.TM: 00^ff. HISTOIRE DE L'AGRICULTURE DES GAULOIS. VAntê, — ÏMPR1MEW[£ DE J.-(i. Ï)E«TU, HISTOIRE DE L'AGRICULTURE DES GAULOIS 9 DEPUIS LEUR ORIGINE JUSQU'A JULES-CÉSAR, COWSIDÉRÉE DAMS SES RAPPORTS AVEC LES LOIS, LES CULTES, LES MŒURS ET I.ES USAGES; CONTiiMABT, IH OQVRE '. I« l'histoire CHR0H0L0GIQ€E de LET3RS GRAMDE8 ^MIORATIOHS, DE LEURS CONQUÊTES, DB LEURS COLONISATIONS Bit EUROPE ET EK ASIE, ET DE LEURS EXPLOITS MILITAIRES; 2° DES FAITS IMPORTAKS, LA PLUPART INEDITS OU MÉCONNUS, ET QUI SE RAPPORTENT A L*HISTOIRE GÉNÉRALE DES GRECS, DES nOMAlNS, BT DES GRANDS PEUPLES DE l'bUROPE OU DB l'aSIE MINEURE. PAR J.Bi ROUGZER, B»" BE J.A BERGERIE, t-ttClMV FIViFST, IWerobre d« l'iDStitut de Franco, de la l^gion-d'Honneur, des (icorgiphiles de Flo- rence, de Pluslitul de Bologne, dei Académies de Dijon, Troyes, Lyon, Rouen, Bourg, Caen, Autun, de Châlon»-sur-Mame, de Cambrai, Bluutauban; fondateur dn Lycëe de l'Yonne; ancien membre des Comil«is d'agriculture et do commerce de l'Assemblée législative, du Conseil d'agriculture et des arts du ministère do l'inté- rieur; «uipur de plusieurs ouvrages sur l'économie rurale et politique, et d'un Cours fumplât d'agrUu/ture pratique, de 1819 a i824' A PARIS, CHEZ J. G. DEI^TU, IMPHiMEUR-LlBRAlRE, RUF. DU COLOMBIER , N^ 21 ; BT PAIiAil-AOTAL, GlLBAIE D'ORL:dAMS, 11° k3. M BOCC XXX2U HISTOIRE DE L AGRICULTURE DES CxAULOIS. DISCOURS PRÉLIMINAIRE SUR l'ancien empire des gaules. Il règne en France, dans l'opinion, parmi les lettrés et parmi les historiens les plus renommés, une telle défaveur ou prévention contre les Gaulois, qu'aujourd'hui les pre- miers écrivains n'osent pas même nommer ou aborder les siècles de gloire et de célé- brité des antiques Gaulois, nos plus légitimes aïeux. Ayant formé le dessein , depuis longues années, d'écrire l'histoire de l'agriculture. * • ^ (2 ) : de laquelle les savans et le gouvernement n'ont jamais daigné s'occuper, j'ai dû néces- sairement faire bien des recherches, afin de connaître et de me fixer sur des origines his- toriques. Il m'a fallu remonter aux siècles les plus reculés ; et plus je me suis porté aux berceaux des anciens peuples civilisés, plus j'ai découvert de traces effectives, ou de preuves de l'antiquité des Gaulois et de leur puissance. Etonné du silence commun des écrivains, et de celui même de tant de compilateurs, qui ne demandent que des matériaux neufs et un titre ambitieux pour en faire valoir le débit, j'ai voulu, en i8i5, sonder l'opinion sur les faits et gestes des Gaulois. J'ai donc publié une Notice raisonnée, qui établissait d'une inanière positive, i" leur antiquité, leur re- nom et leurs conquêtes; 2" la philosophie et les sciences des druides, leurs prêtres; 3° le système de l'éducation de la jeunesse; 4° le culte et la morale des peuples ; 5° leur ré* (3) gime diététique ; 6° j'ai offert des considéra- tions historiques sur les climats et les excès de température ; j'ai rappelé les mœurs, les usages et l'industrie qui se rapportent le plus à l'histoire de l'agriculture ; j'ai conduit cette Notice, enfin, jusqu'à la conquête de toutes les Gaules par Jules-César. Je devais m'attendre, en citant constam- ment des autorités respectables , que des savans, amis de leur patrie, chercheraient eux-mêmes à ramener Topinion égarée , sur l'existence civile, politique et religieuse des Gaulois, ou que d'autres, s'attachant à con- tredire les textes cités, déclareraient de nou- veau les Gaulois barbares, sauvages, inhu- mains, etc. ; mais nul parmi les savans, nul tlans cette Académie où l'on place le sanc- tuaire de l'histoire, n'a daigné les avouer ni les contredire. S'il eût été question d'un mé- moire en concours, dans lequel le style et la phrase, chargés de fleurs et de figures, 'doivent être tenus, de règle, à une haute«r (4) inaccessible au vulgaire, j'aurais pu croire que la simplicité du mien n'était digne d'oc- cuper ni les uns ni les autres; mais, dans ce premier essai, je n'avais mis, et à dessein, que des faits patens, tous forlifie's par d'ho- norables te'moignages, et je m'étais imposé de n'en tirer que les conséquences les plus naturelles. Après avoir mis à contribution les ouvra- ges et les aveux des philosophes les plus célèbres de l'antiquité , je suis descendu, avec les mêmes dispositions, dans les âges modernes; et dans cet ordre, je comprends les Romains, qui ont été les ennemis et les vainqueurs des Gaulois : c'est chez eux, pourtant, que j'ai trouvé les témoignages les plus glorieux et les plus avérés. Mais lorsque j'ai voulu me prévaloir des livres d'histoire sur la France, à commencer par celui de Robert Gaguin, qui le pre- mier a profité de l'invention de l'imprimerie, j'ai reconnu très-positivement la cause pre- , C 5 ) mière du dédain et du inépris des écrivains, des historiens et des historiographes envers les Gaulois. Serviles flatteurs en général, ils se sont imaginés que ce serait avilir le trône de France, que de l'appuyer sur les vieilles dynasties des Gaulois ; comme si un Civilis, un Vercingentorix , qui a lutté avec tant de gloire, de courage et d'héroïsme contre le grand Jules-César, n'étaient pas aussi no- bles qu'un Chilpéric, un Pépin ou un Capet. Je n'ai trouvé, et je le déclare à la honte de la France littéraire, que le seul historien Pasquier, qui ait pris et donné une juste idée des Gaulois, qu'il nomme aussi nos légitimes aïeux. Je me suis attaché à lui, comme le voyageur dans un désert s'attache à son guide. Il m'est donc bien permis de mi- tonner que le témoignage direct du vertueux Pasquier n'ait pu avant moi ébranler les his- toriens en titre, dans leurs injustes préven- tions contre les Gaulois. Digne historien, digne Français, Pasquier a lui-même fort (6) honoré le trône des Bourbons ; mais il n a pas cru leur faire injure en rattachant les rois ou princes gaulois, aux Mérovce, aux Charles-Martel et Robert-le-Fort. Il a payé un juste tribut d'estime aux grands écrivains de Rome, mais il n'a point hésité pour si- gnaler la partialité de Tite-Live, ainsi que Plutarque avait signalé celle d'Hérodote. Je regarde donc Pasquier comme le plus fort et le plus légitime appui de mon travail sur les anciens Gaulois. Jules-César seul en a démontré la grandeur et l'antique puissance ; c'est lui , sans doute , qui a éclairé l'opinion de Pasquier, car c'est dans les Commentaires que j'ai puisé moi-même les notions et les faits sur lesquels j'ai fondé la mienne, non seulement en ce qui concerne la gloire et le renom des Gaulois, mais encore l'histoire géniale de leur agriculture, de leur indus- trie, de leur culte et de leurs mœurs. En voyant l'indifférence obstinée des écri- vains pour tout ce qui se rapporte aux Gau- ( 7 ) les, on se demande si ceux qui, en fait d'his- toire, donnent le ton à l'opinion, ont bien réellement lu les Commentaires de César sur les Gaules ; car c'est une mine riche pour un historien; le titre même, quant à sa valeur intrinsèque, n'a pas besoin des épreuves de l'art pour être mis en circulation. Xénophon s'est annoncé comme un his- torien de premier ordre, et l'opinion a été juste envers luij Tacite lui-même a pris un tel soin de son style, de l'ordre de son plan et du choix de ses matériaux, qu'on sent qu'il travaillait pour être un jour cité dans la postérité. Mais Jules-César, sous ce rapport, est absolument sans prétention ; il dit les faits dans leur ordre naturel ; il en néglige les ornemens, et il déclare lui-même, avec une véritable modestie , qu'il n'a écrit que pour laisser des matériaux à Thistoire. Mais si, comme Virgile , peu content de cet ouvrage à son premier jet, César eut ordonné de le brûler après sa mort, Auguste n'eût pas ( 8 ) manque de dire des Commentaires ce qu'il a si noblement dit de VEnéide, Cicéron, et Tacite, au surplus, ont regardé ses Commen- taires comme un chef-d'œuvre d'histoire écrite ; ce serait encore un sacrilège, que de les fondre en style acade'mique. Pour mieux démontrer l'injustice des siè- cles littéraires de la France envers les Gau- lois, arrêtons-nous un instant sur l'ordre et la catégorie des choses qui occupent le plus les académies; tout s'y rapporte à l'antiquité etaux gestes des peuples étrangers, lointains, et même fabvdeux. On y sait les noms des rois, des reines, et même des eunuques de la Perse , de l'Egypte et de la Chine ; on en cite les moindres évènemens et les chroni- ques de cours; on y fait, et toujours avec un nouveau plaisir, les descriptions des monu- mens, et préférablement celles des villes dont les traces sont perdues ; on y explique, avec une ostentation toute orientale, et une assurance presque risible, les hiéroglyphes (9) et les interprétations des êtres allégoriques ou mystérieux ; oo y détermine les espèces de matériaux des temples et des palais ; on nomme les carrières d'où ils ont été tirés ; on ne néglige pas même les généalogies des princes , et les évènemens survenus dans Tordre des successions, que les glaives ou les poisons ont si souvent déterminées. Les investigations sur les pays étrangers, sont devenues chez nous une sorte d'orgueil qu'on a pris pour du génie, et auxquelles on a préposé une académie. Troie s'est effacée jusque dans ses derniers vestiges; l'Alphée, FEurotas, le Scamandre se sont perdus ; et de nos jours, on a vu des savans, des amateurs mêmes, partir pour la Troade, afin d'y découvrir les sites de villes, de fleuves, et de tombeaux effacés ou anéantis. A tous ces investigateurs a succédé l'abbé Kirthélemi, qui est devenu, académiquement parlant, le législateur classique de la Grèce antique. ( 10 ) A la fin du dernier siècle, et sous la ré- publique française, une armée d'élite, sortie des mêmes lieux que celle des Gaulois qui ont conquis la Grèce et une partie de l'Asie et de l'Afrique, a fait une invasion brillante et heureuse en Egypte ; les tyrans des mers en ont frémi dans leurs comptoirs, et les despotes dans leurs mosquées; les mânes de Pitt se sont alors agitées au milieu des tom- beaux de W^estminster. Il y a eu des batailles dignes des plus grand héros et des plus belles armées, mais elles n'ont valu à la France que des tableaux de galeries ; il ne s'est pas élevé un seul chantre national, tant cette pauvre patrie, comme dit Pasquier, est refoulée dans le tombeau dioubliance. Un membre de l'institut du Caire, mem- bre aujourd'hui de l'Académie des sciences, et qui, à ce titre, comme MM. Cuvier et de Laplace, est devenu, par a*bus, membre de l'Académie française, a fait, pour l'histoire de cette expédition, un fastueux et brillant ( II ) résumé des rois et des conquérans de l'an- tique Egypte, et des plus anciens peuples qui y ont pénétré; mais il n'a fait aucune mention des Gaulois ou Celtes, dont le nom a fait le tour du monde, et qui, sous celui de Francs, retentit encore dans tout l'Orient. Dans son grand élan vers l'érudition, l'his- torien de l'expédition d'Egypte n'a point manqué de rappeler tous les rois et les peu- ples étrangers qui avaient foulé le sol de Memphis et du Delta ; il a fait cet honneur aux Goths, auxWisigoths et aux peuples sau- vages qui habitaient les contrées voisines de la mer Caspienne et de la mer Noire ; il n'a point oublié les Macédoniens, que les Gau- lois avaient vaincus 278 avant J-C. ; il a cité avec admiration les Romains, mais il a gardé le silence sur les victoires, sur les villes et les royaumes que les Gaulois avaient fondes en Asie et en Italie. Il s'est arrêté avec une com- plaisance remarquable sur les victoires et le^ (12) conquêtes d'Alexandre, auquel il suppose, comme tant d'autres, des vues généreuses de civilisation, par le commerce et par les sciences; il lui attribue la gloire d'avoir pour ainsi dire deviné l'Océan indien, comme si Homère n'en eût jamais parlé; Alexandre, enfin, selon le narrateur académicien, fidèle écho des Sainte-Croix, n'a fait que du bien au monde, et, de son plein pouvoir, il lui décerne de nouveau le titre de Grand, L'auteur n'a point oublié les croisades, desquelles il fait dériver, comme M. Michaud son digne confrère, l'agrandissement du com- merce pour la France, la chute du gouver- nement féodal, la liberté civile, et même jusqu'aux progrès de Tagriculture ! ! D'après ce discours tout académique, il semble en vérité que les Gaules ne soient plus dans Fhistoire qu'un empire inpartibus, et que les Gaulois n'ont jamais été que des sauvages féroces, comme les Paphlagoniens. Si M. Fourrier n'avait eu pour but que de ^ ( i3 ) transmettre à l'histoire l'expédition d'Egypte, on ne serait pas étonné de son silence sur les grands cvènemens de cette terre clas- sique des sciences et des arts; mais il a voulu etjcore enrichir son discours des trésors de rérudilion ; il y a fait comparaître les rois et les peuples qui, selon lui, ont été les plus fameux : il a repris avec ostentation l'encen- soir que Tite-Live avait usé en faveur des Romains. Membre, cependant, de TAcadé- mie des sciences et de l'Académie française, il a dû savoir tout ce que les hommes les plus illustres parmi les Romains et les Grecs ont dit seulement de l'éloquence de Divitia- cus, de Vercingentorix, de Civilis; il a dû savoir ce qu'en ont dit Cicéron, Tacite, Ju- vénal, saint Jérôme, etc.; philosophe, il a dû savoir que les foyers de la véritable éloquence n'ont jamais brillé que dans les pays libres, et qu'on ne saurait citer aucun peuple qui ait été plus enthousiaste de la liberté, que les Gaulois. M. l'abbé de Lonchamps, de C '4 ) l'Académie française aussi, na point hésite à déclarer que c'est dans les Gaules qu'on a trouvé les premières traces du culte consacré à Hercule, faisant observer qu'Hercule était le dieu des Gaulois, et que la massue dont il était armé manifestait le pouvoir de l'élo- quence et du génie. Sur ce point encore, oit pourrait citer M. Fourrier lui-même, car il n'a jamais été plus éloquent que dans les premières années de la révolution. Il est donc bien permis de s'étonner que ce savant ait ignoré que les Gaulois avaient fondé les royaumes de Galatie et de Cappa- doce , dont avait été roi le célèbre Déjotarus , que Gicéron avait défendu dans le sénat, contre César; que Ptolomée, après la mort d'Alexandre, avait été en relation avec les généraux gaulois qui venaient d'assiéger et de prendre Delphes ; et après avoir vaincu , dans plusieurs combats, les Locriens, les Béotiens, les Athéniens, ainsi que les au- tres peuples circonvoisins accourus au se- ( rS) cours du grand-prêtre ; il n'a pu ignorer, du moins, d'après les Romains et le consul Gé- pion, que les Tectosages, peuples gaulois, étaient rentrés à Toulouse avec les trésors qu'ils avaient enlevés à Delphes. Il est avoué que, dans la i25* olympiade, TROIS CENT MILLE Gaulois Ont envahi la Macédoine, la Grèce, une partie de l'Egypte et de l'Asie mineure ; que l'Egypte , la Syrie, et les Etats voisins en furent ébranlés, ou tellement consternés, que leurs rois députè- rent respectivement aux chefs gaulois, ou pour offrir des trésors, ou pour demander leur alliance et leur appui : Anthiochus, Eu- menès, et spécialement Ptolomée, furent de ce nombre; c'est cette armée de trois cent mille hommes, que M. l'académicien Lévéque a nommée une horde de brigands (i). (i) Brennus galloriim diix , olympiadis ii5 anno se- cundo, circa annum mundi 872 3 Grœciœ intulit el templum Apollinis spolicwit. [Ex Frischliniannotalionibusin Callim.) ( i6) 11 est pénible de faire observer que le docte historien de l'expédition d'Egypte, ainsi que ses coopérateurs, ont ignoré l'histoire, au point de méconnaître ou de douter des no- bles et glorieux témoignages que toute l'anti- quité a déférés aux Gaulois. On gémit, on s'étonne de voir ce même académicien met- tre en ligne, dans son discours national, les peuples sauvages et féroces du nord, tels que les Scythes, les Goths, les Ayoubites, et de ce qu'il a gardé le silence sur les peu- ples des Gaules, qui aussi avaient conquis une partie de la Grèce, de l'Italie et de l'E- gypte. Plus familier avec l'histoire, il aurait du savoir que les Grecs, au temps même d'A- ristote, connaissaient les Celtes, les Gelto- Scytes, et les Celto-Galates ; que Tacite re- hausse leur antiquité comme nation brave et généreuse, en disant formellement, et re- lativement aux Gaulois, que les Germains étaient un peuple moderne. Les auteurs ( '7) les plus respectables, enfin, Arislole, Pla- ton, Pythagore, regardaient la langue celtique comme une grande division de celles du globe. Une telle déclaration place donc nécessai- rement les Gaulois à une très -haute anti- quité. C'est un fait, que des bardes druides sui- vaient les Gaulois dans les combats, en chan- tant des hymnes en l'honneur de la liberté. C'est un fait encore, que Pythéas, de Mar- seille, Gaulois, philosophe, astronome et géomètre, mesurait la terre, alors qu'A- lexandre la ravageait. Cicéron a fait l'éloge de Gnypho et de Valérius Cato, qui ensei- gnaient l'éloquence à Rome. Jules -César met au premier rang des ora- teurs, Divitiacus et Valérius-Procillus, ses en- voyés ordinaires, à Rome ou auprès des di- vers sénats. Le célèbre Roscius, qui n'a pas encore été surpassé, et qui a eu la gloire de former Cicéron à la déclamation, était Gau- lois. Virgile a fait l'éloge de Gallus , originaire j^rie«l. (l«.s (Saul«is. 2 ( i8 ) ^ m. des Gaules (i). Publius, Térentius, Varro et "* Trogue Pompée enfin, étaient Gaulois. Pau- sanias déclare que, dans toute l'Europe, on connaissait les Celtes, que les Grecs nom- maient Galates : universi Europœi yaXarat, x^X-ï-or. Je suis fâché d'accabler ainsi M. Fourrier: mais je préfère à tous ses titres, la gloire de nos aïeux, envers lesquels l'opinion et l'A- cadémie, qui prétend au sceptre de l'érudi- tion , sont si injustes ou indifférentes. C'est, au reste, dans l'histoire classique ^ même, qu'on lit que le sénat de Rome , si fier ^ 4^^ et superbe , avait recherché l'alliance des Gaulois, pour s'opposer à toute invasion de la part d'Alexandre, en Italie. C'est elle en- ^% core qui nous dit que le héros des héros , le fils de Philippe, partout vainqueur et re- douté, avait accueilli avec distinction, dans sa tente, des ambassadeurs gaulois, et dont la réponse à une de ses questions est encore (i) Cornélius Gallus, l'ami de Virgile, de Mécène et ■ (19) partout répétée ; c'est elle, enfin, qui nous redit toute l'estime et la confiance qu'Anni- bal, plus grand qu'Alexandre, avait dans la valeur et la générosité des Gaulois. Etaient-ils des barbares à renier, ces Gau^ ♦ lois dont la mâle éloquence a été déclarée par le sénat de Rome, alors qu'il reçut et entendit à sa tribune le célèbre Divitiacus , ambassadeur et général des Eduens, et de laquelle Jules-César, Mécène et Tacite ont, au surplus, rendu de glorieux témoignages? Le docte historien de l'expédition d'E- gypte pouvait-il ignorer tout ce que Jules- César avait dit des Gaulois dans une décla- ration spéciale , qu'il devait aux Gaulois ses victoires contre Pompée ? Pouvait-il ignot*er encore que ce héros avait souvent fait l'aveu que si Arioviste avait vaincu les Gaulois, il d'Auguste , tenait la première place parmi les poëtes eroti- ques. Il avait fait un poëme héroïque qui le faisait regar- der comme le digne rival de Virgile, son ami; mais cet ouvrage a e'te' perdu pour les lettres^ g*% ne devait ses victoires qu'à la ruse et à ses menées pour diviser les chefs des nations gauloises? Pythagore avait une si haute idée de la science des druides, qu'il voulut faire le voyage des Gaules pour en reconnaître les principes et les élémens. Callimaque ne croyait pas célébrer des bar- bares, des sauvages et des brigands, quand, dans ses hymnes, il faisait descendre les Gaulois de la race des Titans. Ammien Marcellin , cet historien probe et sévère, n'eût pas entrepris d'écrire \ His- toire des Gaules, si leurs peuples eussent été des hommes méprisés ou abhorrés. Le prince des orateurs de Rome n'eût pas rendu une éclatante justice aux études qu'on faisait dans les Gaules. Clément d'Alexandrie n'eût pas dit, à la face de l'Eglise et de la poHtique , que la re- ligion des Gaulois était une religion de phi- losophes. ( 21 } d Saint Eusèbe , dans ses commentaires sur l'Evangile, n'eut pas hasardé cette opinion : que le système de Pythagore était emprunté des druides. Gelse n'eût point dit que les prêtres des Gaulois étaient les plus sages et les plus sa- vans de l'antiquité. Je laisse maintenant au lecteur le soin d'apprécier le silence de M. Fourrier sur les Gaulois, nos premiers et plus légitimes aïeux. On voudrait, pour son honneur et pour sa double palme académique, se prêter à croire qu'il n'a pas été le maître de dire et de choi- sir ses matériaux. Aurait-on craint d'assimiler l'armée fran- çaise, commandée par Napoléon, à une ar- mée de barbares Gaulois, commandés par un Brennus? Je seraispresque tenté de le croire, car les flatteurs ont une finesse de tact in- finie , surtout envers un homme dont la gloire militaire effaçait déjà celle d'Alexanr dre. .^: Les Gaulois n'ont pas été plus heureux a la^ tribune des députés; car l'un d'eux, s'agissant de la vente des forêts de l'Etat , se complai- sait, il y a peu d'années , à verser le ridicule et la barbarie sur les Gaulois , qui vivaient de glands. Je tairai son nom j il serait trop pé- nible de penser qu'il y ait eu une telle dégé- nération dans sa lignée : mais l'impitoyable Moniteur est là. On avait formé, il y a quelques années, le patriotique projet de fonder une académie celtique. Ce projet n'était pas nouveau, car, en 1676, M. de Colbert l'avait proposé, afin d'avoir, disait-il, une véritable histoire de la monarchie des Francs. M. Letellier, ar- chevêque de Reims , présida même plusieurs conférences sur un tel sujet. Le chancelier d'Aguesseau a partagé cette opinion ; tous se fondaient sur le fait, qu'on ne peut avoir une véritable histoire de la monarchie des Francs, sans la rattacher aux siècles gaulois. L'insti- tution d'une académie celtique aurait infail- ( =«3 J liblement fait réaliser les vues de ces grands hommes. Il était du devoir et de l'honneur de l'Aca- démie, à laquelle l'histoire ancienne est prin- cipalement dévolue, d'encourager cette nou- velle académie ; c'était même pour elle une belle occasion de signaler de nouveau les Gaulois, comme des barbares brutes ; de dé- montrer, à l'aide de M. Lévéque et de ses savans confrères, la fausseté de leurs con- quêtes et de leur civilisation ; de nier la prise de Delphes, et même celle de Rome, et de reléguer enfin les Gaulois parmi les peuples sauvages, tels que les Daces et les Gépi- des. Elle devait ces explications à la jeu- nesse, qui, pouvant un jour lire et com- prendre César, Tite-Live, Tacite et Polybe, perdra peut-être, comme moi, son temps à exhumer les nations gauloises. Le gouvernement ne se doute pas lui- même de tous ces antécédens ; il n'a témoi- gné aucun intérêt aux Français généreux qui f 24 ) s'offraient pour exploiter, gratis, une mine riche , mais de'criée par tous les perroquets de la littérature. Au ministère de Fintérieur même, toujours malheureux en hommes d'E- tat, l'académie celtique a souvent égayé les * dîners ou les passe-temps des excellences, surtout quand leurs familiers faisaient partie de quelque académie. Nous n'avons point vu que M. de Corbière, né celtique, et qui a une prédilection marquée pour toutes les vieilleries de l'histoire , ait cherché à venger ses aïeux des affronts ministériels, et à faire constituer l'académie celtique. 11 est trop juste , à titre d'expiation bien mé- ritée, de nommer, parmi les opposans acariâ- tres de l'Académie des inscriptions, M. Millin, qui, au seul nom ^ académie celtique, éprouvait des sursauts ou spasmes convulsifs. Dans son système, et que l'Académie n'a pas contre- dit, il n'y aurait d'histoire que par les monu- mens et par les écrits. Ainsi donc, tous ces messieurs absorbent des nations entières et m (^5 ) célèbres, de même qu'une éponge absorbe de grosse gouttes d'eau sur une surface polie. La Phrygie, par exemple, a été, pendant de longs siècles, sans monumens, et sans con- naître l'art d'écrire. On peut en dire autant de maints autres peuples du nord de l'Eu- rope et de TAsie. Niera-t-on un jour l'exis- tence des Incas et des Brésiliens, d'autre part , parce qu'on ne pourra citer ni monu- mens, ni fastes, ni médailles? M. de Caylus n'a pas été si légèrement dédai- gneux que MM. Millin, Lévéque et compagnie; car, en 1760, il a compris, dans son Recueil des antiquités, celles des nations gauloises. M. New-Bery, Anglais, historien estimé, a déclaré, en 17^9, qu'il y avait dans plu- sieurs contrées du nord, berceaux des Suèves et Danois, des monumens qui étaient d'ori- gine celtique, et que partout la tradition le confirmait. C'est une opinion commune parmi les an- ciens historiens, que les Etrusques sont d'o- (26) rigine celtique. M. de Caylus, sur ce point,, combat Hérodote, qui attribuait la fondation de Florence à une colonie de Lydiens. En digne juge, il fait observer que la différence du style, des arts et des monumens du nord de l'Italie, avec ceux de l'Etrurie, provenait de ce que des artistes égyptiens étaient venus s'y e'tablir. Dom Martin, célèbre antiquaire, a jugé, sans contradiction, qu'il y avait à Pise et à Florence des monumens qui représentaient le culte druidique ; il en cite un, où un jeune homme est initié au druidisme par un druide, et dont le costume ne laisse aucun doute. Il €n explique un autre, oii un druide, en grand .manteau, la tête ceinte de bandelettes, pré- sente des fruits à une femme vêtue en drui- desse. M. le comte de Caylus, sur ce dernier monument, pense seulement que c'était une consécration de fruits. De tels faits doivent étonner, du moins, nos érudits, détracteurs aveugles des Gaulois, ( ^7 ) et surtout M. Fourrier, qui les a si étrange- ment méconnus. Les Gaulois, quoi qu'en (lisent les historiens obligés, ne sont point apparus sur la scène du vieux monde comme des barbares, sans culte , sans lois et sans mœurs. Les philoso- phes grecs, les prophètes, les patriarches, les Pères de l'Eglise mêmes ont déclaré que les druides enseignaient une sage philosophie, qu'ils étaient savans et profonds dans les sciences, et surtout dans l'astronomie. Ce sont tous les savans du monde, au surplus, qui ont eux-mêmes greffé des peuples nou- veaux sur la tige-mère des Gaulois : tels sont/ .^, au nord, les Gallo-Scythes, et au midi, les Celtibères (i). ( I ) Les anciens Grecs , les Syriens , les Phéniciens , les Arabes, les Egyptiens ont nomme Celtes les Gaulois, pre- nant ainsi la plus notable nation des Gaules pour toutes ; cette dénomination a dure jusqu'à la prise de Constan- tinople par les Turcs, qui alors ont donne' le nom de Francs à tous les peuples de l'Europe occidentale. Ainsi (^8) Alexandre, le héros des héros, des acadé^- mies et des orateurs profanes et sacrés, au- rait-il compromis sa dignité et sa renommée en recevant près de lui des ambassadeurs de l'empire des Gaules? Le sénat de Rome, plus fier encore, aurait-il fait solliciter un traité d'alliance avec les Gaulois , s'ils eussent été des brigands odieux et méprisables? Callimaque a pu s'abandonner à un enthou- siasme poétique , quand il a déclaré dans son hymne sur Dclos (i) , que les Gaulois étaient de la race des Titans : il en avait du moins ^ recueilli la tradition , qui alors était l'histoire. iè^M. Fourrier n'a pu ignorer l'ère des Sé- leucides, à laquelle un des grands capitaines d'Alexandre a donné son nom. donc, clans l'histoire ancienne et moderne, on a fait pré- dominer dans l'Orient , sur tous les autres peuples , les noms de Celtes et de Francs. C'est un honneur du moins que n'ont pas eu les Espagnols, lies Anglais, les Alle^ mands, etc. ( 1 ) CoiUra Grœcos , gladaun ceUicum , ^igantiim posteiiy ab occidente remous simo affluent. C ^9 ) On se moque à l'envi de la solennité du grand-préire des druides, pour aller cueillir le gui; mais Zoroastre a dit que, dans l'Inde, les destours allaient aussi tous les ans cher- cher solennellement, sur les monts du Ma- zendran, le hom, qui est une sorte de bruyère. Le griefle plus accablant, l'argument le plus décisif des frondeurs des Gaulois se rapporte aux sacrifices humains : c'est le coup de mas- sue de nos historiens et des gens du monde, qui jugent de tout sur le mot du maître. Mais ce genre de sacrifices date des premières pages de l'histoire, pour ne pas dire des premières familles; ils ont eu lieu chez les Egyptiens, les Phéniciens, les Grecs et les Indiens; les Hébreux, les Africains, les Indiens et les Romains ont long-temps offert de telles vic- times. Les Carthaginois achetaient des escla- ves de l'âge des victimes désignées, pour les immoler à la place de leurs enfans. En 1660, l'empereur de la Chine a fait sacrifier, sur le tombeau de la reine, trente esclaves qui lui / I (3o) avaient été le plus chers. N'est-il pas déplo- rable de voir que, parmi nous, un tel repro- che ne porte jamais que sur les Gaulois? C'est toujours le premier mot des orateurs et des poêles : il n'y a pas jusqu'à M. l'abbé Delille qui, dans son petit poëme élégant des Jardins, veut qu'on lui montre . Le temple oîi le druide Souillait de sang humain son autel homicide. Les Romains ont laissé les plus glorieux témoignages de l'éloquence des Gaulois : Gi- céron, César, Tacite, Mécène (i) en étaient bien convaincus : tout le sénat de Rome fut frappé de celle du célèbre Divitiacus. Quant à leurs sciences, à leur morale et à leur industrie, je vais en donner des preuves. (i) Mécène écrivait de Rome à Auguste, qui voyageait dans les Gaules : « Défendez surtout que les Gaulois ne parlent dans les assemblées publiques. » (3i ) Voici pourtant les peuples qu'en France , aux académies de la capitale et à la tribune législative, on affecte de proclamer barbares! voici les hommes que nous désavouons pour nos aïeux, quand, dans la réalité de l'his- toire, les Francs sont à peine aux Gaulois ce que les sources de Druyes (î), en Bourgogne, sont au fleuve de la Seine, à Rouen. (i) Le bourg de Druyes, dans le département de l'Yonne, à cinquante-deux lieues de Paris, est très-re- marquable par ses sources, qui, il n'y a pas un siècle, donnaient leurs eaux par douze bouches à la fois, et qui, aujourd'hui, se réduisent à deux ou trois, selon la saison. La cause de cette diminution, qu'atteste presque offi- ciellement la carte de Cassini, se rapporte aux immenses de'frichemens des bois dans la contrée environnante : les titres anciens et la tradition le confirment. C'est à ce point-là , qu'il avait été question d'établir un grand réservoir pour soutenir, en été, la navigation de l'Yonne. L'empereur en avait adopté le plan, et fixé la dépense. On sait qu'il donnait une attention particulière à tout ce qui pouvait assurer les approvisionnemens de la capitale. Tous les préliminaires avaient été remplis pour l'exécution et pour l'utilité publique ; mais de petites in- trigues , suggérées par un vain amour -propre et par le (32 ) Si ce n'est pas de la part des érudifs et des lettrés une conjuration impie contre la gloire nationale, c'est donc l'œuvre d'une insigne et coupable paresse; car les œuvres de Gésar, de Polybe, de Tite-Live et du grand Tacite sont accessibles à tout écrivain , et chacun peut y voir ce que Montaigne et Pasquier y ont vu ; mais qu'on y fasse bien attention ; si ce train de paresse continue, le commun des hommes du monde, qui s'en arrange, et qui concourt activement à former l'opinion, en viendra peut-être, avant un siècle , à mettre en doute ou en thèse l'existence civile , reli- gieuse et militaire des Gaulois : la dissolution de l'académie celtique en est déjà le triste préambule. fatal esprit de corps qui règne fortement au conseil âes ponts et chaussées, qui y domine et y a constamment do- mine' tous les directeurs-ge'ne'raux , les ministres de l'inte'- rieur, et même parfois l'empereur, a fait anéantir ce beau projet , qui eût été si utile à la ville de Paris et aux dépar- temens de la Nièvre et de l'Yonne. (33) On ne sait plus quelle ide'e se faire de l'existence d'une Académie qui ne se croit instituée que pour s'occuper des choses étran- gères à sa patrie ; ainsi , un de ses mem- bres a fait une longue et savante dissertation sur les sortes de terrains qui couvrent le ro- cher du Capitole. Que n'a-t-on pas dit, à cette Académie et à celle des sciences, sur les zo- diaques de VInde et de FEgypte? Mais les Gaulois avaient aussi des zodiaques ; le plus fameux était celui de Vézclai : c'est à ce point culminant que saint Bernard prêcha la grande croisade. Le zodiaque y existe encore; il est tout druidique ; quel académicien a pris la peine de venir l'examiner? Les avis cepen- dant en ont été donnés, et par moi-même. Autant que j'en peux juger, il avait, par ses figures, une destination d'instruction publi- que. Un tel zodiaque en Abyssinie eût été en- levé par des spéculateurs , et le ministre de l'inlérieur, encore, l'eût payé au poids de For. Grâce au surplus à la dernière et sage inves- Ajricul. lies G.iilois. 3 (34) tigalion de M. Gau et de M. Ghampollion, de M. Caillaut, en Nubie, en Lybie et dans la Haute-Afrique, tout re'chafaudage académi- que, élevé pendant plus d'un siècle, vient de se dissiper comme un feu d'artifice : toutes les recherches et gloses antérieures n'étaient donc au fond qu'une zodiacomanie (i). (i) Les Gaulois n'ont pas été plus heureux en littéra- ture. Un jeune homme devenu trop promptement fameux , et qui semblait avoir pris des inspirations aux forêts de là Nièvre, l'un des plus profonds sanctuaires des druides, fit annoncer, il y a quelques années, un ouvrage auquel il donna le titre de Gaule poétique. Les érudits crurent y trouver des traces effectives des anciens Gaulois , et les poëtes une mine féconde de traits inédits ; mais tous y ont été trompés , même les lecteurs les plus vulgaires ; car la Gaule poétique n*est qu'une vaine paraphrase dictée par une imagination bizarre, et de laquelle aussi nos romanciers et nos poëtes n'ont pu faire sortir ni romans, ni poëmes, comme ils ont su en trouver dans les œuvres de Walter Scott. En ce qui me concerne, comme historien (s'il m'est per- mis de prendre ce titre ) , je déclare de bonne foi , que je n'y ai rien trouvé dont on puisse profiter comme décou- verte et comme simple aperçu sur les mœurs, le culte et la vie des Gaulois; mais l'auteur n'en emportera pas ( 35 ) Mais quel est donc ce mauvais génie qui dicte tant de choses vaines ou fausses à nos érudits, et qui les porte, dès qu'ils sont de l'Académie, à sacrifier de préférence la gloire et le renom des anciens Gaulois, que tous les grands hommes de l'antiquité* ont honorés et respectés? Comment M. Lévêque, par exemple, dans ses Études sur l'histoire, a- t-il osé dire, que lorsque les Gaulois s'étaient approchés du temple de Delphes , « Tair aus- « sitôt s'était mis en feu, et que les longs rou- « lemens du tonnerre , répétés par toutes les « anfractuosités des rochers , avaient jeté la « terreur parmi les Gaulois, quis'entr'égorgè- « rent, et périrent tous? » Cet académicien, cependant, jouit d'une haute réputation comme savant; ses traduc- tions sont rendues classiques; dans les éco- les, il a la vogue ou le crédit du maître. Sous moins, grâce à Béranger, le nom et surnom ue M. le Gmilois. ( 36 ) les rapports de Festime personnelle , c'iest un homme de bien, sans doute; mais, commit historien, il nage à pleines voiles dans un océan d'erreurs et de préjuges. Les érudits de nos jours, fidèles à la tra- dition des maximes de leurs devanciers, ne cessent encore de repousser les Gaulois des nobles pages d€ l'histoire, parce qu'ils ne trou- vent pas de médailles qui attestent de grands évènemenset la culture des beaux-arts ; il nous semble pourtant que des faits authentiques , incontestables et non contestés, valent bien des médailles qui , dans le cours de fhistoirc, ne sont, pour la plupart, que des mensonges ou des traces de vanité. Celle où Domitien se fait nommer Germa- nique estrclle une preuve qu'il a vaincu les Germains, quand son triomphe à Rome n'a été qu'une audacieuse parade? Croira-t-on davantage aux victoires de Caligula ? Croira- t-on à celles de Gordien le jeune, vainqueur des Barbares, qu'il n'avait pas combattus, et ( 37 ) à tant d'autres qui ne consacrent que la tyran- nie, l'orgueil ou l'hypocrisie? Puisque nous en sommes à l'Académie de J'ërudition, on doit encore moins s'étonner de voir M. Lëvêque, académicien, et nourri d'é- rudition par ses ouvrages, consacrés à l'étude de l'histoire, déverser à plcinesmains le mé- pris sur les nations sorties des Gaules , que d'avoir vu son Académie propre délibérer un programme fastueux, et le publier en 1 757 dans toute l'Europe , pour connaître plus positivement , quelles sont les villes des Gaules qui ont été fondées par des colo- nies grecques y et dont le prix fut remporté par un professeur de Padoue ? Examinons cette question nous-mêmes, en faisant inter- venir les avis , opinions ou déclarations des auteurs les plus respectables de Tantiquité. Il faut convenir, car c'est un fait général, que partout l'opinion des érudits, des lettréà et des professeurs dans les collèges, est per- suadée que Marseille a été fondée par des (38) Phocéens : cette ville même s en fait un titre de gloire. Pythéas, ge'ographe , natif de Marseille, célèbre navigateur, et contemporain d'Aris- tote , n'avait point cette opinion ; car il a dit sans prétention, et Charron a répété de même après lui, que des Saliens sortis de Marseille auraient abordé le pays des Phocéens, qu'ils auraient trouvés en insurrection contre les intendans de Cyrus ; qu'ils leur auraient pro- posé de venir s'établir dans leur pays, et que , par suite, la ville aurait pris le nom de Marseille (i). Cette version première est du moins toute naturelle, en ce que des peuples irrités contre des tyrans se déterminent facilement à émi- grer dans des lieux où ils seront libres. (i) Ou ville des Saliens; car, dans Fancienne langue des Celtes, maz ou mas signifiait des habitations. Dans plusieurs de nos coutumes , la féodalité a fait consacrer les mots de mas et masures , comme divisions d'une glèbe sei- gneuriale. (39) Marseille, on le sail, était déjà une ville considérable à l'époque oii Brennus prit Rome ; on sait qu'une partie de la rançon im- posée par le héros gaulois fut avancée par les magistrats de cette cité des Gaules; ce fait, avoué par Tite-Live et par Dion, ré- vèle du moins une haute antiquité en faveur de Marseille ; il est donc tout naturel , que des Phocéens aient quitté leur patrie pour suivre des navigateurs qui leur proposaient des ter- res, leur alliance et un port de mer situé sous un beau ciel ; mais on ne peut se prêter à croire que ce peuple , tel indigné qu'on le suppose, s'aventure, comme Ulysse, à cher- cher un sol hospitalier, et qu'il se dirige à point nommé sur le pays des Saliens. La vé- rité ou la réalité s'accorde donc bien mieux avec le récit de Pythéas et avec le fait si po- sitif, que Marseille, comme ville et port de mer, préexistait, quand des Phocéens y sont survenus. On ne peut donc pas dire que cette v]\\c a été fondée par une colonie grecque. (4o) Selon la chronologie avouée , Marseille était fondée et connue par la navigation, avant que Cyrus eût pris Phocée : cette remarque est faite par Tite-Live. Dans Texpédition de Bellovèze , il est ques- tion de l'opposition que firent les Marseillais à des Phocéens qui voulaient débarquer sur leur maz, et en faveur desquels Bellovèze s'interposa, pour obtenir leur débarquement. Il est un autre fait avoué par Tite-Live : c'est que Marseille avait de l'or et de l'argent réduits en monnaie , quand la ville de Rome n'en avait pas encore. Marseille enfin, s'était déjà mesurée avec Carthage, alors que les Romains se rédui- saient à leur Latium. Il n'y a donc aucune raison pour faire croire que Marseille ait été fondée par des Grecs. S'agirait-il de Toulouse? Mais les plus an- ciens écrivains lui donnent une origine pres- que égale à celle de Marseille : on sait, en histoire , qu'elle était la capitale des Tecto- (4^ ) sages, qui y apportèrent une partie des ri- chesses enlevées au temple de Delphes. Les mœurs des deux cites, au surplus, ont tou- jours été différentes; le sang africain semblait distinguer les habitans de Toulouse d'avec ceux de Marseille : telle est du moins l'opi- nion de tradition dans la Navarre et le Rous- sillon. Il est de fait, d'ailleurs, que Toulouse existait comme ville capitale, cinq cents ans avant Jésus- Christ. M. l'abbé Audibert, il est vrai, a voulu, dans ses recherches, faire considérer la ville de Toulouse comme une fondation de colo- nie grecque ; mais il est certain qu'elle exis- tait dans les premiers temps de la fondation de Marseille. Dion, Tite-Live, Jules-César, en parlent dans ce sens; toutes les traditions, d'ailleurs, s'accordent sur lefait, que cette ville a reçu une partie des dépouilles enlevées au temple de Delphes; le consul Publius Cepion en avait donc acquis la certitude, quand il a fait dessécher le lac sacré. On redit encore ' 0 (4a ) dans le pays, que desTyriens, desSidoniens^ des Grecs, pour fuir les tyrans de leurs pays respectifs, se sont réfugiés à Toulouse, où iJs ont fait briller les arts et les sciences. Des érudits coulumiers ou superficiels, ne pouvant se départir de l'opinion que les Gaules doivent tout aux Grecs et aux Ro- mains, c'est-à-dire les sciences, les arts et la civilisation, ont voulu faire considérer Tou- louse comme une colonie de Marseille ; en^ voici un argument : c'est qu'il y avait à Tou- louse, comme àMarseille, un temple consacré à Apollon, et qu'on y parlait la langue grec- que ; mais on ne peut en induire que les Tou- lousains aient appris cette langue des Mar- seillais. Il est d'ailleurs reconnu que les Gau- lois ayant déjà fait des émigrations dans la Grèce, devaient en connaître la langue, etc. Voudrait-on parler de Nîmes , de Nar- bonne, de Montpellier, de Vendres, portus Veneris? mais déjà ces villes existaient au temps d'Ambigat et du vieux Tarquin, mais ( 43) déjà les Gaulois avaient eux-mêmes fondé Milan , Crémone , Aquilée , Yicence , etc. N'est-il pas singulier qu'on affecte en France, et jusque dans les sanctuaires de l'érudition, de vouloir persuader que les villes les plus anciennes et les plus célèbres des Gaules, ont été fondées par des Grecs, quand il est de fait et prouvé que ce sont les Gaulois mêmes qui ont fondé les plus anciennes villes de l'I- talie? Pour supposer seulement que les premiè- res villes du littoral de la Méditerranée aient été fondées par des colonies grecques , il fau- drait aussi supposer une absence de peuples dans cette partie des Gaules ; mais toute l'histoire , et celle surtout des Romains , donne une grande et vive consistance aux Allobroges, aux Eduens , aux Tectosages ; mais toute l'histoire admet comme faits in- contestables la population des Gaulçs méri- dionales, la valeur, les forces supérieures, et surtout l'ardeur de ces peuples pour U (44) guerre et les combats. Dans cet état de cho- ses, peut-on s'abandonner à la conjecture que des Grecs, las de tyrannie, de guerres, ou simplement avides de changer de climat, se seraient dirigés précisément vers l'Europe occidentale, lorsque l'Asie et l'Afrique leur offraient tant de pays découverts , inoccupés , et plus en rapport avec le ciel qu'ils venaient de quitter; peut-on supposer enfin, que les Gaulois , déjà établis , se seraient laissés en- vahir et déposséder par des colonies d'aven- turiers? Nous n'avons pas vu que le professeur de Padoue ait signalé comme des colonies grec- ques Lyon, Autun , Clermont, Sens, Beau- vais , Bourges , etc. ; ce sera peut-être un jour le sujet d'un autre programme de l'Aca- démie des inscriptions (i). (i) Au moment où j'écris cette page, les journaux an- noncent un grand prix sur cette question même, de'jà jugée en faveur d'un laure'at de Padoue. (45) Mais ajournons nous-mêmes de plus gran- '^des et nombreuses preuves sur Tancienneté et la céle'brité des peuples des Gaules; plai- gnons seulement l'Acade'mie des inscriptions, et surtout le gouvernement, d'avoir méconnu et repoussé une société d'hommes instruits, bienveillans et zélés pour la gloire de leurs ancêtres, qui voulaient se charger de recueil- lir tous les monumens et documens qu'exige rhistoire, afin d'établir celle des Gaulois, et de donner par suite plus de consistance ou de réalité à l'histoire de la monarchie fran- çaise. Je ne me présente point, du reste, comme champion de l'Académie celtique; je suis loin de m'arroger cet honneur ; j'ai voulu seulement apporter le tribut de mesréflexions, ^t tâcher, autant qu'il est en moi, de concou- rir à la réhabilitation de la gloire des Gau- lois, nos plus légitimes ancêtres. J'ai pris mes autorités dans les auteurs anciens les plus ac- crédités ; je place. donc mon histoire spéciale des Gaulois et de leur agriculture sous l'égide (46) commune de Polybe, Plutarque, Jules-César, Tacite, Tite-Live, Strabon, Cluverius, et de notre vertueux Pasquier. N. B, Je dois avertir le lecteur que , dans le cours de celte histoire, je donnerai le texte des citations latines et grecques, afin de mieux convaincre sur des réalités généra- lement peu connues ou contestées : cette ex- ception à l'usage m'est imposée par tous les doutes qu'on se plaît à élever contre Texis- t^nce et la gloire des Gaulois. ( kl ) '■\^-\ %/vV«/%V%/^^V%'%'\/%'V%/%'VVVV%'%/VVt/VV«rV%/%/%V%/WVW%'Vl/%/%%/VWVWW CHAPITRE PREMIER. 