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HISTOIRE DE COMMUNE LE DIX-HUIT MARS

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EDMOND LEPELLETIER

Histoire

de la

Commune de 1871

LE DIX-HUIT MARS

L'Hisloire est une Résurrection, a dit Michelet ; elle est aussi une Révision.

PARIS MERCVRE DE FRANCE r i '^

XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI "S 0 j/"^ \

JUSTIFICATION DU TIRAGE

3(>9

Les luttes sociales, les grands soulèvements populaires, les rébellions provinciales, les séditions urbaines, corpora- tives ou locales, les mutineries miliUires, toutes les com- motions qui précèdent, accompagnent ou constituent les guerres civiles, les seules guerres véritablement admissibles rationnelles ou utiles, ne sont pas des accès de la nervosité moderne, des éruptions de fièvres nouvelles : ces manifes- tations de l'esprit de révolte se sont produites de tout temps ; elles éclateront encore à des époques indéterminées, pen- dant une suite d'années impossibles à fixer, sur des points diEférents ; elles remontent aux origines des groupements humains. Les poètes, les historiens, les philosophes, les annalistes, s'inspirant des traditions du Pentateuque, ont dénoncé, dans l'un des deux premiers nés de l'ancêtre fabu- leux, Adam, le premier insurgé. Ce Gain, maudit, d'après la Genèse, dès les premiers pas de la race humaine sur la terre neuve et molle, à peine dégagée du moule informe du chaos primitif, demeure voué à l'exécration des géné- rations, comme l'auteur de la révolte initiale. Il est le dis- ciple du Satan des légendes, et continue, parmi les hom- mes, l'insurrection commencée chez les anges. Sa mère, Eve, désignée comme la première révoltée du mariage,sem- ble ainsi avoir porté dans ses flancs les germes de toutes les rébellions futures.

L'esprit de résistance à l'autorité jugée injuste ou excès-

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

sive, le sentiment d'antagonisme en face d'un égal trop favorisé, ont été blâmés ainsi, dès leur manifestation ori- ginelle, par la plupart de ceux qui enseig-nenl les peuples. Et depuis, qu'il s'agisse d'une insurrection dans la famille, pour l'indépendance personnelle, pour l'héritage, pour le mariage, ou de batailles autour des palais, ou sous les remparts des cités, pour la conquête du pouvoir, pour l'affranchissement d'une servitude, pour un nominal chani>ementde domination, les Révoltes nont jamais trouvé grande sympathie parmi ceux qui en transmettent le récit. Il n'est pas un de ceux qui ont écrit sur la Révolution française, par exemple, fussent-ils disposés à être indul- gents, adulateurs même, qui n'ait cru devoir désapprou- ver « les excès » de cette période lumultiieuse de notre histoire. Parmi ces excès, hypocritement déplorés ou sévè- rement flétris, sont classés des mouvements comme les exécutions de Septembre, violents, sans doute, mais, en soi, logiques, provenant du rapport des choses, déterminés par des forces et des fatalités, méritant d'être observés et relatés avec soin, sans colère, sans parti pris, comme le marin, le météorologiste consignent sur leurs livres de bord ou d'observatoire la formation d'une tempête, la mar- che d'un cyclone. Les phénomènes révolutionnaires doi- vent être constatés et expliqués avec la même impartialité qu'une secousse sismique, que l'éruption d'un volcan. Il faut être un dément, comme Xercès, pour s'indigner contre la mer en fureur, et lui donner le fouet, ainsi qu'à un enfant désobéissant. L'historien qni s'emporte contre les révolu- tions ne saurait se moquer de la sottise du despote asia- tique. _.

I,B DlX-KtlIT MARS

C'est qa-avec nos préjugés, aussi absurdes que les idées deasai^asessurles éd.pse.s, la rébellion, cet obscurc.sse- ment de r Autorité, nous apparaît comme une manifesUboa consciente de cet Es^it du mal, opposé, dans lesUaditions religieuses, à l'Ksprit du bien, sous ses diverses dénomina- tioDs : Dieu, Providence, Eut, Ordre Social, Morale, Lo^ Salut Public, Majorité, etc., etc. Le rebelle, c'est toujours, selon les mythologie:., une iacarnatioa de l'Aribman du Mazdéisme, du Gain biblique, du Satan judso-chrétien, du Diable cornu, à l'appendice caudal déconcertant et a la fourche gfrotesque, dont on fait peur aux enfants, et aussi à un certain nombre de grrandes personnes.

Pourtant il est des rébellions admises, et des rebelles non seulement e.xcusés, mais admirés. Les révoltes, guerres civiles, ou simples brutalités de palais et de corps de garde, soat prises en considération par l'Histoire, lorsqu'elles ont pour point de départ l'Ambilion. l'Orgueil et la Gupidit*, lorsque pour but elles eurent raccroissemenl de la Servi- tude rexteosion de U D«>minatiou, le renforcement de l'Autorité. Ces révolte.s. amnistiées par le succès et p^ l'intention égoïste de ceux qui les conduisirent, ou en pro- fitèrent, prennent le titre honorable de Révolutions, et Ion élève des monuments afin d'en perpétuer la gloire; on frappe des médailles en leur honneur. Les autres, les révoltes populaires, qui furent tentées uniquement pour introduire plus de justice dans la société, plus d'égalité dans les rap- ports des êtres, plus de bonheur dans l'humanité, demeu- rent éternellement honnies et maudites. On n'en pari* qu'avec hésitation et réserve. Ceui qui les firent sont cam- pés au pilon de l'opinion. On ne les cite que comme

UISTOIHE DE COMMUNE DE 187I

des scélérats justement punis ou des martyrs ridicules. La jeunesse démocratique, mal instruite, si elle acclame, a priori et iuyecune conviction moutonnière, les insurrections acceptées et consacrées, ig^nore, méprise ou hait, par ouï- dire, les révolutions populaires avortées et les insurgés vaincus. On ne lui enseigne pas la vérité de ces événements, qualifiés de désordres, de folies et de crimes. On se con- tente de les stijçmatlser brièvement, et de noter d'infamie ceux qui ont contribué à les produire. L'histoire des Guerres Civiles est à écrire, et à apprendre.

Ces crises de l'humanité ont été observées avec des yeux indig-nés, et notées par des plumes sévères. Cependant, cette histoire des Révoltes, c'est le sommaire des annales du progrès humain. Rien n'est demeuré, car les annexions récentes de l'Allemagne, duchés et Alsace-Lorraine, peuvent être envisagées comme gains provisoires et possessions précaires, des bénéfices ou des pertes, dus aux guerres ordinaires de conquêtes, d'extermination ou de spoliation. Mais les bienfaits des révolutions demeurent, et les ensei- gnements de la guerre civile se propagent de siècle en siècle. Tous les progrès sociaux ont pour base et pour étai des insurrections. Les afifranchissements successifs de la race humaine sont issus de rébellions, même étouffées. Les vaincus, en apparence abattus sur le moment, se relèvent lentement, et, les morts régnant sur les vivants, conti- nuent la bataille, préparent les victoires de l'avenir.

La déclaration des Droits de l'Homme porte que, dans certains cas, l'insurrection est le plus saint des devoirs. Elle est, dans toute circonstance, une preuve de vitalité, d'avenir, et d'espoir. Le peuple opprimé matériellement, ou

LE DIX-HUIT MARS

gêné dans son expansion morale et intellectuelle, qu'on voit recourir à l'insurrection, affirme son droit à l'exis- tence. Alors même qu'aux contemporains, aux acteurs, au public qui a vu, qui a failli jouer un rôle dans le drame, qui en a supporté les gênes, les désastres, qui a ressenti avant et pendant l'action de l'inquiétude et de l'effroi, le mouve- ment semble régressif, il constitue toujours un pas en avant, un effort vers un devenir meilleur, une étape de plus vers le but désiré, entrevu, but d'ailleurs destiné à reculer, indéfiniment, devant l'humanité en marche. Le progrès est mobile, jamais il ne saurait être atteint. Acquis, fi.vé, il perdrait son nom.

Entre tous les mouvements populaires, dont l'Histoire nous a conservé la trace, l'Insurrection parisienne du i8 mars 1871, et la période révolutionnaire désignée sous le nom de « la Commune » offrent la preuve que les insur- rections, même écrasées sous la lourdeur des crosses, étouf- fées dans le silence des historiens, ensevelies sous l'amas des meusonges, des calomnies et des injures, sont vivaces, fécondes, et prennent, dans la suite des années, une lente et persistante revanche.

Cette démonstration sera la conclusion de cet ouvrage. La France, redevenue forte, prospère, indépendante vis- à-vis des nations rivales, émancipée à l'intérieur, affranchie de la séculaire servitude de l'Eglise, ouvrant au prolétariat les routes jusqu'ici barrées, ou à peu près, du pouvoir politique, organisant le monde du travail, donnant à tous, comme l'air et la lumière, l'instruction et la liberté, la France Républicaine du xx« siècle n'existerait pas sans les événements de 1871.

IIISTOIHK DE LA COMMUNE DE it

La I1I« République Française a pour mère la Commune de Paris, malgré ses répug^nances aristocratiques et bour- geoises à accepter une pareille filiation.

La Cow/K««6, et.qiiandnousemployoDS ce terme ainsi pris absolument, nous entendons désigner le régime, loca- lisé et éphémère, auquel fut soumise la région parisienne, avec une répercussion brève et dispersée en quelques gran- des villes, du 18 mars aux derniers jours de mai 1871, a eu, sur les événements politiques et sociaux des années qui ont suivi la guerre et la chute du régime impérial, une influence décisive. Elle agira aussi sur l'avenir. Comme ce tremblement da sol politique et social est le plus récent, la secoTi-ssedure encore, et les événements dont la Russie, la Perse, la Turquie, le Portugal viennent d'être le théâtre prouvent la communication et le prolongement des comr motions révolutionnaires. Les conséquences sismiques de l'éruption de la Commune de Paris se manifesteront, sans doute, plus d'une fois encore, partout sur le gl&be. Un mouvement analogue plus important, plus définitif, quel- que chose comme un o3, en Russie par exemple, peut reprendre et continuer cette Révolution, qui fut l'aube du Quatrième-Etat .se dressant sur les ruines du clergé et de la noblesse, sur l'ébranlement des assises capitalistes du Tiers. Il est donc intéressant d'étudier cette curieuse et dramatique époque, et de connaître son histoire, autremeirt que par des récite atix jugements sommaires, rappelant ceux des cours prévôtales des journées de Mai.

LK DI\-!IflT M\ns

La Commune n'est pas classée comme une Révolution. Les émeutes qui n'ont pas réussi, c'est-à-dire, n'avant pas servi de point de départ à une nouvelle organisation poli- tique, ou ne s'étant point terminées en queue de réorgani- sation républicaine, dynastique ou constitutionnelle, sont appeUes des insurrections, qnaliUcation péjorative. Le ,8 mars n'a pas eu droit, jusqu'ici, à une autre désigna- tion. L'histoire a son étiquette et use d'un langag^e proto- colaire. Elle salue Majestés les soldats parvenus, et proclame Grands Citoyens les insurgés lïeureu.x.

Ainsi, jusqu'à présent, les hommes de la Commune ne sont pas admis dans le nobiliaire démocratique. Danton a sa statue, et Marat, longtemps discuté, repoussé, excom- munié, bientôt réhabilité et admiré même, sommeillera dans sa baignoire de bronze sous l'œil vaguement respec- tueux des foules inditîérentes, parmi les massifs tleuns d'un de nos jardin» publics. Mais Charles Delescluze et ses compagnons de lutte populaire, pour longtemps encore, seront e.xclus des honneurs posthumes. Leur tour probable- ment viendra. On les portera sur le socle d'égalUé monu- mentale, à côté des « Géants de ()3 ». Us se dresseront dans la gloire du marbre et du m^al, comme leurs confrères en révolution.

Alors ils bénéficieront d'une illusion d'optique. Le recul du temps, et l'enthousiasme suggéré par les livres, par les discour*, par les légendes, différant des écrits et des réciU ayant en cours jusqu'ici, les feront, à leur tour, paraître plus hauts et plus superbes qu'ik ne le furent dans la réa- lité. Ainsi les guerriers h-omériqxies, les sénateurs de Rome, les chevaliers du roi Arthur, les paladins, les mousquetai-

BISTOIHE DE LA COMMUNE DI 187I

res, les bataillons de Sambre-et-Meuse ont été successive- ment l'objet d'exaltations excessives et d'apothéoses exagé- rées. L'éloignemeot historique produit un effet contraire à celui de la distance physique: il change les lois de la pers- pective et grandit hommes et choses.

Les « Communards » n'en sont pas arrivés là. On ne les voit pas même à mi-côte du chemin de la gloire. Ils sont toujours traités en parias de l'Histoire. Leur procès a été jugé sans doute, mais peu, ou mal plaidé. Ils sont demeu- rés des vaincus ou des proscrits, et n'ont pas connu l'am- nistie de l'esprit. Il ne s'est guère produit, jusqu'ici, sur leur compte, que des pamphlets passionnés, des réquisitoi- res implacables, des légendes absurdes, et aussi quelques apologies immodérées, considérées comme des dèHs à l'o- pinion, comme des parado.ves historiques.

Il n'y eut pourtant pas, comme on l'a écrit, comme on l'écrit encore, que du sang et de l'imbécillité dans les actes et dans les espérances des hommes de cette brève et impres- sionnante époque. Une Idée, respectable comme toute foi sincère, germait dans les sillons parisiens arrosés de la pluie de sang : Paris libre, autonome, exerçant la dictature de l'exemple, servant de modèle aux villes, aux provinces, aux états, aux empires, devenant, par la force de la liberté, par la puissance de l'émancipation humaine, le foyer de la démocratie, le centre du progrès social, la capitale des Etats-Unis d'Europe, d'abord, puis enfin la Rome d une fédération universelle des peuples apaisés, fraternels et ne faisant plus la guerre qu'aux fléaux qui désolent la planète, aux êtres nuisibles qui la troublent, aux obstacles qui entravent l'expansion du génie de l'homme, aux fatalités

LE DIX-HUIT MARS

économiques et aux inégalités légales qui retardent son industrie et paralysent l'usage intégral de ses forces physi- ques et intellectuelles. Une rêverie sans doute !... une chi- mère évidemment 1 Mais ces utopics-là, bien que nen d ac- tuel ne puisse en faire présager la réalisation prochaine, sont-elles indignes de l'examen del'Histoire? La plus extra- ordinaire songerie, folie véritable aux yeux d'un sage .le l'antiquité, d'un philosophe d'Athènes, d'un législateur de Rome, d'un clerc du temps de Charlcmagne, d'un écnvam du xvue siècle, d'un marquis de la Régence, même d'un député du Tiers avant le 4 mai 1789, n'eût-elle pas consiste à évoquer une époque il n'y aurait plus d'esclaves m de sujets? un pays des marchands, des paysans, des artisans, non seulement nommeraient leurs chefs, mais encore pourraient être élus chefs eux-mêmes ? Qui aurait pu s'imaginer, même sous Louis XVI, qu'un jour viendrait les ouvriers pourraient exercer la puissance législative, auraient le privilège neuf et inouï de discuter les heures de travail, le montant des salaires, et oseraient réclamer, comme un droit, la participation aux bénéfices, en atten- dantlepartage des instruments de production delanchesse? Cette rêverie-là est devenue la réalité. Qui sait de quels nouveaux rêves réalisés sera fait Demain ?

La plupart des contemporains n'ont voulu voir, dans les faits du 18 mars et des journées qui suivirent, que des convulsions. La Commune a été considérée comme une attaque épileptique de la population parisienne, un accès consécutif à la fièvre obsidionale. Onlui a, jusqu'à présent, dénié le Caractère d'une grande évolution historique.

Cela tient à sa trop courte durée. Il ne lui a pas été

l/J IIISTOmE DE LA COMMUNE DE 187I

douné de s'org-aaiser, de se traasforiner en système gou- vernemental régulier.

Elle avait, cependant, les mêmes éléments de vitalité et de continuité que les soulèvements antérieurs, mués en gouvernements ordinaires, en régimes, acceptables et accep- tés. Les coulées volcaniques deviennent, avec le temps, fermes, arables, fertiles, et portent bientôt des vignes, des moissons, des cités. Mais il faut laisser s'accomplir le refroidissement des laves. Les gouvernements les plus calmes que la France ait eus, depuis un siècle, ne sont-ils pas issus d'éruptions? Le trône bourgeois de Louis- Philippe a été fait des débris fumants des barricades de juillet i83o. Ainsi notre troisième République a eu pour berceau l'Hôtel-de-Ville envahi par les émeutiers du 4 sep- tembre 1870.

On peut même dire que, sous le rapport de la légalité de l'origine, et pour la légitimité de la naissance, les deux gouvernements qui ont succédé au régime impérial se valent.

Le 4 septembre fut, comme le 18 mars, une insurrection en face de l'ennemi. La gravité relative de cette guerre civile, proclamée sous les canons des Allemands vainqueurs, était renforcée par ce fait qu'au 4 septembre la guerre conti- nuait, qu'on se battait en Lorraine et dans le Nord, tandis qu'on s'insurgeait à Paris.

Au 18 mars, la paix était votée. Les Allemands ne pou- vaient profiter de nos divisions intestines qu'en rompant les préliminaires du traité, et en annulant le vote de l'Assemblée de Bordeaux. Puisque l'on exécutait loyale- ment les conventions, et qu'on etfectuait régulièrement le.s

I.E IIIX-HUII MARS

naiemeats en échange desquels lenvahisseur devait évacuer successivement les porlioas de territoire occupées, les Alle- mands ne pouvaient espérer aucun bénéficedu soulèvement, et la révolution, la guerre civile ne leur procuraient nul avantage militaire.

Il en était diflcremment au 4 septembre. Le renvei^cment de l'empereur Napoléon m, prisonnier en Allemagne, déchu en France, fournissait au.Y victorieux ennemis un avantage militaire et moral incontestable, un prétexte à poursuivre leur invasion, à repousser toute proposition de paix, à cher- cher tous les profits, même les plus injustes et les plus exorbitants de la victoire, comme ils n'ont pas manqué de

le faire.

La plupart des historiens et des polémistes, qui repro- chèrent à la Commune de s'être organisée en présence de l'ennemi, ont, avec partialité, négligé d'adresser le même reproche au gouveruement du 4 septembre. La situaUon comportait pourtant un blâme pir,* pour les insurgés bour- geois, qui profitaient du désastre de Sedan pour changer l'attelage gouvernemental. Ces avocats et ces professeurs, chefs d"e l'opposition sous l'empire, furent sourds à la me- nace du canon prussien se rapprochant, indifférents au désarroi qu'une révolution politique accomplie à Pans, à la veiUe d'être muré et isolé du reste de la France, pouvait propager dans les départements non envahis. Ils dédaignè- rent le danger d'indisposer ou de décourager, en plein com- bat, généraux et fonctionnaires attachés au régime exisUnt. Bravant la résistance des populations qui pouvaient avoir conservé des sentiments de hdélité instinctive, de reconnais- sance personnelle, ou des intérêts particuliers, leur faisant

UISTOIRB DE LA COMMUNE DE 187I

regretter l'empire et repousser la République, les Jules Favre et les Jules Simonne s'arrêtèrent pas une minute devant ces objections sentimentales, et franchirent d'un pied léguer ces obstacles moraux. Ils réussirent, et on leur a pardonné de ne pas avoir tenu compte de ces appréhensions ; on les a même loués d'avoir poursuivi leur but, sans craindre le repro- che d'avoir conspiré à la faveur de la marche en avant des armées allemandes. L'empereur était vaincu, de plus, cap- tif alors ; ils profitaient de la situation, ne permettaient pas à l'occasion propice d'échapper; ils ne voyaient qu'un seul résultat immédiat : la République à l'intérieur victorieuse, et la France, si longtemps asservie, en liberté. Ils n'avaient garde de laisser fuir l'heure de la revanche démocratique. Certains l'attendaient depuis dix-huit années. Se débarrasser des hommes du a décembre leur paraissait la chose princi- pale, la bataille importante et la victoire nécessaire. On verrait après à repousser les uhlans.

On ne saurait dire que la grande majorité de la popula- tion les excita. Ce n'était pas qu'on fût très attaché au régime impérial, ni que l'empereur, personnellement, eût inspiré des dévouements irraisonnés et des fidélités impul- sives comme les anciens rois déchus et les prétendants dépossédés en ont toujours rencontré. On supportait l'em- pire sans l'aimer. On le considérait comme un régime don- nant surtout la prospérité. Le plébiscite écrasant du mois de Mai précédent avait, non pas absous le passé m sanc- tionné le principe dynastique impérial, mais consolidé le présent et ménagé l'avenir. Les Français, en votant « oui », n'absolvaient ni ne donnaient carte blanche à 1 em- pereur. Ils lui renouvelaient seulement le mandat de main-

LE DIX-HUIT UAKS

tenir l'ordre, de contenir les passions révolutionnaires, de rassurer la classe possédante, de favoriser les aflaires, de faciliter l'industrie, de développer les grandes entreprises, chemins de fer, canaux à l'instar de Suez, et de vivre en bons termes avec les autres souverains, qu'on était flatté de voir à Paris au moment des Expositions, et dont les fredaines divulguées amusaient, rassuraient. Les plébisci- taires n'avaient jamais pensé que leur vote affirmatif pour- rail engager le pays dans une guerre. S'ils avaient eu cette prévision pessimiste, il est probable que les votants, en majorité, eussent répondu « non » ou se fussent abstenus. La guerre engagée, dont les origines apparurent obscures et inexpliquées, les Français, en bons patriotes, firent crédit au souverain, et se reposèrent avec confiance sur la bra- voure de l'armée. On comptait sur le prestige de nos sol- dats, sur leur vaillance éprouvée. Il ne pouvait entrer dans la cervelle populaire le soupçon d'une infériorité quel- conque. Tout le monde, alors, ne criait pas: à Berlin ! mais bien peu doutaient qu'on n'y allât, et rapidement, en chan- tant la Marseillaise, redevenue permise, légale, hymne de guerre nationale et de victoire.

Excepté quelques opposants, perdus dans deux ou trois cafés du boulevards, pérorant dans d'obscures parlottes du quartier latin, représentés, au Corps Législatif, par une poignée de députés et de sénateurs, pleins de talent, mais sans grande autorité sur la masse des électeurs, tout le monde s'attendait à ce que l'empereur, repassant le Rhin, après une paix sollicitée par Bismarck humilié, et signée brusquement, comme à Villafranca, fit une rentrée triom- phale dans Paris, en fête, à la tête de ses troupes encore

HISTOIRE DE L* COMMUN» DE 187 I

une fcs victor.euses, destinées à toujours l'être ! On eût et. content alors, mais nullement étonné. La fonction des so- datsde Crimée et d'Italie n'était-elle pas de se montrer tou- jours et partout invincibles V . , , Ces prévisions heureuses ne paraissaient po.nt témérai- res On ignorait la force réelle des Allemands confédérés, le nombre de leurs bataillons, la d.scpline et la prépara- tion qui en faisaient des troupes supérieures. Ou ne pou- vait admettre que les zouaves de l'Aima, les grenad.ers de Palestro etl es artilleurs de SoU'érino pussent être vaincus Le cauchemard'un Sedan possible ne hanta jama.s, durant les premières semaines de la guerre, les nuits paisibles des Français, faisant des rêves de gloire, et piquant, au rêve. , avec Conviction, des épinoles tricolores sur des cartes d Alle- niagne, théâtre prévu de la guerre. Sur ces cartes, le Rhm était en bordure, et l'on n'avait pas cru devoir y faire figu- rer un seul département français. N'était-ce pas dans a Westphalie, dans le Hanovre, et peut-être jusque dans la Poméranie.que devaient se passer les glorieuses rencontres prédites et attendues? Comme elles tardaient un peu, les premlersjours,etqueladémonstrationsansimportancevers

Sarrebruck. le jeune prince impérial avait -Çu d.sait- on pompeusement, le baptême de feu, ne suffasa, pas a calmer les impatiences chauvines, on inventaitdes alliances rhimériques. L'empereur d'Autriche allait déboucher par le Wurtemberg, et venger son humiliation de Sadowa. Le roi Victor-Emmanuel, qui nous devait sa couronne, v.en- drait paver sa dette, en nous amenant cent mi le soldaU aguerris", sans parler de Garibaldi et de ses intrépides che- mises rouges. On dut se contenter de ce dernier secours,

LE DIX-HUIT MARS

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généreux mais insuffisant. On était tranquille, cependant, el l'on ne songeait nullement à inquiéter le gouvernement impérial, parce que l'on avait des soldats de profession, dont le métier était de se battre pour la nation et de lui gag-ner des batailles. Les habitants se réservaient ensuite la tâche de célébrer par des drapeaux aux fenêtres, des lam- pions dans les rues, et des vivats sur les boulevards, les exploits des troupiers, faisant leur rentrée comme de bons ouvriers en victoires, la tâche finie.

Personne, dans l'ensemble du pays, ne se préoccupait donc, avant la déclaration de guerre, de renverser, ni même de combattre le régime existant. Les complots sans impor- tance, sans réalité souvent qu'on avait bruyamment décou- verts, et dont lesauteurs parmi lesquels se trouvaient, selon la règle, des policiers, n'avaient fait que mettre en lumière le petit nombre et l'impuissance des gens qui souhaitaient une révolution. Si quelques ardents et prématurés républi- cains, dès les premières mauvaises nouvelles venues de l'Est, osèrent proposer de jeter bas l'empereur déjà chance- lant et tentèrent de donner une vigoureuse poussée à l'em- pire, déjà ébranlé par les surprenantes défaites du début, les plus influents conseillers, les plus autorisés dans le pays, répondaient que, si la sagesse paysanne veut qu'on ne change pas de chevaux quand on traverse un gué, à plus forte raison ne doit-on pas changer de gouvernement au milieu d'un combat.

Les hommes du 4 septembre, dont cette guerre inatten- due avait dérangé les combinaisons de sociétés secrètes, d'agitations populaires, de clubs, de bombes ou de petites balles, avaient plutôt l'inquiétude d'apprendre une grande.

u.e décisive victoire, consolidant lempire, grand.ssaa l'empereur, ajournant à une date .ndéterminée 1 avenemen de la RépubUque vague qu'ils espéraient, sans trop cro.re à sa venue prochaine. lisse hâtèrent de t.rer delà defa.t un avantage inespéré. Napoléon III avait perdu tou présume et toute force morale. La victoire des Pruss.ens le renver- sait plus définitivement qu'une insurrecUon tnomphante. La veille même du 4, on commençait, dans quelques v.lles, à réclamer la déchéance, et, le lendemain, le henat éva- noui, et le Corps Législatif délaissé, une bande d msurgés se ruait dans l'enceinte législative non défendue. Plus.eur. personnalités sans mandat occupaient la tnbune, et pro- clamaient, de leur propre initiative, la Repubhque. C hérauts improvisés furent excusables de devancer les législateurs réguliers, et de saisir au bond l'occasion pour débarrasser le pays d'un régime, qui, commencé par un .uet-apens, finissait par une capitulat.on : sa vKto,re eut donné le signal de proscriptions nouvelles.

Mais, si on ne songe pas à imputer a cnme cette

révolte, pendant que l'ennemi marchait sur Pans, pour-

quoi si durement invectiver les hommes du i8 mars d a-

voir proclamé la Commune à l'heure des Allemands

occupaient sans doute encoreles forts et les hauteurs d une

partie de la banlieue parisienne, mais ou les fus.ls étau^nt

au cran d'arrêt, et il n'était plus question de combattre,

niais de payer d'un côté et d'empocher de 1 autre? En

admetunt que les Allemands eussent pu tirer un avantage

del'insurrectionparisienne, ce qui était impossible, à moins

de déchirer les conventions de paix et de recommencer la

guerre (et peut-être eût-ce été la plus souhaitable des

LB DIX-HUIT MARS

solutions du conflit), est-ce que le fait de substituer, le 4 septembre, au g-ouverncment impérial, qui était plutôt rassurant pour la Prusse et l'Europe, un pouvoir nouveau, populaire, ayant une renommée et une légende, celles des Républicains de l'An II, inquiétantes pour les dynasties, n'apparaît pas, à distance, plus susceptible d'alarmer et de provoquer à nouveau l'Allemagne, que l'acte simple et logi- que de remplacer, le i8 mars, M. Thiers en fuite avec ses ministres ? La situation vis-à-vis du g-ouvernement alle- mand ne changeait pas du 17 au 18 mars. Le nouveau pouvoir provisoire se recommandait, comme le cabinet en déroute, de la République. C'était donc le même gouverne- ment de fait. Il déclarait reconnaître et respecter les conven- tions passées avec l'Allemagne, ratifiées par le vote de l'As- semblée de Rordeaux, le i" mars 1 871. Il n'y avait rien de changé pour les rapports avec le gouvernement allemand, qu'un ministre remplacé. Le 5 septembre apparaît donc comme un acte plus périlleux et plus grave, accompli en face de l'ennemi en armes, que le 18 mars se produisant aussi sous les yeux de ce même ennemi, mais dés^irmé, ayant renoncé aux hostilités, désireux seulement de voir maintenues et exécutées les conditions de la paix. Au point de vue de la légalité momentanée, les deux insurrections sont pareilles : elles sont également des rébellions justifiables, des voies de fait légitimes.

La partialité de ceux qui ont écrit sur ces événements est donc évidente. Les écrivains, de tous les partis, ne sont pas d'accord pour amnistier le 4 septembre du fait de révolution intérieure en face de l'ennemi, à l'heure d'une invasion en marche, en pleine action de guerre, mais ils

UISTOIUE DE LA. COMMUNE DB

sont unanimes pour flétrir la Commune ayant institué un gouvernement nouveau à la place d'un pouvoir disparu, démissionnaire par la fuite, comme celui de Louis-Philippe au 24 février i848,bien que celte transmission de pouvoirs par la force des choses ait eu lieu, non pas en face, mais à côté de larmée allemande, une armée qui ne combattait plus, montant seulement la g-arde pour veiller sur son butin, en attendant qu'on l'eût payée et renvoyée, ce qui ne pou- vait manquer d'arriver, quel que fût le régime établi, la Commune, autant que le gouvernement de M. Thiers, devant tenir les engagements pris au nom de la France.

Deux poids et deux mesures, voilà ce dont on se sert dans la balance de la critique, pour peser deux faits à peu près identiques, l'un toutefois, le premier en date,plus discutable, plus inquiétant, à raison de l'état de guerre.

Pour le respect du suffrage universel et de la légalité, les hommes du 4 septembre se montrèrent même beaucoup plus indépendants que ceux du 18 mars. Jules Favre, Tro- chu, et les autres maîtres de Paris et de la France, ne paru- rent nullement disposés à faire légaliser, par le sufl'rage universel,leur dictature.Us s'étaient improvisés eux-mêmes membres du gouvernement, comme c'est d'ailleurs ration- nel et forcé, lorsqu'il s'agit d'une prise inopinée du pou- voir. Leurs prédécesseurs de 48 avaient procédé ainsi. Mais les probes et timorés républicains du 24 février, comme les sincères et honnêtes révolutionnaires du 18 mars, ne se considérèrent qu'investis conditionnellement. Impatients de constituer un gouvernement légal, issu du suffrage popu- laire, ils consultèrent, à bref délai, les électeurs.

Le gouvernement de la Défense nationale manifesta

23 LE DIX-nilIT MARS

moins d'empressement à faire régulariser ses pouvoirs. Il s'était nommé lui-même, d'une façon assez exceptionnelle, se recrutant parmi les seuls représentants du département de la Seino au Corps législatif, alors dispersé, auxquels on adjoignit deux personnalités, dont l'une fut un choix déplorable. Pourquoi cette sélection entre beaucoup de cilovens.alors notoires comme patriotes, et cette adjonction de Trochu et de Dorian ? Cette désignation arbitraire n'é- tait pas imposée par, les circonstances. On pouvait faire intervenir le suffrage universel, c'est à-dire la volonté na- tionale, malgré Toccupation de deux ou trois départements de l'Est. On edt réservé leur représenUlion. Est-ce qu'une chambre incomplète ne peut pas statuer régulièrement '? A chaque législature, actuellement, on vote des lois impor- tantes, on constitue et l'on défait des ministères, bien que, par décès, démissions, maladies, élection au Sénat ou envoi en fonctions, la Chambre soit loin d'être au complet.

On fera cett« objection que les temps de guerre ne sont pas des périodes électorales. Mais la situation commandait. On a bien ouvert une exposition, en i855, pendant qu'on se battait en Crimée, on pouvait ouvrir des sections de vote au son du canon. D'ailleurs, le canon ne tonnait pas partout. Au lo septembre, il était matériellement possible de convoquer les électeurs de 80 départements, au moins. La pression des terribles circonstances ne devait ni fausser le vote, ni altérer sa signification. Bien au contraire, on eût connu alors la vraie pensée de la France, la claire volonté du peuple. On aurait su si le pays voulait la paix ou s'il se résignait à une guerre défensive à outrance. Tous les movens de résistance, dans ce dernier cas, fussent deve-

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

nus lég-aux. Les Allemands n'auraient pu arbitrairement considérer comme des bandits hors des lois de la guerre les patriotes armés pour la défense du sol. Les francs- tireurs, les partisans, les citoyens 'empoignant le fusil ou la fourche, fussent devenus des belligérants, des réguliers' selon le protocole guerrier. Un voteénergique delà France consultée déclarant la continuation de la guerre atroce et sans merci, comme en Espagne en 1809, eût fait réfléchir les diplomates européens. Une médiation, que l'Allemagne n'aurait pu refuser que difficilement, se serait certainement produite. Pour écarter toute tentative de paix, qui alors eût été moins onéreuse, eût laissé le territoire intact, avec l'espoir d'une revanche possible et prochaine, la Prusse ambitieuse, déjà grisée par la victoire, prétendait qu'elle n'avait pas en face d'elle un gouvernement légal, avec qui l'on pouvait traiter en toute sécurité et dignité. 11 faut se souvenir que la déchéance de Napoléon 111 et de sa dynastie n'a été prononcée que le i^' mars, à Bordeaux, et que,pour les diplomates formalistes, l'ex-empereur, bien que prison- nier, était toujours le souverain des Français. Il avait con- servé à leurs yeux,tant qu'il n'était pas légalement déposé, toute capacité pour signer les traités. 11 y avait de nom- breux précédents. Tant que, par un vote d'une assemblée régulièrement élue, à défaut d'une déclaration plébiscitaire, il n'était pas déclaré déchu. Napoléon III pouvait engager la nation qui l'avait élu, et dont un plébiscite, remontant à cinq mois à peine, l'avait confirmé dans tous ses pouvoirs. En ne réunissant pas une assemblée pour faire consacrer le nouveau gouvernement, les hommes de la défense fournis- saient à l'Allemagne un prétexte à chicanes diplomatiques,

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LE DIX-HUIT MARS

dont elle a usé avec empressement. La peur de ne pas conserver le pouvoir, et peul-êlre aussi l'espoir secret de traiter eux-mêmes sans le concours d'une assemblée, et d'obtenir la paix, qui paraissait alors désirable, possible, et pouvait être honorable, fit repousser l'idée delà convocation des électeurs. Les détenteurs du pouvoir voulaient garder pour eux l'avantage et la gloire d'avoir pacifié et hbérc le territoire. Ils n'ont recueilli que la douloureuse responsabi- lité des capitulations.

Un des arguments avec lesquels on a essayé de défendre cette illégalité, et de justifier ce silence arbitraire, en vue de conserver la dictature, est celui-ci : la présence d une grande portion du corps électoral sous les drapeaux aurait diminué le nombre des électeurs et donné une fausse base à la représentation nationale. C'est une assertion inexacte. Au k septembre, il n'y avait pas encore de mobilisés, m de gardes nationales organisées, par conséquent, sauf les hommes de la classe libérée rappelés, les électeurs étaient encore chez eux, et auraient pu voter avant d'aller rejoindre les bataillons en marche. Le service obligatoire n'exis- tait pas, et, à Sedan, comme aux armées du Nord et de l'Est, il n'y avait alors que des hommes faisant partie de corps permanents, des soldats professionnels, des rem- plaçants, par conséquent n'exerçant pas les droits électo- raux.

Au contraire, la constitution du gouvernement de la Commune fut prompte, presque immédiate, et, en fait, elle apparaît aussi formaliste, aussi régulière que celle des membres des assemblées municipales qui suivirent. Le choix des électeurs fut libre et le vote fut reconnu sincère.

■2Ù HlSTOinE DE LA COMMUNE DE iS/I

Ceci est démontré par la preuve qu'un grand nombre d'élus, qui, d'ailleurs, refusèrent le mandat, ne l'avaient pas solli- cité. Ils avaient été élus sans affiches, sans réunions, sans promesses, sans visites, sans arguent. Fait plutôt rare dan» les périodes électorales ordinaires, prouvant la spontanéité et la vérité de l'élection.

On a contesté la validité, la légitimité d'une assemblée nommée en période insurrectionnelle. C'est un déni de justice historique. Qu'on lui ait contesté le droit de sortir de sa compétence d'assemblée municipale, cela c'est pos- sible, bien que ce soit refuser aux hommes du i8 mars le droit de se former en gouvernement provisoire, comme, au 24 février 48 et au 4 septembre 70, l'avaient fait les insurg'és d'alors.

Les électeurs parisiens avaient-ils désigné des person- nalités terrifiantes, et dont le nom seul pouvait sembler une provocation au désordre, au pillag'e, au meurtre ? Parmi les élus qui acceptèrent, et qui siégèrent, il y avait sans doute des notoriétés révolutionnaires, des citoyens au passé énergique, comme Charles Delescluze, àla réputation farouche un peu usurpée, comme Félix Pjat, mais ces hommes avaient déjà été membres des assemblées bour- geoises. Parmi les nouveaux venus, on trouvait des jour- nalistes comme Jules Vallès, Arthur Arnould, Vermorel, et des futurs parlementaires comme Paschal Grousset, Amou- reux, Léo Meillet, 'Vaillant. Tous ces républicains socia- listes, dontplusieurs siégèrentau Palais-Bourbon, n'étaient pas de bien terribles épouvantails. Parmi ceux qui ne crurent pas devoir accepter ou garder un mandat, qu'ils estimaient irrégulier, ou, plus probablement, périlleux et

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incertain, on vit fig-urer un ancien préfet de police, Adam, le bâtonnier de l'ordre des avocats, Desmarets, de futurs conseillers municipaux, sénateurs et députes, comme Ranc, Ernest Lefèvre, J. de Bouteiller, Brelay, Ulysse Parent, des maires et adjoints d'arrondissements au 4 septembre, tels que Marmottan, Ferry, Nast, .^lurat, enfin deux personna- ges destinés à devenir chefs de gouvernement, Tirard et Méline. Voilà donc des hommes qu'on jucreait à priori si anti-sociaux, animés de principes tellement subversifs, qu'ils devaient être mis hors le droit des gens, hors du parlemen- tarisme, hors de l'organisme politique. Pouvait-on, par le seul fait de leur élection, les considérer comme des mons- tres, comme des êtres exclus du consortium représentatif et gouvernemental ? Ces futurs honorables et ministrables rendaient-ils la Commune inacceptable, intolérable ? Le nom, le passé, les opinions de la plupart de ceux qui accep- tèrent le mandat n'étaient pas plus compromettants et n'a- vaient pas une sigailicalion révolutionnaire plus accentuée alors que les noms, le passé et les opinions des Jules Ferry, des Jules Simon et des Glais-Bizoin de la Défense nationale. Malheureusement, les principaux de ces élus bourgeois, ceux qui eussent inspiré la plus grande confiance, et ras- suré les plus timorés, malgré la spontanéité de leur désignation, à cause d'elle peut-être, se retirèrent. Ils eurent peur d'être compromis. Avoir été choisis par des électeurs insurgés, c'était un cas dangereux. Elus sans brigue, sans postulation, ils devenaient plus suspects ; c'était une circonstance aggravante. On reconnaîtrait toute la violence de leurs opinions, on aurait ainsi la preuve de leur sympathie acquise à l'insurrection. Ces bons bour-

28 HISTOIRE DK LA COMMUNE DE 187I

geois radicaux, élevés à l'école de l'opposition des Cinq, tremblèrent. Ils se hâtèrent de se mettre, à Versailles, sous la protection des gendarmes. Leur refus ne saurait s'expli- quer par l'adoption d'actes qu'ils désapprouvaient, et dont ils ne voulaient pas assumer la responsabilité, puisque la plupart ne furent pas des démissionnaires en séance, mais des non-acceptants, avant môme que l'assemblée commu- nale se fût réunie, avant qu'elle eût pris une décision quel- conque. D'avance ils la répudiaient, sur son nom, sur son aspect. Quand ces poltrons désertèrent la cause de Paris et des libertés communales de toute la France, qu'on leur con- fiait à défendre, la Commune n'avait rendu aucun décret, et ils ne pouvaient se plaindre d'être une minorité oppri- mée, réduite à l'impuissance.

La défection de ces hommes notoires, estimés, impor- tants, ayant clientèle républicaine, susceptibles d'être écou- tés à Versailles, suivis à Paris, et qui pouvaient amener une transaction, grâce à l'influence dont ils disposaient, fut néfaste autant que coupable.

Assurément nul ne peut être contraint d'exercer des fonctions électives malgré soi, mais il est, dans l'existence des nations, au milieu de mêlées confuses et redoutables, des instants l'homme doit oser prendre parti, il faut agir, et il ne saurait se dérober au devoir. C'est une fuite dans le combat que la démission dans un pareil moment. La loi pénale ne prévoit, ni ne punit, les crimes d'inertie, les méfaits d'abstention. Ceux qui les commettentsciemment et volontairement en sont-ils moins coupables ?

Un passant qui pouvant secourir un malheureux, assadli ou en danger, s'en va tranquillement, à l'écart, et laisse

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efforcer ou périr l'infortuné, est un méchant homme, un lâche égoïste, mais il n'est pas légalement coupable; il ne commet pas une faute tombant sous le coup d'une pé- nalité. Sa mauvaise action relève seulement de la con- science publique, à défaut de sa conscience à lui. Les per- sonnag-es considérables, refusant de prendre le pou- voir qui leur était spontanément déféré dans ces heures douloureuses, ont assumé, devant la postérité impartiale, la double responsabilité du sang français versé des deux côtés, ils doivent être tenus, en outre, comme moralement complices des désordres et des excès qui furent imputés à la Commune, par la suite, parce que, s'ils eussent accepté de faire partie de cette assemblée, ils auraient pu les pré- venir ou les empêcher. Ils ont pu dire, pour atténuer leur défection, que, s'ils fussent restés à l'Hôtel-de-Ville, n'ayant pas la majorité, ils auraient encouru la réproba- tion due à une solidarité qu'ils repoussaient, mais dans laquelle on les eût englobés. Cette excuse n'a que l'appa- rence de la vérité. D'abord il est faux de dire que les 'élus modérés, les personnages politiques connus, déjà classés, à la tête des groupes de l'opinion, appréciés et acclamés du- rant le siège, qui s'étaient acquis une influence locale, dont les noms seuls étaient une garantie d'ordre, de régularité, de pacification et de transaction possible, se fussent trou- vés en minorité au sein du Conseil communal. Beaucoup de ceux qui avaient été élus avec eux, ou qui les rempla- cèrent après leur démission, n'étaient guère plus terribles. Quelques-uns le sont devenus, par crainte, par imitation, par emballement ou par faiblesse. Les hésitants eussent certainement fait corps, dans les scrutins graves, avec les

3o B1ST0II\E LA COMMUNE DE 187I

forces modératrices de l'assemblée communale. En admet- tant même que ces « modérés » eussent la miDorité, la majorité se fût composée de peu de voix. En supposant maintenue la composition originaire de la Commune, la minorité modérée eût constitué une force de résistance aux mesures extrêmes, dont ses adversaires auraient tenir compte. Bien vite, elle aurait eu de son côté la popula- tion et cette majorité eût dominé l'autre ; bientôt de nou- velles élections eussent été exigées par les citoyens. La rai- son l'eût emporté, et l'apaisement se fût fait.

Avec des hommes comme Méline et Tirard, pour ne citer que ces deux républicains de gouveruemcnt, devenus pré- sidents du conseil par la suite, s'ils fussent demeurés à la tête de l'assemblée parisienne, une transaction se serait imposée à l'assemblée versaillaise. La province l'eût récla- mée, et Thiers n'eût pas osé résister. La province avait d'abord accepté le principe de la révolution du i8 mars. Trompés ensuite par M. Thiers, les délégués des départe- ments ont accordé leur approbation tacite à la répression combinée par le chef dupouvoir exécutif. Les départements ont été surtout éloignés de toute approbation du mouvement parisien, d'abord par un sentiment de séculaire jalousie envers la capitale, ensuite parce que Paris avait été sans contact avec le reste de la France durant six longs mois, et enfin à raison des personnalités restant à la tête du gouver- nement parisien, qu'ils ignoraient ou redoutaient. Les prin- cipales notoriétés politiques, qui, au contraire, leureussent inspiré confiance etdonné garantie, avaient disparu, comme d'ailleurs les députés parisiens les plus marquants. Ceux-ci, pour la plupart, sous divers prétextes, s'étaientéloignés. Les

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républicains des départements se trouvèrent déconcertés, privés d'orientation, dépourvus de guides. M. Thiers n'a pu poursuivre son œuvre de lutte et de répression que parce qu'il n'avait plus en face de lui que des individualités dont le mandat était contesté, dont les intentions étaient suspec- tées, dont l'autorité était nulle et le preslig-e absent.

C'est donc à la désertion de ces élus de Paris que doit être attribuée, pour une grande part, l'avortement du mou- vement du i8 mars, l'ajournement indéfini des espérances et des rêves du prolétariat. La chute de la Commune, à la lueur sinistre des incendies, au bruit des détonations bru- tales, dans un lac de sang, parmi le fracas frénétique de la haine, les exploits de la cruauté, les clameurs de la vengeance, les fureurs du désespoir, a pu avoir pour au- teurs, directement responsables, les Parisiens insurgés, mais une grosse part de complicité et de responsabilité dans la défaite, et dans le carnage qui en fut la suite, doit être imputée aux Tirard, aux Méline, aux Ranc, et autres dé- serteurs du devoir et du péril. Ils n'ont pas, sans doute, participé aux exécutions des otages, au massacre en masse de la population parisienne, mais leur prudente retraite les a rendus possibles; elle a donné, à l'extermination des meilleurs républicains, l'estampille de la légalité républi- caine. Ils ont prétendu que, pendant ces deux mois, Paris avait été livré à des incapables ou à des furieux : eux, les sages et les capables, ils n'avaient qu'à rester à Paris, et à gouverner, puisqu'on leur offrait le gouvernement. Ils se sauvèrent à Versailles plutôt que de l'accepter.

32 HISTOIRE DE L* COMMUNE DE 1 87 I

Ces douloureux et dramatiques événements, leur origine, leur genèse, les acteurs et le décor de la tragédie parisienne de 71 ; la répercussion dans les principales grandes villes des commotions dont la capitale était le foyer ; le travail des esprits surexcités; les semences de révoltes et d'orga- nisations socialistes jetées dans les sillons du champ popu- laire ; le curieux spectacle d'une énorme cité isolée, livrée à elle-même et donnant comme une reproduction en rac- courci de la France de la Révolution enfermée dans le cer- cle furieux de l'Europe coalisée; les combats fratricides sous les remparts ; les luttes et les divisions dans l'assemblée communale ; la vie singulière de Paris à cette époque excep- tionnelle; la résistance finale désespérée ; les trahisons et les héroïsmes ; les excès des vaincus affolés ; les atrocités commises froidement et avec discipline par les vainqueurs ; l'impitoyable vindicte des prévôtés et des conseils de guerre, suivie des transportations et des exils, feront l'objet de ces pages, écrites sans parti pris d'apologie ou d'anathème.

L'auteur fut témoin oculaire des faits qu'il expose. 11 remplit, à cette époque redoutable, un rôle modeste. Il doit déclarer qu'il fut parmi les vaincus.

Deux brèves indications auto-biographiques sont ici nécessaires. Elles ont pour objet d'expliquer que, malgré sa participation aux événements el sa qualité de fonctionnaire de la Commune, l'auteur ne peut être soupçonné, à priori, de partialité ou de ressentiments. Très jeune alors, exempt

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du service militaire par son numéro à la conscription, de plus fils de veuve dispensé de l'appel dans la mobile, il s'en^ajjea volontairement au 69» de ligne, au début de la guerre. Il fit, dans ce rég^iment, puis dans le 10" de mar- che, devenu le i io« de ligne, après la retraite du général Vinoy (i3« corps), toute la campagne sous Paris, et prit part aux combats de Chevilly, Bagneux, l'Hay, Buzenval. Il fut licencié dans les premiers jours de mars et rentra dans la vie civile, avec les autres engagés pour la durée de la guerre. Il ne voulut pas quitter Paris pour Versailles, au moment du 18 mars. Il partageait toutes les idées pa- triotiques exaspérées de ceux qu'on appelait les « guerre à outrance », et il admettait, en partie, les revendications socialistes des promoteurs de la résistance parisienne. Il ne voulut pas non plus, n'étant pas inscrit sur les contrôles de la garde nationale, reprendre les armes, s'exposer à rencontrer, de l'autre côté du champ de bataille, les cama- rades du régiment qu'il venait de quitter. Mais il avait déjà un passé politique. Il avait combattu l'empire dans les réunions publiques ; il s'était signalé comme orateur popu- laire aux élections législatives de 1869 et dans la discus- sion du plébiscite. Il avait porté la parole contre les parti- sans du « Oui » dans diverses circonstances notamment à la salle Lcvis, aux Batignolles, en avril 1870. Il appar- tenait à la presse de l'opposition, et comptait parmi ceux qui, l'empire étant debout, appelaient, préparaient la République. Il avait attaqué les hommes du régime bona- partiste, notamment le baron Haussmann, alors préfet de la Seine. Il avait été, pour ce fait, condamné à la prison. 11 subit sa peine à Sainte-Pélagie, au pavillon fameux de

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3* HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1671

la presse, le « pavillon des Princes », remplaçant dans sa cellule, dite « la Petite SiLtrie », un futur ministre, Edouard Lockroy. Dans cette geôle au renom célèbre, la Bastille, d'ailleurs très supportable, du g-ouvernement im- périal, il se lia avec divers hommes appelés h jouer un rôle dans les événements, tout proches, du Siège et de la Com- mune. Il était personnellement connu de Delescluze, de Félix Pjat, de Jules Vallès, et camarade de la plupart des jeunes gens ayant participé aux premières réunions publi- ques, aux discussions de la salle du Pré-aux-Clercs, de la Redoute, de la salle Molière, durant les dernières années du rég-ime impérial.

Après le i8 mars, on lui proposa une fonction civile, d'ailleurs modestement rétribuée (3oo francs mensuels). C'était la dclég-ation au Conseil d'Etat, devenue vacante par suite du départ du premier titulaire, Abel Peyrouton, avocat et orateur populaire. Celui-ci avait été envoyé en mission auprès des républicains de Lyon, ville son père, Démosthène Peyrouton, était honorablement connu comme membre du barreau et comme républicain .

Le candidat était d'ailleurs avocat à la Cour d'appel, ayant prêté le serment légal, inscrit à la conférence de l'Ordre, et venait d'être proposé, comme auditeur au Con- seil d'Etat, au ministre Dufaure,par deux amis politiques: Pascal Duprat, nommé ambassadeur à Athènes, et Jules Ferrv. qui remplaça Pascal Duprat en Grèce, ce dernier, él u député des Landes, ayant préféré siéger h l'Assemblée. En outre, il avait fait des éludes juridiques assez complètes et avait collaboré, avec Edouard Laferrière, futur prési- dent du Conseil d'Etat, el Maurice Joly, au journal le Pa-

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lais, et à diverses consultations publiées, notamment sur 1 es Attroupements et sur le droit de réunion, sujets en discussion dans la Presse et dans les groupes politiques.

Si la jeunesse et l'inexpérience du jeune avocat, promu délégué de la Commune de Paris au Conseil d'Etat et à la Cour des Comptes, peuvent aujourd'hui faire sourire, si on peut railler, comme on n'a pas d'ailleurs manqué l'occasion de le faire dans les journaux opposés, cet avancement, sans doute rapide, de l'auditorat proposé au fauteuil de la présidence attribué, on doit se reporter à l'époque et tenir compte des circonstances. Le personnel, sinon capable, du moins justifiant des titres universitaires, n'était pas facile à recruter pour les grands services administratifs. Comme les ïirard et les Méline, tous les jeunes bourg;-eois se récu- saient et les candidats possédant les titresjuridiques étaient rares. La jeunesse n'était pas un cas éliminatoire. On avait l'esprit larg-e, et une indulg'ence presque forcée pour l'fig-e des fonctionnaires. On se souvenait de la Révolu- tion Française, et les noms g'Iorieux des juvéniles conven- tionnels et des généraux de vingt-quatre ans protég-eaient les jeunes délégués de la Commune. On savait, d'ailleurs, et les titulaires ne l'ignoraient pas, que ces places étaient, non des sinécures, mais des postes de combat, et qu'un cabinet de délégué dans la cité deviendrait aussi périlleux qu'un gabion au fort de Vanves.

La modestie de l'auteur, et la vérité lui font d'ailleurs faire cette déclaration, que sa délégation au palais du quai d'Orsay, depuis en ruines, puis démoli, et sur l'emplace- ment duquel s'élève aujourd'hui la gare d'Orléans, ne fut marquée par aucune action importante. Ceci s'e.xplique.

36 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

S'il y avait, pendant les combats de la Commune, un délé- gué au Conseil d'Etat, sur le siège abandonné par le pré- sident ;(le fauteuil, ég-alement usurpé au A septembre, avait été occupé, sous l'Empire, par M. Vuilry), il n'existait pas de conseillers.

Il n'y avait pas de séances à tenir, ni de rapporteurs à nommer. On avait d'autres préoccupations alors. Son pré- décesseur immédiat, nommé aussi durant la -bataille, n'avait eu guère plus de besogne. Pendant le siège des Prussiens, comme durant celui des Versaillais, le Con- seil d'Etat chômait, et l'on ne sollicitait pas d'avis de cette haute juridiction. Les fonctions de délégué de la Commune se bornaient à une surveillance justifiée par l'état de siège. Le délégué devait garder les archives et documents importants, renfermés dans le palais. Cette surveillance fut scrupuleusement exercée jusqu'au samedi 20 mai, au soir. Le bâtiment était intact et les archives en sûreté, durant toute la journée du dimanche ai. Le délé- "■ué, ce jour-là, ne se rendit pas à son cabinet, car le palais était fermé, selon l'usage, les jours fériés. Il n'avait pas voulu occuper de logement dans l'édifice. Il n'y parut pas non plus le lundi matin aa, par cette raison que les troupes de Versailles, depuis la veille au soir, étaient entrées dans Paris, et que déjà l'on fusillait du côté du quai d'Orsay. II jugea ses fonctions désormais sans objet, et considéra sa mission d'ordre purement administratif comme terminée, par force majeure.

Il ne participa donc aucuucmenl aux événements dont le palais du Conseil d'Etat fut le théâtre, au cours de la semaine sanglante.

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Arrêté, par la suite, il fut l'objet d'une instruction judi- ciaire. Malgré toute la bonne volonté des officiers instiuc- teurs près des conseils de guerre, malgré l'éhontée et misé- rable dénonciation d'un faux témoin, le nommé Félix L..., depuis restaurateur-limonadier à la gare Saint-Lazare, qui avait été concierge du palais sous la Commune,— cet homme prétendit que le délégué était venu le mardi 28 mai, au palais, commander les incendiaires ; malgré ce té- moignage dicté à cet ex-concierge par la méchanceté, par la peur d'être compromis, et avec l'espoir d'être renvoyé absous, car ce délateur inventif se trouvait également déte- nu, on ne put convaincre l'ex-délégué de la moindre par- ticipation à l'incendie. Le capitaine d'Hamelincourt, rappor- teur pris le conseil de guerre, séant à Versailles, dut rendre en sa faveur une ordonnance de non-lieu, et faire signer au général Appert, grand-prévot, un acte de dessai- sissement de la juridiction militaire.

Toutefois, comme il était difficile de relâcher un préve- nu avant été mêlé à la Commune, de plus, suspect comme républicain de la première heure, mal noté en sa qualité de journaliste condamné sous l'empire, et pour ces divers motifs peu sympathique aux autorités dirigeant la répres- sion, le délcgué, après un internement assez long dans les galeries de l'Orangerie et une courte détention à la prison de Saint-Pierre, à Versailles, fut transféré à Paris, écroué à la maison d'arrêt, pour être statué ce qu'il appartiendrait par la juridiction civile.

Rien que le fait, à cette époque de représailles furieuses et de châtiments disproportionnés, d'avoir été soustrait à la rude et impitoyable juridiction militaire et déféré aux

38 HISTOIRE DE LA COUUUNE DE 187I

tribunaux civils ordinaires, procédant avec les g^aranties du code et les droits réservés à la défense, suffirait à éta- blir le peu de g^ravité de la culpabilité, si culpabilité il y eut, de l'auteur de cet ouvrage, à raison de ses fonctions provisoires dedélégué au Conseil d'Etat. La poursuite dont il fut l'objet, le libellé du jugement qui intervint, et la très légère condamnation qui fut prononcée acbèvent la dé- monstration.

Le délégué comparut, le 28 août 1871, devant la 7"= chambre du Tribunal de la Seine, jugeant correctionnelle- ment.

L'inculpation était celle d'usurpation d'une fonction publique, délit prévu et puni par l'art. a58du Gode pénal, ainsi conçu :

« Quiconquesc sera immiscédansles fonctions publiques, civiles ou militaiies, ouaura fait lesactes d'une de ces fonc- tions, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, sans préjudice de la peine de faux, si l'acte porte le carac- tère de ce crime. »

Le fait aggravant de « faux », c'est-à-dire le caractère d'actes ayant un caractère officiel, fut écarté. De même, l'augmentation de la pénalité, prévue par l'art. 239, pour le port d'un costume ou d'uniforme, en cas d'usurpation de fonctions, ne put être requise, le délégué, dans ses fonc- tions « usurpées », n'ayant jamais porté que la redingote noire et le chapeau haut-de- forme, le costume ordinaire des fonctionnaires civils, sous tous les régimes, en dehors des cérémonies et des interventions officielles.

La défense du prévenu fut présentée, avec son grand ta- lent oratoire, et avec unesolennité particulière, par M* Des-

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mareU, alors bâtonnier de l'ordre des avocats, maire du a* arrondissement et député de la Seine.

Lëminent bâtonnier, en se présentant à la barre, déclara d'abord qu'il venait réclamer, comme avocat, au nom de l'Ordre tout entier, un jeune confrère, dont le parram au barreau avaitété l'illustre Grémieux, membre du consed de l'ordre, député, ancien membre du gouvernement pro- visoire de i848, et membre du gouvernement de la Défense nationale, lequel s'associait au bâtonnier pour demander l'abandon de la poursuite.

M. Pascal Duprat, député des Landes, ex-ambassadeur de France en Grèce, déposa comme témoin et fit l'éloge du prévenu, dont il rappela les services démocratiques sous l'empire, et la belle conduite sous les drapeaux pendant la guerre. Il déclara que, s'il se fût rendu à Atbènes, comme ambassadeur, il l'eût emmené ea qualité de secré- taire.

Le tribunal, sous la pression des circonstances, et étant donnée l'exaspération des esprits, ne pouvait acquitter pure- ment et simplement, mais il usa si largement du bénéfice des circonstances atténuantes qu'il prononça cette peine minime et, pour le moment, extraordinaire : un mois d'em- prisonnement.

C'était un véritable acquittement, c'était aussi la procla- mation, officielle et judiciaire, que la conduite et l'altitude du délégué au Conseil d'Etat, sous la Commune, n'avaient rien eu de répréliensible, de blâmable, même pour des adversaires politiques victorieux, et que la condamnation équivalait à une de ces pénalités que subissent les moia- dres délinquants, pour des contraventions et des infractions

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de police. Le délit analogue n'avait-il pas été commis par son prédécesseur au 4 septembre, usurpant la fonction du personnage qui avait tenu son emploi du gouvernement impérial? Ce prédécesseur n'avait été l'objet d'aucune pour- suite. Et puis, un fonctionnaire quelconque n'est-il pas, de bonne foi, justementfondéàs'estimer régulièrement investi, quand il est nommé à un emploi administratif par le chef hiérarchique en place? L'usurpation résulterait donc de ce fait que le pouvoir qui a fait la nomination serait tombé? Tous les fonctionnaires nommés après i83o, après i848, après i85i aussi, auraient alors être condamnés comme des usurpateurs par les gouvernements qui ont suivi? Un fonc- tionnaire désigné, après une révolution, peut-il, avant d'ac- cepter sa nomination, examiner les chances de solidité et de durée du nouveau pouvoir? Il serait innocent, si ce pouvoir durait dix-neuf ans comme l'empire, coupable s'il n'avait qu'une courte existence comme les Cent Jours et la Com- mune? Cette jurisprudence serait absurde et injuste. Le tribunal de la Seine l'a, dans l'espèce, à peu près écartée. La condamnation légère a été une concession aux passions du moment.

On me pardonnera de me mettre ainsi en scène et de donner ces détails rétrospectifs de biographie. Ils ont ici leur importance.

Si j'ai rappelé ces faits personnels, au seuil de cet ouvrage sur la Commune,c'est uniquement pour indiquer au public combien je fus à même de voir, de comprendre, d'appré-

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cier les hommes et les faits dont j'ai entrepris dVcnre l'Histoire, et aussi pour prouver que, n'ayant eu qu'une participation indirecte et secondaire aux événements, en môme temps que n'ayant pas été une victime bien éprouvée par la répression, je suis pareillement susceptible d'obser- ver l'impartialité entre les deux camps. Il m'est permis,en écrivant ces pages véridiques, de garder l'impersonnalité qui doit être la première qualité de ce juge suprême qu'on nomme l'historien. En présence des erreurs, des fautes, des excès, des crimes et des fureurs de deux partis, dans la mémorable et émouvante lutte du printemps de 1871, il m'est possible, surtout alors que quarante ans se sont déjà écoulés, depuis les événements, et que la plupart des acteurs du drame, vainqueurs et vaincus, sont apaisés, sinon réconciliés, dans la tombe, de peindre avec sang-froid et d'un pinceau précis, d'après nature, ayant eu les modèles sous les yeux, ce grandiose et sinistre panorama.

Malgré un certain nombre de livres intéressants, cons- ciencieux, et documentés supérieurement sur des points spéciaux, incomplets pour l'ensemble, et en tenant compte des renseignements exacts et de la part de vérité que peu- vent renfermer les mémoires et libelles des écrivains réac- tionnaires, comme les récits, souvenirs et apologies des sur- vivants ou des défenseurs de la Commune, on peut affir- mer quel'histoirc de cette émouvante époque n'a été,jusqu'à ce jour, que préparée.

Tous les ouvrages que nous possédons sur ce temps ne sont que des fragments d'histoire, mt^me l'excellent livre de Lissagaray et l'ouvrage deDa Costa.La Commune, par ses détracteurs comme par ses partisans, est considérée

4a HISTOmE DE LÀ. COMMUNE DE 187I

isolément. Les uns l'ont étudiée comme une sorte de cham- pig-non monstrueux, poussé sur le fumier d'une cité en fer- mentation, vég-étation anormale et crjptog-amique, sans racines, sans sol ensemencé. D'autres l'ont considérée comme une vig-oureuse fleur de liberté, surgie soudainement dans le sillon arrosé du sang de 1870, et qu'une rafale brusque a courbée et arrachée. La Commune n'a pas ce caractère anormal et extra-naturel. Un mouvement populaire tel que le soulèvement du 18 mars 1871 ne saurait être considéré comme un accident, comme une floraison phénoménale et d'une éclosion spontanée.

La Commune eut ses précédents, ses préparations, et c'est en fouillant le passé qu'on peut retrouver ses racines. Violente dans son principe, hésitante et relativement modérée dans ses actions, ayant laissé un souvenir d'hor- reur dû à des excès fortuits, maudite pour des faits im- pulsifs commis par des foules ou des individus demeurés anonymes, car le conseil communal n'a ordonné aucune des résolutions terribles, sug-gérées par le désespoir, aux heu- res suprêmes de la défaite, la Commune a été, jusqu'ici, l'objet d'une indignation factice et conventionnelle.

Il est évident que les partisans des anciens régimes, les trembleurs de la bourgeoisie et du haut commerce, les clé- ricaux, les écrivains mondains, les gens de luxe et de plai- sirs, indifl'érents à tout ce qui est hors de leur cercle étroit, ne sauraient avoir pour la Commune que des senti- ments peu bienveillants. Mais la grande masse du pays doit en posséder d'autres. JMal instruite des événements, la dé- mocratie en général a sur cette époque des opinions toutes faites, injustes ou erronées; elle admet des appréciations

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légendaires, elle partage des animadversions et propage des mépris, répétés et transmis à la façon des perroquets, rare- ment motivés par la connaissance des faits. Il est, certes, permis d'attaquer, de condamner la Commune. Mais il faut savoir pourquoi. Tout homme a le droit de juger le passé. Les ancêtres sont justiciables des descendants.Geux-ci ont le pouvoir, et le devoir aussi, de les traîner à la barre de l'opi- nion, et de les condamner ou de les absoudre, mais l'arrêt doit être motivé.

Un homme d'Etat a dit, avec une grande énergie, qu il fallait accepter la Révolution française en bloc. C'est une opinion louable et pratique, bien que tout à fait contraire à l'esprit d'examen, à la critique, à la philosophie de l'His- toire. La principale objection à l'admiration en bloc, c'est qu'elle comporte et provoque la haine en bloc, antinomie qui peut, dans les deux cas, être injuste, excessive ou dérai- sonnable. Mais encore faut-il connaître les parties de ce bloc, encore doit-on se rendre compte des faits et des consé- quences, qui peuvent entraîner le plateau de la balance, et l'emporter dans le sens du blâme ou de l'approbation.

Actuellement, contrairement à ce qui s'est produit pour les hommes et pour les événements de 89 et gS, la Com- mune est l'objet d'une suspicion, et souvent d'une exécra- tion, en bloc. C'est une injustice. Elle neprovient pas tou- jours du parti pris, de la mauvaise foi, de l'atavisme, des préjugés de castes, de l'inQuence des milieux, de passions héréditaires ou fortuitement acquises, ni d'intérêts de parti. L'ignorance en est le plus généralement la cause. On lance l'analhème contre toute une époque, parce qu'on ne la connaît pas bien. C'est un phénomène ordinaire. Ou est

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toujours peu instruit des faits contemporains, et l'his- toire des ans les plus proches de votre naissance est celle que l'on connaît le moins. Cela s'est passé de tout temps. La raison de cette ig'norance des jours qui ont précédé ceux l'on a l'âge d'homme tient à l'impossibilité d'enseigner dans les écoles, avec impartialité, avec vérité surtout, l'his- toire contemporaine, et à la difficulté de lire des livres sin- cères et exacts sur une époque, trop voisine, trop chaude. Il faut permettre au temps de refroidir suffisamment les faits pour qu'on puisse les toucher, les examiner de près, sans cuisson. L'immense majorité de la jeunesse actuelle ne connaît l'histoire de la Commune que par des polémi- ques de journaux, des fragments, des épisodes plus ou moins dramatiques, des discours d'inaugurations, des né- crologies, des allusions, des propos et des racontars, le plus souvent fantaisistes, exagérés ou suspects. La légende réactionnaire domine tous ces documents, oraux ou impri- més, n'ayant que la valeur éphémère de commérages anec- dotiques, ou de diatribes de parti. Les livres inspirés par un sentiment d'apologie et de glorification ont également contribué à entretenir l'ignorance et à fausser la connais- sance. Les uns les lisent avec un esprit de suspicion, de haine parfois, les autres avec colère et rancune ; bien peu étudient celte époque et son histoire pour le seul plaisir de savoir et de se faire une opinion raisonnée.

La Commune est pourtant entrée dans la période histo- rique. La vindicte de ses ennemis doit être satisfaite et la rancune de ses partisans doit être affaiblie. La prescrip- tion quarantenaire doit aussi lui ôtre acquise aux yeux de ceux qui la jugèrent criminelle. Elle appartient désormais

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à la philosophie et à la critique, et non plus à la haine et à la passion. Elle apparaît comme la plus récente, et, par cela même, la plus intéressante manifestation de cet esprit de révolte, de ce sentimentde l'indépendance, qu'on retrouve à travers les âges, dans tous les soulèvements ayant le carac- tère d'évolutions sociales, plutôt que celui de séditions militaires, de conspirations de palais ou de rivalités de pré- tendants. Elle se révèle à part et en dehors des guerres civiles et des insurrections ayant pour origine et pour but uniquement, soit la mise à mort d'un tyran odieux, soit un changement dynastique ou le triomphe d'un parti poli- tique! Son caractère social, sa portée novatrice, son rôle d'annonciatrice des temps nouveaux, son originalité de révo- lution populaire, tentée par tout le peuple et pour tout le peuple, se dégagent lentement des brumes du présent et des préjugés du passé.

La présente Histoire de la Commune est détachée d'un grand travail.ayant pour titre: Réooltes et Guerres civiles.

Dans ce dernier ouvrage, aujourd'hui terminé, et qui paraîtra ultérieurement, on retrouvera la Hliation histori- que de la Commune de 1871. 11 n'y sera fait mention que très sommairement des discordes antiques, et les combats comme ceux de la Vendée et de la Chouannerie pour le réta- l.lissomcnt de la royauté ne rentreront pas dans le cadre. Tandis que la guerre sociale de Spartacus, l'avènement du Christianisme, les Bagaudes, la Jacquerie, en France, la guerre des Paysans en Allemagne, la révolte des Commu-

46 HISTOIRE DE L\ COMMUNF. DE 187I

neros en Espagne, la Commune de Paris sous Etienne Mar- cel, et, en ga, la Conspiration de Babeuf, les émeutes de Paris et de Lyon sous Louis-Philippe, l'insurrection de juin 1848, y seront étudiés de près, ainsi que les modernes ag-itations des nationalistes Hindous, des Babystes de Perse et des Boxers de Chine.

Tous ces troubles populaires ser attachent, comme par la transmission héréditaire et universelle d'une même men- talité et d'un instinct pareil, à la Révolution plébéienne et sociale du i8 mars 1871.

E. L. Paris, mars 191 1.

LIVRE PREMIER

LE PROLOGUE DU DIX-HUIT MARS

TRADITIONS DE LA COMMUNE

La Commune I... Le nom est ancien, mais sa définition et son interprétation ont varié. Dans l'acception moderne, on l'entend d'abord, et spécialement, comme désignation de la période d'histoire contemporaine, allant du i8 mars 1871 au 2a mai de la même mémorable année. Plus géné- ralement, dans le langage politique, comme dans la men- talité populaire, c'est la dénomination théorique d'un état révolutionnaire, à tendances libertaires, à manifestations anarchiques,mais encore inexpérimenté, et jusqu'à présent repoussé par la majorité, comme chimérique ou dangereux, dont la propriété collective, la mise en commun des biens naturels et des instruments de production de la richesse, avec le nivellement des classes et l'équivalence du travail et de ses fruits, formeraient la base positive, le bénéfice matériel.

Donc, l'avènement, le triomphe du prolétariat. Dans le passé, la « Commune » eut une signification plus restreinte, toujours avec un caractère de révolution, de substitution d'un régime plus égalitaire, plus équitable,

4a HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

plus populaire, aux tyrannies seigneuriales, royales ou épis- copales,sous lesquelles souflFraient les peuples. La Commune fut l'avènement, le triomphe de la bourg-eoisie, des gens des bonnes villes.

Ce ne fut pas une révolution exclusivement faite au pro- fit du Tiers-État, bien que cet ordre ait recueilli tous les avanlao-es de l'idée communaliste. Ce mouvement des com- munes, aux xn« et xiii° siècles, fut d'abord exclusivement urbain. Il prit un caractère municipal et laïque, autant que cette dernière qualification peut être employée, quand il s'agit d'une époque les insurgés étaient tous croyants et pratiquants, la fréquentation des sacrements et le res- pect des commandements de l'Eglise dominaient les cons- ciences et dirigeaient les mœurs. Les « Communards » du passé étaient les adversaires des puissances ecclésiastiques, mais non des puissances célestes. Le dogme n'était pas dis- cuté, en dehors de la casuistique et des théologiens. L'incré- dulité eût été une expression vide de sens, confondue avec l'influence diabolique. Les plus violents révolutionnaires de ces temps religieux, les bouchers de Paris, compagnons de Caboche, étaient tous de fervents catholiques et de pieux paroissiens. Les habitants des bonnes villes avaient voulu se soustraire àla domination etaux exactions des seigneurs, surtout des seigneurs évoques, ils n'entendaient nullement combattre la foi et s'émanciper de la tutelle spirituelle. Leur association et leur révolte eurent pour conséquence, non pas un groupement de libres-penseurs, espèce inexis- tante alors, insoupçonnée môme, mais l'entrée en scène d'une classe nouvelle, inconnue du monde ancien comme de la féodalité germanique, qui s'était lentement formée au milieu de la désagrégation de l'empire romain et des bou- leversements produits par l'invasion barbare. La victoire de ce nouvel ordre social fut la rccompen.se de sou énergie.

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Ces liommes neufs, ces citadins qui n'étaient point proprié- taires (le fiancs-alleus, mais exerçant des métiers que la civilisation anti.jue confiait aux seuls esclaves, devenus nombreux et riches dans le refug-e des cités, persistèrent à réclamer l'administration de leurs bonnes villes, arec le pouvoir de veiller à la sécurité, à l'indépendance de l'en- ceinte urbaine; ils revendiquèrent aussi le privilèg-e de nom- mer leurs magistrats et de s'assembler en armes, au son du beffroi. Ils ont obtenu, ou plutôt ils ont conquis, tous ces droits. Ils ne surent les conserver. Leur défaite fut le résul- tat de leurs divisions, et de l'accroissement moral et maté- riel du pouvoir royal, auquel ils contribuèrent ; ce fut leur œuvre par haine et crainte des seigneurs.

Le mouvement communaliste du mojen-;%e fut à la fois provincial et parisien. Si, en chaque bonne ville, le sou- lèvement demeura contenu dans les limites des murailles, l'exemple, l'imitation, la propag-ande du succès répandi- rent rapidement et simultanément au dehors l'esprit et le réçime de la Commune. La royauté ne fut pour rien, ou ne fut que pour peu, dans l'établissement des Communes en France. Elle supporta ce qu'elle n'avait pu empêcher, et dut -sanctionner ce qui avait été institué sans elle.

C'est une erreur historique que d'attribuer à un roi, tel que Louis VI dit le Gros, « l'affranchissement des Com. munes ». Cette formule, qui a cours dans l'enseignement universitaire, semblerait indiquer qu'un beau matin, par un caprice ou un sentiment généreux, le monarque, en s'éveil- lant, aurait signé un édit aux termes duquel les Com- munes étaient déclarées « affranchies «. Tel Caracalla au début du troisième .siècle conférant le droit de cité à tous les habitants de l'empire. Le roi, à l'époque de cet affranchisse- ment, n'avait qu'une autorité très limitée, et le royaume ne comprenait qu'une portion très restreinte du territoire des-

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HISTOIRE DB LA. COMMUNE DE iS^I

tiné à devenir la France.Les Communes se sont aflranch.es toutes seules. C'est l'insurrection, c'est la force dos armes la solKlilè des murailles, la vigueur de la vo>x de méte appelant de la tour du beflroi les bourgeois à 1 assemblée populaire, c'est aussi l'entente et l'enthousiasme mun.c.pal des corps de métiers, unis aux artisans, au peuple, qui fon- dèrent, défendirent et maintinrent, pendant deux siècles, la liberté communale. Dans un grand nombre de v.Ues, principalement dans la région du Nord, car dans beaucoup de cités du Midi les traditions du municpe romain s étaient perpétuées, les Communes s'établirent, prospérèrent sans V oTences, Lans eflusion de sang. Il y eut, dans certaines contrées, des pactes conclus avec les seigneurs, surtout avec es seigneurs épiscopaux. comme à Noyon. Moyennant fiLce!,des chartes communales furent octroyées. Les Croisades, et l'appauvrissement des nobles qui en fut la conséquence, facilitèrent ces transactions. TaTommune était en soi une idée chrétienne Le mo venait du vocabulaire apostolique. Commune a pour étymo Lïï Communauté. C'était l'application au gouvernement driacité au régime social, du principe égalita.re et fra- tne quravair régi les premières associations des disci- pTesd Christ. On les appelait des communaut s,ces grou- pements de la primltiveEglise. Ce fut aussi le nom sous Cl on désigna les associations bourgeoises, à leu^ débuts Les Communes disparurent, comme organismes locaux comme centres autonomes, quand le pouvoir cen- Tse fortifia ;elles furent étouffées par la couronne pesant sur el e abso;bées par l'autorité royale grandissante L uni- fication des lois, la centralisation des services publics, la Lnentration entre les mains du roi, de ses conseï s e^s parlements, de ses baillis, sénéchaux et prévôts, dej adnn- nistration, des impôts et de la défense du royaume, sup-

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primèrent en fait les Commuaes. Mais, jusqu'à la révolu- lion française, jusqu'à nos jours, l'esprit communal s'est perpétue, et son action s'est manifestée, sous la forme poli- tique du Tiers-Etat, sous la forme sociale Je laBourj^eoisie.

Aux heures tragiques, quand le territoire était envahi, ravag-é, au lendemain du désastre de Poitiers, quand il n'y avait plus ni roi, ni chefs, ni armée, ni finances, ni rien, quand la France paraissait se dissoudre et semblait mena- cée de disj)arattre, sans avoir eu sa destinée accomplie, ne laissant qu'une trace, confuse et sans g^loire, dans la mé- moire des hommes, ce fut à la Commune que revint la tâche de ranimer les cœurs et de prouver que la France n'était pas tuée. Un petit groupe d'hommes veillaient. S'ils ne connaissaient pas encore cette magnifique expression : la Patrie, ils en devinaient du moins la force et la beauté. Ils lui donnaient le nom de: Commune. Il y eut donc alors, au XIV* siècle, des patriotes, sans qu'on sût dénommer et expliquer le patriotisme. Introuvable encore dans les écrits, dans les discours, dans les chartes et les délibérations, ce mot de Patrie, qui date de Jeanne d'Arc, existait sonore et vibrant, dans le cœur des énerg-iques Parisiens de i5ô-], fondateurs de la démocratie française, républicains de la première heure, groupés en Commune autour de leur auda- cieux et intelligent prévôt des marchands, le précurseur Etienne Marcel.

A toutes les époques de crise, le peuple de Paris cria : Commune ! comme on crie : au secours ! Toutes les insur- rections parisiennes aboutirent à l'établissement, plus ou moins durable, d'un pouvoir communal, plus ou moins révolutionnaire, à l'Hôtel de Ville.

Sous la Révolution française, la Commune de Paris fut fortement patriote, républicaine autoritaire, avec une indif- férence religieuse, opposée à la sentimentalité déiste de la

maiorité de la Convention. La Commune de Pans gr.ève- 3 atteinte parle procès des Ilébertistes .ut defin.Uve- Int vaincue lu neuf Thermidor. Sa défaite fut colle de

^^ïat:;:^n de la Commune s'était perpétuée dans les dernières années du second empire, et la jeunesse blan- quiste s'efforçait d'en révoilier le souven.r, d en imposer 1. îetour en mettant à profit les circonstances. L essai mal- heur^ de la surpris; du poste de la ViUette, aux debu s de la cuerre, et l'échauffourée du 3i octobre ne découragè- rent pas ce parti, peu nombreux, mais singulièrement actif, dont iCrgie et'lf tactique se retrouvèrent lors de la ten- tathe du 2. janvier i8,i, et préparèrent, dans les comités de ; ollance et au Comité Central, le mouvement d or,a nisation révolutionnaire, qui permit de mettre à profit la surprise du Dix-Huit mars.

La minorité insurgée, duiant ces uivers j réclama la Commune et, dans la dernière, réussit a 1 eta-

^^ La Commune résumait alors les aspirations contradic- toires, antagonistes souvent, ^^^^^^^^^^J^^^ Z^ 1 ..;tiPtnrmé Son nom seul suffisait a indig-ner

^ n;rnt:; r:ontre-révolutionnaires en mémetemps au^il rassurait et satisfaisait des opinions diverses on pour- rai d des partis différents. La répulsion des adversaires de tout gouvernement vraiment démocratique pour la Comminf ne date pas des événements de 1870-7.. Au Mo?erA.^e Guibert, abbé de Nogent, qu. a laissé la Squedela révolution communale de Laon qualifiait

dvTrlble» la Commune et ses partisans:» de execra- « d extcrable 1. ^^^^ ,g^ ^^^^^

V.illbus communie! illis... » ^" ^'""' '

^n P-rind mouvement municipal, de nom-

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de termes à côté, injurieux ou méprisants. C'était, pour la désig-ner, « la conspiration >),ou bien « la trahison », ou encore « la perfidie ». Les membres de la confédération bourgeoise étaient qualifiés de « ramassis de jeunes scélé- rats, ayant fait Vézelay) un pacte contre leur évêque, d'une modération et d'une piété si grande, « aggreg-ata que sibi maximasceleratorum juvenium multitudine, pacli sunt sibimutuo foedus sceleratœ conspirationis adversus œquis- simi moderaminis et ing-enita pielatis dominum suum... », Les pieux narrateurs énuméraiont, avec horreur et com- plaisance, toutes les violences qu'avaient pu commettre les révoltés : résistance aux outrages des gens de l'évèque, aux exactions des grands seigneurs, refus de se laisser désar- mer, rassemblement, donc rébellion, au son du beffroi, construction de tours et de remparts pour se protéger et meurtre de gens d'armes, envoyés pour les tuer ou pour les capturer et les conduire au château, la torture, les oubliettes, et la mort les attendaient. Naturellement, ces ennemis de la Commune se gardaient bien de mentionner, en leurs chroniques que les historiens ont recueillies, copiées et tran.smises, les atrocités des chevaliers, vain- queurs (le l'émeute. L'impitoyable répression qui suivit par- tout la défaite des bourgeois, ces ancêtres de nos Commu- nards, devint, sous leur plume servile, car ils écrivaient sous l'œil des abbés et à la solde des châtelains, la juste punition d'une révolte impie, le châtiment mérité d'une rébellion scélérate. La lecture des journaux de 187 1 con- tient des récits aussi exacts, des appréciations aussi impar- tiales.

La Commune moderne est pareillement demeurée, comme un épouvantail et une honte, aux yeux de beaucoup de nos contemporains.

Ceux qui, dans un but électoral, ou par prudence, par-

5^ lilSTOIBE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

fois par lâcheté, el souvent par soumission moulonnière, font des amabilités publiques aux partis les plus avancés, affectent cependant une grande réserve, quand il s'agit de la Commune de 71. Pas un des radicaux de 1910, aux sonores déclarations devant les électeurs, n'osa faire, non pas l'éloge, mais la mention delà Commune. On peut con- sulter le « Barodct » de ces dix dernières années, il est muet à cet égard. Aucun de ces courtisans populaires n'eut l'audace, ni la sincérité, de réclamer plus d'impartialité, et aussi plus de justice, pour ces hommes de 71, sans les- quels beaucoup des élus de 1910 ne seraient certainement plus républicains. Le nom même du régime est dissimulé- Il ne fait pas partie du vocabulaire convenable, entre poli- ticiens. On gaze comme un gros mot, à la tribune, dans les journaux, le terme de Commune. Ceux qui l'impriment et le prononcent le font avec une intention visible d'injure, de mépris ou de dédain. L'épithète de <- Communard » avec sa désinence péjorative, est un outrnge. On l'accole au nom des survivants, comme une flétrissure. Les plus indulgents le prononcent avecune hautaine pitié, cherchant l'excuse. Pour les vaincus de 71, la proscription a cessé dans les faits, elle dure encore dans les écrits, dans les discours, dans les programmes, dans les conversations, dans les] idées, dans les esprits. On tolère, en certaines occasions, qu'on parle de cette époque autrement qu'avec haine et parti pris, mais orateurs et écrivains doivent mesurer leurs termes et peser leurs paroles. Le cri de : vive la Comm-une ! est demeuré séditieux.

ÉLÉMENTS DIVERS DE LA COMMUNE EN 1871

Pour ceux qui se disent républicains, et le nombre en devient chaque jour plus grand, selon la boule de neige

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du succès et la loi de la vitesse acquise avec la durée, la Commune pourtant devrait être l'objet d'une reconnaissance do tous les instants et d'un sentiment do respect quasi- filial : la Commune n'a-t-elle pas permis à la République d'exister, de durer ? Sans la résistance des Communards, l'assemblée de Versailles, non seulement restaurait la mo- narchie, mais retardait de cinquante ans peut-être le pro- grès républicain, l'établissement des lois sociales et l'ins- tauration de mœurs démocratiques. Voilà le grand, le dura- ble bienfait de la Commune. 11 est incontestable. Le Peu- ple, et dans le peuple il faut comprendre, à l'exclusion de quelques individualités privilégiées et de certaines castes rebelles, la grande masse du pays,dut à la Commune toutes les lois, toutes les réformes, tous les progrès dont les dis- cours officiels font l'énumération louangeuse.dont la cons- cience de chaque citoyen reconnaît et apprécie l'existence et la stabilité. Mais le peuple est souverain et, comme les rois, toujours il pratique l'ingratitude.

Est-ce i\ dire que la Commune fut parfaite, admirable en tous points, et qu'on ne saurait lui trouver ni taches m défauts? Ce serait folie ou mensonge que de prétendre faire son apologie, rien que son apologie. Mais elle a droit, au moins, à ce qu'on n'entende pas contre elle que des témoins à charge, et, dans son procès, il faut recueillir ce qui l'accuse, mais aussi ce qui la justifie, et môme ce qui, dans certains cas, la glorifie.

Elle a commis des fautes, des crimes même, cette Com- mune les régimes les meilleurs, les rois les moins mauvais; en ont autant à leur passif. Son personnel militaire, admi- nistratif et parlementaire fut insuffisant, et plus d'une mesure, prise par les agents improvisés et inexpérimentés de ce gouvernement éphémère peut être taxée d'incohé- rence, d'inutilité ou de maladresse. Mais on ne légifère

HISTOIRE DE LA COMMLNt PE 187I

pas et on n'administre pas, au milieu d'un combat, comme dans le calme des assemblées et des bureaux, en temps normal. Les deux mois de durée de ce rcg'ime ne fuient qu'une halte entre les batailles; on délibéra, on statua, on administra aussi, au milieu de la fusillade, et dans l'at- tente d'un assaut final.

La Commune, et c'est le plus vif grief à lui imputer, n'a rien laissé de durable. Son œuvre, non seulement fut périssable, mais matériellement, lég-islativement nulle : elle n'a anéanti ni les lois ni les institutions du passé; elle a laissé subsister les vieux systèmes d'impôts, les cadres sociaux, aristocratiques et privilégiés ; enfin, non seulement elle n'a pu proclamer, établir la République vraiment démo- cratique, mais elle n'a même pas entamé le grand œuvre de la Révolution sociale. En eut-elle le temps? Lui en a-t-on donné la possibilité? Question. Cette Histoire fournira la réponse.

La République actuelle, avec quarante années de paix, de prospérité et de puissance régulière et respectée, n'a même pas abordé le g'rand problème.

La Commune fut aussi le résultat d'une dualité antino- miste : patriote dans son orig-ine, elle renfermait dans .son sein des éléments importants et actifs d'altruisme excessif et prématuré, opposéaux sentiments égoïstes et héréditaires du patriotisme fermé. Les idées internationales passionnè- rent plusieurs de ses chefs. Cette contradiction ne fut pas, en elle, un germe de mort. Avec la fin des hostilités, le calme revenu dans la cité, le travail reprenant son cours, on eût assisté à l'évolution si désirable des esprits vers l'accord européen. La paix mondiale se fût établie insen- siblement, sans secousses, sans luttes nouvelles, sauf peut- être quelques expéditions coloniales et asiatiques, entrepri- ses d'accord par toutes les nations civilisées. Le but idéal

LI DIX-BUIT MARS

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de la dùmocratie, de la République, ne doit-il pas être celte Confédéraliondes Etats-Unis d'Europe, utopie aujourd hm, réalité demain, que de grands esprits, comme Victor Hugo, sondant la profondeur de l'avenir, ont saluée d avance avec enthousiasme? .

Fnfiu la Commune présenta ce spectacle curieux d un autre antagonisme intime : elle représentait par sa tradi- tion on pourrait dire par atavisme, le principe de la Com- mune autonome, libre, indépendante, telle que la conce- vaient les bourgeois de Noyon, de Laon, les Etienne Mar- cel et les Robert Le Coq du xiv« siècle, et cependant elle s'affirma unitaire dans ses actes, dans ses relations aN-ec l'étran-er, avec le reste de la France; elle formula la Re- publique une et indivisible. Ce fut ainsi, par exemple que, léo-iférant pour la France entière, elle prétendit abolir les amées permanentes et la conscription, conception impro- visée, et à laquelle ceux qui la transformèrent en décret n'attachèrent qu'une importance philosophique, et pour ainsi dire symbolique. Mais cet antagonisme entre Pans devenu ville libre, se gouvernant et s'admimstrant à sa „aise - et l'exemple de certaines cités allemandes ren- Lien'tcette proposition acceptable, défendable au moins,- et Paris capitale, gouvernant, imposant sa volonté a tous les déparlements, perpétuant le système centralisateur de la monarchie, n'était qu'apparent et transitoire. La Commune triomphante, stable, maîtresse par le consentement e e concours de toute la France, car sa victoire dépendait de cet accord, devait fatalement et logiquement aboutir à la forme décentralisatrice et cantonaliste, à la République Fédérale, qui, plus ou moins neuve, originale ou imitée de la Suisse, des Etats américains, sera probablement un jour la forme déiinilive de notre Etat républicain.

On voit, par l'analyse brève de ce composé politique et

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social désigné, depuis iS'ji, sous le nom de Commune, que le régime, dont le Dix-Huit mars a marqué l'avènement, n'avait rien d'anormal, rien d'exceptionnel ou de mons- trueux, et qu'il aurait pu, qu'il aurait devenir le régime régulier et perfectible de notre pays, si, car il y avait forcément cette condition inéluctable, si le pays avait consenti, si le pays avait ratifié ce qui suivit le Dix- Huit mars. Pourquoi n'a-t-il pas accordé confiance et sou- mission à ce régime, dont l'origine n'était pas plus illé- gale que celle de la monarchie, avec Louis-Philippe ou Napoléon III, ni surtout que celle du gouvernement de la Défense, et dont l'existence n'était ni plus tyrannique et insupportable que celle des régimes précédents? Pourquoi la Commune n'a-t-elle pas trouvé cette ratification, à la- q uelle ello aurait pu prétendre, et qui fut accordée si faci- lement à tous les gouvernemenls antérieurs? Pourquoi la Commune ne fut-elle pas acceptée, reconnue, subie, si l'on veut, comme le furent, au lendemain même des insurrec- tions, des coups de force qui les avaient faits maîtres du pouvoir, les gouvernements antérieurs : la royauté consti- tutionnelle, l'empire absolu, la République bourgeoise?

Bien des causes secondaires, en dehors de la brutale vic- toire versaillaise, motivèrent la chute de la Commune : la notoriété imparfaite ou inquiétante de ses promoteurs, l'abstention ou l'hostilité des républicains connus, des vieilles barbes de 48, des jeunes moustaches de 1869, con- tribuèrent à son isolement. Mais la cause principale de sa défaite, de son impuissance à se faire accepter, de l'impos- sibilité où elle s'est trouvée, dès ses premiers pas, de mar- cher à la tête de la France, et de la faire marcher à sa suite, ce ne fut pas son caractère de Révolution proléta- rienne et sociale, car elle ne l'eut pas à ses débuts, et par la suite elle ne l'affirma que par des vœux et des déclara-

LB DIX-HOIT MARS

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tiens théoriques, mais uniquement P"- «î" ' ^^f ;^^X trop tard. Elle ne put prendre ce caractère nat.ona . qu elle eût acquis au 4 septembre ,870, sans lequel une revolut.on ne res^ qu'une insurrection, sans lequel aucun gouverne- :^.t monarchique ou démocratique, - sa"- -^-,7;;; niren France. La Commune ne pouvaU vivre et durer, ^^si elle s'était substituée au gouvernement imper.al, Ten é nt d abord le gouvernement de la lutte contre les Prussiens, qu'en organisant la vraie défense nat.onale, et peut-être la victoire.

CAUSE PBJNCIPALE DE L'INSUCCÈS

La Commune était née au milieu des déchirements de la Patrie L'humiliation de la défaite et le rut combat.f non LsoTvi avaient présidé à sa conception, dans 1 ango.sse et dan Vénervement. Cette humiliation et ce des,r la pro- Ice es éprouvait aussi, mais moins v.vement que la ma di ec'té, et en supportait, avec plus d'apath.e les .rr.- Ta i.n Les républicains des grandes villes man.festa^ ot eur indignation avec moins de soubresauts revolutmn- n'h-e La province se montrait raisonnablement patrm,. m s nuUement pacifique à tout prix. La ^or- - ra^ des armées-citoyennes à la vo.x de Gambetta, la soumis s'on etl patience de ces paysans, de ces ouvriers, d c o^is de petites villes, accoutumés à la mise en ba ail e ofi:;: professionnels, à l'appel de --enaires en^> oyé^

yiclmresa 11 c'étaient ces civils même que

les avoir regardes taue, ccimcuw

6o

HISTOIRE DE LA COMMUNB DE 187I

brusquement, brutalement, on charg^eait d'un fusil, qu'ils ne savaient g-uère manier et d'un sac qu'ils n'étaient point habituas à porter ; on les traînait par les plaines, dans les tranchées, sous la pluie, la neig-e et le froid. Ces « pékins» marchèrent de leur mieux, se faisant tuer, à l'occasion, comme si c'eût été leur métier, et résistant autant que leur nombre et leur inexpérience, au milieu du désarroi g-énéral, le permettaient. Cette levée générale de la popu- lation départementale, à qui la victoire a manqué pour devenir épique, cet effort de la France vaincue, envahie, privée de l'armée et du gouvernement, sur lesquels elle était habituée à compter, prouvent que la province, mal- gré d'incontestables couardises bourgeoises et une regre- table inertie paysanne, en certaines régions, eut aussi, sur bien des points du territoire menacé, son élan et son patrio- tisme. Elle souhaitait, ardemment sans doute, la paix, le désarmement, le repos, le retour de chacun chez soi, avec le travail repris et l'existence normale et paisible recommen- çant, mais elle eût été joyeuse d'un changement de la for- tune, heureuse de la délivrance, et fière d'y avoir contribué. Il ne faut pas juger la France d'alors par le choix navrant des hobereaux, cléricaux et réactionnaires, que, faute de mieux, elle envoya à l'assemblée qualifiée de rurale, avec le mandat, presque impératif, de la débarrasser des Prus- siens. Elle consentit à ce qu'on les congédiât par un traité, puisqu'il paraissait impossible de les chasser par la vic- toire. Elle se montra donc satisfaite quand on renvoya ces Allemands avec de l'or; elle eût été transportée d'en- thousiasme, si on les avait reconduits dans leur Allemagne à coups de canon. La province eut, non pas seulement sup- porté, mais acclamé la souveraineté traditionnelle de Paris, si ce Paris eût libéré le territoire et congédié l'ennemi, eût- il, ce faisant, remplacé l'assemblée de Versailles, soit en la

LE DIX-llUlT MARS

dispersant par la force, soit en la forçant à se dissoudre loTL avait achevé son mandat, qui éta.t la conclus.on de

"Zf gouvernement établi à Paris, par P-,^' " ""« ca^tafc n'est-elle pas comme un parlement. on^^^J^ provinces, tous les arrondissements, on Pourr t l.re h que ville, chaque village, ont leurs représentant . - eut été î'onnu et obéi, comme l'avaient été jusqu'alors tou 1 pouvoirs antérieurs, dont les provençaux receva.ent la notification, comme un ordre, par l'autor.té centrale, par "es courriers, par le télégraphe; mais il fallait que ce gou- vernement eût le caractère d'un gouvernement national. Or

a Ipitubtion, le traité de paix et l'ex>stence conservée de l'assemblée nationale faisaient de lu. un gouvernement Seulement parisien, un pouvo.r local, le produ.t dune émeute, et non le résultat d'une révoution.

Paris, alors, parut avoir manqué à sa m.ss>on, qui cla.t de délivrer la France. Sa déchéance sembla juste comme a aH été jugée telle celle de Napoléon III. Le droit lui fu dlié deionner un gouvernement à la France comme U avait pu le faire après les journées de .83o, aprfes 1 .4 f vrier :848, au 4 septembre ,870. A la su.te de -s chveis^ iournées insurrectionnelles, le pouvoir central n existait plu les assemblées, représentant l'ensemble de la nation. Sent dissoutes ou avaient été balayées. Le pouvo.r était vacant. Il ne l'était plus au Dix-Huit mars.

La faute, le vice, le germe de mort que conlena t la révolution du Dix-Huit mars, c'était donc, dune part de ris répondre au vœu national pour la libération du ter- Htiire, et d'autre part, d'avoir, en f- d'elle debout groupée, organisée, poursuivant ses séances, ^o^^^'^l lois, dictant des décrets, et, disposant de 1 autorité morale puisqu'elle était toujours considérée comme 1 expression du

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE iSt

suffrage universel, une assemblée, qui, tant qu'elle n'était pas chassée ou démissionnaire, représentait l'ensemble du pays, g-ardait le nom et le caractère d'Assemblée Nationale. Assurément, on pouvait ergoter, et discuter la légitimité de la durée de cette assemblée, élue « dans un jour de mal- heur », uniquement pour traiter de la paix et voter les conditions de l'indemnité à paver aux Prussiens On pou- vaitla considérer comme en état d'usurpation, puisque aus- sitôt la paix, votée à Bordeaux, acceptée par l'Allemagne, son mandat expirait, sa mission se trouvait terminée. Elle devait régulièrement céder la place à une assemblée cons- tituante. Ces arguments, excellents en Ihéorie, en polé- mique, pour soutenir l'illégitime situation de l'a.ssemblée de "V^ersailles et la légitimité de l'insurrection parisienne, n'ont aucune valeur historique : l'assemblée existait de fait, et le fait constituait son droit. Le peuple d'ailleurs n'entend rien à ces subtilités de casuistique conslitutiounelle.

Tant que cette assemblée conservait son mandat, et le tort de l'insurrection du Di.x-Huit Mars fut de ne pas le lui enlever, de ne pas marcher sur elle et de la disperser par un dix-huit brumaire républicain, Paris ue pouvait prétendre instituer seul un gouvernement pour toute la France. Il n'y avait pas place pour deux pouvoirs centraux.

La situation d'un gouvernement établi à Paris, tandis qu'il y en avait un autre à Versailles, était donc bien diffé- rente de celle des précédents pouvoirs insurrectionnels, qui n'avaient pas rencontré cet obstacle légal et moral, ou qui l'avaient aussitôt brisé.

La révolution faite par Paris, le dix-huit mars, lui res- tait propre. Elle devenait une insurrection locale, un mou- vement séparatiste, une Vendée républicaine. Paris, isolé pendant la guerre, demeurait, la paix faite, pareillement séparé du reste du pays. Pour la majorité des Français, les

LE DIX-BUIT MARS

Par.s.ens révoltés reprenaient le rôle des insurgés de

^"le''aedtété différemment si la Commune salait établie plus tôt Au 3. octobre, il était déjà b.en tard, ma.s la - tZuL de Bordeaux et de Versadles o'ex.sta.t pas et a Zince eût probablement, dans son ensemble, sauf quel- :: r:testaLns impuissantes, accepté le nouveau ,ou- vernemeat proclamé à Paris, bien que isolement de la caXleeùt pu retarder ou compromettre cet assentiment, r'-estau 4 septembre, l'empire effondré dans 1 ent^a- noir de Sedan, iNapoléon UI vaincu, prisonnier, déchu mo Calment, le corp! législatif dispersé et le ^^^^^^ que la Commune, se substituant au pouvoir detrmt, don nant à la France uuré.ime nouveau, aurait eu t nt- l chance, de se faire reconnaître parle P^f^;^' .'^';;;;;^* '^ pu durer. On peut môme admettre que c est à 1 époque des derniers désastres quune insurrection eût ete surt u utile, et serait demeurée victorieuse.L'échauffourée de Blan qui, à la Villette, n'était ni si déraisonnable, ni ^coupable qu'on la dit. Le défaut de préparation, le manque de ?orcespopulairesetde concours politique, la r PU^- - de la population à se soulever en présence de 1 ennemi tnl Recette émeute ratée, un crime.Si elle eûU^uss. a ^ ■» j«,-on;i- 1p o-ouvernement national ae la

Commune pouvait de\enii legouvciuc

France, et les destinées de notre malheureux pajs chan

^'ctÎ donc, tout en faisant la part des causes secondaires de faiblesse, de désagrégation et de défaite finale, parœ au'^Lest V nue trop tard, parce quelle ne put remplir e Se degouvernemeitnational.que la Commune a sombré.

"Te'nauL^e tut terrible et grandiose. Il évoque la fin légendaire du « Vengeur », avec plus d'horreur, et autant

64 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE iSlI

d'héroïsmo. De vastes ronds sanglants, éclairés de lueurs sinistres, s'étendirent autour du vaisseau de Paris, à demi submergé, ("eux qui en considèrent les remous, à quarante années de distance, demeurent encore surpris et impression- nés. Là, fut une épave formidable, bientôt remise à flot, mais dont les grands cercles tragiques sont encore visibles, les vibrations encore sensibles.

LES DEUX BIENFAITS DE LA COMMUNE

La Commune a inspiré aux Allemands, témoins stupé- faits et inquiets, des sentiments de prudence dont la France a recueilli l'avantage. Son énergie, la vaillance combative qu'elle montra, et aussi la vigueur qu'il fallait à ceux qui la vainquirent ont inspiré le respect à nos envahisseurs. Le courage déployé dans les deux camps a détourné de Moltke, Bismarck, et d'autres conquérants subalternes, de leur projet d'achever la victoire, selon eux, imparfaite. Tous ces guerriers enivrés ont renoncé à l'espoir de cher- cher, dans une agression nouvelle, la curée d'un démem- brement plus complet. Ils ont compris, en voyant comment les Français se battaient sous les murs de Paris, la paix conclue, qu'il fallait s'en tenir à cette paix, assurément avan- tageuse.et qu'il serait téméraire de recommencer à provoquer cettenation belliqueuse, vraiment indomptable, qu'ilsavaient crue si affaiblie, si démoralisée, si incapable de continuer une lutte. Ces épuisés, ayant pu se procurer un peu de pain, redevenaient vigoureux et terribles. Il était sage de ne pas tenter une seconde fois la fortune.

La Commune ainsi a sauvé l'honneur français, à l'exté- rieur, et protégé les frontières ; à l'intérieur, elle a sauvé la République et protégé les conquêtes démocratiques.

A défaut de reconnaissance et d'admiration, de la part

LE DIX-HUIT MAKS

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des jeunes générations, ingérâtes parce qu'ignorantes, et ne connaissant guère d'elle que sa légende, la Commune a droit à la vérité et au respect. Le jugement hâtif qui l'a condamnée, sans les circonstances très atténuantes qu'elle méritait, doit être cassé.

L'Histoire n'est pas seulement une Résurrection, comme a dit Michelet, elle est aussi une Révision.

LIVRE H

L'AGONIE DE PARIS

ON PRÉPARE LA CAPITULATION [JANVIER 1S7,)

L'histoire de la Commune commence, non pas au Dix- Huit mars, date de l'insurrection triomphante, d'où sont issus d'abord le gouvernement du Comité central, pouvoir de fait, puis le gouvernement communal, pouvoir élu, mais aux événements qui suivirent la capitulation de Paris, et provoquèrent la Fédération des bataillons de la garde nationale parisienne.

Au 3i octobre, une partie de la population avait voulu remplacer le gouvernement delà Défense, dont l'incapacité, le manque de confiance dans la résistance, et l'inertie, cal- culée ou instinctive, lui étaient démontrés. Ce désir et cette opinion n'étaient malheureusement pas dans la majorité des esprits. La nouvelle de la capitulation de Metz, que le gouvernement avait assez sottement tenue cachée deux jours, la défaite au Bourget, et les bruits d'armistice solli- cité à Versailles, dans lesquels on devinait le prélude de la reddition, avaient entraîné quelques bataillons des faubourgs vers l'hôtel de ville. Des membres du gouvernement avaient été cernés et retenus plusieurs heures prisonniers,

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par Gustave Flouiens. Des bataillons appartenant aux quartiers du centre, patriotes assurément, mais qui avaient plus grande crainte des révolutionnaires que des Prussiens, survinrent, et les délivrèrent. Un plébiscite s'ensuivit. Par son vote, la population réprouva cette tentative d'insurrec- tion, qu'elle estima périlleuse, et coupable aussi. L'union des assiéijés paraissait indispensable. Le salut de la cité semblait, à cette majorité, plus compromis par un désordre intérieur que par le maintien au pouvoir d'bommes dont l'insuffisance ou l'impuissance n'apparaissaient pas suffisam- ment établies. On avait encore de l'espoir, et les illusions sur le compte de Trocbu n'étaient pas dissipées. Et puis, les noms des chefs du mouvement du 3i octobre, proposés comme membres du nouveau gouvernement: Flourens, Blauqui, Delescluze, Félix Pyat, Milliôre, el d'autres révo- lutionnaires notoires, effrayaient. Les bataillons, recrutés dans la bourgeoisie, ne pouvaient accepter un pouvoir s'ap- puyaat sur les bataillons des arrondissements ouvriers.On avait peur de la guerre civile. Voir la ville aux mains de ceux qu'on appelait encore « les rouges -., en souvenir des journées de juin 48, semblait, à la partie la plus nombreuse de la population assiégée, catastrophe aussi désastreuse que la reddition aux Prussiens.

Le plébiscite eut pour conséquence de donner au gou- vernement du 4 septembre la consécration du suffrage uni- versel. Ce fut l'unique investiture de ce gouvernement issu de l'émeute, comme le fut la Commune. Trochu conserva donc la direction des opérations militaires, et Paris lui fut légalement livré : ce fut là, le grand, le pire désastre. La défense demeurait ainsi confiée à celui qui n'y croyait pas, qui n'en voulait pas. La remise de la ville à l'eunemi n'était plus qu'une question de jours, et d'oppor- tunité. Paris était voué au sort de Metz. La trahison

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insTOlnK DK l.A COMMUNE DE I 87 1

hypocrite de Trochu, trahison mentale et morale, équiva- lait, par ses résultats, dès lors à peu près certains, à la cynique et positive trahison de Bazaine. Ce dernier avait sans doute des calculs politiques et des arrière-pensées ambitieuses, dont le triste défenseur de Paris fut exempt. Bazaine voulait conserver une forte armée pour intervenir dans la lutte des partis, qu'il prévoyait. Il comptait deve- nir l'arbitre forcé et le sauveur providentiel du pays désor- ganisé, sans pouvoir régulier, sans armée sérieuse. Trochu, libre de ces préoccupations d'aventurier, estimait inutile une résistance prolongée, et redoutait les désordres intérieurs. Il entendait donc garder les forces dont il disposait, pour combattre, s'il le fallait, l'ennemi du dedans, pour défen- dre l'ordre et la religion, dont la sauvegarde lui tenait plus au cœur que le salut de Paris.

Au 3i octobre, tout était déjà bien compromis, mais rien n'était perdu. La Commune aurait eu à lutter contre de graves difficultés, mais elle avait des chances pour les sur- monter. Le cercled'investissement était alors beaucoup plus faible qu'on ne le croyait ; le périmètre de la ville exigeait, pour être entièrement occupé, des troupes beaucoup plus nombreuses que celles dont les Allemands avaient pu opé- rer la concentration sous Paris. Ils n'avaient pas encore reçu les contingents de Frédéric-Charles, retenus sousMetz. Ue notre cûté, les armées de province commençaient à s'or- ganiser, et n'étaient pas encore démoralisées. Gambetta, Freycinèt, Chanzy étaient pleins d'ardeur et multipliaient les efforts. Avec les ressources en hommes et en munitions, les vivres encore suffisants que Paris renfermait ; avec des attaques multipliées et sur tous les points de la cir- conférence investie ; avec des sorties presque quotidien- nes, aguerrissant les nôtres, lassant, épuisant l'ennemi, la « trouée », à peu près impossible plus tard, eût probable-

LB DIX-HUIT MAHS

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ment réussi en novembre. Le vote plébiscitaire, repoussant la Commune et maintenant les hommes du 4 Septembre, ajourna ces espérances, et leur ôta bientôt toute chance de réalisation. . .

La plupart des membres du gouvernement parisien avaient sans doute le désir de repousser l'ennemi. Nul d'en- tre eux n'eût refusé de dé§:a-er Paris, mais, prêtant une oreille trop favorable aux dénégations découragées et pes- simistes du généralcn qui ils avaient touteconBance, aucun ne crevait que la délivrance de Paris fût possible par les armes" parisiennes. Les nouvelles, à la suite de la batadle d'Orléans, ne laissaient guère d'espoir d'être secourus par les armées de province; les Parisiens devaient donc être pr/parés aune capitulation jugée inévitable. Un armistice préliminaire servirait de transition. Le crime des hommes du 4 Septembre fut de conserver le pouvoir, dont ils de- vaient et ne voulaient se .servir que pour épuiser et affamer la population, dans le but de lui faire accepter la reddition des forts et de la cité. Ils prétendaient, sans doute, con- server la République. Mais eût-elle couru un péril, avec la Commune victorieuse, repoussant l'ennemi ? Ils affectaient une crainte excessive, et probablement factice, d'une res- tauration bonapartiste, accomplie avec l'assentiment de l'Allemagne. Mais les Allemands ne songeaient nullement à ramener^es Bonaparte, comme autrefois les Bourbons. Ils jugeaient leur situation meilleure, les républicains gardant le "pouvoir. Ils comptaient sur les divisions intérieures, sur l'interrègne, pour mieux assurer leur conquête, pour enter- rer à jamais le fantôme vivant de la Revanche.

Le gouvernement de la Défense, et son chef incapable, employèrent donc la première semaine du mois de janvier, la sem^aine du grand bombardement, à préparer la capitu- lation, à la faire admettre, désirer peut-être. Mais le bom-

■jO IIISTOIHE DE LA COMMUNE DE 187I

bardemcnt trompa leur détestable espérance. Nul ne bron- cha sous la pluie de fer. Gavroche rit tout haut. Les obus firent des dégâts matériels inutiles. Les hôpitaux, les mu- sées, les bibliothèques faillirent être éventrés, et c'est une honte pour les compatriotes de Goethe et de Hegel , mais le courage de la population bombardée n'en reçut nulle atteinte.

Les Parisiens, et aussi les Parisiennes, supportaient avec une farouche énergie les obus, les privations et les souffrances du siège. Le froid intense ajoutait ses ri- gueurs à la famine. Cependant personne ne parlait de se rendre. On voulait souffrir encore, et l'on voulait aussi combattre. Trochu et ses complices ont, par la suite, pré- tendu que la garde nationale était incapable de soutenir le feu des Prussiens. La vaillance et la résistance de ces gardes nationaux, trois mois après, devant les canons et les fusils de l'armée versaillaise, répondent suffisamment à cette allégation.

Trochu avait communiqué aux officiers son mépris de ces civils déguisés en soldats, ainsi jadis les nobles émi- grés et les troupes de Condé dédaignaient les volontaires de l'an n, « des cloutiers et des tailleurs », disaient-ils, qui de- vaient reconduire jusque dans leurs capitales, lahaïonnette dans les reins, les vieilles armées de Brunswick. Quant aux troupes de ligne, il n'y avait, sous Paris, que quelques régiments de l'ancienne armée, le 35«, le 42* et des qua- trièmes bataillons. Ces soldats étaient mal disposés envers les gardes nationaux. Comme Trochu faisaitdonner, exclu- sivement et systématiquement, les troupes régulières, et qu'elles éprouvèrent des portes sérieuses aux divers com- bats, notamment le 3o septembre à Chevilly, le i3 octobre à Bagneux, le 21 octobre à la Malmaison, le 29 novembre à l'Hav, le 2 décembreà Champigny, une irritation se pro-

LE DIX-HUIT MARS 7*

duisildans leurs ranRs. Les chefs ne firent rien pour la cal- mer « Les Guerre-à-oulrance, c'était le nom que les soldats, ironiquement, attribuaient aux gardes nationaux, recla- maient tout le tempsla bataille, disaient les lignards, parce qu'on ne les engageait jamais ! » Les fatigues les priva- tions relatives, le relâchement de la discipline, le manque d'enthousiasme et un sentiment nostalgique assez fort les irritaient. Ces soldats étaient tous des provinciaux, igno- rant ou jalousant Paris, d'après les préjugés de leurs vil- lages, de plus, rappelés pour la plupart, et fort mécontents d'avoir été contraints à ce rabiot belliqueux imprévu, dont ils souhaitaient ardemment voir la fin. Les remplaçants, ceux qu'on nommait peu poliment « les cochons vendus », étaient nombreux parmi ces militaires professionnels. On entendait ceux-là soupirer, en s'étirant ou en bâillant aux avant-postes : « Quand donc qu'on sera en caserne . «La vie sous latente ou dans des baraquements, le service en campa- gne, les alertes, les grand'gardes et l'aléa des sorties ou on les employait seuls, ne leur convenaient guère. Comme le géné- ral en chef, ils n'avaient ni enthousiasme, m confiance. Ils iuffeaientla défense une folie, et àla moindre frottée, ils cal- maient « qu'ils étaient trahis» ! Us avaient hâte de retrou- ver la sécurité, l'ordinaire, et le tran-tran routinier et peu pénible des garnisons. Les autres, ceux qui, revenus au pays avec leur congé définitif, s'étaient cru libérés pour toujours, surpris et indignés, comme un débiteur qui a eu sa quit- tance et qu'on veut faire payer deux fois, grognaient, pleu- raient misère, et ne se gênaient pas, après chaque combat, quand on les ramenait sous les murs, dans le voisinage des gardes nationaux, pour crier : « La paix 1 Vive la paix I » Ces manifestations pacifiques, très légèrement réprimées, indignaient la population frémissante, et ne déplai.saient pas aux généraux et aux officiers supérieurs.

72 HISTOmE DK LA. COMMUNE DE 187I

Presque tous vieillis, hors cadres ou en retraite, c«ux-ci avaient obtenu des commandements inespérés, et des g^ra- des sur lesquels ils ne devaient plus compter. Par suite de la capture, ou de la disparition des titulaires, après Gra- velotle, Sedan et Metz, ils avaient les g-alons. Ces bou- che-trous souhaitaient se débotter et replacer leurs jambes Touillées dans les pantoufles. Ils avaient hâte de jouir de leurs étoiles supplémentaires, et de l'augmentation de la re- traite qui en serait la conséquence, en sûreté, à l'abri d'une balle peu probable, ou d'un chaud et froid plus vraisem- blable et aussi dangereux. Les sous-ofKciers se montraient de même peu désireux de continuer une campagne fati- gante et sans gloire. Presque tous étaient d'anciens bona- partistes, beaucoup attendaient des emplois civils, postu- laient pour être sergents de ville, et la République les effrayait, les indisposait. Ils annonçaient, assez haut, devant leurs hommes, le retour prochain, avec la paix, à ua régime qui, selon eux, était seul régulier et bon. Les ser- gents-majors promus avaient peur de perdre, avec la vie, à la première afl'aire, l'opaulette jugée impossible, brusque- ment acquise. Tous donc, avec des états d'âme différents, chefs et soldats, sauf quelques engagés volontaires pour la durée de la guerre, dans cette armée, non pas en déroute, mais découragée, étaient las de stagner sous les remparts, peu ardents à combattre pour une cause qu'on disait per- due, et soupiraient, en espérant la fin de cette guerre, qu'ils considéraient comme une corvée inutile.

Trochu était en parfaite communion d'âme avec son armée, qui, semblable à des hommes de la classe, attendait impatiemment qu'on la renvoyât dans ses foj'ers. Mais il ne savait quand et comment il pourrait donner le signal de la dislocation définitive. Il cherchait le moyen, il guettait l'heure. Ses collègues de la Défense partageaient son

LE DIX-nUIT MARS

73

anxiété. Ils comptaient surtout sur la famine pour faire tomber, enfin, les fusils des bras épuisés Je ces indompta- bles Parisiens . Ils constataient, avec une satisfaction crois- sante, que les vivres devenaient de plus en plus rares. Pour qui veut capituler, la faim est une justification. Mais les assié-és consommaient les aliments les plus invraisembla- bles, du pain qu'on a exhibé comme une curiosité, plus tard. Celte résig-nation unanime nelais.sait qu'un espoir incertain de les entendre bientôt, comme les soldats, réclamer la

iix.

On avait favorisé le péril de la faim. Par imprévovance, par incurie, par illusion aussi d'une prompte délivrance, on avait, aux premiers jours du siège, facilité les accapa- rements et le gaspillage. Il n'y avait pas eu de calcul perfide. On avait seulement mal compté les jours et les rations. Le ministre. Clément Duvernois, dès le début de la guerre, avait sagement pourvu à un approvisionnement, qui, mieux ménagé, aurait pu suffire à six mois de siège. Mais on ajourna le rationnement, on toléra l'accaparement des provisions par la classe aisée, et, sous le prétexte de ravitailler les troupes, on emmagasina des stocks de con- serves et de denrées de toute sorte. On connut l'existence de ces réserves, quand les Prussiens prirent possession, dans les forts, de ces précieuses ressources, et aussi, après l'ar- mistice, lorsque, les portes ouvertes et les trains reprenant leurs arrivages, les vivres cachés sortirent de toutes parts. Il y avait, dans Paris, suffisamment de subsistances pour prolonger la résistance pendant plusieurs semaines . Cer- taines personnes se vantèrent même par la suite de n'avoir pas soulfert du manque de denrées pendant toute la durée du sièi^e. (Voir noies et éclaircissements à la fin du volume .)

Le gouvernement, qui n'ignorait pas l'existence de ces

n^ IHSTOmE DE L\ COMMUNE DE 187I

réserves dissimulées, ne pouvait donc se fonder absolument sur la raréfaction croissante des subsistances, pour forcer les Parisiens à approuver, à supporter la capitulation. Tro- chu envisagrea avec plus de confiance le péril de la guerre, pour la constatation de l'impossibilité, de l'inutilité de con- tinuer les batailles.

L'éventualité d'une sortie, tardive sans doute, donc sans résultat probable, les Prussiens ayant considérablement fortifié leurs positions autour de Paris et reçu de puissants renforts, c'était une bonne préparation à la capitulation. Un combat, pas trop sérieux, mais dont la population tou- jours et de plus en plus désireuse de combattre, accueille- rait avec transports le signal, lui parut le seul moyen d'é- viter des protestations violentes, des émeutes, et d'imposer la reddition, en la justifiant. Les cris de « guerre à ou- trance ! » n'auraient plus raison d'être, et les bouches criardes s'empliraient de silence, beaucoup sans doute d'un silence éternel.

Au conseil de cabinet, tenu le lo janvier, sous la prési- dence deTrochu, ce bavard perfide prononça un long dis- cours. 11 énuméra complaisamment les difficultés de la situation ; il peignit l'état inquiétant des esprits, et il ne dissimula point le danger auquel le gouvernement s'e.xpo- sait, s'il prenait l'initiative d'une capitulation, que la population repoussait avec indignation. 11 y avait à prévoir, dès que l'afFichc annonçant cet événement serait apposée sur les murs, une redoutable agitation, un mouvement dans la rue, et le gouvernement, assailli, débordé, mal gardé, aurait peut-être l'existence de ses membres en péril. La garde nationale, toute la garde nationale, était à craindre. La capitulation mettrait les bataillons modérés, ceux qui avaient sauvé le gouvernement au 3i octobre, au niveau et au diapason des braillard des bataillons rouges

LE DIX-HUIT MARS

P

On ne pouvait risquer, sans de grandes précautions, une si périlleuse aventure.

On résolut alors, dit un auteur non suspect, l'un des plus hai- neuv et des plus injustes narraleurs de celte époque, Maxime du Camp, d'infuser à cette garde nationale des idées pacifiques, en la jetant tout entière au péril.

(Maxime du Camp, Us Convulsions de Paris, t. I, p. i5.)

Trochu, et ce fut son véritable plan, son seul plan sérieux,n'osa pas formuler nettement son projet. Il dit à ses collëg-ues, en levant les veu.x au plafond, d'un air de pro- phète inspiré : « Si, dans une grande bataille li%Tée sous Paris, vingt mille honlmes restaient sous les murs. Pans capitulerait. >. Il y eut un murmure de doute. Trochu reprit avec assurance : « La garde nationale ne consentira à la paix que si elle perd au moins dix mille hommes ! » Gomme un général faisait cette objection, non pas à la pro- position d'hémorragie parisienne, mais aux chances de l'opération : « Il n'est pas facile de faire tuer dix mille gar- des nationaux ! » Clément Thomas, ancien fusilleur de jum 48, devenu, en remplacement de Tamisier, commandant en chef de cette garde nationale qu'on cherchait à assagir, en lui tirant du sang, répondit « qu'à son avis c'était en effet difficile, et que les gardes nationaux, quand ils appren- draient qu'on allait enfin les mener au feu, montreraient sans doute beaucoup moins d'enthousiasme, mais qu'il était quand même bon de tenter une petite saignée; il y aurait toujours un certain nombre de têles chaudes cassées, et cela suffirait probablement à rafraîchir les autres » !

Le conseil s'ajournaà une prochaine séance, sans prendre de résolution, mais le i5, un nouveau conseil eut lieu, les membres du gouvernement pressèrent les généraux de tenter la saignée. 11 fallait absolument tirer, une dernière

■jO HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

fois, quelques coups de fusil; on ne pouvaitse rendre l'arme au bras. La suprême sortie fut décidée. Elle eut lieu le i9Janvier 1871. C'est l'affaire qui portele nornde« bataille de Bu zen val ».

BA TAILLE DE BUZENVAL

Le plan adopté fut celui que le général Carrey de Belle- mare avait déjà proposé, et qui avait été écarté. Il consis- tait à enlever le plateau de Garches et celui du Butard, et à marcher de sur Versailles. La distance du Mont-Valé- rien à Garches était d'environ quatre kilomètres, et cinq ki- lomètres resteraient à franchir pour atteindre Versailles. Le pays était accidenté : au delà des communes de Suresnes. Rueil, Saint-Gloud, très boisé ; au-devant du Mont-Valé- rien, très découvert, montueux et planté en vignes princi- palement. La ferme de la Pouilleuse et le château de Buzen- val occupaient le centre de ce champ de bataille, qui s'é- tendait de Montretout à la Jonchère, en passant par Buzcn- val. L'armée était divisée en trois corps : le général Vi- noyà IMontretout, le général Carrev de Bellcmare à Buzen- val, le général Ducrot à la Jonchère, avaient le commande- ment en chef. Les forces furent inégalement réparties. Il y eut, en tout, près de 100.000 hommes engagés. Mais le général Ducrot, favorisé par Trochu, son ami, eut le plus grand nombi-e de troupes de ligne. 3o bataillons sur 33. Ce général et ses régiments, considérés comme étant les meilleurs, ceux de l'armée régulière, ne donnèrent que fort secondairement. L'arméedu centre, et celle de droite, com- ptaient en majeure partie des mobilisés et des gardes natio- naux. Ces dernières troupes n'avaient été formées en divi- sions que la veille, ou sur le terrain. Elles se trouvaient ainsi dépourvues de cohésion et sans lien tactique. La

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région était difficile et mal choisie. Mais les ouvrages, dont les Prussiens avaient garniles abords du plateaudc Garches, une fois emportés, pouvaient offrir un point de résistance excellent. Le moral des gardes nationaux était aussi bon qu'on pouvait le .souhaiter. Il n'y avait ni forfanterie, ni hésitations dans les bataillons démarche.

Le gouvernement avait lancé, la veille, une proclamation assez ridicule, Jules Favre et Jules Simon, parodiant Rouget de Tlsle, s'écriaient emphatiquement : « L'ennemi tue nos femmes et nos enfants, aux armes ! »I1 est une autre proclamation, qui n'a pas été publiée, d'un ton moins pom- peux, mais d'un caractère plus tragique, c'est celle qui, laissée à l'inspiration des chefs de corps, fut adressée aux soldats, comme ordre du jour. Cet appel, qui peut-être ne fut communiqué qu'aux régiments de ligne, contenait cette promesse significative et décourageante : « Allez au combat avec courage ; c'est pour la dernière fois, nous vous le promettons, que vous aurez à combattre ! » Cette réflexion venait aussitôt à l'esprit, que c'était bien inutile de risquer des existences, puisque l'intention était déjà arrêtée de renoncer à la lutte.

La bataille de Buzenval, malmenée, les règles élémen- taires de l'art militaire furent négligées ou violées, l'i- nertie des généraux fut égale à leur incapacité, apparaît une affaire incohérente.

L'attaque des positions prussiennes de seconde ligne fut trop tardive. Le temps était brumeux le matin, humide l'après-midi. L'artillerie, embourbée, sans attelages suffi- sants, ne put prendre une part sérieuse au combat. Le corps d'armée du centre, celui du général Carrey de Bellemare, qui a d'ailleurs le plus souffert, fit seul une marche en avant utile. La colonne de gauche était sous les ordres de Vinoy , l'un des hommes du Deux-Décembre,général capa-

n8 HISTOIRE DE LA COMMUNE DB 187I

ble, que sa belle retraite de Mézières, après Sedan, avait mis en lumière, et qu'on appréciait comme ayant ramené sous Paris son corps d'armée, le i3«, fournissant ainsi à la Défense les seules troupes rég-ulières à mettre en ligne. Mais au igjanvier, ce général découragé, dépourvu de con- fiance, comme Trochu, n'ayant plus ni initiative, ni au- dace, garda ses troupes à peu près immobilisées. Quant aux forces considérables dont disposait le général Ducrot, c'est à peine si elles figurèrent. Ces troupes, conduites à contre- coeur par leur général, bàbleur sinistre, qui avait juré, à l'époque de Champigny, de ne rentrer que mort ou victo- rieux, et qui était revenu tranquillement, en excellente san- té, mais battu, s'égarèrent dans la presqu'île de Genuevil- liers, « comme si l'on eût fait la guerre dans les pampas de l'Amérique », a dit un témoin oculaire. Pendant les longs mois d'inaction qui avaient précédé, les officiers d'état-ma- jor avaient eu pourtantroccasion,etletemps,de reconnaître le terrain entre Asnières et Rueil. Vinoy, invoquant l'ex- cuse de la boue, a dit qu'il ne put parvenir à hisser des pièces de canon sur les crêtes. L'artillerie prussienne y parvint, malgré l'état des pentes, qui était boueux aussi pour elle. Nos canons ne servirent guère qu'à mitrailler le bataillon de zouaves et le ii« régiment delà garde natio- nale de la brigade Fournès, pris pour une colonne prus- sienne, sur la côte de Montretout.

La brigade Valentin attaqua courageusement, mais vai- nement, le mur de Longboyau, dans le parc du prince de Craon. Sans artillerie, ce fut un assaut meurtrier et inutile. Un feu terrible fut dirigé par les Prussiens, abrités derrière le mur crénelé.

Malgré des avantages remportés sur certains points, les Prussiens reprirent l'offensive, l'après-midi, et, au crépus- cule, Trochu ayant donné le signal de la retraite, la déban-

LB DIX-HUIT MARS 79

dade commença. Ce fut le lamentable piétinement d'une cohue en désordre dans la boue et dans la nuit. La bataille était perdue, avec toute espérance. Trochu remonta à che- val pour regag-ner Paris. 11 était calme et satisfait. La sai- gnée avait été faite, comme il avait été décidé; elle parais- sait avoir été suffisante, et la capitulation devenait accepta- ble, même parles plus enrag-és patriotes.

Cette journée néfaste, qui aurait pu être le début d'une série de combats heureux, car le succès décuple la force des armées, se termina en déroute. De l'avis d'écrivains mili- taires autorisés, on aurait pu conserver les crêtes, s'y con- centrer,et,de là, descendre sur Versailles, qui n'était pas for- tifié, et que l'ennemi se disposait à évacuer. Ce quartier général impérial, tombant en notre pouvoir, l'investisse- ment était rompu, et les Prussiens, pour la première fois, reculaient. Us étaient déjà épuisés, presque à boutde forces, de plus inquiets pour le retour, redoutant d'être coupés et cernés. L'occasion fut manquée, pour la dernière fois. Elle avait été évitée plutôt que cherchée. Ce n'était pas trahison absolue de la part de Trochu, c'éUit inertie et lâchaçe, faute de confiance. Persuadés qu'il était impossible de livrer une bataille sérieuse avec des gardes nationaux, et ne comptant plus sur les régiments de ligne, insuffisants et lassés, les généraux allèrent au combat comme à une corvée dont il fallait se débarrasser. Jouant à contrecœur une partie qu'ils estimaient, non pas seulement perdue d'avance, mais injouable, ils ne se donnèrent pas la peine de tenir les cartes.

Cependant, sans infatuation patriotique, sans forfanterie, sans exagérer le mérite des troupes engagées, il ressort de l'examen des dispositions prises et de la façon dont elles furent exécutées principalement dans les heures de la mati- née, qu'il eût fallu très peu de chose pour remporter un

8o lIlSTOinE DE LA COMMUNE DE 1871

avantage sérieux, susceptible de devenir défiuitif.On devait conserver les crêtes, s'j' fortifier, comme l'ont fait ensuite les Prussiens les réoccupant, et de là, menacer Versailles, peut-être même forcer l'empereur d'Allemagne à se replier en hâte sur ses positions du Sud. Il n'en a pas été ainsi. Nous renvoyons le lecteur, pour la démonstration de l'iner- tie, de l'incapacité, du manque d'énergie, d'à propos et de tout ce qui fait la valeur militaire, des généraux Trochu. Vinoy et Ducrot, aux très nombreux ouvrages publiés sur la guerre franco-allemande, et notamment au livre très docu- menté de M. Duquet : Paris, le Bombardement et Buzenval.

