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HISTOIRE
DE LA
LIBERTÉ RELIGIEUSE
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HISTOIRE
DE LA
LIBERTÉ RELIGIEUSE
EN FRANCE
ET DE SES FONDATEURS
PAR
J.-M. DARGAUD
Ciediili , [ii'ojiler quoJ Inculus siiin Ps. cxv.
TOME TROISIEME
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PARIS
CHARPENTIER, LIBRAl HE-ÉDITEUR
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1859 -
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HISTOIRE
DE
LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
EN FRANCE
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ET DE SES FONDATEURS
LIYPtE YINGT-SEPTIÈME
Ligue des princes du Midi. — Pie V. — Philippe IL — Mort d'Éli- sabelli, reine d'Espagne. — Meurtre lent et barbare accompli par Philippe sur don Carlos. — Supplices des comtes d'Egmont et de Horn. — Larmes du duc d'Albe. — Ses succès contre les Nassau. — Mauvaise foi de Catherine de Médicis avec les protestants. — Guerre imminente.
Coligny n'avait jamais eu plus besoin qu'au prin- temps de 4568 de ses facultés complètes contre la ligue des princes du Midi. Cette ligue était flagrante. Elle ne pouvait pardonner à la cour de France la paix signée avec les calvinistes.
Pie V, ce pontife exterminateur, gourmandait en bourreau Catherine de Médicis. Il écrivait à Charles IX : c( En nulle façon et pour nul motif, il ne faut user de clémence envers les novateurs. Nul respect humain touchant les personnes ou les choses ne vous doit induire en lu pensée d'épargner les ennemis de Dieu m. 1
2 LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
qui n'ont jamais épargné ni Dieu ni vous-même. Que tous ces hommes soient livrés à de justes supplices. »
Voilà les conseils, les injonctions qu'un pape, un vieillard, adressait, du haut de la chaire de saint Pierre, au frénétique adolescent qui occupait le trône de saint Louis.
Philippe II, de son côté, prêchait de parole et d'exemple. 11 ordonnait et il pratiquait les exécrahles théories de Pie V. Il les appliquait dajis toute l'étendue de ses royaumes et jusque dans sa famille, au fond de son palais d'Atride orthodoxe et inquisiteur.
Il avait immolé don Carlos (1568), le fils de son premier mariage.
Le 18 janvier, un peu avant onze heures du soir, le comte de Lerme s'était ghssé dans la chambre du prince dont les portes avaient été dégarnies des ver- rous qui servaient à les fermer. Le comte marcha sur la pointe des pieds, afin de ne pas réveiller le lion endormi. Il s'empara, avec mille précautions, des pistolets, des épées, des dagues, des arquebuses ca- chés sous le chevet ou suspendus autour du lit. Cette besogne faite, il s'assit sur un coffre qui contenait d'autres armes. Il n'attendit pas longtemps. Ruy Gomez, le duc de Féria et d'autres favoris de Phi- lippe II s'introduisirent dans l'appartement de don Carlos. Le roi les suivait. Tous étaient vivement émus; Philippe II était impatient. Don Carlos som- meillant toujours, le roi ordonne de le secouer. Le prince reconnaît son père et s'écrie : « Je suis mort. ■ — Je ne suis pas venu, dit Philippe, pour vous as- sassiner, mais pour vous faire rentrer dans le de-
HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. -3
voir. Puis il montre sous le lit de son fils une cas- sette pleine de papiers. 11 commande à deux servi- teurs d'emporter la cassette dans son oratoire, laissa, le prince au secret sous la garde de six gentilshommes, et se retire à pas lents.
Philippe était-il jaloux de son fils, comme roi et comme père? Trouva-t-il, ou feignit-il de trouver dans la cassette la confirmation de ses soupçons et de ses craintes? Quoi qu'il en soit, le bruit courut qu'il avait lu des lettres adressées par les rebelles des Pays-' Bas à son fils, et une correspondance avec la reine qui ne souffrait aucun doute sur la passion mutuelle de don Carlos et d'Elisabeth.
Le roi catholique n'hésita pas à sévir. La môme année, et à quelques mois seulement de distance, don Carlos, après un jugement de l'inquisition, et Elisabeth de France, sans jugement, tous deux mal- heureux , opprimés, autrefois promis et toujours fidèles l'un à l'autre, périrent au même âge, à vingt- trois ans, dans la fleur de la jeunesse, « le prince par le lacet ou le poignard, on l'ignore, et la reine par le poison. »
Telle est la légende. L'histoire, qui n'invente rien, qui conjecture avec prudence, en sait un peu plus, mais elle ne sait pas tout.
Il y a deux mystères : un mystère d'amour et un mystère de mort. Scrutons-les un peu.
Quelque temps après l'arrivée d'Elisabeth à Ma- drid, l'évêque de Limoges rend compte à sa cour « du gracieux et affectueux accueil » fait par la reine d'Espagne à don Carlos. Les visites du prince à sa
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belle-mére sont dès lors aussi multipliées que le per- met l'étiquette. Quand il sort de chez la reine, dont les conversations l'enchantent, il murmure tout haut contre son père par lequel il a été si barbarement supplanté. Extrême comme ill'est, il paraît avoir aimé sa belle-mère d'une vive tendresse. Dans une lettre à Catherine de Médicis, une des dames françaises de la suite d'Elisabeth écrit : « La royne (Elisabeth) et la princesse (Juana, sœur de Philippe II) soupent bien souvent en un jardin qui est auprès du palais, et le prince (don Carlos) avec elles, qui aime la royne, singulièrement, de façon qu'il ne se peut rassasier d'en dire du bien. Je croys qu'il voudroit estre da- vantage son parent. »
Le sentiment de don Carlos, si exclusif et si exces- sif, était probablement de l'amour, comme l'insi- nue finement la correspondante de Catherine de Mé- dicis.
La reine répondait-elle à ce sentiment.? Elle était charmante pour le prince, elle lui donnait les plus sages conseils, elle le protégeait, le soignait, le plai- gnait. Lorsqu'il fut arrêté, bien que cette arrestation, au bout de laquelle était la déchéance, sinon le sup- plice, ouvrît la succession de la couronne d'Espagne aux propres enfants d'Elisabeth . elle pleure pendant deux jours. Fourquevaulx, l'ambassadeur de France, assure que Philippe fut obligé de défendre à la reine de pleurer plus longtemps. Elle versera encore d'abon- dantes larmes sur la tombe du prince, dans le cachot duquel elle avait essayé vainement de pénétrer. Néan- moins aucun document sérieux n'autorise à conclure,
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soit qu'elle ait partagé l'amour du prince, soit que Philippe II ait été jaloux d'Elisabeth.
Il est vraisemblable même que , loin de tramer le meurtre de sa femme , le roi l'aima sensuellement, comme tant d'autres femmes, et la regretta.
Pour la reine , elle se loua jusqu'au dernier soupir de son « bon mary « et elle expira tenant dévotement une relique de la vraie croix, garnie de perles, que Phi- lippe lui avait envoyée, afin de lui alléger le sacrifice.
Le seul témoignage qui démente un peu le bon- heur domestique d'Elisabeth et qui trahisse un ennui caché, c'est l'allégresse de la mort qui la saisit dans sa maladie suprême. « Jamais, dit-elle à l'ambassa- deur français , jamais appréhension ne m'a causé moins d'anxiété que celle de la mort. » Elle ne redoute pas la mort, elle lui sourit plutôt, et semble l'embras- ser comme une délivrance.
Catherine eut des ombrages. Elle chargea Four- quevaulx de faire une enquête secrète sur les circon- stances qui précédèrent la fin d'Elisabeth. Elle-même, très-accessible au crime, le supposait tout d'abord chez les autres et Philippe était son pareil.
J'incline à penser toutefois qu'Elisabeth n'est pas ce qu'en a fait la légende : une Phèdre chrétienne. L'histoire aussi doit au roi de l'inquisition la justice qu'il a refusée aux hommes. Il est presque démontré qu'il ne fut pas coupable d'un attentat sur Elisabeth. 11 ne la soupçonna, ni ne l'empoisonna. Les accusa- tions d'un courtisan hâbleur comme Brantôme, et d'un ennemi invétéré comme le prince d'Orange , ne sont pas des preuves.
1.
6 UXTxE VINGT-SEPTIEME.
Mais s'il ne tua pas sa femme Elisabeth, Philippe II tua certainement son fils don Carlos.
Ni M. Théodore Juste, un historien belge, ni M. Prescott, un historien américain, aidé, à travers l'Océan, par les recherches assidues de son ami don Pascual de Gayangos, professeur d'arabe à l'univer- sité de Madrid , lequel a fouillé toutes les archives de l'Europe et principalement celles de Simancas, ni les autres historiens modernes n'ont infirmé le fond de la tradition. Elle s'est trompée, cette tradition, sur les détails, mais elle a eu raison sur le fait même. A cet égard, la tradition n'a pas été autre chose qu'un verdict d'instinct, rendu par les peuples, à la manière d'un jury, qui devine, dans les ténèbres, ce qu'il ne distingue pas et qui arrache souvent, avec une saga- cité merveilleuse, par une logique naïve la vérité ensevelie sous la nuit des consciences.
Don Carlos est maladif , capricieux , violent. Une chute le prédispose presque à la démence, ou, du moins, le rend de plus en plus fantasque, de plus en plus explosible. Que fait le père? Il aigrit son fils par des gouverneurs , par des domestiques placés auprès de lui comme autant d'espions. Quelles nobles quali- tés n'avait-il pas cependant, le pauvre prince!
Il était intrépide; il méprisait les bouffons , la toi- lette et les joyaux. Il était d'une générosité, d'une charité sans bornes. « Qui fera l'aumône, disait-il, si les princes ne la font pas. » Ses conversa,tions abon- daient tehement en sages maximes que soi) précep- teur en composait un recueil. Sans .parler de sa tante Juana , de sa belle-mère, la reine Elisabeth, il
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était chéri de ce bon précepteur, depuis évêque d'Osma, qu'il appelait mélancoliquement : « mon meilleur ami dans cette vie. »
Détesté de son père, au contraire, environné d'of- ficiers dévoués à Philippe II, poussé à bout, ses excentricités redoublent. Il écoute, en même temps, les révoltés des Pays-Bas. Son indulgence pour eux devient de la faveur, presque de la complicité. Alors le roi d'Espagne, qui a peu à peu amené don Carlos au point de compromission où il le désirait, éclate. 11 le confine dans une tour, avec douze hallebardiers, qui stationnent aux portes de cette tour maudite.
C'est comme rebelle au roi et à l'Église que don Carlos est enfermé à jamais. A jamais, c'est le mot implacable de Phihppe.
Le prince est confié à la garde de Ruy-Gomez. Parmi les gentilshommes geôliers, deux s'installent toutes les nuits dans l'appartement de don Carlos, l'un veillant, l'autre dormant. Le prisonnier est tou- jours sous des regards hostiles. Il a , pour toute dis- traction , un bréviaire et quelques sombres livres de dévotion , désignés par Philippe II. Personne n'est admis auprès du prince, qui est là vivant, comme s'il était mort.
Llorente, qui avait compulsé et feuilleté bien des manuscrits, pense que Philippe II laissa entrevoir ses intentions de meurtre au cardinal Espinosa, grand inquisiteur, età Ruy-Gomez, prince d'Éboli, les seuls juges de don Carlos avec un conseiller royal, Bri- biesca de Mùnatones, le rédacteur de l'acte d'accusa- tion. Sur ces ouvertures du roi catholique, Ruy Go-
8 LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
mez parla à Olivarès, médecin de don Carlos. Olivarès comprit à demi-mot. En exécution de la sentence mystérieuse de l'inquisition et de Philippe II, il ad- ministra sans scrupule, le 20 juillet, à son malade, un purgatif infaillible-, après quoi le prince consen- tit à se confesser.
De Thou assure que Philippe IT , ayant obtenu de l'inquisition la sentence contre son fils, ordonna, pour sauver son honneur et l'honneur de l'héritier de la couronne, de lui faire avaler un bouillon si habi- lement composé , que le prisonnier mourut en quel- ques heures.
Antonio Pérès, qui appartenait à la maison deRuy- Gomez , affirme, à son tour, que le roi obtint de l'in- quisition une condamnation capitale, et, qu'afin d'é- viter tout scandale, un poison effîccice, quoique lent, fut mêlé, pendant quatre mois, aux aliments du prince.
L'ambassadeur français, Fourquevaulx , appuie en quelque sorte cette révélation. Un mois après l'arres- tation, il dit : « Le prince devient visiblement plus maigre et plus décharné-, ses yeux s'enfoncent dans sa tète. On lui donne quelquefois des soupes, où sont dissoutes des substances nourrissnntes avec de l'am- bre, pour l'empêcher de perdre entièrement ses forces et de tomber en décrépitude. Ces soupes se font en secret, dans la chambre deRuy-Gomez, d'oii l'on entre dans celle du prince. »
Yoilà des probabilités terribles , surtout si l'on songe à la pohtique de l'inquisition et au tempéra- ment de Philippe IL
Les confidences, même les plus favorables en ap-
HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE. 9
parehce, celles du ministre de Toscane et du nonce, ne sont pas moins accablantes. Selon ces relations, Philippe II ne tue pas d'un seul coup son fils par la main d'un scélérat; il le conduit, par l'isolement de la captivité, à la frénésie d'abord , puis à des intem- pérances de régime , puis à une tristesse que centu- plent le défaut d'exercice , le choix , infernalement calculé, soit des lectures, soit des gardiens-, enfin, rhypocondrie entière se déclare, et la mort ne tarde pas. Elle est précédée de la confession. Cette circon- stance réjouit Philippe II. Il fait transporter celui qui fut don Carlos au couvent de Saint-Domingo-Réal ; il règle froidement le convoi et regarde passer, d'une fenêtre du palais, le corps de son fils.
Cette dernière version, qui est celle du ministre de Toscane et du nonce, n'atténue pas la détestation qu'excite le roi d'Espagne. L'inquisition est sa com- plice, le pape est son approbateur. Le cardinal Espi- nosa et Pie V avaient applaudi à un emprisonnement éternel, le seul efficace. « Sa Sainteté, écrivait de Rome à son maître l'ambassadeur de Philippe II, Sa Sainteté loue beaucoup le parti pris par Votre Majesté, car elle sait que le maintien du christianisme dépend de ce que vous puissiez vivre un grand nombre d'années et avoir un successeur qui marche sur vos traces. »
Philippe II , dans celte hypothèse , et malgré les bénédictions soit du pape, soit du grand inquisiteur, n'en est pas moins un abominable parricide. Sa haine vaut poison, corde ou poignard. Il n'a pas assassiné une fois, mais vingt fois don Carlos. Il a été l'auteur d'une agonie longue, poignante, lugubre, au bout de
H) LIVUE VINGT- SEPTIÈME.
laquelle il y avait un terme certain, la mort. Ce terme, il l'a prévu, préparé, marqué d'avance, sans un sen- timent de pitié , de regret ou de remords. Il a con- sterné la nature, la religion , la conscience , le cœur de tous les pères, de tous les hommes.
Son acharnement, l'acharnement de Philippe II, torture au delà même de la tombe don Carlos. Il abandonna cette noble mémoire aux calomnies des historiographes et des flatteurs. Il fit plus. Lui, qui avait enlevé à son fils vivant Elisabeth de France, fiancée du jeune prince , il enleva à son fils mort Anne, fille de Maximihen, fiancée également à. don Carlos 5 double attentat d'indélicatesse et presque d'inceste, bien digne de ce roi moine, qui n'aima dans le monde que l'Église étroite, le pouvoir absolu, les voluptés brutales et les auto-da-fé, ses feux de joie.
L'inquisition se félicita du forfait de Philippe IL Elle était de moitié dans ce forfait. C'est elle qui avait dirigé le bras du souverain barbare contre un fils exalté mais généreux, contre l'héritier des Espa- gnes et des Indes. Elle se sentit par là plus puissante. Son audace s'en accrut. Unie désormais à Philippe, elle n'hésita pas un instant a mettre les Flandres hors la loi (1568). Après un prince, — tout un peuple. Quelle proie à dévorer !
Le duc d'Albe était fait pour comprendre Phi- lippe II et l'inquisition. Il les représenta fidèlement dans les Pays-Bas. Il s'arma de toutes les terreurs. Il inaugura le plus prompt et le plus terrible des despo- tismes, le despotisme militaire au service d'une théo- cratie rovale.
HISTOIRE Bfe LA LIBERTE RELIGIEUSE. îl
ïl nomma un conseil des /roubles , un tribunal de sang, el tribunal de la sangre. Ce conseil ne recula devant aucune atrocité. L'esprit du concile de Trente, l'àme de l'inquisition, de Philippe II et du duc d'Albe étaient dans chacun de ces juges impitoyables.
Ceux qu'on soupçonnait de protester, même en secret, contre les bûchers, ou de croire qu'un roi est lié envers ses sujets par son serment, étaient con- damnés sans miséricorde. Les gibets des carrefours et les arbres des chemins rompaient au poids des ca- davres. Les .roues et les claies s'usaient sous les sup- plices. Philippe II , pour varier et se désennuyer des flammes, en avait inventé un qui consistait à lier par kl tète et par le genou les prétendus coupables et à les jeter ensuite dans des cuves d'eau.
Tout était permis aux soldats. Ils pillaient, ils tuaient les hommes, les enfants, les vieillards. Ils violaient les femmes, les vierges, et puis ils les fixaient à la place même de l'outrage en les perçant de lon- gues épées, qu'ils enfonçaient jusque dans la terre. Des jeunes filles qui accouraient demander la déli- vrance des leurs furent vues couvertes du sang soit d'un père , soit d'un frère , qu'on leur lançait par dérision au visage.
Tant d'excès monstrueux provoquèrent chez les uns la stupeur, chez les autres l'indignation et la ré- volte. Il y eut des menées pour soulever le peuple. Des libelles circulèrent avec de l'argent. Le duc d'Albe puisa dans ces mouvements sourds des pa- triotes une inspiration nouvelle. II avait jusque-là sacrifié la quantité-, il résolut d'atteindre la quuUté,
12 LIVRE Vingt-septième.
Philippe II ne l'avait-il pas devancé dans cette voie ? Après le sort de don Carlos , qui oserait se plaindre d'être touché par le bourreau ?
Le duc saisit corps à corps la noblesse. Il fit exé- cuter Gilbert et Théodore de Batenbourg, Pierre d'Andelot et quinze autres gentilshommes. Ni Jean de Montigny, ni de Villiers, ni Quintin Benoît, ni Corneille de Nieen ne furent épargnés. Le dictateur aspirait plus haut.
Les comtes d'Egmont et de Horn étaient prison- niers depuis neuf mois dans la citadelle de Gand ; dix compagnies espagnoles eurent ordre de les conduire à Bruxelles.
Le comte de Horn était un Montmorency. Son bis- aïeul , Jean de Montinorency-Nivelle , avait quitté Louis XI pour le duc de Bourgogne, et perdu ainsi sa situation en France, où son frère puîné, Guillaume de Montmorency, père du fameux connétable, devint le successeur de la baronnie de Jean. Horn , descen- dant de si grands ancêtres, et proche parent par sa mère du comte d'Egmont , s'était distingué comme volontaire aux batailles où d'Egmont s'était illustré comme général. Ils s'aimaient fraternellement. Ils avaient l'un et l'autre quarante-six ans. Le comte de Horn était l'un des plus grands seigneurs de l'Europe et le plus riche des Pays-Bas.
Le comte d'Egmont, d'une maison où il y eut neuf chevaliers de la Toison d'or, ne le cédait à personne pour la naissance. Il s'était marié à Spire avec Sabine, comtesse palatine, duchesse de Bavière. Ses témoins avaic:nl clé ua empereur et un roi , Churles-Quint et
HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. 13
Philippe II. Il avait vaincu le connétable de Montmo- rency et le maréchal de Thermes dans ces deux jour- nées décisives de Saint-Quentin et de Gravehnes. Il était adoré de la comtesse sa femme, honoré de son souverain, admiré de tous ^ le premier dans le cercle de la famille, le premier sur le champ de bataille, le premier à la cour, le premier dans les rues et dans les églises de Bruxelles. Il ne pouvait sortir sans être re- connu, suivi, applaudi. Sa grâce était communicative autant que sa générosité. Sa popularité était plus que de l'estime, plus que de l'enthousiasme ; c'était de l'amour.
Ce fut sa faute irrémissible. Souhaiter pour ses chères Flandres une liberté modérée, soit religieuse, soit politique, ne pas renier Guillaume d'Orange, ne pas approuver l'inquisition, telles étaient les accusa- tions, tels furent les prétextes contre lui.
Le 4 juin, le duc d'Albe, comme capitaine général et juge suprême du conseil des troubles dans les Pays-Bas, prononça l'arrêt de mort de ce grand comte d'Egmont, qui était de la même promotion que lui à la Toison d'or, par qui si souvent il avait été éclipsé, et dont le nom lui était odieux.
« Tout bien considéré, Son Excellence déclare le comte d'Egmont convaincu d'avoir favorisé la ligue et abominable conjuration du prince d'Orange et d'autres seigneurs des Pays-Bas.
(( Son Excellence condamne, pour crime de lèse-
majeslé, et de rébellion, le comte d'Egmont à être
décapité par l'épée; ordonne Son Excellence que la
tête du comte soit mise en lieu haut et public afin
m. 2
•14 LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
d'être aperçue de chacun , et qu'elle soit là, et que personne ne l'ôte, sous peine de la vie-, ordonne, en outre, la confiscation de tous les biens de ce cou- pable, meubles et immeubles, droits et actions, fiefs et héritages. »
L'empereur Maximilien, les états de Brabant, les chevaliers de la Toison d'or, les villes libres d'Alle- magne, les électeurs, la duchesse de Parme elle- même, intercédèrent en vain auprès du duc d'Albe. Martin Rithove, archevêque d'Ypres, le confesseur du comte d'Egmont , se prosterna aux pieds du duc , embrassa ses genoux, l'implorant avec sanglots pour une victime si glorieuse. Le duc demeura inflexible.
Le confesseur désolé retourna auprès de son péni- tent et ne lui cacha pas ce qui l'attendait.
« La sentence est rigoureuse, dit le comte, et le juge implacable. Je pensais avoir mérité du roi d'Es- pagne une autre récompense, m
C'était le o juin. D'Egmont demanda des plumes, du papier et de l'encre. Dans une tendre prévision d'époux et de père, il s'adressa humblement à Phi- lippe II :
« Sire, j'ai entendu ce matin la sentence qu'il a plu à 'Votre Majesté de décréter contre moi; et com- bien que jamais mon intention n'ait été de rien pratiquer contre votre couronne , ni contre notre vraie, ancienne et cathohque religion, si est-ce que je prends en patience ce que le Seigneur mon Dieu m'envoie. Et si j'ai, durant ces troubles, conseillé ou toléré quelque chose qui semble autre, ce n'a tou- jours été qu'avec une droite fidélité envers Dieu, et
HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. 15
Votre Majesté, et pour la nécessité du temps. Pour quoi je prie Yotre Majesté me le pardonner et avoir pitié de ma femme, de mes enfants, de mes servi- teurs, vous souvenant de mes actions passées; et sur cet espoir, je vais me recommander à la miséricorde de Dieu,
« De Bruxelles, prêt à mourir, le 5 juin 1368. » Après cette lettre, le comte en écrivit une autre à sa femme, une lettre navrante de tristesse, brûlante de passion et toute pleine d'une poignante angoisse. Quand il eut apposé son seing à cette effusion der- nière, l'agitation intérieure éclata. Le comte essaya de prier, mais la douleur était trop forte-, elle l'op- pressait et offusquait tous ses sens. En cette tempête de sa vie, il fléchit aux larmes comme lorsque la pluie se mêle au tonnerre et aux éclairs dans un orage. Enfin, ne pouvant maîtriser le débordement de ses affections, de ses sentiments, de ses regrets, et, dans un saisissement inexprimable, il conjura qu'une exé- cution moins tardive sauvât son âme d'elle-même et la préservât du désespoir.
Son vœu fut exaucé. Le comte était à midi sur la place du supplice. Un appareil sombre l'entourait. Le visage de ses anciens compagnons d'armes, de ceux qu'il avait menés à la victoire, était lugubre comme le spectacle auquel ils présidaient. Plusieurs pleu- raient au risque d'être dénoncés au duc d'Albe. Le comte d'Egmont, tout vêtu de son propre deuil, libre de liens, avait recouvré sa grâce accoutumée. Il por- tait des bottines de chamois bronzé, des hauts-de- chausses et un justaucorps de damas cramoisi , un
16 LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
manteau de velours noir, un chapeau de taffetas noir orné de plumes noires et blanches. Il avait à la main un mouchoir brodé par sa femme. Sa dé- marche était lente, son air majestueux, son sourire doux. Il salua le peuple, les bourgeois, les soldats, les officiers. Il paraissait martial comme avant une bataille, mais je ne sais quelle ombre tragique obscur- cissait la beauté de ses traits. On sentait qu'au lieu d'aller à la fête du combat, il marchait aux indignités de l'échafaud. Il y monta bravement, et franchit le drap noir qui en couvrait les planches jusqu'à l'autel funèbre qu'on y avait dressé. Il se dépouilla lui-même de son manteau, s'agenouilla sur un carreau de ve- lours, rabattit son chapeau devant ses yeux et prit le crucifix qu'il baisa en disant le psaume In mamis; comme il le recommençait avec un redoublement de ferveur, le coup du bourreau l'interrompit, et la tête du grand comte d'Egmont roula dans le sang sous l'épée de vengeance.
On enveloppa d'une draperie noire ce noble corps. Le comte de Horn, un peu plus tard, montant à son tour, demanda si c'était là son parent , son ami , le comte d'Egmont. « C'est lui, répondirent les gardes. — Ah! s'écria le comte de Horn, c'était donc ainsi que je devais le revoir. » Puis, s'adressant à la foule : « Apprenez, dit-il, par notre destin, quelle servitude vous est réservée. »
Le comte de Horn s'avoua coupable comme homme devant Dieu, mais irréprochable devant Philippe. Il mourut avec la fierté d'un soldat et avec l'aisance d'un grand seigneur.
HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. i^
Ces deux têtes presque royales furent placées sur (les bassins et exposées plusieurs heures au milieu de la multitude profondément consternée. Elle était sur- tout blessée au cœur par l'immolation du comte d'Ei^mont, son favori. Son horreur était si vive, si intense, qu'on aurait pu prédire dès lors ce qui allait se dérouler dans ce peuple héroïquement reli- gieux : trente ans de guerre civile et la perte des Pro- vinces-Unies pour cette ambitieuse et cruelle maison d'Autriche. Les masses contenues par les soldats flot- taient dans une rage muette. Des gémissements tra- hissaient çà et là^ par instants, Témotion générale. Quelques patriotes parvinrent à s'approcher de l'écha- faud et en coupèrent le bois par petits morceaux, pour le conserver, comme on conservait des reliques de la sainte croix. D'autres trempèrent leurs mou- choirs dans le sang des victimes.. Marie de Montmo- rency, la sœur du comte de Horn, et Sabine de Bavière, l'épouse du comte d'Egmont, enfouirent dans leur âme leur douleur, comme un trésor-, elles rejetèrent toutes distractions, tous plaisirs du monde et ne voulurent jamais être consolées.
La postérité demeure éternellement touchée. Elle maudit les meurtriers, elle bénit les deux comtes dé- capités. D'Egmont surtout l'intéresse. Moins il se ré- fugie dans une insensibilité superbe, plus il s'aban- donne à la nature, plus il attache et pénètre. Son cœur l'emporte, le domine à ses derniers moments et crie plus haut que son orgueil. Il est peut-être trop humain et pas assez stoïque. Il serait facile de l'en blâmer-, il serait facile à l'historien qui a fouillé tant
18 LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
(l'archives et qui a prêté l'oreille aux révélations de Simancas, de dévoiler bien d'autres faiblesses et plus d'un manège de courtisan-, mais le ciel me garde d'appliquer au comte d'Egmont une autre justice que celle due aux martyrs. Il aima la liberté, Guil- laume d'Orange et les Flandres, il repoussa de sa pa- trie l'inquisition. Cela suffitàPhilippe II pour le vouer au supplice^ que cela nous suffise aussi pour le rele- ver, pour appeler sur son tombeau la reconnaissance des hommes.
Le duc d'Albe, disent des historiens récents, écri- vit à Philippe II en faveur du comte d'Egmont.
Quelle bonté! Oui, il écrivit, mais il ne doutait pas delà réponse 5 oui, il écrivit des insinuations, des balbutiements de clémence, mais il avait fait arrêter celui pour lequel il semblait intercéder, — il l'avait condamné iniquenjent, — il le détenait en prison, — il le livrait au billot!
Ah! que les historiens recueillent tout ce qui est à la décharge des oppresseurs, c'est leur devoir -, seule- ment qu'ils ne soient pas dupes des tartuffes de sceptre et d'épée qui ont écrasé le inonde. Qu'ils ne prennent pas trop au sérieux la commisération du duc d'Albe pour la pauvre comtesse d'Egmont, veuve par lui !
« Madame d'Egmont me fait grande compassion pour estre mère de onze enfants, et, elle, dame si principale, comme elle est, sœur du comte palatin, et si vertueuse, catholique et exemplaire, qu'il n'y a personne qui ne la regrette. »
Et ce n'est pas tout. On ne tarit pas sur la sensibi- lité du duc d'Albe. Les archives mêmes de la maison
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d'Orange en témoifrnent : « Son Excellence le duc d'Albe a jeté des larmes aussi grosses que pois , au temps que l'on était à ces exécutions. »
Vraiment, rien n'est plus édifiant. Attendons-nous, sur ces petits textes nouveaux, à bien des tentatives de réhabilitation. C'est du grand prévôt de Philippe II que l'on aura pitié dorénavant. Il a plaint, il a pleuré. Je vous l'accorde ; mais, k votre tour, accordez-moi qu'il a tué. Il a pleuré. Lous XI aussi , et Catherine de Médicis, et Torquemada pleuraient. Phihppe II pleura lorsqu'il apprit aux membres de son conseil l'arrestation de don Carlos. Tous ces tyrans sont fa- ciles aux larmes. Les larmes chez les despotes endur- cis sont quelquefois une hypocrisie, quelquefois une détente nerveuse. Regardez les mains-, elles sont rouges; leurs mains répandaient le sang, tandis que leurs yeux versaient quelques larmes, — des larmes diaboliques.
Je ne dis rien de trop. Moi qui ai usé aussi mes yeux sur tant de documents souvent inédits, j'en- gage les adulateurs posthumes du duc d'Albe et de Philippe II à chercher, et ils trouveront. Qu'ils inter- rogent les sources et surtout les papiers Granvelle, et ils y liront ces mots précurseurs delà hache :
« Le progrès des opinions nouvelles est le pro- grès du satanisme. » (De Vargas au cardinal Gran- velle.)
« Depuis la mort de M. de Guise , les bons ont perdu courage en Flandre. Le remède est aussi pres- sant qu'indispensable. » (Le cardinal Granvelle à Philippe II, mars loC^j tome VU.) « M. d'Egmont
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est amoureux de la fumée. » (Le cardinal à Philippe, juillet 1363; tome VU.)
<( Chaque fois que les dépêches de ces trois sei- gneurs (le prince d'Orange, les comtes d'Egmont et de Horn) me passent sous les yeux, elles excitent ma colère de telle sorte, que si je ne fiiisais tous mes efforts pour en calmer l'élan , les idées que j'expri- merais à Votre Majesté lui sembleraient celles d'un frénétique. »
C'est le duc d'Alhe qui adresse ces lignes à Phi- lippe II (octobre 1563, tome VII).
Il ajoute : « Il faut dissimuler jusqu'à ce qu'on puisse leur couper la tôte. »
Voihà comment en 1363, cinq ans d'avance, le duc d'Albe recommandait à Philippe II les comtes d'Eg- mont et de Horn, qu'il fit exécuter en 1368! Mainte- nant que l'on disculpe les agents du roi d'Espagne, que l'on constate les larmes du duc d'Albe; — mais que Dieu les juge.
Capitaine autant que tourmenteur, le duc d'Albe, après ces barbaries et ces tragédies machiavéliques, chercha Ludwig de Nassau qui avait battu à Heyli- gherlée en Frise le comte d'Aremberg. Albe atteignit ce belliqueux frère du prince d'Orange près de l'em- bouchure de l'Ems, et dispersa son armée. Il tintavec une même vigueur en échec le Taciturne, qui, man- (|uant de vivres et d'argent, fut contraint de passer la frontière de France.
Un mot de l'un des familiers de Philippe II peint bien toutes les craintes qu'inspirait Guillaume d'O- range à l'Escurial. Quand le cardinal Granvelle ap-
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prit l'exécution des comtes d'Egmont et de Horn : « Ce n'est pas mal, dit-il ; seulement tant qu'on n'aura pas le Taciturne, rien ne sera fait. »
Le Taciturne s'était mis en sûreté dans son comté natal. Le duc d'Albe , furieux de ne pouvoir frapper le grand citoyen, eut recours à une ruse infernale pour épouvanter le père. Il s'empara du fils aîné de Guillaume qui étudiait à l'université de Louvain et l'envoya comme otage en Espagne, où le pauvre ado- lescent, pendant vingt-huit années de captivité, eut presque le temps de devenir vieillard.
Les ministres de Philippe négocièrent ensuite au- près du prince d'Orange sa rentrée en grâce et la h- berté de son fils, si le prince embrassait la bonne cause.
Guillaume ne se laissa ni séduire, ni effrayer. Il persista dans le calvinisme auquel il s'était rallié, pour mieux se séparer de l'Espagne , pour mieux s'i- dentifier aux victimes et aux martyrs. Après le dé- sastre de son frère Ludwig de Nassau et sa propre re- traite en France, rien ne le dompta. Ses mercenaires allemands qu'il était dans l'impuissance de payer, il les licencia, décidé d'ailleurs à se ranger sous les dra- peaux de Condé et de Coligny jusqu'à de meilleurs jours.
Il estimait prochaine la levée de boucliers des chefs huguenots.
Catherine de Médicis faisait de la paix de Longju- meau une imposture. Sa politique, à cette date, était de constituer son fils d'Anjou chef des catholiques. Dans cette visée, elle leur permettait tout. Philippe II,
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Pie V, l'ambassadeur espagnol, le nonce et le cardi- nal de Lorraine poussaient la reine mère sur cette pente. Elle subissait ces influences et cédait aux vents de guerre qui soufflaient soit des Pyrénées, soit des Alpes. Toutes les violences fanatiques étaient impu- nies et redit de pacification insolemment violé. La. persécution coulait à pleins bords.
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Les huguenots assassirn^s. — L'étlit de pacification déchiré. — Condé et Coligny se plaignent. — L'Hôpital les soutient. — Disgrâce du chancelier. — Sa terre de Vignay. — Ses habitudes, ses travaux , ses appréhehsions. -^ Condé et Coligny au château de Noyer&. — Ils partent avec leurs familles et se rendent à La Rochelle. — La reine de Navarre et ses entants les y rejoignent. — D'Andelot, La Noue, Montgomniery arrivent à leur tour. — Troisième guerre civile. — Supplice de Bahelot. — Coligny veille à la discipline de l'armée, Jeanne d'Albret à l'éducation de ses enfants autant (pi'aux afl'aires de la religion. — Plutarque. — Amyot. — Henri de Bourbon.
Les prolestants, fidèles et pasteurs, furent bafoués, insultés à la porte des prêches. Ceux (pii refusèrent de tendre leurs maisons , au passage des processions de la Fête-Dieu, étaient maltraités; il y en eut même qui furent briilés sur place dans un bijcher construit avec leur propre bois par la plèbe , en présence des moines et des magistrats.
La noblesse était décimée comme la bourgeoisie et le peuple.
Philibert de Rapin, un gentilhomme du prince de Condé, ayant été dépêché à Toulouse par le roi , afin de presser Venregistrement de l'édit de pacification, le parlement, qui détestait ce messager huguenot, aposta contre lui de faux témoins et le condamna à mort, sur leurs dépositions. Il fut exécuté publique- ment à Toulouse.
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Le comte de Cipierre, qui revenait de Nice, fut massacré dans Fréjus avec trente-cinq de ses gens. Son propre frère, le comte de Sommerive, le héros des catholiques de Provence, avait soudoyé les assas- sins.
Plus de deux mille calvinistes furent égorgés du- rant cette paix sanglante. La cour dansait au récit de tant de meurtres. Les parlements ne poursuivaient pas les coupables. Les prêtres absolvaient les crimes elles criminels dans l'ombre des confessionnaux, puis les célébraient dans la splendeur des fêtes religieuses, du haut des chaires sacrées.
Condé et Coligny écrivirent au roi-, ils écrivirent à la duchesse de Savoie pour qu'elle détournât Cathe- rine de Médicis d'une indifférence apparente qui était une complicité réelle.
Le chancelier de L'Hôpital seconda les chefs hu- guenots auprès de Charles IX. Il supplia le jeune mo- narque d'avoir pitié de son royaume, en réprimant les actes intolérables des catholiques et en exigeant d'eux, ainsi qu'il convenait à son équité, le respect de l'édit de pacification. « Là est le salut, s'écria le chancelier de L'Hôpital, le salut de vos sujets et de Votre Majesté. Ailleurs est le péril, la ruine peut-être de votre Etat et de votre dynastie. L'édit observé, Sire, c'est la paix maintenue, le droit préservé; mais au contraire, l'édit violé, c'est le chaos, c'est l'abîme ou s'engloutiront toute liberté, toute cha- rité, toute vertu et, je le crains, toute autorité. Oui, Sire, la guerre civile, ce fléau des fléaux, osera tout contre vous-même; et si le trône des Valois pou-
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vait jamais être balayé , si les fleurs de lis pouvaient être déracinées de la terre de France, ce serait par la guerre civile, »
Le chancelier développa ces raisons de mille» ma- nières. Il revint souvent à cette question suprême. Il la soulevait à propos, tantôt glissant avec adresse, tantôt insistant avec chaleur, selon le loisir et l'hu- meur du roi. L'Hôpital avait l'éloquence mâle de la conscience, la voix persuasive du cœur, l'accent vibrant d'une poitrine pleine de commisération. A force d'entretenir son jeune maître, le chancelier le convainquit. Charles était spirituel comme un artiste. Quand il avait martelé une armure dans sa forge, vaincu plusieurs adversaires au jeu de paume, tué beaucoup de gibier à la chasse , au milieu de l'épui- sement où jettent les violents exercices du corps, le roi sentait le besoin d'égayer ou d'éclairer son es- prit. C'était presque toujours le moment des courti- sans frivoles. C'était quelquefois aussi le moment des hommes graves , des savants , des poètes , des huma- nistes, le moment des ministres d'État, le momf "t du chancelier.
Ce grand serviteur de la liberté religieuse en pro- fitait pour faire luire un rayon , ou pour émouvoir une pitié ou pour provoquer un sentiment généreux. Charles IX écoutait, et le chancelier parlait; il par- lait soit avec fermeté, soit avec onction , attentif au sourire ou au froncement de sourcils du roi et propor- tionnait ses discours aux caprices de cette organisa- tion mobile. II tâchait d'insinuer plus que de prouver, combinant les circonlocutions et, sous les ménage-
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meiits, marquant d'un trait sa pensée virile. Les lè- vres de L'Hôpital, ces lèvres d'airain contre le cardinal de Lorraine, étaient de miel pour Charles ÏX. Par cettetactique sans cesse répétée avec l'obstination de la verlu qui accomplit un devoir, et avec la souplesse du génie qui veut réussir, le chancelier entraîna le roi. Charles, sous la pression de ce grand magistrat, s'ouvrit à la reine sa mère et lui déclara qu'il fallait à tout prix faire exécuter l'édit de pacification. Ca- therine devina L'Hôpital dans les recommandations du roi. Elle qui aspirait à recommencer la guerre, afin de plaire aux catholiques et de les rallier autour de son fils d'Anjou , fut blessée des remontrances se- crètes du chancelier. Elle l'avait maintenu jusque-là contre le désir de Philippe H et de Pie V, de l'ambas- sadeur espagnol, du nonce et des Guise. Mais, dès qu'il contrariait sourdement la politique de la guerre, elle oublia les services passés du grand homme de bien qui avait toujours été d'ailleurs un censeur im- portun, quoique respectueux.
Elle continua de faire bon visage à L'Hôpital, at- tendant une circonstance propice. Cette circonstance se présenta bientôt. Tandis que les calvinistes avaient licencié leurs auxiliaires allemands , la reine mère avait conservé ses troupes françaises, ses mercenaires suisses et italiens. Elle avait besoin d'argent pour les faire agir et elle en demanda au pape. Pie V se hâta d'accorder à Charles IX la permission d'aliéner des biens d'église jusqu'à la concurrence de cinquante mille écus d'or de rente, à la condition expresse que le produit de ces ventes fût destiné « à l'œuvre sainte
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de l'extermination des hérétifjues. « L'Hôpital com- battit dans le conseil cette bulle impie , et s'opposa énergiquement au scandale d'une telle publication. La reine saisit cet instant. Elle laissa entendre au chancelier que ses opinions compromettaient la cou- ronne et que sa présence n'était plus agréable. L'Hô- pital était supérieur à la disgrâce. Il s'y résigna vite et donna sa démission. Il se retira dans son petit châ- teau de Vignay, près d'Étampes. La reine vit sans regret partir ce grand citoyen, ce gardien vigilant et intègre des trois choses que les cours aiment le mieux à violer : la liberté, les lois, et les finances. Le ressentiment de tous les voleurs publics, le fa- natisme, la haine, lui firent cortège, le couvrirent d'imprécations, et sifllèrent à ses oreilles des vers ou- trageusement satiriques. L'Hôpital ne s'irrita d'au- cune insulte-, car tomber sur une question divine, être précipité du fauteuil fleurdelisé de chancelier en défendant la tolérance religieuse, celte cause de toute sa vie, lui semblait une faveur du ciel. Le roi n'empêcha point le remplacement de L'Hôpital et l'abandonna lâchement. Catherine eut Tapproba- tion de son fils en reprenant les sceaux à fexilé de Vignay. L'Hôpital les renvoya sans proférer une plainte.
Sa sérénité fut néanmoins un instant troublée par la vision claire de ce que deviendrait la justice, quand Morvilliers, un faible cœur, et Birague, un scélérat, lui auraient succédé. Ce fut une vision terrible et l'àme de L'Hôpital en fut agitée comme l'eau que le forgeron traverse d'un fer rouge-, cette grande àme
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bouillonna d'abord en considérant la France, puis elle s'apaisa en se considérant elle-même.
L'Hôpital ne désertait pas son poste- il se retirait malgré lui-, il pouvait donc jouir sans remords des loisirs que la fortune lui faisait.
Le cbàteau de Vignay n'avait rien de féodal ni de menaçant; il était plutôt modeste et rustique. L'Hô- pital l'avait bâti lui-même en 1562, avec une simpli- cité conforme à ses goûts et à la médiocrité de sa terre. C'était une résidence de magistrat et non de seigneur. L'Hôpital acbeva de meubler cet humble château en l'occupant définitivement, lui, sa femme et ses petits-fils. Sa fille unique devait y demeurer presque toujours et son gendre, Robert Hurault, y habiter aussi souvent que le permettraient ses fonc- tions de maître des requêtes et de membre du grand conseil.
L'Hôpital transporta sous ce toit tranquille sa bi- bliothèque de Paris. Elle était riche en monuments de jurisprudence, en commentaires, soit imprimés, soit manuscrits , sur toutes les législations anciennes et modernes. Elle abondait aussi en poètes, en ora- teurs, en historiens et en philosophes. L'Hôpital n'é- tait point exclusif , malgré cette belle spécialité des lois à laquelle il s'était voué. Son esprit, profond comme la métaphysique du droit, était vaste comme l'encyclopédie de son siècle, ailé comme la poésie an- tique. Son caractère s'élevait sans effort à la hauteur de l'idéal. Il y avait en lui plusieurs génies dont la fusion le constituait, et qui l'ont fait égaler tantôt à Épictète, tantôt à Papinien, tantôt à Horace. C'était,
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selon nous, quelque chose de moins dans certaines facultés, mais dans l'unité même de cette exquise nature, c'était je ne sais quoi de plus vertueux, de plus rare, que tous ces émules. La rhétorique , si ce n'est l'envie , abuse des comparaisons pour humilier un grand homme , et l'histoire les écarte pour les restituer- Les comparaisons pèchent toujours. Il ne faut pas comparer le chancelier de L'Hôpital: il vaut mieux le comprendre, l'admirer et, s'il se peut, l'i- miter.
Pourquoi me taire, quand mon cœur déborde? Après une telle accumulation de jours , de mois et d'années, j'éprouve pour cet homme vénérable une reconnaissance que les siècles ne peuvent affaiblir. Ah! c'est qu'il est l'un de nos meilleurs ancêtres. Le cardinal d'Esté le déclarait orthodoxe: d'autres l'ap- pelaient calviniste-, d'autres juif, d'autres p^ïen. Rien de tout cela n'est vrai. Sa conviction est plus pure, plus sublime. Dégageons-la de tout ce qu'il a fait, écrit et dit. C'était un théiste chrétien. Que signifie cette confession ? Le voici : il n'était pas chrétien selon la lettre^ il était chrétien selon l'esprit, ou, en d'autres termes, théiste avec la tradition et ses sou- venirs sacrés, théiste avec la vie future et ses espé- rances immortelles. Voilà les croyances de L'Hôpital et voilà les nôtres. Seulement, il était avant, et nous sommes après la révolution française. Notre affirma- tion s'est enhardie, s'est agrandie sans s'abdiquer. Nous écoutons vibrer directement en notre âme la corde de l'infini et nous interprétons tout avec la rai- son, cette grâce de Dieu en nous, cette lueur toujours
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vive, cette révélalion toujours ancienne et toujours nouvelle dans le monde. Nous continuons le seizième siècle en l'éclairant, le dix-septième en l'affranchis- sant, le dix-huitième en le désarmant. Psos circon- stances étant meilleures, nous sommes des philosophes plus pieux que nos prédécesseurs révolutionnaires, libres penseurs comme eux, autant qu'eux, mais avec l'injure de moins et la prière de plus.
L'Hôpital est l'un de nos sages ^ aussi l'accom- pagnons-nous avec une respectueuse tendresse dans cette retraite de Vignay, toule pleine encore de sa vertu.
11 s'y organisa vile unetahlissement.il distribua dans les appartements quelques objets d'art -, entre autres, une Thémis en marbre par Jean Goujon , son propre portrait, ceux de sa femme et de sa fille par François Clouet. Ces œuvres, probablement offertes en don au chancelier, relevaient la rusticité de cette résidence de Vignay dépourvue de luxe. Le nécessaire était par- tout, le superflu nulle j)art. Et encore ce nécessaire du seizième siècle ne suflirait p^s à la bourgeoisie du dix-neuvième. Il y avait une pénurie de tapis, de ten- tures et même d'argenterie. L'argenterie se compo- sait d'un certain nombre de couverts et d'une sahère que j'ai mentionnée déjà. Telle était la magnificence du plus grand chancelier et de l'un des plus grands hommes de l'histoire.
L'Hôpital travailla dès les premiers jours de son installation. Il composait tour à tour un traité sur le droit, et les annales de son temps-, ouvrages perdus et àjamais regrettables. Il improvisait des vers latins
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dont l'abondance toujours élégante et un peu diffuse n'est pas sans parfum. Mais ce sont là les moindres titres du chancelier, qui, comme législateur et comme apôtre de la tolérance religieuse, est digne, par ses ordonnances et par ses laborieuses luttes, de servir d'éternel exemple à la postérité.
Stoïque pour lui-même, L'Hôpital était singulière- ment tendre à sa fille unique, doux à son gendre, à ses petits-fils, à ses serviteurs. Il entourait sa femme à toute heure de sollicitude et d'affection. L'homme était d'accord en ce point avec le chancelier. Il avait de beaux projets de législation sur le mariage. Il ne voulait pas diminuer les devoirs de la femme-, il vou- lait augmenter ses privilèges. « La mère des enfants, l'épouse est sacrifiée, disait-il. J'ai toujours désiré lui faire dans la loi une part plus large. Chez les peuples primitifs et chez les Orientaux, elle est une chose. En Grèce, dans le Gynécée, elle est une ser- vante^ hors du Gynécée, une courtisane; à Rome, elle est plus ou moins une concubine. Sous le chris- tianisme, elle doit être non plus une esclave, mais une compagne, une compagne de nos labeurs et de nos périls : Laborum periculorumque socia. »
Voilà les sentiments, les maximes de L'Hôpital.
il étendait sa bienveillance au delà de sa maison. II visitait les fermiers, les serfs de ses domaines. Il les aidait à acheter leur bétail, à cultiver leurs champs. Il honorait et protégeait les laboureurs. 11 admirait cette disposition du vieux code béarnais : « que la paix soit avec le villageois et que ses instruments ara- toires ne puissent être saisis. »
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Quoi de plus touchant que les promenarles de ce vieillard imposant? On n'avait pas cessé de l'appeler M. le chancelier, et on le reconnaissait de loin à sa taille un peu voûtée, à sa barbe blanche, à ses vête- ments noirs. Quand des seuils agrestes, les enfants avertissaient leur mère qu'ils l'apercevaient, c'était une fête dans les chaumières. Car, en passant , il ré- pandait autant de pièces de monnaie que de bonnes paroles. Il secourait et il consolait à la fois.
Il était affectueux avec les animaux autant qu'avec les hommes. Il leur donnait à manger de sa main et leur parlait amicalement. Il caressait les vaches et les béliers de ses étables, comme les gentilshommes, leurs chevaux, leurs chiens et leurs faucons. . Il estimait la justice sainte et la miséricorde plus sainte que la justice, mais il vivait dans un temps où il n'y avait ni justice, ni miséricorde. De là le pli de douleur marqué entre ses deux sourcils par tous les crayons et par tous les pinceaux qui ont reproduit son image. Il avait scruté le fond des cœurs et il son- geait avec effroi aux pièges réciproques, soit de la cour, soit des partis. Il s'aifligeait de son courage rendu inutile, de ses puissances d'action désormais sans emploi au milieu des catastrophes qui s'ourdis- saient dans l'ombre. Toutes ces méditations sinistres faisaient de son repos champêtre un orage intérieur de guerre civile; et ce n'était pas trop des bénédic- tions du pauvre, des embrassements de la famille, des charmes de l'étude, des élans de la ferveur, pour ra- mener un calme très-court dans la grande âme de L'Hôpital. Ses craintes renaissaient incessamment de
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ses efforts si souvent trompés, et de son expérience infaillible.
Tandis qu'il se consumait ainsi à Vignay dans de si cruelles prévisions, Condé se tenait <à Noyers avec une petite garnison de cent hommes d'armes. Noyers était un château à quelques lieues d'Auxerre, près de la rivière de Serein, dans un pays de vignes et de montagnes. Cette terre, apportée en dot par madame la princesse, pouvait être défendue quelques semaines, mais elle pouvait encore mieux être cernée et amenée au bout de peu de temps à capitulation.
Condé, qui ne se dissimulait pas sa faiblesse, entre- tenait une vigilante correspondance politique et mili- taire. Tous ses amis les mieux instruits le conjuraient de se méfier de la cour. Ce qui transpirait des des- seins de la reine mère était redoutable. Elle espérait une revanche éclatante du coup de main de Meaux. Elle était sur le point de jeter un immense fdet où elle comptait prendre tous les chefs du protestantisme. Les rôles étaient distribués. Tavannes s'emparerait en Bourgogne de Condé et de Coligny, Montluc, en Gascogne, de la reine de Navarre et de son fils; d'autres capitaines surprendraient M. d'Andelot en Bretagne, et le cardinal deChàtillon dans son évêché de Beauvais.
Ces nouvelles étaient parvenues à Coligny aussi bien qu'à Condé. Coligny, que nous avons laissé à Chàtillon, avait quitté cette résidence pour Tanlay, château de d'Andelot, plus fortifié que Chàtillon et plus rapproché de Noyers.
Le prince de Condé s'était réjoui d'une proximité
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qui lui permettait de se concerter plus efficacement avec l'amiral. Le danger croissant toujours, il avait supprimé toute distance , et Coligny, sur les pres- santes sollicitations du prince, avait élu domicile à Noyers.
Tandis que ces héros se préparaient à rompre l'oi- siveté de l'épée, les ministres des Églises secouaient la torpeur de l'esprit. Ils parlaient dans les clairières des forêts , dans les antres des rochers, et leurs dis- cours étaient recueillis comme chez les anciens les feuilles de la sibylle.
Cependant Catherine redoublait de protestations d'amitiés et d'hostilités occultes.
Un soldat fut trouvé dans la douve du château de Noyers. Il mesurait la profondeur des fossés et la hau- teur des murailles; il s'avoua espion et convint qu'il était chargé de donner des renseignements pour fa- ciliter l'escalade de la résidence du prince. Quatorze compagnies de cavalerie et autant d'infanterie furent envoyées dans les environs de Noyers qui était à peu près investi. Coudé et Coligny recevaient en même temips courriers sur courriers de leurs amis qui les suppliaient de se mettre en sûreté. Ils comprirent qu'il n'y avait point un moment à perdre pour leur départ.
Ils rédigèrent néanmoins encore une lettre au roi. Cette lettre n'était qu'une longue accusation contre les Guise, auxquels ils imputaient toutes les calamités passées et présentes, et sur lesquels ils appesantis- saient la responsabilité de tous les événements fu- turs. Le cardinal de Lorraine, le plus haï des Guise, y était aussi le plus attaqué et le plus menacé. Un
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secrétaire du prince fut chargé de ce message. €ondé et Coligny eurent soin de répandre partout qu'ils at- tendraient à Noyers la réponse du roi.
C'était un stratagème. Ils s'échappèrent précipi- tamment et mystérieusement du château de Noyers, le lundi 23 août 1568.
Rien n'est plus émouvant, dans l'histoire de ces discordes civiles, que tant de grandes destinées se li- vrant volontairement à la merci de tous les hasards et de toutes les catastrophes pour reconquérir la li- berté de conscience. C'est un spectacle auguste, digne des bénédictions de Dieu et bien propre à susciter soit l'enthousiasme, soit l'émulation des générations les plus lointaines.
Catherine de Médicis avait scandaleusement violé le traité de Longjumeau et elle aggravait le crime de son parjure par un attentat simultané contre tous les chefs du protestantisme. Ceschefs magnanimes étaient forcés à la fuite devant les trahisons royales et sacer- dotales.
Le prince de Condé quitta Noyers avec une escorte de cent cinquante chevaux. Il emmenait sa femme enceinte et trois petits enfants soutenus dans les bras de leurs nourrices tout en pleurs. Coligny et sa fa- mille étaient du voyage. Sa fille déjà grande donnait à tous l'exemple de riiéroïsme et se montrait, sous les grâces de l'adolescence , une Romaine comme sa mère, la fière Charlotte de Laval, dont elle portait le deuil. Madame d'Andelot se trouvait là aussi avec un de ses lils à peine âgé de deux ans.
Toute la grandeur et tout l'avenir du calvinisme
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étaient dans cette troupe si faible par le nombre, si admirable par le courage, par le génie et parle rang. Elle traversait une France ennemie. Serrée de près par les soldats de Catherine, elle pouvait d'une heure à l'autre tomber entre leurs mains. Elle marchait ra- pidement, troublée quelquefois par les gémissements des serviteurs et des servantes, par les cris des en- fants, toujours rassurée par la voix ferme et par la calme attitude des deux héros qui la dirigeaient.
Les fugitifs passèrent la Loire en face de Sancerre, à un gué qu'un paysan leur indiqua. Ils devaient être infailliblement atteints ce jour-là par les soldats de Catherine , dont la course n'était pas embarrassée comme celle des huguenots. Une crue subite de la Loire sauva les chefs calvinistes. Les catholiques fu- rent arrêtés par le fleuve. Condé et l'amiral y virent une protection du Dieu des armées. L'abîme des eaux qui, dans les temps bibliques, s'était refermé sur les cavaliers de Pharaon, venait de s'accumuler devant les pas des persécuteurs. Un pasteur du saint Evan- gile s'écria que ce n'était pas seulement un secours qu'ils avaient reçu d'en haut, mais un bon présage pour toute la guerre et un signe de malédiction ^ur le Pharaon du Louvre.
Louis de Bourbon et ses amis arrivèrent à La Ro- chelle, le 18 septembre.
La reine de Navarre les y rejoignit bientôt. Elle était accompagnée de sa fille Catherine et de son fils Henri de Béarn. Ce jeune prince pétillait de feu, de gaieté et d'esprit. Jeanne semblait heureuse et in- quiète des fougues de ce héros de quinze ans. Partie
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(le Nérac, elle conduisit à La Rochelle, malgré Mont- luc, quatre mille Gascons.
D'Andelot, qui avait rallié Montgommery, La Noue et plus de trois mille soldats, soit Bretons, soit Nor- mands, soit Angevins, entra aussi, après beaucoup de vicissitudes, à La Rochelle, rendez-vous de toute la noblesse prolestante. Le cardinal de Chàtillon, poursuivi dans sa maison de plaisance de Brelé, près de Beauvais, s'évada sous un déguisement. Ne pou- vant traverser les détachements de l'armée royale qui interceptaient les routes de La Rochelle, il gagna un port de la Manche, loua un bateau de pécheur, et, sur cette frêle embarcation , aborda en Angleterre où il fut l'ambassadeur naturel du calvinisme.
La cour avait échoué partout. Elle s'élait flattée de surprendre tous les chefs protestants, et aucun n'était à sa merci.
Elle essaya encore quelques hypocrisies avec les huguenots; puis, jetant le masque, elle fulmina l'in- terdiction de toute autre religion que la religion romaine, sous peine de la vie et des biens. Tous les calvinistes furent déclarés incapables des fonctions publiques, et ceux qui voulurent garder ou obtenir des places durent Jurer qu'ils vivraient et qu'ils mourraient dans le catholicisme.
Très-peu se soumirent à ce serment. R n'y eut presque point d'apostats, mais il y eut beaucoup de croyants intrépides. « Ce sont les forts entre les forts d'Israël, » disait l'amiral.
Condé eut bientôt douze mille hommes sous ses ordres. R s'empara de Parihenay, de Saintes, deFon-
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t€nay-le-Comte, de Niort, des principales places de l'Angoumois, de la Saintonge et du Poitou. Blaye se rendit aussi aux huguenots. En même temps, vingt mille volontaires du Midi accouraient à l'appel des chefs protestants. Ces volontaires avaient élu pour général Jacques de Crussol, baron d'Acier. C'était un hardi capitaine, qui, selon le goût de la renais- sance, s'était fait peindre, sur sa cornette verte, en Hercule exterminant une hydre aux mille têtes de moines, d'évêques et de cardinaux. Une de ces têtes, la plus risible, était censée représenter le pape.
Le baron d'Acier s'avançait un peu en désordre. Il entra en Périgord, dans l'intention de se rallier à Condé et à Coligny. L'un de ses lieutenants, qui com- mandait les Provençaux, le téméraire Mouvans, se laissa surprendre , et tailler en pièces par Timoléon de Brissac et par le jeune duc de Guise, qui, sous le duc de Montpensier, s'efforçaient d'empêcher la réu- nion des protestants du Midi et des protestants du Nord. Malgré la défaite de Mouvans, d'Acier mena ses troupes à Aubeterre, d'où le duc de Montpensier s'éloigna (30 novembre 1568) aux approches de Condé qui se hâtait avec toute sa cavalerie. Après la jonction du baron d'Acier et du prince de Condé, l'armée protestante s'élevait presque à trente mille hommes. L'armée catholique dépassa de beaucoup ce chiffre", lorsque le duc de Montpensier se fut replié sur le haut Poitou, et qu'il eut rencontré le gros de î'armée royale dont le duc d'Anjou était le généralis- sime officiel, et Tavannes le vrai général.
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La campagne s'écoula en petits sièges, en évolu- tions indécises, en escarmouches partielles.
Elle fut aussi atroce que peu glorieuse. Une ven- geance des protestants ouvrit toute une série d'autres
vengeances.
Le prince de Condé, afin de s'assurer un gué de la Loire par l'occupation d'un château qui dominerait le fleuve, avait cerné Champigny. Ce n'était pas la viile qui lui importait, c'était la forteresse. L'une et l'autre furent hien défendues. Le courage des habi- tants et des soldats était enflammé par les exhorta- tions de Babelot , chapelain du duc de Montpensier. Babelot, un cordelier, avait déserté son couvent pour l'armée catholique. Il haïssait profondément les héré- tiques, et se montrait impitoyable envers eux. II usait et abusait de son influence sur le duc de Montpensier pour le pousser au massacre des captifs. Beaucoup de huguenots prisonniers avaient été les victimes de ce cordelier féroc'e et de ce duc implacable. Les calvi- nistes les abhorraient tous deux, mais le cordelier plus que le duc. Il y a dans les excès d'un prêtre je ne sais quoi de plus révoltant que dans les rigueurs d'un capitaine et le sang souille plus hideusement la soutane que la cuirasse. Les huguenots, qui auraient été cléments pour le chef militaire, ne le furent pas pour le moine.
Quand ils apprirent que Babelot était à Champi- gny, ils ne se possédèrent plus. Ils se ruèrent d'une telle ardeur, qu'ils emportèrent du même élan la ville et le château. Ils cherchent Babelot et le trou- vent caché dans l'église. Us le saisissent, l'entrainent
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jusqu'au prince de Condé qui leur abandonne le moine en épargnant tout le reste, bourgeois et soldats. Con- tents de leur proie , les huguenots montent vers la forteresse, poussent devant eux le malheureux Babe- lot et le pendent à un long gibet dans la première brutalité du triomphe.
Condé crut être miséricordieux en sauvant la ville et en ne livrant qu'un moine coupable. Cette exé- cution qu'il aurait pu empêcher fut un tort et une faute. Le pardon, meilleur en morale, eût été plus habile en politique. Il eût adouci les âmes et créé des représailles d'humanité , au lieu de déchaîner des représailles de meurtres. Indigné du supphce de son chapelain , le duc de Montpensier rendit mort pour mort. La guerre à ce moment néfaste devint si cruelle, qu'on l'appelait la mauvaise guerre . On ne respecta plus ni pactes , ni lois. On promettait la clé- mence, puis on se parjurait pour ravager et pour tuer. On ne se faisait plus de guerre. La guerre était un carnage.
Navré de tant d'horreurs, Coligny employait la vigueur de son caractère non-seulement à conjurer les barbaries, mais à prévenir les rapines en les pu- nissant.
Ce grand tribun de Dieu , toujours à cheval , tou- jours dans la sédition des idées, portait l'amour de la règle parmi les camps insurgés du calvinisme. Les plus belles ordonnances sur la discipline ap- partiennent à son génie organisateur et rien ne le faisait plus souffrir que l'anarchie , soit militaire , soit politique , soit religieuse, Mais il aimait encore
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mieux traverser cette anarchie que de vivre dans le faux ordre qui naît du despotisme sacerdotal ou mo- narchique. L'ordre, pour lui, c'était l'harmonie de tous les droits divins et humains-, c'était le respect de la liberté, de la conscience, de la prière indivi- duelle et collective. Il veillait attentivement à ce que les promoteurs de cet ordre qu'il aspirait à réaliser ne le violassent par aucune infraction.