'L'origine des Gaulois. — Ils sont indigènes au sol des Gaules. — Ils ne doivent rien , ni aux Scythes , ni aux Egyptiens , ni à aucun, législateur. — Ils ont été en relation avec l'Atlantide. — Il n'y a jamais eu d'émigrations ni d'irruptions des peuples du Nord, dans les Gaules, avant Ambigat. — Les Gaulois ou Celtes ont imposé leurs noms à des Etats et à des peuples de l'Europe et de l'Asie. — Preuves données. — Leur culte , leurs prêtres , leur ancienneté. — Ils se donnent six mille ans d'existence po- litique. — La tradition seule conservait leur science et leur histoire. — Les grandes divisions du territoire. — Le portrait des Gaulois. — Parallèle entre les Gaulois et les Spartiates. — La fondation de Marseille. — Rappel de plusieurs villes fondées en Italie, et dans lesquelles la langue celtique a long-tempï dominé. Quand il n'y avait encore, sur les sept col- îines qui dominent le Tibre, que de miséra- bles réfugiés, ou plutôt des brigands (i) sans (i) Quos autem Romanos? nempe pastores qui latroci- nio... Ademptum solum teneant} gui uxores... Vi publica rapuerinlj qui urbem ipsam parricidio condiderint. (Just., Oral. OEtol.) (48) patrie, sans épouses et sans religion (i) ; quand PAltique et la Béotie n'étaient foulées que par les tristes et barbares Pélasges et Lélé- ges (2) ; quand les Scythes (3) et les Thraces impies, errans et féroces, ne trouvaient de bonheur et de gloire qu'à exterminer, les Gau- lois existaient en corps de nations. Combien de siècles ont dû s'écouler sur eux, avant d'en venir à une organisation po- litique! organisation qu'on doit admirer en- core, si on la considère au point de départ d'hommes absolument sauvages. Tout atteste que le premier élan des Gau- lois a été de reconnaître un Dieu suprême, créateur du monde, et de croire à l'immor- talité de l'âme. Leurs passions et leurs vertus consistaient à être braves et hospitaliers. Leurs prêtres, qu'ils ont nommés druides. Et lamen ut longé répétas , longèque , revolvas Nomen , ab infami gentem deducis asylo. (Juv.) (i) Varron dit formellement que les Romains n'ont eleve' de temples aux dieux que l'an 1 70 de la fondation de Rome. (2) Peuples barbares du Nord e'tablis dans la Carie. (3) Hospitum immolatores carnibus eorwn vescentrs. (Strab.) ( 49 ) étaient les oracles ou les interprètes de la Di- vinité ; leur dogme, simple et auguste à la fois, «tait digne de l'homme pur du premier âge. Les Gaules étaient partagées en plusieurs grandes nations commandées par des chefs ou des rois élus annuellement; elles étaient in- dépendantes les unes des autres; mais sous les grands rapports sociaux, elles existaient dans une sorte de confédération ; il y en avait néanmoins de phis puissantes les unes que les autres : telles étaient celles des Celtes, des Bituriges, des Arverniens, des Eduens, des Rhémois, des Allobroges , etc. Les druides étaient les premiers de chaque nation; ils étaient soumis eux-mêmes à un grand-prêtre qui réunissait tous les pouvoirs ; il était, en un mot, le souverain des Gaules; il résidait dans le pays des Carnutes. Tous les peuples étaientpasteurs, chasseurs et guerriers : les climats seuls faisaient des différences ou des modifications ; comme tels, ils étaient nomades , mais seulement dans les limites de leurs territoires respectifs. On demande peut-être déjà quelle fut l'o- rigine des Gaulois, et quels ont été leurs lé- gislateurs; car il semble que les historiens et les savans de tous les âges soient convenus Afrttnl. des Gaulois. ^ (5o) de dire, qu'aucun peuple de la terre n'a pucJé lui-même créer ses institutions civiles et re- ligieuses, et moins encore se suffire par les sciences et par les arts. Ainsi, selon eux, les Egyptiens doivent leur civilisation aux Perses et aux Indiens, les Grecs à une colonie venue de la Basse-Egypte, conduite par Cécrops, et les Romains à des Phrygiens échappés du sac de Troie. Quel savant, jusqu'à présent, a pu bien déterminer l'origine des Huns, qui pourtant, selon rhistoire, et relativement aux Gaulois, sont des peuples modernes P Lisez les histo- riens, ils ont envahi l'Asie; lisez les inter- prètes du texte sacré, ils sont sortis des plaines de Sennaar immédiatement après le déluge ; suivez-en l'irruption et les conquêtes, la Gfeine aurait été leur terre promise ; exa- minez leurs usages et leurs mœurs, et vous croirez lire l'histoire même des Gaulois. Ammien Marcellin dit les Gaulois origi- naires des Gaules. Tacite a la même opinion, et il repousse la conjecture de l'invasion des peuples du Nord (i). (i) Nam et naturâ et olle des Mcdes , laquelle e*t , du reste , ( 56 ) Plus on examine cette question, plus les doutes s élèvent sur tous les points. Est-il, en effet, dans l'ordre probable et connu, que l'irruption d'une horde , quelque grande qu'on la suppose, fasse paisiblement la con- quête d'une immense contrée occupée par un grand peuple, et dont le caractère natif a toujours manifesté la passion de la gloire et des combats? Peut-on croire, d'ailleurs, que le nouveau peuple conquérant ait pu faire changer tout à fait les mœurs, les lois et la religion du premier peuple, et telles qu'elles, fussent alors ? Pline, dans sa Description de la Scythie, a dit que ses peuples étaient inconnus aux autres, ignotipropè cœteris. Qu'on généralise même son nom à toutes les îles des mers du Nord, où Bodin, et Bailly ensuite, ont placé l'officine du genre humain, hominum offici- nam, on n'en croira pas davantage l'opinion d'Hérodote. Les meilleurs historiens et géographes, entre autres Strabon, ont considéré les Scy- thes sous deux rapports très-opposés; ceux fort peu instructive. Il vivait quatre cent vingt ans avant notre èie : on ignore où il est mort. (57) qui habitaient le Nord, c'est-à-dire les Pa- phlagoniens, étaient féroces; leur pays en avait reçu le titre, a^cvoç; tandis que ceux qui habitaient le rivage du Midi, le Pont- Euxin et la Bithynie , étaient doux et hospi- tahers, et leur pays avait le titre d'eu Çwoç. Chœrile, ami et contemporain d'Héro- dote, a dit que les Scythes du Pont-Euxin étaient adonnés à l'agriculture ; aussi les nom- me ^t -il Uoipyoï. Horace donne le nom de Scythes à tous les peuples du septentrion (i). Les Romains, d'ailleurs, ont fait observer qu'ils n'avaient trouvé aucune trace d'agri- culture chez les Scythes du Nord; Hume et Montesquieu, enfin, s'accordent sur le fait que les Scythes n'ont jamais pu parvenir à une grande population. Les émigrations des plus anciens peuples n'ont point eu, en général, des vues polili ques; elles sont en quelque sorte d'un ins- tinct commun à tous les êtres que la nature fait excessivement multiplier. C'est dans cette considération , relative à l'homme , que Thucydide et Strabon disent que ces premiers grands déplacemcns n'ont été que (i) Ode IX, ( 58 ) des levées insurrectionnelles ahanistamenoy, à la têle desquelles, comme dans les essaims d'abeilles, se mettait toujours un chef de la race des rois. Si donc les premières émigrations n'ont pas eu- d'autres causes que la surcharge de la population et la recherche d'un meilleur climat, ou du moins d'un sol plus nourricier, on ne peut croire que les Scythes soient venus de la chaîne des montsRiphéensou des portes Caspiennes dans le sein des Gaules, dont le climat était si contraire aux motifs de leur émigration. Il est donc bien plus naturel de supposer que ces peuples du Nord, et sur- tout les Huns, se sont fixés dans quelques contrées de l'Asie , qu'ils devaient plutôt dé- sirer et connaître, et qui leur offraient plus réellement les ressources nécessaires à la vie. Gomment, enfin, adopter le système de telles émigrations, quand, à ces époques, les Gaules éprouvaient elles-mêmes le besoin d'alléger leur population propre? Et quand déjà, avant qu'il fût question de Scythes dans le monde, les Gaulois avaient envoyé des colonies armées dans l'Asie et la Grèce (i).^ ( 1 ) Confitendiim iamen est qitod Galli per Asiani (% ) Les deplacemens des peuples du nord de lAsie et de l'Europe, comportaient un ca- ractère toul différent de ceux des Gaulois. Les uns, essentiellement nomades, ne s'a- venturaient dans leurs excursions, que pour faire et enlever du butin , et le transporter dans leurs régions respectives, tandis que les Gaulois, pour se faire un double lien, lais- saient dés leurs dans le- pays qu'ils avaient conquis, ou dans le camp qu'ils avaient établi; ceux qui ne s y fixaient pas rentraient dans la mère-patrie, ce que firent les Tecto- sages, en se séparant de ceux qui fondèrent le royaume de Galatie. On a reproché à Homère de n'avoir point parlé des Scythes, Scytharum non meminit Homerus. Ce silence d'Homère est une des plus fortes preuves, que les Scythes n'étaient pas un grand peuple , et qu'ils n'ont pas émi- gré dans les Gaules pour s'y établir. L'opinion des anciens, et celle même des modernes, s'est égarée sur les Scythes, parce que pilusieurs auteurs, entre autres .lornandès et Spartien, ont souvent dit qu'il spnrsi ^ stîpendiuin , totd ci.-> iKuftttn Asid cxc^crunt. [Y'Ac.yEx coinin. in Lù>.) ( Go ), y avait des Scythes dans toutes les armées ; mais en même temps d'autres auteurs ont ge'neralisé le nom de Scythes aux Dèces , aux Gètes, etc. Justin, abréviateur de Trogue Pompée, est un des anciens auteurs qui s'est le plus occupé des Scythes; il en fixe le territoire, d'une part, aux monts Riphées, et, de l'autre, au Pont et au fleuve du Phase. « Ces peu- ples, dit-il, ne savent pas cultiver la terre ; ils sont accoutumés à errer dans le désert; ils n'ont pas de lois; pourtant, ils ont horreur du vol ; et ils ne connaissent même pas l'u- sage de travailler la laine (i). » Lorsque Philippe, roi de Macédoine , vou- lut asservir la Grèce, il fit demander aux Scythes des hommes pour un siège ; Athéas , leur roi, s'en excusa sur l'âpre té du climat, et sur la stérilité de la terre (2). (1) Scyihia autem includitur ah Ponlo , monlibus Ri^ pheis... El phasi Jlumine... Hominibiis inler se... neque agrum exercent... per incultas solitudines errare solitis... JustiUa, cultis, non legibus... niUlurn scelus,furto gra- i'ius, lance Us non usus. (Just., 1. 2.) (2) Inclemenûani coeli et terrœ slerililaLem causalus (Id.,1.9.) ( 6i ) Tile-Live s*est évidemment aventuré, en di- sant que le philosophe Dicenès avait civilisé les Scythes, et que, pour y parvenir, il avait fait arracher toutes leurs lignes. Justin dit que la première grande émigra- tion des Scythes a eu lieu sous le règne de la reine Thomiris, mais il ajoute qu'ils se di- rigèrent vers l'Assyrie. Toute l'histoire dépose que , dans les gran- des irruptions des peuples, soit comme émi- grans , soit comme conquérans , les vain- queurs avaient toujours imposé leur noms aux indigènes. Si, pendant quelque temps, les vaincus et les vainqueurs se sont donnés chacun leur premier nom, les historiens et les géographes, de leur côté, n'ont pas tardé à en composer un qui rappelle les uns et les autres ; mais le nom du vain- queur est toujours dans la première par- tie; ainsi, on a dit les Gallo- Grecs, les Ccltibères, dont Aristote parle dans sa Po- litique. Les anciens ont presque tous considéré lés Celtes comme des peuples qui cherchaient une meilleure terre, ïa^nzai. Diodore, Var- ron et Justin disent que lorsque les Tyriens abordèrent en Espagne, ils y trouvèrent les ( 62 ) Celtes établis (i). Les Grecs, d'après les Egyptiens, ont nommé Galatie les paHies d€ la Gappadoce que les Gaulois avaient en- vahies. Pausanias a nomme un peuple de la Phrygie Celto-Galates; Zozyme et Plutarque nomment des peuples de la Thrace et du Pont, Celto- Scythe s. Plusieurs historiens grecs ont nommé des peuples de l'Asie et de la Grèce, des Gallo-Grecs, ou simplement des Galates (2). Pompée , dans la guerre contre Mithry- date, fait mention des Galates. Mithrydate, de son côté, d'après Justin, aurait envoyé des ambassadeurs aux Cimbres et aux Gallo-Grecs (3j. Ainsi, en récapitulant les dénominations seulement historiques, on trouve dans tout l'ancien monde, depuis les colonnes d'Her- cule jusqu'au-delà du mont Taurus, des Gau- lois ou Celtes, sous les nom de Galates, de [\) Inuniversam Hispaniam pcrvenisse Celtas. (Diod. 5, Strab., Ex Ephore.) (2) Gallo-Grœcorum... Cappadocia finitimi. (App., de Bell. Miiryd.) (3) Legalos ad... alios , ad Gallo- Grœcos auxUiwn. pclitum rnisit. (Just., l. 38.) C 63 ) Gallo-Scythes , de Gallo- Grecs, de Celto-Scy thés, de Celtihères, de Celto-Galates , de Celto- Ligies, de Gallo-Ligures , mais nulle part on ne trouve des Scythes- Celtes , des Ibères- Gally des Grecs-Gall , etc. Ainsi, tout bien considéré , il semble démontré qu'en au- cun temps les Scythes n'ont dépassé la Ger- manie. Il n'est pas moins démontré que les drui- des sont les seuls prêtres qu'aient eus les Gaulois, et que leur culte n'a pas varié; ainsi, à moins de supposer que les Gaulois fussent sans religion à l'époque de l'irruption des Scythes, on ne pourra jamais croire que la religion des Gaulois ait été celle des Scythes. Toutes les belles suppositions de M. Bailly s'évanouissent devant cette vérité première. Les druides enseignaient que les Gaulois étaient originaires du sol des Gaules ; il est certain, du moins, que leur culte n'a pré- existé dans aucune autre partie du globe. Est-il une seule grande nation connue, qui pourrait établir deux points aussi importans pour prouver son ancienneté? Les Gaulois, dans leurs hymnes, qui étaiept leurs fastes, et auxquels ils attribuaient six (64) mille ans de date (i), se disaient indigè- nes, ou les premiers habitans de la terre. Ammien Marcellin dit que leur origine était inconnue (2). Mais quel est le peuple dont l'indigè- néité ait été généralement établie et avouée? L'orgueil seul de l'homme a fait élever à ce sujet des doutes et des commentaires ; des chefs de sacerdoces s'en sont emparés; et lorsque leur pouvoir a été absolu , on s'est alors résigné, plutôt par amour pour la paix, ou par la crainte , que par conviction. L'opinion, cependant, que l'homme a pu avoir plusieurs berceaux sur le globe , et celle même que le sein de la terre et des eaux peut être plein de germes infinis, que la nature, par la toute -puissance de Dieu, a prédestinés à prendre avec la vie des formes variées, les uns selon la position du globe, dans l'ordre planétaire, et les autres selon l'influence de l'astre qui les éclaire et les vi- vifie, n'eût porté aucune atteinte à la préé- minence de l'homme sur tous les autres ani- (i) Poemala. . . a sex millibus , uL aiunt annorum. (Strab., l. 3.) {2) Aborigènes esse , Galli affirmarunl. (Am. M., 1. i5*) ^ ( 6r. ) maux, par son àme immatérielle, et par ses justes sentimens d'adoration envers le Dieu dti monde. Le philosophe ni le chrétien éclairé ne pourraient s'en offenser; car on ne ferait que manifester l'idée d'une plus grande puissance dans le Créateur de l'uni- vers. Si cette pensée philosophique n'est pas entièrement dans les conformités de l'ortho- doxie voulue ou imposée, elle est du moins plus raisonnable que celle du jésuite Gumila, qui prétendait qu'il n'y avait que des athées qui pouvaient dire que Dieu avait créé les Américains. Pour terminer cette digression, que re~ vendiquent les nations gauloises, je ferai ob- server que M. Bailly, qui a séduit les hom- mes de son siècle, plutôt par son style que par sa science vraie et réelle , et que les ter- roristes ont immortalisé, finit ainsi sa lettre au philosophe de Ferney, sur cette question même : «Les géans, les Dives, les Atlantes, pour- « raient bien n'être qu'un seul et même peu- «ple....... Mais, à l'égard des progrès des « sciences et des arts, je vois ces progrès... , « mais je n'en vois pas positivement les au- « teurs : ces auteurs, monsieur, seront ceux Agricul. des Gaulois. 5 (66) c( des trois peuples que vous voudrez, etc. » J'ai rappelé toutes ces opinions, afin de préparer le lecteur, et surtout la jeunesse, à prendre une plus juste idée de l'ancienneté et du renom des Gaulois, contre lesquels on est si généralement prévenu dans les écoles et dans le monde. Au temps de Jules-César, les Gaules étaient partagées en trois grandes divisions, qu'on nommait ia Celtique , la Belgique, et VAqui- tainique, Strabon n'a rien changé à cette di- vision laissée par Jules-César. Dans le monde, cependant, et aux académies, on donne le nom de Celtes à tous les Gaulois. Pour se désabuser, il suffirait de lire César, Tite- Live, et après eux Strabon, Ammien Mar- cellinetCluverius(i). Jesuis donc bien fondé à appeler Gaulois les peuples de toutes les parties des Gaules. Les érudits, qui, en général, ont plutôt détourné des voies de la science qu'ils n'ont (i) Celtarimi pars, Galliœ lertia est. (Tit.-Liv.) C^ltœ qui lingitâ nostrâ Galli appellantur. (Cœs.) Omnis G allia in très partes, Belgœ , Aquitaini, ier^ Ham qui Celtœ... Galli appellantur. (Plat.) Cklticam quam ubique Gallos appellat. (Gaes., Cltiv») (67 ) porté à y entrer, se sont exercés à trouver des définitions aux mots Celtes et Gaulois; mais je veux épargner au lecteur ces tristes argumentations. Il est tout naturel que les Celtes , plus nombreux et plus puissans , aient été plus entreprenans , et que se don- nant eux-mêmes le nom de Celtes , les étran- gers les aient ainsi nommés. Les Grecs, vers lesquels il faut toujours recourir pour trou- ver des origines , ont nommé les Gaulois Galat€s{\). Cette question, au surplus, dans les temps actuels, est toute jugée par un fait universel. Dans tout l'Orient, ne donne-ton pas le nom de Francs âux Espagnols, aux An- glais^ aux Portugais, aux Vénitiens, etc. .^ La Celtique, d'après César, comprenait le Berri (2), l'Auvergne, la Bourgogne, la Champagne, fOrléanais, la Touraine, la Bretagne, la Normandie, la Séquanie , la Marche, le Limousin; Lyon en était là ca- pitale. (ij faXarot. (Cluv.) Gallos a Grœcù j Celtas vocatos- (Strab., I. 7.) (->.) Là cite clds Biturigés étail en possession de donner des roi^ à la teltiqiie : li re^eni Cdlùo tlabant. (TiU-Liv.^ I. 5.) :'*■ ( 68 ) L* Aquitainique , le littoral de l'Océan, jus- qu'à la Loire; Bordeaux en était la capitale. La Belgique, les provinces du nord, jusqu'au Rhin ; Reims en était la capitale. Examinons maintenant ce que furent les Gaulois, qu'on se plaît encore à dire des barbares, et aux armées desquels, en aca- démie, on donne le titre de hordes. Un même culte, un même régime de vie, et des lois égales (i), régissaient toutes les Gaules ; il y avait cependant presqu'autant de nations que de contrées, variées par des climats, des sites, des forêts, des chaînes de montagnes, des laisses de mer, des fleu- ves, ou par des marais (Josephe en compte trois cents. ) (2). Chaque nation avait son roi ; il était élu pour un an. «Le roi, ditPasquier, était, sans plus, « annuel: et, pendant son magistrat, il ne lui « était loisible de vider les fms du pays. » « Les rois des Gaulois, dit César, n'étaient « que les premiers parmi leurs égaux : primi « inter pares. » ' 1^ — ^ : - (i) Les lois des Douze-Tables n'avaient pas ce caractère- (2) Strabon donne lui-même, en ge'nëral, le nom de Celles aux Gaulois : KeXtw^'. 4 ( %) Maigre les rigueurs des climats et des tem- pératures, les Gaulois étaient parvenus à une grande population ; les forêts, les ri- vières et les mers leur fournissaient abon- damment des vivres. Ils furent d'abord chas- seurs ; une plus grande population les rendit pasteurs; la chasse les rendait forts et vigou- reux ; et leur religion , honorant au plus haut degré la bravoure et les combats, ils devin- rent dans la suite éminemment guerriers. Tant de nations et tant de chefs durent bientôt faire la guerre : ainsi le veut le Des- tin impitoyable, jeté au milieu des hommes sur la terre. Les apparitions de quelques peuples voisins, la certitude, d'après les rap- ports, de trouver des climats plus doux et des pays plus riches , donnèrent prompte- ment aux Gaulois l'idée de faire des excur- sions et du butin, qui avaient d'autant plus de prix pour eux, qu'on flattait à la fois leur passion pour les combats, leur orgueil et leur vive curiosité, trois choses qui consti- tuaient principalement leur caractère. Dans un tel état, la mère-patrie dut bien- tôt laisser échapper de son sein de nom- breux et formidal)les essaims. On ne j)eut dire l'époque des piemièrcs émigrations : car il r ( 70 ) paraît démontré qu'il y en avait eu avant celle d'Ainbigat. On en trouve des indices en Phrygie, par les usages, les mœurs et le dialecte (i). Le savant Gebelin lui-même, après avoir comparé les anciens dialectes phrygien , grec et galate, a regardé la langue gauloise celtique comme la primitive de l'Europe et ^## ^ d'une grande partie de l'Asie, Quels argu- ^ ^ mens des étrangers et nos savans pour- raient-ils opposer à ce travail approfondi de Gebelin ? «Il en a parlé ainsi, disent-ils, parce qu il était Français. » Avec un tel raisonne- ment, toute discussion est inutile. Callimaque (2), grand poète et non moins philosophe, a dit, dans son Hymne sur Dé- los, que les Celtes avaient ravagé la Grèce et l \- l'Asie. % ' Ephore, cité par Strabon et par Gluve^ (i) Gain, lin^iid patriâ in Asid usi sunl. (Faic, de Lin g. Wall.) (2) N'est-il pas bien singulier que ce poëte prédise que les Gaulois viendront subjuguer la Grèce? Un poëte de nos jours pourrait prédire que les hommes du nouveau monde domineront à leur toiy ceux de l'ancien, à com- mencer par TEspagne. (7< ) rius, déclare que les Celtes avaient envahi toute l'Europe (i). Lucain a dit, avec une sorte d'ironie, que les Arverniens se disaient plus anciens que les Phrygiens, et issus d'ilion (2). On sait que les Gaulois n'ont confie qu'à la tradition leurs dogmes, leurs lois et leur histoire. « Cette malheureuse opinion , dit « Pasquier, ennemie de l'immortalité de nos «noms, a été cause que l'honneur de nos « bons vieux pères est demeuré enseveli de- •< dans le tombeau d'oubliance. « Mais les Grecs, jusqu'au sixième siècle avant l'ère vulgaire, ont imité les Gaulois. Les Indiens ont ignoré plus long-temps l'art d'écrire (3). Les Romains, si fiers de leur gloire, ont (1) Gallorum natio adeo populosa Ut indiversas ac longinqitas mundi regiones , colonias deducérc. Ex his in Asiam, nomenque Galatiam. (Cluv.) w Ancmique ausi Latio se Jingere fraircs Sanguine ab Iliaco populi (Lucain.) (3) Indi. . liUeras nesciunt, niemoriter omnia adminisr- trant. (Strab., 1. i5.) ( 72 ) voulu faire croire qu'ils étaient sortis d'Ilion. Titc-Live , si flatteur, n'a-t-il pas dit que la tradition fut pendant long-tempsla gardienne des faits mémorables (i) ? Les Gaulois, plus constans, et plus con- fians envers leurs prêtres, ont, de siècle en siècle, et presque jusqu'à César, repoussé l'invention de l'écriture ; de sorte qu'aujour- d'hui, n'ayant de foi qu'aux écritures, aux médailles et aux monumens, on s'obstine à ne croire rien de vrai et d'honorable sur les Gaulois. Accusant sans cesse les druides d'i- gnorance et d'impostures, les aristarques, égarés ou prévenus, ne veulent pas considé- rer que partout, à Thèbes, à Memphis, à Héliopolis, les prêtres, comme les druides, étaient chargés d'écrire l'histoire des na- tions. Pasquier, que j'ai pris pour guide , et qui fait ma foi historique, reconnaît que les Gau- lois, comme les plus anciens peuples, ne faisaient registre que dans leur mémoire ; il se plaint « de ce que nous n'en avons con- « naissance que par emprunt, et encore par (i) Rarœ per eadem teinpora, litlerœ; wia cuslodia y fidelis memoria rerum gestarum. (Tit.-Liv., l. 8.) ( 73) « histoires qui nous sont prestëes en mon- « naye de si bas aloy, qu'il nous eust été «plus utile ne recevoir tels plaisirs que de « voir publier nos victoires, avecques tels « masques qu'elles ont. » Sans Pasquier, je le déclare, à peine eus- sé-je osé mettre les Gaulois sur la scène de rbistoire, rappeler leurs conquêtes et célé- brer leur valeur, leur caractère et leurs qua- lités ; car dans le monde et dans l'éducation nationale, on signale imperturbablement les Gaulois comme des barbares ignobles. Il est donc indispensable d'en retracer ici le por- trait; on le croira fidèle, car les traits et les couleurs me sont fournis par les auteurs étrangers. Ammien Marcellin dit que les Gaulois avaient une haute taille ; qu'ils avaient la peau blanche, les cheveux blonds, et le regard farouche; qu'ils aimaient les querelles, et qu'ils étaient extrêmement fiers. Dans une querelle , si la femme d'un Gaulois vient à son secours, elle enfle son gosier, grince des dents, découvre ses bras, blancs comme la neige, et se met à jouer des poings. « Les Gaulois, conlinue-t-il, aiment démesurément la guerre; ils la font à tout âge; le vieil- (74) lard (i) comme le jeune : endurcis par des exercices violens, ils re'sistent à tout. » Jules-Ccsar, toujours juste et vrai en ce qui regarde les Gaulois, les dit prompts dans leurs re'solutions , impétueux dans l'attaque , et se rebutant facilement; emportes, té- méraires, curieux à l'excès; ils sont néan- moins les plus civils des barbares ; ils se font remarquer par leur propreté, et ils ont du goût dans tout ce qu'ils font. Claudien dit que les Gaulois portaient des cheveux longs, et que par la longueur on jugeait des rangs. Ils se servaient d'une pom- made pour rendre leurs cheveux roux ; aux combats, ils les relevaient sur le haut de la tête, ce qui lui a fait dire Gallia crine ferox, Agathias en adoucit un peu les traits. « Ils ont la tête haute, les cheveux blonds, les yeux bleus, une belle taille, le regard farou- (i) Vertisque, gênerai de la cavalerie gauloise, e'tait si vieux, qu'il ne pouvait se tenir à cheval; mais c'eût été une honte pour lui de refuser le commandement. Jules- César fait observer que c'était une règle de devoir et d'honneur chez les Gaulois... Vioc equo propler œtatem... consiictudinc Gallorum. (Lib. 8, de Bell, civ.) Ajoutons nous-mêmes que c'était pour eux un déshon- neur irrévocable que d'abandonner son chef. ( 1^) che; ils sont querelleurs, jaloux, curieux, humains, hospitaliers; ils rendent leurs che- veux roux avec du suif et de la cendre de hêtre. Dans les solennités, les grands garnis- sent leurs cheveux de poudre d'or. » Strabon, le Banville des Romains, en peint le caractère avec impartialité ; il dit : «Toute cette nation celle, galale et gauloise, est belliqueuse et terrible, ardente aux combats, et, du reste, d'un caractère plein de candeur et de simplicité : les mauvaises mœurs lui font horreur (i).» riorus, encore frappé de la terreur que les Gaulois avaient inspirée aux Romains , les signale d'inspiration , comme des bar- bares féroces et d'une stature énorme, com- battant avec des armes d'une grandeur ex- traordinaire (2). Robert Cœnalis, évêque d'Avranches, qui ( I ) Hœc natio quœ nunc Celiica et Gallalica et Gallia appellatur, bellicosa est et ferox , ad pitgnam prompla... Ad coeterurriy ingenio candido et sirnplici, et au improbis moribiis abhorrent. (Strab., édit. d'Oxford.) (2) Gens naturaferox Corporum magnitudinc , in- gentibus armis, adebque terribilis , ut ad interilum, (Flor.,l.i.) ( 76 ) sans doute avait puisé à bonne source, les signale ainsi : «Ils ont une âme de feu, un cœur noble; ils sont curieux, gais, vifs, et ils aiment les festins (i). » Quant à leur taille, César a fait la remar- que que, sous ce rapport, ils méprisaient les Romains (2). Il réitère la même observa- tion, dans ses Commentaires, sur les Gau- lois et les Germains (3). Tacite avoue leur bravoure (4). Sidoine Apollinaire trouvait dans les Gau- lois le type le plus juste de l'ancienne cou- dée. Cette considération pourrait servir à expliquer plusieurs causes de dégénérations résultant des excès de la domesticité dans la v!*e habituelle et dans l'éducation ; elles sont telles, que les Gaulois, comme certains ani- ( I ) Ignea mens Gallis , nobile pectus , rerum sitibundi novarum, Iceti, alacres, et in conviviaproni. (Rob. Cœn.) (2) Nam plerumque omnibus Gallis, pro magnitudinc corporum, brevitas nostra conte mptui est. (Caes., de Bell. Gall.) (3) Gain Germanique Jbriiter resistentes . . . Horum cor- pora, mirijicâ specie amplitudinequc , jacebant. (Ici., de Bell. Afr.) (4) Gentes periculorum avidas. (Tac, 1. 5.) (77 ) maux, semblent avoir eu une existence ou des formes gigantesques. Si nous ne voyions pas que les auteurs les plus recommandables ont signalé les Gaulois comme des hommes extraordinai- res par leur taille et par leurs forces phy- siques, on pourrait ici, sans conséquence, les faire participer à la fable des géans, qui a fait le tour du monde. Florus, Agathias, Jules-César, Tacite, Tite-Live, sont d'ac- cord sur les grandes proportions de leur corps, et sur la réalité de leurs formes athlétiques. Telles sont les expressions de Florus : Corporum magnitudine ; celles de Ta- cite et de Tite-Live : Immensœ proceritatis Tel est encore l'aveu de César, que les Gau- lois faisaient peu de cas des Romains, parce qu'ils étaient de petite taille. L'Ecriture sainte elle-même a accrédité l'histoire ou la fable des géans. Les Grecs, et les rabbins ensuite , ont fait donner une créance à cette opinion ; il y a une épître de saint Paul aux géans. On a écrit, comme un fait d'histoire, que les hommes les plus grands de la terre étaient les Phrygiens, qu'on surnommait les colosses. L'erreur sur la taille se fût moins long-temps (78) prolongée, si Ton se fût mieux entendu sur les significations réelles des signes de con- vention pour les mesures; car, après avoir pris ce soin, il en est résulté que tous ces géans avaient cinq pieds sept à huit pouces. Telles ont été les déductions faites sur là coudée et la palme. Des hommes qui semblent suscités poiïr le maintien des erreurs, ont ensuite argu- menté de certains débris d'animaux qu'ils ont imputés à la race des géans. Saint Augustin â même confirmé toutes ces erreurs, en disant qu'il avait vu de tels géans. Mais la science vraie a déclaré que ces os avaient appartenu à des éléphans ou à des cétacées. Que vont dire nos historiens parisiens et nos philosophes romantiques, du parallèle qui a été fait par maints auteurs , entre les Gaulois et les Spartiates? Les Gaulois , d'habitude , portaient les cheveux longs : tels les portaient les Spar- tiates (i). Les Celtes (c'est-à-dire les Bas-Bretons) ( I ) Platon raillait les Lacedémoniens , parce qu'ils por- taient leurs cheveux longs. (79) portaient un bonnet dont la forme ressem- blait à la moitié d'un œuf; c'était précisé- ment le bonnet des Spartiates. A la chasse, à la guerre, les Gaulois por- taient un habit court; il était aussi celui des Spartiates. Ces derniers se disaient issus des Titans ; et, pour leur ressembler, ils portaient sur leurs vêtemens des bandes couleur pourpre. Les Gaulois avaient la même prétention. Gal- limaque et Orphée l'affirment pour les uns et pour les autres. Vaincre ou mourir était le cri des deux peuples» et, pour la liberté, la passion était la même. Les Spartiates sont réputés les plus braves de la Grèce. Nul peuple n'a surpassé les Gaulois en bravoure, t^ Les soldats gaulois, dit Pausanias, étendus sur le champ de ba- taille , tiraient les flèches de leurs corps pour en assaillir encore l'ennemi. » ( M. Denon a vu faire la même chose à des soldats français en Egypte. ) Les Gaulois regardaient comme une fai- blesse de s'enfermer dans des toits ou des forts : les Spartiates pensaient ainsi (i). (i) Armis, non mûris se defendunt SparUmi. (Just.) ( «o ) Les Spartiates n'ont confié qu'à la mémoire leurs lois, leurs dogmes et leurs exploits. Les Gaulois, sur ce point, ont encore été plus long-temps sévères. Les Spartiates étaient extrêmement brefs dans leurs discours : cette remarque a été faite généralement sur les Gaulois. Le mets par excellence des Gaulois était le porc, qu'ils nommaient sic sic : les Spartiates font toujours préféré, et ils le nommaient La bouillie était chère aux Gaulois ; elle ne Tétait pas moins aux Spartiates. Les Gaulois , de règle , plongeaient leurs enfans nouveaux -nés dans l'eau froide : les Spartiates ont pratiqué le même usage. Dans les calamités, les Gaulois sacrifiaient des victimes humaines; dans les mêmes cir- constances, les Lacédémoniens ont ordonné de tels sacrifices. On doit convenir du moins qu'une telle identitésurdes points aussi essentiels, etdont chacun peut vérifier les réalités, donne aux Gaulois un très-beau relief, et quand même elle serait Teffet du hasard. Ceux qui ont fait ces rapprochemens, et qui ne les ont pas pris sans doute dans leur imagination, ont dit (8. ) des choses plus raisonnables! que certains au- teurs anglais, qui, après avoir nie lesGaiilois leurs ancêtres, ont voulu faire considérer les Lacédémoniens comme une colonie de Juifs, parce qu^on observait à Lacédémone les mê- mes usages que les Juifs , relativement à la lune : c'est ainsi qu'on écrit l'histoire dans Albion. Dans l'histoire des Gaulois, Marseille est toujours citée comme un foyer de lumières qui a éclairé et civilisé même toutes les Gau- les. Ainsi, dans l'opinion courante, et même dans celle de Marseille, la fondation de la cité serait due à une colonie de Phocéens. J'ai déjà donné un aperçu sur l'erreur des historiens à ce sujet, dans l'introduction qui précède, mais il convient de donner ici de plus amples développemens. Charron , s'appuyant sur le témoignage du fameux Pythéas, célèbre géographe et navi- gateur, né à Marseille, pensait que cette ville avait été fondée par des Gaulois, et dans la- quelle s'étaient rendus les Phocéens, que la tyrannie avait forcés de s'expatrier. Pythéas était contemporain d'Aristote ; il était re- nommé chez les Grecs et chez les Romains; son opinion, il me semble, doit prévaloir lAgriciil. des &aiilt»is. Q (82 ) sur celle du vulgaire. On trouve de la justesse et des probabilités raisonnées dans les motifs qu'il donne ; il dit que les Gaulois, comman- dés par Galatée, passant à Phocée, dont les habitans étaient vexés par les intendans de Cyrus, avaient proposé aux Phocéens de les suivre, en leur assurant qu'ils trouveraient aux bords de la mer même un territoire oa ils pourraient s'établir ; qu ils s'étaient déci- dés à suivre les Gaulois , et qu'ils avaient pris terre en un lieu qu'on nommait Maz, et dé- pendant de la nation des Saliens ; que leur établissement avait pris le nom de Maz-Salia, Ce fait se concilie avec l'observation d'Hé- rodote , qui signale les Phocéens comme le peuple le plus fier et le plus jaloux de la li- berté qu'il y eût dans toute l'Asie, et qui supportait le plus impatiemment le joug des Perses. Cet événement si naturel, et qui exister^ toujours, tant qu'il y aura sur terre des asiles sûrs pour la liberté, est presque certioré par une colonie de Phéniciens, qui également s'at- tacha à des Gaulois, pour venir s'établir au bas des Pyrénées. On veut même que les ar- mes de la Navarre en soient un signe distinc- \\ï. Je ne puis citer des auteurs, mais telle ( 83 ) est du moins la tradition du pays navarrirt. Les plus anciennes villes d'Italie, d'après Tite-Live, Polybe, Justin, Yalérius, Lucain, ont été fondées par les Gaulois. Vérone , Aquilée, Milan, Trente, Crémone (i\ etc. Tite- Live et Polybe ont eu la même opinion. Les peuples de Vérone et de Crémone ont été long -temps nommés Cenomani, parce que leurs villes avaient été fondées par des Celtes du Maine. La Ligurie a été également une colonie gauloise ; Tite-Live n'en fait pas même un doute, Dion Cassius a fait observer que les Liguriens avaient été les derniers peuples de ITtalie» qui avaient porté les cheveux longs comme les Gaulois, et qu'on les désignait ainsi : Ligures crinitL Lucain a confirmé la même remarque (2). Pline a toujours regardé les Ombriens (i) His autem GalUs sedibus luscos ejcpulerunt el, Mediolanum , Comam , Brixiam , Veroniam , Ber^amwn , Tridentumj Vicenliam condiderunt. (Jiist., 1. 