Nous sommes persuadé, dit cet auteur compétent, s'ap- puyant sur des témoignages contemporains, et notamment sur les rapports du général Carrey deBellemare, et nous ne cessons de le maintenir, qu'une attaque d'infanterie, se produisant au petit jour, aurait trouvé les murs de la Bergerie et de Longboyau aussi dégarnis de défenseurs que Salal-Cloud, Montretout et Buzenval, et qu'il aurait été possible de les occuper et de se porter ensuite rapidement sur le haras Lupin queBellemare,la gauche de Ducrot et la droite de Vinoy auraient tourné par la Celle-Saint-Cloud et Vaucresson, pendant que la droite de Ducrot et la gauche de Vinoy auraient vigoureusement attaqué la Jonchère et le Parc de Sainl-Cloud. 11 fautdonc attribuer au retard del'aile droite l'échec que nous avons subi.

Alfred Duquet, le Bombardement et Bacenval p. 287 Fasquelle, ëdil. Paris, 1898).

A TTITUDE DE LA GARDE NA TIONALE A BUZENVAL

Cette bataille, bien engagée, mal conduite, compromise par l'inactivité d'une grande partie des forces dont nous disposions, perdue par la faute des généraux, et non par l'insuffisance ou le manque de fermeté des troupes, dont

LE DIX-HUIT MARS

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la plupart étaient pourtant inexpérimentées, ne fut qu'une sorte de grande reconnaissance. Elle aurait pu se chang-er en victoire décisive. Elle demeure néanmoins un fait d'ar- mes fort honorable.

L'affaire fut particulièrement g^lorieuse pour la g-arde nationale.

Ces gardes nationaux, dont l'inexpérience était évidente, et ces mobiles de la Vendée ont pris et repris, avec l'énergie suppléant à l'expérience, et comme auraient fait de vieilles troupes, sous un feu terrible, des hauteurs qui avaient été abandonnées...

a dit un écrivain militaire. Qui a prononcé ce bel élog-e des gardes nationaux de Paris, en y ajoutant, sans doute par sympathie de compatriote, la louange des bataillons de Bretagne? Le breton Trochu, qui ne peut être suspect de bienveillance ou de partialité en faveur des bataillons parisiens. {Trochu. L'Empire et la Défense de Paris.) Les pertes n'ont pas été aussi considérables que l'on aurait pu le redouter. Cela tient à ce que le combat a été livré en des terrains boisés, accidentés, et avec un dévelop- pement peu étendu, ce qui fut d'ailleurs une faute grave. Le centre, armée Carrey de Bellemare, a surtout été éprouvé : 2i5Gtués, bles.sés, disparus. L'armée de Vinoy.la gauche, en a eu 107g; celle de droite, général Ducrot, a relative- ment peu souffert, pertes : 827.

11 est aisé de voir, dit Alfred Duquel, que les attaques des généraux Ducrot et Vinoy ont en somme été assez molles, ce qui explique l'insuccès de ces attaques. L'armée active et les mobiles ont eu 2613 officiers et soldats hors de combat, la parde natio- nale 1-437, soit près du tiers des pertes totales, chitTres donnés par le général Ducrot. Donc, les gardes nationaux se sont aussi bien conduits au feu que les mobiles. [Alfred Duquel, loc. cit., p. 207.)

Sa HISTOIRE D( LA COMMUNE DE 1 87 I

Un auteur allemand, Louis Schneider, dont les « Souve- nirs » ont été revus par l'empereur Guillaume, a rendu ce témoignag-e, bon à opposer aux détracteurs de la Garde Nationale :

Cette sortie du 19 janvier fut un combat très sérieux, et, en réalité le premier la garde nationale ail montré vraiment une attitude militaire, surtout à l'attaque du parc de Buzenval. Jusque- là, en effet, elle n'avait donné sérieusement nulle part, mais le 19 elle prouva, habilement employée, qu'elle pouvait être utile, et que nous n'avions plus le droit de la dédaigner. C'est ce que reconnut l'empereur dans la matinée du 20.

Ce point demeure donc acquis, car on pourrait mul- tiplier les citations à l'appui de cette déclaration de Trochu, « la ^arde nationale de Parismontra, le 19 janvier,un très grand courag-e » que les gardes nationaux se sont bra- vement comportés devant l'ennemi, et qu'avec eux, et avec les réo-iments de lig:ne dont on disposait, on aurait pu faire la trouée, couper l'armée d'investissement, tenter de rejoin- dre les armées de province, si les généraux avaient aupa- ravant exercé, aguerri leurs troupes et multiplié les sorties avec les trois cent mille hommes de première ligne dont ils disposaient, et qu'ils ont jugés inutilisables jusqu'au simu- lacre de sortie du 19 janvier. Les batailles ne se gagnent pas seulement avec de l'enthousiasme, du courage et le désir de vaincre, c'est entendu, mais ces éléments sont d'un appoint sérieux, et souvent décisif, dans la lutte. La garde nationale les possédait. Trochu eut le tort de ne pas paraître s'en douter. Son crime n'est pas seulement d'avoir fait tuer des gardes nationaux, avec le sentiment de l'inu- tilité de cette saignée perfide et calculée du i9Janvier,mais bien de n'en n'avoir pas exposé assez durant les cinq mois de siège, avec la volonté de les exercer, de les accoutumer

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à vaincre, avec le désir de les entraîner à une victoire déciaire.

S'il est impossible, d'après l'examen des opérations mili- taires et des péripéties du combat du 19 janvier, et aussi d'après les dépositions des généraux, même hostiles à la garde nationale, et les témoig-nages de l'ennemi, incontes- table juge, de douter de la valeur de cette force militaire, sottement inutilisée et coupablement perdue, que le gou- vernement de la Défense tenait entre ses mains débiles, il est une autre allégfation, fausse et calomnieuse, qu'il con- vient de réfuter. Elle a été propagée par les généraux, reproduite avec empressement par les écrivains réactionnai- res, et des historiens l'ont admise. Elle a môme pénétré dans le grand public. Elle fait partie de ce bagage de sup- positions, de mensonges, de préjugés et de jugements tout faits, qui, sur les événements du siège et de la Commune, ont composé l'opinion. Des esprits sincères ont cru, croient encore, qu'il y a une distinction à faire entre les divers bataillons de gardes nationaux, selon qu'ils étaient recru- tés parmi les citoyens d'opinions modérées, ou parmi les républicains avancés. Les bataillons « bourgeois », ceux des quartiers du centre, se seraient seuls battus, les batail- lons « rouges D.ceux des quartiers populaires, se seraient réservés pour l'insurrection fatale.

C'est une invention départi : comme si, au 19 janvier, on préparait le 18 mars! C'est un anachronisme historique et moral.

M. Ambroise Rendu, depuis conseiller municipal de Paris, homme distingué cl fort honorable, qui s'est brave- ment conduit h Buzenval, mais clérical ardent et réaction- naire militant, a dit dans ses Souvenirs de ta Mobile (Paris, Didier, 1872) :

84 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Il faut distinguer ceux qui ont voulu se battre, ceux-là se sont toujours bien conduits, quoique leur élan ne fût pas toujours bien dirigé, et ceux auxquels leurs opinions défendaient sans doute de combattre.

Le musicien Vincent d'Iudy, dans son Histoire du io5^ bataillon de la Garde Nationale (Parie, Douniol, 187a), a eu le courag'e d'écrire :

Il y avait dans la garde nationale 60.000 sectaires qui avaient ordre de ne pas combattre contre les Prussiens et de rassembler le plus d'armes possible pour faire une révolution au moment propice.

M. Arthur Chuquet, dans la Guerre de iSjo-ji (Paris, Chailley, 1875), a dit :

Si les régiments de la garde nationale les plus calmes et les plus modérés avaient tenu solidement, les plus bruyants et les plus tapageurs auraient été les premiers à déguerpir.

M. Alfred Duquel, dans son remarquable ouvragée, a eu le tort de se faire l'écho de ces imputations injurieuses, émanant d'hommes prévenus et de parti-pris, inspirées par les passions politiques, et issues de la crainte et du ressen- timent que firent naître les événements de la Commune.

A côté de certains bataillons qui ont fait leurs preuves à Buzenval, a-t-il affirmé, d'autres, qui devaient plus tard consti- tuer l'élite des troupes de la Commune, se sont débandés, dès le premier moment. Le iiiotd'ordre leur avait étédonnépar les comi- tés auxquels ils obéissaient, ils criaient à la trahison, en se sauvant. Il avait été décidé, dans les régions supérieures de Belle- ville, que la garde nationale réserverait ses forces et son courage pour une meilleure occasion : celle <iui; devait offrir la plus odieuse des insurrections. Mais devant l'ennemi, et à l'heure de la bataille, que tous réclamaient et appelaient depuis si longtemps, une grande partie n'a rien fait ou s'est enfuie.

(Alfred Duquel, le Bombardement et Basenval, p, 278.J

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11 est impossible d'admettre cette dualité dans l'âme de la garde nationale : désir d'aller à l'ennemi et de le fuir, espoir de délivrer Paris et calcul de rester l'arme au bras. Tous les faits, tous les documents du siège, attestent l'e-xistence du sentiment patriotique, l'espérance de refou- 1er l'Allemand, dans les cerveaux bourgeois, comme dans les cœurs plébéiens. On peut supposer, chez ces citoyens, non exercés, l'hésitation en face de l'ennemi, mais non la volonté de ne pas se battre. Comment ! ces « lîellevillois >, qui proclamaient la nécessité de la guerre à outrance, une fois le fusil à la main, auraient refusé de s'en servir! Et cela non par peur, ils ont montré qu'ils 'étaient intrépides à Vanves, à Issy, à Neuillv, mais par obéissance à un pré- tendu mot d'ordre criminel, venu on ne sait d'où? Ces bataillons de marche auraient eu l'arrière-pensée, absurde autant qu'abominable, de ne pas marcher ! Ils auraient combiné de se ménager, en vue de la guerre c.vde ! Ce ne sont pas des sentiments français. Rien nautonsait les combattants contemporains à porter une accusation pareille contre leurs frères d'armes; quant au.x écrivains qui ont accueilli et répercuté ces vilenies, ont-ils fourni la preuve de leurs calomnies? Il est toujours facile d'attaquer des adversaires politiques, des vaincus surtout; mais la posté- rité est en droit d'exiger qu'on lui apporte la justification d'odieuses accusations.

Qu'il y ait eu des défaillances individuelles, iri ou là, nul ne peut le nier. Les bataillons bourgeois, qui ont en général très courageusement fait leur devoir, éta.ent-ils entièrement composés de Bavards et de chevaliers d'.\ssas? A la façon dont ces mêmes bataillons ont répondu, après le 18 mars, aux appels de l'amiral Saisset,eten se souvenant du peu de résistance qu'à la mairie du II« arrondissement, et au Grand-Hôtel, ayant des canons, des munitions, des

8C UlSTOn\E DE LA COMMUNE DE 1 8/ I

vivres, des chefs et des points d'appui dans la population du centre, ils ont opposée aux bataillons fédérés, on pour- rait supposer le contraire. Mais ne ramassons pas l'insulte lancée aux bataillons des faubourg-s pour la rejeter sur les bataillons dits bourg-eois. Les gardes nationaux de Belle- ville, de Montmartre, de Montrouçe et de Popincourt ont prouvé par deux mois de lutte terrible qu'ils n'avaient pas peur. Ces fédérés ont tenu contre les meilleures troupes françaises ; ils ont résisté, sous un feu d'artillerie intensif, aux excellents soldats de Woerth, de Rezonville, de Gra- velotte, revenus d'Allemagpne, irrités de la défaite, impa- tients de montrer qu'ils avaient succombé sous le nombre, et qu'ils étaient capables encore de se battre et de vaincre. Ces bataillons « rouges », qui firent preuve d'une énergrie, d'une solidité et d'une audace que leurs adversaires, pendant lalutte, n'ont jamais eu même la pensée de contester, étaient ces mêmes bataillons qu'on a dénoncés comme ayant fui devant les Allemands. Ceu.K-ci étaient-ils donc plus valeu- reux, plus invincibles que les Français? Ce n'est plus notre vanité, c'est tout notre passé qui le nie. Est-ce que le cou- rage et la peur sont des vertus variables et intermittentes? Ces braves, dans les tranchées d'Issy, auraient-ils com- mencé par être des poltrons dans les ravins de Garches ? Cette transformation de lièvres en lions est inadmissible- Doit-on alors accepter l'invraisemblable et machiavélique combinaison, que l'esprit de parti a inventée, d'hommes ardents, de patriotes avérés, se contenant, se défilant, se ménageant, et réservant leurs cartouches et leur peau, en face de l'ennemi, si longtemps attendu, cherché, enfin abordé? Supposition insultante et ridicule. Mais ils se con- servaient pour l'émeute! disent leurs calomniateurs. Et qui donc pensait à l'émeute, devant des tirailleurs prussiens faisant grêler les balles par les créneaux des murs de

Dix-nuiT M.vn?

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Buzenval? Tous ceux qui étalent appelés à l'honneur de la journée, qu'ils fussent en première liçne, à découvert, exposés au feu plongeant des Bavarois abrités, ou mainte- nus déplorablemcnt dans l'inaction des réserves, n avaient certainement qu'une pensée : se bien tenir devant l'ennemi, sous les yeux des camarades, attaquer les ouvrages, les murs, les retranchements, aussi courageusement qu on le pourrait, débusquer successivement les assiégeants de leurs positions, les refouler, les poursuivre jusqu'à Versadles si c'éUit possible, et débloquer Paris. C'était le désir de tous les combattants. Les prétextes n'auraient pas manqué, à ceux qui auraient eu d'autres sentiments, pour s embus- auer au moment de la formation, confuse et sans contrôle, des Colonnes d'attaque, ou, avant le départ de Pans, pour «couper » à la sortie. Tous ceux qui furent présents étaient pour faire leur devoir, et le Hrent. 11 est probable, il est certain, que tous ces hommes, différents par l'origine, par les milieux, par les professions, par les façons de vivre et de sentir, ne pouvaient avoir sur le gouvernement, sur es affaires publiques, sur les suites probables de la guerre, les mêmes manières de voir. Les opinions, comme les aspira- tions, n'étaient pas les mêmes dans le quartier Pop.ncourt et dans celui de l'Opéra. Mais sur le champ de bataille, en mettant le sac à terre, chacun déposait aussi son bagage de parti. On était tout à l'action, tout à l'espoir de vaincre. Et, sur le compte des Prussiens, chacun étoit d'accord aussi et pensait comme son compagnon de combat. Supposer une autre menU.lité à ces Français, qu'on menait pour la première fois au feu, et qui étaient tout fiers des y trouver, c'est nier, c'est outrager l'honneur national 1

La Bèvre obsidionale et la lièvre républicaine pouvaient surexciter les nerfs et surchauffer le sang dans les artères, elles ne pouvaient refroidir ces masses ardentes et les ren-

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

dre calmes et circonspectes tout à coup. Ce serait une invraisemblance physiologique et morale. Ainsi, ces exal- tés, ces « guerre à outrance », comme les nommaient iro- niquement les militaires, se seraient tenus cois et les bras croisL^s, en vue d'une insurrection problématique, dont peisonne n'aurait pu dire ni l'objet, ni la datel

Le mouvement qui éclata quelques jours après, le 22 jan- vier, prouve bien que rien n'était prévu, ni combiné, dans les milieux populaires, à l'époque du combat de Buzenval. Ce fut l'échec du 19 janvier et la capitulation, qui furent la cause de cette tentative d'insurrection. Le peu d'adhésions qu'elle rencontra, le petit nombre de gardas nationaux qui y prirent part prouvent que les combattants de Buzenval ne s'étaient pas ménagés ni réserves en vue d'une guerre civile, que personne ne pouvait prévoir, ni au 22 janvier, ni môme le matin du Dix-Huit mars. Il est certain que, sans le coup de force de Thiers, voulant enlever les canons de Montmartre et ensuite désarmer la garde nationale, l'insur- rection, au 18 mars, n'eût pc'.s cclalé, et n'aurait pcutôtre même jamais eu lieu.

L'imputation absurde tombe donc devant les faits. II j a cependant un point à approfondir et une explication à donner sur cette observation, résultant de la statistique des morts et blessés du 1 9 janvier : les balaillons des faubourgs, ceux réputés comme ayant fourni parla suite les plus intré- pides soldats à la Commune, n'ont pas éprouvé de pertes sensibles, et l'on ne signale pas, sauf quelques exceptions, leur présence sur les divers points périlleux, ceux l'ac- tion fut la plus vive, oii le feu fut le plus meurtrier. Ainsi, au mur de Longboyau, au parc de Buzenval, à la Bergerie, dans les premières maisons de Garches, au parc Pozzo di Borgo à Saint-Cloud et dans les ravins de Cucufa, comme sur les pentesdela Tuilerie etdc Montretout, voici les trou-

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pes qui ont le plus souffert: 109» et iToMT7»et l2o^I36= de li^ne, zouaves, mobiles du Loiret,régiment de Seine- et-Marne et les régiments suivants de la garde nationale : 5e, 9», ne, I4^ >G% i8' et I9^ On ne voit aucun des bataillons populaires, portant tous des numéros supérieurs. Ceux qui voudraient tirer argument de l'absence, en première ligne, sur les points les plus périlleux, des batail- lon dits « rouges », oublieraient que les troupes, dans un combat, ne se postent pas il leur plaît d'aller. Les gardes nationaux envoyés à Buzenval étaient organisés, groupés, et faisaient partie de divisions et de corps d'ar- mée, dont la marche était réglée à l'avance, et de colonnes d'attaque dont les positions étaient désignées. Il y avait, pour la bataille du 19, un plan. Il avait été discuté et arrêté dans le conseil du 9 ou du lo janvier. On pouvait blâmer ou approuver ce plan. 11 était permis de critiquer, par exemple, le choix du terrain trop boisé, trop accidenté, d'un accès difficile à rartillcrie, et surtout d'un champ de bataille trop étranglé, ne permettant pas de déployer les forces considérables dont on disposait, obligeant, par con- séquent, les colonnes à se former en profondeur, restrei- gnant par suite leur puissance de tir, tandis qu'elles offraient des épaisseurs funestes au tir de l'ennemi, mais ce plan étant adopté, on ne pouvait que s'y conformer. Eh bien ! cet ordre de combat, qui était aux généraux Garrey de Bellemare et Berihaut, bien qu'il ait gardé le nom du chef d'état-major, le fameux (P.O.^ Schmitz, ne comportait pas l'engagement, en première ligne, de ces bataillons populaires. Pouvaient-ils se battre ou on ne leur commandait pas de se porter? Les mobiles parisiens furent d'ailleurs, comme eux, tenus en réserve.

Reprocher à certains bataillons de ne pas s'être trouvés au feu, quand on ne les y avait pas envoyés, est d'une insi-

go HISTOinK DE LA COMMUNE DE 1 87 1

g'ne mauvaise foi. Est-il permis môme de faire une com- paraison entre les pertes sensibles des rég-iments de ligne et des bataillons choisis, placés en première ligne, et les effectifs intacts des soixante-dix mille hommes, tenus intentionnellement loin du feu, ou promenés follement à huit kilomètres du champ de bataille?

Mais on doit rechercher le motif de ce soin tout particu- lier avec lequel les généraux ménagèrent les mobiles pari- siens, et écartèrent soigneusement les bataillons populaires des emplacements l'action devait être la plus vive. On aurait croire, au contraire, que ces généraux, qui cher- chaient la .saignée et non la victoire, auraient profité de l'occasion propice, et exposé de préférence au feu ces « bellevillois » insupportables et inquiétants, dont ils dé- testaient le patriotisme, à leurs veux excessif, et dont ils appréhendaient le républicanisme, pour eux exagéré. C'eût été pourtant un grand souci de moins, un bon débarras, eussent pensé les hommes d'ordre, et l'épuration sanglante de Thiers devenait à peu près inutile.

Ils n'osèrent pas. Comme ils n'avaient prévu qu'un simulacre de combat, en resserrant le champ de bataille, en rétrécissant la ligne de combat, et en disposant, contraire- ment aux cléments de la tactique, leurs colonnes d'attaque en forte profondeur, de façon à éviter de profiter de l'a- vantage de leur énorme supériorité numérique, ils savaient d'avance que les pertes ne pouvaient être considérables. Trochu devrait se contenter d'une saignée incomplète ; la saignée de dix mille hommes, dont on avait parlé, était difficile à opérer : et puis, en exposant si grand nombre d'hommes, on risquait d'avoir un combat sérieux, et peut- être la victoire. Alors irait-on? Il faudrait prolonger la guerre, continuer la campagne, tout cela pour arriver au même résultat final qui, seul, leur paraissait possible, réel,

LE DIX-HUIT MAUh

inévitable, c'est-à-dire la capitulation. On avait donc résolu de ne pas faire trop de cadavres. Mais, mu^ré cette pré- voyance, que les dispositions du combat prouvaient, il J avait à envisager un certain chilïre de pertes. Il fallait donc s'attendre à des deuils, à des gémissements, à de 1 agita- tion, et pcut-ôtre à du désordre dans la ville, quand on constaterait les absences. On verrait, dans les quartiers dont les bataillons auraient donné, et qui par conséquent fourniraient les morts et les blessés, des groupes irrites se former, à l'angle des rues, bientôt entourés de femmes se lamentant, avec de la marmaille en pleurs pendue a leurs jupes. Les boutiques seraient fermées, avec des avis mor- tuaires collés sur les volets, et, au seuil de chaque maison, s'étendraientdes draperies noires, avec des corbillards et des gens consternés rangés le long du trottoir. On se souvenait des lendemains du Bourgcl, et de l'accablement, suivi de colère, dans les Batignolles, dont les mobiles avaient été décimés. Si la population des quartiers excentriques laissait un grand nombre des siens par les champs et les ravins de Buzenval, une agitation dans le faubourg et peut-être une émeute, éUient k prévoir. Avec les bataillons du centre on serait plus tranquille. Les gardes nationaux modères ne feraient point d'émeute ; ils pleureraient leurs mirts, sans troubler l'ordre, sans insulter les généraux, sans menacer le gouvernement. D'où la décision de faire donnei-, à pen près seuls, les bataillons des quartiers du centre, ceux de l'ancienne garde nationale bourgeoise, telle qu'elle était organisée sous l'empire, comprenant toutefois l'adjonction de" quelques éléments nouveaux, mais recrutés dans le même milieu, offrant les mêmes garanties de modératioB et de respect de l'ordre établi.

Ce n'est donc pas pour « se ménager » que les batail- lons populaires n'ont pas figuré en première ligne, et ce

92 HISTOIRE on I,A COMMUNE DE 187I

n'est pas dans leur intérêt qu'on les a « ménagés ». On avait l'avantage, en les laissant en arrière, de pouvoir les insulter ensuite, ce qu'on n'a pas manqué de faire. On jus- tifiait aussi les mépris de Ducrot, et l'obstination dédai- g-neuse de Trochu à ne pas vouloir faire entrer la ararde nationale dans l'évaluation des forces à sa disposition.

On doit comprendre la crainte du g-ouvernement d'ajou- ter à l'humiliation de la retraite du 19 janvier l'irritation, injuste sans doute, mais dangereuse quand même, des quartiers les plus populeux, les plus ardents,complant leurs morts le lendemain de la défaite, et constatant alors que les bataillons bourgeois avaient été épargnés, et, tenus loin du feu, étaient revenus indemnes. Les sentiments de jalousie et de méfiance que les arrondissements populaires pou- vaient avoir à l'égard des quartiers du centre eussent été surexcités à l'extrême. La sortie du 19 janvier avait été décidée et réglée pour faciliter l'acceptation de la capitula- tion, et éviter un soulèvement. C'eût été manquer le but que d'agiter les faubourgs par le spectacle des cadavres ramenés du champ de bataille. Il eût été plus qu'impru- dent d'ajouter le désespoir et le deuil des familles à l'exaspération provenant de la défaite.

Voilà l'explication logique de l'inaction voulue furent laissés les bataillons des faubourgs, durant la journée de Buzenval.

LA DÉiMISSION DE TROCIIU

Une dépêche du gouverneur de Paris au général Schmitz, au Louvre, datée du Mont-Valérlen, 20 janvier 187 1, 9 h. 3o du matin, fut publiée et affichée dans la matinée. Elle était contresignée: le ministre de l'intérieur par inté- rim, Jules Favrc, et ainsi conçue :

DE DIX-IIUIT MARS 9^

Le brouillard est épais. L'ennemi n'attaque pas. J'ai reporté en arrière la plupart des masses qui pouvaient être cauonnees des hauteurs, quelques-unes dans leurs anciens cantonnements. Il faut à présent parlementer d'urgence à Sèvres pour un armis- tice de deux jours, qui permettra l'enlèvement des blesses et l'enterrement des morts. Il faudra pour cela du temps, des efforts, des voitures très solidement attelées et beaucoup de brancardiers. Ne perdez pas de temps pour agir dans ce sens.

Le ton alarmiste de cette dépôche était voulu. Son exa- gération dépassa le but. Elle ne trompa personne. Deu.x jours d-armislicc pour enterrer les morts et des réquisitions en masse de «voitures et de brancardiers», il semblait,en vérité, a écrit Francisque Sarcey, notant au jour le jour les événe- ments et les impressions du siège, qu'il « s'agit de déblayer le champ de bataille de Waterloo ». Trochu cherchait visi- blement à répandre la terreur, et par cette vision lugubre de brancardiers, de voilures de blessés et de fossoyeurs, il entendit glacer la population, lui faire apparaître la capi- tulation, non seulement comme inévitable, mais comme désirable. Le public vit immédiatement le calcul pessi- miste. Les Prusssiens, d'ailleurs, n'accordèrent pour le déblaiement du champ de bataille que deu.K heures de sus- pension d'armes, et elles furent suffisantes. L'opinion se remit et les gardes nationaux eux-mêmes démentirent les exagérations de Trochu .

Des morts et des blessés, il y en a sans doute et il n'y en a que trop, mais pas tant que vous le croyez, dirent ceux qui reve- naient du champ de bataille. Si Trochu a demaudé des brancar- dlcrset des voitures de supplément, c'est qu'il faisait une boue de tous les diables, et que dix chevaux sont nécessaires un seul eût suffi, il y a huit jours, par la gelée.

(Francisque Sarcey. le Siège de Parii, LacUaud, éd., 187 1, p. Saa.)

Ainsi, les combattants n'avaient pas perdu tout courage.

g4 HISTOIRE DE I,A COMMUNE DE 187!

et la population persistait dans ses idées de résistance. Le gouvernement, lui, continuait à envisager une prompte capitulation comme la seule solution possible et bonne. Trois membres du gouvernement : Jules Favre, Jules Feiry, Le Flô, s'étaient rendus, dans la nuit du 19, au Mont-Valérien, pour conférer avec le gouverneur. Trochu fut d'avis qu'on ne pouvait cacher plus longtemps la situa- tion, ni continuer à tromper la population sur la durée de la résistance; qu'il convenait, toute action défensive désor- mais étant devenue impossible, de sauver Paris d'une prise de vive force, et de ne pas attendre les horreurs de la famine complète. Le général Trochu ajouta que, les vivres allant faire défaut, c'était nécessairement la fin du siège. Jules Favre, en rendant compte de cette réponse, émit l'avis de remplacer le général. C'était le vœu de toute la population :

On s'en prenait surtout à Trochu, dit Francisque Sarcey; le bruit courait dans Paris que son illuminismc avait tourné à la folie, qu'il était en pi-oie à des hallucinations, qu'il voyait Gene- viève, patronne de Paris, et qu'il avait mis dans une procla- mation olficielle, heureusement interceptée par Jules Favre, les habitants de la capitale sous la protection de la Sainte. Il portail les licites molles des héros d'opéra-comique et le bonnet de soie noire dumarguillicr. Il n'en faut pas davantage, à Paris, pour rendre un homme ridicule, surtout quand il n'a pas réussi.

(F. Sarcey, p. 3?4, loc. cil.)

Le l'emplacement du général Trochu se présentait donc à Fesprit de tous comme juste, nécessaire et urgent. La population, qui avait encore, au moins dans sa partie la plus ignorante et la plus crédule, des illusions sur la pos- sibilité d'une résistance prolongée, sur les chances d'une trouée, n'en avait plus sur le comptedu défenseur de Paris. La majorité du gouvernement partageait cette désillusion.

DE DIX-HLIT MARS

9S

Trochu avait dit à Jules Favre, durant leur entretien au Mont-Valérien, après la bataille, que l'autorité militaire et l'autorité municipale devraient s'entendre pour rég-ler la conduite à tenir, c'est-à-dire la capitulation. Les maires de Paris furent donc convoqués, dans ce but, au ministère des Affaires Etrangères, pour le jour même 20 janvier, dans la

soirée.

Avant cette séance de nuit, le gouvernement tint con- seil: Jules Ferry demanda la destitution dugéncral Trochu. En même temps, il proposa une nouvelle tentative, ne fût- ce que pour convaincre la garde nationale de son impuis- sance mais avec un autre général. Ernest Picard l'appuya, en proposant de tenter en même temps des négociations avec les Allemands. Il y avait contradiction entre les deux avis : négocier et préparerune sortie. Jules Simon, Emma- nuel Ar^go et Garnier-Pagès firent remarquer cette inco- hérence. Tous les trois insistèrent, et avec raison, sur ce point capital que, si l'on entamait des négociations. Pans ne devait traiter que pour Paris, et qu'on ne devait pas compromettre la France entière. Ils ne persévérèrent mal- heureusement pas dans cette attitude, aussi raisonnable que patriotique.

L'énorme faute de permettre au gouvernement de capi- tuler, au lieu de laisser, comme s'il s'agissait d'une forte- resse' ordinaire, le gouverneur militaire rendre la place, ce qui n'engage ni les autres chefs militaires, ni le gouverne- ment du pays vaincu, fut. sinon commise, du moins pré- parée par les maires. Ce fut du reste le résultat des phra- ses entortillées et vaines de Trochu. Une fois réunis en cette décisive séance de nuit, Jules Favre leur fit part des intentions du gouverneur président duGonseil. Celui-ci prit ensuite la parole, et, après s'être rendu une justice qu'il ne méritait pas, affirma qu'il n'avait commis aucune faute.

gG HISTOIAE DE LA COMMUNE DE 187!

Ce tut alors que le gouverneur de Paris fit cette étrang'e et équivoque déclaration, que l'un des maires présents, Corbon, par la suite sénateur, a conservée :

La première question que m'adressèrent mes collègues, le soir même du i septembre, en prenant le pouvoir, fut celle-ci : Paris peut-il, avec quelques chances de succès, soutenir un siège et résister à l'armée prussienne? Je n'hésitai pas à repondre négati- vement. Quelques-uns de mes collègues qui m'écoutent peuvent certifier que je dis la vérité et que je n'ai pas changé d'opinion. Je leur expliquai, en ces mêmes termes, que, dans l'état actuel des choses, tenter de soutenir un siège contre l'armée prussienne serait une folie. Sans doute, ajoutai-je, ce serait une folie héroï- que, mais voilà tout. Les événements n'ont pas démenti mes pré- visions.

Ainsi de cet aveu, qui dut surprendre les auditeurs, non seulement Trochu, mais ses coUèg'ues, car ils avaient en son diagnostic militaire une confiance entière, étaient convaincus, le jour même de leur prise de possession du pouvoir, que Paris, ne pourrait soutenir le siège, et devrait, tôt ou tard, capituler. Alors, la plus élémentaire honnêteté ne devait-elle pas leur faire refuser ce pouvoir, dont ils se sentaient incapables d'user pour le but dans lequel on le leur avait donné? Au 4 septembre, Trochu et ses collègues envisageaient déjà, comme seule issue, une négociation avec les Prussiens? Alors pourquoi ne proposaient-ils pas, sur le champ, de traiter 7 C'est que la population n'eût ni compris, ni admis leurs raisons, et qu'elle les eût immé- diatement dépouillés de ce pouvoir qu'ils tinrent, avant tout, à conserver. La simple loyauté exigeait que ces hom- mes, plus ambitieux que patriotes, fissent connaître au pays ce qu'ils croyaient la vérité. Ils devaient épargner à la France et à Paris les douleurs et les pertes d'une agonie de cinq mois, s'ils jugeaient cette prolongation de misères

LE DIX-HUIT MAH» 97

et de danprers absolument inutile. La France, ainsi préve- nue, eût été à môme de choisir la honte de la paix immé- diate, ou la résistance désespérée sans l'espoir de sauver Paris. Il est prolmble, il est certain, qu'elle eût choisi, quand môme, la défense à outrance, et que Paris, même sachant d'avance qu'il serait vaincu, eut préféré la guerre avec ses horreurs, à la paix avec ses humiliations. L'espoir, qui accompafj^nelo malade jusqu'au bord du cercueil, le con- damné à mort jusqu'à l'heure du supplice, eût bercé, grisé, soutenu ces courageux Français. Et qui pouvait savoir, au 4 septembre, si le beau désespoir cornélien n'eût pas secouru, au dernier moment, ce grand pays qui ne voulait ni mourir ni se rendre ? En tous cas, d'autres hommes que les Trochu et les Favre eussent tenu les armes, et l'espé- rance avait des chances. Tel fut le crime de Trochu et de ses collègues du gouvernement, dit, ironiquement sans doute, de la Défense nationale.

On doit conclure de celte confession que Trochu et ses collègues, persuadés que toute résistance était inutile, ne firent rien, ou firent peu de chose, pour la prolonger, pour la rendre redoutable et pour chercher la victoire. Ils étaient tous pénétrés de cette idée, au moins parmi les gouvernants restés à Paris, car Gambetta s'efforça de leur donner un récon- fortant démenti en province, qu'on luttait inutilement, folle- ment, et qu'on devait se préparer à la capitulation, comme un moribond doit s'attendre à la mort. Ils ne firent donc rien pouréviter ce dénouement, à leurs yeux fatal. Ils leretar- . dèrent seulement, par respect humain, et pour conserver le pouvoir. Ils avaient fait tout, de leur côté, pour justifier les pessimistes prévisions de Trochu, et en aider la réalisation. Ayant émis cet aveu, du ton suffisant de l'homme qui a prédit une mauvaise issue à une entreprise, et voit se réali- ser sa prédiction, Trochu chercha à préparer ses auditeurs

I 7

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187!

à la nouvelle de la capitulation. Elle s'imposait, dit-il : les vivres faisant complètement défaut, et une nouvelle tenta- tive de combat n'offrant aucune chance, il cesserait donc ses fonctions, et la municipalité do Paris devrait s'aboucher avec les autorités prussiennes, afin de stipuler, en faveur delà malheureuse cité, les conditions que g-arantissent les lois de la guerre et les principes d'humanité, respectés par tous les peuples civilisés. Il enguirlanda cette navrante pro- position de toutes les fleurs de sa rhétorique coutumière de général incapable, mais beau phraseur.

Les maires furent insensibles au charme habituel de cette faconde. Us repoussèrent avec indignation l'offre d'être les signataires de la capitulation. Ils envisagèrent, avec ter- reur, la réprobation, les injures, les violences même, dont ils seraient l'objet de la part de la population. Ils refusè- rent, avec ensemble, la mission que leur offrait le gouver- neur. Vraiment, il se déchargeait avec trop de désinvol- ture d'une tâche qui était la sienne, d'une pénible besogne dont il devait se charger. C'était lui qui avait été le chef, le maître de la situation, depuis le commencement du siège; il avait tout dirigé, tout disposé, et quand, par ses fautes par son incurie, par son incapacité, on était acculé à la honte d'une capitulation, il se défilait, il passait la main. Il uc voulait pas se rétracter publiquement, puis- qu'il avaitdit,dans un moment d'inlatuation et de jactance, qu'il ne capitulerait jamais. Il se dérobait derrière les mai- res" il les envoyait chez les Prussiens, avec mandat de capi- tuler pour lui. C'était inadmissible. Le gouvernement avait eu jusque-là tous les pouvoirs et pris toutes les responsa- bilités, il ne pouvait, à la minute suprême, se dégager et transmettre à la municipalité ses pouvoirs et ses responsa- bilités. Les maires refusèrent donc de se substituer au gou- vernement pour capituler.

LIi DIX-HUIT MARS 99

Le çouvernement ne se conforma que trop bien à ce désir.

Les maires n'avaient pas compris qu'en permettant au gouvernement de traiter, au lieu de remettre une place de guerre, comme c'eût été le cas d'un général signant la capitulation, ils livraient la France, ils désarmaient le pays entier.

Ces maires, il est vrai, ne pensèrent pas à cette consé- quence de leur refus de signer avec les Prussiens les condi- tions de la reddition, ils ne songèrent qu'à témoigner de leur refus de capituler et qu'à affirmer, fidèles manda- taires de la population, son désir de lutter encore. « La population aimait mieux mourir de faim que de honte »,a dit Jules Favre, constatant ces sentiments désespérés des Parisiens, dans son récit: le Gouvernement de la Défense Nationale, du 3i octobre au 28 janvier, et le maire Vacherot déclara que « si, sans transition, on prononçait le mot de capitulation, la guerre civile en résulterait ».

Il fut donc décidé qu'on ne parlerait pas de se rendre, mais qu'on examinerait la question d'une nouvelle sortie, et qu'un conseil de guerre serait tenu immédiatement à cet efiet.

NOMINATION DU GÉNÉRAL VINOY

Le général Trochu avait dit aux maires : « Jusqu'à pré- sent j'avais été d'avis qu'il fallait tenter une grande opéra- tion, mais, après l'essai fait à Buzenval, je suis bien obligé de reconnaître que j'ai eu tort, et je suis fermement résolu à ne plus renouveler une pareille entreprise. » C'était sa démission offerte, ou plutôt subie. Il fit observer qu'il ne fallait pas d'interrègne dans le commandement militaire, et il désigna trois hommes, en situation de le remplacer : le général Le Flù, ministre de la guerre, le général Ducrot

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

et le eénéral Vinoy. Ce lut ce dernier qu'on choisit, bien que, comme ayant participé au coup .VEtat, il fût suspect aux républicains.

Au conseil de guerre tenu ensuite, le général Vinoy et deux ou trois autres généraux furent convoqués, et on leur dit : « :Messieurs, nous comptons sur vous pour une grande opération. Qu'est-ce que nous pouvons bien faire ? »

Le général Vinoy répondit: « Nous n'avons qu'une chose à faire c'est de continuer la défense des forts, et de tâcher de ne point les laisser prendre. Quant à faire des sorties, je n'en vois pas la possibilité. «

A la suite de celte réponse, dit le général Ducrot, il y eut une grande slupélaclion et un grand mécontentemeot, ma>s on ne se tint pas pour battu et le lendemain on convoqua des colonels, des chefs d'escadron, des officiers subalternes chez M. Ju es Simon. On leur demanda si l'un d'entre eux ..vait examine les chances et les moyens de forcer les lignes ennemies, et 1 ou a outa que si l'auteur d'un projet offrant véritablement des chan- ces de sLccs se sentait assez résolu pour en tenter 1 exécution ou lui donnerait aussitôt, quel que fût son grade, le commandement en chef.

Cette offre, d'esprit révolutionnaire, qu'inspiraient cer- tainemenl les souvenirs des armées de l'an II, ne tenta per- sonne. Les circonstances n'étaient pas les mêmes, les géné- raux non plus. La capitulation n'était plus qu'une question d'heures. Le gouvernement de la défense faisait faillite, et Vinoy succédait à Trochu uniquement pour faire fonctions

de syndic. ^ u\

Le bombardement continuait. Les églises et les hôpi- taux situés sur la rive gauche furent particulièrement^ éprouvés. Un obus tomba au Collège de France, au pied de la chaire de M. Levasseur faisant son cours. Le Val-de- Gràce il y avait pourtant des blessés allemands, reçut ^5 obus, la Pitié 47, la Salpôtrière 3., THospice Cochin,

LE DlX-lIUir MAHS

les Enfants Malades, les Incurables, la Maternité, les Inva- lides eurent leur part de projectiles. Les Allemands s'en excusèrent, par la suite, en alléguant la maladresse de leurs mauvais pointeurs. Méchante justification.

On en éUit arrivé à la dernière bouchée de pain, au moins dans les boulangeries, et pour la consommation du gros public. Les pri.x atteints pour les denrées courantes deve- naient fantastiques. Le beurre se payait 25 à 3o francs la livre, la pomme de terre 25 francs le boisseau, l'oignon I franc la pièce. Et encore ne trouvait-on que difficilement ces comestibles coûteux. Le chat et le chien se débitaient à 5 francs la livre. Le bois, vert et peu combustible, valait i5 francs le cent. Les volailles, le cheval, le mulet, l'âne étaient hors de prix, et réservés pour les tables riches. Le sucre, le riz et le vin ne manquèrent jamais, et servirent à sustenter les deux millions d'affamés.

La mortalité était considérable. Le froid, les privations, les fatigues des gardes aux remparts, les interminables attentes des femmes à la porte des boucheries et des boulangeries avaient multiplié les malades. Le chiffre des décès dans la dernière semaine fut inouï : 4-465. La moyenne mortuaire à Paris, avec une population plus forte de cinq ou six cent mille êtres, varie, en temps ordinaire, de 760 à 900, selon les saisons. La situation était véritablement critique, et la position devenait intenable. Le moment « psychologique » prévu, attendu par Bismarck et par Tro- chu, était arrivé.

MANIFESTE DE V ALLIANCE RÉPUBLICAINE

La population, malgré tout, encourageait, exigeait cette résistance in extremis. Une société politique importante, t Alliance Républicaine, en\.reY>v[i de donner satisfaction

HISTOItlE DE LA COMMUNE DE 187I

à l'opinion et de tenter un suprême efl'ort à l'intérieur d'a- bord et de changer le gouvernement; ensuite on aviserait.

Après le 4 septembre, plusieurs orf;'anisations politiques s'étaient Formées. L'Alliance Républicaine, \a. plus impor- tante, comptait parmi ses membres : Ledru-Rollin, Deles- cluzc, Cournet, Lefebvre-Roncier, Edmond Rochat, Mathé, Lefèvre, Rousseau, Massol, Boisson, Lafontaine, Maillard, Abel Pevrouton, Tisserandeau, Sellier, Duché, Henri Bris- son, Radoux, Frathebont, Savage, Turpin, Lafond, Razoua, Bruys, Drugé, Lechasseur, Alfred Lamarque, Brives, Tony Révillon, Martin Bernard, Floquet, Arthur Arnould, Levraud, Gatineau, Bourncville, Marras, Bayeux-Dumes- nil, Bertillon, Leclanché, Mercier.

Le i8 décembre, l'Alliance avait voté la motion suivante de Ledru-Rollin et de Tony Révillon :

Exprime le vœu que le gouvernement renonce à tout projet de capitulnlion et dirige sur-le-champ, dans le sens de l'offensive, les forces dont il dispose.

Le 21 janvier, elle vota et lança le manifeste suivant, son dernier acte, car ses réunions furent interrompues par le décret supprimant les clubs, paru deux jours après :

Des revers continus de l'armée de Paris, le défaut de mesures décisives, l'action mal diritçée succédant à l'inertie, un rationne- ment insuffisant, tout semble calculé pour lasser la patience.

El cependant le peuple veut comballre et vaincre.

S'y opposer serait provoquer la guerre civile, que les républi- cains entendent éviter.

En face de l'ennemi, devant le danger de la patrie, Paris assiégé, isolé, devient l'unique arbitre de son sort.

A Paris de choisir les citoyens qui dirigeront à la fois sou administration et sa défense.

A Paris de les élire, non par voie plébiscitaire ou tumultuaire, mais par scrutin régulier.

io3

LE DIX-BUIT iI\nS)

,,Alliance républicaiue s'adresse à IVuserable des citoyens; Invoque le péril public; ^.lecteurs de Pnris soient

Demaade,uc, J^^^j^^^^Vun ^scTblée souveraine de deux

convoques, ahn de ""«^"^«^ i,^^,„l à la populaUon.

"ÏÏ::rdTe:r:que1e''cu'oyenDorian constitue la co...ss.on

chargée de l'aire les élections.

AHhur Aroould, l'un des membre, ,1c VAlliaa.e cl l'un des siBDaUires, a apprécié ainsi ce manifeste:

0..dl,,a-iU«i..ropUra,..,-.,l.capi.u..Joé^^^

;"sr:;nir';r,c~,i r.-s»a.e socaii..., .

^ti,trp:s::.t^":s-'^^^^^^^^^

£';;.-;» ;:rc»°iîrr"-."-- » '»»'«•■ » -•

d'insuccès devant les Prussiens. absolument

que nous le faisions.

^Arthur Arnould. mstoire Populaire et Parlemenlaire de la Commune. Bruxelles, 1878.) Celte supposition d'Arthur Amould que tout espoi. ne devait pas être considéré comnie perdu, reposait sur la c oyanc'e, qui n'était pas absolument fausse que les appro- V sionnementsn'étaient pas aussi épuisés qu'on le disait, et r l'ignorance l'on était encore de la situation vén- ale les armées de province.Sans «tte croyance opU„.^^^^^^^^ l'émeute qui se produisit le jour môme de 1 affichage de ce La" feste eût été criminelle et absurde. E le ne fut qu m- " ffisamment préparée, et ne trouva pas d'adbes.on de la part de la population.

UISTOIHE DlC LA COMMUNE UE I S7 1

Le 22 janvier fut la répétition du 3 1 octobre, plus brève, et plus tragique aussi, car le sang coula. Ce fut, comme dans toute tragédie conforme aux règles, la catastrophe qui précède et force le dénouement. C'est la fin du siège et le début d'une nouvelle période historique : l'époque de la Commune commence.

LIVRE III

L'ÉMEUTE DU 22 JANVIER

PROCLAMATION DE VI NO Y

La fièvre patriotique, le désir de venger les morts de Buzenva re'poir d'e trouver revanche de l'échec récent, ^veck V lont' comme au 3x octobre, chez un g-nd nom bre de républicains, de substUuer au gouvernement de la D^f^se fugé incapable et mou, le pouvon-, suppose plus i^^ er"iqù , de cetteCommune, invoquée dans tous les dub . dùr-Tn le siège, comme le remède aux maux près n s, coTm nnstru^meut de délivrance et de salut, vodà les pr^mr éléments du mouvement du a. janvier. I y en eut d aulr s et avant tout : la faim pressante, avec la per- liroîaaient certains miséreux, que le nouveau pou

-LJ^::r^".ant possession du pouvoir. avait publié cet ordre du jour à 1 armée .

I06 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Le gouvernemeut de la Défense ualioiiale vient de me placer à votre tète; il fait appel à voire patriotisme et à raoa dévouement ; je n'ai pas le droit de me soustraire. C'est une charge bien lourde ; je n'en veux accepter que le péril, et il ne faut pas se faire d'il- lusions.

Après un siège de plus de quatre mois, glorieusement soutenu par l'armée et par la garde nationale, virilement supporté par la population de Paris, nous voici arrivés au moment critique.

Refuser le dangereux honneur du commandement dans une semblable circonstance serait ne pas répondre à la confiance qu'on a mise en moi. Je suis soldat, et je ne sais pas reculer devant lesdangersque peut entraîner cette grande responsabilité.

A l'intérieur, le parti du désordre s'agite, et cependant le canon gronde. Je veux être soldat jusqu'au bout; j'accepte ce danger, bien convaincu que le concours des bons citoyens, celui de l'ar- mée et de la garde nationale, ne me feront pas défaut pour le maintien de l'ordre et le salut commun.

Le ton de cette proclamation était comminatoire et dé- placé. On y retrouvait la mentalité des g-énéraux du Deux- Décembre. L'appel aux « bons citoyens » et les menaces an « parti du désordre » indiquaient la préoccupation unique, chez le successeur de Trochu, d'une résistance à l'intérieur. Il n'était fait aucune allusion aux Prussien», qui cependant bombardaient toujours, ni à ces idées de revanche, desortie, de délivrance, qui passionnaient encore les Parisiens.

Les révolutionnaires estimèrent l'occasion favorable, et Blanqui, sorti de .sa retraite, entra en communication avec différents membres de l'Alliance et de l'Internationale, les militants des clubs et plusieurs commandants de la g-arde nationale, qui promirent le concours de leurs bataillons.

LE DIX-HUIT MARS

to7

LE CLUB DE LA REINE BLANCHE CONVOQUE LES BATAILLONS

Le soir du 2, janvier, il y eut une séance importante au eluÏde a Reine' Blanche, à Montmartre Ce clu se tena. T 1 .11. ae bil de la Reine Blanche, boulevard de

Tedne La motion suivante lut portée à la connaissance de

l'auditoire :

Les Clubs et les Con.i.és de Vigilance se bo„, -is dVcord. Reude.-vous est donné POur den.a,n m.d. s^la PJ ce de ^ ^^ tcl-de-^•iUe. Les gardes nationaux -^^' ^"^^'''^^^l^ contre le X^e;^^r;;:en:==S:e-a..erle

^^îr';i.o,en dit ..ue le go-erne.ent n^Jera qu'un se:nMant de résbtance, car il est dans "°^;?'P"\^^"'/; ^espoasabilité qu'on lui force la ma.n pour se ''"Jj'-^^f ^^^t méronlente et ,ur la Commune. Quant a >=>,''°7S'=°''^'.;"Yu centre a déclaré divisée. Un bataillon de --'^.-^'^^iS pointa le peuple.

^r;::'^s^;;à: ;ï^:;f e^ent ^^^^^i^^^fi

aTec àl-Hôtel-de-Ville, revêtus de leur écharpe.

(G. de Molinnri, /.. CM. Rong.s. Garaier frères, éd. Pans, .87..)

Trois délégués avaient été désignés à la mairie de Mont- martre, pour inviter le maire et ses adjoints a se rendre à l-Hotel-de-Ville, ceints de leurs écharpcs, avec a manifes- tation. Les délégués revinrent di.ant qu .Is n avaient pas

108 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

trouvé le citoyen Clemenceau, mais que l'un des adjoints s'était mis à leur disposition, à condition qu'il y ait entente entre les quatre clubs et le comité de Vig-ilance de l'arron- dissement. On décida, en conséquence, de se rendre le lendemain, à dix heures, à la mairie, et de là, à midi, à l'Hôtel-de-Ville.

Cette divulgation, dans une réunion publique, d'une manifestation qui devait vraisemblablement dég'énérer en émeute, était imprudente et maladroite. Le gouvernement se trouvait averti, et pouvait prendre ses mesures de défense ; ce qu'il fit d'ailleurs. M. de Molinari, rédacteur aux Débais, dont le compte rendu parut le lendemain matin, en a fait l'observation, dans la préface du recueil de ses articles sur les séances des divers clubs, écrits au jour le jour :

Un des résuUats essentiels de cette divulgation quotidienne de mystères des Clubs rousses a été d'avertir le gouvernement des complots qui se tramaient contre lui. Le 2t janvier au soir, par exemple, les meneurs du parti révolutionnaire annonçaient au public du club de la Heine IBlanche, à Montmartre, qu'on irait le lendemain, à midi, installer la Commune à l'Hôtel-de-Ville. Le 22 janvier, les lecteurs de journaux étaient prévenus, en pre- nant leur café du matin ; l'Hôtel-de-VilIe était gardé, et les amis de Tordre se tenaient sur le qui-vive. La surprise éiait manquée, et les partisans de la Commune, surpris à leur tour, étaient obli- gés de se replier sur leurs faubourgs. Aussi l'un deux n'hésitait- il pas à attribuer aux clubs l'insuccès de la journée...

(G. de Molinari, les Clubs Rouges. Préface.)

DELIVRANCE DE GUSJ'A VE FLOURENS

Un incident important se produisit dans la soirée. Deux militants, Henri Place (Varlet) et Amilcare Cipriani, s'é- taient rendus, dans la journée, à la prison de Mazas, munis d'un permis de visiter. Ils venaient voir Gustave Flourens,

LE DIX-IIVIT MARS

4 1 -K, nrtobre Ils firent une détenu pour les événements du 3. obre ^^^^^^^^^ ^^

reconnaissance des abords ^^^^f^^^, dés. Ayant façon dont les P^-^J^^f ; ^ ' ^en leurs'camarades.et pris ces rense.gnernents.ds rejo ^^ ^^ ^^^._

combineront la délivrance de Fl° "•;«;• j^ l,,e de fes.ation du lendemam Le --—;;;;',; "a s natio- ,H,el-de-Vil.e avaU^ naux revenant de 1 enlerremei avaient été mfor-

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F,„„,e„s, l„c„.u«u. 1-™ <"'J ib;,". S. dai.ranc. dési.né. 11 fallail '1»»° 1" '' "' " Tl „rde» natio- ,.pL..aacieuseme..U„..r.up. 7J^

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nationale «pour défendre Paris «.La VOICI.

Le conunandanl supérieur des gardes nationales de la Seine :

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Celte nuit, une poiçnée d'agitateurs a forcé la prison de Mazas et délivré plusieurs prévenus, parmi lesquels M. Flourens.

Ces mêmes hommes ont tenté d'occuper la mairie du vin"-tième arrondissement, et d'y installer l'insurrection ; votre commandant en chef compte sur votre patriotisme pour réprimer cette coupa- ble sédition.

Il y va du salut de la cité.

Tandis que l'ennemi la bombarde, les factieux s'unissent à lui pour anéantir la défense.

Au nom du salut commun, au nom des lois, au nom du devoir sacré, qui nous ordonne de nous unir tous pour défendre Paris, soyons prêts à en finir avec cette criminelle eni reprise: qu'au pre- mier appel la garde nationale se lève tout entièrej et les pertur- bateurs seront frappés d'impuissance.

De bonne heure des groupes se formèrent sur la place de l'Hôtel-de- Ville. Il y avait beaucoup de femmes, quelques- unes très exaltées, très révolutionnaires. Louise Michel était là, en costume de g-arde national, portant crânement le képi, avec le chassepot en bandoulière. Elle fit d'ailleurs le coup de feu. Des g-ardes isolés, la plupart sans armes, sta- tionnaient, commentant l'affiche de Clément Thomas re- gardant avec inquiétude les fenôtres closes et les portes bar- ricadées de l'Hôtel-de-Ville. De temps en temps, on se mon- trait un mobile, arec son fusil, pa.ssant la tête par les vasis- tas des bureaux, à l'entresol.

Le gouvernement averti avait pris ses mesures. Le pré- fet depolice. Cresson; avait demandé du renfort à Vinoy. Celui-ci avait aussitôt fait rentrer dans Paris les meilleurs régiments de ligne à proximité, notamment ceux de la bri- gade Valentin. Le 109* et le 1 10'^ de ligne évacuèrent préci- pitamment les deux redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Saquet, qu'ils avaient défendues pendant toute la durée du siège. Les Prussiens auraient pu s'en emparer sans grands risques, ce jour-là, et notre front défensif du Sud se trouva dégarni jusqu'à la fin des hostilités. Le

I.E DIX-HUIT MARS

j viu On avait ausrouvernement, une gidimc Lm..d.i.. Ces mobiles, dép.jsés et .'"•«•.•" f, »

m la lan^utf, ' P^. .a,.,, aui avaient hâte de

loir continuer la guerre. Ces têtus, qui .

Ltrer chez eux, devaient se montrer solides et ener-iques,

i des pi hrds ainsi que leurs chefs les désignaient, des

mitrailleuses, et, sur l'ordre de leurs -^h^^ j

prirent leur poste de combat, derrière 1- e> «t^es d la Lue du trône (ou du conseil) au premier étage, et aussi

"'LÏchefs du mouvement s'étaient rendus d'assez bonne hetr au7abordsderH6tel-de-Ville. Plusieurs membres deTAlUance se réunirent chez Lefebvre-Roncier q^u hab t«it rue de Rivoli, au numéro 60, en face du blt.ment Inripa Delescluze,Cournct, Edmond Levraud, Arthur Ln iM sW trouvaient. Blanqui se tenait, avec que ques mL, au -café du Gaz, rue de Rivoli, au coin de la rue d ,a Coutellerie. Silencieux, il méditait. P- -meut^.; donnait, à voix basse, de brèves '^o^-?"^^' ^\f ,^ ^^s gantées de noir, ^^^^^^ ;;^,;:^^:^%''P^k gestes évasifs, indiquant 1 Hôtel-ae viue. t

HISTOmE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

perplexe, attendant des nouvelles, et ne sachant quand il donnerait le signal de l'attaque, ignorant même s'il le donnerait.

LES DÉLÉGATIONS A UHOTEL-DE-VILLE

La foule était assez grande sur la place, mais elle sem- blait plutôt un rassemblement de badauds qu'une troupe prête à se battre. Les bataillons attendus ne venaient pas. L'Alliance, par son manifeste cité plus haut, avait répandu les idées de conciliation. Elle envisageait une entente pro- bable avec le gouvernement. Tout appel à la force était par elle écarté. Elle le montra bien, quand, au lieu de convoquer, comme ses membres l'avaient annoncé, des ba- taillons en armes, qui eussent enveloppé l'Hôtel-de- Ville, prêts à donner l'assaut et à installer un nouveau gouverne- ment, elle se contenta d'envojer une délégation sans armes, et borna son action à la remise d'un placet par un orateur amène. Rien de plus pacifique, ce jour-là, que l'attitude et l'intervention de l'Alliance.

La délégation avait pour porte-paroles Tony Révillon. Avec sa haute taille, sa face léonine et souriante, sa phy- sionomie sympathique et intelligente, qu'un encadrement de longs cheveux, à la mode romantique, dépouillait de tout aspect martial, malgré la moustache gauloise ombra- geant la lèvre épaisse et sensuelle, Tony Révillon, journa- liste populaire très apprécié, vulgarisateur des faits et gestes de la première République, orateur chaleureux, applaudi dans les clubs, mais qui n'avait de révolutionnaire que l'or- gane, n'était nullement l'homme qui convenait pour inti- mider un personnage aussi têtu, aussi féru de son autorité, si désireux de maintenir l'ordre, que l'adjoint Ghaudey, auquel il eut affaire. La délégation avait demandé à s'en-

LE DIX-IIUIT MARS

Il3

tretenLr avec le maire de l'aris, Jules Ferry. Celui-ci étant absent, ce fut Ghaudey, pour soa malheur, qui le rem- plaça.

Tony RéviUon, avec sa douceur habituelle, exposa, non sans fermeté cependant, les revendications des délégués et les propositions de l'Alliance. Elles consisUient, principa- lement, à repousser toute idée de capitulation, à subor- donner le gouvernement militaireau pouvoir civil, et à con- voquer immédiatement les électeurs pour la nomination de la Commune. Mais il ne parla pas du recours à la force, si CCS propositions étaient refusées ou éludées, ce qui était probable. Il s'efforça de persuader, quand il aurait fallu me- nacer. Il est vrai qu'il ne se sentait pas soutenu, et qu il ne disposait que de la force morale de l'Ailiance, ce qui ne valait pas une dizaine de bataillons déterminés, pour obte- nir une réponse favorable de Chaudey, ou du moins pour ôter à ce maître intérimaire de l'Hôtel-de-ViUe la tentation de faire usage de la force.

Chaudey répondit avec hauteur. Ce personnage, de va- leur médiocre et d'importance secondaire, a sa noto- riété à sa fin tragique.

GUSTAVE CHAUDEY

C'était un avocat de Vesoul, en 1817. H vint à Paris à l'époque des banquets réformistes. Il fut un des grands partisans du général Cavaignac, lors de la sanglante répression de juin 48. Le souvenir de ce patronage dut le hanter, quand il se vit, le 22 janvier, en face de la révolte grondante, investi de la puissance publique, et disposant de la force. Il fut, sous la Commune, arrêté, comme ayant, le 22 janvier, donné l'ordre de tirer aux mobiles du Finis- tère. Il est douteux qu'il ait signé et môme transmis cet

lll^ BISTOinE DE LA COMMUNE DR 187I

ordre. On lui en a contesté le mérite, et son attitude fut qualifiée de « piteuse ». Il se montra sans doute arrog-ant, et nullement disposé à des pourparlers avec les déléo-atioms qui successivement vinrent l'entretenir dans cette journée funeste. Mais il n'est pas établi qu'il ait commandé le feu aux bretons. Il eut le tort, quand il fut arrêté et interrogé sur ce fait, de ne pas témoigner des regrets, en se retran- chant derrière les ordres supérieurs reçus, et en arguant de son mandat qui lui imposait l'obligation de s'opposer, fût-ce par la force, à l'envahissement du palais dont il avait la garde et la responsabilité. II fut fusillé dans la cour de la prison de Sainte-Pélagie, il était détenu, le 28 mai 1871. Il se montra courageux et digne au moment de la mort. Cette exécution fut accomplie sans jugement, mais on était à une heure atroce et exceptionnelle, les formalités, les garanties de tout accusé étaient remplacées par la brutalité des faits, départ et d'autre. C'est au milieu des fusillades au hasard et des aveugles massacres, qui accompagnaient l'entrée des troupes de Versailles dans Paris, que Gustave Chaudey fut exécuté. Ce fut un acte assez inexplicable, et qu'on a pu attribuer à une vengeance par- ticulière. Chaudey n'était pas un des plus implacables adversaires de la Commune, et bien d'autres auraient pu avoir son sort, qui furent épargnés. C'était un républicain, autoritaire et entier, sans doute, mais ferme dans ses con- victions démocratiques. Il avait été exilé sous l'empire ; revenu lors de l'amnistie, il plaida, et fit partie du conseil de rédaction du journal le Siècle. Après le 3i octobre, il fut nommé adjoint au maire de Paris, en remplacement de Charles Floquet, démissionnaire. Le principal titre de Gus- tave Chaudey au souvenir de la démocratie est d'avoir été honoré da la confiance de Proudhon, qui fit de lui l'un de ses exécuteurs testamentaires. Il avait les vertus de la classe

I.E DIX-HUIT MARS

Il5

moyenne, et aussi ses préjugés et ses antipathies. Cet avo- cat'rassis, représentant le type légendaire du bourgeois, se trouva, par l'absence regrettable de Jules Ferry dans la journée du 22 janvier, disposer d'une autorité dont il ne sut pas user avec assez de présence d'esprit pour conjurer le désordre, en évitant l'ettusion du sang. Ces natures d'aspect placide sont susceptibles d'emballement, et le dicton sur les moutons cnra?és fut souvent vérifié dans les discordes civiles. L'attitude qu'il prit, en présence des délé- gués qu'on lui envova à plusieurs reprises, a pu rendre vraisemblable l'imputation d'avoir fait tirer, qu'il paya de

EUGÈNE RAZOUA

Chaudey, à l'exposé des griefs et des vœux de T Alliance Républicaine, que formulait avec bonhomie Tony Rev.llou, assurément persuadé que tout allait s'arranger, répondit que le gouvernement était en communion d'idées avec rVllianceRépublicainepourécartertoutepenséedecapitula- tion et pour essaver de maintenir le calme dans Pans, mais qu'il était absolument opposé à l'élection d'une Commune. Il déclara qu'il opposerait la force à toute tentative de violence, qu'il était seulà l'Hôtel-de-ViUe, qu'il avait la res- ponsabilité de l'ordre, et qu'il réprimerait èncrg.quement tout mouvement contre le siège de la municipalité. Il ajouta, a dit Louise Michel, cette menace imprudente: « Si l'on en vient à recourir aux armes, les plus forts lusiUe- ront les autres 1 » (Louise Michel, la Commune. P.-V. Stock, éd., 1808, p. 101.) ^, , fi,

A l'appui de ses paroles comminatoires, Chaudey ht accompagner Tony RéviUon et les autres membres de la délégation, de façon à leur faire voir les préparatifs de

Il6 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

défense à l'intérieur, les mitrailleuses commandant les esca- liers, les mobiles bretons aux fenêtres, prêts à faire feu au commandement, qu'il se déclarait résolu à donner si on l'attaquait.

Deux autres délégations, l'une du XV» arrondissement (Grenelle), conduite par Léo Meillet, l'autre composée de différents groupes de la rive gauche, furent également reçues et éconduites par Chaudey. Les divers délégués, de retour sur la place de l'Hôtel-de-Ville, ayant fait connaître l'insuccès de leur démarche, furent conspués. L'un de ces délégués était Razoua, ex-commandant du 61» bataillon de Montmartre. Razoua avait été cassé de son grade à la suite du 3i octobre, mais son procès était pendant. A Buzenval, il avait suivi son bataillon, conservant ses galons, mais portant le fusil, pour faire le coup de feu, comme un sim- ple garde. Au 22 janvier, il exerçait le commandement de fait. Se.s hommes l'avaient, en partie, suivi ; des gardes isolés des autres bataillons de Montmartre s'étaient joints à lui.

Eugène Razoua était un ancien soldat d'Afrique, très brave, homme d'action, nullement politicien. Avec sa bar- biche en fer à cheval,son visage sec et anguleux, son allure martiale et son franc-parler, il avait acquis une certaine popularité. 11 avait publié des Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, et Delescluze l'avait accepté au Réoeil, il rédigeait à la bonne franquette des « entrefilets » sur les choses militaires. Il ne craignait point ce qu'il appelait « un coup de chien » ; il était même venu au rendez-vous, donné à la Reine Blanche, dans l'intention de parlementer le moins possible, et, au premier mot de Delescluze, d'en- foncer à coups decrosses les portes de l'Hôtel-de-Ville. Il ne dissimulait pas son désir, mais il craignait d'entraîner les hommes qui l'avaient suivi dans une embuscade. Intro-

LE DIY-UUIT MARS

117

duit auprès de Chaudey, il avait pu se rendre compte de l'inutilité de démarches conciliatrices, et en même temps de l'impossibilité, avec le peu de monde dont il disposait, de pénétrer de vive force dans l'Hôlel-de-Ville, pour y ins- taller un nouveau gouvernement. Il alla retrouver Delo>s- cluze et les autres chefs réunis chez Lelebvre-Roncier. 11 leur fit part de ses hésitations, leur rendit compte de l état de défense il avait trouvé l'Hôtel-deVille, et les avertit qu'il avait jugé prudent défaire éloigner les gardes natio- naux de Montmartre, vu leur petit nombre. Us eussent ete exposés à une fusillade meurtrière, partie des soupiraux et des fenêtres de rHôtel-de-Ville, que les bretons garnissaient. 11 avaitdonc rangé ses gardes nationaux, en bon ordre, près du square de la Tour-Saint-Jacques, le long de la grille, avec la consigne d'attendre les événements.

Eugène Razoua,élu député par la Seine aux élections tlu 8 février, donna sa démission. Il fut commandant de 1 b- cole militaire, pendant la Commune. Il s'était réfugie a Genève, il est mort en 1878.

L-A TTENTE

L'attente, c'était la situation même. Elle était générale. La foule attendait sur la place qu'il se passât quelque chose. Blanqui attendait, embusqué au premier étage du café du Gaz Félix Pyat attendait dans un fiacre au coin de la rue Saint-Martin. Delescluze, Cournet, d'autres chefs atten- daient chez Lefebvrc-Roncier. Ceux-ci commençaient à ho- cher la tête, déconcertés, et à se regarder significativement. Pour que Razoua, dont personne ne pouvait mettre en doute la bravoure. eiH ainsi prudemment placé son baUdlon en réserve, c'est que l'affaire ne prenait pas bonne tour- nure. On était sans nouvelles de Blanqui, et ses amis, tous

HISTOIRE DE La COMMUNE DK 1 87 I

hommes déterminés, ayant pour système les surprises, les coups de maiu, ne bougeaient pas. Sur la place, une foule désœuvrée et tapag-euse grouillait toujours. Les cris de : Déchéance l'Hôlel-de-Ville! vive la Commune! s'élevaient plus nourris, plus impatients, mais il n'y avait que peu de combattants probables dans cette cohue frémissante, les femmes, les enfants et les curieux sans fusils formaient la majorité. Tout ce monde-là délaierait, en laissant des bles- sés et peut-êti-e des morts, à la première décharge des mobiles, que prévoyait Razoua .

A deux heures, les bataillons attendus n'arrivaient tou- jours pas. Plusieurs détachements de gardes nationaux étaient sansdoute déjà venus, avaientdélilédevantl'Hôlel-de- Ville, en criant comme les autres : Déchéance ! démission I puis s'étaient éloignés, satisfaits par cette démonstration pacifique.

La journée s'annonçait comme devant se passer en cris, en menaces, en protestations contre le gouvernement accusé de faiblesse, de trahison même, et contre lequel on s'indignait à l'idée qu'il préparât la capitulation, mais rien de plus. Donc une manifestation inoffensive, comme il y en avait déjà eu plusieurs durant le siège. Rien de révo- lutionnaire, rien de menaçant pour l'ordre pobtique et social ne se dessinait.JulesFavre, peu suspect d'indulgence, a reconnu l'innocuité de la manifestation : \

Il y eut ce jour-là une iasurrection qui m'a paru dirigée contre les hommes du gouvernement de la Défense nationale, et non contre la société. C'était surtout contre le général Trochu que l'émeute était dirigée.

{Enquête parlementaire. Déposition de Jules Favrc.)

Ce qui prouve la vérité de l'observation de Jules Favre, ce fut l'absence môme des bataillons sur lesquels on avait

LE U IX- H LIT MARS

"9

compli. Ces bataillons s'étaient trouvés apaises et comme drames, en apprenant le matm même la démission d Su Kn se disant: Trochu n'est plus gouverneur de plr s 'les citoyens éprouvèrent en majorité une safsfac- U avive Ce fut, dans tout Paris, un -ulagement, un détente. H faut peu de chose pour apaiser ^^^ ^^'^^^^^.^ laires et ramener le calme à la surface. On ne refléchissa. ';Z ?ia substitution jésuitique de Vinoy- Jroc^u -d^

fe commandement pour paraître rester fidèle a - ^^^ "^ gasconnade:<cLegouverneurdePar.snecap. u^ra a^^^^^^^^^^^

Ce ne serait pas le gouverneur qui signerait 1 aj^tc de r«l dition, et cela suffisait à sa conscience. La ^on^^l^o,^^ pas l'artifice. Elle considérait Trochu ---« «'^;^;;^\' ^^ ^ désir de se battre, de continuer la résistance. Trochu s en i^ t. l'obstacle n'existait plus. On était débarrasse^ 1 semblaitquelalutle allait reprendre plus vive, plus s rieuse e qu'il n'e s'agirait plus d'armistice et de négociation L'Alliance Républicaine parut partager ces illusion.. El^ tdm l que le replacement de Trochu ôtait beaucoup dm- IT à Ta manifestation, principalement dirigée contre lu. Ele avait décommandé le mouvement, et retenu dans eurs a ondissements les bataillons promis Les évéueme s ^ h nuit avaient également engagé l'Alliance a chercher la iTllation, à éditer une manifestation dont e le commen- çait à redouter le caractère révolutionnaire. Delà son envoi de délégués, au lieu de bataillons en armes.

'^r »«i r:. i^z a. ^'-^-^^j^rzz

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

parce que Flourens les eflrayait, la foule fut peu nombreuse sur la place de l'Hùlel-de-Ville, et peu de gardes nationaux se trouvè- rent au rendez-vous.

(Arthur Arnould. Histoire Parlementaire et Populaire île la Commune de Paris, t. I, p. 74.)

LES COUPS DE FEU. - MOBILES ET GARDES NA TIO-

NA UX

L'afFaire pouvait être considérée comme finie, et l'émeute probable comme avortée, vers deux heures et demie de l'après-midi. Le combat, à cette heure déjà tardive en hiver, n'avait pas même commencé, faute de combattants. Tout à coup, des clameurs s'élèvent de la place, mêlées à des vivats, à des sonneries de clairons, au bruit de tambours battant la charge. Ce sont des compag-nies du XIV° arron- dissement (Vaug-irard) qui viennent se rans"er sur la place, face à la grille. Un jeune homme énergique, Sapia, ex-chef de bataillon, les commande. Il n'a pas son uniforme de commandant. Presque en même temps, un bataillon du IV« arrondissement (quartier Saint-iMerry) débouche par la rue du Temple; puis le loi» bataillon (la Maison-Blan- che i3«), commandé par Duval et Sérizier, arrive, par le Pont d'Arcole. Bientôt deux cents hommes environ sont signalés dans la rue de Rivoli. C'est le contingent, bien réduit, des Batignolles, ayant à sa tête Benoît Malon, adjoint, ceint de son écharpe. En passant devant le café du Gaz, les BatignoUais avaient aperçu et acclamé lîlanqui. Celui-ci, encouragé, avait alors quitté .sa retraite, et s'était avancé sur la place. Le vieux révolutionnaire .se reprenait à espérer. 11 augura mieux de cette journée, si mal commen- cée, et qui jusque-là paraissait se borner à des vociféra- tions impuissantes, à des protestations inutiles. 11 se mon- tra donc. Posté à l'angle de la place, entouré d'un petit

LE DIX-HLIT MARS

noyau de fidèles, il se prépara à donner enfin le signal du

"ratil donné? S'illusionnant sur la force réelle des .nsuri abusé par l'arrivée de ces bataillons déterm.nes excité par Sapia Sérizieret quelques autres qu. dcplora.en es pourparlers des délégations, et se montraient >n,pat,en ts de Lre parler la poudre, Blanqui,sur qm touscompta.ent qli avait'seul de'raulorité n,orale, a-t-d levé la ma.n ou ouvert son parapluie, comme pour l'attaque du post de la VUleUe? Point obscur. Il est possible que Blanq.n a.t voulu

brusqueries événements et -^^S^^ ' •'^'^^7:, '^HacZue assez dans sa mentalité, et l'on retrouverai sa tact.que favorite, mais la preuve de cette mU.at.ve manquc^^ Des

coups de feu partirent tout à coup, et 1 on ne sait d ou Les partis se sont renvoyé l'imputation d'avo.r commencé

le feu. Arthur Arnould, qui était présent, dit :

d'enfants, qui couvraient la place {loc. cit., p. 7(.,.

Louise Michel, témoin également, émet la même opi-

mon:

puis un coup de teu partit, is>o t. Moins au v

lusillade compacte balnyaiUa place... (/oc.c.<..p. W-).

Gustave Flourens attribue aussi le premier coup de feu aux défenseurs de l'Hôtel-de-ViUe.

Les témoins entendus dans l'enquête P-l-"-ta.n> . comte de Le,se, commandant .'J" ^'f ^.„^,^ .^^^'^ , ' colonel Vabre, commandant militaire de l Hotel-de-V.lle Cresson, préfet de police, sont au contraire tous d accord

HISTOIRE DE L.\ COMMUNE DE 1871

pour désigner les gardes nationaux comme ayant tiré les premiers, et provoqué ainsi la riposte meurtrière. Leur déposition peut paraître suspecte, ces témoins étant trop intéressés, par esprit de parti, à rejeter sur des adversaires la provocation.

Il y a des motifs plausibles pour admettre que le premier coup de feu soit parti des rang-s des manifestants. D'abord l'état des esprits, la mentalité insurrectionnelle des g'ardes nationaux, et peut-être aussi la surexcitation d'individua- lités armées, éparses dans la foule, peuvent fort bien expli- quer ce coup de feu isolé, dont parle Louise Michel, qui était là, au premier rang-, et qui a pris part à la fusillade. Un coup de feu hasardeux pouvait amener la collision, qui, jusque-là, .semblait évitée, ce dont quelques-uns de- vaient se montrer désappointés. Il y avait aussi le souve- nir, chez les vieux insurgés, du fameux coup de pistolet, tiré, dit-on, par Lagrange, qui, ranimant l'émeute éteinte, commença la révolution triomphante du 24 février i848. Ensuite il peut s'être produit comme une décharg'e spon- tanée et irréfléchie, le fait d'un doigt fiévreux et impulsif se posant sur la gâchette. Cela s'est vu dans des bagarres analogues, et l'événement n'a rien d'improbable. Personne, en tous cas, dans les rangs des manifestants, ne s'est vanté d'avoir tiré ce coup de feu-signal, alors que, deux mois plus tard, il n'y avait nul danger à faire cet aveu, mais même avantage et mérite à passer pour le premier assaillant de l'Hôtel-de-Ville.

Ce qui permettrait d'attribuer aux mobiles les premiers coups de Feu, c'e^t qu'au moment de la décharge terrible des bretons la place était ensore pleine de monde, avec des femmes, des enfants, des curieux sans armes, comme le prouve le nombre et la qualité des victimes. Il est vraisem- blable qu'avant de commencer le feu les gardes nationaux

LE DIX-HUIT MARS

se seraient préoccupés d'écarter ces non-combattants Ne Weut-ils U fait que d'eux-mêmes ces non- combattants efsscnt éloi,nés,avec terreur,cn voyant '- gan - app. ter leurs fusils. Une autre explication v.en ^ UPP^ ^J '^ version imputant aux bretons l'uutmt.ve de ^^^^f^^^ leurs chefs ceux qui devaient commander le feu, le corn e de Le.- chef de bataillon des mobiles du F.mstère, et e colonel vibre, commandant militaire ^" P^l-^'^-^-P;;, ^nés de l'adiudaat-major Bernard, se trouvaient, en cet Cant iitiq^ue, en delors de l'Hôtel-de-ViUe Les portes étalent fermées. Le comte de Legge et le colonel Vabre frapT'rent pour se faire ouvnr. En attendant qu un batUn rr:tr'oulert, au sifflement des balles,ils -jeteren a p ventre L'adiudant-major Bernard, qui cognait a une autre ;: ;: pUis U à la pirte centrai surélevée e P us.eur Segrés fut atteint d'une balle et tomba. Il est fo.t p oba ble qui si les cardes nationaux eussent tire les P^e---' coml de Le^ge et le colonel Vabre e-sent et rapp par les balles, comme l'adjudant Bernard, sans avoir eu le :Tdesejeterà plat ventre. Ceux-ciétaientse.dsenvue

puisque tout l'Hôtel-de-VlUe était ferme, barricade, e que L Ul es, dont on retrouva par la suite les traces, tu-ees ;:. iL .ardes nationaux, ne touchèrent qu'à une certaine Eauteur^les murailles, car II faut retenir ceci que sau 1 ad- ■TaL Bernard, Il n'y eut aucune victime parmi les defen- ceurs de IHôtel-de-Ville.

M Alfred Duquct, très hostile aux manifestants, racon e cependant, d'après les document qu'il a -nsu tes J- « 1 colonel Vabre et le commandant de Legge s etlorça.ent de dtontrer aux émeutiersl'inutilitc de l-;tentat.ve, quand Us voulaient escalader les grilles et pénétrer da- e bât. n,ent municipal ». (Alfred Duquet : P«r,s. l tnsurrec tion du 22janvier,v SSgOPl»^ '°'" '^ ^'^ ''

•24 HISTOIRl DE LA COMMUNE BH 1 87 1

Les gardes nationaux du lOlo se déploient devant l'obstacle et tirent sur le colonel Vabre, le comte de Lcgge et l'adjudant- major Bernard, qui, à découvert près d'une des portes du palais, s'emploient à calmer les émeutiers qui peuvent les entendre...

Il est bien invraisemblable que ce bataillon déployé ait fait, presque à bout portant, un fe\i de salve, sur trois hommes à découvert, tous visibles et exposés, avec lesquels on parlementait, et n'en aient atteintqu'un seul. Il est plus vraisemblable de croire que l'adjudant-major, qui n'avait pas l'autorité suffisante pour parlementer avec les délégués et les chefs debataillons, s'était tenu à distance de seschefs, et n'a pas eu la chance, comme eux, après s'être mis à quatre pattes, de se faire ouvrir la porte de l'édifice.

Arthur Arnould, qui se trouvait parmi les manifestants, affirme que la fusillade n'a été précédée d'aucune somma- tion. Il ajoute :

Je déclare qu'à ce moment il n'avait pas été tiré un seul coup de fusil par les gardes nationaux, et que leurs déléçfués, à cet instant même, parlementaient pour obtenir d'être introduits auprès des membres du gouvernement (c'est-à-dire auprès de l'adjoint Chaudey, seul présent à l'IIôtel-de-Ville). (Arthur Ar- nould, loc. cit., p. 71.)

Il est évident que le commandement de faire feu n'a pas été donné par Vabre ou par Leis^g-e, puisqu'ils étaient au dehors. Ils n'avaient pas davantag-e convenu qu'on tire- rait sur un signe ou un geste émanant d'eux. Ils eussent attendu, pour donner ce signal, d'être rentrés et abrités- On a les noms des deux officiers bretons, qui dirigèrent la fusillade : le capitaine Gourlaouen, qui commandait au premier étage, .salle du Trône ou du Conseil, et le capitaine Le Stimuff, qui commandait à l'entresol. Ces deux officiers, en voyant leurs chefs discuter à travers la grille avec les

LE DIX-HUIT MARS '*''

manifestants, qui sans doute en paroles et en gestes ne tardaient pas toute mesure, les crurent en danger ; ils les virent peut-être couchés en joue, et donnèrent précipitam- ment Tordre de tirer. L'adjoint Chaudey, chef supérieur, ce iour-là à riiolel-de-Viile, avait autorisé la troupe a laire usage de ses armes si l'on tentait d'envahir le palais. Or, dit Gaston Da Costa (admettant la version des gardes nationau.K tirant les premiers), <c Sapia et ses hommes essayaient de franchir la grille qui isolait le bâtiment ,>. (La Commune vécue, p. .54-) Les deu.^ capitaines ctleurs hommes ont pu prendre cette tentative de Sapia et des cardes du loi^commeun commencement d escalade. L ce- ssion s'offrait à eux d'user de la permission donnée par l'autorité civile, ilseuprcHtèrent, satisfaisanten même temps leuranimosité contre les « guerre à outrance... Ce qui vient à l'appui de cette hypothèse, c'est la présence d une foule devant les grilles, et aussi celle, au premier rang, du com- mandant Sapia: « A la première décharge, Sapia est tombé le Ion- des grilles, la tête fracassée .,,dit Gaston Da Costa. Il esllivraisemblable que ce chef de bataillon se fùtavance jusqu'aux grilles, il parlementait avec le comte de Legge et le colonel Vabre, pour faire tirer ses hommes, sur un bâtiment fermé, barricadé, étant certain d'attirer la riposte des bretons à l'abri. _

La décharge des bretons, qu'elle ait suivi ou précède celle des gardes nationaux, fut terrible. Le commandant Sapia les délégués Chataigniaud et Fontaine furent tues. Il y eut une cinquantaine de blessés ou de morts, parmi lesquels des femmes, des enfants. Du côté des bretons, quelques pierres de l'Hùtel-de-ViUe furent écornées et trouées. 11 y eut aussi un certain nombre de carreaux brisés

La foule inoffensive s'était dispersée, et quelques gardes nationaux, voulant courageusement risposter, se postèrent

126 HISTOIRE DE LA. COMMUNE DE 187I

derrière les candélabres de la place, s'agenouillèrent le long des tas de sable déposés parles cantonniers, et tirèrent vers les fenêtres de l'Hôtel-de-Ville. Les gardes du lOi" s'ados- sèrent au bâtiment de l'octroi, annexe de l'Hôtel-de-ViJle ; ceux qu'avait amenés Razoua ébauchèrent une barricade, avec un omnibus renversé, au coin de la rue de Rivoli. M. Cresson, préfet de police, à la tête d'une brif^ade de ser- gents de ville, chargea les insurgés qui tentaient de cons- truire la barricade, les dispersa, puis opéra des perquisitions dans les maisons de l'avenue Victoria, s'étaient réfugiés des manifestants, au moment de la décharge.

Le préfet de police se porta ensuite au-devant du général Dargentolle, qui arrivait par le quai, avec la garde municipale et de l'artillerie. Il lui apprit que tout était fini.

La fusillade avait duré à peine im quart d'heure.

Cetteéchauffourée n'eut de gravitéque parles décharges, absolument inutiles, des bretons, car, quelle que soit la ver- sion qu'on accepte sur l'origine des premiers coups de feu, il est certain que les décharges se multiplièrent ; les gardes nationaux ne firent ensuite que riposter par un feu inof- fen.sif, blessant .seulement les murailles, au feu plongeant et meurtrier dirigé des fenêtres du premier étage et de l'en- tresol par les mobiles abrités. La collision produisit peu d'émotion dans la ville, au premier moment. Beaucoup ignorèrent jusqu'au lendemain qu'il y avait des cadavres sur la plaie de Grève.

Jamais je n'ai mieux senti que ce jour-là, dit Francisque Sarcey, combien ce Paris était vaste, et quel univers c'était que cette grande ville. Il faisait beau temps, et c'était dimanche, en sorte que nous étions descendus, quelques camarades et moi, sur les boulevards. La population parisienne, qui fait toujours fête au soleil, s'acheminait, nombreuse et gaie, vers les Champs-Elysées. Nous rencontiùmes par hasard un ami, qui nous apprit qu'on se battait à l'Hùtel-de- Ville. Nous courûmes de ce côté ; sur notre

LE DIX-HUIT MARS

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roule rieaquc des flâneurs indiftërents qui ne semblaient pas oTçonner^u'on se ti.ât des coups de fu..l, à "■^/''-"^^.^^^ là.rmesureque nous approchions, la physionomie des ru c^^^^^^ ireoit sensiblement: partout des groupes animes, des orateurs en E vent, une Coule très houleuse qui roulait yerslclieu du com- £,. Nous traversâmes laplace, derrière les vo.turesd ambulance qui emportaient les blessés, et rencoatràrnes l*: P-f«\f . f ^^; M Cresson, qui nous fit passer de l'autre cote ; car deja les Lupes arrivaient et formaient un cordon autour de eme^ute vaincue. Nous étions sur la rive gauche ; la, sifflaient les obus prussiens, tandis que grondaient les canons de -^/-'^i; , f; chaient à leur répondre. C'était un tonnerre incessant d artillerie. NoTr montAme' les quais, presque déserts et, par le pont des Arts nous débouchâmes sur la place du Theâtre-trançais.

Se foule considérable sortait du théâtre, l'on avait ,,oue ce jour-là te Mariage de Figaro.

(Francisque Sarcey, le Siè<fe de Paris.- Ed. Lachaud, ParU, .87 ■>

p. 3a6.)

Parmi les prisonniers arrêtés dans les maisons de l'ave- nue Victoria, se trouvait Serizier, le commandant du ,o.« bataillon, Le colonel Vabre voulait le faire fusiller sur place, mais Jules Ferry, qui venait d'arriver à l'Hôtel-de- ViUe s'v opposa. Gustave Chaudey n'avait plus à intervenir, le mlir"e étant présent. Il a pourtant porté le poids du sang versé. On ne lui sut pas gré, par la suite, de son énergie intempestive. On lui contesta môme la vigueur, qui devait lui être imputée à crime et provoquer son supplice.

L'attitude de Chaudey avait été fort piteuse, dit M. Alfred Duquet II n'avait su que dire au commandant de Legge . « évi- tez de faire feu. » H l'avait répété plus de dix fois.

(.Ufred Duquet. l' Insarrection du 32 janvier, p. 347.)

Chaudey avait cependant télégraphié à Jules Ferry, au moment de la fusillade, pour demander du renfort. Mais cette demande peut se justifier par le désir légitime d em- pêcher le palais, dont il avait la garde, d'être envahi. Les

128 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

renforts, conduits par Jules Ferry et le général Dargen- tolle, arrivèrent, comme on l'a vu, quand tout était fini.

Jules Ferry, en reprenant son fauteuil de maire, s'em- pressa de rédiger la dépêche suivante aux commandants des neuf secteurs :

Quelques gardes nationaux factieux, appartenant au 101e de marche, ont tenté de prendre l'Hôtel-dc-Ville. Ils ont tiré sur les officiers de service et blessé grièvement un adjudant major de la garde mobile. La troupe a riposté. L'Hôtel-de-Ville a été fusillé des fenêtres des maisons qui lui font face, de l'autre côté de la place, et qui étaient d'avance occupées. On a lancé sur nous des bombes et lancé des balles explosibles.

L'agression a été la plus lâche et la plus odieuse, d'abord au début, puisqu'on a tiré plus de cent coups de fusil sur le colonel et ses officiers, au moment ils congédiaient une députation admise un instant avant dans l'Hôtcl-de-Ville. Non moins lâche ensuite, quand, après la première décharge, la place s'étanl vidée et le feu ayant cessé de notre part, nous fûmes fusillés des fenêtres en face.

Dites bien ces choses aux gardes nationaux, et tenez-moi au courant si tout est rentré dans l'ordre.

La garde républicaine et la garde nationale occupent la place et les abords.

Le ton emphatique de cette dépêche, les exagérations et les erreurs de fait qu'elle contient prouvent que, ce jour-là, Jules Ferry, si maître de lui au 3i octobre, n'avait pas tout son sang-froid, et ne gardait point sa mesure habituelle.

Les bombes et les balles explosibles n'existèrent que dans l'imagination de Ferry. les gardes nationaux se seraient- ils procuré des balles explosibles, dont nulle part on ne trouva la trace, dans les arsenaux ni ailleurs, durant les combats du siège ? Ferry reproduit là, sans nécessité, une calomnie propagée par les journaux prussiens. Quant aux bombes il n'y avait ni mortiers ni canons sur la place de l'HOtel-de- Ville. Les troupes du général Dargenlolle venu

LE DIX-UUIT MARS ' ^9

avec Ferry, après la fusillade, avaient seules de l'arlillerie. L'invraisemblance des cent coups de fusils tirés sur le colonel Vabre et ses officiers « au moment ils congé- diaientune dépulation admise un instant avant dansl'Hô- tel-de-Ville » est évidente. Les gardes nationaux eussent-ils tiré sur ce groupe, au hasard, au risque de tuer les délé- gués, leurs amis?

Le gouvernement afficha le lendemain la proclamation suivante, aussi violente de ton et contenant une allégation absurde :

Un odieux crime vient d'être commis contre la patrie et contre la République.

11 est l'œuvre d'un petit nombre d'hommes qui servent la cause de l'étranger.

Pendant que l'ennemi nous bombarde, ils ont fait couler le sang dj la garde nationale et de l'armée, sur lesquelles ils ont tiré. Oue ce sansç retombe sur ceux qui le répandent pour satisfaire leurs criminelles passions.

Le gouvernement a le mandat de maintenir l'ordre, l une de nos principales forces en face de la Prusse.

C'est la cité tout entière qui réclame la répression sévère de cet attentat audacieux et la ferme exécution des lois. Le Gouvernement ne faillira pas à son devoir.

11 est impossible d'admettre cette affirmation. Les patrio- tes, qui s'insurgeaient pour protester contre l'inaction du gouvernement, et qui voulaient ôter le pouvoir à Trochu et à ses complices pour interrompre leurs négociations avec les Prussiens, no pouvaient être sérieusement accusés de p^icliser avec l'étranger.

FERMETURE DES CL IBS

Les mesures de réaction suivirent ce réquisitoire. Les clubs furent fermés. Il y avait eu, dans ces assemblées popu- , 9

|3o HlSTOmE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

laires, bien des sottises formulées, et les propositions ridi- cules ou absurdes avaient trop souvent rempli les séances passionnées. On avait écouté, toujoui-s avec attention, sou- vent avec une crédulité naïve autant qu'enthousiaste, des rêveries d'inventeurs et des motions saugrenues. Le célèbre feu gTéft-eois avait eu les honneurs de plus d'une réunion ; les bombes asphyxiantes avaient été l'objet de discussions ardentes; et l'on avait seulement souri, quand, au club Favier, un patriote imag-inatif avait proposé de lâcher dans les bois autour de Paris les fauves et les reptiles du jardin des Plantes, qui coûtaient cher à nourrir, et qui formeraient une redoutable avant-g-arde défensive pour nos avanl^postes. Mais dans ces clubs aussi, l'on avait si souvent invo- qué la Commune, sans la définir, sans trop savoir ce qu elle représenterait, ovi on avait salué en elle le vrai g-ouverne- ment populaire et sauveur, celui qui chasserait les inca- pables du g-ouvernement, et peut-être avec eus les Prus- siens des lig-nes d'investissement, il y avait eu des motions vraiment patriotiques, et des harang-ues réconfortantes avaient été débitées etapplaudics.On y avait entretenu l'es- pérance, l'illusion si l'on veut, mais pour un peuple assiégé l'annonce de la délivrance est le meilleur cordial. S'il y avait eu, dans des séances sans intérêt, de vaines dénonciations et des commérages de portières sur « telle dame distinguée, qui nourrissait son petit chien avec du pain », des paroles énergiques et des appels sincères au courage, à la résis- tance, au sacrifice et au dévouement avaient été fréquem- ment prononcés. 11 y eut mémo, ici et là, des séances l'énert^ie révolutionnaire et le patriotisme exaspéré inspirè- rent des paroles enflammées d'une éloquence aussi farouche que celles qui furent prononcées à la tribune de la Conven- tion, quand Danton ou Vergniaud l'occupaient.

M. G. de Molinari.dans ses comptes-rendus ironiques ou

LE DIX-HUIT MARS

i3i

malveillants, mais pittoresques et suffisamment documentés pour donner une idée de ces séances à peu près exacte, et qui révèlent la mentalité des tribuns populaires, a conservé la trace de motions et d'impressions du public qui prou- vent les intentions patriotiques et la fébrile énergie de tous ceux qui s'entassaient dans ces salles fumeuses, insuffi- samment éclairées, non chauffées, l'on était serré sur des bancs étroits, l'on restait souvent debout, surtout lors- qu'il y avait une personnalité connue et aimée à la tribune. Mollnari n'a pu s'empêcher, par exemple, de reconnaître « le souffle et le don d'émouvoir », chez un orateur qui avait eu déjà de grands succès dans les réunions publiques sous l'empire, Briosne (i). Voici un fraj,-ment du discours de lirlosne, au club de la rue d'Arras, le i3 janvier 1S71, qui permet de se faire une idée du ton et du lang-age de

ces réunions

LA SITUATIOX DÉCRITE PAR BIÎ/OS.YE

La situation est désespérée, et pourquoi ? demandait Briosne. Parce que le gouvernement, suivant en cela l'exemple funeste de ses devanciers, nous a consUiumeut caché la vérité ; parce qu'il nous a nourris d'illusions ; parce qu'il s'est évertué à nous dis- sùnuler la puissance de l'ennemi auquel nous avons affaire. Cet ennemi a sur nous l'avantage de la discipline et de la science; ou a voulu nous persuader que nous pouvions l'emporter sur lui grâce à la supériorité de notre courage. Vaine illusion! Tnste mensonge ! Notre ennemi est aussi courageux que nous, cl, au lieu de le déprécier, nous aurions mieux fait d'acquérir ce qui nous manque pour l'égaler et le vaincre. Il y a trente-cinq jours, époque de la dernière visite de l'orateur au club Favie, on pou-

(i\ Briosne, condamné pour complot en 1 854, orateur àe réunions sous rE.ni.iro, candidat aux élections légisIaUves de i869,_ élu membre de la Commune par le l.V arrondissement (a. 436 voix), n accepta pas, et disparut de la vie politique.

,32 IllSTOIHB DE I.A COMMUNU DE IO7I

vait encore lout sauver. Oa avail 600.000 hommes et des vivres; on pouvait organiser une aclion énergique cl décisive de concert avec la province, aujourd'hui on est à bout, le temps manque, et bientôt tout va manquer! Qui parle encore de faire la Com- mune'.' Qui serait assez insensé pour assumer la responsabilité de la siuiation nous sommes? La Commune'.' son heure est passée. Auriez-vous le temps d'organiser un gouvernement, d'imprimer à tous l'impulsion nécessaire pour assurer la résis- tance? Non! Il est trop tard. Mais à qui la l'aute? Sur qui doit peser la responsabilité de la situation? Est-ce sur le peuple? Non ! le peuple ne gouverne pas ; il est mené et exploité comme il l'a toujours été; c'est la bourgeoisie, la bourgeoisie qui a la science, la richesse et le pouvoir, c'est elle qui sera responsable du désastre de Paris. Mais ce désastre sera plus grand et plus complet qu'elle ne se l'imagine. Ah ! elle croit qu'il lui aura suffi de l'aire un semblant de résistance, d'aller aux remparts et de faire des recouuaissances, on ne voit pas les Prussiens, et d'où l'on revient en se disant : Nous avons été admirables ! elle croit, celte caste égoïste et vaniteuse, que cela lui suffira pour couvrir sa responsabilité devant le peuple et devant l'histoire! Non! non! nous ne le permettrons pas! Paris est la capitale du monde civi- lisé, il faut que sa chute soit digne de sa renommée. Quand Jéru- salem est tombée, les femmes jetaient sur l'eunemi, du haut des murailles, à défaut de pierres et de débris, les membres palpi- tants des défenseurs de la cité sainte; de Palmyre, la reine du désert il n'est resté qu'une colonnade mutilée, et on a cherche pendant des siècles l'emplacement de Babylone et de Ninive. Eh bien, il faut que Paris aussi sache mourir. Si les Prussiens entrent dans Paris, la province continuera la lutte, et alors comment nous approvisionnerons-nous? D'où nous viendront les vivres? Les Prussiens pourront-ils se charger de nous nourrir? Tu ne seras pas nourrie, bourgeoisie prévoyante, mais tu seras pillée, car les Prussiens commenceront par imposer à Paris une contri- bution de guerre de -> ou 3 milliards, et ces milliards, ce n'est pas à Belleville qu'on viendra les chercher ; non ! comme on ne trouvera pas assez d'arffcnt, on prendra les chefs-d'œuvre des musées, on mettra à contribution les riches ameublements des bourgeois, les tableau.x de maîtres qui décorent leurs salons, leurs bijoux finement ciselés... Ne vaut-il pas mieux échapper a cette fia ignominieuse par un suprême effort ? Au lieu d imiter

DIX-HUIT Mxns

h^ 1, iMe sous le sable en altemlant la mort, l'autruche qu. se «^^-^.l^^ 'f '?^f '°"VJ; ,on ennemi et lui lait scn- i„,Uons le lion accule qm «.^'«"^^ ^"[,4°^ j. o„ie; sortons tous, Ur sa grille .lans une ''""•^'-^^^^J'brlil oublions nosdivi- bommes, et ^'-T^;^^^^;^:;^.:^ la bourgeoisie, si elle sions, nos i^nefs, nos '^•"°';' P , j^^e cent mille, i deux mil-

.r,t à <îmil,i£rer la conscience populaire, à

Les clubs serv.rent a soulager révoluùon-

soulirer aussi, dans bien des c-, «^j '^^^^^^ ,^,

: S, le. »,.,ité. avertie, .,.«. pu P'» "J

-rae::s.t=à:;^^::...»-^^^^^^^^^^

^x-illait les âmes, et qui aurait sauvé la France, en a

E, : r.rj™'rs rj .„„;».».. s„ec«=|e,

"; l'.li»>e„.alio„ intellectuelle si nécessaire à une popula- lion enfermée.

l34 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

On mirait pu, dit-il en faisant allusion à l'ordonnance du prcfel de police Kéralry, qui, au moment de l'approche des Prus- siens, avait prescrit la i'erineture des théâtres, fermer les clubs en même temps que les théâtres, et le conseil en a été donné au gou- vernement de la Défense nationale. Quelques-uns allaient même jusqu'à l'engaçer à suspendre la publication des journaux ; mais que serait donc devenue cette po[iulation nerveuse et impression- nable, pour laquelle la conversation parlée et écrite est un arti- cle de première nécessité, si on l'avait privée à la fois des théâ- tres, des clubs, des journaux, dans le moment même toute communication lui était interditeavec le reste du monde ?...

Les Parisiens isolés, détenus clans leur ville devenue geôle, ne pouvaient être tenus en cellule et gardés au secret; il fallait leur laisser, comme à des prisonniers politiques, la consolation de s'entretenir entre eux, et d'échanger leurs rêves et leurs espérances. Les clubs furent, pendantle siège, les théâtres et les salons du peuple. On eut donc raison de les laisser ouverts, et leur fermeture ne donna nullement ce résultat que Vinoy et Jules Ferry attendaient, de « clore l'ère des émeutes », puisque six semaines s'étaient à peine écoulées depuis le 22 janvier, que le Comité Central et la Commune étaient maîtres de Paris.

Diverses mesures de répression accompagnèrent la fer- melure des clubs. Les journaux le Combat et le Réoeil furent supprimés. Leurs rédacteurs, Delescluze et Félix Pjat, furent mis en accusation, malgré l'opposition d'Em- manuel Arago, et sur l'insistance d'Eugène Pelletan. De nombreux citoyens furent arrêtés ou recherchés. On pro- posait l'établissement de cours martiales, mais on se con- tenta d'instituer de nouveaux conseils de guerre. On ins- truisit le procès des manifestants arrêtés, et on leur adjoi- gnit des notoriétés révolutionnaires :

Le procès, dit un auteur anonyme exprimant un regret de l'insuffisance des poursuites, ne porta condamnation réelle

i35

LE DIX-nUIT MXn*

Félix Pyat. .

pu devancer, f^-f^énn conjurée. La guerre alors la capUulaUon '"^^^^^f;' '^ p^^^i iolongée en pro- avec les Pruss.ens --^^^dl oueUnt, car Chanzy, vince, aurait eu peut-être un autre a Gambetta

^al,r. sa défaite ^^^^^^^ ^^'^^^^^^^^^^^ .ois . ! En

pouvoir « se faire ^^^^^^^^^Ji^ée, et l'assemblée natio- tous cas. la guerre ^^^^^^^J^"^ ^,^,, à Versailles, ,,le, n-étant ni c^^ue^ a Bordeau^.^^ ^^^^^ ^^ ^^^^ la Commune ibsue ac 11 ^„mme crouvernement

„ue, au moins P^J'^^^P J" n'étdent plus les national. Les destinées ^e la^r-- ^,.J^^^,^ du

n.êmes.0ndoitdoncre3^reterq-- - ^^^ ^;^,,„3.

!:r:;d;;r;rCir^.^-.--c.au.ourée

inutile, une révolution ratce.

LIVRE IV

LA CAPITULATION

LA DERNIERE BOUCHÉE DE PAIN

L'émeute du 22 janvier aurait réussi, que, sans parler des difficultés militaires qui n'eussent été ni pires ni dimi- nuées par la présence d'hommes nouveaux au g-ouverne- ment.la Commune se fût trouvée en face du redoutable pro- blème de l'alimentation quotidienne. La solution ne pou- vait être que l'armistice, avec ravitaillement, préliminaire de la capitulation. Paris était réellement à bout de forces et de patience. Tout en reconnaissant qu'il j avait des subsis- tances dissimulées, et qu'on pouvait encore vivoter quel- ques heures, par un rationnement impitoyable, avec des perquisitions adroites et la distribution progressive des vivres de réserve, le siège ne pouvait être prolono-é sans ris- quer de voir décimer inutilement, par la faim et les mala- dies provenant de l'inanition, la moitié des habitants. La classe moyenne et les gens qui n'étaient ni fonctionnaires ni inscrits aux bureaux de bienfaisance étaient surtout éprouvés. La patience et la résistance physique et morale de la population avaient été admirables. Il avait fallu beau- coup de courage négatif et une dose forte de bravoure pas- sive pour supporter, durant cinq mois, la privation du

i37

LE DIX-BUIT MARS

nécessaire, et aussi, ce qui était pavedlement .nsuppo blepour beaucoup, l'absence ou la raréfacl.on des choses supfrnues. Les femmes avaient assurément plus soutle t nue la portion masculine, d'abord avec les queues mat>na- L à la porte des boucheries.laiteries, boulanseru,s,et aussi àraison'du changement d'habitudes, de la todette c. u costume négligés, de la rupture des relat.ons, de la ces a S des visftet. des dîners, des ^^stractionstra U.onnd es et des fêtes familiales. Les Pansiens,et ce n était pas a su rément leur faute, n'avaient cependant couru que peu de daT^rs du fait des hostilités; le bombardement,sauf quel- q ^regrettables accidents, avait fait plus de tapage que de victimes. On ne saurait, tout en rendant JUsUce a at titude vaillante des assiégés, assimiler leur hero.sn e celui des compagnons de Léonidas. Ma.s en adme^ n qu'ils eussent été tous décidés, et l'hypothèse est admi... île, à se faire tuer dans le ravin de Buzenval, devenu les Thermopyles parisiennes, comme on ne leur avait pas demandé ce sacrifice complet,en réalité les projecUles prus- siens n'avaient fait dans les rangs de la population arme oue des vides beaucoup moins importants que ceux dus à îa disette et à la maladie parmi la population civile. Elle ne se battait pas, mais elle devait manger tous les jours

Après le 22 janvier, un chef de division de la ville de Paris, nommé Pelletier, insista pour être entendu par le gouvernement. Introduit, il déclara « que la commission char<^ée de l'alimentation avait commis une erreur sur la .quantité des farines à sa disposit.on,q«'elle n'avait pu réu- nir, pour le surlendemain, que trois mille q"'f ^"^' 1'^;^ lui en fallait au moins cinq mille six cents ». Jules Favre qui raconte ce fait, ajoute :

Il n'y a pas de mois dans la langue humaine qui puisse

l38 HISTOIRE DB LA COMMUNE DE 187I

peindre l'effet de ces paroles... Paris à son lever u'ayant même pas son rationni-mentdc .'oo grammes par adulte. On Ht, on refit les calculs, on rcp;issa les états, la sentence était irrévocable., le ministère de la Guerre consentit à laisser entamer les réserves qui clalcnt destinées à nourrir son armée, et à prolonger de deux ou trois jours le délai pendant lequel il fallait faire vivre Paris pour le ravitailler...

(Jules Favre, le Gouvernement de la Défense Nationale, du 3i octobre au 28 janvier.)

Il n'y avait donc plusqu'à faire passer dans les faits la capitulation, qui était déjà arrêtée dans la pensée du gou- vernement.

Une suprême convocation des maires eut lieu. On leur fit connaître la situation, en ce qui concernait les; subsis- tances. M. Magnin, ministre du Commerce(i), annonça qu'il pourrait donner du pain jusqu'au 4 février, pas au delà. Le dilemme se posa : ou la famine ou les négociations? Les maires, l'ûme ulcérée, acceptèrent alors le principe des négociations. Mais la question, si importante, déjà posée dans le conseil tenu au lendemain de Buzenval, revint plus brûlante, plus impérieuse : qui devait négocier ? Les mai- res refusaient ce douloureu.x mandat. !ls avaient raison ; ce n'était pas à la municipalité qu'il appartenait de rendre la place assiégée. Emmanuel Arago soutint de nouveau cette opinion, précédemment émise, que le gouvernement n'avait pas qualité pour entamer des négociations avec l'ennemi. Il avait pareillement raison. Il eut le grand tort d'ajouter que ce pénible devoir incombait à la municipalité. Les mai- res persistant dans leur refus, on décida que ce serait le gouvernement qui traiterait avec les Allemands.

(i) Picrre-.Ioseph IMajcnin, ne h Dijon i" janvier 1834. mort à Paris a3 novembre 1910, maître de foraes, député sous l'Empire, ministre du Commerce et de l'A^'ricuIture pendant le si(^L,-e, députe ;\ l'Assemblée nationale, plusieurs fois ministre des Finances, vice- président du Sénat.

te DIX-nUII MAKS

i39

C'était une hérésie politique et militaire, c'étaUauss. une faute qui équivalait à une trahison. Quand une place assié- gée est réalité, par le bombardement, la brèche ou la dis- parition des vivres, à olîrir sa reddition, c est le comman- dant militaire qui accomplit les démarches et tra.te avec l'assiéffeant. Sa signature n'engai^e que la place, la for e- resse, les troupes qui ont subi Imvestissement, ma.s les autres places, les forteresses, les troupes, le ternto.re pns dans son ensemble, ne sont pas obbgés par cette capitula- tion. Quand Sedanavaitcapitulé, laredd.fon Je cette place uavail nullement entraîné la remise à l'ennemi de Metz et de Paris. Napoléon III eut une prévoyance et une correc- tion qui firent défaut au gouvernement de la Défense. Cet eue les hommes du k septembre, à fin de janvier ,87., étaient surtout préoccupés d'imposer la paix non pas seu- lement à Paris, mais à toute la France; ils en enda.ent, avec la capitale livrée, désarmer le pays, ce qui le^^ assu- rait pour un temps la conservation du pouvoir- Ce fut Ik un crime de plus à joindre à leur dossier déjà bien charge.

LES NÉGOCIATIONS

Une seule circonstance atténuante à la décharge de ces hommes, qui ne furent pas un seul jour à la hauteur de la mission qu'ils avaient acceptée, qu'ils s'étaient donnée à eux-mèmls, pour être plus exact: ils étaient nantis de dep - ches vraiment décourageantes, venues des depar^men^^^ communiquées intentionnellement par Bismarck. Le gene- r" Sianzy et l'armée de la Loire avaient été battus et reje- tés au delà de Laval. Le général Faidherbe était repousse dans le Nord ; seul Bourbaki avait encore une position tena- ble, dans l'Est, mais il ét^it évident que pendant long emps on ne pourrait e.spérer un retour oflensif de ces armées en

<40 lIISTOinE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

déroute, affaiblies, démoralisées, et que l'espoir de les joindre, la fameuse trouée, devenaient de plus en plus chi- mériques. Une sortie, comme celle du 19 janvier, eût-elle un résultat tout différent, eilt-on gag'né une seconde bataille de Buzenval, serait-on parvenu à franchir les défenses, redoutes, tranchées, abattis de bois, derrière lesquels les Prussiens s'étaient retranchés autour de Paris, qu'on se serait trouvé dans la nécessité de livrer bataille en rase campagne, c'est-à-dire avec toutes les chances d'être écrasé, sans aucun espoir d'être secouru, ni de pouvoir se replier sous les forts. Pour Paris, la résistance semblait donc avoir atteint son terme.

GambeKa cependant espérait toujours, et ne parlait pas de cesser la guerre. Il s'efforçait, au contraire, de reconsti- tuer l'armée de la Loire ; il appelait, préparait de nouveaux renforts pour le g-énéral Chanzy. Cette indomiitable éner- gie, dont Gambetta faisait montre en ce moment critique, donnait de l'ombrage et de l'inquiétude à ses collègues de Paris. Ils essayèrent de le décourager et de prémunir l'opi- nion contre la persistance qu'il montrait à vouloir, malgré tout, malgré eux surtout, continuer la lutte qu'ils avaient de cœur, et même de fait, abandonnée. Ils firent paraître, dans ce but, la perfide et tendancieuse note suivante, que les journaux amis s'empressèrent de reproduire :

Les personnes qui ont été ces derniers jours en rapport avec rétat-major prussien (quelles personnes '? l'espion officiel Wash- burne, ministre des Etats-Unis, ou les officiers parlementaires, charges de négocier la suspension d'armes de deux heures pour enlever les morts et relever les blessés, le lendemain de Buzen- val '?) affirment que les derniers événements militaires auraient porté, en province, les esprits les plus décidés à la résistance à comprendre la nécessité d'un armistice. M. Gambetta et les membres ilu gouvernement délégués à Bordeaux auraient, dit-on, eux-mêmes ouvert des négociations à cet eflet.

LE DIX-HUIT MARS

C'était un mensonge de plus, mais la P^-^-^j; f J cielle de celui-là n est pas établie, pas plus que le bruit du sùtide de Gambetta, que l'on faisait courir, dans un but

'^ti ta-::; le général Vinoy et le général Trochu, ce dernier cooime président le conseil du gouvernement car il n'était démissionnaire que comme gouverneui de Pan reçurent les cbefs de corps de l'armée de Pans, et leur firent part de la nécessité de la capitulation. Ces ofhciers n a- vant aucune observation à faire : c'était chose décidée, e d:;à Jules Favre s'apprêtait à se rendre à Versailles pour

"■te'lendemala .G, leJournai officiel parut avec cette déclaration du gouvernement :

prolonger 1. iU'ax de Pan.. ^, ,,3

, ■=• '%"nir.r. re";2.nw .00. ... -.»« a. s: lièTS a. -", . ,. ~i«éje £. -,- ;x;

•■SeS .fi;,Seïïr;oÏÏ:«"àri », ,oL..„e.. ..

nous permet plus "i'.^'^^Y/ roavernement avait le devoir absolu Dans celte situation, .'<= Goa^ernement^ ^^^^ ^^

de négocier. Les -gocialions ont lieu en ce «o ^^^ ^ .^.^^^ n.onde comprendra que nous «e P0« °'- ^ pourvoir les publier sans de graves «<=°"^'=°'«°'^- fî^f .-" fdès iuiourd'hui, que le demain. Nous pouvons -P-f.^;;/;^;^» ^auvcg^ la réu-

prlncipe de la souveraineté °f;,°;^'^,f;ifj,„;,ti-ce a pour but la Llou i>nmédiate d'une -'''"-''^''Z^M I armistice,

;rrr.f.a:"rï.^x;i.--.^- iï"rr;.rï;i;raX'.r ™;:-r: ae%.. ..^

sera emmené hors du territoire.

l42 lIISTOinG DE LU COStMUNE DE 1S7I

Le bombardement, malgré les préparatifs de l'armistice, se poursuivait très vif. Le môme numéro de l'Officiel qui annoa(;ait les négociations enregistrait le rapport du g-éaé- ral de Valdan, remplaçant Schmitz, dans lequel il était dit que : « sur les fronts de l'est un combat violent d'artillerie avait eu lieu toute la matinée, et que les défe'nses du Nord, depuis le Drancy jusqu'au fort de la Briche, étaient l'objet d'un bombardement très actif. On ne sig'nalait qu'un tué et 18 blessés.. » C'était encore trop, et ces ultimes sacrifices étaient aussi inutiles que cruels.

JULF.S FAVRE A VERSAILLES

Le canon tonnait au nord et au sud jusqu'à minuit, dans la nuit du 25 au 26, quand, à minuit et quart, le silence fut général et brusque, des deux côtés. Plusieurs fiacres fran- chirent la porte d'Auteuil. Ils emmenaient M. Jules Favre et son secrétaire, le général de Valdan, chef d'état-major général, et un officier de service, le général Vinoy et son aide decamp, ISI. Washburne, ministre des Etats-Unis, et un attaché, le général de Beaufort d'Hautpoui, le capitaine d'état-major comte d'Hérisson, officiers d'ordonnance, plus deux secrétaires, et un domestique portant la valise de Jules Favre. La Seine fut traversée en barque, au pont de Sèvres, au passage ordinaire des parlementaires. Des offi- ciers allemands avec une voiture à quatre chevaux atten- daient. Jules Favre y prit place. Il fut conduit immédiate- ment à Versailles, et introduit dans un salon. Il entra seul, en redingote noire, l'air triste mais digne. Sa lèvre ironi- que et dédaigneuse s'accentuait dans un pli d* souffrance. Trois personnes l'attendaient. C'étaient le roi de Prusse, qui venait d'être salué empereur d'Allemagne, de Moltke et Bismarck. Guillaume se leva et vint au-devant du repré-

LB DIX-HUIT MA.HS l43

sentint de la France qui s'inclina. L'empereur lui adressa aussitdt ta parole :

« Avant tout, monsieur, permettez-moi de vous pi-ésent l'expression de mon admiration pour la défense héroïque de Paris et pour la vaillance de son armée. Dans le dernier romhat surtout vos troupes improvisées ont étonné les nôtres, par leur entrain et leur solidité. »

Jules Favre rerut ce compliment par une nouvelle incli- naison, plus profonde, et relevant sa tôle expressive, la visag-e attristé, la voix grave et lente, tenant les bras croi- sés sur sa poitrine, dans une attitude digne qui lui était familière à la barre, il répondit :

Sire, ces troupes improvisées étaient pour la plupart formées d'époux, de pères de famille, de jeunes gens et d'hommes déjà vieux, qui combattaient pour leurs fovers, pour leurs familles. Beaucoup sont tombés. Que de veuves et d'orphelins I...

Jules Favre s'arrêta. Il avait déjàcomprisque cet apitoie- ment peu adroit sur les deuils que la guerre amène allait fournir un argument aux impitoyables vainqueurs.

Le plus haineux de nos ennemis, le danois de Moltke, prit aussi la parole :

L'Allemagne, monsieur, compte vingt fois plus veuves et d'orphelins que la France, dit-il d'un ton sec. L'Allemagne a plus soutt'ert que la Fi-ance de cette guerre ti'rrible. C'est une bien amère constiitalion pour vous, sans doulu, mais vous nous avez fait bien du mal. Nous avons du reste tous fait notre devoir. La France ne sort pas hu- miliée de cette lutte. L'Europe proclame déjà que la famioe seule a fait tomber les armes des mains des défenseurs de Paris.

Jules Favre salua et ne répondit rien. Un silence s'éta- blit. Bismarck alors s'avançii, heureux de l'occasion d'ap-

l4( HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

pujer, et pour ainsi dire de lég'itimer, l'énorniité des pré- tentions qu'il allait émettre, et les dures conditions qu'il se préparait à faire connaître. Il reprit, comme à l'appui de ce qu'avait dit de Moltke :

Oui, l'Allemag-ne a bien soufTerl, autant sinon plus que la France. Elle a supporté des sacrifices sans nombre. Toute sa population valide a prendre les armes devant la résistance énergique de son ennemie. Notre victoire a été bien chèrement acquise... Aussi, reprit-il, après avoir pris un temps, comme on dit au théâtre, lorsque le comédien doit lancer une réplique àetfet et d'importance décisive, la nation allemande exige que la France répare, autant qu'il sera en son pouvoir, tout le mal qu'elle lui a causé, en lui déclarant, sans motifs, une guerre dont on devait prévoir toutes les calamités...

L'impudent chancelier, le provocateur de cette guerre, dont il avait machiné le piège et qu'il rendit inévitable par une dépêché fabriquée, ayant ainsi préparé ses voies, indiqué ses exigences e.xorbitantes, aborda les premiers termes de l'armistice en vue.

La discussion fut longue, et Jules Favre dut revenir à Paris conférer avec ses collègues, pour retourner ensuite à Versailles achever la délibération, et conclure les termes de l'armistice.

Quand les conditions débattues avec opiniâtreté, de part et d'autre, furent enfin arrêtées, Bismarck tendit la main à Jules Favre, et lui dit :

« Je suis heureux, monsieur, de rendre hommage à votre caractère. Vous avez, au milieu des revers qui frap- paient votre patrie, toujours eu des paroles patriotiques, des espérances et des illusions bien légitimes. Je ne forme plus qu'un souhait, c'est que l'Allemagne et la France, ou- bliant le passé, se réconcilient pour toujours, car de l'union

LE DIX-HUIT SIARS l45

de ces deux peuples dépendent la tranquillité et la prospérité de la France. »

Jules Favre aurait pu répondre que cette réconciliation désirable dépendait de son hôte. Si, en efl'et, Bismarck se fût contenté d'exiger des milliards pour indemniser l'Alle- magne de ses pertes indiscutables, la réconciliation, et l'union dans l'avenir étaient possibles. Mais l'amputation de la chair française, le dépeçage de notre France pante- lante et à terre rendirent toute pensée d'un oubli impos- sible, pendant quarante ans. Cette impossibilité doit durer tant que l'Alsace-Lorraine ne nous sera pas rendue, paci- fiquement ou autrement. Ce n'est pas la vanité blessée, ce n'est pas l'humiliation d'avoir été battus, qui perpétuent cet antagonisme irréductible ; la France, comme toutes les nations, n'a pas toujours eu la victoire de son côté ; mais c'est l'annexion par la force d'une partie de son territoire qui rend inacceptable, pour les générations du moins qui se souviennent et ne veulent pas oublier, toute entente plus ou moins cordiale avec les Allemands. Nous avons pardonné aux AnglaisAzincourt et Waterloo, et nousavonseu raison, mais si l'Angleterre eût conservé, malgré les populations, le seul port de Calais, croit-on que le roi Edouard ou son successeur auraient jamais pu venir, en amis, à Paris ?

Jules Favre ne répondit que par un geste évasif aux avances de Bismarck, et déclina, avec courtoisie, l'invita- tion à dîner que lui adressait le chancelier. Il revint diner à l'hôtel des Réservoirs, l'attendaient les personnages qui l'avaient escorté dans sa mission.

Au moment il quittait Versailles pour rentrer à Pa- ris, les officiers commandant les avant-postes se sontavan- cés vers sa voiture, ht casquette à la main. L'un d'eux, au nom de ses camarades, lui adressa le compliment suivant :

Monsieur le Ministre, veuillez bien exprimer à vos I 10

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histoihe de la commune de i«7I

concitoyens de Paris l'admiration que nous éprouvons pour leur belle résistance. L'armée allemande comptait bien en- trer dans la capitale pendant le mois de septembre, et nous voilà au mois de février. Depuis cinq mois, nous attendons

à vos portes ! , ,• i

Vous attendriez encore, messieurs, si la tamme ne les

avaitpas ouvertes !...

On se salua et la voiture partit.

REDDITION DE PARIS ET REMISE DES FORTS

La date à jamais néfaste, de la capitulation de Paris, qui mit fin à la guerre franco-allemande, doit être indiquée, bien que tout fût conclu de la veille, au samedi 28 jan- vier iS^I. „•.!/-„

Le Journal ofJicM publia à cette date lavis de la Con- vention, dont les termes avaient été arrêtés le vendredi, entre Jules Favre et Bismarck, à Versailles :

Citoyens, La convention qui met fin à la résistance de Paris n'est pas encore signée, mais ce n'est qu'un relard de quelques heures.

Les bases en demeurent fixées, telles que nous les «vous an- noncéeshier; . , n

L'ennemi n'entrera pas dans l'enceinte de Pans , Li.'.iTde nationale conservera son organisation et ses armes; Une division de douze mille hommes demeure intacte; quant aux autres troupes, elles resteront dans Paris, au milieu de nous, au lieu d'are, comme on l'avait d'abord propose, cantonnées dans la banlieue. Les ofBciers garderont leur epce.

Nous publierons les articles de la convention aussitôt que les signatures auront été échanirëes. et nous ferons en même temps connaître l'clat exact de nos subsistances.

Paris veut être sûr que la résist.ince a dure jusqu aux derniè- res limites du possible. Les chiffres que nous donnerons en

LE DIX-nUIT MARS 1^7

seront la preuve irréfragable, et nous mettrons qui que ce soit au défi de les contester.

Nous montrerons qu'il nous reste tout juste assez de pain pour attendre le ravilaillenient, et que nous ne pouvions prolonger la lutte sans condamner à une mort certaine deux millions d'hom- mes, de femmes et d'enfants.

Le sièiïe de Paris a duré quatre mois et douze jours; le bom- bardement un mois entier. Depuis le 15 janvier, la ration de pain est réduite à 'iOO grammes ; la ration de viande de cheval, depuis le 1.^) décembre, n'est que de 30 g-rammes. La mortalité a plus que triplé. Au milieu de tant do desastres, il n'y a pas eu un seul jour de découragement.

L'ennemi est le premier à rendre hommage à l'énergie morale et au courage dont la population parisienne tout entière vient de donner l'exemple. Paris a beaucoup souiTert; mais la Répu- blique profitera de ses longues souffrances, si noblement suppor- tées.

Nous sortons de la lutte qui finit retrempés pour la lutte à venir. Nous en sortons avec tout notre honneur, avec toutes nos espérances; malgré les douleurs de l'heure présente, plus que jamais nous avons foi dans les destinées de la patrie.

Paris, a8 janvier 1871.

Les Membres du Gouvernement :

Général Trochu, Jules Favre, Emmanuel Arago, Jules Ferry, Garnier- Pages, Eugène Pellelan, Ernest Picard, Jules Simon ; Le Flô, ministre de la Guerre, Doiian, minis- tre des Travaux Publics, Magnin, ministre de l'Agriculture et du Commerce.

La population apprit avec accablement, mais sans explo- sion de fureur, la nouvelle officielle. Le coup si rude, étant prévu, se trouvait amorti. C'était comme le dénouement douloureux, mais déjà accepté, du dernier soupir d'un ago- nisant aimé. Francisque Sarcey a noté, en ces termes émus et justes, l'état d'âme des assiégés :

HlSTOirvK DE LA COMMUNE DE K

L'armistice attendu n'excita pas les désordres que 1 on pouvait craindre. Ouelques bataillons de garde nationale, les uns par simple nos;, les autres emportés par l'excès d'une patnol.que douleur protestèrent et demandèrent à marcher a 1 ennem. ; quel- nues corps francs brisèrent leurs armes; on repanda dans le pu- bUc le bruit que certains amiraux songeaient à se ia.re tuer sur ieurs pièces, plutôt que de se rendre... Tous ces bouillonnements •échappèrent en fun.ée. L'inexorable fatalité était la, qui, de sa main de fer, pesait sur toutes les velléités de révolte, et ce fut avec une douleur profonde, mais sans éclats de fureur,que nous lûmes cette proclamation signée de tous les membres du gouver- n.mont ^excepté par Jules Favre, retourne a Versailles pour ? rngi des%L.tures de la convention). C'était le i35e jour la siè-e Tout était fini, bien fini, fini à jamais. Nous baissâmes la lête^l nous revînmes au logis, les yeux pleins de larmes.

(Francisque Sarcey. - Le Siège de Paris. - Ed. Lachaud, Paris, 1871, p. 360.)

La remise des forts aux autorités prussiennes s'accomplit avec ordre, et sans incidents. On avait fait évacuer toutes les positions par les troupes, et on avait emporté les appro- visionnements. L'entrée des régiments prussiens se fit gra- vement Pas de musique, pas de tambours ; les hommes avaient le fusil en bandoulière, la baïonnette au fourreau, les drapeaux étaient serrés autour de la hampe. Le froid était assez vif. Le thermomètre marquait i degré au-des- sous de zéro. Quelques coups de canon, les derniers, furent entendus dans la direction du sud. C'étaient les Prussiens qui tiraient à blanc, faisant l'essai des pièces dont ils venaient de prendre possession.

Une eilcrvescente et brève protestation contre la capitu- lation se produisit dans le XI' arrondissement (Popincourt et faubourg Saint-Antoine), mais elle ne dura pas, la popu- lation ayant conserve tout son calme. Le tocsin avait sonne vainement à Sainl-Ambroise, cl le rappel avait été battu

LE DIX-HUIT MAnS

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sans succès à Belleville. Quelques gardes nationaux se ras- semblèrent en armes; ils avaient à leur tête les commandants Brunel et Piazza, qui furent bientôt arrêtés. L'ensemble de la ville demeura consterné et paisible. On était las, à bout :1e Forces nerveuses, et Paris déprimé semblait n'aspirer qu'au repos, au silence. Cette dépression n'était que tem- poraire, et Paris n'allait pas tarder à retrouver sa nervosité et sa vig-ueur, quand il estimerait la République en péril.

COXDITtONS DE LA CONVENTION-

La Convention intervenue « entre M. le comte de Bis- marck, chancelierde la confédération germanique, stipulant au nom de S. M. l'empereur d'Allemagne, roi de Prusse, et M. Jules Favre, ministre des Affaires étrangères du gouver nement de la défense nationale, munis de pouvoirs régu- liers » (tels sont les termes du protocole), signée à Ver- sailles, le 28 janvier 187 1, fut publiée par le Journal offi- ciel le 3o janvier. On s'est servi, pour la designer, du terme d'Armistice et de celui de Capitulation. C'est une termino- logie impropre et inexacte. Le mot de capitulation, exact pour Paris et ses forts, ne l'est plus quand il s'agit de régler d'autres intérêts que ceux de Paris, et principalement les conditions du traité de paix à intervenir.

Bien que le mot d'armistice y figure en tête, armistice convenu pour permettre la convocation d'une assemblée, ayant pour mandat de décider si la guerre devait être con- tinuée ou à quelles conditions la paix devait être faite, les clauses étaient autres, et plus rigoureuses, que celles d'une ordinaire suspension d'armes. Les forts devaient être immédiatement remis aux Prussiens; un périmètre d'occu- pation était déterminé pour Paris. Les troupes devenaient prisonnières, et déposaient leurs armes, sauf une division

mSTOmE DE LA COMMUNE DE 187I

de 12.000 hommes restant armée, comme force d'ordre et de police .

La garde nationale était autorisée à conserver ses armes. Tous les corps francs étaient dissous. Le ravitaillement éUit autorisé, en dehors de la liçne des positions alleman- des. L'échange des prisonniers de guerre devait commencer immédiatement. Les lettres pouvaient circuler entre Pans et les départements, mais non cachetées. Il était permis de quitter Paris, avec une autorisation de l'autorité mditaire française, visée au.x avant-postes allemands. Permis et visas étaient accordés de plein droit aux candidats à la députation. Une contribution de 200 millions de francs était imposée à la ville de Paris, payable avant le quinzième jour de l'armistice. L'armistice devait prendre fin le 19 fé- vrier à midi.

On voit que les termes de cette convention différaient de ceux d'un armistice ordinaire. Il s'y trouvait ceci de parti- culièrement ambigu que, si l'assemblée refusait la paix, aucune clause ne remettait les choses en l'état, comme c'est de règle dans une suspension d'armes. Quand son délai expira, les belligérants reprennent les positions respectives qu'ils occupaient. Ici, il n'aurait pu en être ainsi, puisque les forts étaient livrés, et n'auraient pasété rendus, puisque l'armée était désarmée, et considérée comme prisonnière de guerre. Les prisonniers, c'est-à-dire tous les soldats, auraient pu être envoyés en Allemagne. C'était un contrat léonin, l'Allemagne seule avait et stipulait ses avantages. La paix ne pouvait donc être refusée. C'était le traité forcé.

L'ARMÉE DE L'EST OUliLIÈE

L'art. \" de la Convention déterminait les conséquences de l'armistice pour les belligérants. Ils conservaient leurs positions respectives séparées par une ligne de démarca-

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I.B DIX-HUIT MARS

tion indiquée, qui partait de Pont-rEvêque (Calvado ) et al,outissait à l'est de Quarré-les-Tombes ou se touchent les déparlements de la Côte^l'Or, de la N.èvre et de H onne.

.V oartir de ce point, ajoutait cet article, le tracé de la li^ne se^. S ve à uae eateale, qui aura lieu aussUôl que es par Ues rtracuatc. seront reaseignées sur la ^;^^^^^^: ^^ opérations militaires en exécal.on dans le. départements Cote-dOr, du Doubs et du Jura.

