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HISTOIRE

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SOCIÉTÉ DITE

DES QUAKERS

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HiLL UBRARY

HISTOIRE ABRÉGÉE

DE

L'ORIGINE ET DE LA FORMATION

DE LA SOCIÉTÉ DITE

DES QUAKERS,

SONT EXPOSÉS CLAIREMENT

LEUR DOCTRINE, LEUR CULTE, LEUR MINISTÈRE, ET LEUR DISCIPLINE,

PRÉCÉDÉE

D'UNE INTRODUCTION,

IL EST TRAITÉ EN PEU DE MOTS DES DISPENSATIONS ANTÉRIEURES DE DIEU AUX HOMMES.

Par GUILLAUME PENN.

NOUVELLE EDITION, REVUE ET CORRIGEE.

LONDRES : DE L'IMPRIMERIE DE J. RIDER,

BARTHOLOMEW CLOSE.

1839.

Digitized by the Internet Archive

in 2010 with funding from

University of Ottawa

http://www.archive.org/details/histoireabrOOpenn

AU LECTEUR.

L'histoire suivante de la Société connue sous le nom de Quakers ou Trembleurs, a été écrite dans des sentimens de crainte et d'amour de Dieu. Elle a pour but, 1. De servir de témoi- gnage perpétuel à cette vérité sainte qui éclaire l'intérieur de l'homme, vérité au moyen de la- quelle Dieu, dans ma jeunesse, s'est manifesté à moi, et que j'ai connue et aimée au point de prendre la résolution peu ordinaire, d'aban- donner les honneurs et les intérêts de ce monde ; 2. De rendre aussi témoignage à cette société

IV AU LECTEUR.

que le monde méprise, et que Dieu, par un effet de sa grande miséricorde, a voulu rassembler et réunir par son Esprit Saint en qui elle fait pro- fession de croire, société dont je m'honore d'être membre plus que de toutes les grandeurs de ce monde ; 3. De prouver combien je chéris et honore la mémoire de George Fox, ce digne serviteur de Dieu, le premier instrument dont il s'est servi pour cette grande œuvre, et qu'en conséquence je nommerai le grand, le bien- heureux apôtre de notre siècle. Telles sont les raisons qui m'ont fait écrire ce petit traité, dont la première édition fut imprimée en tête de l'excellent journal de G. Fox, pour y servir de préface. Ayant depuis fait réflexion au bien que peut produire dans le moment présent cette histoire abrégée de la société, vu aussi les réflexions injustes de quelques-uns de nos ad- versaires qui ci-devant faisaient profession d'ap- partenir à cette société, et à raison enfin des

AU LECTEUR.

exhortations qui se trouvent à la fin, j'ai con- senti à ce qu'on l'imprimât en un format plus petit : car je sais que de nos jours bien des gens n'aiment ni à payer ni à lire un gros livre, et qu'il y en a beaucoup, qui ne seraient pas fâchés de connaître cette société, dont on a tant dit de mal, mais qui, en même tems, ne vou- draient pas qu'il leur en coûtât beaucoup pour satisfaire cette curiosité. Cependant, grâces à Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, j'espère que les personnes désintéressées verront bientôt que ces calomnies ne sont pas mieux fondées, que celles que l'on répandait autrefois contre les Chrétiens de la primitive église. Car après tout, et malgré tous les mauvais traitemens que nous avons essuyés, notre seul objet est la réalité de la religion, et un véritable changement avant le dernier et grand changement que chaque homme doit subir; notre seul désir est que tous les hommes, recevant au dedans d'eux-mêmes,

VI AU LECTEUR.

les impressions de la lumière et de l'esprit de Christ, avec cette attention sérieuse qui pro- duit la conviction, parviennent à connaître Dieu véritablement et intérieurement. Nous voulons prouver que tous les hommes peuvent être sauvés, puisqu'ils ont tous les mêmes moyens, qui sont suffisans pour connaître le seul vrai Dieu, et son Fils Jésus-Christ, qu'il a envoyé pour éclairer et racheter le monde : connaissance qui est le gage assuré de la vie éternelle. Puisses-tu l'obtenir, mon cher lecteur ! c'est ce que te désire bien sincèrement l'auteur de ce petit ouvrage,

GUILLAUME PENN.

ORIGINE ET FORMATION, &c.

CHAPITRE I.

l'on voit de quelle manière Dieu a fait connoître sa volonté aux hommes à différentes époques, jusqu'à ce qu'enfin il ait jugé à propos de susciter la société dite des Quakers, pour laquelle le monde avait tant de mépris.

Dieu s'est fait entendre aux hommes de différ- entes manières depuis la création du monde ; mais son but principal a toujours été la gloire de son saint nom, soit en créant l'homme, ou en le retirant de l'état de dégradation l'avait plongé la péché ; l'homme, fait pour être l'emblème de la divinité, pour être en quelque façon un dieu sur la terre, et le chef-d'œuvre de la main de Dieu. Dans l'origine le genre humain sortit pur et innocent des mains du Créateur ; alors tout ce que Dieu, qui est la bonté même, avait créé,

J

2 ORIGINE ET FORMATION' DE LA

était bon ; et comme il avait béni les œuvres de sa toute-puissance, toutes célébraient sa gloire clans une harmonie universelle; les étoiles du matin se rejouissaient, et les différentes parties de son ouvrage, disaient Amen, à sa loi ! Tous les êtres contenus dans ce vaste univers formaient un admirable accord ; l'homme dans le paradis terrestre, les quadrupèdes clans la campagne, les oiseaux dans l'air, les poissons dans la mer, les étoiles au firmament, les fruits de la terre, en un mot, l'air, la terre, les eaux, et le feu, adoraient, louaient, et exaltaient sa puissance, sa sagesse, et sa bonté. O Sabbat glorieux ! ô véritable jour du Seigneur !

Mais cet état de félicité dura peu ; car l'homme, gloire et couronnement de ce grand œuvre, fut tenté d'aspirer à un plus haut rang qu'il ne lui était donné d'atteindre ; et cédant malheureusement à la tentation, il oublia les ordres de Dieu, son devoir, sa félicité, et son intérêt, et déchut ainsi de son premier état. Dès ce moment il ne fut plus l'image de la divinité, il perdit la sagesse, la puissance, et la pureté dont Dieu l'avait doué en le créant ; et devenu indigne du paradis, il fut chassé de ce lieu de délices, sa demeure et sa résidence naturelle ; exclus de la présence de Dieu, il fut condamné

S.OCIETE DITE DES QUAKERS.

à errer, comme un malheureux vagabond, sur la terre, le séjour des bêtes.

Cependant Dieu qui l'avait créé, eût pitié de lui : car voyant que l'homme avait été trompe, que son erreur ne pouvait être imputée ni à une malice, ni à une présomption qui lui fût natu- relle, mais plutôt à la malice du serpent, déchu lui-même d'une condition supérieure, et q-ii s'était servi de la femme, compagne de l'homme, dont la nature était la même, et qu'il avait trompée la première : Dieu dis-je, pourvut dans sa bonté et dans sa sagesse infinie un moyen de remédier à ce mal, de réparer cette perte, et de relever l'homme ainsi déchu, par la médiation d'un nouvel Adam, plus noble et plus parfait que le premier, et qui devait naître d'une femme. C'était par une femme que l'esprit malin avait séduit l'homme, le monde devait recevoir aussi d'une femme celui qui était destiné à triompher de lui, à lui écraser la tête, et à affranchir l'homme de sa puissance ; et c'est ce qui, par la mission et l'incarnation du Fils de Dieu, a été, dans la plénitude des teins, personellement et pleinement accompli d'une manière signalée, en lui et par lui, comme Sauveur et Rédempteur des hommes. Mais son pouvoir n'a point été limité à cette époque ; car même avant son incarnation et b 2

4 ORICJINE ET FORMATION DE LA

depuis, il a toujours été la lumière et la vie, la force et le point d'appui de tous ceux qui craignaient Dieu. C'est lui qui les soutenait dans leurs tentations, les accompagnait dans leurs voyages et dans leurs afflictions, leur aidait et les soutenait au milieu des difficultés qu'ils avaient à essuyer dans leur passage sur la terre. C'est par lui que le cœur d'Abel fut meilleur que celui de Caïn, que Seth obtint la pré- éminence, et qu'Enoch marcha avec Dieu. C'était cette lumière qui éclairait le monde avant le déluge, contre laquelle le monde se révolta, et qui éclaira et sanctifia Noé.

Mais ce fut ordinairement par l'intermédiaire des anges que Dieu, après l'état de misère qui suivit la chute de l'homme, daigna se faire en- tendre surtout aux patriarches; c'est ce qui arriva, comme nous le voyons dans l'Ancien Testament, à Abraham, à Jacob, &c. Ensuite vint la loi de Moyse, qui fut aussi donnée par les anges, comme le dit l'apôtre. Cette loi regardait principalement l'homme extérieur, et ne pouvait convenir qu'à un état de bassesse et de servitude ; c'est pour- quoi l'apôtre Paul l'appelle une instruction de pédagogue, faite pour annoncer la venue du Messie, pour préparer les âmes du peuple à la prévoir, et à désirer celui qui devait les délivrer

SOCIETE DITE DES QUAKERS.

du joug et des cérémonies de cette loi impar- faite, en leur faisant connaître intérieurement la réalité dont tous ces mystères n'étaient que l'em- blème. Dans ce tems-là, la loi était écrite sur des tables de pierre, le temple était bâti de main d'homme, il y avait des prêtres et des cérémonies extérieures, qui n'étaient que l'image des choses excellentes qui devaient venir après ; image qui ne devait servir qu'en attendant la realité, c'est-à-dire, jusqu'au tems Jesus- Christ, l'excellence même, devait se manifester d'une manière si éclatante; lui en qui se réun- issaient toutes les promesses faites aux hommes, mais qui ne devaient avoir effet que par lui ; lui, en qui il n'y avait que oui et amen, et qui par sa mort devait nous procurer la vie, l'immortalité, et le bonheur éternel.

C'est ce que les prophètes avaient prévu, et ce dont ils faisaient envisager la certitude aux Juifs comme leur plus grande consolation. C'était le terme de la loi de Moyse, qui dis- parut du moment Jean Baptiste commença à exercer son ministère, de même que le ministère du précurseur de Christ finit en Christ, qui était l'accomplissement de toutes les prophéties. Alors Dieu, qui plusieurs fois avait parlé en diverses manières aux anciens par ses serviteurs

6 ORIGINE ET FORMATION DE 1.1

les prophètes, parla aux hommes par son Fil? Jésus-Christ, qui est son héritier en toutes choses. A cette époque l'évangile nous fut donné par le ministère du Fils ; c'était un tes- tament dont l'éxecution était bien moins éloignée, qui renfermait de plus grandes espérances, qui annonçait le commencement de la gloire des derniers tems, et le rétablissement de toutes choses, le rétablissement du Royaume d'Israël.

Dès lors l'esprit, qui n'avait point été commu- niqué si généralement aux époques antérieures, fut répandu plus abondamment sur toute chair, comme dit le prophète Joël ; et par un effet de la bonté infinie de Dieu, cette lumière, qui auparavant ne jetait qu'une lueur faible et comme ensevelie dans les ténèbres, dissipa ces mêmes ténèbres qui l'offusquaient; l'étoile du matin se leva dans les cœurs des vrais croyans, et les illumina de la connoissance de la gloire de Dieu en Jésus-Christ.

Alors leSeigneur se ressouvint particulièrement des pauvres en esprit, des débonnaires, de ceux qui pleuraient, de ceux qui avaient faim et soif de la justice, de ceux qui procuraient la paix, de ceux qui étaient purs de cœur, des miséricordieux et des persécutés ; ils furent cherchés et appelés bienheu- reux par le vrai pasteur d'Israël. Alors il fallut

SOCIETE DITE DES QUAKERS.

que l'ancienne Jérusalem et ses enfans fissent place à la nouvelle Jérusalem et à ses enfans nou- vellement engendrés à la lumière de l'évangile; aussi n'est-il plus question de l'ancienne Jérusa- lem ; ce n'est plus sur la montagne de Samarie que Dieu veut être adoré, plutôt qu'en tout autre lieu ; car son Fils est venu annoncer et prêcher qu'il est un esprit, qu'il veut être connu comme te!, et adoré en esprit et en vérité. 11 se montre alors de plus près qu'autrefois, car suivant sa promesse il écrira sa loi dans notre cœur, et nous donnera sa crainte et. son esprit au dedans de nous. Dès lors les signes, les images et les em- blèmes disparurent; la lumière qui commençait à luire, ayant fait voir leur peu d'efficacité à purifier la conscience, puisqu'ils ne pouvaient at- teindre à l'intérieur du vase, et toutes cérémonies extérieures finirent en lui et par lui, qui était la realité même.

Les apôtres ont rendu témoignage aux grands desseins de Dieu dans la mission de son Fils (ces mêmes apôtres qu'il avait choisis, et à qui il avait donné son esprit) pour faire abandonner aux Juifs leur préjugés et leur superstition, aux Gentils leur vanité et leur idolâtrie, et leur faire ouvrir les yeux à la lumière et à l'esprit de Jésus- Christ, qui luisait en eux ; afin que, ressuscitant

b ORIGINE ET FORMATION DE LA

de l'état de mort les avait plongés le péché, ils servissent le Dieu vivant, dans la nouveauté de l'esprit de vie, et qu'ils marchassent comme des enfans de lumière, regénérés en ce grand jour, en ce jour de sainteté ; car ceux se re- vêtent de Jésus-Christ, la lumière du monde, et n'ont aucun souci de la chair pour accomplir ses convoitises. De sorte que la lumière, l'esprit, la grâce, qui vient de Jésus-Christ, et parait dans les hommes, était le principe divin par lequel les apôtres prêchaient, vers lequel ils s'efforçaient de tourner les cœurs des hommes, et dans lequel ils réunirent en leur tems, et bâtirent l'église de Christ. C'est pourquoi ils les avertissent de ne point éteindre l'Esprit, mais d'être en attente de l'Esprit, de parler par l'Esprit, de prier en Esprit, et de marcher en Esprit, vu que c'était par seul qu'ils se mon- treraient engendrés non pas du sang et de la chair, ou de la volonté de l'homme, mais de la volonté de Dieu, faisant sa volonté, renonçant à la leur, bu- vant la coupe de Jésus-Christ, et baptisés de son baptême de renonciation à soi-même; c'est la voie et le sentier ont toujours marché ceux qui aspiraient à la vie et au bonheur éternel.

Mais hélas, dès le tems des apôtres, (ces astres assez brillans pour que l'œil les distinguât, mal-

SOCIETE DITE DES QUAKERS. 9

gre l'éclat éblouissant de la lumière de l'évan- gile,) on vit paraître des nuages qui semblaient annoncer que sa gloire primitive serait éclipsée ; et plusieurs d'entr'eux prévinrent de bonne heure les Chrétiens de leur tems que le pouvoir de la sanctification commençait dès lors à décliner, et déclinerait de plus en plus parmi ceux qui cher- chaient à briller selon la chair, et pour qui le scandale de la croix était aboli ; finissant toute fois par annoncer qu'un tems plus glorieux que jamais brillerait ensuite pour la véritable église. Us ne se trompaient point dans leur prévision, et ce qu'ils prédirent aux églises qu'ils avaient assemblées au nom de Jésus, arriva en effet ; car le Christianisme dégénéra de jour en jour, et ne consista presque plus qu'en jours de fêtes, en repas et en cérémonies extérieures. Et, ce qu'il y eut de pis, les querelles et la dissention se mirent parmi les Chrétiens ; on les vit se di- viser, se porter envie, et se persécuter, suivant qu'ils en eurent le pouvoir ; ce qui les rendit, au grand scandale et à la honte des Chrétiens, un objet de dérision, et le Christianisme une pierre d'achoppement pour les payens, au milieu des- quels le Seigneur les avait si miraculeusement et si longtems conservés. Enfin se voyant la puis- sance entre les mains, après que les rois et les

10 ORIGINE ET FORMATION DE LA

empereurs eurent embrassé le Christianisme, ils changèrent autant qu'ils purent le royaume de Jésus-Christ, qui n'est pas de ce monde, en un royaume terrestre, ou du moins donnèrent au royaume terrestre, qu'ils gouvernaient, le nom de royaume de Jésus-Christ, et ainsi devinrent Chrétiens suivant le monde, mais non pas Chré- tiens véritables. Alors une foule d'inventions humaines et de nouveautés, par rapport à la doctrine ou au culte, s'introduisit dans l'église ; et ce qui ouvrit la porte à tous ces abus, ce fut l'esprit grossier et charnel qui prit alors, chez la plus grande partie des Chrétiens, la place de l'Esprit doux et céleste de Dieu, auquel depuis longtems leurs cœurs s'étaient fermés, pour s'abandonner à la superstition, et à tous les caprices d'un culte qui n'avait d'autre base que leur volonté et leur imagination déréglée. Or comme la superstition est aussi violente et aussi opiniâtre qu'elle est peu éclairée, et qu'il n'y a avec elle, d'autre alternative que de se soumettre à son zèle aveugle et outré, ou d'être sa victime, ils persécutaient dans les autres, au nom de l'Esprit, l'apparence même de l'Esprit de Dieu ; ne pouvant souffrir en autrui la lumière, la grâce, l'esprit de Jésus-Christ, à qui ils re- fusaient l'entrée de leur cœur, mais s'armant

SOCIETE DITE DES QUAKERS. 11

toujours pour colorer leur intolérance de quelque prétexte plausible, et accusant leurs frères d'innovation, de schisme, ou d'hérésie. Ils feignaient d'oublier que le Christianisme n'a jamais admis qu'aucun de ces noms pût servir de prétexte, pour persécuter qui que ce fût, en matières purement religieuses : car le Chris- tianisme est doux et tolérant ; ses principales qualités sont la foi, l'espérance, et la charité, qu'un persécuteur ne peut posséder, tant qu'il est persécuteur. La croyance d'un homme et ses espérances doivent être mal-fondées, et on ne saurait dire non plus qu'il a de la charité pour son prochain, dès qu'il cherche à violenter les esprits ou les corps, pour forcer les autres à admettre certains articles de foi, ou à adopter tel ou tel culte, telle ou telle manière de rendre hommage à Dieu.

Ce fut ainsi que la fausse église prit naissance et s'arma de la puissance temporelle ; mais quelque dégénérée qu'elle fût, elle voulut tou- jours conserver un nom qu'elle ne méritait plus, et prit le titre d'épouse de l'Agneau, de véritable église, de mère des fidèles ; forçant chacun à recevoir sa marque, soit au front ou à la main droite, c'est-à-dire, publiquement ou en secret. Mais, dans le fait et dans la vérité, elle était celle

12 ORIGINE ET FORMATION DE LA

dont le nom est Mystère, la grande Babylone, la mère des paillardises, la mère de ceux, chez qui, malgré toute leur montre et tout leur appa- reil de religion, on ne reconnoissait plus l'esprit, la nature, et la vie de Jésus-Christ, qui étaient devenus vains, mondains, ambitieux, avares, cruels : ce sont les fruits de la chair, et non de l'esprit.

Ce fut alors que la véritable église se sépara de la superstition et de la violence, et se retira dans le désert, c'est-à-dire devint moins pub- lique et plus solitaire ; elle se cacha, et se rendit, pour ainsi dire, invisible aux yeux des hommes, quoiqu'elle existât encore dans le monde. Ce qui fait voir qu'il ne lui était pas essentiel d'être toujours visible pour être la véritable église, au jugement du Saint Esprit; car elle n'en était pas moins la véritable église, quoique dans le désert, quoiqu'alors moins visible et moins bril- lante qu'elle ne l'avait été dans l'origine, lorsqu'elle jouissait de toute sa splendeur pre- mière. Cependant elle fit plusieurs efforts pour reparaître ; mais les eaux étaient encore trop hautes, tous chemins lui étaient fermés, et plu- sieurs de ses dignes enfans, à différentes époques et chez diverses nations, furent les victimes de la

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plus cruelle superstition, pour n'avoir pas voulu renoncer à la vérité.

Le dernier siècle fit quelques pas pour s'en rapprocher, tant dans la doctrine et le culte, que dans la pratique. Mais la pratique ne tint pas longtems, car l'esprit de méchanceté se glissa bientôt parmi ceux qui professaient la réforme aussi bien que parmi ceux dont ils s'étaient séparés ; de sorte qu'il devint impossible de les distinguer par les fruits de leur conversation. L'on vit bientôt, si ce ne fut les réformateurs eux-mêmes, du moins leurs enfans, s'armer de la puissance terrestre, et de la force, pour soutenir et étendre cette même réforme à laquelle ils n'avaient d'abord employé que des armes spiri- tuelles ; et j'ai souvent fait cette réflexion, que c'était sûrement une des grandes raisons qui avait empêché la réforme de faire plus de pro- grès, dans le vrai sens l'on doit l'entendre, quant à l'esprit et la vie de la religion. Car tant que les réformés furent humbles, et animés du véritable esprit de la religion ; tant qu'ils eurent confiance en Dieu, n'eurent recours qu'à lui et vécurent dans sa crainte, n'ayant point recours aux moyens de la chair et du sang, pour se pro- curer leur délivrance par des voies humaines ;

Î4 ORIGINE ET FORMATION DE LA

l'église voyait journellement se réunir à elle nombre de fidèles, et il y avait tout lieu d'espérer qu'ils seraient sauvés. Car ils s'occupaient bien plus de conserver leur foi pure, et d'endurer la persécution avec patience, que de s'y soustraire ; ils cherchaient plutôt à répandre la connaissance de la vérité, par leur foi et leur patience dans les tribulations, qu'à ôter la puissance temporelle des mains de leurs persécuteurs : et ceux qui agissent autrement seront assez heureux, si le Seigneur ne les laisse pas détruire par les mêmes moyens qu'ils ont mis en usage pour s'établir et s'élever.