Il était juste contre les soldats, sévère contre les chefs les plus influents.
Dans une capitulation , il avait reçu à composition les ennemis. Tous, nobles et vassaux, pouvaient se retirer avec armes et bagages. La convention s'exé- cuta bien, mais il y eut un scandale.
M. de Pluviau, l'un des chefs protestants, ayant re- marqué les chevaux d' un seigneur catholique, les exa- mina quelques minutes avec admiration, s'en éprit, et dit à ses gens de les emmener. Etonné et offensé d'une telle spoliation, le seigneur catholique s'adresse à Coligny et se plaint d'une confiscation si contraire à la foi jurée. L'amiral joint M. de Pluviau et lui commande de restituer les chevaux qu'il s'est appro- priés déloyalement. M. de Pluviau s'y refuse. Coligny perd son calme habituel. Son visage rougit et ses yeux bleus élincellent d'un feu si sombre, que, selon les témoins, les plus braves tremblent de ce qui va arriver. Heureusement Condé survient, prend le bras de l'amiral , l'approuve hautement et force M. de Pluviau à se soumettre. L'amiral alors s'apaise peu à peu. Il s'écrie cependant d'une voix qui émeut tous ces rudes courages : « Monsieur de Pluviau, c'est
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une grande honte qu'un capitaine de votre qualité se joue ainsi de la religion du serment et de l'hon- neur du calvinisme. » Puis, cédant à Condé, qui l'attirait comme pour une confidence : « Monsieur, dit-il au prince, si les gentilshommes se font voleurs, comment empêcherons-nous les soldats de se faire brigands? »
L'opinion générale fut que si M. de Pluviau eût persisté à ne pas obéir, l'amiral l'eût immolé à la probité et à la subordination du protestantisme. La colère de Colignv était en effet terrible et le rendit plus vénérable aux deux partis: car elle n'avait rien d'humain. C'était une sainte colère contre l'attentat d'un chef dont l'exemple eût été contagieux et mortel.
Les armées se trouvèrent successivement en pré- sence à Jazeneuil et à Loudun, plus nombreuses qu'elles n'avaient jamais été. On crut qu'elles allaient en venir aux mainsetl'on se trompait. La gelée était si âpre et le verglas si glissant que toute bataille fut jugée impossible. On n'avait pas eu de saison aussi rigoureuse depuis un demi-siècle. Il mourut de froid, malgré les précautions et la prudence des généraux , plus de huit mille soldats. Le duc d'Anjou et le prince de Condé prirent donc leurs quartiersd hiver au mois de décembre. Le duc groupa son armée à Cliinon sur la Vienne et aux environs; le prince répartit ses hu- guenots à Thouars, à Loudun, a Niort et dans d'autres places du Poitou. Ils mirent à profit le temps, les ca- tholiques pour négocier avec Phihppe II, les protes- || tants pour se concerter avec Elisabeth et les palatins
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d'Allemagne, tous pour se ravitailler d'hommes, d'ar- gent et de munitions.
Les calvinistes eurent des succès diplomatiques et politiques.
La reine d'Angleterre, touchée et convaincue, soit par les conversations du cardinal de Châtillon , soit par les lettres de Jeanne d'Albret, accorda cent mille angelots d'or au prince de Condé et ouvrit les ports de ses États aux corsaires de La Rochelle. Ces corsaires couraient la Manche , pillaient les vaisseaux cathoh- ques de toutes les nations et partageaient les cargai- sons avec le fisc des réformés. Ce furent là d'im- menses ressources pour la subsistance des troupes.
11 y en eut d'autres encore.
Le grand conseil des protestants tint à Niort plu- sieurs séances mémorables où Jeanne d'Albret dé- ploya un génie de discussion et de résolution vraiment admirable. Coligny se servit de l'ascendant de la reine de Navarre pour faire décréter la vente des biens ecclé- siastiques dans les provinces occupées par les calvi- nistes. Tous ces magnanimes fondateurs du protestan- tisme eurent une générosité égale à leur hardiesse. Ils cautionnèrent personnellement les acquéreurs. La r reine de Navarre, Condé, Coligny, d'Anddot, le comte de La Rochefoucauld et plusieurs autres seigneurs engagèrent leurs terres patrimoniales et les cédè- rent en garantie à tous ceux qui achèteraient des biens d'église. Reaucoup se présentèrent et ces ventes produisirent des sommes immenses qui furent , à cette époque, le meilleur budget du protestantisme.
Jeanne d'Albret soutint Coligny d'un grand cœur,
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d'un grand esprit et d'une grande constance. Elle suffisait à tous les devoirs publics et elle ne négligeait aucun de ses devoirs privés; tout entière à la fa- mille, lorsque la religion ne la réclamait pas.
Elle continuait dans les orages de cette vie nomade et agitée, comme en ses châteaux paisibles de Nérac ou de Pau, l'éducation de ses enfants. Elle entrete- nait dans leurs âmes une tendresse égale à celle que sa mère Marguerite et son oncle François P'' avaient ressentie l'un pour l'autre.
Son fils Henri avait quinze ans ; sa fille Catherine dix ans à peu près (1568-1569). Ils suivaient l'impul- sion naturelle et maternelle. Ils s'aimaient et ils ai- maient à s'aimer. Rien n'est touchant comme leur jeune affection. Elle ne s'éteindra jamais. Catherine ne cessera pas d'adorer son frère; et lui, il laissera toute affaire, tout intérêt de cour, et franchira l'espace d'un royaume, à la nouvelle d'un danger de sa sœur. Il s'établira près de son lit comme une garde fidèle, et il ne la quittera que rétablie. Il lui écrira ce mot qui peint bien son sentiment inaltérable : « La racine de mon amitié sera toujours verte pour vous, ma chère Catherine. »
La reine de Navarre se félicitait de cet attachement mutuel et le cultivait avec soin.
Elle qui avait appris de Marguerite à penser et de Marotà écrire, elle instruisait ses enfants à penser et à écrire en prose et en vers. Elle cherchait surtout à leur former un bon sens intrépide et lumineux. Elle tenait la raison pour la première de nos facultés, et ne se trompait pas, puisque la raison est la splendeur
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de Dieu en nous, puisque, lorsqu'elle s'applique à la vérité, la raison est la philosophie et que, lorsqu'elle s'applique à la morale, elle est la conscience.
Cette grande reine de Navarre, dont les annalistes catholiques ont tant calomnié les agréments, ne pou- vant calomriier sa vertu , était, malgré les insultes, aussi charmante qu'héroïque. Seulement son enjouement était discret et sa gaieté décente. Ses manières étaient aisées^ simples, familières, et cependant royales. Elle avait le don de plaire. Elle l'enseignait à sa fille et surtout è Henri. Elle lui disait : « Mon fils, ce n'est pas assez pour vous d'être poli, si vous n'êtes bien- veillant. Il faut que votre courtoisie vienne du cœur, et alors elle vous fera des amis , elle vous attirera la popularité. La popularité est une joie et une puis- sance. Vous devez y prétendre. C'est la qualité de nos deux maisons, de la maison de France et de la maison d'Albret. »
Jeanne ne se lassait pas de féconder ses enfants» Oubliée , outragée par son mari , plus il lui avait été refusé d'être épouse , plus elle s'était dédommagée en étant mère. Elle ne s'était vengée des infidélités d'Antoine de Bourbon que par un surcroît de dé-^ vouement h. Catherine et à Henri. Elle avait versé sur eux le trop-plein de son âme.
Depuis la mort d'Antoine, elle avait grandi dans la proportion de ses nouvelles obligations. Elle était tout ensemble la reine et le roi de ses peuples, la, mère et le père de ses enfants.
Même au moment où nous sommes, en campagne, à l'armée , tantôt à Niort , tantôt à La Iiochelle , elle.
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conserve , autant qu'il est possible , ses habitudes la- borieuses de Nérac et de Pau.
Toutes les matinées, elle les emploie soit à des correspondances avec les magistrats du Béarn, soit à des conversations avec les généraux calvinistes, soit à des entretiens sérieux avec son fils et sa fille. Après dîner, elle donne des audiences à tout le monde pen- dant deux heures, puis elle consacre à ses enfants deux autres heures, puis, jusqu'à son souper, elle admet les dames et les seigneurs à lui faire leur cour. Son souper fini, c'est le tour des savants, des pas- teurs, des humanistes, des poètes. La libre pensée déploie ses ailes et vole où elle veut. La reine est convaincue. Son esprit supérieur et hardi passe avec souplesse des questions profondes aux questions atti- ques; elle les éclaire ou les enchante, quelquefois passionnée, souvent sereine, aussi éloignée du pé- dantisme que de la frivolité. Elle sait plusieurs lan- gues anciennes, le latin, le grec, un peu l'hébreu, presque toutes les langues vivantes de l'Europe, et elle parle le français en homme d'Etat, en homme de lettres, surtout en femme et en reine. Toute cette érudition est cachée sous une indulgence délicate , sous l'urbanité et les élégances. Jeanne d'Albret ne connaît pas l'ennui, et on ne le connaît pas autour d'elle.
La Gaucherie étant mort, elle avoit mandé Henri à Pau, en I066. Ce fut une fête universelle. Les gentils- hommes, les bourgeois s'empressèrent de partout au- devant du Béarnais. Les paysans se montraient les plus ardents. Les habitants de Coarraze se distingué-
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rent entre tous. Us se réunissent dans une tunnul- tueuse allégresse pour rendre visite à leur jeune souverain, qui avait été leur hôte, leur ami, leur compagnon. Ils franchissent leur vallée pittoresque, les rues de Pau, dont toute la population était sur les seuils, aux balcons et aux fenêtres. Us montent au château en poussant des vivat d'enthousiasme. Us remplissent les cours, les appartements de leur nom- bre et de leurs acclamations. Henri et sa mère, suivis d'un groupe de noblesse , accueillent ces bons villa- geois. L'un d'eux, un vieillard , sort de la foule , s'a- vance, un panier sous le bras, vers le prince de Béarn, et lui dit : « C'est bien de l'honneur pour moi, notre bon prince, d'avoir été choisi pour causer avec vous tête à tète , mais ceux de notre village en ont ainsi décidé. Il faut, ont-ils pensé tous, que ce soit Gré- goire qui complimente Henri.
« Or j'ai imaginé de vous apporter des fromages. Us sont des meilleurs. Nos femmes les ont faits tout pareils à ceux que vous mangiez de si grand appétit quand vous n'étiez encore qu'un marmot et que vous habitiez chez nous. Allons, acceptez-les sans façon, et que Dieu vous bénisse comme nous vous aimons ici et là-bas, à Coarraze. >•
Le prince attendri embrassa l'orateur rustique, prit le panier, regarda les fromages, répondit un discours en patois, pénétra parmi ces bonnes gens, tendant la main à l'un, nommant l'autre, rappelant à plusieurs ses courses avec eux dans les mx)ntagnes, distribuant à tous l'argent de sa bourse et le vin de ses caves. Les paysans de Coarraze furent heureux ce
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jour-là. Quand ils s'en relournèrent, le château, la ville, la vallée retentirent de nouveau de leurs chan- sons. Ils y avaient ajouté un refrain béarnais qui signifie : « Quel bon prince nous avons et quel bon vin il a ! »
Henri était adoré de son petit peuple, mais ce n'é- tait pas assez pour Jeanne d'Albret. Elle ne songeait qu'à perfectionner son fils pour une fortune plus vaste que celle de gouverner la Navarre.
Elle avait remplacé La Gaucherie par Florent Chres- tien.
C'était un précepteur rare. Il avait étudié le monde autant que les livres. Il était né à Orléans, une ville de critiques et de jurisconsultes. Fils de gentilhomme et gentilhomme lui-même, il avait le ton de la meil- leure compagnie. Il déployait dans les lettres profanes les aptitudes que son père, médecin de Henri II, avait eues dans les sciences. H composait de très-bons vers grecs et latins, et écrivait de fort belle prose fran- çaise. Il aura l'honneur dans sa maturité de concou- rir avec distinction à la Satyre Ménippée^ cette œuvre qui sera un monument , parce qu'elle doit être une explosion de sagesse dans la politique et de progrès dans la langue.
Florent Chrestien était fort érudit et fort disert. Ses développements sur les littératures anciennes of- fraient un intérêt aussi vif que varié. Mais de tous lès auteurs qu'il expliquait si bien, ceux qui, selon la tradition , ravissaient le plus le Béarnais , après Plutarque, étaient Ésope et Phèdre. Le jeune prince écoulait avec atlenlion , retenait avec discernement,
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et il égayait la gravité de Jeanne d'Albret en lui di- sant : «Madame, avouons-le, quand les bêtes s'en mêlent, elles ont plus d'esprit que nous. »
Malgré toutes ses qualités et quoiqu'il fût peu sec- taire, Florent Chrestien n'était pas aimé, il n'était qu'estimé du prince de Béarn et il ne le consola ja- mais de La perte de la Gaucherie.
Les gouverneurs du prince furent successivement Charles de Baumanoir-Lavardin, M. de La Gaze, de la maison de Pons, et le baron de Beauvoir, C'étaient des seigneurs pleins de loyauté. Ils étaient , de plus , doués de cette intelligence virile et libre sans laquelle il n'était guère possible de se concilier les sympathies de Jeanne d'Albret. Ces guides chevaleresques initiè- rent de bonne heure le jeune prince aux usages de la cour et aux éléments des sciences militaires.
Sous la direction de Jeanne, ils ne permettaient aucune friandise sur la table de Henri qui continua d'être sobre comme à Coarraze. Ils couchaient aussi durement que lui sur une planche de chêne ou sur la toile d'un lit de camp. Ils ne souffraient pas que le sommeil du prince fût de plus de cinq heures. Tous les matins , ils le réveillaient avant l'aurore et par le brouillard ou par la pluie, ou par la neige, ou par la chaleur; ils l'entraînaient soit à la chasse de l'ours dans les gorges des Pyrénées, soit à de longues traites bride abattue dans de mauvais chemins infré- quentés, semés de fondrières et bordés de précipices.
Ces exercices violents et journaliers fortifièrent si bien le Béarnais, que, lorsqu'il parut à La Rochelle en 1568, M. l'amiral dit à la reine de Navarre : « Ma- in. 5
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dame, on voit bien que votre fils est de bonne mai- son. Il serait dès à présent un soldat comme nous-, car si pour l'âge il a quinze ans, il en a vingt et plus pour la force et pour la valeur. » Le prince de Condé, qui se résignait à un supérieur nominal pourvu qu'il fût, lui, le chef effectif, disait : « Henri méritera bientôt de nous commander, mais il est trop jeune pour mener des mains. Mon oncle de Coligny et moi, nous le suppléerons encore cette campagne. » C'était l'avis de l'amiral, qui ajoutait : a Monsieur, l'épée de votre neveu ne tiendra pas longtemps au four- reau. »
En attendant, Jeanne d'Albret persévérait dans son plan d'éducation , et Henri travaillait avec ses maîtres à La Rochelle comme en Gascogne.
Sa mère s'était réservé la théologie, la politique et l'Ecriture sainte oii elle excellait. Elle enseignait à cet adolescent héroïque plus de métaphysique reli- gieuse que n'en savaient les princes d'alors et que n'en savent la plupart des prêtres d'aujourd'hui. Elle approfondissait avec lui l'art de conduire les peuples et de traiter avec les hommes. Bien qu'elle puisât ses principes aux sources de la morale, et qu'elle eût en exécration les théories de Machiavel, il ne faudrait pas croire pourtant qu'elle négligeât les adresses per- mises, les tempéraments, les manèges dont son grand caractère s'indignait par instants, mais dont son grand esprit sentait la nécessité et dont son titre de cal- viniste autant que sa situation géographique entre 1 Espagne et la France lui imposaient la loi. La fer- meté n'excluait pas chez elle l'élasticité j c'est même
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dans les maximes de sa mère que Henri aiguisa son génie diplomatique et qu'il recueillit ses plus liantes leçons de règne.
Jeanne se complaisait surtout à citer et à com- menter les Écritures devant son' fils. Elle en épan- chait toutes les beautés, toutes les grâces, toutes les puissances, toutes les sublimités et quelquefois toutes les rudesses. Elle n'en avait pas seulement le sens, elle en avait la passion. Savante sans prétention, élo- quente sans effort, elle dévoilait l'Ancien Testament avec énergie et le Nouveau avec onction, toujours in- spirée de son cœur, non moins que du livre sacré, simple, impétueuse, touchante, terrible et miséricor- dieuse tour à tour. Car c'était l'originalité de cette princesse d'avoir en elle toutes les fibres qui réson- nent dans la Bible comme dans une poitrine humaine, les fibres de la famille, de l'amour, de la religion, — parfois celles de la haine.
Au milieu des promesses et des éblouissements qui lui venaient du prince, la reine avait pressenti une lacune. Elle s'en afiligeait, elle s'en plaignait à Coligny. « Je crains, disait-elle à l'amiral, qu'il ne soit pas assez pieux. — Ayez patience, ma- dame, répondait l'amiral. Les fils tiennent trop de leurs mères pour que le vôtre reste indifférent au saint Evangile. Il me fait cet honneur de me recher- cher beaucoup lorsque les affaires ne m'absorbent pas, et j'ai observé en lui deux bons signes. Il brûle de servir notre cause, et il aime le Plutarque de M. Amyot. » Jeanne d'Albret ne demandait qu'à être persuadée. Elle se taisait et elle enregistrait
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dans sa mémoire, comme des augures, les éloges de Coligny.
Entre tous les présages favorables à l'avenir du Béarnais, l'un des meilleurs, comme l'avait remarqué M. l'amiral, était son enthousiasme pour Plutarque. Le prince l'aurait lunuitet jour si on ne l'en eût arraché,
Plutarque, certes, valait cette ardeur-, nous devons essayer de le comprendre, car nous lui sommes tous obligés d'avoir peint tant de héros, et d'en avoir créé davantage par l'exemple.
Il était de Chéronée. Il descendait de parents ho- norables. Il fut élevé dans l'aisance et dans toutes les affections domestiques. Il appartenait à un peuple vaincu, mais fier de ses grands hommes. Il eut, comme ses compatriotes, le culte de la gloire passée qui adoucit la perte de l'indépendance et la déchéance politique des nations.
Quand il eut été nourri dans la science, Plutarque partit de Chéronée, sa patrie, et, vers la seconde moitié du premier siècle de notre ère, il vint à Rome, ce centre de l'univers, ce théâtre éclatant de tout ce qui avait un génie. Il voulait, à l'imitation des jeunes Grecs les plus distingués de son temps, acquérir dans la capitale du monde un peu de fortune et beaucoup de célébrité.
Il y professa pendant quelques années l'éloquence et la philosophie. Il croyait, comme Socrate, au Dieu unique; à l'immortalité de l'àme comme Platon ^ et comme Zenon au courage, au sacrifice, à toutes les vertus viriles dont on avait besoin sous la tyrannie non moins que sous la liberté , pour vivre et surtout
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pour mourir. Il enseignait le stoïcisme à tout ce que Rome comptait de citoyens éminents. Toutefois, malgré les applaudissements, il se souvenait de Ché- ronée et il la regrettait. Plus offensé au fond de l'or- gueil des vainqueurs toujours un peu barbares que flatté de leurs louanges, il soupirait en secret après la société des vaincus, ses égaux, ses amis de la terre sacrée qui s'appelait encore la Grèce.
Rien ne put donc retenir Plutarque. Il retourna à Cbéronée où il se maria.
Il était prêtre d'Apollon et affilié aux mystères du temple de Delpbes. Il fut aussi arcbonte, mot qui, dans cette belle langue grecque , exprimait la pre- mière dignité municipale de la cité.
L'action de Plutarque était ainsi bornée et toute locale; mais sa pensée fut immense. Tout en exerçant ses infimes fonctions administratives, il composait ces traités de morale dont l'accent nous touche en- core aujourd'hui , et il sculptait les citoyens et les sages, soit dans le bronze, soit dans l'ivoire, soit dans le marbre de ses biographies impérissables. Et par là cet humble archonte d'une ville asservie fut plus qu'un empereur. Car il se fonda une puissance indestructible dans la durée et dans l'espace; car, du point qu'il occupait, il étendit son influence souve- raine dans tous les âges et dans tous les pays. On pourrait caractériser Plutarque en disant de lui que jamais aucun homme ne suscita autant de grands, hommes. Quelle gloire est comparable à celle-là? Les dieux lui accordèrent en outre ce rare privilège d'écrire ses annales à Cbéronée oii il vécut jusqu'à une vieil-
s.
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lesse avancée, comme s'il lui eût été donné par surcroît de consoler en les racontant , aux lieux où la liberté avait péri, les âmes des héros qu'elle avait enfantés.
Par un hasard, ou plutôt par une providence dont il était bien digne, Plutarque, ce maître antique, ren- contra au seizième siècle un maître aussi, Amyot, qui le traduisit dans l'idiome le plus universel des temps modernes.
Il faut encore étudier Amyot. Il est comme Plutarque au cœur de notre sujet. Car de tous les héros que nous aurons à retracer, si les mauvais viennent de Machiavel, les excellents viennent de Plutarque et d'Amyot, son inséparable interprète.
Amyot naquit à Melun, dans une sorte de chau- mière, au bord de la Seine. De très-bonne heure il s'en alla étudier à Paris. Sa mère, Marguerite des Amours , c'est ainsi qu'on la nomniait , lui envoyait chaque semaine, par un batelier, des pains pour sept jours. Afin de suppléer au reste de son entre- tien, à son logement, à ses vêtements, aux livres dont il avait besoin, Amyot se fitdomestique. La nuit, n'ayant pas de quoi acheter de la chandelle, il lisait et il écrivait à la lueur des charbons de son petit feu. Il préférait le grec à l'hébreu et Homère à Moïse. Il devint à force d'assiduité et de persévérance un grand helléniste. A dix-neuf ans, il passa de Paris à Bourges, 011 il compléta, dans le voisinage du grand juriscon- sulte Cujas, son éducation.
Dès lors il préludait par le roman de Thèagène et Chariclée et par ses autres essais charmants à son ouvrage principal, la traduction de Plutarque.
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François F, qui eut vent des travaux du jeune humaniste, lut quelques vies des grands hommes et quelques pages naïvement voluptueuses de Daphyiis et Chloé. Enchanté de ces beaux fragments, il encou- ragea Amyot à continiier et lui donna, en retour du plaisir qu'il en avait reçu , l'abbaye de Bellozane. Cette abbaye ménagea du loisir au pauvre clerc. Il grandit en érudition, en talent et en œuvres. Sa re- nommée littéraire le fit à la longue précepteur de Charles IX et de Henri IIl, et le porta aux premières dignités de l'Eglise.
L'extérieur d'Amyot annonçait son âme et son mérite. '
Il avait l'abord embarrassé et timide. Ses yeux étaient pleins d'une lumière voilée. Son front grave s'harmoniait avec des sourcils réguliers et un nez in- telligent. Sa bouche suave distillait, dans un langage naturellement exquis, le miel le plus pur, non de Gel- boé, mais de l'Hymète. Sa physionomie était douce, érudite et bonne.
Le riche costume du grand aumônier parait, sans la cacher, l'ingénuité de l'homme du peuple. On se rappelait, et il se rappelait tout le premier, sous les splendeurs de sa fortune, que ses mains d'évèque, par l'imposition desquelles il consacrait les prêtres de Jésus-Cbrist, avaient servi pour un salaire mo- dique. Il avait toute l'humihté de son ancienne con- dition. Mais ce n'était pas ferveur dévote, c'était phi- losophie sincère. Car sa passion était plus païenne que chrétienne, et il avait pour les muses plus de culte que pour les prophètes.
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II suivait sans effort la pente de son génie. Il était de l'Attique plutôt que de l'Ile-de-France. Ce qui le distinguera à jamais, c'est d'avoir fait d'une traduc- tion une œuvre monumentale. Sans Amyot, Plu- tarque ne serait pas entier pour nous. Amvot, tout en retranchant à Plularque, par moments, de la har- diesse et du nerf, lui a versé une abondance, une grâce, une variété de tours heureux, une aurore, une rosée, une odeur de thym, une veine intaris- sable, une renaissance enfin du grec dans le gaulois qui achève le grand biographe de Chéronée. Cet ancien, entre tous les modernes, cet aimable Amyot eut donc une influence incalculable par les saveurs fortes et nouvelles qu'il répandit dans le moule pri- mitif de Plutarque. Il révéla un autre Plutarque aussi vieux et plus jeune tout ensemble, de telle sorte qu'il faut dire désormais Plutarque-Amyot, puisque, étant deux, ils ne sont pourtant qu'un.
Le Béarnais ne les distinguait pas. Il les regardait comme un seul homme. — « Qui l'aime, m'aime, disait-il dans son âge mùr. » Bien auparavant, à l'é- poque où nous sommes, il disait à Coligny : « Mon- sieur, à ma première conquête de ville, s'il m'échoit une cassette aussi précieuse que celle trouvée par Alexandre à la prise de Damas, ce n'est pas l'Ih'ade que j'y déposerai, mais Plutarque. Car je l'ai en plus grande estime quHomère, par-dessus lequel il est autant que la vérité est au-dessus de la fiction. »
Coligny souriait à ces saillies de caractère, et Jeanne d'Albret en concevait de grandes espérances.
Le goût du jeune prince pour les héros ne manifes-
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tait-il pas déjà un héros ? Il avait de plus tous les instincts généreux. Il avait de soudains mouve- ments vers ce qui était bien, surtout s'il y avait un péril à traverser. Un jour que des enfants laissaient un des leurs se noyer dans la Vienne, le prince, en se jetant au milieu des ilôts, le sauva. Soutenir les faibles, résister aux forts, secourir ceux qui souf- fraient, soit de la misère, soit de rinjustice, tels étaient ses plaisirs.
. Ces hautes qualités cependant avaient bien des ombres. Il était léger, prompt à la colère, aux dis- sipations, enclin et précoce aux voluptés, presque indifférent à la religion. Ce dernier défaut, le plus énorme de tous aux veux de Jeanne d'Albret, la con- tristait profondément. Elle avait beau redoubler ses leçons théologiques, le prince devenait habile à la dialectique, aux discussions, mais il restait froid au sentiment. Son àme était dès lors pleine du monde qu'il devinait sans le connaître ^ elle avait peu de place pour Dieu.
Jeanne s'en inquiétait souvent, mais Henri avait- une si belle grâce à cheval, un tel charme lorsqu'il caressait sa mère et lui disait avec une familiarité tendre des mots du cœur-, il avait la physionomie si communicative, un front si ouvert, des regards si vifs, une bouche si fine, tant d'esprit, d'entrain, de franche gaieté, tant de chevalerie, de respect pour son nom et de confiance à sa destinée, que la reine de Navarre se rassurait et remerciait le ciel de lui avoir donné un tel fils.
LIVRE YINGT-NEUVIÊME
Les catlioliques et les huguenots en présence, aux environs de Jarnac.
— Combat de Bassac. — Condé prisonnier dans un nouveau com- bat, qui est un prolongement de celui de Bassac, et qu'on appelle la bataille de Jarnac. — Héroïsme du prince. — Il est assassiné par Montesqiiiou. — M. de Lavergne et ses vingt-cinq neveux. — Infamie du duc d'Anjou, qui insulte au cadavre de Condé. — Por- trait de M. le prince. — Ses funérailles. — Coligny ordonne la retraite des huguenots et la dirige. — La reine de Navarre amène à l'armée son fils Henri de Bourbon et son neveu Henri de Condé.
— La reine éleetrise les huguenots par son courage. — Mort de M. d'Andelot à Saintes. — Douleur de Coligny. — Combat de La Roche-Abeille. — Le château de Chàtillon pillé et brûlé. — Gloire et crimes du comte de Monigommery.
Jeanne d'Albret achevait de se rasséréner aux pré- dictions de Taniiral qui pressentait dans le prince un héritier de son influence, un chef futur du calvi- nisme, et qui disait à la reine : « Madame, ne vous alarmez pas. Votre tils est trop jeune, il n'a pas assez lutté. Quand il aura vieilli, comme nous, dans les détresses et dans les labeurs, il sera plus fervent. Car, j'ai appris par l'expérience des autres et surtout par ma propre expérience que l'on s'affectionne à Dieu en proportion de ce que l'on a combattu pour lui. »
Dès le mois de février 1o69, une nouvelle cam- pagne allait commencer. Il fut convenu entre Jeanne d'Albret, Condé et Coligny, que le prince de Béarn y serait étratiger et n'interromprait pas ses études,
LnnftE VINGT-NEUVIÈME. 59
Les catholiques et les huguenots se trouvèrent en présence aux environs de Jarnac. La Charente, dont tous les ponts étaient rompus, coulait entre eux.
Le duc d'Anjou s'était emparé de Chàteauneuf. 11 était pressé d'assaillir les protestants avant qu'ils eussent reçu deux renforts qu'ils attendaient, l'un du V Quercy, l'autre d'Allemagne.
Coligny commandait l'avant-garde des réformés. Il enjoignit à ses capitaines de surveiller les mouve- ments du duc et d'empêcher, à tout prix , le passage de la Charente. Malheureusement ces vaillants gen- tilshommes calvinistes étaient peu souples à la disci- pline. Ils négligèrent les ordres de leur général et ils furent trompés par une manœuvre du duc d'Anjou dont Tavannes guidait l'ignorance présomptueuse. Tandis que Biron, un autre hahile conseiller désigné à son fils par Catherine, rétablissait le pont de pierre de Chàteauneuf et en construisait un autre de ha- teaux, le duc, feignant de marcher dans la direction de Cognac, revint précipitamment et franchit la ri- vière sur les deux ponts avec toute l'armée royale dans la nuit du 12 au 13 mars.
A cette nouvelle, Coligny mande à ses lieutenants de se rassembler à Bassac où il a l'intention de faire halte. Il ne leur adresse pas de reproches sur leur in- curie-, il les prie de ne pas tarder plus d'une heure dans leur évolution vers lui. Ils en consument trois et par là rendent la bataille nécessaire. L'armée royale a profité du délai. MM. de Guise, de Martigues et de Brissac passent un ruisseau qui les sépare du brave La Noue. La Noue se défend avec vigueur, mais il
CO HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
est désarçonné, désarmé et entraîné captif. Les com- pagnies protestantes se replient sur M. d'Andelot qui avertit Coligny.
L'amiral, dont les troupes sont affaiblies par la maladie, inférieures en nombre et dispersées, avait compris vite qu'il n'était plus temps d'opérer sa re- traite, et qu'il fallait combattre avec son avant-garde devenue arrière-garde. Il songe moins à se plaindre des fautes de ses lieutenants qu'à les réparer. Il groupe ses casaques blanches à Bassac dans un Jieu très-avan- tageux et soutient l'effort des catholiques. C'est laque, dans une charge, au moment ou d'Andelot crie à ses gens de l'imiter, Montsalès l'affronte. D'Andelot d'un revers du poignet qui tient la bride relève la visière de Montsalès, et, de l'autre main, lâchant un coup de pistolet par l'ouverture du casque, il étend mort son ennemi. On se bat avec acharnement. Bassac est pris et repris. Il demeure enfin aux catholiques.
Cependant le prince de Condé, qui de Jarnac se re- tirait sur Cognac et sur Saintes , s'arrête au galop de Montaigu qui lui apporte un mot de Coligny. Il sus- pend la retraite, accourt avec le peu qu'il a de cava- lerie, en ordonnant à l'infanterie de le suivre. Quand il arrive, il trouve Bassac occupé par l'ennemi et les huguenots en déroute. Coligny et d'Andelot, l'épée au poing , s'efforcent de ramener leurs compagnons.
Condé se joint aux Chàtillon, il adjure les troupes, il s'écrie : « Mes amis, chargeons ensemble. Nos per- sécuteurs sont plus nombreux que nous , mais Celui pour qui nous combattons nous protégera, d
Pendant qu'il parle , Coligny fait une charge qui
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n'aboutit pas. Condé se prépare. Son rapide dis- cours avait attiré beaucoup de gentilsbommes. Plu- sieurs même qui ne l'entendirent point, mais qui l'aperçurent agitant en l'air son épée, se bâtèrent vers lui.
Déjà blessé au bras gaucbe d'une cbute de cbeval, il prenait son casque de la main d'un de ses écuyers, lors- que le genêt du comte de La Rochefoucauld fracassa d'une ruade la jambe du prince. L'os était en pièces et traversait la botte. L'inquiétude saisit les protes- tants. La Rochefoucauld, les comtes de Montgom- mery et de Choisy, le baron de Montandre, Chande- nier, Renty, Montjean, Cbastelier, Rosny et Portant entourèrent Condé; mais lui, domptant la douleur, et l'éclair de sa race dans les yeux : « Noblesse fran- çaise, dit-il, rassurez-vous, Louis de Bourbon ne re- cule pas. Souvenez-vous seulement en quel état il entre au combat pour le saint Évangile et pour le pays. Vous verrez ce qu'il saura faire, le bras en écharpe et la jambe brisée , tant que lui restera son cœur. » Et fixant son casque, il baisse la tête, pousse son cri de guerre et se précipite au plus épais des ennemis. 11 renverse tout dans ce premier choc. Jamais il n'avait montré une telle furie martiale. Il frappait de son épée héréditaire avec acharnement, répétant, par intervalles, la belle devise de sa vie, inscrite sur sa cornette blanche : « Doux le péril pour Christ et France. » Son aspect était si électrique et son courage si résolu qu'il changea un moment la face de la bataille. Mais il n'avait qu'une poignée de cavalerie et de gentilshommes contre des foules. La m. 6
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fermeté du duc de Montpensier et du dauphin d'Au- vergne permit au duc d'Anjou et à Tavannes de dé- houcher sur le flanc du prince. Ils l'attaquent et l'en- veloppent, Condé continue de combattre avec sa faible troupe cette multitude qui croît toujours. Son cheval, percé de coups, ruisselant de sang et de sueur comme son maître, s'abattit enfin. Le prjnce, incapable de se dégager, tend son gantelet gauche à d'Argens assisté de Saint-Jean, et se met à leur discrétion.
Ce fut alors que le combat eut un redoublement inconnu, même aux guerres civiles. Tandis que Co- ligny et d'Andelot, tour à tour soldats et capitaines, se prodiguaient aux postes les plus dangereux, la ca- valerie de Condé se faisait écharper à l'exemple de son chef. Cet escadron sacré, perdu et comme en- gouffré dans les masses catholiques , ne pensa qu'à mourir. 11 succomba digne du prince dont la captivité devait être si courte et si tragique. Plus de cent gen- tilshommes périrent là glorieusement : parmi eux, Monijean, Cliastelier, Chandenier, Portaut, Renty, Janissac, Bussière, Chaumont, deGoullaine, Préaux, Beaumont, les deux Vandœuvre et Saint-Brice. Cor- buson, Fonteraille, Spondillan, capitaine des gardes du prince de Condé, Rosny, le comte de Choisy, le fils aîné de Clermont d'Amboise furent au nombre des prisonniers.
Les plus qualifiés des blessés catholiques étaient
,Bassompierre, Clermont-ïallard, Praslin, le baron de
Sénecé, le comte de la Mirandole, le marquis de La
Rivière, capitaine des gardes du duc d'Anjou. Mont-
salès, Monteauré, Marcins, les barons d'Ingrande et
LIVRE VINGT- NEirVIEME. 63
de Prunay ne se relevèrent pas. Ils furent inhumés dans la terre du champ de hataille.
Il y eut des dévouements inouïs. Des familles en- tières voulurent se sacrifier. L'histoire ne saurait passer sous silence une de ces hécatombes guer- rières.
Le matin même, un vieillard calviniste avait réuni sous un chêne vingt-cinq jeunes hommes, lous ses neveux. Ce vieillard, du nom de Lavergne, dont les cheveux gris très-longs couvraient les épaules comme une crinière, parla en ces termes : « Nous sommes tous les soldats de la bonne cause, el pas un de notre maison n'a jamais forfait à l'honneur ni à la conscience. Pour cela nous avons un secret. Les jeunes suivent les vieux. A la première bataille, ne me quittez pas d'une semelle, et, avec le secours de Dieu , nous ne manquerons ni à nos pères ni à nos enfants. »
Les neveux promirent. Le vieillard intrépide se jeta sur les traces du prince de Condé, au plus chaud du carnage, et ne cessa pas de combattre. Ses neveux l'environnaient, serrés autour de lui comme une cein- ture de héros. Quinze tombèrent successivement, mortellement atteints à la poitrine ou au visage. Ils formaient un monceau de cadavres. Le vieillard , toujours encourageant de la voix et toujours tuant de l'épée, s'afl'aissa le seizième. Les dix autres, épui- sés de fatigue et de sang, furent pris, à l'exception de trois ou quatre , qui échappèrent avec les débris de cette chevalerie du [)rince de Condé.
^ côté de ces grandes actions, il faut redire, quoi
64 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
qu'il en coûte, les vengeances perfides, les guet- apens atroces.
Chastelier-Portal et Robert Stuart furent égorgés , après qu'il leur eut été accordé merci , le dernier par Honorât de Savoie, comte de Yillars, qui voulut punir la mort du connétable de Montmorencv, attribuée à l'audacieux Ecossais.
Cependant d'Argens et Saint-Jean , aidés de quel- ques gentilshommes catholiques , avaient transporté leur illustre prisonnier hors du champ de bataille, sous une haie, lui témoignant mille égards et l'assu- rant de la vie. Condé répondait à leurs soins avec une dignité calme qui les pénétrait pour son malheur et pour son héroïsme d'une admiration respectueuse, lorsque Montesquiou, un gentilhomme gascon de la garde suisse du duc d'Anjou, survenant par derrière, et criant : « Tue, tue, mort-Dieu î » étendit roide à ses pieds le généreux prince d'une balle dans la nuque, comptant bien faire ainsi sa cour à un Valois de la tête d'un Bourbon.
Ce qu'il y eut de plus odieux dans cet abominable attentat, c'est qu'il ne fut pas l'acte d'un fanatique, mais le crime servile d'un complaisant qui devinait un désir ou qui exécutait un ordre.
Montesquiou ne fut qu'un instrument. Le plan fixe de Catherine était de se défaire des chefs de la révolte par le plomb ou par le poison. Le duc d'Anjou, son favori et son élève, avec cette perversité précoce qui le distinguait déjà, s'était associé sans scrupule à la politique de sa mère.
Il ne manifesta nulle surprise à l'aspect de C^ndé
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gisant dans la poussière , et il n'eut pas honte de laisser éclater sa joie : u Le voilà donc, ce grand en- nemi de la messe , )> dit-il. Dans l'ivresse lâche de son triomphe, il souhaita de consacrer, par l'érection d'une chapelle, la place à jamais profanée de l'assas- sinat. Le gouverneur du duc, François de Carnavalet, le détourna à grand'peine de réaliser ce sacrilège caprice.
Le fils hien-aimé de Catherine ne fut pas inégal à sa mère dans cette conjoncture. Ce jeune scélérat de déhanche et de cruauté ne craignit pas d'insulter mort celui qui, vivant, lui inspirait tant d'effroi. Il fit charger en travers, sur une ànesse, le corps glorieux de Condé , et il envoya dans cet équipage à Jarnac , jambes et bras pendants , un descendant de saint Louis, son propre cousin, un héros de plus grande âme et d'aussi bonne maison que lui. Le prince de- meura livré pendant le trajet à toutes les dérisions des flatteurs du duc d'Anjou. A Jarnac, il fut exposé, tout souillé de sang et de boue, aux moqueries des pages effrontés, en une salle basse, sous la chambre du duc, que le prince avait habitée la veille. Pas un catholique de cette armée n'eut la piété d'arracher Condé aux regards et aux rires impies, en étendant sur lui pour linceul un manteau de soldat. Corbouson et Clermont d'Amboise, prisonniers et serviteurs du prince, ne croyant pas à cette catastrophe, le duc d'Anjou se plut à les convaincre, et les conduisit lui- même à ce qui restait de Condé. Ces deux amis fidèles, malgré le duc qui les observait, ne surent retenir ni leurs regrets ni leurs larmes, premier hom-
C.
66 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
mage du cœur, après tant d'indignités, à la mémoire de Louis de Bourbon. Ce fut le duc de Longueville, hcau-frère de Condé, qui le recueillit dans cette ab- jection sublime. Pâle et tout vêtu de deuil, il vint le réclamer du duc d'Anjou et le fit transporter à Yen- dôme, dans les caveaux de Saint-Georges, oîi le pauvre prince reçut enfin les honneurs funèbres.
En France, en Italie et en Espagne, un Te Deum fut chanté à l'occasion de cette mort qui consterna toute TEurope protestante. Le cardinal de Lorraine, qui avait toujours l'initiative du cynisme sacerdotal et des vengeances catholiques, dit à Charles IX, en faisant allusion au combat de Jarnac el au prince dont le roi était si proche parent : « Sire, vous devez « être maintenant en meilleure disposition que vous « n'étiez il y a quelques jours, car on vous a tiré « beaucoup de mauvais sang. »
Condé n'avait que trente-neuf ans lorsqu'il expira sous la balle de Montesquiou. Les grandes vies sont des lumières éclatantes exposées à plus de vents d'orage, et ordinairement plus éphémères parce qu'elles ont plus d'occasions de s'éteindre. « On peut, dit M. de La Noue, un Tacite féodal, donner au prince cette louange, qu'en hardiesse aucun de son siècle ne l'a surmonté, ni en courtoisie. Il parlait fort diserte- ment, plus de nature que d'art, était libéral et très- affable à toutes les personnes, et avec cela excellent chef de guerre. Mais ce qui le rendait plus recom- mandable, c'était sa fermeté en la religion. »
A défaut des actions de Condé, son portrait le révélerait tout entier.
LIVRE VlNliT-.\£UVIÊME. 67
Il avait, comme sa lignée, une figure très-saisis- sante. C'est un héros, et ce n'est qu'un héros. Le grand Condé et les autres ne seront pas autre chose. 11 n'y avait pas dans cette physionomie simple et ar- dente les plis et les replis de la physionomie des Guise, une race héroïque aussi, mais en même temps diplomatique.
Le prince de Condé respire la guerre. Ses attitudes sont hrusques. Son front est plein d'audace. Ses yeux plongent dans une mêlée. Son nez aquilin s'ouvre puissamment à l'odeur de la poudre. Son menton énergique palpite et sa houche porte un défi.
L'artiste a été un historien. 11 a peint un héros d'Homère toujours prêt à enlever une femme ou à comhattre des hommes. Il est juste d'ajouter qu'au déclin de son inquiète destinée, Condé était plus sérieux, meilleur, moins insouciant de ses devoirs éternels. Il devient alors un chef religieux, autant qu'il avait été auparavant un chef politique et même un prince ambitieux.
Cependant Coligny et son frère d'Andelot, ayant appris la mort du prince, se dérobèrent par le chemin de Saintes, tandis que l'infanterie qui marchait vers Bassac pour soutenir Condé se replia sur Cognac, selon l'ordre que lui dépêcha l'amiral.
Ce pays, semé d'étangs, submergé de flaques d'eau, fut d'un grand secours aux protestants, qui, parles sinuosités des marécages, déjouèrent plus facilement la poursuite des catholiques.
Les huguenots n'avaient pas perdu beaucoup de monde au combat de Jarnacj seulement, le meurtre
68 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
de leur Achille, le prince de Condé, les pénétrait de douleur. Ils n'étaient pas découragés néanmoins, car ils avaient Goligny. L'amiral navré, mais impassible et indomptable, suivant sa coutume, achevait de ral- lier sa cavalerie fugitive. Son infanterie n'était presque pas entamée. Ses forces étaient donc suffi- santes. Il ne craignait que l'afTaiblissement moral des troupes, lorsqu'une circonstance sur laquelle il ne comptait pas encore les ranima comme par un souffle d'en haut.
La reine de Navarre se rendit à l'armée avec le prince de Béarn et le fils aîné du prince de Condé. Gentilshommes et soldats , tous furent assemblés aussitôt. La reine, les princes, traversèrent les rangs à cheval. Les princes étaient déterminés. La reine semblait embrasée de l'esprit. Le feu de l'enthou- siasme colorait ses joues. Ses yeu.\ jetaient des flammes et sa passion, moitié religieuse, moitié guer- rière, était entraînante. Une toile de ce temps -là représente Jeanne d'Albret dans son costume d'ama- zone. Son écharpe blanche flotte au vent. Sa tête est couverte d'une toque de velours brodée en perles de trois fleurs de lis. C'est ainsi que la reine apparut à tout le camp ému, comme une Jeanne d'Arc du saint Évangile.
Elle parla aux capitaines et « mêla d'une belle grâce, raconte un vieil historien, les pleurs et les soupirs avec les résolutions. « Montrant les princes âgés l'un de quinze ans et l'autre de seize : « Je vous présente, dit-elle, Henri de Bourbon, mon fils, et Henri de Condé, mon neveu. Ils brûlent de seconder
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M. l'amiral et de venger avec lui et avec vous le héros que les catholiques ont assassiné. »
Alors les jeunes princes jurèrent de vaincre ou de mourir pour la bonne cause. L'armée tout entière témoigna son assentiment par un applaudissement prolongé.
Quand le tumulte s'apaisa, la reine reprit la pa- role : « Mes compagnons, je vous ai amené ces jeunes princes pour qu'ils persévèrent avec vous dans le combat du Seigneur. Ils sont disposés à faire de leur mieux et à imiter mon vaillant beau-frère, le prince de Condé. J'ai aliéné mes domaines, j'ai engagé mes joyaux, mes bagues, mes pierreries-, je vendrai, s'il le faut, la couronne de mon père et de mon fds, afin de subvenir aux frais de la guerre. Une seule chose est précieuse : le droit de prier Dieu à notre gré, et en commun avec nos frères. Je sacrifierai tout à cela. Car avant les richesses, avant les grandeurs, avant le trône, avant la vie même, la liberté de conscience. »
Un grand conseil de tous les seigneurs fut ensuite tenu à Saintes. Le prince de Bcarn y fut nommé chef du calvinisme. Son cousin devait être son coopéra- teur, son collègue , et Coligny, son lieutenant gé- néral.
Chef des chefs, en réalité, l'amiral conduisit Henri de Bourbon et Henri de Condé à Saint-Jean-d'Angely, oii ils passèrent la revue de l'armée protestante, con- centrée sur ce point pour cette solennité. Le prince de Béarn y déclara son avènement au commandement suprême, et c'est entre ses mains que le serment d'o- béissance fut prêté.
70 IIISTOIIIE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Les troupes, d'un mouvement chevaleresque , en- tourèrent Henri de Bourbon « qui fut proclamé géné- ralissime avec cris et exultations. » Coligny, vers qui surtout montaient les hommages, mil son cheval au pas du cheval de chacun des jeunes princes et les ac- compagna au milieu de tous les régiments.
La confiance était revenue. L'amiral, en grand homme politique, tournait au succès de ses desseins ce réveil d'espérance, la présence des princes, le dé- vouement de la reine de Navarre , l'élan des soldats; et il répétait pieusement, à voix basse, les versets du psaume xciii que l'armée avait entonné à la fin de la revue, et dont les vibrations s'élevaient jusqu'au ciel.
Coligny avait bien quelques appréhensions sur la sagesse du Béarnais et il redoutait pour lui l'empire des passions; mais son coup d'œil profond avait dé- couvert aussi ce que la verve méridionale du prince contenait de magnanime.
Henri de Bourbon avait des goûts rapides et des aptitudes diverses. Il ressemblait à sa mère par l'in- trépidité, à son père par les penchants voluptueux, à sa grand'mère, Marguerite, par la bonté et par la gaieté. Il avait de plus, sous un air de franchise, une irrésistible vocation pour la ruse, les détours, les stratagèmes. Il était économe, brave, humain, facile. Jeanne d'Albret l'aurait désiré moins spirituel et plus religieux. Elle cherchait à réprimer par l'éducation la dissimulation enjouée de son fils. Elle échoua sans cesse et la nature prévalut. Ce prince était un héros, mais un héros gascon. Les défauts que Jeanne déplo-
LtVlJE TlXGT-NEtVÎÉMË. 71
mit ne furent, du reste, aux yeux du monde , que les instincts mystérieux du grand capitaine et du diplo- mate accompli. L'habileté politique, prompte ou pa- tiente, selon l'occasion, une habileté rare et sans scrupule trop rigoureux, devait être le trait distinc- tif, le génie entier du Béarnais, si souvent loué ou blâmé à faux.
L'amiral; qui aurait préféré, comme Jeanne d'Al- bret, plus de gravité dans le prince, s'en accom- moda parfaitement, après tout. Henri de Bourbon n'était qu'un chef nominal-, le vrai chef de l'armée protestante, n'était-ce pas Coligny lui-même? Il s'ef- força de réparer les afluires de son parti. Il jeta des vivres et des garnisons dans Cognac, Saintes, An- goulème et Saint-Jean-d'Angely. Il envoya son frère d'Andelot, avec tfois régiments d'infanterie et une cavalerie peu nombreuse, mais entreprenante, pour recouvrer quelques places du bas Poitou. D'Andelot ne réussit pas dans cette mission. Sous les influences de la fatigue et du climat, il fut atteint d'une fièvre maligne et revint mourir à Saintes près de l'amiral.
Goligny le reçut avec une sensibilité pleine d'a- larmes. Ce grand homme, d'une austérité si stoïque, fut comme une mère. Betiré dans un coin de la chambre , lorsque son frère sommeillait , il expédiait les afiîiires qui pesaient sur lui et dont tout autre aurait été accablé. Dès que d'Andelot sortait de ses assoupissements ou de ses accès, l'amiral se rappro- chait de lui , et parlait doucement à ce malade bien- aimé. Il le servait lui-môme. Il le soignait avec des délicatesses merveilleuses. Leur amitié ressemblait à
72 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
la Charente , qui coulait à peu de distance de leur balcon et qui avait grandi à mesure qu'elle s'était éloignée de sa source, La nuit de l'agonie, d'Andelot remercia son frère, puis il eut un sursaut et dit : a La France souffrira encore avec vous beaucoup de dé- sastres , mais enfin l'Espagnol sera renversé. » Cette parole, qui correspondait au plus intime désir de l'a- miral, rétonna dans cet affreux moment." « Ne rêvez- vous pas, dit-il, mon frère? — Non, reprit d'Andelot, je ne rêve pas^ je tiens cela de l'homme de Dieu. » Sur ce propos il expira.
Jamais aucune mort n'avait plus consterné l'ami- ral. Il n'y eut personne qui ne crût au poison. On se répétait l'atroce prophétie de Birague, le confident de Catherine : « La guerre ne se terminera point par des soldats, mais par des cuisiniers. »
Le désespoir de l'amiral, qui partageait ces soup- çons, était horrible. Cette perte de son frère l'avait plus blanchi que ne l'aurait fait la perte de dix ba- tailles. Ahl c'est que ce frère était son meilleur ami, son ami de l'enfance, de l'càge mûr, son ami du foyer, du temple et des camps. Il n'y avait jamais eu entre eux , soit une altercation , soit une aigreur, soit une colère. Ilsavaientété armés ensemble chevaliers à Céri- soles par M. d'Enghien. Ils avaient suivi la même car- rière, embrassé la même foi 5 ils avaient dévoué leurs biens et leur vie à la même cause. Leur tendresse mutuelle élait égale. Seulement il y avait plus de sollicitude dans celle de Coligny^ et dans celle de d'Andelot, plus d'admiration. Tous deux étaient des héros religieux-, mais d'Andelot sentait avec joie que
LIVRE VINGT-NEUVIEME. 73
son frère élait bien puisqu'un héros. Au-dessus du cœur, dans les sublimités de l'intelligence et du ca- ractère, Coligny portait les destinées de la religion nouvelle. Il était le guide du parti protestant dans la paix et dans la guerre , le modérateur dans la vic- toire, le libérateur dans la défaite, la Providence tou- jours. Théodore de Bèze après Calvin, les princes al- lemands, Guillaume d'Orange, Elisabeth , traitaient avec Coligny comme avec un roi. Il avait la vénéra- tion des souverains et des foules. D'Andelot jouissait plus de la gloire de son frère que de la sienne propre, et sa modestie s'effaçait volontiers devant l'amiral. Son influence pourtant était immense sur Coligny. C'est d'Andelot qui avait attiré l'amiral et le cardinal de Châtillon, leur frère aîné, dans le protestantisme. C'est lui qui les avait poussés dans la guerre civile. « Mon frère, disait Coligny, a l'étincelle divine. Son zèle mérite d'être consulté. »
Il écrivait : « Quand j'ai M. d'Andelot, un second moi-même, je me repose un peu. Et si ce n'était qu'il est mon frère , et d'ailleurs assez connu , j'en dirais davantage. Bien puis -je dire que sans lui, à Saint- Quentin, et partout, je fusse demeuré sous le faix, car je n'aurais suffi seul à la peine qu'il fallait avoir, de laquelle il prit toujours la part principale, selon son habitude. «
L'amiral disait encore : « J'ai un singulier plaisir à entendre louer monsieur mon frère, particulière- ment en cela que l'éloge ne va jamais aussi loing que mon estime pour lui. »
Cette amitié fraternelle, dans ce siècle de guerre m. 1
74 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
civile où le frère répandait si souvent le sang dii frère, n'a pas été assez remarquée par les historiens modernes. Voilà pourquoi j'y insiste, après en avoir respectueusement recueilli les témoignages, dans les documents contemporains.
Elle fut inaltérable cette amitié, depuis le berceau jusqu'à la tombe. Ce fut l'amiral qui respira le dernier soupir et qui ferma les yeux de son frère. Après les angoisses de cette séparation et dans les détresses qui suivirent la retraite de Jarnac, Coligny rendait à d'Andelot un secret hommage , que je n'ai garde d'omettre. Il adressait à leurs enfants, élevés ensem- ble par les mêmes maîtres et par le même pasteur, cette lettre si touchante dans sa simplicité antique et dans sa sévérité religieuse :
« Mes amys,
« Encore que je ne doute pas que la mort de mon frère d'Andelot ne vous ayt apporté beaucoup d'afflic- lion, j'ay pensé toutefois de vous advertir que vous êtes heureux d'estre fils ou nepveux d'un si grand personnage, que j'ose assurer avoir esté très-fidèle serviteur de Dieu, et très-excellent et très-renommé capitaine^ qui sont vertus dont la mémoire vous doit estre toujours devant les yeux, pour les imiter autant qu'il vous sera possible. Sachez avec vérité que per- sonne ne l'a surpassé en la profession des armes ; et soyez certains que les estrangers luy rendent ce même témoignage, surtout ceulx qui ont autrefois ■éprouvé sa valeur. Or, il ne s'estoit pas acquis une telle réputation par fainéantise ou par oisiveté, mais
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par de très-grands travaux qu'il avoit soufferts pour sa patrie.
« Et certes, je n'ay pas connu d'homme ny plus équitable , ny plus amateur de piété envers Dieu. Je n'ignore pas aussi qu'il ne sera pas bienséant de publier ses louanges aux indifférents -, mais je vous les présente plus librement pour vous exciter et ai- guillonner à l'imitation de si grandes vertus, que je me propose moi-même pour exemple, suppliant très- humblement Dieu et Notre-Seigneur que je parte de cette vie aussi religieusement et heureusement que je Tay vu mourir.
« Et d'autant que je le regrette dans un grand res- sentiment , je vous demande pour tempérament à ma douleur que je voie reluire et revivre en vous ses vertus »
o A Xaintes, juin 15G9. G. de C. »
C'est la dure condition des chefs de parti et de guerre de ne se pouvoir livrer longtemps, tout en- tiers, soit à leurs joies, soit à leurs tristesses person- nelles. Des devoirs impérieux les arrachent aux affec- tions de la famille et les précipitent dans les tourbillons tumultueux de l'action.
Coligny l'éprouva. Il avait une Eglise et un peuple à sauver. Il étouffa ses gémissements, et il se fit un visage tranquille, un esprit attentif. Tel est le rare privilège de ces grandes âmes , de ces grands cou- rages. Ils n'ont pas un cœur moins tendre que les au- tres hommes, mais ils l'ont plus fort, et lorsqu'il saigne, ce cœur, c'est au dedans.
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Charles IX ayant investi Philippe Strozzi de la charge de colonel général de l'infanterie, laissée va- cante par la mort de d'Andelot, Coligny fit décerner parmi les calvinistes cette dignité à Jacques de Crus- sol, baron d'Acier, puis il ne s'occupa plus que de ses courriers d'Allemagne qui lui annonçaient une pointe audacieuse vers lui, de Wolfgang de Bavière , duc de Deux-Ponts. Ce duc, d'une ferveur impétueuse pour le protestantisme, avait rassemblé cinq mille lansque- nets et six mille reîtres. Il avait formé le hardi projet de traverser toute la France et de se joindre avec sa petite armée à l'armée des princes et de Coligny. C'était une de ces entreprises impossibles qu'exécute l'héroïsme aidé de la science et de la fortune.
Le duc entra en Lorraine avec ses onze mille Alle- mands. Le prince d'Orange, son frère Ludwig de Nassau, et le comte Wolfrad de Mansfeld se réunirent à lui et lui amenèrent un cortège nombreux de gen- tilshommes. Deux mille protestants du nord de la France, commandés par des capitaines éprouvés, se rangèrent aussi sous les drapeaux du valeureux duc, qui eut alors treize mille condDattants, parmi lesquels on comptait sept mille cavaliers.
Instruit de tout, le roi, qui séjournait à Metz, afin de pourvoir plus promptement aux nécessités, or- donna à Monsieur (le duc d'Anjou) de se porter avec ses troupes en Limousin et de se placer ainsi entre l'amiral et le duc de Deux-Ponts. Il dépêcha aussi contre Wolfgang M. d'Aumale , avec une armée , et bientôt après une autre armée sous l'autorité de M. de Nemours. Ces deux corps étaient un peu infé-
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rieurs en nombre à la cavalerie du duc de Deux- Ponts et très-supérieurs à son infanterie.
L'amiral, inquiet, calculait les obstacles et disait tout bas à ses amis les plus familiers : « Comment nos alliés se tireront-ils de tant de pièges, de tant de périls ? Ils auront deux armées sur les bras jusqu'à la Loire, et quand, par miracle, ils passeraient le fleuve, ils trouveront une troisième armée, l'armée de Monsieur, entre eux et nous. Ils seront exterminés ou captifs avant qu'ils nous aient approchés de vingt lieues. »
Il y aurait eu là de quoi, en effet, arrêter d'autres hommes que Wolfgang et ses compagnons -, mais le duc était un héros, et il avait un état-major de héros. Il s'abandonna à son instinct. Il pénétra de la Lor- raine en Franche-Comté, et ni M. d'Aumale, ni M. de Nemours ne surent lui barrer la Saône. Il s'avança, au milieu des escarmouches, par la Bourgogne et par le Nivernais, jusqu'à La Charité. C'était une bicoque importante, à cause du pont qu'elle a sur la Loire, et sans laquelle, d'après les tacticiens, il fallait remonter à la source de la rivière, « ce qui eût été un allonge- ment de soixante lieues, par un pays de bocages et de montagnes. »
Coligny, qui, tout en constatant les difficultés, tra- vaillait à les faire disparaître, avait envoyé à ses alliés un gentilhomme du Nivernais, M. de Guerchy, très- capable, par sa connaissance de la contrée, de donner à Vv^olfgang de bons conseils et une direction.
Ce fut lui en effet qui indiqua au duc le gué de Pouilly et qui l'engagea instamment à attaquer La
"8 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Charité. De Môuy se logea le premier dans le fau- bourg du pont. La place ne tint pas. Soixante sol- dats de la garnison, néanmoins, périrent dans ce petit siège. Le duc Wolfgang y perdit peu de monde. Le gendre du maréchal de Lavieilleville fut emporté par un boulet.
Avant de s'emparer de La Charité, oii M. de Guer- chy fut installé comme gouverneur, les Allemands avaient eu à leur queue ou à leur flanc , durant un trajet de près de soixante-dix lieues, l'ennemi tou- jours menaçant et toujours indécis. Loin de s'opposer à leur dernier coup de main. M, d'Aumale et M de Nemours se replièrent sur Gien. Le duc d'Anjou y arriva bientôt après. On crut que ce prince, généra- lissime de trois armées, attaquerait enfin les Alle- mands ou se jetterait entre eux et l'amiral. On se trompait. Il recula dans le Berry, pour se concerter avec la reine mère et le cardinal de Lorraine. Tandis qu'il délibérait sur les moyens d'empêcher la jonc- tion, elle allait s'accomplir. Coligny, à la nouvelle de la prise de La Charité, s'était écrié : « Dieu s'en mêle, montrons-nous dignes de sa protection par notre célérité. » ïl s'achemina sans retard, avec les jeunes princes, vers le Limousin, au-devant de Wolfgang, qui accourait lui-même à la rencontre de Coligny. L'amiral passa la Vienne à deux lieues de Limoges. Le 9 juin, il était à Chàlus. Il en partit avec un cor- tège de seigneurs pour recevoir le duc de Deux-Ponts ; mais le 11, à Escars, il apprit la mort de cet aventu- reux capitaine.
Wolfgang de Bavière avait succombé à une fièvre
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inflammatoire quatre jours avant le terme de cette expédition, si témérairement heureuse, qu'elle a suffi pour mériter à ce généreux prince un nom militaire dans l'histoire.
Le comte Wolfrad de Mansfeld ayant accepté de cette main héroïque le bâton du commandement, Coligny se hâta de confirmer ce choix. Il s'aboucha avec le nouveau général et ses principaux officiers. Il les accueillit chaleureusement, leur développa ses plans d'opération, puis les remercia une seconde fois, en maître de l'art, de leur grande marche. Illeurdis- tribua aussi dans cette entrevue, comme un signe de sa vive satisfaction , des chaînes d'or d'où pendaient des médailles du même métal marquées des effigies de la reine de Navarre et du prince de Béarn. La de- vise de ces médailles était : Paix assurée^ victoire en- tière ou mort glorieuse.
Les princes étant survenus peu après Coligny, la jonction complète des deux armées s'effectua, le 23 juin, à Saint-Yrieix, dit M. de La Noue, « avec abondance d'allégresse. »
Guillaume d'Orange ne pouvait assez s'étonner de l'issue de cette entreprise, dont il avait été l'un des volontaires intrépides. Il ne comprenait pas l'inac- tion des catholiques , soit lorrains , soit français , qui avaient eu tant de chances favorables contre des étrangers embarrassés de malades, chargés de ba- gages, à qui tout était péril, les remparts des cités, le fanatisme des populations, la pénurie des vivres, l'escarpement des terres , le débordement des eaux. Toutes les ressources étaient donc pour les troupes
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royales; mais la grande étoile de la guerre luit à ceux qui osent. Il y avait, d'ailleurs, entre M. d'Aumale et M. de Nemours une mésintelligence qui les rendit trop circonspects, par mériancel'un de l'autre. Quand le duc d'Anjou eut pris, à Gien, la conduite de toutes les forces catholiques, les Allemands étaient déjà dans les murs de La Charité. Leur merveilleux succès fit leur prestige. Le duc d'Anjou et ses lieutenants hésitèrent et laissèrent fuir l'occasion qui ne renaît plus. Ils cédèrent avec stupeur à cet éblouissement dont les grands caractères et les grandes résolutions fascinent, parfois, les adversaires les plus braves.
