dans les places les chofes co- meftibles & à porter par la Ville les fruits, les confitures du Pays, & divers autres. imêts tels que les gâteaux ou-bignets de Maïz, & la Cas- fave dont on fait le-pairi pour les Négrés. Celles qui ont de petits En- fans, & qui les nourriffent, comme elles font prefque toutes, lés por- tent fur les épaules, pour qu'elles puiflent agir & avoir les bras libres. ; Quand. * Efhancins fignifie proprement féjour, lieu’ où l’on’ s'arrête pour repofer; mais à Car- thagéne il s'entend pour une Maifon de Campägne, qui quelquefois forme un Village con: fidérable ,.à caufe dé là quantité,des Eftlaves, qui-en dépendent, T Husienda," figñifié en cétendioit une Maifon de Campagne avec les; terres, qui, en dépenñdént. H 4eu@ d'autres fguifications- qui ne viehnent pas à notre fujet. Hé 4 30 V0 Y'A GE AU ''P ER OU. Quand ces Enfans veulent téter, elles leur préfentent la mamelle, ou par-deffous l'aiffelle, ou par-deflus l'épaule, & ainfi fans les remuer de leur place elles. leur donnent, ‘aliment qu'ils défirent. Cela paroîtra in- croyable à quiconque ne l'a pas vu; mais filon confidere que ces: Créa- tures laiflent croître leurs mamelles fans les gêner en aucune façon, & qu'il y en a à qui elles pendent au-deffous de la ceinture, on ne trouvera pas étrange qu’elles puiffent les jetter par-deffus les épaules, pour que l’en- fant les puifle faifir. L’habillement des Blancs, tant hommes que femmes, eft peu différent de celui qu’on porte en E/pagne. Les perfonnes en charge font vêtues com- me on left en Europe, avec cette différence que tous leurs habits font fort légers, deforte que pour l'ordinaire ils portent des veftes de toile fine de Bretagne & les culotes de même : les pourpoints font de quelque étoffe fort mince, ordinairement de tafetas uni de toute couleur, dont l'ufage eft général fans exception de perfonne. Les perruques ne font point en ufa- ge en cette Ville, & dans le tems que nous y étions, il n’y avoit guere que le Gouverneur & quelques Officiers de la Ville qui en portaffent ; mais le nombre en étoit fort petit. On n’y porte pas non plus de cravates; on fe contente de fermer le col de la chemife avec quelque gros bouton d’or, mais le plus fouvent on le laifle ouvert. Ils portent fur la tête.un bonnet blanc de toile fine; plufieurs vont auffi nu-tête, & fe coupent les cheveux au chignon. Ils ont la coutume de porter des éventails pour s’éventer. Ces éventails font tiflus d’une efpéce de palme fine & fort déliée en forme de demi- lune avec un bout de la même palme qui fert de manche. Ceux qui ne font pas Blancs, ni d’une famille diftinguée, portent une cape ou efpéce de manteau, & des chapeaux ronds. Quelques-uns, quoique Mu- lâtres & quelquefois même Négres, s'habillent comme les Efpagnols & comme les plus diftingués du Pays. Les femmes Æ/pagnoles portent une forte de jupe qu’elles attachent à la ceinture, & qui pend de-là jufqu’aux talons ; elles lappellent Pol- léra._ Elle eft de tafetas uni & fans doublure, les chaleurs ne leur per- mettant pas d'en ufer autrement, Un pourpoint, leur défcend du haut du corps jufqu'au milieu, , Elles ne le portent que dans la faifon qu’el- les nomment Hiver, en Eté elles le quittent & ne le peuvent fouf- frir. Elles fe lacent toujours. pour fe couvrir la poitrine. Quand el- les fortent du logis elles prennent la mantille & la jupe, & ont coutu- me, lorsquelles vont à la Méffe les jours de Preceptes, de le fare dés.les trois heures du matin, pour éviter Ja chaleur qui commence avec le jour. Les VOYAGE AU PEROU. Lav. I. Cm IV. 37 Les femmes qui ne font pas exaétement de race Blanche mettent par- deffüs la Polléra une Bajquigne , ou Jupe de tafetas de la couleur qu’il leur plait, mais jamais noire. €ette jupe eft toute percée de petits trous pour hiffer voir celle qui eft par-deflous. Elles fe couvrent la tête d’une efpéce de bonnet qui reflemble à une mitre. I} eft de toile blanche & fine, fort garni de dentelles. À force d’émpois elles parviennent à le faite tenir tout droit fur la tête. Il eft terminé par uné pointe qui répond perpendi- culairement au front. Elles appellent ce bonnet Pagnito, & ne fortent jamais fans cette coifure. Les Femmes de condition, &'en généraltou- tes les Blanches, font vêtues de même dans leur négligé; mais cet habille- ment leur fied mieux qu'aux autres, comme leur étant plus naturel. Elles ne portent jamais de fouliers ni dedans ni hors de la maifon, mais feule- ment une efpéce de mules où il n’entre que la pointe du pied. Quand el- les font dans leurs maifons ,. tout leur exercice confifte à fe coucher à moitié dans leur Famacas *, où elles fe bercent & fe brandillent pour fe rafraîchir. Ces Jamacas font fi à la mode en cette Ville, que dans toutes: les maifons 1l y en deux , trois ou davantage, felon la famille. Les fem-- mes y pañlent la plus grande partie du jour , & quelquefois les hommes s’y repofent comme les femmes, fans fe foucier de l’incommodité qu'il:y a de n’y pouvoir pas bien étendre le corps. On rèmarque communément dans les deux Sexes beaucoup d’efprit & de pénétration. & cette facilité à: réüffir dans toutes les Sciences & danstous les Arts. Dans les Jeunes-gens on apperçoit une grande envie d'apprendre. & beaucoup-de difpofitions aux Lettres. donnant dans cet âge tendre des marques de génie qu’on n'apperçoit ailleurs que plus tard & moins com- munement. Cette application leur dure jufqw’à l'âge de 20 à 30 ans >: mais à peine y font-ils parvenus , qu’ils paroiflent oublier ävec la même fa- cilité qu'ils ont appris; & fouvent même avant que d'arriver à-cet âge ; où il faut commencer à recueillir les fruits de l'étude, ils abandonnent entié- rement les Sciences, par une parefle naturelle qui met fin à leurs progrès & détruit l’efpérance qu’on avoit conçue de leur génie. La principale caufe de cette décadence, vient fans:doute du défaut de ne- favoir pas à quoi employer fes lumieres,. & de n'avoir aucun objet d’é-- mulation,ne pouvant fe flatter que leurs talens leur procurent l'avancement dû à leur travaux littéraires; car il n'y a là ni Armée de terre. ni de mer, & les Emplois Littéraires font en f pétite quantité, -qu’il n'eft pas é- | ton- nd ce qu'on appelle autrement Humucs, c’eft-àsdire, dés Lits fuspendus. /Vot. dus rad. ” 32 OO Y AGE AU PER OU. tonnant que, perdant l’efpérance de fe pouffer par cette voye, ils perdent aufli l'envie de fe diftinguer dans les Sciences, & que tombant dans l'oifi- veté, ils donnent auffi dans le vice, au juel ils fe livrent jufqu’à perdre la raifon, & à oublier tous les bons principes qu’ils peuvent avoir appris dans leur bas-âge ,lorfque l'obéiffance à leurs Parens & aux Maîtres mettoit un frein à leurs paflions. La même difpofition fe remarque dans les Arts Mé- chaniques, où ils réüfliflent avec beaucoup d’adrefle & en très-peu de tems, fans toutefois parvenir à un certain degré de perfeétion, & fans rafiner fur ce qu’on leur a montré. Cependant rien n’eft fi admirable que la pré- cocité des efprits dans ce Pays-à, & d'y voir parler plus raifonnablement de petits Enfans de deux à trois ans, que ceux d'Europe qui en ont fix à fept. À cet âge, où à peine ils ont les yeux ouverts à la lumiere fans pouvoir la diftinguer, ils connoiffent tout ce qui eft renfermé dans la méchanceté, L’efprit des Américains étant plus précoce que celui des Européens, oncroit qu'il s’affoiblit aufli beaucoup plutôt, & que des l’âge de 6oans ils n’ont plus ce jugement folide, cette pénétration, cette prudence, qui eft commune par- mi nous à cet âge ; ce qui fait dire que leur efpritbaïfle & décroît, lorfque celui des Européens tend à fa plus grande maturité. Mais ceci n’eft peut-être qu’un préjugé vulgaire, qui ne tiendra pas contre des exemples contrai- res, ni contre les moyens de défenfe allégués par le çélébre Pere Fr. Benoit Feyjoo dans fon 6. Difcours Tom. IV. de fon Theatro Critico. Quoi qu’il en foit, il eft certain que l’expérience eft contraire à ce fentiment. Ceux qui ont voyagé dans ce Pays avec quelque attention, y ont trou- vé de bons efprits de tout âge, & ne fe font point apperçus que 10 ans de plus altéraffent la raifon de perfonne, fi ce n’eft de ceux qui livrés aux excès du libertinage étoufoient les lumieres de leur raïfon dans le vi- ce. En effet on y trouve des perfonnes douées d’une grande prudence, & de grands talens tant dans les Sciences fpéculatives que pratiques, dans la Politique & la Morale, & ces fortes de perfonnes confervent ces avantages jufques dans un âge fort avancé. | La Charité eft une des vertus que les habitans de Carthagéne font écla- ter, & la plus commune dans toutes les conditions. Ils l’exercent par- ticuliérement envers les Européens nouvellement arrivés, qui venant, comme ils difent, pour bufquer fortune, ne trouvent fouvent que la mife- re, les maladies, & enfin la mort, C’eff ici un fujet qui me paroît mé- riter qu'on en fafle mention ; & quoique les circonftances en foient aflez gonnues à ceux qui ont été dans ce Pays, je ne laïflerai pas d’en dire un mot, ne fût-ce que pour defabufer certaines gens, qui avides de pofféder plus VOYAGE AU PEROU. Liv. I, CH IV. 3 plus de bien qu'ils n’en ônt dans leur Patrie, penfent qu’il fuffit d'aller aux Indes pour fe trouver tout d’un coup dans l'opulence. Ceux qu'on appelle dans les Vaiffleaux Pulizons, font des hommes qui fans emplois, fans fond, fans recommandation, viennent comme des va- gabonds, & gens fans aveu, chercher fortune dans un Pays où perfonne ne les connoît; & qui après avoir couru longtems les rues de la Ville, fans avoir de retraite, ni de quoi fe nourrir, font enfin obligés d’en venir à la derniere reflource, qui eft le Couvent des Cordeliers , où on leur don- ne, non pas pour appaifer leur faim, mais pour les empêcher de mourir, de la bouillie de Caflave, qui n’étant pas un mets fupportable pour ceux du Pays, on peut juger quel goût elle doit avoir pour de pauvres gens qui n'y font point accoutumés. Le coin d’une Place, ou la porte d’une Egli- fe font des gîtes dignes de gens qui font de tels repas. Telle eft la vie qu'ils ménent, jufqu’à ce que quelque Négociant, qui pafle dans les Pro- vinces intérieures, & qui a befoin de quelqu'un pour le fervir, les emmé- ne avec lui; car les Marchands de la Ville, qui n’ont pas befoin d’eux, ne font pas grand accueil à ces Avanturiers, qu’on peut appeller ainfi à jufte titre. Affeétés par la différence du Climat , Nourris de mauvais ali- mens, abattus, découragés, ces miférables deviennent la proye de mille maux qu'il n'eft pas poflible de fe bien repréfenter. Défefpérés de voir leurs projets de fortune & d’opulence s’en aller en fumée, ils prennent in- fauliblement la maladie appellée à Carthagéne ; la Chapetonnade *, fans avoir d'autre réfuge que la Providence Divine; car il ne faut pas fonger à l'H6- pital de San Juan de Dios, où l’on ne reçoit que ceux qui payent, & d’où par conféquent la mifere eft un titre d’exclufion. C’eft alors qu'on voit éclater la charité du Peuple de cette Ville. Touchées de leurs maux , les Négrefles & les Mulatreffes libres les accucillent, & les retirent dans leurs maïlons, où elles les afliftent, & les font guérir à leurs dépens, avec au- tant de foin & d’exaétitude que fi elles y étoient obligées. Si l’un d’eux meurt, elles le font enterrer par charité, & lui font même dire des Meffes. La fin de ces témoignages de compaffion & de charité, c’eft qu'après fa guérifon , le Chapeton enchanté de l'amitié qu’on lui témoignée, fe marie avec fa Bienfaitrice Négreffe ou Mulatrefle, ou avec quelqu’une de fes filles: & le voilà établi, mais dans un état beaucoup plus miférable que ce- jui qu'il auroit pu fe faire dans fa Patrie, en y travaillant felon les occa- fions & fes talens. Le Le * Ceft-ä-dire la maladie des Blancs, ou la maladie du Pays. Not. du Trad. Tome I. E “4 V'O.Y A G E AU ‘P'ER!'0 EU. Le desintéreffement des Carthagénois eft fi grand, qu’on ne peut foup- conner ces femmes de n'avoir que le mariage pour but de leur charité envers les Chapetons; d'autant plus qu'il n’eft pas rare de les voir refufer de s’allier avec eux, pour ne pas perpétuer leur mifere: mais plutôt el- les tâchent , de leur procurer l’occafion & les moyens de pañer plus avant dans l'intérieur du Pays; les uns à Santa Fé, Popayan & à Quito, & les autres au Pérou, felon qu'ils font portés pour quelqu'un de ces lieux-là. Ceux qui reftent à Carthagéne, foit qu'ils y ayent fait quelqu'un de ces mauvais mariages dont nous avons parlé, foit qu’ils fe trouvent dans un autre certain état bien dangereux pour le falut éternel, & qui n’eft que trop ordinaire, fe font Pulperos * ou Canotiers, où quelque autre chofe fem- blable ; mais dans tous ces métiers, ils vont fi mal habillés & font fi ac- Cablés de travail , qu’ils n’ont certainement pas fujet d’oublier la vie qu’ils ont menée dans leur Patrie, quelque miférable qu’elle ait pu être. Ils font fort heureux, quand après avoir travaillé tout le jour & une partie de la nuit, ils peuvent fe régaler de quelques Bananas, d’un peu de gâ- teau de Maïz ou de Caffave, qui leur tient lieu de pain, & d’un mor- ceau de Tafaje, qui eft de la chair de vache , féche & falée. Ils paflent ordinairement bien des années fans goûter de pain de froment, qui du- moins ne leur manqueroït pas en E/pagne. D'autres aufli malheureux que ceux-là, & dont le nombre n’eft pas petit , fe retirent de la Ville & vont s'établir dans quelque petite Eftancia, où ils fe bâtiflent une Bujio ou Cabane de paille, & vivent-là peu dif- férens des bêtes, cultivant les grains que le Pays produit, & vendant le fruit de leur travail pour fubvenir à leur entretien. Ce que nous avons dit des Négreffes & Mulatrefles doit s'entendre de: toutes les Cafles ou Races, & fe fuppofer, à l'égard de la charité des femmes Blanches & de tous les Blancs en général, qui dans toutes les efpéces font doux & prévenans ; mais il faut avouër que les femmes étant d’un naturel plus doux encore & plus compatiflant, l’emportent für les hommes dans la pratique de cette vertu Chrétienne. Quant aux ufages de la Nation, il y en a quelques-uns qui different fenfiblement de ceux des E/pagnols, &. même de ceux qui fe pratiquent | dans ® Puiperes font des gens qui travaillent à des efpéces de Tente, appellées en Efpagnol Pulperias, & les Canotiers font les Matelots qui naviguent dans les Pirogues, pour faire le tranfport des Marchandifes de toute efpéce, LI VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cn. IV. 3 dans les principaux Pays d'Europe. Les plus remarquables font, l'ufage dw Brandevin, celui du Cacao, du Miel & autres douceurs, & l'ufage du Tabac à fumer quoi il faut ajoûtér quelques fingularités , dont il fe. ra fait mention en leur lieu. | | L’ufage du Brandevin eft fi commun, que les perfonnes les plus ré- glées & les plus fobres, ne manquent pas d’en boire tous les matins à onze heures: leur raifon en eft ,que cette liqueur fortifie l'eftomac, aiguife l'appétit , & rétablit les efprits diffipés par la continuelle tranfpiration. Ils s'invitent les uns les autres para hacer las ONCE, A FAIRE LES ONZE, c'eft-à-dire , à boire le Brandevin. Mais cette coutume, qui n'éft pas mauvaife quand on la pratique avec modération, dégénere en vice chez plufieurs, que cette liqueur affriande fi fort, qu’ils commencent 4 faire les onze en fortant du lit, & ne finiflent qu’en y rentrant. Les Perfon- nes de diftinétion boivent du Brandevin d'Efpagne, mais le petit peuple & les Négres, courent à celui du Pays, qui eft fait du jus ou du fuc des cannes de fucre, & qui eft nommé à caufe de cela Eau de vie de canne, dont il fe fait un beaucoup plus grand débit que de l’autre. Le Chocolat , qui n’eft connu-là que fous le nom de Cacao, eft fi com: mun, qu'il n'y a pas jufqu'aux Négres Efclaves qui n’en prennent ré glément tous les jours après leur déjeuné, & à cette fin il y a des Né. greffes qui en portent de tout prêt dans les rues pour:le vendre, & le? faifant feulement un peu chaufer le diftribuent pour un Quartillo de Real de Plata. Mais ce n’eft pas du Cacao tout pur, il y en a feulement une petite quantité mêlée avec du Maïz. Celui que boivent les Perfonnes! de diftinétion eft de pur Cacao préparé tout comme en Efpagne. Ils enre- prennent une heure après le repas, & c’eft une coutume fi inviolablé qu’il ne leur arrive jamais d'y manquer. Jamais ils n’en prennent à jeun, ou du-moins fans avoir mangé un morceau auparavant. Les Confitures & le Miel font encore de leurs mets favoris. Toutes les fois qu'ils s’avifent de vouloir boire de l'eau, ce n’eft jamais fans a- voir mangé avant quelques confitures. Souvent ils préférent le miel aux conferves, & autres confitures au caramel, ou féches ; ils trouvent que le miel adoucit davantage. Ils mangent les confitures avec du pain de froment, & ils en trempent auffi dans le chocolat; mais pour le miel ils le mangent avec des tourtes ou gâteaux de Caffave. Leur pañion pour le Tabac à fumer n’eft pas moindre, ni moins gé- nérale. Là tout le monde fume, hommes & femmes, fans diftinétion d'âge ni de rang. Les Dames & les femmes Blanches ne fument que E 2 chez 36 VOYAGE AU PEROU. chez elles. Cette retenue n’eft pas imitée dans les autres Cafles, & les hommes de toute efpéce n’y regardent pas non plus de fi près. Ils ne favent ce que c’eft que diftinguer les lieux & les tems pour leur fumerie. Ils petunent en tout lieu & en toute occafion. Leur méthode eft de fu- mer de petits rouleaux de feuilles de Tabac. Les femmes tiennent dans la bouche l'extrémité d’un bout de tabac allumé, dont elles tirent la fu- mée pendant un affez long efpace de tems, fans l’éteindre & fans que le feu les incommode: une des plus grandes marques d'amitié. qu’elles puiffent donner aux perfonnes avec qui elles ont quelque rélation, & qu’elles honorent de leur eftime, c’eft d'allumer pour eux du tabac, & de leur en préfenter à la ronde dans les vifites qu’elles reçoivent. Ce feroit les desobliger & les mortifier beaucoup , que de refufer ce préfent de leur main: aufi ne fe hazardent-elles pas de faire cette politefle à ceux qu’elles. favent ne pas aimer le tabac. Les Femmes de diftinétion s’accoutument à fumer dès leurbas-âge, & il n’eft pas douteux qu'elles ne contraétent cette habitude par l'exemple de leurs nourrices , qui font les Négrefles Efclaves. Et cet ufage étant fi commun parmi les Femmes de qua- lité, il n’eft pas furprenant que les perfonnes qui arrivent d'Europe & qui font quelque féjour à Carthagéne , ne puiflent réfifter à cette efpéce de contagion. La Danfe eft un des plus grands amufemens des gens de ce Pays-là. Quand les Gallions arrivent, où qu'il y a des Gardes-côtes ou autres: Vaifleaux qui viennent d'E/pagne dans la Baye , on ne voit que Bals dans la Ville, dans lesquels il fe commet de grands desordres. caufés. par les équipages des Vaïffeaux qui y .accourent. Ces Bals font appellés Faudangos. Quand ces divertiflemens fe donnent dans des maïfons de dis- tinétion, tout s’y pafle dans l’ordre, & rien n'en trouble la tranquillité. Les Bals commencent par quelques danfes E/pagnoles, & continuent par celles du Pays, qui ne font pas fans graces n1 fans vivacité. Elles. font accompagnées de chanfons convenables, & durent jufqu’au jour. Les Faudangos ou Bals de la populace confiftent principalement dans des "excès de Brandevin & de Vin, d’où naïffent des mouvemens & des geftes indécens & fcandaleux dont ils compofent leurs danfes ; & comme dans les intervalles ils ne ceffent de boire, il furvient bientôt des querelles qui cau- fent de grands malheurs. Les Etrangers. qui font dans la Ville, font ceux qui arrangent ces Bals &.qui en font les. fraix; & comme l'entrée en eft libre ,& qu'on n’y épargne pas les liqueurs à ceux qui y viennent, ‘ils ne defempliflent point. | On. remarque encore quelques fingulatités, dans leur deuil, C'efi-là VOTROE TU PEROU ENT. L' CR'IV. % qu’éclate leur luxe & leur oftentation, fouvent aux dépens de leur com- modité. Si le défunt eft une perfonne de diftinétion, on place fon corps fur un magnifique lit de parade dreffé dans le plus bel appartement de la maifon, & éclairé de quantité de cierges & de bougies. Il refte-là pen- dant l'efpace de 24 heures, ou davantage, & pendant ce tems les por- tes de la maïfon font ouvertes pour que les perfonnes de connoiflance puiflent entrer & fortir plus librement, & généralement toutes les fem: mes de baffe condition qui ont coutume de venir pleurer le défunt. Ces mêmes femmes, vétues ordinairement de noir , viennent le foir dans l'appartement où eft le corps mort. Les unes ‘s’approchent de lui & fe mettent à genoux. Les autres fe tiennent debout, & toutes les bras ou- verts comme pour l'embrafler: c’eft alors qu’elles commencent à piauler d’un ton lamentable, pouffant de téms en téms des cris affreux dont le nom du mort eft toujours le refrein. Après qu'elles ont bien criaillé, el- les commencent, fans changer de ton & aufli defagréablement, l’hiftoire du mort, où elles rapportent fes bonnes & fes mauvaifes qualités, & n'ou- blient pas furtout fes foiblefles, & les commerces d’impureté qu ] peut a- voir eus. Elles en font même un détail fi fidéle & fi circonftancié, qu'il n’y a pas de confeflion générale qui contienne des defcriptions plus parti- culieres. Après avoir paffé quelque tems dans cet exercice, fe trouvant fatiguées, elles fe retirent dans un coin de la fale, où elles trouvent du Brandevin & du Vin, & boivent de ce qu'elles aiment le mieux. Mais à peine ont-elles quitté le mort que d’autres s’en approchent & font la même chofe que les premieres, fe relayant ainfi continuelle- ment jufqu'a ce qu'il n’y en ait plus qui viennent de dehors. Après que ces pleureufes ont fini leurs piaillerres, les domeftiques, les efclaves & les amis de la maifon continuent la même cérémonie durant toute la nuit, fur quoi on peut fe figurer quel cahos ce doit être que tout cela, & quelle mufique doivent faire les hurlemens de tant de voix difcordantes. L'enterrement eft accompagné des mêmes clameurs, & après que le corps eft inhumé, le deuil continue pendant 9 jours dans la maïfon, & les À ROULE tant hommes que femmés, ne doivent pas s’écarter de lapparte- 1ent où ils reçoivent les Péfames *. Toutes les perfonnes qui ont quel- aue liaifon avec les Afigés doivent leur tenir compagnie les 9 nuits du- rant, depuis le coucher du Soleil jufqu’a fon lever. Et l’on peut dire qu'ils font tous véritablement affligés ; ceux qui ménent deuil, le font de la perte du * Complimens de cendoléance, E 3 38 Ÿ_0 Y_A GE HAE MMER.O KE. du défunt; & ceux qui leur tiennent compagnie, ne le font guere moins de l'incommodité qu’ils fouffrent, CobuboouhopohebeobubobuocbububeobobobuoubupebobubucuuubeR ch oc) Co HN RE CR à Ve Du Climat de la Ville de Carthagéne des Indes. Maniere dont les Habitans divifent les Saïfons.. Maladies auxquelles Jont fujets les Européens nouvel. lement arrivés en ce Pays; caufes de ces maladies. Autres maladies qui affii- gent également les Créoles €? les Chapetons. E Climat de Carthagéne eft exceffivement chaud; puisque par les ob- fervations que nous y fimes au moyen d’un Thermométre de la fa- çon de Mr. de Reaumur , le 19 de Novembre 1735, la liqueur fe foutint aux 1025 { parties, fans varier dans les épreuves réitérées que nous fîmes à diverfes heures, que depuis 1024 jufqu’à 1026. Dans les obfervations faites la même année à Paris avec un Thermométre de l'invention du même Auteur, la liqueur monta le 16 de Yuillet à trois heures du foir, & le 10 d’Æoût à 31 à 1025, & ce fut la plus grande chaleur qu’on fentit à Paris de toute cette année: par conféquent la chaleur du jour le plus chaud du Climat de Paris eft continuelle à Carthagéne. La nature de ce Climat fe fait encore mieux fentir depuis le mois de Mai jufqu’à la fin de Novembre, qui eft la Saifon qu’ils appellent Hiver, à caufe que pendant ce tems-là les pluyes, les tonnerres & les éclairs y font fi fréquens que d’un inftant à l’autre on voit les orages fe fuccéder. Les nues fe fondent en eau, les rues de Carthagéne font inondées & les cam- pagnes fubmergées. Les habitans profitent de ces circonftances pour rem- plir leurs citernes. C’eft une précaution que l’on obferve dans toutes les maifons, pour fuppléer au défaut de Riviere & de Source. Outre l'eau que chacun ramafle pour foi, il y a encore de larges citernes fur les terre- pleins des baftions de la Place, que l’on remplit, pour que la Ville ne manque jamais d’eau. Ce n’eft pas qu’il n’y ait aufñli des puits dans la Vil- le, mais l’eau en eft épaifle & faumache. On l'employe aux ufages les plus communs, mais elle n’eft pas potable. Depuis la Mi-Décembre jufqu’à la fin d'Avril, on jouït d'un tems plus agréable; car la chaleur n’eft plus fi infupportable , parce que les vents de Nord-Eft qui régnent alors, rafraîchiffent la terre. Cet efpace de tems eft appellé l'Eté. Il y en a encore un autre qu’ils nomment le petit Eté de VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr. V. 39 de Sr. Ÿean; parce que vers le tems que lEglife célébre la nativité de ce Saint, les pluyes ceffent, & quelques vents de Nord commencent à fouf. fler, & cela dure environ un mois. \ Comme les grandes chaleurs font continuelles en ce Pays-la, fans qu'il y ait aucune différence fenfible à cet égard entre la nuit & le jour, la tranfpiration des corps y eft très-confidérable, jufques-là que les habitans en ont tous une couleur fi pâle & fi livide, qu'on diroit qu’ils relévent de quelque grande maladie. Leurs aétions répondent à leur couleur; tous leurs mouvemens ont je ne fai quoi de mou & de pareffeux ; cela pañle jufqu’à leur ton de voix; ils parlent lentement & bas, & leurs paroles font entre-coupées. Cependant ils fe portent bien, quoiqu'ils ayent toutes les apparences du contraire. Ceux qui arrivent d'Europe confervent leurs for- ces & leurs couleurs vives durant l’efpace de trois à quatre mois; mais bientôt à force de fuer & de tranfpirer ces couleurs fe flétriflent, l'air robufte fe diffipe, & en un mot ces nouveaux-venus n’ont plus rien extérieurement qui les diftingue des anciens habitans. C’eft principale- ment dans la premiere jeunefle & à la fleur de l’âge que l'on eft fujet à ces accidens; car les perfonnes plus âgées en font exemtes, & ont beau- coup meilleur vifage, jouifflant d’une fanté fi robufte qu’ils atteignent la quatre-vingtiéme année & au-dela, & cela eft même commun dans cha- que Cafte, ou efpéce d’habitans. Les fingularités des Maladies vont de pair avec celles du Climat. On peut les confidérer fous deux efpéces différentes; celles qui n’affeétent que les Européens nouvellement débarqués, & celles qui font communes à chacun, tant Créoles que Chapetons. | Les maladies de la premiere efpéce font nommées vulgairement dans le Pays, les Chapetonnades , par allufion au nom qu’on donne aux perfon- nes nées en Europe. Ces maladies font fi dangereufes, qu’elles emportent une infinité de monde, & font périr quantité de gens des équipages des Vaifleaux qui viennent d'Europe. Elles ont cela de particulier, qu’elles ne font pas languir longtems : trois ou quatre jours fuffifent pour décider du fort de ceux qui en font attaqués. Au bout de ce: court efpace, ou l'on eft mort, ou l'on eft.hors de danger. La nature de cette maladie eft peu conne: ordinairement elle vient à quelques perfonnes pour s’é- tre refroidies ; à d’autres par quelque indigeftion , d’où s’enfuit bientôt le Vomito priéto, où Vomiflement violent, qui expédie le malade dans l’es- pace de tems fusdit ; car il eft très-rare qu’on échappe dés qu'on eft ve- nu a ce fymptôme. H y en a qui dès qu’ils commencent à vomir, en- trent 40 VOYAGE AU PEROU. trent dans un délire fi furieux, qu'il faut les Jicr pour les empêcher de fe déchirer en piéces. Ils expirent au milieu de leurs tranfports, comme s'ils étoient atteints de la rage. [Left bien étonnant que cette cruelle maladie refpeéte les gens du Pays & ceux qui y font habitués depuis longtems, tandis qu’elle fait de fi cruels ravages parmi les Européens nouvellement arrivés: cependant la chofe eft certaine: on voit ceux-là jouir d’une fanté parfaite, tandis que cette funefte épidémie porte la mort parmi les autres. On remarque en- core qu'elle fait plus de ravage parmi les équipages des Vaifleaux, que parmi les perfonnes qui ont mangé des mêts plus fains ; d'où l’on conclut que la viande falée eft pernicieufe à ceux qui font atteints de ce mal : en effet les humeurs qu’elle engendre, joint au travail continuel des Ma- telots, met leur fang dans une difpofition à fe corrompre aifément ; & Ceft de cette corruption, autant qu'on le peut conjeéturer, que naît le Vomito priéto. Ce n’eft pas que les Mariniers feuls en foient attaqués; il fe trouve aufli des Paflagers, qui n’ont peut-être pas tâté de viande fa- lée dans toute la traverfée, qui cependant en font affigés. Ce qui frap- pe le plus, c'eft que les perfonnes qui ont été une fois dans ce Climat, & qui l'ayant quitté y reviennent au bout de deux ou trois ans, ou mé- me davantage, n’en font jamais attaquées, & jouïffent de la même fan- té que ceux du Pays, quoique leur façon de vivre n'ait pas été des plus tempérantes. L’envie de connoître la caufe d’une fi étrange maladie, a donné de l'exercice aux plus habiles Chirurgiens des Vaifleaux, & aux Médecins de la Ville; & tous les progrès qu’ils ont pu faire dans cette recherche, fe réduifent à l'attribuer aux alimens & au travail des Gens de mer, ainfi que nous l'avons déjà obfervé. On ne fauroit douter que cela ne contribue en effet en partie à ce mal; mais refte à favoir pourquoi ceux qui ne font point dans le même cas, ne laiffent pas d’être quelquefois Ja viétime de cette maladie. Malheureufement, quelque expérience qu'on ait faite, on n’a pu encore parvenir à trouver une bonne méthode pour Ja traiter, ni de fpécifique pour la guérir, ni de préfervatif pour la pré- venir. Les fymptômes en font fi différens, que fouvent elle commence par les mêmes qu’on reflent dans de légeres indifpofitions: le vomiffe ment en eft toutefois d'ordinaire le premier avantcoureur; & on are marqué que les fiévres qui le précédent font accablantes, & embarraffent beaucoup la tête, Ordinairement cette maladie ne fe manifefte pas immédiatement après l'ar- VOYAGE AU PEROU. Liv. I CH, V. 4 l'arrivée des Vaifleaux d'Europe dans la Baye, & n’eft pas non plus fort ancienne dans le Pays; car ce qu'on y nommoïit autrefois Chapétonnades. n’étoient que des indigeftions, qui quoique toujours dangereufes dans ces Climats, étoient néanmoins difément guéries par quelques remédes que les femmes du Pays favoient préparer & avec quoi elles les guériflent encore, furtout quand on les applique dès le commencement. Les Vaiffeaux pas- fant enfuite à Portovélo, c'étoit-llà que furvenoit la mortalité, toujours at- tribuée à l'irrégularité du Climat, & aux fatigues qu'efluyent les équipa- ges en déchargeant, & chariant les Marchandifes pendant la Foire. Le Vomito Priéto étoit inconnu à Curthagéne & fur toute cette côte a- vant 1729. & 1730. À la prerniere de ces deux époques, Don Domingo Fuftiniani, commandant les Vaiffeaux de Guerre Gardes-Côtes, perdit une partie de fes équipages par cette maladie à Santa Marta. Ceux qui échape- rent furent épouvantés des ravages que ce mal avoit fait, & de la mort d’un fi grand nombre de leurs Camarades. A la feconde époque les équipages des Gallions commandés par Dom Manuel Lopez Pintado, en furent afliigés à Carthagéne, & les accidens en furent fi foudains, que tel qu’on voyoit fe promener un jour étoit porté le lendemain à la fépulture. Les Habitans de la Ville de Crthagéne & ceux de tous les Lieux où s’é- tend la jurisdiétion de fon Gouvernement, font extrêmement fujets à la Lépre,ou Mal de San Lazaro. Le nombre de ceux qui en font infectés eft confidérable. Quelques Médecins en attribuent la caufe à la chair de Porc qu'on fert fréquemment fur les tables: on peut leur objeéter que dans di- verfes Contrées des Zndes où l'on mange encore plus de cette chair, on n’apperçoit pas les effets qu’ils lui attribuent: d’où il paroît qu’il faut en chercher la principale fource dans la nature du Climat. Pour empêcher que cette maladie ne f@.communique , il y a un Hôpital appellé l'Hôpital de Saint Lazare, fitué hors de la Ville, affez près d’une Colline où il y a un Château qui porte le même nom. C’eft dans cet Hôpital qu’on renferme tous ceux qu’on fait être attaqués de ce mal, fans diftinétion de fexe, ni d'âge, ni de rang; & on les y conduit de force, quand ils refufent d’y al- ler de bonne grace, Cependant leur mal ne fait qu’augmenter parmi eux dans cet Hôpital, parce qu’on leur permet de fe marier Lépreux avec Lé- preufe, & la maladie pañle ainfi de génération en génération. D'ailleurs on leur donne fi peu de chofe poiur leur fubfiftance, que ne pouvant s’ac- commoder d’une économie qui leur retranche le néceffaire, ils demandent ka permiffion de pouvoir aller memdier leur pain dans la Ville, à quoi on n’a garde de s’oppofer; & le conamerce qu’ils ont enfuite de cette permis- Tome I. F fion #2 VOYAGE AU PEROU. fion avec les perfoñnes:qui fe portent bien, eft caufe que lé nombre des malades ne diminue jamais. Il eft même fi confidérable, que cet Hôpital reffemble à une pétite Ville par l'étendue de fon enceinte. Dès que quel- qu'un entre dans cet Hôpital pour caufe de Lépre, or lui marque un en- droit où il doit finir fes jours. Là: il fe bâtit une cabane appellée dans le Pays Bugio & proportionée à fes facultés, & il y vit comme chez lui, ex- cepté qu'on lui défend de fortir de cet efpace, à-moins qu’il ne foit fi pau- vre qu'il faille lui permettre d'aller mendier fon pain dens les rues de Car- thagéne. Le terrain que l'Hôpital occcupe eft environté de murailles dont on ne peut fortir que par une feule porte. Quoique ces infortunés fouffrent les incommodités nféparables de cette maladie, ils ne laiflent pas que de vivre longtems, ddorte qu'on en voit qui meurent dans un âge avancé. Il eft étonnant combien ce mal excite le feu de la concupifcence, & combien il eft difficile à ceux qui en font atteints de reprimer cette pañlion déréglée. Aufli eur permet-on de fe marier pour prévenir les defordres qui ne manqueroient pas d'en refulter. Si la Lépre ‘eft une maladie commune & contagieufe dans ce Climat, la Galle & la Rogne ne le font pas moins; furtout aux Européens, dont il y a très-peu qui en foient exemts, principalement quand ils ne fe font pas familiarifés avec lé Climat. Si on néglige d'apporter reméde à ce mal, & de le guérir dès le commencement, il eft dangereux de le vouloir faire pafler quand il eft invétéré. Le fpécifique le plus ordinaire & le plus eff- cace pour le guérir dès qu’il commence, eft une certaine terre qu'ils nom- ment Maquimaqui, qu’on trouve dans le voifinage de Carthagéne, d’où elle eft tranfportée pour le même ufage dans les lieux où elle ne fe trouve pas. Encore une autre maladie fort fingukiere , quoique moins commune, eft celle qui eft appéliée vuigairement le Serpenieau o@ la Culebrilla. El- le confiite, felon la plus faine opinion , en une tumeur caufée par la malignité de certaines humeurs qui forment un dépôt entre les membra- nes de la peau, laquelle tumeur augmente tous les jours & s'étend, jufqu'à ce qu’elle occupe toute la circonférence de la partie qui en eft attaquée. Elle fe loge principalement aux bras, aux cuifles & aux jambes ; quelquefois elle fe répand tout du long de ces parties. Les marques extérieures de ce mal, font de faire enfler en rond de la gros- feur d’un demi-doigt l’efpace qu'il occupe, d’enflammer la peau, de çau- fer des douleurs quoique peu vives, & de mortifier le bras ou la jambe at- taquée. Les Gens du Pays guériffent ce mal avec beaucoup d’adreffle & de faccès. La premiere chofe qu’ils font , c’eft d’examiner la partie où i7 a la VOYAGE AU PEROU. Liv. I. CH V. 43 la tête, pour me fervir de leurs termes: Enfuiteils y Appliquent un petit emplâtre fupuratif, & frottent d’un peu d'huile tout l’efpace où s'étend Ja tumeur. \ Le jourfuivant en levant l'appareil, on voit la peau ouverte à l'endroit où étoit lemplâtre, & fortir de cette ouverture une efpéce de petit nerf ou de mufcle de couleur blanche & environ de la groffeur d'un gros fil, qu'is difent être la tête du Serpenteau. Ils le prennent avec grand foin, l'attachent à un petit bout de foye, & l’entortillent autour d'une carte roulée; ils refrottent encore avec de l'huile, & le jour fuivant ils entortilent encore fur la carte ce qui recommence à pa: roître du petit nerf, & continuent ainfi jufqu’à ce qu'il n’en refte plus rien, & que le mahde en foit entiérement délivré. Pendant cette opé- ration, leur plus grand foin eft d'empêcher que le petit nerf ne f& rompe avant qu'il foit tout forti; car ils prétendent que l'humeur que ce préten- du petit Serpent renferme, fe répandant dans le corps rend la guérifon très-difficile & produit une grande quantité d’autres petits Serpens. Ils difent auffi que quand il joint fa tête avec fa queue pour faire un cercle dans l’efpace où il eft, faute d’y avoir remédié aflez-tôt, il furvient des accidens fi fàcheux que celui qui les fouffre en meurt. Je crois que peu de gens s’expofent à ce danger, vu que l’incommodité que ce mal caufe, les oblige à recourir d’abord au reméde auquel il eft bon de joindre quel- ques émolliens pour diffiper l'humeur. Ces bonnes gens font perfuadés que ce petit mufcle ou nerf eft un véri- table Serpent, & c'eft pour cette raïfon qu'ils lui en ont donné le nom. I] eft certain qu’on lui voit faire quelque mouvement dans le moment qu’il fort, mais cela ne dure qu’un inftant; & d’ailleurs ce mouvement peut venir de la compreflion, ou de l’extenfion des parties nerveufes dont il eft formé, & il n’eft pas néceflaire qu’il foit animé pour cela. Cependant je n foi prononcer décifivement fur cette matiere. Outre tous ces maux on eft encore fujet en ce Pays- Ja au Pafme ,ou De- Jaillance, qui eft une maladie mortelle, mais qui vient rarement feule. J'aurai occafion d’en parler ailleurs plus au long, quand je viendrai à cer- tains lieux des Indes où elle eft beaucoup plus commune & non moins dangereufe. LE 2 44 VOYAGE AU PEROU. CEA PTT MR UNE De l'Agrément des Campagnes aux environs de Carthegéne, des Plantes &ÿ des Arbres communs €S particuliers qui y croilfent. E terroir autour de Carthagéne eft fi fertile qu’on ne peut fe laffer d'ad- mirer ces feuillages toujours verds, dont les Plantes qu'il produit font ornées. Les Bois & les Prez font continuellement émaillés de verdu- re, mais les naturels du Pays ne profitent guere de ces avantages: nés pareffeux & indolens ils ne cultivent point la terre & en laiffent le foin à la Nature, qui véritablement femble leur prodiguer fes tréfors. Les bran- ches & les rameaux que les Arbres pouflent dans ce fertile terroir, s’entre- laflent les uns dans les autres, forment des toits impénétrables à l’ardeur du Soleil & à la lumiere du jour. La diverfité de ces Arbres eft égale à leur grandeur & à leur groffeur; ils different beaucoup de ceux d'Europe. Les plus grands & les plus gros font les Caobes, où Acajous, les Cédres, V Arbre-Marie, & les Baumes. Le bois des premiers fert à fabriquer des Canots & des Champanes, fortes de Barques dont les habitans fe fervent pour la pêche & pour Jeur commer- ce le long de la Côte & fur les Rivieres auffi loin que s’étend la jurisdic- tion de ce Gouvernement. Ces Arbres ne produifent aucun fruit bon à manger. Il femble qu’ils s’épuifent à produire un bois folide, beau, & odoriferant. Les Cédres font de deux fortes, les uns tout blancs, & les autres rougeâtres. Ces derniers font les plus eftimés. Le Baume & T'Ar- bre-Marie , outre utilité de leur bois, diftillent une liqueur refineufe de differente efpéce, l’une appellée Huile-Marie, & l'autre Baume-Tolu, qui eft le nom d’un Village aux environs duquel cet Arbre croît en plus grande abondance, & où fa liqueur a le plus de vertu. Outre ces Arbres il y a des Tamarins, des Néflers, des Sapotes, des Papayes, des Gouyaves , des Caffiers , des Palmiers, des Manganilles, & beauconp d’au- tres, qui produifent des fruits bons à manger, & font un bois très-bon & de diverfes couleurs. Le Manzanille eft un Arbre Gngulier : fon nom vient du mot E/pagnol Manzana, qui fignifie Pomme; le fruit de cet Arbre ayant en effet la figure, la couleur, & l’odeur des Pommes ; mais fous cette beau- té apparente il cache un poifon fi fübtil., qu’on en refflent les mauvais ef- fets avant d’en avoir mangé. L’Arbre eft grand, fes branches fe termi- nent en houpe, & la couleur de fon bois tire un peu fur le jaune. Quand on le coupe, il en fort un fuc blanc femblable à celui du Figuier, finon qu'il VOYAGE AU PEROU. Liv. I. CH VI 42 qu’il a moins de confiftance , & qu’il n’eft pas fi blanc; du refte il eft auffi venimeux que le fruit-même: s’il couche quelque partie du corps, il pé- nétre les chairs & y caufe inflammation. De-là il fe répand dans tou- tes les autres parties du corps, 2-moins que par des remédes extérieurs on n'en arrête les progrès. C’eft pourquoi il eft néceffaire, aprés qu’on l'a coupé de le laïffer fecher quelque tems, pour pouvoir enfuite le travailler fans péril; & c’eft alors qu’on voit la beauté de ce bois, qui eft jafpé & vené comme un marbre fur un fond jaunâtre. Si par inadvertance quel- qu'un a le malheur de manger du fruit de cet Arbre, tout fon corps s’en- fle dans le moment, & l’enflure augmente jufqu’à ce que le poifon ne trouvant plus de quoi s'étendre, le malheureux qui l'a avalé, créve & meurt victime de fon erreur. On en a vu de triftes exemples dans les Eu- ropéens qui fervent fur les Vaifleaux, & qui ont été envoyés à terre pour faire du bois. Les Æ/pagnols en firent aufli de cruelles épreuves dans le tems de la conquête de ces Contrées, mais felon Herrera (a) ils éviterent Ja mort en avalant de l'huile commune, qu’ils trouverent être un puiffant antidote contre ce Poifon. Pour prévenir les accidens que cette erreur peut caufer, & éviter l'effet de diverfes autres Plantes pernicieufes, il convient de fe faire accompagner dans l'occafion par quelqu'un du Pays qui les connoifle. Mais pour faire mieux comprendre le degré de malignité du Mansanil- le, on aflure que fes branches ne font pas moins perfides, & que fi l'on s'endort à l'ombre de fes feuilles, on fe réveille tout auffi enflé que fi l'on avoit mangé du fruit, d’où il réfulte de fâcheux accidens jufqu'à ce que par des friétions reïtérées, & l'ufage des tifanes rafraichiflantes on par- vienne à difliper l'enflure. Ce qu’il-y a d’admirable, c’eft cet inftinét que Dieu a donné aux bêtes pour les préferver de cet Arbre. Elles l’évitent avec foin, & n’en mangent jamais le fruit. Les Palmiers élevant leurs têtes toufues:au-deffus des autres Arbres for. ment une agréable perfpeétive fur ces Montagnes. Il y en a de diverfes fortes, quoiqu’affez peu differens à la vue; mais la diverfité de leurs fruits a fait diftinguer l’efpéce de l’Arbre.. On en compte quatre principales ; le Cocotier, le Datier, le Palmier-Royal , qui produit un fruit femblable aux Dates pour la figure ; mais plus petit & fans aucun goût agréable ; & enfin le Corozo, dont le fruit plus gros que les Dates, eft fort favoureux, & propre aux tifanes rafraichiffantes fi utiles à-la fanté. Les fruits du Palmier-Royal s'appellent Palmites ; ils ont fort bon goût & font fi gros (a) HerrERA, Dec. I. Lib, VII. cap. 16: 46 VOYAGE AU PEROU. qu'il y en a qui péfent deux ou trois Arrobes * ; & quoique les autres efpé. cesen produifent d'auffi gros, ils ne font ni fi doux, ni fiagréables au goût. De ces quatre efpéces d'arbre on tire le:vin de Palmier, mais plus ordi- nairement du Palmier-Royal & du Corozo qui produifent le meilleur. La maniere de le faire eft de couper quelquefois la palme; mais le plus fou- vent c'eft de faire une incifion dans le tronc de l'arbre, & de tenir un va- fe immédiatement au-deffous pour recevoir la liqueur qui en coule. On la laifle fermenter cinq à fix jours plus ou moins felon le Pays, & enfuite on en boit. La couleur de ce vin eft blanche. Il mouffe plus que le vin de Champagne, eft fort piquant & monte facilement à la tète, deforte qu'il enivre pour peu qu’on en boive avec excès. Son grand défaut c’eit de s’aigrir en très-peu de tems. Les naturels du Pays prétendent qu'il eft rafraichiffant. C’eft le régal des Indiens & des Négres. Le Gayac & l Ebénier font prefque auñi durs que le fer. On porte quel- quefois de ces bois en Efpagne où ils font fort eftimés, tandis qu’on en fait peu de cas dans le Pays où ils font fi communs. Parmi les Plantes qui naiïflent fous les Arbres & dans les Bois, celle qu'on nomme Sen/itive y eft très-commune. La proprieté de cette Plante fuf- firoit, quand on n’auroit pas une infinité d’autres preuves, pour démon- rer la fenfibilité des Plantes. On n’a qu’à toucher une de fes petites feuil- les, & l'on voit auflitôt celles du même rameau fe retirer, & fe prefler les unes contre les autres fi fubitement, qu’il femble que tous leurs reflorts n'ayent attendu que cet inftant. pour jouër tous à la fois. Après un petit efpace de tems elles commencent à fe déployer de nouveau, mais lente- ment, & a fe féparer jufqu'a ce qu’elles foient tout à fait ouvertes. La Senfitive eft une petite Plante d’un pied & demi de haut. Sa tige princi- paie eft menue, & les rameaux foibles & délicats à proportion. Les feuil- les en font longues, fort minces & jointes enfemble, deforte que toutes celles d'un rameau peuvent être confidérées comme n’en faifant qu'une feule de quatre à cinq pouces de long, fur dix lignes de large. A les con- fidérer chacune à part, on trouve que chaque petite feuille a quatre à cinq lignes de long, fur un peu moins d’une ligne de large. Dès qu'on en tou- che une de ces petites, elles fe redreflent toutes & deviennent perpendi- culaires, au-lieu de la figure horizontale qu’elles avoient auparavant, & unies par leur fuperficie intérieure; celles qui faifoient deux feuilles avant ce mouvement fi fenfible, n’en forment plus qu’une feule chacune de fon | côté. * L'Arrobe eft un poids de 25 livres. VOY AGE: À UUPE OU. Liv. Cu VI #47 + côté. : Le nom que lès Carthägénois- donnent à cette feuille ne conve. nant pas ici, nous trouvons à-propos de l'omettre. Dans d’autres en- droits où elle eft en plus grande eftime , on l'appelle la J’ergenzofa ou Pu- dique, & la Donzella ou la Pucelle. Ces bonnes gens croyoient que les mots qui expriment fon nom étant prononcés au moment de l’attouche- ment, produifoient l'effet en queftion ; prévenus de cette idée ils s’éton- noient qu’une herbe eût du fentiment, & l'inftinét de témoigner fon obéis- fance à ce qui lui étoit ordonné, ou que honteufe de l'injure qu’on lui fai- foit elle ne pût diflimuler fon reflentiment. Nous vimes dans la fuite beaucoup de cette herbe à Guayaquil, dont le Climat femble mieux lui convenir que celui de Carthagéne, tant parce qu'elle y eft en plus grande quantité, que parce qu’elle y croît plus vigou- reufe, ayant au moins trois à quatre piés de hauteur, & fes feuilles à proportion. Sur les Montagnes aux environs de Carthagéne on trouve quantité de Bc- jucos * les uns plus gros que les autres; il y en a de figure & couleur diffé- rentes ; quelques-uns ont le bois applati. Il y en a une efpéce quieft furtout fort connue par le fruit qu’elle produit, auquel ils donnent le nom de Ha- billa de Carthagena f. Sa vertu particuliere mérite bien qu’on en parie. Cette Habilla a environ un pouce de large fur neuf lignes de long, platte & en forme de cœur. Elle a une gouffe blanchâtre un peu dure, quoique déliée; le dehors en eft un peu rude. Cette goufle renferme un noyau comme celui d’une amande ordinaire, pas tout-à-fait fi blanc, mais exces- fivement amer. C’eft le plus excellent antidote que l'on connoïffe contre la morfure des Viperes & des Serpens. Si un homme mordu par quelqu'un de ces reptiles peut manger de ce fruit auffitôt, il arrête tous les effets du venin, & le diffipe entierement, C’eft pour cela que tous ceux qui tra- vaillent fur les Montagnes, n’entrént jamais dans un Bois pour couper du bois, pour farcler, où pour chaffer, fans avoir auparavant pris à jeun un peu de cette Habilla, moyennant quoi ils marchent & travaillent fans nulle crainte. . J'ai ouï dire à un Européen qui étoit grand chafleur, qu’a- vec cette précaution, quoiqu'on fût piqué par un Serpent on n’en rece- vo aucune incommodité, Les gens du Pays prétendent que la Æubilla, de fa nature, eft chaude au fuprême degré, ce qui eft caufe qu’on n’en peut manger beaucoup. Deforte que la dofe ordinaire eft moins que la qua- * Efpéce de Saule pliant & propre à faire des liens. } Favéole ou Haricot de Carthagéne, 48 VOYAGE AU PEROU. quatriéme partie d’un noyau. Quand on l’a prife i faut bien fe garder de boire immédiatement aucune liqueur échaufante, comme Vin, Brandevin, & autres de cette efpéce. Tout ce qu’on peut dire de cela, c’eft que l’ex-- périence leur a fervi de maître. La Habilla n’eft pas inconnue dans quel- ques autres Contrées des Zndes voifines de Carthagme. Elle ÿ eft renom-- mée pour fa vertu particuliere, & on lui donne le même nom, parce que c’eft le terroir de Carthagéne qui jouït du privilége de la produire. Lo 3022): TISRICTRI SIN IAE DES RS SONO TI AC DH PNA TKIRN TN SEXY D'HIVER TL PON TREL Des Animaux ES Oifeaux domeftiques €? fauvages qui Je trouvent dans les Campagnes £$ Montagnes de Carthagéne. Ejhéces differentes de Reptiles € Infeëtes venimeux avec leurs propriétés. Près avoir parlé des Arbres & des Plantes les plus remarquables des environs de Carthagéne, refte à informer le Lecteur des differens Animaux qu’on y trouve. Ces Animaux font de toute forte, les uns do- meftiques pour la nourriture des Habitans, les autres fauvages, dont les differentes qualités & efpéces furprennent & font admirer la diverfité que V'Auteur de la Nature a mife dans la multitude de fes ouvrages. Il y a des Quadrupédes & des Reptiles qui ont la peau tavelée de diverfes manieres, & qui habitent dans des lieux déferts & arides ; des Volatiles dont les plu- mages brillent de diverfes couleurs & recréent la vue. Les uns & les au- tres abondent dans ces Campagnes. Les Animaux domeftiques comeftibles font les Vaches & les Co- chons qui y font en grande quantité. La Vache ne fait pas une viande agréable, quoiqu’elle ne foit point abfolument mauvaife: mais la chaleur du Climat, rendant ces animaux fecs & peu fubitantieux, la chair n’en fauroit étre bonne. Les Cochons au-contraire y font parfaitement bons & leur chair fi délicate, qu’ils paffent pour les meilleurs de tou- tes les Zndes, & l'on croit même qu’ils font meilleurs que ceux d’Eu- rope. C'eft auffi le régal des Européens & des Créoles de Carthagéne, & leur mets le plus ordinaire. Ils croient que c’eft la viande la plus faine, & ils en ufent dans leurs maladies préférablement aux Perdrix & à la Vo- laïle, comme Poules, Pigeons, Perdrix, & Oyes, qui font en abondan- ce & de fort bon goût. | I ne me paroît pas hors de propos de dire un mot de la maniere dont ils VOYAGE AU PE RO U. Liv. Ci VIL - 49 iks prennent les Oyes:fauvages. Le bas prix auquel on les vendoit nous imfpira la curiofité de nous en inftruire, & voici ce que nous en appri- mes. Dans le voifinage de Carthagéne à l'Orient du Mont de la Popa ,eftun. grand Etang nommé la Cienéga de Tefcas, fort abondant en poiflons peu citimés par la réputation qu’ils ont d'être malfains , mais renommé par fes Oyes. Sa communication avec la Mer rend fon eau falée. Il ne croît nine décroît; car le peu de différence que la marée y caufe, ne vaut pas la peine qu’on en parle. Tous les foirs une nuée d'Oyes fe rend à cet Etang comme à leur gîte naturel, elles y accourent des campagnes voifines, où elles vont pendant le jour pour s’y repaître. Ceux qui font métier de cette chafle, ou plutôt de cette pêche, jettent dans l'Etang quinze à vingt grandes Calebafles, qu’ils appellent Totumos. Les Oyes à force de voir ces Calebaffes flotter fur l’eau s’y accoutument, & ne les fu- vent point. Au bout de trois ou quatre jours le chafleur revient de grand matin à l'Etang, muni d’une autre Calebaffe où il a pratiqué quelques pe- tits trous pour voir & pour refpirer: il fourre la téte dans cette Calebafe, & entre enfuite dans l’eau de maniere qu’il n’y a que la Calebafle qui pa- roifle au dehors. Il s'approche des Oyes le plus doucement qu’il lui eft pofible, les.faifit d’un main par les jambes & les tire dans l’eau, puis il les prend de l’autre main. Ce manége dure jufqu’à ce que n'en pouvant tenir davantage, il eft obligé de fe retirer. Il remet ce qu'il a pris à fon camarade, qui eft auffi dans l’eau au bord de l'Etang, après quoi il va re- commencer fa chafle & continue ainfi jufqu’à ce qu’il en ait aflez, ou que foit venu le tems auquel ces Oifeaux retournent à la Campagne. La chaffe procure de la venaifon, comme Daims, Lapins, & une es- péce de Sañgliers appellés par les gens du Pays, Sajones; mais il n'y a guere que les Négres & les Indiens de la Campagne qui mangent de ces animaux, à l'exception du Lapin, dont les gens de la Ville fe régalent affez fouvent. Les Bêtes féroces font de différentes fortes. Il y a des Tigres fort dan- gereux *, qui Caufent beaucoup de mal non feulement aux troupeaux, mais aux hommes dès qu’ils les fentent. La peau de ces animaux eft fort belle. Ils font fort grands, & on en voit qui reffemblent pour la tail- le à des poulains. On trouve encore dans les Bois, des Léopards, des Renards, des Armadilles ,t des Ardilles +, & beaucoup d’autres moins con- fidé- * Mais pas tant à beaucoup près que ceux d'Afrique. Not, du Trad. ? Sorte de Lezard, couvert d’une Armure. + Sorte d’Ecureuil, Tome I. EE fidérables par leur groffeur. Les.arbres fervent de retraite à quantité de Singes de diverfes fortes, dont les uns font remarquables par leur groffeur, Jes autres par leur couleur. | Le Renard de ce Pays a un moyen fingulier de fe défendre contre les Chiens &autres animaux qui le pourfuivent & lui font la guerre. 11 mouil- le fà queue de fon urine en fuyant & la leur fait jaïllir au mufeau, ce qui fufit pour les arrêter & leur faire perdre la pifte | tant l'urine de cet ani: mal eft puante & infupportable. Par-l il leur échappe. Au-refte la puan- teur de cette urine eft telle qu’on la fent à un quart de lieue de l'endroit où il l'a répandue, & fouvent pendant une demi-heure. Le Renard des Indes eft petit. Il n’excéde guere la groffèur d’un Chat ordinaire. Son poil tire fur la couleur de Canelle, & eft très-fin. Sa queue n'eft pas fort longue ; mais elle eft extrémement bien fournie d'un poil fpongieux, le- quel forme un panache qui fert à fa défenfe & à l'ornement de fa figure. La Nature prévoyante qui a donné au Renard ces armes défenfives, n’a pas oublié l Armadille , dont le nom fait affez connoître ce qu'il eft. Ileft de la groffeur d’un Lapin ordinaire, quoique d'une figure fort differente, Son grouin, fes pieds, & fa queue reffemblent à ceux du Cochon. Tout fon corps eft couvert d’une écaille dure & forte, laquelle fe conformant à toutes les irrégularités de la ftruéture du corps, le met à couvert des-in- fultes des autrés animaux, & n'empêche point fon allure. Outre cette écaille il en à une autre en façon de mantille, & laquelle eft unie à la pre- miere par une jointure. Il s’en fert pour garantir fa tête, moyennant quoi toutes les parties de fon corps font en fureté. Le dehors de ces écailles repréfente divers defleins en relief, de differentes couleurs foncées & claires, de maniere que ce qui lui fert de défenfe lui fert auf de parure. Les Négres & les Indiens ne font pas difficulté de manger la chair de cet animal, & la trouvent même excellente. Les Singes de ce Pays font de diverfes efpéces; les plus communs font une forte de Sapajou que les Habitans nomment Wicos, & qui font les plus petits. Ils ne font pas plus gros qu’un Chat ordinaire. Leur peau eft gri- fâtre. Ils font trop connus pour s’amufer à les décrire. Les gros qui le font moins trouveront leur place ailleurs, & plus à propos quand nous parlerons de quelque lieu où ils font en très-grande quantité. Les Oifeaux de ce Climat chaud font de fi differentes fortes, qu’il n’eft pas poflible d’en donner une idée exacte. Les cris & les croaffemens des: uns confondus avec le chant des autres, ne permet pas de diftinguer les ramages doux & agréables de ceux-ci d’avec le ton rude & difcordant de CEUX- VOYAGÉ AU PEROU. Liv. L C& VIL 1 ceux-lx. Mais c’eft une chofe admirable que l'équité avec laquelle la Nature répand fes dons: car pour ne pas donner tout aux uns & rien aux autres, élle a paré des plus vives couleurs le plumage de ces Oifeaux dont les croaffemens font fi defagréables , & par une jufte compenfation elle a doué d’un chant mélodieux ceux dont le plumage n’a rien d’extraordinaire. Le Guamayo eft une preuve de cette équité de la Nature. Les brillantes & vi- ves couleurs de fes plumes l’embelliffent au point qu’il n’y a pas de Pein- tre qui puifle imiter un tel coloris. En revanche fes croaffemens font ai- gus & importuns, & cela lui eft commun avec les autres Oifeaux qui ont le bec courbé, fort, & la langue épaifle, comme les Loros, les Cotorras & les Periquitos. Tous ces Oifeaux volent par troupe, & le tintamare qu’ils font en l'air s’entend de fort loin. Toutes les fingularités que l’on remarque dans les autres Oïfeaux fem- blent fe rencontrer dans le bec de l’Oifeau appellé communément dans ce Pays Tulcan, où Précheur. Il eft à peu près de la grofleur d’un gros ra- mier; mais il a les jambes plus longues. Sa queue eft courte, bigarrée de bleu turquin, de pourpre, de jaune & autres couleurs qui font un fort bel effet fur le brun obfcur qui domine. Il a la tête exceflivement groffe à proportion du corps; mais fans cela 1l ne pourroit pas foutenir la diffor- mité de fon bec: car il a au-moins de fa racine au bout fix à huit pouces de long: la partie fupérieure a dans fa racine un pouce & demi ou deux de bafe , formant une figure triangulaire qui continue jufqu’au bout. Les fuperficies latérales forment une efpéce de boffe ou d’élevation fur la par- tie fupérieure: la troifiéme fuperficie fert à recevoir la partie inférieure du bec, qui s'emboite avec la fupérieure dans toute fa longueur, deforte que les deux parties font parfaitement égales dans l'étendue, s’avancent en fallie & diminuent infenfiblement depuis leur racine jufqu’au bout. Là, leur diminution eft fi confidérable qu’elle forme une pointe forte & aigue, comme celle d’un poignard. Sa langue a la forme d’une plume. Elle eft rouge aufli-bien que tout le dedans de fa bouche. On voit raflemblées en fon bec les plus vives couleurs qui parent les plumes desautres Oifeaux. Ordinairement il eft jaune à fa racine, ainfi qu’à la bofle ou élevation, & cette couleur forme tout autour comme un ruban d’un demi pouce de lar- ge; tout le refte eft d’un beau pourpre foncé, excepté deux rayes d'un beau cramoifi, à un pouce de diftance l’une de l’autre vers la racine. Les lévres intérieures qui fe touchent quand il a le bec fermé, font armées de dents qui forment deux machoires faites en maniere de fcie. Le nom de Précheur qu’on donne à cet Oifeau, vient de ce qu’étant perché au haut G 2 d'un ÿ2 VOYAGE. A U:; P:E R-O!U. d’un arbre pendant que les autres, Oifeaux dorment plus bas, il fait un bruit de fa langue lequel reffemble à des paroles mal-articulées, & il ré- pand ce bruit à droite & à gauche, afin que les Oifeaux de proye ne s’a- vifent pas de vouloir profiter du fommeil des autres pour les dévorer. Au- refte ces Prêcheurs s'apprivoifent avec tant de facilité que dans les. maifons oùil yen a ,ils courent parmi les perfonnes, & viennent quand on les ap- pelle pour recevoir ce qu’on veut leur donner. Leur nourriture ordinaire ce font les fruits; ceux qui font apprivoifés mangent auffi d’autres chofes, & en général tout ce qu’on leur donne. | Ce feroit une trop vafte entreprife que de vouloir décrire tous les autres Oifeaux extraordinaires que ce Pays produit; mais je ne puis m'empêcher de dire un mot de ceux auxquels ils donnent le nomde Gallinazos , à caufe de la reffemblance qu’ils ont avec les poules. Cet Oifeau eft de la groffeur d'un Paonneau, finon qu’il a le cou plus gros & la tête un peu plus grande. Depuis le jabot jufqu’à la racine du bec il n’a point de plume. Cet efpa- ce eft entouré d’üne peau âpre, rude, & glanduleufe , qui forme diverfes. verrues & autres inégalités femblables. Les plumes dont il eft couvert font noires ainfi que cette peau, mais communément d’un noir qui tire fur le brun. Le bec eft bien proportionné, fort & un peu courbe. Cet Oifeau eft familier dans la Ville, les toits des maifons en font couverts; ce font eux qui les nettoient de toutes les immondices. Ileft peu, ou point d'animal dont ils ne faffent curée; & quand cette nourriture leur manque , ils ont recours à d’autres ordures. La fubtilité de leur odorat eft telle que fans autre guide ils vont à trois ou quatre lieues dans les en- droits où il y a quelque charogne, qu’ils n’abandonnent que quand il n'en refte plus que la carcafle. Si la Nature n’avoit pourvu ces Climats d’une fi grande quantité d'Oifeaux, ils feroient inhabitables à caufe de la cor- ruption que les continuelles chaleurs y cauferoient, d’où naïtroit bientôt l'infeétion de l'air. Au commencement ils volent pefamment, mais en- fuite ils s’élévent fi haut qu’on les perd entiérement de vue. À terre 1ls marchent en fautant avec une efpéce de ftupidité. Leurs jambes font dans une aflez jufte proportion. Leurs pieds ont trois doigts par devant & un à côté, inclinant un peu par derriere. Les autres doigts qui forment le pied font tournés en dedans des deux jambes, de mamere que ceux d'un pied s'acrochant avec ceux de l'autre il ne leur eft pas poffble demarcher agilement, & font obligés de bondir pour avancer. Chaque doigt eft ter- miné par une grife ou ferre, longue & forte, mais fans difproportion. Quand les Galinazos n’ont pas de charogne à manger, ils attaquent dans les VOYAGE AU PEROU. Liv. IL Cu VIL 32 les champs les bêtes qui paiflent , furtout s’ils font preflés de Ja faim. S'ils rencontrent une bête un peu bleffée fur le garot ou fur l'échine, ils fe jet- tent deffus, la faififlent par cét endroit; & il ne fert de rien à ces pau- vres animaux de fe vautrer à terre, ni de vouloir les épouvanter par leurs cris, ils ne lâchent point prife, & à coups de bec ils agrandiflent fi bien la playe que l'animal devient enfin leur proye. Il y a encore d’autres Gallinazos un peu plus gros que ceux-là , lesquels ne quittent jamais les champs. Leur tête & partie de leur cou font blan- ches dans quelques-uns & rouges dans les autres, ou mélées de ces deux couleurs. Un peu au-deffus du commencement du jabot, ils ont un colier de plumes blanches. Ils ne font pas moins Carnaciers que les précédens. Dans le Pays on les appelle Reyes de Gallinazos, Roi des Gallinazos, probablement parce que le nombre en eft petit, & qu’on a obfervé que quand l'un d’eux s'attache à une bête morte, les autres n’en approchent pas, jufqu’a ce qu'il en ait mangé les yeux par où 1l commence ordinairement , & qu’il fe foit retiré. Les Chauveflouris font affez communes dans tout les Pays, mais la quantité prodigieufe qu’il y en à à Carthagéne les rend remarquables. En effet le nombre en eft fi grand, que lorsqu'elles commencent à voler après le coucher du Soleil ,on en voit des nuées qui couvrent les rues de cette Ville. D'ailleurs ce font d’adroites fangfues s’il en fut jamais, n'épar- gnant ni les hommes ni les bêtes. On en voit de fâcheux exemples: car comme les Habitans, à caufe des grandes chaleurs, laiffent les portes & les fenêtres des chambres où ils couchent, ouvertes, les chauveflouris y entrent, & fi elles trouvent le pied de quelqu'un découvert elles le pi- quent à la veine plus fubtilement que le plus habile Chirurgien, & fucent le fang qui en fort, & après qu'elles s’en font raflafiées, elles s’en vont liant toujours couler le fang. J'ai vu quelques perfonnes à qui pareil accident étoit arrivé, qui m'ont affuré elles-mêmes que pour peu qu’elles euffent tardé de fe réveiller, elles auroient dormi pour toujours; Car l'abondance de fang qui étoit forti de leur veine, & dont le lit étoit déjà tout trempé , ne leur auroit pas laiflé affez de force pour arrêter celui qui fortoit encore par l'ouverture. La raifon pourquoi on ne fent pas la pi- quure , vient fans-doute de la fubtilité du coup, & de l'air que les ailes de la chauveffouris agitent, & qui rafraîchiffant le dormeur, le difpofe encore plus à dormir, & en un mot l'empêche de fentir cette légere pie, quure. La même chofe arrive à peu près aux chevaux, aux mules, & G 3 aux #4 VOYAGE AU PEROU. aux bourriques. Mais les animaux qui ont la peau dure& épaifle ne font point expofés à cet inconvenient. Let Nous allons maintenant traiter des Infeétes & des Reptiles, qui ne font pas une moindre preuve du pouvoir de la Nature. Ilyen a un fi grand nom- bre que les Habitans n’en font pas peu incommodés; leur vie n’eft même pas en fureté contre la morfure venimeufe de quelques-uns: t&ls font les Ser- pens, les Centpieds, les Macrans, ou Scorpions, les Aragnées, & une infinité d’autres de diverfes efpéces, & dont les venins n’ont pas tous une égale violence. | 7 Les plus venimeux & les plus communs de tous les Serpens font les Corales ou Serpens-à-Coral, les Ca/cabéles ou Serpens à fonnettes, & les Serpens-de-faule. Les premiers font longs de quatre à cinq pieds, fur un pouce d’épaiffeur. La peau de leur corps reffemble à un Damier , étant mê- lées de quarrés rouges, jaunes & verds, qui font un très-beleffet. Sa tête eft platte & groffe comme les viperes l'ont en Europe. ‘Ses machoires font garnies de dents ou crochets, par le moyen desqueb il introduit fon venin, dont l'effet eft fi promt que d’abord le corps senfle, & le fang commence bientôt après à fe corrompre dans tous les organes des fens ; jus- qu’à ce qu’enfin les tuniques des veines fe rompent à l'extrémité des doigts, le fang jaillit dehors, & en peu tems le patient perd la vie. Le Serpent à fonnettes n’eft ordinairement pas fi grand que le précé- dent. Il n’a que deux ou trois piés de long. Ceux qui ont un demi pié de plus font fort rares. Sa couleur eft un gris de fer, cendré & ondé. À Péxtrémité de fa queue eft attachée ce qu’on appelle fa ca/cabéle où fon- nette. Celle-ci reffemble à la coffe d’un pois de gravance après qu'elle eft fechée fur la plante. Elle eft divifée de-même, & contient cinq à fix offélets ronds comme des pois, avec lesquels, dès qu’il remue, il rend un fon pareil à celui de deux ou trois fonnettes, d’où eft venu le nom qu’on lui donne. Ainfi la Nature qui a donné au Serpent-à-coral cette diverfité de couleurs vives pour le faire appercevoir, 2 aufli donné à ce- lui-Ci ce bruit qui annonce fon approche, & fans lequel il ne feroit gue- re poffible de le diftinguer de la terre où il rampe, vu qu'il eft de la même couleur. On donne le nom de Serpent-de-faule à une autre efpéce de Couleu- vre fort nombreufe, qui reflemble aflez au bois de faule par fa couleur ; & comme elles font toujours colées aux branches de cet arbre elles fem- blent en faire partie. Leur piquure, quoique moins dangereufe que “% e VOYAGE AU PEROU. Liv. L Cn. VIL $s le des autres eft toujours mortelle, f; on n’y apporte promptement le re. méde de quelque antidote. 1ly a des fpécifiques. infaillibles qui font. connus des Négres, des Mulâtres & des Indiens, qui vont fouvent dans les Montagnes, & à qui on donne le furnom de Curandores *, Le meil leur reméde c’eft la Habilla, dont nous avons déja parlé. Tous ces Serpens dont Ja piquureeft fi dangereufe , ne font jamais de mal à perfonne s'ils ne font offenfés. D'ailleurs loin d’être agiles, ils font au-contraire très-parefleux & prefque défaillans , deforte que s’ils piquent ou mordent, c’eft lorfqu’on a marché deflus, ou qu’on les a autrement provoqués: hors de-là on pañleroit cent fois devant eux fans qu’ils faf. fent le moindre mouvement. Et fi ce n'étoit la coutume qu'ils ont de fe retirer pour fe cacher dans les feuilles, on ne diftingueroit pas s'ils font morts ou en vie. H y a peu de lieux en Europe où les Cientopies , ou Centpieds f, ne foient connus ; mais ils le font bien davantage à Carthagéne, non feulement .à caufe du grand nombre qu’il y en a, mais auffi à caufe de leur monftrueu- fe groffeur, & parce que pullulant beaucoup plus dans les maifons qu’à la Campagne, on n’eft pas fans danger de leur part. Ils font ordinaire- ment en longueur comme les deux tiers d’une aune: il y en a même qui ont près d’une aune de long fur cinq à fix pouces de large plus ou moins felon la longueur. Leur figure eft prefque circulaire, toute la fuperficie fupérieure & latérale eft couverte d’écailles dures couleur de mufc tirant fur le rouge. Elles ont des jointures au moyen defquelles elles fe peuvent mouvoir de tous côtés. Cette efpéce de toit eft aflez fort pour le défen- dre contre quelque coup que ce foit; & comime il n’eft pas facile de les bleffer par-la, il eftnéceffaire de les frapper à la tête quand on veut les tuer. Ils font extrêmement agiles, & leur piquure eft mortelle, mais quand on y remédie promtement il n’y a pas de danger pour la vie. On en eft quitte pour fouffrir en attendant que les remédes faflent leur effet & détruifent la malignité du poifon. Les Scorpions ne font pas moins communs que les Centpieds. Il y en: a de diverfes fortes; les uns noirs, les autres rouges, les autres bruns, & quelques-uns jaunes. Les premiers s’engendrent dans les bois fecs & pourris, & les autres dans les coins des maïifons & dans les armoires. Leur * Gutriffeurs. t C'eft apparemment le même Infeéte que nous appellons en Frargois Cloporte où 74. lepieds, & que lés Grecs nommoïient Polypodes, Not, du Trad, 6 VOYAGE AU PEROU. Leur groffeur eft differente: les plus grands ont trois pouces de long , non compris la queue. Leur piquure eft-plus venimeufe dans les uns que dans les autres. Celle des noirs, felon l'opinion des habitans , eft plus dan- gereufe que celle des autres, mais elle n’eft pas mortelle quand on y re- médie promptement. Celle des autres fe réduit à caufer la fiévre, à en- gourdir la paume des mains & la plante des pieds, le front, les oréil- les, les narines, les lévres, à faire enfler la Langue, à troubler la vue, & l’on refte dans cet état une ou deux fois vingt-quatre heures, après quoi le venin commence à fe difliper, & le malade fe rétablit entierement. Les gens de ce Pays font dans l’idée, que quand un Scorpion tombe dans l’eau il la purifie, & conféquemment ils en boivent fans fcrupule. Ils font fi accoutumés a ces Infeétes qu’ils n’en ont aucune crainte. Ils les prennent avec les doigts fans répugnance, les faififfant par la derniere vertébre de la queue pour n'en être point piqués. Quelquefois ils leur coupent la queue même & jouent enfuite avec eux. Nous avons obfer- vé qu'un Scorpion étant mis dans un vafe de Criftal avec un peu de fu- mée de Tabac dedans, a une fi grande averfion pour cette odeur, que dès qu’il la fent de fi près, 1l devient comme enragé, fe piquant la tête de fon aiguillon jufqu’a ce qu'il fe foit tué lui-même. Cette expérience répétée plufeurs fois m'a fait conclure que fon venin produit fur fon corps le même effet qu'il fait fur les autres. Il y a encore un autre Infeéte appellé communément Caracol Soldado, Limagçon Soldat, qui, depuis le milieu du corps jufqu’a l'extrémité pofté- rieure, a la figure des Limaçons ordinaires, de couleur blanchâtre, & tourné en fpirale ; mais depuis l’autre moitié du corps jufqu'à l'extrémité contraire 1l refflemble à une Ecrevifle , tant en groffeur que dans la difpo- fition de fes pates. La couleur de cette partie du corps, laquelle eft vé- ritablement la principale, eft blanche mêlée de gris; & ia partie même a environ deux pouces de long fur un & demi de large, non compris la queue ni l'autre partie, Il n’a aucune coquille ni écaille, & tout fon corps eft flexible. I] à une induftrie finguliere pour fe garantir du mal qu’on pourroit lui faire, c’eft de chercher une coquille de Limaçon proportion- née à fa grandeur, & de s’y fourrer dedans: quelquefois il marche avec cette coquille, d'autrefois il la laifle en quelque endroit, & va enfuite chercher à vivre: dès qu’il fent qu’on veut le prendre, il court vite vers le lieu où il a laïffé la coquille. Il y rentre en commençant par la partie poftérieure, afin que celle de devant ferme l'entrée & qu’il puifle fe dé- fendre avec fes deux pates , dont il fe fert pour mordre à la maniere des écre- VOYAGE AU PEROU. Liv. E Ca. VI. 57 écrevifles. Sa morfure caufe pendant 48 heures les mêmes accidens que la piquure du Scorpion. On a grand foin d'empêcher que le Patient ne boive de l’eau pendant qu’il refent les effets de ce venin; car on a remar- qué, que de boire de l’eau dans ces circonftances, caufoit le Pafme * dont on rechape rarement. Les Naturels du Pays racontent que quand cet animal a groffi au point qu’il ne peut plus rentrer dans la coquille qui lui fervoit de retraite, 1] va fur le bord de la Mer en chercher une plus grande; que là il tue le limaçon dont la coquille lui convient davantage, & s'empare de l'habi- tation. Il pratique la même méthode à l’égard de la premiere coquill:. Cette derniere particularité, & le défir de voir la figure de cet animal nous engagea Don George Juan & moi à prier quelques perfonnes de nous en procurer un; ce qu'ayant obtenu, nous vérifièmes tout ce que je viens de dire, à l’exception de la piquure dont nous ne jugeâmes pas à propos de faire l'expérience, & le tout fe trouva exaétement vrai. Il y a encore diverfes autres fortes d’Infeétes, qui pour être moins gros, n’en font pas moins dignes d'attention, vu les fingularités qui les diftinguent, & le plaifir que caufent aux yeux une quantité innombrable de Papillons, dont il fera difficile de faire connoître la diverfité & les propriétés. Quoiqu’à ia variété de leurs figures, du deffein de leur travail, & de leurs couleurs on fente leur diffemblance, on ne peut néanmoins décider lefquels font les plus beaux & les plus agréables à la vue. La beauté de ceux-ci étant compenfée par l’incommodité des autres, je ne fai s’il ne vaudroit pas mieux fe pañler du plaifir de voir les uns, que d’être tourmenté par les autres. Les Mofquites dont on voit des nuées, furtout dans les Savanes, & fur les Mangjliers f, font des plus in- commodes. Les Savanes les attirent par la verdure qui y régne, & ils trouvent fur les Mangliers la nourriture qui leur eft propre. Il n’eft pas be- foin d’autres obftacles pour rendre impraticables les chemins par les Savanes. Cet Infecte eft de plufieurs efpéces, mais on en peut compter qua- tre principales; ceux de la premiere font appellés Zancudos; is font plus gros que les autres. Ceux de la feconde font les Mofquites proprement dits, lesquels ne different pas de ceux d’Efpagne. Enfuite viennent les Gégénes, qui font fort petits & faits autrement. Ils reffemblent à ces pe- tits vers qui mangent le bled, & qu’on appelle Palomita. Ils font dela gros eur * Le Pafme eft une efpéce d'étourdiffement, de pamoifon, ou convulfion. Ou Mangles. Les François appellent cet Arbre Paleuvier. Not. du Trad. Tome I. H 58 VOYAGE AU PEROU. feur d'un gfain de moutarde , &un peu cendres. La quatriéme efpéce com- prend une forte de Cirons nommés les Manteaux blancs. Is font fi petits que l’on fent la cuiffon ardente que caufe leur piquure, fans qu'on apper- çoive à péiné ce qui l'a caufée. La quantité qui s’en répand dans l'ait donne occafon d’obferver qu’ils font blancs, & c’eft de-là qu’ils ont pris leur nom. Ceux des deux premieres efpéces ne manquent pas dans les mäifons. Leur piquure caufe une groffe tumeur, dont la cuiffon ne fe dis- fipe que dans l’efpace de deux heures. Ceux des deux dernieres efpéces, que lon voit trés-communément dans les champs & dans les jardins, ne cau- fent pas de tumeur en piquant, mais ils font reffentir ure demangeaifon infupportable. _Ainf l’ardeur du Soleil rend les jours longs & ennuyeux, & ces Infeétes incommodes ne rendent pas les nuits amufantes. Pour s'en garantir pendant le fommeil on a recours aux Mo/quiteros* ; qui néanmoins ne font d'aucune reffource contre les petits, à-moins que la toile ne fût fi ferrée, qu'ils ne puflent pénétrer au-travers; mais en ce cas on s’eXpO- feroit à étouffer de chaleur & faute d’air. L’Infeéte nommé à Carthagéne Nigua, & au Pérou Pique, eft à peu près fait comme une puce, mais fi petit qu'il eft prefque imperceptible. Ses jambes n’ont pas les reflorts des jambes des puces; ce qui n’eft pas une petite faveur de la Providence; car fi cet Infeéte avoit la faculté de fauter, il n’y a corps vivant qui n’en fût rempli; & la quantité de cette engeance feroient périr les trois quarts des hommes dans les accidens qui pourroient leur arriver. Cet Infeéte eft toujours dans Ja poufiere , & on le trouve plus abondamment dans les lieux malpropres. Il s'attache aux pieds, à la plan- te même, & aux doigts. Il perce fi fubtilement la peau, que les perfon- nes auxquelles il s'attache, n’en fentent rien. Quand il commence à s'étendre on s’en apperçoit, fans pouvoir comprendre comment il eft entré. Quand on le remarque, au commencement, il eft aifé de le tirer dehors; mais quand il n’auroit introduit que la tête, il faut facrifier la: chair tout autour, vu qu’il fe cramponne fi fortement, qu'on rompt plu- tôt ce qui eft dehors que de lui faire lâcher prife. Quand on ne s'en apper- coit pas à tems, l’Infeéte perce fans obftacle la premiere peau, & fe loge entre elle & l’épiderme. La il fuce le fang, & fe fait un nid d’une tuni- que déliée & blanche, ayant la figure d’une perle platte. Il fe tapit dans l’un des deux côtés de cet efpace, de maniere que la tête & les pieds font tournés vers la partie extérieure, pour la commodité de la nourriture, & la ®* Sorte de rideaux de Canevas ou Gaze, en ufage dans toute l'Amérique. Not. du Trad, VOYAGE AU PEROU. Liy, I C. VIT. 59 la partie poftérieure de fon corps répond au côté intérieur de la tunique, afin qu'il puifle y dépofer fes œufs. À mefure qu'il en pond davantage la petite perles'élargit, jufqu’a ce qu’elle foit parvenue à avoir une ligne & demie, ou deux lignes de diamétre , ce qui arrive au bout de quatre à cinq jours. Alors ileft tems de la tirer de-là, fans quoi elle créve d'elle-même, & répand une infinité de germes femblables à des lentes, d'où 1l fe forme au- tant de Niguas, qui occupent tout le pied, où 1ls caufent beaucoup de dou- leur, deforte qu’il eft bien difficile de les en tirer; car quelquefois ils péné- trent jufqu’aux os; & la douleur, même après qu'on les a tirés, dure jus- qu’à ce que la chair ait bouché les cavités qu'ils ont creufées & que la peau fe foit refermée. La méthode qu’on obferve dans cette opération eft longue & douloureu- fe. Elle confifte à féparer avec la pointe d’une aiguille, la chair qui tou- che à la membrane où réfident les œufs de l'Infeéte: or ces œufs font fi attachés à la chair, & à cette membrane, qu’il n’eft pas aifé de faire cette opération fans crever la tunique qui les renferme, & fans caufer de vives douleurs à celui à qui on lafait. Après avoir bien cerné de tous côtés & détaché jufqu’aux moindres racines qui l’attachoient aux membranes & aux mufcles de cette partie, on fait fortir la petite perle en queftion, qui eft plus ou moins grande, felon qu’elle y a demeuré plus ou moins. Si par hazard elle créve en la tirant, il faut encore plus d'attention à bien décharner & arracher toutes les racines, & furtout à ne pas laifler la prin- cipale Nigua ; car avant que la playe fût guérie elle pondroit encore des œufs, & s’enfonceroit encore plus avant dans la chair, d’où par confé- quent il feroit plus difficile de larracher. On met dans le trou que laïfle la perle de la Nigua un peu de cendre chaude de tabac mâché ou pulverifé. Dans les Pays chauds comme Car- thagéne , il faut fe garder pendant deux jours de fe mouiller le pied. Sans cette attention on prend tout de fuite le Pafme, maladie dangereufe, dont il eft bien rare qu'onéchappe. Peut-être que cette obfervation qu’on aap- paremment faite dans quelques perfonnes , eft devenue une régle générale pour tous ceux à qui on a tiré la Nigua. Dans le moment que cet Infeéte s’infinue on ne fent rien; mais le len- demain on fent une demangeaifon ardente & beaucoup de douleur, plus néanmoins en quelques parties qu’en d’autres, & de même de l'opération. C’eft ce qu’on remarque à l’égard des ongles, quand ’Infeéte fe trouve entre elles & la chair des orteils, ou à leur extrémité. On en’eft moins ‘imcommodé à la plante du pied ou autres endroits où la peau eft plus groffe. H 2 éo TORRGE À U PEROU. Il y a quelques animaux à qui cet Infeéte fait une guerre opiniâtre, en- tre autres le Cerdo, qu'il attaque de telle maniere que quand il eft mort on ne trouve aux pieds de devant & de derriere que les trous que cet . Jnfeéte y a laïffés. Tout petit qu'eft cet Infeéte, on le diftingue en deux efpéces, dont l'une eft venimeufe & l’autre rm left pas. Celle-ci reffemble parfaitement aux puces quant à la couleur , & rend blanche la membrane où elle dépofe fes œufs, & eft de la même couleur que les lendes. Elle ne fait d'autre effet que de caufer la douleur, & l'ncommodité ordinaire. L’autre efpéce eft jaunâtre, & le nid qu’elle fe fat eft un peu foncé & de couleur de cen- dre. L'effet qu'elle produit eft plus extraordinaire ; car fe logeant à l’ex- trémité des orteils, elle caufe inflammation aux glandes des aînes, ac- compagnée de douleurs aigues, qui ne finiflent qu'après qu’on a tiré la Nigua. C'eft tout le reméde qu’il faut, car immédiatement après l’en- flure pafle & la douleur cefle. Ces glandes afigées font celles qui répon- dent au pied où réfide la caufe du mal. Je ne faurois trouver la véritable raifon d’un effet fi fingulier. On prétend que c’eft parce que l’Infeéte pi- que de petits mufcles qui defcerdent de ces glandes jufqu’au pied, & que ces mufcles offenfés par le venn dé la Nigua le communiquent aux glan- des, ce qui y caufe inflammation & douleur. Tout ce que je puis aflu- rer, c'eft que je l’ai éprouvé pufieurs fois, & les premieres je fus dans une grande inquiétude, jufqu’à ce qu'ayant remarqué à diverfes reprifes, que tous ces effets cefloient aufitôt que la Nigua étoit dehors, je conclus qu'elle en étoit l'unique caufe. La même chofe arriva à tous les Mem- bres de l'Académie des Sciences qui nous accompagnoient dans ce Voyas ge, & en particulier à Mr. de Fuffieu Botanifte du Roi de France, lequel lut le premier à diftinguer ces deux efpéces après avoir pañlé à diverfes fois par ces fortes d’accidens. Mais fi les hommes font expofés aux morfures des Animaux & aux pi- quures des Infeétes venimeux, les meubles des maifons, & généralement toutes les marchandifes tiflues, comme toiles de lin, étoffes de foye', d’or & d'argent, ont d’autres Infeëtes pour ennemis, lefquels ruïnent & détrui- fent tout excepté les métaux, qui réfiftent à leurs attaques. Le plus redouta. ble pour ces fortes d'effets eft «lui qu’on appelle dans le Pays Comégen, qui n'eft qu'une efpéce de tigne ou d’artufon, fi vif, & fi expéditif dans fes opé- rations, qu’en moins de rien il fit convertir en pouffiere le ballot de mar- chandife où il fe glife ; & fans en déranger la forme illa perce partout d’ou- ire en outre avec tant de fubtilté, qu'on ne s'apperçoit pas qu’il y ait tou- ché, VOYAGE AU PEROU TWPEL Ce. WI “%; ché, jufqu’a ce qu’en maniant cette marchandifé, on voit qu’au-lieu d'é coffe ou de toile, onn’aque des retailles & de la poufiere. Il faut une attention ex- trême pour prévenir ces accidens en tout terms, mais furtout lors de l’arrivée des-Gallions: car c’eft alors que ce vers deftruéteur peut faire le plus de dom- mage, vu la quantité d'effets qu'on débarque pour les magazins &les bouti- ques. On a foin de placer les ballots fur des bancs élevés d’un tiers d’au- ne de-deflus terre, & dont les pieds font enduits de goudron, qui eft le feul préfervatif qu'on ait pu trouver contre cette engeance ; car quoiqu'il per. ce le bois comme les marchandifes, il n’approche pas de celui qui eft gou- dronné. Cette précaution ne füuffroit pas pour éloigner le Comézen de ces précieux effets, fi on n’avoit le fecret de les éloigner des murailles, mo- yennant quoi il n’y a plus rien à craindre. Cet Infeéte eff fi petit que l'œil a de la peine à le difcerner; mais fon activité eft telle qu’une nuit Jui fuffic pour détruire toutes les marchandifes d’un magazin, s’il parvient à s’en rendre maître. Auffi eft-il ordinaire que quand on court les rifques du Commerce on fpécifie à l’égard des marchandifes qui vont à Carthagéne, & entre les pertes qui peuvent arriver dans cette Ville, celles que caufe le Comégen. Mais ce qu'il y a de plus étonnant en tout cela, c’eft que cet Infeéte eft f particulier à cette Ville, que Portobélo, ni fes environs, qui ont tant d’autres chofes communes avec Carthagéne, loin d'être fujets à ce fléau ne connoïflent pas même l'Infeéte, qui l'emporte fi fort fur la ti- gne & l’artafon pour la vivacité & l'aétivité. Ce que nous venons de di- re fuflira pour donner une idée de ce Pays autant qu’il convient à notre fa- jet. Car nous ne croyons pas devoir nous arrêter à ce que d’autres ont dé- ja rapporté, ni groflir cet Ouvrage de quantité d’obfervations déja publiées, & que tout le monde fait. C’eft pourquoi nous paflerons à des objets plus intéreffans, & à des particularités qui font éclater la puiflance de l’ Auteur de la Nature, ISRXTADDI NTI SATA TANA NN NTI SONT) CRI TNIN EPA SONIA PIRE) C'UAÆ Peu TP Re EVER Où il eft traité des denrées que produit le terroir de Carthagène, € de la nourriture des Habitans. Uoique le terroir de Carthagéne n’ait pas l'avantage de produire tous les fruits qui croiflent en Europe, il ne laiffle pas d'en produire d'autres qui les valent bien, & dont les Habitans fe nourriflent. Il eft H 3 Vrai ks V O TRUE À UP E R ON. 4 vrai que les Européens nouvellement arrivés ont de la peine :à s’en ac- commoder, mais avec le tems ils s’y font fi bien qu’ils en ovublient les premiers. Ce Climat eff trop humide & trop chaud pour que l'Orge, le Froment & autres femblables grains y viennent bien: mais en revanche on y re- cueille quantité de Maïz & de Ris. Un boifleau de Maïz féemé au la- bour en rend cent à la récolte, Ce Blé Indien fert non feulemment à faire le Bollo *, qui tient lieu de pain dans toutes ces Contrées, mmnais aufli à engraifler les porcs & la volaille. Le Boll de Maïz n’a aucune reffemblance avec le pain de frroment, ni pour la forme, ni pour la couleur, ni pour le goût. Il a la ffigure d’un gâteau ; il eft blanc, mais fade & infipide. La maniere de faiire le Bollo, c'eft de faire tremper le Maïz + & de l’écrafer enfuite entre detux pierres; après quoi à force de le broyer & de le changer d’eau, on vient à bout d'en féparer la peau ou goufle qui l'enveloppoit. L’ayant bien nettoyé, on le paîtrit, & puis on recommence à le moudre comme aupar:avant, En- fuite on l'enveloppe dans des feuilles de Plane ou de Vijahua, qu’on met dans des pots pleins d’eau auprès du feu pour les cuire. Etamt cuits on les retire de-là pour manger. Cette efpéce de pain ne fe conferve pas longtems, pailé 24 heures il devient pâteux & n’eft point du tout bon à manger. Dans les bonnes maïfons on paîtrit le Bollo avec du lait, & il n'en eft que meilleur; mais jamais on ne peut parvenir à le ffaire lever, parce que les liquides ne peuvent bien le pénétrer, & qu’il ne: change ja- mais fa couleur naturelle ; par conféquent il ne prend aucun goût étran- ger, & conferve toujours celui de la farine de Maïz. Outre le Bullo, il y a d’autres efpéces de pain dont les Négrres font un grand ufage: 1is lappellent Caffaue. Ce pain eft fait de racimes de Yuca, de Nagmes ,& de Manioc. La premiere chofe qu'ils font, c’eft de dépouil- ler ces racines de leur premiere peau, & enfuite de les graçger fur une grage ou rape de cuivre de quinze à dix-huit pouces de longueur. Leur fubftänce fe trouvant réduite en une farine femblable à la grofle fciure eft jettée dans de l’eau pour en ôter un fuc âcre & fort qui eft un vrai poifon. On change fouvent l’eau pour filtrer cette farine & enlever ce fuc malin ; après quoi on la fait fecher & on la paîtrit en façon de foüafle ou de gâteau rond de deux piés de long, & d'environ autanit de diamé- tre, * Sorte de gâteau ou de petits pains. Î Le Maïz ou Mahis eft le même grain qu'on nomme quelquefois Mi!,. & quelquefois Blé de Turquie, Not, du Trad, VON AGE AU PEROU Em: Cr: VIIL 6; tre, fur quuatre lignes d’épaifleur. I] les font cuire dans de petits fours fur de grandess plaques de cuivre, ou fur ume efpéce de brique. C’eft une nourriture? fort fubftantieufe, mais fade. Elle fe conferve longtems fans fe corromypze. On y trouve au bout de deux mois le même goût que le premier joouir, excepté qu’elle fe durcit. Quoiquee le Bollo & la Cafjave foient le principal aliment des Habitans, ils ne laifiéèmt pas de fe régaler de pain de froment : mais comme il faut que la farine ern vienne d’E/pagne ,on peut croire qu'il n’eft pas à bon marché, Il n’y a gere que les Européens établis à Carthagéne & quelques Créoles qui en mangernt en prenant le Cacao, ou en mangeant des confitures au çara- mel, qui ceft la feule occafon où ils ne peuvent s’en pafler. Dans tous leurs autrees repas la coutume a jetté parmi eux dés Je berceau de fi pro- fondes racines, qu’ils ne balancent pas de préférer le Bollo au pain de fro- ment, & de manger du miel avec la CafJave. Ils font: encore d’autres pâtifleries de la farine de Maïz, & en compo- fent diverss mets, aufli bons pour la fanté que le Bollo qui ne fait jamais mal à ceuxx qui y font accoutumés. Outre Iles racines dont nous venons de parler, le terroir produit beau+ coup de (Camotes, qui reflemblent fort aux Patates de Malaga pour le goût; mais d’une figure un peu différente, car elles font prefque rondes. & leur fuyperficie rabotteufe. Ils en font des conferves, & s’en fervent comme dee légumes dans leurs ragoûts. Néanmoins comme cette racine y cft fort commune, ils n’en tirent pas tout l'avantage qu’ils pourroient ; il y a appaarence que s'ils l'employoient dans la Cafave, elle auroit meilleur goût qu'éftant faite de racmes fades de foi-même. Les Cannes de fucre font en fi grande abondance dans ce Pays-là, que le miel y gperd de fon prix. Un partie du jus de ces cannes eft convertie en eau de: vie pour le mieux débiter. Au-refte elles croiflent fi promte- ment qu’on. les peut couper deux fois par an, & leur verdure variée é- gaye les ccampagnes. Il y a aufli beaucoup de Cotoniers, dont les uns font plantés & culti- vés, & cce font les meilleurs; les autres font produits par la fertilité na- turelle de: la terre. Le Coton des uns & des autres étant filé fert à faire toute fortee d'ouvrages tiflus, dont les Négres des Haciendas & les Indiens s’habillente.. Le Caccactier croît en abondance fur Jes bords de la Riviere de la Ma- delaine, 8& en d’autres lieux convenables à cet arbre. Le Cacaotier de Carthagénee eft le plus eflimé,. tant parce que le fruit en eft plus gros que celui 64 VOYAGE AU PEROU. celui des Caraques, de Maracaybo & de Guayaquil, que parce qu'il eft plus huileux. Le Cacao de Carthagéne eft peu connu en Efpagne ; celui qu'on y envoye, eft par maniere de préfens. Comme il a plus de répu- tation que le Cacao des autres lieux, il fe confume presque tout dans le diftriét de cette Ville, & dans quelques autres endroits des Indes, où il s'en fait un grand débit: ce qui eft caufe qu'on en apporte des Caraques dans l'intérieur du diftriét de Carthagéne pour fupléer à celui de la Made- laine qu'on envoye ailleurs. Il n’eft même pas mal de-mêler celui-là avec elui-ci , afin que le Chocolat foit moins huileux qu'il ne l’eft quand il n’eft fait que du Cacao de la Madelaine. Pour diftinguer celui-ci des autres on le vend par #illiers dans Carthagéne, chaque millier du poids de quatre livres. Celui des Caraques fe vend par boiffeau de 110 livres, & celui de Maracaybo de 96. Ce fruit ef le tréfor le plus für dont la Nature ait pu gratifier ce ter. roir, mais 1] n’eft pas le feul: on y voit encore quantité d’autres Arbres & Plantes, qui portent d’autres fruits non moins utiles ni moins agréa- bles, & qui font une preuve éternelle de fà fertilité. On eft ravi d’é- tonnement en voyant ces arbres produire, en toute faifon, des fruits dont les uns font femblables à ceux d’E/pagne, & les autres particuliers au Pays: ceux-là cultivés, & ceux-ci fans autre culture que la difpofition naturelle du Climat. Ceux qui reffemblent aux fruits d'E/pagne, font les Melons, les 4n- guries *, qu'on nomme dans le Pays Patilles, les Raifins de treïlle, les O- ranges, les Nefles, les Dates. Les Raïfins n’ont pas fi bon goût que ceux d'E/pagne; mais les Nefles y font beaucoup plus délicates, & fi douces qu’elles en font un peu fades. Les autres n’ont point de différence remarquable, mais leur faveur parvient à un grand point de perfeétion. Parmi ceux qui font particuliers au Pays, la Pomme-de-Pin mérite le pre- mier rang. On la nomme communément la Reine des Fruits, tant à caufe de fa beauté que de fon odeur & de fon bon goût. Lesautres font les Papayes, les Guanabanes, les Gouyaves, les Sapotes, les Maméis, les Platanes, les Cocos, & quantité d’autres qu’il feroit ennuyeux de rapporter. Il fuffira de dire que ce font-là les principaux. La Pomme-de-Pin où Pigna Ÿ, que les Efpagnols nommerent ainfi à cau- fe de la reflemblance que ce fruit a avec ce.qu’on nomme Pomme-de-Pin en Europe, naît d’une Plante qui refflemble beaucoup à l'Aloës, excepté que les feuilles de celle-là ne font pas fi grandes que celles de l'Aloés, ni fi épais- * Sorte de Melons d'eau, f On la nomme plus ordinairement Ananas. VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cm VIIL r« 3 épaifles. Elles s'étendent toutes prefqu'horizontalement près de tetre, jus- qu’à ce qu'a mefure qu’elles diminuent elles fe déployent moins. La hau- teur de la Plante ne pañle guere trois piés. Elle fe termine par une efpéce de fleur de Lys en maniere de couronne, & d’un cramoifi éblouiffant. Du centre de cette fleur on voit fortir la Pigna, de la grofleur d’une noix au commencement, & à mefure qu'elle croît, la fleur perd l’éclat de fa cou- leur, & fes feuilles s’élargiflent pour faire place au fruit, & lui fervir de bafe & d'ornement. Au haut de la Pigna même eft une autre fleur en forme de couronne, dont les feuilles reflemblent à celles de la Plante , & font d’un verd fort vif. Cette fleur croît avec le fruit, jufqu'à ce que l’une & l’au- tre foient parvenues à leur dernier degré d’accroiffement; jufques-là elles different peu pour la couleur, Dès que le fruit ceffe de croître, il com- mence à mûrir, &a changer fa couleur verte en une couleur de paille claire. À mefure que la couleur devient plus pâle le fruit répand-une odeur fi fuave qu'il n’eft pas difficile de le trouver, quoiqu'il foit couvert de plu- fieurs branches. Pendant qu’il croît il fe garnit d’épines médiocrement for- tes, qui partent de toutes les extrémités des côtes qui forment fon écorce. Mais à mefure qu’il mûrit ces épines fe defléchent, & perdent leur con- fiftance, comme fi elles craignoïent de nuire à celui qui doit cueillir le fruit, Toutes les fingularités qu’on obferve dans cette produétion de la Nature, ne font pas un petit motif d'admirer la fagefle du Créateur, pour peu qu’on les confidere avec attention. En effet la fleur qui fert de couronne à la Pigna pendant qu’elle croît dans les Forêts, devient une nouvelle Flante étant femée, tandis que celle qui lui a fervi de tige fe defféche auffitôc que l'on coupe le fruit, comme pour marquer qu’elle n’eft plus bonne à rien. Outre la Plante que le rejetton de la Pigna peut produire, les raci- nes Continuent à en poufler de nouvelles, ce qui achéve d'en multi- plier l’efpéce. La Pigna conferve toujours fon agréable odeur, après avoir été féparée de la Plante, jufqu’à ce qu'après un aflez long efpace elle commence à fe pourrir. L’odeur qu'elle répand eft fi confidérable, que non feulement on s’en apperçoit dans la chambre où eft le fruit, mais que même elle péné- tre dans les appartemens voifins. La Pigna a cinq à fept pouces de lon- gueur, fur trois à quatre de diamétre à fa bafe, d’où elle va en diminuant jufqu'a l'extrémité oppofée. Pour la manger on la péle, & on la coupe en rouëlles. Elle eft fi pleine de fuc qu’en la mâchant elle fe réduit toute en fubftance liquide. Elle a un goût de douceur, mêlé d’acide fort agréa- ble. Son écorce infufée dans de l’eau , après avoir fermenté, fait une bois- Tome I. I fon 66 VOYAGE AU PEROU. fon fort rafraichiffante & fort bonne, qui conferve toujours les proprié. tés du fruit. Tous les autres fruits de ce terroir font auffi eftimables que celui-là dans leur efpéce. Quelques-uns ont le même avantage de répandre une odeur agréable comme la Gouayave, qui eft outre cela peétorale & aftringente. Les Fruits les plus communs & les plus abondans de tous font les Planes ou Platanes, fi connus en Europe, finon pour la figure & le goût, du-moins quantaunom. Îlyena de trois efpéces, les Bananes, qui font ies plus “gros & qui ont environ un pied de long. Il s’en fait une grande confom- mation, car outre qu'on les mange en guife de pain, on les mét encore à toutes les fauces. Le noyau en eft dur & la chair aufli, mais elle n’eft point malfaifante. La feconde efpéce eft les Dominicos, qui ne font ni fi longs ni fi gros que les Bananes, mais qui font d’un goût fupérieur. On les mange comme les premiers. Les Guinéos font la troifiéme efpéce, plus petits que les précédens; mais de beaucoup meilleur goût , quoique moins convenables à la fanté, au dire des gens du Pays, qui prétendent qu’ils échaufent beaucoup. Leur lon- gueur eft d'ordinaire de quatre pouces. Quand ils font murs, leur écorce eft jaunâtre, plus luifante & plus unie que celle des autres, & leur noyau eft auffi bon & auffi délicat que la chair. Les gens du Pays ont coutume de boire de l’eau après avoir mangé de ce fruit: mais les équipages des Vaiffeaux d'Europe, gens qui ménagent peu leur fanté, & qui boivent de l’eau-de-vie avec tout ce qu'ils mangent, ne manquent pas, en ufant de ce fruit, d’en boire avec le même excès qu'ils ont accoutumé en toute autre occafion, d’où réfultent en partie les maladies dont ils font accablés dans ce Pays, & les morts fubites, qui à la vérité ont un peu étonné ceux qui fe portoient bien, fans leur infpirer néanmoins la pratique de la fobriété. Selon que nous l'avons éprouvé, ce n’eft pas la qualité de l’eau- de-vie qui fait le mal, c’eft la quantité. En effet quelques perfonnes de notre Compagnie effayerent de boire modérément de cette liqueur après avoir mangé de ce fruit; ils réitérerent plufieurs fois cette épreuve, & ne s'en trouverent pas plus mal. Entre plufieurs manieres d’apprêter les Guinéos, celle qui nous a paru une des meilleures, c’eft de les faire rôtir dans leur écorce fur de la braife, & de les mettre enfüuite dansun peu d’eau- de-vie & de fucre pour les faire renfler. C’eft ainfi qu’on en fervoit tous les jours à notre table, & les Créoles mêmes les trouvoient très-bons. Les Papayes ont fix à huit pouces de long, & reffemblent aux limons, Elles font plus groffes à un bout qu'à l’autre. Leur écorce refte toujours VETLC, VOYAGE AU PEROU. Iuv. I. Cu. VIT. 6 verte. Leur chair eft blanche, pleine de jus, un peu filaffleufe & d'un goût acide, fans être piquant. C’eft un Arbre qui produit ce fruit, & non pas une Plante, comme celle qui produit la Pomme-de-pin & le P/a- tane. Ceux dont nous allons parler croîflent auffi fur des arbres. La Guanabane reflemble beaucoup au melon, finon que fon écorce eft plus life, & verdâtre. Sa chair eft un peu jaune, comme celle de cer- tains melons, & leur reffemble affez pour le goût; mais ce qui met de la différence entre ces deux fruits, c’eft que la Guanabane a une odeur un peu rebutante. Le pepin qu’elle renferme, eft rond, obfcur, luifant, & a environ deux lignes de diamétre. Il eft compofé d’une petite peau fort mince & tranfparente, & d’une moëlle un peu ferme & pleine de jus. L’o- deur de cette femence eft plus forte que celle du fruit, & incomparable- ment plus fade. Ceux du Pays prétendent qu'en mangeant cette femence on n’a rien à craindre du fruit, qui, felon eux, eft pefant & indigefte: mais quoique la femence n’ait point mauvais goût, elle rebute & affadit par fon odeur. Les Sapotes font ronds, d'environ deux pouces de circonférence. L’é- corce en eft fort mince & fe détache facilement du fruit. Elle eft brunà- tre, nuancée de rouge. La chair eft de couleur de feu, peu vineufe, s’at- tachant au palais, fibrenfe & folide. Ce n’eft pas un fruit délicat, mais il a aflez bon goût. Elle renferme deux ou trois pepins & même davan- tage, lesquels font durs & oblongs. Quant à la couleur les Maméis ne different des Sapotes, que parce qu'ils font d’un brun plus clair. D'ailleurs leur écorce ne fe fépare pas fi aife- ment de la chair, à moins qu’on ne la péle avec un couteau. Ce fruit reffemble beaucoup au Brugnon. Il a feulement une couleur un peu plus vive, la chair un peu plus ferme, & un peu moins de jus. Le noyau eft proportionné à la groffeur du fruit, lequel a entre trois à quatre pouces de diamétre, de figure prefque circulaire, mais irréguliere. Le noyau a un pouce & demi de long fur un de large en fon milieu, rond dans cette partie quoique long dans le total. Sa fuperficie extérieure eft life, de couleur brunâtre, excepté d’un côté où elle eft traverfée verticalement par une bande blanchâtre en façon de côte de melon; & cette bande n'a ni la dureté ni le poli du refte de l’écorce du noyau, qui femble être cou- vert en cet endroit, & un peu raboteux. Le Coco eft un fruit fort commun & peu eftifhé. Tout l’ufage qu'on en fait, c'eft d’en boire le fuc, pendant qu'il eft en lait, & avant qu'il com- mence à fe cailler. Alors il eft plein d’une liqueur blanchâtre, aufli liqui- | 12 de 63 VOYAGE :À U PE RO. de que l’eau naturelle, de très-bon goût & rafraïchiffante. L’écale qui couvre la Noix de Coco eft verte en dehors & blanche en dedans, pleine de fibres qui la traverfent en long & qui ont de la confiftance. On la fépare faci- lement avec un couteau. Le Coco eft auffi blanchâtre, quand il eft à ce point dont nous avons parlé, & eft d’ailleurs aflez tendre; mais àa-mefu- re que fa chair prend de la confiftance & qu’elle devient plus ferme, elle change la couleur verte de fon écale en jaune. Celle-ci féche auffitôt.que le dedans eft parvenu à fa perfeétion ou maturité; & elle prend alors une couleur brune, devient filaffleufe & fi ferrée qu'on a de la peine à l'ouvrir, & à la féparer du Coco auquel font unis quelques fibres de l’écale. De la chair de ces Cocos on tire un lait comme celui d'amande, & on fe fert de celui-là plutôt que de celui-ci pour. apprêter le ris. Bien que les Limons foient rares dans cette Ville, s'entend ceux qu’on voit ordinairement en Europe, & que l'on cueille en fi grande abondance en quelques Contrées d'E/pagne, il y en a.une.fi grande quantité d’une autre efpéce qu'ils appellent Sutiles ou Seutiles , que fans foin ni culture les campagnes font couvertes des arbres qui les produifent.. Le fruit & l’ar- bre font beaucoup plus petits que ceux d'ÆE/pagne. Ce dernier n’a pas plus de huit ou dix pieds de haut, ce qui fait à peu près trois aunes. Dès le pied ou peu au-deflous il fe divife en diverfes branches, qui en s'étendant forment une houpe fort agréable; fes feuilles, d’ailleurs femblables à cel- les des Citroniers, font plus petites & fort liffes. Le fruit n’eft pas plus gros qu'un œuf ordinaire, l'écorce en eft fort déliée & fort fine. Il contient plus de jus à proportion de fa groffeur que les Citrons d'Europe, & il eft infiniment plus acide & plus piquant, ce qui fait aufi que les Médecins d'Europe ne le croient pas bon pour la fanté, quoiqu’on s’y -accoutume dans le Pays fans fcrupule. On l’employe dans toutes les fauces, fans qu'on s'apperçoive d'aucun mauvais effet. Une chofe particuliere qu'on remar- que en cette Ville à l’égard de ces Limons, C’eft que les Habitans ayent cette idée, qu'il ne faut mettre la viande près du feu que trois quarts d'heure, ou une heure avant le repas. Suivant cette opinion ils ne met- tent jamais de l’eau au pot avec la viande fans y exprimer en même tems le jus de trois ou quatre de ces Limons plus ou: moins, felon la quantité de viande; par ce moyen la viande s’amollit & fe cuit fi bien, qu’elle eft en état d'être fervie au bout de ce court efpace. Ces gens-là font fi accou- tumés à cette facilité d’apprêter leurs viandes, qu’ils fe moquent des Eu- ropéens, qui employent toute une matinée pour faire une chofe. qui leur Coute fi peu de tems. Les VON#AGE AU PEROU. ‘Er: L'OCnH'VIII. 69 Les Tamarins ne font rien moins que rares dans les campagnes de Car- thagéne. C’eft un grand arbre, fort toufu. Ses feuilles font d’un verd foncé. Il poufle des coffes de médiocre grandeur, & plattes, au dedans desquelles eft une moëlle de couleur brune, mielleufe & filafleufe. Ils donnent à ces cofles le même nom qu’à l'arbre. Au milieu de Ja coffe eft un pepin, ou noyau dur aplati par les bords, & de fix à huit lignes de long, fur deux ou trois de large. Le goût en eft aigredoux, mais l'acide y domine. On ne s’en fert que pour le diffoudre dans de l'eau dont on fait une boiffon qui rafraïchit le fang; mais il en faut boire modérément, & rarement, parce que fon acide & fa qualité froide affoibliffent & gà- tent l’eftomac. Un autre fruit qu'ils appellent Mani eft fort différent de celui-là, ca il eft exceflivement chaud, & par-la même fort malfain dans un pareil Climat. Ce fruit reffemble aux pignons. Il le font rôtir pour le manger, ou ils le confiffent. Les fruits que le terroir ne produit pas font, outre le Froment, l’Orge & femblables grains dont nous avons déja parlé , les Raïfins de Vigne, les Amandes, les Olives, & par. conféquent ils ne recueillent. ni Vins, ni Huiles, ni Raïfins, qui font des Marchandifes qu’il faut qu'ils tirent d’Eu- rope, & qui pour cette raifon font rares & cheres; & il y a même des tems où elles manquent abfolument. Quand cela-arrive à l'égard du vin, c’eft un grand mal pour la fanté de bien des gens; car-ceux qui ne boi- vent point d’eau-de-vie à leurs repas oftdinaires, étant accoutumés à boire du vin, ce qui comprend prefque tous les Habitans excepté les Négres, la privation de cette liqueur caufe une révolution dans leur tempérament. Leur eftomac n’ayant plus la même activité pour la digeftion fe dérange & s’affoiblit, d'où naiflent enfuite des maladies épidémiques qui affligent toute la Ville. C’eft le cas où elle fe trouvoit à notre arrivée. Le vin y étoit alors fi rare qu’on.n’y difoit la Mefle que dans une feule Eglife. Quand l'Huile manque, on ne s’en apperçoit gueres, vu qu’ils apprê- tent tous leurs mêts chair ou poiflon avec le faindoux ou graifle de Co- chon, dont ils ont grande abondance, deforte qu’ils en employent une partie à fre du favon, qui eft fort bon, & point cher pour le Pays. Ils font des chandelles de füuif pour éclairer la nuit. Aïnfi le feul ufage qu’ils faffent de l'huile c’eft dans les falades. On peut juger avec quelle profufion les tables font fervies dans un Pays qui abonde en viandes, fruits & poiflons. Je parle des maifons dediftinétion ES où 10 VOYAGEMU PEROU. où l'on fe pique de vivre fomptueufement. La plupart des mêts accôm- modés à la maniere du Pays ne different pas peu de ceux d'E/pagne. Ce- pendant ils en favent apprêter quelques-uns fi délicatement, qu'elles ne font pas moins agréables aux Etrangers qu'a ceux du: Pays même qui font les plus accoutumés à s’en régaler. L’Ægi-aco eft un de leurs mêts favoris, & il eft rare qu’il manque à une table; il eft compofé de divers ingrédiens qui fuffiroient pour en faire un excellent ragoût. Il y entre de la friture de Porc, des Oifeaux, des Platanes, de la pâte. de Maïz, & autres in- grédiens auxquels on ajoûte le Piment, ou Agi, comme ils l'appellent, pour y donner le haut-goût. Les Habitans de Carthagéne font réglément deux repas par jour, & un troifiéme plus léger. Le premier fe fait le matin & confite en quelque friture, & pâtiflerie feuilletée faite de pâte de Maïz, ou autres chofes femblables, qui font fuivies du chocolat. Le fecond fe fat à midi avec plus d’apparat ; & le troifiéme eft le repas du foir, qui nt proprement qu'une colation.confiftant en confitures & chocolat. Quoique plufieurs familles foupent, formellement comme on fait en Europe, ils ne laïflent pas de dire communément, que les foupés font pernicieux à Carthagéne: mais pour nous, nous ne remarquâmes rien de femblable, & en tout cas le mal fera dans l'excès & non dans la chofe même. Dobobobobobobebupobubuoouopubpebobobo ob uuuv upon umo up ul EE) ARR © CO 298 0e A EEE C0 AUS D Du Commerce de Carthagéne après l'arrivée des Gallions, € autres VailJeaux venans d'Efpagne. Du Commerce qu'elle fait des Maïchandifes €? Fruits de fon cru avec les autres Contrées des Indes. A Baye de Carthagéne des Indes eft la premiere échelle où fe rendent les Gallions qui viennent d'Efpagne, & par conféquent elle jouit des prémices du Commerce par les ventes qui s’y font. Ces ventes, quoi- que dépouillées des formalités qu’on obferve à la Foire de Portobélo, ne laiffent pas d’être confidérables. Les Négocians des Provinces intérieu- res, comme Santa-Fé, Popayan, & Quito, y apportent leurs fonds pro- pres & ceux qu’on leur a confiés por Encomienda, c'eft-à-dire, pour des Commiffions , lesquels fonds ils employent à des marchandifes, & à des provifions. Les deux premieres Provinces, Santa-Fé & Fopayan, ne peu- vent recevoir les unes ni les autres que par la voye de Cérthagéne. C'eft pour- VOYAGE AU PEROU. Lav. I. Cn. IX. 71 pourquoi les Marchands partent de ces Provinces & viennent dans cette Ville avec de l'argent & de l'or monnoyé, en lingots & en poudre, & avec des Emeraudes, qui font les pierreries les plus eftimées de ces Pays, dans lefquels, outre les Mines d’Argent qu’on exploite à Samta-Fé, & qui s’'augmentent tous les jours par de nouvelles découvertes , il y ena d’antres qui produii les plus belles Emeraudes qu'on puifle voir. À la vérité ces Pierreries ont beaucoup perdu de leur prix en Europe & furtout en E/pa- gne, où l’on n’en fait plus grand cas; ce qui a fait diminuer le falaire des Ouvriers & déchoir ce Commerce, qui étoit autrefois fort confidérable. Les unes & les autres produifent beaucoup d’or que l'on tire à Choco, & qui paye le quint au Roi dans le Bureau établi en cette Capitale. = Ce Commerce fut défendu pendant quelques années aux preflantes fol- licitations des Négocians de Lima, qui fe plaignirent qu’ils recevoient un grand préjudice de ce que les Marchandifes d'Europe paffant de Quito dans le Pérou, les Marchands de ce Royaume s’en fournifloient par cette voye, pendant qu'eux Négocians de Lima étoient occupés à faire leurs achats aux Foires de Panama & de Portobélo, & trouvoient à leur retour le prix des Marchandifes fort baïflé, ce qui leur caufoit des pertes infinies. On eut alors égard à leurs repréfentations. . Mais dans la fuite on fit réflexion que de défendre aux Marchands de Quito & autres, l'achat des Marchan- difes à Carthagène auffitôt que les Gallions arrivent, c'étoit leur caufer un retardement très-onéreux & préjudiable. C’eft pourquoi il fut décidé, pour contenter les uns fans préjudicier aux autres, que du moment qu’on publieroit dans ces Provinces l’arrivée des Gallions à Carthagéne, tout Commerce de Marchandifes d'Europe cefleroit entre Quito & Lima, & que les bornes des deux Audiences feroient celles du Commerce de chacu- ne; c'elt-à-dire, que celui de Quito ne s’étendroit pas au-delà de la lifiere du Corrégiment où Senechauflée de Loja & de Zamore , qui appartiennent à Ï ” AbÉanet Royale de Quito; & que Piura, qui eft un Corrégiment de l’Au- dience de Lima, feroit le terme du Commerce de cette Capitale du Pérou. Par cet expédient on parv int au but que l’on fe propofoit. Ce réglement fut exécuté pour la premiere fois en 1730 à l'arrivée de l'E moe com- mandée par le Lieutenant-Général Don Pt Lopez Pintado, que le Roi avoit chargé de rétablir le Commerce de Carthagéne s’il trouvoit que le nouveau réglement remplit les deux objets qui RÉTEARe occafionné, & qu'on ne pût trouver aucun expédient plus commode pour accommoder les parties; mais celui-là fut feul employé, & l’on trouva que non feule- ment 1l remplifloit l'objet principal, mais auffi qu'il procuroit un autre k] V an 1= »2 V O Ÿ AGE AU PEROU. L avantage, puifque pendant le féjour que les Gallions font.1 Carthagéne , les Cargadores * n’y reftent pas fans rien faire, & trouvent bien à fe dédom- mager des fraix qu’ils y font, par les ventes de leurs marchandifes. Pendant que la défenfe fübfiftoit les Marchands de Crrthagéne étoient ou obligés de profiter de la Flottille du Pérou pour defcendre par Guayaquil à Panama, ou d'attendre, pour faire leurs emplettes, que la Foire étant finie, les Gallions revinflent à Carthagéne, ce qui les réduifoit à acheter Je rebut des autres. La premiere voye.ne leur étoit pa; moins préjudi- ciable, puisqu'avant d'arriver à Guayaquil, pour joindre a Flottille du Pé- rou , il leur faloit traverfer toute la jurisdiétion de Santa-Fé, & faire par terre, avec l'argent deftiné aux emplettes, un voyage de plus quatre cens lieues, & autant en revenant avec leurs. marchandifes; ce qui les confti- tuoit en des fraix.immenfes. Enfin les avaries f inévitabes dans un voya- ge de fi long cours, où il falloit traverfer des Rivieres & des Montagnes, &expofer leurs marchandifes à mille accidens, rendoient cette voye fi im- praticable, qu’il ne leur reftoit d’autre reflource que dans les Gallions qui revenoient de la Foire, au hazard encore de n’en rapporter rien, ou du- moins trop peu de chofe pour pouvoir fatisfaire à toutes leurs emplettes ; fans compter que les Marchands des Provinces intérieures venant à Car- thagéne pour faire des achats, rifquoient de n’y pas trouver de quoi fe pourvoir, : & de s’en retourner avec leur argent fans avoir fait autre cho- fe que des fraix: autant d’inconvéniens qui ont fait æbolir la défenfe, & régler les chofes fur le pied avantageux où elles font. A l’occafion de la petite Foire, qu'il me foit permis d’appeller ainfi le Commerce qui fe fait à Carthagéne, on voit quantité de boutiques pleines de marchandifes, dont le profit eft en partie pour les Efpagnols venus fur les Gallions & recommandés aux Cargadores où Affociés avec eux, & l'au- tre partie pour les Marchands de la Ville. Les Cargadores favorifent ceux- là en leur livrant la marchandife, pour cultiver leur nouvelle pratique, & ceux-ci en qualité d'anciens chalands. lis fourniffent les boutiques des uns & des autres à mefure qu'ils vendent, & les aflortiflent de tout ce qu'il faut. Pendant ce tems-là tout le monde gagne. Les uns donnent des chambres & des boutiques à louage: les autres font les ouvrages qu'on leur commande, chacun felon fa profeffion: & d’autres enfin profitent du travail de leurs N égres & Négrefles Efclaves, dont le falaire eft d’au- tant plus fort qu'il y a plus d'ouvrage à faire. L'argent circule alors de tous * Ceux qui ont chargé des Marchandifes d'Europe pour les Indes, + Dommages qu’un Marchand fouffre dans fon Commerce. VOYAGE AU ‘PEROU. Liv. IL. Cx IX. 73 tous côtés, & chacunen a fa part ; de maniere que tous ont, non feulement de quoi acheter pour fe vêtir jufqu’à Farrivée d’une autre Efcadre, mais aufli quelque chofe de refte. Aufli voit-on dans ces occafions des Efcla- ves acheter leur liberté de l'argent qu’ils ont amaflé après avoir payé leurs journées à leurs Maîtres, & acheté ce qui leur étoit néceffaire. Ces avantages s'étendent jufqu'aux Villages, aux Eflancias, & aux plus miférables Chacarès de cette jurisdiétion ; par la raifon que l’a- bord des Etrangers augmente la confommation des denrées, & les ren- chérit, ce quieft avantageux pour ceux dont la condition eft de les culti- ver & de les vendre. Tout ce fracis de Commerce ne dure qu’autant que les Gallions féjournent dans la Baye. Après leur départ tout rentre dans le filence & dans fa premiere tranquillité. Les Citoyens appellent cela , le tems mort. Le Commerce particulier que la Ville de Carthagéne fait dans ce tems mort avec les Peuples des autres Gouvernemens, eft fi peu de chofe, qu’il ne mérite pas qu’on y fafle attention. La meilleure partie de ce Commerce fe fait par quelques Balandres, qui viennent de la Trinité, de la Havane, de St. Domingue chargées de Tabac en corde & en poudre & de Sucre, & qui après s’en être défaits s’en retournent avec une Cargaïfon de Ca- cao de la Madelaine, des Vafes de terre, du Ris, & d’autres marchandi- fes femblables qui font rares dans ces Iles. Mais fouvent on eft des deux ou trois mois fans voir un de ces Bâtimens. Il en eft de-même à l’égard de ceux qui vont de Carthagéne à Nicaragua, la Vera-Cruz, Honduras & autres lieux. Ils vont un peu plus fouvent à Portobélo, à Chayre, ou à Santa Marta.. La raïfon de la foibleffe de ce Commerce eft que prefque tous ces lieux font pourvus des mêmes denrées, & par conféquent on n’a pas occafon de trafiquer avec eux. Ce qui foutient Carthagéne en tiempo muerto , où au tems mort, Ce font les Bourgades de fa jurisdiétion, d’où l’on y apporte tout ce qui eft néceffaire à la nourriture & à l'entretien de fes Habitans, comme Maïz, Ris, Coton, Cochems en vie, Tabou, Platanes, Oïfeaux, Caffave, Sucre, Miel & Cacao. La plus grande partie de ces denrées eft apportée dans des Canots, & des Champanes , forte de Batteaux propres à naviguer fur les Rivieres. Les premiers côtoyent toujours le rivage de la Mer, & les feconds viennent par la Riviere de la Madelaine , ou par celle de Sinu. En échange de ces denrées ils fe chargent de quelques Mar- chandifes pour des habillemens dont les boutiques & les magazins des Négocians font pourvues par les Gallions, quelquefois par quelque prife Tome JT. K fai- v4 VOYAGE AU PEROU faite fur la côte par quelque Corfaire E/pagnol, ou par des Bâtimens par ticuliers armés par les Habitans. iEcA Tout ce qui eft pour manger ne paye aucun droit au Roi. * Cha- cun tue dans fa maifon les Cochons qu'il croit pouvoir vendre ce : cb. car la chair de cet animal ne fe mange point falée à UN En & ‘ chaleurs ne permettent pas de la garder longtems fraîche. ei de qu’on apporte d’E/pagne font l'Eau-de-vie, le Vin, l'Huile, les ARE les Raïfins fecs, qui payent des droits d'entrée, & fe vendent enfui- te librement. Ceux qui les débitent en détail, font obligés de payer V Alcavale * pour leur échope & boutiques. Ex Outre ces Marchandifes qui font aller ce petit Commerce inté- rieur, il y a un Bureau des Finances du Roi pour l'4fiento des Négres Efclaves queles Vaifleaux apportent dans cette Ville, où ils reftent com- me en dépôt, jufqu'à ce qu’on les faffe pafler dans les Provinces inté- rieures pour y être vendus à ceux qui en ont befoin pour travailler aux Haciendas ; car généralement on employe les Négres à cette forte d’ou- vrage. L’Affiento fait un objet pour le Commerce de Carthagéne, mais un objet peu confidérable. Les Bureaux des Finances Royales établis dans cette Ville ne produifent pas afez pour l'entretien du Gouverneur, de la Garnifon, & des autres Officiers du Roï; on y fuplée par les Bureaux de Santa Fé & de Quito, au moyen de quoi on trouve les fommes néces- faires pour le payement de ces perfonnes, & pour l'entretien des Fortifica- tions, de l’Artillerie, &autres dépenfes néceflaires à la fureté de cette Place. ® Impôt fux les Marchandifes, & autres Effets. LIVRE VOYAGE AU PEROU. Liv. IL CHI y LIVR.£S SE CO N D. Voyage de Carthagéme au Royaume de Tierra Firme, & | à la Ville de Portobélo. | CCC CO CO DT OL MU NU UT SN RS. HO Lo one Départ de Carthagéne pour Portobélo. Vents alifés ou généraux qui régnent Jur ces côtes.” Avis Jur les courans € Jur le tems qu'ils arrivent. Es que le Vaifleau François eut achevé dé faire fes provifions, & qu'il fe trouva prêt à remettre à la voile , nous paffà- mes fur fon bord avec notre bagage le 24. de Novembre de la même année 1735, & le jour fuivant 25. nous levâmes l'ancre: Après quatre jours de navigation, c’eft-à-dire, le 29. du même mois à 5{. du foir notre Vaifleau donna fond par 18. brafles d’eau à l'entrée du Port de Portobélo; le Château de Todofierro étant au Nord-Eft par les 4 deg. Nord & la pointe Méridionale du Port à l'Eft : N. E. Ja Longitude entre Carthagéne & Punta de Nave fut trouvée de4 deg. 24 min. Nous avions couru par O. N. O. & O. quart N. O. jufqu’à ce qu’on obferva que le Vaifleau étoit par les rx deg. de Latitude; alors nous por- tâmes à l'Oueft, maïs nous trouvant par les 3. deg. ro min. de longitu- de. Depuis la détermination de Carthagéne, nous revirâmes au Sud-Oueft & Sud quart Sud-Oueft, & continuant par Cerumb, nous découvrimesle 29. à 5:. du matin Punta de Nave, que nous laiffâmes toujours au Sud, étant obligés de faire des bordées pour entrer dans le Port. Nous eûmes des vents frais durant la traverfée, les deux premiers jours par Nord quart Nord-Eft, & les-autres jours par Nord-Eft jufqu’au moment que nous découvrimes la Terre; pendant tout ce tems la Mer fut un peu mâle ou agitée; mais dés que nous eûmes découvert Punta de Nave, le vent tomba, & nous n’eûmes plus qu'un vent de terre qui nous empêchoit d'aborder, ce qui fut caufe que le Vaifleau ne put éntrer ce jour-là au Port. Le jour füivant 30. il fut toujours contraire, defofte qu'on fut obligé d'employer les rames & la touée pour avancer, & par ce moyen nous entrâmes dans le Port, d’où nous débarquâmes tous a- vec nos Bagages & les Inftrumens néceflaires pour commencer nos obfer: K 2 va- Al 76 VOYAGE AU PEROU. vations. C’eft ici le lieu de parler des Vents quirégnent dans cette traver- fée & fur cette côte comme fur celle de Carthagéne, c'eft ce que je vais: faire dans les paragrafes fuivans. Il régne deux fortes de Vents alifés fur ces côtes, les-uns appellés Br fes, les autres Wendavales. Les premiers fouflent par le Nord-Eft, & les autres par Oueft-Sud & Oueft-Sud-Oueft. Ceux-là commencent à fe fai- re fentir au milieu de Novembre, quoiqu'ils ne foient bien réglés qu’au: commencement ou au milieu de Décembre, qui eft ce qu’on appelle en ce Pays-là l'Eté. Ils continuent dansleur plus grande force & fans varier jufqu’au milieu de Mai. Alors ils ceflent, & ceux-ci leur fuccédent, a: vec cette obfervation, que les Vendavales ne fe font fentir que jufqu’à la hauteur de 12. ou 12. & :. deg. de Latitude; car au-delà de cette diftan- ce les Brifes régnent conftamment, & fraîchiffent quelquefois plus, quel: quefois moins, fe tournant tantôt à l'Eft & tantôt au Nord. Pendant que les F’andavales durent, il furvient de gros tems mêlés de pluye, mais cela n’eft pas de durée; & dès qu'il ceffe le calme fuccéde. pour quelque tems, peu à peu le vent fe léve, fur-tout lorfqu’on eft près de terre, où il eft plus régulier. La même chofe arrive à la fin d'O&obre. & au commencement de Novembre, les vents n'étant pas alors encore bien réglés, ni bien établis. . Pendant que les Bries régnent, les Courans portent depuis r2. jus-- qu'a 12. & :. deg. par l’'Oueft, mais d'ordinaire avec moins de force dans les conjonétions * de la Lune que dans fes oppoñitions. Communé-- ment au-delà de cette hauteur ils portent au Nord-Oueft, ce qui pour-- tant ne doit s'entendre qu'avec reftriétion; car près de quelques Iles. & de quelques Bafles, leur cours eft irrégulier, parce qu'ils en-. trent quelquefois dans la Mer par le canal de leurs lits, quelquefois elles font poufiées dehors par ja rencontre d’autres, & tout cela provient des, différens tours & détours qu’elles font, & de la difpofition-des côtes. C'eft pourquoi dans tous ces courans il eft néceffaire de naviguer avec précaution, & de ne pas fe fier entiérement aux notices générales; car bien qu'elles foient fondées fur l'expérience des Pilotes pratiques qui ont fait ces trajets fur toute forte de Bâtimens grands &. petits, pendant vingt & trente ans, & qui par conféquent devroient être parfaitement anftruits fur ce fujet, ileft toujours certain que cette expérience eft in- fuff- La Conjon&ion et le premier afpe&t d’un Aftre. Tous les mois la Lune eft en con- jenétion avec le Soleil N, p. T. VOYAGE AUPEROU: Liv. I. CH IL 77 fufifante, puifque les Pilotes*avouent eux-mêmes qu’il y a des endroits où les Courans font fort irréguliers, tels que ceux dont nous avons parlé. Quand Iles Brifes commencent à foibhr, ce qui arrive dans le mois d’4- vril, les courans portent à l'Eft jufqu’à 8, ro, & 12 lieues de diftance de la côte, & fe maïntiennent dans un cours égal tant que durent les Zen- davales. Pour éviter cet inconvénient & celui des vents contraires qui fouflent de terre dans cette faifon dans le trajet de Carthagéne à Portobélo, il n'y a qu’à naviguer par les 12 ou 13 degrés, ou même davantage pr loccafion, moyennant quoi les Navifes n’ont rien à craindre, & l’on ft affuré du f uccès du trajet. Pendant que les Bri/es font dans leur force, les eaux entrent avec im- pétuofité dans le Golphe de Darien, & au-contraire pendant les Y’enda- vales fortent au-dehors. La raïfon de ce fecond changement vient, de ce que quantité de Fleuves groflis par les pluyes ordinaires dans cette fai- fon, en: fe déchargeant dans ce Golphe, refoulent fes eaux & les font regorger par la force de leurs courans & par l’accroiffement de leurs eaux; mais pendant les. Brifes le tribut qu'ils apportent au Golphe étant peu Con- fidérable, rien n'empêche qu’ils n’entrent dans ce même Golphe, & qu'ils me continuent à fortir par les finuofités des côtes. GMA Tir ER ED. LE Defcription de la. Ville de Saint Philippe de Portobélo. À Ville de Saint Philippe de Portobélo eft fituée, felon nos obferva- tions, par les 9 degr. 54 min. 35 fec. de Latitude Boréale, & par Rs 277 degr. so min. de Longitude , felon les obfervations du P. Feuil- lée, en prenant pour premier Méridien celui de Paris, ou à 296 degr. 41 min. en prenant celui du Pic de Ténériffe. Xe Port de Portobélo fut découvert en 1502. le 2. Novembre, par l'Amiral Chriftofie Colomb, qui le trouva fi bon & fi commode qu’il lé-momma Beauport, ou Portobélo. Con- tinuant fés découvertes il'arriva à celui qu’il nomma de Baftimentos, où fut dépuis fondée en 1510 par Diego de Niqueza la Ville de Nombre de Dios, ainfi appellée parce que le Commandant en abordant dit à fés gens qu’il falloit s’établir-là au Nom de Dieu, cé qui fut exécuté. Il arriva quelques incidens qui retarderent lés progrès de cette fondation : les Indiens de Da- rién ruinerent cette Ville naïffante; il falut la repeupler de nouveau quel: K 9 ques 8 VOYAGE AU PEROU. ques années après. Elle fe maintint jufqu'en 1584. que Je Roi Philippe IT. ordonna qu’on l’abandonnât, & que les Habitans allaffent peupler Porto- bel. Ce qui fut exécuté par Don Inigo de la Mota Fermandez, Préfident de Panama., On confidéra dans ce changement , que le Port de Portobé. lo étoit meilleur-que l’autre, &qu'il paroifloit mieux fitué pour le Commer- ce. Portobélo fut faccagé par Fean Morgan, fameux Pirate qui infefta ces Mers-là. Il fe contenta de la piller, & en partit fans détruire une feu- le maïfon. La Ville de Portobél eft fituée en forme de croiffant fur le penchant d’une Montagne qni environne le Port. La plupart des maiïfons y font de bois, quelques-unes ont le premier étage de pierrre & de chaux, & le res- te de bois. Elles font en tout environ au nombre de 130. prefque tou- tes fort grandes & fort logeables. Cette Ville a un Gouverneur avec titre de Lieutenant-Général, parce qu’il eft Lieutenant du Préfident de Panama, & qu'il eft pourvu par le Roi fans aucun tems limité. C’eft toujours à un Militaire que l’on don- ne cet emploi, vu qu’il a fous fes ordres les Commandans des Forts qui défendent le Port, & dont les emplois font à vie. Toutes les maifons enfemble ne forment qu’une rüe principale qui fuit la figure du Port, avec quelques ruelles pour traverfer du penchant de la Montagne à la plage. Ilya deux places fort fpacieufes; lune vis-à-vis le Bureau des Finances du Roï, qui eft un Edifice bâti à chaux & a pier- res, lequel touche au Mole où fe font les débarquemens. L’autre place eft près de la Cathédrale, qui eft une Eglife bâtie des mêmes matériaux que le Bureau des Finances. Elle eft grande & aflez ornée pour la peti- tefle du lieu. Elle eft deffervie par un Vicaire & quelques autres Prêtres natifs du Pays. Outre cette Paroiïfle il y a encore deux autres Eglifes, l'une de Nuefira Segnora de là Merced, qui eft un Couvent des P. P. de la Merci; & lau- tre s'appelle Sun Juan de Dios. Celle-ci doit être un Hôpital, mais elle n’en a que le titre, & au fond ce n’eft rien moins que cela. L’Eglife de la Merci eft de pierre, mais fort délabrée & pauvre, de-même que Je Couvent qui tombe en ruïne, & dont les Religieux ne pouvant y habi- ter commodément vivent répandus en diverfes maifons particulieres. L'Eglife de San Fuan de Dios eft un petit bâtiment qui reflemble à un Oratoire. Elle n’eft pasen meilleur état que Notre Dame de la Merci. Toute la Communauté confifte en un Prieur, un Chapelain & un autre Religieux, & quelquefois moins. Ainfi le logement de la Communauté eft V OF APR PMP ER ONU LattlCr. IIL 9 eft fort petit, puifque proprement il n’y à point de Communauté. On n’y reçoit de malades que ceux qui peuvent payer le traitement de leurs ma- ladies, & le refte de leur entretien. D'où il fuit qu'il n’eft d'aucune uti- lité aux pauvres de la Ville, il fert feulement de couvert aux malades des Vaiffeaux de Guerre d'Europe; les Chirurgiens des Vaifleaux les traitent de leurs maladies , & les Vaiffeaux pourvoyent à leurs befoins. En avançant vers l'Eft à l’un des bouts de la Ville par où l’on va à Pa- nama, on trouve un Quartier nommé /4 Petite Guinée, parce que c’eft-là que demeurent tous les Négres & toutes les Négrefles efclaves &libres. Ce Quartier eft toujours extrémement peuplé dans le tems des Gallions, parce que les habitans de la Ville fe retirent dans quelque coin de leursmaifons pour louer le refte de leurs appartemens aux Européens, aimant mieux fe gêner que de négliger cette ocCafion de faire quelque profit. Les Mulâtres & autres pauvres gens qui font obligés alors de déloger, vont demeurer dans la Petite Guinée , & fe logent comme ils peuvent dans les baraques déja conftruites dans ce Quartier, ou dans celles qu’on y conftruit de-nouveau, & que les gens qui viennent de Panama aïdent à conftruire, chacun felon fa profeffion. Du côté de la Mer, dans un terrain fpacieux entre la Ville & le Châ- teau de Ja Gloire, on drefle aufli des baraques pour y loger les gens de mer, qui de leur côté y font des échopes, où ils étalent toute forte de denrées & de fruits d'E/pagne: mais dès que la Foire eft finie, tout cela difparoît, les Vaifleaux partent, & ces lieux auparavant peuplés redeviennent déferts. Nous fimes une expérience avec le Barométre dans un lieu plus élevé d’une toife que la fuperficie de la Mer, & la hauteur du Mercure fut trou- vée de 27 pouces 11; lignes. COR APR E TR EE: EL Dejcription du Port de Portobélo. E nom de ce Port en faitaflez connoître les avantages pour toute forte de Bâtimens grands & petits ; & quoique l'entrée en foit large , elle eft aflez bien défendue par le Château ou Fort de Saint Philippe de Todo Fierro, fi- tué à la pointe de la côte du Nord, qui forme l'entrée. Cette entrée n'a qu'environ 600 toifes de large, c’eft-à-dire, un peu moins d’un quart de lieue. D'ailleurs la côte du Sud eft dangereufe à caufe des pointes & des Tome L. Sr? TQs 80 VOYAGE AU PEROU: rochers qui y font à fleur d’eau, déforte que pour les évier il faut déri- ver vers le Nord où il y a plus de fond, quoiqu’à tout prendre la vérita- ble entrée foit par le milieu du Canal, où l'on trouve toujours quinze ou du-moins dix braffes d’eau fond de vafe & de craye mêlé de fable. À la côte qui forme le Port au Sud & vis-à-vis de la Rade’étoit un au- tre Fort fpacieux nommé Saint Faques de la gloire. À PE de ce Fort, à la diftance d'environ cent toifes, la Ville commence , ayant devant foi une pointe de terre qui s’'avance dans ie Port. Sur cette avance étoit un petit Fort nommé le Fort de Sr. Férdme; qui ne fe trouvoit qu’à dix toi- fes des maifons. Tous ces Forts furent démolis par l'Amiral Vernon, qui à la tête d’une nombreufe Armée navale fe rendit maître de ce Port en 1740, l'ayant trouvé fi dépourvu de tout, que la plus grande partie de VArtillerie, furtout celle du Château de Tôdo lierro ; étoit démontée faute d'affuts ; les Munitions de guerre en petite quantité, & en partie gâtées ; la Garnifon foible , puifqu’elle n’étoit pas même complette fur le pied qu’elle doit être en tems de Paix. Le Gouverneur de la Ville Don Bernardo Gu- tierrez de Bocanègra étoit abfent, & fe trouvoit à Panama, où il fe juftifioit dé quelques accufations intentées contre lui avant le fiége. L'Armée 4n« gloife ne trouvant de cette maniere aucune réfiftance, n’eût pas de peine à réuflir, & la Ville fe rendit par capitulation. Les ennemis avoient be- foin de tout ce concours de circonftances avantageufes pour fe rendre maîtres de Portobelo. Le mouillage des Vaiffeaux de guerre & des autres gros Navires, eft au Nord-Ouëft du Château de X gloire, ce qui eft à peu près le milieu du Port. Les petits Bâtimens pouvant rafer de plus près la terre, s’avancent davantage, mais il faut qu’ils prennent garde de ne pas toucher à un banc de fable à 1 50 toifes du Fort , ou Porte de St. érôime, a l'Ouëft quart Nord- Ouëft, où il n’y a que deux où même qu’une brafle & demie d’eau. Au Nord-Ouëft de la Ville eft un petit Golphe, nommé la Caldera , où l'on trouve quatre brafles & demie d’eau. C’eft un endroit fort propre à la caréne, pourvu qu'on apporte tout ce qu’il faut pour cela: outre le fond dont nous venons de parler ce Golphe eft à l'abri de tout vent. Pour y entrer il faut ranger la côte vers l'Ouëft & pafler environ par:lé tiers de la bouche de l'entrée, où l’on trouve cinq braffes d’eau, tandis qu’on n’en trouve que deux ou trois pieds au tiers de la même entrée à l'Eft. Après que les Vaifleaux font entrés, ils peuvent s’affourcher Eft & Ouëft avec quatre cables dans un petit baffin que forme la Caldera vers lOuëft; car ils doivent toujours s'approcher de ce côté-là. Av $! 0 | #:. PRES no Gr344. ANrdrbre te nach urfern Wañrne der und im 207 Cr 413 A Dre Phrr kircke . B. Der Cnaden ; CS /ohann de Dies. DZa Contaduria od. de | Rechkenkammer. E.Cr/fel der Chren . F. Caftel de Todo o jéerro cd. Zrotz aller . G. J£ Aerony mus-C/éel 1 HBru/bvekr St Grifoph À I Zack Zriana . JBack St+Antont . Bach oder Weferchen : L.. Zcienda del Zocal . Viquas od. Warten . aus, worinen de Wakr- 6 relmungen von der Breite gemacht worden. O.%Yeg von Panama . AFS Cascaral : [| Cuchas 4 + Grenero oder Legeplatz . ©Za Caldera oder der Les. de la Baye et Ville PORTOBEL Ls,9 Degres 34% Les 297 Deg.#1% And gitude de l'Isle dé B./2. Meret . F CS Vuan de Dos . FZort de Lodo Hero. à GZort S'Jerome. Parapet de S'*Chrustofle LRuSeau de Triana TRuseau de S' Antoine KRusfreau ou Aguadillor Jlacienda del Tocal. 4 Nqres. Mason où se firent L observations de la Latit + Énbouchure de la B& de Chuchas . + Carenage ; © da Caldera . VOYAGE AU PEROU. Liv. I Cr III. SI Au Nord-Eft de la Ville eft l'embouchure de la Riviere de Cafcajal. On n’y peut faire d’eau douce qu’à un quart de lieue auédeflus, & l’on y rencontre quelquefois des Caymans, qui font une efpéce de Lézards monftrueux. Les Marées ne font point régulieres dans ces Parages; & à cet égard, comme à celui des Vents, ce Port ne differe point de celui de Carthagéne, excepté qu'ici les Navires ne peuvent entrer qu’a la toue, vu qu’ils ont toujours le vent contraire, ou un grand calme. 3 En conféquence de plufieurs obfervations que nqus fimes tant par l’'E- toile polaire que par l Azimuth du Soleil *, nous trouvâmes que l'aiguille varioit dans ce Port de 8 deg. 40 min. au Nord-Eft. Parmi les Montagnes qui environnent tout le Port de Portobélo, à com- mencer à la pointe du Fort de Todo Fierro bâti à demi côte de la premie- re jufqu’à celle qui eft à l'autre bout oppofé, il y en a une entre autres qui eft remarquable, tant à caufe de fa hauteur, que parce qu’elle eft le Thermométre de la Ville, annonçant le tems qu’il doit faire. Cette Mon- tagne, appellée Monte Capiro, donne d’un côté fur le chemin qui méne à Panama, & de l'autre fur le Port. Le fommet de cette Montagne eft toujours couvert de nuages qui l’environnent, & que l’on diftingue des autres qui occupent cette Athmofphere, en ce qu’ils font plus fombres & plus épais. Ces nuages font appellés le Capillo où Bonnet de la Mon- tagne, d’où par corruption on aura dit Capiro, & de-là j'étymologie du nom de la Montagne. Quand ces nuages fe condenfent & s’épaifliffent, ils baïflent de la hauteur où ils fe tiennent d'ordinaire, & alors c’eft un figne de tempête; au-contraire quand ils s’élévent & s’éclairciflent c’eft un figne de beau tems: mais il eft bon d’avertir que ces changemens de tems fe fuccédent fréquemment & avec tant de promtitude qu’on n’a que bien rarement le loïfir de difcerner le fommet de la Montagne, qui et d'ordinaire éclipfé par l'obfcurité du tems, ou s’il eft vifible ce n’eft que pour un inftant. | La juridiétion du Lieutenant-Général qui commande à Portohélo ne s’é- tend pas au-delà de cette Ville & de fes Forts, ou tout au plus fur les Mon- tagnes & Collines des environs, & dans les Vallées qu’elles laïflent entre elles, où font quelques Métairies, ou Haciendas en petit nombre, la nature du Pays ne permettant pas autre chofe. : CHA: * AzimutbeQ un mot Arabe & un terme & Aftronomie. C’eft proprement un grand Cercle vertical qui paffe par le Zénith & le Nadir, & coupe l'Horizon à angles droits. Not. du Trad, Tome I. L 82 VOYAGE AU PEROU. Co AP TRE RE; LV, Climat de Portobélo. Maladies épidémiques € funefes aux Equipages des Gallions. Oute l'Europe fait jufques à quel point l'air de Portobélo eft préjudi- ciable à la fanté, non feulement des Etrangers qui y abordent, mais encore des Habitans, qui quoique familiarifés avec la malignité du Climat ne laïfle pas d’être fujets à des maux qui affoibliffent leur tempéra- ment, & leur caufent fouvent la mort. C’eft une opinion commune dans cette Ville que les accouchemens y étoient autrefois, c’eft-à-dire il y a environ vingt ans, extrêmement dangereux, & que peu de femmes en échappoient. Prévenues de cette idée, les femmes alloient faire leurs couches à Panama, & partoient pour cette Ville dès le quatre ou cinquié- me mois de leur groflefle, d'où elles ne revenoient qu'après que tous les accidens qui fuivent les accouchemens étoient ceflés. Quelques-unes à-la- vérité avoient le courage de ne pas bouger de Portobéh, & d’y attendre leur délivrance ; mais le nombre de ces femmes étoit très-petit en com- paraifon de celles qui préféroient les incommodités du trajet au rifque de mourir en fuivant cet exemple. L'amour extrême qu’une Dame de Portobélo, fort connue dans cette Ville, avoit pour fon mari, la crainte que celui-ci ne loubliât pendant fon abfence, & l’impoffibilité où le mari étoit de l'accompagner à Pana- ma, étant revêtu d’un emploi à Portobélo qui ne lui permettoit pas de s’é- loigner, tout cela obligea la Dame en queftion à hazarder d’interrompre l’'ufage & l'ordre obfervé jufques-là. Les raïfons qu’elle avoit de crain- dre l'inconftance de fon mari étoient de nature à juftiñier fa réfolution, & le parti qu’elle prenoit de s’expofer à un danger incertain pour en évi- ter un qui étoit certain. Heureufement elle s’en tira à merveille, & fon exemple commença à raflurer les autres, & peu à peu elles s’y font conformées, à mefure que leurs craintes occafionnées par les mauvais fuccès précédens fe font évanouies, & que le préjugé qui leur faifoit re- garder ce Climat comme mortel pour les femmes en couche, fe diffipoit. Les Habitans de cette Ville ont des idées bien plus fingulieres encore. Is prétendent que les animux des autres Pays ceflent de multiplier leur efpéce. dès qu’ils font tranfplantés à Portobélo; que les Poules, par exem- ple, qu'on y apporte de Panama & de Carthagéne, deviennent ftériles auifitôt après leur arrivée; que les Bœufs qu’on y améne de Panama, y devicn- VOYAGE AU PEROU. Liv.IL CnIV. 83 deviennent fi maigres , qu’on n'en peut prefque manger la chair, fans que les pâturages, dont les Montagnes & les Vallons abondent, puiffent em- pêcher le dépériflement de ces animaux. Par la même raifon on n’y voit point de haras de Chevaux ni d’Anes, & tout cela rend probable l'opinion où l’on eft que ce Climat eft contraire à la génération des animaux nés fous un Ciel plus doux, ou du-moins beaucoup moins nuïfible que celui- là. Cependant nous défiant de la force des préjugés & en garde contre les erreurs vulgaires, nous approfondîmes les chofes, nous adreffant pour cet effet à gens fages & éclairés, qui nous parlerent d’un ton peu diffé- rent de l'opinion générale, & qui nous alléguerent des faits & des expé- riences faites par eux-mêmes fur tous ces fujets. Le Mercure du Thermométre de Mr. de Reaumur marqua le 4 de Dé- cembre de la même année 1735 à 6 heures du matin 1021, & à midi 1023. Les Chaleurs de ce Climat font exceflives, à quoi ne contribuent pas peu les hautes Montagnes dont la Ville eft entourée, & qui fermant le paflage au vent l’empêchent d’en être rafraîchie. Les arbres épais dont ces Montagnes font couvertes, ne permettent pas aux rayons du Soleil de fecher la terre que leurs feuillages cachent; ce qui eft caufe qu'il en fort continuellement des vapeurs épaifles, d’où fe forment de gros nua- ges qui fe réfolvent en pluyes abondantes, après lefquelles le Soleil re- commence à paroître. Mais à peine a-t-il feché, par l’aétivité de fes rayons, la fuperficie du terrain que les arbres couvrent de leurs ombres, & les rues de la Ville, qu’il fe trouve enveloppé dans de nouvelles va- peurs, & obfcurci pour le refte du jour. Il furvient pendant ce tems-là & la nuit des pluyes fucceflives & fubites, & le tems s’éclaircit avec la même promtitude, fans que dans tous ces changemens on en éprouve aucun dans la chaleur. Ces pluyes font des ondées violentes qui femblent d’abord devoir tout fubmerger. Elles font accompagnées d’orage, de tonnerres, d’éclairs, avec un fracas épouvantable, & tel que les plus braves en font effrayés: & comme le Port eft, pour ainf dire, au milieu de ces Montagnes, le bruit eft encore augmenté & retentit encore plus longtems par la reper- cuffion du vagüe de l’air à laquelle répondent les échos que forment les concavités & les crevañles des Montagnes: on diroit d’un Canon qui gronde encore une minute après avoir été lâché. À tout ce fracas fe joint le tintamarre des Singes de toute efpéce qui font dans les Monta- gnes, particuliérement la nuit & le matin, quand les Vaifleaux de guerre tirent le coup de retraite ou de réveil. LP Cette 84 VOYAGE AU PEROU. Cette intempérie continuelle, & les fatigues que les Equipages effuyent dans le déchargement des Navires, & en tranfportant les marchandifes, les uns dans de petits batteaux, les autres fur des brouettes ou des ha- quets, après qu’elles ont été hiflées à terre, tout cela augmente la trans- piration & diminue leurs forces, deforte que pour reprendre vigueur ils ont recours au Brandevin, dont il fe fait alors un grande confomma- tion. Plus ils font haraflés plus ils boivent, & cela joint au Climat qui leur eft contraire dérange les meilleurs tempéramens, & leur caufe ces fâcheufes maladies trop communes dans ce Pays, & dont tous les acci- dens font mortels, parce que les corps attaqués de ces infirmités, font trop affoiblis pour y réfifter, d’où réfultent des épidémies & des mortalités. À-la-vérité ce ne foit pas les Marins feuls qui font fujets à ces maux, il y a bien d’autres gens qui en font attaqués fans avoir fouffert ni dela mer, ni du travail. Dans ce cas il ne faut s’en prendre qu’au Climat, les au- tres caufes font des accefloires qui contribuent à hâter le mal & à le ré- pandre davantage: car 1l eft évident que quand la mañle du fang fe trou- ve difpofée à recevoir ces altérations, la maladie fait des progrès plusra- pides & eft terminée par une fin plus promte. Dans quelques occafions on a amené des Médecins de Carthagéne , afin que, comme étant mieux au fait de la méthode de traiter les maladies or- dinaires dans ces Climats, ils afiftâflent les malades. de Portobélo; mais tout cela n’a fervi de rien, & n’a pas empêché que la moitié des Equipa- ges des Gallions , ou autres Vaifleaux d'Europe obligés à faire quelque fé- jour dans ce Port, n'ait péri de cette maniere. C’eft pour cela qu’on donne, non fans raifon, à cette Ville le nom de Tombeau des E/pagnols; mais on peut fans exagérer, l’appeller le tombeau. de toutes les Nations qui y viennent. En 1726. ce terrible Climat détruifit plus d'Anglois que le Canon ni les Moufquets. Cette Nation fe flattoit de s'emparer du tré- for raflemblé à Portobélo à l'occafion de la Foire des Gallions,. qui. par le décès du Marquis. de Grillo étoient commandés par Don Francifco Cornajo, l'un des meilleurs Officiers qu’ait eu l'E/pagne, & fous lefquels la Marine Efpagnole a le plus brillé. Ce-Général fit ranger fes Vaïffeaux fur une hgne dans le Port, & drefler une batterie fur la côte du Sud à l'entrée dudit Port. Ilen confia la garde aux T'roupes de la. Marine, & fe char- gea lui-même du foin de la diriger & de la défendre. Enfin il n’y eut forte de précautions qu’il ne prît, n’épargnant ni foins ni vigilance, rien qu'il ne prévit & à quoi 1 ne pourvût. Par cette fage conduite il jetta ane telle épouvante dans la nombreufe Flotte des Anglois, quis’étoit pré» fentée VOYAGE AU PEROU. LPO V. 5; fentée devant le Port, qu’elle n’ofa jamais en tentet l'entrée, & fe con- tenta de le bloquer. Le Général Efpagnol étoit bien afluré de tirer fuff- famment de vivres de Carthagéne pour la fubfiftance de fes gens , & il es- péroit que ke manque de vivres forceroit l’'Ennemi 4 s’en aller, ne pou- vant l'y contraindre par la force. D'un autre côté le Général ennemi ne comptoit pas moins fur le fuccés de fes projets, mais bientôt il s’apperçut que fes Equipages diminuoient. En effet la maladie y fit de fi grands ra- vages, qu’il fe vit contraint d'abandonner fon entreprife, & de retourner à la Famaïque après avoir fait jetter a la mer plus de la moitié de fes gens, viétimes de l’inclémence de ce Climat. Quelque pernicieux que foit le féjour de Portobélo pour la fanté & la vie des Européens, on a remarqué que l'Efcadre qui y aborda en 1730. n’y éprouva aucune maladie, quoique le travail & l’intempérance n’euflent pas été moindres parmi les Equipages, & que le Climat n’eût pas changé, du moins fenfiblement. Cette différence fut attribuée au féjour que l'Es- cadre avoit fait à Curthagéne, où elle avoit paflé le tems de l'épidémie ; d’où il fuit que le tempérament des Européens n’eft fi altéré par ces Cli- mats que faute d'y être accoutumé.. Ce changement extraordinaire cau- fe une révolution fubite dans leur fang, & les fait périr, ou les prépare à ne plus en éprouver les mauvais effets, jufqu'à ce que familiarifés avec l'air du Pays, ils jouiflent d'une aufli bonne fanté que les Créoles & les autres habitans.: RITES INIEI SRYSRTT) TR) DRE ESS ENITIAA TNT): ECM AR PRE Un Habitans de Portobélo: leur Génie €? leurs Ufages. Plantes, Arbres & Animaux qui fe trouvent dans les Campagnes de cette Wille. IManiere de Je pourvoir de Vivres.. ‘L n'y a prefque pas de différence effentielle entre Carthagéne & Porto- bélo: & je me borne à toucher ici les circonftances qui diftinguent cette derniere Ville, & à faire quelques remarques qui peuvent contribuer à faire connoître la nature de ces Pays: Le nombre des Habitans de Portobélo n'eft pas confidérable, tant par- ee que la Ville eft petite, qu'a caufe de l'intempérie du Climat. Ils ne confiftent prefque qu’en Négres & en Mulitres. Il n’y a pas au-delà de trente families de Blancs. Ceux qui font un peu à leur aife, foit par le &, a Coms 86 VO AUCUN A OU RE KO TU. Commerce, foit par les denrées de leurs Terres, vont pañler leur vie à Panama. Deforte qu’il ne refte à Portobéh que les perfonnes qui y font obligées par leurs emplois, comme le Gouverneur, ou Lieutenant-Géné- ral, les Commandans des Forts, les Officers Royaux, les Officiers & Soldats de la Garnifon, les Alcaldes ordmnaires , ceux de la Hermandad, & le Grefier de la Ville, à cela près on y voit peu d'Efpagnols. Lorsque nous y étions il y avoit environ 125 hommes de Garnifon, compofés de Détachemens tirés de Panama. Ces Soldats, quoiqu’habitués dans une Ville fi proche, ne laiffent pas d’être des preuves parlantes du mauvais air de Portobélo, puifqu’au bout d’un mois ils fe trouvent fi foibles, qu'ils ne peuvent faire le moindre travail, ni fubvenir même à leurs exer- cices ordinaires, jufqu’à ce que s’y étant accoutumés ils reprennent leurs forces peu-à-peu. Aucun de ces gens-là, ni des enfans du Pays iflus de Mulâtres, ne s'établit dans cette Ville; ces derniers fe voyant dans une Claffe plus diftinguée que les Mulitres, croiroient s’avilir que de vivre à Portobelo. Preuve de la mauvaife qualité du lieu, puifque ceux à qui il a donné naiïflance l’abandonnent. Les Ufages des Habitans de Portobélo ne different pas de ceux des Car- thagénois , excepté que ces derniers paroïfent plus francs & plus généreux, & que les premiers avouent que ce n’eft pas tout-à-fait à tort qu'on les accufe d’être intéreflés. Les Vivres font rares à Portobélo, & par conféquent fort chers, furtout pendant le féjour des Gallions & le tems de la Foire: on les tire alors de Carthagène & de Panama. De la premiere on apporte du Maïz, du Ris, de la Caffave, des Cochons, des Poules, & toute forte de Racines : de la feconde on tire du gros Bétail, ils ont du Poiflon excellent & en abondance. Les Fruits du Pays font abondans, comme auffiles Cannes douces dont les Cha- cares font remplies, & il y a des Moulins pour le Sucre dans ces mêmes Chacares *. On y fait du Miel & de l’Eau-de-vie de Cannes. . L'Eau douce ne manque pas dans ce terroir, elle defcend en torrens du haut des Montagnes. Quelques-uns de ces torrens coulent hors de la Vil- le, quelques autres au-travers. Les eaux en font légeres & bonnes pour la digeftion, deforte que quand on y eft accoutumé, elles excitent l'appétit, & ont une qualité qui ne fe trouve guere ailleurs. Toutefois cette même qualité qui dans un autre Pays les rendroit recommandables, les rend ici nuifi- * Nous avons déjà expliqué ailleurs ce qu’on entend dans ce Pays-là par le mot Cha- care. Ce font des Chaumines, ou tout au plus de petites Granges dans un champ culti- vé où que l'on cultive, VOYAGE AUMPERD'U En. ILNCH V. $7 nuifibles; & c’eft un grand malheur pour ce Pays que ce qui eft bon de foi y devienne mauvais par l'influence du Climat. En effet cette eau eft trop déliée & trop aétive pour des eftomacs aufli foibles que ceux des Ha- bitans. Elle leur caufe la diffenterie dont il eft rare qu’ils échappent, & toutes leurs autres maladies fe terminent ordinairement par celle-là, qui à fon tour eft terminée par la mort. Les Ruifleaux qui defcendent en cafcades des Montagnes forment de petit refervoirs dans les cavités des rochers, dont la fraîcheur & l'agré- ment eft augmenté par le feuillage toujours verd des arbres qui les en- vironnent: c’eft-là que les Habitans de tout fexe & de tout âge vont fe baigner tous les jours à 11 heures du matin; en quoi ils font imités par les Européens, & les uns les autres cherchent à tempérer par-là l'excefi- ve chaleur, & à fe rafraîchir le fang. Comme les Montagnes & les Bois qui les couvrent touchent, pour ainfi dire, aux maifons de la Ville, & qu'ils font peuplés d'animaux fauvages & féroces, les Tigres qui y font en grand nombre fe prévalent de cet azyle pour faire des forties dans les rues de la Ville à la faveur des ténébres, pour enlever les Poules, les Chiens, & quelquefois de pe- tits Enfans lorfqu'ils en rencontrent. Quand une fois un de ces animaux a pris goût à cette chaîle, il méprife celle qu’il peut faire fur les Monta- gnes, & dès-qu’il eft une fois affriandé par la chair humaine, il dédai- gne celle des bêtes; alors on leur tend des piéges, ou étant tombés on les tue. Les Négres & Mulâtres qui font fouvent dans les Montagnes pour couper du bois, font fort adroits à lutter contre ces animaux, & en viennent toujours à bout. Ils les attaquent debout au corps avec une intrépidité étonnante. Il y en a même qui ont la hardieffe d’aller à cette chaffe de propos délibéré, & qui ne reviennent qu'avec leur proye. Les armes dont ils fe fervent pour ces fortes de combats, font un épieu de deux & demie à trois aunes de long, d’un bois fort, dont la pointe eft durcie au feu , & une efpéce de coutelas fait à peu près comme un grand couteau-de-chafle. Muni de ces armes le combattant tient l’épieu de la main gauche, & dans l’autre main il a le coutelas. Il attend de pied fer- me que le Tigre s’élance fur le bras qui tient l’épieu, & qui eft enveloppé d'un petit manteau de Bayéte *. Quelquefois le Tigre fentant le péril, fem- ble ne vouloir rien avoir à démêler avec fon ennemi, & fe tient coi; mais * J'avertis ici pour n'y plus revenir, que la Bayéte eft une efpéce de flanelle qu’on fait aux Indes, Not, du Trad. s4 VOYAGE AU PEROU. mais le champion le touche légérement de l'épieu pour le provoquer, afin: de mieux aflener fon coup: auflitôt que ce fier animal fe voit infulté, ïl fait avec les grifes d'une de fes pattes l'épieu, comme pour defarmer fon adverfaire, & de fes autres grifes il empoigne le bras qui tient l'épieu , & qu'il déchireroit en piéces fans le manteau qui l'enveloppe. C’eft cer inftant que le champion attend, & dont il fe hâte de profiter pour lui décharger fur la jambe un coup du coutelas qu’il tient dans fa main droi- te, & qu'il cache derriere foi. De ce coup il lui coupe le jarret, & lui fait abandonner le bras qu'il avoit faifi. L'animal furieux fe retire un peu en arriere fans lâcher l'épieu, & revenant pour faifir le bras de fon au- tre patte, le champion lui décharge un fecond coup avec le même fuccés. Alors le Tigre, privé de fes plus terribles armes, & incapable de fe mou- voir, refte à la diferétion de fon ennemi, qui achéve de le tuer ; après quoi il l'écorche, & revient triomphant avec la peau, les pieds & la té- te de l'animal qui lui fervent de trophée. Parmi les divers Animaux qu’on rencontre dans ce Pays, il yenaun d'une efpéce finguliere, appellé Perico Ligero *, nom qui lui a été donné par ironie à caufe de fon extrême parefle & de fa lenteur. Ila la figure d'un Singe de médiocre groffeur. Il eft hideux à voir ; fa peau eft toute ri- dée, & d’un gris brun. Ses pattes & fes jambes font presque fans poil. Ieft fi parefleux qu’il n’eft pas néceffaire de l’enchaîner pour l'obliger à res- ter dans un endroit, puifqu’il n’en bouge que lorfque la faim le contraintde changer de place. Il ne s'étonne ni de la vue des hommes, ni de celle des bétes les plus féroces: quand il fe meut, il accompagne chaque mouve- ment d’un cri fi desagréable & fi lamentable, qu’il produit dans celui qui l'entend de la pitié & de l'horreur. Il fait la même chofe dans le moin- dre mouvement qu'il fait de la tête, des jambes & des pieds; ce qui ne vient probablement que de la contraétion de fes nerfs & de fes mufcles, qui lui caufe une douleur extrême lorfqu’il veut faire agir fes membres. Toute fa défenfe confifte dans ces cris defagréables. Attaqué par une Bé- te féroce 1l prend l fuite, & en fuyant il redouble fes cris en redoublant d'action; & celui qui le pourfuit eft fi importuné de ce bruit, qu’il renon- ce à fa pourfuite pour fe délivrer d’un fon fi defagréable. Après avoir hurlé ainfi cinq à fix fois en marchant, il répéte les mêmes cris pour fe repofer, & avant que defe remettre en marche il refle longtems immobile. Cet animal vit de fruits fauvages; quand il n’en trouve point à terre, il efca- * Mot à mot Pierret- coureur. VOYAGE AU PEROU. Liy. IL CV. 89 efcalade l'arbre qui en eft le plus chargé. Dès qu’il eft au haut, il abat autant de fruits qu'il peut, pour s’épargner la peine de remonter fur l’ar- bre. Quand fa provifion eft faite, il fe met en un peloton, & fe laiffe tom- ber à plomb de l'arbre pour éviter la fatigue de defcendre; aprés cela il demeure au pied de l’arbre tant que dure la provifion de fruit, & ne chan- ge de place que quand la faim l’oblige à aller chercher une nouvelle nourriture. Les Serpens ne font ni en moindre quantité ni moins dangereux dans les environs de Portobélo qu’à Carthagéne, & il y a infiniment de Cra- pauds. On en trouve non feulement dans les lieux marécageux & humi- des, comme dans les autres Pays, mais dans les rues, dans les cours des maifons, & généralement dans tous les lieux découverts. La quantité pro- digieufe qu’on en voit tout à la fois à la moindre giboulée, a fait imagi- ner à quelques-uns que chaque goûte d’eau fe convertifloit en crapaud; & quoiqu’ils prétendent le prouver par la multiplication extraordinaire qui s’en fait à la moindre petite pluye, il ne me paroît pas que leur opi- nion foit bien certaine. Je ne fuis pas éloigné de croire que la grande quantité qu'il y a de ces reptiles, tant dans les Montagnes, que dans les Ruïfleaux voifins, & dans la Ville même, produifant une infinité de petits œufs, qui felon l’opinion la plus commune des Naturaliftes contiennent le germe de ces reptiles, ces mêmes œufs font élevés avec les vapeurs d’où fe forme la pluye, & tombant avec ‘elle fur la terre exceflivement échauffée par la force des rayons du Soleil, ou déjà mêlés avec la même pluye après fa chute & après que les crapauds les ont dépofées en terre, fe vivifient & s’animent en aufli grande abondance qu’on le voit quelquefois en Euro- pe. Mais comme ceux qui paroiffent après la pluye font fi gros qu’il y en a qui ont plus de fix pouces de long, & qu’il n’y a pas moyen de les regar- der comme l'effet d’une produétion'momentanée, je croirois volontiers, fondé fur mes propres obfervations, que l'humidité qui régne dans cette par- tie du Pays, la rend propre à produire des crapauds de cette efpéce, & qué ce reptile aimant les lieux où il y a de l'eau, fuit le terrain que la chaleur du Soleil defféche en peu de tems, & cherche les lieux où la terre eft mol- le: 1l s’y tapit, & comme il refte au-deflus quelque partie de celle qui eft féche, on ne l'apperçoit point; mais aufitôt qu’il pleut, il fort de fon ter- rier pour chercher l’eau qui lui fait tant de plafir; & c'eft ainfi que les rues & les places fe rempliffent de ces reptiles , dont l'apparition fubite a fait croire que chaque goûte de pluye fe trans'formoit en crapaud. Quand c’eft la nuit qu’il pleut, on ne fauroit fe figurer la quantité de crapauds Tome I. M | qu'on po VOYAGE AU PEROU qu'on voit le matin dans les rues & les places, on diroit d'un pavés & Jon n’y peut marcher fans les fouler aux pieds, d’où réfültent quelques morfures fâcheufes ; car outre que ces vilaines bêtes font Venimeufés, elles font fi grofles qu’elles bleffent confidérablement Ja perfonne des dents ont atteinte. Nous avons dit que quelques-uns ont au-delà: de fix pouces de long, & nous ajoûterons qué lés plus petits ne différent pas beaucoup de cette groffeur. Rien n'eft fi desagréable ni fi impottun que jeurs cuaffemens pendant la nuit, tout autour de la Ville, fur les Montà- gnes, & dans les crevailes. | CHERE NE RTE VE Du Commerce de Portobélo pendant le Jéjour des Gallions, €? du peu qu’il y en & Ch (ems mort. À Ville de Portobélo, que fon Climat malfain, la ftérilité de fon ter- roir, & la rareté des vivres rendent fi peu confidérable, devient une des plus peuplées de l'Amérique méridionale au tems des Gallions. Sa fituation dans l’Ifthme qui fépare la Mer du Sud de celle du Nord, la bonté de fon Port, & le peu de diftance qu'il y a entre elle & Panama, l'ont fait choifir pour être le rendez-vous des deux Commerces d'Efpagne & du Pérou, & le lieu d’une Foire fameufe. Dès-qu’on à reçu à Carthagéne la nouvelle que la Flotte du Pérou a dé- pofé fes cargaifons à Panama, les Gallions mettent à la voile pour Por: tobélo , pour éviter des délais qui ne font qu’occafionner des maladies par- mi les Equipages. Le concours des perfonnes de l’une & de l’autre Flot- te eft fi grand à Portobél, que les logemens y font d’une cherté exceff- ve. Une chambre de médiocre grandeur avec un petit bougè, fe paye pour le tems de la Foire jufqu’à mille écus. Et il y a des maifons dont les loyers montent à quatre, cinq, ou fix mille écus, plus ou moins felon qu’elles font fpacieufes, & que lé nombre des Commerçans eft confidérable. Auflitôt que les Vaiffeaux font amarrés dans le Port, la premiere chofe. qu'on fait, c’eft de dreffer pour chaque chargement une grande tente com- pofée de voiles de Vaïfleaux, tout près de la Bourfe. Les propriétaires des marchandifes font préfens lorfqu’on les apporte dans cette efpéce de magäzin, pour reconnoître leurs balots aux marques qui les diftinguent; ce font les Matelots qui charrient cés marchandifes fur des brouëttes ,. & VOYAGE AU PEROU. Liv IL Cn. VL 91 & qui partagent entre eux le falaire qui leur revient pource déchargement, Pendane que les Gens de mer, & les Commerçans font OCCupés à arran: ger ces effets précieux, des troupeaux de‘plus de cent mules chicèn ar vent de Pañäma par terre, chargéés de’caiflons pleins d’or & d'argent pour le compte des Marchands du Péfou. Les:uns font’ déchargés à Ja Bourfe, les autres au milieu de la Place, fans qu’il atrive:dans la confufion d’une fi grande foule de gens ni vol, n1 perte, ni defordre.: On eft frap- pÉ d’étonnement quand on a vu ce lieu ‘en fems mort, fi pauvre, fi foli- taire & fi morne, fon Port défert & fi propre à faire naître la mélancolie, & qu’on le voit enfuite fourmiller de tant de monde, les maifons occupées, fes places & fes rues pleines de balots, de marchandifes & de caiffes d’or & d'argent monnoyé, en barres, ou travaillé , fon Port rempli de Navires & de petits Bâtimens, dont les uns apportent par la Riviere de Chagre des marchandifes du Pérou, comme Cacao, Quinquina de Loxa, Laine de 7. cogne & Pierres de Bézoar; & les autres viennent de Carthagéne chargés de vivres pour la nourriture de tant de perfonnes : deforte que cette Vik le, que l'on fuit toute l’année quand on aime fa fanté, devient au tems dont nous parlons le dépôt des richeffes de l'ancien & du nouveau Mon- de, & le théatre d’un des plus grands Commerces qu'il y ait. Le déchargement étant fait, & les marchandifes du Pérou arrivées , ainfi que le Préfident de Panama, on protéde à l'ouverture de la F oire. Pour cet effet les Députés des deux Commerces s’affemblent à bord du Vais- feau- Amiral des Gallions pour traiter de leurs affaires en préfence du Commandant de l’Efcadre & du Préfident de Panama *, & pour régler le prix des marchandifes. Ce qui eft terminé après trois ou quatre féances ; & les contraéts étant fignés de part & d’autre on en fait publier le conte- nu, afin que chacun procéde à la vente de fes effets felon le tau dont on eft convenu, pour que l’un ne puiflé porter préjudice à l’autre. Les em- plettes & les ventes, ainfi que les changes de marchandifes & d'argent, fe font par le moyen de Courtiers qui viennent à cet effet d’Efpagne & du Pérou. Ceux-ci font chargés des mémoires contenant la lifte des mar- chandifes dont les Marchands ont befoin pour leur aflortiment, & ceux. là des mémoires des marchandifes à vendre. Après quoi chacun commen- ce à difpofer de ce qui lui appartient; les Marchands E/pagnols des cais- fes d'argent bien conditionnées qu’ils font embarquer, & les Négocian dù * Le premier comme Juge Confervateur des Intérêts du Commerce de l'Efpagne, & le fecond comme celui du Commerce du Pérom. M 2 pa VOYAGE AU PEROU. du Pérou des marchandifes qu’ils ont achetées, & qu’ils font tranfportet avec des Bâtimens nommés Chatas & Bongos par la Riviere de Chagre. Et par-là fe fait la clôture de la Foire. Cette Foire n’avoit anciennement point de tems limité; mais dans Ja fuite on a fait réflexion qu’un trop long féjour dans ce Port étoit préjudi- ciable aux Commerçans de part & d'autre, par la mauvaife qualité du Cli- mat; & le Raï a ordonné que la Foire ne dureroit que quarante jours, à compter de celui que les Vaïfleaux mouilleroient dans le Port; & fi dans cet efpace les Négocians n'ont pu convenir du tau, il eft permis à ceux d'Efpagne de pañfer plus avant dans le Pays, même jufqu’au Pérou, avec leurs marchandifes. Le Commandant des Gallions eft toujours muni de cette permiflion par écrit, & c’eft à lui à en faire ufage. Quand le cas arrive , l'Efcadre retourne à Carthagéne.. Mais hors de ce cas il eft défendu à tout Négociant E/pagnol d’aller débiter fes marchandifes au-delà de Por- tobélo, ou de les envoyer plus loin pour fon compte; tout cela feroit con- traire aux conventions faites entre les Négocians de part & d'autre, &. confirmées par le Roi. D'un autre côté il n’eft pas non plus permis aux Marchands du Pérou de faire des remifes d'argent en E/pagne pour des a- chats de marchandifes, le tout pour empêcher qu’ils ne fe portent préju- cice les uns aux autres. Pendant que les Anglois jouifloient de l'avantage du VaifJeau de permis- Jion, leurs Négocians venoient à cette Foire avec une cargaïfon pour leur compte, après avoir féjourné quelque tems à la Famaïque. Cette cargai- fon alloit beaucoup au-delà de la moitié de celle de tous les Gallions; car outre que le port du Vaifleau pafloit infiniment les 500 tonneaux ftipulés, & qu'il alloit même au-delà de 900 tonneaux, il n’avoit ni vivres, ni eau, ni autres embarras qui occupent beaucoup de place dans un Navire. Il ti- roit tout cela de la. Famaïque, & fe fañoit accompagner dans ja traverféc de cinq à fix Paquetbots chargés de marchandifes , qu’ils tranfportoient fur fon Bord dès qu’ils arrivoient à la vue de Portobélo, & dont ils remplifloient les chambres & les entreponts autant qu’il leur étoit poffible. Deforte que ce feuk Vaifleau contenoit plus d'effets que cinq à.fix de nos plus grands Navires: & cette Nation ayant la liberté de vendre, & vendant à meilleur marché: que nos Négocians, notre Commerce en fouffroit infiniment. En tems mort le Commerce de Portæéle eft peu de chofe, & ne confis- te que dans le débit des Vivres qui viennent de Curthagéne ,le Cacao qu'on: embarque fur la Chagre, & le Quinquira. Le Cacao eft tranfporté dans des Balandres à la Pera Cruz ; & le Quinquina eft mis dans les magazins de | Porto-- VOYAGE AU PEROU. Liv. Il CH I. DE Portobéle, où embarqué fur les Vaifleaux auxquels on a permis de paffer d'£s. pagne à Nicaragua, où à Honduras. I] vient auffi à Portobélo quelques pe- tits Bâtimens de l'Ile de Cuba, de la Trinité, & de St. Domingue, chargés de Tabac. Ils y chargent du Cacao, & de l'Eau-de-vie de Canne. Tant que F Affiento des Négres a duré avec les François, ou avec les Anghis, cette Ville a été une des principales Faétoreries, & celle qui pro- fitoit le plus de ce Commerce ; car c'eft par cette voye que non feulement Panama fe fournit de Négres, mais aufli que tout le Pérou s’en pourvoit. Pour cette raifon, il eft permis à ceux qui tiennent cet Æffiento, d’appor: ter une certaine quantité de vivres qu’on juge néceflaire, tant pour leur propre füubfiftance , que pour celle des Efclaves de tout fexe qu’ils amé- nent avec eux. LIVRE TROISIEM_E, Voyage de Portobélo à Panama. Defcription de cette derniere Ville, & Remarques fur le Royaume de Tierra-Firme. CRT TETE TITI S TS IS III IN ITS ST TS ARR NERO A A MR RENE EEE OR DS 9 APR © ER CAES ARE GE: DE OX Départ de Portobélo. Navigation par la Riviere de Chagre, € Voyage de Cruces 4 Panama par terre. OMME nous n'avions pas defein de nous arrêter inutilement, & que nous ne fongions qu’à remplir les devoirs de notre vocation, nous nous hâtâmes de quitter ces Climats fi funeftes à la fanté, & de pañler aux lieux de notre deftination, tant pour exécuter promte- ment notre Commiilion, que pour abréger notre féjour aux Jndes autant qu’il feroit poffible. Dans cette vue, nous donnâmes avis de notre arri- vée.à Don Divonyfio Martinez de la Vega, Préfident de Panama; & lui fi- mes part en même tems du motif de notre voyage, que nous n’avions en- trepris que par ordre du Roi , le priant de vouloir bien donner fes ordres pour que nous euffions un: Bâtiment qui nous tranfportât à Panama par la Riviere, le voyage n'étant pas praticable par terre à caufe des Inftramens de Mathématiques que nous avions, & qui étoient d'un trop grand volu- + Me pour pouvoir étre charriés fur des mules par des chemins fi étroits, Ma &- 04 VOYAGE AU PEROU. & firudes. Ce Préfident, qui a toujours fait paroître un grand zéle pour ke fervice du Roi, ne fe démentit point dans cette :occafion. Sa réponfe fut conforme à {a politefle &.