Leur doctrine, en certains points, était défec- tueuse ; voulant éviter une erreur sur d'autres points, ils tombaient dans l'erreur contraire ; et leur culte en général, paraissait plutôt tenir de l'esprit des hommes que de celui de Dieu. Ils reconnaissaient à la vérité l'esprit, l'inspiration, et la révélation, et fondaient leur séparation et leur réforme sur le sens des Ecritures, et sur la manière dont ils les expliquaient et les enten- daient. Or voici quel était leur raisonnement : l'écriture est le texte, l'esprit donne l'explication, et il la donne à chacun pour soi ; mais la prière et la prédication n'étaient point encore assez dégagées des inventions humaines, de la tradi-

SOCIETE DITE DES QUAKERS. \5

tion et de l'art; leurs ministres avaient trop d'autorité et de grandeur temporelle, surtout en Angleterre, en Suéde, en Danemarc, et dans quelques parties de l'Allemagne ; c'est pourquoi, en Angleterre il plut à Dieu de nous faire subir plusieurs changemens, en nous faisant passer, pour ainsi dire, d'un vaisseau dans un autre. Le premier changement humilia les ministres, et il en résulta une exactitude plus stricte à prêcher, plus de ferveur dans la prière, plus de zèle à garder le jour du Seigneur, plus de dili- gence à catéchiser les en fans et les domestiques, et à répéter chez soi, à sa famille, ce qu'on avait entendu en public. Mais ceux-là mêmes, dès qu'ils eurent le pouvoir en main, voulurent s'en servir non seulement pour chasser les uns du temple, mais même pour en forcer d'autres à y entrer ; ils se montrèrent plus rigides dans leur doctrine, que sévère dans leur propre con- duite ; on vit en eux plutôt des dévots attachés à un parti, que des personnes vraiment reli- gieuses ; aussi vit-on bientôt paraître une autre peuple mieux choisi encore, et plus retiré.

Ceux-ci ne voulaient point communiquer en public, avec les autres, mais formaient entr'eux des églises ils n'admettaient que ceux qui pouvaient rendre compte de leur conversion.

16 ORIGINE ET FORMATION DE LA

ou citer quelque trait remarquable des effets de la grâce de Dieu sur leurs cœurs. Des règles faites d'un commun accord étaient le lien de leurs assemblées ils se regardaient tous comme frères ; ils étaient d'un esprit plus doux que les autres, et semblaient recommander la religion par les charmes de l'amour, de la misé- ricorde, et de la bonté, plutôt que par la terreur des jugemens de Dieu, et des châtimens, moyen dont ceux qui les avaient précédés faisaient usage, pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui ils voulaient inspirer le gôut de la religion.

Ils donnaient aussi une plus grande liberté de prêcher, car ils permettaient à qui que ce fût de leurs membres de parler ou de prier, aussi bien qu'à leur ministre, choisi par eux-mêmes, et non par le Gouvernement. Quiconque d'entr'eux se sentait intérieurement poussé à faire l'un ou l'autre, avait la liberté de suivre le mouvement qu'il sentait au dedans de lui, soit qu'il fût mi- nistre ou laïque, même du rang le plus bas. Mais hélas ! cette société même, essuya de grandes pertes ; ceux qui en faisaient partie dégénérèrent, dès qu'ils eurent tâté du pouvoir temporel, de la faveur des princes, et des profits qui en sont les conséquences. Car quoiqu'ils eussent demandé l'abolition des églises, du clergé,

SOCIETE DITE DES QUAKERS. 17

et des revenus qui y étaient attachés, quand ils furent mis à cette dangereuse épreuve, éblouis par les honneurs et les biens de ce monde, ils n'eurent pas la force de résister, ils acceptèrent de bons bénéfices ; survivant à leurs propres principes, ils tombèrent en contradiction avec eux-mêmes ; et ce qu'il y eut de pis, c'est que quelques-uns d'entr'eux devinrent persécuteurs pour l'amour de Dieu, eux qui ne faisaient que sortir de la fournaise. Il en résulta que quelques- uns s'avancèrent un pas de plus ; ils adoptèrent un autre baptême, ne se croyant pas baptisés suivant l'Ecriture, et dans l'espérance qu'en se soumettant à cette observance ils s'assuraient la présence de Dieu, et sa puissance, qu'ils cher- chaient et désiraient. Ceux-ci firent profession de négliger la science humaine, pour ne pas dire d'y renoncer, et de trouver à redire, non seule- ment à ce qu'on l'exigeât des ministres, mais même à ce qu'ils en fissent usage ; rejettant pa- reillement les autres qualités requises, et se bornant aux secours de l'Esprit de Dieu, et aux talens ordinaires au commun des hommes. Et pendant un certain tems, de même que Jean, ils parurent aux autres sociétés, une resplendissante et brûlante lumière.

Ils étaient très zélés, simples, et graves dans c

13 ORIGINE ET FORMATION DE LA

leurs manières ; parfaitement instruits dans les Ecritures, et fermes dans les principes qu'ils professaient ; essuyant avec patience beaucoup de reproches et de contradictions. Mais ce qui avait causé la chute des autres causa aussi la leur ; ils ne tardèrent pas à se laisser gâter par le pouvoir temporel, et ils en eurent assez pour faire juger de ce qu'ils auraient fait, s'ils eussent pu en obtenir davantage; ils se reposaient trop aussi sur le baptême d'eau, qu'ils avaient adopté, au lieu de passer de à celui du feu et du Saint Esprit: car c'est le vrai baptême de celui qui est venu le van à la main, pour nettoyer son aire, pour la nettoyer totalement, et non pas en partie, pour purifier son peuple de tout ce qui était d'un mauvais alloi et rendre l'homme plus pur que l'or le plus fin. Enfin ils devinrent hautains, durs, persuadés de leur propre justice, s'opposant à tout ce qui tendait à une plus grande perfection, qu'ils ne croyaient pas pos- sible; trop prompts à oublier les jours de leur enfance, qui cependant leur avait donné le peu de beauté réelle qu'ils avaient alors ; de sorte que plusieurs se séparèrent d'eux, ainsi que de toutes les autres églises et sociétés visibles, et errèrent ça et comme des brebis sans pasteur, ou comme des tourterelles qui avaient perdu leurs

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compagnes, qui cherchaient leur bien-aimé sans pouvoir le trouver, et désirant ardemment de connaître celui dont leur âme faisait ses plus chères délices.

Les uns les nommèrent Seekers, c'est-à-dire, Chercheurs ; d'autres les appelèrent La Famille d'Amour, parcequequandilsvinrentàse connaître entr'eux, ils s'assemblaient quelque fois, non pas pour prier ou prêcher formellement, en tel lieu ou à telle heure fixé, comme ils avaient coutume de faire auparavant; mais pour attendre ensemble en silence ; et à mesure qu'il leur venait quelques idées, qu'ils croyaient pouvoir attribuer à l'in- spiration divine, ils les mettaient au jour. Mais il arriva que quelques-uns d'entr'eux, perdant de vue l'humilité et la crainte de Dieu, furent exaltés outre mesure par l'excellence des révéla- tions, et au lieu de tenir humblement leur esprit dans la dépendance de Celui qui avait ouvert leur entendement, pour pénétrer les profondeurs du sens de sa loi, ils donnèrent un champ libre à leur imagination, et, confondant leurs propres rêveries avec les inspirations de l'Esprit divin, ils n'obtinrent de ce mélange qu'un fruit mon- strueux, scandale de ceux qui craignaient Dieu, et qui attendaient journellement dans le temple (non dans un temple bâti de main d'homme) la c 2

20 ORIGINE ET FORMATION DE LA

consolation d'Israël, de ceux enfin dont il est dit: Juifs intérieurement, mais circoncis en esprit. Leurs discours et leurs pratiques ridicules leur firent donner le nom de Ranters, Extravagans. Car ils prétendaient que Jésus-Christ, en accom- plissant la loi pour nous, nous avait affranchi de tout devoir et de toute obligation imposée par la loi, au lieu de la condamnation dénoncée par la loi contre tous les péchés passés, accompagné par la foi et la repentance. Ils disaient que les même choses qui nous eussent été imputées à péché autrefois, avaient cessé d'être péché, Jésus-Christ nous ayant délivré de la crainte servile de la loi, et que toutes les actions de l'homme étaient bonnes, pourvu qu'il fût dans la persuasion qu'elles étaient bonnes, et dans l'in- tention qu'elles fussent telles. De sorte que plusieurs se permirent les pratiques les plus ré- voltantes, donnant pour excuse qu'ils pouvaient sans crime faire des choses que d'autres ne pouvaient faire sans se rendre coupables; dis- tinguant ainsi l'action de l'offense, et faisant dépendre l'innocence de la situation de l'âme, et de l'intention de celui qui agit. Ainsi l'abondance de la grâce devait toujours être surpassée par la surabondance du péché, et de la grâce de Dieu on passoit à la convoitise ; et

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certes c'était le plan le mieux imaginé qui eut encore paru pour pécher en sûreté : comme si Jésus-Christ fût venu, non pour nous sauver en nous tirant du péché, mais pour nous sauver en notre péché même ; non pour nous affranchir de l'empire du péché, mais pour nous procurer une plus grande liberté de pécher sans courir aucun risque, puisqu'il semblait se charger des consé- quences.

Cette funeste doctrine fut la ruine de plusieurs, et la cause malheureuse de la perte irréparable de leur bonheur éternel ; elle scandalisa les bons, et donna occasion aux méchans de tourner la religion en ridicule.

22 ORIGINE ET FORMATION DE LA

CHAPITRE II.

De la manière dont cette société s'est formée, de sa doc- trine, et de ses pratiques, consistant en douze points qui en sont les conséquences; de ses progrès, et des persécutions qu'elle a essuyées. Exhortation adressée à l'Angleterre à ce sujet.

Ce fut à peu près à cette époque, ainsi qu'on peut le voir par les annales de George Fox, que par un effet de sa sagesse éternelle, et de sa bonté infinie, Dieu voulut que l'Orient d'en haut visitât cette nation alors ensevelie dans les ténèbres et dans l'erreur ; il le voulut, et la parole de lumière et de vie fut communiquée d'une manière plus sure et plus claire, par le témoignage de cet instrument d'élite, fait pour exécuter les grands desseins de Dieu, comme plusieurs milliers d'hommes peuvent le certifier aujourd'hui; gloire en soit rendue au nom du Seigneur à jamais !

Car cette parole en pénétrant dans les con- sciences, et en amollissant les cœurs, ouvrit les yeux de plusieurs, et leur inspira le désir

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de chercher ; de sorte que ce qui avait coûté à plusieurs tant de peines et d'embarras lors- qu'ils le cherchaient hors d'eux-mêmes et sans effet ; ils le trouvèrent à l'aide de ce nou- veau ministère, et ils le trouvèrent, c'est-à- dire, la voie à la paix avec Dieu, ils dé- siraient la posséder, au dedans d'eux-mêmes. On leur apprit à chercher au dedans d'eux- mêmes la lumière de Jésus-Christ, comme la semence et le levain du royaume de Dieu ; cette lumière qui est près de tous, puisque tous l'ont en eux-mêmes, et que c'est le talent que Dieu confie à chacun, témoin fidèle et véritable, moniteur qui parle à l'âme, grâce salutaire de Dieu qui est " clairement apparue à tous les hommes," quoique peu y fassent attention. Le Chrétien attaché aux traditions, rempli de lui- même, opiniâtre, et entêté à se croire dans le droit chemin, gouverné par la passion et par un zèle aveugle, méprisa ce principe comme chose basse et commune ; ou bien le combattit comme une innovation, et lui donnant comme tel des noms odieux, niant, dans son dépit et dans son ignorance, qu'il fût vrai que la puissance et l'es- prit de Dieu se manifestassent de nouveau à l'homme dans ce jour-là ; quoiqu'assurément jamais cette manifestation n'eût été plus néces-

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saire pour faire de vrais Chrétiens. Ils ressem- blaient en cela aux anciens Juifs qui rejettaient le Fils de Dieu, tout en professant aveuglément qu'ils attendaient la venue du Messie : et cela parcequ'il ne paraissait pas au milieu d'eux suivant leur attente et suivant l'idée que leurs esprits charnels s'en étaient faite.

De là, ce débordement de livres pleins d'in- vectives, qui remplirent les grands d'envie, et les petites de rage ; et qui en opposant mille ob- stacles au progrès de cette sainte doctrine, en rendait la voie vraiment étroite pour ceux qui voulaient y entrer. Cependant Dieu n'aban- donna point son propre ouvrage, et ce témoignage parvint enfin à se faire entendre de ceux qui étaient fatigués et pesamment chargés, de ceux qui avaient faim et soif, des pauvres, des nécessi- teux, de ceux qui étaient dans la tristesse, et ac- cablés d'un grand nombre de maladies, qui avaient dépensé tous leurs moyens avec des médecins inca- pables de les guérir, et qui n'attendaient plus de secours que d'en haut, que du ciel même. Il les réunit, les consola et les établit. Ils virent après avoir essayé de tout, que rien ne pouvait opérer leur guérison que Christ lui-même; ils savaient qu'il avait suffi d'un seul de ses regards, qu'il avait suffi de toucher sa robe, d'être relevé de la main

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de celui qui guérit le flux de la pauvre femme, qui ressuscita le serviteur du centurion, le fils de la veuve, la fille du Gouverneur, et la mère de Pierre. Semblables à cette dernière, ils ne sentirent pas plus tôt dans Lurs âmes les effets de sa grâce et de sa puissance, qu'ils furent prêts à lui obéir et à lui rendre témoignage ; ils le firent avec toute la résignation et la fidélité possibles, malgré les moqueries, les contradictions, les confiscations, les coups, les fers, et autres tribulations qu'ils eurent à essuyer pour l'amour de son saint nom.

Ces terribles épreuves furent si grandes et si multipliées, qu'à en juger suivant la sagesse humaine, ils n'auraient probablement pas pu se garantir d'être engloutis par les vagues furieuses qui s'élevaient contr'eux, et les battaient avec tant de violence, si le Dieu de toutes miséri- cordes, qui était au milieu d'eux, ne les eût soutenus de son bras invincible. De sorte que souvent les montagnes fuyaient ou s'évanouis- saient devant la puissance dont ils étaient rem- plis, et qui agissait merveilleusement pour eux et en eux ; car l'un ne va point sans l'autre. Ce qui en les raffermissant dans leur foi, leur fut d'une grande consolation ; et leur fit voir que tout était possible à Celui à qui ils avaient

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affaire. Et que plus ce que Dieu exigeait d'eux paraissait révolter la sagesse humaine, et les exposer à la fureur du monde, plus Dieu par- aissait leur aider à surmonter tout obstacle, et à rendre témoignage à sa gloire.

De sorte que jamais peuple n'a pu dire avec plus de raison qu'eux, "Tues notre soleil et notre bouclier, notre rocher, et notre sanctuaire ; par toi nous avons franchi la muraille ; par tci nous nous sommes jetés sur une armée entière; par toi nous avons mis en fuite ces hordes d'étrangers." Et comme Dieu avait déchargé leurs âmes du fardeau pesant de la vanité et du péché, comme il avait enrichi la pauvreté de leur esprit, appaisé la grande faim et la grande soif qu'ils avaient de la justice éternelle, comme il les avait rassassiés des bonnes choses dont sa maison abonde, et les avait établis dispensateurs de ses dons; ils se répandirent de tous côtés parmi ces nations, pour leur annoncer ce que Dieu avait fait en leur faveur ; ce qu'ils avaient trouvé, où, et comment ils l'avaient trouvé, c'est- à-dire, le chemin de la paix avec Dieu, invitant tous les hommes à venir voir et à juger, chacun pour soi, de la vérité de ce qu'ils leur an- nonçaient.

Et comme ils rendaient témoignage au principe

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de Dieu dans l'homme, à la perle précieuse et au levain de son royaume, assurant que c'était le seul moyen capable de vivifier l'homme, de le convaincre, et de le sanctifier, ils leur faisaient comprendre ce que ce principe était en soi, et pourquoi il leur était donné ; comment ils pou- vaient le distinguer de leur propre esprit, et des illusions trompeuses de l'esprit malin ; ce qu'il ferait pour ceux dont le cœur aurait renoncé à la vanité du monde, à ses ministres et à ses voies sans vie, pour s'attacher à sa lumière divine qui était au dedans d'eux-mêmes, à cette lumière qui découvre et condamne le péché sous quelque forme qu'il se présente, et enseigne à résister à la tentation. Pourvu qu'on lui prête attention lorsqu'elle veut nous éclairer, nous convaincre, et qu'on lui obéisse, elle nous donne le pouvoir d'éviter les choses qui déplaisent à Dieu, et de nous en garantir; elle nous fortifie dans l'amour, la foi, et les bonnes œuvres, afin que l'homme qui, par le péché, est devenu comme un désert, plein de ronces et d'épines, puisse redevenir comme le jardin de Dieu cultivé par son pouvoir divin, abondant en plantes pleines de beauté et de vertu, plantées par la main de Dieu même, et à sa louange éternelle.

Mais ces prédicateurs, qui eux-mêmes avaient

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fait l'expérience des bonnes nouvelles qu'ils annonçaient, savoir la vérité de Dieu et son royaume, ne pouvaient pas courir le monde toute les fois que l'idée leur en prenait, ni prier ou prêcher quand il leur plaisait, mais selon que Jésus-Christ leur rédempteur les y préparait et les y excitait par son esprit divin : et dans leurs assemblées, ils attendaient qu'il se fît sentir à eux, et ne parlaient qu'autant qu'il les faisait parler ; ils parlaient comme ayant autorité et non pas comme les Pharisiens. Et cet esprit se fit con- naître aux esprits solides dont le Seigneur Jésus avait plus ou moins ouvert les yeux, de sorte que l'un eut le don de l'exhortation, un autre le don de la réprimande, un autre celui de la consolation, et tous par la même inspiration, pour concourir au même but, c'est-à-dire, pour en édifier et en convaincre un grand nombre.

Et en effet ils devinrent forts et hardis par leur fidélité, et la puissance et l'esprit de Jésus-Christ fit fructifier leurs travaux ; car en peu de tems on vit des milliers d'hommes se convertir à la vérité au dedans d'eux-mêmes, persuadés par les souffrances et le témoignage de ces hérauts de la vérité : de sorte que dans la plupart des comtés et dans plusieurs villes considérables d'Angle- terre il se forma des assemblées, et " le Seigneur

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ajoutait chaque jour à l'église ceux qui voulaient être sauvés." Car ils furent diligens à planter et à arroser, et le Seigneur bénit leurs travaux, et il les couronna de succès multipliés, malgré les faux bruits, les calomnies, les persécutions violentes, et les autres obstacles qui s'opposaient à leurs progrès, non seulement de la part des puissances de la terre, mais de la part de tous ceux à qui l'idée venait de leur faire quelque in- sulte ou quelque affront : de sorte qu'on aurait pu avec justesse les comparer à de pauvres bre- bis destinées à la boucherie, ou à un peuple " fait pour être égorgé pendant tout le jour."

L'on ferait un volume entier, plutôt qu'une simple préface, si l'on voulait énumérer seulement tout ce qu'ils eurent à souffrir, et de la part de ceux qui faisaient profession de religion, et de la part de ceux qui vivaient dans le libertinage, des magistrats et de la populace. De sorte qu'on pouvait dire avec raison de ces objets de la haine et du mépris du monde, qu'ils s'avançaient en pleurant et semaient dans les larmes, rendant témoignage à la précieuse semence, à la semence du royaume des Cieux, qui ne consiste point en paroles, ni même dans les plus belles et les plus élevées, dont l'esprit humain puisse faire usage, mais en la puissance de Jésus-Christ lui-même ;

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à qui Dieu le Père a donné tout pouvoir au ciel et sur la terre, pour commander aux anges et aux hommes. C'était Lui qui leur communiquait sa puissance, ainsi que leurs progrès en font foi ; car, par leur ministère, plusieurs quittaient les ténèbres pour la lumière, et abandonnaient la voie large et aisée, pour entrer dans le sentier étroit de la vie et de la paix, et ils les ramenaient à des habitudes sérieuses et selon Dieu, à la pratique enfin de la doctrine qu'ils enseignaient.

Sans cette influence secrète et divine, il est impossible de régénérer et de vivifier des âmes qui sont mortes, et c'est faute de posséder ce pouvoir régénérant et vivifiant, que tant de mi- nistères qu'il y a eu, et qu'il y a encore dans le monde obtiennent si peu de succès. O, si le peuple et les ministres pouvaient sentir cela ! mon cœur en est souvent troublé; je m'afflige et m'inquiète sur leur sort ! S'ils possédaient la sagesse, s'ils voulaient considérer et prendre à cœur des choses si importantes et si essentielles pour leur bonheur éternel !

Ici nous distinguerons deux choses ; la doc- trine quils enseignaient, et l'exemple qu'ils don- naient aux autres. J'ai d6ja touché un mot sur leur grand principe qui est comme la pierre angulaire de tout leur édifice, le point essentiel

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qui les caractérise et qui les distingue spéciale- ment de tous les autres, c'est-à-dire, la lumière de Jésus-Christ, au dedans d'eux, le vrai don de Dieu pour le salut de l'homme. Ce principe est le tronc d'où partirent, comme autant de branches, les différens points de doc- trine dont je vais faire rémunération, dans leur ordre naturel et expérimental.

Le premier était de se repentir des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant; ce qui ren- ferme trois opérations: 1. Connaître le péché ; 2. en concevoir une sainte horreur et un saint repentir ; 3. s'amender à l'avenir. Voilà en quoi consistait la repentance qu'ils prêchaient, à laquelle ils exhortaient les hommes, et qui était le résultat naturel du principe dont ils voulaient les convaincre. Car de la lumière venait la con- naissance du péché, de cette connaissance l'hor- reur et le repentir, et de cette horreur et de ce repentir, l'amendement. Or cette doctrine de repentance mène à la justification, c'est-à-dire, au pardon des péchés passés, par Jésus-Christ, (le seul de qui nous puissions attendre la propi- tiation) à la sanctification, ou purgation de l'ame de la souillure et de l'habitude du péché, par la lumière de l'Esprit de Jésus-Christ dans nos âmes; et c'est-là la vraie justification, suivant

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toute l'étendue du mot, qui signifie que le cou- pable est justifié de tous péchés passés, comme s'ils n'eussent jamais été commis, par l'amour et la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, et que l'homme est rendu intérieurement juste par la puissance purifiante et sanctifiante de Jésus. Christ, qui se manifeste à l'ame ; et c'est ce qui s'appelle ordinairement sanctification. Mais qui- conque rejette l'Auteur de sa sanctification n'éprouve point la vertu de son sacrifice, le but de sa venue étant de délivrer son peuple de la souillure du péché, aussi bien que du crime du péché ; c'est pourquoi ceux qui résistent à sa lumière et à son Esprit rendent inutiles pour eux les mérites de son incarnation et de son sacrifice. De suivait un second point de doctrine qu'ils se trouvaient amenés à annoncer comme étant " le but, le prix de la céleste vocation" de tous les vrais Chrétiens ; ce second point consis- tait à viser à la perfection suivant les Ecritures de vérité, qui nous assurent que c'était le grand objet de la venue de Christ, la nature de son royaume, et son dessein en nous donnant son esprit ; savoir afin que nous fussions parfaits, comme notre Père céleste est parfait ; et saints, parceque Dieu est saint. Et tel était l'objet de tous les travaux des apôtres, que les Chrétiens

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fussent sanctifiés en corps, en ame, et en esprit ; mais ils n'annoncèrent jamais la perfection de sagesse ou de gloire dans ce monde ; ni l'affran- chissement de la mort, ou des autres infirmités humaines; comme quelques-uns ont eu la foi- blesse de le croire, ou la malice de l'insinuer contr'eux.