20.) (2) Ducentis quippk annis anlequam Clusiam opptigna- rint... In Italiam, Galli transcende nml. . . Sed midli anlc <:um ils y sœph exercitus Gatlici pu^navcré. (Tit.-Liv., 1.5.) Nunc tonse Ligiir\ qiiondam per colla dccora crindHts rffuds. (Ph. Luc.) (84) comme le peuple le plus ancien de l'Italie; Solin confirme cette opinion (i). Servius a dit le niême fait, et par les mêmes expres- sions (2). Jornandcs le redit également (3). Yalërius dit qu'on ne trouve nulle part, en Italie, autant de monumens celtiques que dans fOmbrie (4'. Le savant Merula, si connu par ses Re- cherches sur forigine des langues, a déclaré que, depuis les Alpes jusqu'à l'extrémité de rOmbrie, la langue était d'origine celtique. N'est-il pas affligeant que, sans causes ni motifs contraires, les historiens français mo- dernes s'obstinent à taire considérer les Gau- lois comme des barbares vils et avilis, sans lois, sans civilisation, et comme des êtres sauvages et féroces, quand les Romains, (i) Oens antiquissima Umbrorum. (Pline.) Umbfos Gallorum propaginem e€se. Nullibi in tota iLalia... Tôt monumenla antiguitaium , quam in agro Umbrorum... Cel- tici generis. (Val., i. i, c. 6.) Umbri... Gens veterum Gal- lorum propago. (Saint Isidore.) (2) Gallorum Umbros propaginem. (Serv.) (3) Gallis progeniioribus Umbrorum, (Jornand.) (4) Nullibi , in tola Ilalia , Gallica tôt reperiuntur mO' nunienla , quot heic , tam in ipsa urbe , quam in agro piusim. (Val., 1. i.) (85) leurs ennemis nés, déclarent unanimement les éminentes qualités des Gaulois, sous le rapport des mœurs, des vertus, des sciences et de la valeur? Loin de s'amender contre de telles erreurs, on les répète , on les aggrave dans tous les livres nouveaux, sur tous les théâtres, dans tous les salons; que dis-je? dans les discours de législature, dans les académies, les Gaulois sont signalés comme des barbares (i); ils sont le piédestal perpé- tuel sur lequel on élève la gloire et le triom- (ï) Faisons observer, une fois pour toutes, que Te'pi- thète de barbare, dans les temps anciens, n'avait rien d'odieux. Pour les Gaulois, les Romains e'taient des bar- bares; pour les Romains, les Mace'doniens et les Perses mêmes e'taient des barbares ; les poètes grecs et romains ont à l'envi prodigue' cette cpillicte aux Gaulois; Alexan- dre appelait les Gaulois de son arme'e ses barbares } les Francs, pour l'empire, ont e'te' des barbares; Clovis ne s'en offensait pas. En ge'ne'ral, pour les belligerans, tous les peuples e'trangers qui survenaient e'taient des bai bares. Les Grecs nommaient barbares tous ceux qui ne parlaient pas leur langue ; Plante disait qu'il avait traduit une co- médie des Grecs en langue barbare, c'est-à-dire en latin. C'est donc à tort que , dans l'acception commune , le Dic- tionnaire de l'Acade'mie fait de ce mot i'e'quivalent d€ cniel ou à' inhumain. Les Gaulois ne s'en offensaient point, parce que, pour eux, e était un synonyme dtjort et t'a- ( 86 ) phe des Romains. Voyez les gravures de Ca- mille et de Brennus, et au théâtre les pièces de Germanicus et de Régulus. Je n'espère point soulever le poids immense qui pèse sur les Gaulois nos aïeux, mais je me fais un devoir de poursuivre leur histoire, selon qu'elle est établie par les auteurs étrangers ; mes recherches pourront peut-être faciliter îe travail de l'Hercule nouveau qui entre- prendra de produire un jour les faits et gestes, des Gaulois nos aïeux. Combien on doit regretter la perte des^^ œuvres de Timagène, qui, selon le témoi- gnage d'Ammien Marcellin, un des auteurs les plus véridiques, avait fait une Histoire générale des Gaulois! Quel peuple méritait mieux un historien, lui qui a tenu l'Asie^ l'Afrique et l'Europe entière, depuis le Cau- case , jusqu'aux colonnes d'Herculeî Icureux. Platon, en convenant que la langue grecque s'e'-^ tait enrichie de plusieurs mots des Celtes , ne les conside'- rait pas sans doute comme brigands, sauvages et sangui- naires. Il dit r Nos a Barbaris plurima ^ocabula. (Dialog.) Nos écrivains n'ont de me'moire et d^émulalion que pour aggraver et calomnier les Gaulois, et pour louanger les. Roiîiains, desquels pourtant le poëte courtisan a dit dans, une ode : Roma ferox , dure jussa Médis. (87 ) A/W%/V%'iA'«'%'W«/VV«/WW«/%'W%'V%' VW%/V%. %rW%fV\%;VM%f%/\>WM%l\/V%i%/%l CHAPITRE IL La grande émigration des Gaulois, Celtes et autres, sous Ambigat, roi des Bituriges, au temps de Tarquin l'ancien. — Deux armées «n sont composées ; l'une marche vers le Rhin , l'autre vers l'I- talie. — Opinion naisonnée de l'historien Pasquier sur cette mé- morable expédition. — Deux siècles après celle d'Ambigat, il se forme une autre irruption de Gaulois ; Brennus les commande ; il entre en Italie , et prend la ville de Rome , à laquelle il im- pose une rançon de mille livres pesant d'or. — Circonstances de ses victoires et de la capitulation avec le Sénat de Rome. — Le trait de Camille est une fable , ainsi que le combat de Manlius. — Partialité de Tite-Live. — Suite des préventions qui en sont restées parmi les lettrés français, et dans les écoles. — Alexan- dre reçoit des ambassadeurs gaulois; leur réponse. — Victoire iies Romains sur les Gaulois. ÏOI3T annonce et fait présumer qu'il y a eu des émigrations de Gaulois antérieures à celle d'Ambigat. César déclare, dans son sixième livre, que les Gaulois avaient été plus puissans et plus nombreux que les Ger- mains, et qu'ils avaient peuplé la Germanie. Celle opinon est précieuse, en ce qu'elle donne aux Francs une origine gauloise; ce- (88) tait d'ailleurs ï'opinipn du géographe Eus- tathe, et celle de Tacite. Strabon, après eux, s'est fondé sur l'autorité d'Egésinax, en dé- clarant que les Gaulois avaient Iraversé toute l'Asie (i). Mais puisque les preuves nous manquent, il faut s'en tenir à cette dernière émigration. On fixe généralement au temps de Tarquin l'ancien, la grande émigration dont Ambigal, roi des Bituriges, fut le pro- moteur, dans la quarante-unième olympiade, Sgo ans avant Jésus-Christ. George Merula s'en exprime ainsi : « Au temps de Tarquin l'ancien, Ambigat, roi des Celtes, pour sou- lager son royaume de sa trop grande popu- lation, envoya ses neveux, Bellovèze et Si- govèse , avec une nombreuse armée, pour chercher hors des Gaules des demeures nou- velles (2). » Tite-Live a donné les mêmes motifs (3). Cluverius, d'après les anciens,. (i) Gallos ex Eiiropâ in Asiam Irajëcisse. (Strab., 1. 13.) Gain, in Asiani... pelivere. (Cluv., in Genn. antiq.) [1) Per tempora Tarquinii piisci, Ambigotus , Celta- mm rex, ut regniini prœgravante populo exoneraret, Si- govesum et Bellovesuni ex sanguine genitos , magno homi- num excitato numéro, ad sedes novas quœrendas, e fini- bus Galliarum enùsit. (Georg. Merul., 1. r.) (3) Exonerare y prœgravanie tiirbâ cupiens. (Tit.-Liv4 j^ ^ («9) indique la marche de cette grande colo- nie (i). L'appel d'Ambigat pour une expédition lointaine, eut le plus grand succès; chez toutes les nations gauloises, il lui suffisait d'annoncer de la gloire et des pays riches ou nouveaux à conquérir. Les colonies de cha- que nation se rendirent auprès d'Ambigat, dans les plaines de Bourges. Les Eduens, les Arverniens, les Sénonnais, les Bellova- ques, les Boïens, les Armoriques, etc., y de'putèrenl l'élite de la jeunesse et des guer- riers. Deux grandes armées en furent compo- sées ; le commandement en fut donné à Bel- lovèse et à Sigovèse ; les augures détermi- nèrent les points de départ (2). Chaque na- Ducentis quippe annis antequam Clusium oppugnarent.... In llaliam Galli transcenderé sed multb antè Sœpè exercitus GalUci pugnaveré. (Tit.-Liv.) (i) Galli... Exundans domi muUiludo , palriâ relictâ , exteras pctivere regiones ; parte eorum in llaliam , parte in lllyricuni , alquè indè in Grœciam et Asiam , parte in Germaniam delata. {Ex Antiq. Gcrm., Cluv.) (2) Bellovesum et Sigo^esiim missunim... Jn quas dii dédissent sedes augitriis. (Tit-Liv., 1. 5.) ( 90 ) tion avait ses druides; les troupeaux, les chariots de famille suivaient l'armée. Sigovèse se dirigea vers le Rhin; il laissa une colonie de Boïens dans la plaine que baigne l'Elbe, et que cerne la forêt d'Her- cinie (i). L'arme ordinaire des Gaulois était une lon- gue lance, et pour la cavalerie une framée, sorte de javelot qu'ils lançaient sur l'ennemi. C'est du moins le témoignage de Pausanias, celui de Plutarque et de Polybe. Bellovèse prit le chemin de l'Italie (iz). A son approche, les Marseillais envoyèrent des députés, pour le prier de ne pas faire de butin dans leur cité : Bellovèse le promit. Ce fait seul prouve que les Gaulois n'étaient pas des brigands j il eût mérité de la recon- naissance de la part de Marseille ; mais la générosité de Bellovèse y a été constamment méconnue. Les Alpes n'arrêtèrent point la marche des Gaulois ; tous nos historiens ont gardé le silence sur cette audacieuse entreprise, et ils n'ont pas assez de voix encore pour cé- (i) Sigoveso , sortibus dati Hercinii sallus . (Tit.-tflv.) {n) Belloveso, in lUtliatn y 'viani. (Ibid.) (9' ) lébrer le passage d'Annibal. Justin a dit, à ce sujet : « La nation gauloise est âpre, au- dacieuse, belliqueuse ; elle est la première, depuis Hercule, qui ait osé affronter les sommets glacés des Alpes (i). » Bellovèse couvrit de soldats et de colonies les belles plaines de l'Italie, et des villes s'é- levèrent où il fixa ses camps. On vit se réa- liser le plus beau plan de campagne qui ait jamais été conçu. Les deux frères pouvaient s'entendre et correspondre de l'Eridan au Bosphore , et du Bosphore au Rhin et à rOcéan. La Pannonie, la Bulgarie, l'Illyrie et la Grèce subirent le joug des Gaulois ; l'Asie même en conçut de vives alarmes. Quelques rois se mirent en défense ; leurs armées furent exterminées, et les victoires des Gaulois portèrent la terreur jusqu'à la chaîne du mont Taurus. Bellovèse laissa de nombreuses colonies en Grèce et en Asie. De tels plans, des marches aussi rapides, des victoires aussi décisives, ne prouvent- elles donc pas que déjà les Gaulois connais- (i) Gens aspera, audax, bellicosa, quœ prima, post Herculem... Alpium invicia juga et frigore iniractabilic» loca transcendil. ( Just., 1. i^-) (90 saient les contrées qu'ils venaient d'occuper, ou qu'ils voulaient conquérir ? Rome, à peine fondée, n'était pas encore digne du regard et des armes des Gaulois. Carthage seulement commençait à appa^- raître aux nations de l'Occident. Il est pénible, pour tout vrai Français, de ne pouvoir pas suivre la marche historique d'un peuple qui avait déjà fait de si grandes choses, et avant même qu'il fût question de Romains dans le monde. D'après nos historiens, l'ère des Gaulois est presque ensevelie ; le mépris de l'opinion la fait effacer chaque jour. En vain les au- teurs grecs et latins offrentles Gaulois comme un grand peuple; tous nos historiens les re- poussent ou les avilissent; la jeunesse stu- dieuse les croit sur parole, et de génération en génération elle s'élève dans cette odieuse et injuste prévention. 11 semble que nos let- trés ont honte de ce qu'on dise que l'empire des Gaules a précédé le royaume de France. Devait-on s'attendre que M. Fom-rier, qui doit sa réputation à l'ère de la liberté, à ses con- naissances en mathématiques, à son amour pour la patrie, renierait ou dédaignerait aussi de nommer les Gaulois, qui ont oc- (93) cupé de leur gloire l'Egypte, la Grèce et l'Asie mineure? Je me borne à en faire la remarque; et, crainte de récriminations, je me hâte de me ranger sous 1 égide de notre respectable et vertueux Pasquier. Il dit : « Sur tous les peuples qui se sont adonnc's « à courir l'univers, l'on en peut, à mon ju- «gement, donner le plus ancien lieu aux « Gaulois Et vrayment, quant à nos « Gaulois, il fut une saison qu'ils establirent « en tant de régions leurs conquêtes, que « pour cette occasion plusieurs gens appelè- « rentindifférement l'Europe sous le nom de « Celte ou Gaulois , qui se rapporte Tun à « l'autre « En la plupart de toutes les contrées de «l'Europe, les Gaulois avaient eu des vic- « toires, et bien souvent avecques leurs vie- « toires, planté leurs noms. « Ils fichèrent aussi leurs demeures dans «la Germanie, et vers la côte de la forêt M Hercinie ; non contents de ce pays, conti- * nucrent leurs conquêtes jusques en la Scy- « thie ( comme en font foi les Celto-Scythes j, « et aux Espagncs, ainsi que nous pouvons « tirer des Celtibères, peuples, au rapport «cle Plutarque, extraicts du viel tige des ( 94 ) w Gaulois, s*estant vus mesmement com- « mander à une partie de Htalie, de la Grèce « et de la Phrygie ; tellement qu ayant fait «sonner leurs victoires en une Germanie, « Scythie, Espagne, Grande-Bretagne, Italie, « Grèce et Bithynie, il ne faut trouver trop « étrange, que non seulement les Grecs, mais « aussi quelques autres qui nous attouchaient « de plus près, confondissent soubs ce nom « Gaulois, les autres peuples qui dépendaient « de la grandeur d'eux. « De notre Gaule , comme d'un grand ar- «bre, s'estait eslendu le branchage parmy «toute cette Europe Or, entre tant de «conquêtes...., si n'en avons nous instruc- « tion , que par les mains de nos eiine- « mis. « La première est cette grande expédi- «tion qui fut faite sous Ambigat, roi de «Bourges, quand Bellovèse et Sigovèse, ses « neveux, prindrent la part par sort en par- ce tage ; l'une le pays d'Italie, et l'autre celui «de la Germanie, leur succédant toujours «leur entreprise si heureusement, que cha- « cun d'eux, sans grand destourbier, prist la «terre où il avait projeté, éternisant dans « chaque pays , par la fondation des villes (95) « qu ils y bâtirent, la mémoire des nations « qui s'estaient avecques eux acheminées à si t* noble voyage.... « A manière que les Vénitiens... prindrent «•leurs, noms du peuple de Vannes Si «est, ce que Polybe attestait , qu'ils «avaient pris leur ancienne origine de nous, « èbose à laquelle condescend volontaire- « ment Strabon. Les Gaulois, de leurs pro- tcpres forces et sans armes auxiliaires, sub- ir juguant toute TEurope.... En cette façon, f* pour retourner sur mes arrhes, conquirent- «ils l'Italie et aussi la Germanie...., meirent «U ville de Rome à sac, et sous Brennon «occupèrent-ils la Grèce, la Bithynie, « que nous appelons Natolie , et fondèrent un «grand royaume. « Le nom gaulois était si redoutable au «peuple romain, que lorsque le moindre « bruit s'eslevait d'une entreprise gauloise, «les Romains couraient comme au feu. « Au regard de la Grèce, y ayant assis « notre demeure. On récite qu'en toutes les « grandes entreprises qui se brassaient au « Levant, les princes avaient vers nous leurSf « recours..., soit qu'il fut question de cestar- « blir en son thjrôn^ iin pauvre roi dépos- (96) « sédé, ou de porter confort et ayde à quel- « {jues peuples désolez (i). « Je say bien que quelques historiographes « voulurent anciennement soutenir que tous « ceux qui s'étaient retirez vers la Grèce «avaient été déconfits, par la seule provi- » « Je ne doutepas qu'il semblera à quelqu'uns « qui presteraient l'œil au présent discours, « que je me suis destiné à la louange ou dé- « fense de nos vieux Gaulois, chose que li- « brement je confesse..., moyennant que ce « que je dis se rende conforme au vrai, ainsi « que la nécessité m'y semond; car l'autorité (i) Les Français du dix-neuvième siècle, si fiers de leur civilisation, ou plutôt les hommes de leur gouverne- ment , n'ont pas e'té si géne'reux que les Gaulois , pour venir au secours des Grecs opprimés et massacres. (97 ) « de quelques auteurs latins, par longue traî- (juidein cladk relictm. (Ïit.-Liv.). C 'o5 ) nir de cette expédition à Toulouse , et char- gés des immenses richesses prises à Delphes» Les historiens français, cependant, ont tel- lement accrédité cette fable, qu'on l'enseigne comme historique dans les livres, dans les collèges et aux théâtres. Le sujet de Camille est même un chef-d'œuvre de gravure fran- çaise : Camille y est représenté, en jeune et superbe guerrier, fils de Mars et de Vénus; il intervient à l'instant où Brennus a jeté son glaive dans la balance; Brennus, à l'oppo- site, offre une figure ignoble, féroce et sau- vage (i). Les Romains, de leur coté, ont imaginé une consécration qui a fait mettre en doute la prise de Rome et du Capitole ; plus d'un siècle après, ils ont élevé un temple à Vénus Cal va, parce que les dames romaines avaient sacrifié leurs cheveux pour faire des cordages pendant le siège par les Gaulois. Suétone et Justin n'ont point répété les (i) M. Dacier a répété cette fable. C'est par de tels hom- mes que les mensonges se propagent : dix mille personnes croiront Dacier sur parole , et il ne s'en trouvera pas une seule qui voudra prendre la peine d'examiner et de vo- rilier. ( io6 ) contes de Tite-Live; Polybe, toujours vrai^ et qui écrivait près d'un siècle avant Tite*^ Live, déclare, au contraire, que les Gaulois ne sortirent de Rome qu'après qu'on leur eut donné For qui avait été stipulé par le traité. Justin dit formellement que les Romains ne se délivrèrent point des Gaulois en leur fai- sant la guerre, mais en achetant la paix (ï). Junius Brutus se borne à dire : u Nous sa- vons que nos ancêtres, vaincus vers l'Allia, se sont rachetés des Gaulois avec de l'or (2). n Appian n'a pas osé dire positivement que Rome avait été prise par les Gaulois ; il a em- ployé une locution dubitative : « On rapporte que notre ville fut prise autrefois par des hommes horriblement barbares. » Tite-Live, oubliant ses propres écrits, fait dire par un général samnite aux Romains : « La ruse a été votre recours habituel ; ce « n'est qu'à force d'or que vous avej^ racheté « votre cité des Gaulois (3)» » (i) Non bello, sed prœtio, hostem reniolwn- (Jlist.I. ^^.\ (2) Majores quoque acceperamus se a Gallis aitro rede- inme aique ad Ailiain. (Jun. Brut., l. 2r.) (3) FuHo subduxisUs : aiirp civilaleni a Gallis rcdemls- i/6. (Tit.-Liv.,l. 7.) ( Ï07 ) Camille, tant rechanté par les Romains, a ditPasquier, avait si peu vaincu les Gaulois, qu'immédiatement après leur retraite, le sé- nat de Rome envoya des commissaires chez les peuples voisins pour les exciter à se réu- nir à eux contre les Gaulois, qu'il signalait comme des barbares, ennemis de tous les peuples de l'Italie. Il est de fait que les Gaulois , après avoir été payés de la rançon convenue, parcouru- rent en vainqueurs tout le Latium ; Rome était elle-même si peu rassurée, que, dans ce temps-là même , elle suspendit le cours ordi- naire de ses lois, pour confier le sort de la république à un dictateur; non à Camille, qui avait exterminé les Gaulois et repris l'or de la balance en face de Rrennus; non à ce nou- veau Romulus, mais à Quintus Servilius. Le trait de Manlius n'est pas plus vrai que celui de Camille : le lecteur va en juger. Il paraît que, dans les intervalles des grandes batailles, on se livrait à des combats singu- liers; Tite Live, comme un poëte épique, en a fait un épisode. Il dit : « Un guerrier gaulois avait provoqué les Romains. » Il ne nomme point le Gaulois; mais il fait plus; il en fait un Hercule géant; sa taille était prodigieuse « ( «o8 ) ses habits brillaient d'or et de diverses cou- leurs; ses armes avaient \h\ éclat élincelant;, il s'avança dans l'arène, semblable à un co- losse (i). Le ge'néral romain, à cette provocaliort, n'eut qu'un mot à dire à Manlius : <' Va terras- ser cette bête féroce, //// belluœ , et montre à tous les Gaulois qu'un Piomain est invincible, Romanum innctum prœsta. » Le Gaulois, bien entendu, fut vaincu; son corps, en tombant, couvrit un long espace; Manlius, pour prix de sa victoire, se contenta de prendre au Gaulois son collier, qu'il mit à son cou (2)^ et en fut surnommé Torquatus. Ce dernier trait est aussi vraisemblable que celui de Valerius-Corvinus, rapporté par le même Tite-Live; un corbeau, par l'as- sistance d'un dieu, était devenu l'oiseau fa- milier de Valerius. Quand celui-ci combattait, le corbeau se plaçait au faîte de son casque ^ et, agitant ses ailes, il attaquait du bec et de (i) Ma^nitudine cximius — . Vcrsicolori veste, piclisque mtro cœlalis , feful^ens arrnis , Galliis , vclut maies supernè imminens. (Tit.-Liv.) (2) In spallwn ingens, ruentern porrexit hosleni... coUa eircumcledii. (Idem.) C Ï09 ) sns serres la bouche et les yeux de Tentiemi ; dès que Valerius était vainqueur, le corbeau s'envolait vers l'Orient (i). Pour faire prédominer les Romains, Tite- Live a constamment sacrifié la vérité, la jus- tice et sa propre gloire ; il a su dissimuler avec art les causes vraies des guerres des Ro- mains, presque toutes injustes et odieuses, et il a excusé de même ou légitimé des viola- tions et des forfaits politiques. Habile à plaire au sénat et au peuple, il ne cesse de faire de ia cause des Romains la cause même des dieux; car je ne sais si on pourrait citer un seul grand événement pour lequel il n'ait fait intervenir le Ciel, et décrit des prodiges que la seule raison ou la pudeur du moins devait interdire à sa plume. Comment un historien qui se respecte, et qui doit respecter le public , a-t-il pu dire que des javelots s'étaient enflammés dans les mains des soldats; que le disque du soleil s'était ré- (i) Numine interposito... Valerius... corvus repente in galea consedit... aiiguriwn cœlo niissum... diciu mirabile; qiioLitscumque certamen iniluni est, levans se aiiSy os otidosque hostis, rosiro et un^ibus appeliit... Valerius... oUruncat... cor%>us j Orientem petit. (Tit.-Liv.) ( MO ) duit tout à coup h la grosseur d'une ëtoile ; quàPrrneste, des pierres enflammées étaient tombées du ciel; que les épis de blé tom- baient couverts de sang sous la main des moissonneurs, cruentas spicas cecidisse ; que le poil des chèvres s'était changé en laine, des poules en coqs, et des coqs en poules, etc.? La prévention était si assidue sous la plume de Tite-Live, que les Romains, dans son histoire, n'ont jamais eu le déplaisir ou l'hu- miliation de voir attribuer leurs défaites ou leurs revers à la sagesse et à la valeur de leurs ennemis. Le noble témoignage de César sur les Gau- lois n'a fait aucune impression sur Tite-Live; cependant leur vainqueur avait dit : « Les Gaulois dans les combats ne connaissent que le courage , et jamais la ruse (i). Nul ne rend plus que moi justice au talent, à la belle latinité de Tite-Live ; mais j'en re- viens toujours au principe, que la première qualité d'un historien est celle de dire la vé- rité. Il est devenu malheureusement le type de nos historiens, et surtout de nos historio- "" "~ ' ■ ' ^ — — — — — — — (i) GalU, per virtutem, non per dolum cUrru'care oonsue x^rant. (Gaes^) ( >'« ) graphes, qui, dans tous les matériaux qui leur sont offerts, choisissent toujours ceux de la louange et de la vanité. C'est ainsi que , de siècle en siècle, l'histoire a été travestie, et que les historiens, cédant trop à leurs in- térêts ou à leurs passions, ont laissé les rois et les dominateurs sans freins et sans re- mords, les peuples sans vengeurs, et la pos- térité sans histoire. Il n'a point suffi aux Romains de dominer par les armes; ils ont encore voulu s'élever ^u-dessus des autres nations par leur renom dans la civilisation , par les lois, les lettres et les arts. Poursuivant ce système, comme un mot d'ordre en temps de guerre, ils sont venus à bout de faire considérer, en France même, les Gaulois comme des barbares: ce mot révoltait Pasquier, duquel Tite-Live , à tout propos, a-t-il dit, b las onnait nos anciens aïeux. Mais les Gaulois ne vendaient pas , comme les Romains, leurs femmes et leurs enfans. Il n'y a point de peuples qui aient été plus hospitaliers que les Gaulois : c'était au point qu'ils ne condamnaient qu'à Tcxil un Gaulois qui en avait tué un autre , tandis qu'ils condamnaient à mort le Gaulois qui avait tué «n étranger. C'était un système , pour ne pas dire une obligation, de la part de tout écrivain de Rome , de déverser le mépris sur les Gaulois, et de les déclarer sauvages, féroces et bar- bares. Horace lui-même a fait l'éloge des lois des Douze-Tables, lois barbares, et desquelles Cicéron a fait un brillant éloge. Ces lois, ce- pendant, portaient que des créanciers pou- vaient se partager les membres d'un débi- teur : ce grand et vertueux républicain y avait lu cependant la défense formelle aux patri- ciens de s'allier avec des plébéiens (i). L'écrivain le plus fort ou le plus accrédité tenterait en vain, dans les temps présens, d'effacer ces fausses impressions données et arrêtées; il échouerait contre la force d'iner- tie du vulgaire et des lettrés. Il y a sans doute un grand nombre d^hommes de bien pour lesquels la raison est une sorte de culte, et qui approuveraient facilement les faits contre- dits; mais nul d'entre eux n'aurait le courage de se mettre en scène pour désabuser l'opi- nion invétérée des écoles, et pour faire re- prendre un au Ire cours à l'histoire (2). (1) V^oyez le titre De connuhio palnim elplebis. {1) Quelle idée peut-on prendre de tous nos historiens (1.3) Dans chaque période littéraire, il y a eii des catégories, et chacune a eu son idole, dont la réputation a disparu avec la personne ; les théâtres mêmes, qui occupent aujourd'hui toute la nation , accréditent lés erreurs et les mensonges de l'histoire; il n'y a point de sujets fournis par les Romains qui n'offrent quelques tirades de mépris, de honte ou de sarcasmes contre les Gaulois ; c'est pour les auteurs une honne fortune, et c'est presque même un style obligé. Grâce àTite-Live, les auteurs se sont tous entendus pour faire con- sidérer les Gaulois comme des barbares in- rnodernes, parmi lesquels il n'y en a pas un seul qui ait daigne' dire un mot de l'antique vaillance des Gaulois et de leurs victoires? Jules-Ce'sar, Polybe, Strabon, etc., leur sont donc inconnus? L'opinion est la même aujourd'hui pour la poe'sie. Je me rappellerai toujours qu'ayant demandé à un professeur de littérature, aristarque, s'il pensait réellement que De- HUe eût bien traduit les Gëorgiques de Virgile : « Non , certes, me re'pondit-il; mais comuïent lutter contre une opinion qui met Delille au premier rang de nos poètes? » Peu de jours après, j'entendis le même homme faire un e'ioge pompeux de la traduction des Gëorgiques latines, qu'il faisait considérer comme des gëorgiques françaises. Voilà bien le monde lettré! je le dis avec peine, Voilà bien aussi le monde savant ! Agrîcul. à*% Gaulois. % fin mains, les Carthaginois comme des for- bans et des perfides, les Grecs comme des hommes faux et ruses ; nous suivons ser- vilement cette impression! Tl y a eu cepen- dant, chez les Gaulois , des institutions admi- rables, sous le rapport des mœurs et de la patrie; chez les Carthaginois, des preuves ma- nifestes et soutenues d'une noble grandeur d'âme et d'un excellent esprit public; et chez les Grecs, des traits sublimes d'héroïsme et de franchise. Dans le fait, nul peuple n'a été plus faux et plus impie que le peuple romain ; l'ar, la corruption, l'espionnage, les fausses nou- velles, les titres supposés et le mépris cons- tant des lois et des dieux, l'ont sans cesse fait vaincre et triompher; il y a eu sans doute des exceptions pour certains hommes, mais combien elles sont rares! Il semble que Ma- chiavel n'a fait que donner un commentaire du Pignus imperii de la vieille Rome : quels Romains, au surplus, ont été plus grands que Civilis, Périclès et Annibal? On doit la justice aux Romains, que les revers ne faisaient qu'agrandir leur esprit public et préparer des moyens nouveaux pour vaincre. Il faut mettre au premier rang la discipline militaire, qui rendait leurs ar- ( m5 ) niées compactes et leurs actions simultanées, tandis que les Gaulois ne combattaient que par nations et souvent par tribus, et tou- jours pêle-mêle (i). C'était le seul moyen de vaincre les Gaulois : il valut à Popilius la brillante victoire qu'il remporta sur eux en 352. Mais puisqu'en France on dit toujours les Gaulois si barbares, je dois rappeler des titres et des circonstances qui, au contraire, élèvent leur gloire et leur juste renommée. Alexandre occupait déjà le monde de ses vic- toires et de ses expéditions ; ses immenses conquêtes avaient fait craindre aux Romains qu'il ne portât ses armes en Italie. Dans de telles circonstances, ils se montrèrent dignes du caractère que je viens d'esquisser; ils se tournèrent du côté des barbares Gaulois, auxquels ils proposèrent un traité d'alliance offensive et défensive : les Gaulois accep- tèrent cette proposition, et ce fut pour les Romains un grand motif de sécurité. Le héros macédonien, qui avait déjà vaincu les Gètes, lesThraces, etc., s'avisa, dans un (i) Rarb duabus tnbusque civitatibus, ad pro pulsan- dunii... dàtn singiili pugnant , unwersi i'incunlur. (Tac») (,i6) séjour qu'il fit vers le Bosphore, de recevoir des ambassadeurs de tous les rois Ou nations. Les Gaulois , qui regardaient les conquërans heureux comme des dieux, députèrent aussi des ambassadeurs aux fils de Philippe. Justin et Quinte-Curce ont fait observer, d'ailleurs, qu'il y avait beaucoup de Gaulois dans l'ar- mée d'Alexandre, et qu'ils y étaient connus sous le titre de barbares. Quoi qu'il en soit, l'an 324, dans la 11 4® olympiade, Alexandre admit près de lui des ambassadeurs gaulois sortis de l'Illyrie, dont la consistance était une et commune avec les autres nations gau- loises : una gens. ( Strab. , 1. 4- ) ^^ l^ur de- manda quels étaient les ennemis qu'ils avaient à craindre; ils répondirent : « Nous ne crai- gnons rien que la chute du ciel. » Celui qui, parmi nous, croit à cette réponse, n'est pas dégénéré du noble sang gaulois. Strabon, au surplus , en rapporte la circonstance (i). N'est-il pas étrange et pitoyable que les his- (i) /« hac expedilione , ut Ptolomœus Lagi/ilius perhi^ bet, Cellœ , Alexandrum convenerant quos rex comil£r excepLoSj inter pocula interrogauit y quod maxime metue- rint : nihil sanèj nisi ne forte cœli casu obruerentur. (Strab., 1. 7, ëdit. d'Oxford.) ( "7 ) toriens français, idolâtres de la gloire d'A^ lexandre, et qui rappellent ces ambassades, se taisent spécialement sur celle des Gaulois, tant ils sont persuades que nos aïeux n'é-r taient que des monstres à face humaine , vi- vant de glands et de la chair de leurs $em- blables. Les lettrés, suivant l'usage, s*irritent ou ridiculisent aujourd'hui l'auteur qui, s'ap- puyant sur l'histoire, rappelle que les Ro- mains redoutaient tellement les Gaulois, que, lorsqu'il s'agissait de guerre contre eux, Rome se mettait en dictature. Il faut absolument, pour plaire, signaler les Gaulois comme des brigands et des sauvages avides de sang et de butin; mais ces mêmes peuples, comme on vient de le voir, à leur départ, au lieu de pil- ler Marseille, l'ont protégée; au lieu de met- tre Rome au sac et au pillage, comme les barbares d'Attila, se sont contentés d'une rançon pécuniaire ; mais le sénat de Rome , si fier, a traité d'égal à égal avec les Gaulois, et le héros des héros les a honorés de sa bien- veillante estime. Les Gaulois s'étant enfin lassés de toutes les ruses et tromperies des Romains, réso- lurent de rompre avec eux, et de porter la (1,8) guerre encore jusqu'au sein de Rome. Le sé- nat apprit cette terrible résolution; il en- voya des ambassadeurs pour s'expliquer; les Gaulois, s'abandonnant trop à leur courroux, et trop pleins de confiance dans leurs armes, ne voulurent pas entendre les ambassadeurs; ils les firent mettre à mort. Cette action bar- bare, divulguée partout avec éclat, fit chan- ger tout à coup les Romains supplians en soldats intrépides; on se rallia de toutes parts au dictateur. Les Gaulois furent vaincus : inutile leçon qu'Eutrope a laissée aux belli- gérans. Si les Gaulois éprouvaient alors des échecs avec les Romains, ils étaient plus heureux en Asie, où le renom des immenses trésors qu'Alexandre y avait accumulés avait fait partir, fan 279, environ 108 ans après la prise de Rome, une grande armée comman- dée par un autre Rrennus, habile et valeureux général : Alterum quoque Brennum. (Strab, ) ( "9 ) %W*^V%/WWV%'*'%WWt'WWWW%'W'W\'%/WWV* W %'WW\/%'W%'%/V CHAPITRE m. Dénombremens périodiques pour déterminer les émigrations. — Les augures, et usages aux iqne consedit Scordiscosque ap^ pelari voluit. (Ju»t., l. 32.) ( i32 ) levé par les Romains et réchauffé par ces deux aristarques, n'a pas plus de réalité que celui de la prêtresse Démonice, qui aurait livré Ephèse à Brennus, sous la promesse d'avoir pour elle les bijoux des femmes. Ce fut après l'expédition de Delphes que Brennus et ses Gaulois parcoururent une partie de l'Asie, prêtant assistance aux rois malheureux. Ce fut par eux qu'Antiochus triompha de Séleucus (i) ; c'est à ce temps-là même , dans l'année 270 et dans la 127^ olym- piade, que les Gaulois fondèrent le royaume de Galatie (2), et se fixèrent dans la meilleure partie de la Cappadoce. Justin ne laisse au- cun doute sur la prise du temple et le dé- pouillement de ses richesses. Une peste qui éclata à Toulouse peu d'an- nées après, confirme le fait ; car l'oracle con- sulté déclara que, pour apaiser le courroux du dieu, il fallait jeter dans le lac le trésor enlevé aux autels (3). (i) Conducto Gallorum... victor quidem Antiochus Jiiit vîrtute Gallorum. (Just., 1. 27.) (2) Cujus uberrimam parlem occupavére Tectosagés. (Strab., I. 5.) (3) Tectosagj, ùipalriarriy Tolosam pesUferâ hte — ( r33 ) Le retour des Tectosages à Toulouse avec les richesses prises à Delphes, les victoires attestées des Gaulois en Asie , à une épo- que ultérieure, le témoignage des auteurs et la fable même imaginée par les Grecs sur le sanctuaire de Delphes , prouvent in- vinciblement que les Gaulois ont été victo- rieux. On a dit souvent qu'il n'y avait pas de grande armée où il n^y eût des Gaulois ; il paraîtrait même qu'il y en avait au service de Carthage, lorsqu'elle était en guerre avec Rome. On sait d'ailleurs que les Gaulois ont eu des rapports avec les Phéniciens, puisqu'ils auraient conduit une colonie phénicienne vers les Pyrénées ; on veut même que les armes de la Navarre soient le signe des Phé- niciens. Quelques auteurs ont cherché à avi- lir les Gaulois, parce qu'ils servaient pour de 1 argent ; mais c'est un usage universel dans le monde ; l'Angleterre et la Suisse les en justifient encore. Antiochus dut sa victoire à non priiis sanitatem, quam aurum sacnlegu, in lacum. (Jiist., 1. 32.) ( '34 } farmëe des Gaulois, et Justin n'a point cher* ché à lui en faire un démérite (i). Je n'ai point à établir la réalité de ces mou- vemens; ma tâche est seulement de faire res- sortir dans cette histoire le renom et les par- ticipations des Gaulois pendant la lutte mé- morable des Romains et des Carthaginois ; j'y tiens d'autant plus, qu'en me fournissant un épisode qui pourra plaire au lecteur, j'y trouve encore l'occasion de faire observer des faits ^agriculture, de mœurs et ^industrie, de la part des Gaulois, à l'occasion du pas- sage d'Annibal par les Alpes. Trop fiers de leurs victoires et de leur puissance politique, les Romains en étaient déjà venus au point d'offenser à la fois les rois et les peuples; les Carthaginois les pre- miers s'indignèrent de voir que Rome affec- tait d'intervenir dans tous les débats poli- tiques, comme si elle eût été la souveraine du monde. Dans ces temps-là même, Philippe, fils de Démétrius, roi de Macédoine, venait de faire un traité d'alliance avec Annibal. Le (i) Conducto Gallorum mercenano exercilu... victot. mrUile Gallorum. (Ju»t., 1. 27.} ( t35 ) sénat de Rome s'en était offensé. Je prie le lecteur de me permettre de rappeler seule- ment le préambule de ce traité, qui seul, et bien mieux que les livres et que Tite-Live même, donne une juste et grande idée du noble esprit public de Cartbage, du culte et de la religion du temps : on doit cet acte au vertueux Polybe. • Entre Annibal, général, Magon, Myrcal, « Barcomar, et tous les sénateurs de Car- *( thage qui se sont trouvés avec lui, et tous « les Carthaginois qui servent dans son ar- « mée, d'une part; et entre Xénophanes, « Athénien , ambassadeur du roi Philippe , « fils de Démétrius, tant en son nom qu'au M nom des Macédoniens et des alliés de sa « couronne; en présence de Jupiter, de Ju- « non et d'Apollon; en présence de la divi- « nité tutélaire des Carthaginois, et d'Hercule « et d'Iolaiis; en présence de Mars, de Tri- « ton et de Neptune ; en présence des dieux « qui accompagnent cette expédition, et du « soleil, et de la lune et de la terre; en pré- « sence des fleuves, des prés et des eaux; en « présence de tous les dieux, qui sont les « maîtres de la Macédoine et de tout le reste « de la Grèce ; en présence de tous les dieux ( '36 ) •t qui président à la guerre , et qui sont pré- « sens à ce traité, Annibal, général, et tous « les sénateurs de Carthage qui l'accompa- « gnent, et de tous les soldats de son armée; « on dit : Sous votre bon plaisir et le nôtre , « il y aura un traité d'amitié et d'alliance «f entre vous et nous, comme amis, alliés et <» frères, etc., etc. » Le sénat de Rome prit occasion de ce traité pour accuser Carthage de manquer à la foi des traités; il osa même demander que ce traité fût annulé. Les Carthaginois, de leur côté, s'offensèrent de ce que les Romains leur intimaient des ordres ; et dès lors ils se préparèrent à soutenir leur indépendance par les armes. Annibal fut choisi pour venger et soutenir la patrie ; ce fut alors qu'il conçut le grand et hardi projet d'aller attaquer Rome par les Gaules et par les Alpes. Les peuples d'Espa- gne n'étaient pas moins impatiens que les Car- thaginois de secouer le joug des Romains. Annibal comptait beaucoup sur cette dispo- sition des esprits ; il s'embarqua donc pour la péninsule avec une armée formidable, com- posée en grande partie de cavalerie numide et d'un grand nombre déléphaus. ( >37 ) Le sénat de Rome, qui avait partout des espions, se hâta d'envoyer des ambassadeurs au sénat de Carlhage , faire des propositions de paix; mais en même temps, poursuivant toujours son système politique, il en envoya également à tous les grands sénats d'Espagne, pour les prévenir de la marche des Cartha- ginois, et pour les exciter à prendre les ar- mes : partout une noble fierté et une juste in- dignation éclatèrent contre les propositions des Romains. Annibal était à peine entré en Espagne, que les peuples arrivaient de toutes parts pour grossir son armée ; il se dirigea vers Sagunte, où le parti des Romains porta les habitans à se défendre : Sagunte fut prise et livrée au pillage. Des ambassadeurs romains, d'autre part, s'étaient rendus également auprès des sénats du midi des Gaules; ils avaient demandé une audience à celui du Roussillon; les vieillards l'ordonnèrent; tous les grands s'y rendirent, et, selon la coutume, avec leurs armes. Les Romains y déployèrent tous les ressorts de l'éloquence ; on les entendit d'abord assez pa- tiemment; mais quand ils en vinrent à pro- poser de déclarer la guerre aux Carthaginois^ ( i38 ) afin, disaient-ils, de les empêcher de péné- trer en Italie, les Gaulois attérèrent les Ro- mains par de longs éclats de rire (i). Annibal entra dans les Gaules par le pays des Bargusiens; quelques districts tentèrent d'arrêter sa marche ; mais Annibal , par des explications et par une contenance impo- sante, fit arriver son armée, sans coup-fé- rir, jusqu'au territoire des Yolsques aréco- miques (2), qui se déclarèrent pour lui. Je saisis moi-même cette circonstance pour faire apercevoir au lecteur les ressources qu'offraient dans ces temps l'agriculture et l'industrie des Gaulois ; car tel est le triste sort de l'histoire, que c'est plutôt dans les fastes de la guerre que dans ceux de la paix qu'on trouve des traces ou des documens qui se rapportent à l'agriculture et aux mœurs des peuples. Arrivé au bord du Rhône, Annibal se dis- posa à faire passer le fleuve, car il avait à (i ) Ne Pœno bellum Italiœ inferenti. . . Iransitum darenl; tantiis cumfremitu risus diciiur ortus, ut vix et magistra- libus sedaretur; adeb slolida , inipudesque postulatio visa est. (Tit.