à nos défirs, & fes offres de fervice furent fuivies de deux Bâtimens qui arriverent par fes ordres à Portobélo. Nous ne perdîmes point de tems à faire embarquer les Inftrumens & équipa- ges tant des Académiciens François que les nôtres; & le 22 de Décembre de la même année 1735 nous mîmes à la voile. Nous fortîmes de Portobélo au moyen de nos avirons, le vent de terre fous étant contraire; mais la Brife s'étant levée fur les 9 heures du ma- tin, nos deux Bâtimens éventerent leurs voiles, & le vent fraîchiffant de plus en plus, nous vinmes, le même jour 22 à 4 heures du foir, débar- quer à la Douane, qui eft à l'embouchure de là Chagre. Le lendemain nous commençâmes à remonter ce Fleuve à force de rames. Le 24. nous continuèmes de-même; mais nos rames ne pouvant fur: monter la force du courant, nous fûmes obligés de nous faire touer. Nous mefurâmes le cours de l'eau à 1: du foir, & trouvâmes qu’en 40 fec. l’eau parcouroit un efpace dedix toifes & un pied. Nous continuâmes d’al- ler à la toue jufqu’au 27 que nous arrivâmes à Cruces, qui eft le lieu du débarquement, à 5 lieues environ de Panama. À mefure qu'on avance dans les terres Ja rapidité de l’eau augmente confidérablement ; puisque le 25 nous obfervâmes qu’en 26! fec. l’eau couroit 10 toifes dans le lieu où nous paflèmes la nuit, le 26 en 145 fec. les mêmes 10 toifes; & à Cru- ces le 27 en 16 fec.le même efpace de ro toifes; defarte que l’eau de cet- te Riviere parcourt 2483 toifes par heure, ce qui fait à peu près une lieue. Ce Fleuve, qui portoit autrefois le nom de Lagartos *, & qui n’eft au- jourd’hui connu que fous celui de Chagre, tire fa fource des Montagnes voifines de Cruces. Son embouchure , qui eft par les 9 deg. 18 min. 40 fec. de Latitude Septentrionale & 295 deg. 6 min. de Longitude comp- tée du Méridien de Ténériffe, par où le Fleuve entre dans la Mer du Nord, fut découverte en 1510 par Lope de Olano. Diego de Alitez la découvrit dans l'endroit où eft Cruces, & le Capitaine Hernando de la Ser- na fut le premier E/pagnol qui en 1527 defcendit de-là jufqu’à fon em- bouchure. : L'entrée en eft défendue par un Fort conftruit à la côte de l'Eft, far un roc efcarpé & battu des flots de la Mer. Ce Fort eft ap- pellé San Lorenzo de Chagres. Il y a un Commandant avec un Lieutenant, l'un & l’autre nommés par le Roi. La Ganifon eft compofée d’un déta- chement des Troupes réglées de Panama. A * Riviere des Légurds. à VOYAGE AU PEROU. Euv. IL CL os À environ huit toifes du Fort qui défend l'embouchure du Fleuve, eft un Bourg qui en porte le nom. Les maifons font de chaume, & les ha- bitans compofés de Négres, Mulâtres, & Métifs, gens de cœur & dis- pos, & en aflez grand nombre pour tripler la Garnifon du Fort en cas d'attaque. A la côte vis-à-vis, & fur un terrain uni & bas, eft la Doua- ne Royale par où pañlent & font enrégiftrées les marchandifes qui entrent dans le Fleuve. La largeur de ce Fleuve eft d'environ r20toifes, mais elle diminue à mefure qu’on approche plus de fa fource. À Cruces,quieftle lieu où il commence d’être navigable ,1l n’a que 20 toifes de large ; & depuis ce Bourg jufqu’à fon embouchure en droite ligne, on compte 20 milles vers Nord-Oueft quart d'Oueft 3 degr. 36 min. plus à l’'Oueft. Maïs en fuivant les tours & détours qu’il fait, toute l'étendue de fon cours eft de 43 milles. La Riviere de Chagre renferme quantité de Caymans, dont quelques-uns fe font quelquefoïs voir fur les bords, qui font couverts d’une infinité d’arbres fauvages fi ferrés & fi près les uns des autres , que le rivage eft impénétra- ble, outre que les intervalles font garnis de halliers & femés de buiflons. d’épines extrêmement fortes & aigues. On fe fert de ces arbres, & en par- ticulier dû Cédre , pour la fabrique des Canots & d’une efpéce de Pirogue nommée Bongos ,qui font les Bâtimens qui naviguent fur ce Fleuve. Quel-- ques-uns de ces arbres ruinés par l’eau, tombent déracinés dans le Fleu- ve quandil s’enfle. La grandeur de leur tronc, & l’étendue de leurs branches ne permet pas au courant de les entraîner, deforte qu'ils reftent couchés bien avant dans l'eau, & font des écueiïls bien dangereux pour les Bâtimens qui montent ou qui defcendent; car comme une partie des branches eft cachée fous l'eau, c’eft un grand miracle fi le petit Bâtiment qui les heurte à l'imprévue ne fait pas capot. Outre cet inconvénient qui embaraîle la navigation de cette Riviere, il y a encore celui des Rauda- les, qui font des endroits bas, où les Bâtimens, quoique fabriqués pour cette navigation, ne peuvent avancer, deforte qu'il faut les alléger pour les remettre à flot, & leur faire pafler ces endroits - là. Les Bâtimens qui naviguent fur ce Fleuve font de deux fortes, les uns nommés Chats, & les autres Bonges, qu'on appelle Bonques au Pérou. Les premiers font en forme de Barques, fabriqués de plufieurs piéces, & d’une largeur convenable pour qu'ils ne tirent pas beaucoup d'eau. Ils portent fix à fept cens quintaux. Les Bonges font faits du feul tronc d’un arbre, & l’on ne peut les voir fans admirer qu'il y ait des arbres afiez pro- digieufement gros pour qu’on puifiè en faire d’une feule piéce de pareils Bâtimens, vu qu’il y en a qui ont de largeur jufqu’a onze pieds de Paris, auL 96 vVOYAGEUAU PER OU. qui font quatre aunes & un quart mefinre d'E/pagne, & portent depuis quatre jufqu'à cinq cens quintaux. Ces deux efpéces de Bâtimens ont une maniere de chambre à la poupe, où logent les paflagers. Cette chambre eft couverte de planches recourbées qui vont jufqu'à la proue, avec une féparation au milieu qui tient toute la longueur du Bâtiment: le tout eft encore couvert de cuirs de bœuf, pour que les ondées, qui font très-fré- quentes ; n’endommagent point les marchandifes. (Chaque Bâtiment a pour équipage 18 à 20 Négres robuftes, outre le Patron, nombre fans lequel il ne feroit pas poffible de réfifter au courant. Toutes les Montagnes & les Bois près de la Chagre font remplis d'À- nimaux , & furtout de Singes de toûte forte, les uns noirs, les autres gris, rouges & bigarrés : les uns de la longueur d'une aune ou environ, d’autres moindres, & les plus petits d’un tiers d'aune. Leur chair eft un grand ré- gal pour les Négres, furtout celle des rouges. Mais il me femble que quand cette chair feroit d’un goût encore plus délicat, la feule figure de ces animaux devroit en dégoûter. En effet à peine font-ils tués que les Né- gres les échaudent ou les flambent pour les épiler. La chaleur fait retirer ja peau, & après qu'ils font bien nettéiés, à voir leur peau blanche & tendue, & tout leur corps racourci & ramaflé, on les prendroit pour un enfant de deux ans, qui eft affigé & fur le point de pleurer. Malgré cet- te reffemblance qui eft parfaite & qui donne de l’horreur, la rareté des autres viandes en divers endroits des Jndes, fait que non feulement les Né- gres, mais les Créoles & les Européens mêmes n'y regardent pas de fi près. Rien à mon avis n’égale le fpeétacle que les Rivieres de ce Pays offrent à la vue. Tout ce que la Peinture peut imaginer de plus ingénieux n’ap- proche point de la beauté de cet afpeét ruftique formé des mains de la Na L'épaifleur des Bôcages qui ombragent les Vallons, les Arbres de différente grandeur qui couvrent les Collines, la variété de leurs feuil- les & de leurs rameaux jointe à la diverfité de leurs couleurs, tout cela enfemble fait le plus beau coup d'œil qu'on puiff> imaginer. Ajoûtez-y cette quantité d’Animaux qui y forment diverfes nuances, & exprimez, fi vousle pouvez, par des paroles l'agrément de ce fpeétacle ; les Singes de diverfes efpéces qui voltigent par troupe d’un arbre à l'autre, & s'at- tachent aux branches, qui s’uniflent fix & huit enfemble pour pañler la Riviere ,les meres portant leurs petits fur le dos,& faifant cent geftes & cent grimaces ridicules; tout cela paroîtra inventé à plaifir à quiconque ne l'a pas vu. Si l’on fait attention à la diverfité des Oifeaux, on ne fe- ra pas moins étonné; Car outre CEUX dont nous avons parlé au Chapi- tre VOYAGE AUPBEROU EEE CELL oy tre VII. du Livre I. & qui fonitt ici en fi grande abondance qu’ils parois- fent être originaires de ce Fleuve; on y voit des Paons de Montagnes, & des Paons Royaux, des Faifans, des Tourterelles, & des Hérons. Ces derniers font de différente efpéce; les uns font tout blancs, les autres auffi blancs, mais avec des plumes rougeâtres au cou & par tous les en- droits du corps où cette couleur paroît plus vive; ceux-ci noirs avec un cou & des ailes blanches tout autour, ainfi que fous le corps, ceux-là de diverfes autres couleurs , & tous de grandeur différente. Ceux de la pre- miere efpéce font les plus petits, & les blancs & noirs font les plus grands & les plus délicats à manger. Les Paons font d’un excellent goût, de-mé- me que les Faïfans. Les Arbres de cette Riviere font chargés de toute {orte de fruits. On eftime entre autres les Pignes ou Pommes-de-pin qu’on y cueille, & qui furpañlent celles des autres lieux, tant par leur grofleur, que par leur goût, & par leur excellente odeur. Ce qui les a rendu fa- meufes, & les fait rechercher dans toutes les Zndes. Dès que nos Bâtimens furent près de Cruces, nous débarquâmes & allâmes loger chez le Lieutenant de l’Ælcade du Bourg, dont la maifon fervoit de Douane où l’on enrégiftroit toutes les marchandifes qui alloient defcendre le Fleuve. Nous étant enfuite préparés à pañler par terre à Panama ,nous partîmes le 29. 11 : du matin, & le même jour à 65 du foir nous entrâmes dans Panama. Notre premier foin fut d’aller faluer le Pré- fident; nous devions cette attention à fa dignité, & à la maniere obli- geante dont il nous avoit rendu fervice. Ce Seigneur toujours poli, furtout envers les Etrangers , eut la bonté de recommander aux Officiers du Roi & à toutes les Perfonnes de diftinétion de la Ville de nous pre- venir dans toutes les occafions, montrant par-là fon refpeét pour les or- dres du Roi, & fon zèle à fe conformer aux intentions de fon Souverain. Les préparatifs indifpenfables pour la continuation de notre voyage, nous retinrent plus à Panama que nous n’avions cru ,ce qui nous donna le tems de faire diverfes obfervations fur la Latitude , fur le Pendule, & au- tres ; fans pouvoir néanmoins déterminer la Longitude, à caufe que Fupi- ter fe trouvoit près du Soleil. Pour moi, je m’occupai principalement à lever le plan de cette Place, de fes fortifications, & de fes côtes ; & tout cela étant achevé nous fimes embarquer nos inftrumens & nos équipages, afin de pouvoir partir fans perte de tems. Fume I. N CHA: 98 V:0 FAGE:AU PEROU ? M APE TIR Et LE Defcription de la Ville de Panama. Maniere dont les mailons y font bâties. Tribunaux, € Rücheffes des Habitans. À Ville de Panama eft fituée dans l’Iffhme du même nom, prés de la plage que le flot de la Mer du Sud baigne. Elle eft par les 8 deg. 57 min. 48” de Latitude Boréale felon nos obfervations. Quant à la Longitude jies fentimens font différens, aucun des Aftronômes qui ont été-jà n'ayant pu s’en aflurer par fes obfervations. C’eft pourquoi l’on doute encore fi Panama eft plus Oriental ou plus Occidental que Portobé- lb. Les Géographes François le croient plus Oriental, & l'ont ainfi placé dans leurs Cartes; mais les E/pagnels croient le contraire, comme il pa- roît par leurs Cartes, auxquelles fuivant mon avis on doit donner la préfé- rence, vu les fréquens voyages que les E/pagnols font de l’une de ces Vil- les à l'autre, & que ce font ces voyages qui doivent leur avoir donné occafion de les placer ainfi; au-lieu que les François n’ont pas le même avantage, ni par conféquent les mêmes occafions de faire à cet égard des obfervations auffi fréquentes. J'avouerai cependant que de tous les E f- pagnols qui font ce petit voyage, il n’y en a prefqu’aucun qui foit en état de faire des obfervations de ce genre, & de porter un jugement raifon- nable für la route qu’ils tiennent; mais il ne fe peut aufi qu'il n’y ait eu parmi tant d’autres qui ont fait ce même voyage, des Pilotes entendus, & des perfonnes curieufes & capables de plus d'attention & de réflexion, fur l'avis desquels fans doute on s’eft déterminé à placer ainfi cette Ville. Ce fentiment eft confirmé par la route que nous avons faite; Car celle que nous primes en remontant le Fieuve, fut, depuis fon eni- bouchure jufqu'au Bourg de Cruces, Sud-Eft quart d'Eft 3 deg. 36 min. Eft. La diftance étant de 21 milles, il s’en faut de 20 min. que Chagre ne foit auffi Oriental que Cruces, puifque ces 20 min. font la différence qu'il y à entre les deux Méridiens. Préfentement il faut confidérer la diftan- ce naviguée depuis Portobélo jufqu'à Chagre; on vogua à voile & à rame pendant deux heures & demie à caufe du vent de terre, nous conjeéturà- mes que nous faifions 1 lieues par heures. Enfuite on vogua 7 heures par: un vent frais de Brife, à 2 lieues par heures, ce qui fait en tout 18 lieues; & comme la route fut toujours dirigée à l’'Oueft, il fe trouve 44 milles, de différence dans la Longitude, ou 41 milles fi l’on veut décompter les: pets détours qu’il peut y avoir eu dans la route à l'Oueft. En fouftra- ant VOYAGE AU PEROU. Liv. IL CL 99 gant donc de cette route les 20 min. dont Cruces eft plus Oriental que Chagre , il réfulte que Cruces eft plus Occidental de 21 min. que Portobé: lo. Joignez maintenant la diftancé de Cruces à Panama, laquelle fe diris ge à peu près vers le Sud-Oueft, en comptant les fépt heures de chemin à trois quarts dé lieués chacune, à caufe que le Pays eft rude & pier: reux, elles donneront 14 milles qui font 10! min. de différence de Mé- ridien: par conféquent Panama fe trouvera environ 31 min. à l'Occident de Portobélo, d’où il fuit que les Cartes Æ/pagnoles le placent mieux que les Cartes Françoifes. Les Efpagnols furent redevables de la prémiere connoïflance qu’ils eu: rent de Panama à Tello de Gufinan, qui y aborda en 1515. mais il n’y trou- va que quelques cabanes de Pêcheurs, qui demeuroient-là à caufe de la commodité de la pêche, d'où le lieu avoit pris fon nom, car Panama en Indien fignifie un lieu poiffénneux. En 1513. Wafco Nugnez de Balboa avoit déjà découvert la Mer du Sud, & en avoit pris juridiquement pofleffion au nom des Rois de Cajtille. La découverte de Panama fut fuivie de la Peuplade qui y fut établie èn 1518. par Pedrarias Davila, Gouverneur de la Caftille d'Or, nom que l'on donnoit à cette partie du Royaume de Tierra-Firme; en 1521. cette Peuplade obtint le nom dé Ville avec tous les avantages convenables à ce titré, lesquels lui furent accordés par Sa Maijefté Catholique l'Empereur Charles Y. | Cette Ville eut le malheur d’être prife & faccagée par le Pirate Anglois Jean Morgan, qui la réduifit en cendres en 1670. Ce Pirate après avoir faccagé Portobélo & Maracaybo fe retira aux Iles; là il fit avertir les au- tres Pirates qui infeftoient ces Mers, qu’il avoit defléin de pañlér à Ps- nama , fur quoi beaucoup de ces fortes de gens fe vinrent joindre à lui. Il vint débarquer à Chagre avec ces renforts, & commença à battre cette Fortereffe du Canon de fes Vaifleaux. Il n’auroit fans-doute pasréufi dans fon deffein fans un hazard extraordinaire qui le favorifa. Déjà fes Vais- feaux étoient fort maltraités, quantité de fes gens tués ou bleffés, & ceux qui Combattoient encore, fort découragés: déjà il méditoit de s’en retourner, quand une des fléches que les Zndiens décochoïient contre eux xint percer l'œil d’un des compagnons de Morgan. Cet homme ainfi bles- fé devient furieux; il arrache lui-même la fléche de la playe, la garnit d'étoupe ou de coton à l’um des bouts, & la fourre ainfi dans le canon de fon fufl déjà chargé. Il tire contre le Fort, dont les maifons étoient cou- vertes de Chaume & les murailles de bois, félon l’ufage du Pays. La fié- che tombant directement fur un de ces’toits, y mit le feu. Les gens du N 2 Fort 100 VID TIABE AID URE RO U Fort occupés à combattre & à défendre les Parapets ne s'apperçurent point de l'incendie, jufqu’a ce que la flamme & la fumée leur annonce- rent que tout le Fort étoit en feu; & comme le Magazin à poudre étoit fous le Fort même, la flamme me pouvoit guere tarder d'y pénétrer. Un accident fi imprévu frappa les efprits d'une terreur fi foudaine, que la valeur des Soldats fe changea en defordre & en defobéiffance ; chacun ne fongea plus qu'à f mettre en fureté, & à quitter fon pofte pour fuir le double danger de bruler, ou de fauter en l'air. Le Commandant, ou Châtelain, toujours conftant au milieu du péril, & perfiftant à vouloir fe défendre , refta dans fon pofte fans quitter les armes, n’ayant autour de lui que 15 ou 20 Soldats, réfolus de périr avec lui. Ce brave homme perdit la vie en faifant fon devoir jufqu’au bout, & tomba percé de coups. Aprés fa mort ce peu de Soldats fe voyant fans Chef, & attaqués de tous côtés, fe rendirent, & les Pirates s'emparerent du Bourg , qu’ils détruifirent. Cet avantage, dont ils furent redevables à limpoñfibilité d’arrêter les progres du feu, leur ouvrit la route de Panama, qui fans cela étoit impraticable. Ils laïfferent leurs Vaiffleaux à l'ancre avec les gens néceffaires pour les garder, & s’embarquant dans leurs Chaloupes & leurs Canots, ils remon- terent le Fleuve & vinrent débarquer à Cruces, d’où ils continuerent leur chemin par terre jufqu’à Panama. En arrivant fur la Savane, qui eft une Plaine fpacieufe devant cette Ville, ils trouverent quelques Troupes, avec lesquelles ils eurent diverfes efcarmouches toutes à l'avantage de Morgan, qui fe rendit maître de la Ville, qu’il trouva abandonnée & déferte; car les Habitans épouvantés de la défaite de leurs gens s’étoient fauvés à la Campagne, & fe tenoient cachés dans les Bois. Maîtres de cette Ville les Pirates la pillerent tout à leur aife, & après s’y être arrétés quelques jours, ils offrirent de ne point toucher aux Edifices moyennant une gros- fe fomme d’argent; mais quand ils eurent tonché cette fomme, ils ou- blierent leurs promefles, & y mirent le feu par mégarde, à ce que dit l'hiftoire de leurs faits & geftes, mais plus vraifemblablement de deffein prémédité. Les Pirates fentirent eux-mêmes l’irrégularité de ce procédé, & pour s’en difculper ils publierent que les Habitans avoient eux-mêmes été les Incendiaires. Ce moyen leur parut propre à excufer le violement du Traité qu'ils avoient conclu. | Après ce malheur on fut obligé de rebâtir la Ville On choifit pour cet effet le terrain qu’elle occupe aujourd’hui, environ à une lieue & de- mie dé celui où elle étoit auparavant, & beaucoup plus avantageux. Elle eft toute ceinte d’une muraille de pierres fort larges, & défendue par une forte VOYAGE AU PEROU Liv. If. CH IL or forte Garnifon , dont on envoye des Détachemens pour la garde de Darier, de Chagre & de Portobélo. Aflez près de la Ville du côté du Nord eft une Colline nommée Ancon, qui s’éléve au-deflus de la Plaine à la hauteur de ro1 toifes, felon la mefure Géométrique qui en a été prife. Les maifons de Panama font toutes de bois, à un étage, avec un toit de tuiles. Elles font grandes & belles à voir par leur difpofition & la fimétrie des fenêtres. On y en trouve aufli qui font bâties de pierres mais le nombre en eft petit. Il y a hors de l'enceinte des murailles ef fauxbourg plus grand que la Ville, & dont les maifons font aufi de bois & couvertes de même, à l'exception de quelques-unes les plus proches de la campagne, lesquelles ont des toiles de claye mélée de glayeul. Les rues, tant du fauxbourg que de la Ville, font droites, larges, & pavées de pierres, au moins la plupart. | Quoique les maifons ne foient que de bois, cette Ville n’en eft pas pour cela plus expofée aux incendies; car foit qu’il tombe du feu fur les planches ou contre les murailles ,1l ne fait que percer fans allumer le bois, & s'éteint dans fa cendre. Malgré tout cela cette Ville ne laiffa pas d’ê- tre réduite en cendres en 1737, & la bonté du bois des maifons ne la fau: va pas du ravage des flammes, bienqu’il femble qu'il faut que quelque autre caufe ait concouru à le rendre plus combuftible qu’il ne l’eft naturel- lement. Le feu commença dans une cave où entre autres marchandifes il y avoit du Brai, du Goudron, & de l'Eau-de-vie, de maniere que les flammes élevant ces matieres facilement avec foi, s’attachoïent aux mu- railles & rendoient cette finguliere efpéce de bois plus combuftible. Le fauxbourg fut exemt de malheur, graces à la diftance de 200 toifes où il eft de la Ville. Depuis cet accident on l’a rebâtie, & l’on a conftruit une grande partie des maifons de pierres, ce qui n’eft pas bien difficile dans cet endroit-la. Il y a dans Panama une Audience Royale, dont le Préfident eft en même tems Gouverneur de la Ville, & Capitaine - Général du Royaume de TYer- ra- Firme; emplois qui ne fe donnent qu’à des perfonnes de diftinétion, quoique communément on ne fafle mention de celui qui les exerce que fous le titre de Préfident de Panama. Cette Ville a une Eglife Cathédrale avec un Chapitre compofé de l'Evêque & d’un nombre fuffifant de Prébendiers. Il y a un Ayuntamiento, ou Confeil-de-Ville, compofé d’Alcaldes ordinaires & de Régidors; des Cailles Royales, avec trois Officiers des Finances, .qui font un Maïtre- des-Comptes, un Tréforier, & un Faéteur: enfin une Commiffairerie de N 3 VIn- 102 VO AREE AU PER OU J'Jnguifition compofée d'Officiers nommés par le Tribunal de l'Inquifition de Carthagéne. La Cathédrale, aïnfi que les Couvens , font bâtis à pierre & à chaux. Avant l'incendie il y avoit quelques Eglfes de bois, mais on a compris la néceflité de bâtir plus folidement. UN y a des Dominicains, des Corde- liers, des Auguftins, des P. P. de 4 Merci, & un Collége de Téfuites; un Couvent de Sœurs de Ste. Claire, & un Hôpital de San Fuan de Dios. Les Communautés font en général peu nombreufes, parce que les Cou- vens n'ont pas d’aflez groffés rentes; & par une fuite de cette médio- crité, les Eglifes ne font pas extrêmement ornées, quoique d’une décen- ce convenable au Culte. | Les ameublemens des maifons particulieres font affez jolis quoique de prix médiocre, parce que l’opulence ne régne pas dans cette Ville com- me en quelques autres des Zndes. Il y a des gens riches, & l’on n’y trou- ve aucun habitant qui n'ait de quoi vivre; mais en général on ne peut ja compter ni parmi les Villes opulentes, ni parmi les pauvres. Le Port de Panama eft formé dans la rade même, & couvert de diver- fes Iles, dont les principales font Havo, Perico, & Flamencos. Le mouil- lage eft à celle du milieu, d’où i eft appellé Mouillage de Périco. Les Vaiffeaux y font en fureté, & il eft éloigné d’environ 25 ou 3 lieues de la Ville. Les Marées y font régulieres; & nous obfervâmes que le jour de la conjonétion * le flot commence à trois heures du foir. L'eau monte & baffle confidérablement ; ce qui joint à la difpofition de la plage, qui eft unie & au niveau de la Mer, fait que le flot en fe retirant s’en éloi- gne & la découvre trop dans la baffe marée. C’eft une chofe digne d’é- tre rapportée 11, -que la différence auw’on obferve entre les deux Mers 4 Sud & du Nord par rapport aux marées. Leurs mouvemens ont une cor- refpondance admirable, & ce qu’on regarde comme une irrégularité dans R Mer du Nord, eft une régularité dans celle du Sud. Quand celle-là cefle de croître ou de décroître, celle-ci s’enfle ou baifle, s'étendant fur les plages, ou (a) les élargiflant, comme c’eft l'effet propre du flux & reflux. Cette fingularité eft fi conftante, qu’on la remarque dans tous les autres Ports de la Mer dé Sud: puifqu’a Manta, qui eft prefque fous l’Equinoxial, la Mer croît & diminue réguliérement pendant fix heures, plus ou moins, % l'on voit aflez l'effet de ces deux mouvemens fur les plages. La même chofe | Av NE 5 , . Voyez ce qui a été dit ci-deflus. VOYAGE AU PEROU.Lav. IE CA IL 403 chofe arrive dans la Riviere de Guayaquil, quand le fond de ces eaux n'in- terrompt pas l'ordre des marées. Il en eft de-même à Payta, à Guancha- co, au Callao, & dans les autres Ports de cette Mer, avec la différence que l’eau monte ou baïffe plus dans les uns que dans les autres; deforte qu’on n’y fauroit vérifier cette opinion bien fondée & répandue parmi les Gens de mer, qu'entre les Tropiques les marées font irrégulieres, tant dans la difproportion du tems que la Mer employe dans le flux avec ce- lui qu’elle met dans le reflux, qu’à Pégard de la quantité d’eau qui monte ou baiffe à chacun de ces mouvemens, puifqu’on y voit tout le contraire. Il ne fera pas aifé de trouver la raïfon de ce Phénoméne fi fingulier & fi digne de remarque. Tout ce qu'on peut dire, c’eft que l’Ifthme qui fépare les deux Mers en queftion, en divifant leurs eaux, eft un moyen par le- quel renfermées dans leurs bornes l’une & l’autre Mer fubiffent des loix différentes. L’Aiguille varie dans la Rade de Panama de 7 deg. 39 min. au Nord- Eft. Cette Rade & toute la Côte abondent en plufieurs fortes d’excellens Poiflons. Le rivage fournit aufli quantité de Coquillages, & entreautres des Huitres groffes & petites, mais dont celles-ci font beaucoup plus eftimées. Le fond de cette Mer eft très-propre à la formation des Perles, dans la nacre desquelles on trouve des huitres exquifes, & dont la pêche eft fort abondante dans toutes les Iles de ce Golphe. C’eft au Port de Périco qu’abordent les Flottes du Pérou, lorsqu'elles viennent en Foire. Ce Port alors n’eft jamais fans Vaifleaux qui apportent des vivres qu’ils ont chargé dans les autres Ports du Pérou, fans compter quantité de. Barques le long de la côte, qui vont de-là au Choco, ou aux Ports de la Côte Occidentale du même Royaume. Les Vents qui foufllent ici font iles mêmes que ceux qui fe font fentir fur toute la Côte. Les marées font plus fenfibles dans les Iles qu'a quel- que diftance des mêmes Iles. On ne fauroit donner de règle certaine fur le rumb qu’elles fuivent; car cela dépend du lieu où fe trouve un Vais- feau ,, refpectivement aux Canaux que ces Iles forment entre elles. D'ail- leurs dans les mêmes Parages, elles varient felon les vents qui régnent. Il nous füffira donc d’avoir dit qu’il y a marée fur ces Côtes. Chacun pour- sa profiter de cet avis comme il le jugera à propos. 5 104 VOYAGE AU PEROU DOC P LT KR BIIL Du Climat € des Habitans de Panama ; des Champs € des Fruirs qu'ils produifent. Lufieurs endroits des Zndes fe reffemblent fi fort, tant à l'égard de leurs Habitans que de leurs Ufages & Coutumes, qu’on les prendroit tous pour les mêmes. La même reffemblance fe trouve dans les Climats, lorfque la difpofition accidentelle du terroir n'y met pas de différence. Il feroit inutile & ennuyant de répéter ici une matiere que nous avons déjà fuffifamment expliquée, il fuffira de rapporter les différences. Ainf , après avoir dit que les Habitans de Carthagéne reffemblent à ceux de Panama, j'ajoûte que ces derniers font plus économes, plus laborieux, plus agis- fans, fins & rufés où il s’agit de profit, & enfin entierement tournés à leurs intérêts, qui font la Bouflole des Européens comme des Créoles; & il feroit difficile de décider laquelle de ces deux efpéces d'hommes a donné l'exemple à l’autre. Le même efprit d'économie & d'intérêt régne égale- ment chez les femmes, à la réferve de quelques Dames venues d’E/pagne avec leurs maris nommés à des Charges d’Auditeurs ou autres, lesquelles confervent la même façon de penfer qu’elles ont apportée de leur Pays. Les Femmes de Panama commencent à imiter celles du Pérou dans la façon de fe mettre. Leur habillement confifte, quand elles fortent, en une Mante , & une Bajquigne ou Jupe affez reflemblantes à celles que Jon porte en Æ/pagne: mais dans leur maïfon, ou quand elles font des vifites, ou qu'elles s’acquittent de quelque autre cérémonie, elles n’ont que la chemife depuis la ceinture en-haut. Cette chemife a de grandes manches ouvertes par en-bas; & ces ouvertures, ainfi que celle du cou, font ornées & garnies de dentelles d'autant plus fines que c’eft en cela que confifte la plus grande magnificence du Beau-fexe de Panama. Elles por- cent des ceintures, & cinq à fix Chapelets de différente efpéce pendus à leur cou; les grains des uns font enfilés avec du fil d’or, ceux des autres font de corail mêlés de grains d’or, & les ordinaires font enfilés avec du fil de foye. Ces grains font de différente groffeur pour qu’ils paroiflent davantage. Par-deffus tout cela elles mettent deux ou trois chaînes d’or où pendent quelques reliquaires. Leur poignets font ornés de bracelets d'or ou de tombac, auxquels elles joignent un peu au-deflus un autre bra- celet de perles, de corail, ou de jayet. Le jupon qu’elles portent de la ceinture en-bas, ne leur defcend que jufqu’aux mollets. De-là jufques près de VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cm 10 de la cheville régne un cercle de denitelles larges qui pendent de la jupe de deffous. Pour chauflure elles portent des fouliers. Les Femmes Métices & Négrefles font diftinguées des E/fpagnoles, en ce qu’elles n’ofent porter la mante ni la jupe, qui font des habillemens réfervés à ces dernieres, qui par ce privilége ont toutes le titre de Segnoras, quoique plufieurs d’entre elles ne foient guere d’un rang à mériter ce titre. Quoique ce que je vais dire regarde autant les Habitans de Carth agéne & de Portobélo que cçux de Panama, j'ai cru devoir le.réferver pour cet endroit. Les uns & les autres ont ume façon finguliere de culbuter les pa- roles qu’ils prononcent; & comme ill y a des Peuples arrogans & fiers, d’autres doux & polis, quelques-uns brefs & concis dans leurs paroles, ceux dont nous parlons ont une voluibilité de langue, un bredouillement tout-à-fait importun & infupportable quand on n’y eft pas acoutumé. Ce qu'il y a de fingulier, c’eft que chacune de ces Villes a fa façon particu- liere de bredouiller, & de donner à leur voix un ton foible accompagné de diverfes fyllabes propres à chacune, &aufli diftinguées les unes des au- tres qu’elles le font toutes de la façon de parler en Efpagne. Tai penfé que cela pouvoit provenir de la mauvaife difpofition des corps débilités par la grande chaleur du Climat. Je ne prétens pourtant pas nier que l’ha- bitude n’y ait beaucoup de part. Le Climat de Panama differe de celui de Carthagéne en ce qu’à Panama l'Eté commente plus tard & finit plutôt, parce que les Briles y font plus tardives, & y ceflent de meilleure heure. Par les obfervations que nous fimes en divers jours avec le Thermométre, fans qu’on remarquât aucu- ne variation entre un jour & l’autre, nous trouvâmes le 3.0 le 6. de Fanvier 1736. qu'à 6 heures du matin la liqueur étoit à 1020! , à midi à 10234, & le foir à trois heures à 1025. Mais il faut remarquer que c’eft- là le tems où les Brifes commencent à régner, & que la chaleur n’eft pas alors auffi grande que dans les mois d’Æoit, de Septembre & d'O&tobre. À en juger par la qualité de ce Climat il femble que le terroïr de Pana- ma devroit produire beaucoup de Grains; mais la chofe ne va pas ainfi, & les grains du cru du Pays font en très-petite quantité. Aprés tout, c'eft moins la faute du terroir, que du peu de foin que les Fabitans pren- nent de le cultiver: ce qui ne provient que de Ja facilité qu’ils ont de nc- gocier, & de leur éloignement pour l'Agriculture. Quoi qu’il en foit, il eft certain que dans les champs autour de cette Ville, on n’apperçoit aucu- ne autre trace de culture que celle dont la Nature veut bien faire les fraix. On ne voit pas même qu'ils en ayent jamais eu d'autre. Cela fait que le Tome TI. O grain 16 : VOYAGE AU PEROU 2% grain eft rare & cher dans cette Ville. On ny voit, par la même rai. fon, ni Herbes potageres, ni Légumes, ce qu’on ne peut. attribuer à la ftérilité de la terre, puifqu'un petit Jardh qu’un Galicien cultivoit dans le tems que nous étions à Panama, en produifoit de toutes les fortes. C’eft ainfi que cette Ville eft réduite à tirer du dehors les chofes les plus néceflaires à la vie, & de les faire venir des Côtes du Pérou, ou de cel- les de fa jurisdiétion. Kad): SAR SAT MANS SCAN D): DOKTEA OAI HAN SOIENT Ge AT EURE HN. De la nourriture ordinaire des Habitans de Panima , avec quelques autres Obfervations particulieres. E défaut même de provifions du cru du territoire de Panama, eft caufe qu'on y vit plus noblement; car cette Ville ne fubfiftant que par le Commerce, tout ce qui s'y confume y eft apporté d’ailleurs : les Vaifleaux du Pérou font continuellement occupés à ce Nésoce, & les Barques de la Côte ne ceflent d’apporter ce que la Province de Panama produit dans les lieux de fa jurisdiétion, & dans ceux de la jurisdiétion de V’eraguas, d'où il arrive que Panama fe trouve abondamment pourvu de tout ce qu’il y a de meilleur en Pain de froment, en Maïz, en Viande, & en Volaille. Soit la bonté de ces alimens, foit la difpofition du Climat, foit quelque autre raifon qui m’eft inconnue, ileft certain que les Habitans de cette Ville n'ont pas la phifionomie fi pâle ni fi décharnée que ceux de Carthagéne & de Portobélo. Le mêt le plus ordinaire des Habitans de Panama eft un Animal qu'ils nomment Jguana. Cet animal eft amphibie, puifqu'il vit égaiement. dans l’eau & fur terre. Il a la figure d'un Lézard, mais ileft plus grand, ayant Ordinairement une aune de long, & même davantage. On en trou- ve pourtant qui ne font pas fi grands. Sa couleur eft jaune mêlée de verd; d’un jaune plus vif & plus clair fous le ventre que fur le dos, où le verd domine. I] a quatre pieds comme le Lézard: les doigts en font plus grands à proportion que ceux du Lézard, & unis par une membrane déliée qui les couvre, & forme la même figure qu'aux pisds d’une Oye, excepté que les ongles qui font au bout de chaque doigt font plus longs, & entiére- ment au-deffus de la membrane. Sa peau et couverte d’une écaille qui Jui eft attachée & qui la rend dure & rude, & depuis la partie fupéricure de VOYAGE AU PEROU. Liv. IL CH IV. 107 dé la tête, jufqu’à la naïffance de la queue, qui a ordinairement une demie aune de long, il a une file d’écaïlles tournées verticalement, & longues de trois à quatre lignes, fur une & demie ou deux lignes de large. Ces écailles font féparées l’une de l'autre, & forment une maniere de fcie, Depuis l'extrémité du cou jufqu’à la racine de la queue les écailles dimi: nuent tellement qu’on ne les apperçoit presque plus à ce bout; le ventre eft difproportionnément plus gros que le corps; & la gueule eft garnie de dents äigues, & féparées l’une de l’autre. Il femble plutôt marcher fur l’eau que nager, vu qu’il n’y enfonce que ces membranes qui l'y foutien- nent. Il court avec tant de vitefle fur cet élément, que dans un inftant on le perd de vue; mais fur terre, fans être parefleux, il s’en faut qu’il n’aille fi vite. Quand les femelles portent, elles ont le ventre d’une ex- ceflive groffeur, & pondent jufqu’a foixante œufs & davantage d’une feu- le vehtrée. Ces œufs font gros comme des œufs de Pigeon; & font un grand régal, non feulement pour les habitans de Panama, mais pour ceux de bien d’autres endroits. Ils font enveloppés dans une membrane déliée & longue comme un ruban. Quand l'animal eft écorché il offre une chair extrêmement blanche, que ces gens-là apprêtent & mangent avec autant d’appétit que les œufs: mais quant à‘moi, après avoir goûté de l’une & des autres, je trouve la chair un peu moins mauvaife, douçâtre, & d’une pe- tite odeur forte & dégoûtante. Pour les œufs je les ai trouvés pâteux & d'un goût déteftable. Quand ils font cuits, ils ont la couleur des jaunes d'œufs de poule; & il ne tient pas aux habitans du Pays qu'on ne croye que la chair a le goût du poulet; mais je n’ai jamais pu être de leur fenti- ment, & n'ai remarqué aucun rapport entre cette chair & celle des pou- lets. Il faut que les gens de ce Pays accoutumés à voir des Lézards ayent oublié l'horreur naturelle qu’on a pour ces animaux, pour fe faire un ré- gal de leur chair, qui eft un mêt que nous ne goûtons pas facilement. Les Habitans de Panama font extrêmement infatués de deux fingulari- tés qu'ils attribuent à la Nature; l’une eft la Plante qu’ils nomment /’Æer- be-du-coq, & l'autre le Serpent à deux têtes. Te dirai un mot de l'une & de l’autre. ; \ C’eft une opinion générale dans cette Ville, que la Campagne aux en- yirons produit une efpéce de Serpent qui a une tête à chaque extrémité de fon corps, & qu'il nuit auffi-bien de l’une que de l’autre, fon venin n'étant pas moins préfent que celui du Cafcabet, ou Serpent-à-fonnettes. Il ne nous fut pas poñlible pendant notre féjour dans cette Ville, de voir un de ces merveilleux Serpens à deux têtes, quelque effort que nous fiflions @:2 pour 108 VOYAGE NM'U PE Mer pour cela: mais fuivant ce qu’on nous en dit, leur longueur ordinaire eff d'une demie aune. Leur corps eft rond, & refflemble à un Ver-de-terre: de fix à huit lignes dediamétre, & leurs têtes different de celles des au- tres Serpens, étant toutes d’une venue Comme le corps: mais il eft plus. probable qu'ils n'en ont qu'une, & qu'étant égale au corps elle reffemble à Ja queue, d’où ils auront conclu qu’ils. en avoient deux , faute de pou- voir diftinguer la feule véritable. Ce Serpent eft fort lent à fe mouvoir. I cft de couleur grife mêlée de taches blanchâtres. Is vantent beaucoup la vertu de Ÿ Herbe-de-c0q , & ils prétendent qu’on: peut couper la tête à un coq. ou à un poulet, pourvu qu’on ne coupe pas une des vertébres du cou, & qu’en y appliquant cette herbe immédiate- ment après l'animal bleflé eft guéri fur le champ. On donnera à cette guérifon tel tour qu’on voudra, il refte toujours décidé que ce n’eft qu'un, bruit populaire: & fi jen parle, c'eft pour éviter que ceux qui ont oui parler de cette herbe, ne m’accufent d’avoir ignoré ce qu’on en raconte. Durant notre féjour à Panama, nous follicitâmes beaucoup ceux qui nous parloient de cette herbe, de vouloir bien nous en montrer; mais nous ne pûmes l'obtenir, quoique quelques perfonnes habituées à Panama m'a- vent depuis afluré qu’elle y étoit fort. commune: ce qui prouve qu'elle n'a. pas la vertu qu'on lui attribue, puifque fi elle l'avoit on n’auroit pas refu- fé de. nous en donner pour en faire l'expérience. Ily a grande apparen- ce qu’elle a la propriété d’étancher le fang d’une.bleflure où il n'y a pas de grand vaifleau offenfé; mais qu'elle puifle réunir les grandes arteres: après qu’elles ont été coupées, ainfi que les nerfs & les tendons, c’eft ce que perfonne ne croira facilement. Si elle produifoit un tel effet fur la volaille, il feroit tout fimple qu’elle le produifit fur tout autre animal, & en ce cas les hommes auroient aufi part au bénéfice ; & ce feroit un meu- ble bien néceffaire pour ceux qui vont à la guerre, qu'une où deux onces d’un fi fouverain reméde pour guérir toutes les bleflures mortelles. CH MUBUE TRE V. Commerce que la Ville de Panama fait en tout tems avec les Royaumes du Pérou €3 de Tierra- Firme. Ar ce qui a été dit du Commerce & Portobélo à l’arrivée des Gallions, on pourra juger de celui de Panema dans le même tems: puifque c’eft oméomats VOYAGE AU PEROU: Liv. IE CH, V. Too t'eft dans cette Ville qu’on débarque lé Tréfér du Pérou, & qu’elle fert d'entrepôt aux Marchandifes qui remontent la Chagre. Ce Trafic eft d’un grand profit aux Habitans. Il confifte dans le loyer des Maifons, le fret des Bâtimens, les fournitures des Mules, & des Négres, qui vont pren dre à Cruces les effets les plus volumineux & les plus fragiles, & les char- rient par ce chemin coupé a pic fur pierre vive, & qui traverfe les Mon- tagnes des Cordilleres ,"{ étroit en divers endroits qu’une bête de fom- me a de la peine à y pafler fon corps, & n’y fauroit pañler fans un très- grand rifque avec une charge. Hors du tems de l’AÆrmadille où Flotte du Pérou, Panama ne laïffe pas de voir aborder beaucoup d'étrangers dans fes murs; les uns y viennent pour pañler dans les Ports de la Mer du Sud, les autres en revenant des mêmes Ports pour s’en retourner en Æ/pagne;. à quoi il faut ajoûter la: bord continuel des V'aifleaux qui apportent les denrées du Pérou, comme Farines, Vins, Eau-de-vie-de-vin ou de Caftille, comme ils parlent dans toutes les Zndes, Sucre, Savon, Sain-doux, Huiles, Olives, & autres cho- fes femblables. Les Vaiffleaux de Guayaquil apportent du Cacao & du Quinquina, dont il fe fait un grand débit dans cette Ville, furtout en tems de Paix. Le prix de ces denrées, particulierement de celles du Pérou, va: rie beaucoup: Ileft des occafions où les propriétaires en perdent une par- tie & fouvent le total, & d’autres où ils gagnent trois cens pour cent, fe- Jon qu’il y a abondance ou rareté de denrées. Les Farines font fujettes à fe gâter & à fe corrompre par la grande chaleur, de maniere qu'il faut quelquefois les jetter à la mer. Les Vins & le Brandevin, ou Eau-de-vie, s’'échaufent dans les Jarres, & contraétent une odeur de poix, qui les ren- dent entierement inutiles: le Sain-doux fe fond, fe confume enfuite & fe convertit en terre, & ainfi des autres Marchandifes; deforte que fi les profits fout grands, les rifques le font encore davantage. Les Barques côtieres qui viennent de la côte de l’'Oueft & de celle dé VE apportent à Panama du Porc, de la Volaille, du Taffajo où Viande falée & fechée, du Sain-doux, du Fruit de plane, des Racines, & autres ali. mens dont cette Ville eft-par ce moyen toujours abondamment pourvue. Les Vaifleaux dû Pérou ou de Guayaquil hors du tems des: Flottes s'en retournent à vuide: Quelquefois ils peuvent charger des: Négres,. parce que lorsque l”Affiento dé ces Efclaves a cours, il y a à Panama une Facto- rerie femblable à celle de Portobélo pour ce commerce. Les Négres font amenés à cette Faétorerie, d’où on les diftribue dans tout le Pays de Tier- ra Firme & dans le Pérou. | 6 2: | 2 110 WIO'Y AGE AN PEROU. Le Préfident de Panama a le pouvoir de permettre tous les ans à un o@ deux Vaiffeaux de pafler aux Ports de Sonfonate, du Realejo, & autres de la Province de Guatemala, & de la Nouvelle E/fpagne, pour charger de la Poix, du Goudron & des Cordages pour les Bâtimens qui trafiquent à Panama, & pour porter dans ces Ports les denrées du Pérou qui ne peu- vent fe confumer à Panama. : Ceux qui ont obtenu cette permiflion, re- viennent rarement immédiatement à Panama, parce que la meilleure par- tie de leur, cargaifon confiftant en Indigo, ou ils vont le porter à Guaya- quil, ou 1ls vont en droiture dans les autres Ports plus au Sud. | La cherté des Denrées ordinaires à Panama & aux environs, vient de la quantité qu’il en faut & des fraix du tranfport; mais cet inconvénient eft bien réparé par l’ineftimable tréfor des Perles que l’on pêche dans fon Golphe. Cette pêche précieufe fe fait aux Iles 44 Roi, de Taboga, & au- tres au nombre de 48, qui forment un petit Archipel. Le premier à qui les Zndiens donnerent connoiffance de cette Miniere fut Basco Hugnez de Balboa, qui paflant pour découvrir l Mer du Sud reçut du Cacique Tu- maco un préfent de quelques perles. Elles font à-préfent d’autant plus communes à Panama, qu’il y a peu de perfonnes aifées qui n’employent un certain nombre de Négres à cette pêche. Et comme la maniere de pêcher les perles n’eft pas connue de tout le monde, je crois qu’il ne fera pas hors de propos d’en dire ici un mot en pañlant. Les propriétaires des Négres.choififfent entre leurs Efclaves ceux qui font les plus propres à cette pêche. Pour s’enfoncer dans l’eau il faut qu'ils foient bons nageurs, & qu’ils puiflent retenir longtems leur haleine. A- près en avoir choifi un certain nombre, ils les envoyent aux Iles fusdites où 1ls ont leurs Puncheries ou habitations & des barques propres pour cette pêche; là on les diftribue fur ces barques par bandes de 18 ou 20 plus ou moins felon ja capacité du Bâtiment, & à chaque bande on joint uñ Caporal. Ils naviguent vers les Parages où ils ont reconnu qu’il y a des perles, & où il n’y a pas au-delà de 10,12 ou 15 brafles d’eau. Arrivés en cet endroit, ils jettent l'ancre, s’attachent une corde au milieu du corps qui tient par un bout à la barque à la place que chaque pêcheur oc- cupoit, & prenant avec foi un petit poids afin de devaler plus aifément dans l’eau, ils plongent, & dès qu’ils touchent le fond ils arrachent une perle qu'ils mettent fous le bras gauche, ils tiennent la feconde dans la main du même bras, & la troifiéme dans la main droite ; avec ces trois perles, ou une quatriéme qu’ils tiennent quelquefois dans la bouche, ils reviennent pour prendre haleine, & fourrent ce qu’ils ont pris dans une efcar- VOYAGE AU PEROU. Liv. IL CH. V. ri efcarcelle. -Dès qu'ils ont un peu recommencé à refpirer, ils fe replon- gent dans l’eau, & continuent cet exercice jufqu’a ce qu'ils ayent rempli leur tâche, ou jufqu’à ce qu'ils foient fur les dents. Chacun de ces Né. gres plongeurs eft taxé a un certain nombre de perles pour le compte de leurs Maîtres. Ce qu’ils prennent au-delà eft pour eux. Cette taxe eft générale & égale pour chaque propriétaire d'Efclaves. Dés qu’ils ont le nombre prefcrit de perles ils ceflent de plonger, & procédent à l’ouver- ture de l’huitre ou coquille qui renferme la perle. Ils en tirent ces perles, & les remettent à l'Infpeéteur. Sl s’en trouve qui foient petites & de mauvaife qualité, elles ne laïflent pas d'être comptées. Toutes celles que te Négre a prifes au-delà du nombre fixé font pour lui, quelque belles qu'’el- les foient; & fi le Maître les veut avoir il faut qu’il les achette de fon Es- clave, qui peut même les vendre à un autre; mais pour l'ordinaire il ne les refufe pas à fon Maître pour un prix modique. Les Négres n’achévent pas chaque jour leur tâche: quelquefois ils ont le malheur de prendre des huitres où la perle n’êft pas encore figée, d’au- tres où il n’y en a point du tout, & d'autres enfin où l'huitre eft morte. Dans tous ces cas les piéces ainfi défeétueufes n’entrent point en ligne de compte, & il faut qu'ils les remplacent par des perles de recibo * pour me fervir de leur termes. | + Outre les peines &.les fatigues que ces miférables plongeurs efluyent däns cette pêche, vu que les écailles font fi fortement attachées au roc qu’il n’eft pas aifé de les en arracher, ils courent encore de grands dan- gers de la part de certains Poiffons cétacées, qui font en grande quantité dans ces Parages, & qui dévorent les Négres qu’ils apperçoivent au fond de l’eau , ou.fe laiffent tomber fur-eux & les écrafent ou étoufent par leur poids +. Il femble que ces animaux veuillent déferidre les produétions les plus précieufes de leur élément, contre les hommes qui viennent les ra- vir; & quoique tout le long de tes Côtes il y ait afléz de ces Poiflons monftrueux & voraces, & qu'on y courre les mêmes rifques de leur part,. ils fe trouvent néanmoins en plüs grand nombre dans les lieux où cette: forte de richeffe äbonde. Les Taburons ou Requins, & les Téinturieres, font des poiffons d’une grandeur démefurée, qui fe nourriflent de la chair de ces * Perles recevables. T C'eft ce que fait-admirablement bien le Poiffon qiu'on nomme Pantouflier à la Murti- nique. On a remarqué que le Kequin, le Lamentin @& autres Poiffons voraces attaquent plutôt un Négre qu'un Blanc. Not. du Trad, ; o 112 MO Y A GE A U P#E RO D. ces malheureux plongeurs qu'ils attrapent. Les Mantas * les enveloppent dans leurs corps & les étouffient, ou fe laiffant tomber fur eux de toute leut pefanteur 1ls les «écrafent contre ie fond. Il paroît, & ce n’eft pas {ans raifon, qu’on a diomné le nom de Manta à ce Poiflon, à caufe de fà f- gure; Car il eft large, & s'étend comme une courte-pointe: dès qu’ila at- trapé un homme ou umautre animal, 1lenveloppe & le roule dans fon corps comme dans une couverture, & à force de le ferrer & de le comprimer il l'étouffe. Ce Poiffon reffemble à la Raye quant à la figure, excepté qu’il eft infiniment plus gros. Pour fe défendre contre des ennemis fi redoutables, chaque plongeur eft armé d’un couteau fort pointu & bien affilé. Dés qu'il apperçoit un de ces poiflons voraces, 1l l'attaque par quelque endroit dont il ne puifle être bleffé, & lui plante fon couteau dans le corps. Le poiflon fe fen- tant bleffé prend la fuite & laïle le Négre en repos. Le Caporal Négre, qui a l’infpeétion fur les autres Efclaves, prend garde à ces cruels ani- maux, du haut de à barque où 1l eft: dès qu’il en découvre un, il en a- vertit les plongeurs par le moyen des cordes que chacun d’eux a autour du corps; les fecouffes qu'il donne à ces cordes, font affez entendre aux Né- gres qu'ils doivent ètre fur leurs gardes; fouvent il fe jette lui-même dans Peau armé d’un pareil couteau, pour fecourir le plongeur qui eft en dan- ger ; mais malgré toutes ces précautions, il arrive aflez fouvent que les Pécheurs de Perles trouvent la mort & la fépulture dans l’eftomac de ces poiflons, ou qu'ils reviennent eftropiés d’une jambe ou d’un bras que animal a mordu où dévoré. On a tâché d’imaginer quelque machine ar- üficieufe pour écarter ces animaux, & pourvoir à la fureté des plongeurs ; & quoiqu’on ait inventé divers moyens, le fuccès n’a pas répondu à l'i- dée qu’on s’en étoit faite: Les Perles que l'on péche dans ces Parages font ordinairement de très’ belle eau, & quelques-unes ont été remarquables par leur groffeur & leur figure: il eft bon d'obferver , que comme il y en a d’une forme plus régu- liere les unes que Jes autres, il s'en trouve auffi qui font de trés-belle eau, & d’autres dont la couleur eft médiocre & très-imparfaite. Une partie des perles que l’on péche dans les lieux en queftion, eft tranfportée en Europe, & c’eft la moindre. L'autre partie, qui eft la plus confidérable, eft envoyée à Léna, où les pérles font extrêmement recherchées, & d’où l'on en envoye dans, toutes les Provinces intérieures du Royaume du Pérou. ‘ Ou- #. A » mm: i rs, mot Qui fignife couverture de lit. ï VOYAGE AU PEROU. Lw. UL Ci V. 113 Outre les Perles, le Royaume de Tierra-Firme avoit encore l’article de l'Or, que l'on tiroit des Minieres de fa dépendance, ce qui n’augmentoit pas peu fes richeffes. Partie de ces Minieres font dans la Province de V'eraguas, païtie dans celle de Panama, & le plus grand nombre, les plus abondantes, celles qui produifent le plus fin Or font dans la Province de Darien, & ont toujours été l'objet de l'attention des Exploiteurs de Mi- nes; mais les Indiens s'étant révoltés & rendus maîtres de prefque toute la Province, il falut abandonner les Mines, & la plus grande partie en fut perdue. Tout ce qu’on en put conferver, fut réduit à celles qui fe trou- voient fur les frontieres d’où l’on tire encore quelque peu d'Or. On pour- roit en tirer beaucoup davantage, fi la crainte qu’on a de l’inconftance n2- turelle aux Jndiens, & le peu de confiance qu’on prend en leur amitié, n'obligeoient les Maîtres des Mines à trop de précautions, & ne les em- pêchoient de prendre les mefures les plus efficaces pour en tirer tout le parti poflible. Quoique les Mines de Veraguas & de Panama ne foient pas expofées au péril dont nous venons de parler, elles n’en font pas pour cela pous- fées avec plus de vigueur, par deux raifons. La premiere, c’eft que l'Or qu'elles fourniffent n’eft ni fi abondant, ni de fi bon aloi que celui des Mines de Darien. La feconde, qui eft en même tems la plus importan- te, c'eft que ces Mers produifant abondamment des Perles, les gens du Pays font portés à cette pêche, parce qu’elle leur procure des profits plus certains, & ne les engage prefqu’à aucun fraix; c’eft pourquoi ils préférent ce revenu à celui des Mines d'Or ; ils ne laiflenc pas cependant d'en exploiter quelques-unes, mais en petit nombre, fans celles des fron- tieres de Darien, dont nous avons déjà parlé. Outre l'argent que lè Commerce attire à Panama , il s'y fait tous les ans une remife confidérable de Deniers Royaux, qu’on y envoye de Lima pour le payement des Troupes, des Officiers de l’Audience & autres qui fervent le Roi, les revenus que ce Monarque tire de Panama même ne fuffhfant pas pour payer tant de gens employés au fervice de Sa Majefté. 114 VO Y AGE AU PÆR OU. QUELLE RE UV Etendue de la Jurisdiétion de l' Audience de Panama au Royaume de Tierra- Firme. Limites de ce Royaume & Provinces dont il eft compofe. A Ville de Panama ne jouit pas feulement de l'avantage d’être la Ca- pitale de la Province du même nom, mais elle eft auffi Métropole du Royaume de Tierra-Firme, lequel eft compofé des trois Provinces, de Panama, de Darien, & de Veraguas. La Province de Panama eft la plus confidérable des trois. Elle eft fituée au centre du Royaume, ayant à V'Ef le Pays de Darien, & à l'Ouëft celui ds Veraguas. Le Royaume de Tierra-Firme commence du côté du Septentrion à la Riviere de Darien, & continuant par Nombre de Dios, Bocas del Toro, Babia de l Amirante, 11 eft terminé à l'Occident par le Fleuve de Los Do- rados , & par la Mer du Nord. Vers la Mer du Sud, en tournant à l'Ouëft, il s'étend depuis Punta Gorda dans la Cofta Rica ou Côte Riche, & conti- nue par Punta de Mariatos & Morro de Puercas jufqu’au Golphe de Darien, d’où il s’allonge par la Côte du Sud, & par Puerto de Pinas, & Morro Quemado, jufqu’à la Baye de St. Bonaventure. Sa longueur du Levant au Ponent eft de 180 lieues, quoiqu’en füuivant la côte 1l ait plus de 230 lieues de long. Sa largeur du Nord au Sud eft la même que celle de lIfthme qui renferme la Province de Panama & partie de celle de Darien. L’es- pace le plus étroit de l'Ifthme eft depuis les Rivieres de Durien & de Chagre, à la côte de la Wer du Nord, jufqu’aux Rivieres de Pito & de Cay- mito vers la Mer du Sud, & dans cet efpace on ne compte que 14 lieues. Mais enfuite l’Ifthme sélargit vers le Choco, & vers Sitara, ainfi que par la partie Occidentale de la Province de J’eraguas, où il a bien 40 lieues de largeur de l’une à l’autre Mer. Cet Ifthme eft traverfé par cette longue chaîne de hautes Montagnes fi connues fous le nom de Cordillere des Andes, qui commençant à s'élever dans la Terre Magellaniue courent par le Royaume de Chili, & la Provin- ce de Buénos Ayres jufqu’a celle du Pérou & de Quito, d’où elles conti- nuent en fe retreciflant & fe reflérrant pour traverfer l’Ifthme de Pana- ma, après quoi elles recommencent à s’élargir & à s'étendre par les Pro- vinces & Royaumes de Nicaragua , de Guatimala , de Cofta Rica, de San Miguel, de Mexique, de Guayaca & de Puébla, pouffant une infinité ae VOYAGE AU PEROU: Live I. CH VE 11 de rameaux comme pour unir les parties Méridionales: du Continent d’4. mérique avec les Septentrionales. Pour qu'on puifle fe former une idée plus jufte du Royaume de Tierra- Firme, je crois qu’il eft à propos de parler de chacune de fes trois Pro- vinces en particulier, & pour commencer par celle de Panama comme la principale, je dis d’abord que la plus grande partie des Peuplades qu’el- le contient, font fituées dans les petites plaines qui font le long de la pla- ge; le refte de fon Territoire eft rude & coupé de Montagnes inhabita- bles tant par leur ftérilité naturelle, que par l’intempérie de l'air qui y régne. Toute la Province renferme trois Villes, une Villotte, des F orts, des Villages & des Habitations, dont on trouvera les noms ci-deflous avec les Cafles des Habitans fpécifiées. Les Villes ou Cités, font Panama, Portohello, & Santiago de Nata de los Cavalleros. L'emplacement que cette derniére occupe fut découvert par le Capitaine Alon/o Perez de la Rua en 1515, pendant que Nata étoit Ca- cique de ce Diftriét. Le Licentié Gafhar de E/pino[a la peupla la premie- re fois en 1517 avec titre de Ville; les Zndiens l'ayant prife & brulée, il la rétablit, & on lui donna alors le titre de Cité. Elle eft grande, les maifons font de brique crue, ou de paille: fes Habitans partie E/fpagnols, partie {ndiens. La Ville que l'on nomme Zos Santos eft une Peuplade moderne d'Efpagnols Habitans de la Cité de Nata, lefquels pouflés par l’es- pérance de faire mieux leurs affaires, abandonnerent cette derniere Ville pour s’aller bâtir des maifons dans l’autre, & par-là Los Santos eft deve- nue plus peuplée que Nata. Les environs de celle-là furent découverts par Rodriguez Valenuela ; il y avoit alors dans le même endroit une Bour- sade Jndienne, dont le Cacique s’appelloit Guagam. Par l'origine de cette Ville on peut aïfément juger que fes Habitans font en partie E/pagnols, en partie {ndiens. Les Bourgs & les Villages de cette Province font de différente efpé. ce, & en grand nombre. I Nous mettrons à la tête de tous celui de Nueftra Segnora de Pacora, habité par des Mulâtres & Enfans de Mulitres. IL. San Chriftoval de Chepo, qui tire fon nom de fes Caciques Chepo & Chepauri, fut découvert par Tell de Guzman en 1515. Outre les Indiens dont ce Village eft peuplé, il y a une Compagnie de Soldats de Ja Garni- fon de Panama, dont la plupart y font mariés &: établis. l'E | Di- 116. VEO-P-AIG DU A U PEROU Diverfes Rancheries & Habitations d'Indiens font de la dépendance de ce Village. Ces Rancheries font fituées dans les Coulées * du côté du Sud. Dans les Savanes de Rio, ou Riviere de Mamoni, il y a diverfes Habi- tations répandues çà & là, favoir, À Rio de la Campana. Dans la Coulée de Curcuti. A Rio de Cagnas & à fon embouchure, À Rio de Platanar. A Rio de Pinganti. À Rio de Bayano. Dans la Coulée de Terralbe. Dans celle de Platanar. Dans celle de Calobre. Dans celle de Pugibay. Dans celle de Marcelo. À Rio de Mange. Le Village de Chepo a encore fous fa dépendance les Habitations ou Ran- cheries fuivantes, qui font vers le Nord. À Rio del Playon. À Rio Chico de la Conception. À Rio de Guanacati. À Rio de Coco ou Madinga. Sur la Riviere de Sarati. III. Le Village de St. Fean fitué fur le chemin de Panama à Portobelle & habité par des Mulâtres. . IV. Le Village de Nueftra Segnora de co de Négres. V. Le Village de la Santiffima Trinitad de Chamé, découvert par Gon- zale de Badaÿoz. Ie Cacique du lieu fe nommoit Chamé, d’où le nom eft refté au Village. Il eft habité d’E/pagnols & d’ Indiens. VI. Le Village de 5%. T/idore de Quiguones découvert par le même Badajoz. Le Cacique fe nommoit Totronagua. Ce Village eft aujourd'hui peuplé d'E/pagnols & d’ Indiens. 11 L12 42 VIL Le * Les Coules font des Vallons qui fe forment entre les Montagnes par la chute de quelque Colline qu'un torrent furieux entraîne & faic couler, Les Æfpagnois des Indes appellent ces Coulées Quebradas ; Crevaffes, VOYAGE AU PEROU. Liv. IL Cf VI x17 VII. Le Bourg de San lranci/(co de Paule, qui eft dans la Cordillere, ha- bité par des Æ/pagnols & des Indiens. VIII. Le Village de St. Ÿean de Pononomé, ainfi appellé du nom de fom Cacique. Ileft compofé d’ Indiens qui ontencore confervé l’ufage des arcs & des fléches dont ils fe fervent avec beaucoup d’adreffe, & font fort vaillans. IX. Le Village de Ste. Marie, fitué dans un endroit qui fut découvert par Gongalo de Badajoz. Le dernier Cacique de ce lieu fe nommoït Æ/co- a: il n’eft habité que par des E/pagnols. X. Le Village de Santo Domingo de Parita. Ce dernier mot étoit le nom du Cacique, & le Village n’avoit anciennement que des Indiens pour habitans, mais aujourd'hui il y a beaucoup d’Æ/pagnols parmi eux. XI. Les Iles près desquelles on pêche les Perles, Taboga, Taboguilla & autres, furent découvertes par ordre de Pedro Arias Davila, le premier Gouverneur & Capitaine-Général qu’ait eu le Royaume de Tierra-Firme. * H y à dans ces Iles des Habitations de quelques E/pagnols se de Négres plongeurs pour la pêche. XII. Les Jles du Roi furent découvertes par Ga/par de Moralès & le Capitaine Zrançois Pigarro. Outre les Habitations d’Efpagnols, grand nombre de plongeurs Négres. font leur demeure dans ces Iles. Seconde Province de Tierra-Firme. La feconde Province de ce Royaume eft celle de Veraguas, dont la Ville de Sant-Fago farnommée de Feraguas eft la Capitale. L’Amiral Chri- ftophle Colomb fut le premier qui découvrit cette côte en 1503. Il donna le nom de Z’erdes Aguas à la Riviere nommée aujourd’hui Veraguas, à caufe de la couleur verte de fes eaux, ou, comme d’autres le veulent, parce que les fndiens lui donnoient ce nom dans leur Langue: quoi qu’il en foit, c'eft toujours de-là qu’eft dérivé le nom de la Province. En 1518 les Ca- pitaines Ga/par de Efpinola &. Diego de Alvitez recommencerent la dé- couverte par terre; maïs ils n’y purent rcuflir, ayant rencontré le Cacique qui les repouffa & les empêcha de pénétrer plus avant, deforte qu’il falut fe contenter alors de former un établiflement dans le voifinage, où les E/fpagnols ne purent même fe maintenir, à eaufe des invafions & des.cour- fes fréquentes des Zndiens. Pour s’en mettre mieux à couvert, on jugea qu'il faloit avoir un établiffement plus folide, & ce fut ce qui fit fonder la Ville de Sant-Ÿago de Veraguas, dans le lieu où elle eft préfentement. Outre cetie Ville Ja Province en contient encore deux autres, & di- vers Villages: Savoir, #2 3 L 113 FOX AGE AU PER O U. La Ville & Cité de Sant-Sago al Angel, fondée en 1521 par Benoit Hur- tado Régidor de Panama: elle a été depuis détruite & rebâtie deux fois. Ses Habitans font partie E/pagnols, partie Mulätres. La Ville de Nueftra Segnora de los Remedios de Pueblo Nuevo eft habitée comme la précédente. i I. Le Village de San Francifco de la Montagna habité par des Indiens tireurs de fléches. IT. Le Village de San Miguel de la Halaya peuplé de toute forte de gens. III. Celui de San Marcelo de Leonme/a de Tabarana, habité par les Indiens. IV. Celui de San Raphael de Guaymi, aufi d’Indiens. V. Celui de San Phelipe del Guaymi, d' Indiens. VI. Celui de San Martin de los Coftos, d'Indiens. VII. Celui de San Fofeph de Bugava, d'Indiens. VIII. Celui de San Auguftin de Ulate, d'Indiens Changuins. IX. & X. Celui de l4 Picetad, & celui de San Miguel, au d’Zndiens Changuins. XI. Les deux Bourgadesde Sr. Pierre & de St. Paul des Platanes, d'Indiens. -XII. Celle de San Pedro Nolafco, d'Indiens Dorafes. XIII. Celle de San Carlos, d Indiens Dorafes. Troifiéme Province de Tierra- Firme. La troifiéme Province de Tierra-Firme eft celle de Darien, dont la plu- part des Habitans font des Indiens vagabonds , qui ont fecoué le joug, pour vivre dans leur ancienne liberté, fans nulle Religion, & comme les Peuples les plus barbares. En 1716. il y avoit divers Villages, plufieurs Doctrines * & Peuplades qui avoient juré obéiffance au Roi d’E/pagne, & qui étoient fous la dépendance des Gouverneurs de Panama. Il n’en refte plus aujourd’hui que quelques-unes en petit nombre. Voici ies noms de celles qui fubfiftoient cette année-là. I. Le Village & Affiento des Mines de Santa Cruz de Cagua; c'étoit une Peuplade confidérable d’E/pagnols & d’Indiens. IT. Le Village de /4 Conception de Sabalo, habité comme le précédent , mais moins peuplé. III. Celui de Sr. Michel de Tayequa, habité de même. IV. Celui de Santo Domingo de Balzas, habité par des E/pagnols & des Indiens. V. La * C'eft le nom que les Jéfuites donnent à des Peuplades d'Andiens qu’ils ont raffemblés & civilifés. Not. du Trad, VOYAGE AU PEROU. Law. IL Cu. VI 19 Y. La Bourgade d’Efpagnols dans Ile terrain de Santa Maria. | VI. La Doétrine de San Geronimo de Tabire, nom qui dans la Langue du Pays fignifie Vierge: ce Village eft près d’une Riviere qu’on ap pelle, par cette raïfon, Riviere Vierge; il eft peuplé d’Jndiens. VII Celle de San Enriquz de Capeti, où l'Endormi. VIII. Celle de Santa Cruz de Pucro: ce mot Pucro figniñie en Langage du Pays une forte de bois léger nommé Bal/a à Guayaquil. E IX. La Doétrine de Sen Juan de Terracuna, & de Matarnati : ces deux noms font ceux de deux Montagnes; de X4 Cordillere, lefquelles touchent à cette Peuplade. X. Le Village de San Ÿo/eph de Zréte-Gaati n’eft pas une Doétrine: Z£- te-Gaati eft le nom d’une efpéce de Saule qui croît près de cet endroit. Habitations au Sud. Bourgade de Nueftra Segnora del Rofario de Rio-Congo. Autres Bourgades fur les Rivieres de Zabalos . Bollas & Uron, A Rio de Tapanacul. A Rio de Pucro. A Rio de Paya & à fon embouchure, Aux Paparos, où Willageois. A Rio Tuqueza. A Rio Tupi/a. A Rio de Yabi/a. A Chepigana. Habitations au Nord. À Rio de Queno A Rio de Seraque. A Rio Sutugunti. À Rio Moreti. A Rio Agrafenuqua. A Rio de Ocabajanti. A Rio de Uraba. Toutes les Doétrines & Peuplades étoient d'Indiens affez nombreux, puifque quelques-unes de ces dernieres contenoient jufques à 400 pet- fonnes, & les autres pour l'ordinaire 150 1200. JIleft aifé de conclure de-là combien les Doétrines devoienit être peuplées: mais pour épargner au co 'NBMEAGEUAT PE RO: au Leéteur l'ennui de parcourir tous les lieux habités de ce Royaume, desquels je n’ai pas ru devoir omettre les noms, je finirai par une lifte abrégée de tous ces lieux, ce qui fuffra pour mettre le Leéteur au fait de ce Pays. Lifte de tous. les Lieux habités du Royaume de Tierra-Firme. IV. Fortereffes. NL ONE: IL Ville d'E/pagnols & d’Indiens. XI. d'Efpagnols & d’Indiens. XXXV. Villages. 3 Il. de Mulätres & de Négres. XXII. d’Indiens, la plupart Doétrines. XXXII Habitations ou Rancheries , qui comprennent chacune di- verfes maifons répandues dans les coulées, le long des Rivieres & dans les Savanes. XLIIL Iies où l’on pêche les Perles. La plupart de ces Iles font fi- tuées dans le Golphe de Panama, les autres près de la côte de cette Ville, & quelques-unes au Sud de Veraguas. A 1 24 EU V7 + Ps, NS P NY À LU SN HV Re NE 74 « EC VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. CHI 125 LIVRE QUATRIEME. Voyage du Port de Périco à Guayaquil. Remarques fur cette Na- vigation, & Defcription de la Ville de Guayaquil & de fon Corrégiment ou Sénechauflée. A DRE RRQ D EU NO BU M QE OU A ER OR EE RE OO D NA RNCS OU 0 M9 CE À 'PRDRURE L Voyage du Port de Périco à Guayaquil. Ous étant arrangés pour notre paflage avec Don Yuan Manuel Morel, Capitaine du Vaifleau le San Chrifloval, & tous nos pré- paratifs étant faits, nous nous embarquâmes tous enfemble le 21. de Février 1736. & le jour fuivant 22. nous mîmes à la voile de grand matin. Le vent étoit foible & variable, ce qui fut caufe que nous ne perdîmes la terre tout-à-fait de vue que le 26. au coucher du Soleil. La derniere terre que nous apperçûmes fut Punta de Mala. Par les obfervations que nous fîmes jufqu’au moment que nous perdî- mes cette defniere pointe de vue, lesquelles s’accordoient avec les obfer- vations précédentes, mais différoient des conclufions que nous tirions de notre route, nous Connûmes que les Courans portoient au Sud-Ouëft quart au Sud, 5 degrés à l'Ouëft; & cette obfervation fe trouva confor- me au rapport des Pilotes, qui afluroient que cela continuoit de-même jufqu’à la hauteur de 3 à 4 degrés de Latitude: fur quoi nous eûmes la précaution de corriger le Journal de route à raifon d’un mille & un fixié- me par heure. Il eft bon d’avertir qu’avant que notre Vaiïfleau fût à la hauteur de Punta de Mala, nous n’apperçûmes aucune marque de cou- rant ; & que pendant que nous naviguâmes dans le Golphe de Panama, la Latitude de la route fut conforme à la Latitude obfervée. Depuis que nous eûmes mis à la voile jufqu’à ce que nous eûmes Punta de Mala au Nord-Ouëft quart au Nord 6 deg. 30 min. Ouëft, nous con- tinuâmes à faire route par 1 deg. 30 min. Sud-Sud-Ouëft & 8 deg. 30 min. Ouëft. Nous eûmes des vents variables & de peu de durée, avec des calmes par intervalle. Aufñlitôt que nous eûmes dépañlé Punta de Mala, nous naviguâmes par les 8. deg. au tiers du Cadran, & par les 2 deg. 30 min. au deuxiéme, jufqu'au 1. de Mars 1736 à 6 heures du foir, que nous découvrimes la terre Tome I. Q qui ba VOYAGE AU PEROU qui eft proche de la: Baye de St: Matthieu. Dès-lors nous portâmes au Sud- Ouëft , tant pour éviter une bafle de roche qui eft à trois lièues dans la Mer, que pour ne pas nous expofer aux Courans qui nous auroient fait dériver vers le Golphe de la Gorgone. Cette baffe fat découverte en 1594 par un Navire qui eut le malheur d'y toucher & d’y périr. « Depuis la Baye de Sr. Matthieu nous portâmes d’abord au Sud-Ouëfb par les 6 deg. 15 min. Ouëft, & le jour fuivant au Sud-Lft au quart au Sud. Et ce jour même, qui étoit le 3, nous découvrimes, à une heure après midi, le Cap Sr. François au Nord quart de Nord-Eft. Don George Juan trouva par fon calcul la différence du Méridien de Panama avec celui de ce Cap Sr. François, de oo deg. 36 min. queéc Cap eft à l'Orient; & je trouvai par le mien oo deg. 26 min. ce qui’ s’ac- corde à peu de chofe près avec la Carte de ces Côtes, dont nous parlerons ci-après ; mais il faut fuppofer qu’on avoit donné à la Ligne de Lock pour Chaque mille 47 piés Si pouces de Roi, qui répondent à so pieds An: glois ; & cette méfure confirme non feulement ce que nous avons dit au Chap. I. du I. Livre, mais démontre aufli la jufteffe de nos obfervations touchant les courans. ‘ Auffitôt que nous eûmes doublé ce Cap, nous courûmes à l'Ouëft quart au Sud-Ouëlt, 3 des. Ouëft, Sud-Ouëft quart à l'Ouëft, 3 deg. Ouëft. & les jours 6 & 7 au Sud quart au Sud-Eft 7 deg. Eft, & Sud-Eft quart au Sud 6 deg. Eft: le 7 à 8 heures du matin, nous revîmes le Cap Sr. François au Noïd quart au Nord-Eft $ deg. Eft, & le Cap PafJado au Sud. Depuis lors nous ne fîmés plus que courir la côte à la vue des lieux les plus connus jufqu’au 9. que nous mouillâmes fur les 3 £ heures du foir à la Plage de Manta, à onze brafles fond de fable mêlé de vafe: le Cap Sr. Lorenzo à O. S. O. & Monte Chrifto au S. au S. S. E. 6 deg. E. Deux raufons nous engagerent à mouiller à cette Plage: la premiere, que notre deffein étant de mefurer quelques degrés de l’'Equateur outre ceux du Méridien, & ayant ouï parler à Panama de cette Côte, nous voulûmes la reconnoître, & voir fi nous pourrions tirer parti des plaines qu’elle dé- voit contenir, & y commencer une fuite de triangles qui devoient être continués de-là jufqu’aux Montagnes voifines de Quito: la feconde, c’eit que nous avions befoin d’eau & de vivres; car nous nous étions flattés à Panwma que la fafon étant fi dvancée nous pourrions gagner les brifes, & par ce moyen arriver bientôt à Guayaquil, ce qui nous avoit empêché de faire des provifions proportionnées à la longueur du tems que nous pré- À etant a l'angle de 34° et C a d'angle de 66° de 3 Cod . À Pointe de ls Baleine. B. Gp Paso B ezant Lane 408 |» déve Cad. le Cp S'François que est aussi de côte basse étoit a d'angle de 40° 04 dez Cadran entre Le Cap SJ *Zrançoss et Le (A ap Parade la Lrre est haute et ce sont ces hauteurs qu'on nomme de Quagues . B DA once Christo .B:Cy S'Laurent.. CC. Frayle. D La Mona. A . ctant. a l'angle de 784 de 2 Cadr. et D a d'angle de 25% à 3 leuës de distance . Juuite de da cote dans Le lointain. Lsle de la Plata au N ESE à là dstance de # lieues. | Zslerde SE(lare où Le corps mort au N. a la distance de 4 lieues . | | | VOYAGE: AU PEROU. Lave IV. EL 23 prévoyions alors devoir pafler en mer, à en juger par çelui qu'il y'avoit déjà que nous y étions, Pour nous éclaircir fur le premier de ces deux motifs, nous primes tous terre le 10. & le foir nous nous rendimes au Village de Monte Chris- to, qui n’eft qu'à 25 Ou trois lieues de la Plage; mais nous reconnûmes bientôt que le Pays n’étoit pas propre à des opérations Géométriques, étant extrémement montueux, & embaraflé de tant de grands & gros ar- bres, qu'ils étoient feuls un obftacle fufifant pour empêcher l'exécution de notre projet. Le rapport des Habitans Zndiens, fi conforme à ce que nous voyions déjà, nous confirma dans l'idée que nous commencions à avoir du pays, & nous fit réfoudre à pafler à Guayaquil, pour de-là aller à Quito. Sur quoi nous revinmes à la Plage de Manta le 11. & pendant que l’Equipage étoit occupé à faire les provifions d’eau & de vivres, nous employâmes le tems à faire quelques obfervations, par lesquelles la La- titude de ce lieu fut déterminée auftrale à 56 min. 51 fec. Mrs. Bou- guer & de la Condamine, confidérant qu'il faudroit féjourner à Guayaquil pour attendre les. Mules de Guaranda qui devoient nous tranfporter aux Montagnes, réfolurent de refter-là pour faire quelques obfervations de Longitude & de Latitude, pour déterminer le lieu par où l’Equateur cou- pe la çôte, examiner la longueur du pendule, & autres obfervations non moins importantes: pour cet effet ils fe pourvurent des inftrumens dont ils avoient befoin pour exécuter leur deffein. Le 13. du même mois de Mars notre Vaifleau leva l'ancre, & fe Mit à ranger la côte. Le jour fuivant nous paflèmes entre elle & l'Ile de la Plata; & le 15. nous commençâmes à perdre de vue à x. heure a- prés-midi & certe Ile & le Cap de Sr. Laurent. Nous courûmes au S. S. E.: jufqu’au 17. que nous découvrîmes Cabo Blanco, qui fait le pointe du Sud du Golphe de Guayaquil. Depuis Cabo Blanco nous ran- geâmes la Côte du dedans du Golphe jufqu’au 18. à midi, qu'étant ar- rivés à l'embouchure de la Riviere de Tumbez nous jettâmes l'ancre à en- viron demie lieue de la terre, ayant l'embouchure de la Riviére:à l'EÉE 5 deg. Nord; & l'Ile de Ste. Claire, appellée communément el Muerto, à- caufe de la figure qu'elle fait, qui reflemble à un corps mort, au Nord quart au Nord-Eft, 4 deg. Eft; notre Vaifleau étant mouillé à 14 braf- fes d’eau, fond de vafe, fi Nous reftâmes à l'ancre dans le même endroit jufqu’au 20, attendant que le Maître du Navire eût fini quelques affuires-particulieres : après quoi nous remîmes à la voile à 6 heures du matin, & le foir à 61 heures nous Q 2 g mouillà- D. 4 124 VOYAGE AU PEROU. mouillâmes, parce que la force du courant, qui eft grande pendant le re: flux, fafoit dériver le Vaifleau. Nous continuâmes de la forte , tantôt jettant l'ancre, tantôt la levant, félon que les marées l'exigeoient. Nous obfervâmes que le courant fuivoit continuellement le cours du reflux, & que le tems qu’il s’arrêtoit étoit fort court, puifqu’en 19 heures & demie confécutives nous n’y remarquâmes pas de paufe: ce qui doit être attri- bué à la grande abondance des eaux de la Riviere * principale, & de celles qui s y déchargent. Le 23. ayant mouillé à Punta de Arenas de l'Ile de Puna, nous envoyâmes au Port de cette Ile pour avoir un Pilote-Côtier qui fit entrer notre Väaifleau dans le Port; car quoique nous. n’euflions que fept lieues jufques-Rà, nous ne pouvions naviguer fans cette précau- tion, à caufe de la quantité de bafles qu’on rencontre dans ce court pafla- ge, & du danger: où fe trouve un Navire qui y touche. Le 24. à 7 heu- res du matin nous mouillâmes dans le Port de /4 Puna, laflant la Pointe de la Centinela au Sud Sud-Ouëft 2 deg. 30 min. Ouëft, & celle de Ma- via Mandinga à l'Ouëft Sud-Ouëft r deg. 15 min. Ouëft à la diftance d'un quart de lieue. Depuis Punta de Male jufqu’à la Baye de St. Matthièu » nous eûmes. Vent de Nord & de Nord-Ouëft ; il devint enfüuite Nord-Eft, & le der- nier jour de notre route il fe mit à l’'Eft Nord-Eft: mais quand nous fû- mes à la vue de cette Baye il redevint Nord, ayant été précédé de quel- ques grains de pluye peu confidérable, qui nous accompagnerent durant la traverfée jufqu'à Manta, les Vents ayant fauté au Sud-Eft, Sud, Sud-Ouëlt, & Ouëft, avec des variations dans chacun-de ces rumbs: Nous avons déjà dit qu’à la Baye de S+: Matthieu ce ne fut pas feulé- ment le fentiment des Pilotes par rapport aux courans qui portoient à la Gorgone, mais encore notre propre expérience, qui nous fit changer de rumb, changement d’ailleurs néceflaire Pour continuer notre route. De- puis le Cap Sr. François jufqu’à Manta tout le long de cette Côte les cou- rans porterent toujours au Nord, ce qui fut caufe que nous ne pûmes gagner le deflüs du vent, & que nous fûmes obligés de faire des bordées pour prendre le vent contraire: Dans la traverfée de Manta jufqu’ä Cabo Blanco, lès vents ne nous furent pas plus favorables ; puisqu'ils. fe maintinrent comme auparavant, à la réfer- ve d’un jour qu’ils fauterent au Nord-Ouëft & au Nord N ord-Eft, ce qui nous mit à même dé reconnoître ce Cap. Les courans porterent toujours au Nord, & depuis ce Cap jusqu’au Port de /4 Puna toujours à l'Ouëft-par les * De Gucycquil, Not, du Trad. VOYAGE AU PEROU, Law. [V. Cu. I NET les raifons déjà rapportées; &, comme il eft aifé de juger, ils étoïent bien plus forts & plus rapides pendant les heures du reflux que dans le tems du flux. Comme nous ne voalions pas perdre l’occafion d’obferver une Eclipfe de Lune qui devoit arriver le 26. de Mars, & n'ayant pas trop de tems pour nous y préparer, nous nous proprof. àmes de refker dans un petit Vil- lage près du Port de 4 Puna. Mais étant defcendus à terre, & ayant vu le peu de folidité de ces maifons, toutes bâties de cannes jufqu’au toit, nous ne trouvâmes aucun lieu propre à placer le pendule ; c’eft pourquoi nous ré- folûmes de pañler à Guayaquil dans une Barque légere, & le même jouràr1 heures de nuit nous laiffâmes le Vaiffeau à l’ancre & commençâmes à voguer, &nos Rameurs ayant furmonté les courans après bien des efforts nous 2- bordâmes à Guayaquil le 21. à 5 heures du foir, & le 26. nous fûmes OC- cupés à arranger le pendule; mais toutes nos peines furent inutiles; car l'air s’étant couvert de vapeurs durant la nuit, nous ne pûmes rien voir. Quoique dans la Carte des Côtes de la Mer du Sud on ait marqué les variations de l'aiguille, que nous avons obfervées , Je crois cependant. qu'il eft à propos de ne pas les omettre ici, & de füuivre le même ordre que dans celles du Voyage de Cadix a Carthagéne, afin que ceux qui ne font pas a portée de confülter cette Carte, ne foient pas privés de cette obfervation. TABLE des Variations obfervées en la Mer du Sud, dans les Lieux qui indi- quent. la. Latitude ES la Longitude ,, celle-ci comptée du Méridien de Panama. Latitudes. Longitud. Variat. Degrés. Min. Degrés. Min. Degrés., Min. «+. 17 Septentr. 359...55 àl’Occid. +... 45 Nord-Efñ, 359...42 de Pana- + 34 27 M An -. 49 359 ...18 .. 59 358...21I : 34. 358... 49 359...06 de 358...40 er ! Dre: 10 «.22 Aufral 2 e.30 00...51 Monte Chrifto étant au S.E. :.S. L'Ile de 4 Plata étant au Sud.. . . .. & Monte Chrifto à VEft Sud-Et. . . . 5 d. 45 min. Ouëft, d.. 46 min. os 3 d. 30 min. Ouëft. Punta de Méro à V'EfE. 7d. Nord. . . ... 8 d. oo. Punta de Méro au Sud 9 deg. Eft à troris lieues de diftance 8 deg. 15 min. À la Plage de Tumbez, dont la Latitude obfervée fut de 3 deg. 14 mis. | HR CO ny M 00 CON NI CON I RAY RYNT OO A D: nié 1 y O Y'A 6 PAA UT À ÉTRIO D À, D: :D:: ET: kr Qi: Au Chapitre, précédent ; contenant la Dejcription d'un Infirument de nouvelle invention pour prendre hauteur. en Mer, €5 où l'on fait voir les avan- Ous euffions été bien des fois privés de la connoiffance des Lati- N tudes, qui eft un objet de la plus grande importance pour tous les Navigateurs, fi Mr. Godin n’avoit eu la précaution de Te munir d'un In- ftrument qui venoit de paroître à Londres, & dont le but étoit de facili- ter cette opération. Ce Savant ayant pallé à Londres avant que d'entre- prendre le Voyage d'Amérique, y acheta divers Inftrumens, & entre au- tres celui dont il eft ici queftion; lequel eft dû à Mr. Yean Hadley, & qui nous fut d'un três-grand ufage pour la fureté de notre Voyage, fon- dé fur la connoiffance des Latitudes dans cette traverfée: Connoïffance _ difficile tant par le concours de diverfes circonftances, que parce que les côtes ont leur direction tantôt au Nord, tantôt au Sud, & que les cot- rans fuivent les mêmes rumbs. Par le moyen de cet Inftrument nous ‘vinmes à bout de prendre plufieurs fois les hauteurs Méridiennes du So- “Jeil, pendant que la quantité de vapeurs qui ôccupoient l'athmofphere ne permettoit pas de diftinguer l’image où l'ombre de cet aftre d'avec fa lumiere dans les Inftrumens ordinaires, dont on fe fert dans la Naviga- tion. Cet Inftrument ayant outre cela d’autres avantages non moins confidérables, m’a par mériter une defcription particuliere , pour le fairé connoître à Ceux qui en peuvent profiter, & qui n'en ont Encore aucune connoiffance. Nous traduirans le Memoire même de l'Auteur, à quoi l'on peut d'autant plus ajoûter foi, que les particularités qu'il contient ont été confirmées par notre propre expérience, tant de la part de Don George Fuan, que de la mienne dans diverfes occafions qui fe font offertes. » Defcription d’un Inftrument pour prendre angles, nouvellement in- venté par ?. Hadley, Ecuyer, communiqué à la Société Royale de , Londres le . de Mai 1731: ne 420. pag. 147. Août &c. 1731. Le but de cet Inftrument eft de remédier aux inconvéniens qui , rendent fi incertain l'ufage de ceux qu’on employe d'ordinaire fur mer, d'où il arrive qu'il eft bien difficile de faire des obférvations avec ces Inftrumens, ou que céllés qu’on fait font peu aflurées. .: » L'invention de celui qu’on propofe ici, eft fondée fur ces principes s Communs de Catoptrique, c’eft-à-dire, que fides rayons de lumiere 5 REPRESENTATION de l'Octante Anglois Peur Les observations © Astronomiques Par & no y ert de la Reflexion. Lant sur Mer que Sur Terre . er ETIITITEITINT PIS TIX. ABBILDUNG und Vorftellung des Englifchen Octanten, um dée Astronomsfehen Wakrnehmungen ; vermittelst der Reflexion /owohl zu Wafer als zu Lande an zu ftellen À VOYAGE AU:PER‘OU.-Liv.IV. CL 327 divergéns ou corver ses vesrs un point, font réfléchis par une furfa. ce plane & polie, après la réflexion ils feront divergens ou convergens vers un autre point placé au ccôté oppofé de cette furface, à la même diftanée qu’en eft le premier proint; & qu’une ligne, qui, étant per- pendiculaire à la fuperficie,, praffe par l'un de ces points, pañlera par tous les deux. Il fuit de-là, ‘que fi un rayon de lumiere ji part d'un point d'un objet eit réfléchi fiucceflivement par deux fuperficies pla- nes, & qu'un troifiéme plan perpendiculaire aux deux. autres, pañle par le:point de l’objet, il pañlra aufli, au travers de chacune des deux images fucceffives formées par les réflexions, & les trois points feront à diftances égales de l’interf&étion commune des trois plans: fi l’on ti- re deux lignes à cette commune interfection, l’une du point original dans l'objet, & l'autre de l'i mue tracée par ka feconde réflexion, ces deux lignes renfermeront un angle double de celui de linclinaifon des deux fuperficies planes. ; Soient R FH Fig. 1. Plancheg. & R GI les repréfentations des fec: tions du plan de la: Figure prar les fuperficies pianes des deux miroirs BC & DE, élevés perpendiculairement fur cette Figure, & qui fe réncontrent dans lé point R,, où la commune fection eit perpendiculai- ré au même:plan: ainfi HR I eft l'angle d’inclinaifon. Soit 4F un rayon de lumiere de quelque point d’un objet comme qui tombe fur le point F du premier miroir BC,& de-làa eft réfléchi par la ligne FG au point G du feçond miroir DE; d’où il eft réfléchi encore par la li: gûe GK: prolongez les lignés.GF.& KG en arriere jufqu'en M & N, qui feront les deux-imäges fucceflives du point 4; enfuite tirez Iès lignes RA, RM, & RN. ; » Suppofé que le point 4 foït dans le plan de la Figure, le point A7 y fera auffi par les Loix de Ja Catoptrique; La ligne FM eft égale à la li- gnc FA,& l'angle-A4F' 4 douible de HF Aou MFH: par Cut RMI fera égal à RA Ge l'ai e: 56 MIR.A double de HR A, ou MRH. De-même lepoint Neft daris le plan de la Figure & la ligne RN fera égale à RAY, & l'angle MRN rar dé MRI, ou IRN. On n'a qu'à fouftraire l'angle MRA de MRN, &W'angle ARN reftera égal à la double dif- férence de MRI & de MRA, ou bien fera double de l'angle ÆRI, qui eft la mefure de l’inclinaifon de la fuperficie du miroir DE à celle du miroir BC; & les lignes RA , RM, & RN feront égales. ss Premier Corolaire. LR N reftera au même point, qu re les | RAT 4 1 52 P2) 28 VOYAGE AU PEROU. deux miroirs tournent enfemble circulairement fur l'axe R, Pourvs que le point À refte élevé fur la fuperficie de BC, & que la même in- clinaifon demeure. » Deuxiéme Corolaire. Si l'œil fe pofe en L, qui eft le point où la ligne AF continuée coupe GK, les points 4 & N lui paroîtront à la diftan- ce angulaire ZLN, laquelle eft égale à ARN: car l'angle ALN eft la différence des angles FGN & GFL: & FGN comme GFL étant dou- bles de FGI & de GFR, la double différence de FRG, ou HRI, fera égale a ALN: par conféquent L eft dans la circonférence d’un cercle qui paîle par 4 N & R. » Troifiéme Corolaire. Si'la diftance AR eft infinie, les points 4 & N paroîtront à la même diftance angulaire, en quelque point de la Fi. gure que foient placés l'œil & les miroirs, pourvu que l'inclinaifon de leurs fuperficies ne fouffre aucun changement, & que leur feétion commune refte paralléle à elle-même. , Quatriéme Corolaire. Toutes les parties d’un objet quelconque fe ma- diféltéronts: à l'œil de l'Obfervateur par les deux réflexions fucceflives. comme on vient de le dire, dans la même fituation que fi elles avoient tourné enfemble circulatrement autour de l’axe R, en confervant leurs diflances refpeétives de l’une à l’autre, & l'axe reftant dans la direc- tion A], c'eft-à- dire, dans le même chemin qui mefure l’inclinaifon du fecond mirox DE à l'égard du premier BC. 5» Cinquième Corolaire. Si l'on fuppofe que les miroirs font au centre d’une fphére infinie, & les objets dans la circonférence d’un grand cer- cle, auquel la commune feétion de ces miroirs foit perpendiculaire, ces objets paroîtront mus par les deux réflexions dans un arc de cercle deux fois plus grand que l’inclinaifon des miroirs, comme il a déjà été ditau- paravant. Mais fi les objets font éloignés de ce cercle ils paroîtront mus en l'arc d’un cercle paralléle au premier: par la même raifon la varia- tion de leur lieu apparent fe mefurera dans l'arc d’un grand cercle, dont la corde eft à la corde d’un arc (égal à la double inclinaiïfon des miroirs) comme les finus de complément de leurs diftances refpeétives de ce cercle font aurayon. Sices diftances font fort petites,ladifférence entre la tran- {lation apparente de quelqu'un de ces objets & celle de celui quieft dans la circontérence dudit grand cercle, fera aun arc égal au finus verfe de la diftance de l’objet du grand cercle à peu près, comme le double du finus de Pangle d’inchnafon des miroirs eft au finus du complément du même. Cet VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Cn.L 3209 Cet Inftrument confifte en un Oéant, comme 4BC Fig. 2. Planche 9. dont le limbe, ou arc BC contient 45 degrés divifés en 90 parties égales, ou demi degrés, lefquels, par la nature des réflexions, valent comme des degrés entiers: fur le centre de cet Ofant tourne une Alidade ou Indi- ce, qui marque par l’une de fes extrémités les degrés dans les divifions du limbe. Vers le centre eft un Miroir E enchaffé dans cette régle mo- bile perpendiculairement au plan de l’Inftrument , dont la fuperficie coïn- cide avec Ja ligne qui partant du centre de l'Inftrument divife l’Alidade par le milieu, & marque les degrés dans le limbe comme LM. C'eft fur ce miroir que tombent les premiers rayons des objets, d’où ils font réflé- chis à un autre petit miroir fitué à l’un des bras de l’Inftrument, lequel eft dans le plan du premier ou dans un autre qui lui eft paralléle, & au- deffus duquel il s’éléve à la même hauteur que le miroir du centre: & comme l’enchaflure de ce dernier couvre fa partie poftérieure, de-même celle du petit miroir en garnit la moitié qui eff la plus proche de l’Inftru- ment, & la feule qui foit enduite de vif-argent, comme i! fe voit à F, l’au- tre moitié reftant tranfparente. Ce petit miroir qui regarde vers l'Ob- fervateur (au-contraire du grand) fert à faire obferver les objets qu’on a en face, tandis qu’on obferve ceux qu’on a à dos par un autre petit mi- roir G placé au même bras de l’Inftrument, un peu plus éloigné du cen- tre; mais il faut qu’il foit perpendiculaire au plan, & dans le même que le grand miroir, c’eft-à-dire, dans un plan parallele à celui de l’Inftru- ment, & qui en foit fort proche. Le premier miroir placé au centre de l’Alidade & de l’Inftrument refte fixe. Mais comme fon enchaflure forme une bafe circulaire ou de quel- que autre figure, laquelle eft arrêtée par des vis fur l’Alidade ou Indice, on lui laïffe un peu de jeu, afin que par le moyen d’une des vis on puiffè l'ajufter de maniere qu’il réponde à la ligne du milieu de l’Alidade. Les deux petits miroirs confervent deux mouvemens, l’un circulaire, & l’au- tre latéral; celui-ci fe fait par le moyen des vis, qui retiennent les bafes de leurs enchaflures fur ce qui les reçoit au bras de l’Inftrument, & fert à les placer perpendiculairement au plan dudit Inftrument: l’autre fe fait par le moyen d’une cheville qui eft à la partie poftérieure, & qui fait mouvoir circulairement les deux bafes de chaque miroir, pour leur don- ner l’inclinaifon néceflaire: de maniere que l’Alidade étant mife fur zéro, h fuperficie de fon miroir, & celle du petit qui fert à obferver les objets en face, fe trouvent paralléles; mais avec l’autre, par lequel on obferve les objets qu’on a à dos, elles forment des angles droits parfdits. Tome I. R La 130 VOYAGE AU PEROU La hauteur d’un Aftre quelconque fur l'horizon, prife par cet Inftru- ment, eft déterminée par l'inclinaifon des plans des deux miroirs l'un à l'égard de l’autre, quand l’objet fe manifefte exaétement dans l'horizon. Cela doit s'entendre de l’inclinaifon de chacun des petits miroirs à l'égard du principal, qui eft celui de l'Alidade, & chacun dans fon emploi; car à ce dernier égard les deux petits font indépendans l’un de l’autre. Dans Pobfervation des objets en face, le double de l'angle d’inclinaifon eft la hauteur cherchée, dont la valeur eft marquée dans le limbe, par l’Indi- ce. Dans l’obfervation des objets à dos, le double de là différence de cet angle d’inclinaifon d'avec un droit eft auffi la hauteur de 'Aftre, la- quelle eft marquée de la même maniere que la précédente par l'Alidade; car la même échelle de degrés fert à l’une & à l’autre obfervation, fans. autre différence que de prendre dans l’une l’angle d’inclinaifon des fuper- ficies des deux miroirs, & dans l’autre fon complément. Pour l’ufage de chacun des deux petits miroirs il y a deux pinules où l'on applique l'œil; la place de ces deux pinules a été fuffifamment déter- minée par les détails précédens. La pinule deftinée à l’obfervation des objets en face, laquelle eft À r, a deux trous, ou lumieres, l'un des- quels eft auffi élevé, par rapport au plan de l’Inftrument, que le milieu de la partie enduite de vif-argent du petit miroir à laquelle il répond exactement, tandis que l’autre répond à la ligne qui fépare cette partie enduite de vif-argent de celle qui ne left pas, ou fe place un peu plus bas. ÆEa pinule K2, qui fert à obferver les objets à dos, n'a qu’un trou qui répond exaétement au milieu de la tranfparence du miroir G ; car celui-ci a deux parties enduites de vif-argent, & entre les deux un petit efpace qui ne l’eft point, & qui étant par conféquent tranfparent, & parailéle au plan de l'Inftrument, fert à découvrir l'horizon. Il eft des objets, le Soleil par exemple, dont léciat réfléchi ébloui- roit les yeux, & empêcheroit l’obfervation: pour obvier à cela, 1lÿ a deux verres l’un plus obfcur que l’autre H; & l’on employe l'un ou l'au- tre felon que l’Aftre eft plus ou moins refplendiffant, ou tous les deux, pour tempérer l'éclat de fes rayons. Ces deux verres ont chacun leur enchaffure particuliere: à l’un des coins eft un tenon à vis qui embraile ces deux enchañlures, & qui entre dans deux trous pratiqués au rayon de YInftrument où font les miroirs dans le trou Æ quand on obferve les ob- jets en face, & dans J quand on obferve ceux qui font à dos. Ces deux verres tournent autour de la vis qui les aflujettit au tenon, deforte que fans VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. CL 131 fans tirer celui-ci du trou, on détourne les verres de la direction du rayon réfléchi, où on les y met, felon qu'il eft néceffaire, La maniere de faire des obfervations avec cet Inftrument, c’eft de le placer verticalement, deforte que fon plan coïncide avec le cercle verti- cal, qui pañle par le zénith de l'Obfervateur & l’objet. Après quoi on applique l’œil à la pinule convenable, & l’on tourne l'Alidade circulai- rement jufqu'à ce que par le petit miroir où l'on dirige la vue, on voye l’objet exaétement dans l'horizon. Ce n'eft pas par la réflexion qu’on le découvre, puifqu'on le regarde au-travers de la partie du miroir où il n’y a point de vif-argent. Si l'Aftre n’eft pas encore arrivé au méridien, à mefure qu'il s'éléve davantage fur l'horizon on le voit s’en éloigner par le petit miroir, & en avançant peu à peu l'Alidade, il fe rajufte & rencontre l’objet. | Si l’objet n’a qu'une foible luëur, comme cela arrive au Soleil quand il eft offufqué par des nüages, ainfi qu'aux Etoiles, il faut en ce cas que l’objet tombe fur la partie du miroir qui eft enduite de vif-argent, & l’on forme fon jugement quand il vient à être dans une même ligne avec cel- le que fait l'horizon dans l’autre partie du miroir où il n’y a point de vif- argent. Mais alors on doit être attentif à conferver la ligne dans laquelle on voit l’image de l'objet, à la conferver, dis-je, aufñfi paralléle au plan de l'Inftrument qu'il fera poflible. Pour cette raifon quand on obferve l’objet en face, fi le Soleil a aflez de lumiere, il faut que fon image ré- ponde au milieu de la partie du miroir qui n’a point de vifargent, & que l’on regarde par le trou le plus extérieur de la pinule: mais s’il eft of- fafqué, & que fa lumiere foit foible, ou fi l’on obferve quelque Etoile, ÿ faut que fon image tombe fur le bord de la partie enduite de vif-argent, & qu'on applique l'œil au trou le plus près de l’Inftrument. Dès que l’objet s’éléve fur l'horizon, ou qu’il s’en approche, il faut mouvoir l’Inftrument de gauche à droite ou de droite à gauche, le te- nant toujours verticalement, & alors on verra que l’image du Soleil pa- roît comme nager fur l'horizon; mais fi l'objet eft éloigné de l'horizon, & qu'il ne le touche d'aucune part, il faut avancer l’Alidade, & ajufter l'Inftrument vers la partie de l'horizon dont l’objet eft le plus près, & quoiqu'alors l’objet fe joigne à l'horizon , il s’en éloigne toujours pat quelque endroit à mefure qu’il s’éléve. Pour connoître fi l’'Inftrument eft bien droit, il faut le porter, en re- muant tout le corps, fans faire agir les bras de gauche à droite ou de droite à gauche. S’il eft bien droit, l’objet paroîtra parcourir l'horizon; R 2 sil 55: l'YVOWMAGE AU PE RG. gil ne left pas, le même objet coupera l'horizon & donnera une hauteur incertaine. Et de cette façon tant que le plan de l’Inftrument reftera dans celui du cercle vertical mentionné ci-deffus, l’image de l’objet ob- fervé ne fortira pas de la ligne de l'horizon. Pour obferver le Soleil avec quelque exaétitude, il ne faut pas prendre le centre de cet Aftre; parce que fon diamétre étant de 30 à 32 minutes, il n’eft pas poñfible d'en déterminer précifément le centre. Il faut donc prendre un des limbes où bords de cet Aftre, c’eft-à-dire, le bord d’en-bas ou celui d’en-haut: & on corrige la hauteur en additionnant, ou en fou- ftrayant les 15 où 16 minutes de fon fémidiamétre, fuivant le limbeebfervé. Pour faire cette correction on doit fe fouvenir que l'image de l'objet qu’on obferve en face, n’eft point renverfé enfüuite des deux réflexions , puifque le limbe inférieur du Soleil eft réellement tel qu'il paroît; & fi c’eft ce limbe qu’on obferve on doit additionner les 15 où 16 minutes à la hauteur marquée par l'Indice dans l'Ofant, afin d'avoir la véritable hauteur du centre du Soleil fur l'horizon; mais il faut les fouftraire, fi c’eft le limbe fupérieur qu'on obferve. On fera le contraire fi l’on obfer- ve le Soleil à dos; parce que de cette maniere les objets font renverfés, & ce qui eft réellement inférieur paroît fupérieur: deforte qu’alors il faut fouftraire la valeur du demi-diamétre du Soleil, fi l’on a pris le limbe in- férieur dans l'apparence , lequel eft celui qui parvient le premier à tou- cher l'horizon, & fur lequel tout le corps de l’Aftre eft élevé; mais fi on avoit pris le limbe fupérieur apparent , qui laiffe tout le corps de l'As- tre comme néyé, 1l faudroit additionner la même quantité. Pour obferver une Etoile, le plus fûr eft de la regarder direétement par la réflexion de l’Inftrument , après avoir mis l’Indice ou Alidade au com- mencement de la divifion du limbe, & Ie faifant glifler (fans perdre l'E- toile de vue) fur ledit limbe, jufqu'a ce que l’objet arrive à Fhorizon. Dès qu’on en eft venu-là, 1l n’y a plus de difficulté pour continuer l’ob- fervation comme à l'ordinaire avec le Soleil. Mais s’il y a deux ou plufieurs Etoiles d’égale clarté ou grandeur, les unes près des autres, Y'obfervation peut être fautive par le rifque que l’on court de prendre une Etoile pour l’autre. Si l'horizon étoit fort ferein, & l'Etoile peu lumi- neufe , il feroit mieux d'employer l’obfervation à dos; par où l'Etoile fè fera voir, & par le moyen du mouvement de l'indice s’approchera de Fhorizon, jufqu’à ce qu’elle s’y joigne. Ces dernieres obfervations fe fai- fant ordinairement de nuit, il eft difficile de diftinguer alors l'horizon. Pour y réuflir il eft à propos que P'Obférvateur s'approche autant qu’il - E& VOYAGE AU PEROU, Liv. IV. Cu L. 133 ra poffible de la fuperficie de l'eau; par ce moyen l'horizon étant retreci devient plus aifé à diftinguer. | Il y a deux chofes à remarquer dans cet Inftrument pour faire chaque obfervation, foit qu'on ait l’objet en face ou à dos; r. de bien connoître fi les miroirs font perpendiculaires au plan de l’Inftrument ; 2. d'examiner fi l'inclinaifon qu'ils doivent avoir entre eux l'un à l'égard de l’autre eft celle qui convient. La premiere ne demande pas beaucoup d’aprêéts, puifqu'il fuffit qu'ils ne s’écartent pas beaucoup de la pofition convenable de l’Inftrument. Pour faire cet examen on choifit un objet à la diftance d'une demie lieue, (il feroit plus für d’avoir recours à l'horizon } l’Zndice étant au commencement de la divifion fur zéro, on regarde par la pinule qui répond au petit miroir par lequel on obferve les objets en face. Si alors la ligne de l'horizon vue direétement par les deux côtés du miroir, & celle que réfléchit le miroir de l’Indice , coïncident enfemble & ne font qu'une feule & même ligne, c’eft une marque que le miroir eft bien fitué: Et s’il ne left pas encore on pourra y remédier par le moyen des petites vis mifes à cette fin fur la planchette qui fert de bafe à fon cadre, haus- fant les unes & baiflant les autres jufqu’à ce que les lignes coïncident. Le fecond examen fe fera en plaçant l’Inftrument verticalement , & tenant l’Indice far zéro, on regarde comme auparavant par la pinule: fi l’'hori- zon apparent qui fe trace dans la partie enduite de vif- argent du petit miroir, fe rencontre avec celui qui fe voit direétement par-là, & qui n'eft point apparent, & forment une ligne droite, les deux miroirs feront paralléles ; s’ils ne le font pas, c’eit que l’un eft plus haut que l’au- tré; On tourne alors le petit autant qu’il eft néceffaire jufqu’à ce qu’il foit ajufté par le moyen de la cheville qui eft derriere l'Inftrument, aprés quoi on preffe une petite vis, qui cft-là exprès pour empêcher le miroir de fe mouvoir ou de fe déplacer. Pour les obfervations des objets qu’on 4 à dos, on examine le petit miroir deftiné à cet effet, de la même mafiere qu’on examine les autres. La premiere épreuve fe fait en le plaçant horizontalement, & la feconde en le plaçant verticalement. . Etant ainf ajufté l’obfervation que l’on fe- ra d'un objet en face, s’accordera avec celle d’un objet à dos, à-moins que l'Obfervateur ne foit dans un lieu trop élevé au-deflus de la fuperficie de l'eau, comme cela arrive dans les grands Vaifleaux; Car en ce cas l'Obfervateur n’eft point dans la ligne droite qui va d’un bout de l’hori- zon à l’autre, mais plutôt il eft beaucoup plus haut. Pour corriger cet- te petite différence, au-lieu de pofer l’Zndice fur zéro pour éprouver l'In- R 3 fttument 134 VOYAGE AU PEROU. ftrument vetticalement dañs l’obfervation des objets : a dos, on le placerz Join du zéro le double du nombre de minutes qui fe trouvent dans la dif- férence qu’il y a entre l'horizon apparent & le véritable, felon que celui- là eft plus bas que celui-ci. Après quoi les images ou lignes des deux horizons, c’eft-a-dire, de l’horizon poftérieur vu par réflexion, & de l'horizon antérieur qu’on a direétement devant foi, s’accordant entre el- les, on pourra en toute fureté faire les obfervations. Il n’eft pas hors de propos d’avertir ici que l'horizon poftérieur vu par la réflexion eft renverfé, c’eft-a-dire, que l'eau paroît au-deflus & je Ciel en bas. Quand on fait ces épreuves on fuppofe le miroir de l’Indice bien ajufté dans fon lieu & immobile. On l’examine par le moyen d’une échelle, &, comme on vient de le dire, il faut qu’il foit placé bien perpendiculairement & dans la ligne de la direction de l'Zndice. A l'égard de l’exactitude requife dans la fabrique de cet Inftrument, il y a diverfes précautions que l'Ouvtier ne doit point négliger; & princi- palement il ne fauroit trop apporter d’attention dans la divifion du lim- be, car toutes les erreurs qu’il y commet font doubles : la raifon en cit, que comme chaque demi degré vaut un degré entier par l'effet de la ré- flexion , de-même l’erreur d’une minute dans la transverfale ,ou point de divifion, équivaut à deux. L’Alidade ou Indice doit avoir un mouve- ment fixe fur le centre, & par conféquent fon axe doit refter conftamment perpendiculaire au plan de l’Inftrument. Son mouvement doit être doux & par-tout égal, de peur qu’elle ne plie par la pointe; & pour plus de fureté à cet égard, il conviendroit qu’elle fût un peu plus forte, & qu’on la fît un peu plus large à l'extrémité qui eft vers le centre; on prévien- droit par-la les inconvéniens où l’expofe fa trop grande flexibilité. Les fuperficies des miroirs doivent être exactement planes, & unies; çar la moindre inégalité ou courbure non feulement feroit confondre les objets, mais aufli varier leufilvéritable fittation, quand on les verroit par la réflexion ; enfin tout l'ouvrage y compris le bois & le métal, c’eft- à-dire le limbe, le centre, & les rayons, doivent être dans un même plan , & tous les miroirs dans un autre paralléle à celui-là, &le plus près qu'il eft poflible. Les verres opaques, quoiqu'il foit à propos qu'ils foient bien unis, ne requierent pas une fi grande exactitude que les au- tres verres, pour lesquels il faut une attention extrême, outre qu'il con- vient de leur donner affez d’épaifleur. Enfin il eft néceffaire que les fu- perficies de chaque verre opaque foient parfaitement paralléles, ou du- moins VOYAGE AU PEROU. Er. IV. Cn I. 13$ moins autant qu’il eft poffible: au-refte ces fortes de yerres peuvent être ou de métal, ou de criftal. L'invention de cet Inftrument procure dans les obfervations divers 4. vantages, que n’ont pas ceux dont on s’eft fervi jufqu’aujourd’hui dans la Navigation. Ces avantages font : Le Adult du Vaiïfleau n empêche pas l'effet de cet Inftrument, vu que l'objet lumineux venant à paroître fur l'horizon par le moyen de la ré- flexion, on découvre & l’objet & l'horizon au-travers du même miroir ; & quoique tout le corps de l’Inftrument foit agité, & que les objets fem- blent mus dans le miroir, ils ne laiffent pas de garder la même fituation l'un à l'égard dé l’autre: d’où il fuit que fi l’Aftre & l'horizon font arran- gés de maniere qu'ils fe touchent, le mouvement ne les féparera point: tout au plus ils fortiront du miroir fi l'agitation eft bien grande, mais ils rentreront, & avec la même facilité on verra lAftre s'élever fur l’hori- zon, s'il refte dans le Méridien, ou sil décline. Il fera en même tems aufli aifé de connoître fa fituation, que de la corriger en perfeétion- nant & réitérant l'obfervation autant de fois qu’il fera néceffaire. Cet avantage he fe trouve pas dans les Inftrumens ordinaires, & bien loin qu'on s’en puifle prévaloir dans pareilles occafions, à peine, après beau- coup de peine & de travail, peut-on trouver par leur moyen une Lati- tude qui ne differe que de 10 à 12 minutes de la véritable, encore ne peut-on pas s’aflurer de la juftefle de lobfervation. Souvent même les obfervations faites par diverfes perfonnes fur une Mer tranquille, & par un tems ferein, different entre elles au-delà de la quantité que je viens de marquer. Tous les Inftrumens dont nous avons connoïffance, & dont on fe fert communément dans la Navigation pour obferver les Latitudes, font in- commodes, en ce qu’il faut en obfervant avoir en même tems l’œil fur deux objets, qui étant de différente efpéce, & fitués dans des diftances fort iné pales , ne peuvent être parfaitement diftingués, & l’obfervation eft fujette à être interrompue: d’où il fuit qu’on ne peut fe faire aucune idée exacte de l’image ou de l'ombre du Soleil, ni de l'horizon, qui eft retra- cée dans l'Inftrument ordinaire ; vu que l'horizon eft trop éloigné de ce te image, & qu’en faifant attention à l'un on perd Vautre de vue; ce qui n'arrive point avec le nouvel O&ant dont il eft ici queftion, dans lequel on découvre diftinétement le difque du Soleil & l'horizon dans le même eu, & par cette raifon lorfqu’ils coïncident ils ne forment plus qu'un feul objet. Et cet objet c’eft le point de leur-attouchement, ou la peti- te 136 Ÿ O Ÿ AG EAU PIE FO t diftance qu’il y a de l'un à l’autre s'ils ne parviennent point à fe tou- cher. Maïs comme il importe de détruire cette diftance pour que l’ob- fervation foit bonne, il eft éviident que quoique les objets foient ici fépa- rés, on ne fait attention à aucun en particulier, puisqu'il ne s’agit pas de les comparer entre eux, mais feulement de les unir. Dans tous les Inffrumens oïrdinaires on ne peut obferver Ja hauteur méridienne: du Soleil, quand fa lumiere eft trop foible pour faire ombre & tracer fon image dans lesdits Inftrumens, ce qui arrive lorfque quelque nuage épais l’offufque. Au-contraire, dans l’Inftrument en queftion Fob- fervation fe: fait alors avec la même précifion que fi jes rayons de cet Aftre étoient dans toute leur force, avec cette feule différence, qu’étant foibles il n’eft pas néceflaire d'interpoffer les verres opaques deftinés à tempérer Jeur éclat € leur vivacité. À quoi il faut ajoûter que quoique l’horizon foit un peu brouillé, 1l n'empêche pas le fuccès de l’obfervation ; pourvu qu’il foit perceptible à l'œl nud, puifqu'on le voit de la même façon & fans la moindre différence au-travers du miroir, & l'obfervation fe fait aufi exaétement dans ces deux cas que s’il n’y avoit pas le moindre obfta- cle au Soleil & à l'horizor. Ces fortes de cas fe rencontrent fréquemment fur Mer, & font caufe qu'on ne peut connoître la Latitude dans certains parages, où cette connoïfance feroit extrêmement néceflaire. Tant que le Soleil eft près du zénith, ou les hauteurs obfervées font peu exactes, ou elles font tout-2-fait inutiles, & dans aucun de ces cas il n’y auroit pas de prudence à s’y fier. La raïfon eft, qu’il faut que le mouvement de l'Aftre foi: confidérable pour qu’on l’apperçoive dans l’In- ftrument; mais la jufteffe de l’Inftrument dont nous parlons ici, eft telle qu'on y remarque jufqu’à une minute, ce qui paroîtra étonnant à ceux qui font accoutumés d’obferver avec des Inftrumens où 3 ou 4 minutes ne fe font point remarquer, quelque attentifs que foient ceux qui dirigent ces fortes d’Inftrumens. Pour s’en convaincre , il fufira de conce- voir! que le corps du Soëil eft transpofé à l'horizon par l'effet de la ré- flexion, & par conféquent tous les mouvemens qu’il fait étant près du zénith, répondent ici à ceux qu’il fait le matin quand il commence à fe Jever ou le foir quand il fe couche. Aux quatre avantages effentiels que l'on vient d'expliquer, on peut en joindre d’autres qui réful:ent du maniement dudit Inftrument, lesquels en certains cas ne font pas moins importans que les précédens. Tel eft ce- lui-ci, favoir, qu'avec à même facilité qu'on obferve le petit arc de la hauteur du Soleïl ou d’un autre Aftre qu'on a en face , on obferve auñfi le plus VOYAGE AU ‘PEROU: EI. IV Eu: II. 137 plus grand de celui qu’on a à dos. D'où il fuit que fi une partie de l’ho. rizon eft totalement offufquée, ou interceptée par la côte voifine, on peut faire l’obfervation par le côté oppofé. La difpofition de cet Inftrument & la pofition qu’il requiert , ne l'expo- fent pas tant au vent que les autres; tout le volume de celui-ci eft pres- que couvert du corps de l'Obfervateur, de-là vient qu’il n’eft pas fi agité quand le vent eft extrémement fort. Enfin il a encore d’autres avantages & commodités qui le rendent préférable aux Inftrumens de cette efpéce inventés jufqu’ici, comme il fera aifé de s'en convaincre par l'ufage. Mais il eft fur-tout eftimable par la facilité qu’il y a à le diriger. RON AE PUR AN URNRE Remarques fur la Navigation depuis le Port Périco ju/qu'à la Puna. Vents € Courans dans cette Traverfée. Es Brifes font, comme il a été dit, la caufe du changement des Sai- | fons & du Climat de Panama, & d’où provient l'Eté. C’eft ce mê- me vent qui fait varier le tems dans la traverfée du Port de Périco à la Puna, ou plutôt jufqu'au Cabo Blanco. Après que ce vent a commencé à fe faire fentir à Panama , il s'étend peu à peu, & combat les vents de Sud jufqu’à ce qu’il les ait furmontés, & qu’il fe foit établi. Ordinaire- ment les Brifes ne fe font pas fentix au-delà de l'Equateur, où elles ont même affez peu de force, deforte qu’elles font fouvent interrompues par des calmes, ou par d'autres vents foibles & variables. Quelquefois pour- tant elles pénétrent plus loin, & jufqu’a l'Ile de la Plata, ou aux envi- rons. Leur plus grande force fe fait toujours fentir à mefure qu’on ap- proche de Panama. Ce vent, qui court du Nord au Nord-Eft, nettoye l'air de tout nuage, éclaircit les côtes en écartant les broüillards, & n’eft point accompagné de pluyes orageufes; mais il poufle des bouffées fi vio- lentes & fi fréquentes, furtout depuis le Cap San Francifco jufqu’au Gol- phe de Panama, que fans une attention particuliere dans la maneuvre on courroit de grands rifques. Quand les Brifes ceflent, les vents de Sud commencent à s’animer, & parviennent à un degré de force au-deflus des Brifes quand ils font bien établis. Ces vents ne viennent pas précifément du Midi comme plufieurs Font cru ; mais ils courent du Sud-Eft au Sud-Ouëft , s’éloignant plus du Tome I. S Sud 133 ‘ VOYAGE AU PEROU. Sud en certains tems qu’en d’autres Quand ils inclinent au Sud-Eft, qui eft le côté du Continent, ils font accompagnés d’orages & de tempé- tes, qui heureufement ne font pas de durée. Les Navires qui font la traite de la Côte du Pérou, de Guayaquil pour Panama, partent de leurs Ports refpeétifs pendant que les vents de Sud régnent, afin de profiter de ceux du Nord pour leur retour, & pour abréger leur voyage. Ce n’eft pas qu’ils obfervent toujours cette régle, & qu’ils ne faffent ce tra- jet pendant qu'il régne d’autres vents; mais en ce cas ils rifquent d’être plus longtems en Mer jufqu’a ce qu’ils ayent gagné le Port de Payta.Quand il leur arrive de naviguer ainfi dans la Saïfon contraire, ils font obligés de toucher aux Ports de Tumaco, d’'Atacames, de Manta, où à Punta de Santa Helena pour faire de l’eau & des vivres. T'els font les vents alifés qui régnent toujours dans cette traverfée : ce n'eft pas qu'il n’y ait quelquefois des changemens à cet égard, mais ils durent peu, & le vent établi reprend toujours le deflus. Les courans ne tiennent pas une route fi réguliere que les vents; car dans la Saifon des Brifes les eaux courent depuis Morro de Puercos jufqu'à la hauteur de Malpelo au Sud-Ouëft & Ouëlt, & de-là jufqu'au Cap San Francifco elles portent à l'Eft & Eft-Sud-Eft en inclinant vers la Gurgo- me. Depuis le Cap San Francifco elles portent au Sud & Sud-Ouëft, & confervent cette direétion jufqu’à 30 ou 40 lieues en mer; avec cette différence que leur mouvement eft plus ou moins fort, felon la force ou la foibleffe des Brifes. Quand les vents de Sud foufflent, les courans portent depuis la Pointe de Santa Helena jufqu’au Cap San Francifco par Nord & Nord-Ouëft, auffi à 30 où 40 lieues en mer: de-là jufqu’à la hauteur & le méridien de Maipelo is inclinent vers l'Eft avec beaucoup de force, & au Sud-Eft depuis Morro de Puercos, le long de ia côte, néanmoins à quelque diftance, puifque leur direétion tend vers le Golphe de la Gorgone ; mais depuis Mal- pelo jufqu'à Morro de Puercos par le Méridien du premier, ils portent a- vec violence au Nord-Ouëft & à l'Ouëft. De-même, dans la traverfée de Cabo Blanco à la Pointe de Suxta Helena les eaux de Guayaquil fortant avec violence quand ce Fleuve eft enflé, cemme on le verra dans fon leu, courent à lOuëft; & au-contraire, quand la Riviere et bafle, ils entrent dans le Golphe de J4 Puna. Le premier effet fe remarque pendant que les Bri/es régnent , & le fecond quand ce font les vents de Sud. Dans quelque tems qu’on faffe voile de Perico pour Guayaquil où pour la Côte du Pérou, on tâche d'éviter l'Ile de /4 Gorgone, pour ne point s'en VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Cu IL 39 s’engorgonner, comme parlent les Pilotes de cette Mer; ce qui n'arrive que trop fréquemment, ou par négligence, ou plus ordinairement quand les Vaifleaux ont été retardés par des calmés. Iln’eft pas moins néces- faire d'éviter l'Ile de Malpelb, dont le nom * annonce aflez ce qu’elle eft: & dans l'alternative de s’engorgonner, ou d’aller périr fur cette Ile, il vaudroit encore mieux choifir le premier que l’autre: on en feroit quit- te à meilleur marché, & pour quelque retardement dans le voyage. Dés qu’une fois on vient à découvrir l'Ile de Z4 Gorgone, il eft bien diffi- cile de s’en éloigner en gouvernant par le Sua, le Sud-Ouëft, lOuëft, & même par le Nord; deforte que le plus fûr en pareil cas eft de revirer vers Panama, en fuivant la côte, parce que c’eft-là que les eaux chan- gent de direction; & il faut bien prendre garde de ne pas trop s’en éloi- gner, de peur de retomber dans le fil du courant qui porte au Sud-Eft. Les terres de toute la côte depuis Panama jufqu’à la pointe de Santa Helena, font de médiocre hauteur; mais dans quelques parages on décou- vre dans le lointain des Montagnes fort hautes, qui font partie des Cordil. déres intérieures. Monte Chrifto eft l'endroit par où l’on connoît Manta: c'eft une Montagne affez haute,au bas de laquelle eft un Village de même nom. Dans les anfes qne forme cette côte, particuliérement dans celles où il y a des embouchures de Rivieres, il eft dangereux de trop s’avancer vers terre, à-caufe qu'il y a des bafles qui ne font même pas aflez con- nues des Pilotes du Pays. Dans l'Anfe, ou Golphe, de Manta, ilyenaune où divers Vaiïfleaux ont touché à trois ou quatre lieues de terre. Ils s'en font tirés heureufement , parce que l’eau y eft fort tranquille: mais on a été obligé de leur donner la caréne d’abord après, pour boucher les voyes d’eau qu’ils s’étoient fait en touchant. Dans toute cette traverfée on éprouve rarement la Mer mâle. Les grains de vent & de pluye y font à-la-vérité plus fréquens, mais ils agi- tent peu la Mer, & ceflent même dés que le vent commence à foiblir. Pendant que les vents de Sud régnent il y a des brouillards fur les cô- tes, qui en font fouvent toutes couvertes; c’eft ce que nous expérimen- tâmes en partie dans notre voyage; mais c’étoit peu de chofe, puifque nous ne laiffâmes pas de defliner les divers profpeéts qu’elles formoient. C’eft tout le contraire quand les Brifes régnent; car alors l'air étant tou- jours ferein , les côtes ne font point offufquées, & l’on peut alors s’en ap- procher avec plus de fureté & de confiance. REA * Malpelo, comme qui diroit Maupoil ou Mauvaispeih S 2 140 VOYAGE AU PEROU. ID: S0) JAN) SAYS) SR DDINL ON) RASAITRS STONES TOI ND: TONIRS TOY SENIQISRI TANINIITALINS GR PONT CRE: ME De notre féjour à Guayaquil, €? des mefures que nous prêmes pour nous rendre à la Montagne. E Navire le San Chriftoval, que nous avions laïiflé mouillé à 4 Puna, remit à la voile après notre départ pour entrer dans le Fleuve, & la nuit du 26 de Mars 1736 vint jetter l'ancre vis-a-vis de la Ville. Le lendemain nos Equipages & Inftrumens furent portés à terre, & nous commençâmes nos obfervations pour déterminer la fituation de Guayaquil felon fa Latitude & fa Longitude: mais quoique l'envie d'y réuflir nous réndit fort attentifs à obferver une immerfion des fatellites de: Fupiter , pour nous confoler en même tems de n'avoir pu obferver l'Eclipfe de Lu- ne, nous ne fûmes cette fois pas plus heureux qu’à l'égard de l'Eclipfe. L'air couvert de nuages qui avoient de la peine à fe diffiper entiérement, ne nous permit pas de venir à bout de notre deflein. Le jour étant plus favorable que la nuit à nos opérations Aftronomiques., nous en profità- mes pour prendre diverfes hauteurs méridiennes du Soleil; & nous tà- châmes de faifir les momens de la nuit où les nuages laifloient quelque in- tervalle, pour obferver les Etoiles que nous découvrions. , . À notre arrivée à Guayaquil le Corrégidor de cette Ville, de qui nous recevions toute forte de civilités, ainfi que des Officiers du Roi & autres Perfonnes de diftinétion, donna avis au Corrégidor de Guaranda de notre arrivée , afin qu’il eût foin d'envoyer des voitures au Port de Caracol, pour fous tranfporter à la Montagne, dont le pañlage étoit alors effeétivement interrompu à-caufe de la Saïfon, car c’étoit vers la fin de l'Hliver dans ce Pays-là; tems extrêmement contraire à ce voyage, tant parce que les chemins font mauvais, que parce que toutes les Rivieres font débor- dées, & qu’on ne peut les guéer fans danger , n’y ayant point de ponts à- caufe de leur largeur. Le Corrégidor de Guaranda étoit alors retenu à Quito pour des affaires concernant fon emploi. Mais Den Dionyho de Alcedo, y Herrera, Préfident & Gouverneur de cette Province, étant informé de notre deflein, lui . donna ordre de fe rendre d’abord à fon Corrégiment, & de pourvoir à tout ce qui nous feroit néceflaire pour nctre voyage; il envoya en même tems des ordres circulaires ä'tous les autrès Corrégidors, dont les jurisdic- tions VOYAGE AU PEROU: Li. IV. Cu IV. 4x rions fe trouvoient fur notre route jufqu'a Quito, leur enjoignant de nous rendre tous les fervices poflibles. Tout étant ainfi difpofé, & les Mules dont nous avions befoin étant déjà en marche pour Caracol, où elles arriverent le 6 de Mai, nous nous préparâmes à nous embarquer fur le Fleuve, qui eft la route que l'on prend ordinairement : ce n’eft pas qu'il n’y en ait une par terre, mais elle eft impraticable à-caufe des ma- rais qui fe trouvent tout le long du chemin depuis Guayaquil jufqu’à Caracol, fans compter quantité de grandes Rivieres qu’il faut pañler ; de maniere que cette route ne fe peut faire qu’en Eté, encore faut-il que le Voya- geur ne foit embaraflé d'aucun bagage, & qu'il fache les lieux, où il y a des canots pour paller les Fleuves. cup S0ISe 5070 SPAS SET: JRISRIINIIEN ENST JF SPASRAIN EAN ENSNIENA SN SENS AASE) CA PR D ENT CRUE TV. Defcription de Guayaquil. Sa Jituation, découverte, fondation, grandeur, E7 ftruêtuxe des Maïons de cette Wille. Uoiqu’on ne foit pas bien affuré du tems auquel on commença à bà- tir la Ville de Guayaquil, il eft néanmoins décidé que ce fut la f£- conde Ville que les E/pagnols fonderent , non feulement dans cette Province, mais même dans tout le Royaume du Pérou, puifque felon les anciens Memoires confervés dans les Archives de la Ville, fa fondation fuivit immédiatement celle de la Ville de Picera.. Or celle-ci ayant été fondée en1532,&la Ville de Jos Reyes, Rimac ou Lima en 1534 ,ou:, felon d’au- tres, en 1535,ce doit être dans l'intervalle de ces deux ans qu’on jetta lès premiers fondemens de Guayaquil, fous la conduite de l Ædelantado Be- liléagar “3 mais elle fubffta peu dans cette nouvelle forme. Les Indiens , après diverfes infultes, la prirent & la détruifirent. En 1537 le Capi- taine Francifco de Orellana la rétablit. D'abord elle fut fituée fur le Gol- phe de Charopoto, un peu. plus au Nord qu’elle n’eft préfentement, & à peu prés dans l'endroit où eft à-préfent le Village de Monte Chrifto; en- faite elle: fut rebâtie dans le lieu qu’elle occupe préfentement, qui eff la rive ou câte occidentale du Fleuve de Guayaquil par les 2. deg. tr. min. 21. fec. de Latitude Auftrale fuivant nos obfervations. Sa Longitu- de n’eft pas déterminée par des obfervations particulieres; mais, à en ju- ger & Commandant; S 3 142 VOYAGENRAU PEN ger par celles que nous fimes à Quito, elle eft par les 297. deg. 17. min, du Méridien du Pic de Ténériffe.. Ses anciens Habitans ayant été trans- férés par Orellana, comme nous venons de le dire, bâtirent leurs habita- tions fur le penchant d’une Colline nommée Cerrillo Verde, & c'eft ce qu’on appelle aujourd’hui la vieille Ville, ou Ciudad Vieja. Dans la fuite les Habitans fe trouvant d'un côté trop reflerrés par la colline, & de l'autre par les ef{eros ou inégalités caufées par les eaux qui creufent ce terrain, ont jugé à-propos, non pas de quitter entiérement le lieu, mais de bâtir une autre Ville à $ ou 600 toifes de celle-là, &commencerent à exécuter ce projet en 1693, confervant la communication avec la vieille Ville par un pont de bois, qui a environ 300 toifes de long, & fur le- quel on traverfe fans incommodité les creux qui font entre les deux Vil- les: dans les intervalles que ces creux laïffent des deux côtés du pont, ilyæ des maifons habitées par depauvres gens, lesquelles uniffent les deux Villes. L'étendue de cette Ville eft très-confidérable, puifque depuis la vieille Vil- le jufqu’à la nouvelle elle occupe tout le long du Fleuve un terrain d’une de- mi-lieue. Mais elle a très-peu de profondeur, chacun fe piquant de bâtir furle bord du Fleuve, non feulement pour jouir de l’amufement que four- nit le Commerce qui s’y fait, mais aufli pour profiter des vénts agréables qu'ilattire, & qui rafraîchiffent fes bords; vents d'autant plus attrayans qu'ils font rares en Hiver. Toutes les Maïfons de l’une & de l’autre Ville font de bois ; celles de Ja nouvelle & quelques-unes de la vieille font couvertes de tuiles; les autres ont des toits de chaume ou de gamalote. Préfentement il eft dé- fendu d’en faire de pareils, pour éviter les incendies, dont la Ville ares- fenti des effets dans neuf occafions différentes , & toujours avec une très- grande défolation. La plupart de ces incendies font arrivés par la malice des Négres, qui pour fe venger des châtimens que leurs Maîtres leur infligeoient, ont jetté du feu fur les toits de leurs maïfons, favori- fés par les ténébres & le filence de la nuit, & par-là ont ruiné non feule- ment les maïfons de ceux contre qui ils étoient animés, mais caufé une perte infinie au refte de la Ville. Quoique les Maiïfons ne foient que de boïs, eiles font néanmoins ex- trêmement belles & grandes; elles font toutes à un étage avec un en- trefol, &le bas eft occupé dans l’intérieur par des Magazins, & fur le de- vant par des Boutiques de toute efpéçe, qui ont généralement des porti- ques fort fpacieux, qui font les feuls paflages qu’on aiten Hiver, les rues étant alors impraticables. Cora- VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. CH IV. 143 Comme on yeft toujours en erainte, & avec raïfon, contre le feu, on a jugé à-propos de féparer les cuifines des maïfons, afin de prévenir les malheurs que la négligence peut caufer quelquefois. Elles font fort éle- vées, à 12 ou 15 pas de diftance des maifons avec lesquelles elles com- muniquent par une galerie découverte en maniere de pont. Cette ga- lerie eft conftruite fort légérement, afin qu’elle puifle être abattue dans l'inftant que le feu prend à la cuifine. Les Perfonnes diftinguées de la Vil- Je occupent les appartemens de l'étage d’en-haut, & les entrefols font loués aux Etrangers qui trafiquent dans la Ville, ou qui s’y arrêtent en pañfant avec leurs marchandifes. Le terrain fur lequel la Ville neuve eft fituée, & tout celui d’alentour, n’eft pas praticable en Hiver pour des gens à pied ou à cheval; car outre qu’il a un fond de craye fpongieufe, il eft par-tout fi égal, que n’a- yant point de pente, 1l n'offre aucun écoulement à l’eau; deforte que dés-qu’il pleut, ce n’eft plus qu'unbourbier. On eft denc obligé, quandles pluyes commencent & jufqu’à la fin de l'Hiver, de mettre au-travers des rues, des places & autres lieux où il n’y a pas de portiques, de groffes & larges poutres pour pouvoir marcher par-deflus. Cette invention a ce- la d’incommode , que fi celui qui marche vient à gliffer il s'enfonce dans la boue, d’où il ne peut fe tirer qu’en remontant fur la poutre. Dés-que l’E- té commence le terrain eft bientôt fec & ferme. Dans la vieille Ville 12 fol n’eft pas fi mauvais, étant tout gravier ; & quoique l’eau y caufe quel- que boue, elle n’amollit pas le fond, & n'empêche pas d'y marcher en tout tems. La Ville de Guayaquil eft défendue par trois Forts, dont deux font fi- tués fur le bord de la Riviere tout près de la Ville, & le troifiéme eft derriere & défend l’entrée d’un Effero. Toutes ces Fortifications ont été faites 11 n’y a pas long-tems. Autrefois il n’y avoit qu’une batterie fur un cavalier de pierre, laquelle fubfifte encore & eft dans la vieille Ville ou Ciudad Vieja. Les trois premiers Forts font bâtis de groffes piéces de bois bien folides, & difpofées en façon de paliffades les unes dans les autres. Ce bois fe maintient incorruptible dans l’eau & dans laboue, & convient fort à un lieu fi humide. Avant que cette Ville fût ainfi fortifiée, elle eut le malheur d’être prife & faccagée dans deux occafions par des Pira- tes qui pénétrerent dans Ja Mer du Sud en 1686 & 1709. Cette dernie- re fois ils auroient eu lieu de fe repentir d’avoir entrepris cette attaque, fans un Mulâtre, qui voulant fe venger de quelques perfonnes de la Vil- le, introduit l'Ennemi dans la Place par deschemins fecrets, par où les . Habi- 4 VOYAGE AU PER. fHabitans ne les attendoïient pas, de maniere que fe voyant furpris, ils ne purent empêcher que l'Ennemi ne fe rendît maître de la Ville, Les Eglifes & les Couvens font auffi de bois à l'excéption de celui de Saint Dominique fitué dans la vieille Ville, lequel eft de pierres. La trop grande folidité du terrain empêche qu’on n'employe beaucoup ces maté- riaux, à-caufe de la difficulté de creufer les fondemens. Les Couvens de la nouvelle Ville, outre TEglife Paroiffiale, font un de St. François, un de St. Auguftin, & un Collège de Féfuites: les uns & les autres ont fort peu de fujets, à-caufe de la modicité des revenus dont ils jouïflent. Il y a auf un Hôpital de fondation , mais qui n’a que les quatre murailles, Ta Ville & fa jurisdiétion eft gouvernée par un Corrégidor pourvu par le Roi pour l'efpace de cinq ans. Il eft foumis au Préfident, & à l’Au- dience de Quito; les Lieutenans du Corrégidor repartis dans fa jurisdic- tion le reconnoiflent en revanche pour leur fupérieur. Pour le Gouverne- ment Politique & Civil il y a un Corps d’Alcaldes ordinaires & de Régi- dors, & un Tribunal des Caifles du Roi compofé de deux Juges, Officiers des Finances Royales, lesquels font le Tréforier & le Contador ou Maïtre- des-comptes prépofés pour le recouvrement des Tributs des Jndiens de cette jurisdiétion, des Droits d'entrée & de fortie, & de l'Impôt fur les denrées qui fe confument dans cette Ville. qant au Gouvernement Spirituel il y a un Vicaire de l'Evêque de Ouito, qui eft ordinairement le Curé de la Ville. 19 AS) SAN TA ILU I LC I LIEN EN CH CR D D Te RUE Y. Labitans, Coutumes & Richeffes de Guayaquil; £? difference des Habille- mens des Femmes. A Ville de Guayaquil eft, à proportion de fa grandeur, l'une des plus peuplées des Indes. Le Commerce y attire beaucoup d’'Etrangers ; ce qui ne contribue-pas peu à la rendre fort peuplée. On y compte 20000 Ames de tout âge & de toute condition. Une grande partie de fes Habitans les plus diftingués font des Européens mariés & établis; après ces Familles & celles des Créoles, le refte eft compo de Caftes, comme dans les autres Villes dont nous avons parlé. Tous ces Habitans en état de porter les armes, font diftribués en di- verfes Compagnies, felon les qualités & caftes des perfonnes ; de manie- re | e VOYAGE AU PEROU. Liv. IV V7. 145 re qu'ils font eux - mêmes les défenfeurs de leur Patrie & de leurs Biens. L'une de ces Compagnies, toute compofée d’Européens @& nommée la Com- pagnie des Etrangers, eft la plus nombreufe & la plus brilhnte; car fans s’excufer fur leur rang ou qualité, ils prennent tous les armes dès-que l'occafion le demande, & accourent aux ordres de jeurs Officiers, gens choifis parmi ceux qui ont fervi en E/pagne, & qui doivent avoir plus d'expérience & de conduite dans les expéditions militaires. Le Corrégi- dor eft le principal Chef des Armes ; il a fous lui un Meftre-de-Camp Œ& un Sergent-Major pour la Difcipline, & pour faire exercer les Compagnies. . Quoiqne le Climat de ce Pays ne foit pas moins chaud que celui de P4- mama & de Carthagéne, il a cela de particulier, que les hommes nv ont pas le même tein qu'ailleurs ; & fi un Auteur a appellé ce Pays Les Pays-Bas Equinoxiaux , à caufe de la refflemblance de fa fituation avec le Pays-Bas d'Europe, on peut lui donner ce nom avec autant de raifon à gaufe de la reflemblance de la couleur des habitans. En effet, excepté ceux qui font nés du mélange de différent fang,, tous les autres font blonds, & ont les traits du vifage fi parfaits, qu’il faut avouer qu’ils ont l’avanta- ge de la beauté non feulement fur tous les autres habitans de la Province de Quito, mais même fur ceux de tout le Pérou. Il y a là-dedans deux chofes d’autant plus remarquables,qu’elles font contraires à l'opinion com- mune; l’une eft que le Pays étant fi chaud, les naturels n’y font point ba- zanés ou olivâtres; l’autre que les E/pagnols n’ayant pas naturellement le tein aufli blanc que les Nations Septentrionales d'Europe, leurs enfans, s'entend ceux qu'ils ont eus d’une E/pagnole, font blonds à Guayaquil. Je ne vois aucune raifon qui puifle décider cette difficulté ; car fi l'on veut lattribuer aux eaux de la Riviere fur laquelle la Ville eft bâtie, je ne crois pas qu’on puille fe payer de cette raifon, puifque bien d’autres hom- més ont l'avantage de vivre fur les bords d’un Fleuve fans avoir celui d’é- tre blanc. Au-lieu qu'ici il y a beaucoup de blondins, & que tous les pe- tits enfans y ont les cheveux & le fourcils blonds, accompagnés de fort beaux traits de vifage. A ces avantages perfonnels la Nature, libérale envers les habitans de cette Ville, a ajoûté d’autres qualités, comme l'agrément & la politefle, par lesquelles ils ne brillent pas moins,& qui engagent plufeurs Européens, après qu'ils ont fait quelque féjour à Guayaquil, à s'y marier & à s'y établir, fans qu’on puifle dire que l'intérêt y ait part; puifque les Filles n'y font pas aufli avantagées des dons de la Fortune que dans quelques autres Villes de ces Contrées , car les habitans n’y font pas fi riches. Tome Éu L’'Ia- jé VOYAGE AU PEROU. L'Habillement des Femmes de Guayaquil eft aflez femblable à celui des Femmes de Panama, excepté qu'au-lieu de la Polléra, elles portent le Fal- dellin quand elles vont en vifite, ou qu’elles régalent chez elles. Cette Robe, où Faldellin, r'eft pas plus longue que la Polléra. Elle eft ouverte par devant, & les deux côtés fe croifent l’un fur l’autre. Elle eft garnie de bandes d’une autre étoffe plus riche, de demie aune de large, & ces bandes font chargées de dentelles fines, de franges d’or & d'argent & de très-beaux rubans, les uns & les aütres difpofés avec tant d’art & de fimétrie, qu'ils rendent cet habillement extrêmement beau & brillant. Quand elles fortent & qu’elles ne veulent pas mettre la mante, elles met- tent une cape de bayette de couleur de mufc clair, également garnie de bandes de velours noir, mais fans dentelles ni autre chofe. Leur cou & leurs bras ne font pas moins parés qu’à Panama, de chaînes, de perles, de rofaires, de bracelets, & d'ouvrages de corail. À leurs oreilles elles por- tent des pendans chargés de pierreries, auxquels elles ajoûtent de petits boutons de foye noire de la groffeur d’une Noifette tout hériflés de per- les: on les appelle Poligonés, & on ne peut rien voir-de plus beau. Les richefles de cette Ville ne font pas extraordinaires, quoiqu'à fon commerce on pût foupçonner le contraire. Les deux faccagemens qu'el- le a foufferts, & les incendies font fans-doute caufe de cette médiocri- té: eneffet elle a été entiérement détruite par ces accidens; & quoique les maifons n’y foient bâties que de bois, comme nous l'avons dit, & que ces matériaux ne coutent que la peine de les couper, les Montagnes en étant chargées, cela n'empêche pas qu'il n'y ait des maifons qui revien- nent à 15 ou 20000 piaftres, & fouvent davantage felon leur grandeur: les ouvriers y font fort chers & le fer encore plus, c'eft ce qui eft caufe que les maifons coutent tant. Les Européens qui ont fait quelque fortu- ne dans cette Ville, & qui n’y ont pas de biens fonds qui les y retien- nent, fe tranfportent ordinairement avec leurs familles à Lima, ou à quel- que autre Ville du Pérou, où ils ne craignent ni les Elémens, ni les En- nemis.. Cependant il y a des habitans à Guayaquil riches de 50 à. 60000 écus, & beaucoup qui le font moins.. En général ce n’eft point par l'o- pulence que ce Peuple brillé, quand on le compare avec les-habitans du Pérou, comme nous le verrons en fon lieu. CH À- VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Ca VE rgy Timat de Guayaquil. Divi ifion de l'Hiver € de l'Eté. Incommodités du Pays & maladies qui y régnent. Hiver commence à Guayaquil avec le mois de Décembre, quelquefois 1; il tarde jufqu'au milieu, & quelquefois jufqu’a la fin de ce mois. H dure jufqu'en Avril ou en Mai. NH femble, dans cette Saïfon, que tous les Elémens, les Serpens & les autres Infeétes foient d’accord pour tour- menter les hommes. La chaleur eft extrême, puisqu'autant qu’on en peut juger par les expériences du Thermométre, le 3. Avril, tems auquel elle commence à diminuer, cet Inftrument marquoit à G@ heures du matin 1022, à midi 1025, & à trois heures du foir 1027 ; d’où il fuit qu’au plus fort de l'Hiver ce Climat eft plus chaud que celui de Carthagéne. Les pluyes ne font pas moins fortes & continuelles, accompagnées de tonner- res & d’éclairs épouvantables. Enfin tout femble conjuré contre ces pau- vres habitans: la chaleur y eft intolérable en foi-même; les pluyes & les Rivieres qui entrent dans le Fleuve le faifant enfler, inondent tout le terrain & le rendent impraticable. Le calme qui régne pendant ce tems- là fait défirer la fraîcheur, &la quantité innombrable d’Infeétes qui infec- tent l'air & la terre eft infupportable. Les Couleuvres, les Viperes, les Scorpions, les Millepieds entrent familiérement dans les maifons au pé- til de la vie des habitans, fi par malheur ils viennent à les piquer ; & quoi- que ces cruels Reptiles ne manquent pas durant toute l’année, il femble que dans le tems dont nous parlons il en pleuve par milliers, & qu'ils FA plus d’agilité. Ileft donc bien néceflaire alors de ne pas fe cou- cher fans avoir foigneufement examiné le lit; car il arrive fouvent que quelqu’une de ces Bêtes s’y cache; & autant pour prévenir ce danger que pour fe garantir des autres Infeétes, il n'y a pêrfonne qui n’ait un Toldo pour dormir *, fans en excepter les Négres efclaves & les Indiens. Les Pauvres en font FA Tucuyo, qu'on appelle auffi Toile d’Algodon, qui fe fabrique dans les Montagnes; & les autres fe fervent de toile blan- che & fine, chacun felon es facultés; ils garniflent ces Toldos de dentel- les plus ou moins belles à proportion de leurs moyens. Quoique dans tous ces Pays chauds & humides la quantité & la diver- fité d’Infeêtes volatils foient très-grandes, je crois que Guayaquil l'empor- ce © Le Jude eft un grand drap qui environne & couvre le lit, T 2 148 VOYAGE AU PEROU. te de beaucoup à cet égard, puifqu'il n'eft pas poffible qu'une chandelle refte allumée trois ou quatre minutes hors d’un fanal ; la quantité d’Infeétes qui voltigent autour de la lumiere, & fe précipitent deflus, eft telle qu’el- Je eft éteinte en un moment. Les perfonnes qui font obligées d’être près de la lumiere en font bientôt écartées par ces Infeétes, qui leur entrent dans les yeux, dans les oreilles, & par-tout où ils peuvent. Ce fut un fupplice pour nous, que de faire des obfervations pendant la nuit dans cet- te Ville; car d’un côté nous étions expofés aux piquures, & de l’autre nous ne pouvions ni voir, ni refpirer; en un mot l’incommodité étoit fi grande, que nous étions fouvent obligés de finir plutôt que nous ne fou- haitions. Une autre playe de cette Ville, non moins fâcheufe que les précéden- tes , ce font les Rats qu'ils nomment Péricotes ; qui font en ff grande quan- tité que les maifons en foifonnent. Dès-qu’il commence à faire nuit ils fortent de leurs nids, & trottent dans les appartemens des maifons avec tant de bruit qu'ils éveillent ceux qui n’y font pas accoutumés; ils efca- ladent les lits & les armoires, & font fi aguerris que fi quelqu'un pofe une chandelle quelque part où ils puiffent atteindre, ils lenlévent en fa préfence & la vont manger à l’autre bout de la chambre, à-moins qu’on n’ait la précaution de la tenir dans une lanterne, ce qui eft très-. néceffaire, vu que le contraire expoferoit la mafon à un grand danger ;. cependant il n’eft pas pofñlible de ne pas manquer quelquefois d'attention. Toutes ces incommodités qui paroïflent infupportables à qui n’y eft point accoutumé, & qui femblent devoir rendre ce Pays inhabitable, ne font que. peu d’impreffion fur les naturels du Pays, lesfquels s’y étant ac- coutumés depuis longtems ne paroiflent guere s’en foucier; & tous ces maux enfemble ne leur femblent rien au prix du froid qui régne fur les Montagnes, & que les Européens trouvent très-médiocre. L’Eté eft ici da Saïfon la plus fupportable, car c’eft alors que ces fortes d'incommodités diminuent. Quelques Auteurs ont prétendu le contraire, mais certainement ils fe font trompés. La chaleur eft moins étouffante, à caufe que les Vents qu’ils nomment Chandui foufient alors. Ces Vents font, ceux de Sud-Ouëft, & d'Ouëft-Sud-Ouëft; & lés habitans les ap- pellent Chandui. parce qu’ils viennent du côté d'une Montagne qui por- te çe nom. Ils buflent journellement depuis midi jufqu’à cinq ou fix heu- res du matin, & rafraïchiflent la terre, modérant en même tems l’exces- five chaleur. Le Ciel pendant ce tems eft toujours ferei, les pluyes font rares , les vivres en plus grande abondance , & les fruits du Pays ont meil- leur. VOYAGE AU PEROU. Liv. IV: CRPVIL 149 leur goût étant cucillis frais, principalement les Melons:, & cette autre efpéce du même fruit nommée Sandias où Anguries , qu'om apporte par la Riviere dans de grandes Balzes* jufqu'à la Ville où les Mielons du crû du Pays ne peuvent tous fe confumer. Enfin l'Eté eft la Saïffon la plus faine comme la plus agréable. En Hiver on y eft fujet aux fiévres tierces & quartes plus qu’en nul au- tre lieu, & on néglige de les guérir avec le Spécifique fi connu fous le nom de Quinquina, pour lequel ils ont même de ia répugnance, fe figu- rant qu'ayant une qualité chaude 1l ne peut être convenable à ceux qui vivent dans ce Climat. Aveuglés par ce préjugé, & ne confültant pas de Médecin qui les en délivre, ils laiffent invétérer le mal au point que plu- fieurs en meurent. Les hiabitans des Montagnes, accoutumés à la fraîcheur de leur Climat, ne peuvent fouffrir celui de Guayaquil, qui les affoiblit jufqu’à les jetter dans un état de langueur. Ils sy laiffent tenter par la beauté des fruits & en mangent avec excès, ce qui leur caufe bientôt des fiévres,qui font aufli communes pour eux dans une Saïfon que dans l’autre. Outre ces maladies qui y font très-ordinaires, on y a aufi éprouvé le Vomito Priéto en 1740, lorfque les Gallions de la Mer du Sud ayant quité Panama à-caufe de la guerre, & étant venus à Guayaquil pour mettre le Tréfor en fureté, y apporterent cette maladie épidémique dont il mourut beaucoup de gens, la plupart appartenant aux Vaïfleaux, ou des Etran- gers, mais peu de perfonnes du Pays. J'ai dit que les Gallions appor- terent cette maladie à Guayaquil, & j'ai füivi en cel l'opinion générale, fondée fur ce qu'avant cette époque elle y avoit été inconnue. Les Habitans de cette Ville font fort fujets à la Cataraéte, & autres maladies des yeux, qui les rendent fouvent tout-à-fait aveugles. Si cela n'eft pas commun, du-moins eft-il plus ordinaire qu’en aucun autre lieu. La caufe de ces accidens procéde felon moi des vapeurs continuelles qu’en- gendre cette inondation conftante qui couvre tout le Pays durant l'Hi- ver, & que la qualité du terroir qui eft tout de craye rend très-vifqueufes.. Ces vapeurs pénétrent aïifément les tuniques extérieures , & non feule- a S re . . . ; PS # n Do, ment épafiflent le criftalin, mais même obfcurcifent la prunelle, d'or. naïflent les Cataraétes & les autres maux des veux. ? On verra ci-après ce que c’eft, l’Auteur en donne lui-même une deffcription.. *Eer & TL 3 so VOYAGE AU PEROU. CCR D TURC CE VIL Alimens ordinaires des Habitans de Guayaquil. Rareté 3 cherté de quelques Denrées, € maniere d'appréter les Méts. Ci, comme à Carthagéne, la Nature & la néceffité ont fait imaginer di- verfes fortes de Pains de femence & de racines, pour fupléer au pain de froment qui y eft fort rare. Le pain le‘plus ordinaire à Guayaquil eft celui qu'ils appellent Pain du Pays, ou Pain Créole, qu'ils font de Platanes. Dès que ce fruit eft formé , 1ls ne lui donnent pas le tems de fe meurir , ils le coupent, le rôtiffent, & le fervent tout chaud fur la table. 11 fem- ble que l’habitude plus que la néceflité leur à donné du goût pour cette efpéce de pain; puifque les farines qu’on apporte des Montagnes fuffi- roient pour fournir de pain toute la Ville, à la réferve des Pauvres, pour qui le Pain de farine feroit fans-doute trop cher en comparaïfon du Platane. Quoi qu'il en foit, il eft certain que le Pain de froment eft beaucoup moins de leur goût que celui dont nous parlons, & cela n’eft pas étonnant; çar is font fi mal le Pain de froment, que les Européens mêmes ne peuvent le manger, & font contraints de s’accoutumer au Pain Créole, qui, quand on y eft un peu fait, n’a point mauvais goût, & fait aifément oublier le Pain de froment. 1 faut tirer du dehors prefque tous les autres alimens. On les apporte tous des Montagnes & du Pérou, à l'exception des Vaches, Fruits & Ra- cines que le terroir de la Ville produit. Il femble que les eaux du Fleuve qui l’arrofe devroient fournir en abondance Je Poiflon le plus exquis; ce- pendant ce n’eft point cela, le poiflon eft cher à Guayaquil, parce que le peu qu’on en prend dans lesenvirons eft de très-mauvaife qualité, & fi plein d’arêtes, que les feuls naturels du Pays, à force d'habitude, peuvent le manger fans danger. Il y a apparence que le poiflon n’eft fi mauvais, que parce qu’il participe du mêlange des eaux douces & falées. A quelques licues au-deflus de la Ville on en pêche de très-bon, & l’on en pourroit prendre en grande quantité, fi les chaleurs ne l’'empêchoient de fe confer- ver longtems fans fel; c’eft ce qui eft caufe qu’on en apporte fort peu dans la Ville, & même aflez rarement, le Pêcheur craignant avec raifon de perdre fa peine & fon tems. Les Côtes & les Ports du voifinage abondent en Poiflons excellens pour Je goût & pour la fanté; on en apporte, mais rarement, une certaine quantité à Guayaquil, vu qu’il fe conferve un peu mieux que celui de la Riviere, VOYAGE AU PEROU. Lw.IW. CH VIL ei Riviere, & c’eft ce poifflon joint aux poiflons à coquille de différentes efpéces qu'on y trouve en abondance & de fort bonne “qualité, qui fait Ja meilleure partie de la nourriture des habitans de cette Ville, L’ Eftéro Salado , où Canal Salé, leur fournit des Homars très-bons & en abondance dont ils font divers ragoûts, & ils tirent de l'Efféro de Fambéli, far la Côte de Tumbez, une grande quantité d'Huitres, qu’on prend près de quel- ques Iles, & qui font fort grandes & fort délicates; ce font même les meilleures qu’il y ait fur toutes ces Côtes depuis Panama jufqu'au Pérou, où elles font fort renommées & où l’on en fait venir en quantité. La même raifon qui éloigne les bons Paiflons de cette partie de la Ri- viere de Guayaquil, & renvoye les uns dans l’eau douce, & les autres dans l'eau falée, qui leur eft naturelle, prive là Ville d'eau propre à boire, principalement en Eté; car alors il faut la tirer de quatre à cinq lieues au- deffus de cet endroit du Fleuve, quelquefois plus haut, quelquefois plus bas felon la crue de fes eaux. Il y a des Bulzes occupées à apporter l’eau à la Ville, où elle eft vendue. En Hiver ce petit négoce diminue beau- coup, parce que les Rivieres qui fe déchargent dans ce Fleuve en font enfler alors les eaux au point que celles de Guayaquil deviennent buvables. À Carthagéne & ailleurs tous les Mêts s'apprêtent avec la graifle de Porc, mais à Guayaquil c’eft avec la graifle de Bœuf ; mais foit que ces animaux, que ce Climat ne laïfle guere engraiïller, n'ayent pas la graifle naturelle- ment bonne, foit qu’en la tirant de leur ventre on ne la fépare pas bien de la matiere fécale, il eft toujours certain qu’elle n’a que le goût & l'o- deur de cette matiere; ce qui la rend infupportable aux Etrangers. Pour comble de malheur ilstajoûtent à tous leurs ragoûts, de l4ji, qui eft une efpéce de Piment fi fort qu’à la feule odeur, tout petit qu'il eft, on s’ap- perçoit qu’il doit être extrêmement piquant.. C’eft pourquoi ceux qui n'y font point accoutumés font pénitence, de quelque maniere qu'ils s’y prennent; Car s'ils mangent de quelques mêts ils fe mettent la bouche en feu, & s'ils n’en mangent pas il faut qu’ils jeûnent jufqu’à ce que la faim furmonte l’averfion qu’ils ont pour cet affaifonnement ; & quand une fois ils s’y font accoutumés, ils trouvent infipides tous les. mêts où il n'y pas d'Aji.. Les habitans de Guayaquil dorment à manger avec beaucoup d’oftenta- tion, mais leurs tables font fervies avec un certain goût peu propre à ré-- veiller l'appétit d’un Européen. Ils commencent par des plats de fucreries & confitures, & continuent par des ragoûts où ils mêlent les ingrédiens : les plus piquans, & ainfi alternativement ils mélent l’4ji avec le fucre, jus» RÉ Er PRE RS ie RE 2) LL 152 VOYAGEMU PE R'O 1. jufqu’à la fin du repas. La Boïflop ordinaire en ces fortes d’occafons c’eft l'Eau de vie de vin, qu'iis nomment Eau de vie de Caflill, des Roffolis faits de cette eau de vie avec beaucoup de fucre, & du Vin, buvant in- différemment des uns & des autres pendant le repas : mais ordinairement les Européens préferent le vin aux liqueurs. Le Ponche eft encore une boïffon que les Guayaquiliens aiment fort, & on a remarqué qu'étant prife modérément elle eft fort convenable à ce Climat. C’eft ainfi qu’en ufent les Perfonnes de diftinétion, ils en boi- vent un peu fur les onze heures du matin, & le foir, pour tempérer la foif, fe gardant bien de boire beaucoup d’eau; car outre le déboire que j'eau contracte naturellement par la grande chaleur, elle excite encore extré- mement la tranfpiration. De-là vient que la mode de boire du Ponche eft fi générale, que les Dames mêmes en boivent régulierement. L’acide eft mêlé avec l'eau de vie en petite quantité dans cette boiflon, c’eft pourquoi elle eff rafraîchiflante & ne fauroit faire de mal. We 50 7SRA 307 307 SR) 3 20):S0) 30750) DIU: T DIU TES HONTE SENTIR SRI SN LIANT DUO DSL Ho Y PPE Etendue du Corrégiment de Guayaquil. Lieutenances ou Buillages dont il ef? compoje. E Corrégiment de Guayaquil commence vers le Septentrion au Cap Paffado, ainfi nommé parce qu'il eft par les 20 min. au Sud de l’E- quinoxial environ un demi-degré au Nord du Golphe de Manta. Depuis ce Cap il s'étend tout le long de la Côte, & renfermant l'Ile de %4 Puna il va jufqu'au Village de Machala far la Côte de Tumbez, & de ce côté-là il confine à la Jurisdiction de Piura, d'où il tourne à l'Eft, & finit à celle de Cuença: de-là 1l s'étend vers le Nord par le côté occidental de la Cor- dillere des Andes jufqu’aux confins des Jurisdiétions de Rio-Bamba & de Chimbo. Son étendue du Nord au Sud eft d'environ 6o lieues, & de 40 a 45 de l'Orient à l'Occident, à compter de la Pointe de Ste. Hélene jus- qu'aux Plages qu'on nomme dans le Pays Ojibar. Tout le Territoire de ce Corrégiment eft de Plaines, comme les environs de fa Capitale, & eft fubmergé de-même tous les Hivers. On le divife en fept Lieutenances ou Baillages : le Corrégidor nomme ceux qui doivent remplir ces poftes avec Je titre de fes Lieutenans, & l’Audience de Quito les confirme. Ces Bail- lages L VOYAGE AUPEROU. LivIV. Ck VIIL 153 lages font Puerto Wiéjo, Punta de Santa Elena, la Puna, Vaguaché , Ba- baboyo, Baba, & Daule. Le Baillage de San Gregorio de Puerto Viéjo confine du côté du Nord avec le Gouvernement d’Atacames, & vers le Sud au Baillage de Punta de. Santa Elena. La Ville de ce nom, Capitale du Baillage, jouit des pri- viléges de Cité, bien-qu’elle foit fort petite & pauvre. A'ce Baillage ap- partiennent les Villages de Monte Chrifto, Picoafa, Charapoto, & X ipi-Fapa, qui font tous autant de Paroïfles dont les Curés font en même tems Di- recteurs Spirituels des autres moindres Villages qui fe trouvent dans ce Diftrict. La Peuplade de Monte Chrifto étoit auparavant établie dans Manta, & portoit le nom de ce lieu. Elle étoit confidérable à-caufe du Commerce qu'y attiroient les Bâtimens qui pafloient de Panama dans les Ports du Pé- rou. Mais les Pirates qui infeftoient ces Mers ayant faccagé, pillé & dé- truit Manta, les habitans fe retirerent au pied de la Montagne, & y for- merent un Bourg, qui a pris fon nom de la Montagne même. . On recueille quelque Tabac dans cette Jurisdiétion , mais il n’eft pas de la meilleure forte. Les autres produétions de fon terroir font la Cire,sle Chanvre, & le Coton, en fi petite quantité qu’à peine füuffifent-ils pour l’en- tretien des habitans, qui ne font pourtant pas en grand nombre à-caufe de la pauvreté générale qui régne dans toutes ces Peuplades. Le Bois efts la produétion la plus abondante de ce terroir, ce qui n’eft pas étonnant dans un Pays fi chaud & fi humide. Anciennement il y avoit une Pêche de Perles fur la Côte, & fur le Golphe appartenant à ce Baillage: mais il ya longtems qu’elle ne fubfifte plus, tant à-caufe de la quantité de Monftres marins, comme Mantas & Tinturieres, dont il a été parlé ailleurs ; que parce que les habitans étant la plüpart Indiens, où Muldtres, n’ont pas les moyens néceflaires pour a- cheter des Négres pour cette Pêche. C’eft peut-être de la quantité de Poiflon Manta que le Golphe à pris le nom qu'il porte: la chofe eft d’au- tant plus croyable, que tous les-habitans des environs ne s'occupent à au- re chofe qu’à la pêche. Ils favent faler le Poiflon, & ils en font négoce dans les Provinces intérieures. L’adreffe avec laquelle ils vont pêcher à la Senne dans la Mer, eft quelque chofe d’admirable pour les Européens. Ils jettent dans l’eau une efpéce de folive ou de bâton de Balge de la lon- gueur de 2 ou 3 toifes (5 ou 6 aunes) fur environ un pied de diamétre dans fa groffeur, ce qui eft fuffifant pour le poids qu’il doit porter, lequel confifte en une fenne couchée fur un bout de la folive , tandis que fur Tome LI. V l'autre 154 VOYAGE AU PEROU. l'autre bout eft un Andien debout fur fes pieds, voguant avec une Canuléte, ui eft une Rame particuliere à ce Pays. Il s'éloigne à une bonne demie lieue de la Plage. Là il largue fa fenne ou filet. Un autre Jndien vo- quant de-même fur une folive pareïlle, faifit le bout de la fenne que fon camarade vient de jetter dans l’eau; & tenant ainfi la fenne tendue par les deux bouts ils fe tournent en avançant vers le rivage, où leurs compa- gnons les attendent pour les aider à tirer la fenne à terre. Maintenant je laifle juger au Lecteur s'ils ne faut pas que ces Zndiens ayent bien de l’a- dreffe & de la’ legéreté pour fe tenir en équilibre fur une folive ronde, où ils font obligés de faire divers mouvemens & de changer à chaque in- ftant de fituation, pour ne pas être renverfés par le mouvement des va- gues: mais Ce qui eft plus difficile à concevoir, c’eft qu’ils puiffent avoir l'attention néceffaire à voguer, & en même tems à tirer la fenne vers la terre. La vérité eft qu’étant grands nageurs, s'ils viennent à trébucher, ce qui eft très-rare, ils rattrapent bientôt la folive & y remontent deflus comme fi de rien n’étoit, & fans rifque de faire naufrage. Je mettrai pour le fecond Baillage la Punta de Santa Elena, comme étant le plus proche du précédent vers le Sud. Ce Ballage s'étend le long de la Côte Occidentale depuis les Iles de Z4 Plata & Salango jufqu’a cette même Punta de Sta. Elena, & de-là il s’étend au Septentrian le long de la Côte que forme le Golphe de la Riviere de Guayaquil. Dans cet es- pace-ci il renferme les Villages de la Punta, Chongon, le Morro, Colin- che, & Chanduy. Deux Curés Doëétrinaires font leur réfidence dans les Villages de Chongon & de Morro, les autres Villages font des annexes de leurs Paroifles. Le Lieütenant ou Baillif fait fa demeure à la Ville ou plutôt au Village de la Punta à deux lieues du Port de ce nom, où il n’y a point d'Habitations, mais feulement quelques Baraques pour ferrer le Sel & autres effets. Le Port de la Punta eft fi abondant en Salines, qu'il fufiit tout feul pour fournir du fel à toute la Province de Quito & à la Jurisdiétion de Guayaquil. Ce fel eft un peu brun, mais fort pefant & très-bon pour lés Salaifons. C’eft fur les Côtes de la Lieutenance ou Baiïllage de Za Punta de Santa Elena que fe trouve la Pourpre, dont les Anciens faifoient tant de cas, & qu’on a oubliée depuis, parce que l'animal dont on la tiroit n'étant pas connu, quelques Modernes ont cru que l’efpéce en étoit perdue. Cet animal néanmoins fe trouve dans une coquille de limaçon, & reflemble aux Limaçons ordinaires, que nous appellons Zwfgados. On les rencontre fur VOYAGE AU PEROU: Liv: IV. C&/VIIL. 5 fur les-rochers que la Mer baigne. , Ils.font de Ja groffeur d'environ une noix, un peu plus. Cee Efcargot renfermerune liqueur qui eft la vérita- ble Pourpre, & qui probablement lui-tient lieu de fang. On n’a qu'à y tremper un fil de coton, ou quelque chofe de femblable, en peu de tems il prend une couleur fi vive & fi adhérente, qu’il n’y a point de leflive qui puifle l'effacer ; au-contraire elle en devient plus éclatante, & le tems même ne peut la ternir. Dans la Jurisdiétion du Port de Nicoya, qui ap- partient à la Province de Guatemala, on trouve ce même Limaçon, & l'on en employe la liqueur à teindre le fil dé coton. On s’en fert auffi pour des rubans, des dentelles & autres ornemens; & l’on en fait des ouvra- ges, dont le tiflu eft extrêmement eftimé à-caufe de l'éclat & de la viva- cité de cette couleur. La maniere d'extraire la liqueur eft différente. Les uns tuent l'animal, & pour cet effet ils le tirent de fa coquille, le pofent enfuite fur le revers de la main, & le preflent avec un couteau depuis la tête jufqu'à la queue; après quoi ils féparent du refte du corps la partie où s’eft amañlée la liqueur, & jettent le refte. . Ils font la même manœu- vre avec plufieurs Limaçons, jufqu’à ce qu’ils en ayent une quantité fufi- fante. Alors ils paflent au-travers de la liqueur le fil qu'ils veulent tein- dre, & n’y font pas d’autre façon. Mais la couleur qu'il doit avoir ne paroît pas d’abord; on ne la remarque que quand le fil eft fec; car la couleur de la liqueur, ou humeur, eft blanchâtre tirant fur celle du lait, enfuite elle devient verte, & enfin pourpre. D'autres la tirent fans tuer le Limaçon,& fans le tirer entiérement de fa coquille ils le preffent & lui font baver une humeur dont ils teignent le fil, après quoi ils le remettent fur le roc où ils l'ont pris, & quelque tems après ils lui font rendre la mê- me liqueur, mais ils n’en tirent pas tant que la premiere fois, & dés la quatriéme il n’en rend que trés-peu ; fi l’on continue il meurt à force de perdre ce qui fait le principe de fa vie, & qu’il n’a plus la force de renou- veller. En 1744 me trouvant dans ce Baïllage de Santa Elena, j'eus oc- cafion d'examiner cet animal, de voir extraire fa liqueur felon la premie- re méthode & teindre quelques fils. Ce fil teint en pourpre n’eft pas fort commun, comme fe le font imaginé quelques Auteurs; car quoique ce Limaçon multiplie affez, la grande quantité qu’il en faut pour teindre quel- ques onces de fil, eft caufe qu’on n’en trouve que peu & qu'avec aflez de difficulté; de-là vient que la teinture en eft fort chere, & d'autant plus eftimée. Cette raifon jointe à la fingularité de la couleur m’engagea + en acheter plufieurs, dont il me refte encore un que je conferve comme une chofe rare. Parmi diverfes circonftances qui rendent cette couleur, V 2 remar- éd tés VO VAGUE AU: PER ONU. remarquable & digne d'attention, la plus finguliere eft fans-doute la dif férence de poids qu’elle donne au même coton felon les différentes heures du jour. Je ne pus rien apprendre de cette propriété à Punta de Santa Elena ; apparemment les habitans de ce lieu, peu curieux de leur naturel, n'ont pas pouffé leurs fpéculations jufqu'à fe mettre au fait d’une fingula- rité fi grande. Mais quoi qu'il en foit, ceux de Nicoya ne l’ignorent pas, & les Marchands qui achettent d’eux de pareil coton, ne manquent jamais de fpécifier à quelle heure il fera pelé, pour éviter toute tromperie, le Vendeur & l’ Acheteur fachant fort bien quelles font les heures où cette marchandife péfe plus ou moins. On peut inférer que ce qui arrive : Nicoya à l'égard de la variation du poids dans le coton teint en pourpre, doit aufi arriver à Punta de Santa Elena , vu que le Limaçon eft de la me me efpéce dans l’un & l'autre lieu, & que la teinture qu’il donne n’eft point du tout différente. Une autre particularité affez remarquable que je tiens de perfonnes dignes de toute croyance fur cette matiere, e’eft que cette teinture n’eft jamais fi belle ni fi parfaite dans le fl de lin que dans le fil de coton. Il feroit à propos que cette particularité fût mieux exa- minée, & que l’on fît différentes épreuves tant fur du lin, que fur de la foye & fur de la laine. Quelques-uns ont prétendu que l’animal qui donne cette teinture nais- foit dans une nacre: il fe peut qu’ils entendent par ce nom toutes les co- quilles en général , tant plattes que rondes & fpirales ; mais pour ôter tou- te équivoque j'avertirai qu’il ne fe trouve que dans les coquilles de cette derniere efpéce: c’eft pour cela aufñli que le fil ainfi teint de cette pour- pre eft appellé Caracolillo *, Ce Baillage produit outre cela des Bêtes à cornes, des Mules, de la Cire, du Poïflon. Ilne contient que peu de Villages, mais ils font plus: peuplés que ceux des autres Baillages. Le Port de la Punta eft fort fré- quenté par les Vaffleaux, s'entend ceux qui vont de Panama aux Ports du Pérou; ils s’y pourvoyent de Veaux, de Cabrits & de Volaille, enfin: de toute forte de vivres qu’on y trouve en abondance. On y voit aufi très-fouvent des Bâtimens de cent & de deuxscens tonneaux qui y vien-: nent charger du fel pour le compte des Marchands de Guayaquil, qui y font de gros profits, vu qu’il y eft à grand marché. | La Punaelt Je troifiéme Baïllage qui vient après celui-là, du côté mé- ridional. * Diminutif de Caracol, qui en Efpagnol fignifie en général tout ce qui.a la figure d'us ne ligne fpirale, & en particulier un limaçon. , | VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Cn. VIIL ‘rsy idional. Ce qu’on appelle la Puna eft une Ile fituée au milieu du Gol- phe que forme l’emboichure de la Riviere de Guayaquil. Elle a la figure d'un quarré long, & sécend de Nord-Eft à Sud-Ouëft environ fix ou fept lieues. Si lon en croit la tradition, elle étoit anciennement fi peuplée qu’elle contenoit 12 1 14000 habitans; mais aujourd’hui elle eft réduite à un petit Village fitué près du Port qui eft au Nord-Eft. Les habi- tans de ce lieu font la plupart Mulitres avec quelques Eÿpagnols & très- peu d’Zndiens. Le Village de Machala fur la Côte de Tumbez appartient à ce Baillage, ainfi que le Village de Naranjal, Port où l’on débarque, für -le Fleuve de même nom, qu'on appelle aufli Riviere de Suya, par où l’on ‘pafle dans les Jurisdiétions de Cuenca & d’'Alaufi: un & l'autre V illage ne font pas plus confidérables que celui de l'Ile. Ils dépendent tous du Lieutenant du Corrégidor pour le T'emporel, & du: Curé pour le Spirituet: ceux-ci font leur réfidence dans l'Ile, tant parce que Puna eft le Village ‘principal, qu'à-caufe de là commodité de fon Port où l’on charge les gros Vaifleaux, ce qui ne fe peut faire dans l’intérieur de la Riviere de Guayaqril à- caufe des bancs de fable qu'il y a: d’autres Vaifeaux y viennent faire du bois. Le terroir de Machala, & celui de Naranjal, produifent quantité de Cacao, celui de Machala eft le meilleur qui fe cueiïlle dans toute la Ju- risdiétion de Guayaquil. Dans fes environs, ainfi que dans toute l'Ile de la Puna , on trouve une grande quantité de Mangles ou Mangliers. Ces arbres couvrent par leurs branches entrelacées & leurs troncs épais toutes ces Plaines, qui étant fort unies & fort bafles font continuellement inon- dées par le flux de la Mer. Comme le Manglier eft un arbre peu connu en Europe j'en donnerai 1ci la defcription.. ) Cet Arbre fe diftingue des autres, en ce qu’il croît & fe nourrit dans les rerres que le flot de la Mer inonde tous les jours, & qu’il demande des lieux bourbeux où la corruption s'engendre aifément. En effet dès que l’eau s’eft retirée, tous les lieux où 1l y a des Mangliers répandent une vi- line odeur de bourbe. Dés que cet arbre fort de terre il commence à fe divifer en branches noueufes & torfes; & à produire par chaque nœud une infinité d’autres branches, qui fe multiplient jufqu’à ce qu’elles for- ment un entrelaflement impénétrable : quand l'arbre eft déjà un peu grand, onne peut difcerner les rejettons des branches principales ; car outre qu’el- les font plus embrouillées qu’un labirinte. on ne remarque aucune diffé- rence entre celles de la fixiéme & celles de la premiere produétion par rapport à la groffeur, qui dans toutes eft.prefque d’un & demi ou deux pouces de diamétre. Elles font fi fouples & fi manjables qu’on a beau les. V 3 tordre, 58 : VOYAGE AU PEROU. tordre, on ne peut les rompre qu'avec le tranchant de quel que inftru- ment de fer.. Elles s'étendent préfqu’horizontalement, ce qui n'empêche pas le tronc ,ou les-troncs principaux de croître en ous &engroffeur, Ses feuilles font petites en comparaifon de la grandeur de fes branches ; elles n’ont qu'un pouce & demi ou deux de long, de figure prefque ue. de; elles font épaifles, & d’un verd pâle. Les troncs principaux croif- fent d'ordinaire jufqu’a la hauteur de 18 à 20 aunes, & même davanta- ge, fur 8, 10, ou 12 pouces de diamétre. Ils font couverts d’une écorce mince & raboteufe, qui n'a guére plus d’une ligne d’épaiffeur. Le bois du Manglier eft fi pefant, fi compatte, & fi folide, qu’il s’en- fonce dans l'eau, & qu’il donne beaucoup de peine à couper. Quand on lemploye dans la fabrique des Vaïfleaux, 1l eft un tems infini dans la Mer fans fe corrompre, ni fans être endommagé. Les Indiens de cette Jurisdiétion payent pour tribut annuel une certai- ne quantité de bois de Manglier, que l'on employe aux ufages convenables à fes propriétés. Le Baillage de Taguache eft fur la Riviere du même nom, laquelle fe jette dans celle de Guayaquil du côté du Sud. Il commence au pied des Montagnes , au Sud de Rio-Bamba. Sa Jurisdiétion eft compofée de trois Villages, dont le principal eft Sun Facinto.de Faguache ; où eft la Douane Royale. Les autres deux font Gnaufa, & Alonche. Ces trois Villages ont deux Curés pour le Gouvernement Spirituel des Ames, l’un d'eux demeure au Vi lage principal, & l'autre à Gnaufa. Ces Villages font peu peuplés; mais en revanche il y a beaucoup de monde répandu dans les Biens de Campagne, & dans les Chacaras des pauvres gens. Le Bois eft le produit le plus important de la Jurisdiétion de Taguache. On y recueille peu de Cacao; mais on y nourrit des Troupeaux, & l’on y recueille beaucoup de Coton, en quoi confiftent les ÆZucisndas ou Biens de Campagne. Babahoyo, dont le nom eft affez connu dans ces Contrées, à-caufe que c'eft-là qu'eft établi le Bureau de la Douane Royale, par où pañle tout ce qui va dans les Montagnes, & tout ce quien vient. Sa Jurisdiction eft fort étendue. On y compte outre le Village principal, ceux d'Ujibar, de Caracol, de Quilca & de Mangaches. Ces deux derniers font au pied des Montagnes éloignés du Village principal, qui eft Ujibar, où le Curé fait fa demeure en Hiver; mais en Eté il va demeurer à celui de Baba- hoyo, qui eft un grand pañfage de gens qui trafiquent & qui paflent avec leurs effets d’un lieu à l’autre, fans compter qu’il eft fort peuplé d’habitans. Le VOYAGE AU PEROU. Liw. AV. Cx. VII. 159 Le terroir de ce Baillage eft fi uni & fi bas, que dès-que les Rivieres du Caluma, ou d'Ujibar & de Curacol, commencent à s’enfler par l'effet des premieres pluyes, leurs lits n'étant pas affez profonds, elles fe débordent & fe répandent dans les Campagnes, où elles forment un Océan, plus profond en quelques endroits qu’en d’autres, particuliérement à Babahoyo, où l’eau inonde tout le bas des maïfons, même jufqu'au premier étage, deforte qu’il n’y a pas moyen alors de les habiter: c'eft pourquoi auffi elles font abandonnées durant tout l'Hiver. Les Champs de cette Jurisdiction, & ceux de Baba, dont nous parle- rons tout à l'heure, font remplis d’une quantité prodigieufe de Cacaotiers où Cacaoyers, jufques-là qu’il y en a beaucoup qui font négligés, & aban- donnés aux Singes & autres animaux qui recueillent feuls les fruits que produit la fécondité de la terre, malgré la négligence des hommes. Cet- te même terre produit du Coton, du Riz, de l'A, & des Fruits. Elle nour- rit auffi des Bœufs, des Chevaux, des Mules que lon fait retirer de ces Plaines dans les Montagnes pendant les inondations; & quand les eaux fe font écoulées on les raméne dans la Plaine, pour leur faire brouter la Gamalte, qui eft une herbe qui poufle en fi grande abondance qu’elle couvre toute la terre, & croît à la hauteur de plus de deux aunes & de- mie, @& fi près à près qu’on ne fauroit pañler au-travers, & qu’elle em- barraffe même les chemins battus par les Négoczans. La feuille de la Gamalite eft femblable à celle de l'Orge, excepté qu'elle eft plus longue, plus large, plus grofle & plus rude, d'un verd un peu obfcur & vif, le tuyau fort, & garni de nœudis à la racine de chaque feuille, ayant en grofleur un peu plus de deux lignes de diamétre. Quand la Gamalote à fait fon crû & que le Pays vient à être inondé, la hauteur de l'eau furpaflant celle de l’herbe, celle-ci eft fubmergée, & pourrit, de maniere que quand linondation cefle, on voit la terre couverte de cette herbe couchée dans le limon ; mais à peine leSoleil a-t-il fait fentir la cha- leur de-fes premiers rayons, qu’elle recommence à poufler, & croît fi bien en peu de jours, qu’elle reverdit toutes les Campagnes. Ce qu'il y a de fingulier, c’eft que cette Herbe eft auffi profitable aux Troupeaux de la Plaine que nuifible à ceux des Montagnes: ce que l'on a obiervé en diverfes occafions. La Lieutenance ou le Baïllage de Baba eft une des plus grandes du Cor- régiment de Guayaquil. Sa Jurisdiétion s'étend jufqu’au panchant de la Cordillere où Montagnes d’'Anñgamarca, qui apparttiennent au Corrégiment de Latacunga, où Liatacunga, comme prononcent les Indiens. Outre le Vi À mi ait moe me | és UV O PA GIESA U PRO UV. Village principal qui donne fon nom à tout le Baillage, il y en à d'autres quien font des annexes,dont l'Adminiftration Spirituelle n’a qu’un feul Curé, qui fait fa demeure ordinaire à Baba, ainfi que le Lieutenant du Corrégi- dor. Anciennement la Riviere qui porte le nom du Village couloit tout auprès; mais dans la fuite Don N. Winces ayant fait tirer un canal pour arrofer les Cacaotiers de fes terres, & la Riviere ayant plus de pente vers. ce nouveau lit que vers l'ancien, s’y précipita de maniere que quand on voulut la forcer à reprendre fon premier canal, on n’en put jamais ve- nir à bout, deforte qu'elle a continué à couler à une affez grande diftan- ce du Village. Les annexes de ce Village font San Lorenzo, & Palenque, qui eft fort éloigné du principal, étant fitué au pied des Montagnes: les Ændiens qui y habitent font peu policés. Le Cacaotier,dont j'ai dit que ce Diftriét produifoit une fi grande quan- üté, a ordinairement 18 à 20 pieds de haut, & non 4 à 5 pieds, comme l'ont dit quelques Ecrivains, qui peut-être n’en parlent ainfi que parce qu'ils n’en ont vu que dans le commencement de leur crue. Quoi qu'il en foit, lorfqu'il commence à poufler, il fe divife en quatre ou cinq troncs, plus ou moins, felon qu’eft bonne & vigoureufe la racine principale d’où les autres naïflent. Chaque tronc a depuis 4 jufqu’à 7 pouces de diamé- tre, les uns plus, les autres moins. À mefüure qu’ils croiflent, ils penchent vers la terre, & c’eft aufli pour cela que leurs branches font éparfes & éloignées les unes des autres. Leurs feuilles font longues de 4 jufqu’à 6 pouces, fur 3 à 4 de large, fort lifles, fort agréables à l'odorat, & termi- nées en pointe; en un mot faites à peu près comme la feuille de l’Oran- ger connue en Æ/pagne fous le nom d’Oranger de la Chine, & au Pérou fous celui d'Oranger de Portugal. Elles different un peu dans la couleur, en ce que h feuille du Cacaotier eft d’un verd qui tient un milieu entre l'obfcur & le cendré, & n’eft point luifante comme celle de l’Oranger, & enfin le Cacaotier n’en a pas à beaucoup près autant. Du tronc de l'arbre, ainfi que des branches, naïflent les goufles qui contiennent le Ca- cao. Elles font précédées d’une fleur blanche & fort grande, dont le piftil contient la goufle encore petite. Cette gouffe croît de la longueur de 6 à 7 pouces, fur 4 à 5 de large. Elle a la figure d'un melon pointu, & divifé en côtes marquées tout du long depuis la tige jufqu'à la pointe, avec un peu plus de profondeur que dans le melon. Toutes les goufles ne font pas exattement de la grandeur que nous venons de marquer, & leur volume n’eft pas toujours proportionné à la groffeur de la branche, eu du tronc qui les produit, & auquel elles font attachées, comme fi elles VOYAGE AU PEROU. lav. IV. Cu. VIIL 161 elles étoient des excrefcences 3 Car il y en a de beaucoup plus petites, & if arrive fouvent qu’une petite eft attachée au tronc primcipal, tandis qu’u- ne grande left à un rameau fort foible. J'ai obfervé qu’ordinairement, quand deux goufles croiffent lune près de l’autre, il y en a une qui tire à foi presque toute la fubftance nutritive, & qui par conféquent devient fort grande, & l’autre refte petite. La goufle eft verte comme les feuilles pendant qu’elle croît, mais dés- qu’elle cefle de croître elle devient jaune. L’écorce qui la couvre eft mince, life, & unie. Quand la gouffe eft parvenue au point de maturi- té qu'il faut, on la cuaille, & on la coupe en rouelles : alors on décou- vre fa chair intérieure, qui eft blanche, pleine de jus, & qui renferme de petite pepins, difpofés le long des côtes, & qui n'ont pas plus de con- fiftance que la chair méme, mais font plus blancs, compofés d’une mem- brane fort déliée qui contient une liqueur qui reflemble à du lait, mais transparente & un peu vifqueufe: on peut les manger ‘comme un autre fruit , ils ont un goût aigre-doux qui n'eft point desagréable; mais les gens du Pays prétendent que leur fêve eft nuifible à la fanté & fiévreufe. Quand la goufle eft jaune en dehors, c’eft une marque que le Cacao com- mence à fe nourrir de fa fubftance, & à prendre de la confiftance, & que le pepin fe remplit & croît. Bientôt la couleur jaune devient pâle, & enfin la graine ou pepins du dedans, étant à un parfait degré de ma-. turité, l'écorce extérieure de la gouffe prend une couleur de mufc fon- cée, & c’eft la marque qu’il faut la cueillir. L’épaifleur de l'écorce eft alors d'environ deux lignes; & chaque grain eft renfermé dans les divi- fions que forment lés membranes de la goufle, tant dans la largeur que le long des côtes, fuivant les divifions de la gouffe. Auñlitôt que la goufle eft détachée de l’arbre, on l’ouvre, & on en vüide les grains fur des cuirs de bœuf fecs, préparés pour cet effet, ou plus ordinairement fur des feuilles de 7’ïjahuas où l'on les fait fecher. Etant fecs on les met dans des peaux pour les transporter où ils doivent être vendus. La vente s’en fait par charges, chaque charge contient dans ce Pays-là 81 livres. Le prix n’en eft point fixe. Ileft des tems où la difette d'Acheteurs fait qu’on les vend fix ou fept réales la charge, ce qui eft moins que les fraix qu’on fait pour la récolte de cette fameufe Graine; mais quand il y a des débouchés, le prix courant eft de trois à quatre écus la charge. En tems de Gallions ou autres occafions femblables, où il fe préfente beaucoup d’Acheteurs, le prix augmente à proportion. La Récolte du Cacao fe fait deux fois par än, & l’une n’eft ni moins Eome I. X abon- 6: : VOYAGE AU PEROU gbondante, ni de moins bonne- qualité que l’autré, Ces deux Récoltes produifent dans l'étendue de la Jurisdiétion de Gwisyaquil 40 à 50000 char es de Cacao. Les Cacaotiers ou Cacaoyers requierent une ff grande abondance d’eau, qu'il faut que la terre où ils font femés foit prefque changée en marais pour qu’ils viennent bien: Si l’eau leur manque, ik ceflént de produire du fruit, fe defféchent & dépériffent entiérement. Outre cela il faut qu’ils ayent continuellement de l’ombrage;. deforte que les rayons du So- leil ne tombent point direétement deflus; c’eft pour cela qué quand on les féme on a foin de planter d'autres arbres plus robuftes auprès, a l'abri desquels ils puiflent croître & fruétifier. Le terroir de Guayÿaquil eft fort propre aux Cacaotiers, vu que l'eau n'y manque pas; car étant compofé de Savanes ou grandes Plaines, comme nous l'avons dit, il eft inondé tout l'Hiver, & en Eté il eft arrofé par les Canaux tirés des Ri- vieres.. Enfin il a un fecond avantage pour faire profpérer les Cacaotiers, c'eft que toute forte d’autres Arbres y croiflent fans difficulté & fort promptement.. Toute la culture du Cacaotier confifte à farcler les-petites Plantes qu’un terroir fi. humide ne peut manquer.de produire ; çar fi l’on néglige cette attention, ces petites Plantes pouflent fi fort en. peu d'années qu’elles confument les Cacaotiers,, leur ôtant la nourriture qui devoit les fertilifer. Daule eft le dernier Bailliage dont il nous refte à parler: le principak Village de ce Baïlliage s’appelle aufli Daule, du nom de la Riviere fur la- quelle ileft fitué.. Hieft fort grand, & contient plufeurs grandes mai- fons appartenant à des habitans de Guayaquil. C’eft dans ce Village que demeurent le Lieutenant & le Curé, qui ont fous leur jurisdiétion les Villages.de Sainte Lucie.