Ils appellaient cet état rédemption, régénéra- tion, vie nouvelle : enseignant partout, qu'à moins que cette œuvre ne fût connue, il n'y avait point à espérer d'hériter le royaume des cieux.

En troisième lieu, de suivait naturellement la doctrine des châtimens et des récompenses éternelles, et sans doute, ils étaient assez fondés dans cette croyance ; car sans cela ne pourrait- on pas les regarder comme les plus malheureux de tous les hommes, eux qui pendant quarante ans avait tant souffert pour la vérité qu'ils pro- fessaient, qui dans quelques occasions avaient été traités comme les derniers des hommes, comme s'ils eussent été " la raclure de tous."

Tel est donc le grand objet de leur doctrine et de leur ministère, telle est la doctrine que la plupart de ceux qui font profession d'être Chré- tiens semblent adopter, mais qu'ils ne sou- tiennent que du bord des lèvres et pour la forme, mais non avec force et avec sainteté ; qualités

D

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que les hommes en général ont perdues, depuis qu'ils se sont écartés de ce principe, de cette semence de vie, qui se trouve en chaque homme, en laquelle et par laquelle seule leurs âmes peuvent être vivifiées, pour servir le Dieu vivant dans une vie nouvelle. Car comme ce qui fait la vie de la religion était éteint, et que la plu- part vivaient et adoraient Dieu à leur manière, et non suivant la volonté de Dieu, et l'esprit de Christ ; (car alors leurs oeuvres auraient été des fruits dignes du Saint Esprit) ainsi ce que les Quakers prêchaient avec tant de force n'était point une pure théorie, mais une vérité d'expé- rience ; non pas une formalité, mais la piété même ; car ils sentaient en eux-mêmes, par l'efB- cacité des justes jugemens de Dieu, que sans la sanctification aucun homme ne peut voir le Seigneur avec joie.

De ces points généraux, qui étaient en quelque façon les branches principales de leur doctrine, sortaient plusieurs autres rameaux particuliers ; qui expliquaient et confirmaient l'efficacité et la vérité de leur doctrine générale, dont leur con- duite et toute leur vie était un exemple continuel Ce sont :

1. Leur communion et leur charité réciproque. C'est en effet ce que tout le monde dit d'eux :

SOCIETE DITE DES QUAKERS. 3.5

ils se réunissent, s'entr'aident, et se soutiennent les uns les autres ; et il est ordinaire d'entendre dire; Voyez les Quakers, comme ils s'aiment entre eux, quel soin ils ont les uns des autres ! d'autres, moins j ustes, disent, les Quakers n'aiment que les Quakers. En effet si l'amour réciproque, si la communion intime en religion, si l'exacti- tude à se réunir pour rendre ses hommages à Dieu, et l'attention à s'entr'aider, peuvent être regardés comme le caractère distinctif des Chré- tiens de la primitive église, ils le possédaient dans toute son étendue ; le Seigneur en soit loué. 2. L'amour pour ses ennemis ; c'est un prin- cipe qu'ils enseignaient et pratiquaient. Car non seulement ils refusaient de se venger des injures qu'ils avaient reçues, et condamnaient cette vengeance comme un chose opposée à l'esprit du Christianisme ; mais ils pardonnaient géné- reusement, et même aidaient et soulageaient ceux qui s'étaient montrés cruels à leur égard, quand il se trouvaient à même de s'acquitter ainsi avec ceux de ce qu'ils en avaient souffert. L'on pourrait en donner plusieurs exemples, et même d'assez remarquables. Ils tâchaient par leur foi et par leur patience de se mettre au dessus de l'injustice et de l'oppression, et ils prêchaient aux autres la pratique de cette vertu vraiment chrétienne. d2

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3. La plus grande simplicité dans la manière de dire la vérité, comme Jésus-Christ le recom- mande, en n'affirmant rien entre Chrétiens que par Oui ou Non, sans aucun serment, et cela d'abord parceque Jésus-Christ le défend ex- pressément, (Matt. v.) ; en second lieu, parcequ'- étant liés par la vérité au dedans d'eux-mêmes, tout serment était inutile, et que c'eîit été même donner lieu de douter de leur véracité, si étant Chrétiens, ils eussent voulu assurer la vérité par un moyen extraordinaire au lieu de regarder un simple Oui ou Non, sans aucune autre affirmation, protestation ou serment, comme une forme beaucoup plus convenable à la droiture évangelique. Mais en même tems ils consentaient, s'il leur arrivait de dire une fausseté, à être punis aussi sévèrement que les autres le sont pour un parjure ; excluant ainsi tous sermens, soit vrais, faux, ou prophanes, dont la terre est, et a été scandalisée ; et qui ont offensé et offensent si gravement l'Etre Suprême.

4. Souffrir, et non point combattre, est encore un des principes particuliers à cette société. Ils soutiennent que le Christianisme enseigne à " changer les épées en coutres, et les lances en serpettes," et à renoncer à la guerre afin que les loups puissent " reposer au milieu des agneaux,

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îes lions parmi les veaux," et que toute maxime de destruction soit effacée du cœur des hommes : les exhortant, à tourner leur zèle contre le péché, et leur colère contre Satan, et à ne plus se faire la guerre les uns aux autres. Car selon l'apôtre Jacques, toutes guerres et tous combats viennent de la convoitise du cœur humain, et non point de l'esprit de douceur de Jésus-Christ, capitaine dans un autre genre de guerre, Ton employé d'autres armes. Ainsi de même que la plus grande simplicité dans la manière de dire la vérité remplaça les sermens, de même la foi et la pa- tience succédèrent aux combats, et dans leur doctrine et dans leur pratique. Et le gouverne- ment civil ne doit pas pour cela les regarder d'un mauvais œil, car par la même raison qu'iis ne prendront point les armes pour le gouverne- ment, ils ne les prendront point non plus contre lui ; et ce n'est pas peu de chose que d'être assuré de ce dernier avantage. Ne serait-il pas déraisonable en effet de blâmer les gens de ne pas faire pour autrui ce qu'ils croyent de ne pas devoir faire pour eux-mêmes ? D'ailleurs, même en mettant le Christianisme de côté, la paix, avec tous ses inconveniens, ne vaut-elle pas mieux en général que la guerre avec tous ses avantages, quand on considère ce qu'elle coûte et ses fruits ?

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Mais quoiqu'ils ne crussent point devoir prendre les armes, ils étaient très fort d'avis de se soumet- tre au gouvernement, et cela non seulement par crainte, mais par conscience, toutes les fois que le gouvernement ne cherche point à troubler leur conscience ; regardant tout gouvernement comme représentant de Dieu, et tout bon gouvernement comme le bien le plus précieux pour le genre humain. Cependant, victimes tantôt d'un zèle aveugle, et tantôt de l'intérêt, ils ont essuyé de la part du gouvernement plus de rigueur qu'au- cune secte de notre siècle ; et pourtant l'on peut dire, que sauf ce qui concerne la religion, aucune société n'a moins troublé les magistrats dans l'exercice des devoirs de leur charge.

5. Un autre trait du caractère des membres de cette société, c'est leur refus de payer une dîme et des impôts pour les ministres d'une reli- gion de l'état, et cela pour deux raisons. La première c'est qu'ils croyent que toute contri- bution forcée, même pour soutenir les ministres de l'évangile, n'est ni légitime ni conforme au commandement de Jésus-Christ, qui a dit, " Vous l'avez reçu gratuitement, donnez le de même." Ils croyent du moins que si l'on con- tribue au soutien des ministres de l'évangile, toute contribution de ce genre doit être libre, et

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non forcée. Leur seconde raison c'est que les ministres de la religion nationale ne sont point des ministres selon l'évangile, que leur création n'est point selon le Saint Esprit, mais selon l'es- prit humain et les talens humains. De sorte que ce n'est ni par humeur ni par caprice, mais par un motif de conscience envers Dieu, qu'ils croyent ne pas devoir contribuer à soutenir ces ministres dans le pays ou ils demeurent, parceque ces sortes d'emplois ne sont que trop, et trop visiblement, des moyens de s'agrandir dans le monde.

6. Un autre point de doctrine qu'ils mettent en- core en pratique, c'est de ne point se croire tenus envers les personnes, de quelque rang qu'elles soient, à aucun respect d'un caractère particulier ; et ceci leur a attiré bien des affronts et des in- jures. Donner des titres flatteurs, faire certains complimens ou certains gestes pour marquer le respect, leur paraissait un péché. Us savaient pourtant distinguer la vertu et l'autorité, mais ils le faisaient d'une manière simple, unie, et sur- tout sincère ; se rappelant l'exemple de Mardo- chée et d'Elihu, mais encore plus particulière- ment le commandement de leur Seigneur et Maître, Jésus-Christ, qui défendait à ses dis- ciples d'appeler les hommes Rabbi, c'est-à-dire, Seigneur ou Maître. Us rejettèrent aussi les

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complimens et les salutations ordinaires de ces tems-là, afin d'humilier, au lieu d'encourager l'amour propre et la vanité aux quels l'esprit de l'homme est si sujet depuis sa chute. Et quoique cela rendît peut-être leur commerce peu agré- able, ceux qui se rappelleront ce que Jésus- Christ disait aux Juifs, " Comment pouvez vous croire, vous qui recevez des honneurs les uns des autres ?" s'en trouveront moins choqués, s'ils font cas de sa doctrine.

7. Ils tutoyaient aussi tous ceux à qui ils par- laient, quel que fût leur rang parmi les hommes, et c'est une grande preuve de la sagesse de Dieu, d'avoir fait apparaître dans le monde cette société avec des formes si simples. C'était en effet comme une pierre de touche au moyen de laquelle ils connaissaient au premier abord le caractère de ceux avec qui ils se trouvaient; qui décelait ce qu'ils étaient au dedans, et qui, quelque cas qu'ils parussent faire de la religion, mettait bientôt à vue leur vanité. Ce mot de toi paraissait si dur à quelques-uns, et ils s'en offensaient à un tel point, qu'on en a vu leur répondre les choses les plus dures et les plus injurieuses, oubliant de quelle manière ils parlent eux-mêmes à Dieu dans leurs prières, oubliant que c'est le stile de l'Ecri-

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ture ; et que parler autrement, c'est s'exprimer d'une manière incorrecte, à ne considérer que les régies de la langue. Et je demanderai quel bien la religion avait fait à des gens qu'on met- tait hors d'eux mêmes, en se servant à leur égard, de cette manière de parler, simple, hon- nête, et surtout vraie ?

8. Ils donnaient eux-mêmes l'exemple du silence, s'imposant la plus grande brièveté dans toute occasion. Ils n'avaient qu'uue parole dans le commerce, et quoi que pussent leur dire leurs pratiques, ils ne s'en relâchaient point, et préféraient la vérité et le bon exemple au profit qu'ils auraient pu faire autrement. Ils cher- chaient la solitude, et s'ils se trouvaient en compagnie, ne se permettaient aucun discours dont Dieu pût être offensé, comme ils évitaient d'en entendre de tels, lorsqu'ils pouvaient s'en garantir ; par ils conservaient leurs âmes pures et libres de toutes pensées et de tous amusemens dangereux. Ils ne voulaient point non plus se soumettre à la coutume de se dire Bon jour, Bon soir, Dieu vous conduise ; car ils savaient que le jour est bon, et la nuit aussi, sans le souhaiter, et ils croyaient que dans la troisième phrase le nom de Dieu était employé avec trop de légèreté, trop peu de reconnais-

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sance, et par conséquent pris en vain. Ils regardaient d'ailleurs ces paroles comme des complimens d'habitude, auxquels on ne pense pas plus en les prononçant, qu'on ne pense à donner aux gens une preuve de son respect et de sa soumission, en ôtant son chapeau et faisant des révérences. Et comme en cela, ainsi qu'en toute autre chose, ce qui est superflu leur était incommode, non seulement ils s'en dispensaient, mais par fois ne pouvaient s'empê- cher de blâmer ce vain cérémonial.

9. Pour la même raison ils ne buvaient point à la santé des gens, et ne demandaient point qu'on leur fît raison, comme cela se pratique dans les compagnies ; pratique non seulement inutile, mais suivant eux mauvaise dans ses con- séquences. Cela ne sert en effet qu'à exciter les gens à boire plus qu'il ne faut pour la santé ; pratique assez vaine, et qui tient du paganisme.

10. Ils ont aussi un mode de mariage qui leur est particulier, et qui, par l'attention qu'ils y apportent, les distingue des autres sociétés Chrétiennes. Ils disent que le mariage est d'in- stitution divine, et que Dieu seul peut permettre et consacrer cette union. Pour cette raison, ils ne se servent pas ni du ministre ni du magistrat.

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L'homme et la femme qui veulent se marier, se prennent donc pour époux en présence de té- moins respectables, dans une assemblée publique pour le culte divin, et se promettent, avec l'aide de Dieu, de s'entr'aimer, et de se garder fidélité, jusqu'à ce que la mort les sépare. Mais pré- alablement, ils se présentent à l'assemblée qui se tient tous les mois pour les affaires de la con- grégation à laquelle ils appartiennent, et y dé- clarent publiquement l'intention ils sont de se marier, si Dieu le permet. Le père et la mère, ou les tuteurs les accompagnent sur cette occasion, et y déclarent leur consentement ; autrement ils le déclarent par écrit dans un certificat, adressé à l'assemblée. 11 est d'us- age que l'assemblée en dresse un acte par écrit, et nomme des personnes respectables pour s'informer de la conduite des parties, et savoir si elles ne sont point engagées avec quelque autre, afin d'en faire leur rapport le mois suivant à l'assemblée. Lorsqu'il paraît qu'elles ont fait tout ce qu'il y avait à faire, l'assem- blée donne son consentement par écrit. Si la femme est veuve et qu'elle ait des enfans, on a soin qu'elle pourvoye à leur subsistance, avant que l'assemblée donne son consentement au mariage. On avertit les parties de fixer un tems

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et un lieu convenables, et d'en donner avis à ceux de leurs parens, de leurs amis, et de leurs voisins, qu'ils désirent avoir pour témoins de leur mariage ; se prenant par la main, chacun d'eux promet à l'autre amour et fidélité ainsi qu'il a été dit plus haut. On rédige alors un espèce d'acte ou de certificat, relatant tout ce qui s'est passé ; les nouveaux mariés le signent d'abord pour confirmer cette espèce de contract, et ensuite les parens et autres personnes pré- sentes le signent aussi comme témoins ; enfin ce certificat est enregistré au livre de la congré- gation où le mariage se fait. Ce contract a été, comme il le méritait, estimé valide, et admis comme tel dans les cours de judicature il avait été attaqué d'abord par des gens mal-in- tentionnés et de mauvaise foi, sous prétexte qu'il n'avait point été fait avec les formalités ordi- naires, devant un prêtre, avec un anneau, &c, cérémonies auxquelles ils n'ont point voulu se soumettre ; et cela non pas par humeur, mais par un principe de conscience bien fondé ; se conformant en cela aux exemples qu'ils trouvent dans l'Ecriture, exemples qui nous indiquent qu'autrefois le prêtre n'avait d'autre part au mariage que d'être un des témoins en présence

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desquels les Juifs se prenaient pour époux. C'est pourquoi ils regardent tout le reste comme autant de ruses dont le seul but est d'augmenter la puissance et les profits du clergé ; et quant à l'anneau il suffit de dire que c'est une vaine coutume, tenant du paganisme, et dont on ne retrouve la pratique ni parmi le peuple de Dieu, les Juifs, ni chez les premiers Chrétiens. Et même l'on serait assez embarrassé pour défendre ces paroles de la formule usitée pour les ma- riages : " Je t'épouse avec cet anneau ; je t'ho- nore de mon corps, et je te communique tous mes biens temporels, au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit."

En un mot, ils montrent dans leur mode de mariage une attention, une exactitude, et une régularité qui ne se trouvent dans aucune des formes en usage aujourd'hui ; il n'offre aucun des inconveniens auxquels ces formes sont su- jettes : enfin au moyen de toutes les précautions et restrictions dont ils usent, il est impossible qu'il se fasse parmi eux aucun mariage clan- destin.

11. Je dirai ici un mot de la naissance de leurs enfans, et de leurs enterrements, choses qui donnent lieu à tant de pompe parmi des gens

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qui font profession d'être Chrétiens. Quant aux naissances, ce sont les parens qui nomment eux- mêmes leurs enfans. Cela se fait ordinairement quelques jours après la naissance de l'enfant. Ceux qui ont assisté à l'accouchement, signent ensuite un certificat, il est fait mention de la naissance et du nom de l'enfant ou des enfans, s'il y en a plus d'un. On l'enregistre ensuite à l'assemblée qui se tient tous les mois, et dont les parens de l'enfant sont membres ; du reste rien qui ressemble aux cérémonies et aux réjouis- sances ordinaires.

13. Pour leurs enterremens, la même simpli- cité. On porte le corps du défunt ordinairement à un lieu d'assemblée pour la commodité de ceux qui l'accompagnent jusqu'à la sépulture. Il arrive quelque fois que quelqu'un des assistants se sentira mu à faire une exhortation à l'assem- blée. Le corps est porté au tombeau dans un cercueil très simple, sans poêle ou autre orne- ment. Quand on est arrivé au cimetière on fait une petite pause avant de descendre le corps dans la fosse, afin de donner le tems de parler à ceux qui pourraient avoir quelque exhortation à faire aux personnes présentes ; pour que les parens puissent plus paisiblement et plus solemnelle-

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ment dire le dernier adieu à celui qu'ils ont perdu ; et pour donner aux spectateurs une oc- casion de penser à la mort, et de songer à leur fin dernière. Du reste, les Quakers n'ont ni cérémonies, ni pratiques réglées pour ces sortes d'occasions. Les parens du défunt ne portent jamais le deuil,* regardant cela comme une pure cérémonie et une pompe mondaine ; pensant d'ailleurs que le deuil qu'un Chrétien peut se permettre à la mort d'un parent, ou d'un ami, doit être dans le cœur, qui seul peut sentir une telle perte. Du reste la meilleure manière de montrer qu'on les aimait et qu'on respecte leur mémoire, c'est de suivre leurs avis, d'avoir soin de ceux qu'ils ont laissés, et d'aimer ce qu'ils aimaient. Par cette conduite, quelque contraire qu'elle soit à la mode et à l'usage, ils ne négligent au fond rien de ce qu'il est à propos de

* N.B. Depuis que ce petit ouvrage parut pour la pre- mière fois, eu 1694, quelques-uns des descendans des membres de cette société, ont visiblement dégénéré à cet égard de la simplicité de leurs devanciers. Cependant leur église conserve toujours les mêmes sentimens, et n'a point changé d'opinion sur cet objet, ainsi qu'on peut le voir par les avis répétés des grandes assemblées qu'ils tiennent chaque année, ainsi que des autres.

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faire en pareil cas ; et comme c'est tout ce qu'ils ont en vue, ils se font un plaisir et une régie de ne point s'écarter de cette simplicité de vie, à quelques moqueries, à quelques railleries que cela les expose souvent de la part du monde.

Il est certain qu'à cause de ces particularités, le grand nombre les trouvait désagréables, gros- siers, et les accusait de vouloir bouleverser le monde, et cela était assez vrai, à prendre ce mot dans le sens qu'on attachait à la même imputa- tion faite à Paul ; c'est-à-dire, qu'ils voulaient remettre les choses dans l'ordre, et les ramener à leur état primitif. Car s'ils adoptaient ces pratiques ou autres semblables, ce n'était ni par caprice, ni par envie de se distinguer, comme quelques-uns l'ont cru ; mais par un effet du sentiment intérieur que Dieu avait produit en eux par la crainte de son saint nom. Ils ne cherchaient point à contredire le monde, ou à se singulariser, pour former une secte à part. Ce n'était par leur intention, et ils n'y avaient nul intérêt ; ce n'était pas davantage un dessein prémédité, celui de s'annoncer comme innova- teurs, et de faire schisme. Mais Dieu, en leur donnant la connaissance d'eux-mêmes, leur avait aussi appris à connaître le monde, à dis-

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cerner les affections et les passions des hommes, l'origine et la suite de choses, à distinguer ce qui n'était fait que pour satisfaire les " appétits de la chair, et la convoitise des yeux," et ce qui ne servait qu'à flatter l'orgueil et le luxe, toutes choses qui ne viennent point du Père, mais qui sont de ce monde. Et telle est effective- ment l'origine de ces vaines coutumes, et de bien d'autres, qui tirent leur source des erreurs et ténèbres dans lesquelles le monde s'est trouvé enseveli, à mesure qu'il a perdu de vue la lumière et l'esprit de Dieu ; et qu'au moyen du jour cé- leste que Jésus-Christ fait luire dans nos âmes, nous reconnaissons pour mauvaises dans leur origine, ou devenues telles avec le tems dans la pratique, par l'abus qu'on en a fait. Bien des gens les regardent comme choses de peu d'importance ; et ces particularités faisaient passer les Quakers pour des hommes entêtés de leurs idées ; mais elles tirent plus à conséquence que l'on ne croyait, et que l'on ne croit encore aujourd'hui.