Cependant le duc d'Anjou était revenu du Berry. Il établit son camp à La Roche-Abeille, en Limousin, à une lieue de Coligny. L'armée des huguenots et des Allemands réunis était de vingt-cinq mille hommes; celle des catholiques et des Italiens de trente mille.
Coligny tenta de surprendre Monsieur à La Roche- Abeille (V. Tortorel et Perrissin, pi. xxxm), après avoir choisi une position stratégique excellente. Ta- vannes, qui avait deviné l'amiral, plaça trois cents arquebusiers au delà d'un cours d'eau qui séparait les deux armées. En deçà , il échelonna cinq cents arquebusiers et d'autres troupes sous la surveillance de Philippe Strozzi, colonel général de l'infanterie. Strozzi avait reçu de Tavannes l'ordre d'éviter l'of- fensive avec l'ennemi, mais seulement de tenir ferme et de se repHer, au besoin, en arrière.
Il était dans l'intention d'obéir, lorsque les hugue- nots (25 juin ioG9) se glissent à petit bruit, et fondent sur les catholiques. Aux premiers coupsdefeu, Strozzi
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sort de sa tente, par une pluie torrentielle. Il entend quelques vieux soldats d'Italie regretter, dansée dan- ger soudain, leur ancien général, M. de Brissac, et dire : « S'il était là! — Mort-Dieu, s'écria Strozzi, suivez-moi , compagnons , et je vous mènerai à la chaude, aussi loin que vous ait jamais menés M. de Brissac. « Il arrête, par sa présence, le choc terrible des huguenots, puis il oublie les instructions de Ta- vannes, et il charge les calvinistes qui feignent de lâcher pied.
Le jeune duc de Guise et M. de Martigues sont dupes de ce mouvement combiné par Col.igny. Us se précipitent avec leur cavalerie, et chassent l'ennemi plus de quinze cents pas au delà du cours d'eau.
C'est ce que l'amiral attendait. Il fait tourner un village, et, par ce circuit, parvient jusqu'au flanc des catholiques, les ébranle et les entame dans cette ma- nœuvre imprévue. Les plus téméraires, Martigues et le duc de Guise, entre autres, ne résistent pas et se dérobent précipitamment. Ils abandonnent les arque- busiers que Strozzi soutient et anime de son audace, mais qui sont hachés par la cavalerie protestante. Sans les compagnies fraîches, amenées parTavannes, sans ses promptes dispositions, et sans le mauvais temps, qui dura tout le jour, l'armée catholique était écrasée.
L'amiral jugea vite la situation. Ses troupes parais- sant fatiguées, et la confusion ayant cessé peu à peu dans le camp ennemi , il ne s'opiniàtra point à une bataille, et se contenta du beau succès qu'il avait ob- tenu. Les avant-postes catholiques étaient taillés en
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pièces. Coligny se décida à rentrer dans ses quar- tiers. Le duc d'Anjou eut à déplorer la perte de qua- rante officiers et de cinq cents soldats, indépendam- ment des prisonniers, parmi lesquels était le colonel général de l'infanterie, Philippe Strozzi.
Cet exilé italien, naturalisé Français par sa parenté avec la reine Catherine de Médicis, fut imprudent mais héroïque à La Roche-Abeille. Il s'y battit comme il se serait battu pour Florence. Il était fils de Piétro Strozzi, maréchal de France, tué à côté du duc Fran- çois de Guise , au siège de Thionville, et petit-fils de cet autre Philippe Strozzi qui , sommé de faire des révélations indignes de lui, fut mis à la torture et su- bit une terrible épreuve sans rien confesser. Captif, et craignant d'être vaincu à une seconde, à une troi- sième épreuve, il acheta un poignard de son geôlier, s'en perça la poitrine et, le retirant, il traça avec la pointe sanglante, sur la muraille de son cachot, ce vers menaçant : '
Exoriare aliquls nostris ex ossibus ultbr.
Philippe Strozzi, qui se porta si valeureusement au combat de La Roche-Abeille, ne le cédait en cou- rage cà aucun de ses ancêtres. Il eût été néanmoins plus profitable qu'il se fût tenu sur la défensive et qu'il se fût borné à n'être en ce péril que le boucher de l'armée catholique.
Ce fut le premier combat du jeune prince de Béarn. Le prince d'Orange , arrivé avec les Allemands de Wolfgang, se trouvait aussi à cette rude affaire. Il y
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déploya ce calme courage, ce flegme puissant qui le distinguaient.
Dans la religieuse confiance de sa force' et de son droit, touché de piété envers Dieu, de commisération pour les souffrances des troupes "et des peuples, l'a- miral, supérieur à son propre triomphe, et insouciant' d'une vaine gloire, fit des propositions de paix. Il chargea le maréchal de Montmorency d'être son inter- prète. Il demandait humhlement l'exercice du culte calviniste en France. Mais ce suppliant était le plus convaincu des héros, le plus obstiné des grands hommes, et il avait dévoué sa vie et sa mort à la con- quête de la liherté de conscience. Il exigeait des sûre- tés pour ses frères, présentant d'une main, comme un rameau d'olivier, leur requête pacifique, et serrant de l'autre main la garde de son épée, prêt à combattre, plus prêt à se soumettre. Cohgny fut déçu. On refusa de rien entendre avant que les protestants eussent posé les armes. L'amiral, triste mais déterminé, se résigna donc encore à la guerre. « J'ai lu, écrit-il, le 26 juillet, au maréchal de Montmorency, la réponse de Sa Majesté^ la mienne est que Dieu et tous les princes chrétiens seront juges si nous nous sommes mis en notre devoir et si nous n'avons tout fait pour prévenir la ruine et la désolation de ce royaume. Mais puisque nous connaissons plus clairement encore que par le passé qu'on veut nous priver de notre reli- gion et exterminer nos personnes, nous penserons dorénavant et plus que jamais à y remédier. »
Le duc d'Anjou, dont l'armée était harassée, ne voulut pas accepter d'action générale. 11 licencia ses
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troupes, les distribua dans les garnisons de la Guyenne et leur donna rendez-vous au 15 août, puis il pro- longea le congé jusqu'au l" octobre.
Coligny continua la campagne, débloqua Niort, prit Lusignan , Chàtellerault , et se répandit dans le liaut Poitou , afin de rafraîchir ses soldats en une contrée plus fertile et plus riche que le Limousin.
Il se disposait à investir Poitiers, lorsqu'on lui an- nonça le pillage de ses résidences de Chàtillon-sur- Loing et de Chàteau-Piegnard.
Châtillon était la maison de ses souvenirs et de ses principales richesses héréditaires. Le capitaine qu'il y avait laissé, avec une petite garnison, ne se rendit qu'à une condition, c'est que rien ne serait enlevé du château et que tout y serait respecté. Cette condition fut violée en même temps que signée par le comte Sciarra Martinengo, un des séides italiens de la reine mère. Par un flagrant parjure , il maltraita les gens de l'amiral. Il vida les caves, il vola les chevaux et les chiens, il brûla les portraits de famille et toute la bibliothèque, il s'empara des belles armes et des meubles précieux qu'il transporta à Paris où il les vendit à l'encan. L'amiral apprit tous ces détails sans émotion apparente. Cet homme biblique se contenta de dire comme Job, dont il méditait souvent le livre : « ï)ieu donne. Dieu ôte, que son saint nom soit béni ! )> Puis se rappelant la conversation solennelle qu'il avait eue avec sa femme au début des troubles , il ajouta : « J'avais tout prédit à madame de Châtillon ; j'avais tout prévu moi-même. Nous avons su ce que nous faisions; ne nous plaignons doue pas. Il n'y a qu'un
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bien, c'est de croire au Seigneur-, et qu'un trésor, c'est de combattre, c'est, s'il le faut, de mourir pour sa cause. »
Insensible à ses pertes privées , l'amiral n'était préoccupé que des affaires générales. Sans lui , sans son génie et son caractère, que serait devenu son parti? La conflagration était universelle. Le saccage- ment, les rapines, les incursions, le carnage sévis- saient [)artoutàlafois. Le ^1 août 15G9 fut, à Orléans, un jour néfaste. La plèbe fanatique força les prisons où les protestants avaient été entassés pèle-mèle. Elle en égorgea trois cents, et parmi eux des femmes, des pasteurs, des enfants, des vieillards qui furent tortu- rés juscju'à la mort, avec des inventions, des variétés et des redoublements inouïs de férocité. Tout ce qui échappa des calvinistes Orléanais s'enfuit par les sen- tiers les plus secrets des bois et des montagnes à Montargis, à Sancerre et à La Charité.
On se battait et on s'assassinait partout , dans TAunis, dans le Poitou, dans la Guyenne, dans le Limousin, dans l'Ile-de-France, dans le Dauphiné, en Nivernais, en Auvergne, en Languedoc, le long des fleuves, du Nord au Midi et jusqu'au pied des Pyrénées.
Coligny, qui accumulait contre Poitiers ses princi- pales ressources d'hommes et de munitions, avait détaché, de concert avec Jeanne d'Albret, le comte de Montgommery pour ressaisir les Etats de cette princesse, livrés à la révolte et envahis par les géné- raux de Charles IX.
Montgommery descendait d'une des gi'andes fa-
8C HISTOIRE DE LA LIBERTÉ- RELIGIEUSE.
milles (l'Ecosse. Il élail proche parent des Stnarts. C'est lui qui avait eu le malheur de tuer Henri II dans un tournoi. Il s'était signalé au siège de Rouen et dans des rencontres innombrables. C'était un par- tisan d'une habileté consommée, et en même temps d'une impétuosité qui le rendait propre aux expédi- tions rapides. Coligny, qui l'avait souvent éprouvé, le tenait pour un de ses meilleurs lieutenants.
Le comte justiûa une si haute estime. Tantôt mar- chant, tantôt courant au milieu des embuscades, il atteignit Navarreins, dispersa les catholiques et s'a- vança sur Orthez où Terride, l'un des plus redou- tables capitaines du roi Charles, s'était renfermé. Montgommery harangua sa bande héroïque de hu- guenots, fit prononcer la prière, sonner la charge, escalader les remparts. Malgré la bourgeoisie, malgré le peuple, malgré les soldats agités par les moines, il amena la ville à capituler. Terride, réfugié dans la citadelle, s'y défend comme le lion dans son repaire. Montgommery le poursuit, met le feu aux bâtiments voisins , dont l'incendie se communique et gagne de toutes paris. Enveloppé de flammes , Terride capitule à son tour. Il obtient la vie sauve pour lui et pour la garnison. Montgommery, sans repos ni trêve , et précédé de la terreur de son nom , fond sur Pau, puis sur les autres cités rebelles, et s'en empare.
Cette conquête du Béarn et du Bigorre est une des plus brillantes pages de la troisième guerre civile. Montgommery, avec une poignée d'hommes intré- pides et les principaux seigneurs du Quercy, qu'on
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appelait les quatre vicomtes, s'était démêlé de Mont- luc, do Damviiie, gouverneur du Languedoc, et avait rétabli partout, en quelques semaines, rautorilé de la reine de Navarre.
Malheureusement, ceWallacedu calvinisme souilla sa gloire par la cruauté. 11 se laissa circonvenir par les passions locales, y ajouta les siennes et favorisa des vengeances effroyables.
Le comte de Montgommery visita ces contrées comme un fléau de Dieu. Il retourna la persécution contre les catholiques. 11 y mêla des raffinements et des brutalités implacables. Les prêtres furent ses principales victimes. Il exagéra sur eux la loi du talion. I] les faisait percer de piques, ou sauter par les fenêtres, ou jeter dans le Gave.
Il transformait les églises en écuries. Les vases sacrés étaient avilis lorsqu'ils n'étaient pas monnayés. L'argent qu'on en tirait et qui était une première profanation servait, par sa destination même, à des profanations nouvelles. Il y eut une délibération in- croyable touchant les dépouilles de l'église Saint- Martin. La municipalité protestante de Pau décida que le prix des calices serait dépensé pour les médi- caments du cheval de Montgommery.
Les tombeaux furent brisés. Les prélats et les rois du vieux temps étaient arrachés de leurs sépulcres, et, soit les anneaux des évêques, soit les épées et les couronnes des princes, furent partagés comme un butin. La soldatesque effrénée qui a, non moins que la populace, dans les grandes crises, l'imagination du crime, se dressa des quilles d'ossements, et joua gaie-
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ment à ce jeu sacrilège avec des crânes de cardinaux et de souverains en guise de boules.
C'étaient là les représailles des calvinistes de Mont- gommery. Lui-même était prodigue de supplices. Quand il eut repris la ville et le château de Pau sur les catholiques, son premier mouvement avait été d'aller au temple remercier Dieu 5 le second fut de condam.ner à la potence deux chanoines suspects, Bertrand de La Torte et Jacques du Puy. Ils furent exécutés sans retard et sans pitié.
La plus atroce tragédie de cette conquête mérite d'être retracée. L'histoire est la suprême justice. Quoi qu'il lui en coûte, elle doit sa sincérité à tous les partis et à tous les hommes. Sa connivence serait un forfait, puisque la vérité est sa loi.
On se rappelle les captifs d'Orthez. Les principaux officiers d'entre eux avaient été conduits, avec Ter- ride, leur général, à la suite du vainqueur. Mont- gommery les avait logés dans le château de Pau. Ils étaient tous des gentilshommes ou des seigneurs. Ils appartenaient aux familles les plus illustres. C'étaient MM. de Gerderest, de Sainte-Colombe, de Sus,d'Ay- die, de Goas, de Candau, de Salies, de Favas, de Pardies et d'Abydos.
Ces nobles captifs, isolés, chacun dans une cham- bre, désiraient une réunion, même passagère. On leur annonce, un soir (24 août 1569), la faveur d'un repas en
commun. Ils s'assemblent dans une des salles du châ- teau pour ce banquet -, ils se sont parés de leur mieux. Ils ont échangé des serrements de mains, des paroles du cœur. Ils sont assis l'un près de l'autre, et sous la
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garantie d'un traité signé par le chef huguenot, ils mangent, ils boivent dans les douceurs de l'amitié. Tout à coup, les sicaires de Montgommery se préci- pitent par toutes les portes, et interrompent le fu- nèbre festin. Les gentilshommes se lèvent , mais ils sont sans armes. Les bourreaux frappent et tuent. Les captifs sont ainsi exterminés, et passent, selon l'énergique expression d'un chroniqueur, « de la table à la mort, a cœna ad necem. )i Horrible sacrifice hu- main à d'étroites fureurs de clocher et de secte ! Lu- gubre temps, siècle de fer, oij le massacre répond au massacre, où des fanatismes contraires versent le sang à Ilots dans tout le royaume !
La catastrophe du château de Pau retentit comme une férocité et comme un parjure. La cour de France en tressaillit. Catherine s'en irrita, et, si l'on en croit le narrateur des troubles du Béarn, Charles IX jura que, puisque l'attentat avait eu lieu le 24 août, jour de la Saint-Barthélémy, « il ferait une autre Saint -Barthélémy, en expiation de la première. »
Les barbaries exercées à Pau par Montgommery ont été généralement imputées à Jeanne d'Albret. Un tel égorgement ne s'accorde pas avec les habitudes clémentes de la reine de Navarre. Cette considération serait presque une justification suiïisante, mais il en est une autre meilleure. Montgommery n'avait plus de nouvelles ni de Coligny, ni de Jeanne. Toute com- munication était devenue impossible, depuis que, par ses manœuvres hardies, il avait placé les escadrons catholiques entre lui et les deux seules personnes qui
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eussent le droit de lui commander. Que sa mons- trueuse ivresse de proconsul lui demeure donc avec sa gloire surprenante de général , et que la calom- nie de la tradition sur Jeanne d'Albret soit ab^^lie à jamais.
LIYEE TRENTIÈME
Siège de Poitiers par Coligny. — Dominique d'Âlbe soudoyé par Catherine de Médicis, afin d'empoisonner l'amiral. — Le meur- trier est pendu. — Coligny lève le siège de Poitiers. — Tavannes. — Bataille de Moneontour. — Épisodes. — Le duc d'Anjou, aa lieu de poursuivre Coligny, s'arrCle à des sièges de villes. — L'amiral proportionne les efîorls aux adversités. — ■ M. de Mouy assassiné à la place de Coligny. — Belle défense de Saint-Jean- d'Angely par Armand de Piles. — Plan héroïque de l'amiral.
L'amiral était devant Poitiers (V. Tortorel et Per- rissin, pi. xxxiv).
Il s'était vivement opposé à ce siège. « N'investis- sons pas, avait-il dit, une aussi grande ville. Elle ren- ferme trop de seigneurs, et, d'ordinaire, ces cités immenses sont la sépulture des armées. » Le dessein
(de l'amiral était à la fois plus militaire et plus politi- que. Il voulait prendre Saumur, et, delà, marcher sur Paris. Il déplorait la guerre tout en la faisant. Il aspirait à se rapprocher de la capitale de la France, afin de l'incliner, par la terreur des armes , à la li- berté des cultes et à la paix.
Un si beau projet, dans lequel l'homme d'Etat inspirait et complétait le général, n'eut pas l'as- sentiment de l'aristocratie protestante. La posses- sion de Lusignan et de Châtellerault, les ressources de La Rochelle, surtout, lui avaient enflé le cœur et elle demandait à grands cris le siège de Poi-
92 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
„t*iers. Les armées, dans les guerres civiles, ont une sorte de constitution anarchique avec laquelle nul ne peut se dispenser de compter. Coligny céda, en gé- missant. Comme il l'avait prévu , Poitiers résista. Elle avait une bonne garnison, bien dirigée par le comte du Lude entouré d'un nombreux état-major de noblesse. Le duc de Guise et le jeune marquis de Mayenne, qui s'étaient jetés dans la place, la défen- daient contre Coligny avec le même courage que leur glorieux père avait déployé à Metz contre Charles- Quint.
La situation de l'amiral était très-pénible. Il n'a- vait de base solide que sa constance. Tout le reste, à chaque instant, était sur le point de lui manquer. La dyssenterie ravageait le camp huguenot. Coligny, malade lui-même, avait à soumettre l'insubordina- tion de ses propres troupes, à lutter contre les stra- tagèmes des chefs catholiques et contre les complots des assassins.
La reine mère entretenait dans l'ombre des instru- ments toujours prêts au meurtre. Elle avait pratiqué et gagné, par ses agents, Dominique d'Albe, l'un des valets de chambre de l'amiral. Ce misérable avait touché une grosse somme d'argent et s'était engagé à empoisonner Coligny, mais ses indiscrétions le dévoilèrent. Soupçonné d'abord, puis convaincu par des juges intègres , il fut pendu, en face de Poitiers, à une haute potence, monument de justice contre un assassin vulgaire, et de hor)te contre la mère du roi 5 car on reconnut l'influence cachée de Catherine dims ce noir forfait. Le principal instigateur de Dominique
LIVRE TRENTIÈME. 93
était La Rivière, ami de Montesquiou, attaché comme lui au duc d'Anjou, et l'un des familiers de la reine. Cette femme impie et froidement sanguinaire con- tinuait la pensée d'une extermination , soit parti- culière, soit générale, si l'intrigue était insuffisante. Cette pensée qu'elle n'abandonnait jamais que par moments, elle la puisait sans cesse dans les tortueux abîmes de son âme, dans les préceptes de Machiavel, dans les exemples des Borgia, dans les insinuations tantôt de Birague, le plus souvent de Gondi , son esclave et son maître, son amant et son tentateur domestique. Elle croyait, l'insensée, clore parla les troubles, cimenter sa maison, et assurer la toute- puissance de son fds bien-aimé, le duc d'Anjou. Elle s'abusait à tous les points de vue. Le crime est comme le roseau de l'Écriture^ il perce la main qui s'y appuie.
Les travaux contre Poitiers furent, du 24 juillet au 7 septembre 1569, poussés par les assiégeants et re- poussés par les assiégés avec la plus extrême vigueur.
Le comte du Lude invoquait de loin le roi qui, lui- même, avait vraiment à cœur de délivrer Poitiers. Le cardinal de Lorraine, qui sentait ses deux neveux en péril de tomber au pouvoir de l'amiral, excitait chaudement le zèle de la reine mère et de Charles IX. ïavannes , plusieurs fois interrogé, fournit en plein conseil un expédient infaillible pour préserver Poi- tiers, en attirant ailleurs Coligny. « Il serait bien dan- gereux , dit-il, d'attaquer directement M. l'amiral. Mais si Monsieur se porte sur Chàtellerault, où se sont retirés tous les chefs calvinistes, soit blesses, soit
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languissants de la fièvre, plutôt que de les trahir par son inaction, M. l'amiral s'empressera de nous cher- cher-, et, laissant Poitiers, il tentera de sauver Chà- tellerault. »
Tout le conseil fut charmé de ce raisonnement, et l'approuva. Sous les auspices de Tavannes, le duo d'Anjou partit pour Chàtellerault qu'il assaillit à coups de canon. L'amiral se hâta d'aller au hruit de l'ar- tillerie dont il entendait les décharges de son camp. Il fut presque heureux, de cette diversion. 11 la saisit comme un prétexte honorahle d'interrompre le diffi- cile siège aufiuel il avait été contraint, et il présenta la hataille au duc d'Anjou, qui, n'étant pas assez fort, et content d'avoir déhloqué Poitiers, se déroha.
Coligny poursuivit Monsieur jusqu'en Touraine, puis il revint sur ses pas, traversa la Vienne et éta- blit ses cantonnements dans les environs de Faye-la- Vineuse.
Ce fut là qu'il reçut le second arrêt de mort rendu contre lui, le 43 septembre, confirmé, le 27 du même mois, par le parlement de Paris qui redoublait et ag- gravait ainsi un premier arrêt du 19 mars. Les su- prêmes magistrats du royaume condamnaient Coligny à être étranglé , en place de Grève, comme criminel de lèse-majesté , et comme chef de rébellion contre le roi. « Seront ses biens confisqués, portait l'exé- crable texte, et ses enfants déclarés vilains, roturiers, intestables, infâmes, déchus de toute dignité, de toute propriété dans l'État. Ses armoiries et enseignes se- ront attachées et traînées à la queue des chevaux par cette ville de Paris et autres villes , bourgs et
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bourgades; et après, rompues et brisées par l'exécu- teur des hautes œuvres, en signe d'ignominie perpé- tuelle. Le corps mort du sieur de Coligny demeurera pendu, l'espace de vingt-quatre heures, au gibet de l'hùtel de ville et ensuite au gibet de Montfaucon , si le dit Coligny appréhendé peut être; sinon, il sera hissé par effigie. »
Cet arrêt, auquel la reine mère n'était point étran- gère, allait plus loin : aiguisant par la cupidité les poignards, il promettait cinquante mille écus d'or à quiconque livrerait l'amiral mort ou vif. Coli- gny lut tranquillement cette sentence homicide et dit avec sérénité : « Je suis résigné à tout. » Puis, comme si sa pensée se détachait de lui-même pour embrasser les désolations de la patrie, il dit encore, mais plus tristement : « 0 malheur des guerres ci- viles, où les gens de bien sont frappés par justice de la peine des scélérats ! »
Coligny ne séjourna pas longtemps à Faye-la- Vi- neuse, dont le pays, quoique bon, était dévasté. Il se proposa, pour ses quartiers nouveaux, Moncontour. Les accidents de terrain s'y prêtaient aux combi- naisons d'une stratégie savante, et le sol y était excellent.
D'un autre côté, Monsieur ne fuyait plus l'amiral. Les deux armées étaient, sans le savoir, à très-peu de distance. Celle de Monsieur montait à vingt-sept mille hommes. Coligny, qui n'en avait pas plus de dix-huit mille, était décidé à temporiser jusqu'au re- tour, soit du comte de Montgommery et des quatre vicomtes du Quercy qui devaient lui amener dix mille
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Gascons, soit du prince d'Orange qui avait rebroussé, sous un déguisement et avec quarante chevaux, en Allemagne, afin de recruter des reîtres et des lans- quenets.
Le duc d'Anjou (Monsieur) et l'amiral n'étaient pas instruits exactement de leur position réciproque. Néanmoins l'amiral se défiait et disait à M. de Bri~ quemaut : « Soyons sur nos gardes et ne méprisons pas une armée où se trouvent des généraux comme M. de Biron, M. de Cossé et surtout comme M. de Tavannes. »
Coligny avait raison. Tavannes était son plus for- midable adversaire. Il n'était certes pas de la trempe du grand Guise et de Coligny, qui avaient l'univer- salité du génie et qui furent à la fois des hommes de guerre, des hommes d'État, des diplomates et des chefs d'idées. Tavannes n'était qu'un général, mais un général éminent, à la manière de M. de Brissac, le vice-roi du Piémont.
Tavannes avait l'instinct prompt et sûr des hommes spéciaux. C'est ici le lieu d'étudier et de peindre cet étonnant soldat, entre Jarnac etMoncontour, au mo- ment où il va s'illustrer si brillamment et mettre le sceau à sa renommée.
Français par son père et Allemand par sa mère, il fut le second fils de Jean de Saulx , un seigneur dijonais , et de Marguerite de Tavannes, sœur d'un capitaine de lansquenets. Il naquit en Bourgogne, au mois de mars 1509.
Dès son enfance, il fut destiné aux armes. Il avait quatorze ans, lorsque son oncle maternel , Jean de
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Tavannes, passant par Dijon et menant des lansque- nets à Fontainebleau, lui persuada de venir à la cour. C'était le rêve du jeune Gaspard de Saulx, et comme il était un cadet de famille, on le laissa partir. Jean de Tavannes présenta son neveu au roi, qui, cliarmc de sa bonne grâce , le reçut parmi ses pages. Fran- çois F', désirant plaire au capitaine de lansquenets, obligea même le nouveau page à quitter son nom pour le nom de son oncle. Gaspard de Saulx, déjà courtisan, s'empressa d'obéir et s'appela désormais Gaspard de Tavannes.
Le vieux gentilhomme allemand fut doublement sensible à l'affection de son neveu en cette circon- stance et à l'attention du roi. Il n'avait pas d'enfants. Il adopta en quelque sorte Tavannes, auquel il ne servit pas longtemps de père , car il mourut bientôt après. Le jeune homme, n'ayant plus de soutien dans sa famille, se choisit un puissant protecteur sur les marches du trône.
Ce fut le duc d'Angoulème. C'était le troisième fils du roi. Il devint duc d'Orléans par la mort du dau- phin François. Celui qui fut depuis Henri II prit alors le titre de Dauphin et transmit ainsi le titre de duc d'Orléans à son dernier frère, Charles d'Angoulème.
Ce prince était vif, hardi et n'estimait que l'exa- gération de la chevalerie. L'adresse de Tavannes dans les tournois, son intrépidité dans la guerre, ses sin- gularités héroïques, séduisirent le duc d'Orléans. Il fit l'ancien page heutenant de sa compagnie et l'ad- mit dans sa petite cour. Cette cour était un orage perpétuel. Tavannes ne larda pas à donner le ton aux
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compagnons du prince et au prince lui-même, en se montrant le plus spirituel, le plus entreprenant, le plus fier et le plus turbulent d'eux tous.
Les prouesses des amis du duc d'Orléans parti- cipent plus du roman que de l'histoire, et cependant on ne saurait les révoquer en doute, tant elles sont prouvées par l'authenticité et par l'unanimité des témoignages.
Dans leur besoin de dangers effrénés, Tavannes et ses émules, le duc d'Orléans compris, se jetaient au milieu de témérités pires cent fois que les hasards des batailles.
Un soir, au milieu d'un souper bruyant, ils se pro- voquent à faire le surlendemain soixante lieues du lever au coucher du soleil. Ils préparent leur gageure et ils l'exécutent. Ils disposent des relais avec les chevaux du prince, puis, au jour convenu, ils cou- rent à franc étrier ce long trajet. Arrivés au terme, dans une hôtellerie de Bourgogne, ils y rencontrent i uelques gentilshommes du pays. Ces gentilshommes, qui ne connaissent pas le prince, regardent dédai- gneusement les voyageurs et s'emparent du haut bout de la table. Tavannes offensé dégaine. Tous l'imi- tent. On se bat. Les provinciaux désarmés sont relé- gués au bout inférieur de la table et contraints, pour prix de leur rançon, de manger et de boire avec leurs gants. Ils subissent cette loi. Mais, au dessert, la honte les soulève de leurs sièges. Ils ressaisissent leurs épées. On se bat encore et avec plus d'acharne- ment. Les gentilshommes bourguignons sont vaincus de nouveau et plusieurs blessés grièvement. Les sel-
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gneurs de la cour , dont quelques-uns sont blessés aussi, remontent alors sur leurs chevaux et retour- nent joyeux comme ils étaient venus.
Ils se précipitent d'aventures en aventures.
Ils s'immergeaient, en toilette de bal, dans la Seine débordée et ils gagnaient, sans pouvoir être secourus, l'une ou l'autre rive.
Ils grimpaient par les ouvertures des greniers jus- qu'au sommet des toits, s'y promenaient, puis ils s'élançaient par-dessus la rue sur d'autres toits.
Ils allumaient de vastes bûchers dont ils attendaient l'embrasement, et ils les traversaient à cheval au plus épais du feu et des flammes.
Le plus audacieux de tous ces audacieux, Tavannes, paria un matin, en déjeunant à Fontainebleau, qu'il franchirait avec son genêt dix-huit pieds de vide entre deux rochers de la forêt. Tout le monde s'efforça de dissuader Tavannes ; mais lui s'obstinant, la cour vou- lut voir ce spectacle extraordinaire. Moitié curieuse, moitié émue, elle se rendit à l'endroit désigné comme à un cirque. — Et Tavannes sauta.
Ces fohes avaient cela de bon, du moins, qu'elles tournaient plus tard en héroïsme et qu'elles inspi- raient la première des vertus militaires : le mépris de la mort.
Le duc d'Orléans, qui encourageait ces excès et qui s'y mêlait, en fut la plus illustre victime. S'étant fatigué au delà de ses forces à une chasse furieuse, il fut saisi d'une maladie inflammatoire qui l'emporta en deux jours.
Tavannes, qui aimait ce prince et qui en attendait
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tout, l'ut désespéré. Il s'écoula bien des mois avant qu'il voulût être soit distrait, soit consolé. La dou- leur et le loisir qu'elle lui lit le transportèrent dans un ordre plus sévère d'habitudes et de pensées.
Il médita sérieusement les sciences militaires, et, en IS46, il. consentit à se marier. Il épousa, à la grande satisfoclion de sa famille, mademoiselle de Montrevel, nièce du cardinal de Tournon et du ma- réchal d'Annebaut. Cette maison de Montrevel était encore, vers 1793, la plus éclatante du Maçonnais. Elle s'éteignit dans le sang de son dernier représen- tant qui périt, malgré son adhésion à la république, sous la hache révolutionnaire.
Immensément riche par la dot de sa femme et par les munificences du duc d'Orléans, Tavannes reparut à la cour avec un luxe qui défiait les seigneurs les plus magnifiques. Dans l'orgueil de ses aspirations, il se fit composer un cadiet sur lequel était gravé un homme luttant contre des vents déchaînés et les frappant de sa dague nue. L'exergue, d'une brièveté superbe, ne portait que ces mots : Malgré vous.
Tavannes au fond était un ambitieux persévérant, décidé à tenter le destin par toutes les routes. Sa llatterie était défiée avec hardiesse ; son fanatisme, plein de calculs. Sa bravoure irrésistible ne se prodi- guait pas vainement. Comme courtisan, comme ul- tramontain et comme soldat, il avait un but toujours le même : avancer très-loin et très-haut.
Il apprécia de bonne heure la supériorité de Ca- therine de Médicis, et il essaya de fixer celte princesse mobile par l'exagération même du zèle. Enclin aux
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extrémités, toute modération lui semblait fade et monotone. Son tempérament, en quelque sorte orga- nique, était la fièvre chaude.
Avant la campagne de 1556, dans le temps où toute la noblesse se divisait entre Catherine de Médicis et Diane de Poitiers, il ne craignit pas de se pro- noncer pour la reine contre la maîtresse, en dépit de la faction de Diane, qui était la plus nombreuse et la plus puissante. Les colères couvaient sous les sou- rires. Les passions étaient au comble. Tavannes conçut un dessein et s'en alla le proposer à Cathe- rine : c'était de mutiler la figure de Diane et de déshonorer ainsi à jamais sa beauté. Catherine résis- tant, à cause des périls de Tavannes : « Ne vous in- quiétez pas, madame, reprit-il; quelles que soient les suites, pourvu que je vous venge, je serai trop heu- . reux. » Effrayée de plus en plus, Catherine supplia Tavannes de renoncer à cette insulte irréparable et de réserver pour de plus grandes conjonctures un serviteur tel que lui.
La reine eut beaucoup de peine à le retenir, disent les historiens. Ils me permettront de ne pas les croire. Tavannes était aussi fin que violent, et, en faisant son étrange proposition à la reine, il comptait bien qu'elle refuserait. S'il insista, ce fut pour mieux con- stater son dévouement et pour mieux se rattacher les sentiments de Catherine de Médicis., d'autant plus convaincue de la fidélité frénétique de Tavannes, qu'elle était plus obligée de la combattre et de la tempérer.
Il n'agit pas autrement dans les affaires religieuses.
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Fervent catholique, ennemi mortel du protestan- tisme, il s'opposa toujours aux édits de pacification, dont il empêcha l'enregistrement au parlement de Bourgogne. Il se montra sans cesse l'antagoniste acharné de la liberté de conscience et de ceux qui en étaient les promoteurs. Mais il eut soin, tout en orga- nisant la confrérie du Saint-Esprit contre les hugue- nots, tout en flattant les haines du grand parti ortho- doxe, de resterindépendant des Guise presque autant que de l'amiral, soumis seulement à Catherine de Médicis et au pouvoir royal.
Cette diplomatie, mêlée de souplesse et de jac- tance, servit beaucoup à sa fortune mihtaire. Con- fiante dans les talents de Tavannes, dans son affection sans mesure, la reine lui passait ses éclats d'humeur et ses fougues de caractère. « Que voulez-vous, di- sait-elle, il faut le supporter ainsi. Moi, je sais quel il est. »
Tavannes , du reste , comme général avait de quoi justifier les bienveillances de la cour.
Sa carrière avait été longue et brillante. Il avait combattu, presque enfant, à Pavie en 4525, volon- taire à Cérisoles en 1544, maréchal de camp à Renty en 1554. Ce fut là qu'il enleva les suffrages de toute l'armée , et qu'il eut l'honneur de se distinguer au- tant que l'amiral, plus peut-être que le duc de Guise. Le duc, l'abordant après l'action et le félicitant, lui dit : « Monsieur de Tavannes, nous avons fait une belle charge. — Il est vrai, monseigneur, repartit fièrement Tavannes, vous m'avez fort bien soutenu. » Mandé au quartier général de Henri H , il y parut dans toute la
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poésie et dans tout le désordre du carnage , sur son cheval ruisselant, les cheveux souillés de poussière, le visage en feu, l'épée nue à la main, couvert de sang et de sueur. Le roi, qui était à cheval aussi, courut à lui, l'embrassa, et, se dépouillant de son propre cor- don de Saint-Michel , il le passa au cou de Tavannes. Promotion unique de ces grands insignes, qui ne s'était pas vue auparavant et qui ne se vit plus depuis sur le champ de bataille.
Tavannes continua de se signaler en Italie , puis à Calais , à Guines , à Thionville , partout où se brûlait de la poudre.
Le duc de Guise lui ayant fait don de milord Grey, à la prise de Guines, Tavannes envoya son prisonnier cà Dijon auprès de sa femme : il savait ce qui arrive- rait.
Madame de Tavannes, quoiqu'elle fût une Montre- vel, était avide comme la compagne d'un reître.
Lorsque Tavannes envahit Noyers, le château de Confié , madame de Tavannes s'était emparée même des robes de madame la princesse. Elle les fit façon- ner à sa taille et ne rougit pas de s'en parer pour les "\ bals de la cour.
Au saccagement de Maçon par les catholiques, madame de Tavannes vida cent-quatre-vingts bahuts de linge, soit nappes, soit draps, soit pièces de toile. Elle avait emballé , expédié et enfoui dans ses de- meures, bagues, joyaux, meubles, lustres, flam- beaux, vaisselle d'or et d'argent pour des sommes incalculables.
La rançon de milord Grey ne lui fut qu'un eu.
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Elle accueillit bien ce noble captif. Peu à peu , des protocoles s'engagèrent entre elle et lui^ elle évalua et marcbanda si bien milord, qu'il ne sortit pas de Dijon à moins de dix mille écus. Madame de Ta- vannes convoitait toutes ces occasions de proie. Elle était toujours prête à exploiter la gloire de son mari. Héroïne de pillage et de lucre, s'il en fut jamais!
Aidé de ses richesses, appuyé sur Tamitié de la reine mère, sur l'influence dont il jouissait soit comme capitaine, soit comme administrateur, cher aux catholiques autant qu'aux Valois pour les ser- vices prodigués à l'Église non moins qu'à la dynas- tie, Tavannes était nalurellement marqué pour le commandement. ïl l'eut en effet tout entier auprès du généralissime, le duc d'Anjou. Tavannes n'était pas seul au conseil, mais il y était prépondérant-, et, malgré les jalousies du maréchal de Cossé, de MM. de Biron, de Brissac, de Sansac, il fut maintenu par Ca- therine de Médieis dans sa suprématie. Il s'y main- tint lui-même à merveille, quelquefois prudent, sou- vent agressif, toujours habile. Car il avait une matu- rité consommée et une dextérité incroyable, jusque dans ses explosions soudaines comme la foudre.
Un portrait que j'ai plus d'une fois considéré dans ma jeunesse , et qu'il ne faut pas confondre , comme d'illustres historiens , avec le portrait brutal du capi- taine des rcîtres, peint bien Tavannes.
Le caractère de cette physionomie est l'emporte- ment. Elle est acerbe, môme au repos. Et cependant le front chauve , tout sillonné , abonde en réflexions. Les sourcils relevés brusquement découvrent des
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yeux aussi rusés qu'ardents. On souliaitcrait qucrex.- pression do cet homme do parti s'adoucît par le bas du visage-, mais non, elle se prononce et s'endurcit encore. Le nez hardi domine des moustaches et une barbe roulées en couleuvres. Les lèvres s'entr'ouvrent à des paroles menaçantes ou meurtrières.
Une main légère , posée sur la poignée de l'épée, est impatiente d'exécuter tout ce que cette tète vive a rêvé de plus téméraire.
J'ai toujours regretté que ce portrait ne fût pas placé dans le château de Sully qui appartient, à M. de Mac-Mahon et que Tavannes fit bâtir à quelques lieues d'Autun. Ce château, d'une adorable architecture, est l'un des plus beaux de l'Europe. 11 ne lui manque rien, si ce n'est, au milieu de sa perspective de cimes sauvages, le parc planté à Montjeu parle président Jeannin. Un parc semblable à celui de Montjeu serait un complément admirable qui rendrait Sully, le pa- lais des Saulx-ïavannes , digne d'être habité par dos rois.
Cette résidence était un séjour à Tavannes et ne lui était point une retraite. Autant qu'ailleurs, son activité de corps et d'esprit y dévorait le temps et l'espace. Son sang y courait dans ses veines comme dans leurs plis de montagnes les eaux rapides du pays d'Autun qui écument, murmurent, et s'écoulent sans jamais ni se taire, ni s'arrêter.
Ainsi Tavannes remplissait tout de son mouvement et de son bruit. Qu'il fût à Dijon, à Paris, à Saint- Germain, à Fontainebleau, à la cour ou à la ville, sa célébrité attirait sur lui tous les regards. « 11 v avait,
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rapporte un chroniqueur catholique de leur familia- rité, deux généraux da nom de Gaspard chascun, sçavoir : l'un Gaspard de Coligny qui était M. Tami- ral , et l'autre Gaspard de Saulx qui était M. de Ta- vannes. Mais M. l'amiral le surpassait fort, comme il a paru par les grandes et grosses pierres qu'il a re- muées, ce que n'eût fait si aisément l'autre. Voilà ce qu'on en disaitalors. »
On a suivi Tavannes avant qu'il fût choisi pour guide au généralissime le duc d'Anjou, et depuis on l'a vu à Jarnac, à La Roche-Abeille. Coligny Teslimait le premier des hommes de guerre catholiques. 11 avait raison de le redouter entre tous -, car Tavannes, après avoir évité les protestants à Chàtellerault, revenait sur eux à Moncontour.
INi l'une ni l'autre armée ne se croyaient si proches, lorsque, dans la plaine de Saint-Clair, Tavant-garde du duc d'Anjou se heurta au flanc des huguenots. Il y eut un étonnement-, puis M. de Biron, trouvant le moment propice, chargea M. de Mouy et le culbuta. L'amiral accourut au galop, et rallia les protestants au delà d'un ruisseau. La figure impassible de Coli- gny, la netteté et la précision de ses ordres ranimèrent la confiance parmi les siens. M. de Mouy, les comtes Ludwig de Nassau etWolfrad de Mansfeld secondèrent de leur mieux ce grand capitaine. 11 y eut trois charges de cavalerie de deux mille hommes chaque fois. Les huguenots ne se rompirent point. Ils eurent néan- moins beaucoup à souffrir. M. de Biron, après avoir écrasé M. de Mouy sous la supériorité du nombre, avait si bien braqué ses canons qu'ils décimaient les
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protestants sans qu'ils pussent riposter ^ car leur ar- tillerie était déjà à Moncontour. Heureusement la. nuit (i*'"' octobre 4 5G9) les sauva dans ses ténèbres comme à la bataille de Saint-Denis.
Le lendemain ils se logeaient à Moncontour. Co- ligny avait réussi à mettre la Dive entre lui et les catholiques. Tandis que Tavannes remontait la rivière afin de la franchir, l'amiral, qui persistait à ajourner tout engagement, essaya d'achever sa retraite. Il en fut empêché par les murmures et l'inertie, soit des reîtres, soit des lansquenets.
Pour juger ce héros stoïque aux proportions de sa grandeur, on doit lui tenir compte des obstacles, des fatigues, des rivalités, des ignorances, des fanatismes, des soupçons qu'il eut à surmonter durant tout le cours des guerres civiles. Toujours au dépourvu d'ar- gent, d'impôt, de blé, de munitions, d'administration régulière, en butte aux proscriptions de la cour, aux pièges du clergé, aux arrêts de la justice, le sol lui manque à cbaque minute. La seule composition de son étrange armée épouvante. Cette armée est une émeute perpétuelle de gentilshommes protestants, d'Allemands et de Gascons. Coligny est contraint de serrer sans cesse ce faisceau mal joint. Il faut qu'il soit à tous les instants le modérateur d'une sédition et le général d'une anarchie.
Pressé par l'ennemi, ne commandant qu'à des troupes suspectes, l'amiral avait appelé les princes qui étaient à Parthenay. Ils arrivèrent avec cent cin- quante gentilshommes. Coligny espérait que leur présence raffermirait peut-être la fiidélité chancelante
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de son armée, lis furent en effet bien accueillis. Mais pendant qne l'amiral gravitait sur Airva'.ilt pour le dépasser ou pour y choisir une position , il l'ut re- tardé encore par les lansquenets. Ces mercenaires, révoltés, levèrent leurs piques en criant qu'ils ne marcheraient pas avant d'être payés de leur solde. Colig^ny usa un temps précieux à parlementer avec eux, et se vit forcé de leur sacrifier ses plans. Les catholiques avaient franchi la Dive et débouchaient par Assay. L'amiral se hâta de déployer son infan- terie et sa cavalerie entre Moncontour et Airvauli. Il allait livrer bataille au gré de l'ennemi, contre son propre gré, privé des renforts que le prince d'Orange et le comte de Montgommerv lui rassemblaient, l'un au nord, l'autre au midi.
11 était navré, mais il fit bonne contenance.
11 divisa son armée en deux ailes, se postant avec le comte Wolfrad de Mansfeld à l'aile droite, contre le duc de Montpensier, le duc de Guise, les rhin- graves ; et, plaçant les princes à l'aile gauche, du côté d'Airvault et de la rivière de Thoué, sous le comte Ludwig de Nassau contre le duc d'Anjou, le marquis de Bade, le maréchal de Cossé, Tavannes et Biron. Par une singularité remurquahlé, il y avait dans l'un et l'autre camp quatre princes du nom de Henri : Henri de Lorraine, duc de Guise, et Henri de Valois, duc d'Anjou, parmi les catholiques ^ Henri de Bourbon, prince de Béarn, et Henri de Bourbon, prince de Condé, parmi les huguenots. Le plus jeune, le prince de Béarn, n'avait que seize ans, et !e plus âgé, le duc de Guise, n'en avait pas dix-neuf révolus.
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D'une éminence où il étnit avec Tavannes, Biron et quelques autres officiers supérieurs, le duc d'Anjou avait considéré tous les préparatifs de l'amiral. L'as- pect sauvage et terrible des huguenots ébranla le prince. Lui qui, jusque-là, avait tant aiguillonné Ta- vannes, se ralentit. Il demanda même à ce général s'il ne conviendrait pas d'éviter une rencontre. « Non, repartit Tavannes, nous avons assez délibéré ; il n'y a plus qu'à combattre. D'ailleurs, ajouta-t-il en s'é- loignant, je vais observer encore ces hérétiques. » Il ne tarda pas à rejoindre Monsieur, et dit : « Les dispo- sitions de l'amiral sont excellentes, mais son armée est en rébellion. Elle est à nous si nous avons du cœur. A l'œuvre donc. « (V. Tortorel et Perrissin, pi. xxxv.)
Le duc d'Anjou descendit alors de la colline. Car- navalet précédait Monsieur avec cinquante gardes d'élite, tous gentilshommes, tous montés sur de forts chevaux bardés de fer, afm de briser le choc de l'en- nemi devant le prince.
Les deux armées s'étaient canonnées presque tout le jour. Il était trois heures de l'après-midi , quand Tavannes conseilla au duc d'Anjou de faire attaquer l'aile droite des protestants. Aux ordres réitérés de Monsieur, le duc de Montpensier, le duc de Guise et les rhingraves fondirent sur les huguenots. C'étaient comme autant de béliers de guerre contre un mur d'airain dont chaque bloc était une poitrine vivante. L'amiral , partout à la fois , réparait les brèches d'hommes, et maintenait ses calvinistes énergique- ment. Il eut néanmoins un pressentiment de l'issue de la bataille. Car il manda au comte Ludvviu de 111. 10
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Nassau de diriger secrètement les princes au delà d'Airvault et du Tboué. Le comte Lud^Yig obéit ; puis, au lieu d'envoyer ses reîtres au secours de l'ami- ral, il les amena lui même. Il s'engagea de la sorte à l'aile droite, repoussant la gendarmerie catholique et laissant l'aile gauche sans général.
CoHgny cependant se multiplie. Il court de rang en rang, électrise les régiments de Saint-Cyr, de La Noue, de Teligny, de Mouy, les adjure à haute voix de ne pas abandonner l'honneur de Dieu. Pour mieux les enlever par l'exemple , il se porte à trente pas en avant contre une nouvelle charge des calhoHques, L'aîné des rhingraves n'a pas la patience d'attendre le duc de Montpensier et le duc de Guise. Dès qu'il aperçoit Coligny détaché de son état-major, il est saisi d'une fureur soudaine et se précipite seul contre son ennemi seul. Il l'atteint entre le double tumulte, entre la double anxiété des camps et fait feu de son pistolet dans la bouche de l'amiral. Prompt comme l'éclair, quoique grièvement blessé, l'amiral ajuste à son tour, avec une telle précision, qu'il étend le rhingrave raide mort à ses pieds. Les catholiques éperonnent leurs chevaux , ils surviennent , ils vont achever Coligny, mais il est dégagé par le comte de Mansfeld. L'amiral s'opiniâlre en vain dans la mêlée pour ne pas décourager les calvinistes en se retirant; sa blessure est trop profonde, son sang l'étouffé de plus en plus. On l'emporte à l'écart.
Tandis que l'aile droite des protestants demeurait sans son grand chef, l'amiral, l'aile gauche n'avait plus de général, depuis que les princes l'avaient
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quittée en pleurant de regret et que le comte Lud- wig avait conduit ses reîtres à Coligny. Toutefois, cette aile gauche se comporta vaillamment. Le due d'Anjou l'ayant chargée, elle le rejeta en arrière et l'aurait chassé l'épée dans les reins , si le maréchal de Cossé ne se fût offert en aide à Monsieur avec la réserve. Cette intervention du maréchal changea la fortune du combat. Tavannes, le véritable tacticien de l'armée catholique, et dont l'instinct militaire était admirable, remarque l'hésitation des huguenots. Il lance aussitôt les Suisses sur l'infanterie protestante composée de huit mille Français et de quatre mille lansquenets. Les Suisses, qui n'avaient pas encore donné, firent un grand carnage. Ils massacrèrent presque tous les lansquenets, leurs ennemis person- nels. Les catholiques exterminaient sans pitié. Ils se vengeaient des barbaries exercées sur eux par les pro- testants à La Roche-Abeille et dans l'expédition du Béarn. Je ne voudrais pas oublier la générosité du duc d'Anjou. Il eut un bon sentiment et il fit une belle action , les seuls peut-être de sa vie infâme. Il sus- pendit la boucherie. Il cria : « Sauvez les Français! » Il arracha à la mort le brave La Noue qui allait être immolé, si Monsieur ne l'eût revendiqué comme son prisonnier et ne l'eût reçu sous sa protection.
L'infanterie protestante fut à moitié détruite, La cavalerie se replia sans désordre. Le comte Ludwig de Nassau, qui avait eu le tort de passer de l'aile gauche à l'aile droite et de compromettre ainsi le succès de la journée, racheta cette faute par une vi- goureuse retraite. Il se plaça à l'arrière-garde sur la
il2 HISTOIRE DE LA LlBEliTÉ BELIGIEUSE.
route de Parthenay, ville que l'amiral lui avait assi- gnée pour rendez-vous. Il contint la poursuite des catholiques qu'il lassa par des charges successives. Au hout d'une heure, ils rebroussèrent chemin. Le comte Ludwig leur imposa du moins le respect pour ces vaincus intrépides qui, loin de fuir éperdus, se retiraient au pas, en priant et en combattant.
Il y eut dans les bandes calvinistes des traits mé- morables qui honorent singulièrement leur cause et leurs soldats par un mélange d'héroïsme et de re- ligion.
Un enseigne, du nom de Mehier, entouré des Suisses et des reîtres du marquis de Bade, se défendit comme un lion. Accablé par le nombre, il s'écria : « Seigneur, je ne rendrai pas votre drapeau. » Et s'enveloppant dedans, il se lit tuer sous les plis de ce vêtement de gloire.
Un jeune gentilhomme breton que le comte Wol- ' frad de Mansfeld avait distingué, sentit, à la seconde charge de l'aile droite, que son heure allait sonner. Il avait une arquebusade à la tempe et trois coups de pique dans la poitrine. Il s'écarta un peu du champ de bataille, suivi d'un serviteur qu'il avait amené avec lui de Bretagne. Parvenu près d'un fossé, le pauvre jeune homme se laissa glisser de son cheval sur l'herbe. Il ne demanda qu'une chose au vassal qui l'avait accompagné : ce fut sa Bible, qui était fixée à l'arcon de sa selle. Le soldat dénoua les lanières de cuir qui la retenaient, et le jeune gen- tilhomme plaça le livre sacré sous sa tète comme un chevet, puis s'adressant au soldat ; « Tu diras à
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ma mère que j'ai fait mon devoir, et que je suis mort ici sur l'oreiller de la parole et des promesses de mon Sauveur. »
Un autre gentilhomme, mais très-vieux celui-ci, un gentilhomme âgé de plus de quatre-vingts ans, un ancien compagnon de Bayard dans les guerres d'Ita- lie, le capitaine Saint-Cyr dePuy-Greffier, rallia trois cornettes au bois de Maire. En épiant le moment favorable pour charger les catholiques victorieux qui poussaient devant eux les fantassins huguenots, il dit à un ministre protestant : « Je vais entamer ces Ama- lécites avec l'intention de ne pas revenir, et par là je délivrerai plus de mille hommes. Poiir un vieillard comme moi qui ai vu naître le siècle, voici une occa- sion de bien mourir. » Le ministre approuva cette détermination, et il engagea le seigneur de Puy- Greffier à échauffer sa troupe par une allocution ma- gnanime. « Je n'y manquerai pas, reprit le vieux capitaine. » Il avait le visage découvert, la barbe blanche comme la neige et des armes argentées à l'antique, selon la mode du roi François l". Quand il aperçut l'ennemi à sa portée, le martial vieillard se dressa sur ses étriers, et, se tournant fièrement vers les siens : « Mes compagnons, dit-il, à gens de cœur, courte harangue. Faites seulement ce que je suis décidé à faire pour notre Christ. » Et se jetant Tépée au poing sur les catholiques, il combattit jusqu'à la mort si valeureusement, qu'il conserva à son Eglise, par soa sacrifice volontaire, ainsi qu'il l'avait prévu, plus de mille bons soldats qui purent rejoindre le
comte Ludwig de i\assau.
10.
H4 HISTOmE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Coligny cependant n'était pas à cheval, contre sa coutume. Après le pansement de sa plaie, on l'avait mis dans sa litière sur la route de Parthenay. 11 avait un escadron dévoué de gentilshommes qui l'escortait lentement. L'amiral, il l'avoua depuis, était plongé dans une morne stupeur. De l'étroit espace oii il était enfermé, il songeait à ce grand désastre, à la lourde responsabilité qui pesait sur lui, à la joie de ses enne- mis, aux calomnies de ses envieux, aux conseils per- fides qui seraient insinués à Henri de Condé et à Henri de Béarn, au fardeau de ces jeunes princes, impatients du joug de son expérience, et que leurs courtisans enivraient de flatteries, de mauvaises sug- gestions. Coligny songeait surtout au trépas de tant de braves gens, à l'anéantissement de son infan- terie, aux obstacles qui allaient surgir de toutes parts, aux découragements, aux murmures qu'il au- rait à surmonter. Il songeait à cette sainte liberté de conscience, pour laquelle il avait vécu dans les travaux et dans les périls, pour laquelle il serait mort avec tant d'allégresse et qui était compromise, peut-être détruite sans retour. Telle était la tem- pête d'inquiétude qui agitait l'amiral dans sa litière sombre. Ses deux fièvres de corps et d'esprit se re- doublaient l'une par l'autre, lorsqu'il discerna, du fond de ses ténèbres, à quelque distance du Tboué, à un endroit où la route s'élargit, une autre litière qui s'approchait de la sienne. Il lit arrêter, tandis que la litière inconnue s'approchait toujours. Quand cette seconde litière fut enfin à côté de celle de l'a- miral, une tête blanche sortit de la portière et le
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seigneur de L'Estrange, l'un des amis de Coligny, le regardant d'une physionomie sereine , lui dit avec un accent plein d'onction : « Monsieur, quoi qu'il arrive, Dieu est doux et souverainement bon. » Coligny et L'Estrange échangèrent alors un coup d'oeil et un serrement de main, puis les litières se séparèrent et se remirent en marche, au milieu des paniques de la retraite. (V. Tortorel et Perrissin, pi. XXXV.) L'amiral avoua encore que cet incident avait entièrement modifié ses dispositions intérieures, et que ce simple petit mot de tendresse et de piété avait réveillé en lui l'homme indomptable. Sa con- fiance, toujours plus forte dans les revers, se ranima comme par miracle, et il espéra plus que jamais en Dieu qui éprouve les siens, mais qui ne les délaisse pas.
Le soir même de la bataille (3 octobre 1569), l'ami- ral était à Parthenay. Sa blessure l'avait contraint à se coucher. Les princes, le comte Ludwig, le comte de Mansfeld, M. de Mouy et les autres chefs se pressaient autour de son lit, d'où il expédiait des ambassadeurs, d'où il dictait, d'un ton calme et d'un air tranquille, des lettres à tous les souverains, à tous les hommes d'État de l'Europe protestante. 11 leur annonçait un , échec, mais il leur exprimait la conviction de vain- cre, malgré cet échec passager, et les suppliait affec- tueusement de secourir vite et bien la cause de Dieu.
Monsieur consuma les heures à rédiger de pom- peuses dépèches pour la reine mère et pour le roi. Il en chargea le comte de Retz. Un Te Deum fut chanté dans les églises de Paris. Rome et L'Espagne s'asso-»
il6 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
cièrent à cette joie et célébrèrent par des fêtes la ruine définitive de l'hérésie. Le roi et le cardinal de Lor- raine furent moins contents que la reine mère , que le pape et que Philippe IL Charles IX était jaloux pour lui-même du duc d'Anjou et le cardinal l'était pour son neveu le duc de Guise.
Les huguenots n'avaient pas encore essuyé une telle déroute. Ils perdirent à Moncontour, indépen- damment de toute leur artillerie, trois cents hommes de cavalerie , deux mille six cents fantassins français et quatre mille lansquenets. D'Acier et La JNoue fu- rent faits prisonniers. Saint-Cyr, Autricourt et Saint- Bonnet ne se relevèrent pas du champ de bataille.
Les catholiques eurent à déplorer la mort de l'aîné des rhingraves et du marquis de liade. Le duc de Guise, frappé d'une balle au pied, fut conduit d'ajjord à Chinon et puis au château de son oncle le cardinal Louis, à iiourgueil. Sur le message de M. de Chally qui lui présenta à Plessis-lès-Tours « une chausse de soye incarnadine faisant foy de la blessure du jeune prince, » le cardinal de Guise monta précipitamment à cheval et revint à Bourgueil, afin de veiller sur son neveu. Le duc en eut pour deux mois de convales- cence. Plusieurs autres seigneurs de marque furent atteints dans l'armée royaliste , mais cette armée ne fut pas diminuée au delà de deux cents fantassins et de quatre cents cavaliers.
Le duc d'Anjou pouvait donc profiter de la victoire, s'il le voulait. Les débats furent très-passionnés sous sa tente entre ses lieutenants et ses courtisans. Biron et Tavannes surtout insistèrent pour que l'on traquât
LIVRE TRENTIÈME. 117
l'amiral jusqu'à l'extinction complète des huguenots. « Nous connaissons tous M. de Coligny, s'écria Ta- vannes ^ si nous lui accordons du temps , soyons as- surés qu'il l'emploiera contre -nous. Il reposera son armée pendant l'hiver, la renforcera , la rafraîchira, et vous le reverrez en avril , dans l'Ile-de-France , menaçant la cour, incendiant les faubourgs de Paris. »
Les calvinistes eurent ce bonheur que les courti- sans l'emportèrent sur Tavannes, en caressant soit la vanité, soit la paresse du duc d'Anjou. Ce prince dé- cida que ses troupes se borneraient à des sièges le reste de la campagne et il manqua ainsi d'écraser tout à fait les protestants. Son inertie devint leur sa- lut. Coligny se montra aussi grand dans l'adversité que le duc d'Anjou fut impuissant dans le triomphe. Lorsqu'il eut cacheté à Parthenay ses correspondances politiques et militaires, lorsqu'il eut prescrit aux offi- ciers et aux soldats tout ce qu'exigeaient les circon- stances , l'amiral dormit un peu et repartit à deux heures de la nuit pour Niort.
Il y trouva la reine de Navarre qui s'était hâtée de La Ptochelle, afin de seconder Coligny et de lui conser- ver un ascendant nécessaire en s'inclinant la première sous l'autorité de ce grand homme. Elle embrassa son fds et son neveu, félicita les divers régiments de leur courage, ne les blâmant que de leur indiscipline, leur déclarant doucement que, s'ils eussent obéi aux or- dres de l'amiral, il n'y aurait pas eu de déftiite. Elle proclama très-haut qu'elle et les princes s'honoraient de déférer en tout à la sagesse de celui que Dieu avait
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suscité pour les délivrer d'une servitude pire que la servitude d'Egypte.
Jeanne d'Albret regagna La Rochelle après cette belle démarche , tandis que Coligny, devinant les in- tentions du duc d'Anjou, s'en réjouissait avec ses con- fidents les plus éclairés. « Monsieur, disait-il, prendra quelques-unes de nos villes; mais qu'importe! ces villes l'arrêteront assez pour nous permettre de re- composer une armée plus nombreuse, plus aguerrie, et de déployer nos bannières partout où il sera utile soit de punir nos ennemis , soit de récompenser nos amis. »
Coligny allait justifier les prévisions de Tavannes. 11 accrut la garnison de Niort et y laissa M. de Mouy avec des pouvoirs illimités. A Saint-Jean-d'Angely, il investit du commandement un autre héros, Armand de Piles. Il installa ensuite à La Rochelle, auprès de Jeanne d'Albret, M. de La Rochefoucauld qui s'ad- joignit plus tard La Noue dont la liberté, sur les pro- positions de l'amiral, fut échangée contre celle de Strozzi. « C'est un mauvais marché que nous faisons, dit à ce sujet le cardinal de Lorraine, car les catholi- ques ont plusieurs Strozzi, mais les protestants n'ont qu'un La Noue. »
Quoi qu'il en soit, le duc d'Anjou commit une grande faute. Au lieu de poursuivre persévéramment l'amiral , il s'amusa, en prince efféminé, à la facile conquête de Parthenay, de Lusignan, de Fontenay, de Chàtellerault et de Saint-Maixent. Il y eut à Niort un commencement de résistarjce qu'interrompit le lâche attentat exécuté sur JVl. de Mouv.
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L'assassin, Louviers de Maurevel, avait été envoyé par la cour et s'était introduit parmi les prolestants, sous l'apparence d'un néophyte de leurs dogmes. Il affectait un zèle ardent pour la réforme. Il se plaignait des Guise, chez qui il avait été page, et qui l'avaient abreuvé d'injustices. 11 accumulait sur leur parti les malédictions et nourrissait contre eux de noirs pro- jets de vengeance. Voilà comment il avait séduit les huguenots qui le croyaient sincère dans sa haine et dans sa conversion. La vérité est, que, réfugié en Espagne pour un crime, il avait obtenu sa grâce, sur la promesse de daguer Coligny dont la tète était taxée par le parlement. Le misérable avait même touché d'avance le prix sacrilège.