& de Vallar. Il y a dans ce Diftriét diverfes Plantations de Tabac; de Cannes de Sucre, de Cacao, de Coton, de Fruits & de Grains. La Riviere de Daulé, qui comme celle de Baba porte le tribut de fes: eaux dans le Fleuve de Guayaquil, eft confidérable & ne contribue pas peuau commerce avec cette Ville. Celui que le Village de Daule y fait, confifté dans les Fruits que fon terrain produit en grande abondance, &. particüliérement les Platanes, qui en:tout tems fervent de pain aux Habitans:. Quant au Tabac que l’on recueille dans les autres parties du. reéflort de Guayaquil, il n'eft.pas d’aufli bonne qualité que celui du Bal- lage de Daule. | Prefque dans tous ces Bailliages on nourrit du gros-Bétail plus ou ra, flou VOYAGE ÆU PEROU. Liv. IV.C&/IX 163 felon la difpofition du temmir, & qu'on eft à portée: des lieux élevés où l'eau ne puifle atteindre;, pour y retirer les Troupeaux en Hiver, SD 20 SIN: SITE SANIU INRIA CTP ON TON EAN PIE SYNC TA CN CH APITRE 22 Remarques fur le Fleuve dle Guayaquil, € Jur les Habitations qui peuple Jes bords. Fabrique des Bâtimens qui trafiquent fur ce Fleuve, €? Péche qui s'y fait. A Riviere de Guayæquil étant le Canal par où fe fait le Commerce de la Ville de ce nom, nous croyons devoir placer ici Ja defcriptiof de ce Fleuve, avant que de parler du Commerce, afin que le Leëteur puiffe mieux comprendre ce qui fera dit fur cette matiere. L’étendue navigable de cette Riviere, depuis la Ville jufqu’a la Doua- ne de Babahoyo où l’on débarque, eft communément divifée par ceux qui font fouvent cette route en tours, par où l’on entend les inflexions que Je Fleuve fait en ferpentant; & comme il ferpente beaucoup, on compte vingt de ces tours, quoiqu'à la rigueur il y en ait vingt-quatre en comptant depuis la Ville jufqu’au Caracol, qui eft le Port où l’on débarque en His ver. Les plus larges de ces tours font les trois que le Fleuve fait près de la Ville, lesquels ont environ deux lieues & demie d’étendue, & les au- tres environ une lieue: d’où il faut conclure que la diftance de Guayaquil à la Douane de Babahoyo, computée par les différens tours du Fleuve, eft de 241 lieues, & jufqu’à Caracol de 285. On fait cette route fort divers. fement à l'égard du terms qu’on employe dans le trajet. Quelquefoïs on eft 8 à 9 jours pour aller de Guayaquil à Caracol en remontant le Fleuve en Hiver dans une Chata, & on le defcend en deux. En Eté on le remonte en trois marées dans un Canot léger, & il en faut un peu plus de deux pour le defcendre. La même chofe arrive à l'égard des autres Bâtimens, avec cette différence qu’on employe toujours moins de tems à ‘descendre qu'à monter, à caufe de la pente naturelle que le Fleuve a dans les tours voifins de la Douane , où la plus grande force de la marée ne produit d’au- tre effet que de retarder l’eau qui defeend. Depuis Guayaquil jufqu’à Ifla Verde, quieft l'embouchure de la Riviere dans le Golphe de % Puna, les Pilotes comptent environ 6 lieues. Cette diftance eft compofée de plufieurs tours dans la même forme que de l’au- ue côté: d'Ila Verde à la Puma il y a trois lieues; deforte que depuis de X 2 Cara- 164 VOYAGE AU PEROU. Caracol, qui eft le Port de la Riviere le plus éloigné où les Pâtimens puiflent arriver, jufques à la Punail y a 37 lieues & demie. Dans la dis- tance entre Îfla Verde & la Puna le Fleuve s'élargit tellement qu’on ne voit que le Ciel & l'Eau vers Nord & Sud; feulement dans quelques en- droits on appetçoit les Mangliers vers le Nord. La largeur du Fleuve à l'embouchure près d’1fl« F’erde eft d’énviron une eye. Il a la même largeur & même un peu plus à Guayaquil. Mais de. puis-cette Ville en haut il fe retrecit, & farme dans tout fon cours outre fon lit principal divers Bras ou Efféros, dont l’un a fon embouchure vis- à-vis de la Ville, & eft appellé Æfféro de Saniay; & l'autre qui fe rejoint au Fleuve à une médioere diftance de la Douane de Babahoyo, eft nom- mé Eftéro de, Lagartos *.._ Ce font-là les deux Bras les plus confidérables, qui s’'éloignant beaucoup du Fleuve principal, forment de fort grandes Ilés. Les Marées, comme nous l'avons dit, font fentir leurs effets jufqu’à cet- te Douane , refoulant les eaux du Fleuve, & les faifant enfer fenfiblement: Il n’en eft.pas de-même en Hiver, à-caufe de la force de leur courant, & l’on n’y remarque ces effets que dans les tours près de Guayaquil. Il y a même trois ou quatre occafions dans l’année où l'abondance des eaux que le Fleuve raffemble, font entiérement difparoître les marées. Cela arrive pour la premiere fois vers Noël. La caufe principale des débordemens de ce Fleuve vient des eaux qu’il reçoit des Montagnes; car quoiqu'il pleuve beaucoup dans le Plat-pays, la plus grande partie des eaux de ces pluyes refte dans les Plaines & dans les Marais, deforte que le Fleuve n’en feroit pas beaucoup augmenté fans les eaux des Montagnes. La crue des eaux du Fleuve change la fituation des Bancs de fable, qui font entre la Ville & fla Verde; c’eft pourquoi il faut aller a la fonde & les bien noter, pour que les gros Bâtimens puiflent entrer fans dau- ger d’échouer.. | Les rivages du Fleuve de Guayaquil, comme ceux des Rivieres de Ta- guache, de Baba, de Daulo, & des Efféros ou Canaux qu'il forme , font parfemés de Maifons de campagne & d’Habitations de pauvres gens de toutes .Cafles,. qui fant-là à portée de la pêche, & des terres qu’ils doi- vent enfemencer. Les petits efpaces qui font entre ces habitations & mai- fons de campagne, font remplis d’arbres de tant de différente efpéce, qu'il feroit difficile à l'Art d’imiter de fi beaux Payfages que la Nature for- m£ %+ Canal. des Caymans, VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Cn IX. rés me conjointement avec ces maifons ruftiques, dont il eft à propos que nous donnions ici une idée. Les principaux & les plus ordinaires matériaux des Maifons qui font fur les bords du Fleuve de Guayaquil, ne font autre chofe que des cannes. Nous parlerons ailleurs de leur groffeur & autres particularités: 1] fuff- ra de remarquer ici qu’elles font employées pour le toit intérieur des mai- fous au-lieu de charpente, pour les murailles, les planchers, pour les es- ‘caliers des. maifons petites & bafles, & autres commodités néceflaires. Les grandes maifons ne different de celles-là que par. quelques piéces de charpente, & par leurs efcaliers qui font de bois. La maniere de les bâ- tir confifte à ficher en terre dix à douze piéces de bois plus-où moins fe- lon que la mafon doit être grande, en maniere de fourche, d’une hau- teur fuffifante; car tous les appartemens doivent. être en-haut, fans rez- de-chauflée. On met des poutres en-travers pour arrêter. ces piéces de bois , & ces poutres font à 4 ou 5 aunes au-deffus de la terre. Ils mettent la-deflus de ces gros rofeaux en guife de folives, & s’en fervent en même tems pour faire les planchers , qui font auffi fermes & aufi foli- des que s’ils étoient de bois; les cloifons qui féparent les chambres font aufi faites de ces cannes. Quant aux murailles extérieures, ou elles font tout ouvertes pour donner une libre entrée à la fraîcheur, ou elles font feulement treilliflées à peu près comme un balcon. Les toits de ces gran- des maifons ont leurs piéces principales de bois, les folives font de can- nes, recouvertes d’autres cannes couchées en-travers, le tout eft couvert en dehors de feuilles de V'ijahua au-lieu de tuiles. De pareilles maifons font bientôt bâties & à peu de fraix ,. & cependant elles ne laïffent pas d’être auffi logeables qu’on peut les fouhaiter. A l'égard des pauvres gens, tou- te la dépenfe fe réduit à leur travail perfonnel: car quand ils veulent fe bâtir une habitation, ils n’ont qu'à fe mettre dans un petit canot fur les Eftéros, & avec leur couteau feulement aller fur la premiere Montagne couper les cannes, la Vijabua & les Bejucos dont ils ont befoin, . &. ayant conduit le tout au bord de l’eau ils font un radeau des cannes qu'ils ont coupées, fur lequel ils chargent les autres matériaux, après quoi ils des- cendent la Riviere jufqw’au-lieu oùils veulent fixer. leur demeure. Là: ils procédent à l'édifice, attachant avec la Bejuque * les piéces qu'il fau- droit clouer. . En peu de jours la maifon eft conftruite avec tous les appar- temens * La Béjuque eft.une efréce de Saule pliant & fi fouple qu'on s’en fert au-lieu de corde, Not, du Trad. X 94 Le 166 AY OY A GE AU F'ERMOU temens nécéffaires; il ÿ a. de ces maïfons qui font aufli grandes que celles qui font faites de merrin. Le bas de ces räïfons:tant petites que grandes, ainfique de celles de tous les lieux de la Jurisdiétion de Guayaquil bâties dans lé même goût, eft ouvert à tous les-vents, fan$ muräïlle ,: ni riensautte chofe que le pied des piquets fur lesquels tout l'édifice eft appuyé. D'ailleurs il feroit aflez nutile d’en faire un rez-de.chauffée logeable, vuque tout l'Hiver cette partie du logis eft fubmergée. Dans les lieux qui ne font point fujets à .c:t inconvénient, on la ferme d’une muraille de cannes; & ces rez-de- chauflée fervent de Magazin au Cacao & autres matchandifes & fruits. Là où Rs inondations ont lieu, l'eau pañls & repaffe au-travers de cette partie inférieure, & ceux qui habitenc dans l'étage au-deflus; ne man- quent pas de tenir leurs canots toujours prêts pour pouvoir voguer d’une maifon à l'autre. ‘Ils font fi adroits dans cet exercice, : qu’on voit quel quefois une petite fille fe mettre feule dans une nacelle fort mince & fort légére, où un homme moins habile n’oferoit mettre le pied, gouverner ce mi- férable petit Bâtiment, & traverferla-deflüs des courans rapides & violens avec autant de fang froïd que fi elle étoit dans un Vaiffeau folide: entreprife qui embarafleroit les plus habiles Marins qui n’y feroient point accoutumés. Les pluyes continuelles de l'Hiver, & le peu de folidité de fes mai- fons, obligent à des réparations périodiques; c’eft-à-dire, qu’il faut ra- commoder en Eté ce que l'Hiver a gâté, & mettre la maifon en état de réfifter à l'Hiver fuivant. uant à celle des Pauvres, il faut les rebâtir de-nouveau tous les deux ans, & renouveler les matériaux, excepté les piquets qui fervent de fondement dont on peut fe fervir longtems. … Après avoir parlé des Bâtimens fixes de ce Pays, 1l eft jufte que nous parlions des Bâtimens flottans qui y font en ufage. Nous omettrons les Chates & les Canots, comme étant trop connus; & nous ne parlerons que des Balzes , dont le nom fait aflez connoître la fabrique *, mais non la façon particuliére de leur Gouvernement Nautique, & l’ufage que les Indiens eh font pour leur Navigation, fans que ces Peuples groffiers & ignorans ayent eu d’autre Maître que la néceffité & l'expérience. Les Balges, qu'on nomme auñi Fangades , font compoñées de 5. 7. ou 9. folives d’un bois qui, quoiqu'il ne foit connu-la que fous le nom-même de Balze, eft appellé Pucro par les Indiens du Duriens & qui felon toute apparence eft le même que celui que les Latins nommoïient Ferula, dont Columelle parle au Liv. V. & Pline au Liv. XIII. Chap. 22. où il re- inarque * Baka en Epagnol fignifie un Radeau. rs és ues ses proportio ue. +: 22 GRamequfértde Rome ÈS == == = = ES Se = = À rit LIEU ANS TS ANNEE RS BAL SA oder FAHRZEUG VON GUAYAQUILZ mit fener Verhaelerus/en vorgeftellet- |ADas orderthel. E.Segelleinen. | Dre Kuche BDs Zinderthel . Jchutrhoelcer.. ss 1 Was/er lgChen . : le Laube oder Lite . GRuder welches zum Schutzholze Aaupttauen oder die Wand. Wtangen welche/tatt des, Mafles denen und Steuerruder denet . LDer Boden oder das Bedeck. NS TZ de Bakker Scub . a ——— ec orme REP EE EE GEO ARS EEE VOYAGE AU PEROU: Lry. IV. Cu. IX. x67 marque qu’il y en ade deux fortes, lutr plus'petit , que les Grecs nommoient Nartechia , & Yautre plus grand, qu'ils «appelloient Nartheæ.. - Nebrya l'appelle en E/pagnol Camna beja, ou Canna heja. Don George Fuan.en a vu à Malthe, où il croît naturellement; & il dit qu'il n’y a point de dif- férence entre celui-là & la Balza ou Pucro, finon que la Canna beja, que les Malthois nomment-Ferula-comme les Latins, eft beaucoup plus peti- te. Quoi qu’il.en foit, la Balza eft un bois blanchâtre, mou, & fort lé- ger, tellement: qu’un-morceau de trois à quatre aunes de long & d’un pied de diamétre peut être levé & tranfporté d'un lieu à un autre par un pe- tit garçon fans la moindre difficulté ? C'eft avec.ce bois que les Indiens font leurs Fangades ou Balges , comme on-peut le voir dans la Planche XI. Aù-deflus eft une efpéce dé ullac ow de couveæ £, fait de planchettes de Cannas ou. Rofeaux;. & par-deflus cela ils mettent un toit C, lequel a deux côtés. Au-lieu de vergue, ils attachent la voile à deux perches de Manglier qui fe rencontrent en haut D; & dans les Balzes qui ont le mât de trinquet il eh efk de-même. Ce n’eft pas feulement fur le Fleuve que fes Balzes naviguent ; elles vont aufli en Mer, & même font le trajet jufqu’a Payta. Leur grandeur eft dif- férente, auffi:bien que leur ufage. Les unes font employées pour la pé- che; les autres pour trafiquer fur le Fleuve, tranfportant toute forte de marchandifes, depuis la Bodega ou Douane de Babahoyo jufqu'à Guayaquil, & de-là à /4 Puna, Salto de Tumbez, & Payta. Il y en a qui font très- proprement conftruites, & qui fervent à tranfporter les familles à leurs "Ferres & Maïfons de campagne. On eft dans ces Bulzes aufli commodé- ment que dans une maïfon. On n’y eft point incommodé du mouvement, & l'on yeft fort au large, comme on en peut juger par la grandeur du Bâtiment; les Pucros dont elles font faites ayant 12 à 13 toifes de long far 2 ou 2! pieds de diamétre dans leur groffeur, deforte que les 9 folives dont elles font compofées forment une largeur d'environ 20 à.24 pieds » toife d: Paris, qui font à peuprès 4 de ces toifes,. & xeviennent à.8 ou o.aunes de Cajtille... On peut par-ià fe faire une idée des Ba/zes qui n'ont- que 7 {olives ou même moins. - Les folives qui compofent cette efpécede Bâtiment, ne font jointes : que par des liens de Bejuques, avec:lesquels, & au moyen des piéces ou fo- liveaux en-travers qui croifent fur éhaque bout, ils font amarrés fi for- tement l'un.contre l’autre;, qu'ils réfiftent aux plus fortes marées dans les traverfées à la Côte de Tumbez & de Payta. Ces liens ont l'avantage qu'é- tant une fois bien noués, ils ne fe défont jamais, malgré le mouvement. conti 168 VOYAGE AU PEROU. continuel, quoique foible, qu’un tel Bâtiment ne peut manquer d'avoir. li'arrive néanmoins quelquefois que les Indiens négligeant de vifiter les Bejuques & deïles changer avant de partir, quand ils font ufés par le tems &le travail, le Bâtiment chargé de marchandifes ,ou d’autres effets, combat quelque tems contre les flots ; mais enfin il fe déjoint, la Cargai- fon fe-perd, & les. pañlagers périflent. Quant aux Jndiens ils fe tirent mieux d'affaire, & montant fur la premiere folive.qu'ils trouvent, cela leur fuffit pour fe fauver, & pour aborder au premier Port. Il arriva une ou deux avantures pareilles pendant que nous étions dans la Province de Ouito: trifte effet de la négligence & de la confiance barbare des Indiens, qui ne prennent aucune mefure pour prévenir de pareils accidens. La plus groffefolive , ou pour mieux dire la plus groffe poutre de Ja Balze ,avance en faillie vers la poupe-un peu plus que.les autres. C’eft à celle-là qu’on attache la premiere poutre à droite & à gauche,& les autres ainfi de fuite. C’eft la maîtreffe-piéce du Bâtiment, & c’eft aufli pour cela que le nombre des folives eft toujours impair. ‘Les grandes Balzes portent ordinairement depuis quatre jufqu’a cinq cens quintaux-de mar- chandifes, fans que la proximité de l’eau y caufe le moindre dommage; car les coups de Mer n’y peuvent entrer, & l’eau qui bat entre les folives n'y pénétre point, parce que tout de corps du Bâtiment fuit le cours & le mouvement de l'eau. Jufqu’ici nous n’avons parlé que dela fabrique des Balzes, & du trafic auquel on les emploie. Maïs nous ne devons pas oublier une particulari- té bien plus extraordinaire: c’eft que ces Radeaux peuvent voguer & louvoyer quand le vent eft contraire aufli-bien qu'aucun Vaiïfleau à quille. Ils courent fi furement le bord qu’on veut leur faire courir, que fi elles: s'écartent de la route, ce n’eft jamais que de peu. Cela fe fait par ur au- tre moyen que par le gouvernail. On a des planches de 3 à 4 aunes de long fur une demie aune de darge, qu’ils appellent Guares, &k qu’ils ar- rangent verticalement à la poupe & à la proue, entre les folives de la Balze; ils enfoncent les unes dans l’eau & en retirent un peu les autres, & par ce moyen on s'éloigne, on arrive, on gagne le vent, on revire de bord, & on fe maintient à la cape, felon qu'on veut maneuvrer. Inven- tion qui jufqu’à-préfent a été inconnue aux Nations les plus éclairées de l Europe, & dont les Indiens qui l'ont découverte ne connoïffent que la ma- neuvre ou le méchanifme, fans que leur efprit mal-cultivé ait jamais cher- ché d’en pénétrer la caufe & les raifons, ni pu les concevoir. Mais fi la’ chofe étoit connue & pratiquée en Europe, il n'arriveroit pas tant de naur VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. Cu. IX. 169 paufrages lamentables, & ceux qui ont péri faute d'une pareille iñvention auroient du-moins confervé leur vie. Lorfque la Fregate cu Roï-la Gé. noife fit naufrage à la Vibora, plufieurs perfonnes tâcherent de fe fauver par le moyen d'une Fangade où Radeau qu'ils firent à la hâte, x fur le- quel ils s’'embarquerent; mais ils ne purent venir à bout de leur: deffein pour s'être livrés aux flots fans autre gouvernail que celui des courans, & s’être abandonnés au.gré des vents. Des exemples fi tragiques m'ont déterminé à examiner fur quoi eft fondée la maniere de gouverner ces-Bi- timens & en quoi elle confifte, afin que chacun puiffe s’en fervir dans l’oc- cafion; &.pour mieux réuffir dans mon deflein, je me fervirai d’un petit Mémoire que Don George Fuan a compofé fur cette matiere. La détermination, dit-il, dans laquelle fe meut un Vaiffeau pouffé par le vent, eft une ligne perpendiculaire à la voile, comme le démontrent Mrs. Renau dans la Théorie des Manœuvres Chap. 2. Art. 1. Bernoulli Chap. x. Art. 4. & Pitot Sec. IL. Art. 13. Or la réaétion étant éga- le & contraire à l’aétion, la force que l’eau oppofe au mouvement du Vaifleau doit être comme une ligne perpendiculaire à la voile, laquelle ligne commence fous le vent & finit au-deflus; pouflant avec plus de force um grand corps qu’un petit, en raifon compofée de leurs fuperficies & des quarrés des Sinus des angles d’incidence, c’eft-à-dire, dans la fuppo- fition de l'égalité des vitefles: d'où il fuit que toutes les fois qu’on en- fonce une Guare dans l'eau à la proue du Bâtiment, celui-ci fera au lof ; & fi on la retire il fera a dérive. De-même, fi on enfonce da Cuare à la poupe dans l’eau, le Bâtiment fera à dérive, & au-contraire fi on la re- ure il fera au lof. Telle eft la méthode des Zndiens pour gouverner leurs Balzes ; ils augmentent le nombre des Guares jufques à quatre, cinq ou fix pour fe maintenir fur le vent: car il eft évident que plus on en en- fonce, plus on augmente la réfiftance que le Bâtiment trouve à fendre Peau par le côté, vu que les Guares font l'office des Ourfes dont les Mari- niers fe fervent fur les petits Bâtimens. La manœuvre de ces Guares eft fi facile, que dès-qu’on a mis le Bâtiment dans Ja direétion de fa route, il fuffit d'en enfoncer ou retirer une feule un ou deux pieds quand il eft né- cefaire, & il fe maintient par-là dans fa direétion. Le Fleuve de Guayaquil & fes Eféros abondent en Poiffons, comme nous l'avons déjà obfervé. Les Indiens & les Mulétres, qui ont leurs habitations fur fes bords, s'occupent quelque tems à la pêche, & s’y pré- parent aufitôt que l'Eté commence à tirer vers fa fin: alors ils ont femé, & fait la récolte de leurs petites Chacares. Ils ne penfent qu'à préparer Tome I. Dé leurs SE RSS LR PE mo VOYAGE AU PER O U. leurs Balges, à les vifiter, les réparer, à les couvrir de nouvelles feuilles de V'ijalua, pour qu’elles puiffent réfifter à la pluye. Ils fe pourvoyent de fel pour mariner le poiflon, préparent leur fléches & leurs harpons, & font provifion de vivres à proportion du tems qu’ils veulent employer à ja pêche: ils amaffent du Maïz, des Platanes ,& quelque peu de Taffajo*. Tout étant ainfi difpofé ils embarquent leurs Canots dans la Balze, de: même que leurs femmes, leurs enfans, & le peu de meuble qu'ils ont chez eux. Ceux qui poffédent quelques Vaches, ou Chevaux, comme cela eft afféz ordinaire, les envoyent dans les Montagnes pour les y faire paler l'Hiver; & pour eux ils s'embarquent fur leur Balze, & vont fe poiter à l'embouchure de quelque E/féro, où ils croyent qu’il y a beau- coup de poiflons. Ils y demeurent jufqu’à ce qu’ils ayent fait capture; s'ils voyent qu’il n’y ait rien à faire, ils paflent à un autre, & leur pé- che fine ils s’en retournent chacün chez foi. Là ils apportent des feuil- les de Vijahua,. des Bejuques, & des Rofeaux ou Cannas pour réparer les dommages que leurs maifons ont foufferts. Quand la communication eft ouverte avec la Province des Montagnes, & que les Troupeaux com- mencent à descendre, ils paflent avec leur poiflon jufqu'aux Bodegas de Babahoyo où. ils le vendent, & du produit ils achettent de la Bayéte du Pays, du Tucayo,. &. les autres chofes néceflaires pour fe vétir eux & leurs familles. Voici quelle éft la maniere de pêcher d’un Jndien. Il fe pofte à l'em- bouchure d’un. Eftéro avec fa Balze amarrée au bord de leau, fe met dans un: de fes petits Canots avec quelque fléches, ou quelques harpons: Dès-quil voit le poiflün, il le fuit jufqu’à ce qu’il en foit aflez proche: alors ik lui décoche fa fléche ou fon harpon, le blefle, & le prend dans fon: Carnot: la même fléche lui fert encore pour d’autres poilons. ls font fi adroits dans cet exercice, qu’il eft bien rare qu’ils manquent leur coup: Si le ligu ou parage eft abondant, en 3 ou 4 heures le Canot cft chargé; le Pêcheur retourne à la Balze pour y vuider & faler fa pêche. Quelquefois 1ls employent à leur pêche une Herbe qu'ils nomment Bar- bafco, für-tout dans les lieux où les Æf£éros forment quelque mare où ma- rais:. Ils prennent une bouchéé de cette herbe, la mâchent,. & lincor- porent enfuite dans de l’apât qu'ils répandent dans l'eau. Le jus de cette herbe eit fi fort , que dès-que le poiflon en a goûté, il et ivre, & furna- ge. comme s’il étoit mort; deforte que de Pêcheur n’a que la peine de le prendre. Tout le fretin qui goûte de cette herbe meurt; mais le gros ? poifs * Wianie fechée au. vent, VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. CH IX, 191 poiflon, aprés un aflez long intervalle, revient à fon état naturel , ä-moins qu’il n’en ait trop mangé. Il femble que le Poiflon pris de cette manie- ré devroit être mal-fain, toutefois l'expérience prouve le contraire ;c’eft pourquoi auffi on le mange fans crainte. Outre ces deux manieres de pé- cher, ils en ont encore une troifiéme, qui fe fait par le moyen d'une es- péce de fenne ou filets, qu’ils nomment Chinchorros ; mais alors ils fe joignent plufieurs Pécheurs enfemble pour faciliter la manœuvre de leurs Chinchorros. Le Poiflon le plus gros qu'on pretine dans les Æfféros, c’eft le Bagre. Tl a une aune ou une aune & demie de long. Il eft filafleux, fade, & mal. fan, c’eft pourquoi on ne le mange jamais frais. Le Robalo * eft le plus délicat, & il a en effet très-bon goût; mais comme on ne le trouve que dans les Efféros éloignés & au-deflüs de Guaÿaqil, on n’en voit point dans cette Ville. Toutes ces Rivieres & Efféros auroient une plus grande quantité de Poiflons, fi les Caymans, ou Lézards comme on les appelle dans ce Pays, n'en détruifoient pas tant. Le Cayman eft un animal amphibie, qui vit tantôt dans l'eau & tantôt fur terre, quoiqu’ordinairement il ne s’écarte guere du bord des Rivieres où il a fixé fa demeure: La quantité qe l’on voit de ces animaux le long des Canaux ou des Rivieres éft fi grande, qu'on ne peut les compter. Quand ils fe font raflaffiés dans l'eau , ils vien- nent à terre fe fecher au Soleil; ils reflemblent à quantité de troncs d’ar- bres à moitié pourris, que l’eau a jettés fur le rivage. Dès qu'ils fentent un Bâtiment qui approche, ils fe jettent à l’eau. Il y en a de fi mon- ftrueux , qu’ils ont plus de 5 aunes de long. Tandis qu'ils font à terre, ils tiennent la gueule ouverte & reftent ainfi, jufqu’à ce qu’il s’y foit raf- femblé une affez grande quantité de mouches & dé mofquites ; alors ils la ferment pour les avaler : malgré les contes que des Auteurs ont débités fur cet animal, je fai par expérience, de-même que toute notre compaghie, qu'il fuit les hommes quand il eft à terre ; & dès-qu’il apperçoit quelqu'un, il fe jette dans l’eau. Tout fon corps eft couvert d’écaiïlles fi fortes qu’el- les réfiftent aux balles, à-moins qu’on ne l’atteigne à l’aiflelle, qui eft le feul endroit pénétrable. Cet animal naît d’un œuf. Quand la femelle veut pondre, elle vient à terre fur le bord de la Riviere. Là elle creufe un grand trou dans le fable & y dépofe fes œufs, qui font de la groffeur d’un œuf médiocre d’Autru- che, * Loup marin, Y 2 # 172 VOYAGE AU PEROU. che, & domt h coque eft blanche comme celle d’un œuf de Poule. mais beaucoup plus épaifle.. Elle en pond plus de.cent d’une feule portée dans l'efpace d’un-ou deux jours. Dès-qu’elle les a:mis bas, .elle les couvre de fable, & a l'attention de fe rouler deflus pour cacher l'endroit où ils font, pouflant même la précaution jufqu'à fe vautrer tout autour pour mieux deforienter. les-ennermis de fon efpéce. Après avoir ainfi pourvu à leur fureté, elle fe replonge dans l’eau, & les laifle couver aufli longtems que la Nature lui enfeigne qu’ils doivent couver. Alors elle vient fuivie du mâle, & écartant le fable; elle découvre les œufs, en cafe la coque, & auffitôt les petits Caymans fortent fans autre accident, de maniere que d'une couvée il n’y a prefque pas un œuf de perdu. Dès qu'ils font hors de la coque la mere les met.fur fon dos & fur les écailles de fon cou, t4- chant de gagner l'eau avec cette nouvelle peuplade ;mais durant ce tems- là les Gallinazos , toujours alerte, en enlévent quelques-uns, & le mâle même en-mange autant qu'il. peut, jufqu'à ce qu’enfin la femelle ait ga- gné l’eau avec le peu qui lui refte; mais ceux qui fe détachent d’elle ou ne nagent pas...elle les dévore; deforte que d’une fi nombreufe.couvée à peine en échappe-t-1l cinq.a fix. Les Gallinazos , dont nous avons- déjà parlé ailleurs dans l’article de Carthagéne, font les plus cruels ennemis des Caymans. Ils en veulent fur- tout à leurs œufs, & ufent de beaucoup de rufe.pour s’en emparer. Il y aen Eté de ces Gallinazos qui ne font occupés qu'a obferver les femelles des Caymans, car c’eft dans cette Saifon qu'elles pondent, lorfque les bords des Fleuves ne font plus inondés. Les Gallinazos fe mettent en fen- tinelle fur-quelque arbre tout près de-là, fe cachent fous les feuilles & fous les branches, pour que la femelle ne puifle les appercevoir. Le Gallinazo la laiffe tranquillement pondre fes œufs, & n’interrompt pas même les pré- çautions qu’elle prend pour les cacher; mais à peine a-t-elle tourné le dos, qu’il fond fur.le nid, & avec fon bec, fes ferres & fes aîles, il découvre les œufs, & les gobe fans en laïfler que les coquilles. Le banquet feroit grand pour. celui qui. a eu la patience d’attendre cette occafon, fi une. multitude de fes femblables n’accouroit pour l'aider dans cette opération, & ne lui enlevoit une partie du prix de fon induftrie & defes peines. Je. me-fuis fouvent diverti à voir cette manœuvre des Gallinazos durant no- tre paflage de. Guayaquil aux Bodegas de Babahoyo, & par curiofité.je pris. quelques-uns de ces œufs.. Les perfonnes qui naviguent fréquemment fur. le Fleuve, & particuliérement les Mulâtres, ne font pas difliculté de s’en régaler quand ils font frais. _Admirons la fagefle-de la Providence, qui a donne VOYAGE AU PEROU. Liv. IV. GE IX. donné aux Caymans mâles ce panchant à dévorer ces petits animauk dont ils {ont peres, & aux Gallinazos ce goût pour les œufs des femelles, Sans cela les eaux du Fleuve, ni toute la plaine, ne füffiroient pas pour contenir la quantité de Caymans qui naïîtroient de ces nombreufes pon- tes; puifque malgré la déconfiture que les uns & les autres en font, on ne fauroit s’imaginer combien il en refte encore. - Les Caymans font les plus grands deftruéteurs du poiflon que le Fleuve produit; ils en font leur pâture ordinaire, & les pêchent avec autant d'artifice que les plus habiles Pècheurs. En effet ils fe joignent 8 ou ro en femble, & fe vont placer l’un près de l'autre à l'embouchure d’une Ri- viere ou d’un Æfléro; par ce moyen il ne fort aucun poiflon qui ne de- vienne leur proye, & cependant il faut que le poiflon tâche de fortir, parce que pendant que ces 8 ou 10 Caymans forment ce cordon: à. l'em bouchure de la Riviere ou du Canal, il y en a d’autres-qui le chaflènt par en“haut. Jie Cayman ne peut manger fous l’eau ; c’eft pourquoi- quand il a pris quelque chofe, il éléve la tête au-deflus de l'eau, & peu à peu il introduit fa proye dans l’intérieur de fa gueule, où il la mâche pour la- valer. Quand ils ont fini leur pêche, ils fe retirent fur les bords des Rivie- res pour fe repofer à terre, fans être détourné par les ténébres de la nuit. Quand ces animaux font preflés de la faim, ils viennent à terre, & courent dans les plaines voifines de quelque Riviere ou Ruïfleau; les Veaux & les Poulains ne font pas à l'abri de leurs pourfuites,& dès-qu’une fois ils ont goûté de leur chair ils en font fi afriandés, qu'ils ne fe foucient plus de poiflon. Alors ils vont à la chafle des Hommes & des Bêtes à la faveur des ténébres. Où a vu‘de triftes exemplés de leur voracité, quand quelque enfant mal-avifé s’eft trouvé à ces heures-là hors de la maiïfon, fans en être cependant fort éloigné. Un Cayman eft venu, a pris l’en- fant dans la gueule & l’a emporté dans la Riviere, pour ne point s’expo- fer à ceux que les cris de cette petite viétime pouvoient faire accourir à fon fecours.. Leur coutume eft de porter ces fortes de proye jufqu’au fond de l'eau ; & après les avoir étoufées de les venir manger au-deflus. On a des exemples qu’ils en ont ufé. de-même à l'égard de quelques Ca- notiers, qui s'étant imprudemment endormis für les planches de leurs Canots, avec une jambe ou un -bras hors du Canot, ont paîlé des bras du fommeil dans ceux de la mort ; car ces animaux les faififfant les ont tirés dans l’eau & dévorés incontinent. Les Caymans qui ont ainfi goûtéune fois de la chair humaine, font toujours les plus redoutables. Les erfonnes qui ont leurs habitations dans des lieux où ces animaux font &? Y 2 grand 174 NY O Y AGETAUU PERF: grand nombre tâchent de les prendre & de les tuer. Pour cet effet ils lui tendent un piége, qu'ils appellent Cafonéte: c’eft une efpéce d’hà- meçon, qui confifte en un morceau de bois fort & pointu par les deux bouts, lequel eft enveloppé dans les poûmons de quelque animal. La Cafonéte eft attachée à une forte courroye liée bien ferme à terre. L’ha- meçon flotte fur l'eau, & le Cayman qui l'apperçoit le hape, impatient d’avaier la viande qu'il voit devant lui; mais il sengorge tellement que Jes pointes du bois lui entrant dans les deux machoires il ne peut ni ou- vrir ni fermer la gueule. Cependant on le tire à terre. Là il devient furieux & attaque les affiftans, qui l'agacent comme un Taureau, & fe divertiflent à le voir s’élancer contre l'un & contre l’autre, bien aflurés que tout le mal qu’il peut faire eft de renverfer celui qui n’eft pas aflez agile pour l’éviter. Le Cayman reffemble extrêmement au Lézard, ce qui eft caufe que dans ce Pays-là on lui donne le nom de Lézard. Il y a néanmoins quelque différence entre la tête du Lézard & celle du Cayman, comme on le peut voir dans toutes les figures qui le repréfentent. La tête du Cayman eft fort longue, & fe termine en pointe, formant un mufeau comme le grouïn d’un Cochon, & c’eft ce mufeau qu’il tient continuel. lement hors de l’eau quand il eft dans une Riviere; d’où l’on peut con- clure qu'il a befoin de refpirer fréquemment un air groflier. Ses deux machoires font garnies de dents fort ferrées, très-fortes & terminées en pointe. Quelcues-uns leur ont attribué des vertus fingulieres. Je ne faurois dire fi c’eft avec raïfon; mais il eft certain que je n’en ai rien ouï dire dans le Pays, ni aucun de mes compagnons de voyage non plus, quoi- que nous fuflions extrêmement foigneux de nous inftruire de tout ce qui les regardoit. «SRI 50 SRG) 90 20) SI DE TI SENTE LAIT TJ I) «ICI TT) SI SIN TRAIN OP TAILLE ET Se: A, SH CAO 264 LOIR: une … Du Commerce qui Je fait par la voye de la Ville € du Fleuve de Guayaquil en- tre les Royaumes du Pérou, de Tierra-Firme € Les Côtes de la nouvelle Efpagne, € de celui que le Corrégiment de Guayaquil fait de Jes Denrées avec ces Provinces. N peut confidérer le Commerce de Guayaquil fous deux differens. points de vue, L'un ftable, confiftant dans les Denrées & Marchan-' difes VORAGE AU PEROU. Liv. IV. Ci X. 175 difes de fon crû; l’autre paffager , confiftant en Marchandifes étrangeres, auxquelles Guayawil fert comme d’échelle pour pafler dans les Provinces du Pérou, de Tierra-Firme & de Guatemala. C’eft dans le Port de cette Ville qu'on débarque toutes les Marchandifes qui ayant fait le trajet par Mer doivent être tranfportées dans les Provinces des Montagnes, & qu'on apporte de ces mêmes Provinces les Marchandifes de leur crû qui doivent être traniportées par Mer dans les différens Ports des Côtes voifi- nes. Ces deux Commerces étant de différente nature, je traiterai d’a- bord du premier, & enfuite du fecond. Le Cacao,qu'ondoit regarder comme la principale Denrée du Terroir de Guayaquil, eft embarqué pour Panama, ou pour les Ports de Son/onate Rea- lejo, & autres Ports de la nouvelle Æ/pagne , ou enfin pour ceux du Pérou, où le débit eft néanmoins médiocre. Il eft aflez remarquable que dans cette Ville & fa Jurisdiétion, où le Cacao abonde le‘plus, il s’en confu- me le moins. Le Bois, que nous pouvons mettre pour fecond article, fe tranfporte & fe débite au Port de Callao, quelquefois auffi dans ceux qui font entre celui-là & Guayaquil. I n’en coute aux habitans de cette Ville que de le faire couper & conduire par le plus proche Efféra, ou Riviere jufqu’à Guayaquil, ou à la Puna. Les Bâtimens légers qui ne tirent pas beau- coup d'eau viennent jufques-là, & c’eft dans l’un ou l’autre de ces deux Ports qu’on charge ce bois tout coupé. Les Navires qui n'y font entrés que pour { caréner , en font grande provifion & le vont trafiquer; & les Vaifléaux qui fortant des Chantiers ne font pas deftinés à des voyages d'un grand avantage, font employés à charger de ce bois & à le trans- porter où l’on en a befoin; par-là les uns fe dédommagent des fraix de la caréne, & font même des profits, & les autres rendent en partie ce que leur fabrique a pu couter. Si les deux articles précédens font confidérables, celui du Sel ne left pas moins, quoiqu'il n'ait d’autre débouché que les Bourgs & Villages inté- rieurs de k Province de Quita. Ajoûtez à tout cela le Coton » Bus; le Poiflon faë & fec. Enfin toute cette Jurisdiétion de Guayaquil fait un grand Commerce avec les Pays des Montagnes en Bœufs, Vaches, Mules, Mulets, que fes vaftes Campagnes nouriflent en grande quantité. Il y a ercore d’autres articles moins importans, qui n’entrent point en ligne de cempte, comme le Tabac, la Cire, le Mani, V'Aji, & la Eai- ne de Ceilx, & autres femblables, qui pris à part He mériient pas tant d’atten- 176 VOYAGE AU PER O1 d'attention, mais qui tous enfemble font un objet non moins cofifidérable qu'un des articles ci-deffus. La Laine de Ceibo eft ainfi appellée du -nom de l’Arbre qui la produit. Cet arbre eft fort haut. & fort touffu. Le tronc en eft droit & fort peu inégal ; les feuilles en font médiocres & rondes. II pouffe parmi fes feuilles une petite fleur, dans laquelle fe forme un bouton ou efpé- ce de cocon qui croît de la longueur d’un pouce & demi ou deux, . fur environ un pouce de diamétre. C’eft dans ce bouton ou cocon qu’eft renfermée la laine en queftion. Dès que le cocon eft mûr & fec il s'ouvre, & laifle voir la laine qu'il contient, laquelle reffemble à un flocon de coton, & eft un peu rouge. Cette laine cft beaucoup plus douce & plus fine que le Coton; la moufle ou filaffe dont elle eft Compo- fée plus menue & plus déliée , d’où vient que les naturels du. Pays croyent communément qu'on ne peut la filer: mais pour moi je-füuis perfuadé que cela vient de ce qu’on.n’a pas encore trouvé le véritable moyen de Ja rendre filable; & fi jamais on y parvient, je crois qu’on pourra lui don- ner le nom de Soye de Ceibo,. à-caufe de fa grande finefle, plutôt que ce- lui de Laine. ‘Le feul ufage qu'on.en ait fait jufqu’ici a été d’en remplir des matelas, à quoi elle eft plus propre que tout autre chofe, tant à-caufe de fa mollefle naturelle, que par Ja facilité qu’elle a étant mife au Soleil de fe lever & gonfler jufqu’à rendre la toile du matelas tendue comme un tambour, fans qu’elle diminue pour être tranfportée enfüuite à l'ombre, à- moins qu'on ne l’expofe à l'humidité qui eft la qualité contraire qui la comprime. On prétend dans le Pays que cette laine eft extrêmement froide, c’eft ce qui fait que l’ufage n’en eft pas auffi général qu’il pour- roit l'être: J’ai-pourtant.connu diverfes perfonnes qui ont couché toute leur vie fur des matclas faits de cette laine, fans s’en être jamais trouvé mal. En échange des Marchandifes que la Jurisdiétion de Guayaquil en- voye dans les Provinces les plus éloignées, elle reçoit du Pérou pour fa propre confommation des Vins, des Eaux-de-vie, de l'Huile, des Fruits fecs; & de la Province de Quito, elle reçoit des Bayétes qu’on y fabrique, des Tucuyos, des Farines, des Papas, du Lard, des Jambons, des Fromages, & autres femblables Marchandifes. Elle tire de la Jurisdiétion de Panama les Marchandifes qu’on apporte d’Europe aux Foires d’Améri- que; & de celle de la Nouvelle Efpagne,le Fer qu’on y tire des Mines, le- quel n’eft pas à-la-vérité fi bon que celui d'Europe, étant fort aigre & cas- fant; mais on ne laifle pas de l’employer dans.les ouvrages où cette mau- vaife qualité n’eft point un obftacle; dans la fabrique des Vaiffeaux que | on VOYAGE AU PEROU. ui. IV. Cn X. w7 l'on conftruit dans les Chantiers de cette Ville ,ce fer eftde pet d'ufage ; en revanche on apporte de cette Côte de la Poix & du Goudron pour ces Vaifleaux & pour ceux que l'on caréne à Guayaquil. On tire de: la mé- me Côte, ou du Pérou, des Cordages de Chanvre: il eft vrai que les Pro- priétaires des Vaifleaux font venir cette derniere marchandifë , ainfi que le Fer d'Europe, pour leur compte, & que les habitans de cette Ville n’en font pas commerce. … Le Commerce paffager n’eft pas moins confidérable que le précédent. Il confifte dans la correfpondance qu’il-y a entre le Royaume de Quito & celui de Lima, & dans Féchange réciproque que ces deux Contrées font des Denrées de leur crû & des Marchandifes de leurs Fabriques. Lima four- nit des Vins & des Huiles, & Quito des Draps, des Bayétes, des Tucuyos, des Serges , des Chapeaux , des Bas, & divers autres Ouvrages de Laine pour la parfaite teinture desquels on ne peut guere fe pailer d’Indigo, dont le Pays de Quito manque: les Marchands de Guayaquil le tirent des Gôtes de la nouvelle E/hagne, pour en fournir toutes les Fabriques des Montagnes & de la Province de Quito. C'eft principalement en Eté que ces Commerces fleuriflent, parce que c'eft alors que les Marchandifes que produifent les Montagnes peuvent defcendre , & qu’on peut tranfporter dans ce Pays de Montagnes les Mar- chandifes de Guayaquil, & celles des autres Ports ou Côtes, qui doivent pafler par-la: cependant il y a toujours des Bâtimens dans la Riviere de Guayaquil pour y charger les Marchahdifes du crû de cette Jurisdiction, qu'on peut tranfporter par Mer en tout tems. Ce Commerce continuel de la Ville de Guayaquil pouvoit feul l'empêcher d’étre anéantie après les fac- cagemens des Pirates & les incendies qu’elle a foufferts tant de fois ; c’eft aufli uniquement par les avantages du Négoce qu’elle s’eft relevée avec éclat de fes infortunes pañlées, & qu’elle eft aujourd’hui dans un état aufi floriflant que fi elle avoit toujours profpéré depuis fa fondation, & autant que le permettent la qualité du terrain où elle eft fituée, le climat, & les incommodités auxquelles elle eft fujette en Hiver, ainfi que nous avons déjà obfervé. LIVRE ss VOYAGE AU PEROU. LIVRE CINQUIEME, Comprenant notre Voyage depuis Guayaquil jufqu’à la Ville de Quito : melure de ia Méridienne dans a Province de ce nom: difficultés à faire les ftations dans les points qui formoient les triangles: defcription de la Ville de Quito. PRNTNT TC ILL ELLES LS RAR OA EN EE OO A GR IR AB CO NES AE ER ES CG Hi PE FRE » Paffage de Guayaquil au Caracol où fe fait le débarquement en Hiver. Voyage du Caracol à Quito. Ussr1TÔT que nous eûmes avis que les montures que le Corrégi- dor de Guaranda devoit nous envoyer pour nous tranfporter, é- toient en route pour le Caracol, nous nous difpofâmes au départ, & nous nous embarquâmes fur le Fleuve le 3. Mai 1736, dans une grande Chata.. Après-bien des retardemens caufés par le courant de l’eau, bien des incommodités & des accidens, nous arrivâmes le 11. du même mois au Bourg du Caracol , où nous débarquâmes. [1 feroit difficile de donner une idée exaéte de ce que nous foufrimes de la part des. Mofquites pendant notre navigation fur ce Fleuve; n1 la précaution que nous avions eue de mettre des guêtres, n1 les Toldos ou. Mofquiteres ne purent nous garantir de ce cruel martyre. Pendant le jour nous.étions dans un mouvement continuel, & la nuit nous fouffrions des douleurs. infupportables. Les gants à-la-vérité nous garantifloient les mains; mais le vifage reftoit expoé, & l'habit n’empêchoit pas que le refte du corps ne fût tourmenté; les aiguillons pénétroient au-travers du drap, piquoient la chair, & y caufoient un feu & une demangeaifon horrible. La plus cruelle de toutes les nuits que nous paffämes fur ce Fleuve, fut celle où nous fimes alte dans une maifon fort grande & d’affez honne apparence pour le Pays, mais inhabitée. A-peine nous étions- nous emparés de cette folitude , que nous y fûmes aflaillis d’une quantité prodigieufe de Mofquites, qui loin de nous laïfler dormir, ne nous per- mirent pas même d’être un moment en repos. Ceux de nous qui s’étoient couchés dans leurs Toldos, croyant être à couvert de ces cruels infeétes, fe trouverent dans l'inftant même attiqués de tous côtés, & réduits à fe lever pour être moins incommodés: ceux qui étoient dans la maifon en for VOYAGE AU PEROU. Env. V. Cm 179 fortoient pour fe délivrer de cette horrible engeance, aimanit mieux s’ex- pofer au danger incertain d'être mordu par quelque Serpentt, que de fe livrer à un fupplice afluré. Ils gagnoïent les champs pour y prendre quel- que repos; mais bientôt ils fentoient qu’ils s’étoient abufés, & qu'il étoit difficile de décider en quel lieu on étoit le plus perfécuté dans le Toldo, ou hors du Toldo, ou dans les Champs. D'un côté la grande fumée que nous faifions en brulant divers arbres nous étoufoit, & de l’autre ces dia- boliques infeétes ne diminuoient point pour cela, mais au-contraire fem- bloient s’acroître à tout moment. Quand le jour fut venu, nous apper- çûmes les effets des cruelles careffes de ces abominables camarades de chambrées: nos vifages enflés, nos mains enflammées & pleines d’am- poules, faïfoient affez juger dans quel état étoit le refte du corps. La nuit fuivante nous allâmes gîter dans une maïfon habitée, où les Mo/qui- tes ne marquoient pas, bien-qu’en moindre quantité que dans la précé- dente. Nous racontâmes notre avanture à notre hôte, qui nous dit gra- vement que la maifon dont nous parlions, avoit été abandonnée parce qu’une âme y faifoit fon purgatoire; à quoi l'un de la compagnie repliqua fur le champ, qu'il étoit bien plus naturel qu'on l'eût abandonnée , parce qu'elle étoit le purgatoire des vivans. Les Muës étant arrivées au Caracol nous nous mimes en chemin le 14 Mai1736,& après avoir marché quatre lieues par des Suvanes , des Bois de Planes & ce Cacaotiers, nous arrivâmes fur les Plages de la Riviere d’Oji- bar, que nous côtoyâmes & traverfèmes à gué neuf fois, non fans quel- que péril, -caufe de fa grande rapidité, des rochers dont elle eft femée, de fa profondeur & de fa largeur. A 34 du foir nons fimes alte dans une maifon près de la Riviere, dans un Lieu nommé le Port des Mofquites. Tout le chemin depuis le Caracol jufqu’aux Plages ou Berges d'Ojibar eft fi marécageux, que nous marchions continuellement ou par une ravi- ne, ou par un bourbier, où nos mules entroient jufqu'au poitrail; mais quand nous eûmes pañlé les Plages ou Berges, le chemin devint plus ferme & moins incommode. Le nom du Lieu & de la Maïfon où nous paflàâmes la nuit, donne affez à entendre ce que c’étoit. La maifon étoit aufii inhabitée que celle que nous avions rencontrée fur le Fleuve de Guayaquil, & elle étoit auffi de- venue le féjour de Mofquites de toute efpéce ; deforte que fi la nuit que nous paflâmes dans celle-là fut fàcheufe, celle que nous paflâmes dans celle-ci ne lui en devoit rien: en effet ces maudits infeétes nous firent une fi cruelle guerre, que quelques-uns de nous prirent le parti de s'aller Z 2 jetter 150 VOYAGE AO PEROU jetter dans, la Riviere & de fe tenir dans l’eau, efpérant d’être par-la dé- livrés de cette engeance ; mais leurs vifages, la feule partie du Corps qu'ils ne pouvoient plonger dans l’eau ,en furent bientôt fi couverts, qu'il falut renoncer à cet expédient & læffer partager le martyre à toutes les autres parties du corps. Le 15. nous continuâmes notre route par une Montagne couverte d'arbres épais , au fortir de laquelle nous arrivâmes encore aux Plages, &: paflâmes la Riviere à gué quatre autres fois, avec non. moins de danger que les précédentes: fur les cinq heures du foir nous fimes alte au bord de la Riviere dans un endroit nommé Caluma, qui dans notre Langue fignifie Pofte des Indiens. I] n'y avoit dans cet endroit aucune maifon pour nous loger, & nous n’en avions point rencontré de toute cette journée; mais les Zndiens voituriers & autres qui nous accompagnbient , entrerent dans la Montagne, couperent des pieux & des feuilles de Vija- bua, & nous bâtirent de ces matériaux des cabanes qui nous mirent tous à couvert de la pluye. Ces cabanes furent faites -en-moins d’une heure, aflez grandes. & fi bien couvertes que la pluye n’y put pénétrer. En quoi il faut admirer la Providence, qui produit ces matériaux dans ces Déferts. Le chemin de ce jour-là dans les Montagnes fut très-incommode, à- caufe de la quantité d'arbres qui fe touchent prefque , deforte que nous étions expofés + nous bleffer à chaque inftant en paflant; & mal- gré la plus grande attention, nous ne laïffions pas de nous meurtrir les genoux & les jambes contre les troncs, & latête contre les branches. Quelquefois-les Mules & les Cavaliers s'embarafloient dans les Béjuques qui traverfoient d’un arbre à l’autre, & alors ou ils tomboient rudement;, ou ils ne pouvoient fe débaraffer fi on ne les fecouroit. Le 16.4 fix heures du natin-le Thermométre marquoit à Caiuma 1016, deforte que nous commençâmes à refpirer un air plus frais. A 8: heures du matin nous nous remîmes en-chemin, & à midi nous paffâmes par un lieu nommé en Jndien Mama Rumi, c'eft-à-dire en Efpagnol Mare de Pie- dra *._ C’eft la plus belle cafcade qu’on puifle imaginer. Lé Rocher d’où l'eau fe précipite a au-moins 50 toifes de haut, qui font 116£ aunes de Caftille. Il eft taillé à pic, & bordé à droite & à gauche d'arbres extré- mement hauts & touffus. La blancheur de l'eau éblouit la vue, & rien n'égale la clarté & le criftal des ondes dont elle forme la nape de fa chu tes * Mot à mot Mere de Roche; mais il faut obferver que le mot Efpasnel Madre fe prendauTi pour le lit,-le canal où coule une Riviere. N. D. T. VOYAGE AU PEROU. Lav. V. CA. I. 181 te. Elle vient fe repofer dans un fond de roche, d’où elle fort piour con- tinuer fon cours dans un lit un peu incliné fur lequel paffe le Chemin Cette cafcade ou cataracte eft nommée par les Indiens Paccha Royal. & par les Efpag gnols du Pays Chorréra. : Nous continuâmes notre «chemin, & après avoir repafñlé la Riviere encore deux fois fur des points non moins dangereux que les gués, nous arrivames à deux heures après midi à un endroit nommé Tarigagua, où nous terminâmes notre journée, & trouvâmes une maifon de bois, & de Z'ijahua, aflez grande, conftruite expreffément pour nous loger, & nous délaifer de la fatigue du chemin de ce jour, non moins incommode que les précédens. D'un côté il n’of- froit que des precipices affreux, & de l'autre il étoit fi étroit que les montures & les Cavalivrs ne pouvoient prefque point paflèr, & encore moins éviter de heurcer tantôt à un arbre, tantôt à l'autre, & quelquefois. contre le roc, deforte qu’en arrivant au gîte nous étions tous fort meurtris. Je viens de dire que les Ponts n'étoient pas moins dangereux que les gués. En effet, comme ils font de bois & fort longs, 1ls branlent quand on les pañle; d’ailleurs ils ont à-pcine trois pieds de large, fans gardefous ni parapets fur les bords, deforte que fi une monture vient à broncher elle tombe infaillibl:ment dans l'eau & périt avec fa charge, comme on nous dit que cela arrivoit fréquemment. On fabrique ces ponts tous les Hivers pour s’en fervir à par alors la Kiviere, car en Eté elle eft guéa- ble, & on n’a que faire de pont. Ils font fi peu folides, qu'il faut tous les ans en faire de neufs. L'eau de la pluye les gâte & les pourrit telle- ment dans cet efpace de tems, qu'ils deviennent tout-à-fait inutiles. Quand une perfonne dé marque, comme Préfident, Evêque, Audi- teur & autres femblables, doit pañler du Caracol où de Babahoyo à Guaran- da, €'eft le Corrégidor du même Guaranda qui a foin d'envoyer des Jn- diens pour fabriquer des Ranchcries, où Baraques, aux lieux où 1ls doivent fe repofer fur la route, comme à Tarigagua & autres endroits. Après leur paage, ces Baraques reftent fur pied & fervent aux Voyageurs, jufqu’à ce que faute d'entretien & deréparation, elles tombent & foient détruites ; & alors les Voyageurs font réduits à n'avoir pour tout gite que les Chozas ; où Hutes que leurs Indiens Voituriers ou Guides leur bâtiffent a la hâte. Le 17 à fix heures du matin le Fhermométre marquoit a Tarigagua 1014}, ®& ce degré nous paroïfloit un peu frais à nous qui étions accous tumés à des Climats trés-chauds. Il eft remarquable que dans cet Duo on voit quelquefois deux températures tout op! sofées à la même heure. Cela ag à Z.9 “rs 182 PARODPLA GE AU. P E R7S D: arrive quand deux perfonnes, dont l'une vient des Montagnes & l'autre de Guayaquil, fe rencontrent ici enfemble; le premier trouve dés-lors le Climat fi chaud qu’il ne peut fouffrir qu’un habit fort léger, & l'autre trouve au-contraire que le froid y eft fi fenfible qu'il s’'afuble de fes plus gros habits. Celui-h trouve l’eau de la Riviere fi chaude, qu’il commen- ce à s'y baigner, & celui-ci la trouve fi froide qu’il évite d’y tremper la main. La même chofe s’obferve dans une feule & même perfonne, qui dans la même faifon de l’année fera le voyage de Guayaquil aux Monta- gnes , & des Montagnes à Guayaquil. Une différence fi frappante ne vient que du changement naturel, dont on doit s'appercevoir, en quittant un Climat auquel on étoit accoutumé, & pañlant à un autre qui lui eft oppo- fé: ainfi deux perfonnes accoutumées, l'une au Climat froid des Monta- gnes, l'autre au Climat chaud de Guayaquil, doivent fentir une différen- ce égale, l’un par un excès de chaleur, l'autre par un excès de froid, en arrivant dans un lieu mitoyen comme Tarigagua: ce qui prouve cette fameufe opinion, que les fenfations font fujettes à autant d’altérations ap- parentes, qu'il y a de diverfité dans les fens de ceux que les objets affec- tent. Eneffet, felon la différente difpofition des fens l'impreflion des objets eft différente, & les organes font diverfement affectés, parce qu'ils fe trouvent diverfement difpofés. A 9 du matin nous commençimes à marcher par la Montagne de Saint Antoine, qui commence à Tarigagua, & à une heure après midi nous arrivâmes à un endroit appellé en Indien Guamac & en E/fpagnol Cruz de Canna *. C’eft un petit efpace de plaine un peu en pente, qui faifoit, à ce qu’on nous dit, le milieu de la montée. Nous fûmes contraints de refter-là,n’en pouvant plus de la fatigue du chemin. Il n’eft pas aifé de repréfenter au jufte l’âpreté du défilé qu'il faut tra- verfer depuis Tarigagua pour pañler ia Montagne de Saint Antoine. Tout ce que nous avions eu de mauvais chemin jufques-là, n’étoit que bagatelle au prix de celui-ci. Qu'on fe figure une montée prefque à plomb, & une defcente fi rude que les mules ont toutes les peines du monde de s’y tenir debout. En quelques endroits le chemin ef fi étroit qu'il ne peut prefque pas contenir une monture, & en d’autres il eft fi bordé de pré- cipices qu’à chaque pas on craint de tomber & de périr dans ces ro- chers. Ces chemins, qu'on pourroit plutôt nommer de petits fentiers, font remplis dans toute leur longueur, & d’un pas à Pautre, de trous profonds de ? d’aune & quelquefois davantage, où les mules mettent leurs pieds * Croix de rofeaux. VOYAGE AU PÉROU. Liv. V. Cu. I. . 3 pieds de devant & de derriere ; quelquefois elles traînent par--deflus le ventre & les pieds des Cavaliers; de maniere que ces trous font «des efpé- ces d’efcaliers fans lefquels les chemins ne feroient pas praticable:s. Mais en revanche fi la monture met le pied entre deux de ces trous, ou ne le place pas bien dedans, elle tombe, & le Cavalier court plus ou moins de danger, felon le lieu & le côté par où il tombe.. Quelqu'un dira, pour- quoi ne pas aller à pied dans de pareils chemins ? Cela feroit bon s’il étoit ajfé de pofer toujours les pieds fermes fur les éminences qui font entre les trous; car fi l'on vient à glifler, il faut malgré qu'on en ait s’enfon- cer dans le trou même, c’eft-à-dire dans la boue jufqu’à la ceinture; car tous ces trous en fonc remplis, & fouvent même comblés. Ces trous font appellés Camellens par les gens du Pays. Ils rendent cette route périlleufe & extrêmement incommode. Ce font autant de trebuchets pour les pauvres mules. Cependant, qui le croiroit ? les pas- fages où il n’y a pas de pareils trous font encore plus dangereux: la rai- fon en eft, que ces Berges étant extrêmement efcarpées & gliffantes, vu la nature du terrain qui eft de craye continuellement. détrempée par la pluye, il ne feroit pas pofñlible aux bêtes de charge d'y marcher, fi les Voituriers Indiens n’alloient devant les mules pour préparer le chemin, afin qu’elles puiffent avancer avec fureté. Pour cet effet ils portent cha- cun un petit hoyau, avec quoi ils ouvrent de petits foflés ou rigoles, à la diftance d'un pas l’un de l’autre, au moyen de quoi les mules affermis- fent leurs pieds & furmontent l’âpreté du terrain. Ce travail fe renou- velle toutes les fois qu’il pañle une autre troupe de mules, parce que dans l'efpace d’une nuit la pluye défait ce que les Muletiers du jour précé- dent avoient fait. On fe confoleroit encore de l’incommodité qu'il y a d'avoif toujours des gens pour préparér ainfi les chemins, des meurtris- fures que l’on reçoit fréquemment, & du desagrément de fe voir croté depuis les pieds jufqu’à la-tête, & mouillés jufqu’à la peau, fi on n’avoit fous fes yeux des précipices &. des abîmes qui font treflaillir d'horreur ; car on peut dire, fans outrer le tableau, que ce font des paflages où le plus brave ne fauroit marcher. fans friflonner de crainte, un fpectacle qui fait frémir le plus déterminé, . particulierement fi l’on vient à faire réflexion fur la proximité du danger, & le peu de diftance qu'il y a de la foibleffe des animaux auxquels on confie un bien aufñli précieux que la vie, & les précipices qui femblent n’être-la que pour vous engloutir. La maniere de defcendre de ces lieux élevés ne doit pas caufer mains de trouble, que celle dont nous venons de parler. Pour bien entendre ce- la, 184 VOYAGE AU PEROU. la ; il faut confdérer que dans les paflages des Montagnes dont la pente eft trop roide, les pluyes détruifent les Camellons , elles font couler la ter- re & emportent ces petites fofles. D'un côté on a pour l'ordinaire des côteaux efcarpés, & de l’autre des abimes dont la vue feule glace les vei- nes; & comme tout cela fuit la même direétion que les Montagnes, .& les mêmes irrégularités, 1l faut néceflairement que le.chemin s’y confor- me, deforte qu'au-lieu d’aller droit, il fait deux ou trois zig-zags dans l’efpace de 250 ou 300 aunes ou un peu plus. C’eft dans ces zig-zags que Jes Camellons ne peuvent fubfifter. Pour defcendre de ces hauteurs les mules mêmes fe préparent de cette forte. Dès-qu’elles font parvenues au-lieu où commence la defcente, elles s'arrêtent & joignent leurs pieds dé devant Pun contre l’autre, en les avançant un peu fur une ligne égale, comme pour fe cramponner. -Elles joignent de-même leurs pieds de derriere, les avançant aufli un peu en avant Comme fi elles vouloient s’accroupir. S’é- cant ainf arrangées, elles commencent à aller quelques pas, comme pour éprouver le chemin, après quoi, fans changer de pofture, elles fe laffent couler en bas avec tant de vitefle qu’on diroit que le vent les emporte. Pendant ce tems-la le Cavalier n’a autre chofe à faire qu’à fe tenir ferme fans remuer, parce qu’un mouvement fait mal-à-propos fufroit pour faire perdre l'équilibre à la mule, & les précipiter tous les deux: d’ailleurs fi elle s’&artoit tant foit peu de ce fentier étroit, elle fe perdroit dans quel: que abime. Ce qu'il y a de plus admirable, c’eft l’adrefle de ces animaux, qui dans un mouvement fi rapide où il femble qu'ils ne peuvent fe gouver- ner, faivent les differens tours du chemin, comme s'ils l’'avoient reconnu auparavant & qu'ils l'euffent exaétement mefuré, afin de fe précaution- ner centre les irrégularités qui pourroient les en écarter. Si tout cela n’étoit ainf, il feroit impofñfible de paffer par de femblables routes, où les brutes font obligées de fervir de guides aux hommes. Mas quoique ces mules à force de faire ce voyage foient accoutumées à ce dangereux manége, leur état de brutes, ni la coutume, n'empêchent pas qu'elles ne faflent paroître, avant d'entrer dans cette carriere, une es- péce de crainte, ou de faififlement ; car dès-qu’elles arrivent au lieu où ‘commence une pareille glifloire, elles s'arrêtent fans qu'on ait befoin de tirer la bride pour les en avertir: .& fi par mégarde on leur donne de l'é- eron, elles ne fe hâtent pas davantage, & ne bougent point de la pla- ce, qu’elles n’ayent pris leurs précautions. De-même en s’arrêtant à l'en- trée d’une de ces glifloires, elles font paroïtre l’altération qu’elles fouffrent; çar elles commencent d’abord à trembler, & l'on remarque en elles une efpece VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CI. 185 Lit 1 Vu peut s'étendre, elles femblent vouloir éviter le danger qu’elles annoncent en s’ébrouant fortement, & épouvantant le Cavalier, qui, quand il n’eft pas accoutumé à ces fortes de cas, n’eft pas peu étonné & allarmé de ces preffentimens. Alors les Indiens, prenant les devans, fe poftent tout le long du pañlage, grimpant fur quelque roc qui avance en faillie, s’acro- chant & fe cramponnant à quelques racines d'arbres qui paroïflent à dé- couvert dans ces lieux-là. Ils animent les Mules par leurs cris, & ces animaux encouragés par ce bruit fe déterminent à courir le rifque de la defcente, & fe laiflenc aller tout le long de la gloire. Outre la pente efcarpée de ces Berges fi droites qu'on ne peut y mettre les pieds fans tomber, la nature du terrain & du climat contribue à rendre la gliflade plus violente. En effet, comme je l'ai déjà remarqué, ce terrain eft une craye graffe, dont la fuperficie, continuellement délayée par la pluye qui ne cefle ni nuit ni jour, reflemble à du favon détrempé, & fait précifé- ment le même effet. Il y a des endroits où en defcendant ces glifloires, on ne court pas ris- que de tomber dans des précipices; mais le chemin y eft fi reflerré, fi profond, fes côtés fi hauts & fi perpendiculaires , que le péril ÿ eft peut- être plus grand que dans les autres. Les montures ont fi peu de place pour arrranger leurs pieds, & ces fentiers font fi étroits qu'a-peine ils peuvent contenir la Mule & le Cavalier, deforte que fi celle-là tombe, :1l eft tout fimple qu’elle foule celui-ci; & dans un lieu où l'on n'a pas la li- berté de fe mouvoir, il eft affez ordinaire qu’on fe cafle quelque bras ou jambe, ou même qu’on perde la vie. C’eft une chofe admirable que de confidérer ces Mules, quand après avoir furmonté leur premiere frayeur, elles fe livrent au mouvement impétueux qui les fait glifer en-bas; avec quelle adreffe elles roidiffent leurs jambes de devant fur une ligne égale, pour garder l'équilibre & ne pas tomber de côté; & comme elles fe pré- parent elles-mêmes à une diftance raifonnable, avant de donner à leur corps cette inclinaifon infenfible qui eft néceffaire pour pañler heureufe- ment les détours du chemin. Certainement les hommes ne fauroient té- moigner plus de prudence. Quand une Mule a pañé plufieurs fois par ces fortes d'épreuves, & qu’elle y eft bien exercée, elle acquiert une certaine réputation dans le Pays, & mérite bien qu'on fafle cas de fon expérience. A l'entrée de l'Hiver & au commencement de l'Eté ces voyages font plus périlleux & plus incommodes que dans toute autre Saifon ; car alors Tome I, À à la efpéce de raifonnement ; car examinant le chemin aufi loin qne leur vue 186 Vo0 TAGE AU PEROU. la pluye forme des torrens épouvantables, qui en quelques endroits font difparoître les chemins, & en quelques autres les ruïnent tellement qu’il n’eft pas poñfible d'y pafler, à-moins qu'on n'ait la précaution d'envoyer auparavant des Zndiens pour les raccommoder; mais nonobftant les TÉpa- rations qu’ils y font à la hâte, ces chemins reftent tels que quand cette Nation les croit pañlables, on peut compter qu’ils effrayent encore les Européens. Le peu de foin qu’on a d'entretenir ces chemins, qui paflent le plus fou- vent par des Montagnes & des Rochers, en augmente l’incommodité na« turelle. Si un arbre eft déraciné & tombé au-travers du chemin, bou- chant entiérement le paflage, il ne faut pas croire qu’on fe mette en pei- ne de l'en ôter: & quoique tous ceux qui pañfent n’ayent pas peu de pei- ne à furmonter cet embarras, il n’y a perfonne qui ait la complaifance de couper l'arbre pour débaraffer le chemin à eeux qui viennent après. Ces arbres font quelquefois fi gros, qu’il y a des troncs qui ont au-delà d’une aune & demie de diamétre. Quand leur volume eft tel ou à peu près, les Indiens en diminuent à coups de hache une partie, felon qu’ils le jugent néceffaire, & ils aident enfuite les Mules à fauter par-deflus le refte du tronc: pour cet effet ils déchargent ces animaux, & à force de travail ils leur font furmonter cet obftacle, non fans perte de beaucoup de tems & autres dommages. Après tous ces efforts ils laïflent l'arbre dans la mé- me fituation où ils l'ont trouvé, & ceux qui viennent après eux tiennent la même conduite, laiffant toujours aux autres le foin de s’aider de la mé- me maniere ; l'arbre refte ainfi jufqu’à ce que le tems lait pourri, & alors le chemin redevient libre. Au-refte il ne faut pas croire que ce ne font que les chemins qui conduifent de Guayaquil aux Montagnes, dont on a f; peu de foin: cette négligence eft générale dans cette Contrée, tout che- min qui eft dans une Montagne eft aufli mauvais. Le 18 à 6 heures du matin, le Thermométre marquoit à Cruz de Can- nas 1010. Nous recommençâmes à marcher par un chemin pareil à celui du jour précédent, & arrivâmes à un endroit appellé en Langue du Pays Pucara: c’eft-Jà que finit la Berge de la Riviere. Le mot Pucara répond au mot Porte, ou PafJage étroit de Montagne. Il fignifie encore plus proprement une Forterefe, un Lieu fortifié; & peut-être ceux qui ont donné ce nom au paflage en queftion, ont-ils voulu marquer qu'ils le regardoient comme une Fortereffe naturelle, défendue par fa fituation. Dela nous recommen- çâmes à cheminer, defcendant infenfiblement vers le côté qui regarde la Province de Chimbo, par un chemin femblable aux précédens. Le Corré- gidor VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cm L 18 gidor de Guaranda ou Chimbo vint au-devant de nôus, accompagné de l'AL cils Provincial & des principales perfonnes de fon Bourg , & nous joignita demie lieue environ de fa réfidence. Il nous fit beaucoup d’amitiés, & à quel- ques pas de-là nous rencontrâmes le Curé du même Bourg, Religieux Do- minicain, accompagné de quelques-uns de fes Confreres & de plufieurs habitans qui venoient aufli nous complimenter fur notre heureufe arrivée. Ils étoient fuivis d’un gros de Cholos, c’eft-à-dire, de jeunes Garçons Zn- diens, à pied, qui vouloient pareillement nous marquer en leur maniere la joye que leur donnoit notre arrivée. Ces Cholos étoient vétus de bleu avec une ceinture de ruban, ayant fur la tête une efpéce de turban. Ils portoient dans leurs mains de petits éten- dards, & dans cet équipage ils formoient deux ou trois Compagnies, dan- fant à leur façon, criant, & prononçant quelques paroles en leur Lan- gue, qui exprimoient, à ce qu’on nous dit, le plaifir qu’ils avoient de nous voir en leur Pays. Ce cortége nous accompagna jufques au Bourg, Où nous ne flimes pas plutôt arrivés qu'on mit toutes les cloches en bran- le, on fonna de divers cors, on fit entendre desfifres & des tambourins. Surpris d’une réception fi bruyante, nous demandâres au Corrégidor quelle en pouvoit étre la raifon. A quoi il répondit qu'il n’y avoit dans tout cela rien qui dût nous étonner; qu’on n’en ufoit jamais autrement envers les Etrangers de quelque diftinétion; & que c’étoit une coutume générale dans tout le Pays, chaque Bourg fe piquant à l'envi de bien re- cevoir les Voyageurs diftingués qui abordoïent chez eux. Tout ce que l’on découvre au-delà du Pucara, quand on à pafñé les hauteurs de cette Cordillére, eft un terrain fans Montagnes, ni Arbres, de deux lieues environ d'étendue, mêlé de Flaines rafes, & de fort peti- tes Collines, les unes & les autres femées de Froment, d'Orge, de Maïz, & autres Grains, dont la verdure différente de celle des Montagnes ré- Jouifloit la vue, & paroifloit un objet tout nouveau à des gens qui de- puis près d’un an étoient accoutumés aux vérdures des Pays Chauds & hu- mides, entiérement différentes de celles-ci qui reflemblent fi fort à celles de nos Campagnes d'Europe. Nous nous repofimes à Guaranda jufqu'au 21 du même mois, logés & fervis dans Ja maifon du Corrégidor. Le même jour nous partîmes pour Continuer notre route vers Quito, & ce jour-là, ainfi que les deux jours précédens, le Thermométre marqua 1004 j. Le 22 nous commençimes à traverfer la Bruyere ou le Défert de Chimborazo, laiffant toujours Ja Montagne de ce nom à la gauche, & Aa 2 che- 133 v O Y AGE “EN PERD T. cheminant par différens Tertres & Collines fablonneufes, qui depuisie Cap de Neige vont toujours en fe dilatant. Ce Cap, au moyen de fes Terres qui vont par un long efpace en panchant des deux côtés vers la Mer, en- vironne & revêt pour ainfi dire la Montagne dont je viens de parler, & en forme en quelque maniere les côtés. Sur les 5 { heures du foir nous ar- rivâmes à un endroitnommé Rumi-machaï, c'eft-à-dire , Cuve de pierre. Ce nom vient de ce qu’il y a-là un gros Rocher, qui forme un Creux ou une efpéce de Caverne dans fa concavité, & cette Caverne fert de cou- vert & de logement aux Voyageurs. Cette journée ne laïfla pas d’être incommode; car quoique le chemin n’eût ni précipes, ni paflages dangereux, comme ceux que nous avions eus jufqu'a Guaranda , néanmoins le froid exceflif & la violence du vent nous incommodoient extrêmement. Après que nous eûmes pailé le grand Arénal & furmonté les plus grandes difficultés de cette efpéce de Bruyere, nous apperçûmes les ruines d’un ancien Palais des Jncas, fitué dans l’efpa- ce que deux Montagnes Jaiffent entre elles, & dont il ne refte plus que quelques pans de muraille. Le 23 à 52 heures du matin le Thermométre marquoit 1000, Ce qui eft le terme de la congélation dans cet Inftrument. La Campagne parut toute blanche de frimats & de gréfil, & la cabane où nous avions couché toute couverte de gelée. À 9 heures du matin nous pourfuivimes notre route côtoyant toujours le Chimborazo à J'Ef. A 2 heures du foir nous ar- rivâmes à Mocha, qui n’eft qu’un petit Hameau fort pauvre , où nous paf- fimes la nuit. Le 24 à 6 heures du matin le Thermométre marquoit 1006: à 9 heu- res avant midi nous continuâmes notre chemin vers une Auberge, appel- lée Hambato, où nous arrivâmes à une heure après-midi. Dans ce Pas- fage on trouve diverfes crevañles ou coulées qui defcendent du Carguai- raigo : cette Montagne, toujours couverte de neige, eft à quelque diftance & au Nord du Chimborago. Entre les crevalfes dont je viens de parler, il yena une par où il ne coule jamais d'eau, & même la terre argilleufe dont elle eft formée, refte féche à plus de 4 aunes de profondeur. Cette ouverture a été caufée par un grand Tremblement de terre,dont nous par- lerons dans un autre endroit. Le 25 du même mois le Thermométre avoit marqué I0IO a 5: heures du matin dans Hambato où nous pafñlèmes la nuit, & le 26 à 6 heures du matin la liqueur fe maintint à 10093. Le même jour nous paffimes ja Riviere de Æambato far un pont de bois, enfuite celle de St. pe che VOYAGE AU PEROU. Life I 189 chel fur un pareil pont, & arrivèmes à Latacunga, Auberge de pañage. Le 27 le Thermométre marqua à 6 heures du matin 1007. Le même jour nous partîmes de Latacunga,& arrivâmes fur le foir au Village de Mu- la-balo, après avoir pallé à gué une Riviere nommée Ælaques. Le 28 la Liqueur du Thermométre fe maintint à Mula-balo au même degré qu'a Latacunga. Le foir du même jour nous arrivâmes à une Mai- fon de campagne, ou efpéce de Gentilhommiere nommée Chi-fchinche. Le chemin de cette journée commença par une Plaine aflez grande, au bout de laquelle fe trouve un Edifice conftruit autrefois par les Zndiens Gentils, & qui étoit un des Palais de leurs Zncas. On le nomme Cal, & il donne fon nom à toute la Plaine. De-làa nous montâmes un Côteau, au haut duquel on trouve une Plaine auñli étendue que la précédente , & dont le nom eft Tiopullo. En bas, du côté du Nord, eft une maifon où nous paflèmes la nuit. Le 29 à fix heures du matin le Thermométre marqua 10035. Nous commençâmes notre journée un peu de bonne heure, parce que c’étoit la derniere. Nous marchâmes par divers fentiers & crevañles, & enfin nous arrivâmes à une grande Plaine nommée Turu-bamba, c’eft-a-dire, Plaine bourbeufe , à l'extrémité de laquelle eft la Cité de Quito, où nous entrâmes le même jour à cinq heures du foir. Le Préfident qui gouver- poit alors cette Province étoit Don Denys de Alzedo y Heirera, qui nous avoit fait préparer un logement au Palais de l'audience, & nous régala fplendidement les trois premiers jours, pendant lesquels nous reçûmes les vifites de l'Evêque, des Auditeurs, des Chanvines, & des Régidors de cette Ville, ainfi que de toute la Nobleffe & autres Perfonnes de diftinc- tion, qui voulurent à l’envi les unes des autres faire éclater leur polites- fe envers nous. Après avoir parlé affez au long des incommodités & des périls aux- quels nous avons été expofés dans les diverfes Contrées par lesquelles nous avons paîñlé, 1l ne fera pas moins convenable de faire mention des chofes les plus remarquables que la Nature y produit. Il y a deux fortes de terrain dans l'efpace qui eft entre Babahoyo, ou depuis le Caracol jufqu'à Guaranda. Le premier jufqu’a Tarigagua eft uni, & depuis Tarigagua jufqu'à Guaranda ce n’eft que montées & que defcentes. L’un & l’autre, & même jufqu’à deux lieues au-delà de Pucara, font remplis de Montagnes couvertes de grands arbres ce différentes efpéces, dont le branchage & les feuilles, aufli-bien que la groffeur de leurs troncs, ont quelque chofe de fingulier. Les Montagnes qui for- Aa 3 ment doo VOYAGE AU PEROU. ment cette Cordillere font aufi garnies de bois dans leur partie occidentaæ+ Je, qu'elles en font dénuées à la partie orientale. C’eft du fein de ces Montagnes que fort la Riviere, qui groffie de toutes parts par une infinité de ruifleaux, occupe un fi vafte lit depuis le Caracol jufqw’à Cuayaquil. Toute l'étendue de la Montagne, qui a beaucoup de terrain uni dans fa partie fupérieure, abonde en divers Animaux & Oifeaux qui ne different pas de ceux dont nous avons parlé à l’article de Carthagéne. On peut ÿ ajoûter les Paons fauvages, les Faïfans, une efpéce de Poules, & quel- ques autres dont il y a fi grande quantité dans ces Montagnes, que s’ile ne fe perchoient pas fi haut & ne fe cachoient fous les feuilles des arbres, les Voyageurs n’auroient befoin que d’un fufl & de munitions pour a- voir à tout moment des provifions de bouche. Il s’y trouve beaucoup de Serpens & un grand nombre de Singes. Parmi ces derniers il s’en trouve une efpéce particuliere, qu’on nomme dans le Pays Marimorïdas. Ils font fi grands que quand ils fe dreflent fur leurs pieds ils ont une au- ne & demie & même davantage de hauteur. Ils ont le poil noir, & font extrêmement laids, mais fort aifés à apprivoifer: quoiqu'’ils foient aflez communs dans tous les Pays montagneux, 1l femble qu’ils le foient encore plus dans les environs de Guayaquil. Entre plufieurs Plantes que produifent ces Montagnes, il y en a trois qui me paroïffent mériter par leur fingularité, que j'en donne quelque des- cription. Ce font les Cannes, la Wijahua, & les Béjuques, matériaux dont on bâtit les maifons de la Jurisdiétion de Guayaquil, & qui fervent enco- re à beaucoup d’autres ufages. Les Cannas où Cames font remarquables tant par leur excefive lon- sueur & grofleur, que par l’eau que fes tuyaux renferment. Leur lon- gueur eft ordinairement de fix à huit toifes, & quoïque leur groffeur va- rie, les plus épaiffes n’ont que fix pouces, pied de Roi, de diamétre, ce qui fait à peu près un quart d’aune de Caffille. La partie ferme & mafive de chaque tuyau a fix lignes d’épaifleur: fi on fait attention à leur épaifleur , 1l eft aifé de comprendre qu’étant ouvertes, elles forment une planche d’un pied & demi de large; & on ne s’étonnera pas de l’ufage qu'on en fait, foit dans la bâtifle des maïfons, foit en plufieurs autres cho- fes. Du moment qu’elles pouflent on les laïffle croître jufqu'au dernier degré, & alors on les coupe, ou on les laïffe fecher fur pied. La plupart des tuyaux font remplis d’eau, avec cette différence que pendant la plei- ne Lune, ou ils font tout-à-fait pleins, ou peu s’en faut, & qu'à-mefu- re que la Lune décroît leur eau diminue, jufqu’a ce que dans la conjonc- tion VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CHE 191 tion ils en font entiérement vuides, ou en retiennent fi peu qu’à peine peut-on reconnoître qu'il y en ait eu. J'en ai coupé dans tous les tems, & l'expérience m'a toutes les fois afluré de ce fait. J'ai auffi obfervé que quand l’eau diminue elle fe trouble, & qu’au-contraire quandl la Lune eft en fon plein, ou environ ce tems-la, elle eft claire comme «du criftal. Les Indiens ajoûtent d’autres particularités: ils difent que tous les tuyaux ne fe rempliflent pas d’eau à la fois, mais qu'entre deux qui deviennent pleins 1l y en a un qui refte vuide. Ce qu'il y a de certain, c’eft que quand on ouvre un tuyau qui eft vuide, on en trouve deux autres de fui- te qui font pleins. C’eft ce qu’on obferve ordinairement dans toutes les Cannes. On attribue à cette eau la vertu de préferver de toute apoftume qui peut naître d’une chute. C’eft pour cela que tous les Voyageurs qui defcendent des Montagnes ne manquent guere d’en boire, pour prévenir les fuites des coups & meurtriflures qu’on ne peut gueres éviter dans cet- te route. Après qu'on a coupé ces Cannes on les laifle fecher d’elles- mêmes, ou guérir, pour parler comme eux: étant féches elles font ex- trêmement fortes, & l’on s’en fert pour des chevrons ou folives; on en fait aufli des tables ou des planches & des mâts pour les Balges; on en double les foutes des Vaifleaux, quand ils ont chargé du Cacao, pour empêcher que la grande chaleur de ce fruit ne confume le bois. (On en fait des perches ou bras de Litieres, & divers autres ouvrages femblables. Les Vijahuas font des feuilles fi grandes, qu’elles pourroient fervir de linceul ou drap de lit. Elles viennent de terre fans culture, & naiflent fans tige. Elles ont d’ordinaire cinq pieds de long, fur deux ou deux & demi de large. Sa principale côte, qui fort immédiatement de la terre, a quatre ou cinq lignes de large, & tout le refte de la feuille eft life & fort uni. Elle eft verte en dedans & blanche en dehors, & fe trouve couver- te en ce côté extérieur d’une pouffiere très-fine & gluante. Outre l’ufa- ge ordinaire de fervir de toit aux maifons, on l'employe encore à empa- queter le Sel, le Poiflon, & autres chofes femblables que l’on tranfporte dans les Montagnes, au moyen de quoi on garantit ces Marchandifes®de l'humidité. Elles font encore d’une grande utilité dans ces Déferts, quand on veut bâtir une hute fur le champ, comme nous l'avons vu ci-deflus. Les Béjuques font une efpéce de corde ou de lien de bois. Il y en a de deux efpéces; les uns croiflent de la terre & s’entortillent aux arbres, & l’on donne le même nom de Béjuques aux branches fouples de certains arbres qui ont le même ufage que les premiers. Les uns & les autres croif- fent en fe courbant jufqu'à ce qu'ils touchent la terre, & qu’en s'étendant jls 192 MONA ERA U PE RO Ù. ils atteignent un autre tronc: alors ils poulient en s’entortillant autour de l'arbre jufqu’a fa cime, après quoi ils commencent à croître en defcen- dant vers la terre; deforte qu'ils forment ainfi plufieurs liens, & qu’on en voit même qui tiennent à deux arbres comme une corde qu'on y au- roit attachée par chaque bout à deflein. Ils font fi flexibles & fi fouples qu’on peut les plier & les tordre fans les rompre. On en fait des nœuds très-fermes & très-ferrés: au-refte ils deviennent exceflivement gros fi on ne les coupe. Les plus minces ont quatre à cinq lignes de diamétre, & pour l'ordinaire ils en ont fix ou huit ; toutefois 1] y en a de beaucoup plus gros, mais dont on ne fait aucun ufage à-caufe de leur dureté. En géné- ral tous, à l'exception de ces derniers, fervent à attacher tout ce que l’on veut: fi on en joint plufieurs enfemble, de la maniere dont on fait les groffes cordes en Europe, on s’en peut fervir comme de cables pour amar- rer les Balges ou autres petits Bâtimens, & ils font de trés-bon ufage pour la durée dans l'eau. Il croît encore dans ces Montagnes un Arbre nommé Matapalo * | & ce nom lui convient parfaitement. Il croît foible & mince à côté d’un puiffant arbre, auquel il fe joint, & le long duquel 1l monte jufqu’à ce qu’il foit parvenu à le dominer: alors 1l élargit fa-houpe extraordinaire- ment, jufqu’à dérober à l'arbre les rayons du Soleil ; il fe nourrit de la fub- {tance de ce même arbre qui lui a fervi d'appui, jufqu'à ce qu’il lait con- fumé & détruit, par-là 1l refte maître de la place; après quoi il devient fi gros, qu'on s’en fert pour faire des Canots fort grands, à quoi fon bois eft extrêmement propre par la quantité de fes fibres & fa légéreté. LORD :50) 30)S) SLT INTIME TRI SONO HT TNT PAYSANNE ESRIEECY GRO à 8 : ie: GE Les Le ES EL . A . : j + ye De la peine que nous eûmes à faire les Obfervations de la Méridienne, & de la maniere de givre à laquelle nous fümes réduits tant que ces Opé- rations durcrent. ut ce que nous avions fait pendant une année de tems que nous ds avions paflé avant que d'arriver à Quito, n’avoit abouti qu à fur- nonter les dificultés du voyage qu’il nous falloit faire pour parvemr dans ces Lieux où nous devions exécuter le principalouvrage dont nous étions chargés. Dans le fond ce n’étoit pas peu de chofe que d’avoir achevé un voyage aufli immenfe, traverfé tant de Mers & de Climats différens. Les pre: # Mot à mot Zue-ieu, VOYAGE AU PEROK. Liv. V. Cx I. 92 premiers Jours de notre arrivée à Quito furent employés à recevoit les vi- fites de différentes perfonnes & à les rendre à notre tour, aprê:s quoi nous commençâmes à travailler à l'exécution de nos deffeins. Mrs. Bouguer & de la Condamine venoient de nous joindre, étant arrivés à Quito, le pre- mier le 10. de Juin 1736 par la même route de Guaranda , & le fe: cond le 4. du même mois par la Riviere des Emeraudes & le Gouverne- ment d'Atacames. Pour commencer nos opérations, 1l nous faloit mefurer un terrain qui pôt fervir de baze à tout l'ouvrage, C'eft à quoi nous fmes occupés tout le refte de cette année, comme il eft rapporté dans le Livre des C+- fervations Aftronomiques & Phyfiques. Le choix de ce terrain nous couta des peines infinies, n'ayant ceflé d'être incommodés du vent, de la pluye, & quelquefois des ardeurs du Soleil. Après bien des courfes & du tra- vail, nous nous fixâmes à un terrain uni, plus bas que le fol de Quito de 249 toifes, & à quatre lieues au Nord-Eft de cette Ville. On l'appelle la Plaine d'Taruqui,du nom du Village à côté duquel ce lieu eft fitué. Il y a dans ces environs des Plaines plus grandes que celle-là, mais elles au- roient été trop éloignées de la direction de notre baze, ce terrain étant affez bas en comparaifon de celui de Quito, & auffi moins froid que ce der- nier. De-plus il fe trouve fermé à l'Orient par la haute Cordillere de Gua- nami & de Pambamarca, & à l'Occident par celle de Pichincha. Le fol eft tout de fable; deforte qu'outre la chaleur que les rayons du Soleil y produifent, ces mêmes rayons font encore réfléchis par les deux Cordilleres qui terminent de deux côtés cette Plaine: de-là vient aufli qu’elle eft ex- pofée à de fréquens orages de tonnerres, à des éclairs, & à des pluyes; & comme des côtés du Nord & du Sud elle eff tout ouverte ,1l s’y forme de fi grands & de fi fréquens tourbillons, que cet efpace fe trouve quel- quefois rempli de colonnes de fable élevées par la rapidité & le tournoye- ment des rafales de vent qui fe heurtent: deforte qu'il arrive quelque- fois, & il y en a eu un exemple pendant que nous y étions ,qu'un Zndien fe trouvant pris & enveloppé dans un, de ces tourbillons, en fut abfolu- ment étouffé. I] n’y a rien-la qui doive étonner, puifqu'il eft tout fim- ple que la quantité de fable contenue dans une de ces colonnes empêche entiérement la refpiration & fuffoque celui qui s’y trouve enveloppe. Notre tâche journaliere confiftoit à mefurer ce terrain dans une ligne borizontale, nivelant continuellement pour en corriger les défauts. Nous commencions cet exercice avec le jour, & nous nedifcontinuyons qu’a l'ap- proche de la nuit, à-moins que quelque orage fubit ne nous obligeat à le Tome JL. B b fus- 194 WBTACS AU PERD fufpendre auffi longtems qu'il duroit; & en attendant qu'il ceffàt nous nous retrions dans une petite tente de campagne, qu’on nous tenoit toujours prête pour ce fujet: nous y entrions auf réguliérement à midi pour preidre quelque repos, pendant que le Soleil dardoit fes ravons à- vec le pus de force. Avant qu’on fe fût déterminé à mefurer la baze dans cette Plaine, on avoit eu deffein de faire cette opération dans le terrain également uni de Cayambe, qui eft à douze lieues environ au Nord de Quito. Ce dernier lieu fat donc celui où toute la Compagnie fe tranfporta d’abord pour l’exami- ner. Ce fut aufli-là que mourut Mr. Couplet le 17 de Septembre 1736, après deax jours de maladie. Il étoit à-la-vérité parti de Quito un peu indifpofe, mais comme il étoit d’un tempérament robufte, il méprifa cet- te légere indifpofition, & voulut être du voyage; mais en arrivant fon mal redcubla, & il n’eut que le tems de fe préparer en bon Chrétien à la mort. Ce décès prefque fubit d'un homme qui étoit à la fleur de fon âge nous confterna d'autant plus, que nous ignorions de quel mal il avoit été attent. La mefure de la baze fut fuivie de l’obfervation des angles tant horizon- taux que verticaux des premiers triangles que nous y voulûmescontftruire, & dont olufieurs ne fervirent point, parce que dans la fuite on changea leurs difoofitions, & on leur donna une autre forme meilleure que celle qu’on avoit d’abord imaginée. Pour cet effet Mr. J’erguin fut envoyé avec quelques autres pour reconnoître le terrain au Sud de Quito, & en lever un Plan ou Carte Géographique , pendant que Mr. Bouguer feroit la même chofe du côté du Nord: précaution néceffaire pour reconnoître les points où les fignaux devoïient être placés afin de former des triangles plus régu- liers, & que la direétion de leurs côtés ne fût point coupée par l’interpo- fition d’autres hauteurs confidérables. Pendant qu’on travailloit à lever des Cartes de tous ces Terrains, Mr. de la Condamine fe tranfporta à Lima, dans la vue d’y folliciter quelque fe- cours d'argent fur les Lettres de crédit & de recommandation qu’il avoit apportées de France, pour fubvenir aux dépenfes de fa Compagnie, en attendant qu’il leur vint des fubfides de France. Don George Fuan l'y fui- vit; pour s’aboucher avec le Viceroi, & terminer quelques différends fur- venus avec le nouveau Préfident. " Ces deux Meffieurs ayant heureufement terminé leur Commiflion, re- vinrent à Quito vers le milieu de Fuin 1737, dans le tems que Mr. Bouguer venoit de finir fa tâche, de-même que ceux qui avoient été du côté du Sud. VOYAGE AU PEROU, Liv. V. Ca IT. ‘ Sud. Il fut réfolu de continuer: lstriangles par ce dernier côté, & la Compa- gnie fe partagea alors en deux, tant de François que d’ Efaghois. Clhaque di- vifon partit pour fe rendre aw lieu qui lui étoit affigné. Don Gewrge Juan & Mr. Godin avec ceux qui less accompagnoient, pañlerent : à la Montagne de Pambamarca, Mrs. Bouguer, de la Condamine, & moi, étions ‘diéjà mon- tés au plus haut de la Montagne de Pichincha. On fouffrit beauictoup dans l'une & l’autre deftination, tamtde la rigoureufe température de (ces lieux que de la violence des vents, qui fouffloient continuellement, & qui nous incommodoient d’autant plus que notre tempérament n'étoit poïnt fait à ces fortes de foufirances. Il femble que nous trouvant dans la Zone-Torri- de au-deffous de l'Equateur, il étoit naturel que nous fufions brulés de l’ex- cès du chaud, & toutefois c’étoit tout le contraire, puifqu'en effet nous étions la plupart du tems tranfis de froid. On pourra juger du degré de froidure auquel nous étions expofés, fi l’on jette les yeux fur la Note fui- vante, où font contenues les expériences faites à Pichincha avec le Ther- mométre placé à l'abri du vent. Le 15 d’ÆAoût 1737 à midi la liqueur étoit à la hauteur de ..….. 1003, A 4 heures du foir....1001f. À 6 heures du foir 9984. Le 16 d’Æoût à 6 heures de matin ....997. À 10 heures du matin ...: 1005. A midi....1oo8. À 5 heures du foir....ro01f. Afix....0994. Le 17 à 5 heures ? du matin....996. À 9 heures du matin.... root. Amidi& :....1010. À 2 heures ? du foir.... 10125. À Gdufoir....099. A10o du foir....0998. Le terme de la congélation étant, comme on l’a déjà dit, 1000 dans ce Thermométre. On jugea à propos pour fe loger dans ces Montagnes de fe munir d’u- ne tente de campagne qui fervît à chaque Compagnie, mais nous ne püû- mes en faire ufage à Pichincha, parce que la place étoit trop petite pour un fi grand volume ; & pour fuppléer à la tente il fallut conftruire une ca- bane proportionnée au terrain. Cette cabane étoit fi petite, qu’a-peine elle pouvoit nous contenir tous tant que nous étions. Celane paroîtra pas étran- ge fi l’on confidere le peu d’étendue & la mauvaife difpofition du lieu; car nous étions fur le fommet d’une Roche qui s'éléve environ 200 toifes au-deflus de la Bruyeré de Pichinchx. Ce Rocher forme diverfes pointes, & nous étions poftés fur la plus haute. T'oute la Roche étoit couverte de neige & de glace, ainfi notre cabane ne pouvoit manquer d' être chargée de l’une & de l'autre. Les mules peuvent monter jufqu’au pied de cette formidable Roche. Mais de-k jufqu’au fommet il faut abfolument aller à pied en montant où plutôt Bb 2 ra" 9. VOYAGÉ AU PÉ RO. graviffant pendant quatre heures entieres. Une agitation fi violente, jointe à la trop grande fubtilité de l'air, nous Ôtoit les forces & la refpiration. J'avois déja monté plus de la moitié du chemin lorfque haraflé de fatigue, &ne pouvant plus refpirer , je tombai fans connoïffance , & prefqu'étouffé. Cet accident m'obligea, lorfque je me trouvai un peu mieux, de defcendre au pied de la Roche où étoient reftés nos Inftrumens & nos Domeftiques, & de remonter le jour fuivant, à quoi j'aurois tout aufli peu réuffi fans le fecours de quelques Indiens, qui me foutenoient dans les endroits les plus efcarpés & les plus difhciles. L'étrange maniere de vivre à laquelle nous fûmes réduits pendant le tems que nous employâmes à mefurer géométriquement la Méridienne ‘ mérite qu’on en donne quelque idée. C’eft ce que fera un récit abrégé de ce que nous eûmes à fouffrir au Pichincha. Car toutes les autres Mon- tagnes & Roches étant prefque également fujettes aux injures du froid & des vents, ii fera aifé de juger du courage & de la conftance dont il falut nous armer pour ne point abandonner un travail qui nous expofoit. à diverfes incommodités des moins fupportables, & fouvent même à un danger évident de périr. Toute la différence qui s’eft trouvée en ces for tes d’endroits, confiftoit dans le plus oule moins d’éloignement des vivres, & dans le degré d'intempérie qui devenoit plus ou moins fenfible, fuivant la hauteur des lieux, ou la conftitution des tems où il nous y falloit monter. Nous nous tenions ordinairement dans la cabane, tant àa-caufe de la rigueur du froid & de la violence des vents, que parce que nous étions continuellement enveloppés d’une nuée fi épaifle, qu’elle ne nous per- mettoit pas de voir un objet diftinétement à la diftance de 7 ou & pas. Quelquefois pourtant ces ténébres cefloient & le Ciel s’éclair- cifloit , lorfque les nuages s’affaiffant par Icur propre poids defcen- doient au col de la Montagne & l’environnoïent fouvent de près, quel- quefois à une aflez grande diftance; alors ces nuages paroïfloient com- me une vafte Mer au milieu de laquelle notre Rocher s’élevoit comme une Ile. Nous entendions le bruit des orages qui crevoient fur la Ville de Quito & fur les environs; nous voyions partir la foudre & les éclairs fort au-deflous de nous, & pendant que des torrens de pluye inondoient tout le Pays d’alentour, nous jouiffions d’une paifible férénité. En effet pendant ce tems-là nous ne fentions presque point de vent, le Ciel étoit clair, & le Soleil, dont les rayons n’étoient plus interceptés, tempéroit |a froideur de ces Lieux. Mais auñli c’étoit tout le contraire, quand les nua- ges étoient élevés; leur denfité nous rendoit la refpiration fort difficile, ja VOYAGE AU PEROU: EI: V3 "CE. II. 197 ‘ja neige & la gréle tomboient continuellement par gros flocons, la vio- Jence des vents nous faifoit appréhender à tous momens de nous voir en- levés avec notre habitation, & jettés dans quelque abîme, ou de nous trouver bientôt enfévelis fous les glaces & les neiges qui s’ammoncelant fur le toit pouvoient croûler avec lui für nos têtes. La force des vents étoit telle que la vitefle avec laquelle ils faifoient ‘courir les nues, éblouifloit les yeux. Le craquement des Rochers qui fe détachoïent & qui ébranloient en tombant la pointe où nous étions, aug- mentoit encore nos frayeurs. Il étoit d'autant plus frappant, que jamais aucun autre bruit ne s’entendoit dans ces Déferts ; auffi n’y avoit-il point de fommeil qui pût y tenir pendant les nuits. Lorfque le tems étoit un peu tranquille, & que les nuages s'étant por- tés fur les autres Montagnes où nous devions faire des obfervations, nous Ôtoient le moyen d’y vaquer, nous fortions de notre cabane pour faire quelque exercice qui nous échauffât un peu. Tantôt nous defcendions & remontions un petit efpace, tantôt nous nous amufions à faire rouler de gros cailloux du Rocher en bas, & nous éprouvions avec étonnement que toutes nos forces réunies pouvoient à-peine égaler celles des vents à cet égard. Au-refte nous n’ofions nous écarter beaucoup de la pointe de no- tre Roche, afin d'y pouvoir revenir promtement dès-que les nuages commençoient à s'en Eemparer, ainfi que cela arrivoit fouvent & fubitement. La porte de notre cabane étoit fermée de cuirs de bœuf, & en dedans nous avions grand foin de boucher tous les trous, pour empêcher le vent d'y pénétrer ; car quoiqu'’elle fût bien couverte de paille le vent ne faloit pas de s’y introduire, tous nos foins & nos peines ne füffifant pas à l'en bannir entiérement. Souvent les jours par leur entiere obfcurité ne fe diftinguoient point des nuits; & toute la clarté que nous avions venoit d'une ou deux lampes, que nous tenions toujours allumées, pour nous re- connoître les uns les autres, ainfi que pour pañler le tems à quelque lec- ture. La petitefle de la cabane remplie de perfonnes, & la chaleur qué donnoient les lampes, nous laiffoient encore dans la néceffité d’avoir cha- cun une Cchaufferette, pour tempérer la rigueur du froid. Avec ces pré” tautions nous nous ferions moqués de la froidure, fi nous n’avions été con- tinuellement dans un danger prochain de périr, & fi toutes les fois qu'il neigeoit nous n'avions été obligés de fortir de notre hute munis de pêles, pour décharger le toit de la neige qui s’y entafloit, fans quoi il fe feroit affaifté fous ce poids. Ce n’eft pas que nous n’euffions des Domeftiques & des Indiens qui auroient pu faire cet ouvrage; mais ils étoient fi en- DD'B 0 SouL- 198 VOYAGE AU PEROU. gourdis du froid, qu'il n'étoit pas aifé ce les faire fortir de leur canonie- re * où is blotifloient, & fe chauffoient continuellement au feu qu'us avoient in d'entretenir. Deforte qu'il falloit partager avec eux cette corvée, encore ne s’y portoient-ils que lentement & avec parefte. On peut juger maintenant en quel état devoient être des corps obligés de foufrir la rigueur d’un pareil Climat. Nos pieds étoient enflés & de- venus fi fenfibles qu’ils ne pouvoient ni foufrir la chaleur du feu, ni pres- que marcher, fans douleur. Nos mains étoient pleines d'engelures; nos lévres enflées & gerfées au point que le mouvement qu’il leur faloit faire, quand nous parlions ou que nous mangions, les faifoit faigner. On peut croire que dans cet état nous n’avions guere envie de rire, aufli ne pou- vions-nous le faire fans que nos lévres par l’extenfion qu’elles prennent dans cette fonétion, ne fe fendiflent encore plus, & ne nous caufailent un furcroît de douleur pendant un ou deux jours. Notre nourriture la plus ordinaire confiftoit en un peu de riz, où nous faifions bouillir un morceau de viande, ou quelque oifeau que nous fai- fions apporter de Quito. Au-lieu d'eau pour cuire ce riz, nous nous fer- vions de neige, ou jettions un morceau de glace dans la marmite, car il n’y avoit aucune eau courante, tout étoit gelé. Quand nous voulions boire nous faifions fondre de la neige. Pendant que nous mangions il fa- Joit tenir l’affiette fur le charbon, car dés-qu’on l'en retiroit le manger fe geloit. Au commencement nous buvions des liqueurs fortes, dans l’idée que cetce boiflon nous rechaufferoit un peu; mais elles devenoient fi foi- bles, qu'on ne s’appercevoit pas de leur force en les buvant, & qu'elles ne nou; échauffoient pas plus que l’eau ordinaire. D'ailleurs nous ap- préhendions que leur fréquent ufage ne nuifît à notre fanté, c’eft pour- quoi nous n’en bûmes plus que rarement, & ordinairement nous en ré- galions nos Jndiens, à qui outre le falaire ordinaire que nous leur donnions quatre fois plus fort que celui qu’ils gagnoient à la journée, nous faifions encore diftribuer les vivres qu’on nous envoyoit de Quito. Malgré cette grofle paye & nourriture que nous fourniflions à nos Zz- diens, il n’y avoit pas moyen de les retenir auprès de nous; dès-qu'ils a- voient tâté de ce Climat, ils ne fongeoient qu’à déferter & nous aban- donnoënt. Il nous arriva à ce fujet au commencement de notre féjour en ce Défert une avanture, qui auroit pu avoir de fàcheufes fuites pour nous, l’un d’eux n’eût été plus raifonnable que les autres, & ne nous eût avertis enfin de leur évañon. Pour bien comprendre le fait il faut favoir * C'et une efpéce de petite tente. VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cr IT. 199 favoir que nos Jndiens ne pouvant être baraqués dans un lieu aufiii peu {pa- cieux qu'étoit la pointe du Rocher où nous féjournions, defctendoient tous les foirs au pied de la Roche, pour coucher dans une efpécie de ca- verne, où le froid étoit beaucoup moins fenfible; fans compter qu'ils a- voient la liberté d'y faire grand feu, & par conféquent d'y être au-moins pendant la nuit, garantis des incommodités que l’on foufroit en-haut. Avant de fe retirer ils fermoient en- dehors la porte de notre cabane, qui étoit fi bafle qu’on ne pouvoit y pafler fans fe courber: & comme la neige qui tomboit durant la nuit faifoit une efpéce de mur devant cette porte & la bouchoit prefqu’entiérement, il faloit que tous les matins nos Jndiens vinflent ôter ce qui en empêchoit l'ouverture ; car quoi- que nos Négres reftäflent dans la Canoniere, ils étoient fi engourdis du froid, & avoient les pieds en fi mauvais état, qu'ils fe feroient plutôt Riflé mourir que de fe remuer. Les Indiens venoient donc faire cette corvée réglément tous les matins à 9 où 10 heures, Mais le 4. ou 5. jour de notre arrivée, il étoit midi qu’ils n’avoient point encore paru. Nous ne favions qu’en penfer, lorfque celui qui avoit eu la conftance de refter vint nous donner avis de la fuite des quatre autres, & nous entrouvrit la porte de maniere que nous nous vimes en état de la rendre entiérement li- bre: cela fait nous dépêchâmes l’Jndien au Corrégidor de Quito, pour l'infor- mer de l'extrémité où nous avions été réduits. Ce Magiftrat nous en: voya fur le champ d’autres Zndiens, leur enjoignant de nous fervir fidéle- ment à peine d’être févérement châtiés. Cette menace ne fut pas capa- ble de les retenir, & après avoir été deux jours fur la Montagne, ils dé- ferterent comme les premiers. Cette feconde défértion fit réfoudre le Corrégidor d'envoyer un Alcalde avec les quatre Indiens qu'il nous faloit, & de les faire relever par d’autres de quatre en quatre jours. Nous paflämes 23 jours fur cette Roche, c’eft-à-dire jufqu’au 6 de Sep- tembre, fans que nous euflions pu finir les obfervations des angles; par la raifon que quand nous pouvions jouïr d'un peu de clarté fur la hauteur où nous étions, les autres fur le fommet desquels étoient les fignaux qui formoient les triangles pour la mefure Géométrique de notre Méri- dienne, étoient enveloppés de nuages: & les inftans où nous jugions que ceux-ci alloient être libres de cet embarras, & ne le devenoient pourtant jamais entiérement, étoient le tems où la Montagne de Pichincha y toit le plus aflujettie. Nous fûmes donc obligés de placer les fignaux dans un lieu plus bas, où la température pût auffi être moins rigoureufe. Cela n'empêcha pas que nous ne continuaflions notre féjour fur cette Montagne juS- 2co D Y AGE AU PE KR U/? jufqu'au commencement de Décembre; auquel tems ayant terminé l’obà fervation qui regardoit en particulier Pichincha , nous nous tranfpor- tâmes en d’autres lieux, où nous ne fîmes pas moins de féjour, ni n’eû. mes pas moins d’incommodités, de froid & de peine. En effet, comme tous les fignaux devoient être placés fur des lieux élevés, il nous étoit aflez ordinaire de trouver par-tout les mêmes desagrémens; le feul repos dont nous pouvions jouir, fe trouvoit feulement dans, le tems que nous mettions à pafler d’une Montagne à l'autre. Dans toutes les ftations que nous fimes après celle de Pichincha pen- dant le travail qui étoit néceflaire pour former notre Méridienne, toute Ja Compagnie logea fous une tente de campagne,qui malgré fa petitefle nous étoit un peu plus commode que la premiere cabane; a cela près qu’il faloit encore plus d’attention à l’alléger du poids de la neige, de peur qu’elle n’en fût déchirée. Il eft vrai qu’au commençement nous la faifions drefler dans les lieux les plus à l'abri, mais cela ne dura pas longtems, ayant été décidé que ces tentes ferviroient de fignaux, afin d’éviter les incon- véniens auxquels étoient fujets les fignaux de bois. Les vents étoient fi violens dans ces endroits-là, que quelquefois notre tente en étoit renver- fée, & les piquets qui la foutenoient, abattus. Alors nous eûmes lieu de nous applaudir d’avoir fait apporter des tentes de réferve, & de pou- voir en dreffer une à la place de celle que le vent venoit d’arracher; fans cette précaution nous aurions péri infailiblement. Dans le Défert d’4- Juay trois tentes que la Compagnie où j'étois avoit fait apporter, furent abattues les unes après les autres à diverfes reprifes, & les deux gros chevrons en étant aufli brifés, nous n’eûmes point d'autre reflource que de nous réfoudre à quitter au plus vite ce pofte, qui n’étoit pas éloigné du fignal de Sina/aguan, &.nous nous retirâmes à l'abri d’une crevañe. Les deux Compagnies fe trouvoient alors dans le même Défert, & ne fouf- frirent pas moins l’une que l’autre. Les Indiens de toutes les deux s’en- fuirent dés-qu'ils virent les ravages que le vent faifoit, qu’ils commen- cerent à fentir le froid, & qu'ils fe virent employés à déblayer la neige; deforte que n'ayant perfonne qui nous aidât, il nous falut faire nous- mêmes toutes ces corvées, jufqu’à ce qu'on nous envoyât d’une Métairie, qui étoit à un peu plus de trois lieues de nous, au pied de la Montagne, un renfort d’autres Jndiens , qui nous accompagnerent enfuite au lieu où nous nous retirâmes. Pendant que nous étions ainfi expofés aux tempêtes, aux frimâts & à h neige, que nos Zndiens nous abandonnoient, que nous manquions de .VIVIES » VOYAGE AU REROU. Liy, V. CH IL. 201 vivres, & de bois pour nous chaufer, & pour ainf dire fans 1 )gement! le Curé de Cannar *, Village fitué au pied de ces Cordilleres à environ cinq lieues d’un chemin très-rude au Sud-Ouëft du fignal d: Sin afaguan, faifoit de ferventes prieres pour nous. Ce bon-homme, & tous les Efpagnols du Village voyant les nuages noirs & épais dont l'air étoit Cou- vert, préfage d’un horrible tempête, ne doutoient prefque pas que nous ne périflions dans ce lieu. Deforte que lorfqu’ayant fini les obfervations, & partant de cette Montagne, nous vinmes à pañler par le Village en queftion , ces bonnes gens témoignerent une furprife extraordinaire, & nous accablerent de félicitations fur ce que bravant un très-grand danger, nous avions eu le bonheur d'en fortir viétorieux & triomphans. (C toit en effet une efpéce de triomphe aux yeux de gens accoutumeés à regarder avec horreur ces fortes d’endroits. Au commencement de nos travaux, nous avions réfolu de conftruire nos fignaux de bois en forme pyramidale; mais nous fûmes obligés d’a- bandonner cette méthode, qui nous jettoit dans des longueurs infinies & perpétuoit nos fouffrances. En effet quand après plufieurs jours de téné- bres caufées par des nuages conftans, nous obtenions un moment de clar- té , ou la vue rapportoit les fignaux à d’autres Montagnes, & par-la ils fe coniondoient & ne fe pouvoient diftinguer, ou ils étoient arrachés par le vent ,ou détruits par les Zndiens, qui gardoient les T roupeaux fur le pan- chant des Montagnes, & qui venoient dérober le bois des fignaux & les cordes qui les foutenoient: deforte que pour remédier à ces inconvé- niens, nous jugeâmes qu'il falloit employer pour fignaux les tentes-mêmes où nous habitions: car ni les ordres de la Juftice, ni les menaces des Cu- rés, ne fufhfoïrent pas pour retenir les voleurs encouragés par l'aflurance de l'impunité, n'étant pas poilible dans ces Lieux inhabités de découvrir les auteurs du vol. Nous fimes dans les Bruyeres de Pambamarca & de Pichincha le novi- ciat de la vie que nous menâmes depuis le commencement d'Août 1737, jufqu'à la fin de Puillet 1739. Dans cet efpace de tems ma Compagnie habita dans 35 différentes Bruyeres, & celle de Don Forge Juan dans 32; l'on en donnera une plus ample notice dans le Chapitre fuivant, avec le nom de chacune de ces Bruyeres , qui faifoient les points où fe formoient les triangles. Nous n’éprouvâmes par-tout d'autre foulage- ment que cejui de l’accoutumance, nos Corps s'étant enfin endurcis & fami- * Le mot de Cnnar fe prononce Cagnar, Tome JT. Ce 304 VOYAGR AU FE 'RRAS U. familiarifés avec ces Climats, ainfi qu'avec la rufticité des Alimens, que nous n'avions fouvent qu'en très-petite quantité quand nous étions trop éloignés des lieux habités. Nous nous habituâmes auffi à cette profonde foli- e tude, & äla diverfité de température que nous éprouvions quelquefois, com- meilarrivoit quand nous defcendions d’une Montagne pour paffer à l'autre; car alors nous traverfions des Plaines & des Vallons * où régnoit une chaleur modérée en foi, mais exceflive pour des gens qui venoient d’un Climat fi froid. Enfin l'habitude nous rendit infenfibles aux périls où nous nous expofions en grimpant fur ces Montagnes, & en nous y arrêtant fi long- tems. À notre départ de quelqu'un de ces lieux élevés, les cabanes de Indiens & les étables ou vacheries difperfées fur le panchant de ces Mon- tagnes où nous avions féjourné, nous paroïffoient des Palais ; les hameux les plus ruftiques des Villes opulentes, la converfation d'un Curé & de deux ou trois perfonnes qui lui tenoient compagnie, nous fembloit côm- parable au commerce de Platon; le plus petit marché qui fe tenoit lorfque nous paffions les dimanches par ces Villages, nous paroifloit une grande foire. En un mot tous les objets groflifloient à nos yeux, quand nous quittions pour deux ou trois jours cet exil, où nous étions quelquefois cin- quante jours de fuite. Il y eut des occafions où nous aurions perdu tou- te patience & abandonné notre entreprife, fi l'honneur & la fidélité à nos devoirs, n’avoient foutenu notre COUrage, & ne nous avoient déter- minés à mourir à la peine, ou à terminer un ouvrage fi défiré des Nations policées, & protégé par deux grands Monarques nos Souverain. C'eft ici le eu de dire un mot des différens jugemens que notre travail faifoit faire aux habitans des Villages voifins. D'un côté ils admiroient notre témérité , & de l’autre ils ne comprenoient rien à la conftance que nous faifons paroître. Dans cette confufion de leurs idées, ils interro- geoient curieufement nos Indiens far le genre de vie que nous menions dans ces Déferts, & les réponfes qu'ils en recevoient ne faifoient qu'aug- menter leur étonnement. Ils voyoient que la plupart des Jdiens, mal- gré le gros falaire que nous leur donnions, & quoique naturellement ro- buftes & accoutumés aux fatigues, refufoient de nous fervir, ils étoient témoins de la tranquillité d’efprit avec laquelle nous pañions un tems in- déterminé fur le fommet de ces hautes Montagnes, & de la conftance avec laquelle nous paflions de lune à l'autre , aufli tranquillement que fi nous n'avions rien eu à fouffrir dans celle que nous quittions. Tout cela leur $ En Ljpagnol, Canniadas, qui veut dire un chemin étroit entre deux Montagnes, VOYAGE AU PEROU. Liv. V, CH IL 2103 leur paroïifoit fi étrange, qu'ils ne favoient véritablement qu’en penfer. Les uns nous regardoient comme des fous, les autres comme des gens avides de richefles, qui cherchoient des Mines d’or par le moyen de quel. que nouvelle méthode. Il y en avoit qui nous croyoient forciers, & vous enfemble étoient agités de diverfes opinions à-mefure qu'ils réfé- chifloient davantage fur nos aétions, ne trouvant pas de proportion en- tre les peines & les fatigues que nous foufrions, & les deffeins qu'ils nous attribuoient. Tout cela les mettoit en défaut, & quand on leur difoit le véritable motif de nos travaux, ils n’avoient garde d'y ajoûter foi, n'ayant pas aflez de lumieres pour en concevoir l'importance. Je pourrois raconter diverfes avantures plaifantes qui nous arriverent à ce fujet. Mais il fuffira de deux, dont je me fouviens parfaitement, Dans le tems que nous étions au fignal de Vengotafin, à peu de diftance du Bourg de Latacunga, il y avoit une vacherie à une lieue de la hauteur où étoit notre canoniere, où tente de campagne: tous les foirs nous defcen- dions pour pañler la nuit dans la vacherie, nous y étions invités par la proximité du lieu, & parce que la defcente n’étoit pas des plus rudes. S'il faifoit beau, nous pouvions aifément revenir le matin à la canoniere ÿ & retourner le foir à la vacherie. Un matin que nous faifions ce voyage, mous crûmes appercevoir de loin trois ou quatre Indiens à genou. Etant à portée d'eux, nous les trouvâmes en effet dans cette pofture ,les mains élevées vers le Ciel, & faifant des exclamations dans leur idiôme que nous n’entendions point; mais leur aétion & leurs regards faifoient aflez connoître que c'étoit à nous qu'ils parloient. Envain nous leur fimes figne plufieurs fois de fe lever, ils n'en voulurent rien faire, jufqu’à ce que nous fuflions loin. Nous arrivons à notre tente, & nous commen çons à préparer nos Inftrumens, lorfque tout-à-coup nos oreilles font frap- pées de cris réitérés que l’on faifoit à la porte de la tente. Nous forti- mes pour voir ce que c’étoit, & nous vîmes les mêmes Jndiens dans la même pofture où nous les avions rencontrés. Sur quoi nous appellâmes un Domeftique qui parloit Jndien & Efpagnol, & nous lui ordonnâmes de nous interpréter ce que ces bonnes gens difoient. Il nous apprit que le plus vieux étoit le Pere des autres : qu'on lui avoit dérobé un Ane, ou que du-moins il l’avoit perdu, & que comme rien ne nous étoit caché, il nous prioit de vouloir bien lui faire recouvrer fon Ane. Cette naïveté nous divertit beaucoup. Nous fimes notre poflible par le moyen de no- tre interpréte pour desabufer ces pauvres gens, mais on ne put jamais leur ôter cette idée de l'efprit, ÆEnfin, las de nous folliciter inutilement, Cc2 & 204 VO TA CRU TT RU. & voyant que nous ne faifions aucun cas de leurs prieres, ils fe leverent ; & s’en allerent fort défolés, & bien perfuadés que c’étoit plus par malice, que par ignorance, que nous ne voulions pas leur indiquer où étoit leur Ane. L'autre avanture m'arriva à moi-même en particulier, non pas avec de pauvres & idiots Payfans Indiens, mais avec une des principales perfon- nes de la Ville de Cuenca. Nous étions alors fur la Montagne de Bueran, peu éloignés du Village de Cannar, lorfque le Curé du lieu me fit dire qu’il étoit arrivé chez lui deux P.P. Jéfuites de ma connoiflance ; que fi je vou- lois les voir, je n'avois qu’à defcendre de la Montagne ; ce que je fis auffi, & en chemin je rencontrai un Gentilhomme de Cuenca, qui alloit vifiter {es Haciendas, & qui aufitôt qu'il avoit pu diftinguer notre canoniere a- voit compris ce que c’étoit, d'autant plus qu’il m'en voyoit defcendre. Ce Cavalier me connoïfloit de nom, mais ne m'’avoit jamais vu. Dès-qu’il fut à portée de moi, me voyant dans un D US que celui que les Métifs & gens du plus bas peuple porten£ dans ce Pays, & qui étoit pourtant le feul que nous puñlions porter dgns notre travail, il me prit pour un des Domeftiques. Il me fit plufieurx queftions, & m'’étant apperçu de fon erreur, je ne jugeai à propos de le defabufer qu'après qu’il auroit débité tout ce qu’il penfoit. Il me dit donc que lui & tous les habitans du Pays étoient perfuadés que le motif que nous alléguions de vérifier la figure de la Terre, n’étoit pas aflez puiflant pour nous réduire au genre de vie que nous menions: Qu'il n’étoit pas poflible que nous n'euflions découvert diverfes Mines, quoique nous n'en vouluflions pas convenir; mais que les gens d’efprit comme lui n’étoient pas la dupe de nos négatives. Je crus qu’il étoit tems de lui faire fentir le ridicule de ces idées. y employai toute ma logique, mais ce fut envain; notre Gentilhomme n’en voulut rien rabattre, & s’affermit au-contraire davan- tage dans fon opinion, prétendant que par les fecours de la Science Magi- que que nous poflédions , nous pouvions plus faire de ces fortes de décou- vertes que nul autre. Il ajoûtoit à toutes ces folles imaginations, d’au- tres idées qui ne fentoient pas moins le petit peuple, & jamais y ne me fut poflible de le guérir de fa prévention. Toute la fuite des triangles étant terminée du côté du Sud, nous me- furâmes une feconde baze , pour que chaque Compagnie pût en vérifier la juitefle, & l’on commença les Obfervations Aftronomiques au dernier triangle. Mais nos Inftrumens n’étant'pas tout-à-fait propres à notre deffein , nous fûmes obligés de retourner au mois de Décembre de la même année, pour conftruire un Inftrument plus propre à ce que nous nou: pro- pofions. VOYAGE AU PEROU. Lav. V. CHI $o4 pofons. Ce travail nous retint jufqu’au mois d’Æoùt de l’année fuivante 1740, auquel tems l’Inftrument fe trouÿant achevé, nous nous rendîmes à Cuenca, & dès notre arrivée nous commençâmes nos obfervations, qui furent longues & durerent jufqu'a la fin de Septembre, parce que l’Atmos- phere de ce Pays eft peu favorable aux Aftronômes; car fi fur les Mon- tagnes les nuages dont nous étions environnés nous empêchoient de voir Jes autres fignaux, ceux qui au-deflus de cette Ville formoient un pavil- Jon ne nous permettoient pas d’appercevoir les étoiles quand elles pas- foient par le Méridien. Mais à force de patience en étant venus à bout, nous nous difpofàmes à pañler au Nord de PEquateur pour les Obferva- tions Aftronomiques qu'il convenoit de faire à l’autre bout de la Méri- dienne, & finir par-là notre ouvrage: mais ce voyage fut différé pour quelque tems, pr un motif alors plus preflant que les obfervations, que nous laiffèmes fufpendues pour courir à Lima, comme je le dirai dans la feconde Partie. Au mois de Décembre 1743, les raïfons qui nous avoient retenus à Li- ma, à Guayaquil, & au Chily, ne fubfiftant plus, nous retournâmes à Quito au mois de Janvier 1744, & ce fut alors que nous prolongeâmes la Méridienne par le Nord de l'Equateur, Don orge Fuan & moi, par le moyen de quatre triangles, qui la porterent jufqu’à l’endroit où en 1740 . Mr. Godin avoit fait la feconde Obfervation Aftronomique , que nous réi- térâmes en même tems, & terminimes le tout au mois de Mai de la même année 1744, Comme on le verra dans le Tome déjà cité des Og- fervations Aftronomiques € Phyfiques, où l’on trouvera toutes les autres “Obfervations & les Expériences qui furent faites. Meflieurs Bouguer & de la Condamine ayant dans ce tems-là terminé leur tâche, partirent de Quito dans le deffein de retourner en France, le premier par la voye de Carthagéne, & le fecond par la Kiviére de Maran- non ou des Amazones: mais tout le refte de la Compagnie refta à Quito, les uns à-caufe de la guerre, craignant d’être pris fur mer par les Enne- mis, les autres faute de moyens; car ayant contraété quelques dettes, ils ne vouloient point partir avant de les avoir acquittées: deforte que ces deux Meffieurs furent les feuls qui prirent la réfolution de fatisfaire le dé- fir qu'ils avoient de revoir leur Patrie, & de s’aller repofer de tant de fa- tigues & de travaux dont nous reflentions tous les effets, la fanté de chacun de nous fe trouvant plus ou moins altérée. Ce: 206 VOYAGE AU PEROU. G:H: APARET RE : TIL Comprenant les noms des Bruyeres, E? autres Lieux où étoient les Signaux qui formoient les Triangles de la Méridienne, €? ceux où chaque Compagnie Jéjourna pour faire les Obfervations convenables; avec de courtes remarques fur le tems qu'il fit pendant ces Opérations. Our fatisfaire entiérement à la curiofité du Leéteur au fujet des lieux où chaque Compagnie fit fes obfervations, & du tems qu’on fut obli- gé d’y féjourner, j'ai cru devoir en parler dans des articles à part, fans néanmoins entrer dans un détail ennuyeux de mille circonftances, dont la plupart même ne feroient que des répétitions de ct que nous avons déjà dit ailleurs. On n'inférera point ici non plus les ftations qui en 1736, d’abord qu’on eut achevé de mefurer la baze de Taruqui, furent fai- tes aux extrémités de cette baze, & fur les Bruyeres de Pambamarca & d’Yllabalo, vu qu'on fut obligé de les reïtérer, lorfqu’on changea l'ordre & l’arrangement des triangles: ainfi nous les confidérerons comme fi on ne les eût point pour lors achevées: je commencerai par les fignaux où cette circonftance ne fe rencontra point, & jeles arrangerai felon leur ordre. Bruyeres où étoient les figmaux de là Compagnie, compofée de Mrs. Bouguer , de la Condamine, & moi. I. Signal Eÿ Station, dans la Bruyere de Pichincha. :Pichincha. Au commencement la ftation fut au fommet de cette Mons tagne; mais enfuite, ayant remarqué que le lieu le plus élevé n’étoit pas le plus propre aux obfervations, la ftation fut établie au pied du Rocher, où nous plaçâmes aufli le fignal. Les obfervations commencerent au Pit chincha le 14 d’Août 1737, & ne finirent que vers le commencement de Décembre de la même année. IH. Signal, à Oyambaro, terme Auftral de la bage d Yaruqui. . Le 20 de Décembre 1737 nous paflèmes à Oyambaro; & le 29 du mês me mois tout Ce qu’on y vouoit opérer, fut fni, IL. Signal, à Caraburu terme Boréal de la baze d'Yaruqui. Le 30 de Décembre nous nous rendîmes à Caraburu, & y demeurâmes jufqu'au 24 Fanvier de l'année 1738, ayant été retenus partie par le mau- vais tems, partie par le.manque de fignaux. EE LS IV. Signal, dans la Bruyere de Pambamarca. Nous fimes une nouvelle ftation dans cette Bruyere ; où nous avions déjà CE ! s Suite des “Triangles de D. Forge Suan ; 50 9 É Gr N 6 2s continuées defignent La Suite des riangles de 7 EEE F k PERTE ù Ro. “ ee. & dufieurs. petites parke Ÿ defignent ls Triangles \ cd ( 1 à J rs Lignes coupées où compofées de os / FO À qu \ Dela Merrdrene | von der , ere Ce 7 F : N TL D. «Antonio de Ulloa ; celles qui font, formees par des potrts Lau on _ defignent Les ériangles auxiliaires . d ST c : D, \ D BALL SR enial MD ER Par orvre du«Koy notre. Âe GfBefe SK ocrigle ay TER | né € Ë p E h ’ u s Jouer è drè Sparuer =pourpar venir à la (Ponnors- ÎrurSrkentnie des rechten Gehales ein Pin ÿ ee CO S ; \ CS F £ ne 2752 dé Degré T exrvfère ct de À Srdyrades und der Geftdé der f ES ë el RO C Cie = dafiqure de la terre, par-DY von dem n Georr Juan und [e = _ Pare Jorge Juan cDuAnt:dEUUoR denTGn Artonro dé Vlloa / « Aontagne negee À © ; / ù 5 ROLE ù T7 = Forhqne régée N a ne Are 1774 sustande ocbrachp W // 2 — 4 LÀ "A JUTTUUT ©) blean et« lontagne DITS : PO PER == EL D" AY $ : ’ J ES PATENT | NX) VE - à RE PES, | EN/ À NS : e (EE “> \ INR | *& : AE Parthele PNR 3 $ 2% 3 6 : : Z pl i ; / F à \ \ _ à < Re pe = 8 Da. Dllage . Eu e 'oue dr ere ne re Re € à a NT L ô Aires Dorf. Vi rer 5 ; Clerust GE 1 il 1ALN ë Tr o Zanèqué - Tlacicuda où habitation. s so; Ë ) LA 7 Es Die Mege »erden durch Puncte angedeutl : Cchelle de 10 Zicuës martres k É ; L AXE , ë 7 Canlanguse eHaafÿftab von 10 Sce-meilen ; 0, ; : / L, F GES € es ChRENURS SOL 7arues pars des P: IS. 3 Péronne ne SO SZArago S ë 8 JZorvnro Blank inserted to ensure correct page position VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cm IL 207 déja été en1736, quand nous eûmes achevé de mefurer la baze d’YTaruqui, comme il a déja été dit. F y montai avec le refte de notre Compagnie le 20 de Yanvier 1738, & nous y demeurâmes jufqu'au 8 de Février; & quoi- que les frimâts & la neige ne nous y incommodaffent pas tant qu’au Pi- chincha & en quelques autres Montagnes où nous fûmes depuis , les vents y étoient fi forts qu’on ne pouvoit s’y tenir debout qu'avec beaucoup de difficulté; ce qui fut caufe que nous ne pûmes qu'avec beaucoup de pei- ne exécuter les obfervations avec l'exactitude & le loifir convemables ; parce que nous ne trouvions pas d’abri où les quarts de cercle puflent être tranquilles. V. Signal, en la Montagne de Tanlagua. Le 12 de Février nous montâmes fur la Montagne de Tulangua, & le jour füuivant nous finîmes les obfervations que nous y voulions faire. Cet- te Montagne eft petite en comparaïfon des autres qui forment ces Cordil- deres, & il n’y avoit pas à beaucoup près autant d’incommodités à fouffrir : cela doit s’entendre du fommet, car d’ailleurs les côtes ou flancs en font fi efcarpés & fi droits qu’on ne peut y gravir qu'à quatre pieds, & il faut bien prendre garde de fe tenir ferme, fans quoi on courroit grand rifque. On peut juger combien cet exercice eft fatigant, puifqu'il y a au-moins pour quatre ou cinq heures à monter. La defcente n’eft pas moins rude, il faut prefque toujours être aflis, & fe laïfler couler tout doucement & : peu à peu fur le derriere, pour ne point rouler jufqu'au bas du précipice. VI. Signal, Plaine de Changalli. Nous paffâmes le 7 de Mars à la ftation de Changalli, & y reflâmes jufqu’au 20. C’eft une Plaine où nous ne fouffrimes aucune incommodi- té. Nous fûmes logés dans une Hacienda, où Métairie fort près du fi- gnal, & à portée du Village de Pintac. Nous profitâmes de tous les mo- mens où les fignaux des Montagnes n’étoient point offufqués par des nua- ges, défirant de finir au-plutôt les obfervations que nous devions faire dans cette Plaine; mais nous fûmes retardés, même lorfque les Montagnes étoient dégagées de vapeurs, parce que nous trouvions des fignaux à di- re; c’étoient ceux que le vent avoit abattus. Ce fut alors que nous pri- mes la réfolution d'employer au-lieu de perches, des canonieres , ou petites é&entes pour fignaux, & nous fuivimes depuis cette méthode. VIL. Signal à Pucaguaico /ur le panchant de la Montagne de Cotopacfi. Pucaguaico eft un Volcan affreux à mi-côte de la Montagne de Coto- pachñ. Nous y montâmes le 21 de Mars, & le 4 d'Avril nous en defcen- dîmes, fans y avoir fait autre chofe que de nous y morfondre dans la mei- ge 12 he éé VOYAGE AU PER OU. ge & la glace , & d’y être tourmentés par de fi horribles vents, qu’on eût dit qu'ils alloient emporter le Volcan. Nous y pâtimes pour le moins autant que fur le fommet du Pichincha. Il n'y avoit pas jufqu’aux bêtes qui ne témoignaflent ne pouvoir réfifter à la rigueur de ce Climat, puis- que les mules deftinées à nous porter, s’en éloignoient & alloient cher- cher un Ciel plus doux, dès-quelles pouvoient s'échapper. Nous nous apperçûmes à Pucaguaico, que le fignal qui fuivoit par le côté du Sud, avoit befoin d'être changé, ou du-moins qu’il en faudroit mettre un entre-deux: on délibéra fur le parti qu'il y avoit à prendre: mais comme avant de fe déterminer il y avoit encore d’autres chofes à faire, on fufpendit-là les opérations, & l'on profita de cet intervalle pour faire des obfervations fur la vite/]e du Son, & autres rapportées dans le T'o- me qui traite de cette matiere. Tout étant prêt pour recommencer nos opérations, nous retournämes pour la feconde fois à Pucaguaico, où nous demeurâmes depuis le 16 jufqu’au 22 d’ÆAoét , que nous achevâmes les ob- fervations néceilaires. VIII. Signal, fur k Corazon. Avant que de finir la ftation de Pucaguaico, nous étions montés à la Bruyere du Corazon, le 12 de Fuillet, & n’en étions partis que le o d’Aoüt. Le Corazon eft une Montagne aflez femblable à celle de Pichincha pour la hauteur, ayant aufi fur fon fommet une Roche fort élevée, au pied de laquelle étoit le fignal; deforte que cette flation reflembloit beaucoup à celle de Pichincha, excepté que nous n’y fouffrimes pas tant que fur le fommet de la Roche du même Pichincha, quoiqu'on n'y fût pas exemt de glace, de neiges, & de vent. IX. Signal, Papa-Urco. 11 fut décidé qu'on mettroit fur Papa-Urco le fignal intermédiaire, qui devoit être placé entre Pucaguaico & Vengotafin, qui eft plus vers le Sud. Papa-Urco eft une Montagne de médiocre hauteur, où nous montämes le 11 d’Août & n’en partimes que le 16 du même mois, que nous retournâ- mes à Pucaguaico, deforte que Papa-Urco fut pour nous une recréation entre les ftations de Corazon & de Pucaguaico. X. Signal, fur la Colline de Milin. Milin eft plutôt une Colline qu’une Montagne. Les obfervations que nous avions à y faire, ne durerent que depuis le 23 jufqu’au 29 d’Aoüt. XI. Signal, fur la Montagne de Ventogafin. La Montagne de Ventogafin n’eft pas fort haute. Nous y féjournâmes plus longtems que nous n’avions cru, ayant employé à y obferver depuis le VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CH IL - 309 le 4 de Septembre jufqu’au 18, par la raïfon que nous eûmes bien des dif- ficultés à furmonter avant de pouvoir placer le fignal qui devoit fuivre du côté du Sud. Cette Montagne eft tout près de Latacunga , qui a dans fes environs plufieurs Métairies, ce qui nous procuroit des commodités que nous ne trouvions pas dans plufieurs autres ftations. XII. Signal, fur la Montagne de Chalapu. La ftation fur la Montagne de Chalapu fut la plus courte de toutes celles que nous fimes dans tout le cours de la Méridienne; car y étant montés le 20 de Septembre nous en defcendimes le 23. Cette Montagne eft d’u- ne hauteur médiocre, peu éloignée du Bourg de Hambato, le panchant en eft femé de Métairies. On n’y peut gueres monter qu’a pied. XIII. Signal de Chichi-Choco. Le fignal de Chichi-Choco étoit placé fur le panchant de la Montagne de ce nom, qui eft une branche de la fameufe Montagne, ou Cordil- lere du Carguairafo. Nous n’y fûmes que depuis le 24 jufqu’au 29 de Sep- tembre; & quoique le lieu où étoit le fignal fût peu élevé en comparai- fon des autres Montagnes, il ne laïfloit pas d’être fort froid à-caufe du voifinage du Carguairafo. Dans le tems que nos Jndiens étoient occupés à charger nos effets fur les mules, & nous autres fous la tente prêts à par- tir, 1 fe fit un tremblement de terre, que l’on fentit à quatre lieues à la ronde: notre tente de campagne en fut ballotée d’un côté à l’autre, & la terre. faifoit un mouvement femblable aux vagues ; néanmoins ce tremblement étoit un des plus petits que l’on fente dans ce Pays. XIV. Signal de Mulmul. Ce fignal & les trois fuivans occafionnerent divers voyages, parce qu'on fut contraint pour l’exaétitude des obfervations à former des trian- gles auxiliaires , pour vérifier les diftances réfüultantes des principaux: la difficulté de diftinguer quelques fignaux des autres, obligea à les chan- ger de place, & conféquemment à aller d’une ftation à l'autre. Le 8 de Novembre 1738 on pafla à Riohamba , où je me trouvois depuis le 20 d'Oëtubre, à-ciufe d’une maladie férieufe qui m’étoit furvenue à Chichi- Choco, & qui s'étant encore augmentée à Mulmul me contraignit de m'ar- rêcer dans une vacherie de cette Montagne, & j’achevai enfuite de me rétablir à Riobamba, ce qui m’empêcha d’aflifter aux Obfervations des Signaux XV.XVLI & XVII c'eft-à-dire ,ceux de Guayama , de Limal, & de Nabufo. XVIII. Signal de Sifa-Pongo. Le fignal de Si/a-Pongo nous occupa depuis le 19 de Novembre 173: Tome I. D d jufqu'a 210 V0 Y AGE'AU PERD CT. jufqu’à la fin du même mois. Les opérations furent fufpendues à cette fation, en attendant le retour de Don Forge Juan & de Mr. Godin qui -comme je l'ai dit, étoient allés faire un voyage à Quito. Dans cet "Mar tems Mr. Bouguer entreprit de faire des obfervations relatives au Syfté- me de l’'Attraétion, & choifit pour cet effet la Montagne de Chimborazo. Cette ftation, & la feconde qui fe fit fur l’Arénal de cette Montagne furent les plus fâcheufes de toute la Méridienne. Au-refte ces D ira. tions n’ont point été inférées dans le T'ome des.Ob/ervations Aftronomiques > Phyfiques, parce que je ne pus affifter qu'aux premieres, qui furent faites fur le Chimborazo depuis le 29 de Novembre 1739 jufqu’au 17 Dc- cembre , m’étant trouvé de-nouveau attaqué de là même indifpoñition que j'avois eue auparavant. XIX. Signal de Lalangufo. Nous reftâmes fur la Bruyere de Lalangufo depuis le 24 jufqu’au 3x Fanvier 1739. XX. Signal, Bruyere de Chufay. La Bruyere de Chufay fut une des plus longues ftations de la Méridien- ne, puifque nous y fûmes détenus depuis le 3 de Février 1739 jufqu’au 24 Mars; ce qui fut occafionné par la difficulté de trouver des lieux propres à placer les fignaux qui fuivoient, de maniere que des uns on pt dé- couvrir les autres, & qu’ils formaflent des triangles réguliers. : En effet les hautes Montagnes de la Cordillere de l'Azuay où ces fignaux devoient être placés , fe font obftacle les unes aux autres. Outre la longueur de la ftation de cette Bruyere, nous y fouffrimes beaucoup de l'intempérie de l'air. XXI. Signal, Bruyere de Tioloma. Nous demeurâmes fur cette Bruyere depuis le 26 de Mars jufqu’au XXII. Signal fur la Bruyere de Sinafaguan. Notre féjour fur la Bruyere de Sinafaguan, dont nous avons déja fait mention, fut depuis le 27 d'Avril jufqu’au 9 de May. J'ai déja parlé de ce que nous fouffrimes dans ce Défert , ainfi je ne le répéterai pas. À XXIIT. Signal fur la Bruyere de Bueran. La flation de Bueran dura depuis le ro de May jufqu'au 1 de Juin. Ce n’eft au-refte qu’une Colline, qui n’eft qu’à deux lieues du Village de Cannar. Le féjour.que nous y fimes , n'eut rien de defagréable. La proxi- mité du Village nous procuroit toutes les provifions dont nous.avions be- foin, & l'air y étoit doux en comparaifon des autres Montagnes. Tous les Dimanches nous allions au Village pour entendre la Méfle, & par-là nous VOYAGE AU PEROU. Lrv. V. Cu. IL rx nous faifions un peu diverfion à la profonde folitude où nous vivions. Pen- dant que nous étions fur cette Bruyere la foudre tomba fouvent dans les Plaines voifines, & les Indiens, les animaux & les maifons de campagne en reffentirent par trois fois les triftes effets. Cette Contrée eft fort fu- jette à de violens orages, furtout la Bruyere de Burgay, qui eft tout près de celle de Bueran. XXIV. Signal, Bruyere d'Yafuay. La ftation d'Yafuay ne finit que le 16 de Fuillet, parce qu'avant de la terminer il falloit chercher le lieu le plus commode pour mefurer une fe- conde baze, par où l’on pût vérifier l’exaétitude des Opérations Géomé- triques pratiquées jufqu'alors, & après avoir choifi le lieu, voir quelle feroit la meilleure maniere de placer les fignaux entre Ta/uay & la baze en queftion. Pour cet effet nous nous tranfportâmes à Cuenca, & de-la nous fûmes reconnoître les Plaines de Talqui & de Los Bannos. Dès-que cela fut fait, & qu’il fut décidé qu'on mefureroit dans le premier de ces deux lieux la baze qui devoit fervir, à l'égard de notre Compagnie, de preuve à la mefure des triangles, tandis que dans le fecond on mefure- roit la baze néceffaire à l’autre Compagnie pour la même opération, on plaça les fignaux qui manquoient, & nous retournâmes à notre premier ouvrage fur la Bruyere d’Ya/uay, où nous étions venus dès le 7 de Fuiller. C’eft la Montagne la plus haute de la Jurisdiétion de Cuenca. Elle eft d’ailleurs fi efcarpée, qu’on ne peut y monter en partie qu'a pied & avec difficulté. Malgré fa hauteur l'air n’y eft pas auffi fächeux qu'à Sina/a- guan, ni qu'aux autres Montagnes qui font vers le Nord de cette Cordillere. XXV. Signal, fur le Monticule de Borma. Le Monticule de Borma n’eft gueres haut, non plus que les autres du côté de Cuenca: de-là vient que fon fommet n’eft pas engagé dans des nuages: c’eft pourquoi nos obfervations s’y firent avec d'autant plus de facilité, que la Montagne de Ta/uay, qui étoit beaucoup plus expoñée à cet inconvénient, en fut entierement exemte le 19 de fuillet, ce qui fit que nous eûmes achevé en très-peu de tems. XXVI. XXVIL XXVIIL. XXIX. Signaux de Pugin, Pillachiquir, Alparupafca, & Chinan: ces deux derniers étant les termes Nord £ÿ Sud de la baze de Talqui. Les ftations de Pugin, Pillachiquir, Aparupafca, & Chinan ne nous ar- rêterent guere. D'ailleurs comme elles étoient près de la baze de Talqui, nous nous logeâmes dans des Métairies ou Haciendas, d’où nous allions journellement mefurer les angles. Il faut en excepter feulement la fla- Dd 2 tion Pr? VRO Ÿ À G EAU P'E RU tion de Pillachiquir, qui étant plus éloignée des Haciendas que les autres, ne nous permettoit pas d’ufer de cette commodité; mais nous fûmes affez heureux PAS terminer les obfervations le même jour que nous y fü- mes pour les faire. XXX. XXXI. Guana Cauri € la Tour de la principale Eglife de Cuenca. Ayant terminé cette fuite de triangles, aux deux derniers près des ex» trémités de la feconde baze, 1l falut en former d’autres pour fervir d’Ot- fervatoire, où après avoir achevé la mefure Géometrique, on pût com- mencer lAftronomique. Les triangles qui me tomberent en partage étoient formés par un fignal fur le Mont de Guanacauri, & par la Tour de la grande Eglife de Cuenca, où fe firent les obfervations convenables, au même tems qu'on faifoit les Obfervations Aftronomiques. À la partie Septentrionale de la Méridienne on forma de nouveaux triaf.- gles, comme il a été dit dans le Chapitre précédent, ce qui occafonna de nouvelles ftations fur les Montagnes où furent placés les fignaux qui formoient ces nouveaux triangles. On fuivit le même ordre qui avoit été réglé & fuivi pendant qu'on traçoit la Méridienne, favoir que cha- que MiBre de la Compagnie obferveroit deux angles déhs tous les trian- gles; & ceux qui m'échurent en partage furent les fuivans. XXXIT XXXIIL XXXIV.XXXV. Signaux de Guapulo, de Campanario, de Cofin € de Mira. Les Obfervations qui devoient fe faire à ces quatre fignaux , ne purent être terminées qu'après que nous eûmes vu la fin des affaires qui nous avoient appellés Don Forge Fuan & moi à Lima & au Chily, & que nous fûmes revenus à Quito. Nous ne fûmes point obligés de demeurer fur la PRES & la derniere de ces quatre ftations , parce qu'étant fort proche de Quito & du Vi llage de Mira, nous nous y rendions quand le tems étoit favorable ; mais il n'en fut pas de-même à l’égard de celles de Campanario & de Cofin. Toutes les quatre furent abandonnées le 23 May 1744, jour auquel nous terminâmes, Don Ÿorge Fuan & moi, les Obfervations Aftronomiques que nous avions reprifes le 14 Février de la même année, & par-là fut terminé tout ce qui concernoit la Méridienne. Signaux ES Stations de Mr. Godin & de Don Jorge Juan. Les ftations qui fe firent après qu’on eut achevé de mefurer la baze de Taruqui en 1736, & qui enfuite ne fervirent point, comme il a déjà été dit, furent communes aux deux Compagnies; parce qu’on ne s’étoit pas encore avifé de la méthode qui fut fuivie depuis, favoir que chacune obfervât deux angles dans tous les triangles pour faciliter & abréger le travail ; VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CnIIL 213 travail; deforte que Don Forge Fuan & Mr. Godin étoient fur les Mon- tagnes d’Illabalo & de Pambamarca en même tems que Mrs. Bouguer, de la Condamine, & moi. I. 6 IL. Signaux aux extrémités de la Baze d’Yaruqui. Pour faire les obfervations convenables à ces deux fignaux, ces Mes- fieurs partirent de Quito le 20 d'Aoët 1737, & les terminerent le 27 du même mois. IIL. Signal, Bruyere de Pambamarca. Après qu’ils eurent fait aux extrémités de la baze les obfervations né: ceflaires , ils paflerent à la Bruyere de Pambamarca, où ils finirent leurs opérations le r Septembre 1737. IV. Signal, la Montagne de Tanlagua. Ayant terminé leurs opérations fur Pambamarca, ils defcendirent au Village de Quinche, qui eft le plus près fur le chemin de la Montagne de Talangua: mais les Indiens qui devoient les accompagner, bien inftruits de ce qu’ils auroient à fouffrir de lintempérie de l'air fur cette Monta- gne, & déjà épouvantés de ce qu’ils avoient éprouvé fur Pambamarca, eurent la précaution de s'enfuir. Ceux du Village craignant que cette fuite ne fît tomber lefort fur eux, difparurent &fe cacherent. Les mou- vemens que l’Alcalde fe donna pour découvrir le lieu de leur retraite, ni Jes foins du Curé pour les déterrer & les engager à revenir, ne fervirent de rien. Après que ces Meffieurs eurent paffé deux jours dans ce Village fans que les déferteurs paruffent, il falut que le Curé difpofàt fon Sacriftain & quelques autres Zndiens employés au fervice de l'Eglife, à les accompa- gner & à prendre foin des mules de charge jufqu'a Tunlagua, qui eft une Métairie où ils arriverent le $ de Septembre 1737, & le jour fuivant ils commencerent à monter la Montagne, mais avec tant de difficulté qu'ils furent tout un jour à en furmonter l’âpreté. Les Jndiens portoient fur leur dos la tente de campagne, les Inftramens & le bagage; ils ne pu- rent ce jour-là monter jufqu’au haut, & furent obligés de s'arrêter à mi- chemin, & de pañler la nuit fans couvert ni abri. Peu s’en falut qu'ils ne périffent de froid. En effet il furvint une forte gelée, qui les maltraita fi fort qu'ils ne pouvoient remuer ni bras ni jambes. Nos Meffieurs ne pu- rent point alors achever les obfervations, trouvant qu’il manquoit des fi- gnaux, qui avoient été renverfés par la violence des vents, ou dérobés par les Pâtres Zndiens. En attendant qu’on les remît fur pied, ils fe ren- dirent à Quito, pour y mieux employer leur tems, & examiner les divi- fions des quarts-de-cercle. Tout cela futlong, & les occupa jufqu'au Dä 3 mois dur ONE VO Y AG EU ÉMRO TV mois de Décembre 1737, que les fignaux ayant été rétablis ils retournerent à Tanlagua le 20 de Décembre, & le 27 les obfervations furent terminées. V. Signal [ur la Colline de Guapulo. Guapulo n’eft pas fort haut, & cette Colline eft tout près de Quito, defor- te que ces Meflieurs n’avoient que faire d’y coucher: tous les matins ils fortoient de la Ville & fe rendoient à la tente de campagne, où étoient tous les Inftrumens qui fervoient aux obfervations; & quoiqu’ils travail- laffent avec beaucoup de diligence & d’affiduïté, les obfervations ne pu- rent être finies que le 24 de Ÿanvier 1738. VI. Signal dans la Cordillere € Bruyere de Guamani. Le fignal de Guamani fe trouvant placé de maniere qu'on ne découvroit point celui du Corazon , il falut remédier à cet inconvénient, ce qui occafionna deux voyages; le premier le 28 de Fanvier, le fecond le 7 de Février, & ce dernier fut fi heureux que le lendemain 8 du même mois tout y fut achevé. VII. Signal Jur le Corazon. Il y eut auffi deux voyages fur cette Montagne, l’un le 11 de Février, J'autre le 12 de Mars 1738. VIII. Signal, de Limpie-Pongo fur la Bruyere de Cotopacfi. Le 16 de Mars ces Meflieurs monterent à la Bruyere de Cotopacfi; ils y refterent jufqu’au 31, qu'ayant reconnu qu’on ne pouvoit pas découvrir de-là le fignal de Guamani, il falut en aller pofer un entre deux, ce qui ne fut achevé que le 9 d’Æoût 1737, jour auquel on revint au fignal de Limpie-Pongo, où l'on refta jufqu’au 13. Ce fut dans ce fecond voyage, que Don Forge Juan montant la Montagne fur fa mule, tomba avec fa monture dans un creux de quatre à cinq toifes de profondeur, fans fe fai- re aucun mal. Outre le fignal qu’il falut mettre entre ceux de Guamani & de Limpic- Pongo, on fut encore obligé d’obferver les angles de quelques flations déjà terminées. Pendant que les obfervations de Limpie-Pongo furent fufpendues, ils firent des obfervations fur la vitefle du Son, pour remplir cet intervalle de tems. IX. Signal, Bruyere de Chinchulagua. Le fignal de Chinchulagua étoit fitué fur la Bruyere de ce nom. Les obfervations y furent achevées le 8 Août 1738. Mais s'étant élevé quel- que doute touchant l'un des angles obfervés, il falut réitérer cette fta- tion après qu'on eut terminé celle de Limpie-Pongo, pour s’en aflurer. X. VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cm IL 215 X. Signal, Jur la Montagne de Papa-Urco. Après qu'ils eurent vérifié l'obfervation de Chinchulagua, ils paflerent au fignal de Papa-Urco, où ils finirent les obfervations le 16 du même mois; & de-là ils retournerent à Quito pour quelques affaires concernant Meffieurs les Académiciens François. XI. Signal, fur la Colline de Min. Les affaires qui avoient appellé Mr. Godin à Quito, furent terminées dans le courant de ce mois, & le 1. Septembre 1738 tous ces Meffieurs retournerent au fignal de Milin, où ils furent occupés jufqu’au 7. XI. Signal, fur la Bruyere de Chulapu. De Milin ils paflerent à Chulapu, où ils refterent jufqu’au 18 Septembre. Jufqu’à ce fignal exclufivement chacune des deux Compagnies obferva les trois angles de tous fes triangles, tant parce qu'ils différoient entre eux, que parce que cette attention vérifioit les erreurs des divifions des quarts-de-cercle, trouvées par les autres méthodes dont on s’étoit fervi pour les connoître. Mais depuis ce fignal en avant chaque Compagnie fe contenta d’obferver deux angles des mêmes triangles & en commun, comme on en étoit convenu. XIII. Signal, de Jivicatfu. Le fignal de Ÿivicat/u fitué fur la Colline de ce nom n’occupa ces Mef- fieurs que depuis le 18 jufqu’au 26 de Septembre. Cetteftation fut des moins incommodes ; la Colline étoit peu élevée, & l'air n’y étoit point froid ; les eñvirons en font agréables, & ils étoient à portée du Village de Pillaro, d’où ils pouvoient tirer toutes les provifions dont ils avoient befoin. XIV. € XV. Signaux, fur les Bruyeres de Mulmul € de Guayama. Je joims ces deux Montagnes enfemble, parce que leurs croupes font unies par de petites Collines où l’on trouve une vacherie, qui fert de re- traite aux Bouviers Indiens qui ménent paître leurs bœufs & vaches fur les panchans de ces Montagnes. Mr. Godin & Don Forge Fuan fe loge- rent dans cette vacherie, d’ou ils avoient coutume de fe rendre le matin fur l'une & l’autre Montagne, pour y faire leurs obfervations quand le tems étoit favorable. Mais comme la diftance entre ces deux Montagnes étoit ficourte, & qu'il faloit vérifier les diftances fuivantes qu'on auroit à conclure par celle-ci, par celle de trois autres triangles auxiliaires, il fallut indifpenfablement déterminer les endroits où l’on devoit former ces triangles, & s'arrêter dans ce lieu jufqu'a ce que ces diftances étant établies, on pût achever toutes les obfervations, ce dont on ne vint à bout que Le 20 d'Ofobre 1738. Après 216 V O TY-AGE AU PER OT. Après cela ils paflerent à Riobamba, dans la réfolution de continuer leur travail fans intermiffion; mais ayant rencontré quelques difhcultés par rapport à la meilleure maniere de difpofer les triangles fubféquens, & commençant tous tant que nous étions, tant François qu Efpagnols, à fentir quelque difette d'argent, on trouva à propos de profiter du tems qu'il faloit pour déterminer les lieux où l'on placeroit les fignaux, pour renouveller nos finances ; & pour cette fin Mr. Godin & Don Forge Fuan fe mirent en route pour Quito le 7 Novembre 1738, d'où ils ne purent être de retour que le 2 de février 1739, parce que le premuer y fut attaqué de la fiévre, qui ne lui permit pas de fe remettre plutôt en chemin. XVI. € XVII. Signaux, d Amula, € de Sifa-Pongo. Les obfervations qui devoient fe faire au fignal d’Amula furent termi- nées avant le voyage dont nous venons de parler, & depuis le 2 de Fë- vrier 1739 que ces Meflieurs revinrent à Riobamba jufqu’au 19, on ache- va celles de Si/a-Pongo. XVIII. Signal, de la Montagne de Sefgum. On ne demeura fur cette Montagne que depuis le 20 jufqu'au 23 de Février , parce que le fignal étoit placé fur le panchant d'une hauteur d’où Jon profitoit des momens que les autres Bruyeres étoient débaraflées des nuages dont elles font ordinairement environnées. XIX. Signal, Bruyere de Senegualap. La ftation fut plus longue à ce fignal, & dura depuis le 23 de Février jufqu'au 13 de Mars 1739, quoique cette Bruyere ne fût pas des plus incommodes de la Méridienne. XX. Signal, Bruyere de Chufay. De Senegualap ils paflerent à la Bruyere de Chufai, où cette Compa- gnie ne fouffrit pas moins que la nôtre. Lis y reficrent depuis le 14 de Mars jufqu’au 23 d'Avril 1730. Cette ftation n’étoit point du reffort de ma Compagnie; car en fuivant l'ordre alternatif établi entre les deux Compagnies, nous devions aller au fignal de Senegualap; mais après que nous eûmes achevé les obfervations à Lalaugufo, voyant que Mr. Godin & Don Forge Fuan s'arrêtoient trop longtems à Quito, nous fubdivifâmes notre Compagnie en deux, pour continuer à mefurer en attendant le-retour de ces Meffieurs. Par cet ar- rangement Mr. Bouguer pafla au fignal de Senegualap, & Mr. de la Con- dainine & moi nous allâmes à celui de Chufay, où Mr. Godin & Don Forge Fuan nous ayant joints, notre Compagnie fe réunit ,& nous conti- Auâmes notre ouvrage felon l'ordre que chaque Compagnie devoit obferver. XXI . Si 21 VOYAGE AU PEROU, Lav. V. CHI. 217 XXI. Signal, Bruyere de Sinafaguan.. Cette flation étoit une de celles où les deux Compagnies devoient ob- ferver en commun. Elles s’y rencontrerent toutes les deux dans le même tems. Celle de Don Forge Juan y refta depuis le 28 d’Avri/ jufqu'au 9 de May 1739, & toutes les deux eurent part au travail & aux peines qui ne furent pas petites, l'air de cette Montagne étant très-froid & très-rude. XXII. Signal, Bruyere de Quinoa-Loma. La Montagne de Quinoa-Loma fut une des plus fâcheufes que l'on ren- contra en traçant la Méridienne. On y demeura depuis le 9 de May jufqu’au 31,quon mit fin à la mefure des angles correfpondans à ce fignal. De Quinoa-Loma ces Meffieurs fe rendirent au Village de Los Azogues, où ils laiflerent Inftrumens & bagages, pour aller a Cuenca reconnoître les Plaines de Talqui & de Los Bannos, pour en choifir une qui fervit de baze; & s'étant déterminés pour cette derniere , ils convinrent avec nous de la maniere dont il falloit difpofer les fignaux ; après quoi ils retourne- rent à Los Azogues. XXIII. Signal, Bruyere d'Yafuay. Le 15 de Juin la Compagnie de Don Forge Fuan pañla au fignal de la Bruyere d'Yafuay, & y relta jufqu'’au 11 de Juillet, qu’elle retourna à Cuen- ca, où elle s’occupa à mefurer la baze de Los Bannos, & à commencer les Obfervations Aftronomiques, qui durerent jufqu’au 10 de Décembre de la même année qu'elle retourna*à Quito, pour y fabriquer un nouvel In- ftrument plus propre à faire ces obfervations avec plus de juftefe. XXIV. XX V. XXVI & XXVIIL. Signaux, Namurelte, Guanacauri, Los Bannos, € la Tour de la Grande Eglife de Cuenca. Pendant que ces Mellieurs faifoient les Obfervations Aftronomiques à Cuenca, ils acheverent celles qui appartenoient à la mefure Géométrique, aux quatre fignaux ci-deflus. Les trois premiers fervirent à joindre la baze (laquelle s’étendoit depuis Guanacauri jufqu’à Los Bannos) avec la fuite des triangles, & le dernier fervoit d’obfervatoire conjointement avec la dite baze. Et par-là finirent toutes les ftations: car quoique l'année fui- vante on fût obligé de retourner à Cuenca pour y réitérer les Obfervations Aftronomiques , il n’en eft pas moins vrai que dès-lors toutes les opéra- tions concernant la mefure Géométrique furent terminées de çe côté-là. XXVIIL XXIX. XXX. XXXI. & XXXII. Signaux fur les Montagnes de Guapulo, Pambamarca, Campanario, Cuicocha, & Mira. En 1744, les affaires qui nous avoient appellés à Lima, Don Forge Juan & moi, étant finies, nous revinmes dans la Province de Quito pour Tome JT. E e achever Pr. VO TA CEÉAU PÉROUÙ achever les Obfervations Affronomiques, qui ayant été terminées à Cuenca avoient été fufpendues,. comme il a déjà été remarqué. Don George Fuar fit cinq ftations de plus; parce qu'il fut obligé dé réitérer celles de Gua- pulo, & de Pambamarca, afin de prolonger les triangles vers le Nord, & qu'il lui falut retourner fur les Montagnes de Campanario & de Cuico- cha. 11 fut obligé de féjourner fur ces deux dernieres & fur Pambamarca, . expolé à lintempérie de l'air, comme on l’avoit été la premiere fois. I! n’en fut pas de-même fur celles de Guapulo & de Mira; & comme j’eus part à cette derniere ftation & obfervation, & que nous les fimes enfem- ble, je ne répéterai pas combien de tems nous y employâmes, l'ayant dé- ja marqué plus haut. ta 97 9e 37:30) SENTIR DEN TKIENT DNA CRISTINA TRS INN NAN - Cu dE Le RU Ne Defcription de la Ville de Quito. Tribunaux qui y font établis. * N faifant la defcription des Villes où j'ai été, mon plan, comme on ?, l'a pu voir jufqu’ici, n’eft point de compiler des Remarques Hifto- riques & Chronologiques; on ne doit pas. s'attendre que je m'écarte de cette méthode à l'égard de Quito. Mon but eft de faire connoître ces Contrées telles qu’elles font aétuellement, foit à l'égard de leur fertilité, foit à l'égard des mœurs & coutumes de leurs habitans. Par-là ceux qui ne les connoïffent que de nom, pourront éviter les erreurs nuifibles où l'on tombe, quand on s’avife de juger des chofes dont on n’a pas de jus- tes idées.. Je ne parlerai du paflé que très-fuccinétement, & autant qu’il conviendra à mon fujet. je dirai donc préliminairement, que ie Royau- . me de Quito fut foumis au joug des Jncas par Tupac-Inca-Tupanqui, le XI, de ces Empereurs. Garcilaffo de la Vega, qu’il paroît que nous devons fuivre à cet égard, ajoûte dans fon Hifloire des Incas *, que la conquête de ce Pays fut faite par le Fils aîné de cet Empereur, nommé Auayna-Capac, qui comman- doit l Armée de fon Pere, auquel 1l fuccéda à l'Empire: que Huayna-Capac eat entre autres Fils naturels Alta-Huallpa né de la Fille du dernier Roi de Quito; que ce Fils étoit doué de beaucoup de bonnes qualités, qui le ren-- doient * Intitulée en Æfpagnol, Commentarios Reales de los Ingas del Peru. On fait que Gur. cilalfe étoit lui-même de la famille des Incas. Not. du Trad, VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Ci IV. 218 doient aimable; & que fon Pere ayant une grande tendrefle pour lui, en- gagea Hua/car fon Fils aîné & légitime à lui céder le Royaume de Quito à titre de Fief de l'Empire: c'étoit une Loi de l'Empire, que les Priovin- ces-conquifes y demeuraffent toujours unies; par conféquent il ne pou- voit pas en difpofer autrement. Qu'Alta-Huallpa étant ainfi devenu Roi de Quito fe révolta contre fon Frere, après la mort d'Huayna-Capac 3 qu’il s'empara de l'Empire, qu’il nut aux fers, & fit mourir Huafcar; mais que Dieu fufcita Don Francifco Pizarro pour faire fouffrir la même peine à ce Prince ingrat & cruel; que Pizarro chargea de la conquête de Quito Se- baftien de Belalcazar , lequel ayant défait les Zndiens en diverfes rencon- tres, s’empara du Royaume, & en rebatit la Capitale qui avoit été rui- née, y établiffant les E/pagnols en 1534, & voulant qu’elle portât defor- mais le nom de San Francifco de Quito, qu'elle conferve encore aujourd’hui. Cette Ville eft par les oo deg. 13 min. 33 fec. de Latitude Auftrale, & 298 des. 15 min. 45 fec. de Longitude comptée du Méridien de Té- nériffe, Yelon nos propres obfervations. Elle eft fituée dans l'intérieur des Terres de l'Amérique méridionale, & fur le côté oriental de la partie occidentale de Ia Cordillera de los Andes, à peu près à 35 lieues des cô- tes de la Mer du Sud. Elle eft épaulée au Nord par la Montagne de Pichincha, célébre dans le Pays par fa hauteur, & par les richefles qu’on prétend qu’elle renferme depuis le tems des Idolâtres , fans qu’on en ait d’autre aflurance qu’une tradition vague. La Ville eft fituée fur le panchant de cette haute Mon- tagne, environnée de Collines, & pofée fur d’autres Collines formées par les Crevafles, ou Guaycos, pour me fervir du nom qu’on leur donne dans le Pays, qui font les Vallons de Pichincha. Ces Crevalles, où Guay- cos, la traverfent d’un bout à l’autre; & quelques-unes font fi profondes qu'il a falu bâtir des voûtes par-deffus pour égalifer un peu le terrain, de- forte qu’une partie de la Ville a fes fondemens fur des arcades: de-là vient que plufieurs de fes rues font très-irréguliéres, & qu'étant mêlées de Collines & de Crevafles, il faut, en les traverfant dans leur longueur, tantôt monter, tantôt defcendre. Cette Ville eft de la grandeur de celles du fecond ordre en Europe, & paroîtroit beaucoup plus étendue qu’elle ne paroît, fi elle étoit fur un terrain moins inégal & moms crevafié. Elle a dans fon voifinage deux Plaines fpacieufes, l’une au Sud, appel- lée Turu-Bamba, qui a bien trois lieues d’étendue, l’autre au Nord ,nom- mée Jnna-Quito, laquelle s'étend à deux lieues. Toutes les deux font remplies de Maifons de campagne & de Terres cultivées qui ornent beau- Eer3 coup #20 V O Ÿ AGEN PEROU, coup les environs de la Ville: ajoûtez à cela que la verdure continuelle des herbes , l'émail des fleurs dont les Champs de ces Plaines, & les Col- lines d’alentour font toujours couvertes, forment un Printems éternel. On nourrit dans ces Champs & fur ces Collines de nombreux Troupeaux de gros & de menu Bétail, qui ne peuvent confumer l’herbe que produit ce fertile terroir. Ces deux Plaines fe retréciffent à-mefure qu’elles approchent de la Vil- le, & en fe joignant elles forment une gorge dans l'endroit où les Côteaux & les Collines femblent vouloir fe joindre, & c’eft-là que la Ville eft pla cée. On auroit peut-être dû la bâtir dans l’une des deux Plaines en ques- tion, elle auroit été plus belle & plus. commode; mais il paroît que fes premiers Fondateurs ont moins cherché l'agrément & la commodité qu’à conferver la mémoire de leur conquête, en bâtiffant fur le même terrein de l’ancienne Ville des Zndiens , qui choififloient ces fortes d’endroits pour bâtir, & pour ainfi dire fur fes ruines. Ils ne croyaient pas fans-doute qu’elle dût devenir fi confidérable, c’eft pourquoi ils fe contenterent de fubftituer des édifices folides aux maifons fragiles qui y étoient aupara- vant, & infenfiblement ces édifices s’accrurent. Quito étoit autrefois beaucoup plus opulente qu'aujourd'hui. Le nombre des habitans, parti- culiérement des Zndiens , y eft fort diminué, comme il paroît par les ruines, qu'on voit encore de rues entieres. Vers le Sud, dans la partie de la Ville fituée dans cette gorge que for- me la Plaine de Turu-bamba, eft une Colline, qu'ils nomment e7 Panecille, a-caufe de fa figure, qui reflemble à un Pain de fucre. Cette Colline n’a pas plus de cent toifes de haut: entre elle & les Collines qui couvrent la Ville à l'Orient eft un chemin fort étroit. Au Sud & à l'Ouëft le Pane- cillo fournit d’abondantes fources d’eaux délicieufes, & de Pichincha il fe précipite divers ruifleaux par les Guaycos, d’où par le moyen des conduits & tuyaux fouterrains Peau eft diftribuée dans toute la Ville: & de ce qui en refte, ainfi que de celle des fources, fe forme une Riviere qui coule au Sud de la Ville, & à laquelle ils donnent le nom de Machangara. On la pañle fur un pont de pierre. La Montagne de Pichincha eft un Volcan qui vomifloit du tems des Indiens Gentils, ce qu'il a auffi fait quelquefois depuis la conquête. La bouche de ce Volcan eft dans une Roche à peu près auffi haute que cellé où nous fimes notre ftation, & ces deux Roches font très-proche l’une de l’autre ; le caillou ou roc de cette crête eft tout calciné, & refflemble au tuf., Le Volcan ne vomit point de feu, & n'exhale aucune fumée; mais de SeBarbe. Se are C.224 de S'Rocg... de STSebafhien . oYS; 2 DZ és 0,7 Dre vers ÉORE | ’ ŸDE LA VILLE ET CITÉ DZ es z omplee TRS CO. (e) A de Latitude Herid rhenl Z 233 de 1er A2 ÇOTS DE QUIT ARC He Fe) rer par \ éd 5 TES LA FETE pop 22/29 4 OUT P FRANCISCO DR. Colleg Er de TE . 4e Colle L : De SR Urz SASE É ST Ÿ L UT , fe | Ar . & re Line 7 erechnet. r QUES GO. DEL, QUI Ze, KA de er von de | 4 P 7° Cr 45 (a 4er den vo Cr13 K dem 8 ( STE ©. " RL Ÿ (() € éeufes de la Conception. cl de FÉALTIRN PES À Z Uasoas de Te fs. à À e Ë Ni 7 V , ot des Honor de S'Chrest dada dome %e “Le Gal un (3. Chapell er Coratolans ares sa. ÿ UL WA ne de bN arr. edelavray À Pa EN LED dress LE > deN Tepme de st à : À MR sexy S mi QS (A FETES LT Wu S M ni tn re me y s Le ef ve à QE a, 2 SA & nt les pre (< ar ve b, Er à re SR RTE TS \L4 7 ec. Rp PAR eh TRS ET ZLagure' qui est Free 7m oder gro € AMarkt . Plara VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CH IV. 251 mais il eft des tems où il effraye par les ronflemens affreux que le vent fait dans fes concavités intérieures, & qui reffemblent au bruit du ton- nerre: les habitans tremblent alors, fe rappellant les ravages que ce Vol- çan a caufés en crevant, couvrant toute la Ville & les Champs voifins de cendres, & pouffant des nuages de la même matiere, qui obfcurcifloient Y'air. Près de la Plaine d’Jnna-Quito eft un endroit nommé Rumi-Pamba, comme qui diroit la Plaine des Cailloux ; & ce nom lui a été donné, parce qu'il eft femé de gros cailloux ou morceaux de roc que le Volcan y a pouf- fés en crevant. Le fommet de cette Montagne, comme nous l'avons déjà dit, n’eft jamais fans glace & fans neige. On en apporte une gran- de quantité dans la Ville, qu’on employe dans plufieurs fortes de Boïflon. La grand’ Place eft quarrée: fes quatre faces font ornées de grands Edifices ; l’une de l'Eglife Cathédrale; l'autre du Palais de lAudience; l'autre de l'Hôtel de Ville; & la quatriéme du Palais Epifcopal. Cette Place eft grande, le centre en eft occupé par une fort bellè Fontaine. Le Palais de Audience qui devroit en faire le plus bel ornement, la défigure. Cet Edifice a été négligé à un point que les trois quarts en font ruinés. I] n’en refte plus que la Chambre de l'Audience, celle de l’Acuerdo , celle des Finances, & les murs extérieurs qui menacent ruine. Les quatre grandes rues qui aboutiflent aux angles de la Place font droites, larges & belles: mais dès-qu'on s’écarte de la Place de la longueur de trois ou quatre Quadras *, on s’apperçoit de leur inégalité; car des-lors il faut monter & defcendre. C’eft ce défaut qui eft caufe qu’il n’y a dans toute la Ville n1 carofle, ni autre efpéce de voiture. Au-lieu de cela les Per- fonnes de diftinétion fe font accompagner d’un demeftique qui porte un grand parafol, & les Dames fe font porter en chaife. Aux quatre rues près dont nous venons de parler, toutes les autres font tortes, fans fy- métrie & fans ordre. Quelques-unes font traverfées de crevailes, & les maifons qui font à côté, fuivent les tours & courbures de ces crevañles. Les principales rues font pavées; mais dans plufieurs quartiers elles ne le font pas, & on n’y peut marcher, tant elles font inondées par les fré: quentes pluyes. Outre la Place principale, il y en a encore deux fort fpacieufes, & plufieurs petites près des Couvenà d'Hommes & de Femmes. Les Bâtimens, par * Ils appellent Quadra dans ce Pays-là l’efface entre un coin d’une rue, & l’autre, Or: dinairement la Quadra eft évaluée-àtext unes; mais il y en a qui font davantage, &: d'autres moins, Ec 3 222 VOTAGE A U P'EMMO Ù. par l’architeéture de leurs frontispices & de leurs portails, ornent beau. coup ces Places; & particuliérement le Couvent des Religieux de St, François, qui eft tout de pierre de taille. Par les belles proportions, la beau- té de tout l'ouvrage & l'invention , 1l pourroit figurer entre les beaux Edi- fices de l’Europe, & doit être d’autant plus eftimé dans ce Pays-là qu'il a couté des fommes immenfes. Les principales maifons font grandes, quelques-unes ont les apparte. mens fort dégagés & bien diftribués. Elles ont toutes un étage, outre le rez-de-chauflée. : En-dehors elles font ornées de balcons; mais les portes & les fenêtres, furtout en-dedans, font petites & étroites, dans le goût des Jndiens, qui aiment à bâtir dans les coulées, & à faire de petites por- tes & fenêtres à leurs habitations, fe perfuadant que cela les met davan- tage à l'abri du vent. Je ne prétens pas nier que cela ne puifle être, mais il eft prabable que les E/pagnols n’ont bâti ainfi que par imitation. Les matériaux ordinaires qu’ils employent dans la bâtifle, font les bri- ques crues & la boue, mais la terre en eft de fi bonne qualité que ces ma- tériaux réfiftent autant que deplus folides , pourvu cependant qu’ils ne res- tent pas expofés à la pluye. Les Jndiens, avant la conquête, fe fervoient de cette terre pour bâtir leurs maifons, & toute forte de murailles; on en voit encore des reftes tant aux environs de la Ville qu’en divers au- res endroits de la Province, fans que le tems puifle achever de les dé- ruire : preuve évidente de la folidité des Edifices où l’on employe cette terre, La Ville eft divifée en fept Paroiïfles, qui font e/ Sagrario, San Sebas- tians. San Blas, Santa Barbara, San Roque, San Marcos, & Santa:Prifca. À l'exception de la Cathédrale & du Sagrario, qui font richement pour- vues d’argenterie, d’étoffes précieufes, & d’ornemens d’un très-grand prix, les autres Paroïfles font pauvres à cet égard, & n’ont que.ce qu'il faut abfolument pour le culte: plufieurs même ne font point pavées en-de- dans, & le réfte y répond. La Chapelle du Sagrario eft grande, & bâtie toute de pierre d’une bonne architeéture, aufli belle en-dehors que bien diftribuée en-dedans. Les Couvens de Quito font ceux de St. Auguftin, de St. Dominique, de St. François, & de là Merci, outre un de Recollets, un autre de Do- minicains ; & un autre de la Merci. A ces trois derniers près tous ces Cou- vens font Chefs de Province. Un grand Collége de Ÿéjuites, deux Collé- ges pour les études des Séculiers, l’un fous le nom de St. Louis, où les Téluites régentent, & l'autre de Sun Fernando, fous la conduite des P P. Dominicains, Le Roi a fondé dans le premier douze Bénéfices deftinés pouf VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CHIV, 23 pour les fils des Auditeurs & autres Officiers Royaux. Ce Collége eft une Univerfité, & a St. Gregoire pour Patron. . Le Collége de San Fernando eft de fondation Royale, & a St. Thomas pour Patron. Sa Majefté paye les honoraires des Régens ou Lecteurs; dont quelques-uns font gradués, comme ceux qui enfeignent le Droit Civil, le Droit Canonique, & la Médecine; mais cette derniere Chaire eft toujours vacante, parce qu’il n'y a perfonne qui enfeigne cette Science, quoiqu’on difpenfe du concours. Le Couvent de St. François, .ou des Cordeliers, a une Cafa de Eftudios où Collége, fous le nom de St. Bonaventure, pour les Religieux de l'Ordre: & quoique ce Collége fafle partie du Couvent, il a néanmoins fes Supé- rieurs à part. . Les Couvens de Filles font ceux de la Conception, de Ste. Claire, de Ste. Catherine, & deux de Carmélites déchauf]ces : l'un de ceux-ci a eu fa premiere fondation au Bourg de Latacunga ; mais ayant été renverfé par un tremblement de terre avec le refte du Bourg, les Religieufes fe trans- porterent à Quito & y font reftées depuis, quoique leur Couvent non plus que l'Eglife ne fût pas encore achevé lorfque nous partimes de cette Ville. Le Collége des Féfuites, auffi-bien que tous les Couvens d'Hommes, font grands, bien bâtis, & extraordinairement riches ; les Eglifes richement ornées, grandes & fort décentes. Aux Fêtes folemnelles on y voit bril- ler , comme à la Cathéarale , quantité d’argenterie, qui fert-en même tems à relever la majefté du Culte Divin & à la magnificence de ces T'emples ; les riches tapifferies & les ornemens fomptueux contribuent également à ce double effet. Les Couvens de Filles, fans être fi richement ornés, ne laiffent pas d’avoir de la magnificence. : Il n’en eft pas de-même des Pa- roïffes, la pauvreté s’y remarque par-tout; mais c’eft en quelque maniere par la négligence de ceux à qui la charge en eft commife. L'Hôpital de Quito eft diftribué en Sales, les unes pour les Hommes, les autres pour les Femmes. Quoiqu'il ne foit pas extrémement renté, il a néanmoins de quoi fubvenir aux dépenfes néceflaires. . Cet Hôpital eft dirigé par les Peres Hofpitaliers de Notre Dame de Bethléhem. Autrefois des particuliers en avoient l’adminiftration ; mais la diffipation des deniers caufée par leur négligence ou par leur avarice, a té caufe qu’on y a.Éta- bli ces Religieux, qui depuis qu'ils y font, ont fait bâtir tout leur Cou- vent, une Infirmerie, & une Eglife, qui quoique petite ne Jaifle pas d'ê- tre fort ornée & fort belle. : La Congregation des Religieux Hofpitaliers de Bethléhem a été fondée dans la Province de Guatemala par Frere Pierre de St. Fofeph Betançour, nè au ” 2 224 VOYAGE AU PEROU. au Village de Chafna ou Villa Juerte dans l'Ile de Ténériffe en 1626. 