Ce dut être une chose assez désagréable poul- ies premiers amis,* que de se faire ainsi remar-

* Les Quakers se donnent les uns aux autres le titre d'ami, comme les autres sociétés se donnent celui de frère. E

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quer, et de s'exposer par au mépris, et aux railleries du monde ; et il leur était aisé de pré- voir que telle serait la conséquence d'une con- duite en apparence si étrange; mais ces folies ne servirent qu'à faire éclater la sagesse de Dieu. Car d'abord on vit par combien ces pratiques choquaient ceux qui prenaient plaisir, et tenaient encore aux usages de ce monde (tous en pré- tendant ne s'occuper que de l'autre) puisqu'ils étaient si vivement piqués, dès qu'on s'en écartait un peu à leur égard ; et puisque l'hon- netété, la vertu, la sagesse, et les talens ne pouvaient y suppléer à leurs yeux. Le second avantage y trouvèrent les Amis, c'est que cela les sépara du commerce du monde ; car leur société paraissant désagréable à leurs parens et a leurs connaissances, ils n'en eurent que plus de la facilité à vivre dans la retraite et dans la soli- tude, où ils jouirent d'une compagnie incompar- ablement préférable, celle du Seigneur Dieu leur Rédempteur. Ils se fortifièrent dans son amour, sa puissance, et sa sagesse, et en devinrent beau- coup plus propres à le servir, comme l'événement a bien prouvé ; grâces en soient rendues au Seigneur !

Quoiqu'ils ne fussent ni grands, ni savans, dans l'opinion du monde (car en pareil cas ils

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eussent trouvé assez de prosélytes prêts à em- brasser leur doctrine sur parole), cependant leur société était en général composée des hommes les plus modérés, et qui avaient la réputation d'être les plus religieux des sociétés auxquelles ils appartenaient, la plupart gens de sens, de crédit, et de bon renom.

Plusieurs d'entr'eux, d'ailleurs, ne manquaient ni de talens, ni de science, ni de biens, quoi qu'alors comme autrefois, il n'y eut pas beau- coup de sages, ni de nobles, &c. qui fussent appelés, ou au moins qui prêtassent l'oreille à la voix du Seigneur : et cela, parcequ'ils pré- voyaient les tribulations auxquelles une con- version sincère les aurait exposés. Les hommes d'esprit et de science, n'en sont pas pour cela meilleurs Chrétiens, quoique ces qualités les rendent quelquefois plus capables comme ora- teurs et comme logiciens : mais si les hommes connaissaient mieux le don de Dieu, ils ne tom- beraient pas dans cette erreur vulgaire et si dangereuse. La théorie et la pratique, la spé- culation et la réalité, les discours et la conduite de la vie, sont des choses très différentes. Non, il n'y a de vrais Chrétiens que ceux qui se re- pentent, qui réforment leur vie, qui s'humilient, qui veillent sur eux-mêmes, qui renoncent à e2

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eux-mêmes, et dont le cœur est pur et saint. Une telle disposition est le fruit, l'œuvre de l'esprit, qui est la vie de Jésus : cette vie qui, bien que renfermée dans la plénitude de l'esprit en Dieu le Père, se répand au dehors, et remplit les cœurs de ceux qui croyent véritablement, et suivant leur capacité. O ! si les hommes pou- vaient connaître ce don céleste ! s'ils pouvaient être purifiés, circoncis, vivifiés, et devenir de nouvelles créatures, régénérées selon Jésus- Christ, vivre pour Dieu, et non pour eux-mêmes, et offrir des prières vivantes, et des louanges vivantes au Dieu vivant, par son Esprit vivant ; ainsi qu'il doit être adoré enfin en ce glorieux jour de l'évangile !

O, qu'il me serait doux d'espérer que ceux qui me lisent, seront touchés de mes paroles ! Car je ne puis sans attendrissement envisager la mi- séricorde de Dieu, du Père des lumières, envers cette pauvre nation, et envers le monde entier, par le même témoignage. Pourquoi ses habitans le rejetteraient ils ? Pourquoi une si grande faveur serait elle en pure perte pour eux ? Pourquoi ne se tourneraient-ils pas de toutes leurs forces vers le Seigneur, et ne lui diraient ils pas du fond du cœur : " Parle, ô Seigneur, parle, car " maintenant tes pauvres serviteurs t'écoutent :

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*' que ta volonté soit faite, ta grande, ta bonne, " ta sainte volonté, sur la terre comme au ciel ; *' fais la en nous, exécute la sur nous, fais ce que " tu voudras de nous, car nous t'appartenons, et "nous désirons de te glorifier; toi qui es non " seulement notre Créateur mais notre Rédemp- " teur, qui nous retires de la terre, des vanités et " de la corruption du monde, pour faire de nous " ton peuple choisi ?" Quel grand jour pour l'Angleterre, si son peuple pouvait avec sincérité tenir un pareil discours ! mais helas ! il n'en est pas ainsi ; et plusieurs de tes habitans, ô ma chère patrie, ont pleuré sur toi, et se sont affligés de ton aveuglement. Leurs yeux ont été comme des fontajnes de larmes, en voyant tes trans- gressions et ton opiniâtreté ; en voyant que tu ne veux ni écouter ni craindre le Seigneur ; que tu ne veux point retourner à ton rocher, O Angleterre, oui, à ce rocher d'où tu as été taillée. Tout t'avertit, ô terre qui te vantes de ton esprit religieux, de le recevoir dans ton cœur. Depuis combien de tems frappe-t-il à la porte, et y frappe-t-il inutilement ! Réveille-toi donc, de crainte que les jugemens de Jérusalem ne s'accomplissent sur toi, puisque les péchés de Jérusalem se multiplient dans ton sein. Car elle abondait en rites et en formalités, et

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cette Jérusalem négligeait les points importans de la loi de Dieu ; eh bien, c'est ce que tu fais tous les jours.

Elle résista au Fils de Dieu, qui avait pris chair au milieu d'elle ; et tu résistes au Fils de Dieu qui t'envoie son esprit. Il voulait la ras- sembler comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et elle ne voulut pas l'écouter. Il voulait aussi te rassembler, te faire aban- donner tes vaines démonstrations, toutes ces paroles que la pratique dément, pour te faire posséder son véritable héritage, te faire con- naître sa puissance et son royaume. Il s'est souvent fait entendre dans ton cœur, par sa grâce et par son esprit, ainsi que par ses ser- viteurs et par ses ministres. Mais de même qu'autre fois Jérusalem, lorsque le Fils de Dieu parut au milieu d'elle, le persécuta, le crucifia, le battit de verges, et emprisonna ses disciples ; de même, O Angleterre, tu as derechef et autant qu'il était en ton pouvoir, crucifié le Seigneur de toute vie et de toute gloire ; et tu n'as fait aucun cas de son esprit et de sa grâce, fermant l'oreille à la voix du Père céleste, et persécutant par tes loix, et par tes magistrats, ceux qui voulaient te la faire entendre, qui t'exhortaient alors, et t'exhortent aujourd'hui, par la puis-

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sance et l'Esprit de Dieu, par son amour et sa douceur, à reconnaître le Seigneur, à le servir, et à devenir la gloire de toutes les nations.

Bien plus, tu as reconnu le service qu'ils voulaient, te rendre, en les maltraitant : tu as méprisé leurs conseils, et rejette des réprimandes que tu aurais du écouter : leurs manières étaient trop rigides, ils étaient d'ailleurs trop peu con- sidérables pour mériter ton attention. Tu as fait comme les Juifs, qui s'écriaient, " N'est ce pas le fils du charpentier ? Ses frères ne sont-ils pas parmi nous ? Les scribes, les savans, (c'est-à-dire, les orthodoxes) croyent-ils en lui ?" On annonçait que les Amis ne tiendraient pas plus d'un an ou deux ; et, pour vérifier cette prophétie, on faisait des loix sévères contr'eux, et on les mettait à exécution ; on tâchait de les effrayer pour leur faire abandonner leur croyance, et l'on voulait les détruire s'ils y restaient fidèles. Mais tu as vu que tant de gouvernemens qui se sont élevés contre eux, et avaient résolu leur perte, ont été renversés et détruits ; et qu'eux ils subsistent encore, et forment une grande société, un peuple considér- able parmi tes habitans de la classe moyenne. Et malgré toutes les difficultés qu'ils ont éprouvées, tant au dehors qu'au dedans, depuis que le

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Seigneur Dieu éternel les a réunis, leur nombre s'accroîtde jourenjour,et leSeigneur continue de l'augmenter en différens pays, par la conversion de plusieurs, qui seront sauvés s'ils persévèrent jusqu'à la fin. Ils étaient élevés, et sont encore élevés au milieu de toi, O Angleterre, comme une ville bâtie sur une montagne, comme un étendard et un signe de ralliement pour toi, ainsi que pour les autres nations dont tu es entourée ; afin que, guidée par eux, tu puisses voir la lumière en Jésus-Christ même, qui est la lumière du monde et par conséquent ta lumière et ta vie, si tu voulais quitter tes voies criminelles pour la re- cevoir et lui obéir. Car, comme le dit l'Ecri- ture, " les nations de ceux qui seront sauvés doivent marcher à la lumière de l'agneau."

Considère donc,0 nation de grande profession, considère comment le Seigneur s'est offert à toi, depuis les premières lueurs de la réforme ; com- bien de fois il a fait parler à tes yeux ses miséri- cordes et ses jugemens ; réveille toi ; sors de ton profond sommeil, reçois sa parole dans ton cœur, afin que tu puisses vivre. Ne souffre pas que la faveur du Seigneur passe par dessus ta tète, sans que tu en profites ; ne négliges pas ce grand moyen de salut qui t'est apporté chez toi ; car pourquoi mourrais-tu ? O terre à qui le Sei-

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gneur offre ses bénédictions, sois assurée que c'est lui qui est au milieu de toi, au milieu de ton peuple ; et non point un vain phan- tôme, comme tes ministres abusés veulent se le persuader, et te le persuader à toi-même. Tu t'en convaincras bientôt, par le caractère et les œuvres des amis, si tu veux les examiner avec impartialité.

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CHAPITRE III.

Des qualités du Ministère chez les Quakers ; onze signes prouvent qu'il est éminemment Chrétien.

1. Ils étaient changés eux-mêmes avant d'en- treprendre de changer les autres. Leurs vête- ments étaient déchirés, leurs cœurs l'étaient aussi ; la puissance de Dieu leur était connue, et ils en avaient senti les effets sur eux-mêmes. Le grand changement qui s'était fait en eux, en était la preuve ; leur conduite était devenue plus sévère, et leur vie plus sainte.

2. Ils ne prenaient point leur tems pour prêcher, ils n'attendaient point pour cela l'im- pulsion de leur volonté, mais de celle de Dieu. Les sujets qu'ils traitaient n'étaient pas de leur choix, des sujets qu'ils eussent étudiés, mais ils parlaient suivant qu'ils étaient poussés et inspirés par l'esprit de Dieu, qui leur était si bien connu depuis leur conversion, et qu'il est impossible de dépeindre aux hommes charnels, de manière à leur en donner une idée qui soit à la portée de

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leur entendement. Car pour eux, dit Jésus- Christ, " C'est comme le souffle du vent; per- sonne ne sait ni d'où il vient, ni il va." Et cependant, leur ministère avait une telle puis- sance de persuasion, que plusieurs en furent touchés, et quittèrent leurs vaines opinions et leurs mauvaises voies, pour ouvrir leurs cœurs à la connaissance intérieure de Dien, en sentir les effets, et mener une nouvelle vie ; c'est ce dont nous avons des témoins sans nombre. Et comme ils recevaient gratuitement du Seigneur ce qu'ils devaient dire, aussi le communiquaient ils gra- tuitement.

3. Le motif et l'objet principal de leur mi- nistère, était de convertir les hommes à Dieu, de les régénérer, de les sanctifier. Ce n'était pas de leur part un plan formé d'avance, de prêcher telle doctrine, ou tel symbole, ou d'introduire telle nouvelle forme de culte ; mais ils avaient en vue de dépouiller la religion de tout ce qu'on y avait introduit de superflu ; d'en réduire les formalités et les cérémonies, pour s'attacher sérieusement à sa substance, et aux points les plus nécessaires, et les plus importans pour le changement de l'ame. C'est ce que doivent reconnaître et reconnaissent en effet tous ceux qui réfléchissent sérieusement sur cet objet.

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4. Ils faisaient connaître aux autres hommes, ce principe qui existait en eux, et cependant ne venait point d'eux-mêmes ; au moyen du quel tout ce qu'ils leur affirmaient, leur prêchaient, et tout ce à quoi il les exhortaient, pouvait opérer en eux, et par lequel ils pouvaient par expérience connaître la vérité de leur doctrine. Or ce qui est une preuve frappante et la marque distinctive de leur ministère, c'est que non seulement ils étaient parfaitement instruits de la doctrine qu'ils prêchaient, mais ils ne craignaient point qu'on la soumit à l'épreuve de l'examen. Car leur assurance étant fondée sur la certitude, ils ne demandaient point qu'on obéît à leur autorité, comme hommes, mais que l'on se rendît à la conviction ; et surtout à la conviction de ce principe, qu'ils assuraient exister en ceux aux- quels ils prêchaient ; auquel enfin ils les ren- voyaient, pour examiner et vérifier par l'ex- périence ce qu'ils en assuraient relativement à la manière dont il se manifeste aux hommes, et opère en eux. Or il est peu de ministres dans le monde qui puissent en dire autant. Nous ne nions pas que, quand ils traitent de la religion, on ne puisse regarder comme vraies nombre de choses qu'ils disent de Dieu, de Jésus-Christ, de l'Esprit, de la sanctification, du ciel. Nous

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dirons comme eux, que tous les hommes doivent se repentir, et changer de vie, que sans cela ils iront en enfer, &c. Mais, qui d'eux osera dire qu'il parle d'après sa propre connaissance, ou d'après ce qu'il a éprouvé en lui-même ? Qui d'eux a jamais renvoyé ceux qui les écoutaient à ce principe, à cet agent divin que Dieu a mis au dedans de l'homme, pour l'aider ? Qui d'eux leur a appris à le connaître, à attendre que sa puissance, se faisant sentir, pénétrât leurs cœurs de la sainte volonté de Dieu, qui nous rend agré- ables à ses yeux ?

Il y a bien quelques-uns qui ont parlé de l'Esprit, de la manière dont il opère notre sanc- tification, et nous fait rendre à Dieu l'hommage qui lui est ; mais il n'appartenait qu'à cette dernière réforme de dévoiler ce mystère, et de faire connaître comment et le trouver, com- ment il fallait attendre son apparition en nous, et nous acquitter de notre devoir envers Dieu ; de sorte que ce n'était pas seulement de bouche qu'ils prêchaient la repentance, la conversion, et la sanctification, mais ils le faisaient avec connaissance de cause, et d'après leur propre expérience. Ils renvoyaient ceux à qui ils prêchaient à un principe suffisant ; ils leur disaient était ce principe ; à quels signes ils

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pouvaient le connaître ; de quelle manière ils en pouvaient faire l'expérience, et s'assurer de sa puissance et son efficace, pour le bonheur de leurs âmes. Or ceci n'est-il pas préférable à la théorie et à la spéculation, sur lesquelles la plupart des autres ministres s'appuyent? au lieu qu'ici nous avons un point d'appui certain, et sur lequel nous pouvons nous fonder, pour paraître avec confiance devant Dieu, au jour du jugement?

5. Un signe évident de la vertu de leur prin- cipe, et qui prouve qu'ils prêchaient d'après ce même principe, et non pas d'après des explica- tions ou des commentaires qu'ils avaient pu faire des écritures, en se livrant à leur imagina- tion, c'est que leurs paroles pénétraient jusqu'au cœur de ceux à qui ils prêchaient. Or rien n'affecte le cœur que ce qui vient du cœur ; et rien ne touche la conscience, que ce qui vient d'une conscience vivante. De sorte qu'il est souvent arrivé, que des personnes qui avaient fait connaître sous le secret leur état intérieur à quelques amis choisis, pour en recevoir des conseils, ou au moins quelque soulagement, se sont vu donner ensuite par leurs prédicateurs des directions si bien adaptées à leur état,

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qu'elles ont accusé leurs amis de ne pas leur avoir gardé le secret, et d'avoir révélé leurs con- fidences à ces prédicateurs, tandis que dans le fait ils ne leur en avaient pas ouvert la bouche. Oui, il y en a eu plusieurs, qui ont si bien re- connu dans les discours de ces ministres leurs propres pensées, et jusqu'aux moindres mouve- mens de leurs cœurs, que, saisis de cette appa- rition intérieure de Christ, ils se sont écriés comme Nathaniel, "Tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d'Israël." Et ceux qui ont embrassé ce principe divin, y ont trouvé les mêmes marques de vérité et de divinité qui firent con- naître à la femme de Samarie, que Jésus, (alors sur la terre) était le Messie; c'est-à-dire, qu'il leur avait dit tout ce qu'ils avaient fait, leur avait fait connaître leur état intérieur, et dévoilé les secrets les plus cachés de leurs cœurs, les avait jugés avec justesse, et les avait mis dans le véritable chemin de la vie. Et c'est ce dont nous avons même de nos jours des milliers de témoins ; de sorte que ceux qui ont embrassé ce principe céleste, non seulement ont trouvé que tout ce qu'on leur avait dit de sa puissance, et de ses vertus, était vrai ; mais qu'il leur a telle- ment découvert la puissance, la pureté, la sa-

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gesse, et la bonté de Dieu, qu'ils ont reconnu qu'à peine on leur avait dit à cet égard la moitié de ce qui en est.

6. Ce principe donnait à plusieurs d'entr'eux, même de la plus basse classe, tant de talens pour remplir leurs fonctions, et s'acquitter de leurs devoirs ; à d'autres une intelligence si ex- traordinaire des choses de Dieu, une si grande facilité, et un tour d'expression si persuasif, que plusieurs en ont été surpris, et disaient d'eux, comme les Juifs de Jésus-Christ, " N'est ce pas le fils de cet artisan, a-t-il acquis tant de science?" D'autres les ont soupçonnés et ac- cusés d'être des jésuites déguisés, parceque les jésuites, depuis plus d'un siècle, avaient une grande réputation de savoir ; et cependant rien de moins fondé qu'une telle accusation, car leurs ministres sont connus, on sait leur demeure, leurs parens, et leur éducation.

7. Us ont commencé, comme les premiers Chrétiens, dans l'humilité, méprisés et haïs; ils n'ont point leurs succès à la sagesse et à la puissance humaines, comme on peut le reprocher en partie à d'autres réformateurs qui ont paru avant eux. C'est par la croix, on peut dire au contraire, qu'en tout ils se sont

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avancés, et qu'ils ont eu à lutter contre les voies, le culte, les usages, et les coutumes de ce monde ; en un mot, qu'ils ont arrivés ils en sont contre vent et marée ; afin que nulle chair ne se glorifiât .devant Dieu.

8. On ne dira pas qu'ils avaient leurs vues pour s'exposer ainsi aux affronts et au mépris, pour prodiguer ainsi leurs biens et leurs forces ; laissant femmes et enfans, maisons, terres, et tout ce qui est le plus cher aux hommes ; expo- sant leur vie à chaque instant, vivant continu- ellement au milieu des dangers, pour publier ce message primitif, qui leur a été confié de nou- veau par l'Esprit de Dieu, et par sa puissance : savoir, que Dieu est la vraie lumière, et qu'en lui il n'y a point de ténèbres ; qu'il a envoyé son Fils pour être la lumière du monde, et diriger les hommes dans la voie du salut ; et que ceux qui disent qu'ils ont communion avec Dieu, qu'ils sont ses enfans et son peuple, et qui cependant marchent dans les voies de ténèbres, c'est-à-dire, qui agissent contre la lumière de leur conscience, et suivant la vanité du monde, se rendent coupables d'un affreux mensonge. Mais que quant à ceux qui aiment la lumière, qui agissent et marchent à la lumière, (et Dieu

F

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lui-même est la lumière) le sang de son Fils Jésus-Christ les purifierait de tout péché. Jean i. 4, 19; iii. 20,21. 1 Jean i. 5, 6, 7.

9. Leur constance et leur patience à souffrir pour tout ce qui concerne leur doctrine et leur mission, est encore un des traits distinctifs de leur ministère. Ils ont été battus et meurtris, ren- fermés pendant longtems dans des prisons trop étroites pour leur nombre, ou dans des cachots mal-sains ; et plus d'une fois ces indignes traite- ments ont été suivis de la mort. Quatre d'entr'- eux périrent par les mains du bourreau, dans la Nouvelle Angleterre, seulement pour avoir prêché parmi les habitans de ce pays ; sans parler de ceux qui ont été bannis, dont les biens ont été pillés et confisqués, dans les diffé- rens pays ils se trouvaient, et de tant d'autres malheurs difficiles à peindre, et encore plus difficiles à endurer, si ce n'est par ceux qui étaient déterminés à défendre une si juste et si glorieuse cause. Contents de souffrir pa- tiemment, si on leur offrait de les délivrer par des moyens indirects, ils refusaient constamment de pareilles offres.

10. Non seulement ils ne se montraient nulle- ment enclins à la vengeance, mais toutes les fois qu'ils ont trouvé l'occasion de se venger, ils

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ont préféré de pardonner à leurs cruels ennemis, donnant l'exemple de la clémence à ceux qui en manquaient tant à leur égard.

11. Nous citerons encore la manière simple et hardie, dont, à l'exemple des anciens prophètes, ils se comportaient envers ceux, entre les mains de qui était l'autorité ; ne craignant pas de leur reprocher à eux-mêmes leur péchés publics et particuliers, et leur prédisant, au milieu de leur grandeur et de leur gloire, les afflictions qu'ils devaient éprouver, et leur chute même ; et les prédictions expresses qu'ils firent des malheurs qui devaient affliger la nation, tels que la peste et le feu de Londres ; ainsi que d'accidens par- ticuliers qu'ils annoncèrent à leurs persécuteurs, prédictions que l'événement a justifiées sous des choses qui furent d'un exemple frappant dans les lieux ils demeuraient, et aux quelles on pourra un jour donner plus de publicité pour la gloire de Dieu.