-Liv.) (1) Nîmes en e'tait la capitale. C i39 ) craindre que les Romains, débarqués à Mar- seille , ne vinssent lui disputer le passage. Toule l'armée se mit à l'œuvre ; les Volsques aidèrent même à construire des barques (i). On fit à la hâte une grande quantité de cor- dages avec du spart (2), afin de lier entre eux les barques et les radeaux; il fallut en établir un long de deux cents pieds et large à pro- portion, pour faire passer les éléphans; on le couvrit d'une couche épaisse de terre et de sable, afin de prévenir l'emportement des éléphans, (jui d'ailleurs ont horreur de l'eau courante. Quand ces premières dispositions furent faites, Annibal ordonna le passage; il fit mettre la cavalerie à la nage au-dessus des barques et des radeaux, afin d'amortir le cou- rant du fleuve. La plus grande partie de l'in- fanterie fit sa traversée sur des esquifs , sur des outres (3) et sur des boucliers ; les élé- (i) Novasque alias primum Galli incohantes cavabant ex sîngiUis arboribiis. (Tit.-Liv.) (2) Jiinci genus ex quo fîmes fiunt vis magna sparti ad rem naulicam. (Idem.) (3) In utres , cetrisque suppositis incubantes , flumen tfn^ navére. (Idem.) ( .4o ) phans mâles témoignèrent d'abord de la rë»- pugnance ; quelques femelles dociles les dé- terminèrent. La cavalerie ne fut pas plutôt débarquée, qu Annibal donna l'ordre à trois cents cava- liers numides de descendre la rive gauche, afin d'en repousser ceux des Gaulois ou des Bomains qu'on aurait envoyés à la décou- verte. Cette idée fut heureuse, car les Pioraains avançaient à grands pas. Les cavaliers nu- mides eurent divers engagemens avec les avant-gardes des Romains. Ceux ci se voyant ainsi chargés, se persuadant que le gros de l'armée d'Annibal les appuyait, se hâtèrent de rétrograder ; et l'armée romaine , sur ce premier avis, se concentra dans un camp fortifié. Annibal profita de ce retard fortuné pour achever le débarquement, et immédiatement il ordonna de se diriger vers les Alpes. L'annonce d'une grande armée commandée par Annibal, et marchant contre Rome, avait attiré sur son passage une foule immense de Gaulois (i). Les Boïens se firent les guides (i) Adfaniamejus undiqui conjluentibus . (Ïit.-Liv.; ( «4i ) d'Annibal ; on remonta le fleuve jusqu'au con- fluent de l'Isère ; il fallut s'arrêter quelque temps devant la Durance, qui était débordée. Annibal profita de ce retard pour se concilier les bonnes dispositions des Allobroges, les plus riches et les plus puissans du midi des Gaules (i). Deux jeunes rois de cette nation étaient en guerre; ils prirent Annibal pour arbitre : il les réconcilia; par reconnaissance, ils lui of- frirent toutes les ressources de leurs Etats, et un libre passage par leurs territoires. Ces se- cours effectifs consistaient principalement en étoffes, que la rigueur du froid des Alpes rendait bien nécessaires, en blés et toutes sortes de fruits, ce qui s'accorde avec le té- moignage de Polybe et de Strabon, sur la grande fertilité de cette contrée (2}. (i) Gens antiquissima , jam indè nullâ Gallicâ opibus autfama inferior. (Tit.-Liv.) (2) CommeatUf copiaque j^rum omnium, maxime vcs- iri, quam itifamjes frigoribus Alpes preparari cogebant. (Idem.) Regionem f rumen ti feracem . ( Poly b . ) OmniafrucUium gênera quœ in Italia nascuniur, prO' Jerl Narbonncnsis GalLia. (Strab., 1. 4-) ( '42 ) Cependant, les Romains, e'tonnés du si- lence qui régnait autour d'eux , apprirent qu'Annibal, guidé parles Gaulois, remontait le fleuve, et qu'il devait avoir atteint le pied des Alpes. Cornélius Scipion ordonna aussi- tôt le rembarquement pour l'Italie, afin de s'opposer à la marche de l'armée carthagi- noise. Annibal avait déjà tellement vu grossir son armée , qu'il comptait plus de quatre-vingt mille hommes avant de gravir les Alpes ; il ordonna le départ. Ayant aperçu quelque hé- sitation parmi les Africains, effrayés de la hauteur et des glaciers des monts (i), il leur dit : « Les Boïens et les Gaulois qui nous sui- vent n'avaient point des ailes quand ils ont franchi , avec leurs femmes et leurs enfans , ces Alpes, dont le Carthaginois s'effraie, et quand, à la suite de ce passage, ils ont pris cette Rome, qui se dit la capitale de l'uni- vers (2) ». Il dit en outre à ses alliés et aux ( I ) Montium altUudo nivesque cœlo propè immixtœ , ina- nimaque omnia ri^enda gelu. (Strab., 1. 4-) (2) Majores , non pennis sublime elalos , Alpes trans- gressos , ingenUbus sœpè agminibus cum liberis ac conju^- bus , nùgrantium modo, iuto Iransmisisse... et Romam or* ( t43 ) affranchis, « qu'au nom des dieux, il promet- tait à tous des terres et du butin dans telles contrées qu'ils désireraient, en Afrique, en Espagne, en Sardaigne ou en Italie. » Il dé- clara qu'il accordait aux affranchis une liberté pleine et entière ; et, afin de les mieux per- suader tous, il prit d'une main un agneau noir, et de l'autre un glaive, et lui-même, an sommet de la montagne, en fit le sacrifice à Jupiter et à tous les dieux des alliés, décla- rant qu'il se dévouait pour être immolé s'il manquait à sa parole. Faisons observer de nouveau la triste pré- férence qu'on donne dans l'histoire et dans le monde, aux mensonges contre la vérité et ses réalités. Ainsi, on dit et répète encore qu'An- nibal avait abaissé des cimes de rochers et de glaces, en les soumettant à l'action d'un vinaigre bouillant ; ce qui n^est pas plus vrai que les Huns, pour sortir d'une vallée inac- cessible , auraient fait mettre en fusion une montagne ferrugineuse , au moyen de deux cent quarante soufflets. Mais ce qui est plus vrai, c'est que les Gaulois-Boïens avaient déjà bis terrarum caput cepisse qitondam Gallos giiœ adiri posse Pœnus dcsperet. (Tit.-Liv.) ( «44 ) franchi les sommelf^ sourcilleux et glaces des Alpes-Pénines : c'est Annibal lui-même qui le dit et le déclare à ses Africains. Pendant ce temps-là même, Rome ordon- nait des supplications générales, et promet- tait à Jupiter un grand sacrifice, composé de tous les nouveaux-nés dans les troupeaux (t). Tel est le grand événement qui se passait dans les Gaules , Van 534 ^^ 1^ fondation de Rome, 2i4 ans avant Jésus-Christ. La suite en est connue, et n'a plus de rapport avec cette histoire. On croit généralement que le passage s'effectua par le mont Genèvre, parce que les premiers peuples qu'Annibal rencon- tra furent les Taurins, Toujours à leur avenir, les Romains ne né- gligeaient aucune occasion pour affaiblir et diviser les nations gauloises; ils s'étaient fait un plan de n'attaquer chacune d'elles que se* parement, afin d'éviter une confédération qui aurait nécessité de trop grandes armées ; c'est ainsi que, sans déclaration préalable, ils at- taquèrent les Liguriens, qui, originaires des (i) His ce duellis.... cum Carthaginensi.... cum Gallis, quod ver aUiUeril ex sidllo , ovilo , caprino, bovino^re^ , Jovi fieri. (Tit.-Liv.) ( i45 ) Gauies, avaient toujours été du parti ded Gaulois (i); ipais ils n'avaient pas encore osé franchir les Alpes. Cependant, les victoires de Popilius et de Marcellus avaient révélé l'immense puissance d'une armée soumise dans les combats à une sévère discipline et à une tactique militaire ; ils avaient déjà re- connu que les Gaulois ne combattaient que pêle-mêle et sans ordre (2). L'honneur était réservé à Quintus Fabius de franchir les Al- pes avec une armée romaine ; il prit sa pre- mière position devant les Allobroges, qui furent vaincus : dans l'année même, le sénat déclara la fatale formule Facta provincia. Le nom de la Provence se rattache à cette cir- constance : Fabius en fut ^xxvv^omTaéAllobrooc. La ville de Vienne alors était une ville riche et puissante (3). Quand le sénat avait porté le A^çx^X, Facta proçincia , on envoyait immédiatement des (i) Les Romains réputaient et nommaient Gaulois tous les peuples de la Haute-Italie. (3) Hœc natio. . ad pugnani consertim etpalàm coeunt indcqiie incircumspec.tè. (Strab., I. 4-) (3) OrnaUssima colonia valentissimaqiie Fiennensiurn. (Caes.) A gricul. des Gaulois. > lO ( i46 ) prêteurs, des questeurs, des préfets potrr administrer ; des légions y résidaient : la Si- cile a été la première , et la Provence la se- conde qui aient reçu l'application de ce genre de décret. •• A." Jf^ ( Hl ) ^i%/V%'Vt>VVV%/VV»'V«/VVVVVV%'VVVVV\'\»VVVV«'VVVVVVV\'ft ) Laissons, au reste, les conjectures, et atta- chons-nous à des faits qui déposent en fa- veur d'une température habituellement ri- i^oureuse. L'urus ou l'uroch, taureau sauvage, le plus grand et le plus terrible des quadrupèdes du continent européen, en occupait les vastes forêts du Nord; il y dominait tous les autres animaux, et les plus féroces mêmes. Strabon et Isidore en parlent comme d'un animal in- digène à la Germanie et aux Gaules. César le dit grand à peu près comme un éléphant (i); il était si fort, que, dans son courroux, il renversait un arbre ; une épaisse crinière om- brageait sa tête et couvrait la moitié du corps ; ses cornes étaient si grandes, au rapport d'A- thénée, qu'elles pouvaient contenir jusqu'à quatre pintes (2). Il était paisible quand on ne l'attaquait pas; mais si on Tirritait, il de- venait terrible. Un tel animal, par son énorme structure, fut nécessairement indomptable; ( I ) Pauld infra elephantos ; magna vis et magna veloci- Las. (Caes.) (2) Cornihiis tnm amplis , ut 1res ac quator congios ca^ pianl. (Idem.) ,n ^ èÊÈ r i56 ) il devait être une riche proie pour les Gau- lois, qui vivaient de chair crue. La chasse de l'urus était la plus honorée (i), parce qu'elle était la plus dangereuse ; celui qui en tuait un , avait de droit le titre de brave, et, dans les festins, l'honneur de boire dans une corne d'urus ; cet usage était si ré- pandu, que, du temps de César, les Gaulois garnissaient en argent les bords de ces cor- nes (2). La ruse fut sans doute employée pour sur- prendre un tel animal. César, à qui rien n'a échappé, a dit (3) qu'ils les prenaient dans des fosses masquées ; mais il est permis de douter que ce mode ait fait décerner le titre de brave. On peut bien croire plutôt que les Gaulois ont terrassé Turoch, quand on a vu Pepin-le-Bref, en 762, tuer, dit-on, dans l'a- rène de Ferrières, un taureau et un lion fu- rieux. M. de Buffon prétend que l'urus est notre (i) Magnamferunt laudem id. (Caes.) (2) Cornua studiosh conquisita ah labris argento circum" cludunt, alque in epulis ampUssimis , pro poculis utunUir^ (Idem.) (3) Foveis interjiciunt. (Idem.) ( '5? ) taureau dans un ëtat sauvage , qu'il ne diffère du bison et du bubale que par des variétés accidentelles, et que c'est la domesticité qui a causé ces variétés. 11 est bien difficile de concilier un tel système avec la déclaration et la description de Jules César et de Strabon sur ce même quadrupède. • Quoi qu'il en soit, l'urus s'est insensible- ment retiré des forêts des Gaules dans celles de la Germanie ; les derniers ont été vus dans les Vosges, et, par suite, en Pologne : on peut justement douter, d'après le silence des voya- geurs, qu'il en existe même en Sibérie (i). (i) On montre au Jardin du roi deux bubales venus du Nord , et qu'ont dit être deux urus. J'ignore si cette der- nie're de'nomination provient des gardiens ou des savans du jardin ; mais il y a une si grande différence entre ces bu- bales et l'uroch des Gaules , qu'on ne peut pas même se permettre une supposition de dt'ge'ne'ration. Je tiens cepen- dant de M. de Choiseul qu'il y a encore en Pologne de vrais urochs; que les seigneurs polonais et le gouverne- ment veillent à la conservation de l'espèce ■ c'est de lui encore que je tiens le fait suivant , qu'il faut aujourd'hui un de'cret de l'empereur de Russie pour tuer un de ces animaux. Mais, telle chose qu'on fasse ou ordonne, on peut pre'dire qu'avant un siècle ce sera encore une espèce perdue. • ik ( i58 ) tl y avait, dit César, beaucoup de rennes et d'élans : Bos cervi et aîces ; ces deux espèces se sont également réfugiées dans le Nord. D'après les plus anciens historiens, les Gaulois auraient connu le cheval; mais il se- rait très-difficile d'en assigner l'époque , car on ne peut pas dire qu'il soit indigène aux Gaules; l'âpreté du climat et la profondeur des forets, remplies de bêtes féroces, ont été. manifestement contraires à l'être de ce qua- drupède, et alors même qu'il n'appartenait qu'à la nature. L'Asie mineure est généralement regardée comme le lieu de la terre où sont apparus les premiers chevaux; dans cette hypothèse, les Gaulois, lors de leurs premières grandes émi- grations, y ont pu reconnaître et apprécier le cheval , et en faire une de leurs con- quêtes. Pline et Strabon disent bien qu'ils ont vu dans les Gaules des troupeaux de chevaux et d'ânes sauvages ; mais il y avait déjà plus de six siècles que les Gaulois avaient opéré de grandes émigrations en Asie. Il convient de faire encore la remarque des différences des climats du midi des Gaules avec ceux du Nord. Le climat de la Péninsule d'ailleurs, ( >59 ) qui est presque africaine, peut avoir offert des chevaux et des ânes long-temps avant la Celtique et la Belgique. Lane, d'après Aristote, a été plus long- temps à s'acclimater dans les régions duNord, où les chevaux, continue-t-il, naissent blancs, et dont le poil est long comme celui des ours : tels étaient à peu près aussi ceux de la Germanie. Chez les Grecs, au temps d'Homère, le cheval ne servait qu'aux chars et aux exer- cices de voltige. 11 n'en est pas question dans les dénombre- mens des troupeaux des Hébreux (i). Les Romains ont été très-long-temps éga- lement sans se servir du cheval pour la guerre, et cependant il y avait des chevaliers sous leurs premiers rois. Quand les Espagnols abordèrent au Mexi- que , le cheval n'y existait pas. Il est de fait, cependant, que les Eubages faisaient élever dans les Gaules des chevaux blancs qui servaient à la pompe des sacri- fices ; c'est du moins ce qui résulte du témoi- gnage de Thomas d'Autun, dans s^ Républi- (i) Voyez V Histoire de l'agriculture des Hébreux. ( i6o ) fjue des druides; il dit même que les premières médailles gauloises portaient l'empreinte du cheval. A telle époque, au surplus, que les Gau- lois aient connu le cheval, il est certain, du moins, qu'il leur était devenu très-nécessaire, et long-temps avant que les Romains eussent pénétré dans les Gaules. Est-ce par eux- mêmes ou par les Scythes, lorsqu'ils ont par- couru l'Epire et la Macédoine, qu'ils ont sou- mis la cavale à leur fournir du lait pour faire la boisson qu'ils trouvaient si délicieuse? C'est ce qui sera toujours un doute. Xénophon attribue aux Perses la gloire d'avoir dompté le cheval ; c'est une question qu'il serait difficile de résoudre d'une ma- nière satisfaisante , car d'autres auteurs pré- tendent que ce sont les Parthes, d'autres les Sarmates. Selon Xénophon encore, les Perses auraient trouvé le secret de durcir la corne du cheval; on doit le croire, puisque la ca- valerie faisait alors de longs trajets dans des pays très-difficiles par la nature du sol, tel que celui de la Grèce. Les Romains, plus tard, en ont senti le besoin et les avantages; car ayant fait l'observation que les eaux des marais de Réate durcissaient la corne du ( »^ï ) cheval, ils en avaient réservé exclusivement ce pâturage pour la cavalerie (i). C>n doit croire facilement que les Gaulois avaient fait augmenter considérablement le nombre des chevaux sur leur territoire, puis- qu'ayant été maîtres de la Macédoine , ils avaient pu en enlever tous les haras et les cavales (2). On doit présumer encore que les Gaulois faisaient un usage habituel du lait de la cavale. Mais suivaient-ils \e moyen imaginé par les Scythes pour en obtenir long-temps encore après le part à toutes fins? Je le rap- porte ici, parce qu'il est très-curieux pour les physiologistes, et parce qu'il prouve en- core jusqu'à quel point l'homme sauvage ou barbare qui observe, peut être heureux dans ses inventions : ce moyen consistait à faire souffler par des esclaves dans les parties na- turelles de la cavale ; les veines lactées s'en- flaient, et, malgré elle, son lait se répandait. On sait d'ailleurs que les femelles qui nour- rissent, lorsqu'on leur enlève leurs petits, (i) Realinœ paludes in quibus ungnlœ jutricntoruin in- duraiilur. (Cluv., Anùq. Ital.) {p.) Figinli milUa cquarutn nobiliuiii ad gcnus facien- fùiin , in Macedoniani. (Just., I. 9.) A{ricul. /«'VW VV^ V/W VA'VW^ W%;WV%/WWVWWW«/VVWV%'l/% CHAPITRE V. Considérations sur le culte des Gaulois. — Il n'a été celui d'aucun peuple. — L'adoration du soleil commune aux plus anciens peu- ples. — Le culte de la déesse Herta. — Analogie avec celui de la déesse Ida, chez les Phrygiens et les Romains. — Le culte des pierres très-répandu; circonstances particulièies 5 sa durée. — Le culte consacré aux forêts. — -Les Gaulois réputaient of- fense à la Divinité la construction des temples par des murailles. — La cérémonie du gui chez les Gaulois. — Description et opi- nion sur les propriétés du gui. — Les Celtes et les Francs ont appelé guillanneux ce que les Romains et les Aquitains ont nommé strenia. — Les Gaulois ont adoré ou vénéré les lacs , les rivièies, les fontaines; faits et circonstances. — Le culte cham- pêtre. — Considérations philosophiques; il n'a été consacré que sous le nombre trois. — Il y avait trois déesses champêtres ; évé- nement relatif à Dijon. m Le culte des Gaulois est peut-être celui des grandes nations du monde qui offre le plus de me'ditations au vrai philosophe. On sait, en général, les noms des le'gislateurs qui ont déterminé et fait organiser les cultes chez les Egyptiens, les Chinois, les Phéniciens, les Grecs, les Phrygiens, etc. ; mais nul érudit. C '69 ) même systématique, na osé dire encore les noms de ceux qui ont instilué et organisé le culte des Gaulois : cette première réflexion donne déjà une haute antiquité au culte drui- dique. Si on le considère hors des accompagne- mens des passions et des intérêts de Thorame, il est pur, simple et sublime : adorer le Dieu suprême, croire l'âme immortelle, être brave et hospitalier : telle était Tessence de leur dogme- Admettons que les Scythes, les Phocéens, les Phéniciens, et que les Grecs même aient abordé les Gaules et pénétré dans le centre, on conviendra, du moins, qu'il n'est rien resté du culte de ces peuples chez les Gau- lois; il y a eu, dit-on, des irruptions des peuples du Nord, mais on ne le prouve pas; et, en les supposant vraies, elles n'ont été, pour le culte gaulois, que ce que sont des torrens passagers qui se jettent dans un grand fleuve : il n'en coule que plus majestueux; si l'œil y aperçoit des nuances, les premiers flots qui surviennent les font disparaître. Si on peut supposer qu'il y a eu une épo- que où, après l'apparilioa de Ihomme. la terre a joui de quelques siècles de repos et ( i7« ) de paix, celle période appartiendrait incon- testablement à celle où l'homme a adoré le soleil. Les Perses l'adoraient; ils le nom- maient Mithra. Quelle vive et grande im- pression cet astre n'a-t-il pas dû faire sur les sens des premiers humains , puisqu'en le ré- ' duisant scientifiquement encore au seul tilre à' astre concomitant , il n'y a pas un homme capable de réfléchir qui ne le contemple avec le respect inné de l'adoration? L'athée même, que Fidée de l'éternité importune, s'il en médite la place, Tordre, le cours et les effets , en est consterné. OnnepeutaccueillirTopiniondeM. Bailly, que le soleil n'a été adoré que dans le Nord. C'est là une philosophie toute parisienne. Les Spartiates ont offert en sacrifice des coursiers au soleil, sur le mont Taygète ou Téléton : les Perses en ont fait autant (i). Les Gaulois ion' adoré sous le nom de Bé- lenus , qui, en langue celtique, signifie ^/^W; mais le plus beau temple élevé au soleil, a été chez les Incas. Selon César, les Arverniens allaient cha- (r) Equos ^ soli sacratos Persœ veneranUir solem qitem appelant Mythrani. (Just. Popinius.) ( '7' ) que année en grande solennité sur les plus hautes montagnes, faire des sacrifices au so- leil. Ne pouvant en exprimer la splendeur, ils avaient imaginé remblême de la fécon- dité, par la représentation d'une femme à deux rangs de mamelles. Une telle figure a été trouvée à Arles; une autre, à peu près pareille, a été long -temps vue au portail de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Des éru- dils ont prétendu que c'était la Cérès mam- mosa des Gaulois. Il y avait plusieurs divi- nités, mais ils mettaient au rang suprême le grand Teut, qui avait plusieurs dénomina- tions. Pausanias croit que la première divinité a été une pierre debout ; il serait plus vrai de dire que c'est la Crainte (i). Quoi qu'il en soit, une des grandes solennités des Gau- lois a été celle de la déesse Herta (2), par laquelle ils croyaient célébrer le mariage du soleil avec la terre. Chaque année , il y avait un concours général dans les grands sanc- tuaires des druides ; un char, attelé de deux génisses blanches, portait la déesse ; des (i) Primus in orbe deos JcciL li/nor. (Paiisan.) [1) Hert, en langue celtique, signifie terre. ( 172 ) esclaves marchaient autour du char; arrive au fond d'îin bois ténébreux, le grand-rprê- tre faisait déposer la déesse, et là on sacri- fiait des victimes humaines. Je ne dois pas rappeler ce genre de sacri- fice et de culte, sans faire observer que les Romains, dont les érudits français sont ido- lâtres, et desquels ils admirent tout, ont rendu le même culte à la déesse Ida , mère des dieux, qui n'était ,' comme la déesse Herta , qu'une pierre brute. On ne peut dire d'oii les Gaulois tenaient leur pierre ; mais j'éprouve de la satisfaction à rappeler que lorsqu'Annibal marchait sur Rome, le sénat envoyait des ambassadeurs au roi de Phry- gie, afin de rapporter dePessinunte la déesse Ida, qui y était en grande vénération. Attale, qui en était roi, la remit aux am- bassadeurs, après avoir ordonné une solen- nité. Instruit de l'arrivée de la déesse, le sénat ordonna que les premiers de Rome iraient la recevoir (i). Ce fut Puhlius Scipio qui fut mis à la tête de la députation : les dames les plus distinguées portèrent la déesse; la vertueuse Claudia ordonna le lectisternc. ( I ) P'ir opUnius hospiiio excipereL ( '73 ) Ainsi donc, les Romains, plus de deux siè- cles après les Gaulois, honoraient Ida, qui au fond n'était que la déesse Herta. Le culte des pierres offre partout encore des vestiges dans la France (i). On cite les pierres levées owleçades ^ pointes, écrites, fîtes, fées, etc. Les pierres, au surplus, étaient l'objet du culte des géans. «A Olympie, dit Homère, on avait consacré à Mercure d'in- nombrables las de pierres , et les pierres en tas consacraient par le fait un champ, une plaine, une montagne. Tout, alors, en deve- nait sacré, les arbres, les fruits, les gazons et les animaux. On sait que le peuple d'A- thènes, à certaines fêtes ou époques, allait verser de l'huile sur des tas de pierres. (i) M. Baraillon, de la Creuse, s'occupait élepnis long- n temps des monuniens laisse's par les Romains, et de ceux antérieurs des Gaulois ; le Bourbonnais et la partie orien- tale du département de la Creuse lui avaient offert des in- dications pre'cieuses; il s'occupait à les recueillir dans un ouvrage historique, quand M. de Vathers, preTet de ce département, le manda près de lui. Malade, il s'excusa : le pre'fet ordonna de l'amener de force. Sa maladie , par le trajet, devint mortelle : il expira peu de temps après. Sa mort doit causer de profonds regrets à cet administra- teur, qui est encore préfet. ( '74 ) '' Il était d^jsage, chez les peuples du Nord, de consacrer les lieux de sépulture dans les champs et les bois; dans ce cas, ils entou- raient les tombeaux de tas de pierres (i). On a donné à ces fdes de tas de pierres le nom de Chaussée des Géans (2). La preuve que ce culte a existé dans les Gaules, c'est que Gharlemagne, en 789, a fait défendre d'aller faire des prières aux pierres votives (2). Parmi tous les objets du culte des Gau- lois, aucun n'a été plus général que celui des forêts ; car il retentit encore. La première cause en est due sans doute à leur majesté, à leur impénétrable profondeur. Rien, en ef* fet, n'est plus majestueux sur la terre que ces dômes immenses et ombreux formés de milliers infinis de colonnes placées en dé- sordre, à fti vérité, mais qui n'en produisent qu'un plus bel effet ; les chapiteaux embellis de longs festons de lianes et de larges nappes (i) Bis sepulLurœ in agris et sylvis... tumuloque aggesUs lapidibus rhuniebant... qui giganldm strata clicuntut. (Ci- lie, dithyr.) (2) Lapidibus j in ruinosis iocis , ubi vota vovent, ne... (Gapitui.) ( '7^ ) de mousse que le temps et les météores ont nuancée de plusieurs couleurs; et l'éternelle \ie des troncs, au retour de chaque prin- temps, ont dû successivement élever et por- ter l'admiration de l'homme jusqu'à l'adora- tion. L'homme civilisé et les hommes des heaux-arts, au surplus, n'ont rien fait qui inspire aussi profondément la présence ou la puissance du Créateur du monde (i). Les Gaulois regardaient comme une of- fense aux dieux de les enfermer dans des murs (2". (>icéron a dit à ce sujet : « On pré- tend dans plusieurs cultes que les dieux, aux- (1) Lors de l'ambassade de l'empereur de Russie, en 1800, un secretniie de l'ambassade a rapporte' que les peuples qui habitent les bords de la Natka et de la Kama y adorent le soleil, et d'autres divinite's subalternes; que le sacerdoce y est exercé dans le sein des forêts et à l'om- bre de quelques arbres antiques; que leurs principales fêtes sont le nouvel an, les semailles et les nioisscns; que, (ums ces fêles, on sacrilie un cheval, une brebis, une oie, un canard ; que les entrailles des victimes et les graisses sont brûlées , et le reste est prépare' pour les festins ; que toutes les prières y sont adressées au soleil. Extrait du Voyage de l'ambassade russe à Peltin , tra- duit de l'allemand , publie en 1807. (2) Cœleriirn , nec cohibcre paricùbus deos , nequè in ( '76 ) quels tout doit être ouvert (i), ne peuvent être enfermés par des murailles (2). >» Pline et Tacile disent que, dans le plus ancien culte, les arbres étaient un objet d'adora- tion. Claudian a dit la même chose (3), et Silius Italiens Ta répcié en beaux vers. Un po'éte écossais a fait, sur ce sojet, un disti- que fort expressif (4). Aux plus beaux temps de la Grèce, les Athéniens, qui n'étaient pas des barbares, ont eu pour les bois un culte spécial ; par- tout il y avait des bois sacrés qu'ils nom- maient AXsoç ou AX(T>î. Les anlagonistes des Gaulois, et même les ullam oris humant speciem adsimilari , ex magnitudine celestiurn arbittantur lucos , ac nemora consecrant deorum- que nomirdbus appelant secretum illud quod sola reveren- Ua vident. (Tac.) (i) Parie tibus includendos deos quibus omnia dcberent esse patentia negant. (Cic.) (2) Arbores fueri ntniinurn lempla , priscoque ritu , rura simplicia , etiam mine et in ipsi silentia adorant. (Plin .) (3) Lucos vetusta religione. (Claud.) (4) • • Quern mare , quem tellus , qiiem non capit igncus iter ClaudiUir in nuLlo spiritus ille loco. ._ (BuCHAMiiN.) ( Ï77 ) ^rudits, né manquent jamais de rappeler m cérémonie du gui, de cette plante parasite qui vit aux dépens des arbres, comme les courtisans et les flatteurs vivent aux dépens des cours des rois. Je ne sais moi-même pour- tant ce qu'on pourrait dire pour justifier cette antique solennité. On conçoit que le chêne, par sa force, par sa majesté et par sa durée , ait pu donner à l'homme quelque idée religieuse : toute l'antiquité en dépose (i). C'est par un chêne que s'expliquait l'oracle de Dodone. Abra- ham éleva son autel au pied dW tel arbre ; il était consacré à Z eus (Jubiler)-, chez les Gaulois, il était la demeure favorite de leur Esus. Les plus anciennes familles de Rome se consacraient un chêne ; le chêne était consacré à Mars (2) ; le conseil des tétrar- ques de la Galatie se tenait sous des chê- nes (3). (i) Aventino suherai niger ilicis umhra. (Ovid.) VeLuslior ihx... in quâ tituliis , liUeris religione arborent jàin dignam. (Plin.) (2) Querciis antiqua , Marti era sacrata (Idem.) (3) Tetrarcharum concilium... in hcum cui nomen Dry- nœmeto. (Strab.) Agricul. des Gaulois. |à ( "78 ) Mais , pour le gui , ce culte devient une e'nigme. Les druides l'ont-ils considéré comme un prodige, en ce que la plante, en quelque sorte aérienne, est toujours verte, qu'elle porte chaque année des fleurs et des fruits, et qu'elle n'a rien de commun avec les autres végétaux que le sein de la terre seul peut faire vivre? On ne peut rien affir- mer. Quoi qu'il en soit, tous les ans, à la saison nouvelle , et invariablement le sixième jour de la première lune , il y avait dans toutes les Gaules une solennité générale pour aller cueillir le gui ; tous les ordres des drui- des y participaient; les vaccies, les cubages, les sarronides, les bardes, tous ceux enfin qui participaient au culte divin, allaient en grande pompe cueillir le gui de chêne. Le grand -prêtre, revêtu d'une robe de lin, ayant à la main une serpe d'or, suivait avec son cortège un char élégant attelé de deux taureaux blancs, liés sous le joug pour la première fois. Arrivé au chêne sacré, le grand-prêtre coupait lui-même, avec sa serpe d'or, la branche de gui , qu'il laissait tomber sur un voile blanc de lin ; les chants, les acclamations du cercle pontifical annon- çaient aux rangs éloignés le dépôt du gui sur ( Ï79 ) Je voile sacré. Le retour était manifesté pât des cris de joie et par des danses ; des sacri- fices et des repas publics couronnaient cette journée, à laquelle les Gaulois attachaient les destins et le bonheur de l'année nouvelle. Cette cérémonie, comme tant d'autres, avait plus ou moins d'accompagnemens po- pulaires ; pour les uns , le gui consacré était un contre-poison; pour les autres, il rendait fécondes les femmes stériles; pour ceux-ci, le gui, pris en breuvage, guérissait des ma- ladies ; pour ceux-là , il portait bonheur en voyage. Combien les erreurs peuvent donc durer! Le gui, jusqu'au milieu du dix-hui- tième siècle, a été regardé par les médecins de France et d'Angleterre, comme un spé- cifique contre certaines maladies; les dro- guistes achetaient fort cher le gui de chêne, mais il fallait qu'il fût encore attenant au ra- meau d'un tel arbre. Dans le dix-huitième siècle, au i^^ janvier, les écoliers, les enfans, les serviteurs, les fil- leuls, parcouraient les maisons pour deman- der quelques petits présens. Danstouslespays de droit écrit, depuis le littoral de la mer jusqu'à la Loire, ces présens avaient le nom iïétrennes, dont Vétymologie se rapporte à ( »«o) la déesse Strennia; hors de la Loire, on ïe^ demandait sous le nom àe^ gui-l'an-neuf, dont on ne faisait qu'un nom, la guilanneux. On a dit que les Gaulois n'avaient aucune idée de la divinité, parce qu'ils adoraient le domaine entier de la nature ; mais il me sem- ble qu'une telle adoration prouve tout le contraire. Ils adoraient les montagnes, parce qu'elles leur donnaient les moyens de décou- vrir une plus grande immensité, et de voir plus tôt et plus long-temps le soleil. La plus célèbre, pour ce culte du moins, était celle des Vosges, où tous les savans ont reconnu le culte de Mythra. Ils adoraient encore les lacs, les rivières, les fontaines (i); ils ado- raient dans leur profondeur et leur fluidité continue, une participation de la divinité, parles biens qui en résultaient pour la terre. Les lacs les plus renommés dans les Gau- les, étaient ceux du Gévaudan et de Tou- louse. Ce culte consistait à faire des lustra- tions, et à y jeter des choses précieuses. Le consul Servilius Cépion connaissait bien ce culte , quand il ordonna le dessèchement de (i) Certum est lacus ac paludes fuisse Gallorurn templa anth Cœsarem, (Strab., 1. 4«) ( i8i ) celui de Toulouse , où il trouva un trésor im- mense, provenant en grande partie du tem- ple de Delphes. Chaque rivière avait son culte chez les Gaulois ; les Romains l'ont adopté. J'ai vu à Auxerre, dans la cour d'un boucher, un reste du temple de la déesse Icaunia (l'Yon- ne). La statue était visible par une extré- mité, et paraissait d'un beau style. Les Grecs aussi ont vénéré les fontai- nes (i); ce culte a duré long-temps dans les Gaules, car Grégoire de Tours s'en plaignait à la reine Brunehaut. Ce culte, au surplus, a des causes et un caractère qui méritent qu'on s'y arrête. Les premiers législateurs ont senti le be- soin d'inspirer à l'homme l'espérance d'un bonheur infini, et la crainte d'un châtiment éternel. Dieu même, sans doute, leur a dicté ou révélé ces grandes pensées; elles sont l'égide sacrée qui couvre le pivot sur lequel roule tout l'édifice social ; mais descendons de ces hautes considérations, et plaçons- nous au milieu des peuples des champs, qui » I I I I . Il I I . .. ■ ■ . m (i) Coluntur aguarum calentium fontes . (Senec.) Colunty discretif utfons, ut campus ^ ut nemus. (Tac.) ( .82 ) ont le plus long-temps conservé les ancîei»- nés mœurs de famille. Nous ne cesserons de les voir partout opprime's, esclaves, avilis, et en quelque sorte regardés comme le pecus des grands acteurs, maîtres des scènes du monde. Abandonnés à eux-mêmes, et jetés si loin des divers foyers de la sociabilité, ils ont été conduits insensiblement à se créer eux-mêmes un culte presque terrestre, ou du moins un culte qui fût dans leur propre spbère. Ces distinctions ou ces lignes de démarcations ont été remarquées dans tous les lieux de la terre. Ainsi, quand les rois, les pontifes , les héros n'avaient de rap- ports immédiats qu'avec le souverain des dieux, les grands, les magistrats, les nobles et les prêtres, selon leurs rangs respectifs, avaient des dieux secondaires pour protec- teurs, et les hommes des champs avaient leurs fétiches, leurs lares et leurs génies, gardiens de leur famille. Ovide, au surplus, avait cette opinion. « Dans le ciel, a-t-il dit , on voit d'abord la demeure du souverain- maître ; à droite et à gauche sont les palais des nobles ; le peuple y habite en divers lieux \ Est via sublimis cœlo fjac... rnagni tecta tonantis ( i83 ) Dextrâ lœ vaque... atria nobilium Plebs habitat diversis locis. En Grèce, la Gérés deshabitans de la cam- pagne était une statue informe de bois , semblable à celle qu'honoraient les esclaves en Egypte, et que les érudits ont nommée Cérès-Pharia. Tertullien s'est exprimé avec plus de détail sur ce culte spécial. Plus simples et plus purs que les gens du monde , les hommes des champs ont aussi plus long- temps persisté dans leur culte primordial ; et comme si le haut-culte leur eût été étran- ger, ils ont semblé n'attacher de devoir et de bonheur qu'à la conservation de leurs dieux immédiats. Dans un effroi public, Rachel, fille de Laban, chef pasteur, cacha sous elle les dieux lares de la famille. Les Romains plébéiens nommaient penetralia les lieux où ils cachaient leurs dieux lares. Dans tous les désastres, les Grecs, les Romains et les Gaulois s'occupaient avant tout de sauver les dieux pénates. Cet ordre de choses ou d'idées n'a point changé par l'extinction du paganisme. Sous l'empire de la religion chrétienne, on a vu ( '84) les empereurs, les rois, les papes et les saîntai les plus renommés, avoir des relations, les uns avec Dieu, et les autres avec la Mère du Sauveur. Ainsi, Je'sus-Christ s'est montré au grand Constantin ; Charlemagne et son fils se sont fait les applications de plusieurs si- gnes célestes; la Sainte-Vierge s'est montrée sensible à la foi et à la prédilection de saint Bernard; les quatre filles de Citeaux (i), le i3 mai de chaque année, célébraient la com- mémoration de ce miracle, pour lequel on a fait ces deux vers : Bemardi triplicl guttd quœ sparsit amictus Diim precibus matris comprima ille sinum. Une très-belle vignette, au surplus, en tête du bréviaire de Citeaux, montrait la Sainte- Yierge , éclatante de beauté, expri- mant du lait de son sein sur le pieux Ber- nard, l'orateur delà croisade de Vezelay. Il est d'autant moins étonnant que les Gau- lois aient divinisé les fontaines, que les Gal- lo-Romains et les Francs avaient observé le (i) On nommait ainsi les quatre plus riches abbayçs. ( i85) lYîéme culte. Dans leur esprit comme dans leur raison , les fontaines faisaient le charme et le bonheur de leur vie ; ils voyaient d'ail- leurs dans la pérennité de leurs eaux, dans leur être occulte et mystérieux, une volonté toute divine pour eux. Oracles ou pontifes à leur manière, les vieillards des champs au- ront appris ou divulgué des choses extraor- dinaires sur leurs fontaines respectives ; les uns auront dit que, pendant une saison brû- lante, où les herbes étaient desséchées, où les troupeaux mouraient de soif, où les hom- mes mêmes étaient menacés de cette cala- mité, une source abondante, à leurs priè- res, après des sacrifices et des expiations, était jaillie des flancs d'un rocher ; d'autres auront fait considérer comme surnaturelles des fontaines qui, pendant les froids les plus rigoureux, et après les orages les plus vio- lens, conservaient toujours leur fluidité et leur pureté j ceux-ci auront révélé des guéri- sons miraculeuses ; ceux-là des effets de fé- condité pour les femmes; ailleurs, on aura fait annoncer des prodiges survenus après des lustrations faites avec des eaux de telle ou telle fontaine, et on aura ainsi successi- Yement fortifié ce culte, qui, en définitive, < i86 ) remonte jusqu'à la connaissance de Dieu même. Ausonne, qui a bien connu et observé les Gaulois, confirme toutes ces conjectures par ce vers : Divona Celtanun linguâfons addite divis (i). Ce culte, au reste, a de même existé dans la Grèce. Dans TArcadie, la fontaine Alyssa guérissait de la rage ; à Dodone , il y en avait une dont les intermittences déterminaient les oracles ; aujourd'hui même encore, les fem- mes, en Grèce, ne tirent pas d'eau d'un puits, sans dire trois fois de suite : «Puits, je te salue, toi et ta compagnie. » Pour ne plus revenir sur ce sujet, antici- pons sur les siècles à venir, et faisons obser- ver que les prêtres chrétiens prendront le sage parti de s'approprier ce culte même, en mettant chaque fontaine sous l'invocation d'un saint ou d'une sainte. Ils ont permis, en effet, et d'après les évêques, qu'on pu- (i) Dew, en langue