1H étoit fils d’Amador Gongalès de Betancour & d'Anne Garcie. Après fa mort, la Congregation qu’il avoit infutuée, fut approuvée par le Pape Clément X. dans fes Bulles du 2 May 1672, & plus formellement par celles du 2 Novembre 1674. Elle fat depuis érigée en Communauté réguliere par une Bulle d’Innocent XI. datée du 26 Mars 1687, & depuis ce tems elle s’eft accrue & étendue dans ces Contrées, comme un Ordre Religieux. De la Province de Guatemala ce nouvel Ordre s’étoit déjà étendu au Mexique, nfuite à Lima en 1671, où on lui confia l'Hôpital del Carmen. Dans la Ville de St. Michel de Piura il prit pofleffion de l'Hôpital de Santa Ana, le 20 d'Oétobre 1678, & à Truxillo de celui de San Sebaftian au mois de Juillet 1680. Enfin diverfes autres Villes & Bourgs ont appellé ces Re- ligieux pour avoir foin de leurs Hôpitaux, & depuis peu d’années la Vil- je de Quito a fuivi cet exemple. Ces Moines font déchauflés. Leurs habits font de bure, d’un brun obfcur , & peu différens pour la forme de ceux des Capucins, auxquels ces Religeux reflemblent encore par la barbe. Sur un des côtés du manteau ils portent l’image de Notre Dame de Bethléem. Tous les fix ans ils affemblent leur Chapitre alternativement au Mexique & à Lima, pour élire leur Gé- néral. Qui voudra en favoir davantage fur ce fujet, n'a qu’à lire l'Ouvra- ge de Fr. ofeph Garcia de la Conception, intitulé Hifloria Bethlemitica , im- primé à Seville en 1723, ou celui du Doéteur Medrano, qui a pour titre Vida del Padre de Betancour. L'Audience Royale eft le premier Tribunal de Quito. Elle y fut éta« blie en 1563. Elle eft compofée d’un Préfident, qui eft en même tems Gouverneur de toute la Province; de quatre Auditeurs, qui font en mé- Roi, ainfi nommé parce qu’outre qu’il connoît des affaires qui reflortis- fent à l’Audience, il concourt aufi dans tout ce qui eft du reflort du Bu- reau des Finances du Roi, & des autres Droits du Souverain. Il y a un autre Fifcal avec titre de Prote&eur des Indiens, prépofé pour la défenfe de cette Nation, & qui plaide pour eux devant lAudience. La Juris- diétion de celle-ci s'étend fur tout ce qui appartient à la Province. On ne peut appeller de fes jugemens qu'au Confeil Suprême des Indes, & feulement dans le cas de déni de Juftice, ou d’injuftice notoire. Après l’Audience Royale vient la Chambre des Finances ou Caifle Royale , compofée d’un Maître des Comptes, d'un Tréforier, & du Fifcal du Roi. Les deniers qui entrent dans ces Caifles, fonc les Tributs des VOYAGE AU PEROU. Lav. V. Cr. IV. 22$ des Indiens de ce Corrégiment & de ceux d’Orobalo, de la Ville de Sr. Michel d’Ibarra, de Latacunga, de Chimbo, de Re & des Impôts de ces mêmes Bailliages : ; à quoi il faut ajoûter Fe Droits de Douane des Magazins de Babahoyo, Yaguache, & du Caracol, Les fommes provenant de tous ces droits font envoyées en partie à Cart bagéne & à Santa Marta, & en partie employées aux penfions du Préfident, des Auditeurs, du Fifcal Royal, & du Protecteur des Jndiens, des Corrégidors, des Cu- rés, des Gouverneurs de Mayuas, & de Quijos; une troifiéme portion eft deftinée aux payemens des Commanderies à ceux qui les poffédent, & : des Cacicats pour les Caciques des Villages. Il ya un Tribunal de la Croifade, compofé d’un Commiflüire, qui eft ordinairement un Chanoine, ou quelque autre Eccléfiaftique conftitué en dignité du Chapitre de la Cathédrale; & d’un ‘Fréforier, par les mains de qui paflent toutes les affaires appartenant à la Croifade. Outre cela il y a une Tréforerie des Biens des Morts, établie ancienne- ment dans toutes les Indes pour avoir foin des fonds délaifés par des per- fonnes dont les héritiers étoient en ÆE/pagne, & empêcher que lesdits fonds ne fuflent diflipés ou aliénés au préjudice des intéreflés: Inftitution vraiment Chrétienne, fi elle étoit obfervée de maniere que les fonds ne fouffrifflent pas de grandes diminutions avant d'arriver à ceux à qui ils appartiennent. Il ne faut pas oublier parmi les Tribunaux, le CommifJariat de lInqui- fition, compofé d’un Commiflaire, d’un Æ/guazil Mayor, & des Fami- liers du Saint Office, tous nommés par l’Inquifition de Lima. L’Ayuntamiento,ou Corps de Ville, confifte en un Corrégidor, en deux Alcaldes ordinaires qui font nommés annuellement , & en Régidors. Ceux- ci ont le droit d’élire les Alcaldes: cérémonie qui ne caufe pas peu de rumeur dans cette Ville, attendu qu’elle eft divifée en deux factions, l'une compofée des Créoles, Yautre des Européens ,ou Chapetons. Ces deux Partis font fi oppofés l’un à l’autre, qu’ils ne peuvent vivre en bonne 2- mitié. C'eft le Corps de Ville qui nomme & élit encore l’Ælcalde Mayor des Indiens de Quito, qui eft toujours pris parmi les Governadores où Caci- ques des Villages fitués à 5 lieues autour de cette Ville. Le même Corps de Ville nomme d’autres Alcaldes inférieurs pour le maintien de la Police, & ces Alcaldes, ainfi que l'Alcalde Mayor des Indiens, ne font autre chofe que les Alguatils du Corrégidor & des Alcaldes ordinaires, quoique dans leur premiere inftitution ils ayent eu plus d'autorité. Ilya d’autres AL caldes Zndiens nommés Alcaldes de Harrieros , où des Woituriers, prépo- Tome I. F f {és 6 AND VAGE AU PERO D fés pour avoir foin de faire fournir des mules aux Voyageurs; & quoique tes uns & les autres doivent être fubordonnés à l’'Alcalde Mayor des In- diens, on peut dire que ce n’eft que dans le droit; car dans le fait il n’a s la moindre autorité fur eux. Le Chapitre de la Cathédrale eft compofé de l'Evêque, d'un Doyen, d'un Archidiacre, d’un Chantre, d’un Ecoltre, d’un Tréforier, d’un Doétoral, d’un Pénitencier, d’un Magiftral, de trois Chanoïnes de Préfen- tation, de quatre appellés Prébendiers, & de deux Demi-Prébendiers. Leurs revenus font fixes ; ceux de l’'Evêque montent annuellement à 24000 écus. La dignité de Doyen en rapporte 2500. Les quatre dignités fuivantes 2000 chacune. Les fix Canonicats 1500, les Prébendes 600 écus, & les Demi-Prébendes 420. Le Siége Epifcopal de Quito fut fondé en 1545. On célébre dans l'Eglife Cathédrale avec une magnificence toute particuliere la Fête-Dieu, & celle de la Conception de la Sainte Vierge; tous les Tribunaux & toutes les Perfonnes de diftinétion de la Ville y afliftent. Je ne crois pas devoir pañler fous filence quelques cir- conftances de la premiere, & furtout la pompe avec laquelle on porte en proceffion le Saint Sacrement, &les danfes des Indiens qui l'accompagnent. Les rues par où il doit pafler font tendues de magnifiques tapifleries, or- nées d’Arcs de triomphe, &'d’Autels de diftance en diftance. On y voit briller les plus beaux ouvrages d’orfévrerie & les plus riches joyaux. La Proceflion commence avec un cortége tel qu’on peut fe l'imaginer, & achéve fes ftations avec non moins de magnificence que de folemnité. A l'égard des Danfes des Indiens, il faut favoir que c’eft la coutume dans les Paroifles de Quito, ainfi que dans toutes celles de la Sierra, ou Pays des Montagnes, que les Curés nomment, un mois avant la célébration de cette Fête, un certain nombre d’Andiens pour former ces danfes. Ceux- ci s’exercent à bien jouër leur rôle, & répétent les danfes, qu’ils confer- vent encore depuis leur Paganifme. Un Indien touche d’un tambourin & d'une flûte, & les autres font quelques pirouettes affez maladroïitement, & voilà toute leur danfe, qui affarément n’a rien d’agréable à la vue. Ils s’affublent d’un pourpoint fait en maniere de tonnelet, avec une camifole, & un jupon plus ou moins riche, felon les facultés de chacun: fur leurs bas ils mettent des bottines ou brodequins piqués, & garnis d'un bon nombre de grelots fort gros: ils fe couvrent la tête & le vifage d’un grand mafque fait de rubans de diverfes couleurs. Dans cet équipage ils fe donnent eux-mêmes pour des Anges, quoiqu’ils n'en ayent guere la mr ne. Ils fe joignent par bandes de huit ou dix, & pañént les jours entiers 4 pa VOYAGE AU PEROU. Lrv. Ÿ. CH V. 229 a courte les rues au bruit de leurs grelots, & s'arrétant à chaque inftant ils font leurs danfes en grande confufion. Ce qu'il ya de plus fingulher en tout cela, c'eft que fans être payés, ni autre motif que leur propre goût, ils foutiennent cet exercice fans fe lafler, depuis quinze jours avant la Fête jufqu'au-delà d’un mois après qu'elle eft pañlée, ne fe fouciant ni de tra- vaillér, n1 d’aucune autre chofe, & continuant ainfi du matin jufqu’au foir ils ne s’ennuyent point, tandis que les Spectateurs paroiflent excédés d’ennui de voir toujours les mêmés objets. Ils paroïffent dans le mêmé équipage à toutes les autres Proceflions, de- même qu'aux Courfes des Taureaux, tems folemnels pour cuXx, en ce qu'ils font alors difpenfés de travailler. Les Magiftrats & le Chapitre de la Cathédrale célébrent annuellement deux Fêtes à l'honneur de Notre-Dame, dont on conferve deux images, l'une à Guapulo, & l'autre à Quinche, Villages de la jurisdiction du Cor- régidor de Quito. Ces deux images font apportées avec beaucoup de dé. votion dans cette Ville, où l’on fait à cette occafion une grande fête & une neuvaine; le premier jour , l'Audience & tous les autres Tribunaux afliftent à la cérémonie; après que tout eft fini les images font reportées dans leurs Eglifes, dont l'une eft à une lieue & lautre à fix de Quito. Ces démonftrations pieufes n’ont d’autre origine que les tremblemens de ter- re & les vomiffemens du Volcan de Pichincha, lefquels exciterent la dé- votion des habitans de Quito, qui implorerent à cette occafion l'intercef. fion de la Très-Sainte Vierge, & par-là furent exemts du malheur qu’é- prouverent les Bourgs de Latacunga ,de Hambato, & une grande partie de Riobamba , lefquels furent entiérement détruits , tandis qu'à Quito il n’eft arrivé aucun accident ficheux, quoique ces tremblemens s’y foient fait fentir aufli forts & auf fréquens que dans ces autres endroits. GONE ONLINE AIO IE EMI D SPRL LUS ESRI CEE ARE AR: EI Des Habitans de Quito, de leurs différentes Claffes , de leurs Murs, de leurs Richeffes. À Ville de Quito eft fort peuptée : on compte des Familles fort diftin- guées parmi fes habitans, quoique le nombre de ces familles ne foit pas grand eu égard à l'étendue de la Ville, où le nombre des pauvres & des gens de la moyenne clafle eft à proportion beaucoup plus grand. Ces fa- Ff2 milles 228 V OT AGE AU T PERD D: milles coivent leur origine ou aux premiers Conquérans, ou à des Préfi- dens, ou à des Auditeurs, ou à des Perfonnes confidérables venues d’Es- pagne en diverfes occafions. Ces Maifons fe font confervées dans leur luftre , en s’alliant entre elles fans fe méler avec des gens du commun. Les habitans de bafle condition, ou petit-peuple, peuvent être diftin- gués en quatre claffes, favoir les Ejpagnols ou Blancs, les Métifs, les Zn- diens où Naturels du Pays, & les Négres & leurs defcendans, lesquels ne font pas en fort grand nombre en comparaïfon de quelques autres Villes des Inces ; car il n’eft pas aifé d’amener des Négres jufqu'à Quito, & d'ail. Jeurs ce font les Indiens qui cultivent les Terres en ce Pays-la. Par le nom d’E/pagnol on n'entend pas ici un Chapeton ou Européen, mais proprement un homme né de Parens E/pagnols fans nul melange d’au- tre fans. Plufeurs Métifs paroïflent plus Æ/pagnols que ces E/pagnols-là ; car ils ont la peau blanche & les cheveux blonds; c’eft pourquoi aufi ils font confidérés comme E/pagnols , quoiqu’ils ne le foient pas réellement. Après avoir ainfi déterminé les familles qui jouiflent du privilége de la couleur blanche, on pourra les regarder comme faifant la fixiéme parte des habitans de Quito. On appelle Métifs où Métices, ceux qui font iMus d'Efpagnols & d’In- diens: il faut les confidérer felon les mêmes degrés déja expliqués à l’arti- cle de Carthagéne à Yégard des Noirs & des Blancs ; avec cette différen- ce, que les degrés des Métifs à Quito ne montent pas fi haut, étant répu- tés Blancs & Æ/pagnols dès la feconde ou troifiéme génération. La cou- leur des Métifs eft obfcure, un peu rougeâtre, mais pas tant que celle des Mulîtres clairs *; c’eft-la le premier degré, ou la procréation d’un Efpagnol & d'une Indienne: quelques-uns néanmoins font aufñli hâlés que les Indiens mêmes, & ne différent d'avec eux que par la barbe qui leux vient: au-Ccontraire 1l y en a qui tirent fur le blanc, & qui pourroient être regardés comme Blancs, s’il ne leur reftoit certaines marques de leur ori- gine, qui les décélent, quand on y prend garde. Ces marques, font un front fi étroit que leur cheveux paroiffent toucher à leurs fourcis, & oc- cupent les deux temples, fe terminant au-deflous de l'oreille: ces mé- mes cheveux font d’ailleurs rudes, gros, droits comme du crin, & fort noirs. Ils ont le nez petit & mince avec une petite éminence à l'os, d'où 3l fe termine en pointe, & fe recourbe vers la lévre fupérieure. Ces fi- gnes, aufli-bien que quelques taches noires qu’ils ont fur le corps, décé- lent * faut obferver, pour bien entendre ceci, que la peau des Indiens eft rougeätre, & d'une couleur affez femblable à celle du cuivre. Not. du Trad. VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cn. V. lent ce que la couleur du tein femble cacher. Au-refte les Métifs font à peu près le tiers des habitans de cette Ville. L'autre tiers eft compofé d’Indiens , le refte qui fait comme un ffixiéme, eft compofé d’un mélange de diverfes races. Toutes ces claffes prifes enfsmble font, felon les calculs les plus avérés & conformes aux Kégîtres des Paroïfles, le nombre de 50 à 60000 âmes que cette Ville contient. On conçoit que parmi ces quatre efpéces de gens, les E/pagnols font les plus confidérés: mais il faut tout dire, ils font aufli les plus pauvres & les plus miférables ; car ils aiment mieux être gueux que de travailler de leurs mains; & ils croiroient en exerçant une profeflion ou métier, avilir leur dignité; laquelle confifte à n’être ni noirs, ni bruns, ni couleur de cui- vre. Les Métifs moins orgueilleux apprennent des métiers, & s’appli- quent aux Arts: ils deviennent Orfévres, Peintres, Sculpteurs & autres chofes femblables; laiffant néanmoins aux Zndiens les métiers trop mé- chaniques & moins eftimés. Ils excellent dans ces profeffions, particulié- rement dans Ja Peinture & la Sculpture; & l’on a vu un Métif Peintre nommé Miguel de Santiago, dont les ouvrages ont été eftimés en Es- pagne , & même à Rome, où quelques-uns de fes tableaux font parvenus. Îls ont un talent fingulier pour imiter tout ce qu’ils voyent ,& font beau- coup moins propres à l'invention qu’à limitation. Ce qu'on doit le plus admirer, C’eft qu’ils puiffent réufir aufli-bien qu'ils font, n'ayant pres- qu'aucun des Inftrumens convenables aux ouvrages qu'ils entreprennent, H faut avouer aufli qu’ils ont un panchant extrême à la pareñle, & que la fainéantife eft le caraétere qui les domine ; deforte que très-fouvent ils quittent leur travail, pour fe promener des jours entiers d’une rue à l'au- tre fans rien faire. Les Indiens font fujets au même défaut. Comme ils font la plupart Cordonniers, Maçons, Tiflérands, &c. c’elt à eux qu'ils faut s'adreffer pour ces fortes d'ouvrages. Ils font Barbiers, & faignent aufi adroitement qu’en Europe. Mais leur fainéantife eft telle que pour avoir une paire des fouliers, après avoir attendu longtems, il faut envoyer prendre l'Indien, lui donner tous les matériaux néceffaires, & P'nfermer jufqu’à ce que les fouliers foient faits. Une chofe qui ne COn- tribue pas peu à leur pareffe, c’eft la coutume qu’on a de payer les ou- vrages avant qu’ils foient faits. Dés-que l’'/ndien a reçu ainfi fon falaire d'avance, il fe met peu en peine de faire l'ouvrage & ne fonge qu'à fe rigoler avec la Chicha *: il ne fort de fon ivrefle que lorfqu’ii n’a plus d’ar- # Sorte de Biére de Maïz mäâché par de vieilles femmes, Elle enivre facilement. N. d. T4 nb Se 230 V O:Y A GE) AIS PE MO U d'argent; après cela il n’eft pas aïifé de ravoir cé qu'on lui a donné, il faut attendre qu'il lui plaïfe de faire l'ouvrage pour lequel il a été payé. Les habitans de Quito s’habillent un peu différemment de la maniere d'Efpagne , les hommes moins encore que les femmes. Ceux-là portent fous la cape une cafaque fans plis, qui leur defcend jufqu’aux genoux ; les manches fans paremens, ouvertes par les côtés; fur toutes les coutus res du corps & des manches il y a des boutonnieres & deux rangs de bou- tons pour ornement. À cela près les Gens de qualité font vétus magnifis quement d'étoffes d’or ou d'argent, de drap fin, & de tout ce qu'il y a de plus beau en étoffes de laine & de foye. L'habillement des Métifs eft tout bleu, & de drap du Pays; & quoi- que les E/pagnols du bas étage tâchent de fe diftinguer de ces gens-là , foit par la couleur, foit par la qualité du drap, il y a en général peu de diffé. rence à cet égard entre les uns & les autres. S'il y a un habillement qui femble fingulier à force d’être chetif & pau vre, c’eft celui des Zndiens: car premiérement ils ont dépuis la ceinture jufqu'’au milieu de la jambe une maniere de chauffes ou de caleçons de toile blanche de coton fabriquée dans le Pays, quelquefois auffi de toile d'Eu- rope: la partie inférieure de ce caleçon, qui va le long de la jambe, eft ouverte, & garnie tout autour d’une dentelle proportionnée à la grofié- reté de la toile. La plupart ne portent point de chemifé, & fe couvrent le corps d’une chemifette de coton noir tiffue pour cet ufage. Cette che- mifette a la forme d’un fac, au fond duquel il y a trois trous, l’un au mi- lieu, les autres deux à chaque côté; le premier fert à pañler la tête, & les deux autres à pañler les bras, qui reftent nuds, & le corps eft cou- vert par la chemifette jufqu’aux genoux. Par-deflus cela ils mettent un Capilayo, qui eft une efpéce de manteau de ferge, au milieu duquel eft un trou pour palier la tête, fur laquelle ils mettent un chapeau fabriqué dans le Pays, & voilà leur plus pompeux équipage, qu'ils ne quittent pas même pour dormir. Jamais ils ne changent de mode, jamais-ils n’ajoû- tent. rien à leur habillement ordinaire, jamais ils ne fe couvrent les jam- bes, &ne portent de fouliers, & cependant ils vont également dans les lieux froids & dans les lieux chauds. Les Zndiens, qui font un peu plus à leur aife, & furtout les Barbiers & ceux qui faignent, fe diftinguent un peu des autres, en ce que léurs caleçons font de toile plus fine; ils portent des chemifés | mais fans manches: Au- tour du col de la chemifette eft attachée une dentelle d'environ quatre doigts de large, laquelle forme-une efpéce-de fraife, en fe rabattanc fur la [Ts TEE Adenne de destirtion. se Paysan Z der ST 7ôter Znden. C. Tnderre du @ LOL PS | SIHÈSSESS = < 3 SSS JFK DS JT S SES RS & RÈ RSS à SSS = RS | j{l! | ee : æ = - == = = «M Punt delin.£ët DR77/ 2 L | 1.Sparierinnaus Quito . | 3 Lrdraneher Badbier . Ex v/ ndanycher Bauer . 4 22 A > : k 4 . - + . . 2. Vornehme Indianerinr.. «Mestiza aus Quito . lé. Gemeine ZJndanerinn. 232 VO YA GEAU P LRO'U. & noir , qu'elles nomment Liclla , & voilà tout leur ajuftement ; leurs brag reftent nuds de-même que leurs jambes. Les Caciqueffes ,c'eft-à-dire, les Femmes des principaux Zndiens, Alcaldes Mayores, Gouverneuïs, & autres, s’habillent d’une troifiéme maniere, qui eft un compofé des deux précédentes, & confifte en une efpéce de jupon de Bayéte, garnie de rubans tout autour, & par-deflus laquelle el- les mettent au-lieu d’Anaco une robe noire qu'elles nomment Acfo, & qui leur defcend depuis le chignon en-bas: il eft ouvert par un côté, pliflé de haut en bas, & ceint avec un cordon au-deflus des hanches, de maniere qu’il ne croife pas comme la Jupe ou Faldellin. Au-lieu de la Liiclla que les Indiennes du commun portent fur les épaules, elles en portent une beaucoup plus grande qui leur defcend depuis le cou à peu près jufqu’au bout du ju- pon. Elles l'arrêtent par-devant fur la poitrine avec un grand poinçon d’ar- gent nommé Tupu, comme les épingles de l Anaco. Elles fe.couvrent la tête d’un linge blanc, plié en divers doubles, dont le bout pend par derrie- re, & donnent à ce linge le nom de Colla. Elles s’en fervent pour orne- ment, pour fe diftinguer, & pour fe garantir du Soleil; mais ce qui les diftingue le plus, c’eft qu’elles portent des fouliers. Cet habillement, & celui des autres Indiens & Indiennes, eft le même qu’ils avoient coutume de porter du tems de leurs Jncas: celui-là étoit particulier aux Gens de diftinétion, & celui-ci étoit propre aux perfonnes du commun. Les Ca- ciques ne font pas aujourd’hui habillés autrement que les Métifs; ils por- tent la cape, le chapeau, & des fouliers, c’eft tout ce qui les diftingue des Indiens du commun. Les Hommes de ce Pays, tant Créoles qu'E/pagnols, font bien faits & bien proportionnés. Les Métifs font en général d’une taille au-deflus de la médiocre, & trés-bien bâtis. Les Indiens & Indiennes ñe font pas grands, mais ils font aflez bien faits, quoique courtauds & trapus. A-la- vérité il y en a quantité qui font monftrueux à force d’être petits, d'au- tres qui font imbécilles, muëts, aveugles, & d’autres à qui il manque quelque membre en naïffant. Ils ont la tête bien fournie de cheveux qu'ils ne coupent jamais, & font accoutumés de les laïfler flotter, fans jamais les attacher, ni aflujettir en aucune maniere, pas même pour dormir. Les femmes enveloppent les leurs dans un ruban, rejettant fur le front ceux qu’elles ont depuis le milieu de la tête en avant, & les coupant à la hau- teur des fourcis depuis une oreille jufqu’à l’autre. Ils confiderent leurs cheveux comme faifant partie d'eux-mêmes, &c'eft pour cela qu'ils ne les coupent jamais, regardant comme la plus cruelle injure qu'on leur puifle VOYAGE AU PERO US Em Viek V. a de puifle faire , celle de les priver de leur chevelure ; deforte que ne fe plai- gnant point des autres châcimens que leurs Maïtres leur i igent, ils ne leur pardonnent jamais celui-là. Auffi cetie peine n’eft-elle permife que pour des crimes graves. Ces cheveux font d'un noir foncé, & pour-" roient plutôt être appellés des crins que des cheveux, tant ils font rudes & grolliers. Pour fe diftinguer des Indiens, les Métifs fe coupent tout- à-fait les cheveux; mais les femmes de la meme race n’imitent pas cet exemple. Les Indiens n'ont jamais de barbe; car je ne crois pas qu'on veuille donner ce nom à quelques poils fort courts & fort rares, qui leur viennent par-ci par-là dans un âge avancé: les hommes ni les temmes parmi eux n'ont jamais ce poil folst, qu'ils devroient avoir généralement après avoir atteint l'age de puberté, Les Jeunes-gens de diftinétion dans ce Pays s'appliquent à l’étude de la Philofophie & de la Théologie; quelques-uns étudient la Jurifprudence fans en vouloir faire profeflion. Ils réuffiflent affez bien dans ces Scien- ces, mais ils font d’une ignorance extreme dans les Matieres Politiques, PHiftoire, & les autres Sciences Humaines, qui contribuent tant à for- mer l’efprit, & à l'élever à un degré de perfection où il ne peut arriver lorfqu'il eft dénué de ces lumieres. Tout cela ne vient que du peu d’oc- caïons que les Jeunes-gens ont de fréquenter des perfonnes inftruites de ces Sciences, & en état de les en inftruire eux-mêmes; car les Marchands que le Commerce attire dans ces Pays, ne font pas au fait de ces chofes : deforte qu'après 7 ou 8 années d'étude dans les Colléges, ces Jeunes-gens n’ont rien appris qu'un peu de Scholaftique, & ignorent parfaitement tou- tes les autres Sciences. Cependant la Nature leur a donné toutes les dis- poñtions néceflarres pour réuilir fans beaucoup de travail dans tout ce qu'on leur enfeigne. : Les Femmes de diftinétion joignent aux agrémens de leur figure un ca- ractere de douceur , qui eft général chez ce Sexe dans toutes les Zndes: les enfans font pour ainfi dire élevés fousles aîles de leurs Meres, & l'éducation qu’ils en reçoivent n’eft propre qu’à leur infpirer des fentimens de vanité & d'orgueil: l'amour immoderé qu’elles ont pour eux, va jufqu'a leur voiler leurs vices, ce qui eft la perte des Jeunes-gens, la ruine des bon- nes Mœurs, & l’écueil de la Raifon. Non feulement ces Meres aveugles ne veulent point voir les folies & les écarts de leurs enfans, mais même n’oublient rien pour les cacher aux Peres, qui pourroient y mettre ordre. On obferve qu’il y a dans ce Pays beaucoup plus de femmes que d'hommes ; & cela eft d’autant plus remarquable, que les hommes ne voyagent ni ne Tome LI. G g s’abfen- s’abfentent point ici, comme il eft ordinaire en Europe. On voit des famil- les chargées de filles, & peu de garçons. Le tempérament même deshom- mes, furtout ceux qui ont été élevés délicatement, s’affoiblit dès l'âge de trente ans; les femmes au-contraire deviennent plus fortes & plus ro- buftes après cet âge. Le Climat peut être caufe de cette différence, & les alimens y contribuent peut-être aufli: mais je fuis perfuadé que ce qui y a le plus de part, c’eft la débauche à laquelle on fe livre, pour ainfi dire, dès l'enfance; car de-la vient que l'eftomac perdant fa vigueur, n’a plus la force néceflaire pour faire la digeftion; deforte que plufñeurs perfonnes rendent demie-heure, ou une heure après le repas , tout ce qu'ils ont mangé, foit que cela arrive par la force de l’habitude, ou par le moyen de quelque drogue; s'ils manquent un jour à le faire, ils s’en trou- vent incommodés. Mais quoiqu’accablés d’infirmités, ils ne laiflent pas de vivre l’âge ordinaire, on en voit même de fort vieux. L’unique exercice que font les Perfonnes de diftinétion qui n’ont point pris le parti de l'Eglife, eft de vifiter de tems en tems leurs Biens de campa- gne,& d’y pafler tout le tems de la récolte. Il eft rare que ces Perfonnes s'appliquent au Commerce ; ils l’'abandonnent aux Chapetons , ou Européens, qui font des voyages, & fe donnent des mouvemens pour le Négoce, dont la parefle des Créoles ne s’accommoderoit point: il y en a néanmoins quelques-uns de ceux-ci, & même quelques Métifs, qui ont des boutiques dans la Ville où ils revendent en détail. Ce desœuvrement général, fuite de la parefle & de la fainéantife na- turelle, le manque total d'éducation chez les gens du commun, joint à l'oifiveté, augmente en eux ce goût général dans toutes les Zndes pour les danfes qu’ils nomment Fundangos. Ces danfes font plus fréquentes & plus licentieufes à Quito que nulle autre part. Les poftures indécentes y font pouflées au plus haut degré d’abomination qu’on puifle imaginer, & le defordre qui en réfulte eft égal. Ces fortes de divertifflemens font célé- brés avec une profufion d'Eau-de-vie de Cannes & de Chicha, dont les effets troublent d'ordinaire defaftreufement la fête. Au-refte ceci ne re- garde point les Perfonnes de qualité; ce ferait leur faire tort que de les accufer de tels excès. L'Eau-de-vie de Cannes eft une boïflon très-commune dans ce Pays, -avec cette différence que les honnêtes-gens en ufent modérément; on la prépare ordinairement en Roffolis, & on la fert dans les Feftins. On la préfere au Vin, qu’on dit être pernicieux. Les Chapetons s'accoutument auffi à cette liqueur, le Vin qu’on apporte de Lima étant fort cher & fort VOYAGE AU PEROU. Liv. V. CH. V. fort rate; mais ils préferent l'Eau-de-vie de Vin à celle de Cannes. Les effets de cette boiflon fe remarquent comfimunément parmi les Métifs, car ce font eux qui en confument le plus; ils en boivent à toute heure, & ne ceflent d'en boire que quand leurs finances font à fec. Les Æ/pagno- les de baffle condition & les Métives en boivent auffi à l'excès, & réfis- tent plus à l'ivrefle qu’on ne devroit l'attendre de leur fexe. Le Maté eft encore une boiflon fort commune en ce Pays-là, elle y tient la place du Thé, quoique la maniere de le prendre foit fort diffé: rente. Elle eft compofée de l'Herbe connue dans toute cette partie de l'Amérique , fous le nom d’Herbe du Paraguay, parce que c’eft de-là qu'el- le vient. Pour la préparer ils en mettent une certaine quantité dans une coupe de Calebaffe armée d'argent, laquelle ils appellent Maté, ou Totu- mo, où Calabacito; ils jettent dans ce vafe une portion de fucre, & ver- fent un peu d’eau froide fur le tout, afin que l'herbe fe détrempe, enfui- te ils empliffent le vafe d’eau bouillante : & comme lherbe eff fort menue, ils boivent par un tuyau, afflez grand pour que l’eau puiffe couler, mais trop petit pour que l'herbe puiffe paffer en même tems. A-mefure que l’eau diminue on la renouvelle, ajoûtant toujours du fucre, jufqu’a ce que l'her- be ne furnage plus à l'eau; alors on en met une nouvelle dofe. Ils ÿ mé- lent fouwent du jus d'Orange amere, ou de Citron, & des fleurs odorifé- rantes. Cette boiflon fe prend ordinairement le matin à jeun; il ya néanmoins des gens qui en prennent encore l’après-diné. Il fe peut que lufage de cette boiflon foit falutaire; mais la maniere de la prendre eft extrêmement dégoûtante; car quelque grande que foit une Compagnie, chacun boit par le même tuyau, & tour à tour, jufqu’à ce qu’on en ait aflez, faifant ainfi pafler le Maté de lun à l’autre. Les Chapetons ne font pas grand cas de cette boiflon, mais les Créoles en font paflionnément friands. Quand ils voyagent, ils en ont toujours provifion, & ne man- quent jamais d’en prendre chaque jour, la préférant à toute forte d’ali- mens, & ne mangeant jamais qu'après lavoir prife. Il n’y a point de vice que l'oifiveté n’enfante, ni defœuvrement d’où il ne naïfle quelque vice. Cela étant, quels vices ne doivent pas régner dans un Pays, dont la plupart des habitans ne s'occupent à rien d’utile, qui puifle détourner leur imagination des objets qui la féduifent. Nous avons déjà vu que l'ivrognerie eft un des vices dominans des habitans de ce Pays; mais que dirons-nous de leur paffion pour le jeu? Paffion fi gé- nérale, que les perfonnes les plus diftinguées, & les plus refpcétables pat leurs emplois, n’en font pas exemtes, & à leur imitation œux d'un moin- Gg 2 dre dé NV QMAGE AU PEROU. dre état la pouflent jufqu’a la fureur, jouant tant qu’il leur refte de quoi jouer; les uns perdant les fonds qu'ils ont, & les autres l’habit qu'ils portent, & fouvent même celui de leurs femmes. Quelques-uns ont at- tribué ce panchant général qu'on a pour le jeu dans la plus grande partie des Indes, à des caufes qui me paroïflent peu probables ; & je füis per- fuadé qu'il n’en faut chercher la fource que dans l'oifiveté, la pareffe, Ja fainéantife ; car l’efprit n’étant occupé à rien, cherche naturellement quelque chofe qui l'amufe & qui l’intérefle. _ Le petit-peuple, & furtout les Zndiens, font extrêmement portés au larcin, & volent ordinairement avec adrefle : les domeftiques mêmes ne font pas exemts de ce défaut. De-là vient la méfiance des Maîtres à leur égard. Les Mérifs, quoique naturellement poltrons, font néanmoins de hardis filoux. Rarement ils attaquent quelqu'un en rue, même à heure indue: mais ils font fubtils à enlever les chapeaux, ce qu’ils appellent vo- larlos , qui veut dire s'envoler avec, comme ils font en effet, & fi vite que d'ordinaire celui qui a été volé ne fauroit dire par quel côté s’eft enfui le voleur. Ces fortes de vols paroiïflent d’abord de peu de conféquence, ils ne laiffent pourtant pas d’être quelquefois confidérables: en effet les Gens de condition & même les fimples Bourgeois, qui ont quelque bien, & qui portent la cape, ont des chapeaux blancs de Caftor qui coutent 15 à 20 écus de ce Pays-la. Le bas de la forme de ces chapeaux eft entouré d’un cordon d'or ou d’argent arrêté par une boucle de diamans ou d’éme- raudes, ou d’autres pierres fines montées en or. Il s’eft commis quelques vols fur les grands-chemins, mais les exemples en font rares. On peut même mettre ces fortes de vols au rang des vols domeftiques, ayant été commis, ou par les muletiers, ou par les valets. Quand les voleurs veu- lent faire quelque grand coup dans la Ville, ils profitent de l’obfcurité & du filence de la nuit, & appliquent le feu à la porte des boutiques ou des magazins où ils fe figurent qu’il doit y avoir de l'argent, & y ayant fait une ouverture fuffifante pour pafler t homme, l’un d’eux y entre & les autres reftent dehors pour mieux cacher leur jeu, jufqu’à ce que l’au- tre ait fait fon coup. Pour éviter ces accidens , les Marchands entretien- nent une Compagnie de gens armés, qui doivent patrouiller toute la nuit dans les rues où ces fortes de cas font à craindre: par-là les boutiques font en fureté, & fuppofé qu’il arrivât quelque accident pareil, le Capitaine de la patrouille eft obligé de bonifier tout ce qui a été dérobé dans les boutiques confiées à fes foins. Les Zndiens, ni les Métifs, ni toute la canaïlle de Quito, ne croyent pas VOYAGE AU PEROU. Lay. V. GE vb pas que ce foit dérober que de prendre les chofes comeftibles. Si un Z- dien fe trouve par hazard dans un lieu où il y a de l'argenterie ‘ou autres effets, il s'approche tout doucement, & après avoir examiné fi perfonne ne le voit, il en prend une piéce feulement, & choifit toujours Ja moins précieufe, fe flatant qu’on s en appercevra d'autant moins. Diés-qu’une fois il s’en eft faifi, s’il vient à être découvert, fût-il même pris fur le fait, il nie toujours par un mot extrêmement expreffif dans fa Langue, & qui s'eft introduit dans la Langue Æ/pagnole que l'on parle dans ce Pays. Cet mot eft Tanga, qui eft une réponfe à la queftion que l’on fait fur le vol, & fignifie, Jans néceffité, Jans profit, fans mauvaile intention. Et ce mot fert à une infinité d’excufes & de défaites, & à prouver que le vo- Jeur n’eft point coupable. Si l'Jndien n’a point été apperçu, & qu’on n'ait contre lui que des foupçons violens, il n’eft pas poffible de les conftater; car jamais il n'avoue; c’eft-là une coutume générale parmi cette Nation. Le Langage qu'on parle à Quito, & dans les autres lieux de la Provin- ce, n'eft point uniforme; la Langue E/pagnole y eft auffi commune que l'Indienne, & les Créoles parlent autant l’une que l’autre. En général il y a dans toutes les deux un mélange de beaucoup de mots pris de l’une ou de l'autre. La premiere que les Enfans parlent, eft l Indienne > parce que c'eft la Langue de leurs nourrices, qui pour l'ordinaire ne parlent ni n’en- tendent l’E/hagnol, deforte qu’il eft rare qu’un Enfant fache parler E/pa- gnol avant l’âge de cinq à fix ans, & même dans la fuite ils fe font un jargon où ils mêlent indifféremment les expreflions de l’une dans l’autre ; ce qui arrive même aux Européens qui font parvenus à parler la Langue du. Pays. Surtout ils en contractent la coutume de parler dans un fens imperfonnel , coutume fi générale qu'elle s'étend jufqu’aux perfonne les plus qualifiées. Outre qu’il leur eft ordinaire d'employer des termes impropres, de maniere que quand on n’y eft pas fait, un Efpagnol a be- foin d’un Interpréte pour entendre l’E/pagnol qu'ils parlent. La fomptuofité des Enterremens dont nous avons parlé en d’autres en- droits,n’eft rien en comparaifon de ce qui fe pratique à Quito en ces occafions. La pompe & le luxe y font poulfés à l’excès, & ruïnent bien des maifons, par une funefte vanité qui fait que l’un ne veut pas céder à l’autre en ma- gnificence. On peut dire à ce propos & avec raifon, que ces gens-là n’a- maflent du bien pendant leur vie que pour pouvoir fe faire enterrer après leur mort. Pour peu que le défunt laiffe de bien, il faut que toutes les Communautés Religieufes, le Chapitre même de Ja Cathédrale, affiftent à fon enterrement. Î faut que la pompe funébre fe faffe au double fon des cloches Gy 3 de js NO NII E AU PEROU. de toutes les Eglifes. Ces obféques fe font après avec le même appareil, &l'anniverfaire au bout de l'an. C’eft une affaire importante pour l’'orgueil des habitans de n’être pas enterré dans leur Paroïifle, & cette manie s’é- tend jufqu'au menu -peuple qui n'a que fa mifere pour appanage. On n'oublie pas l'offrande aux obféques ou à l’anniverfaire: elle confifte en des brocs de vin, en du pain & des animaux, chacun felon fon pouvoir. La Ville de Quito n’eft pas riche en comparaïfon de quelques autres Villes des Indes. Elle a été autrefois beaucoup plus opulente, comme il paroît par les anciennes Rélations; mais aujourd’hui fes facultés font fort diminuées, & ne peuvent pas faire grand bruit dans le Monde. Les plus riches des habitans font ceux qui ont des Haciendas de campo, où Biens de campagne, qui font de diverfes fortes, comme je le dirai ci-après. Le Commerce dont je parlerai en fon lieu, n'enrichit perfonne dans ce Pays jufqu’à un certain point, & fait tout au plus des gens à leur aife. On voit auffi des Haciendas très-confidérables; mais qui ne rendent pas a proportion de leur étendue , ni du commerce continuel qui fe fait, quoique médiocre. Malgré cela toutes ces grandes maïfons ne laïflent pas d’être bien pourvues de vaiflelle d'argent, fur laquelle ils mangent tous les jours; les pauvres gens malgré leur peu de moyens, ont aufli quelque piéce d’argenterie, qui paroît toujours fur leur table. ED PA UP POP ET, Climat de Quito: maniere de diftinguer l'Hiver de Eté, Jes particularités: les inconvéniens auxquels on y eft expofé: Jes avantages € les maladies qui y régneni. Our juger du Climat de Quito il faut plus que la fpéculation, & il eft néceffaire d’avoir recours à l'expérience, pour redreffer les er- reurs du jugement. En effet qui pourra fe perfuader, à-moins d'en a- voir été témoin, ou de l'avoir ouï dire à des perfonnes dignes de ff, qu'au centre de la Zone torride, &, pour mieux dire, fous l'Equateur même, non feulement la chaleur n’a rien d'incommode, mais que meme il y a des endroits où le froid eft très-fenfible; & que dans ceux où il eft moins exceflif, on a l'avantage de jouir d’un Printems continuel, & de voir des Campagnes couvertes d’une perpétuelle verdure & émaillées d’u- ne infinité de fleurs. La douceur du Climat, l'égalité des nuits & des jours, VOYAGE AU PEROU Lw V. Cm VL »:: ours, rendent délicieux un Pays qui de prime-abord paroît. inhabitable par fa fituation, à n’en juger que par les lumieres du bon-fens. La Nature y déploye fa magnificence avec tant de prodigalité, qu’elle le rend préféra- ble aux Pays fitués fous les Zones tempérées, où l’on reffent les incom- modités des changemens de Saifons, en paffant du froid au chaud & du chaud au froid. Le moyen que la Nature employe pour faire de ce Pays un féjour déli- cieux, confifte à raflembler diverfes circonftances, dont une feule le rea- droit inhabitable, ou du-moins très-incommode, fi elle venoit à manquer: mais .par le concours de toutes enfemble les rayons du Soleil font affoiblis, &la chaleur de cet Aftre eft modérée. La principale de ces circonftances, c’eft l’élevation de ce terrain au-deflus de la fuperficie de la Mer, ou, pour mieux dire, de toute la Terre. C’eft cette élevation qui diminue la réflexion de la chaleur; & qui fait que dans ce Pays, qui atteint à une région fi haute del Atmofphere, les vents font plus fabtils, la congélation plus naturelle, & la chaleur plus foible: effets fi naturels, qu’il n’eft pas dou- teux qu’ils ne foient le principe & la caufe de la température de ce Pays, & des merveilles que la Nature y produit. D'un côté, des Montagnes. d’une hauteur & d’une étendue immenfe , toutes couvertes de glace & de neige depuis leur fommet jufqu'à leur croupe; de l’autre, quantité de volcans, dont les entrailles brulent continuellement , tandis qu’ils font voir au-dehors leurs pointes élevées, & leur ouverture: l'air tempéré qui régne dans les Plaines, la chaleur qu’on fent dans les crevafles & dans les vallons: enfin, felon que le terrain eft profond, ou élevé, bas ou haut, cette variété de Climats qu'on peut à-peine concevoir entre les deux extrémités du froid & da chaud. Le Climat de Quito eft tel que ni les chaleurs, ni le froid n’y font pas mcommodes, quoique les neiges & les glaces foient fi proche de cet- te Ville. Les Expériences faites par le moyen du Thermométre font une preuve fufifante de ce que j'avance. Le 31 de Mai 1736 à fix heures du matin 1l marquoit...10orr. À midi & demi..... 1014. Le 1.de Fuinà. fix heures du matin ......,... ro11. Amidi .... 10134. Sur quoi il faut remarquer que cela refte ainfi durant toute l’année, & que la différence d'un jour à un autre cft prefque imperceptible: ainfi les matinées font fraîches, le refte du jour eft tempéré, & les nuits ne font ni fraiches, ni chaudes, mais agréables: de-là vieñt qu'il y a fi peu d’uniformité dans les habits à l'égard du tems; & qu’on voit des gens vétus de foye & autres étoffes légeres ; pendant que d’autres portent du drap, ou.quelque autre 240 N DO MACMMAUU PE 4 O autre étoffe pefante, fans que le froid incommode ceux-là, ni que ceux: ci fe plaignent d’une chaleur exceflive. Il régne continuellement à Quito des vents falutaires, fans être forts ; les plus ordinaires font ceux qui fouflent par le Sud ou par le Nord. Il en vient aufli d’autres côtés fans diftinétion de Saifon. Comme ces vents font conftans de quelque part qu’ils viennent, ils rafraîchiffent continuel- lement la terre, & empêchent l'imprelion exceflive que les rayons du Soleil pourroient y faire, Si tous ces avantages n’étoient pas balancés par de grandes incommodités, ce Pays pourroit être repardé comme le meilleur de l'Univers: mais qu'on eft obligé de rabattre de cette idée, quand on penfe aux terribles & continuelles pluyes qu’il y fait; aux ton- nerres, aux éclairs dont elles font accompagnées ; aux tremblemens de terre qui furprennent, & arrivent lorfqu'on y fonge le moins! Il fait ordinairement beau toute la matinée en ce Pays-là, jufqu’a une ou deux heures après-midi: le Ciel eft ferein, le Soleil fort brillant, & l'Air exemt de tout nuage; mais dès-que cette heure eft pañlée, les va- peurs commencent à s'élever, l'air fe couvre de nuages noirs & épais, qui fe convertilent bientôt en orage: alors la foudre, le tonnerre, les éclairs fe fuccédant continuellement, font retentir avec un fracas.horrible les Montagnes d’alentour, & caufent fouvent bien des malheurs dans la Ville, qui eft enfin inondée d’eau. Les rues font changées en rivieres, les places en étangs malgré leur pente, & cela dure jufqu’a ce que le Soleil étant fur le point de terminer fa carriere dans cet Hémifphere, le tems redevient ferein, & le Ciel paroît aufli beau qu'auparavant. Il faut tout dire, ces révolutions ne font pas fi régulieres qu’il n’arrive quelquefois que la pluye dure toute la nuit, & même toute la matinée, deforte que trois ou quatre jours fe pañlent fans qu'il ceffe pour ainfi dire de pleuvoir. Il arrive auili quelquefois que le tems reite beau fans interruption pen- dant trois, quatre, fix, & huit jours : il eft cependant plus ordinaire qu'après qu’il a plu fix ou huit jours de la maniere dont on vient de le di- re, on ait deux ou trois jours fans pluye. On peut compter à vue de pays, que a quatriéme ou cinquiéme partie des jours de l’année font de ceux dans lesquels le beau tems eft mêlé de mauvais. La diftinétion qu’on y fait de l'Hiver & de l'Eté, confifte en une fort petite différence. Depuis le mois de Décembre jufqu’au mois d'Avril, de Mai, ou de Juin, c’eft l'Hiver, tout le refte s'appelle Eté. Le premier de ces deux intervalles eft le plus orageux, l’autre eft marqué de plus de jours fereins. Si les pluyes font interrompues au-delà de quinze jours, tou- te VOYAGE AU PEROU. Liv. V' CH VL 4 te la Ville eft en allarmes, & les habitans en priéres & en oraifons, pour obtenir leur retour; & quand elles continuent fans intermiflion les priéres ‘publiques recommencent, pour les faire cefler. La raïfon de cetté con- duite eft que la féchereffe produit des maladies & des accidens fort dan- gereux, & que la pluye continuelle ruine les femences & les pourrit, en empêchant le Soleil de pénétrer la terre de fes rayons & de lui imprimer fon activité. Les pluyes fervent non feulement à tempérer la chaleur des rayons du Soleil, mais aufli a nettoyer les rues de la Ville, que les gens du commun rempliffent de toute forte d'immondices. Ces gens, tant hom- mes que femmes , falliffent ces rues à toute heure, & en font un mon- ceau de fumier. La difpofition de ce Pays aux trémblemens de terre n'en eft pas un des moindres defagrémens : il eft bien vrai que les tremblemens n’y font pas 4 fréquens que dans quelques autres Villes des Zndes, mais ils ne laiflent pourtant pas que de s’y faire fentir de tems en tems, & quelquefois meé- me d’une maniere violente. ‘Pendant notre féjour à Quito, ou aux envi- rons, il y en eut deux aflez forts pour renverfér quelques Mafons de cam- pagne où plufieurs perfonnes furent enfévelies toutes VIVES. C’eft à la qualité du Climat qu’il faut attribuer une particularité qui doit le rendre recommandable: :c’eft que l'air y eft fi pur & fi contraire à Ja génération des Infcétes, que non feulement on n'y voit pas de ces Mos- quites qui tourmentent les hommes par leurs piquures dans les Climats chauds, mais même les habitans ne les connoïffent pas: on n'y eft pas non plus incommodé des Punaifes ,car elles y font fort rares: les Serpens, s'ilyena, n’y font pas dangereux: & en général 1l eft peu fujet aux In- feétes incommodes , excepté à la Pique ou Nigua , dont nous avons parlé ailleurs. Quoiqu’à proprement parler 1l ne foit jamais queftion en ce Paÿs-là ni de Pefte ni de Contagion, vu qu'il n'y en a jamais eu dans toute l’éten- due de l'Amérique , il ya néanmoins des maladies qui reffemblent beau- coup à celles-là, & qui courent fous le nom de Fiévres malignes de Pleu- réfies ou Points de côtés, lesquelles caufent fouvent de grandes mortalités ; deforte que quand elles régneñt dans la Ville, on peut dire qu'il y a une efpéce de Contagion fous un nom différent. Il y a une autre maladie épidémique qu’ils nomment le Mal de la Vallée, où Wicho: elle eft fi com- mune, qu’au commencement d’une autre indifpofition ils appliquent tou- jours les remédes propres à celle-là, étant-ordinaire qu'elle furvienne-après deux ou trois jours de fiévre. Mr. de Fuffieu afluroit.qu'ils donnent lou- Tome L. H h vent 4 (I NOYAGE AU-PEROU vent ces remédes à ceux qui n'ont point du tout ce mal, lequel n’eft au- tre chofe felon lui que la cangréne qui fe met au boyau rectum ; ajoû- tant qu il étoit commun dans ce Climat, & qu'il. importoit de le guérir avant qu'il fit des progrès, dès-qu'il exifle. réellement : c'eft C2: qui. arrive plus ordinairement qu’en nulle autre occafon, quand on eft atteint de Ja diffenterie , ou de quelque infirmité femblable. : Mais comme ces Peuples fe font mis dans l'efprit qu’il n’y.a point de maladie qui ne foit accompagnée du Wicho, 1ls ne ra jamais de. prendre, des remédes en conféquence. Ces remédes font violens, & confiftent en de petites boules qu'ils introduifent dans inteftin par l'anus. Ces boules font.com- pofées de Citrons pelés jufqu'au jus, de Poudre à canon, d'Aji, ou de Piment , le tout pilé & broyé enfemble. Ils les changent trois à quarts fois par jour, jufqu’a ce qu’ils fe croyent guéris de ce mal. DH ls Les Maladies Vénériennes font très-communes dans cette Contrée, & il y a très-peu de perfonnes qui en foient exemtes, quoiqu’elles faflent plus d'effet fur les uns que fur les autres, & que dans quelques-uns elles ne fe manifeftent pas au-dehors: on remarque même que de petits Enfans in- capables par eux-mêmes de contraéter cette maladie, foit à caufe de leur bas-â âge, ou de leur fexe, ou de leur qualité, ne laïffent pas de refféntir les mêmes accidens que ceux chez qui elle eft une fuite du libertinags, On fent qu'il n'eft pas néceflaire de cacher ce mal, ni d'en faire myfteré dans un Pays çomme celui-là. Ce qui contribue à le rendre fi général, c’eft le peu de foin qu’on a de fe guérir quand on en eft atteint. Le Cli- mat eft fort favorable à ceux qui ont cette maladie, c’eft pourquoi auf le tempéramentréfifte davantage à la malignité du venin qu’en d'autres Pays. ‘Il eft rare que cette indifpofition oblige à garder le lit, & encore plus qu’on veuille s’aflujettir à ce qu'il faut faire pour. une parfaite guéri- fon. Il n’eft pas us que cela ne doive en quelque maniere abréger leur vie; mais ils y font d'autant moins attention, qu’il eft aflez ordinai. re de voir des gens qui atteignent l’âge de foixante &. dix ans, & méme au-delà, fans que la maladie héréditaire, ou contraétée dès leur plus bas âge, les ait quittés un inftant. ‘Quand les vents de N°4 & de Nord-Eft, qui font les plus froids, rC- gnent, on eft aflligé de catarres qu'ils appellent ‘Pechugueras, & toute la Ville reffent cette mcommodité, qui eft aflez fâcheufe. L'air eft alors un pêu désagréable ; car les matinées font plus froides qu'à l'ordinaire, & i fauc fe vêtir plus qu::de coutuine ;mais cela ceffe vers le milieu du jour, Tout comme on n’éprouve point à Quito, ni dans toute be de lAmé VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cn VII. 243 l Amérique Méridionale, les ravages dé la Pefte, qui font fi terribles en Europe & en diverfes autres parties du Monde, de:méme les Chiens n'y font point fujets à la rage. A-la-vérité on y a quelque idéé dé là Pelté, püifqu’on en donne le nom à quelques maladies dont les effets font affez femblables à ceux de la Pefte. Mais on ne peut pas dire la même chofe de la Rage, puifqu'ils ignorent abfolument ce que c’eft, & les triftes éflets occafionnés par le venin de cette maladie leur font éntiérement inconnus. Au-lieu de cela les Chiens de ce Pays font fujets à un malqu’on peut com- parer à la petite-vérole des créatures raifonnablés;' car étant encore pe- tits 1ls prennent cette maladie, & il y en a très-peu qui en foient exemts. S'ils én échappent ils én font quittés pour toujours. Cette maladie eft auffi appellée Pefte. Le Chien qui en eff atteint a des convulfions dans toutes les parties de fon corps, il mord continuellement autour de foi, ila des vertiges, 1l jette des grumeaux de fang par la gueule. S'il n’eft pas affez fort pour réfifter à ces accidens , il créve. Au:refte ce mal eft commun à tous les Chiens des Provinces & Royaumes de l'Amérique Méridionale. TDR) SIN SE pv se So BUS EU AE MO RSR Gi Géo LE 0 Bo MTL De la Fertilité du Terroir de Quito: des Alimens ordinaires des Habitans, de leur eJpéce, € de leur abondance en tout tems. NN croira qu'après avoir parlé du Climat de ce Pays je vais traiter des Fruits que le terroir produit fi abondamment ; mais comme dans Chaque Corrégiment il y a des fruits différens, j'ai penfé qu’il feroit plus exaét de renvoyer cette matiere jufqu’à ce que je vienne à faire mention de chaque Corrégiment en particulier. Je me contenterai donc de parler ici en général de la beauté de ces Campagnes, qui n’ont pas leurs pa- reilles à cet égard; car fi le Climat eft exemt de changement fenfible, la terre n'eft point expofée à la ftérilité que caufent les trop grandes cha- leurs, durant lesquelles les Plantes, les Grains, & les Arbres femblent Janguir & fecher fur pied, dépouillés de leurs plus beaux ornemens, & comme épuifés, Il feroit difficile de bien repréfenter par des paroles la fertilité de ces Campagnes, & ellé paroîtroit incroyable, fi on ne refléchifloit fur les circonftances déjà rapportées du Climat; car le chaud & le froid y font tellement tempérés, qu’on ne fauroit défirer un plus jufte milieu entre ces Hh 2 deux me UIVOYAIGE: AU PIÉR-O deux contraires... L’humidité y étant continuelle, & le. Soleil fréquem ment en état d'agir, de pénétrer & de fertilifer la terre, il n’eft pas éton- nant que ce Pays foit plus fertile que ceux qui ne Jouïffent pas des mé- mes avantages ; Car: fans qu'il y ait de changement fenfible dans tout le cours de l’année, toute l’année même a les propriétés de l’Autonne, tous les charmes du Printems, toutes les qualités de l'Eté, & toutes celles qu’il faut pour produire les effets de l'Hiver. | On remarque avec étonnemént. qu'à-mefure. que herbe des Prez féche, il en revient d'autre à la places & qu’a-peine les fleurs qui émailloient ces Prez font fanées, qu'on en voit éclôre de nouvelles. Il en eft de-même des Arbres, dont les fruits font a-peine mûrs & cueillis, leurs feuilles à-peine flétries, qu’il en revient d’au-. tres; deforte que les Arbres font continuellement ornés de feuilles vertes. & de fleurs odoriférantes, qu’ils font toujours chargés de fruits les uns plus. vérds & plus petits que les autres: La même chofe arrive à l'égard des Grains : on voit dans le même lieu: moiflonner d'un côté & femer de l'autre: on voit en même tems germer. les grains qui ont été femés peu auparavant, croître ceux que le Labou- reur-avoit confié à la terre plutôt, &les plus avancés pouffent des épis, de-, forte que ces Collines font une vive peinture des quatre Saifons de l’Année. Quoique ce que nousivenons de dire fèit général, il ne laifle-pas d'y avoir des tems réglés pour les grandes récoltes: mais il arrive fouvent que c’eft le tems lé plus propre à femer dans un liéu, tandis que dans ur autre qui n’en eft qu'à trois ou quatre lieues , ce tems'eft pañlé depuis un ou deux mois, & neft pas. encore arrivé dans un troifiéme qui n’eft pas plus éloigné du premier. Ainfi toute l’année fe pañle à femer & à recueillir, foit dans le même lieu, foit en divers lieux éloignés les uns des autres. Cette différence provient de la diverfité des fituations des Montagnes, des Collines, des Plaines, des Coulées: la même diverfité qui régne dans ces fituations par rapport au Climat. fe trouve à l’égard des femailles, fans que cela détruife, ce que j'ai dit ailleurs, comme nous Je verrons dans la defcription des Corrégimens. Cette grande fertilité du terroir doit naturellement produire une gran- de abondance de toute forte de. Fruits & de Denrées d’un goût excellent. C’êft auffi ce que l’on remarque dans les viandes que l’on mange à Quito, foit Veau, .Porc,. Mouton, ou Volaille. Le Pain de froment y eit auffi en abondance, quoiqu'il ne foit pas dés meilleurs ; ce qui ne vient que de, ce qu'il eft boulangé par des Jndiennes, qui ne favent ni le paîtrir ni le cui- te: Car d’ailleurs il pourroit être auffi bon qu'aucun autre, vu que le fra. | ment VOYAGE AU PEROHK. Liv. w. Cr: VE 245 ment eft excellent,. comme il paroît par le pain qui s’en fait’ dans quel- ques maifons particulieres. Le Veau & le Bœuf, qu’on peut comparer à ce qu’il y a de meilleur en Europe, fe vendent par arrobes dans les boucheries, & chaque arro- be coute quatre réaux du Pays, & chacun peut choifir ce qui lui plaît. Le Mouton fe vend par piéces, c’eft-à-dire, tout entier, par moitié, ou par quartiers; & s’il eft gras & jeune, 1l coute tout entier 5 à 6 réaux. Pour tous les autres vivres on les vend fans poids ni mefure: lufage & une certaine combinaifon font régler la quantité fur le prix. La chofe dont il n’y a pas grande abondance dans ce Pays, ce font les Légumes verds; au-lieu de cela on a des Racines, & des Légumes fecs. Les efpéces des:Racines font les Camotes, les Arracaches, les Tucas, les Ocas, & les Papas., Les trois premieres viennent des Contrées chaudes, où croiflent les Cannes de fucre : ils appellent ces Contrées Vallées. ou Tun- gas, quoique ces deux noms ayent deux fens différens; car par le pre- mier ils entendent ces petites Plaines enfoncées entre des Collines, & par le fecond celles qui font au pied des Cordilleres; le Climat des uns & des autres eft chaud. C'eft de-là que l'ontire les Fruits de Platanes , les Gui- néos, V Aji ou Piment, les Chirimoyes, les Aguacatés, les Grenadilles, les Pignes où Ananas, les: Gouyaves, les Guabas, & les autres qui y viennent naturellement, comine dans les autres Pays dont nous avons parlé. Les Contrées froides produifent de petites Poires, des Pêches, des Pavies; des Brugnons, des Guaitambos, des Aurisnéles, des Abricots, & quelques Melons , & des Melons d’eau. Ces derniers ont une faifon déterminée, & les autres croiflent également dans tous les tems de l’année. Les-Contrécs où le climat n’eft proprement ni chaud ni froid, produifent aufi toute l'année des. Frutilles où Frailes du Pérou, des Figues de Tuna, & des Pommes. Les Fruits qui ont beaucoup de jus, & qui demandent un Pays chaud, font aufli produits toute l’année & en grande abondance: tels font les Oranges de Portugal & les. Oranges ameres, les Citrons Royaux , & les petits Limons, les Limes douces & aïigres, les Cedrato, & les Toron- fes, qui font encore une autre efpéce de Citrons tout ronds & petits. Les Arbres qui portent ces fruits, ont des fleurs pendant toute l'année, & ne ceffent. de porter du fruit , imitant dans ce Climat chaud la propriété des Arbres qui y croiflent naturellement. Les tables font toujours abondamment couvertes de ces diverfes Efpé: ces de fruits; ce font les premiers plats que l’on fert, & les derniers que fon Ôte., Ils fervent non. feulement à recréer la vue, mais à fater le FF h 3 goût , 246 VOTMELIŒU PER GE. goût, puifque c'eft affez la coutume de s’en fervit pour rendre les autres mêts plus piquans. Les ie 1 les Aguarates, les Guabas, lès Grenadilles, les Frutilles ou Éraifes du Pérou, font des fruits dont nous n'avons encore fait aucuné mention , non plus que des Racines nommées Ocas & Papas, c'eft pout- quoi je vais en parler un peu er détail. La Chirimoya eft, felon le fenti- ment commun, le Fruit le plus délicieux non feulement des Zndes, mais aufi de tous ceux dont on aït connoïffance en Europe. Sa groffeur r’éft point égale. ‘Il yen a qui ont un pouce, d’autres deux, quelques- unes quatre, & jufqu’à cinq pouces de diamétre. Elle eft de flpute ronde, un peu applatie par la tige où elle forme une efpéce dé nombril. E lle eff couverte d’une écorce mince, molle, & fi unie à la Chair, qu'on ne peut la féparer fans couteau. En-dehors ellé eff d'un verd obfcur avant d'étré mure, mais à mefure qu’elle meurit elle devient d’une couleur plus clai- re. L’écorce, ou la peau qui la couvre, a plufieurs côtes ou véines, qui patoïflent au-deflus comme des écailles, dont ellé eft toute couverte. Le dedans eft blanc mêlé de quelques fibrés prefqu' imperceptibles qui fot- ment le trognon, lequel s'étend d’un boût à l’autre du fruit. Le jus du fruit même eft doux avec un mélange d'acide fort légér, &une fi agféa- ble odeur que le goût n’en eft pas peu relevé. Les pepins où graines font enveloppés dans la chair, & ont environ fept lignes de long fur trois à quatre lignes de large. Ils font un pe plats, & mêlés de raÿes qui rendent leur fuperficie inégale. L’Arbré qui porte ce fruit eft haut & toufü, le tronc en eft rond, gros & un pet raboteux. Ses feuilles font arrondies, cependant un peu plus longues que larges, & fe terminent en pointe. Elles ont environ trois pouces de long fur deux où deux & demi de large, & leur couleur eft un verd foncé. C’eft une fingulatité dans ce Climat, que la propriété qu’a cette Arbre de fe dépouiller de fes feuilles pour en reprendre de nouvél- les, qui à leur tour fe féchent & tombent tous les ans. La fleur qu’il pouf fe avant de produire le fruit, a aufli qüélque chofé de particulier : d’abord fa couleur n’eft gaéredifférente de celle des feuilles, mais quand elle eft parvenue fa perfe&tion, elle’eft d’un verd jaunâtre. Quant à la figüré elle reffemble à la fleur de Caprier, un peu plus groffe, plus épaiñle, & ouverte en quatre pétales. Elle n’eft pas belle‘ à voir, mais d'autant plus agréable à fentir, & à cet égard'il n’y a point d’odeuf qui en approche. Ces fleurs ne font pas'en grande quantité, l'Arbfe n’en produit qu'autant qu'il doit produire de fruits. Le nombré en eft même diminué par la pallion VOYAGE AU PEROM Em D Ch VIe 24% paffion que les Dames ont pour cette fleur: ce qui fait qu'on les coupe avant que le fruit ait germé, & elles fe vendent fort cher. L’Aguacaté eft appellé à Lima & en d’autres lieux du Pérou, Palta , qui eft le nom propre que les Indiens lui ont donné. C’eft un des bons fruits de ce Pays. Sa figure eft affez femblable à celle des Citrouilles ou Calebaffes, dont on fait des Tabatieres; c’eft-à-dire qu’elle eft ronde par en-bas, & va toujours en s’allongeant jufqu'a ce qu’elle forme un goulot par en-haut , qui fe termine à la tige: dé-là jufqu’àa fa baze il à envi- ton quatre à cinq pouces de long. ILefk couvert d’une écorce fort dé- liée, qu fe fépare aifément de la chair quand le fruit eft mûr. En-dehors elle eft luifante, life & comme verniflée, de couleur verte avant & après fa maturité, mais d’un verd plus clair quaud il a meuri. La chair qu’el- le couvre a de la confiftance, mais pas aflez pour qu’elle ne fe fépare pas étant preffée avec les doigts. Elle eft blanche tirant fur le verd. Le goût n’en eft point doux, il faut la manger avec un peu de fel pour la rendre meilleure. Elle eft un peu filaffeufe; mais celles qui font de bon acabit, le font beaucoup moins que les autres. Ce fruit renferme un noyau de deux pouces de long &d’un pouce & demi de diamétre. Il fe termine en pointe, il eft amer ,& n'eft pas fi dur qu'on ne puifle l'ouvrir au moyen d’un cou- teau, Ce noyau eft compofé de deux gouffes, au milieu desquelles on voit le germe de l'Arbre: fon écorce n’eft qu’une peau déliée qui le fépare de la chair du fruit, à laquelle cette peau eft pourtant quelquefois atta- chée & d'autrefois collée au pepin. L’Arbre qui produit l'Aguacaté eft fort haut & fort toufu. Ses feuilles font un peu plus grandes que celles du Chirimoyer, & d’une forme un peu différente. Dans toute la Province de Quito on donne le nom de Guabas à un Fruit qu’on appelle dans tout le refte du Pérou, Pacaës, qui eft le nom Jndien. Ce fruit confifte en, une coffe pareille à celle de l'Æ/garrobo *, un peu platte de deux côtés ; fa longueur eft d'environ un tiers d’aune du-moins pour l'ordinaire, quoiqu'il y en ait de plus longues & de plus courtes fe- Jon le Pays. Sa couleur eft un verd foncé. ‘Loute la cofle eft couverte d’un duvet qui eft doux quand on y pafle la main de haut en bas, mais en remontant c’eft le contraire, comme il en eft du velour. On ouvre cette coffe en long, & les diverfes cavités qu’elle renferme d'un bout à Yautre font remplies d’une moëlle fpongieufe, légere, & blanche comme le Coton. Cette moëlle renferme des pepins noirs d’une grofleur déme- furée, puifqu’ils ne laiffent tout autour de foi qu’une place d’une ligne ou d'une * L'Auteur a déjà expliqué ce que c'eft que l’Ægarrolo aux Indes, 248 VOYAGE AU PEROU. d’une ligne & demie à la moëlle, qui du-refte fait un jus frais & doux. L'Arbre eft à peu près comme les deux ci-deflus. La Crenadille eft faite comme ün œuf de Poule, mais plus groffe. L’é- corce en eft fort liffe, luifante au-dehors, & de couleur incarnate. En- dedans elle eft blanche & molle: elle a environ une ligne & demie d’é- paifleur. ‘La fubftance qu’elle renferme eft vifqueufe & liquide. Dans cette fubftance font enveloppés des pepins ou graines fort petites, déli- cates, & beaucoup moins dures qué les grams des Grenades ordinaires ; une membrane extrêmement fine & tranfparente enveloppe toute la {ub- ftance de cette moëlle, & la fépare de l'écorce. Le goût de la Grenadille éft aigre-doux, fort agréable, cordial & rafraichiflant; deforte que quoi- qu'on en mange avec excès il n’y a point à craindre qu'elle fafle du mal, non plus que les deux-autres efpéces de fruit dont je viens de parler. Au- refte ce fruit n’eft point produit par un Aïfbre, mais par une Plante, qui pouffe une.fleur femblable à celles qu'on nomme fleurs de la Paffion , la- quelle répand une odeur très-fuave. ‘Il eft bon de apporter ici une par- ticularité que l’on remarque généralement dans la plupart des fruits de ces Pays, furtout ceux des Climats chauds; c’eft qu'ils ne meuriffent pas fur les Arbres, comme ceux d'Europe; mais pour qu'ils meuriflent 1l faut les cueillir & les garder quelque tems, @ alors ils font bons à manger; car fi on ne les cueilloit pas ils ne meuriroient jamais, mais fe flétriroient, & fe deffécheroient au point qu’ils ne feroient plus bons à rien. Le dernier Fruit dont il me refte à parler, ’eft la Frutille ou Fraïfe du Pérou. Elle eft fort différente des Fraifes d'Europe par fa groffeur, puis- qu’elle a ordinairement un bon pouce de long, fur deux tiers de poucé dans fon DRE p As en a ag : pus ÉTQEEs Hoeqre en és is Pérou: € trop de jus; elles ne LE pourtant pas mauv aifes. La Pldhte ne diftere du Fraifier d'E/pagne, qu’en ce que les feuilles de celle-là font un peu plus grandes. Les Papas font une Racine de Climat froid. Ils font communs en Æ/pa- gne & en d’autres Pays d'Europe. En E/pagne on les connoît fous le nom de Patates *. Il n’eft pas néceflaire d’en dire autre chofe, finon qu'il y en a en abondance dans ce Pays, & que les habitans les mangent en guife de pain. Ils en font toute forte de ragoûts, & en général c’eft leur principale nourriture. Les Creoles les préférent à la. Volaille & aux meilleures Viandes. Ils en font un ragoût particulier qu’ils nomment Lo- : 6re; di :: in François Topinambous, ou Pommes de terre, VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Cu. VIL 249 cro, & que l’on fert fur toutes les tables, & toujours à la fin du repas, pour boire de l’eau après: précaution néceflaire felon eux ; pour que l’eau qu’ils boivent après le repas ne leur faffe point de mal. Les gens pauvres n'ont pas d'autre reffource que les Papas pour fe nourrir; ces racines leur tiennent lieu de tout autre mêt plus folide. L'Oca eft une racine longue de deux ou trois pouces, & grofle d’en- viron un demi pouce, mais non pas dans toute fa longueur; car elle for- me divers nœuds, qui la rendent inégale & torte. Elle eft couverte d’u- ne peau mince, qui eft jaune dans quelques-unes, & rouge en d’autres, & quelquefois elle participe de l’une & de l’autre couleur. Cette racine fe mange bouillie ou frite, & a le goût de la Chataigne, avec cette diffé- rence, qui diftingue les fruits des Zndes, qu’elle eft douce. On en fait des conferves au fucre, qui au goût des gens du Pays font délicieufes. On la fert fur les tables parmi les autres mêts, étant bonne à manger en tou- te faifon. Cette racine eft celle d’une Plante plus petite que les Camo- tes, les Tucas, & autres dont il a été parlé. Parmi les Grains que ce Pays produit, & dont il n’eft pas néceflaire de nommer ici toutes les efpéces, étant les mêmes que ceux d’Europe, le Maïz & l'Orge font ceux dont le Peuple & furtout les Zndiens fe fervent au-lieu de pain. Ils mangent le Maïz de plufieurs façons ; la plus commune eft de le faire rôtir, & alors ils appellent Camcha. C’eft de ce même grain qu’ils font la Chicha, boiïffon ordinaire des Indiens avant la conquête, & dont ils font encore très-friands. Voici comme ils la préparent. Ils font tremper le Maïz, & lorfqu’il commence à pouffer un peu fon germe, ils le retirent de l’eau, le font bien fecher au Soleil, puis le font un peu rô- tir au feu, & le moulent enfuite. Ils braflent cette farine jufqu’à un cer- tain point, & la mettent enfin dans de grandes cruches, y ajoûtant au- tant d’eau qu'il eft néceffaire. Cette eau fermente le fecond ou troifié- me jour, & quand elle a fermenté autant de tems, ils en boivent. Cette boiflon eft, dit-on, rafraîchiflante: ce qu’il y a de für, c’eft qu’elle eni- vre quand on en boit avec aufi peu de modération que les Indiens. Ceux- ci, quand ils en ont une cruche, ne la quittent point qu’ils ne l’ayent vuidée, & qu'ils n'ayent perdu la raifon. Le goût de la Chicha eft aflez bon, & ref- femble aflez au goût du Cidre; mais elle a le défaut de ne pouvoir fe con- ferver plus de huit jours, elle s’aigrit au bout de ce tems. Outre qu'el- le rafraîchit, elle a encore d’autres propriétés médicinales, & entre autres celle d’être fort appéritive. On attribue auffi à cette boiflon l'avantage qu'on remarque que les Indiens ont, de n'être jamais fujets à des fuppres- Tone LI. | à ons 250 VOYAGE AU PEROU fjons d'urine : ‘elle eft d’ailleurs fort nourriflante ; &l’on obferve que fans mangerautre chofe que de la Camcha,du Moté, de la Machca, & fans boi reque de la Chicha, les Indiens font forts, robuftes, & d’un -bon tempérament. Le-même Maïz cuit dans de: l'eau-jufqu’a.ce que le grain s'ouvre, tient lieu de Camcha; & non feulement fert a-la nourriture des Jndiens, mais aufli des autres pauvres.gens, & furtout des domeftiques, qui étant ac- coutumés dés leur enfance à cet aliment, aufli-bien qu’à la Camcha, le préferent fouvent au pain. Quand le Maïz eft encore tendre ou en lait ,ils le nomment Chogilos: on k-vend en épis, on l’accommode de diverfes manieres, & tout le mon- de en mange par régal. Le Quinoa eft une femence particuliere & naturelle à ce Pays. Elle reflemble à nos Lentilles, mais elle eft beaucoup plus petite & de cou- leur blanche. Elle fert de nourriture &de reméde. En la premiere qua- lité, elle a fort bon goût; & en la feconde elle eft admirable pour pré- venirtoute forte d’abfcès & d’apoftumes. Quand on la fait cuire elle s'ouvre, &ilen fort un petit ifilament tourné en fpirale, qui refflemble à un vermiceau, & qui eft plus blanc que le dehors de la femence. La Plante qui produit cette. efpéce de légume fe féme, & fe coupe tous les ans. Elle croît à la hauteur de trois à quatre pieds, ou d’une aune & demie à.peu près. Ses feuilles font grandes & pointues, affez fembla- bles à celles de la, Mauve. Du milieu de fa tige, elle pouffe une fleur de cinq à fixpouces de long ou un peu plus, femblable à celle de la Plante de Maïz, dans laquelle, comme dans un épi, font les grains de la femence. On mange la Quinoa cuite comme le riz; l’eau dans laquelle elle a bouilli fert d’apozéme étant bue;,& quand-on veut appliquer la femence même extérieurement,, on ja moud, & on la fait bouillir, après quoi on en fait un.emplâtre, qui appliqué fur une contufon, attire l'humeur corrompue qui-commençoit à former un-dépôt;. & elle l’attire fi promtement, qu’en très-peu de tems on:en apperçoit les effets, comme il eft vérifié par une infinité d'expériences. Outre les Viandes ordinaires, on a aufli du Gibier; des Lapins en a- bondance fur les Montagnes; des Perdrix, mais en petit:nombre, & d'u- ne efpéce qui reffemble peu à:celles d'Europe, n'étant pas.plus grofles que des:Caïlles:; beaucoup de Tourterelles: mais on.en trouve peu à ache- ter ; les Habitans n'étant point du tout portés ada chafle.. Le Fromage eft un des principaux-alimens des habitans de Quito. On compte qu'ils’ y en débite tous lesans:pour. 70 à $ooco.écus, monnoye ou VOYAGE AU PEROU. Liv. V. Ca VIIL 21 du Pays: Ils l'apprêient de diverfés manieres. Lés Beurre de vache qui fe fait aux environs de Quito eft fort bon, &:il s'en confomme une grande quantité, quoique moins que de fromage. Le goût dés habitäns de ce Pays pour les douceurs furpafle tout ce que nous avons dit des autres Peuples. 11 eft étonnant combien il fe confomme de Sucre & de Miel dans cette Ville & dans les lieux confidé- tables de fa jurisdiétion. Après qu'ils ont tiré le Miel ou Jus des Cannes : ils le laifferit caïller, & en font de petits pains en maniere de tourtes, qu’ils appellent Ra/paduras: ‘C’eft la nourriture la plus commune des pauvres gens: ‘avec uné de ces tourtes, du fromage & du pain, ils font un repas qu’ils préferent aux mêts chauds. D'où left aifé de conclure qu’on vit dans ce Pays un peu différemment de la maniere d’E/pagne. Je crois en avoir dit affez pout fatisfaire là curiofité du Leéteur à cet égard. Le SR RIT ANSE DIE SERIE IN SATA ATEN TON IN TNT! CO APR EN Ÿ QU Commerce de Quito € de toute la Province de ce nom, tant en marchandifes d'Efpagne qu'en celles du Pays £? autres du Pérou. NN peut juger par tout ce que nous venons de dire du Commerce & des Fabriques de la Province de Quito. Tout le Négoce, pour ainfi dire, eft entre les maïns des Chapetons où Européens, lès uns habitués dans le Pays, les autres qui y viennent du dehors. Céux-ci achettent des Mar- chandifes du Pays, & y vendent celles’ d'Europe. Les Marchandifes du Pays confiftent, comme ila déjà été dit, en Toiles de coton, les unes blanches, qu’ils nomment Tucwyos, les autres rayées; en Bayétes & en Draps qu'ils envoyent à Lima, où ils font vendus: de-là on les envoye dans toutes les Provinces du Pérou :le retour confifte en Argent, en Fils d'or & d'argent, én Franges fabriquéés à Lima ; en Vins, Eaux-de-vie, Huiles, “& auttes Marchandifes de ces Provinces , comme Cuivre: Etaim , Plémb, Vifargent, &c. «Les Pabtiqéans envoyent lés Marchandifes pour leur propre compte avec les fusdits Marchands, ou les leur vendent s’ils y trou- vent léur avantage. i: 214109 Quand les Gallions font à Carthagéne, ces mêmes Commerçañs s’y ren: derit par Popuyan ow Sénta. FE) poarémployerleurs fonds en Marchandi- fes d'Europe, & des répañdent-à leuf ‘retour dans toute cetté Province. Quant aux Fruits & aux Déñréés‘du cru du tetroir, elles fe confomment li 2 pre” sa VOYAGE AU PEROU. prefque toutes dans la Province, excepté les Farines, que l’on tranfporte des Corrégimens de Riobamba & de Chimbo à Guaÿaquil: c'eft.le. Négo- ce des Métifs & des pauvres gens de ces endroits-là. I] pourroit être plus confidérable , fi les fraix du tranfport l’étoient moins.’ Cela renchérit fi fort cette Marchandife, qu'il n'y a pas de proportion entre la peine de l faire charrier dans les lieux où elle eft néceflaire, & le peu d’efpéran- ce qu’il y a d'y gagner. Les Toiles fabriquées en particulhiér par les PRE AP , ainfi que les Den- rées, font portées, quoiqu en médiocre quantité dans la Jurisdiétion de Barbacoas. C’eft par ce Négoce que les Chapetons font leur premier effai. Ils troquent ces Marchandifes contre de l’Or, que l’on tire dans cette Contrée, & qu ils envoyent vendre. à Lima, où il eft.en plus grande eftime & à plus haut prix. Les Draps & Bayétes trouvent.un pareil dé- bouché dans les autres parties des Gouvernemens de Popayan & de Santas Fe, & ce Commercé va toujours; maïs en tens #ort on ne réçoit“point de Marchandife d'Europe en échange, & les retours font en Or en barre. Cet Or’paflé enfuite à Lima comme celui de Barbacoas. On tire des côtes de la Nouvelle-E/pagne Indigo, dont 1l fe fait une grande confommation dans les. l'abriques;, vu que la plupart des Draps du Pays font teints en bleu, qui eft la feulé couleur à la mode en ce Pays, & la feule qui plaïfe aux habitans. . Par la voye de Guayaquil il vient du Fer & de l’Acier tant d'Europe, que de la côte de Guatemala. Ces deux efpéces de Marchandifes font d'un fi grand ufage dans les Âaciendas pour la culture des Champs, qu'elles font d’un prix exceifif, le Fer fe vendant quelquefois cent écus le quintal,, & l’Acier cent cinquante. Le Commerce réciproque entre les divers GERS de la Provin- ce, eft entre les mains des habitans inèmes des Villages. Ceux du Cor- régiment de Chimbo achettent dans les Villages des Cortégimens de ÆÀio- bamba & de Quito des Tuouyos, des Bayétes du Pays qu'ils portent à Gua- yaquil, & en rapportent en échange du Sel, du Poiflon fec,du Coton, qui étant manufaéturé dans la Province de Quito retourne à se aquil en T'oi- les. Les Jurisditions de Riobamba, Aou , & Cuenca, ont un Commerce réglé avec Guayaquil par le moyen des Magazins de Taguache & de Naranjal. Ce Commerce confifte en Marchandifes du Pays; & quoiqu'il fit ré- diocre, ne confiftant. qu’en trois articles, qui font Draps, Bayétes & Toi- les, 1l ne laïffe pas d’être fort utile, vu. que non feulement les pauvres gens dont le nombre furpañle. toujours celui des riches, mais encore les gens aifés à l'exception de ceux de la. Capitale, ne portent que de ces Draps VOYAGE AU PEROU. Exv. V. Cu. VHE 253 Draps & Toiles du Pays, n'étant pas en état d'acheter ces Marchandifes d'Europe. Il n’y a que les Efpagnols qui font raïfonnablemernt riches, & les Perfonnes de diftinétion qui fe vétiffent de ces étoffes. Par où il eft aifé de juger de la quantité de Draps, Bayëtes, Tucuyos, &c. qui doivent fe fabriquer dans le Pays, & tout cela par les Indiens, foit dans leurs pro- pres maifons , {oit dans les Fabriques où Manufaétures: ce qui contribue \ conferver cette Province dans l’état où elle eft, tant par l'emploi de tant.de monde, que.par les autres avantages qu’on en retire. À Ii . LIVRE Sa ON Y AOG'E/ AU P'E & © U. LIVRE SIXIEME. Dettription de la Province de Quito, quant à l'étendue de la jurisdiction de fon Audience. Remarques fur la Géographie, PHiftoire tant politique que naturelle de ce Pays, & fur fes Habitans. CITES OILI PET TEE PT OETT OT EE TEINTE PP OPEN EE ENT TT LU UT NU UT BRAUN RE L Etendue de la Province de Quito, ou Furisdition de l Audience de ce nom: Gouvernemens €$ Corrégimens qu’elle comprend, ES notice des .derniers.en particulier. Ous avons traité, dans les cinq Livres précédens, de diverfes matieres, en fuivant l’ordre dans lequel elles fe font préfentées durant le cours de notre voyage, & felon la nature .des affaires qui en étoient l’objet. On a pu remarquer dans cette fuite de rélations, que les defcriptions des Lieux & des Provinces marchent d’un pas égal avec les Obfervations Aftronomiques. C’eft que nous avons cru que fi celles-ci intéreflent les Sciences & ceux qui en font profeflion, celles-là n’intéreffent pas moins les perfonnes qui s'appliquent à l’Hiftoire, à la Politique, à la Géographie, & à l'Etude des Mœurs & des Coutumes des différens Peuples. Nous avons donné dans le cinquiéme Livre une des- cription de la Ville de Quito; & pour ne rien laïfler à défirer, nous ajoû- terons ici celle de la Province de ce nom, que nous connoiffons mieux qu'aucune des autres où nous avons été; parce que nous l'avons preique toute parcourue pour exécuter nos Opérations Géométriques & Aftrono- miques, & les autres commiffions dont nous étions chargés. Ce fera donc d’après nos proprés obfervations que nous parlerons, ou fur le témoi- gnage des perfonnes les plus dignes de foi que nous ayons eu occafion de confüulter fur les chofes que nous n’avons pu voir de nos propres yeux ; témoignage que nous n’admettons même qu'après un mûr examen, & qu'avec toutes les précautions que peut fuggérer la plus févere Critique; deforte que nous pouvons avec jufte raiféfigarantir la conformité de ce que nous dirons avec la plus exaéte vérité, qui eft le principal objet de l'Hiftoire. La Province de Quito, dès le commencement de l'établiflement des ms . E/; {= VOYAGE AU PEROU. Liv. WE Cu. L Efpagnois, fut fubordonnée à Lima Capitale du Pérou, & aux Vicerois de ce nom jufqu'en 1718, auquel tems on établit un V'iceroi à Santa-Fé de Bogota Capitale du Royaume de la Nouvelle-Grenade,, & la Province de Ouito fut annexée à ce nouvel Etat pour faire partie de fa Jurisdiétion. Pour que cette Viceroyauté ne fût point à charge au Tréfor Royal, on fupprima l'Audience de Quito, & les appointemens des membres qui la compofoient furent aflignés au nouveau Viceroi. Le même motif fit auffi abolir l Audience de Panama au Royaume de Tierra Firme (quoique ce Royaume reflât toujours de la dépendance des Viceroïis de Lima). Le but qu’on fe propofoit par cet arrangement, n'eut pas le fuccès qu’on en avoit efpéré. On s’apperçut bientôt que les Villes où ces Tribunaux avoient été fupprimés ne pouvoient fe pafler d’eux, ä-caufe du préjudice que le Public fouffroit de leur fuppreffion, & des fraix immenfes qu’il fal- loit faire pour pourfuivre une affaire, vu la diftance de Panama à Lima , &de Santa-Fé à Quito. Joignez à cela que ce qu'on avoit gagné par l’abo- lition des deux Audiences, ne fuffifoit pas pour foutenir une Dignité aufii diftinguée que l'eft celle de Viceroi. Tout cela bien cenfidéré , fit ré- tablir les chofes fur l'ancien pied dès 1722; & pendant ce court efpace de tems la nouvelle Viceroyauté fut exercée par Dom George de Villelon- gue, Lieutenant- Général des Armées du Roi, & qui étoit Gouverneur du Callao, & commandant les armes du Pérou, lorfqu’il fut revêtu de la Digni-- té de Viceroi. Les Audiences ainfi rétablies continuerent fur le même pied que ci-devant: mais les raifons qu’on avoit eues d'établir un Vice- roi à Sunta-Fé, fubfiftant toujours, on fongea à le rétablir, fans fuppri- mer les Audiences, & fans que cela fût à charge au Public ni au Fréfor Royal. En 1739 le projet fut de-nouveau mis en exécution ,& la Dignité de Viceroi de la Nouvelle:Grenade fut conférée à-Don Sébaflien de Eflava Lieutenant-Général, qui étant parti vers la fin de la même année pour prendre pofleflion de fa nouvelle Charge, l’exerce encore aujourd’hui avec un applaudiflement général Toute l'étendue du Royaume de Tierra- Firme, & toute la Province de Quito, ont été remifes fous la jurisdiétion du nouveau Viceroi. | TR Du côté du Nord, la Province de Quito eft limitrophe de celle de Santa-Fé de Bogota. Elle comprend de ce côté-là une partie du Gouver- mement de Popayan: au Sud elle confine aux Corrégimens de Piura & de Chachapoyas: à l'Orient elle occupe toute l'étendue du -Gouvernement de Maynas fur la Riviere de Marannon ou des Amazones , jufques à la Ligne de féparation qui divife les Conquêtes des Æ/pagrols de celles ces Por- UHOJIIC* EU l'UDGATS N 256 VOYAGE AU PEROU. tugais: à l'Occident elle a pour bornes les Côtes de Machala fur le Golphe de la Puna jufqu’à celles que comprend le Gouvernement d’Aracames, & la Jurisdiétion de Barbacoas fur le Golphe de la Gogone. Du Nord au Sud fa plus grande largeur eft de 200 lieues, & fa longueur de l'Orient à l'Occident jufqu’a la Ligne ci-deflus mentionnée eft de plus de 600 lieues en droiture: mais une grande partie du Pays, eft ou habitée par des Na- tions Barbares, ou peu connue des Æ/pagnols, & par conféquent peu habi- tée. La feule partie de cette vafte Contrée qu’on puiffe dire à la rigueur être bien peuplée, c’eft l’efpace que laïffent entre elles les deux Cordille- res des Andes, lequel, comparé à ce grand Pays, reflemble à une ruelle: il s’étend depuis le Corrégiment de St. Michel de Ibarra jufqu'a celui de Loja: il renferme encore & comprend l’efpace qui s’étend de-la jufqu’au Gouvernement de Popayan, y comprife même une partie de ce Gouverne- ment, & enfin tout le Pays qui s'étend depuis la Cordillere Occidentale jufques à la Mer. L’étendue de ces Corrégimens d'Orient en Occident eft environ de 15 lieues ou un peu plus, ce qui eft la diftance qu'il y a entre les deux Curdilleres. À quoi il faut ajoûter ce qui eft compris dans les Gouvernemens de Ÿaen de Bracamoros , qui confine au Corrégiment de Loja au bout de toute la Province, à l'Eft de la Cordillere Orientale; & en allant vers le Nord celui de Quixos, & à l'Orient de celui-ci le Gou- vernement de Maynas : il y a entre les uns & les autres de longues lifie- res habitées feulement par des Indiens idolâtres. Au Nord de toute la Province eft le Gouvernement de Popayan, qui à tout prendre fait une Province à part. Ainfi dans la partie occidentale de cette ruelle formée par les deux Cordilleres, eft le Gouversement d’Ætacames nouvellement érigé, & le Corrégiment de Guayaquil: dans la partie orientale les trois autres Gouvernemens nommés ci-deflus, & dams celle du Nord je Gou- vernement de Popayan. Outre ces cinq Gouvernemens cette Province contient neuf Corrégi- mens, auxquels on donne dans le Pays le nom de Provinces , fubdivifant la Province de Quito en autant d’autres Provinces qu’elle contient de Gouvernemens & de Corrégimens. C’eft fur quoi il eft bon de prévenir le Lecteur, pour éviter toute équivoque & obfcurité lorfqu’il m’arrivera de donner le nom de Province à la jurisdiétion d’un Corrégiment, quoi- que je fois réfolu de m'en abftenir autant qu’il fera pofñfible. Voici les noms de ces Corrégimens, en commençant par celui qui eft le plus Septentrional. L. Ville VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Cu E 257 1. Ville de St. Michel d'Ibarra. VI. Bourg deChimbo ,ou Guaranda. IL. Village d'Otabalo. VII. Cité de Guayaquill, III. Cité de Quito. VIII. Ville de Cuenca. IV. Bourg de Latacunga. "IX. Cité de Loja. V. Ville de Kiobamba. Nous allons donner une idée de chacun de ces Corrégimens, aprés quoi nous pailerons aux Gouvernemens,. I. La Ville de St. Michel d’Ibarra eft le Chef-lieu de ce Corrégiment, qui outre cela conuent huit Villages ou; Paroïffes principales, favoir: I, Mira. V. Salinas. II. Pimanpiro. VI Tumbabiro. III. Carangue. VII. Quilca. IV. St. Antoine de Carangue. VIII. Caguasqui. Autrefois toute la Jurifdiétion du Corrégiment d'Ofabalo appartenoïit à celui dont il eft queftion ici, mais on l'en à féparée pour en faire deux. à-caufe qu’elle étoit trop étendue. La Vile de Sr. Michel d'Ibarra eft fituée dans une Plaine ou Prairie fort fpacieufe, près d’un des côtés, entre deux Rivicres auxquelles cet- te Plaine doît la bonté de fes pâturages, à peu de diftance d’une Mon- tagne médiocre qu'elle a à l'Orient. Le terrain où elle eft bâtie eft mou & humide, c’eft pourquoi les maifons s’affaiflent & s’enfoncent. Cette Ville eft aflez grande, les rues en font larges & droites, les maïfons bâ- ties de pierres ou de briques crues & couvertes de tuiles. Il y a hors de fon enceinte divers Quartiers ou Fauxbourgs habités par des Zndiens, dont les maifons font des baraques ou des chaumieres du même goût que celles que ces Peuples ont accoutumé de bâtir, c’eft-à-dire petites &pauvres. Les mai- {ons du dedans de la Ville fong aflez jolies; celles dela Place ont unétage au- deflus du rez-de-chauflée ; toutes les autres font baffes, & n’ont que le rez- de-chauflée. L’Eglife Paroïdiiale eft bâtie des mêmes matériaux que les maifons. Elle eft belle & bien ornée. Outre cette Eglife il y a un Cou- vent de Cordeliers, un de Dominicains, un des P. P. de la Merci, un Col- lége de FéJuites, & un Monaftere de Filles de la Conception. On fait mon- ter le nombre des habitans à dix ou douze mille âmes de tout âge, de tout fexe, & de toute condition. Dans la Jurisdiétion de ce Corrégiment eft le célébre Lac de Yagar-Cocha, fi connu dans l’'Hiftoire des Zncas pour avoir été le tombeau des habitans d'O- tabulo , lorfque Huayna-Capac XIL. Inca, irrité de la réfiftance que ce Peuple avoit faite à fes armes, leur fit couper la tête à tous, tant à ceux Tome I. K k qui 495 VOYAGE AU PEROU. = “ 31 . j . o qui furent pris qu'à CEUX qui fe rendirent, & fit jetter leurs corps dañis le Lac qui en.fut tout reugt ; d’où lui cit auffi venu.le nom Zndien de Tagar- Coca, qui fignifie Lac de fans. Le climat de cette Ville eft fort doux, moins froid que celui de Quito, mais pas fi chaud qu’on en foitincommodé. ‘Tous les Villages de fa juris- diétion ont différente température , Pair eft pourtant chaud dans la plu- part à-caufe de leur fituation dans des terrains bas. Ces terrains font ap- pellés dans le Pays Vallées, comme il a déja été dit; telles font les Val- lées: de Chota, de Carpuela, & plufieurs autres. Une partie des Planta- tions ou Haciendas confifte en Cannes de Sucre, qu’on travaille ddfis des Tra- piches où Moulins, -où il fe fabrique beaucoup de Sucre & fort blanc; les autres produifent des Fruits propres aux climats chauds, les autres du Coton en abondance & très-bon. Les Cannes de Sucre n’y font pas fi tardives que dans la Jurisdiétion de Qui- to:on peut les moudre en tout tems, parce qu’on n’eft pas obligé de les cou- per plutôt en une faifon qu’en l’autre ; & qu’elles ne diminuent rien deleur bonté, pour n'être coupées qu'un ou deux mois après leur maturité. Ainf onfe contente deles couper par quadras, c'eft-a-dire par quartier, ou de trois mois en trois mois, & toute l’année les Trapiches où Moulins font occupés. Les autres Lieux où le climat eft moins chaud, font remplis de Hacien- das, de Grains, Maïz en abondance, froment, & Orge, que l’on féme de la même maniere qu’à Otabalo, dont nous donnerons bientôt l'expli- cation. Il y a aufñli beaucoup de Haras, mais peu de Troupeaux de Mou- tons en comparaifon ; & quoiqu'il y ait moins de Fabrique de Draperie qu'à Otabalo , les Indiens ne laiffent pas d’y fabriquer quelques Toiles & Etoffes de laine & de coton. Ii y a dans ie diftriét du Village de Las Salinas des Mines de Sel, qui fe confomme dans ce Bailliage, ou eft transporté dans les Pays au Nord. Ce fel eft mêlé de nitre, & n’eft pourtant point mal-fain quand on y eft accoutumé. Le feul défaut qu’il ait, c’eft de n'être pas bon pour les falai- fons, à quoi il faut qu'on employe le fel de Guayaquil. Dans les terres de la dépendance du Village de Mira, ily a des endroits où Von voit des Anes fauvages , qui fe multiplient beaucoup, & qui font diffici- lesaprendre. Les Propriétaires de ces terres permettent à qui les en prie, de donner la chaffe à ces animaux , & d’en prendre autant qu'ils peuvent, moyen- nant une petitereconnoiffance proportionnée au nombre des jours qu’ils y em- ployent. La maniere de prendre ces Anes fauvages, confifte à affembler for- ce Indiens à cheval & à pied, & à faireune battue pour les environner dans quel- VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CK& I 259 quelque Cagnade où Vallon. Là on leur jette le lacqs à pleine courfe de che. val, pour qu'ils ne puiflent échaper; car dès qu'ils fe voyent enclos & renfermés, ils tâchent de fe fauver; & dès que l’un d’eux a fait une ou- verture, tous les autres le fuivent à la file, & fe fauvent parle même endroit. Dès qu’on les a enlacés, on les renverfe par terre, & on leur met des entraves pour les empêcher de courir. Quand on s’en eft ainfi af- furé, on les laiffe jufqu'a ce que le tems que doit durer la chaffe foit ex- piré, & alors on les accouple avec des Anes domeftiques pour les emme- ner avec moins de peine. Mais on a beau faire, la chofe n’en eft pas moins difficile; car ces animaux font fi braves que perfonne n’oferoit te- nir devant eux. Quand ils font en liberté ils courent comme le meilleur cheval, tant aux defcentes qu'aux montées. S'ils fe fentent preflés, ils fe défendent en ruant & mordant avec tant d’adrefle, que fans cefler de courre ils eftropient fouvent ceux qui les pourfuivent. Ce qu’il y a d’éton- nant, c’eft que dès la premiere charge qu’on leur met fur le dos ils per- dent leur légéreté, deviennent doux & paifibles, & quittent cet air fa- rouche qu’ils avoient dans les champs, pour prendre cet air de lenteur & de ftupidité qui femble être l'apanage de tous les animaux de leur efpé- ce. Les Anes fauvages ne fouffrent point qu’aucun cheval mette les pieds dans le champ où ils font: s’il y en vient quelqu'un par hazard, le fentir & lui courre-fus n’eft qu’une même chofe; ils ne lui donnent pas le tems de fuir, & ne ceflent de le mordre qu’après qu’ils lui ont ôté la vie, Quand on pañle prés des champs où il ya des Anes fauvages ,on eft alour- di des concerts continuels de leurs voix, répétées par jies échos des col- lines & des coulées. À peine les uns ont fini d’un côté, que les autres commencent de l’autre, de maniere que cela ne finit point. IT. Le Corrégiment qui vient du côté du Sud après celui de St. Mi- chel d'Ibarra, c'eft celui d’'Orabalo, qui comprend huit Villages ou Pa- roifles. L Cayambe. V. Cotacache. . II. Tabacundo. VI. San Pablo. IT. Orabalo. VII. Tocache. IV. Atontaqui. VIIL Urquuqui. Le Bourg d’Orabalb eft grand, bien fitué, &fipeuplé, qu’on y comp- te 18 à 20000 âmes: les E/pagnols font la plus grande partie des habi- tans , & tout le refte eft compofé de familles Zndiennes. Le terroir de ce Corrégiment eft cultivé & plein d’Haciendas | comme le précédent , excepté qu’iln’y a pas tant de Trapiches où Moulins à Sucre : k 2 mais 260 vV OŸY AGE “AU P E‘MNO LV. mais en revanche les Fabriques d'Etoffes y font en plus grande quantité & plus riches, à-caufe du nombre d’Indiens qu'il y a, & du goût que ceux- ci ont pour ces Manufaétures. Car outre les Etoffes qui fe font dans les Fabriques mêmes, les Particuliers qui ne font pas Mitagos, c’eft-à-dire engagés ou mercenaires, en font quantité pour leur compte, comme Tucuyos, ou Toiles de coton, tapas, pavillons pour les lits, COurtes-poin- tesdamafcées, les unes blanches & rayées, les autres bleues ou tout-à-fait blanches. Tous ces ouvrages font faits de coton, & on les eftime beau- coup tant dans la Province de Quito que dans les autres Provinces où on les envoie. La maniere de femer le Froment & l’Orge dans cette Jurifdiétion n’eft pas la même que dans les autres; car au-lieu d’écarter le grain en le fe- mant, comme on fait ailleurs, ils divifent un champ labouré en quarre- aux, chaque quarreau formé par deux fillons tirés en pente & à quelque dis- tance l’un de l'autre. Dans ces fillons, ils fontdes trous à un pied de dis- tance l'un de l’autre: 1ls inferent dans chaque trou cinq à fix grains de fem:nce. Cette méthode eft un peu longue, mais le Propriétaire eft am- plement dédommagé de cette longueur , par l'abondance de la récolte qui a coutume de rendre cent ou cent cinquante pour un. | Les Haciendas de cette Jurisdiétion nourriflent quantité de Chevaux & de Vaches dont on tire beaucoup de lait, qui procure du fromage en abon- dance. Ce qui contribue à ces engrais, c’eft la quantité de ruïfleaux dont le Pays eft arrofé. On n’y manque pas non plus de Brebis, quoiqu’elles n'y foient pas en aufli grande quantité que le gros Bétail. Le Village de Cayambe eft fitué au milieu d’une grande Plaine qui a der- riére elle une Montagne des plus grandes de ces Cordilleres. Cette Montagne eft appellée Cayamburo: elle n’eft ni moins élevée, ni moins couverte de neige que le Chimborazo. Elle paroît au-deflus de toutes les autres qui font entre elle & Quito, & on en voit la cime de cette Ville-même. Les au- tres Montagnes qui.. fans le voifinage de celle-ci, paroîtroient hautes, femblent plutôt des monticules que des montagnes vis-à-vis du Cayamburo. Mais c’eft ce voifinage qui rend la Plaine de Cayambe froide & defagréa- ble, étant expofée aux vents, qui y fouflent continuellement & avec force. Dans le territoire de ce Corrégiment on trouve deux, Lacs, dont l’un eft appellé de San Pablo, à-caufe du Village de ce nom bâti fur le bord de ce Lac, qui peut avoir une lieue de long, fur demie lieue de large. Ses 3erds font remplis d’une forte de Joncs appellés dans le Pays Totoral; on ÿ VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Cu. I. 261 -ÿ trouve des Oyes, & des Gallarétes. Les eaux qui tombent de la Mon- tagne de Mojanda fe perdent dans ce Lac, & il en fort un des bras qui for- ment la Riviere appellée Rio-Blanco. L'autre Lac ne differe pas beaucoup de celui-la en longueur & en largeur: il eft fur une Montagne appellée Cuicocha, & il en tire fon nom. Sa fituation n’eft pas précifément fur le ‘ommet de la Montagne , mais à mi-côte , dans un terrain plat qui fe trouve fur la croupe de la Montagne avant d'arriver au fommet. Au milieu de ce Lac il y a deux Iles, où l’on trouve des C uyes de montagne & des Daims, lefquels traverfent le Lac pour venir en terre-ferme, & pour retourner dans les Iles quand ils fe voyent pourfuivis par les Chafleurs. Ce Lac produit une efpéce de petit Poiflon femblable aux Cama mais fans écaille. On les nomme dans le Pays Prennadillas. On en envoye detout marinés à Quito, où ils font eftimés, parce qu’on n'y voit point de poiffon frais. Cette Pêche n’eft pas des plus abondantes. Le même Poiflon fe prend aufli dans le Lac de San Pablo. Le Corrégiment de Quito eft compofé de 25 Paroifles outre celles de la Ville. rOns ; L. St. Fean l'Evangélifte. XIV. Le Quinche. Il. Ste. Marie Madeleine. XV. Guayllabamba. IF. Chilogalle. XVI Machache. IV. Cono-Cote. XVII Æloaf. V. Zambiza. XVIIL Aloa. VI. Pintac. XIX. Uyumbicho. VII. Sangoïqui, XX. Alangaj. VIL Amaguanra. XXI. Pomasque. IX. Guapule. XXIL. San Antonio de Lulumbamba. X. Cumbaya. XXIIT. Perucho. XI. Coto-Collao. XXIV. Cola-Cali. XIL. Puembo € Pifo. XXV, Tumbaco XIII. Taruqui. Ce Corrégiment eft encore appellé le Territoire des cinq lieues, maïs il eft certain qu’il en a davantage en quelques endroits. Il eft rempli d’A- ciendas , les unes dans des plaines, les autres dans de grandes & fpatieu- fes coulées, & plufieurs fur les montagnes. Les Fruits qu’on y recueille font différens felon la nature du climat & la difpofition du terrain: dans les plaines où l'air eft tempéré, on recueille beaucoup de Maïz: dans les coulées, &les Cagnades profondes, où l'air eft chaud, on trouve beaucoup de Cannes de Sucre, & du füucre qu'on en tire on fait une forte de paftilles Kk 3 ap- 262 VOYAGE AU PEROU. appellées Ra/paduras , une efpéce de Miel, du Guarapo , & l'on ydiftile da Rum, ou Eau-de-vié de canne. Les Fruits que le terroir produit font em- ployés à diverfes fortés de confitures qu'ils appellent Rayados , dont les gens de ce Pays font une grande confommation. Les Cannes de Sucre fon fort tardives dans le terroir de ce Corrégiment; car quoique l'air foit chaud dans les lieux où on les cultive, il ne l’eft pourtant pas aflez pour qu’elles müûriflent hâtivement , deforte qu’on ne peut les couper que trois ans après avoir été plantées : elles ne donnent leur fruit qu'une fois, & après qu'on l'a cueilli on tire encore le germe appellé Soca, qui fert à replanter la canne. La Boïflon dont nous avons parlé tout à l’heure , & qui eft appellée Gua- rapo, n’eft autre chofe que le fuc des cannes tel qu’il fort du Trapiche, & après qu’on l’a Jaïflé un peu fermenter. Cette liqueur a un goût aigre-doux fort agréable; mais pour peu qu’on en prenne avec excès elle monte à la tête & enivre comme le vin; elle eft fort en vogue parmi les gens du commun. Les Haciendas des Montagnes, où l'air eft plus ou moins froid, produifent du Froment & de l'Orge, toute forte d'Herbes potageres, & beaucoup de Papas. Sur le fommet de ces Montagnes païflent divers Troupeaux de Bre- bis & de Vaches qui donnent beaucoup de fromage & de beurre. 11 y a d’autres Æaciendas où l'on fabrique des Draps du Pays, des Etamines, des Bayétes, & des Serges. L Par tout ce que nous avons dit, on comprendra aifément qu’il n’eft pas poffible de fixer le climat qui régne dans les divers endroits de ce Pays. Il eft fi différent qu'ici vous fentez une chaleur qui vous rappelle que vous êtes fous la Zone torride; & là, fans aller fort loin, vous ne voyez que neige & que glace. Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’eft la régulari- té & la conftance de l'air dans ce Pays. En effet dans les lieux où l'air eft tem- péré , jamais il ne devient froid, & la chaleur n’augmente jamais au-delà de fon degré naturel. Ce n’eft que dans les Montagnes que l'air varie, parce qu'étant naturellement froid , il le devient encore davantage par les vents qui fouflent fouvent avec une violence extrême, ou même par le tems qu’il fait quelquefois, & qu’on nomme Tiempo de Paramos, par où l’on entend que les Montagnes font pour la plupart couvertes de nuages qui fe con- verciffent continuellement en grefil mélé de neige; car alors le froid eft fi aigu qu'on ne peut y réfifter long-tems. Au-contraire quand Fair eft un peu férein, que le vent foufle modérément, & que les rayons du So- lei VOYAGE: AU PEROU, Lrv. VL’@x 262 jeil peuvent pénétrer jufqu’à ces Montagnes, l'air y eft aflez fapportable, Dans les Villages, l'Eglife & la Maïfon du Curé font appellées le Cou- vent, quoique le Curé foit Prêtre Séculier, mais parce qu’ils ont eu au- trefois des Religieux pour Curés. La plupart de ces Villages font bâtis fans aucune forme ni méthode. La maifon du Curé eft la principale, les autres font plutôt des Chozas ou chaumieres répandues çà & là dans les champs, faites de boue & couvertes de paille. Chacune à fa Chacarite, c’eft-à-dire, un petit efpace de terre que chacun cultive pour foi. La plupart des habitans de ces Villages font des Zndiens, qui y font leur de- meure quand ils ne font pas de Mita ou engagés ailleurs. Il y a auffi des Métifs, dont le nombre furpafle même en certains endroits celui des {#- diens, & on y rencontre aufli quoique rarement quelques familles d’Æ/pagnols. Le premier Corrégiment que l'on rencontre au Sud de Quito eft celui de Latacunga. Le mot Affiento par où l’on défigne ce lieu, & plufieurs autres de la même efpéce, fignifie un Lieu moindre qu’une Ville, mais plus qu'un Village. L'Æffiento ou Bourg de Latacunga eft fitué dans une Plaine fpacieufe, qui a à dos du côté de l’'Eft la Cordillere orientale des An- des, & d’où s’avance une Montagne fort haute, au pied de laquelle eft Latacunga, par les 55 min. 144 fec. de Latitude Auftrale. A FOccident le Bourg eft environné d’une Riviere qu'on pañle à gué, mais qu'il faut pafler fur des ponts pour peu qu'elle s’enfle; car elle eft d’ailleurs aflez profonde. Le Bourg eft bien bâti & les maifons en font bien alignées, les rues larges & droites. Les maïfons font à pierres & à chaux, toutes voûtées & fort bien fituées: elles n’ont que le rez-de-chauflée, à-caufe des tremblemens de terre auxquels elles font expofées. Le 20 de Fuin mA , ilen fit un qui renverfa toutes les maifons de Latacunga , & fe fit ‘néralement fencir dans toute la Province de Quito, où plufieurs autres Lan fouffrirént de grands dommages, comme nous le dirons ci-après. À Latacunga parmi nie de 600 maifons il ne refta fur pied que l'Eglife des Ÿéfuites & une partie d'une maifon, encore fallut-il abattre l’une & l’autre tant elles avoient été maltraitées ; tout le refte croûla, & les habi. tans furent prefque tous écrafés fous ch ruines, & pañlerent des bras du fommeil dans ceux de la mort ; car le tremblement de terre commen- ça à une heure du matin, & continua toute la nuit & une partie du jour. Les pierres dont les maifons & les Eglifes de l’ÆfJiento font bâties, ref- femblent beaucoup à la pierre-ponce, étant poreufes & fpongieufes à tel point qu'elles nagent fur l’eau. On les tire des carrieres formées par les Volcans. La chaux s’infinue parfaitement dans ces pierres, & leur lége- reté ns 264 VOYAGE AU PEROU. reté jointe au peu d’élevation des maifons , femblentaujourd’hui garantir la vie des habitans. Lors de cegrand tremblement elles avoient un étage ou- tre le rez-de-chauflée. La Jurisdiétion de ce Corrégiment comprend dix-fept Villages, qui font, I. Züicchos- Mayor. X. San Miguel de Molléambato. II. Zicchos-tMenor. XL Saquifili. HIT. Tungas ou Colorados. XII. Pugih. “PV: Tfilimbi. XIIL. Tanicuchi. V. Chifa- Halo, ou Toaca/o.' XIV. Cuzubamba. VI. Pillaro. XV. Tifaleo. VII. San Phelipe. XVI. Angamarca. VIII. Mula- Halo. XVII. Pila- Halo. IX. Alaquez. L'air du Bourg eft froid, n'étant qu'à 6 lieues de la Montagne de Core- paxi, non moins haute, & couverte de neige, que le Chimborazo > GE Coyamburo. Cette Montagne eft un Volcan qui creva avec beaucoup de violence en 1533, lorfque Sébaflien de Belalcazar fe trouvoit déja dans gette Province, ayant entrepris d'en faire la conquête. Cet accident ne favorifa pas peu fes defleins; car les Indiens prévenus par leurs Devins que le Pays pañleroit fous la domination d'un Prince inconnu, & qu'ils lui feroient tous aflujettis lorfque ce Volcan créveroit, regarderent cet événement comme le fignal de leur défaite, & en furent fi découragés que Belalcazar ne trouva que peu ou point de réfiftance; & dans l'efpace d'un an il fe vit maître de toute la Province, & en foumit les Peuples & & leurs Caciques au Roi d'E/pagne. La Plaine quoique fpacicufe eft tou- te femée de gros morceaux de roc, dont quelques-uns lorsde l’éruption du Volcan furent lancés jufqu’à plus de cinq lieues à la ronde. En 1743 nous trouvant fur les côtes du Chili, le même Volcan creva. Mais je réferve pour un autre lieu les particularités de ce dernier accident. Les Villages de cette Jurisdiétion étant fitués les uns dans des lieux bas, les autres dans des lieux élevés, ont aufli des climats fort divers. En général ces Villages font plus grands & plus peuplés que ceux d’aucun au- tre Corrégiment de la Province. Les habitans font Indiens, où Métifs, & on y trouve peu d’'E/pagnols. Outre l’'Eglife Paroïffiale qui eft dans ce Bourg, & qui eft deffervie par deux Curés, l’un pour les E/pagnols, l’autre pour les Indiens , il y a un Couvent de Cordeliers, un de St. Auguflin, un de la Merci, & un de ?4- Juites. Toutes les Eglifes y font fort bien bâties, très-propres, & or- nées VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CL L 265 néés à proportion du nombre des habitans, qu’on fait monter à ro ou 12000 ames; la plupart font E/pagnols & Métices, & parmi les premiers il y a des Familles d’une qualite diftinguée & aflez riches. Les Indiens \ vivent comme à Quito dans des quartiers féparés proche de la Campagne. On trouve dans ce Bourg toute forte d’Artifans; on y fabrique, com- me dans le refte de fa Jurisdiétion, des Draps, des Bayétes, de Tucuyos. On y fait beaucoup de Lard, que l’on envoye à Quito, Riobamba, & Guaya- quil, où il eft fort eftimé, à-caufe qu’il eft fi bien préparé que le goût en eft exquis, & qu’il ne fe corrompt pas ni ne perd rien de fa bonté. Les Campagnes aux environs du Bourg font femées d’A/fulfa *, & de Saules dont les feuilles toujours vertes forment un afpeét riant, qui ne contribue pas peu à rendre ce féjour un des plus agréables. Les Zndiens des Villages de Pujili & de Saquifili, font excellens Potiers, & font toute forte d'ouvrages d'argile, pots, cruches, terrines, &c. On en tranfporte dans toute la Province de Quito. L’argile qu'ils emplo- yent eft:rouge, fine, & a une très-bonne odeur. Le Corrégiment de Riobamba vient enfuite, dont le Chef-lieu eft la Ville du même nom. Sa Jurisdiétion eft divifée en deux Bailliages. Le Corré- gidor de Riohamba nomme le Baïl'if de l’Affiento de Hambato, Bourg fitué entre.cette Ville & Latacunga. La TJurisdiétion de Riobamba comprend dix-huit Villages, favoir, I. Calpi. X. Pungala. IT. Lican. XI. Lito. III. Yaruquiz. XII. Guano. IV. Sr. Louis. XIIT. Hilapo. V. Cajabamba. XIV. Guanande. VI Sr. Andrés. XV. Pénipe. VII Puni. XVI. Cubijies. VIIL Chambo. XVIL Cévadas. IX. Quimia. XVIII. Pallatanga. Le Bailliage da Bourg de Hambato contient fix Villages: I. T/ambu. IV. Péliléo. IL. Quifapincha. V. Patate. UL Quéro. VI. Sia. Rofa de Pilaguin. La Ville de Riobamba eft fituée par 1 deg. 41! min. de Latitude Méri- dionale à l’occident de Quito. C’étoit une Bourgade d’Indiens lorfque Séballien de Belalcazar y €ntra en 1533. L’année fuivante le Maréchal Diégo * Sorte de Lugerne, Tome I, ô L | 266 VoOUF ABNENREU. PAEMR) O LE Diigo de Almagro jetta les premiers fondemens de la Ville, qui fe trouve dans une Plaine fort large, quoiqu’environnée de Montagnes. Vers le Nord elle a une autre Plaine fermée par la haute Montagne de Chimbora- zo, qu'on voit de ce côté-là en plein, & dont la croupe n’eft pas fort é- loignée de la Ville. Dans la Plaine du Sud où la Ville eft fituée, il ya un Lac d'environ une lieue de long fur trois quarts de lieues de large. Ce Lac eft appellé Colta. On trouve des Oyes & des Gallaretes en quantité fur fes bords, & aux environs beaucoup de Haciendas. Les rues & la grand’ place de cette Ville font fort régulicres, droites & dégagées. Les maifons font bâties d’une pierre aflez légere, mais moins que la pierre-ponce de Latacunga. Quelques-unes ont un étage, fans le rez-de-chauflée, particuliérement celles qui font face à la grand’ place, Le refte eft fort bas, crainte des tremblemens de terre, dont elle a auffi reflenti les triftes effets, furtout de celui de 1698. Avant la conquê» te les Zndiens qui compofoient la Peuplade de Riobamba, auffi-bien que ceux qui fuivoient par la partie méridionale de fa Jurisdiétion, étoient appel- les Peruayes ; nom qu'ils ont confervé depuis, & par où on les diftingue encore aujourd'hui des autres Jndiens de la Province. Outre la grande Eglife, il y a une autre Paroïfle fous le nom de Sr. Se. baftien, & des Couvens des mêmes Religieux qu'a Latacunga, avec un Mo- naftere de Filles de la Conception. Il y a auñli un Hôpital prefque tout rui- né, où l'on ne reçoit-point de malades. Une Riviere qui coule à l'occident baigne les murailles de la Ville, & arrofe les Campagnes voifines par le moyen de divers canaux. Le nombre des habitans eft eftimé de 16 à 20000 âmes; leurs mœurs & leurs ufages ne font pas différens de ceux des Citoyens de Quito, dont ies plus diftingués tirent prefque tous leur origine de Riohamba ; parce que les premieres Familles de diftinétion qui pañlerent d’E/pagne en Amérique après la conquête, s’établirent dans cette derniere Ville comme dans leur Patrimoine, & que depuis les Familles diftinguées de Quito fe font tou- jours alliées par des mariages avec celles-ci. Le Cabildo, où Corps de Ville, eft compofé de Régidors pris dans les- principales Familles, & parmi lesquels on élit tous les ans les Alcaldes or- dinaires, par l'unanimité des fuffrages ; car s’il s’en trouve un de con- traire, l’éleétion eft nulle. C’eft à la Ville à confirmer ou à rejetter en- faite les Elus, ce qui eft un privilége dont aucune autre Ville de k Pro- vince ne jouit. Le VOYAGE AU PEROU Ew VI Cr. I 2367 Le voifinage de la Montagne de Chimborazo rend le climat de cette Ville un peu plus froid que celui de Quito. Quand le vent fouflle de ce côté-la, le froid augmente à tel poimt que les Perfonnes de diftinétion fe retirent à leurs Æaciendas, qui, quoiqu'àa peu de diftance de la Ville, jouiffent d’un climat plus doux. C’eft furtout depuis le mois de Décembre jufqu’au mois de May qu’on eft expofé à ce froid, parce que c’eft alors que régnent les vents de Nord & de Nord-Ouëft. Les pluyes y font moins fortes & moins fréquentes qu'à Quito, & les tempêtes n’y font pas fi violentes; le Ciel y eft fouvent ferein, ainfi que dans tout le refte de la Jurisdiétion. Les Haciendas font très-fréquens dans ce Diftriét, & les Fabriques y font en plus grand nombre, & plus confidérables qu’en nul autre lieu de la Province. Les JZndiens y font naturellement portés à cette forte de tra- vail, principalement dans le Village de Guano, lieu fameux par fes Fa- briques de Bas de laine. Les Haciendas où l'on nourrit du menu bétail font riches, & fourniflent toute la laine qu’il faut pour les étoffes de cette efpéce. Le Terroir eft fertile ; il produit en abondance toute forte de Lé- gumes: on y voit plus fréquemment, ce que j'ai déjà dit ailleurs, femer d'un côté & recueillir de l’autre. La Campagne eft peinte de tant de dt- verfes couleurs, que l'Art pourroit à-peine mettre une fi grande variété dans fes tableaux. Dans la Jurisdiétion de ce Corrégiment fe trouve une vañfte Plaine au Sud de la Ville. On la nomme Tiocaxas. Elle eft fameufe dans l'Hiftoi- re, pour avoir été le théatre d’une fanglante bataille entre les E/pagnols commandés par Belalcazar, &les Indiens Puruayes, qui vouloient l'em- pêcher de pénétrer jufqu’à Riobamba, & dans le refte de la Province. La bataille fut indécife. L'Afiento de Hambato, fecond Bailliage de ce Corrégiment, eft bâti dans une Plaine fort étendue formée par une vafte coulée. Au Nord cou- Je une Riviere que l'on pañle fur des ponts, à-caufe de fa profondeur & de fa rapidité. Le Bourg eft en fort bonne fituation, & n’eft guere moins confidérable que Latacunga, puifque l’on y compte 8 à roooo âmes. Les maifons y font bâties de briques crues; elles font jolies, mais fort bafles crainte des tremblemens de terre. Il y a une Paroifle, deux Succurfales, &un Couvent de Religieux Cordeliers: Hambato fut entiérement détruit par le tremblement de terre qui détruifit Latacunga. La terre s’ouvrit en différens endroits aux environs du Bourg, & il en refte encore au fud du Bourg une fente de quatre à cinq pieds de large & d'environ une heuê LI:2 de ww 265 V OMCAIE VAU: PE MO TC de long du Nord au Sud; & du côté du Nord; après avoir pañlé la Rivie- re, on trouve d’autres fentes pareilles. Dans cette occafion la Montagne de Carguairafo toujours couverte de neige, étant venue à crever, les cen- dres qu’elle vomit s’étant mêlées à la prodigieufe quantité de neige que les dammes de ce Volcan fondirent, formerent une Riviere bourbeufe, qui fondant fur les Campagnes avec cette rapidité proportionnée à fa pente, détruifit les Champs enfemencés, engloutit les ‘Troupeaux qui paifloient fur fa route, & couvrit de fange tous les lieux par où elle pafla: on voit encore cette fange fechée par le tems au fad du Bourg: Les habitans de Hambato ne different pas de ceux de Quito quant aux coutumes : il n'y a pas parmi eux tant de Gens de diftinétion qu'a Riobanr- ba. Du-refte ils font naturellement guerriers; mais méchans, & fort dé- criés fur la probité dans tout le refte de la Province, de-même que chez leurs voifins. Cette Jurifdiétion l'emporte en bien des chofes fur les autres Jurifl'c- tions de la Province, foit par les ouvrages qui s’y font, foit parce que la terre y produit toutes fortes de Denrées. Le Pain qu’on fait dans le Bourg eft fameux dans toute la Province, on en tranfporte des ro/cas * à Quito, où l’on en mange par régal: on en envoye en divers autres en- droits, fans que le tems qu'on met à les voiturer diminue de fa bonté. Dans le Village de Quéro on fait toute forte d'ouvrages de menuiferie recherchés dans toute la Province, les habitans de ce Village étant pres- que tous menuifiers, &.les feuls de la Province qui s'appliquent à ce mé- tier. Le terroir du Village de Patate eft fertile en:Cannes de Sucre, & lé Sucre en eft excellent. Celui de Ste. Rofe Pitaguin, fitué fur la croupe du Carguairafo, produit beaucoup de bon Orge; &le terroir aux environs de Hambato eft fertile en Fruits exccllens, dont on envoye une quantité conf: dérable à Quito, furtout de l'efpéce de ceux que nous avons en Europe, & qui y viennent très-bien à-caufe de la température de l'air. Le Corrégiment de Chimbo eft à l'occident de celui de Riohamba; en- tre celui-ci, & celui de Guayaquil. … Il eft compofé d'un Bourg & de fept Villages: le Bourg eft Chimbo, où réfidoit autrefois le Corrégidor, qui fait maintenant fon féjour à Gugranda, pour la commodité du Commerce. Le Bourg ou Affiento eft compofé d'environ 80 familles pauvres, parmi lesquelles il y a quelques E/pagnols établis; mais les Métifs & Indiens font . le plus grand nombre de fes habitans, Villa- 9 Sorte de bifcuit, VOYAGE AU PEROU. Ew. VI. Villages du Corrégiment de Chimbo. I: San Lorenzo. IV. San Miguel. II. Afancoto. V. Guaranda. III. Chapacoto. VI Guanujo.- Le Village de Guaranda eft le plus peuplé de tous. Les habitans font la plupart Métifs, les autres font Zndiens, & il y a peu d’E/pagnols. Comme ce Corrégiment de Cämbo eft le premier des Montagnes qui confine à celui de Guayaauil, c'eft aufli celui qui entretient les plus de Mules qui vont par grandes troupes appellées Reynas, & entretiennent le Commerce entre Quito & les autres Provinces du Pérou par la voye de Guayaquil, où «Iles tranfportent des ballots de Drap & autres Ecoffes & Toi- les des Fabriques de la Province de Quito, ainfi que les Farines & autres Denrées qu’elle produit ; & en rapportent à leur retour du Vin, de l'Eau- de:vie de vin, des Raifins fecs , au Sel, du Coton , du Poiflon, de l'Huile & autres Denrées, qui manquent dans cette Province. Ce Commerce eft d’une utilité confidérable pour les habitans de cette Jurisdiétion ; mais il faut remarquer qu'il ne peut avoir lieu que pendant l'Eté; car dès que l'Hiver vient, les chemins font impraticables pour des Bêtes de fomme, comme nous l'avons dit ailleurs; c’eft ce que les gens du Pays appellent Cerranfe la Montanna *. L'air de Guaranda & de la plus grande partie de ja Jurisdiétion de Chim- bo eft très-froid, à-caufe de la proximité du Chimborazo. Le terroir eft fort étendu & fertile, comme dans les autres parties de la Province des- quelles il a été fait mention; mais les Haciendas confiftent généralèment, ou en T'roupeaux de Mules qu'on y nourrit, ou en Grains. Le Corrégiment de Guayaquil eft le dernier à l’occident de celui de Guaranda. En ayant déjà donné ailleurs la defcription, nous nous. con- tenterons d'y renvoyer ici le Lecteur. EH ARE Pak: Continuation des Remarques fur les.derniers Corrégimens de la Province de Quito. E Corrégiment de Cuenca commence au Sud-de celui de Riobamba. Cuenca, qui en eft le Chef-lieu, fut fondée en 1557 par Gil Ramirez Davalos. La Jurisdiétion eft divifée en deux Parues ou Bailliages, dont l'un * Le Montaigne ef} ferinée, LES 250 VO T AGE AU PEROU Y'un appartient à la Ville même, & l'auttre au Bourg d'Alaui, &:s'étend jufqu'aux confins de la Jurisdiétion de R'iobamba. Le Bail lag d'Alaufi eft gouverné par un Lieutenant nommé prar le Corrégidor de Curie : & compte dans fon reflort quatre Villages: principaux. I. Chumche. LIL. Cibambe. II. Gua/untos. LV. Ticfan. Le Bailliage de Cuenca en compte dix : I. Azogues. VI. Paccha. IT. Aruncannar. VII. Gualafto. III. Giron. VIIL Pauté. IV. Cannary-Bamba. IX. Délec. V. Spiritu Santo. X. Molleture. La Ville de Cuenca eft fituée par les 2 deg. 53 min. 42 fec. de Latitude Auftrale, & à 29 min. 26 fec. à l'occident du Méridien de Quito. Elle eft dans une Plaine fort grande, que traverfe une Riviere nommée Ma4- changara, à un peu plus d’une demie-lieue au nord de Ja Ville. Le Ma- tadero, autre Riviere qui baigne les murs de la Ville du côté du Sud , coule par la même Plaine. Une troifiéme Riviere nommée Tanuncay coule un peu plus loin, environ à un demi quart de lieue de Ja Ville. Enfin à la même diftance pañle une quatriéme Riviere, qui eft celle de Los Bagnos, nom qu'elle prend d'un Village près duqusl elle pañle. Ces quatre Ri- vieres, quoique guéables ordinairement, font dangereufes dès-qu’elles s’en. flent, & alors il faut les pafler fur des ponts. La Plaine où la Ville eft bâtie s'étend à plus de fix lieues au Nord. Les quatre Rivieres dont nous avons parlé courent au-travers de cette Plaine, & à quelque diftance de-là elles fe joignent enfemble & fe con- fondent pour former un Fleuve confidérable. Du eûté du Sud on trouve encore une autre Plaine d'environ deux lieues, toute couverte d’Arbres plantés réguliérement, & de Chacaros ou Terres cultivées qui embellifflent le Pays en tout tems. Où peut compter parmi les Villes du quatriéme tang celle de Cuenca. Les rues font droites & aflez larges, les maifons bâties de briques crues, & couvertes de tuiles. Plufeurs ont un étage outre le rez-de-chauflcé: celles du F'auxbourg font conftruites ruftiquement & fars alignement, r'é- tant habitées que par des Indiens: les rues font arrofées de l’eau de di- verfes rigoles, que les Rivieres fourniflent: & la Ville pourroit être Je jardin & les délices non feulement de cette Province, mais de tout Île Pérou, tant à-caufe de la commodité des eaux qui y coulent de toutes parts; VOYAGE AU PEROU. Liv. VL CHI 29 parte, que par fa fituation & la fertilité du terrain : avantages bien rares dans ces Contrées, mais que la faineantife &T 'indolence des habitans rendent inutiles. Les Montagnes qui élévent fi fort leurs têtes dans le Pérou; jus- qu'à Quito, diminuent ici, & deviennent de petites Collines qui femblent n'être faites que pour la variété des Champs ; mais bientôt elles recom- mencent à s'élever, & l’on s’en apperçoit en voyant l'Azuay, Montagne qui fépare cette Firisdi@iu de celle d'Alauf. Ainfi rien ne borne la vue autour de Cuenca; elle peut parcourir fans obftacle de vaftes & agréa- bles Campagnes. Il y a trois Paroifles à Cuenca. La principale eft pour les E/pagnols &les Métifs; les deux autres, appellées l’une St. Blaile, & l'autre St. Sébaftien, font pour les Indiens. Outre ces trois Eglifes, 1l y a encore un Couvent de Cordeliers, un de Dominicains, un d’Auguftins, un de la Merci, & un Collége de Téfiités, deux Couvens de Religieufes, un de la Cnbèpioh & l'autre de Ste. Théréfe. Quant à l'Hôpital il eft dans un état pitoyable, & ne mérite pas cenom. Il eft mal adminiftré, & plus qu'à demi-ruiné. Le Corps de Ville eft compofé de Régidors & d’Alcaldes ordinaires, ‘Qu'on élit felon la coutume tous les ans, & qui ont à leur tête le Corré- gidor. Le Tribunal, où Chambre des Finances établie à Cuenca eft com- pofée d’un Controlleur & d’un Tréforier. Cette Chambre étoit autre- fois à Séville de l'Or, Ville & Chef-lieu du Baïlliage de Macas; mais après k perte de la Ville de Logronno, de la Bourgade de Guamboya & autres Lieux, elle fut transférée à Loja, & de-là à Cuenca où elle eft reftée jus- qu'a-préfent. Les Deniers qui entrent dans les Caifles du Roi confiftent dans les Tributs des Indiens de ce Bailliage, de celui d’Alaufi, du Cor- régiment de Loja, & du Gouvernement de Ÿaen de Bracamoros ; à quoi il. faut ajoûter les Acavales, ou Impôts fur les Denrées, & les Droits de Douane des Magazins de Naranjal. Quant aux habitans de Cuenca, ils ne different pas dans leur efpéce de ceux de Quito, mais on y remarque quelque différence quant au génie & aux mœurs. En effet ceux de Cuenca furpaflent en pareffe tous les autres Peuples, ils ont une averfion infurmontable pour toute forte de travail: Je petit-peuple y-eft tapageur, vindicatif, & enclin à toute forte de mé- chancetés. Les femmes au-contraire y font laborieufes , & aiment à s’oc- cuper. ‘Elles filent la laine, & fabriquent des Bayétes qui font eftimées : dans tout le Pérou par leur bonne qualité & la fineffe de la teinture qu’el- les favent leur donner: elles font aufi des Tucuyos , traitent avec les Mar- chands, vendent, achettent, & font aller ce petit Commerce, qui eft Ettia toute V-OMRAREONU PER O EE. toute la reffource de leurs familles, pendant que leurs Maris, ou leurs Freres, ou leurs Peres fe livrent à loifiveté & à tous les vice > qui en font la fuite. On croit que le.nombre des habitans de cette Ville monte à 25 ou 30000 âmes. Ces habitans & tous ceux de cette Jurisdiction font connus fous le nom vulgaire de Morlaques. La douceur du climat répond à la bonté du terroir de ce Pays. En ef- fet la liqueur fe maintient dans le Thermométre depuis 1013 3 jufqu’a 1015 dans toutes les faifons de l'Année, par conféquent on y ne très-peu de froid, & la chaleur n’y eft point incommode. Les orages y font pareils a ceux de Quito; quand l’air eft paifible le Ciel eft ferein, .& le Climat eft fain , beaucoup moins fujet à caufer des fiévres malignes, & des pieuré- fies que celui de Quito, quoique ces deux maladies foient générales dans toute la Province. Les Campagnes font remplies de Æaciendas, dont plu- fieurs font fertiles en Cannes de Sucre, les autres confiftent en Grains qui fervent à nourrir du Bétail,, & l'on y fait quantité de Fromage, fort recherché dans toute la Province & au-dehors, & qui ne le céde pas à celui d'Europe. Atun-Cannar,,qui veut autant dire que Grand Cannar, eft un Villagé# fameux par la grande quantité de Grains que fon terroir produit, de-mé- me que par la valeur des anciens Zndiens , par les richeffes renfermées dans les terrés de ce Lieu, & par la fidélité des habitans envers Tupac-Tupan- qui, Inca auquel ils fe foumirent, ne fe voyant pas en état de:réfifter aux forces de ce Prince. Il firent plus, & lui rendirent tous les honneurs dont ils purent s’avifer; deforte que l’nca, charmé de leur:zéle, voulut leur en témoigner fa fatisfaétion, & fit bâtir dans leur Pays des Temples magni- fiques pour le paci du Soleil, des Palais, des Maifons fomptueufes , & des Forterefles, le to A 41 22752 ”9 de pierre & dans le goût des Edifices & Fortereffes de Ci uzco. Les murs en-dedans étoient revêtus de lames d’or. On voit encore dans ce Pays les reftes d’un Palais & d’une Fortereffe, qui ne font pas fi défigurés.qu’on n’y apperçoive des traces de cette magnificen- ce ;-nous en ferons ailleurs la defcription. Ces Zndiens Cannaris furent la vitime de leur fidélité ; car s’étant déclarés pour Æua/car Inca leur légiti- me Souverain contre le rebelle 4ta-Huallpa fon Frere, .& celui-ci ayant été viétorieux, fit tomber tout le poids de fa vengeance fur ce pauvre Peu- ple, qui n'avoit commis d’autre crime que d’avoir fait fon devoir, & en fit égorger 6ooo hommes, dont le fang acheva de fouiller la viétoire du Tyran, & acquit à ce Peuple une gloire immortelle. Les Indiens de Guafuntos & de Pomallaëta avoient toujours été étroi- tement VOYAGE AU PEROU. Liv. VL CE I 253 tement alliés avec éeux d’Afun-Cannar, & pour marquier encore mieux Jeur aflociation avec eux ils prenoient le nom de Camnarrifins. On voit encore chez eux des veftiges d'anciennes Forterefles. L'Affiento d'Alaufi, qui, comme nous l'avons dit, eflt le Chef-lieu du Bailliage de ce nom, ne contient qu'un petit nombre dl'habitans, parmi lesquels on compte quelques Familles diftinguées d'E/pagnols; le refte eft de Métifs & d'Indiens. Il n’y a d'autre Eglife que la Parroifle, qui même eft aflez pauvre. Le Village de Ticfan appartenant à ce Bailliage a été ruiné par des trem- blemens de terre, & abandonné par les habitans, qui fe font bâti des ha- bitations dans un lieu qu'ils ont cru moins expofé à ces fàcheux acci- dens, dont toutes les Montagnes d'alentour portent de triftes marques, étant toutes fendues & entrouvertes en précipices caufés par les fré- quentes fecoufles de la terre. On voit même en pluñeurs endroits des crevafles de deux à trois pieds de large , ce qui prouve que ce qui fait trembler la terre y fait aufli des ouvertures. L'air de ce Baiïllage eft un peu plus froid que celui de Cuenca , mais le terroir n’y eft pas moins fertile. e parlerai ailleurs plus au long des Mines du Pays de Cuenca, parmi lefquelles, felon l'opinion commune, celles d'Or & d'Argent ne font pas les moindres. La renommée s’eft même tant plû à les groffir, que pour prouver combien ces précieux Métaux y abondent, on rapporte une avan- ture de la vérité de laquelle je ne prétens pas être garant: elle eft trop au-deflus de l’ordie des chofes naturelles pour ne pas révolter la Raïfon. Je ne laifferai pourtant pas de la rapporter, non pas pour la rendre plus croyable, mais pour donner une idée de l'opinion qu’on a des richefles qu’on prétend que cette terre renferme dans fes entrailles: opinion qui ne peut être qu'une tradition des anciens Zndiens ; car dans ces fortes d’affaires où le fuccès eft incertain , la fiétion eft d'ordinaire appuyée fur quelque principe qui ne l’eft point. Entre les Vallées de Chuqui-Pata, qui s'étendent au Sud du Village des Azogues, & celle de Paute qui s'étend à l'Orient jufqu’à la Riviere du mê- me nom, on trouve diverfes Collines qui féparent les deux Plaines, & parmi ces Collines il en eft une qui s’éléve de beaucoup au-deflus des au- tres & fe fait remarquer par fa hauteur. On la nomme Supay-Urco, & ce nom lui vient de l’hiftoire que nous allons raconter. Un habitant de la Province d’Efframadure en Efpagne, fe trouvant dans une mifere ex- trême, entra dans un te] défespoir , que tantôt il invoquoit le Diable a {on Tome LI. M m S fe- à VOYAGE AU PÉRO U. fecours, tantôt il prénoit la réfolution de s’arracher une vié qui lui étoit à chargé. Enfin tränfporté de fureur 1l alloït attenter fur fes jours, quand Je Diable lui apparut, fais fous une forme & des habits capables de dé: cuifer fa profeflion. Le Diable voyant l’Efframadour dans ce terrible tranfpott, feignit d’en ignorer la caufe, & la lui demanda. L'autre l'en ayant inftruit, le Diable pour le confoler, lui offrit dé lui énfeigner an endroit où il pourroit prendre à fon gré autatit dé richefles qu’il vou: droit; qu’il n’avoit qu'à le fuivre, L’E/ftramadour accepta avec plaïfir l’ofs fre qu’on lui fatfoit, & prévoyant qu'il lui faudroit marcher quelques jours avant que d'arriver a cet endroit, 1l fe munit de quelques pains qu’il mit dans fes poches; mais en attendant l'heure où il devoit fe ren: dre à un certain lieu prefcrit par fon conducteur , où celui-ci avoit promis de le joindre pour faire enfuite le voyage enfemble, il arriva qu'il s'en- dormit, & qu'à fon réveil il fe trouva dans un Pays aufli inconnu à fes yeux que le pouvoit être l Plaine de Chuqui-Pata qui paroïfloit à fa vue, & la Montagne de Supay-Urco, fur la croupe de laquelle il fe trouvoit transplanté. On peut juger quel fut l’étonnement de notre homme à l'as- peét d’une terre qui lui fembloit fi étrangere. Il ne favoit fi c’étoit réalité ou illufion. Dans cette perplexité , il réfolut de s’approcher d’une des maifons qu’il découvroit, & de tâcher d’éclaircir fes doutes. Il fe trouva, par le plus grand hazard du monde , que l'habitation où 1l fe préfenta ap- partenoït à un particulier natif de la Province d’Efframadure en Efpagne. Celui-ci averti par fes domeftiques qu’il ÿ avoit-là un étranger qui fe di- foit Eftramadour, accourut pour le voir, & le pria d'entrer chez lui; & comme c’étoit l'heure de déjeuner, il le pria d’agréer qu'il le régalât. On fe mit donc à table, & en attendant qu'oneût fervi, l'E/framadour fit mille queftions à fon nouvel hôte für fon Pays, fes amis, fes paréns, qu'il n'a- voit vus depuis longtems. Le nouveau-venu ayant fur ces entrefaites tiré fon pain de fa poche, le maître du logis frappé à cette vue, & ne pouvant comprendre comment il avoit pu Confervér dans un fi long voya* ge du pain qui paroifloit encore frais, & qui par fa figure témoignoit avoir été fait en Eféramadure, veut éclaircir les doutes qui naïffent en foule dans fon efprit :il interroge fon hôte, & le prie de li apprendre com- .‘Mienc il avoit pu en fi peu de tems faire un fi long voyage & traverfer tânt de Mers ; à quoi celui-ci ayant fatisfait, on ne douta plus que cette étonnante avahture ne fût l'ouvrage de Satan; & depuis ce tems-la, ajoûte-t-on, la Montagne fut appellée Supay-Urco, qui fignifie, Montagne du Diable : chacun s'étant perfuadé que Satan avoit tranfporté cet hom- me VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. 04, IL. me fur cette Montagne pour l'enrichir, en le mettanit à même de fouiller dans les tréfers qu'elle renferme dans fes entrailles. Cette hiftoire eff fi accréditée parmi les habitans de la Jurifdiétion de Cuenca, qu'il n'y a per- fonne qui l'ignore. Le Pere Manuel Rodriguez , dans fon Hiftoire du Ma- rannon, Lav. Il. Chap. IV. en fait aufli mention: d’où il paroît que cette tradition eft aufli ancienne que ceux de Cuenca le donnent à entendre, que fans être altérée par le laps des tems elle a fubfifté conftam- ment dans ce Pays jufqu’aujourd’hui ; & qu'enfin ç'eft-là la raïfon pour- quoi on eft communément perfuadé dans cette Contrée, que la Montagne en queftion renferme des richefles immenfes, fans qu'ils en ayent d’autre preuve que leur préjugé. Loja eft le dernier Corrégiment de l'Audience de Quito de ce côté-là. La Ville qui donne fon nom à ce Corrégiment fut fondée en 1546. par le Capitaine Alonfo de Mercadillo. Elle ne différe prefqu’en rien du Cuenca, finon que l'air y eft plus chaud , comme dans cout le refte de fa Jurifdic- tion, laquelle renferme 14 Villages, qui font: I. Saraguro, y Onna. VII. Zogoranga. II. San Fuan del Valle. IX. Dominguillo. III. Zaruma. X. Catacocha. IV: Tuluc. XI San Lucas de Amboca. V. Guachanama. XII El Sifne. VI. Gonzanama. XII. Malacatos. VII. Cariamanga. XIV. San Pedro del Valle. La Ville a deux Paroïffes, & des Couvens de divers Ordres, entre autres un de Filles, un Collége de Jéfuites, & un Hôpital. C’eft dans le terroir de ce Corrégiment que croît le fameux Spécifique contre les fiévres intermittentes connu en Æ/pagne fous{le nom de Ca/ca- silla de Loja, & dans le refte de l'Europe fous celui de Quinquina. Il-y en a de diverfes qualités, & entre autres un plus parfait que les autres par fonefficacité. M. de Fufjieu, dont nous avons déja parlé ailleurs, étant chargé principalement de l'examen des Plantes, fit un voyage exprès à Loja pour examiner l’Arbre qui produit ce fameux Fébrifuge. Il en a fait une defcription fort circonftanciée pour la fatisfaétion de ceux qui s’appli- quent à la Botanique, & avec cette capacité qu’on Jui connoît il en dis- tingue les différentes efpéces. Il voulut bien avant fon départ donner au Corrégidor de Loja les inftruétions néceffaires pour diftinguer la meilleure cfpéce, ainfi qu'aux Indiens qui font employés à la couper, pour qu’ils ne la mélaffent pas avec les autres, & qu’on eût toujours eu Europe celle M m 2 qui #6 VOYAGE AU PÉROU qui eft la plus efficace. Il leur enfeigna en même tems la maniere d’en faire des extraits ; & enfin il eut la fatisfaétion d’en établir lufage dans ce Pays, où elle n’étoit jamais employée, quoique le climat y caufe au- tant de ces fortes de fiévres, qu'aucun autre: mais c’eft que les habitans fe figuroient que cette Drogue ne pañloit en Europe que pour y être em- ployée à téindre les Etoffes; & quoiqu'ils n'ignoraffent pas abfolument fa ertu , ils croyoient que ce Simple étant extrêmement chaud, il ne pou- voit leur être utile, & ils en appréhendoiïent même l’ufage. Mais Mr. de Fuffieu les raflura, & les defabufa tellement par quelques heureufes ex- périences, qu’ils en ufent aujourd’hui fréquemment & avec tant de con- fiance, qu’ils en prennent pour toute forte de fiévres, & toujours avec un fuccès capable de les confirmer dans l'idée qu'ils ont de fa propriété. C’eft ce que j'ai appris de perfonnes dignes de foi qui avoient été à Loja, & par des gens mêmes de cette Ville. L’Arbre qui produit cette fameufe Ecorce n’eft pas grand, il n’a guere plus de deux toifes & demie de haut du pied jufqu'au fommet. Le tronc & les branches font d’une groffeur proportionnée. La différence vient précifément de la groffeur de l'Arbre, l'écorce des plus gros n'étant pas l1 meilleure. Il y a auffi quelque différence à faire dans la fleur & la grai- ne. Pourtirer le Quinquina, on coupe l'Arbre, on cerne l'écorce, & après qu'on l’a détachée du bois, on la fait fecher. À force de couper ces Arbres on n’auroit depuis longtems plus de Quinquina, fi les graines qui tombent à terre n’en produifoient d’autres, deforte qu’on voit des Mon- tagnes qui en font toutes couvertes: ce qui n'empêche pas qu'on ne re- marque une diminution confidérable; car comme on n’a pas l'attention d'en femer de nouveaux, ceux qui viennent d'eux-mêmes n'égalent pas le nombre de ceux qu'on coupe. On a découvert dans le Territoire de Cuenca plufieurs Montagnes où croiffent des Atbres de la même efpéce; & dans le tems que j’étois dans ce Pays le Curé Mayeur de Cuenca fit ramafler une certaine quantité de ce Quinguina qu'il envoya à Panama, qui eft le feul débouché de cette marchandife: cet exemple, joint aux affurances données aux habitans de cette Ville que leur Quinquina étoit le même que celui de Loja, en enga- gea plufieurs à découvrir davantage de ces Arbres, & ils trouverent que dans toute l'étendue de cette Jurisdiétion il y avoit des Montagnes qui en étoient toutes remplies. Le terroir de Loja a auffi l'avantage de produire de la Cochenille, qui felon de fort habiles gens eft de la même efpéce & de la même qualité quëË À VO YAGE AU PÉROU. Liv. VE GR IL M3 +. que celle de la Province d'Oaxa dans la Nouvelle K/fpagne; mais les habi- tans de Loja ne font pas fi foigneux que ceux de cette Province, d’en cueillir en aflez grande quantité pour en faire un Commerce réglé. Ils fe contentent d'en cultiver autant qu'il leur en faut pour leur ufage particu- lier, & pour celui des Feintureries de Cuenca. C’elt à la Cochenille qu'il faut attribuer le cas que l'on fait des Bayétes de Cuenca & des Tapis de Loja ,que l'on préfere à ceux de Quito. Je ne nierai pourtant pas que cet- te préférence ne puifle provenir de l’habileté des Ouvriers, plus adroits à Loja & à Cuenca que ceux de Quito & des autres lieux de cette Pro- vince où l’on fabrique les mêmes marchandifes. La Cochenille croît auf dans le Baïliage de Hambato, quoiqu’on n’en fafle pas des récoltes for- melles; mais il n'eft pas douteux que fi on la cultivoit avec plus de foin, clle ne vînt aufli bien en abondance qu’en petite quantité. Puifque je fuis venu infenfiblement à parler de cet Infeéte fi fameux par le beau rouge qu'il donne à la Laine, à la Soye, au Lin & au Co- ton, il ne fera pas hors de propos de le faire connoître un peu plus parti- culiérement: pour cet effet je rapporterai non feulement ce que j'ai ob- fervé moi-même à Loja & à Hambato , mais aufli ce que j'ai appris de per- fonnes au fait de cette matiere, & qui connoiflent à fond les produétions de la Province d’Oaxaca, qui eft pour ainfi dire la fource de lasCochenille. La Graine où Cochenille croît, fe nourrit, & fe perfeétionne dans une Plante, connue dans la Province d'Oaxvaca, & dans tous les lieux où el- le vient, fous le nom de Nopal* ou Nopaléra. Elle reflemble, mais avec quelque différence dans les feuilles, à la Plante nommée Tuna, qui croît en abondance dans l'Andaloufie. Les feuilles de la Tuna font larges & plat- tes, pleines d'épines par-tout, les unes grandes, les autres petites; celles du Nopal au-contraire font prefque rondes, ou plutôt ovales, formant di- verfes éminences; elles ne font point couvertes d’épines, mais d’une peau déliée & lice, toujours vertes. On {éme le Nopal en faïfant en terre des trous de démie aune de pro- fondeur, à deux aunes de diftance les uns des autres, & rangés à la file comme on plante les Vignes. Dans chacun de ces trous on met une ou deux feuilles de Nopal étendues, que l’on couvre enfuite de terre. La feuille commence bientôt après à paroître & à poufler une plante, qui va tou- jours en croiflant, & commence à former un tronc, qui fe divife en mé- me tems en plufieurs branches, qui produifent fucceffivement de gospies feuilles , * Les François des Iles la nomment Raquette, & quelques Voyageurs l'appellent Æi- ger des Indes, Not. du Trad. Mm 3 2 -8 VOYAGE AU PEROU. feuilles, dont ls plus grandes font celles qui font le plus près de l’en- droit où naît lecronc. Ce tronc eft rempli de nœuds de-même que les rameaux, c’eft le ces nœuds que les feuilles viennent; toute la plante n'a que trois awes de hauteur au plus. Le Nopal eft lans fon plus grand degré de perfeétion, comme les au- tres Plantes dèsle Printems, qui commence en Ouxaca & dans ces parties feptentrionales le l'Amérique Efpagnole avec les mêmes mois qu'en E/pagne. Alorsil fleurit, & fa fleur eft petite, ayant la figure d’un cocon incarnat, du centre duqud fort la Tuna (c’eft le nom qu’on donne aufñfi au fruit); & à- mefure que celk-ci croît, la fleur perd fa vive couleur & fe ternit jufqu’à ce qu’elle tomb:. Quand la Figue ou Tüuna eft mure, fa peau extérieure eft blanche, muis fa chair eft d’un beau cramoifi. Ceux qui en mangent peuvent compter que leur urine reffemblera parfaitement à du fang quant à la couleur ,ce qui effraye d’abord ceux qui n’y font point accoutumés ; mais c’eft fans conféquence, & le fruit eft fain & fort bon à manger. Pour cultiver les Nopales, il ne faut qu'avoir foin de nettoyer le terrain où ils croïffent de toute autre herbe, afin qu’ils profitent mieux. On les émonde après c’on en a tiré la graine, ce qui fe fait en coupant & re- tranchant toute les feuilles, afin qu'ils en pouflent de nouvelles l’année fuivante ; ear ieft remarquable que quand ces rejettons font nouveaux la graine qui s'en nourrit eft de meilleure qualité, & groflit davantage que quand ils font vieux de quelques années, auquel cas il faut les replanter au moyen des £uilles qu’on en a coupées. Il fut un tens où l’on croyoit que la Graine ou Cochenille étoit un fruit, une femence de certains Arbres ou Plantes: c’étoit une erreur fondée fur l'ignorance où l'on étoit de la maniere dont elle fe reproduifoit & fe mul- tiplioit. Aujoard’hui il n’y a perfonne qui ne fache que c’eft un Animal vivant, & nonun Fruit. Son nom vient de fa refflemblance avec les Co- chinillas * , qu’on trouve dans les lieux humides, & en particulier dans les jardins. Quand on les touche elles fe tortillent, & forment une peti- te balle un per plus petite qu’un pois. En quelques Provinces on les connoît fous lenom de Baquillas de San Anton, ou petites Vaches de St. An- toine. Telle et a figure de la Cochenille, avec cette différence qu’elle ne * Ce mot Éfpasnel eft un diminutif de Cochino, Cochon, & c'eft ainfi qu'on appelle en Epagne les Cloporrs, forte d’Infeéte qu’on appelle en quelques Provinces de France Porc, où Porcelet de St. Antoine, & en Diuphiné Caiou, qui fignifñie Cochon. Au-refte cet In- feite elt commun ans les caves, les vivilles murailles & en général par-tout où il y a ce l'humidité. Npt, du Trad. VOYAGE À U PEROU. LrIw. VI. CH. LL 279 ne {e tortille point. Sa groffeur n'excéde pas celle des Jiques, forte de Vermine qu’on voit communément fur la peau des Chienis & dans la toi- fon des Brebis. | Cet Animal dépofe fes œufs avec beaucoup de foin fur les feuilles du Nopal: là, à-mefure qu'ils éclôfent, ils fucent le jus de la feuille & le con- vertiflent infenfiblement en leur propre fubftance, qui les rendent du plus beau rouge qu'on puifle voir, au-lieu qu’ils étoient auparavant Comme de l’eau & ne paroïfloient bons à rien. La Cochenille dépofe fes œufs ou fa fe- mence pendant les mois de May & de Fuin, pendant que la plante eft dans fa plus grande vigueur & a le plus de fubftance. D'abord l’ Animal en fortant du germe, n’eft pas plus gros qu’un Ciron, mais dans l’efpace de deux mois il groffit au point que nous venons de le dire: avant que d’éclôre il eft fujer à divers accidens qui le détruïifent, & avec lui l'efpérance de la récolte. Un des plus dangereux de ces aceidens, c’eft le vent de Nord, qui étant naturellement impétueux, emporte les œufs de la Cochenille en les détachant du Nopal. Les pluyes, les neiges, les brouillards & les gelées tuent ces Animaux, & brulent en même tems les feuilles de la plante. Dans ces fortes de cas l’unique moyen de les conferver, c’eft d'entretenir du'feu & de faire beaucoup de fumée à une petite diftance. Les Poules, & certains petits Oifeaux font les ennemis mortels des Cochenilles dont ils aiment fort à fe nourrir, de-même que quelques In- feëtes qui naïffent là où il y a des Nopals: c'eft pourquoi il faut les garan- tir des uns & des autres, écartant avec foim les Oifeaux, & détruifant Jes Vermiffleaux qui leur nuifent. Quand la Cochenille eft au point qu’elle doit être, on la met dans dés pots de terre, obfervant qu’elle n'en puille fortir, ni s’éparpiller ; car en ce cas elle fe perdroit, ce qui n'arrive point quand elle eft für le No- pal; parce que cette plante étant fon élément naturel, elle ne s’en écar- te jamais, quoiqu'elle pafñle d'une feuille à l’autre: Pour éviter qu’elles ne s’écartent ,on les couvre dés-qu'elles font parvenues à leur parfaite groffeur, & aufitôt qu’on les a amaflées on les tue: c’eft ce que les Zn- diens font de diverfes manieres, les uns employant l'eau chaude, les au- tres le feu, & les autres le Soleil; & de-là vient que la couleur de la Cochenille eft plus ou moins vive, pâle, ou foncée. Toutes ces trois méthodes requierent un certain tempérament. Quand c’eft avec de l’eau chaude on fait attention au degré de chaleur qu’elle doit avoir, & à la quantité qu'on en verfe. Ceux qui employent le feu mettent la Coche- À : nille 290 VOYAGE AU PEROU nille fur des péles qu'ills fourrent dans un four chauffé, mefurément à ce deffein; car il importe, pour que la Cochenille foit de meilleure qualité, qu'on ne la laifle pas trop fecher en la tuant. Tout cela bien confidéré, il paroît que la meillieure maniere eft d'employer la chaleur du Soleil pour cette opération. Outre l'attention qu’il faut avoir dans la maniere de tuer la Cechenille, il faut auffi connoître parfaitement le point où il convient de l’ôter du Nopal; mais comme cela dépend de l'expérience ,on n’en peut donner des régles fixes. On remarque même que dans les Provinces où les Indiens s'emplo- yent à ce travail, il y a de la différence entre la Cockhenille qu’on recueil. le dans un Village, & celle qu’on recueille dans l’autre, & même entre celle que chaque Zndien du même Village recueille, chacun fe réglant fur la pratique & la méthode particuliere qu’il s’eft faite. On peut à certains égards comparer la Cochenille aux Vers-à-foye, particuliérement dans la maniere de faire leur femence; car aprés qu’on a pris les Cochenilles qu’on deftine à cet ufage, on les met dans un cofin doublé en-dedans de groffe toile en plufieurs doubles pour qu’il ne s’en perde aucune : la Cochenille y pofe fes œufs, après quoi elle meurt. On tent le cofin bien fermé jufqu’à ce qu’il foit tems de porter la femence aux Nopals: alors on prend garde s’il y a quelque mouvement dans le co- fin, & s’il y en a on en infere que la Cochenille eft éclofe: mais comme cet Animal eft fi petit dans fa naiflance, il n’eft pas aifé de l’appercevoir diftinétement. C’eft cette femence que l’on place fur les feuilles du Nopal la quantité qu’un œuf de Poule peut en contenir fuffit pour en remplir une de ces plantes dans toute fon étendue; & ce qu'il y a de fingulier, c’eft que pour fe nourrir cet Animal ne ronge pas la feuille ni ne l’altére vifible- ment, ilne fait qu’en fucer infenfiblement le jus à-travers la peau qui couvre les feuilles. Les Pays connus où croît la Cochenille font Oaxaca, Tlafcala, Chalu- la, la Nouvelle-Gallice, Chiapa dans la Nouvelle Efpagne, Hambato, Loja, & Tucuman du Pérou ; & quoique dans tous ces Pays les Nopals croifient aufli-bien dans l’un que dans l'autre, ce n’eft pourtant qu'à Ouxaca que l'on fait de grandes récoltes de Cochenille & un grand Commerce de cet- te forte de Marchandife , parce les Zndiens s'y appliquent à la cultiver ; & dans les autres Pays la Cochenille vient fans culture & fans foin de la part des habitans, c’eft pourquoi on appelle Cochenille fœvage celle qu’on y recueille; non qu’elle foit d’une autre efpéce, non plus que les Nopals; çar quoiqu'elle differe dans la couleur d’avec celle d'Oaxaca, cela ne vient que VOYAGE AU PEROU: Liv. VE CHILI 21 que du défaut de culture, & non de Ila différence d’éfpéce. La raifon pourquoi les Indiens ne la cultivent pas dans les autres Pays, c’eft ou parce qu’ils ne font point au fait de ce Négoce, ou parce qu'ils font re- | butés des foins qu’il faut avoir pour comferver ces petits animaux jufqu’a leur degré de perfection, & de la difficulté de les préferver des accidens qui en font perdre la récolte. | Quant au climat qui convient le plus à cet Animal, on ne peut le dé. terminer bien précifément, vu que dans le Pays d'Oaxaca il ÿ a différen- tes fortes de climats, comme dans la Province de Quito: dans un en- droit l'air eft chaud, dans l’autre tempéré, & froid dans le troifiéme, & néanmoins la Cochenille vient aufli-bien dans l’un que dans l'autre. On peut cependant aflurer que le climat tempéré eft le plus convenable, & le terroir le plus fec &le plus aride eft le plus avantageux à la planté: c’eft ainf du-moins que le dénote-le Nopal, qui croît beaucoup mieux dans ces fortes de terroirs que dans aucun autre: aufli remarque-t-on que cette plan- te eft beaucoup plus commune à Æambato & à Loja, que dans les endroits où il fait plus chaud ou plus froid. À mon avis, la Province d’Andaloufie en Efpagne feroit un Pays fort convenable pour la Cochenille, tant par rapport à la nature du Climat, que parce que les Tunas ou Figuiers d'Inde ÿ viennent fi bien. Elle y feroit à l'abri des gelées, des brouillards & des neiges, furtout durant le Printems, l'air y étant fi tempéré que le froid ni le chaud n’y font-jamais excefifs, & tel qu’il le faut à l'animal en queftion, ainfi que nous la- ons déja dit. Loja a été autrefois une des principales Villes de cette Province, mais aujourd’hui on'y compte à peine 10000 habitans. Ils font connus dans toutes ces Contrées fous le nom de Lojanos, & ne font pas fi méchans que céux de Cuenca. Pour le naturel, les coutumes, & les qualités, ils reflemblent aux autres Peuples de ce Corrégiment, fans être aufi füjets à la pareffe que ceux de Cuenca. Ce Corrégiment fournit une grande quan- tité de Bœufs & de Mules aux autres lieux de la Province, & même à Piura dans les Vallées ; on y fabrique auñi des tapis très-beaux & eftimés dans tout le Pays. Le Corrégidor ‘de Loja réunit toujours en fa perfonne les Dignités de Gouverneur de Yaguarfongo & d’Alcalde Mayor des Mines de Zaruma, & en ces deux qualités, quand il fe trouve dans les cérémonies publiques de l'Eglife, il éft afis dans un fauteuil: prérogative qui n'appartient qu'aux Préfidens, ou Gouverneurs de Province. L'emploi de Gouverneur de Tz- Tome LT. Nn guar= 282 VOOR AMERU PER OU. guarfongo n'eft préfentement qu'un titre, vu qu'il n’y a plus dequoi en exercer les fonétions,, les lieux qui compofoient ce Gouvernement ayant été les uns détruits dans le foulévement des Jndiens, & les autres incorpo- rés au Gouvernement de Zaen; deforte qu'il ne refte au Corrégidor de Loja, que les honneurs qu'il femble qu’on ne lui rende que pour conferver la mémoire de ce Gouvernement... La Ville de Zaruma, dans la Jurisdiétion de laquelle fe trouvent les Mi- nes d'Or dont je parlerai ailleurs, reconnoît le Corrégidor de Loja pour fon Alcalde Mayor: Elle fut une des premieres Villes que l’on fonda dans cette Province, & s’eft vue l’une des plus riches & des plus opulentes; mais aujourd'hui elle eft dans un état fort médiocre. Les plus confidéra- bles Familles E/pagnoles s'étant retirées partie à Cuenca, partie à Leja, la Ville & les Mines font tombées en décadence, deforte qu’on ne compte pas au-delà de fix mille âmes dans cette Ville. Le dérangement arrivé aux Mines, moins par-le manque de métal, que par la négligence des pro- priétaires,. a. fait un tort infini au Bailliage de Loja, & diminué de beau- coup le nombre de fes habitans. Voilà tout ce que j’avois à dire des neuf Corrégimens qui font la meil- leure & la. plus riche partie de la Province de Quito. Je remets aux Cha- pitres fuivans à parler des Gouvernemens.. Cependant j’avertirai ici en paflant que la fituation des premiers fe pourra voir dans la Carte dela Mé- ridienne, que nous donnerons ci-après. y 9e) ge sy SSSR IE) LR DEAN TI TN TN I D NTM INR NN TRANS] Ge Hi À RE ToR: & . Kik Comprenant la Defcription, du Gouvernement de Popayan €5 d’'Atacames, ap- partenant, à la Province de. Quito. Comment ce Pays fut découvert, cone quis € peuplé. Près avoir traité, dans les Chapitres précédens, des Corrégimens de la Province de Quito, ce feroit ne faire connoître ce Pays qu’à moitié, que de ne point faire mention des Gouvernemens où lesDecrets & Rs Décifions de l’Audience Royale ne font pas moins refpeétés que dans Jes Corrégimens, deforte que les uns & les autres forment la Jurisdiétior de ce Tribunal, & la vafte Province de Quito. Je fai bien. qu’il eft très-ordi- naire aux Gens de ce Pays-là d’appeller Province chaque Gouvernement, cha- VOYAGE AU PEROU. Lav. VI Cë. II. 283 chaque Corrcgiment, & même les Lieuteénances dans lefquelles les uns & les autres fort fubdivifés: maïs c’eftun abus que nous me devons pas füi- vre ici, d’auiant plus qu’il n’eft réellement fondé que fur ce qu’ancienne- ment ces Dittriéts étoient habités par différentes Nations Zndiennes, dont chacune avoit fon Curaca particulier, qui étoit une efpéce de Souve- sain ; & qui même après que les Jncas eurent fubjugué ces Peuples, confer- verent tous les droits qui pouvoiefñt compâtir avec l'autorité fuprême des Empereurs, dont ils devinrent plutôt les Vaflaux immédiats que les Su- jets. Si nous voulions nous conformer à cette divifion, chaque Peuple de- viendroit une Province; puisqu’en-effet, du temsdu Paganisme des Jndes, chaqueiPeuple avoit fon Seigneur où Curaca; & quelquefois , comme dans les Vallées, dans la même Jurisdiétion de Popayan, dans celle de Maynas, & le long du Fleuve Marannon, non feulement ces différens Peuples a- voient chacun fon Curaca revêtu de toute l'Autorité Souveraine, mais parloient même une langue différente, fe gouvernoient par des Loix & des Coutumes particulieres , & étoient à tous égards indépendans les uns des autres. Tous ces Peuples fe trouvent aujourd’hui réünis fous le même Gouvernement, & compofent une même Province: ainfi les Gouverne- mens qui pour la Juftice reflortiflent à l Audience de Quito, doivent être regardés comme faifant partie de cette Province, & par conféquent je ne faurois me difpenfer d’en faire la Defcription. Le premier Gouvernement de la Province de Quito, qui la termine au Nord, c’eft celui de Popayan. Ce Gouvernement n'appartient pour- tant qu’en partie à la Jurisdiétion de l Audience de Quito, c’eft ce qui eft au Sud & à l'Occident: mais ce qui eft au Nord & à l'Orient eft fous la Jurisdiétion de l’Audience de Santa Fé, ou Nouveau Royaume de Grenade: c'eft pourquoi aufi, fans omettre les chofes effentielles qui concernent tout le Gouvernement en général, je parlerai plus eh détail de la partie qui cft fous la Jurisdiétion de l'Audience de Quito, pour ne point changer l'ordre & la méthode que j’ai fuivie jufqu’ici dans la Defcription des Cor- regimens. Tout le Pays compris dans le Gouvernement de Popayan, ou du-moins la plus grande partie, fut conquife par le célébre Adelantado Sebaftian de Belalcagar. Ce Général fe trouvant alors Gouverneut de la Province de Quito, & ayant appris que du côté du Nord il y avoit des Contrées non moins étendues ni moins riches que celles de fon Gouvernement, il for- ma la réfolution d'y porter la guerre, pouflé de ce noble defir qui domi- noit alors les E/pagnols, d'étendre le bruit de leur nom & la gloire de leurs Nn2 ex- 284 VOYAGE AU PE RO: exploits par. dé nouvelles entreprifes. Il'partit à la tête de trois cens Sol- dats de fa nation tous gens d'élite, & commença fon expédition lan 1 536. Il força tous les défilés que les Zndiens gardoient, & vint livrer bataill 16" aux deux plus puiffans Curacas de ces Contrées, l’un nommé Calambas, & l’autre Popayan, dont le nom - eff. refté. à tout:lJe Pays de ce Gouvcrne- ment & à la Capitale. Ces deux Chefs /ndiens étoient freres, tous les: deux fort acrédités chez-ces Nations, & tous les deux vaillans. Belalcazar les vainquit, s’empara de leur Pays , & le bruit de fa viétoire effraya fi fort les Peuples voilins, qu'ils fe foumirent tous, & promirent obéiffänce aux Rois d'E/pagne. Belalcazar ; après plufieurs chocs & combats, ayant mis fin à la guerre par une bataille décifive, établit le Siége de la Domi- nation E/pagnole dans ces Contrées, au-milieu même des Pays qu’il ve- noit de conquérir, & choïfit pour cet effet la même année le lieu où il étoit campé; emplacement des plus agréables par la beauté des campagnes, Ja fertilité des terres, & la falubrité de l'air. L'année fuivante 1 537 il y jetta les fondemens de la premiere Ville, laquelle conferve encore au-- jourd'hui le nom de Popayan , & eft la Capitale de tout I Gouvernement; & pendant qu'on la bâtifloit, il divifa fes troupes en plufieurs petites Ef- couades commandées par d’habiles Capitaines, & les envoya par diverfes- routes .dans les terres voifines, tant pour prévenir Poifiveté que pour contenir les Zndiens foumis, les empêcher de fe réünir, ou de fe joindré- à ceux qui réfiftoient encore, & foumettre ceux qui étoïent plus éloignés. Belalcazar n'eut pas plutôt achevé de bâtir la Ville de Popayan, qu'ayant reçu avis de fes Officiers que:le Pays renfermoit des richefles confidéra- bles, il partit pour aller examiner toutes ces chofes en perfonne, & aug- menter le nombre des Colonies.. Etant arrivé à Cali dans le Pays des Zx- Gens Gorrons, il.y fonda la Ville qui conferve encore le même nom de Cali, quoique placée fur un autre terrain, Micuel Munnos l'ayant trans- férée ailleurs, pour:la tirer d’un terrain où l'air étoit extrêmement perni- cieux. De.Cali, Belalcazar pafla dans d’autres terres où il fonda une troi- fiéme Ville fous le nom de Santa Fé de Antioquia, & ce fat ainfi que tout le Pays fut peuplé. Le Général s’y plaïfoit toujours de plus en plus, à-cau- fe de la fertilité & des richefles qu'il y découvroit, Pour mettre le comble à fa gloire: Belalcazar ne s'occupa qu'à découvrir un chemin. qui conduisit direétement de Quito à la Mer du Nord , comme. il en avoit. découvert un qui conduifoit à:la Mer du Sud. Pendant qu’il étoit occupé à bâtir, Popayan , fes Capitaines firent une découverte impor- tagte: C'étoit qu’à peu de diftance de cette derniere Ville jl y avoit deux des VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH IIL 285 des principales fources de la grande Riviere de la Madeleine, par où ik conçut l’efpérance de pouvoir pañler à la Mer du Nord; & s’en étant inftruit , voyant d’ailleurs les affaires du Pays en bôn état, fa conquête af- furée , & les principales Colonies bien établies, il réfolut de pañler en E/ pagne en fuivant le cours de cette Riviére, & de follicitér la Dignité de Gouverneur du Pays qu’il venoit de découvrir, de conquérir & de peu- pler. Comme fes fervices parloient en fa faveur , 11 ne lui fut pas difficile d'obtenir ce qu’il demandoit. Il fut le premier Gouverneur de ces Pays, qui furent toujours unis depuis fous un même Gouvernement, excepté dans ces derniers tems, qu’on en a féparé le Pays de Choco, pour en faire un Gouvernement particulier: c’eft ce qui a été exécuté en 1730,quoiqu'on n’y ait pourvu-qu’en 1735. Comme ce Gouvernement appartient au nou- veau Royaume de Grenade, je n’en ferai pas autrement mention, La Villk de Popayan eft la premiere de ces Contrées qui ait reçu le ti- tre de Cité, qui lui fut accordé le 25 de Juin 1538. Elle eft bâtie dans une plaine fort rafe vers le Nord, & eft fituée au Nord de l'Equateur par les 2 deg. 25. min. & à l'égard du Méridien de Quito plus à l'Orient envi- ron 2 deg. A l'Orient de la Ville eft une Montagne médiocrement hau- te, & couverte d’arbres de haute futaie appellée PM, à-caufe qu'elle a la figure de cette lettre; &. à l'Occident s’élévent quelques petites colli- nes plus propres à recréer la vue que ne le feroit un-païs uni. La Ville eft médiocrement grande, les rues larges, & tirées au cor- deau. Elles ne font pas entiérement pavées, mais feulement en partie; le terrain le plus proche des maïfons eft pavé ; le refte qui fait le milieu de la rue ne left pas, mais le fol eft un gravoismenu, qui ne peut jamais être converti en poudre, nien-boue, deforte qu’on y marche plus com- modément & plus proprement que fur le pavé. Les maifons font de briques crues, & bâties dans le goût de celles de Quito; Ja plupart ont un étage outre le rez-de-chauflée, les autres font fort bafles. A les voir en-dehors on juge que les appartemens en font bien diftribués, & ils font tous meublés de meubles. & ornemens d'Europe : ce qui n'eft pas une petite magnificence, vu la cherté des marchandifes d'Europe, occafionnée par les rifques qu’elles courent pour venir dans un Pays où il faut les voiturer‘à une grande diftance paf.terre. Il y a une Eglife érigée en Cathédrale l'an 1547, c’eft la feule Paroïfle de la Ville: non qu'elle ne foit pas aflez confidérable pour en entretenir davantage; mais parce que cette Eglife s'étant trouvée feule dès le com- iencement, les Prébendiers qui la deffervent n’ont jamais voulu confen- N n 3 cit 256 V'OMMAGE AU °P ER O U tir qu’elle fût fubdivifée , & qu'on l’affoiblit pour former d’atres Paroif. fes. En revanche il y a des Couvens de 55. François, de St. Dominique de St. Auguftin, & un Collége de la Compagnie de Féfus, où l’on enfeigne les Humanités, & où l’on.parle aujourd’hui d'y fonder une Univerfité & d’en confier la direétion à ces P. P. qui en ont déja obtenu le privlége. Tous ces Couvens ne contiennent .qu'un nombre médiocre de üjets, guére plus de fept à huit chacun. Il n’eneft pas de-même des Couvèns de Filles, tels que ceux de Ste.:Théréfe.& de l'Incarnation: ce derier | qui eft fous la Régle de S. Auguftin, ne contient guere plus de 40 à 50 Reli- sieufes Profefles; mais le nombre des Novices , des Penfionnaires, & des Servantes monte à plus de 400 perfonnes. Au -refte ils font bien bâtis, ainfi que les Eglifes. 11 y avoit aufi autrefois un Couvent de Carmes déchaufJés, fitué dans une grande plaine au milieu de la croupe de M: mais les Religieux trouvant cet endroit mal-fain, à-eaufe de la trop grande fubtilité de l'air & des vents froids qui y régnent conti- nuellement , 1ls l'abandonnerent au bout de quelques années, & s’établi- rent au pied de la Montagne, où quoique dans une fituation plus avan- tageufe ils ne purent pas fubfifter longtems, n’y trouvant d'autre nour- riture convenable à leur Inftitut, qui étoit d’obferver une abftinence per- pétuelle, que du poiflon fec ou falé avec des légumes: cela les détermi- na à sen retourner à leur premier Couvent, d’où ils étoient fortis pour faire cette fondation. La même chofe eft arrivée à un autre Couvent qu'on avoit commencé d'établir au Bourg de Latacunga, & qui fut aban- donné, faute d’y pouvoir fubfifter n’y ayant aucun Poiflon frais. :Il eft remarquable que les Couvens de Filles de la même Régle de Ste. Thérefe fe maintiennent fort bien, & il n’y a pas d'exemple qu’il s’y foit trouvé moins de Religieufes qu’il n'en faut pour remplir le nombre prefcrit. De la Montagne de l'M defcend une Riviere, qui traverfant la Ville ne contribue pas peu à la tenir propre, parle foin qu’elle a d’entraïner dans fa courfe toutes les immondices. Cette Riviere partage la Ville, & l’on va de l'un à l’autre côté par le moyen de deux ponts, l’un de pierre, l’au- tre de bois: elle s'appelle Rio del Molino; fes eaux font fort faines & mé- dicinales, parce qu’elles contraétent la vertu de quantité de ronces par où clles paient. Sur cette même Montagne eft une Source dont l’eau eft excellente, mais non pas aflez abondante pour en fournir à toute la Vil- le: aufi eft-elle réfervée pour les Couvens.de Filles, & pour un petit nombre de maiïfons particulieres qui font les plus riches & les plus diftin- guées de la Ville. A une lieue ou un peu plus au Nord de Popayan, paîle Ja VOYAGE AU PEROU. Liv. VL Cn. IL 287 la Riviere de Caœuca: elle eft profonde, fes débordemens fontt-terribles, & arrivent d'ordinaire dans les mois de Ÿuin, Fuiller, & Août, faifon où les pluyes font continuelles fur le Guanacas, où cette Riviere prend fa four- ce. Les orages font alors fi fréquens & fi furieux fur cette Montagne, qu'il eft dangereux d’en pailer trop près, comme ceux qui ont eu lim- prudence de s’y expofer, loft éprouvé à leurs dépens. À Quito & dans les autres Villes de la Province de ce nom, le mélange du fang eft du fang Efpagnol & Indien; mais à Popayan, comme à Cartha- gêne & autres lieux où 1! y a beaucoup de Négres, la plus grande partie de la populace eft un mélange du fang E/pagnol avec le fang Négre. Ce- Ja vient de ce que chacun y a des Efclaves Négres, tant pour la culture des Champs que pour le travail des Mines, & qu’il y a très-peu d’Indiens en comparaifon de Quito, & de toute cette Province. Cela ne doit pour- tant s'entendre que de Popayan, & des autres Villes Æ/pagnoles de ce Gou- vernement, où le nombre des Négres excéde de beaucoup celui des Fndiens ; ce qui n'empêche pas qu’il n’y ait beaucoup de Villages de ces derniers. On compte 20 à 25000 âmes de toute race à Popayan, & beaucoup dé Familles E/pagnoles , parmi lesquelles il y en a environ 6o d’ancienne No- bleffe, iffues de Maiïfons diftinguées en E/fpagne. Ileft remarquable que tandis que le nombre des habitans diminue dans plufeurs autres Villes des Indes, il s'accroît tous les jours dans Popayan, ce qu’on attribue aux abon- dantes Mines d’Or qu'il y a dans tout ce Diftriét, lesquelles y attirent & y font fubfifter un grand nombre de perfonnes. Le Gouverneur fait fa réfidence ordinaire à Popayan. Il dirige les Affai- res Politiques, Civiles, & Militaires. Ileft le Chef du Corps de Ville, compofé de deux Alcaldes. ordinaires, & d’un nombre convenable de Régi- dors, comme dans les autres Cités. Il y a à Popayan une Chambre des Finances pour la percéption des De- aiers du Roi, Tributs des Zndiens, Alcavales, Quint des Métaux, & aur- tres femblables. Le Chapitre de l'Eglife Cathédrale eft compofé de l'Evêque, qui jouit d'un revenu de 6000 Pefos par an, d'un Doyen qui en à 500, d'un Ar- ehidiacre, Chantre, Ecolâtre, & Tréforier ; qui en ont chacun 400. L’Evêque eft Suffragant de l’Archevêque de Santa-Fé de. Bogota. Le Tribunal de lInquifition établi à Carthagéne étend fa jurisdiétiom jufqu'a Popayan, où il nomme un Commiflaire. Outre celui-là il y en a encore un pour les Affaires de la Crugada; mais leur autorité ne s’étend pas au-delà du Diocéfe qui n’eft pas fi étendu que le Gouvernement, vu qu'une 95 OX AG E SEEN RO: UE. qu'une partie des Pays qui compofent ce dernier, font du Diocéfe de Quito. La Jurisdiétion du Gouvernement de Popzyan s'étend par le Sud jufqu’à la Riviere de Mayo, &.jufqu’à Ipiales , par où ilconfine avec le Corrégi- ment de la Ville deA5t. Michel d'Ibarra. fu Nord-Eft elle eft bornée par ja Province de Santa-Fé, qui confine à cell d’Antioquia, la derniere de ce Gouvernement de ce côté-; & au Nordil eft borné par le territoire du Gouvernement de Carthagéne. À Occident il n'avoit autrefois d’autres limites que la Mer du Sud; mais aujourd’hui il eft retreci par le nouveau Gouvernement de Choco, & ne confine plus à cette Mer que par les cô- tes. qui appartiennent au Bailliage de Barbacoas. À l'Orient il touche aux fources de la Riviere de Caquéte, qu'on croit être aufli les fources des Fleuves Orinoco, où Oronoque, & Négro. Ses limites ne font pas bien déterminées, mais on juge qu'il peut avoir 80 lieues de l'Orient à l'Occi- dent, & un peu moins du N ord au Sud. Sa Jurisdiétion comprenant une infinité de lieux tant grands que petits, eft divifée en divers Territoi- res ou Bailliages, où le Gouverneur nomme chaque Bailif pour y adminiftrer la juftice. Il les nomme, & l'Audience dont le Bailliage relé- ve les confirme; circonftance néceflaire pour que ces Magitrats fubalter- nes foient plus refpeétés dans leurs fonétions. Bailliages du Gouvernement de Popayan. I Santiago de Cal. VII Aimaguer. II. Santa-Fé de Antioquia. VIII. Caloto. III. Las quatro Ciudades. IX. San Fuan de Palo. IV. Timana. X. El Rapojo. V. Guadalajara de Buga. XI. Barbacoas. VI. San Sebaltian de la Plata. Tous ces Bailliages, outre le Chef-lieu , contiennent des Bourgs & Vil- lages confidérables & bien peuplés, fans compter les Haciendas, dont plufeurs font fi riches, & ont tant de gens employés qu’elles reflemblent plus à des Villages qu’à des Habitations champêtres. Parmi les Bailliages que nous venons de nommer, . ceux qui font au nord ‘& à l’orient de la Ville de Popayan, tels que Santa-Fé de Antioquia, las quatro Ciudades, Timana & San Sebaftian de la Plata, appartiennent à V Audience & Province de Sunta-Fé ;les autres qui font plus près de Quito appartiennent à la Province de ce nom;. ceux de San Fuan de Pafio & de Barbacoas font du Diocéfe de l'Evêché de Quito. Les Bailliages de Cali & de Buga, fitués entre Popayan & le Choco, font . riches à-caufe du commerce qui fe fait entre ces deux Gouvernemens. Il nen vOYAGE AU PEROU. Liv. VI. CHI 289 n’en eft pas de-même du Bailliage d'Ælmaquer , qui n’a que fort peu d’é- tendue, & dont le Commerce n'eft pas confidérable. Celui de Caloto eft fort étendu, riche & abondant en Denrées; le terroir y étant trés-fertile, le Rapoo peut aller de pair avec Cali & Buga; du côté de Choco le Bail- liage de Pafto eft aufli fort étendu, mais pas fi riche; mais celui de Bwr- bacoas eft petit, & manque des ciofes néceflaires à la vie, excepté de Racines & de Grains qui croiflent dans les terroirs chauds & humides. Le climat de ce Gouvernement eft en tout femblable à celui du refte de la Province de Quito, dont j’ai déjà parlé, c’eft-à-dire, qu’il varie fe- lon les différentes fituations des lieux: dans les uns il fait plus froid que chaud, & dans les autres plus chaud que froid, & en quelques endroits, par- ticuliérement à Popayan , il régne un Printems perpétuel. La méme chofe peut fe dire de la fertilité des Terres, elles produifent abondamment des Grains ,ou des Fruits, felon la qualité de chaque terroir. Les Terres de ce Gouvernement aux environs de la Ville fourniflent beaucoup de Troupeaux, tant pour la confommation des Villes que pour le fervice des habitans. Le Bailliage de Paflo fait un Commerce confidérable avec Qui- to, où il fournit beaucoup de Bétail, de Mules & de Chevaux. Le ter- ritoire de Popayan eft fort fujet aux orages & aux tremblemens de terre, qui y font même plus fréquens qu'a Quito, où ils font pourtant fi ordinai- res. Iln’ya pas longtems, c’eft-à-dire en 1735 le 2 Février, qu'il fouffrit une fi furieufe fecouffe, que la pius grande partie des maïfons en fut ren- verfée. Il paroît que ces fréquens orages & tremblemens de terre font l'effet des métaux que cette terre renferme en beaucoup plus grande quantité que la Province de Quito. On prétend que Caloto eft de tous les lieux de ce Gouvernement celui qui eff le plus fujet aux connerres & à la foudre ; de-là eft venu lufage des las Campanillas où Clochettes de Caloto: quelques perfonnes qui en font beaucoup de cas s’en fervent, dans la perfuafion que le fon de ces clo- chettes a une vertu particuliére contre la foudre. Et à ce propos ils vous racontent tant de prodiges, qu’on ne fait qu’en croire. Sans prétendre ici décider de la vérité on de Ja faufleté de ces bruits, & laiffant à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, felon ce que fa prudence lui diétera, je rapporterai ce qu’on penfe communément dans ce Pays fur le fujet en queftion. La Bourgade de Caloto, dont le Diftriét contenoit un grand nom- bre d’Zndiens connus fous le nom de Paexes, étoit très-confidérable au commencement de fa fondation; mais ces Indiens s'étant foulevés, aflail- lirent fubitement le Bourg, mirent le feu aux maifons, & le détruifirent Tome I. O o entié- s 290 VOY ARELQNU FÉRÉOU enticrement, maflacrant fans quartier tous les habitans. Ils en vouloient fartout au Curé, qui tàchoit de les tirer de l’Idolâtrie, & les avoit toujours endoétrinés avec beaucoup de zéle. Ils l'égorgerent doné auffi, & fe fouvenant que la cloche de PEglife avoit été l'inftrument dont on s’étoit fervi pour les avertir de l'obligation qu'on leur avoit impofée d’affifter au Cathéchifme, ils réfolurent de la détruire, & fe mirent en devoir de la mettre en piéces; mais n'ayant pu y réuflir ils prirent le parti de l’enter- rer. La nouvelle de cette révolte étant parvenue aux E/pagnols du voi- finage, ils marcherent pour faire rentrer les rebelles dans le devoir & re- lever le Bourg ruiné. Ayant réufli dans l'un & l'autre de ces deux points, ils retirerent la cloche du lieu où les Zndiens l'avoient jettée, & la place- rent dans le clocher de la nouvelle Eglife: là-on s’appercçut bientôt du pouvoir qu’elle avoit fur les tempêtes; car dès-qu’il paroifloit quelque gros nuage qui menaçoit de la foudre & des éclairs, on n’avoit qu'à la fonner tant foit peu, & aufitôt le Ciel devenoit ferein, les nuages s’écar- toient, & alloient crever ailleurs. Des merveilles de cette nature ne pouvoient pas manquer de faire du bruit. La renommée s’en répandit bientôt de tous côtés. Plufieurs perfonnes folliciterent d’avoir des mor- ceaux de cette cloche pour avoir part à fes bienfaits; & de ces morceaux ils ont fait les battans des clochettes qui courent fous le nom de Cam- panillas de Caloto. Dans les Vallées de Neyba, & autres du Gouvernement de Popayan, on trouve un Infeéte bien extraordinaire, & bien dangereux par la violence du venin qu'il contient dans fon petit volume. Cet Infecte eft une ef péce d’Araignée ou de Vermiffeau fi petit qu'il a à peme la groffeur d’u- ne Punaife. On l’appelle Coya ou Coyba. Il eft de couleur d’écarlate , & fe tient comme les Araignées dans les coins des murailles, & parmi les herbes. L’humeur qu'il renferme dans la petite circonférence de fon corps eft fi maligne, que fi on l'écrafe & qu’elle rejaillifle fur la peau de quelque perfonne ou bête, elle pénétre les pores, & s’infinuant dans la mafle du fang fait enfler horriblement le corps, ce qui eft bientôt füuivi de la mort. L’unique reméde à ce mal, c’eft de flamber le malade auñii- tôt qu'il commence à enfler, & de fe fervir pour cet effet d’une certaine paille que l’on trouve dans ces Plaines. Auffitôt que cette paille eft allumée quelques Zndiens prennent le malade les uris par les pieds les au- tres par les mains, & lui font avec beaucoup d’adrefle cette opération, a- près laquelle on peut compter qu’il ne mourra pas de cet accident. Ce qu'il y a de fingulier, c’eft que fi l’Infeéte créve dans la paume de la main VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. CH. IL o9x de quelqu'un, celui-ci n'en recevra aueun dommage: d’où l'on peut infé- er que la callofité ordinaire du dedans des mains empêche le venin de pénétrer, au-lieu que fur le revers la peau eft plus déliée. Les Voitu- riers Indiens qui paflent & repaflent par les lieux où il y a de ces Infeétes, les écrafent entre les deux mains pour fatisfaire la curiofité des Voya- geurs: je ne voudrois pourtant pas confeiller aux perfonnes qui ont la peau plus fine que ces fortes de gens, de faire une pareille épreuve; je ne doute pas qu'ils ne s’en trouvaflent aufli mal que fi c’étoit fur une au- tre partie de leurs corps. La Nature, aufli admirable dans fes ouvrages que dans les précautions qu'elle prend pour les conferver, a donné la raifon aux Hommes pour fuir tout ce qui leur eft nuifible, & un inftinét aux Brutes pour prévenir les ennemis qui peuvent les detruire. Les perfonnes qui paflent par ces Vallées où les Coyas pullulent & mettent les paflans en un danger évident, ces perfon- nes, dis-je, averties d'avance par les Indiens qui les accompagnent, ont grand foin, dès-qu’elles fentent que quelque chofe les pique ou les demange au col ou au vifage, de ne pas fe grater, ni même de porter la main à cette partie, parce que la Coya eff fi délicate que dans le moment elle créve- Toit; & comme elle ne fait point de mal tant que fon fang ou fà liqueur eft renfermée dans fa peau, la perfonne qui la fent remuer avertit quel- qu'un de la compagnie, qui examinant l'endroit où eft la Coya ne fait autre chofe que de fouffler deffus & lenléve par ce moyen. À l'égard des Animaux, leur inftinét leur faifent craindre qu’il n’y ait des Coyas dans Pherbe qu’ils broutent , avant d'y mordre ils s’ébrouent forte- ment pour écarter ce dangereux Inféte. Quand par leur odorat ils fentent qu’il y a un nid de cette engeance dans un endroit, ils s’en é- loignent & pañlent à un autre. De cette maniere ils évitent un fi cruel poifon. Il arrive néanmoins quelquefois que l’Infeéte eft fi bien caché dans l'herbe, que la Mule ne peut l’en écarter par fes ébrouemens, & qu’elle broute néanmoins cette herbe: en ce cas il n’y a point dereméde, il faut que la Mule créve. Parmi les Herbes que produit le Pays de Popayan, on diftingue la Cu ca où Coca, fi eftimée des Indiens qu'il n’y a point de mets, point de mé- tal, point de pierres précieufes qu’ils ne cédenc volontiers pour en avoir. C'eft une plante foible & qui s’entrelafle aux autres plantes, à peu près com- me le Sarment. La feuille en eft fort lice, longue d’environ un pouce & demi. Les Indiens la mâchent après l'avoir mélée avec de la craye où terre blanche qu’ils nomment Mambi. Ils mettent dans la bouche Oo 2 partie 292 VOYAGE AU PEROU partie de feuille de Coca, & partie de Mambr, & mâchant le tort enfemble; ils crachent d’abord , mais enfuite ils avalent leur falive mêlée de ce jus, & tournent le morceau tantôt d’un côté de la bouche, tantôt de l'autre jufqu’à ce que la feuille ne rende plus de jus, alors ils la rejettent. Cet- te herbe leur tient lieu de toute autre nourriture, tant qu’ils en ont, ils ne mangent rien quelque travail qu'ils faflent. Ils prétendent que le jus de la Coca les rend vigoureux, & en effet l'experience fait voir qu’ils ont moins de force quand cette herbe leur manque. Hs ajoûtent qu’elle raffermit les gencives , & fortifie l’eftomac. Cette Herbe croît en abon- dance dans les Provinces méridionales du Pérou, où les Indiens la culavent avec foin. La meilleure eft celle qui croît aux environs de Cuxco. _Ils’en fait un grand commerce, partieuliérement aux lieux où l'on exploite des Mines; car les Indiens ne fauroient travailler fi cet aliment leur man- quoit ; c'eft pourquoi les Propriétaires des Mines ont foin de leur en four- nir tant qu'ils veulent, en rabattant für leur falaire journalier. La Coca eft abfolument la même Plante que celle qui eft connue dans les Indes Orientales fous le nom de Brel. I n’y a aucune différence ni dans la tige, ni dans les feuilles ,nidans l’'ufage qu'on en fait. Elle a les mêmes pro- priétés , & les Indiens Orientaux n’en font pas moins friands que ceux du Pé- pou & de Popayan. Mais dans le refte de la Province de Quito, non feulement cette Plante ne croît point, mais même les Jndiens n'en font aucun €as. Dans le Bailliage ou Partido de Pafto, qui eft le plus méridional de ce Gouvernement, il ya certains Arbres d'où l'on voit fuinter continuellement une gomme ou réfine appellée Mopamopa: on s’en fert pour faire toute forte de laque ou vernis en bois. Ce vernis eft fi beau & fi durable que l'eau bouillante même ne peut ni le ternir, ni le détacher. La maniere de l'appliquer confifte à mettre dans la bouche un morcau de la réfine, & l'ayant délayée avec la falive on y paile le pinceau, après quoi l'on prend la couleur que l'on veut avec le même pinceau, & on l'applique fur le bois, où elle forme un vernis permanent & aufli beau que la laque de la Chine. Les Ouvrages que les Indiens verniflent ainfi, font d’un bon débit à Quito, où l'on en eft fort Curieux. Popayan eft un des Pays de la Province de Quito qui fait le plus de com- merce, c’eft le chemin par où elle reçoit les Etoffes & autres marchandi- fes d’Efpagne qui paflent de Carthagéne à Popayan & de-là à Quite. De maniere que Popayan eft l'Echelle de tout ce commerce, qui fe répand de-là dans les Corrégimens de toute la Province. Outre ce négoce qu'on peut appeller pallager, il a un trafc'réciproque avec Quito, lequel F. ifte VOYAGE AU PEROU" En VE"CR. IL #53 Gfte en Mules & Bêtes à cornes ,, qu'il envoye en échange pour des Bayé- tes, Pagnes &c. Le Commerce aétif confifte en Bœuf fumé ou feché, Jambons, Tabac en feuille , Saindoux, Eau-de-vie de canne, Fil de coton, de la Pite, des Rubans, & autres: menues marchandifes qu’on tranfporte au Choco, où elles font échangées pour de Or. On apporte de Santa Fé à Popayan du Tabac en poudre quife-fabrique à Gunjar, & l'on en rapporte des Draps & des Bayétes des Fabriques du Pays. Il y a encore un autre com- merce; c’eft le Change de l’Argent contre del'Or: car ce’ dernier étant en abondance dansle Pays, & le premier yétantrare, on y apporte de l’Argent pour acheter de l'Or, qui étant enfuite converti en Doublons procure un profit confidérable, La même chofe fe pratique au Choco & à Barba- coas, où l’on eft dans le même cas. La Ville de Popayan étant comme le centre de tous ces différens com- merces , eft aufli le lieu où font les plus fortes bourfes du Pays. On y compte cinq à fix habitans riches de 100 mille Pe/os &'au-delà ; environ vingt depuis quarante jufques à quatre-vingt-mille, & beaucoup d’autres un peu au-deflous. Je ne comprens point ici les Biens fonds ou Haciendas, ni les Mines dont ce Pays abonde. Celles-là quant à leurs produétions & au climat ne different pas de celles de la même Province, dont nous a- vons parlé. À l'Ouëît de la Cordillere Occidentale des Andes eft le Gouvernement d'Atacames, qui confine de ce côté-la avec la Jurisdiétion des Corrégi- mens de Quito, & de Sr. Michel de Ibara , au Nord avec le Baïlliage de Barbacoas du Gouvernement de Popayan; à l'Occident avec les côtes de la Mer du Sud; & au Midi avec les Terres de Guayaquil, de maniere qu’il s'étend le long de la côte depuis l’Ile de Tumaco &la Plage de Æeufnal qui eft par 1! deg. à peu près de Latitude Boréale ; jufques à la Baye des Caraques & les Montagnes de Baëüme, qui font par les 34 min. de La- titude Auftrale, Le Pays qui compofe le Gouvernement d’ÆAtacames a été longtems in- culte, & en partie inconnu; car après que Sébaftien de Belalcazar en eut fait la conquête, on le négligea entiérement; foit parce que les E/pagno!s furent plus occupés à de nouvelles conquêtes qu’à faire valoir celles qu’ils avoient déjà faites; foit que le Pays même leur parût moins propre que ce- lui des Montagnes à nourrir des Colonies ; foit enfin parce qu’ils le croyoient ingrat, ftérile, mal-fain. On fe contentoit d'envoyer des Curés de Qui- to pour inftruire les Naturels du Pays, mais fans établir parmi eux aucu- pe police femblable à celle qu'on voyoit régner parmi les autres Jndiens, Oo 3 pat- 2p4 VOYAGE AU PEROU. parmi lefquels il y avoit des Colonies Æ/pagnoles. Ainfi ces Peuples deve- noient Chrétiens, mais reftoient dans toute la rufticité & la barbarie qu’on peut fe figurer dans des gens privés de tout commerce raifonnable qui pût les civilifer, ne fortant de leurs Forêts que Pour aller vendre à Quito leurs Denrées, V'Agi & Ÿ Achot. Quand ils arrivoient dans cette Ville ils étoient dans un étonnement inexprimable, en VOÿant un fi grand concours de gens dans un même lieu. C’étoit en effet une chofe merveilleufe pour des gens qui ne Connoïfloient que leurs pauvres Chaumieres, qui étoient toujours renfermés dans des Bois, bornés par des Montagnes, difperfés ça & la, & vivant parmi les Bêtes féroces. Quoique le Pays d'Atacames fût ainfi abandonné , même depuis que fes habitans s’étoient foumis à la Foi Chrétienne, & à l'obéiffance des Rois d'Efpagne, on ne lafloit pas de fentir l'importance de cette acquifition & la néceflité d'y former des établiffemens, pour en faire l'Echelle du Com- merce entre Quito & le Royaume de Tierra-Firme, & remédier à l’incom- modité de le faire par la voye de Guayaquil, voye trop longue & qui ap- portoit un préjudice confidérable à ce Commerce, & Je rendoit prefqu’im- praticable; au-lieu qu’en établiffant des Efpagnols à Atacames , la commu- nication devenoit plus aifée entre Tierra-Firme & Quito, dont la Provin- ce pouvoit fournir ce Royaume des Denrées dont elle abonde, & rece- voir de celui-ci avec la plus grande facilité toutes les Marchandifes d’Eu- rope dont elle a befoin. Ces confidérations furent caufe qu’en 1621 on conféra l'emploi de Gouverneur d’Atacames & Riviere des Emeraudes à Paul Durango Delga- dillo; qui, quelques années auparavant, avoit fait un accord avec le Mar- quis de Montes-Cluros alors Viceroi du Pérou, par où il s’étoit engagé d'ouvrir un chemin entre la Ville de St. Michel de Tharra, & la Riviere de Santiago, l'une de celles qui traverfent le Pays de ce Gouvernement ; Mais n'ayant pu y réuflir aprés bien du travail, on donna fa place à Fran- cico Perez Menacho en 1626. Ce nouveau Gouverneur n'eut pas un meil- Jeur fuccés que le précédent. À ces deux-là fuccéda Feun Vincencio Jufliniani, qui abandonnant le plan de fes Prédéceffeurs réfolut d'ouvrir le chemin par la Riviere de Mi- a, mais il ne réuflit pas mieux que les autres; & ÆHernando de Soto Caide- 70m, qui lui fuccéda en 1713, fut aufi malheureux. Les chofes refterent En cet état jufqu’en 1735, que Don Pedro Vincent Maldonado prenant fur lui le faccès de cette affaire » fut revêtu de l'emploi de Gouverneur avec les mêmes avantages & prérogatives dont avoient jouï fes prédécefleurs. Ce VOYAGE AU PEROU. Liv. VE Cu. IL 295 Ce Seigneur fut plus heureux que ceux-là, & par fes foins la communica- tion fut ouverte &aflurée en 1741, depuis Quito jufqu’à la Riviere des Emeraudes en droiture. Et ayant rendu compte de tout à l’Audience de Quito il en fut approuvé, après quoi il repañla en E/pagne pour demander que le Gouvernement Jui fût confirmé, & qu'on lui accordät les graces & les récompenfes qui lui avoient été promifes. Le Confeil des Indes fatisfait de fa conduite, trouva fes demandes juftes, & en ayant parlé à Sa Majefté, il fut décidé qu’il feroit confirmé dans le Gouvernement, ce qui fut exé- cuté en 1746, & l’année fuivante 1747 Atacames fut érigé formellement en Gouvernement par Lettres Patentes, & Don Pedro Vincent Maldonado eft le premier qui l’ait poflédé avec les honneurs & les diftinétions con- formes à cette Dignité *. Les Villages & autres Lieux compris actuellement dans le Gouverne- ment d’Atacames font petits & pauvres. Ils fe reffentent encore du dé- faut de commerce où tout le Pays a été; mais par le changement dont on commence à éprouver les avantages, & par le zéle du Gouverneur, on doit efpérer que dans peu de tems les affaires changeront de face. La fer- tilité du Pays à l'égard des Denrées qui lui font propres, contribuera beau- coup à y attirer des Colons, & la communication ouverte entre Quito & le Royaume de Tierra-Firme y fera fleurir le commerce. En attendant on y compte 20 Villages, cinq fur les côtes maritimes de fa jurisdiétion, les- quels font les premiers de la lifte fuivante , & les autres dans l'inté- rieur du Pays. LP Tumaco. XI. Tambillo. 