Ainsi, lecteur, voilà quel est ce peuple dans son origine, dans ses principes, dans son minis- tère, dans ses progrès ; la manière dont il a, tant en particulier qu'en général, rendu témoignage à la vérité ; et par la tu peux voir quels furent ses commencements et comment il est devenu si considérable. Il me reste maintenant à te faire f2

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connaître sa conduite et sa discipline, et le soin qu'il a pris, se regardant comme une société de Chrétiens réformés, pour que leur vie parût en tout s'accorder avec leurs principes, et ce qu'ils font profession de croire. D'autant plus qu'ils ont été au moins autant calomniés par rapport à leur conduite, qu'accusés d'erreur à l'égard de leurs principes ; et il faut d'autant moins s'en étonner, que la calomnie s'est toujours déchaînée avec violence contre ceux qui ont voulu mettre la main à l'œuvre de la réforme, et que comme on le sait les plus cruelles persécutions frappèrent les Chrétiens de la primitive église, qui cependant étaient l'honneur du Christianisme, et devaient être la lumière et l'exemple des siècles suivans.

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CHAPITRE IV.

De la discipline et de la pratique des Quakers, regardés comme société religieuse. Pouvoir qu'ils reconnaissent exister dans l'assemblée des fidèles et qu'ils exercent ; celui qu'ils rejettent et qu'ils condamnent ; enfin ma- nière dont ils l'exercent contre ceux des leurs, qui sont tombés dans l'erreur, ou ont commis quelque faute.

La société augmentant en nombre de jour en jour, tant à la ville qu'à la campagne, les anciens se trouvèrent naturellement chargés de veiller à ce qui concernait le bien et le service de l'église. Le premier objet qu'ils eurent en vue, d'après l'exemple des premiers Chrétiens, ce fut l'exer- cice de la charité, en suppléant aux besoins des pauvres, et faisant d'autres œuvres de la même nature. C'est pourquoi, ils ne tardèrent point à recueillir des contributions abondantes pour ré- pondre aux dépenses que cet objet, et le service de l'église, pouvaient nécessiter. Ils les con- fiaient à des hommes fidèles et craignant Dieu, jouissant d'une bonne réputation, qui ne se

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lassaient pas de faire le bien, et qui souvent y mettaient beaucoup du leur, sans le porter en compte, sans même désirer qu'on le sût, et encore moins qu'on le leur rendît, et cela pour empêcher que les pauvres ne pâtissent, ou que le service de l'église ne fut retardé, ou manqué. Ils avaient grand soin aussi que ceux qui leur appartenaient, ne démentissent en aucune occa- sion, par leur conduite parmi les hommes, les principes qu'ils professaient ; qu'ils vécussent paisiblement et fussent en tout de bon exemple. Une de leurs occupations était d'enregistrer leurs souffrances et leurs services. Quant aux ma- riages (qu'ils solemnisaient entr'eux, n'approuv- ant pas la manière dont ils se font ordinairement dans la nation) ils avaient soin que les parties intéressés fussent bien en règle l'une à l'égard de l'autre, et avec tout le monde ; et il était rare alors qu'aucun d'eux se permît d'écouter le penchant qu'il pouvait avoir ressenti pour une autre personne, avant d'en avoir fait part en secret à quelques-uns de leurs amis, gens res- pectables et de poids, dont ils consultaient le jugement, faisant grand cas du conseil de leurs frères, et désirant de vivre en union avec eux. Mais comme le soin des pauvres, le nombre des orphelins, les mariages, les souffrances, et autres

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affaires de ce genre se multipliaient, et qu'il était à propos que les différentes églises adoptassent une méthode, et une manière de procéder dans ces circonstances, au moyen de quoi elles pussent correspondre ensemble, lorsqu'il serait nécessaire qu'un membre d'une assemblée, traitât avec un membre d'une autre assemblée, le Seigneur, par sa sagesse, et par sa bonté, daigna donner à celui qu'il avait choisi pour être le premier instrument de cette dispensation de vie, l'intelli- gence nécessaire pour former un plan utile et régulier. Animé d'un saint zèle, il visita en personne les églises de ce pays pour leur faire connaître ce plan, et l'établir entr'elles ; il écrivit des lettres à celles qui étaient hors de l'Angle- terre, dans d'autres provinces et chez d'autres nations, pour qu'elles en fissent autant ; et même par la suite il les visita et les aida à s'organiser, comme je le ferai voir, quand je viendrai à parler de lui.

Or voici en quoi consistent les soins, la con- duite, et la discipline, dont je viens de parler, et de quelle manière on les pratique dans cette société.

Cet ancien pieux, dans toutes les provinces il voyagea, exhorta chaque congrégation à faire assembler un certain nombre des membres tous

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les mois pour traiter des affaires, et des intérêts de l'église. Et suivant que le cas semblait l'exiger, ces assemblées, qui se tenaient une fois par mois, étaient plus ou moins nombreuses dans chaque province. Quatre ou six congrégations formaient ordinairement une assemblée ; en conséquence partout il passa, les frères vinrent le trouver, et commencèrent les dites assemblées, pour y traiter des affaires des pauvres et des orphelins, des moyens de se conserver dans la bonne voie, et de rester fidèles à la doctrine dont ils faisaient profession ; des naissances, des mariages, des enterremens, des persécutions, &c. Ces assem- blées de chaque mois devaient, de la même manière, en former dans chaque province une tous les trois mois, les Amis les plus estim- ables, et les plus zélés de la province devaient se réunir pour communiquer, raisonner ensemble, et s'entr'aider de leur conseils : surtout, lorsqu'il se présenterait quelque affaire difficile, ou que l'assemblée du mois n'aurait pas voulu prendre sur elle de décider.

Ces assemblées trimestrielles devaient faire pour chaque province, un extrait des rapports de leurs assemblées de mois, et le préparer pour la grande assemblée qui se tient à Londres tous les ans, et à laquelle toutes les autres aboutissent.

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Toutes les églises d'Angleterre des diverses pro- vinces, y envoyent des députés qui doivent les y représenter, pour y conférer ensemble sur les affaires de l'église ; donner et recevoir des avis sur les affaires qui se présentent, et pour s'entr'- édifier. C'est aussi que l'on fait les fonds* nécessaires pour fournir aux dépenses qui re- gardent le service général de l'église, et qu'il n'est pas nécessaire de détailler ici.

Tout simple membre d'une congrégation peut entrer s'il lui plaît dans ces assemblées, et y donner, dans la crainte de Dieu, son avis sur quelque sujet que ce soit que l'on y traite ; mais l'on y fait surtout attention, pour les cas parti- culiers, à l'opinion des assemblées trimestrielles de chaque province, que font connaître les dé- putés de la dite assemblée, ainsi qu'ils en sont chargés.

Chaque année, pendant la grande assemblée les autres viennent, selon leur rang, se rendre

* Voici les objets auxquels on applique ces fonds : im- pression et distribution des livres, pour l'avancement de la vérité ; passage des ministres de cette société, qui vont annoncer l'évangile dans les pays étrangers, et retour par mer de ceux qui viennent en Angleterre ; salaire d'un secrétaire, et loyer d'une maison pour garder des régi très, et autres petites dépenses de cette espèce.

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et aboutir, il y a un certain nombre de personnes choisies par l'assemblée pour rédiger ses déci- sions sur les différentes questions qui y ont été agitées,* afin que les assemblées de mois et de trois mois, dans les provinces, soient informées de toutes ses résolutions; et on y ajoute une exhortation générale à se maintenir en sainteté, en unité, et en charité. Il y a dans la grande assemblée annuelle, ainsi que dans celles qui se tiennent tous les mois, et tous les trois mois, une personne nommée pour tenir compte de tout ce qui se passe. L'ouverture et la clôture de ces assemblées se font ordinairement en s'attendant solemnellement au Seigneur : et il plaît quelque- fois à Dieu de leur donner de preuves aussi manifestes de sa bonté et 'de sa présence, que celles qu'il accorde à leurs assemblées reli- gieuses.

Il faut encore observer que dans ces assem- blées solemnelles qui se réunissent pour le service de l'église, il n'y a point de président, comme cela se pratique dans les assemblées que tiennent les autres sociétés ; car Christ seul est leur pré- sident, d'autant qu'il veut bien faire connaître

* On n'agit plus aujourd'hui précisément de la manière indiquée ci-dessus; mais ces décisions sont rédigées en pleine assemblée.

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sa présence, en communiquant sa vie et sa sagesse à un ou plusieurs d'entr'eux, dont, quels que soient leurs talens ou leur rang, les autres suivent fermement l'opinion, non comme se sou- mettant à une autorité, mais par conviction. Car c'est la manière dont Jésus-Christ veut que sa propre autorité, son pouvoir, et son esprit se fassent sentir à son peuple, et il accomplit sa grande promesse, celle de se trouver au milieu des siens, en quelque lieu, et en quelque tems qu'ils s'assemblent en son nom, et cela jusqu'à la fin du monde. Ainsi soit-il !

On s'attend sûrement ici que je dirai un mot de l'autorité qu'ils exercent sur les membres de leur société qui par leur conduite démentent les principes dont ils font profession, et qui troublent le bon ordre établi parmi eux, d'autant plus qu'à cet égard on leur a fait de grands reproches, et que leurs adversaires ne les ont épargnés ni dans leurs discours, ni dans leurs écrits.

Le pouvoir qu'exerce cette société est le même que Jésus-Christ a donné à son peuple, pour durer jusqu'à la fin du monde, en la personne de ses disciples; c'est-à-dire le pouvoir de veiller sur la conduite de ses membres, d'ex- horter, de réprimander, et après avoir longtems enduré ceux qui se rendent coupables de dés-

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obéissance et d'endurcissement, de les désavouer et les exclure de sa communion, faute de quoi la communication qu'ils continueraient d'avoir avec eux ferait retomber, sur toute la société en général, le blâme de leurs transgressions, tant qu'ils ne se repentiraient pas. L'exercice de cette autorité dans ses différentes branches tombe sur deux objets : premièrement sur ces transgressions générales qui partout sont re- gardées comme des fautes, et en second lieu sur celles d'une espèce plus particulière, et qui ont rapport à leur caractère, et à la profession de foi qui les distingue des autres sociétés qui se disent chrétiennes. Ils fuyent les deux extrêmes, la persécution et le libertinage, et savent se garantir de ces deux écueils tant d'autres ont échoué ; c'est-à-dire, que sans user de violence pour faire rentrer les gens dans le temple, comme en punissant dans leurs personnes ou dans leurs biens, ceux qui pèchent contre leur foi et leur conscience, ils n'accordent pourtant point, quant aux œuvres extérieures, cette liberté outrée suivant laquelle on n'est comptable qu'à Dieu ou aux magistrats. Rien n'a tant contribué à propager cette liberté funeste dans le monde, que l'abus qu'ont fait du pouvoir ecclé- siastique, des personnes qui, se laissant gou-

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verrier par leurs passions ou leur intérêt parti- culier, se sont permis d'user de la force, et de punir corporellement. les transgresseurs. Quant aux Quakers, ils ont essuyé trop de persécutions pour ne pas désapprouver cette pratique, qui d'ailleurs est contraire à la liberté de conscience, un de leurs grands principes.

D'un autre côté, ils n'approuvent point que les membres soient indépendans de la société, et ils veulent que chaque membre soit comptable à ceux de sa communion, de sa conduite, et de la manière dont il suit les règles de la société, et en remplit les devoirs. Quant à ce qui regarde la foi, ou le culte, ils n'imposent jamais aucune pratique, sachant que c'est une chose que l'on ne doit ni faire, ni souffrir, et à laquelle on ne doit point se soumettre ; mais ils requièrent que l'on se soumette chrétiennement aux méthodes qui regardent les affaires de l'église, quant au civil et au temporel ; et à ce qui peut contribuer à leur conserver la réputation d'une société estimable et religieuse, distinguant, comme on le doit, ces deux objets. En un mot, ils veillent à ce qui peut entretenir la sainteté et la charité; à ce que leurs frères pratiquent ce qu'ils pro- fessent, et vivent suivant leurs principes ; et le seul usage qu'ils fassent de l'autorité de l'église,

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tend à empêcher qu'ils n'aient la liberté de dé- mentir les principes qu'ils professent, sans en être réprimandés. Ils ne forcent personne à adopter leurs principes, mais ils forcent ceux qui les ont adoptés à les suivre, sinon ils les désavouent : voilà le seul châtiment qu'ils leur imposent, et tout le pouvoir qu'ils exercent, per- suadés qu'aucune société chrétienne n'a droit d'en faire davantage contre ses membres.

Or voici de quelle manière ils agissent avec celui qui a failli ou péché. Quelques personnes de la société vont le trouver, et lui mettent sous les yeux la faute qu'il a commise, soit que ce soit une action contraire aux principes de vertu reconnus par le commun des hommes, ou seule- ment aux principes de la société dont il fait profession d'être membre. Ils tâchent par amour et par zèle, pour le bien de son âme, pour la gloire de Dieu, et pour la réputation de la société, de l'engager à avouer sa faute, et à se condamner lui-même d'une manière aussi pub- lique que l'a été le mal qu'il a fait, ou le scan- dale qu'il a causé. La formalité la plus ordi- naire consiste à en faire par écrit une déclaration qu'il signe ; mais s'il arrive que le pécheur ne veuille pas se soumettre, et avouer qu'il a péché

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contre la vertu ou la foi ; pour empêcher que sa conduite ne soit un sujet d'attaque contre la vérité qu'ils professent, après avoir réitéré plu- sieurs fois leurs instances, et attendu un tems suffisant cette preuve de son repentir, ils rédigent un écrit par lequel ils désavouent l'action dont il est question, et celui qui en est coupable, et ils consignent toute l'affaire dans leurs registres, comme un témoignage de leur zèle à conserver l'honneur de leur société et de leur profession de foi.

Mais si par la suite il répare le scandale qu'il a causé, en reconnaissant sa faute, et qu'il s'en montre vraiment repentant, ils le reçoivent de- rechef, et le regardent comme un membre de leur communion. Car semblable à Dieu, son vrai peuple ne réprimande jamais le pécheur, du moment qu'il s'est repenti.

Voici ce que j'avais à dire sur le peuple de Dieu, connu sous le nom de Quakers, quant à son origine, le tems il a commencé a être connu, ses principes et ses pratiques dans ce siècle ; tant pour ce qui regarde sa foi et son culte, que ce qui a rapport à sa discipline, et à sa conduite en général. J'ai cru que ce petit récit ne pouvait être mieux placé que comme

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préface* au journal du premier bien-heureux et glorieux instrument de cette grande œuvre, et comme un témoignage à ses grands services, et aux qualités éminentes dont il était rempli, qua- lités qui méritent de servir de modèle à la posté- rité, et ont tant contribué à la gloire du Très- haut ; enfin en le faisant servir à perpétuer la mémoire de ce digne et excellent homme, son fidèle serviteur, choisi pour être l'apôtre de cette génération.

* Il est bon de savoir que ce fut pour servir de Préface au Journal de George Fox, que Penn fit ce petit livre.

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CHAPITRE V.

De l'homme dont Dieu s'est servi pour rassembler cette société dans la voie qu'elle fait profession de suivre : de George Fox. Le grand nombre d'excellentes qualités qu'il possédait font voir qu'il avait, pour fonder cette société, un pouvoir plus qu'humain, et qu'il était vrai- ment un instrument choisi de Dieu. Troubles et souf- frances qu'il essuya tant au dehors qu'au dedans; sa fin et son triomphe.

Me voici arrivé au troisième point de ma pré- face, et je vais parler de celui que Dieu avait choisi pour être l'instrument par lequel il voulait fonder cette société. Car il serait assez naturel de se dire : " Fort bien, voici la société, voici l'œuvre, mais est l'ouvrier ? Quel homme Dieu chargea-t-il de cette grande œuvre ?" C'est ce que je vais raconter, et je parlerai non seule- ment d'après les autres, mais d'après ma propre connaissance et la longue et intime liaison que j'ai eue avec lui, et dont j'ai souvent remercié le Seigneur et le remercie encore tous les jours ; et je ne doute point que le lecteur ne m'ap- o

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prouve quand il aura lu cette partie de ma pré- face qui le regarde.

Le bienheureux instrument dont Dieu se servit dans ce grand jour de l'évangile, fut George Fox ; on le distingue d'un autre qui dans tous ses écrits est surnommé le jeune, non qu'il fût plus jeune d'âge, mais parcequ'il avait embrassé plus tard la doctrine des amis ; ce dernier fut aussi un digne homme dans son tems, servant Dieu, et rendant témoignage à la vérité.

Le George Fox dont je veux parler ici, naquit dans le comté de Leicester, vers l'an 1624. Ses parens étaient d'honnêtes gens, à leur aise, et qui se firent un devoir de l'élever, ainsi que leurs autres enfans, dans la religion de la nation quant aux principes et au culte ; sa mère, surtout, femme accomplie et supérieure à la plupart de celles de son rang dans le lieu elle demeurait. Mais dès son enfance il montra toute une autre tournure d'esprit que ses frères ; il était plus religieux, plus contemplatif, plus tranquille, et plus solide, capable d'observations au dessus de son âge, ce qui paraissait dans les réponses et les questions qu'il faisait, suivant les occasions, et surtout lorsqu'il s'agissait des choses de Dieu, au grand étonnement de ceux qui l'entendaient.

Sa mère, qui s'appercut de son caractère ex-

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traordinaire, de la gravité, de la sagesse, et de la pieté qui brillaient en lui de si bonne heure, et l'éloignaient des jeux d'enfans et de la société, avait pour lui beaucoup de tendresse et d'in- dulgence, et ne le contrariait ni ne le gênait en rien. Il fut élevé aux travaux de la campagne, et s'adonna au soin de troupeaux ; il aimait beaucoup les brebis, et acquit une grande ex- périence dans ce genre d'occupation ; c'était d'ailleurs un emploi tout à fait analogue à son caractère, et par l'innocence et la solitude qui en sont l'âme, et parcequ'il était comme un em- blème du ministère dont Dieu devait le charger dans la suite.

Persuadé que personne ne saurait parler plus savamment de lui que lui-même, je n'entrerai point dans les détails qu'il a donnés sur sa propre histoire, et pour éviter de répéter ce qui peut avoir été dit avant moi, j'omettrai ici les diffé- rentes circonstances de sa vocation, et me con- tenterai de dire en abrégé, qu'étant âgé d'un peu plus de vingt ans il quitta ses païens, et visita les personnes les plus retirées et les plus religieuses du canton qu'il habitait. Il restait encore un petit nombre de personnes qui atten- daient jour et nuit la consolation d'Israël, de même que Zacharie, Anne, et le bon vieillard g 2

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Siméon l'attendaient autrefois. Ce fut vers ceux-là qu'il fut envoyé ; il s'occupa à découvrir ces amis de Dieu dans les provinces voisines, et demeura avec eux jusqu'au tems son minis- tère lui fut plus spécialement manifesté. Pen- dant ce tems là, il enseignait le silence, et en donnait l'exemple à ceux qu'il instruisait, tâchant de faire* abandonner les cérémonies auxquelles ils étaient attachés, rendant témoignage de Christ, et leur montrant sa lumière qui était en eux, les encourageant à attendre patiemment que sa grâce se fît sentir dans leur cœur, afin de connaître et d'adorer Dieu selon la puissance de la vie impérissable, qu'ils devaient trouver par la lumière, s'ils lui obéissaient, quand elle se révélerait à eux. Car en la parole était la vie, et la vie est la lumière des hommes, vie dans la parole, lumière dans les hommes, et aussi vie dans les hommes, s'ils obéissent à la lumière ; car les enfans de lumière vivent par la vie de la parole, par laquelle la parole les engendre de nouveau à Dieu, ce qui s'appelle régénération et nouvelle vie, sans laquelle on ne saurait entrer dans le royaume de Dieu. Et quiconque y entre est plus grand que Jean, c'est-à-dire que le minis- tère de Jean, qui n'était point la dispensation du royaume de Dieu, mais la consommation de la loi;

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<et lui le précurseur du tems de l'évangile du jour du royaume de Dieu. Il se forma donc plusieurs congrégations dans ces cantons, et ce fut ainsi qu'il employa son tems pendant quelques années. En 1652, étant retiré et seul, selon sa cou- tume, toutes les facultés de son aine tournées vers le Seigneur, et à ce que je crois, sur une haute montagne de la partie élevée du comté d'York, il eut une vision touchant la grande œuvre du Seigneur, et la manière dont il devait entreprendre publiquement le ministère dont il était chargé, pour la commencer. Il vit un peuple égal en nombre aux atomes qui se jouent dans les rayons du soleil, et qui devait avec le tems rentrer dans le bercail du Seigneur, afin qu'il n'y eût sur toute la terre qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur. Ses regards se dirigèrent vers le nord, et il vit un grand peuple qui devait le recevoir, et entendre la parole qu'il allait lui annoncer. Sur cette montagne, le Seigneur lui inspira d'annoncer hautement ce grand jour, ce jour remarquable, comme s'il eût été au milieu d'une nombreuse assemblée ; en- suite il s'avança vers le nord, ainsi que le Sei- gneur le dirigeait. Dans tous les lieux il passait, quelquefois même avant d'y arriver, il recevait des inspirations sur ce qw'il devait

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faire, et sur la manière dont il devait se con- duire ; de sorte qu'on peut dire avec vérité que le Seigneur marchait devant lui. Aussi ne voyageait-il pas en vain ; mais Dieu bénissait ses travaux et confirmait son ministère dans presque tous les endroits il passait, par la conversion de toutes sortes de gens, tant parmi les impies, que parmi ceux qui faisaient profession d'être religieux. Au nombre des premiers et des plus distingués de ceux qui embrassèrent le ministère public, et qui jouissent à présent du repos éter- nel, nous comptons Richard Farnsworth, Jacques Naylor, Guillaume Dewsberry, Thomas Aldham, FrançoisHowgill, Edouard Burrough, Jean Camm, Jean Audland, Richard Hubberthorn, T. Taylor, T. Holmes, Alexandre Parker, Guillaume Sim- son, Guillaume Caton, Jean Stubbs, Robert Withers, Thomas Loe, Josias Coale, Jean Burn- yeat, Robert Lodge, Thomas Salthouse, et plu- sieurs autres dignes personnages qu'il ne serait guères possible de nommer tous ici ; de même que plusieurs encore vivants.