C'était donc un armistice partiel. Il ne s'appliquait pas aux trois départements de l'est indiqués, et, pour être plus net, il était ajouté à la fin de cet art. I que :

Les opérations militaires sur le terrain des 'lél?'-;«™«°;;;.J^^ Doubs du Jura et de la Cùle d'Or, ainsi que le s.cge de Bellort ST nuiront indépendamment de rarmistice, "-1""-^; on se sera mis d'accord sur la h^uo de demarca on dont le uacé à travers les trois départements mentionnes a etc rcser^e a une entente ultérieure-

C'était clair, c'était précis, c'était net. L'armistice ne concernait pas l'armée de l'Est, qui opérait sur les dépar- tements réservés, et jusqu'à nouvel ordre, jusqu a cet accord sur la ligne de démarcation des positions re.spectives, qui était prévu, les hostilités continuaient. On pouvait discuter le plus ou moins de gravité que comportait cette exception blLer Jules Favre pour n'avoir pas reclame e-^e^-»" ^ larmée de l'Est de l'armislice, mais ce qui est reste hors de discu.ssion, c'est que l'armée de l'Est devait être avertie que l'armistice ne la touchait pas, qu'elle devait donc pour suivre sa marche, ne pas cesser le feu, tant que le gouver- nement n'aurait pas informé ses chefs que 1 accord était fait s^la ligne de démarcation, et que les départements exclus

iSz BtSTOIRE DE l.\ COMUUNC DE 187I

de la convention, ôtaient, à partir de tel jour, compris dans l'armistice.

Or, Jules Favre ne sig'nala cette exception ni à la délé- gation de Bordeaux, ni au g-énéral Clinchant,à Ponlarlier. Le g-énéral Clinchant, qui avait reçu avis, par la déléga- tion de Bordeaux, qu'un armistice avait été conclu à Ver- sailles, fut persuadé que l'armistice concernait ses troupes. Il cessa donc le feu, et demeura dans l'immobilité, tan- dis que les Allemands, avisés que l'armistice ne concer- nait pas la rég-ion de l'Est, continuaient leurs hostilités et poursuivaient leur mouvement tournant, pour envelopper l'armée de l'Est et lui couper la route de Ljon. Cette omission de Jules Favre, dont tout le gouvernement pari- sien doit partager la responsabilité, accorda aux armées allemandes deux journées de marche, avance précieuse pour eux, pour nous terrible. Le commandement et le moral furent également désorganisés par cet événement, beaucoup de combattants virent une trahison calculée.

Comment Jules Favre a-t-il consenti à mettre l'armée de l'Est en dehors de l'armistice? Ce ne fut pas un oubli, comme on l'a dit. Il peut être d'une ironie cruelle et facile de dénoncer un ministre qui signe un traité de paix, car la convention était un véritable préliminaire de paix sous la condition, dont on ne pouvait douter vu les circonstances, de la ratification par l'Assemblée nationale, et qui, avant de signer, oublie un corps d'armée, comme il aurait omis de parapher un renvoi. En réalité Jules Favre a volontaire- ment omis de comprendre l'armée de l'Est dans la conven- tion. Il a expliqué cette omission. Il a prétendu, pour sa défense, en versant ces larmes qui lui étaient familières, argument banal de défenseur aux assises, qu'il manquait de nouvelles, qu'il croyait l'armée de l'Est victorieuse, et qu'il craignait d'arrêter sa marche en avant.

I.K DIX-IIUIT MARS

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Cette rêverie ne soutient pas l'examen. L'armée de l'Est pouvait encore résister, mais ne devait pas être supposée triomphante, étant isolée, cernée par toutes les forces alle- mandes. Mais comment pourrait-on justifier cet incroyable silence gardé vis-à-vis de la Délectation de Bordeaux et l'ignorance, se trouvèrent ainsi les chefs de l'armée de l'Est, de la clause spéciale les concernant, continuant excep- tionnellement pour leurs soldats la guerre partout ailleurs suspendue, finie? On ne trouve d'autre explication que l'état mental du signataire de la convention et de la dépêche.

Le méfait inconscient de Jules Favre fut apprécié ainsi par Challemel-Lacour, indigné en apprenant, à Lyon, l'ex- ception :

Ainsi c'est arrêté ! L'armistice n'est pas applicable aux dépar- tements du Doubs, du Jura cl de la Côte-d'Or. Gelu. qui a con- senti une pareille condition, quel que soit son nom, est un misé- rable.

Gambetta, de son côté, télégraphiait de Bordeaux, i" fé- vrier, à Jules Favre :

L'aiournement inexplicable , auquel votre télégramme ne fait aucune allusion, pas ,.lus qu'aux etVets produits par 1 arm.slice, en ce qui touche Belfo.t et les départeracnls de la Cole-d Or, du Doubs et du Jura, donne lieu aux plus graves comphcations.

Dans l'Est, les généraux prussiens poursuivent les opérations sans tenir compte de l'armistice, alors que le ministre de la Guerre, crovanl pleinement aux termes de votre imperalive de- pêche, a ordonné à tous les chefs de corps français d exécuter l'armislice et d'arrêter les mouvements, ce qui a ete exécute reli- gieusemenl pendant 48 heures. .

Faites immédiatement appliquer l'armistice a la région de lEsl et réalisez, comme c'est votre devoir, l'entente ultérieure, dont parle la convention du 28 janvier.

Entre temps, nous autorisons les généraux français a conclure directement une suspension d'armes provisoire.

l54 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

Le g'énéral Clinciiant de son côté a déclaré :

Pendant la soirée du 29, la journée du 30, et la matinée du 31, la croyance formelle j'étais de la réalité de l'armistice avait suspendu notre mouvement. Sans cette croyance j'aurais certai- nement pu accélérer la retraite de mon infauterio de manière à la rendre à peu près assurée.

L'effetdenoa-armislice fut déplorable sur l'esprit del'ar- méede l'Est. Il faut de l'indulgence pour une armée aban- donnée. Les contemporains purent juger sévèrement l'abat- tement de ces braves, qui s'étaient battus un contre dis. Leur indiscipline ne fut qu'occasionnelle. Ils avaient vaillam- ment supporte les périls, les fatigues, les souffrances d'une campagne désespérée. On leur annonce que les armes vont être déposées de part et d'autre, que les préliminaires de la paix définitive sont engagés. On envisage les bienfaits de la paix, les joies du retour au foyer. L'héroïsme est une fièvre. Quand on la coupe, une stupeur et une nonchalance se produisent. Imaginez une troupe harassée, se croyant enfin à l'étape, courageusement atteinte. Les sacs sont dé- bouclés, on s'étire les membres, et chacun se dispose à goû- ter le repos gagné. Tout à coup on annonce qu'il y a erreur, que l'heure du boire et du dormir est reculée, qu'il faut se mettre on route encore, pour longtemps peut-être. Le clai- ron sonne, on court aux faisceaux, et l'on donne un coup de pied dans la marmite, qui commençait à dégager une odeur alléchante. En avant!... Il n'y a pas d'armistice, et l'on ne sait quand il y en aura!... En même temps, on apprend que les camarades, de l'autre côté de tel fossé, de telle vallée, de telle frontière idéale, ont, eux, acquis le droit de se reposer et de se refaire des lassitudes subies. Vous surprendra-t-il que ces hommes, auxquels on demande un efl'ort inattendu et le recommeucemcnt de souffrances déjà

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LE DIX-HUIT MARS

loinuines, presque oubliées, grognent et poussent 1 irnla- rolusqu'au refus de continuer à se traîner sur la route TeZell Evidemment le devoir, la discipline, 1 honneur rendent le contraire, mais les hommes ne sont pa. des ahslraclions, et le sentiment mnc do ce qm est juste les domine- il peut transformer en rebelles les plus fadeles. Or. : pnvLtion des privilèges de Tarm^stice se.b ai aux malheureux traînards de Clinchant une injustice, une punition imméritée, d'où une dépression générale ' L'hésitation et le mécontentement des soldats de 1 Est sacrifiés, livrés sans défense à un ennemi audacieux et sans ries fut d-ailleurs de courte durée, et bientôt ces Talheteux abandonnés se comportèrent en braves, et ces résignés furent les héros de l'heure suprême

Cerné par des forces supérieures, le général Clm bant, qui de plus était privé de vivres, et ne disposait que d hom- r s épuisés, démoralisés, se croyant victimes d un passe- Troit envovlle lieutenant-colonel Chevalsau commandant detrmée;uisse, Hans Herzog. pour traiter la question du passage de son armée sur le territoire helvétique ^ Cenc ^rave décision était dictée au général par la volonté de n pas se rendre aux Allemands. Il convient de noter qie a mauvaise foi germanique s'étaU man.festce da^ toute cette caUistropbe. Avertis que l'armistice ne s appU- anVa pas a l'nrmL de l'Est. Manteuffel et ses officiers s'é en braés de profiter de l'erreur ilsvoyaient tombés es g néraux fran ais, qui suspendaient le feu et arrêtaient la m «che de leurs troupes. La plus élémentaire loyauté, Le nombreux échanges de messages parlementaires Turent lieu, faisait «n devoir au général allemand de recti- fier 1' ru de Jules Favre,et de prévenir les Français, ces- l"t le feu. que les hostilités, pour les ^^^^^^^^ sence dans le Jura, n'éuieut pas interrompues. Autant que

l56 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

la bonne foi, l'humanité aurait dicter à Î^Ianteuffel l'offre d'une suspension d'armes spéciale et locale, pour permettre d'attendre des explications et de recevoir des ordres précis de Versailles et de Bordeaux. Manteuffel, au contraire, abusa de l'erreur et de la force qu'il avait en mains.

Ce fut le ler février que l'armée de l'Est prit la route de Suisse, la neig-e sous les pieds, le froid au ventre et le désespoir dans le cœur.

Le général Clinchant annonça la retraite par une procla- mation éloquente et douloureuse.

Après avoir énoncé l'espoir qu'il avait eu de se frayer un passag-e, jusqu'à Lyon, par les montagnes du Jura, il ajoutait :

Uue fatale erreur nous a fait une situation, dont je ne veux pas vous laisser ignorer la gravité. Tandis que notre croyance en l'armistice, qui nous avait été notifié et confirmé à plusieurs reprises par notre gouvernement, nous commandait l'immobilité, les colonnes ennemies continuaient leur marche, s'emparaient des défilés déjà en nos mains, etcoupaient ainsi notre ligne de retraite.

Il est trop tard aujourd'hui pour accomplir l'œuvre interrom- pue. Nous sommes entoures par des forces supérieures, mais je ne veux livrer a la Prusse, ni un homme ni un canon. Nous irons demander à la neutralité suisse l'abri de son pavillon. Mais je compte, dans celte retraite vers la frontière, sur un suprême effort de votre part : défendons pied à pied les derniers échelons de nos montagnes, protégeons les défilés de notre artillerie, et ne nous retirons sur un sol hospitalier qu'après avoir sauvé notre matériel, nos munitions, nos canons.

Soldats, je compte sur votre énergie et sur votre ténacité. Il faut que la patrie sache bien que nous avons tous fait notre de- voir jusqu'au bout, et que nous ne déposons les armes que devant la fatalité.

Cet admirable ordre du jour, daté de Ponlarlier,3i janvier, fut suivi du suprême effort que le général avait invoqué.

I.E DIX-HUIT MARS ' ^7

LE COMBA T DE LA CLUZE

I es Prussiens poursuivaient avec acharnement l'armée en retraite. Le i" février, sur la route de Pontarlier, dans la vallée du Doubs, au pied du fameux fort de Jeux, eut lieu le dernier combat, le combat de la Cluse. La Cluse est à la fois le défilé de Pontarlier, et la porte fatale par laquel- le en i8i5, pénétrèrent les Alliés.

Celte suprême rencontre des Français et des Allemands fut une victoire. Le 9' grenadiers prussien tut décime et les autres troupes allemandes subirent de fortes pertes. Les troupes françaises engagées furent le 4^0 de marche le na« le 29e, le 44s le 77' mobiles, bataillon de 1 Allier, 2 compagnies du 78» mobiles du Loiret. Les généraux Robert Pallu de la Barrière, le commandant Gormcourt (tué)- le lieutenant-colonel Couston (blessé); l'amiral Pen- hoat'le chef d'escadronPloton, commandantlefort deJoux, enfin, à Larmont et à Orge, les généraux Billot et Brémond d'Ars le lieutenant-colonel Achilli (tué), le commandant Beaupoil de Saint-Aulaire (tué); le lieutenant-colonel Coquet furent les héros de cette journée suprême. On doit ajouter à la nomenclature des derniers défenseurs de la Patrie abandonnée et bientôt mutilée, des détachements du -énie et deux compagnies du premier bataillon de Zéphvrs d'Afrique. Ces disciplinaires, commandant Rose, élaie^it de grandgarde dans un poste avancé. Ils accouru- rent au feu; ces réfractaires à l'obéissance de la caserne, mais friands des mêlées et redoutables au combat, chargè- rent à la baïonnette les Prussiens débouchant sur un coteau, et les culbutèrent, laissant derrière eux le ravin noir de ca<;ques, de sacs, de cadavres, et la neige rouge.

Ces héros sacrifiés, qui protégèrent la retraite, gagnèrent

l58 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

la frontière suisse, le 2 février. Le sol helvélique donna asile à 88.000 soldats; 2.192 officiers et 285 canons.

L'omission due à Jules Favre fit donc, tardivement et inutilement, couler le sang^ dans les dcfilés neigeux de Pon- tarlier. L'armistice refusé aux armées de l'Est, et l'incerti- tude qui fut la conséquence de l'inconcevable erreur du ministre, eurent encore ce résultat funeste de paralyser la diversion que tentait Garibaldi avec So.ooo hommes, dans la direction de Dôlo. L'armée de Garibaldi s'arrêta à 3 kilo- mètres de Dôle, que Tennemi avait presque entièrement évacué. Pendant les pourparlers proveuant de l'ignorance de la clause concernant l'armée de l'Est, les Prussiens envoyèrent des renforts considérables contre Garibaldi, qui fut oblig-é d'évacuer Dijon et de se retirer sur Màcon.

Les combattants de la dernière minute, victorieux à La Cluse, n'ont cependant pas vainement donné leur vie. Ils se sont battus, sachant bien que leur sacrifice était inutile, et qu'une bataille gag-née, dans ces montagnes perdues, à quelques mètres de la frontière suisse, ne pouvait chan- ger la face des événements accomplis. D'ailleurs la France entière était désarmée et pacifiée. A eux seuls, on avait laissé le droit de tirer des coups de fusil. Ils en ont usé- Leur défense ultime a permis de gagner l'abri charitable de la Suisse; elle a prouvé que l'armée de l'Est, mieux diri- gée, eût été capable de grandes choses. Honneur à ces braves qui ont, jusqu'au bout, gardé leurs armes, et ont fait face à l'ennemi avec un tronçon d'épéc !

La déloyauté des Al lemands, n'avertissant pas de l'exception prévue dans la convention, connue d'eux, ignorée de leurs adversaires, et profitant de la continuation des hostilités, ainsi que de la croyance à l'armistice étaient les Fran- çais, pour les bloquer dans les gorges du Jura, fut-elle de leur part un adroit calcul? Elle a permis à l'armée de l'Est

LE DIX-BL'IT MABS

iSg

de faire preuve de courage, de conserver ses drapeaux ; elle rjonché'le col de La Cluse de soldats allemands, u s aus sans profit, puisque la victoire était acquise à leur pays avec des a anta.ls énormes, et qu'ils n'avaient nul besoin de protéger la retraite des leurs. Nos sol ats de La Cluse couraient pour l'honneur, pour le salut de l'armée de IF., pour la conservation de ses canons, de ses drapeaux, et si Tur sacrifice fut à peu près inutile, il demeure du moins comme un bel exemple de valeur militaire et comme une preuve de la vitalité française.

LIVRE V

L'ASSEMBLÉE DE BORDEAUX

LES ELECTIONS

La capitulation de Paris avait abattu tout le monde, mais n'avait surpris personne.

Pourquoi la reddition de celte ville populeuse, célèbre entre toutes, la première de France sans doute, mais non l'unique et dernier boulevard de la défense, entraînait-elle la capitulation de toute la Patrie? Pourquoi si Paris, ce qui était exact, ne pouvait plus tenir, renonçait-on à se défendre, à l'abri de ces lignes presque inforçables de l'Auvergne, des Cévennes, de la Bretagne, de la Vendée ? Les enva- hisseurs ne pouvaient espérer occuper toute l'immense sur- face du pays. Les jeunes armées de plus en plus aguer- ries, des levées nouvelles, car la France était loin d'avoir épuisé son réservoir d'hommes, un surcroît d'énergie se produisant dans les départements, eussent prolongé la lutte jusqu'au printemps et usé la victoire prussienne. Un pays n'est conquérable, et vraiment vaincu, que lorsqu'il se lasse de la bataille et qu'il soupire après le repos. Cet abattement était malheureusement général, et la France semblait fati- guée à la suite d'un effort qu'elle n'avait fait qu'à demi. La

LE DIX-HUIT MARS

l6l

province parut accepter facilement que la capitulation de Paris fût celle de toute la France.

Il faut affirmer, en principe, que la chute de Paris ne devait pas entraîner la fin de la guerre, et que les patriotes enflammés qui réclamaient la .lutte jusqu'au bout étaient logiques; mais ilconvient aussi de reconnaître que la France était à bout de vigueur, morale et physique, et que les défenses désespérées, à la russe et à l'espagnole, ne corres- pondaient ni à nos mœurs, ni à nos tempéraments, ni surtout à nos intérêts.

On ne peut qu'applaudir au langage véhément de Gam- betta, télégraphiant de Bordeaux aux préfets, le 3i janvier, à 1 1 heures et demie du soir :

... Paris inexpugnable, vaincu par la famine, n'a pu tenir en respect plus loniçtemps les hordes allemandes... toutefois Paris, en succombant, nous laisse le prix de ses sacrifices héroïques. Pendant cinq mois de privations et de souffrances, il a donné à la France le temps de se reconnaître, de faire appel à ses enfants, de trouver des armées et des armes, de formerdes armées jeunes encore, mais vaillantes et résolues, auxquelles il n"a manqué jus- qu'à présent que la solidité, qu'on n'acquiert qu'à la longue.

Grâce à Paris, si nous sommes des patriotes, nous tenons en main tout ce qu'il faut pour nous venger et nous affranchir, mais comme si la mauvaise fortune tenait à nous accabler, quelque chose de plus douloureux que la chute de Paris nous attendait. On a signé, à notre insu, sans nous avertir,sans nous consulter, un armistice, dont nous n'avons connu que tardivement la coupa- ble légèreté, qui livre aux troupes prussiennes des départements occupés par nos soldats, et qui nous impose l'obligation do rester trois semaines au repos, pour réunir, dans les tristes circonstan- ces où se trouve le pays, une Assemblée Nationale...

Gambetta protestait d'avance contre l'élection « d'une chambre réactionnaire et lâche que rôve l'étranger ». II appelait, de ses vœux, une assemblée voulant la paix, si ta

1 11

,02 HlSTOIrtC DE LA COMMUNE DE ; »7 I

paix assurait l'honneur, le ranj^, l'inlégrité du pays, mais « capable aussi de vouloir la guerre, plutôt que d'aider à l'assassinat de la P'rance ».

Ces nobles pensées de résistance jusqu'à la mort, de « î^uerre à outrance », comme on désignait avec un ironique dédain, avec crainte aussi, la passion de ceux qui se refu- saient à admettre la mutilation de la France, étaient par- tagées par des groupes aclii's, par des individualités mili- tantes.

Le Comité de la Défen.se, de la Gironde, prenait, le 3 1 jan- vier, la résolution suivante :

Convaincu qu'il est du devoir du gouvernement de presser tous les préparatifs pour faire une guerre à outrance, à moins que la France n'obtienne des condilions de paix honorables, le comité adjure la délégation de rester à son poste, et il lui ofire de nou- veau le concours le plus actif et le plus dévoué.

A Toulouse, dans une réunion nombreuse, la déchéance du gouvernement de la Défense fut acclamée. Un ordre du jour fut voté réclamant la constitution d'un comité de salut publicavec Gambetta à sa tète, pour « rejeter l'armistice, continuer la g-uerre et assurer le régime républicain ».

Les préfets desBouches-du-Rlione etdesBasses-Pvrénées lancèrent des proclamations, dans le sens de la résisUnce à outrance.

Lvon affirma catégoriquement sa volonté de continuer la guerre, plutôt que de consentir au démembrement delà France. Dans cette ville, raisonnable et raisonneuse, on peut s'étonner de rencontrer des manifestations aussi har- dies, émanant non de groupes révolutionnaires, mais du Conseil Municipal même, dont le président était l'ancien, « Cinq », M. Hénon.

Avant môme de savoir la nouvelle de la reddition de

LE DIX-HUIT MAR9

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Paris, le conseil municipal de Lyon délibérait : « Consi- dérant que la guerre à outrance était la seule voie de salut, la commune de Lyon cesserait d'appuyer le g'ouvernement, le jour il consentirait le démembrement de la France. »

Le conseil municipal lyonnais affirmait en outre que : Lyon devait être le centre de la résistance )>, et il enga- geait le gouvernement à venir s'y établir. Cette dernière considération, la possibilité de devenir capitale intérimaire, ont peser d'un certain poids dans la délibération lyon- naise.

Mais, dans son ensemble, la France abattue, devenue pas- sive, soupirant après le répit, ne protesta que du fond du cœur contre cet armistice, qui faisait prévoir la paix défini- tive et à bref délai. Elle allait, par son vote, témoigner de son indiiïérence relative pour le régime politique, et de son désir passionné du retour à la vie normale et pacifiée.

LE DECHET DE BORDEAUX

Une des clauses de la convention portait qu'une convo- cation des électeurs aurait lieu immédiatement, en vue de nommer une assemblée nationale. Un dccretdu 29 janvier, signé des memlires de la Défense, convoquait les électeurs à Veffet d'élire l'Assemblée Nationale, pour le dimanche 5 février, dans le département de la Seine, et pour le mer- credi 8 février, dans les autres départements.

Un conflit s'éleva entre le gouvernement de Bordeaux et celui de Paris à l'occasion de la convocation. Dans le but, louable en soi mais contraire au.x principes du sulïrage universel, d'exclure de l'assemblée future nombre d'enne- mis avérés de la République, tous partisans déclarés d'une paix honteuse, la Délégation de Bordeaux fit suivre le décret de convocation d'un autre décret, établissant des cas

l6/( HISTOIRE DB I.A COMMUNE DE 187I

d'inéligibilité. Les anciens ministres, conseillers d'Etat et préfets de l'Empire, ainsi que les députés ou candidats au Corps lég-islatif, ayant accepté la candidature officielle sous Napoléon III, se trouvaient frappés d'inélig-ibililé.

Ce décret déconcerta Bismarck ;ilcfl'raya Jules Favre et ses collèg'ues. Son effet assurerait une majorité dans l'As- semblée, sinon pour la continuation de la guerre, du moins pour le maintien de la République. Les membres de la Défense prirent aussitôt leurs mesures, et un second décret contraire fut rédigé, que promulgua Jules Simon. Celui-ci s'était rendu aussitôt à Bordeaux. Il s'appuyait sur l'auto- rité de Bismarck. Le chancelier allemand avait protesté « contre des élections faites, disait-il, sous un régime d'op- pression arbitraire. Ces élections ne pourraient conférer les droits que la convention de l'armistice reconnaissait aux députés librement élus ».

Les élections allaient donc se faire dans le sens que pré- voyait, que voulait Bismarck. Jules Simon se faisait 1 humble serviteur du vainqueur. Comme Gambetta était l'homme que Bismarck et son impérial maître détestaient le plus, Jules Simon, pour mieux faire sa cour, qualifia pu- bliquement le grand patriote de « fou furieux », et parla de le mettre en arrestation.

Gambetta riposta par une proclamation, dans laquelle il disait que m le décret d'exclusion du 3i janvier avait dé- joué les espérances de la Prusse. L'insolente prétention du ministre prussien d'intervenir dans la constitution d'une assemblée française était la justification la plus éclatante (les mesures prises par le gouvernement «. Il maintenait donc le décret, en contestant les pouvoirs de Jules Simon, en ce qui concernait le règlement du cas particulier des incompatibilités.

Bismarck vint au secours de ses alliés nouveaux. Dans

LE DIX-HUIT MARS

65

sa protestation, adressée à Jules Favre, il insinuait que, doutant de la liberté des électeurs, il demandait s'il ne serait pas plus juste de convoquer le Corps léçislalif de l'empire, qui, selon lui, « représentait une autorité élue légalement par la voix du suffra^jce universel ».

En rappelant les hommes impopulaires, oubliés, éva- nouis, qui, non seulement avaient contre eux le vote de la g'ucrre, et surtout l'incurie et la sottise avec lesquelles ils avaient voté cette guerre terrible, sans l'avoir préparée, sans avoir contrôlé l'état des arsenaux, sans avoir vérifié les affirmations de Lebœuf et des ministres, mais qui, par leur retour même, faisant présager le rétablissement de l'empire, provoqueraient une effroyable guerre civile, Bismarck était sûr d'avoir la majorité qu'il souhaitait. Jules Favre eut la pudeur de refuser, et, en assurant à Bismarck la sincérité des élections, il rapporta le décret de Gambetta.

Il faut reconnaître qu'il était difficile de le maintenir, étant données l'acceptation de l'armistice dans toutes ses clauses, et la convocation d'une Assemblée Nationale, qui en était le résultat et la condition. Bismarck ne ménageait pas la menace : « Nous ne saurions reconnaître aux personnes élues sous le régime de la circulaire de Bordeaux, disait- il, les privilèges assurés par la convention d'armistice aux députés de l'assemblée. »

Le décret fut donc rapporté, et les élections eurent lieu comme le voulait Bismarck, alors véritable maître de la France.

Si la province, en grande majorité, .se montrait satisfaite de la cessation des hostilités, et se préparait à voter pour des députés chargés de traiter, de maintenir provisoire- ment le statu quo républicain, et de renvoyer les Prussiens chez eux, Paris conservait dans sa population, mobile et

l(6 IlISTOlllK Dit LA COMMINU UK 187I

ardente, une anùre et confuse pensée de revanche spéciale, personnelle, pour ainsi dire locale et séparatiste.

LE RAVITAILLEMENT

Le ravitaillement de Paris s'opérait et prenait une impor- tance considérable, occupant les esprits, détournant un instant les colères et suspendant les haines.

Un délai de huitaine avait été indiqué, dans une dépê- che de Jules Favre, annonçant la reprise des communica- tions ferrées. Ce délai n'était pas de rig^ueur. On s'efforça de l'abrég'er.

Le !«'' février, une convention intervenait entre les direc- teurs de chemins de fer et l'administration allemande. Sur toutes les lignes, on se préoccupa de reprendre les commu- nications et d'envoyer des vivres à Paris affamé. Ce fut la ligne du Nord qui fut d'abord considérée comme devant avoir le plus promptement ses communications rélal)lies. On renonça à faire venir les subsistances par Dieppe. Ce fut sur Abbeville et Creil que circulèrent les premiers trains, amenant farine et bétail.

En attendant l'arrivage des convois no\irricicrs, les Pari- siens se portèrent en foule au.x avant-postes des Prussiens. Un tableau pittoresque, mais pénible, que celui de ces hommes, de ces femmes, mendiant (la plupart, il est vrai, une pièce d'argent à la main) un morceau de pain blanc, un rond de saucisson. Une bousculade lamenUible autour des cantines. Les Prussiens, en souriant d'un bon gros sou- rire narquois, faisaient les échanges, tendaient les vivres sollicités, et paraissaient s'amuser énormément au specta- cle de cette goinfrerie suppliante. Raideset froids, les offi- ciers, avec mépris, considéraieutccs quémandeurs faméliques et s'amusa ifnt, comme à l'heure de la soupe dans unche-

LE DIX-HUIT MARS

167

nil, à voir les estomacs si long-temps vides de cette meute humaine se remplir g-oulùment.

Le ravitaillement s'opérait mal. Les Prussiens faisaient mille difficultés pour laisser passer les charrettes venues des campa^-nes. De longues files de véhicules, chargés de vivres, encombraient les avenues de la banlieue, station- naient le long des routes. Les ennemis mettaient des obs- tacles, soulevaient des diflicullésde visas, de paperasseries, susciUient mille chicanes, parfois confisquaient les ali- ments que des piétons, franchis.sant les lignes, étaient venus chercher au delà des avant-postes. 11 fallait se munir de certificats, de laissez-passer, de passe-ports pour se rendre au marché, chez l'ennemi.

Des rôdeurs, embusqués, attaquaient les campagnards isolés apportant des œufs, des légumes. Ils les dépouil- laient de leur chargement sous prétexte de réquisition. D'autres, aux barrières, entouraient les gens d'apparence aisée, revenant avec des provisions chèrement acquises. Ils geignaient sur leur propre sort, et en invoquant la frater- nité, la solidarité, se faisaient remettre une partie des vivres bourgeois. L'ouverture des halles fut marquée par une ba-.nrre. On se rua sur les denrées exposées, et on pilla les Jwuliques. Les pri.K étaient d'ailleurs exorbitants. Le o février, le premier tniin entrait en gare de Saint- Denis. Il comportait 5o wagons avec cette inscription : don de la ville de Londres à 'la ville de Paris. La générosité anglaise s'était cordialement multipliée. Des envois énormes de viande, de salaisons, (b légumes secs furent expédiés. Des commissaires anglais les distribuaient, gratuitement, aux néccs-siteux. Des souscriptions avaient été ouvertes simultanément dans plu.sieurs déparlements, au profit des affamés. Les dons eu nature, farine, pommes de terre, aflkiércnt de tous cotés. Paris eut cette joie de retrouver du

l68 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

pain blanc. L'un des grands rég'als de ces premiers jours de restauration fut le poisson de mer, dont on avait, pour ainsi dire, perdu le goût, depuis le mois de septembre.

Les lettres purent partir, mais à la condition de ne pas être cachetées. La circulation des journaux était interdite.

Les premiers trains pour la province emmenèrent des voyag-eurs par fournées pressées. Tous ces fug'itifs avaient hâte, ou d'embrasser des êtres chers restés hors de Paris, ou de fuir une cité si éprouvée par le bombardement, par la famine ; plusieurs de ces fuyards, à certains gronde- ments précurseurs, prévoyaient une commotion populaire ; ils redoutaient même un conflit sanglant dans la ville, si, comme on l'annonçait, les Prussiens voulaient défiler triomphalement dans Paris.

Pour quitter Paris, il fallait un laissez-passer qu'on ne prodiguait pas. La plupart des voyageurs donnaient, pour motif de leur départ, leur candidature à soutenir. L'ar- mistice ayant prévu que toute facilité serait accordée aux candidats, le bienheureux laissez-passer était délivré, après enquête sommaire et examen de la demande, à la préfec- ture de police. Le laissez-passer devait être traduit en alle- mand.

Les voyag'eurs avaient à se transporter à Juvisy, point de raccordementdela ligne d'Orléans maintenue en exploi- tation par les Prussiens. Ce transport donna lieu à de nombreux abus. Les voituriers exigeaient des prix fabu- leux. Les voyag-eurs désireux de partir sans subir les pré- tentions des conducteurs et qui tentèrent de se rendre à pied à Juvisy furent l'objet de mauvais traitements. Plu- sieurs furent volés et blessés par de dangereux bandits, ré- pandus dans les environs de Paris, ravag-eant les villas abandonnées, et razziant ce qui avait échappé à la rapacité prussienne.

LU DIX-HUIT MARS

LA PAIX, SEUL MANDAT DE L'ASSEMBLÉE

Les élections s'accomplirent paisiblement dans toute la France, sauf en Corse, des rixes se produisirent avec accompagnement de coups de fusil, selon la coutume de cette leiTC du banditisme.

A Bordeaux, le conflit à propos du décret des inélig'ibles avait pris fin par la démission de Gambetta et la victoire de Jules Simon, représentant le gouvernement de Paris, c'est-à-dire la paix.

Gambetta, en frappant d'inéligibilitéles anciens membres du corps législatif ayant voté la guerre et les ex-fonction- naires de l'empire, avait sans doute agi révolutionnairement et pour ce qu'il estimait ôtre le salut de la France et le bien delà République. Jules Simon avaitété envoyé do Paris pour annuler le décret ; en réalité pour supprimer l'autorité de Gambetta, le dictateur, comme on le nommait, surtout coupable, aux yeux des pacificateurs à outrance, de per- sonnifier la résistance, de représenter la France guerrière. La délégation de Paris l'emporta sur la délégation de Bordeaux, non pas parce que les gouvernants restés à Paris avaient plus d'autorité : les deux délégations se valaient, avaient la même origine, et celle de Paris pouvait être considérée comme déchue, ayant signé la capitulation, ayant ainsi dépassé ses pouvoirs, et ayant sans droit engagé la reddition de la France. Mais Bismarck était du côté de Jules Simon, et sa volonté l'emporta. Gambetta dut donner sa démission.

Le vote de la France fut significatif. Le décret de Gam- betta, abrogé par Jules Simon et ses collègues, n'aurait eu qu'une utilité théorique. Les populations ne songèrent nul- lement à recueillir les épaves de l'empire. Sauf quelques

1^0 IlIsrOlIlE DE LA COMMUNE DE 1 O7 I

individualités notoires, des héritiers de noms de gloire, les bonapiirlistes furent rares à l'assemblée du 8 février. En revanche, la masse électorale campagnarde vola pour des candidats élrania^es et novices, des inconnus, en nombre, beaucoup aussi de gens titrés, des hobereaux, des. proprié- taires, la plupart investis de commandements dans la mobile. Ce furent les cadres des mobilisés d'abord, puis les châteaux, les grandes exploitations industrielles, qui four- nirent cotte majorité singulière, ignorante et moutonnière, intolérante toujours, furieuse parfois, mais qui résumait, avec ses bizarreries, l'unité de pensée et de vouloir de la France : c'est-à-dire la paix.

Paris et quelques grandes villes avaient seuls émis des suffrages politiques. seulement les élections eurent une couleur, furent l'affirmation d'un programme, l'avènement d'un parti. Partout ailleurs la question de drapeau et de constitution avait été négligée. On ne s'était occupe que de la cessation complète des hostilités, et de la conclusion hôtive d'un arrangement territorial et financier quelconque avec les Prussiens, pour se débarras.ser d'eux. Même dans les départements cléricaux et légitimistes de l'Ouest, il ne fut guère parlé du gouvernement. Les députés furent élus, non parce qu'ils étaient légitimistes, orléanistes, partisans des prérogatives de l'Église, mais parce qu'ils s'engageaient à voter la paix. On les choisissait sans doute de préférence à d'autres pacifiants, qui eussent affiché des sentiments répu- blicains, mais ce n'était qu'un accessoire de leur mérite élec- toral, cette opinion anti-républicaine; entre un royaliste voulant continuer la guerre et un radical s'engageant à voter la paix, le Morbihan eût choisi le radical. L'immense majorité votante alors laissait eu dehors de toute discussion la forme républiaiine : les partis consentaient un armi.stice politique, jusqu'à la paix.

LE DIX-HLIT MARS '7'

Aussi, apparaît-il illégal, autant que criminel, l'abus que it par la suite cette assemblée des pouvoirs indéterminés, mais restreints en soi, et occasionnels, qui lui avaient été conférés « dans un jour de malbeur ». Il n'était entré dans la pensée d'aucun électeur de la majorité campagnarde que ces mandataires, qu'on envoyait à Bordeaux expressément pour traiter de la rançon de la France, dussent, par la suite, légilérer sur toutes les matières, et surtout se mêler de donner une constitution, même républicaine, au pays. L abus de pouvoirs fut donc indéniable, et l'usurpation de cette- assemblée suffirait à justifier l'insurrection, si la province eût suivi Paris au Dix-Huit Mars.

Les républicains des «.grandes villes, seuls peut-être, dans la prévision qu'ils auraient la majorité, ont voté avec 1 ar- rière-pensée que l'Assemblée Nationale agirait comme pour- vue de souveraineté, qu'elle serait con.stiluante, législative, dictatoriale, une véritable Convention. Mais les électeurs des hobereaux et des marguilliers, qui devaient former la majorité, n'avaient pas eu de si vastes pensées, m rêvé pour leurs représentants d'aussi ambitieuses destinées. L'Assem- blée Nationale convoquée et élue pour discuter de la paix ou de la guerre, après avoir pris parti pour la paix, devait se renfermer dans un rôle d'attente, dans une attitude de gouvernement provisoire, veillant à la perception des im- pôts dont le paiement devait servir au paiement de l'indem- nité de guerre, rétablissant la police, réparant les routes, rapatriant les soldats prisonniers, hâtant la libération du territoire; alors son mandat étant achevé, elle devait noble- ment et loyalement se retirer.

LA VIE BORDELAISE

La première séance de l'Assemblée Nationale eut lieu au théâtre Louit,le grand Théâtre de Bordeaux, le lundi

■7^ HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

i3 février. Voilà pour les gens superstitieux une date fati- dique.

Bordeau.x:, durant ce mois de février, fut la capitale de la France. Une population big'arrée, militaire, civile, fémi- nine, avait envahi la ville élégante du Sud-Ouest, et la transformaient en une sorte de ville d'eaux, de ville de fête, de ville cosmopolite, sièg-e d'une exposition.

L'élément exotique semblait représenté par tous ces sei- gneurs de villages, par ces campagnards à prétentions aris- tocratiques, à préjugés d'ancien régime, dont le suffrage universel venaitde faire des députés. Beaucoup d'uniformes mettait des taches claires et vives parmi les vestons gri- sâtres et les redingotes à la propriétaire de ces élus. On re- marquait, et l'on admirait, labelletenue de ces soldats, tous propres, luisants, à qui pas un bouton de guêtre ne man- quait celte fois, et le chic des officiers brillants, vernissés, soutachés, pommadés. Gettearmée si pimpante, si différente des soldats de la Loire, des réfugiés de l'Est et des défen- seurs de Paris, évoquait des idées de revue, de parade et de galas. On assurait que tous les officiers de Bordeaux avaient voté pour la paix. Des journalistes étaient venus en nombre, de Paris et de l'étranger, pour suivre les dé- bats. Ils formaient des groupes très vivants sur les allées de Tournv et aux abords de la Comédie, devenue palais légis- latif. Les cafés regorgeaient de consommateurs. Le soir, les quinconces, les allées, l'Intendance, étaient envahis par des théories de promeneuses, s'offrant à consoler les assié- gés, les militaires, des privations subies et faisant oublier aux élus campagnards l'éloignement de leurs dignes, mais peu attrayantes épouses. Bordeaux, allait se consom- mer le malheur de la mutilation de la France, était gai le jour et flamboyant la nuit. On se dédommageait de toutes les abstinences. La cuisine fine de cette ville de gourmets,

LE DIX-HUIT M*nS

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es vins généreux, les distractions du cercle, du café, don- laienl, au sortir de l'enfer de la guerre, l'aspect d'un para- lis à la cité girondine. Les Bordelais, aimables et souriants, aisaient de leur mieux les honneurs de leur ville. Enchan- es de raubained'uneasscmblée,les nég-ociants supputaient es bénéfices probables, les commandes certaines, et l'argent |ui serait laissé dans la ville. La population avait d'ail- eurs supporté, avec résignation, les contre-coups amortis le l'invasion, la difficulté dosaffaires avec l'étranger et l'in- .erruption des commandes à l'intérieur. Mais comme on comptait se rattraper à la paix, on avait fait, contre cette mauvaise fortune passagère, excellent cœur. « Vous devez ivoir beaucoup souflert à Paris, disait un de ces optimistes aquitains, mais nous ici, nous n'avons pas été sans ressentir les malheurs de la guerre : les théâtres ont été fermés trois semaines ! » Une seule chose rappelait aux Parisiens trans- portés dans cette ville, pour eux pays de Cocagne, la guerre et ses tragédies : auprès des cafés l'on plaisantait, en buvant apéritifs et sirops, sur les places des saltim- banques dressaient leurs tréteaux et lançaient leurs lazzis, sur ces allées balayées par les jupes des femmes cherchant aventure, partout, en chaque endroit un peu vaste de la ville, se rencontraient descanons, stagnant, allongeant leurs cous de métal, muets, devenus inutiles, mais des canons très fourbis, des canons luisants, qui semblaient les acces- soires, mis au rebut, d'une pièce militaire qu'on avait cessé de jouer.

Le siège du gouvernement était k la préfecture. Gam- betta en avait déménagé, et s'était logé dans une petite maison, cours du XXX Juillet, no 4i. Jules Simon s'était installé chez le recteur de l'Académie.

174 HISTOmE DE LA COMMUNE DE 1S7I

LA PREMIÈRE SÉANCE. LES RURAUX

Lapremicre séance de l'AssembléeNationale souvrit sans incidents. 260 membres seulement étaient présents. A deux heures et demie, M. Benoist d'Azy, qui figurait parmi les plus anciens députés connus, monta au fauteuil de la pré- sidence comme doyen d'âge. Il prit la parole pour inviter l'assemblée à former ses bureaux et à véritier les pouvoirs, avertissant que Ton procéderait comme en 1849. La vérifi- cation des pouvoirs devait être très sommaire, la plupart des dossiers électoraux n'élant pas parvenus. Les bureaux ne furent composés tout d'abord que de 25 membres.

Le président annonça en même temps qu'il avait reçu la lettre suivante de « M. Garibaldi », adressée aux départe- ments qui lui avaient fait l'honneur de l'élire.

Bordeaux, 13 février. J'ai accepté le mandat de député pour venir donner mon vote à la République. Avec ce dernier devoir, ma mission est accom- plie, et je remets, dans vos mains, les pouvoirs que vous m'aviez

délégués.

Je suis avec reconnaissance, Votre dévoué

Garibaldi.

La lecture de cette lettre fut accueillie par un silence gla- cial. L'illustre général de l'armée des Vosges, qui assistait à, la séance, se leva. Il voulait prendre la parole pour remercier et expliquer sa démission, mais le président d'âge ne la lui accorda pas. Jules Favre montait à la tribune. Le pleureur professionnel débuta ainsi : « Il m'est doux de déposer les pouvoirs du gouvernement de la Défense nationale entre les mains des représentants du pays... » 11 ajouta qu'en

LE DIX-HUIT MARS

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attendant qu'un pouvoir nouveau fi3t constitué, le véritable pouvoir lég-itime décidant des destinées de la France, les membres du gouvernement et les ministres resteraient à leur poste, jusqu'à ce qu'ils en aient été rég'ulièrement rele- vés. Il annonça ensuite qu'il demandait la permission de retourner à Paris, il devait continuer de délicates nég-o- ciationsavec l'ennemi. Il insista pour que le renouvellement de l'armistice fût le plus court possible:

Nous ne devons pas perdre une minute, nous ne devons pas oublier nos malheureuses populations. Soyez sûrs que leurs lar- mes, leurs sacrifices, pèsent lourdement, je ne dirai pas sur ma conscience, car, devant Dieu, je suis innocent; mais sur ma res- ponsabilité, et je n'ai d'autre halo que d'arriver au terme de ces misères.

Un mouvement d'assentiment suivit ces paroles équivo- ques. On se comprenait à demi mot. Il s'agissait de bâcler la paix. Quand Jules Favre disait pompeusement : « La France est prête, quoi qu'il arrive, à faire courageusement son devoir », ce n'était qu'une formule sonore. Le devoir, pour lui, pour le gouvernement, pour la majorité, c'était de déposer les armes avant tout, et de ne pas parler de les reprendre.

La séance d'ouverture se termina par un scandale. Gari- baldi avait insisté pour parler, pour expliquer sa démis- sion. La majorité refusa d'entendre l'illustre général, qui avait pourtant connu la victoire et vaillamment justifié le commandement qui lui avaitété confié. On n'eut pas davan- ta"-c égard à la quadruple élection dont il venait d'être honoré : « Il n'est plus député, puisqu'il a démissionné ! » crièrent quelques énergumènes royalistes, qui voyaient sur- tout, dans le brave chef des chemises rouges, le sabre de la révolution. Les tribunes protestèrent contre l'intolérance et l'injustice des hobereaux déchaînés. Il était évident que

\-J& UISTOIUE DB LA COMMUNE DE 187I

GaribaldL ne pouvait continuer à siéger qu'en renonçant à la nationalité italienne ; l'acceptation du mandat devait com- porter sa naturalisation. Il avait eu le tort, au point de vue de la stricte procédure parlementaire, de ne pas demander la parole avant d'avoir envoyé sa lettre de démission. I! avait même agi avec beaucoup trop de hâte, puisqu'il déclarait à ses commettants qu'il était venu apporter sa voix à la République. Il n'avait pas encore été question de statuer sur le régime. Il aurait dû, en bonne logique, ne faire parvenir sa démission au président de l'assemblée qu'après le vote du 17 février, qui nommait M. Thiers chef du pouvoir exécutif de la République, et par conséquent reconnaissait implicitement le gouvernement républicain. Mais Garibaldi était pressé de quitter cette assemblée hos- tile, où il se voyait sans prestige ni autorité. Il n'avait, sa lettre en est la preuve, aucune notion du parlementa- risme. Mais il espérait être écouté, aussitôt sa démis- sion portée à la connaissance de l'assemblée. Le président ne lui ayant pas accordé la parole, il dut attendre l'occasion, après le discours de Jules Favre. L'assemblée devait-elle se montrer si rigoureuse pour une faute de procédure par- lementaire, imputable surtout à son président ? Rien qu'à cette impolitesse de l'assemblée, et à cette partialité du président d'âge envers le grand citoyen italien, suspect par son passé, par ses amitiés, par ses vastes tendances huma- nitaires, on pressentait la haine de cette représentation nationale, faussée et rétrograde, contre tout ce qui se ratta- chait à la révolution, à la République, à Paris.

Une voix s'éleva des tribunes, ironique et cruelle, qui devait venger Garibaldi. Se penchant hors d'une loge en montrant le poing aux insulteurs du héros, un jeune homme leur cria : « C'est une honte 1 Vous n'êtes qu'une majorité rurale! »...

LE DIX-HUIT MARS I77

Le président Benoist d'Azy fit évacuer les tribunes, mais le coup était porté, et l'épithète resta. Les députés qui votè- rent la mutilation de la France, approuvèrent les massacres de Paris, mais ne purent cependant parvenir à renverser la République, demeurent flétris et ridiculisés dans l'his- toire. Ils ont été et resteront les Ruraux. Le jeune républi- cain qui les a baptisés tels se nommpit Gaston Crémieux, avocat et journaliste à Marseille. La réaction triomphante, après les événements de la Commune, lui a fait payer le baptême : bien qu'il n'eilt participé que très indirecte- ment aux troubles de Marseille, Gaston Crémieux fut fusillé, comme communard.

Garibaldi sortit du Grand Théâtre de Bordeaux, accom- pag'né par Esquiros. La foule, le reconnaissant sur les mar- ches, l'acclama. Le vieux soldat se découvrit, et dit au peuple :

« J'étais venu pour défendre la République honnête, raisonnable, et pour contribuer à la régénération de la France. »

Ces paroles, qui n'avaient rien de séditieux, et que nous trouverions plutôt empreintes de modération, furent suivies de longs applaudissements de la foule, de huées de la part des députés présents et des militaires.

Garibaldi avait envoyé, en môme temps que sa démis- sion de député, une lettre au gouvernement de la Défense, par laquelle il se démettait de son commandement de l'ar- mée des Vosges. Le gouvernement, en acceptant celte démission, ne put s'abstenir de remercier le général qui s'était si glorieusement dévoué à la défense du territoire.

A l'issue de la séance, les députés se réunirent pour pro- céder au tirage au sort des bureaux.

HISTOIRK DE I.A COHMl'NE DE I 87 I

M. THIERS, CHEF DU POUVOIR EXECUTIF

Dans les séance* suivantes le pouvoir exécutif" fut cons- titué. Sur le rapport de M. Victor Lel'ranc, M. Thicrs fut nommé chef du pouvoir exécutif delà République fran(;aise. Il devait exercer ses fonctions sous l'autorité de l'Assemblée Nationale, avec le concours de ministres qu'il choisissait, et dont il présidait le conseil. Thiers devenait un véritable président de la République, aux pouvoirs très étendus, à peu près les mêmes qui furent conférés à ses successeurs, Mac-iMahon, Grévy, Carnot, avec cette dillérence que ses pouvoirs avaient une durée illimitée. En fait la République existait, était reconnue, maintenue, puisqu'on lui donnait un président.

Louis Blanc fit entendre une réserve, à la suite de ce rapport. Il protesta contre le sentiment exprimé par le rapporteur que la République n'était admise qu'à titre pro- visoire. 11 affirma hautement que la République était la forme naturelle, nécessaire, do la souveraineté populaire. « Le suffrage universel lui-même ne peut rien contre la République I » s'écria l'éloquent républicain. Et comme M. Javal interrompait ironiquement : « C'est la République de droit divin ! » Louis Blanc ripo.sla : « Je répète que le suffrng'e universel ne peut rien contre la République! » Des rumeurs interrompirent; il continua, enflant la voix, dres- sant sa petite taille, grandi par l'ampleur du geste :

« Non ! une génération ne peut confi.squer le droit des générations futures ! Le suffrage universel, en établis- sant l'hérédité monarchique, se suiciderait et perdrait sa raison d'ôtrc. La République n'a donc pas besoin d'être reconnue pour exister ».

Après cette protestation théorique, écoutée avec impatience

LE DIX-HUIT MARS fj^

par la majorité, la proposition fut acceptée à la presque unanimité.

Le personnaçe cousitiérable, que ving-t départements venaient d'envover sicg^er à l'assemblée, et que celle-ci, n'osant pas proclamer un prince d'Orléans, un Bonaparte ou encore moins un Henri V, subissait comme président d'une république provisoire, devant promptement se muer en monarchie, était un revenant, un homme d'Etat ancien, dont on avait cru depuis long-temps le rôle fini et les forces éteintes.

Les révolutions sont comme les volcans : dans leurs sou- lèvements, elles projettent à la surface des débris très vieux et de jeunes matières en ébullition. On trouvait ras- semblés, dans celte salle de Bordeaux, les éléments les plus disparates : sans qu'il fût besoin de recourir à l'inéli- gibilité décrétée par Gambelta, la plupart des hommes ayant servi l'empire étant considérés comme les conseillers de la funeste guerre, comme les complices de la honte de Sedan, avaient été éliminés. Mais le suffrage universel, sur- pris, désorienté, intimidé, se manifestant sous les canons de l'ennemi, dans quarante départements, avait, ici et là, exhumé de vieilles notoriétés parlementaires de tous les partis. A côté des commandants de mobiles et des châte- lains réactionnaires, enragés partisans de la paix, qui représentaient les nouvelles couches politiques, tous hom- mes sans passé, inconnus, qui n'avaient pas servi Napo- léon III, se rencontraient sur les bancs de l'assemblée des ruraux, les vieilles barbes républicaines de l^8, et les tou- pets orléanistes de Louis-Philippe, les spectres de la rue de Poitiers. Les uns et les autres étaient comme des émi- grés de la démocratie, revenus de Coblentz divers. Victor Hugo, Edgar (Juinet, Louis Blanc, Corbon, Schœlcher, trouvaient eu face d'eux d'autres revenants, à la lueur des

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UISTOIKE DE LA COMMUNE DE 187I

désastres sortis de l'obscurité, tirés, par le suffrage aveugle, de leurs retraites, de leurs manoirs, de leurs sacristies, comme MM. Audren de Kerdrel, Lorgerll, Belcastel, de Bro-lie Quelques jeunes hommes politiques, députes par les villes, tous républicains avancés, quelques-uns socialis- tes Minière, Cournet, Clemenceau, Malon, Tridon, complé- taient cette assemblée non pas éclectique, mais confuse, et capable seulement d'une coalition hétérogène.

Les quelques hommes de gloire et de valeur, qui émer- geaient de ces médiocres individualités, ne pouvaient obte- nir ni autorité ni égards. On a vu de quelle façon insultante la démission de Garlbaldi avait été accueillie, et quel man- qie de déférence rencontrait sa haute et sympathique per- sonnalité. Victor Hugo ne devait pas tarder à être 1 objet d'un affront semblable. Gambetta démissionnaire du gou- vernement, dénoncé, traité de fou furieux par Jules Simon, odieux à beaucoup parce qu'il représentait la guerre, la résistance, craint comme républicain avancé, comme chef populaire possible, n'avait aucune action sur cette assem- blée dont il ne devait pas tarder à se retirer. Les militai- res, suspects, s'ils avaient servi sous la Défense, étaient peu en honneur. Les vieux républicains comme Louis Blanc et Ouinet, traités de sectaires, ne comptaient pas. Seul M Thiers apparaissait avec le double prestige d un homme d'Etat consommé, jouissant d'une gloire parlemen- taire incontestable.il était universellement reconnu comme un chef politique d'une rare habileté. Libre d attaches actuelles, indépendant vis-à-vis de tous les partis, il con- venait à merveille pour être à la tète d'un pouvoir transi- toire, d'un réf^nme qui « diviserait le moins ». Son pèleri- nage diplomatique à travers l'Europe, son rôle de men- diant auprès des souverains, sa mission inutile et ridicule de quêteur de commisération pour la France, ou, en guise

LE DIX-HUIT MARS

d'appui, de secours, il n'avait récolté que des paroles de condoléance et d'espoir, et encore pas dans toutes les cours, avaient rajeuni sa vieille notoriété. On lui savait gré de sa tentative vaine. On lui accordait un prestige en Europe. Il passait pour le seul homme politique français ayant du crédit auprès des souverains. On ne voyait plus en lui le ministre de la monarchie de Juillet, le conspirateur de la rue de Poitiers, qui avait facilité et paru un instant excuser le coup d'État; on oubliait son opposition funeste à une attitude énergique de la France lors de l'agression de la Prusse sur les duchés, son obstruction aux mesures pro- tectrices au lendemain de Sadowa, ayant sans doute dé- conseillé la guerre, mais ayant aussi tout fait pour empê- cher de s'y préparer; on saluait en lui l'homme du jour, le sauveur présidentiel, celui que la France attend toujours aux heures de crise, et qu'elle accepte les yeux fermés, quand elle s'imaginel'avoir vu surgir dans l'effarement des désas- tres. Avec lui la continuation de la guerre n'était plus à redouter. D'où son succès, surtout auprès de Bismarck et des ruraux.

Cette paix, qu'il avait inutilement implorée de l'Europe, sourde et indifférente, il l'obtiendrait de l'assemblée ravie de la lui accorder. M. Thiers passait pour persona grata auprès de l'empereur d'Allemagne ; il s'entendait à mer- Teille, disait-on, avec le Chancelier. C'était donc l'homme indispensable, le bouclier contre les périls possibles, l'ad- versaire de la résistance, et aussi un sûr défenseur de l'or- dre social contre les entreprises des socialistes, l'ennemi de ces groupements ouvriers de l'Internationale et de ces com- munards, que déjà les esprits perspicaces devinaient sous l'uniforme des gardes nationaux réclamant la guerre à outrance. Il n'y avait pas à hésiter pour l'élire. L'Assemblée Nationale devait se hâter de mettre à la tête du pouvoir

(82 UISTOIKE DE LA COMMUNE DE 1071

nouveau, qui sortait des ruines de la patrie, ce petit homme grandi par le suffrag-e de vingt départements, dont la Seine.

Alors commença la troisième existence de M. Thiers. Thiers, Monsieur Thiers, comme il libellait son nom sur ses cartes de visites, comme il s'annonçait, et comme le désignaient toujours les journalistes, les hommes poli- tiques, était un personnage complexe et mobile, un aven- turier d'une espèce particulière, et le condottiere d'une caste nullement guerrière. Ce terme de « Monsieur », qu'on lui appliquait, et qui lui est re.sté, devenu presque insépara- ble de son nom, comme un surnom, comme un titre et une qualité, tel qu'on écrit lord Byron, Dean Swift, Don Carlos, le bailli de Suffren,— fut avant tout, et par- dessus tout, l'homme delà Bourgeoisie, son avocat, son financier, son historien, son général, son .souverain, son héros, son dieu. A l'origine, un tout petit bourgeois, un fils d'artisan parvenu. Il avait obtenu une lx)urse, et put faire de bonnes études au lycée de Marseille, puis à la faculté d'Aix. Louis- Adolphe Thiers avait dix-huit ans lors de l'écroulement de Napoléon. Il conserva toute sa vie l'éblouis-sement de la chute de l'astre impérial, et cependant sa politique, ses idées, .ses goilts, sauf la combativité et l'amour du milita- risme, l'éloignèrent toujours de l'idée césarienne, du des- potisme napoléonien. 11 était, malgré son autoritarisme per- sonnel, beaucoup plus rapproché de ces idéologues que détestait Napoléon, et qui lui rendirent bien, à l'heure de la défaite, la haine qu'il leur avait manifestée.

Plus âgé alors, et membre de la Chambre de i8i4, M. Thiers eût certainement conspiré avec Laine, Destutt de Tracy et autres bourgeois libéraux; il eût, avec eux, pré- cipité la chute de l'empire, signé la capitulation de Paris. Il procédait de l'école des whigs anglais. Son idéal gouver-

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LE DIX-HUIT MARS

nemental était la monarchie constitutionnelle, non pas celle de Louis-Philippe, ce roi (gouvernait trop à ses yeux, mais le régime de la Grande-Bretagne, le monarque n'est qu'un fantôme décoratif, une idole signante et prési- dante, dont ileût été le Pitt, le Palmerston, le Gladstone. Même quand le désarroi, rimi«ss.l.ilité de faire place nette à un prétendant, et la soumission du pays républicain, eurent fait de lui, après Ihémorrhagie de .871, un souve- rain presque absolu, car il régnait en despote à 1 aide de la menace double de la démission et de la rupture de la sécurité vis-à-vis des Prussiens, il ne devait pas trouver satisfaisant le ré-ime dont il était devenu la clé de voûte. La solidité, la ré^nlla.■ité faisaient défaut ; le manque de contre-poids parlementaire le choquait surtout, comme un vice de construction capital, dans cet cdilice hâtif, bal. sur des décombres, en présence de l'ennemi, au lendemain d'une formidable insurrection. Sa présidence lui appa- raissait alors comme trop monarchique, et l'assemblée unique, une sorte de Convention rose, pas assez constitu- tionnelle. ...

Pourvu d'une exceptionnelle capacité de travail, 1 intelli- gence ardente, l'ambition surexcitée, la mémoire ornée, et l'esprit doué d'une incomparable puissance d'assimilation, le jeune Marseillais, dès ses premiers pas, courut au succès, son but, son proE^ramme, sa foi, sa religion, du commence- ment à la fin de sa carrière. Peu scrupuleux, il n hésitait pas à violenter la fortune. Ses premiers essais en fournis- sent la preuve. H avait en, tout jeune, une aptitude pour les lettres, servie et développée par son excessive fac.lit^ d'expression, et une intelligence ouverte, toujours en éveil. Comme J.-J. Rousseau, comme Proudhon, il débuta en lauréat dans un concours académique. L'éloge de Vauve- nargues, l'officier moraliste, avMt été mis au concours par

niSTOinS DE LA COMMUNE DE 187I

l'Académie d'Aix. Le jeune étudiant, pour avoir plus de chances de réussite, écrivit deux mémoires, en ayant le double soin de traiter le sujet d'une façon différente, et aussi (le changer l'écriture. Il obtint le prix et l'accessit. Voilà qui promettait un gaillard âpre à la renommée, avide du butin de la gloire, et ne négligeant rien pour les acqué- rir. Son droit achevé, il vint à Paris, se lia avec Mignet, connut Manuel, et, par ce dernier, entra au Constitutionnel. Là, protégé par le banquier Lalfilte, il devint un des bril- lants publicistes de l'opposition. Ses facultés de vulgarisa- tion, d'improvisation, dont, par la suite, il devait fournir tant de preuves à la tribune et aux affaires, le servirent à souhait dans le journalisme. Animé d'une fièvre de travail extraordinaire, le jeune publiciste, en sortant du journal, s'attablait à une œuvre de longue haleine : l'Histoire de lu Révolution Française.

Cet ouvrage est loin d'être parfait. Il a été depuis dé- passé, et l'on possède sur la même époque des histoires plus vibrantes, plus passionnées, plus sincères, plus hautes de conception et d'exécution, d'une philosophie supérieure aussi. C'était surtout une nomenclature de faits, son tra- vail comportant une analyse du Moniteur, et un résumé des séances, avec une description, minutieuse et souvent fastidieuse, des opérations militaires. Mais les événements de la Révolutiou étaient rarement dénaturés. Si l'esprit et lesopinions de M. Thiers alors le rapprochaient deshommes de 89, des Girondins, il ne fut pas, de parti pris, hostile aux Montagnards. Il ne fit pas des Robespierre et des Saint-Just des démons, ni des thermidoriens des anges. Les volumes de la Révolution Française eurent un vif succès. Cet ouvrage fit mieux connaître les révolutionnai- res, contribua certainement à leur graudlssement devant la postérité, et détruisit, dans l'opinion bourgeoise, beaucoup

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LE DIX-HUIT MARS

des légendes ridicules ou infâmes propagées par les libel- ^^tZi:2;ae .8.0 survint,, laquelle Th^s^vai. contribué, en rédigeant la protestation paruedans le Natto ;:/, au lèndemain^des ordonnances. U ^f «---~ nommé conseUler d'État, puis élu député à A>x. d v nt n^inistrepour la première fois au départemen de e rieur, le . . octobre i83.. sous la présidence ^^ --^f^l Soult. Il quitta l'intérieur pour le commerce, à la suite fa'épro Juion, soulevée par la peu noble négociation av c juS Deutz, qui, pour cinq cent mille francs, -ait ivre a la police la duchesse de Berry, dont il était 1 amant. Se, alter natives de pouvoir et d'opposition, - ministères Guad Mortier, Ba'ssano, Guizot, Mole. - le conduisirent juqu à la veille de la campagne des banquets, précédant la chute de Louis-Philippe. Elu par troi.s départements en 848, Gironde, Mayenne, Orne, il ne cessa de conspirer contre le gouvernement républicain. Quand le prince Lou s-N po féon fut élu à la présidence, il continua ses complots dan un sens monarchique. U eut l'honneur ^ être arrête au a décembre, et fut conduit à la fronliere,au pont de Ivehl. Il ne tarda pas à rentrer en France, et, retire de la poli- tique, il se consacra tout entier à son grand ouvrage : imstoire du Consulat et de f Empire, qui lui valut une dmablc réputation dans la classe moyenne. Cette vaste compilation n'est pas sans intérêt. Elle fournit en abon- dance les renseignements et les fa.ts. Napoléon est jugé avec enthousiasme souvent, mais son rôle de législateur d'administrateur, est justement mis en lumière. Cette histoire copieuse a certainement conserve a notoriété et accru la force morale de M. Thiers sur la bourgeoisie L'écriture est gardienne de la vitalité des hommes. S il paraissait à la génération de i868 et de 1870 toujours

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HISTOIRE on LA COMMUNE DE U

contemporain, toujours jeune et utilisable, le publiciste de i83o, le ministre de Louis-Philippe, le comploteur de la rue de Poitiers, c'est à ses travaux d'historien, à sa publi- cité d'auteur du Consulat et de l'Empire, qu'il devait ce rajeunissement et cette permanence de la renommée.

II était, comme politique, un homme du passé pour notre génération, pour les hommes qui avaient ving-t ans, au moment du réveil de l'esprit républicain, sous l'empire, c'est-à-dire vers les élections de 1869. Il délaissa ses « chè- res éludes », et vint solliciter les suffrae;-es des Parisiens, dans ladeuxiôme circonscription, Passy-BatignoUes. Il ne se présenta pas comme républicain, mais simplement comme candidat d'opposition. Il y avait un candidat officiel, M. Devinck, chocolatier riche et membre de la commis, sion municipale parisienne. Le candidat des républicains était d'Alton-Shée, ancien pair de France, grand seig'neur appauvri, affirmant des idées très démocratiques, et qui adhérait au programme de Belleville, credo républicain du temps. M. ïhiers fut élu. Sou rôle au corps législatif fut assez effacé, sauf au moment de la déclaration de S"uerre. II prédit les malheurs qui s'ensuivraient, s'il n'était pas écouté, et il ne le fut pas. Il ne pouvait g-uère l'être. La France, trompée, persuadée que l'armée était forte, invin- cible, qu'on était prêt, et en même temps frémissante sous l'insolence de la Prusse, manifestée par les dcpôchesd'Ems falsifiées et communiquées à toutes les chancelleries, approuvait à grande majorité la g'uerre, et criait : à Ber- lin ! Le cri était fait d'içnorance, de sincérité, et de patrio- tisme. On sut gré à Thiers de ses prévisions pessimistes, par la suite, et le malheur prédit donna crédit au pro- phète.

Tel, à l'heure douloureuse il s'agissait de traiter de la paix ou de la g'uerre, et de restituer à la France une org'a-

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LE DIX-HUIT MARS '__

nisalion des finances, une police, une administration il

; des Chômages, issus de Hnvasion, apparaissait le uou veau chef du pouvoir exécutif. . ^vait de l'oi-

Ah 1 l'ondoyant, le divers petit homme ! Il «Na t cl. ox

„e jamais tomber; «H- l'--P-^«*^°^ fT-fll fde a Getie mobilité perpétuelle se retrouve ^ ^^^ ^ ^ " ^f J, vie Ce contraste permanent qu'il portait en lu. existait

doux; un feu paisible rayonnait sous ses lunettes sa ligote laisséi ouverte semblait la robe de cbamb du savant. Tel .1 était, avec ses vieux commensaux letties Barthélémy Saint-Hilaire ou Mi.net. ^^^^^^^^^ un mot, une répartie, un rien, transposaient la UUude,^e sou de voix, le fçeste. Le petit homme se ,-dres.aa. La redingote tout à coup strictement boutonnée s e^^orçait de "'mfre les pbs du bron^. Et. la tète en arrière la mam ïnlZl, la parole brève, parodiant, devant la cheminée Nap roù à Austerlilz. le savant paisible de tout a 1 heure î^, at^t général au coup d'œil d'aigle. 11 franchissait l^ LnU, passait les fleuves, tournait ^es posiUons. ea^eva les défenses, batuit l'ennemi et sauvait la France, tel u t\'iuaita.;cSoultouJomini.Toiit.sav.etutains.^^^^^^^^^

un vaste kaléidoscope que les événements faisaient tourner.

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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

Iiicai)able d'une grande pensée, parce que, selon le délicat et sympathique Vauvenarg-ues,dont il avait analysé les sen- timents, sans les comprendre, et décrit les modestes vertus, sans les imiter, ces pensées-là viennent du cœur, et il n'y avait que de la tête chez lui. Il n'eut jamais une idée géné- reuse, jamais une pensée larg-e, dépassant le cercle restreint des préoccupations mesquines et des intérêts immédiats. C'est par cette sécheresse de cœur et par cette petitesse de cerveau qu'il charma et conquit pour toujours la bour- g"eoisie.

Qu'il l'aimait et qu'il la courtisait cette bourgeoisie dans laquelle il n'était pas né, mais au sein de laquelle il avait acquis droit de cité ! Il haïssait l'aristocratie, qu'elle vînt des hasardeux privilèg-es de la naissance, ou du légitime avènement du talent. Il exécrait le peuple. Il l'a d'abord insultée, notre patiente et laborieuse population ouvrière et paysanne, en lui refusant ses droits électoraux ; il l'a appelée « vile multitude ». Mais les paroles ne suffisaient pas à assouvir sa haine de fils d'ouvrier parvenu; par la suite, il a ag-i. De la rue Transnonain aux tranchées du Père-Lachaise, les ossements blanchis des travailleurs peu- vent témoig-ner de l'énergie de son action, et de l'âpreté de son animosité. Il agit aussi sur la classe moyenne par l'abondance de sa parole, la clarté de ses expositions, la facililéavec laquelle il citait les chiffres et la souplesse qui lui servait à manier les faits. Il ne fut jamais un g-rand ora- teur, dans le sens sonore et théâtral que la mémoire des hommes attache à ce terme. On l'a quaiiOé de Mirabeau- Mouche. Il fut plutôt le Danton du juste-milieu, car il effraya souvent, par son audace mesurée, ceux qui l'admi- raient, et il leur parut certaines fois bien hardi, par exem- ple lorsqu'il affirma qu'un pays pouvait vivre et prospérer sous la forme de la République. Il est vrai qu'il permettait

LE DIIÏ-HL'IT MARS

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d'.iouter ce correctif: à condilionque cette république 1 eût p^u rLident. H avaitla grande force, à la tr.buoe, après s'ê"re renseigné etdocumenté auprès des gens es plus com- pétnt d'éfucider les questions obscures, et de fa.re com- prendr , au moins versé dans les doctrines économ.ques e dlns les choses de finances, les difficultés budgétaires , d Jraltail tout ce qui se rattachait aux impôts avec part.-pr.s, Tail avec une passion lucide qui charma.t ses auditeurs "déconcertait ses adversaires. Et pu.s, adm.rable res- ur e dans les assemblées parlantes, dans une démocra ie oratoire l'on conduit les hommes avec des phrases, ex Hait dans l'art du lieu commun. Il était mcompara- bl comme le héros de Henri Monnier, avec qm .1 eut plu's d'une ressemblance, au physique et au mora lors- qu'il s'agissait de débiter magistralement desnens. 1 mon- tai avfc cela des goûts médiocres qui P^-ent a ses congénères. Il aimait le bibelot de cabinet et le bronze d éta- gère. Il avait su acquérir la fortune et administrait sa 1 son en bon père de famille. Ilavait un valet de chambre Tr^é démontrer au.x électeurs inQuents nonl'alcôve con- gal. comme chez le roi Louis-Philippe, maislnrmo.re i?M-ïhicrs serrait ses confitures. La popularité bour- geoise est faite de ces niai.series.

^ Tour à tour combattant la démocratie ou a réaction selon qu'il monte au pouvoir ou qu'il en descend, on le vort en ,830, préparer la Révolution populaire, puis, quand elle éclate chercher à l'étouffer, irincen Jia.ro devenu pom- pier il résiste à Godefroy Cnvaignac et à ses amis de a veille qui réclament la République, et fait accoucher la Révolution en travail de cette souris difforme et ridicule : la monarchie de Juillet. Plus tard, le peuple, a bout de patience, vovant renaître de ses cendres l'ancien despoisme roval se pkint, réclame. On ne l'écoute pas. Il court aux

'9° HISTOIRE DE LA COMMUNE DE

armes. On est en avril i834. Monsieur Thiers détient le pouvoir. L'occasion lui est propice d'assouvir pleinement son goût pour les répressions inexorables ; Ljon et Paris furent ensanglantés. Il devait, par la suite, effacer avec plus de sang- les souvenirs lugubres de la Croix-Rousse et de la rue Transnonain. Il était animé d'un fonds d'indifférence cruelle et de férocité souriante, dont il fit montre à plu- sieurs reprises. II apporta une -certaine crânerie dans ses premières répressions. On le vit, lors de l'insurrection de i834, aller aux barricades, comme à un spectacle.

Nous le verrons, en mai 71, suivre avec passion, de son cabinet de Versailles, la marche des régiments sur Paris, prêter l'oreille avec ravissement au grondement dii canon, et se passionner pour les opérations stratégiques, qu'il voulait diriger lui-même, reprenant et surveillant les généraux. Il se croyait un grand tacticien. Ses études de batailles pour son histoire du Consulat et de l'Empire l'avaient familiarisé avec les termes, les procédés, les car- tes de l'art mihtaire. Il profitait delà terrible occasion qu'il avait d'exhiber son érudition. Son rêve n'était réalisé qu'à demi. Sa taille et sa tournure grotesque lui interdisaient de passer des revues à cheval, et en uniforme. Ce fut une amère souffrance pour lui. Il avait beau se dire que Napo- léon n'avait que quelques pouces de plus, il ne se risqua jamais à commander et à parader en personne, à la tête des régiments. Il se rattrapait dans le généralat en cham- bre. Cette passion des choses de la guerre, cet amour de la stratégie furent pour beaucoup dans la frénésie qu'il apporta à prendre Paris d'assaut, ai)rès l'avoir bombardé, avec une sauvagerie que les Prussiens même n'avaient pas montfée.

M. Victor Lefranc, dans son rapport, en énuraérant rapi- dement les titres de l'homme qu'on présentait pour être

DIX-HUIT MARS

.,.i du oouvoir exécutif et de la présidence du conseil Itntr ne .an.ua pas de .appeler l^eureuse .s niralion qu'il avait eue, trente ans auparavant de or ifaer Ci M Tbiersne devait pas tarder, en s irnlant de la r T l. .IPs Parisiens, pour la seconde fois assièges, à

étaient une arme défensive à deux tranchants.

Dura^ la période difficile et confuse qui suivU 1 armis-

u'iÛ e T ptil contre V.»l.le.. il « „r.a.. d„n.

'°"n;if.it:"n:r; .et .ï.;.: i»". ru». c„»in-

~ cs.r.t<ièlaC,m„.„«edePari»«aitu„,v,^ „T„ pou e. Communes doFr.oce. L'h.bje peu homm , TSm 11 .lissimul. jusqu'à 1. dero.te m>u„te le» .lit commises fend.utla lulle, a,ec soo .ppcob.l.on, : 1 remit, jusqu'à T»"* do Mac-M.hou dau. P.m. ,'i semou rirait clémeul, et ne frapperait que les ass.s-

'--"-"-:-:;re.t';rc.^;rtiaird:;

'9^ HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

premiers jours qui suivirent sa fuite, c'était pour arrêter l'élaa secourable des provinciaux républicains, pour leur- rer les Parisiens indécis et modérés, pour donner le temps d'arriver aux renforts des prisonniers de g^uerre, dont il sollicitait des Allemands le rapatriement. Quand il eut sous la main toutes ces troupes sûres, irritées, disposées à cog'ner dur sur les Parisiens républicains et gucrrojeurs, il jeta le masque conciliateur, et dit à l'assemblée, soumise et consentante : « Dans huit jours, il n'y aura plus de dang-er, la tâche alors sera à la hauteur du courage et de la capacité des impatients qui me reprochent d'être trop lent à prendre Paris. Qu'ils se rassurent : je serai impi- toyable ! » Et il le fut. Que de .sang sur la redingote mar- ron de cet homme, qui combina et résuma, dans son corps exigu, trois personnages énormes, types légendaires de la ruse, de la cruauté et de la sottise prétentieuse : Louis XI, Néron et Joseph Prudhomme.

LIVRE VI

FIN DE LA GUERRE ÉTRANGÈRE

LA PAIX OU LA GUERRE?

Les premières séances de l'Assemblée furent consacrées à la vérification des pouvoirs et à la nomination des com- missaires, qui, au nombre de i5, devaient assister aux négo- ciations avec l'Allemagne et faire un rapport sur les pré- liminaires de paix. Les commissKires furent tous pris parmi les réactionnaires et les pacificateurs à tout prix.

M. Jules Grévj avait été nommé président de l'Assem- blée. M. Thiers, chef du pouvoir exécutif, avait désigné ses ministres. Ce furent Jules Favre aux Affaires Etrangères, Dufaure à la Justice, Ernest Picard à l'Intérieur, Jules Simon à l'Instruction Publique, de Larcy aux Travaux Publics, Lambrecht au Commerce. Le Flô restait ministre à la Guerre, l'amiral Pothuau à la Marine. Le ministère des Finances était réservé. Il fut attribué par la suite à M. Poujer-Qucrtier.

L'Assemblée suspendit ses séances pendant les négocia- tions. Les commissaires et M. Thiers partirent pour Paris.

Les séances ne présentèrent qu'un intérêt relatif. Tout était en suspens, jusqu'à la délibération sur les prélimi-

1 13

ig/, HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

naires de paix. La vérification des pouvoirs, l'élection du chef du pouvoir exécutif, la constitution du cabinet, et la nomination des commissaires pour l'examen des conditions de la paix, c'était le lever de rideau inévitable. Le drame allait se dérouler avec le débat publicsur« les préliminaires de paix ». On remarqua ce terme employé par tous, dé- putés, journalistes, diplomates, et qui passait dans le lan- gag-e courant du pays. On semblait, en l'employant, ne pas envisag-er d'autre issue aux nég-ociations que la paix. L'é- ventualité de la continuation de la guerre, du refus de la paix onéreuse et humiliante, ne semblait pas même admissible. La démission de Gambetta, provoquée par les agissements de Jules Simon, par la désapprobation du gou- vernement de Paris, prouvait visiblement qu'on était prêt à subir sans résister, autrement qu'avec des phrases mélo- dramatiques et des larmes théâtrales, les dures volontés de Bismarck.

La reprise des hostilités était une hypothèse aussitôt écartée qu'elle se présentait à l'esprit. Les conditions de la paix, consistant principalement dans la cession de l'Alsace" Lorraine, apparaissaient à tous comme dépassant les pires prévisions, mais que faire ? A ceux qui s'indignaient, on demandait s'ils avaient un moyen de soustraire la France au démembrement exigé. Pouvait-on imaginer la continua- tion de la guerre ? A Paris, mais non pas à Bordeaux, trouvait peut-être des gens pour supposer cette folie ! Sauf quelques patriotes convaincus et irréductibles, qui passaient pour des dons Quichottes, l'épilhète la plus injurieuse qui Boit, sauf aussi quelques aigrefins de la députatiou, qui redoutant un vote pacifique, plus tard reproché, ayant d'ail- leurs la certitude que le traité consacrant le démembre- ment serait voté, et exécuté, sans leur signature, comp- taient bien que leurs collègues n'auraient pas leur prévoyante

LE DIX-HUIT MARS Ig5

abstention, tous, à l'assemblée, reconnaissaient, d'un coeur navré mais soulagé, qu'il n'y avait nulle possibilité de ne pas passer par le cbemin de bonté et de douleur, que d'un doigt impérieux leur indiquait Bismarck. Il fallait accep- ter la paix sans phrases, telle qu'elle était décidée par Tbiers, Jules Favre et l'AUemag-ne.

Beaucoup de députés venus à Bordeaux, avec l'intention bien arrêtée, conforme d'ailleurs aux volontés plus ou moins francbement exprimées de leurs électeurs, de voter tout ce que le gouvernement proposerait, pourvu que ce fût la ces- sation définitive de la guerre, faisaient mine de douter, d'hésiter. Ils n'osaient pas avouer que leur opinion était faite, et que rien ne saurait les en faire changer. Ils dis- cutaient dans les couloirs do l'assemblée, dans les par- lottes, dans les cafés, comme si le doute sur le résultat final était possible. Ils semblaient d'accord avec les gens se disant bien informés, qui colportaient, en prenant des airs mystérieux, des bruits fantaisistes. Ceux-là assuraient, en baissant la voix, comme s'ils communiquaient un vérita- ble secret d'Etat dont ils posséderaient le tuyau, que la paix ne serait pas votée. A l'appui de cette assertion, qu'ils n'émettaient que pour souder l'opinion ambiante, tàter leurs voisins, provoquer la contradiction, et amener le dé- menti qu'ils espéraient, ces nouvellistes à double face pré- tendaient que les députés monarcliistcs refuseraient le vote. Ces hobereaux formaient dans l'Assemblée un parti impor- tant. Ils étaient irritésdu refusde l'Assemblée d'admettre le duc d'Aumaleetle prince deJoinville, élus dans l'Oise, dans la Manche et dans la Haute-Marne. Ils pouvaient former une majorité contre le gouvernement, en mêlant leurs bul- letins avec ceux des députés républicains avancés et des dé- putés de l'Est, qui voteraient contre la paix, ne voulant pas ratifier la cession de l'Alsace et des territoires lorrains.

,g() HISTOIRE OE LA COMMUNE DE

Les partisans de la continuation de la guerre étaient en réalité peu nombreux, mais plus bruyants et presque pro- vocateurs. Presque tous les députes avancés élus par Paris étaient avec eux. Ils reprochaient aux amis de la paix leur facilité à accepter la défaite, leur résig-natlon trop prompte et leur soumission, peu digne, aux ordres du vainqueur ; quelques-uns, ceux qu'on nommait les vieilles barbes de Quarante-Huit, évoquaient avec une emphase trop cabotine les souvenirs de l'antiquité.

« Les Romains. disaient-ils, ne consentaient à traiter que lorsque l'ennemi avait quitté leur territoire ! » Mais étaient les sénateurs de Rome? Pas à Bordeaux, assuré- ment.

Ces orateurs de l'irrédentisme français affirmaient que la France avait encore des hommes, des ressources, de l'énerg-ie. Ils soutenaient, et non sans apparence de raison, qu'on aurait pu se montrer moins disposé à traiter, faire montre de résistance, et déclarer, non pas qu'on était prêt à tout accepter, mais à tout refuser. On eût certainement sauvé Metz en tenant le poing fermé. On tendait trop béné- volement la main ouverte à Bismarck, qui s'empressait de répondre à cette manifestation amicale en redoublant ses prétentions, en se montrant -sourd à toutes les argumen- tations de Thiers, indifférent à toutes les jérémiades de Favre.

LA RÉSISTANCE ETAIT-ELLE POSSIBLE ?

A quarante ans de distance, et bien que la plaie soit encore saig-nante, puisque, ni en France ni en Allemagne, on n'a rien otVert,rien tenté pour la cicalriser.ou pour faire revivre la chair mortifiée, il est permis, sans forfanterie.

LE DIX-HUIT MAHS

sanschimériqueilliision.crexaniiner la question desavoir s'il était possible de lutter encore après la déroule de l'armée de l'Est, due à l'inouïe aberration de Jules Favre. après la défaite de l'armée de la Loire, due à l'inexpérience des mobilisés, après la capitulation de Paris et la reddition des forts, dues ti la famine, et aprèsTimmobilisation de l'armée parisienne, ligne, corps francs, mobiles et cardes nationaux, tous, prisonniers de guerre, due à la convention d'armistice. En examinant froidement la situation réelle des forces militaires existantes, et à créer, en faisant état des corps d'armée qu'il était possible de réunir encore, en évaluant seulement les ressources matérielles delà France,au moment de la discussion des préliminaires de paix, on peut hardi- ment répondre qu'au prix sans doute de nouvelles et pires souffrances, et en sacrifiant un nombre considérable d'existences, la lutte était encore possible : l'invasion alle- mande aurait pu se terminer comme les précédentes inva- sions françaises en Russie, en Espagne, auMexiqiie.

On avait une vaste étendue de territoire non occupé, qui avait peu souffert de la guerre, qui n'avait éprouvé que la répercussion des désastres, de la disette du siège parisien, et dont les populations, si elles consentaient à se lever et à s'armer,pouvaicnt obliger les Allemands à disséminer leurs troupes, à faire face à vingt, à cent foyers de résistance, à s'affaiblir, par conséquent. Leurs meilleurs soldats, les trou- pes actives et de première ligne, avaient été considérable- ment entamées. Elles étaient en grande partie épuisées, lassées, impatientes de déposer les armes, désireuses de reprendre la route de leur pays. Elles n'eussent pas apporté, dans une guerre dedéfense simultanée survingt points dis- tants de notre pays,le môme entrain, la même énergie, dont elles avaient fait montre durant la première partie de la campagne, elles avaient rencontré si peu d'obstacles,

igS HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

OÙ, sauf Metz et Paris, Bazeilles et Châteaudun, elles n'avaient trouvé que villes ouvertes, campag'nes dég'arnies, autorités complaisantes et populations résig'nées.

La France n'avait pas tout son sol envahi. Une partie de la Normandie, la vaillante Bretag-ne, l'héroïque Vendée, le Bocage, le Poitou, toutes ces contrées sont faciles la guerre défensive, le combat derrière les haies, la lutte par petites bandes susceptibles de retarder, d'arrêter de gran- des masses armées n'ayant pas la possibilité de se dé- ployer, gênées pour tirer parti de leur nombre, toutes ces régions de l'ancienne chouannerie étaient intactes. La solide Auvergne, donjon national, pouvait servir de camp retran- ché, inexpugnable. Tout le Midi, qui parlait volontiers de se lever en masse, n'avait pas souffert de l'invasion. On le prendrait au mot. Il finirait, le sentiment de la conserva- tion aidant, par bouger. Paris avait capitulé, mais il ren- fermait des combattants nombreux encore, déjà aguerris, endurcis par le siège. Ces troupes volontaires, inutilisées parTrochu, pouvaient s'évader de la capitale, amener leurs meilleurs contingents. Ces bataillons parisiens, renforçant l'arméede Chanzy, devraient retenir de longs mois les Prus- siens dans l'Ouest et au Centre. La marine, qui n'avait été que d'une utilité relative, car les marins, débarqués, avaient fait le coup de feu des fantassins, disposait encore de réser- ves fraîches. L'argent ne manquerait pas. Les vivres, dans les territoires non occupés, étaient abondants. Des Cévennes aux Pyrénées, on pouvait recruter, armer, lancer, deux millions de citoyens résolus à mourir pour la défense de la patrie

C'eût été alors sans doute la guerre qu'ignorent et mépri- sent les professionnels de la destruction. Ils la redoutent aussi. On eût alors assisté à la résistance désespérée, à la jfuerre sainte, comme la proclament les musulmans. G'eiU

LE DIX-BllT MARS '99

été la guerre du désespoir, à laquelle ont eu recours les peuples menacés, décidés à se défendre et ù périr, mais qui, par elle, se sont défendus et ont survécu. La France pouvait encore se sauver, si la France acceptait la lutte, comme doit la vouloir un peuple aux abois, sanglier blessé qui fait tête à la meute, la guerre atroce et sans merci, qui semble plus que l'autre une régression vers la barbarie, alors qu'elle est seulement la logique de cette barbarie portée à sa plus haute puissance. Au jugement dt-s super- ficiels delà vie civile et des routiniers de la vie militaire, cette conception de la défense peut sembler un écho ridi- cule des divagations qui eurent cours dans les clubs, durant les veillées surexcitées du siège. Eu réfléchissant, on sera obligé de reconnaître que, c'était seulement la façon de faire la guerre, si l'on avait voulu sérieusement et sans arrière-pensée d'atténuation et de molération réciproques arrêter les Allemands envahisseurs.Eh ! oui. c'était la guerre sauvage, la guerre comme les civilisés ne veulent plus l'ad- mettre, comme si la guerre dilu.-e dans l'humanitairene, tempérée par les convenances et les procédés codifies, la guerre selon les règles de l'art, devenait œuvre de civili- sation ! Elle était désirable, et en môme temps abominable, mais à qui la faute? Cette guerre furieuse, tout devient arme pour combattre, comme tout être valide devient com- battant, la guerre sans freins ni limites, sans conventions courtoises comme sans préoccupations philanthropiques, ou l'on supprime la croix de Genève, l'on renonce aux sus- pensions d'armes pour relever les blessés, l'on ne songe plus à enterrer les morts, l'on abroge les lois de l hu- manité, où l'on se débat comme la victime assaillie par un assassin, se démène, égratigue et mord, sans se soucier des ménagements et des pitiés.

L'heure terrible justifiait la guerre terrible, sans calculs

200 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

de survie, sans escompte de rinternement protecteur; la guerre des rues et des haies, des maisons et des chemins creux; celle les vieux capitaines frissonnent devant les vieilles femmes lançant leurs chaudrons du haut des toits, la jeune fille accorte, avec un sourire, verse à l'envahis- seur la boisson qui empoisonne, jl'enfant se glisse à quatre pattes sous des caissons, une mèche entre les doigts, et provoque, comme en se jouant, l'explosion du parc d'rr- tillerie ; la g-uerre des guérillas, et des partisans, celle qui fait reculer les grenadiers devant les moines, et dont le souvenir emplit la tente pavoisée des conquérants de ces visions tragiques : les torches de Moscou, les tromblons de Saragosse, et le fossé de Queretaro.

Oui, la guerre, en février 1871, pouvait être continuée, mais à la condition de la faire autrement qu'en août 1870. Il fallait renoncer à la stratégie classique, et ne plus comp- ter sur les tactiques enseignées aux écoles militaires. Plus de grandes armées, capables de gagnerde grandes batailles, mais susceptibles aussi de se disloquer dans le désordre des grandes paniques. Nous ne pouvions disposer que de régiments improvisés, avec des recrues non exercées, con- duits par des officiers novices, incapables de tenir en rase campagnecontre desarmées organisées, disciplinées, aguer- ries et entraînées par six mois de combats victorieux. Les hostilités devaient être reprises, mais avec de petits corps mobiles, épars et intrépides. Des .soldats devenus des insur- gés, harcelant sans relâche l'ennemi, interceptant ses con- vois, l'obligeant à livrer vingt batailles pour prendre un village, pour s'emparer d'un pont, pour franchir un défilé, c'était la bonne manière pour se débarrasser des Allemands en détail. On eût prolongé la guerre, s'il le fallait, jus- qu'au printemps, jusqu' à l'automne, jusqu'à la retraite de l'ennemi ou son épuisement total. A moins que toute l'Aile-

LB DIX-HUIT MAHS

niagne valide ne se vidât pour occuper la France le succès ôtaiLûr.Cétait laméthode qu, avait réussi a Ben.to Juare et que notre ancien ennemi, réconcilié et «)-F; ^^^ / ^^ suîe de nos malheurs, conseillait, dans une lettre intére - santé adressée à un ami, combattant pour nous dans la léerion des Amis de la France. , x i, «„

Cette lettre (voir aux Notes et Eclaircissements à a fin du volume) ne fut publiée que tardivement 11 est vrai que, communiquée plus tôt, le^ S-s de la Défense n en Uent tenu nul compte: les ïrochu, les Jules tavre le Ducrot ne voulaient qu'une défense à leur façon, devant aboutir fatalement à la défaite et à la capitulation.

Ainsi, d'après l'opinion d'un homme comme Juarez qui avait fait ses preuves en matière de résistance nationale, et nui avait sauvé son pays, la lutte était po.ssible pour nous, avec le succès au bout, c'est-à-dire l'évacuation forcée de notre territoire, mais à des conditions qui eusscn paru impossibles à la plupart de ceux qui étaient les ma.tres de nos destinées. .

La majorité du pays était-elle prête à ces sublimes sacri- fices que la continuation de la guerre eût e.xiges?Qui pour- rait l'affirmer? Qui eût osé, à Bordeaux, se porter j^arant de cette volonté opiniâtre et tenace, qui eût propose de sou- tenir iusqu'au bout une lutte d'extermination ?

Il est certain qu'en poussant les choses à l'extrême, cette hypothèse d'une guerre à outrance aurait pu se réaliser, et cela presque malgré nous, par la volonté même des Prus- siens! Si les vainqueurs n'avaient pas prudemment imité leurs exigences, s'ils avaient exigé la cession, non plus de trois, mais de dix, mais de vingt départements avec une rançon de cinquante milliards, donc impossible à fournir et si par conséquent ils avaient entendu, jusqu au parfait paiement, prolonger l'occupation avec leurs troupesen sub-

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

ststance, l'assemblée de Bordeaux eût-elle réclamé et. voté la paix quand môme?

Les Prussiens n'ont pas posé des conditions aussi exorbi- tantes, parce qu'ils savaient qu'elles ne seraient pas accep- tées, pai-ce que c'eût été déclarer qu'ils voulaient, eux, continuer la guerre. La France alors eût bien été forcée de choisir ; il lui aurait fallu se laisser égorger, comme un mouton bêlant, ou essayer de mordre, comme un loup blessé, puisqu'il lui restait des crocs. Les Prussiens se mon- trèrent relativement raisonnables, malheureusement pour nous peut-être.

L'oblig-ation de faire la paix, ot la nécessité de se rendre à merci n'étaient donc pas aussi absolument impérieuses qu'on le prétendait. Si l'on a accepté les conditions de Bis- marck, c'est qu'elles parurent acceptables,en tous cas préfé- rables à l'option pour la continuation de la g-uerre. Le rai- sonnement par l'absurde, ou du moins par une hypothèse invraisenil)lal)le, prouve que la France pouvait refuser de payer cinq milliards comme elle aurait refusé d'en payer cinquante, et que la cession de l'Alsace-Lorraine aurait pu lui paraître aussi inacceptable que la cession de la Bour- gogne, de la Franche-Comté, de tous les départements qui figurent déjà sur les cartes militaires allemandes comme devant être un jour conquis et annexés.

Les lois supérieures du déterminisme doivent être consi- dérées comme ayant agi dans cette atroce nécessité. La France, dans l'état de faiblesse morale elle se trouvait, ne paraissait pas libre de refuser la paix, bien qu'en réa- lité elle aurait pu, elle aurait le faire.

Il apparaît donc injuste de trop .sévèrement juger ceux qui ont conseillé la paix, et l'on ne saurait condamner sans le bénéfice des circonstances atténuantes ceux qui l'ont votée. Il pouvait être facile de protester, isolément.

LE DIX-HUIT MARS

pompeusemeat, à la tribune ou dans les journaux, contre la paix, c'était une manifestation qui passait pour hono- rable,' et devait procurer de la popularité, voire des suf- frages dans l'avenir, mais si la majorité, par une surpris e parlementaire, se fdt trouvée du côté des partisans de la Lerre, combien eussent déploré leur attitude hèrem nt belliqueuse, combien auraient regretté d'avoir été écoutes

et suivis !

Ouant aux nombreux citoyens, à Paris, à Lyon, sur tous les^points du tonitoirc, qui ne faisaient point de calculs, et qui par enthousiasme, par sentimentalisme, ou par tem- Jérament combatif, maudissaient la paix et -claTHaien ia guerre, les événements leur eussent -aisemblablement vite donné tort.Ilest probable que si l'Assemblée Nationale eût décidé de refuser les conditions de 1 Allemagne et eût voté la reprise des hostilités, le pays n'aurait pas ratihé son vote alors les Prussiens seraient devenus les maîtres, sans résistance et sans conditions. Ce n'est pas calomnier notre malheureux pays que d'envisager cette éventualité auc les circonstances faisaient, hélas! trop réalisable. En îesant de san,^-froid les choses, on doit y^^"-^- J^"^ déplorant les termes de la capitulation de Pans, qm ont désarmé la France et l'ont livrée abattue a ismarck et à Thiers, l'acceptation du traité imposé par l'Allemagne était Ip^u près inévitable, une carte forcée. La France sau une minorité, avait pu accepter la guerre en 1870, el^ ne paraissait plus capable den accepter les conséquences extrêmes en 1 87 1 .

LES PRÉUMI^^AIRES DE PAIX. DISCUSSION DANS LES BUREAUX Les préliminaires de paix avaient été arrêtés et signés à

^°^ HISTOIRE DE LA COMMUNE DB 1871

Versailles, le 27 janvier, IMM. Thiers et Jules Favre par- tirent aussitôt pour Bordeaux. Ils 'éprouvèrent du re- tard à Poitiers, par suite de l'eucombrement des voies, et n'arrivèrent à Bordeaux que vers midi, le mardi 28. Les députés avaient reçu une convocation pour une heure, dans les bureaux. Les quinze commissaires examinèrent sur-le- champ les propositions de paix, discutèrent les clauses du traité et nommèrent leur rapporteur. La séance publique, fixée à trois heures, ne fut ouverte qu'à quatre heures un quart.

L'animation était grande ce jour-là, à Bordeaux. Des troupes encadraient le local se réunissait l'Assemblée. C'était le Grand-Théâtre, l'un des plus imposants monu- ments de Bordeaux, le chef-d'œuvre de Louit, qui devait être le lieu de la plus douloureuse tragédie nationale. Le contraste était saisissant entre la gaîté du décor et la morne tristesse du moment. Les loges étaient garnies de dames en toilettes élégantes. Des lustres et des candéla- bres éclairaient la scène. Les députés occupaient les bancs du parterre, depuis la rampe jusqu'aux baignoires. Les banquettes étaient rouges. Des sièges supplémentaires avaient été placés dans les baignoires. Des draperies enca- draient le plateau. Le bureau était au centre et la tribune en dessous, à peu près sur le pupitre du chef d'orchestre. Deux rangs de loges étaient réservés aux journalistes, aux autorités, aux diplomates ; aux galeries supérieures, au paradis, s'entassait le public.

En attendant la séance, on se désignait les personnages marquants : Lord Lyons, ambassadeur d'Angleterre ; M. Okonine, ambassadeur de Russie; le chevalier Ni^ra' ambassadeur d'Italie; M. de Metternich, ambas.sadeur d'Autriche, dans la loge diplomatique ; et parmi les dépu- tés, Victor Hucro, qui jusque-là avait coi le képi belli-

LE DIX-HUIT MARS *°'

queux, et ce jour-là avait repris le chapeau civil; Louis VLc tout en noir, sans barbe, l'air jeunet et un peu clé ncal- l'évêque Uupanloup, congestionne, ardent, le teint loim'ô rair martial; Henri Roohefort, avec son sour.re amer, 'son œil sarcastique, errant parmi les bancs, exam- nant les physionomies singulières, ahuries ou méchantes, de ces ruiL^x, comme Gaston Crémieux les avait qualifies

Au dehors.la foule était considérable. Les curieux avaient attendu patiemment l'arrivée de M. Thiers. Us g:uetta.ent, .lepuis plusieurs heures, les députés au passasse, les nom- mant de travers, et avec des commentaires iaiita.sistes La .arde nationale de Bordeaux, comme dévoyée, passait e Repassait, entre les deux haies de troupes. El eprotes ait contre son éloi^^nement du local ou -^f^'-\^^'^'^^ Elle avait réclamé vainement l'honneur de veiller a la porte. Elle affirmait, par sa déambulation obslinée, drapeau dé- ployé et musique ea tôte, son droit de circuler et de para- d r^ans sa ville. Au moment M. Thiers allait faire connaître à l'Assemblée la cession forcée de nos deux pro- Ices, cette musique encombrante, en défi ant sur U p ace de la Comédie, jouait un pot-pourri de la Belle Hélène. C'était charmant d'à-propos, et ceci montre que ces gran- des et lugubres séances historiques, où, comme à la barre de la Convention la vie d'un roi, se jouaient le sort de deux provinces et l'avenir d'une nation, sont surtout à distance imposantes. Les contemporains ne semblen jamais se douter qu'il, font de l'histoire Ils vaquent à leurs petites affaires, et poursuivent leur but coutumier, sans trop s'émouvoir. Pendant ces trois terribles journées. le salut de la France, la reprise des hoslilllés et la muti- lation de la patrie étaient en suspens, les trams « de plai- sir ,, c'était leur désignation administrative, c.rculèreni sans discontinuer entre Bordeaux et Arcachon. Les hôtes

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Versailles, le 27 janvier, MM Thiers et Jules Favre par- tirent aussitôt pour Bordea. . Ils 'ëprouvèrent du re- tard à Poitiers, par suite de ^ucombrement des voies, et n'arrivèrent à Bordeaux que rs midi, le mardi 28. Les députés avaient reçu une conv ation pour une heure, dans les bureaux. Les quinze comi ssaires examinèrent sur-le- champ les propositions de pal, discutèrent les clauses du traité et nommèrent leur rapi neur. La séance publique, fixée à trois heures, ne fut oierlequà quatre heures un quart.

L'animation était grande . jour-là. à Bordeaux. Des troupes encadraient le local , s. réunissait l'Assemblée. C'était le Grand-Théâtre. Tuides plus impos.ints monu- ments de Bordeaux, le clief-diuvre de Louit, qui devait être le lieu de la plus doulou use tragédie nationale. Le contraste était saisissant ent, la gatté du décor et la morne tristesse du moment. Is lo-es étaient garnies de dames en toilettes élégantes, es lustres et des candéla- bres éclairaient la scène. Les c^piités occupaient les bancs du parterre, depuis la rampejusqu'aux baignoires. Les banquettes étaient rouges. \k sièges supplémentaires avaient été placés dans les baijoires. Des draperies enca- draient le plateau. Le bureau «lit au centre et la tribune en dessous, à peu près sur le apitredu chef d'orchestre. Deux rangs de loges étaient rc»rvés aux journalistes, aux autorités, aux diplomates ; au galeries supérieures, au paradis, s'entassait le public.

En attendant la séance, on sdésignait les personnages marquants : Lord Lyons, a.bassadeur d'.Vngleferre ; M. Okonine, ambassadeur de ussie ; le chevalier Nigra, ambassadeur d'Italie; M. deMetternich, ambassadeur d Autriche, dans la loge diplomtique ; et parmi les dépu- tés, Victor Hugo, qui jusque-l avait coitié le képi belli-

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LE DlX-Hl MARS

205

queux, et ce jour-là avait r. ris le chapeau cml; Louis 'manc tout en noir, sans barl l'air jeunet et un peu ce ri al- l'évêque Dupanloup, c gest.onué. ardent, le temt InTm^, l'air martial; Henn ochefort. avec son sounre :L, son œil sarcastique, er. U parmi les bancs exami- nant les physionomies sin.^u .res, ahuries ou méchant s, d ces ruL^. comme Gaston Irémieux les avait qualifies

Au de,hors,la foule était cor dérable. Les curieux avaient atttdu pati;mment l'arrivée a M. Thiers. Ils guettaient, depuis plusieurs heures, les ^putés au passade, les nom- n.ant de travers, et avec des mmentaires fantaisistes La .arde nationale de Bordeau comme dévoyée, passait e Lassait, entre les deux hai de troupes Elle protesa^t contre son éloignement du 1 al ^^^f-^\l^^^^^^: Elle avait réclamé vainement lonneur de veiller a la porte. Elle affirmait, par sa déaml ation obstinée, drapeau dé- ployé et musique en tête, so iroit de circuler et de para- der dans sa ville. Au momt M. Thiers allait faire connaître à l'Assemblée la c .ion forcée de nos deux pro- bes, cette musique en.om^ .nte. en défi ant sur l^ p ace de la Comédie, jouait un i -pourri de la Belle Hélène. C'était charmant d'à-propos ,t ceci montre que ces gran des et lugubres séances hlst iques, ou, comme à la barre de la Convention la vie d' . roi, se jouaient le sort de deux provinces et l'avenir une nation, sont surtout a distance imposantes. Les ontemporains ne semblen iàmais se douter qu'ils foi de l'histoire. Ils vaquent à C pe ites affaires, et po suivent leur but coutumier, sans tïop s'émouvoir. Pend, t ces trois terribles journées. oT e It de la Franc. irise des hostilités et la muti-

ation de la patrie étai. . suspens, les trains « de plai- ;!>,, c'était leur dési t i administrative, circulèren sans discontinuer eutr. o aaux et Arcachon. 1-^= Mte^

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X

206 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

cosmopolites, que les séances de l'Assemblée avaient réu- nis, allaient mang-er des huîtres au bord du bassin pitto- resque. Les Bordelais ûânaieut, comme à l'habitude, plus empressés pourtant à sourire aux jeunes femmes passant et repassant par les allées de Tourny. Beaucoup de ces fri- voles promeneuses venaient de loin, attirées par la pré- sence d'hôtes cerUiinement disposés à la dépeii.se. Cet élé- ment féminin exotique variait la monotonie du programme des distractions provinciales. Le temps était doux et clair- Un soleil joyeux dorait les physionomies, ég-ayait les édi- fices. La nature, indifférente à nos deuils comme à nos félicités, est sombre un soir d'épousailles et rit le matin d'un enterrement.

Quand la commission des Quinze eut fini son e.\amen et que M. Victor Lefranc, nommé rapporteur, eut achevé son travail, la séance fut ouverte. Il était quatre heures et quart. Jules Grévj occupait le fauteuil. Le baron de Barantc, l'un des secrétaires, donna lecture du procès- ver- bal de la séance du i3 février, qui fut adopté. M. Thiers monta immédiatement après à la tribune.

Il demanda à la Chambre l'urgence pour la discussion et le vote du traité qu'il apportait, et dont M. Barthélémy Saint-Hilaire donna lecture.

L'urgence fut combattue par MM. Varroy, Millière et Tolain. M. Toluin, député de Paris, et l'un des fondateurs de l'Internationale, déclara « honteuse» la proposition. On ne pouvait, dit-il, voter sans une délibération approfondie. M. Thiers remonta à la tribune. Il déclara que la propo- sition faite par le gouvernement n'était pas honteuse. S'il y avait de la honte, c'étiiit pour ceux dont le vote, à toutes les époques, avait contribué à la ruine du pays. L'.lssem- blée vota l'urgence.

La réunion dans les bureaux eut lieu à neuf heures du

LB DIX-BUIT MARS

307

soir. Elle se prolongea jusque vers m.nuU. Les «ï;-"-;-; furent ardentes et poi^^nantcs. La siluat.on de 1 Alsace et de la Lorraine communiquait aux plus détermines pacifi- cateurs une émotion vive. Les députés des départements sacrifiés faisaient entendre leurs protestattons au m.Ue. d'unesvmpathie fW^nérale, mais le vote étaU acqu.sdans les esprits: A «ne très granuc majorité, dans tous les bureaux la ratification des préliminaires de paix fu adoptée. La séance publique ne serait plus qu'une forrr.al.te d enregis- trement et un prétexte à manifestations diverses pin. ou moins déclamatoires et vaines. La paix était faite, et les Allemands commençaient leurs préparât, s ^ évacuation en môme temps, ils se préparaient à faire leur entrée dans

Paris.

SÉANCE DU PREMIER MARS

L'inoubliable et désastreuse séance du mars s ouvnt à midi trois quarts. Comme la veille, les galènes étaient bondées. Les mCmes femmes élégantes étaient venues là, comme au spectacle. On se montrait, avec la même curio- sité les personnages marquants de l'Assemblée, et les nota- bilités du corps diplomatique.

Au début de la séance, plusieurs pétitions et protestations contre tout démembrement du territoire furent déposées Un député. M. Girod-Pou^.ol. du Puy-de-D^m^' ava.t envoyé Si! démission au président avec celte declarat,on significative : qu'il ne pouvait accepter le traité, mais que, ne voulant pas aller contre le vœu deses électeurs, .1 préfé- rait se retirer. Les électeurs de l'honorable arverne étaient sans doute plus raisonnables, plus prudents que leur re- présentant, mais les motifs de la démi.ss.ou de M. Girod-

908

HISTOIRE DE LA COMUtlNE DE K

Pouzzol étaient éminemment nobles, et la loyauté de son action mérite l'estime.

La parole fut donnée à M. Victor Lefranc, rapporteur de la Commission.

Le rapporteur déclara que la Commission avait accepté, sans aucun changi-ement, les préliminaires de paix: « L'hon- neur de la France est sauf, ajo'.:la-t-il, au milieu de vives protestations. Pour le présent, il s'agit d'arrêter le fléau de l'invasion ; pour l'avenir, la France saura réparer ses per- tes, si elle sait profiter de l'expérience du passé, ne plus se jeter dans les révolutions et ne plus se réfugier dans le césarisme. »

Il termina en adjurant l'Assemblée de voter le traité :

Vous pouvez ne pas ratifier ce traité, dit-il, vous pouvez renou- veler la lutte, mais si vous refusez, c'est Paris occupé et la France entière envahie. Dieu .sait avec quels désastres! Nous vous conseillons donc de ne pas vous abandonner au parti du désespoir. Quoi qu'il arrive,la France conservera le droit de main- tenir sou action dans le monde !

Ces phrases banales soulèvent d'héroïques et vaines pro- testations.

Edg-ar Quinet succède au rapporteur. L'émiuent histo- rien-philosophe jouit d'une certaine autorité dans les ran^s des républicains. La majorité de l'Assemblée l'écoute avec déférence.

Il affirme que la France est rentrée dans la République pour n'en plus sortir, et qu'elle porte encore l'avenir du monde sous l'égide républicaine. Il proteste contre l'obliga- tion de faire servir une Assemblée nationale à démembrer la nation. Le suffrage universel de la nation détruisant la nation elle-même, c'était inique et absurde.

LE DIX-HUIT MAUS 2O9

Envisageant la cession des deux provinces, l'illustre aulcar du Génie des Religions s'écrie éloquemment :

L'Alsace et la Lorraine font partie intégrante de la France. Vous n'avez pas le droit de dire à des compatriotes : Vous Oies Français aujourd'liui, demain vous serez Prussiens. Sur quoi se base l'Allcmague pour prendre nos provinces françaises ?

L'Alsace cl la Lorraine ne sont pas des positions agressives contre l'Allemaguc, c'est évident, et la çuerre actuelle l'a dé- moulré. . .L'Alsace et la Lorraine sont les boulevards de la France ; ôlez-les lui et l'ennemi débouche dans les plaines de la Marne, d est le maître de Paris. La Prusse veut non pas notre déchéance, mais notre anéantissement. Nous devons donc repousser le traité de paix, puisqu'il détruit le présent et l'avenir de la France. »

LA DÉCHÉAXCE DE NAPOLÉON III

Un incident se produisit alors, qui fournil l'épilaphe légale (lu régime impérial, défunt depuis la guerre et la révolution du 4 septembre. Ce fut comme l'amende hono- rable d'une assemblée amenée à voter une pai.Y désas- treuse.

M. Bambcrgcr, député de la Moselle, avait succédé à Edi^ar Ouinetet adjurait l'Assemblée de repousser la pai.v. Il ajoutait : « Un seul homme aurait signer un pareil traité: Napoléon III, dont le nom sera éternellement cloué au pilori de l'histoire ! »

Des bravos éclatent sur tous les bancs. L'Assemblée était rétrograde, cléricale, pacifique et trembleuse, en grande majorité, mais nullement bonapartiste.

Alors une protestation s'élève. C'est M. Conli, député de la Corse, l'ancien secrétaire de l'impératrice, qui l'a for- mulée. Une agitation suit ses paroles, mal entendues. On somme l'interrupteur de venir s'expliquer à la tribune.

M. Bamberger cède la parole à iM. Conti. Celui-ci, au

HISTOIRE DB LA COMMUNE DE 187I

milieu d'un violent tumulte, déclare qu'il ne s'attendait pas à ce que, dans un débat si douloureux, il y eût place pour des discussions passionnées, pour des allusions bles- santes envers un passé auquel se rattachaient un certain nombre des membres de l'Assemblée, qui, comme lui, avaient prêté serment h. l'Empire.

Plusieurs voix crient : « La déchéance 1 » pendant que des orateurs, dont MM. Henri Rochefort, Victor Hug'o, Langlois, cherchent à escalader la tribune, pour protester à leur tour contre l'empire.

Une voix crie justement : « Les Prussiens sont à Paris, pendant qu'on se dispute à la tribune ! »

M. Bamberger propose de clore le débat, en votant for- mellement la déchéance de Napoléon III. Les bravos répon- dent à cette proposition.

Le président suspeud la séance pendant un quart d'heure.

A la reprise de la séance, M. Allain-Targé a la parole pour une motion d'ordre.

Il donne lecture de la proposition suivante :

L'Assemblée Nationale clôt l'incident dans les circonslaDces douloureuses que traverse la Patrie et, en face de protcslalions et de réserves inatleodues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare responsable de la ruine, de l'invasion et du démembre- ment de la France.

La proposition est votée par acclamation. Tous les dépu- tés se lèvent, sauf quelques-uns .

Le président met la contre-épreuve au vote, par assis et levé. Cinq députés seulement se lèvent.

PROTESTATIONS PATRIOTIQUES

Après quelques paroles de M. Bamberger achevant son

LE OIX-BUIT HAHS

discours, interrompu par l'incident et le vote de la motion Allain-Tarçé, Victor Hut^o monte à la tribune.

Le g-rand poète prononce un cloquent discours, aux phrases sonores, aux antithèses vibrantes. Il proteste con- tre la conquête :

L'Alsace, ia Lorraine resteront françaises, quoi qu'il advienne, et quant à la France, elle n'abandonnera rien de son droit el de son devoir, qui esl de garder l'Alsace et la Lorraine.

Dans l'abondante phraséolog'ie de ce morceau oratoire, il y a de la philosophie, de la critique, de la prophétie, et aussi de l'utopie humanitaire avec de la chimère fraterni- taire.

Uu très baau passade à citer :

Une paix honteuse esl une paix terrible. Que sortira-t-îl de ? La haine, non contre les peuples, mais contre les rois qui récol- teront ce qu'ils auront semé. Les rois endiguent la conscience universelle. Ge que la France perdra, la Révolution le stagnera ! Bientôt l'heure viendra. Dés demain la France n'aura plus qu'une pensée, se reconstituer, reprendre ses forces, ramasser son énerçie, nourrir de saintes colères, élever sa génération, ses petits deviendront grands, former une armée qui sera un peuple tout entier, travailler sans relâche, étudier les procédés et la science de nos ennemis, redevenir la grande France, la Franc e de 1792, la France de l'idée avec l'épée...

Et puis un (jour elle se dressera irrésistible. Elle ressaisira la Lorraine et l'Alsace ! . . .

Jusque-là c'était admirable, et juste. La voix du grand poète était la voix même de la Patrie. 11 dictait au pay s le Décalojjue du patriotisme.

Mais, emporté par son impétuosité, par sa verve débor- dante, dans une sorte de délire lyrique, Victor Hugo ajouta :

IlISTOmE DE I.A COMMUNE DE 1S7I

Elle ressaisira la Lorraine et l'Alsace, le Rhin, Mayence, Cologne...

Ce programme, qui était celui de la Révolution et de Napoléon, la restitution à la France de ses frontières natu- relles, et la reprise des limites de l'ancienne Gaule, parut trop vaste et peut-être trop dangereux à lAssemblée. Elle

protesta.

Victor Bugo s'aperçut de la désapprobation dont sa har- die vision des revanches de l'avenir était l'objet. 11 s'arrêta, et fit une sorte de rétractation déguisée,sous la forme pom- peuse d'une aspiration vers la pacification universelle.

Après avoir noblement riposté aux interrupteurs ; « De quel droit une Assemblée française proteste-t-elle contrôle patriotisme? » il continua, condescendant aux injonclions de ceux qui lui criaient: nous protestons contre l'esprit de

conquête :

« Laissez-moi finir vous allez me comprendre... » Il conclut lamentablement :

Oui, la France ressaissira la Lorraine et l'Alsace. Est-ce tout? Non I Non ! Elle ressaisira Trêves, Mayence, Coblentz, Cologne, toute la rive gauche du Rhin. Elle criera : c'est mon tour ! Allc- mao-ne me voilà ! Sommes-nous ennemies? Non, je suis ta sœur ''Les peuples ne feront plus qu'un seul peuple, une seule République unie par la fraternité. Soyons les Etals-Lms d Eu- rope ! Et que la France dise à l'Allemagne : « Nous sommes amies : je n'oublierai pas que tu m'as débarrassée de mon empe- reur, mais je viexis te débarrasser du tien 1 »

Cette rodomontade finale produisit peu d'effet. Victor Hugo, qui écrivait à l'avance ses discours, aurait bien dil émonder cette fin, et raturer tout le passade après les mots : « La France ressaisira l'Alsace et la Lorraine. «

LB DIX-UUIT MARS

2l3

Le grand poète a d'ailleurs été jusqu'ici mauvais pro- phète, car la France n'a pas encore recouvré l'Alsace-Lor- raine, et l'Allemagne a gardé son empereur.

Les protestations se succédèrent à la tribune. M. Va- cherot dit qu'il votera la paix, qui peut seule sauver la France, quoiqu'il pense qu'on ne dispose pas d'une pro- vince comme d'une propriété privée, et quoiqu'il proteste contre le droit de conquête. Déclaration platonique, ver- biage électoral, mise en garde contre les réclamations futures.

Louis Blanc fait appel à l'Europe :

Dans la dureté exceptionnelle que nous impose un ennemi bar- bare, il serait rfic;ne de celte Assemblée d'en référer à l'Europe entière, aux petites comme aux prandes puissances, qui sont le plus intéressées à ce que la terre ne soit pas livrée au droit du plus fort.

Mais l'Europe avait été sourde aux plaintes de la France meurtrie. Elle avait conservé, du régime napoléonien, une crainte de cette nation révolutionnaire et batailleuse, que ses désastres récents avaient sans doute diminuée, mais non entièrement supprimée. On n'était pas rassuré com- plètement par Sedan, Metz et Paris.

L'Europe murmurait : « Comme cette France agonisante est encore vivace et forte ! » Et tous craignaient la résur- rection. L'Europe nous accordait trop grand crédit, et, au moins pour longlemp.'s.elle se trompait, puisque la France ne s'est pas encore relevée des suites de la chirurgie bru- tale de Francfort.

Louis Blanc fit un tableau saisissant de l'avidité conqué- rante de la Prusse, qui devrait alarmer l'Fliirope :

Qu'attend on de la Prusse, dit-il, qui a commencé par le vol de

2,4 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE

la Silésie et le partage de la Pologne? La Russie ne vo.tdonc pas l'aigle impérial allemand qui étend ses ailes sur la Baltique t L'Autriche a-t-elle oublié Sadowa? L'Italie ne comprend-elle pas que la Prusse convoite déjà Trieste? Le sort du Danemark n a- t -il pas averti la Hollande ? Et l'Angleterre ne s«.l-elle pas ce qu'elle peut attendre du pangermanisme levant enfin le masque, et mettant l'épée à la main? Y a-t-il si longtemps .|ue 1 équilibre européen était invoqué comme une nécessite, afm de mettre le territoire belge à l'abri de toute atteinte? Comment 1 Europe ne s' alarmerait-elle pas d'un César germanique, aujourd hui, après s'être alarmée et coalisée, dans le passé, contre un César français?

Ces considérations, malgré leur pessimisme, étaient de nature à impressionner l'Assemblée, mais la résolution de faire la paix, sans discuter les conséquences de cette sou- mission à la loi du plus fort, était arrêtée dans tous les esprits. Ces honorables protestations n'avaient qu'une por- tée pour ainsi dire historique. Elles permettent aux géné- rations actuelles de constater que la paix n'a pas été consen- tie à l'unanimité des voix, ni sans réserves.

Parmi les orateurs qui crurent utile de motiver leur vote ou leur abstention, défilèrent ensuite àJa tribune :

M. Buffet déclarant s'abstenir ; M. Jean Brunet disant, au milieu de nombreuses exclamations furieuses, qu'il n'y avait qu'un seul moyen de sauver la France, c'était de con- tinuer la guerre; M. Millière proposant d'employer à com- battre l'envahisseur les milliards qu'on allait lui verser pour obtenir la paix ; M.Emmanuel Arago protestant contre l'intention attribuée aux adversaires du traité de recher- cher la popularité. On pouvait .i'autant mieux croire M Arago, que, sauf à Paris, et dans quelques villes, et aussi en Alsace et en Lorraine, c'était la paix qui était populaire. Arago pensait aux électeurs futurs.

Enfin M. Keller, au nom de la depulation d'Alsace, vint apporter une éloquente et douloureuse protestation. C'était

LE DlX-HflT MARS

2l5

le dernier râle d'agonie de l'Alsace française, au seuil du tombeau.

Voici comment s'exprima le patriote alsacien, prononçant l'oraison funèbre de son pays natal :

Messieurs, à l'heure solenDcUe nous sommes, vous n'allcQ- dez pas de moi un discours : je ne serais pas capable de le faire. Celui qui devait parler à ma place, car vous n'avez pas encore entendu un seul député de r.\lsace, le maire de Strasbourg, le doyen de notre députatioo, :i l'heure je vous parle, se meurt de douleur et de chagrin ; son agonie est le plus éloquent des dis- cours.

Eh ! bien, dans cette circonstance spéciale qui nous est faite, j'entends dire de tous côtés : Vous, députés de l'Alsace, vous pouvez voter contre le traité, mais nous, nous le voterons.

C'est vTa\, nous avons quelque chose de spécial: notre honneur, à nous, nous reste entier ; pour rester Français nous avons fait tous les sacrifices, et nous sommes prêts à les faire encore ; nous voulons être Français, et nous resterons Fran';ais, et il n'y a pas de puissance au monde, il n'y a pas de signature, ni de l'Assemblée, ni de la Prusse, qui puisse nous empêcher de rester Français... Eh bien, messieurs, comme Français, je viens réclamer ici ma part de l'honneur français, et quant à moi, ce traité est une atteinte à l'honneur français... et ce n'est pas seulement comme Alsacien, c'est comme Français que j'en souffre, pour mon pays; quand on nous a annoncé ce traité, on nous a dit que la paix était nécessaire, mais qu'elle ne serait acceptée que si elle était honorable. Est-elle honorable, messieurs ? Est-il honnête de céder des populations qui veulent rester françaises, et qui, quand même, resteront françaises? Ah! je comprends, messieurs, qu'on livre des pierres, des forteresses, des vaisseaux ; mais que diriez- vous, si, sur des vaisseaux qui ne sont que du bols et du fer, vous livriez des équipages, et si vous forciez nos matelots à deve- nir matelots prussiens, et à faire la guerre à la France "?

Eh! bien, c'est ce que fait votre traité, vous livrez à l'empire d'AlleniBgne des populations entières, dont les enfants seront obligés servir les desseins ambitieux, despotiques, de l'empire d'Allemagne, obligés du moins par le texte du traité, car je vous le dis d'avance, il y en a beaucoup qui, au péril de leur vie, échapperont à la servitude que vous leur aurez édictée.

2lO HISTOmE DE LA COMMUNE DE IO7I

Eh ! bien, à mes yeux, c'est la plus criante, la plus cruelle des injustices, et se faire, dans n'importe quelle mesure, le com- plice d'une injustice, la ratifier, pour moi, c'est un déshonneur. Sur une question d'honneur, la discussion n'est pas possible : à quelque parti qu'on appartienne, au parti républicain, au parti mo- narchique, on ne peut comprendre l'honneur de deux manières. Des orateurs ont tâché de sortir de cet embarras, en venant protester, à l'avance, contre le traité qu'ils signeraient et qu'ils voteraient.

Ce traité, qu'on me propose de ratifier, est une injustice, et, enmèrae temps, c'est un mensonge. On vous dit qu'on cède à perpétuité l'Alsace. Je vous déclareque l'Alsace restera l'ranraise. Au fond du cœur, vous-même vous le pensez.

Oui, vous pensez que l'Alsace est française ; vous voulez la reconquérir le plus tôt possible, vous voulez qu'elle redevienne française, et je défie qui que ce soit de dire le contraire.

Et cependant, dans votre traité, vous venez de dire que vous cédez à perpétuité la propriété et la souveraineté de l'Alsace. Eh ! bien, ce traité est un mensonge, et un mensonge, c'est un dés- honneur.

Ah ! je sais, on me parlera de la menace de la guerre, et des dangers qui pourraient surgir.

D'abord, en fait de déshonneur et d'injustice, à mes yeux, aucuns prétextes ne sont suffisants pour les excuser ; mais j'avoue que, quant à moi, je suis convaincu que si la France avait été plus fermement résolue à l'avance à ne pas sacrifier son terri- toire, si la Prusse, qui désire aussi la paix, avait été certaine de trouver sur ce point des barrières infranchissables, elle nous aurait fait d'autres conditions.

Je n'ai pas, à l'heure qu'il est, la prétention de changer les dispositions trop arrêtées dans un grand nombre d'esprits. Seu- lement j'ai tenu, avant de quitter cette enceinte, à protester, comme Alsacien et comme Français, contre un traité qui, à mes yeux, est une injustice, un mensonge et un déshonneur, et si l'Assemblée devait le ratifier, d'avance j'en appelle à Dieu, ven- o-eur des justes causes, j'en appelle à la postérité qui nous ju- o-era les uns et les autres, j'en appelle à tous les peuples, qui ne peuvent pas indéfiniment se laisser vendre comme un vil bétail, j'en appelle enfin à l'épée de tous les gens de cœur, qui, le plus tôt possible, déchireront ce détestable traité !

LE DIX-HUIT MAI\S

Ces admirables paroles n'étaient pas que de l'éloquence. Elles ne prouvaient pas seulement une fois de plus que les grandes pensées viennent du cœur. 11 se rencontrait autre chose, dans ce mâle lanerage, que l'explosion indignée et douloureuse d'un patriotisme réduit au désespoir. Il y avait dans la protestation de M. Keller une politique, une indi- cation précise de la conduite qu'on aurait tenir, une prévision de l'avenir.

M. Keller a d'abord constaté l'équivoque de la situation. On cédait à l'Allemagne l'Alsace et une partie de la Lor- raine, en toute propriété et souveraineté, et cela à perpé- tuité. Cependant, beaucoup de ceux qui siQ:naient, contraints, et se soumettant à la plus Impérieuse des nécessités, cette cession perpétuelle, cet abandon définitif, protestaient tout bas. et se disaient que rien n'est éternel, que l'Alsace pour- rait, devrait redevenir française.

Il y avait comme un parjure, avant la foi donnée. Le traité, vicié, dans son principe, par la violence allemande, était également vicié, dans son essence, par le patriotisme français, rétractant secrètement la perpétuité de l'eng-age-

ment. . ,

Ensuite M. Keller a déclaré qu'il était persuade que si la France avait été plus fermement résolue à ne pas sacrifier son territoire, l'ennemi se fût montré moins exigeant. Si la Prusse, qui voulait la paix, qui était épuisée et hors d'haleine, et qui avait besoin, autant que la France, de déposer les armes, avait été certaine qu'on ne transigerait pas sur la cession du territoire, qu'on lutterait sans trêve ni merci, jusqu'à la mort, on aurait eu d'autres conditions. L'Allemagne se serait tenue pour satisfaite avec de l'argent, et peut-ftre avec une cession coloniale.

On sait aujourd'hui que M. Keller avait raison, au moins en partie. Si la Prusse eût difficilement laissé échapper

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Eh ! bien, à mes yeux, c'est Ma plus criante, )a plus cruelle des injustices, et se faire, dans importe quelle mesure, le com- plice d'une injustice, la raliticr, oiir moi, c'est un déshonneur. Sur une question d'honneur, la scusslon n'est pas possible quelque ()arli qu'on appartienne, p.ir il républicain, au parti mo- narchique, on ne peut comprend l'honneur de deux manières.

Des orateurs ont tâché de sort ile cet embarras, en venant protester, à l'avance, contre le ti qu'ils signeraient et qu'ils voleraient.

Ce traite, qu'on me propose ratifier, est une injustice, et, en même temps, c'est un mensi {e. On vous dit qu'on cède à perpétuité l'Alsace. Je vous déch ;que l'Alsace restera française. Au fond du cœur, vous-m^mc v s le pensez.

Oui, vous pensez que l'.VIsac est frani;aise ; vous voulez U reconquérir le plus tôt possible, »us voulez qu'elle redevienne française, et je défie qui que ce it de dire le contraire.

El cependant, dans votre Irai, vous venez de dire que vous cédez à perpétuité la propriété ci » souveraineté de l'Alsace. Eh ! bien, ce traite est un mensonsfcit un mensonge, c'est un dés- honneur.

Ah ! je sais, on me parlera dia menace de la guerre, et des danijers qui pourraient suri^ir.

D'abord, en fait de déshonnir et d'injustice, à mes yeux, aucuns prétextes ne sont sul'Hsan pour les excuser ; mais j'avoue ()ue, quant à moi, je suis conv^icu que si la France avait été plus fermement résolue à l'araiî i ne pas sacrifier son terri- toire, si la Prusse, qui désire ami la paix, avait été certaine de trouver sur ce point des barri-cs infranchissables, elle nous aurait fait d'autres conditions.

Je n'ai pas, à l'heure qu'il e, la prétention de changer les dispositions trop arrêtées dans i trrand nombre d'esprits. Seu- lement j'ai tenu, avant de quitr cette enceinte, à protester, comme Alsacien et comme Krariis, contre un traité qui, à mes yeux, est une injustice, un mison^'e et un déshonneur, et si l'Assemblée devait le ratifier, d'^ance j'en appelle à Dieu, ven- geur des justes causes, j'en apple à la postérité qui nous ju- gera les uns et les autres, j'en )prllc à tous les peuples, qui ne peuvent pas indéfiniment se laisîr vendre comme un vil bétail, j'en apprlle enfin à l'épée de toi hs i;ens de cœur, qui, le plus tôt possible, déchireront ce di'i in; Ir traite 1

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LE DIX-Hl MARS

Ces admirables paroles n'ét Elles ne prouvaient pas seule: grandes pensées viennent du chose, dans ce mâle langaç€ douloureuse d'un patriotisme dans la protestation de M. K cation précise de la conduite prévision de l'avenir.

M. Keller a d'abord constat On cédait à l'Allemagne l'Ai raine, en toute propriété et s tuité. Cependant, beaucoup de et se soumettant à la plus in cession perpétuelle, cet aban- bas. et se disaient que rien a' rait, devrait redevenir franc Il j avait comme un pai traité, vicié, dans son princi était également vicié, dans si français, rétractant secrètem ment.

Ensuite M. Keller a déclar France avait été plus fermer son territoire, l'ennemi se fi la Prusse, qui voulait la pi d'haleine, et qui avait beso déposer les armes, avait été pas sur la cession du territ( ni merci, jusqu'à la mort, on L'Allemagne se serait ter et peut-être avec une ces?' ^n On sait aujourd'hui que ÎS en partie. Si la Prusse eu

3nt pas que de l'éloquence. ;nt une fois de plus qu^ç les (jBur. Il se rencontrait autre que l'explosion indignée et

duit au désespoir. Il y avait 1er une politique, une indi-

u'on aurait tenir, une

l'équivoque de la situation. ze et une partie de la Lor- iveraineté, et cela à perpé- ux qui signaient, contraints, érieuse des nécessités, cette n définitif, protestaient tout t éternel, que l'Alsace pour- :e.

re, avant la foi donnée. Le , par la violence allemande, essence, par le patriotisme t la perpétuité de l'engage-

{u'il était persuadé que si la nt résolue à ne pas sacrifier montré moins exigeant. Si c, qui était épuisée et hors autant que la France, de rtaine qu'on ne transigerait e. qu'on lutterait sans trêve arait eu d'autres conditions. ir satisfaite avec de l'argent, iloniale.

Celler avait raison, au moins lifficilement laissé échapper

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ai8 HisTomE de la commune de 1871

l'Alsace, proie qu'elle tenait, et qu'elle estimait sienne, ayant toujours protesté contre le traité de Wesphalie, ayant formulé, à plusieurs reprises, le regret qu'en 181 5 le traité de Vienne ne lui eût pas resiituc ce territoire qu'elle pro" clamait allemand, elle eût pi-obablement cédé pour la Lor- raine. Mais il fallait insister, montrer les dents, en se décla- rant prêt à mordre. II fallait s'affirmer disposé à recom- memcer la bataille, plutôt que de renoncer à Metz et à son territoire, point sur lequel d'ailleurs l'entourag-e de l'Em- pereur conseillait de transiger.