13 À Tola. XII. MNiguas. HIT. St. Mathieu des Emeraudes. XINL Cachillaüta. IV. Atacames. XIV. Mind. V. La Canoa. XV, Tambe. VI. Lachas. XVI Cocaniguas. VIL Cayapas. XVII. Can/a-Coto. VIIL. Jnta. XVIII. Santo Domingo. IX. Gualéa. XIX. San Miguel. X. Nunégal. XX. Nono. . * Monfeur Maldonado n’a pas jou longtems de fa nouvelle Dignité ; peu de terms après en avoir été revêtu, il mourut à Londres, fort regretté de ceux qui avoient eu l'avanta. ge de le connoiître : à un mérite des plus diftingués il joignoit des connoiflances peu com- munes, & travailloit continuellement à en acquérir de nouvelles, qui le mifent de plus en p'us en état d’être utile dans fon Gouvernement, dont il fe propofoit d'aller prendre poffeffion au-plutôt, Not. du Trad, 206 VOYAGEURU PER. t Les habitans des cinq premiers Villages font E/pagnols, Méifs, Négres, & d’autres gens iflus du mélange de ceux-là. Le quinze autres n’ont pour habitans que des Indiens, & très-peu d'E/pagnols & de Mulätres. Pour le Gouvernement Spirituel il y a onze Curés Doûrinaires, qui réfident conftamment dans les principaux Villages, & afliftent les autres comme Ctant des annexes de ceux-là. À Atacames le climat eft le même qu'a Guayaquil, & la terre ÿ pro- duit les mêmes Denrées. Dans quelques endroits le terroir eft meilleur, parce qu’étant plus élevé, il n’eft pas expofé en Hiver aux inondations que les débordemens des Rivieres caufent à Guayaguil; aufli le Cacao qu'il produit ayant toute l'humidité néceflaire fans être entiérement noyé, eft d'une qualité fupérieure & beaucoup plus huileux. On y recueille auñfi beaucoup de Vanille, d’Achot, de Salfe-parcille, & de l’Indigo bâtard *. On y fait auffi beaucoup de Cire. Les Montagnes y font couvertes d’Ar- bres de haute futaye, fi ferrés qu’on ne peut les traverfer. Ces arbres font, comme ceux des Montagnes de Guayaquil, propres les uns pour bà- tir des maïfons, les autres pour la bâtifle des Vaifleaux. LOC HOXSRY SR 50 TOXAHNCN PA INIEN TONI DPI) DONC TI CASINO TITRE LHC 120 EP CARE Ro EC AR Defcription des Gouvernemens de Quixos, de Macas, £ de Jaen de Braca- moros, avec une idée abrégée de la découverte &5 de la conquëte qui en furent faites. Près le Gouvernement de Popayan, dont nous avons traité dans le ['X Chapitre précédent, vient celui de Quixos & Macas vers le côté oriental de la Cordillere des Andes. Ce Gouvernement doit être confidéré comme divifé en deux Baïlliages, celui de Quixos, qui comprend la par- tie feptentrionale du Gouvernement, & celui de Macas qui en fait la par- tie la plus méridionale. Entre deux ef le Pays de Canelos. Je traiterai de lun & de l’autre féparément, en commençant par Quixos. Celui-ci eft borné au Nord par le Territoire de Popayan, à l'Orient par la Riviere d’4- guarico, & à l'Occident par les Corrégimens de Quito de Latacunga & de St. Michel de Ibarra, dont il n’eft féparé que par les Cordilleres de Coto- pachi & de Cayamburo. Le Pays de Quixos fut découvert & reconnu par Gongale Diaz de Pineda en 1536. Ce Gongalie ‘ iaz de Pineda étoit un des Capi- taines * Les Ejpagnols l’appellent Yerua de Tinta Annil. N. D. T. VOYAGE AU PEROU. Liv. VL CHIV. 397 gaines que Belalcazar envoya pour reconnoître le cours de la grande Rivie- re de la Madeleine, & les Pays voifins de celui qu’on venoit de foumet- tre, pendant que lui-même étoit occupé à fonder Popayan. Gonzale Diaz fat choifi pour aller du côté du Midi, où il trouva le Pays de Quixos ; & ayant remarqué qu'il y avoit beaucoup de Mines d’ Or, & même des Ar- bres qui portent la Canéle, il s’en retourna fort fatisfait, & informa les fiens de tout ce qu'il avoit vu, & dont il avoit pu s’inftruire chemin fai- fant. C'eft ce qui donna lieu à l'entrée qu'y fit en 1539 Gonzale Pizarro, alors Gouverneur de Quito; mais cette expédition ayant mal tourné, la conquête de ce Pays refta fufpendue jufqu’en 1559, que Don.Andrés Hur- tado de Mendoza Marquis de Cannéte, alors Viceroi du Pérou, ordonna à Gil Ramirez Davalos de marcher pour réduire les Indiens du Pays en ques- tion, & y former des établiflemens. Ce Général exécuta heureufement fa commiflion , & fonda la Bourgade de Baëza, qui devint la Capitale du Gouvernement en 1559, & qui fut fuivie des Villes & Villages qui fub- fiftent encore, & qui ne fe font point du tout accrus ni améliorés depuis leur fondation. La Bourgade de Baëza, malgré l’avantage qu’elle a eu d’avoir été la premiere Peuplade de ce Pays, & la réfidence des Gouverneurs, eft tou- jours reftée dans fon état de médiocrité; parce que les Villes d'Avila & d’Archidona, ayant enfuite été bâties, attirerent toute l'attention des Chefs, qui laiflerent Baëza comme ils l’avoient trouvée. Mais ces deux Villes qui furent alors décorées du titre de Cité, ne font jamais parvenues à un état digne de ce titre, &leur premiere enceinte eft reftée telle qu’elle étoit au commencement. Ce qu’on ne peut attribuer qu’à la nature du Pays, qui n'étant pas comparable à celui de Quito pour la douceur du climat, la fertilité & les commodités de la vie, n’a pu attirer des gens à qui il étoit libre de mieux choifir. @Baëza loin de s’agrandir a diminué de telle forte, que ce n’eft préfentement plus qu'un Hameau de huit ou neuf maïfons de paille, habitées par une vingtaine de perfonnes de tout âge. Ce Ha- meau eft une annexe de celui de Papalluëta, auquel un troifiéme eft en- core annexe, c’eft celui de Mafpu. Ces trois Hameaux ne font qu’une Paroïfle, dont le Curé demeure à Papallaëta. Le Gouverneur ne fait plus fa réfidence à Baëza, mais à Archidona. Archidona n’a que le nom de Cité , qui la diftingue d’un Bourg médiocre. Flle eft fituée par 1 degré & quelques minutes au Sud de l'Equinoxial, & environ 1 deg. 50 min. à l'Orient du Méridien de Quito. Ses maifons font de merrein, couvertes de pailles, habitées par 650 à 700 perfon- Tome I. Pp pes 298 VOYAGE AU PEROU. nes de tout âgé, tant E/pagnols qu'indiens, Négres, Métifs, & Muli- tres. n’y a qu'un Curé, dont la Jurisdiétion Spirituelle s'étend fur les Villages de Mifagualli, de Tena, & de Napr. Ce dernier tient fon nom d’une Riviere ainfi appellée, fur le bord de laquelle il étoit fitué. Ce voifinage a été funefte à ce Village; car le 30 de Novembre 1744 le Vol- can de Cotopacfi ayant recommencé à crever, & fait couler une prodigieu- fe quantité de neige fondue par fes flammes, la Riviere en fut fi enflée qu’elle fortit de fon lit & rafa le Village, comme fi jamais il n'y en avoit eu. Nous parlerons de ce Volcan. Avila eft une Ville fituée par les oo deg. 40 min. de Latitude Auftrale, & environ par les 2 deg. 20 min. à l'Orient de Quito. Elle eft encore plus petite que la précédente. Les maifons y font bâties de-même, & il yaà peine 300 habitans tant grands que petits. Il y a auffi un Curé qui dirige encore fix Villages, dont quelques-uns font aufi grands que la Vil le. Ces Villages font I. La Conception. IV. Motte. II. Loreto. V. Cota Pinni. III. San Salvador. VI. Santa Rofa. Les lieux dont nous venons de parler, forment la partie la plus confi- dérable du Gouvernement de Quixos. Mais il comprend encore les Vil- lages des Miffions de Succambios, dont le Chef-lieu eft celui de Sr. Miguel. Au commencement de ce fiécle ces Villages étoient au nombre de dix, mais aujourd’hui ils font réduits à cinq, favoir, I. San Diégo de los Palmares. IV. San Chriftoval de los Taguages. II. St. Francifco de los Curiquaxes. V. San Pedro de Alcantara de la Co- III. St. Fofeph de Abuccées. ca, où Nariguera. Les habitans des deux Villes, & des Villages, vivent dans des appré- henfons continuelles, & font toujours pour ainff dire les armes à la main pour défendre leurs maifons, & leurs Chacarés ou Biens de campagne ; contre les fréquentes invafions des Jndiens infidéles, qui environnent telle- ment le Pays, que chaque Village eft menacé de la part de ces Barbares qui habitent dans fon voifinage. Ces Indiens font auffi différens de na- tion & de langage que nombreux. Toutes les fois que les habitans ont pris les armes pour les repoufler, ils n'ont eu d'autre avantage que d'é- tre entrés fur leurs terres, & d'y faire quelques prifonniers, après quoi il à falu s’en retourner comme on étoit venu, fans aucun butin; car ces Peuples ne poffédant rien, & n'eftimant rien de ce que les autres hom- mes eftiment, portent toutes leurs richefles avec eux : quand ils fe- voient VOYAGE AU PEROU. Liv. VL Cx. IV. 299 voient pourfuivis d’un côté, ils paflent dans un autre; & quand les nôtres fe font retirés & que le danger eft pañlé, ils reviennent fur leurs pas & recouvrent le Pays, qu’ils trouvent tout auñli inculte qu'ils l’avoient laifié. Ils fe rapprochent peu à peu des Villages E/pagnols, & quand ils remar- quent que les habitans ne font point fur leurs gardes, ils les attaquent fu- bitement & pillent tout ce qu'ils peuvent. Ce danger où les deux Villes ‘ font expofées, a été, indépendamment du climat, une des principales raïfons qui a empêché leur accroiffement. L’air eft fort chaud dans tout ce Pays, & les pluyes y font continuel- les. La feule chofe en quoi 1l differe de celui de Guayaquil, de Portobélo, & autres de la même efpéce, c'eft que l'Eté n’y eft pas fi long. Du-refte on y fouffre les mêmes incommodités, & l’on y eft fujet aux mêmes maux, Le Pays en foi eft montagneux, fourré de Bois épais & d’Arbres prodi- gieufement gros, parmi lesquels on voit des Caneliers, furtout vers la partie méridionale & à l'occident. Ces Caneliers furent découverts par Gongale Diaz de Pineda, & furent caufe qu'on donna aux terroirs qui les produifent le nom de Canelos, qu'ils confervent encore. On tire une cer- taine quantité de cette Canéle, qui eft confumée tant dans la Province de Quito, que dans les Vallées. Cette Canéle n’eft pas fi bonne que celle des Indes Orientales, mais à cela près elle lui reflemble beaucoup dans tout le refte. {/odeur, la groffleur du tuyau & fon épaifleur, ne different pas de celle-là ; quant à la couleur, la Canéle de ce terroir-ci eft d’un brun plus foncé. La plus grande différence eft dans le goût. Celle de Quixos eft plus piquante , & n’a pas la délicatefle de celle d'Orient. La feuille eft parfaitement femblable, & a une odeur auffi excellente que l'écorce: la fleur & la graine furpaflent celle d'Orient : l'odeur de la fleur n’a rien de comparable, vu l'abondance des particules aromatiques qu’elle enferre. C’eft ce qui fait croire avec aflez de fondement , que fi ces Arbres étoient cultivés, la Canéle pourroit fe perfeétionner au point que fi elle n’effaçoit pas celle de Ceylan, elle ne lui féroit point inférieure. Les autres Denrées que produit ce terroir, font les mêmes que celles que produifent tous les Pays où le climat eft pareil à celui-ci; & ainfi on y recueille des Fruits, des Racines, des Légumes ; mais le Bled , l'Or- ge & autres femblables Grains qui requierent un climat froid, n’y vien- nent pas bien. Le Bailliage de Macas, qui eft le fecond de ce Gouvernement, eft borné à l'Orient par les Terres du Gouvernement de Maynas ; au Sud par celles de Bracamoros & d'Yaguarfongo; & à l'Occident la Cordillere Orien- Pp 2 tale 309 VOYAGE AU PEROU. tale des Andes le fépare des Corrégimens de Riohamba & de Cuenca. Le Lieu principal eft: décoré du titre de Cité de Macas, qui eft le nom qu’on donne communément à tout le Pays, plus connu aujourd’hui fous cette dénomination que fous celle de Seville de lOr qu'on lui donnoit ancien- nement. Cette Ville eft par les 2 deg. 30 min. de Latitude Auftrale, 40 min. à l'Orient de Quita Elle eft fi peu de chofe qu'à peine y compte-t-on 130 maifons de merrein couvertes de chaume; & quand on dit qu’il y a 1200 âmes, cela doit s'entendre de toutes les perfonnes qui vivent dans le reflürt de ce Bailliage, & qui en générai font Métifs ou Mulätres, y ayant très-peu d'E/pagnols.. Huit autres Villages appar- tiennent encore à ce Gouvernement. En voici les noms. L San Miguel de Narbaes. V Zunna.: IL. Barahonas. VL. Payra. LIT. Tuquipa. VIT. Copuéno. à IV. Juan Lopez. VIIL. Aguayos. Tous ces Villages font fous le Gouvernement Spirituel de deux Curés; : dont l’un demeure dans la Ville & a les quatre premiers Villages pour annexes; l’autre demeure à Zunna, & eft Curé de ce lieu & des trois au- tres. Lorsqu'on fit la conquête de ce Pays il. étoit fort peuplé, & fi ri: che qu’on donna à la Capitale le nom.de Seville de l'Or; mais il ne refte plus aujourd’hui que le fouvenir de cette opulence. Cette décadence eft venue d'un. foulévement des Indiens du Pays ,- lesquels après avoir juré obéifance aux Rois d'E/pagne, prirent tout d’un coup les armes, s’empa. rerent de la Ville de Logronno & d’un Village nommé Guamboya , apparte- nant à cette Jurisdiétion, & très-riches. Cette révolte ruïna tellement le Pays, qu'on n'y voit aujourd’hui d'autre monnoye que les Marchandifes & les Denrées qu'il produit, & que les habitans font obligés de iroquer, pour avoir des provifions de bouche & autres marchandifes dont ils ont befoin.. Macas eft trop près de la Cordillere des Andes, pour que fon climat ne foit pas différent de celui de Quito. En effet outre que c’eft auffi un Pays de Montagnes, on y remarque füffifamment la différence qu’il y a entre les deux Saifons de l’année les plus éloignées l’une de l’autre. Au- tant que le terroir de Macas eft différent de celui des. Corrégimens de la Province de Quito, autant y a-t-il de différence par rapport. aux Saifons. Ainf l'Hiver commence-là au mois d’Æoril,.&.dure juiqu’en Septembre, qui eft le tems où l’on a l'Eté dans les Pays qui font entre les Crdilleress Ka Macas c'eft en Septembre que l'Eté commence ; car c’eft alors qu’on.y jouit VOYAGE AU PEROU. av. VE Cu. IV. ‘301 jouit de la fraîcheur des vents de Nord, d'autant plus frais qu’ils ont paf- fé: fur la neige de ces hautes Montagnes. Le Ciel eft ferein, la terre a un air de gayeté qui en infpire aux hommes; onreft enfin délivré des incom- modités del'Hiver , qui ne font pas moins infupportables ici qu'à Guayaquil. Le terroir eft fertile en Grains & autres Denrées qui demandent un climat chaud; mais ce qu’on y cultive le plus, c'eft le Tabac, dont y fait d’abon- dantes récoltes. On en fait des rouleaux que l’on envoye au Pérou, oùl eft fort eftimé. Les Cannes de Sucre y viennent bien, ainfi que le Co- ton; maisils ne fément de l'un & de l'autre qu’autant qu’il leur en faut pour leur ufage, n'étant pas peu embaraflés à garantir leurs biens des courfes que font les. Indiens guerriers pour les détruire: car ces pauvres habitans font aufli environnés de ces Barbares que ceux de Quixos; & quand ils les croyent join, C’eft alors qu'ils les ont fur les bras. De-1à vient qu’il faut prefque toujours avoir les armes à la main- pour repoufler leurs infultes. - Parmi les Arbres & les Plantes qui couvrent tout ce Pays on trouve le Storax, qui eft un Arbre dont la gomme répand une odeur bien fupérieure à toutes les autres. Cette Gomme ou Réfine eft aflez rare, parce que les lieux où les arbres croiïffent étant un peu écartés des habitations , il eft dangereux d’y aller à caufe des Zndiens Bravos qui fe cachent quelquefois entre les arbres, & font à l'affut comme des bêtes féroces. La même cho- fe arrive à l'égard de la Poudre d’azur qu’on y trouve en divers endroits bien qu’en petite quantité, mais il y en a d’une qualité admirable. Dans le terroir de la dépendance de Macas on rencontre aufli des Ca- neliers, & felon le rapport que m'en fit le Curé de Zunna, Don Juan Fo- feph de Loza y Acunna, perfonnage de mérite & favant dans l Hiftoire Na- turelle, Ja canéle qu’on en tire eft d’une qualité fupérieure à celle de Cey- lan, qu'on diftingue à Macas par le nom.de Canéle de Caftille.… C'eft ce qui m'a été confirmé par d’autres perfonnes intelligentes. Cette Canéle de Macas n’eft pas peu différente de.celle de Quixos. ‘ Il paroît par le té- moignage de ces mêmes perfonnes, que ce qui: rend.la premiere fi excel- lente, c’efk que l'arbre qui la produit fe trouve à Macas dans des lieux découverts, exempt de l’ombrage des autres arbres: qui lui peuvent déro- ber les rayons-du Soleil, & débaraflé des racines étrangeres qui pour- roient lui prendre la nourriture néceflaire pour donner au fruit la perfec- tion requife. Cette conjeéture eft confirmée par l'expérience qu'on 2 fai- te d’un Canelier planté par hazard ou à deflein dans le terroir de la Ville même de Macas, duquel on a tiré une écorce fort fupérieure à celle d'©- Pp3 rient 4 LA 202 VOYAGE AU PEROU. rient tant pour le goût que pour l'odeur; foit que réellement elle fût meilleure, foit parce qu'écant fraiche elle n’avoit pas eu le tems de per- dre fes particules aromatiques. La fleur de ce Canelier avoit une odeur qui furpafloit encore celle de l'écorce. On tire beaucoup de Copa/ du terroir de Macas, on y trouve auffi de ja Cire fauvage appellée par les habitans Cera de pale, qui neft pas bon- ne; çar outre qu'elle eft rouge, elle ne fe durcit point, & répand une odeur trés-defagréable. Celle de Guayaquil & des Vallées a les mêmes dé- fauts, & toutes les Cires de ces Pays ne valent pas celle d'Europe ; auffi les Abeilles font-elles un peu différentes. Celles de ce Pays font beaucoup plus groffes que celles d'Europe, elles font prefque noires; mais peut- être la cire n’en feroit-elle pas plus mauvaïfe , fi l’on y favoit l’art de la net- téier, & de la préparer comme on fait en Europe. Du-moins fi elle n'éga- loit pas celle-là en tout, elle pourroit acquérir plus de confiftance. IV. Le Gouvernement de Yaen eft le terme de la Jurifdiétion de l Au- dience de Quito du côté du Sud, & fuit celui de Macas. Le Pays de ce Gouvernement fut découvert & conquis par Pedro de Vergara, à qui Her- mando Pigarro confia cette commiffion en 1538. Enfuite Ÿuan de Salinas entra dans ce Pays avec le titre de Gouverneur, & ce fut alors qu’on s’y établit formellement; car le nouveau Gouverneur ayant appaifé les fou- lévemens des Zndiens, & engagé ces Peuples à fe foumettre, rien ne l'empêcha d'y jetter les fondemens des principales Peuplades qu’on y voit encore, mais fi chetives qu’elles ne valent pas mieux que celles de. Macas & de Quixos Quelques-unes ont le titre pompeux de Cité, & le confer- vent encore ; mais c’eft plutôt pour jouir des priviléges qui y font atta- chés, que pour donner l’idée d’une grandeur qu’elles n’ont pas. Anciennement ce Gouvernement étoit connu fous les noms d’Zgualjon- go & de Pacamoros, dont on a fait par corruption Taguar/ongo, & Braca- moros;c’étoient les noms qu'ilavoit fous Fuan de Salinas. On continua pendant plufieurs années à l’appeller ainfi, jufqu’a ce que les Indiens des deux dif- triéts s'étant foulevés, détruifirent les principaux lieux, & ceux qu'ils épargnerent après avoir refté près d’un fiécle dans l’état miférable où ils font encore, s’unirent à la Ville de uen, le tout enfemble formant un Gou- vernement fous le nom de uen de Bracamoros , & le titre de Gouverneur d’Ta. guarfongo pañla aux Corrégidors de Loja, comme nous l'avons dit ail- leurs. Le farnom de Bracwmoros a été ajoûté à aen à-caufe de la réunion des Peuplades de Pacamoros où Bracamoros à cette Ville, laquelle fut fondée cn VOYAGE AU PEROU, Lry#VL Cn. IV. en 1549. par Diego Palomino, dans la Jurifdiétion de Chaca- Inca apparte- nante à la Province de Chuquimayo. C’éfl'dans Faen que réfide k Gou- verneur du Pays. La Ville eft fituée fur la rive boréale de la Riviere de Chinchipe, dans un coude qu’elle forme en fe dégorgeant dans le Mora- non. Elle eft par les 5 deg. 25 min. de Latitude Auftrale; & quoique fa Longitude ne foit pas bien certaine, on peut compter qu’elle n’eft pas fort éloignée du Méridien de Quito, ou qu'elle eft fous le même Méridien. Au-refte nous ne croyons pas qu'elle mérite une plus ample defcription, n'étant guere moins petite ni moins pauvre que les Villes de Macas & de Quixos: il faut pourtant convenir qu'elle eft plus peuplée; car on y compte jusqu'a trois ou quatre mille âmes, la plupart Métifs, quel. ques Indiens, & très-peu d’'Efpagnols. Les Peuplades fondées par Fean de Salinas , dans fon Gouvernement de Taguarfongo & de Bracamros, confiftoient en trois Villes, qui fubfiftent encore, aufli dénuées de défenfe & pauvres que celle de Faen. Elles ont confervé jusqu’aujourd'hui les noms qu'elles reçurent d’abord, qui font, Valladolid, Loyola, & Santiago des Muntagnes. Cette derniere eft fur les confins du Gouvernement de Muynas, & n’eft éloignée de Borja, Capitale de ce Gouvernement, que par le Pongo de Manceriche *. Outre ces Villes il y a dans le Pays de Ÿaen de Bracamoros diverfes petites Bour- gades dont voici les noms. L San Fojeph. VI. Chincipe. IL. Chito. VII. Chyrinos. IL. Sander. VIIL Pomaca. IV. Charope. IX. Tomependo. V. Pucara. X. Chuchunga. Les habitans de tous ces lieux-là font Zndiens, à la réferve d’un très- petit nombre de Métifs. Nous avons dit que Yaen eft fitué fur le confluent de la Chincipe & du Marannon, & nous ajoûterons que ce dernier Fleuve n'eft pas encore na- vigable en cet endroit, & que pour s'y embarquer il faut defcendre de- puis Yaen jusqu'à Chuchunga, qui n’eft qu'un hameau fur le bord de la Riviere du même nom, & par les 5 deg. 21 min. f. Là on s’embarque pour gagner le Marannon. Chuchunga , qui eft l'Embarcadaire de ce Fleuve, eft à quatre journées de chemin de Jaen, felon la maniere de compter du Pays: par où l’on ne doit pas juger de la diftance; parce que sp _ - Cul * L’Auteur expliquera ci-après ce que c’eft que le Pongo de Mancericbe. + Latitude obfervée par Mr. de Ja Condamine dans fon Voyage du Maragnn l'an 1743. 304 VOYAGE AU PEROU. ficultés des routes font employer un tems peu proportionné à la diftance réelle, & un chemin qu’on pourroit faire ailleurs dans une heure ou deux, coute quelquefois un jour entier dans ce Pays-la. Le Climat.de uen-& de tout le Paysde fa Jurisdiétion n’eft pas différent de celui de Quixos, excepté qu’il eft moins pluvieux, & qu'il jouit comme celui de Macas de quelque intervalle d'Eté. La chaleur y eft plus tem- perée, & les autres incommodités ordinaires de l'Hiver y font beaucoup moindres. Le Pays æft fertile en Denrées propres au climat. ‘Il eft rempli d'Ar- bres fauvages, parmi lesquels le Cacaoyers croiffent & donnent du fruit en abondance, lequel égale en bonté le Cacao cultivé ; mais on n'en pro- fite guere, vu qu’il s’en confomme très-peu dans le Pays ni aux environs; & que de l'envoyer en Europe, les fraix du tranfpert le feroient monter à un prix qui ne permettroit pas de le vendre. C’eft pourquoi on le laifle à la difcrétion des Singes & autres Animaux, ou fe perdre fur les ar- bres. Dès le commencement de la conquête & de la découverte de ce Pays, il pañloit pour renfermer de grandes richefles; & en-effet on en tiroit beaucoup. d'Or, mais cela ceffa lors de la révolte des Zndions ; .& l'opinion commune eft que cette révolte fut occafionnée par la dureté avec laquelle ies E/pagnols les outroient de travail dans l'exploitation des Mines. Aujour- d’hui l’'Or qu'on en tire eft en petite quantité, encore n’eft-ce pas des Mi- nieres qu’il vient, mais.de ce que les Indiens ramaffent en lavant le fable des Rivieres qui fe débordent; par-là ils trouvent des grains, de la pou- dre. & des paillettes d’or, qui.leur fervent de monnoye pour payer les tri- buts, ou fe pourvoir des chofes dont ils ont le plus befoin. Leur indiffé- rence pour ce métal eff telle, que quoiqu’ils puflent en amañler beaucoup en continuant à laver du fable, ils ne veulent pas s’en donner la peine; & il n’y a guere que les plus pauvres d’entre eux qui ayent recours à ce moyen quand la néceflité les preffe. Quant aux Jndiens Gentils, ou indé- pendans, ils ne fe mettent pas plus en peine de l’or que de Ja boue. Le Gouvernement de Ÿaen eft extrêmement fertile en Tabac. La cul- ture de cette plante fait la prineipale occupation des habitans. ‘Quand ils ont cueill & feché les feuilles, ils en.font des carottes, chacune de cent feuilles, & les préparent avec des bouillons d'Hydromel ou des.dé- cottions de quelques Herbes propres à lui conferver fa force. .C’eft dans cette forme qu’on le tranfporitte au Pérou, dans toute la Province de Quito & dans tout le Chily, où l'on ne fe fert pas d'autre tabac pour fu- mer VOYAGE AU PEROU. Liv. VL Cr. IV. 305 fumer dans des cornets de papier: felon la coutume de tous ces Pays. Ce tabac n’eft fi recherché, qu'à cawfe de la:préparation qu’on lui donne en l'humeétant dans cette décoétion à mefure qu’on le forme en carottes: car par-là il rend une fumée plus forte & d’un goût particulier , eh un mot telle qu’on la fouhaite pour cet ufge. Le Coton croît abondamment dans ce terroir, & l’on y éléve beaucoup de Mules. C’eft dans ces trois articles que confifte tout le commerce que ce Pays fait avec les Corrégi- mens de la Province, & les autres Contrées du Pérou. Dans les Pays du Gouvernement de Faen de Bracamoros, de Quixos & de Macas, il y a une quantité étonnante de Bêtes féroces des mêmes efpéces dont on a parlé en traitamt de Pays femblables à ceux-là pour le climat. Outre les Tigres, on y voit des Lions bâtards *, des Oùrs! des Dantes où Gran Beflias. Ces trois efpéces ne font pas communes dans les autres Pays dont 1l a été fait mention, & c’eft Je voifinage des Cor- dilleres qui fait que ces animaux fe trouvent plus ordinairement dans ces campagnes ; car portés de leur naturel à vivre dans des lieux froids, ils ne laïffent pas de defcendre quelquefois de ces Montagnes voifines, & de venir dans des Pays où ils ne paroîtroient peut-être point fans ce voifinage. Parmi les Reptiles qu’on voit dans le Pays de Macas, il y en a un fortre- marquable : c’eft un Serpent que les Zndiens nomment Curi-Mullinvo, nem qui lui a été donné à caufe d’une peau de couleur d’or & tavelée comme celle des Tigres; car Curi en Indien fignifie Or. Cette peau eft toute couverte d’écailles, & la figure du reptile même eft affreufe, La tête cft d’une groffeur démefurée, & le Corps à proportion. Sa gueule eft armée de deux rangs de dents , & de crochets aufñi grands & plus aigus que ceux des Chiens ordinaires. Les Indiens Tdolâtres, pour fe donner un air plus terrible & plus vaillant, peignent fur les rondaches ou targuettes dont ils fe fervent à la guerre, des figures de ce ferpent; qui au-refte eft fi dangereux que quand il mord il en coute furement la vie, n'étant pas facile de lui faire lâcher prife quand une fois il a faifi quelqu'un. * C’eft apparemment l'animal que d'autres Voyageurs appellent Lion du Pérou, Tome I. 306 VOYAGE AU PEROU. É HA PI TRoBrv. Defcription du Gouvernement de Maynas, E de la Riviere Marannon où des Amazones. Découverte € cours de ce Fleuve. Rivieres qui s’y jettent. A Ux Gouvernemens de Popayan & de Ÿaen de Bracamoros, qui font les limites de la Province de Quito par le Sud. & le Nord, il faut joindre celui de Maynas ; par lequel cette Province eftterminée à l'Orient, & qui eft le terme de la Jurisdiétion de l'Audience. Je me fuis détermi- né à dire un mot de ce Gouvernement , parce que voulant traiter du Fleuve des Amaxones, il m’a paru convenable de donnér une idée d'un Pays que ce Fleuve arrofe, & qui d’ailleurs entre dans:mon plan. Le Gouvernement de Mayhas s'étend vers l'Orient ; & fuit immédiate- ment ceux de Quixos & de Faen de Bracamoros. C'eft-dans fon territoire que prennent leurs fources'les différentes Rivieres, qui après ‘avoir par- couru une vafte étendue de pays, fe réuniflent & forment entre elles la fameufe Riviere des Amnagones où Marannon. ; Les Rives dé celle-cr'& de plufieurs autres qui lui rendent le-tribut de leurs eaux criftallines, en- tourent ce Pays & le traverfent. Au-refte fes limites au Nord & au Sud font fi peu: connues , que tout ce qu’on en peut dire, c’eft qu'il fe perd dans les terres habitées-par Jés Indiens Infidéles; ce qu'on en fait de plus ne peut être que fur le raport des Jéfuites, qui font chargés du Gouverne- ment. Spirituel des. Nations Barbares qui l'habitent. A l'Orient 1l confi- ne aux terres des Portugais, &eft borné pax la fameufe: Méridienne ou: Ligne de Jéparation, qui limite également les poñleflions des Couronnes d'Efpagne & de Portugal en Amérique: Comme le Fleuve des Amäazones eft ce qu’il y a de plus remarquable dans le Gouvernement de Maynas, je pafle à la defcription particuhere de ce Fleuve, laquelle contiendra en même-tems le détail de ce. Gouver- nement, vu la liaifon qu’il y a entre ce Pays & ce Fleuve; & pour ne rien laiffer à defirer à la curiofité du Leéteur fur un fujet d’autant plus intéref- fant qu’il eft peu connu, & d'autant plus difficile à connoître qu'il eft plus éloigné, je diviferai cette matiere en trois paragraphes que je ren- fermerai dans ce Chapitre. $. I. Où il eft parlé des Sources du Marannon, & de diverfes Rivieres qui groffiffent ce Fleuve; du cours qu’il a, & des divers noms fous lesquels il eft connu. Il è VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH V. 30 Il en eft du Fleuve des Zma%onés comme d’un grand. & puillant At. bre que nourfient une infinté de racines, fans que l’on puifle dire préci: fément quelk eft fa racine primitive, & celle dont il tire fon origine. En effec il eft bien difficile de décider quelle eft la premiere & la principale fource d'un Fleuve qui en atant, & de la lui affigner dans le Pérou, tan- dis que tant d’autres Rivieres fortant des Cordilleres, & groflies par les neiges & les glaces qui fe fondent dans leurs eaux, vont former un Fleuve qui dans fon principe ne mérite pas même le nom de Riviere. … Les racines, ou pour parler plus proprement, les fources de ce grand Fleuve font en fi grand nombre, qu’on peut, fans craindre de fe tromper, en Compter autant qu'il y a de Rivieres qui defcendent de la Cordillere orientale des Andes, depuis le Gouvernement de Popayan, où font les fources de la Riviere de Caquéte où Tupura, jufqu’à la Province ou Cor- régiment de Guanuco, à 30 lieues ou environ de Lima. Toutes les eaux qui defcendent de cette partie orientale de la Cordillere croïffant à-mefure qu'elles s’éloignent de leurs foibles fources, & qu’elles reçoivent d’autres Caux, forment ces Rivieres confidérables, qui fe réuniffant dans un terrain plus fpacieux , compofent cet immenfe Fleuve de Maraïñnon, dont nous traitons ici. Les umes traverfant plus de Pays tirent leurs fources de plus Join, les autres venant de plus près font groflies par une plus grande quan- tité de ruifleaux, & fuppléent par-là à ce qui leur manque du côté de leur cours, & égalent celles qui viennent de plus loin; deforte qu’on ne peut décider plutôt pour l’un que pour l’autre, & que bien loin de vou- loir prononcer ici définitivement fur cette queftion, je me contenterai de nommer leS Rivieres qui parcourent une plus grande étendue de Pays, & celles qui tombant en cafcade des Montagnes des Andes, grofliflent leurs eaux en peu de tems, & fe précipitent avec tant de force & de rapidité, qu'elles femblent vouloir devancer celles-là, & les recevoir dans le lit commun dont elles font déja en poffeffion. Après cela je laïfferai à cha- cun Ja liberté de juger de ia véritable fource du Marannon, felon qu'il y trouvera plus de raifon & de probabilité. L'opinion la plus généralement reçuëé aujourd’hui touchant la fource la plus reculée du Fleuve des Amazones, eft celle qui la place dans la Sé- nechauflée ou Corrégiment de Tarma, prenant le commencement de fon cours dès la Lagune où Lac de Lauricocha, près de la Ville de Guanuco, par les 11 degrés ou environ de Latitude Auftrale. ‘De-là il coule au Sud à la fauteur de prefque 12 degrés, travérfant le Pays appartenant à ce Corrégiment, & tournant infenfiblement vers l'Orient, il pafle par les Qq 2 "Terres 308 VOYAGE AU PEROU. Terres de Fauxa.. Enfuite il tourne au Nord après avoir paflé à lorient de la Cordillere des Andes, & laiflant à l'occident les Provinces de Moyo- Bamba & de Chacha-Poyas , 1l continue fon cours jufqu’à la Ville de Taen, qui eft, comme nous l'avons dit dans le Chapitre précédent, parles 3 deg. 21 fec. La il fait un angle ou coude, & pourfüuit fon cours vers l'Orient jufqu’a ce qu’il paye le tribut de fes eaux à l'Océan, par une embouchure qui s'étend en largeur depuis la Ligne Equinoxiale jufqu’aux deux pre- miers degrés de Latitude Boréale. Sa longueur depuis la Lagune de Lau- ricocha jufqu’à Faen, eft de plus de deux cens lieues, y compris les dé- tours qu'il fait. De-là jufqu’à la Mer où eft fon embouchure, fa longueur eft à l'Orient de 30 degrés de différence dans la Longitude, ce qui fait Goo lieues marines, qu’on peut compter à 900 en y comprenant les tours & les détours qu’il fait dans tout cet efpace, & environ à 1100 tout l’es- pace qu’il parcourt depuis la Lagune de Lauricocha jufqu’a ce qu'il fe perde dans l'Océan. La branche qui part de Lauricocha n’eft pas la feule qui vienne de ce côté-la au Marannon, & ce n’eft pas non plus la plus méridionale de celles qui groffiflent ce Fleuve; puifqu’au fud de la même Lagune, & non loin d’Afungaro eft la fource de la Riviere qui paîle par Guamanga. Plus loin dans les Provinces de Vilcas & d’Andaguaylas à y a deux autres Ri- vieres, qui après avoir coulé quelque tems féparément uniflent leurs eaux, & les vont décharger dans la Riviere qui fort de la Lagune de Laurico- cha. Une autre vient de la Province de Chumbi-Vilcas. Enfin celle qui prend fa fource le plus au Sud, c’eft celle d’ÆApurimac, qui prenant fon cours vers le Nord, pafle par Cuxca non loin de Lima-Tamblo, & reçoit plufieurs autres Riviéres, après quoi il rencontre le Marannon, & s’unit avec lui à fix-vingt lieues environ à l'orient de l'endroit où celui-ci re- çoit la Riviere de Santiago. Celle-là eft fi large & fi profonde, qu'on ne fait fi c’eft elle qui fe jette dans le Marannon, ou fi c'eft celui-ci qui fe dé- gorge dans l'Ucayale (c'eft ainfi qu'on appelle la Riviere d’Apurimac , a-me- fure qu’elle approche du Marannon). Les eaux des deux Rivieres en s’unis- fant fe heurtent avec tant de violence, que celles de l'Apurimac où Ucayale forcent le Marannon à changer de cours & à céder au poids qui le heurte, deforte que fes eaux qui avoient un cours direét, courent en férpentant. Plufieurs croyent que l'Uyacale eft le véritable Marannon: ils fondent leur opinion fur ce qu’il eft démontré que fa fource ef la plus éloignée, & que s’il ne furpafle pas il égale du-moins en profondeur la Riviere de Lauricocha. Dans l'efpace depuis le Confluent du Marannon & de la Riviere de Santia- 693 VOYAGE AU PEROU. Eiv. VL ‘CH. V. 309 go, où fe trouve le Pongo de Maneriche, jufqu’à l'embouchure de la Ri- viere d'Ucayale, & prefqu'au milieu de cet: efpace, la Riviere de Gual laga, qui prend aufli fa fource dans les Cordlilleres à l’orient de la Provin- ce de Guamanga, fe jette dans le Marannon. Une autre Riviere qui a fa fource dans les Montagnes de Moyo-Bamba (concoùrt à former le Maran- non après s'être jointe à la Guallaga. La premiere a fur fa rive au milieu de fon cours un Village appellé Llumas: om croit que c'eft-là que s’em- barqua Pedro de Orfua avec des Troupes pour aller à la découverte du Marannon, & pour conquérir les Pays qu’il arrofe, A l’orient de l’'Ucayale, le Marannon reçoit la Riviere d’'Tabari , &en- fuite quatre aatres,.qui font Plutay, l'Yurva, la Oféfe & le Coari, qui viennent toutes du côté du Sud, où elles ont leurs fources prefque dans les mêmes Cordilleres d’où fort l'Ucayale; mais comme les Pays qu’elles traverfent font habités par des Zndiens idoltres affez peu connus des E/f pagnols, on ignore la véritable route qu'elles tiennent avant d’entrer dans le Marannon. On fait feulement d’après quelques Indiens ; qu’elles font na- vigables en certains mois de l’année. On prétend aufñfi que quelques per- fonnes ont pénétré dans le Pays en remontant ces Rivierés, & ont recon- nu à certaines marques qu'elles coulent fort près des Provinces du Pérou. Au-delà de la Riviere de Coari en tirant vers l'Orient, celle de Chuchi- bara autrement Purus ,tombe dans le Marannon, & enfuite la Riviere de ÎMadere, qui eft une des plus confidérables de celles qui fe jettent dans ce Fleuve. En 1741 les Portugais remonterent cette Riviere fi avant, qu'ils vinrent à peu de diftance de Santa Cruz de la Sierra par les 17 ou 18 deg. de Latitude Méridionale. Depuis le boqueron de la Riviere de Madere jufqu'a la Mer, les Portugais donnent au Marannon le nom de Riviere des Æinazones ; mais de-la au-deflus ils l’appellent Rio de Salimoes. Bientôt après la Madere , vient la Riviere des Topayos , qui eft une des plus grandes de celles qui grofiflent le Marannon. Sa fource eft dans les Mines du Bre- fil. Enfin les Rivieres de Dos Bocas, de Xingu, de Tocantines & de Muju. C’eft fur le bord oriental de cette derniere qu’eft bâtie la Ville de Gran- Para. Au-refte toutes ces quatre Rivieres ont leurs fources dans les Mon- tagnes du Brefil. Après avoir vu quelles font les racines les plus éloignées du fameux Fleuve des Amazones , & les principales Rivieres qu’il reçoit du côté du Sud , refte à parler de celles qui ont leurs fources moins éloignées dans les Cordil- leres, & qui dès leur naiflance prennent leur cours vers l'Orient, traver- fant la vafte étendue de cette partie de l'Æmérique, & de celles enfin qur Q q 3 VI1eRs- 310 VON AGBQGA U1 P ER O U. viennent du côté du Nord. Nous less nommerons toutes felon l'ordre qu'el- les ont entre elles, en defcendant du Midi au Septentrion. Dans les Montagnes de Loja &Zamora plufieurs petites Rivieres prennent leurs fources, & réunies enfemble forment la Riviere de Santiago. D'au- tres petites Rivieres qui viennent des Montagnes de Cuenca, formé nt la Riviere de Paute. Celle-ci perd fon nom en fe joignant à calé de Santia- 89) ainfi appellée à caufe de la Ville de ce nom, près de laquelle elle fe oint aux deux Rivieres qui viennent de Aniriésér & d’Apurimac. La Ms eft une Riviere qui prend fa fource dans la Montagnede “1 & paflant près de la Ville de Macas court au Sud-Eft, jufqu’à ce qu ell rencontre le Marannon, auquel elle fe joint à environ vingt licues à l'O. rient de Borja, Capitale du Gouvernement de Maynas. La Paftaza & le Tigre ont leurs fources dans les Montagnes du Corré- giment de Riobamba, de Latacunga,& de St. Michel de Ibarra. Les Ri- vieres de Coca & de Na apo viennent de la Cordillere de Cotopacci. Ces deux Rivieres, après avoir couru un affez long efpace à quelque diftance June de l'autre, fe joignent enfemble, & retenant le nom de Napo, fe perdent dans le Marannon, après avoir ‘parcouru plus de deux cens lieues de pays en droite ligne de l'Occident à l'Orient avec une inclinaïfon prefque imperceptible vers leSud. ‘Le Pere Chriftoval de Acunna , dont nous parle- rons ci-après, croit que le. Napo eft le véritable Marannon ; parce qu'étant la principale & la plus confidérable de toutes ces Rivieres, on peut dire que c’eft dans celle-ci que les autres fe jettent. Le Putu-Mayo, autrement Jca, vient des Montagnes du Corrégiment de St: Michel de Tbarra & de celles de Pafto. Cette Riviere, après avoir parcouru plus de goo lieues de Pays entre % 3 & Sud-Eft, fe Be dans le Marannon, beaucoup plus à l'Orient que le Nepo. En fil Ja Riviere de Caquéte, qui vient du pays de Popayan, fe he en deux bras, l’un Da. quels, qui eft le plus occidental, fe jette, fous le nom de Tupura, dans le Fleuve Marannon, & femblable au Ni/ il y entre par fept ou huit bou- ches fi écartées les unes des autres qu'entre la premiere & la derniere on compte plus de cent lieues: l’autre bras qui a fon cours plus à l'Orient, n’eft pas moins célébre fous le nom de Rio Negro. On croit que c'eft par le Negro que Orinoco ou l'Orénaque communique avec le Marannon ; c'eft du-moins l'opinion de M. de la Condamine, qui cite à ce fujet une Lettre du P. Ÿean Ferreira, Reëteur du Collége des Féfüuites de la Ville de Gran- Para, dans laquelle ce Religieux marque expreflément, qu’en 1744 quel- ques Portugais d’un camp volant qui avoit pris pofte fur Rio Negro, s'é- , tant VOYAGE AU PEROU: /Liv. VLC. V. 311 tant embarqués fur cette Rivière, l’avoient defcendue jufques prés des Miffions de l’'Orenoque, dont ils avoient rencontré le Supérieur , avec qui ils avoient remonté le Négro, & étoient revenus au camp-volant, fans faire aucun chemin par terre. À quoi cet Auteur ajoûte les réflexions fuivantes. La Riviere de Caquéte vient de Mocoa, Pays. contigu à Æ4lma- guer dans la Jurisdiétion de Popayan, qui eft à l'Occident. Cette Rivieré, dont nous avons fait mention, & qui tire fon nom d’un petit lieu près duquel elle paffe affez près de fa fource, prend fon cours vers l'Orient in- clinant peu au Sud, & fe partage en deux bras, l’un qui court: plus au Sud fous le nom de Tapura, lequel fubdivifé enfuite en 'plufieurs. autres bras fe jette, comme nous l’avons dit, par fept ou huit bouches dans le Marannon ; Vautre pourfuivant fa route vers l'Orient fe fubdivife enco: re en deux bras, l’un desquels prend fon cours vers le Nord-Eft & entre dans l’'Orenoque, & l'autre qui court au Sud-Eft & le Rio Négro. Ileft certain que cette fubdivifion de bras en Rivieres profondes qui prennent des cours fi oppofés, n’eft pas une chofe ordinaire; mais elle n'eft pas non plus abfolument hors de vraifemblance. En effet il eft fort poflible-qu’u- ne Riviere arrivant dans un terrain uni, & prefque par-tout de niveau, s’'épanche à droite & à gauche aufïitôt qu’elle rencontre un-peu de pente dans le terrain, & fe divife en deux ou plufieurs bras: fi la pente n’eft pas bien grande, & que la Riviere foit confidérable & fort profonde, chaque bras fera navigable, & l’on pañlèra de l’un à l’autre fans difficulté. C’eft ce qui arrive dans les Efléros en Pays de plaine, & que nous avons vu par expérience dans le Pays de Tumbez. En effet l'eau de la Mer y entre dans le montant par plufieurs bouchés, dont quelques-unes font éloi- gnées de plus de vingt lieues l’une de l’autre. Celui qui navigue entre par un bras à la faveur du montant; mais en arrivant-là où le terrain s'é- léve, la marée lui devient contraire’, & il commence à fentir_ à: l'oppofi- te l’eau que le même montant fait entrer par un‘autre bras. De-même le juffant fépare les eaux à ce point-là ,. & chaque portion d'eau prend ‘pour refortir la même route ou le même côté par où elle:eft. entrée, fans que pour cela le lieu où la féparation fe fait, refte à fec. Mais quandmême le lieu où les eaux de la Caquéte fe fubdivifent,. ne féroit pas uni,,& à peu près horizontal, mais fort en pente,. cela étant égal des deux côtés, ‘rien n’empéche qu’une partie des: eaux: ne panéhe vers l’Orenoque,; & l'autre partie vers le‘ Négro. Tout ce'qui en réfulteroit, c'eft que la grande rapi- dité des eaux dans cet endroit-là les rendroit innavigables; maïs il ne s’en- faivroit nullement qu’étant arrivées elles ne puflent fe divifer, & tenir di£- 312 VOYAGE AU PEROU. différentes routes, puifque tout cela confifte à faire une Ile plus ou moins grande. On entre dans le Marannon par trois différentes routes en partant de Quito. Ces trois routes font très-incommodes par la quantité de roches & de pierres dont elles font femées & par la nature du climat, deforte qu’il faut mar- cher à pied les trois quarts du tems. Le premier de ces chemins, qui eft en même tems le plus près de Quito, paîle par Baeza & Archidona , d'où lon va s’embarquer fur le Napo. Le fecond eft par Hambato & paîle par Patate & au pied de la Montagne de Tunguragua, & de là jus- qu'au Pays de la Canéle que traverfe la Riviere de Bobonaza, qui fe joint a Pafiaza , & toutes deux vont fe perdre dans le Marannon. Le troifié- me chemin pañle par Cuenca, Loja, Valladolid & Faen. Dès cette Ville, ou dés le Village de Chuchunga, qui eft l'Embarcadaire du Marannon, ce grand Fleuve eft navigable. C’eft à Chuchunga que l'on s’embarque pour aller à Maynas, ou pour naviguer plus loin fur le Fleuve. De tous ces chemins le dernier eft le feul qui foit praticable pour les Bêtes de fomme, & par où elles puiffent arriver jufqu’a l'Embarcadaire fans obftacle: mais comme il eft en même tems le plus long, il eft aufli le moins fréquenté ; car les Miffionnaires qui font ces voyages plus fréquemment que perfon- ne autre, pour éviter la longueur de ce chemin & le danger qu’il ÿ a au pañlage du Pongo de Manxeriche, aiment nieux s’expofer aux fatigues & aux incommodités des deux autres, parce qu’ils font moins longs, quoique non moins dangereux. Dans le cours immenfe de ce Fleuve depuis Chuchunga jufqu’à la Mer: ilya des endroits où fes bords reflerrés par les terres forment divers dé- troits où la rapidité de fes eaux rend le paflage dangereux. Dans quel- ques autres endroits fon cours changeant tout-à-coup de direétion & fe recourbant , fes eaux heurtent avec violence les rochers efcarpés de fes bords, ce qui leur fait former des tournoyemens, qui les rendent comme immobiles; & ce repos apparent n’eft guere moins dangereux pour les Bâtimens, que le mouvement impétueux caufé par les détroits, qu'ils ont heureufement franchis. Parmi ces détroits qui rendent cette navigation périlleufe, le plus fameux eft celui qui eft entre Santiago de Las Montan- nas & Borja, auquel on donne le nom de Pongo de Manxeriche. Pongo en Indien fignifie une Porte, & ces Peuples appelloient ainfi généralement toys les lieux étroits. Manxeriche eft le nom de la Contrée voifine du dé- troit en queftion. Les Rélations des E/pagnols qui ont pañlé par-là, font ce pañlage fi étroit VOYAGE AU PEROU. Luv. VL Cf V. 313 étroit qu'elles ne lui donnent que 25 aunes de large, & affurent qu'il a trois lieues de long, que l’on fait fans autre fécours que le mouvement des eaux, en un quart d'heure de tems avec beaucoup de danger. Si cela eft ainfi, ce feroit à raifon de 12 lieues par heure, ce qui certaine- ment eft une vitefle étonnante. Mais felon Mr. de ‘la Condamine , qui a examiné tout cela avec l'attention d’un Philofophe, & dont le témoigna- ge l'emporte fans-doute de beaucoup fur celui des Voyageurs ordinaires $ & mérite infiniment plus de créance, le: Pongo, dans l'endroit où il eft le plus étroit, a 25 toifes de large, ce qui fait un peu plus de 6o aunes; & ce favant Mathématicien ne lui donne que deux lieues de long, de- puis l'endroit où commence le retreciflement jufqu’à la Ville de Borja , ajoûtant qu'il fit ces deux lieues dans une Bale en 57 minutes, ce qui eft plus dans l’ordre ordinaire. Il dit auffi que la Balze avoit le vent con- traire, ce qui fans-doute retarda l'impulfion du courant. Or en compu- tant le tems qu'il mit à faire ces deux lieues, 1l réfulte que la viteffe de l'eau étoit de deux & demie, ou tout au plus de trois lieues par heure. La largeur & la profondeur de ce grand Fleuve font proportionnées à Ja longueur de fon cours. Ileft à fuppofer que dans les Pongos, ou Deé- troits , il gagne dans la profondeur ce qu’il perd dans la largeur: & en effet quand on regarde quelques-unes des Rivieres qu’il reçoit, on eft trompé par les apparences: on diroit à voir la largeur de leurs lits, qu'ils furpaflent le Marannon, mais quand on les voit mêler leurs eaux avec les fien- nes, le peu d'augmentation qu’on remarque dans celui-ci defabufe bientôt de cette faufle opinion: car ce grand Fleuve continuant fon cours fans aucun changement fenfible, nidans fa largeur, ni dans fa viteffe, fait bien voir la dif- férence qu’il y a entre lui &les Rivieres en queftion. Dans quelques endroits il déploye fes eaux au large, & forme une grande quantité d’Iles: c’eft ce qu’on æemarque principalement depuis un endroit un peu à lorient de l'embouchu- re du Napo, jufqu’à celle du Coeri, qui eft un peu à l'occident du Négro. Là, divifé en plufieurs bras, il forme dans cet efpace une infinité d’Iles. Entre la Miffion de Los Pebas, qui préfentement eft la derniere des E/pa- gnols, & celle de San Pablo, où commencent celles des Portugais, Mr. de la Condamine, & Don Pedro Maldonado, mefurerent la largeur de quel- ques-uns de ces bras du Marannon, & ils trouverent qu’ils avoient chacun près de 900 toifes, qui font 23564 aunes de Caflille, ou environ la troi- fiéme partie d’une lieue marine Près de la Riviere de Chuchunga, où le Marannon commence à être navigable, & où Mr. de la Condamine s’embarqua, ce Savant trouva que fa largeur étoit de 135 toifes, qui font Tome I. R r 355 3 MOT AG ELAÏË PER OU 3552 aunes de Cyfülles & quoiqu'il foit-là prefqu’ä fon commencement, on:ne trouvoit-pas de fond à 28 braflés de fonde, quoiqu’on ne fût qu'au tiers de fa largeur. Les Iles que le Fleuve forme à l'Orient du Nupo, finiffent à la Rivie- re de Coari, & le Marannon recommence à réunir fes eaux dans un {ul canal. Là fa largeur eft de 1000 à 1200toifes, ou 2618 à 3142 aunes, ce qui fait une petite demi-lieue.. Le même Mr. 4 la Condamine pre- nant contre le courant les précautions néceffaires, comme il avoit fait dans l'embouchure de la Riviere de Chuchunga, de maniere que faifant ramer contre le fil dé l'eau pour que le canot fût immobile, il ne put trouver. de fond à 103 brafles de fonde. Le Négro mefuré à deux lieues au-deflus de fon embouchure , fut trouvé de 1200 toifes de large ; c’eft la largeur que le Fleuve même a dans cet endroit; & la même chofe ar- rive à quelques autres Rivieres déjà nommées, telles que l'Ucayale , la Ma- dere & autres. Cent lieues au-deffous de l’embouchure du Négro, les bords du Muran- non recommencent à fe retrecir près de la Riviere de Trumbetas: c’eft cet endroit qu’ôn nomme le Détroit de Pauxis. La, ainf que dans les poftes de Para, Curupa, & Macapa fur les bords du Fleuve, & fur la rive o- rientale du Négro, les Portugais ont des Fortercfles. Au Détroit de Pau- xis le Fleuve a 900 toifes de large ou 2356. aunes. C’eft:là que l'on commence à fentir les effets des marées, quoiqu'il y ait encore plus de deux cens lieues de-là jufqu’à la Mer. Ces effets confiftent en ce que les eaux fans changer de cours diminuent de vitefle, & s’en- flent jusqu'a fortir de leur lit. Le flux & le reflux y font réguliers de douze en douze heures. Mais Mr. de Ja Condamine obferva avec beaucoup de rafon, comme on pourra le voir dans la Relation de fon Voyage, que le flux & le reflux que l’on fent à la même heure & au même jour dans divers autres parages voifins, depuis la côte maritime, ou «embouchure du Fleuve, jufqu’a Pauxis, n’eft pas le flux & le reflux qu'on éprouve dans la Mer au même jour & à la même. heure déterminée; mais que ç'eft plutôt l'effet des marées des jours précédens, en d'autant plus grand nombre, que la diftänce eft plus grande du parage à l'embouchure; car Yeau d’une marée ne pouvant monter 200 lieues, ni beaucoup moins, en 12 heures, il faut néceflairement que produifant fon effet jusqu’à une diftance déterminée pendant le cours d’une journée, & que continuant à le produire les jours fuivans à l’aide d’autres marées qui fe fuivent par un mouvement fucceflif, ÿ parcoure ce long efpace, de maniere que le mon- VOYAGE AU PERONSPÆRRINEDER NE 2713 montant & le juffant fe fuccédent alternativement d'une certamie heure à l'autre, & qu’en certains endroits ces heures fe trouvent répondre à cel. les des marées de la Mer. Après avoir parcouru un efpace inumenfe; reçu dans {on feiti tant de différentes Eaux & Rivieres, formé-des tours & des détours, des fauts & des détroits; après s'être divifé en divers bras, après avoir formé tant d’Iles, les unes grandes, les autres petites, le Marannon commence dés l'embouchure de la Riviéré de Xingu à tournervers le Nord-Eft, étenc dant fes eaux, comimé pour entrer dams: la Mer avec plus d’aïfance; & dans ce large efpace il forme‘ plufieurs grandes’ les, dont quelques-unes font très-fertiles. : La plus remarquable: eft celle de Los Poannes ou de Marayo; pour-la formation de laquelle 1l fe détache du fem du Fleuve un bras ou canal à 95 lieues au-delà de l'embouchure du Chingu ou Xingus lequel bras éft appellé Tagipurus; & prenant fon cours au Sud, à l’oppofite du cours du Fleuve-même, il reçoit la Riviere appellée Dos Bocas, laquelle eft formée du Guanupu &-du Pacayas, & qui a plus de deux lieues de large à fon embouchure. La Riviere des Tocansines fe joint enfuite à celles-la, & eft encore ‘plus large à fon embouchure: après elle vient la Riviere de Muju ; fur le bord oriental de laquelle eft bâtie la Ville de Gran-Para. Un péu au-deflous, le Capi, qui baigne aufñli les murailles de cette Ville, fe jette dans le Muju. Après que le Dos-Bocas s'eft joïñt au Canal de Tagipuru , le cours de éelui-ci tiratt vers l'Orient forme la figure d’un arc, jusqu’à la Riviere des Tocantins, d’où il court au Noftd-Eft comme le Murannon, laifant entre deux l'Île de Los Ÿoannes, dont la figure eft presque. triangulaire, quoiqu'un peu arrondie vers le Sud: cette Ile a plus de 150 lieues de circonférence.. C'eft elle qui fépare les deux bouches par lesquelles le Fleuve entre dans la Mer. La principale de ces bouches eft entre le Cap Maguari, qui eft dans lle, & le Cap du Nord; elle a 45 lieues de lar- ge: l'autre qui eft celle du Canal de Tagipuru & des Rivieres qui l'ont joint dans fon cours, a douze lieues de large, depuis le même Cap Ma- guari jusqu'a la pointe de Tigioca. Ce fameux Fleuve des Ænazunes, le plus grand de tous ceux dont il foit fait mention dans l'Hiftoire tant facrée que profane, eft connu fous trois noms différens, & fa renommée eft fi étendue que fous chacun des trois, il n’y a perfonne qui ne le connoifle ; deforte que chacun de ces noms annênce également la grandeur de ce Fleuve, l'avantage qu'il a fur tous ceux qui arrofent & fertiifent l'Europe, tous ceux qui. parcourent Rr 2 jes sté VOYAGE AU PEROU. les vaftes Pays d'Afrique, tous ceux qui embelliffent les Campagnes de- : PAfie; &'il femblé que c’eft ce que le hazard a voulu donner à entendre, en lui impofant trois noms différens; deforte qu’on peut dire que fous. éhacun de ces noms, comme fous une énigme, il enveloppe les noms des trois Fleuves-les plus célébres de l’ancien Monde, le Danube en Europe ,: le Gange en Afie, & le Nil en Afrique. Ces trois noms, qui annoncent la grandeur de ce Fleuve, font.ceux de, Marannon, des Amazones, & d'Orellana. On ne fait point lequel de ces trois noms il portoit avant que les E/pagnols le découvriffent, ni quel, nom les Jndiens lui donnoient, quoiqu'il ne foit point douteux qu’il ne lui en donnaffent.un, & peut-être même plufieurs; car fes bords étant ha bités par diverfes Nations, il étoit naturel que chacune lui donnâtun nom particulier, ou le defignât par celui que quelque autre lui avoit impofé.… Mais ou les premiers E/pagnols négligerent de s’en inftruire en y navi- geant, ou ces noms font reftés confondus dans les autres qu'on lui donna d’abord, de maniere qu’il n’en refte plus aucune idée. Des trois noms rapportés ci-deflus, le plus ancien. eft.celui des Maras-. non : a-la-verité quelques Auteurs prétendent le contraire ; mais à cet égard, aufi-bien que pour la raifon qu’ils alleguent, pourquoi ce nom a été impofé à ce Fleuve, il paroît qu'ils s’abufent: puifqu'ils fuppofent qu'il lui fut impofé par les Æ/pagnols qui le defcendirent avec Pedro Orfua en 1559 ou 1560. Or il eft certain que plufieurs années auparavant 1l le portoit déja. En-effet Pierre-Martyr, daus fes Décades * parlant de la découverte des côtes, du Bre/il faite en 1500 par: Vincent Yannez. Pin z0n, rapporte entre autres chofes qu’il étoit arrivé à une Riviere appel- lée Marannon. Ce Livre fut imprimé en 1516, long-tems avant que Gon- zalo Pixarro entreprit la découverte & la conquête de ce Fleuve par terre. & que Francifco de Orellana s’y embarquât.. C’eft une preuve fans repli: que qu'il avoit déjà le nom de Marannon; mais il n’eft pas aifé, ni de dé- terminer le tems où il lui fut impofé, ni fon étimologie. Quelques- uns, fuivant l'opinion d’Auguftin de Zarate +, dérivent ce nom de celui d'un Capitaine E/pagnol nommé Marannon, qui, difent-ils, fut le pre+ mier qui y navigua; mafs ceste opinion eft plus fpécieufe que folide, & n'a d'autre fondement que la reffemblance des noms, qui eft un argu< ment bien füjet à caution. Et ce qui me le perfuade, c’eft qu’il n’eft pas * Pedro Martyr de Angleria dec. 1. I. 9. | F Auguftin Zarate, Hift, du Pérou liv. À cp VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Ci. V. 317 pas fait la moindre mention d’un tell Capitaine dans toutes les Hiftoires où il eft queftion des découvertes de: ces Contrées. D'où l’on peut infe- rer que Zarate voyant que ce Fleuwe s’appelloit Marännon, s'eft imaginé que ce nom lui étoit venu de quelqu'un qui y avoit navigué; car s’il en avoit fu davantage 1l étoit tout fimmple qu’il parlât d’une maniere moins vague, & qu'il inferàt dans fon Hiftcwoire les particularités de cette décou- verte; & au cas’ qu'on prétendit qu’il les a omifes, comme les jugeant trop peu importantes, on conviendra que tousles autres Hiftoriens n’en ont pas jugé de-même, & qu'il n'eft pas: poffible qu’ils ayent affeété de Jaiffer dans oubli un E/pagnol qui avoit dænné fon propre nom au plus grand Fleuve que l’on connoifle au Mondex Ce qui eft plus probable, c’eft que quand Vincent Tannez Pinzon arriva. fur ce Fleuve, il entendit que les Zn- diens qui habitoient dans cette mulltitude d’Iles qu’il forme, & fur fes bords, lui donnoient ce nom, ou quelque autre qui avoit un fon à peu près femblable, d’où Tannez Pinzom conclut qu’il s’appelloit Marannon. Quoi qu’il en foit de cette conjecture, il eft indubitable que ce- nom eft le plus ancien de tous ceux par où l'on défigne ce Fleuve; & que ce ne fut ni Orfua, ni fes gens qui le lui imrpoferent par allufion aux démélés qu’ils eurent enfemble, & qu'on exprime en Æ/pagnol par le mot Marannas ; ou parce qu'ils s’égarerent dans la multitude de fes Iles, qui forment com: me un’labyrinthe de Canaux ( Enmarannado) dont on ade la peine à for- tir, ainfi que le racontent d’autres Hiftoriens. Le fecond nom eft celui de Riviere des Amazones ; qui lai: fut impofé par rancifco de Orellana , parce que parmi les Nations qui prirent les armes pour lui difputer le paffage & l'empêcher de débarquer à terre, il y en avoit une de femmes guerrieres, qui l'attaquerent, maniant l'are_& les fléches avec autant d’adreffe que les Zndiens les plus expérimentés, & qui fe comporterent fi vaillamment dans la chaleur du combat, qu’elles l'obligerent à s'éloigner du rivage, € fans pouvoir débarquer là où elles étoient, 1l fut contraint de naviguer par le milieu du Fleuve pour fe met- tre hors de la portée de leurs coups. Ce Général-étant de retour en Æ/pa- gne y raconta cette circonftance;. c’eft pourquoi dans les Lettres Patentes qui lui furent expédiées pour lui en «conférer le Gouvernement, il fut dit expreflément que c'étoit pour le récompenfer de la conquête des Amazo- ues, dont depuis ce tems-là le Fleuvre a confervé le nom... On a douté fi le Maramnon & la Riviere des Amazones étoient un même leuve; & plufieurs ont été perfuadés que c’étoient deux Fleuves diffé- rens ;.mais ce fentiment n’a été owcafionné que parce qu'avant la fin Rr 3 | du F 318 VOWLAIGE AU PER OU. du fiécle pañlé. on n’avoit pas encore reconnu cette Riviere avec af fez de foin. Tous lès Ecrivains qui font mention de ce Fleuve, & du Voyage d'O- rellana, aflurent pofitivement l’avanture des /maxones. Ce témoignage unanime eft une preuve fufhifante, dans une affaire où il n’y a rien d’ail- leurs de contraire à la-wraifemblance; mais ce qui eft plus fort, c’eft le fouvenir qui fe conferve encore parmi les Naturels du Pays, felon le témoignage d'un Génie des plus étendus & de plus fpéculatifs qui foient jamais fortis de la Province de Quito. Je parle de D. Pedro Maldonado, natif de la Ville de Riobamba, & domicilié à Quito, qui mérite une pla- ce honorable parmi ceux qui cultivent les Sciences. Cet illuftre perfon- nage ayant réfolu de pañler en £ fpagne, s'embarqua far le: Marannoñ en compagnie de Mr. de la Condamine eh 1743; & parmi une infinité d’oc- cupations, il ne négligea pas d'examiner ce Fleuve, & fur-tout 4 l'égard des Amazones. : Quelques vieux Indiens lui rapporterent qu'on avoit con- nu dans ce Pays des Femmes, qui formant une République particuliere entre elles, n’admettoient jamais aucun homme dans le Gouvernement; ajoûtant que ces femmes vivoient encore dans la même forme de Gou- veérnèément, mais qu’elles s’étoient retirées loin des bords du Fleuve dans l'intérieur du Pays; & ils afluroient même en avoir vu de tems en tems quelques-unes. Cela eft rapporté auffi par Mr: de la Condamine dans la Rélation de fon Voyage par cette Riviere, Ouvrage qui a été imprimé à Pañis én 1745. Ce Savant avoit été en compagnie de Don Pedro Mal. donade dans ce voyage, & n’avoit pas eu moins d'attention à s'infor- mer de tout. Il raconte quelques faits entre autres qui lui, furent cités par les Zndiens, fur l'apparition de quelques Amaxones. Ceux qui voudront en favoir davantage fur ce fujet, pourront confülter l'Ouvrage de ce Sa- A À vant. Je me contenterai ici.de rapporter ce que difent les Hiftoriens fur ce fujet, laiflant à chacun la liberté de donner telle créance qu'il lui plaï- ra à l’avanture d’'Orellana, & à l'exiftence aétuelle des Amazones. Plufieurs, en fuppofant comme indubitable l’avanture d'Orellana avec les Amaxzones, & repréfentant celles-ci comme des Viragos en valeur & en courage, ont nié la particularité de leur République, .& qu’elles n'ad- miflent point d'homme parmi elles. Ceux qui font de ce fentiment, pré- tendent avec aflez de raifon que les femmes contre qui Orellana combat- tit étoient de la Nation d'Ywrimagua, qui occupoit alors le plus de ter- rain fur le Marannon, & fe faifoit refpecter dé toutes les autres par fa va- leur. Or, difent-ils, il étoit affez naturel que les femmes participalfent à VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. Ch. V. 319 à la valeur peu commune de leurs maris, & priffent les armes pour les accompagner à la guerre, comme cela arrive en divers autres Pays des JZndes. | Le troifiéme nom de ce Fleuve, eft celui d’Orellana, qui lui fut donné à-caufe de F. d'Orellana, qui y navigua le premier, & combattit les 7n- diens qui habitoient fur fes bords. Quelques-uns ont voulu diftinguer di- verfes diftances dans fon cours, & ont donné un nom à un- certain efpa- ce. Ainfi ils appellent Orellana à l'endroit où ce Capitaine defcendit a- vec fon Brigantin, jufqu'àl’endroit où il eut à combattre les /mazones avec tant de mauvais fuccés. C'eft-là qu’ils lui donnent le nom d’/mazo- nes, qu'ils lui confervent jufqu’àa la Mer. A l'égard du troifiéme nom , qui eft celui de Marannon, ils le lui donnent depuis fes fources du Pérou jus- ques fort au-delà du Pongo en defcendant, alléguant pour raifon que ce fut par-là que Pedro Orfua entra dans le Fleuve, & s'appuyant de cette étymologie incertaine dont nous avons parlé, qui eft que Marannon eft dérivé des diffentions de fes gens. Ce qu'il y a de certain en tout cela, c'eft que la Riviere des Amazones, celle du Marannon , & celle d'Orellana, ne font qu’un feul & même Fleuve ; & que ce qu’on entend par ces trois noms, n’eft autre chofe que ce grand & vafte Canal, où fe rendent toutes ces grandes Rivieres qui contribuent à la grandeur de ce Fleuve, & qu’au premier nom .de Marannon on a ajoûté les autres par les raifons déjà rap- portées. L’opinion dont je parle ici, a furtout été fomentée par les Por- tugais, qui n’ont donné à ce Fleuve que le feul nom de Riviere des 4ma- zones, & ont tranfporté celui de Marannon à une des Capitainies du Brc- fl, qui eft entre celle du Gran-Para, &:celle de la Siara, dont la Ville de St. Eouis du Marannon eft la Capitale. Î IL Premieres Découvertes & Navigationsentrepriles en divers tems pour reconnoître le Marannon. : Après avoir traité du cours, & des noms qu’on donne à ce fameux Fleuve, il convient de dire de quelle maniere, & par qui il fut découvert, & quelles navigations y ont été entreprifes. Vincent Tannez Pingon, Vun de ceux qui avoient accompagné l'Amiral Don Chriflophle Colcmb dans fon -premier voyage , découvrit l'embouchure de ce Fleuve dans l'Océan, ainfi que nous l'avons déja dit. Il arma au Port de Palos quatre Vaifleaux à fes dépens pendant le mois de Décembre 1499, & réfolut de les employer à faire de nouvelles découvertes aux Jndes; c’étoit alors le goût dominant. Dans cetté vus il fit voile ves les Canaries, d’où il doubla les Iles du Cap Perd; & naviguant enfuite à l'Occident, il découvrit terre le 26 de Fan- Gier 320 V OFAGE AU PEROU vier 1500 ; & comme c’étoit après une furieufe tourmente, il nomma cette Terre Cabo de Confolation, & elle eft connue aujourd’hui fous le nom de Cap St. Auguftin. ‘Après être defcendu à cette Terre, & l'avoir re. connue, il fe rembarqua, & la côtoya vers le Nord; s’'éloignant & la perdant quelquefois de vue, il fe trouva tout-à-coup au milieu d’une Mer dont l’eau étoit douce. ‘Curieux de favoir d’où cela pouvoit provenir, il gouverna de ce côté-là, & arriva à l'embouchure du Marannon, dont les Îles lui parurent extrêmement agréables. Il fit-là quelque féjour traitant micalement avec les Jndiens du voifinage, qui fe montroient pacifiques & point ennemis des étrangers. ‘.Il-continua à s’avancer dans ie Fleuve pour le reconnoître, à-mefure que de nouvelles terres lui montroient le chemin qu'il devoit tenir pour en découvrir d’autres. _ Cette découverte par mer fut fuivie de célle que :fit “par terre en 1540 Gongale Pizarre, qui fut chargé de cette entreprife-par fon frere le Mar- quis D. Francifco Pizarro, en lui conférant le Gouvernement de Quito. Ce Général avoit conçu l’idée de cette découverte fur le rapport que Gon- gale Dias de Pineda avoit fait du Pays-de la Canéleen 1536. Gonzale Pizarre arriva en ce Pays, & fuivit le cours d’une Rivicre, on ne fait: pas bien laquelle, fi ce fut le Napo ou la Coca. I] eft vraifemblable .que c’étoit la premiere. Gongale Pizarre rencontra des difficultés & des travaux infinis ; &'fe voyant dans une difette totale d’alimens, & que fes gens réduits.à manger des feuilles, des écorces d'arbres, des ferpens de toute efpéce; périfloient tous les uns après les autres, äl fit travailler à la fabrique d’un Brigantin pour pafler à un endroit où cette Riviere fe joignoit avec une autre, & où les Zndiens l'avoient afluré qu’il trouveroit des vivres en abon- dance. Le Brigantin étant achevé, il en donna le commandement à fon Lieutenant-Général D. Fr. de Orellana, perfonnage digne de toute fa con- fiance, lui enjoïignant de faire diligence pour le tirer de l'extrémité où il étoit. Orellana.s'embarque & defcend environ $o lieues fur la Riviere, jufques au confluent de l’autre; mais n'ayant pas rencontré ce qu’il cher- choit, & ne voyant aucune efpéce de fruits fauvages , foit que les Arbres ne fuffent pas propres à en produire, foit que les Zndiens les euflent épui- fés , 1llui parut bien difficile de remonter la Riviere pour rejoindre Pigarre, ne croyant pas que le Brigantin pût furmonter la rapidité du courant. -D'ail- leurs 1l étoit fàché de s’en retourner fans avoir exécuté fa commillion, & de voir que tant de peines & de travaux alloient devenir inutiles. Tout cela bien confidéré, fans rien témoigner à fes compagnons, il réfolut de s'abandonner au courant de l'eau & de defcendre jufqu'à la Mer. Cedef. | fein VOYAGE AUPREROU. Liv WOR/V. -32s fein ne put étre entiérement cache. Ses gens s'en douterent quand ils virent remettre les voiles. Quelques-uns s’oppoferent au projet de leur Chef. Il fe forma entre eux deux partis, qui furent fur le point de s’égor- ger. Mais enfin Orellana trouva moyen d’appaifer les mécontens par de belles promelles, & ils cefferent de lui être contraires. Tous réfolurent de fuivre le Général par-tout où illes voudroit mener. Orellana voulutbien oublier leur mutinerie; il excepta feulement de ce pardon Hernand San- chez de Vargas, qui avoit paru um des plus obftinés mutins. Pour le pu- nir on le mit à terre, & on l’abandonna à la faim & aux bêtes féroces. Pigarre ne voyant point revenir fon Lieutenant-Général, defcendit par terre jufqu’au confluent des deux Rivieres où il penfoit le trouver; mais il n’y rencontra que le malheureux Vargas, de qui il apprit tout ce qui s'étoit pallé. Alors Pizarro rebuté de tant de malheurs, dénué de vivres, la plupart de fes gens morts de faim & de fatigue, lé refte fi excédé de tra- vail & exténué de faim, qu'a chaque pas il en mouroit quelqu'un, & le peu qui reftoit reflembloit plutôt à des ombres qu'a des corps ; Pizarre, dis-je, réfolut de.s’en retourner. Il-exécuta cette réfolution avec des pei- nes pires que tout ce qu'il avoit fouffert jufques-là; mais enfin il arriva à Quito en 1542 avec un très-petit nombre de gens, fans avoir fait autre chofe que de reconnoître ces Rivieres & le Pays aux environs: foible triomphe pour tant de travaux, tant de peines, & tant de morts. Telle fut la premiere entreprife qui fut faite formellement pour decou- vrir le Marannon; & fi Gonzale Pizarre n'eut pas tout le fuccès qu’il defi- roit, il fut du - moins caufe que le projet fut entiérement exécuté par un autre. C’eft à fa fermeté à ne pas céder aux difficultés & à tout tenter pour fortir du cruel embarras où il étoit, qu'on doit attribuer le fucces qu’eut Orcilana qui lui étoit fubordonné; car celui-ci dans fa navigation recon- nut le fameux Fleuve des 4mazones dans toute fon étendue, cette infinité d’Iles qu’il forme dans la longueur de fon cours, & une prodigieufe di- verfité de Nations qui habitoient fur fes bords. C’eft fur quoi je crois qu’il eft à propos d’entrer dans quelque détail. François d’Orellana , déterminé à defcendre le Fleuve jufqu’au bout, fuivit fa route au commencement. de 1541, & rencontrant diverfes Na- tions fur les bords, 1l fit amitié avec plufieurs, & les difpofa à reconnoître le Roi d'E/pagne pour leur Souverain , après quoi 1l fit la-cérémonie de prendre pofleffion du Pays, du confentement des Cuciques. Il ne trouva pas la même docilité chez quelques autres, il lui falut combattre contre une infinité de Canots, chargés d’Indiens, qui venoient lui barrer le paf- Tome LZ, S f fage 555 (OV-OMRAGE AU PEROU. fage « Fleuve, pendant que ceux qui paroifloient en armes fur les rives empêéhoient fés gens d'aborder. Parmi les Nations il y en avoit une'fi belliqeufé, que les femmes mêmes avoient pris les armes & combattoient pêle-néle parmi les hommes , fe fervant de l'arc & des fléches avec une adrefe infinie, & attaquant avec une audace extrême; c’eft ce qui enga- ea Vrellana à nommer ce Fleuve ÆAiviere des Amaxones.. Par tout ce qu’il lit lui-même dans fa rélation, on peut juger à vue de pays qu'il ren- Conta ces femmes guerrieres un peu au-delà de l'endroit où le Nesrofejet- te dns le Marannon. Orellana continua fon voyage; le 26 Août de 1a mêne année il rencontra une prodigieufe quantité d’Iles au-travers des- quelès il entra dans la Mer. Il fe rendit à l'Ile de Cubagua , ou felon d'aures à celle de la Trinité, dans le deffein de paflér en Æ/pagne pour y follidter le titre de Gouverneur de ces Pays. Selon fon calcul ilavoit navi- gué ’efpace de 1800 lieues fur le Fleuve. ” Ctte entreprife fut fuivie d’une autre en 1559 ou 1560, faite par les ordres de D. André Hurtado de Mendoza Marquis de Canncte, & confiée à Pedn de Orfua, qui fut revêtu des titres pompeux de Gouverneur & de Comuérant des Pays le long du Marannon; mais à peine y eut-il mis le pied qu’il fut tué en trahifon avec la plupart de fes gens par les Naturels du Jays, fans qu’il pût s’en prendre qu’à fon imprudence. On perdit par- la ous les fraix de cet armement. In 1602 le P. Raphaël Ferrer de la Compagnie de Féfus, ayant entre- prisla Miffion des Cophanes, defcendit le Marannon, &: reconnut le Pays jufues au confluent des deux Rivieres où Orellana avoit abandonrié Île maheureux Sanchez de Vargas. Ce Religieux retourna à Quito, où il fit raport de tout ce qu’il avoit vu, & des Nations différentes qu'il avoit dé- coivertes. R In 1616 vingt Soldats E/pagnols de la Ville de Santiago des montagnes dar la Province d’Taguar/ongo, pourfuivant quelques Zndiens qui avaient conmis un meurtre dans cette Ville & s'étoient fauvés à travers champ, s’enbarquerent fur le Marannon dans des Canots, & fe Jaiffant aller au cou- tan, arriverent à la Nation des Maynas, qui les reçut corime amis, & panrent difpofés à fe foumettre aux Rois d’E/pagne & à demander des Mifionaires. De retour à Santiago ces Soldats firent leur rapport de tout cek, fur quoi il en fut donné avis au Viceroi du Pérou, Don François Borgia Pracé d'Efquilache; & en 1618 D. Diego Baca de Vega fut fait Gouver- deu du Pays de Maynas & du Marannon. … Ce nouveau Gouverneur étoit habitué à Loja, & il fat lé premier qui obtint cet emploi dans les formes; car VOYAGE AU PEROU. Law. VL Cu V. 322 car quoique Gonxale Pizarre, Francifco de Orellama, Pedro de Orfua en euf- fent reçu le titre, ils ne prirent jamais poffeflion de la chofè même, n’a- yant pu réuflir à faire des conquetes folides fur ce Fleuve, ce qui étoit effentiel pour réalifer ce titre. En 1635 & 1636 deux Religieux Franci/cains partis de Quito en com. pagnie d’autres Religieux de leur Ordre, & dans la réfolution d'aller pré- cher l'Evangile aux Indiens du Marannon, prirent la route de ce F leuve; mais la plupart de ces Peres ne purent réfifter aux fatigues, & rebutés du peu de fuccès de leur zéle, après avoir quelque téms erré dans ces Bois, ces Montagnes & ces Déferts, reprirent la route de Quito, deforte qu’il ne refta dans ces Contrées que les deux dont nous parlons ici, l’un nom- mé Pr. Dominique de Brieda, & Vautre Fr. André de Toléde, tous les deux Laïcs. Ces deux Freres plus zélés,. plus courageux, & peut-être auffi Plus curieux , entreprirent d'entrer plus avant dans ces vaftes Pays , accom- pagnés de fix Soldats d’une Compagnie qui avoient été envoyés fous les or. ares du Capitaine Juan de Palacios, pour foutenir les Miflionaires. Le Capitaine étoit refté avec ces fix Soldats, le refte de fa troupe étoit re- tourné à Quäto avec les Millionaires. Ce brave homme fut tué queiques jours après dans un combat contre les Jndiens. Les fix Soldats & les deux Freres laïcs, pleins d’une généreufe réfolu- tion, & bravant les périls qu'ils rencontroient dans des endroits habités par une Nation barbare, lieux inconnus & environnés de précipices., fe mi- rent dans une efpèce de Pirogue, & s’abandonnerent au courant du Fleu- ve, & après bien des peines & des foufrances ils vinrent à bout de leur entreprife, & arriverent à la Ville de Para, alors dépendante de la: Capi- tainie du Marannon, ou unie à cette Capitainie dont le Gouverneur faifoit fa réfidence à Sr. Louis. Nos Avanturiers s’y rendirent, & lui firent un fidé- le rapport dle tout ce qu'ils avoient découvert & obfervé dans leur voyage, Dans ce tems-là le Portugal n’avoit qu'un même Roi avec l’E/pagne, & êes deux Couronnes ceignoient ia tête du même Monarque. La Capital nie du Marannon étoit gouvernée alors par Yacome Reymond de Noronna, qui ne négligeoit rien pour la découverte de ces Pays, .perfuadé qu’il y alloit du véritable fervice de fon Maître. Dans cette idée il équipa une Flottille de Canots, dont il confia le commandement au Capitaine Pedro Te- veyræ, afin que remontant le Fleuve il examinât toutes. chofes avec plus d'attention. Cette Flottille partit des environs de Para le 28 d'Oétobre 1637, & les deux Religieux avec les fix Soldats s’y étant embarques, on navigua avec les peines qu’on peut fe figurer, ayant Liane Sf 2 € à VOYAGE AU PEROU. D * Je courant du Fleuve à furmonter. Après des fatigues infinies, ils arrive. rent au Port de Payamino le 24 de Juin de l’année fuivante 1638. Ce lieu étoit de la Jurisdiétion du Gouvernemeut de Quixos. De-là Texeyra fe rendit avec les deux Religieux & les fix Soldats à Quito, où ilfitfonrap. port à l'Audience, qui donna avis dé tout au Viceroi du Pérou, (cétoit alors D. Férûme Fernandez de Cabrera Comte de Chinchon}.qui donna de nouveaux ordres pour le fuccès de l’entreprife. Les ordres du Comte de Chinchon portoient que la Flottille Portugaifere- tourneroit à Para, & prendroit à bord des perfonnes d’une capacité recon- nue, zélées pour lé fervice du Roï, lefquelles examinaflent à loifir tout ce qui concernoit le Marannon & les Pays qu'il arrofe, & qu’enfuite ils paffaffent en-Æ/pagne pour informer direétement Sa Majefté par fon Con- feil Royal des Indes de tout ce qu’ils auroient obfervé touchant ces Con- trées, afin qu’on püût prendre des mefures en conféquence pour réduire ces Nations. On choifit avec un applaudiffement générai les P. P. Chrifio- val de Acunna & André d’Artieda Yéfuites, lesquels partirent de Quito le 16 de Février de 1639, & vinrent s’embarquer fur l'Armadille, entrerent dans le Marannon ; &-arriverent au Grand-Para le 12 Décembre de la même année, d’où ils continuerent leur voyage en E/pagne, où ils firent une ré- jation digne de la confiance qu’on avoit eue en eux. A la fin du fiécle-paflé on répéta lereconnoiffement de ce grand Fleuve: mais il étoit déjà fi connu , que la plus grande partie defes terres étoient défri chées par l’établiffement des Miffions des P. P. Jéfuites. Le Gouverne- ment de Maynas s'étend aétuellement fur plufieurs Nations, qui ayant reçu la Religion Catholique: graces à la ferveur du zéle. de ces Peres, ont rendu obéiffance aux Rois d’Æ/pagne; & les bords du Fleuve habités au- trefois par des Indiens plus féroces que-ies Bêtes, font aujourd'hui par- {emés de Villages, bien fitués, bien réglés, &.peuplés d'hommes raifon- nables. Un de ceux qui a le plus contribué à ce changement, ça été le P. Samuel Fritz qui commença à prêcher à ces Peuples en 1686, avec tant de fuccès qu’en peu de tems il convertit plufieurs Nations ;. mais tant de tra- vaux & de fatigues lui cauferent une maladie, qui l’obligea de fe faire trans- porter à Para plutôt qu’à Quite où le voyage eût été plus difficile. 1 partit le dernier jour. de Tanvier 1689, & arriva à Para le 11 Septembre de là même année. HU fut obligé de s’y arrêter, non feulement jusqu'à f'entier rétabliffement de fa fanté mais encore jusqu’à ce qu'il eût fini cer. taines affaires qui étoient furvenues, &. far lesquelles il falloit attendre la réponfe de la.Cour de Lishonne. Le VOYAGE AU PEROU. Lrv. VL CH, V. 324 Le 8 de Fuillet 1691 le Pere Samuel Fritz païtit de Para pour retour. ner dans fes Millions, qui s’étendoient déjà alors depuis l'embouchure du Napo jusqu’au-delà de celui de Négro, & comprenoient les Indiens Oma- guas, Yurimaguas, Ayfuares, & autres Nations voifines les plus nombreu- fes de tout le Marannon. Le 13 Octobre de la même année il arriva au Vik lage nommé Notre Dame des Nèges, Chef-lieu de la Nation Turimagua ; & ayant parcouru tous les autres au nombre de 41, fort grands &:bien peu- plés , qui étoient fous fa direttion, il pafla pour d’autres affaires au Village de la Lagune , qui eft le-Chet-lieu & comme la Capitale de toutes les Miffions du Marannon , où réfidoit le Supérieur-Général. De-là il fe ren- dit à Lima, pour informer de l'état de ce Pays le Comte de la Moncloa, qui étoit alors Viceroi du Pérou. Il fit ce voyage par la Riviere de Gual- laga , d’où il entra dans le Paranapura, delà il pafla à Moyabamba ,à Chacha- poyas, Caxamarca, Truxillo & Lima. | # Lé P. Fritz ayant fini fes affaires à Lima, retourna dans fes Miffions au mois d'Août 1693, &-prit fa route par la Ville de Ÿaen de Bracamoros, dans la vue de mieux s’inftruire du cours & des fituations des Rivieres ui viennent du Sud pour fe joindre au Marannon. Les lumieres qu'il acquit. par-là & celles qu'il avoit déjà, le mirent en état de donnerau Pu- blic une Carte de ce fameux Fleuve, laquelle fut gravée à Quito en 1707. Elle étoit moins exaéte qu'on ne l’auroit fouhaité , à-caufe que ce Pere n’avoit pas les inftrumens néceffaires pour obferver les latitudes & les longitudes des principaux. Lieux , connoître la diréétion des Rivieres , & déterminer les diftances que leurs eaux parcourent: malgré cela cette Car- te ne laiffa pas d’être fort eftimée, parce-qu'il n’en avoit encore point pa- ru d'autre, où l'origine & le cours des Rivieres qui fe jettent dans le Marannon , & le cours de celui-ci jusques à la Mer. fuflent marqués. G. IL. Où 5 ef traité des Conquêtes faites Jur le Marannon’, des Miffions qui y font établies, des Nations qui habitent fur les bords de ce Fleuve , avec d'autres particularités.dignes-de l'attention du Lecteur. La découverte de ce fameux Fleuve, l'examen des Pays qu'il arrofe, & des Nations qui habitent fur fes bords ; furent fuivis de la conquête dé ces mêmes Pays & des Iles formées par les eaux duFleuve. Nous avons vu ke mauvais fuccès de l'expédition de Gongale Pizarre , & de celle d’Orellana. Or- fua fut encore plus malheureux, il.y périt & plufieurs de fes compagnons: il eft tems de parler un peu plus au long de l'heureufe entreprife de D. Diego Baca de Vega, dont nous avons déjà dit un mot en pafñfant. Baca de Vega ayant été revêtu du Gouvernement de Maynas & du Ma- Sf.3 ran- 326 MOT A GIE AU PER OU 7 rannon, déja afluré ‘de l'affection des Indiens Maynas , laquelle il avoit cultivée depuis que.les Soldats de Santiago en eurent jetté les fondemens;, entra dans leurs terres, accompagné de quelque monde, & fonda la Vil- le de San Francifco de Borja en 1634, qu'il érigea en Capitale de tout ce Gouvernement; titre qu’elle méritoit, tant parce que :c'étoit le premier établiffement des Æ/pagnols. dans ce Pays, que parce que les Indiens qui l’habitoient s’étoient düitingués par leur amitié envers eux depuis leur af- rivée dans le Païs. Lie nouveau Gouverneur, naturellement judicieux & pénétrant, remarque bientôt que l'humeur de ces Nations-n'avoit befoin pour être :gouvernée que de la prudence & de la-douceur accompagnées de fermeté pour rendre l’autorité refpeétable, mais qu’il ne faloit ufer ni de févérité ni de rudefle. C’eft ce qu’il eut foin de faire entendre à l’Au- dience de Quito & aux Féuites: ‘Ces derniers envôverent les P. P. Gaÿ par de Cuxia & Lucas de Cuebas, qui entrerent dans le Pays de Maynas ên 1637. Leurs prédications furent fi efficaces, qu’ils demanderent des Com- pagnons pour les foulager dans leurs travaux; & ce fut ainfi que peu à peu le nombre des Mifionaires s’accrut, à méfure que le nombre des Néophy. tes augmenta, & cette Converfion étoit toujours fuivie de l'obéiflance aux Rois d'E/pagne. Mais les plus grands progrès de la Religion & de l'obéiflance au Roi d'E/pagne , font dus au P. Samuel Fritz en 1688. Il fe rendit direétement chez les Omaguas. Ce Peuple avoit été informé par les Cocamas .de la bonté avec laquelle les Miffionnaires Ÿéfuites leur enfeignoient des Loix juftes & équitables &une Police inconnue jufqu’alors parmieux ,an moyen de quoi leur Nation devenoit meilleuré, ainfi que les autres qui écoutoient leurs préceptes. Animée par cerécit, cette Nation avoit envoyédes Dépu- tésau Village dela Laguna appartenantaux Cocainas,pc -fionnaires au Pere Laurent Lucero, alors Supérieur des Miffions ; ce que ce Pere ne put leur accorder pour lors, tous les Miffionnaires étant occupés ailleurs ; mais il leur promit qu'aufli-tôt qu'il en arriveroit-de Quito, 1lleur en enverroit un pour les civilifer & les policer. Les Omaguas ne donnerent pas le tems au P. Lucero d'oublier fa pro- mefle; car ayant appris qu'ilétoit arrivé à Laguna de nouveau Miffionnai- res de Quito, & entre autres le P. Samuel Fritz, Use folliciterent de te. nir la parole qu’il leur avoit donnée, & peu contens de cela, ils vinrent au Village de Laguna au nombre de plus de trente Canots, pour recevoir le P. Samuel Fritz 9 & l'emmener dans leur Pays, lui témoignant une fi grande vénération qu’ils le portoient für leurs épaules, & que c’étoit mé- ee À me VOYAGE AUPER/OU! Liv! VI Cn, V. 727 me un privilège réfervé aux Caciqués de le porter ainfi, Les fuccès des prédications du Pere répoñdirent à l’éftime qu'on lui témoignoit ,. défor- te que dans peu toute cette Natioh fut convertie & devint Chrétienne ; & qu'ayant ôuvert les yeux de l'éntendement & reconnu le vrai Dieu, elle ne lui rendit plus qu’un culte légitime, fecoua :la férocité & l'ignorance où elle vivoit, & embrafla des Loix juftes, feules propres à faire 1e bon: heur des hommes. Plufieurs’autres Nations voifines fuivirent l'exemple de celle-là; entre autres lès Turimaguas, les 4yfuares ,. les. Banames, qui venoient de leur propre mouvement prier le P. Samuel Fritz de leur venir enfeigner auffi à bien vivre; felon la bonne méthode qu'il avoit enfeignée aux Omaguas. C’eft ainfi que ces Nations fe foumirent à la Souveraineté de nos Rois, & que nous conquimes tous les Pays depuis le Napo jufqu' au- deflous du Négra, fans qu’il fût nécelfaire d’employér -la force des armes dans toute cette étendue qui compofe le:Gouvernement de Maynas. : Le nombre des Nations qui fe foumirent fe trouvoit fi grand fur la fin du fiécle paffé , que le P. Samuel Fritz -pouvoit à peine dans l'efpace d’une année faire la vifite de chaque Village de celles qui’ étoient fous fa direc: tion, fans compter les autres Nations dirigées par d’autres Mifionnaires, telles que les Maynas, les: Xebares | les Cocames, les Panes, les Ghonitue res, les Aguans , les Muniches ; les Otanabes, les Roamaynas, les Gaes, & autres dont nous omettons les noms, comme étant moins confidérables. Nous avons dit que la Ville de San Francifco de Borja eftla Ca- pitale du Gouvernement de WMaynas, à quoi il faut ajoûter que cette Ville eft fituée par les 4 deg. 28 min. de Latitude Auftrale à l'Orient du Méridien de Quito 1 deg. 54 min. Elle ne differe point dans la grandeur, fi dans la ftruéture de cé que nous avons dit des Vilies du Gouvernement de Faen; & le Peuple qui l’habite; quoique compofé de Métifs & d’Indiens, & quoique la Ville foit la réfidence duGouverneur de Maynas & du Marannon, eft moins nombreux encore que celui de aen de Bracamoros.. . Le princi- pal Village des Miflions, celui où doit toujours réfider le Supérieur, c'eft Santiago de la Laguna, comme il a déjà été dit. Ce Village ou Bourg eft fitué fur le bord oriental de la Riviere de Guallaga; les autres Villages que contiennent ces Mifions | & qui dépendent du Gouvernement. de Maynas pour le Temporel, & de l'Evéché de Quito pour le Spirituel, font: Sur le Napo. 1 Saint Barthelemide Necoya. IV. St. Louis de Gonzague. , IL San Pedro d’Aguarico. V. - Santa Crur. IL San Staniflas d'Aguarico. NI. . Le Nom de Féfus. 528 V OMMAMMNE ‘A U P:EUR OU. VII St. Paul de Guajoya. X. St. Fean Batifle de los Enca- VIII. Le Nom de Ste. Marie. bellados. IX. St. Xavier d ÿaoguates. XI La Reine des Anges. XIL St. Xavier d Urariner. Sur le Marannon, ou Riviere des Amaxones. L. La Ville de St. François de XII. St. Xavier de Chamicure. Borgia. XIV. St. Antoine Abbé des d’Aguanos. à OT TU: CMS ER XV. Notre Dame des Néges Turima- UT. St. Ignace de Maynas. : ŒUAS. IV. :$t. André de l Alto. ‘XVI St. Antoine de Padoue. V. :St.. Thomas Apôtred’Andoas. XVII. St. Foachim de la grande O- VI. Simigaes. : MAZUG. VII. Sr. Fofeph de Pinches. XVIII. S5.. Paul Apôtre de Naptanos. VIII. LaConceptiondeCaguapanes. “XIX. St. Philippe de Amaonas. IX. La Préfentation de Chayabi- XX. St. Simon de Nahuapo. -1as. XXI St. François Regis d'Tameos. X. La Conception de Xebaros. XXIL St. Zgnace de Pevas y Caumares. XI. L’Incarnationde Panapuras. XXIII. Notre Dame.des. Néges. XII. St. Antoine de la Laguna. XXIV. St. François Regis du Baradero. : Outre ces Villages qui fubfiftent depuis long-tems, il y en a plufieurs autres qui commencent à fe peupler d’Indiens de Nations différentes de celles que nous venons de nommer. Il y en à aufli d’autres en grand nom- bre fur le bord des Rivieres qui fe jettent dansle Marannon , ou un peu loin des bords de ce Fleuve. Quelques-unes deces Nations vivent en amitié avec les Miflionnaires E/pagnols &: les. habitans des Bourgades. des Indiens con- vertis, avec lefquels ils trafiquent , de-même qu'avec les Æ/pagnols & des Métifs établis à Borja & à la Laguna. Les Coutumes de toutes ces Nations, quoiqu’aflez femblables les unes aux autres, ne le font pas au point qu’il n’y ait quelque différence, mais furtout dans. leurs langages, . chacune ayant le fien à part, quoique plu- fieurs de ces langages fe reflemblent aflez, & que quelques-nns ne fuient pas aufli différens entr’eux que:le font d’autres. dialeétes, de la langue gé- nérale du Pérou. La langue des Indiens Vameos eft la plus difficile de tou- tes à entendre & à prononcer. Celle des Omaguas au-contraire eft la plus afée, & la plus douce. A l'égard des difpofitions & du génie de ces Na- tions, On.a remarqué. une diverfité proportionnée à celle du langage. Ainfi les Omaguas même avant de fe foumettre témoignoient avoir de Ja pénétration & du jugement, & les Yarimaguas paroifloient encore plus fpi- mr 6 VOYAGE AU PLROU. Liv. VL'CÆ VW. 329 fpirituels. Ceux-là vivoient avec quelque efpéce de police, habitoient enfemble dans des Bourgades, & obéifloient à des Chefs qu’ils nommoient Curacas. Ils n'étoient pas plongés dans les ténébres d’une fi affreufe bar- barie; leurs mœurs n’étoient ni déréglees, ni licentieufes, comme il eft ordinaire chez les Indiens. Les Turimaguas faïfoient un Corps de nation formant une efpéce de République, fondée fur les’ principes du Gouver- nement, & obfervant des Loix Poktiques. On prétend néanmoins qu'en fait de Police les Omaguas l'emportoient fur ces derniers: car outre qu’ils vivoient unis & en fociété, ils obfervoient plus de décence, & couvroient leur nudité avec plus de foin que les autres Jndiens, qui fembloient avoir entiérement étoufé tout fentiment de modeftie. Ces foibles difpofitions où fe trouvoient ces deux Nations, pour fe rapprocher des coutumes ci- viles & d’une vie raifonnable, furent ce qui contribua le plus à les déter- miner à admettre les Loix Divines & Humaines que leur préêchoient les Jé- fuites: car par leurs lumieres naturelles il leur fut aïfé de juger de la vérité des chofes qu’on leur propofoit, de l'avantage qui leur en reviendroit, & de reconnoître pour mal ce qu’ils pratiquoient dans une genre de vie peu différent de celui des Bêtes. Parmi les coutumes fingulieres que chacune de ces Nations a, celle des Omaguas frappe le plus: ce Peuple croit que c’eft une grande beauté d’'a- voir la tête.en talus, & en conféquence de cette belle idée, les Meres ne manquent pas d’applatir le front aux Enfans, & l’occiput, de maniere qu’ils en deviennent monftrueux : car leur front s’éléve à-mefure qu'il s’applatit, & continuant ainfi depuis le commencement du nez jusqu’au toupet, cet efpace eft beaucoup plus grand que du commencement du nez en bas jufqu’au bout du menton ; il en eft de-même à l'égard de la par- tie poftérieure de la tête. Les côtés en font fort étroits, par un effet de la preffion, qui faifant allonger la tête la retrecit, deforte qu'elle perddans la circonférence ce qu’elle gagne dans la longueur. Cette mode eft an- cienne parmi eux; ils n’ont pu fe réfoudre à la changer, & l'obfervent encore avec tant de prévention, qu’ils fe moquent des autres Nations qui ne la pratiquent pas, les appellant par dérifion Tétes de Citrouille *. Pour applatir leurs têtes, ils mettent le front des Enfans, dès leur naïflance, entre deux planchettes en forme de prefloir, & de tems en tems ils pref- fent * Peut.être veulent-ils défigner par.là des têtes legeres & éventées , c'eft du-moins le double fens du mot Æ/pagnol Cubezas de Culabazo. KR, d. T, Tome J. Tt 330 VOYAGE AU PEROU. fent un peu davartage; deforte qu’ils viennent à bout de leur donner ]a forme qu'ils defirent. I y a une autre Nation parmi ces: Jndiens qui pouffe la bizarrerie juf. qu’a fe remplir les lévres, tant inférieure .que fupérieure , les côtés du nez, les mâchoires & le menton de trous, dans lesquels ils fourrent des plumes d’Oifeaux, & de petites fléches de huit à dix pouces de long ; qui les font reffembler à des Diables, où du-moins à des Porcs-épics. D'autres fe diftinguent par leurs grandes oreilles, qu’ils.font croître de tellé forté que le lobe inférieur.touche presque aux épaules; cè Peuple.eft'appelli à caufe de cela les Grandes-Oreilles. Pour allonger leurs oreilles, ils y font un-pe- tit trou & y attachent un petit poids, qu'ils augmentent tous les jours, & peu à peu l'oreille fe tire & refte allongée au point que nous l'avons dit. Quel- ques-uns fe peignent le corps en partie, les autres entiérement. Enfin ils ont diverfes modes & coutumes affez différentes les unes des autres, mais tout-à-fait étranges par rapport aux nôtres. Après avoir donné la defcription de ce grand Fleuve, des Villages, & des Nations qui font aux environs, il me femble que je ne dois pas ômettre quelques efpéces extraordinaires de Poiflon qu’on trouve dans fes eaux, ni les Oïfeaux & autres animaux qui vivent fur fes bords. Parmi es Poiflons, il y a deuxamphibies , qui font les Caymans & les Tortues, dont les bords & les Iles abondent ; les Tortues y ont fi bon goût qu'on les préfére à cel- les de la Mer. Le Pexa Buey, ou Veau-marin, eft un Poiflon qui a quel- que reflemblance avec le Veau ordinaire, & c’eft le plus gros qu’on purile trouver-dans aucun-Fleuve, puifqu’il a communément trois à quatre aunes de long. Sa chair eft fort bonne, & a, felon l'avis de ceux qui en ont mangé , le goût approchant de la chair de Bœuf. Il fe nourrit de l'herbe qui croît fur les bords du Fleuve, fans fortir de l’eau, la ftruéture de fon éorps ne le lui permettant pas. La femelle a des mammelles pour nour- rir fes petits; & quoique quelques Voyageurs ayent étendu encore plus loin la réflémblance avec l’efpéce qui vit fur terre, il eft certain que ce Poïffon n’a ni cornes ni pieds, mais feulement deux:nageoires qui lui fer- vent pour nâger & pour fe tenir au bord de l’eau quand il veut paître. Les Indiens ne connoiflent d'autre maniere de pêcher que par le meyen des herbes qui ennivrent lePoiflon, de la maniere que le pratiquent les /n- diens de Guayaquil. Ils fe fervent auffi de fléches empoïfonnées: & l’aéti- vité du poifon ef telle, qu’il fuffit que la fléche pique & tire un peu de fang, pour que l'Animal meure fur le champ. Ils en ufent de-même à la chaf- VOYAGE AU PEROU. Liv. VL CV. 331 chaffe, & font fi adroits qu’il eft rare qu'ils manquent leur coup. Ce’poi- fon n’eft sutre chofe que le jus d’une Liène ou Déjuque de quatre doigts de large; pllatte des deux côtés, de couleur brunâtre, qui croît dans les lieux hurridies & marécageux. Ils la coupent en piéces qu’ils écachent un peu, & la font enfuite bouillir. Après qu’ils ontretiré le vafe du feu, la li. queur fe fige, & forme une efpéce de gelée dont ils frottent la pointe de leurs fléches ; & fi après quelques jours elle fe trouve féche, ils ne font que l’humeéter avec de la falive.. ‘Ce poifon eft fi froid, qu'en touchant le fang il le fait tout retirer vers le cœur, dont les vaifleaux ne pouvant le contenir crévent néceflairement: mais ce qui doit le plus étonner , c'eft que la chair de Animal mort de ce poifon, ni le fang même COagu K par fa qualité exceflivement froide, ne fait aucun mal à ceux qui en mangent. L'antidote le plus efficace contre ce poifon., c’'eft lefucre > quand on en avale immédiatement après la bleffure: Mais ce reméde n’eft pout- tant pas fi afluré, qu'il n'ait manqué en diverfes :occafions, après avoir réufli en beaucoup d’autres, tant il eft dangereux d’être atteint d’un ve- hin fi deftruéteur. Les bords & les campagnes de ce fameux Fleuve & de celles des Rivie. res qui mêlent leurs eaux aux fiennes, font remplis d’uneinfinité d’Arbres dé diverfes couleurs, forts, grands & beaux, les uns tirant fur le blanc, les autres fur de brun; quelques-uns rouges, quelques autres Jafpés. Ily en a d'où découlent des réfines d’une odeur agréable, ou des gommes médé- cinales & rares , & d’autres qui portent des fruits exquis. Sans aucun foin ni culture de la part des hommes, & par la feule difpofition du terroir, les Champs produifent le Cacao Silveftre, & il n’y eft ni moins abondant , ni moins bon que dans les Jurifdiétions de Yaen,& de Quixas. On yrecucille aufli beaucoup de Salfepareille , de Vanille, & d’une certaine Ecorce appel lée Clavo, parce que, quoiqu’elle ait la même figure que la Canéle, fi ce n'eft que la couleur en eft un peu plus foncée, elle a le même goût & la même odeur que le Clou de gérofle des Indes Orientales. Quant aux Quadrupédes, Oïfeaux, Reptiles & Infeétes, ces Monta- gnes ont à-peu-prés les mêmes que ceux dont il a été parlé à l'égard des Pays chauds ; & ceux qui fe trouvent dans les Campagnes de Faen & de Quixos, y font auffi communs. Mais avant de terminer mes remarques fur le Marannon, il faut que je parle d’un Reptile Je plus extraordinaire dont on ait jamais ouï parler en aucun autre Pays, fi ce n’eft dans les Pro- vinces de la Nouvelle Efpagne, où il s’en trouve auffi. C’eft par la defcrip- tion de cet Animal que je finirai ce que j'avois à dire fur le Marahnon. Et2 Dans 332 VO Y AGE AU PER OU. Dans les Pays que le Fleuvedes Amazones arrofe, on trouve un Ser- pent auñli affreux par fa groffeur & fa longueur, que par les propriétés que quelques-uns lui attribuent. lPlufieurs, pour donner une idée de Ja grandeur de cette Couleuvre, difent qu’elle a le gofier & la gueule filarge qu’elle avale un animalentier, & qu’elle fait de-même d’un homme. Mais ce qu'on en conte de plus fort , c’eft qu’elle a dans fon haleine une vertu fi attrac- tive, que fans fe mouvoir elle attire à foi quelque animal que ce foit qui fe trouve dans un lieu où fon haleine peut atteindre. Cela paroît un peu difficile à croire. Ce monftrueux Reptile s’appelle en angue du Pays Vacu- Mama j Mere de l'eau, parce que comme il aime les heux marécageux & humi- des on peut le regarder en quelque forte comme amphibie. Tout ce que je puis dire fur ce fujet, après m'en être informé avec toute l'exaétitude, c’eft qu’il eft d’une grandeur extraordinaire. Quelques perfonnes graves & dignes de toute créance, qui ont vu cet animal dans la Nouvelle E/fpa- gne, m'en ont parlé fur le même ton, & tout ce qu’ils m'ont dit de Ja grofleur prodigieufe de ce Serpent s'accorde avec ce qu’onraconte de ceux du Marannon, mais differe à l’égard de la vertu attractive. En fuppofant, comme je erois qu'on peut le faire fans témérité, que l'on peut fuspendre fon jugement, & ne pas ajoûter foi à toutes les par- ticularités que le Vulgaire raconte de cet Animal; particularités d’au- tant plus fufpeétes, qu’elles peuvent être l'effet de l'admiration & de la fur: prife qui adoptent affez communément les plus grandes abfurdités fans examiner le degré de certitude des chofes, il me fera permis d’examiner ici la caufe en changeant feulement un peu les accidens, afin que par-là on puifle parvenir à ia connoïffance des propriétés dont il eft difficile de s’aflurer quand elles ne font pas appuyées de certaines expériences. Je ne prétends pourtant pas que mon opinion décide, & je laïfle à la prudente pénétration de chacun de fe ranger au fentiment qui lui paroîtra le plus für. J'ajoûte que je ne parle ici que par ouï-dire & fur le témoignage de témoins oculaires, fans qu’il m’ait été pofible de vérifier leur rapport par ma propre expérience. | Premiérement, dit-on, dans fa longueur & dans fa groffeur cette Cou- leuvre reffemble beaucoup à. un vieux tronc d'arbre abattu, & qui ne tire plus aucune nourriture de fes racines. Secondement , elle a tout autour de fon corps une efpéce de barbe ou de mouffe pareille à celle qu’on voit autour des Arbres fauvages: cette moufle eft apparemment un effet de la pouffiere ou de la boue qui s'attache à fon corps, s’humeéte par l’eau, & eft féchée par le Soleil, De-h il fe forme une croute fur les écail'es de VOYAGE AU PERONE PSM PP Vi. 332 de fa peau. laquelle croute d’abord mince va toujours en augmentant & s’épaiffiffant, & ne contribue pas peu. a la parefle & au mouvement lent de cet Aninal: car à-moins qu’il ne foit preflé de la faim, il refte fans mouvemen pendant plufieurs jours dans le même endroit; & quand il veut changer de place, fon mouvement eft prefqu'imperceptible, & fon corps fait cans la terre où il pafle une traînée, comme feroïit un mât ou un gros arbre que l'on traîneroit. Troifiémement, le foufle que ce Serpent pouffe hors de foi, eft fi ve- nimeux qu'il étourdit la perfonne ou lanimal qui pañle par l'endroit par où il le dirige, & lui fait faire un mouvement qui le méne vers lui mal- gré foi, juiqu’a ce qu'il foit aflez près pour qu'il le puiffe dévorer. Voila ce que le Vulgaire raconte, ajoûtant que le moyen d'éviter un fi grand péril, c’eft de couper ce fouñle, c’eft-àa-dire, de l'arrêter par l’interpofi- tion d'un corps étranger , qui fe mettant promptement entre deux, rom- pe le fil de cette haleine, & que celui qu'on veut fauver puifle profiter de cet inftant pour prendre une autre route, & fortir de ce péril. Tou- tes ces chofes bien confidérées paroiflent fabuleufes, & n’ont pas même l'apparence de la vérité, comme le même Mr. de la Condamine déjà cité le fait aflez connoître dans fa rélation. En effet les circonftances dont on orne toute cette ifloire, la rendent peu vraifemblable. Mais pour peu qu’on change ces circonftances, 1l me femble qu’on fera moins choqué de la chofe même; car ce qui paroifloit extrêmement fabuleux fous un cer- tain point de vue, devient naturel fous un autre. On ne peut pas nier abfolument que l’haleine de ce Serpent n'ait la vertu de Caufer une efpéce d’ivrefle à une certaine diftance, puifque nous voyons que l'urine du Renard fait le même effet: &.que fort fréquem- ment les bâillemens des Baleines font fi puans qu’on. ne peut les fuppor- ter. Je ne vois donc pas de difficulté à convenir que l’haleine de ce Ser- pent a la propriété qu’on lui attribue, & qu’il fupplée par-là à la lenteur de fon corps, pour fe procurer les alimens dont il a befoin ; car les Animaux frappés de cette odeur putride & envenimée ,.peuvent bien perdre la pré- fence d’efprit & le fang froid néceffaire pour fuir, ou pour continuer leur chemin. Ils font tout étourdis, ils perdent les fens, ils tombent, & la Couleuvre par fon mouvement tardif s'approche, jufqu’à le faifir & le dé- vorer. À l'égard de ce qu’on raconte du coupement de l’haleine, & que le chemin contre lequel le Serpent dirige fon foufle, eft ke feul endroit dangereux, & où il peut nuire, ce font des hiftoires auxquelles on ne fauroit ajoûter foi, à-moins d'ignorer l'origine & le progrès des odeurs. 67 La. e VO TA GE AND PEN O À. 33 La plupart de ces circonftances ont été inventées par ces Nations Barbares, & les autres les ont crues de bonne foi; parce que perfonne pour fatisfai- re fa curiofité , n’a voulu s’expofer au danger de l'examen. LOI III DILATATION KIA TNA IC ITCN IA AIR TOA I TS ESA D'OR PT EUR CETTE Génie, Coutumes, € Qualités des Indiens de la Province de Quito. NE qui va faire le fujet de ce Chapitre eft de nature, & les circon- y ftances en font telles, qu’en ie hfant, on pourra bien fe rappeller dans la mémoire ce qu’on trouve répandu dans les anciennes Hiftoires , mais on s'appercevra en même tems du peu de reffemblance. En effet il y a une.fi grande différence entre ce qu’elles rapportent & ce que je vais dire ici, que quand je jette moi-même les yeux fur les tems pañlés, je ne fai que penfer en voyant les.chofes fi.changées. D'un côté je vois des débris de Monumens, des reftes de fuperbes Edifices, & autres Ouvrages magni- fiques qui ont fignalé la police, l'induftrie, les Loix des Zndiens du Pérou, & qui ne permettent pas à ma raifon de douter de ce qu’en rapporte l'His- toire: de l’autre je vois une Nation plongée dans les ténébres de l’igno- rance, pleine de rufticité, & peu éloignée d’une barbarie totale & fem blable à celle des Sauvages qui vivent à peu près comme les Bêtes féroces, répandus çà & là dans les champs , & fe tenant le plus fouvent dans les Bois. A cet afpeét je ne puis prefqu'ajoûter foi à ce que j'ai lu. En effet comment concevoir qu'une Nation affez fage pour faire des Loix équitables, pour établir un Gouvernement aufli fingulier que celui fous lequel elle vivoit, ne donne aujourd'hui aucun figne dé ce fond d’éfpri & de capacité qu’il a fallu avoir pour régler avec tant de fuccès Loëts l’économie de la Société Civile, quoiqu’elle foit fans-doute la mé- me’ Nation, peu différente encore aujourd’hui de ce qu’elle étoit autre- fois quant à certaines qualités & coutumes. Je laifle donc à chacun la li- berté de raifonner fur ce fujet, & de trouver le nœud de cette énigme de la maniere qu’il jugera la plus probable: quant à moi, fans m’arrêter davantage à ces réflexions, je vais parler de ce qu’on obferve aujourd’hui du Génie, des Mœurs, & des Ufages des Indiens, felon les lumieres que m'ont fourni plus de dix années de féjour parmi eux. On trouvera qu’en quelques occafions ils reffemblent encore à leurs Ancêtres, & qu’en d’au- res ils manquent des lumieres qu’on dit qu’ils ont eues fur certaines Scien- ces VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH VI ées, & qu’ils n'ont plus la même fagefle dans leur conduite, ni les mêmes difpofitions qu’ils avoient pour le Gouvernement. ni la même exaétitude dans l’obfervance des Loix. . ti C’eft une entreprife bien difficilé que celle que je forme de décrire les coutumes & les inclinations des Zndiens, & de définir exaétement les vé- ritables qualités de leur génie & de leur humeur. Si on les envifage com- me des hommes, les bornes de leur efprit femblent incompatibles avec l'excellence de l'Ame , & leur imbéaillité eft fi vifible, qu’à-peine encer. tain cas on peut fe faire d'eux un autre idée que celle qu’on a des Bêtes, encore n’ont-ils pas quelquefois la prérogative de l’inftinét naturel. D'un autre côté il n’y a pas de gens qui ayent plus de compréhenfion, ni. de malice plus réfléchie. Cette inégalité peut jetter dans le doute l’homme le plus babile: cars'il ne juge que par les premieres actions qu’il leur verra faire, peu s’en faudra qu’il ne les. prenne pour des gens d’un efprit vif; mais s’il fait attention à leur barbarie, à leur rufticité, à l'extravagance de leurs opinions, & à leur maniere de vivre, il ne fera point étonnant que les voyant s'écarter fi fort du bon-fens & de la raïfon il ne les croie que très- peu éloignés de Pefpéce des Brutes. L'humeur des Indiens eft telle, que fi leur indifférence pour les chofes de ce Monde ne s'étendoit pas jufqu’aux chofes Eternelles, on pourroit dire que le Siécle d'or des Anciens ne s’étoit jamais mieux trouvé que par- mi eux. Rien n'altere la tranquillité de leur âme également infenfible aux : revers & aux profpérités. . Quoiqu’à demi-nuds ils font contens comme Je Roi le plus fomptueux dans fes habillemenss & non feulement ils n’en- vient jamais les habits meilleurs que le hazard offre à leurs yeux, mais mé- me ils n ambitionnent pas d’allonger un peu celui qu’ils portent quelque court qu'il foit.. Les richeflès n’ont pas le moindre attrait pour eux; & l'autorité & les dignités où ils‘peuvent prétendre font fi peu des objets d'ambition pour ces Peuples , qu’un Jndien recevra avec la miême indif. férence l'emploi d’Alcalde & celui de. Bourreau, fi on lui ôte l’un pour lui donner l'autre; ainfi chez:eux certains emplois ne rendent pas plus honorable, ni certains autres moins eftimable. Dans leurs repas ils ne fouhaitent jamais au-delà de ce qu’il leur faut pour fe raffafier, & ils font tout auf contens de leurs mêts groffiers & ruftiques, que fi on leur pré- fentoit les mêts les plus exquis ; je crois pourtant que fi on leur fervoit également des uns & des autres, ils préféreroient peut-être ces derniers. Quoi qu'il en foit, ils témoignent fi peu d’empreflément pour Ja bonne çhe- vOYX MOT EU FERO U. 33 chere & les commodités de la vie, qu'il femble que plus une chofe eft fimple & chetive, plus dle eft conforme à leur goût naturel. Rien ne peut les émouvoir ni les changer; l'intérét n’a aucun pou- voir fur eux, & fouventils refufent de rendre un petit fervice quand ils voyent une groffe récompenfe. La crainte ne fait aucun effet fur eux, le refpeét #’en produit pas davantage: humeur d’autant plus finguhiere qu'on ne peut la fléchir par aucun moyen ; ni la tirer de cette indifférence par où ils femblent défier les plus fages perfonnages, ni leur faire abandonner cette grofliere ignorance qui met en défaut les perfonnes les plus pruden- tes, niles corriger de kur négligence par laquelle ils rendent inutiles les efforts & les foins des perfonnes les plus vigilantes. Mais pour donner une plus jufte idée du génie de ces Peuples, nous rapporterons quelques traits particuliers de leur génie & de leurs coutumes, fans ce fecours il feroit impofible de rien comprendre à leur caraétere. Généralement les {ndiens font fort lents, & mettent beaucoup de tems à faire quelque chofe; c'eft ce qui paroît par les ouvrages qu'ils font: de- là vient le Proverbe qu’on applique aux chofes qui peu confidérables de foi requierent beaucoup de tems & de patience, Il ny a qu'un Indien qui puiffe faire un-tel ouvrage. Dans leurs Fabriques de tapis, de rideaux & de couvertures de lit, &autres femblables étoffes, toute leur induftrie con- ifte à prendre chaque fil l’un après l'autre, à les compter chaque fois, & à y faire enfuite pañler la trame, deforte que pour fabriquer une pié- ce de quelqu’une de ces étoffes , ils employent jufques à deux ans ou mê- me davantage. : Il n’eft pas douteux que leur peu d’adreffe & d'invention ne contribue autant que leur lenteur naturelle à cette longueur; & il eft certain que fi on leur enféignoit les inventions qui abrégent le travail, ils y feroient de grands progrès , ayant naturellement beaucoup de conception & de facilité à exécuter ce qu’on leur montre dans toute forte d'ouvrages de mains: c’eft ce qui paroît vifiblement dans les ruines de divers Ouvrages anciens, qui fe font confervées jufques à préfent dans le Pérou, & dont nous parlerons ailleurs plus au long. Au génie lent & grave des Jndiens fe joint la parefe, qui en ef la com- pagne ordinaire. Cette pareffe eft chez euxfi enracinée, que nileur propre intérêt , ni celui de leurs Maîtres ne les touchent , ni ne peut les porter au travail. Sil faut qu'ils faffent quelque chofe pour eux-mêmes, ils en laiflent le foin àaJeurs femmes. Celles-ci filent, font les chemifettes & les caleçons, unique vêtement.des maris. Elles préparent le Matelo- sage, c'eft le nom général qu'ils donnent à leur nourriture, On les voit mou- VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Ci VL 337 moudre l'Orge pour la Machca, faire griller le Maïs pour la Camcha , & leur préparer la Chicha: pendant ce tems-là, a-moins que fon Maître ne l’ani- me au travail, l’Indien eft acroupi (c’eft la pofture ordinaire de tous les Indiens) & regarde travailler fa femme : en attendiant il boit ou fe tient près de fon petit foyer, fans fe remuer, jusqu’à ce qu'il foit obligé defe le- ver pour chercher à manger ou pour accompagner fes amis. La feule chofe qu’ils faffent pour leur propre compte, c’eft de labourer le terrain qui forme leur Chacarite ; mais ce font encore les femmes &leurs enfans qui l'enfemencent , & qui font tout-ce qu’il faut de plus pour la culture de cet efpace de terre. Quandune fois ils font dans la pofture que j'ai dit, nul motif d'intérêt ou de lucre ne les fait remuer , deforte que quandun Voya- geur s'égare, Ce qui arrive aflez fouvent, & qu’il s’achemine ‘vers une cabane pour prier qu’en lui montre le chemin, l’Indien fe cache dès qu'il l'entend à la porte, & envoye fa femme répondre qu’il n’eft pas au lo- gie, aimant mieux refter dans fon oifiveté , que de faire un quart de lieue pour gagner une réale, qui eft ce qu’on leur donne ordinairement pour cet- te forte de fervice. Sile Voyageur met pied à terre, & entre dans la cabane , il ne lui eft pas aifé de trouver l’Indien, parce que ces cabanes étant tout-à-fait obfcures, à un peu de lumiere près qui entre par un trou de porte, on n’y fauroit diftinguer les-objets quand on vient du grand jour. Mais fuppofé qu’il vienne à bout de le découvrir, 1l n’en eft pas plus avan- cé pour cela; car ni offres, ni promefles, ni prieres ne peuvent l’enga- ger à le venir guider jusqu'à une petite diftance. Il en eft de-même à l'égard des autres occupations où l’on veut les employer. Pour engagér un Zndien à faire l'ouvrage que fon Maître lui prefcrit, & pour lequel il le paye, il ne füuffit pas que le Maître lui dife ce qu’ildoit faire, mais il fautqu'ilait continuellement les yeux fur lui. S’il tourne le dos pour un mo- ment, lJndien s'arrête & ceffe de travailler jufqu’a ce qu’il entende revenir ce- lui dont il craint les reprimandes. La feule chofe qu’ils ne refufent jamais, & à quoi ils font toujours difpofés, c’eft de fe divertir : ils ne fe font jamais tirer l'oreille pour aller aux fêtes où il y a des danfes, ni à aucune autrz occafion de fe réjouir: mais il faut que la boiffon foit de toutes ces par. ues; c'eft-là lë comble de leurs divertiffemens; c’eft par-là qu’ils com- mencent la journée & par-là qu’ils la finiflent, ne ceflant de trinquer qu'après qu'ils ont perdu le fens. Leur panchant à l’'Ivrognerie eft fi grand, qu'il n'y a ni Dignité de Cacique, ni Emploi d'Ælcalde qui tienne, tous accourant également aux fêtes folemnelles, & c’eft à qui boira davantage, jusqu’à ce que la Chicha Tome J. Vy ait 338 VO AGE AU PER O UV. ait fait perdre la raifon au Magiftrat comme au Manant, Mais ce qui pa- roîtra le plus fingulier,. c’eft que les perfonnes du fexe, foit femmes ou filles, de-même que les jeunes garçons, font entiérement exempts de ce défaut: car felon léurs mœurs, il n’eft permis qu'à un Pere de famille de boire à. outrance & de s’enivrer; parce qu’il n’y a que les Peres de fa- mille qui ayent quelqu'un qui prenne foin d'eux quand il font hors de fens. La maniere dont ils célébrent leurs folemnités eft finguliere, & mérite qu'on en faffe mention. Celui qui donne la fête ; ou qui. la fait célébrer, fait inviter chez lui tou- tes les perfonhes de fa connoïflance ,. & tenir prête une quantité de Chicha proportionnée au nombre des Conviés, deforte qu’il y en ait environ une. cruche pour chacun, la cruche contenant au moins trente chopines: Dans la cour du logis, fi c’eft en une grande Bourgade, où devant la. cabane g fi c’eft à la campagne, ils mettent une table couverte d’un tapis de Tu. cuyo réfervé pour ces occafions. Tout le repas fe réduit à la Camcha, & à quelques herbes fauvages qu’on a fait bouillir avec de l’eau dans un pe- tit pot.. Les Conviés s’afflemblent; on leur donne à chacun deux outrois feuilles de cette décoétion, à quoi l’on joint dix à douze grains de Camcha, & voilà le repas fini. Aufli-tôt les femmes accourent & donnent à boire à leurs maris dans des Gourdes ou Totumos ronds qu’ils appellent Pilches, ce qu'elles réiterent jusqu’à ce qu'ils foient gais. Alors quelqu'un de la compagnie touche du tambourin d’une main, & de l’autre joue du flageol- let *; tandis que les autres forment leurs danfes , qui confiftent à fe mou- voir tantôt d’un côté tantôt de l’autre fans ordre ni cadence. Pendant ce tems-là quelques Jndiennes chantent des chanfons dans leur propre Lan-- gue,. & c’eft par-là que l'on continue la réjouiffance & la fête, le tout accompagné de grands coups de Chicha, qui fe fuivent de près. Le plus beau de l'affaire, c’eft que ceux qui.ne danfent pas, fe tiennent à croupe- tons, -en attendant que leur tour vienne. La table n’eft-là que pour la pa- rade, car il n’y a rien à manger deflus, & les Convives n'y font point af- fis autour. Quand à force de boire ils fe font tousenivrés à ne pouvoir plus f tenir fur leurs jambes, ils fe couchent là péle-mêle hommes & femmes, fans fe foucier fi l’un eft auprès de la femme de l’autre, de fa propre fœur, ou de fa propre fille, ou une autre d’une parenté plus éloi- gnée; de maniere qu’ils oublient tout devoir dans ces occafions qui du- rent * Les Provençaux fe fervent auffi de ces deux inftrumens & en jouent à la ‘fois avec beaucoup d'adreffe, pendant que les autres danfent. R. d, T. % } VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. Cx. VL 339 rent trois où quatre jours, jusqu'a ce que les Curés prennent le parti de s’y tranfporter en perfonne, dé répandre la Chicha, & de les emmener eux-mêmes de peur qu'ils n'en aillent acheter d'autre. Le lendemain de la fête eft appellé Concho, C’eft-à-dire , le Pour où l'on boit ce qui eft refté de la veille au fond du pot. C’eft par ces refles qu’ils recommencent, & dès qu'ils font bus, chaque Convié court à fa maifon chercher les cruches qu’on y tient toutes prêtes, ou ils en achéttent à frais communs. Aïnfi il refte un nouveau Concho pour le lendemain, & fuéceffivement d’un jour à l’autre, fi on les laïfle faire, leur coutume étant de ne finir que quand il n’y a plus de Chicha à vendre, où plus d’ar- gent pour en acheter, & qu'on ne veut plus en donner à crédit. Leur maniere de pleurer les Morts, c’eft de bien boire. La maïfon où l’on méne deuil eft remplie de cruchés. Ainfi non feulèment ceux qui font dans l’affiétion , & ceux qui les accompagnent , boivent ; mais même ces derniers fortent dans la rue & arrêtent tous les paffansdeleur Nation, fans diftinétion de fexe, les font entrer dans la maïfon du deuil, & les cbligent de boire à l'honneur du défunt. Cette cérémonie dure quatre à cinq jours, quelquefois davantage; car leur plus grand fouci, l'objet qui les occupe le plus, c’eft la boiflon; c’eft:là qu'aboutiffent tous leurs vœux, tous leurs defirs. Autant que les Indiens font enclins à lIvrognerie, autant font-ils indif- férens pour le Jeu, qui paroît pourtant une fuite de l'autre paflion. On ne remarque pas en eux le moindre goût pour cet amufement, il ne pa- roît pas qu'ils ayent jamais connu d'autre jeu que celui qu’ils nomment Poja, qui fignifie cent, parce qu’il faut atteindre ce’ nombre pour ga- gner. Ce jeu s’eft confervé parmi ‘eux depuis le tems dé la Gentilire. Pour le jouer ils fe fervent de deux inftrumens; l’un eft un aigle de ‘bois & à deux têtes, avec dix trous de chaque côté ,: où l’on marque par di- zaine, & au moyen de quelques clous, les points que chacun fait; l’au- tre eff un offelet taillé en maniere de dez & à fept facettes , dont l’une dif- tinguée par une certaine marque fe nomme Guaÿyro ; cinq autres font nom- méés felon leur nombre & rang, & la feptiéme réfte blanche. La ma- niere de jouer c’eft de jetter l'oflelet en l'air, &'en rétombant oncomp- te lés points marqués par la facette de deflus: fi c’eft célle qu’ils nom- ment Guayro, on marque dix points, & on en perd autant fi c’eft la blanche. Quoique ce jeu foit particulier à Jeur Nation , il eft rare qu'ils Je jouent, fi ce meft quand ils commentent à büire. La Nourriture ordinaire dès ndiens, Ceft; comme nous l’ävons dit, le l'AS Maïz Maïz changé en Camcha ou Moté, & la Machca. La maniere de préparer celle- ci, c'eft de faire griller l'orge & de le réduire en farine, & fans autre apprétni ingrédient ils la mangent à cueillerées , ilsen mangent deux outrois & avec une certaine quantité de Chicha qu’ils boivent là-deflus, voilà leurs repas f. nis; au défaut de Chicha il boivent de l’eau: Dans leurs voyages il ne leur faut pas de grands frais; toutes leurs provifions font renfermées dans un petit fac qu'ils nomment Gicrita, lequel eft rempli de farine d'orge grillé, ou Machca,. avec une cuillier, ce qui leur fuffit pour..un voyage de 50 & même de 100 lieues. Pour repaître ils font halte près d’une cabane, ou autre fieu où il.y a de la Chicha, ou près d’un ruifleau, La ils puifent avec la euillier un peu. de leur farine hors du fachet, & la mettent dans la bouche. où ils la-tiennent quelque tems avant de la pou- voir avaler. Après avoir pris ainfi deux ou trois cuillerées, ils boivent une grande quantité de Chicha, ou-d'eau , moyennant quoi ils fe remet- tent en route aufli contens que s'ils avoient fait la meilleure chere. Leurs Habitations font aufli petites qu’il eft poffible de fe l'imaginer. Elles confiftent-en une, chaumine au milieu.de laquelle on allume le feu, & c’eft-la qu'ils demeurent eux & leurs animaux domeftiques, tels que les Chiens, que les Zndiens aiment. beaucoup, & dont ils ont toujours trois ou quatre; un ou deux Cochons, des Poules & des Cuyes. C’eft-là leur plus grand fond, & leurs principaux meubles; car d’ailleurs. ils ont a-peine au-dela de quelques vaifleaux de terre, des pots, des cruches, des Pilches, de brocs; à quoi il faut ajoûter le coton que leurs femmes filent, & vous aurez tout l'inventaire des richefles d’un Zndien. Leurs lits confiftent en-une ou deux peaux de Mouton, étendues à terre, fans couffin ni autre chofe quelconque. Communément. ils ne fe. couchent point, mais dorment à croupetons fur ces peaux; ils ne fe deshabillent & ne s’habillent jamais, deforte qu'ils font toujours dans le même état. Quoique les Zndiens élévent des Poules & autres animaux dans leurs chaumines, jamais.elles ne les mangent. Leur affeétion pour ces bêtes va fi loin qu’elles ne peuvent fe réfoudre à les tuer, ni à les vendre. Si un Voyageur-eft forcé de pañler la nuit dans une des chaumines, il a beau offrir de l'argent pour avoir une. poule ou une poulet à manger, il ne Fobtiendra pas volontairement. Le feul parti eft de le tuer foi-même; alors l’Indienne jette les-hauts cris, pleure, fe défole, comme fi elle avoit perdu fon fils ou fon mari; mais enfin voyant qu’il n’y a point .dereméde,, elles fe confolent, & reçoivent le prix de la volaille morte. | Dans leurs voyages plufieurs m énent avec eux toute leur famille à pied. Les- VOYAGE AU PEROU..Liv. VI. CH. VE 51 Les Meres portent leurs petits enfans fur les épaules. La cabane refte fermée, & comme il n'y a point de meuble à voler, une fimple courroye fuffit pour toute ferrure. Les animaux domeftiques de la famille VOya- geufe font confiés à un Zndien ami ou voifin, fuppolé que le voyage doi- ve durer quelques jours, finon on s’en remet à la garde des Chiens. Ces animaux font fi fidéles, qu'ils ne laiflent approcher perfonne de Ja cabane que leur Maître. Sur quoi je remarquerai en paffant comme une chofe ex- traordinaire, que les Chiens élevés par les E/agnols ou par des Métifs, ont une haine fi furieufe contre les Zndiens, que f1 quelqu'un de cette Na- tion entre dans une maifon où il ne foit pas particuliérement connu, ils s’élancent deffus à l’inftant & le déchirent à-moins qu'il n'y ait quelqu'un pour les contenir. Et que d’un autre côté les Chiens élevés par les /n- diens ont la même haine contre les Efpagnols & les Métifs, qu'ils fentent d’aufli loin que les Jndiens eux-mêmes font apperçus par l’odorat de ceux élevés par les E/pagnols. En général les Zndiens qui ne font pas nés dans quelque Ville ou gran- de Bourgade ne parient d'autre Langue que la leur propre, qu'ils appel- lent Quichua, laquelle fut établie & répandue par les Zncas dans toute l’é- tendue de leur vafte domination, afin qu'il y eût une Langue générale que tout le monde entendît & parlât; c’eft de-Jà que cette Langue a pris le nom de Zengua del Inga. 1] ÿ à néanmoins quelques-uns de ces Jn- diens qui entendent l’E/pagnol, & le favent même parler; mais rarement ils ont la complaifance de répondre en cette Langue, quoiqu’ils fachent que la perfonne à qui ils ont affaire n’entend pas la Quichua. IL eft inu- tile de s’amufer à les prier de s'expliquer en E/pagnol, on ne viendra pas à bout de les y réfoudre. Les Indiens élevés dans les Villes ou Les Bourgs, n'ont pas cette ridicule opiniâtreté; bien Join de-là , ils répondent en Er- pagnol même à ceux qui leur parlent en Quichua. | Tous les Indiens font fuperititieux, & fe piquerit de connoître l'avenir. C’eft un refte de leur ancienne Religion, dont leurs Curés, ni l'expérien- ce qu’ils font tous les jours eux-mêmes de leur aveuglement, n’ont pu encore les guérir radicalement. Ils employent quantité de compofitions dia- boliques, & d'artifices, pour être heureux ; pour‘réufir dans tel &tel deflein. Leurs efprits font fi infatués de ces folles erreurs, qu'il eft trés-diffcile de les defabufer & de les obliger à embraffer fincérement le Chriflianifme, dont ils n'ont que quelques foibles notions, & dans lequel ils ne fant rien moins qu'affermis; car s’ils afliftent les Dimanches & les Fêtes à la Mefle & à lk Doétrine, c’eft qu'ils y font forcés, & qu'ils craignent le châtiment por- Vv3 té 24e VOYAGE AU PEROU. té contre eux, fans quoi il n'y en auroit pas un qui y allât ; & pour preu- ve de ce que j ’avance, je rapporte rai entre une infinité d’autres exemples que je pourrois citer NOÉ qui n'a été raconté à ce propos par un Curé de Village. Un Zndien avoit manqué à la Mefle & à la Doétrire : le Curé ayant fu des autres Indiens que c’étoit pour s'être amufé à boire de bonne heure, chargea ceux-ci de fon châtiment & le condamna à être fuftigé; c’eft la punition ordinaire en ces fortes de cas pour les Indiens de tout âge & de tout fexe, & c’eft peut-être la plus.convenable pour des efprits fi bornés. L’Indien après avoir été fouêtté, vint trouver le Curé, & le remercia de la bonté qu’il avoit eu de le pue châtier. Le Curé lui fit une reprimande, & l’exhorta lui & les autres à ne jamais négliger leurs devoirs de Chrétiens. A-peine il avoit fini de parler, que l’Jndien s'appro- chant lui dit d’un air humble & pe qu'il le prioit de lui faire. appliquer encore un pareil nombre de coups de fouët Lan le Dimanche fuivant, parce qu'il avoit deffein de ne pas venir à la Meffe, & de fe divertir en- core à boire. On voit par-la le peu de progrès qu ils font dans la Doc- trine Chrétienne, dans laquelle on les inftruit pourtant continuellement, depuis que leur jugement commence à fe former avec l’âge jufques à leur mort, ce qui n empêche pas qu’ils ne foient d’une ignorance inconceva- ble fur lés principaux points de la Religion. Leur indifférence à cet égard eft fi grande, qu'on peut dire qu'ils ne fe mettent pas plus en peine de leurs âmes que de leurs corps. Je ne pré- tens pas nier qu'il ne s’en trouve qui font aufi foigneux d’éclairer leurs efprits & leurs confciences des vérités de la Religion, que les ‘perfonnes les plus fages, mais le plus grand nombre eft plongé dans une ignorance craffe qui les rend fourds Dan tout ce qui a FARPOF( à J'Eternité. her méchanceté 1es aveugle teliement qu’ lis font infenfbles aux €xhortatio Chrétiennes. Cen ft pas qu ’1ls difputent: au-Contraire ils accordent D & ne rejettent Jamais rien de ce qu’on leur propofe; mais ils fe défient de tout, & dans le fond ils ne croyent rien. Je ne m'aviferois pas dans une matière fi délicate de reprocher de tels défauts à cette Nation, s'ils n’étoient bien avérés; & pour qu’on voye quelles font leurs difpofitions-à cet égard, & qu'on ne puifle m’accufer de prévention, je rapporterai en- core quelques autres exemples. Les Curés Doétrinaires employent tous les Dimanches de l'année à in- ftruire leurs Paroïfiens Indiens avec un zéle infatigable. Dés-qu'ils ap- prennent qu’il y en a quelqu'un qui eft malade & en danger, ils le vont voir & l'exhortent à fe préparer à bien mourir, ajoûtant tout ce qu'ils jug SA KE VOXYBGE AU PEROU. Liv. VLC 343 jugent néceffaire pour lui faire ouvrir les yeux de l’entemdement: il lui parle des attributs. du Créateur , & du danger où 1l eft de mourir: il lex- horte à appaifer ce jufte Juge par un repentir fincere de fes péchés, à defarmer fon bras déja levé pour le punir éternellement, à demander par- don à Dieu, à implorer fa miféricorde pour n'être point l’objet de fa co- lere &évicer le fupplice dont fon âme fera punie dans l’éternité: pendant cette. exhortation,! l'Andien écoute-tout fans donner le moindre figne de fenfibilité ; €c pes le Curé a ceffé de parler, le malade répond Tue ment ,! vous aux rai[on ,» Pere, -Fafant entendre par-là que lès chofes ar- riveront comme le Curé ledit, mais que lui Zndien ne comprend pas en quoi confifte le:malheur qu'on lui annonce. Ce que je dis-la, c’eft ce que difent les Curés de ce Peuple à. qui veut l'entendre, & ces Curés font gens de mérite & favans. Cette ignorance prodigieufe eft caufe qu'il y a très-peu d’Jndiens que l’on admette à la communion du Corps de Yé/us- Chrift, la plupart n'ayant pas la capacité néceflaire. Au-refte ceux d’une habitation où il y a un malade, n’en avertiroient jamais le Cure s’ils n’y éroient forcés par la crainte du châtiment ; encore malgré cela négligent- ils fouvent de le faire, & laiffent mourir le malade fans Sacremens. Dans leurs Mariages 1ls ont le préjugé le plus extravagant qu'on puiffe imaginer, vu que contre toute ralfon ils eftiment ce que les autres Na- tions déteftent ; fe perfuadant que fi la perfonne qu'ils choififfent pour époufe n’a point été connue par d’autres hommes avant eux, :c'eft une preuve qu’elle a peu de mérite. Dés-qu'un Jeune-homme a demandé une Fille en.mariage au Pere, & que celui-ci l’a accordée, les deux Fiancés commencent. à vivre enfem- ble ni plus mi moins que s'ils étoient mariés; l’un.& l’autre aident le Beau- pere dans le petit travail de fa Chacare.’. Après trois ou quatre mois, quelquefois un an, le Fiancé dégoûté de fa promife l’abandonne, difant pour raifon, ou qu’elle ne lui plaît pas; ou-plus clairement qu’elle n’a point de mérite, & que perfonñe ne s’eft foucié d’elle avant luiyfe plaignant de fon Beaupere qui l'avoit voulu tromper, &l'engager avec une fille fi peu eftimable. . Si après avoir vécu trois où quatre mois enfemble, ce qu 1ls appellent entre eux Æmiannarfe * ce repentir ne vient point , il fe marie avec elle. Cette coutume eft fi commune pari mieux, qu£ les plus vives remontrances des Curés & des Evêques, n'ont encore pu parvenir à la déraciner : deforte qu’aétuellement la premiere queftion que font les Curés à ceux qui fe préfentent pour.être mariés, c’eft s'ils fe font Amannados , afin * S'éprouver, fe rendre habile, faire fon apprentiflage, 44. VO ŸY AGELARU PEMRIO TT afin de les abfoudre de ce péché avant de leur donner la bénédiction pre Ils ne croyent pas qu’un mariage foit bon, quand il n’eft pas folemnel: fuivant eux tout SE tu FE la héhé din nuptiale, qu'il ne faut pas négliger de leur donner le-jour même qu’ils fe donnent la main; car fi on la differe ils fe féparent tre la fantaifie leur en prend, & il n'y a pas moyen de leur faire entendre qu'ils font engagés & mariés,’ On ne peut les châtier pour aucun de ces abus, dans la vue de les corri- ger; parce qü ‘aucun châtiment-n Fan chez eux rien de honteux, il nyena point qui fafle effet. C’eft une meme chofe pour eux de les ex- pofer à à la rifée publique, ou de ne permettre de Ptit ler à quelque fête, qui eft ce qu’ils eftiment le plus. Ils font.fenfibles aux châtimens corporels pendant qu’ils durent, maisun moment après qu'ils font finis, ils ne {emblent pas avoirété touchés, & s’en mettent peu en peine; de-là vient qu'on leur pafle bien des chofes, & qu’on tâche d'y remédier par d’autres voyes. I] arrive aflez fouvent qu’ils changent de femme, fans autre traité ni convention, que d'avoir eu des famuharités enfemble, deforte que fous ce prétexte une femme fe donne à un autre homme. La femme de celui- ci. céde la place à fa rivale, & va fe venger avec fon mari de l’affront qu’on leur fait à tous les deux; & quand on lesreprend de cette démar- che, ïüls alléguent pour raifon qu’il falloit bien qu’ils fe vengeaffent: fi on les fépare, on n’y gagne rien; car ils retournent bientôt au méme genre de vie. Les Inceftes font très-fréquens parmi eux, tant par une fuite de leur ivrognerie, comme nous l'avons fait voir , que parce que ne con- noiffant ni honneur ni deshonneur , il n'eft aucun motif qui retienne leurs plus honteux appétits. | Si des Mœurs & des Coutumes RE à it extraordinaires, Ja maniere dont ce Peuple confefle fes péchés ne le paroîtra pas moins. Car outre que la plupart poflédent affez peu la Langue E/pagnole, ils n’ont au- cune méthode qu’ils puiffent fuivre pour fe confefler. Dès-qu'ils entrent dans le Confeffionnal où le Curé les a fait venir, 1l faut quê celui-ci leur enfeigne exaétement tout ce qu’ils doivent faire, & qu'il ait la patience de réciter avec eux le Confiteor d’un bout à l’autre; car s’il s’arrête, l'Indien s'arrête aufi. Après cela il ne fuffit pas que le Confefleur lui demande s’il a com- mis tel & tel péché, mais il faut qu'il affirme qu’il la commis dorfqu’il s’a- git d’un de ces péchés ordinaires, fans quoi l’Zndien nieroit tout, & le Prêtre infiftant, difant même qu à fait la chofe pour certain, & qu'il en a des preuves, l’Indien preflé de la forte avoue, s’imaginant que le Pré- ure fait tout par quelque moyen furnaturel, & alors il découvre toutes les Cir« VOYAGE AU PEROU. EN Cr. VI 34 circonftances mêmes fur lefquelles il n’a pas été interrogé. S'il eft difficile non feulement de leur faire déclarer leurs fautes, mais même de les empêcher de les nier quand elles font publiques, il ne l’eft pas moins de les engager à en déterminer le nombre, & ce n’eft que par des rufes & des ftratagêmes qu’on en vient à bout, non fans beaucoup d’obfeurité, & encore ne peut-on gueres fe fier à ce qu’ils difent. La crainte que l’idée ou l'approche de la mort imprime naturellement dans tous les hommes, a beaucoup moins de force fur les Zndiens, que fur aucune autre Nation. Leur mépris pour les maux qui font le plus d'imprefion fur les efprits ne fauroit aller plus loin, puisque jamais l'approche de la mort ne les trouble , étant plus abattus des douleurs de la maladie, qu’étonnés de fe voir dans de plus grand danger. Je tiens enco- re cela de la bouche même de plufieurs Curés, & la preuve la plus évi- dente de cette fermeté, ce font les exemples qu’on en voit fréquem- ment; car quand les Curés vont préparer les confciences des Jndiens ma- lades, quand ils les exhortent à fe difpofér à bien mourir, ils répondent avec une férénité & une tranquillité, qui ne laïflént aucun lieu de douter que les dispofitions intérieures ne foient les mêmes que celles du dehors dont elles font le principe & la caufe. Ceux de cette Nation que l'on méne à la mort pour leurs crimes, témoignent un égal mé- pris pour ce terrible paffage. Entre plufieurs exemples que j’en fai, je rapporterai celui dont je fus moi-même témoin oculaire. Il y avoit de mon tems à Quito deux Criminels prêts à être exécutés; l’un, jene fai s’il étoit Métif où Mulatre, l'autre étoit Indien. Tous les deux ayant été amenés dans Ja Chapelle de la prifon, je fus les voir la nuit avant l’exé- cution. Le premier que plufieurs Prêtres exhortoient en E/pagnol, faifoit beaucoup d’aétes de foi, d'amour de Dieu & de contrition: on voyoit en lui toute la frayeur que peut caufer un fort pareil à celui qui l’atten- doit. L'Jndien avoit dans le même endroit autour de lui d’autres Prêtres, qui le préparoïent en fa Langue naturelle. La tranquillité de fon efprit qui fe peignoit fur fon vifage , furpañloit celle des affiftans ; il paroifloit plutôt labourer une Chacare, ou garder un Troupeau , qu'être à la veille de perdre la vie. L'approche de la mort bien loin de lui ôter l'appétit, comme à fon Compagnon d'infertune, ne faifoit que l’animer à profiter du dégoût de celui-ci à manger fa portion; & on avoit aflez de peine à Le contenir & à l’empécher de donner dans la gourmandife en une pareil- le extrémité. Le Criminel parloit à tout le monde avec la même liberté qu: s'il avoit joué une farce: fi on l’exhortoit il répondoit fans fe trou- Tome I. Xx bler, 346 VOYAGE AU PEROU. bler ; quand on lui difoit de s’agenouiller , il le faïfoit ;& dans la ferveur des prieres 11 répétoit tout mot pour mot, regardant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, comme un Enfant vif, qui ne fait qu'une médiocre atten: tion à cequ’on lui fait faire ou dire. Il demeura dans cet état jufqu’à ce qu'onle conduisit au gibet où étoit déjà fon Compagnon, & tant qu’il eut un foufle de vie on neremarqua pas la moindre altération en lui. Ce caraétere des Jndiensfe manïfefte en bien d’autres occafions:; c’eft par exemple encore avec la même audace qu’ils s’expofent au devant d’un Taureau, fans autre rufe que dé s’en laïfler frapper à plein, & par-là je T'aureau les fait voler en l'air; ils tombent d’aflez haut pour fe tuer, fi c'étoit tout autre qu'un Jndien. Mais celui-ci n’étant pas même bleffé fe reléve fort content de fa viétoire, qu’on pourroit encore mieux nominer la viétoire du Taureau. Quand ils fe joignent par troupes pour com: battre contre d'autres Hommes, ils les attaquent, fans avoir égard à la fupériorité des armes du parti contraire, & fans faire attention au mon- de qu’ils perdent ni aux bleffés #intrépidité qui chez une Nation plus cul tivée pourroit pafer pour un effort de valeur, mais qui n’eft dans ce Peu- ple qu’un effet de fa barbarie & un manque de réflexion. Ils foñt fort adroits à pafler un lags à.un Taureau, en courant à toute bride ; & com: me ils ne craignent point le danger , ils s’y expofent inconfidérément. C’eft avec la même dextérité qu’ils pourfuivent les Ours. Un Zndien fur fon cheval, fans autres armes qu’un lags , attaque ce furieux animal & triomphe de toutes fes rufes. Il porte dans fa main une coutroye fi me- nue que l'animal ne puifle la faifir avec fes pattes, & fi forte qu’elle ne puiflé rompre à l'effort de la courfe du cheval & de la réfiftance de la bé- te. Dés-qu'il apperçoit l'Ours il pouffe à lui, & celui-ci s’afied pour s’é- lancer fur le cheval. L’Jndien arrivant à portée de l’Ours lui jette le lags, & le faifit au col; en même tems il pale l’autre bout du lags deux ou trois fois à la feile du cheval avec la plus grande promtitude, & pouffe fa mon- ture à toute bride: pendant ce tems-là l'Ours occupé à défaire le nœud coulant qui l’étrangle ne peut fuivre le cheval, &tombe enfin roide mort; action vraiment hardie, & adroite. Dans la Province d'Alaufi vers la Cordillere Orientale, qui eft le Pays où ces animaux abondent le plus, on voit fréquemment de femblables cas. La rufticité qu’on remarque dans l’efprit des Indiens vient en partie de ce qu'ils ne font point cultivés; car en quelques endroits on en voit qui ayant reçu une bonne éducation font aufli raifonnables que les autres hommes; & s'ils ne font pas aufli polis que les Nations cultivées, du- moins VOYAGE AU PEROU. Liv. VL Ci VL 34 moins font-ils capables de difcerner les chofes & deles comnoître. On‘en voit des exemples aflez frappans ; 1l faut ranger dans cètte claffeles /n- diens des Mifions du Paraguay dirigées par le zéle des K. P. FéJuites, qui en peu d’annces font parvenus à former une République de gens rai- fonnables. Le moyen le plus efficace qu'ils ayent employé pour cela, a été d’enfeigner la Langue Æ/pagnole aux Enfans, & même la Langue Latineà ceux qui ont paru avoir de la difpolition pour cela. Ils ont des Ecoles publiques dans chaque Village des Miffions ils y enfeignent à lire, à écri- re ,& les Arts méchaniques, où les Zndiens de ces Miffions fe {ont rendus fi habiles, qu’ils ne le cédent point aux Ouvriers d'Europe. Enfin ces Indiens font tout-a-fait différens de ceux dont nous venons de parler ; ils ont pius de lumieres & plus deraifon, ils vivent en un mot comme des hommes, deforte qu'il femble qu'ils foient d’une autre nature que lesautres Peuples de ce Con- tinent;car C’eftune remarque que j'ai faite dans le Pérou,que les Indiens des dif- férentes & vaftes Provinces que je parcourois, n’étoient pas différens en- tre eux; que ceux de Quito n'étoient pas plus fots que ceux des Vallées où de Lima; ni ceux de cette Province plus intelligens que ceux du Chily ou d'Arauco. Sans fortir de la Province de Quito, nous avons des exemples qui con- firment ce que j'ai avancé plus haut: c’eft que les Indiens élevés dans les Villes, & dans les grands Bourgs, qui exercent quelque métier & parlent Efpagnol, ont plus d’efprit que ceux de la Campagne ou qui habitent dans de petites Bourgades; & leurs mœurs ne font pas fi approchantes de cel- les de la Gentilité. Ils ont de l’adreffe, de l’habileté, & ne font point fujets à tant d'erreurs; c’eft pourquoi aufñi on les appellé Ladinos *; & s'ils confervent quelques ufages ou coutumes des autres Indiens, €’eft par communication, & par le faux préjugé qu’il faut conferver les coutumes de fes Ancêtres comme un héritage. Ceux. d’entre eux qui exercent le métier de Barbiers, font les plus fpirituels de tous ; ils faignent aufli, & fi a- droitement, au jugement même de Mr. de Fuflieu, & de Mr. Seniergues Chirurgien Anatomifte de Mrs. les Académiens François, qu'ils peuvent aller de pair avec les plus fameux Phlébotomiftes d'Europe. Le commer- ce que leur profeffion leur procure avec les perfonnes bien élevées leur aiguife l'efprit, & c’eft par-là qu'ils fe diftinguent de leurs compatrio- tes. Il paroît certain que fi dans les Villages il y avoit des Ecoles où l’on enfeignât la Langue E/pagnole aux Indiens, comme il eft ordonné dans les Ré:- # Comme qui diroit Prudhommes, Xx 2 348 VOYAGE AU PEROU. Réglemens concernant les Jndes, il paroît, dis-je, certain que ce Peuple pouvant converfer davantage avec les E/hagnols, fe guériroit d’un grand nombre d'erreurs, & s’inftruiroit d’une infinité de chofes qui n’ont point de nom dans leur Langue. Auffi remarque-t-on que les Cho/os (c’eft ainfi qu'on nomme les petits garçons Zndiens) qui favent l'E/pagnol, font beau coup plus éclairés que ceux qui ne le favent pas, & qu’ils traitent de Barba- res , pendant qu’ils fe donnent hardiment à eux-mêmes l’épithéte de Ladinos. Je ne prétens pas dire par-là que la Langue E/pagnole ait de foi la pro- priété de donner de l’efprit aux Indiens; je veux feulement prouver que l'ufage de cette Langue les mettroit plus fouvent à même de pouvoir con- verfer avec les E/pagnols, ce qui contribueroit à les tirer de l'ignorance où ils croupiffent: car ou ils parlent entre eux, & en ce cas que peuvent- ils apprendre les uns des autres? ou ils parlent avec les Efpagnols qui en- tendent la Quichua ; mais ce ne peut être que pour des néceflités indifpen. fables, & tout le difcours ne confifte qu’en deux ou trois queftions; car quel eft l'homme qui ira faire de longs difcours pour inftruire des gens fi groffiers & fi peu cultivés. Mais s’ils poflédoient l'E/pagnol ils pourroient profiter des difcours des Voyageurs qu’ils voiturent ou accompagnent, de. ceux des Citoyens quand ils vont dans les Villes, des Curés, des Corrégi- dors, & autres perfonnes qu’ils fervent ou qu’ilsfréquentent. Pouvant en tendre tout ce qui fe dit, peu à peuilsprofiteroient , & enfin feroient moins idiots & moins grofliers qu’ils ne font; car chaque jour on apprend quel- que chofe de nouveau, quand on vit avec des hommes raifonnables, & à. la fin on fait des chofes dont on ne fe doutoit pas même auparavant. Ne voyons-nous pas parmi nous-mêmes un Enfant ,. fans autre fecours. que fa Langue maternelle, acquérir tous les jours de nouvelles lumieres à il nd mefure qu nd parier des perfonnes éclairées? Mais ne voyons-nous Pas en même tems l'avantage qu’a fur celui-là, celui qui s'applique à l’é- tude des autres Langues? Combien de lumieres & de connoiflances n'a-t-1l pas au-deflus de l’autre, par cela même qu'il eft plus cultivé? Les Gens de la Campagne fimples & idiots quand ils ne font jamais fortis de leur Village, deviennent plus habiles à mefure qu’ils fréquentent les Vil- lès, & retournent toujours chez eux avec un degré de connoïffance qui lés rend les oracles du Village. Il en eft de-même des Indiens, & je fuis d'avis que la Langue E/pagnole leur procureroit bien des lumieres qu’ils n'ont pas, & que ç’a été le but dès Ordonnances faites au fujet dès Jndes, dans lesquelles on infifte tant fur cet articlé. à Les Jadiens font naturellement vigoureux & robuftes. Le Mal Véné-- r1ËR: VOYAGE AU PEROU, Liv. VI CHVI 44 sien fi commun dans ce Pays, ne les attaque pas beaucoup, & il eft mé- me rare qu'on puifle le remarquer dans quelqu'un d'eux. La principale caufe de cette différence vient fans-doute de la difpofition de leurs hu- meurs peu fufceptibles du venin de cette maladie. Plufieurs l’attribuent au fréquent ufage de la Chicha, que l’on croit avoir cette propriété. La maladie qui fait le plus de ravage parmi les Indiens, c’eft la Petite-Véros le, dont il en échappe fort peu ; aufli-la regarde-t-on dans le Pays comme la plus grande pefte qu'il y ait. Cette maladie ne régne pas continuelle- ment, il fe pañle quelquefois fept à huit ans & même au-delà fans qu’on en entende parler; mais dès-qu’une fois elle commence, elle défole les Villages. La caufe de cette mortalité, c’eft fans-doute la malignité ex- trême de cette maladie, mais en partie aufli parce qu’ils n’ont point de Médecin qui les aflifte, ni perfonne qui les foigne comme i} faut foigner des malades: aufli dès-qu’ils fe fentent attaqués ils font avertir le Curé pour qu’il vienne les confefler, & pour l'ordinaire ils crévent faute de quelque reméde qui aide la nature. La même chofe arrive dans toutes leurs autres maladies, & fi elles étoient frequentes elles cauferoient les mêmes ravages. La preuve que ces mortalités 1e viennent que du mant que de foin & de fecours, c’eft qu’au même tems que la Petite- Verole les attaque; elle attaque auffi les Créoles, & quoiqu'il en meure plufieurs de ceux-C1, la plupart échappent pourtant, & fe rétabliffent parce qu’ils font foignés & fecourus. Mais pour les Indiens, ils manquent de tout; on a déjà vu comme ils font vêtus & logés. Leur lit ne change jamais ;qu'ils foient malades ou en fanté:. leurs alimens font toujours les mêmes quant à l'efpéce, on ne change que la. maniere de les prendre. Le tout fe ré- duit à un peu de. Machca mife dans un Pilche & difloute en Chicha , que l'on donne à.boire au malade ; ils ne connoiffent pas d’autres cordiaux, ni de meilleurs confommés. Par où l’on voit que ceux des Indiens qui font attaqués de cette maladie, & qui en échappent, ne doivent leur falut qu’à la force de leur tempérament , & nullement à des fecours extérieurs. Ces Peuples font auffi fort fujets au Mal de la Vallée, ou Bicho ; mais ils s’en guériflent en peu de tems: Quelquefois, mais rarement, ils font at- taqués de fiévres malignes, ou Tubardilles, dont la guérifon ft aufli fort promte & finguliere: ils approchent le malade du feu, & le pofent fur les deux peaux de Mouton qui lui fervent de lit: ils mettent tout près de lui une jatte de Chicha. La chaleur de la fiévre & celle du feu lui caufent une foif qui le fait boire à chaque inftant, ce qui lui procure une abon- X x: 3 dän-' do OV OMAI@RUAAU. P ER O U dante éruption, deforte que le lendemain, ou il eft guéri où il empire & meurt en peu de tems. Ceux qui échappent de ces maladies épidémiques vivent long-tems: on en voit, foit hommes, foit femmes, qui ont plus de cent ans. J’enaicon- nu plufieurs, qui dans un âge aulfi avancé étoient encore robuftes & in- gambes. Iln’eft pas douteux que leur nourriture fimple & toujours la méme ne contribue beaucoup à forüfier leur tempérament. Outre les alimens dont nous avons parlé , ils mangent de l'Agi avec beaucoup de fel: pour cet effet ils cueillent de gros morceaux d’Agi, mettent plufeurs grains de fel dans la bouche, & de l'Agi en même tems, & enfuite ils avalent de la Machca, ou de la Camcha, & ainfi alternativement jusqu’à ce qu’ils foient rafaffiés. Ils aiment tant à manger le fe] de cette manie- re *, qu'ils en préferent deux ou trois grains à tous les autres mêts. On remarque le goût qu’ils ont pour cette matiere, dans le foin qu’ils prennent à la recueillir quand ils la trouvent répandue quelque part. Après avoir décrit les mœurs & le génie des Indiens, il eft à propos que je parle de leurs occupations; mais avant que d’entrer en matiere, j'avertis que ce que je vais dire ne regarde point les Indiens des Villes & des Bourgs qui exercent quelque emploi ou quelque métier, & quitravail- Jant pour l'utilité publique, vivent bourgeoifement. Les autres font occupés dans le Royaume de Quito, ou aux Fabriques, ou aux Plañtations, ou aux Befgeries. Pour cet effet chaque Village eft obligé de fournir tous les ans aux AHaciendas de fa Jurisdiétion un certain nombre d'Jndiens , auxquels le Propriétaire de lt Hacienda paye tant pour fa part, felon ce qui a été réglé par les Ordonnances de nos Rois. Après une année de fervice, ces nié retournent Mr leurs Villages, & il ” vieht d’autres à leur plac ce. Cette repartition c’annalla Ait: A lé VAL U ŒRELIIN LrLLViLe 1 égard des Fabriques, quoiqu'on dût obfervet Lou riême chofe on ne le fait point, parce que tous n'était pas T'ifferans de profeflion, on ne prend que ceux qui favent ce métier, lesquels fe fixent avec leurs familles dans ces Fabri- ques, & enfeignent leur métier à leurs enfans, qui deviennent Ouvriers à leur tour. Les Tifferans font de tous ces Indiens eeux qui gagnënt le plus, comme exerçant une profeffion qui demande plus de capacité. Ou- tre le falaire annuel, leurs Maîtres leur donnent encore des fonds de terre & des bœufs, pour les faire valoir. Alors ils labourent ces terres, y fé- ment * Le Sel & l'Agi enfemble devroient bruler les trie d’un cheval; car l'Agi eft plus fort que le plus fort Poivre, N. D. T. VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH VIL 3er ment des grains pour le befoin de leurs familles, & ces terres ‘ainfi défri- chées s'appellent Chacaras; ils bâtiffent des cabanes autour de la Æacien- da, ou Métairie, qui devient bientôt Maïifon Scigneuriale, parce que les cabanes fe multiplient aü point de former un Village, dont il y a tel qui contient cent cinquante familles. LR SRI SCO TITI TNT NER TR IN TR) ETS TRNIDAMIENTR ESRI 190) CE SO EI RE: ;, NUE Defcription Hiftorique des Montagnes € Bruyeres les plus remarquables des Cordilleres des Andes; des Rivieres qui en viennent; 3 la maniere de les palfer. E viens maintenant aux Montagnes les plus connues du Royaume J de Quito, & aux Rivieres qui y ont leur fource,& traverfent ce Pays, qui n’eft pas moins remarquable par-là que par la dipofition du terrain, où s'élévent de prodigieufes pyramides de neige. Nous avons déjà vu que tout ce qui appartient aux Corrégimens de cette Jurisdiétion, eft fitué entre les deux Cordilleres des Andes, où l'air eft plus ou moins froid, la terre plus ou moins aride, à proportion que les Montagnes font plus ou moins élevées. Celles qui font les plus arides font défignées parle nom de Paramos *; car quoiqu’elles foient toutes ari- des, il y en a pourtant qui le font plus que d’autres, & quelques-unes où le froid, caufé par la neige continuelle, eft fi aigu , qu’elle font inhabita- bles, & qu’on n’y voit même ni Plantes, 1i Animaux. Il y en a entre autres qui élévent leurs tommets au-deflus de toutes les autres, & dont la prodigieufe étendue eft couverte de neige jufqu'a la cime: c’eft de ces dernieres que nous parlerons, comme étant les plus remarquables. Le Paramo de l’Afuay, qui eft formé par l'union des deux Cordilleres, n'entre point dans cette clafle; car quoiqu'il foit fameux dans la Contrée; à caufe de fon aridité & du froid qu'il y fait, il n’eft pourtant pas plus éle- vé que la Cordillere en général, & beaucoup moins que la Pichincha & le Corazon : fa hauteur elt le degré où commence & fe maintient la congéla- tion, comme il arrive dans toute la Province à la même hauteur: mais à mefure que les Montagnes font plus élevées, elles font la plupart conti- nuellement couvertes de neiges; deforte que d’un point déterminé, par exe * Qui veut dire Bruyeres, 352 VOYAGE AU PER O UV exemple, Caraburu, où la fuperficie de la Mer, on voit la congélation dens toutes les Montagnes à une même hauteur. Par les expériences fai- ces avec le Barométre à Pucaguaico fur là Montagne de Cotopadi , le Mer- cure s’y foutenoit à la hauteur de 16 pouces 55 lignes, & par-là nous concluons dans le Tome des Ob/ervations Aftronomiques &> Phyfques , que la hauteur de ce lieu-là eft de 1023 toifes fur le Plan de Caraburr. Celle que cemême Lieu a à l'égard de la fuperficie de la Mer , Comme on pœurra le voir dans l'Ouvrage déjà cité, eft de 1268 à peu de chofe près; par confé- quent la hauteur de Puraguayco au-deffus de la fuperficie de la Mer, eft de 2201 toifes. Le fignal quenous avions placé fur cette Montagre ; fe trou- voit à 30 ou 40 toifes au-deflous de la glace endurcie; & depuis le com- mencement de cette glace jufqu'a la crête de la Montagne on peut comp- ter, par une fupputation fondée fur quelques obfervations des Angles de hauteur pris à cet effet, que la hauteur perpendiculaire eft d'environ $oo toifes : donc la cime de Coropacfi eft élevée au-deflus de la fuperficie de la Mer de 3126 toifes, qui font 7280 aunes de Caflille, un peu plus d’une lieue marine , & plus haute que le fommet de Pichincha de 639 toifes. C’eft de cette efpéce de Montagnes que je vais traiter. Celles dont je fe- rai mention font toutes d’une hauteur a peu près égale à celle-là. La plus méridionale de toutes celles de ces Cordilleres, eft la Montagne de Macas, appellée plus proprement Sangay, quoique plus connue dans le Pays fous le premier nom, parce qu’elle eft dans la Jurisdiétion de Ma- cas. Elle eft d’une hauteur confidérable, & prefque par-tout couverte de neige dans toute fa circonférence. Elle vomit de fon fommet un feu con- tinuel, accompagné d’un fracas épouvantable que l’on.entend à plufieurs lieues à la ronde. On l'entend de Pintau, comme fi on en étoit tout près, quoique ce Village, de la Jurisdiétion du Corrégidor de Quito, foit a près de quarante lieues plus bas, & fouvent quand le vent eft favora- ble on l'entend de Quito même. Les Campagnes voifines de ce terrible Voican font tout-à-fait ftériles, par la quantité de cendres dont elles font couvertes. C’eft de ce Paramo que vient la Riviere de Sangay, qui n’eft pas petite, & qui après avoir reçu celle d'Upano change de nom pour prendre celui de Payra, quife jette dans le Marannon. Dans la même Cordillere Orientale, presqu’Eft-Ouëft dela Ville de Riobaw- ba à environ fix lieues de cette Ville, eftune haute Montagne dont le fommet eft divifé en deux crêtes, toutes les deux couvertes deneige. Celle quieft au Nord s’appelle Collanes, & celle qui eft au Sud fe nomme Æ/tar. L'efpa- ce que la neige y occupe, n’cft pas comparable à celui de Sangay & aux al- YOYAGE AU PEROU. Lav. VI Eu. VIL 353 autres de cette claffe:auffi cette Montagne eft-elle moins haute que cel. les-la. Au Nord de l même Ville environ à fept lieues de diftance eft la Montagne de Tunguragua. De quelque côté qu’on la regarde, elle a la fi- gure d’un côné, également efcarpé par-tout. Le terrain par où elle com- mence à s'élever eft un peu plus bas que celui de la Cordillere, finguliére- ment du côté du Nord, où il femble qu'elle commence à croître dès la plaine où font les Bourgades. C’eft-là qu’eft le Village de los Bagnos , dans une petite plaine entre la croupe de la Montagne & la Cordillere. Le nom de los Bannos lui eft venu des eaux chaudes qui y font, & qui ont tant de réputation qu'on y accourt de toute la Contrée pour s’y baigner. Au Sud de Cuenca, & non loin d'un autre Village appellé aufli los Bannos ap- partenant à ce Corrégiment, 1l y a aufli d’autres Bains chauds au haut d’une Colline, ou par diverfes fources de quatre à cinq pouces de diamé- tre on voit fourdre l’eau à gros bouillons, & fi chaude que les œufs s’y durciflent en moins de tems qu'il n’en faut pour les durcir dans de l’eau bouillante au feu. Cette eau forme, en fortant de ces différentes four- ces, un ruifleau qui jaunit les pierres & la terre par où il coule, & a un goût fomache. Toute cette Colline eft crevaflée, & exhale une fumée cohtinuelle; ce qui prouve qu’elle enferre dans fes entrailles beaucoup de matieres fulphureufes & nitreufes. Le Chimborazo eft au Nord de Riohamba, en tirant de quelques degrés vers le Nord-Ouëft. Le chemin de Quito à Guayaquil paîle par la croupe de cette Montagne, foit qu’on la laïffe au Nord ou au Sud. Lorsque les E/pagnols voulurent pénétrer dans le Royaume de Quito, ils traverferent les longs & fâcheux déferts des côtes de cette Montagne; plufieurs y pé- rirent , & refterent emparamados*. Mais aujourd’hui plus familiarifés avec ce Climat, ils n'éprouvent plus un fi trifte fort, parce qu’ils ont d’ailleurs la précaution de ne pañler par-là, que quand ils voyent qu’il fait beau, & que le vent s’eft un peu appaifé. Le Carguayrafo eft au Nord du Chimborazo. Nous en avons fuffifam- ment parlé ailleurs. Le Cotopacfi eft une Montagne au Nord de Latacunga à environ cinq lieues de ce Bourg. Elle dépaïle les autres Montagnes au Nord-Oueit, & au Sud, comme pour retrecir l’efpace que laïfent entre elles les deux Cor- * Mot fa@tice qui, vient de Paramo, bruyere ou lieu p'éin de bruyeres, & c’eft comme qui diroit en François embruyéré, pour reffé mort dans les bruyeres, N, d. T, Yy 354 VOY MGË AÛÜ LEO Cordilleres. J'ai déjä rapporté €omme il avoit ctêvé dans le tems que les Efpagnols entrerent dans le Pays. En 1743 ilcreva de nouveau, aprés avoir fait quelques jours auparavant un fracas terrible dans fes concavités. Il s’y fit une ouverture au fommet, &: trois für le panchant qui étoit tout couvert de neige. Les cendres qu'il poufla fé mêlant avec une prodigieufe quantité de glacé & de neige fondue par les flimmes qu’il vomit, furent entraînées avec une étonnante rapidité. La plaine fut inondée : de- puis Callo jusqu'a Latacunga , & dans un-moment tout ce terrain devint une mer dont les ondes troubles firent périr une infinité de gens, fans qu’il échappât que ceux qui eurent affez de légéreté, & aflez de préfence d’efprit pour s’enfuir au plus vite, tant l’eau fondit avec violence & ra- pidité. Les cafes des Indiens & des pauvres gens furent renverfées & emportées par les ondes épaifles. La Riviere quipafle à Latacunga, fut le canal par où s’écoulerent ces eaux, “autant que fon lit &:la hauteur de {es bords en pouvoient contenir. Mais comme cette coulée ne füfhfoit pas pour contenir la nouvelle mer, elle déborda du côté dés habitations, & emporta,. lés. maifons auffi loin que l'eau put s'étendre. Les habitans fe rétirérént fur une hauteur près du Bourg, où ils furent témoins de la ruine de leurs maifons. Tout le Bourg ne fut pourtant pas détruit, il n'y eut que les maifons qui fe trouverent fur le pañlage dé l’éau qui en furent emportées. La crainte d'un plus grand malheur dura trois jours entiers, pendant lesquels le Volcan continua a pouffer des cendres fort Join, & les flammes à faire couler la glace & la neige qu’elles: fondoient, Peu à peu cela diminua, & cefla enfin tout-a-fait; mais le feu continua encore plufeurs jours, ainfi que le fraças caufé par le vent qui entroit par l'ouverture du Volcan, & qui faifoit bien plus de bruit que Fair qui étoit comprimé dans les concavités de la Montagne. Enfin le feu ceffa aufi; on ne vit plus même de fumée, ni on n’éntendit de bruit, jusqu’à Yannée- fuivante 1744, au Mois de May, tems auquel les flammes fe renforcerent, & s’ouvrirent plufieurs pañlages ,même par les flancs ‘de la Montagne; déforte que pendant les nuits où il ne faifoit pas de brouil- lards, la lumiere des flammes réfléchie par les glaces formoit une illumina- tion des plus belles qu'on pât voir. Tout cela n'étoit que le prélude d’u- ne grande éruption ; qui arriva en effet lé 30 Novembre , avec tant de violen- ce qu’elle jetta dans une nouvelle confternation les habitans de Latacun- sa. Il fit les mêmes ravages que l’année précédente, pouflant une pro- digieufe quantité de flammes & de cendres, &: caufant de terribles mon- dations. Ce ne fut pas un petit bonheur pour nous que cela n'arrivât pas VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. Cx VIL 235$ pas durant les deux occafions où nous fûmes obligés de camper aflez de tems fur la croupe de cette Montagne, comme il a été dit au Chapitre LIL, du Livre précédent. Val Le Mont Elénifa eft à cinq lieues à l'Occident du précédent, fon fom- met divifé en deux «ft aufli toujours couvert de neige. Plufieurs ruifleaux y ont leurs fources. Ceux qui viennent du fommet Boréal prennent leurs cours .vers le Nord, & ceux qui defcendent du fommet Auftral cou- rent au Sud... Ces derniers fe rendent par le Marannon dans la Mer nom- mée Mer du Nord, & ceux-là vont dans la Mer du Sud par la Riviere des Ermneraudes. La Montagne de Chinchilagua au Nord de Cotopacfi & inclinant de quelques degrés au N. E. eft couverte aufi de neige. Elle n’eft guere différente de la.précédente, & aucune des deux ne peut être comparée aux autres en grandeur, Au Nord de Quito, tirant un peu vers l'Orient, eft le Cayamburo, qui eft de la prérniere grandèut, environ à 11 lieues de cette Cité, & tirant de quelques degrés vers l'Orient. On n’a pas d’idée que cette Montagne ait jamais crevé. Plufeurs Rivieres ont leur fource dans cette Montagne. Celles qui viennent de l’'Ouëft & du Nord fe jettent les unes dans la Ri- viere des Emeraudes ,les autres dans celle de Mira , & fe rendent toutes dans Ja Mer du Sud. Celles qui viennent de l'Orient fe vont perdre dans le Marannon. ; Outre les ruiffeaux qui defcendent des Montagnes couvertes de neige, il y en a d’autres qui ont leurs fourcés dans des Montagnes moins élevées, & tous enfemble forment en s’uniflant des Rivierës fort profondes, qui fe rendent ou dans la Mer du Nord où dans celle du Sud. Toutes les fources qui viennent des Montagnes près de Cuenca du côté de l'Occident & du Sud jusqu'a Talqui, ainfi que celles de la Cordillere O- rientale, fe joignent à celles qui viennent du Nord environ à une demie leue à l'Occident d’un petit Village nommé Fudan, qui eft une annexe de la Paroïffe de Paute, & forment une Riviere qui coulé près de ce Villa- ge & en prend le nom. Elle arrive fi profonde à Paure, que quoique le lit en foit fort large, on ne peut la pañler à gué. Elle f perd dans le Marannon. Des Montagnes de Yafuay & de Bueron vient une Riviere confidérable qu’on pañle fur des ponts; elle prend le nom de Cennar, du Village ainfi. nommé près duquel elle coule. ÆElle pafle enfuite près de Tucon, & fe va perdre dans la Riviere de Guayaquil au golfe de ee nom. Yy2 Du dd 356 VOYAGE AUPER.O Du côté feptentrional du Paramo d Afuay defcendent auffi plufieurs Ri vieres, qui s’uniflant avec d’autres qui viennent de la Montagne de Sé- negualap & de la Cordillere Orientale du côté de l'Ouëff, forment la Riviere d’Alaufi, qui va fe jetter dans le même golfe. Au haut du Paramo de Tioloma, non loin du fignal que nous y plaçä- mes, il y a quatre Marais ou Lagunes, dont trois qui étoient les plus pro- ches du fignal font moins confidérables que la quatriéme qui en-étoit plus éloignée. Cette derniere eft nommée Colay, & a environ une demi-lieue de long. Les noms des trois autres font Pichavinnon, Cubiilu, Muéiallan. C'eft de ces trois petits lacs que fe forme la Riviere des Cébadas, qui pañle aflez près du Village de ce nom, & à laquelle fe joint une autre Riviere formée des ruifleaux qui defeendent du Paramo de Lalangufo, & des eaux qui s’écoulent de la Lagune de Colta. Après avoir coulé par Pure gala en tirant un peu du Nord vers l'Orient, & environ à une lieue du Village de Puni, elle reçoit la Riviere de Riobamba, qui prend fa fource au Paramo de Sifapongo. Une autre Riviere qui defcend du Chimborazo, coule près du Village de Cobigies, & prenant d’abord fon couts au Nord, tourne à l'Orient dès-qu’elle ef arrivée à l'Eft-Oueft de la Montagne de Tunguragua, & fe perd enfin dans le Marannon. Mais avant que d’arri- ver-là elle pañle par le Village de Pénipe, & eft fi profonde en cet en- droit qu’on ne peut la traverfer que fur un pont de Liéne. Elle reçoit avant d'arriver à los Bannos les Rivieres de Latacunga & de Hambato, & toutes celles qui viennent de lune & de l’autre Cordillere, aïnfi que de la pointe auftrale du Mont Elmifa, & du .cûté méridional de Ruminnavi & de Cotopacfi. Les eaux qui defcendent de la pointe feptentrionale du Mont Eknifx, vont ,comme je l'ai déja dit, vers ie Nord, & fe joignent avec celle de ja même Cordillere, & celles-qui defcendent de la partie feptentrionale &de Foccidentale de la Montagne de Ruminnavi, ainfi que d’autres qui viennent dé Pafuchua, & toutes ces eaux enfemble forment la Riviere d’Æmaguan- na. Ces deux dernieres Montagnes font Nord & Sud dans l’efpace qui eft en- tre lés deux Cordilleres. De‘la partie feptentrionale de Cotopacfi, du Para- mo de Chinchulagua, qui eft auffi couvert de neige, & de. la Cordillere de Guamani defcendent d’autres Rivieres qui par leur réunion forment celle d'Zchubamba , quife joint vers le Nord avecla Riviere d’Amaguanna , à peu de diftance au Nord du Villase de Cono-coto, eft enfuite groffie. des tor rens qui defcendent du côté Ouëft de 14 Cordillere Orientale, & prend le nom de Rio de Cuayllabambe.. Les eaux qui viennent du Mont de Cayam- Lure VOYAGE AU PEROU. Liv. WECE VII 357 buro du-côté occidental, celles qui defcendent de la partie méridionale du Mont de Moxanda font une autre Riviere appellée le Pifque, qui court d’abord à l'Occident, & fe joignant à celle de Guayllabamba prend le nom d'Alchipichi. Cette Riviere devient fi profonde & fi large au Nord du Village de St. Antoine de la Jurisdiétion du Corrégidor de Quito, qu'on eft obligé de la pafler fur une Tarabite. Elle continue à couler vers le Nord, & va fe perdre dans la Riviere des Emeraudes. La Montagne de Mojanda eft dans l’efpace que les Cordilleres laiflent entre elles ; la cime de cette Montagne fe divife en deux, l’une à l'Orient, l'autre à l'Occident. De chacune de ces cimes part une chaîne de Mon- tagnes ou Cordillere, qui ferme ce vallon & en fait une efpéce de cul-de-fac en. fe ioignant. Deux torrens defcendent du côté feptentrional de cette Montagne, entrent dans la Lagune de St. Paul, d'où fort une Riviere , qui jointe avec d'autres torrens & avec un grand ruifleau qui vient des hauteurs de Pé- gillo, forme la Riviere qui pañle à St. Michel de Ibarra; & prend enfuite le nom de Mira, laquelle fe rend dans la Mer du Sud, au Nord de la Ri- viere des Emeraudes. Quand ces Rivieres font trop profondes pour être pañlées à gué, on y jette des ponts dans les endroits néceflaires. Il y a trois fortes de ponts dans ce Pays-là; ceux de pierres, qui font en très-petit nombre; ceux de bois , qui font les plus communs; .