C'était le dessein de Maurevel , lorsqu'il se glissa, masqué d'un beau prétexte de religion, dans le camp des réformés. Il guetta souvent l'amiral. Mais ce grand homme était trop bien gardé par un dévoue- ment volontaire dont il ignorait lui-môme l'étendue et la vigilance. Maurevel qui n'était pas un sectaire, mais un fourbe, comprit vite que s'il réussissait à tuer l'amiral, il ne parviendrait pas à se sauver. Or, ■ il voulait jouir des bénéfices de son forfait et il en imagina un autre moins dangereux. Il reviendrait du moins avec du sang calviniste aux mains, et, puisque ce ne pouvait être le sang de Coligny, il voulait que ce fût un sang très-noble, très-généreux, le sang d'un des meilleurs capitaines du protestantisme , après l'amiral.
11 se proposa pour holocauste M. de Mouy. Il s'en fil distinguer et aimer. M. de Mouy s'attacha de cœur
120 HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
à ce traître. Il lui donna sa table, son foyer, son toit. lU'emmenait aux promenades militaires, aux revues, aux fortifications. Il le comblait de présents.
L'avant-garde de l'armée royale s'étant présentée aux portes de la ville de Niort dont il était gouver- neur, M. de Mouy fait une sortie vigoureuse. Maure- vel est à son côté. Cet empressement paraît au cbef buguenot une bravoure et une affection. La sortie réussit à soubait. L'avant-garde du duc d'Anjou fut dispersée. M. de Mouy revenait seul avec Maurevel. Cet infâme saisit un moment favorable et tire par derrière, dans les reins de son bienfaiteur et de sa victime, un pistolet cbargé jusqu'à la gueule.
Maurevel s'enfuit alors sur un beau et bon cbeval qu'il tenait de la munificence de M. de Mouy. Il tra- verse, au galop de ce cbeval ruisselant, les détacbe- ments décimés de l'armée catbolique, et il arrive au quartier général du duc d'Anjou. Le duc le reçut bien et l'envoya avec une lettre à Catberine de Médicis qui le reçut mieux encore. Elle lui fit allouer une pension sur les revenus de l'bôtel de ville de Paris. Elle y ajouta des gratifications personnelles qu'elle avait soin de renouveler, afin de se ménager cet homme de sac et de corde. On connaissait la bien- veillance de la reine mère pour Maurevel, et on appe- lait cet assassin gagé le tueur du roi.
Cependant M. de Mouy qui respirait encore fut ramassé et transporté à Niort, puis à Saintes, puis à La Rocbelle, où il expira dans d'affreuses souffrances. L'amiral prit le deuil. Il éprouvait une aftliction pro- fonde. (( Madame , dit-il à la reine de Navarre, nous
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avons un grand capitaine de moins. Nous devons tous le regretter, mais moi , je le dois plus particulière- ment ; car il est mort d'un coup qui m'était des- tiné. »
La Brosse, lieutenant de M. de Mouy, comprenant bien que Niort, livré au découragement par le meurtre du gouverneur, ne pouvait plus être défendu, se re- tira avec toute la garnison. Monsieur s'empara de la ville sans combat.
Le roi, la reine mère et le cardinal de Lorraine étaient à Chinon. Ils entrèrent à Niort quelques jours après le duc d'Anjou. La grande question de savoir si l'on harcèlerait à outrance Coligny, ou si l'on se contenterait d'occuper peu à peu toutes les places du Poitou et de la Saintonge, fut agitée de nouveau devant Charles IX et Catherine de Médicis. Cette question fut résolue dans le même sens. Les courti- sans, travaillés sourdement par la politique occulte du maréchal de Montmorency qui ne voulait pas la ruine de l'amiral, triomphèrent encore des généraux. On conclut à multiplier les sièges et celui de Saint- Jean-d'Angely fut entrepris. (V. Tortorel etPerrissin, pi. xxxvii.)
Il ne succéda pas aussi facilement qu'on l'aurait supposé. Ni Biron et son artillerie, ni l'effort de l'ar- mée entière, ni la présence du duc d'Anjou, du roi et de la reine mère, ne parvinrent soit à intimider, soit à séduire. Les bourgeois et les soldats ne fai- saient qu'un avec leur gouverneur. Ce gouverneur était Armand de Piles. Blessé à Poitiers, il se réta- blissait peu à peu à SaintJean-d'Angely, lorsque l'aml- lii. n
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rai jeta les yeux sur lui et l'appela au commandement de la cité. Piles, qui aimait et qui admirait Coligny autant qu'il en était estimé, ne déclina point cette mission presque impossible. Aux premières paroles de l'amiral, il emporta son lit comme le paralytique. Il quitta joyeusement l'hôpilal pour les remparts où il se logea. Il y mangeait, y dormait moins, et s'y achar- nait plus que les simples arquebusiers. A la plus légère alerte, il était toujours prêt. Personne n'attendait ses ordres-, c'est lui qui attendait et qui animait tout le monde. L'héroï(|ue seigneur de Piles défendit deux mois Saint-Jean-d'Angely , contre toute l'armée royale, par des stratagèmes merveilleux, des escar- mouches continuelles, des prodiges de témérité, de ténacité. Ce siège fut l'écuei! funèbre des catholiques. Ils y périrent au nombre de dix mille. Ils s'y épuisè- rent. « Voilà comment Saint -Jean, dit M. de La Noue, ayda à réparer les désastres de Poitiers et de Moncontour. »
Piles eut l'insigne honneur de sauver, par sa belle résistance, son parti et sa cause. Il se retira, sous la garantie d'une capitulation glorieuse, au milieu des respects de ses vainqueurs et des applaudissements du calvinisme dont il avait préservé les restes.
L'opinion de Coligny était justifiée. «J'ai placé Piles à Saint-Jean , disait-il avant le siège , comme notre rocher. — Messieurs , disait-il encore aux officiers de son intimité, je sais ce que je fais en tirant ce brave Piles des mains des médecins pour le mettre en face de l'ennemi. Je le connais. Il nous y rendra un bon service. H nous gagnera du temps, la chose la plus
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propice aux grands capitaines après la grâce de Dieu. » Dès la première semaine du siège, à la lecture de ses courriers, l'amiral « se déridait. » Ses familiers remarquèrent avec surprise que son visage sévère, empreint d'un calme stoïcisme , s'illuminait par mo- ments. Ce n'était pas seulement la satisfaction de la conduite de Piles qui réjouissait Coligny, c'était sur- tout la certitude de ne pas laisser stériles les délais qui lui étaient préparés. Ses gentilshommes , qui voyaient parfois sur sa physionomie de ces grands éclairs que ses yeux ne jetaient que dans les batailles ou dans les retraites, se confiaient entre eux que Va- miral avait sûrement en tète quelque vaste dessein.
Ils ne se trompaient pas. Coligny roulait en lui- même un plan magnanime. Sourd aux ouvertures de paix de la cour, il désirait cependant la paix par pitié et par humanité. Mais il comprenait que pour l'avoir, cette paix, il fallait la conquérir. Il conçut donc le hardi projet de faire trois cents lieues, en tournant tout le royaume, de l'ouest au midi, du midi à l'est et au nord, jusqu'à l'Ile-de- France. Grand homme de guerre et grand politique, il se proposa de montrer, dans cette campagne ex- traordinaire, les casaques et les cornettes blanches aux provinces, afin de rassurer partout les amis et d'efTrayer partout les ennemisducalvinisme.il ra- fraîchirait et augmenterait ainsi son armée en ces longs détours au milieu des pays fertiles, tantôt tra- versant, tantôt côtoyant les rivières ou les fleuves : la Charente, le Lot, la Garonne, puis le Rhône, la Saône, la Loire, le Loing et la Seine. Il rétrécirait de
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plus en plus cet immense cercle d'action et graviterait sans cesse vers Paris où la terreur grossissante de cette expédition imposerait , par les émotions de la capitale, la paix au gouvernement du roi. Une telle idée n'était rien moins que la résurrection du protes- tantisme dans la gloire. Coligny seul était capable de l'exécuter. Malgré les appesantissements de la vieil- lesse, malgré la maladie, il était infatigable d'esprit et de corps. Modeste avec les princes ses supérieurs , bienveillant avec les généraux ses inférieurs , bon avec les soldats , ferme avec tous, il subjuguait par l'antiquité et par l'importance de ses services, par l'intégrité de son administration , par les ressources de son génie et par l'autorité de son caractère. Il était d'ailleurs très-soudain , quoique profondément réflécbi, et lui, si renommé pour sa prudence, il dé- ployait tout à coup une vigueur imprévue. Lorsqu'il développa devant le conseil les raisons de ce voyage militaire, plusieurs seigneurs, qui avaient quelque- fois blâmé la réserve de l'amiral , furent consternés de son audace. Mais appuyé du cœur persévérant de Jeanne d'Albret, soutenu de l'instinct chevaleres- que du prince de Navarre qui fut, en cette conjonc- ture, digne de sa mère, Coligny triompha de toutes les oppositions.
LIVRE TRENTE ET UNIÈME.
Expédition de Coligny à travers la France. — Il montre partout le drapeau protestant, punit les trahisons, récompense les services.
— Aucun des généraux catholiques du Midi n'ose l'attaquer sérieu- sement. — Il prend les villes, renouvelle les garnisons. — Il voyage, combat et négocie à la fois. — Il tombe malade à Sainl-Élienne. 11 guérit et se dirige sur l'Ile-de-France. — Victoire d'Arnay-le-Duc.
— L'amiral établit son quartier général à Chàtillon. — Troisième paix. — Elle est signée à Saint-Germain le 8 août 1570. — La grande manœuvre de Coligny et sa marche prodigieuse par tout le royaume imposent cette paix. — L'Église calviniste à cette date.
L'héroïsme est toujours jeune. L'amiral partit de La Rochelle avec les princes, puis de Saintes avec un corps nombreux de cavalerie, soit allemande, soit française, et plus de trois mille fantassins. Pas un homme de cette armée n'était plus ardent, ni plus aventureux que le capitaine à cheveux gris qui la di- rigeait. Ce survivant de tant de combats et de com- battants allait d'une troupe à l'autre, parlant à chacun sa langue ou son patois , entendu et vénéré de tous. II envahit le Périgord, le Limousin. D'Argentac où il était, le 25 octobre, il prit son chemin par l'Au- vergne, le Quercy, le Rouergue. Il s'avança de Cade- nacàMontauban. Il avait envoyé deux gentilshommes auprès de Montgommery qui revenait vainqueur du Béarn et il le trouva sur les rives de la Garonne où il lui avait donné rendez-vous. Il rétablit ses troupes
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dans ces riches contrées. Il s'empara d'Aiguillon, et, rétrogradant un peu, il vécut grassement entre Mon- tauban et Agen. Il y séjourna jusqu'au 10 décembre (lo69), et descendit vers Toulouse.
Il avait plus d'une raison de porter son camp aux environs de celle grande ville, la cnpitale lettrée, opulente et influente du Midi. L'amiral recueillait tout ce que son armée convoitait, blé, vin, viande, fourrages. Par le retentissement de sa présence de- vant Toulouse , il frappait de terreur cette cité du droit et il convainquait l'Europe de la puissance des huguenots. Car, ni le maréchal Damville. ni iMontluc, ni Jean de Nogaret de La Valette n'osèrent attaquer Coliguy. Ce diplomate sous la cuirasse, cet homme d'Etat ceint de l'épée, châtia pendant près de deux mois les magistrats qui avaient si atrocement mis à mort M. de Rapin, officier du prince de Condé et messager du roi pour l'édit de pacification. Un tel meurtre légal fut sévèrement puni par l'amiral. Il respecta les propriétés des autres citoyens, mais celles des conseillers et présidents du parlement ne furent point épargnées. La soldatesque pilla leurs fermes, leurs maisonsde plaisance, puis les incendia, et, ramassant les charbons de ces embrasements, elle écrivit sur les débris du feu ces mots formida- bles : Vengeance de M. de Rapin.
Ces représailles consommées, Coligny tira vers Castres où il avait une garnison calviniste. Ce fut là qu'une bande nombreuse d'arquebusiers catholiques, sous le commandement de Claude de Lévy, seigneur d'Odour, et du baron d'Ossun, vint s'offrir clialeu--
LIVRE TRENTE ET UNIEME. 12T
reusement au prince de Béarn. Le prince, ne voyant en eux que des habitants des Pyrénées, que des com- patriotes de prédilection, les aurait incorporés dans l'armée, si l'amiral ne se fût interposé vivement et n'eût repoussé la bienveillance de Henri. Les motifs du refus de Coligny étaient excellents. Quelle serait la fidélité de ces catholiques à la cause protestante ? Ces montagnards d'ailleurs seraient-ils propres à la guerre des plaines ? Mais surtout ces chasseurs, ac- coutumés aux extorsions, ne seraient-ils pas dans le camp des réformés un élément nouveau de brigan- dage ? Or, l'amiral était inflexible sur ce point. Son cœur saignait assez. Il ne pouvait se consoler de ce qu'il était obligé de supporter pour faire subsister ses troupes. Elles ne vivaient déjà que trop de dé- sordre. Lui, Coligny, le législateur de l'infanterie française, le père de la discipline^ lui, dont les belles ordonnances avaient régénéré les mœurs du soldat et contenu les infractions à l'équité-, lui qui avait imposé par l'exemple ses améliorations aux armées européennes, et sauvé, si l'on en croit les contempo- rains, plus d'un million d'hommes par des pénalités draconiennes contre les coupables-, lui dont le code mi- litaire avait mérité l'admiration du chancelier de L'Hô- pital, les applaudissements et l'imitation des peuples, il prétendait ne rien admettre au delà des maux indis- pensables. iMoitié par ascendant, moitié par persua- sion, il empôcba donc Henri de Béarn d'enrôler les arquebusiers pyrénéens, parmi lesquels les princes choisirent seulement une faible élite pour leur garde personnelle.
128 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Les calvinistes, cette difficulté aplanie, s'établirent à Montréal et dans les hameaux voisins jusqu'au 23 mars 1570.
La paix et la guerre se faisaient à la fois, et, selon les prévisions de l'amiral, la paix s'accélérait par la guerre.
Après Moncontour, Castelnau, puis le maréchal de Cossé avaient adressé des notes à la reine de Navarre. Les négociations, poursuivies indirectement par Coli- gny à la pointe de l'épée, furent renouvelées à Mont- réal avec plus de chances de succès.
Biron, grand maître de l'artillerie, et de Mesmes. conseiller d'Etat, y présentèrent au prince et à l'a- miral des lettres du roi, de la reine et du duc d'An- jou. Ils furent bien accueillis. Ils paraissaient eux- mêmes parfaitement disposés. Mais il y avait un nœud presque inextricable dans les conférences.
Charles IX, tout en octroyant aux calvinistes la liberté de conscience, leur interdisait l'exercice de cette liberté. Or, c'était là un bien auquel l'amiral et son parti tenaient plus qu'à la vie. Le complément de la liberté de conscience, c'était pour eux le droit de la pratiquer par une manifestation publique, par un culte. Yoilà pourquoi ils avaient tant combattu, f pourquoi ils étaient déterminés à se faire tuer jus- qu'au dernier. — u Nous sommes amateurs de paix, dit Coligny, mais plus amateurs de religion, et, si notre second respect est envers le roi, le premier est envers Dieu. »
M. l'amiral congédia Biron et de Mesmes avec ces paroles, en y joignant de vive voix, pour les négocia-
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teurs et par lettres pour Charles IX, mille avances de conciliation dans tout ce qui n'était pas contraire soit à l'honneur, soit au devoir.
C'est ainsi que s'éloignèrent de Montréal les diplo- mates catholiques. Ils se hâtèrent de rendre compte de leurs efforts à Charles IX qui étaitàChâteaubriant. Téligny, Beauvais, et Brodeau de la Chassetière, se- crétaire du prince de Béarn, furent accrédités, par les huguenots, en Bretagne, afin d'entretenir et d'ac- croître les bonnes intentions du roi.
Tranquille de ce côté, Coligny, le 23 mars, reprit les hostilités et les hasards de son expédition. Il perça vers Narbonne, Montpellier, Nîmes, TJzès, Pont-Saint-Esprit, emporta Montault et pénétra suc- cessivement dans le Vivarais, dans le Forez, en livrant un combat par jour. Colombière, l'un des meilleurs lieutenants de son avant-garde, le reçut (26 mai) à Saint-Étienne , qui avait ouvert ses portes, sou- mise par la peur encore plus que par les armes des huguenots.
Coligny fut obligé de s'arrêter en cette ville. Il y faillit mourir. Blessé à Moncontour, il n'avait pas eu depuis six mois une heure de repos. La meule avait passé et repassé sur lui. Elle le broyait à chaque mi- nute, et exprimait de lui, en l'écrasant, le meilleur de sa substance. Il avait voyagé, manœuvré, négocié, tantôt avec la cour, tantôt avec les princes étran- gers. Il avait lutté au dedans et au dehors, souffert la faim, la soif, la chaleur, le froid, franchi des eaux débordées , des ravins sauvages , gravi des monta- gnes réputées inaccessibles, escaladé des villes, dis-
d30 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
perse des bataillons . et , ce qui le poignait bien autrement, il avait toléré des pillages, frappé des contributions pour nourrir ses troupes, pour payer ses reîtres. Il avait, au milieu de mille périls et de mille labeurs , relevé et montré glorieux l'étendard du protestantisme partout oii il avait été bumilié, abattu. Tant de soins, de prévisions, de fatigues allu- mèrent le vieux sang de Coligny, et la fièvre le saisit avec une telle intensité qu'on le crut mort.
Lui-même se sentit à l'agonie. Il conserva tout son calme. « Seigneur, disait-il, l'homme est né pour connaître les angoisses et les sueurs. Que votre vo- lonté sur moi s'accomplisse ! Vous êtes le maître. Soyez béni, si vous me rappelez ; car je serai afl'ran- chi (le bien des afflictions : soyez béni encore, si vous me laissez; car alors je continuerai l'œuvre que vous m'avez assignée. Ma journée est bien rude, mais que vous l'abrégiez ou que vous la prolongiez, je suis content, puisque tout me viendra de vous, ô mon Dieu! »
Cette soumission entière, cette habitude de tout attendre et de tout accepter avec résignation, la force d'une àme supérieure et d'un corps de fer semblèrent d'abord insuffisantes. Les médecins désespérèrent de Colignv. Il fut à toute extrémité. On le saigna trois fois. Ce retard dans la marche de l'armée et le danger de son chef ne furent pas inutiles aux protestants. Ils comprirent presque tous, grands ou petits, que l'amiral était leur providence et qu'ils ne pouvaient ni la paix ni la guerre sans lui. Les jeunes gentils- hommes qui formaient contre ce vieillard auguste
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une cour frondeuse et une opposition sourde autour des princes, ne se dissimulèrent plus leur impuis- sance, dès qu'il leur follut payer, non plus de leur bravoure, mais de leur habileté. Ils tremblèrent comme les autres pour Coligny, et, par là, ils mirent le sceau à la popularité de ce grand homme si indis- pensable aux alïaires, et qui , seul parmi eux, était capable de porter le poids d'une dictature équitable et d'un Dieu nouveau.
Trois ou quatre seigneurs tout au plus, secrète- ment jaloux de Coligny, tentèrent de traiter avec Biron et de Mesmes qui étaient revenus. Mais ils furent bien récompensés de leur présomption. « Nous sommes députés , leur dit Biron , à messieurs les princes et pourtant nous ne ferons rien sans M. l'a- miral. Un roi ne vous entourerait pas de plus de considération, sachez-le : s'il mourait aujourd'hui, demain vous seriez déchus, et nous ne vous accorde- rions pas un grain de poussière au delà de votre titre de sujets. » Les envieux se turent et Cohgny se guérit.
A peine convalescent , il se replongea dans les affaires. Puis, un matin, « les négociations, dit-il, n'aboutiront que sous Paris; » et quoique bien faible, s'étant fait botter et éperonner, il monta à cheval. Toute l'armée le salua d'une longue acclamation. L'amiral s'engagea dans la Bourgogne par Semur en Brionnais, Marcigny, Paray, CharoUes et Cluny. La ville monacale, sommée de se rendre, résista. Impa- tient des retards, Coligny leva son camp. Il accéléra sa course, et, négligeant, à sa droite, Chàlons-sur-
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Saône, il atteignit Arnay-le-Duc. Le maréchal de Cossé y était. Il attaqua Coligny qui , avec cinq mille hommes, en repoussa douze mille d'une telle vigueur, que son passage ne fut plus inquiété. Le jeune prince de Béarn se distingua de nouveau par son attitude martiale. Il racontait, trente ans après, qu'en ce combat un cavalier fut tué d'une coulevrine à dix pas de lui et que M. l'amiral était tranquille comme dans son jardin de Cbàtillon. Le prince lit aussi son devoir et les vieux capitaines augurèrent bien de lui, surtout à dater de cette journée.
Coligny, dévorant l'espace, parvint au milieu des populations dévouées sur lesquelles il comptait, entre Sancerre et La Charité. Sa petite armée croissait en s'avançant ; elle occupa le Câlinais.
Une partie de cette armée se logea soit dans les murs, soit hors des murs de JMontargis, et le reste à Chàtillon-sur-Loing. Les princes établirent leur quar- tier général au château même de Coligny. L'amiral n'était pas rentré dans cette demeure de ses ancêtres, depuis qu'elle avait été saccagée parle comte Sciarra Martinengo, un intrigant italien attaché à Catherine de Médicis. Ce chevalier d'industrie, au mépris de la capitulation , avait volé la vaisselle d'argent et tous les autres objets précieux estimés à plus de quatre cent mille écus. Ce qu'il n'avait pu dérober, il l'avait brûlé avec une aile du château. Sur la recommanda- tion de sa mère pour cet exploit de filou et de bri- gand, Charles IX avait décoré Martinengo de son ordre. Coligny, en revoyant tous les sanctuaires de la famille, les chambres vénérées ou chéries de son
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père, de sa iemme el de ses enfants, profanés et ra- vagés par la guerre civile, n'exprima pas une plainte égoïste. Il pensa aux misères de tous. « Cette dévas- tation de mon manoir, dit-il, ne m'afflige pas plus que la démolition de tant de pauvres cabanes dans le royaume^ Il n'y a qu'un remède à ce chaos de huit années, c'est la paix. »
L'amiral avait fait un acte de génie après la ba- taille de Moncontour. Il avait su, par les péripéties de sa marche inattendue au milieu de la France , impri- mer partout une terreur et un étonnement.
C'est sous la pression de cette marche héroïque, digne d'Annibal, tandis que Coligny était à Chàtillon avec les princes, et le maréchal de Cossé à Sens, que la paix fut conclue. Les négociateurs calvinistes fu- rent Téligny, Beauvais, Brodeau de la Chassetière, auxquels on adjoignit M. de Briquemaut, un chef éminent, et M. de Cavagne, un magistrat intrépide -, les négociateurs catholiques étaient toujours Biron et de Mesmes. Le premier étant boiteux , et le second , seigneur de Malassis, on répéta sur la troisième paix le jeu de mot sinistre dont on avait baptisé la précé- dente : on l'appela boiteuse et mal assise, par une allusion nouvelle aux diplomates royalistes qui n'a- vaient pas été changés.
Cette paix fut signée à Saint- Germain en Laye le 8 août 1570. Elle fut arrachée à Catherine par l'au- dacieuse expédition de l'amiral et par l'habileté du maréchal de Montmorency, du maréchal de Cossé, du baron de Biron, les chefs du tiers parti.
Le nonce du pape et l'ambassadeur de Philippe II m. 12
131 HISTOIRE DE LA. LIBERTÉ RELIGIEUSE.
s'y opposèrent seuls. Les princes allemands la vou- laient par intérêt pour les calvinistes, le roi par envie contre son frère d'Anjou -, la reine mère et la bour- geoisie de Paris la voulaient par peur, l'une tremblant pour son autorité, l'autre, pour ses boutiques et pour ses coffres-forts. Catholiques et protestants , égale- ment épuisés, ne songeaient qu'à goûter dans leurs maisons les douceurs de la vie domestique. L'amiral, ce grand homme de bien, était las des pillages, des assassinais, des anarchies effroyables qu'il ne pouvait refréner et qui étaient, en quelque sorte, la nécessité de ces guerres horribles. « Plutôt mourir, disait-il, que de retomber en de telles confusions. »
La première guerre civile avait duré un an • la se- conde, six mois-, la troisième dura deux ans. Elle semblait devoir être la plus avantageuse par la paix qui la couronna, car cette paix ne fut pas d'abord une paix masquée, un coupe-gorge. Le mécontentement de Philippe II et la colère de Pie V, qui aspiraient l'un et l'autre à l'extermination des hérétiques , prouvent que la Saint-Barthélémy, projet vague, n'était pas arrêté entre ces deux souverains et la cour de Charles IX.
Catherine, il est vrai , était séparée des carnages par l'occasion, non par la conscience. Tous les faits, tous les documents, toutes les inductions démontrent que malgré sa résistance à l'Espagne dans les confé- rences de Bayonne, les crimes individuels habitaient son âme. Elle était résolue à se défaire, soit par le poignard, soit par le poison, de tous les chefs qui lui portaient ombrage; mais elle n'était pas décidée au meurtre eu masse.
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La paix donc, bien qu'elle cachât beaucoup de piè- ges, beaucoup de forfaits, beaucoup de maux, était d'abord une conquête immense.
Les principaux bienfaits du traité de Saint-Ger- main furent :
L'exercice extérieur du culte protestant aux fau- bourgs de deux villes par chaque grand gouvernement des provinces et au domicile de tout seigneur possé- dant privilège de haute justice, excepté dans un rayon de deux lieues autour de la cour et dans un rayon de dix lieues autour de Paris;
La liberté de conscience partout ailleurs, mais sans manifestation publique de la nouvelle religion-,
L'amnistie générale du passé:
La réintégration des protestants dans leurs charges, dignités et honneurs;
Le droit de récuser tantôt trois, tantôt quatre juges dans toute chambre des parlements, sauf celui de Tou- louse déclaré radicalement incompétent, à cause des cruautés qu'il avait assouvies sur les calvinistes, et des représailles que les calvinistes avaient exercées contre lui.
L'édit stipulait de plus l'admission des enfants pauvres et des malades dans les écoles et dans les hôpitaux, sans distinction de croyances.
11 légitimait toutes contributions levées par Jeanne d'Albret ou par l'amiral. Il exprimait que la reine de Navarre, le prince de Béarn et le prince de Condé seraient regardés comme fidèles parents et sujets -, que les princes étrangers, les anciens alliés des hugue- nots, seraient aussi tenus pour de bons vqisin.s du roi.
136 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Une clause très-importante, et qui était la sanction de cette paix , accordait aux réformés quatre villes , quatre places de sûreté : La Rochelle, Cognac, Mon- tauban et La Charité.
Il fut enjoint à tous les citoyens, à tous les magis- trats d'observer et de faire observer ces dispositions de redit, sous peine de la hart.
Le parti protestant , à quelques exceptions près , fut comblé de joie. Il recueillait enfin le fruit de tant de sacrifices, de tant de martyres, de tant de ruines. Seulement, quand les réformés pensaient à leurs en- nemis, aux fureurs des Guise, aux perfidies de la reine mère, à l'atroce perversité de ses favoris ita- liens, ils ne pouvaient s'empêcher de craindre. La sécurité leur était interdite. Aucun ne se rendit à la cour. Les uns s'en retournèrent dans leurs châteaux abandonnés depuis deux ans , les autres se retirèrent à La Rochelle, en compagnie de la reine de Navarre, des princes, de Coligny et du comte Ludwig de Nas- sau.
Leur bonheur était grand, mais agité , incertain. C'était un bonheur de guerre civile.
« L'arche sainte, écrivait un pasteur, a été mira- culeusement sauvée des eaux du déluge. Elle a été dirigée sur les flots, à travers les tempêtes, par M . l'a- miral, lequel, assisté d'un pilote appelé Christ, l'a conduite et déposée dans notre Jérusalem de La Ro- chelle. Présentement notre Église est là, dans le port, avec ses ministres et ses vaillants chefs. Jusques à quand, Seigneur? »
Ce doute avéré par la tradition presque unanime
LIVRE TRENTE ET UNIÈME. 137
des familles protestantes, ce doute du pauvre pasteur obsédait toutes les imaginations.
J'ai vu à Bâle un vieux tableau représentant une femme vêtue de brun, assise sur un banc de bois, et lisant son psautier sous un arbre. Cette femme est Jeanne d'Albret; et cet arbre, un cyprès. La Rochelle et la mer sont dans le lointain. Au bas de la toile, on déchiffre encore le millésime 1570.
Ce tableau, apporté certainement en Suisse par un proscrit des guerres de religion, n'est-il pas l'emblème de l'Eglise calviniste pendant la paix de Saint-Ger- main? Des pressentiments sinistres la troublaient. Inclinée sur le livre sacré, elle le feuilletait, elle le méditait pieusement, mais déjà elle était sous l'ombre de l'arbre de la mort.
Et toutefois, tant que Coligny vivait, elle avait le droit d'espérer. Jamais ce grand homme n'avait été aussi admirable qu'après le désastre de Moncontour.
On pouvait croire en lui.
Son caractère dans les épreuves ressemblait au fer frappé par le marteau. Plus il était battu de la for- tune, plus il se condensait et s'affermissait sous les coups.
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LIVRE TRENTE-DEUXIÈME
La Noue, Coligny et Jeanne d'ÂIbret à La Rochelle. — La paix,, œuvre du parti modéré. — Le maréchal de Montmorency. — II voudrait la ])acificalion intérieure par la tolérance, et la sanclion de cette politique par un changement d'alliances. — Il tourne le roi vers les puissances protestantes du Nord. — Catherine de Mé- fjicis. — Charles IX, son portrait, son mariage. — Mariage de Catherine de Lorraine avec le duc de Montpensier. — Amour du duc de Guise pour Marguerite de Valois ; il épouse la princesse de Porcien. — Noces projetées de Henri de Navarre, de Henri de Condé; noces accomplies à La Rochelle de Coligny et de la baronne d'Anton; de Louise de Chàtillon et de TéHgny. — Prévisions tragiques.
La méfiance s'étendit, gagna de plus en plus, malgré l'amiral et malgré la paix de Saint-Germain. Plusieurs disaient : « Prions, m D'autres, plus nom- breux, répondaient: « Oui, prions, mais, tout en priant, gardons-nous. « Jean de Ferrières, vidame de Chartres, s'écriait en pleine assemblée : « Ne désar- « mons pas. Que le signet de notre Bible soit notre « dague. » La plus obstinée peut-être et la plus farouche dans cette méfiance était Jeanne d'AIbret.
L'un des plus confiants, c'était l'amiral. Il fut con- firmé dans son désir par l'âme aussi ingénue qu'hé- roïque de François de La Noue. Ce lieutenant de Coli- gny s'entendit, en cette conjoncture, avec son gé- néral en chef, auquel il rend, dans ses mémoires, ce beau témoignage ;
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« Si quelqu'un, en ces lamentables guerres, a grandement travaillé et du corps et de l'esprit, on peut dire que ça été M. l'admirai. Car la plus pesante partie du fardeau des affaires et des peines militaires, il l'a soutenue avec beaucoup de constance et de faci- lité... l\ a toujours eu la piété en singulière recom- mandation et un amour de justice, ce qui l'a fait priser et bonorer de ceux du parti qu'il avait em- brassé. Il n'a point cherché ambitieusement les com- mandements et dignités, mais en les fuyant on l'a forcé de les prendre pour sa suffisance et prud'ho- mie. Quand il a manié les armes, il a fait connaître qu'il était très-habile autant que capitaine de son temps, et s'est toujours exposé courageusement aux périls. Aux adversités, on l'a remarqué plein de ma- gnanimité et d'invention pour en sortir, s'étant tou- jours montré sans fard et parade. Somme, c'était, un personnage digne de restituer un Estât affoibly et corrompu. J'ay voulu dire ce petit mot de luy en passant, l'ayant connu et hanté, et profité en son escole. »
La Noue et Coligny, qui ne s'étaient pas rencontrés depuis la mêlée de Moncontour, se retrouvèrent à La Rochelle avec une affection mutuelle. Cette affection se redoublait, chez La Noue, d'une sincère vénéra- tion, et chez l'amiral d'une estime singulière. Tous deux avaient grandi. Coligny avait mis le sceau à sa gloire par l'expédition merveilleuse que nous avons retracée et qui détermina la paix. La Noue avait beaucoup accru aussi sa renommée par les combi- naisons stratégiques, l'équité, la haute intelligence et
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l'activité de feu qui signalèrent le gouvernement de Saintonge, d'Angoumois, de Poitou et d'Aunis dont l'avait investi Jeanne d'Albret, après qu'il eut été échangé contre Strozzi,
Il avait préservé La Rochelle, battu les catholiques, dégagé les garnisons calvinistes, repris des places indispensables aux huguenots. Sa bonté n'avait pas moins éclaté que son courage. Il nourrissait ses sol- dats malades avec les mets de sa table et se contentait d'un peu de pain et d'eau. S'il couchait dans une maison abandonnée et qu'il ne pût payer un hôte, il laissait, avant de partir, sous le toit où il avait dormi, une récompense pour le propriétaire fugitif.
Cet homme antique, dont la plume valait l'épée et qui était delà même trempe que Jeanne d'Albret et Coligny, avait manqué de succomber dans cette cam- pagne de d570.
Il assiégeait Fontenay-le-Comte. Toujours le pre- mier à la tranchée, il y eut le bras gauche fracassé d'une arquebusade. On le pansa en toute hâte, et on le transporta à La Rochelle. La plaie s'étant enve- nimée, la gangrène se déclara. C'en était fait de La Noue, à moins d'une prompte amputation. Il s'y re- fusa. « Il faut arriver au terme tôt ou tard, dit-il. Je finirai en soldat. Sans mon bras, que ferais-je ? Je me suis résigné, et j'aime mieux être mort qu'inu- tile. ))
La reine de Navarre, qui était présente, attendit que les médecins eussent parlé. S'apercevant que le blessé résistait, elle s'avança jusqu'au lit. — « Eh quoi, dit-elle avec une gravité persuasive, avec une
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douce autorité, est-ce bien vous, mon cher La Noue, qui déserteriez votre poste ? Pensez-vous donc vous appartenir à vous-même ? Il n'en est rien. Vous ap- partenez à Dieu et à nous. Qu'importe un bras de moins ? Nous trouverons d'autres bras. Mais ce que nous ne trouverons point, si ce n'est cbez M. l'amiral, c'est votre grand cœur et votre bonne tète. Imitez la persévérance de Coligny. Ne nous quittez pas sitôt. Plutôt que de mourir, laissez-vous amputer. Car, je vous le dis, il y va de votre devoir envers le ciel et envers cette Eglise persécutée. »
La Noue réfléchit quelques moments, puis il ré- pondit : « Madame, je vous remercie de me ramen- " tevoir ce que je dois à Notre-Seigneur et à nos frères. Je l'aurais peut-être oublié, et présentement je n'y faillirai point. Voici mon bras. Que les chirurgiens le retranchent sur l'heure, puisque c'est la néces- sité ! )) Il leur tendit son bras. Jeanne d'Albret ne se retira point, décidée à tenir ce bras pendant toute l'opération. Cette femme forte, quoique tendre, ac- cepta sa tâche en chrétienne, et ceux qui furent té- moins de sa constance ne surent ce qu'il y avait de plus sublime de la fermeté de la reine ou de l'impas- sibilité de La Noue.
Un bras de fer fut substitué à ce bras coupé. De là, le surnom qui, dans l'histoire, distingue François de La Noue de tous ceux de sa race. Il s'accoutuma si bien à ce membre artificiel, qu'il se l'appropria, en quelque sorte, et qu'il lui suffisait pour guider son cheval, réservant son bras droit au maniement de ses armes.
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Coligny revit La Noue mutilé, mais entièrement rétabli. Ces deux grands capitaines se félicitèrent du traité de Saint-Germain. Ils détestaient l'un et l'autre les crin.cs de la guerre civile. Moins candide que La Noue, Coligny, tout en cherchant à se convaincre de la solidité de la paix, n'y croyait pas autant que son généreux ami. Il avait moins d'appréhensions que Jeanne d'Alhret et moins d'illusions que La Noue.
Ce qui rassurait Coligny, sans l'aveugler, c'est que Je tiers parti ou, pour mieux parler, le parti modéré, avait été le véritable auteur de la paix de Saint- Germain.
C'est ce parti, grand par la conscience, puisque le chancelier de L'Hôpital en avait été l'âme autrefois-, illustre par les noms, puisque les Montmorency, le maréchal de Cossé et Biron formaient son con- seil-, intelligent aussi, puisque les céfébrités de la magistrature et de la bourgeoisie s'y rattachaient, c'est ce parti qui avait exploité les craintes de la reine mère après l'expédition de l'amiral, irrité la jalousie de Charles IX contre le duc d'Anjou, et qui, soit par les temporisations de guerre, soit par les adresses de négociations, avait désarmé si heureusement les hu- guenots et les catholiques.
Le chef réel de ce parti, François de Montmorency, avait un double but : la pacification intérieure par la tolérance, et la garantie, la sanction de cette poli- tique par le changement des alliances européennes.
Il se fit de grands pas dans cette voie.
Le traité de Saint-Germain qui était sincère, toutes les correspondances diplomatiques le prouvent, con-
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tenait un progrès incontestable et un accroissement de sécurité pour le protestantisme. Les mécontente- ments que la cour avait amassés contre Philippe II et contre le pape servaient à l'entraîner vers d'autres alliés. Au fond , Catherine se moquait de Rome et haïssait l'Escurial. Elle n'aurait pas été fâchée de reporter ses intérêts de famille et de gouvernement du Midi au Nord. Il lui aurait souri d'avoir un fils soit Anjou, soit Alençon, sur le trône d'Angleterre, et d'arracher les Pays-Bas à l'Espagne.
Le maréchal François de Montmorency, cousin et ami de Coligny, s'entendait plus que jamais avec l'a- miral dont il était le coopéraieur actif auprès du roi.
Le maréchal aspirait à l'unité delà France. Il dési- rait l'admission de Coligny et des protestants aux mêmes droits que les Guise et les catholiques. Il cher- chait à fondre toutes les opinions et tous les dévoue- ments dans un peuple, le peuple français, et, sous un roi, Charles IX.
Son souhait le plus ardent étant la pacification in- térieure, il conseillait à Charles d'accorder la liberté de conscience. Ce souhait en impliquait un autre, c'était, en serrant tous les Français dans un faisceau fidèle, de les arracher à l'influence du pape, par une tendance religieuse anti-ullramontaine, et à l'influence de Phi- lippe II , par des rapports nouveaux avec la reine d'Angleterre et les princes allemands, dont le sys- tème ne serait pas , comme celui du roi d'Espagne, l'anarchie perpétuelle et soldée au milieu de nous.
L'ambassadeur castillan ne se trompait pas sur Fran- çois de Montmorency. Il écrivait de Paris à son maître :
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« Ce maréchal est le principal protecteur des hugue- nots. C'est ici le plus dangereux ennemi de Votre Majesté. » Tavannes est de l'avis de l'ambassadeur. « Le maréchal, dit-il, ne travaillera ni au triomphe, ni à la perte de Coligny, mais à sa réconciliation. •»
Aussi, c'est sous les auspices de François de Mont- morency que s'était signée la paix de Saint-Germain. Walsingham n en doute pas. Il écrit de son côté au comte de Leicester, le 29 août 1370 : « Montmorency, qui a le plus contribué à faire faire la paix, s'insinue de plus en plus dans la faveur. »
Le pape et Philippe II n'avaient jamais consenti à cette paix. Ils avaient leur idée fixe. Ils insistaient sur l'extermination complète des hérétiques, ad in- ternerAonem usque^ ce sont les propres expressions de Philippe II et de Pie V. Charles IX se complaît au contraire dans la paix qui ne s'oppose pas à ses bruyants plaisirs. La paix ramène tout à lui et barre à son frère les chemins de la gloire. La paix est sienne et il l'appelle « ma paix. » Il avait dicté à de Mesmes des instructions secrètes, à l'insu de tout le monde, pour la conclure. Il s'appliquait à ce qu'onl'ob- servât. Il ordonnait de punir à Orange, à Rouen, et partout, les catholiques insulteurs. Une prenait pour intermédiaires avec les huguenots que des hommes qui avaient leur confiance. Jusqu'en Lorraine où pré- valaient les Guise, il enjoignait à M. de Tliévalle, gouverneur de Metz, d'appeler aux emplois les plus capables et les meilleurs , sans acception de parti ni de religion. Il se prononça hautement. Il déclara, dans des accès de colère et en jurant Dieu , qu'on avait
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calomnié les huguenots, qu'ils n'étaient pas des fac- tieux, mais de bons et loyaux sujets.
L^ reine mère se prêtait à tout. Elle n'était pas éloignée du tiers parti qui la recherchait, ni du pro- testantisme qui la ménageait.
Elle se laissa prendre sérieusement à un dessein du cardinal Odet de Chàtillon et du vidame de Char- tres. Ce dessein, qu'elle adopta avec une sorte de chaleur maternelle, était de marier le duc d'Anjou à la reine Elisabeth. Le duc d'Anjou, qui avait vaincu ies huguenots à Jarnac et à Moncontour, et qui rece- • vait une pension de deux cent mille livres du clergé, avait été hostile à la paix de Saint-Germain. Lui, l'adversaire naturel des protestants , il pha d'abord à la pensée d'épouser une reine protestante. Mais cette condescendance pour sa mère ne pouvait s'ob- stiner contre les excitations du pape, du catholicisme, de Philippe II, des Guise, de Tavannes. Après avoir presque consenti , il refusa net.
Catherine fut désespérée. Ce mariage était con- forme à la politique du roi, à celle du tiers parti , à la sienne propre. On surprend au vif l'àme de la reine si peu accoutumée aux accents vrais. Elle écrit à La Mothe-Fénelon, le 2 février 1371 : « Et vous pro- mets que si elle (Éhsabeth) dit à bon escient de se vouloir marier, je desplore l'opinion qu'il a (le duc d'Anjou). Je vouldrois qu'il m'eust coûté beaucoup de sang de mon corps et que je la lui eusse ostée^ mais je ne le peux gagner en cessi , encore qu'il me soyt, obéissant. Or, monsieur de La Mothe, vous estes sur le point de perdre un tel royaulme (l'Angleterre) pour
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446 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
mes enfants : dont j'ay un très-grand regret. Voye^ s'il y aurait quelque aullre moyen. » Puis, elle le lui suggère, ce moyen, en substituant au duc d'Anjou le duc d'Alençon : « Je ne vous mande cessi, ajoute- t-elle, pour espérance que j'aye, mais c'est pour vous montrer comment nous pourrions avoir ce royaulme entre les mains de mes enfants. »
C'est là un de ces moments personnels oiJ Cathe- rine s'exprime fortement. Que n'eùt-elle point fait pour persuader le duc d'Anjou? Philippe II, le pape, les catholiques et les huguenots lui sont indifférents 5 elle n'a qu'une affection, son fils d'Anjou-, qu'une passion, le pouvoir. Elle s'unit à Charles IX et au tiers parti, elle caresse l'Angleterre et les princes al- lemands, elle se flatte de conquérir la couronne bri- tannique par un mariage et d'enlever les Pays-Bas par une guerre étrangère.
Malheureusement, tout échoue devant les préven- tions du duc d'Anjou qui se croit le héros du catholi- cisme et qui n'en est que le matamore, et devant l'en- têtement rusé d'Elisabeth qui interdit au duc d'Anjou, si elle l'épouse, l'exercice du culte catholique même pour lui , pour ses gentilshommes et pour sa maison.
On continue néanmoins en faveur du duc d'Alen- çon la négociation d'un mariage. Le tiers parti, la reine mère et le roi aidant, on propose un autre ma- riage : celui du roi de Navarre et de Marguerite, la plus jeune fille de Catherine. Ce furent les deux câbles avec lesquels on essayait de lier les Valois aux hugue- nots et à la politique nouvelle, à la politique de paci- fication intérieure et de gloire contre l'Espagnol.
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Les correspondances diplomatiques, si nombreuses et si lumineuses, démontrent qu'alors la reine mère était de bonne toi. Elle était bien avec le roi, bien avec les Montmorency. Elle n'aimait ni le pape, ni Philippe II, ni les Guise-, elle n'aimait pas non plus les puissances protestantes et Coligny, mais elle se portait de ce côté, parce qu'elle y voyait un accrois- sement d'autorité en plaisant à Charles IX, et un ac- croissement de grandeur en acquérant deux royau- mes : l'Angleterre et les Pays-Bas. Catherine, sans doute, toujours mobile, fidèle seulement à sa vocation de gouverner et à sa tendresse pour le duc d'Anjou , se réservait silencieusement de tromper et de trahir tout le monde jusqu'à regorgement, suivant les occur- rences.
Elle regardait les grands comme les ennemis des Valois. A tous ceux qui lui disputeraient les rênes de l'Etat, elle destinait le poison ou la dague, à l'ita- lienne. Mais les assassinats privés lui sulïisaient. Les f massacres ne lui semblaient pas nécessaires. Elle ne songeait pas qu'au-dessous d'elle, et delà cour, et de son publiciste Machiavel, il y avait le peuple catholi- que et le peuple protestant, lesquels n'avaient eu qu'un long rêve durant les guerres civiles : et ce rêve c'était la boucherie de l'un par l'autre. Tandis que d'indignes princes et d'infâmes princesses se repaissaient de l'es- pérance des meurtres aristocratiques, les deux multi- tudes ennemies, Charybde et Scylla, ouvraient leurs . abîmes rugissants pour tout dévorer.
C'était là le péril.
Catherine s'en souciait peu. Du re§te, en attendant
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sa proie de Lorrains ou de Chàlillon, selon les circon- stances, elle eut, je le répète, un intervalle de sincé- rité. Elle adopta le programme du maréchal de Mont- morency et du roi, et c'était celui de Coligny : la pa- cification intérieure, le mariage soit du duc d'Anjou, soit du duc d'Alençon avec Elisabeth, la rupture avec l'Espagne et avec Rome , la conquête des Pays-Bas , l'union de Marguerite et du roi de Navarre, tout cela sans cesser de caresser clandestinement de paroles le pape et Philippe II pour un avenir quelconque.
Charles IX, lui aussi, était sincère avec moins de combinaisons et de roueries que sa mère. Il avait fait la paix de Saint-Germain, malgré tous les obstacles, dans sa propre impétuosité et dans la sagesse des con- seils du maréchal de Montmorency. Elle était si bien sienne, cette paix, qu'il avait donné à Henri de Mesmes plus de marge encore qu'il n'en fallut pour traiter avec les protestants. Le négociateur est très-précis sur ce point dans les mémoires qu'il composa pour l'instruction de son fils. « Si dirai-je que je rapportai au roi deux choses dont il eut contentement : l'in- struction qu'il m'avait glissée à part, escrite de sa main , avec témoignage que je n'avais pas accordé tout ce qu'il m'avait permis, et la paix ou la guerre à son choix. »
Charles choisit la paix et il est évident, d'après ce texte, qu'il l'aurait choisie à de meilleures conditions pour les huguenots, tant il était las des guerres civiles. Libre des transes de ces guerres cruelles, soulagé de sa jalousie contre son frère auquel il avait fermé la gloire des armes, il exultait d'un bonheur fébrile.
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Il avait alors vingt ans d'âge et dix ans de règne (lo70).
Des fêtes populaires et des bals de cour avaient ac- cueilli sa naissance. Les discours officiels s'étaient accumulés autour de son berceau. Les astrologues avaient solennellement consulté les planètes, tiré son horoscope et prédit qu'il serait le plus grand des neut Charles, sans en excepter Charlemagne. Ces prophé- ties devinrent de petits poèmes sibylliques, à la ma- nière de Nostradamus. Ils se répandirent çà et là, et Catherine, qui n'avait pas encore donné le fruit de prédilection de ses entrailles , le duc d'Anjou, s'eni- vra de la fortune promise au second de ses fds , for- tune qui pouvait être si brillante et qu'elle rendit si tragique.
L'enfance et la jeunesse de ce fds qui fut Charles IX avaient été violentes. Son tempérament était du Midi. C'était un élément plutôt qu'un prince. Il brû- lait et bouillonnait. Il cachait en lui des laves comme un volcan.
Il avait de grandes atonies et des réveils terribles. Il n'était pas insensible à l'amour et aux femmes, mais sa furie était ailleurs. Tous les documents, toutes les traditions nous le racontent. C'était le chasseur infernal. Il réalise la légende et la dépasse. Rien ne l'arrête, ni le chaud, ni le froid, ni l'été, ni l'hiver. Les bois, les cerfs, les daims, les san- gliers l'empêchent de dormir. Dès quatre heures du matin, il lui faut ses chevaux et ses meutes, les chevaux les plus fougueux , les plus souples , les plus forts, les sauteurs de fossés, les meutes les
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plus hardies, les plus sauvages, les plus hurlantes. Il les appelle de la voix à s'enrouer la gorge, à se gonfler le cou-, il sonne du cor à se rompre toutes les veines de la poitrine. Le sang lui monte au visage et l'empourpre -, et le roi crie toujours , et il sonne toujours.
La superstition se mêle à ses chasses prodigieuses. Des visions assiègent son cerveau. Avant son ma- riage, à répoque où nous sommes, il vit, au milieu des broussailles d'une de ses forêts, un feu surgir de terre et danser devant lui. Etait-ce un démon qui venait le tenter, ou le provoquer, ou lui faire des présages ? Piqueurs, veneurs, amis, se disper- sent à l'aspect du fantôme. Le roi seul ne s'étonne pas. Il tire son épée et poursuit le feu, mais il a beau presser de l'éperon et du fouet le galop de son che- val, le feu se dérobe plus vite, puis tout à coup s'é- teint. Charles n'aperçoit plus rien, et une immense peur le saisit. Il fait le signe de la croix, et, se sou- venant à propos des leçons de M. Aniyot, il s'écrie : « Deîis, adju/or meus. — Exsurge^ Domme^ salvum me fac^ Deus meus ! »
Cette aventure le trouble un instant, et toutefois il recommence ^ il recommence le lendemain, le sur- lendemain et sans cesse. Aussi, grandes dames, cour- tisans et poètes, disaient-ils, dans le langage de la renaissance, que Diane était plus chère au roi que Vénus. La vérité, c'est qu'il les servait toutes deux. C'était le juif errant des passions et des caprices, le juif errant à la course. H ne se reposait jamais.
Il n'y avait pas assez de tourbillons pour son haleine.
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Un Milanais, Pompée, qui était maître d'armes de Charles IX comme Sylvie l'était du duc d'Anjou, at- tendait que le roi fût à bout d'un exercice pour le remettre en sueur par l'escrime. Et pendant des heures le roi maniait des fleurets, les brisant, en reprenant d'autres, et continuant jusqu'à exténuer ses compagnons, Pompée lui-même.
Le jeu de paume n'attirait pas moins Charles, et il s'y adonnait d'un tel entrain, avec de telles excla- mations et de tels ébats, qu'il s'en allait tout ruis- selant.
Et cela ne lui suffisant pas, il se fit établir une forge dans une salle basse du Louvre. Là, les bras nus, le corps nu, il forgeait àprement canons d'ar- quebuses, épées, daiïues, poignards -, là, il coulait de petits bustes -, là, il frappait des médailles -, là, il fa- briquait de la monnaie vraie et de la fausse monnaie. Quoiqu'il fût haletant, il travaillait sans trêve, il for- geait sans relâche, fatiguant, usant les souiïlets et sa propre respiration, gémissant, sifflant, allumant, embrasant les charbons, ardent à la fournaise comme un ouvrier pris de la fièvre.
Il montrait ensuite ses armes que l'on admirait, sa fausse monnaie que l'on ne distinguait pas de la vraie ; et alors c'étaient des transports de joie et des accès de fou rire.
Tout dans le roi était emporté, écumant, mania- que. C'était un mouvement précipité et perpétuel. Ses nuits n'étaient guère plus lran(iuilles que ses jpurs. Les cauchemars l'agitaient au point que souvent, à l'aube, ses rideaux étaient froissés, ses traversins,
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ses oreillers et ses couvertures, dispersés autour de son lit. On eût dit d'un combat dans les ténèbres.
Si le temps était impraticable et que le roi ne fût pas disposé à écrire son traité sur la chasse, s'il lui était absolument impossible de sortir de son cabinet et qu'il s'y ennuyât, il conviait auprès de lui les poètes, surtout ceux de la Pléiade.
Il aimait beaucoup M. de Ronsard, et c'était l'in- dice d'un goût littéraire transcendant. L'Hôpital aussi, et de Thou, et Amyot, et le Tasse, et Mon- taigne admiraient Ronsard î
Daurat et Turnèbe, ses professeurs, l'applaudis- saient. Joachim Dubellay, Raïf, Rémi Relleau, Ama- dis Jamyn , Ponthus de Thiard et Jodelle se grou- paient autour de ce demi-dieu Ronsard et composaient une constellation, une pléiade de poètes.
L'enthousiasme de Charles pour de tels poètes était de l'engouement. R les mandait à ses moments per- dus, et les animait à se railler entre eux. Les épi- grammes de Dubellay contre Raïf charmaient le roi qui écoutait, en trépignant d'aise, soit la conversa- tion , soit les vers de ces novateurs. l\ hasardait lui- même à l'occasion un quatrain et se vantait d'être l'élève de Ronsard.
Charles IX apprenait de tout le monde : de Ronsard la poésie, de M. de Saint-Laurens la musique d'église. Il chantait avec les dames des couplets galants, et des psaumes au lutrin.
11 avait retenu d'Amyot le langage antique et sa- voureux-, de M. de Cipierre, le geste simple, la pa- role négligée et militaire, les manières du grand
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seigneur qui a passé sa vie dans les camps et dans les cours. Ces nuances si diverses se retrouvaient en Charles IX, lorsqu'il haranguait les ambassadeurs, les magistrats ou les membres de son conseil. Les ré- pliques étaient ses succès. Il se penchait pour écouter-, puis, se recueillant, il répondait avec un tact exquis, avec une vive et prompte intelligence, que rebaussait son air noble et aisé. Malheureusement Charles n'eut pas pour amis que son précepteur et son gouverneur. Ces hommes rares auraient fécondé le cœur égoïste , fortihé l'imagination vacillante de leur pupille et l'au- raient porté aux grandes choses. Ils auraient fait de Charles un roi digne du premier trône de l'univers.
Catherine s'en inquiéta et y pourvut. Elle comprit le danger des bons sentiments de Charles IX. Il pou- vait lui échapper par là. Elle eut recours à l'un de ses Italiens, à Gondi, depuis maréchal de Retz. C'é- tait le favori privé de la reine, le plus imperturbable athée et le plus grand renieur de Dieu qu'elle connût.
Il ne s'épargna pas à son œuvre de démoralisation. Il se moqua un peu de tous les scrupules du roi. Il lui retourna les principes d'Amyot et de Cipierre. Il lui insinua de se satisfaire en tout et de ne pas sup- porter de frein. Il le dressa aux jurements, aux blas- phèmes, aux obscénités. Il l'excita à mentir, à faus- ser sa foi, à ne rien respecter, si ce n'est la reine des fourbes et des fourberies, la reine mère.
M. de Villeroy, avec plus de décence, célébrait aussi Catherine et répétait au roi d'un ton énigmati- que des leçons de tyrannie pour toute politique. Charles n'avait guère imprimé dans son souvenir que
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cette maxime : « Les finances du peuple sont des ri- vières^ elles ne coulent que pour arriver à leur Océan qui est le trésor royal. «
Elevé par des âmes si diverses, Charles IX avait plus d'une marque. Il était accessible au bien et au mal, bon avec les bons, mauvais avec les mauvais , pire avec les pires. Tête faible par son ardeur même, il était lancé facilement aux extrémités les plus con- traires. 11 se défendait d'abord avec obstination, puis sa conversion à votre opinion , si vous y parveniez , devenait une frénésie. Un raisonnement spécieux, un sarcasme ou un défi le rendait insensé. Il était sem- blable au violon ivre des contes slaves. Taxé d'im- puissance par un gnome pervers, le violon anarchique s'irrite, s'emporte à travers les arbres dont toutes les branches lui servent d'archet; il triomphe, il s'exalte à ses propres vibrations-, à la fin, il joue d'une telle fureur que ses cordes se rompent, que son bois se brise et que son àme s'évapore dans un sanglot.
Ainsi de Charles IX.
Tout en se plongeant dans le torrent de ses plaisirs désordonnés, il accéléra la célébration de son mariage avec Isabelle d'Autriche, fille de l'empereur Maximi- lien. Les négociations de ce mariage traînaient depuis neuf ans. Elles furent dénouées et closes par un fort habile homme, par Fourquevaulx, ambassadeur de France auprès de Philippe II.
Les difficultés surmontées, le mariage s'accomplit par procuration cà Spire. La jeune archiduchesse partit aussitôt de cette ville, oii siégeait la diète de l'empire. Elle arriva en grande pompe à Sedan (novembre
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1570), Son cortège était magnifique. On y distinguait rélecleur de Trêves, Tévèque de Strasbourg, le mar- grave de Bade. Elle fut reçue par les ducs d'Anjou, d'Alençon, de Lorraine, de Guise et d'Aumale,par le marquis de Mayenne et par toute la fleur de la noblesse française. Tant de princes et de seigneurs devaient la conduire à Mézières oii étaient le roi, sa mère, ses sœurs, les deux duchesses de Guise, les duchesses de Nemours, de Montpensier, les cardinaux de Lorraine et de Bourbon.
Charles eut une impatience charmante. Il n'at- tendit pas l'archiduchesse à Mézières, selon l'éti- quette. Il courut sous un déguisement jusqu'à Sedan, où il pénétra par une casemate. Il entra joyeuse- ment dans la foule, cria : Vive la reine, et contempla sa femme sans être soupçonné ni d'elle , ni de per- sonne. Il fut comme ébloui. Il retourna vite, à franc étrier et sur un de ses meilleurs chevaux, afin de raconter à sa mère sa bonne fortune.
La princesse lui plaisait et méritait de lui plaire.
Elle avait la taille belle, quoique moyenne, le teint admirable, l'air obligeant et timide, le regard mo- deste, presque craintif, et pourtant royal. Seulement, sa bonté naturelle dominait sa fierté de famille et d'éducation. On lisait sur sa physionomie qu'elle s'é- tudiait déjà, dans sa nouvelle patrie, à ne blesser per- sonne et à contenter tout le monde. Elle était moitié Autrichienne et moitié Castillane; mais bien qu'elle parlât toujours espagnol, elle n'avait aucune des har- diesses de la terre du Cid. Sa douceur, ses délicatesses, ses appréhensions étaient surtout d'une Allemande.
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Catherine savait, par ses espions diplomatiques, à quel point l'archiduchesse Isabelle était inoffensive. Elle ne la redoutait donc point. Le roi ne serait con- trarié ni dans ses amours, ni dans ses habitudes étranges. Catherine ne serait pas traversée dans ses intrigues. Isabelle considérait la soumission comme le premier de ses devoirs. Elle porterait sans mur- mure le joug de sa belle-mère et celui du roi. Au besoin, un confesseur ferait raison à la reine mère de la jeune reine.
Isabelle était pieuse et scrupuleuse. Quand elle avait longuement prié, le soir, dans son oratoire, elle se couchait et renvoyait ses dames après s'être her- métiquement enveloppée de ses rideaux. Alors, elle se redressait sur ses deux genoux et priait encore avec des élans et des componctions intarissables, plurs effrayée de ses fautes que d'autres, sous les mêmes lambris, dans les mêmes palais, ne l'étaient de leurs crimes 1
Elle nous apparaît, la candide reine, entrevue à Sedan par Charles IX dans un éclair de curiosité che- valeresque, accueillie par Catherine de Médicis et par toute la cour de France àMézières, où le cardinal de Bourbon bénit l'auguste couple et officia avec une magnificence inaccoutumée.
Le cardinal de Lorraine en fut jaloux. Son frère, le cardinal de Guise, était présent aussi à la céré- monie. Le duc de Guise y assistait comme grand maître, le marquis de Mayenne comme grand cham- bellan, et le duc d'Aumale en qualité d'écuyer tran- chant de Leurs Majestés,
LIVRE TRENTE-DEUXIÈME. iî)?
Les Guise se soutenaient, en s'appuyant sur leurs dignités traditionnelles et en se retrempant dans de splendides alliances.
Dès le mois de décembre 1569, le cardinal de Lor- raine avait attiré le duc de Montpensier à Bourgueil, maison de plaisance du cardinal de Guise. La du-- chesse de Nemours et sa fille Catherine y étaient. Les cardinaux avaient recommandé «de parer la petite,» qu'ils trouvaient fort jolie et fort mutine. Elle avait environ dix-sept ans, et le duc de jMontpensier en avait près de soixante.
Le prince se montra empressé. Il offrit sa main, ses titres, une maison rue de Tournon, et un douaire de dix mille livres de rente. Les cardinaux acceptèrent et garantirent, au nom de Henri de Guise, deux cent mille francs de dot à Catherine, qui, de son côté, renonça, en faveur de son frère aîné, à tous droits sur le duché de Guise et sur le marquisat de Mayenne.
Le roi constitua ensuite aux deux époux, à cause de sa parenté avec eux, cent mille livres sur la re- cette de Bretagne ^ et les noces se célébrèrent solen- nellement dans les jours gras, au mois de février de l'année 1570.
Le cardinal de Guise pétillait de gaieté et de malice. Il admirait le sérieux de son frère, de sa belle-sœur et de ses neveux. Il les en raillait quand sa nièce n'était pas là. « C'est le meilleur des mariages, hors l'éfect, » disait-il^ a comment le galant se tirera-t-il de son service, » écrivait-il au duc de Nemours. « Nous rirons bien, ajoutait-il, car de telles nopces ne se passent pas sans qu'il y ait de quoy deviser ! » 111. - n
ii)8 HISTOIRE i)E LA LIBERTE RELIGIEUSE. ,
Préparé par degrés, le mariage de Catherine de Lorraine et du duc de Montpensier se consomma en- fin. La princesse fut immolée à l'illustration de sa race. Le cardinal de Lorraine était ravi, la duchesse de Nemours comblée , le duc de Guise flatté des avantages et de l'honneur de cette alliance ; le car- dinal de Guise en était content, malgré les épigram- mes salées qu'il risquait tout bas à l'oreille de ses intimes.
La jeune Catherine elle-même, d'une grâce si vir- ginale et d'une beauté si vivante, se laissa flétrir en sa fleur, sans révolte. Ses sens furent profanés et bla- sés à la fois par l'amour de ce vieillard. Elle ne se relèvera plus femme de cet outrage. Ses passions lui monteront au cerveau. Elle sacrifiera tout à la puis- sance de sa maison, cette idole à laquelle elle a été jetée en holocauste si brutalement. Elle sera, dans la Ligue, la grande factieuse de la cour et l'héroïne du régicide, dévouée, par les ennuis d'un mariage si dis- proportionné , aux ambitions féroces de la politique. Plus tard, sa rage d'assassinat ne sera peut-être qu'une vengeance de la nature chez une princesse si ardente que Charles IX disait d'elle : « Le sang chaud de Guise fera de poisson chair par son contact avec le sang glacé de Montpensier. »
Le cardinal de Lorraine se sentit encouragé. Après avoir bien marié, selon le monde, sa nièce à un Bour- bon, et au plus catholique des Bourbons, il songea à faire, d'un autre effort, son neveu beau-frère du roi de France. Marguerite de Valois était libre encore, et, quoiqu'elle eût été recherchée par Sébastien de
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Portugal , puis promise à Henri de Navarre , Valtier prélat se vantait que le duc de Guise l'emporterait sur deux rois. Plus cela était difficile, plus cela serait glorieux.