LE VOTE

M. Thiers ne répondit qu'évasivement aux questions, si nettement et si hardiment posées par M. Keller. Il demanda d'abord quels moyens on lui fournirait pour continuer la guerre. Il se donna un certificat de satisfaction : « J'ai con- duit, dit- il, les négociations avec tout le patriotisme dont j'étais capable; j'ai lutté de toutes mes forces pendant des jours entiers; je n'ai pas pu faire mieux que j'ai fait. »

Il servit ensuite son argument favori, qui consistait à offrir sa démission. Il devait revenir, tant et si souvent à ce moyen d'enlever un vote qu'à la fin, le 24 mai 1873, il lui arriva d'être pris au mot. Mais alors l'argument était neuf et solide, n'ayant pas servi plus de cinq ou six fois. L'idée de perdre M. Thiers apparaissait à la majorité comme aussi épouvantable que la continuation des hostilités.

Aussi, quand M. Thiers ajouta : « Si vous croyez pouvoir obtenir de meilleures conditions, envoyez d'autres négo- ciateurs, vous me rendrez un grand service, vous me sou- lagerez d'un poids accablant », l'Assemblée protesta. M. Thiers continua à engourdir le peu d'énergie restant aux ruraux, en affirmant qu'il ne doutait pas de la force

LB DIX-HUIT MAnâ

219

de la France, que l'enDemi était tout aussi convaincu -le la puissance de notre pays, et que le traité exorbitant prouvait

ses craintes. j i„„

Le chef du pouvoir exécutif se Kt applaudir en dévelop- pant cette thèse de tout repos. Puis il enUma le procès du réRime impérial, rappelant qu'il avait annoncé, au mois de iuillet .870, que Ton n'était pas prêt à faire la guerre. Il traça un tableau attristant de l'organisation militaire d alors. Ou avait commencé la guerre avec des cadres vides. Far la suite on avait continué la guerre sans cadres, sans ofeciers, avec des soldats pleins de bravoure, mais sans organisation. Des braves ne font pas des armées.

Après une nouvelle offre de se retirer, en disant qu .1 serait heureu.^ pour lui-même, mais malheureux pour le pays, s'il n'était pas cru, il demanda le vote de la paix en ajoutant :

Messieurs, eDtende^ la vérité. Mais si vous ne savez pas elle esn si vous ne voulez pas l'écouler ou la croire, vous poui^ rel vanier 1 avenir de votre nation, mais bien vainement , vous la perdez au moment même vous la vantez.

Après ce dernier appel à la majorité, on procéda au vote. En voici le résultat :

Nombre de votants

Majorité absolue ^

Bulletins blancs (pour)

Bulletins bleus (contre) '°'?

Le président proclame le résultat du scrutin : « L .assem- blée a adopté. .- Les préliminaires sont ratifies Donc la paix est faite. Le traité définitif, prévu par 1 article 7 ne devait rien changer au fond des conditions. L Alsace et

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

une partie de la Lorraine sont bien définitivement sacrifiées, perdues. Les députés des départements cédés donnèrent alors leur démission, et quittèrent immédiatement la salle des séances au milieu d'une vive émotion.

La guerre étrang-ère était terminée, et la g-uerre civile commençait.

LIVRE VII

FÉDÉRATION DE LA GARDE NATIOiNALE

PARIS AVANT LA GUERRE CIVILE

Dans les départements, la nouvelle de la fin de la guerre étrangère produisit une détente à peu près générale des esprits, malgré de louables et patriotiques protestations, isolées d'ailleurs.

La paix était attendue, et le pays eût ressenti une se- cousse formidable, si le vote de l'Assemblée eût trompé son attente. Les députés, en grande majorité, avaient été nommés avec ce seul mandat : faire cesser les hostilités, et renvoyer chez eux les Prussiens, le plus vite possible.

La guerre avait duré trop longtemps. Elle avait troublé trop profondément le pays. La vie sociale et familiale s e- tait trouvée suspendue. On voulait revivre, et s athancbir de l'angoisse, de la gône. Celte lutte avait déconcerté. Elle avait appelé à participer à la défense du pays des hommes qui croyaient n'avoir qu'à demeurer spectateurs du com- bat, et qui n'entendaient contribuer que d'une tai^on ci- vile, par des services pacifiques, par des concours fanau- ciers, et des encouragements moraux, à une résistance. Cette guerre ne ressemblait en rien à celles qui avaient

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE iSyC

précédé, qu'on avait supportées. Les citoyens avaient s'armer. Même les départements les conting-ents n'a- vaient pas eu à se trouver en face de l'ennemi avaient soutïert de l'invasion, de la mobilisation. Chacun avait hâte de reprendre la vie normale; bien des intérêts étaient compromis. Il y avait des situations à retrouver, des éta- blissements à restaurer, du travail à chercher. Une exis- tence neuve recommençait. On n'était plus disposé à ressai- sir les armes, mais l'outil; l'atelier, le comptoir, le bureau semblaient désirables, autant que la caserne, les camps, les marches, les appels apparaissaient effrayants. On était sorti d'un enfer, on ne voulait y rentrer à aucun prix.

A Paris toutefois, et dans quelques grandes villes, Lyon , Marseille, l'indignation patriotique, la surexcitation de la défaite, le g'oût de l'aventure, et même de la violence, per - sistaient. Les Parisiens, encore munis de leurs armes, fu- rieux de ne s'en être pas suffisamment servis, mécontents des chefs, inquiets sur les tendances rélrog'rades de l'As- semblée de Bordeaux, prêtaient une oreille favorable aux paroles ardentes des orateurs et des dirig-eants de croupes politiques. On parlait d'une revanche du 3i octobre, dans les réunions des délég'ués de la g'arde nationale. On répan- dait lebruit que les réactionnaires de l'Assemblée voulaient escamoter la république, et ramener un roi. En môme temps, Ifi malaise général, l'incertitude qui planait sur la solution à donner à la question des loyers en retard et des échéances suspendues contribuaient à agiter les esprits. La fièvre obsidionale persistait et faisait bouillir la révolte dans les artères de cette population, surmenée au moral comme au physique. La guerre civile apparaissait comme probable et imminente. Les plus résolus l'attendaient, les timorés s'y résignaient dans un fatalisme passif.

Paris avait, depuis la fin des hostilités, l'aspect d'une

LB DIX-nUlT MARS

ville de garnison, lors d'un passag^e de troupes. On ne rencontrait que des soldats désarmés, les bras ballants, allant, venant, baguenaudant, las, ennuyés. Rustres dé- paysés, ils promenaient dans la ville enfiévrée leur noncha- lance nostalgique. Ils étaient logés chez IhabiUiut. princi- palement dans les quartiers du centre ; d'autres couchaient dans des baraquements élevés sur les anciens boulevards extérieurs. Us ne se trouvaient, ni en communion d'idées avec les citoyens, ni au diapason moral de l'ensemble de la population. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg étaient encombrés de caissons, de fourgons, et sur les pla- ces, dans les rues larges, des pelotons de gardes nationaux continuaient à s'exercer, faisaient l'exercice, et apprenaient l'escrime à la baïonnette. On entendait des commandements : « En garde contre la cavalerie !... A gauche, à droite, parez !... Deux pas en avant, coup lancé !... En place, re- pos! » On se demandait pourquoi toute cette préparation gruerrière, puisqu'on ne devait plus se battre. Des officiers et des civils, âgés et barbus, notabilités de quartier et qui semblaient renseignés, murmuraient d'un air profond : « Qui sait ? » Et cette opinion encourageait les hommes à la manœuvre volontaire. Ces gardes, assidus à l'exercice, paraissaient aussi désireux de justifier la solde qu'ils conti- nuaient à toucher.

Les Parisiens, peu à peu, essayaient de reprendre leurs habitudes, de renouer le fil de la vie de labeur et d'inté- rieur, cassé par l'état de guerre. Le siège avait eu, sur la population masculine, une influence plutôt fâcheuse. Les hommes n'avaient plus le goût du chez soi ; ils s'étaient dégagés de l'ambiance de la famille. Les plus rangés avaient pris des habitudes nomades. On sortait sans but, sans nécessité ; on se cherchait, on s'abordait, on interro- geait le premier passant, et l'on causait des événements.

224 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Le képi, porté même par les rares citoyens qui n'étaient pas incorporés dans un bataillon, était un signe de rallie- ment. Il tenait lieu de cocarde. Il excusait, facilitait ces colloques entre gens qui ne se connaissaient pas. Les taci- turnes devenaient bavards, et les sobres s'accoutumaient au verre matinal. L'apéritif, qui trompait la faim, semblait indispensable. Ils étaient rares ceux qui pouvaient se pas- ser de la tournée à offrir ou à accepter. Il n'était guère question de reprendre le travail. Pour aucun commerce, sauf pour ceux touchant à l'alimentation, il n'y avait de clientèle. On ne savait quand on recommencerait à avoir des commandes, des acheteurs, et comme les boutiquiers ne pouvaient dire quand ils reverraient leurs recettes, les ouvriers étaient dans la môme ignorance pour leurs sa- laires. La classe moyenne, se privant, n'achetait rien, ne faisait que des dépenses de bouche. On se régalait de pain frais, de beurre, d'œufs, depuis l'armistice, et l'on dédai- gnait la viande de cheval, friandise de naguère. Il y avait une grande déperdition de consommateurs, ime baisse dans la circulation de l'argent. Plus de 80.000 habitants avaient profité, en hâte, de l'ouverture des portes: impatience de retrouver des êtres chers, depuis si longtemps éloignés; soif et fringale d'affections dont on avait été privé, d'amitiés et de relations suspendues, et aussi les devoirs de famille, dont on e.xagérait la rigueur, le besoin de changer d'air, de res- pirer loin de l'enceinte bastionnée, avec des appétits de distractions, et des désirs de matelots, enfin débarqués; ces divers mobiles avaient précipité l'exode des gens riches, ou simplement aisés. Chez quelques-uns, le départ était activé aussi par une appréhension indéfinie, par l'anxiété des jours sombres qui s'annonçaient. Les élégants oisifs, les gens d'affaires, de spéculation et de négoce, ne se sentaient plus retenus par les entreprises, 1rs bénéfices et les plaisirs. Ils

LE DIX-HUIT MAHS

se trouvaient comme des étrangers dans un Paris si diffé- rent de celui qu'ils aimaient, qui correspondait à leurs ^oûts, le Paris joyeux ils avalent si bien vécu avant la g-uerre. Ils étaient inquiets autant que désorientés. Tout ce peuple armé et turbulent leur faisait peur. Ils regrettaient de ne pas avoir été au nombre des « francs-fileurs », lors des débuts du siège. Ils s'étaient bien juré de ne pas se laisser enfermer une seconde fois. Ils exécutaient leur pro- messe, et avec célérité. Leur départ, qui avait des airs de fuite, faisait un vide inappréciable dans la masse des habitants, mais très sensible pour la dépense, pour la richesse commune. Avec eux avaient disparu les travaux, les commandes, les achats qui faisaient vivre les commer- çants, et qui auraient pu occuper les ouvriers. Une grande partie de la population pauvre subsistait avec la solde encore allouée. Mais deux nouvelles angoissantes circu- laient : les loyers ajournés pendant le siège deviendraient prochainement exigibles, et les trente sous ne seraient plus accordés qu'aux gardes nationaux reconnus nécessi- teux, et qui en feraient la demande par écrit. Si ces deux menaces étaient réalisées, c'était la misère pour beaucoup, la gêne pour toute la population sans travail, sans épargne ni crédit. Ces préoccupations individuelles, fort légitimes, avivaient l'inquiétude, surexcitaient l'irritation que fai- saient naître les événements politiques. La composition réactionnaire de l'Assemblée de Bordeaux, la menace de l'entrée des Prussiens dans Paris, l'incertitude sur l'avenir, tous ces points terriblement noirs embrumaient les Ames. On pressentait la République en péril. 11 n'était que temps de s'unir, de se concerter pour la défendre, pour la sauver peut-être. S'il fallait se battre, on se battrait, et cela ferait toujours oublier un temps les angoisses personnelles, le chômage et l'anxiété du lendemain.

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226 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Un vent précurseur de soulèvement populaire passait sur ces foules énervées, malades de la névrose obsidionale. On ne signalait, cependant, ni meneurs dans la foule, m chefs dans les groupes déjà frémissants. Tous les hommes du k septembre étaient discrédités. Les répubhcams notoires étaient partis pour Bordeaux, comme candidats, comme élus comme journalistes et spectateurs de premier rang des événements attendus. Les révolutionnaires, principalement les jeunes hommes d'action du groupe blanquistc, se trou- vaient immobilisés en prison, ou dispei-sés. L'insurrection, s'il s'en produisait une, ne pourrait être qu'acéphale et anonyme. Cette constatation faisait que beaucoup, surtout dans" la classe moyenne, la considéraient comme impro- bable. . 1- Paris à cette époque confuse, se trouvait aussi isole, aussi séparé de la province que pendant les mois de siège. Paris ignorait la province et la province ignorait Pans. Les Parisiens, ayant en6n connaissance des efforts, des décrets et des proclamations énergiques de Gambetta, sup- posaient les provinciaux indignés à l'idée d'une paix dé- sastreuse, et prêts à supporter toutes les souffrances, à sacrifier leurs personnes, leurs biens, leur repos, pour dis- puter aux envahisseurs ce qui restait d'intact du sol natio- nal. Les provinciaux, eux, se faisaient des habitants de Paris une idée fausse et méprisante. Ils croyaient, sur le dire des journaux réactionnaires, qui leur étaient large- ment distribués, et à peu près les seuls qu'ils eussent, que les Parisiens n'étaient que des soldats d'émeute, qu ils n'avaient jamais voulu se battre, que tout leur courages était borné à manger du cheval, et qu'ils avaient paralyse les admirables efforts de généraux comme Trochu, d hommes d'Etat comme Jules Favre, en les insultant, en organisant des insurrections, sous les yeux bienveillants de Bismarck.

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LE DIX-HUIT MA.RS

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Les plus enrajEfés départementaux criaient que les révolu- tionnaires avalent tenté de livrer leur ville aux Prussiens, le 3i octobre et le 23 janvier; les plus modérés insinuaient que les Parisiens n'étaient patriotes que pour les trente sous, et qu'il était temps d'en finir avec la cité org'ueilleuse, qui humiliait la province, et cherchait à la dominer, ou à la troubler. Les paysans ne voulaient plus voir les Prussiens dans leurs champs, et quand on disait que ces hôtes désa- gréables ne s'en iraient pas, si les Parisiens faisaient tou- jours les malins, que les Parisiens seuls empêchaient la paix de se conclure, les bonnes g'ens des campag-nes gei- g'naient : « Débarrassez-nous des Prussiens, et si Paris vous gêne, débarrassez-vous de ces Parisiens-là ! » Ils avaient tenu ce laiig'ag'e à leurs élus, au moment du vote, et Thiers, avec Bismarck, en avaient fait leur profit. La population ég'oïste des campagnes montra beaucoup moins de passion patriotique que celle des villes. Bourg-eois et ouvriers urbains furent beaucoup moins empressés à réclamer la paix, bien qu'ayant souffert, plus que les paysans, de la guerre et de l'occupation.

Ce fut au milieu de ce désarroi moral et politique que la garde nationale de Paris tout à coup se groupa, se pré- senta avec une cohésion et une organisation inattendues : les bataillons républicains en grand nombre se fédérèrent, et l'on peut dire que de cette Fédération date la Com- mune.

LA RÉUXIOX DU W AUX- HALL

La garde nationale, aux termes de la convention de Versailles, avait conservé ses armes, tandis que l'armée régulière, sauf la division Faron réservée pour le ser- vice d'ordre, avait subir le désarmement, 'et verser ses

HISTOmE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

fusils aux commissaires prussiens. Au premier abord, cette exception paraît une anomalie, presque une aberration de Jules Favre, comme pour l'armée del'Est. Il n'en est rien, et le privilège accordé par le vainqueur à la garde nationale s'explique parfaitement. Quand, au cours des négrociations, on fut arrivé à cette clause du projet d'armistice, Bismarck

dit à Jules Favre :

_ Vous demandez que la garde nationale conserve ses armes, je le veux bien, mais, croyez-moi, vous faites une

bêtise !

Jules Favre leva les bras au plafond, plissa fortement sa lèvre dédaigneuse, et laissa tomber cet aveu :

_ Je le sais aussi, et je partage votre avis, mais pms-je faire autrement?

Bismarck eût volontiers rendu le service à Jules Favre de se charger du désarmement, mais c'était l'occupation de Paris entier, c'était probablement alors un affreux com- bat dans les rues; c'était impossible. Ce ne fut pas de gaîté de cœur, et par reconnaissance pour ses services, que Jules Favre laissait à la garde nationale ses fusils, c'était parce qu'il ne savait comment les lui enlever. Bismarck, de son côté ne se souciait guère d'une besogne si grosse d'aven- tures, et sans profit pour l'Allemagne. C'est une supposi- tion de haute fantaisie, accréditée dans les milieux réac- tionnaires, que Bismarck était ravi de laisser dans Pans une troupe révolutionnaire, avec des armes dont elle devait se servir pour l'émeute. Bismarck ne pouvait avoir eu cette arrière-pensée, ni même cette idée. Il ne croyait pas, ayant vu comment les choses s'étaient passées au 3i octobre et au 32 janvier, à l'éventualité d'une émeute sérieuse. Il pré- vovait sans doute des échauffourées, des embarras pour le gouvernement, et c'était ce qu'il indiquait, quand il disait à Jules Favre qu'il faisait une bêtise, en sollicitant l'autori-

LE DIX-HUIT MARS **9

sation pour la garde nationale de conserver ses armes. Bismarck n'avait aucun intérêt à favoriser une insurrec- tion, qui pouvait compromettro son gage, retarder la ren- trée des troupes allemandes dans leur pays. La révolution le surprit, lui aussi, et l'inquiéta. Bien loin d'avoir été un seul instant favorable à la Commune, ce fut lui qui, nous le verrons bientôt, fournit à Thiers les moyens de

l'écraser.

Le gouvernement français pouvait seul demander aux gardes nationaux un désarmement. Mais était-il capable de l'exiger ? 11 était certain que l'opération présenterait de graves "difficultés. La tenter, c'était provoquer des dé.sor- dres, des résistances violentes, sanglantes peut-être. La portion modérée ou réactionnaire livrerait ses armes, pro- bablement sans protestations, puisqu'il était à peu près cer- tain que la pai.x allait être conclue, et qu'on n'aurait plus à faire le coup de feu, ni môme à monter la garde aux remparts, mais les républicains avancés , les révolution- naires, ne se laisseraient pas enlever si facilement leurs fusils, avec lesquels ils entendaient, non plus garder les remparts, puisqu'ils se trouvaient sous le canon des forts remis aux Prussiens, et que c'était une faction devenue sans objet, mais qui leur serviraient à détendre la République, à imposer leur République. Quant à la masse paisible et résignée, celle qui attendait les événements, qui n'allait ni à la révolution ni à la réaction, elle voulait cependant res- ter armée, et continuer à faire un .semblant de service. Elle voyait, dans la conservation de ses armes, le maintien des trente sous, ce qui était pour elle la question principale, la question du pain quotidien. Le fusil garantissait, jus- tifiait la solde, qui permettrait de manger jusqu'au retour d^s salaires, jusqu'à la reprise des affaires et de la vie normale. Jules Favre dut donc ajourner le désarmement.

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

Ces fusils, laissés à des gens remuants et mécontents, l'inquiétaient sérieusement, mais on verrait plus tard. L'Assemblée réunie, la paix signée, les Prussiens éloig-nés de Paris, on aviserait, on pourrait sans doute alors procé- der, tranquillement, à la rentrée dans les arsenaux de l'Etat de ces fusils désormais inutiles, et qui pouvaient devenir dang-ereux. Il insista donc, Bismarck ne fit plus d'ohjections, et la clause fut insérée.

La garde nationale armée, c'était une force considérable mise à la disposition d'un mouvement insurrectionnel tou- jours possible, mais ce n'était pas suffisant, comme sauve- garde, pensaient ceux que les dispositions réactionnaires du gouvernement et la composition delà nouvelle assemblée alarmaient. 11 fallait mieux que la conservation des fusils par des compagnies sans lien, sans union, pour mettre la République à l'abri d'un péril imminent. Cette force éparse de la population armée devait être rassemblée, orga- nisée, disciplinée. Il lui fallait des chefs nommés par elle, des chefs sûrs, au républicanisme avéré. On devait pouvoir la rassembler promptement pour une action commune, la tenir dans la main. De vint, à quelques cito3'ens d'ini- tiative, l'idée de grouper les bataillons séparés, de faire de ces compagnies sans relations entre elles un faisceau formidable. La période électorale parut une occasion pro- pice. Une réunion fut organisée par le journaliste-confé- rencier Henri de la Pommeraye. Elle eut lieu au Cirque d'Hiver, sous la présidence d'un commerçant du III" arron- dissement (Arts et Métiers Saint-Merrj) nommé Courty. Ce n'était ni un révolutionnaire, ni même un militant notoire, et cet actif citoyen s'effaça, après avoir joué pen- dant trois semaines le rôle important de promoteur de la Fédération de la garde nationale.

Après avoir arrêté une liste de candidats dans cette réu-

lit

LE DIX-HUIT MAHS

nion en vue des élections, les gardes nationaux présents décidèrent de se rassembler à nouveau, toujours dans un but électoral, pour le cas d'élections doubles qu on pouvait prévoir. Un bureau du comité, premier embryon du ComUe Central, fut aussi nommé, avec mandat de convoquer les comp..^nies.Cc bureau convoqua pour le .5 évner, au Tivoli-Waux-Hall,vaste salle de bal de la rue de la Douane. Plus de 3000 f^ardes nationaux de tous les arrond.ssemen ts a.a.s surtout ceux des quartiers populaires, se rend.ren a l'appel. Ou négligea de s'occuper dos candulatures. obje primUifde la réunion. On se m.t surtout eu -esm d Laper les balaillons, représentés par les délègues Une œmmission fut nommée pour rédiger un projet de statuts de la Fédération. Sur les .o arrondissements de Par>s, >8 étaient représentés à la réunion du Wau.x-IIall. Us nommè- rent chacun un commissaire. Tous ces comm.ssa.res étaient des inconnus, n'ayant qu'une notoriété restreinte U3 dépas- sant p.»s leur quartier. Aucun avocat, aucun journaliste aucu^ politicien notoire ne firent partie de ce premier comité. Ceuxqui furent désignés étaient des commerçants, des employés, des ouvriers. Les élus avaient f^iit connais- sance avec ceux qui les nommaient, au bataillon, durant les longues factions aux remparts, pendant les discus- sions dans les postes, à l'exercice, aux appels Au lende- main de l'Asseml,lée du Waux-Hall, il y eut, dans chaque arrondissement, .les réunions locales organisées par les commissaires élus le ,5 février. Une cilaUon du procès-yer- bal du XV» arrondissement, réunion à la salle Ragache (Gre- nelle). donnera une idée de ces asscmbléee primaires de la Fédération ;

Séonce du 16 février 1871, salle Ragache. - Président :Solair. AsÏÏseur; : Chauvièrc et Léon An:,evio. - l.e citoyen Masson, dÏÏué Provi-"-e (au W,ux-HaU) pour le XV. arrondissement,

aSa HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

explique le but de la réunion. Il s'agit de réunir dans un immense faisceau la grande lamille qui s'appelle la garde nationale de Paris, jusqu'à ce jour malheureusement divisée. Il lit une ébau- che de statuts : l'idée républicaine domine dans chacun des arti- cles. En voici le sens : la garde nationale ne reconnaît pas d'au- tre forme de gouvernement que la république. La garde nationale doit être, dans l'avenir, la seule armée de la France. Elle nomme à l'élection tous ses chefs, depuis le caporal jusqu'au général en chef. Le citoyen Chauvière (1) déclare qu'il adhère à ces idées. Il annonce que le lendemain chaque compagnie du XV« arron- dissement nommera deux délégués chargés de la représenter au comité définitif central de la Garde Nationale.

{Le Mol d'Ordre, w daté du i8 février 1871.)

On voit par cet extrait combien sérieusement s'accompli- rent les diverses élections pour la composition du futur Comité Central.

L'idée de grouper les bataillons de la carde nationale, et d'établirentre euxun lien desolidarité, susceptible de cons- tituer, à la fois, un obstacle aux projets réactionnaires de la majorité rurale, et une sauvegarde pour la République, s'était présentée déjà à plusieurs esprits. L'obscur commer" çant Courty l'avait le premier réalisée, en organisant et en présidant les deux réunions au Vaux-Hall. Mais les préoc- cupations électorales avaient paru dominer dans la pensée des premiersadhérenls. Dans divers arrondissements, notam- ment dans le XV», on avait, comme l'indique le procès- verbal cité plus haut, proposé la forme d'une fédération. Chalain, membre de l'Internationale, avait appuyé la motion et demandé l'envoi d'un appel en ce sens aux divers batail- cns.

Un groupe, qui prit le titre de « Comité fédéral républi-

(i) C/inuyiVre (Eminanuel-Jean-Jules),nc à Gand (Belgique) de parents français, 18 août i85o, correcteur d'imprimerie, mort en igog ; publi- ciste condamné sous l'Empire, et après la Commune à 5 années de pri- son ; conseiller municipal de Paris, député du XV« arrondissement.

233

LE DIX-HUIT MARS

cain de la garde nationale», s'était également constitué dans une réunioa tenue salle Lemardelay, sous la présidence de M Raoul du Bisson, commandant du ,5» at-llon^ ancien Général de division. Le comité avait à sa tête MM Hat £ Incien représentant du peuple (le sergent Rattier),com. ma^dan^du L^, Latappy, capitaine au long cours corn- randant du .Oe'. Barb^eL, gérant de la Ma^eUU^

^-Tti^:?'v::r,:.=;^™r^^^^

mandant du 79 - ^f f" ' . ^p. ,,„, Béauet, commandant

Vesin, commandant du 176» ; Charles uequei,

du "35.;Vagniot,lieutcnantau.97«.-gémeur;Frejdier,

sous-lieutenant au 208», négociant

Ce<froupe se proposait donc. lu. aussi, de féde.er les di!;rs'bataillons,et «de prévenir toute tentative qui aurait pour but le renversement de la République » ^ Il parut faire double emploi avec le comité nommé au Wau^Hall, et les deux groupements directeurs fusionne- rent. STATUTS DE LA FÉDÉRATION

Dans une réunion générale subséquente, le ^^févner au Tivoli-Waux-Hall, fut complétée 1 organi ation d. la "Inationale.Les statuts furent adoptés, et la fédération se constitua sur les bases suivantes :

La Fédéraliou comprend l'assemblée générale des délégués, le cercîe de bafillon, irconseil de lésion, e cen a, ^^^^

L'Assemblée, générale est formée de ^t" trois Jeie^ue chaque compagnie, sans distinction g-ad. ^ d^un_^^_^ par bataillon élu par les ofhc.ers , 3 '^'^ ^''\ . ^ l^^ssem-

Le cercle de bataillon est forme : du delcgue a ,lee^ené.a.e; de deux «iélegués P- compagn e 3 e. 1 c,^f

234 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187!

de bataillon, élus sans distinction de grade ;2o des chefs de batail- lon de l'arrondissenient.

Enfin le Comité central est formé de : 1" 3 délégués par arron- dissement, élus sans distinction de grade par le conseil delé^-ion; 2o d'un chef de bataillon par légion, délégué par ses collègues.

Cette org-anisatioD, ing-énieuse et simple, déférait, on lo voit, le pouvoir à l'assemblée g-énérale des délég-ués. C'était le sufl'rag-e universel qui nommaitses délég-ués. Eux-mêmes formaient un second collège électoral; le Comité central qui, en était l'expression supérieure, était nommé par un suf- frage à trois degrés. Il n'y avait rien de révolutionnaire dans ce système, mais la participation des délégués, élus sans distinction de grade, contrebalançait l'influence, toute- fois fort grande, des chefs de bataillon dans le comité cen- tral. Le caractère démocratique dece comité fut, par la suite, démontré par les choix qui présidèrent à sa composition. Ainsi qu'on le verra plus tard, très peu de ces chefs du comité central furent élus membres de la Commune. Il y eut même un dualisme fâcheux, une compétition féconde en heurts et en conflits, cause de faiblesse et d'impuis- sance des deux pouvoirs rivaux, dont l'un était superflu.

Il faut considérer comme de simples vœux, comme l'é- ventuelle adoption d'un système militaire nouveau, très contestable, mais dont la pratique immédiate n'était pas réclamée, cette déclaration de principes, inscrite en tôte des statuts : que les armées permanentes devaient dispa- raître, pour faire place aux milices. C'était là, avant la g-uerre, un des articles fondamentaux du programme répu- blicain. Les événements l'avaient fait relég-uer dans l'ar- moire aux utopies. On l'en a tiré de nouveau de nos jours, sans grand succès, bien qu'il soit conforme à l'esprit et aux mœurs d'une république démocratique. L'état actuel de l'Europe, et les armements sans cesse plus forts et plus

zSS

LE DIX-HL'IT MA.nS

n^enaçants de l" Allemagne, le maintien de la Tnphce ne rreuent guère d'envisager son applicaUon prochame^ Tes^rdes n'alionaux de 71 n'apportèrent .ra.lleurs qu un h.tér6t relatif à cette partie doctr.nale de eurs statuts, et "; virent, comme dans l'aholitlon de a conscr.p^n d/crétée ensuite par la Commune, qu'une déclara n théo- rique dont l'application, comme sous la Révolution fran aise la constitution de l'an II, serait renvoyée a époque le la victoire définitive et de la pacificaUon Ç-»^- -

Dans la réunion plénière du \\aux-Hall, le i3 ma s, présidée par Raoul du Bisson, personnage équivoque, les d Iws de chaque arrondissement apportèrent leurs pro- cèt: rbaux et Indats. Après cette vérification sommaire dt leurs pouvoirs, ils élurent t-s membres 'par arrondis- sement, :qui devaient former le Comité Central, destine, a qudquès jours de là, à devenir le gouvernement provisoire

'^l!:tlïï:r;l^ntaient .5 hataillons.Les arrondis.

setlnts qfi n'avJient pas envoyé de ^él%« J- «^ ^^M- conséquent, restèrent h cette époque en dehors de la edé ration étalent les: ." (Louvre); .' (^^ ^°"^^^^' ' .J^^^^^ bourg Saint-Germain); (Ghamps-hlysées) , 9* lOp .'"a- T(Passy) .r (Balignolles). Plusieurs de ces anond.sse- ^^ ïïlJnLsL modéré., fournirent les^^en^^ de la résistance bourgeoiseavec les maires et ^ amiralbais set, entre le .8 mars et la proclamation de la Commun ^ La plupart se rallièrent ensuite, au moms en partie, a la

""lillc'éUit la force militaire dont Paris disposait, au moment l'assemblée de Bordeaux votait la paix, accor- 7TZ Prussiens l'entrée limitée dans Paris, et se prépa- rât à venir, à Versailles, menacer la République et provo- quer las Parisiens.

236

HISTOlnE DE LA COMMUNE DE I 87 I

MANIFESTATIONS PLACE DE LA BASTILLE

L'anniversaire du 24 février 1848 avait offert une occa- sion aux halaillons de la carde nationale de prendre con- tact avec la population, de donner aux Parisiens comme une revue de leur armée. C'était en même temps une pré- paration à l'inquiétant événement attendu : l'entrée des Prussiens dans Paris. On ne connaissait pas encore bien exactement les conditions qui rég-leraient cette parade de l'année victorieuse. Mais on voulait être prêt à toute éven- tualité.

Une réunion des délég-ués de la g-arde nationale avait lieu ce jour-là, au Tivoli Waux-Hall. Une grave résolution y fut prise, dont le Mot d'ordre rendit compte en ces ter- mes :

L'Assemblée générale des délégués de la garde nationale, réu- nis au Tivoli Wau.x-Hall,le 24 février, s'est constituée en Comité CentraL Elle décide que les statuts seront imprimés à un grand nombre d'e.xemplaires, pour être vendus dans Paris, et portés ainsi à la connaissance et à la discussion de toutes les compa- gnies .

A la suite de ces résolutions, les propositions suivantes sont votées à l'unanimité :

lu La garde nationale proteste, par l'organe de son comité central, contre toute tentative de désarmement, et déclare qu'elle y résistera, au besoin par les armes ;

Les délégués des compagnies soumettront à leurs cercles respectifs de compagnie la résolution suivante :

Au premier signal de l'entrée des Prussiens à Paris, tous les gardes s'engagent à se rendre immédiatement, en armes, à leur lieu ordinaire de réunion, pour se porter ensuite contre l'ennemi envahisseur ;

3" Dans la situation actuelle, la garde nationale ne recon- naîtra plus d'autre chef que ceux qu'elle se donnera.

En cas de l'entrée des Prussiens dans Paris, les compagnies.

LE DIX-ULIT MARS

^ In .lécision ci-dessus, désigneront un chef, i:S:Lr^tr:^erait passée eUes.nense.de

"t: &^^"^ Cen^alse rendit ensuite. leur Heu

de véunioa pour y f^^^" 'J^^J^^^i lesVeux mille délécçués pré- La séance est leveeà mx heu e.e hommage aux sentssediris;entvers a BasUUt, pou martyrs de 1830 et de 1848.

( te -Vo/ d'Ordre, ao f-^^ne. 187..)

Uo Kn.ilpvards populaires du Tetn-

La séance 1- e, par ^^^^^JiLo et sy.npathi-

ple et ï^-"-7\^;^,: "; :;;:! accourus, deboutiquiers

q-f^P^TL;;!"; se déroula la longue procession sur le pas de leur porte, se ^^ ^ ,^^.^^ ^^

des gardes naUonaux an arm q^ ^^^^.,,^^^_ ^^

venait d'être «^^^^t résister à 'entrée des Prussiens.

TTt^^ré^atrs; rci: ue cemidu p^enna^e Ce fut un intèressauL p ,^^' „„„„ ce jour- à et con- ,.p„bUc.i„ e. P»'"»'J''Xernrd: ,: UasU„o. Paris Uo». les jours '""■"'"■ "J'^,,, la première, plus "- tr::.o"nTv.r;«" Vle.J.url.,.laceaee, ancienne, dite coionnt spéciale-

-• » '■'•""rr.a :.i 1":. n;ô^. ao«t'ri...îe.s.us

ment consacrée a la bloirea 1 1 manteau

des costumes différent^, a redin^^^^^^^ ^^ ^^^ ^^

de César ron«atn ;''l°°/!;,Pi,\,^„,e provenant de ca- pierre enveloppé d'une ^^-"'lef^j;"^/^^^, de la Liberté, nous pris à Vennem. ; la --_'°'^^\''[\^'^ I3,,„Ue, dont le dite colonne de Juillet, é"^- P be ^ aj3^;;^^ ;,^

f,t, entièrement de ^--^ P^ ^ ;;, ^,,,,,„, ,a flamme ailé, brandissant des chaînes hns^c^^ ^^^^^ ^^_

de métal d'un A-^.-,- ^ JS 1' d-rablJ envolée. rr:^1::K:rcr":n; a un caractère run.bre

238

niSTOIKE DE LA COMMUNE DE l87I

et révolutionnaire à la fois. Elle sert de monument funé- raire aux morts des journées de juillet i83o,et du 24 fé- vrier ; elle perpétue aussi le souvenir de la fameuse et ini- tiale victoire du peuple au i4 juillet 1789.

Elle se dresse en effet sur l'emplacement de la Bastille royale. Le sentiment populaire a ajouté, bien que cette colonne eût été inaug-urée en i84o, sous le règ-ne de Louis- Philippe par conséquent, le caractère d'un hommag-e aux combattants de février 48. Pour beaucoup, elle personnifie la République et le suffrag-e universel.bien que les glorieux de i83o n'aient eu ni Tune ni l'autre pour prix de leur sacrifice.

L'anniversaire de la victoire populaire du 24 février 48 parut aux délégués du Waux-Hall l'occasion d'une démons- tration impressionnante en faveur de la République, d'une manifestation impo.sante au.ssi contre l'entréedes Prussien.s. Comme l'exprimait énergiquement l'ordre du jour voté au Wau.x-Hall,la Garde Nationale affirmait sa volonté de s'op- poser par la force à la pénétration de l'armée allemande dans Paris. Ces dispositions devaient par la suite se trou- ver modifiées, sag-ement.

Ce fut, durant les journées des 24, 25, 26 février, dans une fièvre communicative et avec un enthousiasme conta- g-ieux, une farandole grave, une ronde majestueuse autour de la colonne. Tous les rang-s sociaux se trouvaient confon- dus et égalisés dans cette spirale républicaine. Le peuple, à qui des symboles, des emblèmes comme les drapeaux, les écharpes, les insignes, sont nécessaires pour l'élan, pour l'action, après avoir, pendant les jours noirs du siège, sta- tionné et formé le cercle, par groupes .successifs, autour de la statue de Strasbourg, pince de la Concorde, personni- fiant la Patrie, entourait dé.sormais de ses anneaux vivante la colonne de Juillet, personnifiant la République.

23q

LE DIX-HUIT MARS ''

Un drapeau rouge avait été hissé au faîte, et cétait le .-^ie Si le déployait sur la ville,comme pourl appe- Llux arLs, hissa„; au grand mât du .a.sseau par.s.en

brassards et cocardes organ.sant le cortège et surveillant erdétat de la cérémonie. Le déHlé avait heu par^mpa- •.. t.mbours battant, clairons sonnant. Les drapeaux Si'na nt P venusà hauteur de l'entrée du monument, s .nd.naicnt pai était répété sur toute

!■^~r»foI ,>.«.»*..>» Ce»:.* cura,, pé.é- la ligne. Ues omcit-^r , J^ ,, . , d'échelles, es com-

.aient dans rétroae enceinte U

ta.entaux '^^^«'"P^' '^ De temps à autre, un des

e,.irons ma^es or^^^^ à la folle cpiel^ues par.

,nan,i slants s a.an , J^_^ ^^^ ^^ ^^^^,,, ,„

•\::nempaçlit Tout le quartier, du faubourg Saint- autre le remP'»^^ ^ li d'une rumeur de

t ul^L^ p" e ' "Jlurs. dela'vibi.tion des sonne- rie ' De trpLn temps, une musique passait jouant la

24" HISTOIRE DE LA COMMUNE DE I 8/ I

meurtre des g-énéraux Lecomte et Clément Thomas, comme l'exécution des otages et le massacre de la rue Ilaxo, tous faits fâcheux, mais accidentels, dont l'interprétation erro- née a jusqu'ici faussé l'opinion.

On venait, après le défilé et les saluts d'un bataillon, le 228°, d'entendre un orateur, plutôt g-rotesque, l'ex-iustitu- teur Théophore Budaille, sorte d'illuminé, que ses excen- tricités déclamatoires avaient fait soupçonner, sous l'empirei d'être un ag-ent provocateur. Budaille, avec sa physionomie d'apôtre et ses g-estes d'énergumène, au pied de la colonne, achevait de flétrir le gouvernement du 4 septembre, l'accu- sant d'avoir trahi, quand une clameur grossissante, venue du côté de la rue Saint-Antoine, couvrit sa voix, brusqua sa péroraison. Une foule surexcitée escortait, traînait, pous- sait un homme, en costume bourgeois, ayant l'air d'un employé, dont le chapeau avait été enlevé ; sa nuque déjà portait des marques sanglantes. Il avançait lentement sous les huées, les menaces, les coups. Charrié par le courant humain déferlant de toutes les rues avec fureur, l'homme était chaviré, comme une épave. Il atteignit ainsi l'entou- rage de la colonne. Il se cramponnait à la grille, comme à une branche l'homme qui se noie. Deux chasseurs à pied le prirent au collet, l'arrachèrent plutôt qu'ils ne l'emmenè- rent. La foule, de plus en plus grossie, criait : « A l'eau! c'est un mouchard ! » Cent bouches furieuses répétaient ce cri de mort. Il est probable, il est certain, que bien peu par- mi ceux qui réclamaient la mise à l'eau de ce malheureux savaient s'il était réellement un mouchard, comme on le hurlait. La foule est simiesque et crédule. Elle accuse, répète et imite, sans s'occuper de vérifier. Il paraîtrait que cet homme faisait véritablement partie du personnel de la pré- fecture. Il se nommait Vicenzini, selon les uns, Lambquin, selon les autres. Il avait servi dans la police sous l'empire.

LE DIX-HUIT MARS 24 (

Comme beaucoup d'autres ag-ents suballernes, il avait été conservé au 4 septembre, et placé dans un service non poli- tique, les garnis ou la voie pulilique. On l'avait vu ce jour- là, au coin de la rue Saint-Antoine, un calepin en main, prendre les numéros des bataillons venus pour manifester. Un service d'ordre, de statistique probablement, service de renseignements nullement secrets, puisque les spectateurs faisant, la haie appelaient tout haut les numéros des batail- lons à mesure qu'ils défilaient ; les journaux d'ailleurs, le lendemain, devaient citer ces bataillons. Selon d'autres témoins, cet agent prenait les numéros des régiments aux- quels appartenaient les lignards, désœuvrés et désarmés, qui se trouvaient là, plutôt en badauds que comme manifes- tants. Mais la foule est ombrageuse, et les souvenirs des policiers de l'empire, des charges de sergents de ville sur les boulevarils et dans les faubourgs, étaient demeurés vivii- ces, excitaient les haines, suggéraient des représailles. Ou avait de longues et collectives rancunes à assouvir ; l'occa- sion se présentait, et on ne voulait pas la laisser échapper. A certaines heures d'ivresse furieuse, le meilleur peuple redevient populace, et le premier bouc émissaire à portée est immédiatement sacrifié.

Le malheureux fut traîné du côté du canal, dit un compte Tenda da Journal des Débats cia'i parait e.\act (1), lorsque des citoyens plus calmes eurent la bonne pensée de pousser la foule devant le poste, pénétrèrenl l'individu arrêté et quelques-uns de ceux qui le conduisaient. L'officier qui commandait la com- pagnie de gardes nalionau.x de service, 'Jlo bataillon, fit fermer les grilles.

Les deux quais se «;arnissaienl de milliers de curieux. Un mil-

(i) L'auteur se trouvait, par hasard, au.x environs de la Bastille, ce jour-là. 11 assista spectateur impuissant cl attriste', à cette scène affreuse, cl il ne peut que confirmer le récit de l'écrivain anonyme qu'il cite.

16

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240

UISTOlnE DB LA IMMUNE DE 1871

meurtre des généraux Lecoin et Clément Thomas, comma-.,' l'exécution des otag-es et le nssncre de la rue Haxo, tous* faits fâcheux, mais accident ;, Août l'interprétation erro- née a jusqu'ici faussé l'opini .

On venait, après le défilé > les saluts d'un bataillon, le 228°, d'entendre un orateur, lutôt çrotesque, l'ex-institu- teur Théophore Budaille, soi. d'illuminé, que ses excen- tricités déclamatoires avaient il soupçonner, sous l'empire, d'être un agpent provocateur. ulaiUe, avec sa physionomie d'apôtre et ses g-estes d'énerg- aènc, au pied de la colonne,, achevait de flétrir le g-ouvern,jent du 4 septembre, l'accu' sant d'avoir trahi, quand unolanieur g-rossissante, venue du côté de la rue Saint-Antola, couvrit sa voix, brusqua sa péroraison. Une foule sure>itée escortait, traînait, pous- sait un homme, en costume ourg-eois, avant l'air d'un employé, dont le chapeau avf. été enlevé;" sa nuque déji portait des marques san-lant. Il avançait lentement souç les huées, les menaces, les c. ps. Charrié par le courant! humain déferlant de toutes le. -nés avec fureur, l'homme était chaviré, comme une épa^. 11 atteig^nit ainsi l'entou rag-e de la colonne. Il se cram^nnait à la grille, comme à une branche l'homme qui se n.j. Deux chasseurs à pied le prirent au collet, l'arrachèren plutôt qu'ils ne l'emmenè- rent. La foule, de plus en plu grossie, criait : « A l'eau! c'est un mouchard! » Cent bouics furieuses répétaient ce cri de mort. Il est probable, il (■ rcrtain,que.bien mi ceux qui réclamaient la mi- à l'eau savaient s'il était réellement ui mo

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2^2 IIISTOHIE DE LA COMMUNE DE 1S7I

lier d'autres sUlionuaient devant le poste, et réclamaient le pri- sonnier, ou l'exécution de la sinistre sentence. L'officier mont» sur la grille, et expliqua à la foule que son devoir était de gar- der le prisonnier, atîn de le faire envoyer .\ la préfecture ; il en- gageait donc le public à se calmer. On ne tint aucun compte de ses'^exhorlations.On cria : a. C'est cela, ils vont le faire échapper 1 Qu'on nous le rende 1 »

Des chasseurs à pied escaladèrent la grille et s'introduisirent dans le poste, d'autres citoyens en firent autant. Le poste ne tar- da pas à être envahi, et on reprit le prisonnier, qu'on put encore sauver, en l'entraînant de l'autre côté de la place, près de la rue de la Roquette. Mais les furieux, s'excilaut les uns les auli-es.n'é- taient point satisfaits. Ils poussaient les cris de: « Tapez dessus 1 il faut le noyer . . i

Pendant ce temps, les coups de poinj-et les coups de pied pleu- vaient sur le prisonnier, qui était plus mort que vif, et dont l'at- titude aurait cependant exciter ,1a commisération de ceux qui le mallrailaient.

Chose inouïe ! A cette heure-là, il pouvait y avoir sur la place de la Bastille environ vingt mille personnes. Les forcenés, qui réclamaient la mort de la victime, n'étaient pas plus de quatre ou cinq cents, et encore y avait-il parmi eux deux cents gamins. Eh bien 1 cette minorité l'a emporté. On a repoussé le prisonnier vers le boulevard Bourdon. Là, il a supplié qu'on lui permit de se brûler la cervelle. Les chasseurs à pied,qui n'avaient pas cessé de le tenir au collet, le firent monter sur un banc, un peu plus loin que le bâtiment du Grenier d'abondance, et posèrent à la foule cette question : Voulez-vous permettre au prisonnier de se brûler la cervelle avec son revolver f « Non, non ! répondirent deux cents voix éraillées, à l'eau, à l'eau I il n'aurait qu'à tirer sur quelipi'un ! ne lui rendez pas son revolver .' »

Le cortège sinistre s^avan<;a par le quai Henri IV. La rage des forcenés avait redoublé. Ils poussèrent la cruauté jusqu'à prévoir le cas la victime pourrait savoir nager et, par suite, échapper à la mort. Ils prirent la précaution, sur la berge, de garrotter le prisonnier et de lui attacher solidement les bras et les jambes. On le porta comme un véritable paquet, en passant sur les péni- ches amari-ées à cet endroit, et on le jeta, à une assez grande distance, dans la Seine.

Nous ne saurions trop le répéler.un pareil acte a pu être corn-

LE DIX-HLIT MARS

34}

mis impunément en présence de plusieurs milliers de spectateurs, qui se bornaient à assister paisiblement à toutes les péripéties de ce drame émouvant.

Le courant n'a pas tardé à entraîner le corps du malheureux. Des misérables, poussant la férocité jusqu'à ses dernières limites, lui jclaieul des pierres, et s'armaient de bitons pour repousser le corps que le courant ramenait près des bateaux.

A plusieurs reprises, les pilotes de deux bateaux-mouches se soûl approchés, de façon à pouvoir jeter la bouée de sauve- tage, mais chaque fois on leur criait de se retirer. Et, comme ils ne tenaient pas compte de ces cris, on leur adressait des menaces violentes. Ne paraissant pas bien comprendre ce qui se passait, ils ont fini par s'éloigner.

La victime de ce crime odieux a été entraînée sous l'estacade qui existe à la pointe de l'Ile Saint-Louis, elle a disparu. Les recherches qui ont été faites ensuite pour retrouver le corps sont restées infructueuses

Ces horribles scènes n'ont pas duré moins de deux heures.

Ces violences d'une foule déchaînée sont déplorables. Elles ne sauraient souiller un parti, ni permettre à qui que ce soit de ûélrir une cause. Comme nous le verrons, lors des meurtres de la rue des Rosiers, ces méfaits sont l'œuwe d'une tourbe anonyme, impulsive, sourde à toutes les priè- res, rebelle à tous les ordres, meute impitoyable et échauf- fée qui veut déchirer la proie pantelante, et mord môme ceu.\ qui tentent de la lui arracher. Des victimes, comme cet obscur agent de police, comme ces brillants g-énéraux, ce sont les holocaustes qu'une infime portion du peuple, dans une Ivresse de sang, offre aux diviuités terribles de la Vengeance, de la Révolte et de la Fatalité.

L ENLÈVEMENT DES CANONS

Paris fut debout et passionné toute la journée du 28 février. Le tocsiu sonnait aux clochers envahis. On battait le rappel dans les faubourgs. Los rues étaient pleines de

244

lIISïOmE DE LA COMMUNE DE 187I

gardes nationaux allant à la Bastille, ou en revenant. Des mots d'ordre circulaient. Des chefs ignorés donnaient des consignes. La nouvelle de la paix, sur le point d'être votée àBordeaux, etsignée à Versailles, avait été suivie de l'an- nonce de l'entrée des Prussiens dans Paris.

Le gouvernement avait, dès le matin, fait afficher une proclamation, il faisait connaître « l'occupation partielle et très momentanée d'un quartier de Paris ».

Cette occupation, disait cet appel au calme et à l'ordre conte- nant l'énoncé des menaces prussiennes, sera linutee au quartier des Cliamps-Elysées. Il ne pourra entrer dans Pans que trente mille hommes et ils devront se retirer dès que les prchnuna.res de paix auront été ratifies, ce qui ne peut exiger qu un petit nom- bre de iours. Si cette convention n'était pas respectée, 1 armistice serait rompu, l'ennemi, déjà maître des forts, occuperait de vive force la cité tout entière ; vos propriétés, vos chefs-d œuvre, vos monuments, garantis aujourd'hui par la convention, cesseraient TeT-être . L'armée française, qui a défendu Pans avec tant de coura-^e,' occupera la aauche de la Seine pour assurer la loyale exécurion du nouvel armistice. C'est à la garde nationale a s unir à elle pour maintenir l'ordre dans le reste de la cite.

La lecture de cette affiche fut accueillie, ici par des mur- mures, ailleurs par des cris d'indignation. Des gardes nationaux, en tapant sur la crosse dele ur « fl.ngot» rap- pelaient que l'engagement avait été pris, par 2000 fédcrés, ■lu Tivoli Waux-Hall, de s'opposer, par la force, à 1 entrée des Prussiens, l'heure n'était-elle pas venue de tenir cette promesse ? On attendait un signal du Comité Central, et, anxieux les plus déterminés se demandaient ce qui résul- terait de cette collision suprême : le sort de Moscou était-.l réservé à Paris ? Moscou avait vu fuir rcnvahisseur,et cette perspective encourageait ces patriotes qui, plus énergique- ment.d'une main plus nerveuse, faisaient résonner la crosse de leurs fusils.

LK DIX-HlilT MARS

3/i5

Une voix s'éleva dans les groupes. On n'a pas conserve le uom de ce citoyen, soudainement inspiré, mais qui doit être considéré comme l'organisateur inconscient de 1 in- surreclion, alors prochaine, qui s'écria tout à coup : « t.t nos canons ! les Prussiens vont les prendre ! >> Kt aussitô des gardes nationaux de répondre : « Us ne les auront pas! Il faut les enlever ! » Alors une bande vociférante d hom- mes, d'enfants, de femmes, bien vite grossie en route, comme les compagnons du Cid, aux cris cent fois répé- tés de : Aux canons ! A Wagram ! Au Ranelagh ! se mit en route vers les parcs d'artillerie.

On avait oublié ces batteries, confiées à la garde de quel- ques compagnies. Ces canons, tout neufs, avaient été fon- dus pendant le siège, avec le produit de souscriptions, de collectes, et aussi avec les recettes de quelques représenta- tions, notamment celles les meilleurs artistes avaient récité des vers des «Châtiments «.Victor Hugo avait aban- donné ses droits d'auteur, et l'une des pièces, qui avait reçu le nom du poème vengeur « Châtiment », avait été entiè- rement payée par ce don. Le peuple considérait ces canons comme sa propriété, et la garde nationale devait les con- server. Si ces canons restaient dans la zone livrée à 1 occu- pation, les Prussiens s'en empareraient. Il fallait les sous- traire à leur réquisition. Pas une minute n'était à perdre. Ce fut au milieu d'un enthousiasme fébrile, et avec un entrain extraordinaire, que ces citoyens s'attelèrent aux canons, les transportèrent à travers Paris, du Ranelagh et de la place Wagram à la place des Vosges, déjà se trou- vait installé un parc d'artillerie, et aussi à Montmartre et auxButtes-Chaumont. Là, les pièces seraient en sûreté; à l'occasion on les retrouverait. Ce fut, durant toute la jour- née, une animation et un mouvement de troupes intenses dans la ville. Des bataillons, escortés par une foule frémis-

24^ niSTOlUE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

santé, se portèrent aux Champs-Elysées, comme s'ils allaient au-devant des Prussiens. Des g'ardes nationaux envahirent la caserne de la Pépinière, s'efforçant d'entraîner les marins qui s'y trouvaient cantonnés. D'autres, se souvenant qu'il y avait à Sainte-Pélagie, des prisonniers politiques, forcè- rent la porte de la prison et délivrèrent l'ex-commandant Brunel et Piazza, détenus à la suite du 22 janvier.

LE COMITÉ CENTRAL ORDONNE LE CALME

Un mouvement se dessinait, mais une certaine hésitation se produisit bientôt. Des voix raisonnables s'élevaient et étaient écoutées, dans les g-roupes. On se félicitait d'avoir repris les canons, et de les avoir mis à l'abri, à Montmar- tre, mais on réfléchissait à la témérité d'une résistance armée à l'entrée des Prussiens, d'un obstacle apporté à l'occupation concédée. On songeait au bombardement cer- tain, et à la tuerie, qui accompagneraient la collision avec les ennemis, maîtres des forts. Les avis prudents l'em- portèrent presque partout. Du moment qu'il n'y avait pas unanimité pour une bataille dans les rues, c'eût été folie que de la tenter.^Même avec l'unanimité, cette résistance eût- elle été raisonnable ?

Le Comité Central le comprit ainsi. Les membres, chargés de rédiger les statuts de la Fédération, se trouvaient convo- qués à la mairie du III« arrondissement. Quelques com- mandants inclinaient vers la bataille, ainsi que les membres de l'Internationale, réunis à la salle de la Corderie du Temple. Mais les délégués, qui disposaient des bataillons, firent entendre le langage de la raison. Une affiche fut rédigée, et affichée aussitôt. Elle éUit ainsi conçue :

Citoyens ! Le sentiment gciicral de la population paraît être de

LE DIX-ULIT MARS

M7

ne PIS sopnoscr à l'entrée des Prussiens dans Paris Le Comité central. quUvail omis un avi« contraire, déclare c,u .1 se ralhe à

In résolution suivante : . j -, „„.„„,r Ivn-

11 sera établi, tout autour des quarl.crs que do.t occuper 1 en- nemi une série de barricades pfopres à isoler complètement celTe partie .le la ville. Les habitants de la reg.on crconsc .te dans ces limites devronll'évacuer imn.édiatement.La garde nat.o- "a" de concert avec Tarmoe formée en cordon tout -t--' -•'- lera à ce que fennemi.ainsi isolé sur un sol qu> ne sera plus „o r ville, ne puisse, en aucune façon, communiquer avec le. part.es rctianchées de Paris. ,

Le Co-nilé cent.-al enRaoe donc toute la garde nationale a prê- ter son concours à l'exécution des mesures nécessaires pour arri- ver à ce but. et éviter toute agression qui serait le renversement immédiat de la République.

A la Corderie, les membres de l'Internationale, ceux du comité des vingt arrondissements et des chambres syndi- cales, essayèrent encore de conseiller l'aventure, mais, trè. courageux^ au risque de sacrifier leur popularité et de passer pour tièdes, d'être même assimilés aux cap.tulards, les Délégués, qui représentaient vraiment la force armoede Paris, persévérèrent dans leur opposition.

La catastrophe était certaine, dit Lîssagaray, sans le courage de quelques hommes qui osèrent remonter le ^°"'-'''°^- ^^^ ^"rcl^^^ rie tout entière observait, avec une reserve jalouse, cet embryon de Comité, composé d'inconnus qu'on n'ava.t jamais vus dans aucun mouvement révolutionnaire.

(Lissiiçaray.Wifioire delà Commune, Dentu, «id. Paris i8g6).p. 90.)

Les délégués se rendirent au Waux-Hall, avait lieu une grande réunion, et là, signalèrent le danger qu'ils voyaient à une collision, dont le résultat certain serait d'af- faiblir, pour longtemps, le parti républicain. Ils firent pré- valoir leur opinion. Un nouveau manifeste parut, exhortant les gardes nationaux à s'abstenir :

248 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1S7I

Toute attaque, disait cet appel, servirait à désii^ner le peuple aux coups des ennemis, qui noieraient les revendications sociales dans un fleuve de sang. Nous nous souvenons des journées de juin

Citoyens, toute agression serait le renversement de la Répu- blique !

il sera établi tout autour des quartiers que doit occuper l'enne- mi une série de barricades, propres à isoler complètement celte partie de la ville. La garde nationale, de concert avec l'armée, veillera à ce que l'ennemi ne puisse communiquer avec les par- ties retranchées de la ville.

Suivaient les signatures, qu'il est intéressant de repro- duire : Alavoine, Bouit, Frontier, Boursier, David, Boisson, Barroud, Gritz, Tessier, Ramel, Badois, Arnold, Piconel, Audoj'naud, Masson, Weber, Lag-arde. Laroque, Berg-eret, Pouchain, Lavalette, Fleury, Maljournal, Chouteau,Cadaze, Castioni, Dutil, Matté, Ostyn.

Cette affiche parut encadrée de noir. Elle produisit un grand effet. Aucune collision n'éclata. Mais cette proclama- tion eut aussi cet effet de révéler [aux g:ens clairvoyants l'existence et la puissance du Comité Central, dont on voyait pour la première fois la composition. Pas un de ces 29 noms obscurs n'avait de passé ni de signification. On ne con- naissait pas ceux qui les portaient, en dehors du cercle étroit vivaient, travaillaient, parlaient et organisaient ces citoyens modestes et nouveaux. Ils devaient par la suite figurer à plusieurs reprises, avec des additions et des sup- pressions, sur les proclamations et les affiches. Ces noms de citoyens ignorés eurent plus d'action, plus d'autorité sur la population que ceux des chefs de bataillon, des mem- bres de l'Internationale, des orateurs de réunions publiques, des présidents de clubs, des journalistes et des condamnés politiques. Blanqui, Flourens, Delescluze, tous les chefs connus et reconnus, n'auraient peut-être pas eu le pouvoir

LB UIX-HUIT M*R8

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de conjurer ua conflit aussi imminent, ni de faire suppor- ter la présence des Allemands. Ces inconnus montrèrent, pour la première fois, leur force ; elle était irrésistible, parce qu'elle ne provenait ni de la notoriété, ni delà fonction m des services antérieurs. Ces nouveaux venus, qui, soudai- nement, commandaient au peuple, et lui parlaient comme ayant reçu de lui mandat et pouvoir, furent écoutes, obéis. C'est que ces 29 prolétaires étaient les représentants directs et autorisés de Paris, dont on les reconnaissait maîtres, parce qu'ils disposaient de la seule force existante alors, celle de rarmée,c'est-à-dire la garde nationale. Cette garde nationale avait le pouvoir, était le pouvoir. Ainsi les logions de César, les grenadiers de Bonaparte, .les Cosaques de Louis XVllI, les régiments gagnés de Louis-Plulippe, les légions réformistes de 48, les soudards de Saint-Arnaud, imposèrent et maintinrent l'autorité suprême. Il ne faut ,,as se payer de mots. Tout sans doute à Pans depuis ia capitulation jusqu'à l'entrée des troupes de Versa, les dans Paris, se fil au nom du Peuple. Mais le peuple n était qu'une formule exécutoire, le peuple n'était rien : la garde nationale était tout.

Le Uiv-Huit Mars fut un épisode, un incident imprévu, commencé en bagarre et achevé en révolution provoqué par la fuite du gouvernement existant, mais la Révolution était faite le jour la garde nationale se fédérait, formait une armée, devenait maîtresse de la ville et de 1 autorité. Le manifeste aux Parisiens, pour leur ordonner de rester tranquilles pendant les heures de l'occupation pru.ss.enne, fut la proclamation du nouveau règne. Le Dix-Huit Mars fut la conséquence logique et inévitable du pronunc.amento républicain du 28 février, l'armée parisienne notifaait son avènement au peuple, au gouvernement, à la France entière. Le Comité Central existait donc. 11 se révélait, il

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE

prenait la parole, il donnait des ordres, il était écouté, il était obéi; il tenait Paris, mais la France devait lui échap- per.

Le 28 février 71 est la date que devrait porter la grande insurrection parisienne. Il y eut, ce jour-là, un pouvoir nouveau, accepté, respecté, aux lieu et place de Thiers, de Vinoy, pouvoirs déchus, méprisés et remplacés à cette date.

Le Comité Central, dont les pouvoirs furent seulement votés et notifiés le 3 mars, au Waux-Hall, dès le jour de l'entrée des Prussiens dans Paris, faisait son entrée dans l'histoire.

LES PRUSSIENS A PARIS

L'occupation limitée de Paris avait été une condition humiliante, mais avantageuse, de l'armistice et par consé- quent de la paix. Ce fut la rançon de Belfort. « Ou mes troupes g-arderont Belfort, ou elles entreront dans Paris », avait dit Bismarck, et comme Jules Favre et Thiers ten- taient d'adoucir la rigueur de cet ultimatum, Bismarck avait ajouté avec une sorte de bonhomie hautaine : « Mettez- vous à ma place, messieurs, quand je serai de retour en Allemagne et qu'il m'arrivera de rencontrer un de mes vété- rans, si ce vieux brave, me montrant son membre mutilé, me dit : tu es revenu avec tous tes membres, toi, moi je reviens invalide du sièg'e de Paris, et tu ne m'as même pas fait voir cette ville qui m'a coûté mon bras 1 » Bismarck ne voulut donc rien entendre et les néijociateurs durent céder.

M. Thiors a raconté en termes colorés cette émouvante nésrociation :

Une chose avait été très débaflue entre le roi de Prusse, M. de

LK DIX-HUIT MAR8

Bismarck el moi : c'était l'entrée de l'armée prussienne dans Paria. Celte entrée était pour notre patriotisme un coup douloureux Je d,sais à mes interlocuteurs : « Je ne puis couscnt.r . une telle ex - gcnce. Rénécbis.ez.y bien : si vous voulez entrer dans Par,. la Lpulalion élèvera des barricades de toutes parts; .1 vous faudra les enlever, el Dieu sait ce qu'il en arriverai» -Nous en ven- drons àbout.. répondait M. de Bismarck.- Ce ne sera pas auss aisé que vous croyez, lui répliquai-je. ma.s y --» '^""','^»' «' Paris pourrait être dévasté. Pour nous se seraU un malbeur.ma.s pour vous une honte éternelle. » _ „ff„„,„

^ Le dernier jour, alors que j'ava.s rcuss., après des efforts ioouisù conserver Belforl à la France, le.-oi me ht d.re : « S. vous voulez abandonner Belfort, nous n'enlreroDs pas dans Pans. .Je répondis sans hésiter: « Non! non! plutôt que de perdre notre frontière, j'aime mieux toutes les humiliafons qu .1 vous pla.ra de nous infliger; entrez-y si vous le voulez, ma.s je p^de Bel- fort. . Les Prussiens avaient grande appréhension de leur entrée dans Paris ; mais ils étaient piqués dhonneur. Le ro. de Prusse disait : « Je ne veux pas humilier les Parisiens, ce n est pas mon intention ; mais, devant toute l'Europe,on a prétendu que j avais peur d'un coup de fusil, el jamais je ne reculerai devant un dan-erl.. Pour moi. je craignais.cn effet, que ce coup delusdne fût Tiré, et s'il l'eût été, quels flots de san^ n'auraient pas coule l (EnquAte parlemenUire sur le Dix-Huit Mars. Déposition de M. Thicrs. Séance du a4 août 1871.)

Au fonJ, Bismarck faisait uu marché de dupes. Pour un ennui dun moment, qu'un seul quartier de Paris aurait à sul.ir, encore s'agissait-il d'un quartier dont une partie avait été évacuée avec empi^sement, d'abord eu septem- bre 1870, puis en février, par ses aristocratiques habitants, peu désireux de ifoûter le pain du siègre ou d'assister à une révolution, la France conservait Belforl. C'était la ciel f?ar- dcc du passage de l'Est, une sentinelle avancée de la détense laissée k la trouée des Vosges, la citadelle proleclnce de l'avaut-garde pour une revanche, i laquelle on croyait alors, et que les patriotes attendaient, voyaient prochaine. Belfort

aSa HISTOIHB DE LA COMMUNE DE 187I

abandonné, c'était la frontière sans défense, la porte ouverte à l'invasion, c'était l'ennemi chez nous, dans nous. Paris, qui, avec la longue résistance de son siège, avait déjà sauvé l'honneur, sauva en cette circonstance, par son sacrifice d'amour-propre, ce qui pouvait être préservé de notre terri- toire. La mutilation du pays, aussi intéressante pour nous que celle du vétéran dont parlait Bismarck, se trouvait ainsi atténuée. Les négociateurs savaient que Paris supporterait avec douleur, mais avec une énergie résignée, cette humi- liation nouvelle, cet abus surabondant de la victoire. Ils se soumirent à la volonté du vainqueur. Ils ont bien fait.

L'empereur d'Allemagne tenait à parader dans Paris, ne fût-ce que d'une façon hâtive, et se contentait d'une occu- pation restreinte, presque furtive. C'était une satisfaction morale qu'il voulait donner à ses troupes, et à lui-même. Il savourait, en cette démonstration militaire, la revan- che des entrées triomphales des armées françaises à Ber- lin, dans toutes les villes allemandes, au temps de nos gloires défuntes. Bismarck voulait aussi frapper l'opinion, en France et à l'étranger. La victoire de l'Allemagne ne paraîtrait décisive et complète qu'avec l'entrée dans Paris.

Il se mêlait encore à ces sentiments politiques et militai- resune pensée d'orgueil personnel, de respect humain, chez Guillaume. M. Thiers l'a fort bien indiqué : « Les Prus- siens avaient grande appréhension. ..« (Enquête Parlemen- taire, p. 118 citée.)

L'occupation s'accomplit dans les termes stipulés. Elle n'eut guère la caractère triomphal de ces apothéoses guer- rières, dont l'antiquité avait gravé le cérémonial dans les mémoires, consigné le fastueux souvenir dans les histoires, et laissé l'exemple et l'envie aux conquérants futurs. On dit que bien des officiers allemands pestèrent, en considé-

253

LE DIX-HUIT MARS

rant le peu desolennité accordée à cette afBrmat.on de leur victoire. Celte introduction réglementée, limitée de trou- pes victorieuses dans une ville qui s'était rendue leur parut „n déni de salaire mérité, et cette occupation parquée ne "t pas, à leurs yeux, une réparation suffisante des humi- liation.s subies par leurs pères, lors de l'entrée tapageuse de Napoléon à Berlin, après lena.

A huit heures du mat.n, le premier allemand un lieu- tenant de hussards de la Mort, suivi de six cava lers, fran- chlssaitlesfortifications, àlaPorte.Maillot;cetait lex réme

avanl-garde. Ce chef se nommait le lieutenant Lolon.b. Un nom français, celui d'un descendant de ces protestant chassés par Louis XIV et la Maintenon. Cet éclaueur ht, uTrlnîgalop.le parcours de l'avenue de la Grande-Armée et des Champs-ElTsées, jusqu'à la Concorde, pu.s rev.nt a son point de départ, toujours à grande allure. Alors, levai^ son sabre, il fit signe aux troupes massées, en de ça de la barrière, que la route était libre, et que nen de suspect nlpparaislit dans les rues adjacentes. L'armée allemande s'éîranla. Derrière le peloton de hussards, s avança 1 in- fanterie, ayant à sa tête le général \on Kamecke et son état-major Les fourriers de tous les corps ^^ /armée de 30.000 hommes, chiffre auquel avait été limite le conlin- ..ent d'occupation, précédaient l'infanterie, afin de prepaier Tes logements, dans les Champs-Elysées et dans le quartier du Roule assignés. Tous ces vainqueurs marchaient faere- nent sans doute, mais tous n'étaient pas sans quelque appréhension, plus ou moins dissimulée. On pouvait s at- 3re à toutde la part de ces -tanés Parisiens !Etl^ sou venir, si présent, de ce long siège, ou 1 armée allemande n'ava t pu emporter et conserver aucun des travaux d ap- proche, aucun fortin, aucune tranchée, faisait plisser le r^nt des chefs et grimacer les faces des soldats. Aucun

254 IlISTOinE DB LA COMMUNE DE 187I

fusil ne partit et aucune occasion de conflit ne se pro- duisit.

Un officier d'ordonnance de Trochu, le comte d'Hérisson, qui a assisté à l'entrée des troupes, en a donné le récit suivant :

Dès le matin, on avait jeté un double pont de bateaux au-des- sous du pont de Sainl-Cloud, unautre à Suresnes, et un troisième près de Billancourt.

Parées trois ponts, 30.000 hommes avaient passé et s'étaient massés sur la piste de Longchamps, en face des tribunes \'ides, sur trois lisrncs : une ligne d'infanterie en colonne de bataillon, une ligne de cavalerie en colonne d'escadron, avec artillerie sur les flancs, cl une ligne de services auxiliaireset d'ambulances. Les troupes avaient déjeuné sur le terrain, les fantassins derrière leurs faisceaux, et les cavaliers à la tète de leurs chevaux.

A dix heures et demie, le Kronprinz, à la tète d'un nombreux- état-major, avait passe sur le front, salué par des hurrahs pro- longés.

A onze heures moins dix, le cri : Le Roi, Kœnig! avait retenti, les lèvres prussiennes n'étant pas encore dressées au mot : Kaiser, l'Empereur 1 et on avait vu déboucher la voiture de l'Empereur, précédée de piqueurs et attelée en daumont de quatre purs sang. Derrière la tribune, l'Empereur descendit de voiture, monta à cheval, et, en grand costume de général prussien, avec le casque à crinière blanche et l'échnrpe. il déboucha sur la plaine de Longchamps, vers le moulin, il fut reçu par son fils.

A ce moment, sur toute la ligne, les musiques entonnèrent l'hymne national : u Salut à toi, couronné par la victoire I » Escorté par uu état-uiajor de plus de six cents officiers, il galopa devant les trois lignes de l'armée, puis il vint s'adosser à l;i tri- bune impériale, déserte comme toutes les autres. Le prince royal alla se mettre à la lètede l'armée, et le défilé commença, au milieu des hurrahs ininterrompus.

Le comte de Uisiuarck était au milieu de l'état-major, confondu avec les oflicicrs, en uniforme de cuirassier, avec le casque d'a- cier, mais sans cuirasse.

Après avoir défilé devant l'empereur, chaque régiment prenait le chemin de l'.Vrc-de-Triomphe, musique en tête. Les Prussiens,

LE DIX-IILIT M\BS

arrivant parV.venue de l'Impératrice, contournèrent l'Arc-dc- Tr bm ie%-- entrer dans les Champs-Elysces.Ouant aux Bava rois, is Firent Tavenue des Acacas. l'avenue de la Gr.nde- Arméc,et sansse détourner ils passèrent sous 1 Arc-de-Tnomphe. [Woiw.au Journal d'un o/yîcer d'ordonnance, par le comled'Hérisson. l^aris, Ollendortï, 1889, pp. et i3.)

L'aspect de Paris fut luRubre durant cette journée né- faste. Presque p:irtout les boutiques étaient closes comme en un jour do décès. Plusieurs majfasins portaient une bande de papier sur laquelle on lisait : « fermé pour cause de deuil national ». Quelques débits do boissons gardaient leurs portes seulement entrebâillées. De rares consomma- teurs s'v glissaient, plutùt pour avoir des nouvelles, pour échauicerdes réflexions, que pour boire. Un bruit de billes choquées, chez un débitant ainsi à demi fermé, révélèrent la présence de joueurs dans la salle de billards au premier étage. On monta, et on pria les joueurs de cesser leur par- tie ce qu'ils firent aussitôt, soumis et penauds. Pas de voi- tures sur les chaussées; des passants isolés sur les trottoirs, filant d'une allure pressée. iNulle livraison de marchan- dises. Plus de transactions. Dans les restaurants et les débits de tabac, demeurés entr'ouverts, les clients péné- traient, l'allure hùtive.comme des voyageurs dans uabuffet de garo. Les journaux n'avaient pas paru. La ville entière prenait l'aspect d'une immense maison mortuaire, dans l'attente du départ du corps. Une palpitation sourde, der- rière les volets mis et les persiennes fermées, dénotait seu- lement que toute la vie ne s'était pas retirée de Pans, que le cœur battait encore, et indiquait que, la syncope passée, il reprendrait sou mouvement vital.

Los soldais allemands cependant s'étaient installés silen- cieusement, et en bon ordre, dans les Ghamps-Eljsées. On les logeait sans empressement, mais sans grossièreté. Les

35G IIISTOmE DE l.,V COMMUNE DE lOyl

soldats de toute nation font la guerre, et ne l'ont pas enga- gée. Quelques escouades déjà cuisinaient la popote. Des Bavarois, accroupis sur la bordure du trottoir de l'allée centrale des Champs-Elysées, fumaient leurs pipes de por- celaine, à tuyaux courbes, indifférents, un peu somnolents. Des cavaliers, cantonnés sur le Cours-la-Reine, menaient, avec un contentement épais, leurs chevaux boire à la Seine. Un épisode à raconter plus tard, de retour aux bords de la Sprée. Sur la place de la Concorde, des bottes de paille étaient distribuées et étendues pour le bivouac de la nuit.

A trois heures seulement, le g'ros des troupes (Ile corps bavarois, I" et II- corps prussiens) fit son entrée, revenant de la revue de Longchamps : six rég'iments de chasseurs bavarois, deux batteries d'artillerie prussienne, trois régi- ments d'infanterie prussienne, dont un de la garde royale, un escadron de hussards de la Mort, un escadron de dra- gons prussiens, un régiment de ulhans bavarois. Un esca- dron de cuirassiers blancs escortait un état-major brillant et nombreux.

A quatre heures, le pavillon tricolore de l'Allemagne, noir, blanc, rouge, fut hissé sur l'hôtel de la Reine Chris- tine, près l'Arc-de-Triomphe (depuis Hôtel Basilewski), et des pièces de canon furent braquées, deux sur chaque avenue rayonnant de la place de l'Etoile.

Des barrages avaient été établis à l'entrée de toutes les rues débouchant sur les Champs-Elysées. La consigne était donnée de ne laisser franchir les barrages à aucune per- sonne en uniforme, soldat, marin, garde national. Les civils pouvaient circuler librement. Ouelques-uns eurent la fantaisie d'aller regarder les Prussiens, sous le nez. Des femmes, peu intéressantes, furent l'objet des lazzis et des rebu ffades des passants. Il y en eut de fouettées, comme l'avait été jadis Théroigne de Méricourt; d'autres furent

LE DIX-ULIT MARS 2O7

plongées dans les bassin de la Concorde et du Rond-Point. C)n s'upposait qu'elles se rendaient auprès des officiersalle- niauds, qui festoyaient dans les restaurants des Champs- Elysées, et la foule gouailleuse entendait ainsi rafraîchir leur ardeur.

Un café, tenu par un nommé Dupont, à l'ans^le du rond- point des Champs-Elysées et de l'avenue .Montaig-ne, était resté ouvert toute la journée et toute la nuit de l'occupa- tion. Les officiers, accueillis avec des saints obséquieux et des mines empressées par le patron et ses garçons, ces derniers choisis exprès parlant l'allemand, y soupèrent avec des donzelles, bravant la fessée populaire, souriantes, accourues au bruit des thalers et des marks, qui, dans la poche des vainqueurs en belle humeur, sonnaient le ral- liement. Quand les Prussiens eurent évacué les Champs- Elysées, la foule se rua sur cet établissement trop hospi- talier et le saccagea.

Comme contraste avec ces réjouissances des triompha- teurs, excusables au fond, car nous en aurions fait tout autant à Berlin, les soldats de garde (i), aux barrages des rues de Rivoli, Saint-Florentin et Royale, au quai et sur le pont, virent, au réveil, un spectacle imprévu et saisissant : les dames calmes et imposantes, un peu massives, qui, dans une position assise, représentent les grandes villes de France, la statue de Strasbourg vers la rue de Rivoli, demeurant pavoisée, ornée de drapeaux, de couronnes, de guirlandes et de bandes de crêpes, depuis les premiers jours du siège, apparurent portant toutes un masque noir sur leurs visages de pierre. Pendant la nuit, avec des échelles, des patriotes demeurés inconnus avaient escaladé les énor-

(i) L'auteur se trouvait ce jour-là de service avec sa compagnie, la du I" du no- de liene au l)arra2;e de la rue Boissy-d Anglas, adosse au Cercle Impérial et à l'Hôtel Grillon.

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258 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

mes piédestaux, et s'étaient hâtés d'aveuçler les reg-ards inertes de ces statues. Inspiration romantique sans doute, manifestation un peu théâtrale, et conventionnelle aussi, mais qu'importe! le sentiment qui l'avait dicté était excel- lent, et l'effet impressionnant. Il ne fallait pas, avaient pensé les décorateurs funèbres, que nos Villes de France pussent, idéalement et par une supposition de l'esprit, voir les odieux Prussiens paradant autour de leurs socles. La pudeur emblématique des majestueuses cités devait être protcg'ée contre le viol des yeux allemands, et étant suppo- sées ne plus voir, c'est comme si elles n'étaient point vues. Ce fut un inoubliable spectacle que cel«i de ces statues masquées, peut-être la grossièreté tudesque n'y prit-elle point garde, mais tous ceux qui ont contemplé cette muette et svmbolique protestation en ont emporté, dans les pru- nelles et dans l'âme, l'inellaçahle vision.

Toute la journée, Paris avait été triste, il fut sinistre la nuit venue. De bonne heure, le repas du .soir avait été pré- paré, avalé en hâte, et, dès neuf heures, la ville avait pris l'aspect nocturne de minuit passé. Quelques lueurs, ici et là, filtraient à travers rideaux et persiennes. Les cafés fai- saient, sur les boulevards, de grands trous vides et sombres. Des lampes à pétrole, aux clartés blafardes, éclairaient les postes, les mairies. Quelques curieux, allant aux renseigne- ments, passaient, s'évanouis.saient comme des ombres.

Vers dix heures, une clarté lunaire vive donna un aspect fantastique à la ville déserte et silencieuse. Bientôt les der- niers feux furent éteints, et Paris, tandis que les Prussiens ronflaient sur les bottes de paille distribuées, et dans les loffements qui leur avaient été assignés, s'endormit d'un sommeil fiévreux, empli de cauchemars sinistres, et coupé de sursauts ana^oissants.

Cependant le soleil se leva, et il y eut comme un soupir

LE DIX-HCIT MARS

259

général de satisfaction, en apprenant, eu constatant, que rien ne s'était passé durant celte nuit lourde d'inquiétudes. Paris reprit son agitation matinale coutumière. Les néces- sités de la vie esi;;eaient la reprise de la routine quoti- dienne : le lait, déposé et mis à chautfer, le pain attendu, les soins domestiques, la toilette des enfants, toutes ces besognes familières remplirent les premières heures. Les ménagères s'en furent au.^ provisions, et les hommes aux nouvelles. Tout demeurait calme.

On apprit que les préliminaires de paix avaient été votés à Bordeaux, le mercredi 1- mars, et que iM. Th.ers, avec Jules Favre, devait être en route pour Versailles, porteur des doubles du traité, car Bismarck avait eu cette dernière exi-ence, de ne pas se contenter des dépèches de Bordeaux annonçant le vole; il avait voulu posséder le procès-verbal avant de rien ordonner pour l'évacuation. Il serait dans la soirée certainement nanti des documents réclamés. Les ratifications furent échangées dans la journée du 2, et à six heures tout était terminé, les dernières dispositions pour l'évacuation étaient prises à Versailles. Les Prussiens de- vaient donc vider le sol parisien. Ce fut un grand contente- ment dans tous les quartiers de la ville.

A Versailles, on cUit beaucoup moins satisfait. On avait compté sur des lenteurs parlemenUires, sur des discussions longues, des renvois à la commission, des amendements peut-être à discuter, et à soumettre à Bismarck avant de les retourner, approuvés ou refusés, à l'Assemblée. Tout cela daus la pensée de l'état-major impérial, devait prendre un cerUin temps, au moins une huiuine. On aurait donc e temps de voir Paris, ou du moins la partie de la ville autorisée. Quelques officiers, en traversant le jardin des Tuileries, interdit au public, avaient pu, par les galeries du Louvre, parcourir le musée, et gagner la colonnade, d ou

aCo UISTOIHE DE LA COMMUiNE DE lH-^1

ils s'étaient fait voir à la foule, rassemblée sur la place Saint-Germain-l'Auxerrois, que des gardes nationaux gardaient. Aperçus, ces officiers avaient été hués, et s'étaient en hâte retirés. Mais beaucoup de leurs camarades se promettaient, .sans se montrer aux fenêtres du Louvre, de jeter aussi leur coup d'oeil sur ce Paris, dont ils ne pou- vadent fouler que le seuil. Us pensaient pouvoir faire, à tour de rôle, cette excursion tentante. Des ordres avaient déjà été donnés pour que tous les hommes du corps d'occu- pation pussent venir loger et camper dans les Champs- Elysées, remplaçant, chaque jour, les troupes introduites la veille, et ayant passé la nuit dans Paris. Tous ces projets furent renversés par la rapidité avec laquelle l'Assemblée avait ratifié les préliminaires. La déception allemande fut vive. L'empereur fut particulièrement vexé de ce vote si prompt, qui le privait d'une orgueilleuse satisfaction qu'il .s'était promise. Il comptait personnellement entrer dans Paris, à la tête de la garde prussienne, et il avait ordonné une revue qui serait passée, dans les Champs-Elysées et au rond-point de l'Etoile, pour le lendemain vendredi 3 mars. A cheval sous l'Arc-de-Triomphe, Guillaume eût goûté la joie superbe d'être acclamé, dans Paris, par ses troupes fièrement alignées dans la capitale des Français. C'eût été, pour lui, le complément de la j)roclamation de l'empire d'Allemagne, dans le salon des Glaces, au Palais de Ver- sailles, la véritable cérémonie du sacre, son couronnement, par ses légions victorieu.ses, dans Paris vaincu.

Le vendredi 3 mars ne vit pas cette apothéose. Ce jour-là même, en vertu des conventions et du vote de l'Assemblée Nationale, dont le procès-verbal avait été remis la veille par Thiers, revenu de Bordeaux, l'ordre d'évacuation était donné aux troupes, et le mouvement de retraite com- mençait.

LE DIX-HUIT MARS ^ '

Derrifre le dernier escadron franchissant la Portc-Ma.llot, un nelolon de gendarmes français à cheval, tenant toute la l.riur de l'avenue de la Grande-Armée, au pas e a que - ,„; distance, fermait la marche, avant-garde de la tou e .«patiente qui suivait. Les gendarmes s arrêtèrent a la Porlc-MaiUot, dont le pont-levis, jeté sur les fosses des tort,fical.ons fut aussitôt levé derrière le dernier Prussien avec un fracas significatif. La foule avait gravi les talus et, du haut des remparts, accompagnait de huées, de cris, d'acclamations ironiques, le départ, peu triomphal, des triomphateurs. . ,

Paris respirait, reprenait courage, revivait sa vie Les magasins relevèrent leurs rideaux de fer, les devantures reprirent leur aspect habituel, les terrasses des cales se garnirent de leurs chaises et de leurs guéridons enlevés, les tts d'eau des fontaines, aux Champs-Elysées et à la Con- corde arrêtés pendant l'occupation, comme a 1 ordinaire jaillirent, et la population emplit de nouveau de sa rumeur affairée rues et boulevards.

Le cauchemar des deux nuits et des deux journées sinistres avait disparu, mais, la joie première du départ des Allemands satisfaite, la réalité reprit son impérieuse et menaçante obsession. Qu'allait-ou devenir.' Garderait-on la République? Faudrait-il, comme beaucoup le pensaient, faire le coup de feu pour la défendre?Qu-y avait-.l derrière l'écran mystérieux cachant l'avenir? l'incertitude pesait, comme un couvercle, sur la cité frémissante.

LIVRE VIII

LE PLAN DE M. THIERS

PARIS ET BORDE A UX DEPUIS LA PAIX

Au moment de l'entrée des Prussien dans le périmètre urbain dont l'accès avait été accordé, leg-ouvernement, l'as- semblée, les directions administratives, les autorités civiles et militaires se trouvaient loin de Paris. En cet instant cri- tique et douloureux, Paris avait été livré à lui-même. Il était devenu, de fait. Ville Libre. Paris s'était donc gardé et gouverné lui-même, étant comme abandonné par ses chefs, par ceux qui avaient l'autorité et la responsabilité. Ce n'est ni un reproche au gouvernement, ni un grief contre l'assemblée. Ces deux forces, ces deux moitiés de l'autorité française, au milieu du désarroi général étaient, par la force des choses, absentes; elles semblaient inexistantes, retenues à Bordeaux. Paris se sentait toujours aussi isolé de la province qu'à l'époque du siège. Pour la mentalité parisienne, et quand on emploie ce terme ou tout autre analogue se rapportant à l'agglomération séquanaise, il est entendu qu'on y comprend l'élément immigré, établi, accli- maté, fourni par tous les départements, la privation de gou- vernement est une éventualité qui paraît tellement inadmis- sible qu'elle confine à l'absurde et à l'invraisemblable. Pour

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LE DIX II OIT MAKS

le « Parisien » accoutumé aux lisières, s'en plaignant ou- ours maisne pouvant jamais s'en passer, c'était une ua-

tion anormale très inquiétante aussi que de se sentir en bert Chacun s'alarmait, comme un marmot égaré dans une ouie. H faut un bâton à Faveugle, et un gouvernè- rent à la population, dans la nuit d'événements comme Teu. du i-n^ars.On avait depuisl'enfancedepuisplus Ion

ncore par l'atavisme, acquis rhabitude delà lutelle^ Acco^ un a t-tre guidés, commandés pour les actes les plus é é- tumes a a e g ^^^^ ^^ l'existence privée,

mentaires de la vie puunH" „, t. \a n^n-îf^p

la collectivité, comme l'individu, ^'^^^'f^'ll-l^l'^^ ae se trouver brusquement dépourvus de 1 '^-^^^TZZ Commentse passer du Po^-ir-patron comman ant ou e supposé avoir tout prévu et pourvu atout? Cette absence d^ „aUre déroutait. Paris était alarmé, se voyant ingouverne^ L'inxiélé lé-itime que causait, dans toutes les classes de la popul principalement dans la classe possdane

a sTeri-approche des Prussiens, et leur sépur dans la ville firsurtout déplorer la privation de tout gouvernement^ Le coup de fusil fortuit, que M. Thiers redoutait devenant le signal d'une tuerie atroce et d'une miseà sac furieuse,han- taTaussilesimagiuations bourgeoises.Beaucoupdeceu. u^

réclamaient une audacieuse marche en avant de la garde na ioTale, afin de barrer le passage à l'armée d occupa- tion tremblaient intérieurement que les nsque-tout ne fussent pris au mot; on mourait de peur à la supposit on aueceuxTui conseillaient le calme pourraient ne pas être lou éllls le furent, et alors la détente et le soulagement Shtèrent les poitrines. Comme l'esprit populaire est tou- jours enclin à attribuer à une intervention positive, à un ZZr visible et acclamable,lesalutd'oùquilm vienne même quand il est issu visiblement de la situation, et qu .1 r,t"a lultante d'une volonté collective, on fit honneur à ce

IliSIUlUE DE LA COMJIUNE DE iS^I

Comité Central, de la veille, à peine formé, de la tran- quillité publique conservée et du péril évité. La reconnais- sance de la foule est souvent aussi peu méritée que sa haine. On savait qu'un comité, nouvellement organisé, avait pris la parole au nom de 2i5 bataillons qu'il affirmait repré- senter, pour déconseiller toute résistance à l'entrée des Prussiens, et qu'il avait été entendu. Donc ce Comité était une force ; il était le pouvoir dont on regrettait l'absence, le tuteur dont on était en peine. On était sauvé! Les sau- veurs étaient des inconnus, de petites g-ens, peut-être des illettrés et des incapables ? N'importe ! Ils avaient tenu le lang-ag-e nécessaire, et obtenu le résultat que l'on attendait du g-ouvernement et de l'assemblée, absents et muets. On était bien près de crier : vive le Comité Central ! puisque ce Comité-là avait tout remplacé, avait empêché un désastre et maintenait cette divinité tutélaire, qui semblait à tou.s indispensable : le gouvernement.

La fonction crée l'organe, dit la science moderne : le comité d'inconnus avait remplacé Thiers, Jules Favre et les autres Césars du moment. Il avait fait fonction de gouver- nement, à lui donc de gouverner I Let hinpe Coesar/ crie le peuple de Shakespeare au tribun Antoine proclamant qu'il n'y a plus de César. Tout, même un pouvoir dont on ne pouvait désigner par leurs noms ceux qui l'exenjaient, plutôt que pas de pouvoir ! c'était le cri des Parisiens. La population ne pouvait supporter quelques jours, quelques heures, la vacance de gouvernement. Ainsi la nature, selon les anciens physiciens, avait en horreur le vide.

Le Comité Central se trouva donc, par la force des choses, et par le consentement formel de quelques-uns, tacite du plus grand nombre, investi del'autorilé, durant les semaines d'attente qui suivirent l'entrée des Prussiens.jusqu'à la pro- clamation de la Commune de Paris.

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LE DIX-HUIT MAP.S

Ce comité fut un pouvoir, non pns occulte comme la dit faussement M. Tbiers, et comme l'ont répète soUemeot le publicisles d'alors, et aussi les historiens -^^sequents lif obscur et débonnaire. Il n'était pas occulte, puisque Te terme veut dire caché, alors que le Comit se montrait, pa rTrcbaque jour dans vin.t réunions; il f ^^^V?- .T^" nyme non plus, puisqu'il couvrait les murs de Pans d affi- ches portant les noms de ses membres.

Dès' le 4mars, il publiait le manifeste suivant expliquant son origine, notifiant à tous son existence, rendant compte avec un' légitime orgueil, de son intervention au moment de l'occupation prussienne :

Le Comité Central de la garde nationale ^^^^^^ ^^IX.Z_

266 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

mission provisoire nommée pour l'élaboration des statuts : c'était l'expression réelle de l'émotion ressentie par la population.

Quand la convention relative à l'occupation fut officiellement connue, le Comité Central, par une déclaration affichée dans Paris, eng^ao-ea les citoyens à assurer, par leur concours énergique, la stricte exécution de cette convention.

A la garde nationale revenait le droit et le devoir de protéger et défendre ses foyers menacés. Levée tout entière spontanément, elle seule, par son attitude, a su faire de l'occupation prussienne une humiliation pour le vainqueur.

Ce placard, bien qu'imprimé sur papier roiig-e, n'avait rien d'effrayant. II était plutôt conçu en termes rassurants, puisque les auteurs repoussaient « les calomnies tendant à l'accuser d'e.xcitation au pillage d'armes, de munitions, et à la guerre civile ».

Il répondait ainsi aux imputations et aux craintes, soi- gneusement entretenues à Paris, et exagérées à Bordeaux, que pouvaient faire naître la possession des canons sous- traits aux Prussiens avec la mise en état de défense de Montmartre, des Buttes-Chaumont et de quelques autres points, les canons se trouvaient déposés et gardés.

Ce terrible Comité fut cependant si peu entreprenant, si peu agressif, et l'on pourrait ajouter si peu révolutionnaire, que, pendant les trois semaines qu'il exerça le pouvoir, à la tête des bataillons les plus énergiques, ayant les hauteurs et les canons à sa disposition, de plus, respecté, obéi par la majorité de la garde nationale, il ne fit rien, pas même le Dix-Huit Mars.

Le Dix-Huit Mars, en effet, n'a qu'un auteur : Monsieur Thiers.

Cette insurrection, tout le monde en parlait et personne n'y croyait. M. Thiers seul pouvait la prévoir, puisqu'il la préparait, puisqu'il savait comment en provoquer l'explo- sion. Il est difficile de prouver l'existence d'un plan qui ne

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LE DIX-HUIT M*nS '

f„l hmais écrit, et que son auteur a voulu tenir secret. Ni à ; r ni Erne's t Picard, n,,nistre ^e n^^^^--"' ^ ^«^

nLl d'Aurellc de Paladines, investi du commandant :::J^eur de Vde nationale, ni le général Valent.n,

mmé préfet de^lice, trois jours avant le signal ducoup

:;:7o"ce'ne furent'tenus d'avance au courant des combina.

sins machiavélifTues de Tliicrs.

in" nsurreclTonparisiennesemblait possible sansdout,

et des précédents permettaient d'en concevoir éventualité T„.i, bien des raisonnements se présentaient à 1 e>pnt, qui r la- Tent écarter l'h.potb.se. ^^^^^J^^^^ parisienne ne semblait avoir m goût m intérêt a tenter une Eution. Elle était épuisée, appauvrie; elle «va. besom de se refaire des privations et des chômages du siège, elle devait prouver le désir de déposer le fusi et de reprendre Tout -de plus, elle possédait la forme de gouvernement anV^' aimait qu'elle voulait ; elle avait la République. Snt : qTet pourquoi se souléverait-elle . Sans doute cette RéDublinue était instable, et paraissait menacée Des hober au" imprudents et fanfarons, àBordeaux, parlaien t chaque instant de la supprimer. Mais c'était plus ac. e à énoncer qu'à réaliser, cette suppression. U y aura t peut- reune majorité parlementaire P^u-oter la decheaiice^ la République, comme on avait voté celle de la d nastie lapolLienne, mais alors il fallait rencontrer aussitôt une au re maiorité, pour restaurer la monarchie.

Laa^c le? l 'empire était, de l'avis de tous, impossible et la îrT érence queBismarck témoignaità ce régime n etai pa faite pour faciliter son', adoption. Serait-ce la ropu orléaniste ? Mais les vrais royalistes, les partisans entêtés de la légitimité repoussaient la fusion, et ne voulaient pas tvaillexpour la branche cadette. Pouva.l-on croire a une rTs uration de la monarchie traditionnelle, à l'avènement

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

de Henri V? Mais la bourg-eoisie, qui eût peut-être accepté la royauté constitutionnelle, « la meilleure des républiques », disait-on chez le banquier Laffite, après les journéesde i83o, n'avait que de la répulsion pour l'ancien rég-ime. Les orléanistes ne pouvaient se rallier au drapeau blanc; Henri V repoussait le drapeau tricolore, qui était à ses yeux le dra- peau de la Révolution. Si le peuple de Paris, recueillant les bruits et les menaces de la réaction, prêtant l'oreille aux forfanteries des adversaires de la République, estimait celle-ci en danger, M. Thiers, lui, savait que c'était une crainte exagérée et vaine, que la fusion était interdite, et que les ruraux de Bordeaux seraient bien forcés de suppor- ter la République, puisqu'on l'avait. On ne savait par qui la remplacer, etelle était le ré^'ime qui « divisait le moins », qui laissait à tous les partis l'espérance et tenait en haleine toutes les convoitises. Cependant, il ne cherchait pas à démentir, par des actes, par des faits, celte rumeur que la République était en danger. Cette crainte servait .ses dos- seins.

Ce qui prouve bien que, même parmi les membres de l'Assemblée, peu favorables à la démocratie, on ne croyait pas à l'imminence d'une révolution à Paris, c'est le nom- bre de ceux qui votèrent le départ de Bordeaux, et l'instal- lation à Versailles. S'ils avaient cru à l'explosion d'un Dix- Huit Mars, les ruraux eussent attendu, avant de siég-er à Versailles, et ne se seraient pas hasardés à venir se log-er à proximité des canons, et même des fusils des insurgés. Ils ne voulurent pas accepter Paris comme siège de l'Assem- blée, parce qu'ils redoutaient des surprises populaires, des échauffourées, des envahissements soudains, comme au i5 mai 48, dont le souvenir fut rappelé à Louis Blanc, au cours de la discussion. Ils consentirent à se rendre à Ver- sailles, parce qu'ils ne supposaient pas qu'ils s'y trouve

LE DIX- HUIT MAKS

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raient enfermés comme dans un camp retranché, à la smte a'un formidable soulèvement. Ils avaient admis qu .1 pou- vait se produire des troubles, des émeutes, à Pans, ma.s en .nème temps, ils se diraient que le gouvernement aurai ImptemL; raison de ces aventureuses re^belhons, comme !l avait facilement rétabli l'ordre au 3, octobre et au .2 jan- vier A Versailles, on ne ressentirait rien de ces secousses, ,,ue'les circonstances et l'état des esprits pouvaient faire prévoir, mais nullement redouter.

' Des fortes têtes de la réaction, soutenues par des noto- riétés du centre gauche et de la gauche modérée, taisaient ,„ème remarquer que, si les forces répressives dont on pouvait disposer, en ce moment, semblaient un peu taible la convention d'armistice n'ayant permis que le maintien sous les armes de la division Faron, environ '^•°;';^-^™;' avec des i;endarmes et la police.on pouvait toutefois comp- ter, comn« au 3, octobre, si une insurrection « a lumait sur les bataillons modérés, pour l'éteindre aussitôt En grande partie, la garde nationale se '^-"P-^'V n^"l's geois, de commerçants, d'emplovés, qui ne voulaient pas fe désordre, et, comme en juin 48, ces am.s de 1 ordre feraient avec ardeur le coup de feu sur les rouges, sur ceux nui voudraient établir la république socialiste.

L'assemblée nationale était donc rassurée, et, par ^bi voix contre .54 sur 58. votants, elle décida,dans la séance du .0 mars, de siéger à Versailles.La première séance fut lixée au lundi 20 mars. L'assemblée ne se doutait donc pas qu'elle allait au-devant d'une révolution, et que ses mem- îies ne pourraient pénétrer que par la brèche dans ce Paris, qui leur faisait à la fois peur et envie.

CALCULS ET PROVOCATIONS

L'Assemblée, et vraisemblablement aucun des person-

270 HISTOIRE OB LA COMMUNS DE 187I

nages mêlés aux événements, n'eurent la perception, ni même l'intuition du plan scélérat combiné par Thiers, et qui se trouva réalisé, mais avec des complications, des obstacles et des aggravations que le petit Machiavel n'avait pas prévus.

On peut aujourd'hui reconstituer ce projet, qui dépassa certainement par les difficultés de sa réalisation, et par une résistance qui n'avait pas été envisagée, les calculs et les prévisions de son auteur. Pour étudier ce grave et curieux problème historique de la préparation par Thiers de l'in- surrection qui éclata le Di.x-Huit Mars, djux principes doi- vent d'abord être énoncés.

Paris n'avait aucun intérêt à tenter une insurrec- tion.

Il avait des armes, sans doute, mais il n'était disposé à s'en servir que dans deux cas : si l'Assemblée tentait de renverser la République ou si les Parisiens se trouvaie nt provoqués par des mesures violentes ;

2" Thiers avait intérêt à susciter une insurrection.

Il ne la voulait ni très longue, ni très redoutable, mais suffisamment sérieuse pour alarmer l'Assemblée et le pays, pour persuader aux conservateurs qu'il avait sauvé la société en péril, et qu'il était seul capable d'opérer ce sauve- tage périlleux. Une émeute peu grave, mais suffisante pour motiver une répression extraordinaire, lui paraissait avan-. tageuse aussi, afin de se débarrasser des groupes et des individualités révolutionnaires. Elle lui serait utile encore pour faire reconnaître, par les républicains modérés et même par les avancés, tels que Louis Blanc, Tolain, que la République, comme ils la comprenaient, avait été en dan- ger, et qu'il l'avait défendue et sauvée de la démagogie et de l'anarchie. Grâce à lui, le corps social se trouverait pour longtemps purgé de ses éléments nocifs. Donc Thiers était

LE DIX-HUIT MARS

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le sauveur, l'homme providentiel, indispensable, et comme LouUXlV disait l'Etat cest moi. toute la France devraU iire la République c'est M. Thiers! L'oi-dre le travail, la propriété, tout cel c'est l'œuvre, le bienfait de Th.ers, le Napoléon de l'Empire Républicain !

Ces deux points admis, et .1 paraît difHcile, après 1 exa- men impartial des faits accomplis, que ce postu at soi de- Inti, o'u même contesté, toute l'explication de la conduUe de Thiers, depuis la paix jusqu'au premier combat du ravrili87..aupontdeNeuilly,devientclaire;elle est exph-

'T::t^i que, lorsqu'il combinait l'épuration des faluts trop républicains, et la consolidation d'une u bîqu très mod/réc. dont il demeurerait le chef incon- sté. Tliers n'avait pas prévu deux choses : d'abord 1 éten- du du mouvement insurrectionnel qu'il provoquait, et ensuite la résistance opiniâtre et terrible de ces insurges, ;«• ! pensait écraser sur quelques barricades, éleve^ dans les faubourgs, mal défendues et rapidement enlevées.

I ne pouvait non plus supposer que sa victoire sur les républicains avancés serait s. forte, si décisive, quelle ras- surait et encouragerait les monarchistes, au point que, ivrés de toutecrainte du côté des hommes d'action etdes rnassesarmées, ils chercheraient à renverser la République. rtTouryparv;nlr,commenceraient parle renverser.lui, son

p;Leril n'est pas le premier l^l'^i-.-^r;' .^r,?C Lulement provoquer un léger orage, ait déchaîné la tem- pêt U sera'it exagéré de prétendre que Th.ers avait corn- fa t prévu, dès Bordeaux, sa rentrée dans Pans fumant s^r :n'monceau de cadavres, après un -mbat acharné de deux mois. Il n'eût pas risqué son coup de force s .1 av^t été certain qu'il dût être suivi d'une révolution terri- bk II n'envisagei pas un instant l'hypothèse périlleuse de

272 llISTûmE DE LA COMMUNE DE 187I

tout Paris en armes, niarchaot sur Versailles, et l'occupant, ce qui serait arrivé, si, le 20 mars, le Comité Central avait eu l'intelligeace de la situation, et aussi s'il avait possédé l'énerg-ie révolutionnaire. Tliiers voulait seulement désar- mer la garde nationale, lui enlever ses canons, ses fusils et aussi son organisation, son rôle de force armée indépen- dante. Au point de vue gouvernemental, pour le rétablis- sement de la tranquillité publique, pour le recouvrement du crédit indispensable à la libération, si désirable, du territoire, il n'avait pas entièrement tort, mais est-il e.xcu- sable d'avoir écarté cauteleusement toute possibilité de transaction et d'apaisement? N'esi-il pas coupable d'avoir combiné tous les éléments d'un incendie, pour avoir la gloire de l'éteindre ? Il s'est débarrassé, grâce aux flammes par lui allumées, de tout ce qu'il jugeait nuisible à son pou- voir, de tout ce qui faisait obstacle à la république constitu- tionnelle, l'orléanisme sans un prince d'Orléans, la seule forme gouvernementale qu'il comprît, dont il poursuivait, avec ténacité, l'établissement. L'Histoire doit répondre qu'il fut criminel, en provoquant, par tous les moyens à .sa dis- position, une insurrection, pour la réprimer ensuite. Les souvenirs de i848 le guidaient : il avait déjà proposé vai- nement, au 24 février, de sortir de Paris avec l'armée, pour y rentrer victorieux, et il savait que Cavaignac, en juin, avait laissé grandir l'émeute pour motiver une répression impitoyable.

Ce serait une opinion fausse, et un jugement téméraire, que de croire qu'il voulut seulement asseoir sa domination et perpétuer son pouvoir. L'ambition personnelle fut secon- daire dans la conception de son plan. Thlers pensa et agit comme les sectaires fameu.\. lient alors l'âme d'un Torque- mada et la doctrine d'un Mnrat. C'était pour le bien des Parisiens qu'il pointait sur eu.x les canons. Il croyait sau-

LE DIX-HUIT MARS 278

ver la société, servirson pays, et mettre la République bour- g-eoise et modérée, son idéal, sa relig-ion, hors des atteintes des hérésiarques du socialisme, des schismatiques de la monarchie. Les g^rands inquisiteurs et les grands terro- ristes brûlaient et guillotinaient ainsi pour le salut des âmes, pour le salut public. Thiers bombarda, fusilla et déporta les républicains pour le salut de la République. Son plan fut conçu dans le secret de son cabinet, avec l'impla- cable sérénité d'undespote, et exécuté aveclacruauté inexo- rable d'un fanatique. Il se donna la mission d'un extermi- nateur. Les circonstances servirent ses desseins. Les événe- ments toutefois dépassèrent ses calculs.

Trois données principales composaient le problème qu'il voulait résoudre: le désarmement ; la répression; l'or- ganisation de la République modérée, libérée de la double crainte des monarchistes et des socialistes. Pour le résoudre il concevait trois opérations : une provocation ; un refus de toute conciliation ; l'intervention brutale de la police et de l'armée. Ensuite il serait maître de la situa- tion, et l'Assemblée Nationale voterait tout ce qu'il lui de- manderait. Il en serait diflféremment si la population pari- sienne demeurait calme sous les provocations, et se laissait désarmer, menacer, museler, sans résistance. Alors il ne pourrait longtemps se camper en sauveur. On oublierait probablement .ses services assez rapidement. Il n'aurait pas le prestige du Saint-Georges ayant terrassé l'hydre de l'a- narchie. Il laisserait dans les faubourgs de dangereux fer- ments de haine et de révolte. On lui rendrait le gouverne- ment diflicile, sinon impossible. Les parlementaires de la gauche, craignant les attaques des révolutionnaires, devien- draient d'autant plus audacieux en paroles, en ordres du jour do réunions publiques, en manifestes imprimés, qu'ils auraient été timides dans l'action. Ils accentueraient leurs

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ISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1S7I

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revendications et leurs prog^rammcs, pour conserver leur popularité. Les monarchistes, de leur côté, ne croyant plus au danger h gauche, s'orienteraient entièrement à droite, et avec l'appui du parti clérical, s'efforceraient de lui créer des obstacles, l'empêcheraient d'organiser la république cons- titutionnelle et bourgeoise qu'il rêvait, qu'il estimait être la seule possible. Une insurrection dont il aurait raison lui était indispensable pour garder l'équilibre, pour tenir le gouvernail entre Cbarybde monarchique et Scylla révolu- tionnaire. Il fallait encore que Paris fît une tentative insur- rectionnelle assez sérieuse, que la province désapprouverait qu'elle ne comprendrait pas, qui l'irriterait aussi, et l'ef- fraierait dans les circonstances présentes. Autrement il ne pouvait répoudre de l'avenir, et la Révolution, qu'il avait une occasion favorable et exceptionnelle de désarmer pour longtemps, gagnerait du terrain, soulèverait les départe- ments. Ce seraient les ruraux, comme un insolent avait qualifié les représentants des départements, qui s'insurge- raient et on en viendrait moins facilement à bout. Donc il fallait' pi-ovoquer les Parisiens, et le plus tôt possible.Il con- venait d'avoir pour cela les députés sous la main, d'être sur place et de s'affranchir de l'inconvénient des allées et venues entre Paris et Bordeaux. Il y aurait eu trop grande difficulté à manœuvrer avec un gouvernement scindé en deux, obligé d'être à Bordeaux pour diriger l'assemblée, et à Paris pour conduire les affaires.

M Thiers, dans sa déposition à l'Enquête, a révélé cette phase préliminaire de son plan. On remarquera qu'il parle d'une lutte terrible menaçante,alors que rien dansl'altitude de la population, ni dans les déclarations du Comité Cen- tral n'en pouvait signaler la préparation, ou même le désir.

Aussitôt après la signature de la paix, je vis que nous aurions

LE DIX-HUIT MARS

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una lutte terrible à soutenir, contre les gens de toute sorte accu- mulés dans Paris.

Pendant qu'à Bordeaux nous nous occupions de faire voter le traité, le ministre de la Guerre, général le Flô, reçut l'ordre d'acheminer les troupes sur la capitale. On m'écrivait tous les jours : il n'est pas possible, à la distance vous êtes, de livrer bataille à une foule furieuse. L'Assemblée à Bordeau.x est trop loin, il faut la rapprocher de Paris. Je n'eus jamais l'idée de faire rentrer immédiatement l'Assemblée dans Paris. A ceux qui étaient d'avis de la ramener sur-le-champ, et ils étaient nombreu.\, je répondais: « Nonl tant que Paris sera dans cet état, je ne pro- poserai pas à l'Assemblée d'y revenir, parce que je prévois des événements redoutables. Seulement je lui donnerai le conseil de s'en rapprocher autant que possible. >> Plus les symptômes d'une inévitable journée se révélaient à moi, par les correspondances que je recevais, plus j'étais convaincu qu'il fallait se transporter au milieu même des événements.

[Enquête parlementaire sur le tS mars, éd. citée, p. lai.)

Prédire une insurrection , quand on est chef d'Etat, c'est la suggérer. En se montrant alarmiste, M. Thiers ne se con- tentait pas de prévoir un soulèvement parisien, il précisait le caractère de la lutte, il l'annonçait comme devant être inévitable et furieuse. Mais il faut remarquer qu'il parlait ainsi après les événements, au mois d'août 71, et qu'il révélait seulement alors ses craintes, ses intentions,ses espé- rances, du mois de mars. Lorsqu'il se conteatait de deman- der à l'Assemblée de revenir auprès de Paris, non pas dans un but stratégique, mais uniquement pour la lionne et prompte expédition des affaires, il s'efforçait de cacher le spectre de la guerre civile, il .se bornait à indiquer qu'il saurait maintenir l'ordre, avec l'aide de l'armée et des bons citoyens .

Devant la résistance, l'Europe s'est étonnée, l'Europe a admiré et tous les amis de la France ont relevé la tête. Je ne saurais

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

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èlre ingrat pour cette grande population qui relève la France .ux veux du monde entier {applaud.). Il n'est pas vra, de d. e "Paris ait toujours été la cause des révolutions :.l en a cte 'eîhéltre plutôt. Je ne saurais être ingrat envers Pans, a q.u do s touf ; Paris a fait des taules, il les paye d'un pnx très cher une grande émotion s'est emparée de la popu afon de Pars, à la suite de l'évacuation desPruss.ens. Ehb.en ! ce mou- vement, qui n'avait rien de coupable à lor.gme, pmsqu .1 eta t dH^f outre les Prussiens, a dégénéré en une attUude coupable eUactieuse mais nous espérons pouvoir ramener les hommes égirés et1;iter la guerre civile... (Assemblée Nationale. Séance du 10 mars 1871.)

Onvoitladifférencedcsdeux lanj^açes: à Bordeaux.avant le Dix-Huit Mars, M. Thiers fait l'éloge de Pans, et ditqu il espère « éviter la guerre civile «. Six mois après, devant la commission d'enquête, 11 déclare qu'il cousidéraU,dès cette époque la guerre civile comme « inévitable ,>.0n doit voir dans ce correctif rétrospectif à son optimisme d'antan, un commencement d'aveu de son détestable plan.

Il avoue, en août, qu'il était certain en mars que la guerre civile devait éclater procliainement. C'est reconnaî- tre qu'il la préparait dès cette époque. Pourquoi n'a-t-ilpas dit à l'Assemblée que l'insurrection allait éclater, si telle était alors sa croyance? Parce que l'Assemblée sera.t restée à Bordeaux,et qu'il avait besoin d'être avec elle à Versailles. C'était le point de départ de sa straté-.e.

L'Assemblée, au n mars, ayant accédé au dcsir du chel du pouvoir exécutif et décidé de siéger à Versa.lles,c' est-a- dire à une heure de Paris, M. Thiers se trouvait en mesure de poursuivre et de hâter la réalisation de son plan. Deux mesures de provocation directe étalent déjà prises qui devaient en marquer le début, et précipiter les événements.

LK DIX-HUIT MARS *77

NOMINATION DU GÉNÉRAL D'AURELLE DE PALA- DINES

M. Thiers avait répondu à la déclaration du Comité Cen- tral que la garde nationale entendait nommer tous ses chefs, cette prétention était contestable, mais le moment était-il bien choisi, si l'on avait voulu apaiser et non irriter, pour riposter par une nomination qui, certainement, serait mal accueillie? en donnant le commandement supérieur des gardes nationales au général d'Aurelle de Paladines. Le Mot d'ordre du 7 mars fit suivre la publication du décret des réflexions suivantes :

Le Journal Officiel a enresistré la nomination du général d'Aurelle de Paladines au commandement de la garde nationale. Ses litres ? Les voici : Brutal jusqu'à la cruauté ; d s'est toujours fait détester de ses soldats. Général, il laissa à Orléans ses di- vers corps dans l'isolement, sans ordres ; il la.ssa ceux qui s a- vançaient livrés à leur hcroisme ;il laissa les mar.nsseals dé- fendre leurs pièces ; il fit couper les ponts charges de soldats, dont on retrouvait ensuite les cadavres ensevelis dans la glace, et il se retira au moment où, du haut du plateau d Aatod, Pans lui tendait la main. Député, il s'est signalé déjà en se permettant de rappeler aux convenances, dans les bureaux de I .\ssemb.ce, un député réi-ublicain de l'Alsace, qui revendiquait pour I Alsace l'appui de la France. ,

Voilà l'homme que nous envoient, d un commun accord, les réactions légitimiste, orléaniste, et surtout cléricale.

(le Mot d'ordre. Henri Rochefort, du 11 mars 1871.)

Le journal républicain exprimait les sentiments de la population . Ce général n'était pas sympathique, et sa nomi- nation constituait comme un défi h l'opinion, une menace envers la garde nationale. Cette première provocation fut suivie d'une autre, l'apposition d'une affiche comminatoire, dans laquelle le gouvernement faisait allusion à 1 enk-ve-

2-8 UISTOIRB DE LA COMMUNE DE 187I

ment des canons, et annonçait la nomination du nouveau général. Le gouvernement précisait son intention de lutter, et faisait appel « aux bons citoyens ».

Les faits les plus regrettables se sont produits depuis quelques jours, et menacent gravement la paix de la cité. Des gardes na- tionaux en armes, obéissant, non à leurs chefs légitimes, mais à un Comité central anonyme, qui ne peut leur donner aucun ordre sans commettre un crime sévèrement puni par les lois, se sont emparés d'un grand nombre d'armes et de munitions de guerre, sous prétexte de les soustraire à l'ennemi dont ils redoutaient l'invasion. Il semblait que de pareils actes dussent cesser après la retraite de l'armée prussienne. Il n'en a rien été : ce soir le poste des Gobelins a été forcé, et des cartouches ont été pil-

céux qui provoquent ces désordres assument sur eux une terrible responsabilité : c'est au moment la ville de Paris, dé- livrée du contact de l'étranger, aspire à reprendre ses habitudes de calme et de travail, qu'ils sèment le trouble et préparent la guerre civile. Le gouvernement fait appel aux bons citoyens pour étoull'er dans leurs germes ces coupables manifestations.

Que tous ceux, qui ont à cœur l'honneur et la paix de la cite se lèvent ; que la garde nationale, repoussant de perhdes insti- gations, se range autour de ses chefs et prévienne des malheurs dont les conséquences seraient incalculables. Le gouvernement et le général en chef sont décidés à faire énergiquement leur devoir, ils feront exécuter les lois; ils comptent sur le patrio- tisme et le dévouement de tous les habitants de Paris.

De son côté, le général, prenant possession de son com- mandement, le notifiait, en ces termes menaçants, à la population :

Le président du Conseil des ministres, chef du pouvoir exécutif delà République française, vient de me confier le commandement supérieur de la garde nationale de la Seine .

Je sens tout le prix d'un tel honneur. 11 m'impose de grands devoirs : le premier de tous est d'assurer le maintien de l'ordre et le respect des lois et de la propriété.

LE DIX-HUIT MARS

279

Pour réussir, j'ai besoin du concours de tous les bons citoyen». Je fa"s donc appel au patriotisme de la garde nationale et de tous

Pendant 1; siège de Paris, elle a partage avec l'armée la gloire et le p rils de la défense ; c'esl à elle, dans les douloureuses c.r- :inslances que nous traversons, de donner 1 exemple des vertus civiques, et à moi de la diriger dans ses nobles efforts

Ma règle de conduite sera lajustice, le respect des droits acquis, et de tous les services rendus. „„„;i,i-. i»q

Il est nécessaire que le travail répare, le plus tôt P0^^>1^'«. >«;_ malheurs de la guerre. L'ordre seul peut nous -•"_^7; ^ ^^f ;^ périlé. J'ai la ferme volonté de réprimer avec énergie tout ce qui pourrait porter atteinte à la tranquille cite.

Ces menaces oratoires furent suivies d'un acte violent seconde et plus sérieuse provocation. Thiers s'en prenait à la presse. C'est toujours le premier acte des pouvoirs désireux d'affirmer leur force, la suppression des journaux d'opposition. Thiers se souvenait des ordonnances de juillet. Il avait rédi-é la protestation qui appela le peuple aux armes. Seulement, cette fois, c'était lui qui était Poli- ^nac.

JOURNAUX SUPPRIMÉS

Le général en chef de l'armée de Paris, en vertu de l'état de sié-e exerçant les pouvoirs nécessaires au maintien de Tordre et de la police, et sur l'avis du gouvernement, prit l'arrêté suivant :

\ttendu qu'il n'y a pas de gouvernement libre possible, lorsque cha.iue jour, impunément, des feuilles publiques, répandues à profusion, prêchent la sédition et la désobéissance aux ois que la République ne peut cire fondée que par le respect des droits de tous, ro.-d,-e et le travail ; que l'ordre et le travail ne peuvent e re rétablis tant que de pareilles publications seront tolérées ; que les journaux ci-dessous désignés ne cessent de provoquer directe-

îSo HISTOIRE DE LA COMMUNE DE iSyl

ment à l'insurrection et au pillage ; qu'il est du devoir du gou- vernement, dans les circonstances exceptionnelles se trouve la France, d'user des droits que lui donne l'état de siège ;

Arrête :

Art. ler. La publication des journaux : le Vengeur, le Cri du Peuple, le Moi d'Ordre, le Père Dachcne,la Caricature, la Bouche de Fer, est et demeure suspendue.

Art. II. La publication de tous nouveaux journaux et écrits périodiques, traitant de matières politiques ou d'économie sociale, est interdite jusqu'à la levée de l'état de siège par l'Assemblée nationale.

Art. m. Le préfet de police est chargé de l'exécution du pré- sent arrêté.

Le général en chef de l'armée de Paris ; Vinoy.

Un des journau.x frappés, le Cri du Peupla, de Jules Vallès, protesta contre les accusations portées par le géné- ral Vinoy, pour paraître justifier la suspension. J.-B. Clé- ment, l'un des rédacteurs du Cri du Peuple, disait que, « bien loin de prêcher la g'uerre civile, ce journal s'était efTorcé de prouver que, la réaction la recherchant, le peu- ple devait l'éviter », car elle ferait l'affaire de cette réaction. Il ajoutait : « Le décret que Vinoy invoque porte la signa- ture de l 'ex- impératrice. Le 4 septembre a passé là-dessus, et l'Assemblée vient de voter la déchéance de l'empire. »

Cette dernière remarque pouvait avoir une importance politique, elle n'avait aucune valeur juridique. Tant que les lois et décrets ne sont pas formellement abrogés, ils conservent leur autorité. Les républicains, sous l'empire, étaient poursuivis en vertu des lois des 5 et 6 juin i848, sur les attroupements, lois de la République par consé- quent. Mais ce qu'il est intéressant de relever dans la pro- testation du Cri du Peuple, organe très populaire, au tirage important, c'est l'avertissement donné à ses lecteurs que la réaction cherchait la guerre civile (J.-B. Clément

LB DlX-nUIT MAHS

ignorait alors que Thiers fût surtout celui qui désirait la guerre civile), et aussi le conseil formulé de l'éviter. 11 est évident que si les Parisiens organisaient la « sédition », comme disait Vinoy, à l'instigation des journaux, le Cri du Peuple eût libellé autrement sa protestation. Il n'eût pas cherché à décourager les futurs insurgés. Il ne se fût pas indigné quand le général l'accusait de provoquer à l'insurrection. Il eût trouvé une autre formule qu'un éner- gique désaveu, pour répondre à l'arrêté de suspension, et tenir sa clientèle en haleine, dans l'attente du signal de la prise d'armes.

L'Opinion Nationale, journal modéré, qui n'était pas dans le complot thiériste, hlâma en termes mesurés l'ar- rêté de Vinoy, général destiné, et malgré lui sans doute, au rôle d'éditeur responsable. M. Guéroult disait notam- ment : c'est aux tribunaux, et non au gouvernement qu'in- combe la répression, .sans quoi les critiques les plus fon- dées pourraient bientôt devenir un « crime contre la société, contre l'ordre de choses établi ».

C'éUit donc l'état de siège, prolongé après le départ des Prussiens, c'était l'arbitraire faisant loi, c'était surtout la liberté de la presse supprimée, qui signalaient le nou- veau régime, inauguré par Thiers : c'était un don de joyeux avènement. Il y avait vingt raisons pour exciter Paris, pour provoquer un soulèvement, pour faire descendre dans la rue ces insurgés, que Thiers espérait, qu'il guettait comme un chasseur à l'affût.

LA LOI DES ÉCflÉA.XCES

Paris cependant s'obstinait à demeurer calme. Il semblait sourd aux menaces, et inditVérent aux outrages, que les agenU de Thiers lui prodiguaient, par ordre. Il convenait

UISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1S7I

de surexciter davantag'e les Parisiens, pensa le chef du gou- vernement. L'attribution du commandement de la garde nationale à un chef antipathique, c'était bien ; la suppres- sion de la liberté de la presse, et la suspension de six journaux républicains, c'était mieux; mais il fallait plus encore, pour émouvoir cette population qui semblait en- gourdie, qui se montrait si peu disposée à riposter à tant de provocations. Par expérience, il savait que l'irritation de la classe ouvrière ne suffisait pas à susciter une émeute, et qu'il était nécessaire d'y adjoindre le mécontentement de la classe moyenne, des petits commerçants, des em- ployés, en se ménageant, autant que possible, les bonnes dispositions de la bourgeoisie aisée. Alors il fit proposer deux lois vexatoires, et dans des circonstances particuliè- rement odieuses, celle visant les loyers en retard et à cou- rir, et celle sur les échéances des effets de commerce, billets à ordres et factures.

La loi sur les échéances constituait le plus grand péril commercial, en même temps qu'elle atteignait des particu- liers, souscripteurs de petits effets à des fournisseurs, ou débiteurs de factures en retard. Elle était ainsi conçue, dans ses dispositions principales :

Les effets de commerce souscrits avant ou après la loi du 13 août 1870 (qui avait justement prorogé les échéances à raison de la guerre), venant à échéance après le 12 avril 1871 ne joui- ront d'aucune prorogation, et seront exigibles. Les ctFels de com- merce souscrits du 13 août au 12 novembre 1870 seront exigi- bles, avec les intérêts, date pour date, sept mois après l'échéance fixée.

Quant aux effets échus du i3 novembre 1870 au 12 avril 1871, ils devenaient exigibles, date pour date, du i3juin au 12 juillet.

C'était la ruine et la faillite en perspective pour tous les

a83

LB DIX-HUIT MARS

débiteurs gênés. Les porteurs d'effets de commerce étaient sans doute, désireux de recouvrer leurs fonds, mais saut des cas particuliers et fort rares, ces effets n'étaient p us entre les mains de leurs bénéficiaires; les banquiers, es escompteurs, et principalement la Banque de France, les avaient en portefeuille. La rentrée des fonds dans les ban- ques était lé-ilime assurément, mais ne pouvait avoir un caractère d'extrême urgence, et de nécessité absolue. Au contraire, les souscripteurs de ces effets,qui avaient pris des engagements, sans prévoir la guerre ou sa prolongation, se trouvaient dans l'impossibilité à peu près générale de les tenir. Il n'v avait eu ni affaires, ni travaux, m recettes, ni salaires, pendant le siège, et le chômage ainsi que l'ab- sence de bénéfices et d'émoluments duraient encore, au moment l'on déclarait les effets prorogés exigibles. Le report en juin et juillet des effets souscrits durant les mois d'investissement était insuffisant.

De nombreuses protestations, émanant de groupes com- merciaux, s'élevèrent. « Si la loi était maintenue, nous serions tous, ou à peu près, disait un de ces manifestants, à la veille de perdre notre position, notre honneur. » Un autre manifeste contenait ces justes récriminations :

la loi sur les effets de commerce, qui vient d'être volée à Bordeaux, n'est pas promptemenl, immédiatement modifiée, rap- porlée, ou refaite, après enquête, par des gens qui se seront donné la peine d'écouter les vrais commerçanls, la France va être couverte de faillites.

Ouoi ! alors qu il a été reconnu que, depuis sept mois, le com- rncï-ce a été absolument paralysé, le commerçant va cire obhge, subitement, avant que les affaires aient pu reprendre, lorsque les communications ne sont pas rouvertes, quand rien ne lonc- lionne encore de ce qui est la vie commerciale, de payer dès dem.iin, ce qu'il a été déclaré déjà impuissant à payer, il y a sept mois, à une époque où, relativement, sa situation était moins chargée, moins malheureuse !

284 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Il sera obligé ensuite de payer de mois en mois, à des termes qu'il n'a pu choisir en vue de ses rentrées, dans des mois de vente morte, dans des mois d'été, des échéances qu'il avait réser- vées pour les époques de grande vente. C'est un non-sens, égal à celui qui exigerait de l'agriculteur livraison de ses blés avant qu'ils ne soient levés.

Il y a mille objections à faire à cetteloi.MM. Thiers et Dufaure, avertis par la voi-\ publique, aimeront mieux, nous n'en doutons pas, revenir sur une erreur, que de la consacrer par la ruine de l'industrie française.

L'Opinion Nationale, tout acquise à la politique du gouvernement et à la personne de M. Thiers, faisait suivre le commentaire de la loi des échéances de ces réflexions sévères :

M. le chef du pouvoir exécutif et MM. les ministres doivent, à moins de cécité complète, être enfin frappés de tout ce que la loi votée le H mars à Bordeaux contient de désastres pour les tran- sactions, de ruines pour la production, de chômages pour le tra- vail, de cataclysmes pour la politique.

Il y a danger public, péril grave et imminent, si cette incroya- ble loi n'est pas abrogée, et remplacée par une loi humainement exécutable, d'ici aux premiers jours de la rentrée de l'Assem- blée.

Un comité de commerçants, fabricants et négociants, au nombre de plus de i.ooo, sous la signature de son secré- taire M. Alfred OUive, publiait également une protestation vigoureuse. Elle contenait notamment cette curieuse et affligeante remarque :

La guerre a fait cesser toutes transactions, la guerre a inter» compu tous rapports avec la province et l'étranger, un com- merçant s'est vu contraint, par suite de ce cas de force majeure, de profiter du délai accordé le 13 août et successivement renou- velé, jusqu'au 13 mars courant. Or, pendant les six mois qui viennent de s'écouler, la vie commerciale a été totalement sus-

I.E DIX-HUIT MARS

i;p„ ae recevoir, ce commerçant a dépenser 11 a

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■"^'c^^f ÏS^uSfÏsire. il faut voter cette loi inique, irréfl.- "^l r^^i::'or;eut ra«.rmir le crédit, si on veut sauver la situation, il faut accorder du temps.

On ne voulait ni raffermir le crédit, ni sauver la situa- tion ml exaspérer les commerçants, les employés, dans ' spoMue cett'e classe moyenne, sans aller toutelo.s jus- an une prise d'armes, dont la détourna.ent son tempe- Tmen s s habitudes prudentes, sa timid.té et son res- ^;;:;;îLredesJetdesatttoritésétaldies,^^^^ verait les résistances révolutionnaires. Peut-être les plus

dlLlinés de ces mécontents y V^^^^^^^^'^^r^ par conséquent Tinlervention armée, jus thant la répres !lon cherchée. Le gouvernement fit donc la sourde oretlle.

286 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE ; 87 1

et la loi de Dufaure fut maintenue, malgré les protesta- tions (les intéressés, et malgré l'affirmation populaire « qu'elle était désastreuse et inique ».

Le plan conçu par Thiers se déroulait méthodiquement. Les ministres Dufaure et Jules Favre avait été pressentis, et leur adhésion se manifestait. II ne pouvait y avoir de doute pour Dufaure que la loi des échéances qu'il proposait, qu'il faisait voter, exciterait, en l'accablant, la population commerçante de Paris. Ernest Picard était aussi entré dans la pensée de Thiers en supprimant les journaux. Jules Favre parut bien la comprendre quand il indiqua, comme une mesure urg-ente et utile, la reprise des canons de la garde nationale.

Il écrivait, huit jours avant la tentative du i8 mars, en félicitant Thiers de sa nomination comme chef du pouvoir exécutif :

Paris, 10 mars, minuit.

Cher président et ami, le Conseil vient de recevoir avec une grande joie la bonne nouvelle du vote de l'Assemblée.

Ce soir, nous avons arrêté la suppression de cinq journaux, qui prêchent chaque jour l'assassinat : le Vengeur, le Mol d'Or- dre, la Bouche de Fer, le Cri du Peuple, la Caricature.

Nous sommes décidés à en finir avec les redoutes de Montmar- tre et de Belleville, et nous espérons que cela se fera sans eft'u- sion de sang.