& ceux de Liéne ou Béjuque. - Pour jet- ter un pont de bois, on choifit l'endroit le plus étroit de-la Riviere entre quelques hauts rochers: on met en travers quatre grandes poutres, & voilà le pont tout conftruit : il a environ-une aune & demie de large, e’eft- a-dire pas plus qu'il ne faut pour qu'une perfonne puifle pafler avec fa monture, non fans grand rifque de tomber & de fe perdre fans retour avec tout ce qu'on a de bien: On fait des ponts de Liène, -quand la trop grande largeur des Rivieres ne permet pas qu’on y jette des poutres, qui de quelque longueur qu’elles fuffent , ne fauroient atteindre de l’un à l’autre bord. Pour cet effet on-tord plufieurs Liénes ow-Béjuques-enfemble, dont on forme de gros palans où cordes.de là longueur:dont on a befoin. On les tend de l’un à l’autre bord au nombre de fix pour chaque pont; des deux palans qui font les‘ premiers dé chaque côté , font plus élevés que les autres quatre, & fervent comme de gardefous ou d’appui. On attache entravers fur les quatre palans de gros bâtons, & par deflus on ajoûte des branches d’arbres ; .c’eft-là le fol où l’on marche. Les deux palans qui-fervent de gardefous font amarrés à ceux qui forment le font, afin ds que 3383 VOYAGE AU PER O U: que ceux qui pañlent puiffent s'y appuyer, fans cela on courroit ris- que de tomber à chaque pas à-caufe du balancement : continuel du pont, balancement aflez femblable au jeu de l’efcarpolette. - Il n'y a que les hommes qui pañlent für ces ponts, :& quant aux bêtes de charge il faut qu’elles paflent à la nage. .Pour.cet effet on les déchar- ge & les débâte ; & on les fait pañler à environ une demi-lieue au- deffus du pont, afin qu’elles puiflent fortir de l’eau près de-là ; car le courant les fait dériver confidérablement. Des Indiens en attendant. por- tent la charge & les bâts des Mules für les épaules, & les charrient fur le pont jufqu’àa l’autre bord. Il y a des ponts de Liéne dans le Pérou, fi larges que les Mules y peuvent pafñler toutes chargées: tel eft celui qui eft fur la Riviere d’Apurimac, par où pañlent toutes les marchandifes & autres effets , en quoi confifte le Commerce entre le Pérou & les Provin- ces de Lima, de Cuzco, la Plata, & autres Contrées méridionales. Il y a des Rivieres où au-lieu de pont de Béjuque on pafñle par des Tu- æabites; c'eft ce qui arrive quand on veut pañler la Riviere d’Alchipichi; & non feulement les perfonnes & les charges traverfent la Riviere par Tarabites, mais même les Mules; parce que l'extrême rapidité de l’eau, & les gros cailloux qu'elle roule, ne permettent pas qu’elles pañlent à la nage, La Tarabite n’eft autre chofe qu’une corde de Liéne ou de courroyes de cuir de Vache, compofée de plufieurs fils de fept à huit pouces d’épaif- feur, laquelle eft tendue d’un bord à l’autre & fortement attachée des deux côtés à des pilotis, à l'un desquels eft une roue ou un tour pour donner à la Tarabite le degré de tenfion que l’on juge à propos. La ma- niere de paffer eft unique. Pour la bien comprendre, il faut favoir que fur ce gros Palan ou Tarabite pendent deux grands crocs, l'un d’un côté l'autre d de l'autre, lesquels on fait courir tout de long du palan. À ces deux crocs pend un grand manequin de cuir de Vache, al | large pour pou- voir recevoir un homme & pour qu’il puifle s’y coucher. Celui qui veut pañler fe met dans le manequin, & d’une pouffade qu'on lui donne de la rive d’où il part, il coule tout le long de la Turabite avec d'autant plus de vitefle, que par le moyen de deux cordes attachées au manequin on le tiré de l’autre bord. Pour pañler les Mules il y a deux Tarabites. On ferre avec des fangles le ventre de l’animal, le cou .& les jambes, pour qu'il ne puifle pas faire de mouvement violent. Dans cet état on la fufpend à un gros croc de bois courant entre les deux Turabites, par le moyen d’une groffe corde où il eft attaché. Cela fait on pouffe l'animal qui part avec tant de vi- trefle Pont de Zrane. ou Bejuques . 2 Zarabite pour passe, Les. Animaux: 3 Zarabite Pour passer Zs ommes. {fl | 1) ui \ t- ie à W | (l | À il > 4 J'Punt delin.et S'cup . 12. Drucke von Bindveiden.od. Stricken 2. Leberfuhrt far Threre . vE Ueberfi rt far. Hen/chen É VOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH VIL 359 tefle qu'en un tour de main il eft de l’autre côté. Les Mules qui font ac- coutumées à pañler de cette maniere, ne font pas le moindre mouvement, & s'offrent d’elles-mêmes pour être attachées: mais cellés qui font neu- ves s’efFarouchent de façon qu’on a bien de la peine à les tenir, & quand elles perdent terre & fe voyent précipiter de cette maniere, elles s'élan- cent dansl'air. La Turabite d’Alchipichi a d’une rive à lautre 30 à 40 toifes, ou 70 à go aunes, & elle eft élevée au-deflus de l’eau de 20 à 25 toifes, 47 à Go aunes, ce qui €ft fuffifant pour faire friflonner d'horreur à la premiere vue. Les chemins de ce Pays font à l'avenant des ponts: car quoiqu'il y ait de grandes Plaines depuis Quito juiqu'à Riobamba, & auñli en partie de Riobamba à Alaufi, & de-méme au Nord de cette Ville ; ces Plaines font néanmoins coupées de terribles coulées , dont les des- centes & les montées font non feulement incommodes , & d’une longueur infinie, mais aufli fort dangereufes. Dans quelques endroits il faut pañler par des Laderes* fi étroites, qu'il y a des endroits où le che- min peut à-peine contenir les pieds d’une monture, dont le corps & ce- Jui du Cavalier font perpendiculaires à l'eau d’une Riviere qui coule 50 ou Go toifes au-deffous. Il n’y a que la néceffité indifpenfable de pafler par- là qui puifle diminuer l’horreur d’un fi grand péril. Il n'arrive que trop fouvent que des Voyageurs périflent dans ces profondes abîmes, en tra- verfant ces dangereux chemins, où l’on n’a d'autre garant de fa vie & du bien qu’on porte avec foi, que l’adreffe & la bonté des Mules, tandis qu’un faux pas eft füuffifant pour faire périr la monture & le Cavalier. Ce dan- ger eft récompenfé par la fureté où l’on eft des voleurs; deforte qu’on voit-là ce qui fe voit en peu de Pays du Monde, des Voyageurs chargés d’or & d'argent marcher fans armes, avec autant de fureté que s’ilsétoient accompagnés d’une nombreufe efcorte, Si la nuit furprend le Voyageur dans un Défert, il s’y arrête & y dort fans la moindre crainte; fi c’eft dans un Tambo où Auberge, il y couche avec la même quiétude d’efprit, quoiqu'il n’y ait nulle porte fermée. Perfonne ne le trouble non plus dans fa route, fans qu’il ait befoin d’autre défenfe que la confiance avec laquek le il voyage: chofe extrêmement commode, & qu’il feroit à fouhaiter qui fe rencontrât ainfi dans tous les autres Pays du Monde. * Les côtes ou flancs des. Montagnes ; la partic au-deflous du fommet, : 360 ŸV O ŸY A GE "AU PH R:O DL. CCR A PET Ray dE Continuation des particularités des Paramos ou Bruyeres. Animaux ES Oifeaux qu'on y trouve; ES autres particularités de cette Province, desquelles iln'a point encore été fait mention. D) Our achever les remarques que j'ai encore à faire touchant les Para. | mos, & que j'ai été obligé d'interrompre pour parler des Rivicres, des Ponts & des Chemins, je dirai que quand les Montagnes font aflez peu hautes pour que la congélation n'y parvienne pas, elles font toutes couvertes d’une efpéce de petit jonc aflez femblable à l' E/parto *, mais plus mou & plus fouple, lequel croît en fi grande abondance que toute la terre en eft couverte. Il a environ trois quarts d’aune de hauteur, & quand il eft cru à ce point il a la même couleur que l Æ/parto fec. Là où la neige fe foutient quelque tems fans fe fondre, on ne voit aucune des Plantes qui croiffent dans les Climats habitables ; mais des Plantes fauva- ges quoiqu'en petit nombre, & feulement jufqu’à une certaine hauteur de la Montagne; mais de-là jufqu’au commencement de la congélation, ce ne font que fables & que pierres. , Dans les lieux où il ne croît que du petit jonc, & où la terre n’eft pas propre à la femence, on trouve un Arbre que les gens du Pays nom- ment Quinual, dont la nature répond à a rudefle du climat. Il eft mé- diocrement haut, houpé, d’un bois fort; la feuille même dans fa jon- gueur, eftépaifle, & d'un verd foncé. Quoiqu'il porte le même nom que la Graine appellée Quinua, dont nous avons parlé ailleurs, & qui croît en abondance en ce Pays, ce n’eft pourtant pas cet arbre qui la produit, & la plante où elle naît n’a rien de commun avec lui. Le climat propre à l’Arbre de Quinual, left auffi à une petite Plante que les Zndiens nomment Palo de Luz t. Elle eft haute ordinairement d'environ deux pieds. Elle confifte en plufieurs tiges, qui fortent de ter- re & ont la même racine. Ces tiges font droites & unies jufqu’à leur fom- met, où elles pouffent de petits rameaux, qui portent des feuilles fort menues. Elles montent prefque toutes à une même hauteur, excepté Jes plus extérieures, qui font plus petites. On coupe cette Plante rez- terre, où elle a environ trois lignes de diamétre; on l’allume pendant qu'elle * Lfpéce de Genéte ou de Jonc particulier en Efpagne, dont on fait des cabas & mé- me des fouliers. C’eft de quoi l'on fait les nattes & les cordes. N. d. T. T Bâton de Lumiere, VOYAGE AU PEROU. Liv. VE CH WIIL 361 av’elle eft verte, & elle répand une lumiere pareille à celle d’un flambeau; & cela dure jufqu’au bout, pourvu qu'on ait foin d’en féparer le charbon qu’elle fait en brulant au-lieu de lamignon. _ On trouve dans les mêmes lieux la Plante que les mêmes Zndiens appel- tent Achupalla, compofée de diverfes côtes peu différentes de celles de la Subilla où Sabine; & à mefure qu’elle en produit de nouvelles, les pre- mieres vieilliflent & fe defléchent. De ces côtes il fe forme une efpé- ce de tronc garni de feuilles horizontales, & creux au milieu. Ce tronc étant petit eft bon à manger comme celui des Palmites. | Au-deflus du lieu où croît le petit jonc & où le froid commence à être plus fenfible, on trouve des Oignons ou Pains appellés dans la Langue du Pays Puchugchu ; ils font formés d'une herbe dont les feuilies font rondes & fi preffées les unes contre les autres, qu’elles forment comme une bulbe fort unie, au dedans de laquelle il n’y a que les racines, lesquelles à mefure qu'elles grofliffent, élargiflent ce paquet de feuilles jusqu’à ce qu’elles for- ment enfemble la figure d’un pain arrondi, lequel a environ deux pieds de haut & à peu près autant de diamétre. Quand il eft bien verd ileftfidur, que le pied d’un homme ni d’un cheval ne peut l’écrafer; mais quandil eft fec il s'égruge aifément. Quand il eft entre verd & fec, fes racines jouent comme des reflorts, deforte qu’en le comprimant il s’applatit, & s’arron- dit enfüuite quand on ceffe de le preffer. Là où croiflent les Puchugchus on trouve aufñi la Canchalagua, connue en Europe pour fes vertus. Cette plante reflemble aux plus petits joncs où au chaume fort mince, fans aucune feuille, mais feulement de la graine aux extrémités. Elle eft fort médicinale, & excellente pour la guérifon des fiévres. Elle eft un peu amere, & donne le même goût à l'eau, foit qu'on la fafle infufer, ou en décottion. Elle purifie le fang, & l’on s’en fert pour cet effet dans le Pays, quoiqu’on la croye d’une qualité chaude. Elle croît-là en abondance, & on en trouve parmilles Puchugchus, & aïl- leurs fur les bruyeres où il ne fait pas extrêmement froid. Une autre Plante non moins recommandable eft la Culaguela ou Cala- guala, qui croît dans les lieux que le froid & les neiges continuelles ren- dent ftériles, ou dont le fol eft de fable. Elle a fept à huit pouces de haut, & confifte en divers petits troncs; on la trouve dans le fable, où parmu les pierres. Ses petits rameaux reflemblent aux racines des autres plantes, & n’ont que deux ou trois lignes d’épaifleur; ils font remplis de nœuds à peu de diftance les uns des autres, & couverts d’une efpéce de pellicule, qui fe détache de foi-même quand elle eft féche. Cette plante Tome L. Zz eft 362 VOYAGE AU PEROU. eft excellente pour difliper lesiapoftêmes tant au-dehors qu’au-dedans du corps. Elle les guérit en très-peu de tems. On la prend en décoétion ë ou en l’écachant & la faifant infufer dans du vin. Trois ou quatre prifes par jour fufhfent pour qu'elle faffe fon effet, fans compter qu’étant chau- de au fouverain degré, elle pourroit être nuifible fi on en prenoit fans nécefité. C’eft pour cela auffi que trois ou quatre morceaux de la lon- gueur de trois ou quatre pouces fuffifent, & on prend la quantité de vin qu'il faut pour difiper fon amertume. Celle qui croît fur ces Paramos n’eft pas à beaucoup près de fi bonne qualité que celle des autres Provinces du Pérou, aufli cette derniere eft-elle beaucoup plus eftimée. Les feuilles en font fort petites; elle en a peu, & elles font attachées immédiatement au tronc. C'eft encore für les bruyeres que croît la Contra-Terva, fi fameufe en Europe pour fon efficace contre le poifon. Cette plante s’éléve peu deter- re, mais s'étend beaucoup plus à proportion. Ses feuilles font longues de trois à quatre pouces, fur un peu plus d’un pouce de large, épaifles & veloutées en dehors. Elles font d’un verd pâle; en dedans elle eft lice & d’un verd plus vif que fur le revers: de fes bourgeons naïflent de grands fleurons compofés d’autres petites fleurs, tirant un peu fur le violet. Ces fleurs & autres qui croiïffent-là en abondance avec des propriétés différen- tes, felon la diverfité du climat, font fort eftimées dans le Pays, & ne coutent que la peine de les envoyer couper fur la plante. Quoique l'air des Parames foit fi rude qu'aucun animal n’y puifle fubfis- ter à parler en général, il y a cependant quelques animaux dont le tem- pérament s'y accommode: tels font les Chevreuils qui y vont paître la paille dont nous avons parlé, & qui eft une herbe particuliere à ces lieux-là. On rencontre quelquefois de ces animaux au plus haut des Montagnes, où Pair eft le plus rude. Parmi la paille on trouve beaucoup de Lapins & quelques Renards, qui dans leur efpéce & propriétés ne different pas de ceux de Carthagéne, & des autres Contrées des Zndes. Les Oifeaux qu'on rencontre en ces lieux ne font pas nombreux dans leur efpéce: ce ne font guére que des Perdrix, des Condors où Buytres * & des Zumbadores ou Bourdonneurs. Les Perdrix de ce Pays ne font pas exactement pareilles à celles d'Europe, elles réfflemblent plutôt aux Cail- les. - Elles ne font pas non pius en abondance. Le *_ Gürcilaffo de la Vegn parle auffi de cet Oïfeau-monftrueux, dont:il ditn’en avoir vu qu'un à Quito, qui étoit encore fort jeune, :N.d. T. VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Cu. VIIL 363 Le Condor eft fans-contredit le plus grand Oifeau de l'Amérique. Ureflemble aux Gallinazos pour la couleur & pour l’encolure. I s’éléve au-deflus des Montagnes les plus hautes, & à perte de vue. On ne le voit Jamais dans les lieux bas, & il femble que fa complexion demande un air fort fubtil pour vivre commodément; ce qui n'empêche pas qu'on n’en puifle appri- voifer dans les Villages & les Haciendas. Ils font carnacicrs autant que les Gallinaces. On les voit fouvent enlever des agneaux du milieu des troupeaux qui pañlent au bas des Montagnes. C'eft dequoi je fus moi- même témoin oculaire un jour que j’allois du Signal de Lalangufo à la Ha- cienda de Pul, qui eft au bas de cétte Montagne; car ayant remarqué fur une colline voifine de celle où je pañlois, une grande confufion dans un troupeau de Brebis, j'en vis partir tout-à-coup un Condor qui enlevoit un agneau dans fes ferres, lequel il laiffa tomber quand il fut à une certaine hauteur, & fondant de-nouveau deflus il l’énleva encore & le jetta deux fois de la même maniere, & à la troifieme je le perdis de vue, parce qu'il s’éloigna de cet endroit ;. fuyant les Zndiens qui étoient accourus aux cris des garçons qui gardoient le troupeau, & aux Japemens des chiens. Il y a des Montagnes où cet Oifeau eft plus commun qu'en d’autres, & comme 1l fait de grands ravages dans le bétail, les Indiens lui tendent des piéges pour le prendre. Pour cet effet ils tuent quelque vache ou autre animal inutile, & en frottent la chair du jus de quelques herbes fortes qu'ils êtent enfuite; car il eft fi rufé & fi foupçonneux que fans cette pré- caution il ne toucheroit pas à la chair: & pour qu’il ne puifle diftinguer le jus-même de l’herbe par fon odorit, on enterre la bête morte , Jusqu'à ce qu'elle tourne à la pourriture; alors on la déterre, & auflitôt les Con- dors accourent , la dévorent & s’enivrent, de maniere qu'ils reftent longtems fans mouvement, & dans cet état les Indiens les aflomment. D'autres fois, quand ceux-ci en rencontrent près d’une charogne, ils leur tendent des lacs & les prennent. Cet Oifeau eft fi fort que d’un coup d’aîle donné à plein il terraffe un homme, &eftropie quelquefois du mê- me coup celui qui l'attaque. Leurs aîles font lenr plus grande défenfe, ils les préfentent comme un bouclier pour recevoir les coups qu’on leur porte, & les rendent par-là inutiles. Le Zumbador eft un Oifeau noéturne qui ne fe trouve que dans ces Montagnes, & qu’on voit rarement, mais qui fe fait fouvent entendre, tant par fon chant, que par un bourdonnement extraordinaire qu’il caufe dans l'air par la violence de fon vol, & que l'on diftingue à plus de cin- quante toifes de diftance. Ce bourdonnement eft plus fort à mefure 1e Liz 2 ets 564 : MOTAGL AU PEROU eft plus près, & furpañe le bruit que fait une fufée volante en s’élevant ‘dans l'air par la force de la poudre allumée. De tems en tems il pouffe un fiflement affez femblable à celui des autres Oifeaux noëturnes. Pen- dant les clairs de Lune, qui eft le tems où il fe fait le plus entendre, nous nous mettions aux aguets, pour obferver. fa grofleur & la violence de fon vol; & quoiqu'il en pañlàt aflez près de nous, il nous fat toujours impoflible de diftinguer leur figure; nous n’appercevions autre chofe que la route qu'ils tenoient, & qu'ils traçoient dans l'air comme une ligne blanche par l’impreffion de leurs aîles. Cette ligne étoit aifée à-apperce« voir quand on n’étoit pas trop éloigné du lieu où l'Oifeau voloit. Curieux d'examiner un Oifeau fi fingulier, nous chargeâmes quelques Indiens du foin de nous en procurer. Ceux-ci en eurent bientôt. trouvé une nichée, qu'ils nous apporterent. Les petits qui étoient dans le nid commençoient_à peine à avoir.des plumes, & néanmoins ils étoient, gros comme des Perdrix. Les plumes étoient mouchetées de deux couleurs grifes, l’une foncée & l’autre claire, le bec bien proportionné & droit, les narines beaucoup plus grandes que dans les autres Oifeaux, la quéue petite & les ailes affez grandes. Si on en croit les Jndiens, c’eft par l'ouverture des narines qu'il fait le bourdonnement en queftion. Mais quoique. cette ouverture foit confidérable, elle ne me.paroît pas fuffifante pour caufer un fi grand bruit, particuliérement au moment qu’il fifle; car il fait l'un & l’autre en même tems. Je ne voudrois pourtant pas nier qu’ellé n’y contribue beaucoup. Dans les Cannades où vallons que forment ces Montagnes, & qui font remplis de marécages à caufe des eaux qui s’extravafent des fources, on trouve un Oïfeau que les gens du Pays nomment Canelon, nom qui ex- prime aflez bien la nature du chant de cet animal. Il eft femblable à la Ban- durrie, gros comme une Oye, le cou long & épais, la tête afez appro- chante de celle de l'Oye, le bec droit & gros, les pieds & les jambes à proportion du corps, Jes plumes de fes aîles grifes au-deflus & blanches au-deffous. A l'endroit où les deux fe joignent il a deux éperons qui for- text en dehors d'environ un pouce & demi, dont il fe fert pour fe défen- dre. Le mâle & la femelle volent toujours enfemble , fans s'éloigner lun de l'autre foit dans l'air, foit à terre où ils font prefque toujours, ne volant que pour pañler d’un vallon.à l’autre ,. ou pour fuir quand on ies pourfüit. On mange la chair de cet Oifeau, qui.eft méme aflez bonne quand elle eft un peu mortifiée. Ces Oifeaux fe tiennent aufli dans d’au- tres lieux moins froids que les Montagnes, mais ils y font un peu diffé- rens , VOYAGE AU PEROU. Liv. VL Cr. VI 565 rens, ayant fur le front une petite corne calleufe & molle, & les uns & Jes autres ont une crête de plumes, ou petit panache fur la tête. Dans les jardins de ce Pays-là on trouve communément un Oùïfillon fingulier par fa petitefle & le coloris de fes plumes. Le nom fous lequel il eft le plus connu eft celui de Béquefleurs, parce qu'en effet il s'occupe inceffamment à voltiger fur les fleurs, & à en fucer le jus avec tant de lé- gereté qu'il ne les dérange ni ne les gâte. Son nomeft proprement Quinde, & on lui donne encore ceux de Robilargue, & de Lifongere. Toutle volume de fon corps avec les plumes n’eft pas plus gros qu'une petite noix ou noix- muscade , la queue eft trois fois plus longue que le corps, le cou court, la té- te proportionnée au corps, les yeux vifs, le bec eft blanc vers la racine & noir au bout, il eft long & fort mince, fes aîles font longues & déliées; le plumage verd'tacheté de jaune & de bleu prefque par-tout. Cet Oi- feau eft diftingué en-diverfes efpéces, qui different un peu en groffeur & dans la couleur des taches de leur plumage. On croit que c'eft le plus petit de tous les volatiles connus, comme on en peut juger par ce que nous avons dit,. La femelle ne pond que deux œufs petits comme des pois: il fait font nid fur les arbres, &.le fait des plus petites & menues pailles qu'il peut trouver. Dans le refte du Pays où le terroir n’eft ni de Bruyeres n1 de Monta- gnes, on ne voit d’autres animaux que des animaux domeftiques, par où l'on peut juger qu'avant l’arrivée des E/pagnois les efpéces particulieres au Pays étoient en très-petite quantité, puifque la plupart de ceux qu'on y voit y ont été amenés d’Æ/pagne, à l'exception des Llamas ; auxquelles-les Indiens avoient encore donné le nom de Runa, qui en leur Langue ff- gnifie Brebis. Llama eft un nom général qui fignifie animal brute, & au- jourd’hui on entend. par Runa Llama une Brebis des Indes. La Llama eft un animal qui a beaucoup de rapport avec le Chameau ; elle en a la tête, la figure & le poil, mais non pas la bofle: d’ailleurs elle eft plus petite; elle a le pied fourchu; &toutes ne font pas dela même couleur. Il y en a de brunes, beaucoup de blanches ,: d’autres qui font noires, d’autres ti- grées. Elles-marchent comme le Chameau, & leur corps n'eft pas plus haut qu'un Anon d’un an-ou un peu plus: Les Zndiens les employent à porter des charges du poids de quatre-vingts à cent livres. La Jurisdiéton de Riobamba eftla Contrée où l’on‘en voit davantage. Là prefque-tous les Indiens en ont pour leur petit trafic d’un Village à l’autre. Avant la con- quête ces Peuples mangeoient la chair de cet animal, & ils en ufent en- core.ainfi à l'égard de celles qui font trop viailles pour continuer leurs LE 3 {er- :66 VOYAGE AU PEROU. fervices. Il difent que leur chair a le goût de celle du Mouton ordinaire; fi ce n’eft cu’elle eft un peu plus fade. Ces bêtes font extrêmement do- ciles & facles à entretenir. Toute leur défenfe confifte dans leurs nari- nes d'où éles lancent une humeur visqueufe, qui, à ce qu’on aflure, fait venir la gae à ceux qu’elle touche. Dans le: Provinces de Cuzco, la Pas, la Plata, & autres Contrées mé- ridionales du Pérou, on trouve deux autres efpeces d'Animaux affez fem- blables à Llama, favoir la Vicunna où Vicogne & le Guanaco. La Vi- cunna ne differe de la Llama qu’en ce qu’elle eft plus petite, fa laine plus fine & pl déliée, brune par tout le corps a l'exception du ventre qui eft blanchâtre Le Guanaco au-contraire eft plus grand, a le poil plus rude & plus lorg; à cela près toute leur figure eft femblable. Les Guanacos font d’une grande utilité dans les Minieres pour charrier le minerais par des chemuns fi âpres & fi mauvais qu'aucun autre animal n’y fauroit pafler. On trouve dans les maïfons de ce Pays-ci un animal appellé Chucha, & dans les ætres Provinces méridionales du Pérou Muca-Muca , qui eft le nom Jndie. Il a la figure d’un Rat, mais il eft plus gros qu'un gros Chat. Son mufea eft comme le grouïn d’un petit Cochon & fort long, fes pieds & fon dos ont comme ceux d’un Rat. Ileft couvertd’un poil plus long & plus noir. Cet animal a une bourfe qui s'étend depuis le commencement de l'eftomac jufqu’à l’orifice des parties naturelles, & confifte en deux peaux membranufes, qui tiennent aux côtes inférieures, &.fe joignent au mi- lieu du vatre, dont elles fuivent la configuration & qu’elles enveloppent. Cette botrfe a une ouverture au milieu qui occupe environ les deux tiers de fa longueur, & que l’animal ouvre & ferme à fon gré par le moyen des mufcles qe la nature lui a donnés pour cet effet. Après qu'elle a mis bas elle renfeme fes petiis dans cette bourfe , & les porte commeune fecon- de ventrte, jufqu’a ce qu’ils foient grands & qu’elle les veuille fevrer: alors elle âche fés mufcles & met fes petits dehors. Mr. de Fuffieu & Mr. Seniergue: firent pendant qu’ils étoient à Quito une expérience à ce fujet à laquelle nous afliftâmes Don George Fuan & moi. Il y avoit déjà trois jours que la mere étoit morte, & dans une telle corruption qu’elle puoit extrêmenent ; néanmoins l’orifice de la bourfe étoit encore ferré fuffi- famment, & les petits s’y maintenoient encore tout vivans; chacun d’eux tenoit ure mamelle dans fa gueule, & il fortit de ces mamelles quel- ques goîtes de lait lorfqu’on en arracha les petits. Je n’ai jamais vu le male, mais j'ai ouï dire dans le Pays qu’il eft de la même grandeur & de la même figure que la femelle, à la bourfe près qu'il n'a point; &qu’il a VOYAGE AU‘PEROU. Liv, VI CH IX. 367 a deux tefticules gros comme des œufs de Poule, ce qui cft monftrueux à roportion du-corps de cet animal. Âu-refle la Chucha où Muca-Muca, mâle & femelle, eft ennemi mortel de la Volaille & de tout Oifeau do- meftique. Non feulement ï! wit dans les maifons, mais auffi aux champs, où il fait un grand dégat dans les Maïz. Les Zrdiens mangent ces'ani- maux autant qu'ils en peuvent attraper, & difent que fa chair n’eft pas mauvaife; mais les fentimens de cette Nation en fait de goût, font tou- jours fort fufpeéts, & fujets à caution. LD SOIR LINISRS DEAR SEMI TR) DIN IE INDEX TITLE ESRI ILES PATENT EI GMA: PONT Rs dl Phénomènes finguliers fur les Paramos €S dans le refte de la Province. Ma- niere de courre le Chevreuil, ES adrefje des Chevaux de ce Pays. U commencement les Phénoménes dont nous fûmes témoins fur ces Paramos nous cauferent un étonnement infini, mais à force d’en voir nous nous y accoutumâmes. Le premier que nous vîmes ce fut fur Pambamarca, la premiere fois que nous montâmes fur cette Montagne. Il confiftoit en un Arc-en-ciel entier & triple, formé de la maniere fuivante. Ce fut un matin au point du jour que toute cette Montagne fe trou- vant enveloppée de nuages épais, qui diflipés par les premiers rayons du Soleil, ne laifferent que de légeres vapeurs que la vue ne pouvoit difcer- ner: nous apperçûmes, du côté oppofé à celui d’où le Soleil fe levoit, & à environ dix toifes de diftance de l'endroit où nous étions, comme un miroir où la figure de chacun de nous étoit repréfentée, & dont l’extrémi- té fupérieure étoit environnée de trois Arcs-en-ciel, ayant tous les trois un même centre, & les dernieres couleurs ou les couleurs extérieures de Jun touchoient aux couleurs intérieures du fuivant , & hors de ces Arcs- en-Ciel on .voyoit à quelque diflance un quatriéme Arc de couleur blan- châtre. Tous les quatre étoient perpendiculaires à l'horizon; quand un de nous alloit d’un côté à lautré, le Phénoméne le fuivoit entierement fans fe déranger & dans la même difpofition. Ce qu'il y avoit de plus admirable, c'eft que nous trouvant-là fix ou fept perfonnes enfemble, chacun voyoit le Phénoméne en foi & ne l’appercevoit pas dans les au- tres. La grandeur du diamétre de ces Arcs varioit fucceffivement à-me- fure que le Soleil s’élevoit davantage fur j’horizon , en même tems les cou- leurs difparoifloient, & l'image de chaque corps devenant peu à peu im- PET: 33 VOYAGE AU PER O:U. perceptible, le Phénoméne s’évanouïfloit entierement. Le diamétre de PArc intérieur , pris à fa derniere couleur, étoit d’abord de 5: des. ou environ, & celui de l'Arc blanc extérieur féparé des autres, étoit de 6- degrés. Quand le Phénoméne commençoit les Ârcs paroifloient de figu- re ovale ou elliptique comme le difque du Soleil, mais enfuite ils deve- noient peu à peu parfaitement circulaires. Chaque petit Arc étoit rouge où incarnat ,. mais cette couleur fe pañloit & la couleur d'orange fuccé- doit, & à celle-ci le jaune, enfuite le jonquille, & enfin le verd; la couleur extérieure de tous reftoit rouge. T'out cela fe pourra mieux com- prendre par l’eftampe ci-jointe. En diverfes occafions nous remarquâmes dans ces Montagnes les Arcs que formox la clarté de la Tune. J'en-vis un bien fingulier le 4 d’ Avril 1738, dans la Plaine de Turubamba fur les 8 heures du foir; mais le plus extraordinaire de tous fut obfervé par Don George Fuan fur la Montagne : de Quinoa- Loma le 22 de Maï 1739 à 8 heures du foir. Ces Arcs ne font compefés d'autre couleur que du blanc, & fe forment en s'appuyant à la croupe de quelque Montagne. , Celui que nous vîmes étoit compofé de trois Arcs réunis dans un même point. Le diamétre de celui du milieu étoit de 60 degrés, & l'épaifleur de la couleur blanche occupoit un efpa- ce de 5 degrés. Les deux autres Arcs étoient femblables à celui-là. L'air de cette athmofphere & les exhalaifons de ce terroir paroiflent plus propres qu’en aucun autre lieu à allumer les vapeurs qui s’y élévent. C’eft pourquoi l’on y voit plus fouvent ces Phénoménes, qui quelquefois font très-grands, & durent davantage qu'ailleurs. Unde ces feux, fin- gulier par fa grandeur, parut à Quito dans la nuit, pendant que nous étions dans cette Ville. Je n’en faurois bien fixer la date, parce que les Papiers où elle était marquée fe perdirent quand je fus pris par les ÆAnglois; mais voici ce qui m'en eft refté dans l’idée, autant que ma memoire peut me le rappeller. Sur les 9 heures du foir il s’éleva du côté du Mont Pichincha, à ce qu’il fembloit, un Globe de feu enflammé & fi grand qu'il éclaira toute la partie de la Ville qui eft de ce côté-la. Les fenêtres de la maifon où je logeois donnoient précifément vers cette Montagne, & quoiqu'elles fuffent fermées à contrevents, la lumiere fut aflez forte pour pénétrer à- travers les fentes, & me faire remarquer une clarté extraordinaire. Cela joint au tintamarre que les gens faifoient dans la rue, me fit promtement ouvrir mes fenêtres, & je vins aflez à tems pour voi ce Phénoméne, au milieu de Cotopart négee comme il parut lorsqu elle creva ens 743 Z4 ( | | " ù =] jura ne MS RRQ \ RNA RNA ASS ANRT SNS N NN NN Sntes CES) Mr = ue = NW DS tn ge le. 7. ; : NS LAS À \N LAN LU Ne 1111 LES FL (lit HA POI Se, LME Cétopaxt. ste folcher aus cher, als er LA im Jahre 1743 Balete Fi > Lufher/cheinung von drey Regenboger, die zum nmale in Parnb ë tte Gebrr. pra 5 ÿ De a NS LÉ terne) ven ht à resfè A den or Bee) ch elher ta Le. Akon Pidiese Lo eur-e ” vee ARLON DORE PRE ge 5 vOYAGE AU PEROU. Liv. VI CH IX. 369 milieu .de fa courfe, qui étoit de l'Occident: au Sud, jufqu'a ce qué je le perdis de vue, m'ayant été intercepté par le Panccill, qui eft de ce côté-là. Ce feu étoit de figure ronde, & 1l me parut avoir environ un pied-de dia- métre. J'ai dit qu'il fembloit venir de la croupe du Pinchincha: j'en ju- geai ainfi par la route qu’il tenoit, & il me parut qu'il s’étoit formé der- riere cette Montagne. Après qu'il eut fait la moitié de fa courfe vifible, il commença à perdre confidérablement de fon éclat, & ne répandit plus que fort peu de lumiere. Refte à parler, pour terminer.ce Chapitre, de la maniere dont on court les Chevreuils en ce Pays; c’eft le pius grand plaifir que l’on ait à la Cam- pagne, &un exercice pour lequel on eft fort paflionné. Il eft remarqua- ble par la hardiefle & l’intrépidité qu'on y fait paroître, & qu’on pourroit nommer témérité, fi on ne voyoit des hommes fages s'en mêler auf, après en avoir effayé une fois, fe confiant à la bonté de leurs chevaux, ce qui fait qu'on ne le regarde que comme une occafion de faire briller fon_adrefle & comme un fimple divertiflement. A cet égard on peut di- re que les Chevaux & les Cavaliers d'Europe les plus fameux ne font rien en comparaifon de ceux de ce Pays, & que la légereté la plus vantée de ceux-là n’eft que lenteur au prix de la vitefle avec laquelle ceux-ci cou- rent au-travers des Roches & des Montagnes. Cette courfe fe fait entre plufieurs perfonnes à la fois divifées en deux clafes, l’une de gens à cheval, l’autre d'Zndiens à pied. : Ces derniers font deftinés à faire lever la bête, & les autres à courre. Les uns & les autres fe rendent à la pointe du jour au lieu dont on eft convenu, & pour l’ordinaire au haut des Paramos où Montagnes. Chacun méne un levrier en lefle. Les Cavaliers fe poftent fur les plus hautes roches, tandis que les Piétons battent le fond des coulées, faifant tout le bruit qu'ils peuvent pour faire partir les Chevreuils. On embrafle de cette maniere un efpa- ce de trois à quatre lieues, fi l’on a aflez de monde pour cela. Dés-que la bête part le cheval le plus proche s’en apperçoit auffitôt par le bruit qu’elle fait, & part après elle fans que le Cavalier puifle ni le retenir, ni le gouverner quelque effort qu’il fafle. Il court par des defcentes fi es- carpées, qu’un homme à pied n’y pourroit pafler qu'avec beaucoup de pré- caution, & de rifque. Une perfonne qui pour la premiere fois verroit un de ces chevaux porter fon Cavalier à-travers ces précipices, ne pourroit s'empêcher de juger qu’il vaudroit mieux fe laifler cheoir de la felle & couler en-bas de la defcente, que de confier fa vie au caprice d’un ani- Tome I. À 472 mat 570 VOMPACGEL AU PER O U. al qui ne connoît nifrein, ni péril qui l'arrête. Cependant le Cavalier eft emporté jusqu’à ce que le Chrevreuil foit pris ou que le cheval fatigué de l'exercice commence à s’affoiblir & à céder la viétoire à la bête qui fuit, après l'avoir pourfuivie l'efpace de quatre à cinq lieues. Ceux qui {ont dans les autres poftes voyant courre celui-ci fe mettent en mouve- ment, & fe débandent fucceflivement après le Chevreuil , les uns tâchant de lui couper chemin, les autres à le prendre de front , le pourfuivant de maniere qu’il eft rare qu'il puifle échapper. Ces chevaux n'ont pas befoir pour courre que les Cavaliers les animent, ni qu’ils les mettent en train en fecouant la bride; il leur fuffit pour s’élancer de voir le mouve- ment de celui qui eft fur la Montagne voifine, d'entendre les cris des Chafleurs & le japement des chiens; ou feulement d'appercevoir le mou- vement d’un des levriers qu'on méne en lefle, au moment que celui-ci par fon odorat découvre Ja bête. Le meilleur parti qu’on puifle prendre alors, c’eft de le laïfer courre & de l’animer de l’éperon, afin qu’il fran- chifle mieux ces précipices: mais en même tems il faut être bien ferme fur l'arçon, fans quoi dans des defcentes fi perpendiculaires la plus lé- gere inattention fuffit pour faire fauter le Cavalier par deflus la tête du cheval, & alors la comédie fe change en tragédie; car il eft fûr qu'il en coute la vie à celui à qui ce-malheur arrive, foit par le coup qu’il fe donne én tombant, foit parce que le cheval qui pourfuit fa courfe l’écrafe fous fes pieds. On donne le nom de Parameros à ces chevaux, parce qu'a peine ils font, pour ainfi dire, nés, qu’on les exerce à courre dans les Pa- ramos, où Montagnes efcarpées. Ils font tous troteurs ou traquenards ; mais il y en a d’autres qu'on appelle Aguilillas, qui ne font ni moins fer- mes, ni moins agiles. Ces Æguilillas ne vont que le pas tout fimple, mais un pas fi vif qu'il égale le plus grand trot des autres, & même 1 y en a plufieurs qui font fi agiles qu'il n’y a point de cheval qui puifle les pafler ni les atteindre. J'en avois un de cette race, qui fans être des plus vites me portoit en 29 minutes du Callao à Lima, ce qui fait deux grandes lieues & demie mefurées Géométriquement, & d’un chemin pierreux & mauvais ; & en 28 ou 29 autres minutes me reportoit au Cullao fans dé- brider: c’eft une expérience que j'ai faite plufieurs fois. Ordinairement ces chevaux ne favent ni troter ni galoper, & ne peuvent l'apprendre quelque foin qu'on prenne pour le leur enfeigner, & il eft au-contraire fort aifé d’accoutumer au pas les ‘Troteurs. Le pas des Æouilillas con- Gifte à lever en même tems le:pied de devant & celui de derriere du mé- me VOYAGE’ AU REROT.: Li. VE: Cr. XY 51 me côté; & au-lieu de porter, comme les autres chevaux qui vont le pas, le pied de derriere dans l’endroit où ils ont eu le pied de devant, ils le portent plus avant & vis-à-vis du pied de devant du côté oppofé, ou même plus loin. Par-là leur mouvement eft double de celui d’un cheval ordinaire, & d’ailleurs beaucoup plus doux pour le Cavalier. Ce que ces Chevaux font naturellement, s’enfeigne à d’autres chevaux qui ne font pas dé cette race; pour cet effet il y a des gens exprès, des efpéces d’Ecuyers, chargés du foin de les drefler. Dés-qu’ils l’ont une fois appris ils vont aufli bien que ceux aux quels cette allure eft naturelle, Les uns & les autres ne font pas beaux; mais ils font pour ordinaire fort doux & fort dociles pour le manége, & en même tems pleins de courage. CR SOATNI SOINS INT INNININNSESNTN NIET LIRE TR TER IATOKININIC EDITOR POUR A LSR RE DURE 2 Courtes Remarques fur les Minieres d'Argent € d'Or dont la Province de Quite abonde. Maniere d'extraire le Métal de quelques Mines d'Or. hacun fait qu’une des plus grandes richeffes des Provinces & Royau- y més du Pérou, & même de toutes les Indes Occidentales, ce font les précieux Métaux, qui en une infinité de ramifications pénétrent toute l'étendue de ces Contrées. Ce n’eft pas la fertilité du terroir, l'abondance des moiflons & des récoltes, la quantité de pâturages qui font qu'on eftime quelqu'un de ces Pays, c’eft le nombre des Mines qu’il renferme dans fes entraillés, c’éft-là-deflus qu’on mefure le plus où le moins d'atten- tion qu’on y donne. Les autres bienfaits de la Nature, qui font réellement les plus excellens, n’entrent point en confidération, fi les veines de la terre ne produifent d’abondantes portions de fin argent. Telle eft la bi- zarrerie de l’efprit-humain : une Province eft appellée riche quand on en tire beaucoup d’or ou d'argent, quoique réellement elle foit pauvre, puisqu'elle ne produit pas de quoi nourrir ceux qui font employés aux travaux des Mines, & qu’il faut faire venir d’ailleurs les vivres dont elle a befoin; & on appelle pauvres, celles qui ne le font qu’en apparence, & quipro- duifent beaucoup de bétail, des fruits en abondance, dont le climat eft doux, où l'on trouve toutes les commodités de la vie, mais où il n’y à point de Mines,& où , s’il y en a, elles font négligées & abandonnées. Il feroit inutile de s'arrêter davantage fur ce fujet, puisque la chofe parle d’elle même. Ces Aaa 2 Pays 372 VWOYAGE AU PEROU. - Pays font comme des lieux d'entrepôt, l'or & l'argent qui fort de fon fein, n’en fort que pour être envoyé ailleurs: à peine a-t-il refté là un peu de tems, qu'on fe hâte de l'emporter dans des Pays lointains; le Pays qui le produit eft celui où 1l fait le moins de féjour. C’eft une preffe oénérale dans toutes les Jndes : iln’y a ni Ville, ni Village, ni Frovince qui ne paye le tribut de fes richefles à l Europe, parce que ne pouvant fe pafler des marchandifes que l’on fabrique dans cette partie du Monde s'il faut y envoyer l'or & l'argent que l'Amérique produit pour avoir ces mé- mes marchandifes: Dans une Province où l’on n'exploite aucune Mine, on ne remarque point la fertilité du terroir, quelque grande qu'elle foit; parce que la ra- reté de l'argent eft caufe que les denrées y font à fi bas prix, que le La- boureur n'étant point antmé par l'efpoir d’un honnête falaire, cefle d’ex- femencer autant de: terre qu'il.le pourroit, & fe contente de ce qui eft néceffaire pour la confommation ordinaire, & pour fon entretien. ‘Tout ce qu'on donne en échange de ces denrées, quand le bonheur veut qu’on en livre hors du Pays, confifte en marchandifes d’Europe, la rareté dé lar- gent fubfifte toujours, & le Laboureur eft toujours pauvre n'ayant fou- vent pas’ de quoi fe procurer le néceflare. Il n’en eft pas de-même dans les autres Provinces qui abondent en Mines, qui font l’objet de l'attention des habitans: à mefure qu’on en emporte les richefles , 1l en fort de nou- velles du fein de la terre, & à mefure qu’on.les en retire fucceflivement, on ne manque ni de marchandifes d'Europe, ni de denrées, quoique l’ari- dité du terroir. & la rigueur du climat ne permettent pas qu’on y en re- cueille,. On y accourt de toutes parts pour partager les richefles des Mi. pes, & pour.troquer contre de l’or ou de l’argent tout ce qu'on peut fou- haiter, Où du-moins. tout ce qui eft néceffaire pour des befoins de la vie. Il n’eft pas douteux qu’une Province qui réuniroit l'avantage des Mines avec la fertilité du terroir, ne fût plus floriflante que celles où l’un de ces deux avantages manque. La Province de Quito peut être mife dans la premiere claffe, étant la plus fertile, la plus peuplée d’Zndiens & d'E/pa- gnols, la plus abondante en Troupeaux, la mieux pourvue de Fabriques, & finon la plus riche du. Pérou en Mines, du moins aufli avantagée à cet é- gard qu'aucune de celles où la Nature a prodigué cette forte de bienfaits. Mais il femble que le Deftin ait réfolu d'empêcher qu'aucune ne foit par- faitement heureufe, en refufant à celle-là le concours des Nations qui autoient pu profiter de tous les biens dont la Nature l’a dotée: car 1 n'eft pas VOYAGE"AU REROU. Liv. VE Cn. X. 379 pas aifé de trouver une autre raïfon qui puiffe juflifier les habitans de cet- te Province de leur négligence à fouiller dans les Mines. Quoiqu'on en ait découvert un grand nombre , & qu'on ait tout lieu de croire que ces Cordilleres en contiennent encore une infinité d’autres, il y en a très-peu qui foient exploitées, furtout dans l'étendue des Corrégimens: aïnfi les richefles du Pays reftant comme enterrées , la fertilité du terroir ne füuffit pas pour rendre la Province auffi brillante que les autres du Pérou où l'ar- gent circule, au moyen de quoi chacun vit à l'aife & dans le luxe. Anciennement on.exploitoit dans la Province de Quito des Mines qui font aujourd'hui abandonnées. Alors les habitans connoïffloient mieux leurs intérêts, mais préfentement il ne leur refte plus que le fouvenir de leur opulence paflée. Dans ce tems-la la Capitale & les autres Villes é- toient plus peuplées qu'a cette heure, & les richefles de quelques-uns de leurs habitans étoient fameufes dans tout le Pérou. Les riches Minieres de la Jurisdiction de Macas furent perdues par le foulévement des Jndiens , & on n’a fait aucun’effort pour les recouvrer, deforte que par le laps des tems on a perdu même le fouvenir des lieux précis où elles étoient. Les Mines de Zaruma font tout-à-fait tombées, parce qu'on y a oublié l’art de bénéficier le minerais, & qu’on n'a pas l’application néceflaire pour y réuffir. La même décadence s’eft fait fentir dans toutes les autres Mines de la Province, qui fans rien perdre de fa: fertilité naturelle à fon terroir, & qui eft un effet du climat dont elle jouit, eft fi déchue à l'égard de fon ancienne magnificence , qu’elle n’eft pas même l’ombre de ce qu'elle a été autrefois. À mefure qu’on y envoye de Lima.& des Vallées de l'argent pour fes étoffes & fes denrées, elle eft obligée de s’en priver pour avoir des marchandifes d'Europe ; & c’eft pour cela qu’on n'y voit point, com- me je l'ai remarqué ailleurs, l'or & l’argent que l'on voit ordinairement dans les autres Provinces méridionales. Le Gouvernement de Popayan jouit encore aujourd’hut de toutes les ri- cheffes auparavant générales dans toute la Province de Quito. Ce Gou- vernement eft rempli de Minieres d’or, & le nombre de celles qu'on y ex- ploite eft très-confidérable : mais afin que la curiofité du Le éteur n’aitrien'à défirer à cet égard, je parlerai des plus remarquables , & de la maniere d'y bénéficier l'or, laquelle eft différente de ce qui fe pratique dans les Mines de Caxa, & j'ajoûterai quelques particularités touchant les autres Mines connues dans l'étendue de cette Province. Tout le Pays compris dans le Gouvernement de Popayan abonde ‘en Aaa 3 Mi- 54 | NOYAGE AU PEROU. Mines d'or, deforte qu’il n’y a point de Bailliage où l'on ne tire de ce précieux métal plus où moins, & chaque jour on y découvre & exploite quelque nouvelle Mine, ce qui rend lé Pays peuplé, nonobftant l’incom- modité du climat en quelques endroits. Les Partidos où Bäilliages de Cali, Buga, Almaguer & Barbacoas ,font de tous ceux de la Province de Quito les plus abondans en or, & on ne ceffe d’y exploiter les Mines; & ce qu'il ya de particulier, c’eftque l'or n’y eft mêlé avec aucun corps étran- ser, ce qui en rend l'exploitation plus fimple & plus facile, puifqu'on n’a pas befoin d'y employer le mercure. Aufli eft-il appellé or en fortant du lavoir réduit en poudre. On appelle Mines de Caxa celles où le minerais eft renfermé entre des pierres, comme entre des murailles naturelles. Les Mines du Pays de Popayan ne font pas de cette efpéce. Le minerais y eft mélé & répandu dans la terre, & le gravier de la même maniere que le fable fe trouve mêlé avéc diverfes fortes de terre. Toute la difficulté confifte donc à féparer les grains d’or de la terre parmi laquelle ils font; ce qui fe fait facilement par le moyen des rigoles, fans lefquelles 1l ne feroit pas poitible d’en ve- nir à bout. Cette précaution eft aufli néceflaire dans les Mines de Cuxe que dans celles dont ileft ici queftion: la raifonen eft que quand on a tiré le minerais, foit or ou argent, avec les corps étrangers auxquels il eft uni, & qu'on y a appliqué le mercure, il faut le mettre au lavoir pour féparer encore l’écume & autres ordures ,après quoi le minerais refte pur & compofé de mercure d'or ou d'argent felon l’efpéce de métal qu’on a tiré. La maniere d'extraire l'or dans toute la Jurisdiétion de Popayan con- fifte à creufer la terre de la Miniere & à la charrier dans un grand réfer- voir ,qu’ils appellent Cocha ,deftiné à cet effet jufqu'àa ce qu’il y en ait une quantité proportionnée à fa capacité, enfuite on ÿ fait entrer l'éau par un conduit jufqu'a ce que le refervoir foit plein. Alors ils rémuent la terre déjà changée en boué, & par ce moyen les partiesles plus legeres fortent par un autre Conduit par où l'on fait écouler l’eau. Ils continuent cetexercice jüf- qu'a ce qu’il ne refte plus au fond que les parties les plus pefantes , le fable, le gravier & l'or. Cela fait ils entrent dans la Cocha avec dés baquets de bois faits exprès où ils mettent ces matieres enfemible, & les remuent circulairement par un mouvement promt & uniforme; & changean: l’eau ils feparent le plus léger du plus pefant , & enfinilne refte plus que l’or au fond des baquets, & un or purgé de tous les corps étrangers avec lefquels il évoit melé. Pour l'ordinaire il fe trouve en poudre, mêlé quelquefois de Pe- VOYAGE: AU'PEROU Liv. VL Ch X.' s57s Pepites ou grains plus où moins gros, mais ordinairement petits. L'eau de la Cocha s'arrête dans un autre réfervoir pratiqué un peu au-deflous du premier, & où. l'on fait la même chofe qu’au précédent, afin de fé- parer le plus fubtil de l'or qui peut avoir été emporté par le mouvement de l’eau dans ce fecond baïin. Enfin il y a une troifiéme Cocha, où l'on fait encore la même leflive, & dont on ramafle encore quelque peu de poudre d’or. Ce travail fe fait dans toutes les Mimieres de la Jurisdiétion de Popayan par des Efclaves Négres ,que chaque Proprietaire des Mines tient pour cet effet. Une partie de ces Efclaves eft employée aux lavoirs, pendant que l’autre remue la terre des Mimieres ; de cette maniere les lavoirs vont continuellement. L’aloi de cet or eft pour l’ordinaire de 22 carats, quel- quefois il va au-delà & jusqu’à 23 carats, & quelquefois au - contraire il eft au-deflous de 22, mais très-rarement moins de 21. Dans le Bailhage de Choco, outre beaucoup de Mines de lavoir, comme celles dont nous ve- nons de parler, il y en a auffi quelques-unes où le nunerais fe trouve en- veloppé dans d’autres matieres métalliques, des pierres & des fucs bitumi- neux, deforte qu'on eft obligé d’y employer le mercure. Quelquefois il s’y trouve des Minieres où la Platine eft caufe guian eftobligé de les aban- donner. On appel e Platine, une pierre fi dure qu’on ne peut la brifer fur une enclume d'acier, ni la réduire par la caicination, ni‘par conféquent en extraire le minerais qu’elle enferre, qu'avec un travail infini & beaucoup de fraix. Parmi ces Mines il s’en trouve quelques-unes où l’or eft mêlé avec un tombac aufli fin que celui d'Orient, & avec la proprieté finguiie- re de ne jamais engendrer le verdet, comme cela arrive au cuivre ordinai- re & de refifter aux acides. La plus grande partie de l'or que l'on tire des lavoirs dans la Provin- ce de Quito, circule dans le Pays, mais peu de tems, parce que bientôt 1l prend la route de Lima; c’eft neanmoins par cette circulation momen- tanée que cette Province fe foûtient, & c’eft même ce qui l'empêche de choir entierement. L'autre partie de cet or pañle à Santa-Fé où à Cartha- géne, & rarement à Quito. Dans le Baïlliage de Zzruma, qui eft du Corrégiment de Loxa, il y a plu- fieurs Mines d’or exploitées, & quoique l'or en foit de bas aloi, puis- qu'il n'eft qu'a 18 & quelquefois à 16 carats, il eft néanmoins fi abon- dant, qu'affiné à 20 carats il apporte plus de profit aux Proprietaires'que les autres Mines où l'or eft naturellement de cet aloi, mais moins abon- dant 3-6 VOYAGE AU PEROU. : dant. Autrefois on trouvoit beaucoup de veines d'or dans ce Bailliage, mais les hibitans font tombés dans une fi grande négligence à cet égard, qu'ils n'en exploitent plus guere. Toutes les Minieres de ce Diftriét font de Caxa, & l'on applique le mercure au minerais. Dans le Gouverne- ment de Jaën dé Bracamoros 11 ÿ a des Mines d’or de la même efpéce, d’où l'on tiroit une quantité confiderable de ce précieux Metal, il ya 8o à 100 ans; mais depuis que les Zndiens de cette Contrée, à l’imitation de ceux de Macas, fe font foulevés, on a entiérement oublié ces Mines, & ja- mais on n’a pris la peine de les rechercher depuis. L'or qu’on en tiroit, quoique d’un aloi inférieur à celui de la Jurisdiétion de -Popayan, far- pañloit de beaucoup celui de Zaruma. Les Indiens en tirent encore quel- que petite quantité, quand la nécefité de payer les tributs les oblige à a. voir recours à ce moyen: alors ilss’acheminent vers quelque Ruïfleau ou Ri- viere, & attendent que l’eau fe déborde, & quand elle s’eft retirée ils ra- maflent le fable, le lavent dans le Ruiffeau ou la Riviere, & en feparent l'or, obfervant de n’en tirer que bien précifément ce qu'il leur en faut, & finiflant-là leur corvée. Dans la Jurisdiétion du Bourg de Latacunga, près du Village d’Angamarca, il y avoit autrefois une Mine dont le Pro- prietaire étoit un habitant de ce Village, nommé Sanabria. On tiroit une fi grande abondance d’or, que pour ne pas perdre de tems il y faifoit travailler Ja nuit par des Negres, & le jour par des Indiens: malheureufe- ment cette Mine s’abîima par l'effet d'un orage terrible ; -& il ne fut pas poffible depuis de decouvrir la veine, jufqu’à ce qu’enfin un hemme plus heureux que ceux qui avoient fait jufques-là des efforts inutiles, la décou- vrit enpartie en 1743, par un accident femblable à celui qui l'avoit fait perdre; car ce fut par un orage, & une chute épouvantable d’eau, que cette Mine fut rouverte, & cet heureux fuccès a engagé cet homme à Continuer fon travail. Il paroît à diverfes marques qu'il y:a encore bien d’autres Mines dans la vaîte Province de Quito, qui ont été exploitées en divers tems, & dont on a tiré une bonne quantité de métal; & quoique la nature ou difpofition du Pays paroiffe plus propre aux Mines d’or, il y a neanmoins aflez de veines d'argent, qui ont toutes les marques de richeffe & d’abondance, comme 1l paroïît par les Régîtres des Caïffes Royales & de l’Audience de Quito ; particulierement quelques-unes qui ont .été exploitées dans ces derniers tems, quoiqu'avec peu de progrès. De ce nombre on peut compter la: Mine appellée Guayaca dans la Jurisdiétion de Zücchos, fron: tIC- VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Cm K iere de Latarunga, & une autre Mine d'argent qui n'eft qu’a environ deux lieues de celle-là. On a travaillé à l’une & à l’autre, mais jamais au- delà de leur fuperficie, parce que les Entrepreneurs manquoient de fond fuffifant pour cela. La plus fameufe de toutes les Mines d'argent qu'il y a dans ce Bailliage, eft celle de Sarapullo à 18 lieues du Village de Zäcchos, que l'on avoit commencé; à faire valoir, mais dont l'exploitation a été fufpendue, faute de fond de la part de l'Entrepreneur. On ne trouve pas moins d’indices de riches Mines dans les autres Cor- regimens que dans celui de Latacunga, quoiqu'on n’y en ait point decou- vert un fi grand nombre que dans ce dernier Corregiment. Dans la Ju- risdiétion du Corrégiment de Quito la Montagne de Pichincha a encore la réputation de renfermer de grandes richefles, & quelques grains qu'on trouve dans les fables des Ruifleaux qui y ont leur fource, autorifent aflez cette opinion, quoiqu'on n’y trouve aucun veflige qui denote qu'il y a eu des Mines formelles, ni qu’on en ait decouvert ni exploité aucune. A-la-verité cela ne prouve rien, puifque les orages & le laps des tems fuffifent pour défigurer tellement ces fortes de chofes qu’il n’en refte plus aucun indice. Quoi qu'il en foit, ce n’eft que par ie travail & l'application qu’on peut parvenir à découvrir ces richelles. Au furplus on trouve les mêmes indices de riches Mines dans toute cette Cordillere dont le Pichin- cha fait partie, &encore dans la Cordillere Orientale de Guamani & autres endroits & coulées de cette Jurisdiétion. | En examinant les Bailliages d'Otabalo & de St. Michel de Tbarra, on trouve dans le diftriét du Village de Cayambe entre les côtes de la haute Mon- tagne de Cayambure qu’il y a eu des minieres fort riches, dont on con- ferve encore le fouvenir, & les veftiges, comme ayant été exploitées du tems de la Gentilité avec un fuccès infini. Plufieurs Montagnes aux environs du Village de Mira ont la même réputation, entre autres celle qu’on nomme Pachon, qui outre le préjugé général a encore l'exemple d'un habitant du même Village, qui, il n’y a pas long-tems, en a tiré de grandes richefles. Aucune de ces Mines n'eft exploitée, Ce qui ne paroîtra pas étrange , fi l’on confidere combien on néglige les Mines déjà découvertes & connues depuis long-tems. Tout le Pays de Pallatanga dans la Jurisdiétion de Riobamba eft rem- pli de Minieres d’or & d’argent. Le nombre en eft fi grand, qu’une feu- Je perfonne de celles que j'ai connues dans cette Ville, & qui fe diftin- gua le plus par les politefles qu’elle fit à nous & aux Académiciens Fran- Tome LI. Bbb Lois » 378 VOFAGE AU PEROU çois, avoit fait enrégîtrer pour fon compte dans les Caiffes Royales *de Oui: to, 18, veines d'argent & d’or toutes riches & de bon aloi. J'ai moi: même entre les mains un Certificat original, par lequel l'Effayeur-Géné- ral Don Suan Antonio de la Mota y Torres certifie en date du 27 Décembre 1728, que les minerais d’une de ces veines, effayés à Lima pourle comp- te de la même perfonne, & de l’efpéce de ceux que les Mineurs appel. lent Negrillos, rendoient 80 marcs d’argent par caiflon, ce qui eft une chofe étonnante; puifque pour l'ordinaire on tient pour fort riches les Mi- nes qui rendent huit à dix marcs d'argent par caïflon, le caiflfon conte- nant cinquante quintaux de minerais ; c’eft du-moins ce quife voit dans les Mines du Potofi & de Lipes, qui malgré les fraix du charroi du minerais de la Mine à d’autres endroits plus commodes oùil fe bénéficie , enrichiffent encore les Entrepreneurs. En revanche il y a des Mines où le caiffon de minerais ne rapporte pas cinq à fix marcs d'argent, & baifle même quelquefois jufqu’àa trois. On peut néanmoins les exploiter, parce que c’eft dans des Pays commodes où les vivres font à grand marché & en 2- bondance, & où il y a beaucoup de gens pour les faire valoir, moyennant un modique falaire. Par une tradition venue des anciens Zndiens, on croit que les Monta- gnes de la Jurisdiétion de Cuenca font autant de Minieres d’or & d’ar- gent, mais on n’en a pas d’autres preuves; toutefois il y a des endroits où il y a des Mines découvertes qu'on exploitoit 1l n’y a pas long-tems, quoiqu’avec moins de foin qu’il n’en faloit pour en retirer tout le profit que lon pouvoit. If y en avoit une dans le Bailliage d’Ælaufi à environ fix lieues d’une Hacienda appellée Su/na ; le Maître de'cette Hacienda en faifoit tirer le minerais, qui lui rapportoit beaucoup; mais comme ilman- quoit de fonds pour continuer ce travail fans que fa plantation enfouf fit, il ne put jamais en tirer une quantité d’argent proportionnée à ce que la Mine promettoit. Tout ce Pays eft fi rempli de Mines, que fi les habitans vouloient s’adonner à ce travail, il ne le céderoit point à cet é- gard à aucun autre, pas même aux Provinces méridionales du Pérou qui font devenues fi célébres; mais ils font d’une nonchalance, dont on ne peut attribuer la caufe qu’à l'abondance des denrées, & au peu qu'il en coute pour fe nourrir dans ce Pays-là; car les habitans pouvant à peu de fraix vivre à ieuraife , nefefoucient guere de fouiller dans les entrailles de la terre * Bureau des Finances. VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Ch X. 359 terre pour y trouver de or. De-là vient auffi que n’y ayant pas dans les Villes des gens qui ayent dé: grands fonds, il ne fe trouve point d’habi- tant qui foit en état de faire les avances qu’il faut pour ces fortes d’en- tréprifés, qui demandent de grandes dépenfes. Ajoûtez à cela le préju- sé, ou plutôt la crainte des difficultés, qui fait que quand un homme té- moigne avoir deffein de fouiller dans quelque Mine, les autres le regardent éomme un éxtravagant qui court à fa perte, & qui rifque une ruine cer- taine pour des efpéräncés éloignées &' très-douteufes. Ils tâchént de le détoufner de fon déflein, & s’il n’y peuvent réuffir, ils le fuyent én l’évi- tant, comme s'ils craignoient qu'il ne leur communiquât fon mal. Il ne doit donc pas paroître étrange que cés Mines, quoique riches felon toutes les apparences, foient négligées, chacun ayant une averfion pour ces en- tréprifes qu'on n’a pas dans LE Pérou, où les Entrepreneurs font gens de poids, des premieres maifôns du Pays, & puiflamment riches, fans comp- ter un grand nombre d’autres moins éonfidérables qui s’intéreffent felon leurs facultés dans l'exploitation des Mines. Les Gouvernemens de Quijos & de Macas foïfonnent de Minieres, & celui de Faen en a d'une grande valeur , de-même que ceux de Mafnas & d'Atacames. À l'égard du premier, il eft certain que les Indiens du Ma- jannon tiroient de l’or du fable de quelques Rivieres qui déchargent leurs éaux dans ce Fleuve; & comme il faut afligner une fource à cet or, il eft naturel de la fuppofer dans les Mines de ce Pays. Quant au fecond on ne doute point que les rives des Rivieres de Santiago & de Mira ne foient remplies de véinés d’or, comme l’expérience le prouve, puisque les Métifs & les Mulâtres trouvent fouvent des parties de ce métal dans le fable; mais perfonne ne s’étant appliqué à la recherche de ces Mines, on ne fe met point en devoir de les exploiter. Outre ces Mines d’or & d’argent la Province de Quito en a d’autres métaux, ainfi que des Carriéres de pierres en abondance. Il femble que la Nature ne lui ait rien refufé de ce qui eft néceflaire aux commodités de la vie, & à l’opuience; puisqu’en y répandant l'or & l'argent, elle y a placé les autres métaux qui font néceflaires pour féparer ceux-ci de leur Mine. On y trouve des Mines de mercuré dans la partie méridionale, dans le diftriét du Village d’Agogue qui en tire fon nom*, dans le ref- fort du Corrégiment de Cuenca. C’eft de cette Mine qu’on tiroit autre- fois *. Ce mot fignifie Fif-argent ou Mercure. Bbb 2 350 VOYAGE AU PEROU. fois le mercure qu’on employoit dans les Mines de la Province; mais ce- la a été défendu, & il n’eft plus permis dans tous ces Royaumes d’emplo- yer d’autre mercure que celui de Guanca Velica, afin de prévenir les frau- des qui fe commettoient dans les Quints ou cinquiémes du produit des Mines qu’on payoit au Roi, en employant du mercure de contreban- de au-lieu de celui qu’on doit tirer des Caïfles Royales de la Ville où les Mines appartiennent, ou de l'Affiento principal. Cette Ordonnance a en partie remédié à ces abus; mais 1l eft certain en même-tems qu'elle con- tribue à faire déchoir le travail des Mines d'argent dans toute ia Province de Quito, en fermant celle de Mercure. Peut-être qu'en faifant là-deflus de férieufes réflexions on trouvera le moyen de les remettre en vigueur, fans préjudicier aux droits de Sa Majefté. Selon le témoignage de quelques perfonnes intelligentes, & les mar- _ ques qui s'offrent aux yeux avec évidence, on ne fauroit douter que le terrain où eft bâtie la Ville de Cuenca ne foit une Miniere de fer , dont les veines {e découvrent dans les fonds des coulées, & les morceaux de mi- nerais que l’on tire quelquefois de leurs fondrieres ne laïflent point douter que ce ne foit de ce métal, tant à caufe de la couleur & du poids, que parce qu'étant café les fragmens de cette matiere ont la propriété d’être attiré par l Aiman: & des gens bien au fait de ces chofes prétendent non feulement que c’eft du fer, mais que la Mine en feroit très-abondante ; c’eft ce qu’on ne peut pourtant prouver que par l'expérience. On ne peut douter non plus que fi les habitans étoient plus laborieux dans ces fortes de chofes, il ne fe trouvât dans ces Contrées des Mines de cuivre, d’étaim, & de plomb, quoiqu’on n’en connoiffe pas préfente- ment: mais on fait affez que là où il y a des Mines d’or & d'argent il y a aufli du cuivre, & du plomb; le contraire eft regardé comme une choie étonnante. Je parlerai dans le Chapitre fuivant de quelques autres Mi- nes, particuliérement des Carrieres & des Pierres qui embelliflent cette Province, afin de n’omettre rien des chofes propres à faire connoître un Pays fi célébre. 3 CHA- VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. Ci. XL. Chu AN POST OR: EE. 8 Monumens des anciens Indiens dans la Province de Quito, € Remarques fur quelques Pierres curieues qui Je trouvent dans les Carrieres. uoique les Nations qui habitoient anciennement les vaftes Contrées du Pérou n’euffent pas fait de grands progrès dans les Sciences a- vant j’arrivée des E/pagnols, ils en avoient néanmoins quelques connoif- fances, mais fi foibles qu’elles ne fufhfoient pas pour donner à leurs ef- prits toutes les lumieres qu'ils auroient pu acquérir. Il en étoit de-même à l'égard des Arts mécaniques; le peu qu'ils en favoient étoit mêlé de tant de groffiéreté, qu'ils ne s’écartoient jamais de ce qu'ils avoient vu pratiquer, à-moins qu’ils n’y fuflent forcés par la néceffité. L’induftrie qui fert de direétrice à tous les hommes, eft celle qui leur enfeigne les Arts utiles; & chez eux le travail fuplée à la Science; deforte qu’à force de tems & d'application ils font des ouvrages, qui malgré leurs défauts ne laiflent pas d’exciter l'attention & l'admiration de ceux qui les voyent & qui penfent aux circonftances où ils ont été faits. T'els font quelques-uns de leurs ouvrages, dont il refte encore des veftiges aflez confidérables, pour exciter l’éconnement, fi l’on fait réflexion à la grandeur du travail, & au peu d’inftrumens qu’ils ont eu pour ces fortes d'ouvrages. Sionn'y remarque pas cette élégance, cet art, cette difpofition qui font une fuite des progrès des Beaux-arts, ils ont d’autres perfeétions qui les font admi- rer, malgré la rufticité qu’on y découvre. Les Péruviens confacroient des ouvrages à la poftérité; les Campagnes en font pleines, foit près des Villes & des Bourgades, foit dans les Plai- nes, fur les Montagnes & fur les Collines. Ils aimoient, comme les an- ciens Égyptiens, à être inhumés dans des lieux remarquables. On fait que ceux-ci fe bâtifloient des pyramides au milieu desquelles étoient leurs fépulcres, où l’on dépofoit leurs corps enbaumés: de-même les Zndiens , après avoir porté le corps dans le lieu où il devoit repofer, fans l’enter- rer, ils l’entouroient de beaucoup de pierres & de briques dont ils lui bâtifloient une maniere de maufolée, fur lequel ceux qui étoient de la dépendance du defunt jettoient une fi grande quantité deterre, que le mau- folée étoit changé en une efpéce de colline artificielle qu’ils appelloient Guaque. La figure de ces Guaques n'eft pas exaétement pyramidale. Il paroît plutôt que ces Peuples avoient en vue d’imiter la Nature dans la DONS figu- 382 VOYAGE AU PEROU. figure des Montagnes & des Collines. Leur hauteur otdinaiteeft de huit à dix toifes, qui font 23 aunes. Leur longueur eft de 20 à 26 toifes, ou 47 à 58 aunes, fur un peu moins de largeur. Il ÿ en a pourtant qui font plus grandes de beaucoup. Quoique, comme je l'ai déjà dit, on trouve de ces fortes de monumens dans tout le Pays, il y en anéanmoins une plus grande quantité dans le diftriét du Village de Cayambe, dont lés plaines en font toutes femées, à caufe que ces Peuples avoient-là un de leurs plus grands Adoratoires ou Temples, & qu’ils regardoient comme fanéti- fiées toutes les Campagnes qui en étoient voifines: c'efl pourquoi aufñi les Rois & Caciques de Quito y vouloient être inhumés, & à leur imita- tion les Caciques des Villages voifins. La différence qu’on remarque dans la grandeur de ces monumens don- ne lieu de croire qu’ils étoient proportionnés à la dignité, au rang & aux richefles des perfonnes; n’étant pas douteux que les Guaques des Ca- ciques du premier ordre qui avoient fous leur domination un grand noim- bre de vaflaux, qui affiftant à leurs funerailles devoient naturellement contribuer tous à lui faire une Guaque plus confidérable que celle d’un Par- ticulier, qui n’avoit que fa famille & fes amis pour lui jetter de la terre. Tous étoient enfevelis avec leurs meubles & effets à leur ufage tant d’or que de cuivre, de pierre & d'argile; c’eft ce qui excite aujourd'hui la curiofité, ou, fi l’on veut, la cupidité des E/pagnols, dont plufieurs paf- fent leur tems à fouiller dans ces monumens, pour y chercher les richef- fes qu’ils imaginent y devoir trouver ; trompés par l’appas de quelques ef- fets d’or qu’ils ont trouvés dans quelques-unes, ils s’acharnent fi fort à cette recherche qu’ils y perdent leur tems & leurs biens. Il y en a quel- quefois qui à force de fouiller, trouvent enfin la récompenfe de leur con- flance. La chofe arriva ainfi deux fois pendant que nous étions dans ce Pays, la premiere un peu avant notre arrivée à Quito, & fe paffa près du Village de Cayambe dans la Plaine de Pe/illo, de laquelle on tira beaucoup d'effets d’or, dont on voyoit encore quelques-uns dans les Caiïffes Royales qu’on y avoit porté pour payer le Quint. La feconde arriva fur la fin de notre féjour dans cette Contrée, & ce fut un Religieux Dominicain qui fit cette trouvaille dans la Jurisdiétion de Los Paflos. Ce Religieux, après avoir employé à cette recherche prefque tout le tems de fa vie &un argent infini, trouva, à ce qu'on difoit, des richefles confidérables. Ce qu'il y a de certain, c’eft qu’il en envoya quelques morceaux à fon Provin- cial & à quelques perfonnes de Quito. Dans la plupart des Guaques on ne trou- LAVE 2 ne Où N Gxplcation des ouyrages T Des anciens «Andiens , que lon trouve encore dans leurs Guagues où ‘ Zombcaux . À , Guagues ou L'on enterroit Les anciens Znaens . K Suriga - irana , où pincettes dont Les Indiens se servotent pour B. Zen de la Guague ouverte en Crox . arracher de peu de poil gu'us avownt 7nerton , C. Zendans L'or d'où À d'anmet. = Zapu dont les Zndrennes se servorent pour pendre L'Anac sur D': ZCaches de Cuivre de _ érentés façons . Leurs cpaules à Au De E . «AMirous concares faits de pierre de Callinace, appelles M . Zapus sorte d'aigulle avec quoi Les Jndiennes pendent au cou la ?liella ds en Zndien CRÉES 64 qu ‘elles mettént sur LE G ; F. «Prca-rtrpo, où miroir de pierre d'Inca tout plat. N. Grands Gobelets où Les Lndiens buvoënt la Cacha , « G.: Ynca-répo, où rurotr convexe. O. Guanacaba Cruches ow Jarres de terre où ds tenotent Leur boijson . H. Corée de purre-a feu et d'autres Lptérres : SHaR Tngamallus ou pierres our faire des colers et des Bracelets 1. Aäches d'arme avec sa hampe de bois dont ils se servotent à la guerres Q. Zéole d'or ou statue de guelque Zndien dstengue : - ÈZ LS) — h, +36 VOYAGE AJ PEROU. Liv. VL Cr. XL 383 trouve que le fquelette de celui qui avoit été enféveli, les vafes de terre oùil buvoit la Chicha, lefquels on nomme à-préfent Guaqueres, quelques ha- ches de cuivre, des miroirs de pierre d’Inca, & autres pareilles chofes de peu de valeur, quoique curieufes d’ailleurs, & dignes d'attention pour leur antiquité, & pour avoir été faites par une Nation fi peu cultivée. Pour ouvrir les Guaques on les perce par en-bas en long &en travers, de forte que les deux croifées: fe joignent au centre de la Guaque, & c’eft-à que fe trouvent le corps entier & les meubles. On trouve dans les Guaques deux fortes de miroirs de pierre, les uns de pierre d’Inca, & les autres de pierre de Gallinace. Celle-là eft molle & n’eft point tranfparente, elle a la couleur du plomb. Ordinairement ces miroirs font ronds ; l’une des furfaces eit platte, & aufli lice que celle d’un miroir de criftal; l’autre eft ovale, ou un peu fphérique, moins lice & moins polie. Quoiqu'ils foient de différente grandeur, communément ils ont trois à quatre pouces de diamétre: j'en ai vu un qui avoit environ un pied & demi: la principale fuperficie eu étoit concave, & groffifloit beaucoup les objets, aufli polie d’ailleurs que le fauroit faire parmi nousle plus habile Ouvrier. Cette pierre a le défaut d’avoir des veines &des pail- les qui gâtent fa fuperficie, & rendent la pierre fi caffante qu’au moindre coup elle fe fend. Bien des gens font perfuadés, ou du-moins foupçon- nent que c’eft une compofition & non pas une pierre; &:en effet il y a quelque apparence à cela, mais on n’en a aucune preuve folide. Au-con- traire il. y a des Coulées où l’on trouve des mineraux de cette efpéce de pier- re, & dont on en tire encore quelques-unes, quoiqu'on ne les travaille plus pour l’ufage que les Indiens en faifoient. Cependant cela n’empécheroit pas qu'on n'ait pu les fondre comme les métaux, pour les perfettionner tant pour la qualité que pour la figure. La Pierre de Gallinace eft extrêmement dure, & caflante comme la pierre-à-feu. Son nom vient de fa couleur noire, comme celle du Gallina- go. Les Indiens la travailloient également des deux côtés, & l’arrondif: foient aulfi. Ils la perçoient en haut, & pañloient une ficelle dans ce trou pour la pendre à quelque crochet. Ils favoient lui donner un poli fem- blable à celui de la Pierre d'Inca, & dans cet état elle réfléchifloit fuffi- famment les objets. Parmi les miroirs de cette derniere efpéce, on en trouve qui font tout plats, d’autres qui font concaves, & d’autres con- vexes. J'en ai vu plufieurs de toutes les fortes, & j'en ai eu même quel- ques-uns aufli bien travaillés que fi cette Nation avoit eu les inftrumens Jes 384 PO DL BP AE PE D D les plus propres à ces fortes d'ouvrages, & une grande connoïiflance de lOptique. On trouve encore des Carrieres de ces pierres, qui font entierement Rép Ages ; & dont on ne fait aucun cas, quoique fa couleur, fa transparence & fa dureté la rendent fort [uifénte: & fort belle, ayant rarement des veines & des . qui en gâtent la fuperficie. Les Haches de cuivre des Zndiens ne different guere des nôtres pour la F4. çon. Il paroît qu'ils travailloient la plupart de leurs ouvrages avec ces haches; puifque 11 CÉ is pas le feul inftrument tranchant qu’ils euflent , c’eft au- moins celui que l’on trouve le plus communément chez eux, n’y ayant d'autre différence finon que les unes font plus grandes que les autres. Il y en a qui ont le tranchant rond, & plus ou moins long; quelques-unes font échancrées , quelques autres ont une pointe du côté oppofé au tranchant, avec un manche tors, par où ils les manioient. Le cuivre eft la matiere la plus ordinaire de ces inftrumens; on en trouve pourtant de pierre de Gallinace, ou d’une autre pierre aflez femblable à la pierre-à-feu, quoique moins dure & moins nette. De cette pierre & de celle de Gallinace , on trouve des pointes taillées à deflein dont ils fe fervoient en guife de lancettes. C’é- toit-la les deux inftrumens , & peut-être les feuls qui fuflent ufités par- mieux. S'ils en ont eu d’autres, il eft aflez furprenant qu’on n’en trouve point dans ce grand nombre de Guaques.où l'on à fouillé & où l’on fouille ençore tous les jours. Les Guaqueres ou Vafes pour la boiflon , font d’une argile fort fine & de couleur noire. On ignore abfolument d'où ils la tiroient. Ces vafes ont la figure d’une cruche fans pied, & ronde avec une anfe au milieu, & d’un côté l'ouverture pour boire & de l’autre la tête d’un Indien, dont les traits font fi bien es que je défie nos Potiers de rien ho re qui en approche. Quel IQues-unes de ces cruche CS» fans différer de celles-là quant à la forme, font d’une argile rouge, & l'on trouve de ces à matieres divers autres vafes grands & petits dont on fe fervoit pour faire la Chicha & pour la garder. Parmi les Meubles d’or on trouve des Nufieres, femblables aux paténes de calice, mais plus.petites, lefquelles ils avoient coutume de pendre au cartilage du nez qui fepare les deux narines ; des coliers ou carcans, des bracelets, des pendans-d’oreille prefque femblables aux Nafieres, & des idoles, le tout d’un or minçe comme du papier. Les idoles font des figures qui reprefentent toutes les parties du corps. Elles font creufes en- oies, & jufqu'aux moindres traits tout eftévuidé; & comme cçes figu- res VOYAGE AFPÉROU Li VE CE XL 38$ res font toutes d’une pièce; puifqu'il n'y a pas la moindre trace de fou- dure, il eft difficile de comprendre comment ils ont fait pour les évuider. e prévois qu'on dira qu'ils les jettoient en fonte ; mais cela ne réfout point la difhculté , puifqu'il n’eft pas ail de concevoir qu'ils ayent pu fai- re des moules aflez fragiles pour pouvoir les rompre fans endommager des ouvrages fi minces & fi deliés. Le Maïz ayant toujours été la principale nourriture des Indiens, qui leur fervoit outre cela pour faire la Chicha, ils en repréfentoient les épics en pierres fort dures, avec tant d’art, qu’en mettant une de ces figures vis-à-vis de l'original 1l eff difficile de les diftinguer à la vue. Ils n’étoient pas moins habiles à imiter les couleurs; les unes imitent le Maïz jaune, les autres le Maïz blanc, & les autres celui dont les grains paroiflent en- fumés à force d’avoir refté dans leurs cabanes. Le plus furprenant en tout cela, c’eft la maniere dont ils faifoient ces ouvrages , qui devient une énigme quand on confidere le peu d'outils qu'ils avoient, & combien ils étoient mal faits. D'ailleurs il faut convenir que c'étoient ou des outils de cuivre; & comment accorder la flexibilité de ce metal avec la dureté des pierres qu’ils travailloient, & avec le poli qu'ils donnoïent à leurs ouvrages? ou enfin des outils d’autres pierres. Mais quel travail, quel tems, quelle patience ne faudroit-il pas pour fai- re un foret d’une pierre de Gallinace, & un foret propre à faire untrou pa- reil à celui qu'on voit à leurs miroirs, ou un autre inftrument propre à polir ces miroirs au point de les rendre aufi unis & aufi beaux qu'une glace? Je crois qu’on embarafleroit le plus habile Artifan d'Europe, fi on le chargeoït de faire de pareils ouvrages avec un morceau de cuivre, ou des pierres, fans lui permettre d'employer aucun autre outil. C’eft ce qui prouve qu’il faloit que ces Peuples euffent dans leur imagination des reflources que les autres n’ont pas, puifque fans autre fecours que ce- lui de leur propre génie ils venoient à bout de pareilles chofes. L'habileté des Zndiens à travailler les Emeraudes furpafloit tout ce que nous venons de dire. Ils tiroient ces pierres de la côte de Manta, & d’un quartier du Gouvernement d’Atacames appellé Coaquis ou Quaques. Ces Emeraudes dont on n’a pu retrouver les Mines, fans-doute faute de foin & d'attention, fe trouvent dans les tombeaux des Jndiens de Manta & d’Atacames ; elles font fuperieures en dureté & en beauté à celles que l’on ure de la Jurisdiétion de Santa Fe. Ce qui étonne, c’eft de les voir tail- lées les unes en figure fphérique, les autres en figure cilindrique, & les Tome LT. Cce au- 386 VOYAGE AU PEROU. autres en. cône, & de diverfes manieres. On ne conçoit pas qu’un Peu- ple qui n’avoit auçune conhoifance du'fer ni de l'acier, aît pu tailler & percer une matiere auffi dure que celle de ces pierres précieufes. Ce- pendant 1ls les perçoient avec autant de délicateffe qu’il eft poffible de le faire aujourd’hui: la dispofition des pertuis n’eft même pas un petit fujet d’étonnement, les uns traverfant diamétralement, les autres ne pénétrant que jufqu'au centre de la pierre, & fortant par les côtés pour former un triangle à peu de diftance les uns des autres. La figure de l pierre n’étoit pas moins variée que celle des pertuis. Après avoir donné la defcription des Guaques de ces Peuples idolâtres dont l’ufage à cet égard n'étoit pas moins commun chez les habitans des Provinces méridionales du Perou, je pañle aux Edifices fomptueux qu’ils ont bâtis, tant pour fervir à leur Culte, que pour loger leurs Souverains, & fervir de barriere à leurs Pays. Et quoique ces Edifices ayent été moins magnifiques dans le Royaume de Quito qu'à Guzco, qui étoit la Capitale de l'Empire, & la réfidence des Empereurs Zncas, il en refte néanmoins encore affez pour faire juger de la grandeur de la Nation, & de fon in- clination à l'Architeéture, comme fi elle avoit voulu réparer par la fomp- tuofité & la magnificence ce qui lui manquoit du côté du goût & de Ja fcience.. On voit encore la plus grande partie d’un de ces ouvrages dans la Vik le de Cayambe: ce font les reftes d’un Adoratoire ou Temple de briques crues. Ileft fitué fur un terrain élevé du même Village, lequel forme une efpéce de monticule aflez peu haute. La figure de l'Edifice eft ronde & d’une grandeur fufhifante, puisqu'il a environ huit toifes de diamétre qui font 18 à 19 aunes ; fur environ 60 aunes de circonference. I] ne refte de cet Edifice queles fimples murailles, qui fe maintiennent enco- re, hautes d'environ deux toifes & demie, ou cinq à fix aunes, fur qua- tre à cinq pieds d’épaifleur. Les briques font jointes avec de la terre même dont elles ont été faites; & le toutenfemble forme un mur auffi folide que s'il étoit de pierre, puisqu'il réfifte aux injures du tems, auxquelles il eft expofé faute de couvert. Oùtre la tradition par laquelle on fait que cet Edifice a été un Temple, l maniere dont il eft conftruit ne permet pas d'en douter; en effet fa forme ronde, & fans aucune féparation au-dedans, fait affez voir que c’é- toit un lieu d’affemblée publique, & non une demeure particuliere. La porte qui eft fort petite , donne lieu de penfer que les Rois Incas entroient ici 4 Vue de Z EN ou temple ds anciens néons En 5 Subsiste encore prés du Vellage de Cayambe, | LEE du Corregement d'Otabale dans. la Provence de Quito . : | ues, ou tombeaux des anciens Indiens tant sur s hauteurs que dans Les ?laines. 2 on trouve encore Pucares ou retranchemens | a méme Province, sur les montagnes de et que es mémes Zndiens elevorent peur defendre contre Les Znrvasions de Leurs vousins avec que us etotent en QUerTe., 4 ë | ; Mons ot Cafès du Village de Cayambe 1 É EL : QEER RS NE ù \ \\ KR HE ( N NN KANEE KÈ At RTE NN NE NX \ > 2 CP LC Le HU Un fl; 1 fl at o 748 4 Pa CE SS meme non, et se trouve au Nord du B ourg de Late - in der Provine Quito pofinden wird curgaen da Provinée de Quito . | WE £ &. | Explication . Re — NS = Erklærung. “Cry. ang te den Pallast, Licheinér à ex Strafs ,elche DA Eure duPalats enmantere de Ruelle qui regarde presque au Er à R == = N rdée Jogere Nirdern AU Er FA r fase. ge ANord: ? : ? CA #; ? Sn A a SI R 2er ob gr MB À + Pallastes B. Cour principale dé Palais PER. PT = DS I ——— Ë ’ Fe: # es LnCAS, di. : = = £ RE id £a der, sale dust dsl phone tee Ulnene \S ns que ces Panées des qesporent re tee Ware. FL D.?Porées PER ou 71 pe eruroLt aux LP artemens Fe + JE ra ls _— las Fi CER, erug. lchen Wohnzimmerr. ya - etotent g/Sès hRAULE pour que rancar ouPalanguin ou le Warer, de Baaren oder Tragen 4 PA Prence étoit porte sur Les Fes vi deses Éctirhommer péfient we. der First C7 den Schulterr paéer - … : : Rats ; - ule, getragen ‘wi $ é EPlu/teurs pièces quitanciennement étoient Jubdivifées en petits re Zimmer, de vor. Altens wiederum in kleinere Ce- appartemens pouf Loger la famille Royale . der Farmnile abgethedet waren E «Autres dans le méme goût pour Les moindres Domestiques . cher fard geringern À. g TE G.Officines, convenables Werkflæte, de re heire. des Zursten gehoereten probe ecriger. es ou l'on gardoit ”, Wi- z° men er LE A ras wéehen, worinnen Sie eUuUge … emaæcher, ele ) Loiteten. Roc etoit dans ce ?. der das Broedthen gerannt, «j dessen Riviere qui vient du Paramo de Cotopaxt . wurde, wenn sich de Koeriy YAgas der Wiiste von Catopaxi koemmt . == A Fu Ep disons EE UNI 0) £ PAIN ALIUIL 1) KE aa Ses Ah Hi 1 LA 4 AAA WP, il ! je L li SES : Al ill Î | I TENTE je | os : a à | il | fi ù ns VOYAGE AU PEROU. Liv. VL CH. XI 38% ici à pied par refpeét pour le lieu, quoique dans leur Palais & par-toue ailleurs ils entraflent & allafflent toujours en chaife, comme on le verra ci-après. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit, il eft certain que dans le voifinage de Cayambe il y avoit un de leurs plus grands Adoratoires où principaux T'emples, il femble donc que ce ne peut être que celui-ci. Dans la plaine qui s’étend depuis Latacunga vers le Nord, on voit en- core, Comme il a été dit ailleurs en paflant, les murailles d’un; des Palais des Empereurs Jncas & Rois de Quito, lequel fe nommoït Cal, nom qui lui eft refté depuis. Il fert aujourd’hui de Maifon de campagne aux P. P. ÆAuguftins de Quito, qui ont là une Plantation. On n’y remarque ni la beauté, ni la grandeur des Edifices des Egyptiens, des Romains ou au- tres Peuples; maïs eu égard aux connoiffances bornées des Zndiens, & en Comparaïfon de leurs autres habitations, on ne laïfle pas d’y appercevoir de la grandeur, de la fomptuofité, & quelque chofe enfin qui annonce la majefté des Monarques qui y faifoient leur demeure. On y entre par une ruelle de cinq à fix toifes de long, qui conduit dans Une COUr autour de laquelle font trois grands falons, qui en forment le quarré occupant les trois côtés. Dans chacun de ces falons il y a des féparations, & derriere celui qui fait face à l'entrée, on trouve divers petits réduits qui paroiflent avoir été des fourrieres, excepté un qui fervoit de ménagerie; car on voit encore les féparations où tenoit chaque animal. L'ouvrage ancien eft un peu défiguré , quoique les principales parties fubfiftent encore com- me elles étoient; mais dans ces derniers tems on y a bâti des habitations, & on a changé la difpofition des appartemens qu’il y avoit. Ce Bâtiment eft tout d’une pierre, qui reflemble pour fa dureté à la pierre- à-fufil, & d'une couleur prefque noire, fi bien jointes qu’on ne fauroit faire entrer entre deux la pointe d’un couteau, les joïntures étant plus minces qu'une feuille du plus fin papier, & ne paroïffant qu’autant qu’il le faut pour faire juger que la muraille n’eft pas toute d’une feule piéce. On n’y remarque ni mortier, ni ciment qui les joigne; & au-déhors elles font toutes convexes, mais à l'entrée des portes elles font plattes. On voit de l'inégalité non feulement dans les rangs des pierres, maïs dans les pierres- mêmes; & c’eft ce qui rend l'ouvrage d'autant plus fingulier, parcequ’u- ne petite pierre eft immédiatement fuivie d’une grande & mal quarrée, & celle de deffuseft néanmoins accommodée aux inégalités dé ces deux-là, de-même qu'aux faillies & irrégularités de leurs faces, le tout fi parfai- tement, que de tous les côtés qu’on les regarde on les voit jointes avec la Ccc 2 mé- 388 VOYAGE AU PEROU. même exaétitude & la même longueur. Ces murailles font hautes comme celles de l’Adoratoire de Cayambe, de deux toifes & demie fur trois ou quatre pieds d’épaifleur; & les portes de deux toifes de haut, qui font en- viron cinq aunes, fur trois à quatre pieds de large par en-bas, & vont en fe retreciffant par le haut jufqu’à deux pieds & demi. Ils leur donnoient cette hauteur exceflive, afin que le Monarque pût y pañler dansfa chaife, dont les brancars étoient portés fur les épaules des Indiens, & qu'il pût entrer de cette maniere dans fon appartement, qui étoit le feul lieu où il marchât fur fes pieds. On ignore fi ce Palais & les autres de là même ef- péce avoient un étage au-deflus du rez-de-chauflée, & de quelle maniere ils étoient couverts. Ceux que nous avons examinés, ou n’avoient point de toit, ou avoient été couverts par les Efpagnols ; il paroît néanmoins certain que leurs toits étaient en terrafle, & faits de bois, foutenu par des poutres qui traverfoient d’une muraille à l'autre; car 1l ny a aucune marque aux principales murailles qui puiffe faire croire qu'elles ont foute- nu des combles. fur ces toits faits ainfi en terrafle ,ils pratiquoient appa- remment quelque pente pour taire écouler l'eau. La raïfon pourquoi ils retrecifloient leurs portes par en-haut, c’eft qu'ils n'avoient aucune con. noiffance de l’ufage des cintres, & qu'ils étoient obligés de faire les lin- teaux de leurs portes d’une feule pierre; & comme ils n'avoient aucune idée-ni des voûtes, ni de la coupe des pierres qui fervent de clé aux voûtes, on ne trouve parmi leurs ouvrages rien qui foit cintré ou fait en arc. A cinquante toifes environ de ce Palais vers le N ord, qui eft le côté où eft la porte, il y a une Colline appellée Panecillo de Callo au milieu de la plaine, ce qui paroît affez extraordinaire : elle eft haute de 25 à 30 toifes, où 58 à 7o aunes. Eile eft ronde comme un pain de fucre , f égale de tous les côtés qu’on croit qu'elle a été faite à la main, d'autant plus que le bas de fa pente pris de tous les côtés forme parfaitement le même angle avec le terrain où ileft. On croit que c’eft un Monument où gît quelque ndien d'un rang diftingué, & cette opinion eft d'autant plus probable qu'ils étoient fort portés à élever des Guagues quand les oc- cafions s’en préfentoient: on ajoûte encore que la terre en a été tirée de 13 coulée voifine , par laquelle coule unepetite Riviere, au pied de la col- line du côté Nord; mais il ny a aucune preuve de cela. Il fe pourroit bien auffi que cette colline n’ait été autre chofe qu’un béfroi, pour décou- vrir ce qui fe paloit dans la campagne, & pouvoir mettre le Prince en fure- Û Zourtllon en etfortere/se B. rime de D d'A rmes Œur.. Ce £ches on - EE PER ge guerites PO emo té ; SE Corps arde. Lace Aur. nr l ago dore jrs pe da fon commeauZourillon ondes our. monter à La. Muraille; et jf: autre pour monter au G Jailes qui compofènt Les aparlernens et ouün y æ qu'une porte Do nes plus éoig pes he ché rres Es 12 P - Murdile el forme äne espèce de Zof5é. aées par où lon quelques logemens, qui . ne ci -< - x te ENT EC TE sers É ub « 2 HAL 2 ll  Province Cuëñca, duPerou . DUR MP LA 1 UN SAELIÉ, mn, È NV « SSI 2 NN à 2 AN SHOENOR & - OH 3 ee QE VE RL Pt . HérgeG. Ar RÈh KA ge] hüren, a 2 odurch mit der Aatte er y : 2 î fd di emæcherngehen Zimmer koernt., die als unten, ” égen den vfeitesmgtebt. vimaue F ETS . À SE , RATE EE ts DA Aa diente. : VOYAGE AU PEROU. Liv. VI. Cr. XL 399 fureté à la premiere allarme de l’attaque imprévue de quelque Nation en- nemie; ce qui arrivoit très-fouvent , comme je le prouverai en parlant des lieux forts bâtis pour la défenfe du Pays. Au Nord-Eft du Village d’Atun-Cannar ou grand Cannar, à environ “deux lieués de diftance, eft une Forterefle & Palais des Rois Incas. C’eft la plus entiere, la plus grande & la mieux bâtie de tout ce Royaume. Du côté par où l’on y entre paîle une petite Riviere qui lui fert de foffé, & à l'oppofite elle s’éléve fur une colline par une haute muraille, qui auffi bien que la pente de la colline en rend l'approche difficile. Au milieu eft un tourillon de figure ovale , lequel s’éléve du terrain intérieur de l'édi- fice à la hauteur d’une & demie ou deux toifes, mais du côté extérieur il s’éléve au-deflus de la colline fix à huit toifes. Du milieu du tourillon s’éléve un quarré en maniere de Donjon formé par quatre murailles, dont Jes angles touchent à la circonférence de l'Ovale, & ferment le paflage entre deux, ne laiflant qu’un paflage étroit du côté oppofé, qui répond à l'intérieur du tourillon. Au milieu du Donjon il y a deux petits réduits féparés, dans lefquels on entre par une porte à l'oppofite de l'efpace qui les fépare. Ces deux réduits font deux manieres de guérite , ayant de pe- tites fenêtres par où les Sentinelles avoient la vue fur la campagne, &le tourillon même fervoit de corps de garde. Du côté de la fuperficie extérieure du tourillon, la muraille de la For- terefle s'étend à environ 40 toifes à gauche, & à 25 toifes à droi- te. Cette muraille fe replie enfuite, & formant divers angles irréguliers embrafle un terrain fpacieux. On n'y entre que par une porte vis-à-vis du tourillon, & fort près de la petite coulée qui fert de lit à la Riviere. De cette porte on entre dans une ruelle étroite où deux perfonnes peu- vent à peine pañler de front, & qui méne droit à la muraille oppofée, d'où elle fe replie vers le tourillon, reftant toujours dans la même lar- geur; & de-là continuant à s’incliner vers la coulée, & s’élargiflant , elle forme une petite place devant le tourillon. On a pratiqué de trois en trois pas dans l'épaifleur de la muraille de la Forterefle, tout le long de cette ruelle, des niches en maniere de guérite; & dans la muraille intérieure qui forme la ruelle, deux portes, qui fervoient d'entrée à deux corps de lo- pis , qui paroïffent avoir fervi de cazernes aux Soldats de la garnifon. Dans l'enceinte intérieure à la gauche du tourillon, étoient divers appartemens, dont la hauteur, la diftribution, & les portes, font aflez voir que c’étoit k Palais du Prince. Dans tous ces appartemens il y a des enfoncemens Ccc 3 en 39 VOYAGE AU PEROU. en maniere d’armoires, de-même que les deux réduits du tourillon, les niches de la ruelle, & le Donjon, ont des pierres en faillie de 6 à 8 pou: ces de long, fur trois ou quatre de diametre. Ces pierres fervoient vrai. femblablement à pendre les armes ufitées parmi ces Peuples. Toute la muraille principale qui eft fur le panchant de la colline, & qui defcend latéralement depuis le tourillon, eft fort épaiffe & efcarpée par de- hors, avec un terre-plein en -dedans & un parapet d’une hauteur ordinai- re. Pour monter auterre-plein du rempart qui régne tout autour, il n'y a qu’un efcalier près du tourillon. ‘Toutes les murailles, tant en-dehors qu’en-dedans, font d’une pierre aufi dure, aufli polie & vu bien jointe que celles du Callo; & de-même que dans ce Palais tous les appartemens font découverts, & fans plancher, ni marque d’en avoir eu. On prétend qu'il y avoit à Pomallata, dans la Jurisdiétion de;Guafuntos, une Fortereffe pareille à celle-là; & l'opinion vulgaire veut que ces deux Forterefles communiquaffent de lune à l’autre par un chemin creufé fous terre; ce qui n’eft pas vraifemblable, vu que l’une étant au Nord, l’au- tre au Midi, il y a une diftance de près de fix lieues d’un terrain coupé de Montagnes des Cordilleres & de coulées où pañlent divers torrens: mais on n’ôteroit pas cela de l'efprit de ces gens, dont quelques-uns afluroient que peu d’années avant notre arrivée un homme étoit entré dans ce fou- terrain par la bouche, qui eft dans la Forterefle de Cannar; mais que les chandelles qui l'éclairoient s'étant éteintes, il n’avoit pu continuer fa route. Ils difent que cette bouche eft au pied du tourillon en-dedans de la Forterefle. Nous y vimes en effet une efpéce de trappe bouchée avec Ja terre , laquelle fervoit fans-doute à quelque ufage; mais ce n’eft pas à dire qu'il y eût une communication d’une Forterefle à l’autre, puifqu’il auroit fallu des foupiraux pour donner de Pair & du jour au fouterrain ; & ces foupiraux n’étoient pas praticable à caufe des Montagnes dont le ter- rain eft coupé. On trouve beaucoup d’autres murailles & ruines dans tout ce Pays, tant dans les plaines que fur les hauteurs, mais particuliérement dans les lieux déferts, fans aucun veftige de Village ou autre lieu habité. Elles font toutes, à l’exception des trois dont nous venons de parler, de briques crues, ou de pierres ordinaires de maçonnerie: ce qui fait croire que c’eft l'ouvrage des Jndiens avant qu’ils fuflent foumis à l'obéifance des Em- pereurs Jncas; au-lieu que les murailles de Callo & des deux Forterefles, dont nous avons fait mention, furent bâties depuis, & fur de meilleurs idées VOTAGE.AU REROU.‘ÆEw. VI CE XL 3or idées que ces Princes leur fournirent, de-même qu’à l'égard du Gouver- nement & de h Police, introduifant les Arts avec les Loix, chez tous les Peupes qu’ils réduifoient à leur obéifflance. Les Indiens donnent à tous ces rates d’Edifices antiques le nom d’Znca-Pirca, qui fignifie Murailles d Inca. Ces Peuples avoient encore une autre mamiere de fe fortifier, dont il refte quelques veftiges. C’étoit de creufer tout autour d’une Montagne efcarpée, & élevée non pas jufqu’au degré de congélation, mais néan- moins fort haute, & d'y pratiquer trois ou quatre redans, à quelque dif- tance les uns des autres, & au-dedans defquels ils élevoient une petite muraille à hauteur d'appui pour fe couvrir contre l'ennemi & le repoufler avec moins de danger. Ils donnoient à ces fortifications le nom de Pucaras. Au fond de ces foffés ils bâtiffoient des cafes de briques crués , ou de pier- res qui fervoient apparemment pour loger les Soldats deftinés à-garder ces poftes. Ces fortes de fortifications étoient fi communes, qu’il y a peu de Montagnes où l’on n’en trouve : fur les pointes de la Montagne de Pambamar- ca il y en a trois ou quatre dont l’une étoit fur la hauteur où nous avions placé le fignai qui fervoit pour la mefure denotre méridienne; &nous en trouvions fur prefque toutes les autres Montagnes. Nous remarquions quel- quefois que le premier foffé étoit fi fpatieux dans fa circonférence, qu’il for- moit une circonvallation de plus d’une lieue; chaque foffé avoit conftam- ment par-tout la même profondeur & la même largeur ; ils differoient néan- moins les uns à l'égard des autres, y en ayant qui avoient deux toifes de large , & d'autres qui en avoient moins d’une. Au-refte ils faifoient tou- jours enforte que le bord intérieur fût plus élevé que l’extérieur au-moins de trois à quatre pieds pour avoir plus d'avantage fur les attaquans. Tout ce qu’on trouve de ruines de murailles bâties par les Zndiens, & où l’on admire les jointures & la poliffure, font fuffifamment connoître que ces Peuples fe fervoient de pierres pour polir d’autres pierres en frottant les unes contre les autres; car il n’eft pas probable qu'ils ayent pu en ve- nir à bout avec le peu d'outils qu'ils avoient. Il paroît hors de doute qu'ils n'ont point connu l'art de travailler. le Fer. Cela eft démontré, parce qu'ayant chez eux des Mines de ce-métal il n’y a aucun veftige qui puiffe feulement faire foupçonner qu'ils les ayent exploitées, ni qu'ils en ayent jamais rien tiré en aucun tems: on ne lit nulle part qu'il fe foit trouvéun morceau de fer chez eux à l'entrée des E/pagnols ; on voit au - contraire que dans ce tems-là ils faifoient grand cas de quelques bagatelles faites de ce métal. Pour avoir une idée complette de ces Edifices,-on pourra con- ful- 102 VOIY AGEOA'U P LRIOU. falter les figures qu’on en donne ici. Cependant je vais terminer ce Chapitre par quelques remarques fur diverfes Pierres précieufes & Mine. raux qu’on trouve dans ce Royaume, & par quelques obfervations fur les Indiens guerriers qui habitent dans le voifinage de fes Provinces. J'ai déià dit qu’il y avoit dans le Royaume de Quito des Carrieres des deux efpéces de pierres dont les Zndiens fabriquoient leurs miroirs. Ja- joûte qu’outre celles-la il y en a d’autres, qui dans un Pays où l'or & l’ar- gent feroient moins communs, s'attireroient plus d'attention & d’eftime. Au Sud de Cuenca ,dans la Plaine de Talqui, 1 y a une Carriere d’où l’on tire de fort grandes & belles piéces d’Albâtre blanc & affez transparent. Le feul défaut qu’il ait, c’eft d’être un peu trop mou, quoique cela n’em- pêche pas qu’on n’en fafle toute forte d'ouvrages, puisqu’au- contraire {a flexibilité fait qu’on le travaille avec plus de fuccès, & fans craindre qu’il en faute des éclats qui gâtent fouvent toute une piéce. On ne connoît pas d’autre Carriere de cette pierre que celle de Cuenca; mais ilyena beaucoup de criftal de roches. J'en ai vu des morceaux fort grands, fort clairs, transparens, & d’une dureté particuliere. On ne fait aucun ufage de cette pierre dans le Pays, & elle n’y eft point eftimée. Le hazard feul en fait quelquefois rencontrer de gros morceaux. Dans la même Jurisdiétion de Cuenca, à environ deux lieues de cette Ville près des Villages de Racan & de Sayanfi, 1 y a une petite colline toute couverte de pierres-a-feu grandes & petites, la plupart noires, que!- ques-unes rougeâtres, & quelques autres blancheâtres; mais faute de fa- voir la maniere de les couper, les gens du Pays n’en profitent point; & il y a des tems que les pierres-àa-fufil & à piftolets coutent à Cuenca, com- me à Quito & dans tout ce Pays, jufqu'a deux réales & communément une réale, parce qu’ii n'y en a pas d'autres que celles qu’on apporte d’Euro- pe: deforte qu'ayant une Carriere de ces pierres, il faut que les habitans les achetent à fi haut prix faute d’induftrie. Nous avons déja remarqué que les Jurisdiétions d’Atacames & de Man- ta abondoient anciennement en Emeraudes fupérieures à celles qu’on ti- re des Mines de la Jurisdiétion de Santa-Fé. Au commencement les E/pa- gnols n'en briferent pas une petite quantité, fe figurant follement que fi c’étoient des pierres fines, elles devoient refifter au marteau. Une autre Mine non moins recommandable que les Emeraudes oubliées d’Ætacames, & que les Mines d'or & d'argent que la negligence a fait abandonner c’eft celle des Rubis dans Ja Jurisdiétion de Cuenca, de laquelle on n’a A, la VOYAGE AU PEROU. Liv. VI Ci. KL 393 la-vérité que des fignes, mais des fignes qui valent des preuves. Ces fignes font des fragmens de Rubis fins, felon le témoignage de perfonnes intelligentes, lefquels on trouve parmi le fable qu'une Riviere médiocre, qui coule affez près du Village des A3ogues , entraîne dans fon lit. Les ha- bitans de ce Village, Indiens & autres, s'occupent quelquefois à laver ce fa- ble, & en tirent des Rubis tantôt petits, tantôt gros , quelques-uns com- me des grains de lentille, & quelques autres encore plus gros; & il n’eft pas douteux que ces petits grains ne foient des fragmens que l’eau dé- tache peu à peu de la Mine, & emporte avec le fable qu’elle roule. Ces marques, quoiqu'évidentes, n’ont pu encore engager les habitans du Pays à chercher la Mine de ces pierres précieufes pour l’exploiter formellement. J'ai vu quelques fragmens de ces Rubis bruts, me trouvant dans le Village des Avogues | & je puis afurer que leur eau & leur dureté en garantifloit fuffifamment la finefle. Il ya une autre efpéce de Pierre que tout ce Pays produit en abondance, & qui eft aufi peu prifée que les précédentes.Elle eft d’un verd foncé, plus dure que l’albâtre fans être transparente; on en fait quelques petits ouvrages. H s'y trouve auñfi des Mines de fouffre que l’on tire en pierres, des Mi- nes de vitriol en quelques endroits; mais on n’en fait que ce que la Natu- re veut bien en découvrir; car du refte on ne s’en met point en peine, peut-être parce qu’on n’en a pas befoin; mais plus vraifemblablement, parce qu'on hait dans ce Pays tout ce qui demande du travail. Du côté feptentrional de Quito entre deux Haciendas qui font au pied de la Montagne de Talangua , l'une defquelles porte le nom de la Monta- gne, & l’autre celui de Conrogal, paîle une fort grande Riviere qui pétri- fie tout le bois qu’on y jette, jufqu’aux feuilles des arbres, & autres ma- tieres aifées à fe corrompre. J'ai eu des branches entieres qui fe font changées en pierres; & non feulement on y appercevoit encore la poro- fité des troncs, &les fibres du bois & l'écorce, mais jufqu’aux plus peti- tes veines des feuilles, tout auffi exaétement qu’on les diftingue dans les feuilles que l'on coupe d’un arbre. J'ai eu aufli de grandes buches, qui au premier abord, avant de les toucher, paroïfloient être du bois fort fec, quoiqu’elles fuffent pétrifiées, mais elles n’avoient fait que changer de couleur & non de figure. Malgré tout cela je ne puis me perfuader que le même bois, les feuilles, & autres chofçs femblables que l'on met dans la Riviere, fe convertiflent Tome I. Ddd en 594 VeOT'AYGE GÛ'P LE. KR OU. en pierre d'une dureté pareille à celle que l’oh voit: mais comme ;] n'y a pas moyen de nier le fait ,! il faut tâcher d'expliquer cette métamorplho- fe. * Pour cét effet jé fuppofe, comme on le remarque fur les lieux, que l:s rocs , & tout ce que cette Riviere baigne dé fes eaux, eft couvert d’u- ne croute auffi dure que la pierre même, laquelle écorce augmente le 'vo- lume des pierres, rocs, ou cailloux , dont la couleur eft différente de cel- le de cette éfpéce d’écôrce qui eft jaunâtre: de-là nous pouvons inférer que les eaux de cette Riviere font mélées de quelques matieres ou parties fort fubtiles, pétrifiantes, vifqueufes & gluantes, qui s’uniffent au corps qu’elles touchent; & à-mefure que par leur légereté elles s’introduifent dans fes pores, elles occupent la place des fibres que la même humidité pourrit, & détache peu à peu, jufqu’à ce qu’enfin tout ce qui étoit feuil- le ou bois fe trouve remplacé par cette matiere pétrifiante confervant toujours l'imprefion de la premiere, c’eft-à-dire, les fibres & les veines; parce qu'en même tems que celle-là s’introduit, leurs conduits lui fervent de moule & lui font prendre leur figure, Une obfervation faite fur quel- ques branches me confirmä dans cette opinion; car en les rompant il en fauta quelques feuilles & quelques morceaux de la fuperficie; tandis que le dedans étoit auffi ferme que s’il eût été véritablement de pierre, fans qu'il reftât rien de leur premiere fubftance que la figure. Dans quelques autres branches ce qui étoit déjà confolidé par Ja matiere pierreufe fau- toit, & les fibres qui n’avoient pas eu affez de tems pour fe corrompre tout-à-fait paroifloient comme du bois, les unes plus ou moins pourries. J'avois quelques feuilles, qui n’étoient que légerement couvertes d’une crépine de la matiere pétrifiante, & qui étoient feuilles partout en-dedans, excepté qu'en quelques endroits elles avoient commencé à fe corrompre. Il faut noter que cette matiere fe cole & s’unit avec bien plus de fa- cilité à tout ce qui eft corruptible, qu’à ce qui eft plus folide, comme les roches & les pierres; & il n’eft pas douteux que ce ne foit parce que les corps corruptibles ont plus de pores par où cette matiere s’infinue & refte fixe, au-lieu que les pierres en ayant peu, elle n'y pénétre point, & l'eau qui pañe continuellement deflus enléve ke peu qui s'attache à leur fuperfi- cie, deforte que quoiqu’on y voye quelques croutes, elle ne fauroit ja- mais augmenter de: beaucoup le volume d’une pierre. ILa couleur des feuilles pétrifiées, tant au-dedans qu’au-dehors, eft d’un jaune pâle ‘tirant- fur le blanc. 11 en eft de-même à l'égard du bois, qui néanmoins confer- ve toujours quelque chofe de fa couleur naturelle, comme quand il éft 3 ans VOYAGE AU PEROU, Liv. VL Cu, XX 395 Dans toute l'étendue du Royaume de Quito du Nord au Sud il n'y a point d’Zndiens guerriers ou idolâtres qui le menacent d'invaffion ; mais On fait qu’ils n’en font pas fort éloignés du côté des Gouvermemens de Quixos, de Macas, de Faën > & de Maynas, qui font environnés & en trecoupés de différentes Nations de ces Indiens, comme nous l'avons re. marqué ailleurs: auf n'a-t-on qu'a paller la Cordillere Orientale” des Andes de ce côté-là, pour voir de divers endroits de ces hauteurs la fumée de leurs feux. C’eft furtout de la Cordillere derriere laquelle eft le Village de Cayambe qu'on peut fe procurer ce fpeétacle, & en füivant tout du long jufqu'au nord du Village de Mira appartenant à la Jurisdiétion de Ja Vil. le de St. Michel d'Ibarra. Ceux qui prennent le divertiflement de la Chas- fe au Chevreuil ont fouvent occafion de voir cette fumée, tant de ce cô- té-là , que depuis la Jurisdiétion de Riobamba Jufqu’à celle de Cuenca dans la même Cordillere. Dans le Village de Mira on a vu fubitement parot- tre quelques-uns de ces Indiens, qui y étant venus de leurs Terres fe font retirés avec l1 même promtitude. Quelques Indiens de ces Corrégimens défertent leurs Villages pour fe retirer chez ces Barbares, & s’abandonner à l’idolâtrie , au libertinage, à toute forte de vices, & à la parefle, n'ayant d'autre avantage que d’être fervis par leurs femmes, qui font obligées de les foigner & de les nourrir. Quant à eux ils ne font rien que chafler quand la néceffité les y oblige, ou que la fantaifie leur prend de fortir de leur profonde oifiveté. Du-refte ils vivent honteufement fans Loix, fans Religion, exemts de toute obligation & de toute Correction, ce qui eft précifément ce que leur inclination corrompue défire le plus, & à quoi leur génie les porte. lin de la premiere Partie. VO Ÿ À G *% F'AMENT A ÜU R'O Y AU ME BE PE KR OU, PEVCRANAE. P A RT EE Dans le deflein de vérifier la valeur des degrés terreftres du Méridien . & de parvenir à la connoiflance de la véritable FIGURE DE EA TERRE: ON FENAN T CE QUHOBSE PASSÉE A LIMA, CH REED CE PER OUSE T Ar ROYAUME DE CHELE AVEC EA DESCRIPTION DE CES PATSS Celle des Côtes & de la Navigation, notre retour en E/pa- gne par le Cap de Horn, & les événemens qui nous font furvenus dans ce retour. A Ë ; 7 '/ À! {| 3 S { A: \k 7 4 ÉD À K EN EN LA UNE Ÿ D TZ = ANT 41, * , RENTE OLA je Lee A AU NA L< À JD A) Lace A CA EM gr ut IE ee Sn en a 0000000 A On à ED ee Re ed os - VILLES FATT AU .R OUT .A UM E DCR OP UE Aline cena APYS SOI SRI IENTNERI NN LYON AI TRANIETN ON SOINS AAC ER DR SERRE Contenant les motifs de notre Voyage à Lima. Relation de ce Voyage. Defcription des Peuplades qui fe rencontrent fur la route, & de la Ville de Lima. ENTAETILIS LILI LTÉE LLILILLI III TELILI SLI DIS LI LIT TIZLES LILI ii tai ii ir ILLLL.: LE.) , CE die EE: » ÆE Voyage par terre de Quito à Truxillo.. Raï/ons de notre départ pour Lima. Relation de la Route ES des Peuplades avec la R maniere de voyager en ces Pays. À variété des accidens auxquels les entreprifes & difpofitions hu-- f maines font expofées, influant avec une inconftante mais admi- rable harmonie fur l'ordre de nos aétions, n’y répand pas moins de variation & de changement. C'eft éette variété qui dans le Monde vi-- fible & végétable embellit la Nature, & rend plus recommandable la’ Puiffance; & la Science infinie du Suprême Artifan ne- brille pas moins,» dans : 409 ÿ OY AGE MA LP ER O L. dans le Monde Politique, où l'on admire la diverfité des événemens, la multitude & ia différence des aétions, & les effets divers de la Politique, qui fe fuccédant les uns aux autres avec un enchaînement continuel, for- ment ce beau fpeétacle que nous voyons briller dans jes agréables Champs de l'Hiftoire. L’inconftance que l’on obferve même dans les chofes les plus folides & les plus ftables, n’eft fouvent pas un des moindres obfta- cles qui empêche qu’on ne retire tout l'avantage qu’on fe promet des ouvra- ges de quelque durée. Quelque grands que l’efprit les ait conçus &entrepris, ils tombent en décadence, & font ruinés par les viciffitudes des tems, & par l'inconftance des chofes, qui s’oppofent à leur perfeétion. T'antôt c’eft faute de protection & d’appui qu’on eft forcé d’enabandonner l'exécution ; tantôt ce font les.délais, les difficultés, & mille embarras qui rebutent l’efprit, le découragent , & le mettent dans l'impoflibilité de continuer. Notre prin- cipale entreprife, qui confiftoit à mefüurer les degrés du Méridien près de Equateur, confidérée en idée & dépouillée des difficultés de l'exécution paroifloit aifée ; mais l'expérience nous defabufa, & nous fit reconnoître qu’elle ne demandoit pas feulement de notre part du travail & de l’appli- cation, mais aufli qu'un ouvrage de cette importance, où toutes les Na- tions étoient intéreflées, ne manquoit ni d’embarras, ni de retardemens, ni d’obftacles, qui devoient en augmenter le mérite. Car outre les diffi- cultés qui naïfloient de l’entreprife même, par rapport à l'exactitude né- ceffaire dans les obfervations, le tems qu’il falloit pour parvenir au point défiré, les interruptions caufées par les nuages, par les Montagnes & le terrein, tout cela s’oppofoit à la briéveté de l’entreprife, & donnoit lieu de craindre que s’il fe joignoit à ces difficultés, des obitacles exté- rieurs, ils ne rendiflent la chofe imparfaite, finon tout-à-fait, du-moins pour quelque tems, & ne fuflent interrompues de notre part par quelque accident imprévu. J'ai déjà dit dans le 2 Chap. du V. Livre Part. 1. qu'étant arrivés à Cuenca pour terminer nos obfervations Aftronomiques à cette extré- mité de la Méridienne , nous reçûmes inopinément des Lettres par lefquelles le Marquis de 7illa Garcia, Viceroi du Pérou, nous appelloit dans fa Capitale. La maniere preffante dont il nous y exhortoit, n’admettoit point de délai; & toujours prêts d’ailleurs à fignaler notre zéle pour le fer- vice du Roï, nous ne voulions pas différer d’obéir: nous fûmes donc obligés de fufpendre pour lors notre ouvrage, quoiqu'il n’y manquât pour le terminer que la.feconde obfervation Aftronomique à la partie du Nord où fnifloit la fuite des triangles. Le VOYAGE AU PER@%F Er. L Ca L 401 Le füjet qui porta le Viceroi à nous appeller auprès de lui, venoit de ce qu’il avoit reçu avis que la guerre étant déclarée entre l'Efpagne &T An- gleterre, cette derniere avoit réfolu de fe prévaloir de cette circonftance pour envoyer une grande armée navale dans ces Mers, avec des vues fe- crettes, dont la principale étoit de faire quelque entreprife importante ou fur les côtes, ou fur les ports de ce Païs. On avoit propolé diverfes pré- cautions néceflaires pour s’oppofer à ces deffeins; & le Viceroi croyant peut-être que nous pourrions être de quelque utilité dans cette conjonétu- re, voulut bien confier à notre conduite une partie des mefures qu'il fal- loit prendre, nous faifant entendre que le choix qu’il faifoit de nous étoit une preuve de fon eftime particuliere, à laquelle il fe flattoit que nous fe- rions d'autant plus fenfibles, que 400 lieues de diftance n’avoient pas em- pêché que nous ne fuffions préfens à fon fouvenir, dont il nous donnoit une fi glorieufe marque dans cette occafion. Le 24 de Septembre 1740. les Lettres du Viceroi nous furent remifes, & immédiatement après nous prîmes la route de Quito, où nous voulions nous pourvoir des chofes néceflaires pour le voyage. Nous partîmes de cette Ville le 21 d'Oûobre, prenant notre route par Guaranda & Gua- yaquil; car quoiqu'on puile faire le chemin par terre en paffant par Cuen- ca & Loja, l’autre route nous parut plus commode, tant parce qu’on n'y eft pas expolé à être fi long-tems retardé par les mauvais chemins, qu’à caufe qu'on a avec plus de facilité & de ponétualité les montures néceflai- res, n'étant pas expofés à être retenus dans les différentes Bourgades, fans compter les autres accidens qu'on éprouve communément dans cette route; & qui font caufés par les Rivieres, les torrens & les déborde- mens des eaux. Le 30 d'Odobre nous arrivâmes aux Bodegas ou Magazins de Baba-hoyo, & prenant un Canot léger nous continuâmes notre route par la Riviere jufqu'à Guayaquil, où nous étant embarqués fur une petite Fregate qui par- toit pour le Port de Puna, nous y vinmes donner fond le 3 de Novembre. Là nous fretâmes une grande Balze, & nous fimes route au-travers dece Golfe jufqu'àa Machala. Mais quoique communément & réguliérement on gouverne par le Saut de Tumbez, nous fûmes obligés de dériver, le Pilote ne connoiffant pas bien l'entrée de cet Eftero ou Bras de Mer, qu'on appelle de Fambéli, où Te trouve le Sant. Enfin le $ Novembre 1740. au matin notre Balze approcha de la plage de Machala, dont le Bourg, où nous nous rendîmes par terre, eft diftant d'environ deux petites lieues. Tome JT. Eee Le 2e ne ARS PE RL PR pansrenssuse 102 VOYAGE AU PEROU. Le jour fuivant 6 nous fimés partir nos équipages dans un grand C nb, pour le Saut de Tumbez ou Bonque; je me mis fur ce Bâtiment, me trou- vant extrêmement indifpofé d’une rude chute que j'avois faite dans le Bourg. Don George Juan & les domeftiques fuivirent à cheval par ter- re ,chemin qu'on ne peut faire qu’en défilant un à un; car le terrein étant fort uni, il eft rempli de marais falés, qui font inondés à chaque marée. Le Saut où j'arrivai le 7 dans la nuit, eft un endroit qui fert de port aux petits Bâtimens, comme bateaux, balzes &c. Il eft fitué dans l’in- térieur de quelques Æfléros, ou Bras de Mer, & en particulier de celui qu'on nomme ambéli, diftant de la plage de 14 à 15 lieues. Cet endroit n’eft abfolument point habité, parce que ni là, ni à une grande diftance aux environs il ne fe trouve pas une goute d’eau douce, & ainfi ce lieu n’eft bon qu’à fervir d’entrepôt aux marchandifes que l’on charge fur ces petits Bâtimens : de-là elles font tranfportées à Tumbez par des mules , qu’on y tient prêtes pour cet effet, & c’eft-là tout le commerce que fait le Bourg dont nous avons parlé. Non feulement le Saut eft inhabité, mais on n'y trouve pas même de couvert; tous les bagages & marchandifes qui y arrivent, font mis dans un petit endroit en plein air ; & com- me il eft fort rare qu’il tombe de la pluye en ce climat, il n’eft pas à craindre que ces effets fe gâtent en attendant qu'on les tranfpor- te à T'umbez. Dans cet endroit, ainfi que partout fur le bord de la Mer, les Arbres appellés Mangles ou Mangliers font fi épais, que leurs racines & ra- meaux entrelaflés le rendent tout-à-fait impénétrable, & extrêmement incommode par la quantité prodigieufe de Mosquites qui s’y aflemblent , & contre lefquels il n’y a pas d'autre moyen de fe défendre que d’éten- dre une groffe toiie dans l'endroit où l'on arrive, & de fe mettre deffous jufqu’à ce que les montures foient prêtes, & qu’on puifle fe remettre en chemin. L'intérieur du terrein où la marée ne parvient pas, eft entre- coupé de collines & couvert d’arbrifleaux fauväges où l’on trouve beau- coup de Daims & de Tigres. Les piquures continuelles -& infuportables des Mofquites, ‘ne laïffant aucun repos aux voyageurs , leur procurent l'avantage de ne pouvoir être furpris par les Tigres, animaux dañgereux dont on ne peut fe garantir que par une attention continuelle ; & l’on a ‘de triftes & Jlamentables exemples du rifque que l’en-court de leur part dans ces contrées. | Le 9 au matin j'arrivai au Bourg de Tumbez, qui eft à fept ES cis- VOYAGE AU PEROU. Lav. I CTI. 403 diftance du Saut; & comme tout le chemin eft inhabité & dans un ter- rein en partie noyé, & en partie couvert de fables ftériles, il arrive que le Soleil par fa reverbération caufe une fi grande incommodité, qu'on eft obligé d’aller la nuit, afin que les mules ou les chevaux puiffent fappor- ter la fatigue: car y ayant fept lieues pour aller, & autant pour revenir, fans eau douce, ni rien à manger, c’eft affurément une grande journée pour ces animaux; mais ce feroit encore bien pis s’ils la faifoient de jour. C’eft aufi pour cela que jamais les montures ne partent de Tumbez pour le Saut fans être précédées par un Exprès, qui fait préparer tout ce qui eft néceffaire ; à quoi on deftine d'ordinaire un homme de l’équipage du Vaifleau ; fans cette précaution ce chemin feroit impraticable, n'étant pas poflible de s’arrêter en cet endroit. Don George Fuan étoit arrivé à Tumbez le 8, & quelque mouvement qu'il fe donnât pour avoir promtement des mules pour continuer notre voyage , il ne put fi bien faire que nous ne fuflions retenus quelque tems. Nous enprofitâmes pour mefurer le 9 la latitude de cette Bourgade au moyen d'un Quart-de-cercle, & nous la trouvâmes de 3 deg. 33 min. 16 fec. vers le Sud. Il y a dans le voifinage de Tumbez une Riviere du même nom qui fe jette dans le Golfe de Guayaquil, presque vis-a-vis de l'Ile de l'Æmortajado, ou Ste. Claire. Les Barques, Batteaux, Balzes & Canots, la peuvent re- monter jufques au Bourg, ayant environ 3 brafles d’eau de profon- deur, & 25 toifes de large. Mais en Hiver il eft dangereux de la remon- ter à caufe de la rapidité du courant, qui eft augmenté par les eaux qui defcendent de la Sierra où Montagnes en abondance dans cette faifon. A peu de diftance de ces Montagnes, à un des bords du Fleuve, fe trouve la Bourgade, fur un terrein fort fablonneux , & tant foit peu inégal à caufe des petites éminences de fable affez femblables auxsdunes. Le Bourg confifte en 70 maifons de cannes, couvertes de chatte, & bâties ça & là fans ordre ni fimétrie, qui fervent de demeure à 150 familles de Métifs, Indiens, Muldtres, & quelque peu d’E/pagnols. Outre ces famil- les, il y en a encore d’autres qui habitent le long des bords du Fleuve, &- qui jouiffent de'quelque agrément dans leurs verres, par la commodité qu’ils ont de les arrofer. L'air y eft extraordinairement chaud & fec, deforte qu'il y pleut rarement, & quand cela arrive, ce n’eft qu’au bout de plufieurs années, & alors la pluye dure tout l'Hiver. Depuis le Bourg de Tumbez jufqu'à Bee 2 Liina éd 404. VOYNGE"NU PE R OU. Lima tout ce Pays eft connu dans la partie qui s'étend depuis le panchart de la Cordilere des Andes jufqu’àa la Mer , fous le nom de Vullées: & ainñ on ne fera pas furpris s’il en eft parlé quelquefois fous ce nom dans di- vers articles de cette Hiftoire. Ce fut à Tumbez que les E/pagnols aborderent pour la premiere fois à cette partie de l'Amérique Méridionale , fous la conduite de Don Francifco Pi- garro en 1ÿ26, traitant alors paifiblement avec les Caciques Seigneurs de la Contrée, & déjà Vaflaux des Zncas. Si les Jndiens furent étonnés de voir les E/pagnols , ceux-ci ne le furent pas moins de voir les grandes ri- chefles des habitans, les Palais, les Temples, & les Forterefles bâties de pierre, & dont il ne refte aujourd’hui aucun veftige. Sur les rives agréables de ce Fleuve, auffi loin qu’on peut tirer des ca- naux pour arrofer & humecter la terre ,on recueille du Maïz en abondan- ce, & les autres Fruits & Racines qui croiflent dans les Pays chauds, Dans l'intérieur des terres où l’on ne jouit. pas de cet avantage , il y a une efpéce d’Arbre légumineux nommé Ægarrobale ; qui porte un ha- ricot fort réfineux avec quoi on nourrit toute forte de Bétail. Ce légume n'eft pas tout-à-fait femblable à celui que l’on connoît en Æ/pagne fous le nom de Yulencia: fes coffes ont quatre à cinq pouces de long, fur envi. ron quatre lignes de large. Sa couleur eft blancheâtre entremêlée de peti- tes taches jaunes. C’eft une nourriture qui fortifie les bêtes de fomme, & qui engraifle extrêmement les troupeaux , & donne à leur chair un très-bon goût, par lequel elle fe diftingue. Le 14 ayant pouifuivi mon voyage j'arrivai à la Ville de Piura, où je fus obligé de m'arrêter, tant pour yattendre Don Gevrge F'uan , que pour me rétablir de ma chute; & à cette occafion j'éprouvai l’efficace du Sim- ple nommé Calaguéle dont il a été parlé aïlleurs, qui me procura un fi promt foulagement que je trouvai que ce reméde méritoit bien la réputa- tion où ileft Burne & dans toute l’Europe. De la Bourgade de Tumbez jufqu'à la Ville de Piura, il y a foixante & deux lieues, que nous fimes en cinquante-quatre heures, non compris le tems où nous nous repofâmes. Le grand pas des mules, & leur con- tinuité à marcher, font caufe qu’elles font plus d’une lieue par heure. On compte quarante-huit lieues jufqu’au Bourg d’Amotapé, qui eft le feul lieu habité dans toute cette route, le refte étant entiérement défert: c'eft pour cela qu’on ne donne que deux ou trois heures de repos aux montures, quand elks en ont befoin,. ou qu'on eft à portée de leur faire boire un peu VO YAGErTAU"PEROU. Liv. IL CAPE 40$ ) peu d’eau falée & bourbeufe, les feules qu’on rencontre dans toute cet- te route. En fortant de Tumbez on traverfe la Riviere dans des Bul- ges, on entre enfüuite dans une épaile Forêt d’Algarrobales, & d’autres arbres, qui dure environ deux lieues; après quoi on commence à côto- ver le rivage de la Mer jufqu'ä Mançora, diflant de Tumbez de 24 lieues ou environ. Pour aller à un Mançora, il faut tâcher de profi- ter du juffant ou reflux pour pañler un endroit nommé Malpaffo à 6 lieues environ de Tumbez. C’eft un rocher efcarpé que la marée bat quand elle monte ; & comme il n’y a aucune trace de chemin au-deflus à caufe des roches, des crevafles & des précipices dont il eft entrecoupé , il faut pafler par-enbas dans toute fa longueur qui eft d'environ demie-lieue, & ne pas attendre le tems où la marée monte ; parce qu'alors cet étroit efpa- ce eft entiérement fermé & inondé, & qu'il eft même dangereux de sy trouver quand le montant arrive. Il eft encore à propos de profiter dans ce même voyage, de l’occafion où la Mer n’eft point dans fon flux; car toute cette Contrée étant couverte de dunes, les montures y nl roient, & fe fatigueroient tellement dés les premieres lieues, qu’elles ne pourroient continuer le voyage. Il faut donc étre attentif à pañler avant que le flot vienne, & prendre fon chemin le plus proche qu’il eft poffible du rivage, où les ondes fe brifent, & où le fable eft plus ferme qu’à une plus grande diftance de la Mer. Mançora eft un lieu où coule en Hiver un petit ruiffeau d’eau douce, où l’on peut abreuver les mules; mais en Eté, à peine refte-t.il dans fon lit un peu d’eau croupifflante & faumache, que la nécefité feule peut faire boire, tant elle a un goût defagréable de fel. Les bords du ruiffleau rendus fertiles par fon humidité, font couverts & bordés de cet arbre, qu’on nomme Algarrobale ,en fi grande RE de Ge fi épais, qu'il forme comme une fombre Forêt. Depuis Mançora on continue à marcher encore r4 lieues parmi des Coliines un peu éloignées du rivage, deforte qu’il faut tantôt monter & tantôt defcendre, jufqu’à un lieu nommé 4 Crevafle dé: Parignas, qui eft le fecond féjour, & où il faut obferver la même chofe qu'a Mançora. De- là on fait encore dix lieues par des Plaines de fable jufqu'au Bourg d’4-- motapé , toujours à une petite diftance de la Mer. Ce Bourg, dont la Latitude Auftrale eft par les 4 deg. 51 min. 43 fc. eft une annexe de la Cure de Tumbez, & fait partie de fa Lieutenan- ce, qui pour le Civil en eft une du ne de Piura. Le Bourg con-- Gite en 30 maifons de cannes, couvertes de chaume, & habitées par: Dee 2 des: 406 OM G'E AT P ER OU. à des Indiens & des Métifs. A un quart de lieue de-là coule une Riviere du même nom que le Bourg, & dont les eaux rendent le terroir fort fertile: c'eft pourquoi auffi il eft tout enfemencé & cultivé, & l'on y recueille en abondance du grain, des racines, & des fruits convenables à un climat chaud tel que celui-ci; qualité qui l'aflujettit, ainfi que Tumbez , au fléau continuel des Mofquites: en Eté on traverfe la Riviere à gué, mais en Hiver qu’il pleut fur les Montagnes, il faut la pañler en Balze, car alors fa profondeur & fa rapidité augmentent de beaucoup. On eft obligé de la pafler quand on veut aller à Piura, & après qu’on l’a paflée on mar- che environ quatre lieues dans des Forêts d’ÆAlgarrobales extrêmement hauts. Après cela le terrein s’éclaircit & devient fi fablonneux, que les plus habiles Voituriers & les meilleurs Routiers Zndiens perdent fouvent Ja trace du chemin; car le vent impétueux poufle le fable, détruit les dunes qui pourroient diriger les guides,.& efface jufqu’au moindre fen- tier. Dans cet horizon terreftre il faut régler fa route & la diriger par lorient du Soleil, fi c’eft de jour, & fi c’eft de nuit par certaines Etoi- les: c’eft à quoi les Indiens font peu d'attention, aufi s’égarent-ils fré- quemment & ne peuvent retrouver le vrai chemin qu'avec bien de la peine. On peut juger, par ce qui a été dit, de lincommodité dé cette route, où il faut porter, jufqu'à Amotapé, tout ce dont on a befoin pour man- ger, & de l’eau pour boire, & avoir la précaution de prendre de lama- dou, & tout ce qu'il faut pour faire du feu, fans quoi il faudroit manger la chair toute crue. Dans le voifinage d’Æmotapé il y a une Mme d’u- ne efpéce de bitume nommé Copé, dont on fe fert au-lieu de goudron. On enenvoye une grande quantité à Callao, & autres Ports: mais il a le défaut de bruler les amarres & cordages, toutefois on s’en fért parce qu'il eft à bou marché, imais en y mélant au goudron. La Ville de Piura, qui eft aujourd’hui le Chef-lieu de cette Sénéchaus- fée, fut la premiere Peuplade des E/hagnols au Pérou. Elle fut fondée en 1541 par Don Francifco Pigarro, qui y fit bâtir la premiere Eglife. On ï1 donna d’abord le nom de Sr. Michel de Piura, & on la bâtit au commen- cement dans la Vallée de Targafala, mais elle n’y fubfifta pas longtems; l'air y parut fi malfain, qu’on. jugea à propos de la transférer là où elle eft préfentement. Elle eft aujourd’hui fituée fur un terrain fort élevé & fablonneux. Sa Latitude Auftrale eft par les 5 deg. 11 min. 1 fec. & on obferve que l'aiguille y varie de 8 deg. 13 min. Nord-Eft. Ses mai- fons font bâties de briques crues, car on en employe peu d’autres dans ces O'YAGE AUPEROU. Liv.l. C#n LL 407 ces Contrées, où d’une efpéce de rofeaux qu’on appelle Quinchas; com: munément elles font fort bafles. Le Corrégidor, ou Sénéchal, y fait fa réfidence ; fa Jurisdiétion s'étend partie da le Pays des V allé es, partie dans celui des Montagnes. Il y a dans Piura un Bureau. des Finisess du Roi, avec un Contador où Controlleur, & un Tréforier, qui fe relévent tous les fix mois, l'un faifant fa réfidence au Port de Payta, l'autre à Piura. Celui-h eft prépofé pour percevoir les droits d’entrée fur les mar- chandifes qui débarquent dans ce Port pour . cette route, &: eft auffi chargé de veiller à empêcher la contre Celui-ci doit faire Ja même chofe à l'égard des marchandifes qui paffent par Piura, foit qu’el- Jes viennent des Montagnes vèrs Loja, foit qu’elles ayent pal par d'ets bez pour aller à Lima. Piura contient environ 15000 habitans RÉF Métifs, Indiens, & Mulâtres. Parmi les premiers il y a des Familles diftinguées. L’air yeft chaud, & fort fec, attendu qu’il y pleut encore moins qu'à Tumbez , mais ileft fan. Ily pale une Riviere qui baigne les maïfons, & qui ferrilife Jes terres ; & comme le Pays eft Fonhens & uni,on peut mener l’eau '& la diftribuer comme on veut par le moyen des canaux. En Eté l’eau y manque fi abfolument qu’on ne voit pas même la moindre. trace de fon pañlage, & le peu d’eau qui vient des Montagnes fe perd dans fon lit; deforte que la Ville n’a pas d’autre reflource pour remédierà cet inconvé- nient, que de creufer des puits profonds à proportion de la fécherefle de l'année, & d’en tirer toute l'eau qu'il lui faut pour les divers befoins de Ja vie. Il ya à Piura un Hôpital deffervi par des Religieux Bethléemites. ‘On y guérit toute forte d’infirmités & de maladies, fur-tout le mal de Naples, dont la cure eft admirablement aidée par la qualité du climat: ceux qui font infeétés de ce vilain mal y accourént de toutes parts, & l'on remar- que qu'on y employe en moindre quantité, que dans d’autres Pays, le fpécifique convenable, & que fans tant incommoder le malade ôn le ré- tablit dans fa premiere fanté. Comme tout le terroir de ce Corrégiment, compris fous le nom de Val- lées, ne produit que des Agarrobales , du Maïz, du‘Coton, du Grain, quel- que peu de Fruits & de Racines, dont les habitans fe nourrifient,, leurs plus grandes richeffes confiftent dans les pâturages, où ils -engraiflent de grands troupeaux de chévres, & de chevreaux, dont les Doc eries font toujours fournies, tandis que de leurs peaux on fait du maroquin, ji de Jeur 403 VOYAGE A U P E-R«OQU. leur graifle du favon, dont 1l e confomme une grande quantité à Lima, Quito, & Panama, où l'on en fait des envois confidérabies. Une autre branche du commetce de Piura, c'eft la Cabuye ou Pite *, dont il croît une prodigieufe quantité dans la partie montagneufe de cette Jurisdiétion. A quoi il faut encore ajoûter un autre commerce actif, qui n’eft pas moins avantageux; je VEUX parler des troupeaux de mules dont les habitans de cette Ville & de fon diftriét, retirent un grand profit; car toute forte d'effets ou de “marchandifes qu'on tranfporte de Quito à Lima, ou qui venant d’'E/pagne débarquent au Port de Payta, ne peuvent être remifes > Jeur deftination que par les mules de cette Ville & de fon diftriét. Ces envois font fi fréquens, qu'il eft aifé de comprendre quelle quantité de mules doivent être employées , ce travail, qui dure fans discontinuer , mais plus ou moins fortement felon les faifons; car il eft bien plus fort quand les Rivieres font à fec, ou qu’il n'y a que très-peu d’eau. Dès que Don Forge Juan ut arrivé à Piura, nous fimes préparer les montures qui nous étoient néceflaires, &le 21 nous continuâmes notre route. Le lendemain nous arrivâmes au Bourg de Séchura, à dix lieues comptées d’après le tems que l’on met à les faire. Toute cette rou- te eft déferte, & le Pays fort uni, mais couvert de fable, qui fatigue rai- fonnableméhnt les montures. Quoique d'ordinaire le voyage au Perou fe faffe fur des mules, à cau- fe du mauvais état des chemins, qui ne permet pas qu’on ait d’autres voi- tures, on peut pourtant avoir l'agrément d'aller en litiere depuis Piura jufqu’à Lima. Au-lieu de brancard, ces litieres font fufpendues à deux cannes d’une groffeur pareïlle à celles de Guayaquil, & elles font tellement difpofées qu'elles ne touchent point l’eau quand on pale les Rivieres, ni ne heurtent contre aucun embaras d'un chemin inégal. Soit qu'on monte ou qu’on defcende, foit que Fon pañle une Riviere, on ne fent pas le moindre cahot. La Comme les montures que l'on prend » Piura font tout le voyage juf- qu'a Lima fans être relayées, & que dans cet efpace de chemin il faut traverfer plufieurs déferts, non moins fatigans par leur longueur, que par la qualité du chemin tout de fable, il eft à propos de donner quelque repos à ces animaux pendant le cours du voyage, particuliérement à ÔC- chura, parce que de-là on entre immédiatement dans le défert qui porte le me- _ Sorte d'Aloes dont on fait du fil fort & délié N. d. T. AH ue VOYAGE AU‘PEROU. Liv. I CL dép même nom. Ce fut le motif qui nous y retint deux jours, pendant le- quel tems nous obfervâmes que ce lieu eft par les 5 deg. 32 min. 335 fec. de latitude auftrale. ‘Éé Bourg de Sechura fut d'abord bâti tout proche de la Mer, peu éloigné d’une pointe nommée Aguja.Mais ayant été fubmergé & englouti par la Mer, on l’établit à environ une lieue, qui ef la diftance qui fe trouve aujour- d’hui entre le Bourg & la Mer. Il y a dans le voifinage une Riviere du même nom que le Bourg , a laquelle il arrive la même chofe qu'à celle de Piura. Quand nous la pañlâmes il.ne paroifloit pas y avoir jamais eu d’eau; mais depuis les mois de Fevrier, Mars, jufqu'à celui d’Août. & même de Septembre, elle en eft fi bien fournie, qu'il n’y a pas moyen de la guéer, mais 1l faut la paîler en Balze; c’eftce que nous éprouvâmes dans notre fecond & troifiéme-voyage à Lima. Quand elle eft à fec, on peut auffi creufer dans fon lit des puits qui fourniffent. de l’eau, mais une eau épaifle & faumache. Sechura contient environ deux cens maïfons de can- nes, avec une Eglife fort grande & bâtie de briques: fes habitans font tous Indiens, au nombre de quatre.cens familles, presque tous Voitu- riers où Pêcheurs. Les maifons de toutes ces Bourgades font fi fimples, & il y a fi peu d'art, que leurs parois ne font que de rofeaux fichés en terre & mêmeaf- fez peu avant ; le toit qui eft plat, eft auffi de rofeaux , qui n’étant pas bien joints enfemble, donnent des ouvertures de partout, & le foleil &ie vent pénétrent facilement dans l’intérieur des maïfons. Leurs Habitans Zndiens ont une Langue différente de:celle des autres Jndiens de Quito, & durefte du Perou; c’eft ce qu’on remarque principalement dans plufieurs endroits des Vallées; & non feulement leur langage differe dans les mots, mais aufli dans l'accent; car outre qu’ils donnent à leurs paroles un fon aflez femblable à un chant trifte & élégiaque , ils mangent la moitié des ne bes finales, comme s’ils manquoient d’haleine pour les achever. L’'Habillement des Femmes Jndiennes de ces Contrées, differe auffi en quelque chofe de celui des autres. ‘Il confifte en un ÆAnac, comme celui -que portent les Femmes de Quito, mais fi long qu’il traîne par terre: il eft auffi beaucoup plus large, & fans manches; il n’eft point attaché par une ceinture ; quand elles marchent elles le relévent un peu, & leretrouflent fous les bras. Elles fe couvrent la tête d’une Pagnede coton blanc, brodée, ou brochée de diverfes couleurs ; avec cette différence, ‘que les Veu- -ves en portent de noires. L'état de chacune fe diftingue par leur maniere de fe Toinc I. Fff Coi- 410 VO YAEGT' A Ù' P ER:O LU coifer; les Vierges & les Veuves divifent leur chevelure en deux treffes. qui pendent fur chaque épaule, & les Femmes mariées ne portent qu’une trefle. Elles font généralement laborieufes : leur occupation ordinaire eft de faire des ferviétes, & autres ouvrages de coton. Les Hommes vivent à . l'Efpagnole, & par conféquent portent des chauflures; mais les femmes vont nuds-pieds: ils font naturellement fiers, altiers, & intelligens; leurs mœurs different un peu des mœurs de ceux de Quito. On voit parmi eux la preuve de ce qui a été dit au Chap. 6. Liv. 6. de la premiere Partie de cet Ouvrage, que la connoïffance de la Langue Cafbillane les rend plus habiles en une infinité de chofes: 1l n'y a perfonne d’entre eux qui ne pofféde cette Langue; ils la parlent communément , & la mêlent indiffé- remment avec la leur. Ils réufliflent fort bien dans tout ce qu'ils entre- prennent; ne font ni fi fuperftitieux, ni fi fujets au defordre & aux vi- ces que les autres Jndiens; & enfin à la couleur & aux autres accidens corporels près, ils font trés-différens du refte de leurs compatriotes. Mé- me dans le panchant à la boiffon, & dans les autres pañfions caraétérifti- ques des Jndiens, ils témoignent une certaine modération, & quelque amour de l’ordre. Au-refte pour éviter des redites ennuyeufes, je dirai en deux mots que tous les Zndiens des Vallées depuis Tumbez jufqu’à Lima, font généralement tels que nous venons de les reprefenter, adroits, fa- ges, & civils, plus qu'on ne fe l'imagineroit. Sechura eft le dernier Bourg de la Jurisdiétion de Piura de ce côté-là. Ses habitans non feulement refufent de fournir des mules à ceux qui en demandent , mais même ne laiflent pañler perfonne de quelque qualité qu’on foit, fi on n’eft muni d’un pañleport du Corrégidor; c’eft une pré-. caution que l’on prend dans la vue d'empêcher le commerce illicite. En fortant du Bourg, il n’y a que deux chemins, celui du défert, & un au- tre nommé le Rodéo. Il faut opter entre ces deux routes. Si l'on prend celle du défert, il faut, outre les montures, prendre des mules à Sechura pour porter de l’eau, dont on abreuve à la moitié du chemin les bêtes de charge. On emplit d’eau des outres , ou de grandes calebafles ; pour quatre bêtes de charge, il y a une, muié chargée d’eau, & une autre pour les deux mules qui portent la litiere.. Quand on va en chaife roulan- te, on charge l’ean fur la chaife-même dans des outres faits exprès. Soit qu'on aille en litiere, en chaife, ou à cheval, il faut que chaque voya- geur fafle fa propre provifion d’eau pour boire, fans quoi il rifque de pé- ur de foif; car dans toute cette route on ne voit que fable, que tourbil- Jans VOYAGE AU PEROU, Liv. I. Cu. I. 4I lons que le vent forme du fable, quelques pierres de fel fort clair femées, mais ni arbre, ni herbe, ni quoi que ce foit de verd. Le 24 nous partimes de Sechura, & entrant dans le défert nous mar- châmes fans nous arrêter que pour prendre quelque repos & abreuver nos mules; & le jour fuivant fur les cinq heures du foir nous arrivâmes au Bourg de Morropé, ayant fait 28 à 30 lieues, qui eft la diftance de ce Bourg à celui de Sechura; & fi ceux du Pays en comptent davantage, il ne faut nas les en croire. Le terrain eft fi égal, fi uni, & d’une fi vafte étendue, qu'il eft aifé de fe tromper de chemin; d’ailleurs le fable eft fi continuellement remué par le vent, que les plus habiles routiers perdent la trace & font dans un moment hors des voyes. L’habileté des guides confifte à revenir fur la voye & à retrouver le chemin dans ces fortes d’oc- cafions. Pour cet effet on fe fert de deux moyens; le premier, c’eft d'obferver fi l'on a le vent en face quand on va vers Lima, & au dos quand on en revient: avec cette régle on eft für de ne point s’égarer, parce que les vents de Sud régnent conftamment dans cette Contrée. Le fecond moyen de reconnoître Ja voye, pratiqué par les Indiens, c’eft de prendre dans leurs mains, en diverfes places, des poignées de fable », & de le flairer ; ils diftinguent par l’odorat fi des mules ont Pañlé par-là, peut-être parce que le crotin de ces animaux laiflfe quelque impreffion dans le fable. Ceux qui n’ont pas une connoiffance fuffifante de ce Pays, & qui s'arrêtent pour repofer & pour dormir > S'expofent à un grand dan- ger; Car ils courent rifque à leur réveil de ne favoir quelle route tenir, & pour ainfi dire où donner de Ja tête: or, dés- qu’une fois on a perdu la tramontane dans ce défert, il faut périr de mifere ou de fatigue, com- me cela eff arrivé à plufieurs perfonnes. Le Bourg de Morropé a environ 70 à 8o maïfons bâties comme celles des Bourgs précédens, & à peu près 160 familles toutes Indiennes. 1] eft fitué auprès d’une Riviere appellée Poguélos, à qui il arrive dans l'Eté la même chofe.qu’à celles dont il a été déjà parlé; cependant on voit le long de fes bords beaucoup d’Arbres , & de Chacaras ou Champs labourés. C’eft une chofe admirable que l’inftinét des bêtes qui font cette route: car dé- ouvrant par la force de leur odorat l’eau de la Riviere à plus de quatre lieues de diftance, elles henniffent & fe déménent fi fort qu’il feroit dif- ficile de les retenir; auffi coupent-elles à travers champ pour arriver plus tôt à la Riviere, & on n’a qu'à les laifler faire, on eft für d’abréger le chemin, & de terminer bientôt la journée. Fff 2 Le aise VOGUE A UP E R'OT Le 26 nous paflämes de Morropé à la Bourgade de Zambayéque , qui n'eft qu’à quatre lieues de-la: Nous y féjournâmes tout ie jour du 27, &‘ obfervâmes que fa latitude auftrale étoit de 6 deg. 41 min. 37 fec. Ce Bourg: eft compofé d'environ 1500 maïfons de: toute efpéce: quelques. - unes font de briques, d’autres de Bajarèques, c’eft-à-dire que ‘les parois en - font de cannes, mais recrepies en dedans & en dehors de terre grafle. Celles où les Indiens habitent ne font que de cannes ou de rofeaux. Le nombre des Chefs de famille -eft d'environ 3000 perfonnes, parmi lefquel-' les il en a quelques-uns de diftinétion & fort à leur aife, le refte confifte : en Efpagnois pauvres, en Métifs, Indiens, & Mulätres. L’Eglife paroïf- fiale eft bâtie de pierres & de chaux. Elle eft grande, fort belle en de- hors, & ornée convenablement en dedans. Elle renferme quatre Chapel- les, qu’ils nomment Ramos , deffervies par autant de Curés,quifont char-- gés alternativement de la conduite fpirituelle des Zndiçns, & des autres Habitans- | Ce qui a rendu-ce Bourg fi confidérable & fi peuplé, c’eft qu'il a été: augmenté-par les familles qui habitoient ci-devant dans la V ille de Sagna, laquelle fut ruinée & faccagée en 168r par le Pirate Edouard David, An-: glois de nation, & quelques années après, la même Ville ayant été fub- mergée par un débordement de la Riviere du même nom, ce dernier. malheur acheva de la détruire. Elle fut entiérement abandonnée par fes habitans, qui vinrent tous s'établir à Lambayéque. Il ya dans ce dernier endroit un Corrégidor, dont la Jurisdition s'étend fur divers Bourgs, & en particulier furcelui de Morropé. Il y a: aufli un Officier Royal, qui y eftenvoyé de Truxillo. : À peu de diftañce du Bourg coule la Riviere nommée auf Lambayéque : quand les eaux font hautes, comme elles l’étoient alors, on la pafle fur un pont-de bois; mais quand elles font balles on la pañle à gué. Il arrive quelquefois qu’elle eft entiérement à fec. Le terroir. de Lambayéque , autant que peut s'étendre l'humidité dela Ri- viere, & l’induftrie des canaux, . eft fertile-en toute forte de Fruits; quel- ques-uns pareils à ceux d'Europe, & quelques autres qui tiennent de la nature des fruits de l’une & de l’autre région, ayant été greffés aux Jn- des. À environ dix lieues delà il y a des treilles, dont les raifins four- niffent quelque peu de vin, mais il n’eft ni fi abondant, ni fi bon que dans quelques autres Contrées du Perou. Les pauvres habitans gagnent leur vie à faire des ouvrages de coton, courtes - pointes piquées , 1an- eaux RE, Le VOYAGETAU PEROUSEMMEN CRT I. 413, ‘ Le 28 nous partimes de Zambayéque, & prenant notre route par le Bourg, de Monfefu, qui eft à quatre à cinq lieues de-là; nous vinmes nous re- pofer près du rivage de la Mer, à un endroit nommé /s Lagunas (les Ma- rais), ainfi appellé à-caufe des mares que forment près de-là les eaux ex- travafées de la Riviere de Sagna ; & le 29 nous étant remis en route, nous pañlèmes à gué la Riviere de Xéquétépéque, laïffant le Bourg du même nom à un quart de lieue de diftance, & nous finîmes notre journée au Bourg de San Pédro à vingt lieues de Lambayéque, & le dernier de fa Jurisdiétion. La latitude de San Pédro fut trouvée de 7 deg. 25 min. 49 fec. Ce Bourg contient environ 130 maiïfons, bâties de Lajarèques , c’eft-à- dire’, de cannes’ recrepies & enduites de terre grafle dedans & dehors. Ses habitans confiftent en 130 Familles Zndiennes, 30 de Blancs ou Mérifs, & 10 à, 12 de Mulätres. * I] ÿ'a un Couvent d’Auguflins qui n’a que trois Religieux, le Prieur , le Curé du Bourg, & fon Secondaire ou Vicaire. La Riviere qui coule auprès $’appelle Pacafinoyo. ‘Tout le terroir efl'fer- tile & abonde en fruits. Le chemin de Lambayéque à San Pedro fe fait le long de la plage, par retailles ou coupures, & l’on en eft aflez prés lors- qu'on s’en éloigne le plus. = Le 30.de Novembre continuant notre voyage, nous paflâmes par le Bourg de Payjan, qui eft le premier de la Jurisdiétion du Corrégidor de Truxillo ; & le 1 de Décembre nous arrivâmes au Bourg de Choco- pé à 13 à 14 lieues de San Pédro. Sa latitude eft de 7 deg. 46 min. aofèc. Le voifinage de la Riviere-nommé Chicama fertilife fon terroir, qui produit en abondance des Cannes de Sucre, des Raïfins, & des Fruits de toute efpéce tant d’Éurope que des Indes. Le Maïz, qui eft la femence la plus générale des Vallées, y vient aufli en abondance. Depuis les bords de la Riviere de Lambayéque jufqu’ici, les Cannes de Sucre crois- fent prés de toutes les autres Rivieres, mais nulle part fi abondamment ni de fi bonne qualité que fur les bords de la Chicama. Le Bourg de Chocopé confifte en 8o à 90 maiïfons de bajaréques, cou- vertes de terre cuite. Il.a pour habitans 60 à 70 familles, la plupart Æs- pagnoles, & ie refte Zndiennes au nombre de 20 à 25. L'Eglife, bâtie de briques, eft grande & décente. On remarque däns ce Bourg comme une chofe fort finguliere dans ces climats, qu’en 1726 il y plut durant quarante jours continuels, avec cette particularité, que la pluye com- mençoit le foir fur les quatre à cinq heures, & finifloit le lendemain ma- in .a la même heure, le Ciel étant ferein tout le refte du jour. Cet acci- | Fff3 dent 414 VOYAGE AÛÜ PEROU. dent imprévu ruina & détruifit toutes les maifons, n'étant refté que quel- ques débris des parois de l'Eglife, qui réfifta davantage étant bâtie de riques. Mais ce qui dut paroître le plus étrange aux yeux de ces pau- vres habitans, c’eft que pendant tout ce déluge les:vents de Sud, non feulement ne varierent point, mais foufflerent avec tant de force qu’ils agitoient le fable changé en limon. Au bout de deux ans il y plut pen- dant onze ou douze jours, mais non pas avec la même force. Et depuis Jors on n’a pas vu de pareil phénoméne, & on ne fe fouvenoit pas d’en avoir jamais vu de femblable auparavant. AC SOI: 5) 5 SA SJ AR) SRI JE SYDNEY NN LANI ON TNA OKI INIITATE ASRESNNI LA P JL ROUE Arrivée à Truxillo. :Defcription abrêgée de cette Ville, £$. continuation du Voyage jujqu'à Lima. Ous ne nous arrêtâmes à Chocopé qu'autant de tems qu’il en falloit pour donner quelque repos à nos montures, après quoi nous conti- nuâmes notre voyage, & arrivâmes heureufement à Truxillo, qui en eft à onze lieues, & dont la latitude felon les obfervations que nous y fimes, eft de 8 deg. 6 min. & 3 fec. Cette Ville fut bâtie en 1535 dans la Val- lée de Chimo par Don Francifco Pigarro. Elle eft agréablement fituée, quoique fur un terrain fablonneux, défaut général des Villes de ces Val- lées. Elle eft enceinte d’une muraille de brique, & quant à fa grandeur on peut la compter parmi les Villes du troifiéme rang. Elle eft à envi- ron demie lieue du rivage de la Mer, & elle a deux lieues au nord: le Port de Guanchaco lui fert pour fon Commerce maritime. ‘Les maifons n'y font pas fans apparence: les principales font de briques avec de beaux balcons, & des portails qui font un bel effet. Celles qui font moins con- fidérables font de bajaréques ; les unes & les autres très-peu exhauflées, & il y en a même fort peu qui ayent-un étage au-deflus du rez-de-chauflée, le tout à-caufe des tremblemens de terre. Ï y a à Truxillo un Corrégidor qui gouverne tout ce Département, un Evêque dont le Diocéfe commence à Tumbez, avec un Chapitre confis- tant en trois Dignités, celle de Doyen, d’Archidiacre, & de Chantre, quatre Chanoïnes, & deux Prébendiers. I] y a un Tréfor Royal & deux Ofüiciers dles Finances du Roi, le Contador & le Tréforier , dont lun, É comme VOYAGE AU PEROU. Liv. L CIL 4rs comme je l'ai déjà dit, pale à Lambayéque pour y réfider, pendant que Pautre réfide à Truxillo. Il°y a dans cette derñiere Ville divers Couvens de différens Ordres; un Collége de Yéfuites, un Hôpital de Notre Dame de Bethl:hem, & deux Monafteres de Filles, l’un de Ste Claire, & l’au- tre de Religieufes de Ste. Théréfe ou Carmélites déchaufées. Les habitans font mélés d’E/pagnols & de gens de toute race. Parmi les E/pagnols, 1 y a des familles très-diftinguées. En général ils font tous civils, bien réglés, & affez inftruits. Les femmes y font habillées à peu près comme celles de Lima, dont on parlera plus amplement ci-après. El- les ont prefque les mêmes ufages. Toutes les familles tant foit peu aïfées ont leurs caléches, fans lefquelles il eft difficile de marcher dans les rues à caufe de la quantité de fable qu’il y a, & c’eft ce qui a fait multiplier ex- traordinairement ces voitures. : Dans ce Climat on remarque une différence fenfible de l'Hiver à l'Eté, depuis cette Ville jufqu’au-delà; car dans la premiere de ces deux fai- fons le froid fe fait fentir, & le chaud dans la feconde. Les campagnes de toute cette J’allée font extrêmement fertiles : elles prôduifent beaucoup de Cannes de fucre, de Maïz, toute forte de Verdures & de F ruits, une partie eft plantée de Vignes & l’autre d’Oliviers. Les terres qui font les plus voifines des Montagnes, produifent du F roment , de Orge, & autres fémblables denrées, non#eulement aflez pour la nourriture des habitans, mais aufli pour en envoyer à Panama, furtout de la Farine de froment, & du Sucre qu’ils ont de refte. La grande fertilité de la terre rend le Pays fort agréable. La Ville eft remplie & environnée d’arbres touffus; les uns forment des rues pour le plaifir de la promenade, les autres forment des vergers & des jardins; on y jouit toujours d’un beau Ciel, ce qui eft un agrément pour les habitans, & une confolation pour les étrangers. A une lieue de la Ville coule une Riviere qui fertilife les campagnes par le moyen des canaux. Nous la paffèmes à gué le 4, & continuant notre Voyage nous paflèmes par le Bourg de Moche, & le jour fuivant nous ar- rivâmes à celui de Bira, à ro lieues de Truxillo.…. Au Bourg de Mocbe, il faut exhiber aux Alcades le pafleport qu'on a reçu du Corrégidor de Tru- %illo, fans quoi ils ne vous laiffent pas paffer non plus qu'a Sechura. - Moche eft fitué par les 8 deg. 24 min. 59 fec. de latitude auftrale. Ce Bourg confifte en so maifons de bajarèques, habitées par 70 familles d'E/pagnols, d’Indiens & de Muldtres. À demie lieue au nord du Bourg on trouve un ruifleau , d’où l’on a tiré divers canaux pour arrofer les terres - qui #16 +VOYAGE À U PBE-R O. qui en dépendent, & qui ne font pas moins fertiles que celles de Truxillo; il en eft de-même des autres Bourgs que l’on rencontre en remontant la Riviere. Le même jour $ nous nous remîmes en chemin, & côtoyant de tems en tems la plage, & quelquefois nous en éloignant , quoique ja- mais plus d’une à deux lieues, nous vinmes le 6 faire alte à un lieu défert, nommé le Tambo de Chao, d'où nous vinmes fur les bords de la Rivierede Santa, que nous pallimes avec le fecours des Chimbadores, pour entrer dans la Ville du même nom, qui en eft à environ un quart de lieue, & à 15 lieues de Biru. Cette route offre de vaftes campagnes de fabie, &deux côtes qui les coupent. Le Fleuve de Santa s’élargit dans l'endroit où on le pañle ordinairement à gué l'efpace d'environ un quart de lieue, & forme cinq branches prin- cipales, par lesquelles il coule en toute faifon avec beaucoup de profondeur. Pour le guéer, il y a fur fes bords des hommes entretenus pour cela, & montés fur des chevaux fort hauts, dreflésà çe manége, & à réfifter au . courant de l’eau , qui eft toujours fort confidérable. Ces hommes font ap- pellés en langage du Pays Chimbadores. Ils font chargés de reconnoître les gués pour conduire à l'autre bord les voyageurs & leurs effets; fans cette précaution il ne feroit pas poñlible.d’en venir à bout, vu que les gués changent fréquemment, & qu'il eft difiicile en arrivant de les découvrir. Il arrive même a lquefois à ces Chimbadores, ge les gués changeant tout : un coup dans quelqu'un des bras du Fleuve, ils font entraînés par la vio- lence du courant & périflent dans les ondes. En Hiver quandil pleut dans les Montagnes, le Fleuve s’enfle de maniere qu'il n ÿ.a pas moyen de le guéer nulle part pendant plufieurs jours , tellement que les voyageurs font obligés d'attendre que les eaux ayent diminué, furtout s'ils ont des mar- chandifes avec eux. Quand on n’eft point ul de bagages “ OILIÉ fert de Balzes de calebafles PRE enfemble, & l’on commence à pañler en louvoyant à fix ou huit lieues au-deflus du Bourg, mais affurément ce n’eft jamais fans danger; car quelquefois le courant eft fi fort qu il emporte la Balge avec fa charge dans la Mer. Lorfque nous le traver- fâmes il étoit extrêmement bas, toutefois par trois expériences que nous fimes fur fes bords, & qui s’accordoient toutes, nous tronvâmes qu'en 29% fecondes de tems l’eau parcouroit 35 toifes, & par conféquent 4271 tdifes dans une heure, ce qui fait une lieue & demie marine. La vio- _Jence de cette eau eft néanmoins un peu moins grande que celle que Mr. _de la Condamine remarque dans la rélation de fon Voyage au Fleuve de Me- VOYAGE AU PEROU. Lav. I Cul. 417 AMaragnon au Pomgo, où Détroit de Manceriche. _Je ne doite pourtant pas que quand L Fleuve de Santa eft parvenu à fon plus hait degré de profondeur , il ne furpañle en célérité l'eau du Pongo 5 & ce qi me le fait croire, cet que lorfque nous fîmes cette æbfervation il étoit afii bas qu’il puifle l'être. | Santa Moria de la Parilla (car c’eft ainfi que cette Ville s’apjelle propre- ment) fut d’abord bâtie fur la plage, dont elle eft éloignée péfentement d’un peu plus d'une demie lieue. Elle étoit dans ce tems-là brt confidé- rable, & très-peuplée ; elle avoit divers Couvens, & un Zorrégidor; mais ayant été détruite par le Pirate Anglois Edouard David a 1685. les habitans l’abandonnerent, & ceux qui n'’avoient pas-les moyens de fe tranfporter dans des lieux plus furs, s’établirent dans l’endroitoù eft pré- fentement la Ville, fi l'on peut appeller ainfi 25 à 30 maifons de bajaré- que, ou de chaume, habitées par des gens fort pauvres, diviés en cin- quante familles d'Indiens & de Mulätres. Nous obferviämesfa latitude par le moyen de quelques étoiles, n'ayant pu le faire par le Sosil, & nous trouvâmes qu'elle étoit fituée par les 8 deg. 17 min. 36 fec. Pendant que nous faifions ces obfervations, il parut dans l’ar un Phé- noméne éclatant, comme une grande vapeur enflammée, ou n globe de feu, femblable à celui dont nous avons parlé dans la premier: Partie de cet Ouvrage, qui fut:remarqué à Quito, quoique moins granc & moins éclatant. Celui dont il eft ici queftion, parcourut un grand efpac à l'Ouëft, & étant arrivé au bord de la Mer, il difparut en faifant un brut pareil à celui du canon. Ceux qui ne l’avoient point obfervé prirent l'alarme, & croyant que ce coup annonçoit l'arrivée de quelque vaifleau das le port, tous les habitans prirent les armes & monterent à cheval, accurant pour border le rivage de la Mer & s’oppofer aux defcentes, au cas me ce fuf- fent des ennemis; mais n'ayant rien apperçu, ils s’en retournent chez eux, laiffant feulement des fentinelles fur la côte pour être avetis de tout ce qui arriveroit. Dans tout ce Pays des J’allées ces fortes de Plénoménes ne font point rares. On en a même vu plufieurs dans l’efpace Cune nuit, dont quelques-uns étoient fort grands & fort brillans, & durdent allez long-tems. Les habitans de ce lieu font affligés d’un fléau infupportable. ce font les Mofquites, qui les défolent, quoiqu'ils duffent y étre accoutumis. Ilya des tems où le nombre en diminue de beaucoup; quelquefois même, mais Tarement, on n'en voit point du tout. Communément ils foifoinent dans Tome L Ggg tou- 418 V'O TAÏGEC AU PEROU toûtes ces Contréés, excepté quand on a pañlé Piura ; car alors onne voit guere de ces infeétes, fi ce n’eft dans les Bourgs fitués près des Fleuves, mais nulle part en fi grande quantité qu'à Santa. Nous partîmes de cette Ville le 8, &arrivâmes à Guaca- Tambo à huit lieues de Santa. Guaca n'eft qu'une Hacienda près de laquelle eft le Tambo, ou Auberge confiftant en un fimple couvert pour loger les voyageurs; un Ruifleau médiocre cou. Je près de-là.. Le 9 nous arrivâmes à une autre Hacienda nommée Manchan, après avoir pañlé par le Bourg appellé Ca/ma-la-Baxa à environ une lieue de la Hacienda. Ce- Bourg n’eft compoié que de "dix à douze maifons avec une Eglife, & dans l'efpace qui eft entre le Bourg & Manchan coule un Ruiffeau afles peu confidérable. La Hacienda de Manchan eft éloignée de e lieues de la précédente. Le 10 nous continuâmes notre voyage par un chemin fort pierreux, & incommode particuliérement pour les litieres. Ce chemin eft'appellé Cueftas de Culebras ;le 11 nous arrivâmes au Bourg de Guarmey à 16 lieues dé Manchan. Nous ne nous y arrêtèmes pas & al- limes giter.à trois lieues au-delà pour faire la Pefcana, c’eft ainfi qu'ils- nomment les couchées ou paufes que l’on fait en chemin dans des Tambos , ou chaumieres qu’ils nomment auffi Culebras, & qui font les gi- tes ordinaires. Le Bourg de Guarmey eft peu confidérable , n’étant compo- fé que de quelque quarante maifons bâties comme celles des autres Bourgs. I yaenviron 70 familles, parmi lefquelles on compte peu d’'E/pagnoles : le refte eft Indiens, Mulätres &c. La latitude de ce lieu eft de 10 deg. 3 min. 53 fecondes. Le Corrégidor qui demeuroit autrefois à Santa, fait à-préfent fa réfidence ordinaire dans Guarmey. Le 13 après avoir marché par des chemins affreux, par le fable conti- nuel, les côtes & les collines, nous arrivâmes à un endroit nommé Calle- jones à 13 lieues de Guarmey.. Parmi les mauvais chemins de cette jour- née, il y en à un furtout nommé le Salte d'El-Frayle où Saut du Moine, qu'on ne pañe pas fans danger; c’eft un rocher vif fort élevé & très- efcarpé: : vers la Mer il faut néceffairement pañler fur la pente de ce ro- cher, au rifque de tomber dans un précipice qui fait frémir les hommes & les animaux. Le iour fuivant nous paffimes par Guamannaÿo, Hameau fitué fur le bord de la Riviere dé Barranca ;. & appartenant au Bourg de Pativilca, diftant d'environ huit lieues de Callejones. Ce Bourg eff le der- nier du reflort du Corrégidor de Santa, ou plutôt de Guarimey. Le Bourg de Pativilca eft médiocre, n'étant compofé que de 50 à 6a Male VOYAGE AU PEROU. Law. I CH IL 4109 maifons, &d'un nombre proportionné d'habitans, parmi lefquels on comp. te quelques familles E/pagnoles; la plupart des habitans font de race mé- lée, mais il y a fort peu d'Zndiens.. :Sur-le bord de la Mer, laquelle n’eft qu’à trois quarts de lieue de Guamannayo, on voit les reftes d’un ancien Edifice des Indiens. Ce font des murailles de briques, dont la grandeur fait aflez voir que ce font les ruines du Palais des anciens Caciques de ce quat- tier, & je ne doute pas que la fituation de ce Palais n’ait été choifie à deffein, la vue s'étendant de-là fur la campagne qui eft fort fertile & fort agréable, & fur la Mer. De Pativilca nous partimes le r5 pour Guaura. Nous paflâmes la Bar- ranca a gué, à l'aide des Chimbadores ; cette Riviere étoit alors fort bafe, & fe partageoït en trois branches; le fond en eft fort pierreux, & par-la même dangereux en tout tems. À une lieue en-delà eft le Bourg de le Buranca, où commence la Jurisdiétion de Guaura. Il contient 6o à 70 mai- fons. Ileft fort peuplé, particuliérement d'ÆE/pagnols. Le même jour nous arrivâmes à Guaura, ayant fai: neuf lieues depuis Guamannaryo. Toute la Ville de Guaura confifte en une rue de près d’un quart delieue de long, & de 150 ou 200 maïfons, les unes de briques, les autres de bajaréques, & quelques cabanes d’Indiens. Outre l'Eglife Paroiffiale 1l y & un Couvent de Francifcains. Avant que d'entrer dans la Ville, on pañle par les plus beaux champs qu'on puifle voir, & en fi grande quantité, qu’ils s'étendent le long du chemin à plus d’une lieue, ce qui rend cette avenue extrêmement agréable; car auffi loin que la vue peut s'étendre vers l'Orient on ne voit que des Cannes de fucre, & vers l'Occident que du Froment , du Maïz , & autres femblables grains , qui couvrent non feulement les campagnes autour de la Ville, mais toute cette vallée qui cft fort fpatieufe. Au bout méridional de larue de Guaura ,eftune grande tourelle avec uné porte, au-deflus de laquelle eft une efpéce de Donjon. Cette tourelle donne entrée à un pont de pierre , fous lequel paffe la Riviere de Guaura, laquelle eft paflablement profonde ,& fi proche de la Ville qu’eile en baigne les fonde- mens fans pouvoir les endommager , parce qu’ils font bâtis fur leroc. En de- R de la Riviere eftune efpéce de Fauxbourg de la même Ville, dont les mai- fons, un peu éloignées les unes des autres, s'étendent le long du chemin à unebonne demielieue. Lesarbres& les jardins, qui rempliflent les interval- les des maifons, rendent ce chemin fort gai. Ayant obfervé par le Soleilla latitude de Guaura , nous la trouvâmes de 11 deg. 3 min. 36 fec. auftrales. Ggg 2 Le Le 420 VOYAGE AU PEROU Le climat de cette Ville eft fort agréable & fort fain; car quoiqu’on -y fente la différence des Saïfons, il eft très-vrai que le froid n'y eft point incommode en Hiver, ni le chaud en Eté. À quelque diftance de Guarmey on trouve plufieurs veftiges des an- ciens Edifices des Zncas.. Les uns font des murailles de Palais , les autres des ruines de murs bâtis de grofles briques, lesquels murs formoient des Chemins Rôyaux d’une largeur {ufffante. Enfin on voit les reftes des For. tereffes ou Châteaux, bâtis dans les lieux convenables pour réfifter à leurs Ennemis & aux Nations avec qui ils étoient en guerre. Un de ces der: niers monumens fe trouve a-deux-ou trois lieues au nord du Bourg de Pa- tivilca, pas loin d’un ruiffeau, & fur une colline. médiocrement haute, à peu de diftance de la Mer. Ce ne font que des débris de vieilles murailles. De Guaura nous nous rendîmes à Chancay, qui en eft à 14. lieues , quoiqu'on n'en compte communément que 12. Cette Ville eft par les 11 deg. 33 min. .47 fec. de latitude auftrale. Elle eft Compofée d’en- viron trois cens ma#ons, les unes de briques, les autres de torchis, ®& plufieurs de cannes. Elle eft fort peuplée, contient grand nombre de fa- milles E/pagnoles, dont quelques-unes font de grande diftinétion; le refté eft mêlé de toute forte de Races, comme dans les autres Villes. Outre Eglife Paroiffiale 1l y a un Couvent de Francifcains, & un Hôpital des- fervi par les habitans mêmes. Cette Ville eft la plus canfidérable du Cor- régiment de fon nom. Le Corrégidor.y fait fa réfidence ordinaire. Il nomme un Grand-Jufticier, qu’il envoye réfider à Guaura pour y être com- me fon Subdélégué, car Guaura reffortit à cette Sénéchauflée. Les Cam. pagnes de Chancay font fertiles &:arrofées des eaux de la Riviere de Pas- famayo , que l'on diftribue par le moyen des canaux. Cette Riviere coule au fud de la Ville, à environ une lieue & demie de diftance. Le terroir produit force Maïz, dont on engraïfe dans les champs de grands troupeaux de Cochons, qu'ils vont vendre à Limas & le profit qu’ils font dans ce commerce, eft caufe qu’ils ne fément prefque que du Maïz. Le 17, jour auquel nous arrivâmes à Chancai, nous en partîmes, & ayant pañlé le Paffamayo à gué, quoiqu'il fût aflez haut, à une lieue de-là nous trouvâmes le Tambo, qui porte le nom de cette Riviere. Ceft-là que commence une Montagne de fable qu'il faut pañler, & qui eft fort incom- mode, tant parce qu'on-y enfonce, qu'à caufe de fa longueur & de la diff- culté de la monter; c’eft pourquoi on choifit-ordirairement la nuit pour la paffer, afin de diminuer un. peu Ja: fatigue. Le. 18 nous arrivâmes à Tanbo VOYAGE AU PEROU. Liv.L Ck.IL sil Tambo de Inga, & le même jour nous «nous rendimes : Lima, ayant fait ce jour-la 12 lieues depuis Chancaï. On voit par le Journal de ce Voyage, que de Tumbez à Piura il y a 62 lieues, de Piura à Truxillo 89, & de Truxillo à Lima 11 3, en tout 264. Ordinairement ce chemin fe fait de nuit, à caufe que tout le Pays étant couvert de fable, la reverbération des rayons du Soleil y eft telle que les mules n’en pourroient jamais fupporter la chaleur durant le milieu du jour: d’ailleurs on n’y rencontre, ni eau, ni herbes > ni rien de fem- blable..… Aufli tout le chemin fe reconnoît plutôt aux oflemens des mu- les qui paroïffent y avoir péri de fatigue, qu'aux traces de leurs pieds; car quoique la route foit fi fréquentée qu'il ne cefle en aucune faifon d'y pas- fer du monde, le vent empêche bien qu’on ne puiffe diftinguer les vefti- ges des pas, & a-peine les mules ont achevé de pañler, qu’il remue le fable & efface entierement l'impreflion de leurs pieds. La verdure & les arbrifleaux y font fi rares, que déès-qu’on en voit on peut être afluré qu’on n'eft pas loin d'une Bourgade, ou de quelqu’autre lieu habité: la raifon en eft que ces lieux font fitués près des Rivieres dont l'humidité produit ces fortes de chofes; car les lieux inhabités ne font tels que paree qu’ils manquent d’eau, & que fans ce fecours les Peuples ne peuvent, ni fubfifter, mi faire valoir les terres. Das tous les lieux habités on trouve en abondance les chofes néëés- faires à la-vie, de la volaille, du pain, du vin, des fruits, le tout très- bon & même délicat & à un prix ordinaire: tout ce qu'il ya, ceft qu'un Voyageur eft obligé de s'apprêter à manger lui-même ; Ou de Je fai- re apprêter par fes domeftiques ; carenvain chercheroit-il dans la plupart des Villages des gens capables de bien faire à Manger. Ce n’eft que dans les grands Bourgs que ceux qui ont Ja direction des Tambos vous préparent à manger. Dans les petits endroits les Tambos, où Logemens, ne font que des chaumieres où l’on ne trouve que les quatre murailles, & un méchant Couvert, fans autre chofe quelconque; deforte qu’il faut qu'un Voyageur porte avec foi d’un lieu à l’autre l’eau > le bois, la viande, &:fes propres uftencilles pour la Préparer. On trouve à-la-vérité en abondance-dans les plus petits lieux, des poules, des poulets, des pigeons, des coqs d’Indes & des oyes, une grande quantité de tourterelles qui fe nourriffent de Maïz & de la graine des Plantes, & qui fe multiplient extrémement: les Vo- yageurs fe divertiffent à la chafle de ces Oifeaux, pendant qu'ils s’arrê- tent dans les Bourgades; mais à cela près, & à la réferve de quelques G£g 3 petits 4 F 422 VO Y à: CFA U, P ER OU. petits Oifeaux, il n’y a dans toute cette route ni animaux fauvages & malfaifans , ni reptiles. b Les canaux au moyen defquels les Rivieres fertilfent le terroir, font des ouvrages dont on eft redevable aux foins & à l'induftrie des {ncas, & une de leurs premieres attentions à gratifier leurs Sujets, leur enfeignant par-là les moyens de fe procurer tout ce qui étoit néceffaire à leur fubfi- tance, & aux agrémens de la vie. Parmi ces Rivieres il y en a plufieurs qui font à fec quand il ceffe tout-à-fait de pleuvoi dans les Montagnes, mais la Santa, la Barrança, la Guaura, le Paffamayo, & d’autres non feulement ne manquent jamais d’eau, mais même font fort profondes dans Ja plus grande féchereffe. es premieres commencent à avoir de l'eau réguliérement dans les mois de Yanvier ou de Février, jufqu'au mois de Juin, que l'Hiver régne dans les Montagnes, . au-lieu que c’eft l'Eté dans les Vallées. Là il pleut, .& ici le Soleil darde fes rayons avec force. Depuis le mois de Fuin l’eau commence à manquer, deforte qu'en Novembre & Décembre C’eft le tems de la plus grande féchereffe, & il eft alors Hiver dans les Vallées, & Eté dans les Montagnes. :Cette oppofition dans une fi petite diftance, mar- que bien la différence de climat & de température. DU RU RAT PUR LEO CCRIE “Defcription de la Ville de Lima Capitale du Pérou, & réfidence de fes Vice- rois ; Jon admirable fituation, fon étendue, E$ la majeflé de fes Tribunaux. L femble que les événemens que le hazard produit, méritent quelque- fois qu’on les eftime affez pour qu’on les mette au rang des plus heu- reux fuccès, telle eft la raifon imprévue qui nous a appellé à Lima; fans elle l'Hiftoire de notre Voyage, bornée aux obfervations faites dans la Province de Quito, perdroit une partie de fon prix. Pour qu’elle plaife & inftruife davantage , il faut qu’elle renferme aufli ce qu’il y a de plus remarquable dans la Province de Lima. En préfentant aux yeux du Lec- teur un champ fi vafte & fi agréable, notre rélation lui fera connoître à combien jufte titre la Ville qui porte ce nom, a mérité d’être la Ca- pitale du Pérou, & la Reine des Villes des Contrées Méridionales de l’4- mérique. Suprimer un article fi important, ée feroit rendre notre Ouvrage impar- VOY AGEMNUY PEROULI 1 CHANT. 