celtique, signifie Dieu, et avorta y une Jbnlaine . ( i87 ) bliât sur les eaux de telle ou telle fontaine, des miracles ou des effets heureux ; on y a institué des processions; on y a béni les pré- mices des fruits; on y a même autorisé les immersions d'images, de statues, défigures, de vêtemens et de voiles nuptiaux ; on y a construit des chapelles, des niches, et des troncs en permanence. De telles dévotions appartiennent à l'his- toire de l'agriculture, telle que nous l'avons considérée ; la piété les a inspirées sans doute, mais d'autres motifs les ont fait soutenir et transmettre, et malgré même toutes les ré- volutions civiles et religieuses. Comme ces pèlerinages et les processions n'avaient lieu que dans la belle saison, il y avait toujours un grand concours de peuple. Les uns ve- naient offrir pieusement les prémices de leurs fruits; les autres y apportaient, pour vendre, des objets d'industrie ou des primeurs; de sorte que les devoirs du culte remplis, ces assemblées devenaient des foires ou des mar- chés. Les paroisses s'en retournaient en masse ; la musette égayait leur marche ; il y avait donc alors quelques instans de bonheur ! L'édification des temples a été la plus grande révolution dans le culte des Gaulois ; il serait ( i88 ) téméraire d'en dire les causes ; mais on peut justement présumer qu elle est due à la grande fréquentation des Gaulois avec les peuples qui suivaient le culte olympien. Les Gaulois crurent facilement voir leur dieu Tis dans Jupiter, et leur j5^^z^^ dans Mars. Ce fut un trait de génie de prosélytisme, que de mettre dans les mains de Jupiter une belle grappe de raisin. Le culte à Bacchus suivit immédiatement; les Allobroges les premiers lui ont élevé un temple à Vienne ; le dieu y était chargé de grappes de raisins, et représenté à la ma- nière du dieu des jardins; cette statue, d'un très-beau style, mais trop libre, fut envoyée, du temps de Médicis, à Fontainebleau. Nos antiquaires, ou plutôt nos historiens explorateurs de l'antiquité, ne se sont occu- pés que des monumens des peuples étran- gers, quand il y en avait dans les Gaules di- gnes d'être transmis à la postérité, dans l'in- térêt de l'histoire et des arts ; car il n'y avait pas de sanctuaire sans quelques monumens, quels qu'ils fussent.Celuidugrand-prêtreChin- donax en est une preuve pour tous les au- tres. Le docte Caylus n'a pu sauver de Toubli les antiquités gauloises, dont nos artistes ( 189) Ignorent absolument les destinations, le style et les formes. Le culte champêtre proprement dit, pour- rait seul offrir une admirable composition sous la plume d'un écrivain qui serait plus sobre d'érudition que le respectable Dupuis , et qui serait moins prodigue aussi de cou- leurs brillantes que Tauteur des Martyrs. L'homme des champs, bien compris, a été constamment plus sage, plus juste et plus pieux que l'homme des cours et des cités ; la sincérité en est le plus beau caractère ; il a été d'ailleurs le moins variable, et incontes- tablement le plus pur. Si je ne sortais pas des limites que je me suis imposées, je pourrais indiquer des ma- tériaux dignes d'être mis en œuvre par un habile écrivain qui réunirait à une aimable et douce philosophie, un style dont les couleurs pourraient être avouées par tous les vrais amis de la nature. Je me borne donc à en faire la remarque ou l'observation. Un singulier caractère du culte champêtre, est celui de n'avoir consacré que sous les auspices du nombre trois; il a été tel chez les Grecs, chez les Romains, et n'est-il pas étrange que ce nombre trinaire mystique ait ( 190 ) traversé tous les siècles , et qu'il ait résiste aux attaques si fortes et si puissantes des ariens? Le Père Montfaucon a donné un soin tout particulier aux institutions du culte champê- tre : il a été moins dédaigneux que les histo- riographes. Il nous apprend qu'au commen- cement du seizième siècle, on avait trouvé à Dijon, dans une fouille, les trois déesses champêtres ; deux d'entre elles offraient des attributs et des signes qui annonçaient qu'elles favorisaient la fécondité, mais que la pudeur réprouvait ; elles furent mises en pièces. La troisième avait dans sa main des fruits et des plantes. Gomme elle était d'un beau style dans sa pose et son exécution, elle excita l'admi- ration publique; les moines et le peuple y virent une déesse qui protégeait les vignes et les fruits, et bientôt un culte public lui fut consacré. L'évêque et les magistrats ne trou- vant point le nom de la sainte dans la légende, étant informés d'ailleurs de la réalité de la découverte des trois statues, défendirent les processions et les actes votifs ; mais le peu- ple n'en tint aucun cas ; il fallut faire enlever la statue conservée. Je ne terminerai pas ce chapitre sur le ( '90 Culte champêtre, et spécialement sur celui des Gaulois, pour les forêts, les bois et les arbres, sans faire observer à ceux des lec- teurs dont les pense'es se reportent aux in- térêts de la patrie dans l'avenir, les grandes conséquences qui résultent de la disparition extrême des eaux et forêts. Si j'anticipe ici sur les siècles qui nous séparent de Père des Gaulois , c'est que je ne peux prévoir le terme où je pourrai arriver à l'époque où je dois rendre un compte historique et chronolo- gique des évènemens qui se rapportent à l'histoire de l'agriculture, dans laquelle la destruction des bois sera une des plus nota- bles parties; je veux du moins, à mon dé- but, tâcher de frapper l'opinion relativement au système déplorable de la législature et du gouvernement, sur la destruction des bois, sans lesquels le sol tend partout à devenir désert, inculte, rebelle etinsalubre; car, dans l'ordre de la nature, et d'après les lois de la physique, l'abondance des eaux dépend de celle des bois. Ces hautes combinaisons, qui sont révélées à l'homme par la nature elle- même, constituent en effet le maintien des climats, la fertilité du sol, et les heureuses in- fluences de l'air et des météores. ( 192 ) j*ai déjà donné de tels avertissemens dans mon ouvrage sur les forêts, dans lequel pres- que tous les faits sont officiels ou authentiques. Quinze ans se sont écoulés sans que ni l'A- cadémie des sciences, ni le gouvernement, que j'en ai instruits, et importunés, peut- être, y aient fait la moindre attention; ja- mais, au contraire, les destructions n'ont été plus vastes et plus rapides ; car, indépendam- ment de l'esprit d'égoïsme, qui ne fait que s'accroître, et de l'agio, qui domine aujour- d'hui toutes les classes, celles mêmes des agriculteurs et des artisans, la législature et le gouvernement, par leur système inconsi- déré sur les finances, provoquent sans cesse ce genre de destruction. Je n'espère pas être plus heureux par cette nouvelle allocution , que j'adresse formellement et à ceux qui gou- vernent, et à ceux qui participent à la légis- lature ; mais la conscience me la dicte, et j'y cède d'autant plus en ce moment, que d'ici à quelques mois, les hommes sages, que les temps passés éclairent, pourront du moins, peut-être , en apprécier le mérite. Combien je m'en applaudirais , si je parvenais à ins- pirer quelque pieux effroi sur le sort de la patrie dans l'avenir! Je serai court dans mes ( «93) txplicalions ; quant au fond, je me réfère à mon ouvrage sur les forêts. On vient de voir que les Gaulois, pour suppléer le sol , étaient dans Tusage de faire de grands abatis de bois. On vient de voir que, dans le cours non interrompu des fureurs de la guerre, on avait adopté dans toute l'Europe l'usage de couper et de détruire tous les bois qui environnaient les cités et les forts, afin de se tenir en garde contre des irruptions, et que ces immenses éclaircis avaient été nommés des marches. On sait, par l'histoire, que Darius, Alexan- dre , Denis-le-Tyran, et tant d'autres, or- donnaient de telles destructions, et que le dernier avait Juré, dans une de ses guerres d'extermination en Grèce, de ne pas laisser un seul arbre debout. L'Angleterre expie encore les dévastations ordonnées par les Romains ; malgré tous ses efforts, elle en ressent aujourd'hui les sinistres effets, et presque l'impossibiHté de conquérir des forets nouvelles. Sous la première, la seconde et la troi- sième race, il y a eu, jusqu'à Louis XIV, une dévastation générale , et surtout de la part des usufruitiers féodaux, engagistes, apana- Agriciil. des Gaulois. I 3 ( '94 ) gistes» évéques, abbés, moines et cbapitres.. L'ordonnance de 1669 avait un peu sus- pendu ces destructions , et je ne peux mieux .faire et dire sur un tel sujet, que d'inviter ceux qui douteraient, à lire le préambule de cette ordonnance, que Louis XIV vint faire enregistrer lui-même au parlement. C'est ce préambule, composé par des magistrats d'é- lite, qui doit épouvanter tout bomme de bien ou de bon sens , sur le sort de la France dans son avenir immédiat. Sous Louis XV, les famines et les disettes désolaient continuellement le royaume ; pour répondre à ces cris de désolation , on ordon- nait d'arracher les vignes , on défendait d'en planter; on poussait partout à faire des dé- frichemens, qui profitaient aux décimateurs; on accordait pour ces œuvres des primes ou des privilèges. Les ministres, les intendans, et même les grands maîtres d'eaux et forêts, fermaient les yeux sur les destructions des bois et futaies, quand elles avaient pour but des défrichemens. Ils faisaient plus encore; ils accordaient des récompenses ou des fa^ veurs à ceux qui défrichaient , et ils n^en ex^ ceptaient les bois que pour la forme. Au milieu du dix-huitième siècle , il s'éleva ( 195 ) ^tî France un grand nombre de grands et moyens fourneaux de verreries et d'usines, pour lesquels il ne fallait que du charbon de bois; et dès-lors on vit disparaître une éten- due immense de gaulis et de futaies , dont les souches furent mises en bois taillis, à couper tous les quinze ou seize ans. Il y avait , il faut l'avouer, à cette époque même, beaucoup de grands-maîtres des eaux et forêts, qui tenaient encore rigoureusement la main à l'exécution de l'ordonnance de 1669; mais le haut-clergé, qui depuis dix siècles était en possession de se mettre en exception pour l'exécution des lois d'ordre commun, trouvait toujours le moyen de dis- poser de ses bois, et surtout des quarts de réserve, qui offraient de plus grandes som- mes à son avide égoYsme. Là , tel évêque fai- sait dresser, sans contradicteurs, des procès- verbaux qui établissaient le mauvais état ou la ruine des bâtimens de l'évêché; ici, des évêques et des abbés, déjà vieux, s'enten- daient avec leurs fermiers, pour laisser d'a- bord en vaines pâtures des parties de bois danslesquelles il y avait de belles futaies. Une enquête sur le mauvais état des arbres était faite ; on se soumettait à défricher, et le titu- ( 196 ) laire obtenait aussitôt du gouvernement la permission d'en vendre la superficie, etc. Les bois du domaine et des apanages^ étaient devenus les ressources habituelles des ministres et des usufruitiers; pour n'en citer qu'un trait, c'est avec des coupes ex- traordinaires dans la forêt de Gompiègne, qu'on a fait bâtir la salle de l'Opéra de la Porte-Saint-Martin. En 1789, il n'y a plus eu de frein pour garder les forêts, les bois et les arbres. L'As- semblée constituante n'a eu ni la sagesse ni le courage de soutenir Texécution de l'or- donnance de 1669. Un horrible arbitraire, un pillage presque général a éclaté pendant sa session même ; elle a cru satisfaire à ses devoirs, en sacrifiant à l'intérêt privé, c'est- à-dire à l'agiotage , les parties de forêts de deux à trois cents arpens, et tous les bois et boquetaux des biens du clergé et du do- maine ; partout la hache révolutionnaire , même avant le paiement des annuités, a fait disparaître tous les arbres forestiers et frui- tiers, et jusqu'à ces ormes antiques que la voix du peuple nommait desRosny (i). f i) A l'armëe des Pyrénées, laissée sans solde et sans ( 197 ) Dans le dix-neuvième siècle, la destruc- tion a continué avec tous ses désordres ; on a vendu les bois du domaine; mais, pour les vendre plus cher, on a autorisé, ou du moins on a gardé le silence sur les défrichemens. Les propriétaires de bois, d'une part, usant de toute la latitude déférée aux propriétés privées, ont vendu ou défriché arbitraire- ment les bois qui leur offraient immédiate- ment des capitaux. De nos jours, un grand personnage a vendu les bois taillis d'un vaste cantonne- ment, avec la faculté aux acquéreurs d'en couper les vieilles écorces (i)- vêleniens , on se payait e» bois coupes et vendus aux villes voisines. (i) II est bien aise' de dire, l'inte'rêt prive' suffit pour conserver ses bois. Cela est vrai, quand on possède des milliers d'arpens, qu'on met ou qu'on peut mettre en coupes annuelles ; car c'est alors un produit, comme celui des pre's ; mais le proprie'laire qui n'a que des parties de bois isole'es , diffe'rentes de sol et d'espèces , ne tient pas le même langage. C'est là une distinction que n'ont pas faite les gens de la the'orie , les ministres et les depute's , qui ne connaissent que les grandes forêts. La proprie'te' prive'e, à petites quotite's , a eu et aura toujours sa tendance à con- vertir ses revenus de vingt , vingt-cinq à quarante ans , en ' . ( 19» ) L'agio poursuit toujours de sa hache ter- rible les restes des forêts du domaine; et c'est la législature elle-même qui, jetant un voile sur l'avenir de la patrie, propose et pousse à la vente des dernières forêts. Faci- les à mettre leur conscience et leur science à Taise , tous les orateurs se confient au nou- veau Code forestier, qui n'est qu'une triste et faible détrempure de l'ordonnance de 1669; ils n'ont pas voulu voir qu'à cette époque il y avait en France plus de milliers d'arpens qu'il n'y en a de centaines aujourd'hui; ils n'ont pas voulu voir que Finfluence des bois ne se borne pas aux grandes masses, et que la bienfaisance générale des petits bais^ bo- quetaux, et celle même des arbres, se com- binent dans l'atmosphère avec celle des gran- des forêts; ils n'ont pas voulu voir, enfin, que la révolution , par suite de la vente des do- maines nationaux, avait fait disparaître tous ces agens isolés, aussi chers et utiles à la nature qu'à la patrie. revenus annuels : cause ge'ne'rale de la destruction des bois, dont les parties aliquotes formaient, avant 1789, plus de 10 millions d'arpens, et dont l'influence est à ja- mais perdue pour la patrie. ( '99 ) Les financiers, aujourd'hui, dominent à tin tel point l'opinion, que les députés des départemens croiraient passer pour des bour- geois provinciaux et bornés, s'ils ne faisaient pas cause commune avec les directeurs du système adopté pour la haute finance , et an sort de laquelle on associe la politique. Les chefs insinuent à l'oreille qu'il importe à la tranquillité de l'Etat que le clergé ne rede^ vienne pas possesseur des bois, parce qu'i^ en abuserait. Cette opinion, j'en demande cardon à nos financiers les plus estimés, n'est qu'un vain prétexte ; car il eût été très- facile de leur imposer des lois ou règles de conservation et de contribution par l'im- pôt. L'ordonnance de 1669 avait prévu d'ail- leurs toutes dilapidations. Mais comparons maintenant le sol forestier tel qu'il était dans les dix-septième et dix-huitième siècles, quand il y avait des lois d'état sur les bois du do- maine, sur ceux du clergé et de la main- morte, à celui dans lequel se trouve aujour- d'hui la malheureuse France, relativement à ses eaux et forets ; on conviendra du moins que , malgré les dilapidations partielles des courtisans et du clergé, il se trouvait encore à la révolution, en 1789, une grande masse ( 200 ) de forets, de bois et d'arbres dont la dispa- rition est une calamité pour la patrie. Dans une telle question, on ne doit pas considérer les intérêts privés, mais ceux de la patrie ; il lui importe peu que les bois soient possédés par des moines ou par des bonzes, pourvu que les influences et les bienfaits qui en résultent continuent leur ac- tion sur l'air, le sol et la fertilité. Si les bois encore n'avaient fait que changer de mains, et qu'on eût imposé une rigoureuse conser- vation aux acquéreurs, il y aurait eu moin^ de dilapidations. Mais ce branle de destruc- tion ne se borne pas à la destruction des arbres privés ; il envahit jusqu'aux arbres des routes, qui semblent être en état de saisie réelle avec brandons. Une grande accusa- tion morale s'élève contre le directeur-gé- néral des routes : coupable indifférence ou ignorance, qui se manifeste aux arbres mê- mes des boulevards de Paris, si essentielle- ment utiles à la salubrité publique. La maxime nouvelle, que chacun est maî- tre de faire de sa propriété ce qu'il lui plaît, et que l'intérêt privé suffit pour faire con- server les bois, a porté un coup mortel à leur conservation ; aussi est-il arrivé que les pro- ( 201 ) priétairesde cette partie du sol, et, par suite, les acque'reurs, ayant calcule ce que coûte l'impôt foncier annuel pendant vingt-cinq, trente, quarante ou soixante ans, se sont mis partout à couper et à défricher, pour se composer des capitaux de rentes , dont les intérêts se paient tous les six mois, sans craindre ni garnisaires ni météores, ni sé- quelles de centimes additionnels. Il ne faut pas, en effet, un grand effort de raisonne- ment pour préférer un revenu de 5 pour loo net et assuré, à un revenu de 2 et demi tout au plus, déjà absorbé en partie par le paiement annuel de l'impôt. Le nouveau Code forestier est plutôt une paraphrase qu'un code, car ses mesures s'é- vanouiront aussitôt qu'un propriétaire en aura formé la résolution. Si les hommes du gouvernement et de la législature avaient été bien pénétrés, comme les Sully et les Colbert, de l'utilité et de la nécessité des bois, de leur grande et active influence, ils auraient organisé une législa- tion relative au dénuement dans lequel se trouve le sol de la France ; ils auraient, au contraire, interdit toute vente ultérieure; mais au lieu de profiter de ce qui reste en bois ( 202 ) pour opérer ramortissement de la dette, ils auraient employé une partie majeure des re- venus à faire semer et planter ; ils auraient modéré l'impôt foncier sur les bois, en lui assignant une décroissance proportionnelle, et jusqu'à cinq centimes , pour ceux qui se- raient déclarés et maintenus en gaulis ou futaies. Ministres et députés, vous avez déjà vendu des bois pour des milliards ; la France en est-elle plus riche, et sans dette? Quand vous aurez vendu tous les bois et forêts existans, que vendrez-vous ensuite, dans des circons- tances de guerre ou de péril pour la patrie et le trône? Vous trouverez peut-être ces vérités trop dures, mais je n'hésite pas à les dire, quoique bien certain que l'esprit de corps , le système et Tagio s'en moqueront ; ils s'en irriteraientmême, silaplume quilestrans- met appartenait à une coterie ou à un parti. A toutes fins, je cède à ma conscience, telle obscure qu'elle soit, car je n'aurai peut-être pas le temps de démontrer, à l'époque rela- tive de l'histoire de l'agriculture, les princi- pes d'administration, et toutes les influences physiques et économiques de bois. ( 203 ) \/v\/%/\r%tvv\i%/\f\/%/vv\f%/^iV^/*/vv\i%i\rk)%i\r%ik/\/\%/v\^^ CHAPITRE VI. L'origine et le cours des sacrifices humains chez les plus anciens peuples. — L'injustice des Romains envers les Gaulois, à ce su- jet 5 les Romains ont été plus extrêmes. — Les Gaulois mépri- saient la mort pour eux-mêmes ; ils sont justifiés , relativement aux sacrifices, par des exemples anciens et modernes. — L'opi- nion de Pasquier. — Les druides, leurs fonctions, leurs scien- ces, leur théologie ou philosophie. — Les plus augustes et hono- rables témoignages les élèvent au premier rang des philosophes de l'antiquité. — Attributions respectives des druides. Il y avait à peine des familles, que les sa- crifices humains étaient considérés comme un des plus grands moyens de plaire au dieu suprême, ou de désarmer sa colère. Plus on remonte aux temps reculés, plus on trouve que le choix des victimes a principalement porté sur les êtres les plus chers, et même dans les familles des rois. Les Gaulois n'ont pas dû être exempts de cette impression ou de cette croyance, presque générale sur la terre. » ( 204 ) Les Egyptiens ont offert des vierges au Nil ; ils sacrifiaient habituellement des hom- mes roux au soleil; les Phéniciens immo- laient des femmes et des enfans ; les Ethio- piens choisissaient des garçons pour les offrir au soleil; pendant une peste, à Athènes, l'oracle de Delphes ordonna de sacrifier des jeunes filles à Minerve : un monument, dans le Céramique, en conserve le souvenir.Thoas, roi de la Tauride, en avait fait une institu- tion spéciale; Busiris, dans un danger pu- blic , pour être plus certain que les prières de son peuple parviendraient sûrement au- près du dieu du monde, ordonna de sacrifier le grand-prêtre lui-même. Si cette coutume eût prévalu et continué, il y aurait eu moins de charlatans et de sacerdoces ; mais le con- traire est arrivé ; car, en Egypte même , le grand-prêtre et le pontife avaient fini par ordonner aux rois de se tuer, et ils obéis- saient; un roi plus audacieux, Ergamenès, y a mis fin , en exterminant tout le sacerdoce régicide. Achille, dans Homère, immole douze jeu- nes Troyens, qu'il jette dans le bûcher de Pa- trocle. Abraham a reçu de Dieu Tordre de sacrifier son fils ; c'était la doctrine de Bra- % C 2o5 ) ma, dans l'Asie, et de Saturne, dans la Grèce^ si toutefois ces deux noms ne signifient pas le même être. Jephté, Iphigénie et tant d'au- tres victimes, prouvent déjà que les Gau- lois ne méritent pas plus le reproche des sa- crifices humains, que les autres peuples : tel donc qui les en accuse encore, n'a ré- fléchi ni sur sa religion, ni sur celles des . anciens peuples. Les Romains, que nous croyons générale- ment sur parole , et qui se sont arrogé le droit de faire la réputation des autres peu- ples, n'ont cessé, dans tous leurs ouvrages, de signaler les Gaulois comme des êtres fé- roces et sauvages. Jules -César, Cicéron, Pline, et surtout Tite-Live , ont à l'envi jeté de l'horreur sur les Gaulois, à cause des sacrifices humains. C'est même à ce sujet que Pline s'écrie : « On ne sait pas tout ce que les Gaulois doivent aux Romains (i)!» Le sénat, il est vrai, a maintefois défendu les sacrifices humains, et spécialement sous le consulat de Cornélius Lentulus , et de Licinius Crassus. Mais Pline a fait l'aveu ([) Nec satis œsUmari..,.. quantiim Romanis debealUF, (Plin.) ( 2o6 ) que, dé son temps, l'usage en durait encoi*ei ( Liv. 28.) Faisons observer, à la gloire de Junius Brutus, que Poracle ayant demandé des têtes en sacrifice , il avait abattu autant de têtes de pavots que l'oracle avait de- mandé de victimes. Mais les Romains ont-ils bien le droit de faire un tel reproche aux Gaulois, eux qui, pour plaire à une divinité secondaire , en- fouissaient des victimes vivantes? eux qui, pour divertir une populace arrogante , en présence des pères conscrits, des dames ro- maines, des vestales, et de celui même qui portait la pourpre, faisaient exterminer des centaines de gladiateurs, qu'ils choisissaient exprès doués de la plus grande force , afin de jouir plus long-temps du combat de la vie contre la mort, exigeant encore que ces mal- heureux mourussent avec grâce (i)? Jules- Gcsar, édile , offrit cent- vingt paires de gla- diateurs, dont l'acharnement prolongé trans- porta de joie les Romains. Sous le consulat d'Apustius Fullon et de Messala, lorsque Rome était encore épou- (1) Populus irasciUir quod non libenter pereunL (Senec, l. 3) ( 20? ) vantée de l'irruption des Gaulois, les Ra- mains consultèrent les oracles et les livres sibyllins. D'après la réponse, on enterra vivans, dans la place publique, un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque (i). Que les partisans des Romains effacent donc encore le supplice de la vestale Urbinia , celui de la vestale Sextilia , qui , pour avoir violé sa virginité, fut enterrée toute vive, Tan 274 avant Jésus-Christ. Ce qui met le comble à Finjustice des Ro- mains, c'est de voir un Tibère et un Claude, opprobres de la race des rois, faire procla- mer dan. (242 ) La conquête des Gaules par Jules-César aura sans doute porté le grand-prétre des- druides à transférer son siège en Angleterre. Ce transfèrement forcé a fait dire à quelques auteurs anglais et français, que le sanctuaire primordial des druides avait toujours été en Angleterre. C'est encore une erreur, suite nécessaire de l'ignorance complète de l'his- toire des Gaulois, dans laquelle on affecte de se maintenir. Des auteurs français, d'une part, n'ont pas mieux demandé que de laisser aux anciens Bretons la gloire ou l'origine du druidisme, qui les importune dans leurs idées de gloire ou de bel esprit. Des Anglais, d'au- tre part, trop bien instruits de leur histoire première, afin de se donner un vernis d'an- tiquité, et défaire oublier leur tatouage, se sont tout simplement attribué l'institution des druides ; mais tout ce qu'on vient de rap- porter des anciennes émigrations des Gau- lois, de leurs conquêtes en Grèce, en Asie, et de la prise de Rome, prouve le contraire. Les témoignages des plus grands hommes de hcerentibus membris , immobile corpus , vulneribus prœbe- rent... veste ferait, crinibus dejeciis , faces prœferebant, ciruidœ Gallicanœ. (Tac, 1. i4') (243 ) la Grèce, de l'Egypte et de Rome, dans les- quels il n'est nullement question des Bretons, qui étaient sauvages, féroces et tatoués, alors même que les habitans des Gaules étaient en grande et honorable civilisation, nous prou- vent encore jusqu'à quel point on peut s'é- garer, quand on marche à rebours du tlam* beau de l'histoire. Ce serait, en définitive, faire beaucoup d'honneur aux Anglais, que de les faire descendre des Gaulois. Les druidesses jouissaient d'une sorte d'in- dépendance à l'égard des druides. Leur sa- cerdoce avait ses règles, pour ne pas dire son dogme ; elles étaient néanmoins le plus souvent consultées par les guerriers , sur le sort des combats ; elles avaient des jours heu- reux et malheureux : la lune était leur grand point de mire (i). Ne les accusons pas d'i- gnorance; Hésiode les sauve de tous repro- ches sur les jours heureux et malheureux; <}ans le dix-nieuvième siècle encore, on ne met point à la voile un vendredi. Voici quelques maximes des druides, que j'ai prises dans la République séquanaise de (i) Ea consueUido •, non esse f as... antè nova m Iwuun, prœlio conlendere. (Caes.) (244) Gdlut ; elles offrent un vaste champ aui ré- flexions du philosophe : « Etre enseigné dans les bois sacrés. « Le siècle est de trente ans. « Il faut apprendre les sciences de mé- « moire. « Le gui rend fécondes les femmes sté- « riles. w On doit être vrai, diligent et prudent en « administration. « On ne doit jamais sacrifier sans un ra- te meau de chêne ou de roûre. « Les âmes sont immortelles (i). « Le monde est immortel. « Si la terre finit, ce sera par l'eau ou par « le feu. « La jeunesse finit, quand on se sent en « état de combattre pour la liberté. w En grandes choses, il faut immoler un « homme. « Nul sacrifice ne soit fait sans druide (2). « La lune guérit tout. (i) Druidœ animas el mundum immortales statuant tanien aliquando, ignem aut aquam superaluros (Strab.) (2) Nec cuiquani sacrum facere ahsque philosopha ,fas est. (Diod. de S.) (245 ) « Tout père de famille est roi dans sa « maison. « Les inimitiés sont bonnes entre les grands, «afin qu'ils s'accusent, sHls conspirent con- « tre la liberté. K Le traître est châtié par le feu. » ( 246) «^/C,trVV«'%^VV% VVVWVi'i/VV VVVVVVVV\'VVVVVV«/%VVVVVVV%'VV4^ iv% CHAPITRE IX. Le régime diététique des Gaulois. — Ses influences morales et phy- siques. — Quels animaux servaient à leur nourriture. — Ils ont dû consommer beaucoup de poissons. — Question philosophique sur le premier refuge de l'homme, et sur les choses qui ser- vaient à le nourrir. — Les plantes les phis renommées. — Les Gaulois vivaient de laitage, du sang des chevaux et de leui* chair. — Leurs troupeaux domestiques. — Leurs festins, leurs repas et usages relatifs. — Chaque territoire dévolu exclusive- ment au pâturage. — Les époques où ils ont eu recours aux cé- réales. — Leurs lois pour la première culture du blé. — Il est faux que les Gaulois aient vécu de gland ; motifs et preuves. — Les poissons ont été une grande ressource. — De toute antiquité ils ont connu la bière. — Ils recueillaient beaucoup de miel. — Les premières cultures de la vigne. — Il y avait plus de quatre siècles que les Gaulois connaissaient le vin et la vendange , avant l'époque du conte laissé par Tite - Live. — Réfutation de ce^ conte , par Pasquier. J'ai dit, et souvent, que le régime dié- tétique était le moyen le plus sûr, à défaut d'histoire, et même avec l'histoire, pour bien juger de la civilisation, des mœurs, des lois et du caractère de chaque peuple. Selon tous (247 ) les historiens, les Gaules avaient une grande population; leurs peuples jouissaient donc d'un régime qui la favorisait. Fiorus, qui vivait sous Trajan , était encore frappé de la taille et de la force prodigieuse des Gaulois, qu'il dit terribles dans les combats, par les dimensions de leurs armes (i). Cicéron avouait que les Romains étaient inférieurs, pour la force, aux Gaulois. « Les femmes, ditStrabon, d'autre part, étaienttrès-fécondes, et, déplus, bonnesnour- rices (2). » Aucun peuple connu n'a montré pour la liberté et pour la patrie une âme plus noble et plus forte , unie à des mœurs plus constantes, fortifiées d'ailleurs par le dogme (i) Jngentibits armis , corporum mole. (Lib. i.) Nec robore Gallos superavimus. (Cic) (2) Puisque nous en sommes sur ce point, faisons obser- ver que, pendant vingt siècles encore, les femmes nobles et bourgeoises des Francs, jusqu'au dix-huitième, feront nourrir leurs enfans par des femmes mercenaires, quand les femmes gauloises barbares e'taient fidèles à la loi sacrée et divine de la nature. Disons plus, car c'est un fait : une femme noble riche, ou une bourgeoise, en 1 780, se serait crue de'shonorée en nourrissant elle-même son fils. Muliercs eorum fœcundœ et eâucatrices honœ. (Strab., 1.5..) ( 248 ) religieux. Leur régime était donc compatible avec ces qualités sublimes dans l'homme. On ne peut dire sans doute l'époque oîj les Gau- lois ont quitté la vie sauvage; mais puisqu'il est généralement reconnu qu'ils sont indigè- tes, ils ont dû subir la loi commune de la nature, ou, en d'autres termes, celle de la nécessité; les plantes, les baies, les fruits, le gibier des forêts et les poissons, auront donc formé le premier ordre des choses qui ont servi à leur nourriture. Je ne veux point faire le procès à l'homme sur l'emploi qu'il a fait des animaux domes- tiques pour vivre et se substanter lui-même ; mais je suis convaincu qu'il y a été amené par l'inexorable nécessité , et que l'habi- tude, après en avoir fait un besoin, faute de ressources spontanées dans la nature, en a fait successivement un plaisir. Combien donc cet empire a été grand, puisque les magistrats et les mères de famille n'ont pas mis en ex- ception la douce et belle génisse, dont les formes et le paisible caractère devaient ins- pirer de l'intérêt et de l'attachement à ceux qui les élevaient! Combien cet empire ou cette habitude doit étonner le philosophe même , puisqu'en laissant la vie à la génisse, (^49) on se ménageait une source abondante de lait, qui faisait vivre, et qu'on assurait indé- finiment la multiplication de l'espèce î Mais, dans les plus hauts destins , le sort de la gé- nisse, au contraire, a été le plus en butle aux couteaux des sacrifices; car les dieux, les déesses, les rois, les reines et tous les grands de la terre ont sans cesse commandé par préférence ce genre de sacrifice, vou- lant en outre qu'elles fussent belles, sans taches, et dWe couleur déterminée. Ainsi donc, de siècle en siècle, on a de plus en plus altéré les germes et les développemens de la beauté de fespèce. Les Juifs ou les Hé- breux, de leur côté, se sont accoutumés à substituer le veau à fagneau, pour la célé- bration de la pâque. Les philosophes, qui font sortir l'homme du sein des eaux, trouvent ici de forts argu- mens pour appuyer leur système ; car, en considérant l'homme dans l'état de pure na- ture, sans défense propre en lui contre les animaux voraçes et carnivores ; sans industrie pour se vêtir et pour édifier des toits; sans instinct, ou plutôt avec l'horreur innée de faire servir à sa nourriture le sang et les en- trailles des animaux terrestres, il paraît évi- ( 25o ) dent que les eaux, à toutes fins, ont été son premier refuge et son plus sûr abri contre les rigueurs des saisons, et contre tousses ennemis dans le règne animé de la nature. Les eaux ont été, en même temps, le do- maine où il a trouvé le plus constamment de quoi vivre. Dans cet état, l'homme a donc dû habiter long-temps les bords des mers, des fleuves et des marais où se rendaient habi- tuellement les oiseaux de passage, et près desquels encore résidaient un grand nombre d'oiseaux aquatiques, dont ils faisaient leur proie, et auxquels, dans la saison des pon- tes, ils enlevaient les œufs pour en vivre. C'est une ressource qui n'avait pas échappé à Jules-César. «Dans leur régime, disait-il, il vivent encore des œufs des oiseaux (i). » Les peuples sauvages, au surphis, se tien- nent encore dans de tels lieux, et vivent de cette manière. Les parties de la terre que baignent les eaux, et surtout celles des fleu- ves, sont en effet les plus riches et les plus fertiles en végétaux , en fruits nourrissans ; dans aucun système sur la nature, du reste, (i) Avis asium vive/v. ( J. Gaesar, de BclL Gnll. ) ( ^'Sï ) les causes finales ti'ont reçu une plus juste application. Si on consulte les anciens patriarches , rhomme, dans son origine, a manifesté un goût décidé pour les racines , pour les grains et pour les fruits ; les siècles qui se sont écoulés Sur son premier âge, ne Font pas fait changer, et ce serait peut-être à ce cer- cle qu'il faudrait borner le premier ordre des vivres de l'homme ; car, pour la sapidité , pour les satisfactions substantielles et pour le charme du goût, aucune autre nourriture ne peut être comparée à celle qu*on trouve dans les choses que produit la terre, et que mûrit le soleil. Les êtres mêmes que la nature a disposés pour être amphibies, malgré l'immensité des ressources que les eaux leur offraient pour se nourrir, ti'orit jamais cessé de rechercher avec avidité les fruits de la terre ; et qui sait si dans le nombre de ceux qu'on répute maintenant organisés pour vivre à l'air libre, il n'y en a pas que les charmes du soleil et les fruits de la terre ont fait successivement re- noncer à leurs humides et premiers berceaux ? La terre a eu son bel âge; mais elle est promptement devenue, pour l'homme, avare ( 252 ) et marâtre, à mesure qu'il est devenu lui- même dominateur, méchant et cruel, La faim, la terrible faim est née de son ingratitude et de son orgueil. Dans l'excès de ses besoins et de ses passions, il s'est promptement accou- tumé à verser le sang des autres animaux. Cette première barrière franchie , il n'a plus connu de frein dans ses exterminations. Ainsi abandonné à lui-même, la haine et la colère lui ont bientôt fait verser le sang de son semblable, et c'est alors que la sociabilité a dû commencer. Quel qu'ait été le passage des Gaulois de l'état de nature à celui de sociabilité , il est du moins certain que les druides, dans leurs plus anciennes institutions, s'attachaient à faire connaître les plantes qui pouvaient servir à la nourriture de l'homme, et même à le guérir de ses maux. Il serait téméraire d'en- treprendre de désigner les espèces et les mo- des alimentaires; car l'érudit qui, par des recherches combinées, approcherait le plus de la réalité, courrait le risque de n'être pas cru , tant sont extrêmement changées et les productions et les dispositions des organes; il faut donc se borner à prendre pour épo- que et pour autorité, les âges et les écrits C ^53 ) d'Hippocrate, deThëophraste, deDioscoridc et de Pline. Les uns et les autres affirment ou reconnaissent qu'il y a eu des e'changes ou des naturalisations de plantes légumières en- tre les grandes nations d'Europe, d'Asie et d'Afrique. Le pavot, le sésame, le carthame, le riccin, les plantes bulbeuses, et surtout les cucurbitacées, ont été' chers à tous les anciens. Rigoureusement, sauf des exceptions de localités, on pourrait affirmer que, dans les premiers siècles héroïques, les plantes légumières ont été la base de la nourriture de l'homme. Les honneurs divins rendus à Cérès et à Triptolème, pour avoir appris à connaître le blé et à le cultiver, prouvent seuls que jusqu'alors les Grecs avaient été sou- vent aux abois pour vivre, puisque l'emploi du blé les a portés, non seulement à décerner les honneurs divins, mais encore à en con- sacrer perpétuellement l'époque , par la com- mémoration la plus solennelle qui ait jamais existé sur la terre. Les céréales, cependant, ne doivent être considérées, au moins pour l'Europe, que dans le troisième ordre des choses que l'homme a recherchées pour vivre. Les Gaulois partageaient le même goût ( 254 ) pour les plantes ; ils en cultivaient beaucoup qui étaient natives de leurs contrées, et dont l'usage, pour le plus grand nombre, se confondait avec l'art de guérir. S'il faut commencer par la plus fameuse, on doit nommer la gentiane. On veut que celui qui en a fait connaître les vertus, ait été élu roi. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les Grecs, les Espagnols, les Latins et les Germains, ont tous célébré cette plante. Apulée, Dioscoride, Pline, en ont longue- ment disserté. Servait -elle alors à nourrir l'homme? En la connaissant, on hésite à l'affirmer. Quoi qu'il en soit, depuis ces siè- cles reculés, cette plante jouit sans interrup- tion d'un grand renom dans nos campagnes, où elle est employée non seulement à guérir les hommes, mais encore les bestiaux. Les Italiens font également encore grand cas de la gentiane, pour des maladies internes, pour des plaies, pour des morsures, et même pour combattre la rage. L'angélique est réputée originaire du nord; c'est dans l'Islande, dit-on, qu'elle développe une plus grande et plus heureuse végétation. Cette plante, assaisonnée de miel, était un mets très-cher aux Gaulois. Rembert rap- ( 255 ) porte que des voyageurs égares s'en sont ex- clusivement nourris pendant plusieurs jours. Gallien réputait Varum plus utile que les raves, et d'un meilleur goût. Dioscoride a indiqué lamanièred'enassaisonnerlesfeuilles. La serpentaire cuite , et passée à deux ou trois eaux, était un mets nourrissant et agréa- ble, lorsqu'elle était préparée avec du miel. Les anciens, en général, ont su tirer un plus grand parti que nous des plantes aqua- tiques, et particulièrement des iris; les ra- cines, les tiges cachées par les eaux et les graines, leur servaient de nourriture. Le glayeul jaune , en effet , porte des graines qui , torréfiées, sont réellement bonnes à manger. Les Gaulois en faisaient une de leurs frian- dises. Le goût et l'arôme de ces graines ap- prochent beaucoup de ceux du café. Le chamœlé servait à relever le goût des viandes et des légumes bouillis. Jules-César parle d'une plante aveclaquelle on faisait du pain (i). La plante qu'il nomme chara, était infailliblement Varum y qui vient en abondance dans les lieux humides et cou- (i) Est eiiam genus radicis quod appellatur cliara y ex quo... panes. (J. Caes., 1.4-) (256) verts. On a pu, dans une famine, faire une sorte de pain avec sa racine. Mais on ne peut croire que Jules -César en ait nourri son armée. Il faut mettre de même au nom- bre des épisodes mensongers, qu'il ait fait offrir de ce pain aux soldats de Pompée, qui mouraient de faim ; l'offre n'est pas plus vraie que la défense de Pompée de montrer un tel pain à son armée. Telle est la destinée de rhistoire : les mensonges, les sottises et les préjugés que la simple raison réprouve, surnagent toujours dans les livres des histo- toriens, comme les bâtons flottent sur les eaux. Il est défait, iu surplus, que les Gaulois cultivaient la rave et l'oignon avant l'invasion des Romains; Pline, du moins, l'affirme. Les Romains nommaient ^â^/^^zToignon, que les Rourguignons ont fait nommer unio ^ oignon. L'usage de la viande étant devenuplus com- mun, par suite d'un plus grand nombre de bestiaux domestiques, les Gaulois ont suc- cessivement renoncé aux recherches péni- bles et fortuites des plantes et des fruits spon- tanés ; on a perdu ainsi beaucoup de décou- vertes que la nécessité avait fait faire , et ( ^-57 ) qu'on doit regretter, du moins pour l'histoird de la science. César, à son arrivée dans les Gaules, étonné de la grande stature, de la force et du courage des Gaulois, s'attacha à bien con- naître leur régime diététique; sur ce point, nul n'a mieux observé les Gaulois. Il rap- porte qu'ils consommaient peu de blé, mais beaucoup de laitage, de viandes d'animaux domestiques , et de gibier. « Ce régime , ajoute-t-il, soutenu d'ailleurs par beaucoup d'exercice et par une vie libre, en faisait des hommes prodigieusement forts (i). » Il paraît que la première conquête des Gaulois a été celle de la vache; le lait, du moins, est le premier aliment qu'ils aient cherché à fixer dans leur état de domes- ticité. Le porc était devenu promptement aussi un mets habituel; ils en avaient d'immenses troupeaux dans les forêts; son empreinte for- (i) Neque multum Jritmento , sed maximam partent lacté atque pécore vwunt} multumque sunt in venatiombus ^ quœ res , et cibi génère et quotidiana cxercitatione et liber- iate , vitœ... vires alit et immani corporum magnitudinc ho mines efficit. ( J. Cacs., l. 4- ) Agrîoii). de* Gaaloic I ^ ( 258 ) mait le sceau du sénat des Eduens. Slraboiï dit qu'après la conquête de Jules-César, les Gaulois envoyaient beaucoup de porcs à Rome et en Italie. Il assure que les plus éle- vés, les plus forts et les plus vites étaient ceux des Eduens et des Séquaniens (i). Les Gaulois vivaient aussi de la chair du cheval; comme les Scythes, ils trayaient les cavales, et ils tiraient habituellement du sang des veines de leurs chevaux, qu'ils mêlaient avec du lait : c'était pour eux un mets délicieux. L'usage du lait de cavale en boisson est très-ancien, car Zoroastre dit que les Indiens en faisaient une grande consommation. Ce breuvage était même prescrit aux femmes qui venaient d'accoucher. M. Pallas vient de nous dire quelesTatares encore traient leurs jumens à toute heure y et les vaches deux fois par jour. Si le premier fait est exact, il mérite d'être approfondi par les savans vétérinaires. Il ne paraît pas, au surplus, que les Gaulois aient connu le beurre. Tacite se borne à dire : Vic- tus eorum, in lacté , caseo et carne consistit. (i) Carnibus maximh suUlis, copiani Romœ ci pleris- que Italke parlibus... sues in agris pemoctant^ aldtudine y robore et cleritate prœstanles. ( Strab., 1. 4* } ( 259 ) Le lait des cavales avait un autre grand attrait pour les peuples barbares, en ce que , s'aigrissant promptement , il devenait très- spiritueux. On appelait cette liqueur arack , ou araka. La boisson du sang a été d*un goût général chez les anciens peuples du nord ; ils lui at- tribuaient leur force et leur vigueur. La tra- dition n'en est pas tout à fait perdue, car, dans les Alpes et les Pyrénées, les chas- seurs fatigués boivent aussitôt le sang du chamois qu'ils tuent; ils déclarent de même que cette boisson répare éminemment leurs fatigues. Pour faire mieux comprendre la jouissance commune du territoire, dont le principe était adopté et suivi chez les Germains, il faut ici faire observer que les Gaulois avaient établi plusieurs divisions, dont Jules-César nous a laissé les dénominations. La première était celle d'une grande con- trée , et dans laquelle souvent il y avait plu- sieurs nations ; elle se nommait ager; ainsi, le territoire de Lyon se nommait ager Lugdu- nensis; l'Auvergne, Arçernensis ;X kvi]ow , An- degavensis , etc. La seconde division était connue sous le ( 26o ) titre de civitas; il y avait ordinairement un fort chef-lieu, avec une banlieue quelquefois très-étendue. La troisième était le çicus, avec un terri- toire circonscrit. Dans cet état de choses , les Gaulois étaient essentiellement pasteurs. Les troupeaux pais- saient surtout le territoire. Si dans quelques localités ils entraient sur un autre , ce n'était qu'à titre de réciprocité préalablement con- venue. Cette circonstance était en quelque sorte commandée par la nature ; elle s'est prolongée jusqu'à nos jours vers les Alpes et les Pyrénées. Les guerres les plus enveni- mées, celles même de la religion, n'ont pas fait interrompre ces fréquentations, tant il est vrai que les hommes des champs ont eu plus de raison et de charité que les conseil- lers des rois et des papes. On conçoit que la déambulance des trou- peaux sur chaque territoire ait été long-temps un grand obstacle à la culture des céréales. A cette première considération , il faut join- dre celle du mépris des Gaulois pour le tra- vail à la terre. C'est à ce sujet que Tacite a dit : « Il est bien plus facile de faire un appel aux Gaulois pour faire la guerre ou pour ( a6. ) donner des marques de bravoure , que de kur persuader les avantages de Tagricul- ture (i). » Avec une si grande population, avec tant de guerres civiles , il a bien fallu recourir à d'autres ressources qu'à celles usitées , pour vivre et se soutenir en corps de nation. Il serait téméraire d'assigner l'époque des cul- tures céréales chez les Gaulois ; mais il est à présumer qu'il n'y aura eu d'abord que des essais, dont les effets appréciés se seront étendus successivement. Deux choses frap- pent, sous ce rapport; la première, qu'ils assujettissaient leurs femmes à travailler la terre, ce qui suppose déjà une culture quel- conque ; la seconde, qu'ils n'avaient point d'esclaves. Quoique Pline le jeune ne soit pas une autorité sur laquelle on puisse positive- ment s'appuyer, il importe pourtant de rap- peler ici son opinion sur le fait des esclaves. Il divisait les Gaulois en deux classes, celle des druides, et celle des chevaliers j mais le (i) Nec arare terram aul annum cxpectare , tan i facile persuaseris , quàm vocare hostes et vulnera mereri; pi- grum quin imb et incrs videtur^ sudore adquirerv qiiod possit sanguine parari. ( Tac. ) ( 262 ) peuple, en dehors de ceux-ci, n'a pas été considéré comme esclave. La formation des armées , les émigrations et les colonies ne se composaient pourtant que de Gaulois plé- béiens, du moins pour le plus grand nombre, et on n'a jamais dit que les Gaulois , qui émi- graient quand ils fondaient une ville, aient constitué parmi eux l'esclavage. Polybe me paraît trancher ou résoudre la question, en faisant observer que les Gaulois pouvaient se vendre comme esclaves. Toute la force étant dans le peuple, les druides avaient intérêt de maintenir cet état politique. Les chefs des armées, de leur côté, avaient alors le bon sens de reconnaître qu'ils devaient leur auto- rité à la masse du peuple ; on n'a jamais dit, enfin, que, dans les délibérations publiques, il n'y avait que des druides, des chefs ou un roi. Je laisse à d'autres le soin d'établir cette question dans tout son jour ou ses réalités. Voici, du reste, le texte de Pline : In Galliâ duo sunt gênera hominum, nam plehs penè ser- vorum hahetur; de his druidûm, alterum equi- tum. (Pl.,1. 3o.) Il ne faut pas confondre les serviteurs at- tachés aux sanctuaires , avec les esclaves qui existaient chez les nations étrangères , et aux- ( 263 ) quels on commandait les travaux les plus pé- nibles et les plus ignobles. César n'eût pas manqué d'en faire la remarque, soit pour le genre de service , soit pour les distinctions , par la chevelure et le vêtement. Il est d'ac- cord, au contraire, avec Tacite, Justin et Strabon , sur le fait que les femmes seules chez les Gaulois travaillaient à la terre (i). Toutes ces citations, dans lesquelles il est question de sillons , de charrue et de grains , prouvent déjà qu'il y avait un commence- ment d'agriculture; mais il y a un rapport unanime entre les auteurs les plus respecta- bles, sur le point que les femmes seules étaient chargées du travail à la terre. La première conséquence à en tirer, il me sem- ble , c'est que les Gaulois , dans leur ordre social, n'admettaient pas d'esclaves. Je con- (i) Gallœ eorum fœminœ res domesticas , agror unique culturas administrant ; ipsiarmis et rapinis serviunt. (Just., 1-44-) Cœtera fœmineus peragit lahor -, addere sulco semina, et impresso lellurem vertcre aratro , segne viris. {S'A. Itai.) Fortissimus nihil agens , penatium et agrorum cura , fœminis senibusque. (Tac. ) Mulieres enim agros colunt; hœc communia. Ce lus Thracibus et Scythis, ( Strab., 1.3.) ( 264 ) viens que cette question est toute neuve, car je n'ai vu nulle part qu'on ait fait cette hono- rable exception en faveur des Gaulois, qu'on accable de mépris et d'outrages. J'ai vu , au contraire, que l'esclavage était un élément essentiel chez les Perses et les Mèdes ; que les républiquesles plus fameuses avaient cons- titué le code des esclaves avec une rigueur excessive , et qu elles avaient même imposé le vêtement spécial des esclaves à ceux des peuples qui, par amour pour la liberté, pour leur pays et pour leurs dieux, avaient combattu sous les bannières de leurs magis- trats ou de leurs rois. Rome, sous ce rap- port, a été non moins extrême , car elle a fait de l'esclavage un droit public , car elle a traité les peuples conquis ou soumis avec une barbarie inconnue , même aux peuples sau- vages. Celui qu'on répute le plus grand, le plus vertueux des Romains, le vieux Gaton même, a été un tyran cruel envers ses es- claves, car il leur faisait acheter le droit de se marier, et de coucher avec leurs femmes, et il les nourrissait moins bien qu'une meute de chiens* La religion chrétienne n'a point fait inter- rompre cet usage impie et barbare , que le ( 265 ) culte de Mahomet a adopté, et qu il conserYC avec une telle latitude, qu'il est permis de douter encore qu'on soit parvenu en politi- que à un siècle de lumières et de philosophie, ou du moins qu'on existe sous l'empire d'un droit des gens. Pour bien juger cette question, relative- ment aux Gaulois, il convient de se reporter aux époques des grandes émigrations , et de se fixer sur l'âge et les qualités de ceux qui en faisaient partie ; nous en avons vu qui étaient composées de trois à quatre cent mille hommes; et ce n'est point exagérer, que d'adjoindre à ces grands déplacemens un plus grand nombre encore d'individus appar- tenant aux familles qui suivaient les guer- riers. Nous avons vu que dans les émigrations, il y avait des druides, des rois, fils ou ne- veux de rois, et que chaque famille emme- nait avec elle ses enfans et ses vieillards; c'é- tait, dans toute la force du mot, des essaims. Il fallait donc qu'il y eût des causes ou motifs bien impérieux, pour faire déterminer le magistrat et les familles à de tels départs, qui dans tous les pays sont ordinairement des dé- vsolations ; car on ne quitte jamais impuné- ( 266 ) ment pour toujours les lieux qui nous ont vu naître, et où on a formé sa jeunesse ; car on ne se sépare pas volontiers de ses pénates , de SCS dieux, et des tombeaux de ses an- cêtres. Je ne sais si je me trompe , mais il me semble que toute grande émigration compor- tait nécessairement l'expectative d'un établis- sement national nouveau, avec ses hiérar- chies et ses avantages, dont les Gaulois émi- grans ne jouissaient pas dans leur patrie na- tive, parce que le premier devoir qui leur y était imposé, devait être, comme dans une ruche d'abeilles, de se conformer aux lois du pays. Les magistrats eux-mêmes y trou- vaient leur compte, parce qu'ils se déchar- geaient du soin de pourvoir à un tel excédent de population, parce qu'ils se faisaient des alliés sûrs et dévoués dans les lieux oii les émigrans allaient. Cette conséquence expH- que même pourquoi les Gaulois, dans les premières émigrations , ont fondé les villes dont nous avons déjà parlé (i). C'était, au (t) Ainsi, parmi les abeilles, la ruche est la mère-pa- trie ; tous les individus la connaissent ou la sentent ; elles ne se trompent jamais, même au milieu de trente ruches. (267 ) surplus, la maxime romaine : Uhicumque Ro- manus çicit, habitat. Ajoutons à toutes ces considérations, que ces départs assuraient à chaque Gaulois ime liberté positive, tandis que dans le pays natal, tout homme était et devait être subordonné aux lois sociales préexistantes. Si on éprouve des regrets à quitter sa pa- trie ou son berceau, il y a aussi une jouis- sance dans le cœur de l'homme, pour aller en fonder une autre dans un climat plus doux et plus riche. Il faut donc admettre que tous Si quelques-unes sont jetées ou poursuivies vers une autre ruche que la leur, les abeilles indigènes les repoussent : les vertus de ces filles du ciel ne vont pas jusqu'à l'hospitalité. Si la population vient à augmenter, la reine assigne un départ ; tout alors est en mouvement dans la ruche-mère ; l'essaim est toujours confie' à un guide de la fainille royale. Au signal donné, l'essaim part, et vole quelquefois très- loin ; mais la colonie suit partout la reine, qui elle-même choisit le site du nouvel établissement. Une nouvelle pa- trie alors commenc c [ cur tous , avec les mêmes lois et avec les mêmes mœurs. Xénophon les cite en modèles aux hommes '■ Dux apiitii rex est, illi semper apes ultrb parent; nulla earuni ab €0 discedity nulla ipsiim deserit; tam mirificus amor cis innascitur. (L. 5.) ( 268 ) ces jeunes Gaulois, ardens et guerriers j qui n'étaient que des surnuméraires dans leurs familles respectives, se seront élancés d'en- thousiasme pour aller se créer une patrie, et se livrer à des combats contre ceux qui s'y opposeraient (i). Cet élan était presque sans amertume, parce qu'ils partaient avec des chefs et des prêtres de leur pays, et parce que leurs familles propres les suivaient en grande partie. Qu'on ne s'étonne donc pas de lire que les Gaulois sont allés dans tant de régions, fonder des villes et des gouver- nemens. II paraît, toutefois, que les premiè- res émigrations des Gaulois ont eu lieu dans la Germanie, et surtout vers le Rhin. Cette circonstance, positivement historique, d'a- près Jules-César et Tacite, explique pourquoi il y a eu tant d'analogies et de conformités en- tre les Germains et les Gaulois, pour les lois, les usages, les mœurs et les coutumes; car, sur ce point, les anciens historiens, dignes de foi, considèrent ces deux peuples comme n'en formant qu'un.- Il est certain , quant aux grains cultivés par (i) C'était la passion des Hébreux pour la terre promise. ( 269 ) les Gaulois, qu'ils sont les premiers qui aient mis le seigle en culture réglée; tout porte à croire même qu'il était originaire du sol des Gaules. Les Grecs ne l'ont pas connu, et les Romains en avaient une très-mauvaise opi- nion : Se cale deterrimum, (PI.) On croit que c'est dans le terroir de Va- lence qu'on a trouvé et cultivé le seigle. Les Romains, Ptolémée, entre autres, désignaient ainsi cette ville : Cmtas segalaunorum. Ils cul- tivaient aussi le panis, puisqu'au siège de Marseille, par Jules -César, les habitans, nonobstant les ressources de la navigation et du commerce, vivaient de pain fait avec du panis vieux (i). La première culture du froment en grand, a eu lieu cbez les Allobroges, quoique cer- tains auteurs en fassent honneur aux Relges. Hérodote pensait que les Gaulois n'avaient connu le blé-froment que par leurs grandes émigrations, et qu'ils ne le préparaient pour en vivre, que par la torréfaction (2). (i) Panico enim vctere atque hordeo corrupto alebantur. (J. Caes., Cornm.) (2) Triticum non serunl ad pane m conjiciendum , sed ad iorrenduni. (270) Ne pouvant également dire avec certitude l'époque où les Gaulois ont exercé la char- rue, il faut se rattacher aux relations que nous ont laissées les auteurs qui se sont plus spécialement occupés des Gaules. Nous ve- nons de dire que la jouissance du territoire en commun pour les troupeaux, était une loi fondamentale , et dont l'infraction n^a- vait pu même garantir un héros gaulois de la perte de la vie. Jules-César rapporte que les rois, les prê- tres et les magistrats gaulois ayant enfin re- connu la nécessité de recourir aux céréales , ils s'étaient déterminés à déclarer qu'il serait permis de mettre en culture quelques parties du sol commun pacager ; mais avec la condi- tion que ceux qui les auraient cultivées, ne pourraient ni se fixer près de ces champs, ni en continuer la culture Tannée suivante. Par ce moyen, ils maintenaient l'indivision du ter- ritoire herbeux, et ils forçaient ceux qui n'avaient pas cultivé, à se tenir sous les ar- mes ; l'année d'après, ceux-ci pouvaient se livrer à l'agriculture. Cette alternative était fondée sur la crainte que le goût sédentaire et agricole ne leur fît perdre le goût et l'ha- bitude des armes ; ils craignaient en outre ( 271 ) que, si on établissait une culture profitable, ou que si on se bâtissait des maisons, les hommes guerriers et puissans ne vinssent s'en emparer. Ainsi, c'était encore une loi na- tionale, que tout Gaulois ne pourrait rester plus d'une année avec sa famille dans le même lieu (i). Jules-César nous a laissé un document qu'il importe de reproduire ici; c'est que pendant la guerre d'Arioviste et celle des Romains, les Gaulois en étaient réduits à se mettre sous la protection des guerriers puissans et renommés. Ainsi, chez les Eduens, Dumno- rix ayant une forte cavalerie, s'était rendu adjudicataire de toutes les terres mises en culture, sous la condition de courir sus l'en- nemi qui viendrait s'emparer des moissons. Tacite confirme la manière de vivre des Gaulois, par le lait, le fromage et la viande. Il convient même de faire observer, rela- (i) Ne assueta consucLudine captif studium beili ^ej^ndi agricidUirâ commutent , ne poteniiores , humiliores pos- sessionibus expellanl ; ne accuralihs ad frigora alqiie œs- tiis 'vilandos , œdificent , et ut quisque suas opes , cum po^ tcntissimis œquari videaL... neque hngiùs anno remanere in uno loco, incolendi causa licei. (Caes.) T-% ( 272 ) tivement à la viande, que les Gaulois la jetaient sur des brasiers ardens, non pour la faire cuire , mais pour la rendre plus sapide, et pour en dissiper l'humide aux surfaces. « Le mode de vivre des Gaulois, dit Po- lybe, était simple; ils ne connaissaient point Fusage des ustensiles (i) ; ils prenaient leurs repas, assis sur des peaux de chiens ou de loups, ou sur des herbages (2). A chaque re- pas ou festin, il n^ avait qu'une coupe, dans laquelle on buvait tour à tour. Ne jamais re- fuser de boire, et saluer son voisin, étaient des règles de rigueur. » Dans tous les festins, il y avait un chef qui, de droit, prenait le morceau réputé d'honneur. Le disputer, c'était s'engager dans un combat à mort (3). Pendant des siècles, les Gaulois ont re- gardé le travail à la terre comme indigne (i) Gain suppelleclilis nullum usum norunt, quippè sim- plex ille vivendi modus. (Polyb.) (2) Gain sedentes in stramentis^ cibum capiunL. (Strab.) In terrant stramentis utentes coriis canum ac luporum. (Athœn., 1. 5.) (3) Fémur sumebat strenuosissirnus ; si quis alius.... ad interitam dimicabal. (Athœn., id.) ( 273 ) d'eux; le pâturage seul était Tobjet exclusif de leur administration générale. Chaque na- tion possédait son territoire (i). Cet ordre public tenait à un grand principe politique , au maintien de la liberté. Le sort du célèbre Arminius, qui avait usurpé à son profit per- sonnel une partie du territoire communal , en est une grande preuve. Tacite, Strabon et Horace même ont con- firmé les observations de Gésat- (2). L'homme d'Etat, philosophe ou historien, qui entreprendrait de remonter d'époque en époque à ces temps reculés, reconnaîtrait que cette jouissance commune de chaque ter- ritoire, était réellement la sauve-garde la plus certaine et la mieux raisonnée pour le sort de la liberté publique ; il trouverait, du moins, que les derniers peuples libres ont été en ef- fet ceux qui ont possédé leur territoire en commun. Cette observation de César démon- tre son excellente judiciaire, et en même ( I ) Prii'ati ac separati agri apud eos nihil est . (Gaes .,1.40 (2) Per annos mutant ac superest ager. (Tac.j Nec cullura placet , longior annuâ. (Hor.) Firiy hello c/uam agriculturd meliores ^ iamen cogim" tnr, positis armis , agros colère. (Strab.) Agricul. des Gaulois. lO' '(274) temps la juste connaissance qu'il avait ac-^ quise de l'esprit public des Gaulois et de leur administration. Il y avait peine de mort contre ceux qui défrichaient le pâturage com- mun (i). Il importe de faire observer, et pour cause, que la jouissance commune d'un territoire était exempte de tout impôt foncier; c'est un point auquel tiendront un jour beaucoup les Francs eux-mêmes, et pour le maintien du- quel ils résisteront souvent à l'autorité royale. Pendant tous les siècles qui ont précédé la conquête de Jules-César, les Gaulois n'ont connu d^autres propriétés particulières que le butin fait sur Fennemi, leurs chariots, qui leur servaient de toits, et leurs troupeaux domestiques. Il fallait cependant que les Gaulois fussent exercés déjà dans la culture des céréales, puis- qu'au siège d'Alise, César et Vercingentorix faisaient enlever des blés dans les environs de Bourges et de Reims (2). Ces deux grands hommes , au surplus , faisaient la guerre , (i) Morte plectunt agricolas qui.... inten^ertunt. ( Diod. Sic.) (2) Molîta cibaria sibi efferre jubet agris Rhemorum C 275 ) comme Darius et Alexandre, en détruisant partout les moissons. C'est ce mode terrible et barbare qui a tant hâte la ruine de la grande Grèce, où, de règle, on ne devait pas laisser debout un seul arbre fruitier (i). Justin dit que les Espagnols ont prime les Gaulois par l'emploi de la charrue ; qu'ils ont venëré de toute antiquité un de leurs rois , nommé Habis, qui le premier leur aurait ap- pris à atteler des bœufs à une charrue , et à semer des blés (2). L'opinion des gens du monde, et d'ailleurs instruits, est généralement frappée du fait, que le gland a été la première nourriture de l'homme. Les orateurs, les poètes, quand ils ont à s'exprimer sur l'enfance ou la barbarie de l'homme, ne manquent jamais de rappeler les siècles où l'homme allait dans les forets chercher le gland pour vivre : cette phrase depopulalis , omnibus vicis incensis , /rumentisque succisis. (Gaes.,1. 2.) (i ) C'était encore la philosophie et la pohtique d'Ibrahim en More'e. (2) Barharum populum legibus junxit et boves primas aralro domari frumenlaque sulco quœrere docuil et ex agresti cibo , niitiore vesci. (Just., 1. 440 ( ayS ) bannale a été dite souvent; elle est même ré-- pétée à la tribune nationale ou législative. L'Académie a couronné une pièce de poésie où le po'ëte montre le Gaulois gorgé de glands. Il y a dans cette étrange et absurde locution autant d'ignorance des choses et de Torgani- sation physique de Thomme, que de mauvais goût dans l'expression , et que les romanti- ques accréditent vivement. Si tous ces messieurs, au lieu de dire des mots, daignaient étudier un peu les choses, ils sauraient bientôt que la forte âcreté du gland, son essence styptique, et telle que la nature la forme, ne peut aucunement être accessible à nos organes digestifs : il ne peut être ici question de préparations, puisqu'on suppose les Gaulois dans un état sauvage. Quelques faits , dans les disettes ou famines , ne peu-- vent pas plus justifier la consommation du gland par l'homme, que de l'argile et du grès, réduits en farine, qu'on mêlerait à d'autres substances pour en faire du pain. Des voya- geurs, des naturalistes, ont répété que maints peuples vivaient de glands, tels, entre autres, Apollonius et P. Mêla; mais il ne s'agissait pas du gland du chêne. Pline a bien dit que les arbres des Gaules étaient glandifères, Gai- ( 277 ) Uarum arbores glandifcrœ : Strabon dit aussi que la Gaule porte beaucoup de glands; mais ici, le mot est généralisé. Arnobe a dit que, de son temps, on faisait torréfier le gland pour en faire du pain ; et moi aussi, en 1795, j'ai mangé d'un tel pain en Auvergne; le gland avait été écrasé, passé à plusieurs eaux, séché et moulu ; mais c'était tout simplement un lest. On prétend qu'il y a en Espagne une es- pèce de chêne qui porte des glands bons à manger : cette exception d'abord , si elle existe , se rapporte à un autre climat ; c'est encore une merveille dont tout le monde parle, comme du cytise, et que personne n'a approfondie ; le silence des naturalistes est déjà une assez grande preuve négative. Homère, auquel il faut sans cesse recourir pour toutes les choses de la nature, n'eût pas manqué de dire un pareil emploi du gland. Dans X Odyssée, il fait engraisser les porcs d'Eumée avec du gland ; mais il ne dit rien, absolument rien, relativement à l'homme : (i) G allia fort frumenta ^ milii ac glandis omnigenus. (Strab.) ( 278 ) cet argument, au surplus, est celui du savant Corsini (i). Les Grecs et les Romains, comme on sait, ont ge'néralisé le moi gland à toutes sortes de fruits; il y a le glans fagea, glans castanea, etc. Ulpian, dans son ouvrage sur la signification des mots, confirme parfaitement ces locu- tions (2). Strabon, excellent observateur, a bien dit que les Espagnols vivaient des glands du chêne , glande quernâ; mais il explique le mode de préparation ; il dit : « Ils font sécher le gland, l'écrasent ou le font moudre , et de la farine qui en sort, ils en font du pain qui se garde long- temps (3);» c'est ce qui se fait en France même dans les temps de di- sette. (i) Homerus scripsit Odysseo , sues glandibus pinguio- res fieri : de hominibus tolo opère silet; quod nonfecis- set , si suo sœculo , ut aiunl , ullus glandium usus mortali" bus cognitus fuissei. (Cors.) (2) Glans pro quolibet fructu usurpatur glandis ap- pellatione, omnis fructus continetur. (Ulp., Gai y de Ver- bor significatione .) (3) Hispani y victo tenui utuntur.... glande vescuntur quernâ... stccatam, indè contusani ma lentes , e farina pa- nera conficientes y ad tenipus reponunt... (Strab., 1. 3.) ( 279 ) Ausone aussi a dit que le gland avait été un aliment commun aux troupeaux et à l'homme ; mais ce n'est encore qu'une locution poéti- que ; il dit : Olim communis homini cihus ac pecori glans. Les arbres à fruit devaient être fort rares dans les Gaules, et même après l'invasion des Romains ; il faut se défier cependant des affirmatives généralisées, car partout où il y a des abris , un sol calcaire profond , entre- mêlé d'arène ou de sable ferrugineux, on trouve des exceptions, ou il est possible d'en établir. Ainsi, par exemple, Diodore etVar- ron ont positivement déclaré que la vigne ne pouvait pas croître dans les Gaules (i) ; mais il y avait long-temps que la vigne y était con- nue au sud et dans l'ouest : c'est à cause d'elle ou par elle, qu'on peut bien dire que l'homme a su se faire des climats favorables. Quant aux arbres qu'on peut considérer comme indigènes aux climats des Gaules, on est fondé à compter le cormier, l'alisier, le néflier et divers arbrisseaux qui produisent des baies ou des fruits. Tacite , en parlant des [\) Intiis ad Rhenum., regiones accessi, ubiy nec vilis ^ nec poma nascerentiir. (Yarr., 1. i.) ( 28o ) ressources des Gaulois pour vivre, n'eût pas dit : Et agrestia poma. Le noyer, le pommier, le prunier, le noise- tier, etc., ne sont pas originaires des Gaules; il en est de même duchâtaignier(i), qu'on croit généralement provenir de la Lydie. Hérodote en place la première découverte vers un cap qu'il a nommé Casthanea, situé près du mont Pelion, vis-à-vis l'écueil de Mœlibée. Théo- phraste a eu la même opinion dans ses Con- férences sur les plantes : les Grecs nommaient les châtaignes aapçiovai 0aXavo(. Parmi les ressources du régime gaulois, il ne faut pas oublier le miel, dont ils recueil- laient des quantités immenses (2). Dans le siècle des lumières, et bien plus encore dans le dix-neuvième, on a pensé que les forêts étaient inutiles aux abeilles. Une des plus grandes ressources des Gau- lois pour vivre, a été, sans contredit, celle des poissons de mer, des rivières et des lacs ; (i) Partout en France on affirme, même dans les so- ciéte's d'agriculture , que les plus vieilles charpentes sont de bois de châtaignier : c'est une erreur manifeste ou un préjuge' déraisonnable de'jà souvent et justement condamne'. (2) In sylvis mel copiosissimè colligebatur. (Plin.) C 281 ) leur instinct, leur adresse et leur ardeur à les rechercher dans les eaux, mettent déjà une grande différence entre le goût ou l'ap- pétit des Grecs et des Hébreux pour les pois- sons. Quelle différence encore des anciens Gaulois avec les habitans de la France! Les premiers étaient plus familiers avec la pro- fondeur des eaux de la mer et des fleuves, que les seconds ne le sont avec les eaux des rivières ou ruisseaux; mais quel grand chan- gement s'est donc opéré dans les facultés et les dispositions des organes, puisque l'homme est en quelque sorte l'être pour lequel les eaux sont devenues plus étranges ou con- traires! on cite comme des phénomènes les hommes qui, en plongeant, restent quelques minutes dans l'eau, tandis que les sauvages d'Amérique, les icthyophages de la Carmanie et de l'Arianie, ne quittent presque pas les eaux de leurs parages. Quel Européen irait aujourd'hui, comme le Grec Scyllis, scier sous l'eau les poteaux qui tenaient les chaînes des vaisseaux ennemis .^^ L'immensité des côtes des Gaules sur les deux mers, celle des fleuves, des lacs et des rivières, donne déjà la mesure des grandes ressources que les Gaulois y trouvaient pour ( 282 ) vivre; leur haute stature, leur force et leur ardeur, font justement présumer qu'ils fai- saient subir des préparations aux poissons qu'ils mangeaient, et que même ils les assai- sonnaient de plantes et de graines odorantes; il est du moins très-probable qu'ils les je- taient , ainsi que la viande , sur des brasiers ardens; car le poisson par lui-même est fade et nauséabond; il est reconnu par tous les voyageurs, que les peuples qui en ont fait leur nourriture habituelle, sans recourir à Fac- tion du feu, étaient pâles, faibles et sans éner- gie : or, les Gaulois, qui étaient si forts et si vigoureux, avaient donc recours aux assai- sonnemens, et surtout au sel, qu'ils faisaient eux-mêmes, de la manière qui va être décrite. La boisson composée des Gaulois , et la plus ancienne , a été la bière ; on n'ose pas dire qu'ils en ont été les inventeurs, car toute l'antiquité en attribue l'honneur aux Egyp- tiens. Cependant, on sait que partout les peu- ples sauvages ont manifesté et manifestent encore un vif attrait pour les liqueurs fer- mentées; pour cela, il suffit presque de sup- poser un amas de grains ou de fruits, sur le- quel on aura jeté de l'eau, et qui aura éprouvé une fermentation; car les hasards, n'en dé- ( 283 ) plaise aux savans , ont fait la plus grande par- tie des découvertes. Lorsque les Espagnols abordèrent au Mexi- que, les peuples faisaient avec le maïs une boisson fermentée qu'ils nommaient chica : ce fait seul sert d'argument pour toutes les nations. Les Gaulois, plus que les autres peu- ples encore, se sont exerces sur la variété des boissons, en ajoutant divers ingrédiens pour en changer le goût ou la couleur (i). Selon Diodore, ils faisaient une boisson avec de Forge (2); Florus a dit que c'était avec du blé (3). La bière proprement dite fut la boisson des peuples les plus célèbres de l'Orient, et même du Nord ; la plus renommée a été celle de Péluse, ville à l'embouchure du Nil. Les Egyptiens nommaient la bière zythum, et il est assez remarquable que les anciens Némé- siens la nommaient ainsi. (i) Gain ad vini similitiidinern , potus multiplices . (Amm. Marcell., 1. i5.) (2) Gain potum ex hordeo conficiunL (Diod. S.) (3) Gain sic vocant potionem indigenam ex fruniento. (Flor., 1. 2.) Gain, cimi vinum non habcnt.., potum. (Diod. S.) (284) Dans le nord et le centre des Gaules, on la nommait^â?/ïVz; les Espagnols la nommaient ceria; les Celtes, cervisia. Sous Julien, les Parisiens lui donnaient ce dernier nom ; dans chaque famille, on conservait, comme ses pé- nates, la coupe à boire la cervoise. Les Anglais et les Allemands l'ont nommée bir et hier; les Suédois, sahaja; les Thraces , hrytum^ Dioscoride, avec grande raison, attribue la lèpre et les maladies cutanées à l'usage de la vieille bière, quand, en même temps, les Gaulois, si forts et si robustes, attribuaient à la bière leur bonne santé. Les Gaulois, bien certainement, ont connu le vin avant leur première guerre avec les Romains ; César et Diodore de Sicile attes- tent déjà cette préexistence dans les Gaules ; les Belges ne se seraient pas prononcés si for- tement contre le vin, s'il n'y eût pas été connu et commun (i). La Lusitanie, selon Strabon, serait la pre- mière contrée de l'Europe où l'on aurait cul- tivé la vigne ; la position du climat et les (i) Bel^Œy niJiilpali vini... quod relangiiescere animosj remittique vîrtulem exlstimarenl. ( 285 ) grandes fréquentations avec les Grecs senl- blent justifier cette opinion; mais ce qu'il en dit exclut toute idée du transport des vins par la voie du commerce (i). Les Liguriens passent pour les premiers peuples de l'Italie qui aient cultivé la vigne; mais puisque, plus de quatre siècles après, les Romains ne connaissaient pas la fermen- tation du moût de la vendange, il faut croire qu'ils consommaient leurs vins comme les Lusitains, immédiatement après les vendan- ges : elles y étaient, au surplus, une époque et une occasion de fêtes et de^divertissemens; c'était, en outre, celle des noces. Le premier charme du vin a été incontes- tablement sa douceur agréablement sucrée ; on pouvait conserver le vin nouveau pendant trente à quarante jours; ce goût pour le vin doux a traversé tous les siècles , car il n'y a pas cinquante ans que la Basse-Bourgogne envoyait à Paris, au fur et à mesure des pre- mières vendanges, quatre à cinq mille pièces de vin blanc doux, dit vin fou, parce qu'il était difficile de le tenir dans le tonneau. Sous ( I ) Vini pamm habent Lusitani , et quod provenu , stalim consumant in convivio. (Strab., l. 3.) ( 286 ) Louis XV, on nommait ce vin, le vîn des dames; à peine est-il accueilli maintenant par quel- ques dames de la halle. Marseille, de toute ancienneté, a connu le vin et fait du vin (i). Il est généralement reconnu qu'au troisième siècle de la fondation de Rome, le vin était très-rare dans le Latium; Lucius Papirius n'eut pas fait vœu d'offrir une coupe de vin à Jupiter, s'il revenait vainqueur du Sam- nium (2). Le vin, au surplus, n'a commencé à avoir quelque réputation en Italie qu'après la première conquête de la Grèce, d'où les Romains firent arriver ou enlever une colo- nie de vignerons; on sait d'ailleurs le mot épigrammatique de Pyrrhus, qui, trouvant très-acide le vin d'honneur qu'on lui offrit à Rome, dit : « Le raisin qui donne un tel vin mérite bien d'être pendu au faîte des ar- bres (3). » Maintenant, je le demande au lecteur, que (i) Lompleles vinum bibunt ex reglone Massiliensium. (Strab., 1. 4.) (2) FbtumfecU, si vicissct, Jovi poculum vint. (Plin., 1. .4.) (3) Mérité matrem ejus pendere in tam alla cmce. (Idem.) ( 287 3 faut-il penser de Tile Live, qui suppose har- diment que les Gkiulois n'ont franchi les Alpes que pour y boire du vin ; et qui , pour donner plus de créance à son allégation, a composé un petit roman, d'après lequel un certain Aruns , de Cluse, pour se venger de l'amant de sa femme, qui était puissant, aurait pris avec lui du vin et des fruits, et serait venu dans les Gaules pour exciter les Gaulois à pé- nétrer dans l'Italie et à se rendre à Cluse ; le vin ô^Aruns aurait transporté de joie les Gau- lois, qui se seraient aussitôt déterminés à le suivre (i). Le lecteur n'attend pas de moi sans doute une dissertation pour faire sentir toute l'ab- surdité d'un tel conte ; qu'il me suffise de faire observer qu il y avait déjà plus de deux siè- cles que les Gaulois avaient passé les Alpes et envahi la Grèce, où il y avait beaucoup de vignobles; et qu'à celte époque, il n'y avait aucune production, en Espagne et en Italie, qui ne fût et ne prospérât dans la Gaule Nar- bonnaise. Tous nos érudits, cependant, tous (i) Traditur farnâ , dulcedine frugum , maxime que vint nova tam voluptatc captum , Alpes transiisse , vinum illiciendœ geniis causa Arunlcm clusinum. (Tit.