Ce soir, jujjeaut une seconde catégorie des accusés du 31 octo- bre, le conseil de guerre a cond.nmnc par contumace Flourens, Blanqui, Levraud, à la peine de mort, Vallès, présent, à six mois de prison.

Demain matin, je vais à Ferrières m'entendre avec l'autorité prussienne sur une foule de points de détail.

LA LOI DES LOYERS

A la provocation directe s'adressant aux commerçants, fabricants, petits industriels, en attendant la provocation

LE DIX-HUIT MARS

287

décisive à la garde nationale, et derrière elle à la Républi- que que les citoyens armésjugfeaieat menacée, et qu'ils vou- hient être à même de défendre en gardant fusils et canons, succéda une nouvelle mesure, également désastreuse, englobant toute la population non aisée, et même la partie de la petite bourgeoisie, qui n'avait ni travaillé m encaissé durant le siège. Ce fut la menace de la loi dite « des

"^EllVne fut pas votée à Bordeaux, mais le dépôt du pro- jet en fut annoncé. Les termes en étaient de nature à effrayer la grande masse des locataires pauvres ou gênes. La simple divulgation des intentions de l'Assemblée de Bordeaux, que l'Assemblée de Versailles transformerait, dès son arrivée, en loi exécutoire, suffisait à indisposer les trois quarts des Parisiens. Cette loi constituait le plus inten- sif élément de troubles. Elle a suffi d'ailleurs à entraîner vers la Commune une quantité de gens paisibles, nulle- ment révolutionnaires, se voyant sur le point d'être saisis, expulsés. La révolution ajournait le paiement impossible, empêchait la saisie, les sauvait. Donc ils laissaient faire la Commune. Beaucoup de ces locataires gênés, qui eussent peut-être combattu le mouvement, tout au moins par leur abstention, le favorisèrent, puisque, grâce à lui, la proro- gation des échéances et des loyers, refusée par le gouver- nement versaiUais, se trouvait déjà obtenue par le tait de l'insurrection, serait sanctionnée par le gouvernement pan-

^'^La remise totale des loyers courus pendant le sièare était excessive, et eût été injuste. Les charges et les ruines issues de la guerre ne devaient pas être supportées par une seule catégorie de citoyens, par les propriétaires, mais, d'un autre côté, si les locataires étaient tenus de payer, sans aucune réduction, tout ce qu'ils eussent versé à leurs

HISTOIKE DE LA COMMUNK DE 187I

propriétaires en temps normal, ces derniers se trouvaient favorisés ; eux seuls, présents ou absents, ne s'apercevraient pas qu'il y avait eu invasion, sièg-e, chômaa^-e, suppression du travail, interruption des affaires ou privation générale des revenus, recettes et salaires. L'appréhension de cette loi inégale, favorisant les riches au détriment des pauvres, fut un des grands facteurs de la désaffection qui atteignit l'As- semblée Nationale, et de la facilité avec laquelle la majorité de la population accepta la révolution du i8 mars. Sans ces deux lois, l'indifférence ou même la satisfaction générales qui accueillirent la fuite de Thiers et l'arrivée d'un gouver- nement nouveau seraient étranges et ine.xplicables.

LES CANONS DE MONTMARTRE

Bismarck avait formulé, durant l'attente de la reddition de Paris, la théorie de « l'heure psychologique ». Il indi- quait, par cette expression doctorale, le moment critique Paris, à bout de forces, devrait succomber, la ville épui- sée serait à sa discrétion. L'événement avait justifié sa perspicacité et réalisé ses prévisions. M. Thiers, pareille- ment, avait calculé le temps qui lui était nécessaire pour se consolider suffisamment, pour rassembler quelques trou- pes, et pousser la population parisienne à bout, de façon à provoquer un soulèvement, et à motiver son coup de force, suivi de la sanction qu'il rêvait : l'épuration de Paris par le massacre et la déportation. Ce châtiment exemplaire des Parisiens révoltés devrait inspirer une terreur générale et salutaire : les quelques villes existaient des groupes turbulents, des velléités de rébellion, se trouveraient aver- ties. Si elles bougeaient, on les soumettrait à l'épuration, comme Paris. L'ordre ne tarderait pas ù régner dans toute la France, ainsi qu'autrefois en Pologne, Varsovie châtiée.

!.E DIX-IIUIT MAHS

Le plan de Thiers comportait ainsi plusieurs étapes, avant J'alleindre le but final. La stratég^ie nécessaire à son succès exig-eait des travaux d'approche. On doit recon- naître successivement l'ouverture de ces « parallèles », per- mettant d'arriver au corps de place : un général imposé à la iJi'arde nationale, la suppression de la lilierté de la presse, la juridiction etles lois del'ctat de siètife remises en vig^ueur, les deux lois ruineuses et vexatoires sur les échéances et les lovers. Il fallait aller plus avant encore. Le désarme- ment de la g-arde nationale, préliminaire indispensable de l'établissement de la république thiériste, était au bout de ces circonvallations. En faisant raine de retirer aux gardes nationaux leurs canons, les fusils partiraient tout seuls, ce qui permettrait de s'en emparer avec violence et d'orga- niser la terreur tricolore. Ainsi, provocation à la résis- tance, puis le combat et la répression, voilà les trois degrés sur lesquels Thiers devait monter pour arriver à la dicta- ture parlementaire qu'il convoitait, qu'il jugeait sincère- ment la nieilloure forme de gouvernement pour la France. Cherchant à s'emparer des canons que les gardes natio- naux s'obstinaient à vouloir conserver, on devait provo- quer une émotion considérable, et si l'on s'y prenait habile- ment, l'agitation deviendrait émeute. Seulement l'habileté, ici, consistait à agir maladroitement. Rien de pis ne pou- vait survenir, pour déranger le plan, que l'enlèvement des canons sans résistance, sans qu'il y eût de sang versé, sans un prétexte à vaincre une insurrection. L'opération, dans certaines conditions, était relativement facile. Il fallait qu'elle parût, sur le moment, impossible. La plus cruelle déception que la garde nationale pût infliger à Thiers eût été do restituerbénévolement les canons et de procéder, par un accord entre le Comité central et le gouvernement, à un désarmement partiel, et ensuite à la réorganisation pacifi- I '9

ago

HISTOIRE DI LA COMMUNE DE

que delà milice parisienne. La g'arde nationale existait sous Louis-Philippe, sous l'empire, rien ne devait s'opposer à ce qu'elle fût maintenue sous la troisièmeRépublique, avec des modifications raisonnables, et une organisation plus démocratique.

Cet accord pouvait se proposer, se discuter et devait finalement s'établir. M. Thiers n'en voulut pas. S'il y avait accord, les chances d'émeute s'évanouissaient, et la société n'avait plus à être sauvée. Dans ce cas, Thiers perdait son prestige, ne paraissait plus l'homme providentiel, n'était plus le président indispensable, celui qu'on ne pouvait song-er à remplacer, sans risquer les pires aventures. Il se retrouverait aux prises avec une assemblée divisée et dif- ficile. Il aurait son trône présiden tiel ballotté entre une majorité incapable de faire la monarchie, mais la voulant, et une minorité turbulente, bien près de devenir factieuse. Les groupes avancés existant dans le pays ne tarderaient pas à réclamer, et peut-être à imposer, une république non pas libérale et bourg^eoise,raais radicale et même .socialiste. C'est à éviter cedang-er que tendait son plan.

S'il ne voulait pas d'une conciliation avant le 18 mars, et l'on verra qu'après cette date, lors de la résistance des maires au Comité Central, il se montra ég-alement rebelle à toute transaction, M. Thiers ne désirait nullement s'em- parer, par surprise et sans combat, des fameux canons. Il ne voulait tenir les canons ni d'une transaction, ni d'un coup de main heureux. Si Paris, en s'éveillaot, apprenait que, dans la nuit, ces redoutes qu'on désig^nait comme si formidables, que ces positions terrifiantes avaient été occu- pées, sans qu'une cartouche fût tirée, il perdrait le mérite d'avoir vaincu la révolution menaçante. Et puis, la décep- tion et le découragement s'empareraient des révolution- naires. Ils renonceraient, pour le moment, à toute action

LE DIX-HUir MARS 31)1

violente; le calme se rétablirait instantanément, et toute chance d'émeute s'évanouirait encore : la société n'aurait pas davantage besoin de sauveur. Le dilemme était clair: si les canons étaient cédés pacifiquement, comme s'ils étaient enlevés d'autorité, m.ais sans effusion de san^, le plan ratait. Il fallait qu'il y eût bataille.

La lutte n'apparaissait pourtant ni aussi inévitable, ni, si elle se produisait, comme devant être aussi furieuse que le désirait M. Thiers. Les canons, les forteresses improvisées sur les hauteurs, les préparatifs de combat à Montmartre ou à Belloville,tout ce sombre programme de guerre civile, n'existait g-uère alors que dans l'imag-ination de quelques e.\altés,etdans les récitse.vagérésdesjournau.x réactionnaires. On était beaucoup plus calme, à Montmartre et àBelleville, que ne le disaient les nouvellistes, que ne l'espéraitM. Thiers. Des pourparlers conciliateurs, le maire de Montmartre, Clemenceau, avait son rôle, étaient même engag'és.à l'iosu de Thiers ou malgré lui : la garde nationale, dans sa majo- rité, u'étail pas irréductible, et, sauf l'inquiétude de cer- tains bataillons à l'égard de la solde, dont la garde des canons paraissait justifier le maintien, le plus grand nom- bre souhaitait un accord terminant le conflit.

La garde nationale avait mis ses canons en sûreté, dans un élan de précaution patriotique, mue par un sentiment de respectable dignité. Elle ne voulait pas que ces pièces d'artillerie toutes neuves, commandées et payées par ses cotisations, par ses dons, et qui, par suite de l'impéritie de Trochu, n'avaient pas servi pendant le siège, étaient demeurées luisantes et muettes, comme des bibelots décoratifs, dans les parcs de Passy, de VVagram et du Ranelagh, vinssent à tomber, butin facile, trésor non gardé, entre les mains des Prussiens admis dans Paris. M. Thiers avait été obligé de reconnaître que la g-arde

2()2 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

nationale avait bien et lé^çitimcment agi, en transportant ces canons en lieu sûr.

Alors que les Prussiens étaient partis, puisqu'il n'y avait nulle crainte à avoir d'un retour offensif, et que la paix était faite, la g-arde nationale devait-elle garder ces bouches à feu? Oui, si une réglementation d'ordre mili- taire intervenait. Le corps de l'artillerie de la garde na- tionale, puisqu'il y avait une légion de cette arme dans l'armée citoyenne, en prenait alors possession régulière ; les pièces étaient transportées dans les forts, ou remisées dans les arsenaux de l'Etat, sous la g-arde d'artilleurs gardes nationaux. La négative s'imposait, si ces mômes gardes nationaux prétendaient conserver les bouches à feu, braquées sur la ville, s'ils entendaient garder ces pièces dans des tranchées et des embrasures, prêtes à faire feu, comme au cours d'un siège. C'était alors une menace, une tentation de guerre civile aussi, qu'on ne pouvait suppor- ter. Avoir des canons en batterie, pointés, et n'attendant que le déclic pour couvrir les maisons particulières, comme les édifices publics, d'une pluie de projectiles démolissant et tuant au hasard, c'était fait de guerre, et non régime normal. Le gouvernement avait le devoir de rassurer les intérêts et de faire cesser les anxiétés. Sa préten- tion de rendre la Butte à sa destination ordinaire, en temps de paix, de vaste belvédère, d'où les promeneurs venaient contempler le magnifique panorama de Paris, d'où les gamins s'amusaient à lancer des cerfs-volants, n'avait rien d'arbitraire ni de déraisonnable. La prétention, au contraire, des gardes nationaux de conserver les canons, en arguant qu'il les avaient payés, qu'ils les considéraient comme une propriété privée, comme le matériel d'une société de tir ou de sport, était insoutenable. De ce que les particuliers, à l'aide de souscriptions et de donations, font bâtir un hùpi-

LF. DIX-m;iT MARS

293

tal, un collège, un musée, il ne s'ensuit pas que ces établis- sements d'utilité publique leur appartiennent en propre, et que le groupe des cotisants en conserve la libre et absolue propriété. Les canons avaient été fondus, payés, livrés pour le service de l'Etat, pour la défense de Paris contre les Prus- siens, ils ne pouvaient être détournés de leur destination, pour'un ouvrage non prévu, ni conservés par une portion de la population, dans un but mal défini. Le gouvernement pouvait prétendre, et plus justement, qu'investi de la puissance publique celait à lui qu'il appartenait de déte- nir les instruments de défense de la collectivité. L'argu- ment que ces canons étaient la sauvegarde de l'indépen- dance de la garde nationale, les instruments éventuels de défense de la République en péril, était bon au point de vue insurrectionnel, devenait sans valeur, si la guerre civile était évitée.

Le trouvernemont avait le droit pour lui. 11 remplissait sa fonaion en voulant récupérer les pièces d'artillerie, dé- tournées de leur destination et retirées de leurs parcs nor- mau.'c, dans une heure d'angoisse patriotique et d'affole- ment obsidional.

Le plan de Thicrs avait ainsi une base légale, et si son auteur s'était borné à la suppression des redoutes et batte- ries à l'intérieur de la cité, menaçant non plus les lignes d'investissement, mais les habitations même do Paris, on n'aurait pu que l'approuver. Mais ce plan consistait exclu- sivement à faire le simulacre de la reprise régulière des canons, de façon à pousser ceux qui prétendaient les garder à une résistance violente et illégale.

Aussi les mesures pour cet enlèvement furent-elles prises non pas comme pour une capture sérieuse et décisive, mais seulement pour une tentative d'enlèvement, avec la certi- tude qu'elle ne réussirait pas.

2r)4 IllSTOiriE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

Il y eut plusieurs de ces simulacres d'enlèvement. Le Mot d'Ordre, jeudi g mars, avait l'ait le récit d'une de ces fausses attaques ;

Hier, dans la soirée, un bataillon de la ligne gravissait lente- ment la rue des Martyrs, se dirigeant vers les buttes Monlmartre. Le H6e bataillon de la garde nationale se réunit immédiatement et vint s'interposer pour arrêter les soldats.

Après plusieurs allées et venues de la rue des Martyrs à l'ave- nue Trudaine, les lignards ont arrêté leur marche ascendante,et, grâce aux citoyens du Hô" bataillon, une collision, a été évitée entre la troupe régulière et la garde nationale.

Donc afl'aire manquée. Les troupes envoyées par Thiers pour prendre des canons se replièrent en bon ordre. L'in- tervention desg-ardes nationaux du bataillon d'un quartier très modéré (Saint-Georges), composé en grande partie d'artistes, avait suffi pour décider un bataillon d'infanterie à faire demi-tour. Il est certain que des ordres très rigou- reux n'avaient pas été donnés pour celte attaque en plein jour. L'envoi d'un bataillon de ligne était excessif, si l'on était assuré qu'il n'y aurait pas de résistance, c'était une force dérisoire si ISIontmartre se levait, faisait raine de se défendre, et mitraillait les assaillants. On remarquera qu'il n'y avait ni attelages ni prolonges. Comment les lignards eussent-ils descendu de la Butte les canons? de quelle façon auraient-ils pu les emmener, si le bataillon du iiG^ les avait laissés pa.sser?

Les hommes du 1 16«, bataillon bourgeois s'il s'en fut, et qui s'était d'ailleurs très bien comporté à Buzenval, sous les ordres de son chef, le vaillant colonel Langlois, qui y fut blessé, n'auraient sans doute pas engagé le feu contre la ligne, si la troupe avait avancé. Mais il n'y avait qu'une démonstration. 11 s'agissait, non pas de prendre lescanons, mais d'avertir ceux qui les gardaient qu'on pourrait les

LE DIX-HUIT MAHS

agS

leur prendre, s'ils ne veillaient pas attenlivement, s'ils ne se tenaient pas prêts à repousser, par la force, les .oldats envoyés pour cette razzia.

Autre démonstration vaine, à l'autre bout de Pans celle 11 V avait une cinquantaine de pièces de la légion d'artillerie", commandéeparSchoelcher,endcpôt,auLuxeni-

homs:. Un détachement de sept ou huit hommes seulement, du oo. bat^iillon, les surveillait. Des artilleurs se présen- tèrent le 8 mars pour prendre possession des pièces. Ceux qui Icssrardaient refusèrentde lesremettreà d'autres qu aux artilleurs de la garde nationale. La troupe se retira sans

'"D^c-rren forts de gardes nationaux furent aussitôt dcman- dés et envoyés. Un bataillon entier, le 83», vint prendre la ffarde des «inons. La fausse manœuvre, celte fois encore, n'avait donc eu pour but que de répandre l'alarme et pour effet que de mettre sur pied un grand nombre de gardes nationaux de la rive gauche. Cette démonstration dans un autre quartier de Paris, à l'opposé de Monlmatre, avait pour objet de prévenir les bataillons des quartiers du bud, de les avertir que les batteries du Nord n'étaient pas seules

menacées.

Le faubourg Saint-Antoine, pour Thiers et les hommes de sa génération, avait toujours son prestige révolution- naire. Là, devaient se concentrer des réserves formidables d'insurgés. Si Montmartre et Belleville étaient des forte- resses naturelles, célèbre faubourg se transformait rapi- dement on bastion presque imprenable. Les souvenirs de juin 48 étaient demeurés vivaces. En évoquant la résistance légendaire de ces héroïques faubouriens, les vieux offaciers d'Afrique pâlissaient, et Vinoy, un général de Décembre, savait que si Louis-Napoléon avait eu si facilement la vie- loire, c'est que le faubourg Saint-Antoine n'avait pas voulu

296 HlSTOmE DE LA COMMUNE DU 1S7I

prendre le fusil. Le jour du crime, il avait laissé, en rica- nant, l'héroïque Baudin s'exposera un sacrifice inutile. Mais Saint-Antoine s'était repenti de sa faute. Il était prudent, en face du faubourg- redoutable, de bien sonder le terrain avant de s'avancer. A proximité de la Bastille, dans le pai- sible quartier du Marais, place des Vosges, était installé un parc important d'artillerie. Là, avait été transporté, le 28 février, un grand nombre des pièces enlevées au parc d'artillerie de la plaae Wagram. On pouvait éprouver, de ce côté, la défense possible des fédérés, et tâter le pouls au faubourg.

Aussi, le 16 mars, vers ii heures du .«oir, une compa- gnie d'infanterie, escortée de gardes nationaux à cheval, et accompagnée de chevaux de traits et d'hommes des équi- pages, se présenta devant les grilles entourant la place des Vosges, ancienne place Royale. Le calme quartier était endormi. L'alarme fut vite donnée par une sentinelle. Le poste sortit en armes. Le service de faction autour des pièces devenait fatigant, et les hommes commandés pour cette surveillance, jugée sans importance, .se trouvaient peu nom- breux. Les officiers du détachement parlementèrent à tra- vers les grilles, déclarant qu'ils venaient pour prendre pos- session des canons. Refus des gardes nationaux de les lais- ser pénétrer. Les municipau.x s'écartèrent, les soldats avancèrent, et firent mine de vouloir forcer les grilles. Alors les gardes nationaux, rapidement, se forment sur deux rangs : le premier rang met genou en terre, prêt à tirer, le second rang croise la baïonnette. En même temps on bat le rappel autour de la place. Des gardes nationau.x accourent de tous côtés. Le commandant du détachement, voyant la résistance s'organiser, obéissant certainement aux instructions qu'il avait reçues, remet tranquillement son sabre au fourreau, ordonne la retiaite, les cavaliers tour-

LE DIX-HLIT M\HS

297

nenl bride, el la petite colonne regagne ses quartiers, sans les canons .

Si l'attaque avait été sérieusement diriirée, avec des forces en quantité suffisante, la défense était impossible dans cette place entourée de çrilles, darcades, facile a cer- ner, à isoler. Les gardes nationaux, bloqués à l'intérieur des grilles, ne pouvaient être secourus, car les rues étroites donnant accès à la place des Vosges, pouvaient être faci- lement barrées. Us se seraient trouvés pris comme dans une ratière, et sans avoir pu même faire usage de eurs canons, alignés et serrés le long des grilles, impossibles a

manœuvrer. j j i-.

Mais la nouvelle de la tentative s'était répandue dans le faubourg, et c'était ce qu'il fallait. Le lendemain, les pièces étaient transportées rue Basfroiet rue Keller,en plein quar- Uer Saint-Antoine. Les terribles insurgés de la Bastille et des environs se trouvaient avertis, ilsveillaienl,munis d ar- tillerie, à même de commencer la guerre civile, si le cœur leur en disait, et si on venait les provoquer. Le plan reus- sissait.

CALME or: PARIS A LA VEILLE DU iS MARS

Ainsi les attaques en vue de reprendre les canons n'é- taient qu'une amorce. Paris, par son attitude, semblait bien éloigné de la pensée d'un combat. Il s'entêtait à garder ses canons, ou à ne les rendre que par suite d'un accord avec des garanties républicaines pour l'avenir, mais aucun de ses habitants ne s'attendait à une lutte provoquée par le crouvernement, aucun ne la désirait venant des tederes.

Une réunion des maires avait eu lieu, au ministère, sous la présidence d'Ernest Picard. Jules Ferry y assistait. Les maires déclarèrent qu'on avait fort exagéré des troubles

29^ UISTOmE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

passag-ers, qui s'étaient produits dans des quartiers excen- triques. Ils dirent qu'ils ne doutaient pas que les g-ardes nationaux ne consentissent à conduire les pièces dans des parcs spéciaux, désignés par l'administration. Il n'y aurait aucun inconvénient, ajoutèrent-ils, à confier tour à tour la g-arde de ces parcs à tous les bataillons de la capitale, indis- tinctement. La majorité des maires exprima l'avis que les comités, qui s'étaient créés dans le sein de la garde natio- nale, n'avaient pas un seul instant cessé d'obéir aux ordres des commandants de secteurs, et que, par conséquent, ces comités n'étaient pas de nature à entraver l'action de l'au- torité supérieure de la garde nationale.

Tandis que les journaux réactionnaires excitaient les passions, exagéraient le péril de la situation, donnaient des détails impressionnants et mensongers, le Figaro se signalait surtout dans ce reportage sensationnel, et mul- tipliait les détails terrifiants sur ce qu'il appelait « les Folies-.Montmartre » ; les journaux modérés, les autres étant supprimés, tenaient au contraire un langage mesuré et conciliant.

Puisqu'cD dépit de dos espérances, écrivait le Siècle, la ques- tion des caDons n'est pas encore résolue, au grand détriment de tous, nous renouvelons notre appel à la députalion parisienne, qui, seule, a l'autorité morale nécessaire pour agir efficacement sur des esprits qui s'égarent ; nous invitons nos députés à se rendre aupris du comité ou des officiers auxquels obéissent les détenteurs des canons, et de les adjurer, au nom des intérêts suprêmes de la République, de mettre un terme à une situation dont nous, républicains, nous souffrons plus que personne.

Nous avons nos raisons pour presser nos députés de tenter cette démarche, de concert, s'ils le jugent utile, avec les munici- palités.

Le Siècle était-il au courant de ce qui se complotait dans les conseils du gouvernement, ou bien, avec perspica-

LE DIX-HUIT MAIXS

299

Cité, éventait-il les projets de Thiers, à la veille d'avoir un commencement d'exécution?

GEORGES ARNOLD

Les protestations pacifiquesabondaient cependant. Arnold, membre du Comité Central,futur membre de la Commune, écrivait à L'Opinion Nationale, en prenant ce prétexte que « son nom était placé, par ordre alphabétique, en lele de la liste des membres qui avaient signé le manifeste du Comité central >, pour répudier toute idée de guerre civile Il se défendait dabord de faire partie d'un gouvernement, occulte ou anonvme. « Nous ne sommes pas plus un gou- vernement, disail-il,.que tel groupe d'écrivains défendant une même cause dans un ou plusieurs journaux, pas plus que la coalition de l'Union libérale. » U ajoutait :

Nous croyons que les intérêts des citoyens réunis et groupés conre '^rdes nationaux ont besoin d-ètre solidarises pour être ou "ùus^ et défendus. La garde nationale -"l^^^^^ ^^ famille.el le Comité Central constitue son S'-»"^ conseil de f^^^^^^^ 11 n y a rien d'anarchiste, ni (lui puisse appeler le ridicule ou

m pris, ou au besoin les foudres d'un pouvoir quelconque Pour remplir de telles fonctions.pas besoin d'être une illustration, il V a même quelque garantie de plus dans celte obscurité.

[ler"-raiqueleComitéCentral,oa mieux la Féderationrepu-

bl cane de la garde nationale, a aussi dans son programme la Sensé de la République menacée. Serait-ce une -urpat.on de pouvoirs? Les hommes notoires ou illustres, actuellement en lumière, n'ont p.is donné à la République de tels gages qu on puisse la leur abandonner aveuglement.

^ C'est donc à tort que vous indiquez, en °°,'« «^'';^;'"°Vl "ue tive quelconque de gouvernement et Ces également « ^-M»^ vous faites apparaître aux yeux de vos lecteurs le spectre des

batteries de Montmartre, braquées sur Pans.

Un tel mélan-c de questions amène la confusion. Le parc a ar

liUerie de Montmartre, à l'initiative de l'arrondissement.

^°° I!I3T0mE DE L.\ COMMUNE DU 187I

a elé etabi, pour sauver les pièces de l'ennemi, et sans doute les bataillon, de l'arrondissement ne veulent pas les voir servir d'ins- truments à un despotisme quelcon que pour faire un nouveau Ueux-Decembre.

Mais, croyez-moi, évitez de prononcer sans cesse ces mots de guerre civile, familiers à la réaction, ils sont provocateurs et empêchent le calme des esprits.

(Ahnold, sergent major au 176' bataillon, membre du Comité Central.)

Arnold, qui tenait ce lang-age conciliateur, el qui défi- nissait, avec tant de mesure, les fonctions et les tendances du Comité Central, dont il fut l'un des principaux chefs, fut aussi membre de la Commune. C'est une physionomie intéressante. On voit, par sa déclaration ci-dessus, qu'il n'avait nullement song-é à la guerre civile et que, comme ses collèg-ues du Comité Central, il fut surpris par l'agres- sion des troupes au Dix-Huit Mars.

Arnold (Georges-Léon) était à Lille en i84o. Il avait donc trente et un ans au 18 mars. Il était architecte. An- cien élève de l'école des Beaux-Arts de Lille, il avait con- couru pour le grand prix de Rome, section d'architecture. Il était entré dans l'administration, et devint sous-inspec- teur des travaux de la ville de Paris. C'était, par rapport à d'autres collègues du Comité Central, un bourgeois. Ses opinions très avancées, et son patriotisme ardent, l'avaient misen évidence, dans les clubs, pendant le siège. Sergent major au 176" bataillon (20 régiment de guerre), délégué à la Fédération, puis membre du Comité Central, il fut, après le 18 mars, élu commandant du 64= bataillon. Il fut chargé de la défense de la Butte Montmartre. 11 signa avec Ranvier la convention intervenue entre les maires de Paris et les membres du Comité Central pourla convocation des électeurs au a6 mars, afin de nommer les membres de la Commune.ll s'attachait presque exclusivement aux opé-

LE DIX-UUIT MARS

rations mUitaircs. Il ^^^^ ^'^^ '^^^ ''^'^^''l f^^lZ^!:: res d'avril, membre de la Commune par 5.4o2 ^o.x dans e .8» arrondissement (Montmarlre). Il conUnua a s.e^ r u Comité Central et fut membre de la comm.ssmn de la guerre. Il contraignit le capable, ma.s -tonta.re Ros à ,arta.^er ses attributions avec le Com.té ^-nlra - Cette dual é de la Commune et du Comité, et cette lutte de Ross et des membres du Comité Central seront exposée plus oin, dans leurs détails. Arnold, quest.onne sur ce fnta. nisme, a répondu, sans aigreur, n. rancune, et avec

modestie :

. . <- , 1 ^., « février au 15 mars, avait mo-

'"lytrVolonUirement cédé sa P»-« P-^-'^ tans"cott ViilJ, le Comité Central ^-it pouvo.r repr ad a^ conteste

celle ,,uiavau de sa •■'-^^«"/if j^^;,^"^", ,, commission de la ^:2:err^SiSrÏÏ^;^trieHaace . Pourquoi sou

" w°(Î;;S ^ewlviUe avait décidé.par conveation tacite^ Le Com.lc ■> ' "^ «' ^,^,^ l„t,„ électorales : c'est a.ns.

que personne ne P''^"''"'; P^" . [^^ suffrases. Ceux d'entre qu'un grand «7.';- ."^.^g-'^S^^.^^Prda eut. soit^à leur notoriété. ^;r;^^:'— iT^udevoir observer la consigne...

(Enquae sur la Commune, laU^vue BtancheM ■- «v"! '«S^.)

Un biographe contemporain a tracé de lui ce portrait :

Arnold est un homme d'une trentaine d'années. Il ^^\f^^f mitce, et porte avec désinvolture l'uniforme de commandant du

UISTOIRX DI LA COMMUNE DE 187I

64» batailloQ. C'est uq des membres les plus actifs du Comité Central... Arnold est doué d'uue vive intelligence, qu'il met au service d'une ambition démesurée... La victoire du Comité Cen- tral sur Rossel est due en grande partie à l'esprit actif, inventif, intrigant d'Arnold.

Ce nouveau venu sur la scène politique y arrive avec des qua- lités et des défauts peu communs. Hautain, arrogant dans ses rapports, même avec ses collègues, il croit suppléer à l'absence d'études politiques et sociales, par une intrigue pleine d'habileté. C'est un ennemi dangereu.x pour ceux auquels il s'attaque, et c'est un ami, non moins redoutable, pour ceu.x avec lesquels il songe bon de s'unir pour un moment. La Commune ne semble pas avoir beaucoup de sympathie p )ur Arnold, dont elle ne con- naît guère le passé, et dont elle redoute l'avenir...

(Jules Clère. Les Hommes de la Gommane. Paris, Dentii, éd. 1871.)

Ce portrait est sévère. Il n'a guère de valeur que parce qu'il fut tracé pendant la Commune, d'après nature, et qu'on y peut noter les nuances du moment. Les diverg'ea- œs d'opinions ne furent ni grandes ni terribles entre les membres de la majorité et de la minorité; ces adversaires théoriques s'allièrent dans l'action ; ils se retrouvèrent presque tous unis pour la lutte suprême, et s'affirmèrent oompag-nons dans la défaite et dans la mort. Entre le Comité Central et la Commune, il y eut, au contraire, per- manente compétition de pouvoirs, persistante jalousie indi- viduelle, et vivace hostilité de corps. Arnold toujours pen- cha du côté du Comité Central. Il était <lans la logique de la situation. La Commune, malu^ré certaines individualités puissantes, comme Delescluze, milçré des décisions huma- nitaires ou sociales intéressantes, mais plutôt de la compé- tence d'une assemblée nationale, faisait double emploi avec le Comité Central. Elle aurait di\ avec lui, la dualité per- nicieuse étant maintenue, partager le pouvoir et séparer les attributions. Au Comité central devait appartenir l'org'ani-

LI DIX-HUIT MARS 3o3

satioQ de la g'uerre, avec la directioa du combat, les seu- les choses importantes, de nécessité absolue, durant les six semaines do lutte quotidienne. Arnold représentait, et soutenait énorgiqueraont, cette opinion, qui était la vraie, la seule pratique. Il s'était spécialement occupé de l'efTort militaire à faire, et ne prétendait nullement au rôle de lé- g'islatuur. Il voulait imposer, par les armes, la paix, for- cer à la transaction le gouvernement de Versailles, et non donner des lois à la France. A ce titre, Arnold demeure une des Hg'ures les plus importantes de la Révolution pari- sienne, malg-ré sou riile effacé à l'Hôtel-de-Ville, peut-être à raison môme de cette abstention volontaire des séances parlementaires. Il jugeait que sa place était aux remparts, et la Commune tout entière aurait l'y suivre.

Arnold, qui participa à la défense désespérée des der- niers jours, fut fait prisonnier, et déféré aux conseils de guerre. 11 fut condamné à la déportation. Il put, à la pres- qu'île Ducos, puis à Nouméa, continuer ses travaux d'ar- chitecture. Il participa au concours pour la construction de l'église de Nouméa, le travail n'a pas d'opinion, et obtint le second prix. Il envoya un projet à l'exposition de Sidney, qui fut primé. Revenu en France, i l'amnistie, il put reprendre sa profession d'architecte de la Ville de Paris.

Le fait qu'un homme aussi énergique, aussi influent dans le Comité Central, protestait contre les rumeurs sinistres de guerre civile, et cela l'avant-veille du coup de force de Tlilers, prouve suffisamment que Paris ne s'attendait nul- lement à cette attaque, et que ce fut bien par la volonté et les manœuvres du gouvernement que cette guerre civile éclata.

3o4 histoihe de la commune de 1871

PARIS CROIT QUE TOUT VA S'ARRANGER

La délente était visible, et malgré les excitations de la presse réactionnaire, l'avis à peu près unanime était que les choses s'arrangeraient. On supposait que les canons finiraient par ne plus être gardés du tout, et que les auto- rités en pourraient, au premier jour, reprendre possession, sans ostentation, comme se fait la relève d'un poste, et que les quelques hommes se trouvant là, en faction, s'écarte- raient pacifiquement. La garde et la surveillance des ca- nons devenaient en effet une véritable corvée. Les mêmes bataillons faisaient le service, et commençaient à trouver fastidieuse la faction inutilesurla Butte. Les journaux cons- tataient ce laisser-aller, précurseur d'un abandon définitif.

M. Deg-ouve-Denuncques, adjoint au arrondissement, a déclaré devant la Commission d'enquête :

Je suis allé à Montmartre, quand j'ai examiné les canons j'ai causé avec les factionnaires qui les gardaient. C'étaient des hommes qui demandaient qu'on les débarrassât de ces canons qui les obligeaient à monter la garde à Montmartre.

[Enqaéte parlementaire sur le 18 mars, déposition de M. DeE^ouve-Denuncqucs, t. Il, p.4oo.)

La même appréciation fut fournie par un personnage dont l'opinion méritait d'être prise en considération, le géné- ral d'Aurelle de Paladines.Pour lui, le service des gardes autour des pièces d'artillerie les fatiguait, les ennuyait.

Le g'énéral a ajouté :

M. Clemenceau vint me trouver, et me dit que celle situation était trùs pénible pour les hommes de son quartier ; qu'ils étaient disposés à rendre les pièces d'artillerie qu'ils avaient ; ([u'il suf- fisait qu'on s'engageât à les placer dans un endroit elles se- raient gardées partie par la garde nationale, partie par l'armée...

LB DIX-HUIT MAH3

3o5

Je ne voyais pas d'inconvénient à cela. Je crois que M. Clemen- ceau parlait avec sincérité, car, pour témoigner de son bon vou- loir, il m'écrivit une lonçue lettre...

M Clemenceau me disait que je pouvais compter sur son de- vouement à l'ordre; que, mal-ré ce qu'on disait de lui, il y était attaché ; qu'il comprenait très bien qu'une révolution ne pouvait conduire le pays qu'à d'autres malheurs que ceux dont on voulait sortir, que par conséquent il était disposé à faire tous ses efforts pour que son arrondissement rendît les armes.

[Enquête parlementaire, déposition du général d'Aurelle de Paladines, l. II, p. 434)

Un espion, nommé Ossude, qui fit fonctions de prévôt dans le Vll-i arrondissement, lors delà prise de Paris, répon- dant à une question du président de la Commission d'en- quête au sujet des canons, a émis cette opinion, bonne à retenir, malgré l'indignité de la bouche et la grossièreté du ton :

Il y avait deux moyens : ou laisser faire, et un jour ils (les gardesl auraient été s;ris, on les aurait enlevés (les canons). Ils en avaient assez, ils en avaient plein le dos, ou bien on pouvait attaquer, mais pas avec le 88= .

(Id., dép. Ossude, t. II, p. 47'-)

La Gazette des Tribunaux du 17 mars donnait l'as- pect suivant de la ville le jour de lami-carême (16 mars) :

La journée d'hier a été fort calme. Dans le centre de Paris, on n'a guère eu à remarquer que les manifestations de la Bastille, et notamment une députation de cinquante à soixante marins, qui, avant leur départ.sont venus, en chantant des refrains patrio- tiques, déposer une couronne au pied de la colonne de Juillet.

A Belleville et à la Villette, tout est fort tranquille. Montmartre seul continue à se fortifier et à se retrancher, sans toutefois qu'il en résulte des scènes de désordre.

Dans une réunion tenue au.x Gobelins (i.S« arrondisse-

20

3o6 HISTOinE DK LA COMMUNE DE 1 87 1

ment), il avait été annoncé par un membre du Comité Cen- tral que ce Comité, dans un but de conciliation, reconnaî- trait le général d'Aurelle de Paladines comme comman- dant supérieur de la g-arde nationale, mais à la condi- tion que ce général se soumettrait à l'élection. Les statuts de la Fédération exigeaient en effet que tous les chefs de la garde nationale, tous les gradés sans exception, dussent leur grade à l'élection. C'était un principe très démocra- tique, contestable il est vrai, et qui, au point de vue pure- ment militaire, est inadmissible, mais, puisque la guerre étrangère était terminée, et que la garde nationale ne de- vait plus avoir qu'un rôle sédentaire, qu'elle recevrait seu- lement pour mission d'assurer l'ordre intérieur et de veil- ler à la défense de la République contre les tentatives des partis, quels qu'ils fussent, comme à l'époque de Lafayette le système de l'élection pouvait lui être appliqué, au moins d'une façon transitoire, et le général en chef pouvait s'y soumettre sans humiliation. C'eût été d'ailleurs une simple formalité, la nomination étant décidée d'accord, et cette sanction n'avait que le caractère d'une ratification plébisci- taire. Pour établir l'apaisement, le gouvernement aurait pu, lui, sans faiblesse, accepter cette investiture populaire. Mais Thiers, loin de vouloir l'apaisement, ne cherchait que le conflit, l'occasion de livrer bataille, et c'est une preuve surabondante de ses intentions.

LE COLONEL LANGLOIS

Le conseil que donna le député-colonel Langlois, et qui ne fut pas suivi, était également acceptable, et susceptible d'amener une solution pacifique.

Figure assez curieuse que celle de Langlois. Un mélange choquant et sympathique de jactance et de vraie bravoure.

I,E DIX-HUIT MAnS io-J

de violence et de bonhomie, d'exubérance et de saçesse, de foug-ue et Je naodération. Ses cheveux gris, qu'il por- tait longs, encadrant une phj'sionomic d'apôtre, faisaient souvenir des socialistes de l'école de Saint-Simon, du père Enfantin et de Considérant. On eût dit, quand il rôdait, en agitant les bras, par les couloirs du çrand théâtre de Bor- deaux, un spectre attardé des clubsde 48- Les yeuxmobiles et inquiets donnaient à cette fit»iirc de penseur et d'évan- géliste, qui aurait pu servir de modèle à un peintre de Saintes-familles, une vivacité pénétrante, et une fleimme d'extase. Son allure, inspirée et faubourienne faisait son- ger aux moines batailleurs et verbeux de la Lig-ue. La voix était rauque et saccadée ; la bouche, toujours prête à hur- ler, détruisait l'harmonie du visage bien ovale, aux lignes régulières et douces. A de certains moments, la face deLan- glois ressemblait à ces têtes d'expres.sion, au fusain, qu'on voit accrochées comme modèles académiques dans les salles de dessin des pensionnats, et auxquelles le crayon irrévé- rencieux d'une élève a ajouté quelques traits hasardeux, défigurant et communiquant l'aspect caricatural. Quand il pariait, ou plutôt quand il tonilruait, car il s'informait de votre santé dans une clameur, le masque devenait masca- ron, leslèvres se contournaient, les muscles jouaient, la gri- mace zigzaguait, el le bénin et excellent homme qu'était l'ancien philosophe apparaissait tel qu'un énergumène. Un aliéniste, quand il pérorait dans les groupes, l'eût classé parmi les épileptiques. Il semblait ne pas décolérer. Quand il disputait avec un collègue, qu'il accrochait par un bouton de son vêtement, on pouvaitcroire qu'il l'invectivait et qu'il s'apprêtait à le rosser. Il avait toujours l'air d'un chef de barricades appelant aux armes. Il exprimait avec fureur les idées les plus modérées, et prêchait l'apaisement comme ou proclame la révolte. Avec une véhémence efl'rajante,

3o8

ISTOIRE DK LA COMMUNE DE 187I

il disait : soyons calmes ! Il n'avait du tribun que la voix, et si sa gesticulation semblait d'un fou, ses avis étaient souvent d'un saçe. Il était très brave. A Buzenval, comme colonel d'un régimeut de marche, il s'était admirable- ment conduit et avait eu le bras fracassé. Il était fort aimé des g-ardes de son bataillon, le ii6«, dit bataillon des artistes. A Bordeaux, au restaurant, entendant un jeune officier de mobiles dire assez haut que la g-arde nationale ne s'était pas battue, il s'était levé, et on avait eu toutes les peines à lui faire accepter les excuses du hobereau, qui était vraiment mal tombé, en parlant aussi lég-ère- menl do cette troupe, devant l'un de ses chefs blessés à l'ennemi. Le colonel Lançlois avait été choisi parProudhoa pour être l'un de ses exécuteurs testamentaires, et cette désig-nationsi flatteuse lui valait une certaine considération dans le parti avancé, comme sa droiture, sa vaillance de mousquetaire de la République, et la simplicité de son cou- rage sur le champ de bataille, contrastant avec son empor- tement dans la vie civile, le faisaient estimer de tous les partis.

Langlois, dont il fut un instant question pour la haute fonction de général en chef de la garde nationale, exprima ainsi son avis à M. Roger du Nord, chef d'état-major du général d'Aurelle de Paladines, au sujet des canons :

Oue le eénéral convoque tous les commandants de bataillons, sai^s en excepter un seul, et qu'il leur pose celte quesUon : Ne vaut-il pas mieux, au lieu d'avoir un parc unique d arlillene a Montmartre, donner deux canons à chaque bataillon, ou tout au moins diviser ce parc, cl répartir les canons sur plusieurs pomts. Vou<. pouvez être certain que tous les commandants se prononce- ront pour la distribution des canons entre leurs bataillons. Sup- poser le contraire, c'est ne pas conuaitre la nature humaine. Par

UB DIX-HUIT MARS

Sog

ce système on laissera sans doute encore des canons aux batail- lons dont on se déKe, mais tous les autres bataillons en auront.

tEngaéU parlementaire. Déposition du colonel Langlois, t. II, p. 5i6.)

Cet avis fut d'ailleurs repoussé, comme tous ceux qui tendaient à un dénouement pacifique.

Il résulte de ces divers témoignages, et de l'ensemble des laits qui ont précédé le Dix-Huit Mars, que la situation n'était nullement critique dans les trois premières semai, nés de mars, que l'on pouvait patienter encore, et que, soit par un arrangement avec les chefs de bataillons, comme le proposait le colonel Langlois, soit par la temporisation, en attendant que la lassitude et la négligence eussent per- mis d'enlever facilement les canons, la crise devait être retardée, conjurée, donc pas de sang, pas de Commune. Mais c'était l'anéantissement du plan de M. Thiers.

S YMP TOMES D'A PA [SEMENT

La presse, sauf quelques journaux réactionnaires quipro- pageaient l'alarme et exagéraient le péril des canons de Montmartre, dans le but mesquin de plaire à la clientèle et de donner des informations sensationnelles, ce furent les déplorables débuts du moderne reportage, tenait générale- ment un langage rassurant. Elle continuait à publier des notes nullement menaçantes.

Ainsi, on lisait dans l'Opinion Nationale :

Le quartier de la Butte iMontmartre n'a pas encore repris abso- lument sa physionomie accoutumée, mais tout est en bonne voie d'apaisement" On sent une certaine lassitude chez ceux qui avaient pris la direction de cet étrange mouvement, et les consignes bru- talcs de ces jours derniers se relâchent.

3lO HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Même noie dans un journal non politique, d'autant plus intéressant à consulter pour se rendre compte de l'état des esprits à la veille de l'insurrection. Le Monde Illustré de cette époque, si précieux par sa documentation de dessins d'actualité et de vues de Paris, prises au jour le jour, a donné, dans son numéro portant la date du i8 mars, un dessin si5,'-né E. Morin, artiste renommé, avec ce sous-titre : « Aspect du Champ Polonais sur les buttes Montmartre, devenu, depuis l'occupation, un parc d'artillerie. » On voit un certain nombre de pièces et de caissons alig-nés, deux tentes dites marabouts, un factionnaire et trois groupes de gardes nationaux, les uns assis sur l'herbe rase de la Butte, d'autres se promenant, désœuvrés et paisibles, dans l'at- tente probablement de leur tour de faction. En tout huit personnag'es. Le panorama est mélancolique et le « champ Polonais » .semble abandonné. Ce n'est point du tout l'aspect d'un camp retranché, ou d'une redoute, à la veille d'un combat.

En commentant ce dessin, le rédacteur du Monde Illus- tré écrit ces lignes, qui sont le plus sérieux témoignage de l'importance qu'il convenait d'attribuer à cette forteresse de Montmartre et à ces canons braqués sur Paris.

En coudoyant ces farouches du Mont-Avenlin parisien, dit le rédacteur qui signe des initiales M.V. (Maxime Vauvert, collabo- rateur habituel), un journaliste venu de Bordeau.'^ aurait pu voir de ses yeux ce qu'il en était de cette manilcstalion. Tout aussi clairement que nous, il aurait été convaincu de la bénignité des intentions de ces gardes nationaux, qui montaient la garde auprès deces caissons et de cesmitrailleuses, qu'ils avaient amenés là, la veille du jour les Prussiens devaient entrer dans Paris. Il aurait vu qu'ilsavaienl l'air bien plus ennuyés que terribles, que celui qui était de laclion auprès de ces engins si redoutés ne demandait qu'une cliose : qu'on vint le relever au plus vite... (Le Monde Illustré, i5' année, n" 737. du 18 mars 1871. 1

DIX-HUIT MAKS

3ll

Ce témoigna-e sincère, et nullement apporté par esprit de parti, publié le jour même Thiers lançait un corps d'armée à l'assaut de ce champ Polonais, que défendait une g-arnisou de huit hommes, baguenaudant, et se mor- londant ù garder des canons que personne, dans leur pen- sée, ne son-eait à prendre de force, établit nettement que le prétendu péril des canons de Montmartre n'existait que dans l'ima-ination de l'assemblée de Bordeaux, dans les racontars alarmistes de la presse réactionnaire, et aussi dans la pensée de derrière la tête de M. Thiers, parce que ce péril ima-inaire était indispensable à l'exécution de sou plan.

D'autres préoccupations que les canons de Montmartre se faisaient jour dans la presse. Plusieurs journaux pu- blièrent des articles indiquant qu'une partie au moins des quartiers de Paris étaient envahis par des personnages qui ne songoalent guère à construire des barricades, et que le public était en butte aux assauts d'aigrefins embusqués à tous les coins de rues, qui s'efforçaient de soustraire autre chose que des pièces d'artillerie.

Voici l'une de ces notes, l'on retrouverait difficilement la trace de l'appréhension d'une Révolution :

Mal'Té l'avis des maires, malgré l'énoncé des peines portées coiitre''ccux qui établisseat des jeav sur la voie publique, certai- nes parties de Paris continuent à présenter un spectacle indiquant suffisamment que raycrtissemenl donné est resté lettre morte pour les exploiteurs et pour leurs dupes. ,, , , .

Ou-on visite les rues retirées, les bords du canal , les boulevards extérieurs, c'est partout le même aspect. Et quand le temps est mauvais, ce sont les voûtes du chemin de ter de Vinceones et les baraques construites pour les troupes qui servent d abn aux loueurs de dés ; car c'est décidément ce jeu qui remporte, sans doute parce qu'il est plus expéditif. En très peu de temps. Ur- gent change de poches.

3l2 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Si encore il s'agissait d'un simple passe-temps, entre gens qui ne savent que faire, on ne devrait en prendre nul souci ; mais, à première vue, il est facile de reconnaître qu'il y a des entrepre- neurs adroits, des affidée, qui prennent dans leurs filets de pau- vres diables, à qui l'appât d'un gain imaginaire fait perdre en un instant le fruit de pénibles travaux.

C'est plus que de l'immoralité, c'est du vol.

Quelques compagnies de gardes nationaux avaient commencé à faire la chasse à tout ce monde ; mais peu secondées, elles paraissent y avoir renoncé.

Nous espérons que le nouveau préfet de police s'en inquiétera davantage, et que bientôt il nous débarrassera de ce spectacle affli- geant, qui est une aggravation du deuil de la cité.

Des gens qui jouent avec ardeur à la passe-anglaise, ou qui se plaignent d'être filoutés au bonneteau, ne semblent pas s'attendre à une révolution.

Une certaine agitation, il est vrai, était signalée dans le XIV« arrondissement. Elle avait son foyer au club de la Maison-Dieu. Le chef de légion Henry avait pris le com- mandement de ce quartier, et paraissait préparer les hom- mes dont il disposait à une action. Mais il s'agissait tou- jours d'une intervention armée, pour le cas l'Assemblée de Bordeaux, assurément suspecte aux yeux des républi- cains ardents du XIVo arrondissement, tenterait quelque coup de force contre la République. A une convocation des officiers, io,rue Maison-Dieu, pour le jeudi iG mars, à l'ef- fet de nommer des délégués, et signée : le chef de légion Henry, un chef d'escadron d'état-major de la garde natio- nale Lunel, commandant le 8" secteur, riposta par un ordre du jour destiné à être communiqué aux bataillons des VI« et XlVc arrondissements. Ce document portait que les offi- ciers et gardes qui donneraient leur adhésion à un ordre quelconque du soi-disant chef de légion de l'arrondisse- ment, nommé par les délégués d'un comité central illéga-

3i3

LE DIX-HUIT MARS

lemenl constitué, seraient immédiatement prives de leur

conflit entre ces deux chefs de gardes nationaux l'un nommé régulièrement, mais l'autre disposant de bata.Uons qui lui accordaient leur confiance, n'avait qu une impor- tance secondaire. L'autorité des commandants de secteurs n'existait plus guère, et la désorganisation de a gard_e nationale, telle qu'elle était constituée durant le siège, était

complète. . . . , .-. .

Le colonel Langlois.dans sa déposition déjà citée, a dit . à propos des commandants de secteurs :

Oui me dit M Rot;tr du Nord, cela peut s'arranger Le maire de MÔ^martre, M. Clemenceau, est ple^n de bonne .^lonte. Mais il V a des sens qui jettent des bâtons dans les roues. Tl y a des rep'ésen tants de lecteurs qui résistent, entre autres un nomme Duval, le connaissez-vous? - Non, je ne le connais P»-- - " J a>a t à en effet des gens qui avaient pris une certaine ■nfluence ciu provenait de ce qu'in avait supprimé les commandants de secuurs, qui étaient des' généraux et des amiraux. Le .jour ou es 'gardes -tionaux n'ont plus eu ^'^^^Pru''"''^^'^.^r Tral, on ne tint plus la garde nationale. Il ='""'^f'''''y°r;7;, ces commandants de secteurs, ils étaient au nombre de "euf. Les commandants de secteurs, qui avaient des rapports avec es chef de bataillons, étaient les hommes les P'"^/''.l!^f ^ ^^^^^Td" des ordres et d'empCcher ce qui est advenu. Je dis a M. Roger du Nord ce que je pensais de ces commandants de secteurs impro-

vises...

(Engaélepartementaire, d.'posilion du colonel Langlois, t. II, p.5.6.)

L'agitation était donc fort circonscrite, et l'antagonisme entre le commandant du secteur, un commandant impro- visé comme disait le colonel Langlois, et le populaire chef de légion Henry, n'avait guère qu'un caractère local

et personnel.

Ce mouvement, dans deux arrondissements de la rive

3l4 IllSTOmB DE LA COMMUNE DE 1 87

g-auche. le XIII" avec Duval et le XIV' avec Henrv, deux chefs s'efforçant de grouper, de préparer les bataillons dont ils étaient sûrs, n'était pas une préparation à la guerre civile ; ils n'agissaient pas dans l'idée ou l'espoir d'une prise d'ar- mes, à échéance fixe. On eût procédé ainsi, s'il y avait eu complot, mot d'ordre donné, et rendez-vous pris à l'avance. Il n'en était rien. Duval et Henrj ne s'organisaient qu'é- ventuellement, en vue d'une prise d'armes qui ne devien- drait nécessaire que si l'Assemblée tentait, comme on le craignait, de renverser la République, ou d'introduire un prétendant, d'Aumale ou le comte de Paris. Aucun de ces deux chefs de légion, nul de leurs camarades du Comité Central n'eurent un moment la pensée que leurs bataillons seraient, quelques heures plus tard, convoqués pour le service des barricades, pour la mise en état de défense des rues et avenues de leurs quartiers.

La dernière semaine avant leDix-Huitmarsse passa donc dans le calme, sans angoisse. On ne croyait pas tout dan- ger disparu, mais l'ensemble de la population se disait que, quand l'Assemblée serait réunie à Versailles, si les monarchistes persistaient dans leurs idées de restauration ou de confiscation de la République, il y aurait peut-être du « grabuge », mais cette Assemblée ne tenterait rien le premier jour de son installation. Comme elle ne venait siéger que le lundi ao, on avait au moins devant soi quel- ques jours de tranquillité certaine.

Le jeudi 16 mars était le jour delà iMi-Carôme. Un arrêté du général Vinoy avait interdit les déguisements et sup- primé les cortèges, les mascarades,lesbals. L'animation fut quand même très générale, Les cafés étaient pleins. Les théâ- tres jouaient. Ils donnaient les pièces suivantes : Théâtre Français : « La Joie fait peur» « Le Jeune Mari » ; Gi/mnaxe : t Frou-Frou ». Vaudemlle : « Les Pari-

LE DIX-HUIT MARS

3l5

siens.. -Variétés : « Le BeauDunois». -Palais-Royal :

« Le Supplice d'un homme ». - Bouffes : « Les Bavards » .

_ G«(7é;«La Chatte Blanche». - A m6^7«; <c Los Nuits

de la Courlille. » -Château d'Eau: « Jeanne». - Beau-

marchais : « Les Bohémiens de Paris » ; Délassements

Comiques : « Les Contes de Fées ».

Les coursdes facultés allaient reprendre, et l'on avertissait

les étudiants des dates pour l'inscription, en vue de la ses-

sion d'avril. . . , , ,

Les ambassadeurs et ministres plénipotent.a.res s eUient ré-installés. La vie normale renaissait. « La Bourse est excellente aujourd'hui,disait un bulletin financier, la hausse est considérable, eu égard à la situation présente. Le détachement du coupon, qui a eu lieu aujourd hui, porte le véritable cours du 3 o/o à53.i5. Le marché se maintient toujours très ferme, notamment sur la rente. »

Aucune réunion politique n'étaitannoncéepourle diman- che 19 mars. Mais les journaux faisaient savoir qu une grande soirée exceptionnelle serait donnée, au bénéfice de M». Du-uéret. au Cirque National, à huit heures et demie du soir.\itolff dirigerait la partie instrumentale. Got et Saint-Germain avaient promis leur concours à la bénéfi- ciaire, qui a faire, dans la soirée, de tristes refiesions sur l'idée fâcheuse qu'avait ^L Thiers de choisir la veille de sa représentation pour provoquer Pans, et donner un spectacle en plein air qui devait, pour quelque temps, faire le vide dans les théâtres.

Une seule assemblée populaire était fixée pour ce jour-là : les ouvriers tailleurs de Paris étaient convoqués pour le dimanche .9, en assemblée générale, à l'Elysée Montmar- tre (à cent cinquante mètres de la Butte et de la rue des Rosiers) pour « entendre le rapport du conseil d'adminis- tration, et fixer le jour l'on pourrait toucher les divi-

3l6 HISTOIRE DS LA COMMUNE DK 187I

dendes à répartir entre tous ceux (jui avaient fait des tra- vaux pour l'entreprise de l'habillement de la g-arde natio- nale ».

Cet ordre du jour, publié par tous les journaux, le matin du 18 mars, ne semblait pas révéler chez les tailleurs, en rap- ports quotidiens avec les chefs de la garde nationale pour l'habillement des hommes, une prévision des graves événe- ments qui s'accompliraient dans leur voisinage, à l'heure ils se préparaient à entendre fixer le chiffre de leurs dividendes.

Thiers, en brusquant le mouvement, en communiquant l'ordre d'attaquer la Butte dans la nuit du 17 au 18, a donc, sciemment et volontairement, donné le signal d'une insurrection que personne ne prévoyait si prochaine, qu'on ne vovait pas sortir des événements présents, et dont lui- même ne pouvait deviner la gravité.

Sauf Vinoy, personne ne fut au courant des projets de Thiers. La surprise de Paris fut donc générale, le lende- main matin. Les groupes révolutionnaires, les membres futurs de la Commune, les membres du Comité central, furent aussi abasourdis que l'ensemble de la population. Rien ne pouvait faire supposer que les choses n'allaient pas s'arranger, et les gens les mieux informés, les journa- listes, les hommes politiques, les orateurs et les organisa- teurs de réunions pendant le siège, les militants blan- quistes, comme les affiliés de l'Internationale, se couchèrent le vendredi soir, sans se douter qu'ils se lèveraient, le samedi, avec Paris en insurrection (i).

(i) L'auteur avait dîné et passé la soirée du vendredi chez son ami, le poète Paul Verlaine, a, rue Cardinai-Lenioine (V« arrond.). Retour- nant àson domicile avenue Trudaine (IX', il rencontra Rauul Rigault, qui l'accompagna. Us traversèrent Paris en causant.

Raoul Kigault, qui avait été commissaire de police, resté en rapport avec des anciens collègues, sortait de la brasserie Glaser, il avait

LE DIX-HUIT MARS

3«7

Le Comité Central ne fut ainsi pour rien dans les évé- nements. 11 n'a ni préparé le Dix-Huit Mars, ni même après la tentative d'enlèvement des canons dans la mati née, pris la direction, commandé l'émeute, et agi en chef d'un parti soudainement victorieux. ,<.-,,

La conclusion de ces observations, fondée sur es fait est que, sans la volonté de M. Thiers, il a y aurait eu m le Dix-Huit-Mars, ni la Commune.

VA TTA QUE EST DECIDEE

Pourquoi Thiers brusqua-t-il le mouvement ? Il pouvait temporiser encore, comme il aurait pu ordonner plus tôt une a taque décisive. Il n'avait pas voulu, sans être pré- sent ommencer l'exécution de son plan. U lui avait paru TcLaire, tandis qu'il éUiit à Bordeaux, de prépai.r ope- ration de permettre l'incubation de la résistance. De les ent" ves des jours précédents. Elles avaient averti, comme le voulait, les gardes nationaux. Il ne désirait pas que les canons fussent enlevés par surprise et trop facilement, lis i^ ne convenait pas non plus de propager trop long- temps l'expectative. Il avait peloté en attendant partie, Tp ésentS fallait jouer. Retarder l'opération defin.Uv r'était risquer de la rendre inutile. La lassitude des gar dien d s arcs éult visible, déjà notoire. L'opinion sou- Situn Sénouement pacifique, attendait une transaction, u" accord était dans l'air.et soit que les gardes nationaux

ruriîrart'^Va'pmuae.ava,ent.amè^^^

A deux heures du ">»""' ^"""Vles Ba 'uoîles.tout était tranquille. ^:;^î:îult'^f^!^:HSl'^^Cèt\"î-.redoruiait.

3i8

lIISTOinE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

par abandon, lui fissent trop aisée la tâche de sauveur de l'ordre, soit qu'une proposition de céder les canons à l'ar- tillerie, ou de les répartir entre chaque bataillon, comme l 'avait indiqué le colonel Lang-lois, fût, aux yeux de tous, trop avantageuse et trop loyale pour pouvoir être refusée, s'il tardait encore, il manquait l'occasion cherchée d'un coup de force. Le combat, et en même temps la répression, lui échapperaient. Il était encore à même d'entamer une lutte le samedi i8, mais, le dimanche 19, il serait peut-être trop tard.

Le second motif qui fit choisir cette date, ce fut la réu- nion prochaine de l'Assemblée. Elle venait siéger à Ver- sailles le lundi 20 mars. C'étaient deux jours pleins devant soi. Ce délai était suffisant pour agir et vaincre. La résis- tance, .sur Isquelle Thiers comptait, ne pouvait se prolon-^er plus de trois jours. C'est la durée normale des insurrections parisiennes. Le dimanche verrait sans doute le fort de la lutte, et le lundi matin, les rebelles seraient écrasés, les barricades prises ; alors l'armée, maîtresse de toutes les positions, ne rencontrerait plus devant elle que des fuvards et des prisonniers. Ce serait l'œuvre de la police de conti- nuer la victoire. Quant à lui, avec une modestie triomphale, dès l'ouverture de la séance, il monterait à la tribune et apprendrait à l'Assemblée le commencement et la fin de l'émeute : Paris soumis, et plus de canons braqués sur la ville ! Non seulement les factieux allaient être immédiate- ment désarmés et châtiés, mais même les bataillons restés fidèles remettraient leurs fusils, ceux-là volontairement.

Le rôle de la garde nationale serait donc fini. L'Assem- blée, avec plus de sécurité qu'au temps Changarnier s'eft'orçait de la rassurer, pourrait délibérer en paix. Il n'aurait pluslui,Thiers,qu'à recueillir les applaudissements et les félicitations de la représentation nationale, heureuse

LB DIX-HUIT MARS

319

d'être délivrée, et toute à la discrétion de son libérateur. Le pays joindrait ses acclamations.

Enàn une rousidération financifcre pressante le poussait à hâter au moment rAssemblée reprenait ses séances, la fin du malaise et de l'indécision, dont, à cause de ces canons, les banquiers arguaient pour ajourner le. combi- naisons permettant de faire l'emprunt et de payer les Prus-

siens.

Beaucoup de personnes, déposa Thiers, s'occupant de 1. ques- tion Hnancièrc, disaient qu'il fallait songer a W" Prus- siens Les gens daffaircs allaient répétant partout : vous ne ferez jamais d'opérations financières, si vous n'en finissez pas avec ous ces scélérats, si vous ne leur enlevez pas ^^^.^ f .'^--•, » ff" en finir, et alors, on pourra traiter d'affaires L idée qu il allaU enlever les canons était en effet dominante, et d était difficile d y résister.

(Enquête parUmintairc. - Dcposilion de M. Thiers, t. II, p. .1.)

On lui ordonnait d'en finir ! Injonction terrible de la réaction elTravée, à toutes les époques de lutte contre les forces populaires. Le plus tôt qu'il en finirait serait donc le plus avantageux, pour aborder la question de 1 emprunt, pour les ressources à trouver afin de payer et de renvoyer les Prussiens.il comptait saisir l'Assemblée, dès sa réunion à Versailles, des moyens financiers qu'il avait en vue. II était donc nécessaire d'agir immédiatement.

Il n'avait pu engager plus tôt l'action qu'il méditait, parce que d'abord il voulait être pour tout décider, pour donner des ordres aux généraux, pour faire de son cabi- net un quartier général, d'où il dirigerait les opérations, la stratégie étant sa marotte. Eu art militaire il s'estimait seul compétent, n'était-il pas l'historien des batailles de Napoléon ? Avant raconté les campagnes de l'empereur, il

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21

320 HISTOIHE DB LA COMMUNE DE 187I

finissait par croire qu'il les avait faites. II n'aurait pu com- meacer plus vite sa campagne de Paris, parce qu'il n'avait pas suffisamment de troupes sous la main. Depuis plusieurs jours, des renforts, réclamés d'urgence, lui arrivaient. En même temps, il pressait le renvoi des soldats désarmés, logés chez l'habitant, vaguant dans Paris, et dont le con- tact avec la population civile l'inquiétait. Débarrassé de ces éléments douteux susceptibles de renforcer l'insurrec- tion, disposant des régiments qu'il avait fait venir do pro- vince, de Gap, d'autres garnisons du sud-est, ayant déjà la division Faron qui avait conservé ses armes, et dont il était sûr, il estima que l'heure d'agir était venue. Il convo- qua Vinoy pour le 17, dans la matinée, à son cabinet:

Si l'on ne réussissait pas, a dit M. ïhiers, il faudrait sortir de Paris, mais auparavant, il fallait tenter le combat, et chercher à enlever les canons à tout prix. Nous étions à l'un de ces jours il faut tout risquer. Le général Vinoy, que je consultai, me me répondit : Nous avons bien peu de monde, mais enlever les positions n'est pas impossible. Ordonnez, je suis soldat, j'obéi- rai !.. .

[Enquête Parlementa r . Id.)

Il ordonna, et Vinoj' obéit, mais mal.

Ni lui, ni personne dans le conseil qui fut réuni dans la journée de vendredi, et qui approuva le plan d'attaque délibéré entre Vinoy et le chef du pouvoirexéculif,n'avaient prévu trois facteurs de l'échec du lendemain : les mauvaises mesures prises par les généraux, notamment en ce qui con. cernait l'envoi des attelages pour emmener les pièces d'ar- tillerie, puis l'intervention en masse de la population mont- martroise, et enfin la débandade d'un régiment, le 88' de marche.

M. Thiers souhaitait la résistance, sans laquelle il n'au-

LE DIX-UUIT MARS 32

rait pu faire qu'une épuration, à ses yeux insuffisante, mais il ne devinait pas qu'elle deviendrait aussi formidable. 11 partag'eait l'opinion des g;'énéraux sur la garde natio- nale, et croyait qu'elle serait incapable de tenir contre les troupes plus de 48 heures, du samedi au lundi. Aussi avait-il refusé tout concours des gardes nationaux, dits de l'ordre. D'un cœur, non pas lég-er, mais lourd de haine contre la démocratie, contre le peuple, qu'il avait appelé la vile multitude, il déclara à Paris la guerre. Il ne se doutait pas qu'elle durerait deux mois, qu'elle ferait couler des flots de sang du côté de l'armée, qu'il entraînait cette armée dans une seconde campagne inutile et sans gloire, et que sa victoire retardée aboutirait à ces deux résultats qui n'é- taient point ceux qu'il cherchait: la république consolidée et sou fauteuil de président donné au maréchal Mac-Mahon, l'exécuteur de ses hautes œuvres.

A trois heures du matin, les troupes mises sur pied sor- taient silencieusement des casernes, et se dirigeaient vers la Butte Montmartre.

Aux premières lueurs de l'aube indécise le plan de M.Thiers avait reçu un commencement d'exécution.

LIVRE IX

L'INTERNATIONALE

L'INTERNATIONALE N'A PAS FAIT LE DIX-HUIT MARS

Ni la presse, ni des chefs politiijues,ni des conspirateurs, ni enfin le Comité Central ne peuvent être considérés comme ayant décidé l'insurrection du Dix-Huit mars, ni même comme l'ayant dirig-ée. Aucun de ces éléments ne se retrouve à l'analyse ; aucun de ces facteurs ne se mani- festa même quand Paris fut visiblement en révolution. La matinée s'écoula sans qu'il y eût aucune direction révolu- tionnaire. Nul chef populaire n'apparut prenant le com- mandement, donnant des ordres, organisant un g-ouver- nement insurrectionnel. Personne ne se présenta dans l'a- près-midi, à l'Hôtel-de- Ville, pour en prendre possession, personne avant minuit n'osa décréter, au nom des insurgés, ni décider des premières mesures de défense et d'organisa- tion.

Un seul groupe politique aurait pu, dès la débandade à Montmartre, s'emparer du pouvoir : le groupe blan- quiste; mais ses membres étaient dispersés, mal prêts pour une action quelconque ; c'étaient des corps sans âme : Blan-

LE DIX-HUIT MAnS 323

qui n'était pas ! Condamné à mort pour les événements du 3i octobre, il venait d'être arrêté dans l'asile il s'était réfug-ié, au fond d'un village du Midi.

Restait {'Internationale. Ses principaux chefs étaient présents; ils siégeaient à la Corderie du Temple, avec les délég-iiés des associations ouvrières et avec le Comité Cen- tral, mais ils ne se montrèrent pas. Ce fut un préjug-é, une erreur historique accréditée, qu'il faut réfuter, que d'attri- buer au.x; membres de l'Internationale un rôle actif et prépondérant dans les événements du Dix-Huit mars.

L'Internationale ne fut pour rien, en tant que société organisée, dans la nomination du Comité Central, comme dans la formation du g-ouvernemeut élu de la Commune.

Plusieurs des membres du Comité Central et de la Com- mune avaient fait partie de V Internationale, mais ce n'est pas pour obéir au conseil j^énéral de cette association, ni pour faire triompher ses principes, qu'ils se joig-nirent, dans la matinée et dans l'après-midi du Dix-Huit mars, à la foule insurg:ée, dont le soulèvement n'avait ni chefs, ni mot d'ordre, ni but dérini.

L'Internationale n'a participé qu'indirectement au Dix- Huit mars. Elle n'a fait que fournir des combattants, des électeurs et des chefs 'a. l'insurrection, puis à la Commune.

ORIGINES DE L'INTERNATIONALE

Pour se rendre compte de l'influence et du rôle de V In- ternationale dans la journée du Dix-Huit mars et dans les événements qui suivirent, il faut se reporter à ses orig-ines. L'organisation de Y Internationale est duc à la réunion à Londres, à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1862, d'une délég'alion d'ouvriers français. Cette délég'ation était composée d'hommes intellig'ents et entreprenants, pour la

32l> UlSTOinE DE LA COMMUNE DE I 87 I

plupart ayant puisé dans la lecttire des ouvragées de Prou, dhon les idées socialistes. Ils étaient également imbus, d'après les écrivains de i848, des principesde l'association, et se montraient persuadés de sou efficacité pour arriver, par des i^rèves bien conduites, à résister aux exigences patronales et à maintenir le taux des salaires. Ces délég-ués avaient été envoyés par leurs camarades, avec la mission d'étudier les conditions du travail et des salaires de l'An- gleterre, de comparer la situation des ouvriers ang-Iais avec la leur. Le g-ouvernement avait favorisé cette enquête. Il avait supporté les frais d'envoi des délégués. Les représen- tajits du travail français fraternisèrent avec leurs cama- rades ang-lais et étudièrent le fonctionnement des sociétés de défense ouvrière, existant déjà en Ang-leterre sous le nom de Traders Unions. Il sortit de ces conférences ami- cales et privées le projet d'une association des travailleurs de tous les pays, en vue d'empêcher la concurrence en cas de grèves, et d'établir une solidarité entre les travailleurs, en quelque pays que la grève éclatât.

C'était l'embryon d'une fédération universelle des tra- vailleurs, le gevme initial de la conception d'un grand parti ouvrier, devant vivreet grandir en face du patronat et du capitalisme, sans distinction de nationalités, sans préoccu- pation de frontières.

Les délégués français quittèrent l'Angleterre, non sans avoir pris rendez-vous pour un grand meeting ouvrier, l'on fixerait les termes de l'association projetée, l'on fonderait l'organisation de résistance de la classe ouvrière. Aumectingde Saint-Marlin's hall, où, parmi lesdélégués français, figurait Tolain, par la suite député et sénateur, on établit des statuts provisoires. Le principe de l'émancipa- tion des travailleurs et la solidarité des travailleurs de toutes les nations formaient la base de ces staliits. Ils affir-

LB DIX-UUIT MARS

3a5

maienl, en même temps, l'antagonisme du travail et du capital, et, parconséqueat.dépassaicnllcs vœux timides des promoteurs du meeting initial des déléçuùs à lexposition de i8Ga. Ces statuts, c'était une déclaration de guerre, de la guerre des classes.

L'Association Internationale comprenait des sections.Cha- que groupe, formé dans une localité, devenait une section indépendante, mais tenue de correspondre avec le pouvoir central. Ce comité central gouvernait donc cette sorte de franc-maçonnerie ouvrière : il en était la grande loge, lo conseil de l'ordre.

Il se composait de membres de toutes les nations. Karl Marx, que les polices d'Allemagne et de France pourchas- saient,avail élé l'àme de cette organisation nouvelle des tra- vailleurs de tous les pays.

KARL MARX

Karl Marx est l'initiateur du mouvement qui devait Aboutir à la fondation de l'Association internationale des Travailleurs. C'est une des plus importantes personnalités du xix'- siècle. Il était à Trêves, en i8i 8. Etudiant k Bonn et à Berlin, il vint à Paris, et entra en relations avec les philosophes et les principaux socialistes de i848. Retourné en Allemagne, il écrivit plusieurs livres et bro- chures qui l'exposèrent à des poursuites. Il publia en iHby, à Londres, il avait cherché asile, son grand ouvrage le Capital, qui devait devenir la Bible du socialisme contemporain.

La doctrine du célèbre théoricien, qui a donné nais- sance et nom à une des grandes écoles du socialisme, le Marxisme, dont Jules Guesde est le représentant contem- porain le plus influent, a été ainsi résumée par Gabriel

326 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Deville, qui a publié en 1877 une traduction française du Capital.

« En menant à bien l'étude de la société, Karl Marx n'a pas prétendu être le créateur d'une science inconnue avant lui. Il a, le premier, préconisé Télude des phénomènes sociaux, basée sur la seule conception réelle, sur la concep- tion matérialiste.

« L'histoire, a-t-il exposé, n'est que l'histoire de la guerre des classes. Ce sont les intérêts matériels qui ont toujours motivé la lutte incessante des classes privilég-iées, soit entre elles, soit contre les classes inférieures aux dépens de qui elles vivent. Ce sont les conditions de la vie maté- rielle qui dominent l'homme, ce sont ces conditions, et par suite le mode de production, qui ont déterminé et détermi- neront les mœurs et les institutions sociales, économiques, politiques, juridiques; dès qu'une partie de la société a accaparé les moj'eus de production, l'autre partie, à qui incombe le fardeau du travail, est obligée d'ajouter au temps de travail commandé pour son propre entretien, un sur- plus pour lequel elle ne reçoit aucun équivalent, destiné à entretenir et à enrichir les possesseurs des moyens de pro- duction.

«La mission historique de la cla.sseactuellement exploitée, du prolétariat, est d'activer l'œuvre de destruction com- mencée par le développement des antagonismes sociaux. Il lui faut tout d'abord, révolutionnairement, arracher à ses adversaires de classe le pouvoir politique, la force par eux consacrée à conserver intacts leurs monopoles économiques.

« Maître du pouvoir politique, le prolétariat pourra, en procédant à la socialisation des moyens de production, réa- liser le travail universel et l'abolition des classes. »

Pour réaliser ce programme collectiviste Ivarl Marx comp- tait beaucoup sur le mouvement communaliste de 1871,

LE DIX-HUIT MARS

327

aussi la défaite de Paris socialiste fut-elle, pour ses idées, pour ses espérances, pour son œuvre aussi, l'Association in- ternationale, un coup terrible. Sa lutte avec Bakounine, etla scission qui en fut la conséquence, marquèrent ses dernières

années.

Il est mort à Londres en i883.

LA SECr/ON FRANÇAISE

S'inspirant d'une partie de ce prot^ramme et des idées d'organisation proclamées par Karl Mar.v, les délégués français, Tolaiu, Limousin et Perrachon, fondèrent la section française de l'Internationale. Elle eut son siè-e rue des Gravilliers. Les premiers adhérents qui se joignirent à eux, Camélinat, Fiibourg, Héligon, Murât, Varlin, Benoit Ma- lon, avaient soutenu, en février i864,le principe de la can- didature exclusivement ouvrière. C'était la mise en pratique des théories agitées à Londres, et dont les statuts do l'In- ternationale allaient préciser les formules.

Il s'agissait alors de nommer deux députés à Paris en remplacement de Jules Favre, élu dans la Seine et dans le Rhône, et de Léonor Havin, directeur du Siècle, une puis- sance inintelligente et plutôt grotesque, mais redoutable par le nombre des lecteurs de son journal, élu dans la Seine et dans la Manche. Les compétitions que soulevèrent ces deux vacances eurent pour conséquence, d'abord une rupture entre les députés de Paris, dont les uns, comme Jules Favre, soutinrent la candidature de Garnier Pages, que d'autres repoussaient, et ensuite l'adoption d'une can- didature ouvrière. Carnot et Garnier Pages passèrent (21 mars i864).

L'élection de C'irnier P.nçès était déi)Iorable,dit Emile OlUvier.

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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

Je ne sais qui remportait en lui de l'imbécillité ou de l'efFronte- ne [Empire libéral).

La candidature ouvrière, celle d'un typographe, nommé Blauc, ne réunit qu'un petit nombre de voix, mais elle avait affirmé, devant tous les partis politiques, devant le public aussi, la candidature do classe.

Un manifeste, portant soixante signatures ouvrières,avait accompag-né la présentation du candidat, c'était comme la déclaration des Droits de l'Ouvrier. Ce programme réfutait d'abord la formule courante : il n y a plus de classes de- puis 1789. Il protestait ensuite contre le sophisme de l'éga- lité des citoyens. Cette prétendue égalité, cette égalité théo- rique, faisait partie du verbiage électoral. On use encore de ce terme fallacieux. Comme si le capital n'établissait pas une évidente distinction, ne mettait pas une séparation infranchissable entre les citoyens, comme si le pauwc était dans la société l'égal du riche, comme si l'homme qui n'a comme moyen d'action que ses bras, peut être considéré comme libre! Ces soixante» prolétaires hardiment repous- saient ces mensonges politiques, répétés et soutenus par les députés elles journalistes de l'opposition, d'avec lesquels ils se séparaient audacieusement.

Les soi.tante affirmaient, en outre, qu'ils n'étaient pas représentés, et que des députés issus de la classe bour- geoise ne pouvaient ni obtenir ni même réclamer les ré- formes, d'où devait sortir l'aflFranchissement des travail- leurs.

Nous ne sommes pas représentés, disaient-ils, car, dans xme séance récente du Corps Législatif, aucune voix ne s'éleva pour formuler, comme nous les entendons, nos .Tspiralions,nos désirs et nos droits. Nous ne sommes pas représentés, nous qui refusons de croire que la misère soit d'institution divine. Nous ne sommes pas représentés, car personne n'a dit que l'espril d'antagonisme

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3'9

S'affaiblissait tous les jours dans les classes ouvrières. Nous main- tenons qu'après douze ans de patience le moment opportun est venu En 1848, l'élection d'ouvriers consacra un fait, 1 ega île politique; en ISC.i, cette élection, consacrerait l'egalUe sociale.

Ce manifeste, d'une forme modérée, Tolain en avait été le rédacteur souleva la fureur des députés, déchaîna les colères de la presse, et excita contre les novateurs toute l'arrière-garde de l'opposition. On reprocha à ces néo- opposants, avant--arde compromettante, de faire avec la question sociale, inopportunément agitée, une diversion favorable aux candidats ofKciels, nuisible aux candidats d'opposition, hostile aux chefs de la gauche. On les consi- déra presque comme des traîtres et des mouchards. Mais ils eurent l'approbation de Proudhon, dont malheureuse- ment la fin était prochaine. Le puissant philosophe publia alors son ouvrage remarquable Sur la Capacité des clas- ses ouvrières. _ i i La déclaration ouvrière eut une sanction pratique : la loi dite des coalitionslfut votée, après un brillant effort oratoire d'Emile Ollivier. C'était l'abrogation des dispositions du code pénal, punissant l'entente des ouvriers en vue d'une grève à déclarer. Emile Ollivier proposa, et fit voter, la liberté pour les travailleurs de se concerter, avec cette res- triction que la liberté de celui qui ne voudrait, ni se coali- ser, ni cesser le travail, serait respectée. Un article amena une discussion assez vive. Jules Favrc et Jules Simon com- battirent le texte visant les atteintes à la liberté du travail. Emile Ollivier répondit :

S'interdire à soi-même le travail est un acte de liberté, l'inter- dire aux autres est un acte de tyrannie : la loi permet 1 acte de liberté et réprime l'acte de tyrannie.

Cette loi autorisait les grèves, mais comme elle conti-

33o HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Duait à défendre les réunions et les associations, elle ne donna qu'une incomplète satisfaction à la classe ouvrière.

CONGRÈS INTERNA TIONA UX

Un second congrès de travailleurs eut lieu à Genève, en 1866. Les discussions y furent économiques seulement. On y vota les statuts. Karl Marx, dont l'autorité s'affirmait de plus en plus, établit fortement la prépondérance, sur chaque conseil fédéral, du conseil g-énéral siégeant à Londres. A Lausanne, le congrès, qui fut tenu en septembre 1867, dé- clara que l'émancipation sociale était inséparable de l'é- mancipation politique. Un ouvrier suisse, à la première séance, fit une motion qui amena de la part de la grande majorité une déclaration anti-religieuse inattendue. On était implicitement d'accord, avant la réunion du congrès, pour écarter toute discussion sur les croyances, la croyance étant du domaine du sentiment individuel, une affaire privée. Ce congressiste eut la singularité de proposer que, suivant l'usage de son pays, on invoquât, avant de commencer toute discussion, la bénédiction de Dieu sur les travaux do l'assemblée. Cette motion dangereuse, conforme à l'esprit calviniste, suscita d'évidentes protestations et amena de très fermes déclarations de matérialisme scientifique.

Le Congrès ayant décidé, à l'unanimité, que l'émancipa- tion morale des travailleurs devait être accompagnée de leur émancipation politique, vota ensuite le principe que : les sociétés coopératives ne devaient pas réaliser de béné- fices, car alors elles deviendraient une nouvelle caste capi- taliste, mais qu'elles devaient se diriger par les principes de la mutualité et du fédéralisme. On repoussa, sur la pro- position des délégués français, des motions qualifiées de communistes, comme la propriété collective du sol et l'abo-

LE DIX-HUIT MA US 33 1

lition lie l'héritage. Les Suisses et les Italiens votèrent avec les Français pour le maintien de la propriété individuelle. Les Belges, les Anglais et les Allemands votèrent la pro- priété collective.

Le Congrès de Bruxelles, en 1868, fut une revanche de l'esprit communiste. Il adopta le principe collectiviste, mal- gré l'opposition des Français. Une question, à laquelle de terribles événements, bien proches, allaient donner une ré- ponse brutale, qui n'était point celle qu'avaient supposée les congressistes illusionnés, fut posée sur l'attitude des tra- vailleurs en cas de condit guerrier. Les congressistes votè- rent une motion de Charles Longuet, Richard, Fontaine et Tolain, délégués français, déclarant que les ouvriers de- vraient s'opposer à la guerre,et menacer les gouvernements d'une grève générale « dans tous les pays éclaterait la guerre ». Deu.x ans après, les Prussiens bombardaient Paris, et les ouvriers allemands marchaient sans hésiter contre les ouvriers parisiens, qui, eux-mêmes d'ailleurs, à la déclaration de guerre, pas plus que leurs confrères alle- mands, n'avaient eu la pensée d'une déclaration de grève générale. Des deux côtés de la frontière, on avait patrioti" quement empoigné le fusil, et combattu chacun pour son pays, sans se préoccuper des principes et des statuts de l'In- ternationale.

BAKOUNINE

A Bâie, le 0 septembre 1869 s'ouvrit un congrès animé de l'esprit le plus révolutionnaire. Des délégués espagnols y assistaient, et aussi un délégué des mécaniciens de Napies, le russe Bakounine. Ce célèbre révolutionnaire avait été élevé à l'école des Cadets, et en était sorti officier dans l'ar- tillerie de la garde. Il appartenait à une famille riche. Il

33* HISTOIRE DB LA COMMUNE DE I 87 I

put s'affranchir bientôtde la servitude militaire.il voyagea, vint à Paris, y conaut Proud bon, collabora à la Réforme, et, lié avec les patriotes polonais, il s'ell'orra de provoquer un soulèvement simultané en Poloirne et en Russie. 11 fut expulsé de France sur les instances de l'ambassadeur russe, et se réfugia en Belgique. 11 parcourut ensuite l'Allemagne et l'Autriche, participa aux troubles de Prague, de Dresde, de Berlin, qui éclatèrent à la suite des événements de 1848. Il fut arrêté à Ghemnitz et condamné à mort, une première fois.Sa peine fut commuée.Il fut une seconde fois condamné à|mort,et enfin livré à la Russie,par l'Autriche. Détenu pen- dant huit ans à la forteresse de Pelropawlosk, sa peine fut commuée on exil perpétuel, en Sibérie. 11 s'évada des mines, gagna le Japon, se réfugia en Angleterre, puis en Suisse. Il entra dans l'Association internationale en 1S67. Il avait fondé un groupement rival : la Démocratie Socialiste. Il sollicita son admissionà l'Association internationale, et l'ob- tint. Avec lui, le communisme libertaire pénétra dans l'In- ternationale, et y produisit une scission. Bakounine, repré- sentant l'élément anarchiste, lutta contre Karl Marx, auto- ritaire, partisan de l'intervention politique, enseignant que le prolétariat doit s'emparer du pouvoir et le conserver. Bakounine avait l'espritde lutte, de démolition, de suppres- sion de tout système gouvernemental. Karl Marx était cen- tralisateur et organisateur. L'Allemand, penseur puissant, à l'agitateur russe, utopiste niveleur, qui ne rêvait que des- truction de toute organisation, qui craignait même que le triomphe du socialisme n'amenât la formation d'un état nouveau, la domination d'une classe surgissant des rangs populaires, opposait un système d'état social, dont le prin- cipe serait l'organisation du prolétariat en parti de classe. Ayant conquis le pouvoir politique, maître de tous les rouages de l'Etat, le prolétariat enlèverait le capital à la

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bourgeoisie, centraliserait les moyens de production de la richesse entre les mains de l'Etat. Cet Etat ne devrait dis- paraître que lorsque le prolétariat aurait définitivement vaincu toutes les résistances des classes priviléç.ées. Kar Marx était donc un socialiste gouvernemental, comme tel admettant la République, à condition de s'en emparer. Bakouuine, négateur complet, nihiliste intransigeant, vou- lait l'abolition de tout pouvoir politique.en qui.l voyait tou- jours un despotisme. « L'Etat républicain, d.sa.t-d, est ausM despotique que l'Etat gouverné par un empereur ou un roi >. Cette dualilé de systèmes et de tendances s est perpétuée jusqu'à nos jours. Elle s'affirma par une lutte, un vote, et un schisme, après la lutte de la Commune, au congrès de la Hâve et au congrès de Saint-Imier (septem- bre i872VBakounine et les autres anarchistes furent exclus de r.\ssociation Internationale, et Karl Marx, avec les par- tisans d'une centralisation autoritaire de l'Association, triompha. Le conseil général de l'Internationale fut trans- féré de Londres à New-York, et comme protestation la Fédération Jurassienne fut fondée. Ces débats, étant pos- térieurs à la Commune, ne peuvent être qu'indiqués ici.

L'un des juraissens, disciple de Bakounine, a formulé ainsi l'antagonisme des deux camps de l'Internationale :

Les uns veulent s'emparer de l'éUt actuel et le modifier gra- duellemeat jusqu'à ce qu"il soit la fidèle expression des besoins des travailleurs; les autres suppriment d'abord 1 organisation politique et juridique, de manière à enlever toutes aaranties aux privilèses de la boun;eoisie, et à désopRaniser 1 ordre social pour rcconslilucr les communes et la fédération inl^rnaUonale.

Adhcmar Schwitz, en donnant cette formule, semblait accorder à Bakounine et à ses partisans le pri-i-ilège de l'ac- tion révolutionnaire. C'est inexact. Les membres français de l'Internationale, tout en se soumettant à la direction du

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niSTOIBE DE LA COMMUNE DE 187I

conseil g-énéral marxiste, firent plus que de proclamer des théories, ils ag-irent. La plupart, en efl'et, sans avoir été les promoteurs de la Révolution du i8 mars, mouvement spontané, riposte à une provocation gouvernementale, pro- pagèrent l'esprit révolutionnaire, fournirent des chefs au Comité Central, des membres et des fonctionnaires au g-ou- verncment de la Commune. Les autres internationaux, en AUemag-ne, en Angleterre, se contentèrent de disputailler sur leurs théories, en s'inclinant respectueusement devant le casque couronné du Kaiser et le diadème de la Queeu.

L'INTERNA TIONA LE SOUS NA POLÉON III

Les premiers membres français de l'Internationale, les délégués à l'exposition de Londres, avaient paru inoffen- sifs au gouvernement impérial. Loin de se montrer effrayé par la création de cette organisation ouvrière, avant des ramifications dans tous les pays d'Europe, l'empereur, qui faisait montre alors de libéralisme, non seulement toléra ce mouvement inattendu, mais l'encouragea. Napoléon III avait toujours eu une tendance à admettre, à soutenirmême les idées socialistes, à condition qu'elles demeurassent sans danger pour le pouvoir absolu dont il était nanti.

Durant sa détention à Ham, dans son cerveau nuageux, des aspirations philanthropiques etdesrêverieshumanitaires s'étaient condensées. Il avait rédigé un mémoire sur l'Ex- tinction du Paupérisme. Son socialisme théorique s'accom- modait parfaitement avec la pratique de la dictature. Il éprouvait, pour la multitude, qu'il .se gardait bien de qua- lifier de « vile », des sentiments de bienveillance césarienne. Il était reconnais.sant, envers ceux qu'il considérait comme étant de la plèbe, de leur inaction lors du DeuxDécemhre.de leur soumission au fait accompli, de leur inertie consên-

LE DIX-HUIT MAIXS

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tante, depuis la proclamation de l'empire, et aussi des six millions de suffrages amnistieurs dont ils avaient largement grossi le total. Il ne lui déplaisait pas de flatter, de soigner cette plèbe, pour mieux opprimer le peuple. Et puis, en sa tête farcie des préceptes de iMachiavel, travaillait l'arnère- penséed'un dérivatif adroit. Il envisageait comme un excel- lent moyen de gouvernement cette inclinaison vers les hori- zons socialistes qu'on lui reconnaissait; il voyait une force dans cette attention donnée aux projets des meneurs de la classe ouvrière. C'était une diversion vis-à-vis de l'opposi- tion bourgeoise, une surenchère mise sur le programme des Cinq, une atténuation de l'influence que Jules Favre, et les autres avocats qualifiés de républicains prenaient sur l'o- pinion. Donner de la force, delà publicité, et accorder un protectorat moral à un parti nouveau qui se séparait des groupes anciens, qui méconnaissait et combattait les chefs jusque-là autorisés, et pour ainsi dire officiels, de 1 opposi- tion,c'élaithabile; favoriser en même temps un programme, qui, écartant les questions politiques,déclarait s'enteniràdes réformes économiques,àdes questions de bien-être matériel et à l'amélioration des conditions du travail, à l'augmenta- tion des salaires, c'était très fort; c'était assurer, s'imagi- nait l'empereur utopiste, la consolidation du trône impérial. Les politiciens traditionnalistes, les orléanistes, les libéraux et les républicains de gauche, s'appuyant sur la bourgeoi- sie frondeuse, dont la clientèle dans quelques grandes villes se plaisait à critiquer le pouvoir, et à voter pour des candi- dats plus ou moins irréconciliables, deviendraient des ad- versaires négligeables, lorsqu'on aurait réussi à détacher d'eux les masses ouvrières. Les jours de scrutin, comme autrefois en temps de révolution, ces contingents populaires décidaient de la victoire. Il n'était pas désagréable à l em- pereur, (lui se sentait déjà ébranlé sur son trône auton-

336 HISTOIRE DE LA COMMUNB DE 1 87 I

aire, par les secousses continues de l'opposition, de pa- raître soutenu par les ouvriers. Il résisterait k la poussée bourg-eoise, en déclarant faire aux éléments plébéiens une place clans l'Etat.

EmileOHivier, qui, avec Morny, préparait déjà .sa fameuse loi des coalitions, observait avec intérêt cette évolution du régime absolu vers le socialisme césarien et vers l'empire libéral, a apprécié ainsi l'initiative de l'empereur, dont il attribue une part à sou cousin :

En 1862, lors de l'expositioa de Londres, l'empereur, sur le coD.seil du prince Napoléon, prenant une inilialive hardie de confiance, avait autorisé chaque corps de métier à se réunir et à nommer des déléi^ués proportionnellement à son importance. Cent mille ouvriers furent mis ainsi en mouvement, sans que le public s'en doutât, et trois cents délé2:ués nommés avaient reçu quarante mille francs pour leurs frais de voyage. Ces déléo-ucs revinrent pénétrés de l'idée que, pour être résolue à leur profit, la question sociale devait être séparée des questions politiques, et qu'au lieu de se mettre à la queue d'un parti, les ouvriers devaient se déclarer neutres, laisser les bourgeois se disputer sur la formedu gouvernement et s'occuper exclusivement d'amé- liorer leur condition.

(Emile OUivier, l'Empire libéral.)

Les événements ne répondirent pas à l'attente de Napo- léon III, et ses calculs se trouvèrent faussés par les circons- tances. Bien vite, les préoccupations dynastiques et le sen- timent autoritaire reprirent le dessus dans ses conseils. Ces organisations ouvrières, d'abord jugées inoffensives, sup- posées même su.sceplibles d'être des au.viliaires, apparurent, ce qu'elles étaient réellement, des organes de révolution re- doutables pour un gouvernement à peu près absolu, avant tout défenseur des privilèges de la bourgeoisie, et gardien vigilant de cet ordre social établi, dont les congrès de

LR DIX-HUIT MARS 887

Bruxelles, de Lausanne et de Bâle préconisaient le boule- versement, le préparaient visiblement. On décida d'arrêter ces colonnes d'assaut, lancées des congres tenus à l'étran- ger contre les institutions et les principes de l'empire, remparts de la société propriétaire, capitaliste et bour- geoise.

Les internationaux furent considérés comme des conspi- rateurs. Des ordres furent donnés au parquet, qui obéit sur l'heure. L'Internationale fut poursuivie comme société secrète. C'était absurde. Il n'y avait rien de secret dans les réunions, comme dans le but de ces ouvriers g-roupés, non seulement au grand jour, mais originairement avec l'assen- timent et la subvention du gouvernement.

La loi des coalitions n'autorisait pas l'association. Le 26 mars 1868, les membres du bureau de la section française de l'Internationale comparurent donc devant la 6e cham- bre, tribunal correctionnel de Paris. Les accusés étaient : Tolain, Gaméliuat, Iléligon, Chemalé, Murât, Perrachon, Fournaise, Danlier, Beliamy, Gcrardin, Gautier, Bastien, Guyard, Delahaye, Delorme. Ils étaient inculpés d'avoir fait partie d'une société non autorisée de plus de vingt personnes. L'audience était présidée par le fameux Deles- vaux. Ce magistrat à tout faire, brutal, partial, très peu distingué, physiquement et intellectuellement, s'étaitacquis une peu enviable célébrité, durant les dernières années de l'empire. Il fut le valet judiciaire du gouvernement impé- rial aux abois. Ce fut lui qui subit les cinglantes apostro- phes de Gambetta, plaidant l'affaire de la manifestation Baudin. Il siégea dans presque tous les procès politiques de 1868 à 1870. Avec son digne collègue, le vice-président Loriot de Rouvray^, chargé de la 7" chambre, il s'était attiré l'animosité de tous les républicains. On le trouva mort subitement, dans son appartement de la rue d'Amsterdam, I 22

338 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

au malin du 4 Septembre. On prétendit qu'il avait été sur- prise! exécuté par une de ses anciennes victimes. Il n'y eut ni instruction judiciaire, ni même enquête sommaire, sur les circonstances de sa mort. Il est fort probable qu'en appre- nant la chute du régime qu'il avait servi avec un zèle exces- sif, et en voyant ceux qu'il avait non seulement condam- nés, mais insultés du haut de son tribunal, arriver au pouvoir, il prit peur, et, comme les vizirs odieux, à la mort d'un sultan, il ne voulut pas survivre au gouvernement qui le protégeait, et se tua. Suicide ou vengeance politique, la disparition ne fit aucun bruit : la bête malfaisante avait expiré dans sa tanière, et nul ne s'en occupa. On avait alors d'autres passionnantes préoccupations.

LES PROCÈS DE L INTERNATIONALE

Ce premier procès ne parvint ni à émouvoir ni à effrayer la bourgeoisie. Elle assista d'ailleurs avec une suffisante indifférence aux diverses poursuites intentées aux mem- bres de l'Internationale. La plupart des accusés étaient pour elle des inconnus, et l'on considérait leurs théories comme chimériques,leur but comme invraisemblable, leur inûuence politique comme nulle.

Le ministère public contribua à entretenir cette apathie bourgeoise. Nul ne semblait pressentir l'importance du mouvement, nul ne devinait dans ces ouvriers obscurs, déférés à la justice comme de hardis mais infimes enne- mis de l'ordre social, les futurs dirigeants d'un formidable mouvement. On était alors tout à la joie. La fête impé- riale battait son plein. On se trouvait à la veille de la grande kermesse internationale du Champ de Mars, et l'Exposition Universelle accaparait l'attention, dérivait les énergies, masquait tous les points noirs, extérieurs et intérieurs, que

LE DIX-HUIT MARS SSg

quelques clairvoyants sifî^nalaient à l'horizon. On remuait, on récoltait de l'argent. Quand on g-ag-nc de l'argent, c'est l'opiaion commune de la classe moyenne et de la classe ouvrière aussi, tout semble parfait, le ciel est clair, la route est belle et tout paraît marcher à souhait. L'optimisme s'insinue dans l'organisme social, la confiance dans la soli- dité du régime, la foi dans la force des gouvernants, avec le dédain pour les mécontents et les pessimistes. La sécu- rité, une certaine indulgence béate, et le mépris pour les sourds grondements extérieurs et intérieurs du volcan européen dominaient dans les esprits, qui se qualifiaient de raisonnables et de pondérés. La France cuvait alors un lourd bien-être. Elle n'entendait pas que sa diges- tion fût troublée. Elle disait volontiers, comme le tyran antique qui fui assassiné après souper: à demain les afl^ires sérieuses! Et puis étaient-elles vraiment sérieuses, ces affai- res de l'Internationale, dont les journaux, considérés déjà comme « à court de copie », selon le cliché stupide, gros- sissaient assurément l'importance. On voulait taquiner le pays tranquille, eu lui faisant peur, comme aux enfants que l'on menace de croquemitaines imaginaires. C'était tout bonnement ridicule 1 Los avocats impériaux, à la barre de leurs tribunaux, n'étaient même pas parvenus à établir une vraie culpabilité contre ces internationaux désignés comme si dangereux. Aussi, malgré toute la bonne volonté des juges, n'avaient-ils pu obtenir qu'une condamnation déri- soire. Cent francs d'amende, pour frapper des révolution- naires qu'on déclarait dangereux , c'était une plaisante- rie. On en concluait que le parquet, n'ayant rien à laire, à court de réquisitions, sans doute, comme les journaux étaient dénués de nouvelles, avait voulu s'amuser et paraître un vigilant gardien de l'ordre public. En poursuivant de pauvres diables, sans consistance, sans moyens d'action, et

3/(0 niSTOIRE DE LA. COMMUNS DE 187I

dont les efforts pour s'associer ne faisaient que mettre en plus vive lumière leur isolement et leur impuissance, la magistrature avait démontré la solidité de l'édifice impé- rial et le peu d'importance de ceux qui prétendaient l'ébranler !

Dans leur défense, les accusés de l'Internationale s'étaient présentés, non comme des factieux prêts à s'armer, mais comme des citoyens un peu plus remuants que d'autres, voulant profiter des lois libérales de l'empire, pour discu- ter, à leur façon, et en se groupant, leurs intérêts profes- sionnels. Celui qui avait porté la parole au nom de tous, l'accusé Tolain, ouvrier ciseleur, individualité alors sans notoriété, avait répliqué au ministère public, avec modé- ration, et non sans apparence de raison :

Le réquisitoire que vous venez d'entendre est la preuve la plus £;rande du dan^jer que courent les travailleurs, quand ils cherchent à étudier les questions qui embrassent leurs plus chers intérêts, quand ils veulent s'éclairer niutuellemenl, et s'eB'orcent de reconnaître les voies dans lesquels ils marchent en aveugles. Quoi qu'ils fassent, de quelque précaution qu'ils s'entourent, quelles que soient leur prudence et leur bonne foi, ils sont tou- jours menacés, poursuivis et tombent sous l'application de la loi.

Comme l'avocat impérial protestait , l'orateur ayant parlé d'arbitraire, Tolain ajouta :

Le mot d'arbitraire vous blesse? Eh ! bien, pourtant, que nous est-il arrivé ? Un jour, un fonctionnaire s'est levé avec l'esprit morose, un incident a rappelé à sa mémoire l'association inter- nationale, et, ce jour-là, il voyait tout en noir, d'innocents que nous étions la veille, nous sommes devenus coupables sans le savoir; alors, au milieu de la nuit, on a envahi le domicile de ceux qu'on supposait être les chefs, comme si nous conduisions nos adhérents, tandis qu'au contraire tous nos efforts tendent à

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iiis inspirer de leur esprit, et à exécuter leurs décisions, on a : Hit fouillé, saisi ce qui pouvait être suspecté; on n'a rien trouvé .|iil put servir à une accusation quelconque. On ne trouve sur le compte de l'Internationale que ce qui été jeté aux quatre vents de la publicité. Avouez donc qu"en ce moment on nous lait un procès de tendance, non pour les délits que nous avons ronimis, mais pour ceux qu'on croit que nous pouvons com- ineltre...

Malgré la justesse de ces observations, et la mesure avec laquelle elles étaient présentées, le tribunal condamna. Pou- vait-il faire autrement? L'acquittement eût semble la con- damnation du gouvernement qui avait ordonné les pour- suites. La pénalité fut lég-ère : cent francs d'amende. On ne vit dans cette condamnation qu'une satisfaction morale donnée au parquet, qu'il était impo.ssible de désavouer. Elle passa à peu près inaperçue. On avait autre chose en tête. ( >ii n'avait pas le temps de s'effrayer. Le spectre rouge, ■était un épouvantall à moineaux bien démodé.

Celui qui l'avait inventé, c'était un farceur célèbre, IVimieu, mort, oublié. Il était puéril de faire survivre l'in- vention, un mot. Et puis, ces ouvriers phraseurs, entendus à la correctionnelle, étaient fort insignifiants, sans audi- toire. On n'avait qu'à les laisser pérorer dans leurs grou- jios sans importance. Ces moustiques ne méritaient même [las un froncement de sourcils de la part du lion impérial, qu'il.'» picotaient follement, disaient les sages, les habiles.

Ces révolutionnaires pour rire ne semblaient pas même lies trouble-fête. La magistrature impériale agissait sage- ment en les laissant librement circuler, avec une amende à payer, pour le principe, pensait la bourgeoisie.

En prison, ils se seraient aigris et concertés. Peut-être même, n'aurait-on pas faitattention à eux dans la rue. Ils n'a- vaient pas gêné le défilé des rois, qui, gaiement, s'avan-

34» HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

çaient, comme dans la Belle-Hélène, vers l'étourdissante foire de l'exposition; ils ne sauraient davantage entraver par leur présence, dans leurs parcours, la ronde folâtre. Elle reprenait, plus endiablée, sous le bâton d'orchestre du jojeux allemand Offenbach, cette joyeuse ronde de l'or, de l'amour, des plaisirs et de l'insouciance, que devait seu- lement interrompre, bientôt, l'avant-garde des ulilans et le peuple entrantaux Tuileries, comme le flot dans les maisons quand la digue est rompue.

La condamnation à cent francs d'amende n'avait ni abattu les énergies ni épui.sé les ressources des internatio- naux. Le groupe français continua ses réunions, et nomma un nouveau bureau.

Comme le précédent, celui-ci fut poursuivi et condamné. Celte fois, la magistrature eut la main plus lourde. Elle ajouta aux cent francs d'amende, l'emprisonnement. Les citoyens Varlin, Malon, Humbert, Granjon, Bourdon, Charbonneau, Combault, Langevin, Moilin furent condam- nés chacun à trois mois. L'association internationale fut déclarée dissoute, pour la seconde fois.

La grande majorité du public demeura indifférente, et comme étrangère, à ce duel qui s'entamait entre la magis- trature et les ouvriers militants. Les députés de l'opposition dédaignaient cea résistances qu'ils ne dirigeaient point, et les journaux qui combattaient l'empire, avec prudence et réserves, le Siècle, l'Opinion Nationale, le Courrier da Dimanche, se coatentkreni d'enregistrer les condamnations, faisant le silence sur les doctrines et sur les personnalités de ces auxiliaires irrég'uliers, estimés plutôt compromet- tants.

Le champ de combat n'allait pas tarder à s'agrandir. De nouveaux lutteurs descendaient dans l'arène, et grâce à une presse nouvelle, spirituelle et agressive, à qui Roche-

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fort et sa Lanterne donnaient l'éclat, de constitutionnelle et dynastique, l'opposition allait devenir rc-publicaine et révo- lutionnaire. Le public, alors, serait bien forcé d'entendre ce concert d'hostilités s'élevant contre l'empire des rangs d'une minorité active et hardie.

Un congrès d'étudiants et de jeunes cens, écrivant et pérorant d'ordinaire au quartier latin, s'était tenu à Bru- xelles. Germain Casse, Reqnard, Jaclard, Raoul Rigault j avaient pris la parole. C'était une juvénile avant-çarde, dont la plupart des militants devaient, par la suite, se retrouver à la tribune, dans les journau.x et dans tous les mouvements qui précédèrent et accompa^èrent la chute de l'empire. Les étudiants qui avaient participé au congrès de Bruxelles furent exclus de l'Université, et perdirent le bénéfice de leurs inscriptions. Ils semblaient se soucier fort peu de passer les examens auxquels ils se préparaient va-uement, en faisant de la propagande républicaine et socialiste, dans les brasseries et les groupes du quartier des écoles.

LES RÉUNIONS PUBLIQUES

Une loi nouvelle, excellente en son principe, dangereuse par son application, la loi de i8C8 sur les réunions, avait brusquement animé les salles Ion pouvait se rassembler, et du même coup avait peuplé la maison de Sainte-Pélagie- Cette loi n'était, en réalité, qu'un piège, mais c'est l'empire qui y fut pris.

Cette loi donnait la liberté de réunion et la retirait. L'art. le-- était ainsi conçu : « Lesréunions publiques peuvent avoir lieu sans autorisation préalable, sous les conditions prescrites par les articles suivants. Toutefois les réunions publiques ayant pourobjet de traiter de matières politiques

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OU religieuses continuent à être soumises à celte autorisa- tion. »

C'était la formule de Fig-aro, mise en texte lésfislatif : il était permis de parler de tout, sauf de ceci, de cela, et l'énumération prohibitive équivalait à l'interdiction com- plète de parler. Il est évident que si l'on permettait aux gens de se réunir pour discuter, pour entendre des discours, c'était bien pour qu'ils pussent traiter les brûlantes ques- tions politiques et sociales, qui les intéressaient par-dessus tout. Rouvrir les clubs, et défendre d'y parler de politique, c'était aussi absurde et aussi perfide que la tentation de la légende adamique. Si le Tout-puissant n'avait pas voulu quEve croquât la pomme, il n'avait qu'à ne pas la laisser entrer dans le jardin il y avait des pommiers. Le fruit défendu fait venir l'eau à la bouche, les paroles aussi. Il était plus que probable que les orateurs populaires, à qui le bon dieu des Tuileries ouvrait les salles publiques, jusque-là cadenassées, en leur permettant, une fois rassem- blés et entraînés par la présence d'auditeurs passionnés, de toucher à tous les sujets, excepté à la politique et à la religion, s'empresseraient de toucher à ces deux matières interdites. Il autorisait la réunion et interdisait ce qui devait déterminer les hommes à se réunir. II était facile de prévoir que les orateurs ne résisteraient pas à la tentation, et qu'abordant les sujets défendus ils tomberaient sous le coup de la loi : ils deviendraient inévitablement des délin- quants. Cette loi n'était donc qu'une embilche. Elle était ainsi dolosive et mensongère. Si, en effet, l'article i»"', sous les conditions sus-indiquées, permettait de se réunir sans autorisation, l'article i3 et dernier donnait le droit au préfet d'ajourner, au ministre de l'Intérieur d'interdire toute réunion. C'était la négation même de la réunion. Le droit était nié après avoir été affirmé, la possibilité de se

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réunir retirée aussitôt après avoir été accordée, puisque la loi ôtait, à la fin de son texte, ce qu'elle concédait au com- mencement. C'était la restriction mentale des jésuites,trans- formée en précepte écrit, mise en action. « Je te permets de parler librement, mais avec cette réserve que tu ne parleras que de ce qui te sera permis, et que je pourrai te clore la bouche quand tela me conviendra. »

Malçré ces périls et ses imperfections, la loi de 1868 eut deux résultats, que n'avait pas prévus l'empire : le piège, il est vrai, fonctionna dans le sens que les policiers désiraient. Des personnalités remuantes se produisirent, des « blan- quisles V,, de ceux que l'on classait, dans les archives de la sûreté g-énérale, parmi les hommes dangereux, se dénon- cèrent à la tribune populaire. Ils furent momentanément mis hors d'état, croyait-on, de combattre le régime impé- rial. C'était une illusion que les événements n'allaient pas tarder à dissiper. La loi physique de la compression et de la dilatation des corps se manifesta. Les préoccupations politiques et sociales, comprimées depuis décembre i85i, subirent une expansion soudaine. Des orateurs nouveaux surgirent. Des jeunes hommes ignorés prirent la parole avec une verve insoupçonnée. Des préceptes, des pro- grammes, des tendances, dont la fermentation latente, sans la loi déliant les langues, fût demeurée enclose dans des écrits inédits, dans des journaux sans lecteurs, dans des parloltes sans public, et dans le secret des consciences, écla- tèrent au grand jour. Ces pétarades, pouvant faire pres- sentir de formidables explosions prochaines, éveillèrent. Elles firent sursauter les populations endormies. Elles mi- rent debout des énergies engourdies depuis dix-huit ans. Ce fut un grand réveil. L'empire, pour sa propre perdi- tion, avait sonné lui-même la diane de la Révolution. Ainsi, double conséquence de la loidc i868,lerégimeimpé-

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rial donnait la parole à ses ad versaires,avec l'inlenlion perfide de mieux les surprendre et les abattre, mais en même temps il façonnait des orateurs, il créait des auditoires. Selon l'apologue du fabuliste en «cuidantengeiguer autrui, il s'en- geig-nait lui-même «.Tout concourait donc à lafoisàerouper et à armer les adversaires de l'empire, tout préparait la résistance et stimulait l'opinion. Sur les murs des Tuile- ries dorées une main invisible semblait tracer la fatidique devise tlambojant aux voûtes du palais de Balthazar. Les jours de l'empire napoléonien étaient comptés, et l'arrivée terrible des soldats de Sennachérib était proche. L'empe- reur allait lui-même les appeler, et, se prenant au trébu- chet de Bismarck, provoquer follement l'ennemi extérieur. Le régime était miné à l'intérieur; le Prussien vainqueur ne ferait que donner la poussée finale.

La chute sans violences, sans cris, sans coups de feu, sans une goutte de sang,de cet empire solide d'apparence, serait inexplicable sans le travail de sape auquel il avait été sou- mis, depuis la fondation à Londres de l'Association interna- tionale, depuis la loi des coalitions favorisant les grèves, et la loi des réunions, permettant aux réquisitoires contre le régime dese produire, accoutumant le pays à les entendre, et peu à peu à les approuver. Sans la défaite, sans l'Alle- mand victorieux, l'empire eut peut-être prolongé de quel- ques années sou agonie, mais c'était un moribond dont la succession était déjà ouverte, avant la brutalité du coup mortel porté par l'étranger.

La loi sur les réunions était à peine promulguée que des séances publiques s'ouvrirent partout. A la Redoute, rue Jean-Jacques Rousseau, siège des loges maçonniques du rite écossais ancien et accepté, au Pré-aux-Clercs rue du Bac, dans diverses salles de bals populaires, à Montpar- nasse rue de la Gaité, salle Lévis aux Batignolles, à la

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Reine-Blanche à Montmartre, des discussions furent orga- nisées et suivies assidûment. L'un des présidents de ces réunions des plus en vue fut un hongrois naturalisé, Horn, qui, depuis, disparut. Il avait présidé la première réunion au Wau.x-Hall. Deu.x ou trois orateurs pnnci- paux furent rapidement mis en vedette, par leur facilité d'clocution, plutôt que par la hardiesse de leurs attaques. On s'en tenait, en apparence, aux matières dites écono- miques, pour déférer aux exigences de la loi, mais bien vite les orateurs détournaient la discussion, et Ion abor- dait du consentement de l'auditoire, les questions sociales et surtout politiqucs.Un commissaire de police assistait aux séances, sur l'estrade, muni de son écharpe.Il prenait des noies, intervenait d'abord, pour protester et comme pour rappeler à l'ordre. Ensuite il prononçait la dissolution de l'assemblée. Très souvent des bagarres succédaient a cette clôture administrative, et la discussion reprenait après le départ en musique du représentant du gouvernement. Les orateurs et les membres du bureau, qui avaient conlmué à tenir séance, après que la réunion avait été dissoule,etaient traduits à bref délai devant les tribunaux.

L'orateur le plus écouté, le plus applaudi, éUit alors Briosne. Il était doué d'un organe sonore, parfaitement timbré, et s'exprimait avec des gestes sobres, et dans une phraséologie un peu creuse, mais claire et persuasive. 11 traitait généralement de la <. liquidation sociale. A côte de lui on écouUit volontiers: Le français, compUble ayant des statistiques et des chiffres à citer à l'appui de ses revendi- cations et de ses critiques.Abel Peyiouton. avocat nerveux, qui avait surtout de révolutionnaire le masque irrité et le Lie coupant, le maigre Charles Longuet, l'un de-s chefs du Llit groupe de jeunes proudhonlens se réunissant à a brasserie Serpente, Caulet de Tayac, grand, pâle, blond.

^48 IllSTOMIK DE LA COMMUNE DE 187I

l'air disting'ué, ayant un peu l'allure d'un diplomate, dis- coureur méthodique, faisant la critique des institutions phi- lanthropiques, des groupes d'assistance, des œuvres chari- tables visant la classe ouvrière ; il considérait ces org-anisa- tions comme impuissantes et démoralisatrices ; Ducasse, un bizarre personnage, roux, sec, raide, étudiant en théo- logie protestante; on prétendait même qu'il avait été pas- teur quelque part, en Suisse. Ducasse sermonnait la classe ouvrière, s'efforçant de lui inculquer les principes du socialisme, et quand il avait suffisamment catéchisé son auditoire tout disposé à être converti, il changeait de ton, quittait la phraséologie chantante et pleurarde dont il usait pour développer son sermon sur les mystères de l'évo- lution sociale, alors il grondait, il tonnait, il se dressait vis-à-vis de la classe capitaliste évoquée, que vaguement, dans l'espace, d'un doigt vengeur, il semblait montrer visi- ble à l'assistance frémissante de colère et d'envie. 11 appa- raissait alors dans l'attitude révoltée d'un nabi farouche d'Israël, prophétisant la destruction des temples oppresseurs et des palais orgueilleux. Quand ce singulier prédicant abordait la tribune, il avait coutume de tirer avec lenteur, dedessous la pèlerine de son mac-farlane.une vaste serviette noire bourrée de papiers, et quand il la déployait avec la solennité d'un officiant ouvrant l'Evangile, les fidèles re- cueillis devant lui considéraient avec respect et espoir ce portefeuille imposant dont les vastes poches paraissaient contenir la solution de tous les problèmes sociau.x, le secret de la félicité des générations futures.

Les ph^'sionomies de ces éducateurs de l'opinion, prépa- rateurs de la Commune, sont demeurées en partie effacées. Beaucoup ont disparu sans laisser de traces. Plusieurs au contraire, parmi ces précurseurs, ont joué un rôle dans les événements qui précédèrent et suivirent le i8 mars, et

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nous les retrouverons, mêlés à l'acllon et victimes de la répression, mais leurs commencements sont demeures enveloppés de brumes et d'oubli. 11 n'existe ffuère de docu- ments, de volumes, de mémoires sur ces dernières années de l'empire. La catastrophe belliqueuse l'empire sombra, la France faillit périr, les péripéties de la lutte entre Versailles et Paris, les hommes et les circonstances des deux siè-es ont accaparé l'attention, et les historiens, comme les mémorialistes et les anecdotiers, ont sfénérale- ment négligé de renseigner sur les origines du grand mauvem.ent rôvolutionoalre de 1862 à 1870; ils sont restes à peu près muets sur les débuts des hommes, voués à une impressionnante notoriété, ou destinés à passer comme des ombres sur un mur, qui, dans les trois dernières années impériales, préparèrent et rendirent possible ravènement de la forme républicaine au 4 septembre, et le sursaut vigou- reux au 18 mars du prolétariat enchaîné.

Ce grand mouvement de propagande, cette éducation socialiste, cette préparation à la Révolution, qui se manifes- taient par les réunions publiques, en dehors de la gauche et des opposants parlementaires, même contre eux, n'étaient pas l'œuvre de l'Internationale. Les orateurs des salles populaires n'appartenaient pas en majorité à l'association. Parmi ces militants de la première heure, il convient de citer : Germain Casse, l'un des délégués au congrès des étudiants, dontquelques-uns seulement faisaient partie de l'Internationale. D'une ardeur plus que méridionale, il était originaire de la Guadeloupe ; Casse avait une grande action au quartier latin. Avec sa face léonine, sa carrure d'athl6te,sa gesticulation étourdissante et ses allures rudes, on le vit à la tête de toutes les manifestations qui se pro- duisirent à partir de l'affaire Baudin. Germain Casse était ù la Pointc-à-Pitre en 1837, qu'il représenta, en 1873, à

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l'Assemblée Nationale. Il fut ensuite député de Paris (i4 arrondissement) plusieurs fois réélu. 11 siég'eait à l'extrême gauche. Il est mort trésorier pajeur-g-énéral, il y a une dou- zaine d'années. Il ne fit pas partie de la Commune, se tint à l'écart, plutôt hostile.

DÉCLARA TIO.VS A U NOM DE L'INTERNA TIONALE

Ce fut Germain Casse qui, dans le grand procès fait à l'Internationale, dit le procès des Trente, formula la pen- sée g-énérale de ses co-accusés, bravant le ministère public et renonçant à discuter juridiquement :

Nous ne cherchons pas, dil-il, à échapper à quelques mois de prison : la loi n'est plus qu'une arme mise au service de la ven- geance et de la passion ; elle n'a pas droit au respect. Nous la voulons soumise à la justice et à l'égalité.

Combault, prenant la parole après lui, exposa les idées égalitaires et réformatrices de l'Internationale dans une forme hardie, mais où, par moments, le ton moralisateur devient prétentieux et la préoccupation vertueuse s'af- firme dans unlang-ag-e désuet :

Chacun de nous est libre et agit librement. Il n'y a aucune pression de pensée parmi nous. J'ai d'autant plus de peine à comprendre la persistance du ministère public à nous accuser de ce que nous n'avons pas fait qu'il pourrait largement nous accu- ser de ce que nous reconnaissons avoir fait. . . Vous poursuivez les ouvriers parce qu'ils sont socialistes, parce que, hommes de labeur, ils veulent une société relevant du contrat juridique li- brement consenti par tous les intéresscs,et appuyée sur la hberté, l'égalité, la solidarité, la réciprocité et le respect de la dignité humaine dans toutes les individualités. Ils veulent une société le travail soit la seule source de la richesse.. . Ils flétrissent donc les loteries dont la liourse et le turl sont l'ordinaire et immoral

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théâtre. Tandis que les fils de la classe, qui se prétend notre supé- rieure salissent leurs noms avec les Phrynés les plus éhonlées qu'ils vont en voilettes aux champs de courses, que leur decre, pitude précoce atteste la dégénérescence de toute une classe delà nation, au point qu'il y aura bientôt putréfaction, si toutes ces- décadences ne viennent puiser une vie réffénératrice dans l'éner- gie populaire ; des ouvriers qui, depuis l'à^ïe de huit ans, tra- vaillent pour donner des loisirs et de l'instruction à cette jeunesse qui en a fait un si noble usaçe.ont voulu tenter l'instauration de l'équité dans les rapporta sociaux par la science, la libre étude des questions économiques, et l'association indépendante.

Ce programme, en dépit des déclamations rappelant les formules emphatiques el moralisantes de CLaumette, à la Commune de gS, était précis. 11 posait le principe de l'anta- gonisme des classes, et Combault le résuma ainsi, en termi- nant :

C'est contre l'ordre juridique, économique et religieux que doi- vent tendre tous mes efforts. Nous voulons la révolution sociale et toutes ses conséquences !

Quand l'avocat impérial Aulois eut donné ses réquisi- tions, et après les plaidoiries pour les accusés qui avaient fait choix d'un avocat, les défenseurs étaient M" Lachaud, Bigot, Rousselle, Lente, Laurier, l'un des prévenus, Cha- lain. au nom de tous, eut la parole et prononça la déclara- tion suivante, véritable déclaration de guerre sociale :

Il y a en ce moment une sainte-alliance des gouvernements et des réactionnaires contre l'Internationale. Que les monarchistes et les conservateurs le sachent bien, elle est l'expression d'une revendication sociale trop juste et trop conforme aux aspiraiions contemporaines pour tomber avant d'avoir atteint son but. Les prolétaires sont las de la résignation; ils sont las de voir leurs tentatives d'émancipation toujours repoussées, toujours suivies de répressions; ils sont las d'être les victimes du capital, las de se voir condamner au travail sans espoir, voués à une subal-

35l HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

lernisation sans limites, las de voir toute leur vie dévorée par la fatigue, par les privations, las de ramasser quelques miettes d'un banquet dont ils font tous les frais. Ce que veut le peuple, c'est d'abord se gouverner lui-même sans intermédiaire et surtout sans sauveur, c'est la liberté complète. Quel que soit votre ver- dict, nous continuerons, comme par le passé, à conformer ouver- tement nos actes et nos convictions. Vous pouvez frapper les hommes, vous n'atteindrez pas l'idée, parce que l'idée survit à toute espèce de persécution.

A cette ferme déclaration, le tribunal répondit en pro- nonçant les condamnations suivantes : Combault, Benoît Malon, Varlin, Pindy, Helig-on, Murât, Johannard, à un an de prison et loo francs d'amende; Avrial, Sabourdy, Franquin, Passedouet, Rocher, Lang-evin.Pag-nerie, Robin, Leblanc, Carie, Aliard, Theisz, Collot, Germain Casse, Chalain, Mengold, Ansel, Bertin, Rover, Girode, Delacour, Durand, Duval, Fournaise, Giot, Malézieux à 2 mois de prison et 25 francs d'amende.

Flabaut et Landeck furent acquittés, comme n'avant pas donné leur adhésion à l'Association internationale des travailleurs, avant les poursuites. Les condamnés furent en outre privés de leurs droits civils.

SCISSION A VEC LA G A UCHE PA RLEMEN TAIRE

Cette condamnation creusait un fossé, un abîme plutôt, entre la g'auche, ses orateurs et le nouveau parti, encore non organisé, invertébré pour ainsi dire, mais dont les membres paraissaient doués d'une vitalité surprenante. Rochefort excepté, mais le célèbre pamphlétaire, toujours en prison, en exil ou démissionnaire, comptait à peine dans ce parti essentlellent bourgeois et adversaire du socia- lisme, les chefs renommés de l'opposition parlementaire, étaient dédaignés, attaqués, conspués par le public des

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réunions publiques. On ne leur ménageait ni les reproches ni les dédains, on les accablait de méfiance et de suspi- cions. On les chansonnait aussi, sur l'air alors populaire de la Femme à Barbe, que déboisait à l'Alcazar Thérésa, la divelte populaire. Raoul Riçault colportait dans les bras- series du Quartier latin des couplets chacun des anciens Cinq venait se présenter au pilori ; « C'est moi qui fais les boniments sur l'avant-scène do la baraque! « faisait-on dire à Jules Favre, et Pelletan, Jules Simon, chacun à son tour, faisaient ameude honorable devant l'auditoire en déclarant au refrain : « Et ça ne coûte qu'un petit parjure! » La chansonnette s'appelait : la Bande à Judas. Elle eut un vif succès. Ainsi, bien avant le 4 Septembre, ils pri- rent le pouvoir, en véritables insurgés, vainqueurs sans avoir combattu, il est vrai, et à la faveur de l'immense désarroi et de la stupeur produite par les désastres, ces hommes qui formèrent le gouvernement de la Défense, et qui aidèrent Thiers et Mac-Mahon à exterminer les répu- blicains parisiens, étaient déjà désavoués, démonétisés et hon- nis. L'épithéte de Judas était sans doute excessive, et sur- tout prématurée, mais elle témoignait de l'hostilité à leur égard des groupes avancés. Ils avaient été au-devant de l'impopularité. Ils avaient repoussé avec hauteur l'offre d'une discussion publique et contradictoire avec les orateurs populaires. Ils partageaient les sentiments du parquet à l'égard des membres de l'Internationale.

nOLE DE U INTERNATIONALE

C'était visiblement alors à une révolution que la France courait, et non aune réforme, comme l'espérait Emile Olii- vier, grisé par ses formules et aveuglé par ses illlusions. Nul n'en doutait, et l'empereur moins que personne. On

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354 IlISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

voyait aux Tuileries, dans la presse, à la préfecture de police, dans les milieux- politiques bien informés, s'accu- muler les nuages ; d'abord simples points noirs, ils épais- sissaient, et l'électricité s'y emmagasinait. L'orag-e ne pou- vait tarder à éclater. On s'abusait seulement sur l'époque la nue se déchirerait. On ignorait aussi les éléments de ces nuages orageux.

De nos jours même, longtemps après les événements ac- complis, après les désastres subis, et en partie réparés, des esprits fort clairvoyants n'ont pas discerné nettement les causes de la tourmente. On a attribué à l'Internationale un rôle énergique, et une influence perturbatrice qu'elle n'eut jamais, qu'elle ne pouvait posséder, qu'elle ne recher- chait même pas. Faire de cette association le pivot de la Révolution de 1870-71, le levier qui a jeté bas le régime impérial et soulevé le monde démocratique, c'est une aber- ration historique, aussi forte que celle dont certains écri- vains ont fait montre lorsqu'ils ont accordé aux loges franc- maçonniques du xvni» siècle, tout imprégnés de l'esprit an- a-lais esprit conservateur, aristocratique et religieux, une action décisive et un rôle prépondérant dans la Révolution française. La franc-maçonnerie qui eut, en France, pour premier grand maître un grand seigneur anglais, lord Derwentwater, ne pouvait concevoir, et ne visait qu'une réforme dans les lois, et une révolution parlementaire, avec ou sans régicide.devant amener un ordre social et politique semblable au régime fonctionnant encore dans le royaume

uni.

L'Association internationale, dont le pouvoir central sié- sreait à Londres, dont les fondateurs étaient des théoriciens, et non des émeutiers, ne pouvait aucunement diriger un mouvement révolutionnaire actif, s'accommodant au tem- pérament français. Les internationaux sontdemeurcscomme

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une académie de philosophes socialistes, jusqu'à notre épo- que. Ils pouvaient bien, dans leurs congrès, et encore au milieu do vives résistances, proclamer la révolution sociale universelle, abolir la propriété individuelle, supprimer l'hé- ritage, décréter la production en commun, l'abolition du salariat, et la cessation des guerres, ils étaient impuissants à l'aire admettre leurs conceptions par l'ensemble des peu- ples, encore moins à faire passer le moindre article de leur programme minimum de la théorie à la pratique. L'Asso- ciation internationale devait elTrayer, à distance et par ouï dire, les gouvernants ; elle n'en attaqua sérieusemeut au- cun. Lorsque le conflit terrible de 70 s'éleva entre Alle- mands et Français, elle comptait des adhérents nombreujt dans les deu.x camps. Elle n'en désarma pas un. Les inter- nationaux, et c'est à leur honneur des deux côtés des Vos- ges, firent le coup de feu avec une passive énerg'ie. Sauf quelques phraseurs, qtii, du fond de leur cabinet, lancèrent des appels creux et vains, au nom de l'humanité et de la fraternité philosophique et ouvrière, nul ne parut se souve- nir des belles maximes anti-guerrières de l'association. Pour la guerre civile, en France, l'élément dit international ne fut qu'un appoint plutôt doctrinal, une adhésion ba- varde, et encore rencontra-t-on surtout des internationaux dans les conseils élus, dans les grandes fonctions, dans les services administratifs, dans les journau.x et dans les clubs. Les vaillants qui furent mitraillés dans les plaines de Nanterre le 2 avril les combattants d'Issv, de Vanves, du Moulin-Saquet, les intrépides défenseurs des suprêmes barricades do mai avaient-ils adhéré aux statuts de l'Asso- ciation internationale ? les connaissaient-ils même ? C'est fort possible, mais ils n'en parurent guère préoccupés avant et pendant la bataille. Ce n'était pas l'Internationale qui les avait armés, ce n'était pas elle qu'ils défendaient. La

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HISTOIRE DE LA COMMVNE DE 187I

Commune a eu dans son sein des hommes qui avaient fait partie de rinternationale, qui pouvaient être pénétrés de ses principes, mais elle ne fut pas l'œuvre de cette associa- tion, et le Comité Central, qui surgit au lendemain du 18 mars, qui fut le premier ofouvernement révolutionnaire fonctionnant après la guerre, et qui précéda l'élection com- munale, se constitua en dehors, et pour ainsi dire à l'insu du conseil général de l'Internationale. Le grand chef, Karl Marx, ne quitta, ni avant, ni pendant la Commune, son tranquille cottage près de Londres, 11 attendait les événe- ments et jugeait les hommes.