Henri de Guise était alors dans tout son prestige. Il revenait de Jarnac, de Poitiers et de Moncontour. Il s'était distingué partout, il s'était battu vaillam- ment. Il avait été blessé et sa convalescence longue, douloureuse, était couronnée d'une guérison com- plète. Il avait accru sa réputation sans qu'il eût rien perdu de sa beauté. Il avait vingt ans. Son aspect était martial, son sourire fin, son regard assuré. Il avait la taille d'un des douze pairs de Cbarlemagne, son ancêtre; car sa généalogie, à laquelle il Ci'oyait, remontait jusque-là. Son esprit était d'un diplo- mate, son audace d'un tribun, ses manières d'un ca- valier, sa souplesse d'un courtisan et sa fascination d'un prince. Il était l'idole des soldats , du peuple , des prêtres. Les femmes l'adoraient. Il avait cédé çà et là. Plus d'une aventure avait trahi ses penchants voluptueux , mais il n'avait donné aucune part de son cœur, si ce n'est à Marguerite de Valois et à Cathe- rine de Clèvés.
Catherine était veuve du prince de Porcien qui , dans sa courte carrière, avait été l'un des plus bril- lants chefs du protestantisme. Il avait été brave sur les champs de bataille et sage au conseil. Son parti le regrettait avec larmes. Il méritait d'être pleuré, car sa vie avait été un enthousiasme héroïque et son agonie fut le plus cruel des martyres. Au plus fort de sa maladie, il était jaloux, jaloux du duc de Guise, Sa
JGO HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
passion, longtemps contenue, éclata. Elle eut une ex- plosion dernière qui émut profondément ceux qui en- vironnaient le prince. îl appela sa femme à son chevet et lui dit : « Ma chère Catherine, la mort ne m'afflige que parce qu'elle me sépare de vous. Je pressens d'ail- leurs ce qui bientôt arrivera. Vous êtes jeune, belle, et d'une richesse égale à votre naissance. Quand je ne serai plus , les prétendants vont se multiplier au- tour de vous. Je ne désapprouve pas d'autres liens. Seulement accordez-moi une grâce. Parmi tous ceux qui s'empresseront , choisissez. Je ne vous demande qu'une exception. Repoussez le duc de Guise, en souvenir de moi. Ne permettez pas, ma chère Cathe- rine, que tout ce que j'ai le plus haï possède tout ce que j'ai le plus aimé sur la terre. »
La princesse , touchée déjcà de tendresse pour le duc de Guise et déchirée de pitié pour son mari, bal- butia quelques mots d'assentiment. Le prince resta incertain. 11 expira dans les angoisses du doute et dans les tortures de la jalousie.
Le duc de Guise respecta d'abord les réserves im- posées à la princesse par son deuil et par les recom- mandations navrantes de son mari. Peu à peu, ce- pendant, le prince lorrain fut plus exigeant et la princesse plus faible. On alla jusqu'à rédiger les articles et les conditions du contrat des noces.
Tout était presque arrêté, lorsque le duc de Guise, qui faisait sa cour à la princesse Marguerite, se jeta d'un nouvel élan dans ce caprice. Ses oncles, les cai'- dinaux de Lorraine et de Guise, le premier surtout, avaient allumé soudain l'amour de leur neveu aux
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torches de l'orgueil. Le jeune duc avait compris qu'il ne s'agissait plus pour lui d'un amusement de galan- terie, mais d'un mariage avec une sœur du roi. Il ne ménagea plus rien. Il ne se borna pas à négliger la princesse de Porcien, il l'outragea. « Qui pourra me faire épouser la princesse de Porcien, dit-il, pourrait me faire épouser une négresse. »
Marguerite était enchantée. C'était un triomphe de plus. D'ailleurs, en attendant d'autres hommages, elle était de loisir et le duc de Guise lui plaisait.
De ses quatre frères François II, Charles IX, Henri d'Anjou et François d'Alençon -, de ses deux sœurs : Elisabeth, reine d'Espagne et Claude, duchesse de Lorraine, tous d'une distinction si délicate, ce fut Marguerite qui eut le plus les dons de l'esprit et de l'imagination.
Son père Henri II avait caressé et gâté son enfance. Sa mère Catherine s'était montrée envers elle sèche et sévère. Marguerite, qui ne l'aimait pas, s'attacha à la gagner comme tout le monde. La jeune princesse se défendait et attaquAit avec sa grâce. Séduire était son talent et son bonheur. Elle avait les plus hautes et les plus souples facultés de l'intelligence. Sa beauté était singulière. Elle ressemblait à une hétaire du siècle de Périclès plutôt qu'à une Française-, et à une Italienne de la familiarité de Léon X, son grand-oncle, plutôt qu'à une Grecque. Elle offrait un exquis mé- lange de tous les charmes de la femme , de la prin- cesse et de la courtisane précoce. C'était une Aspasie adolescente de la renaissance.
Elle repoussa facilement le calvinisme qui fut quel- le.
162 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
que temps à la mode et qui lui paraissait trop jiustère. Aussi, lorsque son frère d'Anjou, qui se piqua un mo- ment de huguenoterie, lui apportait des livres sus- pects, elle les remettait à madame de Curton , sa dame d'honneur, une catholique zélée qui se hâtait de les hrùler. Catherine avait entretenu le catholi- cisme chez la princesse. Bien qu'elle-même incré- dule , la reine mère voulait que ses enfants fussent catholiques, soit habitude, soit convenance, soit tra- dition, soit plutôt désir de ne pas disjoindre la foi de la famille royale de la foi des peuples.
Façonnée à tous les manèges, Marguerite était très- insinuante. Sa figure mobile, quoique noble, avait les expressions les plus adroites. Son teint éclatait sous le soleil de l'esprit qui ruisselait du front. Son nez, qui manquait un peu de iinesse , aspirait puis- samment la vie. Ses lèvres entr'ouvertes étaient in- jectées de filtres mortels. Ses yeux, si elle ne les voi- lait pas sous les longs cils de ses paupières, embra- saient de leurs rayons torrides.
Elle s'entretenait en italien ^ en espagnol, en latin même, dans l'occasion. Personne n'écrivait mieux en prose. Elle faisait bien les vers. Elle avait des soins infinis de toilette, des recherches de coiffure, des profondeurs d'hypocrisie, des futilités de décence qui allaient, comme son style, presque jusqu'au génie. Dans les salons du Louvre, on la jugeait une prin- cesse accomplie. Son maintien y était modeste, ses regards baissés, sa conversation discrète et de la meil- leure compagnie. Mais qu'elle se dédommageait bien de sa contrainte!
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L'histoire qui doit tout connaître ne peut pas tout dire. Au fond, Marguerite n'était pas ce qu'elle pa- raissait. C'était une lille de Florence, de cette terre des Médicis, de cette Toscane qui roule en dessous des fleuves de feu et des traînées volcaniques, tandis qu'elle est semée au dehors de fleurs, de vignes, d'o- liviers, de statues et de monuments.
A la date où nous sommes parvenus (1570), cette aurore des amours de Marguerite (était-ce la pre- mière , la seconde ou la troisième?), cette aurore qui jaillit, aux éclairs d'ambition des cardinaux lorrains, d'une double flamme de jeunesse et de plaisir, chez le duc de Guise et chez la princesse, fut délicieuse dans leur vie.
Us se trouvaient partout, dans la chambre de la reine mère, dans les bals et dans les fêtes. Le duc d'Anjou, qui haïssait Henri de Guise, le menait perfidement aux réceptions intimes de Marguerite, puis enveni- mait auprès du roi les prétentions du prince lor- rain. Une dame de Catherine de Médicis, la comtesse de La Mirandole, favorisait des rendez-vous plus se- crets entre les deux amants. Elle avait engagé une correspondance fort active avec le duc de Guise, sous la dictée de la princesse, qui prenait elle-même la plume de temps en temps pour mieux épancher son cœur.
Une de ces lettres interceptée découvrit tout et ht scandale (juin 1S70).
Leduc d'Anjou, coupable de connivence, éclata néanmoins très-haut. La reine mère ferma l'apparte- ment de Marguerite à Henri de Guise, à la comtesse
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de La Mirandole, au marquis de Mayenne, aux cardi- naux de Guise et de Lorraine. Elle somma ces prélats de démentir toute rumeur de fiançailles possibles entre sa fdle Marguerite et leur neveu Henri. Le roi présida jusqu'à minuit un conseil oîi le mariage pro- jeté de sa sœur avec le prince de Béarn fut maintenu. <( 11 ne sera pas dit , s'écriait Charles , en frappant du poing les meubles, que Messieurs de Guise, moi ré- gnant, troubleront ma paix et remettront mon Etat en rébellion. »
Cette fureur s'exaltant bientôt hors de toute limite, le roi prononça la mort du jeune duc. Son exclama- tion devient un arrêt. Charles s'adresse à Henri d'x\n- gouléme, grand prieur de France et son frère natu- rel, qui était là. Il le charge de cette exécution. Il dépend deux épées de la muraille, les jette sur le tapis de sa chambre, et déclare au grand prieur qu'il veut être obéi. « Tiens, dit-il, voilà deux épées et de mes meilleures. Regarde-les : il y en a une pour te tuer, si , demain à la chasse , tu ne tues pas avec l'autre le duc de Guise. )> Le grand prieur, qui n'avait au fond ni le courage du duel , ni le courage de l'as- sassinat, hésite, balbutie, s'excuse; mais le roi, l'ac- cablant d'injures, le traitant d'ingrat, de lâche, M. d'Angoulême se décide enfin et accepte cette mission de sang.
Marguerite vivait au centre de cet orage. Elle con- naissait toutes les passions qui s'agitaient dans le roi et auprès du roi.
Charles IX vovait dans le duc de Guise un obstacle à sa réconciliation avec les huguenots qui prendraient
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ombrage d'un mariage du prince lorrain et de Mar- guerite-, Catherine voyait en lui un rival de ses fils et de son pouvoir; le duc d'Anjou, un supérieur d'in- fluence auprès des catholiques, ce grand parti. Mar- guerite épouvantée ne balance plus. Elle renonce au mari en retenant l'amant. Elle prévient le duc do- Guise des pièges qui l'entourent. Elle le supplie de ne pas s'exposer, d'éviter les bals, les chasses du roi. Elle le conjure de ne plus songer à leur union, de tout sacrifier, excepté l'amour.
Guise comprend la situation. Il se conforme aux mesures de prudence imposées par sa maîtresse. Il déjoue les meurtriers. Ils le cherchent partout, et partout il est absent. Le duc ne résiste que sur un point. Il ne peut consentir à ne pas épouser la prin- cesse. Mais elle s'obstine, elle s'échaufl'e, elle exige de plus en plus : non-seulement il faut que le duc ne l'épouse pas, il faut encore qu'il épouse la princesse de Porcien, afin de rassurer le roi.
Elle écrit à sa sœur la duchesse de Lorraine. La duchesse vient à la cour, s'entend avec la mère de Henri de Guise, Anne d'Esté, et toutes deux décident le mariage du jeune prince lorrain avec la prin- cesse de Porcien. Catherine de Clèves avait été blessée dans ses sentiments, mais elle aimait. Rien ne fut donc facile comme de la ramener. Quand elle vit Henri de Guise à ses pieds, plus tendre, plus pas- sionné qu'autrefois, lui demandant pardon, lui jurant une fidéhté menteuse avec la duplicité d'un ambi- tieux et la chaleur factice d'un comédien aristocra- tique, elle crut tout et se rendit.
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Princesse prodigue d'elle-même, et qui, lorsqu'elle donnait son cœur, ne gardait pas son âme. Née ca- tholique, elle se lit protestante en épousant le prince de Porcien ^ elle se refit catholique en épousant le duc de Guise, toujours prêle à sacrifier, même Dieu à l'homme qu'elle adorait.
Le mariage fut célébré le 4 octobre 1570. Le roi y était avec toute sa cour. Le duc de Guise était mené par sa mère la duchesse de Nemours et par ses oncles, les cardinaux de Lorraine et de Guise -, la princesse de Porcien était conduite par le cardinal de Bourbon, par son beau-frère et par sa sœur, le duc et la du- chesse de Nevers.
Ce mariage apaisa Charles TX. Assuré désormais de pouvoir unir Marguerite au prince de Béarn, il am- nistia le duc de Guise qui ne le troublait plus dans ce srand dessein. Il lui accorda cent mille livres à tou- cher pendant quatre ans à la recette de Champagne, et il l'invita, lui et toute sa maison, aux noces royales qui eurent lieu, comme nous l'avons vu, à Mézières, deux mois après les noces du duc de Guise.
Les princes lorrains s'empressèrent de répondre à cette bienveillance du roi. Les chefs protestants, priés avec plus de faveur encore, s'étaient abstenus unani- mement. Coligny et la" reine de Navarre s'excusèrent sur les rigueurs de la saison et sur les difficultés d'une escorte pour ce long chemin de La Bochelle à Mé- zières. Trop faible, cette escorte ne les protégerait pas-, trop nombreuse, elle les compromettrait. Ils ne voulaient être ni téméraires, ni suspects.
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Ces raisons furent bien interprétées. Le roi était en veine d'indulgence pour les protestants.
Il reçut avec distinction à Villers-Cotterets l'ambas- sade des princes luthériens d'Allemagne. Cette am- bassade venait lui recommander les calvinistes de France comme des sujets fidèles et le traité de Saint- Germain comme larche d'Israël. Le roi écouta ces ambassadeurs, leur répondit et les congédia fort affec- tueusement.
Il s'en alla de Villers-Cotterets à Chantilly. Son in- tention fut de faire une avanceàColigny en s'asseyant au foyer du maréchal de Montmorency, dont l'amiral était le cousin germain et l'ami particulier.
Pendant que toutes ces nuances de la conduite du roi étaient senties à la cour, des persécutions éclatè- rent, çà et là, au fond des provinces contre les pro- testants. Coligny et la reine de Navarre envoyèrent de La Rochelle à Charles IX un message afin d'attirer son attention sur ces désordres. La députation se composait de Briquemaut, de Cavagne, de Beauvais- la-Nocle et de Téligny. Téligny , quoique le plus jeune, était le plus influent parmi ses collègues. Il avait toute la confiance de Coligny qui l'avait formé de sa main et qui, avant d'en faire son gendre, en faisait son fils. 11 avait eu l'art de plaire à Charles IX et à la reine mère. Il avait ainsi l'oreille des deux partis. Le portrait de Téligny explique bien ses sé- ductions. Il y c dans cette physionomie une réserve et pourtant une ouverture qui annoncent le gentil- homme et le négociateur. Il manque peut-être à cette noble figure une circonspection plus inquiète, néces-
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saire dans ces temps de ruse, de férocité et d'em- bûches.
Quoi qu'il en soit, Charles IX accueillit avec cour- toisie tous les députés de La Rochelle et principale- ment TéHgny. 11 leur déclara qu'il veillerait ferme- ment à l'édit de pacification et, comme gage de sa sincérité, il dépêcha des commissaires zélés dans tout le royaume.
Il expédia aussi à La Rochelle le maréchal deCossé, un homme fort estimé de Coligny, pour s'entendre avec la reine de Navarre et avec l'amiral. Tous les griefs furent exposés mutuellement dans les meil- leurs termes. Le maréchal , qui avait noté beaucoup de plaintes, en exprima une, à son tour, aux dernières conférences. Il blâma Coligny de se tenir à La Rochelle en défiance du roi, au lieu d'être généreusement et sans appréhension à la cour. Coligny répondit qu'il était encore absorbé par les affaires du protes- tantisme, mais qu'il ne renonçait pas au désir do porter bientôt à Sa Majesté l'hommage de son dé- vouement et de la reconnaissance de tout le parti réformé.
Le maréchal de Cossé partit de La Rochelle avec ces assurances de fidélité et Téligny y revint chargé de toutes les bonnes résolutions du roi à l'égard des protestants et de leurs droits. Charles IX avait même dévoilé ses projets sur les Pays-Bas et annoncé con- fidentiellement la guerre de Flandre.
Coligny tressaillit à ces espérances. La guerre de Flandre était le rêve de sa vie. Par elle cesserait la sruerre civile et commencerait la guerre étrangère. Et
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quelle guerre! La guerre sainte, la guerre contre le persécuteur Philippe II, la guerre pour le prince d'Orange, pour le protestantisme, pour la liberté de conscience, — la vraie guerre de Dieu.
Au fond, Charles IX la voulait, cette guerre, pres- que aussi vivement que l'amiral de Coligny. C'était une vengeance contre l'Espagne. Vengeance légitime, quand on connaît la situation, quand on a lu page par page, ligne par ligne, mot par mot, les énormes volumes des papiers d'État du cardinal Granvelle, volumes formidables, archives diplomatiques et san- guinaires du seizième siècle! Là paraît à nu la tyran- nie besoigneuse de l'Espagne, sa parcimonie, son avarice, qui prête aux Valois à la petite semaine, chichement, sans délicatesse , sans grandeur , et qui oblige en les humihant Catherine et ses fils. Cette famille royale , la plus illustre du monde , reçoit au- tant d'outrages que de ducats. Charles IX en gardait une rancune amère au gouvernement usurier et des- potique de l'Espagne. Une autre raison pour le jeune roi de faire la guerre de Flandre, c'était la pensée, bien douce pour lui, de retirer à son frère d'Anjou, dont il était jaloux à mort, l'épée de la France pour la remettre à Coligny, ce grand capitaine avec lequel il ne pouvait avoir aucune rivalité.
Que feraient les Guise menacés dans leur existence même par la grandeur de Coligny? Que ferait Cathe- rine de Médicis menacée dans son pouvoir? Que fe- rait le duc d'Anjou menacé dans sa gloire? Telles se- ront les complications de l'avenir.
En attendant , l'amiral , depuis la communication m. 15
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de Téligny , ne songeait plus qu'à la guerre de Flandre. C'était une tentation irrésistible pour son cœur et pour son génie. Affranchir les consciences , élever la France de tout l'abaissement de l'Espagne , de la maison d'Autriche : voilà le double plan de Coligny, plan si vaste , que Richelieu est immortel pour en avoir accompli plus tard la moins belle moitié.
Oui , cette guerre de Flandre était la plus sublime des tentations pour Coligny. Charles lui en jeta une autre. Le maréchal de Biron suivit de près le jeune Téligny à La Rochelle. Il y venait proposer de la part du roi et de la reine Catherine un mariage entre la princesse Marguerite de Valois et le prince de Béarn. C'était le sceau suprême à l'édit de pacitication, la iin des guerres civiles, le symbole de lunion invio- lable des catholiques et des prolestants.
Biron ne tarissait pas sur les avantages innom- brables qui allaient naître de ce grand acte. Coli- gny souriait des lèvres , mais son visage restait soucieux.
Jeanne d'Albret fut profondément troublée. Elle répondit qu'elle avait besoin de réfléchir, qu'elle con- sulterait Dieu et que , si son devoir le lui permettait, elle serait heureuse de consentira tout ce que vou- drait le roi. Elle pria le maréchal, quoi qu'elle pût dé- cider, de dire au roi combien elle était reconnaissante ,de l'honneur qu'il lui avait fait, honneur d'autant plus précieux pour elle qu'il tendait à consolider par ,1a fortune de son fils la tranquillité de l'Etat.
Pendant les pourparlers qu'entraîna ce grand ma- .fiage, d'autres mariages se conclurent à La Rochelle.
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La vieille ville religieuse et guerrière, dont les murs étaient flanqués de citadelles, dont chaque mai- son était une forteresse de foi et d'héroïsme, se dé- tendit. Un rayon perça les brumes de la cité des sol- dats, des théologiens et des martyrs. Il éclaira les rues, les édifices, les créneaux et rougit d'une splen- deur de fête ces pierres grises destinées aux bouleis, aux démolitions, aux incendies, à toutes les chances sinistres des guerres civiles.
Cette somhre capitale du calvinisme, qui devait tant combattre et tant gémir encore, se prit à chanter d'autres refrains que les psaumes et à se réjouir entre les sièges et les massacres.
On y parlait, et c'était un souhait public, de quatre mariages qui se préparaient.
Le premier, celui du prince de Béarn avec Mar- guerite de Valois, demeurait en suspens.
Le second, celui du prince de Condé avec Marie de Clèves, fut ajourné. La jeune princesse, qui avait vécu à la cour de Navarre, était protestante. Elle était sœur de la duchesse de Guise et de la duchesse de Nevers. Toutes étaient charmantes et on les appelait les trois Grâces.
Les deux autres mariages furent celui de Coligny avec la baronne d'Anton et celui de Téligny avec Louise de Chàtillon , fille aînée de l'amiral. Ces ma- riages s'accomplirent le même jour, dans le même temple, aux mêmes flambeaux, sous les auspices de la reine de Navarre, au milieu de l'escorte des princes de Béarn , de Condé , de Nassau , et de l'état-major protestant des guerres civiles.
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La baronne d'Anton était une jeune veuve, fille du comte d'Antremont , l'un des plus grands sei- gneurs de Savoie. Elle avait une naiisance illus- tre, des biens immenses et une âme supérieure. Elle avait refusé des princes, elle voulut épouser l'amiral. Elle s'était éprise de lui sur la renom- mée des choses extraordinaires qu'il a\ait faites et dites. Elle lui écrivit simplement qu'elle l'aimait et qu'elle serait fière de porter le grand nom de Co- ligny.
L'amiral , poussé par ses amis et par son parti , touché lui-même de tant de cœur, répondit à ma- dame d'Anton qu'il regarderait comme le meilleur prix de ses travaux de l'avoir pour mère de ses en- fants et pour compagne de sa vie.
Le duc de Savoie ne l'entendait pas ainsi. Dès qu'il sut le projet de madame d'Anton, il s'y opposa indirectement. Il rendit un décret par lequel il dé- fendait à tous ses sujets de se marier à l'étranger sans son consentement, sous peine de la confiscation. Madame d'Anton ne fut pas indécise une minute. Elle brava tout, le séquestre de ses biens , les périls d'une captivité, la colère de son souverain. Elle s'é- chappa intrépidement par les sentiers des Alpes et elle arriva brisée de fatigue et d'émotion à La Ro- chelle. La reine de Navarre la reçut en mère et Coli- gny l'épousa. Le saint amour qu'il ressentit enchanta d'une lueur les funèbres mois qui le séparaient du martyre.
Son bonheur se redoublait dans le bonheur de sa fille qui avait épousé Téligny. L'amiral les avait don-
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nés l'un à l'autre. Avant d'être son gendre, Téligny était son enfant d'adoption. Il l'avait nourri et in- struit-, il en avait fait un gentilhomme accompli et le plus séduisant des négociateurs calvinistes.
Dès 1569, l'amiral avait indiqué celte alliance à sa fille. Il était hors la loi et sa tète était désignée aux assassins par le parlement de Paris. C'est alors qu'il écrivit son testament auquel nous empruntons ce paragraphe d'une délicatesse si profonde : « Suivant les propos que j'ay tenus à ma fille aînée, je lui con- seille, par les raisons que je luy ay dites à elle-même , d'épouser M. de Téligny, pour les rares et bonnes parties que je connais en luy, et, si elle le fait, je l'es- timerai bienheureuse; mais en cecy je ne veux user d'authorité ni de commandement de père. Seulement, je l'advertis que , l'aimant comme elle a pu éprouver que je l'aime, je luy donne ce conseil pour ce que je pense que ce sera son bien et contentement; ce que l'on doit plustost chercher, en toutes choses, que les richesses. » Nobles paroles qui peignent l'amiral, et qui, en exprimant l'estime de ce grand homme, sculptent Téligny à jamais dans l'immortalité de l'histoire!
Le seizième siècle ne doit pas être seulement re- gardé, mais pénétré. Tout y va à l'œil ou à l'âme, et, sous le pittoresque, palpite le pathétique. A Mé- zières, à Paris, à La Piochelle, il n'y a eu que bals, joutes et costumes merveilleux. Ce moment, le plus - terrible de l'humanité, est fécond en noces. Elles sont éblouissantes-, elles sont plus maudites encore. Ces fêtes voilent des catastrophes , et sous les fleurs de
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ces lits de délices, au fond de ces alcôves d'or, il y a des cercueils.
Toutes ces lunes de miel sont offusquées de "uages noirs et sanglants.
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Coligny en deuil de son frère, le cardinal de Châtillon. — Députa- lion de Briqueniaut et de Cavagne auprès du roi. — Seconde députation de La Noue, de Téligny et de Ludwig de Nassau. — Bonnes paroles de Charles IX. — Coligny, dans les probabilités de la guerre de Flandre, confie une flollille à La Minguelierre et demande la rentrée au pouvoir du chancelier de L'Hôpital. — Ce grand magistrat retiré dans sa terre de Vignay. — Il y prévoit les catastrophes publiques. — Il n'est pas rappelé. — Coligny à la cour. — Sa faveur au|)rès du roi. — La guerre de Flandre. — Le prince de Béarn, Marguerite de Valois. — Leurs portraits. — Préliminaires de mariage. — Hésitations et pressentiments de Jeanne d'Albret. — Sa mort.
Coligny était en deuil du cardinal Odet de Châ- tillon qui, revenant d'Angleterre en France, avait été empoisonné à Southampton par un valet de chambre stipendié pour ce crime. Fatal présage'.
Ce qui ajoutait à la douleur profonde de l'amiral, le survivant désolé de ses frères, c'était le danger des protestants.
Beaucoup d'entre eux avaient été, au mépris de redit de pacification, insultés, blessés, et même tués, dans le tumulte d'Orange et dans le tumulte de Rouen.
De concert avec la reine de Navarre et les princes, Coligny envoya au roi Briquemaut et Cavagne char- ges de réclamer une réparation. Charles n'hésita pas à l'accorder. Il fit pendre quelques-uns des persécu-
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teurs. Il déclara que le plus sévère gardien des édits, ce serait lui, le roi, et que, pour cette besogne, il vaudrait dix chanceliers. Briquemaut et Cavagne n'espéraient pas tant.
Le roi était alors à Fontenay, en Brie, avec la jeune reine Isabelle, la reine mère et toute la cour. Une autre députation, plus importante que celle de Briquemautetde Cavagne, était partie de La Rochelle. Elle s'arrêta au château de Lumigny, à une lieue de Fontenay. Les principaux membres de cette dé- putation étaient les meilleurs amis de l'amiral. Cha- cun d'eux était un autre lui-même. C'étaient La Noue, Téligny, et le comte Ludwig de Nassau qui voyagea sous un déguisement. Averti de leur présence au château de Lumigny, le roi s'échappa, un matin, de Fontenay avec sa mère, les maréchaux de Montmo- rency et de Damville ; il rejoignit les députés de La Rochelle et leur accorda une longue audience où ils l'entretinrent surtout de la guerre de Flandre. Le comte de Nassau, en son nom et au nom du prince d'Orange, son frère, développa tous les avantages de cette guerre. C'était la diminution de l'Espagne, la réconciliation des partis et des religions en France 5 c'était l'accroissement du royaume de Charles IX de- puis les frontières de la Picardie jusqu'à la ville d'An- vers. Charles parut convaincu, mais il ne s'engagea point. Il dit, à plusieurs reprises, soit au comte de Nassau, soit à Téligny, qu'avant de rien décider, il lui fallait se concerter avec l'amiral qu'il avait d'a- vance choisi pour son général en chef.
L'entrevue se termina sur ces paroles et le roi s'en
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retourna de fort bonne humeur à Fontenay. Il fut d'une courtoisie marquée pour les députés protes- tants pendant tout leur séjour, et, en se séparant d'eux, il les pria d'être les interprètes de ses amitiés auprès de sa tante la reine de Navarre, et de ses cou- sins les princes de Béarn et de Condé. Il remit aussi à Téligny pour l'amiral une lettre où il invitait ce grand homme, qu'il nommait son père, à quitter La flochelle, afin d'être, à la cour, son hôte et son con- seiller.
Coligny, attiré par ce mirage de la guerre de Flandre, charmé des conversations, de la lettre et des instances du roi, pressentit que La Rochelle ne le re- tiendrait pas longtemps. Dans cette prévision il équipa une flottille , qu'il conlia au marin le plus intrépide et le plus intelligent qu'il connût, à La Minguelierre, un héros du calvinisme et de la mer. L'amiral lui or- donna de croiser pour les Indes occidentales et d'ob- server tous les passages par où, à un moment pro- chain, il pourrait fondre sur les territoires espagnols de l'Amérique. Coligny créait ainsi des embarras transatlantiques à Philippe II, afin de le mieux affai- blir dans les Pays-Bas.
Non content de cette diversion , l'amiral songea aux garanties qui lui seraient indispensables à l'inté- rieur pendant la guerre. Où trouver l'homme inflexi- blement honnête capable d'assurer la justice, la tolé- rance aux familles des protestants qui combattraient en Flandre ? Il n'y avait pour cela que le chancelier de L'Hôpital.
Coligny sollicita sa rentrée au pouvoir. L'Hôpital
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avait remis les sceaux et déposé les insignes de ses hautes fonctions en 1568. A quelle occasion, on le sait. Pie V avait concédé à Ciiarles IX le droit de vendre des biens d'église pour cinquante mille écus d'or de rente, à la condition que le prix de ces alié- nations serait employé à l'œuvre sainte de T extermi- nation des hérétiques . C'étaient les termes et les in- tentions de la bulle. L'Hôpital la repoussa éloquem- ment, obstinément. Son opposition le précipita. Il eut le bonheur qu'il avait tant mérité, de descendre de son siège fleurdelisé dans une question de con- science.
La disgrâce ne lui pesa point. Il avait fait son de- voir. D'ailleurs, L'Hôpital était un de ces hommes rares qui aiment à souffrir de leur vertu.
Il n'était pas riche. Il se retira modestement dans sa petite terre de Vignay, près d'Etampes. Nous qui, depuis si longtemps, haletons dans l'air de feu des guerres civiles et qui bientôt traverserons la fournaise delà Saint-Barthélémy, reposons-nous avec L'Hôpital sous la fraîcheur de ses arbres. Sa résidence de Beauce n'est pas la grande nature, mais nous nous y ranime- rons un peu.
L'Hôpital avait toujours soupiré après la cam- pagne.
Tout jeune, lorsqu'il eut rejoint son père en Italie, la beauté des paysages le consolait de l'exil. Il attei- gnit Milan qui soutint un long siège. Son père, qui redoutait pour lui l'oisiveté d'une ville où l'on se battait et oii l'on s'amusait, mais où l'on ne travaillait pas, le fit déguiser en voiturier, lui mit un fouet à la
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main et l'envoya en compagnie de vrais voituriers et postillons, jusqu'à Padouo, la cité savante où il étudia six ans le droit. L'Hôpital courut de grands dangers dans ce voyage, surtout au passage de l'Adda; eh bien, la variété des sites, la douceur des vallées, la majesté des montagnes lui cachaient les périls et il oubliait qu'il était sans famille et sans patrie
Plus tard, avocat, conseiller au parlement, et sur- intendant des finances, n'ayant pas un sillon à lui, il acceptait l'hospitalité dans certaines résidences rus- tiques des environs de Paris, soit à Saint-Maur chez le cardinal du Bellay, soit près de Montlhéry chez le chancelier Ohvier, soit à Vitry, chez son beau-père le lieutenant criminel Morin.
Pendant dix mois, il se dévouait tout entier à ses devoirs de juge. Même en hiver, il venait à pied au parlement avant sept heures. Un serviteur ou un clerc le précédait avec un flambeau. Les conseillers qui logeaient plus loin du palais s'y transportaient montés sur des mules dont les grelots résonnaient sur leur route. Chacun avait aussi un serviteur ou un clerc qui marchait devant lui avec une torche. Ces clercs qui gardaient les mules dans les cours durant les audiences étaient connus sous le nom de pages du palais.
L'Hôpital arrivait le premier à son poste, et partait le dernier. Les séances du matin étaient marquées par des sabliers depuis sept heures jusqu'cà dix. A dix heures , les huissiers avertissaient les conseillers qui s'acheminaient vers le dincr fixé alors à onze heures. Puis les audiences recommençaient , le long du jour.
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jusqu'à souper. « N'étais-je pas toujours, dit L'Hôpi- tal, le moins prompt à me retirer? Me voyait-on , comme tant d'autres, errer çà et là dans les salles et m'impatienter contre le sable trop lent à s'écouler? Je restais immobile sur les fleurs de lis. Mon exemple a été longlemps cité pour modèle. »
Ce qui rendait admirable cette patience de L'Hôpi- tal, c'est qu'elle lui coulait plus qu'à personne. Né pour un plus grand théâtre, cette carrière de con- seiller lui était pénible. Son génie souffrait dans un horizon trop borné. Les passions des plaideurs l'affli- geaient. La déclamation et les cris des avocats l'im- portunaient. Cette nécessité d'une même fonction sans cesse renaissante lui semblait la pierre de Sisy- phe. « Cette pierre, disait-il, que je suis obligé de rouler depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, et que le lendemain je retrouve au bas de mon rocher, m'accable de sa pesanteur. »
Aussi comme il saluait du cœur les vacances de chaque année! Il s'en allait le plus souvent chez son beau-père, à Yitry, dans les environs de Choisy, avec sa femme et sa fille. 11 s'installait gaiement autour de ce foyer sévère où, par une influence secrète, il fléchissait l'humeur du maître, aussi acerbe aux pro- lestants que L'Hôpital leur était indulgent. Le lieu- tenant criminel s'amollissait au contact de son gen- dre. Il souriait presque de ses lèvres fines comme des lames, ordinairement taciturnes dans leurs plis cruels, excepté lorsqu'elles prononçaient des réquisi- toires d'exil ou de mort.
L'Hôpital écartait toute préoccupation de science
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OU de métier. Il se détendait dans les lettres profanes et sacrées. Il lisait Xénophon , Platon , Homère. Il se recueillait dans l'Écriture sainte ; il en tirait des pré- ceptes, des conseils et des consolations pour les orages et les blessures de son àme.
L'Hôpital lisait ses vers aux voisins que sa présence attirait à Vitry. Il causait de politique et de jurispru- dence. Il sondait dans leurs variétés et dans leurs pro- fondeurs le droit coutumier, le droit canonique et le droit éternel qu'il suivait de principe en principe, montant toujours, sur les grandes ailes de son intel- ligence, jusqu'aux origines d'où les lois découlent. Il goûtait mieux ces instants lumineux de rêverie et de conversation au milieu des jardins.
Le matin, il travaillait. Du dîner au souper ce n'é- tait que promenades, échanges de sentiments etd'idées intarissables, « dans les allées de pins, sous les cyprès en forme de cône, ou bien sous les platanes si chers à Socrate. »
Il allait des vallons aux collines. Il s'avançait silen- cieusement sous le dôme mobile des bois et il se couchait parmi les herbes , au bord des eaux cou- rantes.
Il a décrit lui-même, çà et là, ses simples plaisirs dans ses épîtres latines qui sont avec son testament les mémoires de sa vie.
Il avait donc senti la campagne bien avant d'avoir une terre à lui. Mais quand il eut Vignay, il éprouva comme une ivresse de la nature. Il se mêlait à cette joie des champs un bonheur naïf de propriétaire et de seigneur qui se répandait on bienfaits autour de lui. m. IG
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Il secourait les malades, soulageait les pauvres. Il plantait, il semait, il s'entretenait avec les paysans et conviait ses amis à Vignay.
« Amis chers, que vous offrirai-je? Ce n'est point sans cloute le luxe, ni les délices de Paris : vous en êtes rassasiés. La modicité de mon domaine ne me permettrait pas de vous traiter d'une manière-somp- tueuse. Ce domaine, qui n'est ni riche, ni vaste, four- nira des mets vulgaires à des convives sobres. Vous y trouverez de l'agneau, du veau, des cochons de lait, des pommes, des noix, des fèves, des pois, des na- vels, enfin du vin que ma femme elle-même a soigné. Le fermier de la vallée voisine et le marché fameux de Meysse nous donneront le reste. »
Seul, L'Hôpital n'était pas si magnifique. « Le bouilli, dit Brantôme, c'était tout son ordinaire pour le dîner. »
« Ma maison, continue L'Hôpital, suffit à loger le maître et trois ou quatre de ses amis. Elle est propor- tionnée à l'étendue des fonds. La table y sera ornée plus splendidement que de coutume. Ma femme a ap- porté une salière d'argent de la ville qu'elle y repor- tera. Nous avons des serviettes fines et nos lits ont de , bonnes couvertures. Voyez-vous, à deux pas de nous, cette plantation d'ormes si bien alignés et qui nous défendent du soleil ? C'était un champ à blé sous l'an- cien maître. Ma femme à son arrivée en changea la destination ; elle l'ajouta à la forêt dont elle augmenta ainsi l'ombrage. »
Là, L'Hôpital jouait avec la muse latine, s'oubliait avec Horace ou Virgile. Il ne chassait pas. Il n'avait
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d'autres chiens que les chiens du bétail et des granges. Lui-même nous apprend toutes ces choses avec un charme de bonhomie incomparable.
Ce qu'il regrettait le plus à Vignay, c'étaient les sources, qui auraient rafraîchi les yeux et où les l3er- gers auraient pu se désaltérer avec leurs troupeaux. Mais non. « Mes troupeaux, dit L'Hôpital, boivent les eaux de pluie qu'on a ramassées dans des citern'es. Un puits suffît pour les colons et pour le maître. Pour- quoi désirerais-je des fontaines et des prés verts? Irai- je accroître mon amour de la campagne? Si je n'étais privé de cet agrément de l'eau , on me verrait fixer ici mon séjour, et dire un éternel adieu à la ville, au palais et à mes amis. «
Il écrit ailleurs : « J'ai choisi Sparte 5 il faut habi- ter Sparte. »
L'historien qui aime L'Hôpital a pu encore visiter cette Sparte de Beauce. Il a pu se rendre de Paris à Etampes, d'Etampes au hameau de Champmoteux , et s'avancer, par une antique avenue de chênes, jus- qu'à Yignay, au pied de deux portes, l'une très-pe- tite, l'autre très-grande, qui s'ouvrent, en face, sur la ferme; le château est sur la gauche.
La ferme est la même que du temps de L'Hôpital. Le château est le même aussi , mais désert, presque en ruine. L'herbe pousse jusqu'au perron dont une double branche de fer accompagne les marches dé- gradées.
Le rez-de-chaussée se compose des appartements d'apparat. Il y a un fort beau salon. Le portrait de L'Hôpital le décore. La physionomie du chancelier
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est stoïque et miséricordieuse. Son front chauve est labouré de rides, ses yeux sont méditatifs. Son sou- rire, d'une clémence austère, luit sur sa barbe au- guste et grisonnante. Rien de plus noble et de plus effilé que les mains dont la droite pose sur un coffret fleurdelisé qui contient les sceaux de l'Etat. Dans son cadre, ce grand homme ressemble à' un Christ de la loi.
Au premier, se lézardent les chambres delà famille, celles des amis: la chambre de madame de L'Hôpital, de" sa fille , de son gendre et de leurs enfants , la chambre de Christophe de Thou, un approbateur trop servile de la royauté, la chambre de Mondoré, un mathématicien et un poëte, les chambres d'Ar- iioiild Ferrier, de Jacques Du Faur, ces métaphysiciens du droit, et la chambre de Cujas , le plus grand des jurisconsultes, s'il n'avait peut-être un égal dans Du- mouhn. Sans croire qu'une chambre particulière fût réservée à chacun de ces hommes supérieurs , c'est assez de savoir qu'ils ont habité sous ces voûtes
La plus intéressante de toutes ces chambres , celle de L'Hôpital, est à l'un des angles du château. Elle donne d'un côté sur le parc, et, de l'autre, sur la vieille ferme. Elle est flanquée de deux cabinets où madame de L'Hôpital et une garde couchaient lors- que le chancelier était malade. Une quatrième pièce , la bibliothèque, complétait l'appartement du chance- lier à Vignay.
C'est là, dans cette bibliothèque silencieuse, que L'Hôpital s'est tant recueilli. C'est là qu'il a tant pensé, tant aimé, tant combiné, tant gémi. C'est là (ju'il avait couronné , par des commentaires malheu-
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reusement perdus, ses ordonnances monumentales, germes glorieux de nos codes. C'est là qu'il a prévu les malheurs publics et qu'il s'est efforcé en vain de les conjurer. C'est là qu'il en a appelé des implacables passions des partis à la Providence qui permet le mal ici-bas et qui le consumera dans les évolutions futures des destinées humaines.
L'Hôpital n'abdiqua jamais l'idéal divin. Il y a cru, il l'a adoré, et voilà pourquoi il le possède certaine- ment aujourd'hui.
Chose touchante, le réduit le plus humble, le plus simple du château avait été choisi par L'Hôpital. Le chancelier demeurait dans un coin et y occupait le moins de place possible. Quelle modestie dans cette grandeur morale! L'Hôpital au reste avait raison. Il pouvait se contenter du plus étroit espace, bien sûr qu'il était d'y embrasser l'Infini.
Vignay, ce château solitaire et délabré, est un grand souvenir rustique et civique au-dessus d'un océan de blés. On y respire dans les souffles l'âme exquise de L'Hôpital.
De cette retraite, où le chancelier jouit d'abord de la disgrâce comme d'un bienfait, il ne contempla bien- tôt plus qu'avec anxiété les affaires publiques. Il se méfiait de la paix de Saint-Germain. Il redoutait l'Es- pagne et Rome, la perfidie blasée de Catherine, la violence frénétique de Charles IX , la corruption fé- roce et vénale des courtisans, le machiavélisme impie des seigneurs, l'effervescence barbare et sincère des masses. Le dévouement n'était pas éteint en lui, mais sans emploi. L'Hôpital n'aurait pas reculé devant le
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devoir. Il aurait tenté encore de s'interposer dans ce suprême péril de la France.
Le témoignage de ses craintes sinistres pour l'Etat, de son dégoût d'un siècle sanguinaire, de son cou- rage jamais rebuté, jamais lassé, L'Hôpital l'a tracé en paroles de flamme.
Dans une élégie sur Jacques Du Faur, un vent de terreur agite les rares cheveux de l'Hôpital et ses lèvres sont prophétiques. Il prédit avec une clarté formidable les fléaux qui s'avancent. La Saint-Bar- Ihélemy est proche.
« Quoi ! il est mort si près de moi et sans moi, Jac- ques Du Faur, mon meilleur ami, mon contemporain, mon camarade denl'anceî II connaissait mes plus se- crètes pensées, je connaissais les siennes'. Nous avions constamment vécu en frères et jamais le moindre nuage n'avait séparé ni refroidi notre tendresse réci- proque. PSos bons et nos mauvais jours avaient été fidèlement mis en commun , et nous étions arrivés à cet âge suprême où l'amitié est douce.
« Nous avions vu avec douleur la France en proie aux désordres d'une guerre qu'on avait entreprise contre notre avis. Quoique bien tard, Dieu a rendu la paix à la terre
« Ils n'ont cependant pas déposé leur caractère farouche; la haine embrase leurs cœurs. Us ressusci- teront bientôt la guerre par de nouveaux crimes. Tu es heureux, mon cher Jacques, d'avoir été désigné le premier pour les demeures éternelles. Tu ne seras pas témoin des maux qui nous sont réservés et qui surpasseront peut-être ceux que nous avons déjà
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soufferts. La vengeance céleste nous a été cruelle et pourtant elle n'est point assouvie.
« Ombre sacrée ! tu me précèdes, je te suis. Puisse un même séjour nous rassembler à jamais! »
Il y a de L'Hôpital une autre épîlre à Arnould du Ferrier, et cette épître, qui est de 1571 , a une grande importance historique.
« Ma lettre, cher du Ferrier, sera aussi peu posi- tive que les événements actuels.
« Le roi a quitté Paris : il allait chasser en Bre- tagne dont on dit les vastes forêts pleines de bêtes sauvages. Faux prétexte! le but était une réconcilia- tion avec les jeunes Bourbons et l'amiral. Nos puis- sants du jour en ont été épouvantés; car si M. de Chàtillon trouvait une occasion de baiser la main du roi, il lui soufflerait deux ou trois mots à l'oreille et lui apprendrait de quels dangers le trône est menacé. Il relèverait l'autorité souveraine , et prendrait les rênes de l'Elat que les mains trop faibles du jeune prince ne peuvent diriger.
« On parlait aussi de moi , et ce n'était pas sans raison. Je ne sais quelles intentions tombées de la bouche du prince avaient troublé la cour; mais la ruse s'est chargée de dissiper cette fumée. Je puis donc encore jouir de la liberté que je tiens du ciel. Les mé- chants et les égoïstes en plaisantent; les sincères amis du roi gémissent. Ah! qu'ils sont rares , du Ferrier, ceux qui s'inquiètent de la patrie ! »
Il y en avait deux surtout que ce noble tourment dévorait. Et ces deux hommes étaient deux grands hommes : L'Hôpital et Goligny. Tandis que l'amiral
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sollicitait la rentrée du chancelier aux affaires , le chancelier désirait de tout son patriotisme le minis- tère de l'amiral. Sublime instinct des cœurs héroïques qui se cherchent, et se souhaitent dans les crises po- litiques et religieuses !
Mais Coligny échoua. L'Hôpital resta relégué ù Vignay dans les mélancolies d'un sage , dans les an- goisses d'un citoyen. L'amiral, au contraire, caressé, fêté, allait s'engager dans le cercle de fer oii se fon- daient des balles , oii s'aiguisaient des poignards et oii la cour ambiguë des Valois l'attendait entre les meurtres et les débauches.
Ludwig de Nassau et Téiigny, à leur retour des conférences de Fontenay et de Lumigny, n'avaient pas manqué de raconter à l'amiral l'estime, les bon- tés, l'enthousiasme du roi pour lui. La lettre de Charles IX confiée à Téligny, une autre lettre appor- tée par le maréchal de Cossé, les nouvelles assurances de ce maréchal, toutes ces circonstances réunies vain- quirent les appréhensions de Coligny. Un billet pres- sant du maréchal de Montmorency , son ami , son cousin germain, dont il connaissait la circonspection, acheva de convaincre l'amiral. Il résolut de quitter La Rochelle pour Blois, où résidait la cour.
Il se mit en route avec le maréchal de Cossé. Cin- quante gentilshommes l'accompagnaient. Le roi lui avait prescrit lui-même ces précautions comme une sûreté et comme un honneur , de sorte que l'amiral arriva moins en seigneur qu'en souverain.
Le roi était-il sincère ? Je n'hésite pas à le sup- poser tel. Non, Charles n'entoura pas Coligny de
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tant de magnificences pour l'immoler, à la façon des victimes expiatoires que les antiques sacerdoces pa- raient de fleurs et de bandelettes avant de les égor- ger à l'autel.
Charles IX, c'est une certitude pour moi, se ratta- chait alors aux Montmorency et au tiers parti. Le ma- riage du prince de Béarn , les alliances protestantes avec l'Angleterre et avec l'Allemagne, la conquête de la Flandre enfin, étaient les passions du roi. Il aspirait à gouverner seul, à secouer la fausse gloire de son irère d'Anjou, à repousser la suprématie de sa mère. Il lui fallait pour cela un grand ministre , un grand homme d'État, un grand capitaine. Il n'y avait que M. l'amiral qui eût toutes ces auréoles. Voilà pour- quoi Charles l'avait choisi.
Aussi, lorsque, le 12 septembre 1571, Coligny des- cendit au palais de Blois, avec quels transports fut-il accueilli par Charles 1 A ceux qui voulaient le retenir à La Rochelle l'amiral avait dit : « Je me fie en mon roi, en sa parole : autrement, ce ne serait pas vivre que de vivre en de telles alarmes. Et d'ailleurs mieux vaut mourir d'un brave coup que de vivre cent ans en peur. » Coligny dut se féliciter de cette résolution magnanime en cette première entrevue. Introduit sans retard, comme il se jelait aux genoux du roi, en signe de dévouement, le roi le releva, l'embrassa trois fois , appuyant ses joues fraîches contre ces joues vénérables, parlant à l'amiral d'un accent ému, le nommant son père, s'écriant que ce jour de réconciliation était le plus beau de son règne, puisqu'il lui rendait le plus grand de ses capitaines,
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le sauveur de l'État. « Mon père, ajouta-t-il avec grâce, nous vous tenons maintenant, nous ne vous lâcherons plus. » L'amiral convint depuis que ces mots rétonnèrent un instant, mais il n'en voulut croire que le sens le plus bienveillant.
Tout charmé encore du respect et des caresses du roi, Coligny alla saluer la reine mère. Elle le reçut avec un demi-plaisir et une demi-franchise. Elle était piquée du dédain que Philippe II n'avait pas ménagé à la maison de France, en rompant le mariage de Sé- bastien , roi de Portugal , et de la princesse Margue- rite. C'était se venger de Philippe, en quelque sorte, que de fêter l'amiral, Tennemi de l'Espagne, le repré- sentant des alliances anglaise et allemande. Catherine, à moitié sincère, à moitié fourbe, sentit à la fois et si- mula Teffusion. Le duc d'Anjou, chez qui l'amiral se présenta, usa, lui, d'une entière hypocrisie dans ses compliments au grand homme qui venait lui enlever l'épée du commandement. Quoi qu'il en fût, un rayon de faveur illumina Coligny dès son apparition, et la cour, toujours prête aux apostasies, l'environna d'hommages.
Le roi donnait l'exemple.
Il réintégra Coligny dans toutes ses dignités. Il lui envoya cent mille livres pour l'indemniser de ses pertes durant îa guerre. Il lui restitua les meubles précieux pillés à Châlillon. Il lui accorda les revenus d'un an de tous les bénéfices du cardinal Odet si tra- giquement empoisonné en Angleterre.
Tout ce qui appartenait de près ou de loin à Coli- gny fut comblé. De splendides présents à Téligny et
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à Briquemaut attestèrent l'amitié de Charles pour l'amiral. Cavagne eut une charge de maître des re- quêtes. Beaucoup de gentilshommes protestants rui- nés obtinrent des gratifications royales. Pour Coligny, nommer quelqu'un, c'était le pourvoir.
Il exerça cette influence en grand.
Il fit écrire par Charles IX au duc de Savoie, le- quel avait frappé d'exil et de confiscation tous ceux de ses sujets de Bresse qui avaient suivi les drapeaux de Coligny. Le roi , sur la prière de l'amiral , prit en gré la cause de ces braves huguenots et il la plaida si bien auprès de leur duc irrité, qu'il la gagna. Charles fléchit ce prince et les bannis hérétiques et héroïques rentrèrent sous leur ciel et sous leur toit , dans leur patrie et dans leur champ.
Ce n'est pas tout. Il subsistait un monument de honte, pour les calvinistes, dont Coligny sollicita la démolition. Ce monument était une croix, appelée croix deCastines, et située rue Saint-Denis. Elle rap- pelait un événement sinistre.
Elle occupait l'emplacement d'une maison où de- meurait, il y avait trois ans à peiné , un riche mar- chand très-estimé dans sa profession. Ce marchand, Philippe Gastines , s'était converti aux opinions nou- velles. Il avait reçu chez lui ses frères protestants et il y avait fait la cène selon le rite de Calvin. C'en était trop. Gastines fut accusé, jugé et condamné au dernier supplice avec son fils et son beau-frère. L'ar- rêt s'exécuta et ces malheureux furent pendus le 30 juin Io69. La maison fut rasée. Le bourreau sema du sel sur ce terrain ravagé et une pyraaùde sur-
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montée d'une croix y fut bâtie, afin de perpétuer ce souvenir barbare.
Or, la croix de Gastines était pour les catholiques le symbole d'un triomphe et pour les protestants le symbole d'une flétrissure.
S'autorisant de la paix de Saint-Germain, des hautes convenances politiques et morales que violait cet orgueilleux emblème d'un crime, Coligny réclama vivement contre la croix de Gastines et obtint qu'elle disparût .
La mesure était délicate à exécuter. Charles IX dé- sirait satisfaire les protestants, mais il ne voulait pas provoquer les catholiques. On enleva de nuit la croix de Gastines. Le lendemain , quand la plèbe n'aperçut plus le signe de sa victoire odieuse , elle cria : Trahi- son , et se rassembla pour le rétablir. Il y eut une émeute furieuse. Le maréchal de Montmorency fut obhgé d'ordonner une rude charge et l'on balaya, l'épée au poing , ces hommes avinés et rugissants, dont plusieurs restèrent sur le pavé. Force demeura au parti modéré, à Coligny, à la conscience publique et au roi.
Cependant le duc de Guise , qui s'était retiré à l'approche de Coligny, ranima la querelle de sa maison contre l'amiral , se montra en tumulte à Paris avec ses bandes et compromit la concorde nais- sante qui souriait tant à Charles IX. Ce prince me- naça de son indignation le duc de Guise et le duc ajourna encore une fois sa vengeance. Ses soldats se dispersèrent avec ordre. Les uns partirent pour la Champagne, les autres pour la Lorraine. Le plus
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grand nombre ne quitta point la capitale du royaume. lis y établirent leurs quartiers, soit à l'hôtel de leur duc, soit aux cloîtres , soit aux sacristies , soit aux presbytères. Partout où logeait une robe noire, il y avait un abri et un toit pour les hommes de M. de Guise. Cohgny, qui allait et venait, et qui était au château de Chàtillon, se contenta d'en augmenter lo garnison, après avoir prévenu le roi.
Cet enfant épileptique et ce grand homme étaienf nécessaires l'un à l'autre.
Charles désirait s'affranchir de sa mère et de son frère. L'amiral seul était de taille à l'y aider. L'ami- ral souhaitait de maintenir l'édit de pacification et de frapper l'Espagne en Flandre. Le roi seul était capable de le soutenir dans une telle entreprise.
Coligny avait horreur des guerres civiles. Il en voyait le terme dans son retour auprès de Charles IX. Il rêvait une guerre étrangère, la plus patriotique des guerres, puisqu'elle réunirait sous son commande- ment les catholiques et les huguenots dans une ému- lation fraternelle. Ce plan lui était commun avec le roi. Ils en étaient épris tous deux. Charles avait une nature mobile et passionnée d'artiste aussi frémis- sante pour le bien que pour le mal.
Cette fois, il fut saisi de la grandeur du dessein. L'amiral l'intéressait de plus en plus à la perspective de cette guerre de Flandre , dans laquelle il y avait à honorer la France autant qu'à l'accroître, en réconci- liantles factions, en écrasant Philippe II, le bourreau f des protestants, et le duc d'Albe, le valet du bourreau de l'Escurial.
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Coligny sentait les périls et la beauté de son rôle. Il était à la veille peut-être de recueillir la récompense de toutes ses luttes , de toutes ses vertus. Il allait combattre l'éternel ennemi , et il Fallait combattre, pour le roi, pour la nation, avec tous les enfants d'une patrie qui lui était si chère. Son vieux sang, réchauffé par de telles espérances, brûlait de se répandre dans cette juste cause.
A travers les élans de son austère enthousiame, l'amiral avait trouvé des accents vrais, éloquents, persuasifs. Il n'avait pas seulement convaincu à fond le roi, d'ailleurs préparé à merveille, il l'avait élec- trisé. Les Pays-Bas, enlevés à Philippe II, devaient être partagés entre Charles IX et le prince d'Orange, Au prince la Hollande, la Zélande et la Frise-, au roi toute la contrée qui s'étend de la Picardie à la ville d'Anvers. Tel était ce grand projet. Cette guerre contre l'Espagne était la pensée fixe de Charles IX, comme celle de l'amiral; pour l'amiral, c'était le plus sacré des devoirs ; pour le roi, c'était une frénésie d'indépendance, une partie de chasse héroïque.
Beaucoup des amis de Coligny néanmoins ne par- tageaient pas sa sécurité apparente. Une foule de gentilshommes lui écrivaient des provinces, afin d'é- veiller sa prudence. Les courriers se succédaient, les lettres pleuvaient à son hôtel. Quelques-uns lui par- laient à l'oreille. 11 était sourd à tout et à tous. Fran- court lui prédisant une mort violente, Coligny répon- dit : «( Qu'importe ? Je ne saurais sortir d'ici sans re- venir aux guerres civiles, et j'aime mieux être traîné sur une claie que de retourner jamais là. » Puis, aux
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redoublements de ]a bienveillance royale, la grande idée de l'amiral se confondant avec ses vœux et allu- mant cette confiance indispensable aux succès, il se rassurait. Il disait et redisait sous toutes les formes : « Dieu soit loué 1 mes compagnons , tout va bien. Avant qu'il soit longtemps, nous aurons chassé l'Es- pagnol des Pays-Bas et en aurons fait notre roi maître, ou nous y mourrons tous, — moi-même le premier. Et je n'y plaindrai ma vie, si je la perds pour ce bon sujet. M
11 disait encore au roi : « Sire , je ferai riches vos braves soldats. Les bandits du duc d'Albe ont tant volé les Flandres qu'ils ont des poignées et des gardes d'or à leurs dagues, des manches d'or à leurs poi- gnards, des fourreaux garnis d'or, des lances et des piques ciselées d'or, des fourniments et autres outils de guerre tout entiers d'un or pur conquis par leurs mains impures. Nous ferons rendre gorge à ces pil- lards. »
Coligny était arrivé au point culminant de sa for- tune. Serait-elle fatale ou sublime, cette fortune ? Il l'ignorait. Mais l'oracle le poursuivait à voix basse et profonde. Dans ses promenades , sur la grève de La Rochelle , et depuis , soit sur le chevet de ses incerti- tudes et de ses soucis, le jour, la nuit, il avait écouté cette voix mystérieuse. Il n'interrogeait pas les astro- logues, ni les pythonisses; ces curiosités ou ces su- perstitions lui eussent semblé impies, mais il se con- sultait dans son génie et dans son cœur.
Il n'avait pas le choix de sa conduite. Il n'y avait qu'un instrument, qu'un levier, dont il eût à se servir
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pour réaliser les grandes choses auxquelles il s'était dévoué. Cet instrument fragile, ce levier de paille, c'é- tait le roi. Il ne pouvait consolider la pacification inté- rieure que par l'édit de Saint-Germain, et l'édit de Saint-Germain, il ne pouvait le préserver que par le roi-, il ne pouvait remplacer la guerre civile que par la guerre étrangère, et il ne pouvait la déclarer, Tac- complir que par le roi. Toujours le roi! Il fallait qu'il s'emparât du roi, qu'il domptât sa fougue, qu'il tournât ses instincts vers la gloire, qu'il rendit sus- pects le duc d'Anjou, ce qui était facile, et Catherine, ce qui était difficile-, il fallait qu'il fixât, par une fas- cination continue , la changeante humeur royale, qu'il en dirigeât la foudre tantôt contre Rome par la tolérance envers les calvinistes , tantôt contre l'Espagne par la conquête des Pays-Bas et par l'ex- tension de la France, tantôt contre la mère, tantôt contre le frère de Charles par l'exercice personnel du pouvoir.
L'aventure était grande-, elle tenta Coligny. En héros religieux, il affronta le danger sans calcul égoïste. Il résolut de réussir pour Dieu ou de mourir à l'œuvre. Il pénétra magnanimement dans l'antre d'un Néron adolescent: décidé, s'il ne l'assouplissait pas, à lui laisser sa vie et sa mémoire comme une douhle proie.
Coligny avait, du reste, des phases de certitude où il ne doutait ni de l'issue de sa politique ni de la fran- chise du roi. C'était dans ces périodes de hardiesse qu'il engageait la reine de Navarre à partir de La Ro- chelle. L'homme en qui Jeanne d'Albret croyait le
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plus était l'amiral. Néanmoins elle résistait à ses instances. Elle fit des préparatifs qui durèrent trois mois. Ce n'est qu'au commencement de mars (1572) qu'elle se mit en route pourBlois.
Pie V envoyait en même temps son neveu le car- dinal Alessandrino, afin de protester contre le ma- riage de Marguerite avec un prince hérétique. Ce légat, enfiévré par le terrible souverain pontife, jette l'argent, accélère la poste, atteint Jeanne d'Albret, perce à travers les équipages, et, sans s'arrêter, sans saluer, sans nulle courtoisie, sans respect ni de la reine ni de la femme, il la dépasse et franchit la porte de Blois avant elle. 11 hâte son audience auprès du roi, le supplie de ne se point coaliser avec l'Angle- terre et l'Allemagne, deux nations si hostiles à l'Eglise, et surtout il le presse de choisir pour époux à Marguerite, au lieu du Béarnais, Sébastien de Por- tugal. Le légat répond de Philippe 11. Charles IX, au milieu de beaucoup de déférence pour le pape, fut très-net, et déclara que le mariage de sa sœur avec son cousin de Navarre étant le gage de la pacification générale, pour rien au monde, il ne le romprait. Il ajouta que la religion catholique ne souffrirait au- cun dommage de cette union, et que l'avenir prouve- rait au saint père ses sentiments. Plusieurs écrivains ont vu dans ces paroles une allusion au grand massacre du 24 août. Bien n'est moins concluant. Charles, à cette époque, n'était pas dans le courant des meur- tres. Sa réponse au légat était plutôt une vague insi- nuation en faveur de l'Église et une adresse oratoire pour terminer un entretien diplomatique.
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La maladie de Pie V rappela le cardinal Alessan- drino à Rome et sauva Charles IX de ses importuni- tés. Le pape mourut bientôt après, et le cardinal Buoncompagni le remplaça sur le trône pontifical sous le nom de Grégoire Xlli.
Jeanne d'Albret cependant, dédaigneuse de la té- mérité du légat et préoccupée des noces de son fils, le prince de Béarn, fut merveilleusement fêlée par le roi de France. Il lui avait fait disposer au château de Blois un appartement commode et d'une exposition agréable. Il l'y entourait de soins, louait M. l'amiral, célébrait l'édit de paix, vantait Marguerite qu'il ju- geait devoir être « docile à Calvin, » et se félicitait d'un lien de plus avec sa bonne tante.
Jeanne eût été gagnée, s'il n'y avait eu là le duc d'Anjou et Catherine. La reine de Navarre se heur- tait d'ailleurs <à d'autres obstacles encore.
Le premier de tous était la princesse Marguerite. C'était un sphinx charmant qui ne .disait pas son secret. La reine de Navarre, de son côté, était opi- niâtre à la persuasion, et Marguerite semblait une énigme dont elle cherchait le mot. Jeanne en faisait l'éloge, mais avec des restrictions singulières.