423 imparfai. Le Lecteur y trouveroit à dire des chofes. qu'il s’étoit flatté d'avance d’y lire touchant cette 'prande & fameufe Ville, & feroit fruftré de l’efpérance de pouvoir s’inftruire en même tems de ce qu’il y a de plus remarquable dans la plus importante Province de ce Continent; & nous, . nous ferions privés du plaifir d’en faire la defcription , & de dire comment nous avons porté nos fpéculations à des objets fi dignes d’atténtion, & qui avec de fi grands avantages peuvent infiniment rehaufler la gloire de nos travaux, déjà enrichis d’Obfervations Aftronomiques, & de Spécula- tions Nautiques, jointes à l’examén d’un vafte Pays. : Ileft-donc ‘raifon- nable que nous donnions un détail d’autres Contrées encore plus éloi- gnées, détail qui peut répandre plus de variété dans la rélation de notre Voyage, dont l’entreprife étant grande dans fes principes, doit être telle jufqu’a la fin. © Mon deffein n’eft pas dans ce Chapitre de répréfenter la Ville de Li- ma telle qu’elle eft préfentement. Au-lieu de décrire des chofés. grandes & magnifiques, ce feroit remplir cette Hiftoire de fcénes des plus -triftes & des plus tragiques, en décrivant les ruines de fes Palais, le boulever- fement de fes Eglifes, de fes Tours élevées, & enfin de tout ce quiren- doit cette Ville fi recommandable. Tous ces Ouvrages & Edifices, grands médiocres & petits, qui compofoient cette grande Cité, & en for- moient un Corps fi bien proportionné, ont été renverfés & détruits par les fecouffes violentes du tremblement qui a bouleverfé tout le terrein qu’elle occupoit le 28 d'Ofobre de l'année derniere 1746: Il fera parlé - ailleurs de ce trifte événement. Cette funefte nouvelle arriva en Europe avec cette célérité naturelle aux malheurs, & à l’occafon qui termine cette feconde Partie avec la récapitulation des profpérités de ces Royau- mes. Je ne repréfenterai donc point ici Lima comme la proye déplora- ble des tremblemens de terre, mais comme la merveille de cette partie de l'Amérique.” Je ne parlerai que de fa gloire éclipfée ; de fa magnificen- ce, de fon opulence, & de tout ce qui la rendoit célébre dans le Monde, & en donnoit l’idée fous laquelle nous là connoiïffons; fon fouvenir aug- mente dans nos efprits la peine: que nous font fes cruels revers. Après cet avertiffement on ne trouvéra ‘pas étrange que je parle de cette Ville & de fes Edifices, commeff elle exiftoit encore; cette rélation fe rap- portant au tems précédent; où la Ville fe trouvoit telle que je vais la dé- ecrire, & où elle n’avoit pas encore efluyé ce terrible tremblement. La Ville de Lima, autrement la Ville des Rois, fut fondée par Dox Fran-. 4.24 iV'0 Y À G ERP E KO EC. Francifco Pizarre en 1535 le Jour des Rois. Selon Garcilaffo dans fon His2 toire des Incas, les opinions ne font pas uniformes fur ce fujet; quelques- uns prétendent que ce fut le 18 de Fanvier,. & ce fentiment eft confirmé par un AËte ou Mémoire de fondation qui fe confervedansles Archives de cette Ville. . Quoi qu'il en foit, Lima eft fituée dans la grande & agréable vallée de Rimac , mot Indien qui fignifie celui qui parle, & qui eft le véri- table nom de la Ville même, les E/pagnols l'ayant nommée Lima par cor- ruption de Rimac, qui eft encore le nom de la Vallée & du Fleuve. On prétend que ce nom vient d’une Jdole à qui les Zndiens facrifioient les na- turels du Pays, depuis que les Zncas eurent étendu jufques-là les bornes de leur Empire. On affure que cette Idole ayant répondu aux prieres qu’on jai adrefloit, fut appellée Rimac, c’eft-à-dire celui qui parle; ce qui doit s’entendre rélativement à leurs autres faux-Dieux. Lima eft par les 12 deg.-2 min. 31 fec. de latitude auftrale. Sa longitude eft de 299 deg. 27 min. 75 fec. à la compter depuis.le méridien de Ténérife, felon ce qui nous parut par les différentes obfervations que nous fimes à ce fujet. A Lima Y'aiguille varie de 9 deg. 2; min. au Nord-Eft. La fituation de la Ville eft des plus avantageufes qu’on puifle imaginer; ear fe trouvant au milieu de cette grande & fpacieufe vallée elle la do- mine entiérement fans que rien empéche la vue: cette vallée eft bornée du côté du Nord, mais à une affez grande diftancé, parla Cordillere de los Andos ; quelques collines & monticules détachées de cette Cordillere s’a- vancent jusqu'à la plaine. Celles de ces collines qui s’en approchent le plus , font celles de San Chriftoval & d'Amancaes. ‘Les premieres, fe- lon la mefure Géométrique prife par Don George Juan & par Mr. de la Condamine en 1737, s’élévent au-deflus du terrain qui.leur fert de bafe, à 134 toifes, qui font 312 aunes Caflillanes. Le Pere Feuilléeles avoit mefurées, & leur avoit donné 146 toifes & un pied de hauteur. Cette différence ne vient fans-doute, que de n’avoir pas mefuré avec une égale précifion Ja bafe fur laquelle ils fondent leurs calculs. Les collines d’Amancaes, quoi- que moins hautes que celles-là, n’en different pas de beaucoup, & ne font qu’à un quart de lieue plus ou moins de Ja Ville. C’eft du côté du Nord que coule la Riviere du même nom que la vallée, tout près de la Ville; & quoiqu’on la puiffe aifément guéer lorsqu'il ne tombe pas d’eau fur les Montagnes, il eft des tems où elle croît fi fort qu'il feroit dangereux de l'entreprendre, tant à caufe de fa profondeur, que de fa rapidité. On la pañle fur un beau & large pont de pierres, au bout duquel eft une arça- de ngits pv Ÿ . DE ar B BA y) /2 D) / ES#2R0 S Q"Q 68 © Q Q 1 » Royaume T, ep 2090.27. M7$S.delongitu 2 Mie LA | DELA GTÉ + 2ZS ROIS ou LIMA ds Moridos | 74 Occident du Meridie < 214 NOGRAPHIQUE DE PERO par les12De Z; Sie 214 #14 Cpitæte de LA < s- < 9 = deL, = max pu “+ ++ TLC 4 À Z - 6 \ Lu os UT er = Frs, mate 7 u c ae 7 a” a == ANT … CURE tal EE = A à ee 7° = = 12 + D = ue Z = L = er” T en" né {l Ze a, 2 x Z ” Z L è \ PSS. Z 7 = &- ss F4, > L & — — ANT veu) ra à LL A Pre “u L s: à frs L L ? PC y #5 Ce CL] N L se. M. ETC RP Ze Z se 5x ps v» D 7 7 2 y L & Z = 4 +. ae © o4/es . © o 00 00 100 Échelle de 200 Tk Maaf/iab von 200 Zoy/en. k$ 100 Echelle de 500 Vares ou Aù 200 + jbl} ?> JS der dem & ensAbend von SA che PER, tedt 17 dem rez oder. I,IM À th en Meridun. so wie vor dem letzten Érdbeben |”, cr dem RÉ ER 27/2 MRt (+ enr À Zererz ausgefehen hat L SCENOGRAPHISCHER 1BRISS VON DER S'TADT' de los REYES(KOENIGSSTADT à Haup Koen1r undinr dem 200 C.27 4.7 er C4 koenges . 272 S esShas se 4) tal Cnr ® Pi fard e he St. Marcelle . ee : Beat? . Cessts LOS Echos 2. jar. PRET, er} D se Murche St Sebastian. 4 Zranciscus de Paula. A2gang - ÉB8Pulvermihle. Se Cris huge. Koster Christod die Narzarener. sLarMlercedod der Craden. ÉEZesus Marta. Vt , Pallast des Lnter 2. Domkirche . Rath-und VI Fr.de las Cavezas. Los Peines od. de Kæmme. 4. St Domnicus 6. Sta Ro/a . ta Ro/a 4DieVe. ZALedl. x Lfar HA 7. crle ép 70: D; 13: 4 7 8 Q- Zo. VZ Fr. vor Gpa cavana. Ë Due keine Bank VOYAGE AU PEROU. Lav. I. Cn. IL 425 -de d’une architeéture affortiffante au refte de l'ouvrage. Cette arcade fert d'entrée ou de porte à la Ville & à la Grand-place ou Place Royale, qui ‘en eft tout proche. Cette Place et de figure quarrée, fort fpacieufe & fort ornée. Il y a au centre une magnifique Fontaine, non moins remar- quable par fa grandeur & par fa beauté , que par une Statue de la Renom- mée dont elle eft furmontée. Cette figure eft toute de bronze, ainfi que quatre petites conques qu'elle a autour d'elle. L'eau jaillit en abondance de la trompe de cette Renommée , ainfi que de la gueule de huit lions aufi de bronze, lefquels relévent beaucoup la beauté de tout cet ouvrage. = Le côté de cette Place qui fait face à l'Orient eft occupé par l'Eglife Cathédrale & par le Palais Ærchiépifcopal, qui s’éléve au-deflus de tous les édifices de la Ville; fa façade, fes colonnes, fes pilaftres, & fes fonde- mens font de pierres de taille: l'Eglife eft bâtie fur le modéle de la Cathé- drale de Séville, fi ce n’eft qu’elle eft moins grande. Elle eft ornée en dehors d’un magnifique frontifpice , au milieu duquel eff le portail, accom- .pagné de deux tours qui en relévent la beauté. Tout autour de cet ou- vrage régne un large efcalier garni de baluftrades d’un bois qui imite le bronze pour la couleur, & à quelque diftance les unes des autres s’élévent fur le fol des pyramides de. grandeur médiocre, qui font un fort bel effet. Le côté de la Place qui fait face au Nord, eft occupé par le Palais du Vi- ceroi, dans lequel tous les Tribunaux civils, criminels, & de police, ainfi que le Bureau des finances tiennent leurs féances. C’eft aufi-là que fontles Prifons Royales. Anciennement cet édifice étoit d’une grande magnifi- cence; mais un furieux tremblement de terre arrivé en 1687 le 20 d'Oéo- bre, en ayant ruiné la plus confidérable partie, ainfi que prefque toute la Ville, il fut rebâti, ou plutôt on y fubftitua des appartemens bas , qui font ceux qui fervent de demeure au Viceroi & à fa famille. Au côté occidental, qui fait front à la Cathédrale, font l'Hôtelde Ville & les Prifons de la Ville. Le côté méridional eft occupé de maiïfons de particuliers, qui n'ont qu’un feul étage, mais dont les deux façades font ornées de portails de pierres, qui par leur uniformité, leurs arcades, & leur dégagement rehauffent la beauté des Edifices & de la Place , dont cha- que côté à 80 toifes de long, ou 186! aunes Cufbillanes. La Ville forme un triangle, dont la bafe ou le grand côté fe prolonge le long du Fleuve; & a de longueur 1920 toifes, ou 44714 aunes Caflilla- nes, qui font précifément deux tiers de lieue , ou deux milles maritimes; & fa plus grande largeur du Nord au Sud, c'eft-à-dire, depuis le pont Tome I. Hhh juf p6 ÿVOYAGE AU PEROU. . jufqu’à l'angle oppofé à la bafe, eft de 1080 toifes, égales à 2515 aunes Caftillanes, ou les deux cinquiérmes d’une lieue. Toute la Ville eft envi- ronnée de murailles de brique fuffifamment larges pour le but dans lc- quel elles ont été bâties, mais fort irrégulieres dans leurs pro- portions. Cet ouvrage fut entrepris & fini par le Duc de la Palata en Van 1685. Il eft flanqué de 34 baftions fans terre-plein, ni embrazures ; parce qu’on n'a eu En vue que de fermer la Ville, & de la mettre à couvert ’üne furprife de la part des Indiens. Dans toute cette enceinte ily a fept grandes portes & trois poternes ou faufles portes, par où l’on fort dans la Campagne. En-dielà de la Riviere, à l'oppofite de Ia Ville, eft un Fauxbourg aflez étendu nommé San Lazaro, qui s'eit fort acru depuis quelques an- nées. Les rues, ainfi que celles de la Ville, en font fort larges, tirées au cordeau dans leur longueur, & paralléles les unes aux autres ; de maniere que les unes vont du Nord au Sud & les autres de l'Orient à l'Occident, formant des quarrés de maifons de 150 aunes chacun, qui eft la grandeur ordinaïre de ces fortes de quarrés dans toutes ces Contrées, quoiqu à Quito elle ne foit que de 100 aunes. Les rues y font pavées, traverfées par les canaux tirés du Fleuve, dont les eaux pañfent par des voûtes fouter- raines & fervent à fa propreté fans caufer aucune incommodité. Les maifons, quoique fort bafles pour la plupart, font en dehors très agréables à voir. Elles font toutes bâties de Bajaréque, ou de Quinchas, & à les voir on les croiroit bâties de matériaux beaucoup plus folides ; car par l'épaiffeur dont les parois femblent être, & par les feintes corni- ches dont ils les ornént, on diroit qu’elles font maflives. Voici comme ils s’y prennent pour tromper les yeux, & pour prévenir en même-tems autant qu'en eux eft les terribles effets des tremblemens de terre dont cette Ville eft toujours menacée. D'abord ils conftruifent le corps de la maifon de piéces de bois emmortoifées avec les folives du toit ; ils cou- vrent enfuite ces piéces de bois de cannes fauvages en dedans & en de- hors, ou d'ofier, pour mieux cacher la boiferie, ou charpente; ils recré- piflent bien le tout, & y mettent une couche de chaux pour le bien blan- chir , après quoi ils peignent tout l'extérieur, imitant autant qu'ils peuvent les pierres de taille. Ils en ufent de-même aux Corniches, & aux portes de charpente, leur donnant la couleur de pierre. De cette maniere CEUX qui ne font pas au fait de cette tromperie, Croyent que CES maifons font bâties des matériaux qu'elles repréfentent. Les toits font tous plats & unis, & n'ont VOYAGE AU PEROU. Lx. Cul 47 n’ont que l'épaifleur néceffaire pour empêcher les rayons du Soleil & le vent de pénétrer dans la maifon. Sur les planches qui forment ces toits, & qui préfentent en dedans un travail, & des moulures aflez curieufes, ils mettent en dehors une couche de terre grafle, qui eft fufäfante pour émoulfler les rayons du Soleil; & comme jamais en ce Pays il ne pleut avec force, ni abondance, ils n’ont pas befoin de plus de précautions, ni d’avoir des couverts plus folides. De cette maniere les maïfons ne font pas à beaucoup près fi dangereufes, que quand elles’étoient conftruites de matériaux moins fragiles; parce que leurs parties liées enfemble cédent aux fecoufles des tremblemens, & en fuivent tous les mouvemens, & que faifant moins de réfiftance, elles ne font qu'un peu endommagées, mais ne tombent & ne croûlent pas fi aifément. Les cannes fauvages dont ils forment la fuperficie des parois, font de I4 groffeur & de la longueur de celles d'Europe, avec cette différence qu’el- les font maffives, & fans aucune contavité ; c’eft un bois fort & extrême- ment fouple, peu fujet d’ailleurs à la corruption. L’Ofier eft un arbrif- feau fauvage qui croît fur les Montagnes & fur les bords des Rivieres;il n’eft ni moins fort ni moins pliant que les cannes. (On le nomme dans je Pays Chagllas. C’eft de ces deux fortes de matériaux que font bâties les maifons de toutes les Bourgades des Vallées, defquelles nous avons parlé ci-devant Vers l'Orient, le Midi & l'Occident de Lima, dans les quartiers re. culés, mais pourtant dans lenceinte de fes murailles, il y a des Vergers remplis de toute forte d'arbres fruitiers, & d'herbages; & dans l’enclos des principales maïfons il y a des Jardins qu’on peut toujours arrofer, l'eau conduite par des canaux étant à portée. Toute la Ville eft partagée en cinq Paroifles, qui font 1 le Sagrario, deffervie par trois Curés; 2 Santa Ana, & 3 San Sebaltian, defiervies par deux chacune; 4 San Marcelo, & 5 San Lazaro, qui n’ont qu’un Curé chacune. Cette derniere Paroïfle comprend encore tout ce qui eft entre Lima & la Vallée de Carabaillo, ce qui fait la diftance d’environ cinq lieues, & par conféquent toutes les vaftes & nombreufes Campagnes qui occupent cet efpace lui appartiennent. Il y a des Chapelles où ks Pretres de cette Paroiïfle font tenus d’aller dire la mefle les jours de précepte, afin que les habitans ne foient pas contraints de faire un voyage pour fatisfai- re ace devoir. Il ya pareillement deux Succurfales , qui font San Salvador &c Santa Ana; & la Chapelle des Orphelins de la Paroifle de Sagrario, & une Hhh 2 Pa- 428 Ne ETAGE REC PL ROME Paroifle d'Indiens dans le Cercado, qui eft un des quartiers de la Ville. Cet- te Paroifle eft deflervie par des Ÿéfuites. Lima abonde en Couvens de Religieux. Il y en a quatre de l'Ordre de St. Dominique, favoir, la Cafa grande, la Recolleccion de la Magdalena, le Collége de Santo Thomas, où l’on enfeigne les Sciences, & Santa Ro- fa Les Francifcains en ont trois, Cafa grande, Recoletos de Nueftra Se- gnora de los Angéles où Guadalupe, & los Defcalzos de San Diégo, fiué dans le Fauxbourg de San Laxzaro. Trois autres Couvens d’Auguftins ; Cafa grande, San Idelphonfo qui eft un Collége, & Nueftra Segnora de Guia qui leur fert de Noviciat. Les Peres de l4 Merci y en ont auffi trois, la Cafa grande, où grand Couvent, le Collége de San Pédro Nolafco, & une Recolleétion avec le nom de Bethléhem. Les Féfuites ont fix Colléges, ou Maïfons ; San Pablo, qui eft le grand Collége; San Martin, Collége pour les Séculiers; San Antonio, qui eft le Noviciat; la Maifon Profefle nommée Los Defemperados , fous l'invocation de Nueftra Segnora de los Dobres; le Collége du Cercado, qui eft en même tems une Paroifle où l’on inftruit les Indiens, & où on leur adminiftre: la nourriture fpirituelle; enfin celui de la Chacarilla, deftiné aux Exercices de St. Ignace. On admet à ces Exercices tous les Séculiers qui demandent à y étre admis. Ils peuvent les entreprendre quand ils en ont le tems & loccafñon, & font bien traités aux dépens du Collége pendant les huit jours que les Exercices durent. Nous fommes obligés d’avertir le Leéteur qu’à l'égard de tous ces Couvens il n’y a guere que les Ca/as grandes, ou Couvens principaux qui foient confidérables, les autres font peu de cho- fe, & contiennent peu de Religieux. Outre les 19 Monafteres & Colléges rapportés ci-deflus, 1l y a encore un Oratoire de San Phelipe de Néri, & un Monaftere de l'Ordre de Suint Benoit ,fous le nom de Nueftra Segnora de Monferrat , où il n’y a d’ordinai- re que l'Abbé qu’on y envoye d’E/pagne ;: & quoique ce Monaftere foit une des plus anciennes fondations de la Ville, la modicité de fes revenus eft caufe qu'il y a fi peu de fujets ;un Couvent de Religieux de Nueftra Segnora de la Buéno Muerte, plus connus fous le nom de Religieux des Agonizans. Ces Religieux eurent d’abord un Hofpice dans cette Ville en 1715, lequel fut fondé par les P P. Juan Mugnos & Fuan Fernandez, qui pafferent d’'Es- pagne en Amérique accompagnés d’un Frere Laïc, pour exécuter ce des- fem; & en 1736 ayant obtenu privilége du Suprême Confeil des Indes le Couvent fut fondé pour une Communauté dans toutes les formes ; un Co: vent VOYAGE AU PEROU. Liv. I CH IIL 429 vent de St. François de Paule, fondé aufi depuis peu au Fauxbourg Sp, Lazare, fous le nom de Nueftra Segnora del Soccoros ce Couvent n’étoit point achevé lors dela ruine de la Ville. Il y a encore à Lima trois Couvens Hofpitaliers, qui font San Fuan de Dios deffervi par les Religieux de cet Ordre, deftinés au fervice des Con- valefcens. Deux de Bethléhémites ; l'un qui eft le plus confidérable, ou Ca- Ja grande, eft fitué hors de la Ville, & eft pour les Zndiens Convalefcens qui ont été guéris à Santa Ana; l’autre eft dans la Ville fous le nom d’Æ4- pital des Incurables, pour les perfonnes affigées de ces fortes de maux. Il. fut fondé, comme il a été dit au Livre V. Chapitre III. de la premiere Partie, dès l'an 1671. Outre ces Hôpitaux il y en a neuf autres, chacun desquels a fa deftination particuliere. En voici la lifte. 1. Saint André de fondation Royale, où l’on ne reçoit que des Æ/pagnoir. 2. San Pédro pour les pauvres Eccléfiaftiques. 3. Le St. Efprit pour les Matelots qui fervent fur les Vaifleaux qui font dans ces Mers: les Equipages de ces Vaiffeaux payent une certaine con. tibution pour l'entretien de cet Hôpital. 4. Saint Barthélémi pour les Négres. 5. Segnora Santa Ana pour les Indiens. G.' San Pédro de Alcantara pour les Femmes. 7: Un autre deffervi par les Peres de Bethlébem > fitué vis-à-vis de leur Cafa grande. 8. La Charité, aufli pour les Femmes. 0. San Lagaro, pour les Lépreux ; & ainfi douze Hôpitaux en tout. l'y à outre céla quatorze Couvens de Filles, dont on pourroit for- mer une petite Ville eu égard au nombre des perfonnes qu’ils renferment. Les cinq premiers font Réguliers, & les neuf autres de Recolétes : L'Incarnation. 2. La Conception. Ste. Catherine. ." Ste, Clärtre. La Trinité. . Les Carmélites. Ste. Théréfe. .* Las Descalzas de San ofeph. Les Capucines. 10. Les Nazarénes. * Las Mercedarias. 12. Ste. Rofe. "Las Frinitarias Descalzas. 14. Las Monjas del Prado. Enfin il ya encore quatre Maifons -conventuelles de Sœurs dé Tiers- Ordre, qui ne font pas toutes reclufes > quoique la'plupart de ces Sœurs tiennent Ja clôture. Ces Maifons font Santa Rofa de Viterbo; Nueftra Hhh 3 Segnora 430 VOYAGE AU PEROU. Segnora del Patrocinio; Nueftra Segnora de Copacabana pour les Demoifelles Indiennes ; & San Fofeph. Cette derniere eft pour les femmes qui veulent être féparées de leurs maris. À quoi il faut ajoûter une autre Maifon, qui eft auñli une efpéce de Couvent pour les Femmes pauvres, où elles trouvent un azyle contre la mifere, & qui eft dirigée par un Eccléfiaf. tique nommé par l’Archevêque, qui eft aufli leur Aumônier. L'Incarnation, la Conception , Ste. Claire & Ste. Cathérine font les plus peu- plés de tous ces Couvens. Les Recolétes ménent une vie fort réglée & fort auftere, & font en exemple à toute la Ville. Il y a auffi une Maïfon d'Orphelins partagée en deux Colléges, l'un pour les Garçons & l’autre pour les Filles, outre diverfes Chapelles répan- dues dans la Ville , fous divers noms. 44 lifte fuivante fera mieux comprendre tout ce que nous avons dit des Paroifles, Hôpitaux, Eglifes & Monafteres de Lima. Recapitulation des Paroiffes, Couvens d'Hommes de chaque ordre, Hôpitaux, Monafteres de Filles € Confrairies de tiers ordre qui font à Lima. Paroifles 6 Couvens de Sane Déminifiei nie RUE TON RES ta nos le SIN MRRAMEONSS Pas 0 e LA RH Le ——— de Saint Auguftin. nt nt ES —— de la Merci HAUSSE ENS ; , 3 Colléges de Téfuites. .… . RS 6 Oratoire de Saint Philipe de Neri. à ù ATUT CouMENS DER RER NT Sete ATEN 2 À 4 ——— de Saint François de Pauie. RE —— des Aponizans. PAS RATER TE AAR LD: RER PE I —— de San Fuan de Dios. . Ab 41 } À I — de Bethléémites. . . 2 Monafteres de Filles réguliers. Rte 5 Monaîteres de Récolétes. RTE PRRARS RUN 7 PR" 9 Refuge de Femmes pauvres. EM RARE E CU EU A US 2 : Maifons d'Orphelins, ou des Enfans trouvés. . « I Hôpitaux. 205 1: EURE Cu RER NA PR UP TERRE > Toutes les Eglifes, tant Paroifliales que Couvens & Chapelles, font grandes , bâties en partie de pierres, enrichies dé peintures & d’ornemens de prix; particulierement la Cathédrale, celles de Saint Dominique, de Saint VOYAGE AU PEROU. Liv. I Ci ISE. 431 Saint François, de Saint Auguftin, de la Merci & des Jéluites, dont les richefes font incomprehenfibles pour quiconque ne Jes a pas vues. C'eft furtout aux Fêtes folemnelles que l’opulence & la magnificence de cette Ville font étalées. On y voit les autels, depuis leur bafe jufqu’aux ef- cabelons des retables , couverts d'argent mañif, travaillé en diverfes fortes d’ornemens: les murailles des Eglifes cachées fous des tentures de ve- Jours, ou autres tapifleries aufli précieufes , garnies de franges & de hou- pes d’or & d'argent, & ornées de diftance en diftance de meubles émail- lés de ce dernier métal, & arrangés avec une fimétrie qui flatte agréable- ment la vue. Mais on ceffe bientôt de regarder les voûtes, les cintres, & les colonnes, pour jetter les yeux plus bas & pour confidérer les chan- deliers d'argent maffif de fix à fept pieds de haut rangés fur deux files le long du principal vaifleau de l’Eglife, dont ils occupent toute la longueur, avec des tables garnies du même métal dans les intervalles, fervant à por- ter des piedeftaux d'argent, chargés de figures d'Anges de ce métal. En- fin tout ce qu’on voit dans ces Eglifes eft du plus fin argent, ou de quel- que matiere aufli précieufe. Ce qui fait que le Culte Divin fe célébre à Lima avec une pompe difficile à fe figurer; & l’on peut dire que les ornemens dont on fe fert même les jours ouvriers font en fi grand nombre & fi riches, qu'ils furpaflent ceux que dans plufieurs grandes Villes d'Europe on employe pour les Fêtes de la premiere claffe. On peut juger par-là de laricheffe des meubles qui fervent plus immédia- tement au Service Divin, tels que les vafes facrés, les ciboires , les châfles où l’on met le St. Sacrement; tout cela eft d’or couvert de perles & de diamans , en fi grande quantité que les yeux en font éblouis. Deforte + qu’en aucune Ville du Monde le Culte Divin ne fefait avec plus de décen- ce & de pompe, & la majefté fuprême de Dieu ne peut être plusrévérée que par le zéle Catholique des habitans de Lima. Les Vêtemens Sacerdo- taux font toujours d’étoffes d’or ou d’argent des plus nouvelles & des plus précieufes qu’apportent les Flottes, & les Vaifleaux de régître. Enfin tout ce qui fert à ces Eglifes eft du plus grand prix & dela derniere magnificence. Les principaux Couvens font fort grands, & les logemens en font fpa- cieux. En dehors ils font la plupart de brique crue ou feulement durcie au Soleil, mais les murs intérieurs font de Bajaréques où de Quinchas , com- me le refte de la Ville. Les voûtes des Eglifes font quelques-unes de bri- que, quelques autres de Quinchas, avec une architedure fi bien imitée qu'elle mafque, pour ainfi dire, entiérement ces matériaux. Leurs fron- tifpi- 432 VIA LEA U P E K OU. tifpices, leurs principales portes ,ont de la grandeur au moyen de cette:in- venuon, Les colonnes, les frifes, les chapiteaux, les ftatues, & les cormcnes font de bois fculpté, qui imite fi parfaitement la pierre, qu’on ne peut éviter de s’y méprendre qu’en les touchant. Ce n’eft pas par éco- nonue que l'on bâtit ainfi, mais pour prévenir autant que lon peut les trites effecs des tremblemens de terre, qui ne permettent pasfans un dan- gr évident de fe loger dans des maïfons compofées de matériaux pefans qu 1! faut joindre par d’autres qui ne le font pas moins. Au-deflus de ces édifices s’élévent de jolis tourillons par où le jour fe communique dans l'intérieur du bâtiment, & qui font un fort bel effet avec les clochers dont ils font accompagnés. Et quoique ces tourillons ne foient que de bois, on ne s'en douteroit pas, fi l’on n’en étoit inftruit. Les clochers font de pierres jufqu’a la hauteur d'une & demie ou deux toifes, de-là au-deflus ils font de brique jufques à la fin du premier corps de l'édi- fice, & le refte eft de bois déguifé en pierres-de-taille. La hauteur de ces clochers, felon la mefure Géométrique que nous primes de celui du Cou- vent de Sr. Dominique, n’excéde pas 50 à 6o aunes, ce quineft propor- tionné ni à leur bafe, ni à leur grofleur; mais qui eft une précaution né- ceffaire contre les tremblemens de terre, & contre le poids & le nombre des cloches, qui furpaflent de beaucoup à cet égard celles qu’on a en Æ/- pagne, & qui font un carrillon qui net pas defagréable dans les fonneries générales. 3 Outre l’eau de la Riviere qui paffe par la Ville par les conduits fouter- rains dont il a été parlé, il y a encore une fource dont l’eau coule par des tuyaux dans la Ville, & eft portée dans les Couvens, & dans les mai- fons des habitans. Les Communautés d'hommes & de femmes font obli- gées d'entretenir une fontaine dans leur rue, pour la commodité des pau- vres gens qui n’ont pas d’eau dans leur maïfon. | Les Vicerois du Perou font leur demeure ordinaire à Lima. L/ Audience & Province de Quito a été depuis peu foustraite à leur Jurifdiétion , comme ila été dit. Leur gouvernement n’eft que triennal, mais il dépend du Souverain de les continuer dans leur emploi. L'autorité du Viceroi eft fi grande, qu’il recueille feul les fruits de la confiance & de la fatisfattion du Prince. Il eft abfolu dans les affaires politiques, militaires, civiles & criminelles, & dans les finances. I] difpofe de tout à fon gré, & comme il trouve le plus convenable. Il eft à la tête de tous les Tribunaux dont il fe fert pour l'expédition des aifaires. Sonemploi eft fi éminent, qu'après la Dignité Ro- VOYAGE AU PEROU. Liv. EL Cac AL 433 Royale, on n'en connoît pas d’autre qui en approche. Toute fa pompe extérieure répond à l'étendue de fon autorité. I] à deux Compagnies de Gardes, l’une à cheval de 160 Maîtres, un Capitaine & un Lieutenant, Leur uniforme eft bleu, avec des paremens d'écarlate garnis de franges d'argent, & des bandolieres de-même. Toute cette Compagnie eft compofée d'E/pagnols | tous gens choïifis. L'emploi de Capitaine de cette troupe eft confidérable, & trés-diftingué. Ils montent la gar- de à la principale porte du Palais, & toutes jes fois que le Viceroi fort 1l eft accompagné d'un piquet de huit de ces gardes , dont quatre Je précé- dent, & les quatre autres le fuivent. L'autre Compagnie eft compofée de 50 Hallebardiers aufli Æ/pagnols, habillés de bleu, paremens & veftes de velours cramoifi galonnés d’or. Ils font la garde à la porte des falons par où l’on entre pour aller à l'audience publique, & aux appartemens du Viceroi. Ils l'accompagnent aufli toutes les fois qu'il fort, ou qu'il paf. fe dans les fales où fe tiennent les Tribunaux, & ils le reconduifent de- même à fon retour. Cette Compagnie eft commandée par un Capitaine, dont l'emploi eft très-diftingué, & tous ces Officiers font nommés par le Viceroi. Outre ces deux troupes, 1l y a encore dans l'intérieur du Palais un détachement d’Infanterie, tiré de la Garnifon de Callao, de cent Soldats, un Capitaine, un Lieutenant & un Sous-Lieutenant : cette troupe eft em- ployée à faire exécuter les ordres du Viceroi, & tout ce qui a été réglé & décidé dans les Tribunaux. Non feulement le Viceroi afifte aux délibérations des Cours de Juftice, des Confeils des Finances & de Guerre > Mais encore il donne journelle- ment audience à toute forte des perfonnes. Pour cet effet il y a dans fon Palais trois beaux falons. Dans je premier, qui eft orné des portraits de tous les Vicerois, il reçoit & entend les /ndiens & Mulätres; dans le fe. cond les Æ/pagnols; & dans le troifieme , où l’on voit fous un dais ma- gnifique les portraits du Roi & de la Reine aétuellement régnans, il don- ne audience aux Dames qui fouhaitent lui parler fans être connues. Les affaires concernant le Gouvernement font expédiées par un Sécretai- re d'Etat, de l'avis d’un Affefleur, lequel choifit & nomme la perfonne qui lui paroît la plus propre à cet emploi. C’eft dans ce Bureau que s’ex- pédie l’ordre pour les paffeports que les Voyageurs doivent recevoir des Corrégidors. Dans toute l'étendue de fà Jurifdiétion il pourvoit pour deux ans aux Charges de Judicature vacantes, & à celles des Magiftrats, AU1 ayant fini leur tems n’ont point été remplacés, après un certain tems, Tome TI. Ji1 par 434 VO RAR E AU PEROU. par quelqu'un nommé par le Roi. Enfin tout ce qui concerne la Guerre & le Gouvernement pañle par ce Bureau. Les affaires concernant l’adminiftration de la Juftice fe jugent au Tri- bunal appellé Audience. Eïles y font décidées en dernier reflort, & fans qu’on puifle appeller au Confeil fuprême des Indes ,excepté dans le cas d’une injuftice notoire, ou de déni de juftice. Le Viceroi préfide à toutes les délibérations. L’ Audience eft le principal Tribunal qu’il y ait à Lima. Il eft compofé de huit Auditeurs, & d’un Fifcal Civil. Elle s’affemble au Palais du Viceroï, dans trois fales deftinées à cet ufage: dans l’une on délibere, & dans les deux autres on plaide publiquement ou à huis clos. Le Doyen des Auditeurs en eft le Préfident. Les Affares Criminelles fe jugent dans une quatriémefale, ou chambre compofée de quatre Ælcaldes de Corte, & d’un Fifcal au Criminel. Outre ces Officiers il y a un Fifcal protecteur des Zndiens , & quelques Officiers furnuméraires. Après le Tribunal de Audience vient la Chambre des Comptes, com- pofée d’un Régent, qui préfide, de cinq Maîtres de Comptes généraux, deux des Refultats, & les deux autres Ordonnateurs | auxquels il faut ajoû- ter quelques furnuméraires de chacune de ces deux clafes. Dans ce Tri. bunal onexpofe, on examine, & l’on juge définitivement les comptes de tous les Corrégidors qui ont été chargés de la perception des tributs. On y régle les diftributions des Finances du Roi, &leur adminiftration. Enfin il y a un Tribunal de la CaifJe Royale, compofé d'un Faéteur; d’un Maître des comptes & d’un Tréforier avec titre d'Officiers Royaux, lefquels ont l’infpeétion de tous les biens du Roi dans prefque tout ce Royaume, puifque tout ce qui doit entrer dans les cofres du Roï quant au Pérou eft remis à Lima, qui en eft la Capitale, aufli-tôt qu'on a préle- vé ce qu’il faut pour les penfions & les gages des Officiers; & dans ces remifes font compris les Tributs des Indiens, de-même que les Æcavalas , c'eft-à-dire, le quint, ou cinquiéme du produit des Mines. Le Corps de Ville eft compofé de Régidors , ou Echevins, d’un Alferez Real, qui eft une efpéce de Lieutenant-Général de Police, & de deux 4/- caldes qui font les Juges Royaux, le tout tiré dans là principale Noblefle de la Ville: Dans le-Gouvernement économique , ou adminiftration ordi- maire de la Juftice, les Aicaldes ordinaires préfident alternativement, cha- cun pendant un mois, felon leut rang. Car cette Ville ayant des privilé- ges particuliers , la Jurisdiétion de fon. Corrégidor ne s’étend que fur les Indiens. Ec VOYAGE AU PEROU. Liv, I C#c IIL CET Le Tribunal de la Caiffe des Morts eft compofé d'in Juge Supérieur, (c'eft ordinairement un Auditeur qui exerce cette charge par commiflion) d'un Avocat, & d’un Tréforier. Ce Tribunal connoît de toutes les cau- fes concernant les biens des perfonnes mortes 4b inteftat fans laifler d'Hé. ritier légitime, ou qui ont été chargées des deniers d'autrui. Les Négocians ont aufli un Tribunal pour les affaires du Commerce, c’eft le Tribunal du Confulat, compofé d’un Prévôt des Marchands & de deux Confuls, élus par le Corps des Négocians parmi les plus apparens de ce Corps. Ces trois Juges fecondés d'un Affeffeur décident les caufes litigieufes qui font de leur reflort, fuivant les mêmes réglemens que les Confuls de Cadix & de Bilbao. Il y a auffi à Lima un Corrégidor, dont la Jurisdiétion s'étend fur tous les Indiens du Cercado, & autres de cette Nation qui habitent dans la Vil- le & à cinq lieues à la ronde. Les principales Bourgades qui le reconnois- fent pour leur Juge Supérieur font Surco, Los Chorillos, Mirafiores, La Magdalena, Lurigancho, Late, Pachacama | Lurin , & les Indiens habi- tués dans les Fauxbourgs de Callao, appellés le nouveau & le vieux Pi- tipiti. Le nombre infini d’{ndiens qui habitoient cette Vallée avant & dans le tems de la Conquête, et préfentement réduit à ces petites Peu- plades , parmi lefquelles on ne connoît aujourd’hui que deux Caciques, qui font celui de Miraflores , & celui de Surco, lefquels font fi pauvres & fi miférables qu'ils font réduits, pour vivre, àienfeigner à Lima à jouer de quelque inftrument. Le Chapitre de la Cathédrale, à la tête duquel eft l’Archevêque , eff compofé de cinq Dignités, d’un Doyen, d’un Archidiacre, d’un Chantre, d'un Ecolâtre, & d’un Tréforier ; de neuf Chanoines, dont quatre obtien- nent leurs Canonicats par concours, & les autres cinq par préfentation , de fix Prébendiers, & de fix Demi-Prébendiers. Le Tribunal Eccléfiaftique cft compofé feulement de l’Archevèque & de fon Official. Les Sufragans de ce Prélat font les Evêques de Panama, de Quito, de Truxillh, de Gua- manga, d'Arequipa, de Cuxco, de Santiago, & de la Conception. Ces deux derniers font dans le Royaume de Chili. Le Tribunal de l'Inquifition eft compofé de deux Inquifiteurs & d’un Fifcal, lefquels, ainfi que les Miniftres fubalternes, font à la nomination de l’Inquifiteur-Général; mais pendant la vacance de cet emploi, c’eft le Confeil Suprême de l'Inquifition qui nomme ces Officiers. Le Tribunal de la Crugada eft compofé d'un Commiflaire fubdélégué, [11 2 d'un #6 VOYAGE AU PEROU. d'un Tréforicr & d’un Maître des Comptes. Il eft affifté dans fes délibe- rations du Doyen des Auditeurs de l’'Audience. Enfin il y a à Lima un Hôtel des Monnoyes, où l'on marque la Monnoye d'or & d'argent. Cet Hôtel contient un nombre fuffifant d'Ofliciers. Les Ecoles publiques de l'Univerfité, & les Colléges de cette Ville, culti- vent & perfeétionnent dans les Lettres divines & humaines les efprits fubtils des naturels du Pays, qui, comme je le diraï ailleurs, commencent bientôt à faire briller le favoir qu’ils ont acquis dans peu de tems; ce qui eft plutôt l’ef- fet de leur difpofition naturelle, que de la culture & de l'art; & s'ils ne fe diftinguent pas également dans d’autres genres d'étude, ce n’eft aflu- rément ni négligence, ni manque de génie de leur part, mais c’eft faute d’avoir d’habiles gens qui les dirigent dans cette carriere; car on peut ju- ger par leur facilité à faifir ce qu'on leur enfeigne, de celle qu’ils auroient à apprendre ce qu’on ne leur enfeigne pas. L'Univerfité de Saint Marc, les Colléges de Santo. Toribio & de St. Philippe, ont des chaires où l'on profeffe toutes les Sciences, & qui fonc occupées par les plus favans hom- mes de la Ville, parmi lefquels il y en a eu dont les Ouvrages ont fait aflez de bruit, pour mériter. l’eftime des Européens ; nonobftant l’im- menfe diftance des deux Continens. Le Bâtiment de l’'Univerfité a de la grandeur en dehors, & eft très- beau en dedans. La cour en eft quarrée, fpacieufe, ornée de pilaftres & d’arcades.. Tout autour font les fales où les Profeffeurs de chaque Fa- culté font leurs leçons. A l’un des angles eft le falon où fe font les. exer- Gices publics & littéraires. -On y voit les portraits des grands-hommes que cette Univérfité a produits. Ces portraits font dans des cadres d'une belle fulpture & dorés. Autour du falon. il y a deux rangs de fiéges auffi fculptés &. dorés. Par tout ce qu’on vient de dire il eft aifé de juger que Lima n'eft nas {eulement une Ville grande par fon étendue, magnifique par les ouvra- ges qu’elle renferme, capitale d’un vafte Empire, le fiége & la réfidence du Viceroi qui le gouverne ;. mais qu’elle a auffi Pavantage fur les autres Cités de cultiver les facultés de l’efprit, & par une prérogative propre au climat, de poufler les Sciences au plus haut degré de perfeétion. Refte à parler de quelques autres avantages, qui füuffiront pour faire avouer qu'à cet égard , encore moins qu’à tout autre, aucun des. Lieux qui lui cé- dent la primatie ne peut s’égaler à elle. On a déjà vu la richeffe des Eglifes, &avec quelle fomptuofité on y fait le VOYAGE AU PEROU. Liv. I. CH IV. 437 le Service Divin. La magnifficence des habitans dans les fonétions publi- ques répond à celle du Culte Divin. Et la maniere dont ils fe diftinguent à cet égard, montre bien jufques à quel point ils aiment la gloire, & com- bien ils furpaflent en effet dans les folemnités du premier ordre, les ha- bitans des autres Villes qui reconnoiffent Lima pour leur Capitale, quel- que effort que ceux-ci faflent pour briller. L'Entrée des Vicerois des Jndes eff la plus grande de toutes les folem- nités que l’on célébre dans ces Contrées, & où chacun s’empreile le plus d'étaler fa magnificence.. C’efft furtout dans ces occafions que Lima pa- roît l'emporter de haute lute fur toutes les autres Villes. On ne voit que carofles, que voitures, qu'équipages magnifiques , que bijoux , que pier- reries.. Les Seigneurs fe diftinguent par la magnificence de leurs livrées faites des plus richeffes étoffes. Cette fête en un mot ef fi célébre, que je ne puis m'empêcher d'entrer dans quelque détail fur ce fujet, & c’eft aufli ce que je ferai dans l’article fuivant, perfuadé que le Leéteur men faura bon-gré. GRR PCI TR E FEV. De la Réception que la Villede Lima fait à fes Vicerois. Pompe & Jomp- cuofité de cette Cérémonie, €5 d’autres qui reviennent tous les ans. uffi-tÔt que le Viceroi a debarqué au Port de Payta, à 204 lieuesde Lima, il dépêche une Perfonne de la premiere diftinétion , ou quel- que Officier de fa fuite, qui fe rend à. Lima revêtu du caractere de fon Ambafladeur; & lui remet des Lettres pour le Viceroi qui eft en poñlef- fion , par lefquelles il lui donne avis de fon arrivée , & de la bonté que le Roi a eue de lui conférer le gouvernement de ce Royaume. Dés que l'Am- baffadeur eft arrivé à Lima & qu'il a remis ces Lettres à l’ancien Vice- roi, celui-ci fait partir un Chasqui où Courier, pour complimenter le nou: veau Viceroi fur fon arrivée. Enfuite il congédie l'Ambaffadeur & le ré- gale de quelque joyau de prix, & d’un ou deux Corrégimens qui fe trouvent alors vacans, lui laïflant la liberté de les faire exercer en fon nom par des fubftituts ,au cas qu’il ait d’autres occupations qui ne lui per- mettent pas d'en faire lui-même les fonétions. Le Corrégidor de Prura reçoit dans le même Port de Payta le Viceroi, lui fournit les litieres- né- Et cef- 438 V'O Y'A GE AU P ER O U. ceffaires pour fa perfonne & pour fà famille, & toutes les voitures dont il a befoin pour tranfporter fes effets jufqu'a la Jurifdiétion d'un autre Corrégidor. Il a foin auffi de faire préparer des ramées dans les lieux déterts où le Viceroi doit fe repofer; ul l'accompagne, & le déiraye juf- qu’à ce qu'il foit relevé par le plus proche Corrégidor. Etant enfin arri- vé à Lima le Viceroi traverfe cette Ville fans s’arréter, & comme inco- gnito, & fe rend au Port de Callao qui eft le plus proche, & à deux lieues & demie de Lima. La il eft reçu, & reconnu par un des Ælcaldes ordi- naires de Lima nommé à cette fin, & par les Officiers militaires. On le loge dans les Palais qu'occupent les Vicerois, & qui eft meublé avec beaucoup de magnificence dans cette occafion. Le jour fuivant tous les Tribunaux Séculiers & Eccléfiaftiques le viennent complimenter, & 1l les reçoit aflis fous un dais. Ils viennent en cet ordre: premierement l’4u- dience, enfuite la Chambre des Comptes, le Clergé, le Corps de Ville, le Confulat, V'Inquifition , le Tribunal de la Crugada. Enfin les Supérieurs d'Ordres , les Colléges, & les Perfonnes de marque. Le même jour les Ayditeurs Vaccompagnent au magnifique repas que l’Alcalde lui fait fer- vir, & toutes les perfonnes de diftinétion font de-même à l'égard de fa famille, & grofliffent fon cortége. Le foir il y a Comédie pour le Vi- ceroi: & 1l eft permis aux femmes de qualité & autres , d’y venir felon leur coutume, & de voir le nouveau Viceroi. Le lendemain, qui eft le fecond jour de fon arrivée, il fort dans le ca-_ roffe que la Ville tient tout prêt pour lui, & fe rend à la Chapelle de la le- £gua, ainfi nommée parce qu’elle eft à moitié chemin de Callao à Lima, où fe trouve auffi dans le même tems le Viceroi qu’il vient relever. Tous les deux fortent de leur voiture, & ce dernier remet à l’autre le bâton de commandement, pour marquer que l'autorité doit pafler dans fes mains. Il accompagne cette cérémonie d’un compliment que la politeffe lui diéte ; après quoi ils fe féparent, & chacun s’en retourne par le même chemin. S1 le nouveau Viceroi veut faire fon entrée publique à Lima dans peu de jours, il retourne au Callao, où il demeure jufqu’au jour nréfixé; mais comme d'ordinaire il donne un efpace de tems convenable aux prépara- tifs de cette fête, en ce cas il ne revient pas au Callao, & fe rend tout de fuite à Lima, où il va loger dans fon Palais , que le plus jeune des Au- diteurs a foin de faire préparer conjointement avec le plus jeune des Al- caldes ordinaires. Le jour de l'Entrée publique étant arrivé, les rues bien nettéices, & ten: VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr. IV. 430 tendues de tapifleries avec des arcs de triomphe de diftance en diftance. où l'art &larichefle brillent également, le Viceroi fe rend incognito à j'te heures après midi à l'Eglife du Monaftere de Monferrat, qui eft féparé de la rue, @ù 1l doit commencer fa marche, par un arc de triomphe, & par une porte. Dès que fon Cortége eft raflemblé, le Viceroi & toute fa famille montent fur les chevaux que la Ville leur fournit pour cette cérémonie. On ouvre les portes, &ila marche commence dans cet or- dre. D'abord on voit défiler les Compagnies de milice, enfuite les Col- léges , l'Univerfité , dont les Doéteurs font vétus felon l'ufage del'Univerfi- té. Après ceux-là vient la Chambre des Comptes , l’Audience fur des che- vaux bien enharnachés, & le Corps de Ville vétus de robes de velours cramoifi, doublées de brocard de la même couleur, & avec de grands bonnets fur la tête, habillement réfervé à cette feule occafion. Quelques membres du Corps de Ville marchent à pied & portent le dais fous lequel marche le Viceroi. Deux. Alcaldes ordinaires auffi à pied lui fervent de palfreniers, & tiennent chacun un côté de la bride de fon cheval. : Au- refte cette cérémonie eft défendue par les loix des Indes, ce qui n’empé- che pas qu’elle ne s’obferve de la façon que nous venons de la décrire ;. çar cette coutume eff fi ancienne, que les Magiftrats n’ont pas jugé à pro- pos d’y toucher, pour ne point diminuer le refpeét dû aux Vicerois, & perfonne n’a voulu prendre fur foi une pareille innovation. La marche que le Viceroi fait dans cet ordre dure un peu long-tems,, attendu qu’il pafle dans plufieurs rues jufqu’à ce qu’étant arrivé fur la Pla- ce, où le Cortége fe range faifant face à la Cathédrale devant laquelle le Viceroi met pied à terre. L’Archevêque à la tête de fon Chapitre le reçoit à la porte. Le Viceroi entre dans l'Eglife où l’on entonne le Te Deum, & fe place avec les Tribunaux fur les fiéges qui leur font defti- nés. Le Te Deum fini, le Viceroi remonte à cheval & fe rend à fon Pa- lais, où il eft accompagné jufqu’au Cabinet par le Tribunal de l’Audien- ce. Là on fert une magnifique colation, à laquelle toute la Noblefle qui: vvue fe trouve dans les falons eft admife. Le lendemain matin il retourne à la Cathédrale dans fon caroffe avec la fuite & la pompe accoutumée dans toutes les fêtes folennelles & fonc- tions publiques. Il eft précédé de la Compagnie de fes Gardes à cheval, des Tribunauxen carofle, après quoi il -vient lui-même avec fa famille, & eft fuivi de fes Hallebardiers.. L’'Eglife eft ornée auffi richement qu'il: eft poffible : l’Archevéque officie pontificalement dans la Meffe d’aétions: de 440 VOYAGE AU PEROU de grace; & l’un des meilleurs Orateurs du Chapitre prononce un Sermon, après quoi le Viceroi retourne à fon Palais fuivi de toute la Nobleffe, qui n'oublie rien pour briller dans cette occafion. Le foir de ce jour & les deux fuivans, on fert des rafraîchiffemens en abondance, &m avec toute la delicateffe imaginable. Les confitures & les glaces font préfentées aux Dames & aux Cavaliers dans de la vaiffelle d'argent. Il eft permis aux Femmes de qualité & aux Bourgeoïfes de la Ville de venir alors au Palais , dans les falons , les galeries, & les jardins. Là elles peuvent briller par la fineffe de leur efprit , par la vivacité de leurs reparties, & par des con- verfations animées qui marquent le caraétere de leur génie, dont la fubti. lité met quelquefois en défaut, & étonne les Etrangers les plus fpirituels. A toutes ces fêtes fuccédent les Courfes de Taureaux que la Ville don- ne, & qui durent cinq jours; les trois premiers pour le Viceroi, & les deux autres pour l’Ambaffadeur qui a apporté la nouvelle de fon arrivée, & de l'honneur que le Souverain lui a fait de lerevêtir du Gouvernement. Il eft bon d’ajeûter à ce qui a déjà été dit de cet Ambaïñladeur, qui, je ie répéte, eft une perfonne de diftinétion ; que le même jour de fon arri- vée à Lima à fait fon Entrée publique, & que la Noblefle va le recevoir & l'accompagne jufqu’au Palais du Viceroi, d'où elle le conduit au loge- ment qu’on lui a fait préparer. Les fêtes de fa réception devroient fuc- céder immédiatement à fon Entrée ; mais pour éviter ce double embaras, on les renvoye jufqu’a celles qui doivent fuivre la réception du Viceroi, & on donne les unes avec les autres tout de fuite. Après les fetes des Taureaux fuit la cérémonie que font l'Univerfité, les Colléges, les Couvens de Religieux & de Religieufes, de reconnoître te Viceroi comme Wice-Proteëteur-Royal. Cette cérémonie ne fe fait pas avec moins de magnificence que les autres. On diftribue des prix-à ceux qui ont le mieux réuili à célébrer les louanges du Viceroi. Et comme ce qui fe pratique à cette occafion donne une plus jufte idée de la fplendeur de cette Ville, & n’eft pas fort connu en Europe, j'efpere qu'on me par- donnera fi j’entre dans un plus grand détail fur ce fujet. L'Univerfité commence la cérémonie, & pour cet effet le Reéteur prépare un Ÿeu où Combat poëtique , dont l’idée eft aufli finguliere que pro- pre à faire briller l’érudition des Auteurs; & après en avoir publié les fu- jets, & les prix qui feront donnés à ceux qui réufliront le mieux ,ilferend chez le Viceroi pour iui en faire part, & lui demander quel jour ii lui plaît d'honorer ce jeu de fa préfence. Cependant les prix font arrangés dans la prin- VOYAGE AU PEROU. Liv. L Cr. IV. d4i prircipale ale; les fijets font affichés aux piliers dans ces cadres fculptés, & font magnifiquement imprimés. Le Viceoi arrivé, entre dans la falle, & fe place dans le fiége Reéto- ral, qu'on2 eu foin d'orner autant qu'il eft poffible. Vis-à-vis eft un au- tre fiége ocupé par k Reéteur, ou à fon défaut parune perfonne des plus diftinguéesde ce favent Corps. Il prononce un Difcours éloquent, dont le but eft de marquer le défir qu'a l’'Univerfité de mériter la proteétion d’un tei Pstron; après quoi le Viceroi retourne à fon Palais, où le len- demain le Reéteur vient lui apporter le Livre du Feu Poëtique relié en ve- Jours avec des cornieres d'or, & accompagné de quelque meuble de 1a valeur à per près de mille écus. Le princpal but de l’Univerfité dans tout ceci étant d’honorer le Vice- roi & fa fanille, le Reéteur a foin que les Poëmes pour les premiers prix foient faits au nom des plus diftingués de fa maifon, afin que ces prix qui font les plus confidérables leur foient réfervés & diftribués. Et comme il y a douze fajets propofés & trois prix pour chaque contendant, les deux moins confidérables font réfervés pour les meilleurs génies de l’'Univerfi- té. Les meubles qui compofent ces prix font tous d'argent, & d’un prix confidérable , tant pour la matiere que pour le travail qui eft très-beau. Les Colléges de Sur Phelippe, & de San Martin, obfervent les mêmes cérémonies, excepté qu'ils n’ont point de Feu Poëtique public. Après ceh viennent tous les Ordres Réligieux felon l'ancienneté de leur établifflement aux Zndes. Ils dédient au Viceroi des Théfes publiques, foutenues par les plus habiles Lecteurs en Philofophie ou Théologie, qui veulent obtenir les degrés de Maîtres. Le Viceroi afifte à toutes, & chaque oppofant lui adrefle un Jong éloge avant que de commencer fes objeétions. Les Supérieures des Couvens ide Religieufes envoyent féliciter le Vi- ceroi; & quand il les va voir, elles lui donnent un concert magnifique où fe font entendre les plus belles voix ; & enfin ellés le régalent de tou- tes les chofes qu’on fabrique dans les Couvens, autant que leur Inftitut le permet. Outre ces cérémonies folemnelles qui font les plus grandes qui fe faffent à Lima, il y en a d’autres toutes les années, qui ne font pas une moin- dre preuve de la grandeur de la Ville. Le jour du nouvel-an, par exem- ple, les Alcaldes ayant été élus, & confirmés par le Viceroi, fortent le même foir à cheval, accompagnant fon caroffe de chaque côté. Ils font Tome JT. Kkk Ve 442 VOYAGE: AU PEROU. wétus de golilles à-manches d’étofé brochée, parés de joyaux de prix, & proportionnellement leur cheveux bien enharnachés. Cette marche pu- blique eft fort pompeufe, étant précédée des deux Compagnies de Gar- des-du-corps ; & de Hallebardiers du Viceroi, de tous les Tribunaux ‘en carofle, & fermée par le Viceroi-même accompagné de la Noblefte & -des Dames. Le matin da Jour des Rois, & le foir auparavant, le Viceroi fait une promenade par la Ville à cheval, faifant porter devant foi l'Etendard Ro- val, en mémoire de la fondation de la Ville, qu’on croit, comme il a déjà été dit, avoir été fondée à pareil jour. ‘On chante folemnellement les vêpres à la Cathédrale, & on y célébre la mefle, & le foir la céré- -monie eft terminée par une promenade à cheval pareille à celle du Jour de l'an. Les nouveaux Alcaldes élus pour l’année donnent chacun un feftin pu- blic dans leurs maifons pendant trois nuits confécutives; & pour ne pas fe nuire l’un à l’autre, comme celaarriveroit s’ils régaloient tous les deux à la fois, ils s’arrangent de maniere que l’un régale les trois jours immédiate- ment après l'Eleétion, & l'autre le jour des Rois & les deux fuivans. Par-là ils ont tous les deux un plus grand nombre de Convives , & les dé- penfes font plus confidérables & plus éclatantes. Toutes les autres Fêtes qui fe donnent dans le cours de l’année font femblables à celle-ci; ilnes’en fait aucune où il y aitun moindre concours de monde, & qui foit moins difpen- dieufe. En voilà affez pour juger jufqu’où l’on pouffe la magnificence à Lima. SL er PS ETUIS a M Du Rs des Habitans de Lima ; leur Race, leur humeur ; leurs ufages , leur richef]e, avec leur maniere de s’habiller. Le. dans toutes les Defcriptions que nous avons faites jufques ici des lieux par où nous avons pañlé, il ne fera pas cepen- dant hors de propos de dire encore ici ce que nous favons du nom- bre des habitans de Lima, & d’en faire un article particulier, en y joignant dés obfervations fur leurs coutumes, affez différentes de celles des autres Villes, pour mériter qu’on en faffe mention. Car quoiqu'il foit vrai qu’il y a toujours quelque reffemblance entre les ufages des Peu- | ples ! * / ' . : se a ( Heval.2. Caleche à la maniere deL ina 3 Mcogni = ? [æ que. Les on ouve le B exzoard. Re A lama Où PEOuLOrn \ \ Ni CN) NN NN PARU TER droit APE fi COPOOOUEEANE LU ROCCO DOANNTT TO TE En s Cnre «Mulathin,wie e [Le reutel. 2. Cade/che, rack der Art zu Lima . 3-cuña, oder eine Îrt von wilden Liegen. 4 Auanaco, oder Zaruga - #- Zlama oder Land ha 3 vO YAGE AF PEROU. Liv : L '€H4y V. 443 ples voifins, à eft pourtant certain qu'il s’y rencontre toujours. quel, que différence’, & nulle part au monde on ne s'en apperçoitt mieux que dans ce Contiment, où la variété à cet égard ne peut être attiribuée qu’au grand éloignemnent qu’il y a fouvent d'une Ville à la plus procihe. Les habitans de Lima font mêlés de Blancs ou E/pagnols, de Négres & de rice de Négres, d’Indiens, de Métifs, & d'autres races ou efpé- ces, qui proviennent du mêlange de ces trois. Les Familles E/pagnoles font en grand nombre; on les fait monter juf- qu’à 16 à 18 mille perfonnes felon les calculs les plus exaéts. Dans cenom- bre on compte un tiers ou une quatriéme partie de Nobleffe la plus diftin- guée & la plus avérée du Perou. Plufieurs font décorés de titres de Caftil. le anciens & modernes, & parmi ceux-là on compte quarante-cinq tant Comtes que Marquis. Le nombre des Chevaliers des Ordres Militaires eft à proportion. Dans le refte de la Nobleffe il y a des Familles non moins confidérables, & non moins illuftres. On compte parmi elles 24 Majorats fans titre, mais dont la plupart font d'ancienne fondation, ce qui ne prouve pas peu l'ancienneté des Familles. Il y en a une entre au- trés qui tire fon origine des Incas, ou Rois du Perou, c’eft celle d’Am- puero, ainfi nommée du nom d’un des Capitaines E/pagnols qui fe trou- verent à la conquête, & qui fe maria avec une Coya (c'eft ainfi que les Incas appelloient les Princefles de leur Sang Royal.) Les Roïs d’E/pagne ont accordé à cette Famille divers honneurs & des prérogatives diftin- guées, dont elle jouit comme une marque de fa haute qualité, Plufeurs Familles des plus illuftres de la Ville fe font alliées avec celle-là. Les Fa- milles forment dans chaque maifon une peuplade. Elles font toutes une figure convenable à leur rang, & à leur opulence. Elles ont un grand nombre de Domeftiques & d’Efclaves. Les plus diftinguées ont des ca- rofles autant pour le luxe que pour leur commodité; celles qui ne fe pi- quent pas de tant de magnificence, fe contentent d'avoir des caléches. Ces dernieres voitures y font fi communes, que les habitans tant foit peu aifés en ont pour leur ufage: & il faut avouer qu’elles font peut-être plus néceffaires à Lima qu’en aucun autre lieu, à caufe du cherroi continuel, & de la quantité de chevaux & de mules qui entrent ou qui fortent de la Ville, qui gâtent fi fort les rues & les remplifent de tant de fiente, qui fe convertit en une poufliere fi infupportable, dès que le Soleil l’a fechée, qu'il n’y a pas moyen d'aller à pied fans s’incommoder confidérablement & fans rifquer de fe faire mal à la poitrine. Les caléches qui ne font tirées Kkk 2 que 444 VOYAGE AU PEROU. que par une mule, & qui n’ont que deux roues, avec un fiége au fond & fur le devant, peuvent contenir quatre perfonnes. La façon en eit fort agréable, mais elles font exorbitamment cheres, puifqu’elles coutent 800 & même 1000 écus; du-refte elles font toutes dorées, & font beaucoup de parade. On en fait monter le nombre jufqu’a 5 à Goco, & quoique celui des carofles ne foit pas fi grand il ne laïfle pas d’être confidérable. Les Majorats établis dans les Familles empêchent qu’elles ne tombent dans la décadence, qui fans cela feroit inévitable, vu la dépenfe qu’elles font pour vivre avec une magnificence & fpiendeur qu'il ne feroit pas poffible de foutenir dans tout autre Pays. Elles ont des Terres confidéra- bles, des Emplois Politiques & Militaires; & ceux des Nobles qui n’ont ni revenus de Majorats, ni Terres libres, fe foutiennent par des avantages non moins réels que leur procure le Négoce, auquel ils s’adonnent fans dé- roger , quoiqu’ils foient des premieres maïfons de la Ville. Car à Lima le Commerce n’eft point incompatible avec la Nobleffe. J’entens le Com- merce en gros, & non pas celui qui confifte uniquement à acheter & à revendre en détail dans une boutique. De cette maniere les familles fe foutiennent, fans éprouver ces ruïnes fi fréquentes en Æ/pagne dans les familles qui ne jonïffent pas de Majorats très-confidérables. Non feulement on n’a pas honte de commercer à Lima, mais même les plus grandes ri- cheffes ne s’y acquierent que par cette voye. Il eft vrai qu'il s’y trouve affez de gens qui faute de fonds ên argent comptant, ou par parefle, ne prennent pas ce parti. Cette reffource qui fe trouve-là, & qui s’y eft établie fans peine, & fans fin déterminée, puifque les E/pagnols n’avoient au commencement qu’un défir vague de fe rendre riches, eft le moyen qui foutient la fplendeur où ces Maïfons fe maintiennent. La Déclara- tion Royale donnée dès le commencement de ja Conquête, étoit fort pro- pre à les guérir de la répugnance qu’ils pouvoient avoir pour le Commer- ce. Il y eft porté expreflément qu’on pouvoit fans déroger & fans crain- dre d’être exclu des Ordres Militaires, être Cargador, ou Commerçant aux Indes: réfolution fi heureufe que l’E/pagne en reffentiroit bientôt de plus grands avantages, fi elle étoit commune à tous fes Roy#umes. À Lima comme à Quito parmi les Familles diftinguées il y en a qui y font établies depuis longtems, & d’autres qui ne le font que depuis peu: ce qui vient de ce que cette Ville étant le centre de tout le Commerce du Pérou, il y aborde beaucoup plus d’Européens qu’en aucune autre , les uns pour commercer, les autres pour y exercer les emplois dont on les a gra- tifiés FL AS 0 €/; 8 DANNNMME 27 Pride onHabit de Villes.in Habit de PACA Cp NE Ziimanerinn 2 rer Kleidung, enr , [re aus geht B.Zr rer As À, ec dUng - C, ÉzAa Sparuer, za Peruanÿ/cher Zracht. D. Êne. ÂAulattinn. E. Cr Negro Écdenter . ASS 49) ALL Æ TN VOYAGE AU PEROU. Liv: L Cu. V. 44 cifiés en Efpagne. Parmi les uns & les autres il y a des gens de beau- coup de mérite, & fort diftingués. Plufieurs à-la-vérité s’en retournent chez eux après avoir fini leurs affaires, ou le tems de leurs emplois , mais la plupart y reftent, charmés de la fertilité & de la bonté du Climat; ils époufent des Demoifelles qui aux dons de la fortune joignent encore ceux de l’efprit ; & c’eft ainfi qu'il s'établit tous les jours de nouvelles fa- milles. Les Négres, Mulâtres & leurs enfans font le plus grand nombre des habitans, & font ceux qui exercent les Arts Mécaniques, à quoi les Eu- ropéens s’adonnent auffi, fans fe foucier , comme à Quito, fi la même pro- feffion eft exercée par des Mulâtres; car chacun cherchant à gagner , & les moyens de parvenir à ce but étant différens à Lima, on ne fonge gue- re aux obftacles. La troifiéme & derniere efpéce d’habitans font les Zndiens & les Mé- tifs, dont le nombre eft fort petit à proportion de la grandeur de la Ville, & de la quantité de Mulâtres. Leur occupation ordinaire eft d’enfemen- cer les terres, de faire des ouvrages de potterie, & d’aller vendre les denrées au Marché; car dans les maïfons tout le fervice fe fait par des Négres, ou par des Mulâtres, libres ou efclaves, mais plus de ces der- niers que des premiers. Les vêtemens que les hommes portent à Lima ne font pas fort diffé- rens de ceux qui font en ufage en. Æ/pagne, & la différence n’eft pas non plus fort grande entre les diverfes conditions. Toutes les étofes font com- munes, & qui peut les acheter peut les porter, defrte qu'il n’eft pas étonnant de voir un Mulâtre qui exerce un métier , vétu d’une étofe ri- che, pendant qu’une pérfonne de la premiere diftinétion n'en trouve pas de plus belle pour fe diftinguer. ‘Tous donnent daps le plus grand luxe, & l’on peut dire fans exagération , que les étofes qui fe fabriquent dans les Pays où l’induftrie invente tous les jours quelque chofe de nouveau, ne brillent nulle autre part autant qu'a Lima, l'ufage en étant tout-à-fait ordi- naire & général. C’eft ce qui fait que celles que les Gallions & les Vaiffeaux de Régître apportent , font bientôt débitées ; & quoique ce qu'elles coutent-la foit incomparablement au- deffus du prix qu’elles ont en Europe ,on ne les achéte ni plus ni moins ; on fe pique même d’avoir les plus belles ,& on les porte avec plaifir & oftentation, fans même en avoir le foin que femble exiger leur cherté. Mais à cet égard les femmes l’emportent de beaucoup Jur les hommes, & leur luxe va fi loin qu’il mérite bien un article à part. KKkk 3 C'eft 416 VOYAGE AU PER OU. .C’eft une chofe étonnante que l'attention & le goût que ces femmes: apportent dans le choix des dentelles , dont elles chargent leur ajufte-, ment ; c'eft une émulation générale non feulement parmi les Femmes, de qualité, mais parmi toutes les autres excepté les Négrefles, qui font celles du plus bas étage. Les dentelles font coufues à la toile fi près à près, qu'on ne voit qu’une petite partie de celle-ci, & même dans quel- ques piéces de leur habillement elle en eft fi couverte, que le peu qu'on voit, paroît_ être plutôt pour l’ornement-que pôur l'ufage. Au-refte il faut que ces dentelles foient des plus fines de Brabant, les autres font regar- dées comme trop communes. Leur habillement eft bien différent de celui des femmes d'Europe, & il n’y a que l’ufage du Pays qui le puifle rendre fupportable. Au commen- cement il ne laiffe pas de choquer les E/pagnols, qui le trouvent peu dé« cent. Cet habillement fe réduit à la chauflure, la chemife, une jupe de toile nommée Fuftan, & que nous appellons en E/pagne Jupe blanche ou de deffous. Enfuite une jupe ouverte, & un pourpoint blanc en Eté, & d'étofe en Hiver. Quelques-unes, maïs en petit nombre, ajoûtent à cela une efpéce de mante autour du corps, qui d'ordinaire n’eft point ferrée. La différence de cet ajuftement à celui des femmes de Quito, quoique com- pofé des mêmes piéces, confifte en ce que celui des femmes de Lima eft beaucoup plus court , de maniere que le jupon attaché au-deflous du ven- tre ne defcend que jufqu’au milieu des mollets, & de-là jufqu’à un peu au- deflus de la cheville pend la dentelle fine qui eft autour de la Fuflan. Au travers de cette dentelle on voit pendre les bouts des jarretieres bordés d'or ou d'argent, & quelquefois ornés de perles. Mais cela n’eft pas com- mun: ie jupon qui eft ou de velours, ou d’étofe riche, n’eft pas moins chargé d’ornemens que ceux dont nous avons parlé dans ja 1. Partie ; mais elles cherchent toujours les plus rares, & le garniflent encore de franges, de dentelles, ou de rubans. Les manches de la chemife, qui ont une au- ne.& demi de long, & deux de large , font garnies d’un bout à l’autre de dentelles unies, & attachées diverfement enfemble. Par deffüs la che- mile elles mettent le pourpoint , dont les manches, qui font fort grandes, forment une figure circulaire ; ces manches font de dentelles , avec des ban- des de batifte ou de linon très- fin entre deux. Les manches de la chemi- les quand elles ne font pas des plus belles, font faites de même; la chemife eft arrêtée fur les épaules par des rubans qu’elles ont pour cet effet à leur Corlét. Enfuite elles retrouflent les manches rondes du pourpoint fur ‘es épau- VOYAGE AU PEROU. Liv. L CH. V. 447 “&paules, & font de-même-de-célles de la chemife;,. qui reftent fur celles- Ja, & les ayant arrétées-llà’,-ces quatre rangs de manche forment:comme “quatre aîles qui defcendemt jufqu'àa là ceinture." Celles:qui portent: Ja: man- te, s’en ceignent le corps, fans céflér pour cela de: porter le -pourpoint ordinaire. En Eté elles s’affublent d’un voile, où Pagne ,aflez femblable à la chemife & au corps du pourpoint; il eft fait de batifte ou:de Hinon très-fin, garni de dentelles, les unes en l'air, comme:elles difent, c’eft-à- dire attachées par un côté feulement, & lesautresrangéesalternatiwement avec les bandes de torle, comme il a été dit des manches. En Hiver dans leurs maïfons elles s'enveloppent d’un Rebos, qui n’eft autre chofe qu'un morceau de Bayéte, où de Flanelle, fans façon; mais quand elles fortent dans tous leurs atours,ce Rebos eft orné & garni comme le: jupont quel- ques-unes le garniflent de franges tout autour, quelques: autres de paile- mens de velours noir d’un tiers de large, ou‘peu s’en faüt. Au-deflus du jupon elles mettent un tablier pareil aux manches du pourpoint, qui ne paie pas le bord de celui-ci. On peut juger de tout cela combien doit couter un habillement où l’on employe plus de matiere pour:les garnitures que pour le fond: & après cela il ne paroîtra pas étrange que la ‘chemife d’une nouvelle mariée revienne quelquefois à plus de mille écus. Une des chofes dont ces Femmes fe piquent le plus, c’eft d’avoir le pied petit; car dans ce Pays-làa la petitefle du pied eft une grande beauté, & c'eft un reproche qu’on y fait aux E/pagnoles, qui en comparaifon de ces femmes-là ont le pied grand: & comme elles ont accoutumé, dès leuren- fance, de porter des fouliers extrêmement étroits, il n'eft pas rare d'y voir des femmes avec des pieds qui ont à peine 5 à 6 pouces delong, me- fure de Paris. La façon des fouliers eft toute plate. Il n'y a prefquepas de femelle, ou plutôt il n’y en a point du tout: une piéce de maroquin fert d'empeigne & de femelle en même tems. Ils ont la pointe aufi large & auffi ronde que le talon, deforte qu’ils ont la figure d’un 8 allon- gé. Cette forme de foulier n’eft pas commode, mais le pied refte plus régulier. Elles les férment avec des boucles de diamans, ou d’autres pierres, felon les facultés de chacune, plutôt pour l’ornement que pour l'ufage; car ces fouliers font faits de façon qu’ils n’ont pas befoin de bou- cles pour refter fermes au pied, étant. tout-à-fait plats, & les boucles n’empêchant point qu’on ne puifle les ôter aifément. ‘Ce n'eft pas leur coutume de les orner de perles, & il eft difficile d'en deviner la raifon, vu qu’elles en mettent à tous leurs ajuftemens, & qu’elles regardent les per- 448 VOMAGE AU PER OU perles comme chofe fort ordinaire. Les C ordonniers qui connoiflent {e foible que ces femmes ont de faire briller leurs pieds, ont coutume d'y fai- re des arriere-points, & de les piquer de maniere qu'ils ne durent pas long- tems. Ils les vendent ordinairement un écu & demi la paire: ceux qui font brodés d’or ou d’argent coutent huit à dix écus; mais ceux de cette forte font peu en ufage, parce qu'ils font peu propres à faire briller la pe- titefle du pied, vu que ces ornemens le font paroître gros. Elles portent ordinairement:aux jambes des bas de foye blancs & fort déliés, pour que la jambe paroïffe d'autant mieux faite: quelquefois ces bas font de couleur avec des coins brodés, mais la couleur blanche eft le plus à la mode , comme étant moins propre à cacher les défauts de la jam- be, qui eft prefque toute découverte, & expofe ces défauts à la vue. Pré- venues de cette idée elles n’ont garde de charger leurs jambes d’ornemens qui les empêcheroient de paroître telles qu’elles font naturellement. Ces fortes de chofes font fouvent le fujet de leurs converfations , & ce n’eft pas un petit amufement que de les entendre critiquer les défauts qu’elles re- marquent les unes aux autres. Jufqu’ici nous n'avons parlé que de l’habillement des Dames, & deleur chauflure, Il y auroit de la négligence a ne rien dire des autres atours qu’elles employent quand elles fortent du logis pour faire des vifites, pour fe promener, ou pour quelque autre fonétion publique. Nous commen- cerons ce tableau par leur coifure, qui étant toute naturelle leur fied. ex- -trêmement; & de tous les préfens que leur a fait la Nature, leur cheve- lure n’eft certainement pas le moindre. Elles ont généralement les che- veux noirs, fort épais, & fi longs qu'ils leur defcendent jufqu’au - def- fous de la céinture. Elles les relévent & les attachent à la partie pofté- rieure de ia tête en fix treffes, qui en occupent toute la largeur, & dans lesquelles elles paffent une aiguille d’or un peu courbe, qu’elles appellent Polizon. Elles donnent le même nom à deux boutons de diamant gros comme de petites noifettes, qui font aux deux extrémités de l'aiguille. La partie des treffes qui n’eft point attachée à la tête, retombe fur les épau- les, formant la figure d’un cercle applati. Elle n’y mettent ni rubans, ni aucun autre ornement, pour en laïfler paroître d'autant plus la beauté. Au devant & au derriere de la tête, elles mettent des aigrettes de dia- mans. Des cheveux de devant elles font de petites boucles qui defcen- dent de la partie fupérieure des tempes jufqu’au milieu des oreilles, & fur chaque tempe elles mettent un petit emplâtre de velours noir, de la mé- VOYAGE AU PEROU PP "CA V. 449 même maniere que nous l'avons déjà dit ailleurs, & qui ne leur fied pas mal. Les Pendans d'oreille font des brillans, accompagnés de glands ou hou- pes de foye noire, qu’elles nomment aufñli Polizons, de la même maniere qu'il a été dit ailleurs, lefquels glands elles ornent de perles. Cet orne- ment eft même fi commun parmi elles, qu’outreles Carcars de perles qu'el- les portent autour du cou, elles y pendent encore des Rofuires, dont les grains font de perles fines ainfi que les dizaines, qui font de la grofleur d’une noifette. Celles qui compofent la croix du Rofaire font même un peu plus grofles. Outre les bagues, anneaux de diamans & bracelets de perles les plus grofles & de la meilleure qualité qu’on puiffe trouver, il y a plufieurs Da- mes qui portent des diamans enchaflés dans de l'or, ou, pour plus grande fingularité, dans du tombac, de la largeur d’un pouce & demi ou davan- tage, où le metal n’eft-là que pour foutenir les pierreries. Enfin elles portent au deffous de l’eftomac un affiquet rond-& fort grand, attaché à un ruban qui leur ceint le corps : il eft garni & enrichi de diamans en grand nombre. Si l’on fe-repréfente une de ces femmes toute vétue de dentelles au lieu de linge, & des plus riches étoffes, toute brillante de Perles &-de Diamans, on n’aura pas de peine à croire que lorfqu’elle eft dans fes plus beaux atours, elle ait fur fon corps. pour la valeur de 30 à 4o mille écus, plus ou moins felon fes facultés; magnificence d’autant plus furprenante, qu’elle régne même chez les femmes des particuliers. Mais ce qu’on aura plus de peine à comprendre, c’eft la générofité & ja façon libre dont ces perfonnes ufent de ces riches joyaux : le peu de foin qu’elles en ont, eft caufe qu’ils ne durent pas autant qu'ils devroient, & qu’il y a toujours quelque réparation à faire, furtout aux Perles qui étant plus fragiles, font plus fujettes à fe gâter. Elles ont deux façons de fe mettre à l'ordinaire pour fortir. L'une confifte en un voile de tafetas noir & une longue jupe, l’autre en yne cape & une jupe ronde. La premiere eft pour aller à l'Eglife, l’autre pour la promenade & les parties de plaifir. Ces deux habillemens font brodés d’or, d'argent ou de foye fur-un fond de toile, qui ne répond guere à ces ornemens. C'eft fürtout le Jeudi Saint qu’elles fe mettent de la premiere façon. Elles vont ce jour-là vifiter les Eglifes, & fe font accompagner detroïs ou Tome I. LI] qua- 450 VOYAGE AU PEROU. quatre femmes Efchves, Négrefles où Mulätres, vêtues de livrées com- me les laquais, & en tout cela il y a beaucoup d’oftentation. À l'égard de leur figure, toutes les femmes’ de Lima en général font d'une taille moyenne, fort jolies, & fort agréables; elles ont la peau d'une grande blancheur, fans aucun fard. Communément la Nature leur donne en partage de beaux cheveux, comme nous l'avons déjà dit, de la vivacité, des yeux charmans, & un tein admirable. À ces avanta- ges corporels fe joignent ceux de l’efprit. Ælles ont de la pénétration, penfent avec juftefle, s'expriment avec élégance, leur converfation eft douce & amufante, en un mot elles font très-aimables.. De-là vient auffi que tant d’Européens forment des attachemens, & fe fixent dans cette Ville par les nœuds du mariage. | On pourroit leur reprocher, qu’un peu trop prévenues de leur mérite , el- les ont un certain orgueil qui ne leur permet pas de fe foumettre à la volonté d'autrui, ni même à celle de leurs maris. Mais comme elles font infinuantes & habiles, elles favent s'emparer de l’efprit de leurs Maîtres, & parviennent à les gouverner. Un ou deux exemples contraires ne dé- truifent pas cette obfervation, on fait bien que les talens ne font pas é- gaux. Ce feroit auñi envain qu’on pourroit tirer de ce que je viens de dire des conféquences injurieufes au beau-fexe de ce Pays-là ; car fi on les accufe d'être plus dépenferes que les autres femmes, je répondrai que cela vient du prix exorbitant où les chofes font dans ce Pays-h; & à l'é- gard de l'indépendance qu'elles affeétent: la raifon en eft fort fimple, c'eft que c’eft un ufage établi dans le Pays; ajoûtez que ces Fèmmes y étant nées, & non leurs maris pour l'ordinaire, il eft naturel que ceux-ci foient un peu regardés comme étrangers, que leur autorité en fouffre, que les abus fubfiftent. Les maris s’y conforment, parce qu'ils les w'ou- vent établis; & d’ailleurs ils en font bien dédommagés pour les attentions & les complaifances de leurs femmes, qui à cet égard n’ont pas leurs pa- reilles dans le Monde. Elles aiment beaucoup les fenteurs, & portent toujours de l'ambre furel- les. Elles en mettent derriere les oreilles, dans leurs robes & leurs au- tres affiquets. Elles en mettent même dans les bouquets, comme fi les fleurs n’étoient pas affez odoriférantes. Elles mettent dans leurs cheveux les fleurs les plus belles, & celles auffi qui font plus recherchées pour leur odeur que pour leur beauté. Elles en garniflent leurs manches ; de- forte VOYAGE AU PEROU. Iv. I. Ci V. 45 forte qu’à une affez grande difance l'odorat eff faifi du parfum qu’ellesré. pandent. Une des fleurs qu'elles aiment le plius, c’eft celle qu’elles nom- ment Chirimoya, qui, comme on l'a déjà dit ailleurs, a une odeur trés-a- gréable, fans plaire fort à la vue. La grand’Pllace eft journellement com- me un jardin par l'abondance des fleurs qui y ffont étalées, & qui recréent la vue ainfi que l'odorat. Les Dames y vont dans leurs caléches acheter les fleurs qui leur plaïfent le plus, fans avoir égard au prix. Il y a tou- jours un grand concours de monde fur cette Place, & l’on a le plaifir d'y voir les perfonnes les plus diftinguées, quamd des affaires domeftiques ne les empêchent pas de s’y rendre. Chaque femme dans fa fphere tâche d’imiter les Dames dans leurs ajuf- temens. Il n’y en a aucune qui aille à pied, pas même les Négrefles, en cela bien différentes des femmes de Quito. Ici elles veulent toutes imiter les Femmes de qualité dans la chauflure ; commeelles, elles preflent leurs pieds & les mettent à la gêne dans de petits fouliers qui en cachent la grandeur naturelle, & elles ne fouffrent pas peu avant d’être arrivées à ce point de perfeétion. L’envie de primer par la parure eft fi générale, qu’elles vont toujours enmitouflées de dentelles, dontelles étalentles feuillages qu’el- les en font fur leurs corps. Elles fe piquent d’une très-grande propreté, & prennent grand foin que tout foit de la derniere netteté dans leurs maifons. Elles font naturellement gayes, badines & railleufes; leur bonne hu- meur eft néanmoins toujours accompagnée de décence, & leurs railleries d'agrément. La mufique eft une de leurs plus grandes paffions, jufques- là que parmi les gens du commun on n'entend que chanfons ingénieufes & agréables ; ils font des concerts enfemble où les meilleures voix fe font entendre, & quelques-unes même avec tant de fuccès qu'elles fe font ad- mirer. Les bals font fort fréquens; on y voit danfer avec une légéreté qui étonne, & à cet égard on peut dire que l'humeur du Beau-fexe de Li- ma ne le porte point à la mélancolie, mais panche plutôt à tout ce qui s'appelle pafle-tems & divertiflement. | Outre la vivacité, & la pénétration naturelle des habitans de cette Ville, tant hommes que femmes, ils ont beaucoup d'acquis, s’inftruifant dans la converfation avec des perfonnes éclairées qui pañlent d’E/pagne à Lima. La coutume qu'ils ont de former entre eux .de petites aflemblées, eft auffi fort propre à éguifer leurs efprits, par l'émulation qu’on a de ne pas vouloir paroître moins fpirituels que les autres: ces affemblées font d’aflez bonnes écoles, quoiqu’elles ne foient pas inftituées par l'autorité publique. LI] 2 Le 452 VOTYTAGENAU PEROU. Le caractere de ces habitans quoiqu’un peu fier, eft néanmoins docr- le; ils n'aiment pas à être commandés avec hauteur, mais pour peu qu'on ménage leur amour-propre à cet égard, on les trouve toujours dis- pofés à l'obéiffance; car ils aiment fort les mamieres douces, & les bons exemples font grande impreffion fur leurs efprits. Du refte ils font coura- geux, & ont un certain point-d’honneur. qui ne leur permet ni de difii- muler un affront, ni d'être querelleurs; deforte qu'ils vivent tranquille- ment entre eux, & qu'ils font fort fociables. Les Mulitres étant moins bien élevés, &. moins éclairés, font plus fujets aux défauts contraires. Ils font rudes, altiers, inquiets, ont fouvent des démélés les uns avec les autres ; cependant on, n’en voit pas réfulter des defaftres, & les malheurs que ces vices caufent d'ordinaire n’y font pas fréquens à proportion de Ja grandeur de la Ville, & du grand nombre de peuple qu'elle contient. Les mœurs de la Nobleffe font parfaitement convenables au rang qu'el- le tient. La politefle brille dans toutes fes aétions. Sa prévenance envers les Etrangers eftfans bornes. Elle leur fait accueil fans fierté & fans baîles- fe, & tous les Européens qui négocient avec elle ne peuvent que fe louer de fes manieres. . GER ie Per FORME UUNE De la température dont jouït la Ville de Lima ainfi que tout le Pays des Vallées. Divifion des Saifons de l Année. L ferait difficile de déterminer la-température de la Cité de Lima & _fes changemens, fi l'on devoit en juger par ce qui s'expérimente dans une égale latitude à la partie Nord de l'Equinoxial; car en ce cas on concluroit que Lima eft une autre Carthagéne, vu que les hauteurs de ces dèux Villes , l’une à l’hémifphere Boréal, l'autre à l'hémifphere Auftral, ne different que-fort peu entre elles. Mais on fe tromperoit,,. car autant que le climat de Carthagéne eft chaud & fâcheux, autant celui de Lima eft agréable; & quoique les quatre faifons de l’année y foient fenfibles, il n'y en a aucune qui foit incommode. Le Printems commence à Lima, peu de tems avant la fin de l’année, à peu près à la fin de Novembre, ou au commencement de, Décembre: ce qui pourtant ne doit s'entendre que de l'air; car alors les vapeurs dont. il Ne ArÊte: VOYAGE AU PEROME:EN DL CE VE. 49 a été chargé pendant tout l'Hiver, venant à fe difiper, le Soleil recom- mence à paroître & a réjouit la terre par la chaleur de fes rayons , dont la privation l’avoit plongée dans un état de langueur. Enfuite vient l'Eté, qui quoique chaud , par la grande impreflion que le Soleil fait fur la terre, n’eft pourtant point ennuyeux à l'excès; parce que la chaleur eit tempé- rée par les vents de Sud, qui fouflent, quoiqu'avec moins de force, en cette faifon.. L’Hiver commence au mois de Juin, ou au commence- ment de Yuillet , & dure jufqu'en Novembre ou Décembre, avec un peu d'automne entre deux. C’eft à la fin de l'Eté que les vents de Sud com- mencent à foufler avec plus de force, & à répandre le froid; non pas un froid pareil à celui qu'il fait dans les lieux où l’on voit la neige & la glace , mais aflez fort pour obliger les gens à quitter leurs habits legers,. & à fe vétir de drap, ou de quelque étoffe femblable. Il y a deux caufes qui produifent le froid qu’on éprouve dans ce Pays. La Nature toujours fage en afigne deux autres, qui produifent le même effet à Quito. Le froid eft produit à Lina, premierement par les vents qui venant des froids climats du Pole Auftral, confervent l'impreffion qu'ils reçoivent des glaces & des neiges. de maniere qu'ils la rendent fenfi- ble; mais peut-être ne la conferveroient-ils pas pendant un fi grand voya- ge que celui qu'ils font.depuis la Zone glaciale de leurhémifphere, jus- qu’a la Zone torride, fi la Nature n’y avoit remédié (& c’eft ici la feconde caufe); car pendant que l’Hiver dure, la terre fe couvre d’un brouillard épais, qui eft comme un voile qui empêche les rayons du Soleil de pénétrer jus- qu'a la terre, deforte que les vents fouflant fous ce voile confervent le. froid qu'ils ont contraété en paflant par ces Pays qui font naturellement froids. Ce brouillard ne comprend pas feulement tout le terroir de Lima ,, mais 1l s'étend encore vers le Nord dans toutes fes Vallées, & ne febor- ne pas à la terre, puisqu'il couvre auffi l'atmosphere maritime ,. comme. nous le dirons en fon lieu. Le brouillard fe maintient fur la terre régulierement toute la matinée » - & à dix ou onze heures avant midiau plutôt, ou au plus tard à midi, il commence à s'élever, fans fe difliper entierement ; cependant il n'offusque plus la vue, & cache feulement le Soleil durant le jour, & les Etoiles pendant la nuit; car le Ciel eft fans-cefle couvert, foit que les vapeurs- s'élévent dans l'air, foit qu’elles s'étendent für la terre. Quelquefois néan- moins elles fe diffipent un peu, & laiflent appercevoir l'image du Soleil, fans leiffer fentir la chaleur de fes rayons. LE 42 C'eft : 454 Vu ORG EAU: P E RO:U. C'eft une obfervation aflez finguliere pour ne devoir pas être paflée fous filence, qu'a deux ou trois lieues de Lima, depuis midi jufqu’au foir, les vapeurs fe diffipent beaucoup plus que dans cette Ville; puif- qu’elles laïffent voir le Soleil à plein & fentir fes rayons, qui moderent le froid dans ces lieux-la. Au Callao, par exemple, qui n’eft qu’à deux lieues & demie de Lima, les Hivers font beaucoup moins defagréables, & le Ciel y eft moins enbrumé dans cette faïifon-là. Les jours de Lima, comme nous j’avons déjà remarqué, font en Hiver triftes & ennuyeux, tant à caufe de l’obfcurité continuelle qu’il y fait, que parce qu’il arrive fouvent que les vapeurs fe maintiennent tout le jour dans la même denti- té, fans fe féparer, ou s'élever au deflus de la terre. Ce n’eft que dans cette faifon que ces vapeurs fe réfolvant en une bruï. ne fort menue, ou une efpéce de rofée, la terre eft humeëtée également par-tout. Ils appellent cette rofée Garua. Au moyen de cette humidité on voit fe couvrir de verdure les collines & les côteaux qui avoient pa- ru arides tout le refte de l’année, on les voit, dis-je, émaillés des diver- fes fleurs que chaque plante produit, & qui recréent la vue des habitans. Ceux-ci, dés que le fort de l'Hiver eft pañlé, vont à la campagne fe di- vertir, & jouir du plaifir que leur offrent ces objets agréables. Jamais ces Garua, ou rofées, ne font affez fortes pour rendre les chemins im- praticables ; à peine peuvent-elles pénétrer l’habit le plus léger qui leur auroit été expofé un aflez long efpace de tems, & cependant elles fufi- fent pour pénétrer la terre, & pour fertilifer le plus aride & le plus fté- rile de fa fuperficie, parce que le Soleil ne peut la deflécher. Par la même raifon elles rempliflent de boue les rues de Lima, en détrempant cette fiente qui caufe tant d'incommodité en Eté. Les vents qui régnent en Hiver ne font pas précifément ceux de Sud, quoiqu’ils leur donnent ordinairement ce nom ; mais ils fe tournent un peu vers le Sud-Lft, & foufllent continuellement entre Sud-Eft & Sud. C'eft du-moins ainfi que nous le remarquâmes pendant le cours de deux Hivers que nous paflèmes l’un à Lima, l’autre au Calluo; le premier en 1742, & le fecond l’année fuivante 1743. Ce dernier fut des plus rigoureux que l'on ait jamais fenti, & en général dans toute cette partie de l'Amérique jufques au Kap Hornes. Dans le Chili, à Valdivia, à Chiloé, le froid ÿ fut proportionné à leur hauteur du Pole, & à Lima il caufa des conftipations & des fluxions qui emporterent beaucoup de monde, & qui parurent con- tagieufes: & quoiqu’elles y foient affez communes dans cette Saïfon, el- les ne furent jamais fi dangereufes. Une VOYAGE AU PEROU. Liv. I Cn VL 455 Une fingularité aufli grande que celle qu’on remarque dans les Vallées du Pérou où il ne pleut jamais ;: ou, pour parler plus proprement, où les nuages ne fe réfolvent point en eaux formelles, a donné occafion à plu- fieurs Philofophes d'en rechercher la caufe, & leur a fait imaginer diver- fes folutions pour expliquer les moyens que la Nature employe pour opé- rer un effet fi peu commun. Les uns ont cru les trouver dans les vents de Sud, qui foufflant conftamment & fans difcontinuation, tiennent dans une agitation continuelle vers le même côté les vapeurs qui s’élévent foit de la terre, foit de lamer. Et comme elles ne s’arrêtent en aucun lieu de l’une ni de l'autre, faute d'autre vent qui les repouffe, ils concluent que le tems ne leur fournit point d’occafion de fe condenfer, & de s'unir les unes aux autres, ni par conféquent de former des goutes d’eau par l'union d’une quantité fufhfante de leurs particules, deforte que ces mêmes vapeurs converties en pluye puifent fe précipiter fur la terre par leur propre poids. D’autres ont prétendu que le froid naturel que les vents de Sud portent avec foi, tenant dans un certain & égal degré cette atmofphere pendant toute l'année, à-mefure qu'ils grofliffent les particules de l’air par les particules fali- nes dont ils les pénétrent, &dontils fechargent en paflant par l’atmofphere maritime , ainfi que par les particules nitreufés des Minéraux dont cé Pays a- borde, ces vents n'ont pas un mouvement afez fort pour unir les vapeurs de la terre, deforte qu'elles puiffent former des goutes d’eau dont le poids fur- pañe celui des particules de l'air: à quoi il faut ajoûter que les rayons du Soleil n'ayant pas l’aétivité néceflaire pour mettre ces vapeurs en mouve- ment, & pour les unir, vu que le même froid de ces vents diminue trop leur chaleur, elles ne fauroient fe réfoudre en pluye parfaite, puifque tant que le poids de la nue n’excéde pas celui de l'air qui la foutient, il eft impofñible que celle-là fe précipite, ni par conféquent fe forme en pluye. Je ne m'efforcerai pas à réfuter ces folutions, ni plufieurs autres qu’on a données fur le fujet que je vais traiter, n'étant pas moi-même bien für d'en avoir trouvé la vraye caufe; je me contenterai de dire mon fenti- ment fur une matiere fi difficile, laiffant aux Philofophes le champ libre pour exercer leurs conjeétures. On me permettra d'abord de pofer quel- ques principes préalables, qui pourront fervir de fondement à ceux qui fe dévoueront à cette recherche, & de guide à ceux qui voudront juger de la folidité des différentes folutions qui ont été propofées fur ce fujet. Premierement il faut fappofer que dans tous les Pays des Vallées il ne régne d'autres vents en toute l’année, que ceux qui viennent du Pole Au- ftral a. VOWEGEUAU P EROŸ. ftral, c’eft-à-dire, du Sud au Sud-Eft, tant fur la terre que jufqu’à une certaine diftance des côtes fur la mer. Il me paroît évident que ces vents font entre Sud & Sud-Eft; & à l'égard de ce que difent quelques Ecrivains, qui prétendent qu’ils viennent entre le Sud & le Sud-Oueft; il me femble qu’ils fe trompent. On doit encore fuppofer, malgré ce qui a été dit, qu'il eft des occafions où ces vents fe calment totalement, & qu’alors on fent du côté du Nord une certaine moïteur dans Fair, quoi- que trés-foible, dont fe forme le brouillard. . Secondement, les vents-de Sud foufflent avec plus de violence & de force en Hiver qu'en Eté, ce qui doit s'entendre à l'égard de la terre. ‘Troifiémement, quoiqu'on ne voye point de pluye formelle dans les Vallées, on y éprouve de petites bruïnes qu’ils nomment Garuas, & cela eft prefque continuel en Hiver, & n'arrive jamais en Eté. Quatriémement, toutes les fois qu’il fait des Ga- ruas, les nuages, brouillards, ou vapeurs qui s’élévent de la terre y res- tent comme colés & attachés, & le même brouillard qui fe réfout en Ga- quas, commence par la moiteur, ou.air humide, & peu à-peu l'humidité de- vient plus fenfible ,jufqu’à ce que le brouillard étant arrivé à fa plus gran- de condenfation , -on.diftingue les goutelettes qui s'en féparent. Cela eft fi naturel qu'on le remarque dans tous les Pays froids, , & par-là même il ne faut pas s'étonner qu’il arrive dans le Pays dontil s’agit ici. J'appelle nuage, brouillard, où vapeurs sce qui produit la Garua, ou petite bruïne;..car, quoiqu'il puiffe y avoir entre ces trois efpeces des dif- férences accidentelles, je ne crois pas devoir m'y arrêter. En effet ce qui dans fon principe fe nomme vapeur, devient brouillard en fe conden- fant; & le nuage n’eft qu’un brouillard plus élevé & pius denfe que la vapeur & que le brouillard proprement &it. Dans le fond il faut les regar- der tous trois comme une même chofe, ne différant entre eux que du plus ou du moins de denfité; & il importe peu à notre fujet lequel de ces trois noms on lui donne. Cinquiémement, en Eté l'aëétion des rayons du Soleil fur la terre dans toutes ces Vallées, fait fentir une très-grande chaleur; d'autant plus que ces rayons agiflent fur le fable, où la reverbération étant très-forte, & le vent fort foible, la chaleur augmente de beaucoup. D'où il paroît que les motifs expofés dans la feconde opinion rapportée ci-deflus, ne peuvent avoir lieu, du-moins quant à ce tems-là. En effet fi la force & l’agita- tion des vents de Sud eft ce qui empêche les vapeurs de s'élever jufqu’à ja hauteur néceffaire pour former la pluye, il fuit que cette raifon cef- fant VOYAGE AU PEROU. Liv.L CHVL ‘4sr fant pendant la plus grande partie de l'Eté, il doit gpleuvoir'dans cette faifon: mais Ceft tout le contraire, puifque la Garua n’eft pas mé- me alors réguliere. Sixiémement, dans les Vallées il y a eu des occa- fions où la nature du climat fortant de fon train ordinaire, on a eu des pluyes formelles, comme il a été rapporté dans le Chapitre I. de cettefe- conde Partie, en parlant du Bourg de Chocopé, de Truxillo, de Tumbez & autres lieux: avec cette particularité que non feulement les vents n’a- voient point varié ; mais que s'étant maintenus au Sud, ils avoient été beaucoup plus forts quand les pluyes furvinrent, qu'ils ne le font d’ordi- naire en Eté & en Hiver. Les fix principes que je viens de pofer, font fi propres à ce Climat, qu'on peut les appliquer à tous les lieux dont il eft fait mention dans ce Chapi- tre. Nous paflerons maintenant aux raifons pourquoi 1l n’y pleut pas a- vec la même force qu'en Europe, ou, pour mieux dire, avec la force or- dinaire fous la Zone torride: nous tâcherons de donner une folution, qui s'accorde de tout point avec l'expérience. | Il nous paroît tout fimple de fuppoler pour principe conftant, que le vent foufle avec plus de force dans certains efpaces ou régions de l'at- mofphere que dans d’autres. On le prouve par l'expérience qui fe fait tous les jours fur les Montagnes élevées, au fommet defquelles le vent foufie avec violence, pendant qu’au bas on s'apperçoit à peine du moin- dre mouvement: c’eft ce que nous expérimentâmes fur toutes les Monta- gnes de la Cordillere, la grande force des vents ayant été une des incom- modités que nous y fouffrimes. Cette expérience fe peut faire par-tout. On n’a qu’à monter au haut d'une tour, on y fentira bientôt la différence en queftion; & quoique plufeurs prétendent prouver que cela vient des inégalités de la Terre, comme montagnes, collines & autres obftacles, qui empêchent les vents de foufler avec la même force dans la plaine & autres lieux bas, que fur les lieux élevés, comme ce que nous avons dit de la Terre arrive auñli fur Mer, ainfi que l'expérience le démontre & qu’on le voit tous les jours fur les vaifleaux , il paroît décidé que ce n’eft pas immédiatement fur la furface de la Terre que le vent a fa plus grande | force. Ce point accordé, nous pourrons pofer, ce me femble, avec quel- que certitude, que les vents de Sud portent leur plus grande force par un intervalle de l’atmofphere un peu féparé de la Terre, mais non pas au point de furpañler celui où fe forme la pluye, ou dans lequel les particules d'eau que les vapeurs enferrent, fe réuniflant enfemble, compofent des Tome I. Mmm sou- 459 VOYAGE AU PEROU.: goutes de quelque: poids. Ainf dans-ce Pays on voit que les Nuages où vapeurs qui S'élévent au-deflus de cet efpace, c’eft-à-dire, celles qui s’é- lévent le plus, font mues beaucoup .plus lentement, qué celles qui ont les vents au deflous d’elles. Souvent en d’autres Climats hors des Val lées, ces nuages fe meuvent dans un fens contraire à .celui que fuivent les gros nuages, qui font au deflous. Il me paroît donc que fans Courir rifque de fuppofer une chofe irréguliére, on peut: tomber d'accord. que l'efpace de l'atmofphére où ordinairement les vents fouflent avec le plus de force, eft le même où fe forme la grofle pluye ,ou cellé à qui d’ordinai- re on donne ce nom. Maintenant pour expliquer ce phénoméne dela Nature, je dis qu’en Eté l’atmofphere étant plus raréfiée, le Soleil par l'influence de fes ra- yons attire les vapeurs de la Terre & les raréfie dans lemême degré qu’eft Vatmofphere; parce que dardant fes rayons plus pérpendiculairement il a plus de force pour faire lever les vapeurs, qui venant à toucher la partie inférieure à la région de l’atmofphere par où les vents fouflent avec le plus de force, font emportées par ces mêmes vents, qui ne leur donnent pas le tems dé s'élever dans cette même région, & par-làa de s'unir & fe joindre enfemble aumoyen del’atmofphere ; pour former des goutes: or cette circonftance manquant , il ne peut y avoir de pluye.. D'ailleurs, à mefure que les vapeurs s’élévent de la Terre, elles prennént leur cours par cette partie inférieure de l’atmofphere, fans s'arrêter nulle part; & comme les vents font continuels & conftans dans cette partie auftrale, il eft tout fimple que dans leur vitefle ils emportent ces vapeurs raréfiées à proportion de l’aétion que la chaleur du Soleil leur imprime. La trop grande attivité de cet Âftre tes empêche auffi de s'unir, & de-là vient qu’en Eté l’atmofphere eft claire & dégagée de vapeurs. En Hiver les rayons du Soleil. ne tombant qu’obliquement fur la Terre l'atmofphere refte condenfée ; & l'air qui vient des parties auftrales l’eft encore bien davantage, vu qu’il eft chargé de cette congélation naturelle que Jes glaces lui communiquent, & qu'il communique à fon tour aux vapeurs à mefure qu’elles fortent dé la Terre; de-la vient qu’elles font plus denfes qu'en Eté, ce qui les empêche de s'élever avec cette promptitude qu’elles ont dans cette derniere faifon. À'cela il faut ajoûter deux autres raifons : l’une , que les rayons du So- leil n’ayant pas tant d’aétivité, à proportion qu’il les diffipe moins, les va- peurs ont en Hiver plus de difficulté à s'élever: l’autre, que la région ae VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr. VE 469 de l'atmofphere où l'air a le plus de viteffe, s’approchant de la Terre dans certe tfafon, ne permet pas aux vapeurs de s'élever beaucoup; de- force qu’elles reftent attachées à la Terre, & fuivant le. même rumb du vent, elles fe changent en brouillards humides, tels qu’on les voit alors; & comme dans cette fituation elles ont moins d'efpace pour fe répandre & s'étendre, que quand elles s’élévent davantage, il eft cout fimple qu'el- les ayerit la facilité de fe joindre & de former la Garua, peu de tems aprés welles ont commencé à fe condenfer, ou à fe changer en brouillard, Vers le milieu du jour, la Garua ceffe, .& les vapeurs fe diflipent, cé qui provient de ce que le Soleil ayant alors plus d'activité, raréfie l'at- mofphere, & peut en même tems attirer les vapeurs à une plus grande hauteur: par où non feulement il les rend plus fubtiles, mais les retenant ‘dans uri éfpace plus étendu; où elles peuvent fe mouvoir, il en fépare ces parties plus foibles, jufqu'a ce qu'il les écarte, les diffipe, & les rend tout-à-fait imperceptibles. | Malgré tout cela, il faut convenir que tant en Eté qu'en Hiver, quel- ques vapeurs doivent vaincre la difficulté de la rapidité du vent dans cet efpace où il court avec le plüs de vitefle, & furmontant cet obftacle, doivent s'élever à une hauteur fupérieure au vent; non pas précifément dans cette partie où elles ont commencé à rencontrer & vaincre la difh- culté, mais beaucoup plus en avant, deforte que nous devons confidérer ces vapeurs fuivant d’un côté le cours de l'air, & de l’autre s’élevant à proportion de la raréfaétion où les rayons du Soleil les ont mifes. Dans cette fuppofition, il eft clair que ces vapeurs ne doivent pas être celles qui font le plus condenfées, puifque plus elles le feroient , plus elles auroient dé difficulté à s'élever, & plus il leur conviendroit par leur trop grand poids dé céder à l'agitation du vent. Par conféquent les vapeurs en queftion devant être les plus fubtiles, dès qu’elles fonc parvenues au- deflus de cétte région de l’atmofphere, diminuent l'accélération par la: quelle elles étoient emportées auparavant; & ainfi plufieurs fe joignant enfemble forment ce nuage élevé, qu’en apperçoit après qué le brouillard eft entiérement diffipé. Ce nuage ne peut fe changer en pluye, parce qu'ayant outre-pailé la région qui eft propre à la formation de la pluye, toutes fes parties font congelées :- or comme élles ne peuvent acroître af fez leur poids pour vaincre la réfiftance de Pair qui les foutient, celles qui pourroient furmonter cette difficulté, n'étant pas en quantité, il ne leur €ft pas aifé de fe joindre à de nouvelles vapeurs pour remédier à la difii- Mmm 2 pa- 460 VOYAGE AU PEROU. pation continuelle où l’activité du Soleil les expofe. Aufñli peu peuvent- elles fe précipiter changées en neige, ou en grêle, qui eft ce qui répond à leur état aétuel. Joïgnez à cela, que tenant, quoiqu'avec plus de len- teur, la même route que le vent, celui-ci les empêche de s'unir & de former une nue épaille, ainfi qu’on le remarque, puifque ces nuages font fidéliés &fitranfparens qu’on peut les diftinguer à travers la figure du So. Jeil pendant le jour , & les étoiles quand il fait nuit, quoique confufément, Refte à fatisfaire à une difficulté, pour que ce que nous avons expoié jufqu’ici s'accorde entiérement avec l'expérience: c'eft que ces nuages élevés ne fe font voir qu’en Hiver, & point en Eté: mais cela même eit ce qui doit naturellement arriver felon mon fentiment; car outre cette raifon générale, que le Soleil diflipe ces mêmes nuages par fa trop grande activité, en Hiver les vents courent par un efpace plus contigu à la Ter-° re qu’en Eté, & à proportion de la contiguité de la partie inférieure de cette région à la Terre, la partie fupérieure de la même région fe trouve plus bafle. En Eté au-contraire fa partie fupérieure eft d’autant plus éle- vée que l'inférieure left davantage. On doit fuppofer d’ailleurs avec tous les Philofophes , que les vapeurs de la Terre peuvent feulement s’éle- ver jufqu’à cette hauteur où les globules de vapeur péfent moins que les globules d'air: or les vents confervant en Eté leur rapidité jufqu’à cette hauteur, il n’eft pas poffible que les vapeurs évitent la violente agitation avec laquelle ils les emportent, ni conféquemment qu’elles fe condenfent, puifqu’il les empêche de s’unir, ni qu'elles forment €e nuage vifible, fi ordinaire en Hiver. Car dans cette faifon les vents fouflant avec plus de violence par un efpace plus contigu à la Terre à raifon de la contiguité de la partie inférieure du même efpace, font plus foibles vers la partie fu- périeure, c’eft-à-dire, au-deflous du terme où les vapeurs peuvent s’éle- ver, deforte qu’elles occupent un efpace plus élevé que celui où les vents courent avec le plus de force & de célérité. Tout cela eft naturel & conforme à l’expérience, qui montre qu’en Hiver les vents de Sud font plus forts fur la Terre qu’en Eté. Ce qui fuit pourra encore fervir de preuve. Nous avons dit qu'au Bourg de Chocopé on avoit eu en deux occafions des pluyes très-fortes & continues, & qu’encore plus fréquemment la même chofe arrive inopinément à Tumbez au bout de quelques années: ce qui eft extraordinaire, vu que Tumbez & Chocopé étant dans les Vallées, & par conféquent dans un Climat peu différent de Lima, il ne doit pas y pleu« VOYAGE AU PEROU. Lav.E Cu. VE 461 pleuvoir davantage qu’en cette derniere Ville, Cependant j’entrevois deux caufes qui peuvent occafionner cette irrégularité , lefquelles naiflent l'une de l’autre. Je vais commencer à expofer la premiere , dont la feconde n’eft qu’une fuite. On doit conclure de tout ce qui a été dit ci-deflus, que dans un Pays, ou Climat, où le même vent régne conftamment, il ne peut y avoir de pluye formelle; & pour qu’il y en ait, ou il faut que le vent cefle totale- ment, où qu'il y en ait un autre qui foufle du côté oppofé, & qui unis- fant les vapeurs qui fe font élevées à une certaine hauteur avec celles que la Terre exhale attuellement, les condenfe à mefure qu’elles font at- tirées par le Soleil, jufqu'a ce qu'ayant acquis une pefanteur fupérieure à celle de l'a qui les foutient, elles puiflent tomber changées en gou- tes d’eau. Si l'on fait attention aux circonftances rapportées à l'égard de ce qui s’eft paflé à Chocopé', on remarquera que durant tout le jour l'air étoit fe- rein , & que la pluye ne commençoit que vers les cinq heures du foir, & avec elle la force du vent: d’ailleurs il eft bon d’avertir, que quand les vents d’Eft régnent dans les Climats où ils font réguiers, ils ne fou- flent avec force que depuis le concher du Soleil jufqu’à l’aurore, & cel: continue depuis Décembre en-çàa, qui eft le tems d’Eté dans les Vallées; & alors les jours font clairs, & l’air toujours ferein. C’eft ainfi que la chofe étoit à Chocopé au tems de cette pluye: car quoique les habitans ne fiffent pas précifément mention de Ja faifon, ils donnoïent fuffifamment à entendre que c’étoit en Eté, & que les vents de Sud régnoient alors avec plus de force qu'ils n'en ont ordinairement dans cette faifon: ce qui n’auroit pas paru étrange en Hiver, où 1l vente avec beaucoup d’inéga- lité, mais le plus fouvent avec force. Nous pouvons donc établir avec fureté, que ces accidens arriverent en Eté, & conclure de leurs circons- tances que les vents d’Eft étant plus forts qu’à l'ordinaire, & s’avançant cette année-là plus que de coutume fur le continent, couroient par cet efpace fupérieur, où les vents de Sud paffent avec le plus de violence & de ra- pidité; & les premiers faifant effort contre les feconds , les contraignoient à changer de rumb: & comme il n’étoit pas praticable qu’en rebrouflant ils priffent celui qu'ils avoient tenu, parce qu’ils en étoientempêchés par la Continuité des mêmes vents qui les fuivoient, il falloit qu'ils quittaflent cette région pour la céder à un plus grand poids, & que defcendant de-là au deffous des vents d'Eft ils s’approchaffent de la Terre. Alors Les va- Mmm 3 peurs 462 VOYAGE AU PER O Kw. peurs qui fe lévoient de fon fein péndant tout le Cours du jour, après avoir couru avec le vent le plus près de la Térre uné certaine diftance à s'clevoient jufqu'à la région où l’autre vent régnoit, & refoulées par célui- ci elles avoient le moyen & le tems de fe condenfer: car dans cette ré- gion où fe forme la pluye, c’eft-à-dire, où une infinité de goutelettes imperceptibles éompofent une quantité innombrable de goutesquiont plus de corps & de poids, s’avançoient les vapeurs, étant élèvées par l'effet de leur diffipation caufée par l'attivité du Soleil; & cel jusqu’à ce que cet Aftre commençant à décliner fenfiblement, & fon influence à ceifer, les vapeurs recommençoient à s’épaiflir; & ne pouvant plus fe foutenir retomboïent par leur propre poids, changées en une pluye d'autant plus grofle, que les vapeurs étoient plus condenfées par la force ou la viteffe avec laquelle les vents d’Eft les rechafloient. Ces vents s’affoiblifloient pour l'ordinaire dès qu'il cornmençoit à faire jour, & dés lors la pluye ceffoit. Les vents de Sud au-contraïfe foufloient pendant tout le jour, & n’y ayant dans la partie fupérieute de l’atmosphere aucun vent qui leur fit obftacle, ils emportoient avec eux les vapeurs à mefuré qu’elles s'élevoient, & par ce moyen l'air reftoit ferein & paifible. Vo ce qui eft arrivé à Chocopé, qui eft beaucoup plus éloigné dés lieux jufqu’où les vents d’Eft fouflent, que Tumbez, Piura, Séchura, & autres Boutgades où cela arrive plus fréquemment, felon qu’ils font plus près de l’'Equinoxial, fans qu’on expérimente néanmoins lès vents d’Eft ou de Nord dans cet efpace de l’atmosphere qui eft le plus proche de la Terre. Il eft donc vraifemblable, & ce paroît étre une chofe réguliere, qu'il eft plus facile aux vents de Nord de foufler dans le tems qu'ils ré- gnent, jufqu'aux lieux les plus proches de l'Equinoxial, qu’à ceux qui en {ont plus éloignés, quoique ce né foit pas fi près de la Terre qu'ils s’y faf- fent fentir, mais en courant par un efpace plus élevé. Confequemment il eft naturel qu’il pleuve plus dans ces lieux qu’en d’autres, où il eft rare que ces vents parviennent , foit par l’efpace de l'atmosphere le plus contigu à la Terre, foit par celui qui en eft plus éloigné, & où le vent porte fa plus grande force & fa plus grande rapidité. Je l'ai d’abord déclaré; je ne fuis pas fi perfuadé que les raifons que je viens d’expofer foient fi décifives, qu’il ne puifle y en avoir de plus con- Vainquantes, & de plus conformes à l’expérience ; mais comme il eft dif- fcile de trouver d'abord des raïfons qui conviennent à toutes les circonftan- ces, qui laiffent l'éfprit fatisfait de leur probabilité, & que celles qu'on peut VOYAGE AU PEROU. Liv.L. Cn, VL 463 peut chercher ne font pas toutes également proprès à:s'accorder avec les particularités auxquelles il faut qu'elles s'accomimodent ;ik me füffit d'avoir dit ce que je penfe, & qui me paroît le plus plaufible; laïffant une entie- re liberté aux Philofophes d’’exercer leurs fpéeulations pour”’trouvér la vé- ritable caufe, & de rejetter mon opinion, que je vais achever d’expofer. Si, réguliérement parlant, ‘il ne pleut jamais à Lima, 11 n°y fait nOn plus ja- maisd’orage, &.fes habitans qui n'ont jamais voyagé, ni danses Montagnes, ni à Guayaquil, ni au.Chili, mien d’autres lieux, ne favent ceque c’eft que tonnerres, & n'ont jamais vu d'éclair, puifqu’il n’en fait jamais à Li- na: auffi font-ils fort étonniés & épouvantés quand ils entendent les uns & voyent les autres pour la premiere fois. : Mais c’eft une chofe admira- ble, que ce qui eff fi inconmwaà Lima , foit fi fréquent:à trente lieues, où un peu moins à lorient de cette Ville (car c’eft h diftance des Montagnes de cecôté-lh). : Les pluyes & les orages y font auffi réguliérs qu'à ‘Oui- to. Les vents quoique conftans à Lima, ainfi qu'il a été dit, varient néanmoins un peu, mais prefqu'imperceptiblement, comme nous l’expli- querons tout à l'heure. Ils font d’ailleurs fort modérés en toute: faifon, puifqu'ils ne foufflent jamais avec aflez de force pour incommodér, pas même en Hiver; & fi cette Ville n’étoit pas fujette à d’autres inconvé- ñiens, fes habitans n’auroient rien à défirer pour les commodités de la vie: mais la Nature a balancé ces avantages par des inconvéniens qui en diminuent fort le prix, & qui peuvent bien confoler les autres Peuples qui ne jouiflent pas des mêmes prérogatives. Nous avons déjà obfervé, que les vents qui fe font généralement fen tir dans les Vallées viennent des parties auftrales. : Cette expreffion eft générale, & fouffre quelque exception, qui fans rien changer au fond de la chofe, fait voir qu’il y a dés occafions où il régne des vents de Nord, mais fi foibles & fi imperceptibles, qu'à peine ils.ont la force de mou- voir les girouettes & banderolles des Vaiffeaux. C’eft une foible agitation de l'air, un peu plus que le calme, & qui fufhit pour faire remarquer que les vents de Sud ne régnent pas. Cela arrive régulierement en Hiver,. & c’eft par cette foible agitation que les brouillards commencent, ce qui paroît conforme en quelque maniere à ce qui a été dit auparavant de la raifon pourquoi il ne fait pas de pluye proprement dite à Lima. Ce fouf- fle de vent, comme l’appellent les Gens de mer, eft fi particulier que dés: qu’il commence, même avant que le brouillard foit condenfé, les habi-- tans le féntent; parce qu’il leur caufe des mauxde tête, où migraines fi fortes, - 464 VOYAGE AU PEROU. fortes, qu’ils peuvent facilement deviner quel tems il fera, même avant de fortir de leurs lits, & de voir ce qui fe pale dehors. SLA SAINTE TORNADE SAIT TAN ENG DCS OUR © PÔE: VO 0 N E 8e ee EE! Eléaux auxquels la Ville de Lima ef? Jujette. ‘Particularités des Tremblemens de terre. Maladies dont les Habitans de cette Ville Jont affligés. N des Fléaux de Lima, ce font les Puces & les Punaïfes. Il n’y a pas moyen de fe garantir de ces deux engeances, quelque foin que l'on-prenne, & quelque préfervatif qu’on employe. Ce qui contribue le plus à les faire pulluler , c’eft ce crotin dont les rues font toujours pleines, & la maniere dont les toits des maifons font conftruits, qui étant tout plats, comme nous l’avons dit, font toujours couverts de ce crotin pul- vérifé que le vent emporte, deforte qu’on voit continuellement tomber à travers les ais puces & punaifes, dont les maifons ne font jamais exem- tes. À ces deux fléaux fe joignent les Mofquites, qui néanmoins ne font pas fi incommodes que les deux précédens. Toutes ces playes ne font pourtant rien en comparaïfon des T remblee mens de terre. Ce Pays y eft fi fujet que fes habitans vivent dans des alarmes continuelles. Les fecouffes font fubites, & fe fuivent de près, & les trémouffemens de la terre furprennent & étonnent les plus braves, les frappent de terreur, & leur font craindre avec juftice d’être enfévelis dans les ruines de leurs habitations. Ces funeftes & lamentables accidens n’ont que trop été réitérés pour le malheur de cette Ville, qui vient en- fin d'être entierement détruite par ce fléau. Les tremblemens n'y font pas toujours continus: il éft des occafions où ils font réitérés plus fré- quemment qu’en d’autres, & où les fecoufles ne font pas égales, ou du- moins d’une égale durée, y ayant quelquefois de la différence. Cepen- dant il n’y a jamais un intervalle affez confidérable pour que l'efprit puifle fe tranquillifer; au-contraire il eft plus inquiet & plus agité au bout de quelques jours, quand la fecoufle eft pañlée, dans la jufte appréhenfion que celle qui va furvenir ne foit plus violente & plus longue. En 1742 j'eus la curiofité, pendant un certain tèms, de marquer l’heure des trem- blemens de terre qu’on y effuya. Voici le réfultat de mes obfervations. L. Le o de Maià9du matin. Il. Le 19 du même mois vers le mi- nuit. VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cu VII. 48 auit. III. Le 27 à 5 heures 35 minutes du foir. IV. Le 19 de Juin à 5? du matin. V. Le 14 d'Olobre à 9 heures du foir. Je ne pris pas davantage la peine de les marquer. Mais je dois avertir que je n'ai noté. que les plus confidérables, & ceux qui ont duré pour le moins environ une minute. Celui du 27 Mai en dura même deux, ayant commencé par une grande fecouffe, qui fut fuivie par différens petits trémouffemens, jus- qu'a ce qu’il cefla entierement: . dans les intervalles de ceux que j'ai mar- qués, il en arriva d’autres moins confidérables qui ne fe firent pas tant fentir. Ces tremblemens, tout inopinés & füubits qu’ils font , .ne laiflent pas d’avoir des avant-coureurs qui annoncent leur approche. “Un peu aupa- ravant, c’eft-à-dire environ une minute avant les fecoufles, on entend un bruit fourd qui fe fait dans les concavités de la terre, & qui ne s'arrête pas du côté où il fe forme, mais court de côté & d’autre fous terre; à quoi il faut ajoûter les aboyemens des chiens, qui preflentant les pre- miers le tremblement, fe mettent à japer, où plutôt à hurler d'une façon extraordinaire. Les bêtes de charge & autres qui vont dans les rues, s’ar- rétent tout court, & par un inftinét naturel écartent leurs jambes pour fe cramponer, & ne pas tomber. Au premier de ces fignaux , les pau- vres habitans, tout effrayés & la terreur peinte fur le vifage, quittent leurs maifons, & fe répandent dans les rues pour y chercher la fureté qu’ils ne trouvent pas dans leurs habitations. Tout cela fe fait avec tant de pré- cipitation, que fans faire réflexion en quel état ils font, ils courent tout comme ils fe trouvent. Deforte que fi c’eft de nuit pendant qu’ils repo- fent, 1l leur eft ordinaire de fortir tout nuds, la terreur & la hâte ne leur permettant pas même de fe couvrir d'une robe. Ainfi les rues préfen- tent une fcéne de figures fi étranges & fi fingulieres, que le fpeétacle ne feroit pas peu comique pour quiconque pourroit être de fang froid dans une frayeur fi générale & au milieu des plus juftes tranfes. A cette af- fluence füubite fe joignent les.criailleries des petits enfans., qui ayant été trés du plus profond fommeil femblent {e plaindre qu’on les ait interrom- pus, pendant que leurs meres & toutes les femmes en général pouffent des cris & des lamentations, invoquant tous les Saints du Paradis, & augmentant, par-là la crainte &l’épouvante. D’un autre côté les’hommes, guere moins effrayés, ne peuvent-non plus garder le filence, & les hur< lemens des chiens fe mêlant à tout.ce fracas, ce n’eft plus qu'un cahos, & une confufion qui dure longtems après que le tremblement eft fini: la raifon en eft que, chacun craignant avec raifon qu’il ne fe réitere, perfonne Tome L. Non. n'a 466 VOYAGE AU PEROU. n’a la hardieffe de fe retirer chez foi, ayant éprouvé plufieurs fois que les malheurs qui n’étoient point arrivés par les premieres fecoufles avoient été caufés par les fecondes, celles-ci achevant de renverfer ce que les au- tres avoient ébrañlé. Par le foin que j'ai pris de marquer l'heure précife où fe firent les trem- blemens de terre rapportés ci-deflus , il-paroît qu’ils font arrivés indiffé- remment, où lorfque là marée étoit au milieu de fon décroiffement, ou lorfqu'elle étoit au milieu de fon regorgement, & jamais en fon flux par- fait, ni en fon reflux total; au-contrairé de ce que quelques-uns ont prétendu que les tremblemens de terre n’arrivoient que durant les fix heu- res de reflux, ou de baffe-marée, & non durant les fix autres heures de flux où de haute marée. Cela convient au fyftême qu’ils ont imaginé pour en expliquer'les caufes; lequel fyftême, à mon avis, ne s'accorde point aflez avec les obfervations pour qu’on foit obligé d’y foufcrire. La nature de ce Pays eft fi propre aux tremblemens de terre, que de tout tems on y en a fenti dont les effets ont été bien déplorables. Et pour que la curiofité du Leéteur n’ait rien à défirer à cet égard, j'ai jugé a propos de parler ici des anciens tremblemens, en attendant que j’aye occafion de faire une plus particuliere mention du. dernier , qui a achevé de détruire cette grande Ville. Le premier des plus confidérables tremblemens de terre dépuis l’établis- fement des E/pagnols dans ce Pays-là, arriva quelques années après la fondation de Lima en 1582. La Ville ne reçut alors aucun dommage. Tout le mal tomba fur la Ville d’Arequipa ,. qui fe trouvant fituée du cô- té où il paroît que le mouvement de la terre fut le plus fort, ne put évi- ter fa ruine. II. En 586 le 9 Tuillet on fentit un nouveau trembiément de terre, qui eft compté parmi les plus confidérables. ‘La Ville en fait la commé- moration le jour de la 7/;/itation de Ste. Elifabeth. III. En 1609 il y.en eut un pareil au précédent. IV. Le 27 Novembre 1630, il y eut un tremblement qui caufa beau-. coup de mal, & qui fit craindre la ruine entiere de la Ville. En reconnois- fance de ce qu’elle fut préfervée, on y célébre tous les ans la Fête de Nues- tra Segnora:del:Milagro ( Notre Dame du Miracle ).. V. En 1655 le 13 Novembre:un terrible tremblement de terre renverfa les plus grands-édifices & plufieurs maïfons. Sa violence contraignit les babitans d’aller vivre plufeurs jours dans les Campagnes, fuyant le péril qui les menaçoit dans la Ville. VL En VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cn. VIL 467 VI. En 1678 le r7 de Fuin un autre tremblement endommagea beau- coup les Eglifes, & renverfa diverfes maifons. VIT. Parimi les plus grands tremblemens, on compte celui du 20-85: bre 1687. Il commença à 4 heures du matin, & ruina un grand nombre d’édifices & de maifons, où béduéoup'de Detfénnés furent écrafées. : Ces malheurs firent preflentir ce qui devoit fuivre,- & ce fut:ce qui empêcha lé réfte des habitans d’être enfévelis fous les ruines de la Ville. En effet les fecoufles ayant recommencé d’uné maniere ‘affreufe :à fix heures du matin ; les maifons qui avoient réfifté jufques-là furent renverféés, les ha- bitans s’eftimant encore fort heureux de n'être que fpeétäteurs de leur ruine, & de les pouvoir confidérer des rues & des places où le premier avertiflement les avoit conduits. Dans cette feconde fecoufle la Mer fe retira fenfiblement de fes bornes, & voulant revenir les occuper en éle. vant des montagnes d’eau, éxcéda tellement fes limites qu'elle inonda Ca/- dao & autres lieux, & noya toutes les perfonnes qui s’y trouverent. VII. Le 29 de Septembre de l'année 1697, on fentit de grandes fe- coufles. IX. Le 14 Yuillet 1699, on en fentit d’autres, qui cauferent de grands dommages aux maifons. X. Le 6 de Février de l'année 1716, autre tremblement de terre. XI Le 8 de Fanvier 1725 le tremblement de terre endommagea di- vers . XII. Le 2 de Décembre 1732, autre femblable au précédent. Dans les années sb 1734 & 1743, on en compte trois, non pas de la même force & durée que les précédens; enfin ik n’y en eut jamais d’égal au der- nier dont nous allons parler. XVI. Le 28 d'O&obre 1746, fur les dix heures & demie du foir, cinq heures & trois quarts avant la pleine Eune, les fecoufles commencerent avec tant de violence, qu’en un peu plus de trois minutes tous les édifi- ces grands & petits, ou du-moins la plus grande partie, furent détruits, & les habitans enfévelis dans leurs ruines, ceux, s’entend, qui ne fe hä- terent pas de fortir promptement de leurs maifons, &' de ’préferver leur vie en fe fauvant dans les rues, où dans les places, les feuls afiles qu'il ÿ ait dans ces occafions. Les premieres fecoufles de. cet affreux tremble- ment de terre ayant ceflé, il fembloit que les malheurs devoient finir; mais cette tranquilité ne fut pas longue, & les fecoufles ayant recom- mencé, on en compta jufqu’a deux cens dans les premieres 24 heures, Nan 2 {e- 459 VO TAG LOMME E R'OW. felon une rélation particuliere: & jufqu’au 24 Février. de l'année fuivante 1747, jour de la date de la rélation, on en,avoit compté 451, dont pla, fieurs n’avoient pas été moins fortes que les premieres , quoiqu’elles n’euf- fent pas tant duré, La Forterefle de Callao.dans-le même tems éprouva une égale infor: tune, mais le dommage caufé à fes édifices & maiïfons par le tremble- ment de terre fut.peu de chofe en comparaifon de ce qui s’en füuivit; car la Mer s'étant retirée de fes bords, comme il étoit arrivé dans d’autres cas femblables, revint. furieufe en élevant des montagnes d’écume , & tomba fur Callao qu’elle changea en un abiîmed’eau. Cela n’arriva pas du premier coup: car la Mer s'étant retirée encore une fois, revint bien- tôt plus furieufe qu'auparavant, & élevant plus haut fes ondes, cettein- fortunée. Ville, qui avoit réfifté à la premiere inondation, fut entiére- ment englontie, fans qu'il en reftât d'autre veftige qu'un pan de la mu: raille du. Fort de Santa Cruz, qui fembla n'avoir été préferve que pour fervir de monument à la poftérité du malheur de cette Ville. Il y avoit alors 23 Vaïfleaux à l'ancre dans le Port; 19 furent fubmergés, les quatre autres, parmi lesquelsil y avoit une Fregate nommée Sun Fennin, furent enlevés par la force des eaux, & refterent embourbés dans la terre, àune diftance confidérable de la côte... Les autres Ports de cette côte eurent le même fort que Callao, entre autres Cavalla & Guanape. Les Villes de Chancay & Guaura, &les Vat iées de Ja Barranca, de Supé & Pativilca, furent ravagées par le trem- blement de terre aufi-bien que Lima. Le nombre des cadavres qu’on découvrit fous les ruines. de cette derniere Ville jufqu’au 31 du même Mois d'Oûobre, montant à 1300 perfonnes, outre les eftropiés qui n’é- toient pas en petit nombre, & qui fembloient avoir été réfervés pour finir Jeur vie dans des douleurs plus vives & plus dignes de compañlion. A Callao de quatre mille perfonnes qui s’y trouvoient, il n’en échappa que 200, & de ce nombre 22 furent confervés par ce pan de muraille dont . Nous avons parlé: | | Selon des.avis reçus à Lima après ces funeftes accidens, il y eut .la même nuit à .Lucanas un Volcan qui creva tout à coup, & dont il fortit unc fi grande quantité-d’eau que toutes les campagnes voifines en furent inondées ;, & il en creva trois autres dans la Montagne appellée Conven/io- nes de Caxamarquilla, lesquels inonderent tout lé Pays aux environs, de la même manierequ'ilarriva À Carguayrafo, dont il a été fait mention dansla premiere Partie de cet Ouvrage, : | Quel- :. < Se Se 5 nés -* Le” #4 ue ee à ST Re Er, M 5 * Louvre Feu 518, Blanca de $ wo LS VD | LI SDPTRETS Eoueil € F details 04. fr à: ® | Rae der | Expliation \ Cerro de Ci 24M0étjÈhen 1nfe de > | >< f Buchftaben | Des Lettres. \ , Rregenbe. 5 11 > / » ÙN 3 Ro ET Zkde ls, mehr ae DER HAFEN VON € F7 h) A.Sonnen Æ& . A.Morne du Soleil À dom SrzraewMErRE oder MER del SUR % B. China T{afen . |B.Port de la Chine. À bft der Kuften c .Ujèr des Moenchs ÎP c. Plage du Saut du Motrd . } pres D), Fr D.Dorfie dos Chorrilles. | D. Village de los Chorrilles \ / an denen unter-und über” dem Mince devencer\ 3 5 ER E.Dor Surco . |z. Village de Surco . Weytinden und den Sndbcenken in dene/lafer IN Lo 3 DorfMirafions . |E. Village de.Miraflores . (4 DE uet der nach Jaden gervchnéler Aecrestisfèr NN 7 5 17 Eine Ange» 1G. Vu e de Lx Madelaine Ÿ ; Fa Le uuelet in Spantién 2 Hg? ER ma de lupt\H. VUE de Luna Cap lu Bjekl SrKvenghehens larefix = Z- Pradt in Peru +. | du Perou. TN on Jah 1744 aufgenommen Y Ze und Befatzurg|Y. Fortere/$e du Callao . dé star et = TER (4 von Calle . |1.ZaPriédraOradada . D Le PORT DE CALLAO 1.DerFéls Oradada.… | K.Æl Corcobado : ans la MER PACIFIQUE ou MER del SUR] nt nd r | novete ée fi}. nanas soins Àès IA ant A F4 Un. Zl Sombrerete . ) les Côtes .voyfines à s Jsles REG. L «/nfêt.el Fronton [ar. ombre N/A P . _. UN ge N ML Sombrerct . ÎN Zourillon des For tant defsus que fous vent ,azrst que tes \\A. CE ET - x Thurm der Cexwun- ne É 2} 7 2S TLC la Sonde ti 71 = s, | 7 : 74 SE 4 ps E Za —- \ à Snhédid | O.Port des Vecillards . \ 4 ons té naiss | F Le à EE ah N O0 .Aäjèr der Alrn. \e.z1st de Dora Pancha ° \\ gues pare nombre des Brafses . ) PSS P.Zrfèl der: Pancha. | Q.1sle de D* Francis . 1 QZnêl der FFrancia. | R.Isle de SF Prerre.. EL ? . B- tab von vvo0 : 4 0e 2090 4 [ITU qu TH I elle de 1000 Tses. « Haa jiab von’ 12000 Cafuliani Chen Ruthicr Ce coe Jce00 SCoË eco LcCco _. 100 LL mm || ms | m0 LOU SR iii ss || coco “00 ‘ 100 27 4500 x verge Castdannes:. 12000. Z ch ll e & La » ‘ LA EN R.Zrel St. Ptrr . Lerépar crvre ch, Rov notre. Magtre eng | YA des Cle DEA MATE S K à +) KZ L Z Tébchen Znfelr n'S 20 Aire - Ss SX nd “Zste des vw: Sputre der Es 2 GP X.Spuxe Z°mocæa0 : 6 .Chacarxs Klder . |x. Pointe de Zomcavo . s.Za Veuve : T.Zes deux Sœurs. V. Pointe des Mulates . Ô. Chacares. | 4 PT ve me VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr VIT 469 * Quelques jours avant ce terrible tremblement de terre, on entendit à Lima un bruit fouterrain, tantôt comme des mugiffemens, tantôt com- me des coups de canon. On les entendoit même après le tremblement de terre, pendant la nuit, lorsqu'ils ne pouvoient être confondus avec d’autres bruits: figne évident que la matiere inflammable n’étoit pas en- tiérement éteinte, & que la caufe des mouvemens de la terre n’étoit _pas finie. Les fréquens tremblemens de terre auxquels l'Amérique méridionale, & furtout Lima & les Pays des Vallées, eit plus fujette qu'aucune autre Contrée, n'eft pas un champ moins vafte aux raifonnemens & aux dé- couvertes que le fujet que nous avons traité ci-deflus. Les Philofophes ont raifonné différemment fur les caufes des tremblemens de terre. La plupart s'accordent néanmoins, & ce fentiment eft affez vraifemblable, à attribuer ces mouvemens extraordinaires à l’effort que les vents font en fe dilatant, tant ceux qui font renfermés dans des matieres fulphureufes. ou autres minéraux, que ceux qui font répandus dans les porofités de Ja terre, où. étant comprimés, & trop. à l’étroit dans l’efpace reflerré de fes veines, tâchent de fortir pour s'étendre davantage. Il ne paroît au- cune contradiétion dans ce fentiment, & outre la-raifon naturelle qui le perfuade, il eft encore appuyé de l'expérience. Néanmoins il fe préfen. te une difhculté, c’eft qu'on ne comprend pas comment les veines de la terre recommencent à s’emplir d’air après qu’un tremblement de terre eft fini, lequel doit avoir épuifé la quantité qui y étoit renfermée &compri- mée, deforte qu’il femble que de longtems il ne devroit pas y avoir de tremblement de.terre. La queftion eft encore: de favoir pourquoi un Pays eft plus fujet qu'un autre à ces fortes d’accidens. Quoique tout cela ait été traité par d’autres Auteurs, je ne me crois pas difpenfé d’en dire mon fentiment felon ma portée, & ce qui me paroît le plus probable. L'expérience nous montre, & en ce Pays-là plus qu’en nul autre, par les fréquens Volcans qui.font dans les Cordilleres, Montagnes qui le tra- verfent, que quand un de ces Volcans créve nouvellement, il donne une fi furieufe fecouffe à la terre ,que les Villages les plus à portée en fontren- verfés & détruits, comme cela arriva à la Montagne de Carguayrafo,ainfi qu’on le peut voir dans la 1. Partie. Cette fecoufle. que nous pouvons, fans courir rifque de parler improprement, appeller tremblement de ter re,n'arrive pas fi ordinairement dans les éruptions où l'ouverture eft déjà faie; ou s'il fe fait alors fentir quelque trémouflement, c’eft peu de cha- Nnn 3 {e.… fe. D'où l’on infére que dès que la bouche ou le foupirail du Volcan eft ouvert, les: fecouiles ceffent, quoique la matiere s’enflamme à diverfes reprifes. : Et la ratfon en paroît naturelle; car nonobftant que la réitéra- tion fubite de cet accident augmente de beaucoup le volume de l'air en le raréfiant, comme il-trouve une iflue facile fans qu'il foit contraint de faire effort vers la terre pour s’ouvrir le paflage , il n’y caufe d'autre mouve- ment que celui que doit caufer l'éclat d'une grande quantité d’air, qui pafle par.une iflue étroite en comparaïfon de la grandeur de fon volume. On fait très-bien aujourd’hui de quelle maniere fe formént ies Voicans, & qu’ils font caufés par les parties fulphureufes, nitreufes, &' autres: ma. tieres combuftibles renfermées dans les entrailles de la terre ; ces matieres s’é- tant unies & formant une efpéce de pâte, préparée par les eaux fouter- raines, fermentent jufqu'à un certain point, s'enflamment enfuite ; & alors le vent, ou l'air qui remplifloit leurs pores, fe dijate, & fon volu- me s’acroît exceflivement en comparaifon de celui qu’il avoit avant l'in- flammation, & produit le même effet que la poudre qu’on allume dans l’efpace étroit d’une mine: avec cette différence pourtant, que là poudre difparoît auffi-tôt qu'elle eft en feu, au-lieu que le Volcan étant une fois allumé, ne çefle de l'être qu'après qu'il a confumé toutes ces matieres huileufes & fulphureufes qu'il contenoit en abondance, & qui de plus étoient hices avec fa mañfe. On doit fe figurer deux fortes de Volcans; les uns contraints ou gé. nés ,. & les autres dilatés. Ceux-la feront là où dans un petit efpace il ya une grande quantité de matiere inflammable; & ceux-ci là où une certai- ne quantité de matiere fe trouve répandue dans un efpace large; les pre- miers font propres à être contenus dans le fein des Montagnes, qui font depofitaires légitimes de cette matiere. Les feconds, quoique nés des premiers, en font néanmoins indépendans. Ce font des rameaux qui s’é- tendent à droite & à gauche fous les plaines fans aucune union ou corres- pondance avec la mine principale. Cela pofé, il refte certain que le Pays où les Volcans, c'eft-à-dire, les dépôts de ces matieres font plustom- muns, & comme minéraux propres de ce même Pays, s’en trouvera plus veiné & plus ramifié dans fes plaines: car il ne faut pas s’imaginer que les matieres de cette nature n’exiftent que dans le cœur des Montagnes, & qu’elies foient féparées du refte du terrain qui les avoifine. Le Pays dont nous parlons étant donc plus abondant qu'aucun autre en ces fortes de maucres, 1l eft tout fimple qu'il foit plus expofé aux tremblemens de ter- rc VOYAGE AU PEROU. Liv. I Cu. VIL 471 re par la continuelle inflammation qui puni lorsqu’elles ont affez fer. menté pour en être fufceptibles. Outre la raifon naturelle qui diéte, qu’un Pays qui contient beaucoup de Volcans, doit contenir auffi D obp de rameaux de la matiere qui les forme, l'expérience le démontre au Pérou, vu qu’on rencontre à tout moment dans ce Pays-là du falpêtre, du fouphre, du vitriol, du fel, & autres matieres combuftibles; c’eft ce qui fait que je n’ai aucun doute fur la jufteffe de mes conféquences. Le terrain tant de Quito, que des Vallées, & celui-ci plus que celui-là eft fpongieux & creux; defofte qu'il a plus de. concavités & de pores, que n’en a d'ordinaire le terroir des autres Pays. C’eft pourquoi il eft hu- mecté par beaucoup d'eaux fouterraines:. d’ailleurs, comme je l'explique- rai plus au long , les eaux des glaces qui fe fondent continuellement dans les Montagnes, en tombant de-là, fe filtrent par les porofités de la terre, & courént dans fes concavités. La, elles humectent ; uniflent, & con- vertiflent en pâte ces matieres fulphureufes & nitreufes ; & bienque cel- lés-ci ne foient pas-là en fi grande quantité que dans les Volcans ; néan- moins elles font fuflifantes pour s'enflammer ,: & pouflér l'air qu’elles contiennent ; lequel ayant la facilité de s’incorporer dans celui qui eft ren fermé dans les pores, cavités, ou veines de la terre, & le comprimant par fon extenfion, fait effort pour le dilater, en lui communiquant la ra- réfaétion dont il participe, & qui eft une fuite naturelle de l’inflammation. Cet air, ou vent fe trouvant trop à l'étroit-dans la prifon qui le renferme, fait effort pour fortir, & dans ce moment même il ébranle tous les efpa- ces par où il tâche de s'échapper , &ceux qui y font attenans, jufqu’à ce qu'enfin il fort par l'endroit où il trouve moins de réfiftance, & le laifle quelquefois fermé par le mouvement même de la fecoufle, quelquefois: auffi ouvert , ainfi que l’expérience le fait voir dans tous ces Pays. Quand il fort par divers.endroits, comme cela ‘arrive lorfju’il trouve par-tout une égale réfiftance, les ouvertures qu’il fe fait font d’ordinaire pius: pe- ttes ,.& l’on n’en trouve aucun veftige après la fecoufle. D’autres fois, quand les concavités de la terre font fi grandes qu’elles forment des ca- vernes fpacieufes, non feulement il crevaflé le terrain, & le gerfe à cha-- que tremblement de terre, mais même l’enfonce en partie. C’eft ce qu’on: a fouvent obfervé, & que je remarquai moi-même près du Bourg de Gua-- randa,. Jurisdiction du Corrégidor de Chimbo, dans la Province de Quito, . où par un tremblément de terre tout le terrain s’enfonça d'environ une aune gr VOYAGE AU PEROU. aune de profondeur d'un côté de la crevafle, laïffant le terrain de l’autre côté plus haut de la même quantité ou mefure, mais pourtant avec quel- ques inégalités, étant plus ou moins haut en quelques endroits. Une pa- reille circonftance n’avoit jamais été remarquée auparavant dans ce lieu-là. Le bruit qui précéde les tremblemens de terre, qui reffemble à celui du tonnerre, & qu’on entend à une grande diflance, s'accorde fort bien avec leur caufe & leur formation: puifqu'il ne peut provenir que de cet air enflammé & raréfié, qui dès-que la matiere s’eft allumée, commence à courir par les concavités de la terre, pouffant & dilatant en même-tems celui qu’elles contiennent déjà, jufqu'a ce que ne pouvant trouver la prompte iflue qu’il cherche, après les.avoir toutes remplies, fait effort . pour fe.mettre plus au large, & caufe de cette maniere la fecoufle par où- il finit. Il faut remarquer que dans le temsique la terre s'ouvre ,.& que cette quantité d’air comprimé dans fes entrailles s'échappe, on ne voit ni ie feu ni la lumiere que répandent les Volcans. La raifon en eft, que ce feu ou lumiere n’exifte qu’au moment de inflammation de la matiere , & l’air fe répandant par toutes les veines de la terre s’évanouit par fa dilatation, & la lumiere refte imperceptible. Il eft néceflaire de fuppofer que depuis inflammation jufau’a l'effet, il y.a.un intervalle de tems, quoique court. La flamme n’eft pas non plus de durée, parce que la matiere. qui s’en- flamme contient moins de parties folides & huileufes que les-Volcans, qui en ont une quantité prodigieufe en comparaifon de la matiere dont il s’a- git. Quoique celle-ci en ait quelques-unes qui s'allument effeétivement, & fe maintiennent un court efpace de tems en cet état, elles ne fuflfent pourtant pas pour s'élever du lieu où elles s’'enflamment jufqu’a la fuperfi- cie de la terre. Ajoûtez à cela que ce lieu n'étant pas celui où la matie- re étoit renfermée, mais.celui par où elle fe fait ouverture pour chaffer la quantité d’air qu’elle raréfie, la lumiere fe perd dans les efpaces de la ter- re où elle fe répand, .deforte qu'il n’eft pas poffible de la voir quand le vent vient à s'échapper. Cependant ily a eu des occafions où l’on a apper- çu la lumiere, mais plus fouvent la fumée, bien-qu’il foit aflez ordinaire que cette fumée fe confonde avec la pouffiere qui fe léve de la terre pen- dant le tremblement. Les tremblemens de terre.font répétés. à peu de diftance l’un de l'au- tre, & fe renouvellent peu de jours après s’être fuccédé les uns aux au- tres. Cela vient de ce que la matiere étant répandue en divers leux, ea diver- VOYAGE AU PEROU. Liv. L Cæ VIL 493 diverfes portions, & avec différens degrés d’aptitude à s’enflammer, une portion s'allume avant l'autre, & ainfi de fuite, felon que chaque por- tion eft plus ou moins préparée. De-là vient Ja différence des fecoufles, qui fe fuivent à différente diftance, les unes plus fortes que les autres. En effet d’abord la quantité de matiere qui a acquis avant les autres la derniere difpofition à s’enflammer, s’enflamme, & la chaleur de fon feu hâte la difpofition des autres quantités, qui ne lavoient pas encore; de- forte que celles qui ne fe feroient enfiammées qu’au bout de quelques jours ou d’un mois, ont été rendues propres à faire leur effet en peu d'heures par le fecours du feu qui les touche & les perfeétionne. Les fecondes fe- coufles font toujours plus fortes, & font bien plus de ravage que les pre- mieres: c’eft que le feu de la premiere matiere qui s’enflamme, quoique peu confidérable, fuffit pour hâter la fermentation d’une grande quantité. Et par conféquent celle qui s’enflamme après la premiere, doit avoir plus de force, & faire plus d'effet. Quoiqu’en Eté ce Pays foit chaud avec la modération dont nous avons parlé, on n’y voit pourtant aucune efpéce d’Animaux ni de Reptiles ve- nimeux, & on y vit dans une grande tranquillité à cet égard. C’eft la mé- me chofe dans toutes les Vallées, quoiqu'il y ait quelques endroits, com- me Tumbez & Piura, où la chaleur eft prefqu’auñfi fenfible qu’à Guayaquil. Il ne peut y avoir d’autre raifonà cela, que la féchereffe naturelle du climat. Les Maladies qui font communément le plus de ravage à Lima, font les Fiévres malignes, intermittentes & catarrales, les Pleuréfies, Conftipations, & autres, qui y font fi fréquentes que les habitans en font continuelle- ment afHigés. La Petite-vérole y régne comme à Quito: elle n’eft pas annuelle, mais quand elle s’y met, elle emporte beaucoup de monde. Les Pafmes font fort communs à Lima. Cette maladie inconnue à Qui- to, eft ordinaire dans toutes les Vallées, mais plus dangereufe en un lieu que dans l’autre. Nous en avons dit quelque chofe dans la Defcription de Carthagéne; nous ajoûterons encore ici quelques particularités. On divife cette maladie en Pa/me commun ou partial, & en Pafme ma- lin ou d'arc; l'un & l’autre furviennent dans la crife de quelque autre ma- ladie aigue. La différence qu’il y a entre ces deux Pafines, c’eft que les malades que le Pafme commun attaque, échappent fouvent. Le plus grand nombre pourtant meurt le quatriéme ou cinquiéme jour, qui eft le tems de fa durée. Quant au Pafme malin, ou Pafne d'arc, ceux qui en font atteints peuvent compter de ne pas languir longtems: c’eft l'affaire Tome TI. Ooo de 474 VOYAGE AU PEROU. de deux ou trois jours, & il eft très-rare que la nature triomphe de ce mal. Il eft plus ordinaire de voir mourir les gens dans ce court efpa- ce de terms. Le Pafme confifte en général à mettre tous les mufcles dans une inac- tion totale, à racourcir tous les nerfs du corps en commençant par ceux de la tête. Comme c’eft par le moyen de ces nerfs que le corps reçoit la fabftance qui lui fert de nourriture, cette fubftance étant arrêtée par le refferrement de fes conduits, chaque partie du corps fouffre fucceflive- ment. Et comme les mufcles en perdant leur aétivité ne peuvent contri- buer aux fonétions des mouvemens des nerfs, ceux-ci à force d’être com- primés ne peuvent du tout point fe les procurer. Joïgnez à cela une hu- meur mordicante qui fe répand dans toutes les membranes, & y caufent des douleurs infupportables par les piquures dont elle les bleffe, & qui font fouffrir au malade un martyre intolérable, mais bien plus douloureux encore quand on veut le remuer de l’un ou de l’autre côté. Le gofier fe refferre fi fort par les mouvemens convulfifs, qu’il n’eft pas poffible d’y introduire le moindre aliment, & quelquefois les machoires font fi pres- fées l’une contre l’autre, qu’on ne peut les ouvrir même avec force. C’eft ainfi que le malade refte fans aucun mouvement, & avec une angoifle in- térieure continuelle, caufée par les douleurs que tout fon corps éprouve. De maniere que la nature affoiblie, ne pouvant combattre contre un fi furieux ennemi, prend le parti de céder & de fe laïffer emporter à la force du mal. Dans le Pafme partial, le pouls n’eft pas plus élevé que dans la mia- ladie qui la précéde; & il n’eft même pas étranger de voir diminuer la fiévre ; mais dans le Pafme d'arc elle augmente, parce que le mal ac- célere la circulation ; & foit par l'effet de Phumeur maligne qui cir- cule dans toutes les parties du corps, où des douleurs caufées par les bleflures , ou déchirement des membranes, & par l'émouflement des mufcles , il arrive réguliérement dans l'un & l'autre Pafme , que le malade tombe dans une létargie , mais qui ne l'empêche pas de fentir les douleurs des piquures tantôt à une partie du corps, tan- tôt à l’autre avec tant de violence & d’aétivité qu’elles le tirent de fon affoupiffement , pour lui faire poufler de lamentables gé- miflemens. | Le Pafne malin, où Pafme d'arc, eft ainfi nommé par les habitans du Pays, à-caufe que dès le commencement de cette maladie la malignité en VOYAGE AU PER OU. Liv. L Cu. VIL 475 en eft fi grande, qu'elle commence à caufer une contraétion de nerfs qui accompagnent les vertébres de l’épine du dos, depuis le cerveau en bas; & à mefure que la maladie augmente & que Fhumeur maligne s’acroît, cette contraétion gagne de maniere que le corps du malade fe courbe contre nature en arriere Comme un arc, & a tous les os disloqu.s. On peut juger quelle douleur une pareille révolution doit caufer. A cela fe joik gnent encore les maux communs aux deux Pasmes, & la violence en eft telle que bientôt le malade perd tout fentiment & toute refpiration. Ordinairement les convulfions commencent avec la maladie: elles af- feétent toutes les parties du corps; & pendant qu’elles durent, le malade eft privé de tout fentiment. Elles font plus fréquentes & plus longues à proportion que ja maladie augmente, jufqu’à ce qu’enfin la nature foit entiérement épuifée: alors elles ceffent, mais les accès de létargie fe fui- vent, & c’eft ordinairement dans un de ces accès que le malade expire. La maniere ordinaire de traiter cette maladie, c’eft d'empêcher autant qu'on peut l'air de pénétrer dans le lit du malade, & même dans l'appar- tement, oùl on tient toujours du feu , afin que la chaleur ouvre les pores, & facilite la tranfpiration. On applique des lavemens pour modérer le feu intérieur, pendant qu’on frotte extérieurement avec divers onguens, que l'on met des cataplâmes pour adoucir les parties, & aflouplir les nerfs; on employe les cordiaux, les breuvages diurétiques, & quelque- fois le bain pour débarafler la mafñle du fang de l'humeur maligne & en empêcher les progrès. Le bain n’a lieu que dans le commencement, lors- que le mal n’a que peu d’aétivité; mais quand il eft dans fa force, com- me dans le fecond jour, on ne l'employe jamais. Les femmes de Lima font fujettes à une ficheufe infirmité, qui eft prefqu'incurable, & fort contagieufe. C’eft un Cancer à la matrice, qui dés le commencement leur caufe des douleurs fi aigues, qu’elles ne font que gémir & fe plaindre, Elles rendent une grande quantité d’humeurs Corrompues; elles maigriffent, tombent dans un état de langueur & meu- rent. Cette maladie dure ordinairement plufieurs années, avec des inter- valles de repos, durant lesquels, fi l'évacuation ne cefle pas tout-à-fait, elle eft du-moins fuspendue en partie: les douleurs femblent s’afloupir , & les malades font en état d'agir, d'aller & de venir. Mais tout d’un Coup la maladie recommence plus fort que jamais, & la malade eft fou- dain abattue, & rendue incapable de rien faire. Ce mal eft fi traître qu'il ae s’anonce ni par le changement des traits du vifage, ni par l’altération Oo 2 du y6 VOYAGEMAU PEROE du pouls, ni par aucun autre fymptôme, jufqu’a ce qu’il foit à fon der- nier période. 11 eft fi contagieux qu’il fe communique pour s'être affis fur la chaife ordinaire de la perfonne qui en eft affligée ou pour avoir porté un de fes habits: mais cela ne regarde que les femmes, & fa contagion ne s'étend pas jusqu'aux hommes, puifque plufieurs femmes qui en font affigées ne laiflent pas de vivre avec leurs époux, jufqu’au moment où Je mal les jette dans cet état d’anéantiffement dont nous avons parlé. On attribue cette dangereufe maladie à deux caufes entre autres ; à l’abondan- ce des odeurs dont les femmes font toujours munies, ce qui en effet peut y contribuer beaucoup, & au continuel mouvement qu’elles fe donnent dans leurs caléches. Cette derniere caufe ne paroît pas fi naturelle que la premiere; & pour prouver qu’elle eft véritable, il faudroit que toutes les femmes qui vont en carofle, & celles qui dans d’autres Pays vont beau- coup à cheval, fuffent fujettes à cette incommodité. Les Fiévres lentes, ou Phtifies, font affez fréquentes dans cette Ville. Elles fe communiquent auffi, mais plus faute d'attention que par la quali- té du Climat. La Maladie Vénérienne eft auffi commune dans cette Contrée, que dans celles dont nous avons parlé; car elle eft générale dans toute cette partie des Indes. On apporte aufli peu de foin à Lima que dans les autres Pays de l'Amérique Méridionale ; à fe guérir de cette maladie avant qu’elle prenne racine, deforte qu’il feroit inutile d’en faire encore ici mention. CRAN ÈE Fertilité du terroir de Lima. E/fpéces & abondance de Fruits qu'il produit, avec la maniere de cultiver les Terres. L femble qu’un Pays que la pluye n’arrofe jamais, doive être abfolument ftérile. Mais c’eft ici tout le contraire. & ce terroir eft fi fertile qu’il n’a pas fujet de porter envie aux autres. Il y vient toute forte de Grains, & autant d’efpéces de Fruits qu’on en peut défirer. L’induftr'e fuplée à l'humidité que le Ciel femble lui refufer, & par ce moyen il eft rendu fi fertile qu’on eft étonné de l'abondance & de la variété de fes produétions. Nous avons déjà obfervé qu’un des foins des Jnças, & peut-être ce qui VOYAGE AU PEROT. Liv. FE Ex. VIL 477 qui fait le plus d'honneur à leur Gouvernement, fut d'imaginer & de fai- re creufer des canaux par le moyen desiquels l’eau des Rivieres fervit à rendre fécondes toutes les Terres où elle jpourroit atteindre, & facilitât à leurs Sujets les moyens de cultiver leurs Chacaras, où Champs. Les E/pa- gnols ont trouvé ces ouvrages tout faits, & ils les ont confervés dans le même ordre où les Indiens les avoient diüftribués. C’eft par - là que l’on arrofe encore aujourd'hui les Champs de Froment & d'Orge, les Luzernes pour la nourriture des Chevaux, les vafles quarrés de Cannes de Sucre, les Oliviers, les Vignes & les Jardins de toute efpéce, & l’on y fait d’a- bondantes recoltes de toutes ces chofes, chacune dans leur faifon. I1 n’en eft pas de Lima comme de Quito, où les Fruits n’ont aucune faifon déter- minée, Ici les champs produifent leurs fruits dans un certain tems, & la recolte fe fait au mois d’Aoët. Les arbres fe dépouillent de leurs feuilles, autant que leur nature l'exige: car ceux qui ne font propres qu'aux Cli- mats chauds ne font que perdre la vivacité de leur verdure, & ne fe-dé- pouillent-de leurs feuilles, que lorfqu'il en vient d’autres à la place qui chaflent les premieres. Il en eft de - même des Fleurs; elles ont aufli leurs faifons. Deforte que ce Pays, où l'on diftingue l'Hiver & l'E- té, comme fous la Zone tempérée , a le même avantage dans la produc- tion des Arbres, des Fleurs, & des Fruits. Avant le tremblement de terre arrivé en 1687, qui caufa tant de dom- mage à la Ville, les recoltes de froment & d’orge étoient extrêmement abondantes, & les habitans n’avoient que faire d’en tirer d’ailleurs; mais après cet accident le terroir fe trouva fi altéré , que les femences de fro- ment s y pourrifloient avant que de germer, ce qu'on attribue à la quan- tité de vapeurs fulphureufes qui avoient été exhalées, & aux particules ni- treufes qui étoient reftées répandues fur la terre. Cela engagea les Propriétai- res des champs devenus fages à leurs dépens, d'employer leurs terres à d’au- tres ufages; 1is fe contenterent d’y femer de la Luzerne, d’y planter des Cannes de Sucre, & autres chofes qui y réuffiffoient mieux. Cette ftéri- lité dura quarante ans, & au bout de ce tems les Laboureurs s’apperçu- rent que la terre s’amélioroit, fur quoi ils recommencerent à femer com- me auparavant, mais en moindre quantité au commencement, fe conten- tant de petites recoltes, jufqu’à ce'que voyant la terre rétablie dans fa premiere force, ils femerent & recueillirent le froment dans la même quantité; mais quant aux autres plantes qui avoient été fuprimées dans ces mêmes terres, on n'en a plus tant femé , foit à caufe de quelque mau- O00 3 Vais * 478 VOYAGE AU PEROU. vais fuccés, foit par quelque défiance de la part des Laboureurs, ou des Propriétaires. Après le dernier tremblement de terre, il eft naturel de croire que la terre eft redevenue ftérile; mais préfentement cela ne fera pas d’une fi grande conféquence, parce que depuis ce tems-là il s’eft é- tabli un Commerce de Grains avec la Province de Chili. La chofe dont on féme le plus aux environs de Lima, c’éft la Luzer- ne, dont il fe confomme une quantité prodigieufe; car cette plante étant fort propre à la nourriture des Bêtes, on en nourrit les mules qui fervent à tirer les caroffes & lés caléches, & celles qui fervent au tranfport des marchandifes de Callao à Lima, & enfin toutes les montüres comme che- vaux, & autres, dont le nombre eft immenfe, & dont on pourra fe faire une idée, fi l’on confidere qu'il n’y a perfonne fans diftinétion de qua- lité ni de fexe, s’il en a les moyens, qui ne tienne équipage. Ceux même qui ne font pas aflezaifés pouravoir carcfle ou Caléché, ont du-moins toujours un cheval où une mule. E + Le refte du terroir eft occupé par les trois autres femences dont j'ai parlé, parmi lesquelles les Cannes douces d’où l'on tire des Sucres exquis, ne font pas les moindres. ‘Tous ces champs font cultivés par des Efcla- ves Nêgres, quel’on achette à cet effet; toutes les perfennes des Vallées ; qui ont quelque bien, ont auffi de pareils Efclaves. Les Oliviers reffemblent à des forêts, à caufe de leur épaifleur ; car outre que ces arbres font plus hauts, plus touffus & plus gros de tronc que ceux d'E/pagne, comme on ne les taille point d’ailleurs, ils pouflent tant de rameaux, qu'entrelacés les uns dans les autres le jour ne peut pé- nétrer leurs houpes. Jamais la charrue ne paile dans le champ où font ces arbres. La feule culture qu'ils leur donnent, c’eft de curer les rigoles qui conduifent l’eau des canaux au pied de chaque Olivier, & de nettéier tous les trois ou quatre ans la terre de tous ces petits rameaux, qui crois- fent tout autour ; Pour pouvoir cueillir les fruits de larbre. Il ne leur en coute pas davantage pour avoir en abondance de très-belles olives, dont ils font de l’huile, ou qu’ils confervent; & elles font très-propres à cet ufage, tant par leur groffeur & leur beauté, que par la douceur de leur jus , & leur facilité à fe détacher de leurs noyaux ; qualités que celles d’E/- pagne n'ont pas: aufli l'huile de Lima eft-elle fupérieure à la nôtre. Le terroir autour de la Ville eft rempli de Jardins où croiffent toutes les efpéces de Verdures que l'on connoît en E/pagne, & qui font fi bel- ls & fi bonnes, qu’elles ne lient rien à défirer ni pour la vue ni pour le ( VOYAGE AU PEROU. Em I Cn. VIIL. 479 le goût: Les fruits des arbres ne cédent en rien aux herbages pour la beauté & pour le goût, tant ceux qui ont été apportés d'Europe & plantés dans le Pays, que ceux qui font particuliers aux Jndes: avantage fort rare dans ces Pays-là: & je ne crois pas que dans tout le refte du Pérou on puifle rien trouver en fait de fruit, qui égale ceux de Lima; du-moins ne l’a- vons nous pas remarqué , quoiqu'il nous en ait beaucoup pailé par lesmains. Il n’eft donc pas étrange de les voir en fi grande abondance dans cette Ville, & que les rues & les carrefours en foient remplis. Mais un avantage non moins confidérable que celui-là, c’eft quetoute l’an- née eft la faifon de fruits, puisqu’on peut ies manger frais en tout tems, par h raifon que les faifons étant alternativement dans les Montagnes & dans les Vallées, quand les fruits ceflent de croître dans celles-ci, ceux des Montagnes fe mûriflent; & comme Lima n'eft qu'à 25 à 30 lieues des Montagnes, on y apporte de-là toute forte de fruits, excepté quelques- uns qui femblent exiger un terroir plus chaud que celui des Montagnes, & qui par cette raifon n’y viennent pas bien; tels font les Raifins , les Me- lons, les Melons d’eau, & autres efpéces. Les Raifins font de diverfes efpéces à Lima, & entre autres il yena une qu'ils appellent Raïfin d'Italie , lequel eft fort gros & de très-bon goût. Tous ces raifins font raifins de treilles, & ces treilles s’étendent fur la terre où elles viennent fort bien, parce qu’elle eft pierreufe & fablon- neufe. On les taille & les arrofe dans le tems qu’il faut & fans autre cul- ture on les laïfle produire. On ne fait pas plus de cérémonie aux Vignes dont les fruits font deftinés à faire du vin. À Zca, à Pifco, à Nafca, & autres lieux ces Vignes font des ceps. On ne fait pas de vin des raifins qui croiflent dans le terroir de Lima , mais onles vend tels qu’on les a cueil- lis, & ils’en confomme ainfi une grande quantité. La qualité de ce terroir eft pierreufe & fablonneufe, c’eft-à-dire, qu'il eft compofé de petites pierres à fufil ou de cailloux liffes, qui y font en fi grande quantité , qu’on peut dire que fi d’autres terroirs font entierement de fable, de pierre vive, ou de terre, celui-ci eft tout de ce petit caillo- tage. C’eft ce qui rend certains chemins fort incommodes pour les paffans, foit qu’ils aillent à pied, à cheval, ou en voiture. Les endroits où l'on féme ont un pied & demi ou deux de bonne terre au deflus, mais dés qu’on creufe au-delà ce n’eft plus que pierres. Par cette circonftance, & parce que toute la plage n’a pas d’autre fond que de cette forte, on peut penfer qu'anciennement la Mer couvroit tout cet efpace , & qu'elle s’éten- doit 4S0 VOYAGE EAU PE R'OU. doit en divers endroits à trois, quatte lieues, ou même davantage au-delà de ce qui eft aujourd’hui le rivage. Ce qui fe voit dans un petit Golfe à environ $ lieues au Nord de Callao, qu'on nomme plage de Marqués, con- firme la conjeéture. Il n’y a pas bien longtems, felon toute apparence, que la Mer remplifoit ce golfe ou baflin, & que par conféquent elle en- troit au-moins à demie lieue dans l’intérieur de ce que nousappellons aujour- d'hui terre ferme, & environ à une lieue & demie le long de la côte. Mais laiffant ce bañiin à fec, & fon terroir plein de cailloux, la Mer ne faic plus qu’élever la plage par la terre qu’elle y pouffe, & rend le terrain plus fpacieux. Les roches vives, qui fe trouvent dans la partie la plus in- térieure de cette plage, font percées & lavées tout-de-même que celles que la Mer bat. Marque certaine que li Mer a dû venir jufques-là, & qu’elle y a demeuré aflez longtems pour avoir pu ouvrir les concavités des unes, & en abattre d’autres fort grandes qui font tombées à terre, effet du continuel battement des eaux. Cela étant, il eft tout fimple que la même chofe foit arrivée au terroir de Lima, & que tout le terrain qui eft couvert de cailloux femblables à ceux du fond de la Mer, en ait été oc- cupé.dans un autre tems. Une autre particularité de ce terroir, c’eft qu’il eft rempli de Sources, & qu'on y trouve l’eau pour peu que l'on creufe; quatre à cinq pieds de profondeur fuffifent quelquefois pour donner de l’eau. Cela peut venir de deux caufes : l’une, que la terre devant être fort poreufe, comme il pa- roît parles matieres qu’elle contient, l'eau de la Mer s’y infinue aïfément @& fe filtre par ces pores:. l'autre, que divers ruiffeaux & torrens qui cou- lent des Montagnes, & fe.perdent dans ces plaines ou vallées, avant que d’avoir pu fe jetter dans quelque Riviere, inondent cette terre, en paffant par fes veines, & fe répandent intérieurement dans fon fein; car il eft probable que cette qualité pierreufe du terroir en queftion, n’eft que fuperficielle, ou du-moins n'eft pas fort profonde, & que ce qui eft deffous eft folide: ainfi l’eau devant couler par où elle trouve moins de réfiftance , s’introduit dans les pores & conduits de Ja partie pierreufe de ce terrain, laïffant la fuperficie à fec. On a vu dans le premier Chapitre de cette feçonde Partie, que plufieurs Rivieres des Valiées, qui durant l’E- té de la Sierra, où Pays des Montagnes, font à fec fuperficiellement, & que les habitans des Bourgs & Villages font leur provifion d’eau en pratiquant des puits dans le lit même par où pañle la Riviere en Hiver. On pale aui d’autres Rivieres qui ne paroïflent pas, & le verrain étant picr- VOYAGE AU PEROU, Lay, I Cu. VOL 48x pierreux; dès-qu’un animal y remue fes pieds, il en fait fourdre l'eau: ce qui.ne vient abfolument que de ce que l’eau , qui couloit auparavant pat deffus la fuperficie, coule alors un peu par-deflous, Je ne doute point que cela n'arrive de-même dans toutes ces Vallées, avec cette différence qu’il y aura plus d’eau en un lieu qu'en l'autre, & qu'elle fera plus ou moins profonde. Cette abondance d'eaux fouterraines contribue plus que toute autre cho- fe à la fertilité du Pays, furtout à l'égard des hautes Plantes, dont les ra- cines entrent plus avant dans la terre. Tout cela paroît un effet de la fa- geffe de l’Auteur de la Nature » qui pour remédier à Ja ftérilité qu'auroit caufé le manque de pluye dans ces Vallées, à voulu que les Montagnes y fuppléaffent ou par des Rivieres , ou par des Torrens dont les eaux cou- lent par des conduits fouterrains. Pour rechauffer les terres de la Jurisdiction de Chancay, on à recours a ce qui fe pratique dans plufieurs autres Contrées des côtes du Pérou, c’eft-à-dire à la fiente de certains Oifeaux de mer qui font extraordinaire- ment abondans dans cette Contrée, & qu'ils appellent Guanaes, & leur fiente Guano, nom général de la Langue Indienne, qui fignifie tout excré- ment en général. Ces Oifeaux, après avoir pañlé tout le jour à la pé- che fur les côtes de la Mer, vont fe gîter pendant la nuit dans les Iles voi- fines de la côte. Le nombre en eft fi grand qu’ils couvrent la terre de ces Iles, & y laïffent une quantité proportionnée de fiente, dont la cha- leur du Soleil forme une efpéce de croute, qui s’augmente journellement. Ce fumier eft fi abondant, que quelque quantité qu’on en tire, on ne l’é- puife jamais, parce que ces animaux en ont bientôt remis d'autre à la pla- ce de celui qu’on enléve. Quelques-uns ont prétendu que ce Guano n'é- toit que de la terre, mais une terre qui avoit la propriété de rechauffer les autres. Ils appuyoient leur opinion fur la quantité prodigieufe qu’on employoit de cette matiere, fans l'épuifer; & fur ce que l'expérience fai- foit voir, que quoiqu’on creufàt profondément elle étoit la même au fond du creux qu’à fa fuperficie: d’où ils concluent que telle eft la qualité de cette terre, que de fa nature elle peut tenir lieu de fumier ou Guano. Ces raifonnemens perfuaderoient aflez, fi la vue & l’odorat ne faifoient connoître que c’eft véritablement le fumier en queftion. J'ai été dans ces Iles lorfque quelques Barques venoient y charger de ce fumier, & je puis dire que l’odeur qu’il répandoit étoit infupportable, & ne laifloit pas le moindre doute fur la nature de Ja chofe. Toutefois je ne nierai point Tome LI. Ppp qu'il 43 : VOYAGE AU PEROU. qu'il ne puiffe y avoir de la terre mêlée avec ce fumier, ou que la partie là plus fuperficielle de la terre où 1l fe trouve, participant un peu de fa pature, ne puifle avoir à peu près les mêmes propriétés que lui. Quoi qu'il en foit, on employe ce Guano dans les champs où l’on féme le Maïz. Hne contribue pas peu à procurer une abondante recolte conjointement avec les arrofemens. Enfin 1l eft bon pour diverfes autres femences ex- cepté le Froment & l'Orge, & toutefois il s’en confume beaucoup. _ Ontre les Vergers, les Jardins, & les Semences dont les Campagnes font variées, & pär où elles réjouiflent & amufent dans le tems des re- coltes, 1l y a dés lieux où la Nature toute feule a foin de produire fans aucun fecours étranger, & de fournir aux habitans un fpeétacle agréable, & une nourriture abondante à leurs Troupeaux. Les Collines de San Chris- toval & d’Amancaes femblent par leur verdure & la variété des fleurs dont elles font couvertes au Printems, inviter les habitans du voifinage à venir jouir des plaifirs qu’elles offrent à la vue. Lés lieux voifins de la Ville, jufqu’à 6 ou 8 lieues de diftance, offrent les mêmes agrémens, & ne font pas moins fréquentés par beaucoup de familles que les lieux Jes plus à portée; on y vient jouir d’innocens plaifirs, & changer d'air. Le Mont d’Amancaes, dont nous avons déjà parlé, tire fon nom d’une fleur qui y croît. Elle eft jaune, de la figure d’une clochette, d’où for- tent quatre feuilles qui fe terminent en pointe; la couleur en eft très-vi- ve, mais la fleur ne fent rien, & n’eft eftimée que pour fa beauté extérieure. _ Outre ces promenades, la Ville en a encore une publique au bout du Fauxbourg San Lazaro, laquelle ils appellent 4/wmeda; elle eft formée par cinq allées d’Orangers & de Citronniers, d’environ 200 toifes de long, Leur feuiilage toujours verd fert de recréation aux habitans, ainfi que les allées de l’4cho fur les bords de la Riviere, & d’autres encore où lon voit tous les jours une foule de caroffes, & de chaifes ou caléches. Dans le voifinage de Lima on ne voit plus d’autres Monuméns d’An- tiquité que les Guacas, ou Sépulcres des anciens Jndiens, & quelques Mu- railles qui bordoient les chemins, & qu’on rémarque dans toutes ces Cam- pagnes. Mais à trois lieues de la Ville vers le Notd-Eft, eff une Vallée appellée Guacachipa, où fubfiftent encore les murailles d’une grande Bour- gade; &quoique je ne les aye jamais vues, n’en ayant pas oui parler alors, je n'ai pas laiflé d’en être inftruit auffi particulierement que fi je les avois vues. J'en ai l'obligation à Don Ga/pard de Munive, y Tello, Mar- quis de Z’alde Lyrios. perfonnage de grand mérite & doué de talens efti- s Ï 5 i VOYAGE AU PEROU. Liv. E Cx VIIL 483 mables, lequel ayant examiné avec beaucoup de foin ces ruines, remar. qua que les rues qui compofoient cette Bourgade étoient fort étroites: Jes maifons, qui felon la maniere de ce tems-là n'avoient point de toit, & dont les murailles n'étoient que de bauge, formoient par leur difpofition trois appartemens petits & quarrés. Les portes qui donnoient fur la rue n’étoient pas fi hautes que la ftature ordinaire d’un homme, la hauteur des murailles étoit d'environ trois aunes à peu près. Parmi toutes les maifons qui compofoient cette grande Bourgade, qui étoit fituée au pied d’une Colline il y en a une dont les murailles s’élévent fort au-deflus de celles des autres, ce qui la rend fort remarquable, & fait foupçonner que ce pourroit bien avoir été la Maïfon du Cacique de ce Diftriét: Mais il n’eft pas poflible de porter un jugement décifif là-deffus. , Ceux qui ha- bitent cette Vallée, que la‘ Riviere de Rimac traverfe non loin de cette Bourgade, lui donnent le nom de Caxamarca la vieille; mais on ignore fi elle a porté ce nom du tems de la Gentilité, puifqu’outre qu’il n’y a per- fonne fur les lieux qui ait confervé aucune idée de cette Tradition, les Hiftoriens qui ont écrit de ce Royaume, comme l'Jnca. Garcilaffà & Her- rera dans fes Décades, n’en font aucune mention: & tout ce qu’on en fait, c’eft que pour diftinguer cette Bourgade de la Ville de Caxamarca, on lui donne aujourd’hui le furnom de vicille. Une chofe qui frappe, tant dans ces murailles, que dans celles qu’on rencontre dans les Vallées voifines, c’eft qu’elles font bâties fur la fuperfi- cie de la terre, fans mortier ni ciment; & néanmoins elles réfiftent & ont réfifté inébranlablement aux violentes fecoufles des grands tremble: mens de terre, tandis que les plus folides édifices de Lima & de tous les lieux. confidérables bâtis par des Architettes Æ/pagnols ont fuccombé. Ces maifons bâties par les Indiens Gentils n’ont fouffert d'autre dommage que d’avoir été abandonnées, ou que celui que les Bergers y ont fait en y retirant leurs Troupeaux pendant qu’ils les font. repofer en les. me- nant à Lima. Par cette maniere de bâtir on doit conclure que l’expérience fervoit de maître aux naturels du Pays, & leur enfeignoit que dans une. Contrée fi fujette aux cremblemens de terre il ne convenoit point d'employer le mortier pour rendre les maiïfons plus fermes. Auñi aflure-t-on que quand les Jndiens nouvellement conquis virent les E/pagnols employer le mortier & le ciment pour élever des édifices , ils dirent, en. fe moquant d'eux, que les E/pagnols fe creufoient des tombeaux pour s'ençerrer, voulant in- Ppp 2 finuer ww VOYAGE AU PEROU. finuer que les tremblemens de terre les enfévéliroient fous ces murailles qu'ils bâtifloient. Mais ce qui ne furprendra pas moins , c'eft qu'après tant de fâcheux exemples, & aprés avoir vu la méthode des Indiens, & la Ville trois à quatre fois changée en ruines, on ne fe foit pas corrigé dans l'efpace de plus de deux cens ans; & cela parce qu’on a toujours voulu avoir des maifons fpacieufes & hautes, afin que les appartemens en fuffent plus beaux & plus commodes, & qu'on ne pût en bâtir de pareil. jes qu’en liant les matériaux par du mortier ou par quelqu’autre ciment con- venable à la grandeur de l'ouvrage, & au poids qu’il devoit foutenir. DIM TDTNN TMS INPI ANIMATION ALL TON SON ANA TCEKI MORT SUCER ER Tr" Abondance de nourriture à. Lima; différentes efpéces d'alimens &5" maniere de s’ên pourvoir. * Afértilité de la terre d’un côté, là bonté du-climat de l’autre, & la :_, fituation commode & agréablé de cette Vilé, contribuentiégale- ment à l'entretien & à la nourriture de fes habitans. On a déjà vu qu’elle ne manquoit ni de Fruits, ni d'Herbages; refte à dire un mot des Vian+ des & du Poiffon qu’on y mange. Le Pain que l'on fait à Lima eft le meilleur que l’on puiflé manger dans cette partie dé l’Ænérique, tant à-caufe de fa blancheur, que par le bon goût qu’il a, à quet contribuent la bonté des farines, & la maniere de le faire. Iln’eft pas cher pour le Pays; c'eft ce qui fait que les habi< tans n'en mangent pas d'autre, étant d’ailleurs trop accoutumés à celui- là. Ce pain eft de trois fortes; l’un qu’ils appellent Criollo, qui eft fort percillé endedans & fort leger ; l’autre qu’ils romment pain à la Frans goile; & enfin le pain mollet. Ce font les Négres qui fabriquent tous ces pains pour le compte des Boulangers, & les boulangeries en {ont toujours bienfournies. Ces Boulangers font gens fort riches, & le nombre d’Efcla- ves qu’ils poflédent, fait une partie confdérable de leurs Biens. Outre ces Efclaves à eux, ils reçoivent encore tous ceux que les Maîtres, n'étant pas fatisfaits de leur conduite, veulent faire châtier, auquel cas; outre la nourriture de l'Efclave le Boulanger paye fon travail journalier au Maître en argent ou en pain. Ce châtiment eft le plus grand qu'on puifle kur infliger, & vérirablement les ‘plus cruelles peines des Galeres n'éga» lent VOYAGE AU PEROU. Liv. I. CiX. 348$ Jent point ce que ces miférables fouffrent. Ils y font forcés à travailler inces- famment tout le jour & une partie dela nuit: on leur donne peu à manger, & encore moins de tems pour dormir: deforte qu’en peu de jours l'Efclave le plus vigoureux & le plus alerte, eft tout-à-fait abattu & affoibli. Aufñi n’ont-ils point de repos qu'ils n'ayent fait leur paix avec leurs Maîtres, foit par promefles ou par foumiffions, ne défirant rien tant que de fortir de ce lieu, pour lequel ils ont une telle crainte, qu'il n’eft pas douteux que l'idée feule ne contribue à contenir la multitude d'Efclaves qu’il y a tant dedans que dehors la Ville. Le Mouton eft la viande la-plus ordinaire à Lima. Il a très-bon goût à caufe des fels répandus dans les pâturages dont il sengraifle, Ea viande de Bœuf y eft aufli très bonne, mais ik s’en confomme peu, & deux ou trois bœufs par femaine fuffifent pour toute la Ville, n’y ayant guere que les Européens qui en mangent. Il y a de la Volaille en abondance & de très-bonne : on ya aufli du Gibier, comme Perdwx , T'ourterelles, Sarcelles & autres decerteefpéce, mais en petite quantité. On y confomme aufi beau: coup de chair de Porc qui eft fort bonne, mais moins délicate qu’à Carthas géne. On y accommode toutes les viandes &le poiflon-avec de la grais- fe de cet animal, & l’on n’employelhuileque dans les falades & autres mets femblables; tous les autres. s'apprêtent avec du faindoux, ou du vieux oing; & cet ufage vient apparemment de ce qu’au commencement il n'y avoit point d'huile ,. & que ce que la-néceflité avoit enfeigné eft pañlé en coutume, même depuis qu’on a de l'huile ducru du Pays. Cefuten r560, qu’ Antonio de Rivera, habitant. de Lima, planta le premier Olivier qu'on eût vu au Pérou, & c'eft de-lx que font venus ces vergers nombreux d'Oliviers qu'il y a préfentement. On apporte quelquefois dés Montagnes dir Veau gelé, comme un grand régal, & en effet c'en eft un. On y tue les veaux, & on les laïfle dans la bruyere un ou-deux jours à l'air pour qu’ils fe gélent, après quoi on les apporte à Lima, @ ils fe maintiennent ainfi autant qu’on veut fans la moindre corruption. Les Poiflens que l’on mange font de diverfes efpéces. On en apporte journellement des Ports de Chorillos, de Callao, & d’Ancon, dont les ha- bitans Jndiens s'occupent à ce petit négoce. . Les plus délicats font le Cor- dudo, & les Poiflons Rois, où Pége-Reyes. Les plus abondans font les Anchois, lesquels font aufli délicieux. Les Cordudos font ici beaucoup : Plus déliçats qu'en E/pagne: &:les Pége-Reyes font meilleurs & plus gros, | Ppp 3. ayant - #6 VOYAGE AU PEROU. ayant ordinairement fix à fept pouces, pied de Paris, enlongueur! ce pois: fon eft une efpéce de Gradeau, appellé Poiffon-Roi, ou Roi des Poiffons, à- caufe de fa délicatefle. Cependant on prétend que ceux que l’on pêche dans la Riviere de Buénos-Ayres, lemportent encore fur ceux-là. Au-res- te c’eft un poiflon d’eau faiée, mais il n’eft pas different quant à la figu- re, de celui qu'on pêche fous ce nom dans les Rivieres d'E/pagne. Il ya d’autres efpéces de Poiflon dans la Riviere de Lima, entre autres les Che- vrettes de deux ou trois pouces de largè, & nommées plus proprement Ecrevifle, parce qu’elles en ont la figure. Les Anchois font en fi grande abondance fur ces côtes, qu'il n'y point d’expreflion qui puifle en repréfenter la quantité. 