Dans le public, et parmi beaucoup d'hommes politiques, à la lecture de la première affiche apposée dansParis,après la luile de Thiers, le dimanche malin 19 mars, on chercha à démêler une personnalité connue, parmi les noms nou- veaux et obscurs des membres du Comité Central mis au bas du placard d'aspect officiel. trouver une indica- tion sur le gouvernement improvisé qui recueillait la vacance du pouvoir? On crut la découvrir, cette indication, dans un nom, celui du mécanicien Assi. Il servit à qualifier l'origine et les tendances de cette autorité nouvelle, et l'on s'écria : c'est l'Internationale! C'était une grossière erreur, puisque les noms qui figuraient sur l'affiche étaient ceux des délégués des bataillons élus dans une réunion au Waux-Hall, qu'on avait déjà pu lire au bas de précé- dentes affiches. Mais le nom d'Assi se trouvait en tête des signataires et Assi était le seul d'entre tous ces prolétaires ignorés dont le nom fût répandu dans le public, à raison des grèves duCreusot et de ses comparutions en justice, et l'on^savait qu'Assi faisait partie de l'Internationale.

Il n'était pourtant pas l'un des chefs decette association, il ne siégeait point au conseil général, il était même un membre tout récent. Compris dans l'une des dernières pour-

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suites, par erroiir. il déclara an tribunal : « Je ne suis pas de rintcrnationalc, mais j'espère bien en faire partie un jour ! » H fut admis séance tenante par ses co-accusés,mais le tribunal Tacquitla comme n'étant pas poursuivable du chef de société secrète, puisqu'il n'en était pas membre lors de la poursuite.

Ce néophvte de l'Internationale se trouva donc, au len- demain du "18 mars,parsa notoriété seule, considéré comme représentant celte association mystérieuse et supposée puis- sante. L'interpréUition erronée s'est propag-ée, et dans l'es- prit de la plupart des gens, non initiés aux mouvements populaires de cette époque, Assi et l'Internationale conti- nuèrent d'être considérés comme les auteurs principaux de l'insurrection du 18 mars.

Les comités de vis^ilance, qui fonctionnèrent durant les journées de février et de mars 1871, après l'armistice, au moment des préliminaires de paix et dont l'action fut consi- dérable lors de l'aiïaire des canons, furent sans doute orga- nisés par des sections de l'association, mais ses membres se trouvèrent confondus avec les autres militants, et le Comité Central de la garde nationale eut une existence autonome, en dehors de l'Internationale, et indépendante du conseil général de Londres.

L'Internationale n'était pas une force insurrectionnelle active. Elle prépara, elle endoctrina les futurs insurgés ; elle ne pouvait ni les armer ni les lancer dans les mêlées. A l'époque du 26 octobre, il lui était impossible d'interve- nir utilement. Si les députés de la gauche avaient pris la direction du mouvement, comme ils s'y étaient engagés, les adhérents de l'Internationale eussent certainement suivi et agi, mais elle ne possédait ni l'influence ni l'organisation pour une prise d'armes. C'était une armée il n'y avait que des colonels.

HISTOIRE DE COMMUNE DE 1 87 1

Les membres de Tlnternationale, dont plusieurs firent par la suite partie du Comité Central et de l'assemblée communale, préparèrent les esprits à une révolution , posèrent le g-rand principe séparatif des classes : « l'é- mancipation des travailleurs devant être l'œuvre des tra- vailleurs eux-mêmes » ; ils propagèrent l'éducation socia- liste, recrutèrent des adhérents à la transformation sociale, mais ne contribuèrent qu'individuellement, ou incorporés à des groupes différents, aux diverses manifestations delà rue, qui marquèrent les années finales de l'empire, et les journées qui suivirent la capitulation de Paris.

Ce fut à tout autre titre que celui d'adhérents à l'associa- tion que les militants du parti avancé participèrent aux émeutes du 3i octobre et du 22 janvier 187 1, à l'enlève- ment des canons, la veille de l'entrée des Prussiens, comme à la reprise, dans la matinée du 18 mars, des pièces d'artil- lerie dont Thiers et Vinoy avaient voulu s'emparer.

LES GRÈVES

L'Internationale eut toutefois une part active dans les grèves qui se produisirent avant la guerre. Son interven- tion dans le conflit qui agitait l'industrie parisienne du bronze fut décisive. Une question de salaires divisait les patrons, ayant à leur tête M. Barbedienne, et les ouvriers que représentait M. Camélinat. Le bureau de la section internationale de Paris réclama l'appui du conseil général à Londres. Il fit appel à la solidarité des membres de l'As- sociation, et demanda que le pouvoir central portât à la connaissance de tous ses adhérents de France, d'Allema- gne, de Suisse, d'Itabe, d'Amérique et d'Angleterre, les conditions de la lutte engagée, pour un rehaussement des salaires, entre les ouvriers bronziers parisiens et leurs pa-

LE DIX-nUlT MAU3

359

Irons. Ils sollicitaient en conséquence « l'appui moral et matériel promis par le pacte constitutif à tous ceux qui reconnaissaient comme devant être la base de leur conduite la vérité, la justice et la morale «.Trois délégués furent envoyés de Paris à Londres, auprès du conseil général : Fribour- Tolain, Varlin. Ils réussirent dans leur mission. Des subsides furent expédiés aux grévistes, et les ouvriers anglais déclarèrent qu'ils soutiendraient énergiquement leurs camarades de France. Les patrons prirent peur ; 1 élé- vation de salaire réclamée fut accordée, et la grève de 1 in- dustrie du bronze se termina rapidement, dans le calme, sans la moindre violence, au grand étonnement de tous. Ce fut une victoire importante pour l'Internationale.

Elle eut, par la suite, des interventions moins pacifiques. Les désordres qui se produisirent à Aubin et à la Riccamane eurent pour origine l'agitation gréviste, commencée dans ces bassins houillers par des agents de l'Internationale. Mais les fusillades qui ensanglantèrent ces deux régions ne furent pas la conséquence de voies de fait, d'excès et de rébellion, dirigés par cette association, en exécution d un plan concerté; il y eut explosion spontanée de colères ouvrières, collision accidentelle avec la troupe, et l officier qui commanda le feu k la Riccamarie perdit sans doute le sang-froid. Cette répression de la Riccamarie fut une faute poli°tique, dont l'empire supporta le poids. Le gouverne- ment impérial fit tout d'ailleurs pour exagérer la portée de cette bagarre regrettable, et il choqua l'opinion quand il décora l'officier qui avait fait tirer sur les grévustes.

INTERNA TIONAUX ALLEMANDS ET FRANÇAIS

Au moment de la déclaration de guerre, la section pari- sienne de nmernationale, peut-être naïvement, peut-être

36o msTomE de la commune de 1871

aussi avec l'amertume au cœur de la réalité, mais obéis- sant au sentiment idéal de la fraternité des peuples et de rhorreur pour la g'uerre, qui devait être commune aux prolé- taires des deux pays en conflit, adressa aux Internationaux d'Allemagne et d'Espagne l'appel suivant :

Frères d'Allemagne,

Au nom de la paix, n'écoutez pas les voix stipendiées et ser- vilesqui chercheraient à vous tromper sur le véritable esprit delà France.

Restez sourds à des provocations insensées, car la guerre entre nous serait une guerre fratricide.

Restez calmes, comme peut le faire, sans compromettre sa di- gnité, un grand peuple courageux. Nos divisions n'amèneraient, des deux côtés du Rhin, que le triomphe complet du despotisme.

Frères d'Espagne,

Nous aussi, il y a vingt ans, nous crûmes voir poindre l'aube de la liberté ; que l'histoire de nos fautes vous serve au moins d'exemple. Maîtres aujourd'hui de vos destinées, ne vous courbez pas comme nous sous une nouvelle tutelle.

L'indépendance que vous avez conquise, déjà souillée de votre sang, est le souverain bien ; sa perte, croyez-nous, est pour les peuples majeurs la cause des regrets les plus poignants.

Travailleurs de tous pays, Quoi qu'il arrive de nos etlorts communs, nous, membres de l'Internationale des travailleurs, qui ne connaissent plus de fron- tières, nous vous adressons, comme un gage de solidarité indis- soluble, les vœux et les saluts des travailleurs de France.

Les Allemands répondirent par le manifeste suivant, signé Gustave Kwasniewski, au nom des membres de l'Association internationale des travailleurs, à Berlin :

Frères de France, Nous aussi, nous voulons la paix, le travail et la liberté ; c'est pourquoi nous nous associons de tout notre cœur à votre protes-

LE DIX-HUIT MARS '"'

ation inspirée d'un ardent enllwusiasme contre tous les obstacle» is à TOir^ développement pacifique, principalement par les sau- Tjs (guerres. Animés de sentiments fraternels, nous un.s.ons >os mains aux vôtres, et nous vous affirmons comme des homn.e honneur et qui ne savent pas mentir, qu.l ne se t-uve pas dans ,os cœurs la moindre haine nationale, que "-« -^'^"^ ^orce, et n'entrons que contraints et forces dans les b'^des guer- -kres qui vont répkndre la misère et la ha.ne dans les champs

^tluTaSsnrurTmmes hommes de combat, mais nous vou Ions combattre en travaillant pacifiquement et de toutes nos orces pour le bien des nôtres et de Ihumanité ; nous voulons combattre Eur la liberté, l'éRalité et la fraternité, combattre contre le des- ZLe des ty;ans'qui oppriment la sainte liberté, contre le mea- songe et la perfidie, de (luelque part qu ils v.ennen .

Solennellement, nous vous pron>ettons que,n> le bru t des tam- bours, ni le tonnerre des canons, m victoire, m defa. e, ne nous détou;neront de notre travail pour l'union des prolétaires de tous

les pays.

Nou; aussi nous ne connaissons plus de frontières. P^;<=e qu« nous savons que des deux côtés du Uh.n, que dan a ..e e Europe comme dans la jeune Amérique, vivent nos f-,"-. ^^^^ lesquels nous sommes prêts à aller à la mort pour le but de nos effo u: la république 'sociale. Vivent la paix, le travail, la h-

liberté I

On ne peut relire sans un hochement de tête me anco- lioue accompagné d'un sourire glacé d'ironie, cette double phraséologie, sincère d'intention assurément, mais pom- peuse et vaine. On doit admettre que les frères allemands itaient aussi véridiques que nos internationaux, quand ils exprimaient le désir commun de rester chacun chez soi, et de ne point courir les aventures de guerre. Les Allemands ajoutaient que rien ne les détournerait de travailler à l'union des prolétaires. Ces belles déclarations avaient toute l'importance des protestations de dévouement, de considération et d'offres de service, qu'on a 1 habitude de

362 HISTOIRE DB LA COMMUNE DE 187I

déposer au bas des lettres. Elles ne sauraient eng-aiçer celui qui les adresse, et celui qui les reçoit serait un niais s'il les prenait au sérieux. Français et Allemands, démocrates et pacifiques, appartenant à la même association de tra- vailleurs, échang-eaient, avant les balles et les obus, des politesses et des so\ihaits d'entente, ceci est tout à leur hon- neur.comme d'ailleurs leur ferme résolution de les oublier, quand le drapeau, sur les deux ligues, serait déployé. L'en- seiijnement à tirer de ces inutiles appels à une paix qui n'était déjà plus possible, c'est qu'à Paris comme à Berlin les paciKstes n'étaient qu'une minorité impuissante, non écoutée, sans mandat ni autorité. L'Association internatio- nale, malgré sa réputation, et l'influence considérable qu'on lui prêtait, ne disposait nullement d'une force mystérieuse pouvant déchaîner ou contenir les masses populaires. Elle n'était qu'un groupement propageant d'intéressantes con- ceptions théoriques susceptibles, sur des points isolés et désignés, de soulever tt d'entretenir une agitation gré- viste, mais incapable d'arrêter une guerre extérieure prête à éclater, comme il n'était pas dans ses moyens d'action d'organiser et de décréter la guerre civile.

L'Internationale n'eut même pas la puissance d'atténuer les horreurs irréparables de la guerre de 1870-71, ni de modérer la brutalité des vainqueurs sur le sol français. Il devait pourtant se trouver des adhérents à l'Internationale dans les rangs des troupes saxonnes, bavaroises, prussien- nes. Ils auraient pu, tout en se soumettant à la discipline, et en obéissant à leurs généraux, se montrer plus fraternels pour des populations vaincues, recommandera leurs cama- rades la modération et la pitié. Nulle part on ne mentionne une intervention, même subalterne, de quelque membre allemand de l'Internationale, pour adoucir « la misère et la ruine que répandaient les bandes guerrières de Bismarck

LE DIX-IU;IT MAIXS 36$

dans les champs paisibles de nos pays >,, comme s'expli- quait le manifeste des internationaux d'Allemagne. ^ La vérité est que, pas plus pour armer les Pans>ens en ,87. que pour désarmer les Prussiens en ,870, 1 Interna- tionale n'avait la puissance et le nombre. L'.ntent>on, dans des conionctures aussi formidables, ne suffat pas.

Bien loin d'avoir fait la Commune, on pourrait dire que c'est le mouvement communaliste de 187., et l'éphémère victoire proléUuienne du 18 mars, qui donnèrent à 1 As.so- ciation internationale, existant de fait déjà depuis plusieurs années,une imporUnce polit.que,en France et à 1 étranger, qu'elle n'avait pas avant, qu'elle ne put conserver après. Le retentissement dans le monde entier du soulèvement pan- sien l'on voulait voir la main, le levier de 1 Internal.o- nale' profita à cette association. Son nom fut répandu dans des milieux jusque-là fermés à toute pénétration socia- liste Elle devint synonyme de Révolution sociale univer- selle Tous les Etats se crurent, ou se dirent, menaces par elle La réaction, dan.s toute l'Europe, usa de cet épouvan- tai) On et peur aux civilisations aristocratiques et bour- geoises, aux organisations capitalistes et guerrières de l'approche de ces Barbares qui se vantaient de donner l as- saut à toutes les forteresses de la société. On se servit long- temps de ce spectre effarouchant pour achever l écrasement du prolétariat vaincu à Paris, partout on il tentait de se montrer, non plus audacieux et combatif, mais seulement respirant encore, désarmé, se faisant inoffens.f et doctri- naire. Les Internationaux, après 187., ne furent plus que des professeurs du socialisme, des casuistes plutôt, renon- çant aux actes, mais se chamaillant sur des théories, dis- putant h propos de systèmes, dévorés par des rivalités d'écoles et ressuscitant les controverses haineusesde la sco- lastlque. Us parurent renoncer à toute action. Bakounine

364 HISTOIIIE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

se dresse contre Karl Marx, les congrès se battent à coups de résolutions; ils excommunient réciproquement leurs délé- gués à la Haye et à Saint-Imier; les jurassiens afKrment l'autonomie et l'indépendance des sections contre la centra- lisation fédérale; le principe, vivifiant pour un parti et redoutable pour la société bourg'eoise, de la conquête du pouvoir politique, afin d'arriver à la transformation sociale, est battu en brèche, et considéré comme un compromis honteux, comme une tromperie nuisible. Les dissidents voient dans l'avènement au pouvoir des travailleurs, c'est-à- dire de leurs chefs, de leurs avocats, la substitution d'un Elat à un autre, une pratique aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existants. Ces divers ferments de dissolution, de faiblesse et d'impuissance, réduisent alors à néant, ou à peu près, les efforts et la capa- cité révolutionnaire de l'Association internationale. Les royaumes, comme les républiques, dénoncent, traquent, emprisonnent ses membres disjoints et désarmés. Ces craintes et ces poursuites ont gardé toutefois un certain prestig-e à ce nom d'Internationale. La peur exagérée, et calculée souvent, que l'on montrait du nom seul, a con- servé jusqu'à nous une apparence de vie, de force et de mystère à une organisation, qui, en réalité, a disparu. Le goût du merveilleux, la tendance à supposer une puissance secrète, et comme une providence, matérialiste celle-là, intervenant dans les affaires des hommes et en disposant, ont ainsi maintenu une croyance vague à l'existence et à la force de cette Internationale, qui, en réalité, s'est tellement transformée avec l'industrialisme, les syndicats et les faci- lités des communications modernes, par la presse, les moyens de transport, les congrès, que Bakounine et Karl Marx, revenus parmi nous, se réconcilieraient, et, se reconnaissant isolés et impuissants dans un monde ouvrier nouveau,

365

LE DIX-HUIT MARS

d^îlil^^^^ue ri.ternatiouale n'apparlient plus qu'au

passé.

M. THIEHS ET VINTERNATIONALE

Ce qu'il convient de retenir pour l'époque qui va de Rfi8 date de la loi des coalitions, à mai .871, époque de la

Tl:nvient donc, pour la recherche d^c^guies^t^^ causes de la Révolution -mmunahs e de .87 , e n pour suspecte l'opinion ^e-n -iq^^^^^^^^^^^^^^^ ,^^^^^

;s:i:^o:°;;^£a::p:^oire.écut.^

'^"^ :,tdTstn Ipbié in-tenso de cette fameuse Téda;:;;:: qui a ai re^odulte et acceptée partout comme 'tSr;ltt::!:!Lud'enquéte,le comte Daru. auld -voir exécutif, introduit devant les commis- saires, adressa une allocution préliminaire, disant .

Monsieur le chef du pouvoir ^:^::^^ ;£Z ne pas achever ses travaux -^ J^^^J^^^ ^ Jet ses cluses. Il avoir à lui dire sur l--"-in,,ti/'::"plète, si elle n'a- lai a semblé q- s- ejK,"êle ne - U^^^^^^^P^^^^^ ^ ,^„ig„,. vait pas, en quelque sorte, PO"y^ pu réunir tous

.e... 11 est évident que nous u avons P'^^ ^^«^^ P^^ ,„ élé- L matériaux de '^^f^^^^^^^Z del'.nt'ernatlonale menls nécessaires pour établir les ranuui.

36G

niSTOIRE DE LA COMMUNB DE 187I

pour toute la France. Nous avons faire faire par les premiers présidents de Cour d'Appel et par les chefs des administrations publiques, des enquêtes portant sur des point éloignés, et nous n'avons pas encore tous les rapports qui nous sont annoncés. Nous avons nommé notre rapporteur, et nous sommes obligés de le prier de se hâter, parce ([ue l'assemblée saisie de diverses pro- positions, et notamment de votre loi sur l'Internationale, nous presse, et nous demande, avec raison, de la renseigner sur la puissance et les manœuvres de l'Internationale, comme sur l'état des esprits dans les provinces.

M. Thiers répondit en ces termes :

Avant d'entrer dans le récit des faits, permettez-moi sur l'In- ternationale quelques notes qui serviront de courte préface à ce que je dois vous dire.

Je crois que l'action de l'Inlernstionale est très réelle, qu'elle est continue, et cela depuis bien des années, mais en même temps que cette action est très occulte. Bien que cette société ait la pré- tention de ne s'occuper que de ce qu'elle regarde comme étant de son domaine et do son intérêt, c'esl-à-dire de violenter la li- berté des transactions, d'altérer le pri.x de la main d'œuvre, bien qu'elle affecte de dire qu'elle ne se mêle pas de politique, au fond, partout se produit un trouble social, l'Internationale in- tervient pour l'aggraver. Partout, elle se fait l'inévitable auxiliaire du désordre. Je sais bien que les branches étrangères de l'Inter- nationale blftment la branche fran(;aise de son "immixtion dans les afl'aires politiques. « Cela, disent-elles, ne regarde pas la so- ciété. Elle n'a pour but que d'assurer le bien-être du peuple. » Mais ce que ces gens-là appellent assurer le bien-être du peuple, consiste à changer le prix naturel de la main-d'œuvre, par des émeutes, par des coalitions de bras et d'argent, et ils ne s'aper- çoivent pas qu'en agissant de la sorte ils ruinent les ouvriers en même temps que les entrepreneurs, et qu'ils créent la misère universelle. Le caractère vrai de cette société, c'est donc, tout en affectant de ne pas se mêler de politique, il y a un peu de désordre, de s'y jeter avec empressement. Nous l'avons vue figurer dans les événements de France, et surtout dans ceux de Paris, sans qu'on puisse dire qu'elle en est la causedirecte,(|u'elle les a encouragés, qu'elle les a fait uailre,sans qu'on puisse dire le

LE DIX-BUIT MARS

367

''c'esrsous ce r.ppnrt que la situation actuelle est grave. Il est

ht des p " r e,„ents .n'odcrés. des gouvernements sensé '• sav:nt'n.anier le pouvoir. Le temps cal-e les espnts Ma nmernationale est un agent continu, ''^^''''''}' ''^'"^ titre infiniment redoutable, elle rayonne sur loul« 1 Lurope

mmmm

^:::t!l Curv'cilUce do if haute police pendant le reste de

^'"jenc'cro,. pas ù ce que vous disiez tout à l'heure, que les es :i:rsCue!:t tous .e^^ours ^-ps^ J. >^e^ .e cj.. a^ contraire qu'ils te,^«U ^.^ ^'^^ ^^^^^el^tr^r: dans SX mois, dans un an, silny a pasuc .„c\élé se

dinaires qui viennent tout bouleverser de nouveau, la sooele

308 HISTOlnÉ DE LA COMMUNE DE 187I

trouvera dans un meilleur étal qu'aujourd'hui. Mais je reconnais que le mal, et un mal inconteslable, résulte de l'existence même de l'Internationale, qu'il est vrai que sa sphère d'action s'étend, et qu'elle sort même des classes industrielles pour entrer dans les classes agricoles. Oui, il y a un mal des plus graves, c'est pour cela que nous vous avons proposé la loi, et nous l'avons faite avec la ferme intention de l'appliquer.

Le gouvernement possède actuellement une force matérielle assez grande pour vaincre toutes les résistsinces. Je ne crains nulle part des désordres matériels, et je ne crois pas que les partis songent à tenter quelque chose, et s'ils l'essayaient, je ré- ponds qu'ils seraient écrasés à l'instant même.

Mais la lutte contre l'Internationale sera certainement une entreprise longue, difficile. Je considère comme un devoir de conscience pour tous les amis de l'ordre social en Europe de tenter cette lutte. Nous commenrons pour notre part, en propo- sant la loi qui vous est soumise. Nous verrons si l'application donnera les résullats que nous espérons. Cette loi n'est d'ailleurs que le point de départ d'une série de mesures que nous vous demanderons de nous autoriser à prendre si la nécessité l'exige.

Cette déposition haineuse et comminatoire, Tiiiers affirmait surtout le désir d'obtenir des moyens de répressioa exceptionnels contre les républicains socialistes, sous le prétexte d'affiliation à l'Internationale, prouve, non pas que les tronçons de cette association fussent redoutables, mais qu'il était de bonne g-uerre de paraître les redouter. C'était une parodie du spectre rouge de décembre 5i, que Thiers, et les ruraux de Versailles à sa dévotion tentaient là. En s'efforçant de constituer une Sainte-Alliance des états monarchiques contre l'Internationale, bien tranquille, bien inoffensive dans les pays étrangers, elle s'accom- modait parfaitement avec les régimes militaires et aristocra- ques,avec le pouvoir royal héréditaire, Thiers et la réaction versaillaise se proposaient seulement d'armer contre les républicains français toutes les fractions de l'opinion cléri-

LC DIX-nUlT MARS

369

,ale royaliste et autoritaire, en leur signalant des périls imaginaires, en leur garantissant l'appui et la sympathie de tous les cçouvernements monarchiques.

L'INTERNATIONALE ET LE DIX-HUIT MARS. OPI- NIONS DIVERSES

Des opinions diverses et contradictoires ont été émises sur la participation de l'Internationale aux événements du Dix-Huit Mars. Il est intéressant de les connaître. Vo.ci les

principales : •1,111

M Jules Favre, le personnage le plus considérable de l'époque après M. Thiers, interrogé par le président de la Commission d'Enquête, répondit :

Ouelle a été la part de l'Internationale dans «rr^jf "^ ^J" 18 mars? Franchement, je serais bien embarrasse de le due. Je crois que celte part a été beaucoup plus grande que ne le pou valent prévoir ceux qui gouvernent cette société.

L'Internationale, tout le monde l'a vue naître, et, quand elle s'est formée, elle paraissait avoir un but utile.

Ouand i'ai vu les ouvriers chercher à s'unir pour comprendre leurs"intérèt8, régler ou empêcher les luttes violentes j a. trouve qu'il y avait une bonne pensée. Elle s'est surtout formée après les expositions de 1863 et de 1867.

C'est à l'Exposition de Londres qu'elle s'est constituée ; elle a pris pour marque l'idée dont je viens de parler: celte idée ne me paraissait pas inquiétante ; puis sont arrives es contres dans lesquels tout a changé de face. On y a prêche le communisme, l'athéisme; j'ai toujours considéré ces choses '^T,'"" ^'^1'"'' tière h déclamation, mais comme n'étant pas soc.a ement dange- reuses : je me trompais. Pendant le siège et après le siège, entre l'armistice et le 18 mars, rinternationale a prépare ce mouve- ment, c'est incontestable, mais je croyais qu'elle n avait pas une très trrande action sur la population, ce ne sont pas les membres de l'iDtcrnatlonnle qui ont été les instigateurs du mouvement; U est venu de Dclescluze, de tout ce résidu de Jacobins, d hommes

24

370 HISTOmK DE LA COMMUNE DE 1 87 1

qui ont peut-iître une certaine bonne foi, mais qui croient qu'il faut étoutïer une classe par l'autre. Ils ont employé la garde nationale pour réaliser certaines idées politiques, l'élection à tous les degrés, l'obéissance passive, le mot d'ordre, tout ce qui constitue le jacobinisme; mais c'est la Révolution politique qui a commencé le 18 mars ; ceux qui ont enlevé lea canons les ont défendus, et ont cherché à grouper des éléments de résistance devant lesquels le Gouvernement a cru prudent de se retirer à Versailles, c'étaient des hommes politiques, sans instruction, qui ne paraissaient pas fort dangereux, mais je crois que l'Inter- nationale n'est entrée en scène que plus tard, quand elle sut qu'il n'y avait plus rien devant elle, que les maires de Paris qui ont lutté. Je crois qu'il faut être très réservé, quand on blâme même ceux qui ont paru pactiser avec l'émeute.

Je crois que l'Internationale a été pour beaucoup dans le 18 mars, qu'elle l'a discipliné, et lui a donné une forme autoritaire, mais que ce n'est pas elle qui a organisé le 18 mars, qui a été la première sur la brèche ; elle n'a qu'organisé la victoire.

Voilà, Messieurs, tout ce que j'avais à vous dire, je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez m'adresser.

Le président, le comte Eteru, malgré cette réponse très catégorique d'un des principaux membres du gouvernement, qui devait être bien renseigné, et n'était pas suspect de vou- loir défendre l'Internationale, persista à maintenir l'opinion erronée que partageaient beaucoup de ses collègues, disant :

Il nous est difficile de croire que l'Internationale n'ait pas été, dès le premier jour, à la tête du mouvement du 18 mars, nous voyons sa main dans l'insurrection, dès le début, nous la voyons à la fin, allumant les incendies.

Celte obstination à soutenir une opinion que les faits et les témoignages compétents venaient démentir était telle, que le même Daru, in.sistant, crut devoir produire cette allégation du reste oiseuse :

On a trouvé des pièces importantes chez la maîtresse de Pas- chal Grousset !

LK DIX-HUIT MARS

A cette affirmation en l'air, Jules Favre opposa un nou- veau démenti net et prijcis :

On m'a apporté des papiers saisis chez cette fille, qui avaient été pris au ministère des Atlaircs étrangères. Je ne sais pas en quoi cela pouvait m'intéresser. Je n'ai rien trouvé sur l'Internationale. (Déposition de Jules Favre dans l'Enqucte, t. II, p. 47')

M. Ernest Picard, ministre de l'Intérieur, s'attire, au milieu de sa déposition dans l'Enquête, cette interruption de l'un des commissaires, M. de Massy :

Vous no paraissez pas donner une large part à l'Inter- nationale?

Il répond tranquillement :

Je crois que sa puissance est un peu gonflée.

Jules Ferry, le maire énergique de Paris, qui avait tenu tête aux insurgés du 3i octobre et du 22 janvier, déclare nettement à la commission :

Je voudrais réaçir dans une certaine mesure contre l'opinion, qui me paraît très répandue aujourd'hui, que l'insurrection du 18 mars serait le résultat d'une conspiration très anciennement orga- nisée, et oriçanisée par une société dont le nom est aujourd'hui célèbre, l'Internationale...

M. Edmond Adam, ancien préfet de police, ayant cessé ses fonctions au 3i octobre, dit :

L'Internationale est indifférente à la question politique ; le saint- simonisme, le fouriérisme, deux grandes écoles de socialisme, qui ont beaucoup contribué à In naissance de l'Internationale, pro- fessaient l'indifférence en matière politiiiuc. L'Internationale pa- rait avoir hérité d'eux sous ce rapport, elle a des préoccupations exclusivement sociales.

Une déposition fort significative est celle d'un bonapar- tiste, M. Ansart, resté fidèle au gouvernement qui l'avait

37a

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 1

nommé, servant cependant le gouvernement du 4 septem- bre avec un grand zèle professionnel. M. Ansart chef de la police municipale, et qui, en cette qualité, a sur^edlé tous les groupements politiques et les personnages obscurs ou notoires qui se sont trouvés mêlés aux événements depuis la chute de l'empire, est questionné par le président sur l'Internationale. Il répond que c'est une société très habile et très prudente, dont le point de départ, ramélioration du sort de la classe ouvrière,'était parfaitement honorable. On lui demande si on trouve parmi les membres de l'Interna- lionale les chefs de l'insurrection du 18 mars. Et M. Ansart de répondre avec une sincérité évidente :

Ce ne sont plus les mêmes hommes du tout. Quelque temps avant le 18 n.ars, surfirent une foule d'individus qui étaient auparavant inconnus. Ceux d'autrefois, nous ne les retrouvons pas dans l'affaire du Dix-Huit mars.

M François Favre, maire du XVIIe arrondissement (Bati- gnolles), ayant eu pour adjoint Benoît Malon,l'un des prin- cipaux membres de l'Internationale, répond clairement à la question réitérée :

A mon avis, le rôle de l'Internationale a été secondaire dans l'insurrection :

Et il ajoute, quand on lui demande si c'est sous l'influence de l'Internationale que le Comité Central a été organisé :

Je ne le crois pas ; le Comité Central s'est formé, à mon avis, sous une influence plus spécialement blanquiste que sous 1 in- fluence de l'Internationale...

Cette réponse, qui ne correspond nullement aux idées de la commission, fait poser cette question par un membre :

I

N'y a-t-il pas eu fusion entre le groupe blanquisle et

l'Internationale ?

M. François Favre répond simplement :

Je pease qu'on a pris quelques membres de l'Iolernationale.

M Desmarest, bâtonnier de l'ordre des avocats et maire du arrondissement, après une longue et intéressante déposition sur les pourparlers avec les maires qu> précédè- rent l'élection des membres de la Commune, est interpellé par le président, en ces termes :

Je vous demande la permission de vous faire une dernière question : Quel rôle rinternalionale a-l-elle joue dans les élec- tions du 8 février?

On était loin des précédentes interrogations, et l'enquête sur le Uix-Huit mars semblait perdue de vue. L bonorable bâtonnier répondit : « Je n'en sais rien! »

Ainsi non seulement les déposants ne purent préciser l'intervention de l'Internationale dans les événements du DiK-Huit mars, mais on n'établit même pas qu elle se tût mêlée activement aux élections à l'Assemblée Nationale

Le président Daru, qui devait représenter et interpréter les sentiments de la commission, était si imbu de la pré- tendue participation de l'Internationale à l insurrection qu'obligé de répondre à un policier ignorant complètement L bommes et les événemenls.le nommé Ossude qui emet- taitcelte sottise: « Je crois que Blanqui est de 1 Internatio- nale: Non! Blanqui n'en faisait pas partie», ce qui était su de tout le monde,s'empressa d'ajouter cette contrad.cUon . « Blanqui et l'Internationale ont fait ensemble la Corn-

mune! » i ii i n,»

Cet Ossude avait élécliargé de larmemeut etde 1 habille-

374 HISTOIRE DE LA. COMMUNE DE 1 87 I

ment de la g-arde nationale au 4 septembre. Il joua ensuite le rôle d'ag-ent secret au 3i octobre, et à la rentrée des troupes de Versailles devint prévôt, c'est-à-dire chargé de procoder aux arrestations et aux exécutions sommaires dans le Vil" arrondissement. C'est le seul déposant qui sig-nale la participation de l'Internationale au Di.x-Huit mars. Il est vrai qu'il lui adjoint le Comité Central, qui, de l'aveu unanime, fut pris au dépourvu par l'attaque de Mont- martre, et ne parut à l'Hôtel-de- Ville que dans la soirée.

Le Comité Central a pris naissance vers la fin de février, dit ce policier, le Comité Central et rioternalionale pour moi c'est tout un.

(Enquête parlementaire. Séance du 18 août 1871, t. II, p. f^i.)

Ainsi le témoignag-e d'un espion, d'un homme de sang, comme le prévôt Ossude, est le seul, dans le gros volume de l'Enquête parlementaire, qui dénonce l'Internationale comme ayant joué un rôle dans l'insurrection du 18 mars. On pèsera la valeur de cette allégation, avec les déclarations nég-atives de témoins, adversaires aussi de la Commune, mais honorables, tels que MM. Jules Ferry, Jules Favre, Ernest Picard, Edmond Adam, Desmarest, etc.

PROCÈS- VERBA UX DE L'LVrERiVA TIOXA LE

Mais il est un témoignage autrement convaincant de la non-participation de l'Internationale au Di.x-Huit mars. Il ne s'agit plus de dépositions, assurément loyales et sin- cères, de personnages considérables, ayant été à même de voir de près les événements. Ces témoins peuvent avoir été influencés, comme les membres de la Commission, mais dans un sens différent, par des renseignements inexacts, par des lectures, par des récils, et avoir rapporté des im-

LE DIX-llLlT MAI\S

375

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pressions et des opiaions erronées. On a heureusement un document .ncontesUble : ce .ont des P— /-'^-^ ^^; séances du ConseU fédéral de l'Assoc.at.on nternaUonale qui ont été saisU, et publiés dans le tome III de 1 Enquête parlementaire sur le Dix-Huit mars.

11 résulte de ces procès-verbaux, de la section française de rinlernalionale, siégeant au 6, place de la Gor- der.edu Temple (où le Comité Central et les Associations ouvrières tinrent également séance) que non seulemeat llnlernationale ne prépara nullement la révolution du Dix- Huit mars, et par la suite la Commune, mais qu elle témoigna pour celte insurrection, quelle n'avait ni concertée ni pré- vue une indifférence métiante qui conHnait à 1 hostilité.

Les séances du mois de janvier .871 sont peu intores- ressantes et même languissantes. 11 convient de remarquer que depuis le mois de septembre, la section française est privée de communications avec Londres, c'est-à-dire que le conseil général de l'association ne peut m donner ses ms- truclionsau Conseil fédéral, ni recevoir des demandes de secours en hommes et en argent de la section parisienne Uolée. Ceci suffit déjà pour réfuter certaines suppositions absurdes sur rinlervealion de l'étranger, et un mot d ordre venu de Londres, pour les émeutes du 3. octobre et du

22 janvier. r. 1 . 1 >

Les premières séances de janvier du Comité f.deral sont consacrées à l'étude d'un journal à lancer qui serait 1 or- gane de l'association. Une commission est nommée pour s'entendre avec deux organes déjà existants mais peu répan- dus- la Lulie à outrance, et la Section des Batignolle$. Les citoyens Franckel, Varlin, Noro, Boudet et Goullé sont nommés membres de celte commission (séance du

5 janvier 71). . .

La commission fait son rapport à la séance suivante. La

876 BISTOIRK DE LA COMMUNE DE 187I

Lutte à outrance est acceptée par i4 voix (sections) avec I voix nulle, de la section des Ternes. Le citoyen Varlin parle des difficultés que présenterait la publication d'un journal quotidien. Les ressources font défaut. « Il nous faut un org-ane qui explique clairement nos idées, dit Fran- kel, comment voulez-vous que l'ouvrier qui ne sait rien apprenne ? On lui parle aujourd'hui de Commune, ce mot l'effraie, il ne sait ce que c'est. Depuis la République nous n'avons rien fait. » 11 est décidé que la Lutte à outrance aura un sous-titre indiquant que ce journal sera l'org-ane des travailleurs, de l'Internationale. Le citoyen Lucas dit : « Nous ne voulons pas suivre la ligne de la Patrie en dan- ger (journal très énergique et très patriote rédigé par Blanqui, pendant le sièg-e). Le président Bachruch dit : « Blanqui a souvent des idées justes, mais c'est un journal socialiste que nous faisons, et quoi que je pense de Blanqui, je ne veux pas m'écarter de cette ligne » (Séance du la janvier).

Voilà une réfutation de l'opinion, produite devant la com- mission d'enquête, que Blanqui avait fait alliance avec l'In- ternationale. C'eût été possible en vue d'un de ces coups de mains que Blanqui préconisait, seul moyen, .selon lui, de faire la révolution. Il aurait pu, pour la tentative du 32 janvier, se concerter avec les internationalistes. On voit qu'il n'en fut pas question au Conseil fédéral, et qu'au con- traire il y avait froideur et défiance entre les membres de l'Internationale, révolutionnaires sociaux et les blanquistes, considérés comme des révolutionnaires politiques. Nous retrouverons, quand la Commune aura le pouvoir et sera installée comme un gouvernement voulant être régulier, cet antagonisme entre les blanquistes et les internationaux.

Dans la séance du 19 janvier, le Conseil fédéral s'occupe du travail de nuit des boulangers. Les boulangers deman-

LE DIX-HLIT MAHS

377

dent l'appui de l'Internalionale. Le concours de l'assemblée est acquis <\ ces travailleurs.

Dans la même séance, on discute le manifeste que doit publier ta Lutte à outrance, le nouvel organe de l associa- tion ce Le manifeste de la Société internationale des Iravail- leurs,déclare solennellement le citoyen Chalain,devra sou e- nir nettement la liquidation sociale ...Lacord propose que les séances deviennent quotidiennes. » LInternalionale dit-.l ignore sa force réelle,elle est considérable; le pub ic la croit riche et unie. « Le citoyen Rouveyrol conteste et dit que les sections sont ruinées et que les membres en sont disperses. Il ajoute : « Si le public savait tout cela, il jugerait com- bien nous sommes faibles, et l'association sombrerai du coup )) Cet aveu pessimiste ne soulève aucune protestation. On réclame seulement la lecture du manifeste qui a ete rédigé. Le citoyen Armand Lévy, rédacteur de la Lutte à. outrance, trouve le manifeste bon comme idées, mais pas assez dans le sens actuel. « Ce qui a fait la force de 1 In- ternationale, ajoute-t-il, ça a été de ne pas se limiter à combattre pour les travailleurs français, mais des étendre au prolétariat de l'univers. ,. Le Conseil décide qu .1 y aura désormais séance les mardi, jeudi et samedi, a huit heures

du soir. ,■ -,

On remarquera que ce jour-là, .9 janvier .87., se livrait la bataille de Buzenval, suprême effort et première action de la garde nationale parisienne, point de départ de 1 exas- pération qui devait aboutir à l'insurrection et à la Com- mune, et qu'il ne fut pas question un seu instant de ce grand et tragique événement, au cours de la longue déli- bération du Conseil fédéral de rinleinationale. Les Prus- sien, la grande sortie, la garde nationale vaincue, la capi- tulation dès lors justifiée et certaine, les internationaux n'en avaient cure. Ils pensaient uniquement à leur journal,

378 UISTOIHE DE LA COMMUNE L)E 187I

et à la lutte sociale contre la bourg-eoisie. On conçoit leur dt'd;iin pour Blanqui, pour sa préoccupation delà Patrie en dancjer. L'Internationale, en France, vivait donc dans un isolement, et au milieu d'abstractions socialistes, qui l'em- pêchaient de s'intéresser aux faits qui se passaient sous ses jeux. Elle élarg-issait tellement son horizon, au delà des frontières, qui étaient alors le Bois de Boulog-neet le Bois de Vincennes, qu'elle perdait de vue Paris.

Le Conseil se réunit le 22 janvier. Non seulement l'Inter- nationale n'est pour rien dans l'insurrection, mais elle ne veut pas qu'on parle de cette échauffourée sans importance pour elle. Sur une allusion de GouUé disant que la popula- tion est pourrie, Frankel dit : « Occupons-nous moins du 22 janvier, et plus de l'avenir .«'Le Conseil est tout entier à l'affaire du journal qui n'a pas pu continuer sa publication faute de fonds. Varlin dit : « La République des Travail- leurs eX, la Liilie à outrance ne reparaîtront probablement plus. Cherchons donc les moyens de faire un nouveau jour- nal. »

A la séance du i5 février, c'est l'époque si décisive des réunions au XV» arrondissement et au Waux-Hall, la fédération de la garde nationale s'orgtinise, le Comité Central est en gestation, véritable conception de la Com- mune et genèse de la Révolution parisienne, leConseil géné- ral écoute les déclarations vagues et générales de Theiss :

L'InterDationale doit devenir le g^ouvernement social lui même, dans l'avenir, les sociétés ouvrières se groupant diflicilement aujourd'hui. Les sections ouvrières sont vouées fatalement à la lutte quotidienne dusalarial. Nous savons combien cette tâche est rude, embarrassée de mille détails absorbants. Les sections, avec un bon esprit politique et social, sont appelées à exercer une grande domination sur l'opinion publique. Je demande donc au Conseil fédéral de marcher résolument vers l'aveair, et, pour

LE DIX-HUIT MARS

379

ouvrir la voie, je propose la nomiQatioa d'une commission spé- cialement con;acréeà faire une enquête, au sem même de chaque section, et à adresser un rapport qui vous sera soumis.

Une commission, une enquête, un rapport, voilà toute la beso-ne révolutionnaire que se donne cette Internationale, en qui l'on a voulu voir la génératrice de la grande révo- lution parisienne. .

Un membre qui fit partie du Comité central, Sera.ller, émet celte observation : « A Londres, l'Internationale est une puissance politique de premier ordre; qu'un mouve- ment socialiste éclate, l'Internationale est prête, en Angle- terre. En France, en est-il de même?» On ne lui répond que par un silence qui est une négation.

On a vu l'importance que prirent les manitestations à la Bastille, à l'occasion de l'anniversaire du 24 février. Ce fut que la garde nationale eut une cohésion, et que le Comité Central acquit et manifesta sa puissance. L'Internationale se désintéressa de ces démonstrations patriotiques et répu- blicaines. Un membre du Conseil propose de s'y associer. Frankel répond : « H est urgent de s'occuper d'études et d'or-anisations. Nous devons approfondir les questions spéciales, celles des loyers et du chômage général. Je de- mande qu'on repousse toute discussion sur la manifestation du a4 février, par l'ordre du jour. « L'ordre du jour est volé, et, sans plus s'occuper de l'agitation populaire et de la garde nationale se fédérant, des Prussiens dont 1 entrée à Paris est imminente, sans penser un seul instant aux canons abandonnés dans le périmètre d'occupal.on, oa écoute Fraukel disant: « Je ne me lasserai pas do demander au Conseil fédéral la création d'un organe de l'association. » (Séance du 22 février.)

Mais on est au premier mars. Le jour de deuil est arrive. L'armée prussienne entre dans Paris. La ville est comme

38o HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

figée dans sa douleur et son humiliation. La vie ordinaire est suspendue. Toute réunion, toute discussion sont ajour- nées. La cité est plong-ée dans l'obscurité, et le silence do- mine. L'Internationale lient cependant séance ce soir-là. Elle discute une communication du Comité Central de la garde nationale. Le Comité demande que les internationaux, fassent leur possible pour se faire nommer délégués dans leurs compagnies, afin de siéger au Comité Central.

Celteavance est accueillie froidement. Varlin dit: « Allons à cette chambre fédérale, non pas comme internationaux, mais comme gardes nationaux, et travaillons à nous empa- rer de cette assemblée. Frankel résiste: « Ceci ressemble à un compromis avec la Bourgeoisie, je n'en veux pas ! » Lacord fait remarquer que ces gardes nationaux viennent à eux par suite de l'influence morale qu'a conquise l'Inter- nationale, pourquoi les repousser? Frankel continue à mon- trer de la méfiance, et dit qu'on ne peut engager l'Interna- tionale avant que chacun ait consulté sa section. La discus- sion se poursuit. Elle est intéressante :

GouLLÉ. Il n'y a pas à engager l'InternatioDale. Il s'agit d'avoir des Internationaux dans les délégués des compagnies, puis quatre membres dans le Comité Central, pour y agir en leur nom individuellement, et venir donner des renseignements au Conseil lédéral.

Clamens. Ce sont des socialistes qui sont à la tête de l'af- faire.

Vahlin. Les hommes du comité qui nous étaient suspects ont été écartés et remplacés par des socialistes qui désirent avoir parmi eux quatre délégués, servant de lien entre eux et l'Inter- nationale. Si nous restons seuls en face d'une telle force, notre influence disparaîtra; si nous sommes unis avec le Comité, nous faisons un grand pas vers l'avenir social.

Babick. Acceptons le concours qu'on nous ofFre et usons-en avec la réserve commandée par la prudence. Je veux que, dans tout ceci, rinternatioualc soit à l'abri.

LE DIX-HUIT MARS

38 1

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,.,„„ _ Il n'y a pas d'inconvénient à nommer quatre délé- gués avec le mandat qui vient d'être fixé, et il y en aurait à ne ooint le faire, car si les socialistes de ee Comité ont a marcher en avant, ce serait une folie que l'Internationale leur refusât son concours réservé. . .

Cb.rbonne.u - Vous dites que le Comité est devenu socia- lUté A son début, il était réactionnaire. Je reste défiant. En con- sétTuence j'appuie la nomination de quatre membres, mais avec un mandât déterminé ; ils ne se mêleront à l'action que pour une lutte sociale.

En conséquence on vota la nomination d'une commission de quatre membres, déléguée auprès du Comité Central de la ffarde nationale, avec cette condition que l'action de cette délégation serait individuelle et expressément réser- vée, en ce'qui concernait l'Association internationale des tra- vailleurs. (Séance du i" mars 1871.)

11 résulte de cette délibération que l'Internationale con- sentait bien à envoyer quatre délé-ués au Comité Central, mais qu'elle n'entendait nullement 'adhérer à un comité politique, et que les délégués ne devraient se mêler à l'ac- tion de ce comité que pour une lutte sociale. Ceci fournit la démonstration que l'Internationale demeura étrangère à toute l'action politique du Comité Central, et ne participa nullement à l'affaire des canons de Montmartre.

La séance du i5 mars ne contient aucune allusion à un moiivement éventuel quelconque, pour le cas le gouver- nement voudrait prendre de vive force les canons. On y discute l'envoi d'une rectification au Paris-Journal à pro- pos d'une lettre de Karl Marx, dont on suspecte l'authenti- cité, et l'on y décide d'adresser les communications à plu- sieu'rs journaux en attendant que l'Internationale ait un journal lui appartenant entièrement.

Le 18 mars est passé. Paris est en pleine révolution. Le Comité Central, dès le 19 mars, s'est manifeste comme seule

382 HISTOIRE DE LA COMMUiNK DE iS'/I

autorité révolutionnaire. C'est le gouvernement provisoire de l'insurrection. Le Conseil fédéral se réunit le 22 mars.

Que décident alors les internationaux ? Rien. On émet des doutes sur le résultat d'une conciliation entre les mu- nicipalités et le Comité Central. Goullé fait observer que l'Internationale n'a qu'un membre dans ce Comité. Varlin ajoute : « Donc, elle est dég'ag'ée de toute responsabilité. » Un membre renchérit sur la défiance exprimée et dit : « Il faut savoir si le Comité ne compromet pas la République. »

Dans la séance du a3 mars, Frankel propose un mani- feste dans lequel on invitera à voter pour la Commune. Dans ce manifeste on ne s'occupera que des élections à la Commune. Un membre dit : « Si nous nous occupions du ComitéCenlral,dans notre manifeste, nous aurions à endos- ser la responsabilité que la réaction mettrait sur nous, si nous avions un échec. » Aubrj s'étonne de ne pas trouver une liaison intime entre la Fédération ouvrière et le Comité Central. « Cependant, dit-il, la Révolution du 18 mars est toute sociale,et les journaux dans toute la France citent l'In- ternationale comme ayant pris le pouvoir. Nous savons qu'il en est différemment. Je crois que l'on coordonnerait le mou- vement en invitant le Comité Central à adhérer à l'Inter- nationale. »

Enfin, dans la séance du 29 mars, la Commune installée comme g-ouvernement à l'Hôtel-de-Ville, à la veille du jour le canon va tonner, le sang' va couler, la discussion suivante s'engage :

Bebtin. Une des plus grandes questions qui doivent nous préoccuper, c'est celle relative à l'ordre social ; notre rérolulion est accomplie. Laissons le fusil et reprenons l'outil.

GouLLE. Il faut se tenir sur ses gardes.

Hamet. La garde est facile à établir, le travail l'est moins ;

LE DIX-UUIT UÀIIS

383

prenons nos outils, au premier coup de tambour nous saurons reprendre nos fusils. r , ,

Frankkl. J'appuie cette idéi. Nous voulons fonder le droit des travailleurs, et ce droit ne s'établit que par la force morale et la persuasion ; laissons les despotes faire respecter le droit qu'ils entendent à leur façon, par la mitraille.

C'était l'abstention, c'était la dispute théorique, et l'élabo- ration d'utopies et de formules sociales, sans sanction, que rinternatlonale adoptait en approuvant l'orateur. Nous verrons parla suite qu'elle s'y montra fidèle, et que, si plu- sieurs membres derinternationale.enmèmetempsmembres du Comité Central et de la Commune, votèrent des mesures énergiques, soutinrent la lutte, les armes à la main, c'étaient individuellement qu'ils agissaient. L'Internationale, en tout état de cause, a toujours suivi une li^ne parallèle à celle de la Commune. Elle futcntraînéo dans une chutecommune, mais elle ne fit rien pour l'empêcher.

Au Dix-Huit mars, il est bien démontré que la section française de l'Association internationale, représentée par son Conseil fédéral, demeura dans l'inaction, et même dans une indifférence touchant à l'hostilité. Le mouvement qui éclata, après l'attaque de jMontmartre, fut à la fois patriote et politique, ce fut l'esprit même de la Commune, et l'Internationale, fidèle à ses principes, à son nom, ne s'intéressait guère qu'aux réformes sociales, aux conditions du travail et sa sollicitude s'étendait aux étrangers.en négli- geant les intérêts nationaux.

RÉSUMÉ DE LA SITUA TION AU DIX-HUIT MAIiS

Il résulte de ce qui précède que :

Le Comité Central et l'Internationale n'ont été pour rien dans le Dix-Huit mars, ni dans l'insurrection qui en fut la conséquence immédiate ;

384

DK LA COMMUNE DE 187!

20 Que l'insurrection n'a été nullement préparée par le peuple, par la garde nationale, ou par des conspirateurs ; qu'elle fut une surprise et une riposte, et que M. Thiers est seul responsable des événements;

30 Que la Commune, qui en fut le résultat log-ique, eut donc pour unique auteur M. Thiers ;

4" Que les canons auraient pu être, sans danger, laissés à Montmartre, et dans les autres parcs, d'où ils eussent été ensuite facilement retirés, soit par un accord avec ceux qui les gardaient, soit à la suite d'un abandon volontaire, par lassitude, par découragement d'une faction sans nécessité ; 50 Que, la question des canons supprimée, l'insurrection n'avait plus de raison d'être, et la conciliation aurait pu se faire, sur la question principale des garanties pour la Répu- blique, et sur les points secondaires des franchises muni- cipales de Paris, des adoucissements aux lois rigoureuses sur les échéances et les loyers, de la réorganisation de la garde nationale, etc. , etc ;

Que le plan de Thiers, qui n'a échoué que par une circonstance indépendante de sa volonté, la débandade des troupes, a valu à notre malheureux pays deux mois de guerre civile, Paris mis à sac avec une tuerie sans exemple dans les temps modernes, et a creusé un fossé de haine et de vengeances, à peine comblé après quarante ans, entre les vainqueurs et les vaincus ;

70 Enfin, que le Dix-Huit mars est un crime, aussi odieux, aussi indigne d'amnistie que le Deux-Décembre, et que le seul criminel, car les complices ne vinrent qu'après pour approuveret exécuter, est Thiers, donnant froidement, dans la nuit du 17 au i8 mars, l'ordre de marcher sur les parcs d'artillerie de Montmartre et de Belleville, c'est-à-dire d'at- taquer Paris.

LIVRE X

LA BUTTE MONTMARTRE

LE VIEUX MONTMARTHE

Montmartre actuel, et ce détail topographique est donné pour ceux qui ne sout jamais venus à Paris, et aussi pour les personnes qui, ayant visité le Sacré-Cœur, ne connais- sent que le i8« arrondissement nouveau, est fort différent de l'ancien, celui de 1870. C'était, dix ans après l'annexion de hi banlieue comprise entre les anciens boulevards dits « ex- térieurs » et l'enceinte fortifiée, un plateau à l'accès ardu, aux pentes très raides, avec, au centre, le mamelon glai- seux et inculte désig-né sous le nom de lîutle-Montmartre, par abréviation familière la Butte. Tout autour de la Butte, s'étendait la plaine, commençant à l'ouest, à l'ancienne bar- rière Clichy, à l'est à l'ancienne barrière Rochecbouart, chaussée Clignancourt, au nord k la rue Marcadet. Cette plaine reliait Clii^nancourt et le quartier de la Cliapelle- Saint-Deuis à l'avenue de Saint-Ouen et aux Batig-nolles. Les pentes du côté nord étaient tranchées comme des falaises, finissaient brusquement à pic. De ce côté, la Butte surplombait la vaste plaine Saint-Denis, qui communi- (piaitavec d'autres plaines, celles d'Arijenteuil et deGenne-

386

DE LA COMMUNE DE 187!

viUiers au nord celles de Pantin et d'Aubervilliers à 1 est. Du versant sud descendaient des rues très rapides, vers Paris La montée vers le plateau montmartrois commençait à Notre-Dame de Lorette (rue des Martyrs), à la Chaussée d'Antin (rues Blanche et Pigalle), au faubourg Montmar- tre (place Cadet, rue Rochechouart). A partir des boule- vards dit extérieurs, se trouvaient avant lanuexion le mur d'enceinte et le chemin de ror.de pour l'octroi, avec les barrières de Louis XV, trois rues principales donnaient accès à la Butte : la rue Lepic (ancienne Barrière Blanche), la rue Neuve-Pigalle, actuellement rue Houdon (ancienne barrière Pigalle), la chaussée Clignancourt (ancienne bar- rière Rochechouart). La chaussée des Martyrs, prolonge- ment de la rue du môme nom, qui montait de l'ancienne barrière des Martyrs à la rue dite de la Maine, aujourd'hui rue Lavieuville, était accessible aux voitures jusqu'à cette rue mais quand on était parvenu à ce sommet, pour attein- dre la Butte même, il fallait gagner, à droite, la rue des Trois-Frères. le passage carrossable se trouvait barré par deux escaliers, l'un de bois, le second de pierre, dé- bouchant sur la place du Tertre. On pouvait par la gauche, en prenant la rue de l'Abbaye, aujourd'hui des Abbesses, atteindre la rue du Vieux-Chemin, aujourd'hui de Ravi- ffoan très rapide, et qui conduisait au fameux Moulin de la Galette La chaussée des Martyrs, la voie la plus directe, en ligne droite depuis le carrefour Notre-Dame-de- Lorette, était impraticable, ainsi que toutes les rues secondaires longitudinales, pour une attaque comme celle que Thiers et Vlnoy avaient combinée. Il n'y avait donc que deux grandes voies d'accès à la Butte. A gauche: la rue Lepic, prolongement de la rue Blanche et de la rue Notre-Dame- de-Lorette; à droite la chaussée Clignancourt et la voie parallèle, récemment ouverte, le boulevard Ornano (aujour-

LE DIX-HUIT MARS 887

d'hui boulevard Barbes) partant des anciennes barrières Rocliechouart et des Poissonniers.

La Butte était complètement abrupte sur le flanc orien- tal. Là se trouvaient des noyers, quelques vignes, avec des guinguettes, et les balançoires de la Tour Solterino. Elle supportait, sur son flanc occidental, un certain nombre de maisons et constructions. Sur le flanc nord, une rue rapide, la petite rue Saint-Denis, depuis rue du Mont-(Jenis, des- cendait vers la plaine, aux Portes-Blanches. Le front sud, faisant face à Paris, s'étend aujourd'hui la masse impo- sante de la basilique, était dégarni, avec une herbe rare, des ouvertures béantes et barrées, qui étaient d'anciennes car- rièresde gypse, des creux et des espaces incultes jouaient les gamins. En bas, s'étendait la place Piémontési, devenue l'actuelle place Saint-Pierre. L'ancienne tour du télégraphe de Ghappe, la Mire, et les constructions du Réservoir se dressaient sur ce plateau dénudé, avec le clocher et les tours de l'ancienne église Saint-Pierre de îlontmartre, à laquelle était accoté un jardin, dit Calvaire. La se trouvait le Champ Polonais, les canons avaient été transportés, lors de l'entrée des Prussiens, ils étaient, depuis, gardés avec un zèle qui allait décroissant.

Devant la cour de l'église, que fermait une grille, plan- tée de quelques arbres noirs et tristes, un peu en retrait, vers le sud, la place du Tertre, semblable à toutes le.s places de villages, s'étalait comme une mare mise à sec. Des rues tortueuses y conduisaient. Parmi celles-ci, la rue de la Fon- teuelle, dans laquelle débouchait la rue des Rosiers, vouée à une sanglante célébrité. On s'imaginait être très loin, et l'on se sentait dépaysé, quand, la pénible ascension faite, on atteignait ce centre pittoresque du Vieux Montmartre. La mairie de Montmartre s'élevait alors au centre de la rue actuelle des Abbesses, avec une petite place plantée

388 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE I S? 1

d'arbres. On pouvait y accéder, et encore avec une faci- lité relative, du côté ouest, par la rue Lepic, du midi par la rue Neuve-Pigalle, du côté est par la rue-chaussée des Martyrs. Ces moyens de communication, peu aisés sont restés les mêmes, mais la mairie a été transférée rue Orde- ner,au bas de la Butte orientale.

Etant données la topographie des lieux et la difficulté matérielle que comportait la descente de lourdes pièces d'artillerie de ces hauteurs, sans tenir compte de 1 aléa que présentait ce transport dans des rues habitées par une po- pulation patriote et surexcitée, supposée hostile, la première préoccupation ;de ceux qui combinaient cet enlèvement devait être de se procurer, en quantité suffisante, des bêtes de trait, des attelages, des prolon-es, enfin, le matériel d'équipage nécessaire pour déplacer et charroyer canons et

caissons .

Or ni Thiers, ni Vinoy ne s'occupèrent de s assurer que les attelages seraient rendus sur place, aux endroits dési- gnés, quand les canons seraient aux mains de la troupe. M le défaut ou le retard de ces attelaf^es furent la cause de la déroute. LE PLAN D'ATTAQUE

Voici l'ordre dans lequel devait s'accomplir l'opération, d'après les instructions données par le général V.noy, et selon le plan concerté avec le général d'Aurelle de Palad.nes, le ministre de la Guerre Le Flô et le général Valent, n, qui venait d'être nommé préfet de police. Ce plan, est-il besoin de l'indiquer, avait été combiné et tracé avec amour par Thiers lui-même, enchanté de transformer son cabinet en tente napoléonienne.

La garde nationale n'était pas convoquée, et ne prit aucune part à l'opération.

LE DIX-HUIT MARS

389

Deux réfîiments d'Infanterie, le 109a et le no», sous les ordres du général Derroja gardaient les abords de l'Hôlel-dc- Ville.Le 89" de marche occupait les Tuileries. Un bataillon du 640 et deux compagnies du 34" protégeaient la préfec- ture de police elle pont Saint-Michel. La caserne du Prince- Eutçène gardait une réserve composée par les 1 13«, 1 14° et 120° régiments consignés.

Un bataillon de la garde républicaine et le 35« d'infan- terie avaient pour objectif les Butles-Chaumont.

La ligne des boulevards extérieurs, de la place Clichy à la place Pigalle, était gardée par un bataillon de gardes républicains, le i«' bataillon de chasseurs à pied, le i36» régiment de marche, un détachement de chasseurs d'Afri- que, un détachement de gendarmes à cheval et une demi- batterio d'artillerie.

La division Susbielle avait l'ordre de s'emparer de la Butte Montmartre, d'enlever et de ramener les canons s'y trouvant.

Le général Susbielle avait sous ses ordres la brigade Paturel et la brigade Lecomle. La brigade Paturel compre- nait : le i7« bataillon de chasseurs à pied, deux bataillons du 769 d'infanterie, un bataillon du 3i% une demi-compa- gnie de génie, et environ deux cents gardiens de la paix armés de fusils. La brigade Lecomte comprenait le i8» ba- taillon de chasseurs à pied, le 88« régiment de marche, une demi-compagnie du génie, environ 200 gardiens de la paix armés de fusils.

En tout Vinoy disposait de 12.000 hommes environ. La lâche principale était assignée au général Lecomte. Il devait former sa colonne dans l'ordre îsuivant : avant-garde de gardiens de la paix armés de fusils, la demi-compagnie de garde républicaine, la demi-compnguie de génie, le i", puis le bataillon du 88» de marche. L'itinéraire était :

I

'iÇ)0 HISTOmE DE LA COMMUNE DE 187I

boulevard Ornano (boulevard Barbes) jusqu'à la rue Mar- cadet, cette rue jusqu'à la rue du Mont-Cenis, que les trou- pes monteraient pour parvenir à la place du Tertre, auprès de laquelle étaient les canons. Le 18* bataillon de chasseurs à pied et une batterie de quatre devaient se tenir en réserve sur le boulevard Rochechouart, grardant les débouchés de la place Saint-Pierre. Le bataillon du 88" devait rester en réserve, au pied de la Butte, côté est, rue Clignancourt et rue Marcadet. Cet effectif représentait 3. 000 hommes.

Une modification fut faite, sur le terrain, à ce dispositif: le i8» bataillon de chasseurs à pied, qui devait rester sur le boulevard, fut substitué au ler bataillon du 88<^ de marche, primitivement destiné à faire partie de la i^ colonne d'at- taque. Le général Lecomte se défiait probablement de la solidité de ce bataillon, et préférait placer en tête les chas- seurs à pied. La précaution était sag-e, mais les circonstances la rendirent inutile. La première colonne d'assaut fut donc formée de gardiens de la paix et de gardes républicains, sous le commandement du chef des gardiens de la paix Vassal, et la seconde colonne, formée par le i8« bataillon de chasseurs à pied, sous les ordres du commandant Pous- sargues.

LA NUIT DU 17 MARS

Les troupes avaient quitté leurs casernes silencieusement vers trois heures du matin. Aucune sonnerie n'avait retenti. Les sergents, passant de chambre en chambre, avaient éveillé les hommes. On était descendu dans les cours, rapi- dement. Les hommes, en.sommcillés et lourds, se rangèrent lentement. Ils ignoraient pour quel service on les comman- dait. Ceux qui voulaient paraître informés parlaient d'une occupation des forts évacués par les Prussiens. En tous cas, faisaient observer les malins, et tous ceux qui, dans

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Chaque compagnie, prétendent « la connaître dans les coins ,. . la promenade militaire, car il ne devait être question que de cela, ne durerait pas longtemps, puisqu'on partait sans avoir fait le café matinal, et l'on n'irait pas loin, puisqu on commandait de laisser les sacs. Les officiers, qu, peu a peu arrivaient, ne savaient rien. Ils allaient et venaient dans la cour, formant de petits groupes; ils échangeaient des paroles brèves, ù voix basse, quelques-uns soucieux d autres lierveux et fébriles; le plus grand nombre indifférents paraissant ennuyés seulement d'être debout si matin. Quand ce réveil muet fut terminé, et que chacun fut à sa place, le si-nal du départ fut donné, sans cris, sans commande- ments répétés, sans le fracas joyeux qui accompagne une sortie de caserne. Ces troupes se mettaient en mouvement avec des allures furtives de bandes allant faire un mauvais coup. Les soldats de la nuit du Deux-Décembre devaient avoir cette allure-là. _

Sans que l'alarme fût donnée, sans avoir éveille personne sur leur pas.sage, les différents corps de troupes étaient par- venus, entre quatre et cinq heures du matin, à leur empla- cement désigné, sur les boulevards e.xtérieurs. La brigade Lecomte. par le boulevard Ornano, la chaussée C hgnan- court la rue MuUer, était arrivée au pied de la Butte, côté est, et montait vers la tour Solférino. La brigade Paturel , par la rue Lepic, se dirigeait vers le Moulin de la Galette. c6té ouest, mais avec un retard considérable. _

Pendant que les troupes marchaient ainsi dans les ténè- bres, des escouades d'aflicheurs apposaient, sur les murs des quartiers du Centre, une proclamation signée de tous les membres du gouvernement. Elle était destinée à avertir les Parisiens, dès leur réveil, du coup de force qui devait être tenté dans la nuit, et qui serait, dans la pensée de se. auteurs, acccmipli lorsqu'on lirait l'affiche.

3qj histoire de la commune de 1S71

Voici cette proclamation :

Habitants de Paris

Nous nous adressons encore à vous, à votre raison, à votre patriotisme, et nous espérons que nous serons écoutés.

Votre grande cité, qui ne peut vivre que par l'ordre, est pro- fondément troublée dans quelques quartiers ; et le trouble de ces quartiers, sans se propager dans les autres, suffit cependant pour y empêcher le retour du travail et de l'aisance.

Depuis quelque temps, des hommes malintentionnés, sous pré- texte de résister aux Prussiens, qui ne sont plus dans vos murs, se sont constitués les maîtres d'une partie de la ville, y ont élevé des retranchements, y montent la garde, vous forcent à la mon- ter avec eux, par ordre d'un comité occulte, qui prétend comman- der seul, méconnaît ainsi l'autorité du général d'Aurelle, si digne d'être à votre tête, veut former un gouvernement en opposition au gouvernement légal, institué par le suffrage universel.

Ces hommes, qui vous ont causé déjà tant de mal, que vous avez déjà dispersés vous-mêmes, au 31 octobre, affichent la pré- tention de vous défendre contre les Prussiens, i|ui n'ont fait que paraître dans vos murs, et dont ces désordres retardent le départ définitif, braquent des canons, qui, s'ils faisaient feu, ne foudroie- raient que vos maisons, vos enfants et vous-mêmes ; enfin com- promettent la République, au lieu de la défendre, car, s'il s'éta- blissait, dans l'opinion de la France, que la République est la compagne nécessaire du désordre, la République serait perdue. Ne les croyez pas, et écoutez la vérité que nous vous disons en toute sincérité !

Le gouvernement, institué par la nation tout entière, aurait déjà pu reprendre ces canons, dérobés à l'Btat, et qui, en ce moment, ne menacent que vous, enlever ces retranchemenis ridicules, qui n'arrêtent que le commerce, et mettre sous la main de la justice les criminels, qui ne craindraient pas de faire succé- der la guerre civile à la guère étrangère ; mais il a voulu donner aux hommes trompés le temps de se séparer de ceux qui les trompent.

Cependant le temps qu'on a accordé aux hommes de bonne foi pour se séparer des hommes de mauvaise foi est pris sur vo're repos, sur votre bien-être, sur le bien-être de la France tout entière. Il faut donc ne pas le prolonger indéfiniment. Tant que

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dure cet étal de choses, le commerce est arrêté, vos boutiques sont désertes, les commandes qui viendraient de toutes parts sorit suspendues, vos bras sont oisifs, le crédit ne renaît pas, les capi- taux dont le gouvernement a besoin pour délivrer le territoire de présence de l'ennemi, hésitent à se présenter.

Dans votre intérêt même, dans celui de votre cite, comme dans celui de la France, le Gouvernement est résolu a agir.

Les coupables q,.i ont prétendu instituer un gouvernement à evix vont être livrés à la justice régulière. Les canons dérobes a l'Etat vont être rétablis dans les arsenaux, et pour exécuter cet acte urgent de justice et de raison, le Gouvernement, compte sur votre concours. Oue les bons citoyens se séparent des mauvais, qu'ils aident à la force publique au lieu de lui res.s er, ils hâte- ront ainsi le retour de laisance dans la cite, et rendront service à la République elle-même, que le désordre ruinerait dans 1 opi- nion de la France. .

Parisiens, nous vous tenons ce langage, parce que nous esti- mons votre bon sens, votre sagesse, votre patriotisme, mais, cet avertissement donné, vous nous approuverez de recourir a la force, car il faut à tout prix, et sans un jour de retard, que 1 or- dre, condition de votre bien-être, renaisse entier; immédiat, mal- tcrable.

Paris, le 17 mars 1871.

Thieus, président du Conseil, chef du pouvoir exécutif.

Dlfaure, Ministre de la Justice.

E. PicAKD, Ministre de l'Intérieur.

PouYER-QuEUTiEK, Ministre des Finances.

Jules Favke, Ministre des Affaires étrangères.

Général Le Flo, Ministre de la Guerre.

Amiral I'otuuau, Ministre de la .Marine.

Jules Simon, Ministre de l'Instruction publique.

De Lakcv, Ministre des Travaux luiblics.

Lambkecht, Ministre du Commerce.

Cette proclamation ne pouvait avoir le caractère d'un avertissement, d'une mise en demeure. Elle paraissait à l'heure nul ne devait en prendre connai.ssance, et quand elle pou.rait Être lue, les actes qu'elle annonçait .seraient

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lies faits accomplis. Elle s'adressait aux commerçants, aux boutiquiers, à ceux que l'on supposait être « partisans de l'ordre «, elle essayait de ranger du côté des provocateurs les habitants du centre, dont les bataillons avaient défendu le gouvernement au 3i octobre et au 22 janvier, et le sou- venir de leur concours d'alors était évoqué. Mais les temps étaient changés, et ces bataillons ne paraissaient guère disposés à soutenir ces hommes néfastes du 4 septembre, qu'ils chargeaient de leur haine et de leur mépris, puis- qu'ils n'avaient pas rempli la mission qu'ils s'étaient don- née,etqu'impuissantsà chasser les Pru.ssiens ils leur avaient ouvert Paris et livré la province. L'appel aux intérêts, comme aux frayeurs de la bourgeoisie, ne devait pas être entendu.

On remarquera l'aveu fait par le gouvernement « qu'il aurait déjà pu reprendre les canons ». C'était vrai, mais la proclamation n'ajoutait pas que, si l'on n'avait pas voulu opérer sérieusement cette reprise, ce n'était point pour per- mettre « aux hommes trompés de se séparer de ceux qui les trompaient u, mais bien pour attendre des renforts et frapper un coup violent.

Louis-Napoléon avait dit aux Parisiens, dans la nuit du Deux-Décembre : « Oue les méchants tremblent, et que les bons se rassurent » : Thiers et ses ministres, en adjurant les bons citoyens de se séparer des mauvais, demeuraient dans la même équivoque, mais ce langage était parfaite- ment intelligible pour le général Vinoy et pour l'ancien gendarme Valentin.

La menace de «recourir à la force )^ était une formule bien inutile, puisque le gouvernement ne menaçait plus, puisqu'il agissait. On doit même constater qu'il avait agi sans avoir menacé, car aucune sommation, directe et formelle, n'avait été adressée aux bataillons de Montmartre, pas plus qu'aux

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habitants et à la garde nationale. Le maire de iMonlmartre, Clemenreau, n'avait même pas été avisé. Le gouvernement avait lâché des troupes, comme des chiens de garde qu'on démusèlc, sans avertir les passants. En même temps qu'il demandait aux gardes nationaux de restituer leurs canons, et avant qu'ils aient eu le temps de répondre, il se mettait en mesure de les leur prendre.

Pendant l'affichage de cette proclamation, le commandant en chef de la garde nationale faisait apposer un autre placard, alors au moins prématuré, et qui parut singuliè- rement tardif quand on put le lire. Les afficheurs noc- turnes n'avaient pas fini leur tûche que les faits donnaient le plusénergiquedémentià l'affirmation témérairedu géné- ral d'Aurelle de Paladines disant :

Une proclamation du chef du pouvoir exécutif va paraître et sera affichée sur les murs de Paris, poar expliquer le but des mouvements qui s'opèrent. Ce but est raffermissement de la- Képublique, la répression de toute tentative de désordre, et la reprise des canons qui elTraienl la population. Les buttes Mont- martre sont prises et occupées par nos troupes, ainsi que les but- tes Chauraont et de BelleviUe. Les canons de Montmartre, des buttes Chaumont et de BelleviUe sont au pouvoir du Gouverne- ment de la République.

d'Aurelle de Paladines.

Ceci ressemblait aux procédés hasardeux de certains journalistes, rédigeant à l'avance le compte-rendu d'une cérémonie, au dernier moment décommandée.

A l'heure môme d'Aurelle de Paladines annonçait triomphalement que « les canons de Montmartre étaient au pouvoir du gouvernement », Lecomtc et ses troupes se trouvaient en pleine déroute, les canons étaient repris, et ce géncial était prisonnier.

3()6 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

LA SURPRISE

Les canons de Montmartre, depuis plusieurs jours (voir le récit du Mondé illustré ci-dessus), étaient très faible- blement g-ardés. Quelques factionnaires, se relevant mélan- coliquement, veillaient au Champ Polonais, et plus bas, sur un plateau de la Butte, se trouvaient aussi des canons. Dans la rue des Rosiers, maison 6, propriété de M"' Vve Scribe, était le poste fournissant les sentinelles. Ce poste avait reçu quotidiennement, dans les premiers jours du transport des canons, une soixantaine d'hommes. Puis on l'avait progressivement dég-arni. Il n'était occupé, dans la nuit du 17 au 18, que par 26 hommes. Un bataillon de Montmartre, le 61°, les avait fournis. Il y avait 7 faction- naires espacés, qui montaient la garde autour des canons. C'était tout à fait insuffisant, étant donnée la vaste superfi- cie des plateaux de la Butte devenus des parcs d'artillerie, pour assurer contre toute surprise les pièces et leurs surveil- lants. Le poste de la rue des Rosiers ne pouvait même essayer une défense quelconque : 26 gardes nationaux contre deux brig-ades d'infanterie, renforcées de g-endarmes, de sergents de ville, sans compter les soutiens et réserves, ce ce n'était point une force, et l'insignifiance de la garni- son de cette redoute de Montmartre, dépeinte comme for- midable et menaçante, démontre que, ni cette nuit-là, ni les jours précédents, on ne s'y attendait à une agression. On voit aussi que le fameux comité de Vigilance de la rue des Rosiers se montrait fort peu vigilant. Il est excusable, et sa confiance était naturelle. 11 pensait, avec tout le monde, qu'il n'y avait plus de raison de se préparer à repousser une attaque imaginaire, de plus en plus invraisemblable, et qu'on n'aurait pas à se mettre en garde contre îles assail- lants qui ne se présenteraient jamais. Il est évident que, si

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le moindre soupçon des projets de Thiers se fût répandu, des renforts seraient venus de toutes parts, et 1 attaque de la Butte fût devenue une opération militaire dithcile et

meurtrière.

Les édaireurs de la colonne Lecomte, gardiens de la paix et municipaux, s'étaient portés, par la rue MuUer, sur le plateau inférieur, se trouvait le parc d'artillerie, au- dessous .lu Champ Polonais. Un factionnaire les aperçoit. C'était un nommé Turpin,du 6.«. Il crie : Qui vive ! et croise la baïonnette. On ne lui répond pas . Il voit s avan- cer une masse noire dans l'indécision du crépuscule. II crie Halte ! et met en joue. Il ne tire pas, hésitant, ne sachant ce que veut cette troupe, ni d'où elle vient. Peut- être est-ce une patrouille de gardes nationaux, qui se trompe, et n'a pas entendu son injonction. L'hésitalion lui tut fatale. Les gardiens de la paix, des Corses pour la plupart, anciens sergents de ville de l'empire, n'éprouvent pas le moindre embarras. Ils tirent aussitôt. Le malheureux lur- pin tombe. Le petit poste de la rue des Rosiers, au bruit des délonatious, prend les armes, sort précip.tamment.Un feu de peloton l'accueille. Personne n'est touché, mais les tcardes so sont retranchés dans la maison, bientôt, cernes et couchés en joue, ils se rendent. On les désarme ; on les relient prisonniers. Quelques-uns de ces gardes peuvent s'échapper, et tirent des coups de fusil en dégringolant les pentes de la Butte. Les gardiens de la paix, dans les tran- chées enveloppant le parc, tirent et blessent un ou deux

de ces fuyards. .

L'aube grandit. La crête de la Butte s éclairc.t le ciel rosit. On dislingue plus nettement autour de soi Le chet des gardiens de la paix et de la demi -compagnie de muni- cipauv, Vassal, donne l'ordre de s'emparer des canons,que personne ne défend plus. Une dizaine de pièces sont aussi-

HISTOIRE DE LA COMMUNS DE

tôt environnées, traînées. Des artilleurs à défaut d'attelages sont demandés, et Vassal ordonne de conduire, à bras, les pièces sur la place du Tertre, par la rue des Rosiers. Ce commandant envoie alors une estafette au général Lecomte pour le prévenir de la prise du poste de la rue des Rosiers, et de la capture des canons du parc inférieur, en même temps il demande des renforts pour escorter les canons dans la descente des Buttes.

Vassal donne ensuite l'ordre aux chasseurs à pied, qui ont suivi les sergents de ville, de démolir les tranchées et retranchements garnissant la position qu'il vientd'occuper, et d'aplanir le terrain pour le passag'e des pièces. Il fait aussitôt placer des sentinelles au bas de la rue Muller, pour le cas où, pendant ces travaux, les g'ardes nationaux vien- draient par la chaussée Clignancourt au secours de leurs camarades surpris.

Le commandant Poussarg'ues, avec le i8° bataillon de chasseurs, avait occupé le plateau supérieur, sans trouver de résistance, sans tirer un coup de feu. Une partie de ses chasseurs se mit à la démolition des tranchées. Il employa les autres soldats dont il disposait à occuper les abords du Champ Polonais, le Calvaire, assez vaste enclos avec les stations de la Passion et les trois croix du Goig-otha. Il se rendit rue des Rosiers, et barra la rue du Mont-Genis,seuI chemin d'accès de la plaine Saint-Denis au sommet de la Butte. Il ne garda auprès de lui qu'une compagnie.

Ce renfort, demandé par le commandant Vassal, arriva bientôt. C'était un bataillon du 88° de marche. Il prit posi- tion auprès de la tour Solférino.

La première attaque a donc pleinement réussi. Il est cinq heures et demie.

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MONTMARTRE DEBOUT

On était alors maître de la Butto. 11 n'y avait eu ni com- bat ni clameur, ni même velléité de résistance. L'opération seml.lait avoir été des plus aisées. Les troupes n'avaient eu qu'à se montrer, et les canons étaient en leurs mains. Le spectre rouge de Montmartre s'était évanoui avec les bru- mes matinales. 11 faisait jour à présent, et la bataille était jjagnée. Elle n'avait pas été chère. Du côté de l'armée, pas une és-rati-nure; du côté des insurgés deux ou trois gardes blessés, dont le malheureux factionnaire surpris par les sergents de ville ; on avait transporté cet homme dans le poste de la rue des Rosiers. Le général Lecomte venait d'ar- river sur le plateau. Il félicita les chefs et les hommes de la réussite de l'expédition. Il n'y avait plus qu'à emmener les canons vers l'Ecole militaire et l'Esplanade des Invali- des. Les vraies difficultés commençaient. Le transport des pièces dans Paris, la traversée des quartiers des éléments hostiles devaient se rencontrer, c'étaient des périls pro- bables, mais il y avait d'abord à opérer la descente des plateaux de la Butte, par des pentes crevassées et des rues très raides. Le général Lecomte s'informa des attelages. On les attendait toujours. A sept heures, la tranchée, en avant du plateau, ayant été comblée et à peu près nivelée par les chasseurs, un passage parut praticable. Le général donna l'ordre de descendre, à bras, un certain nombre de canons. Une vingtaine de ces pièces furent ainsi, péniblement et lentement, transportées à mi-côte.

Tout cela avait pris du temps. Le grand jour était tout à fait venu. Montmartre cependant s'était réveillé, et déjà s'animait extraordinairement. Persiennes et volets s'ou- vraient, avec des gens effarés, aux fenêtres, sur le seuil des boutiques. Autour des laitières, les ménagères curieuse-

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ment s'interrogeaient et bavardaient, des groupes se for- maient aux comptoirs des marchands de vins. Des détona- tions avaient été vaguement entendues, et des gardes, échappés lors de la surprise du poste de la rue des Rosiers, avaient couru à la mairie et au Château-Rouge, donner l'alarme. Bientôt le tocsin se mit à sonner, et l'on entendit, dans la chaussée Clignancourt, les tambours battre la géné- rale. Rapidement, ce fut comme un changement de décors dans un théâtre : toutes les rues menant à la Butte sem- plirent d'une foule frémissante. Les femmes formaient la majorité; il y avait aussi des enfants.Des gardes nationaux isolés sortaient en armes, et se dirigeaient vers le Ghâleau- Rouge.

C'était un grand bal populaire, en vogue sous 1 empire. Son entrée était rue du Château, auprès d'un carrefour formé à l'intersection de la chaussée Clignancourt, de la rue Ramey et de la rue du Château; non loin débouchaient les rues Christiani, Myrrha, Muller.

Ce bal, d'une superficie considérable, dont les jardins descendaient primitivementjusqu'à la rue des Poissonniers, ayant été restreints pour l'ouverture du boulevard Ornano, renfermait un pavillon style Henri IV, bâti en briques rouges avec chaîne de pierres blanches, devant une pièce d'eau. Une tradition locale, d'ailleurs fausse, attribuait à la belle Gabrielle ce séjour. Le bâtiment qui servait de bureaux et de logement aux patrons de l'établissement, Chambon père et fils, avait été affecté pendant le siège à la garde nationale. Le comité de légion du XVIlIe arrondis- sement y siégeait, au Dix-Huit mars. Une cinquantaine de gardes s'y trouvaient quand l'alarme fut donnée. Ils prirent leurs fusils, se formèrent devant le Château-Rouge, et atten- dirent un bataillon, dont on entendait les tambours battant la charge du côté de la place Saint-Pierre. La foule cepen-

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liant grossissait; la rumeur populaire était grandissante, et les tambours, dont les roulements grondaient plus forts, plus proches, signalaient l'arrivée des renforts. Les femmes, devançant les gardes nationaux, avaient gravi les pentes, envahissaient le plateau inférieur, s'approchaient des sol- dats, et, curieuses, babillardes, gesticulant, regardaient les etl'orts et les essais pour démarrer les canons.

Un mouvement se produisit. Dans ce groupe de badauds, plutôt que d'insurgés, un homme jeune, avec une écharpe tricolore en sautoir, se frayait un passage. C'était le doc- leur Clemenceau, maire de Montmartre. Il venait pour se rendre compte, et donner ses soins au blessé, le faction- naire Turpin. Il voulut le faire conduire à l'hôpital voisin. Le commandant Vassal s'opposa à ce que ce médecin civil prît possession du blessé. Un médecin militaire avait déjà donné des soins à ce blessé, dit-il, avec l'aide de la cantinière et d'une femme des ambulances. En cette infir- mière. Clemenceau, avec surprise, reconnut son adminis- trée Louise Michel, en costume de garde-national.

LOUISE MICHEL

La plus curieuse personnalité féminine de 1 871, celte vaillante exaltée, Louise Michel, qu'on a appelée la Vierge Rouge. Jeanne d'Arc de la Révolution, portant les armes i.t un drapeau pourpre, comme la Fucelle, Velleda aussi des 1 fuites du prolétariat, cette héroïne communarde, épique -oinme la druidesse vaincue, était une simple institutrice. Son origine avait été celle d'un personnage de roman popu- laire. Elle était née, en uSo5, dans un château, ou plutôt dans les communs d'un château, à Vroncourt, petit village de la Haute-Marne, « sur le ver.sant d'une montagne, au- dessus d'une vaste plaine, dans laquelle on entendait la

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nuit, hurler les loups, a-t-elle dit, mais ils ne me faisaient point peur. J'ai rencontré depuis d'autres loups, bien plus féroces que ceux de Vroncourt, et ceux-là non plus ne sont pas parvenus à m'intimider. » Sa mère était une servante que « le fils du château », comme il est de tradition dans les feuilletons du Petit Journal, ai\&it séduite. Cette liaison n'était point conforme à la respectabilité bourg-eoise; cepen- dant la servante, devenue mère, ne fut point jetée dehors, selon l'usag-e, et l'on prit soin de l'enfant. La petite Louise fut soignée, veillée, instruite, dans ce milieu aisé. Elle reçut une éducation supérieure à celle des filles du villa^, avec lesquelles cependant on la laissait jouer, n'étant point, par sa condition, susceptible d'être admise à partag'er les amusements des demoiselles du voisinag-e. Son instruction artistique fut très développée. Elle apprit la musique, le dessin, la peinture. La connaissance de ces arts, dits d'agré- ment, devait lui servir plus tard, non pas tant à gagner sa vie, car elle eut de bonne heure un emploi dans l'en- seignement, puis elle tint école libre, mais à améliorer sa position, à faire des cours et à donner des leçons particu- lières. Toute sa vie elle s'adonna à la poésie et au dessin. On a d'elle des aquarelles fort curieuses, des crayons inté- ressants, et elle a publié des romans, des récits, des mémoi- res, œuvres diverses qui ne sont dénuées ni d'intérêt ni de mérite. Son ouvrage principal, la Commune, récit anec- dotique, passionné, et sans doute trop partial, des événe- ments auxquels avait participé l'auteur, fut édité à Paris en 1898, sous couverture rouge, par la librairie Stock.

Intelligente, studieuse, déjà isolée dès la prime jeunesse, se sentant l'objet de dédains sournois et de viles taquineries de la part des autres domestiques du château, qu'elle devinait jaloux et méprisants, la petite Louise éprouva de bonne heure le sentiment des inégalités sociales. Elle res-

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sentit, avant l'heure, rindi;ïQaUoa contre mj us .ce . Une sourde et précoce animosité contre les priv.le8ies,les riches, les forts, les favorisés de la destinée, s'éleva dans sa coa- science, et en même temps, contraste dont toute sa vie sarda l'empreinte, une vaste pitié et une large bonté enva- hirent sa jeune âme. On lui permettait de samuser avec les gamins et les gamines du voisinage Elle se révéla msti- tutrL parmi ces petiU rustres, qui subissaient 1 influence de sa supériorité, et auxquels bien vite elle en imposa, non pas tant par son costume de jeune demoiselle, que par son savoirprlcoce, par ses manières douces, par son mamt.en^ Elle jouait avec eux à la maman. Elle faisait gaiment la maîtresse d'école et enseignait en souriant. A la race ce saa s pitié elle apprenait surtout la bonté envers les animaux. kUes'efl-orçait de réfréner les goûts brutaux et méchants de ces petits paysans, se plaisant, comme tous les enfants de leur âge d'ailleurs, à faire soutïrir les bêtas mnocen tes. à torturer les êtres inoffensifs, qu'ils capturaient ou qui étaient à leur portée. En elle s'éveillait une immense sympa- thie qui devait s'étendre à tout ce qui vit, à tout ce qui souf- fre, tenmôme tempsun désir de lutte contre les tort.onnai- res,quels qu'ils fussent, un impulsif besom de leur ar.-acher leur proie, fût-ce au risque de sapropre vie, la dominei^n Elle devint à la fois, la bâtarde miséricordieuse, une rcvol- tée et une consolatrice. Elle suivit, toute son existence, ce double sentier de la bataille contre les forts et de la com- passion pour les faibles, à la fois virago et sœur de cha- rité. Elle n'hésita pas, en mainte occasion, à manier le fu- sil mais ses mains, noires de poudre, venaient ensuite, délicatement, panser les victimes des discordes civiles.

Son père, qui était maladif, mourut jeune. La servante- mère dut quitter le château hospitalier ; désintéressée, ell e Remporta' point d'économies. Louise du moins avait accu-

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mulé de la santé, de la vigueur, deTuneri^ie, dans ses lon- gues courses solitaires, par les bois hantés des loups rôdeurs et des braconniers à l'affût, par les plaines et les coteaux, elle se plaisait à causer avec les laboureurs et les viçfne- rons. Mais elle n'avait pas amassé d'ars^ent. Elle dut cher- cher un emploi pour vivre, avec sa mère. Elle débuta, comme maîtresse d'école, dans un petit village champenois, à Audelencourt. Elle y eut bientôt des démêles avec l'auto- rité préfectorale, ayant exprimé trop hardiment son opi- nion sur Napoléon III. Elle dut quitter l'euseig-nement officiel, vint à Paris, et entra, en i856, dans une institution dirigée, rue du Château-d'Eau, par une dame Viollier. Elle fut ensuite institutrice aux Batignolles. Dans les dernières années de l'empire, elle demeurait à INIontraartre, rue Hou- don, 24, elle avait ouvert une école. Sa classe était très suivie. Toutes ses élèves l'adoraient, et elle s'était attiré la sympathie de personnes fort peu révolutionnaires comme M»'» Michel de Tretaigne, femme du maire bona- partiste de INIontmartre, Mm» Léon Berteaux, statuaire, les Dufour, les Mariton, propriétaires et constructeurs de mai- sons, notabilités delà petite ville de banlieue, qui lui pro- curèrent des leçons particulières. Elle avait aussi un cours de musique, le jeune compositeur, Charles de Sivry, venait de temps à autre faire une leçon de solfège et d'ac- compagnement. Elle s'occupait de questions sociales déjà, mais elle ne dépassait pas, à cette époque, le sentimentalisme philanthropique de l'auteur de l'Ouvrière. «Jules Simon, a dit l'un de ses biographes, Charles Malato, manifesta une bienveillante sympathie à celle que lui et ses collègues du gouvernement de Versailles devaient un jour livrer à la justice militaire. »

Ce fut pendant le siège que Louise Michel entra résolu- ment dans la politique militante. Elle organi.sa une ambu-

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lance, et futen rapports avec Clemenceau, pour les secours, la distribution de vcHements chauds, de soupes, aux fem- mes aux vieillards, aux enfants, à tous ceuxqui souffraient des privations du siège. Après le .8 mars, elle groupa un comité de femmes, et présida le club Révolution qui se tenait dans l'église Saint-Michel, avenue de Saint-Ouen.La parole et la propagande pacifiques ne suffisaient pas à son Lpérament combatif. Elle prit le fusil et, vêtue de 1 uni- forme de fédéré, elle combattit dans les rangs du fameux 6.' bataillon, le bataillon de Montmartre, commandé par Uazoua. On la vit à Issy, à Clamart, sur tous les théâtres périlleux des combats suburbains. Elle avait debute,comme derrière, en faisant le coup de feu. place de 1 Hotel-de- Ville,au 22 janvier. Dans la lutte terrible des derniers jours, elle se battit jusqu'à la suprême défaite. Elle tut laissée pour morte, à la barricade de la chaussée Cl.gnan- court. près la rueMyrrha, Dombrowski avait e e blesse. Elle a4itétérenvo;-sée,'piélinée, frappée à coups de crosse lors de la prise de la barricade. Elle put se traîner jusqu à la maison d'une amie sûre, et de là, après avoir emprunté „ne iupeet une capeline, qu'il était urgent de sub.stituer à sa t'nique de féd.ré et à son képi, elle put regagner sa demeure Elle avait hâte d'arriver rue Houdon. Elle trouva l'école déserte, pas de lumière, les volets clos. Personne autre que sa petite chienne Finette, qui hurlait a la mort, et .on chat Raton, qui miaulait désespérément.

Une voisine lui apprend que les Versaillais sont venus.et qu'ils ont emmené sa mère, à sa place. Elle court aussitôt, . 'Volée, se livrer, pour qu'on relâche la pauvre v.edle femme. Elle comparut devant le 6' conseil de guerre. Son attitude fut digne et fière. Elle ne renia rien de ses con- victions; elle avoua sa participation à la résistance de la Commune.

4o6 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Je suis partie, dit-elle, avec les compagnies de marche de la Commune, dès la première sortie. Je faisais partie du bataillon de Montmartre, et je me suis battue dans ses rangs, comme un soldat. J'ai pensé qu'en conscience c'était ce qu'il y avait de plus ulileà faire. J'ai nécessairement continué dans Paris, comme les autres, jusqu'à ce que les vainqueurs ayant arrêté ma mère pour la fusiller à ma place, je suis allée la faire mettre en liberté, malgré elle, en réclamant cette place pour moi.

Ce fut son unique réclamation : aliène sollicita ni pitié, ni indulgence pour elle-même. Les juges n'osèrent lui accorder la mort qu'elle attendait. Peut-être, au fond de leur cœur de soldats, y avait-il de l'admiration, et un peu de sympathie pour cette femme, dont on attestait d'autre part la douceur, la charité, l'extrême bonté, et qui les avait si crânement combattus, le fusil à la main. Ils firent grâce de la vie, et envoyèrent l'héroïne en Calédonie. Condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée, Louise Michel partag-ea l'existence pénible des hôtes de la presqu'île Ducos. Elle inspira à tous ces hommes admiration et respect. A l'amnistie, elle revint en France, se remit à faire des confé- rences, à continuer sa propagande socialiste, d'autant plus énergique. Menacée d'arrestation, à la suite d'un mouve- ment de grévistes, des boulangeries avaient été sur le point d'être pillées, elle se réfugia à Londres. Elle y sé- journa dix-sept ans, puis revint en France, les médecins lui ayant prescrit le climat du Midi. Anémiée par le ciel froid et l'air humide de l'Angleterre, elle vint chercher la cure de soleil à Toulon. Elle faillit y mourir en arrivant. Elle réchappa cependant, et vécut encore un an. En tournée de conférences, dans les Alpes, elle fut atteinte d'une pneumonie double. Elle expira, le 9 janvier igoS, à Mar- seille, chez son amie. M""» veuve Légier, boulevard Dugom- mier, chez qui elle avait demandé à être transportée. Le

tlOl LE DIX-HUIT MARS ^ '

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corps fut ramené à Paris, et les obsèques eurent heu au cimetière de Levallois-Perret, avait été enterré Feré^ Sra p oiement considérable de police et detroupeseu heu à la ire de Lyon, à la Bastille, et sur tout le parcours du Lnv^i. C'est que la foule était grande, -;l«f 7^^. ^^ coXe. Il y eut quelques bagarres, aux abords du cime- iCe'et au 'rond-point de la Vi.lette, mais r.n de W grave. Ses obsèques eurent heu le .2 janvier, date fat dlque pour la défunte. Louise Michel était âgée de soi-

^^S;;f eu "uïe fin relativement paisible, une fin de vieille femme tranquille, qui n'a pas eu d'aventures, et dont Tm, conle reltence, ne doivent jamais h^urer dans Aistoi e. Cette mort, dans un âge déjà avance, sans gran- des souffrances, à la suite d'une des plus vulgaires affec- tions, ne semblait pas devoir être celle de cette femme, à •existence aventureuse et tourmentée, qui tant de fois ava.t tTau-devant du danger, et que la mort avait si souvent frôlée.Le peloton le long d'unmur,ua rouge soir d émeu e, sous un ciel lourd de fumées, violacé par les rouets de m- cendie ou l'agonie misérable dans une paillolte calédo- n enno', ou encore la fia lente et silencieuse entre les murs nus d-ùne prison semblaient devoir être le terminus tr- afique de ses étapes de révoltée. Elle ne laissa pas, dans le îrandpubUc, indifférent ou sceptique, une impression de mépris ou d'horreur, et sa mémoire n'est pas exécrée El^ Tut toujours adorée par ceux qui la connaissaicnl, estimée de ceux qu'elle combattait, vénérée par ceux qui avaien touvé son grand cœur etadmiré sa vaillance. Elle passait aux yeux de^ adversaires pour une détraquée, ma. nuU - menî pour une scélérate. Ses pires ennemis - la confon- daieni pas avec ces mégères, un Peu -vraisemblables d ail- leurs, c^i'on a nommées des pétroleuses, et dans les mains

^O!* HISTOIUE DE LA COMMUNE DE 187!

desquelles on a mis bien des torches qu'elles ne portèrent jamais, les rendantresponsablos de brasiers qu'elles n'avaient point allumés. Louise Michel avait la voix douce, le reg-ard franc et limpide. Son visage était sans doute fort distant de la pureté académique, mais la bonté resplendissait à travers cette physionomie irrégulière, et sa laideur dispa- raissait sous la clarté de l'âme qui transperçait. Elle n'était farouche qu'en politique. Elle n'eut jamais d'autres enne- mis que ceux de la République. Elle se montrait terrible au combat, autant que bienveillante dans la vie privée, et maternelle à sa classe. A la tribune.elle apparaissait comme une illuminée, pour beaucoup telle qu'une sorcière, de celles qu'on brillait au Moven-Age . Il ne faut pas oublier que Jeanne la Pucelle, qui, comme elle, fut g-uerrière, fana- tisée, et populaire, ne put éviter l'accu-sation de sorcellerie. Louise avait gardé la virginité, qui semble inséparable de la vocation et de l'influence de ces êtres, poussés par une sorte de force surnaturelle à l'apostolat et au martyre, en écoutant des voix qui leur imposent leur mission. La Vierg-e rouge voulait bouter hors de la République les réaction- naires, les exploiteurs, les parasites, les m.échants, comme l'autre Vierg-e les envahisseurs, hors du sol de France. Louise considérait que sa mission consistait, non plus à faire sacrer un roi à Reims, mais à faire consacrer à Paris la Répu- blique. Il y avait en elle un mélange de l'exaltation de sainte Thérèse, dans son extase voyant resplendir la Révo- lution, de la vaillance de Jeanne Hachette qui se battait sur les remparts de Beauvais comme un homme d'armes et aussi du dévouement de cette Elisabeth de Hongrie, qui, de ses mains royales, pansait les ulcères, et ne se trouvait à sa place que penchée vers des malheureux dans l'ombre malsaine des majadreries. En résumé, une fig-ure puissante et originale que celle de cette femme ardente, qui rein-

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carna «lans une société, plutôt sceptique, ég^oïste et peu héroïque, les enthousiasmes des confesseurs primitifs, la charité des filles de saint Vincent de Paul, et la bravoure des volontaires de Sambre-et-Meuse.

LE GÉNÉRAL LECOMTE ET CLÉMENCE AU

Au Dix-Huit mars, Louise Michel n'avait pas encore l'al- lure d'une héroïne. C'était une laborieuse et intelligente jeune femme, qui, tout en faisant de la musique, en chan- tant des vers, en écrivant des pages délicates et en instrui- sant des fillettes, se passionnait pour la République, vou- lait la défendre, si les royalistes de Versailles osaient l'at- taquer, comme on le disait, et, en attendant l'heure il faudrait combattre, cherchait toutes les occasions de se rendre utile et secourable, vig:ilante à l'ambulance, avant d'être intrépide sur la barricade.

Par hasard, cette nuit-là, elle se trouva sur la Butte et au premier rang, au moment de l'attaque. Elle a raconté l'épisode du pansement de Turpin, la première victime, qui mourut quelques jours après, heureux de la victoire populaire qu'il croyait acquise. 11 recommanda à Clemen- ceau sa femme, qu'il laissait dans le dénuement.

Sur la Balte était un poste du Cl» veillant au numéro 6 de la rue des Rosiers, a dit Louise Michel ; j'y étais allée de la part de Dardelle (un des membres du comité de Visfilance du XVIIIe arrondissement) pour une communication, et j'étais restée. Deux hommes suspects s'étant ialroduits, dans la soirée, avaient été envoyés, sous lionne garde, à la mairie dont ils se réclamaient, et personne ne les connaissait. Ils furent cardés en sûreté, et s'évadèrent le malin, pendant l'attaque. Un troisième individu suspect était en train de raconter des mensonge dont on ne croyait pas un mot, ne le perdant pas de vue, quand le faction- naire Turpin tombe atteint d'une balle. Le poste est surpris.saus (]ue le coup de canon A blanc, qui devait être tiré en cas d'alta-

^,0 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

que, ait donné léveil, mais on sentait bien que la journée ne

finirait pas là. , ^ . .. i .

La cantinicre et moi, nous avions panse Turpin, en déchirant notre linge sur nous. Alors arrive Clemenceau, qui, ne sachant pas le blessé déjà pansé, demande du linge. Sur ma parole et sur la sienne de revenir, je descends la butte, ma carabine sous mon manteau, en criant : Trahison ! ....

Une colonne se formait. Tout le comité de vigilance était la_: Ferré le vieux Moreau, Avronsart, Le Moussu, Burlot, Schei- ner, Bourdeille. Moatmarlre s'éveillait, le rappel battait, je reve- nais en effet, mais avec les autres, à l'assaut des Buttes... (Louise Michel, La Commune, p. .4o. P. V. Stock édit. Paris, .898.)

Louise Michel partie, le docteur Clemenceau, à qui l'on n'avait pas permis de soigner le blessé, insista pour qu'il fût transporté à l'hôpital, sur un brancard. Le comman- dant Vassal ayant refusé cette nouvelle demande,il s'adressa au général Lecomte, qui venait d'arriver. Le général, plus énergiquement encore que son subordonné, éconduisit Cle- menceau. Il s'opposa au transport du blessé et donna ses motifs. « Je sais ce que l'on a fait dans les émeutes, dit-il, d'un cadavre qu'on promène sur un brancard ! L'homme restera là, et vous, le médecin civil, votre place n'est pas ici, nous avons notre major... Mais je suis le maire de l'arrondissement! fit observer Clemenceau.— Eh bien, allez à votre mairie ! » répondit brutalement le général. Clemen- ceau dut faire demi-tour, et regagner sa mairie. La fatalité semble ici être Intervenue, comme dans les tragédies anti- ques. Si Lecomte avait laissé Clemenceau visiter le blessé, s'il eût autorisé le transport, le maire de Montmartre eût été encore présent quand la foule survint, enveloppa le général et le fit prisonnier. Lecomte eût été gardé, mais sauvé. Le maire de Montmartre ne revint sur la Butte qu'à

cinq heures et demie, quand Lecomte venait d'être fusillé.

LE DIX-BUIT MARS

4u

LA CROSSE EN L'A m

Les attelages n'arrivaient pas, et la foule augmentait sur la Butte. Le cercle grouillant s'épaississait et se rélrecssa.t. Un filet humain, resserrant ses mailles, entourait le géné- ral et ses officiers. Un l^ruit de tambours battant la charge roulait au loin, sensiblement se rapprochait Une centaine de gardes nationaux apparurent, venus par la rue Muller, montant vers le plateau supérieur. Les deux sentinelles pla- cées au bas de la rue Muller s'étaient repliées vivement, donnant 1 alarme. Les gardes nationaux sont bientôt au pied de la tour Solférino. Ils s'arrêtent. Deux hommes se détachent, et l'un d'eux met un mouchoir au bout d un fusil Un troisième personnage suit, à quelque distance, ces deux gardes, qui semblent venir en parlementaires.

Le commandant Poussargues, qui se ti-ouve sur ce pla- teau supérieur, envoie le capitaine Franck, des chasseurs, prévenir le général Lecomte que des gardes nationaux s'avancent vers lui; il demande s'il doit faire tirer. Le général fait répondre de repousser les assaillants a la baïon- nette, sans faire feu. . , , ,

Mais bientôt le commandant Vassal et le général Lecomte se trouvent immobilisés au plateau inférieur, envahi par la foule. Les femmes tumultueusement s'interposent. LUes forment tampon, entre les gardes nationaux et la troupe. Elles crient, elles interpellent, elles lèvent les bras, elles tendent des enfants, elles en dressent à la hauteur de leurs épaules, et elles supplient : « Ne tirez pas sur nous ! Vous êtes des amis ! On est tous des frères ! » disent-elles aux sol- dats Les hommes du 88^ de ligne semblent hésitants, api- toyés. Les sergents de ville et les municipaux, sous les ordres de Vassal, gardent plus ferme contenance. Ces piail- le ries féminines ne semblent pas les émouvoir. On peut

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

compter qu'ils tireront, si le commandement leur est donné. Les deux g-ardes parlementaires essayaient de persua- der les chasseurs de leurs intentions pacifiques. Le général Lecomte sent sa troupe lui échapper. Il faut toujours lais- ser un espace entre le peu pie et les soldats, dans une mani- festation, dans un rassemblement. Les cavaliers ne peu- vent être approchés comme les fantassins, leur monture les isole; aussi les emploie-t-on de préférence, pour refouler les attroupements, ils sont indispensables dans les émeu- tes. Lecomte n'avait que des troupes de pied, et le contact de ses hommes avec la foule devenait de minute en minute plus étroit, plus pernicieux. Le général s'était rendu au plateau supérieur, pour se rendre compte de la position de son second, le commandant Poussargues. Celui-ci n'était pas dans une meilleure posture. Il se voyait aussi envi- ronné, et, comme lui, menacé d'être débordé. Lecomte prend alors la résolution d'user de la force. Il fait faire une sommation à la foule d'avoir à se disperser, et com- mande de mettre en joue. La foule ne bouge pas d'abord, puis elle avance ensuite. Les femmes plus vivement implo- rent les soldats. Quelques-unes injurient les officiers. Le général redescend au plateau inférieur, pendant que les gardes nationaux se jettent à terre, pour laisser passer la décharge qu'ils prévoient imminente. Les femmes reculent, s'écartent en poussant de grands cris. Aucune détonation ne se produit cependant sur ce plateau. Les chasseurs n'ont pas tiré. Brusquement un coup de fusil isolé s'entend. Il ne vient pas des rangs de la troupe, ni des gardes natio- naux. C'est rhomme accompagnant les deux parlementai- res.qui s'est retourné, et a tiré sur les gardes nationaux derrière lui. On retrouva plus tard ce provocateur, qu'on reconnut pour être un sergent de ville déguisé en garde national. On ne sut jamais qui l'avait envoyé là, s'il était

LE DIX-HUIT MARS

4i3

aposté pour donner le si-nal d'une tucne, ou s'il avait açi de son propre mouvement, par zèle policier, pensant que son coup de feu se confondrait avec ceux des soldats. 11 fut assommé, et précipité dans les ravins des Buttes,

Le général Lecomte redescend vivement, répète au pla- teau inférieur l'ordre de tirer qu'il a donné aux chasseurs du commandant Poussargues.Leshoramesdu 88» semblent ne pas l'avoir compris.

Il réitère son commandement. Les soldats paraissent ne pas entendre. Us persistent dans leur immobilité, gardent l'arme au repos. Tout à coup un mouvement se produit dans les rangs. De nouveaux assaillants se présentent. Ce sont des gardes nationaux, mélangés avec des soldats. Entendant battre le rappel, ces gardes se sont rassemblés dans la rue Doudeauville, h Clisnancourt, derrière le flanc oriental de la Butte. Ils aviùent remonté le boulevard Ornano, dans la direction du Château-Rouge. Un poste fourni par le 88« de marche se trouvait sur leur passage, rue Dejean. Des gar- des se détachent, vont aux soldats, leur parlent, les enga- gent à se joindre à eux ; ils les persuadent, les entraînent. Le déterminisme qui les décide est facile à concevoir, et ces soldats découragés, harassés, à jeun, sont des recrues désignées pour la rébellion. Lignards et gardes nationaux s'enfoncent bientôt dans le torrent humain de la rue Muller, qui les roule jusqu'au plateau, le général Lecomte vai- nement s'efforce d'exciter ses soldats à tirer.

Les soldats du 88e, voyant leurs camarades venir à eux, avec des gardes nationaux, semblent se disposer à les re- joindre, et à fraterniser pareillement. Le général Lecomte sent leur indécision. Il commande, d'une voix irritée, aux sergents de ville de s'emparer de quelques mutins qu'il désigne. L'ordre est exécuté : « Conduisez-les à la tour Solférino, et gardez-les. J'irai les prendre plus tard ! •> crie

l^^l^ uistoihe de la commune de 1871

Lecomte.etil ajoute, en regardant les insoumis que les gar- diens de la paix emmènent : « Canailles! voire compte est bon ! » De sourds grognements s'élevèrent des rangs des soldats restés sur le plateau. Lecomte revient vers eux, menaçant, fiévreux, criant qu'il brûlera la cervelle au pre- mier qui n'obéira pas. Alors,levant son sahre,il commande; Feu ! pour la troisième fois.Pas une détonation ne s'entend, pas un fusil n'a bougé. Le général Lecomte, perdant la tête, s'avance au front des troupes, toujours inertes, et dit ra- geusement :

« Puisque vous ne voulez pas vous battre, tas de canailles, alors rendez-vous I... »

Une voix s'élève des rangs. C'est celle du .sergent Ver- daguer, plus tard fusillé à Satorj, pour celle insubordina- tion plulôl que pour l'affaire de la rue des Rosiers. Cette voix, en manière de réponse, lance cette invitation :

« Camarades, armes à terre! »

Aussitôt quelques soldats jettent leurs fusils devant eux. On perçoit le tintement métallique des canons sur le sol. A ce mouvement répond une acclamation joyeuse. Les gardes nationaux lèvent leurs crosses en l'air, en criant : vive la ligne ! Les femmes se précipitent sur les soldats, les étrei- gnent, les embrassent. De toutes parts on agi te les fusils, les képis ; on se serre les mains; les gardes nationaux tendent aux li'gnards, qui sont encore armés, leurs tabatières el prennent leurs chassepots ; les officiers sont bousculés, cer- nés, désarmés.

Le commandant Vassal, qui est au poste de la rue des Rosiers, se sauve. Il se réfugie dans la maison portant le numéro 3, une femme lui donne un vêtement civil,grâce auquel il peut se faufiler dans la foule, et disparaître. Moms heureux, ou plus brave, le général Lecomte reste. Il est bientôt empoigné, mis en arrestation.

LE DIX-nUIT MARS

4ib

Au plateau supérieur, le commandant Poussarçues et le capitaine Franck, avec les chasseurs du 18'^ bataillon, ont essayé d'opposer une digue de baïonnettes à la marée po- pulaire, à chaque minute plus forte. Le capitaine Franck a relaté ainsi, dans le procès fait au capitaine Garcm, l'as- saut dont lui et ses hommes furent l'objet :

Le Qol des insurgés montant toujours, Garcia était à leur tête. Comme il se trouvait en avant, et voulait monter le premier, le commandant Poussarçues lui donna un coup de pomg qui le ht reculer II essaya alors de passer de mon côté, et je disposai mon pomsc pour le repousser. Garcin crut que je Im tendais la main pour franchir le talus, très escarpé en cet endroit. Il vou- lut me saisir le poignet, mais je le repoussai violemment .

Ce pug-ilal semble bien inoffensif. Il faut se rendre compte que Garcin et les hommes de son bataillon ne vou- laient pas tirer les premiers sur les soldats, qu'ils espéraient les amadouer, les entraîner, et, de leur côté, les officiers, comme ce capitaine Franck, sentant que leur.s hommes al- laient leur échapper,se voyant aussi entourés par desforces de plus en plus grossies, n'osaient ni commander le feu, ni faire usage de leurs propres armes.

Le commandant Poussargues et le capitaine Franck furent en effet bientôt à la merci des gardes nationaux du 169° bataillon, qui, sous le commandement du capitaine Garcin et du lieutenant Piger, parvinrent à escalader le plateau supérieur. Les chas.seurs, à qui l'on disait que leurs camarades du 88» de ligne avaient fraternisé avec les gardes nationaux, hésitaient de plus en plus. Ils enten- daient crier : vive la ligne I et aucune fusillade n'éclatait. Donc on ne se battait plus. Le général Lecomte, quand il était monté sur le plateau supérieur, avait ordonne de met- tre en joue, sans tirer. Aux commandemenU réitérés de

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DE LA «IMLNE DE I S7 I

Lecomte, et il ajoute, en regar .ni les insoumis que les gar- diensde la paix emmènent : C, mailles I votre compte est bon ! » De sourds grojçneme s s'élevèrent des rangs des soldats restés sur le platet Le. omte revient vers eux, menaçant, fiévreux, criant q 1 Uidlera la cervelle au pre- mier qui n'obéira pas. Alors, 'aut son sahre,il commande: Feu! pour la troisième fois.l i ur.f^ détonation ne s'entend, pas un fusil n'a hougi-.Le r:.l Lecomte, perdant la tête, s'avance au front des troupe t .iijours inertes, et dit ra- geusement :

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Une voix s'élève des rang C'est celle du servent Vcr- daguer. plus lard fusillé à i-Lorv, pour celte insuhordina- Uon plutôt que pour l'affair de la rue des Rosiers. Cette voix, en manière de réponse ance cette invitation : « Camarades, armes à rre! »

AussilAl quelques soldaU rtlent leurs fusils devant eux. On perçoit le tintement met ique des canons sur le sol. A ce mouvement répond une. sl^mation joyeuse. Les gardes nationaux lèvent leurs cro: « on l'air, en criant : vive la ligne ' Les femmes se préci tout sur les soldats, les étrei- gnenl. les embrassent. De t l- parts on agite les fusils, les képis on se serre les main 1 s -anles nationaux tendent aux lignards, qui sont en re armés, leurs tabatières et prennent leurs chassepots ; * -fHciers sont bousculés, cer- nés, désarmés.

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Au plateau supérieu le commandant Poussargues et le capitaine Franck, avec s chasseurs du 18" bataillon, ont essayé d'opposer une c eue de baïonnettes à la mai-ée po- pulaire, à chaque mini ; plus forte. Le capitaine Franck a relaté ainsi, dans le j jcès fait au capitaine Garcia, l'as- saut dont lui et ses hoi nés furent l'objet :

Le flot des insurgés mo' mt toujours, Garcin était à leur tête. Comme il se trouvait en .ant, et voulait monter le premier, le commandant Poussarçues à donna un coup de poing qui le fît reculer. Il essaj'a alors (f passer de mon coté, et je disposai mon poing pour le repouj;r. Garcin crut que je lui tendais la main pour franchir le talu très escarpé en cet endroit. Il vou- lut me saisir le poignet, j is je le repoussai violemment .

Ce pugilat semble Jm inoffensif. Il faut se rendre compte que Garcin et le lommes de son bataillon ne vou- laient pas tirer les prcm s sur les soldats, qu'ils espéraient les amadouer, les entra 3r, et, de leur côté, les officiers, comme ce capitaine Fra k, sentant que leurs hommes al- laient leur échapper. = j vaut aussi entouréspar desforces de plus en plus groasus l'osaient ni commander le feu, ni faire usage de leurs pro es armes.

Le commandant Po sargues et le capitaine Franck furent en effet bierit a merci des gardes nationaux du 169^ bataillon, qui, s i.' e commandement du capitaine Garcin et du lieuter m ^iger, parvinrent à escalader le plateau supérieur. L,; lasseurs, à qui l'on disait que leurs camarades du >>: 1 ligne avaient fraternisé avec les gardes nationaux, h-sitint de plus en plus, lis enten- daient crier : vive la ligi I et aucune fusillade n'éclatait. Donc on ne se battait pli . Le général Lecomte, quand il était monté sur le [)!ai ai upérieur, avait ordonné de met- tre en joue, sans tirer, in^gigmandements réitérés de

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IRE DE l.A COMMUNE DE 1*^71

leurs officiers, les chasseurs mirent donc en joue. Les gar- des nationaux aussitôt reculèrent, cherchèrent à s'abriter. Les lemmes s'étaient sauvées avec leurs enfants. Les gardes nationaux reformèrent bientôt leur colonne, mais en écar- tant les femmes, marchant résolument vers les chasseurs, à la baïonnette. Un renfort leur était venu. Les soldats enfermés dans la tour Solferino, sur l'ordre de Lecomte, avaient été délivrés, et s'étaient mêlés aux hommes du 169». Les factionnaires et les gardiens des canons, faits prisonniers au début de l'attaque, et gardés dans le poste de la rue des Rosiers, avaient de même été mis en liberté, et venaient renforcer la colonne d'assaut. Les chasseurs,en présence de ces forces, renoncèrent à une résistance qu'ils n'entreprenaient point de grand cœur, et à leur tour ils levè- rent la crosse en l'air. C'était fini partout, et les Buttes, avec le retour offensif de la garde nationale, et grâce à la défection du 88S étaient reprises. Ces gardes républicains, et les sergents de ville, désarmés et entourés par les hom- mes du 88" et les gardes nationaux, furent conduits à la mairie de Montmartre, et laissés à la garde du maire Cle- menceau. On exigea du général Lecomte qu'il donnât l'or- dre aux troupes lui obéissant encore d'évacuer les Buttes. Le général s'empressa de déférer à cette sommation. Il écrivit l'ordre au crayon, qui fut immédiatement porté aux troupes attendant rue des Rosiers et rue du Mont-Cenis. Energique, et même violent au commencement de l'atta- que, le général Lecomte faiblit alors ; à partir de ce mo- ment, il apparaît démoralisé et craintif. Son attitude jus- qu'à la Hn n'aura rien d'héroïque. 11 est vrai que sa situa- lion est affreuse. Abandonné par ses soldats, vaincu sans avoir combattu, humilié et déprimé, il se voit au milieu d'une foule furieuse qui le menace et l'injurie. On le prend pour Vinov. Les ofar-ies nntionanv ont beaucoup de peine à

LB DIX-HUIT MARS 4 '7

protéger le g-énéral, surtout contre la vengeance des sol- dats qu'il avait fait conduire à la tour Solférino, en les menaçant, quand l'affaire serait finie, de les punir, de les faire fusiller peut-être. Des énerg-umènes, des femmes en folie, cherchent à l'approcher, pour le frapper. Les foules féroces sont partout les mêmes. Ces scènes inhumaines, cette ruée de multitudes sur des vaincus sans défense se retrouvèrent souvent. On les verra se produire aussi dans les rues de Versailles, quand les convois de prisonniers de la Commune défileront lamentablement, sous les huées des élégants messieurs, et sous les ombrelles des belles dames, cherchant à atteindre les captifs, visant aux jeux, et pous- sant de leurs voix aigui-s des cris de mort.

Le malheureux général Lecomte fut dirigé, avec quel- ques officiers faits prisonniers comme lui, ou spontané- ment se rangeant à ses côtés pour partager son sort, sur le Château-Rouge. se trouvait un poste principal, sous le commandement du capitaine Simon Mayer, du 79» batail- lon.

Hommes, femmes, enfants, soldats, gardes nationaux, avec le général et les officiers, encadrés de gardes, descen- dent alors la rue MuUcr, dans une confusion bruyante. On crie, on insulte, on chante la Marseillaise, on acclame la ligne, et on conspue Vinoy. C'est une bousculade désor- donnée, où percent les sons stridents du clairon. On arrive enfin au Chùleau-Rouge. Le général Lecomte, très pâle, les lèvres balbutiant des paroles d'apaisement et d'excuses, in- voquant les ordres reçus et son devoir de soldat, se rassure, se croit sauvé. On l'entraîne dans une salle du pavillon, au premier étage, à gauche, le reçoit le capitaine Simon Mayer. 11 est neuf heures du matin.

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HISTOmE DB LA COMMUNE DE 1S7I

LES CAUSES DE V ÉCHEC

Ainsi la principale attaque, celle qui avait pour objectif la redoute et les canons des Buttes, avait échoué. L'aiïaire n'était nullement manquée, mais compromise et retardée, en ce qui concernait la Butte seule, car il y avait eu des attaques simultanées à Belleville, et tout Paris était enve- loppé dans un cercle de troupes. On pouvait reprendre l'a- vantage et récupérer les canons. Aucune tentative ne fut faite en ce sens.

Un fait demeure inexplicable, si la défection des hom- mes du 88" peut être facilement raisonnée.et déduite de cau- ses qui seront indiquées plus loin, c'est l'abandon fut laissé le général Lecomte. L'inaction de son collègue Patu- rel, et la retraite de la seconde brigade semblent incompré- hensibles. Pourquoi ce général et ces régiments n'ont-ils pas soutenu Lecomte et ses hommes, assaillis et cernés? Com- ment le g-énéral de division Susbielle, et aussi le général en chef Vinoy, n'agirent-ils point?

Le général Paturel opé/ant à gauche, sur le flanc occi- dental de la Butte, avait à sa disposition, comme Lecomte, des gardiens de la paix avec fusils, de la garde républi- caine, troupes qu'il savait ne point faiblir, avec deux ba- taillons du 76^ de ligne et le 17» bataillon de chasseurs à pied. Malgré ces forces, et bien que n'ayant eu aucune attaque à tenter ou à repousser, ce général n'a été d'aucun secours à son camarade, opérant sur la droite et le versant sud de la Butte. Le général Paturel devait partirdela place Clichy, et, par les boulevards extérieurs et la rue Lepic, gagner le sommet de la Butte, côté ouest, au Moulin de la Galette, correspondant à peu près à la tour Solférino du flanc est. Là, il lui était facile de faire sa jonction avec la

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brig-ade Lecomte. Il ne parut pas y song-er. Cependant il n'avait pas eu, comme Lecomte, à surprendre des sentinel- les, à s'emparer d'un poste comme celui de la rue des Ro- siers, ni à enlever les canons des deux parcs d'artillerie superposés, encore moins à repousser une attaque comme celle des gardes nationaux venus de Clignancourt.

Il se trouvait, assez tardivement, à mi-côte de la rue Lepic, au tournant, vers le Moulin de la Galette, quand, par la rue Gabrielle, rue transversale, parallèle au front de la Butte et de niveau avec le parc d'artillerie, mais au-des- sous du Champ Polonais, les premières pièces enlevées par les troupes de Lecomte lui arrivèrent, traînées à bras, puis menées par les quelques attelages dont disposait ce général. La foule, peu à peu, s'était amassée dans la rue Lepic. L'encombrement était vite devenu considérable. Les artil- leurs furent entourés, interpellés, sommés de rendre les canons, suppliés aussi de remonter les pièces, ou de les abandonner, de ne pas susciter une bataille, car, disaient ceux et celles qui parlementaient ainsi, les gardes natio- naux allaient venir en force ; ils ne laisseraient pas empor- ter leurs pièces, et il y aurait combat. Ces exhortations et ces menaces impressionnaient les artilleurs. La rue, à cet endroit, était courbe et très montueuse. Avec le peu de chevaux dont ils disposaient, ils ne pouvaient que difficile- ment dégager leurs pièces. La manœuvre était pénible et prenait du temps. Un demi-bataillon de gardes nationaux était arrivé; les artilleurs furent entourés et bloqués. On leur cria de dételer. Intimidés et démoralisés, comme les li- gnards do la tour Solférino, ils se disposaient à obéir à la foule, quand un officier de la garde nationale, doué d'une forte voix, monta sur un afl'ût et parvint à se faire enten- dre, dans le tumulte. Il dit : « Il vaut mieux couper nous- mêmes les traits, pour que les chefs ne puissent pas punir

A,0 IIISTOIKE DB LA COMMUNE DE 187I

ces braves gens, pour avoir dételé leurs chevaux I Ce sont des soldats en service commandé, il faut qu'ils soient con- sidérés comme ayant cédé à la force ! Coupons les traits et dételons, citoyens! « Les gardes présents, et la foule, ac- cueillirent ce'langage, et, suivant le conseil donné, se mi- rent à trancher les traits et à dételer. Les pièces furent en- suite poussées et hissées jusqu'au moulin de la Galette. Les rangs de la foule s'ouvrirent pour laisser les artilleurs libres, et leur permettre de redescendre vers les boulevards extérieurs.

aussi l'opération était manquée, et sans combat. Par la non-résistance des troupes, le peuple et la garde nationale restaient maîtres des canons et gardaient leurs positions. Paturel revint trouver, place Clichy, son général de divi- sion Susbielle et son général en chef Vinoy, sans avoir rien tenté pour reprendre les canons, ou pour secourir le général Lecomte, en ce moment entouré et désarmé par ses soldats et par les gardes nationaux accourus.

Les troupes du général Susbielle couvraient, au pied de Montmartre, toute la ligne des boulevards extérieurs. Elles ne s'étaient pas encore débandées; elles pouvaient, en fort peu de temps, gagner la large voie du boulevard Ornano (Barbés) et par les rues Marcadet, Ramey, Myrrha, du Château, prendre la Butte à revers, gravir la rue MuUer, réoccuper la tour Solférino, tenir toute la Butte. Ce mou- vement tournant eût permis dedégager legénéral Lecomte, ou, s'il était déjà trop tard, de le délivrer, en entourant le Châleau-Uouge, en dispersant la foule massée autour, en balayant ses abords. Cette foule sans armes et les gardes nationaux en trop petit nombre n'eussent pas tenu devant ce retour offensif. Mais, ni Paturel, ni Susbielle, ni Vinoy n'eurent cette initiative ou ne voulurent tenter de ressaisir la victoire qui leur échappait. Les généraux semblaient, en

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cette heure critique, aussi démoralisés que leurs soldats. Ils se résignèrent facilement à la défaite, à la retraite. La déroute était dans l'air, dans les esprits, dans les rangs, partout.

LA PLACE PIGALLE

La place Pigalle fut le théâtre de l'unique collision san- glante, dans cette matinée si mouvementée et si élrançe(i). Celte place était occupée,dans sa partie touchant à l'ancien Paris (9* arrondissement), par un escadron de chasseurs à cheval. De lont^ues files de baraquements, ayant servi au logement des mobiles,pendant le siège,occupaient le terre- plein ou allée centrale, entre les deux voies du boulevard de Cr.chy. Des gendarmes, des soldats de la ligne étaient postés derrière les baraquements. De l'autre côté, sur la chauss.e du boulevard Clichy, numéros pairs, aux abords de la rue Houdon, Germain-Pilon et du passage de l'Ely- sée des Beaux-Arts, une foule était massée, foule sans armes, curieuse, grondante, impressionnée, piétinant dans l'attente, comme si un corlè-e allait passer. Il y avait des enfants, beaucoup de femmes, des ménagères du quartier. Au bas de la rue Houdon, très rapide, quelques gardes nationaux, placés en avant-garde, guettaient, prêtaient

10 L'auteur a assisté, par hasard, aux divers incidents de la place PiUle. Entendant battre le rappel dans la matmce, b.en que n apparte- nant pas à la sarde nationale, il sortit de chez lui, «^''""^ .\^",'^;7^ J avait projeté, avec un ami, qu-il devait prendre aux Bat.jnoUes pour di;:ùn3e;e rendre aux 'obsèques de Charles Hugo, dont le corp éU il ramené de Bordeaux, ce jour-lh. Passant par la rue de I.aval Ia^Î>urd'hui rue Vic.or-Massé,, il débouchait rue Frochot, donnan sur a place Pigalle, quand il vit des gendarmes, sortis d un P0«' d " « Bréda saPprèter à tirer. 11 se rangea le long de la Rr.lle delà cte Frochot, e! entendit le coup de feu qui .ua le capUame des chasseurs. 11 vit ensuite les hommes du 88» se retirer, par la rue Duperrc.

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l'oreille, attendant des renforts. Un peu plus haut, dans la rue Houdon, vers le mur des jardins de l'asile de la Pro- vidence, une masse compacte de gardes nationaux s'ap- prêtait à barrer le passag-e à la troupe, si elle faisait mine d'avancer. Il n'y avait ni barricades, ni pièces de ca- nons.

Le général Susbielle était en personne sur la place, auprès d'un marchand de vins, à l'angle de la rue Duperré, dont la boutique et les salles adjacentes occupaient tout le rez- de-chaussée. Il donna l'ordre de dégager la place et l'entrée de la rue Houdon. Le capitaine charge d'exécuter cet ordre crut bon d'employer le procédé usité par la garde de Paris dans les fêtes publiques et les cérémonies, lorsqu'il s'agit de déblayer un endroit encombré.

11 commanda à ses cavaliers de tourner leurs montures, de façon à ce que la croupe des chevaux étant en contact avec la foule, elle fut contrainte de céder la place, à mesure que les chevaux reculeraient. C'était une manœuvre inot- fensive, et qui pouvait être efficace.Elle était plus humaine qu'une charge en avant, sabre au clair. Mais la foule ne comprit pas la bonne intention. Elle interpréta cette pous- sée sans danger comme une véritable reculade. Elle hua les cavaliers. Le capitaine, il se nommait Saint-James, per- dit alors le .sang-froid, et, furieux, fit faire volte-face à ses chasseurs. Il commande : en avant! Les cavaliers hésitent, s'arrêtent. La capitaine répète son commandement, et, bra- vement, lance son cheval en avant. Arrive sur la foule, il veut la sabrer. Mais les rangs de cette foule, jusque-là dé- sarmée et à peu près paisible, s'étaient grossis de gardes nationaux, ayant avec eux des lignards du 88% entraînés depuis la rue Muller. Les lignards s'avancent, parant les furieux coups de sabre du capitaine avec leurs baïonnettes. Un de ces soldats est cependant blessé; irrité, il recule,

I.B niX-HUIT MABS

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épaule et fait feu. Le capitaine de Saint-James tomba mor- tellement blessé, victime de sa témérité, plus que des ordres

donnés.

En voyant le capitaine jeté à bas de son cheval, les g'en- darmes "embusqués derrière les baraquements font feu. Les pardes nationaux tirent à leur tour, et battent en re- traite, dans la rue Houdon, jusqu'au passage Piemontesi. Les gendarmas veulent les suivre. Une courte lutte à la baïonnette s'entra je. Quelques gardes nationaux sont bles- sés. Les chasseurs sont demeurés immobiles, en selle, au fond de la place. Les n-endarmes sont repou-ssés. Ils se sau- vent en courant. Les femmes, comme précédemment sur la Butte se jettent au milieu des soldats, lignards et chas- seurs. Le combat est fini. Les hommes du 88» .arrivent en masse accroître la dcbandade.Le général.Susbielle,dontles chasseurs protègent la retraite, s'éloigne par le boulevard, se tient le général Viaoy. Le peuple, les gardes natic naux, la troupe fraleraisent. On fait circuler du vin, des vivres On s'empare d'une mitrailleuse, abandonnée par les fuyards. Le boulevard est évacué,et le 88' de ligne, acclamé par la foule, redescend dans l'intérieur de Paris,par la rue

Duperré (i).

La place Pigallc fut donc le seul endroit ou il y eut col- lision sérieuse, avec des blessés et deux ou trois hommes tués, dont le capitaine de chasseurs, en cette journée qui ne fut gufrre qu'une déroute générale, et un désarmement de la troupe, pacifique, presque partout volontaire. L'armée avait refusé de tirer sur des femmes, des enfants et des citoyens qui les acclamaient et leur faisaient de fraternelles

(,\ L'autcm- rit une bande d'individus des deux sexes, famélique et dc.n.enillés. accouras on ne savait d'où, se jeter sur le chera tué du capitaine de chasseurs, abandonné dans une .nare de sang, sur le pave. En un instant, l'animal fut dc'pecé.Us alïamés se sauvèrent après s cire parugé les chairs saignantes de celte pilance inallendue.