Dès le commencement ils ont reçu le témoignage de la vérité, et se sentant purifiés intérieurement par le jugement de Dieu, après avoir attendu quelque tems en silence qu'il leur envoyât d'en haut le pouvoir de parler en son nom (ce que sans

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cela nul ne peut faire avec efficacité même en faisant usage des mêmes paroles) ils se sentaient agités d'un mouvement divin, et poussés surtout à aller aux assemblées publiques, pour y répriman- der, enseigner, et exhorter. D'autrefois ils le fai- saient dans les places publiques, dans les marchés, dans les rues, sur les grands chemins, exhortant le peuple à se repentir, et à retourner au Seigneur, de cœur, aussi bien que de bouche ; les aver- tissant de diriger leur attention vers la lumière de Christ qui était au-dedans d'eux-mêmes, au moyen de laquelle ils pourraient voir, examiner, et considérer leur propres voies, fuir le mal, et faire la véritable et sainte volonté de Dieu. Leur zèle les exposa à bien des persécutions ; ils furent souvent jetés dans les prisons, pour- suivis à coups de pierres, battus, fouettés ; quoi- qu'ils fussent honnêtes, et jouissaient d'une bonne réputation dans les lieux ils demeuraient, et qu'ils eussent quitté leurs femmes, leurs enfans, leurs maisons, et leurs biens, pour venir de la part du Dieu vivant inviter les hommes à la repentance. Les prêtres en général entrepre- naient de les traverser ; ils écrivaient contr'eux ; ils ramassaient les histoires les plus fausses et les plus scandaleuses pour les diffamer, et ils exci- taient les magistrats à faire tout ce qui dépen-

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dait d'eux pour détruire cette société, surtout dans le nord de l'Angleterre; mais il plut à Dieu de leur communiquer sa puissance vivifi- ante, et de leur ouvrir la porte de la parole si efficacement, qu'ils eurent le plus grand succès dans ces cantons.

Us furent favorisés dès le commencement par le Juge Bradshavv, par le Juge Fell, et le Colonel West, et en reçurent les plus grandes bontés; aussi les prêtres ne purent-ils venir à bout de leur dessein, qui était de verser leur sang : sans cela, à l'exemple d'Hérode, ils auraient, s'il leur eût été possible, fait usage du pouvoir civil, pour les détruire, et les faire périr jusqu'au dernier. Le plus zélé fut le Juge Fell, qui non seulement s'opposa à la rage de leurs ennemis, lorsqu'ils voulurent les accuser devant lui, mais qui les défendit aussi clans d'autres oc- casions, et finit par les soutenir ouvertement. Car sa femme ayant été une des premières à recevoir la vérité, comme c'était un homme juste et sage, quand il vit en sa femme et dans sa famille la réfutation la plus complète des cla- meurs populaires qui s'élevaient contre ce té- moignage de la vérité, cette découverte fit sur lui i tel effet, qu'il protégea les membres de la (relle société autant qu'il le put, leur ouvrit.

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sans difficulté ses portes, et permit à sa femme et à ses amis de se servir de sa maison, s 'inquié- tant peu des reproches des ignorans ou des mé- chants. J'ai fait mention de cette circonstance, pour honorer la mémoire de l'un et de l'autre ; non seulement, je l'espère, ce sera un honneur pour eux-mêmes, mais encore leur exemple at- tirera la bénédiction du ciel sur tous ceux de leur nom et de leur famille qui auront la même tendresse fraternelle, la même humilité, le même amour, et le même zèle pour la vérité, et pour le peuple du Seigneur.

Cette maison fut pendant quelques années, et surtout au commencement, jusqu'à ce que la vérité se fût fait connaître dans les parties mé- ridionales de cette île, une retraite célèbre pour ceux de cette croyance. D'autres personnes de réputation et de crédit du nord de l'Angleterre ouvrirent leurs maisons et leurs cœurs aux diffé- rents ministres de la parole que le Seigneur avait suscités en si peu de tems, pour annoncer au peuple le vrai chemin du salut; et il s'y tenait aussi des assemblées des ministres du Seigneur, qui s'y communiquaient leurs travaux et leurs exercices, s'entr'-édifiaient, et s'encourageaient l'un l'autre dans leur glorieux ministère.

Mais de crainte qu'on ne prenne ceci pour

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une digression, comme il en a déjà été parlé, j'en reviens à cet homme excellent, et à ses qua- lités personnelles, tant naturelles que morales et divines, et telles qu'elles ont paru dans le com- merce qu'il a eu avec ses frères, et dans l'église du Seigneur.

1. C'était un homme doué d'un entendement admirable, et qui, pour être profond, n'en était pas moins clair ; il savait discerner l'esprit des autres, et était maître du sien. Quoique son esprit, quand il conversait avec le monde, et surtout sa manière de s'exprimer, choquassent peut-être les gens qui se piquent de politesse, et leur parussent grossiers ; cependant ce qu'il disait annonçait un génie profond, et non seule- ment ses discours ne perdaient rien à être examinés après coup, mais plus on les considé- rait plus on les trouvait solides et instructifs. Et quelque peu liées, que qu'incohérentes que pussent paraître des phrases qui semblaient lui échapper tout-à-coup concernant les choses de Dieu, il est pourtant reconnu que souvent ces mêmes phrases étaient comme autant de textes qui donnaient matière à des développements plus claires. Ceci faisait bien voir, et a n'en pas douter, qu'il était vraiment envoyé de Dieu, puisqu'il annonçait son ministère et l'objet de sa mission sans em-

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prunter les secours de l'art, ni du génie, et pré- sentait les grandes et importantes vérités qu'il venait annoncer au monde, dépouillées de tous les ornements de l'esprit et de la sagesse hu- maine. Comme homme il était donc original, n'ayant pris aucun homme pour modèle : sa mission et ses écrits font assez voir qu'ils ne les devait point aux instructions des hommes, et qu'ils n'étaient point les fruits de l'étude. Ce n'é- taient point des opinions ni des spéculations dont il fit l'essai parmi les hommes ; c'étaient des vérités palpables, des vérités de pratique, qui tendaient à la conversion, à la régénération, et à l'établissement du royaume de Dieu dans le cœur des hommes, et son œuvre était d'en mon- trer le chemin. De sorte que je me suis souvent senti ému au-dedans de moi-même, et forcé de dire avec mon Seigneur et Maître en pareille occasion, " Je te rends grâces, O Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages, et aux prudents de la terre, et de ce que tu les as révélées aux petits enfans."

Car mainte et mainte fois, mon âme, pleine de reconnaissance et d'humilité, a remercié le Sei- gneur de ce qu'il n'a point choisi un des sages et des savans de la terre, pour le charger d'an- noncer dans notre siècle sa sainte vérité aux

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hommes ; mais de ce qu'il a jeté les yeux sur un homme qui n'était ni distingué par son rang, ou l'élégance de ses discours, ni savant, selon l'idée que le monde a de la science ; afin que les hommes, ne pouvant soupçonner sa mission d'être l'ouvrage de la sagesse humaine ou de l'intérêt, n'en fussent point jaloux; afin que ses instructions parussent plus claires, et agissent avec plus de force sur la conscience de ceux qui cherchaient la vérité par pur amour de la vérité. Le Dieu du ciel a dessillé les yeux de mon âme, et j'ai pu reconnaître le doigt de Dieu, dans ce témoignage, quand j'ai vu combien son principe était clair, puissant et efficace, quand j'ai exa- miné quelles exemples de sobriété, de simplicité, de zèle, de fermeté, d'humilité, de gravité, de ponctualité, de charité, de circonspection, dans le gouvernement des affaires de l'église, lui et ceux que Dieu employait dans cette sainte œuvre, donnaient dans toute leur conduite, et dans leur ministère; j'ai été convaincu que c'était l'ou- vrage de Dieu même, et mon âme a été pénétrée d'amour, de crainte, de respect, et de reconnais- sance, en voyant son amour et sa miséricorde pour le genre humain. Tels sont mes sentiments, et j'espère que le Seigneur m'y conservera jus- qu'à la fin de mes jours.

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2. Son premier but, dans son témoignage ou dans son ministère, était de donner à ses audi- teurs une idée de la vérité, et de fonder sa doc- trine dans leurs cœurs sur le grand principe, le fondement de tout, Jésus-Christ, la lumière du monde ; afin que, renvoyés à ce principe divin, ils apprissent à le connaître, et se connaître eux-mêmes.

3. Il avait un don particulier, pour expliquer les Ecritures ; il allait droit au vrai sens, et, quoique avec simplicité, il en faisait sentir l'esprit, l'harmonie, et l'accomplissement, de la manière la plus consolante, et la plus édifiante.

4. Le mystère du premier et du second Adam, de la chute et de la rédemption, de la loi et de l'évangile, de l'ombre et de la substance, de la condition de l'enfant de la servante, et de celle de l'enfant légitime, et enfin l'accomplissement des Ecritures en Christ, et par Christ, qui est la vraie lumière en tous ceux qui lui appartiennent par l'obéissance de la foi, voilà quelle était en général la substance et la teneur de ce qu'il an- nonçait. Aussi était-il évident qu'il était de Dieu, car on sentait qu'il ne disait que ce qu'il avait reçu de Christ, et ce qu'il avait éprouvé lui- même, par l'effet de cette lumière qui jamais ne nous manque, ni ne nous égare.

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5. Mais il n'y avait rien en quoi il excellât comme dans la prière. Son esprit était alors si détaché de toutes pensées terrestres, sa conten- ance était si grave et si respectueuse, il disait tant en si peu de mots, que les étrangers en ont été souvent aussi frappés que ses frères en étaient consolés. Il paraissait si pénétré de la vie, du respect, et de la crainte de Dieu, lorsqu'il priait, que je n'ai jamais rien vu ni senti qui en ap- prochât, et c'était bien une preuve qu'il connaissait mieux Dieu et vivait plus près de lui que les autres hommes ; car plus on le connaît, plus on sent la nécessité de l'approcher avec crainte et révérence.

6. Sa vie était pure et innocente, il n'était point de ces hommes empressés de se mêler des affaires d'autrui, il ne cherchait point son propre intérêt ; il n'était ni prêt à s'irriter, ni prompt à critiquer. Ses discours n'avaient jamais rien d'offensant, et presque toujours quelque chose d'édifiant. On trouvait en lui tant de douceur, de contentement d'esprit, de modestie, d'aisance, de solidité, et d'affection, qu'on se faisait un plaisir d'être dans sa société. Il n'exerçait son autorité que contre le péché, mais il attaquait le péché en quelque lieu, en quelque personne qu'il

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le découvrît, le faisant néanmoins avec amour, compassion, et surtout avec patience. Il était très indulgent, et aussi prompt à pardonner que difficile à offenser, et soigneux à ne point offenser les autres. Et l'on trouverait encore des milliers de témoins prêts à certifier qu'il était d'un esprit excellent et fort agréable, ce qui faisait que les meilleurs esprits avaient pour lui un attache- ment sincère et durable.

7. Il était infatigable dans son ministère ; dans sa jeunesse, avant que ses grandes et nom- breuses souffrances et ses voyages eussent affaibli son corps, et l'eussent rendu incapable de voyager, il travaillait avec la plus grande ardeur à la propagation de la parole, de la doc- trine, et de la discipline, en Angleterre, en Ecosse, et en Irlande ; gagnant des âmes à Dieu, fortifiant dans la foi ceux qui avaient reçu la vérité, établissant parmi eux le bon ordre, et réglant les affaires de l'église. Sur la fin de ses voyages il visita, depuis 1671 jusqu'en 1677, les églises de Christ dans les plantations d'Amé- rique, en Hollande, et en Allemagne, comme on le voit par son journal ; plusieurs y reçurent son témoignage, et d'autres furent fortifiés dans la foi. Depuis ce tems-là, sa principale résidence

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fut à Londres ou dans les environs : là, sans renoncer aux travaux continuels du ministère, il était d'une grande utilité, il écrivit beaucoup, tant pour ceux de sa profession de foi, que pour ceux qui n'en étaient pas ; mais en général il don- nait le plus grand soin aux affaires de l'église.

8. 11 allait souvent dans le lieu se gardent les registres des affaires de l'église, et sont adressées les lettres des différentes assemblées du peuple de Dieu par toute la terre ; il se les faisait lire, et avait soin de les communiquer à l'assemblée qui se tenait toutes les semaines pour les affaires de ce genre, et il pressait l'assemblée d'y répondre, surtout quand il s'agissait des souffrances de quelques frères ; montrant dans ces occasions beaucoup de com- passion et de sympathie ; examinant avec atten- tion les différentes difficultés, et tâchant d'y remédier avec toute la promptitude qu'ils sem- blaient exiger. Par les églises, ou ceux de leurs membres qui se trouvaient dans la détresse, étaient sûres que leurs demandes ne seraient ni oubliées, ni ajournées, s'il allait à l'assemblée.

9. De même qu'il était infatigable, il était indomptable, quand il s'agissait du service de Dieu et de son peuple ; et il était aussi difficile de l'effrayer, que de le mettre en colère. La

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meilleure preuve à en donner, est sa conduite à Derby, à Litchfield, à Appleby, en présence de Cromwell, à Launceston, à Scarborough, à Worcester, dans la salle de Westminster, et en plusieurs autres occasions, il convainquit de sa fermeté ses amis et ses ennemis.

Mais de même que, du tems de la primitive église, les bienheureux apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ virent s'élever contr'eux, et devenir leurs plus cruels ennemis, quelques-uns de ceux-mêmes qu'ils avaient appelés à la foi, ce saint homme eut aussi à souffrir de la part de plusieurs de ceux qu'il avait convertis. Par pré- vention ou par erreur, ils s'élevèrent contre lui, l'accusant de vouloir s'arroger le droit de gou- verner les consciences, et cela parceque, par sa présence ou par ses lettres, il pressait les assem- blées d'adopter, sans hésiter et avec zèle, des dispositions sages et utiles, dont le but était de mettre la régularité dans les affaires de l'église, et de veiller à ce que la conduite de ses mem- bres ne causât aucun scandale dans le monde. Ces dissentions vinrent en grande partie de l'envie que quelques-uns portaient à cet homme débonnaire, en le voyant aussi aimé et estimé qu'il méritait de l'être ; elles vinrent aussi de la faiblesse de quelques autres qui se laissèrent

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prévenir contre lui par le reproche qu'on lui faisait de vouloir commander et être obéi aveu- glément.

Ils voulaient que chacun fût indépendant, et ils soutenaient qu'ayant le principe au dedans d'eux-mêmes, ils devaient être réglés par lui, et par nul autre : ne considérant pas que le prin- cipe est le même en tous, et que quoiqu'il soit possible de recevoir la grâce plus ou moins abondamment, cependant la nature en est la même chez chacun ; et que ce fait une fois ad- mis, c'est blesser l'unité spirituelle qui doit exister dans une société dont tous les membres sont conduits par le même principe. De sorte que ce qui est mal pour l'un, doit être mal pour tous, et que ce qui est vertueux, honnête, et honorable pour l'un devait l'être pour les autres ; cela étant la conséquence et le fruit du même principe universel commun à tous, et que ces mécontents mêmes font profession de regarder comme le lien de la véritable confraternité Chré- tienne, et l'esprit dont le peuple de Dieu se pénètre pour se réunir spirituellement, et ne plus avoir qu'un cœur et une âme.

D'autres eurent la faiblesse de voir dans l'ordre qu'il voulait établir pour le gouvernement des affaires de l'église, des règlements cou-

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cernant le culte, que lui et les autres frères recommandaient et pressaient d'adopter. Là- . dessus ils prétendaient leur appliquer les re- proches que les nonconformistes faisaient avec tant de raison aux épiscopaux, qui ont employé la force pour faire accepter leurs symboles et leurs cérémonies. Tandis que ces choses ne regardaient que les rapports extérieurs, et, si je puis m'exprimer ainsi, le gouvernement civil de l'église ; elles ne tendaient qu'à veiller à ce que les membres de la société vécussent selon les principes dont ils faisaient profession, et con- tinuassent de remplir les devoirs de la charité. Mais quoique quelques-uns, prévenus par des erreurs, ou gouvernés par une obstination dé- raisonable, soient sortis du bon chemin ; cepen- dant, grâces au Seigneur, la plupart se sont réunis en amour à leurs frères, et se sont aperçus des pièges du malin, qui ne laisse échapper aucune occasion, pour profiter de tous ses avantages pour nuire à l'œuvre du Seigneur, ou pour y mettre obstacle ; pour troubler la paix de son église, et pour refroidir l'amour de son peuple pour la vérité, et celui que des frères se doivent les uns aux autres : et tout fait espérer que quelques-uns, qui sont encore éloignés de l'église, viendront s'y réunir. ii 2

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Dans ces différentes occasions, ce saint homme, quoiqu'il sentit qu'il était le principal objet du ressentiment des mécontents, supportait leur fai- blesse et leur prévention ; il souffrait leurs réflexions sans y répondre ; il excusait le peu de fondement et l'amertume de leurs discours ; il priait pour eux, demandant qu'ils pussent re- connaître leur erreur et la subtilité de l'ennemi commun, qui ne cherche qu'à nuire et à diviser, et rentrer dans le sein de l'amour fraternel, qui n'inspire aucune mauvaise pensée.

Et en effet, je puis assurer que bien que Dieu lui eût donné un caractère visible de préémin- ence et d'autorité, et quoique sa présence seule inspirât un respect religieux, cependant il n'en abusait jamais ; mais il tenait sa place dans l'église de Dieu avec une douceur, une humilité, et une modération qui lui gagnaient les cœurs. Car toutes les fois que l'occasion s'en présentait, il se rendait, à l'exemple de son divin Maître, le serviteur de tous les autres, et il n'exerçait son autorité, en qualité d'ancien, que selon le pou- voir invisible qui les avait rassemblés, en révérant le Chef, et en veillant soigneusement sur le corps. Et il était reçu seulement, selon l'esprit et la puissance de Christ, comme le premier et le chef des anciens de son tems, digne d'un double

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honneur ; et les fidèles étaient disposés à le lui rendre, parceque son autorité était intérieure, et non extérieure, parcequ'il l'avait acquise et la conservait, par l'amour de Dieu, et par la puis- sance de la vie impérissable. Je n'écris point par ouï-dire, mais d'après ma propre connais- sance, et mon témoignage est vrai. Car j'ai, à différentes époques, passé des semaines et même des mois entiers avec lui, dans des tems d'épreuve et dans des circonstances très pénibles, et cela de jour et de nuit, par terre et par mer, en An- gleterre et dans les pays étrangers ; et je puis dire que je ne l'ai jamais vu manquant à son devoir, ni découragé par les difficultés, en quelque occasion que ce fût Car en toutes choses il se montrait homme, j'entends homme fort, nouvel homme, et plein de l'esprit divin ; théologien et naturaliste, qualités qu'il avait reçues de la main toute-puissante de Dieu. J'ai souvent admiré ses questions et ses réponses dans les choses qui sont du ressort de la nature. Quoiqu'ignorant la science trompeuse des so- phismes, il possédait les principes de toute science utile et recommendable, et il l'accueil- lait partout il la trouvait. Il avait dans ses manières une politesse supérieure à toutes les cérémonies en usage dans le monde ; il était

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d'une tempérance admirable, et quoique replet, il mangeait peu, et dormait encore moins.

C'est ainsi qu'il a vécu tant qu'il a demeuré parmi nous, et il est mort comme il avait vécu, se sentant jusqu'au dernier moment animé du même pouvoir éternel qui l'avait élevé et conservé ; si plein d'assurance qu'il triompha de la mort même : conservant toujours la même égalité d'esprit, comme si la mort n'eût pas mérité qu'il y fit attention, ou qu'il en parlât ; recommand- ant à quelques-uns de nous qui se trouvaient présens, d'expédier et de répandre une épître qu'il avait depuis peu adressée aux églises de Jésus-Christ par toute la terre, ainsi que ses livres ; mais de tous nos amis ne nous en recom- mandant point plus particulièrement, que ceux d'Irlande et d'Amérique, répétant deux fois : Ayez soin de nos pauvres amis d'Irlande et d'Amérique.

Il répondit à quelques-uns qui entrèrent pour demander comment il se trouvait : Ne soyez point inquiets, la puissance du Seigneur est au- dessus de toute faiblesse, au-dessus de la mort même ; la Semence règne, béni soit le Seigneur. Ceci se passa quatre ou cinq heures avant que le Seigneur le retirât de ce monde. Il assista à la grande assemblée près de Lombard-street, le

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premier jour de la semaine ; et ce fut le troisième jour, vers dix heures du soir, que nous le per- dîmes; il mourut chez Henri Goldney, dans la même cour. Il eut une très belle vieillesse, et le bonheur de vivre assez pour voir plusieurs générations des enfans de ses enfans, vivants selon l'esprit de la vérité. Il eut aussi la con- solation de n'être pas malade longtems, et de conserver sa pleine connaissance jusqu'au der- nier moment ; et nous pouvons dire avec un homme de Dieu du tems passé, que quoique mort, -il parle encore ; que quoique absent de corps, il est présent en esprit. Car il n'y a ni lieu, ni tems qui puissent interrompre la com- munion des saints, ou détruire l'union spirituelle des justes. Ses œuvres sont à sa louange ; parcequ'elles sont à la louange de Celui dont il était l'instrument; c'est pourquoi sa mémoire est et sera bénie. Je terminerai ici cette partie de ma préface par cette courte inscription à sa mémoire : De nos jours plusieurs enfans de Dieu ont cultivé la vertu, mais, mon cher George, tu les as surpassés tous.

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CHAPITRE VI.

Contenant cinq différentes exhortations : la première est une exhortation générale, tendant à rappeler à notre société son intégrité et sa simplicité primitives; la se- conde s'adresse plus particulièrement à ses ministres ; la troisième, aux nouveaux convertis; la quatrième aux enfans des membres de la société ; et enfin la cinquième à ceux qui ne connaissent point encore ce peuple et ses pratiques, et entre les mains de qui ce livre peut tomber, ainsi que celui auquel il servait de préface, la première fois qu'il a paru. Ces différentes exhortations sont adaptées à l'état et à la condition de ceux à qui elles s'adressent, afin que tous puissent at- teindre le double objet, de la gloire de Dieu, et de leur propre salut.