Parmi tous ses talents, la princesse Marguerite en possédait un qu'elle cultiva loute sa vie et que son inépuisable coijuetterie ne cessa de féconder. Elle était l'inventrice des modes. Ses coiffures étaient, à certains jours, l'attente des femmes qui étaient toutes ses rivales et des jeunes courtisans qui étaient tous ses adorateurs. Tantôt elle ornait sa tête avec un art profond, tantôt avec une négligence heureuse. Il lui
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arrivait de causer des surprises soudaines par un fichu jeté comme au hasard sur ses épaules ou sur ses cheveux. Douée de toutes les imaginations, et particulièrement de cette sorte d'imagination que donne l'ardeur du plaisir, ses créations de toilette n'étaient que des excitations à la volupté. Tridiffc- rente à tout ce qui n'était pas l'amour, elle était l'Astarté naissante de cette cour dissolue.
Ses goûts, au moins fort mondains, ses habitudes de galanterie déplaisaient à Jeanne d'Albret. Ce qui lai déplaisait beaucoup aussi, c'est que la princesse, malgré les ouvertures de Charles IX, était inébran- lablement catholique. Après les amants, ce que Mar- guerite estimait le plus, c'étaient les confesseurs.
Elle était douce et amère. Elle avait les emporte- ments les plus audacieux, les plus molles langueurs, les perfidies les plus ingénieuses, les propos les plus réservés. Il ne lui manquait rien de la passion que la tendresse : elle en avait le tempérament, la science et l'hypocrisie.
Elle était dès lors sans égale. Elle avait des arran- gements de boudoirs fabuleux , des caprices de ten- tures, des agencements de tableaux et de meubles vraiment admirables.
Elle achetait à grand prix les flacons et les fioles. Elle répandait les senteurs d'Italie et les essences d'Espagne. Elle prodiguait les tapis et les coussins d'Orient. Elle distribuait çà et là les glaces de Venise. Elle ménageait les jours les plus favorables au-dessus de ses lits, sculptés de cupidons, de cariatides, brodés , d'or, couverts de toile d'argent et dont les draps de
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batiste étaient ornés de dentelles entrelacées avec des perles et des pierreries.
En présence de tant de raffinements, le prince de Navarre était presque un jeune sauvage. Au fond, il était très-fin. Il n'était pas moins aimable ni moins clairvoyant que Marguerite. Il avait l'esprit aussi agile et délié qu'elle l'avait pénétrant et attique.
Tous deux s'étaient compris vite. Ils ne s'aimèrent jamais. Il n'y avait entre eux que des convenances de parenté, de cour et d'ambition. Ils pressentirent sans doute qu'ils ne se suffiraient pas l'un à l'autre.
Ils n'avaient qu'une ressemblance. Ils étaient doués à un degré pareil d'une complexion de feu irrésis- tible. Du reste, en tout ce qui n'était pas l'amour du plaisir, rien de plus divers que le Béarnais et Marguerite. Elle avait des illuminations littéraires; lui, avait des audaces, des véhémences et des adre.«ses tantôt d'homme d'épée, tantôt d'homme du Midi, tan- tôt d'homme d'affaires. Tandis qu'elle méditait Pla- ton, Montaigne, Ronsard, Joachim du Bellay, il s'a- musait au Plutarque de M. Amyot, à Rabelais, aux cent Nouvelles un peu risquées de sa grand'mère, la reine de Navarre, et aux comptes de sa maison. Là ruse de Marguerite, c'était de mêler à ses études éle- vées des philosophes et des poètes le culte assidu de Boccace, dont les impudicités italiennes passaient dans ses mœurs. Cette étrange princesse , qui se nourrissait des inspirations les plus sereines et des dissolutions les plus secrètes, avait plus d'une aver- sion contre le Béarnais. Tout en consentant aux noces, elle détestait en lui le mari , et elle le déteslait bien.
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Il avait la réputation d'être peu généreux , d'être avare même. Son libertinage était sans frein. Il négli- geait sa personne. Il courait dix heures de suite le sanglier et revenait trempé de sueur sans vouloir changer de linge. Elle qui avait l'odorat très-subtil et qui se noyait de parfums était incompatible avec le prince. .
Les catholiques peignirent plus tard le vice capital de Henri et son désagrément de chasseur par des ca- ricatures qui réjouissaient toujours le duc d'Anjou. J'ai vu en Bourgogne un échantillon de ces carica- tures grotesques.
Le Béarnais est représenté sur papier bleu. Il a l'é- pée au côté, la toque en tête, la fraise godronnée, les habits de cour, mais avec une face et des pieds de bouc.
Malgré tout , ce Béarnais attirait. C'était un héros dont Marguerite appréciait d'avance le courage , les ressources, la verve gasconne et elle était prête à l'épouser, pourvu qu'il la laissât libre, quoique sa femme.
A ce prix, Marguerite était fière d'être l'intermé- diaire de la paix entre les catholiques et les protestants.
Jeanne d'Albret, qui de ses regards de sainte devi- nait une partie de la vérité sur son fils et sur la prin- cesse Marguerite, craignait qu'ils ne se corrompis- sent l'un par l'autre.
Ses scrupules religieux redoublaient ses anxiétés.
Il lui aurait agréé que le mariage se fit à Blois, et pourtant elle avait cédé au roi, qui désirait Paris comme un théâtre plus digne d'une si grande solen-
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nité. Mais elle fut inflexible sur l'orthodoxie. Elle re- poussa les rites romains et le roi fut obligé cVètre complaisant. Il écrivit au pape afin d'obtenir des dis- penses pour les fiancés qui étaient cousins-, il implorait aussi unenouvelle cérémonie nuptiale qui, sans blesser les catholiques, n'elTarouchàt point les calvinistes.
Tl continuait en même temps ses courtoisies affec- tueuses à la reine de Navarre. Il entremêlait leurs conversations de mots presque hérétiques. Il lui di- sait : « Ma lante , je vous honore plus que le pape et j'aime plus ma sœur que je ne le redoute. Je\ie suis pas huguenot, mais je suis encore moins sot. Soyez tranquille, si monsieur le pape fait trop labeste, je prendray moy-mème Marguerite par la main et je la mèneray épouser en plein presche. »
Il disait encore : « Sçavez-vous, ma tante, ce que nous faisons en mariant votre fils Henri et ma sœur.^ Nous marions les calvinistes et les catholiques, nous consolidons l'édit de pacification. »
Jeanne d'Albret était touchée de cette intention du roi; elle était touchée de ses politesses, et Charles subissait à son tour une estime involontaire pour cette princesse de tant de cœur, d'intelligence et d'héroïsme.
Catherine , qu'offusquait même une ombre d'in- fluence sur le roi, et qui abhorrait la reine de Navarre de toute la haine du crime contre la vertu, s'appliqua, pour se jouer, à isoler cette princesse. Elle écarta le roi, Marguerite, et jusqu'au duc d'Anjou, se réser- vant à elle seule Jeanne d'Albret, afin de la lutiner tout à son (lise.
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C'était déjà un supplice pour Jeanne d'Albret qu'un lête-à-ttHe sans cesse renouvelé avec Catherine de Mé- dicis. Cette femme biblique, franche et pure, souffrait cruellement dans l'intimité forcée de cette Florentine menteuse et hardie, toute tiède des souffles de Ma- chiavel et de l'Arétin.
On a eu l'ingénuité de soutenir que Catherine était chaste, malgré les cinq ou six amants que lui recon- naissent les contemporains. L'évidence, c'est qu'elle empoisonna une atmosphère déjà empoisonnée, c'est qu'elle aiguisa à merveille l'effroyable dépravation des mœurs par la dépravation plus diabolique de l'es- prit. Elle chaste 1 D'autres, en effet, ont pu avoir des sens plus ardents, mais qu'importe cela? Qui compa- rer à Catherine pour le pervers plaisir qu'elle prenait au débordement général? Ce plaisir se multipliait en elle par la prévision infinie des liaisons et des adul- tères qu'elle nouait de ses propres mains dans ses rési- dences. Que faisait-elle de ses filles d'honneur, dont elle aurait dû surveiller la conduite ? Elle les prosti- tuait aux chefs catholiques ou huguenots qu'elle vou- lait gagner. Pourvu qu'il n'y eût pas de scandale par les grossesses, elle était contente. Que faisait-elle de ses enfants mêmes? Elle les dressait aux débauches et les y plongeait pour les mieux gouverner. Quand ils se souilleront et s'épuiseront dans le torrent des viceSj pensait-elle certainement, ils ne régneront pas.
Le dérèglement individuel était trop peu à Cathe- rine. Il fallait à cette algébriste infernale, à cette reine des intrigues, des guerres civiles et des lupa- ,nars de palais, le spectacle et la confidence des orgies
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qu'elle entre-croisait avec les fils de sa politique tor- tueuse. Les mathématiques étaient sa poésie, et elle les appliquait aux passions, dans l'intérêt de ses ma- nèges et de ses trames. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, l'Italienne, la Médicis, nourrie des raffinements in- fâmes de ses traditions de famille, grandit toujours en impudicité comme en perfidie. Qu'on la scrute dans ses mystères, et l'on se convaincra qu'elle ne déchaî- nait pas seulement le fleuve des voluptés pour arri- ver à ses buts divers , mais encore pour s'y baigner l'imagination et les regards. C'est par là qu'elle se distingue. Elle préparait, elle semait, elle accumu- lait les amours coupables, et ce n'était pas uniquement pour en profiter, c'était encore pour en jouir. Beau- coup eurent plus qu'elle le tempérament de la dé- bauche ; nulle n'en posséda jamais à ce degré les instincts et le calcul.
Voilà pourtant celle qui s'imposait comme inter- locutrice à Jeanne d'Albret. Elle sortait des entre- tiens de la reine de Navarre et disait à tous le con- traire de ce qu'elle avait entendu. Elle travestissait les discours, les sentiments de Jeanne, et lorsque celle-ci venait s'en plaindre, Catherine badinait et tournait le tout en ironie. Jeanne était indignée. Elle se consumait. Elle avait mal à l'àine et aux nerfs, l « J'ai chanté en couches, disait-elle, et maintenant • j'ai envie de pleurer. » Elle ajoutait : « Ma constance ' passe celle de Grisélidis. » lii
Elle écrivait à son fils : « Je négocie tout au re- ■ bours de ce que j'avais espéré et de ce que l'on m'a- vait promis ^ car je n'ai nulle liberté de parler au roy,
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ni même à Madame (Marguerite), seulement à la reine mère, qui me traite à la fourche. Quant à Monsieur (le duc d'Anjou), il en agit fort privé- ment avecque moi , mais c'est moitié en plaisan- tant, comme vous le devinez, moitié en dissimulant. Sentant donc, mon fils, que rien n'avance, que l'on veut me fayre précipiter les choses et non les con- duire par ordre, j'en ay parlé trois fois à la reine, qui ne fait que se mocquer de moy, et dire à chacun le contraire de ce que je luy ay dit 5 de sorte que mes amys m'en blâment et je ne scay comment démentir la reine. Car quand je luy dis : « Madame , on dit que je vous ay tenu tel propos, » encore que ce soyt elle-même qui l'ayst tenu, elle me le renie comme un beau meurtre et me rit au nez.
« Je m'assure, mon fils, que si vous connaissiez la peine en quoy je suys, vous auriez pitié de moy. On me garde toutes les rigueurs du monde et l'on me donne des paroles vaines, au lieu de se comporter avecque moy selon la gravité que le fait mérite 5 de sorte que je crève, parce que je me suis si bien réso- lue à ne me courroucer point, que c'est un miracle de voir ma patience. Et si j'en ay eu, je n'ignore pas que j'en auray encore plus affaire que jamais et m'y résoudray aussi davantage. Je crains bien d'en tom- ber malade, car je ne me trouve guère bien. »
Jeanne d'Albret parle ensuite de Marguerite de Valois et de la cour.
« Madame est belle , bien avysée et de bonne grâce, mais nourrie en la plus maudite compagnie qui fut jamais. Ce porteur vous dira comme le roy 111. IS
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s'émancipe. Je ne voudrois que vous fussiez icy pour y demeurer. Voilà pourquoi je désire vous marier, et que vous et votre femme vous vous retiriez de cette dépravation -, car encore que je la croyais bien grande, je la trouve davantage. Ce ne sont pas les hommes icy qui prient les femmes, ce sont les femmes qui prient les hommes. Si vous y estiez, vous n'en échap- periez point sans une grande grâce de Dieu. Je de- meure en ma première opinion : qu'il vous faut retourner en Béarn, »
Au milieu de tant de tribulations qui assaillaient la reine de Navarre, les articles du contrat de ma- riage entre le prince de Béarn et Marguerite de Va- lois se rédigeaient peu à peu. Ce contrat fut signé le \ i avril 1 572. Jeanne, malgré son instinct qui la rete- nait, s'empressa d'apposer son nom au bas de ce grand acte. Car elle éprouvait une nouvelle amertume. Ses amis l'accusaient de lenteur, de tiédeur. Ils lui repro- chaient de n'être pas assez vive pour des noces qui resserraient les liens de la maison royale, et qui con- sacraient la paix entre les catholiques et les protes- tants. « Il n'y a, disait la reine, que Ludwig de Nassau qui se range à moi. » Il y avait aussi Bosni, le père de Sully. Ce gentilhomme, très-dévoué à Jeanne, fut toujours très-contraire à ces noces, qui lui semblaient sinistres. « Si elles se font à Paris, disait-il, les livrées en seront vermeilles. » La reine de Navarre consentit au contrat de mariage, quels que fussent ses pressentiments. Elle n'avait que cette manière de se justifier auprès delà majorité de ses amis. Celui qui l'entraîna, ce fut le plus grand de tous, ce fut Coligny.
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Le 15 mai, sur Tinvitation du roi, Jeanne d'Albret s'achemina vers Paris, afin de hâter tous les prépa- ratifs des noces. La reine, accompagnée de Ludwig de Nassau, du comte de La Rocliefoucauld et d'une foule d'autres seigneurs , alla descendre à l'hôtel de Jean Ciuillart, évêf]ue de Cliartres, qui avait embrassé le calvinisme. Cet hôtel modeste, que Jeanne préférait à un palais et oii la piété surpassait l'étiquette, était situé rue de Grenelle-Saint-Honoré. C'est laque s'éta- blit la reine de Navarre.
Elle ne se donna aucun repos. Sa prodigieuse agi- tation intérieure ne se calmait que par le mouvement. Jeanne courait, dès le matin jusqu'au soir, chez les marchands , chez les artistes. Elle commandait des tentures, achetait des meubles, choisissait des ta- bleaux. Elle se fatigua au delà de ses forces. Le 4 juin, un mercredi , la reine ressentit d'abord quelque ma- laise; elle eut ensuite une fièvre violente. Elle es- saya de rester debout, mais elle fut obhgée de se coucher.
Le lendemain qui était le jeudi , elle comprit que c'en était fait d'elle. « Je ne me relèverai plus, tlit- elle à madame de Thignonville qui se tenait près de son lit. Voici le moment d'entrer dans une vie meilleure. » Elle manda auprès d'elle les théolo- giens du calvinisme, écoutant les lectures pieuses, les mâles consolations de ces bouches convaincues avec une résignation attendrie. « Je ne crains pas la mort, disait-elle, je me fie de tout à Celui qui me l'envoie et qui ne se trompe pas sur ce qui m'est bon. Je regrette seulement de laisser mes enfants si
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jeunes parmi les embûches. 0 mon Dieu! soyez leur père et leur mère , comme vous m'avez été à moi- même, depuis le berceau, à travers tant de vicissitudes douloureuses ! »
La' reine, entourée d'amis, de serviteurs et de com- pagnes, les reprenait de pleurer. « Pourquoi vous alfliger ainsi ? disait-elle affectueusement ^ songez à tous les maux que je quitte, et pour quels biens! Après la tempête, je touche au port du salut. Séchez donc vos larmes, mes amis, et louez la Providence qui s'est souvenue de moi. » Puis, elle les remerciait successivement, soit de leur attachement, soit des services qu'elle en avait reçus, ajoutant qu'elle aussi n'avait oublié personne.
Elle fut visitée par le roi, par la reine Catherine, par le duc d'Anjou et par Marguerite qui étaient re- venus de Blois. Jeanne les accueillit avec espérance. Elle leur recommanda ses enfants, suppliant ins- tamment le roi de ne jamais les contraindre dans leur culte. Elle convia d'un accent ému Marguerite de Valois à aimer la petite Catherine comme une sœur.
Madame de Thignonville ne s'éloignait pas de la reine de Navarre. Jeanne, dans la nuit du samedi, parla plus de deux heures, à voix basse, à cette tidèle amie. « C'est à vous , reprit-elle plus haut , afin de manifester pour tous sa volonté, c'est à vous, la gouvernante de ma fille, que je la remets. Vous me remplacerez désormais auprès d'elle. Dites-lui que, mourante, je lui ordonne de rester dévouée à notre Dieu. Dites-lui qu'en vous obéissant à vous et aux
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vertueuses femmes dont je l'ai entourée, c'est encore à moi qu'elle obéira. »
L'amiral de Coligny était accouru de Châtillon , à la nouvelle de la maladie de Jeanne d'Albret. Rien n'était émouvant comme de voir cet homme d'airain au chevet de la reine. Leur amitié avait une douceur égale à sa sincérité. Ils s'étaient tant éprouvés l'un l'autre ! Ils avaient hasardé leur fortune et leur sang pour leur cause. Leur foi était la même. D'une portée morale supérieure à celle de leur siècle, si grand pourtant au milieu de ses luttes, ils avaient atteint le point le plus élevé où la nature humaine puisse gra- vir, ils se connaissaient et ils s'aimaient comme ce qu'ils estimaient le plus au monde. Ils s'entretenaient, sans lassitude pour la reine , avec un recueillement religieux, passant tour à tour des choses de la terre aux choses éternelles, conversant de politique et de théologie. Jeanne plaça ses enfants, Henri et Cathe- rine, sous la discipline vénérée de Coligny. On remar- qua toujours que la reine était plus tranquille, lors- qu'elle avait longtemps écouté l'amiral. Ces deux âmes fortes avaient entre elles des tendresses secrètes de plus en plus exquises, au bord de la cité de Dieu. Le fiel avait nourri leur vie et ils l'avaient changé en miel à ces heures suprêmes. Car ce n'étaient pas des pensées de mort, ce furent des pensées d'immortalité qui, comme des abeilles de Sion, s'échappèrent de ces grands cœurs vers le ciel.
Le dimanche matin la reine déclara à plusieurs re- prises qu'elle désirait être inhumée à Lescars, auprès de Henri H d'tVlbret et de Marguerite de Valois.
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Elle se sentait plus mal. Elle fit appeler deux no- taires. Elle leur dicta, en présence des ministres cal- vinistes et de toute sa maison, un testament admirable. Jamais son accent n'avait été plus pénétrant, ni son intelligence plus claire.
Elle conjura son fils de vivre et de mourir dans la religion qu'elle lui avait enseignée. Elle lui prescri- vit de fuir les (laiteries, les voluptés, de rechercher au contraire les sages conseils et d'y conformer sa conduite. Elle implora ce cher absent pour Cathe- rine, lui enjoignant de combler de bontés cette jeune sœur, cette sœur unique, l'exhortant à lui servir de père, après Dieu, lui défendant d'introduire auprès d'elle d'autres femmes que madame de Thignonville, mesdames de Fontrailles, de Vaux, et mademoiselle du Perray dont les vertus lui étaient autant de gages. Jeanne suppliait son fils bien-aimé de faire élever Catherine de Béarn dans la simplicité calviniste, et de la marier saintement, à Tàge propice, avec un prince du même culte.
La reine institua Henri son héritier universel. Elle réserva la légitime de sa fille et lui légua tous ses bijoux , excepté son grand collier et son grand rubis balais qui appartenaient à la couronne de Navarre.
Elle n'omit auprès de son fils aucun des siens , ni ses serviteurs, ni ses neveux, les princes de Condé et de Conti, ni ses gentilshommes, MM de Beau- voir, de Betut et de Francourt, désignant à Henri ceux qu'il aurait particulièrement à proléger, à aimer ou à consulter. Enfin, elle nomma pour ses exécu-
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teurs tesfamenlaires son beau-frère, le cardinal de Bourbon et l'amiral de Coligny, le grand homme de sa prédilection.
Cet acte mémorable de ses volontés et de ses prévoyances consommé, la reine s'afïaissa de fa- tigue et s'endormit un peu. Mais ce ne fut pas un sommeil réparateur. Jeanne s'affaiblit, diminua de plus en plus. Les accès se succédèrent intenses, ef- frayants. Les intervalles de calme disparurent. Les souffrances de la reine étaient continues; ses prières furent croissantes. Cette noble .leanne d'Albret de- meura toute la nuit du dimanche au lundi gisante et les mains jointes, humble sous son dais, fervente dans l'agonie. A huit heures trois quarts du matin, ses lèvres, agitées jusque-là par une oraison silencieuse, devinrent immobiles. Les femmes de la reine pous- sèrent un grand cri que les sanglots prolongèrent. L'âme de Jeanne d'Albret venait de s'envoler dans une dernière adoration.
Le reine expira, le 9 juin 1572, après cinq jours de maladie. Elle avait vécu quarante-quatre ans; elle en avait régné dix-sept.
Sa carrière ne fut qu'un long dévouement. Elle se montra la mère de ses peuples comme de ses enfants, par la tendresse; leur institutrice* par la science, leur nourrice par les soins inépuisables.
Son énergiegrandissaitavec les conjonctures. Quand elle revêtit son fils de la première armure qu'il eût ja- mais portée, afin qu'il combattît sous Coudé et Coli- gny contre le duc d'Anjou, on remarqua le stoïcisme de la reine en se séparant de Henri. « Le contente-
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ment de servir une si belle cause, écrivait-elle, sur- montait en moi le sexe, en lui l'âge. »
Où sa fermeté éclatait sans effort , c'était dans l'arène des luttes théologiques. Elle y était inflexible.
Le cardinal d'Armagnac Tengageait-il avec une feinte sensibilité et au nom d'une affection menteuse à rentrer dans l'Eglise, elle se hâtait de répondre une lettre plus soudaine, plus intarissable et plus franche que celle du prélat. Elle opposait comme un bouclier de bronze aux traits débiles du cardinal sa puissante intelligence , et , s' animant à son tour, elle lui adressait ces fières paroles : « Je connais assez, premièrement, que je sers Dieu qui saura bien dé- fendre sa cause ; secondement , je me confie à mes propres facultés, lesquelles triomphent de vos diffi- cultés , fondées , une moitié sur les fausses données que vous avancez de la composition de mes pays et de l'esprit de mes sujets, l'autre moitié sur de vaines raisofis trop faibles pour graver en mon solide cer- veau autre chose que ce qui y est imprimé par la faveur de Dieu. »
Au moment où succomba Jeanne d'Albret, on se rappelait les grandes actions qu'elle avait faites, les grands mots qu'elle avait dits. Elle était entourée de tous les prestiges du rang, de la vertu, de l'hé- roïsme, du génie politique et religieux.
Paris et les provinces ne crurent pas que la mort de cette princesse eût été naturelle. La reine de Na- varre a été empoisonnée ! Tel était le sentiment pu- blic. Les catholiques le taisaient ou l'avouaient tout bas. Les protestants l'exprimaient tout haut, les uns
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avec effroi, les autres avec colère, tous avec conster- nation.
Les calvinistes se racontaient des circonstances qui ne permettaient pas de douter. La reine de Na- varre avait acheté au pont Saint-Michel des collets godronnés et des gants chez le Florentin René, un marchand favori de la reine mère. Ce René, que de Thou et les historiens du temps flétrissent de la dé- nomination cT homme scélérat, était capable de tout et dans la bienveillance particulière de Catherine de Médicis. Les parfums qu'il composait, quoique sus- pects, étaient fort agréables. La mode avait fait de René le fournisseur de toute la cour. La reine de Na- varre n'eut pas plutôt touché et respiré les collets et les gants que lui avait vendus l'Italien, qu'elle fut saisie d'une fièvre violente. Le poison était donc flagrant.
Voilà ce que répandaient les protestants et ce que n'étaient pas éloignés d'admettre les catholiques. Le roi, sa mère et leurs conseillers furent épouvantés. Afin de confondre les soupçons, le corps fut ouvert. Tous les organes étaient sains , excepté le poumon droit qui avait quelque trace de lésion ancienne. Cette autopsie suffisait, selon les médecins, pour expliquer la mort et pour convaincre de calomnie toutes les accusations d'empoisonnement.
Malgré ces dénégations, l'opinion ne fut pas dé- sarmée. Elle remarqua spécieusement que la tête, par où le mal s'était déclaré, n'avait point été sou- mise à l'examen, et elle persista dans son ana- thème.
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Quand on songe au massacre qui suivit, au projet formé par Catherine de Médicis d'abattre ses princi- paux ennemis, quand on scrute la perversité profonde de la reine mère, de son fils et de ses amis, on est bien près, en effet, d'admettre Fempoisonnement de Jeanne d'Albret, à la lueur de tant de vraisemblances. Avec une femme de la trempe de Catherine et dans une cour comme celle de Charles IX. l'utilité du crime, si énorme qu'il soit, ne le rend pas seulement possi- ble, elle le rend probable. Mais ici cependant, il faut bien le dire avec les médecins -et contre les rumeurs, les preuves sérieuses, loin de condamner les Valois, semblent plutôt les absoudre.
Jeanne d'Albret n'a pas encore été relevée jusqu'à sa hauteur. Peu d'écrivains ont senti sa grandeur, et beaucoup l'ont jugée avec des préventions de sacristie ou avec des railleries de boudoir.
Il est temps de venger cette loyale mémoire et de restituer cette glorieuse figure.
La reine de Navarre fut une femme de l'Ancien Testament, la femme forte des Écritures. Par un étonnant hasard, elle eut une mère d'une imagination peu scrupuleuse, un père très-léger, un mari licen- cieux et un fils libertin. Supérieure à tous les siens par la vertu, elle était l'égale de sa mère par l'intelli- gence et de son fils par Ihéroïsme.
Elle ne désespéra jamais des affaires de son parti, jamais non plus de l'avenir de Henri de Béarn. Prin- cesse opiniâtrement courageuse, invincible aux fati- gues comme aux périls, modérée dans la prospérité, résolue, impassible dans les défaites. D'une humeur
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grave, sa physionomie n'exprimait parfois un peu de gaieté qu'au milieu des fuites et des revers. Elle eut ce trait particulier de ressemblance (et ce ne fut pas le seul) avec l'amiral de Coligny, sorti non moins qu'elle de la Bible, un Machabée comme elle était une Judith.
Le caractère se formule comme l'éloquence, comme la poésie, par l'idée ou par le sentiment qui l'anime. Plus cette idée est noble , plus ce sentiment est pieux, plus le caractère est grand. Le caractère po- litique est beau parce qu'il respire le sacrifice à la patrie et qu'il l'accomplit ; mais le caractère religieux est sublime parce que le martyre qu'il s'impose se rattache directement à Dieu. Ce caractère surhumain participe de l'Infini auquel il s'immole. Il est le der- nier terme et la plus haute cime de la perfection mo- rale ici-bas.
C'est à cette mesure qu'il faut apprécier Jeanne d'Albret. Elle n'a parlé, elle n'a agi que pour confes- ser son culte, que pour conquérir à ses frères les droits les plus intimes de l'âme, le bonheur de prier en commun et de bâtir des temples au Dieu de leurs cœurs. Elle est née, elle a vécu, elle est morte pour ce labeur sacré. Autant que Coligny, et malgré les timidités de son sexe, de son rang, elle combattit l'éternel combat pour la liberté de conscience. La liberté de conscience, Jeanne d'Albret n'a pas besoin d'une autre inscription sur sa tombe et sur sa vie. C'est par là qu'elle est grande, c'est par là qu'elle a > connu, dès ce monde, le souverain bien, par là qu'elle a mérité de le posséder sans retard dans le ciel, après
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l'avoir poursuivi sur la terre à travers toutes les an- goisses de la femme, de la reine et de la mère.
Son corps fut embaumé et placé dans un cercueil de plomb recouvert de velours noir. Ses funérailles n'eurent, selon son désir, ni magnificence, ni armoi- ries, ni retentissement. Elles furent plutôt d'une chrétienne que d'une princesse. Coligny tint la main à ce que tout se passât modestement, humblement, ainsi que l'avait souhaité Jeanne d'Albret. Elle fut conduite à Vendôme et déposée dans la sépulture des Bourbons. Son fils, se conformant au testament de la reine, la fit depuis transporter à la cathédrale de Lescars, où elle repose à l'ombre religieuse du West- minster béarnais.
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Henri de Bourbon malade de douleur à la nouvelle de la mort de sa mère. — Coligny à son liolol de Bétliisy. — Il enj^age Henri de Bourbon et Condé à venir à Paris. — Entrée des princes et de leur escorle. — Maivcillunri; nuducllo. des huguenots et des catho- liques. — Mariage de Cond''j. — Conseils à Coligny. — Noces de Marguerite de Valois el du roi de Navarre. — Paroles de Coligny à Tavannes sur la guerre de Flandre. — Entrevue de Catheiine de Médicis et de la duchesse de Nemours. — Maurevel. — Bles- sures de Coligny. — iudignation des huguenots. — Colère du roi. — Fourberie de Catherine. — Le roi de Navarre el le prince de Condé, qui voulaient partir, restent.
Henri de Navarre était à Chaunay, en Poitou, au mois de juin 1572. Ce fut là qu'il apprit par un cour- rier en grand deuil qu'il n'avait plus de mère. La sinistre nouvelle lui causa une commotion terrible. Naturel et d'un bon cœur, il ne chercha point à dissimuler son affliction. Il jeta beaucoup de cris et de pleurs, puis il tomba dans un profond accable- ment d'oii il ne se réveilla que par une fièvre brûlante. Il en eut vingt accès.
Pendant la convalescence du prince, Coligny con- sentit à s'établir à Paris, sur les invitations réitérées de Charles IX. Il était installé, à la fin de juillet, dans son hôtel de la rue de Béthisy. Un cortège nombreux de gentilshommes calvinistes logeait avec lui et au- tour de lui.
1 écrivit alors à Henri de Navarre de venir et d'a-
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mener le prince de Condé. Ils arrivèrent en effet dans' la première semaine da mois d'août. Ils firent leur entrée à Paris aussi bien accompagnés que l'amiral. Les fiers seigneurs protestants de la Gascogne, du Béarn et du Poitou, enivrés de leur bravoure person- nelle et de la toute-puissance de Coligny, leur chef, regardaient avec dédain le peuple vassal des Guise, et le peuple, de son côté, murmurait contre ces bugue- nots insolents qui avaient l'air d'une armée victo- rieuse et provocatrice. La haine mutuelle s'exhalait en coups d'œil, en gestes, en sourdes malédictions.
Coligny se multiplia plus que jamais pour apaiser, pour retenir, pour concilier. Le 10 août le réunit au roi, à la reine mère, aux princes du sang, près de Melun, au château de Blandy, où Condé épousa Marie de Clèves, sœur des duchesses de Guise et de Nevers. Ces noces faites, la cour revint à Paris pour d'autres noces plus illustres encore, celles de Henri de Navarre et de la sœur du roi.
Depuis la mort de Jeanne d'Albret, Coligny avait redoublé d'ardeur pour l'expédition de Flandre et ]iour le mariage de Henri. Aidé du maréchal de Mont- morency, il inclina de plus en plus le roi à la guerre né 'rlantlaise. Le maréchal de Tavannes et le duc d'Anjou étaient pour l'Espagne. Catherine de Médicis balançait. Elle était indécise entre les alliances an- ciennes et les alliances nouvelles.
L'influence de Coligny lui était bien une inquié- tude, mais elle hésitait cependant.
Un événement militaire la ploya comme toujours dans le sens de la fortune. Ludwip; de Nassau et
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La Noue s'étaient emparés de Mons et de Yalcn- ciennes. Le duc d'Albe, soupçonnant Catherine de duplicité et de complicité, dit à l'ambassadeur de France : « La reine mère m'a envoyé des roses de Florence, je lui enverrai, moi, des chardons d'Es- pagne. » Il se hâta, tout en menaçant, de recouvrer Valenciennes et d'assiéger Mons. Genlis fut dépêché par Coligny pour débloquer cette place. Mais, sur un avertissement parti de la cour de France , le duc d'Albe tendit une embûche à Genlis dont il connais- sait la marche, le prit et le fit probablement étrangler en prison. Ce qu'il y a de certain, c'est que le partisan français succomba dans son cachot et qu'il succomba tragiquement. 11 n'y a qu'à consulter la correspon- dance de Philippe II publiée [)ar M. Gachard. lien résulte authenliquement (t. I, p. 4-31) que Genlis fut exécuté secrètement après qu'on eut répandu qu'il était malade. C'était l'habitude de Philippe. Après le meurtre, ce qu'il aimait le mieux, c'était le silence.
La reine mère, au succès du duc d'Albe, pencha aussitôt vers l'Espagne.
Coligny tint ferme, il ne voulait pas lâcher le roi. S'il le maintenait sous son influence, c'était la guerre étrangère ; s'il le laissait échapper, c'était la guerre civile. Il lutta donc de toutes ses forces contre la reine mère et contre le duc d'Anjou. Il cherchait à éloigner le frère du roi. Ce fut une occasion pour lui que la vacance du trône de Pologne. Il exhorta Charles à placer sur ce trône le duc d'Anjou. 11 s'ef- forçait aussi de restreindre l'autorité de Catherine par celle qu'il gagnait lui-même. ,
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Tenue au courant de tout par ses espions, Cathe- rine saisit le jour d'une chasse, écarte le roi des cour- tisans , lui reproche sa froideur. Elle ébranle cette organisation fougueuse, elle touche ce cœur fébrile et le reconquiert. Mais, rentré au Louvre, le roi re- tourne à Coligny, à la guerre de Flandre, 1^ la gloire qu'il en attend et à son envie toujours frémissante contre le duc d'Anjou.
« Dans cette tempête, écrit Walsingham au comte de Leicester , Coligny n'abandonne pas le gouver- nail. 1) Il est en effet plus intrépidement admi- rable, à ce ftioment-là, qu'à aucun autre de sa grande vie.
L'Angleterre avait souhaité la restitution de Calais pour prix de son concours dans la guerre de Flandre ^ Coligny refuse Calais à Walsingham, en lui off'rant la coopération de la France pour soumettre à Elisabeth Flessingue , une ville des Pays-Bas. Il ramène tout à son plan contre Philippe II. Il est habile sans man- quer au patriotisme. Il pratique en même temps et améliore les négociations avec l'Allemagne. Il sape à coups pressés le duc d'Anjou et Catherine de Médicis. Catherine craignit d'être exilée à Florence et le duc d'Anjou d'être égorgé. La colère de Charles IX, après ses entretiens avec Coligny , était parfois menaçante et terrible.
Contents , malgré leurs défiances , de la faveur de Coligny, des actes et des paroles du roi , de l'appli- cation de redit de Saint-Germain, les huguenots, sur les insinuations de l'amiral, rendirent, avant le terme convenu, leurs villes de sûreté, même La Ro-
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chelle qui réserva seulement son privilège d'être exempte de toute garnison royale.
Les catholiques, et les Guise avant tous les autres, tentaient d'arracher le roi à Coligny. L'amiral le ser- rait d'autant plus. Il exploitait dans Charles IX le sentiment d'une renommée personnelle. « Sire , lui disait-il , la couronne est à vous et non pas à votre mère , l'épée est à vous et non pas à votre frère. Ne vous dépouillez plus. » Et Charles lui répondait vive- ment : « Mon père, vous n'avez pas tort de m'ensei- gner ainsi. Car ma mère est la plus grande brouil- lonne du monde, et mon frère est autre que moi. Je suis, moi, Français, et roi des Français; et lui ne parle guère que de la tète, des yeux et des épaules : c'est un Italien. »
Telle était, au mois d'août io72, la situation inté- rieure et extérieure de la royauté, des partis et de la France.
Coligny paraissait plus confiant qu'il n'était. Mais il avait résolu de ne pas diminuer sa force en accueil- lant des appréhensions qu'il s'était promis de fouler sous ses pieds. Les grands hommes d'action sont des joueurs qui repoussent des conseils souvent judicieux mais timides, des conseils qui les empêcheraient de jeter hardiment les dés du destin.
Ces conseils ne manquèrent pas à Coligny. Ils lui pleuvaient de partout, des seigneurs, des capitaines et même des paysans et des paysannes.
Lorsqu'il descendait les degrés de Chàtillon, et qu'il allait monter à cheval pour le Louvre , une des laitières de ses métairies se précipita tout en pleurs
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222 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
au-devant de lui , s'écriant : « Monseigneur, ne pas- sez pas le gué du château, car si vous le passez, vous ne le repasserez pas, et si vous vous rendez à la cour, vous ne reviendrez plus ici. Ayez pitié de vous , de nous, de madame l'amirale, de vos enfants et de tous les gens de bien qui périront à vos côtés. »
Coligny écouta cette femme , la calma peu à peu, puis, enjambant son cheval, il partit avec son es- corte , tout pensif, tout ému, sinon de cette prophé- tie, au moins de cette affection.
A Paris , les avis continuèrent. L'amiral en lisait dix et vingt par jour.
On lui rappelaitla maxime du concile de Constance, à savoir : « qu'il est loisible de ne point garder la foi aux hérétiques. »
On lui peignait Charles IX à grands traits. N'ou- bliez pas, lui disait-on, quel fils, de quelle mère il est, et comment ses professeurs de vice et de crime l'ont dressé aux blasphèmes, aux démentis de lui-même, aux parjures, aux impiétés, aux dissimulations de son àme, de sa religion, de son visage, lui ont appris à aimer le sang des animaux et à mépriser le sang de ses sujets.
On répétait à l'amiral que si le livre des protestants était la Bible, le livre de Charles était Machiavel , et son instituteur de morale, Gondi, pire que le publi- ciste florentin. Un gentilhomme, Langoiran, gour- manda ainsi en face Coligny : «Monsieur, il vaudrait mieux vous sauver avec les fous, comme vous nous nommez, que de vous perdre pour vous être cru trop sage. »
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On pressait de toutes parts l'amiral d'user du seul remède efficace, qui était de fuir la cour, cette Babel de toutes les trahisons, de toutes les ini- quités.
L'amiral répondait à chacun et à tous que le roi n'était occupé qu'à réaliser la paix par le respect de redit de Saint-Germain, qu'il tendait de toutes ses forces à l'union de la famille royale par le mariage de Henri de Navarre et de Marguerite de Valois , en même temps qu'à l'union de tous les Français par la guerre de Flandre où les huguenots et les cathohques dormiraient enfin sous la même tente, combattraient sous le même drapeau.
Malgré l'éloquence de Coligny, l'alarme, d'indivi- duelle qu'elle était, devint publique. La ville de La Rochelle eut recours à l'ami-ral. « Nous sommes en- tourés de troupes, écrivaient les braves habitants de cette capitale du calvinisme. Les bandes de M. de Strozzi et du baron de La Garde se vantent qu'elles ont la promesse du sac de notre cité, et que, sans cette [jiomesse, elles ne se seraient pas mises aux champs. »
Ce n'est pas pour La Rochelle que sont ces bandes, disait Coligny à Briquemaut , c'est pour la Flandre, et il expédiait par un courrier exprès, au maire et aux échevins de la grande place calviniste les meil- leures assurances :
« Messieurs,
« J'ay receu vostre lettre par ce porteur, par la- quelle vous me faictes entendre les défiances où vous
224 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
mettent les divers bruits qui se sèment qu'on veut faire une entreprise sur vostre ville. Sur quoy je vous diray que vous n'avez, Dieu mercy, nul sujet de craindre. Car il n'y a point d'apparence, comme je croy, que dès ceste heure vous vous en serez ap- perceus. Ces troupes seront parties ou partiront bien- tost. Vous pouvez compter que si j'eusse cogneu qu'il y eût quelque occasion de desfiance, je n'eusse pas failly de vous en advertir, ayant en telle affec- . tion vostre ville et tout ce qui concerne vostre seu- reté et repos, que j'en auray toujours soing, et m'em- ployeray de tout mon pouvoir pour vostre conser- vation et le bien de chascun de vous. Je voy, grâces à Dieu, le roy si bien disposé à l'entretenement de la paix entre ses sujets, que nous avons toutes raisons de le louer, et n'ayant pour ceste heure autre chose ù vous dire, je n'allongeray qeste lettre (jue pour me recommander de bon cœur à vos bonnes grâces^ pryantDieu, messieurs, vous vouloir toujours tenir en sa saincte garde et protection. »
« De Paris, le 7 août 1572. »
Ce message de Cohgny donna plus de sécurité aux Rochelois. Ils accueillirent respectueusement les té- moignages d'amitié de famiral et ses bons pressen- timents, sans toutefois renoncer à la prudence qui fut l'un de leurs génies dans les grandes luttes qu'ils soutinrent. Je dis l'un de leurs génies, car ils eni eurent un autre aussi et à un égal degré : l'audace. C'est leur double et immortel honneur devant laj postérité.
LIVRE TRÏÏNTE-OUATRIÈME. 223
Cependant Coligny et le roi accéléraient à l'envi le mariage de Henri de Navarre. Catherine, on verra pourquoi, n'avait pas une moindre impatience.
Il n'y avait plus qu'une difficulté, mais elle était inextricable. Il fallait une bulle de dispense qui ac- cordât, malgré la parenté, à Henri et à Marguerite, l'autorisation de se marier, et qui, de plus, contînt un formulaire inusité pour la cérémonie des noces, un formulaire dont les catholiques ne seraient pas offen- sés et dont les calvinistes seraient contents. C'est ce formulaire que Pie V avait refusé jusqu'à son dernier soupir. Après l'exaltation de Grégoire XIÎI, le cardi- nal de Lorraine avait bien obtenu un bref du nouveau pape -, mais le cardinal de Bourbon le jugeait insuffi' sant et en désirait un autre plus explicite.
Les scrupules du cardinal de Bourbon étaient em- barrassants. Le pape consentirait-il à les lever? Cela était douteux. Catherine se chargea de dénouer la situation.
Elle simula une lettre de l'ambassadeur du roi à Rome. Il racontait à Charles IX comment le cardinal de Lorraine avait enfin obtenu le bref désiré avec un formulaire entièrement agréable aux deux religions. Il affirmait que ce bref serait bientôt expédié par un courrier extraordinaire , que le roi pouvait attendre le courrier, à moins qu'il n'aimât mieux passer outre à un mariage désormais approuvé et réglé par le saint-père. Il traçait ensuite le formulaire le mieux combiné pour plaire aux théologiens de l'Église et de la réforme.
Catherine se frottait les mains. Elle ne pouvait
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réprimer sa joie. C'était une de ses plus jolies fraudes. Elle se moquait de tout et de tous, du papisme et du calvinisme, de Rome et de Genève, de la France et de l'Europe. Il lui paraissait piquant d'ailleurs d'ar- river par un faux à l'assassinat.
Elle n'eut pas de peine à convaincre le cardinal de Bourbon. Sur la seule lettre de l'ambassadeur à Rome , il consentit à bénir l'union de son neveu et de la sœur du roi.
Le mariage fut fixé au 18 août.
Le 17, les fiançailles furent célébrées au Louvre en grande pompe. Il y eut un magnifique souper, après lequel le roi, la reine sa mère, la reine sa femme, la duchesse de Lorraine, sa sœur, avec une suite brillante accompagnèrent la princesse Margue- rite jusqu'au palais de l'Evèché, où elle coucha.
Le lendemain, qui était le grand jour, le jour des noces, le roi de Navarre se présenta chez sa fiancée, où il introduisit, avec toutes les étiquettes du sei- zième siècle, les ducs d'Anjou et d'Alençon, le prince de Condé, le duc de Montpensier, les ducs de Guise, d'Aumale et de Nevers, l'amiral de Coligny, le comte de La Rochefoucauld, les maréchaux de Montmo- rency, de Damville, de Cossé, de Tavannes, et les plus grands seigneurs soit de France, soit de Béarn.
Le roi et les reines ne tardèrent pas à venir, Charles IX donna le bras à Marguerite, et la mena par la galerie latérale qui avait été construite en bois^ le long de la cathédrale, du palais épiscopal aux portes du parvis, où l'on avait dressé un échafaud recouvert de velours à franges d'or. Ce fut sur cet
Livre trente-quatrième. 227
échafaud que le mariage fut solennisé selon le rituel inventé par Catherine de Médicis.
Tous les visages étaient sinistres ou préoccupés. La physionomie de la fiancée était fort triste. Quand lo cardinal de Bourbon lui demanda si elle acceptait pour époux le roi de Navarre, elle ne répondit rien. Charles IX, qui était près de sa sœur, lui inchna dou- cement la tète avec sa main, et ce signe, en quelque sorte impersonnel, fut interprété comme un consen- tement vrai, comme le oui spontané du sacrement. Ce qui est certain, c'est que la princesse était encore plus éloignée de dire : non. Son goût n'était pas à ces noces, mais son ambition y était et le titre de reine lui souriait.
Dès que le cardinal de Bourbon eut proclamé ce grand mariage, le roi de France, le roi de Navarre, les reines, les dames et les seigneurs accompagnè- rent Marguerite au chœur de la cathédrale pour la messe. Le roi de Navarre ne s'agenouilla point. Jl rejoignit les chefs protestants et se promena en leur compagnie dans l'Évèché. Vers la fin de la messe, Damville étant venu l'avertir, Henri de Navarre rentra dans l'église avec ses amis. Il alla droit au chœur, embrassa la mariée et l'entretint d'un air enjoué.
M. de Thou, très-jeune alors, avait sauté par-des- sus la barrière qui séparait la cour de la foule. Il était attiré là par un instinct obscur, mais puis- sant. Et ce n'étaient pas les rois, ni les reines, ni les dames, ni les seigneurs qui le fascinaient , c'était Coligny seul. Il ne regarda (.^ue lui. Il le dévorait des
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yeux avec cette flamme du cœur qui pénètre et qui brûle les historiens pour les héros.
L'amiral causait de la guerre de Flandre. Son atti- tude était martiale , son accent animé. Tout d'un coup il montra d'un geste à Damville, son interlocu- teur, les drapeaux de Bassac et de Moncontour sus- pendus aux murs du vaste édifice, puis il dit : « Dans peu, on les arrachera d'ici et on les remplacera par d'autres qui seront plus agréables à voir, » faisant allu- sion aux étendards espagnols qu'il se flattait de con- quérir bientôt sur Philippe II.
M. de Thou recueillit ces paroles, laissa s'écouler la cour, le clergé, le peuple et se retira lui-même, emportant dans son âme l'image auguste de Cohgny, le plus grand caractère, et le plus religieux de ce grand et religieux seizième siècle.
Cependant le roi avait ramené la cour à l'évèché où l'on dina. Le soir , assez tard , on soupa au palais de Justice. Il y eut ensuite comédies et danses fort avant dans la nuit. Coligny se montra quelques in- stants par convenance-, il disparut bientôt prétextant sa santé. Au fond, ces fohes du bal offusquaient son âme entièrement appliquée à la pacification du royaume , à la guerre contre l'Espagnol et à l'es- pérance d'un repos à Chàtillon, dans sa famille, avant le départ pour la Flandre qu'il jugeait prochain.
Rentré chez lui d'assez bonne heure, il écrivit à sa femme cette lettre qui devait être, hélas! la dernière.
'( Ma mie, « Je vous faycs ce mot pour vous advertir que ce
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jour d'huy les nopces de Madame, sœur du roy, et du roy de Navarre ont esté faictes. Il se passera trois ou quatre jours à fayre festins, masques et combats. Après cela le roy m'a asseuré et promis quelques jours pour donner ordre à plusieurs plaintes qui se font en divers endroicts de ce royaulme de l'infraction del'édict, à quoy il est bien raisonnable que je m'em- ploye autant qu'il sera en moy possible. Et encore que j'aye infiniment envye de vous voir, si auroys grand regret, et croy qu'aussy auriez, vous, si je fail- lois cà m'employer en telle affaire selon mon pouvoir. Mais cela ne tardera pas tant le partement de ceste ville, que je ne pense que la cour en deslogera au commencement de la semaine prochaine. Si je ne regardois que mon contentement, j'aurois bien plus de plaisir de vous aller veoir que je n'ay d'estre en ceste cour, pour beaucoup de raisons que je vous di- ray. Mais il faut avoir plus d'esgard au public qu'au particulier. J'ay plusieurs aultres choses que j'ay à vous dire , quand je vous pourrai veoir, de quoy j'ay si bonne envye qu'il ne fault pas que vous pensiez que je perde jour ni heure. Ce qui me reste à vous dire, c'est qu'il estoit aujourd'huy quatre heures après midi quand la messe de la mariée s'est dicte. Ce pendant le roy de Navarre s'est promené en une cour avec tous ceux qui l'accompagnoient. Il s'est passé plu- sieurs petites particularités que je remettrai à vous conter, mais que je vous voye. Et cependant je prye nostre Seigneur vous aveoir en sa saincle garde et protection.
« De Paris, ce 18 d'aouRt 1&72. »
m. 20
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« Mandez -moy comment se porte le petit ou petite.
« Il y a trois jours que j'ay eu la colique. Mais grâce à Dieu, elle ne m'a pas duré plus de huit ou dix heures, et maintenant je ne m'en ressens nulle- ment, et vous asseure que je ne feray pas grand presse à tous ces festins et combats qui se feront ces jours.
« Vostre bien bon mary et amy. « Chastillon. »
Ainsi rien ne distrayait Coligny de ses deux grandes pensées : la pacification des partis et la guerre de Flandre.
Il employait tantôt la douceur, tantôt la sévérité ^ il allait même quelquefois jusqu'à l'intimidation.
Dernièrement il avait fait une insulte en l'ace au maréchal de Tavannes qui cherchait sans cesse à dis- suader le roi de la guerre contre Philippe II. Coligny eut un mouvement de patriotique colère. Le maréchal se promenait sur le quai du Louvre avec le marquis de Villars. Ils avaient une suite nombreuse. L'amiral, entouré aussi d'un cortège de seigneurs, va droit à Tavannes, entre en conversation, tout en prenant le pas de la promenade qu'il dirige hors de la ville. Les portes franchies , Coligny change brusquement de propos et dit : « Monsieur le maréchal , la guerre de Flandre n'a pour adversaires que les mauvais Français, Pour en détourner le roi , il faut être vendu à l'Es- pagne et avoir l'écharpe rouge dans le cœur. »
Tavannes feignit d'être plus sourd qu'il n'était, II
LîVRE TRENTE-QUATKIÈME. 231
répondit, non en soldat, mais en diplomate qui n'au- rait saisi aucune allusion blessante, et, sans irriter l'amiral, il se tira d'afitiire par des paroles évasives.
Lorsque Coligny, sur d'avoir enfoncé à bout por- tant un avertissement salutaire, se fut séparé du ma- léchal, un gentilhomme de la suite de Tavannes lui demanda s'il n'avait pas enlenda la provocation de M. l'amiral. « Je l'ai très-bien entendue, mon ami, et, plus jeune, je m'y serais perdu, mais il en coûtera la vie à mon agresseur. »
Caresses, menaces, Coligny ne négligeait rien pour arriver à la guerre de Flandre. La pacification des partis ne le passionnait pas moins.
Le mariage du roi de Navarre s'était fait le lundi 18 août.
Au lieu de partir le lendemain pour Chàtillon, la maison de son repos, Coligny reste à Paris sur un volcan. 11 guettait une conjoncture favorable pour parler au roi de l'édit de Saint-Germain qui avait été violé à Troyes en Champagne , où les protestants étaient en minorité. Ces pauvres persécutés avaient été moqués, bafoués, battus, et n'avaient pu repousser la force par la force. Un enfant des leurs avait même été tué dans les bras de sa nourrice.
L'amiral, qui cherchait le roi afm de se plaindre, ne le rencontra point le mardi, qui était le 49 août. Charles, fatigué des amusements de la veille, ne se leva pas avant trois heures de l'après-midi et se dé- clara de nouveau en gala.
Ce ne fut que le mercredi, 20 août, que l'amiral s'approcha du roi un peu à l'écart. Le roi l'accueillit
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affectueusement et lui dit : k J'ai fait jurer au duc de Guise la neutralité avec vous, mon père. Je désire de vous le même engagement et j'y aurai plus de con- fiance qu'en celui du duc. »
Coligny obéit au roi, et il allait entamer le récit des scènes de Troyes dont il souhaitait la répres- sion, lorsque Charles lui dit encore : « Mon père, je vous prie de me donner quatre ou cinq jours pour m'esbattre. Cela fait, je vous rendray contents, foi de roy, vous et tous ceulx de vostre religion. » Le roi était sincère, mais il n'y avait pas que lui au Louvre, et, tout en le remerciant de ses bonnes intentions, l'amiral se retira soucieux.
Les protestants étaient au bord d'un abîme. Sur vingt millions de Français, il ne se pouvait pas comp- ter plus de quinze cent mille huguenots. A Paris, dans cet océan d'hommes-liges soit de Rome, soit de l'Espagne, il n'y avait que quelques milliers de cal- vinistes. C'était, il est vrai, une éUte de noblesse, de bourgeoisie et de peuple, mais quelle faible poignée de héros et de martyrs !
Donc, Coligny n'avait pas une minute de vigilance à négliger-, car, au moment même oii le roi lui prodi- guait tant de bienveillance, la reine mère et le duc d'Anjou concertaient contre lui, avec la duchesse de Nemours, un guet-apens horrible.
Naguère le roi , quittant Coligny, avait touché de la main la garde de son épée à l'pspect du duc d'An- jou. Ce duc efléminé croyait sa vie en péril et Cathe- rine de Médicis croyait son pouvoir chancelant tant que Coligny serait de ce monde. Ils n'eurent plus
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qu'une politique, ce fut de se défaire de l'amiral soit par la dague, soit par la carabine.
La mère et le fils nourrissaient un idéal.
Il y avait trois factions : les protestants sous Coli- gny, les modérés sous le maréchal de Montmorency, les catholiques sous les Guise. Catherine et le duc d'Anjou se flattaient que Coligny mort, les Montmo- rency se joignant aux protestants pour le venger, les Guise, plus puissants, extermineraient les Montmo- rency, puis que les Guise à leur tour seraient extermi- nés jusqu'au dernier par les troupes royales dévouées aux Valois, et lancées à propos et à la chaude sur les Lorrains victorieux et sans défense.
Voilà les belles perspectives qui enchantaient l'imagination de Catherine de Médicis et du duc d'Anjou. Ils seraient alors les maîtres du roi et du royaume. Ils gouverneraient sur les ruines de tous les chefs séditieux des grands partis de la France. Le maréchal de Retz, Birague, le duc de Nevers et pro- bablement Tavannes lui-même les entretenaient dans ces pensées formidables.
Mais, à l'époque précise oii nous sommes, le 20 août, il n'y avait qu'un meurtre déterminé, le plus impor- tant de tous, celui de Coligny.
Espérant peut-être que le hasard bien dirigé tire- rait les conséquences tant souhaitées, la reine mère s'adressa naturellement à la duchesse de Nemours.
Cette sœur de l'Eléonore du Tasse , cette char- mante sœur, qui avait été Anne d'Esté et la duchesse de Guise avant d'être la duchesse de Nemours ^ cette fille séduisante de Renée de Ferrare, cette admira-
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trice de l'Ariosle et de Calvin . cette amie d'Olympia Morata et du chancelier de L'Hôpital ; cette généreuse princesse qui avait tant gémi sur les exécutions d' Am- boise, eh bien, elle s'était gâtée, endurcie au contact de la maison de Guise.
Elle se tenait pour obligée de punir Coligny qu'elle regardait comme le meurtrier de son premier mari, le duc de Guise, le héros du catholicisme.
Plus capable de vengeance que' de fidélité, elle répondit donc favorablement aux propositions de la reine mère. Pour la satisfaire et pour se satisfaire, elle conféra, dans un esprit de haine implacable, avec le duc de Nemours , Henri de Guise et le duc d'Au- male, son second époux, son fils et son beau-frère.
C'est là le commencement de la Saint-Barthélémy. Il pèse tout entier, ce commencement eflroyable, quoi- que limité, sur Catherine de Médicis, sur le duc d'An^- jou, sur la duchesse de Nemours et sur sa famille am- bitieuse. Le roi y est étranger. Le duc d'Anjou l'avoua plus tard à son médecin Miron, et son témoignage est irréfragable. Un autre témoignage non moins positif est celui de l'ambassadeur espagnol, don Diègue de Zuniga, dans sa dépèche du 6 septembre 157'2. « La mort de l'amiral fut préméditée, dit-il; celle d^es au- tres fut subite, y* Je supplie de noter ces deux auto- rités. El.es sont concluantes. Elles disculpent le roi et restreignent l'événement dans ses justes bornes^ elles éclairent toute la Saint-Barthélémy du haut de ses origines.
L'àme de Coligny mérite d'être sondée à cet in- stant mémorable.
LIVRE TRENTE-QUATRIÈME. 235
Ce grand homme ne vit pas de lait et d'obéissance, comme les héros faciles de la tradition et de la lettre. Lui et ses compagnons se sont faits les héros de la liberté et de l'esprit. Ils ont mangé le pain des forts, et, recueillis en Dieu, ils ont osé se charger indivi- duellement de leur responsabilité éternelle après un courageux examen.
Voilà leur situation. Elle est plus lourde à Coligny qu'à personne, à cause de tout ce qu'il entraîne par son exemple. 11 s'appelle légion. Ses scrupules, ses délicatesses morales en sont centuplées.
Nul n'avait et nul n'eut jamais autant que l'amiral la mélancolie sublime et poignante de la guerre ci- vile. 11 en portait dans sa poitrine les horreurs, les rapines, les incendies, les trépas. 11 avait souffert pour les habitants des villes et pour ceux des campa- gnes, pour les édifices renversés de fond en comble, pour les moissons coupées ou brûlées, pour le meur- tre des hommes, pour le viol des femmes, pour le rapt des enfants, pour le mépris aux vieillards, pour l'infraction à toutes les lois divines et humaines, pour les attentats contre les temples et contre les églises, pour les blasphèmes contre le Dieu vivant, le créa- teur du ciel, que l'on insultait, et de la terre, que l'on ensanglantait. De plus et surtout, Coligny avait res- senti les fatigues, les privations, la faim, la soif, les blessures et jusqu'à la mort des soldats. Quis infir- malnr et ego non infirmor? (Qui pàtit, disait-il , sans que je pâtisse avec lui ?) Et encore : C2uolidie morior (je meurs tous les jours). Voilà ce qu'il disait à Té- ligny, et voilà ce qu'il écrivait à Briquemaut, citant
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ainsi saint Paul, qui, avec Plutarque, était son inté- rieur et habituel entretien.
Oui, Coligny avait la satiété de la guerre civile. Il aspirait d'un élan désespéré à la paix des partis et au seul gage possible de cette paix, à la guerre de Flan- dre. Il monte hardiment sur la brèche minée de la faveur. C'est la brèche de la nécessité. Il lui suffit qu'il y ait une chance de salut. Il paraît croire pour faire la foi autour de lui. Il invoque la concorde, la réconciliation, quand il redoute plus que les autres un massacre, une boucherie. Il tourmente héroïque- ment un mystère. Il donne l'assaut à un sphinx d'airain qui retient un secret sous des paupières impénétrables et sur des lèvres douteuses. Epouvantable énigme, qui tombera si tragiquement des tocsins du !2i août !
Nous ne sommes qu'au 20. Tandis que le roi était de plus en plus accessible à Coligny, le complot contre ce grand homme s'ourdissait dans l'ombre. Le tueur était trouvé. C'était un pensionné de Catherine de Médicis et une créature de Henri de Guise. C'était Maurevel, cet infâme qui avait déjà essayé d'assassiner l'amiral, et qui, ne le pouvant, s'en était dédommagé en assassinant le brave de Mouy, son bienfaiteur.
Tel est le spadassin de bas étage qui s'était chargé de faire le coup. Il avait eu une entrevue avec le duc d'Anjou dans un château hors de Paris. Cette entre- 1 vue avait été précédée d'une autre avec le duc de Guise, et fut suivie d'une autre encore, le 24 août, avec le maréchal de Retz.
Retz et Maurevel! De ces deux scélérats, le plus scélérat n'était pas le bandit, c'était le maréchal.
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Qui a seulement aperçu le portrait de Retz connaît son âme. Sa figure est ovale et régulière sous un bonnet étincelant de pierreries, à l'italienne. Ses yeux sont perfides , ses cheveux longs se recourbent et se tordent comme des reptiles ou comme des sophismes. Ses lèvres sont minces et noyées de plis. Sa bouche impudente nie et renie Dieu.
Cette tête a une sorte de beauté implacable. Le mal pour le mal est toute sa physionomie. C'est un visage impie, plein des ruses, des pièges et des bas- sesses de l'enfer.
Le maréchal de Retz fut le messager que Catherine de Médicis envoya à Maurevel le 21. Le 22, Maurevel était à son poste.
Il s'embusqua dans une maison du cloître Saint- Germain-l'Auxerrois. Cette maison appartenait à un maître d'hôtel du duc d'Aumale. Elle était habitée par le chanoine Pierre de Villemur, qui avait été précep- teur du duc de Guise. Le prêtre fut prévenu et s'é- clipsa. Quand Maurevel se présenta, il fut installé, avec un laquais, par une servante. Il choisit une salle du rez-de-chaussée dont la fenêtre était grillée. Il y suspendit un manteau troué et s'assura qu'un bon cheval sellé et bridé l'attendait à la porte de derrière, presque contiguë au cloître. Il se plaça ensuite, armé d'une arquebuse, à la fenêtre grillée qui donnait, ainsi que la porte principale et la façade, sur la rue des Fossés-Saint-Germain. C'est par cette rue que Coligny allait chaque jour de son hôtel au Louvre et du Louvre à son hôtel.
Le matin du 22 août, c'était un vendredi, l'amiral
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avait été mandé de bonne heure chez le duc d'Anjou, afin de se prononcer sur un différend d'honneur entre messieurs de Guerchy et de Damas. Les maréchaux de Tavannes et de Cossé étaient juges de cette affaire avec CoHgny. Le maréchal Damville, quoique convié à cette audience d'épée, n'y parut point, dépêché ailleurs par le roi pour une magistrature semblable entre d'autres champions.
Le querelle de messieurs de Guerchy et de Damas accommodée, Coligny prit congé du duc d'Anjou et il se dirigeait vers son hôtel, lorsqu'aux avenues du Louvre il distingua le roi qui se rendait au jeu de paume. Bien que le duc de Guise fût avec Charles IX, Coligny ne bahinça pas à faire sa cour au roi. Le duc, sur l'injonction de Sa Majesté, donna la main à l'amiral qui ne recherchait pas, mais qui n'évitait pas non plus son ennemi. Le roi emmena Coligny pour être spectateur de sa partie avec le duc de Guise contre Télignv et un autre seigneur fort habile à la paume.