424 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

démonstrations. Au point de vue humain, c'était louable, au point de vue militaire c'était déplorable, et inquiétant. L'honneur militaire devait par la suite connaître une terri- ble et excessive réparation.

Place Blanche, même enveloppement des soldats par la foule, et même défection militaire. Le g-énéral Vinoy, qui se trouvait boulevard Clichy, en entendant la fusillade de la place Pig'alle, se hâta de tourner bride, et d'emmener ses hommes vers le centre de Paris. Il abandonnait tout, et n'avait plus qu'à chercher comment il expliquerait la dé- faite, et justifierait son inertie et sa fuite. Il n'y est guère parvenu.

MAUVAISES EXPLICATIONS DU GÉNÉRAL VINOY

Dans sa déposition devant la commission d'enquête, le général Vinoy a donné les renseignements suivants sur l'opération qu'il avait si peu habilement dirigée :

Il fut décidé, au Conseil, qu'on attaquerait. On examina ce qu'il fallait faire. Je prévoyais bien qu'on m'obligerait à tenter une attaque sur .Montmartre ; j'avais envoyé, par prévision, deux officiers de mon état-major, habillés en blouse, déguisés, lever le plan de Montmartre, plan qui du reste a servi plus tard à reprendre Montmartre, ce qu'on a fait très facilement en l'atta- quant par derrière.

Je pris ensuite toutes mes dispositions pour une attaque, et ces dispositions furent discutées entre moi et le ministre delà guerre à sept heures du soir. Les dispositions définitives étant prises,je convoquai chez moi, à huit heures, les !;énérau.\ pour leur don- ner communication de ce qui avait été décidé. Il fallait attaquer à quatre heures du matin. Et il ne s'agissait pas seulement d'atta- quer Montmartre, mais les Buttes-Chaumont, IJelleville, et il fallait, en outre, se porter place de la Bastille, et maintenir par- tout la population. S'il n'y avait eu que quelques canons à enle- ver, l'affaire eût été simple, mais il y en avait cinq ou six cents,

LE DIX-HUIT MARS

4a5

et faites attention à ce ([ue c'est que de descendre, à bras des canons des Butlcs-Monlmartrc. Vous savez que pour traîner des nièces de quatre ou do huit, il laut quatre chevaux, et qu .1 s agis- sait de pièces de douze. Nous avons ramené, je crois, soixante- dix pièces de canon, il eût fallu deux ou trois jours pour rame- ner tout le reste. Et du reste, les fédérés pouvaient en prendre d'autres sur les remparts. Les premières pièces furent donc enle- vées, mais ceci ne s'était pas fait sans bruit.

El voilà les femmes, les enfants, qui sortent des maisons qui commencent à parler avec les soldats, qui s'approchent, les tem- mes en tête, et qui forment une espèce de barricade vivante, les hommes restent par derrière, et tout d'un coup : % ous ne tirerez p.s sur nous! vous êtes nos frères! Un régiment qui levé la crosse en lair, les autres qui sont cernés! Je donne, en appre- nant cela, l'ordre de se replier le plus vite possible sur le Champ de Mars.

Cette explication n'explique pas ^rand'chose. Qu'il y ait eu de sérieuses difficultés de transport, à raison du nom- bre des pièces, de leur lourdeur et des pentes ra.des a par- courir, c'est évident.Mais les généraux devaient avoir prévu ces obstacles, qui n'étaient pas insurmontables.On a eu plu- sieurs fois, dans les guerres, des montées, des descentes < e canons aussi pénibles,elil fallait opérer alors sous le feu de l'ennemi. Les Prussiens notamment, le jour delà bataille de Buzenval, ont armé des batteries sur les pentes de Garches et de Vaucresson, autrement escarpées et d'accès plus dif- ficile que celles de Montmartre. Et les attelages? pourquoi ont-.ls fait défaut? Et le général Paturel. et le général Susbielle, et Vinoy lui-même,pourquoine sont-ilspas venus au secours du général Lecomte? Vinoy nesouftle pas un mot de tout cela; il ne dit même pas pourquoi il était si pressé de détaleravec toute une armée, au bruitde quelques coups de fusils tirés place Pigalle, qu'il en a perdu son képi en galopant à fond de train sur la déclivité de la rue de Clldiv II n'avait pas d'ennemi aux trousses, pourquoi

426 HISTOmE DE I.* COMMUNS DE 187I

tant (le hâte à se mettre à l'abri? Avait-il peur que ses soldats ne reprissent l'offensive, ou l'avantage? On le croi- rait, lia vu les troupes attaquées par des femmes, qui cher- chaient à embrasser les soldats, et cela lui a paru une force supérieure, un élan à ce point irrésistible, qu'il n'y avait plus, selon lui, qu'à battre en retraite, aussi vite que possi- ble. Mais au Deux-Décembre, notamment dans le Var, ce même Vinoj s'était sig-nalé par ses actes de vigueur, il y avait aussi des femmes avec les insurg'és. Leur présence J a-t-elle arrêté Vinoy et ses soldats? Et Montmartre était-il 1 si imprenable que le prétendirent lesgénéraux du Dix-Huit mars? La Butte était-elle plus inexpugnable ce matin-là, cependant il y avait eu surprise, les gardes nationaux ne vinrent que tardivement, isolément d'abord, et ensuite par groupes rassemblés au hasard, au bruit du rappel battu spontanément, ces défenseurs improvisés ne firent pas usage de leurs armes, il n'y eut pas un soldat de tué? Dans les journées de mai, la défense était sérieuse, les combattants étaient organisés, préparés, il y avait des batteries qui tiraient des Buttes-Chaumont, les ruelles de la Butte étaient couvertes de barricades, la poudre et le sang enivraient les défenseurs exaspérés, les fusillades sommaires annonçaient qu'il n'y avait pas de quartier à attendre, et qu'il fallait résister jusqu'à la der- nière Cartouche, jusqu'au dernier homme, Montmartre fut pourtant surpris, emporté et conservé. L'opération de la matinée du Dix-Huit mars était un jeu d'enfants en compa- raison. Puisque Montmartre était très vulnérable du côté de la plaine Saint-Denis, comme l'a reconnu Vinoy, en exé- cutant un mouvement tournant double, très facile, à droite, par le boulevard Ornano, à gauche par l'avenue de Saint- Ouen.en faisant jonction au centre de la boucle, rue Marca- det; puisque Vinoy savait déjà par ses espions, à défaut de

LE DIX-BUIT «AI\S '•*'

caries, que Montmartre élail facile âprendre par derrière ce "fût vérifié dans l'atta.,ue de ma.; pu,s,a .1 ava.t fa.t dr sser un plan à cet effet par ses deux offic.ers de.u.sfe pourquoi nlt-il pas au moins tenté ce coup de ma.n, qm a vAÎl tant de chances pour lui?

^T tlldéposiùoa es!! pleine c^'o^scurité et i;on peu s demander si Vinoy, en agbsantcomme il 1 a fait ou plutôt en n'a,nssant pas, et en battant en retraite devant des emnïs et une ^née de gardes nationaux l^és.ants n e- L pas de connivence avec ThiersV Cette ^t^^^-;; ^^ n^arlre, faite sans ardeur, sans conv.cUon, et aussUôt lAcbée, Tefut-dle pas une des conditions d'exccut.on du plan com- biné par lo chef du pouvoir exécutif? nXEXPLlCABLE RETARD DES ATTELAGES

Le supérieur hiérarchique du général Vinoy le général Le F lô, ministre de la Guerre, qu, n'était certamement pa insl secret, etqu'on navait pensé àconsulterque lorsque tt était arrôté,\ émis des critiques assez vives sur la façon dont Yinoy avait préparé et exécute son attaque .

L'armée a dit U ministre de la Guerre, «^«'>«>?°*»*^ «7J''°^ Conseil seb '^'"l;"'^'"'',, ' J. . ,,. . ^.^ „rès décidée. J* demandai

"Ï;^^it ;n,a.iné (Vinoy, Thiers ou le Conseil?) ne voya^^a^

cette opérMion,,ui n.e !-«>;-; J^^F^^^X s'.ô^p'^s^L; q„'an coup de ma.o a accomplir, de fa.re sor ur t

^acs, c'esl-i-dire sans eurs bagages c H" »«' ^,^. l'nlili.nimn Je revenir le lendemain. Ui, s-i loptiauu litÏitt ° £ troupes étaient obligées de bivouaquer loin de

4^8 HISTOme DE LA COMMUNE DE 187!

leurs sacs, de leurs approvisionnements, et de tout ce qui assure leur situation. Je déclarai que cette façon d'engager les soldats sans leurs bagages était une faute considérable...

J'insistai beaucoup. Mon opinion ne fut pas suivie parle Conseil. On me dit que cela contrarierait le général Vinoy. Cependant, vers neuf heures du soir, je fis appeler le général Vinoy, et je lui fis de nouvelles représentations sur la résolution qu'il avait prise de laisser les bagages dans les casernes. Il persista dans son opi- nion. J'eus la faiblesse de lui céder. Je lui dis : je cède, mais j'ai la conviction qu'il résultera de cette mesure de très graves incon- vénients ; je cède donc parce que l'opinion du Conseil m'est défavorable, mais je déclare que si pareille situation se repro- duisait, je donnerais ma démission plutôt que de l'accepter.

Le combat s'engagea le lendemain. Les ordres n'avaient pas été parfaitement donnés, j'en avais fait l'observation. Les troupes devaient partir à trois heures du matin, et être en face des pièces d'artillerie à cinq heures au plus tard. Les choses se passèrent à peu près ainsi. Les troupes étaient sur les Buttes Montmartre à peu près à si.\ heures, et il n'y avait plus qu'à enlever les piè- ces. J\Lalheureusement les équipages n'étaient pas là, et il fallait une heure et demie pour qu'ils vinssent de l'école militaire. Ils n'arrivèrent qu'à huit heures, quand la population avait eu le temps de s'éveiller et l'agitation de se produire dans tous les quartiers.

Autre inconvénient. Les troupes étaient un peu dispersées. 11 y en avait place de l'flotel-de-Ville, place de la Bastille, sur les boulevards, sur le canal Saint-Martin, et encore plus loin. Mais enfin le grand malheur résultait de ce que les attelages n'étaient pas là; s'ils étaient arrivés à six heures du matin, il n'y a pas de doute que les troupes n'eussent opéré leur retraite, sans être inquiétées d'une manière sérieuse. Voilà donc une des causes principales, à mon sens, de l'insuccès de la journée.

(Enquête Parlementaire. Déposition du gênerai Le Flô, t. II, pp. 78-79-)

Cette déposition, intéressante à plusieurs litres, précise trois points importants : d'abord que le ministre de la Guerre n'a pas été consulté, n'a pu prendre aucune dispo- sition, et que, quand il a émis un avis sur les mesures

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,.„ a jugeait mal combinées, on ne l'a pas écoute; ensuite ;,„.. les soldats auraient partir munis de leurs sacs ; et '„lin que les attelages en retard ont surtout fa.t manquer l'opération. Mais le ministre ne dit point pourquc. avant l'autorité supérieure, son avis, qui pouvait devenu- un ordre, n'a pas prévalu. Le général Le Flô n a pas démas- qué la personnalité du chef du pouvoir ex cuUf, ma.s >1 est évident que seule la volonté bien arrêtée de Thiers pou- vait lui imposer un plan de combat qu'il jugeait mauvais, qu'il prévoyait devoir aboutir à un échec.

Le ministre ne donna pas la raison pour laquelle les sacs, qu'il tenait tant à voir prendre par les soldats, furent lais- sés dans les casernes. Il a Insisté assez fortement, dans le Conseil, sur cette question de bagages, pour qu on s y arrête. Le sac n'était pas une telle aggravation de fatigue pour le soldat qu'on fût obligé de l'en dispenser, pour une aussi courte étapeque celledu centre deParis à Montmartre. Il était d'usage, sans doute, de faire mettre sac a terre pour un assaut, pour une attaque à la baïonnette Les hommes pouvaient donc laisser leurs sacs au pied de la Butte sur les boulevards extérieurs,par exemple. A 1 atU- aue à' la baïonnette des hauteurs de Buzenval, le 19 jan- vier, on fit déposer les sacs à l'entrée du parc. On les reprit lors de la retraite. Il en eût été de même après 1 af- faire des Buttes. On ne peut expliquer l'obstination de Vinov soufflé par Thiers,que dans une intention d évacua- tion "ultérieure. Thiers, ayant l'arrlère-pensée d'emmener l'armée à Versailles, tenait à ménager les forces du soldat, à garder les hommes plus dispos pour l'étape longue,celle- avec sacs et bagages, qu'il prévoyait pour l'après-nudi. Le ministre de la Guerre n'a pas fourni cette explication. Ha seulement dit, dans sa déposition, que « M. Ihiers pensait que, dans le cas le succès ne répondrait pas aux

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espérances qu'on avait conçues, il faudrait se résoudre à abandonner Paris. »

Quant aux attelag-cs, ni le g-énéral Vinoy, ni le g-énéral Le FIô ne donnent la raison pour laquelle ils furent en retard. Ce retard ayant été la décisive et principale cause de l'insuccès, on peut se demander comment il s'est pro- duit. La désobéissance et la débandade ne s'étaient pas encore manifestées. Il est donc certain que les équipages eussent été prêts, et fussent partis à l'heure, si on avait fixé cette heure comme il convenait. Les troupes étaient bien descendues à l'heurevouhie dans les cours et avaient quitté à temps leurs casernes. Pourquoi les équipag-es militaires n'avaient-ils pas suivi? C'est apparemment parce que Vinoy et Thiers ne leur ont pas donné l'ordre de se mettre en route, avec les autres corps. L'excuse, donnée par des mili- taires, que l'état-major avait calculé, selon son usag'e ; ar- g^uant, pour éviter l'encombrement sur les routes et ponts, que les équipag-es doivent être mis en mouvement, en der- nier, une heure environ après qve les troupes de combat ont passé. Cet ordre de marche est applicable avec utilité pour les grandes concentrations de troupes disséminées, dans les mouvements de corps d'armée de la g-rande g^uerre; il ne saurait être employé pour une courte étape, et pour une expédition restreinte comme celle des Buttes Montmar- tre, pour deux kilomètres à faire dans Paris.

La question se pose donc ainsi : les équipag-es ont-ils été intentionnellement commandés pour une heure trop tardive?

Il est hors de doute que les hommes du train n'ont pas refusé de marcher, et que si on les eût commandés pour l'heure convenable, ils se fussent trouvés à temps aux But- tes, à portée des canons, qui étaient pris et qu'il fallait emmener. Si les équipag-es ne .sont pas partis en temps

LE DIX-UUIT MARS

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Utile c'est qu'on leur a donné l'ordre en conséquence. Qui a donné cet ordre? M. Thiers fut très évasif sur ce point, lors de sa déposition dans l'Enquùto :

A trois Leures, a-t-il dit, les troupes étaient sur pied sortant des casernes, et, h cinq heures, elles arrivent aux p.eds des hau- teurs qui furent enlevées avec une extrême pronipUtude. Malheu- rcusemcnl il restait une opération très difficile à exécuter, et qui ne fut pas aussi bien conduite que la première. Un gouvernement qui se respccie doit partasçer les malheurs communs, et ne s en prendre à personne iors,|ue le succès n'a pas toujours consacre SCS etVorts.Nous avons été malheureux dans la seconde opération, nui consistait à emmener les canons. Je pourrais accuser celu.-ci ou celui-là, je ne le ferai pas, quoiqu'on ait souvent mo.ns d e- gardspour moi. Je ne dirai pas à quoi a tenu la faute comm.se,

si toutefois il y a faute

Pour qui sait rimpétuosité et la violence autoritaire de M Thiers, il est évident qu'il n'eût pa.s hésité à dénoncer, et k blâmer sévèrement, l'auteur de l'ordre mal donne, ou ceux qui l'avaient mal interprété. 11 n'a signalé m Vinoy, ni un chef quelconque, comme coupables de cette désobéis- sance 11 n'a infligé à personne le blâme que mentait jus- tement celui qui, par sa négligence ou son oubli, avait empêché le général Lecomle de se retirer avec les pièces qu'il avait prises. Au.x Buttes-Chaumont, il y eut même 'etard. L'auteur resté anonyme de l'ordre tardil est donc responsable de l'échec et de ses conséquences. M. Ihiers ne voulut pas livrer le nom de l'oflicier coupable, et pour cause ! c'était lui-mémc,ou. d'après sou ordre, c'était \inoy qui avait donné les instructions, laissant un intervalle.entre la prise des canons et leur enlèvement.assez long pour per- metlre aux gardes nationaux surpris de battre le rappel, de se rassembler, de recourir aux armes, et de commencer la période in-surredlonnclle , qu'attendait, que voulait M. Thieis.

^3s HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

Les attelages attendaient encore, à dix heures, dans les Champs-Elysées, pourquoi?

LES BUTTES CHA UMONT

Les événements se précipitèrent donc selon les prévisions et les espérances de M. Thiers. Une seule éventualité, qu'il n'avait pas prévue, le déconcerta un instant : l'immense défection des troupes. Il y eut aussi cette ng-gravation, que la défection ne se produisait pas uniquement à ISIontmartre ; elle fut g-énérale, spontanée, simultanée.

Le plan d'ensemble de la provocation du Di.x-Huit mars comprenait la moitié de Paris. Il ^'agissait de soulever la po- pulation sur les points stratégiques importants, afin d'ame- ner une résistance dans tous les quartiers, ce qui motive- rait l'action militaire énergique, la bataille, la répression, avec, en cas d'insuccès, la retraite sur Versailles, puis le retour offensif et le désarmement final.

Les Buttes Chaumont avaient aussi un parc d'artillerie, ovi se trouvaient des canons patriotiquement soustraits aux Prussiens, le 27 février. La brigade La Mariouse, de la division Faron (composée des meilleurs régiments, 35% 428, 109e et 1 10» de ligne, la seule division ayant conservé ses armes) fut chargée d'enlever ces canons. La division Faron occupa toutes les positions indiquées, avec succès. Le 42« de ligne, par les rues du Faubourg-du-Templeet de Bel- leville, prit possession de la mairie du XX* (ancienne). Il était maître, au matin, de cette citadelle des insurrections. Le 20 bataillon du 35» de ligne, par la rue Lafayette, le boulevard de la Villette et la rue de Puebla, gagna les hauteurs, tandis que le i"' bataillon, par les rues d'Alle- magne et de Crimée, s'emparait des Buttes Chaumont. La rue de Flandre, le canal, les boulevards, et les rues de

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Bellevilleet de Ménilmoatant étaient gardées par le loge de lig-ne, ainsi que les gares du Nord et de l'Est. Aucune résistance ne s'était produite, pas un coup de feu n'avait été tiré; le gémirai Faron, dès les premières heures, tenait donc toute la partie orientale de Paris, les quartiers répu- tés les plus violents, ceux d'où étaient descendus les batail- lons du 3i octobre.

L'Hôtel-de-VllIe était défendu par le iio» de ligne et la garde républicaine : deux bataillons du lao" garnissaient la caserne du Prince-Eugène (place de la République). Les Tuileries avaient reçu le 89' de ligne; le Louvre, état-major général, avait un bataillon de gendarmerie.

La division Maud'liuy était chargée de contenir la Bas- tille, le faubourg Saint-Antoine et la Cité. Le général de briy-ade WoUT occupait la gare de Vincennes, le pont d'Aus- terlilz, et, par le boulevard Richard-Lenoir, rejoignait les troupes de la division Faron au faubourg du Temple. Le général de brigade Henrion gardait la cité, la place Saint- Michel, le Luxembourg.

Un régiment de cavalerie, le chasseurs, avec une réserve d'artillerie, se tenait sur la place de la Concorde et les Champs-Elysées. se trouvaient des attelages, vai- nement réclamés à Montmartre par le général Lecomte, aux Buttes Chaumorit par le général La Mariouso et le colonel Lespion. Ces équipages attendaient, inutiles, des ordres qui ne venaient pas.

C'était donc tout un plan d'attaque de la moitié de Paris, qui avait été exécuté. On remarquera toutefois qu'il ne visait quela rive droite. La rive gauche était laissée de côté. Sauf une avancée de la brigade Henrion vers la place Saint- Michel et le Luxembourg, on put constater que le quartier latin, le Jardin des Plantes, les Gobclins, la Butte au.x Cailles, Montrouge, Vaugirard, Grenelle, ne furent ni

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occupés, ni menacés. C'étaient pourtant les arrondisse- ments, XIII», XIV', XVe, les mieux préparés pour une insurrection. On avait sig-nalé, à plusieurs reprises, dans les conseils du g-ouvernement, l'altitude de deux chefs im- provisés de la garde nationale, Duval et Henry, qui dans ces arrondissements prenaient les titres, l'un de colonel, l'autre de g-énéral. Et c'était dans ces quartiers que l'orga- nisation du Comité Central avait débuté. 11 était doncprésu- mable que sur toute cette vaste surface, dont les bataillons étaient actifs, ardent», prêts à défendre la République contre l'assemblée, supposée, surtout dans l'esprit de ces popula- tions, prête â des manœuvres monarchistes, il j aurait une résistance énergique, un combat sanglant, une lutte de plusieurs jours peut-être. Rien ne bougea, parce qu'il n'y eut, de ce côté, aucune provocation. Pourquoi fut-il négligé, délaissé, cet important périmètre révolutionnaire, le désarmement de la garde nationale devait paraître à la fois difficile et urgent? seulement la garde nationale était organisée, avec des chefs résolus, pour commeucer un mouvement, à la première occasion que l'assemblée réac- tionnaire ne pouvait manquer de fournir.

Ici, encore se retrouve la trace,et pour ainsi dire la preuve manifeste du complot de Thiers contre Paris.

RÉUSSITE DU PLAN DE M. THIEHS

M. Thiers n'était pas assuré de l'insuccès sur la rive droite. Il pouvait être surpris par une victoire rapide et complète, dérangeant ses calculs. A Montmartre, il s'en fallut de peu que les troupes ne fussent maîti-esses des canons, sans qu'il y ait eu bataille. Les attelages, bien que très tardifs, pouvaient arriver encore assez à temps, si le général Vinoy n'avait pas été si prompt à tourner bride. Les

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forces des -éaéraux Sashielle et Paturel étaient suffisantes pour reprendre roffensive, et, en attaquant la Butte à revers, Vinoy pouvait faire réoccuper les positions aban- données. A Belleville, la division Farou jusqu'à onze heures demeura victorieuse sur ses positions. A cette heure-là seu- lement, le général se retira, sans d'ailleurs brûler une car- touche, ni donner un coup de baïonnette. Il reçut proba- blemeùl l'ordre d'avoir à ramener ses troupes aux caserne- ments. Le colonel Lespion fut seul entouré, et contraint de sie-ner l'engagement de ne plus continuer son action. Oa le laissa reprendre la route de l'Hôtel-de- Ville, sain et sauf avec ses troupes intactes.

A onze heures du matin, les nouvelles de Montmartre étaient parvenues à Belleville. et les soldats de la division Faron pouvaient être -agnéspar la démoralisation ambiante. Pourtant ces mêmes troupes, ramenées à Versailles, furent par la suite des plus solides, et ne montrèrent pas un ins- tant l'intenlion de faire défection. Mais on peut admettre que les généraux Faron, La Mariouse, Maud'huy, Henrion, qui occupaient tout l'est parisien, craignirent de voir la conta- gion entamer leurs troupes et se hâtèrent de les soustraire au contact de la foule, de plus en plus épaisse, mais tou- jours inoffensive, fraternelle.

Thiersnc pouvait supposer que les troupes ne tiendraient pas. Il ne se doutait pas de la persuasion de la foule. Il devaitdonc se garder contre l'éventualité d'une victoire trop prompte, et trop décisive. C'est pourquoi il ménag^ea les arrondissements les plus ardents, toute cette rive gauche turbulente, Duval et Henry tenaient leurs bataillons en haleine, signaient des ordres, mettaient leurs principales positions en état de défense. Il dut penser que les événe- ments de Montmartre et de Belleville auraient leur réper- cussion, et que le maximum de résistance qu'il prévoyait,

^36 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

se produirait surtout dans ces quartiers préparés à la lutte, si par ailleurs la soumission s'établissait. Il ne voulait pas avoir à la fois tout Paris sur les bras, et surtout il ne dési- rait pas mettre sur pied les bataillons de celte rive g-auche, par laquelle il comptait faire passer les troupes, pour les emmener à Versailles. Tliiers s'empressa de proHter de la défection des réjçiments,dont, de toutes parts, on lui appor- tait les nouvelles désastreuses. Il n'avait pas prévu déban- dade aussi g-énérale,ni cette mise en déroute de l'armée parla population, sans combat, sans violence, sans un coup de feu. Cette unanime et universelle dislocation sans ordre le surprit, mais ne l'abattit point. Il résolut aussitôt d'en tirer le parti qu'il avait projeté.

Il est intéressant de constater la spontanéité de cette levée de crosses en l'air sur tous les points occupés.

Ce n'est que par suite du retard dans l'arrivée des attelages, a dit l'amiral Potliuau, que nos troupes ont fini par se démora- liser et par lever la crosse en l'air. A partir de ce moment, il a été évident que le découragement allait se propager sur toute la ligne, et c'est en effet ce qui a eu lieu. Alors seulement les troupes qui étaient à Montmartre et à Belleville ont fait Jélection, mais, dans certaines casernes, elles ont pactisé avec lémeute. On ne pouvait plus alors se faire la moindre illusion sur le secours de la force armée...

(Enquête Parlementair$, déposition de M. le vice-amiral Pothuau, t. II, p. 5ii.)

Le colonel Vabre, qui avait la g-arde de l'Hôtel- de- Ville, a relaté que le colonel Lespion voulait se faire sauter la cer- velle « parce que ses troupes avaient été entourées par une foule sans armes, qui les avait mises dans l'impossibilité d'ag-ir; qu'il avait composer, et que, pour ravoir ses piè- ces,il lui avait fallu promettre de rentrer àl'Hôtel-de-Ville. » (EnquAle Parlementaire.)

LE UIX-HIUT MAI\S

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Il se produisit donc partout une sorte de suggestion popu- laire, de domination de la part d'une masse désarmée, visiblement inoffensive, les femmes et même les enfants formaient un appoint 'considérable. Les troupes impres- sionnées, ébranlées, attendries môme, cédèrent la place, ne tirent aucun usage de leurs armes, et, en quelques endroits, les rendirent. Cela tient du miracle. Les paniques sont des phénomènes suggestifs. Ici, il y avait panique, sans dan- ger, sans inquiétude. Les troupes avaient peur de cette foule désarmée ; elles ne voulaient pas lui faire de mal, et recu- laient, ou se sauvaient devant elle, comme si elle eût été terrible. Cette mentalité militaire, dont M. Thiers n'avait pas eu un instant l'idée, avait des précédents historiques, bien connus de lui. Il s'attendait seulement aune résistance armée de la part des gardes nationaux, à une retraite de la troupe devant des insurgés opiniâtres tirant sur elle, avec des barricades élevées partout, menaçant de couper un retour possible aux casernements.lAussi avait-il cru à la nécessité de ne pas les engager à fond, de les rappeler, de les mettre à l'abri, afin de les avoir sous la main, et de pou- voir les emmener hors de Paris, en vue de la rentrée offen- sive et victorieuse qu'il souhaitait.

M. Thiers aurait pu cependant prévoir cette défection, d'après certains indices et des renseignements qu'il devait posséder, ainsi qu'il résulte du témoignage dedivers témoins entendusdans l'enquête. Un écrivain fanlaisiste,mais obser. valeur avisé, écrivant au jour le jour les faits qui se pas- saient sous SCS yeux, et notant les impressions du moment, a consigné celle juste appréciation, sur les événements aux- quels il venait d'assister :

Eh ! dira-t-on, inscrivait-il sur son journal, le soir même du Dix-Huit mars.leeouvernemeDtpouvait-ilsupposerqueleslignards

438 HISTOIRE DE LA COMMUNE DB 187I

lèveraient la crosse en l'air, que les chasseurs, après avoir perdu un seul officier, ne songeraient plus qu'à tourner le dos, et que tous les exploits des troupes régulières se borneraient à de copieu- ses bombances en compagnie des insurgés? Non seulement le gou- vernement aurait pu supposer cela, mais je ne conçois pas qu'il ait pu un seul instant espérer un dénouement qui ne fût pas abso- lument celui-là. Commentl depuis bien des jours déjà, les soldats oisifs erraient danslesrues avec les gardes nationaux ; ils logeaient chez les Parisiens, mangeaient leur soupe, courtisaient leurs fem- mes, leurs filles, ou leurs bonnes. Déshabitués de la discipline par le relâchement que la défaite avait introduite dans l'organisation militaire, désabusés du prestige que les chefs essayaient en vain de conserver après les désastres, importunés de leur uniforme qui désormais ne pouvait plus leur inspirer de fierté, ils devaient évi- demment être tentés de se mêler à la population, de se confondre parmi ccu.x à qui l'humiliation de la défaite incombait moins di- rectement. Le soldat vaincu voulait se cacher dans le citoyen. D'ailleurs, les généraux, les colonels, les capitaines, ne connais- saient-ils pas l'esprit des troupes? Faut-il admettre qu'ils se soient grossièrement trompés à ce sujet, ou qu'ils aient trompé le gou- vernement? Donc celui-ci pouvait et par conséquent devait être en situation de prévoir le résultat de sa tentative de répression. Il avait peut-être le droit de sévir, mais il n'avait pas celui d'i- gnorer qu'il n'en avait pas le pouvoir.

(Catulle Mendès, les j3 journées de la Commune. Lachaud, éd. Paris, 1871,)

M. Thiers n'ig-norait pas complètement le désarroi moral se trouvait l'armée. Plusieurs dépositions de g'énéraux et de fonctionnaires, dans l'Enquête, démontrent qu'il avait été averti par eux. C'est même parce qu'il était au courant de la situation, parce qu'il était persuadé qu'il ne pouvait faire grand fonds sur les troupes restées dans Paris, ayant subi le siè^e, et assisté aux désordres qui firent suite à la capitulation, qu'il combina son plan, dont le premier résul- tat devait être de soustraire ce qui restait de bon et de sain dans l'armée, au contact de la population, et au milieu parisien, qu'il estimait pernicieux. C'est dans cet état d'es-

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prit qu'il ne voulut pas attendre, et qu'il brusqua l essai au'.l L pouvait se dispenser de tenter. Il voulait refaire une année pour les luttes civiles, et il comptait sur leretour des troupes prisonnières en Allema^^ne, dont .1 négocia, et pressait le mouvement de rapatriement. Il ne tenai donc nullement à être tout à fait victorieux, le 18 mars. Il lui fallait unerésistancepluslonguequ'unejournéed émeute, et c'est pourquoi, on le verra, après avoir abandonne Par«. traîner les négociations en lonerueur avec les maires, leurrer les républicains de bonne foi qui s'interposaient pour ame- ner unetransaction.On assistera à ses perfidies doucereuses, à ses promesses évasives, pour faire croire à la conciliation possiblc,tant qu'il n'aura pas en mains des troupes sufhsan- tes,réconforlées, et visiblement disposées, excitées même à combattre, par le double désir de prendre leur revanche de la défaite devant les Prussiens et de la débandade devant les Parisiens.

La journée du samedi Dix-Huit mars ne fut donc pas, comme on l'a cru, une victoire de l'insurrection, un triom- phe momentané de la Révolution. Ce ne fut qu'une émeute non sanglante, avant pour résultat la victoire deM. Th.ers, et le triomphe de ses combinaisons et de ses espérances.

LA TRAGÉDIE DE LX nUE DES nOSIERS

Un événement Ira-ique se produisit au cours de cette iournée, qui fut, en .son ensemble. paciHque. 11 est même extraordinaire, étant donnés, d'une part, le déploiement énorme de soldats, do gendarmes, de forces policières, et, d'autre part, la surexcitation delà population, ensendrée par le siège avec ses privations physiques et ses détresses morales, que sur un point seulement, rue des Rosiers, il y ait eu effusion de sang. L'exécution des généraux Clé-

44" HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

ment Thomas et Lecomte fut un acte inhumain et déplo- rable, autant qu'impolitique. On ne saurait l'excuser. Il est permis seulement, en plaignant ces infortunés, de s'é- tonner qu'ils aient été les uniques victimes, au milieu du formidable bouleversement d'une ville de deux millions d'êtres.

Les récits sont nombreux et les versions différentes sur celte catastrophe. Voici, d'après des documents contempo- rains et des souvenirs personnels, le résumé de ces tristes événements, qui ont imprimé à la première pag-e de l'his- toire de la révolution parisienne une tache sanglante, que la réaction a par la suite démesurément élarg-ie, dont elle a abusé. Elle a vu et montré par le gros bout de la lorgnette les flots de sang répandus par elle dans les rues de Paris, et par le bout grossissant les regrettables gouttelettes de la rue des Rosiers.

Le général Lecomte fait prisonnier par les gardes, par la foule, et aussi par quelques-uns de ses soldats, fut conduit, dans une poussée furieuse, comme on l'a vu, au poste du Château-Rouge. Les huées, les menaces, les injures l'acca- blèrent, durant cette douloureuse dégringolade de la Butte en colère. Une descente de Calvaire, à laquelle devait cor- respondre, car les révolutions ont de ces terribles antithè- ses, la montée, cruelle aussi, du membre de la Commune \arlin, deux mois après. Peut-être fut-ce à peu près la même tourbe insultante et féroce, qui fit semblable cortège ignominieux au général et au communard.

Lecomte avait été remis, par ceux qui l'entraînaient, au capitaine Simon Mayer du 798 bataillon, qui commandait le poste. Il était environ neuf heures et demie.

Simon Majer traita avec humanité son prisonnier. Il le consigna dans une petite pièce, au second étage du pavil- villon du Château-Rouge. Les officiers, également arrêtés,

LK DIX-HUIT MARS

furent laissés dans la salle du premier '^'^^^^Jll'^f^'^l^ .>,«nssée surélevé de plusieurs marches, servant de bureau UW:;:::àmlnistrition du bal. ces officiers étaient e commandant Poussargues et le -P-tame Franck du .8 ba taillon de chasseurs à pied, le chef de bataillon du 8b de Marche deux capitaines du ..5- de ligne, et un capitaine du 4% en vêtements civils, qui revenait ^e captivité, et qui a.- it été arrêté à la ,are du Nord, à sa descen e du Tain Le Rénéral Lecomte se montrait plus rassuré, loin de cettt folle hurlante qui l'avait assailli durant le par-

'"lT général Claude-Martin Lecomte avait cinquante- neuf ans Il avait été, à l'école d'apphcal.on, à Metz, le cama "de de Trochu et de Ducrot. Il avait, lors de la capi- la ion, remplacé l'amiral Fleuriot de L'Angle, au com- ^Imlement d'u secteur de la Muette. Il dut P-d-, e" cette qualité, les dispositions nécessaires pour lentee des Pniss ens dans Paris. Nommé alors général de bngade à Paris il avait demandé et obtenu le commandement du P ytanée de la Flèche. 11 devait s'y rendre prochainement^ 1 était strict et même sévère dans le service, mais en ehors de ses devoirs professionnels, il se -on^-^ ^ u" caractère amène. Il était bibliophile, connaissant bien la l t^ Xt te ancienne et la numismatique. Il possédait une int^ essante collection de médailles et de livres rares. Il avait

^r::p:^ine Simon Mayer, les prisonniers en s.i.té s ^

tait hâté de se rendre à la mairie de ^I-^-^^; . 'X^- ^ maire, Clemenceau. Celui-ci, sur sa demande de vivres Zr les prisonniers arrêtés, délivra et signa un bon pour ^d'ieuners. Le maire ajouta : « Gardez ces prisonniers, vous en répondez! » Simon Mayer acquiesça.

M. Clem'enceau savait donc, à dix heures du matin, que

44^ HlSTOmE DE LA COMMUNE DE 187!

le g-énéral Lecomte et plusieurs officiers étaient détenus au Château-Roug-e. ftlais il les croyait en sûreté, et se fiait à la surreillance du capitaine Simon Mayer, seule autorité pré- sente à ce poste. Ce capitaine, pour assurer la g-arde, et surtout la sécurité des prisonniers, se fit accompag-ner d'une compao^nie de renfort, prise à la mairie.

Le ç-énéral Lecomte et les officiers avaient demandé, à plusieurs reprises, à être interrogés, désireux de connaître l'inculpation sous laquelle on les gardait. On leur avait répondu que le « Comité » s'occupait d'eu.t, délibérait, et qu'ils auraient bientôt à comparaître devant lui. On ne désignait pas autrement ce Comité. Il est évident qu'il ne s'agissait nullement du Comité Central.

Le Comité (Central ne se trouvait pas à Montmartre, il n'eut connaissance des événements que dans la soirée, et pas une minute l'intervention d'un de ses membres ne fut constatée, soit au Château-Rouge, soit rue des Rosiers. Oa a vu qu'il était resté tout à fait étranger à la résistance improvisée sur la Butte, lors de la tentative d'enlèvement des canons.

Ce Comité, dont parlaient les gardes du poste du Cbâ- teau-Rouge, et le seul qui doive garder une certaine res- ponsabilité morale dans les tragiques péripéties qui suivi- rent l'arrestation de Lecomte, c'était le comité de Vigilance du XVlll* arrondissement. On sait que les Comités, dits de Vigilance, qui s'étaient formés pendant le siège, fonction- naient depuis la Fédération de la garde nationale, à côté du Comité Central, émanant de cette Fédération. Ce Comité de Vigilance montmartrois avait pour principaux membres: Théophile Ferré, Dereure, adjoint de Clemenceau, J.-B. Clément, Le Moussu, Avronsart, Garcin, Moreau. Ce fut ce (Comité qui, au lieu d'interroger sur place les prisonniers, donna l'ordre de les transférer rue des llosiers, au poste de

de transfert porta.t le cachet <iu surprenant

,„ite,savo.rde q-.^-^'^^'^jti;;, « ,oit aussi facile-

-::?rS::t:Lisu.er.^r.p^^^^^

qu'en se ^^'-•'JXJltu;;! uTréussit'.u.re puisqu'il compromettre. Celte ^«^^'q"^ " prétendus meurtriers des

fut i-P"q-'^f-'^Pn : Tu eurs^de rexécution ne furent généraux, car les ventabWu^^^^^^^ ^^ ^^.^^

ni désignés, n> .lUffés, et ^^ t^ ^^^^ ^^^^^^^ ^^

,„ort, commuée en travaux ^°'f^,- .^„nt bon de

ComUé de V>çilance, >l est P-bable qu ^ ^^^^^^^^^

de s'assurer de la personne u ^er^.^^ ^^ ^^ ^^^^^^^ comme d'oUges, et de lesavo.r a p ^oinentde

de Montmartre. Us V^'^^'^^:^'.. trouvaient aux .ajournée ^X^Ue oue T ^vernement essaierait de environs de la Butte que d'occuper tout au

reprendre j^s ^--u^s s o^^^ ^ ,,,.

,,oins les abord , et ^e 'le' i^^^^ accessible, et ne

teau-Rouçe, au bas de la Uutle, et ^^^ ^^^

pouvait ..tre facilement de^nd. A^po^^ ^^.^^._ ^^,^„^

Rosiers.au -"^"; f^^^^^.^t „remier retour otYensif. Leur faciles à garder, à ^ «^r. d un p nationaux, et

personne servirai de garantie aux J Parrestalion. On Lrtout aux soldats, --P-- ondH on , en échange de pourrait ?^^^'J:ZZ^ ,a mise en liberté des la restaufon de ces o a es „^„ .^suite des au-

citoyens qu. avaient ^^\P"^' J ^^, j, Comité de Vig.- ,,,,. I, est certain que ni les - mbr- d ^^^^^ ^^

lance, ni personne ^f^^^^Ue m'ort. Si queU

m

IIISTOinE DE LA COMMUNE DE ij

teau-Rouge, avait eu l'intention de faire tuer ces malheu- reux, il n'aurait eu qu'à écarter les gardes nationaux qui les protégrea.ent, qu'à laisser les détenus exposés au contact de la foule funeuse et sauvage. Le Iransfèrement des pri- sonniers duChdteau-Rouçe, endroit découvert, mal -ardé aux portes facilement franchissables, était plutôt pour eux une mesure de sauvegarde et de salut. Les circonstances firent que les choses tournèrent différemment. Mais il est impossible de voir, dans cet ordre fatal, un calcul scélérat, une préméditation sanguinaire.

On fera cette objection qu'aucun des membres de ce Lomité de Vigilance ne parut, l'ordre donné, et que ces chefs populaires.en se dérobant, exposèrent les prisonniers à la violence de la foule.C'est exact :pas un des membres du Comité ne se montra, ni au Château-Rouge, ni rue des Rosiers, mais ce ne fut pas pour permettre à la populace de se ruer sur les otages. Si ces chefs avaient eu cette arrière-pensée criminelle, ils eussent maintenu les ofHciers au Chàteau-Rouge, plus facilement envahissable, et ils ne les eussent pas fait conduire au poste, ils avaient la haute-main,'où ils devenaient garants de leur sécurité. Les auteurs de ce transfèrement encouraient, de ce chef, une responsabilité personnelle qui pouvait être grave, car, à ce moment, ou ignorait le succès complet de l'insurrection; on savait seulement que quelques soldats du 88^ avaient levé la crosse en l'air, mais les autres troupes avaient été ramenées par leurs chefs dans les casernes ; elles pouvaient en revenir.

Pourquoi donc le Comité de Montmartre, avant mis les prisonniers à l'abri de la double éventualité d'être délivrés facilement par le gouvernement renvovant des forces suf- fisantes, ou d'être enlevés et massacrés par la foule, ne s est-il pas montré, dès que le péril lui fut signalé? Pour-

LE DIX-HUIT MARS

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quoi n'est-il pas intervenu, n'a-t-il pas imposé son autorité? C'est qu'il eut, lui aussi, peur de cette foule menaçante, grossie à chaque minute, se mêlaient aux gardes natio- naux des éléments nouTeaux, dont il ne se sentait plus le maître. Il craignit de se jeter dans une bagarre redoutable, d'y jouer sa popularité, et peut-être sa tête, en essayant de résister à ces fauves en fureur, en osant leur disputer la proie. Les membres du Comité de Vigilance ne songèrent même plus à conserver des otages, quand ils connurent les sentiments frénétiques de la foule. Ils eurent peur d'elle. Ils eurent recours à l'abstention, bouclier méprisable et sou- vent insuffi.sant des irrésolus et des timorés. Le Comité tira, comme on dit, son épingle du jeu; il laissa faire, abandonnant les mallieureu.v otages au torrent populaire, s'abandonnant lui-même.

11 est établi que, jusqu'à rapi-è.s-midi,le poste du Château- Rouge parut assez sûr. Il n'était pas que.stion, dans la ma- tinée, du transfèrement des prisonniers. Ceux-ci récla- maient cependant d'être conduits devant le « Comité », sans savoir au juste qui composait ce pouvoir populaire, dont ils invoquaient à tout hasard la juridiction inconnue, et duquel ils espéraient obtenir un ordre d'élargissement, puisque les gardiens semblaient lui obéir. Peut-être fut-ce sur leurs instances réitérées, pour se soustraire à leurs récla- mations, en même temps qu'aux difficultés de leur garde, que le capitaine Simon Mayer vint demander au Comité de Vi"-ilanoe l'ordre de transfèrement, qu'il obtint.

RliCIT DU COMTE BEUGNOT

On a sur ces événements le récit, véridique et coloré, d'un des témoins, l'un des officiers mis en étal d'arresta- tion, le comteBeugnot.Cetofficier était le petit-fils du comte

^^6 IIlSTOinE DE LA COMMUNE DE I S" I

Beug'not, un personnage de la llestauration, célèbre pour avoir inventé le mot historique prêté au comte d'Artois, lors de la rentrée des Bourbons : « 11 n'y a rien de chang'é en France, il n'y a qu'un Français de plus », mot d'ail- leurs aussi inexact qu'apocryphe. Le comte Beugnot pu- blia donc, dans le journal le Soir, un récit que le comte d'Hérisson a reproduit, dans son Nouveau Journal d'un Officier d'ordonnance.

M. Beugnot écrivit le 24 décembre 1888 à M. d'Hérisson, lui demandant des détails sur les événements de la rue des Rosiers :

Je ne puis mieiix faire que de vous envoyer le récit de cette journée tel que je l'ai publié, au lendemain des événements, dans le journal /e .Soir, no^ du 24 et du 25 mars 1871. Je n'ai rien à y ajouter, rien à y retrancher ; pour ce qui concerne la journée, c'est le récit exact et improvisé de ce qui s'est passé. J'aurais hésité à vous envoyer un document vieux de dix-huit ans, si je n'étais pas convaincu qu'il est peu connu. Le Soir, en effet, ne paraissait plus à Paris à celle époque. On l'imprimait à Versailles. C'était le Moniteur de l'émigration, tiré sur une feuille volante, comme une affiche. Les numéros de celte période sont introuvables au- jourd'hui. Je suis donc persuadé qu'aucun de vos lecteurs ne con- naît mon récit, le voici :

a ... nul ne peut raconter plus fidèlement que moi cette lugu- bre histoire, car j'ai assisté à toutes les péripéties de ce drame, qui remplira désormais une des plus sombres pages de notre his- toire.

« J'ai été fait prisonnier par les insurgés, à neuf heures du matin, au haut du boulevard Magenta; j'étais à cheval, accompa- irné d'une escorte de deux cavaliers, et chargé par le général Le Flù, ministre de la Guerre, d'explorer les quartiers de Belleville et de Montmartre, pour lui rendre compte de l'opération projetée de l'enlèvement des canons.

« Nous arrivâmes au Château-Rouge, et après avoir traversé le jardin, je fus amené au pavillon, je devais rendre compte de ma conduite au Comité annoncé. On me fit attendre plus d'une demi-heure devant la porte ; une foule de gardes nationaux m'en-

LB DIX-BUIT MARS

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curaient toujours, el devenaient d'autant plus meaarants que per- rne ne donnait d'ordres. Le plus forcené eta.t un v-ux cap^ aine delà ^arde nationale, à ebeveux et à barbe blanc., décore Ha mcdaL de Juillet, qui répéuit avec délices qu ,1 fu.sa.tdes IvoluTions depuis quarante ans. Il semblait fur.eux contre mot, t m'annon,-ait^,ue mon allaire ne serait pas longue. Je commen- çLiTà voir ;iair dans la situation, et je ne me d.ss.mula.s plus le

'"rire^ah^rr^if heures à peu pr^. Les uns voulaient me Hisser dâus le jardin, probablement pour en fin.r avec mo. plu. ;iee autres voulaient me faire monter dans la ma.son auprès du Comité ces derniers réussirent et, après une nxe v.o ente avec feurs^marades. ils m'enlevèrent au premier etaçc de la ma.son iTelus introduit dans une chambre je trouva, un cap.la.ne i:- Se bataillon de la ^arde nat.onalc, qu. me re.ut, je do.s e dL de la manière la plus courtoise, sans voulo.r cependant me dre'aunomdequi il me faisait comparaître devant lu., et sur- fôut de quel droit on m'avait arrêté. Il se contenta seulement d une manière évasive, mais toujours très polie, de me d.re que son par avait besoin de garanties pour la journée, et que nous et.ons derôtâ es le ecrand mol était hVché, et toutes les represa.lles de- Ïenaiem'ossiWes contre moi. Je demandai sou nom a ce cap....- r i me dit se nommer M. Mayer, être journaliste, avo.r .n fils au 'service et prisonnier des Prussiens, et être tot^iours, ajou,a-t- tr prè à nous adoucir, autant qu'il le pourra.t, les r.^ueu . de ll'pSion. 11 m'annonça aussi que le général Lecomte ava.t e e faiPp onnier par une foule furieuse qui séta.t jetée sur lu. que es t~s rav-.ieul abandonné, et ,,ue seul, un jeune cap.ta.ne du lÏe bataillon de chasseurs i pied de marche, M. branck ava.t llu lWmpa.ner, cherchant à le dégager J -qu'au dermer moment.Je n.'aper.us en effet de '»?--"-; '*";;P''^„\";,^:r''- nue i'avais dabord pris pour un oU.c.er de la garde nat.onalc. ' kous étions .ardes ï vue par deux ^-^^^y'^^'^^]^^ et nous ne pouvions avoir aucune commun.cat.on avec le gène

"!,Ïur Tes entrefaites arrivèrent d'autres prison..iers faits par les

insurgés : c'étaient M. de Poussargues, ehet du 1«"-^»''^- ^^ chasseurs à pied, qui était so..s les o,-dres du gênerai Lecomte, e nui avant aipris que le général avait été fait pr.sonn.er, aya, 'v^ulu genére'u'sem nt s'enquérir de son sort, e. ava.t ete arrête ,

448 HISTOIRE DE L\ COMMUNE DE 1 87 1

puis un chef de bataillon du 998 de marche, je crois, deux capi- taines du H5e ligne abandonnés par leurs hommes dans la gare du Nord, et un capitaine du 84e en bourgeois, quirevenait de cap- tivité en Allemagne, et avait été arrêté à sa descente du chemin de fer comme « mouchard ». Je restai dans la compagnie de ces messieurs, jusqu'à trois heures et demie ; le capitaine Mayer, au- quel nous demandions sans cesse de nous montrer enfin ce comité dont tout le monde parlait autour de nous, était fort embarrassé de nous répondre, mais très attentif pour nous, et plein de pré- venances.

A ce moment, je me mis à la fenêtre, et je vis se produire dans le jardin un mouvement de mauvais augure; des gardes natio- naux formaient la haie, mettant la baïonnette au canon ; tout cela semblait annoncer un départ. Il était évident que nous allions être emmenés du Château-Rouge. Effectivement, le capitaine Mayer vint nous prévenir qu'il avait ordre de nous faire mener aux Bultes Montmartre, se tenait définitivement le Comité, qu'on cherchait, nous dit-il, depuis le matin. Je vis bien clairement alors que ce Comité n'existait pas, ou bien ne voulait p.is s'occuper de nous ; et j'en conclus que nous étions bel et bien perdus, que nous allions jouer tta dcu.xième acte à la tra- gédie du général Bréa et de son aide-de-camp, lâchement assassi- nés le 24 juin 1848, à la barrière Fontainebleau.

a Nous descendîmes ; c'est alors que je vis pour la première fois le général Lecomte, qui avait été gardé au secret dans une chambre séparée; il avait l'air calme et résolu. Nous le saluâmes, et les ofiîciers de la garde nationale en firent autant, mais les hommes qui faisaient la haie nous injuriaient en nous menaçant d'une fin prochaine. Je n'y étais pour ma part que trop préparé!

« Maintenant commence notre véritable supplice, notre chemin de croix.

« Nous traversons, au milieu des huées et des imprécations de la foule, tout un quartier de Montmartre. Nous sommes assez énergiquement défendus par les officiers de la garde nationale, qui cependant devaient savoir que nous exposer ainsi à cette foule furieuse, à leur propre troupe affolée, c'était nous condam- ner à mort. Nous gravissons le calvaire des Buttes Alontmartre, au milieu d'une brume épaisse, au son de la charge (amère déri- sion), que sonnait gauchement un clairon de la garde nationale. Des femmes, ou plutôt des chiennes enragées, nous montrent le

LE UIX-UUIT MARS ^'HJ

poing, nous accablent d'injures, et nous crient qu'on va nous tuer.

« Nous arrivons dans ce cortège infernal au haut de la Butte, et l'on nous fait entrer dans une petite maison, située rue des Rosiers ; j'ai remarqué le nom de cette rue. Cette maison est com- posée d'une porte cochère, d'une cour découverte, d'un rez-de- chaussce, et a deux étages. La Coule veut s'engouft'rer avec nous dans la cour, mais tous ne peuvent pas nous suivre, car ils sont près de deux mille.

(( Ou nous tire un coup de fusil, au moment nous entrons dans la cour, mais personne n'est touché.

« On nous bouscule dans une salle étroite et obscure, au rez- de-chaussée, et le vieux décoré de Juillet, à la barbe blanche, nous dit que le Comité va statuer sur notre sort.

a Le général Lecomte demande à voir immédiatement ce Comité, répétant maintes fois que nous sommes arrêtés depuis le matin, sans raison et sans jugement.On lui répond qu'on va le chercher. Le capilaine Mayer, qui nous avait protégés des brutalités des hommes armés du Château-Rouge, n'était pas monté avec nous à la rue des Rosiers, mais nous eûmes à nous louer grandement, en son absence, du lieutenant Meyer du 79« bataillon, qui nous fît bien des fois un rempart de son corps, et d'un jeune garde national, dont malheureusement le nom m'échappe, et qui me défendit vingt fois contre les attaques de la foule.

« Et le Comité n'arrivait toujours pas! La foule, lasse de l'atten- dre, lui et sa décision, avait brisé les carreaux de la fenêtre, et, à chaque instant, nous voyions un canon de fusil s'abattre vers nous ; mais les officiers de la garde nationale, comprenant toute la gravité de notre situation, et revenant trop tard sur la légè- reté avec laquelle ils nous avaient fait sortir du Château -Rouge, et exposés à la fureur d'une populace, qui croyait que chacun de nous avait au moins tué dix hommes de sa main dans la mati- née, ces officiers relevaient les armes dirigées sur nos poitrines, parlaient à la foule qui hurlait : « A mort! » tâchaient de ga- gner du temps, nous promettaient qu'ils défendraient notre vie au péril de la leur.

Mais tout cela ne faisait qu'irriter davantage la foule qui hurlait toujours notre mort.

Le châssis de la fenèlre se brise sous les efforts du dehors, et livre passage aux plus furieux. Dois-je dire que les premiers

I 29

45o

IIISTOIKE DE LA COMMUN! DE 187I

qui mirent la main sur le général furent un caporal du 18« batail- lon de chasseurs à pied, un soldat du 88« de marche et deux gardes mobiles? Un de ces derniers misérables, lui mettant le poing sur la figure, lui disait :

_ Tu m'as donné une fois huit jours de prison : c est moi qui te tirerai le premier coup de fusil !

C'était une scène hideuse, à rendre fou, bien que nous ayons tous fait le sacrifice de notre vie. Il était cinq heures. Une cla- meur immense domine toutes les autres, une bousculade alireuse se passe dans la cour, et nous voyons tout à coup jeter au milieu de nous un vieillard à barbe blanche, velu d'habits bourgeois noirs et coiQé d'un chapeau haute forme. Nous ne savions pas quel était ce nouveau prisonnier, et nous plaignions, sans le con- naître.ce vieillard inconnu qui n'avait évidemment plus que quel- ques instants à vivre.

Le lieutenant Meyer me dit que c'était Clément Thomas, qui venait d'être arrêté rue Pigalle, au moment il se promenait en curieux ; qu'il a été reconnu par des gardes nationaux, et traîne aux Buttes Montmartre pour partager notre sort.

L'arrestation et l'arrivée de ce prisonnier nouveau, Clé- ment Thomas, furent probablement la cause du meurtre de Lecomte.

ARRESTATION DE CLÉMENT THOMAS

ClémentThomas était un républicain autoritaire de i848 . Il n'avait eu, dans l'armée, sous la monarchie de Juillet, qu'un grade inférieur. Elu député par la Gironde et lié avec tous les chefs du parti républicain, il était devenu colonel de la 2" légion, puis général en chef de la garde nationale, à la suite de l'insurrection du i5 mai 48. Il avait laissé des souvenirs plutôt pénibles, et son nom était peu populaire, bien qu'assez oublié eu 187 1. Exilé à la suite du coup d'Etat, il avait pendant le sièg'e été replacé à la- tète de la g'arde nationale. Il démissionna au mois de janvier,

LE DIX-HUIT UARS 4^'

et le général d'Aurelle de Paladiaes le remplaça au com- mencement de mars. Il n'avait donc pas participé aux événemeuts qui précédèrent le i8 mars. Rentré dans la vie civile, rien ne pouvait donner à penser qu'il ddt être une des deu.x victimes de cette journée. La fatalité, et aussi l'i- dée sini^ulière qui lui passa par la tête d'aller se promener, en vôlemenls bourg-eois il est vrai, au milieu d'une foule en insurrection, furent cause de sa perte. Reconnu, signalé, empoig'né, aux environs de la place Pig-alle, il fut conduit au poste de la rue des Rosiers, son passé de « fusilleur de 48 », et de général de la g-ai-de nationale, pendant le sièg'e, excita contre lui la plèbe déchaînée. On lui reprocha surtout des insultes publiquement proférées contre les gar- des nationaux dos quartiers avancés, que ses services an- ciens, sous Gavaig'nac, ne lui faisaient pas traiter avec bienveillance. Après Buzenval, il avait reproché à certains bataillons de ne pas avoir montré assez d'entrain à l'enne- mi; c'était une calomnie et un parti pris, car les bataillons qu'il accusait de ne pas vouloir se battre, avaient été les premiers, le 28 février, à se porter dans les Champs-Ely- sées, au-devant des Prussiens. L'entrée de l'armée alle- mande était annoncée pour ce jour-là, et ces gardes natio- naux, que Clément Thomas déclarait incapables de tenir devant l'ennemi, accompagnés de troupes professionnelles, allaient hardiment tenter, sans le secours de l'armée régu- lière, de barrer le passage à l'envahisseur, avec la presque certitude d'être écrasés. C'était sans doute du patriotisme exalté, à la don Quichotte. Mais le brave chevalier eût fait montre de la même bravoure, si, au lieu d'avoir affaire à des moulins à vent, il s'était trouvé en présence de véri- tables géants. Ainsi les gardes nationaux, si les Prussiens étaient réellement entrés cette nuit, comme on le disait, se fussent trouvés pour essayer de les arrêter, et pour

lfB2 IllSTOmE DE LA. COMMUNE DE 1 87 1

mourir. Clé ment Thomas avait donc eu tort de taxer de forfanterie les démonstrations belliqueuses de la garde nationale. Des bataillons qui envisas^eaient, sans faiblir, l'éventualité d'une bataille dans Paris, la nuit, avec l'ar- mée prussienne, maîtresse des forts, et décidée à tout exter- miner, à tout bombarder, ne méritaient pas les mépris de l'ancien g^énéral de guerre civile. On n'avait pas oublié ces griefs à Montmartre. Les vieux de 48 étaient \k pour faire chorus avec les jeunes de Buzenval. Ces souvenirs furent un stimulant de haine et de vengeance, quand Clément Tho- mas se trouva pris, comme dans uu piège il se serait lui-même jeté.

On ne sut pas bien ce qui l'avait poussé à venir place Pigalle, au moment l'on s'y battait. Plaisir d'ama- teur, de connaisseur, attirance semblable à l'attraction qui pousse les anciens lamaneurs à stagner sur la jetée, contemplant la fureur des vagues et la difficulté des luttes soutenues contre les flots par ceux qui les ont rem- placés, ou bien simple badauderie, besoin de savoir ce qui se passait? On a cru aussi à un désir d'avoir des nouvelles des généraux, dont quelques-uns étaient ses amis. On lui a également prêté l'intention de réclamer aux gardes natio- naux, à la mairie de Montmartre, un de ses anciens ofHciers d'ordonnance, qu'on lui disaity avoir été conduit prisonnier. Une homonymie l'aurait abusé. Enfin, peut-être obéissait- il à la pensée vaniteuse d'observer les fautes commises, et de noter, avec l'intention de le faire .savoir à ses amis et pro- tecteurs politiques, ce qu'il eût fait à la place de ceux qu'on avait chargés de réduire Montmartre, et comment il eût, lui, maté l'insurrection, puisque c'était sa spécialité et qu'il avait fait ses preuves. Cette aventureuse incursion sur un champ de guerre civile devait lui coûter la vie.

Son arrestation a été racontée d'une fa(;on pittoresque,

I.K DlX-iniT M4KS

453

et qui paraît exacte, par Cattelain,qui fut chef de la sûreté de la Commune. Un personnage curieux, cet artiste dessi- nateur et graveur, devenu chef de l'important service de la Sûreté, par la protection de Jules Vallès et d'André GiU, en remplacement de M. Claude. Cattelain du reste s'ac- quitta fort bien de ces difficiles fonctions.

Cet artiste-fonctionnaire, dont il sera question plus lon- guement dans le chapitre consacré à la Police sous la Commune, se trouvait dans la matinée du 18 mars en compag-nie de son ami, le célèbre dessinateur André Gill. Tous deux cheminaient entre les baraquements du boule- vard Clichy, proche la place Pigalle, à la recherche d'une boutique de pâtissier, désireux d'acheter des gâteaux pour un goûter. Un homme à barbe grisonnante marchait à côté d'eux. Ils l'avaient regardé passer, avec des yeux indifl'é- rents. Non loin se trouvait un groupe de gardes nationaux qui fumaient en causant.

L'un d'eux, je le vois encore, dil Cattelain, avec des galons de lieutenant cousus sur un vêtemeul bourgeois, se leva et vint

à nous : ■• -i -i

Est-ce que vous n'êtes pas Clément Thomas? dit-il au vieil- lard.

Oui, répondit l'ex-général.

Vous voyez le mouvement : étes-vous des nôtres?

A ce moment, le lieutenant, Gill, Clément et moi, formions seuls un petit groupe, et si quelques paroles dii général sont sor- ties de ma mémoire, c'est que Gill me disait à l'oreille :

C'est curieux : je l'ai dessiué, j'ai dix photographies de sa figure, à l'atelier, cependant je ne l'ai pas reconnu.

Alors Clément Thomas s'adressant à nous :

Mes enfants, j'ai donné ma démission, je ne veux plus me mêler de rien. Je ne suis ni pour vous ni contre vous, vous me connaissez pour un vieux républicain de 48...

Hélas! c'était ce tilre-là qui ne le protégeait guère !

Des g-ardes s'étaient approchés ; l'un d'eux, remarquable par sa

45.'l niSTOlUE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

taille et son allure militaire, le chassepot tcDu à l'épaule par la bretelle, se pencha et dit :

Qu'est-ce qu'il y a, citoyen?

C'est Clément Thomas !

Bien mal^é moi, ce Tut son arrêt c!p mort que je prononçai.^

Ah ! c'est un fusilleur de 48, dit l'homme ; eh bien 1 puis- qu'on le tient, il faut lui rendre la pareille.

Ce que c'est que le hasard! si j'avais pu songer un instant aux terribles conséquences de mes paroles, si j'avais pu prévoir que du sang répandu viendrait jeter sa note de tristesse au milieu de la joie immense et du beau soleil, j'aurais peut-être sauxé l'homme.

Mais il était sans doute écrit qu'il devait mourir.

Le nom de Clément Thomas courut dans la foule avec la rapi- dité de l'éclair, et un inbtant après, nous roulions écrasés par le peuple en furie qui poussait des hurlements de mort.

Des baïonnettes passaient par-dessus nos tètes, fouillant arec rage pour atteindre et frapper la victime.

Nous élevions les bras pour parer ces terribles coups lancés, mais comme on est égoïste, c'était plutôt pour nous garantir des blessures que pour en préserver le général.

Il devait être brave, mais comme s'il avait eu la vision de ce qui l'attendait plusieurs heures plus tard, son visage était livide.

(P. Cattclain, Mémoires inédits du chef de la Sûreté sous ta Commune. Juven éd. sans date.)

Ainsi, un hasard amena l'arrestation de Clément Tho- mas, auquel personne ne songeait, et qui était comme dis- paru, oublié. Cette arrestation eut les plus terribles consé- quences. Tous les témoignages contemporains s'accordent pour reconnaître que si l'ex- général de la garde nationale n'avait pas eu son triste sort associé à celui du général Lecomte, ce dernier aurait eu la vie sauve. Le sang produit le sang. L'ivresse meurtrière est communicative. L'exaspé- ration contre Clément Thomas entraîna l'accès de fureur contre Lecomte.

Ce fut cette arrivée de Clément Thomas rue des Rosiers, qui

LB DIX-HUIT MAHS

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entraîna le massacre, - dit M. Gaston Dacosta, lo.t l.ien docu- menté sur ces événements. A la suite de Clément Thomas, une partie de la foule a pénclré dans la petite villa du no 0. Dans la pièce qui abritait encore les prisonniers, le gênerai Clément Thom'as était à droite, en entrant; le général Lecomte était aissis au fond sur un canapé, les autres officiers étaient masses dans

"Vrrnvéè imprévue du malheureux général Thomas, dit le comte Beugnol, nous a tous perdus...

Après deux heures dallente, le général Clément Thomas tut amené a dit le capitaine Franck, dans sa déposition .lu procès du capitaine Garcin, déposition suspecte, car le procès n'eut heu que quelques années après la condamnation de ceux qui furent accusés d'avoir participé à l'exécution, et Garc.n se trouvait assumer seul les rancunes survivantes. Le capitaine a ajouté : Garcin qui commandait en maître, l'insulta en ces termes :

Tu as fait verser le sang de nos frères, il faut que tu nous rendes des comptes 1 » , , ,. .

Le général ayant répondu : Je suis plus républicain que vous. Vous n'êtes qu'un braillard, une canaille! je n'ai pas de comptes à vous rendre! Garcin lui adressa alors des paroles qui signi- fiaient : tu vas payer tout cela, tu vas être fusillé!...

Ce fut donc la présence seule de Clément Thomas qui déchaîna la fureur des assistants, et provoqua le massacre. Les témoignages sont également d'accord pour reconnaître que les officiers des gardes nationau.K firent tout ce qu'ds purent pour calmer la foule, pour empêcher l'effusion du san-. ilais leurs courag-eux efforts restèrent impuissants. Nufalors n'écoutait, ne voulait obéir, c'était un délire, une or^ie sèche, les cris, les gesticulations, les poings levés et les fusils brandis développaient l'ivresse générale. Ce qui établit qu'aucun chef ne commanda le meurtre, c'est précisément l'acharnement de cette populace furieuse coa- tre Clément Thomas. Des insurgés, des chefs révolution- naires, désireux de frapper un ennemi politique, poussés à une exécution parune fureur deparli.eussent plutôt décidé

4r>l'> IMSTIIIHK DE LA COMUCNi; KK iS"!

la mort du général qui avait commandé le feu par trois fois sur la Butte, et celle des officiers en activité qui l'avaient secondé dans l'essai de fusillade. Clément Thomas, qui n'a- vait pas paru lors de l'affaire des canons, qui n'avait nulle- ment menacé le peuple ou les soldats sur la Butte, qui n'avait pu donner l'ordre de tirer, n'eût pas été choisi par eux pour un châtiment exemplaire. Le hasard a donc surtout dirig-é les coups aveug-les de cette tourbe, qui assouvit sur l'cx-gé- néral de juin 48 et du sièg'Ojdes colères collectives cl des rancunes impersonnelles. C'était la répression de juin 48, les trahisons dejanvier70,que ces violents punissaient dans la personne de Clément Thomas. Le malheureux paya pou r Cavaignac et pour Trochu.

Le Comité de la garde nationale du XVIII», qui avait d'ailleurs un alibi indiscutable, a protestéénergiquement,par la suite, contre les récits qui lui imputaient une participa- tion quelconque dans l'assassinat des généraux. Voici cette protestation, publiée quelques jours après les événements :

Les récils les plus contradictoires se répètent sur l'exécution des généraux Clément Thomas et Lccomte. I.>'après ces bruits, le Coiiiité se serait constitué en cour martiale, et aurait prononcé la condamnation des deux fifénéraux.

Le Comité du XV1II« arrondissement proteste éncrp;iquement contre ces allégations.

La foule seule, excitée par les provocations de la maliiice, a pro- cédé à l'e-xécution, sans aucun jugement.

Les membres du Comité siégeaient à la mairie, au moment l'on vint les avertir du danger que couraient les prisonniers.

Ils se rendirent immédiatement sur les lieux pour empêcher un accident : leur énergie se brisa contre la fureur populaire ; leur protestation n'eut pour efi'et que d'irriter celte fureur, et ils ne purent que rester spectateurs passifs de cette exécution.

Le procès-verbal suivant, signé de cinq personnes retenues prisonnières pendant ces évéuements, qui ont assisté lorcément

LE DIX-HUIT MARS ^^7

à toutes les péripélies de ce drame, juslifiera complèleinenl le Comilé.

Voici le procès-verbal visé attestant que les membres du Comité ne furent pour rien dans le fait qui s'accomplit dans le jardin des Rosiers :

Les deux personnes désignées ont été fusillées à quatre heures et demie, contre l'assentiment de tous les membres présents, qai ont fait ce qu'ils ont pu pour empêcher ces accidents, car les vic- times de ce lait sont le général Lecomle, et un individu en bour- geois d si'nié par la l'oule comme étant Clément Thomas.

Les personnes qui attestent ce qui est ci-dessus désigne ont ete amenées par cas d'arrestation.

Le fait a été accompli généralement par des soldats apparte- nant à la ligne, puis quelques mobiles et quelques gardes natio-

naux.

Les victimes étaient au Chàleau-Rouge, et c est en ramenant ces individus que la foule, en s'en emparant, a exécute cet acte que nous répudions.

Signé : Lannes de Montebello (Napoleon-Camille), offacier de marine démissionnaire, rue de la Baume, 31 ;

Douville de Maillefeu (Gaston), ofticier de marine démission- naire, 32, rue Blanche;

Leduc, serrurier, 17, rue Boudant ; Marad.iine^Henri), employé, (1, rue Choron; Léon Marin, 92, rue de Richelieu.

Voici également la déposition du citoyen Dufil, membre du comité du XVIII*.

Le citoyen Dufil (Alexandre),ayant exercé les fonctions de sous- lieutenant en second (2« escadron) dans le corps franc des cava- liers de la République, a assisté à I exécution des deux accuses Clément Thomas et Lecomte, et affirme que le comité de légion du XVIU" arrondissement a fait tout son possible pour que l'e-xecu- tion n'ait pas lieu : mais, malgré nos efforts, il nous a été impos- sible d'y remédier, même aux dépens de notre vie.

Signé : Dufil (AlexBndre\ Ont également signé les membres du Comité du XVIIl' arron- dissement.

458 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187!

Il résulte de ces divers témoignag'es que le meurtre des g-énéraux est imputable à une foule anonyme, affolée, exal- tée, à peu près irresponsable. Ce fut une effervescence spoalacée. Cette impulsive férocité s'est produite souvent, et dans des circonstances et des agitations différentes. La terreur blanche et la terreur tricolore en offrent de tristes exemples. En juin 18^8, l'assassinat du général Bréa à la barrière d'Italie avait eu pareillement ce caractère de fureur impersonnelle, sans que personne puisse être juste- ment reconnu comme l'auteur ou l'inspirateur du crime, bien que la répression ait désigné et atteint des individua- lités distinctes.

LE MASSACRE

La foule, à l'arrivée du nouvel otage, avait brisé les car- reaux de la pièce étaient gardés les prisonniers. Elle poussait des cris de mort. Elle menaçait d'enfoncer la porte. 11 v avait de tout dans cette cohue hurlante : des gardes nationaux sans doute, mais en petit nombre, noyés dans les flots écumeux de la tourbe arrivée de tous les coins du vaste arrondissement. Des soldats du 88° et des chasseurs du 18= bataillon gesticulaient parmi les plus acharnés. Les femmes étaient en majorité. Quelles femmes ? Toules celles qui se sont trouvées sur la Butte, ce jour-là, ont été dépeintes comme des mégères hideuses, des pros- tituées ivres et cruelles. Une distinction est à faire. II y avait de celte espèce certainement, mais le matin c'était un autre public que celui de l'après-midi. Ce furent, lors du réveil, au bruit du tambour, seulement des ménagères du quartier allant aux provisions, des mères de familles attirées par la rumeur, qui formaient un cercle, suppliant et bienveil- lant, autour des soldats, des artilleurs. Ces bonnes femmes

LE DIX-HUIT MARS

459

.•adressaient aux soldats, les implorant, leur disant de lais- ,er les canons, de ne pas tirer sur elles, sur leurs maris, ;ur leurs frères. On sait qu'elles réussirent. Il est probable lue CCS braves personnes, enchantées du dénouement paci- ique, et fieras de voir les canons rester aux mains des leurs, pendant que les sol.lats se défilaient, regagnèrent presque toutes leur logis. Il fallait préparer le repas, et vaquer aux soins du ménage. Mais, dans l'après-midi, ce fut. en majorité tout au moins, une autre population qui accourut, attirée par le bruit, alléchée par une odeur de sang. Montmartre, surtout Clignancourt,la Goutte d Or, la Chapelle.contenaient,contiennent encore, une grande quan- tité de tilles, racoleuses des boulevards extérieurs, logeant dans les garnis suspects des environs, habituées des comp- toirs et des bastringues des barrières voisines. Ce public en jupons n'est guère matinal. Il était donc absent, entre sept et neuf heures, quand, sur la Butte, rue des Rosiers, rue Lepic, rue Houdon, place Pigalle, la collision avec la troupe fut évitée, et justement par cette intervention fémi- nine où les éléments violents et vicieux ne figuraient pas encore. Dans l'après-midi, au contraire, toute « la tierce » des p.-o.stituées, des souteneurs, des rôdeurs, de la ViUette à l'ex-barrière Rochechouart, était accourue,par curiosilé,par désœuvrement, par goût du désordre, par espoir d'assister i des bagarres, vraisemblablement sans désir de répandre le sang.mais toute disposée aie voir couler,prète à assister, comme à un spectacle de choix, sans protestation, mais sans répugnan.e. avec plaisir plutôt, à une scène de meur- tre Us habitudes brutales, l'insensibilité physique, s alliant à l'endurcissement moral, faisaient de ce public, comme un sanguinaire chœur antique destiné à se mêler en paro- les à l'action, à encourager les protagonistes, à provoquer par ses imprécations les pires péripéties de la tragédie.

460 niSTOIUE DE LA COMMUNE DE 187I

C'était la plèbe des arènes romaines, et dans ces pierreuses coiffées à la chien, aux chig-nons à l'air, aux clairs caracos, revivait l'âme cruelle des furies de la g-uillotine, sous la ; Terreur. Quant aux cavaliers de ces créatures, g-ardiens de ce bétail d'amour public, ils se recrutaient parmi les paresseux et les bellâtres du quartier, et aussi chez ces joueurs de dés ou de bonneteau, contre lesquels les auto- rités municipales prenaient vainement des arrêtés qu'on n'exécutait pas. Il n'est pas besoin pour expliquer la pré- sence, autour de la maison de la rue des Rosiers, de toute cette assistance suspecte, d'ajouter foi à cette explication, que M. le comte d'Hérisson a formulée dans son Nouoeaa Journal d'un officier d'ordonnance, que « M. Thiers, quelques jours avant le Dix-Huit mars, avait fait mettre en liberté trois cents détenus de la maison de Poissy, en les engageant à devenir autant d'agents actifs de l'émeute. Ces trois cents gredins n'étaient pas pour donner, lorsqu'on les arrêterait par ci par là, un cachet d'honorabilité, de respec- tabilité, au mouvement populaire. » (Vol. cit., p. 78.) Il n'était pas nécessaire, cet appoint pervers. Une g-rande ville comme Paris, surtout avec l'afflux de population miséreu- se, considérable au moment du sièg-e, et renouvelé à l'ou- verture des portes, pouvait, devait même contenir un nom- bre suffisant de g'ens sans aveu, sans re.ssources, prêts à tous les désordres, sans qu'on ait à faire entrer en ligne de compte une importation de réclusionnaires lâchés.

Un de ceux qui furent condamnés pour le meurtre auquel il avait seulement assisté, sans participation aucune, Arthur Chevalier, a adressé à Gaston Da Costa, qui avait été son compagnon de bagne, en Calédonie, une intéressante décla- ration sur la fin des deux générau.v.

Après avoir déclaré qu'il ne peut rien dire sur ce qui s'est passé avant l'après-midi, puisqu'il ne se trouvait pas alors

LE DIX-HUIT MARS

46 I

■ue des Rosiers, elqu'il ne veut parler que de ce qu'il a vu, Arthur Chevalier raconte ceci :

L'après-midi je monte sur la Bulle. Je vois beaucoup de monde se diriger vers la rue des Rosiers. Je suis n-;—^;?]' n i'enlre dans la cour du no 6. Celle cour est remplie de gardes Nationaux et de soldais. Je pénètre plus avant et je vo's, dans ,ne petite pièce du rez-de-chaussèe, à gauche, le ''«"^«"^f P'" eer de ma compagnie. U me fait signe d'avancer J entre diffa- cilement dans une sorte de vestibule, s'ouvrait la pièce dans laquelle Pio-er cl d'autres gardaient les officiers prisonniers.

Les cris Vêlaient un peu apaisés, mais bienlùl ils reprirent, beaucoup plus inlenses, à l'arrivée d'un nouveau personnage le général Cle^mcnt Thomas, qui avait été reconnu et arrête, au bas

de la Butte. . . . ..!,„„

A ce moment-là ceux qui gardent les prisonniers sont débor- dés La fenêtre donnant sur la cour vole en éclats sous les coups des crosses de fusil. Un caporal de chasseurs saute sur 1 appui de la fenèlre. et, debout, couche en joue le général Lccomle, en pro- nonçant des paroles que je ne puis enlendre. ^^-^ ''«"l*""''"' '_;f .'j s'élance devant le général, et lui fait un rempart de son corps. U crie que, le prisonnier élanl sous sa garde, on le tuera avant de tuer le général. . . . , i

Dans ce court espace de temps, .pielqu'un avait lire le caporal de chasseurs et l'avait fait tomber de l'appui de la fenêtre. Les cris, les menaces continuaient.

Cependant, «n calme relatif renaît : on écoute un garibaldien qui sellent debout sur la marquise du premier étage. On dit que c'est Menolli Garibaldi, et c'est à celle méprise qu il doit d être écoulé quelques instants. .

C'était Hcrpin-Lacroix. Il demande que les généraux ne soient pas fusillés sans jugement. Il dit qu'à l'année de l'Est, lorsqu un traître était pris, on le fusillait, mais que, auparavant, on le fai- sait passer devant une cour martiale. Ses dermeres paroles se perdent dans les clameurs. On le menace. Les cris de « a mort . à morll » redoublent. . . , ir- -i

En même tennis le bruit circule que le Comité de \ igilance est réuni dans la salle du premier étage, et qu'il a donne ordre de lui amener les prisonniers.

402 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Une poussée formidable se produit. Le général Clément Tho- mas est le premier entraîné dans un assez long couloir faisant face à la pone de la villa, et au bout duquel se trouve un jardin.

Peu après, le E;énéral Lecomte paraît à son tour dans le cou- loir. Piger nous donne l'ordre d'accompagner le général, au pre- mier étage.

Nous nous acheminons à grand' peine vers l'escalier; mais, dès les premières marches, Lecomte nous est arraché, et ramené dans le corridor.

Au même instant, des coups de feu éclatent dans le jardin; c'est le général Clément Thomas qu'on fusille.

Lecomte est arrivé sur la première marcha du petit escalier descendant au jardin.

J'étais près de lui. 11 déclare qu'il veut adresser quelques paro- les à ceux qui sont là.

Je m'écrie : ic Citoyens, avant de fusiller le général, laissez-le parler. Peut-être a-t-il quelque chose de grave à vous dire. »

Mais on ne m'écoute pas. Le général est poussé dans le jardin. 11 tombe au premier coup de fusil.

Vivement émotionné, je traverse les rangs serrés de ceux qui se pressaient dans toute la longueur du couloir, et je reviens à la pièce du rez-de-chaussée se trouvaient les autres prison- niers. Je monte sur l'appui de la fenêtre se trouvait, il y a un instant, le caporal de chasseurs et, m'adressant encore à la foule, je demande grâce pour les autres officiers prisonniers.

Ceux-ci ont démontré, par le massacre de milliers des nôtres pendant la semaine sanglante, que ma pitié était au moins naïve.

« Oui, grâce pour ceux-là », répond-on dans la fonle.

Immédiatement, nous formons une petite escorte; nous plaçons les prisonniers au milieu de nous et nous gagnons la rue.

Là, nous voyons accourir, ceint de son écharpe et les traits décomposés, le citoyen Clemenceau qui s'écrie : « Pas de sang t mes amis, pas de sang ! »

* Il est trop tard», lui répondis-je.

Sans s'arrêter, il traverse la cour. Nous, nous continuons notre retraite jusqu'au Château-Rouge, nous laissons les pri- sonniers.

A ce témoig'Qage important, fait ea 1901, c'est-à-dire ving't-deu.t ans après l'amnistie, doue sans crainte, par un

LE DIX-BUIT MARS

463

de ceux qui payèrent durement et .ajustement le specta- cle tragique auquel le hasard et la cur.os.té les firent assis- ter il ressort qu'il n'y eut nullement un simulacre de cour martiale, encore moins la formation d'un peloton d exécu-

'°Lcs deux généraux ne furent pas tués ensemble. Clément Thomas fut frappé avec une rage inouïe par plusieurs tor- cenés. Son corps fut relevé percé de coups.

Le docteur Guyon, qui procéda aux premières constata- tions, et M. Moreau, aide de camp du général Clément Thomas, qui assista à l'exhumation du corps, ont reconnu la nature des blessures ayant amené la mort. Le général Clément Thomas avait .9 blessures bien apparentes sur le thorax et l'abdomen. La tète, dans sa partie droite, était fracassée par un grand nombre de balles. Le bras était à peu près détaché au-dessus du coude par plusieurs coups de feu, les jambes et les pieds avaient quatre ou cinq blessures. Aucune trace de coups de baïonnettes. Quelques ecchy- moses aux épaules et sur les hanches, provenant de la bous- culade, quand le malheureux avait été entraîné au dehors de la salle basse de la rue des Rosiers. Au total, les trous d'une quarantaine de balles furent constates.

Le général Lecomte avait reçu neuf blessures. Une seule, qui avait suffi à amener la mort immédiate, existait à la tète, à l-occiput. Le général avait été frappé par derrière. Deux balles avaient labouré les chairs, des genoux aux épaules. Ces blessures indiquaient que les coups de feu avaient été tirés quand le général était déjà tombé. Même observation pour les blessures relevées aux pieds de Clé- ment Thomas, dont les chaussures étaient trouées.

Enfin, constatation importante : la plupart des blessures provenaient de balles de chassepol, d'armes de soldats par conséquent, puisque les bataillons auxquels appartenaient

464 HISTOIRE DB LA COMMUNS DE 187I

les gardes nationaux signalés sur les lieux n'avaient que des fusils à tabatières.

Vraisemblablement ce l'ut un chasseur, ou peut-être un lignard du 88«, qui tira le coup de fusil qui atteignit le général Lecomte derrière la tête et le tua net (i). Le géné- ral avait conservé son sabre au côté.

La maison sinistre s'était promptement vidée. La fièvre de la foule était tombée. Une dépression s'abattait sur tous ces cerveau.x un instant liyperesthésiés. Une réaction, produite par l'efiFroi, le remords, la pitié peut-être, s'empa- rait de ces corps d'énergumènes, les poussait à s'éloigner, apaisés et un peu honteux. Les morts font peur aux enfants, qui s'enfuient des endroits on les dépose. Celte popu-

(i) L'auteur se trouvait, avec M. Victor Simond, depuis directeur du Badtcal et de l'Aarore, au pied de l'escalier de la rue des Rosiers, vers cinq heures. Il revenait de l'enterrement de Charles Hugo, et, en sa qualité de journaliste, ayant appris que des officiers avaient été conduits au Châleau-Rouge, il s'y rendait afin d'avoir des nouvelles. Il monta la rue Muller. On ne laissait pas passer. Mais se trouvait de piquet avec sa compagnie, un capitaine de la garde nationale, un confrère, Achille de Secondigné, rédacteur en chef du Citoyen. Celui-ci leur permit de franchir le cordon des gardes nationaux. Ils parvinrent ainsi sur le terre- plein de la Butte, à peu près à l'endroit fut depuis le restaurant du « Rocher Suisse ». A peine étaient-ils arrivés qu'ils entendirent des déto- nations successives, précipitées. Il y avait quelques personnes seulement à cet endroit, gardes nationaux et civils. Ils s'arrêtèrent. Presque aussitôt une foule descendit les degrés de l'escalier, parlant avec animation, mais sans cris. Un groupe entourait un soldat. C'était un homme du 88*. I. montrait, avec une ostentation féhrile, son chassepot dont canon élai noirci à l'orifice. Les assistants le regardaient, lui et son arme, dans une sorte de stupeur. Un de ceux qui étaient l.i essaya de goguenarder : « Eh bien ! camarade, il ne vous f.. .plus dedans ?...» C'est moi qui lui en ai f ... dedans 1 » répondit le soldat, un homme à figure ni bonne ni méchaute, avec un léger collier de barbe brune, très courte, ayant l'accent et l'allure d'un natif de r.\uvcrgne ou du Rouergue. Nous nous bâtâmes de descendre, impressionnés, pour porter la nouvelle au.x bureaux du journal le Peufile Snuverain. .^aa, rue Montmartre, dont le directeur était Valentin Simond, et le rédacteur en chef Pascal Duprat.

LE UIX-HllT MARS

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lace, naguère si audacieuse et si bruyante, était devenue craintive et silencieusecomme une bande de gamins en faute. Le contact des cadavres la g-Jaçaitetla faisait se taire.

Des factionnaires, pour éviter toute curiosité indécente, furent placés auprès des deu.v dépouilles, qui avaient été réunies dans une salle du rez-de-chaussée. A dix heures du soir, par les ordres de M. Clemenceau, les corps furent enlevés, mis en bière et déposés dans le caveau provisoire du petit cimetière de la commune de Montmartre, sur la Butte, près la rue des Saules et la place de l'Abreuvoir (aujourd'hui place Constantin-Pecqueur). Les restes de Clément Thomas furent, par la suite, transportés au Père- Lachaise. Un monument a été érig-é, en exécution d'un décret de l'Assemblée Nationale.

EXPLICAriOXS DE M. CLEMENCEAU

Toute une polémique s'étant élevée au sujet du rôle joué par le maire de Montmartre dans cette tragédie, celui-ci protesta contre certaines allégations du comte Beugnot dans le récit publié par le Soir, reproduit plus haut. M. Beu- gnot reprochait notamment à M. Clemenceau de n'avoir paru qu'à six heures du soir, après l'assassinat des deux généraux « qu'il aurait pu peut-être empêcher ».

M. Clemenceau répondit, dans une lettre communiquée à la presse, le 3o mars 1871 :

Je passai la journée du 18 mars à la mairie, me retenaient de nombreux devoirs, dont le plus impérieux éuit de veiller sur les prisonniers qu'on m'avait amenés le matin. Il est inutile d'a- jouter que je n'avais et ne pouvais avoir aucune connaissance des faits qui étaient en train de s'accomplir, et que rien ne pou- vait faire prévoir.

J'ignorais absolument l'arrestation du général Clément Thomas, que, sur la foi des journaux, je croyais en Amérique.

, 30

^66 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE I 87 I

Je savais le général Lecomte prisonnier au Chàteau-Rouge, mais le capitaine Maycr, dont le nom revient à plusieurs reprises dans le récit de M. Beugnot, et qui avait été chargé par moi de pourvoir à tous les besoins du général, m'avait attirmé que la foule n'était point hostile. Enfin, je m'étais assuré que le Chà- teau-Rouge était gardé par plusieurs bataillons de la garde nationale.

De nombreux groupes armés défilèrent tout le jour sur la place de la Mairie, au son d'une musique joyeuse. Je le répète, rien ne pouvait faire prévoir ce qui se préparait.

Vers quatre heures et demie, le capitaine Mayer accourut et m'apprit que le général Clément Thomas avait été arrêté, qu'il avait été conduit, ainsi que le général Lecomte, à la maison delà rue des Rosiers, et qu'ils allaient être fusillés, si je n'intervenais au plus vite. Je m'élançai dans la rue en compagnie du capi- taine Mayer et de deux autres personnes. J'escaladai la Butte en courant.

J'arrivai trop tard. J'omets à dessein de dire quels risques j'ai courus,et quelles menaces j'ai bravées au milieu d'une foule surex- citée qui s'en prenait à moi du coup de force tenté le malin par le gouvernement, à mon insu. Je demande seulement à M. le capitaine Beugnot de me dire, avec une netteté parfaite, ce que j'aurais dû, ce que j'aurais pu faire, que je n'aie pas fait.

Je lui demande surtout de s'expliquer clairement sur la phrase il reproche aux autorités municipales de Montmartre « de n'avoir pas fait d'efforts apparents pour sauver les apparences ».

Si, ce que je me refuse à croire, il entendait par que j'ai connu le danger que couraient les deux généraux.et que c'est en connaissance de cause que je me suis abstenu d'intervenir jusqu'à quatre heures et demie (et non pas à six), je me verrais dans l'obligation de donner à celte assertion le plus formel et le plus catégori(|ue démenti, que je pourrais appuyer du témoignage de personnes qui ne m'ont pas quitté de toute celte journée.

Je vous prie, monsieur le Rédacteur, de vouloir bien publier cette lettre et d'agréer l'assurance de mes senlimenls distingués.

Clemenceau, ex-maire du XVIIIo arrondissement.

Il est démontré par les explications mêmes de M. Cle-

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mencoau, qu'il a eu connaissance, dès la matinée, par le capitaine Simon Majer, de la présence du général Lecomte et de ses officiers au Chàteau-Rouge. Il a même délivré le bon pour le repas de ces prisonniers. Pourquoi, dans lo cou- rant de la journée, ne s'est-il pas rendu au Château -Rou^e, pour voir ce qui s'y passait? Il s'est tenu, dit-il, à la mairie, surveillant les gendarmes et autres prisonniers faits sur la Butte, et qu'on lui avait amenés le malin. Mais il aurait pu envoyer un adjoint, ou des gardes nationaux avec un officier, pour s'informer, pour lui rendre compte, et pour veiller sur la sécurité de Lecomte et de ses compagnons. Il est vrai qu'il ne les croyait nullement en danger.

Durant tout le siège," on avait arrêté et gardé dans les postes des gens accusés de faire des signaux au.T Prussiens, ou de tout autre fait donnant de l'inquiétude aux gardes nationaux, on les relâchait bientôt; et rien de grave n'avait généralement suivi ces séquestrations populaires. Il pouvait supposer qu'il en serait de même en cette circonstance. Il avait confiance aussi dans le capitaine Simon Mayer, à qui il avait fortement recommandé de bien veiller sur les pri- sonniers. Dès que cet officier vint l'avertir que les prison- niers avaient été emmenés du Château-Rouge et conduits rue des Rosiers, le maire partit en hâte pour les secourir. Il arriva malheureusemenltrop tard. Simon Mayer aurait peut- être pressentir plus tôt le danger, et se rendre à la mairie avant le départ des prisonniers pour la rue des Rosiers. Mais ni le capita'ine, ni le maire ne pouvaient pré- voir ce qui allait se passer.

Le reproche, ou plutôt l'observation, que peut susciter l'examen des faits, - et c'est une réflexion d'après coup, qui vient à l'esprit après la connaissance du massacre, consiste dans ceci, que M. Clemenceau, quand Simon Mayer vint l'avertir, à neuf heures et demie du matin, de l'arres-

468 HISTOlRIt DE L\ COMMUNE DE 187I

tation, aurait courir immédiatement au Château-Roug-e, avec une force suffisante, pour se faire remettre les prison- niers et les emmener à la mairie. Il n'eût à ce moment, Simon Mayer étant avec lui, rencontré aucune opposition sérieuse. Il a répondu à cette critique eu disant qu'il avait cru devoir rester à la mairie, pour veiller à la sécurité des gendarmes qui s'y trouvaient emprisonnés. Devoir impé- rieux sans doute, et louable préoccupation. Les événements ont démontré que d'autres existences étaient aussi en péril, rue des Rosiers, et peut-être un adjoint, Dereure ou Jaclard, eussent-ils eu l'autorité suffisante pour défendre la mairie et protéger les g-endarmes, en son absence.

La vérité est que Clemenceau éprouvait peu d'entrain ce matin-là à se rendre au milieu d'une foule surexcitée, qui probablement eût méconnu son autorité. Clemenceau avait perdu beaucoup de sa popularité. On savait qu'il avait négocié avec le gouvernement ; il avait même paru pro- mettre l'abandon des canons, ou leur livraison, qui s'effec- tuerait, affirmait-il, sans grandes difficultés, entre les mains des chefs de bataillons ou qui seraient versés à l'artillerie de la garde nationale. La soudaine attaque le mettait dans une position fausse. Il s'était hâté de retourner à la mairie, après avoir assisté, rue des Rosiers, aux débuts de l'opé- ration, et après avoir parlementé avec le général Lecomte pour le transport à l'hôpital, qui lui fut refusé, de Turpin, le factionnaire blessé mortellement. Il avait fait entendre des paroles rassurantes au général, et s'était retiré assuré- mentpersuadé qu'il ne se passerait rien de grave. C'était trop d'optimisme, sans doute, mais il faut se souvenir qu'il y avait alors fort peu de monde sur la Butte, et que l'ensemble de la ville paraissait très calme.

Les membres du Comité de Clignancourt étaient deve- nus des adversaires politiques. Il ne tenait pas à s'exposer

LE DIX-HUIT MARS

à les rencontrer au Chatoau-Rouge. et à soutenir avec eux une discussion, sans doute on se f.lt accuse r-.p.oque- nient de trahison et de rébellion.Il préféra attendre les évc- Tments dans sa mairie. Ce fut une faiblesse, et même une

^' On doit dire qu'il ne pouvait croire les prisonr.iers en péril, et qu'il jugeait sa présence indispensable a la ma- rie où, toute la journée, il eut à répondre à des demandes, à do. délégations, et à donner des visas et des signatures. Au procès des accusés pour participation au meurtre des généraux, le rapporteur mit en cause, indirectement, M. Clemenceau. 11 lui reprocha d'avoir inspire conHance augénéral Lecomte, en lui disant qu'il réponda.tde la tran- quillité de son arrondissement. « Devant une telle assu- rance, donnée par un magistrat, ajoutait le rapporteur, le général continuaà attendre les attelages, et ne prit aucune

mesure de sûreté. » ,•.(•. „,.„.

M. Clemenceau, qui figurait comme témoin, réfuta aNe. énergie les insinuations perfides du rapporteur et du con,- mandanlRoustan. commissaire du gouvernement.il somma même le président, colonel Aubert, de le faire passer d. banc des témoins au banc des accusés, si on lest.ma.t responsable ou coupable. 11 termina par celte fiere déclara- tion : « Je suis resté tout le temps à mon poste, et s, le gouvernement avait fait son devoircomme j'ai fait le mien, nous n'aurions pas à déplorer les malheureux événements

du 18 mars. « , 1 . „„ i„

Une provocation, suivie d'un duel au pistole avec k commandant Poussargues, eut lieu au cours des débats. Le commandant Poussargues fut blessé à la cuisse.

On trouvera dans une partie finale de cetteH.stoire, inti- tulée .< la Répression «, l'analyse de cet important procès, qui ont lieu à Versailles, devant un conseil de guerre prc-

470 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1S7I

sidé par le colonel Aubert. Il y eut 24 accusés, dont deux femmes. Il fut impossible d'établir que ces accusés avaient été les auteurs du meurtre des g^énéraux. On les condamna pour participation aux événements de la Butte. Le fait .seul d'avoir été présent, d'avoir été témoin, suffisait à entraîner la condamnation. Ce fut de la justice distributive. Parmi les condamnés, il y eut Simon Mayer, qui n'avait pas assisté au meurtre, puisqu'il était parti chercher le maire de Mont- martre, bien avant le premier coup de fusil, et qu'il revint l'accompagnant quand tout était consommé, et aussi Her- pin-Lacroix, g'aribaldien, ancien franc-tireur qui s'était vail- lamment comporté à Dijon et à J>Juits. Revenu à Paris et nommé chef de bataillon, ce brave eut la malchance de se rendre, le 18 mars, de son propre mouvement, rue des Rosiers, sa chemise rouore le signala facilement. 11 fit ce qu'il put pour apaiser la foule, et s'il proposa la constitu- tion d'une cour martiale, c'était pour gagner du temps,pour permettre une intervention ou un apaisement. A côté de lui, s'assit au banc des accusés Poncin, un garde national qui avait eu la fâcheuse initiative, au milieu du désordre de la rue des Rosiers, d'exécuter un roulement de tambour pour permettre i Herpin-Lacroix de haranguer. On con- damna aussi Kadanski, garibaldien et vieux combattant Polonais. Celui-ci s'était démené pour préserver les pri- sonniers contre les mauvais traitements de la foule, durant le transfèrement du Château-Rouge à la rue des Rosiers. Il avait été injurié et malmené de ce chef. Un autre condamné, Arthur Chevalier, dont on a lu le récit plus haut, n'avait eu qu'un rôle de spectateur ; d'autres accusés, Ribemonl, les lieutenants Meyer et Piger, avaient tout tenté pour défendre et sauver les officiers. Ces efforts révélaient leur présence, signalaient leur autorité au moins nominale, et ils furent fiappés inexorablement. Enfin, on ne put nulle-

DIX-HLIT MARS

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ment établir que le principal accusé, -^««^ "f.'-P^-^;"!';; le ser<^ent Venla-uer, du 88» de l.gne, eût t.re la balle de haSpot qui tul net le général Lecomte. ^^^ -.- e malheureux, aux yeux des offic.ers du conseU, fut plutôt Tn cri « armes à terre! », quand les soldats do sa compa- gnie refusèrent de faire feu.sur l'ordre donné pour la tro.

Lme fois par le général ^ecom^^' ^^ <^ 7';;^;;:: J^t donner le signal de la défection. Le servent \e-^=^j;«; ^^^ condamné à mort, et fusillé à Satory, le 2. janv.ei .87a. avec Herpin-Lacroix et Lagrange.

Icun'de ces trois suppliciés n'a pu être conva.ncu d'avoir tiré sur les deux généraux. Les autres accuses dont deux femmes, qui furent d'ailleurs acquittées, n tentpas davantage reconnus -mme étant les au eur des coups de feu qui ava.ent atteint 1- v.ct.me. Cepea dant les corps porUient de nombreuses blessures.il y avait don :: des Vus qui ava.nt tiré. Mais c'é-t toute une foule qui avait assailli Clément Thomas et l^comle. «eux eu. aient tué n'avaient-ils pu s'échapper? n tarent Is îas englouti» dans les monceaux de cadavres, à la u te Ses fusillades formidables des derniers jours de mai. L un d saLusés, Herpin-Lacroix, en «t 'a remarque au prési- dent • « Dans la rue des Rosiers, d.t-.l avec énergie, vous avez fusillé quarante-deux hommes, trois femmes et quatre n nts, sou's prétexte qu'ils étaient les assassins des gene^ raux .. Il est probable que ces quarante-deux malheureux Paient pas tous tiré des coups de fusil sur les^^mes^ mais peut-être se trouvait-il parmi eux, des coupabk.. Le^ Teux morts de la rue des Rosiers furent donc ternblemen V n^és, injustement aussi. Si de vrais coupables durent éviter la peine, combien d'innocents furent frappes pour ce drame de la rue des Rosiers, à commencer par les trois sup- pliciés de Satory !

4?" HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

L'exécution des g-énéraiix Clément Thomas et Lecomte, le premier portant le poids d'un passé sanglant.et le second expiant les rig-ueurs du devoir militaire en temps de g-uerre civile, coupable aussi, aux yeux des insurgés, d'avoir commandé à ses soldats de faire feu sur des masses inoffen- sives et désarmées, fut un malheur pour la cause populaire.

Des écrivains malavisés ont fait une allusion, à propos de la tragédie de la rue des Rosiers, aux massacres de Sep- tembre ga. C'est une erreur de comparaison. La situation et les mobiles furent bien différents. Au 2 Septembre, le canon d'alarme tonnait dans Paris; Longwy, « la ville de> lâches », s'étant rendue, la frontière était franchie, l'inva- sion déjà débordait sur la France, et Brunswick promettait, au nom des souverains de toute l'Europe coalisée, de raser Paris et d'exterminer ses habitants. La Patrie était procla- mée en danger. La France appelait tous ses enfants aux armes. Les volontaires parisiens se pressaient aux abords des estrades, sur la place publique, l'on recevait les enrô- lements. Les patriotes savaient que les royalistes espéraient la défaite, appelaient l'étranger. Les prisonniers du dix août souhaitaient, à haute voix, la victoire de la coalition. Elle égorgerait les républicains et rétablirait le roi dans tous ses pouvoirs. Des bruits sinistres circulaient sur une révolte intérieure, et l'on se répétait que. dans les prisons, encombrées, la surveillance devenait impossible, les ennemis de la Révolution conspiraient. Ils donneraient la main aux émigrés revenus avec les Prussiens. Les Pari- siens ne voulurent pas s'exposer à être frappés par derrière, tandis qu'ils feraient face ;i l'ennemi. Ils résolurent, avant d'aborder les armées autrichiennes et prussiennes dans les défilés de l'Argonne, de se débarrasser des complices de l'étranger. Ils songèrent à frapper ces royalistes, ces che- valiers du poignard, qui se préparaient à s'élancer hors des

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prisons, et à commencer la guerre civile dans les rues de Paris vide de ses défenseurs, pendant que les citoyens vali- des seraient retenus par la guerre étrangère dans les Ar- dennes. De l'explosion de fureur qui endurcit les terri- bles exécuteurs aux Carmes, à l'Abbaye, à la Force. Quel- ques-uns seulement firent le massacre, mais tous le laissè- rent s'accomplir, et la victoire de Valmy l'amnistia. 11 y eut aussi une sérieuse et farouche pensée politique, dans cette ruée inexorable vers les prisons, bien des victimes innocentes, avec d'autres moins inoffensives, tombèrent sous le sabre ou les piques, en sortant du tribunal excep- tionnel que présidait le sombre Maillard. Il fallait à la fois inspirer la terreur aux ennemis de la Révolution, et com- promettre à jamais, engager pour toujours, ses amis. Sans les massacres de Septembre, l'énergie eût fait défaut aux révolutionnaires; l'espoir d'une pacification, d'un gouver- nement constitutionnel avec Louis XVI, et d'un traité avec la coalition, eilt amolli et leurré les patriotes. La Républi- que n'eût pas duré, si elle avait môme pu commencer. Ce sont les journées de Septembre qui ont sauvé la Patrie, en obligeant les volontaires à vaincre à Valmy, et en forçant les républicains à frapper la royauté à la tète, puisqu'il n y aurait à attendre d'elle et de ses défenseurs, les émigrés et les Prussiens, ni transaction ni merci.

Rien de semblable au Dix-Huit Mars. La guerre était ter- minée. 11 n'était nul besoin de répandre la Terreur, m au dehors, ni au dedans. C'était plutôt le calme, le bon ordre, la paix sous toutes ses formes, qui était nécessaire. Les projets monarchistes de l'Assemblée Nationale pouvaient être déjoués par la ferme altitude et par l'union de tous les républicains. Paris cependant devait rester en armes, pour contenir les factions réactionnaires. En restituant les canons, en gardant ses fusils, c'était la république inattaquable. Les

474 HISTOIRE DE L\ COMMUNE DE 187I

mesures nt'cessaires, pour la reprise du travail et le retour du crédit, nedeniaudaientpas du sang- pour être appliquées. Il était même indispensable de ne pas effrayer la bourg-eoi- sie, les commerçants, les employés, tous ces gens paisibles ne s'occupant qu'accidentellement de politique, sans lesquels on peut faire des émeutes, mais non pas établir un gouver- nement. La Commune, que bon nombre de citoyens récla- maient, sans trop savoir ce que ce régime signifiait ou comportait, mais en qui ils pressentaient une république démocratique, avec les franchises municipales, et que comme telle ils acclamaient de confiance, pouvait s'installer par la force de la volonté populaire, appuyée par les baïonnettes de deux cent mille gardes nationaux.

La révolution nouvelle, née du hasard d'une provocation gouvernementale, et d'une défection de l'armée, comme aux Trois Glorieuses, comme au 24 février 481 mouvement purement patriote et politique à ses premiers jours, pouvait, après avoir constitué un gouvernement régulier, évoluer progressivement et pacifiquement, se transformer en révo- lution sociale. Il n'était nul besoin, pour ce magnifique essor de la République communaliste et de la Fédération des villes et villages de France, de massacrer ces deux très secondaires personnages. Sur eux s'était acharnée, sans commandement, sans mot d'ordre, sans chefs, une foule aveugle, impulsive, et n'ayant ni programme, ni drapeau, ni idéal, une foule qui ne représentait ni la garde nationale, ni le Comité Central, ni la Commune.

L'exécution de ces deux personnalités, bien que deux morts à côté des monceaux de cadavres qui s'entassèrent ensuite dans Paris soient une perte négligeable, fut cepen- dant un fait grave. Ce massacre absurde donna une arme empoisonnée à la réaction, fournit une rhétorique sentimen- tale aux écrivains et aux orateurs, dont ils abusèrent. Cette

LE DIX-HUIT MAHS

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septembrisade réduite ne fut nullement un stimulant pour les républicains, ni un effroi pour les coalisés deVersail os. Elle permit d'ameuter contre la jeune révolution les vieilles notoriétés de /,8, et elle fournit un prétexte aux hommes de la fin de l'empire, à ceux qui avaient récolté pouvoirs, fonctions, honneurs et mandats, dans les sillons du 4 Sep- tembre, de se séparer avec éclat des patriotes et des révo- lutionnaires du Comité central et de la Commune. Le san-, inutilement versé rue des Rosiers, tacha les mains de ceux qui prirent le pouvoir au lendemain du 18 mars.

M Thiers profita seul de cet accident déplorable. Le dé- testable plan de Thiers ne pouvait rencontrer de meilleurs agents, inconscients ou involontaires, que ces assassins anonvmes et ignorés, dont l'esprit de parti, la sott.se, la mauvaise foi et l'ignorance, allaient faire les premiers soldats du drapeau rouge, les communards d'avant la Commune.

LIVRE XI

LA FUITE DU GOUVERNEMENT

PARIS DANS LA JOURNÉE DU DIX-HUIT MARS

La journée du dix-huit mars fut confuse et pacifique. La surprise était g'énérale. Des barricades s'élevaient lente- ment dans tous les quartiers de Paris, sans violence, sans désordre. Dans les rues populeuses qui montaient vers le Père-Lachaise, on invitait les personnes se rendant au cimetière pour assister aux funérailles du fils de Victor Hug'o à mettre un pavé, pris au tas voisin, à la barricade en construction, et ce péage insurrectionnel satisfait, on laissait s'éloigner le passant. Aucun commandement n'é- tait donné, et nulles mesures générales n'apparaissaient, comme étant prises ou réclamées. Habitants et gardes na- tionaux se retranchaient dans leurs quartiers, comme au hasard, selon l'inspiration de quelques citoyens d'initiative, et en tenant compte de la disposition des lieux. Le senti- ment qui paraissait dominer était la crainte d'un retour offensif des troupes, et l'on s'efforçait de barrer l'accès des hauteurs et des arrondi-ssements populaires à une force ennemie venue du centre. Les bataillons des quartiers excentriques paraissaient vouloir se protéger surtout con-

LE 1-lX-lll'IT MVnS

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trc les bataillons des quartiers aristocratiques et commer- çants, qu'ils supposaient hostiles, prêts à soutenir le gou- vernement. Il y avait deux gardes nationales en présence. Rue des Martyrs, place Blanche, rue de Paris à Belle- ville, fauhour- du Temple en haut, rues d'Allemagne, de Flandre, de Grimée et dans le XI' arrondissement, rues Saint-Sébastien, Sedaine, Saint-Sabin et faubourg Saint- Antoine à l'angle de la rue du Chemin-Vert se dressèrent les premières barricades. La plupart étaient armées d'une mitrailleuse. Ces défenses populaires ne formaient que de simples barrages. On ne reconnaissait, derrière ces rem- parts improvisés, ni la fièvre révolutionnaire, n. la sombre anxiété d'insurgés isolés se préparant, dans des circons- tances analogues, à soutenir l'assaut, et à répondre par la fusillade aux sommations des autorités et aux attaques des

"lI uix-Huit mars ne ressemblait en rien aux journées d'émeutes du passé. On ne pouvait même dire qu'il y eût insurrection. Un peuple qui s'insurge s'etforce de désar- mer les soldats, de s'emparer des principaux édifices ou fonctionnent les services publics, et de chasser le gouver- nement en pénétrant dans le palais il siège, en disper- sant les corps élus, en occupant l'Hôtel-de-Ville, tout cela au milieu de la fusillade, parmi les cris des blesses, les râles des morts, les clameurs des combattants et le sourd roulement des tambours battant au loin la charge, avec des commandements d'armes, et des cris de victoire leur repoQ- dant Ici, rien de semblable. La ville avait conserve à peu près son aspect ordinaire. On ne circulait pas très commo- dément, à raison des rues dépavées et des barricades en construction, mais on eût dit plutôt des quartiers ou des travaux de voirie étaient en cours qu'une grande cité en révolution. Il n'y avait eu aucune tentative pour prendre

4?^ HISTOIRE OK LA COMMUNE DE 1 87 1

possession des bâtiments et des services publics, et aucun chef populaire ne se trouvait à rHôlel-de- Ville.

La physionomie du centre de Paris n'avait pas chang'é. Les cafés avaient leur clientèle d'habitude.

Que faisait la population, en dehors des militants tra- vaillant aux barricades? Elle attendait.

Que faisait le Comité Central ? Ses membres allaient et venaient dans leurs quartiers, veillant à la mise en état de défense du périmètre ils étaient connus, obéis, et pour le reste, ils attendaient.

Que faisaient les g-énéraux, les troupes, la police? Tout ce qui constituait le pouvoir, l'administration, la surveil- lance de la cité, attendait.

Seul, le g^ouvernement incarné dans M. Thiers, le g-ou- vernement qui était M. Thiers ne se trouvait pas dans l'at- tente, ni dans l'indécision. M. Thiers suivait son plan ligne à ligne. Il marchait droit vers le but qu'il s'était assigné.

LES DEUX GARDES NATIONALES

M. Thiers se décidait à agir comme il l'avait résolu.

Les choses tournaient en sa faveur, si déplorables qu'el- les apparussent à d'autres. Le meurtre des généraux lui semblait un événement, triste sans doute, mais avanta- geux pour ses desseins. Un fossé sanglant allait séparer les républicains modérés des violents. La bourgeoisie ne vou- drait pas s'allier avec des assassins. Les officiers seraient indignés en apprenant le meurtre de deux des leurs. La province, à qui l'on transmettrait des récits appropriés, s'empresserait d'ajouter à sa vieille jalousie contre la capi- tale une horreur sentimentale qu'on saurait mettre à profit.

Restait la défection de l'armée. Il ne pouvait en douter.

LE DlX-BUIT MARS

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Tous les rapports la confirmaient. C'était assurément un suiet d'alarme. Mais en emmenant rapidement les troupes au dehors, en supprimant tout contact avec la populat.on, et avec le retour prochain des prisonniers d Allemagne, soldaU solides, il pourrait reprendre l'offensive, et rentrer vainqueur dans cette ville en révolte, qu .1 allait se hâter

d'évacuer. .,

Son parti était pris depuis longtemps. Quand .1 convoqua le conseil au ministère des Affaires Elrangères pour déli- bérer sur l'évacuation de Paris, c'était affaire de pure con- venance, et sa décision était arrêtée, irrévocable _ Il a reconnu, dans sa déposition devant la Commission d'Enquête, dans quelles dispositions d'esprit il se trouvait, lorsqu'il ordonna la retraite sur Versailles :

J'étais à l'étal-major avec le çénérai Vinoy, quand arriva un prem er offic er noul anuoaçant que tout allait bien. Mais plus tvrdd autres officiers nous arrivèrent fort tristes et nous senl!- mesnue la situation devenait embarrassante. Ce fut a ors que je Ts frlpp d'un souvenir, le souvenir du U février, i étais depuis Îort îon^emps fixé sur ce point que, si nous n'étions pas en force H»ns Paris il ne fallait pas y rester.

Au 24 flvrien, le roi m'avait demandé, lorsque les choses avaient prU une mauvaise tournure, ce quil y avait à faire. Je lu. répon- dis qu il fallait sortir de Paris, pour y rentrer avec le maréchal R.io-paiid et cinquante mille hommes.

Le parti nue je proposais au roi fut discuté, mais point accepté. On rap, e a "pie les Bourbons, que les Bonaparte eux-mêmes Sient Tortis'de Paris.et n'avaient jamais pu y rentrer ; et on en avait conclu qu'il ne fallait jamais en sortir.

Ce souvenir m'était resté dans la mémoire ; et, en outre, je me rappel lexemple du maréchal de Windiseb^raetz, qui, après êtr^/so i de Vh^nne, y était rentré victorieusement qu Ique Unms après. Je dis au général Vinoy : « U est clair que nos trou- pes vont être submergées dans cette foule. Emmener les canons L, impossible, les mouvements de larmée étant aussi entraves qu-iTs't Tirons nos troupes du chaos elles sont plougees

480 IIKTOinE DK l.\ COMMUNE DE 1 87 1

et faites-les revenir vers le ministère des Affaires Etrangères.» Le Gouvernement était réuni eu ce moment à l'hôtel de ce ministère. Beaucoup de personnes étaient accourues, et chacune donnait son avis. Je réunis mes collèi^ues dans la salle du conseil, nous pûmes délibérer seuls avec nous-mêmes Là, je n'hésitai point je me rappelais le 2-i lévrier : mon parti était pris; je l'annonçai. Cette déclaration provoqua de graves objections. Le 24 février, je n'avais pas pu réussir; mais, ce jour-là, je triomphai des ob- jections, grâce au bon sens et au courage de mes collègues.

[Enquête Parlementaire, déposition de M. Thiers, t. Il, p. r2.)

Thiers donna Jonc l'ordre au général Vinoj de retirer ses troupes derrière la Seine, et d'occuper tous les ponts. Il était midi. Des officiers d'état-major portèrent de tous côtés l'ordre aux chefs de corps d'avoir à ramener les régiments sur la rive gauche. En même temps on battait la générale dans les quartiers du centre. Les gardes nationaux sur les- quels on comptait ne vinrent pas. « Il nous arriva peut- être 5 ou 600 hommes, dit M. Thiers, et les mauvais gardes nationaux étaient descendus des hauteurs de Paris. Nous n'avions pas pu occuper tous les ponts. »

Cette défection de la garde nationale de l'ordre, sur la- quelle le gouvernement auraitpu compter, était plusgrave peut-être que celle de l'armée. Rentrés dans leurs casernes, ou cantonnés sur la rive gauche, les régiments pouvaient être ressaisis. En se retrouvant avec leurs chefs, dans leur milieu habituel, les trouposeussent repris, instinctivement, machinalement, la routine delà discipline et de l'obéissance. Mais l'abstention des gardes nationaux bourgeois, de ceux qui semblaient intéressés surtout au maintien de l'ordre, et qui du reste, par la suite, rassemblés autour de la mairie du 11" arrondissement et au Grand Hôtel essayèrent, avec l'amiral Saissct, de former un centre de résistance, était de nature à impressionner le gouvernement.

LE DIX-HUIT M*BS

48 i

Le minisire de l'Intérieur et le général d'Aurelle dePala- dines avaient cependant essayé de galvaniser cette carde nationale ençounlie.

Ils avaient fait afKcherla proclamation suivante, tardive

et inutile :

A la Garde Nationale de la Seine, . ,

Le souvernemecl vous nppelle à défeadre votre cite, ro» foyers, vos familles, vos propriétés.

Que nues hommes égarés, se mettant au-dessus des lois, n o- béissanl qu'à des chefs occultes, dirigent contre Fans les canons nui avaient été soustraits aux Prussiens.

Ils résistent par la force à la garde nationale et a 1 armée.

Voulez-vous le souffrir'.' _ _ c.«^

Voulez-vous, sous les yeux de l'étranger, prêt a profiter de nos discordes, abandonner Paris à la sédition? . ., . .

Si vous ne l'élouffez pas dans son germe, c en est fait de la République et peut-être de la France !

Vous avez leur sort entre vos mains. ,

Le .rouvernemenl a voulu que vos armes vous fussent laissées.

Siislssez-les, avec résolution, pour rétablir le régime des lois, sauver la République de lanarchie, qui serait sa perle; groupez- vous autour de vos chefs; c'est le seul moyen d'échapper a la ruine cl à la domination de l'étranger.

Le général Commandant des gardes nationales :

D'AUnELLK DE PxLADlNKe.

Le ministre de l'Intérieur : E. Picard.

Paris, le 18 mars 187 1. C'était un appel au dévouement, à la crainte aussi, et au sentiment de la conservation personnelle, adressé aux gardes nationaux supposés hostiles aux éléments plébéiens. Le ministre Picard invoquait le secours de ceux que, sous les .rouvernements aux prises avec une tentative insurrec- tionnelle, on dési-ne sous le nom « d'amis de l'ordre » Celte partie de la garde nationale,que visait Ernest Picard,

31

t^82 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1S7I

était celle qui formait les anciennes lésions, recrutée parmi les personnes aisées, payant des impôts fonciers, des pa- tentes, des cotes personnelles mobilières, et comprenant d'abord les bataillons aux numéros inférieurs, org-aniscs sous l'empire. Ceux-ci avaient toujours témoig'né, lorsqu'ils étaient commandés par le g-énéral Lawoestine, sinon un grand attachement à la famille impériale, du moins un sentiment de fidélité au régime établi, de « loyalism », comme disent les Ang-lais. Cette garde nationale s'était en partie ralliée à la République, au 4 Septembre. Elle était peu républicaine, prise dans son ensemble, mais frondeuse et jalouse de ses prérogatives. Ses opinions étaient plutôt cellesdes orléanistes, sans aBFection bien vive pour les prin- ces de la maison d'Orléans, sans désir de voir un héritier de Louis-Philippe restaurer le trône de juillet, que cette même g-arde nationale ou du moins des citoyens animés du même esprit, avaient d'ailleurs contribué à renverser, en février 48- Un gouvernement constitutionnel, libéral, nullement clérical, et avant tout pacifique, favorable aux rentiers, aux commerçants, aux spéculateurs et aux finan- ciers, était son idéal. Pour cette force org'anisée, encadrée, qui s'était bien montrée pendant le sièg'e, et avait fait son devoir aux remparts co mme dans les rares sorties , une république modérée, ayant à sa tète un homme tel que M. Thiers, qu'elle connaissait, qu'elle admirait, qui était son vrai représentant et son expression politique, devait être considérée comme le régime le meilleur, le plus sup- portable, selon les vues et les intérêts des classes moyennes. Cette bourgeoisie armée avait peur de toute révolution, haïssait et jalousait l'aristocratie, en s'efforçant de la copier, méprisait et craignait les classes populaires, en les flattant, en recherchant leurs sufi'rages. Elle devait donc descendre en masse dans la rue, à l'appel d'Ernest Picard, pour dé-

LE DIX-nUIT MARS

483

fendre le (çouvernement, et avec lui l'AssembU'e, comme elle l'avait fait, avec énergie, avec fureur, lors de l'insur- rection de juin 48.

Elle ne répondit cependant pas aux appels désespérés d'Ernest Picard et du général d'Aurelle de Paladines. Elle demeura sourde aux sonneries de rassemblement, aux tam- bours battant le rappel. Elle lut avec indifférence l'affiche on lui demandait de prendre ses fusils, pour défendre non seulement le « réanime des lois », mais « la famille et la propriété ». Ces grands mois n'émurent personne. La o-ardc nationale ne parut pas effrayée, et l'épouvante qu'on cherchait ;\ répandre dans son esprit n'aboutit qu'à l'inci- ter à demeurer tranquille et neutre. Elle avait d'ailleurs de bonnes raisons à donner de son inertie. étaient les chefs? Que faisait le g-ouverncment ? siégeait-il? Qui ordonnait de battre le rappel ? Etait-ce lui ? .\utoiir de la Bourse, rue de la Paix, à la Madeleine, c'était probable. Mais le tambour appelait aussi les gardes nationaux à la place Clichy, à Rochechouart, à la Villette, à la Bastille. Ce n'était évidemment pas dans le même but, ni avec le même objectif, si c'était la même batterie. On risquait de se tromper, de s'égarer, et, en croyant renforcer les hom- mes d'ordre, de tomber parmi les insurgés. INIieux valait s'abstenir, attendre chez soi ou au café, comme autrefois, les jours d'émeute, les gens prudents se tenaient dans leurs caves, en attendant qu'il y eût un gouvernement. Et puis, les gardes nationaux de l'ordre avaient un excellent argument à opposer à ceux qui les eussent blâmés de leur surdité volontaire, quand les tambours gouvernementaux clamaient désespérément : aux armes 1 dans le dé.sert des quartiers amis de l'ordre. On les appelait à la bataille, soit ! on irait, mais pas seuls ! Pourquoi le gouvernement rappelait-il ses troupes ? pourquoi les protégeait-il derrière

484 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

la Seine, pour les envoyer, eux, des civils, des bouti- quiers, des pères de famille, échanger des coups de fusil avec des insurg-és enrag-és ? Ce n'était pas leur place de marcher en première lig'iie contre les barricades. Puisque le gouvernement g-ardait ses soldats, eux garderaient la chambre, comme si le médecin, pour leur santé, leur eût défendu de mettre un pied dehors. Et voilà pourquoi les gardes nalionau.x: de l'ordre crurent devoir imiter le bour- g-eois de l'opérette, et restèrent chez eux.

Cette proclamation, malgré la sonorité de ses phrases, sonnait donc faux, et ses efforts de terreur ne pouvaient porter. Il semble que M. Thiers, non seulement ne colla- bora pas à cette affiche, qui d'ailleurs n'est signée que d'un membre du gouvernement, Ernest Picard, mais même qu'il n'en eut pas connaissance. Il n'en eût pas permis l'apposition. Elle était contraire à ses idées, à ses projets. Elle n'avait en outre aucune raison d'être au moment l'on renonçait à la lutte, l'évacuation sans combat était résolue.

Une autre proclamation, affichée aussi dans le milieu de la journée du i8 mars, semble détonner également, et contredire les délibérations prises en ce moment même, aux Affaires Étrangères, pour le retrait des troupes.

Gardes nationaux de Paris,

On répand le bruit absurde que le gouvernemenl prépare un coup d'Etat.

Le gouvernement de la Republique n'a et ne peut avoir d'autre but que le salut de la République.

Les mesures qu'il a prises étaient indispensables au maintien de l'ordre; il a voulu et veut en finir avec un Comité insurrection- nel dont les membres, presque tous inconnus à la population, ne représentent que lesdoctrinescommunistes et mettraient Paris au pillage et la France au tombeau, si la garde nationale et l'armée

LE DIX-HUIT MARS

485

ne se levaient pour défendre, d'un commun accord, la patrie et

la République.

Paris, le ,8 --^'S?;-^^ ^^^^^^^^ ^ pi„,d, j,,es Favre, Jules Simon, Pouyer-Ouertier, général Le Flo, amiral Pothuau, Lambrccht, de Larcy.

Celle seconde proclamalion, porlant pareillement la date du .8 mars, était siçnée des membres du gouvernement. Elle ne ne fui évidemment pas vue, ni approuvée par M Thiers, et Ton signa pour lui. Il ne pouvait être dans sa pensée d'appeler aux armes les gardes nationaux, pms- L'.léla.l résolu à les abandonner. Voulait-il la.sser ces bataillons de propriétaires et de commerçants sans le con- cours de l'armée, après les avoir lancés dans les rues de Paris contre les bataillons de ces prolétaires redoutables, devant lesquels il s'empressait de décamper? Cet appel a la ffuerre civile était un contre-sens en ce moment de dérobade. Il est probable que l'afliche avait été préparée à l'avance, avant la délibération prise pour révacual.on,^ et qu'elle fut apposée, en retard et sans réflexion, sans qu on pensât à décommander les afficheurs, comme on prévenait les chefs de corps de cesser toute lutte et de se repl.er sur la rive gauche, en attendant le signal du départ pour \ er- sailles.Ilest vraisemblable de supposer que cet appel à la population, comme celui à la garde nationale, furen concertés entre Jules Favre, Ernest Picard, elle gênerai d'Aurelle de Paladines, à l'insu de M. Thiers et des autres membres du gouvernement. Ce qui pourrait just.her cette explication, c'est que M. Jules Favre, dans la soirée rece- vant la délégation des maires, parut ignorer le départ pour Versailles du chef du gouvernement.

Il est du reste établi que MM. Jules Favre et Ernest Picard comme Jules Ferry, étaient absolument opposes à

HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

l'abandon de Paris, et que M. Thiers força leur volonté, en brusquant le départ, s'enfujant même tout seul, en tirant parti d'une alerte, causée par le défilé fortuit et inofl'ensif d'un bataillon fédéré, sous les fenêtres du ministère des Affaires Étrangères, avait lieu la délibération.

LINTERVEl\TION DES MAIRES

Les maires de Paris, la veille encore, en dehors de MM. Vacherot,Vautrain et de quelques autres, franchement réactionnaires, croyaient la conciliation possible. Ils avaient souhaité, ils avaient pensé, avec leur collègue (Clemenceau, que l'atlaire des canons se terminerait pacifiquement et rég-ulièrement, par une rétrocession des pièces à chaque bataillon, ou à l'artillerie de )a garde nationale. Leur sur- prise fut donc grande, quand ils apprirent les événements de la matinée. M. Tirard, député et maire, prit l'initiative d'une convocation des maires, des adjoints et des représen- tants de Paris, à la mairie du 1I« arrondissement, rue de la Banque. Il vint peu de monde, les convocations n'ayant pu toucher la plupart des destinataires. Une nouvelle réunion fut fixée pour le soir même, à six heures, à la mairie du premier arrondissement (Saint-Germain-l'Au.xerrois). En même temps, MM. ïirard et Bonvalet furent délég-ués auprès de M. Thiers. Us ne le trouvèrent point. Le chef du pouvoir exécutif était à l'Ecole militaire, conférant avec le général Vinoy, et prenant des dispositions pour le mouve- ment de retraite des troupes. Les délégués se rendirent au- près du général d'Aurelie de Paladiues. Celui-ci déclara qu'il n'était au courant de rien, responsable de rien. « Ce sont les avocats qui ont voulu l'attaque, dit-il. Je leur avais bien prédit que cela se terminerait ainsi, ajoutait-il, ils ne m'ont pas écouté. Je savais ce que valait l'armée et je ne

LE DIX-HUIT MA.RS '^ 7

coa,ptaispas sur la garde nationale Reun.ssez-vous - - sieurs, le sort de Paris, le sort de la France auss.. et enlre vos n-ins. » Les délégués se retirèrent auss. .n.lçc. et aussi inquiets qu'avant ces deuxdémarches sans résultat Ta réunion L représentants de la Seine, ^es ma.es de Paris et de leurs adjoints, eut lieu à six heures, a la mairie lu arrondissement. Tout le monde était présent^ M Tirard présida. On discuta la situation. On c.>nsidéra qu-on ne pouvait guère compter sur l'armée, q- « .B^e nationale se divisait en deux armées, lune qui fa sait rteute, l'autre qui la laissait faire. On proposa donc en- voi d'une délégation au gouvernement, avec mandat de demander les m^esures immédiates sui^•antes, comme seules susceptibles d'arrêter les progrès de rmsurrcction, et de donner satisfaction à la majorité de la population : nomi- nation du colonel Langlois, député de Paris, comme co:n- „,andant en chef de la garde nationale ; nomination de M. Oorian comme maire de Paris ; 3^ élections mumc.pales d'ui-gence; assurance que la garde nationale ne serait

nas désarmée. , ,, , •„

^ La commission, composée de MM. Tirard, Vaura.n. Vacherot, Bonvalet, Méline, Tolain, Hérisson . Mil hère Fevrat, se rendit au ministère des Affaires Llrangeres. Llle païlementa d'ahord avec le secrétaire de Jules Favre M H.ndlé, par la suite préfet de la Se.ne-Infcneu.e, très habile et très renommé. Celui-ci fit la grimace en œns a- tant la présence de MiUière parmi les délègues Mil. tre avait publié des révélations scandaleuses, autour desquelles on fit beaucoup trop de bruit. Les virulentes attaques du Vengeur contre Jules Favre, qualifié de faussaire, étaient de vaines déclamations pour des irrégulanles d clal-c.v. , sans importance politique. Jules Favre avait dec are a la mairie de lUicil, comme étant logilimes, des entante ne*

488 HISTOIRE DK LA COMMUNE DE 187I

hors mariag'e. A qui cela faisait-il tort ? Le public n'ac- corda d'ailleurs qu'une attention médiocre à ce potin mal- veillant. Félix Pyat et Millière, pour des socialistes révolu- tionnaires, se montrèrent ainsi bien grands admirateursde du Code Napoléon, et fort respectueux des préjugés bour- g-eois. Millière répondit au scrupuleux Hendlé : « Ce n'est pas M. Minière qui vient rendre visite à M. Jules Favre, c'est un représentant de la Seine, délégué par ses coUèg-ues, qui vient chez le ministre des Affaires Etrangères. » Le secrétaire s'inclina et introduisit la délégation, Millière compris.

Jules Favre fut-il sincère ? feignit-il l'ignorance de faits que tout le monde connaissait? ou bien, déçu et dépité par le départ de Thiers qu'il avait combattu, voulut-il dissimuler ses intentions, tâter l'opinion des maires, en vue d'une résis- tance à l'émeute, dont il avait certainement le goût, et peut- être le projet? Se vit-il sur le point de recueillir le pouvoir laissé vacant par Thiers, et vainqueur de l'insurrection, appelé par l'Assemblée Nationale à lui succéder?Il est diffi- cile de se prononcer, car il n'a pas démasqué ses intentions ni résisté au chef du gouvernement, malgré sa fuite. Il craignit d'assumer la responsabilité de tenir tête à l'insur- rection, en restant seul à Paris, tandis que M. Thiers, à Versailles, se ferait sans doute approuver et soutenir par l'assemblée affolée.