Maintenant, mes amis, vous qui faites pro- fession de marcher dans la voie que ce saint homme a été envoyé pour nous montrer, je vous prie, tous tant que vous êtes, pères et enfans, anciens et jeunes gens, ne refusez point quelques mots d'exhortation. La gloire de ce grand jour, et le fondement de l'espérance qui ne nous a point

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confondus depuis que nous formons une société, est, vous le savez, ce divin principe de lumière et de vie venant de Jésus-Christ, ce principe dont nous faisons profession, et vers lequel nous dirigeons tous les hommes ; le regardant comme l'agent divin, et le grand instrument par lequel ils sont convertis à Dieu. C'est par ce principe que nous avons été touchés au commencement, et efficacement éclairés quant à notre état in- térieur; c'est lui qui nous a fait songer à notre fin dernière, fixant nos yeux vers le Seigneur, que nous en puissions avoir un cœur sage. Nous n'avons point alors jugé suivant le rap- port de nos yeux, ou de nos oreilles ; mais c'est d'après la lumière et le sentiment qui nous venait de ce divin principe, que nous avons jugé des choses et des personnes, de nous-mêmes et d'autrui, et même de Dieu notre Créateur. Car, illuminés par ce principe au-dedans de nous- mêmes, nous pouvions aisément apercevoir la différence des choses, et sentir ce qui était bien, et ce qui était mal, ce qui était à propos, et ce qui ne l'était pas, tant en matière de religion, que pour ce qui regardait les affaires civiles. Or comme c'est-là le principe de la communion de tous les saints, c'était en quoi consistait la nôtre. C'est suivant ce principe que nous désirions

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nous connaître réciproquement, que nous agis- sions les uns envers les autres, et aussi envers les autres hommes, en amour, en fidélité, et en crainte.

Lorsque nos cœurs éprouvaient les premières impressions et les premiers mouvements de ce principe, nous nous approchions du Seigneur, et attendions qu'étant préparés par lui, nous nous sentissions attirés et émus, avant de prier pub- liquement, ou d'ouvrir la bouche pour exercer son ministère. Notre consolation, notre service, et l'édification qui en résultait, consistait à com- mencer et à finir par là. Lorsque nous voulions aller plus Vite, ou que nous omettions une partie de notre service, nous étions sûrs de nous charger d'un pesant fardeau, nous trouvions au dedans de nous des reproches au lieu d'approbation ; au lieu d'entendre ces paroles, Cela va bien ; une voix secrète nous disait, Qui vous a demandé cela ? Alors nous étions un peuple exercé, notre contenance et tous nos mouvements l'annoni- çaient.

Nous ne nous bornions donc point alors à veiller sur nous-mêmes, nous croyions devoir des soins aux autres, et surtout aux nouveaux con- vertis. Nous sentions souvent en nous la mission de la parole du Seigneur, et quelque chose qui

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nous portait à la manifester à nos voisins, à nos parents, et à nos connaissances ; quelquefois même à des étrangers. Nous avions à cœur la conservation les uns des autres ; ne cherchant pas, mais plutôt évitant, ce qui pouvait produire de la froideur ou quelque mal-entendu ; nous comportant entre nous comme des gens qui croyaient et sentaient que Dieu était présent ; et cela rendait notre commerce innocent, sérieux, et solide : nous nous gardions des soins et des liaisons du monde; nous maintenions la vérité selon son Esprit, et non pas selon notre esprit, ni d'après notre volonté et nos affections, qui étaient pliées et dans un état d'assujettissement, ce dont il était aisé à ceux qui nous con- naissaient de s'apercevoir. Nous ne croyions point avoir droit de disposer de nous-mêmes, d'aller ça et là, à notre gré ; de parler et d'agir de même, en choisissant notre propre tems. Notre liberté consistait dans la liberté de l'Esprit de vérité, et il n'y avait ni plaisir, ni profit, ni crainte, ni faveur, qui pût nous faire quitter cet état retiré, solide, et vigilant. Nous étions si éloignés de rechercher la société, que nous l'évi- tions autant que nous pouvions ; poussant nos propres affaires avec modération, au lieu de nous mêler sans besoin de celles d'autrui.

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Nos discours abondaient en sens, non en paroles ; notre air était composé et grave, et toute notre manière d'être était d'une gravité remarquable. Il est vrai que ce genre de vie retirée et sévère, comparé à la liberté qui règne dans les conversations du monde, nous exposait à la censure de plusieurs qui nous traitaient de gens bourrus, singuliers, et persuadés de leur propre justice, &c. Mais cela nous gardait de bien des pièges auxquels étaient continuellement exposés, par la convoitise des yeux, par la con- voitise de la chair, et par la vanité du monde, tant d'autres qui ne manquaient ni d'occasions ni de tentations, pour les attirer au dehors, et les en- traîner dans le monde.

Je ne puis oublier l'humilité et le zèle de ce tems là. Combien alors on était exact, à se trouver aux congrégations ! avec quel recueille- ment on y assistait ! avec quelle fermeté on était attaché à la vie de la vérité, aussi bien qu'aux principes de la vérité ! combien nous étions entiers et unis dans notre communion; et c'est ainsi en effet que doivent l'être, ceux qui recon- naissent pour chef le Seigneur Jésus-Christ.

Tel est le témoignage et l'exemple que l'homme de Dieu, dont j'ai parlé ci-dessus, eut mission de nous annoncer et de laisser parmi nous.

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Nous l'avons embrassé comme la Visitation misé- ricordieuse de Dieu ; et la parole d'exhortation en ce jour est que nous continuions de marcher dans la voie de ce témoignage, en tout zèle et toute intégrité, et avec d'autant plus d'ardeur que le jour approche davantage.

C'est à vous que je m'adresse d'abord, mes frères bien-aimés et honorés en Jésus-Christ, à vous qui exercez le ministère. Sentez la vie de Dieu au dedans de vous-mêmes, en exerçant ce saint ministère. Que la vie soit toujours le signal de votre mission, la source et le trésor vous puisez dans ces occasions, sans quoi vous savez que vous ne pouvez engendrer à Dieu, d'autant que rien ne peut régénérer les hommes, et les faire vivre en Dieu, que la vie de Dieu, et qu'un ministère qui vivifie les hommes en Dieu doit être de la vie et en la vie. Nous avons vu les fruits des autres ministères, par le petit nombre de ceux à qui ils ont fait abandonner la voie du péché. Ce ne sont point nos talens ni notre mémoire, ce n'est point de raconter, quand et comme il nous plaira, les choses qui nous ont été révélées, qui fera l'œuvre du Seigneur. Un ministère qui ne fait qu'expliquer sèchement la doctrine, quelque solide qu'il soit dans ses pa- roles, n'atteint pas plus avant que les oreilles,

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et n'est après tout qu'un beau rêve ; mais il est une autre solidité, la solidité même, c'est Christ, la puissance de Dieu. C'est la clef de David qui ouvre, et nul ne peut fermer; qui ferme, et nul ne peut ouvrir; et cette solidité est à la meilleure des paroles ce qu'est l'huile à la lampe, et l'âme au corps, et c'est ce qui fît dire à Jésus- Christ, " Mes paroles sont esprit et vie ;" c'est- à-dire, elles viennent de la vie même, c'est pourquoi elles vous font vivre, vous qui les recevez. Si les disciples qui avaient vécu avec Jésus-Christ durent rester à Jérusalem, jusqu'à ce qu'ils l'eussent reçue ; à plus forte raison devons nous attendre que nous l'ayons reçue, avant d'exercer le ministère, si nous voulons convertir les hommes des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu.

Je prie ardemment et en toute humilité Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, que vous ayez toujours les mêmes sentiments, que vous attendiez toujours avec révérence la venue et la révélation de la parole de vie, que vous suiviez toujours ses mouvements dans votre mi- nistère et dans vos fonctions, afin de servir Dieu selon son Esprit. Soit que vous disiez peu ou beaucoup, ce que vous direz sera toujours bien ;

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car beaucoup ne sera jamais trop, ni peu trop peu, pourvu que vous agissiez d'après le mouve- ment de l'Esprit de Dieu : sans quoi, il n'en faut pas douter, let moins du monde sera trop, parcequ'il ne portera pas profit.

Car c'est l'Esprit de Dieu qui, immédiate- ment, ou par le ministère de ses serviteurs, en- seigne à son peuple à profiter des instructions ; et assurément ce n'est qu'autant que nous le prenons avec nous pour nous diriger dans notre service, que nous sommes des serviteurs utiles, et sans cela il n'en est rien ; car s'il faut que le Seigneur mette toutes choses en mouvement au dedans de nous, pour que nous puissions être sauvés nous-mêmes, à plus forte raison son opération est elle indispensable pour que nous puissions convertir les autres. Si donc ce nous était autrefois une croix de parler, quoique le Seigneur nous y sollicitât ; que ce ne nous en soit jamais une de garder le silence, lorsqu'il ne nous meut pas à parler.

Une des menaces les plus terribles du livre de Dieu, c'est l'endroit il dit, "Que celui qui " ajoutera aux paroles de la prophétie de ce " livre, Dieu fera tomber sur lui les plaies écrites " dans ce livre." Il n'est pas moins terrible de refuser de parler quand Dieu nous le conseille,

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M Car celui qui retranchera quelque chose des " paroles du livre de cette prophétie, Dieu lui " enlèvera la part qu'il a dans le livre de vie." Et véritablement c'est une chose à laquelle on ne saurait trop prendre garde ; ceux qui se servent du nom du Seigneur, doivent avoir soin de s'assurer si véritablement le Seigneur parle ; de peur de se trouver du nombre de ceux qui ajoutent aux paroles du témoignage de la pro- phétie que le Seigneur les charge d'annoncer ; et de peur d'en rien retrancher ou diminuer, puisque l'un et l'autre offensent tellement le Seigneur.

C'est pourquoi ayons bien soin, mes frères, de ne point devancer notre guide, et de ne pas non plus rester en arrière; puisque celui qui se presse trop, court le risque de perdre son chemin, et que celui qui reste en arrière peut perdre de vue son guide. Car ceux même qui ont reçu la parole du Seigneur, doivent attendre la sagesse pour diviser la parole à propos ; c'est-à- dire qu'il est très possible que quelqu'un qui a reçu la parole, se méprenne quand il s'agit de la diviser, et d'en faire l'application. Ce qui doit venir d'une impatience d'esprit et du désir de travailler par soi-même, d'où résulte un mauvais et dangereux mélange ; et l'on peut à peine, en agissant ainsi, produire à Dieu un peuple

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d'esprit droit, et qui possède véritablement la vie.

C'est un point auquel je m'attache par dessus tout, pour ceux de nos frères qui exercent pub- liquement le ministère ; sachant bien de quelle importance il est, pour l'état présent et à venir, et pour la conservation de l'église de Jésus- Christ, rassemblée et bâtie par un ministère rempli de vie et de pouvoir, que le ministère s'entretienne, se conserve, et se continue, en recevant de tems à autre les manifestations, les mouvemens, et les secours répétés de cette même vie, et de ce même pouvoir.

Toutes les fois qu'il paraît que certains font plutôt usage de leurs talens et des dons qu'ils ont reçus, en administrant la parole, qu'ils ne parlent d'après la lumière et le pouvoir d'en haut, quoique leur entendement soit éclairé et qu'ils connaissent la bonne doctrine, il faudra les en avertir à tems, pour leur propre intérêt. Ils en viendraient insensiblement à se fier en- tièrement à leurs propres lumières, et à quitter Jésus-Christ qui est la vraie fontaine vive, pour puiser à des citernes qui ne contiendraient point des eaux vives ; et parcequ'ensuite ils en vien- draient peu à peu à détourner leurs frères d'at- tendre en eux-mêmes le don de Dieu, et de le i

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sentir dans les cœurs des autres pour en être fortifiés et consolés. Ils les attireraient à eux, et leur feraient quitter Dieu pour retourner à l'homme; et ils feraient ainsi naufrage quant à la foi jadis donnée aux saints, et quant à la pureté de la conscience à l'égard de Dieu, qu'il est impossible de conserver sans le don divin de la vie, par lequel l'une avait été engendrée au commencement, et l'autre ranimée et sanctifiée.

Il ne nous suffit point d'avoir connu le don divin, d'avoir par ce moyen atteint les esprits qui sont dans la prison, et d'avoir été les instru- mens par lesquels d'autres ont été convertis à Dieu, si nous ne nous conservons aussi humbles et aussi pauvres en nous-mêmes qu'auparavant, et dans la même dépendance envers le Seigneur. D'autant que ni le souvenir, ni la répétition des découvertes, des révélations, et des jouissances que nous avons éprouvées antérieurement, ne sauraient ramener une âme à Dieu, ni donner le pain à ceux qui ont faim, ni l'eau à ceux qui ont soif, à moins que la vie n'accompagne ce que nous disons: or c'est ce qu'il est de notre devoir d'attendre.

Puissions nous n'avoir point d'autre source, d'autre trésor, ni d'autre appui ! Que nul n'ose en aucune circonstance agir de son propre mouve-

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ment pour Dieu, parceque depuis longtems il a agi par le mouvement de Dieu. Ne nous dispensons point d'attendre le Seigneur; ne croyons point pouvoir y suppléer par notre propre sagesse, et ne nous imaginons point pouvoir apporter moins de soin, et prendre en parlant plus de liberté qu'auparavant ; enfin lorsque nous ne sentirons pas la puissance du Seigneur agir au dedans de nous, et nous inspirer, quelle que soit l'attente du peuple, quel que soit notre caractère ordinaire, enfin quelque accoutumés que nous soyons à re- cevoir ses secours, ne passons point les bornes et ne cherchons point à remplir ce vide par des choses venant de nous.

Nous n'oublierons jamais, je l'espère, qui était Celui qui a dit, " Hors de moi vous ne pouvez rien faire ;" lui seul peut nous donner la capacité. Car si nous ne devons point avoir recours à nos propres paroles, et chercher en nous- mêmes ce que nous devons dire pour nous dé- fendre, lorsque nous sommes attaqués concernant notre témoignage, nous devons bien moins en- core employer ce moyen, et être en peine de ce que nous dirons, dans notre témoignage, et dans l'exercice de notre ministère au nom du Seigneur, et pour l'édification du peuple ; car c'est alors plus que jamais que doit s'accomplir en nous ce i 2

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passage, " Ce n'est pas vous qui parlez, mais " c'est l'esprit de mon Père qui parle en vous." Car le ministère de l'Esprit doit conserver, et conserve réellement, son analogie et son union avec la naissance de l'Esprit ; car comme aucun ne peut hériter le royaume de Dieu s'il n'est de l'Esprit, de même aucun ministère ne saurait engendrer une âme à Dieu, si ce n'est celui qui dérive de l'Esprit. Et, comme je l'ai dit plus haut, c'était cet Esprit que les disciples atten- daient avant d'aller prêcher; et c'est selon cet Esprit que, de nos jours, nos anciens, et ceux d'entre nos frères qui annonçaient la parole de Dieu, attendaient, nous visitaient, et se faisaient entendre à nous ; ainsi donc, ayant com- mencé par l'Esprit, qu'aucun de nous n'espère ni ne désire d'être rendu parfait selon la chair. Quelle comparaison y-a-t-il en effet entre la chair et l'esprit, entre la paille et le froment ? Si nous persévérons dans l'esprit, nous conserverons l'unité de l'Esprit, ce qui est le fondement de la vraie communion. Car en buvant tous de ce même esprit, nous devenons un seul peuple en Dieu, et par là, nous nous conservons dans l'unité de foi, et dans le lien de la paix. Ni envie, ni amertume, ni querelles, ne peuvent naître parmi nous. Nous veillerons toujours les

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uns sur les autres, pour le bien de nos amis, et non pour leur mal ; et bien loin de porter envie à nos amis, lorsque nous les verrons doués plus abondamment des dons de la grâce, que le Sei- gneur prodigue à ses fidèles serviteurs, nous en serons pleins de joie.

Mes frères, comme c'est à vous qu'es confiée la dispensation des oracles de Dieu ; ce qui vous procure maintes occasions favorables d'être utiles, et vous donne beaucoup de poids parmi ceux chez qui vous voyagez ; ne croyez point, je vous prie, qu'il suffise de déclarer la parole de Dieu dans les assemblées, quelque édifiant et consolant que cela soit pour vos auditeurs, ainsi que pour vous ; mais, imitant la pratique que suivait en général l'homme de Dieu dont j'ai parlé plus haut, lorsqu'il était parmi nous, in- formez-vous de l'état des différentes églises que vous visitez, tâchez de savoir s'il y a quelques- uns de leurs membres qui soient malades ou dans l'affliction, s'il y en a qui soient tentés, enfin s'il y en a d'incrédules ou d'endurcis ; et faites en sorte de remédier à ces choses, selon la sagesse et la puissance de Dieu, et ce sera couronner glorieusement votre ministère. Car leurs cœurs vous étant naturellement ouverts, puisqu'ils vous reçoivent comme des hommes de Dieu, vous ne

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ferez qu'augmenter la bonne opinion qu'ils ont déjà de vous, en leur faisant du bien à d'autres égards, par vos bons conseils ; vous consolerez les affligés, vous fortifierez ceux qui sont tentés, vous soulagerez les malades, vous convaincrez et ramènerez les incrédules, vous adoucirez les endurcis, et les préparerez à être reconciliés ; par là, vous confirmerez le témoignage général, et y redonnerez une nouvelle force, en appli- quant ainsi vos soins à différentes branches, par rapport à ceux qui y sont plus particulièrement intéressés.

Car quoiqu'il puisse y avoir en résidence sur les lieux-mèmes, des gens bons et sages, et même des anciens, qui en général sont des per- sonnages de mérite et de poids, et même estimés dans d'autres endroits ; cependant il ne s'ensuit pas pour cela que ceux parmi lesquels ils demeurent mettent en eux toute la confiance qu'ils méritent, et il peut y avoir quelque cir- constance particulière qui les empêche d'exercer cette espèce d'autorité. Mais vous, qui voyagez comme envoyés de Dieu, s'ils vous donnent leur confiance pour un objet si important, vous la refuseront-ils pour un moindre ? et s'ils admettent le témoignage général, pourront-ils s'opposer à ce que vous en fassiez l'application

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particulière aux différentes circonstances ils se trouvent? C'est ainsi que vous vous mon- trerez vraiment ouvriers, et que vous ferez marcher vos œuvres devant vous, à la gloire du nom de celui qui vous a appelés des ténèbres à la lumière, afin qu'affranchissant les autres du pouvoir de Satan, vous les ramenassiez à Dieu, et à son royaume qui est au dedans. Combien il serait à désirer qu'il y eût un plus grand nombre d'ouvriers si fidèles, dans la vigne du Seigneur! Jamais, depuis le jour du Seigneur, le besoin n'en fut plus grand.

C'est pourquoi je crois devoir vous crier avec force : O vous qui depuis longtems professez la vérité ; vous qui la connaissez par sa puissance énergique, et dont la conduite parmi les hommes est exempte de reproche; mais qui, contens de connaître la vérité pour vous-mêmes, d'aller aux assemblées, d'exercer dans l'église une charité ordinaire, et de vous conduire honnêtement parmi les hommes, vous bornez à cela; vous qui, au fond de vos âmes, ne prenez guères d'autre intérêt à la gloire du Seigneur, et à la propagation de sa vérité sur la terre, qu'en vous réjouissant des succès qu'ont les autres dans ce ministère. Levez-vous au nom et en la puissance du Seigneur Jésus. Voyez comme chez cette

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nation, ainsi que chez les autres, les campagnes sont blanches et bonnes à moissonner, voyez combien sont rares les ouvriers fidèles, et ca- pables de travailler à la moisson ! Vos compa- triotes, vos voisins, vos parens désirent de con- naître le Seigneur et sa vérité, et de marcher dans ses voies. Rien chez vous ne vous parle-t-il donc en leur faveur ? Examinez vos cœurs, cherchez et ne perdez point de tems, je vous en prie, car le Seigneur est près.

Je ne vous juge point; mais il en est un qui juge tous les hommes, et son jugement est vrai. Vous avez acquis des richesses temporelles ; puissent vos richesses intérieures augmenter dans la même proportion ! puissiez vous bien user de ce double avantage, tandis qu'il est en votre pouvoir d'opérer le bien. Vos ennemis auraient bien voulu naguères vous ôter ce que vous aviez, pour l'amour de celui en qui vous croyiez ; c'est pourquoi il vous a donné une part abondante aux biens de ce monde à la face de vos ennemis. Mais prenez garde, ayez soin que le monde soit votre esclave, et non votre maître, faites-vous en un passe-tems, et non une affaire. Que vos regards soient tournés principalement vers le Seigneur, examinez vos voies, considérez si Dieu n'a point d'autres services à attendre de vous :

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et si vous vous trouvez en arrière avec lui, tenez- vous prêts à recevoir le mot de commandement ; ne vous lassez point de faire le bien, quand une fois vous aurez mis la main à la charrue ; et vous êtes assurés, si vous ne vous relâchez point, de recueillir le fruit de votre travail céleste dans le royaume éternel de Dieu.