Coligny demeura quelques instants par condes- cendance, puis il s'esquiva. Douze ou quinze gentils- hommes accompagnaient l'amiral. Il les précédait un peu avec messieurs des Pruneaux et de Guerchy. A quelques toises du Louvre, un inconnu, probable- ment un serviteur des Guise, lui remit un placet. L'amiral le déplia et ralentit le pas pour le mieux lire. C'était tout ce qui pouvait arriver de plus favorable à Maurevel. Il profita de cette marche tardive de l'amiral pour le bien ajuster. A une faible distance, son arquebuse appuyée sur la fenêtre du chanoine , Maurevel visa et fit feu. Les deux balles de l'arme
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sacrilège atteignirent , l'une le bras gauche de l'a- miral, l'autre l'index de sa main droite.
Coligny ne s'affaissa point sur lui-même. Il resta debout, calme comme sur un champ de bataille. Tandis que des cris d'indignation s'échappaient de toutes les poitrines autour de lui, il se contenta de désigner la maison et la fenêtre d'où l'assassin l'avait tiré. Des Pruneaux, accoutumé à tous les accidents de guerre, comprima la blessure du bras gauche avec son mouchoir. De Guerchy, aussi prompt que son ami, enveloppa la main droite. L'amiral, le moins ému de tous, ordonna sans trouble à Yolet, l'un de ses écuyers, d'avertir le roi -, jtuis se refusant à être transporté , toujours assisté de messieurs des Pru- neaux et de Guerchy, il regagna d'une âme stoïqueet d'un pied ferme son hôtel. Plusieurs s'étant impru- demment confié le soupçon de l'empoisonnement des plaies par les balles, l'amiral, devinant ces chucho- tements et triomphant de toutes craintes, dit avec une résignation héroïque : « Messieurs, il n'en sera que ce que Dieu voudra. »
Cependant les gentilshommes qui étaient avec Co- ligny s'étaient partagés spontanément. Les uns ne cessèrent pas de conduire l'amiral et demeurèrent près de lui, dans son appartement. Les autres se pré- cipitèrent sur la maison du chanoine.
Les capitaines Piles et Moneins rebroussèrent au Louvre et entrèrent presque en même temps qu'Yolet dans le jeu de paume. A la nouvelle néfaste, le roi brisa sa raquette, et, la jetant loin de lui, il s'écria : fi JN'aurai-je donc jamais de repos .^ » Piles, le brave
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des braves parmi les calvinistes, et qui avait pour l'amiral une tendresse profonde, demanda rudement justice, ajoutant fièrement en regardant tour à tour Charles IX et M. de Guise, que si on ne la leur faisait pas, ils se la feraient eux-mêmes. Le roi ne fut point ofïensé de cette franchise audacieuse. Elle correspon- dait à son propre sentiment. Il n'était point dans le crime. Il aimait Tamiral. Cet événement le replongeait des plaisirs dans les affaires. Il en était contrarié, exas- péré. Ce fut donc sincèrement qu'il promit justice. Il la promit à Piles avec une grande énergie d'accent. Après les premières explosions , Charles se retira, morne et abattu, dans son cabinet du Louvre. M. de Guise, sans joie et sans douleur apparentes, le visage impénétrable , prit silencieusement le chemin du Marais.
Les princes et un grand nombre de seigneurs hu- guenots se hâtèrent vers la rue de Béthisy. Ceux qui par discrétion ne montèrent pas chez l'amiral se groupèrent aux environs de son hôtel, recueillant les bruits divers qui agitaient cette foule passionnée comme les coups de vents successifs d'une tempête.
Les plus ardents de l'escorte de l'amiral s'étaient acharnés à la maison du chanoine. Ils avaient en- foncé portes et fenêtres, fouillé tous les coins et tous les recoins. L'arquebuse fatale était encore dans la salle basse, mais l'assassin s'était enfui. Un excellent cheval était tout prêt à la porte de derrière qui s'ou- vrait sur le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. Mau- revel franchit la porte, sauta sur le cheval et s'enga- gea dans un labyrinthe de rues où il s'orientait à
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merveille, n'allant qu'au trot sur le pavé pour ne pas éveiller l'attention, et néanmoins lorsqu'il reconnais- sait soit des moines, soit des prêtres, soit des parti- sans de M. de Guise, leur glissant : « Il n'y a plus d'a- miral. » Il arriva ainsi au petit Saint-Antoine, où il enfourcha un autre cheval, un cheval d'Espagne, meil- leur encore que celui dont il venait d'éprouver la vigueur. Il galopait à travers la campagne, dans la di- rection de Villeneuve-Saint-Georges, quand les gen- tilshommeshuguenots le cherchaient d'étage en étage, chez le chanoine Villemur. Il était trop tard. Du reste, ils se convainquirent de la culpabilité des Lorrains par les aveux du laquais et de la servante qu'ils arrêtèrent.
Coligny ne se trompa point sur l'un de ses meur- triers. Il nomma d'abord M. de Guise. Il ne l'accusa pas en subalterne, mais en homme d'Etat. Il ne s'em- porta point. Seulement, lorsque le roi de Navarre, le prince de Condé , le comte de La Rochefoucauld et les autres chefs protestants se furent approchés du lit de l'amiral, il leur dit : « Voilà le fruit de ma récon- cihation avec M. de Guise. « Il n'ajouta rien. Il refusa même assassinat pour assassinat, repoussant les pro- positions farouches que des ofliciers huguenots lui fi- rent dans leur désespoir. Coligny conserva toute la douceur de son àme au milieu des plus atroces souf- frances et toute l'intrépidité de son caractère devant !a conjecture très-vraisemblable d'une mort certaine, si les balles étaient empoisonnées.
L'amiral avait autour de lui l'élite du parti protes- tant. Il était servi par le capitaine Moneins, parTéli- ^ny, par le jeune Cornaton , sorte de page, de secré-
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taire , d'aide de camp dévoué à Coligny dont il avait le privilège , par une franche gaieté , de dérider le front soucieux. M. Merlin , le chapelain de l'amiral , était au chevet du malade qu'Ambroise Paré exami- nait du regard scrutateur de la science.
Ce grand inventeur de la médecine et de la chirur- gie modernes chérissait et vénérait Coligny de longue date. Il était accouru sans même avoir été appelé. Dans sa précipitation , il s'était saisi d'instruments émoussés. Son action fut prompte, caria chaleur était extrême et la gangrène allait envahir la plaie de la main droite. Paré en coupa l'index avec de mau- vais ciseaux, il s'y reprit à trois fois différentes. Il pansa aussi le bras gauche et y pratiqua deux inci- sions très-profondes.
Coligny étouffa toute plainte. C'est lui qui encou- rageait ses amis. Pendant l'opération, Moneins, Téli- gny et Cornaton l'assistèrent. Touché de leurs larmes et de celles des capitaines huguenots , il leur dit : « Ne pleurez pas, mes compagnons. Songez donc que j"ai reçu ces blessures pour notre Dieu. »
Au plus fort de ses angoisses, il se pencha vers Cornaton ag'enouillé et lui enjoignit tout bas de re- mettre à M. Merlin cent écus d'or pour les pauvres de Paris. Il remerciait Ambroise Paré et puis il s'a- dressait à Merlin , lui disant : u Monsieur, c'est une grâce du Sauveur. Je suis en sa puisssance. Qu'il fasse de moi selon sa volonté. Je ne redoute rien de lui. S'il m'arrache à ce monde, ce sera pour m'intro- duire dans son royaume éternel ^ s'il me condamne à lutter sur cette terre, ce sera pour me consacrer de
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nouveau à l'avancement de sa gloire et au triomphe de la vraie foi. Dans l'un et l'autre cas , je suis trop heureux. »
Et comme des sanglots succédaient aux larmes, Coligny, le plus tranquille de tous en cette déso- latiou , ajouta : « Béni soit Dieu de m'avoir fait cet honneur de ne pas me trouver indigne du saint combat. Implorons à mon usage, dit-il à Merlin, le don le plus précieux, le don de la persévérance. »
Merlin, suffoqué par tant de magnanimité et par les sursauts de son affection, se taisait. Les paroles ne pouvaient sortir de sa poitrine oppressée. « Eh quoi ! dit Coligny, ne voulez-vous pas me consoler? » Alors Merlin exhorta pathétiquement l'amiral, le loua de sa patience, de sa résignation, entremêlant son dis- cours de passages entiers des Ecritures. Tout le monde s'unit aux élans de Merlin, et Coligny plus que tout le monde. Malgré ses tortures, au lieu de crier, il priait. Il disait : « Mon Dieu, ne m'aban- donnez pas. Montrez-moi votre miséricorde accou- tumée. »
Rasséréné, comme il l'était toujours, par la piété intérieure, l'amiral accueillit presque avec enjoue- ment le maréchal Damville et le maréchal de Cossé.
Il dit au maréchal de Cossé : « Vous souvenez-vous de notre dernière conversation ? Je vous prêchais la prudence, j'aurais dû me la prêcher à moi-même. » Le maréchal de Cossé ne répondant pas, Damville dit à l'amiral : « Monsieur, je n'essayerai pas de vous en- seigner la constance ^ c'est vous qui l'enseignez aux autres. Je désirerais uniquement être à votre dispo-
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sition et m'employer pour vous en chose quelconque. D'où pensez-vous que vous soit venu ceci ? — Je ne tiens pour suspect, reprit Tamiral, que M. de Guise; et encore ne voudrais-je pas l'affirmer. C'est Dieu qui décidera de tout, de ma vie ou de ma mort, qui me mènerait à une vie meilleure. »
L'amiral fit une pause et dit à Damville : a Puisque vous vous offrez à moi, je vous serai fort obligé d'être auprès du roi mon interprète. Je souhaiterais qu'il m'entendit un peu avant que je meure. J'ai à lui dire des choses qui importent grandement, soit à lui, soit à la France, et ces choses, personne, si ce n'est moi, n'osera les lui dire jamais. »
Le maréchal Damville répliqua aussitôt : « Mon- sieur, vous serez bien obéi ; » et quittant la chambre de l'amiral, il s'achemina vers le Louvre avec Téligny.
Le roi y était plein d'hésitation et de fureur. Il ne parlait pas, il jurait. La reine mère vint avec le duc d'Anjou et quelques-uns de leurs familiers s'établir dans le cabinet de Charles IX. Se conformant à la passion de son iils, elle s'écria qu'il fallait venger Co- ligny.
En ce moment , le roi de Navarre et le prince de Condé se présentèrent dans tout le désordre de leur affliction. Ils déclarèrent à Charles qu'ils allaient s'é- loigner de Paris, puisque ni eux ni leurs amis n'y étaient en sûreté. « Vous ne partirez pas, mes cou- sins, dit le roi. Vous resterez pour être les témoins de l'effroyable justice que je rendrai à tous. Pas un de ceux qui ont trempé dans ce crime n'échappera, et par la mort-Dieu, je verserai du sang en expiation
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du sang de l'amiral! » La reine mère continua les imprécations du roi. Elle était fort émue. Elle regret- tait amèrement que Maurevel eût manqué leur en- nemi. L'amiral tué les eût délivrés ^ l'amiral blessé leur créait mille embarras et mille périls inévitables. Pour écarter les soupçons , Catherine feignit de par- tager la colère du roi. Elle la dépassa même. Et tous les fourbes qui étaient là, montant au diapason de Charles et de Catherine, eurent des contenances si hostiles, des gestes si féroces, des propos si implaca- bles contre les assassins de l'amiral , que le roi de Navarre et le prince de Condé, oubliant leur résolu- tion, ne parlèrent plus de s'en retourner en Gascogne.
2i.
LIVRE TRENTE-CINQUIÈME
Charles IiX sincère. — H visite l'amiral, rue de Béthisy. — La reine mère, le duc d'Anjou, le duc d'Alençon, le duc de Montpensier et liîi grand nombre de seigneurs accompagnent Charles IX. — Récit de cette visite mémorable d'après le duc d'Anjou et Cornaton. — Le témoignage du duc d'Anjou conservé par Miron, son médecin. — Inquiétudes de la reine mère après la visite. — Délibi'ration des chefs protestants au rez-de-chaussée de l'hôtel, chez Coligny. — Premier entrelien du duc d'Anjou avec la reine mère, le 23 au matin. — Altitude des Guise. — Procédure contre les assassins de l'amiral. — EttVoi de la reine mère et du duc d'Anjou. — Ils s'obstinent à la mort de l'amiral. — Ils vont aux Tuileries et ils complotent , avec le duc de Nevers , le maréchal de Tavannes , le comte de Retz et le chancelier de Birague, une tentation à la conscience de Charles IX. — Le roi résiste, puis succombe. — Les six, aidés du duc de Guise, organisent alors, toute la soirée du 23, la Saint -Barthélémy. — Les Montmorency et les princes exceptés du massacre. — Rôle p'ïirticulier de Retz. — La peur.
Le roi était de bonne foi.
Il avait défendu à la garde bourgeoise de s'armer, précaution sage contre cette milice catholique ani- mée par les prêtres et par les Guise.
]1 avait imposé l'enquête que le duc d'Anjou et le comte de Retz n'auraient pas été fâchés d'escamoter.
Charles avait aussi permis de grouper autour de riiôtel de l'amiral les gentilshommes huguenots. Il y en eut qui ne désertèrent pas le faubourg Saint-Ger- main : Montgommery, le vidame de Chartres, les Caumont et d'autres encore. C'étaient les diplo-
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mates du parti. Tous ceux q;ul n'étaient que des che- valiers se logèrent, ce jour-là et le lendemain, aux environs de la rue de Béthisy et se réunirent pour so fortifier.
Beaucoup d'historiens soutiennent que Charles les centralisait, dèslors, dans le moindre espace possible, pour les mieux égorger. Le roi, disent-ils, cernait cette proie humaine pour qu'elle ne s'évadât point. Des historiens plus exacts démontrent, au contraire, que Charles, ignorant la conspiration de sa mère, de son frère et des Guise, croyait placer les gentils- hommes huguenots sous la protection de la garde du Louvre. Je suis de cette seconde conviction que les faits dérouleront assez dans leur gradation lumineuse.
Le maréchal Damville et Téligny cependant expri- mèrent au roi le vœu que l'amiral manifestait de voir Sa Majesté. Il était probableque Coligny ne survi- vrait pas. Il avait besoin de s'épancher avec Charles IX et de lui révéler ces pensées suprêmes , souvent si augustes et d'une prévision si vaste, lorsque les mou- rants sont des grands hommes.
Charles ne résista point ; il ne fit aucune objection. Il céda spontanément à son affection pour l'amiral. Sur les deux heures de l'après-midi, du Louvre où il élait, il alla visiter Coligny à son hôtel. La reine mère, les ducs d'Anjou et d'Alençon, le duc de Montpensier, le cardinal de Bourbon , le duc de Nevers, les maréchaux de Cossé et de Tavannes, messieurs dç Villars, de Méru, de Thoré, de Nançay et de Retz faisaient cortège au roi et pénétrèrent en même temps que lui dans l'appartement de Coligny.
248 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
C'est ici que nous luit un flambeau incomparable. Le duc d'Anjou nous retrace lui-même d'inapprécia- bles détails. Un an après la catastrophe de la Saint- Barthélémy, le duc était à Cracovie. Tourmenté de remords, une nuit, il se lève sur son séant et s'ef- force en vain de repousser les fantômes sanglants de ses victimes. Ces fantômes se dressent et s'acharnent à sa concience. Il en est obsédé, torturé. Ses che- veux se hérissent d'effroi sur sa tète. Il appelle son premier médecin. Miron tàte le pouls au prince. Il fait allumer des bougies. Il apaise peu à peu ce malade ou plutôt cq meurtrier. Le duc d'Anjou, pour se calmer davantage et pour se soulager de son for- fait, le raconte dans toute la naïveté de son épou- vante.
« Le coup de Maurevel failîy et de si près, dit le duc (c'était le 22 août) la royne ma mère et moy, délibérasmes d'accompagner le roy mon frère chez l'admirai. Et estant là, nous le vismes dans son lict fort blessé. Et comme le roy et nous luy eusmes donné bonne espérance de guérison et exhorté de prendre bon courage, l'ayant aussi asseuré que nous luy ferions fayre bonne justice de celuy ou ceulx qui l'avoient ainsi blessé, et de tous les autheurs et par- ticipans, et qu'il nous eust respondu quelque chose, il demanda au roy de parler à luy en secret. Ce qu'il luy accorda très-volontiers, faisant signe à la royne ma mère et à moy de nous retirer; ce que nous fismes incontinent au milieu de la chambre, où nous demeurasmes debout pendant ce colloque privé qui nous dK)nna un grand soupçon, mais encores plus
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que, sans y penser, nous fusmes tout entourez de plus de deux cents gentilshommes- et capitaines du party de l'admirai, qui estoient dans la chambre et dans une autre auprès, et encores dans une salle basse : lesquels, avec des faces tristes de gens mal contents , parlementoient aux oreilles les uns des autres, passans et repassans souvent et devant et der- rière nous, et non avec tant d'honneur et respect qu'ils dévoient , comme il nous sembla pour lors , et quasi ils avoient quelque doute que nous avions part à la blessure de l'admirai. Quoy que c'en fust, nous le jugeasmes de cette façon, considérant toutes leurs actions exactement. Nous fusmes donc surpris d'es- tonnement et de crainte de nous veoir là enfermez comme depuis me l'a advoué plusieurs fois la royne ma mère, et qu'elle n'estoit oncques entrée en lieu 011 il y eust tant d'occasion de peur, et d'où elle fust sortie avec plus d'ayse et de plaisir. Cela nous fist rompre promptement ce discours que l'admirai faisoit au roy, sous une honneste couverture que la royne ma mère inventa, laquelle, s'approchant du roy, luy dit tout haut qu'il n'y avoit point d'apparence de fayre parler si longtemps M. l'admirai, et qu'elle voyoit bien que ses médecins et chirurgiens le trouvoient mauvais, comme véritablement cela estoit bien dan- gereux et suffisant de luy donner la fiebvre, dont sur toute chose il se falloit garder, pryant le roy de remettre le reste à une aultre foys, (juand M. l'ad- mirai se porteroit mieux. Cela fascha fort le roy, qui vouloit bien ouyr le reste de ce qu'avojt à luy confijr l'admirai. »
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Bien des choses avaient élé échangées entre eux. Cornaton, ce jeune homme cher à Coligny, n'enten- dit pas tout, mais il entendit beaucoup.
Le roi s'était rattaché davantage à l'amiral. « Mon père, la blessure est pour vous, et pour moi la dou- leur. Je renie mon salut, si je n'exerce pas sur vos meurtriers une vengeance telle, que la mémoire ne s'en effacera point. »
Coligny témoigna toute sa gratitude au roi et lui dit : « Sire, Dieu, devant le trône duquel je serai bientôt, me sera juge et témoin que toujours je vous ai été fidèle de cœur.
« J'ai eu de grandes dignités de votre père Henri II et vous me les avez confirmées toutes. C'est à vous que je suis le plus obligé, après Notre-Seigneur. Écoutez donc en bonne part ce que j'ai à vous sou- mettre. Tenez ferme, sire, à la guerre de Flandre et n'y renoncez pas. Ayez l'œil dans vos propres conseils aux espions du duc d'Albe qui l'instruisent de vos moindres desseins. Réprimez aussi les violements de votre édit de paix. Car ces trois conduites sont essen- tielles à votre prospérité et à celle de vos Etats. Au- trement; il n'y aurait que ruine pour vous et pour vos sujets. »
Charles IX ayant fait un signe d'assentiment et Catherine se rapprochant. « Je maintiendrai mon édit de paix, dit le roi. Interrogez ma mère. J'ai nommé des commissaires pour être les garants et les appuis de cet édit. » Catherine repartit : « Cela est certain, monsieur l'amiral. — Ah! madame, reprit (]ohgny, avec un dédain tranquille, je n'ignore pas la liste de
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ces commissaires. H y en a parmi eux qui m'ont con- damné à la potence et qui ont proposé cent mille écus à celui qui vous apporterait ma tête. — Eh bien, dit le roi, nous nommerons d'autres commissaires de l'édit de paix. Mais ceux qui doivent informer sur votre outrage, de Thou, Prévôt etViole, tous de mon parle- ment, les aurez-vouspour agréables, monsieur l'ami- ral.^ — Oui, sire, puisque vous les avez élus. Je vous conjure seulement d'y joindre Cavagne , un de vos maîtres des requêtes et M. de Masparault. 11 désigna encore un protestant dont Cornaton, de qui, après le duc d'Anjou, viennent les plus secrets renseigne- ments, ne se souvint plus.
Il paraît avéré qu'entre toutes les recommanda- tions que l'amiral versa dans l'oreille du roi, il lui adressa celle-ci : « N'oubliez pas, sire, ce que je vous ai tant répété autrefois sur ceux qui complotent près de vous contre vous. Si vous estimez pour quelque chose votre couronne et même votre vie, soyez vi- gilant. »
Afin de ménager l'amiral, le roi causa aussi avec Cornaton. Il lui demanda comment Coligny avait supporté le fer d'Ambioise Paré. « Sans un mur- mure, dit le jeune gentilhomme. — Ahl reprit le roi, je ne sache personne d'un courage égal à celui de M. de Coligny.
« Pourquoi, dit encore le roi. Paré a-t-il fait deux incisions au bras gauche? — Pour en extraire une balle de cuivre, répondit Cornaton. » Charles voulut voir cette balle, et remarqua, lorsque Cornaton la lui tendit, que la manche du jeune homme était rougo
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de sang. « Quel est ce sang, dit-il? — C'est le sang de M. l'amiral, ditCornaton. Le sang a coulé sur moi qui assistais M. de Coligny pendant l'opération. » Le roi examina le sang, puis la balle, qu'il rendit à Cor- naton. La reine mère dit à demi-voix : « Je suis bien aise qu'elle ne soit plus dans le bras, surtout si elle a été empoisonnée. » Cornaton répondit que le poison même, s'il y avait poison, serait impuissant contre un breuvage composé par M. Paré et bu d'un trait par M. l'amiral.
Le roi se sépara très-affectueusement de Coligny, et, avant de partir, il invita personnellement Téligny et Cornaton à ne pas se relâcher un instant jde leurs sollicitudes.
Le duc d'Anjou et Catherine de Médicis furent ra- vis de soustraire le roi à ce spectacle émouvant de Coligny, plus grand par la résignation religieuse, dans cette sorte d'agonie magnanime, qu'il ne l'était dans la bataille par les ressources de son génie guer- rier ou dans le conseil par les illuminations de son in- telligence politique.
« Nous le tirasmes enfin (le roi), continue le duc d'Anjou , hors du logis de M. de CluUillon. Et incon- tinent la royne ma mère, qui désiroit surtout sça- voir le discours que l'admirai luy avoit communi- qué, duquel il n'avoit voulu que nous fussions parti- cipans, prya le roy de nous le dire ; ce qu'il refusa plusieurs fois. Mais se sentant importuné et par trop pressé de nous, et plus par manière d'acquit qu'au- trement, nous dict brusquement et avec déplaisir, jurant par la mort-Dieu, « ce que me disoit l'adnii-
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« rai estoit vray : que les roys ne se recognoissoient « en France qu'autant qu'ils avoient de puissance de « bien ou mal faire à leurs subjects ou serviteurs, et « que ceste puissance et maniement d'affaires de « tout l'Estat s'etoit finement escoulée entre vos « mains ; mais que ceste superintendance et autho- « rite me pouvoit estre quelque jour grandement « préjudiciable et à tout mon royaulme, et que je la « devois tenir pour suspecte et y prendre garde; « dont il m'avoitbien voulu advertir, comme l'un de « mes meilleurs et plus fidèles subjects et serviteurs, « avant que mourir. Eb bien! mon Dieu, puisque « vous l'avez voulu sçavoir, c'est ce que me disoit « l'admirai. » Cela dit de passion et de fureur nous toucba si grandement au cœur, que nous dis- simulasmes le mieux que nous pusmes, nous excu- sant toutefois l'un et l'autre, amenant beaucoup de justifications à ce propos, y adjoutant tout ce que nous pouvions de nos raisons pour le dissuader de ceste opinion, depuis le logis de l'admirai jusques au Louvre , où , ayant laissé le roy dans sa cbambre , nous nous retirasmes en celle de la royne ma mère offensée au possible de ce langage de l'admirai au roy et encores plus de la créance qu'il en avoit, crai- gnant que celan'apportast quelqu'altération et chan- gement en nos affaires et au maniement de l'Estat. Et pour n'en rien desguiser, nous demeurasmes si dépourveus et de conseil et d'entendement , que , ne pouvans rien résoudre à propos pour ceste heure là, nous nous retirasmes , remettans la partie au lende- main. ))
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Après le départ da roi, de la reine mère et du duc d'Anjou, les protestants se divisèrent sur cette téné- breuse question : Qu'y a-t-il à faire?
Le roi de Navarre, le prince de Condé et les chefs calvinistes étaient chez l'amiral. Discuter en pré- sence de ce grand homme eût été insensé. Il avait déjà reçu toute la cour et parlé près d'une heure. 11 fallait lui éviter la fatigue d'une séance très-anxieuse. On choisit donc pour cette séance l'appartement de Cornaton, qui était au-dessous de celui de Coligny.
Le vidame de Chartres, Jean de Ferrières, fut, selon sa coutume, l'orateur de la méfiance. Il avait raison. Il fut très-éloquent. Sa conviction était de l'évidence.
« La tragédie est commencée, dit-il-, étoufîons-la au premier acte Quittons Paris-, car si nous ne le quittons pas, nous y serons tous exterminés. Les ca- tholiques l'ont prophétisé : le mariage du roi de Na- varre épanchera plus de sang que de vin. Hier, deux présidents au parlement n'insinuaient-ils pas à l'un d'entre nous de se clorre ce mois-ci avec toute sa fa- mille dans son château ? L'évêque de Valence n'a-t-il pas donné le même avis au comte de La Rochefou- cauld qui est ici parmi nous? Qu'il me démente, si je me trompe ! »
Le vidame conclut à franchir sans retard les bar- rières d'une ville oij ils étaient abhorrés de la cour, du clergé et du peuple, d'une ville où il n'y avait pour eux que des fosses.
Plusieurs applaudirent Jean de Ferrières^ mais un gentilhomme dit : « Conunent transporter jusqu'à
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Chàtillon notre blessé ? » Téligny d'ailleurs se fit garant des intentions du roi et de son amitié pour l'amiral. Briquemaut appuya Téligny et ils entraî- nèrent l'assemblée.
Les protestants de la majorité se bornèrent à con- sulter le roi sur l'opportunité qu'il y aurait soit à dé- placer l'amiral, soit à loger dans son voisinage pour le défendre, le cas échéant, contre messieurs de Guise.
Le roi accédant à ce dernier souhait, des mai- sons furent assignées aux calvinistes dans la rue de Béthisy. Charles offrit même le Louvre pour l'ami- ral. La reine de Navarre était prête à l'installer dans son propre appartement et à partager, jusqu'au réta- blissement de Cohgny, l'appartement de la reine de France.
Une si bienveillante réponse, loyale encore de la part du roi, confirma un grand nombre de protes- tants dans- leur fausse sécurité.
Ils étaient tour à tour confiants et irrités. Les plus clairvoyants écumaient de colère , autant contre l'aveuglement de leurs amis, que contre la rage de leurs ennemis. Tous se sentaient dans une crise. Les violents commirent des imprudences. Ils injurièrent çà et là-, ils parcoururent les abords de l'hôtel de Guise, brandissant leurs épées et poussant des cris farouches.
Ces démonstrations furent exagérées par les prê- tres dans l'intérêt des princes lorrains. La bour- geoisie et la plèbe étaient en armes, malgré les ordres du roi. Les capitaines de quartiers, des meneurs con-
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nus de M. de Guise et des confréries trayaillaient sourdement la multitude, et répétaient sur tous les tons que les huguenots allaient daguer leur jeune duc comme ils avaient arquebuse le père-, qu'il fallait le sauver, jouer des couteaux et prévenir les hérétiques.
Le mouvement de la rue se combinait avec celui du Louvre et dans de bien autres proportions.
C'est ainsi que s'acheva le vendredi 22 août, jour de la blessure de l'amiral. La nuit du 22 au 23, du vendredi au samedi, fut agitée au Louvre, à l'hôtel de Guise, à l'hôtel de Coligny, et mystérieusement remuante autour des églises, des cloîtres et dans les carrefours.
Le 22 au soir, le duc d'Anjou et Catherine s'él aient quittés fort inquiets de la conversation du roi et de l'amiral. Ils en avaient été atterrés.
Le 23, de bon matin, le duc se glissa chez la reine sa mère, « qui estoit déjà levée. J'eus bien martel en teste, dit-il, et elle aussi de son costé -, et ne fut pour lors pris autre délibération que de faire, par quelque moyen que ce fust, despecher l'admirai. Et ne pou- vant plus user de ruses et finesses, il fallait que ce fust par voie découverte-, il falloit amener le roy à cette résolution, et fusmes d'accord que l'après-dî- née nous Tirions trouver dans son cabinet, où nous ferions venir le sieur de Nevers, les mareschaux de Tavannes et de Retz, et le chancelier de Birague, pour avoir seulement leur advis des expédients que nous tiendrions à l'occasion, laquelle nous avions desjà arrestée ma mère et moy. »
Voilà, de l'aveu même de l'un des. plus grands cou-
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pables, la Saint-Bartliélemy dans sa seconde éclo- sion:, car elle était déjà en germe dans la tentative de Maurevel. Le 23 août, le duc d'Anjou et sa mère la décident immuablement dans leur premier entre- tien. Il y aura d'autres entretiens encore, et des en- tretiens de plus en plus décisifs.
L'horrible attentat de la veille contre Coligny s'était dévoilé.
• Les Guise, accusés et maudits par les huguenots, étaient acclamés par les catholiques.
Paris s'était éveillé comme un lion et secouait sa crinière. Les quais, les remparts, les ruelles, les im- passes, les bouges, les écuries des seigneurs, les sa- cristies des églises conversaient de meurtre comme le Louvre.
Les Guise , bénis partout , se posaient partout en persécutés. Ils se plaignaient hautement des mauvais desseins du parti huguenot, et ironiquement de la perversité des commissaires instructeurs du procès de l'amiral. Ils se rendirent chez le roi, se vantèrent de leur droiture, ne cachant pas cependant leur peine d'avoir perdu les bonnes grâces de Sa Majesté. Ils n'avaient plus, dirent-ils, qu'à se retirer en Cham- pagne; ils laissaient au temps, ce juge incorruptible, le soin de les justifier.
Le roi leur répondit qu'ils étaient libres, qu'il sau- rait bien les châtier où ils seraient, s'il y avait lieu.
Les Guise, vers midi, remontèrent à cheval comme pour s'éloigner sérieusement. Mais ils se contentè- rent d'aller jusqu'à la porte Saint-Antoine et ils re- vinrent. Cette promenade fut une double comédie,
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pour donner le change aux huguenots et pour pro- voquer dans la population catholique un enthousiasme croissant.
Cet enthousiasme était si vif que le duc d'Anjou en fut mordu de jalousie. Lui qui s'était dérobé derrière Henri de Guise, par circonspection, se montra au grand jour, par envie. Il essaya de séduire le peuple et de l'enlever à son rival. Il traversa en coche toute la ville avec son frère illégitime M. d'Angoulème, di- sant de rue en rue : « Le maréchal de Montmorency amène contre Paris une troupe de ses sicaires. Il est l'allié des huguenots et presque huguenot lui-même. Moi, votre ami, je vous annonce ce danger, ne désar- mez pas. » C'était une panique de plus, et, toute pa- nique, en révolution, devient une fièvre chaude.
Tandis que la ville entrait en combustion, l'enquête avait marché. Cavagne et les deux autres commis- saires protestants la précipitaient en aiguillonnant de Thou, Prévôt, et Viole, les commissaires catholiques.
Ils avaient confronté la servante et le laquais sai- sis chez le chanoine par les gentilshommes de Co-
La servante était à Yillemur, l'ancien précepteur du duc de Guise. La maison appartenait au maître d'hôtel du duc d'Aumale. Maurevel, que son latjuais ne connaissait que sous le nom de Bolland, Maurevei, le tueur de héros , le tueur de Mouy, le tueur de Co- ligny, était à la solde des Lorrains. C'était Chailly, le surintendant du duc de Guise, qui avait introduit le bandit auprès de la servante, lui recommandant de le traiter comme l'un des meilleurs amis de Yillemur.
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La servante avait bien accueilli le laquais et placé Boiland dans la chambre du chanoine. Les chevaux de race si propices à Maurevel, le cheval du cloître Snint-Germain et celui de la porte Saiat-Antoine étaient des écuries du duc de Guise. Le crime enfui était marqué partout à l'écusson de Lorraine. Les Guise n'avaient pas reculé devant la publicité future de leur forfait. Sûrs d'être dans Paris plus de cent contre un , sûrs de la complicité de la reine mère et du duc d'Anjou qu'ils pourraient toujours nommer à leur gré, ils s'étaient découverts eux-mêmes pleine- ment, heureux et avides d'une compromission qui serait une popularité.
Cette journée du 23 fut laborieuse pour Catherine et pour le duc d'Anjou.
L'amiral était mieux. Sa grande âme avait triom- phé des blessures, des inquiétudes-, elle avait presque rendu, par son équilibre, la santé au corps. Charles IX lui témoignait, de message en message, les mêmes égards, avec plus de pitié et d'admiration. Les Guise étaient convaincus de l'attentat de la veille. Le len- demain , ils devaient être accusés par plus de mille seigneurs ou gentilshommes protestants, encore en deuil de Jeanne d'Albret, leur Débora, comme ils l'appelaient, et tous vêtus de noir. Que feraient les Guise ? Entourés de leurs compagnons et de leurs clients, du clergé et du peuple, ils diraient sans doute : « Oui, nous avons commis meurtre pour meurtre^ c'était notre devoir. Nous avons été si équitables, que la reine mère et iMonsieur étaient avec nous. »
Le danger et la honte étaient pressants pour Cathe-
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rine et pour le duc d'Anjou. Ils s'en préservèrent en osant davantage dans le crime.
Leur entretien , le matin , dans la chambre de la reine mère, avait été homicide. Ils avaient condamné Coiigny, et ils y avaient ajouté cinq au moins des chefs du calvinisme. Car plus tard Catherine, étrange justification ! réduisait à ce nombre de morts sa part de sang dans la Saint-Barthélémy.
Après leur dîner, la reine mère et le duc d'Anjou allèrent aux Tuileries, où les attendaient le duc de Nevers, le maréchal de Tavannes, le maréchal de Retz et le chancelier de Birague. Le roi n'y était pas, quoi qu'on en ait dit sans preuve. Là fut arrêté de nouveau le massacre de Coiigny et de ses lieutenants. C'est là qu'on imagina les artifices avec lesquels on déçut le roi. C'est là qu'une mère, un frère, des amis, six en tout, conspirèrent, dans une délibération vraiment infernale, contre la conscience d'un fils, d'un frère, d'un ami. Et ce qui aggrave la perversité du concilia- bule, c'est que celui dont ils préparaient la complicité était un jeune homme, un adolescent couronné. Que l'exécration soit sur lui qui va succomber , mais qu'elle soit avant tout sur eux, sur les tentateurs abominables ! qu'elle pèse d'un poids divin et humain sur ce démon femme, sur cette mère pire qu'une ma- râtre, qui plongea, de trame en trame, au fond de la réprobation éternelle, l'enfant de ses entrailles déna- turées !
Ce plan d'égorger Coiigny et les principaux de la réforme, conçu le matin, au Louvre, entre Catherine et le duc d'Anjou, confirmé raprès-dînée, aux Tuile-
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ries , entre Catherine , le duc d'Anjou , Tavannes . Retz et Birague, ce plan monstrueux fut porté au malheureux Charles IX par les conjurés, dont les plus odieux étaient la mère et le frère même du roi. Le moment de cette conférence est incertain , vraisem- blablement de cinq à sept heures.
« Sitost, dit le duc d'Anjou, que nous fusmes en- trez au cabinet où le roy mon frère estoit , la royno ma mère commença à luy remonstrer que le party des huguenots s'armoit contre luy à cause de la bles- sure de Tadmiral, qu'il alloit fayre en Allemagne une levée de dix mille reîtres, et aux cantons des Suisses une autre levée de dix mille hommes de pied ; et que les capitaines françois, partisans des huguenots, es- toient desjà la plupart semblablement partis pour faire levée dans le royaulme, et les rendez-vous du temps et du lieu desjà aussi donnez. Que si une si puissante armée une fois jointe aux forces françoises (chose qui n'estoit que trop faisable), ses forces (au roy) n'estoient pas bastantes à moitié près d'y pou- voir résister, veu les pratiques et intelligences qu'ils avoient, dedans et dehors le royaulme, avec beaucoup de villes, communautez et peuples (dont elle avoit de bons et certains advis), qui dévoient faire révolte avec eux sous prétexte du bien public, et que luy, estant foible d'argent et d'hommes , elle ne voyoit lieu de seureté pour luy en France. Et si il y avoit bien da- vantage une nouvelle conséquence dont elle le vou- loit advertir : c'est que tous les catholiques, ennuyez d'une si longue guerre, et vexez de tant de sortes de calamitez, estoient résolus d'y mettre une fin. Et il
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estoit question entre eux d'élire un capitaine général pour prendre leur protection et fayre ligue offensive et deffensive contre les huguenots -, et ainsy demeu- reroit seul enveloppé en grands dangers , sans puis- sance ni authoritez. Qu'on verroit toute la France armée de deux grands partis, sur lesquels il n'auroit aucun commandement. Mais qu'à un si grand danger et péril imminent de luy et de tout son Estât, et à tant de désastres qui se préparoient, oîi nous touchions desjà du doigt, et au meurtre de tant de millions d'hommes, un seul coup d'espée pouvoit remédier et détourner tous les malheurs, et qu'il falloit seulement tuer l'ad- mirai, chef et autheur de toutes les guerres civiles; que les desseins et entreprises des huguenots mour- roient avec luy, et les catholiques, satisfaits et con- tents du sacritice de deux ou trois hommes, demeu- reroient toujours en son obéissance. Cela fut ainsy dict, et beaucoup d'autres inconvénients qui luy fu- rent représentez, lesquels il ne pouvoit esviter s'il n'usoit de ce conseil, y amenant encores les per- suasions plus à propos, et d'autres raisons que la royne ma mère y adjousta et moy aussi 5 et les au- tres n'oubliant rien qui y pust servir. Tellement que le roy entra en exiresme cholère et comme en fureur, mais ne vouloit au commencement aucune- ment consentir qu'on frapast à l'admirai-, enfin, pic- qué et grandement troublé de la crainte du danger que nous luy avions si bien peint et figuré , esmeu de la considération de tant de practiques dirigées contre luy et son Estât, comme il creut, par l'im- pression que nous luy en avions donnée, voulut
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bien néantmoins, sur une affaire d'une telle impor- tance, sçavoir si par un autre moyen l'on y pourroit remédier, et en avoir sur ce nostre conseil et advis , et que chacun en dict présentement son opinion. Or, ceux qui opinèrent les premiers furent tous d'advis qu'il en falloit ainsi user que nous l'avions proposé. r>
Quelle gradation dansla fourberie! Catherine in- vente mensonge sur mensonge, parlant de levées de troupes, d'une quatrième guerre civile , demandant regorgement d'un seul, déjà égorgé une fois, puis regorgement de quelques-uns, prévoyant certaine- ment, au miheu de l'effervescence de Paris, un mas- sacre incalculable. Tout cela est marqué avec effron- terie dans le récit du duc d'Anjou. Ce qui n'est pas moins constaté, c'est la répugnance de Charles à livrer l'amiral. Il résiste, on insiste. On exalte peu à peu ce tempérament violent. On le poussera jusqu'à la folie.
Retz, l'instigateur le plus influent et le plus déci- sif de la Saint-Barthélémy, ayant déduit, par couar- dise, quelques arguments contre un second assassinat de l'amiral, il ébranla tous ses complices. « Mais après avoir ramassé nos esprits, reprend le duc d'Anjou, revenans à nous-mesmes et combattans très-fort et ferme son opinion , nous l'emportasmes et reco- gnusmes à l'instant une certaine mutation et une merveilleuse et estrange métamorphose au roy qui se rengea de nostre costé et embrassa nostre opinion, passant bien plus outre et criminellement ; s'il avait été auparavant difficile à persuader, ce fust alors à nous à le retenir^ car en se levant et nous impo-
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sant silence, nous dict de cholère , et jurant par la mort-Dieu, puisque nous trouvions bon qu'on tuast l'admirai, qu'il le vouloit, mais aussy tous les hu- guenots de France, afin qu'il n'en demeurast pas un qui luy pust reprocher après, et que nous y don- nassions ordre promptement. Et sortant furieuse- ment nous laissa dans son cabinet, où nous advi- sasmes le reste du jour, le soir et une bonne partie de la nuict, ce qui sembla à propos pour l'exécution d'une telle entreprise. Nous nous assurasmesdu pré- vost des marchands, des capitaines de quartier, et autres personnes que nous pensions les plus factieux, faisans un département des quartiers de la ville, des- seignans les uns pour exécuter particulièrement sur aucuns , comme fust M. de Guyse pour tuer l'ad- mirai. »
Le duc de Guise accepta de vive voix sa commission, car il était de ce dernier conseil de sang qui orga- nisa, avec une préméditation terrible, la nuit formi- dable, les jours et les nuits rouges qui suivirent et dont le cycle tragique s'appelle la Saint-Barthélémy.
Les destinées des Montmorency, du roi de Navarre, du prince de Condé et du marquis de Conti, son frère, furent discutées dans ce conseil du Louvre.
Disciple , non moins que neveu du cardinal de Lorraine, le duc de Guise demanda la mort des Mont- morency et de tous les princes de Bourbon. Tavannes parla pour les Montmorency. La considération qui désarma le concihabule sinistre, fut que l'aîné de cette maison, le maréchal de Montmorency, qui s'était retiré à Cliantillv comme dans une forteresse, n'eu
(
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sortirait que pour s'unir aux huguenots et pour ven- ger ses frères. On épargna donc le maréchal Dam- ville, messieurs de Thoré et de Méru. Tavannes parla encore pour les princes. Il fut aidé par Catherine qui réclama le roi de Navarre, comme son gendre, et par le duc de Neversqui réclama, comme son beau-frère, le prince de Condé. Le marquis de Conti ne pouvait dès lors être excepté de cette clémence de bourreaux.
Charles IX était maintenant avec ces bourreaux et le plus forcené.
Il y eut, à cette date du monde, des cercles du mal qui furent approfondis.
Une mère et un lils, Catherine de Médicis et le duc d'Anjou, pour se délivrer du plus grand homme de leur siècle, de Coligny, qui leur fait ombrage, se sont adressés à une autre mère et à son fds, la duchesse de Nemours et le duc de Guise. Tous les quatre ont mis en embuscade un vil meurtrier. Le vendredi, 22 août 1 372 , ce meurtrier a blessé l'amiral ; il ne l'a pas tué.
Le samedi 23, Catherine et le duc d'Anjou, dans un intérêt privé, prononcent entre eux une seconde sentence contre le même grand homme et contre ses capitaines les plus éminents, et cette sentence, c'est la mort.
L'autre mère et son fds , la duchesse de Nemours et le duc de Guise, consentiront à cette récidive bar- bare et progressive. Bien plus, cette fois, il n'y aura pas un meurtrier vulgaire , il y aura un meurtrier prince et ce sera le duc de Guise lui-même.
Aux Tuileries, Catherine de Médicis et le duc
ui. I 23
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d'Anjou s'adjoignent leurs plus intimes confidents : le duc de Nevers, le chancelier de Birague, le maréchal de Retz, le maréchal de Tavannes. Ces six personnes se concertent pour faire du roi, d'un fils, d'un frère, et d'un maître, un assassin.
Ils descendent les cercles de Machiavel-, ils les des- cendent toujours plus bas.
Ils vont droit au Louvre. Ils entourent l'adolescent. La mère le harangue avec une autorité ancienne , avec une adresse insidieuse. Elle s'avance de ruse en ruse dans les plis et dans les replis de cette âme em- portée. Le frère approuve, les amis consolident des raisonnements fondés sur des calomnies.
Et le roi, échaufi'é à cette atroce éloquence, suc- combe au vertige. Il s'écrie, il jure et tempête. Il ne veut plus un crime, quelques crimes, il veut tous les crimes en masse, une boucherie. Il ne veut pas qu'un seul huguenot puisse le troubler par une seule plainte ; il veut éteindre toutes les plaintes dans le sang. Im- bécile meurtrier, qui ne sait pas, qui saura trop tard que les reproches des vivants ne sont rien au prix des reproches des morts. Les reproches des morts pénè- trent silencieusement dans la conscience ; ils l'enla- cent, ils la déchirent, ils la torturent jour et nuit. Ils ont des étreintes, des tranchants, des aiguillons. Et l'on ne rit plus, et l'on ne se distrait plus, et l'on ne se repose plus -, il n'y a plus jamais ni joie, ni oubh, ni sommeil.
Yoilà les cercles successifs, et il y en aura d'au- tres creusés par les auteurs de la Saint-Barlhélemy. J^'histoire les éclairera tous de sa torche sépulcrale.
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Elle a ses drames, l'hisloire, mieux que la poésie-, et, non moins que la théologie, elle a ses condamnations.
Le roi, conquis par sa mère, flotta néanmoins par instants. D'une impétuosité , il tombait dans une langueur.
Ces oscillations de Charles IX exph'quent une con- tradiction apparente entre le récit du duc d'Anjou et les Mémoires de sa sœur Marguerite.
Selon le duc d'Anjou, après la délibération prépa- ratoire des Tuileries, à la délibération du Louvre, dans le cabinet du roi, le comte de Retz recula et s'opposa au second meurtre de Coligny. Selon Mar- guerite de Valois, ce fut le même comte de Retz qui entraîna le roi, vers dix heures du soir, dans la fatale et définitive résolution.
Rien de plus simple à concilier. La peur avait ébranlé Retz. Il avait faibli dans la délibération in- termédiaire entre celle des Tuileries, qui précéda, et celle de dix heures du soir au Louvre, qui termina tout. De sept à dix heures du soir, le roi était rede- venu chancelant. De dix à onze heures, Catherine, lança Retz, et Retz, pour se réhabiliter, fit au roi une autre peur, une peur dans un sens contraire. Lui-même, par un flux et un reflux de peur, il avait incliné à tout épargner, craignant les réactions ^ et. puis il incita cruellement et lâchement à tout tuer pour anéantir d'un coup les vengeances futures.
Charles IX, on le sent bien, même dans les révéla- tions du duc d'Anjou, eut une agonie d'honneur. Il lui était douloureux d'abandonner Coligny aux poi- gnards. Il l'avait nommé son père. Il avait subi la
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double influence de TaiTection et du génie de ce grand homme. L'amiral lui avait dit d'un accent persuasif : « L'observation de l'édit de paix est votre salut ; la guerre de Flandre est votre gloire. » Charles avait adopté sincèrement cette généreuse politique.
Pour le jeter dans une politique rétrograde et san- guinaire, il avait fallu que sa mère, par une subito intimidation de sophismes, bouleversât cette organi- sation nerveuse jusqu'à la rendre insensée.
Vers sept heures , je le répète , Charles avait adhéré à la conjuration, mais vers dix heures, il liésilait.
C'est alors que Retz intervint. Il lui peignit la fu- reur des huguenots. Il lui apprit la complicité de la reine mère et du duc d'Anjou dans l'attentat des Guise contre l'amiral. « Quand les huguenots con- naîtront cette complicité, qu'ils soupçonnent déjà, que ne feront-ils pas ? Ils convoqueront le ban et l'arrière-ban de Thérésie. Ils ne respecteront plus rien, ni le trône, ni la famille royale, ni le roi.
« Que le roi frappe donc le premier, il est en dé- fense légitime-, s'il ne frappe pas aujourd'hui, demain il ne sera plus temps. »
Charles balançant encore, le maréchal de Retz éleva-t-il un doute, non sur le courage, mais sur la détermination du roi ? Révolté de ce doute, Charles dépouilla-t-il toute indécision ? Ce qui est incontes- table, c'est que fasciné, ensorcelé par Retz, un ora- teur d'athéisme, de crime et de peur, Charles fut plus acharné qu'un autre au massacre.
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Ce fut chez lui une démence qui eut ses ato- nies et ses accès. L'épouvante j mêlait ses sur- sauts.
Tous ces réprouvés avaient peur. La peur règne en eux dans tous ses efîarements, la peur hideuse, mère des trahisons et des forfaits. Que l'on sonde bien toutes les révolutions, on y trouvera la peur. C'est la lave de ces volcans. Toute révolution est un long poëme de la peur, de la peur sous toutes les formes. Peur des femmes, des enfants, des vieillards, peur des lâches qui deviennent des scélérats, peur des braves qui deviennent des héros passifs, qui ne se soucient plus de vaincre, mais auxquels il suffit de se résigner, qui n'aspirent plus à bien vivre, mais seulement à bien mourir.
La peur, à un certain moment, est sentie et ren- voyée. Il y a la peur que l'on reçoit et la peur que l'on donne. La peur est une passion privée et une pas- sion publique. S'unit-elle au fanatisme comme chez les masses, à l'ambition comme chez les Guise, comme chez Catherine et le duc d'Anjou, à toutes les perver- sités comme chezBirague, Retz, Nevers et Tavannes, à l'imagination, à la frénésie, comme chez Charles IX ; la peur ne connaît plus de frein -, elle se baignera dans le sang.
Autant de partis, autant de peurs diverses. La peur des huguenots est pour leur foi , non pour leur vie ; elle réagira en témérités hautaines comme chez do Guerchy, en goût du martyre comme chez Coligny, en circonspection amère et tumultueuse comme chez Langoiran, d'Aubigné, Montgommery, le vidame do
23,
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Chartres. La peur de leurs ennemis se répandra en astuces et en carnages.
Ce qu'il y a de particulier dans cette passion de la peur, c'est que, si elle déprave les pusillanimes et les méchants, elle n'ôte pas aux hommes de bien leur grandeur morale. Mais elle a sur eux un effet déplo- rable : elle diminue leur activité., ce qui est la perpé- tuité du mal.
Indépendamment de Ja peur, il y eut d'autres mo- biles. La pâle déesse ne reçut pas toutes les offrandes. Les sacrifices impies . les holocaustes barbares fumè- rent sur plus d'un autel. Quelques-uns tuèrent pour gouverner, d'autres tuèrent pour voler, d'autres pour hériter, d'autres pour se venger, d'autres pour éviter l'enfer, d'autres pour mériter le paradis; ceux-ci par férocité naturelle, ceux-là par imitation , beaucoup par déférence, soit de caserne, soit de confessionnal ^ tous par cette brutalité que recèle l'homme à une cer- taine profondeur.
Les bons, les meilleurs, se bornèrent, pour la plu- part , à être victimes.
Si la peur, au reste, ne fut pas la seule cause de la Saint-Barthélémy, elle fut la plus féconde.
La peur épique de trois règnes, cette peur char- gée, comprimée dans l'àme humaine comme la poudre dans une arme à feu, cette peur éclata partout au con- tact de l'étincelle, à l'ordre des chefs. Et cette peur fut crime dans l'action, et ces chefs dans le comman- dement furent assassins, oui, assassins, et Catherine, et le duc d'Anjou, et le duc de Guise, et le maréchal de Tavannes , et le duc de ISevers , et le maréchal de
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Retz, et le chancelier de Birague, et Charles IX, le roi-bourreau, qui reflète un peu tard, maisjusqu'à la folie , tant d'iniquités ! Ces noms de cour à la fois et de bagne, si ballottés, qu'ils en ont contracté une sorte de trivialité d'infamie, ne nous lassons pas de les redire, afin de les plonger de plus en plus dans l'horreur. La justice de l'histoire, c'est d'infliger le souvenir.
LIVRE TRENTE-SIXIÈME
Dissimulation de Charles IX. — Conjuration de la reine mère, émeute des rues. — Police des Guise et du clergé. — Coligny ne redoute que Guise. — Il compte sur la garde du Louvre et sur ses amis pour mettre son hôlol à l'abri d'un coup de main. — Cos- seins chargé de veiller à la sûreté de l'amiral. — Méfiance de M. de Thoré , de Cornaton et du vidame de Chartres. — Seconde déli- bération des chefs protestants aussi vaine que la première. — Catherine et Charles IX entretiennent la sécurité de Coligny. — Avant minuit. — Les chefs calvinistes proposent de rester chez l'amiral. — Téligny refuse. — Guerchy et ses camarades se reti- rent avec peine. — Téligny lui-même se retire, — Conseil de sang au Louvre. — Opinion du maréchal de ïavannes. — Il lerritîe le prévôt des marchands. — Préparatifs du duc de Guise, de minuit à quatre heures du matin. — Le Charron agit dans le même sens que le duc. — Mort de l'amiral de Coligny. — Fluctuations au Louvre. — Endurcissement subit. — Les tocsins de Saint-Germain- l'Auxerrois et du palais de Justice.
Depuis la séance au Louvre (de cinq à sept heures) 011 sa mère le gagna à demi, Charles, tout chance- lant qu'il lut par moments, usa de dissimulations odieuses avec le parti protestant et avec Coligny.
H continua d'envoyer auprès de l'amiia' pour s'in- former d'une santé si précieuse, et pour lui trans- mettre l'expression de toute son amitié.
Coligny, touché , envoyait à son tour au Louvre, soit pour remercier le roi , soit pour obtenir ce que les circonstances exigeaient.
Paris était travaillé en dessous. L'émeute grondait
LIVRE TRENTE-SIXIÈME. 273
sourdement dans les bas-fonds. Les mille agents soit des Guise , soit du clergé , couraient çà et là par les ruelles infectes. Ils envahissaient les cavernes de la - plèbe et la demeure des bourgeois. Ils racontaient le danger de Henri de Guise. C'était fait de lui, si on ne massacrait, pendant qu'on les tenait, les huguenots, ces liérétiques , ces relaps , ces fils de Satan , les en- nemis de Paris , les démons qui avaient tant assiégé et tant affamé la ville et les faubourgs. Le mo- ment était venu de venger tant de maux en une nuit. Et cette nuit, il fallait que ce fût la prochaine, du sa- medi où on était au dimanche. Plus de retard. Saint Barthélémy deviendrait le patron de tous les hardis ouvriers du massacre. Jamais on n'aurait vu pareille fête.
Ces discours etcent autres électrisaient les hommes, les femmes, les enfants, et quels enfants! Les enfants de dix à seize ans, les pages déguenillés de la boue et du ruisseau, la milice fantasque, soudaine, impi- toyable,, des révolutions.
Si les protestants avaient eu une contre-police, ils auraient compris toute l'étendue de leur péril, au lieu de ne juger que sur des rapports très-vagues et souvent contradictoires. L'amiral, qui ne pouvait sor- tir et qui aurait peut-être tout sondé d'un coup d'œil, ignorait la physionomie redoutable de Paris. Le mal- heur de ce grand homme élait de ne voir le danger que sur un point, tandis qu'il était partout. Il ne fai- sait épier que les Guise. Il les croyait capahles de tout. Il leur attribuait l'initiative et le monopole du soulèvement qu'il pressentait et dont il avait la corn-
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motion confuse. Mais il comptait entièrement sur le roi. C'était assez, selon lui, de cette haute et active sollicitude pour comprimer, soit la malveillance de la reine mère et du duc d'Anjou, soit les férocités des Guise. D'ailleurs, Téligny, le comte de La Rochefou- cauld , le roi de Navarre, le prince de Condé n'entre- tenaient l'amiral que de la tendresse , que de l'admi- ration du roi pour lui. Ils ravivaient de conversation en conversation sa sécurité.
Toutefois Coligny, qui entendait certains mots si- nistres du vidame de Chartres et qui regardait comme fort probable un coup de main du peuple sous l'im- pulsion des Guise , pria Cornaton d'aller au Louvre et de faire au roi trois requêtes.
Par la première. Coligny demandait quelques ar- quebusiers de la garde pour mettre son hôtel hors des insultes de la populace.
1! sollicitait ensuite le ministère de M. de Ram- bouillet, qui n'avait pas achevé de marquer à tous les chefs calvinistes des logements dans la rue de Réthisy et aux environs.
L'amiral invoquait encore l'autorisation de rassem- bler des armes chez lui , précaution sans doute inu- tile, mais que la prudence lui prescrivait.
Le roi accorda toutes ces- requêtes. Hélas! combien vaines furent-elles I
La dernière devait être éludée. La seconde ne fut qu'une sorte de casernement favorable au massacre ^ la première, qu'un acte préliminaire d'hostilité.
Cornaton ne désirait que douze arquebusiers au plus, le roi lui en octroya cinquante. Le duc d'Anjou
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dit aussitôt : « Cosseins les commandera. )> Cornaton, qui ne se souciait pas de ce choix , ne s'empressant pas de l'accepter, le roi ajouta : u Oui, Cosseins est l'homme qui convient. »
L'un des Montmorency qui était présent, M. de Thoré, dit tout has à Cornaton : « L'amiral ne saurait avoir un plus mauvais compagnon que celui-là. »
C'était l'avis de Cornaton et il le dit à Coligny. Ce héros, qui, au milieii de ses plus somhres expé- riences de politique et de guerre, était trcs-gentil- homme de cœur, répondit : « Qu'importe que Cos- seins m'aime ou me haïsse, il m'est donné par le roi. Au-dessus de tous les sentiments personnels, il y a le devoir militaire. Or, Cosseins a sa consigne d'hon- neur et il l'exécutera. »
Cet officier ne tarda pas à être à son poste. 11 distrihua ses cinquante arquebusiers dans deux bou- ticfues spacieuses qui étaient l'une à gauche, l'autre à droite de l'hôtel de l'amiral.
Beaucoup des capitaines calvinistes s'étonnaient d'un pareil gardien. De tous les chefs protestants, celui qui connut le mieux la situation et qui fut le plus traité de visionnaire, le vidame de Chartres, bondit en apercevant Cosseins. Il réunit, comme la veille, les princes et les seigneurs dans la chambre de Cornaton. Là, il fit un nouveau discours avec une animation nouvelle.
Il signala l'émotion populaire de Paris, le scandale de la mission dont Cosseins était investi, les concilia- bules chez la reine mère, chez les Lorrains, dans toutes les églises, le petit nombre des protestants,
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leur impuissance individuelle , tandis que Coligny était retenu au lit par ses blessures et que les princes seraient si aisément retenus au Louvre par la force. Jamais le calvinisme n'avait été si étroitement muré et autant à la disposition de ses persécuteurs. Le vidame ne voyait qu'une issue, c'était une retraite prompte, dès le soir même. « Puisque l'amiral est mieux, s'écria-t-il, transportons-le, formons un camp autour de lui, princes, seigneurs, gentilshommes, soldats, tout ce qui a une Bible et une épée. L'amiral nous guidera; car les balles ne l'ont atteint qu'aux bras, et jamais il n'eut l'entendement plus clair, le cœur plus magnanime. »
Le roi de Navarre, le prince de Condé et surtout Téligny tinrent ce projet pour impraticable. Ne se- rait-ce pas d'ailleurs offenser le roi dont les courtoi- sies envers l'amiral étaient inépuisables ? Evidem- ment, il n'y avait rien à appréhender de la cour. Les Guise, presque en défaveur, n'étaient pas en mesure d'attaquer. Restait la plèbe catholique, dont les cin- quante arquebusiers de Cosseins et au besoin les dagues protestantes auraient facilement raison.
Telle fut la conclusion de la majorité.
On accusa un gentilhomme picard, M. de Boucha- vannes, qui avait des relations assez intimes avec le maréchal de Retz, d'avoir rendu compte presque im- médiatement à la reinj mère de tout ce qui s'était dit et décidé parmi les capitaines protestants.
Catherine cherchait par mille moyens à augmenter leur sécurité. Sur ses insinuations, le roi ne cessa pas ses messages à Coligny. Li jeune mariée, la reine
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Marguerite de Valois, vint s'asseoir avec enjouement au chevet de l'amiral que cette aimable visite égaya. Le roi de Navarre demeura près de lui une grande partie de la soirée. Cosseins avait bien empêché d'in- troduire des armes chez Coligny, tandis qu'on en portait au Louvre par brassées, mais comment ne pas bénir Charles IX ?
Il avait mandé le roi de Navarre et lui avait dit : (t Les Guise essayent de remuer. Je ne suis pas tour- menté sur l'amiral, qui a cinquante arquebusiers de ma garde et toute la noblesse protestante autour de lui. Vous, qui êtes sous mon toit, vous ne risquez pas davantage. Néanmoins, pour être plus en sûreté, en- vironnez-vous de tout ce que vous avez de plus vaillant. »
Le roi de Navarre, qui n'avait guère auprès de lui que les seigneurs attachés à sa maison, fut très-sen- sible à cette tendre fraternité du roi. Il appela au Louvre beaucoup de capitaines consommés : de Piles, Pardaillan, Bourses et plus de cinquante autres, l'élite de l'élite calviniste.
Charles fit souhaiter aussi une bonne nuit à l'ami- ral, l'invitant à être bien tranquille, puisque c'était le roi de France qui veillait sur ses cheveux blancs.
Coligny n'eut pas môme un soupçon de ce côté-là. Et cependant Charles égalait dès lors sa mère en du- plicité-, il la surpassait en fureur. Emporté par sa mauvaise nature dans la fourberie et dans la cruauté, après avoir été vaincu par Catherine, par le duc d'An- jou, par le duc de Nevers, par Tavannes, Birague et Retz, il ne l'ut plus le roi, il ne fut pas même le boui- 111. 24
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leau, mais le valet de tous'ces bourreaux. Bientôt le sceptre, le sceptre des fleurs de lis, allait se chan- ger dans ses mains en arquebuse.
Un peu avant minuit, l'activité se ralentissait parmi les protestants et redoublait parmi les catholiques. Les uns se couchaient ou songeaient à se coucher pour dormir; les autres émergeaient de l'ombre des cou- loirs, des poternes, des ruelles, pour surprendre, pour égorger.
Ce fut une heure triste entre toutes les heures de ce lamentable drame. Le cœur saigne rien que d'y penser.
Le roi de Navarre, ses cousins et ses gentils- hommes, sur la foi de Charles, causaient des bles- sures de l'amiral et des afl'aires de la religion, avant d'enfoncer leurs têtes pesantes de présages dans les oreillers du Louvre.
Coligny, sur la parole royale, congédiait ses amis les plus lidèles, des lions au combat. Ces héros, malgré les promesses de Charles , troublés de laisser dans une sorte d'isolement leur chef vénéré, offrirent à Téligny de passer la nuit dans l'hôtel de l'amiral, leurs épées hors du fourreau. Ils implorèrent de dé- fendre, au prix de leur vie, la plus grande vie du pro- testantisme, Téligny les remercia, disant que ce serait faire au roi cette injure de se méiier de lui, que l'a- miral ne le souffrirait jamais. Il avoua que lui-même, tant sa sérénité était entière, il quitterait son père et que cette confiance serait salutaire à Coligny, qu'elle le calmerait autant que l'agiteraient peut-être des précautions militaires inutiles.