Il commença par demander aux délégués si la nouvelle du meurtre des généraux Clément Thomas et Lecomte était confirmée. Sur la réponse affirmative, il s'emporta. Sa voix devint plus âpre, sa lèvre dédaigneuse parut plus méchante. Debout à son bureau, comme à la barre, prenant la pose théâtrale et le geste qui lui étaient habituels, le bras étendu, avec l'index rigide, il s'écria : « Alors, messieurs, que venez-vous faire ici ? Vous appor-

LF. DIX-IIL'IT M.VnS

AS»

tez des propositions ? On ne discute pas, on ne parlemente paVavec les assassins! » On essaya de le calmer. On lu. parla des élections municipales.comme d'un moven propre à Lener une détente générale. 11 ne voulut r.en entendre- Il n'est plus possible de faire des concessions », d.sait-U. Il s'entêtait à répéter qu'un gouvernement ne pouvait s'abaisser à traiter avec des assassins, et qu il se refusait a transmettre des propositions pouvant amener une transac- tion avec eux. 11 ajouta, avec une fierté qui -ul-t « e in,périeuse, plutôt que persuasive, et qui n était que de a forfanterie, étant donnée la situation qu'il méconnaissait, ou dont il feignait de ne pas apprécier toute la gravite . « Nous lutterons, messieurs, nous ne traiterons pas Pas de concessions ! la force ! Demain nous ferons appel a la garde nationale qui est dévouée à la cause de l'ordre, nous nous mettrons à sa tête, nous essaierons de maîtriser cette insur- rection et de rendre à Paris la sécurité et la paix I »

M Tirard essaya de faire comprendre à 1 irascible auto- ritaire qu'il n'était plus temps de résister, que les griefs de Paris contre l'Assemblée Nationale.les craintes des républi- cains de voir une restauration monarchique se préparera Versailles avaient engendré une désaffection générale, et quece.te force qu'il invoquait pour maîtriser une insurrec- L grandissante et déjà formidable.il nelavaitpas.il ne fallait guère compter sur la garde nationale ; quant aux troupes: elles avaient été retirées, et Paris, sans gouverne- ment, sans armée, sans autorités reconnues, était livre à lui-même, allait tomber tout entier au pouvoir de 1 insur-

rection. _ „.,

_ C'est impossible ! répondit Jules Favre, toujours hau-

tain affectant de se montrer encore imperturbable.

Il était plus de huit heures du soir. Ainsi, le ministre

des Affaires Etran^rtres, le personnage le plus important

490 HISTOinE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

du gouvernemont, après M. Thiers, ne savait pas qu'à cette heure-là les troupes rassemblées à l'Ecole militaire, sous le commandement du général Vinoy, commençaient leur mouvement de retraite, que les principaux poiutsstra- tég-iques de Paris étaient évacués, et que le chef du pou- voir exécutif, après avoir assisté, au pont de Sèvres, au défilé des premiers régiments abandonnant Paris, roulait au g-rand galop de ses chevaux sur la route de Versailles.

Bientôt, il lui fut impossible de conserver le moindre doute, si réellement il ne savait rien de ce qui s'était passé dans la journée, M. Charles Ferrj, frère du maire de Paris, et M. Jules Mahias, secrétaire de la mairie centrale, se firent annoncer pour une communication urgente : intro- duits aussitôt, ils annoncèrent que, sur l'ordre du général Vinoy, l'Hôtel-de-Ville venait d'être évacué. M. Charles Ferry ajouta que son frère était resté seul dans le bâti- ment municipal, voulant en sortir le dernier, et seulement par la force des baïonnettes de l'insurrection.

Cette nouvelle démonta l'arrogant Jules Favre. Comme les maires renouvelaient avec insistance leurs propositions, il daigna répondre alors qu'il transmettrait au gouverne- ment les demandes que les maires et les députés de Paris lui exposaient, et qu'il leur donnerait réponse dans la nuit.

Les maires se retirèrent alors,et se réunirent à la mairie du !«' arrondissement, pour rendre compte à leurs collè- gues et aux députés du résultat de l'entrevue.

JUES FERRY

Le fait était exact autant qu'invraisemblable : l'Hôtel- de-Ville avait été abandonné. C'était la reddition de la place municipale, c'était la capitulation du gouvernement, et Paris était officiellement, publiquement, au pouvoir de

DIX-HUIT MARS

A9I

la rue, livré à lui-même, c'est-à-dire à rémeute, à la merci du premier venu qui viendrait s'installer dans 1 éd.fice, ou les gouvernements républicains, comme les ro.s 1 onction à Reims, avaient reçu le sacre populaire. L'Hôt*l-de-\ il e de Paris, c'était à la fois un donjon et un symbole. semblait être le suprême réduit delà Uopublique, son autel aus.si. La Commune ne devait pas faillir à cette tradition- Ouelaues jours après son abandon par Thiers et les hom- mes du 4 Septembre, cet Holel-de-Ville était occupe par le grouvernement élu à la suite des événements du D.x-Huit mars, la Commune recevait des mains du Peuple 1 inves- titure et, sur la place fameuse, antique grève des nautes parisiens, son avènement était soleonellemenl et joyeuse-

ment proclamé 1 1 1 -.a

Jules Ferry, maire de Paris, premier ma-istrat de la cité et sardiende la Maison Commune.ne voulait passe rendre, ne comprenait pas qu'on livrât à l'insurrection cet Hôtel- do-Ville, qu'il avait vaillamment déjà défendu et sauve, au 3i octobre. 11 voulait résister, à M. Thiers, par la per- suasion, par des raisonnements, et à TinsurrecUon, par uuo contenance ferme et des coups de fusils. Il ne put accomplir aucune de ces deux tâches, dilHciles il est vrai. Il dut céder et se retirer, mais pas en fuyard et en poltron, co.mme le chef du pouvoir exécutif.

Ce ne fut pas, certes, un ami de la démocratie avancée que M Jules Ferry, etla Communetrouva en lu. son adver- saire le plus acharné, le plus irréductible. Mais les commu- nards eu.x-mèmes n'ont pu s'empêcherde rendre hommage à son énergie, el d e reconnaître en lui un homme d Liât supérieur. Un des historiens de la Commune. M. Gaston Da Costa, condamné à mort par les conseils de guerre ver- saïUais, donc non suspect de partialité, ou même de bien- veillance pour le maire de Paris, a dit de lui :

492 HISTOIKE DE LA COMMUNE DE I 87 I

Jules Ferry, l'histoire lui rendra cette justice, fut le seul homme du gouvernement thiériste qui ne perdit jamais la tète. Nous n'avons pas à ju^çer ici la carrière si remplie de cet homme d'É- tat. Nous oublions à dessein le chef de l'opportunisme et le direc- teur de la politique coloniale, nous ne jugeons que le maire de Paris, le fonctionnaire solide à son poste de combat, l'ennemi implacable, mais qu'on respecte et qu'on admire, lorsqu'il oppose son incontestable courage à la veulerie, à toute la défaillance de ses chefs...

Plus tard, quand cet homme vint déposer des faits du i8 mars devant la commission d'enquête parlementaire, non seulement il ne recueillit pas un éloge, mais il comparut presque comme un accusé, à tel point qu'à plusieurs reprises il dut se défendre et vertement des insinuations perfides de ces parlementaires haineux et affolés. Ce fut tout ce que Ferr}' gagna à avoir mis son grand courage au service de la plus féroce des réactions... «

(Gaston Da Costa, la Commune Vécue, t. I, pp. 88 et 102.)

Ce personnag'e con.sidérable, qui a tenu une place si grande dans la République, dont il aurait être le pré- sident, car il dépassait par l'intellig-ence et par les services tous ceux que les circonstances et les intrig-ues des coteries portèrent à ce poste suprême (on est désigné pour la pré- sidence, non pour ses qualités, mais pour les défauts qu'on n'a pas, non pour ses actes politiques, mais pour ceux qu'on a évités de faire), était dans les Vosg-es, à Saint- Dié, le 5 avril 1882. Il est mort à Paris, rueBayard, i, le 17 ipars 1898. Il avait lutté sous l'Empire. Ses débuts au barreau et dans le journalisme avaient été remarqués. Il écrivit dans la Press/;, le Courrier da Dimanche, puis au Temps et à l'Electeur, et fut poursuivi pour ses articles par la justice impériale. Sa notoriété, déjà grande, fit un bond en 1868. Une brochure, au titre plaisant, sur les finances de la ville de Paris, intitulée les Comptes Fantastiques d'Hciussman, le fit, du jour au lendemain, presque célèbre. Le calembour a de ces

LB DIX-Ht'IT MARS

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fortunes. La papauté n'invoqua-t-elle pas un jeu de mo s a l-appui deson pouvo.r temporel: «Tu es P.erre et sur cet c pie'r'e je bàt.rai mon É.liese », telle est l'ass.se du trône d papes. Journaliste plutôt terne, à la plume lourde, a la phrase embarrassée, Jules Ferry semblait cependant ne pas devoir dépasser le niveau estimable des écrwa.ns ser.eux et froids, dont l'autor.té s'impose dans un cercle restrem de lecteurs graves et de politiciens avises, bes Comptes FantasUques étaient une fantaisie, de la cnt.que .ron.que. Il serait difficilement parvenu à agir sur la foule avec ses écnts. et la plume ne pouvait, dans ses mains, devenir un levier, un instrument de pouvoir. Il parlait bien, facile- ment, sensément, et ses moindres discours étaient inté- ressants, parce qu'ils «..primaient toujours une pensée claire, une volonté nette. Il n'était nullement 1 orateur co- médien et sonore, le ténor à cavatines et à fiontures. dont le public admire la virtuosité, acclame les effets, vulgai- res souvent, mais sûrs toujours. Il ne sut jamais trouver de ces formules brèves 'qu'on retient, et qui mordent sur les foules comme l'acier sur le cuivre, mais .1 avait un autre mérite que celui des rhéteurs de la presse ou de la tribune : il était avant tout un homme d'action. Il écrivait et parlait pour agir. Dès ses débuts, ses camarades, ses ri- vaux, ses ennemis, reconnurent en lui une force directrice, un esprit de commandement.il était taillé pour la lutte, pour la résistance, pour la contradiction aussi, car sa résistance eut souvent des accès mesquins. Il avait 1 en e- tement prompt, comme d'autres ont la transaction facile. Bien qu'il se piquât, au cours de sa carrière s. remplie, de connaître et de pratiquer la diplomatie, peu d hommes furent aussi peu aptes que lui aux tergiversations, aux procédés hésitants, et à la patience résignée, que cet art comporte. Son caractère entier lui valut plus

494 HlSTOmE DE l.K COMMUNE DE 1 87 I

d'une animosité durable, et l'impopularité, dont il a porté toute sa vie le poids, provint plutôt de son tempéra- ment intransig-eant, dans la modération bien entendu, (jue de sa conduite g-ouvernementale et de ses fautes politiques.

Impopulaire, il le fut, comme peu d'hommes l'ont été. Il fut en butte, dès ses premières années de pouvoir, à des attaques excessives, sans mesure, et souvent injustes. Quand, longtemps après les années de l'Empire, du siège et de la Commune, ses adversaires, qui étaient surtout des radicaux, nuance Clemenceau, voulaient l'accabler, après l'avoir g-ratifié des épithètes, alors déshonorantes, de Ton- kinois et de Tunisien, ils l'appelaient: g-arçon de café ! Ses favoris lui avaient attiré cette qualification propag'ée par la caricature et les petits journaux.

Elu député aux élections de 1869, par ^^ Vie arrondisse- ment de Paris, il devint, au 4 septembre, membre du g'ou- vernemeat de la Défense nationale. Au .^i octobre, il fit tête à l'insurrection, brava Flourens et ses tirailleurs à l'Hô- tel-de- Ville, et fut réellement le maître de Paris, pendant cette nuit, dont l'importance pouvait être décisive et triom- phale. La Commune, au 3i octobre, c'était sûrement Paris délivré, la guerre prolong-ée, et, grâce à l'énerg-ie de Gam- betta, de Freycinet et de Ghanzj, les armées de secours org-anisées et lancées sur tous les points, aux flancs des envahisseurs.il est fàcheuxque Jules Ferry ait montré autant d'énergie ce jour-là, mais on ne peut refuser cet hommage à son intrépide sang-froid. Il allait toujours droit à l'obs- tacle, le danger l'attirait, le fortifiait. Le 2a janvier, il montra encore sa fermeté coutumière. Ce ne fut point sa faute si, au 18 mars, il dut battre en retraite devant l'insur- rection victorieuse : Thiers l'avait désarmé, lâché, on pour- rait dire, trahi.

LE DIX-HUIT MARS

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Il est impossible de parler de Jules Ferry, môme lorsqu'il ne peut être question que de son rôle en 1871 , sans rappe- ler sommairement que cet éminent homme d'Etat a donné à la France un empire colonial. Pour cet inestimable ser- vice il a été attaqué, vilipendé et chassé du pouvoir. Un capitaine fati-ué, du nom d'Herbinger, à la tête échauffée et troublée, ayant cru découvrir, en se levant de table, une armée chinoise menaçante, défilant sur les hauteurs de Lan^-Son, alors qu'il s'agissait d'une promenade de quatre ou cinq irréguliers chinois enquête de maraude, a donné le signal d'une déroule, sans importance militaire, et qni passa inaperçue au Tonkiu, mais dont la répercussion fut ridicule et terrible k Paris. La panique, ce jour-là, tut pire au Palais-Bourbon que dans les arroyos du Tonkin. Ce fut un chorus indigné, absurde et coupable. M. Ribot donnait la réplique à M. Clemenceau, et M. Ranc se cramponnait aux basques de Jules Ferry, pour le faire descendre de la tribune, sous les encouragements de M.Paul de Cassagnac. Jules Ferry fut donc précipité du pouvoir. L'histoire, et les parlementaires repentis, l'ont vengé par la suite de cette injuste agression. Ses pires détracteurs ont fait, de nos jours, amende honorable devant les trois statues qu'on lui a élevées à Hanoï, à Tunis et à Paris. La postérité oubliera les fautes, les crimes même, du dangereux ennemi de la Commune, pour ne garder que le souvenir de ses services, de ses bienfaits et de ses talents.

Les opportunistes qui l'accablèrent pour la surprise de Lang-Son furent tellement odieux et incohérenU que Jules Ferry, tandis qu'ils s'efforçaient de lui fermer la bouche et de le chasser du pouvoir, avait dans sa poche, ce jour-là même, le traité qui terminait tout différend avec l'empire chinois. 11 emporta de cette journée néfaste une inguérissa- ble blessure morale. Elle contribua, avec la meurtrissure au

49C HISTUmE DU LA. COMMUNE DE 1 87 I

cœur, que lui fit un dément, nommé Auberlin, à abrég'ér son existence.

Adversaire résolu du cléricalisme, marié civilement, à une époque les unions sans prêtre étaient la grande exception, il assuma de vivaces animosités et, contre lui, les rancunes religieuses s'unirent aux haines de partis. Le grand acte de sa vie fut la loi sur l'instruction publique, laïque, gratuite, obligatoire, qui a changé profondément la société française. Cette réforme, avec l'avènement du suf- frage universel, qu'elle aurait dil précéder, constitue la plus grande révolution de notre histoire moderne.

Ce grand et durable bienfait doit faire pardonner à son auteur bien des résistances aux vœux de la démocratie, et impose l'indulgence aux vaincus de 71 .

Le progrès social et la république démocratique, pour laquelle luttèrent et périrent les hommes de la Commune, eussent-ils été réalisables, et même aurait-on pu en prépa- rer les voies et le succès, chaque jour plus certains, si Jules Ferrj-, par sa ténacité, son autorité et son influence, n'a- vait pu donner au peuple cet outil d'émancipation et de bien-être : l'Alphabet, sans lequel le fusil et le bulletin de vote ne sauraient être, bien souvent, que des instruments de servitude ou de tyrannie ?

M. THIERS SE SAUVE

Pendant que Jules Ferry, le 18 mars, se préparait à défendre à outrance l'Hôtel-de-Villc, M. Thiers se dispo- sait à partir, bientôt était déjà loin.

Le plan de M. Thiers était non seulement d'enlever les canons, de terroriser Montmartre, Bellcville, les quartiers populaires, mais surtout de procéder à un dé.sarmement général de toute la garde nationale, amie de l'ordre ou non.

LU DIX-HUIT MARS

497

Ce fut d'ailleurs ce qui arriva, après la défaite de la Com- mune. Malgré les services tapaj^eurs des « brassards trico- lores », malgré l'empressement que mirent certains batail- lons à vouloir se môler aux soldats vainqueurs, en dépit du zèle exterminateur dont Brent montre plusieurs comman- dants, sollicitant les fonctions sanglantes de présidents, de pourvoyeurs aussi, des cours prévôtales improvisées, M. Thiers voulait avant tout faire disparaître la garde na- tionale.

Pour parvenir il son but, M.Thiersavait donc besoin d'une insurrection. Un personnage, homme distingué, mêlé de près aux événements, mais, par ses sentiments et son milieu fort réactionnaire, le comte d'Hérisson, l'ancien officier d'or- donnance de Trochu, a émis ce doute, dont aujourd'hui la vérification est faite :

Ouand on étudie l'affaire du 18 mars, on en arrive presque à se demander si M. Tliiers voulait réellement enlever les canons de Montmartre, et si son but n'était pas plutôt d'obtenir un mouve- menl populaire qui lui permettrait d'évacuer Paris d'abord, pour le reprendre ensuite, en le noyant dans le sang.

Mais cette émeute, qu'il venait de provoquer, on peut dire qu'd l'avait préparée, et on peut ajouter que, pouvant l'écraser en un tour de main, il la laissa grandir comme un chirurgien qui, rêvant une belle opération, favoriserait la croissance d'une tunieur qu'd aurait pu enlever, à ses débuts, par un simple coup de ciseaux.

Cette insurrection, accompagnée de la défection de l'ar- mée, prit rapidement de telles proportions que M. Thiers, plus que jamais décidé à réaliser son projet et à se réfu- gier à Versailles, eut hâte de décamper, de se mettre per- sonnellement en sûreté. La peur lui venait, et domina toutes ses résolutions, tous ses actes, durant celte après-midi tour- mentée. Il avait une grande hardiesse dans les conceptions politiques; il envisageait résolument les périls à longue

32

HISTOIRE DB LA COMMUNE DE 187I

portée, mais devant le dangrer brutal, immédiat, il perdait la tête. On le vit, durant les journées de i83o, qu'il avait préparées, après avoir rédigé un appel aux armes, se met- tre promptement en sûreté, dans la banlieue de Paris. Il ne quitta sa retraite que la bataille finie et la victoire ac- quise. En i848, il avait favorisé la campagne des banquets, d'où sortit la révolution, et au premier grondement de Té- meute, il décampa, déguisé. Pendant l'insurrection de juin, il demeura caché dans un placard au fond du loge- ment d'un des secrétaires de la Chambre.

Le Dix-Huit mars, pendant la délibération au ministère des Affaires Étrangères, dans la cour, attendait une voiture toute attelée ; auprès, une escorte de cavalerie était prête à prendre le trot, au premier signal.

Le général Le Flô, devant la Commission d'Enquête, a revendiqué la responsabilité de l'évacuation. Ce fut pour- tant M. Thiers seul qui eu eut l'idée, la volonté. 11 est vrai qu'à l'époque Le Flô déposait il n'y avait plus aucun danger à faire cette déclaration, il y avait même occasion de tirer vanité de la décision, puisque les événements avaient justifié l'abandon de Paris. Dans l'après-midi du i8 mars, le général Le Flô était, comme son chef, peu rassuré. Il avait hâte de mettre quelques kilomètres entre sa précieuse per- sonne et les fusils des insurgés. Il pressait M. Thiers de déguerpir, parce qu'il pen.sait le suivre; ce qu'il fit d'ailleurs avec empressement. L'odeur de la poudre troublait ce guerrier vieilli, qui montrait surtout du goût pour celle d'escampette, et puis le printemps en fleurs partout s'épa- nouissait, et il estimait que le moment était venu d'aller à la campagne. Il a raconté, en ces termes, l'alerte, rappelant les méprises de comédie, qui précipita le départ.

Je dus consenlir à accompatçner M. Thiers, a dit le général Le

LR DIX-HUIT MARS

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Flô. Vers trois heures il se produisit un incident qui inquiéta le itouvernemcnl et les représeulaaU qui se trouvaient là. Trois ba- taillons de la sarde nationale, tambuurs et clairons en tète, pas- sèrent devant l'hôtel des Affaires Etrangères. Nous étions défen- dus par un seul demi-bataillon de chasseurs à pied, qui était en dehors de la grille, et dans une situation assez compromise par conséquent. Les hommes étaient disposés en tirailleurs tout le long de cette '^v'Me. Le moment me parut critique.et je dis : « Je crois que nous sommes tlambés, nous allons être enlevés. » En effet, les bataillons qui passaient n'avaient qu'à faire un demi-tour à droite et à pénétrer dans le palais, nous étions pris tous jusqu'au der- nier. Je dis à M . Thiers : « Je crois qu'il est important que vous vous sauviez; il y a peut-être un escalier dérobé, par lequel vous pouvez vous retirer, et gagner la rue de l'Université, et de par- tir pour Versailles. 11 est important que vous le fassiez. Sans quoi le gouvernement va être absolument désorganisé. » ^L Thiers suivit mou conseil. Mais les trois bataillons passèrent sans rien dire, ils allèrent faire une manifestation à l'Hôtel-de-ViUe.el revin- rent une demi-heure après.

Le général Vinoy, dcsoQ côté, a raconté ainsi l'épisode du

départ :

M Thiers partit, je crois, à trois heures et demie ou quatre heures il fallait le faire partir, parce que, s'il tombait aux mains de l'insurrection, c'était le gouvernement désorganisé. Prévoyant cela j'avais doublé mon escorte, j'avais fait préparer sa voiture et tout' était prêt. Je lui dis : . Mettez votre pardessus, la porte du bois de Boulogne est gardée, votre sortie est assurée par la. J y avais envoyé un escadron. -Mais, avant de partir, il me donna l'ordre d'évacuer Paris, et surtout de lui envoyer la brigade Dau- del qui occupait tous les forts du Sud cl même le Mont-\ alerieo et Courbevoie. Il jugeait important d'avoir à Versailles cette bri- gade, qui était celle sur laquelle on pouvait le plus compter.

Ainsi dans la précipitation qu'il mit à s'évader de Paris, M Thiers donna Tordre aux généraux d'évacuer tous les forts, y compris le Mont-Valérien. Cette citadelle de Pans, au pouvoir de rinsurreclion, c'était Paris imprenable, c'é-

500 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

tait la Commune victorieuse, ou tout au moins prolongeant sa résistance si longtemps, puisque le blocus et la famine étaient impossibles, qu'une transaction fût devenue inévi- table. Les Parisiens, dans les circonstances qui seront ulté- rieurement indiquées, ne purentpas malheureusement tirer avantage de l'incroyable sottise de M. Thiers, qui, dans son affolement, ne pensa qu'à fuir, qu'à sauver sa per- sonne. Il oubliait le Mont-Valérien, comme on laisse son parapluie, dans la hâte de quitter un endroit pour monter en voiture.

Ce fut course un peu folle que la sienne, sur la route de Versailles :

Il commanda le départ ventre à terre, dit le comte d'Hérisson. Entouré de cavalerie, le coupé file par les quais. Plus heureux que son maître Louis-Philippo, qui dut se contenter d'un fiacre, Thiers avait deux bons chevaux. Mais ils avaient beau dévorer l'espace, il leur trouvait une allure de tortue. A chaque instant, il passait la tête par la portière en criant : « Marchez donc! Marchez donc ! Tant que nous ne serons pas au pont de Sèvres, il y aura du dan- ger! » Le capitaine qui commandait l'escadron et qui galopait à càté du coupé avait beau répondre : « Nous ne pouvons pas aller plus vite, tous nos chevaux vont être fourbus. »

Thiers répétait toujours : « Marchez donc I marchez donc! »

Le bienheureux pont de Sèvres fut passé sans encombre, et on laissa souffler les chevaux à la montée de Chaville. Thiers était plus calme. Il se voyait déjà en sûreté à Versailles, et ruminait d'ailleurs l'idée de l'évacuer à la première alerte, pour se sauver au Mans, dont il avait ordonné que l'on conservât la gare à tout prix.

Lorsqu'il fut bien installé à la préfecture de Versailles, n'ayant plus peur, il redevint lui-même, c'est-à-dire, le fourbe par excel- lence, et au lieu de |)rendre des mesures immédiates avec le géné- ral Appert, qui commandait Versailles, il eut l'air d'être venu en promenade, pour s'occuper de l'installation de l'Assemblée qui devait se réunir le lende.iiain.

Il poussa la dissimulation jusqu'à nier la véracité du

LE DIX-HUIT MAUS

récit d'un témoin, M. Jules Richard, rédacteur au Figaro, qui chargé du compte rendu des séances de l'Assemblée, était venu se loger à l'avance, à Versailles, et avait sollicite une audience, un peu tardive, mais que la gravité des cir- constances permettait. Il était onze heures et demie du soir, quand ce journaliste, très connu, fut introduit à 1 hôtel de la Préfecture. Il trouva le chef du pouvoir exécutif en con- versation avec plusieurs personnes, dont le général Appert. Jules Richard raconta le meurtre des généraux. M. 1 h.ers l'interrompit pour affirmer : « Ni le général Lecomte n. le général Clément Thomas n'ont été fusillés. ., Il ne voulait pas que ces terril.les nouvelles se répandissent, dans son entourage surtout, avant que les troupes qu'il attendait fussent arrivées à Versailles.il avait, cette nuit-là, si grand peur, et craignait tellement d'être enlevé qu'il retint à la préfecture, a dit Jules Richard, en contant l'épi.sode, tous les officiers générau.x qui s'y présentèrent, et qu'il ht cou- cher, en travers de la porte de sa chambre, deux soldats, choisis à dessein parmi les prisonniers qui rentraient d Al- lemagne.

DE UNI En CONSEIL DES MINISTRES A PARIS, CHEZ M. CALMON

L'insurrection joua de malheur, à deux reprises, en cette journée hasardeuse. Deux fois la fortune mit à la portée des Parisiens le salut, la victoire.

Ils avaient le Mont-Valérien abandonné, à leur disposi- tion Par négligence ou trahison du général en chef provi- soire de l'insurrection, LuUier, Us ne purent s'en emparer, et permirent aux Versaillais de le réoccuper.

Ils se trouvèrent à portée d'arrêter M. Th.ers et les principaux ministres, et ils n'eurent point lidée de les faire

502 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

prisonniers. Ce n'était pas l'escorte disposée par Vinoy, dans la cour du ministère des Affaires Etrangères, qui aurait pu s'y opposer. Le bataillon fédéré, qui fit si grand peur à M. Thiers, n'eut ni l'inspiration, ni la curiosité de s'informer de ce qui se faisait dans le palais du quai d'Orsay. Il se contenta d'effrayer par son défilé et sa musi- que, et s'éloigna, laissant les ministres respirer, permettant à M. Thiers de filer sur Versailles pour y organiser la guerre civile. L'occasion, comme le bataillon mal inspiré, passa, et ne se représenta plus. Les choses eussent gran- dement changé, à la suite de ce beau coup de filet. Il fut manqué, et l'insurrection ne put désormais qu'espérer une victoire par les armes, que les circonstances rendirent d'abord difficile, ensuite impossible. La fortune favorisa donc deux fois M. Thiers et la réaction, durant celle journée fatale.

Les ministres, M. Thiers disparu, se montrèrent peu désireux d'attendre, au palais du quai d'Orsay, le passage de nouveaux bataillons fédérés, qui, plus hardis ou mieux avisés que ceux qui s'étaient contentés de défiler en musique sous les fenêtres, monteraient et viendraient les capturer. Ils se hâtèrent de s'éclipser à leur tour. Ils se donnèrent rendez-vous, pour le soir même, à dix heures, dans un domicile particulier, chez M. Calmon, rue Abbatucci.

Ainsi le chef du pouvoir exécutif fuyait, se terrait, apeuré, dans une préfecture de province, gardé, pendant son sommeil, par deux dogues qu'il supposait fidèles, deux cavaliers de l'ex-garde impériale, et les ministres se cachaient dans Paris, tenaient conseil de gouvernement, comme on conspire, dans un appartement privé, portes closes et rideaux tirés. Paris était bien sans maîtres, sans -autorités, livré à lui-même.

Vinrent à ce dernier conseil : le général Le F\d, ministre

boS

LE DIX-HUIT MA.RS

n.que °''J«^-^;;f:";;;; des ministres civils. Jules Favre posiuou vint de la part de» ^^^^^

notamment déclara qud ^f^^'^^^^l^^^^ll, dicter cette du conseil :

s=t;E' v'i;ri^tu:^i.'T»:r: Vinoy avait établi son quartier gênerai

lUstdonc établi que, vers dix heures ^u-ir Jules pavre et Ernest ^^rd voulaient reser. Pans. -^ ^^_

troupes. Mais les "^^'-'^J^j.;^^'' p,„,,i,.lité de l'évacua- nislre de la Guerre prenai la respo.

tion.Il en donnait les -^'^ !^^:^;'iVu.à se soumettre'

commençait à les ^^''^^^^J^XtJl^s^^^- et que L'oppositionquava.entm ntrce lesU ^ ^^^^j^^.,.;!,,

la courageuse résistance ^^^ .J"'^^^ ^^^^ pj^^rd, l'amiral sans doute stimulait, ^^^^^rt rendirent en effet

r^Sm;^:r::f^^^-^^

5o4

HlSTOmE DE I.A COMMUNE DE 187I

n'osant pas entamer la lutte avec Paris, ni surtout avec M.Thiers.et ne comptant guère sur l'intervention des mai- res, ni sur le résultat des propositions de conciliation qui avaient été faites, et qu'ils avaient acceptées en partie.

Le g-énéral Vinoy avait exigé un ordre écrit d'évacuer Pans. Le ministre de la Guerre le lui ajant donné, tout était consommé. On pouvait cependant évacuer la ville, sans abandonner les forts. Le général Vinoy n'avait pas d'ordres concernant le.s forts. Il a déclaré dans l'Enquête : « C'est M. Thiers qui a donné l'ordre de renvoyer la bri- gade Daudel qui occupait les forts.» Les ministres n'avaient plus ni autorité ni vouloir.

Le général d'Aurelle de Paladines n'assista qu'en partie à la réunion, son remplacement étant déjà décidé. C'était le premier point, le seul aussi sur lequel on était tombé d'accord, pour donner satisfaction aux demandes de la délégation des maires.

Ce général, avec un dépit mal dissimulé, a rendu compte.en ces termes.de la réunion chez le secrétaire géné- ral du ministère de l'Intérieur, Calmon,où il peint bien les sentiments d'inquiétude des ministres.il fait même ceux-ci peut-être plus pusillanimes qu'ils ne le furent en réalité.

Bien que je fusse dans la pièce à côté, je remarquai que le trouble elait assez grand. Cette réunion, si je puis ni'exprimer ainsi, était faite d'une manière clandestine. On avait craint de don- ner l'eveil à la populace. On allait même jusqu'à se préoccuper de savoir si les voitures qui stationnaient en bas devaient y res- ter. Quelques-uns avaient émis qu'il fallait répartir ces voitures. Il n'y en avait guère que quatre ou cinq à la porte de M. Cal- mon, pourtant certains disaient qu'il fallait les disperser d'un côté ou d'un autre, de manière à les retrouver dans le voisinage. Quant à l'agitation, elle était grande, très grande... J'ai quitté le commandement à onze heures du soir, par ordre de MM. Picard etJulesFavre.c'est alors que je mesuis rendu àl'l'xnle militaire...

LE DIX-HUIT MARS

5o5

Sur celte question d'un des membres de la commission : « Quel est le général qui vous a remplacé? » M. D'Aurelle de Paladines répondit :

On a parlé de M. LanRlois, mais je n'avais rien à faire avec lui. J'en ai été informé par M. Picard. 11 y a eu, à ce sujet, une dis- cussion excessivement vive dans le ministère. On a blâme vive- ment M. Picard. M. Jules Simon a voulu donner sa démission. M. Dufaure ésralement. Sans consulter le conseil des ministres, MM. Picard et Jules Favre avaient décidé mon remplacement

L'abandon 'de l'état-major de la place Vendôme, et la mollesse dont le général avait fait preuve durant cette journée, justifiaient cette mesure. La destitution du géné- ral d'Aurelle de Paladines et son remplacement par le colonel Langlois, c'était le premier point des revendica- tions présentées par la délégation des maires. Ce n'était qu'un article de la transaction, qu'on supposait devoir être de nature à satisfaire la fédération de la garde nationale et l'ensemble de la population. Mais la nomination d'un nouveau commandant en chef de la garde nationale, ce n'était qu'un commencement; il fallait compléter la satis- faction olYerte au.v Parisiens, notamment en fi.xant la date très proche des élections municipales, et en assurant que la garde nationale ne serait pas désarmée.

Le conseil des minisires, dans celte séance ultime, crut avoir assez fait en nommant général de la garde nationale Langlois, « dont la gesticulation les rassurait », a dit Lis- sagaray. Les ministres se séparèrent en prenant leurs dis- positions pour évacuer Paris, à leur tour. Ils avaient laissé à un secréUiirc général, M. Emile Labiche, le décret nom- mant Langlois, avec mission de trouver le nouveau géné- ral et de communiquer la décision à la réunion des maires. Les maires rédigèrent alors une proclamation annonçant

5o6 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

à la population qu'ils avaient obtenu la nomination du colonel Lang-lois et la promesse des élections municipales. De son côté, le colonel Lan/^lois, tout à fait ravi, se met- tait à la besog'ne : il exprimait, en phrases pompeuses, sa satisfaction d'être placé, par la confiance du gouvernement et de l'Assemblée Nationale, à la tête de la belle garde natio- nale parisienne. Le lang-age était redondant autant qu'était inutile la nomination : ce n'était, en un pareil moment, ni ce qu'il fallait dire, ni ce qu'il fallait faire. Le na'if et impétueux Lançlois n'allait pas larder à s'en apercevoir. Quant au gouvernement, il était dispersé, disparu, et ne se préoccupait guère ni de la façon dont le général qu'il venait de donner à la garde nationale serait accueilli par elle, ni de savoir comment le nouveau chef prendrait possession de riIôtel-de-Ville, ainsi qu'il avait l'intention de le faire sur-le-champ, selon sa déclaration à la réunion des maires et députés, à la mairie du II" arrondissement.

DEIINIÈRE RÉSISTANCE DE JULES FERRY

Jules Ferry avait essayé de conserver l'Hôtel-de- Ville, qu'il considérait justement comme la suprême forteresse du gouvernement. Tant qu'on tenait l'Hôtel-de-Ville, on seml)lait tenir Paris, et l'émeute, cantonnée dans les quar- tiers excentriques, ne pouvait se proclamer victorieuse. Le maire de Paris avait, dès les premières heures matinales, déployé son énergie habituelle. Il avait pris toutes les mesures défensives pour conserver l'Hôtel-de- Ville, et l'expérience du 3i octobre l'avait guidé. 11 n'avait pour le seconder que le colonel Vabre, le commandant militaire, qui se signala par la suite, lors de la répression versaillaise, comme un des plus féroces exterminateurs. L'Hôtel-de- Ville était barricadé, les fenêtres matelassées, garnies de

LE DIX-HUIT MAB8

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fascines II eût fallu du canon et entreprendre un véri- ab S. pour s'en emparer. Il y avait, comme troupes disposition du maire. 3oo hommes de la garde rpu blicaine fantassins, un excellent régiment de '^-J ^ qui avait gardé pendant le siège l'importante redoute du lud les HLtes-Brujères. On disposait de So.ooo paquets d cartouches. Le maire avait eu la précaution envoyer des voitures à la manulenlion chercher des vmes. II ne pouvait être pris par la famine, et il se senta.t en mesure de repousser toute attaque de vive force.

Aucun développement ne pourrait faire mieux connattre sa ferme attitu.le et sa contenance résolue que la -P-d— tion des dépêches qu'il a échangées, ce jour-là, a^ec le gouvernemeiU ou la préfecture de police. H av-t P^ - Conserver les originaux, et il les a communiques à la Com- mission d'Enquête, au cours de son intéressante deposi-

"m". Jules Ferry, après avoir rappelé sommairement les divers événemenis de la matinée du Di..-Huit mars a exposé en ces termes ses actes et ses intentions dans la journée et la soirée.

A deux heures et demie, entrait dans mon cabinet un officier de «ndarmer e de la caserne Lobau, qui me dit : « Je viens de reee^voirlVdredévacuer la caserne ; je ne con.prends pas pour- quoi. Si on l'évacué, elle sera prise immédiatement par les

"ï^';Mêssieurs, la caserne qui est la plus "PP-^^^/Jl^.^X

renvoyai sar-le-champ la dépêche suivante au préfet de police. u 18 mars 1871, ah. 5o du soir.

5oS

HISTOIKE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

« l'Hùlel-de- Ville. Qui a donné cet ordre? C'est certainement un « malentendu.

« Signé : Jules Ferry, m A trois heures, j'insiste et je précise :

« 18 mars 1871, 3 h. du soir. « Maire de Paris à Préfet de Police.

« Il y a 83 hommes d«ns la caserne Lobau, 40.000 cartouches ; « impossible à enlever. La caserne commande le jardin de l'Hô- « tel-de-Ville. Il vaudrait mieux en renforcer la garnison. Si on t l'évacué on la livre à l'insurrection. Je m'oppose à l'exécution « de cet ordre évidemment irréfléchi.

» Signé : Jules Ferry. ■»

J'adressai en même temps au ministre de l'Intérieur et au Président du Conseil, que je croyais encore au ministère des Affaires Etrangères, mais qui n'y était plus, une dépèche ainsi conçue :

« i8 mars 1871, 3 h. i5 du soir.

« Maire de Paris à Intérieur, à Président du Conseil, à Affaires ï Etrangères.

« Un ordre général est donné d'évacuer les casernes. On a a ainsi livré celle du Prince Eugène.

« Ordre aussi d'évacuer caserne Lobau. Je m'y oppose, c'est « livrer l'Hôtel-de-Ville, et je ne subirai pas celte e.xlrémité hon- « teuse.

« Je vous demande pardon de ces expressions un peu vives, « mais, vous le comprenez, la situation elle-même est très vio- « lente.

« Vous devez garder l'Hôtel-de- Ville et ses casernes, qui sont « une forteresse, ainsi que la Préfecture de Police. Il semble « qu'on perde la tête.

« Signé : Jules Ferry. »

J'eus communication de la dépêche suivante de la préfecture de police :

« 18 mars 1871, 3 h. 3o du soir.

« Général Valentin à colonel Vabre, commandant l'Hôtel-de- « Ville.

« Le régiment de ligne qui vous gardait s'est-il replié? et qu'a- « vez-vous pour vous garder, abstraction faite de Lobau? » Je prends la plume et je réponds ;

LE DIX-HUIT MARS

SOQ'

a i8 mars, 3 h. 35 du soir.

« Maire de Paris à Préfet de Police.

" NÔus%ardons nalurellement le MO» de ligne n ayant po.nl 'intentioVide livrer l'Hùtel-de-Ville. Quant aux 83 gendarmes l de Lobaû, ils ne peuvent vous être nécessaires, e ils valent " mieux que 500 soldats. Il faut absolument nous les laisser, i Signé : Jules Ferry.

Voici la réponse du général Valentin :

( iSmars 1871, 3 h. i5 du soir.

« Général Valentin à Maire de Paris. , . ,

l Gard" la Garde Républicaine à Lobau. Ce n'est que dans le cas la troupe de li^gne se replierait qu'il y aurait heu d e- a vacucr la caserne. » ,,,,...-.

A i heures 20 je reçus du jçénéral en chef la dépêche suivante, qui m'enchanta parce qu'elle me donnait raison :

o 18 mars 1871, 4 h. ao du soir. Général en chef à Préfet de Police et Maire de Paris , Qui donc a donné l'ordre d'évacuer casernes Lobau et ^apo-

" !<*°Ce n'est pas moi, je suis disposé à les faire renforcer. » Je répondis :

« 18 mars 1871, 4 h. 60 du soir. » « Maire de Paris à général Viiioy et à Intérieur. . L'ordre d'évacuer était signé par le colonel de 1«. ?"de re- miblicaine Le -énéral Valentin parlait de faire replier le 110e, nÏstdTns la caserne Napoléon. Jai refusé formellement de laisser faire sans quoi non seulement Lobau, mais Napoléon l scraTent livrées; à cette heure Napoléon aurait besoin detre a renforcée non comme nombre mais comme esprit.

' « Signé : Jules Ferry. »

Vient n.aintenant une dépêche circulaire du général Valentin

au gouvernement :

« Circulaire de Paris.

18 mars. 5 h. ao m. du soir.

« Général Valentin à général Vinoy, général Le Flo. général « Paladinos, Président du gouvernement, Affaires Llrangeres, « Intérieur ,'justice et Maire de Paris.

LeVca^erors du Chàteau-dLau et du faubourg du Temple « ont été envahies sans résistance de la part des soldats, qui ont

5lO BISTOlnE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

« livré leurs armes, et se répandent dans les rues en criant :

« Vive la Répuljliiiue 1 Celle du Chàteau-d'Eau est occupée par

« le 1078 bataillon. Les armes paraissent servir à armer des mo-

« biles et des soldats libérés. Ou parle de projets d'attaque contre

« la préfecture de police, la ville et la place Vendôme. »

« i8 mars 1871, 5 h. 45 m. du soir.

« Général Valentin à généraux Vinoy, Le Flô, Paladines, « Président du Gouvernement, Affaires Etrangères, Intérieur, « Justice et Maire de Paris (circulaire).

« Les 82e et i3|e bataillons semblent se diriger sur la préfec- « ture avec des intentions hostiles. Je prends des préparatifs de « défense ; on fait des barricades autour de Mazas. »

18 mars 1871, 6 h. so m. du soir. « Général Valentin à généraux Vinoy, Le Flô, Paladines, 0 Président du Gouvernement, Affaires Etrangères, Intérieur, « Justice et Maire de Paris (circulaire).

Le 194» bataillon cerne l'Hotel-de-Ville, Lobau a été renfor- « cée d'une compagnie. »

Vingt minutes avant, j'avais télégraphié ceci au gouverne- ment :

u 18 mars 1871, 6 h. du soir.

« Maire de Paris à Intérieur, à Garde Nationale, à Affaires <( Etrangères.

0 La place de l'Hôtel-de-Ville est occupée par des bataillons « hostiles, nous sommes cernés.

« Signé : Jules Ferry. »

u 1 8 mars 1 87 1 , 6 h. 1 5 m. du soir.

« Maire de Paris à Préfet de Police, à général Vinoy.

a Les bataillons qui occupent la place sont peu nombreux; que « les casernes tiennent bon ; seulement la caserne Napoléon est a attaquée par derrière. »

Il y avait eu en effet une petite tentative, qui n'a pas réussi.

« Maire de Paris à Préfet de Police, Intérieur, Président du « gouvernement, Garde Nationale, général Vinoy.

« l>c bataillon qui cernait l'Hôtel-de-VilIc, après avoir chargé « ses armes et stationné (juelque temps, se retire. La caserne « est en parfait étal. »

L'attaque avait été repoussée.

Voici maintenant la dépèche, qui tomba sur nous comme un coup de foudre.

LE DIX-HOIT MARS

« i8 mars, 6 h. lo m. du soir. Pr,;fM ae Police à Général Viooy, Guerre, Président du « P^vS etécutif, Intérieur, Justice, Affaires Etrangeres.Ma.re

" f"lS;^ent-major vient de me dire que lesgénéraux Lecomle .. ; L^meSt Thomas avaient été fusillés, après jugement dune cour martiale. Il avait va les cadavr^^ . ^^^^^^^.^ ^^

« 18 mars, 6 h. 55 m. du soir. Maire de Paris à Préfet de Police, général Vinoy, général

« îr^r c!r^;rdïï:Sis'^r^rc:iis-phi..ppe. rue

BourtiboT^m va évidemment en 'a.re dans .o-tes les petUes

« n^:r^i:'at;^n^n"^u^'lm;S;i^:'a;'^;W :rHssr;:r:t^;iS:^.;p.rs^rt:^

« nécessaire. »

Me voici arrivé au dernier incident de la journée. Je tiens par- ti'ment à m'en expliquer, à raison d. r.mmense responsa- bilité qui pesait sur moi comme maire de Pans. . ,„

Je ne prétends nullement qu'on ait eu tort de faire évacuer PH6tel-de-Ville et les casernes. Il s'agit en effet d'un acte mil^ taire qui encra.^e tellement la responsabilité d'un chef supérieur, nue personne na le droit de dire qu'il ait eu tort. ' Ouant à moi, je tiens à montrer que je n'a. quitte mon poste nne (luaiid il ma été absolument impossible d y rester. %ous venez de voir que j'avais lutté dans la journée contre l'pvaniation de la caserne Lobau. .,

Vous vous rappelez que le .général Vinoy «.'avaU télégraphie Jirm'avaitdonnél-ordrequ'ilétaitd'avisde fortifier les casernes

au eu de lesévacuer ; or-et ceci vous montre avec quelle rap - dUé s événements se précipitaient - àsept heures j appris ind - ' temen., car on ne m'e --muniquait rien o CeUemen . que général Uerroja. qui commandait en chet 1 Ho el-de-\ .lie et les casernes avait r;ru du général Vinoy l'ordre écrit d évacuer imme- d" ement les casrnes. J'allai trouver le général qui était dans un clbi et voisin du mien et jelui dis : « Comment se fa.t-il quevous r ceviez des ordres, sans que j'en sois avise'.' » 1' "j^ X"^^^'^;, , Voilà le fait. Je ne sais pas ce qui se passe. » Or, 1 ordre ela.l

5l> HISTOinE DE LA COMMUNE DK 187I

sur un papier assez sale et de mauvaise apparence, je pensai que c'était peut-être un faux ordre, et je demandai qu'il fût vérifié.

J'écrivis en conséquence au ministre de l'Intérieur, au Prési- dent du gouvernement et au général Vinoy, la dépêche que voici:

< 18 mars 1871, 7 h. i5 m. du soir.

« Maire de Paris à Intérieur, Président du Gouvernement, « Général Vinoy.

«Le s;énéral Derroja me communique un ordre daté de 6 heures « ordonnant l'évacuation de la caserne Napoléon et de l'Hôtel-de- a Ville et signé : Vinoy cet ordre est contraire à une dépèche « du général Vinoy toute récente, qui se plaignait de l'ordre d'é- « vacuation précédemment reçu. Je prie le ministre de l'Intérieur « et le président du gouvernement de me confirmer cet ordre, « par dépêche.

« L'Hùtel-de-Ville n'aura plus un défenseur; entend-on le livrer s aux insurgés, quand, pourvu d'hommes et de vivres, il peut «t résister indéfiniment? Avant d'évacuer , j'attends ordre lélé- « graphique.

« Signé : Jules Ferry. »

Comme la réponse ne venait pas, je télégraphiai de nouveau au ministère de l'Intérieur :

(I 18 mars 1871, 7 h. 4o ni. du soir.

« Maire de Paris à Intérieur. Je réitère ma question au sujet a de l'ordre d'évacuation. Allons-nous livrer les caisses et les « archives? car l'Hôtel-de-Ville, si l'ordre d'évacuer est maintenu, « sera mis au pillage. J'exige un ordre positif pour commettre « une telle désertion et un tel acte de folie.

« Je vous demande toujours pardon pour les expressions qui « sont en rapport avec la situation. »

A 7 h. 50 m. je reçus de M. Picard, ministre de l'Intérieur, la réponse suivante :

o Intérieur à Maire de Paris. Suspendez l'évacuation. Je vais « vérifier l'ordre et le discuter avec le général.

« Signé : Ernest Picard. »

Vous voyez que le ministre de l'Intérieur ne connaissait, pas plus que moi, l'ordre d'évacuation, puisqu'il se rendait à l'état- major pour le discuter avec le général Vinoy.

J'eus quelque peine à obtenir du général Derroja de surseoir à l'exécution de cet ordre, qui était extrêmement pressant, et qui le préoccupait beaucoup. Il sentait sa responsabilité compromise,

LE DIX-UUIT MARS

5l3

el il ne voulait pas attendre la réponse. Je lui dis : « Si vous n'attendez pas la réponse, je reste ici. Il y a le lOl» bataillon qui n'attend que notre départ pour entrer, et je vous rends res- ponsable des conséquences. »

Il consentit enfin à me laisser télégraphier, cl à attendre la rc'ponsc, c'est-à-dire la dernière dépêche que je viens de vous lire. Le général Derroja n'en fut pas satisfait. Il voulait une dé- pêche directe du ministre de l'Intérieur.

Je télégraphiai alors au ministre de l'Intérieur :

. i8 m.irs 1871, 8 h. soir. « Maire à Intérieur. Malgré la communication précédente au « général qui commande ici, ce dernier veut évacuer immédia- « tement. Prière de lui envoyer un ordre formel d'attendre la « réponse du général Vinoy ». L'ordre formel arriva à 8 h. 12 m.

« 18 mars 1S71, 8 h. u soir. « Intérieur à Maire de Paris et géooral commandant la caserne .( Lobau. Sous votre responsabilité personnelle, ordre formel de « ne pas évacuer ; attendre communication du général Vinoy « qui est prévenu.

« Signé : Ernest Picard. »

Pour mieux assurer la vérification de l'ordre, j'avais, d'accord avec le général Derroja, envoyé un de ses officiers au quartier général du Louvre. Le général Vinoy était absent. L'officier ne rencontra que son chef d'état-major, M. P'ilippi, qui, instruit de la situation, répondit par un petit mot au crayon : « 11 me paraît convenable de se conformer aux ordres de M. le ministre de l'In- térieur, c'est-à-dire, suspendre l'évacuation. » J'étais encore une fois triomphant, puisque mon idée était de rester à l'Hotcl-de- Ville.

M. Derroja ne se tint pas pour battu, et renvoya un officier au o-éneral Vinoy, à l'Ecole militaire, pour avoir des éclaircisse- ments.

Pendant ce temps, je télégraphiai au ministre de l'Intérieur, à 8 h. 25 m. du soir, la dépêche suivante :

u 18 mars 1871.

« Maire de Paris à ministre de l'Intérieur. « Avec cinq cents hommes, je suis certain de tenir indéfiniment « dans l'Hôtel-de-Ville. L'évacuation de la préfecture de police

33

5l4 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

« est insensée. Les banicadesqui se font tout auloiir d'ici ne sont (i pas sérieuses. »

Nous avions pu, en elVet, faire constater par nos gens que c'étaient des barricades tout à t'ait improvisées.

Sur CCS enlrcfiiites revint l'olficier qui s'était rendu auprès du général Vinoy. H rapportait l'ordre écrit et formel de tout éva- cuer.

Je tentai un dernier eflFort et j'écrivis au ministre de l'Inté- rieur :

18 mars 1871, 9 h. 5o m. du soir. « Maire de Paris à Intérieur.

« Je reçois l'ordre du général Vinoy d'évacuer l'Hôtel-de-VilIe. « Pouvez-vous m'envoyer des forces? Répondez immédiatement.»

Vingt minutes après, il me répond:

« 18 mars 1871, g h. 5o du soir.

« Intérieur à Maire de Paris. Votre dépèche a été transmise au « gouvernement avec invitation de vous répondre directement et « immédiatement, et ne puis prendre sur moi de donner l'ordre « de désobéir à Vinoy. »

Mais comme aucune nouvelle n'arrivait, le général Derroja me dit : « C'est tout ce que je puis faire. J'ai épuisé les dernières limites de mon droit. Je vais faire évacuer l'Hùtel-dc-Ville. »

A 9 h. 55 m. je télégraphiai une dernière dépêche au ministre de l'Intérieur :

"i- 18 mars 1871, 9 h. 55 m. soir. « Maire de Paris à Intérieur. « Les troupes ont évacué l'Ilùlel-de-Ville. Tous les gens de (( service sout partis. Je sors le dernier. Les insurgés ont fait a une barricade derrière THôtel- de-Ville, et arrivent en même « temps sur la place, en tirant des coups de feu.

« Signé : Jules Ferry. »

C'est ainsi que l'IIùtel-de Ville se trouva occupé par 1 insurrec- tion une demi-heure après. Les insurgés eux-mêmes ignoraient ce qui se passait dans l'intérieur de l'édifice. Ils furent assez surpris, m'a-t-on dit, de trouver les portes ouvertes.

{Enquête parlementaire. Déposition de M. Jules Ferry.)

Ainsi le général en chef Vinoy, le préfet de police g'éné- ral Valentin, le ministre de l'Intérieur Picard furent tous

LE DIX-HUIT MAIIS

5l5

d'avis d'abandonner IHôtel-de-Ville. Le jçénéral Derroja fit montre d'un empressement fébrile à décamper; quant au commandant militaire Vabre, il n'eut jamais de couraçe que contre des prisonniers désarmés, et il tremblait à l'idée d'avoir à obéir à Jules Ferry, et à résister aux gardes nationaux, armés et menaçants.

A dix heures et demie, quand officiers et soldats eurent déserté leur poste de combat, et que Jules Ferrj se trouva seul, dans son cabinet vide, au milieu du palais municipal devenu silencieux, il lui fallut songer à son tour à une retraite devenue forcée. Il rangea ses papiers, prit le texte des dépêches échangées, qu'il gardait, pour l'histoire et non pour sa justification. De quoi aurait-on pu l'accuser ? D'avoir été brave et d'avoir fait son devoir? 11 a pu sauver ces documents si précieux pour la connaissance de ces faits inouis. Il sortit seul, à pied, le front haut, mais le cœur oppressé. Il quitta le dernier, comme un capitaine son bord, le vaisseau de la Ville de Paris, qu'il avait défendu ju.squ'à la dernière minute, au moment les va^^ues de l'insurrection allaient le submerger.

Jules Ferrj se lendit à la mairie du le' arrondissement, MM. Adam, maire, et Méline, adjoint, avec plusieurs chefs de bataillon, se trouvaient réunis. Ils se disposaient à se rendre à la mairie du II" arrondissement, Tirard, Bonvnlet et les autres maires etdéputésde Paris se tenaient en permanence, quand une foule compacte et hurlante se massa sur la place Sainl-Germain-i'Auxerrois, criant : « II nous faut Ferry ! Mort à Ferry ! » Quelque traître, ou le hasard, avaient fait connaître sa présence dans la mairie. Des gardes nationaux isolés s'étaient joints à la foule et donnèrent une apparence de service commandé au rassem- blement. On somma les personnes présentes dans les locaux de la mairie de sortir. On procéda à un filtrnffe. On

nouvrllr u'an »ii, le général Derroja me

dit : iJttk Jcrti» ce «|oe je puis foi J'ai épuisé les dernières

UaiitM de 0)00 droit. Je vais ttire i mer I HiMel-dc-Ville. x

A 9 h. 55 m. je lèlégTapbwi une < iii> re dépêche au ministre

4e noUneor :

'• i8 m. 1871, (j h. 55 m. soir.

( Maire de Pari* i lol^rieu

\j^ tr<.iii«-- "lii r%.. VIlMc 0 Ville. Tous les gens de

'S insurgés ont fait I arrivent en même

:'u. a gur : Jules rerry. »

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IfnfiM* pcrUmenlmr*. Wpos .n .W M. Jules Ferry.)

Ain» le ginén\ en chef Vino, !■• . réfet Je police géné- ral ValeoUD, le mini»»™ de l'Infieur Picard, furent tous

L DrX-HUIT MArtS

d'avis d'abandonner 1' 3tel-de-VilIe. Le général Derroja fit montre d'un empre ement fébrile à décamper; quant au commandant milita ». Vabre, il n'eut jamais de courage que contre des prisonn rs désarmés, et il tremblait à l'idée d'avoir à obéir à Jui Ferry, et à résister aux gardes nationaux, armés et m açants.

A dix heures et dem quand officiers et soldats eurent déserté leur poste de ce bat, et que Jules Ferry se trouva seul, dans son cabinet . de, au milieu du palais municipal devenu silencieux, il 1 fallut songer à son tour à une retraite devenue forcée II rangea ses papiers, prit le texte des dépêches échangé', qu'il gardait, pour l'histoire et non pour sa justificatio De quoi aurait-on pu l'accuser ? D'avoir été bi-ave et d'gjir fait son devoir? Il a pu sauver ces documents si prtciix pour la connaissance de ces faits inouis. Il sortit seul, à)ied, le front haut, mais le cœur oppressé. Il quitta le .îrnier, comme un capitaine son bord, le vaisseau de la 'ille de Paris, qu'il avait défendu jusqu'à la dernière mi ite, au moment les vagues de l'insurrection allaient k ubmerger.

Jules Ferry se remUl la mairie du h^ arrondissement, MM. Adam, maie, t Méline, adjoint, avec plusieurs chefs de bataillon, .-^c t iraient réunis. Ils se disposaient à se rendre à la m:ii-.ie u IP arrondissement, Tirard, Bonvalet et les autres i ires et députés de Paris se tenaient en permanence, quand ne foule compacte et hurlante se massa sur la place Sain iermain-l'Auxerrois, criant : « Il nous faut Ferry 1 :^1 rt Ferry! » Quelque traître, ou le hasard, avaient fait r^n ftre sa présence dans la mairie. Des gardes nationaux i lés s'étaient joints à la foule et donnèrent une apparcnc de service commandé au rassem- blement. On somma les jrsonnes présentes dans les locaux de la mairie de s< i tii On procéda à un filtrage. On

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5l6 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 187I

demandait les noms, et l'on scrutait les physionomies. Si Jules Ferry sortait de cette façon, il était inévitablement reconnu, signalé, empoig-nc, livré, comme un martyr des anciens jours, aux fauves démuselés de la plèbe. Le sort de Clément Thomas et de Lecomte lui était infailliblement réservé. Il avait accumulé pendant le siège, à raison de la disette, dont on le rendait injustement responsable, et par sa vig-oureuse attitude dans la journée du 3i octobre, des haines furieuses. On le fit heureusement partir par une porte de l'église Saint-Germaiu-l'Auxerrois, communiquant avec la mairie et avec la petite rue des Prêtres, obscure et déserte. Il put gagner, sans être inquiété, le domicile d'un de ses amis, il passa la nuit. Le lendemain, il se rendait à Versailles. Paris était définitivement sans maître, et la place était libre.'pour un pouvoir nouveau.

LES MAIRES DÉCIDENT LA RÉSISTANCE

Les maires attendaient toujours, à la mairie du II« arron- dissement, les décisions des ministres. MM. Bonvalet et Labiche couraient vainement dans tous les ministères, cher- chant le g-ouvernement, et ne trouvaient personne. Ils rap- portèrent, vers cinq heures du matin, le décret nommant le colonel Langlois général de la garde nationale. Il man- quait une formalité à cette nomination : dans leur trouble, et pressés de s'esquiver, les ministres avaient oublié de signer le décret. Il se trouvait d'ailleurs sans objet :1e colo- nel Langlois, qui revenait du Journal officiel, il avait été retirer sa proclamation déjà donnée à composer, arri- vait à la mairie, et annonçait qu'il n'acceptait pas les fonc- tions qu'on venait de lui conférer. Il priait en con.séquence les maires de recevoir sa démission.

M. Tirard, président de la réunion, déclara alors qu'on

LB DIX-HUIT MARS

5i7

n'avait plus qu'à se retirer, mais qu'il informerait le go a- vernement, dès qu'il le pourrait, que les maires de Pans entendaient rester à leur poste, qu'ils attendaient du crouvernement des pouvoirs régularisés pour prendre tou- tes les mesures que la situation comportait, et aussi afan d'encaisser la solde nécessaire au paiement des gardes nationaux qui se rangeraient sous leurs ordres. Cette pro- position fut acceptée. M. Labiche se chargea de transmettre cette décision à Versailles, et de porter la réponse du gou- verncmentà M. Tirard.

Ce fut ainsi que commença la résistance, dont la mairie du Il« arrondissement devait êtrelecentre, jusqu a la nomi- nation des membres de la Commune. ,.,,,„ Les maires contre le Comité Central, c était le début de la guerre civile. ARRESTATION DUGÉNÉRALCHANZY

Un incident, qui aurait pu devenir grave, s'était produit dans la journée, vers cinq heures du soir, à la gare d Or-

''Te'train de Tours arrivait, et parmi les voyageurs se trouvaient le général Chanzy et M. Edmond Turquet, député de l'Aisne. , ,-, i V^r

Le général Chanzy se rendait à Pans, ou plutôt a Ver saiUes. non pas comme militaire, mais en sa qualité de député des Ardennes à l'Assemblée Nationale.

Le .8 mars était le jour anniversaire de sa "a;^«^°^«-

Antoine. Eugène-Alfred Chanzy avait 48 ans. 11 étai

le ,8 mars iS^S, à Nouart, dans les Ardennes. C était un

soldat de race. Son père avait été capitaine de cuirassier

ous l'Empire. Le futur général porta d'abord le sac. 1

sC^agea!et, admis à Saint-Cyr, il en sortit sous-lieute-

5l8 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

nant aux zouaves en i84i. Ce fut un de ces énerg^iques africains qui achevèrent la conquête de l'Alg-érie, et en assurèrent la pacification. Il se trouvait chef de bureau à Tlemcen, quand éclata la guerre d'Italie. Il fit cette courte et glorieuse campagne, comme chef de bataillondu 28° de ligne. Il fut ramené en Algérie comme colonel, devint général de brigade, et à la déclaration de guerre sollicita uu comman- dement, que le ministre Lebœuf lui refusa. Il passait pour avoir des opinions libérales, d'où son peu de crédit à la cour. Le gouvernement du 4 SeptemDre se hâta d'accepter -ses services. Il fut successivement nommé général de divi- sion, puis commandant du XVI" corps à l'armée de la Loire. Il se battit vaillamment, et heureusement, à Coul- miers et à Patay. Il fut nommé général en chef de l'armée de la Loire, en remplacement de l'incapable général d'Au- relle de Paladines. Gambetta l'avait en haute estime. Il le considérait comme à peu près le seul général de valeur, au milieu de l'infériorité des autres chefs de nos armées en déroute. Son nom, avec ceux de Gambetta, de Frejcinet, de Garibaldi,de Faidherbe, est inséparable de la rési.stance honorable oppo.sée, avec des forces insuffisantes, inexer- cées surtout, aux armées allemandes sans cesse renforcées, bien organisées, et entraînées par les victoires. Il soutint, pendant six jours, un combat désespéré, c'est la retraite du Mans, 21 janvier 1871. Retranché à Laval, derrière la Maj'enne, il reformait déjà son armée, et se préparait à recommencer dans l'ouest une campagne qui aurait pu être fatale aux envahisseurs. On aurait eu peut-être alors une guerre de Vendée, mais républicaine, avec le harcèle- ment de l'ennemi, dans les halliers,par les chemins creux, derrière les buissons, quand la nouvelle de l'armistice vint lui faire tomber des mains le tronçon d'épée qu'il tenait encore si vaillamment. Avec ces débris d'armées pouvait-

LB •IX-HUIT UAJIS

5l9

il sinon acquérir la grande victoire, du moins epmser, la'sser l'ennemi, et donner à Gambella le temps de lancer en avant les armées nouvelles qu'il organisait? Peut-être . Chanzy.plus que tous les autres généraux, avait sauvé l'honneur et conservé l'espérance.

Il fut parla suite gouverneur de l'Algérie, sénateur ma- movlble et fut porté, sans son assentiment, comme can^ lat à la présidence de la République. 11 e^t mort, . y a quelques années, gloneux et respecté de tous les part.s.

C'éU.U donc au Dix-Hu.t mars une personnalité rstée sympathique, et l'on ne saurait expliqueras mauvais tra - einents dont il fut l'objet, et les dangers qu il couru à a d rente de wagon.que pa. lasottise et la fureur .rréfle h de cette foule impulsive et ignorante, que 1 on vit surgir aux Premi^-res et aux dernières heures de l'insurrection ^"1 Kntréo en gare du train, un wagon-salon att.a 1 at- tention du piquet de gardes nationaux de service Ces gar des faLiënt Jartie des bataillons du XIll» arrondissement. Danl ce uartier, organisé, bien avant le Dix-Huit mars pour la Résistance, commandait Duval, qui avait pris le Sre de général.La consigne avait été donnée, dans 1 aprè - lidi, àl nouvelle, bien vite connue sur la rive gauche Tue Is troupes allaient être dirigées sur Versa, les, d arrê- er tous les officiers venant d'Allemagne ou de la province, qui débarqueraient aux gares. C'était un ordre absurd^ ;iqu'on n'empêchait pas les régiments cantonnés sur la rive gauche de sortir de Paris et de gagner Versailles Se confo 'mant à ces ordres, les gardes nationaux arrêtèrent e géuLl, sur le quai. Chan^y ne se cachait nu lement était en uniforme, tenue de campagne, avec la plaque de la Léln d'honneur. 11 est certain que lesgardes qui 1 arre- tèren! ignoraient sa personnalité et le prenaient pour un « général quelconque ». Une de ces méprises, comme

Sao

BISTOmC DE LA COMMUNE DE 1871

il s'en produit fréquemment dans de telles bagarres, Ht crier à quelqu'un dans la foule: « C'est Ducrot! >, Des menaces et des cris de mort s'élevèrent aussitôt. Ducrot était fort impopulaire ; on ne lui pardonnait ni sa défaite à Champig-ny, ni son attitude réactionnaire, ni ses dédains envers la garde nationale. Le bruit courut aussi que c'était Vinoj qu'on venait d'arrêter. La fureur de la foule allait croissant. Léo Meillet, adjoint au maire du XlIIe arrondis- sement, aussitôt prévenu, accourut et Ht conduire le gé- néral et le député Turquet, qui voulut l'accompagner, à la mairie. Léo Meillet voulait faire mettre en liberté im- médiatement les deux prisonniers, mais Duval survint. 11 insista pour qu'on gardât, au moins provisoirement, le général. Dans sa pensée, Chanzy devenait un otage. II y eut alors un conflit entre Léo Meillet et Duval.

LÉO MEILLET

Léo Meillet était un jeune méridional, plein d'énergie, très brun, trapu, la mine sévère, l'allure grave, toujours vêtu de noir, ancien principal clerc d'avoué à Paris. à Marmande (Lot-et-Garonne), en i846, il était venu faire son droit à Paris, et s'était fait connaître dans les clubs, pendant le siège. Ses harangues, pleines de patriotisme, n'avaient rien de la redondance gasconne. C'était au con- traire l'un des orateurs populaires les plus précis, expri- mant toujours ce qu'il voulait dire, et rien que ce qu'il fal- lait dire. Il tenait, de sa pratique desafinires contentieuses. une netteté de langage et une fermeté de décision qui le firent apprécier dans l'exercice de ses fonctions adminis- tratives. II était très e.stimé comme adjoint au maire du XlIIe arrondissement.

11 avait été l'un des premiers propagateurs de la Libre-

l.E DIX-HUIT MARS

521

Pensée II eut.comme tel, une altercation au sujet du convoi •l'un ami.que la famille voulait conduire à régflise, mal- gré la volonté formelle du défunt et les désirs de la veuve. H empêcha, avec quelques amis, le cercueil d'être porte dans la chapelle Bréa. Le prêtre, qui attendait sous le por- tail, voulut insister. Il y eut des protestations, des cris de: vive la République! un commencementde bagarre.Lecorps fut mené d'autorité directement au cimetière. Mais on était sous l'empire, et une telle attitude n'était pas laite pour plaire au pouvoir. Le curé se plaignit. On poursuivit Léo Meillet, en police corectlonnelle, pour cns séditieux et trouble apportée l'exercice du culte. Il fut condamné à six mois de prison.

Léo Meillet conserva un mauvais souvenir de cette cha- pelle Bréa, aussi fit-il, plus tard, la motion à la Commune de la dcmolir.comme il proposa également la démolition de la chapelle dite expiatoire, consacrée à Louis XVI. yuand M Turquet, par la suite, lui demanda ce qui l'avait poussé h faire ces deux propositions,qui lui valurent une condam- nation à mort de la part des conseils de guerre, .1 lui re- pondit : « Je trouve que ceux qui ont assassiné le généra Bréa ont eu très grand tort, mais je trouve aussi qu il n'est pas bon que, dans un pap comme le nôtre, on élève des monuments, comme la chapelle Bréa, comme la cha- pelle de Louis XVI aussi, qui entretiennent un perpétuel souvenir des crimes et des dissensions civiles du passe. » La Commune avait cependant d'autre besogne plus urgente et plus utile que la démolition de monuments qui n'avaient plus guère qu'une signification décorative.

Il avait été l'un des signataires de V Affiche Rouge^eri- dant le siège, les membres du gouvernement de la Défense étaient violemment attaqués, et fut compris dans les poursuites dirigées pour ce fait contre Tndon, Pnuly,

5a2 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

Oudet, Pillot, Uemayet Reg-ère. Le XIII° airondissement l'envoya siég'er à la Commune par 6.664 voix. 11 fit partie de la commission des relations extérieures (affaires étran- gères), fut membre du Comité de .salut public et nommé gfouverneur de Bicêtre. Il fut sauvé, lors de la répression, par Edmond Turquet se souvenant de son intervention puissante au i8 mars. M. Turquet a reconnu loyalement et courageusement, à Versailles, qu'il avait aidé Léo Meillel à gagner l'étranger.

Il m'a sauvé la vie, dit-il énerariquemsat, ainsi qu'au géné- ral Chanzy et au général Langourian. J'avais cru comme tout le monde qu'il était fusillé. Un jour, à la Chambre, je reçois un mot qui me fait bondir. C'était Léo Meillet qui n'était pas mort, et qui me demandait l'hospitalité. Que faire ? Cet homme m'avait sauvé. Je pars ptar Paris, et une heure après, à 6 heures 55 minutes, un homme sonne chez moi ; c'était lui. .J'envoyai une dépêche télégraphique à Mme Turquet, en lui disant de revenir avec sa femme de chambre. Ma femme revint ne sachant ce que cela voulait dire. Pendant quatorze jours, elle et sa femme de chambre ont donné la nourriture à ce malheureux. Le quator- zième jour,un de mes amis m'apporta un passeport très régulier. Je lui dis : « Voilà un passeport. » Il me répondit : « Il faut que vous m'accompagniez à la gare, parce que si j'y étais arrêté, on m'écharperait peut-être, vous me servirez de caution. » Je le meuai à la gare du Nord, nous sommes arrivés vingt minutes trop tùt. Il a été magnifique de sang-froid, et la police a été très maladroite, car il y avait des agents qui me connaissaient, et qui ne l'ont pas reconnu. Il est arrivé à la frontière belge. Là, son passeport n'était pas visé, il ne put passer. Il revint à Saint-Quentiu, il y a un consul belge, on lui donna un visa régulier et il repartit, il fut arrêté encore à..., mais enfin on le laissa passer.

Il avait à Paris une maîtresse, dont il avait fait son capitaine d'état-major ; la police le savait et cette femme lui a témoigné un dévouement sans bornes. Trois fois de suite elle s'était fait pren- dre, et trois fois on l'avait relâchée, parce que la police, sachant que IMeilIel n'était pas fusillé, espérait le prendre chez elle. Meillet, arrivé à Bruxelles, lui écrivit une lettre, et c'est ainsi qu'on sut ce qui s'était passé.

IX DIX-nUIT MARS

Edmond Turquct faillit être intpùété pour avo.r fa. échapper un communard. « Si j'ai commis un del.t, d.t->I dio-nement, et si la justice veut m'en demander compte, je suis à sa disposition. » Le président de la comm.ss.on répondit : « Ce délit existe, mais on ne vous en demandera probablement pas compte, puisque Léo Meillet vous avait Luvc la vie. » La gratitude de M.Turquet et 1 '";--"'-; généreuse, autant que périlleuse, de Léo Me.llct sont des actes trop honorables, trop rares aussi, dans cette terrible é,M>que, pour qu'on ne les mentionne pas en louant leurs

'"Lr^MeiUet se réfugia en Ecosse. Il fonda à Glascow un cours qui fut très suivi, et devint maître de conférences à l'école supérieure d'Edimbourg. Revenu en France, ea ,8q6, il se présenta aux élections dans le Lot-et-Garonne. Il fut nommé et siégea au groupe socialiste 1 ne fut pas réélu en .900. Nommé directeur de l'asile d al.enes de Cadillac, près Bordeaux, il y est mort en 1907. H avait 61 ans. CHANZ Y ET EDMOND TURQUET PHISONSIERS

Ce fut Duvalqui fit garder prisonnier le général Chanzy, malferré Léo MeiUet. Celui-ci déclara qu'il était seul ma.tre à la mairie, et comme Duval réclamait le prisonnier « au nom des lois de laguerre!.,, disait-il pompeusement, lad- joint lui répliqua : « Vous ne représentez que l insurrec- tion, moi je suis nommé par les électeurs, inyes . d un mandat régulier. Vous n'arrêterez pas le général Chanzy, et la preuve c'est que je vais l'emmener chez mo.

M Turquel a raconté en ces termes pittoresques les pé-

ripéties de son arrestation et de celle du général Chanzy :

En efl'el, il nous emmena, malgré la présence de Duval, le

524 HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1 87 I

revolver au poin!ï,dans son apparleraent del'avenue d'Italie. Nous restâmes là, jusqu'à une heure et demie du malin. C'est alors que se place un fait qu'il est bon que la commission connaisse, et que je n'ai pas dit à la tribune.

Nous étions dans le salon, très modeste, de Meillet, nous y étions arrivés escortés par des bons bataillons du XIII« arrondis- sement, — du moins ce que M. Meillet appelait l'un des bons bataillons.

Quand nous arrivâmes, une quinzaine d'ofticicrs du bataillon vinrent se grouper autour de lui.

Quelques-uns d'entre eux, les plus exaltés, faisaient des repro- ches au général sur son attitude à l'armée de la Loire, préten- dant qu'il n'avait pas fait tout ce qu'il aurait faire. Les choses s'envenimaient. Un certain nombre de simples gardes étaient entrés dans la première pièce, et je sentais très bien que nous étions dans une situation des plus graves.

Dans le désir de sauver la vie du général, que je croyais très menacée, parce qu'on entendait sous la fenêtre du bruit qui allait en augmentant sans cesse, je dis aux gardes nationaux : « Mais que voulez-vous au général ? Votre ami Gambelta, l'honmie qui représente votre opinion, a dit au général que c'était le premier homme de guerre, qui se fût révélé dans cette campagne; ne soyez pas plus sévères que le député de Paris, que M. Gambelta que vous aimez et que vous estimez. » Alors ces hommes s'em- portèrent, ils dirent : « Nous ne voulons pas de Gambelta! il ne représente pas nos opinions 1 » Je ne commente pas le fait ; pour- quoi ces hommes se sont-ils exprimés ainsi? J'avais failli com- mettre une imprudence en plaçant Chanzy sous le patronage de Gambelta. A vous de chercher et de voir s'il n'y a pas un indice curieux ?

Le temps s'était passé; à un moment donné, la chambre fut envahie. C'est alors qu'on voulut nous entraîner dans la rue, pour nous fusiller. AL Léo Meillet tira son revolver de sa poche et essaya de lutter. Il prétendit qu'il avait donné sa parole au géné- ral Chanzy de lui ofl'rir asile, et de le sauvegarder jusqu'au der- nier moment. Chanzy, comprenant qu'il allait se passer de,s srènes de violence, et que nous serions certainement écharpés, releva M. i\Ieillet delà parole qu'il lui avait donnée, et le supplia de nous laisser partir avec les gardes nationaux, de nous laisser emme- ner à la prison la plus voisine. Nous descendîmes. Chanzy fut

LE DIX-HOIT MARS

5a5

bousculé dans l'escalier, reçut quelques coups de poi^.=;s et am sur le boulevard. On voulut nous entraîner pour nou, lu,.ller le ong dt chapelle Bréa. Alors MeiUet interv.nt <le "--- dil^ . Messieurs, ne nous conduisons pas en assassins! » Ceci e ir scurieux, c'ians la bouche dun '---.'!-■, ^'^-^^Jj:,--, «nrès demandait ù la Commune la démolition de la chapelle B^éa •- rcct hommes ne sont pas condamnés, quand ils seron fuKés vous les fusillerez, si bon vous semble. « U put ams. nous S'ner ù quel,,ues centaines de mètres plus loin, et nous jeter dans la prison du 9' secteur.

Une fois arrivés dans la cellule, quand d s'agit de porter nos noms sur les re,ns,res d'écrou, une scène des plus v.olen es eu enco e ieu entre Léo Meillet et quelques officiers d'un au re bataillon qui venait d'arriver. 11 y eut des coups de sabre echan- '•s A un moment donné, nous vîmes entrer des hommes avec âe baïonnettes, on amenait des individus qu. se.aient battus a c Le denols Tout à coup, je vis Léo Meillet arrachant sa ciature d'adjoint, et la jetant à la figure d'un olfic.er en lu. d! aot « Puisqu'il en est ainsi, puisque vous voulez fusiller c^ hommes, Juisque vous voulez vous conduire comme des lS>e Tous me'fusillerez avec eux ! » Puis il s'ass.t,el cet homme d une nature énergique et violente, fondit en larmes. Il ela t environ deuxheures du matin. Les choses se calmèrent cependant, et on nous introduisit dans la cellule.

(Enquête Parlementaire. Déposition de M. Turquel, t. II, p. 484.)

Deux faits intéressants sont surtout à relever dans cette déposition anecdotique et colorée : M. Edmond Turquet a reconnu qu'il avait été traité avec ég^ard, ainsi que le général, par les gardes nationaux :

J'ai causé, a-t-il ajouté, avec quelques of^oi^rsc^uié^eni et qui reirrettaient tous l'arrestation du gênerai. Pendant es quelques jV,urs que nous souimes restés dans cette P';'-"- « P'"« Lndrepectlui a toujours été témoigne Un petit de.ad . .1 Ç avait un water-closet dans une seconde pièce ; pour y arriver, U fallait passer devant les hommes de faction, et chaque fois que le général Chanzy et le général Langour.an passaient, on ^Z préintait les armes. On restait à la porte respectueusement.

526 IIISTOIIIE DK LA COJIMUNE DE 187I

et lorsqu'ils sortaient du water-closet pour rentrer daus la grande pièce, on leur présentait encore les armes...

Il a ensuite signalé ce que nous avons déjà mentionné à propos des violences au Château-Rouge, et des scènes trag-iquesde la rue de.s Rosiers, ayant pour auteurs une populace haineuse et furieu.se, et non les fédérés :

Les violences contre nous n'ont jamais été exercées que par la foule. Lorsque le général Chanzy a été transféré à la Sauté avec le général de Langourian, c'est encore la garde nationale qui l'a protégé, quand une foule sans nom, composée de matelots, de soldats d'ini'anterie de marine, de toute espèce de gens, l'in- sultait. En somme, ce qui m'a surtout frappé au milieu de tous ces incidents, c'est d'abord le respect de la garde milionale pour Chanzy, et ensuite cette lutte entre la municipalité légale, dont Léo Meillet était alors le représentant, et le Comité Central.

Le général Chanzy, transféré à la Santé, fut, quelques jours plus tard, mis en liberté par ordre du Comité Central, toujours malgré Duval. Raoul Rig-ault avait parlé d'échan- ger le général contre Blanqui, détenu en province. Ce fu- rent Babick et le général Cremer,qui,le 25 mars, donnèrent et portèrent l'ordre d'ouvrir immédiatement au général les portes de la Santé. Ils lui demandèrent seulement l'en- gagement d'honneur de no point accepter un commande- ment contre Paris. Le général Chanzy qui, selon toutes probabilités, eût été nommé général en chef de l'armée de Versailles, tint loyalement sa parole. Edmond Turquet n'avait pas été admi.s à suivre le général à la Santé. Léo Meillet le fit évader en lui fournissant un déguisement. Il l'accompagna même jusqu'à Versailles, non .sans risquer, notamment en traversant Levallois-Perret, d'être découverts et arrêtés de compagnie.

LB DIX-HUIT MARS

5a7

LE COMITÉ CENTRAL A L'tJOTEL-DE-VILLE

Le colonel Lanfjlois ayant reçu communication de la part des ministres, par l'intermédiaire de M. Labiche, secrétaire, du décret (non signé) qui le nommait comman- dant en chef de la garde nationale,et ayant accepté,plusieurs desmaires,réunisà la mairie du 1I« arrondissement,avaient conseillé au nouveau général de se rendre aussitôt à l'état- major de la place Vendôme, et de s'y installer, mais MM. Lorkroy, Cournet et Paschal Grousset, au contraire, l'engagèrent d'abord à se rendre à l'Hùtel-de-Ville. Il en prendrait possession et ferait reconnaître son autorité par les gardes nationaux qui avaient s'y établir, après le départ des troupes de Jules Ferry.

Je vais au martyre! murmura le fougueux colonel,

qui paraissait pourtant plus calme qu'à l'ordinaire, plus soucieux aussi.

Pendant la soirée, le Comité Central s'était réuni rue Basfroi, dans le faubourg Saint- Antoine, les canons de la place des Vosges avaient été transportés. Duval, avec des bataillons du XIII» et du arrondissement, avait occupé la préfecture do police, qui était déjà évacuée.

Vers neuf heures du soir, un bataillon de gardes natio- naux de Montmartre, commandé par Bergerel et .\rnold, s'était emparé de l'hôtel de l'Elat-major de la garde natio- nale, place Vendôme. Il était défendu par des gardes du 1" bataillon, mais ces gardes ne firent aucune résistance et se retirèrent en bon ordre. L'Etat-major,la place, comme on disait, et le ministère de la Justice éUienl au pouvoir de l'insurrection.

Toutes ces opérations s'accomplis.saient sans ordres, et sans plan aucun, selon les initiatives et les circonstances, au petit bonheur. Le Comité Central ne figurait, ni n'inter-

5a8

niSTOlUE DE LA COMMUNE DE I 87 1

venait nulle part, en tant que pouvoir ort^anisé, ajant un siège, et devant donner une direction. Les membres, répan- dus dans les quartiers qui les avaient nommés, n'exer- çaient qu'une action locale et limitée. L'insurrection avait ses bras partout, sa tête nulle part. C'était comme un poulpe monstrueux, qui étendait sur toute la ville ses ten- tacules, mais dont le centre vivant et devant donner l'im- pulsion, la direction, n'apparaissait point. Le fameux Comité, ce jour-là, n'avait de Central que le nom. C'était un corps désarticulé. Ce ne fut que vers onze heures, alors qu'une partie des insurgés, voyant la ville fort tranquille, avait été paisiblement se mettre au lit, que quelques mem- bres du Comité eurent l'idée de se joindre, de cesser l'épar- pillement de forces et d'action qui avait caractérisé cette journée unique dans l'histoire des Révolutions, et de relier les faisceaux épars, de se rassembler en un point central. Ce centre de rassemblement était tout indiqué : c'était l'Hô- tel-de- Ville (i). Quelques individualités mandatées, suivies de divers officiers et de gardes nationaux isolés, apparte- nant à différents bataillons, s'y rendirent, un peu au hasard, ne sachant pas si des troupes n'y avaient pas été

(i) L'auteur, dans la matinée, avait rencontre un ami (Ferdinand Révillon, par la suite directeur des douanes sous la Commune), à l'an^-le de la rue de Douai et du boulevard extérieur. Il assistait à la retraîte des compagnies du 88= de marche, se dirigeant au hasard, avec des gardes nationaux mclang-és dans leurs rangs débandés.» C'est la Révo- lution qui passe I » lui dit Ferdinand Révillon, qui ajouta aussitôt : « Il faudrait à présent, tout de suite, un gouvernement à l'Hùtel-de- Ville. » Ce citoyen, très favorable au mouvement, avait un sens juste de la situation. Les chefs de la garde nationale n'eurent pas la même clair- voyance, puisqu'il n'y eut d'apparence de pouvoir à l'Héitel-de-Ville que vers minuit. Ce premier retard, cette incroyable indécision, furent les causes initiales de la défaite de l'insurrection, de l'impuissance inévi- table de la Commune.

La Révolution traînait, balbutiait, se localisait, permettait à Thiers d'exécuter son plan : elle se trouvait d'avance vaincue, comme les évé- nements l'ont démontré.

LE DlX-Hi:iT MAllS

529

laissées, se demandant si l'on n'allait pas rencontrer une résistance.

L'Hôtel-de-Ville était ouvert. Il est certain que si Jules Ferry eût connu plus tôt les projets doTliiers,et l'appro- bation que devait leur donner dans la soirée le Conseil des ministres, réuni chez M. Calmon, il eût convoqué les maires et les députés, établi ainsi un pouvoir issu de l'élec- tion, et constitué une sorte de gouvernement provisoire. Ce Comité de gouvernement, appuyé par les maires, prenant sur lui de résister aux ordres d'e-xécution, gardant les troupes dont il disposait dans Paris, eût tenu tête à l'insur- rection, empoché peut-être le Comité Central de prendre le lendemain le commandement. Ce gouvernement improvisé pouvait faire accepter par la garde nationale les proposi- tions transactionnelles des maires, c'est-à-dire les élections municipales prochaines et la nomination de Langlois comme commandant en chef. Le Comité Central eût pro- bablement traité volontiers avec cette autorité, ayant pour elle le prestige de l'élection régulière et la possession de faitde l'Hôtel-dc-Ville. La guerre civile pouvait donc encore être évitée dans la soirée du i8 mars. Les ordres d'évacua- tion donnés par Thiers et l'absence de toute autorité à l'Hôtel-de-Ville empêchèrent tout arrangement, et laissè- rent Paris à la merci de ce Comité Central, qu'on n'avait vu nulle part, au moins comme corps constitué, comme pou- voir organisé, durant la journée et la soirée du Dix-Huit mars.

Une vingtaine d'officiers et de membres du Comité Cen- tral s'étaient donc rendus, assez timidement, à l'Hôtel-de- Ville. Ils avaient pénétré lentement dans le palais vide et silencieux. Ils s'étaient réunis dans la salle des conféren- ces. Des sentinelles avaient été placées au dehors, avec la consigne de ne laisser pénétrer que les officiers supérieurs

34

53o HISTOIRE DE LA COMMUNS DE 187I

delà garde nationale et les membres du Comité Central. L'hésitation dominait cette réunion improvisée. On ne tenait pas une séance. On causait, on s'interrojo;-eait, on recueillait des renseignements, confus et contradictoires. On paraissait craindre toujours un retour offensif des troupes, une surprise. On ne savait que décider. Beaucoup éprou- vaient de l'embarras, presque de l'effroi, à ramasser le pouvoir qui était à terre, à prendre la place qui était vacante. Un des membres du Comité Central, Edouard Moreau, remplit, sans élection, sans objection non plus, les fonctions de président. Il proposa de rester à l'Hôtel-de- Ville. On ne pouvait abandonner ce poste, qu'on occupait sans résistance, sans qu'on pût prévoir une attaque, ou même une opposition. On ne le g-arderait que le temps nécessaire pour procéder à des élections municipales. Un cri unanime de : vive la Commune ! sortit alors de vingt poi - trines, et ce fut ainsi que le pouvoir nouveau fut installé, sans éclat, sans violence, sans apparat, sans discussion, comme un fait qu'on constate, comme le jour levant suc- cède à la nuit qui s'efface.

Ainsi fut pour la première fois acclamée la Commune de Paris, sous les voûtes vénérables de l'antique berceau des libertés municipales.

A ce moment, un mouvement se produisit dans l'édifice, et au milieu d'un brouhaha confus, dans la pièce précé- dant la salle, se discernaient des vivats, des cris de : « Vive Langlois! » Un personnag'e apparut, suivi de trois ou quatre citoyens, les députés Lockroy, Cournet, le jour- naliste Paschal Grousset. Le nouveau venu, gêné par le silence qui s'était établi à son entrée, froissé sans doute de ne pas se voir accueilli avec élan, de paraître un inconnu et comme un intrus dans cette réunion d'insurgés, se nomma sèchement :

LE DIX-BUIT MARS

53 I

Général Laog-lois, commandant supérieur de la garde nationale !

Qui vous a nommé ? demanda Edouard Moreau.

L'Assemblée Nationale.

Un sourd grognement s'éleva dans l'assistance. Un des membres, Assi, dit alors :

Reconnaissez-vous le Comité Central ?

Je suis nommé par le gouvernemeat.je ne vous recon- nais pas ! répondit avec plus de franchise véhémente que d'à-propos le nouveau général, redevenu l'impétueu-x Lan- glois qu'on connaissait. Et il se mit à gesticuler, devant les membres du Comité Central, impassibles.

Dites-nous ce que vous pensez du Comité Central?

reprit Edouard Moreau.

Je n'en pense rien, répondit Langlois avec sa fougue ordinaire. 11 ajouta aussitôt, avec volubilité : Je n'ai pas demandé à être général. Ce sont les maires et les députés de Paris qui m'ont désigné dans une pensée de concilia- tion, pour éviter l'efifusion du sang...

Puis, comme grisé par ses propres paroles, s'emballant selon son tempérament, il s'écria, avec une mimique qui semblait vouloir accélérer encore sa parole vive et devan- cer l'expression de sa pensée :

En admettant même qu'il se produise des événements heureu.x pour vous, le plus que vous pouvez espérer, c'est le succès ici, à Paris. La question est purement parisienne. Si vous ne reconnaissez pas le gouvernement de l'Assem- blée, vous avez donc la prétention d'être un gouvcrnemeat national? Alors c'est la guerre civile que vous faites en France. Vous ne pouvez pas avoir cette prétention, ou vous êtes des fous !

Sans entrer dans une discussion, l'un des membres,

lllSTOinE DE LA COMMUNE DK 187I

Assl OU Edouard Moreau, dit posément au lempôtueux général :

La Fédération de la Garde Nationale entend nommer elle-même son chef. Nous voulons faire des élections mu- nicipales et avoir des garanties contre les royalistes de l'Assemblée. Si vous êtes avec nous, soumettez-vous à l'é- lection populaire. Donnez votre démission, et nous vous nommerons !

Lockroy intervint alors, et dit que l'Assemblée ne recon- naîtrait pas un commandant en chef de la garde nationale nommé par un Comité, en dehors d'elle, par un comité d'insurrection. Celte déclaration n'était pas pour apaiser les esprits, ni concilier les choses. Langlois, déplus en plus échauffé, reprenant son caractère de « soupe au lait », comme on disait familièrement, quand on le voyait s'exal- ter, monter, écumer, s'écria brusquement;

Eh bien !... non!... je veux bien être nommé par le gouvernement, mais pas par vous!... d'ailleurs j'en ai déjà assez. C'est Méline qui m'a proposé, qui m'a forcé à accepter... je vais leur f... ma démission!... au revoir!...

Et le général d'une heure sortit en coup de vent, chavi- rant la porte, bousculant les amis qui voulaient le retenir, et montrant le poing, devant lui, à des adversaires invisi- bles. L'évasion d'un dénient.

Langlois se rendit, comme onl'a vu, àla réunion des mai- res au II'' arrondissement pour annoncer sa démission; ensuite il courut à l'Officiel, il trouva X. Feyrnct, rédac- teur du Temps, k qui il recommanda de surveiller la mise en pages du journal pour que sa nomination ne parût pas, puis il rentra se coucher chez lui, rue Mansard.Il était sept heures du matin.

Après le départ de Langlois, les membres du Comité présents, désireux de pourvoir au plus pressé, ratifièrent

533

LE DIX-BUIT MARS

la nomination, comme commandant de la garde naUonale. d'un intrigant, qui n'était alors qu'un alcoohque. et qui devint bien vite un traître, le lieutenant de va.sseau LulUer, qui se trouvait là. On décida de convoquer, 1-- le -de- Lin, tous les membres du Gom.té, à 1 Hôtel-de-ViUe

L'aube cependant se levait radieuse. Les brumes de la veille étaient dissipées. L'air lourd était devenu plus léger. Le tempsavaitcesséd'être orageux. Des rayons cla.rse roses doraient les hauts toits ardoisés du palais municipal, illu- miné comme pour une fôte. Et le Peuple, avec le Comité Central, sous un dais de soleil, faisait son entrée triom- phale à l'Hùtel-de-Ville.

du 1" volume de V Histoire de la Commune.

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

0nn, 5^ - Certaines personnes se vantèrent même denaooir passllffert .umançne'de Henrées pendant tonte la dure, da siège. ■■

La disette n'était pas absolue, comme le prouve un témoignage

Quatorze con-vurs. n ,;,• g avaient coutume de se

phie, au J---- ;2'L; „tr Tu r Xùrant Vachette, tenu par eXn.r'^^rTcIuTva'^d Poissonnière, au coin du faubour,

''°Cr reconnaissants dîneurs, carie restaurateur avait trouvé

r^i^=^^o:=:tït;^°^^pS~

î leur, lonnes digestions. En commémoration de ces

;ro"rt:'d':.:rv;;;lr dftLis cen.s francs, en l'honneur du res- ''"s"r\r£e de cette extraordinaire médaille, on lit :

PENDANT

U; SIÈGK DB PABIS

OUBLODES rERSONSKS AYAMT

FOIS AP.nÇUES qu'elles DINAIENT DANS

DBE VILLB DE DEUX MILLIONS

d'aMES ASSIÉGÉES.

1870-187 I

53fi

IIlbTOmE DE LA COMMU^E DE I S7 I

Au revers :

A M. Paul Brébakt

Ernest Rekan Cn. Edmond

P. DE Saint-Victor Thurot.

M. Herthelot t r^„,„

„,. „. .._ J. Bertrand

2"- ^"-^^ Marey

SCHERER F r.^ r'

-^ t.. DE (lONCOURT

^"T""- T„Éop,„LE Gautier

A. NeFFTZER _^_ HÉBRARD.

Pa,je iG3. C'était la méthode qui avait réussi à Benito J II are:...

Voici la letlre de Benilo Juarez, ancien président de la Répu- blique du Mexiijue, adressée à un de ses amis qui avait servi dans la lég-ion des Amis de la France.

D- , , , Cuernaveja, i8 décembre 1870.

cien cher don Joaquin,

Votre silence sur ma letlre. datée de Mexico, 8 décembre, me fait cramdre que, malgré le couvert diplomatique sous lequel elle vous était adressée, vous ne 1 avez pas reçue.

Peut-être n-aurez-vbus pas davantage reçu l'adresse du comité répu- blicain des Deux Mondes, que don Antonio Ortiz y Carvajal vous envoyait par le même courrier, avec prière de lui donner la plus grande publicité possible. '^ S'»"uc

Mais le « Phare de la Loire ... et, d après lui, d'autres feuilles de pro- vince I auront sans doute insérée. '

Celte adresse, dictée par la plus cordiale sympathie, et que j'ai tenu a honneur de signer 1 un des premiers, est, dans la pensée de ses auteurs, destinée non seulement à porter à liufortuné peuple français 1 e.xpression de nos vœux et de notre admiration, mais encore et surtout a ne laisser subsister dans son esprit aucun doute sur les sentiments traternels qui animeut tous les vrais Mexicains pour la noble nation envers_ laquelle la sainte cause de la liberté a tant d'obligations, et nue nous n avons jamais confondue avec l'infâme gouvernement bonapariiste w If- P^^^l^o.''.* '' "^st vrai, -comme nous croyons en être cerlains à Washington et ici, qu il existe un traité secret entre M. Bismarck et les IVapoleon, en vue d une restauration impérialiste, l'adresse en question n aura certainement pas trouvé grâce devant la police postale allemande, yuoi quil en soit, bien cher ami. et pour ne vous donner que l'ex- pression de mes sentiments personnels, auxquels, je le sais, correspon- dent ceux de notre monde politique, autant l'a défaite du brigand qui pendant cinq années a promené la mort et le pillage dans notre beau pays, m a cause de joie indicible, autant sa chute, digne de son éléva- tion, — tragique et grotesque à la fois, - ma transporté d'alleirresse, et comme républicain et comme Mexicain; autant la poursuite de la guerre par le roi de Prusse et les horreurs qui en sont la conséquence m atlligent au plus profond du cœur.

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 537

Kl nouruint. si on dclournc les veux dos scènes decarna?c et dedt-vas- lation, M on parvient à salVranchir de la douloureuse étreinte du pré- sent pour entrcvoirrt considérer l'avenir infini, on se dit que 1 effrovab e catac Ysme qui semble devoir engloutir la France est, au ç-onlraire, le signal de la résurrection. Car elle renaît à la çrande vie politique sans laquelle une nation, quelles que soient d'ailleurs ses aptitudes en littéra- ture, science et art, n'est jamais qu'un troupeau humain, parque soi dans une caserne, soit dans une sacristie, ces deux antres séculaires du despotisme, que mes amis et moi nous nous cfTorçons depuis quinze ans de démolir au Mexique. . . , r. »iu ,...,.

Eh! qui pourrait douter du triomphe final de la France, si elle ^eut, ou plutôt si elle sait vouloir triompher'/

Je dis si elle sait vouloir; car bien que les nouvelles qui nous par- viennent des provinces non envahies révèlent une énerçie.un patriotisme admirables et tout à fait à la hauteur des circonsUinces, je ne puis me défendre d'une sérieuse appréhension, quand je réfléchis aux qu.-ilites et aux défauts essentiels du soldat français, amoureux de la lutte en bataille rangée, son bouillant courage peut se développer tout a Taise et devant témoins, - mais peu fait pour la lutte de partisans la vraie giierre défensive, la seule efficace à bref délai, contre un envahis-

seur victorieux.

seur viciorieux. , , i i. .„„..

Certes eràce à la prodieieuse activité de ce peuple, à ses instincts belliqueux? encore surexcités par la honte de l'occupation étrangère, les Grandes armées de i5o à 200.000 hommes, formées a la hâte par 1 illustre citoyen Gambetta, peuvent, habilement conduites, écraser en deux ou trois batailles l'invasion germanique. , <. . .-, j„

Mais c'est une possibilité; ce n'est pas, tant s en faut, une certitude. Or dans la position ultra-critique est la France, on doit au salut public de rejeter tout moyen qui laisse une porte ouverte a lalca dune défaite, dont les conséquences peuvent être incalculables.

Si j'avais l'honneur de diriffer en ce moinenl les destinées de la France je ne m'y prendrais pas autrement que je n'ai ait dans notre chère patrie, de 1862 à 1867, pour avoir raison de I envahisseur

Pas de grandes masses de troupes, lentes à se mouvoir, diificiles a nourrir dans un pays ravagé, et trop accessibles au découragement après

""^Mais des corps de id, 20, So.ooo hommes au plus, se reliant entre eux par des colonnes volantes, pour se porter rapidement secours aii besoin; harcelant l'ennemi nuit et jour, tuant ses hommes, coupant et détruisant ses convois, ne lui laissant ni repos ni sommeil, m vivres, m munitions, l'épuisant en détail sur toute la surface du pays occupe, et le réduisant finalement à capituler, emprisonne dans sa conquête ou a sauver ses débris mutilés par une retraite précipitée.

Toute l'bistoirc de la délivrance du Mexique est là, vous le savez. Lt si le misérable Bazaino, digne serviteur d'un niis.rablc empereur, veut utiliser les loisirs que lui crée sa lâche trahison. ileslmieuxque personne à même d'édifier ses compatriotes sur l'invincibilité des gueriUas de

' ' Ma!r"une"autre question se dresse, terrible pour un pays centralisé comme la France : , , , .,,i„„„-o

Paris peut-il tenir jusqu'à ce qu'une armée de secours le débloque?

Et si Paris aflame', sinon pris de vive force, venait à succomber?...

538 HISTOmK DE LA COMMUNE DE 187I

Les journaux, les correspondances politiques reviennent sans cesse sur ce [loint, qui semble ilre le nœud gpordien de la question Iranco- germanique ; « Paris tiendra-t-il? n

Eh bien I admettons pour un instant que Paris subisse le sort de Sedan et de Metz : après? Est-ce que Paris est la France"/ En matière politique, oui, depuis quatre-vingts ans.

Mais aujourd'hui que les considérations militaires doivent primer sur toutes les autres, en quoi la cliute de Paris devrait-elle forcement entraî- ner celle de la France? Et quand bien même le roi de Prusse tiendrait sa cour dans ce palais des Tuileries encore tout imprégné de l'infection bonapartiste, en quoi cette fantasmagorie devrait-elle décourager les deux ou trois millions de citoyens armés d'un bout à l'autre du pays pour la défense du sol?

Maximilicn n'a-t-il pas trôné quatre ans h Mexico, ce qui ne l'a pas empêché d'expier son crime sur le Champ de Mars de yueretaro, tandis que la Souverameté du droit national rentrait triomphante dans la cité de Montezuma.

Pendant ces quatre années, alors que le seul pouvoir légitime errait, fugitif, du Rio-Grande au Sacramento, bien des patriotes éprouvés, bien des esprits fortement trempés contre l'adversité, en étaient venus à douter de l'cfticacité de nos elî'orts, à nier la délivrance future.

Quant à moi et c'est mon seul mérite aidé de quelques patriotes indomptables, tels que Porfirio Diaz , Escobedo , Alvarez Ortega, ma foi n'a jamais chancelé.

Parfois, quand, à la suite de revers accablants, entouré de défections, une morne tristesse s'emparait de mon àme, je me redressais aussitôt et me rappelant ce vers immortel du plus grand des poètes :

« Personne n'est tombé, tant qu'un seul est debout ! » plus que jamais je voulais la lutte, la lutte à outrance, sans pitié, sans merci, jusqu'à l'expulsion de l'intrus.

Dieu a cou ronne mes cfl'orts et ceux de tant de braves, dont beaucoup, hélas! ont payé de leur vie notre commune foi en la patrie et en la République.

Il en sera de même pour la France, j'en ai le précieux espoir. Sa cause, depuis la chute de Bonaparte, est celle de tous les peuples libres. Cette vérité est si bien comprise par les démocrates mexicains que si.x cents ex soldats de l'indépendance, de ceux-là mêmes qui. pendant cinq ans, ont soutenu le juste combat contre les bandes des Bazaine et des Dupin, doivent s'embarquer à Vera-Cruz pour New-York, d'où, armés et équipés à leurs frais, ils comptent aller rejoindre le corps du glorieux Garibaldi.

Et je le proclame avec fierté :

La légion mexicaine sera digne de comballre et de mourir à côté de l'armée française régénérée, pour la sainte cause de la République uni- verselle.

A vous de tout cœur,

Benito Jcarez.

OUVRAGES CITÉS DANS CE VOLUME

A la fin du dernier volume de celle Histoire, on trouvera un index bibliographique de Ions les ouvrages imprimés, sur la période de 1870-71. Voici la liste des ouvrages cités dans ce premier volume.

ARTBUR AiiNOULD. H istoirt Populuire et Parlementaire delà Commune de Paris. 3 vol. petit in-18. Bruxelles. Librairie socialiste de Henri Kistemaeckers, 1878. PHILIBERT AUDSBBAND. IHstoire Intime de la Révolution du 18 mars. Comité Central et Commune. In-18, Paris, Den- tu, éd., 1871. ytc DK BE*UMONT-VASST. Histoire authentique de la Commune de Paris en iSyi. Ses origines, son règne, ta chute. Garnier frères éd. ln-18, Paris, 1871. p. cATTELAiN. Mémoirts incdits d' Un chef de la sûreté sous la

Commune. In-18. Juven, éd., Paris. ARTHUH CHUOUKT. —La Guerre de 1870-71. Paris, Chailley éd.,

1875. GASTON DA COSTA. La Commune vécue, par Gaston Da Costa, condamne à mort par les conseils de guerre versaillais, 3 vol. in-18, Ancienne maison Quantin, éd., Paris, 1904. MAXiiiE DU CAMP. Les Convulsions de Paris, 3 vol. in-80,

Paris, 1878. Librairie Hachette. LÉo.NCE ntpo.NT. Souvenirs de Versailles pendant la Com- mune. In-18, Paris, Dentu, 1881. ALFRKu DLQUET. Paris . Le Bombardement de Duzenval.

Bibliothèque Charpentier. In-18, Paris, 1898. «HQLÉTE (commission d'). Enquètc Parlementaire sur l'Insur- rection du iS mars. Assemblée Xationale. 3^ vol. grand in 80, Paris. Librairie Gernier-Baillière, Paris, 1872.

540 IIISTOmE DE LA COMMUNE DE 1871

EDMOND DE GONcobAT. Jouriial des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire, série, le vol. 1870-71. In-18, Paris, Char- pentier, éd., 1890.

c'» d'hérisson. Nouveau Journal d'an Officier d'ordonnan- ce. — La Commune, in-18, Paris, Paul OllendorfV, éd., 1889.

Histoire de la Hévoliition du à septembre et de l' Insurrection du i8 mors (préface anonyme). Dépositions de M. Thiers de- vant les commissions d'enquête parlementaire du -i septem- bre et du 18 mars. Paris, in-18. Garnier frères, éd., 1873.

VINCENT d'indy. Hisloire du to3» bataillon de la Garde Nationale. Douniol, éd., Paris, 1872.

LissAGARAY. Histoire de la Commune de iSji . In-18, Paris, Dentu, éd., 1896.

Histoire de la Commune deiSji, grand, in-18.

Bruxelles, 1876. Librairie de Henry Kistemaeckers.

GABRIEL DKviLLt. Lb Capital, de Karl Marx, résumé et ac- compagné d'un aperçu sur le socialisme scienti/ique. Paris, in-18, Henry Oriol, éd.

G. DE MOLiNARi. Les Clubs Rour/es pendant le .Siège de Paris. 2* édition, iu-18, Garnier frères, éd., Paris, 1871.

LOUISE MICHEL. La Commune. Bibliothèque sociologique, in-18, Paris, P.-V. Stock, éd., 1898.

CATULLE MENDÈs. Lcs y3 journées de la Commune, du i8 mars au 2g mai iSyi. Paris, Lachaud, éd., in-18, 1871.

U.N OFFICIER SUPÉRIEUR DB l'aRMÉE DE VERSAILLES [lIEUTENANT-

coLONEL hennebert OU sarrepont]. Guerre des Commu- neux de Paris, iS mars-28 mai iSji . In-18, édition. Paris, Librairie Firmin-Didot, 1871.

AMBROisE RENDU. - Souvenirs de la Mobile. Didier, éd., Paris,

1872. EMPRONius [octave M06ERA et DÉCEMBRE ["?)]. Histoirc de la Commune de Paris en i8ji. In-18, Paris, Décembre-Alonnier, éd. 1871.

FRANCISQUE SARCEY. Lt Siège de Paris. Impressions et sou- venirs. Lachaud, éd., in-18, 14' édition, 1871, Paris.

BD.MOND viLLETAHD. Histoircde l'Internationale, in-18, Paris, Garnier frères, éd., 1872.

CHARLES YHiARTE. Lcs Prussiens à Paris et le iSmars.ln-So, Paris, 1871, Henri Pion, éd.

INDEX DES NOMS aTÉS

Ansart, 371-372.

Arnnuld (Arthur), 26, 102, 103.

111, ll'.t, 120, 121,124. Ainouroux, 261. Adam (Edmond), 371, 374,515. Appert (général), 37, 500. Ara"^o (Emmanuel), 45, 134,

13S, 147, 214. Achilli, 157. Audron de Kcrdrel, 180. Allon-Sliée (Comte d'), 186. Aumale (duc d), 193,314. AUain-Tai-Ké, 210, 211. Ant^cvin (Léon), 231. Alavoine, 248. Arnold (C.cû^^'es), 248, 299,

300,301,302.303,527. Audoynaud, 218. Aurelle de Paladines (sjénéral d') 277, 304, 305. 306, 308, 392,395. 431. 481,483,485, 486, 303, 504, 305, 509, 510, 518. Aulois, 351 . Avrial, 352. Allard (Félix), 352. Ansel. 352.

Assi, 3.30,3.57,531,532. Aubry, 382. Avronsart, 410,442. Aubert, 469. 470. Aubertin, 496.

Bismarck, 17, 04, 101, 139, 142 143, 14.1. 145, 146,149, 164; 165, 169,194, 196,203, 226 227, 228, 230, 250, 251, 252, 234, 259, 267, 288, 346,

Bouteiller (J. de), 27. Brelay, 27. Babeuf, 46.

Blanqui (Auguste),67, 109, dll, H7, 120,^21,135, 248,286, 322, 373, 376, 378. Berthaut (général), 9. Boisson, 102, 2.48. Brisson (Henri), 102. Bruys, 102. Brives, 102. Bernard (^farlin), 102. Bourneville (docteur), 102. Bayeu.x-Dumesnil, 102. Bertillou, 102. Bayet, 109. Bernard (adjudant-major), 123,

124. Briosne, 131. Bourbaki (Kcnéral). 139. Beaulort d'Ilautpoul (général),

142. Billot (général), 137. Brcmond d'Ars (général), 157. Beaupoil dcSaint-.Vulaire, 157. Bazaine, 68. Biïol, 351. Bouilet. 375. Bourdcille, 418. Benoist d'Azy, 174,177. Blanc (Louis), 178, 179, 180,

203,213, 268,270. Belcastel (Comte de), 180. Brofflie (duc de), 180. Bassano (duc de), 183. Barthélémy Saint-HiUire, 18 i,

200. Barante (Baron de), 206. Bamberger, 209, 210.

544

UISTOIIIK DE LA COMMUNE DE 187I

Buffet, 214.

Brunet (Jean), 149, 214.

Barberet, 233.

Bequet (Charles), 233.

Budaille (Tliéophore),240.

Bouil, 248.

Boursier, 248.

Barrond, 248.

Badols, 248.

Bergeret, 248, 527.

Baudin,296,337,349.

Bakounine, 331, 327, 332, 333,

364. Blanc, 328. Bellamy, 337. Bastien, 337. Bourdon, 342. Berlin, 352, 382. Barbedienne, 358. Bachrucli, 370. Babick, 380, 526. Bidet, 381.

Berteaux (M™^ Léon), 404. Bcugnol, 145, 446, 463, 400. Bréa (général), 448, 458, 521. Brunswick. 472. Bonvalet, 486,487, 515, 516. Berry (duchesse de), 185.

Crémieux, 39. Charlemagne, 13. Caracalla, 49. Chanzy (amènerai), 08, 135,139,

140, 198, 494, 517, 318,

519,320,522,523, 524,523,

526. Condé, 70. Carrey de Beileraare (eénéral),

76,80,81,89. Chuquet (.\rthur). 84. Cournet (Frédéric), 102, 111,

117, 188,327,330. Cipriani (Amilcare), 108, 109. Cresson, 110, 121. 126. Chaudey (Gustavij, 112, 113,

114,115, 116,117, 121, 124, 123, 127.

Cliataigniaud, 125.

Clinchanl (général), 132, 1,54- 133 136.

Challeniel-Lacour, 133.

Chevals, 1.35.

Couston, 137.

Coquet, 157.

Cassagnac (Paul de), 495.

Cramer, 326.

Crémieux (Gaston), 177, 203.

Carnet (Sadi), 178, 327.

Corbon, 96, 179.

Clemenceau (Georges), 108, 180, 291, 304, 305,313,401, 409, 410, 441,442,402,46.3, 400, 467, 468, 409, 495.

Cavaignac (Godef'roy), 189,430.

Conti, 209.

Courlv, 230,232.

Chauvière, 231,232.

Chalain, 232, 331, 332, 377.

Ghouteau, 248.

Cadaze, 248.

Castioni, 248.

Colomb, 2,33.

Cavaignac (général), 113.

Clément (J.-B.). 280, 442.

Changarnier, 318.

Camelinat, 327, 337, 358.

Chemalé, 337.

Charbonneau, 342, 381.

Combault, 342, 330, 331, 332.

Caulet de Tayac, 347.

Casse (Germain), 343, 349, 350, .352.

Chaumelte, 351.

Carie, 352.

Collot, 352.

Clamens, 380.

Chambon, 400.

Claude, 453.

Chevalier (Arthur), 400, 461, 470.

INDEX DKS MOUS CITbS

bli'j

Calraon, 502, :M, MO. Callclio, 453-4i)l.

Danton. H, 130, 188. nelescluzc (Charles). 1 1 , 26, M, ti7, 103, 111, 116, in, 134, ^* i8- 302 Do''rian, 23, 103, U7, 487. Dfsinaiels, 27, 38, 373.374. Diilauie, 3i, 103, 283, 285, 286,

393, 485, 503, .505. Diipral (Pascal), 34, 39, 464. Ua Costa (Gaslou), 41. 123,

455, 460. 491,492. Du Camp (Maxime), 73.^ Ducrot (sfénéral), 7(1, 78, 80,

Sl,92, 99, 100, 201,520. Uuquct (Alfred), 80, 81, 84,

123, 124, 127. Duché, 102. Drugé, 102.

Dargcnlollo (içénéral), lîli. 128. Ueutz (Simi)Q), 183. DcvÏQck, 180. Dupanloup, 205. Du IJisson (Raoul), 233, 235. David, 248. Dutil, 248. Dupont, 237.

Degouve-Dciuincques, 304. Duvernois (Clément), 73. Destutl dcTracy, 182. Dumont, 237. Devillc (Gabriel), 326. Dardelle, 409. Duval, 120, 314,352, 433, 320

526,527. Duguéret. 315. Danlier, 337. Delahaye, 337 . Dclormc, 337. Delesvaux, 337. Ducasse, 348. Delacour, 332 . Durand, 352.

Derwcntwater (Lord[,334. Daru (comte), 370, 373. Dcrroia(Kéoéral), 389,311,312,

513,514,515. DiiFour, 4tl4. Dcreui-e 142. Dulil (Alexandre), 457. Douville de Maillefeu. 457. Daudel (içénéral), 490. Demay, 522.

Edouard (roi), 145. Esquiros (Alphonse), i'iT . Elisabetli de Hongrie, 408.

Favre (Jules), 10, 22, 77, 94, 95, 99, 118, 137, 138, 141, 142, 143, 144,143, 146,147, 148, 149, 131,132, 153,155, 158, 164, 163, 166, 174, 173, 193,193,196,197,201,204, 220, 228, 264, 286,335, 329, 327,333,369,371,374,393, 487, 488-489, 490, 503, 504, 503. Ferry, 27.

Ferry (Jules), 27, 34, 94, 93, 113 121, 127,128, 129,134, 147.297,371,374,490,491. 492 493, 494, 493. 496, 303 306, 507, 508,508,309,510, 312,314,315,516, 327. Flourens (Gustave), 07, 108, 109,119, 120,135,248,28(1, 464. Frédéric-Charles, 68. Frcycinet (de\ 68, 494, 318. Fournès (général), 78. Frachebout, 102. Floqucl (Ch.irlcs), 102, 114. Fontaine, 123. 331. Faidhcrbe (général), 139, 318. Faron (général), 257, 269, 320,

433. 435. Freydier, 233.

5/|0

mSTOIRB DE LA COMMUNE UE 187I

Frontier, 2-48.

Fleury, 218.

Fribourg, 327, 350.

Fournaise, 337, 352.

Franquin, 352.

Flahaul, 322.

Favre (François), 372,373.

Frankel, 375, 376, 378, 379,

380, 382, 383. Franck, 411,415,441,447,455. Fleuriot de l'Angle, Ferry (Charles), 400. Filippi, 513. Feyrnet (X.), 532. Ferré (Th.), 410, 442.

Garibaldi.lS, 158,174,176,177,

180-518. Grousset (Paschal), 26, 370,

527-530. Glais-Bizoin, 27. Guesde (Jules) 325. Gourlaouen, 124. Guibert, 52. Gambetta.CS, 07,1.3.5, li0,lM,

1.53,161,162, 164, iC^j, 169,

173, 179,180,194, 337, 494,

518, 519, 524. Guillaume (emi)ereur), 82, 112,

252-254. Garnier-Pacrès, 95, 147, 327. Galincau, 102. Gorincourt, 157. Grévy (Jules), 178, 193, 206. Gladstone, 483. Gérard (Maréchal), 185. Guizot, 185. Girod-Pouzzol, 207. Gritz, 248. Guéroult, 281. Glaser, 316. Gérardin, .337. Gaulier, 337. Guyard, 337. Granjon, 342.

Girode, 352. Got, 315.

Goullé, 375, 378, 380, 382. Garcin, 415, 442, 455. Gill (André), 453. Garibaldi (MenoltiJ, 401. Guyon (docleur), 463. Giot, 352.

Haussmann (baron). 33. Hamelincourt (capitaine d'), 37. Hérisson (comte d'), 142, 254,

255-460. Herzog (Hans), 135. Hénon, 162. Henri V, 179. Hugo (Victor), 57, 179, 180,

204,210,211,212. Henry, 312,313,314.435. Héligon, 327, 337, ^'".2. Havin (Léonore), 327. Hurabert (Alphonse), 342. Hamet, 382,

Hugo (Charles), 431, 464. Henrion (général), 433. 435. Herpin-Lacroix, 461, 407, 471. Hérisson, 487. Hendlé, 487, 488. Herbinger, 495.

Indy (Vincent d'), S41.

Joly (Maurice), 34.

Javal (Léopold), 178.

Jomini, 1S7.

.loinville (prince de), 195.

Juarez (Beiiito), 201, 536, 538.

Jaclard, 343.

Jeanne d'Arc, 51, 401.

Johannard, 352.

Jeanne Hachette, 408.

Kératry, 134.

Keller, 214, 217, 218.

Kamecké (général von), 253.

1NI>KX DBS NOMS CITES

5/j7

Kwasniewski (Gustave), 360. Kadanski, 470.

LeFlù(çénc.al),9i,09,li7,193, 275, 388, 393, 4:27, 428,4^9, .440,485, 499, 502, 503, 509, 510. Lcvasseur, 100. Ledru-Rollin, 102. Letebvre-Roncier, 102, 111,

417. Lefèvre, 102. Lafontaine, 102. Lechasseur, 102. Lamarque(Alfrein, 102. Levraud (Edmond), 102, 111,

280. I.eclanché, 102. l.ouis XVI, 13, 473, 521. Louis-Philippe, 14, 22, 40, 58, 183, 180. 189, 249, 290,482. Lel'èvre (Ernest), 27. Lockroy (Edouard), 34, 527,

530, 532. Laferrière (Edouard), 34.

L (Félix), 37.

Lissasraray, 41.

Louis VI le Gi'os, 49.

Le Coq (Robert), 57.

Larond, 102.

Leiçsçe (Comte de), 111, 121,

123, 124. Lafçrançe, 122. Lor^eril (Vicomte de), 180. LafKtle (Jacques), 184. 208. Lelranc (Victor), 178, 190,

200, 208. Lecomte (i-éncral), 191, 240, as9 390,391, 393,308,399, 409, 410, 412, 413, 414,415, 410 417, 418,419,420,425, 4:H 433, 440, .141,442, 417, 449 454, 45(), 457, 40l,4r>3, 404, .160,407, 471,472, 188, 301,511, 510.

Larcy (de), 193, 393, 483. Lambrec, 193, 292, 393, 485. Lyons (Lord). Lanfflois. 210, 294. 306, .308,

309, 313, 487, 505, 500,510,

527,529,530, 531, 532. LaPommeraye (Henri de), 230. Lalanpy, 233. Lambquin, 240. La sarde, 248. Larrocque, 248. Lavalette, 248. Lafayclte (<};énéral), 306. Limou.sin, 327. Lou^uet (Charles), 331, 347. Loriot de Rouvray, 337. Leblanc, 3.52. Landcck, 352. Rouveyrol, 377. Lcvy(Armand), 377. Levier (Mm» veuve), 400. Le Stimuff, 124.

Laine, 182.

LitolT, 315.

Lan-^evin, 342, 352.

Lefrançais, 3-47.

Lachaud (JL), 351.

Lente, 351.

Laurier (Clément), 331 .

Lucas, 370.

Lacord, 377, 380.

Lulliei-, 501, 533.

La Mariouse (général), 432, 433, 435.

Lespion, 433, 433, 430.

Le -Moussu, 410, 442.

Lannes de Monlebeilo, 4.57.

Leduc, 457.

Lagrau^e, 122, 471.

Lawœstine (général de). 482.

Labiche (Emile), .505,310,517, 527.

Lebœuf(E;énéral), 103,518. ^

Lansfourian (général), 322, .525, 520.

548

HISTOinE DE I.A COMMUNE DE 187I

Marat, 11,272.

Rleillel (Léo). 26, H (i, 520,

523,523,524,525. Marniotinii, 27. Mural, 27. 327, 337, 352. Méline, 27, 30, 31, 35,

532. Marcel (Etienne), M>, 51. Mollke(de), M, 142, li:!, Millit-re, 07,180,200, 214,

488. Malhc, 102. Massol, 102. Maillard, 102, 473. Marras, 102. Mercier, 102. Molioari (G. de), 107, 108,

131, 133. Michel (Louise), MO, 115,

122,401,402, 403, .104,

400, 407, 408, 400, 410, Malon (Benoît), 120, 121,

327, 342, 352, 372. Mapnin, 13S, 147. Manteulfel (général), 1.55, Mac-Malion (maréchal),

10!, :';i, s-;:;.

Misnet, 184, 187. Manuel, 184. Mortier (niaréclial), 185. Mole, 185.

Metternich (de), 204. Masson, 231, 248. Maljournal, 2-48. Malte, 248.

Moriu (Kdmond), 310. Marx (Karl), 325, 330, 327,332, .333. 350, 364, Moilin (Tony), 342. Mensfold, 352. Malezieux, 352. Massy (de), 371. .Marilon, 404. Malalo (Charles), 404. Mayer (Simon), 417, 440,

521,

487,

i;4.

4.S7,

130,

121, 405,

180,

156. 178,

326, 381.

441,

442, 443, 445, 447, 448, 449,

466, 467, 468, 470. Mendcs (("alullel, 438. Moreau, 410, 442, 530. 531,

532. Meyer, 449, 450, 470. Maradaine. 457. Monnier (Henri), 189. Morny (duc de), 330. Maud'huy (îjénéral), 433, 435. Marin (Léon), 457. Moreau (aide de camp). Mahias (Jules), 490.

Napoléon (prince), 336. Napoléon lor, lii2, 185, 187,

1!K), 237, 2.;3, 319. Napoléon II!, 15. 20, 24, 5s,

61, 63, 139, 164, 179, 18.).

20», 295,334,336,346, 39 i.

404. Nasl, 27.

Nigra (chevalier), 204. Noro, 375.

Oslyn, 248. Oudet, 522. Okounine, 204. Oliive (Alfred). 284. Ossude, :î05, 373. 374. Ollivier (Kmile), 329, 327, 336,

353. OfFenhach (Jacques), 342.

Pyal (Féli.x), 26, 07, 117, 134,

488. Parenl (Ulysse), 27. Peyrouton"(Al)el), 34,102,347. Peyroulon (Déniosthène), 34. Picard (lOrnest), 95, 147, 193,

286, 297, 371, 37f, 393,481,

482. .483, 484,48.5,503, 504,

505, 512, 513, 514. Pellelan (Eua;ène), 134, 135. Pelletier, 137.

IKD«X DES NOUS

CITtS

549

Fallu (le La Barrière (général),

Penlioi l (amiral), loi.

IMolon, \->T-

Pin (William), iS:5.

l'alnicrsloii (l.oid), 18:t.

I'iou.lhon(P.-J.).H*.18^'-^-''

:î2'J, 332. Poiiyer - Qucrticr , 103, 393,

4sr>.

Piconcl, 248. Poiichain, 248. Perraclion, 327, 337. Pindy, 352, Ml. Passcdouet. 3.Ï2. Pau;nerie, 352. Pellctan (EuRcnel, 353. l'alurcl (général), 38'.), 3jI,

418, m, 125, 435. Poussars^ues (commandant) , 398,411.412,413,415,441, 417, 4i;!).

Pi^er, 415, 4G1, 470.

Poncin, 470.

Poyrat, 487.

Pil'lol, 522.

Pothuau (amiral), 193, 393, 4.?b,

485, 503. Ouinel(Edgar), 179, 180, 208.

lAaiir. (Arlliiir.. 27, 31, 495.

Hoiii^cl de l'Isle, 77.

Kendu (.\mbroise), 183.

Rochat (Edmond), 102.

Rousseau, 102.

Radoux, 102.

Razoua (Euu'i-nc), 102, 11.»,

lie, 117. 118,120. Révillon(Tony), 102,112, 113,

1 15. Rocliebrunc (colonel), 109. Kegnard, 343. Rousselle (Andréh 351. Robert (géncraO, 157.

Rose, 157. ^ mt

Rousseau (Jean-Jacques), t8J. Roluspierre, 184. Kochelort (Henri), 20o, 210,

277, 352. Rattier. 233. Ramel, 248.

Roger (Du Nord), 308 313. Ri-ault (Raoul), 316, 317, 343.

35;î. 520. Richard, 331. Rouiieu, 341. Rocher, 352. Robin, 352. Rover, 352. Ribomont, 470. Riboi, 495. Richard (Jules), 501. Rescre, 522. Rcvillon (Kcrdin.ind), 528.

Simon (Jules), 16, 27, 77, 95, 100, 104, 169, ns, 180, 193, 194,329,353,393,404, 48a, 503. 505, 528. Schneider (Louis). 82. Sehmitz, 89, 92, 142.

Sarccy (Francisque), 93, »■«, 127, 117, 148.

Sellier, 102.

Savage, 102.

Sapia, 120, 125.

Serizier. 120, 127.

Senipronius. 134.

Sclioecher (Victor), 179.

Saint-Just, 184. _

Soult (niaréch.al), 18a, 1S7.

Solair, 231.

Saint-Arnaud, 249.

SliMkespeare, 2ti4.

Scluvil/. (Adhéiiiar), 3.J3.

SalM>urdy. 352.

Serailler, 579.

Susbiellc (général), :!89, 418, 420, 4ia, 425, 435.

55o

HISTOIRE DE LA COMMUNE Dit 187I

Scribe (veuve), 396. Sainl-James, 422. Siinond (Victor), 4Gi. Secondignc (Achille de), 4Gi. Siniond (Valcntiu), iOi. Scliciner, 410. Sivry (Cliarles de), 404- St-Germain, 315.

Thicrs, 21,22, 31, 89, 170,178, 180, 181, 182, 184, 185, 180, 190, 191, 193, 195, 190, 203, 204, 205,200, 218, 220,227, 229, 250, 251, ï52, 259,260, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 268, 270, 271,272,273, 274, 275, 276,277, 279, 281,284, 286, 288, 289, 290, 291,293, 294,295,303, 306,309,311, 315, 316, 317,318, 319, 320, 321, 353, 365, 366, 307,369, 384, 386, 388, 393, 397,427, 429, 430, 431, 432, 434,436, 437,438, 439, 400, 475, 478, 480, 484, 485, 480, 488, 490, 491, 494, 490, 497, 498,499, 500, .501, 502, 503, 504.

Trochu, 22, 67, 68, 70,71,72, 74,75, 76, 78, 79, 80, 81, 82, 90, 92, 93, 94, 95, 90, 97, 99, 100, 101, 106, 119, 141, 147, 201, 254,291,450, 497.

Tirard, 27, 30, 31,35, 487,489, 515, 516, 517.

Thomas (Clcment),75, 109,110, 191, 240,440, 4.50, 451, -1.52, 453,454,455,456, 4.57,461, 402,403,465, 466, 471,472, 488, 501,511, 516.

Tisserandeaii, 102.

Turpin, 102, 307, 401, 409, 410.

Tamisier, 75.

Tridon (Gustave), 108, 125.

Thicrs (M""), 189.

Tolain, 20li, 270, 324, 327, 329,

331,337, 340, 359, 487. Tessicr, 248.

Théroignc de Mcricourt, 256. Torquemada, 272. Theisz, 3.52, 378. Theresa, 353.

Trétaigne (.M"" Michel de), 404. Thérèse (sainte), 408. Tirard, 27, 30. Turquet (Edmond), 517, 520,

522, 523, 525.

Victor-EmmaDuel, 18.

Vallès (Jules), 20, 34, 280, 453.

Vcrmorel, 20.

Vaillant, 20.

Vuitry, 36.

Vinoy (général), 33, 70, 78, 80, 99, 100,105, 110, 119, 134, 141, 142, 2.50, 280, 281, 295, 31-4, 316, 320,380, 388, 389, 394, 416,418, 420, 422,423, 424, 425, 426, 427, 428, 42!), 430, 431, 433, -479,480, 490, 499, .503,504, 509,510, 511, 512, 313, 514, 520.

Valentin (général), 78, 110, 388, 394, 508,509, 510, 511, 314.

Vacherot, 49.

Varlet (Henri Place), 108.

Vabre, 121, 123,124, 125,127' 129, 436, 506, 508.

Vcrgniaud, 130.

Valdan (général de), 142.

Vauvenargues, 183, 188.

Varro)', 200.

Varenne, 233.

Vesin, 233.

Vicenzini, 240.

Vauvert (Maxime), 310.

Verlaine (Paul), 310.

INDEX DES NOMS CITÉS ^'"

Varlin, 327, 3.i2. 352, 339, Vautrain 486, 487.

„_j. o-ji; 3j<Q '^82 \ an'niol, /oo.

Vassai,'397, 398,' io I ,' 1 1 0. il 1 , ^^^^JJ'^^^j;;' * •*^-

vlîif' inl WoUV (général), 433.

v'incènt'de Paul (sain,), 27=i. Windischgrac.z ( maréchal ) ,

VerdaKuer,414,471. '♦^9- Vacherot, 213, 486, 487.

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

I LE l'HOLOGUE DU DIX-HUIT MAKS

66 II . l'agonie de paris

,„ _ l'émeute DU 22 JANVIKK J"

,V la CAPITULiTlON

V. l'assemblée de bordeaux

VI FIN DE LA r.UKRRE ÉTRANGÈRE .

Vil. FÉDÉRATION DE LA GARDE NATIONALE. Vni. LE PLAN DE M. THIERS

,x l'internationale

X . LA BUTTE MONTMARTRE

XI LA FUITt DU GOUVERNEMENT.. ..

160

193 221 262 322 385 476

ACHEVÉ DIMPRIMER le huit m«i œil ■>«»' ""' """^

PAH

BLAIS ET ROY

A POITIERS

pojr le MERCVRE

FRANCE

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