-Liv.) ( 288 ) lés maîtres d'écoles répètent, expliquent et font apprendre par cœur à la jeunesse le conte de Tite-Live ; tant il est vrai que l'encroûte- ment sur l'histoire des Gaulois est extrême. Que faut-il donc faire et dire pour susciter un historien national et de bon sens ? en at- tendant ce phénix ou cet Hercule nouveau, je veux rapporter ce que disait à ce sujet le bon Pasquier : « Certes, les historiographes latins, pour « obscurcir notre louange , avancent que les « Gaulois , alléchés de la douceur des vins « d'Italie, dont ils avaient eu certaines infor- « mations par espions, se donnèrent en plus « grande ardeur ce pays en proie ; toutefois, ce l'on sait que Sigovèse prit l'adresse de la « Germanie, pays pour lors bien peu cultivé « de vignobles, ce qui monstre que ce ne fut « une friandise de vins..., ains... pour dé- « charger ce pays des Gaules adoncques trop « abondant en peuples, etc. » Cette citation seule prouve que nos éru- dits, nos historiens et tous les historiogra- phes, n'ont jamais écrit l'histoire avec le des- sein de dire la vérité ; Pasquier même, parce qu'il est national , et parce que son style n'est pas académique, est encore méconnu dans ( 289 ) l'opinion et dans les écoles par les Garnier^ les Dubos, et par tous les Laureau de la France (i). LART DE GUERIR DES GAULOIS. L'exposé que nous venons de faire du ré- gime diététique des Gaulois et de la grande population qu'il comportait, nous impose l'obligation d'offrir quelques réflexions sur leur hygiène , ou sur leur science médicale ; car on ne peut supposer qu'un peuple qui était parvenu à une si grande population, et même, quoi qu'on en dise, à une si haute ci- vilisation, ne se soit pas occupé de l'art de guérir, qui fut cher à tous les peuples , même sauvages, qui fut une vraie sauve-garde pour les familles, et en même temps un titre à la considération publique, alors même que l'in- térêt pouvait en être le plus fort mobile. Il est généralement reconnu que tous les peuples sauvages sont essentiellement obser- vateurs; faute de science méthodique, ils (i) Dans ces derniers temps, M. Augustin Thierry at été' plus juste. [Lettres sur Vhistoire.) Agricul. dot Ganluii. IQ ( 29» ) trouvent une compensation dans robserva- tion des choses qui les entourent ; sages ou prudens, selon l'impulsion ou l'instinct de la nature, ils procèdent par de simples tâ- tonnemens ou par des essais que leur indi- quent maintes analogies. .On veut bien avouer que toute la science des druides, dans leurs collèges, était exclu- sivement fondée sur des observations de fait, et, par suite, sur un cours d'expériences posi- tives. Grands observateurs des choses et des êtres de la nature, on doit nécessairement supposer qu'ils se sont constamment exercés sur les moyens de conserver la santé et de gué- rir les maladies accidentelles; et si la science ou l'art de guérir ne se transmettait chez les plus anciens Grecs que par la tradition ^ il est tout légitime et naturel de croire à ce mode même, chez les Gaulois, pour les- quels la tradition était une sorte d'évangile de leurs prêtres, et en même temps un héritage dans certaines familles, comme dans celle d'Hippocrate. Tibère, plus tard, en déclarant sa haine contre les druides, qu'il faisait exterminer partout où on lui en désignait, n'eût pas com- pris dans sa proscription ceux des druides ( ^9^ ) qui s'occupaient de la médecine (r). Polybd également affirme que les Gaulois la prati- quaient. (L. 25.) Les Gaulois sont peut-être les peuples du globe qui aient le moins redouté la mort; leur dogme, l'opinion publique et leur passion pour les combats, les portaient à la braver; mais , par ces motifs mêmes , ils devaient s'être occupés des moyens de prévenir et de guérir des maladies qui les retenaient oisifs ou les rendaient inutiles. Nous n'avons mal- heureusement que des conjectures ou des rai- sonnemens à offrir, pour prouver que les Gau- lois possédaient des savans dans l'art de gué- rir. Mais il faut nécessairement admettre qu'ils s'en étaient occupés, i^ parce que c'est un ordre de choses commun aux peuples sau- vages ; 2° parce qu'on ne peut supposer que les druides, renommés par leur philosophie et par leurs sciences physiques, éclairés par de constantes observations, ne se soient pas occupésde celles qui guérissent les maladies et les blessures ; 3° parce que les druides et des corps armés de Gaulois, ayant effectué pen- {\) Namgue Tiherius... sustulit genus vaùtm, medico twnquc. (Plin., l. 3i, c. 7.) ( 29îi ) dan t plusieurs siècles des émigrations en pays étrangers et lointains, ils ont dû nécessaire- ment encore y voir pratiquer ou enseigner l'art de guérir. Si nous n'en avons pas des traces effectives, on ne doit l'imputer qu'au système absolu commandé par les druides, de ne se confier en tout qu'à la tradition. Nous sommes donc bien fondés à considérer comme réelle la science ou l'art de guérir, par la raison que, dans toutes les contrées des Gaules, il y avait une immense population, pour laquelle les druides et les rois ne pou- vaient être indifférens. Nous venons de voir quelle était leur nour- riture habituelle, et rinfluence qu'elle pouvait avoir sur la vie et la santé des hommes, des femmes, des vieillards et des enfans. Pour la viande , ils préféraient celle des jeunes ani- maux fraîchement tués ; ils en corrigeaient la crudité aux surfaces par le feu et sur des braises ; ils faisaient torréfier des grains, tels que le seigle , l'avoine et Forge ; ils consom- maient beaucoup de gibier et de poissons préparés de la même manière ; ils avaient encore soumis à letirs besoins beaucoup de racines qui, étant cuites, perdaient de leur âcreté, ou le stimulant des sels que comporte (293) la végétation ; mais il faut s'arrêter surtout à leurs boissons ; ils faisaient un grand usage de bière, et en général de liqueurs provenant de grains et de fruits fermentes, de lait et de petit-lait; ils aimaient avec ardeur le lait des cavales, rendu spiritueux par la fermentation: celle enfin qu'ils préféraient à toutes, était le sang des cavales et celui des chevaux, pour réparer de grandes fatigues, pour ranimer les sens engourdis ; la tradition en est par- venue jusqu'à nous, car, comme nous l'avons déjà fait observer, dans les Pyrénées et les Alpes, le chasseur épuisé fait usage du sang du chamois ou du chevreuil qu'il vient de tuer. On ne peut dire que les Gaulois aient étu- dié l'anatomie; cependant, un peuple qui cou- rait tant de dangers dans ses combats et ses chasses devait nécessairement recourir à des moyens pour guérir ses blessures. Si ce n'est là qu'une conjecture, il est au moins certain que, pour leurs maladies, comme pour leurs blessures, ils avaient recours aux plantes, soit par l'application des tiges, feuilles, fleurs ou racines, soit par des infusions; et l'on peut, sans craindre de se tromper, mettre au rang de ces plantes, celles mêmes qu'ont dé- ( 294 ) signées pour cet usage les Pline et les Dios- coride ; car le premier mot de toute science a été donné par la tradition, qui, elle-même, le tenait de l'expérience. Il faut voir, dans cette mise à contribution des choses de la nature, la pensée philosophique et divine, que partout le Créateur a mis la créature , telle qu'elle soit, à portée de trouver des moyens pour vivre et pour se guérir, même dans les lieux les plus marécageux, comme dans ceux qui dominent au loin les mers. L'étude des choses de la nature a occupé les plus grands hommes ; voyez Homère , Hippocrate, Gallien, Celse, Dioscoride, Aris- tote , etc. De nos }our§ même, les plus grands médecins n'ont-ils pas recours à des herbes, à des écorces, à des mousses, à des baies, à des feuilles (i) et à des fleurs? Ce n'est point aven- turer un système ou une doctrine, de dire que la première science d'hygiène est sortie des observations des choses de la nature, et que le médecin le plus sage encore est celui qui revient ou se reporte vers elle. Les explorateurs modernes se sont bien (i) y oyez la. feuille du the'ier. ( 29^^ ) gardés de nommer les Gaulois et les druides, relativement à l'art de guérir; ils se sont tous arrêtes à Hippocrate ; ils ont bien vu qu'Ho- mère avait signalé cet art, mais il n'a été pour eux qu'un po'ële; ils se sont hâtés de descendre dans les siècles des dogmatiseurs, dont toute la science et le renom ne consis- taient que dans des disputes d'écoles ou de coteries. C'est alors que, pour le malheur de la science vraie dans l'art de guérir, les uns, dédaignant les traditions, se sont adonnés à expliquer toutes les causes; quand les.autres, faisant peu de cas des raisonnemens, ne s'at- tachaient qu'aux faits. De cette division, po- sitive dans rhistoire de la médecine, est sor- tie la grande lutte entre les médecins discou- reurs et les médecins guérisseurs ; dans le monde savant ou académique, les premiers étaient les médecins, et les autres, les empy- riques ou les charlatans ; sur ce point, il faut convenir que la vieille Faculté de médecine de Paris n'a pas laissé de traces honorables pour la science vraie. Mais ne nous écartons pas de l'histoire propre aux Gaulois, sur lesquels on est tou- jours au ton du mépris, pour ne vanter que les Grecs et les Romains. Apprenons donc à #1 '^5 C 296 ) tous les détracteurs des Gaulois que Rome a été pendant plus de six cents ans sans méde- cins, sans livres relatifs et sans professeurs, quand il est certain, du moins, que les druides enseignaient les sciences physiques. Toute l'antiquité dépose que l'invention de la thériaque appartient à Crinès , médecin gaulois, et que Rome le mettait elle-même au-dessus de Thémison, qui, pour la scienti- fication, était le Halley de Rome. On sait en- core qu'Ausone, né à Bazas, passe pour un empyrique. Oh ! combien de fois n^avons- nous pas vu la Faculté de médecine et le par- lement de Paris condamner des empyriques (Jui avaient guéri! N'est-ce pas des empyri- ques que le gouvernement a souvent acheté des remèdes utiles et précieux pour l'huma- nité? N'est-ce pas aux empyriques qu'on doit les opérations les plus hardies, ce qui du moins suppose des connaissances dans l'or- ganisation du corps humain. f' N'est-ce pas à eux qu'on Idoit le quinquina, l'ipécacuanha, le kerniès, le riccin, l'émétique, l'inocula- tion, etc., etc.? ( 297 ) %'V%/V%%^(/%%/VW\«WV%/V%W«Wk/%/V\>WV%/l/\'%/WWV%/\^%/%/\'%'\^V%'W%^ CHAPITÏŒ X. Les mariages des Gaulois. — Considërations sur les forces physi- ques et sur les mœurs. — Le mot de Montaigne. — Les preuves de bravoure étaient une condition première pour être admis en mariage. — Modes et usages relatifs. — Les femmes gauloises, éminemment braves et enthousiastes de la liberté , nourrissaient leurs enfans. — L'adolescence durait jusqu'à vingt ans. — Le métier des armes, le premier de tous. — Leurs usages dans les batailles, dans les festins. — Il n'y avait pas de déshonneur dans le larcin par les armes. — L'hospitalité un devoir sacré. — Les funérailles, les usages. — Les Gaulois commencent à adopter l'édification des temples et le culte des Romains. Les mariages des Gaulois offrent des consi - dërations et des principes dignes d e la plus sage philosophie ; il y avait en général une époque pour leurs célébrations; et une époçi/e pour un tel sujet reporte en quelque sorte l'homme au cours imprimé par la nature ; c'était ordinaire- ment à l'entrée de l'hiver : Inntatgenialishiems. Alors les campagnes de guerres étaient finies ; les moissons étaient faites, les provi- sions assurées ; c'était le temps du repos et (298) des plaisirs ; on trouvait dans cette saison encore une cause qui, par ses effets, se con- fondait avec l'instinct général des animaux, pour lesquels le temps des amours est inva- riablement fixé sur la durée des gestations, et sur la saison où chaque progéniture peut trouver sur la terre ce qui convient pour vivre et pour faire accroître les développe- mens. Les exemples qu'on pourrait citer, en faisant admirer la sagesse de la nature , se- raient encore des preuves nouvelles de celle même des Gaulois. Tacite a dit que les Gaulois épousaient plu- sieurs femmes, non par libertinage, mais à cause de leur rang (i). Ménandre a porté le nombre jusqu'à douze (2). César a fait observer que les Gaulois se mariaient dans leurs pro- pres familles, et que les femmes étaient com- munes aux pères, aux frères, aux fils : les en- fans étaient réputés appartenir à celui qui avait connu sa femme vierge (3). ( I ) Non libidine , sed ob nobilitalem , plurimis nupUis ambiuniur. (Tac.) (2) Undecimam, qiiinduodecimam plerique ducunl. (Mé- nand.) (3) LJxores habent déni duo deniquc inler se communes; ( 299 ) Les jeunes Gaulois étaient si tempérés, néanmoins, qu'ils ne se mariaient jamais avant l'âge de vingt ans ; tous étaient persuadés que, si on anticipait sur cette époque , on restait moins fort et moins brave (i). « Les anciens Gaulois , dit Montaigne , '< avaient une grande tempérance ; ils esti- « maient à extrêmes reproches d'avoir eu ac- « cointances de femmes , avant l'âge de vingt « ans; ils recommandaient singulièrement aux « hommes de conserver bien avant leur pu- « celage, d'autant que les courages s'amollis- « sent et se divertissent par l'accouplement « des femmes. Tacite a dit sur ce sujet : Sera M juvênum Venus. » Qu'on cite donc chez aucun peuple une sa- gesse plus admirable et plus vraie ; qu'on cite donc un plus beau triomphe de la raison et de l'éducation sur la passion la plus vive qui soit dans l'homme. Vingt siècles de civilisa- tion et de perfectibilité n'ont encore produit fralres cum fralrihus et parentes cum liberis... nali, quibus virgines ductœ sunt. (Caes., 1. 5, de Bell. Gall.) (i) Qui^ diiUissimh impubères... vires conjirmari pu- tant... intrà anniim vigesimum, fœminœ iiotitiam turpis-^ simum habent. (Caes., l. 3, Comment.) ( 3oo ) aucune institution qui soit plus conforme à la nature humaine et plus utile à la sociabi- lité. Les législateurs les plus fameux, les fon- dateurs de religions et les philosophes les plus austères dans leurs plans respectifs, ont miéconnu ce principe ; il en est même qui ont recommandé tout le contraire : tout essor prématuré, cependant, est en soi un avorte- Tnent ou une dégradation, ou du moins une dégénérescence ; la nature , dans ses exem- ples, est positive, et il n'y a pas d'exceptions pour la brute, à qui elle accorde une certaine longévité. Ainsi, les Gaulois, qu'on répute en France si barbares et si ignorans , avaient très-bien observé et jugé la nature dans ses corrélations sur les mœurs publiques et sur le cours de la vie sociale ; tandis que nous , si fiers de nos connaissances physiques et morales, et des lois qui en règlent les applications , nous avons fait et faisons tout le contraire; car tels sont aujourd'hui les débordemens des jeunes gens et l'aveuglement des parens, qu'on fait les mariages, même avant les premiers si- gnes de puberté ; les antiques lois sociales sont tombées en mépris ; la fortune est le guide exclusif des alliances ; l'abandon indé- (3oi ) fini du pouvoir paternel, et les éducations do- mestiques, ont achevé cette révolution, fatale à la société, fatale aux mœurs, qui en sont les sauve-gardes, et aux forces physiques, qui en sont les soutiens. Dans l'opinion publique des Gaulois, la bravoure était une des premières conditions pour être admis en mariage ; les femmes, de leur côté , dans les rangs inférieurs ,v ne s'u- nissaient qu'à ceux qui avaient donné de telles preuves (i). Lorsqu'un père voulait marier sa fille , il invitait plusieurs jeunes gens, estimés déjà par leur valeur ; celui auquel la fille présen- tait la coupe à boire était l'époux de son choix. Les barbares Gaulois n'étaient-ils pas plus sages et plus raisonnables que tant de pères au dix-neuvième siècle, qui seuls déci- dent les mariages de leurs enfans? L'or en est la condition première , et la maxime est en (i) Nemo lucorem ducit, nisipriiis hostis caput... pertu- lerit ad re^em. (Strab.) Chez les premiers Romains , l'e'poux apportait une lance qui avait tue' un ennemi ; elle servait à disposer les che- veux de la marie'e. C'était encore un titre pour trouver une e'pouse, d'avoir vaincu dans l'arène un gladiateur. ( 302 ) crédit dans les salons, comme à la bourse; les penchans du cœur ne sont plus que des abs- tractions ; on s'en moque à l'envi dans le monde. César prétend que les dots étaient récipro- ques ; Tacite , au contraire , dit que le mari seul en donnait une. J'inclinerais pour l'opi- nion de Tacite (i) ; le sort de la femme, après le mariage , semble autoriser le fait. Les présens de noces étaient plutôt sym- boliques ou coutumiers que d'un grand prix. On se donnait ordinairement une génisse, un cheval, un bouclier et une lance : ces dons faits et acceptés , le lien devenait sacré ; Hoc maximum vinculum. Comme tous les anciens peuples, les Gau- lois admettaient la danse dans leur culte et leurs solennités : c'était par elle surtout qu'ils célébraient leurs mariages ; ils y attachaient en quelque sorte le gage de la fécondité (2) , (i) Doiem, non uxor marito , sed maritus uxori. (Tac.) (2) Pour les Suèves et les Danois, comme pour les Gau- lois, c'était un grand bonheur d'avoir des enfans. Par- tout, au surplus, la stérilité' e'tait une sorte de raale'dic- tion, c'est-à-dire le plus grand malheur qui pouvait frapper les femmes. ( 3o3 ) sans laquelle il n'y avait pas de bonheur pour les femmes. Cette considération sur la danse, bien expliquée et bien entendue , pourrait être facilement justifiée , et dès lors laisser des regrets à ceux qui l'abandonnent, comme à ceux qui la condamnent. Une fois mariées, les femmes gauloises étaient sous la dépendance absolue de leurs maris (i); elles ne mangeaient ni avec eux ni avec d'autres hommes : usage qui a été peut- être un des plus forts liens des mœurs anti- ques, et dont il existe encore un léger reflet dans les mœurs anglaises. La corneille, qui est réputée ne plus s'apa- rier, quand elle a perdu celui auquel elle s'é- tait attachée, était le symbole des femmes gauloises (2). Les femmes des Gaulois étaient éminem- ment braves et enthousiastes de la liberté ; elles suivaient partout leurs époux, même aux combats, 011 elles les excitaient; si elles apercevaient de l'incertitude pour la victoire. ( I ) Firi , in uxores , in liberos , vitce necisque habent polestatem (Gaes.) (2) Ex diiabus , iind exUnctâ , altéra perpétua vidua permanel. (PI in., 1. 10.) ( 3o4 ) elles se jetaient dans la mêlée , préférant la mort à Tesclavage. Le premier vœu d'une femme gauloise , en mettant au monde un enfant mâle , était qu'il n'eût qu'à mourir au milieu des armes (i). Elles baignaient les enfans nouveaux-nés dans l'eau froide (2). Cet usage a été commun à tous les peuples du Nord, et l'on pourrait dire à tous ceux de la terre. Il en a été de même des ablutions ou bap- têmes institués par les cultes dans certains fleuves, lacs ou fontaines; pour les uns, c'é- tait enlever au corps sa souillure originelle , idée commune encore à tous les peuples ; pour les autres, c'était un signe ou un acte de réconciliation entre la créature et le Créa- teur ; c'était sans doute aussi une obligation imposée, pour donner aux sacerdoces divers un gage de fidélité aux cultes établis. Le fleuve du Gange tient le premier rang sous ce rapport, car ses eaux sont de foi uni- verselle dans l'Asie. (1) Puerpera , si quandb marem edidit, gentilibus voiïs optât non aliter, quam in bello et inier artna moriem ap- pelât. (Solin., c. 25.) (2) Locisjngidissimis lavantur. (Caes.) ■ ( 3o5 ) Le Rhin a été le Gange des Gaulois et deà Germains; selon M. Schutz, il ëtait adoré comme un dieu. Faisons observer, du reste, que, dans tous les temps, les Gaulois ont aime' les bains d'eau froide, quand les Romains préféraient ceux d'eau chaude. Sévères dans leurs mœurs, les femmes gau- loises en étaient nécessairement plus fidèles à leurs maris et aux lois de la nature ; elles élevaient elles-mêmes leurs enfans (i). Lors- qu'ils étaient sevrés , on les nourrissait avec du lait, du fromage mou, des fruits et de jeunes animaux fraîchement tués. Ils étaient habituellement nus ; ils recherchaient les eaux pour se baigner, et s'élevaient ainsi presque d'eux-mêmes, et en toute liberté d'aller où ils voulaient. Cette manière d'élever les enfans fut celle d'Henri IV ; elle a été long-temps celle des Anglais; elle est encore celle des Ecossais. Ces observations deTacite prouvent que les dames romaines étaient moins diffi- ciles, et qu'elles s'étaient déjà beaucoup éman- (i) Sua quemque mater uberibus alil y uec aficillis , nec nuUicibus deleganUir. (Tnc.^ Agrictil. des Gaulois. 20 ( 3o6 ) cipées des lois de la nature, pour le sentiment qu'elle inspire si vif et si tendre à toutes les mères en général. Faisons observer d'avance qu'il faudra , sous l'empire de la religion chré- tienne, une immense période pour voir les dames françaises adopter le cours sacré du devoir envers les enfans ; faisons observer, par suite, que ce rappel au devoir des mères, d'allaiter leurs enfans, n'a point été donné par les médecins, même fameux, ni par les phy- siologistes, ni par les savans, ni même par les prêtres ( que de réflexions ce fait seul sus- cite à la vraie philosophie!), mais par un philosophe qui s'était fait l'apôtre de la na- ture , et dont les œuvres sont à l'index de la scolastique sacerdotale et de tous les partisans des vieilles doctrines. Les Gaulois adolescens ne quittaient leurs mères qu'à l'âge où ils étaient admis à porter les armes (i). Les Gaulois belges veillaient le plus sévè- rement au maintien de leurs forces physiques ; ils avaient une ceinture d'ordonnance; et si l'un d'eux prenait trop d'embonpoint, il était {i) Nisi ciitn adolevcnnt^ et munus militiœ siistinere possînt. (Gœs., 1. 6.) ( 3o7 ) mis hors des rangs pour faire la guerre (i). C'est dans Fardeur pour les combats (2) que les Gaulois brillent de toute leur gloire et de leur antique renom ; leurs dieux, l'opi- nion, le sentiment de la patrie et les chants des bardes (3), leur donnaient une valeur à toute épreuve; aussi les familles ne comp- taient que des he'ros. Ils étaient tous persua- dés que, s'ils mouraient les armes à la main, ils allaient immédiatement trouver le grand Odin; tandis que ceux que la mort surprenait dans leurs lits, devaient servir long-temps sous terre, avant d'être admis jusqu'à lui. Les Gaulois combattaient à corps décou- vert{/Ç), quand, dans l'ère de la chevalerie, si chère et si vantée aujourd'hui par les ro- mantiques, on se couvrait de cuirasses, de (i) Belgœ^ ne obesi fiant... et si qids adolescens... cin- fftio mensumm prœscriptam excédât, mulctatur. (Strab.j 1. 4.) (2) Jn ctcie exultabanl, lanqiuim gloriost et fij licite r vitâ excesswi (Val. Max.) (3) Bardi virorwn illustrium facta cum dulcibus lirœ rnodidis cautitarunt. (Amm. Marcell.) (4) Ex adverso , robusla Gallonim corpora et nuda pe-^ lebnntur; quœ res eos maxime cxtidit. (Appia., de BelL Parlh,) ( 3o8 ) cuissards, de brassards, de casques, de visié-^ res, de gantelets, de talonnières. Les histo- riens et les poètes romantiques n'ont pas même daigné, dans ces derniers temps, en faire l'ob- servation , tant ils auraient craint d être ré- putés félons envers la noble chevalerie. Les historiens mêmes de la révolution n'ont pas osé faire la moindre allusion aux guerriers gaulois qui combattaient à corps découverts, comme les soldats de la grande armée; c'était pourtant un moyen fort juste de consacrer et de légitimer la bravoure des Gaulois. Lorsque les Gaulois marchaient aux com- bats, ils chantaient un hymne, auquel la tra- dition donne six mille ans de date, et dont le refrain était Bibemus In prœstantis Odini domicilio. Les Gaulois étaient dans Tusage de mettre les têtes de leurs ennemis au bout de leur lance, ou de les suspendre au col de leurs che- vaux; cet usage les fait encore accuser de barbarie (i). On ne veut pas voir, ou se rap- ( i ) GalU adversarwrum capita amputant , et ccrvici- ( 3o9 ) peler, que les Romains ont vu sanglantes les têtes de Pompée, deCassius, deBrutus, etc.; mais, dans un très-grand nombre d'églises, on voit en trophées des cordons de têtes cou- pées. Les Gaulois attachaient encore les têtes des ennemis à des arbres ou aux portes des villes (i).Tite-Live, l'oracle de nos historiens, a dit les mêmes faits. D'après l'opinion des premiers siècles chré- tiens, c'était même un signe de gloire et de triomphe ; chaque tête avait un caractère ; tantôt c'était la tête d'un diable , tantôt celle d'un hérésiarque , ou celle d'un roi vaincu ; presque toutes ces têtes étaient exécutées avec un tel génie, qu'il faudrait presque ad- mettre la vengeance au nombre des muses qui inspiraient les sculpteurs, les poètes et les prêtres de ce temps. Dans les festins, le chef d'abord, et les autres après lui , buvaient dans le crâne d'un guerrier fameux ; ce n'était point par férocité. hus equorum appendunty ovantesque moris sid carmina. Gallorum équités pectoribus equorum suspensa pestan- tes capila et lanceis infixa. (Tit.-Liv.) (t) Trwicis nrhomm et ante portas oppidorum. (Strab., 1-4-) ( 3io ) car les Gaulois buvaient également dans les crânes de leurs proches, morts au charnp d'honneur : de telles coupes étaient sacrées, et pour aucun prix elles n'étaient à vendre. Rappelons ici que les Gaulois, vainqueurs des Romains, commandés par le consul Pos- thumius, mirent son crâne en coupe à boire : elle appartenait aux Boïens (i). Dans leurs mœurs, les Gaulois, comme les Spartiates, n'attachaient point de déshonneur aux larcins par les armes; Strabon a dit la même chose des Espagnols; Vopiscus l'a ré- pété pour tous les peuples du Nord (2). L'hospitaUté y était, comme chez les Grecs, un lien sacré : ce sentiment national exphque ( I ) Hœ siint apud ipsos pielalis ulUnia officia. (Pomp. M.) Sacrum vas us eral et virtuiis monuinenta , nullo prœtio vende j^. (Tit-Liv.) CapiUque ducis prœcisum, Boii ovantes templo ^ qiiod sancùssimum est apud eos , intalêre-, pur^aUy deindè capite ,. ut mos Us erat, calvum auro cœlavêre ; id que sacrum vas , quod solemnibus libarcni poçulumque idem esse , sa- cerdoli. (Idem, U 23.) (2) Nihil putabanf, pulchrius esse lalrocitîio. . apud Ger~ manos nullam liaient infamiam latrocinia. (Poinp. M.) Prœdam omncm.^ , quâ effèrebanliir ad ^loriam. (Vop., in Probo.) ( 3ii ) déjà l'intronisation de plusieurs colonies d'é- trangers an sein des Gaules (i). Les morts occupaient aussi la piété et les devoirs des Gaulois ; on les plaçait sur un bûcher, et leurs cendres recueillies étaient mises dans des vases ; si celui auquel on ren- dait les honneurs funéraires était un grand ou un brave , on jetait sur le bûcher les per- sonnes et les êtres qu'il avait le plus aimés. Qu'on n'accuse point les Gaulois, car un grand monarque, celui de la Chine, a réitéré ce sacrifice dans le milieu du dix-huitième siècle. Le culte et les mœurs des Gaulois avaient déjà subi de grandes modifications avant l'in- vasion des Romains. L'édification des tem- ples en a été le premier changement notable ; il serait téméraire sans doute d'en assigner l'époque, car ces édifices faisaient une excep- tion, et même une transgression à la pre- mière idée qu'ils avaient eue du Créateur du monde. Quoi qu'il en soit , les premiers tem- ples ont été construits dans le Midi ; César déclare y en avoir vu ; Varron a dit qu'ils^ (i) Arcefe lècto ne/as habciur. (ïac.) ( 3l2 ) adoraient jusqu'à quarante Jupiter sous diffé- rens nom*. La représentation des choses désirées ou vénérées n'y a pas peu contribué ; il faut croire même que ces édifices s*étaient multi- pliés avant la fin de l'ère consulaire, puis- qu'on a trouvé en Bourgogne un temple, dans lequel Jupiter tenait une grappe de raisin à la main. Il en a été de même de Bacchus , tant il a été toujours facile aux prêtres de faire véné- rer les choses qui flattent les besoins et les passions. Bientôt, au surplus, c'est-à-dire sous les règnes de César et d'Auguste, les cultes des Gaulois, des Grecs et des Romains, existeront confondus et amis, dans ces Gaules que les eunuques de la littérature appellent barbares. Ces cultes existeront, jusqu'à l'éta- blissement du sacerdoce chrétien, avec une tolérance de raison qui fera, dans tous les siècles , maudire la mémoire de ceux qui , pour assurer leurs intérêts propres , tour- menteront les consciences, et feront verser des torrens de sang. Les divers monumens druidiques ont beau- coup plus occupé les savans des seizième et dîxseptième siècles, que ceux de Louis XIV, (3i3) - qui furent tous des flatteurs du superbe mo- narque ; aujourd'hui même nos académies en sont venues au point de nier hardiment les monumens gaulois ; il leur faut absolument des fleurs de lis et des croix. Je me borne à citer le tombeau du fameux Chindonax, sou- verain pontife des druides, découvert sous Henri III, et qu'Henri IV voulut voir; sur le- quel se sont disputés des évêques et deè éru- dits, tels que Saumaise et Casaubon, et qui a fini par servir d'auge dans une auberge, pour faire boire les chevaux. ^ ( 3i4 ) «'V%/VWWVl'WVWt'WWVl/WVWl/V«/VW«/V%W%%'W%'WV'Wi'V\-%'%% CHAPITRE XI. Coup-d*œil sur le commerce des Gaulois. — Leur industrie, rela- tivement atix arts , ëtait plus grande avant l'invasion des Ro- mains ; il- en a été ainsi de leurs sciences. — Les Gaulois ont su travailler le fer avant les Romains. — La construction de leurs vaisseaux; leur marine a été utile aux Romaiiis. — Leurs chars de gueiTe, levus chariots, leurs formes et l'emploi : ils ont été les premiers toits des Gaulois. — Leurs chevaux les plus renom- més. — Leurs souterrains pour garder des provisions. — Leurs premières maisons , faites avec des branches et de la boue 5 mo- tifs pour les faire ainsi. — Les blés de moisson conservés dans les épis. — Mode pour faire le sel. — Leur luxe pour les vête- mens. — Ils avaient inventé une sorte de savon. — Leurs chaus- sures.— Leurs principaux outils de fabrication. — Les formes de leurs vètemens, et marques distinctives. — La parure, le luxe des femmes, et leurs cosmétiques. Il serait difficile de pouvoir dire quel fut le commerce usité chez les divers peuples des Gaules ; on ne peut cependant leur re- fuser ce premier moyen de civilisation, puis- qu'ils avaient une marine sur les deux mers, et qu'ils ont fréquenté les ports des nations étrangères et lointaines. Trop enclins sans (3i5 ) doute à faire, comme lesSpartiates, du butin parla voie des armes, ils ne se seront pas plus assujettis que les Grecs à suivre les règles ou les devoirs de la bonne foi , qui est l'âme ou le principe vital du commerce , si ce n'est peut-être dans les cas d échanges préalablement convenus. Il serait injuste, pourtant, d'en accuser les Gaulois de bar- barie ; car les peuples les plus célèbres de Tantiquité, dans leurs mœurs et même dans leurs lois, légitimaient tout par les armes, par leur force corporelle, et même par l'a- dresse ou par la ruse. Les Grecs, les Egyp- tiens, Hercule etUlysse en ont donné l'exem- ple; Alexandre l'a suivi, et les Turcs l'ex- ploitent encore comme un droit public. L'ardeur pour le butin explique et justifie déjà les excursions lointaines et les péril- leuses entreprises des Gaulois ; elles font nécessairement supposer des notions ou des rapports de commerce avec les peuples qu'ils fréquentaient; on peut dès lors affirmer ri- goureusement que les premières idées du commerce se sont révélées à eux par les ventes qu'ils faisaient de leur butin. La vue et l'examen des choses conquises ou enlevées, ont dû nécessairement encore (3i6) leur suggérer des idées d'industrie , par l'i- mitation, et ceci même n'est pas une con- jecture. La preuve s'en trouve dans le luxe même des Gaulois, et surtout dans leur industrie ; cette preuve se fortifie par celui que les premiers rois francs signalèrent à l'époque de leur invasion dans les Gaules ; c'est un aveu, du moins, qui a échappé à quelques historiens. Quoi qu'il en soit , comme on ne peut citer des lois d'Etat, il faut bien s'en rapporter aux témoignages de ceux qui ont écrit sur l'histoire des Gau- les (i), Jules-César, et après lui Diodore de Sicile, ont dit que les Espagnols entrete- naient un commerce actif avec les Gaules méridionales, et qu'ils se servaient de che- vaux pour transporter leurs marchandises à Marseille (2). On peut être étonné de voir (i) Après la conquête des Gaules, les Romains, ou du moins les Italiens du Nord , parcouraient les provinces des Gaules pour y faire le commerce. Il a même été' remarque' que ces marchands e'taient les premiers espions des Ro- mains; et que ce métier, joint à leur négoce, e'tait une cause de fortune soutenue et croissante. (2) Eqiùs, mercatores ad Massiliensem déférant. (Diod. de S., 1.5.) (3i7) ici le cheval, et surtout le cheval espagnol employé à transporter avec le bât des mar- chandises , quand les ânes et les mulets étaient si communs dans la péninsule. Ce fait, au surplus, est une preuve nouvelle que l'homme assortit et domine à son empire ou à ses caprices tous les animaux qu'il peut atteindre et dompter. A Rome , pendant un longtemps, on ne s'est servi que de l'âne pour le transport des marchandises ou des autres denrées ; les mulets , et surtout les mu- les, n'y étaient employés en général qu'au service des légions en campagne ; mais on ne voit nulle part qu'ils se soient servis du cheval pour le transport des choses du com- merce. Il faut voir la cause de cette diffé- rence dans le point de fait, qu'on élevait des chevaux dans le midi des Gaules, et que les Romains y faisaient acheter les plus beaux pour leur cavalerie. Il est remarquable, au surplus, que, dans la suite des siècles, le commerce des vins du Midi se soit fait jus- qu'au milieu du dix-huitième, par des che- vaux, qui en transportaient dans des outres jusqu'au centre de la France, et presque jus- qu'à la Loire. Les faits et les témoignages sur tous les \ 3i8 ) points de l'influstrie clés Gaulois sont telle- ment disséminés dans l'histoire générale, qu'il serait en quelque sorte impossible d'en donner une description positive, même pour les choses essentielles et usuelles. Gomment, par exemple , établir les détails de l'agricul- ture, quand il est de fait que tout chef gau- lois n'honorait que le métier des armes, et méprisait souverainement le travail à la terre? Ce sentiment, d'ailleurs, n'était point parti- culier aux Gaulois, car il fut celui des Spar- tiates, qui en outre mettaient en honneur le larcin par les armes (i). Les Espagnols pensaient ainsi. C'était, en un mot , le ton de l'opinion du temps, de ne pas travailler à la terre, pour jouir des choses qu'on pouvait se procurer par les armes. Les Germains, en tous points sem- blables aux Gaulois, honoraient également tout ce qui se faisait par ce moyen (2). (i) i\il putabant pnlchrius esse lalwcinio. (Pomp. Mçla.) (2) Apud Gcrnianos nullani liabeni infamidm laLroci- nia. (Pomp. M.) Prœdari mallehanl qiiam colère telliirem. (Strab.) A barharis... prœdain oninem... cffcrebanl ad gloriam. (Vop., in Prob.) (3.9) Cependant, on voit qne les Gaulois, no- nobstant une opinion si forte dans leurs mœurs, exerçaient ou faisaient exercer Ta- griculture , comme on vient de le voir dans ^ i\ les chapitres prccédens. On en trouve la preuve dans les enlèvemens de grains faits par les Romains , pendant la guerre quMls firent contre Vercingentorix ; on la retrouve encore dans les secours en grains que les Volsques, les Boïens et les AUobroges don- nèrent à Annibal, lors de son passage par les Alpes. Les Gaulois avaient donc une indus- trie exercée, soit pour l'agriculture, soit pour les autres choses utiles à la vie. De telles inductions de fait doivent équivaloir à une certitude historique , dans des contrées surtout où la tradition seule existait pour transmettre la science et les évènemens, et c'est dans ce sens qu'on doit considérer l'in- dustrie agricole des Gaulois. On ne peut nier que, sous d'autres rap- ports, les Gaulois n'aient exercé l'industrie, et cultivé certaines sciences. Un tel état de choses devait nécessairement résulter de leur Qiiia imb... pignini et iners xndelur... !ahorc... quant sanguine. (Tac.) ' C 320 ) caractère, de leur éducation, et surtout de leur génie d'observation. Il y a, du reste, des témoignages unanimes de la part des Ji ^ savans les plus célèbres et les plus estimés , que les Gaulois, sous les auspices des drui- des, ont cultivé les hautes sciences, et que les Romains, dans leurs conquêtes, les ont fait successivement effacer. Jaloux même du génie des Gaulois, ils se sont attachés, sous tous les empereurs (Jules-César excepté), à les humilier, à les vexer, et à leur interdire toute instruction. Offrons sur ce sujet une triste réflexion, dont le midi de l'Europe offre encore aujourd'hui la fatale ou hon- teuse application ; c'est que toute nation qui perd son indépendance et sa liberté person- nelle, retombe précipitamment dans l'igno- rance. Le joug des Romains s'était appesanti sur toutes les Gaules; ils y avaient tellement organisé l'esclavage , qu'il fut promptement impossible aux Gaulois de se livrer à des exercices d'esprit, ou à des inventions qui décelaient du génie. Ce qui leur est arrivé se réalisera de même chez les Gallo-Romains , sous l'ère des Francs, et dans les premiers siècles chrétiens ; car il est défait aussi qu'il y a eu infiniment plus d'industrie et d'art sous ( 32t ) les Ghildéric et les Brunehaut , que soiis hH Carlovingiens, et qu'il y en a eu moins en- core sous les Capétiens, trop livrés les uns et les autres à l'empire d'un clergé domina- teur, pour lequel, dans ces temps, l'igno- rance et la servitude étaient les plus sûre^ garanties de sa domination. C'est en se re- portant à de telles époques, que nos histo- riens ou académiciens modernes ont nié po- sitivement qu'il y ait eu chez les Gaulois des monumcns, que les druides aient été de savans astronomes et géomètres, et que dans les cités, il y ait eu des hommes habiles dans les arts et Tindustrie. L'excès d'ignorance et de barbarie des Gaulois et des Gallo-Romains, qu'on signale aujourd'hui dans les écoles et dans les cours littéraires, comme des barbares sauvages, ne peut être, ni une preuve, ni un prétexte pour leur refuser des lumières antérieures à leur subjection. Quels peuples ont été plus cé- lèbres dans les sciences, les lettres et les arts, que les Egyptiens, les Phéniciens et les Grecs? Nous le savons, nous en avons des preuves authentiques ; mais demandons au voyageur philosophe qui vient de parcourir le littoral de Tyr et de Sidon , les tcrritoirej* Abritai, dtf Gaulois. 21 { 322 ) d'Athènes et de Corinthe, les bords de ta mer Rouge, les ruines de Memphis, etc., s'il a reconnu dans les peuples qui habitent ces contrées, les anciens qui ont étonné le monde par leur génie et par tous les charmes des arts? Nous sommes donc réduits aujour- d'hui, comme historiens, à rechercher dans les œuvres des auteurs anciens étrangers, des faits ou des conséquences , et même des mots isolés, pour composer une sorte d'essai his- torique sur l'industrie des Gaulois. De toutes les choses qui attestent une lon- gue antériorité de l'industrie des Gaulois sur les Grecs et les Romains, il faut mettre au premier rang le fer, ce protée des métaux, qui anime et embellit tout ce qui vit et res- pire, et que la nature partout a répandu avec profusion. L'homme aurait dû en faire son bonheur, mais il ne l'a employé d'abord qu'à faire des instrumens de guerre ; car c'est plutôt à cette cause-là même, qu'à son uti- lité pour l'agriculture et les arts, qu'il faut attribuer tant de découvertes et de perfec- tionnemens, dont le fer est la base. Sous le rapport de l'invention, le& Gau- lois priment les Grecs, et surtout les Ro- mains; ils connaissaient Tart de le faire et de ( 323 ) le malléer, quand ces derniers ne faisaient leurs armes qu'avec l'airain (i). On sait que parmi les choses d'un grand prix offertes par Achille aux jeux céle'brés en l'honneur de Patrocle , il y avait une houle en fer brut. Les hommes les plus prévenus contre les Gaulois ne peuvent leur refuser la gloire d'avoir, à l'aide du fer, conquis l'Italie, la Grèce, et une partie de l'Asie. Si on né peut citer des autorités qui le prouvent, il faut du moins s'en rapporter au témoignage de Jules-César. Il dit qu'au fameux combat naval livré à l'embouchure de la Loire , les Gaulois avaient des chaînes de fer qui leur servaient de câbles, et que leurs ancres étaient de même métal (2). Il dit ailleurs qu'ils avaient de grandes forges de fer (3) , et il cite celles de Dijon (4). Pour assurer ces réalités chez les Gau- lois, faisons observer que, même encore à présent, il y a dans la Bourgogne une mine (1) Arma ex œre antiqui colebant, antequum ferrum. (Varr.) (2) Ferreis catenis, anchorœ y funibus . (J. Caps.) (3) Apudeos magnœferrariœ simt. (Idem.) (4) Fabri ferrarii Dibionenses (Idem.) C 3à4 ) très-riche qui se recueille presque à la sur^ face d'un vaste plateau , non loin de Mont- Bard et d'Aisy. Les fossiles variés qu'on y trouve avec des empreintes ou des traits de plusieurs animaux et végétaux inconnus à nos climats, sont dignes d'occuper les sa- vans qui voudraient édifier un système sur les révolutions du globe. Il reste donc prouvé, d'après César, que les Gaulois sa- vaient faire et employer le fer, avant les Ro- mains. L'opinion est encore frappée de la fa- meuse et brillante expédition des Argonau- tes; on n'oserait même la nier, malgré les circonstances fabuleuses dont on cherche à l'entourer. On rapporte que des Gaulois, unis aux Ripuaires, seraient partis du Rhin, entrés dans l'Océan, de là dans la Méditerranée, et qu'ils seraient revenus à leur point de dé- part avec un riche butin. Plusieurs auteurs ont rapporté ce trait d'audace et de génie dans la navigation; mais il n'a trouvé que des sceptiques. Les Francs Ripuaires, en d'autres temps, en donneront pourtant la répétition. Mais quel erudit , même systématique , ( 325 ) voudrait affirmer de tels actes de naviga- tion de la part des Gaulois du Rhin, qui, à la même époque , occupaient avec leurs flottes l'Archipel et les côtes de l'Asie mi- neure? Il faut donc se borner, comme pour le fer, à ne parler de leur navigation qu'avec des témoignages irrécusables. César donné une juste et impartiale description de leurs vaisseaux, de leurs formes et de leur soli- dité (i). Leurs voiles étaient faites avec des peaux cousues ensemble (2). Strabon dit le même fait. Les vaisseaux gaulois étaient variés dans leurs formes, en raison de leurs destina- tions. Ils étaient en général très-hauts de poupe et de proue, tandis que ceux des Ro- mains étaient très-bas. Dans le combat qui eut lieu à l'embouchure de la Ivoire , César fut obligé, pour faciliter Tabordage, d'armer des vaisseaux de longues perches garnies de faux, afin de couper les cordages et les voiles {i) Carinœ aliguantdplaniores f quam nostramm j prorœ admodùm erectœ; atque item puppes , ad magnîtudinem flucUium tempes latumg ne accommodatœ . (J. Caes.) (2) Pelles^ pro velis... alluiœ que tenuiter confeciœ . . . propter Uni inopiam... nam velis pellieeis utebantur. (Id.) (336) des vaisseaux gaulois, co qui hâta la yictoire remportëe par les Romains. On ne hasarde donc rien, en réduisant les vaisseaux gaulois à trois classes. Le chêne (i) était le seul bois avec lequel on construisait les vaisseaux, qu'on calfeu- trait avec des roseaux. C'est encore César qui nous apprend que les Gaulois avaient des flottes ; il est glorieux pour eux et hon- teux pour les antagonistes de nos ancêtres, d'entendre Jules-César avouer qu'il se servit avec succès des vaisseaux gaulois et rho- diens. On ne peut faire, il me semble, un plus bel éloge des vaisseaux des Gaulois, que de les mettre sur la même ligne que les vais- seaux des Rhodiens (2), qui furent de célè- bres navigateurs. Une telle navigation, je le demande, n'est-elle pas, seule, une preuve de sciences et d'arts cultivés et d'une haute civilisation ? Les chars et les chariots tiennent un rang éminent dans l'industrie des Gaulois. Les constructions et les emplois prouvent encore un long exercice acquis dans la mécanique et (i) Naves totœ ex rohorefactœ. (J.Gses.) (2) Ex classe Rhodiorum ^ Gallorumque. . . arma. (Idem .) ( 327 ) r^quitation. Si Jules-César lui-même n a pas exagéré la descriplion| qu'il fait des évolu- tions des Gaulois sur leurs chars de guerre , il est difficile de s'en faire une plus grande idée. Le lecteur va lui même en juger. Il y avait deux sortes de chars; les uns servaient aux familles, aux transports du butin, et de refuge ou d'abri pendant les nuits et les mauvais temps : il y en avait à deux et à quatre roues ; les autres à la guerre. Ceux à deux roues étaient désignés par le mot h- rotas; ceux à quatre roues par celui de petor- rita. Les chariots en général étaient nommés henn. N'est-il pas remarquable que, dans le centre de la France , on nomme de tels chars, pour le transport des charbons , des bannes ou b anneaux F Les Gaulois, dans leurs marches, se fai- saient suivre par leurs troupeaux , et par un grand nombre de chariots (i). Ils fabri- quaient eux-mêmes leurs chars. Leurs pre- mières médailles ont offert d'une part une scie, et de l'autre un char. Les auteurs latins ont adopté les significations celtiques, pour (i) Magna miiltitudo earronmi vtiam êxp^dito* sequi Gallos. (CsB*., 1. 