Et vous, nouveaux convertis, je vous engage, je vous exhorte à attendre le Seigneur, en toute diligence et chasteté, à attendre sa manifestation et sa bienheureuse apparition dans vos cœurs : ne regardez point au dehors, mais au dedans. Que la liberté d'autrui ne soit point un piège pour vous ; n'agissez point non plus par imita- tion, mais selon que vous sentirez et goûterez le pouvoir de Dieu au dedans de vous-mêmes ; n'en étouffez point les premiers mouvements dans vos âmes, n'allez point non plus, dans la chaleur de vos désirs et de vos affections, en exagérer les doux et saints mouvemens. Rappelez vous que la voix qui nous parle en ce jour est une voix dont le son est délicat et subtil, qui ne s'entend point au milieu du bruit et des embarras du monde; mais qui se fait entendre distinctement dans la retraite. Jésus aimait et cherchait la solitude ; il se retirait souvent sur les mon- tagnes, dans les jardins, et sur le bord de la

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mer, pour éviter la foule et le tumulte ; don- nant par à connaître à ses disciples qu'il est bon d'être solitaire, et de se soustraire aux embarras du monde. Dans votre état, vous avez deux ennemis à craindre, votre imagination, et le désir de la liberté; mais la vérité simple et de pratique, celte vérité vivante et sainte qui vous a convaincus, sera votre sauve-garde, si vous l'écoutez au dedans de vous-mêmes, et que vous en fassiez, pour ainsi dire, la pierre de touche de vos pensées, de vos inclinations, et de vos affections, pour vous assurer par ce moyen si elles sont de Dieu, ou de l'ennemi commun, ou de vous-mêmes ; et par là, vous vous con- serverez un tact, un discernement infaillible, pour décider des choses qu'il vous faudra faire, ou ne pas faire. Et en continuant de marcher dans cette voie, avec diligence et fidélité, vous parviendrez à hériter de la substance même ; et Jésus-Christ, la sagesse éternelle, remplira votre trésor. Lorsque vous serez aussi bien convertis que vous êtes convaincus, alors fortifiez vos frères. Tenez-vous prêts à obéir au Seigneur, quelque parole et quelque œuvre qu'il requière de vous, afin de pouvoir contribuer à la gloire de celui qui vous a choisis pour participer avec les saints, à la lumière d'un royaume qui ne saurait

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être ébranlé, à un héritage incorruptible dans les demeures célestes.

Quant à vous qui êtes les enfans du peuple de Dieu, j'ai grandement à cœur votre salut. Je prie souvent à genoux le Dieu de vos pères, et lui demande qu'il vous fasse participer à la vie divine et au pouvoir qui sont la gloire de ce jour : afin que vous soyez une génération approuvée de Dieu, une nation sainte, un peuple choisi, et zélé pour les bonnes œuvres. Jeunes gens de l'un et l'autre sexe, qu'il ne vous suffise pas d'être les enfans du peuple du Seigneur ; il faut aussi que vous soyez régénérés, si vous voulez hériter le royaume descieux. Vos pères ne sont vos pères que selon la chair, et n'ont pu vous engendrer que selon la ressemblance du premier Adam ; mais il faut que vous soyez régénérés spirituellement à la ressemblance du second Adam; sans quoi vous ne serez ni ne sauriez être ses enfans. C'est pourquoi ne vous négli- gez point, q#vous qui êtes les enfans des enfans de Dieu ! examinez jusqu'à quel point vous tenez à cette sainte parenté, à cette sainte famille, et combien vous participez à cette régénération. Avez-vous obéi à la lumière? avez-vous reçu l'Esprit, et marché, en cet Es- prit, qui est la semence incorruptible de la pa-

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rôle et du royaume de Dieu, pour lequel il faut que vous soyez régénérés ? Dieu n'a point d'égard à l'apparence des personnes. Le père ne peut sauver le fils, ni le fils le père, et ils ne peuvent répondre l'un pour l'autre ; mais tel qui persiste dans le péché mourra dans son péché; et tel qui, par Jésus-Christ, pratique la justice, vivra dans la justice. Car ce sont ceux qui obéissent volontairement, qui mangeront le meilleur du pays. Ne vous abusez point ; Dieu ne peut être moqué ; car ce que les nations et les peuples auront semé, ils le moissonneront aussi de la main du Dieu juste; et alors le grand nombre de privilèges considérables que vous avez de plus que les enfans des autres hommes, sera ajouté au poids de la balance contre vous, si vous ne suivez la voie du Seigneur. Car vous avez eu ligne après ligne, commandement après commandement ; vous avez eu non seule- ment la bonne doctrine, mais aussi le bon ex- emple ; et qui plus est, on vous a appris à voir et à connaître au dedans de vous-mêmes un principe qui n'est que trop généralement inconnu aux autres hommes. Vous savez que vous pouvez être aussi bons qu'il vous plaira, sans craindre ni mauvaise humeur, ni coups, sans être être chassés de la maison, ni abandonnés de

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père et de mère, pour l'amour de Dieu et de sa sainte religion, ainsi qu'il est arrivé à quelques- uns de vos pères, lorsqu'ils entrèrent dans cette sainte voie. Mais vous, si après avoir appris et vu les miracles que Dieu a opérés, en les dé- livrant, et les conservant, au milieu d'une mer orageuse, ainsi que les bénédictions abondantes, tant spirituelles que temporelles, dont il les a comblés à la vue de leurs ennemis ; si d'après cela, dis-je, vous négligiez une si grande faveur, et les moyens de salut qui sont tellement à votre portée ; non seulement vous seriez les enfans les plus ingrats envers Dieu, et envers vos pères, mais vous devriez vous attendre que Dieu appellerait les enfans de ceux qui ne le con- naissent pas, pour vous ôter la couronne des mains, et que votre sort serait un jugement ter- rible de la part de Dieu. Mais, je le dis de toute mon âme, à Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi de vous !

Jettez donc, ô jeunes gens, jettez les yeux vers le rocher de vos pères : il n'y a point d'autre Dieu que lui, point d'autre lumière que la sienne, point d'autre grâce que la sienne, point d'autre esprit que le sien, pour vous con- vaincre, pour vous vivifier et vous consoler, pour vous conduire, pour vous conserver et vous gui-

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cler au royaume éternel de Dieu. Par là, non seulement vous ferez profession de la vérité, mais vous la posséderez ; l'embrassant, non seule- ment par suite de votre éducation, mais avec connaissance de cause, et parceque vous en êtes convaincus ; l'embrassant par l'effet d'un senti- ment qu'à produit dans vos âmes l'opération de l'Esprit de Dieu, et son pouvoir éternel. C'est par cet Esprit que vous pouvez devenir la se- mence d'Abraham, par la foi, et par la circon- cision faite sans main, que vous pouvez devenir les héritiers de la promesse faite à nos pères, c'est-à-dire d'une couronne immortelle : afin que, comme je l'ai dit, vous puissiez être une génération agréable à Dieu, soutenant la pro- fession que vous faites de la sainte vérité par la vie et la puissance de cette même vérité. Car la pure formalité, en fait de religion, est insipide à Dieu et aux hommes; et surtout lorsqu'une certaine forme ou apparence a en soi quelque chose de particulier ou de nouveau, et que c'est d'après un principe qu'elle a commencé, et a été pratiquée avec un zèle et une exactitude extraordinaires. C'est pourquoi je dis, que si vous deveniez tièdes et formels, et que, tout en demeurant dans la même profession de foi, vous restassiez dénués de ce sel et de cette saveur qui

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lui ont acquis un bon témoignage parmi les hommes ; ce ne serait pas répondre à l'amour de Dieu, aux bons soins de vos parens, ni à la lumière de la vérité qui est en vous, et en ceux qui sont encore dehors; et qui, tout en refusant d'obéir à la vérité, ont assez de sens et d'assez bons yeux pour voir si ceux qui la professent lui obéissent. Car lorsque l'on ne sent pas sa vertu divine dans son âme, lorsqu'on ne l'attend point, et que l'on ne vit point en elle, les im- perfections percent bientôt, paraissent ouverte- ment, découvrent l'infidélité de ceux qui sont dans ce cas-là, et font voir que leur intérieur n'est point imbu de la nature du principe qu'ils professent.

Souffrez donc, mes chers enfans, que je vous exhorte à fermer les yeux aux tentations et à la corruption de ce monde bas et périssable ; et à ne point laisser captiver vos affections par la convoitise et les vanités que vos pères ont aban- données depuis longtems, pour l'amour de la vérité. Et puisque vous croyez que c'est réelle- ment la vérité, recevez-la dans vos cœurs, pour devenir enfans de Dieu : afin que l'on ne puisse jamais dire de vous, comme l'évangéliste dit des Juifs de son tems, que Jésus-Christ la véritable lumière "est venu chez soi, et les siens ne l'ont

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" point reçu ; mais à tous ceux qui l'ont reçu, il " leur a donné le droit d'être faits enfans de " Dieu ; savoir à ceux qui croient en son nom, " lesquels ne sont point nés de sang, ni de la " volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, " mais ils sont nés de Dieu ;" passage qui dit beaucoup, et s'applique très bien ici. Votre état répond parfaitement au portrait que l'apôtre fait de ces Juifs dont la religion était toute ex- térieure, en ce que vous portez le nom de peuple de Dieu, que vous êtes les enfans, et avez toutes les apparences du peuple de Dieu ; et l'on peut dire de lui, vu sa lumière qui est en vous, qu'il est venu chez les siens ; et si vous ne lui obéissez pas, que vous vous détourniez de lui, et que vous suiviez les vanités de votre esprit, vous serez du nombre de ceux qui ne l'ont point reçu. Mais je prie Dieu que jamais il n'en soit ainsi de vous, et que vous n'attiriez point un tel jugement, sur votre tête, que vous sentiez combien sont grandes et nombreuses les obligations que vous avez à Dieu pour son amour, et à vos parens pour leurs bons soins ; que vous vous tourniez de tout votre cœur, de toute votre âme, et de toutes vos forces vers le Seigneur; que vous lui obéissiez, que vous scelliez le témoignage de vos pères par la vérité de votre propre expérience ; afin que les

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enfans de vos enfans vous bénissent, et bénissent le Seigneur pour vous, comme leur ayant donné un exemple fidèle, et leur ayant réellement transmis la vérité de Dieu. Ainsi les cheveux blancs de vos chers parens, qui vivent encore, descendront au sépulcre avec joie, en voyant que vous ne serez pas moins les enfans de la vérité que les leurs ; et que ce n'est pas seule- ment leur nature, mais aussi leur esprit, qui vivra encore en vous, lorsqu'ils auront quitté cette terre.

Je finirai par une courte exhortation que j'adresse à ceux qui ne sont pas de notre com- munion, entre les mains de qui il peut arriver que ce livre tombe, et surtout à mes com- patriotes.

Mes amis, comme vous êtes enfans d'Adam et mes frères selon la chair, j'ai souvent prié Dieu pour vous avec ardeur, désirant sincèrement que vous connaissiez que votre Créateur est votre Rédempteur, et que par la puissance et l'esprit de son Fils Jésus-Christ, qu'il a donné pour être la lumière et la vie du monde, il vous rende cette ressemblance divine que vous avez perdue par le péché. Oh, si vous vouliez le recevoir dans vos cœurs, vous qui portez le nom de Chrétiens, car c'est dans vos cœurs qu'il faudrait le posséder !

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Il frappe à la porte, pour que vous le laissiez entrer ; mais vous ne lui ouvrez point, vous avez tant d'autres hôtes qui occupent toutes vos demeures, que, de même qu'autrefois, il ne peut trouver de place que dans une crèche. Cepen- dant vous abondez en protestations et en pro- fessions de foi, de même que les Juifs lorsqu'il parut parmi eux ; ils ne voulurent point le con- naître, mais le rejettèrent, et le maltraitèrent. De sorte que si vous n'en venez point à posséder et à connaître par expérience ce dont vous faites profession, toutes vos formalités, en fait de reli- gion, ne vous tiendront lieu de rien au jour du jugement de Dieu.

Je vous prie donc de bien peser en vous- mêmes votre condition éternelle, de voir quels sont vos titres, sur quoi vous vous fondez pour porter le nom de Chrétiens, et si votre Christianisme ne consiste qu'à professer, et à croire l'évangile comme une histoire vraie. Avez- vous connu le baptême de feu et du Saint Es- prit ? avez-vous senti le van de Jésus-Christ qui nettoie les âmes de toute paille inutile, telle que la convoitise, et les affections de la chair ? avez- vous reçu ce levain du royaume des cieux, qui fait fermenter l'homme entier, et le sanctifie en corps, en âme, et en esprit ? Si ce n'est pas

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le fondement de votre confiance, vous êtes dans un état malheureux.

Vous me direz, peut-être, que quoique pécheurs, et vivant journellement dans un état de péché, et quoique vous n'ayez pas été sanc- tifiés, comme je viens de le dire, cependant vous avez foi en Jésus-Christ qui a supporté la malé- diction pour vous, que vous êtes complets par la foi en lui, sa justice vous étant imputée.

Mais ne vous abusez point, je vous en conjure, mes amis, dans une affaire aussi importante que celle qui regarde vos âmes immortelles. Si vous avez une vraie foi en Jésus-Christ, votre foi vous rendra purs, elle vous sanctifiera; car dans l'an- cien tems, la foi des saints était leur victoire ; c'était par la foi qu'ils triomphaient du péché au dedans d'eux-mêmes et des pécheurs au dehors. Et si tu es en Christ, tu ne marches plus selon la chair, mais selon l'Esprit, dont les fruits sont manifestes. Oui, tu es une nouvelle créature, régénérée et reformée sur le modèle, et selon la volonté de Dieu. Toutes les choses vieilles sont passées, et voici, toutes choses sont faites nouvelles : un nouvel amour, des désirs, une volonté, des affections, et des pratiques nou- velles. Ce n'est plus toi dorénavant qui vis, ce n'est plus toi, désobéissant, charnel et mondain, k 2

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mais c'est Christ qui vit en toi ; or Christ t'est gain à vivre et à mourir : parceque tu es assuré que ton corruptible revêtira l'incorruptibilité, que ton mortel revêtira l'immortalité, et que tu as dans le ciel une maison glorieuse et éternelle, qui ne vieillira et ne périra jamais. Tels sont les effets que Christ produit en ceux qui existent en lui, de même que le feu produit la chaleur, et le soleil la lumière.

C'est pourquoi gardez- vous bien de vous fonder sur l'idée que vous pourriez vous faire, que vous vivez en Christ, tandis que vous êtes encore dans votre ancien état de péché. Car qu'y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres, et quel accord peut exister entre Christ et Bélial ? Ecoutez ce que vous dit le disciple bien-aimé : " Si nous disons que nous avons communion " avec Dieu, et que nous marchions dans les " ténèbres, nous mentons, et nous n'agissons '•'pas selon la vérité." C'est-à-dire, si nous marchons dans la voie du péché, que nous soyons les esclaves de nos affections char- nelles, et ne soyons point convertis à Dieu, nous marchons dans les ténèbres, et ne pouvons dans cet état avoir aucune communion avec Dieu. Christ revêt de sa justice, ceux qui reçoivent sa grâce dans leurs cœurs, qui renoncent à eux-

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mêmes, qui se chargent tous les jours de sa croix, et qui le suivent. La justice de Christ sanctifie les hommes intérieurement, elle sanctifie leurs âmes, leurs volontés, et leurs actions. Cette justice n'en appartient pas moins à Christ, parceque nous la possédons ; car elle devient nôtre, non par nature, mais par foi et par adop- tion ; c'est le don de Dieu. Mais malgré cela, et quoiqu'elle ne soit pas nôtre, comme venant de nous (car en ce sens, elle appartient vraiment à Christ, car elle est de lui, et vient de lui), ce- pendant elle nous appartient, et est vraiment nôtre par la possession, par la jouissance, et par son efficacité, et il faut qu'elle le soit pour nous être salutaire; sans quoi la justice de Christ ne nous servirait à rien. Il en était ainsi pour les premiers Chrétiens: justice, sanctification, justi- fication, et rédemption ; et si jamais vous voulez sentir à fond les consolations de la religion chré- tienne, et si je puis m'exprimer ainsi, en pénétrer le cœur et la moelle, c'est ainsi que vous devez apprendre à la connaître et à l'obtenir.

Maintenant, mes amis, d'après ce que vous venez de lire, il vous est aisé de voir que Dieu a visité un pauvre peuple d'entre vous, à qui il a envoyé cette science de salut et ce témoignage ; qu'il a soutenu et augmenté jusqu'àce jour, malgré

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les violentes oppositions qu'il a éprouvées de toutes parts. Ne méprisez point ce que les apparences ont de méprisable : ce jour, nous le savons, a été et est encore regardé par un trop grand nombre comme un jour qui n'a produit que de petites choses, et dont ils tiennent peu de compte : ils lui ont donné plusieurs noms injurieux etméprisans ; mais il est de Dieu, et vient de lui, puisqu'il mène à lui. C'est ce que nous savons, quoique nous ne puissions le faire comprendre aux autres, à moins qu'ils ne prennent, pour le connaître, la même voie que nous avons suivie. Le monde parle de Dieu, mais que fait-il ? Il demande la puissance, et rejette le principe en qui elle est. Si vous voulez connaître Dieu, adorer et servir Dieu comme vous le devez, il faut que vous ayez recours aux moyens qu'il a indiqués et donnés pour cela. Les uns le cherchent dans les livres, d'autres parmi les savans, mais ce qu'ils cherchent est en eux, (quoique ne venant pas d'eux) et ils n'y font pas attention. La voix est trop subtile, la semence est trop petite, et la lumière luit dans les ténèbres. Ils ne sont point à la maison, et ne peuvent partager le butin ; mais la femme qui avait perdu son argent, le trouva chez elle lorsqu'elle eût allumé sa lampe et balayé sa mai- son. Faites-en de même, et vous trouverez ce que Pilate cherchait à connaître, c'est-à-dire, la

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Vérité : la vérité dans l'intérieur, chose si pré- cieuse aux yeux de Dieu ; la lumière de Christ dans l'intérieur. Christ qui est la lumière pour le monde, et par conséquent pour vous : lui, qui vous fait connaître votre vraie condition, mène tous ceux qui veulent y faire attention, des ténè- bres à la lumière merveilleuse de Dieu. Car la lumière se répand sur ceux qui obéissent ; elle est faite pour les justes, et leur sentier est comme la lumière resplendissante, dont l'éclat augmente jusqu'à ce que le jour soit en sa perfection.

Rentrez donc, mes amis, rentrez en vous- mêmes ; est le poison, vous trouverez aussi l'antidote. C'est que vous avez besoin de posséder Christ, et c'est que vous devez le trouver; et, Dieu en soit béni, il est en votre pouvoir de l'y trouver. Cherchez et vous trou- verez, je vous en réponds pour Dieu. Mais il faut aussi que vous cherchiez de bonne foi, de tout votre cœur, comme des hommes qui cherchent la vie, oui, la vie éternelle ; il faut que vous cher- chiez avec diligence, avec humilité, avec patience, en hommes qui ne peuvent goûter ni plaisir, ni consolation, ni satisfaction en rien autre chose, à moins qu'ils ne trouvent celui que leurs âmes désirent de connaître et d'aimer par-dessus toutes choses. Oh ! c'est un travail, un travail tout spirituel, en pense et en dise ce qu'il voudra le

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monde charnel et profane. C'est le sentier qu'il faut que vous suiviez, si vous voulez arriver jamais à la ville de Dieu, dont les fondemens sont éternels.

Mais, direz-vous, que fera pour nous cette lumière divine? Que fera-t-elle ? Premièrement, elle vous dévoilera tous vos péchés ; elle démas- quera l'esprit du monde, avec tous ses appas et toutes ses illusions, et vous montrera comment il est arrivé que l'homme est déchu de Dieu, et quel est son état actuel en conséquence de sa chute. Secondement, elle engendrera en ceux qui y croyent, un sentiment et un vif regret de cette chute terrible. Alors vous verrez distincte- ment celui que vous avez percé, alors vous verrez tous les coups et les blessures qu'il a reçues par votre désobéissance, et comment vous l'avez as- servi par vos péchés ; alors vous pleurerez, vous gémirez, et votre douleur sera une sainte dou- leur. En troisième lieu, elle vous apprendra à veiller saintement, et à. être sur vos gardes, pour ne plus retomber dans les mêmes fautes, et ne plus vous laisser surprendre par l'ennemi com- mun. Alors vous commencerez à peser et à juger vos pensées, aussi bien que vos paroles et vos œuvres, et c'est la voie de la sanctification, où. marchent ceux que le Seigneur a rachetés. C'est alors que vous viendrez à aimer Dieu par-

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dessus tout, et votre prochain comme vous- mêmes. Rien ne nuit, rien ne blesse, rien n'effraie sur cette montagne de sainteté ; c'est alors que vous commencez à être à Jésus-Christ en vérité ; car vous êtes à lui en nature et en esprit, vous n'êtes plus à vous-mêmes ; et lorsque vous êtes ainsi à Christ, alors Christ est à vous, et non auparavant. C'est alors que vous connaîtrez la communion avec le Père, et avec le Fils, l'efficacité de son sang qui purifie, oui, de ce sang de Jésus-Christ, de cet Agneau sans tâche, qui nous prononce de meilleures choses que celui d'Abel ; qui purifie de tout péché la conscience de ceux qui, en étant ar- rosés par une foi vive, quittent les œuvres mortes pour servir le Dieu vivant.

Tels sont le témoignage et la doctrine du peuple appelé Quakers ; telles sont leurs pra- tiques et leur discipline. J'ai fait voir quel a été le saint homme et les autres saints per- sonnages, au moins plusieurs d'entr'eux qui ont été envoyés de Dieu pour ce service et cette œuvre bienheureuse ; on en trouvera un détail plus particulier dans les annales de cet homme de Dieu, que je recommande bien sincèrement à mon lecteur de lire avec attention, suppliant le Tout-Puissant de vouloir bénir l'un et l'autre, et faire qu'ils convainquent le nombre trop

138 ORIGINE ET FORMATION, ETC.

grand de personnes à qui cette sainte dispensa- tion est encore inconnue, et qu'ils édifient en général l'église de Dieu ; qui par les miséri- cordes répétées, et les grâces de tout genre, dont il a comblé son peuple en ce jour de son amour infini, est digne à jamais d'avoir gloire, hon- neur, actions de grâces, et renom. Et ainsi lui soit-il rendu et attribué, avec crainte et révé- rence, par la médiation de Celui en qui il a mis toute son affection, de son Fils bien-aimé, de l'Agneau, qui est notre lumière et notre vie, qui est assis avec lui sur son trône aux siècles des siècles. Amen !

Voilà ce qu'avait à te dire un homme qui depuis longtems, par l'effet de la miséricorde de Dieu, a reçu sa Visitation paternelle, qui n'a point été rétif à cette vision, à cette vocation céleste ; à qui la voie de la vérité paraît plus aimable et plus précieuse que jamais; et qui, connaissant combien sa beauté et son utilité sont au-dessus de tous les trésors du monde, en a fait la principale joie de son cœur, et en consé- quence te recommande de la choisir, et de l'aimer, parcequ'il est avec autant de sincérité que d'affection,

L'Ami de ton âme,

GUILLAUME PENN

l>e l'Imprimerie de 1. Rider, 14, Bsartholomew Close.

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