11 fufhira de dire qu'ils fervent de nourriture à une infinité d’oifeaux qui leur font la guer- re, & dont toutes ces Iles font peuplées. Ces oifeaux font communé- ment appellés Guanaëés, nom dérivé peut-être de Guano, où Fumier dont il a été parlé au Chapitre précédent. Parmi-ces oifeaux 1l y a beaucoup d’Alcatraz, qui font une efpéce de Cormorans ; mais tous font compris fous le nom général de Guanaés, Quelquefois ils s'élévent de ces Iles, & forment comme un nuage qui obfeurcit le Soleil. Ils employent fou- vent une heure & demie ou deux heures de tems pour pafler d’un endroit a l’autre, fans qu’on voyediminuer leur multitude. Ils s'étendent au-deflus de la Mer & occupent un grand efpace, après quoi ils commencent leut pêche d’une maniere fort divertiffante: car fe foutenant dans l’air en tour- noyant à une hauteur aflez grande, mais proportionnée à leur vue , aufii- tôt qu'ils apperçoivent un poiflon ils fondent deflus la tête en bas, fer- rant les ailes au corps, & frappant avec tant de force qu'on apperçoit le bouillonnement de l’eau d'aflez loin. Ils reprennent enfuite leur vol ex l'air en avalant le poiffon. Quelquefois ils demeurent un long efpace de tems fous l’eau, & en fortent loin de l'endroit où ils s’y font précipités; fans- doute parce que le poiflon fait effort pour échapper, & qu'ils le pourfuivent difputant avec lui de légereté même à nâger. Ainfi on les voit fans-ceffe dans l’endroit qu'ils fréquentent; les uns fe laffant chévir dans l'eau, les autres s’élevant ; & comme le nombre en eft fort grand, c’eft un plaifir que de voir cette confufion. Quand ils font raffaffiés ils fe repolent fur les ondes, & au coucher du Soleil ils fe réuniflent, & toute cette nombreufe bande va chercher fon gite. On a obfervé à Callao, que tous les Oifeaux qui fe gîtent dans les Îles & Ilots qui font au Nord de ce Port, vont dès le matin faire leur peche, du VOYAGE AU PEROU. Lw.I Cu IX. 48y du côté du Sud, & reviennentt fur le foir dans leslieux d'ou ils font païtis. uand ils commencent à traverferle Port, on n’en voit ni le commence. ment ni la fn, & ils s'arrêtent auffi longtems que nous l’avons dit. . Quoiquecette côte n'ait que: très-peu de Coquillages, le Port de Calluo ne laifle pas d’en fournir quelque peu. On y prend beaucoup d’un certain Poiflon à écailie, qui quoiqu’ill refflemble aux moules quant à l'extérieur , eft beaucoup plus: gros ;. & le jpoiflon même reflemble plutôt aux huitres, & enia à-peu-près le goût. ii ; Les Vüris font de différentes qualités à Lima, les uns blancs, les autres fort couverts, & les autres rouges, & parmi ce nombre il y en a d’excel- Jens. Il ÿ en a qui viennent de la Côte de Nufcu, d'autres de Piro, de Lucumba & du Chili; de cé dermier viennent les plus exquis, & on comp- te parmi ce nombre quelque peu de Mufcat.. Celui de la Nafca eft blanc & de peu de débit, les autres lui étant fort fupérieurs. Celui dont on boit Jlerplus eft: celui de Pi/co, dont on fait aufli toutes les Eaux-de-vie qui fe confomment à Lima, & qui font même portées plus loin; on ne fait ici aucune Eau-de-vie de Cannes, & cette Boiflon-n’y eft point en ufage. Les Fruits fecs viennent du Chili, & par le-Commerce entre ce Royau- me & celui du Pérou, on y.a tout ce qu’on peut avoir en Efpagne, com- me Amandes, Noix, Noifettes, Poires, Pommes &c. en fi grande abon- dance, qu'il eft afé de juger de la bonne chere qu’on fait dans un Pays où l’on peut joindre les Fruits d’ Europe à ceux des Indes. ‘Maïs quoique les Vivres y füïent fi abondans, ils ne laiflent pas d’être chers dans chaque efpéce, y ayant à cet égard'une différence confidéra- ble entre Lima & Quito. Dans la premiere de ces deux Villes les Denrées font quatre 4 cinq fois plus cheres que dans l'autre. : Les Vins, les Hui- les, les Fruits fecs, font celles qui coutent le moins. :Les gens pauvres, comme les Négres &autres ne fe nourriflent pourtant point mal. Ils man- gent le poïflon le moins eftimé ,: & qui par cette raifon eft à fort: bas prix. Iten eft de-même des iflues de Mouton & de Bœuf, dont les gens aifés ne font aucun cas. Tiort-8s ‘Les Confitures n'y font pas: enimoindre quantité que dans les autres Villes des Zndes, quoiqu'il s’y en faffe un ufage plus modéré, & qu’on n’en mange-ordinairement qu’au deffert.:.Le Chocolat y-eft peu. à la mode; on y-prend du Maté.à laplace,, qu'om prépare deux fois.par jour; & quoique cette boiffon y ait le même défaut qu’on a déjà obfervé, on la fert avec beaucoup plus d'apparat qu’en aucun autre endroit. a à CITA: 488 vOYECGSAU PE ROLE. CON A PCI ER ER Conmerce de Lima, tant en Marchandifes d'Europe, que de celles du cru dis Pérou, € de la Nouvelle Efpagne. A ‘Ville de Lima feroit moins fameufe & moins confidérable, fi à l'a- vantage d’être la Capitale du Pérou elle ne joignoit encore celui d’é- tre l'entrepôt de toutes les Marchandifes de ce Royaume. Ainfi tout comme le Viceroi y fait fa réfidence & que les Tribunaux fuprêmes y tiennent leurs fiéges, de- même 1l y a une Faétorerie générale pour le Commerce dont elle eft-le centre. C’eft-là que fe raffemble tout ce qui fe fabrique dans les autres Provinces ; & toutes les Marchandifes que les Galions & les Vaifleaux de Régâître apportent. C’eft de-là qu'elles fe ré- pandent enfuite dans la vafte étendue de cet Empire, dont Lima eft com- me la mere commune. Le Tribunal du Confulat, dont nous avons parlé plus haut , eft à la tête du-Commerce de ce Royaume. On tire de ce Corps des Députés Com- miflaires pour réfider dans les autres Villes dépendantes de ce Gouverne- ment, & qui renfermées dans les bornes du Royaume du Pérou, recon- noïflent ce Tribunal pour fupérieur , & comme le feul qui foit établi pour cette forte d’affaires. Toutes les richeffes de.ces Provinces Méridionales fe dépofent à Lima, pour être embarquées fur la Flottille qui part du Port de Callao, pour aller à Panama dans le tems de Yarrivée des Gallions. Les Propriétaires de ces fonds en donnent la direétion aux Commerçans de Läma, & ceux-ci les vont trafiquer à la Foire conjointement avec les leurs propres. La même Flottille fe rend enfuite au Port de:Payta, eù tous les'Négocians prennent terre, & font débarquer les Marchandifes d'Europe dont ils ont fait em- plette,& qui, pour éviter les longueurs de la Navigation, font voiturées par terre jufques à Callao, au moyen des nombreufes mules qui font dans cette Sénéchaufée. Les Marchandifes les moins précieufes continuent Cé- pendant le voyage par mer jufqu’à ce Port. Auffi-tôt que tous ces effets font arrivés à Lima, les Commerçans €ex- pédient chaque portion à leurs Correfpondans qui leur ont confié leurs de- niers, & ferrent dans des Magazins celles qui font pour leur propre comp- tes VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cu, X. 489 te, jufqu’à ce qu’il fe préfente des Acheteurs qui ne manquent pas de fe rendre à Lima dans ce tems-là. Ou bien ils ont des Commis ou Caïffiers dans les Provinces intérieures auxquels ils en font des envois, & à mefu- re que ceux-ci les débitent ils font tenir à leurs Maîtres ou l'argent comp. tant, ou les lettres de change qu'ils ont reçues, & ceux-ci leur font de nouveaux envois de leurs Marchandifes, jufqu’à ce qu’ils s’en foient dé- faits, deforte que le commerce d’une Flottille dure aflez longtems, né. tant pas pofñible que tout fe débite fi promtement. Le produit de ce qui fe vend dans l’intérieur du Pays confifte en_Ar- gent en barre, en Pignes *, ou en Argent travaillé. Tout cela eft enfui- te frappé & converti en efpéces dans la Maifon de la monnoye à Lima. De cette maniere les Commerçans ne gagnent pas feulement fur leurs marchan- difes, mais auffi fur les retours de l'argent, qu’ils prennent à plus bas prix qu'ils ne le donnent. ‘Ou’voit par-là que tout ce commerce n’eft proptre- memblqu'un troc de marchandifes pour d’autres ; Car celui qui vend des Etoffes par exemple, convient avec l Acheteur tant à l'égard du prix de Ja marchandife qu’à l'égard de celui de l’Argent en barre, ou en Pignes, defor- te qu'à le bien prendre ce commerce eft en -même-tems une vente de marchandifes & une vente d'argent. Les deniers qu’on fait remettre à Lima dans l'intervalle d’une Flottille à l'autre, font employés par les Propriétaires en étoffes du cru du Pays qui viennent de la Province de Quito, obfervant la même méthode avec cette marchandife-là qu'avec Jes autres; Car Comme il s’en confomme une égale quantité & même davantage, elle n’eft pas moins néceffaire dans les Provinces que celles d'Europe , vu que les gens pauvres & de baffle condi- tion s’en vêtiflent, leurs facultés n’allant pas jufqu'a leur pérmettre lufa- ge de celles qui font plus magnifiques, & auxquelles ils donnent le nom général d'Etoffes de Caftille. Les Commerçans qui avec des fonds mé- diocres font leurs emplettes à Lima, fe pourvoyent également de cesétoffes % de celles d'Europe , afin d’avoir un affortiment qui puifle contenter tout le monde. Outre ce commerce, qui eft fans-doute le plus confidérable, & qui fe fait tout par la voye de Lima, ‘y a celui que cette Ville fait avec tous les * Ce qu’on nomme Pignes au Pérou & au Chi font des Maffes d’argent poreufes & legeres, faites d'une pâte deffechée, & qu’on fait par le mélange dy Mercure & de la Pou-! dre d'argent tirée des Minières. N, d Tome JT. Qqq 490 V-O Y A GE A U_P ER OU. les Pays méridionaux & feptentrionaux de l'Amérique : la denrée dont elle tire le plus de la partie feptentrionale, c’eft le Tabac en poudre, qui trans- porté de la Havane au Mexique y eft préparé & accommodé , & de-là envoyé à Lima, d'où il paîle dans les autres Contrées. Ce commerce fe fait à peu près comme celui de Panama. Mais les Marchands qui le font, ne fe mélent pas de celui des étoffes, & ne vendent que des parfums, comme Ambre, Mufc &c. & de la Porcelaine de la Chine : les uns font établis à Lima, les autres n’y font qu'en paflant, & ils font tous pour l'ordinaire des Correfpondans des Marchands Mexiquains. Des Ports de la nouvelle Efpagne il vient à Lima de la Poix, du Goudron, & du Fer avec de l'Indigo, mais en petite quantité. fl vient du Royaume de Tierra Firme beaucoup de Tabac en feuille, & des Perles, dont il fe fait un grand débit, vu qu’outre la quantité que les Dames en employent dans leur parure, il n’y a point dé fémme mu- lâtre qui n’en ait quelque afliquet. Quand l'Afiento, c'eft-à-dire lftaite des Négres n'eft point interrompue, Ce commerce fe fait aufli par la Voye: de Panama, & il s’en fait un grand débit. I yaa Lima une mode fi enracinée & fi générale, qu’elle eft com- mune à toutes les femmes fans diftinétion; c’eft qu’elles portent dans la bouche un Limpion de Tabac. L'origine de cette coutume, fut fans-doute le defr de maintenir les dents propres. comme le témoigne le nom-même de la chofe; car Limpion vient de limpiar, qui fignifie nettéier. Ces Lim- pions font de petits rouleaux de tabac, de quatre pouces de long fux neuf lignes de diamétre, enveloppé dans du fil de lin fort blanc , qu’elles dé- font à mefure qu’elles ufent le Tabac. Elles mettent ce Limpion dans la bouche par un bout, & après en avoir un peu mâché, elles s’en frottent lesdents, & les maintiennent par-là belles & propres. Les gens du com- mun qui changent en vice les meilleures chofes, pouffent cette coutume mPexcés. Les femmes font horribles à voir avec un rouleau de tabac d’un pouce & demi de diamétre continuellement dans la bouche. Il femble qu’elles veuillent fe défigurer, en renchériffant fi prodigieufement fur les Limpions des Dames. Cet ufage, & celui du Tabac à fumer, qui eft auffi à la mode parmi les hommes, fait qu'il fe confomme une grande quantité de Tabac-en feuilles. Les Limpions font faits de Tabac de Guaya- quil mêlé d’un peu dé celui qui vient de la Havane par Panama; & celui qu’on employe à fumer vient de Sagna, de Moyabamba, de Saën de Bra- camores, de Llulla, & de Chillaos où il s'en recueille en grande quantité, & qui pafle pour fort bon pour cet ufage. Tout VOYAGE AU PEROU. Lav.I. Cu. X. 4or Tout le Merrein qu’on employe à Lima dans la bâtiffe des maifons vient de Guayaquil, ainfi que celui qu'on employe au Callas dans le care- nage des Vaifleaux & la f: abrique des petits Bâtimens. On en tire aufli du Cacao, mais en petite quantité, la confommation de cette denrée étant peu confidérable à Lima en comparaifon des autres Villes des Zndes; ce qui vient de l’ufage général qu’on y fait de l'Herbe du Paraguay. Les Maîtres des Vaïfleaux font le Commerce du Bois. Ils l’apportent pour leur propre compte, & en font des Magazins au Culluo, où ils le vendent quand loccafion s’en préfente. Des côtes de Nafca & de Pijco on tire des Vins, des Eaux-de-vie, des Olives, des Huiles, des Raïfins fecs. De celles du Chili,du Froment, des Farines, des Cordouans, des Amarres de chanvre, dés Vins, des Fruits fecs, & quelque peu d'Or. Outre ces Marchandifes, on en trou- ve de toutes les fortes dans les Magazins du Callao, deftinés à recevoir les marchandifes dont les unes appartiennent aux Négocians qui les y en- voyent pour y être débitées, les autres font pour le compte des Maîtres de Navire, qui les vont acheter fur les lieux où elles croiflent. Tous les Lundis de l'Année il y a une Foire au Calluo, où les Vendeurs & les Acheteurs fe rendent de toutes parts pour leurs affaires. Les effets ache- tés à ces Foires font tranfportés dans les lieux refpectifs par des mules que les Vendeurs tiennent à cet effet, qui n'ont d’autre profit dans le loyer de ces animaux que le fervice qu'ils rendent. Les Denrées que l'on envoye à Lima ne font pas toutes confommées par les habitans de cette grande Ville. Une partie pañle à celles de la Pro- vince de Quito, dans les Vallées & à Panama, où il s’en fait des remifes de toutes les efpéces. On tire de Coquimbo, & de la côte de ce nom, du Cuivre & de l'Etaim en barre & en abondance. Des Montagnes de Caxa- marca & de Chachapoyas, des Toïles de Coton & de Pite, pour les voiles de Navire; des Vallées, du Cordouan forte de Maroquin, & du Savon. Des Provinces Méridionales, favoir, la Plata, Oruro, Potofi & Cuzco, la Laine de Vicogne pour la fabrique des Chapeaux, & quelques Etoffes fi- nes. Du Paraguai, l'Herbe du même nom, dont il fe fait à Lima une grande confommation, & qui pafle de-là dans les autres Provinces jufques à Quito. Enfin il n’eft Contrée ni Lieu dans tout ie Pérou, qui n’envoye les marchandifes de fon cru dans cette Ville pour la vente, & qui ne s’y pourvoye de celles qui lui manquent, & par conféquent Lima eft le cen- tre d’un Commerce où toutes les Nations font intérefées. De-là vient Q qp 2 auffi 492 VOL CG E' SA ERP ER OI auffi que le trafic & l’abord des Etrangers y font continuels; & que les Fa- milles de confidération peuvent, par le moyen du Négoce, fournir aux fraix de la figure qu’elles font, & dont nous avons parlé. Sans cette res- fource elles feroient bientôt à l'Hôpital. «Il femble d’abord qu’un Commerce fi grand & fi étendu, devroit enri- chir prodigieufement les habitans de cette Ville qui y ont part; il fem- ble, dis-je, qu'ils devroient faire des profits immenfes. 1] en eft bien quelque chofe ; mais fi l’on y fait attention, on trouvera qu’il y a à peine depuis dix jufqu’à quinze maifons commerçantes, dont les Capitaux de Commerce, en-Argent ou en Maärchandifes (a part les Biens fonds & les Majorats) aillent chacun à 5 ou 600000 écus. On entrouvera à-la-vérité dans ce nombre quelques-uns qui vont au-delà, mais il y en a auffi dont les Capitaux ne vont. pas fi haut. Ceux qui poflédent des fonds moyens, comme depuis 100 jufqu’a 300000 piaftres, font en grand nombre, & c’eft entre les mains de ceux-ci qu’eft le fort du Commerce ; auxquels fe joi- gnent les petits, dont les fonds font depuis 50 jufqu’à 100000 piaîtres. Ce qui provient fans-doute des dépenfes exorbitantes que ces gens font; fans compter que les dotes des filles & l’établiflement des fils emportent une bonne partie du Capital; deforte que fouvent l’opulence de la famille finit avec celui qui l’a commencée, & que de fon Capital il s’en forme plu- fieurs médiocres qui le réduifent prefqu’à rien, a-moins que fes héritiers n'ayent le bonheur de faire valoir avec profit ce qu’ils ont eu en partage. Les Citoyens de Zima ont beaucoup de talent & de difpofition pour le Négoce. Ils favent parfaitement pénétrer les rufes des Acheteurs, & les ramener aux leurs. Ils ont le don de perfuader, & de ne pas fe lais- fer perfuader. Is affeétent, en achetant, de méprifer & de ravaler ce qui attire le plus leur attention & qu’il fouhaitent le plus; & par cetre rufe ils obtiennent plus facilement ce qu’ils marchandent, que ceux qui aché- tent d'eux, Ils ont la réputation d’être fort économes dans leurs achats, mais exacts & fidéles. à remplir les conditions des marchés conclus. Il y a des boutiques où l’on vend en détail toute forte d’Etoffes ; il y en a aufli pour le Tabac, & c’eft dans celles-ci que l’on trouve l’Argent travaillé, que l’on envoye acheter dans les Villes fituées près des. Minie- res où il fe fabrique. Les Commerçans en gros qui ont des magazins de marchandifes, ne laiffent pas d’avoir une boutique dans leurs maïfons, où ils vendent eux- mêmes en détail, ou font vendre par un de leurs Commis en qui ils fe con: fient VOYAGE AU PEROU. Liv. I. CH. XL os fient le plus. Ils en ufent ainffi pour ne pas céder à d’autres les profits or- dinaires dans cette forte de Commerce. Au-refte cela ne les dégrade en aucune maniere, & l'on y eft trop accoutumé pour y trouver à redire; ce qui fait voir, combien le Commerce eft eitimé & favorifé dans cette Vil- ke. Ce n’eft pas qu'il n'y ait des Familles illuftres, qui, comme nous l'a- vons dit, fe foutiennent dans leur éclat à la faveur des Majorats, & par les revenus de leurs Biens fonds fans fe mêler aucunement de trafic. Mais il y en a encore davantage, qui quoiqu'elles ayent auffi des Majorats, ont befoin de cette reflource pour fe foutenir dans leur luftre, de maniere que par la fuite du tems elles ne tombent pas en décadence. Elles s’inté- reffenc en gros aux Foires des Gallions & autres trafics, & ne foupçon- nent pas mème que ce Commerce puifle déroger à l’éclat de leur nobléffe. Elles ont entierement perdu ces idées que leurs. Ancêtres avoient appor- tées dEfpagne, & s'en trouvent trés-bien. Lex ESEL ICS 3) SRAICNIOHIN TIENNE DATI SRI SN TNNI SEEN NIET COR OR ANT CR ROUE Etendue de la Viceroyauté du Pérou. Audiences qui y font contenues. Evé- chès dépendans de chacune. Corrégimens ou Sénéchaulfées Jelon leur rang , ES en particulier de celles qui appartiennent à l Archevéché de Lima. Out ce que nous venons d’expofer nous méne naturellement à par- ler de l'étendue de la Jurisdiétion de l Audience Royale de Lima, & de celle du Viceroi du Pérou. Mais comme pour en donner une con- noiffance aufli exaéte que celle qu’on a vu dans la premiere Partie, au fu- jet de Quito, il feroit néceflaire d’avoir parcouru en perfonne toutes les Provinces particulieres ou Corrégimens de ce Royaume, & d'en faire un Livre à part, je me contenterai d’en donner une idée générale, fufifante pour connoître en gros tout ce que renferment à cet égard les vaftes Do- maines de ce Pays. Je puis affurer d'avance que pour m'acquiter de cet- te tâche avec plus d'utilité, j'ai confulté diverfes perfonnes fur le fu- jet que je vais traiter, dont quelques-uns ayant gouverné ce vaite Ro- yaume, étoient parfaitement inftruits de tout ce qui le regarde, & quel- ques autres qui étant du Pays même, & s'étant appliqué à le connoître, pouvoient nous donner des lumieres telles que nous les défirions, & diri- ger nos jugemens par leur prudence & leur expérience. Nous avons été obli Qqq 3 ges 404 VO: Y AB BEÉAUU P ER OU. gés de nous fervir de ce moyen faute d’avoir eu l'occafon de pénétrét dans les Provinces intérieures du Pérou; & fi nous voulions entrer dans un grand détail, tout ce que nous aurions pu apprendre à Lima ne fuff- roit pas pour nous faire parler avec aflurance, vu la grande diftance qui eft entre la Capitale & plufieurs Provinces & Corrégimens, deforte qu’on n’en peut guere attendre que des idées générales. On ne fera donc pas furpris fi nous paflons légerement fur quelques-uns; car en nous confor- mant à la méthode que nous nous fommes propofée dès le Commence. ment de cette rélation, nous n’admettrons que ce qui nous paroït cer- cain & bien avéré, eftimant qu’il vaut mieux dire peu & vrai, que de courir rifque d’alléguer faux en nous étendant davantage. Pour mieux réuflir dans la defcription des Pays dépendans du Gouver- nement du Pérou, fans nous écarter de l’ordre que nous avons fuivi jus- qu'ici, nous diviferons toute fa Jurisdiétion dans-celles des Audiences qui le compofent, & les Audiences dans les Evéchés qu’elles renferment, & & chaque Evêché ou Archevêchés dans les Corrégimens ou Sénéchaus- fées. Cetrordre nous paroît propre à rendre cette defcription plus utile, & facilitera notre rélation généraie de l'état aétuel de ces Provinces. Le Gouvernement ou Viceroyauté du Pérou dans l'Amérique Méridiona- le s'étend fur ces vaftes Pays qui font fous la Jurisdiétion des Audiences de Lima, de Los Charcas, & du Chili, fous lesquelles font encore com- pris les Gouvernemens de Santa Cruz de la Sierra, du Paraguay, de Tu- cuman & de Buénos- Ayres, bienque ces trois dernieres Provinces , ainfi que le Royaume de Chili, ayent leurs Gouverneurs particuliers, qui ont une autorité convenable à.leur caraétére, c’eft-à-dire, qu’ils font abfolus tant dans les Affaires Politiques, que Civiles & Militaires, toutefois en certaines chofes ils reconnoïflent ia fupériorité du Viceroi, qui, par excm- ple, a le droit de nommer à leurs Gouvernemens par provifion, en cas de mort de leur part; & ainfi à l'égard de quelques autes cas non moins importans. Avant l'an 1739 qu’on érigea pour la feconde fois la Nouvel le Grenade en Niceroyauté, celle du Pérou s’étendoit, comme il a déja été dit, fur tous les Pays compris dans les Audiences de Tierra-l'irme & de Quito. Mais celles-ci en ayant été féparées, cette Viceroyauté fe trouva bornée au nord à ce qui eft renfermé dans le Corrégiment.de Päu- ja, qui confine à ceux de Guayaquil, de Loxa, & de Chacapoya, qu finit au Gouvernement de aën-de Bracamoros. Deforte que la V iceroyauté du Pérou comimence au Golphe de Guayaquil, & s'étend depuis la côte de Tumbez, VETAGEAU PEROU. Eur. I EXT. 405$ Tumbez, par les 3 deg. 25 min. de Latitude Auftrale , jufqu’aux Terres Magellanïques environ 54 degrés de la hauteur du même Pole, qui font 1or2 lieues marines. À l'Orient il confine:en partie-aw Brd/il, étant bor- né de ce côté-là par la fameufe Ligne où Meéridieine de Démarcation, qui divife les Domaines des Couronnes de Cajlille & de Portugal, & en par- tie à la Mer du Nord. À l'Occident c’eift la Mer du Sud qui lui fert de limites. L'Audience Royale de Lima érigée en 1542, quoiqu’elle ne commen- çât à s’affembler qu’en 1544, comprend dans fa Jurisdiétion un Archevé- ché & quatre Evêchés, qui font: L'Archevéché de Lima. 5 d Evéchés. L Truxillo. III, Cugco.. H. Guamanga. IV. Arequipa. L’Archevéché de Lima doit à jufte titre précéder les autres Prélatutes, & faire le fujet de ce Chapitre. Nous traiterons dans le fuïvant dés qua- tre Evêchés fuffragans de cet Archevêché. Le Diocéfe de celui-ci com- prend quinze Corrégimens ou Provinces. Nous traiterons d’abord dés Cor- régimens d’auprès de Lima, en continuant toujours par le plus proche, & ainfi de fuite jufqu’aux plus éloignés. . Et cette méthode fera obfervée.à. l'égard des autres Diocéfes. Corrégimens ou Provinces de l'Archevéché de Lima. E Le Cercado de Lima. IT. Chancay. IX. Tauwyos. IL. Santa. X. Caxatambo. IV. Canta. | XI Tarma. Wa, Carnéte IL aux. VI. ca, Pifco, & Nafca: XIIL. Conchucos. VII. Guarechiri. XIV. Guaylas. VIII. Guanuco. XV. Guamalies.. I. TI. III. Ici le Leéteur nous permettra de le renvoyer aux Chapitres: IL & IIL. où il a été parlé des trois premiers Corrégimens : ce feroit ". er: M6 - VORMBMAU PER OT. fer de fa patience, que de répéter ce qui a déja été dit du Cercado de Li- ma, de Chancay ; & de Santa. IV. Après les trois Corrégimens notés ci-deflus, vient celui de Cauta, à cinq lieues au Nord-Nord-Eft de Lima, deforte qu’il cenfine au Corré- giment du Cercado. Son étendue eft de plus de trente lieues, dont la plus grande partie OCcUpe les premieres branches.des Montagnes connues fous le nom de Cordillere Royale des Andes ; c’eft pourquoi auffi le climat en eft divers felon la difpofition du:Pays. Le climat de la partie bafle ou des vallées, eftchaud. Celui de ja partie haute, c’eft-à-dire, qui eft entre- coupée de colhnes , eft tempéré, & froid fur les collines-mêmes. De cet- te diverfité de température il réfulte un grand avantage pour les femen- ces & les pâturages: parce qu'étant maîtres de choifir le terroir felon fes propriétés, les habitans font des recoltes d'autant plus abondantes. Par- mi les Fruits qu’ils recueillent , les Papas font les meiïlleurs. On en porte les racines à Lima pour les y vendre, & il s’y en fait une grande con- fommation. Les vaftes campagnes de Bombon appartiennent en partie à cette Province; & comme elles font dans la partie élevée, elles font tou- jours froides. Elles nourriflent de nombreux Troupeaux de Brebis & de Moutons. Au-refte ces campagnes ont diverfes Haciendas , ou terres qui appartiennent aux principales familles de la Nobleffe de Lima. À Guamantangua , Bourgade de cette Sénéchauftée , on révere une Ima- ge d'pn Santo Chrifto,.& les habitans de Lima, & ceux des environs y vont en pélérinage aux Fêtes de la Pentecôte pour aflifter à la fête qu'on y célébre. V. La Ville de Cagnére eft ie Chef-lieu de la Sénéchauffée, à laquelle elle donne fon nom. Sa furisdiétion commence à fix lieues au Sud de Li- ma , & s'étend par le même rumb à plus de trerite lieues le long de la cô- te. Le climat y eft femblable à celui des valiées de Lima, & les terres en font fertilifées par une Riviere & par divers ruifleaux qui les traver- fent. Elles produifent force Froment & Maïz. Une partie de ces terres ef plantée de Cannes douces , donton tire beaucoup de Sucre. Les Familles nobles de Lima en font aufli propriétaires. Dans le voifinage du Bourg de Chilca, fitué dans cette Sénechauflée , à environ dix lieues de Lima, on trouve beaucoup de Salpétre , dont on fe fert dans cette Ville pour faire de la Poudre à canon. Outre ces avantages, cette Province aencore celui de la Pêche, à laquelle la plupart des Jndiens , habitans des Bourgs s’adonnent, fur- tout ceux qui demeurent près de la Mer;des Fruits,des Légumes, des Oifeaux do- VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr. XL 47 domeftiques des Indes, & le commerce qu’elle fait de toutes ces Denrées avec Lima eft confidérable. VI. Ica, Pico, & Nafca, font trois Villes qui donnent leur nom au Corrégiment dent nous allons parler, & dont la partie antérieure s’étend le long de cette côte vers leSud. Sa Jurisdiétion comprend plus de foixan- te lieues de pays en longueur, entrecoupé de quelques déferts; & com- me le terroir eneft fablonneux, ces campagnes reftent incultes par-tout où les Rivieres & les Canaux ne peuvent atteindre; toutefois il faut ex- cepter certains quartiers, qui fans pouvoir être arrofés n'en font pas moins plantés de vignes, dont les ceps fe maintiennent par l'humidité in- téricure de la terre, & donnent beaucoup de raifins; on en fait du Vin qui eft tranfporté à Callao, d’où il pafle à Guayaquil & à Panama. Gua- manga, & les autres Provinces intérieures s’en pourvoient aufli, & l’on en fait beaucoup d'Eau-de-vie. Enfin il y a des endroits plantés d’Oli- viers, dont les olives fervent également à l'huile, & à être mangées. Les terroirs où l’eau peut atteindre produifent beaucoup de Froment & de Maïz, & quantité de toute forte de Fruits. Dans la Jurisdiétion d’1- ca il y a des Foréts d'Algarrobales, dont on nourrit une prodigieufe quan- tité d’Anes; article qui augmente beaucoup le commerce des habitans, vu qu'on employe grand nombre de ces animaux à la culture des champs, tant aux environs de Lima, que des autres Provinces. Les Indiens qui habitent le long des côtes ou dans les Ports, ont foin de la pêche. Ils falent le Poiflon qu'ils prennent, & l'envoyent dans les Montagnes, où il eft de bon débit. VII. LaSénéchauffée ou Corrégiment de Guarachiri renferme dans les terres de fa dépendance la premiere branche des Montagnes & partie de la feconde de la Cordillere des Andes, & s'étend par l’une & l’autre à plus: de quarante lieues: cette Province commence à fix lieues à l'Orient de Lima. La fituation des terres qu’elle renferme, eft caufe qu’il n’y a guere quelles val- lons & autres lieux bas qui foient peuplés & fertiles. Ils abondenten Froment, Orge, Maïz,& autres Grains,de-même qu’en Fruits. Les Montagnes de fa dé- ‘ pendance ont des Minieres d’argent, dont quelques-unes font exploitées, mais le nombre en eft petit, ce métal n’y étant pas des plus abondans. VIIL. Guanuco eft le Chef- lieu du Corrégiment de fon nom à quaran- te lieues Nord-Eft de Lima. C’a été anciennement une des principales Villes de ces Contrées, dans laquelle s’établirent plufieurs des premiers Conquérans. Aujourd'hui elle eft dans un état bien différent, & les mai- Tome L. rt fons 498 VE D IN -AICGE > AU MER OU fons principales, où ces grands: hommes vivoierit alors, femblent n’y füb- fifter encore que pour fervir de monument à fon-ancienne opulence. Du- refteelle égale à peine à-préfent une Bourgade Indienne des plus médiocres. Le climat des terres de fa Jurisdiétion eft doux &tempéré, & lescampagnes: font fertiles en Grains & enfruits. On y fait différentes fortes de Confitures. & de Gelées, qui font eftimées & recherchées dans les autres Provinces. IX. Le Corrégiment de Tauyos commence à environ vingt lieues de Lima vers le Sud-Eft I comprend partie de la premiere & feconde branche des Montagnes de la Cordillere, & le climat en eft inégal. Sa Ju- risdiétion dans fa plus grande longueur a plus de trente lieues d’étendue. On y recueille du Froment, de l'Orge, du Maïz, & autres Grains, ainfi: que les Fruits ordinaires dans ces Pays. Ses champs font toujours cou- verts d'herbes où vont paître le gros & le menu Bétail, qui font le prin- cipal article de fon Commerce, & que l'on méne vendre à Lima. X. La Jurisdiétion du Corrégiment de Caxa- Tambo commence à 35 lieues au Nord de Lima. Sa plus grande étendue eft d'environ vingt lieues, dont une partie eft fituée dans les Montagnes. Tout fon territoi-- reeft fertileen Grains. Il y a aufi des Minieres d'argent, mais peu abon- dantes , avec quelques Fabriques de Bayétes établies par.les Indiens: ces fabriques font partie du Commerce de cette Sénéchauflée.. XI. Le Corrégiment de Tarma eft un dès plus confidérables de tout le Diocéfe de cét Archevêché: Sa Jurisdiétion commence à quarante lieues : de Limaau Nord-Eft, & confine à l'Orient aux Indiens Sauvages ou Gen- tils nommés dans le Pays Maran-Cochas ,lefquels infultent fouvent les ha- bitans de cettéfrontiere. Cette Provinceeft fertile en Froment, Orge, & Maïz dans fa partie tempéréc ; dans la partie froide. elle nourrit quanti- té de gros &.de menu Bétail. Elle a de riches Mines. d’argent auxquelles on travaille, ce qui rend le Pays riche à proportion.. Outre. ces fources : décomimerceelle a des Fabriques de Bayétes & autres grofles étoffes, qui occupent une-bonne partie du grand nombre d’Indiens qu’il y a dans cet- te Province: XIL.. Le Corrégiment de Fauxa commence à quarante lieues à l'E de Lima. Son étendue eft du même nombre de lieues. Il occupe les: vaftes Vallées & Plaines qui fe trouvent Entré les deux Cordilleres Orien- tale & Occidentale des Andes. Il eft traverfé par la Riviere aufi appel- lée Fauxa ; qui prend fa fource dans le Lac Chiçay-Cocba , qui eft dans la. Province de Turma, & forme un des bras du Maragnon. Toute la Juris- dic- VOYAGE AU PEROU:Liv. L Cn/XL 495 diétion de cette Sénéchauflée eff divifée en deux parties par la Riviere mé- me. Elle eft remplie de belles Bourgadesbien peuplées d’E/pagnols , de Métifr & d’Indiens. Son terroir eft fertile en Grains &en Fruits; &fon commer- ce confidérable ; à caufe que c’eft la grande route pour aller dans les Provinces de Cuzco, de la Paz & dela Plata, & les autres Contrées méri- dionales que l’on appelle ici Tierra de Arriba, Provinces d'en haut ou hautes Provinces. Elle confine, comme la précédente, aux Indiens fauvages de-l4 Montagne, parmi lesquels les Religieux de l'Ordre de Sr. François ont commencé à établir des Mifions, dont la prémiere eft dans le Bourg d’O- copa. Il y a dans la Sénéchauffée de Fauxa quelques Mines d'argent qui contribuent à enrichir cette Province. XIIL Le Corrégiment de Conchucos commence à quarante lieues de Li- ma vers le Nord-Nord-Eft, & s'étend par le centre des Montagnes, d’où vient que le climat y eft inégal à proportion de la diverfité de la fituation des lieux. Le Pays abonde en Grains & en Fruits. Le terroir moins pro- pre aux femences, nourrit quantité de Beftiaux. Il y a dans cette Juris- diétion beaucoup de Tifférands & de Drapiers Indiens qui font des Bayétes, des Droguets de laine & autres Draps grofliers, dont ce Pays fait un bon Commerce avec les autres Provinces. XIV. Le Corrégiment de Guaylas occupe comme le précédent le cen- tre des Montagnes, & commence à cinquante lieues de Lima, & s'étend vers le même côté. Sa Jurisdiétion eft aflez étendue, & le terroir a les mêmes propriétés que le précédent. On y nourrit quantité de Beftiaux, qui font la plus grande partie du commerce que ce Corrégiment fait avec les autres Provinces. XV. Le Corrégiment de Guamalies eft le dernier de l'Archevêché de Lima. Sa fituation eft auffi dans le centre des Cordilleres, & le climat n’y cft pas moins inégal. Sa Jurisdiétion commence à 80 lieues de Lima vers le Nord-Eft. Le froid y eft plus ordinaire que le chaud, c’eft pourquoi aufli le terroir en eft peu fertile dans l’efpace de plus de quarante lieues qu’il renferme. Les Indiens qui habitent dans les Bourgades de fa Juris- diétion s'appliquent aux Métiers de Tifferands , de Cardeurs & de Drapiers, fabriquant des Bayétes, & des Serges, que l’on vend dans les Provinces où il n’y a pas de telles fabriqués. Tous ces Corrégimens, ou Provinces, de-même que ceux qui fe troû- vent dans les Diocéfes de l’Audience Royale de Lima, & des Evêchés de celle de Charcas, font remplis de Peuplades, Bourgs, Villages & Ha- Rrr 2 ineaux ; ee V0 X AG EAU PEROU. meaux, habités par descÆ/pagnols,. dés Mérifs, & des Indiens. Ces der: niers font en quelques endroits moins nombreux que les précédens,, & dans quelques autres c’eft tout le contraire. Comme le lieu où le Corrégi- dor fait fa réfidence ; lequel eft appellé à caufe de celà Z4 Capital del Cor- regimiento, la Capitale. de la Province, ou Sénéchauffée, eft fouvent fort éloigné des extrémités du Pays de fa Jurisdiétion, & que par conféquent il ne peut veiller de fi loin au maintien de la Police & de la Juftice, on a jugé à propos de fubdivifer.ces Provinces en divers départemens , chacun de trois à quatre peuplades;, plus ou moins felon leur grandeur & leur dis- tance de l’une à l’autre. Dans chacun de ces départemens il:y a un Sub- délégué du Corrégidor. . Les grandes Peuplades ont ordinairement chacune leur Curé particulier pour la direction des âmes., Quand les lieux font petits, on en. joint deux, trois, ou même davantage fous un même Curé. Quand ils font trop éloignés, ce Curé les fait diriger par fes fecondaires. Au- refte les Curés font ou Séculiers, ou Réguliers, felon le droit que chacune de ces deux claffes a. acquis fur la Cure, pour avoir. été employés à la réduétion & à la converfion des Indiens dans le tems de la Conquête. Paflons main: tenant aux Corrégimens des Evéchés.. SRI en se RASE HR NA EN DCRUAL RE ob Ki AXIL Où l'on traite des Corrégimens contenus dans les Diocéles de Truxillo, Gua+ manga, Cuzco {5 Arequipa. Trux1iLLo. Premier Evêché de l’Audience-Royale de Lima. U Nord de l'Archevêché de Lima eft l'Evêché de Truxillo, dont le Diocéfe de ce côté-là eff’ le terme où finit la Jurisdiétion de l’Au- dience de Lima & de la Viceroyauté dù. Pérou. Il s'étend même au-de- là, puisqu'il comprend le Gouvernement de Ÿaën de Bracamoros , qui tou: che , comme on Pa déjà dit dans la I. Partie, à la Province & Audience de Quito. Aïnfi laiffant ce Gouvernement à part, nous ne parlerons que des fept Corrégimens de cet Evêché appartenant à l'Audience & au Gou- vernement du Pérou. Cor- VOYAGE AU PEROU, Liv. L Cut, XIL Soi Corrégimens de l'Evêché de Truvi/o. ++ I. Truxill. IL. Sagna. V. Chachapoyas. III. Piura. VI. Liulla € Chillaos. IV. Caxamarca. VIL Pataz où Caxamarquilla. I. II. II. Il a déjà été fait fuffifamment mention des trois Corrégimens de Truxillo, de Sagna & de Piura aux Chapitres I. & H. Refte à parler des quatre autres. IV. Caxamarca eft fitué à l'Orient de Truxillo. Sa Jurisdiétion s'étend fort loin par l’efpace que laïflent entre elles les deux Cordilleres des Andes. Le terroir eft fertile en Grains, Fruits, & Légumes, & nourrit du gros & du menu Bétail , mais principalement il abonde en Haras. Les Proprié- taires des champs des vallées s’y viennent pourvoir de chevaux &.de mu- les, qu’ils engraiffent avec du Maïz, & revendent enfuite dans les gran- des Villes. C’eft anfi qu’on en ufe dans la Vallée de Chancay & autres, d’où l’on envoye ces animaux à Lima, Truxillo&c. Les Indiens de toute cette Jurisdiétion font T'ifferands , & font beaucoupde toiles de coton pour des voiles de Navire, pour des pavillons & des couvertures de lit & autres femblables ouvrages, dont on fait.un bon débit cans les Villes, & c’eft un des meilleurs articles de fon commerce. Il y a aufli quelques Mines d'argent, mais de peu de conféquence. V. Vers le même côté, mais plus à l'Orient, eft le Corrégiment de Cha- chapoyas. Le climat y eft chaud, parce que ce Pays étant fitué hors des Cordilleres & à l’orient de ces Montagnes, eft fort bas. Son étendue eft confidérable, mais-la plus grande partie eft un Défert. Les Fruits font proportionnés à fa température.. Les Indiens s'y occupent aufli à faire des Toiles de. coton, principalement pour des tapifferies & autres meubles, qui font un fort bel effet à la vue par la finefle des couleurs qu'ils mêlent dans le tiflu de leurs ouvrages, en quoi ils font fort habiles. Cet article, à quoi il faut ajoûter les Canevas qu’ils fabriquent pour les voiles de Na- vire, fait le fond du commerce qu’ils entretiennent avec quelques autres Provinces où leurs ouvrages font recherchés. VI. A l'extrémité méridionale du. Corrégiment de Chachapoyas, & à lorient de la Cordillere des Andes on trouve le Corrégiment de Llulla & Chillaos, où le climat.eft chaud & humide, parce que le terrain eft bas; Er: 9 de- 502 Y OY AG EAU PUE K OU de-là vient auffi qu’il y a beaucoup de Forêts, ce qui rend une grande par- tie de cette Jurisdiétion inhabitée. Au-refte elle confine à la Riviere de Moyobamba , qui commençant à couler de ces Provinces méridionales du Pérou forme le Fleuve de Marannon , comme il a été dit dans la premiere Partie. La principale Denrée de ce Diftriét c’eft le Tabac, à quoi il faut ajoûter les Amandes connues fous le nom des Andes, & quelques au- tres Fruits qui font le fond du commerce de cette Contrée avec celles des environs. : VII. Le Corrégiment de Patas, ou de Caxamarquilla, eft le dernier de ce Diocéfe. Son terroir eft diverfement fitué, & le climat y eft diffé- rent, ainfi que les Fruits, par la même raifon. Le Pays produit de l'Or, & le principal commerce confifte à troquer ce métal contre de la mon- noye courante, furtout pour des efpéces d'argent, qui y font plus efti- mées que l'or, pour être plusrares. II. Evêché de l’Audience de Lima. Guamanga. La Ville de Guamanga, où eft le Siége Epifcopal, fut fondée par Don Francifco Pigarro en 1539 dans le même lieu où fe trouvoit un Village d'Indiens qui avoit le même nom. Les E/pagnols en bâtiflant la Ville Jui donnerent celui de Saint Fean de la Viétoire, en mémoire de la retrai- ce de Inca Manco, qui n’ayant ofé accepter la bataille que Pizarre lui préfentoit, abandonna la campagne & fe retira dans les Montagnes. Cet- te Ville fut fondée dans la vue de faciliter je commerce entre Lima & Cuxco: car dans cette vafte étendue de cheinin li n’y avoit aucune au- ire Ville, ce qui expofoit les Voyageurs aux courfes des ndiens de l'Ar- mée de Manco. Ce fut cette raifon qui fit choifir le lieu où étoit le Vil- lage en queftion; lieu incommode pour les befoins de la vie, étant pro- che de la Cordillere des Andes. Mais auffitôt qu’on eut exterminé le par- ti de l’Inca Manco, & que la guerre fut finie avec ce Prince, on chan- gea la fituation de la Ville, & on la bâtit dans l'emplacement où elle eft aujourd’hui. Sa Jurisdiétion, telle qu’elle fut réglée dés fa fondation, commençoit où finit le Corrégiment de Fauxa, & s’étendoit jufqu’au pont de Vilcas. A-préfent elle a pour bornes les Provinces qui l'environnent, & elle renferme le Bourg ou Bailliage d’Anco, qui n’eft qu’à trois lieues de k Ville. Celle-ci eft fituée fur le panchant de quelques collines, qui s’é- ten: OYAGE AU PEROU. Liv. T.'Cn XIL oz tendant vers le Sud enferment une plaine qui eft à l'Orient de la Ville, Une Riviere qui prend fa fource dans ces collines traverfe la même plai- ne; ce qui n'empêche pas que la Ville ne fouffre quelque difette d’eau, étant fituée dans un terrain plus élevé que celui de la plaine; de maniere que les habitans n’ont d’autre reflource que quelques petites Fontaïnes qu’elle renferme dans fon enceinte. On compte parmi les Citoyens de Guamanga environ vingt Familles de Nobles, qui occupent le centre de cette Ville, dont les maifons font la plupart hautes, bâties de pierres, bien travaillées, & généralement couvertes de tuiles. L'efpace qu'elles occupent ne fe borne pas aux appartemens pour loger les propriétaires à leur aife, mais leur offre un terrain fuffifant pour des wergers& des jardins, difficiles à entretenir à caufe de la difette d'eau. Les grands Fauxbourgs habités par les Indiens, dont la Ville eft environnée , ajoûtent beaucoup à fa grandeur: les maifons de ceux-ci, quoique baffes, font aufli bâties de pierres, & couvertes de tuiles, ce qui rend la Ville fort agréable à voir: Au-refte cette façon de bâtir.eft généralement ufitée dans les lieux éloi- gnés des côtes. L’Eglife Cathédrale eft bien ornée. Son Chapitre eft compofé outre l'Evêque, d’un Doyen, d'un Archidiacre, d'un Chantre, de deux Cha- noines dont les Canonicats s’obtiennent par concours, de deux Prében- diers,.& d’un Pénitencier. Il:y a un Séminaire pour le fervice de l'Eglife fous lé nom'de St. Chriftoval. L'Eglife de ce Séminaire eft la Paroifle des Efpagnols, & l'Eglife de Ste. Anne la Paroïfle des Indiens, qui a pour: Succurfales les ChapelleS de] Carmen vulgairement Carmenca, de Bélen, de San Sebaftian, & San Juan Baptifla. La Paroiïfle de la. Madeleine, compo- fée auffi d’ Indiens, eft deffervie par les Dominicains, dont l’un a le titre de: Curé. Enfin il y a une Univerfité avec les revenus néceffaires pour des Profeffeurs en Philofophie, Théologie & Jurisprudence. Cette Univerfi-- té jouit des mêmes prérogatives que celle de Lima, étant aufli de fonda-- tion Royale. Le Magiftrat ou Cubildo Secular de cette Ville eft compofé des Nobles, & a pour Préfident le Corrégidor. ‘Tous les ans on élit par- mi les Régidors lés Alcaldes qui doivent veiller à la police & au bon ordre. Outre les Paroifles il y a encore dans l’enceinte de cette Ville les Cou- vens de Si: Dominique, des Cordeliers, de la Merci, de St. Augujtin, de St. Juan de Dios, .un Collége de Féfuites, & un Hofpice de Sr. François de Paule, les Religieufes de Ste, Claire & celles dE] Carmen & une Com- munauté de Dévotes. Les sO4 VO Y'A!G LAND PE R O U. Les Corrégimens compris dans le Diocéfe de Guamanga, font: TJ. Guamanga. II. Guanta. VI. Angaraës, III. V’ilcas-Guaman. VII Cafiro-Virreyna. IV. Andaguaylas. VIIL. Prima-Cocha. V. Guanca-Bélica. IX. Lucanas. L Le Corrégiment de Guamanga jouit d’un bon climat dans toute fon étendue, auffi eft-il bien peuplé, & fertile en Grains, Fruits & autres denrées, fans compter les Troupeaux, qui font partie de fon commer- ce; l’autre partie confifte en Cuirs & dans les Semelles de fouliers qui y font coupées & préparées, outre les Confitures en conferves & en ge- kées que l'on tranfporte dans les autres Provinces. II. La Jurisdiétion du Corrégiment de Guanta eft à l'Ouëft-Nord-Ouëft de Guamanga, & commence à un peu plus de quatre lieues de cette Vil- le. Ils’étend à plus de 25. ou 30 lieues au long. L’air y eft bon prefque par-tout, & le terroir abondant en Grains & en Fruits. Il y a des Mines d'argent, qui autrefois rapportoient beaucoup, mais qui préfentement font extrêmement déchues. La Riviere de Fauxa forme, dans l'endroit où elle commence à porter le nom de Tayacaxa, une Ile où croît en a- bondance la Coca, dont nous avons parlé dans la L Partie de cet Ouvrage. Cette Herbe & le Plomb que l’on tire des Mines de ce métal qui font dans cette Jurisdiétion, font les principales branches de fon commerce a- vec les autres Provinces, à quoi il faut ajoûter les Denrées qu’elle four- nit pour la nourriture ordinaire des habitans de Guamanga. III. Au Sud-Eft de Guamanga à fix ou fept lieues de cette Ville commen- ce le Corrégiment de Vilcas Guaman, quia plus de trente lieues d’étendue. L'air y eft tempéré, & le terroir produit quantité de Grains, Fruits, & nourrit beaucoup de Bétail gros & menu. Les Zndiens qui habitent les Vil- lages de ce Corrégiment s’occupent à fabriquer des Bayétes, des Cordellats & autres étoffes de laine que l’on tranfporte a Cuzco au Potofi, & end’autres Provinces. Ce commerce eft pénible à-caufe de la grande diftance des lieux. On trouve dans cette Jurisdiétion une Forterefle des anciens Zn- diens, en la maniere décrite dans la I. Partie au fujet de celle qui eft près du Village de Cannar. Le Bourg même de V’ilcas-Guaïnan en avoit une VOYAGE AU PEROU, Liv. L CBIL" os ) une autre fort fameufe, qui a été ruinée pour bâtir l'Eglife de fes débris. IV. A l'Orient de Guamanga, en tirant un peu vers le Sud, on trouve le Corrégiment d'Andaguaylas, dont la Jurisdiétion s’étend vers l'Orient par l'efpace que laiffent entre eux deux rameaux de Montagnes de la Cordillere à un peu plus de vingt lieues. Son terroir arrofé de quelques pe- tites Rivieres, eneftrendu extrêmement fertile. L'air y eften partie chaud &en partietempéré. Les terres y produifent, à proportion de l’arrofement qu’elles reçoivent , des Cannes de Sucre, du Maïz, du Froment, & autres denrées en abondance. Le Pays eft un des plus peuplés de ces Contrées. Les Familles Noblesde Guamanga y ont des Haciendas , qui produifent con- fidérablement de Sucre. V. Le Gouvernement de Guanca- Bélica commence 2 trente lieues au Nord de Guamanga. La Ville de Guanca-Bélica fut fondée à l’occafion de la fameufe & riche Mine de vif-argent qui eft dans le voifinage. Ellene fubfifte que de l'exploitation de cette Mine; car d’ailleurs l'air y eft fi ru- de que la terre n’y produit rien, & il faut tout tirer du dehors. Ilya dans cette Ville une Fontaine dont l’eau eft pétrifiante, & les habitans em- ployent les pierres.qu’elle produit à bâtir leurs maifons & autres ouvrages. Les Mines de vif-argent qu’on exploite en ce lieu-là , fontles feules dont on tire celui qu’on employe dans les Mines d'argent du Pérou. Et malgré la quantité qu’elles en fourniffent aétuellement & qu'elles en ont fourni, on ne s’apperçoit pas qu’elles diminuent. Elles furent découvertes felon quelques-uns en 1556 par un Portugais nommé Enrique Garcès, qui ren- contra par hazard en ce lieu un Indien avec quelques pierres de Cinabre, que les Indiens appelloient Llimpi, & dont ils fe fervoient pour fe peindre lé vifage. D’autres, tels qu’Acofta, de Laëtt, & Efcalona, prétendent que la Mine de Guanca-Bélica fut découverte par un Indien nommé Navincopa, domeftique d’Amador Cabrera, & qu'avant l'an. 1564 Pedro Contréras & Enrique Garcés en avoïent découvert une à Pataz. Mais quoi qu'il en foit la Mine de Guanca'- Bélica eft celle qu’on a toujours exploitée, & le mer- cure n’a été mis en ufage pour raffembler l'argent des minerais qu'en 1571 par Pedro Fernandez Vélafco. Les Rois d’Efpagne fe font réfervés & ap- propriés cette Mine dès le tems de fa découverte. . Autrefois la Ville de Guanca-Bélica étoit gouvernée par un des Auditeurs de l’Audience de Li- ma avec titre de Surintendant ; au bout de cinq ans un autre Auditeur ve- noit relever celui qui étoit en place, au bout de ce tems un autre relevoit celui-ci, & .ainfi tour à tour de cing en cinq ans. Mais en 1735 le Roi Tome I. DS 8 Phi- 06 VOLE EUAU PE RO. Philippe F. jugea à-propos d'envoyer un Gouverneur particulier avec le méme titre dé Sürintendanit de cette Mine, & jetta les yeux für un fujet bien au fait de la maniere dont il faut exploiter ce métal, s'en étant in- ftruit aux Mines d'A/maden où il avoit été longtems. Le nouveau Gou: verneur a fi bien rempli les vues du Monarque, qu’on ne doute pas qu’en fuivant la méthode qu'il a établie ; la Mine ne fubfifte beaucoup plus longtems & avec moïns de fraix. Le vif-argent qu’on tiré de cette Mine fe vend en partie fur les lieux aux Exploiteurs des Mines d'argent, & le refte eft envoyé aux Caifles Royales de tout le Pérou, pour que ceux qui exploitent des Mines éloignées puiffent s’en pourvoir plus commodément. VI. Le Corrégiment d'Angaraës eft dépendant du Gouvernement de Guanca-Bélica, fa Jurisdiétion commence à environ vingt lieues de la Ci- té de Guamanca vers l'Ouëft-Nord-Ouëft. L'air y eft bon & le terroir fertile en Froment, Maïz & autres Grains & Fruits, & nourrit beau- coup de gros & de ménu Bétail. VII. Le Corrégiment de Caftro-Virreyna eft à l'Occident de Guamanga, & a plus de trente lieues d'étendue. Le terroir y eft fertile, quoique de différente nature.. Dans les Bruyeres , qui font les lieux les plus froids, il y à beaucoup de ce Bétail que les Gens du Paÿs nomment Vicunnas, dont la laine fait la meilieure partie du commerce de cette Contrée. Cet animal étoit autrefois commun dans les Pays de Fauxa, de Guanuco & de Chiquiabo: mais depuis la conquête chacun s'étant mêlé de leur donner la chaffe pour en avoir la laine, ils font devenus fi rares qu’on ne les trouve plus que fur les Montagnes, où il eft bien difficile de les joindre. _ VII. A environ vingt lieues de la Ville de Guamanga vers le Sud on entre dans le Corrégiment de Parina-Cocha, dont la Jurisdiétion a 25 lieues détendue. On y nourrit quelques Troupeaux, & on y recueille des Fruits & des Grains en abondance. Il y a auffi plufieurs Mines d’or & d'argent plus abondantes aujourd’hui que jamais; & ce font ces deux précieux Métaux qui font la principale branche de fon commerce aétif ; quant au commerce pañlif il eft fur le même pied que celui du Corrégi- ment dont nous allons parler. IX. A vingt-cinq à trente lieues de Guamanga entre l'Occident & le Sud, eft le Corrégiment de Lucanas; le climat y eft froid ou tempéré. On y recueille äbondamment des Fruits & des Grains, & il s’y nourrit de grands Troupeaux de Bétail gros & menu. Ce Pays eft très-abandant en Mines d’argent fi riches, qu’on les compte parmi celles Qui contribuent le plus VOYAGE AU PEROU. Liv. L Ca XII. 07 plus aux richeffes du Pérou: de-la vient que le commerce qui s’y fait eft des plus confidérables ; car il s’y rend un grand nombre de Commerçans a- vec des Marchandifes; d’autres y apportent des Denrées que ce Pays ne produit point, & ils prennent en échange de l'argent en barre & en pignes. III. Diocéfe de l' Audience de Lima. Cuxco. La Ville du Cuzco eft la plus ancienne de toutes les Villes du Pérou, FI: le fut fondée en même-tems que le vafte Empire des Zncas par Manco- Capac, premier Empereur de cette Monarchie. Il la peupla des premiers Indiens qui fe rangerent volontairement fous fon obéiffance, & la divifa en deux parties, appellées Hanam-Cozco & Hurin-Coxzco, c’eft-à-dire, en Haut- & Bas-Cuzco. Celui-là fut peuplé des Zndiens que Manco-Capac avoit attirés à foi, & celui-ci de ceux que fon Epoufe Mama-Oëllo avoit réduits & raffemblés des champs où ils vivoient répandus çà & là. Le Haut-Cuz: co eff la partie feptentrionale de la Ville, & le Bas - Buxco en eft la partie méridionale. Les maifons au commencement étoient petites & femblables à des cabanes, mais à mefure que l'Empire s’agrandifloit, la Ville s’éten- doit & s’embellifloit; de maniere que quand les E/pagnols pénétrerent jus: ques-là, ils ne furent pas peu furpris de trouver une Cité de cette impor- tance. Ils admiroient la fomptuofité des Temples du Soleil, la magnifi- cence des Palais des Incas, & cet air de grandeur qui annonce une Ville digne d’être la réfidence d’un puiffant Monarque & la Capitale d’un grand Empire. Don Francisco Pixarro y entra au mois d'O&obre de lan 1534, & en prit pofleffion au nom de Charles-Quint, Empereur & Roi d'E/pagne. Bientôt après lInca Manco en vint faire le fiége, & la réduifit prefque toute en cendres, fans pouvoir néanmoins venir à bout d’en chafler entié- rement les E/pagnols, quoiqu'il eût imaginé ce moyen comme le feul pro- pre à forcer à fe retirer une poignée d'hommes dont toutes les forces de fa formidable Armée n’avoient pu, dans diverfes batailles ni durant le cours d’un long fiége, laffer la conftance ni abattre le courage. Cette Ville eft fituée dans un terrain fort inégal, & fu le panchant de plu fieurs collines, dont le voifinage ne fouvoit offrir d'emplacement plus com- mode. On voit encore fur une de ces collines au Nord de la Ville les ruines- de la fameufe Fortereffe que les Incas avoient fait bâtir pour la défenfe dela Place. Ces ruines font juger qe ces Princes avoiént eu deflein d’enfermer Cette hauteur d’un grand murtaluté, pour fermer le paflage à l'Ennemi qui DSS 2 vou» fe VOYAIË SC STE RON. voudroit pénétrer jufqu’à la Ville, & afin de faciliter la défenfe de ceux du dedans en augmentant la difficulté de la montée aux Ennemis du dehors, qui n’auroient pas eu peu à faire à efcalader une fi haute muraille. Ce rempart étoit tout de pierres bien travaillées, comme dans tous les:ou- vrages des Jncas, dont il a été parlé dans la premiere Partie; mais il étoit encore plus remarquable par là grandeur des pierres, qui font de différen- te figure & groffeur. Celles qui font la principale partie du mur, font fi grandes qu’il n’eft pas aifé de comprendre comment des hommes ont pu, fans le fecours d'aucune machine, les amener des carrieres d’où on les tiroit jufqu’au lieu où elles font. Dans les creux que forment les ir- régularités de ces grandes pierres, on en à. introduit de petites fi bien quftées, & liées enfemble, qu'on ne peut les appercevoir que par une at- tention particuliere. Il y a une de ces grandes pierres couchée à terre & qui paroît n’avoir pas été employée, laquelle eft d’une groffeur fi prodi- gieufe qu’on ne peut concevoir par quelk moyen ils ont pu la charrier jus- ques-là. Cette Pierre eft vulgairement nommée 4 Canfada *, par allufion apparemment à fa prodigieufe groffeur, & à la peine qu’on a eue à l’ame- ner en cet endroit. Les ouvrages intérieurs de la Forterefle, c’eft-à-dire les logemens; font en partie détruits & ruinés , mais ceux du dehors exis- tent encore. Cuzco eft une Ville grande à peu près comme Lima. Au Nord & à l'Occident elle eft environnée de collines qui forment un arc auquel ils donnent le nom de Senca. Au Sud-Eft elle a une plaine, où aboutifient plufieurs allées fort agréables. La plupart des maifons font bâties de pier- res & couvertes de tuiles fort rouges, qui font.un joli effet. Les apparte- mens en font bien diftribués', les moulures des portes font dorées, & les autres ornemens ainfi que les meubles répondent à cette magnificence. L’Eglife Cathédrale reffemble beaucoup à celle de Lima, tant par rapport a la grandeur, qu’à. l'égard de la difpofition & de l'ordonnance. Celle de Lima eft peut-être plus grande, mais en revanche celle-ci eft toute de pierres & d’un meilleur goût d’Architeéture. La Chapelle du Sagrario, fous le titre de Nueftra Sennora del Triunfo, eft deflervie par, trois Curés, lun defquels en particulier eft pour les Indiens de cette Paroïfle, & les autres deux pour les Æ/pagnols. Au-refte cette Chapelle a été dédiée à Notre Dame, parce que ce fut-là que les E/pagnols fe retirerent lors du fié- ge que Mancça mit devant la Place, laquelle il brula presqu’entierement, fans * La Fatiguée, VOYAGE AU PEROU.-Liv. L Cu..XIL sog fans que les flammes pénétraflent à ll’endroit où étoient les E/pagnois, ce que ceux-ci attribuerent au puiflant flécours de la Sainte Vierge. Outre ces Paroiffes, il y en a encore huit, favoir: I. Bélen. V. San Blas. Il L'Eglife de l'Hôtel-Dieu. VI San Chriftoval, IL. Santa Anna. VII San Sebaftian. IV. Santiago. VIIL. San Gerouymo. Ces deux dernieres, quoiqu'éloignées l’une d’une lieue, l'autre de deux; ne laiflent pas d’être Paroïfles de la Ville. Le Couvent des Dominicains de Ciuxco a pour murailles principales cel- les du Temple du Soleil, & le Saint Sacrement eft placé au même endroit où les Zndiens avoient mis la figure d'or de cet Aftre. Ily a un Couvent de Francifcains, de qui dépendent tous les autres Couvens dumême Ordre dans la Province, un d’ÆAugufiins & un de la Merci, qui jouiffent de la même prérogative. Il ÿ a aufli un Collége des P. P. de la Compagnie de 7e- fus. Les Couvens de St. Ÿean de Dios & des Bethléémites font des Hôpi- aux: ce dernier eft deftiné en particulier pour les Indiens malades, qui y font traités avec toute la charité & tout le foin poflible. Les Monafté- res des Religieufes font, Ste. Claire, Ste. Catherine , les Carmélites, & une Communauté de Dévotes nommées Nagaréennes. Le Corrégidor eft le Chef de la Régence de la Ville; il a fous lui les Régidors qui font tirés de la premiere Nobleffe. C’eft du Corps des Régi- dors qu'on élit tous les ans les Alcaldes ordinaires, comme il fe pratique généralement dans toutes les Villes des Jndes de la domination Æ/pagnoe. Le Chapitre eft compofé outre l'Evêque de cinq Dignitaires, favoir d’un Doyen, d'un Archidiacre, d'un Chantre, d’un Ecolâtre, & d’un Tréfo- rier: il y à deux Chanoïnes qui obtiennent leurs Canonicats par oppofition , Magiftral, & Pénitencier,, deux autres de Préfentation, & deux Prében- diers. Il y a trois Colléges pour l'étude des Sciences : l’un fous le nom de St. Antoine, où il y a des chaires fondées pour enfeigner le Latin, la Philofophie, & la Théologie aux Séminariftes qui afliftent au fervice de lEglife Cathédrale: l’autre fous le.nom de Sf. "Bernard, où les P. P. de la Compagnie régentent & enfeignent les Humanités à ce qu’il y a de plus dis- tngué parmi les jeunes-gens de la Ville: & le troifiéme fous le nom de St, François de Borgia, appartenant auffi aux Ÿéfuites , & deftiné à l’éduca- tion des jeunes Jndiens enfans des Caciques. Dans les deux premiers on confere tous les Degrés jufqu’au Fe ayant été Crigés en ii SS 2 aT- d ÿ 10 VO FEG'EÉS AM PEROU. Parmi les Tribunaux il y en a un pour les Droits Royaux, compofé dé deux Juges Officiers des Finances du Roï : un Commiflariat de l’Inquifition compofé des Commiflaires & Officiers fubalternes , & un autre Commif- fariat de la Croilade ; comme dans les autres grandes Villes dont nous avons fait mention. Autrefois la Ville de Cuzco étoit peuplée d’une gran- de quantité d’E/pagnols, parmi lesquels on comptoit diverfes familles no- bles , mais le nombre en eft fort diminué à l’heure qu’il eft. Corrégimens de ? Evéché de Cuzco. I. Cuxco. VII. Canas E Chanches ou Tinta. IT. Quispicanchi. IX. Aymaraës. TITI Avancay. X. Chumbi-Wilcas. IV. Paucartambo. XI. Lampa. V. Calcaylares. XIL . Carabaya. VI. Chilques, € Masques. XII. Afangaro € fil. VIT. Cotabamba. XIV. Apolo-bamba. :1. La Jurisdiétion du: Corrégiment .de Cuzco s'étend à deux lieues aux environs. L’air.y eft tempéré, excepté fur quelques Montagnes où il fait plus froid que chaud, & ou l’on éléve des Troupeaux , tandis que dans les lieux bas il croît du Grain & des Fruits en abondance. II. Le Corrégiment de Quispicanchi commence prefque aux portes de la Ville de Cuzco du côté du Sud, & s’étend d'Orient à l'Occident un peu plus de vingt lieues. * Les terres de cette Jurisdiétion f6nt des poffeflions des Familles Nobles de Cuzco; on y recueille du Froment ,du Maïz & au- tres denrées; & l’on y fabrique des Bayÿéres & des Droguets de laine. Une partie de ce Corrégiment confine aux Forêts habitées par les Indios Brabos ou Sauvages; & c’eft dans cètte partie que l’on recueille beaucoup de Coca, herbe qui fait un des principaux articles du commerce du Pays. ‘III. A-quatre lieues au Nord-Eft de Cuzco commence le Corrégi- ment d'Avancay, qui a plus de 30 lieues d’étendue. La température du l'air y eft différente felon la différente fituation des lieux:-en général il eft plus chaud que tempéré: là où la chaleur fe fait plus fentir l'on voit de vaftes Plantations de Cannes douces, dont on tire des Sucres d’une qua- hté fupérieure. . Les endroits moins chauds produifent abondamment de Froment, du Maïz &autres denrées, qui fe débitent à Cuxça. C’eft dans Cct- VOYAGE AO RRNOUS EN LE En, XII +11 eette Jurisdiétion que fe trouve la Vallée appellée Xaquijaguana, & par corruption Xajaguana, où fe donna ice fameux combat où Gonzalo Pixar- o * fut défait & fait prifonnier par le Préfident Pedro de la Gafca. IV. Le commencement de la Jurisdiétion du Corrégiment de. Paucar- tambo eft à huit lieues à l'Orient de Cuzco. Elle eft d’une aflez grande étendue, & le terroir produifoit du tems des Jncas plus de Coca qu’au- cun autre, -mais cela eft fort diminué aujourd’hui, cette Herbe étant cul- tivée en diverfes autres Provinces qui fe font emparées de ce commerce, Du-refte il produit aflez d’autres Denrées. V. À quatre lieues à l'Occident de Cuzco on entre dans la Jurisdiction du Calcaylares, qui l'emporte fur toutes les autres Provinces par la dou- ceur de fon climat, ce qui rend le terroir extraordinairement fertile en toute forte de Grains & en Fruits délicats. Il y a des endroits que les habitans du Pays nomment Lures, qui étant plus expofés que les au- tres aux rayons du Soleil, produifoient autrefois beaucoup de Sucre; mais faute de gens pour les cultiver, cette denrée y eft aujourd’hui fi dimi- nuée qu’on en tire à peine 30000 arrobes, au-lieu de 60 à 8oooo qu'on en tiroit autrefois. Ce Sucre eft d’ailleurs excellent, & fans autre apprêt que celui qu’on lui donne communément fur les lieux; il eft aufi ferme & auffi blanc que celui qui fort des Rafineries d’ Europe. La diminution decet- te denrée a diminué le commerce de.cette Jurisdiétion, dont elle étoit la principale branche. VI. Le Corrégiment de Chilques & Majqués commence à 7 à 8 lieues au Sud-Ouëft de Cuzco, & s'étemd à-plus de 30 lieues. Le terroir y pro- duit des Grains & nourrit beaucoup de Beftiaux, & les Indiens y fabri- quent diverfes Etoffes de laine. VII. A vingt lieues au Sud-Ouëft de là même Ville on entre dans Le Corrégiment de Cotabamba, qui s'étend entre les deux Rivieres d’Arancay & d’Apurimac, à plus de trente lieues. L'air y eft divers felon la diffé- rente fituation des lieux. Le terroir nourrit beaucoup de gros & de me- nu * Gonfale Pizarre s’étoit fait donner la Viceroyauté du Pérou par l’Audience de Li. ma, & avoit défait & tué dans une bataïlle le véritable Viceroi Blafco Numnwz. Huit mois après, c’eft-à-dire la même année 1546, Pierre de la Gufa, envoyé par la Cour d’£lpa- gne pour remettre toutes chofes en ordre, arriva à Panams, où il fit publier une amnis- tie, & ayant raffemblé des forces il marcha contre Gonfale Pigarre, qui s'obftinoit dans fa defobéitfance ; il le vainquit dans cetite Vallée, le fit prifonnier, & lui fit trancher la tête, Ce Gaféa étoit Prêtre du Confeil Souverain de linquifiion. Not, du Trad, sr: VO TAG EAU PIE R O UV. nu Bétail, & là où le climat eft tempéré ou un peu chaud on recucille force Froment, Maïz, & Fruits. l'y a aufli beaucoup de Mines d’ar- gent & d’or; & autrefois on en tiroit quantité de ces métaux qui enri- chifloient le Pays, mais aujourd’hui on en tire beaucoup moins. VIII. La Jurisdiétion du Corrégiment de Canas & Canches, ou Tinta, commence à environ vingt lieues-au Sud de Cuxco, & s'étend tant du Nord au Midi, que de l'Eft à l'Ouëft, à vingt lieues de chaque côté. La Cordillere la divife en deux-parties ; l’une qui eft haute, & fituée dans ces Montagnes, s'appelle Canas; & l'autre qui eft bafle, fe nomme Canches. Celle-ci jouit d’un air tempéré , & produit toute forte de Grains; celle-là plus expofée au froid ne produit-guere que des Pâturages, où l'on nourrit quantité de Beftiaux ,-& l’on compte que dans les grandes Prairies qu! font entre les collines il paît tous les ans 25 à 30000 Mules qu'on y améne du Tucuman. On vend ces Mules à une Foire qui fe tient pour cela, & à laquelle ceux des autres Provinces de ce Diocéfe viennent acheter les Mules dont ils ont befoin, & s’il en refte-on les envoye vendre dans d’autres Provin- ces plus éloignées. Dans la Partie nommée Çanas il y a.une célébre Mi- ne d'argent connue {ous le nom de Condonoma. . IX. Le Corrégiment d’Aymaraës commence à quarante -lieues au Sud- Ouëft de Cuzco, & s'étend à trente lieues. Il produit beaucoup de Grains, de Sucre, nourrit force Troupeaux , & renferme des Mines d’or & d’ar- gent , qui étoient autrefois fort abondantes, mais qui rendent peu aujour- ‘d’hui faute de gens pour les exploiter. X. A l'Occident de Cuzco, à un peu plus de quarante lieues de cette Ville, commence la Jurisdiétion du Corrégiment de Chumbi-Vilcas, laquel- le s'étend à trente lieues ou environ. On y recueille beaucoup de Grains, . & on y nourrit quantité de Beftiaux. 1] y a auffi par-ci par-là quelques “Mines d'or & d’argent. XI. À trente lieues au Sud de la même Cité, on entre fur les Terres du Corrégiment de-Lampa, qui eft la Province principale parmi celles qui font comprifes fous le nom de Colluo. Le Pays eft mêlé de plaines & de collines, couvertes les unes & les autres d’abondans pâturages, où l'on voit toujours. paître un grand nombre de Troupeaux. Au-refte comme c’eft un climat froid, il n’y croît d’autres fruits que des Papas & des Qui- ñoas. ‘En revanche il ya des Mines d’argent , qui font en'bon état, & .qui rendent beaucoup. XII. Le Corrégiment de Caravaya commence à foixante lieues Sud-Eft de VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Ca. XIT. 513 de Cuxco, & a plus de cinquante lieues d'étendue. L'air y eft froid, ex- cepté dans quelques lieux bas & plus expofé:s au Soleil, dans lesquels on recueille quelque peu de Coca. À cela près ils abondent en Graïms, Fruits, Légumes, & Pâturages. Tout le Pays eft rempli de Mines d'or, & c'eft-là que font les fameux Lavoirs appellés Lavaderos de San F'uan del Oro, y Pablo Coya, de-même que celui qu'on nomme Monte de Ananeæ, qui eft à deux lieues du Bourg de Poto, où réfident les Officiers des Dieniers du Roi pour percevoir les Quints qui reviennent à Sa Majefté. Il y a une Riviere qui fépare cette Province des Zndiens Gentils qui habitenit dans les Montagnes. Cette Riviere charrie tant d’or avec foi, qu’en certains tems de l’année Îles Caciques, ou Chefs des Villages Zndiens, font partir quanti- té de leurs gens qu’ils envoyent par bandes fur les bords de la Riviere, pour amafñler l'or qui fe trouve parmi le fable & le gravier, jufqu’à ce qu'ils en ayent aflez pour payer le tribut qu’ils doivent au Roi. Ils ap- pellent cette efpéce de Corvée Chichina. Outre les Mines d’or, il y a encore beaucoup de Mines d’argent dans cette Province où Corrégiment, lesquelles font exploitées fort diligemment. En 1713 fur la Montagne ap- pellée Ucuntaya on découvrit une grande croute d'argent prefque maffif qui rendit plufieurs millions, mais qui fut bientôt épuifée, & cela fait es- pérer qu’on en trouvera encore de pareilles, qui rendront encore davan- tage. Entre autres Minieres d’or contenues dans cette Jurisdiétion, il yenatune fameufe nommée Æporoma qui eft fort abondante: l'or qu’on en tire a ving-trois carats d’aloi. XIII. A cinquante lieues au Sud de Cuzco on trouve le Corrégiment d'A/fangaro & Afilo, où l'air eft froid, & le terroir ne produit que des Pâ- turages, dans lesquels on nourrit de nombreux Troupeaux qui font le prin- cipal commerce de cette Contrée.. Au Nord-Eft il ya quelques Mines d'argent affez négligées. Les Racines propres aux climats froids vien- nent en abondanee dans ce terroir, telles font les Papas, la Quinoa, la Cannagua ; jes habitans fe fervent de ces deux dernieres pour faire de la Chicha, de la même façon qu’on la faït avec le Maïz. Ce Corrégiment eft du reflort de l’Audience de Charcas. XIV. À foixante lieues de Cuzco fur les frontieres des Moxos, qui font des Miffions des Féfuites, on trouve celles qui appartiennent à l'Ordre de St. François. Ces dernieres confiftent en fept Villages d’Indiens de diver- fes Nations nouvellement convertis, & qui s'étant foumis à la Foi Chré- tienne ont renoncé à leur vie fauvage. Pour donner plus d'autorité aux Tome I. Ttt Mis- ré © V O Ÿ'A;G ENAMU PIE R OU: Mifionaires, les faire refpeéter & les défendre contre les entreprifes des Indiens idolâtres, il y a-là un Maeftre de Campo, qui eft Magiftrat & Of- ficier,commandant les Milices formées des habitans mêmes de ces Villages. IV. Evéché de | Audience de Lima. AREQUIPA. La Ville d’Aréquipa fut fondée dans un lieu qui portoit déja ce nom. Ce futle fameux François Pixarre qui fit jetter les premiers fondemens de cette Cité. Dans la fuite cette fituation n’ayant pas paru aflez avan- tageufe aux habitans, ils choifirent un autre emplacement dans la Vallée de Quilca à vingt lieues de la Mer. Maita-Capac, IV. Inca, avoit conquis ce Pays & l’avoit ajoûté à fon Empire. Ilen trouva l'air fi agréable, & le terroir fi bon, qu’il y fit venir 3000 familles des Provinces voifines qui étoient moins fertiles, & par cette augmentation d’habitans il fonda qua- tre à cinq Bourgades bien peuplées. Cette Ville eft une des plus grandes qu’il y ait au Pérou. Elle eft avan- tageufement fituée dans un cerrain uni, bien bâtie de pierres; les appar- temens des maifons bien entendus, logeables, & commodes ; les meu- bles fort beaux & de bon goût. Le climat y eft fort doux; jamais on n’y fent de froid exceffif, quoique le givre y tombe. quelquefois ; la chaleur n’y eft non plus jamais incommode ; deforte que pendant toute l’année la Campagne eft émaillée de Fleurs & offre aux yeux un Printems éternel. Un air fi doux ne fauroit qu'être favorable à la fanté, aufi n’y voit-on point régner de ces maladiés fâcheufes qui font fouvent l'effet du mauvais dr. ‘Tout près de la Ville coule une Riviere, dont les eaux par le mo- yen des canaux font conduites dans les rues où elles entraînent toutes les immondices qui pourroient infecter l’aif. Tous ces agrémens & ces avantages font néanmoins bien diminués, par la fâcheufe circonftance dés tremblemens de terre auxquels cette Vil- le eft fujette, comme toutes les autres Villes de cette partie de l_Améri- que. On compte quatre de ces trémblemens de terre qui l’ont tout-à-fait ruinée. Le premier arriva en 1582, le fecond en 1600 le 24 de Fé- uorier. Celui-ci fut accompagné du crévement d’un Volcan nommé Guayna-Putina, qui eft tout près de la Ville. Le troifiéme tremblement aïriva en 1604, le quatriéme en 1725, & quoique ces trois derniers fis- fént moins de ravage, ils ne laiflerent pas de renverfer les grands édifices & beaucoup de maifons. La VOYAGE AUPEROU: Liv.L Cm XIL 1 La Ville eft fort peuplée. On y compte grand'ñomibre de Familles No. bles, parce que c’eft le lieu où il s’eft établi le plus ‘d’Efpagnols 'attirés par les avantages que nous àvons touchés ci-deflus, & par la commodité du commerce qui peut fe faire par le Port d”_#ranta qui n’en eft qu'à vingt lieues. Le Chef du Gouvernement Civil &. Militaire eft le Corrégidor, qui a fous lui les Régidors, qui font choifis parmi la premiere Noblefle de ja Ville, & parmi lesquels on élit tous les’ams à la’ pluralité des voix les Alcaldes ordinaires, comme cela fe pratique dans les autres Villes. Autrefois la Ville d’ÆAréquipa étoit du Diocéfe de l'Evêché de Cugco; mais en 1609 elle en fut féparée, & on y établit un Siége Epifcopal le 20 de uillet de la même année. Le Chapitre ft compofé, outre l'Evêque, de cinq Dignités, le Doyen, l’Archidiacre, le Chantre, l'Ecolâtre, le Tréforier & de cinq Canonicats. Outre la Paroifle del Sagrario, deflet- vie par deux Curés pour les E/pagnols , il y a’ encore celle de Santa Marta pour les Indiens qui habitent dans la Ville. I] y a un Cou- vent d'Obfervantins, ou de l’Etroite Obfervance, & un de Récollets, qui font de la Province de Cuzco. Un de Dominicains & un d'Auguftins , qui font de la Province de Lima; il y en a aufli un dé 4 Merci, apparte- nant à celle de Cuxco. Le Collége des Yéfuites & l'Hôpitai de San Fuan de Dios font de celle de Lima. Il y a un Séminaire pour les Eccléfiafti- ques qui font employés au fervice de la Cathédrale. (On n’y compte que deux Couvens de Filles, ceux des Carmélites & de Ste. Catherine; mais on avoit commencé à en bâtir un pour les Religieufes de Ste. Rofe. Le Tribunal des Deniers Royaux établi à Aréquipa, eft compofé d’un Conta- dor ou Controlleur & d’un Tréforier. Enfin il y a aufli des Commifläi- res de l’Inquifition & de la Croïfade, comme dans les autres Villes. Corrégimens de l'Evéché d’ Aréquipa. TL. Aréquipa. IV. Caylloma. IL. Camana. V. Moquegua. IL. Condéfuyos d’Aréquipa. VI. Arica. I. Le Corrégiment d’Aréquipa ne s'étend pas au-delà des Villages des environs, où le climat n’eft pas différent de celui de la Ville. Le terroir n'y éprouve jamais la ftérilité de l'Eté: ils font toujours couverts de Fleurs, de Fruits, de Grains & de Verdure. Les Pâturages y font fi a- bondans, que les Troupeaux toujours gras ne peuvent les confumer. I, En fuivant les côtes de la Mer du Sud, à quelque diftance pour- Ttt2 tant ÿ16 VOYAGE AU PEROU. tant des plages, on tnverfe le Corrégiment de Camana, dont la Juris- diétion renferme plufieurs déferts le long de la côte. Il s'étend vers IKe2 rient jufiqu’aux premieres Montagnes de la Cordillere: fon principal com- merce confifte en Bouriques, & quelque péu d'Argent qu'on tire de quelques Mines aflez négligées, & qui fe trouvent dans Ja partie. mon- tagneufe:. IIT. Au Nord d’Ariquipa, environ à cinquante lieues de diftance, on entre dans le Corrégiment de Condefuyos de Arequipa, lequel a quelque wente lieues d'étendue. L'air y eft différent felon la fituation des lieux, & le terroir eft plus ou moins fertile par la même raifon. C’eft dans ce terroir quon trouve la Cochenille fauvage, dont les Zndiens font quelque commerce avec les autres Provinces , qui ont des Fabriques d’Etoffes de lai- ne. Il réduifent cette Cochenille en poudre en la faifant moudre, & en mêlent quatre onces avec douze de Maïz violet; ils paitriflent le tout en- femble, &enfont de petits pains quarrés de quatre ences piéce, auxquels ils donnent le nomde Magno. C'eft dans cette forme qu’ils débitent leur Cochenille, à un piaftre-la livre. C’eft le prix ordinaire. On trouve dans le Pays beaucoup de Mines d'or & d'argent que l’on exploite encore ac- tuellement, mais non pas avec tant de foin qu’autrefois. IV. Le Corrégiment de Caylloma eft à trente lieues Nord-Eft d’Aréquipa. Ce Pays eft fameux à-caufe des Mines d'argent qu’il renferme, & d’une Montagne nommée aufli Caylloma. Quoique ces Mines n’ayent pas ceflé d’être exploitées depuis leur découverte qui eft très-ancienne, on conti- nue encore à en tirer beaucoup de ce précieux métal: c’eft pourquoi aus- fi dans le principal lieu du Pays, lequel lieu fe nomme auffi Caylloma , il y a des Officiers des Finances du Roi pour la perception des Quints, & pour la diftribution du Vif-argent, & un Gouverneur. La plus grande partie de ce Pays eft fi froide, qu’elle ne produit ni Grains, ni Fruits, & qu’il faut faire venir ces Denrées du dehors. Sur les pentes des Monta- gnes & dans les efpaces qui font entre elles, où le climat eft un peu plus tempéré, ilcroît quelques Denrées, maisen fort petite quantité. On y voit dans certains Cantons paître quantité d’Anes fauvages, comme ceux dont ÿl a été fait mention dans la L. Partie. V. Le Corrégiment de Moquégua commence à quarante lieues au Sud d'Aréquipa, & s'étend à 16 lieues des côtes de là Mer du’ Sud. Le principal Bourg qui donne fon nom à la Province, eft tout peuplé d’E/pagnols , par. mi lesquels ou compte quelques familles nobles, quifont fort à leur aife. Cet- te VOYAGE AU PEROU. Lw I. Cu. XII sr te Jurisdiétion a environ 40 lieues d’étendue: l’air y eft fort doux, & le terroir eft rempli de Vignobles qui donnent beaucoup de Vin & d'Eau-de- vie, qui font tout le commerce du Pays, d’où on les tranfporte par ter- re dans les Provinces des Montagnes & jufqu’au Potofi, & par mer jus- qu'à Callao. 11 produit auffi force Papas & quelque peu d'Olives. VI. Arica eft le dernier Corrégiment de cet Evéché, I] eft fitué le long de la côte de la Mer du Sud. L'air y eft chaud & mal fain,& la plus gran- de partie du terroir ftérile excepté en 4yi ou Piment, qui y croît en abon- dance; & cet article feul fuffit pour procurer un Commerce confidérable aux habitans, cette épicerie étant extrêmement en ufage dans toute l_4- imérique méridionale. On la vient enlever des Provinces intérieures des Montagnes, & l’on tient qu'il s’en recueille tous les ans dans ces cam- pagnes pour plus de foixante mille écus. L’A4yiou Agi a environ un quart d'aune de long. Après qu’on l’a cueilli on le fait fecher au Soleil, &'on le met enfuite dans dé grands facs de jonc; chaque fac en contient un arrobe. Cette Drogue entre dans tous les mets qu’on apprête dans F /mé- rique Efpagnole excepté dans les Confitures, comme il a été remarqué dans la I. Partie. Dans quelques parties du terroir de cette Jurisdiétion il croît beaucoup d’Oliviers, dont les olives groffes comme un petit œuf de poule, font aufli délicates qu’aucunes d'Europe: on en fait quelque peu d'huile, dont une partie eft tranfportée dans les Pays des Montagnes. & l’autre partie eft employée en faumure ; dont on tranfporte quelque peu à Calluo. COM RURALE Audience de Charcas. Evéchés Suffragans de cet Archevêché, € Corrégimens cumpris-dans ce Diocéfe. QI l'on confidere la Province de Charcas dans toute l'étendue de 1a Ju- risdiétion de fon Audience, on: trouvera qu'elle ne céde guere à la Province de Lima en grandeur ; avec cette différence néanmoins , que cel- le-ci eft bien peuplée, &que celle-là eft d'un côté entre-coupée de Dé- ferts, de Montagnes couvertes de Bois épais qui les rendent impénétra- bles; & de l’autre traverfée par les hautes Montagnes de la Cordillere des Andes & par les vaftes Pampas ou Plaines qu’elles laiflent entre elles. An-. Et Ciens 518 VOYAGE AU PEROU. ciennement on comprénoit fous le nom de Churcas diverfes Contrées:ou Provinces habitées d'un: nombre prodigieux d’Jndiens, dentile V. Inca, Capac Tupanqui, entrepritla conquête: mais fes progrès ne s'étendirent pas au-delà des Provinces appellées Tutyras & Chaqui, & Collafuyo fat le terme de fes conquêtes. Après fa mort l’/nca Roca fon fils, quilui fuccéda, pourfuivit fes projets, & tourna fes armes de ce méme côté. Il foumit toutes ces Nations jufqu’a la Province de Chuquifaéa , où fut fondée depuis la Ville de la Plata, qui eft aujourd’hui Capitale de la Province de Char- cas. La Jurisdiétion de cette Vilie comrnence au côté du Nord à Vilcar nota, lieu appartenant à la Province ou Corrégiment de Lampa dans le Diocéfe de Cuzco; de-là elle s'étend vers le Sud jufqu'a Buénos-Ayres. A l'Orient elle touche au Bréfil, n'ayant d’autres bornes de ce côté-là que la fameufe Ligne de féparation.. À l'Occident elle touche à la côte de la Mer du Sud par la Province d’Æfacames qui eft du reflort de cette Audience ; Je refte de la Province de Charcas confine au#Royaume de Chi. (On compte dans cette vafte étendue de Pays un Archevêché & cinq Evé- chés, fçavoir: ÆAychevéché de la Plata. Evêchés Suffragans. I. La Paz IV. Paraguay. IL. Santa Cruz de la Sierra. V. Buénos-Ayres. UT. Tucuman. Ce Chapitre traitera de l’Archevêché de Z4 Plata, & les fuivans con- tiendront les notices des Evêchés Suffragans. ÆArchevéché de l' Audience de Charcas ou Chuquifaca. La Plata. Après que les E/pagnols eurent fubjugué presque tous les Pays qui s’é- tendent depuis Tumbez jufqu'a Cuzco, & qu'ils eurent appaifé les dif- férends qui s’étoient élevés entre les Conquérans, ils tournerent toutes leurs vues versles Nations les plus éloignées, & ne fongerent qu’à les fou- mettre. Dans cedeflein Gongalo Pizarro, & quelques autres Capitaines a- vec un bon Corps de Troupes Æ/pagnoles partirent de Cuzcolan 1538, s’avan- cerent jufqu'à los Charcas , & attaquerent les Nations qui habitoient ce Pays & VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cu. KIIL S19 & celuides Carangues: 1] trouvaune fi grande réfiftance dans divers combats qu’il leur livra, qu'il n'eut pas peu de peine à les réduire. Mais tout cela n’étoit rien en comparaifon du courage que firent paroître les Chuquifaques ; car Gonzalo Pizarro ayant pénétré après plufieurs combats jufqu’à leur princ1- pale Bourgade, 1l s’y trouva tout d’un coup affiégé par ces Barbares » qui le ferrerent de telle forte que fi fon Frere Francifco Pigarro n’avoit eu la précaution de faire partir de Cuzco en toute diligence un bon fecours de Troupes, c'étoit fait du peu d'E/pagnols qui reftoient encore des com- bats précédens.. Ce renfort étant arrivé avec bon nombre de Volontaires de diftinétion, les Zndiens furent mis en déroute, & obligés de plier fous le joug, & de reconnoître les Rois d'E/pagne pour leurs Maîtres & Sou- verains. L'année fuivante 1539 le Marquis Francifco Pigarro voyant com- bien il étoit néceffaire de former en.ces lieux un établiffement folide , donna commiflion au Capitaine Pédro Anzures d'y bâtir une Ville, ce que celui-ci exécuta, choififlant pour cet effet le Bourg même de Chuquifaca. Plufieurs de ceux qui avoient aflifté à la conquête s’établirent dans la nou- velle Ville, pour être à portée de foumettre les autres Nations voifines. À une petite diftance de cette Ville eft une Montagne appellée el Porc, où il y a quelques Mines d’argent que les Empereurs du Pérou faifoient exploiter pour leur compte par un certain nombre d'Indiens, & d'où ils tiroient beañcoup de ce métal: par allufion à cette circonftance les Fon- dateurs de-la nouvelle Ville voulurent qu’elle fût appellée Ciudad de la Plu- ta * ; mais le premier nom du Bourg a prévalu, & la Ville eft encore aujour- d'hui plus connue fous le nom de Chuquifaca que fous celui de /4 Plata. La Plata où Chuquifaca eft fituée dans une petite Plaine environnée de Montagnes quila mettent à l'abri desvents. En Eté l'air n’y eft point trop Chaud, & il eft tempéré prefque toute l'année. En I liver, faifon qui commence dans ce Pays en Décembre & dure jufqu'en Mars , les pluyes y font extrêmement fréquentes, & prefque toujours accompagnées de tonnerres & d'éclairs, à cela près l'air eft tranquile & ferein le refte de l'année. Les Maïfons de la grand” Place & des environs ont un étage fans le rez-de-chauflée. Elles font couvertes de tuiles ;les appartemens en font grands & bien diftribués, & elles font accompagnées de Jardins & de Vergers remplis d’arbrès fruitiers d'Europe pour le plaifir des habi- tans. L'eau courante y eft afléz rare, il n'y en a que bien précifément la quantité néceflaire pour la confommation des habitans. Elle y eft diftri- buée * Cité d'argent, s VOYAGE AU PER O LU. buée par des Fontaines publiques, pratiquées en divers quartiers. On compte environ quatorze mulle âmes dans la Ville, foit Æ/pagnols ou Tndiens. La Grande Eglife a trois nefs. Elle eft paffablement grande, ornée de beaux tableaux, & de dorures. Elle eft deflervie par deux Curés Rec- teurs, l'un defquels eft pour les Æ/pagnols, l'autre pour les Jndiens. Il y a encore une autre Paroifle fous le nom de St. Séhaftien à l’une des extré- mités de la Ville; les Paroifliens en font prefque tous Zndiens, & montent au nombre d'environ trois mille âmes. Les Couvens de Religieux ont des Eglifes magnifiques, & des appartemens très-grands. Ces Couvens font; les Cordeliers, les Dominicains, la Merci, les Auguftins, un Collége de la Compagnie, un Hôpital de St. Sean de Dios, entretenu aux dépens du Roi; deux Couvens de Filles, Ste. Claire, & Ste. Monique. _ Il ya dans la même Ville une Univerfité dédiée à Sr. François Xavier, dont le Reéteur eft un Ÿé/uite, qui eft en même tems Reéteur du Collé- ge de la Compagnie, & les Profeffeurs des Prêtres Séculiers, & des Per- fonnes Laïques. On fait des leçons publiques en toute Faculté, dans deux Colléges; celui de St. Jean où les Féjuites régentent, & celui de S+. Chriftoval qui eft un Séminaire fous l’infpeétion d'un Eccléfiaftique nom- mé par l’Archevêque. À deux lieues de la Plata coule une Riviere nommée Cachimayo, dont les bords font remplis de Maiïfons de campagne où les Citadins vont fe divertir. La Riviere-de Piico- Mayo coule à fix lieues de da Ville fur le chemin de Potofi; on‘traverfe cette Riviere fur un grand pont de pierre. Elle fournit du poiflon à la Ville pendant plufieurs mois de l’année. On y en pêche de diverfes fortes & de très-bon goût, entre autre ceux qu’on nomme Dorades, qui font fi grands qu'ils péfent pour l'ordinaire 20 à 25 livres. Les autres vivres, Pain, Viande, Légumes & Fruits y font appor- tés de toutes ks Provinces voifines. L’Audience Royale établie à Plata eft le premier des Tribunaux de cette Ville. Elle y fut établie en 1559 & a pour Chef un Préfident, qui eft en même tems Gouverneur & Capitaine-Général de toute la Provin- ce, à la réferve des Gouvernemens de Santa Cruz de la Sierra, de Tucu- man, de Paraguay, & de Buénos-Ayres , qui font indépendans & abfolus dans les Affaires Militaires: outre le Préfident elle eft compofée de cinq Auditeurs, d’un Fifcal, d’un autre Fifcal Protecteur des Indiens, fans compter deux Auditeurs furnuméraires. Le VOYAGE AU PEROU, Liv. I. Cr, XIIL vor Le Corps de Ville eft compofé , comme dans toutes les autres, de Ré- gidors., qui ordinairement font des perfonnes des plus diftinguées de la Vil. le, ayant pour Chef le Corrégidor; & tous les ans on élit deux Acades ordinaires pour veiller au bon Ordre &à la Police. L'Eglife de la Plata fut érigée en Siége Epifcopal l’année r 551 , la Ville ayant déjà alors le titre de Cité; & en 1608 elle fur érigée en Métropole. Le Chapitre eft compolé outre l'Archevèque des cinq Dignités ordinaires & de treize Chanoines. L’Archevêque & fon Official forment le Triby« nal Eccléfiaftique. Le Tribunal de la Croifade eft compofé d’un Commiffaire fubdéléoué & autres Officiers ordinaires. Le Tribunal de lnquifition eft compofé demé. me, & dépend de l’Inquifition de Lima. Enfin il y à auffi un Tribunal des Biens des Défunts, comme dans les autres Villes dont il a été parlé. Les Corrégimens du Diocéfe de Z Plata font au nombre de 14. En voici les noms. I. La Plata & la Ville Impériale de Potof. Tomina. IX. Cochabamba. Porco. X. Chayantas. Tarija. XI. Pari. Lipes. XIL Carangas. Amparaës. XIII. Cicacica. Oruro. XIV. Atacama. VIL. Pilaya, € Pafpaya. T. La Jurisdiétion du Corrégiment de 4 Plata eft fi étendue vers l'Oc- cident , qu’elle comprend la Ville Impériale de Potofi, dans laquelle le Cor- régidor fait toujours fa réfidence, ainfi que le Tribunal des Finances du Roi compofé d’un Controlleur & d’un Tréforier. Ce Tribunal a été éta- bli dans cette Ville, afin qu'il fût à portée d'enrégiftrer l'argent qui fe ti- re des Mines. La fameufe Montagne de Potofi, au pied de laquelle eft fituée du côté du Sud la Ville du même nom, eft une fource inépuifable d'argent, & ce précieux métal que l’on tire de fes entrailles, en circulant dans: toutes les parties du Monde y a rendu célébre le nom de Potofñ. Ces Mines fu- rent découvertes en 1545 Par Un pur hazard, comme cela étoit arrivé auparavant & eft arrivé depuis en divers lieux. Un Zndien nommé felon Tome JL, Vvv quel- 122 VOYAGE AU PEROU. quelques-uns Gualpa, & felon d'autre Hualpa, pourfuivant des chevreuils jufqu’au haut de la Montagne, fe trouva près d’un rocher un peu efcar- pé, & voulut s’acrocher à la branche d’un arbrifleau pour mieux efcala- der le roc; mais cet arbrifleau n'ayant pas de racinés aflez profondes pour réfifter à ce poids, fut arraché, & fit voir dans le trou où avoit été la racine un lingot d'argent fin, qui paroifloit au-travers d'une croute de terre qui le couvroit, L’Indien fe contenta pour lors des fragmens de ce métal qui étoient reftés méêlés avec la terre autour de la racine, & s'étant retiré à Porco où il faifoit fa demeure, il nettéia fécréttement les frag- mens d'argent qu’il avoit ramaflés: & depuis ce jour il continua à aller fur la Montagne toutes les fois qu’il vouloit avoir de l'argent. Un de fes plus intimes amis aufli Indien , nommé Guanca , s’'appercevant du chan- gemeht avantageux arrivé à fa fortune en voulut favoir la caufe, & le pria avec tant d'inftance que celui-ci eut la foibleffe de lui avouer fon fecret. Ils continuerent quelque tems à tirer de l'argent enfemble ; mais Gualpa où Hualpa n'ayant jamais voulu découvrir à fon ami comment 1l s'y prenoit pour nettéier le minerais, la divifion fe mit entre eux , & Guan- ca alla tout découvrir à fon Maître nommé Villarroël, qui étoit un E/pagnol habitantde Porco. Villaroël allaauffi-tôt, c’eft-à-dire le 1 Avril 1545, recon- noître la Miniere, qui dés-lors fut exploitée, & d’où l’on a tiré des riches. fes immenfes. Cette premiere Mine fut appellée la Découvreufe, parce qu’elle fut cau- fe qu’on découvrit d’autres fources de richeffes que la Montague renfer. moit dans fon fein. En effet peu de tems après on découvrit une feconde Miniere, à laquelle on donna le nom de Mina del Eflanno où de l'Etain, enfuite une troïfieme, qui fut furnommée la Riche, & enfin une quatrie- me qu’on appella Mendieta. Ce font-là les quatre principales Mines d'ar- gent de cette fameufe Montagne, qui en renferme encore beaucoup d’au- tres moins confidérables qui la traverfent de tous côtés. La fituation des premieres eft dans la partie feptentrionale de la Montagne, & leur direc- tion eft du Nord au Sud, inclinant un tant foit peu vers l'Occident. J'ai ou dire aux plus habiles gens du Pérou dans ces fortes de matieres, queles Mines les plus riches étoient celles qui ont cette forte de direction. Dès que le bruit de cette découverte fe fut répandu, on vit accourir des gens de toutes parts, & en particulier de la Ville de Za Plata, d'où cette Montagne eft éloignée de 20 à 25 lieues. De cette maniere la Vil- le de Pstofi dévint exttémement opulente, & peuplée au point qu’on lui don- VOYAGE AU PEROU. Liv. I CH. XIII s23 donne deux lieues de circuit. Plufieurs familles nobles intéreflées aux Mi- nes s’y établirent. L'air de la Montagne eft froid & fec, c'eft ce qui fait que le terroir de la Ville eft aride & ftérile, ne produifant n1 Grains, ni Fruits, ni pas une Herbe: malgré cela & la quantité d’habi tans, la Vil. le ne manque de rien; les vivres y viennent en abondance de toutes les autres Provinces. Le Commerce qui s’y fait eft plus grand que dans aucu- ne autre Ville du Pérou , excepté Lima. Les Provinces fertiles en Grains Sen Fruits trouvent à s’en défaire à Potofi; celles qui abondent en Trou- peaux ne ceflent d’y en envoyer; & celles qui ont des F abriques Y trou- vent le débit de leurs étoffes: des Marchands qui négocient en Marchan- difes d'Europe font un trafic confidérable avec cette Ville. Les paye- mens s’y font par troc de marchandifes contre de l'argent en barres, OU en pignes. Outre ces Commerces il y a encore celui des Aviadores , qui font des Mar- Chands qui avancent certaines fommes d'argent monnoyé aux Maîtres des Mines pour fubvenir aux fraix néceflaires pour l'exploitation de ces Mines, lesquelles fommes font enfuite payées en argent en barres ou en pignes. Le Commerce du Vifargent pour extraire le métal, eft auffi fort important, C’eft un article réfervé au Tréfor Royal; & l’on peut juger de la quantité qu’on en confomme, par la quantité de l'argent que l’on ti- re de ces Mines. Avant qu’on eût perfeétionné la maniere d'appliquer le mercure au minerai d'argent, c'eft-à-dire, avant qu'on fût faire la même Opération avec moins de vif-argent, on employoit un marc de mercure pour un marc d'argent net, fouvent même on en employoit davantage, quand les Ouvriers manquoient d’habileté. 11 fuffira de rapporter ce que quelques Auteurs ont écrit fur ce fujet pour comprendre jufqu’où va la Confommation du mercure, & les richefles qu'on a tirées de cette Mon- tagne. Alvan Alonfo Barba , qui avoit été Curé à Potofi, & qui a écrit furles Métaux en 1637, dit que depuis l'an 1574, que l’on commença à appli- quer le mercure à l’argent, jufqu’au tems où il écrivoit, on avoit appor- té aux Caïfles Royales de Poto/i deux cens quatre mille fept cens quintaux de mercure, fans compter ce qui étoit entré par contrebande 3 & com- me cet efpace de tems étoit de 63 ans, il s'enfuit que la quantité de vif- argent employé à ces Mines montoit à 3249 quintaux par année. Don Gafpar de Efcalona, qui écrivoit un an après, aflure dans fon Gazophi- lacio Péruvico, pag. 193 qu'on avoit tiré de cette Montagne jufqu’à cet- £année trois cens quatre-vingts-quinze millions > fix cens & dix-neuf mille Vvv2 pla ss VO AG EAU PE RO piaftres: or comme il y a précifément l’efpace dé 93 ans, depuis la dés couverte de la Miniere jufqu’à ce tems-là, il fuit qu’on a tiré par an qua- tre millions deux cens cinquante-cinq mille quarante-trois piaftres d'argent net: par où l'on peut encore juger quel doit être le Commerce de cette Ville, puifqu'il en fort des fommes fi confidérables en échange de ce qu'on y apporte & qui s’y confomme; car tout fon commerce aétif eft en argent. L’Argent eft fon unique Denrée: les recoltes n’en font pas à -la- vérité aujourd’hui auffi abondantes qu'autrefois, mais elles ne laiffent pour- tant pas d’être encore fur un fort bon pied. Il ya près.de Potafi des Eaux mi- nérales chaudes, dont les bains font bons pour la fanté: on les nomme bains de Don Diégoz plufieurs perfonnes les prennent par goût, plufieurs autres par reméde. II. Le Corrégiment de Tomina commence à dix-huit lieues au Sud-Ouëft de la Ville de la Plata, & confine aux Zndiens Brabos ou Sauvages de la Montagne, appellés autrement Chiriguans , dont les terres font à l'Orient. L'air de ce Corrégiment eft chaud, & le terroir produit des Grains, des Fruits, quelque peu de Vin, & beaucoup de Sucre. On y nourrit auñi du gros & menu Bétail. Sa Jurisdiétion a environ 40 lieues d’étendue. Le voifinage des Indiens Chiriguans tient les Villages de cette Provin- ce en de continuelles allarmes, & la Ville même de /4 Plata craint leurs. fréquentes courfes , d’autant plus qu'ils ont plufeurs fois tenté de la furprendre. III. Le Corrégiment de Porco commence tout près de la Ville Impé- riale de Potofi, à 25 lieues de la Plata; & s'étend vers l'Occident environ 20 lieues. L’air y eft froid, & par-là même peu propre aux Semences & aux Fruits; mais fort bon pour les Troupes pour lesquelles le terroir pro- duit aflez de pâturages. C’eft dans ce Diftriét qu’eft la Montagne de Por- co, d'où, comme il a déja été dit, les Znças tiroient tout l'argent dont ils avoient befoin. pour leur fervice & leurs ornemens; & ce fut la pre- miere Mine que les E/pagnols exploiterent après la conquête. IV. Au Sud de la Plata à environ trente lieues de cette Ville, on trou- ve le Corrégiment de Tarija ou de Chichas, qui a environ 35 lieues d'é- tendue. L’air eft chaud dans une partie, & froid dans l’autre, & le ter- voir produit à proportion. Il nourrit beaucoup de Bétail, & on y trouve par-tout des Mines d’or & d'argent , furtout dans cette partie appellée Chocayas. À l'extrémité du Pays, & fur les confins des Indiens Idolâtres, coule le Fleuve Tipuanys , dont. le fable eft mêlé de beaucoup d'or, VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cr. XII. 29 & où l’on envoye des ÆArpailleurs , comme à la Riviere de Caravaya. V. Dumême côté, en tirant un peu vers Je Sud-Ouëft de Z4 Plata , eft le Corrégiment de Lipes, qui a auffi 35 lieues d’étendue. L'air y eft fort froid, &le terroir n'y produit que des Pâcages où paiffent diverfes Troupes. de Z’icunnas, d’'Alpacas où Tarugas, & de Llamas. Ces Animaux font d’ailleurs aflez communs dans toutes les autres Provinces de Panas, c’eft- à-dire les Provinces où 1l y a des Montagnes hautes où le froid eft conti- nuel. Le Pays de Lipes a des Mines d'or qui font aujourd’hui abandon- nées, mais qui témoignent avoir été travaillées autrefois, particuliere- ment. dans une des Montagnes voifines de Colcha, à laquelle on a donné le nom d’Abitanis, qui dans la Langue du Pays fignifie Mine d’or. La. Montagne de St. Chriftofle d’Acochala a été une des plus fameufes du Pé- rou pour la richeffe de fes Mines d'argent. Ce Métal y étoit en telle quan- tité qu’on l'y coupoit avec le cifeau. Aujourd’hui elles font fort déchues en comparaifon de ce qu’elles ont été autrefois, quoiqu'on ne cefle de les exploiter; mais avec trop peu de monde, fans quoi il n’y a pas de doute que cette Mine ne rendît autant que par le pañé. Le Corrégiment d’ÆAmparaës commence à peu de diftance à l'Orient de la Plata, & s'étend jufqu’aux Corrégimens de l'Evêché de Santa Crux de la Sierra, & entre autres jusqu'a celui de Misque Pogona. Le Corrégi- dor de cette Province d’Amparaës a fous fa Jurisdiétion les Indiens qui de- meurent à la Plata. Le froid domine dans certains endroits de cette Pro- vince, la chaleur dans d’autres ; elle nourrit queiques Troupeaux, & pro- duit beaucoup de Grains, particulierement de l'Orge, dont elle fait fon principal Commerce. VII. Au Nordde 4 Pluta on trouve la Province d'Oruro, dont la Capi- tale eft appellée San Philipe de Auftria de Gruro, & eft fituée à environ 40 lieues de Ja Plata. Le Pays eft ftérile, excepté en pâturages, ou pais- fent beaucoup de Vicunnas, Guanacos, &Llamas. On y trouve beaucoup de Mines d’or & d'argent: les premieres, quoique découvertes dès le tems des Jncas, ont été peu exploitées, mais les fecondes ont produit de grandes richeffes : toutefois elles font aujourd’hui un peu déchues s'étant remplies d'Eau, fans qu’on ait pu venir à bout de les faigner, quelques foins que les Mineurs ayent pris pour cela. Il n’y a plus que celles de Popo, qui font des Montagnes à 12 lieues de la Ville, lesquelles rendent encore confidérablement. Cette Ville d’Oruro eft grande , bien peuplée, & fait un fort grand Commerce, que les Mines y ont attiré. Il y a des Officiers Vvv 3 des ‘26 V OT AGE AAU RE KO des Finances da Roi pour la perception des Droits de Sa Majefté fur le produit des Mines. L La Province de Pilaya & Pafpaya ou Cinti commence au Sud de la Ples ta environ à 40 lieues de diftance. La plus grande partie du Pays eft fi- tuée dans des Coulées, où l'air eft fort bon, & qui produifent toute for- te de Denrées, Grains, Fruits, Légumes, & même du Vin en quanti- té. De tout cela il fe fait un Commerce avantageux avec les Provin- ces voifines. IX. Cochabamba eft un autre Corrégiment, qui commence au Sud-Eft, à 50 lieues de La Plata, & à 56 de Potofi. La Capitale eft une des plus confidérables Villes du Pérou, & fa Jurisdiétion s'étend en certains en- droits à plus de 40 lieues. La Ville eft fituée dans une Plaine fertile & délicieufe; & tout le refte du Pays étant arrofé de diverfes Rivieres & Ruifleaux, produit une fi grande quantité de Grains , qu'on l'appelle le Grenier de tout le Diocéfe de l’Archevêché de Ja Plata, & de celui de l'Evéché de Ja Paz. L'air y eft très-bon prefque par-tout, & dans quel- ques endroits on y trouve des Mines d'argent. X. Au Nord-Eft de li même Ville de /4 Plata à 50 lieues de diftance ,on entre dans le Corrégiment de Chayautas, qui s'étend à 40 lieues ou envi- fon. C’eft un Pays fameux par fes Mines d’or & argent. Celles d'or font négligées aujourd'hui, quoiqu’elles ayent été exploitées autrefois, comme il paroît par les Socabons * qu'on y voit encore. La Province eft traver- fée par une Riviere que les habitans nomment Grande , laquelle roule & des grains & des fables d’or. Quant aux Mines d'argent, elles font ex- ploitées avec foin & rendent confidérablement. Le terroir nourrit des Troupeaux de gros & menu Bétail qui fufifent pour la nourriture des habitans. XI. Vers le même côté de Nord-Eft à quelque 70 lieues de la Plata, commence le Corrégiment de Paria, qui a plus de 40 lieues d’étendue: l'air y eft froid, & le terroir n’y produit que des Pâturages où fe nourris- fent de grands Troupeaux de gros & de menu Bétail. Il s’y fait une grande quantité de Fromage qu’on tranfporte dans tout ie Pérou, où ils font fort eftimés. On y rencontre par-ci par-là quelques Mines d'argent. Au-refte cette Province tire fon nom d’un grand Lac qu’elle renferme, & qui eft * Les Sucabons font des Mines perdues, que l'on fait pour faigner la Miniere, qui €ft noyée d'eau. Not, du Trad, VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cu. XII 527 eft formé de l'écoulement des eaux du Lac de Titi-caca, ou Chacuito: XII. Le Corrégiment de Carangas commence à 70 lieues à l'Occident de La Plata, & a plus de 50 lieues d’étendue. L'air y eft fort froid, & par cette raifon le terroir n°y produit que des Papas, des Quinoas, & des Cannaguas, & nourrit beaucoup de Bétail. Il ÿ a auffi beaucoup de Mi- nes d'argent qui font continuellement exploitées. Celle de Turco eft la plus fameufe de toutes, parce qu’elle eft entiérement de Métal machacado, c’eftainfique les Mineurs appellent le minerais, où les filons du Métal for: ment un tiflu admirable avec la pierre dans laquelle ils font incorporés. Les Mines de cette efpéce font pour l'ordinaire les plus riches. Il y a d’au- tres Minieres dans cette Contrée, qui, fi elles ne font pas plus riches, font du-moins plus fingulieres. Elles fe trouvent dans les Déferts fablon- neux qui s'étendent vers les côtes de la Mer du Sud. Ce n'eft ni dans des Rocs, ni dans des Montagnes qu’il faut creufer , mais dans le fablemême. On n’a qu'à y faire un trou pour en tirer des morceaux d'argent fans autre mé- lange que de quelque peu de fable qui s’y eft attaché. Les gens du Pays appellent ces morceaux d'argent Papas, parce qu'on les tire de la terre comme les Papas, qui font une racine dont nous avons parlé ailleurs. A-la-vérité il n’eft pas aifé de comprendre comment ces morceaux d'argent fe peuvent trouver dans le fable mouvant , fans foutien, fans être enchas- fés dans rien. À mon avis 1l y a deux moyens d'expliquer cette énigme. Le premier en admettant la reproduétion continuelle des Métaux dont il y a tant de preuves, tels que font les Minerais appellés Criaderos de Oro y Plata, qui fe trouvent dans diverfes Minieres du Pérou; les Minieres mêmes qui abandonnées durant un certain tems, onf été reprifes avec grand profit ; & plus que tout cela, les offemens des Zndiens qui ont été écrafés & enfévelis dans les Mines où ils travailloient. Dans la fuite on eft venu refouiller dans ces Mines, & l’on a trouvé dans les cranes & les os des filets d'argent, qui les pénétroient comme la veine même. Cela fuppofé comme inconteftable, il eft à croire que la matiere dont fe forme l'argent court avant de fe fixer; & que quand elle a acquis un certain degré de perfection, il s’en filtre quelques parties entre les porofités du fa- ble, jufqu’à ce que s’arrêtant-là où elles arrivent avec toute la difpofition néceffaire pour fe fixer, elles reftent entierement converties en argent, & unies à ces parties de terre qu’elles ont ramaflées dans leur courfe, jus- qu’à l'endroit où la matiere s’eft arrêtée, &le tout enfemble confolidé. Quoique cette opinion foit aflez probable, je fuis plus porté pour cellé quI 528 VOYAGE AU PEROU. qui fuit, & qui me paroît plus fimple & plus naturelle. Les feux fouter- rains étant très-communs dans cette partie de l'Amérique, comme je l'ai obfervé en-parlant des tremblemens de terre, 1l meft pas douteux qu'ils n'ayent aflez d’aétivité pour fondre les Métaux qui fe trouvent dans les endroits où ils s’allument, & pour communiquer à la matiere liquéfiée une chaleur qui puifle durer longtems, Orune portion de l’argent ainfi fondu doit néceffaremert couler, & s’infinuant dans les plus grands pores de la terre, continuer à COUT, jufqu’à ce que s'étant refroidi il fe condenfe & reprenne fa premiere confiftance, conjointement avec les.corps étran- gers qu’il a rencontré. A cela on peut faire deux objettions; la premie- re, que le métal paflant du lieu où il s’eft fondu à un autre, doit fe refroi- dir auffitôt qu’il change de place & fe figer .dans un lieu froid. La fe- conde, que les porofités de la terre étant fort étroites, particulierement là où il y a du fable, dont les parties fe confolident davantage, le métal de- vroit paroître en filets ou ramifications déliées & minces, & non pas en gros morceaux comme il arrive ici. Je vais tâcher de répondre à ces deux difficultés. Avant que l'argent commence à courir du lieu où i s’eft fondu, le feu fouterrain court par les porofités de la terre, lesquelles s’élargiffent à-mefu- re que le corps de l'air contenu dans les mêmes pores fe dilate. Le mé- tal fuit immédiatement, & rencontrant un paflage déja fuffifant pour s’in- troduire, il achéve de comprimer les particules de terre les plus voifines de celles qu’il emporte avec foi, & continue ainfi fans obftacle. Le feu fouterrain qui précéde Je métal, communique à la terre une chaleur fuff- fante pour en chafler la froidure, & le métal trouvant la terre dans cette difpofition, il eft tôut fimple qu’il ne perde pas la chaleur qu'il a contrac- tée, & qu'il ne s'arrête qu'après avoir couru un fort iong efpace au bout duquel enfin il fe fige & s'arrête. Une chofe qui contribue encore à lui faire conferver fa chaleur, c’eft que n'y ayant aucun foupirail aux con- duits de la terre, il eft bien difficile qu’elle perde fitôt la premiere Cha- leur que le feu fouterrain lui a communiquée, par conféquent le métal peut bien ne s'arrêter qu’à une grande diftance du lieu où il eft devenu fluide. Les premieres parties de ce métal s’arrêtant à un endroit où le froid qu’elles ont enfin contraété les condenfe & les fige, celles qui fui- vent fe joignent à elles & forment comme un dépôt; & le tout étant entierement coagulé fait une male, qui eft partie argent, partie fcories, qu'elle a tiré du minéral même dont elle eft fortie. Ces VOYAGE AU PEROU. Liv. E Gr XI 539 Ces Papas d'argent font différens du minerai des Minieres; car à la vue ils paroïflent comme de l'argent fondu ; & quiconque n’aura aucune connoïffance de la maniere dont on les trouve, ne doutera point que ce ne foit de l'argent fondu. Dans ces Papas l'argent forme une mafle, & les parties terreftres font fur la fuperficie, ne pénétrant que peu ou point ladite mañfe; au-lieu que l'argent qu'on tire des Minieres eft pénétré & mêlé de terreftréités & de parties hétérogénes, qui ont une couleur noi- re, & qui paroiflent en tout fens de véritables calcinations; avec cette différence pourtant, que quelques-unes le paroïffent moins que d’autres, & qu'il y en a qui font moins pénétrées de parties terreftres que d’autres. Si cela doit arriver ainfi, dès lors que les Papas fe forment par la fonte du métal, il eft clair que la derniere opinion a un degré de probabilité qui approche de l'évidence , ou que du-moins elle eft plus naturelle que Ja premiere. Ces Papas, ou Maffes, font de différentes groffeur & figure. II yena qui péfent deux marcs, d’autres moins, d’autres plus. Dans le tems que j'étois à Lima j'en vis deux des plus groffes qu’on ait jamais tirées de ces fablonnieres ; l’une pefoit 6o marcs, & étoit pourtant petite en com- paraifon de l’autre , qui en pefoit 150 & quelque chofe au-delà. Elle avoit plus d’un pied de Paris de long, ce qui fait à peu près trois huitiémes d’u- ne de nos aunes de Caftille. Ces morceaux d’argent fe trouvent répandus en divers lieux du même terrain. I] eft rare d’en trouver plufieurs près à près , parce que le métal en coulant fuit diverfes routes, & s’introduit par les porofités où il trouve plus d’efpace. C’eft aufñfi du plus ou moins de largeur des pores de la terre, que vient le plus ou moins de groffleur des Papas qui fe forment. Le Corrégiment de Cicacica eft au Nord & à 90 lieues de la Plata, mais feulement à 40 de 4 Paz. Le Bourg principal eft appellé Cicacica, & donne fon nom à toute la Province. Ce Bourg, ainfi que tout ce qui eft fitué au Sud, appartient à l'Archevêché de Z4 Plata; mais la plus gran- de partie de ce qui eft au Nord eft du Diocéfe de l’'Evêché de /4 Paz. Le Pays s'étend à plus de cent lieues, & dans les endroits où l'air eff fort chaud, il produit de la Coca en grande abondance, & en fournit les prin- cipaux lieux des Mines de toute la Province de Charcas jufqu’àa Potofi, ce qui fait un commerce confidérable. On met cette herbe dans des cor- beilles, qui felon l'Ordonnance doivent en contenir le poids de 18 livres. Chaque corbeille fe vend à Oruro, Potofi, & autres lieux près des Minie- Tome LI. HSE res, VOT'AGERU PER OÙ 5 39 res, avant & après les récoltes ,9 à 10 écus, & quelquefois davantage. Le terroir où l'air eft froid, eft tout de pacages, où l’on nourrit du Bétait gros & menu, & où l’on trouve des Vicunnas, Guanacos, & autres Bes- tiaux fauvages. IÎly a aufli quelques Mines d'argent qui n’égalent pas celles dont nous avons parlé ci-deflus. XIV. Atacama eft un Bourg à plus de cent vingt lieues de X Plata, lequel donne fon nom à la derniere Sénéchauffée de la Province de Char- cas. Cette Sénéchauflée s’étena le long des côtes occidentales de la Aer du Sud, à une diftance aflez confidérable. Le Pays eft fertile, mais mêlé de quelques Déferts , particulierement vers le Sud , où il y en a un qui fé- pare le Pérou du Chili. On pêche fur les côtes de ce Corrégiment une grande quantité de poifflon appellé Tollo, que l'on tranfporte dans toutes les Provinces intérieures, pour provifions de Carême & d’autres Jours d’abftinence. Il s’en fait un fort grand commerce. LCI) D) ANCIENNES DORE INN INIST TRAIN SEC LOT OEA Ge ou LEO Bus AEX, Notices des trois Evéchés de la Paz, Santa Cruz de la Sierra, € Tucuman, € des Corrégimens qu'ils contiennent. A Province, où la Cité de la Paz eft fituée, a été anciennement connue fous le nom de Chuquiyapu, & par corruption Chuquiabo, qui felon la plus commune opinion fignifie en langage du Pays la même chofe que Chacra, qui veut dire Héritage d'or. Garcilaffo de la Vega prétend que Chuquiyapu eft la même chofe que Lanza Capitana en E/pagnel *, Cela peut être dans la Langue générale des Zncas, & au moyen d'un change- ment dans la pénultiéme fillabe, n'étant pas rare qu’un mot prononcé un peu différemment fignifie diverfes chofes dans chaque Langue. Mayta- Cupac,IV. Inca , fit le premier la conquête de ce Pays. Les E/pagnols y étant entrés s’en rendirent maîtres, & les différends furvenus entre eux ayant été étouffés, le Licentié Pedro de la Gafca fit bâtir la Ville de /a Paz ,ainfi nomméeen memoire de cet événement occafionné par la défai- te & le fupplice deiGonzalo Pigarro, & la ruine de fon Parti. La Ga/ca voulut que la Villd par fa fituation contribuâc à la fureté & à la commo. CE di- * La principale Lance VOYAGE AU PEROU. Liv. I CH. XIV 531 dité des Négocians que le commerce attire d’Aréquipa à la Plata, & de la Plata à Aréquipa, Villes éloignées à r70 lieues l’une de l’autre, fans qu'ily en eût d’autres entre deux. Ga/ca chargea du foin de cette fonda- tion Alonfo de Mendoza, lui enjoignant de bâtir la nouvelle Ville à mi- chemin entre Cuzco & Charcas, qui font diftantes l’une de l’autre de r6o lieues. Enfin il lui ordonna de lui donner lenom de Nweftra Sennora de la Paz. On choifit pour emplacement une Vallée du Pays appellé Jos Pacafas, Pays fertile, & bien peuplé d’Zndiens. Les premiers fondemens de la nouvelie Ville furent jettés le 20 d'Ofobre 1548. A travers la Vallée de la Paz coule une Riviere médiocre, qui s’enfle confidérablement quand il pleut dans les Montagnes. Ces Montagnes ne font éloignées que de douze lieues de la Ville, & leur voifinage rend la plus grande partie du Pays froide, & l’expofe aux gelées fortes, aux nei- ges &aux frimats. La Ville toutefois par fa bonne fituation eft exemte de ces defagrémens. Il ÿ a auffi quelques lieux bas où il fait affez chaud pour qu'il y croifle des Cannes de fucre, de la Coca, du Maïz &c. Les Mon- tagnes font couvertes d'arbres dont le bois eft fort bon, & dans ces Forêts on trouve des Ours, des Tigres, des Léopards, des Daims; & dans les Bruyeres des Guanacos, des Vicunnas, des Llamas, & beaucoup de Bé- tail d'Europe, comme on le verra dans le détail de chaque Corrégiment. La Paz eft une Ville médiocrement grande, bâtie dans les coulées formées par la Cordillere, & fur un terraininégal. Elle fi environnée de colli- nes que la vue en eft bornée de tous côtés excepté vers la Riviere, en- core ne s’étend-elle pas au-delà du lit de cette même Riviere. Quand les eaux de celle-ci s’enflent ou par les pluyes ou par la fonte des neiges , elles entraînent des rochers prodigieux, & roulent des morceaux d’or que l'on trouve quand le débordement eft pañlé; & par-là on peut juger des ri- cheffes que renferment les Montagnes voifines. En 1730 un Jndien étant allé par hazard fe laver les pieds au bord de cette Riviere ; trouva un mor- ceau d'or fi extraordinairement gros, que le Marquis de Caftel-FuerteYache- ta douze mille piaftres, & l’envoya en Efpagne comme une piéce digne de la curiofité du Souverain. La Ville eft gouvernée parun Corrégidor avec les Régidors & les Al- Caldes ordinaires, comme dans toutes les autres. Outre lEglife Cathédrale, & la Paroïffe du Sagrario defférvie par deux Curés, il y en aencore trois, qui font, Ste. Barbe, St. Sébaftien, & St. Pierre: un Couvent de Corde- liers, un autre de Dominicains, un troifieme de /« Merci , & un quatrie- XXX 2 me 532 VOYAGE AU: RE RO" D. me d’Auguftins; à quoi il faut ajoûter un Collése des P. P."de la Com- pagnie de Ÿéfus, un Hôpital de Suint Fean de Dios, & deux Monafteres le Filles de la Conception, & de Ste. Théréle : enfin un Séminaire fous linvocation de St. Férûme, où l’on éléve les jeunes gens qui fe deftinent à l'Eglife, & où l’on enfeigne les Sciences tant aux Eccléfiaftiques qu’aux Séculiers qui y veulent étudier. L’Eglife de 4 Paz fut érigée en Cathédrale en 1608, ayant été féparée du Diocéfe de Chuquilaca, pour former un nouvel Evêché. Son Chapitre eft compofé de l'Evêque, d’un Doyen, d’un Archidiacre, d’un Chantre, & de fix Chanoines. D'ailleurs la Ville étant fur lemême pied que celles dont nous avons parlé , il feroit fuperflu d’entrer dans un plus grand détail ; c’eft pourquoi je pafle aux notices des Corrégimens compris dans ce Diocéfe. J. Evéche de | Audience de Charcas. La Paz. Le Diocéfe de l Paz contient fix Corrégimens , y compris celui Ge cet- te Ville. En voici les noms. FE La Paz. IV. Laricaxas. II. Omafuyos. V. Chicuito. III. Pacajes. VI. Paucar-Colla. La Jurisdiétion du Corrégiment de l4 Paz eft fort bornée, & n’a gue- re d’autre lieu que cette Ville même. À environ quatorze lieues à l'Orient il y a dans la même Cordillere une Montagne fort haute appellée Jimani, qui renferme de grandes richeffes. Il y a environ 50 ans qu'un coup de tonnerre en détacha une roche, qui étant tombée fur d’autres Montagnes, o , qui font toutes bafles au prix de celle-là, y apporta tant d'or que l'once de ce précieux métal ne valoit que huit piaftres dans la Ville de Z4 Paz, tant on en tira de cette roche. On n’exploite aucune Mine dans cette Montagne, attendu qu'elle eft toujours couverte de neige, à peu près com- me celles de Quito, dont nous avons fait mention dans la premiere Partie de cet Ouvrage. Toutes les tentatives qu’on y a faites ont été inutiles. II. Le Corrégiment d’'Omafuyos commence prefque aux portes de la Paz vers le Nord-Ouëït de cette Ville. Il a quelque vingt lieues d'éten- due, étant borné à l'Occident par le fameux Lac de Titi-Caca, où Chuqui- to, dont nous parlerons ci-après. L'air de ce Pays eft plutôt froid que tempéré; c’eft pourquoi aufi le terroir ne produit point de Grains, mais feu- VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Ci. XIV. #37 feulement des pâturages où l'on nourrit force Bétail. Les Indiens qui ha- bitent près du Lac s’adonnent à la pêche, & fonc commerce du Poiffon qu'ils prennent. JT. Au Sud-Ouëft de 4 Paz on rencontre le Corrégiment de Pacajes ; l'air & le terroir y font comme au précédent. À cela près le Pays abon- de en Minieres d'argent, quoïqu'il n’y en ait qu’un petit nombre qui foient exploitées, & que celui de celles qui ne le font pas, ou qu’on n’a pas encore découvertes, foit beaucoup plus grand. On fait pour certain: que même dés le tems des Zncas ces Mines étoient exploitées. On y trou- ve aufli des Mines de talc, appellé dans le Pays Ÿaspe Blanco de Y'éren- guéla. Ce talc eft fort blanc & fort: tranfparent. On en fait commerce dans tout le Pérou, où l’on s’en fert au-lieu de glaces aux fenêtres des Maïfons & des Eglifes, à-peu-près comme dans la Nouvelie Efpagne on employe la pierre appellée Técali. Enfin on y trouve des Carrieres de mar- bre de diverfes couleurs, & une Mine d’émeraudes bien connue, mais dont on ne tire aucun profit parce qu’on n’y travaille pas. C’eft dans les Minieres de ce Corrégiment que fe trouve le fameux Minerai d'argent ap- pellé de Yérenguéla, & les Montagmes de Santa Fuana, de Tampaya &. autres, d’où l’on a tiré tant de richefies. IV. À peu de diftance des terres de /4 Paz, au Nord de cette Ville. on entre dans le Corrégiment ce Laricaxas , qui s'étend de l'Orient à l'Oc- cident à r18 lieues, & à 30 du Nord au Sud. Ce Pays jouit de toute forte de climats, & produit à peu près les mêmes Denrées que la Province de Carabaya, à laquelle 1l confine du côté du Nord. Il abonde en Mines d’or : & ce métal y eft de fi bon aloi, que ffon titre ordinaire eft de 23 carats & trois grains. C’eft dans cette Contrée qu’eft la fameufe Montagne de Sun- chuli, où l’on découvrit il y a quelque: cinquante ans une abondante Mine d’or , d’où l’on tira des fommes immenfes de ce métal au même titre dont nous renons de parler: malheureufement dians la fuite cette Mine s’eft remplie d’eau: on a tenté de la faigner par lle moyen d’un Socabon, c’eft-à-dire, en perçant le pied de la Montagne; mais après bien des dépenfes on n’a pu y réuflir, parce que le travail a été mal dirigé. V. Le Corrégiment de Chiquito commence à quelque vingt lieues à FOccident de Ja Paz. Comme il touclhe d’un côté au Lac de Titi-Caca, il Jui communique fon. nom; car on le nomme fouvent Lac de Chicuito. Cette Jurisdiétion s'étend du Nord au Sud vingt-fix à vingt-huit lieues, & de l'Orient à l'Occident à plus de quarante. L'air y eft en général fort à” roic ° 4- x X 3 j 1 oid »! 53 VOYAG'E AU PE R@ŒU, froid ; la moitié de l’année il y géle, & l’autre moitié il y nége, d’où l'on peut juger de la ftérilité du terroir, qui en effet ne produit guere que des Papas & de la Quinoa. On y engraïfle une grande quantité de Bétail tant d'Europe que du Pays. Il s’y fait un grand commerce de Viandes falées, pour lesquelles on reçoit des Eaux-de-vie & des Vins en échange. Cette marchandife, ainfi que les Papas & autres Denrées des climats froids, étant tranfportée à Cochabamba, procure des Farines de retour. Tou- tes les Montagnes de cette Jurisdiétion ont des Mines d'argent , qui ont beaucoup rendu autrefois, mais qui font aujourd’hui dans une entie- re décadence. La Province de Chicuito touche au bord occidental du Lac de Titi. Caca; ce Lac eft trop fameux, pour que nous le pañfions fous filence. Il eft fitué dans les Provinces comprifes fous le nom de Collao. C'eft le plus grand de tous les Lacs que l’on connoiïffe dans cette partie de l'Amérique, puisqu'il a 80 lieues de circuit, formant une figure un peu ovale du Nord- Ouëft au Sud-Eft. Il a 70 à 80 braîles de profondeur. Dix à douze gran- des Rivieres, fans compter les petites, s’y déchargent continuellement. L'eau du Lac n'eft ni amere, ni falée; mais elle eft fi épaifle, & fi dé- goûtante, qu'on ne peut la boire. On y prend deux fortes de Poiflons, les uns fort gros & très-bons, que les Jndiens nomment Suchis ; les autres petits, très-mauvais & pleins d’arêtes, auxquels les E/pagnols ont donné le nom de Bogas. On y trouve auffi beaucoup d'Oyes & d’autres Oifeaux. Ses bords font remplis d’une efpéce de Glayeul & de Joncs qui ont fer- vi à faire le pont dont nous parlerons tout à l'heure. Le territoire qui borde ce Lac du côté oriental fe nomme Omafayo, & celui qui eft à l'Occident s'appelle Chicuito. Le Lac renferme plufieurs Iles dans fon fein, entre autres une qui eft remarquable par fa grandeur, & qui anciennement formoit une Colline qui fut applanie par ordre d:s Incas. Cette Colline s’appelloit Titi- Caca, quien Langue du Pays fignifie Colline de Plomb: c'eft de- là que le Lac a pris fon nom général. Cette même Ile donna lieu à la fable inventée par le premier Znca Manco- Capac, Fondateur de l'Empire du Pérou, qui publioit que le Soleil fon Pere l'avoit mis lui & fa fœur & fa femme Mama Oëllo Huaco dans cette I- le, & leur avoit commandé de donner des Loix raifonnables & juftes à tous ces Peuples, de les tirer de leur barbare rufticité, & de les policer par de bons Réglemens, & par un Culte Religieux. Cette fable fut caufe que les Ændiens regarderent toujours cette Ile comme facrée, & les Zncas y VOYAGE AOPPENON/ Em. L'EH XIV. 6 y voulant faire bâtir un Temple confacré au Soleil, firent applanir le ter- rain, afin qu'il fût plus commode & plus agréable. Ce Temple fut l'un des plus fomptueux de tout l'Empire ; les murail- les étoient entiérement couvertes de plaques d’or & d'argent. Ces riches- fes n’égaloient pourtant point encore celles qui étoient amoncelées hors du Temple ; car toutes les Provinces foumifes à l’Empire vifitoient une fois l'an le Temple, & y apportoient par maniere d’offrance une certai- ne quantité d’or, d'argent & de pierres précieufes. On croit communé- ment que les Indiens voyant que les Efpagnols s’emparoïent de leur Pays, & qu’ils s’approprioient tout ce qu'ils trouvoient, jetterent toutes ces ri- cheffes dans le Lac. C’eft ce qu’ils exécuterent aufli à l'égard d’une partie de celles qui étoient à Cuzco, & entre autres de la fameufe chaîne d’or que l’Inca Huayna-Capac avoit commandée pour la fête où lon devoitdon- ner un nom à fon fils aîné: on dit que tout cela fut jetté dans un autre Lac de la Vallée d'Orcos à fix lieues au Sud de Cuxco; quelques E/pagnols tenterent de fauver ces richefles, mais inutilement: le Lac fe trouva trop profond; car quoiqu'il n'ait pas plus de demi-lieue de circuit, il a en beaucoup d’endroits 23 à 24 braîles d’eau; à quoi il faut ajoûter la mau- vaife difpofition du fond , qui eft de bourbe ou fange déliée, ce qui ren- doit encore l’entreprife plus difficile. Les bords du Lac de Titi -caca fe retreciflent & forment vers le Sud une efpéce de Golfe, au bout duquel coule une Riviere nommée le De/z- guadéro * : laquelle va former le Lac de Paria, d’où il ne fort pas à-la-vé- rité de Riviere vifible; mais par les tournoyemens que l’eau fait, on ju- ge avec raifon qu'elle a une iflue par quelques conduits fouterrains. Sur le Defaguadéro on voit encore le Pont de Jones & de Tütoras cu Glayeul que le V. Jnca, Capac Tupanqui, inventa pour pafler de l’autre eôté avec toute fon Armée, & pouvoir faire la conquête des Provinces de Collafu- yo. Le Déjaguadéro a environ 80 à 100 aunes de large; & quoique fes eaux paroïflent dormantes à leur fuperficie, elles coulent au-deflous d’u- ne grande rapidité. L’Jnca étant arrivé-là, envoya couper de cette paik le, que l’on trouve en abondance fur toutes les collines & monticules des Bruyeres du Pérou, & que les Indiens nomment Ichu. Il en fit faire quatre gros palans, qui font le fondement de tout le pont. Deux de ces palans ayant été tendus au-deflus de l’eau, il fit mettre en travers une grande quantité de botes ou fagots de Joncs, & de Totora féche, bien liés les uns aux L'égoût, le canal par où l’eau s'écoule, Sé- À VOS MORE. PE TOY aux autres, & bien amarrés aux palans; & fur le tout on mit les deux autres palans bien tendus, que l’on couvrit encore des mêmes matériaux, mais plus petits, & non moins bien amarrés & arrangés; ce fut par- la que défila toute l'Armée. Ce pont fingulier a environ cinq aunes de lar- ge, & n'eft élevé au-deflus de l’eau que d’une aune & demi; on le con- erve toujours en y faifant les réparations néceflaires, ou en le renouvel- Jant tous les fix mois, à quoi les Provinces voifines font obligées de pour- voir & de contribuer également, par une Loi que le même Znca publia dès-lors, & qui depuis a été confirmée par les Rois d'Æ/pagne. C'eft ain- fi que les Provinces que le Defaguadèro fépare , peuvent commercer en- femble par le moyen de ce pont. VI. La Ville de Puno eft la Capitale du Corrégiment de Paucar-colla, le dernier de cet Evêché. Sa Jurisdiétion confine au Sud avec celle de Chicuito, & fon climat eft à-peu-près le même que celui de cette dernie- re. Auf la terre n’y produit-elle rien, & il faut tirer des Provinces voi- fines les Denrées néceflaires pour la nourriture des habitans. Mais on y nourrit quantité de Beftiaux , tant de l’Europe que de ceux du Pays, dont les Indiens employent la laine à faire des facs, en quoi confifte une partie de leur commerce. Les Montagnes du Pays renferment d’abondan- tes Minieres d’argent, témoin celle de Layca-cota, qui appartenoït à Ÿo- feph Salcédo, où lon coupoit fouvent l'argent au cifeau. Les grandes ri- cheffes qu’on en tiroit, furent caufe de la mort prématurée du Propriétai- re. Cette Mine ayant été noyée, on a fait beaucoup de dépenfe pour la re- mettre à fec, mais on n’a pu y réuflir, & il a falu l’abandonner. Les au- tres font négligées, ainfi que la plupart de celles de la Jurisdiétion de cet- te Audience, & en particulier du Diocéfe de l’Archevêché de Charcas, & de l'Evêché de 74 Paz. II. Evéché de l' Audience de Charcas. Santa Cruz de la Sierra. La Province de Santa Cruz de la Sierra eft un Gouvernement & Capi- tainie-Générale: & quoique d’une vafte étendue, il y a peu d’E/hagnois, la plus grande partie du petit nombre de Bourgs qu’il ya, étant des Mis: fions auxquelles on donne le nom de Miflions de Paraguay. La Capitale fut érigée en Siége Epifcopal lan 1605. Le Chapitre de la Cathédrale n'eft compofé que de l'Evêque, d'un Doyen & d’un Archidiacre, fans au- VOYAGE AU PEROU. Lrv. I Cu. XIV. 537 autres Dignités, ni Prébendes. L’Evêque fait fa réfidence ordinaire dans la Ville de Misque Pocona, qui eft à 80 lieues de celle de Santa Cruz de la Sierra. La Jurisdiction de Misque Pocona a plus de 30 lieues détendue; & quoique la Ville foit prefque déferte, les autres lieux font bien peuplés. L'air yeft chaud , ce qui n'empêche pas que le Pays ne produife des raifins. La Vallée où la Ville eft fituée a plus de 8 lieues de circonférence; elle produit toute forte de Denrées. Les Bois, les Montagnes fourniflent du Miel & de la Cire, qui font partie du commerce du Pays. Les Miffions que les P. P. Féfuites ont dans le Diocéfe de cet Evéché, font celles qu’ils nomment des Jndiens Chiquitos; nom que les Efpagnols donnerent à ce Peuple, parce qu'ils remarquerent que les portes de leurs maifons étoient fort petites *. Le Pays qu’ils habitent s’étend depuis San- ta Cruz de la Sierra jufqu'au Lac Xarayes, d'où fort la Riviere du Paraguay, qui {e joignant à d’autres Rivieres devient le Fleuve fi connu fous le nom de Rio de la Plata. Les éfuites commencerent à prêcher dans ce Pays à la fin du dernier fiécle, & avec un tel fuccès qu’en 1732 ils avoient for- mé fept Peuplades ou Villages de plus de fix cens familles chacun. Cette même année ils penfoient à former d’autres Peuplades, des Indiens qui fe convertifloient continuellement. Les Chiquios font bien faits & vaillans, comme ils l'ont fait voir'dans les oceafions où ils ont été obligés de fe défen- dre contre les Portugais, qui faifoient des courfes fur leurs terres, pour enlever les habitans & les emmener comme efclaves dans leurs Colonies. Les armes de ce Peuple font les fufils, les fabres, & les fléches empoifon- nées. Leur Langue eft différente de celle des autres Nations du Paraguay , mais quant à leurs ufages ils ne different guere des autres Indiens. Une autre Nation d’Zndiens idolâtres nommés Chiriguans , ou Chérigua- nes, confine à celle-là, &ne veut point entendre parler d’embrafler la Foi Catholique. Cela n'empêche pas que les Ÿéfuites n’entrent dans leur Pays, en menant avec eux quelques Zndiens Chiquitos pour leur fureté : ils y pré- chent & gagnent detems en tems quelque ame à Dieu, & quelques füujets à leurs Peuplades. C’eft ce qui arrive ordinaïrement quand dans les guer- res continuelles qu'ils foutiennent contre les Chiquitos , ils ont reçu quelque échec confidérable: alors craignant que ceux-ci ne profitent de leur vie- toire, ils ont recours aux Miffionnaires & demandent à fe convertir; MAIS * Cbiquito fignifie petit, bas, Tome L. Yyy mais ceux-ci ne font pas plutôt arrivés dans le Pays qu’ils les congédient, fous prétexte qu'ils n'aiment pas qu'on châtie ceux qui s’écartent des ré- gles de la raifon *, Ce quifait voir qu'ils font incapables de difcipline , & qu'ils n'ont du goût que pour la vie hcencieufe qu’ils ménent. Santa Cruz de la Sierra eft à quelque 80 ou go lieues à l’Orient de la Ville de la Plata. Elle étoit autrefois fituée plus au Sud près de la Cordille- re des Chiriguans. Le Capitaine Nuflo de. Chaves en jetta les premiers fon- demens l'an 1548, & lui donna le nom de Santa Cruz en mémoire du lieu de fa naïffance, qui eft un Bourg du même nom près de Truxillo en E/a- gne. La Ville de Santa Cruz de la Sierra ayant été ruinée, fut rebâtie dans le lieu où elle eft préfentement. Elle eft médiocrement grande, mal bâ- tie, & n'a rien qui la rende digne du titre de Cité dont elle jouit. III. Evêché de l’ Audience de Charcas. T'ucuman. Le Gouvernement de Tucma, que les E/pagnols appellent Tucuman , eft au centre de cette partie de l’ Amérique, & commence au Sud de la Plata au-delà des Villages de Chichas, qui fourniffent des Indiens aux Mines de Potofi. Il s'étend depuis le Paraguay & Buénos-Ayres à l'Orient jufqu’au Roÿaume de Chili à l'Occident, & au Sud jufqu’aux Pampas, ou Plaines de la Terre Magellanique. Le Pays, quoïqu'uni autrefois à l'Empire des Zn- cas, n’avoit point été foumis par leurs armes ; Car avant qu’ils en vinflent à la force, les Curacas + de Tucma envoyerent des Ambafladeurs à Jiraco- cha, VTIT. Inca, pour le prier de les recevoir au nombre de fes Sujets, & de vouloir bien leur envoyer des Gouverneurs'qui réformaflent le Pays par les figes Loix & la Police établie dans les autres Provinces de ŸEm- pire. Les Efpagnols ayant pénétré dans le Pérou, & achevé la conquête de prefque tout cet Empire, pañlerent à celle de la Province de Tucuman Yan 1549. Le Préfident Pedro de la Gajca chargea de cette entreprife le Capitaine Nunnez de Prado, qui trouva de grandes facilités dans l’exécu- tion; Car ce Péuple étant d’un naturel docile confentit fans peine à fe foumettre, & l’on bâtit quatre Villes dans le Pays. La premiere fut San- tiago * Cela paroît une énigme: on le comprendra mieux quand on lira ce que l'Auteur dira ci-après de la police des Miffions des Yéfuites. Not. du Trad. À La même chofe que Cariques, Chefs de certains Diftriéts. VOYAGE AU PEROU. Liv. LC XIV. 539 tiago del Efléro, ainfi appellée parce qu’elle fut fondée près d’une Riviere du même nom, dont les débordemens dans le tems des avalanges fertili- fent beaucoup les terres. Cette Ville eft à plus de 160 lieues au Sud de la Plata. La feconde fut San Miguel de Tucuman , fituée à 25 ou 30 lieues à l'Occident de Santiago. La troifiéme Nueftra Sennora de Talavéra, à un peu plus de 40 lieues au Nord de Santiago: & la quatriéme Cordoue de la Nouvelle Andaloufie, à plus de 80 lieués au Sud de Santiago. Le Pays compris dans ce Gouvernement eft fi vafte qu’il a plus de 200 lieues du Sud au Nord, & plus de 100 en quelques endroits de l'Orient à l'Occident; c'eft ce qui a fait fonger à augmenter les Peuplades d'E/pa- gnols; & pour cet effet on y a bâti encore deux Villes > qui font la Rio- ja à plus de 80 lieues au Sud-Ouëft de Santiago, & Salta au Nord-Eft & à un peu plus de 6o lieues de la même Ville. A quoi il faut ajoûter une Villote qui eft San Salvador ; ou Xuxuy , à un peu plus de 20 lieues au Nord de Salta. Toutes ces Villes font petites, mal conftruites, & bâties fans ordre ni fymétrie. Le Gouverneur ne fait point fa réfidence à Santiago, quoique la plus ancienne, mais à Salta; & l'Evêque & fon Chapitre à Cordoue , qui eft la plus grande de toutes ces Villes: les autres ont leurs Corrégidors particuliers qui gouvernent les Indiens de leurs Diftriéts. Le nombre n'en eft pas bien grand, une partie du Pays étant compofée de Déferts inhabitables, tant à caufe des hautes & fpacieufes Montagnes qui l'occupent & du manque d’eau, qu’à caufe des courfes continuelles des Indiens fauvages. L’Eglife de Tucuman, qui, comme je lai dit ,eft établie à Cordoue, fut érigée en Evêché lan 1570. Son Chapitre eft compofé, fans compter l'Evêque, de cinq Dignités, Doyen, Archidiacre, Chantre, Ecolâtre, & Tréforier, fans autres Chanoines ni Prébendiers. Le terroir eft fertile par-tout où l’on peut conduire l’eau des Rivieres ; les terres ainfi arrofées produifent des Grains & des Fruits fuffifamment pour la nourriture des habitans. Dans les Bois on trouve du Miel fauvage & de Ja Cire. Dans les lieux chauds on recueille du Sucre & du Coton dont on fait des toiles, qui avec quelques étoffes de laine fabriquées dans le Pays font une partie de fon commerce. Mais la branche la plus confidé- rable, ce font les Mules que l’on nourrit dans les Vallées où il y a des paca- ges en abondance. On envoye des troupeaux innombrables de cesanimaux au Pérou, où ils font de bon débit, les Mules de Tucuman étant renom- mées dans toutes ces Contrées, comme les meilleures & les plus fortes qu'il y ait, Yyy 2 CHA- se VOYAGE AU PEROU. CHER OR ET RE EX. Notice des deux derniers Gouvernemens de l Audience de Charcas, le Paraguay €? Buénos-Avyres, €S des Miffions que les Jéfuites y ont établies, avec la maniere dont ils les gouvernent, € la Police qu'ils y font obferuer. IV. Evêché de l'Audience de Charcas:. Le Paraguay. E. Gouvernement du Paraguay comprend les Pays qui font au Sud de Santa Cruz de la Sierra & à l'Orient des Terres du Tucuman. Versle Sud il confine au Gouvernement de Buénos-Ayres,. à l'Orient il s'étend jufqu’à la Capitainie de St. Vincent du Bréfil, dont St. Paul eft la Capitale. S4- baftien Gaboto fut le premier qui entreprit la découverte du Paraguay. Il entra dans le Rio de la Plata l'an 1526, & rencontra dans des Barques la. Riviere de Parana, & entra par-là dans le Paraguay. Dix ans après Fear de Ayolas fut nommé par Don Pedro de Mendoza premier Gouverneur de Buénos- Ayres , dont il reçut commiffion avec le monde néceffaire pour la même expédition; & par l’ordre du même Mendoza, Fean de Salinas. bâtit la Ville de Nueftra Sennora de la Affuncion, qui eft la Capitale de tou- te la Province. Et comme ces Capitaines n’avoient point découvert tout. le Pays, ni foumis les Peuples qui l’habitoient, Ælvar Nunnez, farnommé Tête de vache, y fit une nouvelleexpédition. Cet Alvar Nunnez Cabéza de Baca fut. nommé depuis au Gouvernement de Buénos-Ayres, où il fuccéda à Don Pedro de Mendoza. Les Peuplades d’E/pagnols qui font dans le Gouvernement du Paraguay, fe réduifent à la Ville de 7 4fJomption, celle de Villa Rica, & autres lieux, dont les habitans font E/hagnols, Mérifs, & quelque peu d’Inïiens ; mais le plus grand nombre eft de race mêlée. Les deux Villes font très-médio- cres, & les Villages à l'avenant. Les maifons de celles-là & de ceux-ci font féparées par des jardins & par des arbres, fans aucun ordre. L’As- Jomption a le titre de Cité ;. c’eft le lieu de la réfidence du Gouvérneur de la Province, qui avoit autrefois fous fa Jurisdiétion une partie des Peu- plades des Miffions du Paraguay; mais depuis quelques années elles en. ont été féparées, & unies au Gouvernement de Buénos-Ayres ; maïs quant. au Gouvernement fpirituel les chofes fubfiftent fur le pied qu’elles ont. tou-- VOYAGE AU PEROU. Lrv.L En. XV. 543 toujours té. Il y a une Eglife Cathédrale à l'4fomption , dont: le Chapitre eft compofé de l’Evêque, d’un Doyen, d’un Archidiacre, d’un Chantre, d'un Tréforier, & de deux autres Chanoines. Les Franciscains font Curés de toutes les Paroïfles , excepté dans les Miffions où:il n'yad'autres Curés que les Féfuites; & comme les Peuplades de ces Miffions font le plus: grand nom- bre deshabitans de cette Province, nous en parlerons dans un article à part, obfervant la même briéveté avec laquelle j'ai parlé des Corrégimens. Les Miffions du Paraguay ne fe bornent pas au territoire de la Provin* ce de ce nom, mais s'étendent en partie fur celui de Sante Cruz de la Sierra, de Fucuman,&de Buénos-Æyres. Depuis environ un ffiécle & de- mi qu’elles ont commencé , elles ont au giron de l'Eghfe quantité de Nations d’Indiens, qui répandus dans les terres de ces quatre Evêchés, vivoient dans les ténébres de l’'Idolîtrie & dans les mœurs barbares qu’ils avoient hérité de leurs ancêtres. Les P.-P. de la Compagnie de Féfus pouf fés par leur Zéle Apoftolique commencerent cette conquête fpirituelle en préchant les Zndiens Guaranies, qui habitoient les uns fur les Rivieres d'Uruguay & de Parana, & les autres à cent lieues plus haut dans les ter- res qui font au Nord-Ouëft du Guayra. Les Portugais, qui ne fongeoient qu’à l'avantage-de leurs Colonies.faifoient des courfes continuelles fur ces Peuples, en enlevoient autant qu'ils pouvoient , & les menoient en efclavage pour les faire travailler aux Plantations ; mais pour ne point-expoñfer les Néo- phytes à ce malheur, on jugea à propos de les tranfplanter au nombre de plus de douze mille, tant grands que petits , dans le Paraguay : outre ceux- la on en amena un pareil nombre du Tapé, afin qu’ils vécuflent avec plus de fureté & de tranquillité. Ces Peuplades groflies encore de tems en tems de nouveaux convertis, fe multiplierent. fi fort, que felon une rélation que j'ai eue de bonne main pendant que j'étois à Quito, en 1734, il.y avoit trente-deux Bourgs ou Villages d'Indiens Guaranies, & l'on. y comptoit au-delà de trente mille familles; & comme leur nombre augmentoit tous les jours, on fongeoit alors à fonder trois nouveaux Bourgs. Une partie de ces 32 Peuplades eft du Diocéfe de l'Evêché de Buénos-Ayres, l'autre partie eft du Diocéfe de celui du Paraguay. Cette même année il.y avoit fept Peuplades de la Na- tion des Chiquitos dans le Diocéfe de Santa Cruz de la Sierra, & l'on pen- foit à augmenter le nombre des Villages à caufe de l’accroiflement des habitans. e Les. Miffions du Paraguay font environnées: d’Indiens idolâtres: les uns Y3y3 We s42 VOYAGE AU PER OU. vivant en amitié avec les nouveaux convertis, & les autres lès Menaçant fans-ceffe de leurs incurfions. Les P. P. Mifionnaires font de fréquens voyages chez ces derniers, les prêchent, & tâchent de leur faire connoî. tre la Loi de 7éfus-Chrifl. Leurs peines ne font pas toujours inutiles, les plus raifonnables de ces Barbares ouvrent queiquefois les yeux, & recon- noiflent le vrai Dieu: alorsiis quittentleur Pays, & pañlent dansles Villages des Chrétiens , où après avoir été duement catéchifés ils reçoivent le Baptême. À environ cent lieues des Miffons il y a une Nation d’Indiens idolà- tres appellés Guanoas, qu’il eft bien difficile d'amener à la lumiere de l'E- vangile, tant parce qu’ils aiment la vie licentieufe, que parce que plu- fieurs Métifs & quelques E/pagnols, pour éviter le châtiment dû à leurs crimes, fe font réfugiés parmi eux. Le mauvais exemple de ceux-ci font caufe que ces Jndiens fe moquent de ce qu’on leur prêche. D'ailleurs ils font fort portés à l'oifiveté & à la fainéantife, ne cultivant pas même leurs terres & ne vivant que de la chafle; & comme ils fentent qu’en fe convertiflant & fe foumettant aux Miffionnaires , ils feront obligés de tra- vailler, ils aiment mieux refter Payens & jouir de leur oïfiveté. Cepen- dant il en vient quelques-uns chez les Chrétiens pour vifiter leurs parens, & voir comment ils vivent, & il s’en trouve plufieurs d’entre eux qui embraflent la vraye Religion. Ilen eft de-même des Charruas , Peuple qui habite entre les Rivieres de Parana & d'Uraguay. Ceux qui habitent les bords de la Parana depuis le Bourg du Sr. Sacrement en haut, & qui font appellés Guagnagnas, font plus traitables, & les Miffionnaires les prêchent avec plus de fuccés, par- ce que ce Peuple eft laborieux, & qu'il cultive fes terres; outre qu’ils n’ont point de commerce ni de communication avec les fugitifs. Non loi de la Ville de Cordova il y a une autre Nation d’Indiens idolâtres appel- lés Pampas, lesquels font difficiles à convertir, bien-qu’ils viennent fou- vent dans la Ville vendre leurs Denrées. Ces quatre Nations vivent en paix avec les Chrétiens. Dans le voifinage de Santa Fé, Ville de la Province de Buénos- Ayres, il y a divers autres Peuples qui font continuellement en guerre, pouflant Jeurs excurfions fi loin qu’ils viennent fouvent jufqu’aux environs de San-. tiago & de Salta dans le Gouvernement de Tucuman, faïfant de grands ravages dans les Biens des Campagnes &dans les Villages.Les autres N ations qui habitent depuis les confins de ceux-là jufqu’à ceux des Chiquitos, & jus- qu'au VOYAGE AU PEROU. Liv. L Cu. XV. ÿ43 qu’au Lac de Xarayes, font peu connues. Dans ces derniers tems il ÿ eut des Miffionnaires Ÿéfuites qui pénétrerent jufques chez ces Peuples par la Riviere de Pilcomayo, qui coule depuis le Poto/i jufqu’a / Affomption, fans avoir pu les découvrir; ce qu'il faut attribuer à la vafte étendue du Pays, & à l'humeur errante de ces Peuples, qui n’ont jamais de demeu- re fixe, fans compter qu'ils ne font pas en fort grand nombre. Vers le Nord de 7 ÆfJomption il y a un petit nombre d’Indiens Gen- ils. Quelques-uns d'eux ayant été rencontrés des Miffionnaires qui voya- geoient pour les découvrir, les ont fuivis fans répugnance aux Villages Chrétiens, & embraflé la Religion Chrétienne. Les Chiriguans, dont nous avons déjà parlé, habitent aufli de ce côté-là, & n'aiment guere qu’on leur parle de mener une vie moins libre que celle dont ils jouiflent dans leurs Montagnes. Il eft aifé de juger par ce qui a été dit ci-deflus, queles Miffions du Pa- raguay occupent un Pays aflez confidérable. L'air y eft en général aflez tempéré & humide, ce qui n'empêche pas’qw’il n’y ait des endroits plus froids que tempérés. Le terroir y eft fertile & abondant en toute forte de Denrées tant du Pays que d'Europe. On y recueille en particulier beau- coup de Coton, dont on fait un grand commerce. Les récoltes en font fi abondantes, qu’il n’y a point de Village qui n’en amaffe plus de deux mil- le arrobes. Ees Indiens en fabriquent des toiles, & autres chofes fembla- bles que l’on tranfporte hors du Pays. On y plante beaucoup de Tabac, quelque peu de Sucre, & une quantité prodigieufe de cette Herbe appel- lée Herbe du Paraguay, qui feule fait un article confidérable du Commer- ce de cette Province; car elle ne crôît que là, & c’eft de-là qu’elle pañle dans toutes les Provinces du Pérou & dans le Chili, où il s’en fait une grande confommation, furtout de celle qu’on nomme Camini, qui eft la feuille toute pure; car celle qu’on appelle Palos, eft moins fine, & n’eft pas fi propre pour faire le Maté, ni fi eftimée. Ces marchandifes font envoyées pour être vendues à Santa-Fé & Bué- nos. Ayres, où les P.P. Ÿéfuites ont un Commis particulier qui a fom de la vente; car le peu d'intelligence & d’adreffe des Zndiens , furtout des Gua- ranies , les rend incapables de ce foin. Ces Commis reçoivent ce qu’om leur envoye du Paraguay, & après s’en être défaits ils en employent le montant en marchandifes d'Europe, felon la quantité dont les Peuplades: ont befoin, tant pour l'entretien des habitans, que pour l’ornement des. Eglifes, & ce qui eft néceffaire aux Curés qui les defervent. On x | foin: 44 VOYAGE AU PEROU. foin avant d'employer ainfi cet argent , d’en prélever le tribut que cha- que Village, ou plutôt chaque Indien doit payer. Ces fommes font envo- vées aux Caifles Royales, fans autre retranchement ou décompte que ce qui revient aux Curés pour leurs appointemens, & les penfions des Caciques. Les autres Denrées que le terroir produit, & le Bétail qu'on y nourrit, fervent à la nourriture des habitans ; le tout leureftdifiribué avec un ordre fiadmirable , que ce feroit faire tort à la fage conduite de ceux qui dirigent ces Miflions, que de ne pas parler de la police qu'ils y font régner. Chaque Peuplade des Miffions du Paraguay a, à l'exemple des Cités & autres grandes Peuplades des Æ/pagnols, un Gouverneur, des Regidors & des Alcaldes. Les Gouverneurs font élus par les Zndiens mêmes, & confirmés _par les Curés, afin qu'on ne puifle élever à.cet emploi une perfonne in- capable d'en bien remplir toutes les fonétions. Les .Alcaldes font nommés tous les ans par les Corrégidors, & conjointement avec eux le Gouver- neur veille au maintien du bon ordre parmi les habitans ; & pour que ces Magiftrats, dont les lumieres font fort bornées, ne puiflent abufer de leur autorité, & commettre des injuftices en fe laïffant emporter à la ven- geance contre les autres Jndiens, ilieur eft.défendu d’infliger aucun chä- timent fans en avoir auparavant donné part au Curé, qui examine d’a- bord laffaire, & s’il trouve que l’accufé ft véritablement coupable, il le laiffe prendre & châtier fur le champ felon l'exigence du cas; quelque- fois c’eft la prifon, quelquefois le jeûne. Si le délit eft grand, le cou- pable reçoit quelques coups de fouët: c'eft-là la plus grande peine, vu que parmi ces gens il n’arrive jamais de cas aflez grave pour mériter une plus févre punition: car dès l'établiffement de ces Miffions, les Néo- phytes furent endoétrinés de maniere à n'avoir que de l'horreur pour le meurtre, les aflaffinats & autres crimes femblables. Les châtimens font toujours précédés d’une remontrance de la part du Curé au coupable. Il lui repréfente doucement fa faute, lui en infpire de l'horreur, & le fait tomber d'accord dé la juftice du châtiment, le difpofant à le recevoir plu- tôt comme une correction fraternelle que comme une punition, deforte que par-là le Curé fe met à couvert des effets de la haine & de la ven- geance de celui qu’il fait châtier: & bien loin même d’être haïs, ces P. P. font au-contraire & chéris, fi refpeétés de leurs Paroiffiens, que quand même ils les feroient châtier fans raifon, ils croiroient l'avoir mérité, fuppofant par un effet de l’eftime & de la confiance qu'ils ont pour eux, qu’ils ne font jamais rien fans caufe légitime. Cha- VOYAGE AU PEROU. Liv. I. Cu. XV. : 545 Chaque Peuplade a un Arfenal particulier où l’on renferme toutes les armes tant fufils qu'épées & bayonnettes , dont on arme les Milices, quand le cas arrive de fe mettre en campagne, foit contre les Portugais, foit contre les Zndiens infidéles du voifinage ; & pour fe mettre au fait du maniement des armes, ils font l'exercice tous les foirs des jours de Fête fur les Places des Villages, lesquelles font fuffifamment fpacieufes pour ce- la. Tous les hommes en état de porter les armes forment diverfes Compa- gnies dans chaque Village: on choïfit pour Officiers ceux d’entre eux qui ont le plus d'intelligence; ils font vétus d’uniformes galonnés d’or ou d'argent, avec la devife de leur Canton. C’eft dans cet équipage qu’ils paroiflent les jours de Fête, & quand ils afliftent aux Exercices Militai- res. Le Gouverneur, les Régidors, les Alcaldes ont auffi des habits de Cérémonie differens de ceux qu’ils portent journellement. Dans chaque Village il y a des Ecoles publiques pour apprendre à li. re & a écrire: il y en a pour la Danfe & pour la Mufique, où l’on en- feigne les jeunes-gens, & où l’on fait d’excellens éléves, parce que l’on confüulte linclination & les talens de chacun d'eux, avant de les poufler dans quelqu'un de ces Arts. On enfeigne le Latin à plufieurs en qui l’on remarque du génie, & ils s’y rendent fort habiles. Dans la cour de la maifon que le Curé occupe dans chaque Village, il y.a divers atteliers, ou boutiques de Peintres, de Sculpteurs, de Doreurs, d'Orfévres, de Serruriers, de Charpentiers, de Tiflerans, d'Horlogers, & de toute for- te de Profeffions & Métiers nécefaires, où ceux qui les exercent travail- lent journellement pour tout le Village, fous la direétion des Vicaires ou Secondaires du Curé. Les jeunes - gens fréquentent ces atteliers pour y apprendre les profeffions pour lesquelles ils ont le plus de goût. Les Eglifes des Villages font grandes & très-bien ornées, & ne le cé- dent en magnificence à aucune du Pérou. Les maifons des Indiens font fi bien difpofées, fi commodes, & fi bien fournies d’ornemens & des ameu- blemens néceflaires, qu’il feroit bien à fouhaiter que dans plufieurs Bourgs de l'Amérique celles des E/pagnols les égalaffent. La plupart:ne font pour- tant bâties que de bauge, quelques-unes de briques crues, & quelques autres de pierres; mais toutes font couvertes de tuiles. Tout eft fur un fi bon pied dans ces Villages, qu’il y a jufqu’à une maifon particuliere où l’on fabrique de la poudre à canon, pour qu’on n’en manque jamais quand il eft queftion de prendre les armes, & de faire les feux d'artifice avec les- quels on folemnife les Fétes de l'Eglife ou autres, dont ils n'omettent pas Tome LI. Z27z une 46 VOYAGE AU.PER.OU. une de celles qui fe folemnifent dans les grandes Villes, ‘À là proclama- tion des Rois d'E/pagne, tous les Officiers Civils & Militaires font habil- lés de neuf & magnifiquement, conformément au defir qu’ils ont de témoi- gner leur affection au Monarque qui vient de monter fur le Trône. Chaque Egjlife a fa Chapelle de Mufique, compofée de Chanteurs & de nombre d’Inftrumens dé toute efpéce. Le Service Divin s’y célébre avec Ja même pompe & la même dignité que dans les Eglifes Cathédrales. La même chofe s’obferve dans les Proceffions publiques, & furtout à celle Un St. Sacrement, où afliftent le Gouverneur, les Régidors, les .Alcaldes en habits de Cérémonie, & les Milices en Corps de troupes; le refte du Peuple porte des flambeaux, & tous marchent dans le plus grand ordre & avec beaucoup de refpeét. Ces Proceffions font accompagnées de fort belles danfes, bien différentes de celles dont j'ai parlé dans la premiere Partie, à l'Article de Quito. Il ya des habits particuliers & fort riches pour ces fortes d’occafions. Dans chaque Village il y a une Maifon de force, où l’on met les fem- mes de mauvaife vie. Cette Maifon eft en même-tems une Béaterie, où les femmes qui n’ont point de famille fe retirent, quand leurs époux font abfens. Pour l'entretien de cette Maifon, pour la fubfiftance des Vieil- lards , des Orfelins, &.de ceux qui font hors d'état de gagner leur vie, ls habitans de chaque Village font obligés de travailler deux jours de la femaine’pour enfemencer & cultiver en commun un efpace de terre con- enable, ce qui s'appelle Travail de la Communauté. Si le produit furpaile les béfoins, on applique le furplus à l'ornement des Eglifes, & à lhabil- lement des Vieillards, des Orphelins , & dés Impotens, & par-la nul des habitans ne manque du néceffaire. Les Tributs Royaux font payés ponc- tuellement, fans rabais ni déchet. Enfin il femble que ces lieux foient le féjour de la félicité, effet de la paix & de l'union des habitans; & tout céla eft dû à la vigilance, & à l'exaétitude avec laquelle on obferve les fâges réglemens établis dans cette nouvelle République. Les PP. Féfuites, Curés de ces Millions, ont foin de faire vendre les marchandifes qui fe fabriquent dans les Villages, & les denrées que les champs produifent principalement, à caufé que les Indiens Guaranies font fi portés à l'oifiveté & à la diffipation de leurs effets, que fans l'attention de ées Peres ils s’abandonneroïent à laparefe, & fe laïfferoient manquer de tout. Il n’en eft pas de-même dés Chiquitos.… Ils aiment Je travail & font fort bons ménagers. Les Curés des Villages de cette N ation ne font point entre» VOYAGE AU PEROU. Lav. I. Ce XV. 547 entretenus par le Roi. Ce font les Indiens mêmes qui ppourvoyent à leur entretien. Pour cét effet ils cultivent tous enfemble ume Plantation rem- plie de toute forte de Grains & dé Fruits pour le Cüré,, qui füuffit pour fa nourriture ordinaire & même au-delà. Pour que rien de ce qui eft néceflaire ne manque aux Indiens, les Cu- rés ont foin de faire provifion de Ferremens, d'Etoffes:, & d’autres mar- chandifes; & quand ceux-là‘en ont befoin, ils s’adreffemt à eux, & leu donnent en échange de la Cire & autres Fruits du Pays ,obfervant de part & d’autre dans cés trocs une bonne-foi inviolable. Les Cuürés remettent ce qu’ils ont reçu de cette maniere au Supérieur des Müiffions, qui n’eft pas le même que celui dés Guaranies. Ce Supérieur fait vendre tout cela, & du produit on achéte de nouvelles marchandifes pour les befoïns des Communautés. De cette maniere on empêche que les Zndiens ne fortent de leurs Cantoñs pour fe pourvoir de ces effets; & l'on prévient l'incon- vénient qu’en paflant chez d’autres Peuples, ils ne cointraétent des vi- ces dont ils fe foht préfervés. Le Gouvernement Spirituel de ces Peuplades n’eft pas moins extraor- dinaire que le Gouvernement Politique. Chaque Village a fon Curé par- ticulier, qui éft affifté d’un autre Prêtre de la même Société, fouvent même de deux, felon que le Village eft plus ou moins pœuplé. Ces deux où trois Prêtres fervis par fix jeunes garçons, qui font ll’office de Clercs à l'Eglife, forment une efpéce de petit Collége dans chaque Village, où toutes les heures d'exercice font réglées comme dans Iles Colléges des grandes Villes. Les plus pénibles Fonctions des Curés, font de vifiter en perfonne les Plantations des Jndiens, pour voir s'ils ne les négligent point; car la parefle des Guaranies eft telle, que fans une continwelle attention de la part des Curés, ils abandonneroient la culture des terres, & ne pren- droient pas la moindre peine pour les faire valoir. Le Curé aflifte aufi régulierement à la Boucherie pablique , où l'on tue des Beftiaux pris pat- mi ceux que les Indiens élévent. On en diftribue la viamde par rations, à proportion du nombre de perfonnes dont une famille efit compofée, de maniere que le nécéffaire ne manque à perfonne, & qu’em même-tems il ne fe trouve rien de fuperflu. Il vifite aufli les malades, pour voir s'ils font fervis avec charité. Tout cela l’occupe prefque tout le jour, & lui laïfle à peine le tems de concourir aux autres offices fpirituels dont fon Vicai- re cit chargé. Celui-ci doit catéchifer dans l'Eglife tous les jours de la femaine, à l'exception des Jeudis & des Samedis, pour unftruire les jeu- 221 2 nes 548 FVOoYAGE AU PE RD nes garçons & les jeunes filles, dont il y a un fi grand nombre qu’on en compte plus de deux mille de lun & de l’autre fexe dans chaque Village. Le Dimanche tous les habitans fe rendent au Catéchifme. Enfin il faut. aller confeffer les malades, leur porter le Viatique, & faire toutes les au- tres fométions dont un Curé ne peut fe difpenfer. A.la rigueur ces Curés devroient être nommés par le Gouverneur com- me Vice-Patrons de ces Eglifes, enfuite admis par l’'Evéque aux Fonétions. Curiales : mais comme parmi les trois fujets qui devroient être préfentés. au Vice-Patron à chaque nomination, 1l s’en trouveroit toujours un plus. propre que les antres, & que perfonne ne connoît mieux le mérite des fujets que les Provinciaux de l'Ordre, les Gouverneurs, & les Evêques,, ont bien voulu leur céder leurs droits , de maniere que c’eft le Provincial qui nomme, & qui pourvyoit les Curés felon fon gré: Les Mifions des Guaranies ont un Supérieur - Général, qui nomme les, Secondaires de tous les autres Villages. . Il fait fa réfidence dans le Bourg de la Candelaria, qui eft au centre de toutes les Miffions; de-là il va vi- fiter les autres Peuplades.pour voir ce qui s’y pafle, & envoyer en même- tems des Miffionnaires chez les Indiens Gentils, pour les attirer & gagner leur confiance. Ileft foulagé dans fes fonétions par deux Vice-Supérieurs, qui réfident l’un près de la, Parana & l’autre près de l'Uruguay, de manie- re que toutes ces Doétrines forment un Collége fort étendu & difperfé,, dont le Supérieur eft Reéteur, & chaque Village une famille bien chérie, & foignée par fon Pere fpirituel, qui eft le Curé. Le Roi donne la portion congrue aux Curés des Miffions Guaranies , la- quelle monte à 300 piaîtres par an, y. compris le falaire de fon Adjoint ou Secondaire. Cette fomme eft remife à la difpofition du Supérieur, & celui-ci fournit tous les mois à chaque Curé, ce qui eft néceffaire pour leur nourriture & leur veftiaire; & toutes les fois qu'ils ont befoin de quelque chofe de plus que l'ordinaire, ils s'adreflent à lui, & il le leur four: nit exactement. | Les Miffions des Zndiens Chiquitos ont un Supérieur à part, comme nous l'avons déjà dit, dont les fonétions ne different pas de celles du précé- dent; mais ces Peuples étant. plus laborieux que les Guaranies, les Curés n'y font pas fi occupés à les exciter au travail. Tous ces Jndiens font fujets à des maladies contagieufes telles que la petite vérole, des fiévres malignes, & autres auxquelles ils donnent vul- gairement le nom de pefte, à caufe des ravages qu’elles font; c'eft ce qui fait VOYAGE AU PEROU. Liv. L En XV. 5ÿ49 fait que ces Peuplades ne multiplient pas à proportion du nombre de per- fonnes qu’il ya, du tems qui s’eft écoulé depuis leur établiflement, au repos & de la tranquillité dont elles jouiffent. Quand ces maladies régnent Jes Curés & leurs Adjoints ont bien de la peine à furvenir à ce furcroit de travail, c’eft pourquoi auffi on a foin de leur envoyer des Aides. Les Mifionnaires ne fouffrent jamais qu'aucun habitant du Pérou, de quelque nation qu'il foit, Efpagnol, ou Métif, ou autre, entre dans les Mifions qu’ils adminiftrent au Paraguay ; non pour cacher ce qui s’y pañle, ni par crainte que l’on partage avec eux le commerce des denrées qu'on y recueille, ni pour aucune des raifons avancées gratuitement par des per- fonnes envieufes; mais pour que les Zndiens qui ne font que de fortir de Jeur barbarie, & d’entrer dans les voyes de la lumiere, fe maintiennent dans cet état d’innocence & de fimplicité, ne connoïffant d’autres vices que ceux qui font communs entre eux, & qu'ils ont aujourd'hui en abomi- nation grace aux exhortations & aux confeils de leurs Directeurs. Ces Zn- diens ne connoiflent ni l'inobéiffance, ni la rancune, ni l'envie, ni les autres paflions qui caufent tant de maux dansle Monde. Siles Etran- gers venoient chez eux, à peine ils y feroient arrivés que leurs mauvais exemples leur apprendroient des chofes qu'ils ignorent, & bientôt renon- çant à la modeftie, .& au refpect qu'ils ont pour les inftruétions de leurs Curés, on expoferoit le falut de tant d’âmes qui rendent à Dieu un vérita- ble culte; & l’on priveroit le Souverain d’une infinité de fujets, qui le reconnoiflent volontairement pour leur feul Seigneur naturel. Ces Indiens vivent aujourd’hui dans la parfaite croyance que tout ce que le Curé dit eft bien, & que tout ce qu’il blâme eft mal. Ils perdroient bientôt cette idée, s'ils voyoient des Chrétiens moins touchés des vérités de l'Evangile, & dont les actions feroient oppofées à leur croyance. . Au- jourd’hui ils font perfuadés que la vente & les achats doivent fe faire de bonne foi, & avec droiture; ils ne connoiflent ni les rufes, n1 la mau- vaife foi. Or il eft certain que s’il étoit permis à chacun de venir trafiquer avec eux, la premiere maxime qu’ils apprendroient; feroit qu’il faut tou- jours acheter à bas prix, & vendre le plus cher qu’on peut; & cette mé- chanceté en attireroit beaucoup d’autres qui en font les fuites naturelles, & dont il n'y auroit plus moyen de_les retirer fi une fois ils s’y laifloient entrainer. Je ne prétens point par-là diminuer en aucune façon la bonne réputation des E/pagnols, ni des autres Nations qui font à portée de tra- fiquer avec les. Miffions du Paraguay; mais on conviendra que dans le AA grand 550 VOYAGE AU PE RO &. grand nombre, 1l y a toujours quelqu'un entaché de quelque vice : un feul homine de cette efbéce fuffit pour infeéter tout un Pays; & qui peut aflu- rer ,que fil’on pérmettoit aux Etrangers l'entrée libre des Miflions, il n’y viendroit pas parmi le nombre quelqu'un dont les mœurs corromproient celles de ces heureux habitans? Qui fait même fi ce ne feroit pas le premier qui y viendroit? C’eft donc avec raifon que les P. P. Téfuites ont toujours re- fufé & refufentencore d'admettre aucun Etranger dans le Pays. Rién n’eft plus propre à lés confirmer dans cette conduite, que les exemples déplora- bles du dépériflement des Doétrines du Pérou. Quoiqu'il n'y ait pas de Mine d’or ni d'argent dans cette partie du Pa- raguay que les Miffions ont toujours occupée, il y en a dans les terres qui y appartienent, & dans les dornaines des Rois d’E/pagne, dont les Por- tugais retirent feuls les avantages. Cette Nation a fu s’introduire jufqu’au Lac Xarayes, dans le voifinage duquel on découvrit il y a un peu plus de vingt ans quelques Minieres abondantes d’or qu’elle s’eft appropriées fans autre titre que leur convenance, & s’y eft maintenue, les Miniftres d'Ese pagne n'ayant pas jugé à propos d'employer des remédes violens, pour ne point altérer la paix entre deux Nations fi voifines & fi alliées. V. Evéche de l Audience de Charcas. Buënos-Ayres. La Jurisdiétion Eccléfiaftique de l'Evêque de Buënos-Ayres s'étend auf loin que le Gouvernement de ce nom ; lequel s'étend depuis les Côtes maritimes à l'Orient jusqu’au Pays de Tucuman à l'Occident, & depuis les Terres Masellaniques au Midi jufqu’au Paraguay au Nord. Les Terres que le Rio de la Plata arrofe font de ce Gouvernement. Elles furent dé- couvertes par Don Juan Dias de Soliz, qui étant parti en 1515 d'E/pagne avec deux Vaifleaux arriva fur les bords de ce Fleuve, & prit pofefion des Pays voifins au nom du Roi d'Efpagne. Ce Capitaine ayant été tué par les Zndiens du Pays à qui il s’étoit trop fié, on envoya en 1526 Sébaftien Gaboto, qui entrant dans le Fleuve, découvrit l'Ile, qu’il nomma de St. Gabriel; & paflant plus avant il découvrit une autre Riviere qui fe jette dans Rio de la Plata, & à laquelle il donna le nom de San Salvador : il y fit entrer ces Vaïifleaux, & mettre fes troupes à terre; puis ayant bâti un Fort où il mit garnifon, il continua à naviguer par la Riviere de Parans environ 200 lieues, & découvrit le Paraguay. Gabato ayant reçu quel- VOYAGE AU PEROU. Em: I: Cu XV. gs quelques lingots d'argent des Jndiens qu'il avoit rencontrés, particulicre- ment des Guaranies , qui les avolent apportés des autres Provinces du Pé- rou, S imagina qu'ils les avoient tirés des environs du Fleuve; c’eft ce qui le porta à donner à ce Fleuve le nom de Rio de Ja Plata *: & ce nom a prévalu fur celuide Rio de Soliz, qu’on lui avoit donné en mémoire de ce- Jui qui l'avoit découvert. Il n'y a plus qu’une petite Riviere qui eft à fept où huit lieues à l'Occident de la Baye de Maldonado, qui ait retenu le nom de Soliz. La Ville Capitale de ce Gouvernement eft appellée Nucfira Sennora de Buénos-Ayres. Elle fut bâtie en 1535, par Don Pedro de Mendoza, qui fut le premier Gouverneur. Les fondemens en furent jettés dans un lieu nommé Cabo Blanco fur la côte méridionale de Rio de la Plata, & tout près d’une petite Riviere qui coule par-la. La Ville, felon le Pere Feuil. lée eft par les 34 deg. 34 min. 38 fec. de Latitude Méridionale. Elle a été appellée Buénos-Ayres, parce qu'en effet l'air y eft meilleur qu’en au- cun autre lieu de cette partie de l'Amérique. Buénos- Ayres eft bâtie fur u- ne plaine un peu élevée au-deflus-du'plan par où pafle:la petite Riviere en queftion. C’eft une Ville aflèz grande, puifqu’on y compte jufqu’a trois mille maifons habitées par des E/pagnols, & gens de race mêlée, Sa figu- reeft longue & étroite ; les rues droites, & médiocrement larges; la gran- de Place eft fort fpacieufe, aboutiffant à la petite Riviere, vis-à-vis de !a- quelle eft un Fort où le Gouverneur fait fa réfidence ordinaire: la Garni- fon de ce Fort, & des autres qui défendent la Ville, eft de 1000 hommes de Troupes réglées. Les maifons n'étoient autrefois que de bauge, couver- tes de paille, & fort bafles: aujourd'hui elles font de chaux & de bri- que, & prefque toutes font couvertes de tuiles, & d’un étage fans le rez- de-chauflée. L'Eglife Cathédrale eff bien bâtie. C’eft la Paroïffe de la plupart des habitans ; car quoiqu'il y en ait une autre à l'extrémité de la Ville, elle n’eft guere qué pour les Zndiens. Le Chapitre eft compofé de l'Evêque , d’un Do- yen, d’un Archidiacre , & de deux Canonicats, dont l’un s’obtient par op- pofition ,& l’autre par préfentation. Outre ces deux Eglifes il y a plufieurs Couvens, & une Chapelle Royale dans la Citadelle. Du-refte la Ville eft gouvernée fur le même pied que les:autres dont nous avons parlé. Le climat de Buénos-Ayres n'eft pas différent de celui d'Efpagne. Les fai» * Riviere d'argent. TE VOYAGE AU PEROU: faifons y font diftinguées de la même maniere qu'ici. Les orages yfont fréquens en Hiver, & en Eté la chaleur y eft tempérée par quelques vents agréables qui fouflent dès les huit ou neuf heures du matin. La Ville eft environnée de vaites campagnes toujours vertes, & où rien n'empêche lavue. Leur fertilité procure une fi grande abondance de Viandes, qu'iln’ya pas de Ville au Monde oùelles foignt'a meilleur marché, ni de meilleur goût: lecuir des Beftiaux eft prefque la feule chofe que l'on paye; toute la viande fe donne pour rien, ou peu s’en faut. Ii n'y a pas plus de vingt ans que.les Campagnes près de Buénos-Ayres, vers l'Occident, le Sud & le Nord, foifonnoient de Bœufs & de Chevaux fauvages, defor- te qu'ils ne coutoient que la peine de les prendre; un Cheval fe vendoit un écu, -& un Bœuf choifi fur un Troupeau de deux ou trois cens fe ven- doit quatre réaux. Quoique ces animaux ne manquent pas aujourd'hui, ils ne font plus en fi grande abondance depuis les tueries que les Æ/pagnols & les Portugais en ont fait pour en avoir les cuirs, qui font un des princi- paux commerces du Pays. Le Gibier n'y eft pas moins abondant que la Viande de boucherie; & ja Riviere fournit de très-bons Poiïffons, furtout des Péges-Reyes, qui y ont une demi-aune & plus de longueur. Les Fruits d'Europe & du Pays viennent très-bien dans ce terroir, & on y en recueille beaucoup. Enun mot c’eft le Pays de la bonne chere, & ce qui.vaut mieux encore l’air y eit fort falubre. Buénos-Ayres eft éloignée du Cap Sainte Marie, qui eft à l'entrée de Rio de la Plata par la Côte du Nord, de 77 lieues ; & comme le Fleuve n’a pas affez de fond pour que les grands V aifleaux remontent jusqu’à Bué- nos- Ayres, ils mouillent dans une des deux Bayes qu’il y a à cette.même Côte. La plus orientale de ces Bayes eft éloignée du Cap Suinte Marie de neuf lieues: on la nomme Baye dé Maldonado, & l'autre eft appellée Monté Vider, du nom d’une haute Montagne qui n’en eft pas loin, & environ à vingt lieues de ce Cap. Les Villes de Santa Fe, las Corrientes , & Monté Video appartien- nent au Gouvernement de Buénos- Ayres. Monté Video a été bâtie il n’y à que quelques années: elle eft fituée für le bord de la Baye dont elle porte le nom. Santa Fé eft à 90 lieues au Nord-Ouëft de Buénos- Ayres. Elle eft fituée entre Rio de la Plata & Rio Salado, Riviere qui pañlant par les Terres de Tucuman fe jette dans celle-là. Cette Ville eft petite, mal bâtie, &aété fouvent rujnée par les Zndiens infidéles, qui la tiennent en- cor VOYAGE AU PEROU. Liv. LE Cu. XV. 553 core dans des allarmes continuelles. C’eft par la voye de cette Ville que fe fait le commerce de l’'Herbe. Camini, & de Palos, entre le Paraguay & Buénos-Ayres. , La Ville de as Corrientes eft entre Rio de la Plata & la Riviere de Parana, à cent lieues de Santa F6. Cette Ville n’eft propre- ment Ville que de nom, tant elle eft petite & mal bâtie. Dans ces deux dernieres il y a un Corrégidor particulier, qui eft Lieutenant du Gouver- neur; leurs habitans & ceux de la Campagne forment des milices defti- nées à réfifter aux Jndiens dans leuts incurfions. Une partie des Villages des Miffions du Paraguay appartiennent, comme il a été dit, au Diocéfe de Buénos-Ayres; & quant à la Jurisdiétion Royale elles font à-préfent toutes dépendantes du Gouvernement de Buénos-Ayres, celles qui appar- tenoient autrefois au Gouvernemenñt du Paraguay en ayant été féparées. Après ce détail des deux Audiences de Lima & de Charcas, 1 ne nous refte plus, pour finir tout ce qui. concerne la Viceroyauté du Pé- rou que de parler du'Royaume & del’ Audience de Chili: mais comme ‘me femble que ce fujet mérite d’être traité un peu au long, j'ai cru devoir Je réferver pour le Livre fuivant. Je ferai plus court que dans les précédens articles, qui étoient en effet d'une tout autre importance; car par ce que j'ai dit dans la Premiere Partie de la Province de Quito, on peut juger de la différence des deux Provinces dont je vais traiter, d'avec celles que je viens de décrire: En effet, la Province de Quito n’a qu'un feul Evêché, & celle de Lima a un Archevêché & quatre Evêchés, & celle de Charcas un Evêché plus que celle de Lima. La Province de Quito n’a que très-peu de Mines, encore font-elles négligées; au-lieu que les Provinces de Lima & de ‘los Charcas abondent en Minieres aétuellement exploitées avec des profits imfmenfes ; ce q@i”y attire beaucoup de mon- de, rend lePays plus peuplé, plus @pulent , & y occafionne un plus grand commerce. Cependant le nombre des habitans de ces Provinces n’eft point proportionné à l'étendue du Pays qu'ils occupent, deforte qu'on à raifon de dire qu’il y a beaucoup de déferts; & 1l n'importe qu'un Corré- giment contienne vingt Villages, fi fes terres s'étendent à trente lieues & au-delà, & à quinze là où il 2 le moins d’étendue ; puifque fi l’on forme un quarré long de taytes ces proportions , il contiendra quatre- cens-cinquante lieues quarrées de Pays, & dans cette fuppofition il fe trou- vera que chaque Village aura un terroir de vingt-deux lieues & demie quarrées. Ce calcul eft pris fur les moindres diftances, car nous avons vu des Corrégimens beaucoup plus étendus, & d’autres qui fans l'être moins, n'ont pas même yingt Villages. Tome I. Aaa À 554 VO VA GE MU PE RO. A l'égard de ce que j'ai dit des Produétions & des Fabriques de cha- que Corrégiment, on comprend que je n’en ai parlé qu'en général, & qu’outre cela il y a des chofes particulieres qui croiflent ou fe fabriquent dans un Village, qui ne font pas communes aux autres. Cela foit dit en pañlant, pour fervir de régle au Leéteur qui veut fe former une jufte idée de ces Pays, qui font dignes de toute attention, non feulement par leurs richeffes, leur fertilité, leur immenfe étendue; mais par diverfes autres confidérations, qui ont du rapport à la Religion, & à la grandeur de la Monarchie, vu que ces Pays ont toujours été ies plus fidéles à ia Cou- : ronne. Quoi de plus glorieux pour nos Rois que d’avoir établi la vraie Religion, le Culte de Dieu, & l’Obéiffance au Pontife Romain dans ces Contrées, & retiré tant d’âmes des ténébres de l’Idolâtrie ? FIN DU TOME PREMIER. fr aa Fe p’ E F7 en de, Thaha more ref à: a sé. NAT