8.) C 328 ) exprimer des chars à deux et à quatre roues. Le mot petorritum veut dire quatre roues, Ausone, écrivant à son ami Ascius-Paulus, disait : Inverties prœstô subjuncta petorrita mulîs.*. Cornipedes raptani imposta petorrita mulœ. Aulugèle se sert de la même expression en parlant des chars des Gaulois. Les chars de guerre des Gaulois ont été trop fameux pour n'en pas rappeler ici l'ar- mement, les manœuvres et les effets; ils étonneront du moins ceux qui ont fait at- tention aux évolutions des chars des Grecs dans leurs combats ou leurs lices ; et je suis heureux de n'avoir qu'à traduire Jules- César : Les chars gaulois avaient une aire plus grande que celle des chars grecs ; Favant- train était précédé d'un timon, auquel les chevaux étaient attelés par un joug qui leur portait sur le col. Le grand objet de ces chars était de rompre les corps d'infanterie. L'élan rapide et fougueux des chevaux, leur hennissement, le bruit aigu des roues, les cris des conducteurs et des archers qui les (3^9) montaient, les glaives flamboyans qui dé- bordaient ces chars, épouvantaient et rom^ paient les phalanges surprises en plaines (i). Ecoutons César. « Les Gaulois étaient si exercés et si habiles à monter ces chars et à les faire manœuvrer, qu'ils pouvaient à la fois enfoncer les corps, et les accabler de traits ; dès qu'un corps était enfoncé, les archers s'élançaient de leurs chars pour combattre les hommes de pied. Avec la même pres- tesse , ils pouvaient y remonter, et continuer leurs manœuvres ; leurs chevaux étaient si bien dressés, qu'ils pouvaient les pousser sur des terrains en pente, les modérer dans leur élan , ou les y arrêter tout à coup ; leur timon était disposé de manière qu'ils pouvaient le parcourir, et se tenir au besoin sur les jougs de leur attelage (2). » (J'ai fait une étude particulière des chars (i) Essedis... ingenti sonitu equorum, rotarumque Ro- manorum content eguos, sternit indè ruentes. (Tit.-Liv.) (2) EûC essedis... per equitant ac lela projiciunt, atqiie ipso terrore equorum et slrepitu rotarum ordines pertur- bant... ex essedis... desiliunl... et pedites pjœliantur aurigœ, tantiim usu et exercitotione , lU, in declivi ac precipiti loco incitatos eqiios , suslincre , moderari , ac ( 33o ) des Grecs , et je n'ai point vu de manœurres plus étonnantes et plus habiles, que celles des Gaulois , décrites par Jules-César. ) Justin croyait les Gaulois inventeurs de ces chars, car il les désigne toujours ainsi : Les chars des barbares, épithète alors com- mune aux nations étrangères. Alexandre a perdu de réputation les anciens chars de guerre, quand, au lieu de résister, il a or- donné d'ouvrir les rangs. Les Romains ont dédaigné les manœuvres d'Alexandre , car ils ont long-temps résisté aux attaques de ces chars. Les Anglais, selon Diodore, seraient les derniers peuples de l'Europe qui en auraient fait usage. Les Romains, néanmoins, ont fmi par se faire une autre tactique , d'après laquelle les chars étaient inutiles; partout où ils s'arrêtaient , ils élevaient des redoutes ou des retranchemens ; ils en sont venus à com- biner l'action simultanée de l'infanterie et de la cavalerie, et souvent à faire combattre à pied la cavalerie même. Les Gaulois, comme les Parthes et les fleciere etper temonem percurrercy et in ju^ insislere et se in cu/fu cilissimè recipere. (Caes.) (33i ) Perses, avaient si bien su dompter et appri- voiser leurs chevaux, qu'ils les avaient ac- coutumés à s'arrêter au lieu où ils les pla- çaient, et à venir auprès d'eux à certain signal (i). Cësar, au surplus, regardait les Gaulois comme d'habiles et redoutables cavaliers ; il en cite un superbe trait, que les Grecs et les Romains auraient célébré. « Dans un siège, dit-il, trente cavaliers gaulois arrê- tèrent deux mille cavaliers maures, réputés forts cavaliers (2). » Les chevaux les plu.^ renommés dans les Gaules étaient ceux des Eduens. Observons en passant que M. de Vauban estimait beau- coup ceux de cette même contrée. Les Gaulois n'avaient point de harnais d' é- quipement pour le cheval ; ils méprisaient ceux qui s'en servaient (3). On a souvent allégué que les Gaulois (i) Sœpè ex equis desiliunU,.., equosque eodem rema- nere vestigio assuefaciunt , ad quos se chlèriter recipiunt, (Caes.,1.4.) (2) Equités triginla Galli, maurorum equitum duo mille loco pellerunt refiigaruntque in oppidum. {Hirl.y in Cœs.y de Bello Affric.) (3) Twpiiis , ineiiiùs hahetury quam ophippiii uti. ( 332 ) étaient des sauvages barbares, parce que, disait -on, ils vivaient dans l'épaisseur des forêts , et qu'à l'instar des ours , ils s'y creu- saient des abris, que nos écrivains ont nommé des tanières (i). Il est bien difficile aujour- d'hui, où il y a tant de luxe et d'aisance, de juger les hommes des premiers siè- cles, et de pouvoir en apprécier les forces virtuelles ; les soldats de la grande armée , par leurs bivouacs dans les Etats du nord, pourraient moins en douter. Il est de fait que les Gaulois, pendant les hivers, se reti- raient dans les parties méridionales des fo- rêts, et que par ce moyen ils évitaient l'â- preté des traits des aquilons (2); car toute la science des sauvages et l'instinct des animaux se réduisent à rechercher des abris. Poly- be (3), vers lequel encore il faut se retour- ner, a dit que les Gaulois erraient dans leurs contrées respectives; qu'ils n'avaient aucun (i) Densas habent sylvas quanim ligna coagmentantes y qiiœdam quasi tabernaciila œdificant. (Herod., 1. 7.) (2) In sylvas dilabebantur moriniy Aquilanij in spelun- cas se recipiebant. (Flor, 1. 3.) (3) Sine mûris , errantes , vicatim , siippellectilis usum non nonmt. (Polyb., 1. 23.) §^ ( 333 ) édifice fait avec des murs, et qu'ils se reu- nissaient par familles et par tribus. Mais si les Gaulois n'avaient pas des édi- fices en pierres , ils savaient habilement pro- fiter des fortifications de la nature , c'est-à- dire des rivières et des monts. Il suffit de citer Lyon, Autun, Lutèce, Gien, dit Gêna- hum, etc. On argumente vivement contre la sociabi- lité des Gaulois, sur ce qu'ils n'avaient pas de toits ou de maisons ; mais on a vu déjà qu'ils regardaient des temples formés de mu- railles, comme une sorte d'outrage à la Di- vinité. Il n'est donc pas étonnant qu'avec cette idée sur le Dieu du monde, ils aient aussi regardé comme une honte de s'enfer- mer sous des toits. Dans leurs marches , dans leurs haltes , ils s'entouraient de leurs chariots, où ils passaient les nuits avec leur famille. Cependant, lorsqu'ils devaient sé- journer dans un lieu, ils y formaient des toits avec des branches d'arbres et de la boue, afin de pouvoir les détruire plus fa- cilement, dans le cas d'une guerre ou d'une irruption. Les Gaulois du nord, en général, tels que les Morins (les Belges), se retiraient l'hiver (334) dans les forêts, et les Aquitains dans des cavernes. Dans toutes les Gaules, on s'était adonné h faire des souterrains, dans lesquels ils dé- posaient leurs vivres et leurs butins ; ce mode était commun aux Comati comme aux Brac- cati; c^h souterrains servaient encore d'em- bûches ou d'embuscades. Ce fut pour n'y être pas surpris que l'empereur Julien, quand il eut atteint la forêt des Ardennes, n'osa poursuivre plus loin les Ripuaires. La guerre, cependant, et les besoins tou- jours croissans, avaient déterminé les Gau- lois, dans la suite des temps, à faire des maisons plus solides, dont le faîtage était couvert de gazons, de roseaux, ou de plan- chettes de bois; les pans étaient faits de torchis entrelacés de branchages , ou de troncs avec des branches. César a fait observer que les Gaulois n'y furent déterminés ni par l'excès du froid ni par celui des grandes chaleurs (i). Il rappelle même que leurs motifs politiques, dans de telles constructions et destructions, étaient de (i) Ad fri^ora atque œstus vitandos non œdijicant. (Cses.) ( 335 ) ne pas laisser à l'ennemi des ressources ou des abris (i). César a fait observer encore qu'ils construisaient toujours au bord des eaux et des bois (2). La forme la plus commune était ronde (3) ; cela explique pourquoi 1 atre était toujours au milieu ; la hauteur n'excédait jamais dix pieds (4). Ce ne fut que sous le règne d'Auguste que les Gaulois commencèrent à construire des toits à double pente; la couverture en était plus solide. On voyait de pareils toits en Aquitaine et en Espagne (5). Tacite dit que, ( I ) Nam eliam illud vulgare incursionis , signum hostium œdijiciorum incendiis, inlelligi. (Idem, 1. 8.) (2) Domicia Gallorum... sylvarum et Jluminum peiimt propinquilates. (Idem, 1. 4 et 6.) {3)Domos rotundas... (Strab.) (4) Gain domos ex asseribiis habeni. (Idem , 1. 4-) Fastigium habens inpedes denos. (Strab.) (5) Fastigia, proclinata tectis... stillicidia dedacebant, ad hanc diem scandulis robusUs aut siramentis œdificia constituuntur, in Galliâ, Hispaniâ, Aquitaniâ. (Vitruv., 1.1.) Ces destructions, disait Vercingentorix , vous parais- sent cruelles ; mais il serait bien plus cruel de vous voir^ et vos enfans, en servitude. Acerba acerbiora liberos ac conjiigcs in servitutem. (Caes.) ( 336 ) de son temps, ils ne connaissaient pas Tu- sage des tuiles ni le mortier de chaux (i). La maison d'habitation était toujours au milieu du terrain qu'ils avaient entouré, et dans lequel sans doute ils cultivaient des légumes, et tenaient leurs bestiaux (2). Combien cette disposition a été méconnue dans la suite , par les Francs et par les Fran- çais ! car tous, àl'envi, ont pressé leurs mai- sons les unes contre les autres, et même dans les vallées ; il en est résulté des causes actives d'insalubrité ; mais dans ce siècle en- core, les maisons des hameaux, dans le midi surtout, n'offrent à l'aspect, et en effective, que des huttes ou des grottes. En faisant connaître ici quelle était l'in- dustrie agricole des Gaulois au temps de César, on ne peut en séparer celle qui con- cernait leurs dépôts d'approvisionnemens ; on a déjà vu que, dans les siècles antérieurs, les Gaulois du nord et du midi se retiraient dans des cavernes ou des souterrains , dans lesquels ils cachaient leurs provisions , et qu'ils nommaient siris; mais il paraît constant (i) Nec cœmentontm aut t£gularum usus. (Tac.) (2) Suam quisquo doinum spatio circumdat. (Idem.) n 4 ( 337 ) qu'à l'époque où César fit la conquête des Gaules, il y avait néanmoins des édifices pour conserver les moissons pendantl'hiver, et que déjà même on avait adopté l'usage de faucher les prairies : c'est la guerre encore qui a causé cette innovation. Quoi qu'il en soit , César rapporte que Vercingentorix avait ordonné de détruire toutes les prairies, afin que les Romains ne pussent pas trouver de fourrages à couper (i). Varron, Diodore de Sicile, Columelle, n'hésitent point à affirmer que , long-temps après Auguste, les Gaulois étaient dans fu- sage de cacher et de déposer leurs provi- sions dans des souterrains, et qu'ils étaient communs dans la Provence et le Languedoc. Les Gaulois , si barbares , avaient pour les blés un mode de conservation bien plus cer- tain et mieux raisonné que tous ceux qui ont été imaginés par nos savans, pour préserver les grains des insectes et des avaries, tels que les étuvcs de Duhamel et des économistes; il consistait à faire des entrepôts d'épis de blé. Ce mode était excellent, surtout pour (i) Pabulum secari non posse. (Caes., 1. 7.) Agrieiil. des Gaulois. 2Î& ( 338 ) les épis du seigle, qui était le plus générale- ment cultivé (i). Les Gaulois, d'ailleurs, ne faisaient pas consommer la paille en fourra- ges. Les meules de gerbes, dans les pays de grande culture, se rapportent, pour le fond, à l'usage des Gaulois. Faisons observer, comme preuve et comme exemple , que , dans les temps de la terreur et du fatal maximum, on n'a pu conserver aucun dépôt de grains à nu dans les rochers, dans des coffres, ni dans les cheminées fer- mées, parce que les blés, et le froment sur- tout (à raison de sa substance, qui participe de celle animale ) , sont essentiellement fer- mentescibles. Rappelons maintenant à l'at- tention du lecteur le mode des Gaulois par les épis et les aires de gerbes ; opposons-les aux battoirs mécaniques pour faire profiter immédiatement de ses grains de moisson j rappelons les fosses souterraines ordonnées par la ville de Paris dans le faubourg du Roule ; les circulaires du ministre de l'inté- rieur (M. Decazes), écrites sous la dictée de M. de Lasteyrie ; rappelons les silos annuels et toujours merveilleux de Saint-Ouen, où, à (i) Spicas in horreis subterraneis reponunt. (Diod. de S.) ( 339 ) la face de l'Académie des sciences, on pro- clame, depuis cinq ans, le problême résolu de la conservation des grains mis dans la terre ; de même qu'à la face du gouverne- ment, s'il y en a un, du moins, pour admi- nistrer, on proclame la conquête de la chèvre du Thibet (i) , et les immenses trésors qu'elle vaut à l'industrie de la France. Nous traite- rons de chacune de ces choses aux époques relatives. Revenons aux Gaulois, avec lesquels il y a plus de satisfaction, parce qu'ils offrent plus d'intérêt par leur début, en ce qu'ils n'ont fait qu'apercevoir les premiers rayons de la science et les bienfaits des méthodes, tandis que l'intérêt, les intrigues et l'ignorance égarent les ministres , et trompent le public par des rapports faux et mensongers. (i) Il a €të démontre par M. Olivier, directeur, pour le gouvernement, de la ferme royale à Perpignan, que les chèvres dites de Cachemire e'taient à charge au gou- vernement. On les offre pour rien à Perpignan ; et on les vend fort cher à Salnt-Ouen : cette spéculation ne peut durer long-temps. Voyez tout ce qui a été dit et fait par les hommes de la science et du gouvernement, sur la misérable vinifi- cation de la demoiselle Gervais de Montpellier. (34o) Les Gaulois, au surplus, n'avaient pas besoin de faire de grands amas de grains, car ils en consommaient fort peu; les frumenta- cées, à bien dire, n'étaient qu'un véhicule dans leur régime, surtout pour la viande. Ils préparaient leurs blés au pilon, ou par la torréfaction , afm d'en faire des pâtes qu'ils faisaient cuire sur l'âtre des foyers. Le seigle, d'ailleurs, a été le premier grain que les Gaulois aient mis en pâte ; l'orge servait principalement à faire leurs boissons. Il importe trop, pour l'histoire même de la science, de faire connaître comment les Gaulois faisaient leur sel, sans lequel l'homme ne saurait exister, ou du moins prospérer. Leur procédé pour le faire, ou plutôt pour le suppléer, est digne d'intérêt, en ce qu'il fait connaître les divers tâionnemens de rhomme pour trouver les choses dont il a besoin. Ces premiers rudimens, quels qu'ils soient, sont du ressort de l'histoire. Pour obtenir une substance saline, les Gaulois faisaient de grands amas de bois , auxquels ils mettaient le feu; ils le dirigeaient de manière que les bois fussent mis en état de braises ; ils jetaient de l'eau saumâtre sur ces brasiers, qui, éteints et imprégnés de (34i ) celte eau, leur servaient de sel. Ce n'était pas le charbon qui salait, mais bien la cendre chargée de parties salines, dans lesquelles se trouve, après la combustion, plus ou moins de sel lixiviel ou alkalin. Ce procédé , sans doute, est digne de l'enfance de l'art; mais ne nous hâtons pas de le condamner. En i8i3, Tarmée française manqua de sel en Saxe , même auprès de Dresde ; elle eut beau- coup à souffrir de cette privation; on n'eut pas même l'idée, au milieu des bois, de recourir au procédé des Gaulois. Le manque de sel, a-ton dit, fut cependant une des causes qui y fit éclater tant de maladies. De nos jours, la physique a prouvé que le bois ne comportait pas de sel proprement dit. Pline lui-même a confondu le nitre ou le salpêtre avec la soude. Yoici, du reste, ce qu'en ont dit les écrivains célèbres du temps. Yarron, écrivain élégant et bon observa- teur, et qui en outre avait été général d'ar- mée, cite le mode des Gaulois pour faire le sel (i). Pline ajoute au même fait la désigna- tion des meilleures espèces de bois pour en ( I ) Cam exerciium ducerem , regiones accessi ubi salem , nec/ossiciumy nec niaritinium haberentj sed ex guibus-.. #* ( 342 ) obtenir. Tacite explique le mode en his- torien; il y fait intervenir les élémens (i). Agricola, qui a si bien observé les Gaules, a dit que, de son temps, les Gaulois avaient renoncé aux combustions salines, et que le sel marin commençait à parvenir dans l'inté- rieur des Gaules. Le luxe industriel pour les ornemens per- sonnels , date du premier âge de l'homme. Les sauvages, partout, en effet, ont porté des marques distinctives d'honneur et de bravoure ; les Gaulois mêmes, plus qu'au cun autre peuple de la terre, ont affecté des signes pour les dignités et pour les gran- deurs ; avec de tels sentimens , on s'étonne moins qu'ils aient fait de rapides progrès dans les arts qui se rapportaient au luxe des grands. Les tissus d'étoffes remontent pour eux à dam lignis combustis, çarbonibus saisis , pro eo iiterejitur. (Varr., 1. i, c 7.) Gallia, ardentibus lignis aquam salsam infundunl...,. quercus optimal alibi corylus landatur; carbo eliam in salem vertitur... ligno y sel niger est. (Plin., 1. 23.) (i) Salem provenire super ardenlem arborum stragem., ex conLrariis inLerse elemenlis , igné atque aqud concrelum (Xac, Ami. y l. i3.) (343) la plus haute antiquité. Les auteurs les plus anciens parlent du voile de lin sur lequel on exposait le gui sacré. Les Gaulois, qui se prétendaient descendre des Titans, portaient, comme les Spartiates, des bandes d'étoffe teinte en pourpre , parce que cette couleur avait été celle même des Titans. Les histo- riens étrangers rendent unanimement témoi- gnage de ces préférences et de leurs causes ; les prêtres et les guerriers , selon les rangs , se distinguaient par les étoffes de cette cou- leur, ou par un nombre de bandes détermi- nées pour chaque titre. La couleur pourpre est sans contredit la première quel'homme ait consacréeaux hon- neurs, et dont il ait teint les premiers tissus. Le fait seul que les Gaulois se distinguaient par cette couleur, prouve déjà que Tart de tisser du fil de laine ou de lin, remonte, à leur égard, aux siècles les plus reculés. Pline a généralisé, pour les Gaulois, l'art de tisser (i). Tite-Live a fait observer que les AUobroges avaient donné des étoffes à (i) Vniversœ Galliœ lexunl. (Plin.) Qui honorées gérant^ vestes Unctas atr/ue aiiro varie gU'^ tasj usurpant. (Strab.) (344) l'armée d'Annibal, quand il passa les Alpes. Strabon, toujours historien, confirme tous ces faits sur l'industrie des Gaulois. Les femmes des nobles Gaulois partici- paient également aux honneurs que détermi- naient les couleurs; les étoffes, cependant, que les femmes portaient, n'étaient pas, dans leur entière contexture, couleur pour- pre ; elles étaient seulement traversées par des fils de cette couleur (i). Les Gaulois avaient su trouver leurs prin- cipales couleurs dans le règne végétal ; ce fait, bien apprécié, devrait seul détruire les injustes préventions qu'on affecte contre les Gaulois. En ne signalant ici ce genre d'industrie qu'au temps de César, il faut né- cessairement en conclure une longue anté- riorité de science acquise , car la marche des lumières, pour les arts, comme pour les sciences, est toujours lente ou fautive; et dans le luxe dont il s'agit, l'invention n'est pas simple, mais composée. Après avoir dit que les Gaulois portaient ordinairement des habits de couleurs variées, César cite les insulaires bretons, qui, pour (i) Purpura variant, (Tac.) (345) se rendre plus horribles dans les combats, se teignaient le visage en bleu avec du pastel : voilà donc un peuple vraiment sauvage (i). Pline a dit aussi que les Gaulois savaient teindre leurs étoffes en plusieurs couleurs ; il y a un siècle à peine , qu'il eût été possible de connaître ces modes, et de découvrir les plantes qui servaient à ce genre de luxe. Il y avait encore un nombre considérable de val- lées où, à l'aide de certains végétaux, on teignait les étoffes d'une seule et même cou- leur. La chimie et le commerce ayant par- tout pénétré, l'antique simplicité a cédé peu à peu aux brillantes couleurs, au goût, et à des prix fort inférieurs. Les Gaulois attachaient beaucoup de prix aux couleurs éclatantes (2). Il paraît même que des couleurs spéciales, et des formes variées dans les vêtemens, faisaient distin- guer les grandes nations gauloises. Les Aqui- tains avaient adopté le rouge, les Celtes le (i) Gain iunicas coloribus intersllnctas... Britanni om- nes se glasto injiciunt , quod cœrideum inficit colorem at- que hoc horridiore in pugnd aspeclu. (Gaes., 1. 40 (2) Gallia herbis , tyrium , omnesque alios colores tingiL (Plin.) ( 346 ) l)leu , et les Ripuaires des bandes assorties , en blanc, bleu et rouge, ce qui ressemble beaucoup aux trois couleurs de la révo- lution. Pline attribue aux Gaulois l'invention* du savon (i), ce qui suppose encore une grande antériorité pour les tissus (2). Quant aux chaussures, les Gaulois, selon César, n'avaient que des semelles de bois, retenues par des lanières de cuir, autour du pied et de la cheville. Il est même probable qu'ils ne s'en servaient que dans les voyages ou les marches ; car, avant de s'abandonner au régime domestique, ils allaient pieds nus comme les Spartiates {puri Spartani discal- ceati. Callimaq. ), et la poitrine découverte. (i) Pline, toujours plus pressé de dire que d'expliquer, suppose ici une invention qu'il ne faut pas entendre par une composition pareille à celle des savons de commerce. Gomme les Gaulois s'exerçaient presque exclusivement sur les herbages pour trouver des ingre'diens, il serait plus pre'sumable de croire qu'ils avaient compose' un savon avec de l'argile bien fine et de la saponnaire, qui, en effet, nettoie et dégraisse bien les e'toffes. Pline se sera me'pris sur les rapports de ses correspondans : il a laissé bien des imitateurs. (2) Sapo, Galliarum hoc inventum. (Plin., l. 18.) ( 347 ) Cette dureté ou cette habitude à braver Tin- clémence des saisons, appartient à la na- ture et au premier âge de l'homme. Dans le dernier siècle encore, des pâtres de cer- taines contrées allaient constamment pieds nus. C'est encore l'usage dans le Morvan. Les Grecs paraissent être les inventeurs des semelles de cuir tanné. Notre expression , galoche, est celle même que César a donnée aux semelles de bois , soleœ gallicœ. Quoique les premiers vêtemens des Gau- lois appartiennent moins à l'industrie qu'à la nécessité, ils en font néanmoins partie. Ils étaientincontestablement faits avec des peaux d'animaux sauvages , garnies de leurs fou- rures. Tous les premiers peuples, d'ailleurs, se sont ainsi vêtus. L'habit de peaux, dans les siècles héroïques, était l'habit d'hon- neur (i). Indépendamment de ces habits, qui donnaient aux Gaulois un air sauvage et martial, ils disposaient encore leur cheve- lure de manière qu'elle restait fixée et roulée au-dessus de la tête (2); les casques des dra- (i) Solemnc heroibus pelles gcstare. (Apoll. de Rliod.) Eximius déco r , esl ternis horrcrc ferrarum . (Prosp . Aquit .} (2) Tune /lava rcpexo, Gallia crincfcrox. (Glaudian.) ( 348 ) •■ gons en sont encore une imitation. Il y avait donc alors une grande émulation à tuer des animaux féroces, afin de s'en parer dans les jours solennels. Sur ce point , les Gaulois n'ont fait que ce que faisaient les Scythes, les Lélèges et les premiers Bretons. N'imputons pas à barbarie les vêtemens des Gaulois; car, aux beaux temps de leur ré- publique, les Romains étaient habituelle- ment nus; on sait le mot du messager du sénat à Cincinnatus, qui, nu, labourait son champ (i). Les plus riches mêmes de la ban- lieue ne s'habillaient que lorsqu'ils venaient à Rome. Pour l'usage d'aller nu, les Romains justifient donc pleinement les Gaulois. Pro- perce n'a point cherché des tours de phrases pour en faire ressouvenir les orgueilleux Romains : Caria prœlexlo quœ nunc nitet alla senatu PeUilos habuit rustica corda patres. L'usage de se vêtir de peaux se prolongera chez les Francs, car, dans le treizième siè- cle, on verra des gens d'église ainsi vêtus. (i) Nudo... plenoque piilveris ore... cui... vêla cçrpus ^ inquil. (Plin., L i8.) >**'«' ( 349 ) Les habits des Gaulois variaient encore selon les climats et selon la coutume des lieux où ils avaient été élevés, et même selon les caprices de l'opinion de la part des chefs puissans. Là, ils étaient ouverts par le de- vant, afin de montrer des figures peintes sur la poitrine ; ici, ils découvraient leurs bras également peints, et ornés de figures d'ani- maux divers ; ailleurs , ils étaient simples et légers; plus loin, et surtout chez les Ripuai- res, ils étaient si étroits, qu'ils laissaient re- marquer toutes leurs formes (i). Les vêtemens du vulgaire étaient sans doute avec la même et triste uniformité qui signale partout la foule que le pouvoir as- servit, et que la misère accable ; pour ceux- ci, les vêtemens les plus habituels étaient faits avec des peaux d'animaux domestiques, sans autre différence que celle des jeux de la nature pour le poil ou la laine, ou celle des rapiècemens par lambeaux. Le département des Landes offre encore des restes de cette rustique vêture. Les habits des nobles Gaulois et ceux des druides avaient en général deux parties ( I ) Singulos artus exprimentc. (Tac.) ( 35o ) distinctes; la première couvrait immédiate- ment le corps et les membres; la forme , ou pi utô t l'application, en était strictement juste ; la seconde consistait en un manteau qui cou- vrait les épaules , et ne descendait que jus- qu'à la chute des reins (i). Les Gaulois aimaient beaucoup la parure; César en fait la remarque ; et d'autres auteurs moins dignes que lui de les apprécier et de les faire connaître, en ont tiré la consé- quence qu'ils étaient des sauvages sans lois et sans civilisation, parce qu'on les séduisait avec des étoffes brillantes , ou avec des li- queurs spiritueuses. Les femmes aussi portaient des habits de peaux, appliqués et ajustés aux formes du corps ; mais le manteau d'étoffe, par-dessus la vêture de peaux, était de rigueur pour elles; il était attaché sur l'épaule par une agrafe, mode que depuis, en France, on a nommée à la grecque on à la romaine, et que, très-probablement, les Grecs et les Romains nommaient^ la gauloise. Ces manteaux, or- dinairement de tissus de végétaux, étaient (i) Gain iunicas habent usque ad pudenda et nates. (Diod. S.) ( 35i ) passés ou chamarres en fils de couleur pour- pre, couleur chère, et consacrée par le rite et par la tradition en mémoire des Titans. Les femmes gauloises, réputées si barba- res , avaient pourtant le bon sens de dis- poser leurs vêtemens selon les formes de leur corps, et selon les destinations de la nature. Il était réservé aux femmes des pays chré- tiens de comprimer leur sein, que la simple raison et la santé commandent de laisser libre ou à l'aise, et pour lequel la pudeur même ne demande qu'un voile. Les femmes espa- gnoles d'un rang élevé exigent que leurs filles portent des corsets qui aplatissent la gorge, afin de leur éviter, de la part des prêtres , le reproche de mondanité : tant elles craignent d'ailleurs elles-mêmes d'être comparées à des femmes mercenaires, nourrices de leur mé- tier. Ce ton de mœurs a occupé également les dames de la France, où, il y a soixante ans, c'était une honte d'allaiter son enfant. Combien les chefs du sacerdoce chrétien et les médecins ont de reproches à se faire sur cette dégénération impie (i)! ( I ) Cet empire reprend en France. On a vu dernièrement un prédicateur en renom faire interdire la quête dans les ( 352 ) Comparons maintenant les différences de mœurs et de morale des femmes des Indes orientales, avec celles des pays où les fem- mes sont soumises au vouloir et à la pré- dication des prêtres et des moines. Dans ces pays, si riches, si beaux et si populeux, les femmes, au contraire, sont dans l'usage d'assortir à leur sein, dans leur toilette , des moules convexes, de bois léger, pour ne pas le déformer par la pression de leur vêtement. Voici comment les prêtres ellesmédecins de- vraient entendre et traiter la nature dans ses fins. Mais quel docteur a fait sentir les abus de ces modes qui tendent à donner aux fem- mes une taille de guêpe? Quel sermonneur privilégié a traité cette question physiolo- gique et morale à la fois? Quel médecin, se disant philosophe, a repris le texte de J.-J. Rousseau ? Les dames romaines, assujetties aussi, dans le principe de leur civilisation , à un mode sévère pour leurs vêtemens., se trouvaient hors d'état de pouvoir nourrir leurs enfans. églises, à des demoiselles à qui la nature avait accordé de la gorge, c'est-à-dire, un 'ein en e'tat de nourrir les en- là us. ( 353 ) baris l'opinion des grands et des riches dé Rome , il était du bon ton d'avoir des nour- rices mercenaires. Tacite en a fait la remar- que. Cependant, quand les femmes romaines eurent pris connaissance des modes des fem- mes gauloises, elles voulurent aussi en es- sayer, et se montrer en public, ne craignant ni le blâme ni les censeurs, puisque les che- valiers romains eux-mêmes affectaient de porter le vêtement des barbares Gaulois. Les dames romaines ne tardèrent pas à recon- naître que, sous la mode gauloise, elles of- fraient elles-mêmes plus de charmes, en dé- couvrant la gorge, l'épaule et le bras (i). La chevelure était encore un signe dis- tinctif des rangs ; les grands seuls pouvaient la porter longue, et garnie d'une pommade rouge, préparée avec des cendres de hêtre, et de la poudre d'or, ou plutôt avec du mica, qui en avait l'éclat et la couleur. Il ne faut rien moins que le témoignage de Pline et de Strabon, pour croire que les femmes gauloises se lavaient le visage et le corps avec de la levure de bière ou de l'u- (i) Nudœ bracchia ac lacertos , sed et proxima pars pectoris palet. (Tac.) Agriciii. des Gaulois. 23 (354 ) rine ; on ne peut les vsauver d'un tel reproche qu'en rendant, plus de dix siècles après les Gaulois , ce cosmétique commun aux femmes de la péninsule (i). Nous avons déjà vu que les Gaulois savaient travailler le fei: et l'airain ; mais leur industrie ne se bornait pas à la seule métallurgie , et c'est César encore qui en rend témoignage. Ainsi , ils savaient faire, avec beaucoup d'art, des boucliers , en n'employant que l'osier ou des écorces d'arbre (2). Pline leur attribue l'invention des tamis de crin (3). Ils avaient donc beaucoup de chevaux, et ils cultivaient donc des grains. Ce simple aveu de Pline est précieux pour l'histoire , car il suppose né- cessairement que ces tamis servaient à sépa- rer la fleur de farine des grains moulus ou torréfiés, et il donne en même temps une (i) Cantabn uniid in cisternis inveteratd lavanlur eâ qiie ipsâ dentés abslerganU (Strab., 1.5.) Celtiberi dentés et wiiversum corpus urina quotidièfri^ cubant. (Cluv.) (2) Scutis corticefacds aul viminibus inlexlis. (Caes., de Bell. GalL) (3) Ciihorum gênera , Galli , e celis cquoruni invenêre^ (Plin., 1. 18.) ( 355 ) haute antiquité à la culture des céréales dans les Gaules. La plus ancienne médaille gauloise portait l'empreinte d'une scie; si les Gaulois n'en sont pas les inventeurs, une telle médaille prouve du moins qu'ils avaient su en appré- cier l'utilité. Tout Rome convient que les Gaulois sont les inventeurs du vilebrequin (i). C'est là , au surplus, une idée mère, qui n'a pu appar- tenir qu'à un homme de génie. Yarron et Columelle en ont fait l'éloge pour la greffe par perforation; c'est encore une de ces er- reurs physiques sans cesse répétées , et dont aucun homme de pratique n'a vu des effets de succès, puisqu'on se borne à rappeler la seule perforation. Les Gaulois ont encore pratiqué des puits pour en tirer de la marne ou de la chaux (2), afin de fertiliser la terre. Ils avaient égale- ment découvert l'ochre, dont ils faisaient un {i)Nostra œlascorrexilut Gallicâuleretur tere^r^. (Plin.) (2) Inira Rhenum agros stercorant candidâ Jbssîciâ, (Varr., 1. i .) Gallia el Brilania invenére lerram qitarn vacant nmr^ gham. (Plin., l. 25.) ( 356 ) iP grand commerce. Jules-César dit qu'on en faisait venir duBerri. La meilleure de France, en effet, est à Vierzon. Les auteurs étrangers rendent témoignage que les Gaulois savaient travailler l'or (i), et même le réduire en fil de tissu. On a trouvé dans les champs d'Alise, un joug incrusté d'or. Ils savaient également travailler l'ar- gent (2). Les dames romaines se paraient avec des ornemens de femmes gauloises. Une industrie ainsi généralisée, prouve assez que les Gaulois étaient parvenus à une haute ci- vilis-ation. Cette conséquence est celle de la raison, appuyée par des faits, et c'est chez la nation française qu'elle est généralement repoussée et constamment niée. Voici en- core une des plus grandes preuves, ou de l'ignorance de l'histoire pour les choses qui nous concernent, ou de son inutilité pour corriger les hommes et les gouvernemens. ( Voyez les chapitres XII et XIII de mes Considérations sur l* Histoire. ) Tout ce que je viens de dire sur l'empire (i) Calvum aiiro cœla\^re; vestes aurovariegatas. {lit ^f Liv.) (2) Studiose argento circumcludunl. (Caes.) (357) desijaules, sur les climats, sur le culte, les mœurs, le régime de vie et l'industrie de ses peuples, doit suffire pour donner aux hom- mes de bonne foi et de raison éclairée, une juste idée de l'antiquité et de la civilisation relatives aux Gaulois. César et Tacite, dignes juges d'un si grand peuple, et que la triste médiocrité seule peut ne pas croire , ont dé- claré que les Gaulois avaient élevé leur édi- fice social sur les bases mêmes de la justice naturelle et de la liberté civile. Mais tout échoue contre l'immensité des hommes su- perficiels, et des pédans clercs et laïcs ; il suffit même aujourd'hui qu'un homme de bien, étranger aux académies, qui ne sont elles-mêmes que des coteries renforcées, ait passé une partie de sa vie à étudier l'histoire de sa patrie, dans ses origines, s'en explique avec candeur, pour que des échos et des ignorans le livrent à une critique ridicule; pour que des secrétaires-généraux du mi- nistère déplorable, osant se retrancher dans le cercle invisible de l'économie, aient re- fusé d'accueillir un tel ouvrage dans les bi- bliothèques de leurs maîtres. J'en conserve deux lettres qui seront historiques pour l'é- poque. ( 358 ) Paris et la France comptent beaucoup, d'hommes instruits dans les sciences et les lettres ; mais il est infiniment rare d'en trou- ver qui soient assez généreux ou courageux pour défendre un ouvrage de vérité et d'uti- lité publique. Cette coupable indifférence est plus forte à présent que dans les derniers siècles ; il faut absolument appartenir à uu parti, pour obtenir la moindre approbation. Cet état de choses est si fort, qu'aujourd'hui même, le livre de T Esprit des lois y ou le> Siècle de Louis XIV, par Voltaire, seraient en butte à tous les décris des gens de coterie ou de parti. On sait que le chef-d'œuvre de Montesquieu n'a commencé à être apprécié en France qu'après le témoignage de Ches- terfield, qui le signala au parlement comme, une œuvre de haute philosophie. Dans le monde, d'autre part, on aime bien mieux croire les faiseurs de calembourgs , que de s'enfoncer seulement pour vingt-qua- tre heures dans la lecture d'un livre qui pourrait désabuser ceux qui ne sont pas tout à fait parvenus à un état d'ignorance abso- lue. A Paris, dans les salons, on se contente d'un mot jeté par un académicien ou par un romancier, et ce mot croît et s'élève en ju- ( 359 ) 3gement universel, parce que chacun jure, atteste, sur la foi du maître, que l'ouvrage est sans mérite, sans couleur, et qu'il n'est, en définitive , qu'un amas indigeste qui rappelle les Saumaise et les Casaubon. ATAcadémie, le premier soin du secrétaire perpétiiél est de se faire informer s'il n'y a rien qui of- fense quelque membre ou quelques hommes du gouvernement; il lui faut une permission pour en parler, mais il ne lui en faut pas pour parler des langues orientales, ou des œuvres des étrangers : ceci est une doctrine étabhe. Il faut donc beaucoup de courage pour persister dans une résolution qui n'a d'autre mérite que celui d'être utile par l'histoire. Je terminerai ces tristes et trop réelles réflexions sur les Gaulois, par le témoignage de J.-B. Le Mantouan, qui, sans doute aussi, avait bien étudié l'histoire des Gaules. Sa poésie, et les vers que je transcris ici, écra- sent tous les quolibets des Millin et de ses dignes confrères, en même temps qu'ils ré- vèlent à M. Fourrier le vide de son discours sur l'expédition d'Egypte : Gallia feri acres animos et idonea hello Corpora^ non illis ausil componcrc se se ( 36o ) Thracia, quœ martem geniùt, non ParLhia^ versis Quœ bellatur eqids /ugîens Quas génies olim non contrivére per omnem Invecti Europam; quasi grando, aquilone vel austra Jmportare gravi passim sonuere tumuHu? Scit Romanus PannoneSy œniatii norunt; scit Delphica rupes; Iniravêre Asiœ fines, propè Uttora pond. In gentem crevére novemque tenditur usquè Ad juga pamphilûm Servire jugumque. . . Ferre, negant. Pro patriâ , pro cognatis, pro regibus ire In pugnam et gladios mortique occumbere dulce est^ (36i ) ^V\'%'VVV%/V%'VVV%'VV%rVVVV\'%'%/%'«/\V%«/YV«/WV«/VVVVWW%4*^ ■^r PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY DG Rougier, Jean Baptiste 62 Histoire de l'agriculture s H78 des gaulois, depuis leur origine jusqu'à Jules-Geaar I T Vi -±i*i;'-iï-'**^ 1^^