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Au seuil de rapparlcmcnt, l'intrépide Guercliy fut repris d'un scrupule. Il insista plus vivement pour rester. « I.'hôtel de l'amiral, dit-il, devrait être notre forteresse. C'est là qu'il serait beau de mourir! » Téligny, au nom de la tranquillité du malade, refusa obstinément.
Guerchy et ses camarades s'éloignèrent à regret.
Téligny rentra une dernière fois auprès de l'amiral qu'il trouva de mieux en mieux. Coligny lui dit adieu, l'engageant à s'aller reposer de tant de fatigues. Us ne se revirent plus dans ce monde.
L'amiral demeura dans son hôtel avec ses officiers accoutumés. ïi avait de plus auprès de lui Ambroise Paré, le grand chirurgien, et Merlin, le saint ministre qui n'avait de Bibles qu'en hébreu, mais qui les lisait si couramment en les traduisant à mesure, que ses auditeurs les croyaient toutes françaises. L'un et l'autre étaient dans la chambre de l'amiral, près de son lit. Nicolas Muss, l'interprète allemand de Coli- gny , servait le malade avec toutes les délicatesses simples du cœur. Cornaton , le gentilhomme favori de l'amiral, allait et venait attentif au moindre signe du héros. Labonne, un autre gentilhomme, avait les clefs de l'hôtel. Yolet, le premier écuyer de Cohgny, surveillait en haut les domestiques et au rez-de- chaussée les six Suisses du roi de Navarre qui gar- daient au dedans la porte de la rue. Cosseins avec ses cinquante arquebusiers la gardait au dehors.
Au Louvre, le conseil de sang était en permanence. Dès onze heures, le duc de Guise, le duc d'Aumale, et le chevalier d'Angoulème délibéraient avec Cathe-
2(S0 inSTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
rine de Médicis, le duc d'Anjou , les maréchaux de Tavannes et de Retz, le duc de Nevers et le cliance- lier de Birague. Le roi, tantôt épuisé, tantôt épilep- tique, leur appartenait.
La plupart étaient impatients de commencer la boucherie aux flambeaux. Mais le maréchal de Ta- vannes démontra qu'il valait mieux attendre le petir jour, afin de faire une battue plus complète. « A l'aube, dit-il, pas un n'échappera. » Il ramena ses complices par ce seul mot.
Marcel , naguère prévôt des marchands et dont les fonctions avaient cessé depuis peu, avait exercé, sous l'influence des Guise, une sorte d'apostolat mu- nicipal du meurtre contre les hérétiques. Le prési- dent Le Charron, le prévôt actuel, n'avait qu'tà parler dans le même sens que son prédécesseur-, la besogne était ébauchée.
Il parut vers minuit devant le conseil secret. Les échevins étaient avec lui. Le roi dit au prévôt que les hérétiques avaient conspiré contre sa personne et contre son État, qu'ils avaient été découverts et qu'ils seraient bientôt punis. « Soyez prêt à obéir, ajouta- t-il, aux ordres que vous recevrez. Ils vous seront adressés à l'hôtel de ville. En attendant, appelez aux armes les bourgeois. Faites fermer les portes de la ville et retirer les barques de la rive droite de la Seine. Ces barques seront toutes attacbées avec des chaînes à la rive gauche. Ainsi personne ne fuira ma justice au faubourg Saint-Germain. »
Le prévôt et les échevins comprirent ce que serait cette justice du roi et manifestèrent quelque réserve.
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Le marôclial de Tavannes, qui s'en aperçut, les ter- rifia du geste et de la voix. « C'est à opter, dit-il, ceux qui ne pendront pas seront pendus. » Le Char- ron et les échevins furent observés et aiguillonnés par deux hommes des Guise : Puisgaillard et d'Entrague.
Le roi, la reine mère et le duc d'Anjou se sépa- rèrent après minuit, afin de sommeiller dans leurs chambres. Les victimes dormaient. Eux, dormirent- ils.? Je ne le crois pas. Car c'est la conscience qui fait dormir.
Le duc de Guise, escorté du duc d'Aumale, son oncle , du chevalier d'Angoulême , le frère bâtard du roi et d'une foule de seigneurs, ses partisans, ne per- dit pas son temps entre minuit et quatre heures du matin.
Il harangua les troupes. Tl dit ensuite aux com- mandants des Suisses et aux colonels français les in- tentions de Charles IX. Le moment était venu d'ex- terminer les hérétiques, ces séditieux contre Dieu et contre le roi. Il ne doutait pas de leur zèle. Le pillage était permis.
Après ces instructions, il distribua les positions qui devaient être occupées. Les Suisses et quelques compagnies françaises au Louvre ; les bataillons des gardes autour du principal centre des calvinistes : la rue des Fossés , la rue de Béthisy et tout le quartier Saint-Germain-l'Auxcrrois.
Le duc enjoignit à tous de repousser, soit dans le Louvre les amis du roi de Navarre, soit dans les mai- sons les protestants qui essayeraient de sortir.
Le prévôt des marchands, intimidé par Tavannes
28:2 HISTOIPxE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
et par les agents des Guise, fit les mêmes comuiuiii- cations aux membres de la munieipalité. 11 avait été instruit du plan royal. H déclara que Sa Majesté autorisait ses sujets à eliàtier les hérétiques, lesquels étaient tous des conspirateurs, et (pie son bon plaisir serait qu'il n'en réchappât aucun. Les provinces imi- teraient certainement Paris et l'ordre renaîtrait dans le rovaume et dans l'Eglise.
Le programme était double : massacre et pillage. Le duc de Guise l'avait dit. Le Charron le répéta.
Le signal devait être le tocsin de la cloche du pa- lais de Justice, de la tour de l'borloge. Mais comment se reconnaître? On avait pourvu à tout. Chacun des conjurés et des catholiques fut invité à coudre une croix blanche à son chapeau et à se nouer une écharpe de même couleur autour du bras gauche. La croix et récharpe seraient de soie pour les seigneurs, de fd ou de coton pour les hommes de la bourgeoisie et du peuple. Voilà toute la difl'érence.
Ces préparatifs durèrent près de quatre heures. Entre deux et trois heures du matin, la reine mère, le duc d'Aîijou et le roi étaient déjà debout. Le duc de Guise étaitrentré au Louvre. Catherine et lui crai- gnirent de nouvelles (luctuations de Charles IX. Ils arrachèrent l'ordre fatal.
Le duc de Guise, le ducd'Aumale, le chevalier d'Angoulème descendirent précipitamment du Louvre et se hâtèrent vers l'hôtel de l'amiral.
Un coup de pistolet partit -, puis, il y eut un silence de quelques minutes et d'autres bruits éclatèrent de plusieurs côtés à la fois.
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Lorsque M. de Guise et sou escadron arrivèrent à la demeure de l'amiral, le capitaine Cosseins s'appro- cha des arçons rlu duc (jui lui parla à l'oreille. Cos- seins alors frappa rudement à la porte avec la poignée de sa dague.
On se souvient que l'amiral était avec Ambroise Paré, son chirurgien, Merlin, son ministre, etMuss, son interprète.
Labonne , le gentilhomme qui avait les clefs de l'hôtel sous son traversin, était assoupi. Aux secous- ses du capitaine Cosseins, Yolet, Técuyer de l'ami- ral, réveilla Labonne, qui se leva précipitamment. H se munit de ses clefs, et, traversant les six Suisses du roi de Navarre, il demanda du dedans ce que c'était. Cosseins répondit : « C'est de la part du roi. » A la voix de Cosseins, d'un ami, d'un protecteur, La- bonne ouvre. Cosseins se précipite sur lui et le poi- gnarde. Les arquebusiers de la garde et les Suisses du duc d'Anjou se pressent confusément. Les Suisses du roi de Navarre, se voyant trahis par Cosseins, re- culent-, l'un d'eux est tué. Ils tirent sur eux une se- conde porte, la porte de l'escalier. Cornaton, dont la chambre était au rez-de-chaussée, les encourage et les aide à barricader la porte, puis il monte chez l'a- miral.
Ce grand homme était hors de son lit. Il avait dis- tingué une sorte de tumulte. Il avait cru d'abord que c'était une émeute populaire. Il se revêtit d'une robe de cbambre et dit gravement : «Monsieur Merlin, faites-moi la prière. »>
A l'apparition de Cornaton tout indigné et déses-
284 HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
péré, Ambroise Paré s'écria : « Qu'y a-t-il , mon- sieur? — Il y a, dit Cornaton en s'adressant à l'ami- ral, que le Seigneur nous appelle à lui. » L'amiral, qui depuis trente^ ans vivait dans le péril extrême, dit sans le moindre trouble et d'un accent viril : « Cette fois, c'est ma mort. ,Ie ne la redoute pas, puisque je la reçois par Dieu et pour Dieu. Mes amis, je n'ai plus besoin de secours bumain , sauvez-vous
tous. ))
Us obéirent , escaladèrent le sommet de l'hôtel, et s'élancèrent par une fenêtre sur le toit. Merlin, qui était presque aveugle dès cette époque, trébu- cha dans un fenil où il enfonça au milieu du foin. Il ne bougea de là. Ambroise Paré, Cornaton et deux serviteurs de Coligny parvinrent à se frayer une is- sue. Plusieurs furent arquebuses. Coligny reprit sa prière. Il ne s'aperçut du dévouement obstiné de Muss qu'en le voyant refermer la porte sur tous. Le doux sourire de son maître récompensa sans doute le bon Allemand de son sacrifice.
Les meurtriers se poussaient comme à un assaut. Le premier qui entra fut Besme , un ancien page du duc de Guise. Il avait soulevé et renversé la porte avec un épieu qu'il avait trouvé dans la barricade improvisée par Cornaton. Le traître Cosseins suivait Besme. Il y avait avec eux Petrucci de Sienne, un des aventuriers du duc de Nevers, Sarlabous , un re- négat , autrefois un des capitaines de Coligny, Attin . le meilleur de ces mauvais, Tosinghi, un bandit ita- lien, et quelques autres.
Coligny était en robe de chambre, assis dans un
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fauteuil. Lorsque les meurtriers firent irruption, il interrompit sa prière et se leva lentement de son siège. Il leur parut, l'un d'eux l'a dit depuis, plus grand qu'un homme. Son attitude était d'une noblesse imposante et sa physionomie d'un calme subhme. Jamais à aucune époque de ses longues épreuves, il ne fut plus vénérable et plus magnanime.
Les assassins eurent une impression de respect, ou du moins d'étonnement, sous le regard assuré de ce héros des guerres civiles.
Besme, qui s'était chargé de le tuer, eut honte de sa faiblesse, et l'épieu au poing il s'avança : «N'es-tu pas l'amiral, dit-il? — Je le suis, répondit stoïque- ment Coligny. Jeune homme, je suis aussi un vieil- lard, un blessé: si c'est ma vie que tu veux, tu ne l'abrégeras guère. »
Besme , jurant pour se donner du cœur, et agitant son épieu, en poussa la pointe dans le ventre de l'a- miral qui, tout chancelant, et se sentant atteint non comme un soldat mais comme un sanglier, ne put retenir l'expression d'une rapide colère. Le gentil- homme cria en lui. « Encore, murmura-t-il, si c'était l'épée d'un cavalier, mais c'est l'épieu d'un goujat. » Puis, réprimant ce mouvement de la nature, et n'é- tant déjà plus de la terre , il s'abandonna saintement aux coups lourds de l'épieu de Besme et aux coups aigus de la dague de Petrucci.
Il expira entre les deux condottieri. Son suprême gémissement ne fut pas le plus douloureux. Ce gé- missement s'exhala d'une poitrine profonde qui, du- rant de longues vicissitudes, avait contenu autant de
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soupirs et, de sanglots (jue de respirations. Elle n'eut de relâche, et, pour ainsi dire de soulagement, que dans le dernier souffle.
Le Picard Attin, l'un des meurtriers pourtant, uu séide du ducd'Aumale, un partisan catholique accou- tumé aux scènes de violence de ces temps tragiques, ne put jamais onhlier Coligny. C'est lui qui "retraita plus tard avec une naïve admiration le courage de ce martyr. « De tous les hommes que j'ai vus , disait Attin, c'est celui qui a le moins craint la mort. » Hommage bien infinie, mais digne d'être transmis, puisqu'il manifeste l'amiral jusqu'à la fin.
Le duc de Guise cepenchmt avait pénétré à cheval dans la cour de Ihôtel, sous les fenêtres de Coligny, avec son oncle d'Aumale et le chevalier d'Angoulème. Tout bouillant d'impatience : « Besme , as-tu fini? criait-il d'en bas. — C'est fait, monseigneur. — Eh bien, prouve-le donc. M. d'Angoulème et le duc d'Au- male ne croiront que lorsqu'ils verront. Jette le corps par la fenêtre. »
Besme et Petrucci, les assassins actifs, aidés par Sarlabous, lancèrent celui qui fut Coligny, et qui, par une sorte de galvanisme des muscles, se retint un instant au balcon de fer.
Le pauvre cadavre étant tombé, M. de Guise et -M. d'Angoulème sautèrent de cheval et se baissèrent vers l'amiral, que l'épieu et la dague avaient inondé de sang à la face, u On ne peut discerner ses traits, dit M, de Guise, tant ils sont souillés et rougis. » Il saisit un mouchoir, les essuya et dit : u Je le cognoy, c'est luy-mème. » Et labourant rudement ce visage
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auguste du talon de sa botte éperonnée, il sortit de la cour à cheval, avec son escorte. QiK'lques-uns attri- buent ce dernier outrage au chevalier d'Angoulême. Pendant que s'accomplissait l'énorme forfait, que se passait-il au Louvre P Ecoutons le duc d'Anjou :
« Ôr, dit--il, après avoir reposé seulement deux heures, la nuict, alors que le jour commençoit à poindre, le roy, la royne ma mère et moy, allasmes au portail du Louvre joignant le jeu de paulme, en une chambre qui regarde sur la place de la Bassecourt, pour veoir le commencement de l'exécution 5 où nous ne fusmes pas longtemps, tandis que nous considérions les événements et la conséquence d'une si grande en- treprise, à laquelle, pour dire vray, nous n'avions jusques alors guères pensé, sans que nous entendis- mes à l'instant tirer un coup de j^islolet; et ne sçau- rois dire de quel endroict, ni s'il alteignist quelqu'un. Bien sçai-je que le son nous blessa tous trois si avant dans l'esprit, qu'il offença nos sens et nostre juge- ment, esperdus d'appréhension des grands désordres qui s'alloient lors commettre-, et pour y obvier, en- voyasmes soudainement et en toute diligence un gen- tilhomme vers M. de Guyse pour luy dire et expres- • sèment commander de nostre part qu'il se relirast à son logis et qu'il se gardast bien de rien entreprendre sur l'admirai , ce seul commandement faisant cesser tout le reste, parce qu'il avoit esté arresté qu'en au- cun lieu de la ville il ne s'entreprcndroit rien qu'au préalable l'admirai n'eust été tué. Mais tost après, le gentilhomme rebroussant, nous dict que M. de Guyse juy avoit resnondu que le commandement estoit venu
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trop lard , que l'admirai estoit mort , et qu'on corn- mençoit à exécuter par tout le reste de la ville. Ainsy retournasmes à nostre première délibération ; et peu après, nous laissasmes suivre le fil et le cours de l'exécution. »
Cette certitude de la mort de l'amiral, donnée par M. de Guise, de la selle de son cheval, aurait désespéré des consciences, mais il n'y avait au Louvre que des imaginations. Callierine et ses deux fils, le roi et le duc d'Anjou furent délivrés d'une grande terreur et saisis d'une nouvelle exaltation sanguinaire.
La reine mère avait ordonné , bien avant l'heure convenue, de sonner la cloche de Saint-Germain- l'Auxerrois, sa paroisse -, elle ordonna de sonner plus fort. C'était fixer les irrésolutions du roi, déchaîner ses instincts féroces et multiplier, étendre les égorge- menls. Rien ne démusela les meurtriers comme ce tocsin funèbre. Ils avaient trouvé leur musique. Ces volées d'airain pressées, haletantes, correspondaient aux convulsions des poitrines humaines et les force- liaient. Quand la cloche du palais ébranla de ses vibra- lions la tour de l'horloge et hurla le crime sur Paris il l'unisson de Saint-Germain-l'Auxerrois,^ la tuerie prit (les proporlio'^s *^lb'oyables.
LIVRE TRENTE-SEPTIEME
Les quartiers du massacre. — Passions déchaînées. — Égorgements d'étage en étage. — Mort de Téligny. — Favoris du duc d'Anjou.
— Mort du comte de La Rocliefoucauld. — • Mort de Guerclij'. — Mort de Moneins. — Mort du marquis de Rencl. — Bussy d'Am- Loise. — Les deux Lavardin. — Trois cents gentilsliommes péris- sent dans le quartier de Coligny. — Le Louvre. — Récit de la reine de Navarre. — Gervais de Francourt. — Cliarles Macrin.
— Le baron de Beauvoir. — Pardaillan. — Piles. — Jean Goujon. — Brion et le jeune marquis de Conli. — La famille royale contemple les cadavres des fenêtres. — Le Louvre en tu- multe. — Les seigneurs du faubourg Saint-Germain rament vers le roi. — Ils sont accueillis à coups d'arquebuse. — Charles tire sur les huguenots. — Néron et Domilien moins criminels que le roi de France.
Les points principaux de la boucherie furent d'a- bord ; depuis quatre heures du matin, la rue de Bé- Ihisy, les environs du Louvre -, le Louvre même et le 'reste de la ville, depuis cinq heures-, enfin, depuis sept heures , le faubourg Saint-Germain. Toutes les pas- sions éclatèrent dans cette cité aussi grande qu'un monde, toutes les passions ensemble, le fanatisme, la superstition, les haines secrètes, l'ardeur du pillage, l'amour de l'or, la soif du sang. C'était un tumulte immense comme un Océan, un tumulte de clameurs, de cloches, d'arquebuses, de ràlements et de lamen- tations. Chacun cherchait son ennemi, le découvrait, et le laissait roide sur le carreau ou sur le pavé, in. 25
290 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
De riiôtel de l'amiral le duc de Guise conduisit les troupes royales le long de la rue de Béthisy, puis à droite, à gauche, dans les ruelles et les carrefours jus- qu'au Louvre. C'était là qu'avait été parqué le groupe le plus nombreux de la noblesse protestante. Les deux autres groupes étaient l'un dans le Louvre, l'autre au faubourg Saint-Germain. Les calvinistes bourgeois et prolétaires étaient disséminés dans toute la ville.
On conçoit que le principal théâtre de la Saint- Barthélémy ait été le quartier du Louvre. Le duc de Guise, qui avait cà sa main et à sa botte les traces du sang de Cohgny , criait aux soldats et aux courtisans, soit de la garde du roi, soit de la garde du duc d'Anjou, soit de sa propre escorte, il criait d'une voix forte, en désignant de son épée nue les maisons : « Camarades, nous avons bien commencé; courage, à d'autres! le roi le commande! Le roi le commande, » répétait-il à chaque instant. Et les. sol- dats et les courtisans enfonçaient les portes , fouil- laient les maisons, daguaient, volaient des caves aux greniers. Les assassins poursuivaient d'étage en étage les malheureux protestants. Chaque maison avait son ruisseau de sang. Les uns étaient tués dans leurs lits, les autres sur les toits; les premiers étaient poignar- dés ou assommés, les seconds étaient arquebuses. (V. une estampe de la Saint-Barthélémy, cart. de M. Hennin.)
Téligny s'enfuit de degré en degré, puis par-des- sus les tuiles, dans un galetas de M. de Château - neuf. Les catholiques le surprirent là. Il était si beau et si fier sous sa confusioa d'être sans vêtements et
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sans armes, que les meurtriers n'eurent pas le cœur de frapper et s'en allèrent. L'un d'eux ayant raconté leur commisération à M. de Larchant, capitaine des gardes du duc d'Anjou : « Eh quoi! dit le familier de Monsieur, vous êtes donc des femmes? ^> Et il envoya des hommes qui égorgèrent le fugitif. Les officiers qui tiennent de près ou de loin au duc d'Anjou, ceux qui veulent réussir avec lui, ne s'adressent pas à de petits compagnons. Ils choisissent tout ce qu'il y a de plus éminent : Montesquieu frappe le prince de Condé à Jarnac-, Cosseins inaugure la Saint-Barthélémy en livrant l'amiral et Larchant la célèbre en sacrifiant sauvagement Téligny. Tout favori de Monsieur est un sicaire élégant et impitoyable.
La victime la plus illustre , après Coligny, fut le comte de La Rochefoucauld. C'était l'un des plus grands seigneurs du royaume. 11 était très-riche, très-brave, très-spirituel. Le tour original de son humeur, le bon goût de ses plaisanteries le ren- daient très-agréable. Il avait été avec le roi dans la soirée qui précéda le massacre. Charles eut presque envie de le sauver. Quand le comte prit congé de lu» très-tard, il lui dit : « Foucauld , c'est ainsi qu'il l'appelait, ne t'en va pas, nous balivernerons cette nuit. — Non, répondit le comte, il faut dormir et so coucher. — Tu coucheras au Louvre avec mes valets de chambre. — Cela ne se peut. Adieu, mon petit maître. » Charles n'insista plus.
Le comte, avant de partir, fit encore deux visites dans le Louvre, l'une chez la duchesse douairière do Condé, l'autre chez le roi de Navarre. Il alla ensuite
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avec deux de ses gentilshommes , MM. de Chamont et de Mergey, à son nouvel appartement qu'il ne connaissait pas et qui lui sembla fort mal meublé. MM. de Chamont et de Mergey lui proposèrent de ne le pas quitter, mais il ne retint que M. de Coulaines.
Les deux gentilshommes se rendirent à quelques pas de là , dans leur appartement qui avait été mar- qué comme celui du comte par les maréchaux des logis de Sa Majesté, près de l'hôtel de l'amiral de Coligny. Il n'y avait pas longtemps qu'ils étaient dans leurs draps, lorsqu'ils entendirent la cloche d'alarme et l'attaque par Cosseins de l'hôtel de l'amiral. Ils s'habillèrent à la hâte. L'amiral tué, ils virent M. de Guise à cheval qui allait de maison en maison, aux portes des sei- gneurs huguenots. Quelques gentilshommes de M. de Rambouillet, qui avaient présidé à cette sorte de ca- sernement des calvinistes, donnaient tous les rensei- gnements nécessaires au duc sur ces maisons proscrites et sur leurs habitants. Le duc de Guise, selon l'impor- tance des personnages, s'arrêtait ou passait. Devant la maison occupée par messieurs de Chamont et de Mergey, il y eut une halte et quelqu'un de la suite de M. de Guise dit : « Qui est logé là ? — Ce sont des serviteurs, » fut-il répondu et le duc alla plus loin.
Ce fut lui-même qui mena à la porte de M. de La Rochefoucauld celui qui , au refus de M. de Nançay, . se chargea d'assassiner le comte pour obtenir sa com- pagnie d'hommes d'armes. Le comte ouvrit sans mé- fiance aux meurtriers masqués. Il crut que c'était un jeu du roi dont le caprice était alors de fouetter, soit
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les filles d'honneur, soit les gentilshommes de son in- timité. Il s'imagina le reconnaître et le priait de le ménager dans cet amusement, lorsque le pauvre comte fut détrompé et renversé à grands coups de dague.
Guerchy, si cher à l'amiral et si dévoué, Guerchy qui avait tant souhaité de veiller avec ses amis à la sûreté du chef de la réforme, n'ayant plus que la res- ponsabilité de lui-même , s'était endormi sous le toit qui lui avait été assigné. II fut réveillé en sursaut par les arquebusiers de la garde. Il n'eut que le temps de s'élancer, de saisir un poignard et son manteau. Il enroula son manteau autour de son bras gauche, et, brandissant son poignard, il engagea seul contre une troupe grossissante un combat inégal, mais héroïque. A la fin il succomba comme il avait vécu, en soldat, admiré de ceux-là même qui l'écrasaient sous leur nombre.
François de Moneins, l'un des plus audacieux ca- pitaines du protestantisme, dur à lui-même et d'une sensibilité profonde sous son austérité, avait pleuré comme un fils en apprenant le crime de Maurevel. Il avait pieusement soigné Coligny. Il avait espéré en vain couvrir avec Guerchy de son épée le sanc- tuaire politique de leur parti, l'hôtel de Tamiral. Fervaques , un ardent catholique , mais un ami , essaya de le sauver. Il se jeta aux pieds du roi , sollicitant chaudement la grâce de Moneins. Dans l'éloquence et dans l'imprudence de son zèle , il révéla le lieu où le proscrit était caché. C'en fut assez. Fervaques demandait la vie -, il fut répondu
25.
294 HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
la mort à deux autres gentilshommes qui coururent exécuter cet arrêt.
Pendant cette affreuse nuit, Paris est un enfer. Lps crimes abondent. Quand on voudrait ne pas voir et se taire, il faut surmonter son horreur, regarder et parler.
Le marquis de Renel était frère du prince de Por- cien et cousin de Bussy d'Amboise.
On connaît Bussy, ce héros de femmes, ce héros d'une intrépidité organique, toujours prête, jamais déconcertée.
Que va-t-il faire, ce duelliste épique, au front hardi, au nez arrogant? Son portrait nous le dit aussi haut que les mémoires. Les yeux de Bussy sont perçants comme une pointe d'épée et ils ont les éclairs d'une lame nue. La vipère de l'ironie silïle sur ses lèvres insolentes et son menton se termine acéré comme un sarcasme ou comme un- stylet. Il est en procè? avec le marquis de Renel. Au premier tu- multe, en compagnie du fils du baron des Adrets, Bussy vole à l'appartement de son cousin-germain qui était en chemise et qui se disposait à fuir. Le spadassin de cour fond sur ce gentilhomme du môme sang que lui et verse ce sang. Il gagne ainsi son pro- cès, et les biens inmienses du marquis sont à lui. Son crime l'eni^ichit quelques années et le déshonore à jamais.
Charles de Beaumanoir de Lavardin avait été gou- verneur du roi de Navarre. Il avait paru avec son (ils auK noces de son ancien élève. Témoin et prophète des menées farouches de Paris contre les protestants,
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M. de Lavardin s'était réfugié chez un procureur au- quel il avoua ses craintes et qui le cacha. L'adroit lé- giste dépista plusieurs troupes d'assassins. Mais il vint à l'improviste des émissaires du Louvre qui dé- couvrirent M. de Lavardin et qui demandèrent bruta- lement au procureur ce qu'il attendait pour dépêcher cet hérétique. « J'attends, reprit le légiste, que je sois bien en colère. » I-es meurtriers s'emparèrent alors de M. de Lavardin et le chassèrent à la pointe de leurs armes jusqu'à la rivière où ils le noyèrent, à demi-mort déjà des blessures qu'il avait reçues pen- dant le trajet. M. de Lavardin fut le premier qui su- bit le double supplice du fer et de l'eau.
Son fils, qui avait été abrité dans le même asile, l'avait quitté pour un rendez-vous que lui avait donné sa maîtresse, la veuve d'un conseiller au parlement. Cette veuve était bonne catholique et dame de charité de sa paroisse. Elle ne fut point soupçonnée. Elle put sauver le jeune de Lavardin qu'elle retint plus d'une semaine et auquel l'amour fut propice au milieu de cette grande orgie de la haine et du meurtre.
Plus de trois cents gentilshommes périrent dans le quartier de Coligny, aux environs de Saint-Germain- l'Auxerrois. Indépendamment de ceux que nous avons nommés , les plus illustres furent Piouvray, Valavoir, Colombières, d'Astarac, de Pontbreton, do Peyne, de Pluviau, tous capitaines d'une bravoure éclatante et qui méritaient d'être frappés de l'épée sur le champ de bataille , au lieu d'être frappés du poignard dans leur lit , nobles victimes que la trahi- son seule vainquit et dont les paupières , à demi
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closes par le sommeil , ne s'ouvrirent plus qu'au delà des ombres de la mort.
Quelques-uns, très-peu, évitèrent les bourreaux, Ségur, Gramont, Mornay, Durfort de Duras, de Lons se dérobèrent aux plus ardentes recherches. Plusieurs se sauvaient par les tuiles des greniers , d'autres par les croisillons des tours, d'autres par les soupiraux des caves. Quand ils avaient gagné les rues , leurs pieds se mouillaient et se teignaient dans le sang de leurs amis, de leurs parents, de leurs frères d'armes.
Le sang coulait par petits torrents dans les rues. Tous les ruisseaux étaient rouges. Le sang inondait la ville et le Louvre.
Le Louvre fut le plus tragique théâtre de la Saint- Barthélémy. Là, le crime se centupla. Une famille royale y tuait sa noblesse et son peuple. Un roi , en- couragé par sa mère, par son frère, oui, un roi tuait ses sujets, un père ses enfants, un hôte ses hôtes.
Laissons parler la sœur de ce roi, Marguerite de Valois :
« Les huguenots me tenoient suspecte, parce
que j'estois catholique-, et les catholiques, parce que j'avois espousé le roy de Navarre qui estoit huguenot. De sorte que personne ne me disoil rien du guet-apens, jusques au soir (23 août) que j'estois au coucher de la rovne ma mère, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyois fort triste. La royne ma mère me dit que je m'en allasse coucher -, comme je faisois la révérence, ma sœur me prend par le bras et m'arreste et pleurant, me dit : « Mon Dieu, ma « sœur, n'y allez pas! » Ce qui m'effraya extrême^
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ment. La royne ma mère s'en aperceut , et appellant ma sœur, se courrouça fort à elle, et lui deffendit de me rien dire. Ma sœur luy dit qu'il n'y avoit point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme cela, et que, sans doute, s'ils découvroient quelque chose, ils se vengeroient de moy. La royne ma mère repond que, s'il plaisoit à Dieu, je n'aurois point de mal; mais quoy que ce fust, il falloit que j'allasse de peur de leur fayre soupçonner quelque chose.
« Je Yoyois bien qu'elles se contestoient, et n'en- tendois pas leurs paroles. Elle me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur, fon- dant en larmes, me dit : bonsoir, sans m'oser dire autre chose; et moy, je m'en allay toute transie et éperdue, sans me pouvoir imaginer ce que j'avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me mis à prier Dieu qu'il luy plust me prendre en sa pro- tection, et qu'il me gardast sans scavoir de quoy, ny de quy. Sur cela, le roy mon mary, qui s'estoit mis au lit, me manda que je m'en allasse coucher. Ce que je fis, et trouvay son ht entouré de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore; carily avoit peu de temps que j'estois mariée. Toute la nuict, ils ne firent que parler de l'accident qui estoit advenu à M. l'admirai , se resolvans, dès qu'il seroit jour, dé demander justice au roy de M. de Guyse, et que, si on ne la leur faisoit, ils se la feroient eux-mêmes. J'avois toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir, pour l'appréhension en laquelle elle m'avoit mise sans sçavoir de quoy. La
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nuict se passa de cette façon sans fermer l'œil. Au poinct du jour, le roy mon mary dit qu'il vouloit al- ler jouer à la paume , attendant que le roy Charles fust éveillé, se résolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre et tous ses gentils- hommes aussy....
« Moy, voyant qu'il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m'avoit dit fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu'elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon ayse. Une heure après, comme j'estois le plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la porte, et criant : « Navarre, Navarre! » Ma nourrice, pensant que ce fust le roy mon mary, court vistement à la porte. Ce fust un gentilhomme... qui avoit un coup d'épée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encore poursuivi de quatre archers qui entrèrent tous après luy en ma chambre. Luy, se voulant garantir, se jeta sur mon lict. Moy, sen- tant ces hommes qui me tenoient, je me jette à la ruelle et luy après moy, me tenant toujours à tra- vers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et ne sçavois s'il venoit là pour m'ofîenser, ou si les archers en vouloientà luy ou à moy. Nous criions tous deux, et estions aussy effrayés l'un que l'autre. Enfin Dieu voulust que M. de Nançay, capitaine des gardes, y vinst, qui me trouvant en cet es- tat-là, encore qu'il y eust de la compassion, ne se pust tenir de rire, et se courrouça fort aux archers de celte indiscrétion , les fist sortir et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je fis
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courber et panser dans mon cabinet jusques à tant qu'il fust (lu tout guéry. Et cbangeant de cbemise, parce qu'il m'avoit toute couverte de sang , M. de Nançay me conta ce qui se passeoit, et m'asseura que le roy mon mary estoit dans la cbambre du roy et qu'il n'auroit nul mal. Et me faysant jetter un man- teau de nuict sur moy, il m'emmena dans la cbambre de ma sœur madame de Lorraine où j'arrivay plus morte que vive, et entrant dans l'anticbambre, de la- quelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentil- homme nommé Bourses, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d'un coup de hallebardes à trois pas de moy. Je tombay de l'autre costé presque évanouie , entre les bras de M. de Nançay et pensois que ce coup nous eust percé tou^ deux. Et estant quelque peu remise, j'entray en la petite cbambre où couchait ma sœur.
« Comme j'estois là, M. de Miossans, premier gentilhomme du roy mon mary, et Armagnac, son premier valet de chambre, m'y vindrent trouver pour me prier de leur sauver la vie. Je m'allay jeter à genoux devant le roy et la royne ma mère pour les leur demander; ce qu'enfin ils m'accor- . dèrent. «
Voilà le Louvre.
Le sang rejaillissait partout ; les gentilshommes protestants étaient tués dans les antichambres, pour- suivis dans les cabinets, frappés sur les hts des prin- cesses.
On venait appeler les capitaines de la part du roi et on les immolait dans un corridor, dans une galerie,
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sur un degré, ou entre deux portes. Le château était tendu de pièges et de trappes.
Dans le Louvre, hors du Louvre, le mot d'ordre était un énorme mensonge qui servait de prétexte et d'excuse à tous les crimes. Les huguenots, disait-on, avaient conspiré la mort du roi, de la reine mère et de toute la famille royale. Aussi, ajoutait-on, n'en épargnons pas un.
Avec cette imposture on tuait , et ce qui valait mieux , on tuait en conscience. On ne pouvait jamais tuer assez.
Gervais de Francourt et Charles Macrin, l'un chan- celier de Navarre et l'autre précepteur de la princesse Catherine, fille de Jeanne d'Alhret, deux hommes éloignés par le rang, rapprochés par l'amitié, étaient venus de Béarn aux noces de Henri de Bourhon. Francourt était un jurisconsulte éminent , un grand orateur et il l'avait prouvé dans l'assemblée des états, aux applaudissements de Jeanne d'Alhret et de son peuple. Macrin était un savant philologue et un poëte distingué. Doués de talents si divers et d'un dévoue- ment égal à leur jeune maître , le roi de Navarre, ils eurent la même destinée et les mêmes assassins.
Un meurtre plus abominable encore fut celui du baron de Beauvoir. C'était un tacticien à la guerre, un sage au conseil, un théoricien incomparable dans les sciences militaires, et de plus un homme du monde accompli. Coligny, qui l'estimait et qui l'ai- mait, l'avait recommandé à Jeanne d'Alhret comme le meilleur guide qu'elle pût donner à son fils. La reine l'avait nommé gouverneur du prince de Béarn.
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Ce noble vieillard, malade et languissant depuis quel- ques mois, avait fait effort pour assister au mariage (le Henri et de Marguerite. Il était logé près de l'hô- tel de Coligny. Quand les bourreaux envahirent sa chambre, le baron de Beauvoir, devinant leurs inten- tions, leur dit : « Je suis si faible que je ne puis sortir de mon lit pour mourir debout ainsi qu'il convien- drait. Tuez-moi donc couché. Il y aura pour vous peu de peine et encore moins d'honneur. » Il lui fut ré- pondu par le poignard.
Les précautions des lâches persécuteurs étaient en proportion de la force et de la bravoure des proscrits. On avait souvent recours à des subterfuges qui trahis- saient l'anxiété des bourreaux.
Quand on voulut avoir Pardaillan, si attaché au roi de Navarre, et qui avait été convié avec Piles à se fixer au Louvre pendant quelques jours, on usa d'ar- tifice. Pardaillan était redouté des plus braves. Son épée n'était pas mieux trempée que son cœur. Que fit- on avec lui ? Un officier lui annonce que le roi le mande. Pardaillan suit l'officier jusqu'au vestibule de la cour du Louvre. Là, on se jette sur lui, on le dé- sarme et on le pousse dans la cour oii étaient les Suisses. Us le passent par les armes.
Piles eut le même sort. On a vu à l'œuvre le bril- lant défenseur de Saint-Jean-d'Angely. Il fut attiré aussi dans le terrible vestibule et dans le parvis du Louvre devenu comme un abattoir de héros. Piles, sansépée, sans dague ni poignard, se trouva soudaine- ment à la merci des massacreurs. Il les regarda d'un air intrépide , puis apercevant Charles IX à une fe- 111. 26
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nètre, il lui lança à la face, dans un cri suprême la malédiction d'un soldat. « 0 roi déloyal! » Piles, re- portant son attention autour de lui , et reconnaissant un gentilhomme catholique , il se dépouilla de son riche manteau, et le lui tendant : « Acceptez ce pré- sent de la main de Piles traîtreusement livré. » Le gentilhomme par pudeur dit has à Piles : a Je ne suis pas de ceux-là,» et par peur il refusa le manteau. Piles fléchit aussitôt percé de vingt piques, soit par les arquebusiers, soit par les Suisses. Ces étrangers, ces descendants de Guillaume Tell, les conquérants de la liberté chez eux, les instruments de la tyrannie chez les autres nations, accumulent chaque siècle sur leur nom une tache de honte et de sang que toute l'eau de leurs lacs, s'ils tardent encore, ne pourra plus effacer. Quand donc les Suisses ne combattront-ils plus que pour la Suisse ? Quand donc laveront-ils dans leur golfe d'Uri, le golfe sacré, les souillures de leur obéis- sance passive aux despotes qui les payent.^
Jamais sang plus généreux que celui de Piles ne fut versé. Charles devait épargner celui-là entre tous. Piles était un héros parmi les héros, il était le com- mensal et le familier du roi. Quelques jours aupara- vant, Charles nageait avec Piles vers l'île Louviers. Piles l'empêcha de sombrer, en le soutenant d'une main au-dessus du fleuve et en gagnant de l'autre la rive. Mort pour vie : telle fut la justice de Charles, telle fut sa reconnaissance.
Il est un homme, une autre victime, qui défie l'ou- bh. Cet homme, c'est Jean Goujon, l'ami de Germain Pilon, de Pierre Lescot etdeBuUant, Jean Goujon,
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l'auteur de la fontaine des Innocents , des cariatides •de la salle des cent Suisses, des saisons de l'hôtel de Carnavalet, des saisons parmi lesquelles la statue de l'hiver souffre du froid à glacer jusque dans les os les admirateurs de ce chef-d'œuvre.
Jean Goujon, ce restaurateur de la sculpture au seizième siècle, était, le Si août, sur un échafau- dage du Louvre, de ce château qu'il a tant illustré, et il taillait dans la pierre une de ces Renommées qui sonnent éternellement son nom à la postérité, lors- qu'il fut atteint d'une halle, soit des Suisses, soit des arquehusiers de la garde, soit plutôt d'un envieux, si l'on en croit la tradition. Il fut précipité , ce grand artiste , ce Phidias de la renaissance , avec les con- sciences les plus pures, les courages les plus fermes et les gloires les plus éclatantes de la France.
Honorons sa mémoire; car Jean Goujon est un héros du ciseau. Il mérite d'être pleuré à l'égal des héros de l'épée.
Le meurtre n'épargnait ni les vaillants, ni les en- fants, ni les femmes, ni les vieillards.
Brion, le gouverneur du marquis de Conti, Brion, que ses vertus rendaient encore plus sacré que son âge de quatre-vingts ans, visité par des scélérats en uniforme, appelle son élève, qui couchait près de lui. Le jeune marquis s'élance entre son maître et les bourreaux, il les supplie avec ses petites mains, puis il se suspend au cou de Brion, l'entoure de ses hras, le presse contre son cœur, demandant grâce pour ce père de son intelligence, qu'il aime autant qu'il le respecte. Brion se croit sauvé. Il se couvre de cette
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candeur, de cette tendresse comme d'un bouclier. Vaine espérance î Les bourreaux sont implacables. Us poignardent l'octogénaire , au risque de blesser l'adolescent, et les inondent tous deux de sang, la tête blanche et la tête blonde. Brion en meurt, le mar- quis de Gonti en est paralysé à jamais. Il sera pour toujours bègue, sourd, faible de corps et d'esprit, épuisé, dès la jeunesse, par l'horreur de ce crime.
« Ceux qui étaient dans le Louvre, dit un contem- porain, le roi leur faisait dire de sortir de l'apparte- ment et de descendre dans la cour oîi ils étaient tous massacrés. Les autres , tous ceux qui les accompa- gnaient, leurs valets de chambre, leurs maîtres dhô- tel et pédagogues criant à haute voix et implorant la miséricorde du roi, le sommant de ses promesses, étaient en sa présence jetés par les fenêtres , puis taillés en pièces par les Suisses. »
Le Louvre était un champ de carnage. Au milieu de ce château profané, qu'on se représente, si l'on peut, cette famille royale soûlée de supplices, sans en être assouvie, ces pâles Valois avec leur mère, allant de fenêtre en fenêtre, pour mieux se repaître de massa- cres, massacre dans le quartier de l'amiral, massacre dans le palais^ massacre au delà, dans la cité, et bientôt massacre au faubourg Saint-Germain. Le roi, le moins coupable peut-être, est le plus fou. Gette race de princes et de princesses corrompus recherche le spectacle des cadavres dans le château et hors du château. H y a des monceaux de ces cadavres par- tout, dans les cours et sur le quai. Des flatteurs de Catherine de Médicis ont traîné sous les vitraux de sa
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chambre, par un raffinement à son usage, les corps de plusieurs et entre autres le corps de Soubise.
Ce grand seigneur, encore jeune, avait un procès avec Catherine de Parthenay, sa femme , qui récla- mait le divorce pour cause d'impuissance de son mari. Soubise fut soustrait à l'ignominie de ce procès par la Saint-Barthélémy. Lui , à qui une femme immo- deste disputait le titre et la qualité d'homme, il se défendit mieux qu'un homme, à la manière de Guer- chy, en héros et en lion. 11 était percé de coups de pique, de dague et de poignard, tant la peur était lâche parmi les assaillants! La peur, en ce jour né- faste, tuait à blessures redoublées-, elle tuait, la peur, pour se délivrer de la peur.
La volupté se mêla au sang. Les plus grandes dames et les filles d'honneur de Catherine de Médicis, ces religieuses de Vénus, comme les appelle un chro- niqueur, allèrent en groupes, accompagnées de leurs amants , dans les vestibules, dans les cours, sur les seuils des chambres, entre les croisées du quai, et partout elles considérèrent d'un regard effronté ces corps demi-nus, riant, folâtrant de paroles, à la façon des héroïnes de Boccace, de Rabelais et de Bran- tôme. Celui qu'elles examinèrent le plus, ce fut Sou- bise, curieuses de deviner l'énigme du procès. Elles en firent après de bons contes. Les Valois furent plus que jamais hors de l'humanité-, et les femmes aussi , les plus illustres de France, plus que jamais furent hors de la pudeur.
Les plus malheureux des persécutés étaient sans doute le roi de Navarre et le prince de Condé. Orphe-
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lins de leurs gouverneurs , de leurs guides, de leurs amis, ils furent conduits rudement dans le cabinet de Charles IX. « Je ne veux qu'une religion dans mon État, » s'écria le roi. Et menant les 'princes à la fe- nêtre , leur montrant des monceaux de cadavres, il leur dit avec des jurements effroyables : « La mort nu la messe : choisissez. » Jeanne d'Albret et Coligny auraient choisi la mort. Le prince de Condé inclinait à cette résolution; mais Henri de Bourbon, dont la foi élaitlégère, et qui était plus propre à plier qu'à rompre , choisit la messe pour la vie, comme plus tard il devait la choisir pour le trône. Il contribua beaucoup par son exemple et par ses paroles à entraî- ner son cousin.
Le massacre continuait. Le duc de Montpensier, le duc de Nevers, le maréclud deTavannes, une foule de seigneurs couraient par la ville à cheval et l'épée à la main. Ils criaient tous comme le duc de Guise': u'Tuez, tuez, le roi le commande. » Et Tavannes ajoutait : « Saignez , la saignée est aussi bonne au mois d'août qu'au mois de mai. »
A sept heures du matin, on égorgeait depuis trois heures. La terre, l'eau, le ciel, «fumaient de sang et d'âmes, » selon la forte expression de l'un des pros- crits. Oui, on égorgeait depuis trois heures et par- tout, partout, excepté au faubourg Saint-Germain.
Le faubourg Saint-Germain n'était pas relié, comme aujourd'hui, au Louvre par des ponts. Il n'y avait que le pont des Meuniers fort éloigné du château. Marcel avait bien reçu l'ordre, la veille, un peu aviait minuit, de tenir mille hommes à la disposition de
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M. (le Maugiron que le commissaire du quartier devait diriger sur les maisons des seigneurs hugue- nots. Mais, soit négligence, insouciance, ou com- misération, l'expédition sauvage contre le faubourg n'avait pas été faite.
A six heures cependant, il y avait eu alerte. Un maquignon de la rue de Béthisy s'était évadé du cercle de fer. Il savait le meurtre commis sur l'amiral. Il était très-attaché à M. de La Force et il risqua tout pour l'avertir. Il se glissa entre les assassins jusqu'au Louvre où il espérait trouver un bateau. Mais presque tous ces bateaux avaient été amarrés à la rive gauche. Il n'y avait à la rive droite que les bateaux destinés à la traversée des assassins.
Le maquignon gagne les Tuileries où les mêmes dispositions avaient été prises. N'écoutant plus alors que son cœur pour ses coreligionnaires et pour M. de La Force, il ôte ses habits, les fixe sur sa tète et se précipitant dans la Seine, il la franchit à la nage. Piirvenu sur la rive cauche- il s'habille vite et vadioif. chez M. de La Force. Ce seigneur, instruit du grand attentat, l'annonce à son frère M. Geoffroy de Cau- niont et à tous les seigneurs protestants du faubourg Saint-Germain.
Ils étaient nombreux et de la plus haute distinc- tion. Il y avait entre autres, sans parler de MM. de Caumont et de La Force, MM. de LafTm, de Sé- gur, de Fontenay, le vidame de Chartres, le comte de Montgommery. Ils courent effarés à l'entrée du faubourg, du côté de la Seine. Les barques de la rive gauche y sont toutes et de plus beaucoup de barques
308 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
de la rive droite fortement nouées par des chaînes. On avait retiré de la rive droite tous les bateaux qui auraient pu servir aux victimes et l'on n'y avait con- servé que ceux dont les bourreaux auraient besoin pour passer au faubourg.
Les seigneurs ne comprirent pas cela d'abord.
Ils aperçurent le Louvre en tumulte, les Suisses, les soldats delà garde en mouvement, allant, venant, vociférant sous les armes. Était-ce un incendie, une émeute, un massacre? Le roi était-il le prisonnier ou le maître? Les seigneurs huguenots détachèrent avec beaucoup de peine quelques barques et s'y jetèrent, ramant vers le Louvre , afin de demander protection au roi, ou de le défendre selon la nécessité.
Leur incertitude ne fut pas longue. Il était alors près de sept heures, le dimanche matin (tl août).
On avait exterminé déjà durant trois heures. Le roi était entre les cris qui montaient vers lui de l'intérieur et de l'extérieur du palais, des cours et du quai. Charles n'en avait pas été touché un instant, il en était exaspéré.
Sur les sept heures du matin, il était à sa fenêtre, au moment où les seigneurs huguenots du faubourg Saint-Germain ramaient vers le Louvre, dans des in- tentions si fidèles. Tout à coup, sur l'ordre toujours le même de ce maniaque couronné, deux cents soldats de la garde sautent dans des barques réservées, s'ap- prochent des gentilshommes et les criblent de leur mousqueterie. Le roi regarde de sa fenêtre , puis soudain, comme enivré de poudre, comme saisi de vertige , s'empare de sa grande arquebuse , la dé-
LIVRE TRENTE-SEPTIÈME. 309
charge, la décharge encore, et toujours avec une nouvelle fureur sur les braves qui venaient généreu- sement à lui. On a puérilement dit, pour infirmer ce fait, que le balcon désigné par la légende populaire n'existait pas alors-, mais les Mémoires de V Estât de France, l'ouvrage accusateur, ne mentionnent pas un balcon, ils parlent des fenêtres de la chambre du roi. Brantôme et d'autres contemporains confirment ce témoignage. Le maréchal de Tessé prétendait avoir connu dans sa jeunesse un garde de Charles IX. Ce garde avait plus de cent ans. M. de Tessé lui ayant demandé si le roi avait tiré sur les huguenots. « C'est moi, monsieur, répondit le gentilhomme, qui char- geais son arquebuse. » Charles IX tempêtait, jurait et criait : « Tuez, tuez, mort-Dieu, ils s'enfuyent, tuez. » Et il tirait lui-même, donnant l'exemple à ses gardes.
Les seigneurs et les gentilshommes huguenots re- broussèrent chemin, regagnant la rive, puis se sau- vant les uns à pied , les autres à cheval , répandant l'alarme partout dans le faubourg Saint -Germain. Tous les protestants, qui y demeuraient, descen- daient précipitamment leurs escaliers, les uns bottés, les autres sans bottes ni éperons, à moitié vêtus, abandonnant tout ce qu'ils avaient de plus précieux. Les Suisses, les soldats et les bourgeois catholiques remplissaient peu à peu le faubourg, depuis la tour de Nesles , pillaient les maisons , frappaient de leurs dagues les femmes attardées et poursuivaient d'une grêle de balles les diligents qui gagnaient la cam- pagne par le pré aux Clercs.
310 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Néron, dit Tacite, détournait les yeux. 11 ordon- nait les attentats sans les contempler, Jussii sce- hra, lion spectavit; Domiticn les ordonnait etles con- templait. Plus atroce que Néron et que Domitien, Charles joignit l'action au spectacle et aux ordres du crime. Son bras, ses yeux et son âme furent égale- ment coupables. Le chasseur ne fut pas obligé de gagner la forêt. Il trouva son gibier dans son palais et autour de son palais dont les pierres ruisselaient de sang; la rivière aussi était rouge de sang, et, au delà de la rivière, les pavés étaient teints de sang. Charles tirait son arquebuse, excitait ses meutes de Suisses et de gardes, et son gibier, c'étaient des vierges, des femmes enceintes, des vieillards, des en- fants, des sujets, des Français, conliés à son sceptre!
LIVRE TUENTE-HUITIÈME
Les seigneurs logés au faubourg Saiul-Geruiain battent en relraile par le pré aux Clercs. — Le duc de Guise retardé à la porte Bussv,
— Il poursuit vainement les seigneurs jusqu'à Monlfort-l'Amaury.
— Il revient à Paris, où l'anarchie du massacre continue. — M. de La Force et ses enfants. — Le capitaine Martin. — Le comte de Coconas. — M. et madame de Larchant. — René Bianchi. — Crucé. — Stratagème de Sully écolier. — Ambroise Paré et la nourrice du roi épargnés. — Duras, Gramont, Gamaches. —
— Boucliavanes, — Cavagne et Briquemaut. — Le président La Place. — M. de Loménie. — Percot. — Mademoiselle d'Iverny.
— Mort de Ramus. — Mobilité du roi, de sa mère et de ses con- seillers. — Arrêt du parlement contre Coligny,
La troupe déterminée et ulcérée des seignetirs et des gentilshommes huguenots du faubourg Saint-Ger- main avait pour état-major le comte de Montgom- mery, le vidame de Chartres, MM. de Fontenay, de Caumont et de Ségur. Elle s'assembla tumultuaire- ment dans le pré aux Clercs, d'où elle fit sa retraite au galop accéléré. Cette retraite ne s'effectua que par miracle. Sans une méprise, les fugitifs auraient été mis en pièces. Le duc de Guise, le chevalier d'An- goulêiTie, le duc d'Aumale, avec une excellente cava- lerie, étaient, dès sept heures, à la porte Bussy qui joignait la ville au faubourg Saint-Germain. Le gar- dien de la porte, pressé trop vivement par le duc de Guise, se trompa de clef. Il lui fallut, après avoir vainement tourmenté la serrure, retourner chez lui.
312 ■ HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
Il rapporla cette fois la vraie clef et ouvrit la porte, mais un quart d'heure s'était consumé en ces retards, et ce quart d'heure donna de l'avance à l'escadron des proscrits. M. de Guise les poursuivit à fond de train jusqu'à Montfort-l'Amaury, Désespérant de les attein- dre, le duc revint à Paris où le carnage sévissait de plus en plus.
Le faubourg Saint-Germain était à son tour la proie des assassins.
M. de Caumont, avant de se réunir à ses amis, dans le pré aux Clercs, avait passé au logis de son frère, M. de La Force, pour l'aiguillonner. Déjà M. de La Force était à cheval avec son iils cadet ; mais Taîné , qui avait été malade et qui était encore convalescent, déclara qu'il était trop faible pour partir. M. de La Force ne voulut point l'abandonner. Il dit adieu à son frère, descendit de cheval, rentra dans sa maison et se réfugia dans sa chambre avec ses deux enfants.
« Soudain, dit le principal héros, et plus tard l'his- torien de cette aventure , la porte fut saisie par plu- sieurs soldats qui criaient puissamment : Ouvre, ouvre! avec beaucoup de blasphèmes. M. de La Force ordonna à une servante de la maison d'ouvrir, et se résolut d'attendre patiemment ce qu'il plairait à Dieu lui envoyer. La basse-cour se remplit aussitôt de soldats conduits par un capitaine nommé Martin, lesquels montent à la chambre et se mettent à crier : Tue, tue.
« La présence du sieur de La Force , qui était en prière avec ses deux enfants , ralentit un peu leur première fougue ; mais le dit capitaine ayant fait en-
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lever leurs épées les fit arranger en un coin de la chambre , disant au père : « Prie Dieu , si tu veux , « car il faut mourir! »
(( Le sieur de La Force lui répondit par ces paroles pleines de douceur et de constance : « Messieurs, « faites de moi ce que vous voudrez, aussi bien n'ai- « je plus guère de temps à vivre, mais ayez égard à « ces jeunes enfants qui n'ont offensé personne, et « à la mort desquels vous n'aurez pas grand acquêt. « J'ai moyen de vous donner une honnête rançon qui « vous sera plus profitable, »
M Ainsi, leur amollissant le cœur, tandis que leur capitaine entrait en accommodement , ses soldats se mirent à piller la maison , et ne trouvant point les clefs des coffres, parce que le valet du sieur de La Force s'était évadé avec la plus grande partie de ses gens, ils traînèrent les bahuts et les armoires au mi- lieu de la chambre et commencèrent à les enfoncer avec les chenets de la cheminée. Tout ce qu'il y avait , soit d'argent monnayé ou de vaisselle, meu- bles et habillements, fut pillé. Après quoi, ils repri- rent leurs premiers discours, criant avec blasphè- mes : « qu'il fallait mourir, et qu'ils avaient com- « mandement de tuer tout, sans rien épargner. » Mais Dieu , qui en avait ordonné autrement , fléchit tellement leurs cœurs par les bons discours que leur tenait incessamment le sieur de La Force , et ensuite par l'espérance de la rançon promise, qui était de deux mille écus, que le capitaine Martin leur dit en- fin : « Suivez-moi tous. »
« Et étant descendus dans la cour, avant que de m. 27
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sortir, il leur fait rompre leurs mouchoirs pour les mettre en croix sur leurs cliapeaux et bonnets, et retrousser la manclie du bras droit jusqu'au haut de rèpaule, ce qui était le signal donné à tous les mas- sacreurs. Il n'y avait alors que le père et les deux en- lants, leur page nommé La Yigerie, et leur valet de cliambre nommé Gast ; ce qui faisait cinq en tout. On les mena dans cet équipage le long de la rivière qu'ils traversèrent devant le Louvre. C'est alors qu'ils crurent bien qu'on allait les dépêcher; ils aperçu- rent quantité de ceux de la religion que l'on tuait et jetait dans la Seine, qui, en beaucoup d'endroits, était déjà rouge de sang. Néanmoins ils furt«iit en- core sauvés pour quelque temps-, car le capitaine Martin continua de les mener à son logis, et passant devant le Louvre , ils virent quantité de corps morts, entre autres celui du sieur de Piles. Étant arrivé dans sa maison, rue des Petits-Champs, le capitaine dit au sieur de La Force : « Quand me ferez-vous tou- « cher la rançon que vous m'avez promise? — Dans « deux jours, répondit le sieur de La Force. — Eh « bien, lui dit-il, cependant ne me donnez-vous « point votre foi et votre parole de ne bouger d'ici , (i ni vous, ni vos enfants? — Oui, repartit La Force, « je vous engage ma foi et ma parole que ni moi ni « mes enfants ne bougerons d'ici. »
« Ensuite le capitaine Martin les laissa à la garde de deux Suisses et sortit avec ses gens pour aller continuer le pillage et les cruautés.
« Le mardi , jour où l'on devait délivrer la rançon promise au capitaine, ajoute l'auteur des précieu.^
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mémoires, arriva le comte de Coconas avec quarante ou cinquante soldats suisses et français-, tous montè- rent au logis, et le comte commença à dire au sieur de La Force : « Je suis venu vous chercher par ordre K de Monsieur, frère du roi, qui a été averti que vous « êtes détenu prisonnier et veut parler à vous. »
« Son abord et sa contenance firent assez con- naître son dessein-, voyant comme ils voulaient se mettre dans un état phis décent et prendre leur cape, il ajouta « qu'il n'était besoin de tant de céré- K monie, mais qu'ils se hâtassent seulement de le « suivre. »
« Et les dépouillèrent de leurs manteaux, chapeaux et bonnets, de sorte (ju'ils jugèrent bien que c'était pour les faire mourir.
« Le sieur de La Force leur représenta qu'on ne les conduisait pas au Louvre , mais bien à la bou- cherie. Il se plaignit fort qu'on manquât ainsi à la parole qu'on lui avait ilonnée, assurant que l'argent qu'il avait promis pour sa rançon était prêt.
c( Il est à considérer que le plus jeune des deux en- fants, nommé Jacques Nompar, parlait incessamment, leur reprochant leur perfidie et consolait toujours son père-, il faut ajouter ici une particularité notable que je lui ai souvent ouï dire, c'est que, quoiqu'il vît bien qu'ils avaient le dessein de les tuer tous, il était ce- pendant fermement persuadé lui-même qu'il ne mour- rait point, ce qui était une inspiration venue du ciel.
« Coconas, ennuyé de ces discours, les fit sortir de la maison, ayant chacun deux hommes à leurs côtés; et voulant vérifier si son compte y était et n'en trou-
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vant que quatre, il demanda où était le cinquième, car ils avaient été menés là en pareil nombre. Or Gast, prévoyant leur méchante délibération, s'était allé ca- cher en haut dans le galetas ; mais ils le cherchèrent si bien qu'ils le trouvèrent, et menèrent alors à la tuerie.
« Le père marchait le premier, son fils aîné ensuite, et le cadet venait le dernier. Etant arrivés au fond de la rue des Petits-Champs, près le rempart, les soldats crièrent : « Tue ! tue 1 » On donne d'abord plusieurs coups de poignard à l'aîné des enfants, qui s'écrie en tombant : « Ah 1 mon Dieu, je suis mortl » Le père, se retournant vers son fils, est aussitôt percé de coups ; le plus jeune, couvert de sang, mais qui, par miracle, n'avait point été atteint, s'écria aussi, comme inspiré du ciel : « Je suis mort ! » Et en même temps il se laissa tomber entre son père et son frère, qui, bien que par terre, reçurent encore force coups, tandis que lui n'eut pas seulement la peau percée. Dieu le protégea si visiblement que , quoique les meurtriers les dépouillassent et les laissassent tout nus et sans chemise, ils ne reconnurent jamais qu'il y en avait un qui n'avait aucune blessure.
« Comme ils crurent les avoir achevés , ils se reti- rèrent en disant : « Les voilà bien tous trois ! »
(1 Si le corps du jeune de Caumont ne fut point frappé, son esprit fut en récompense cruellement agile, car on lui a ouï dire que son père avait demeuré longtemps à expirer, et qu'il l'entendit plusieurs fois sangloter. Quelle angoisse et quelle perplexité de se trouver entre un père et un frère massacrés, et dont
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les sanglots étaient autant de coups de poignard qui lui perçaient le cœur! et s'il considérait l'avenir, que devait -il en attendre? quelle espérance, selon le monde, devait-il concevoir? car quoique Dieu l'eût préservé jusque-là, il voit bien que sans un miracle aussi marqué que le premier, il ne peut se garantir de la furie enragée d'un peuple mutiné.
« Il demeura ainsi tout nu jusqu'à ce que, sur les quatre heures du soir, ceux des maisons voisines sor- tant, soit par curiosité, soit dans le désir de profiter de ce que les bourreaux pouvaient avoir négligé, s'ap- prochent pour visiter les corps. Un marqueur du jeu de paume de la rue Verdelet, voulant lui arracher un bas de toile qui lui était resté à la jambe, le retourne, car il avait le visage contre terre, et le voyant si jeune, s'écria : « Hélas! celui-ci n'est qu'un pauvre «enfant; n'est-ce pas grand dommage! quel mal « pouvait-il avoir fait ? »
« Ce qu'oyant le jeune de Caumont, il leva douce- ment la tête et lui dit tout bas : « Je ne suis pas mort ; « je vous prie, sauvez-moi la vie. »
« Mais soudain lui mettant la main sur la tête : « Ne bougez, dit-il, car ils sont encore là. » Ce qu'il fit. Et ledit homme, se promenant peu après, s'en revint à lui et lui dit : « Levez-vous, car ils s'en sont allés-, » et lui jette un méchant manteau sur les épaules, car il était tout nu ; et faisant semblant de le frapper, le fait marcher devant lui. « Qui menez-vous « donc là? demandèrent les voisins. — C'est mon « petit neveu qui est ivre, et que je frappe à bon es- « cient, >) répondit le marqueur.
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318 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIRUSE.
« Il le conduisit ainsi chez lui, passant devant plu- sieurs corps de garde, car il y en avait encore à tous les coins de rue , et le mena tout au haut de sa mai- son, dans une petite chambre où sa femme et son neveu se trouvaient : là il le fit cacher dans la paille de son lit. »
Après le départ du capitaine Martin, M. de La Force avait envoyé a l'Arsenal, auprès de madame de Bri- sambourg, sa belle-sœur et sœur du maréchal de Bi- ron. Le messager n'était autre que Gast, valet de chambre de M. de La Force. Gast donc raconta tout à madame de Brisambourg qui promit pour le mardi malin, 26 août, la rançon de deux mille écus.
Gast apporta cette nouvelle et, comme il leur était facile à tous de se sauver, Gast pressa M. de La Force de ne pas manquer l'occasion. Les Suisses eux-mêmes, gagnés par le valet de chambre et vaincus pur la pi- tié, se joignirent àGastpour supplier M. de La Force de s'évader, mais lui n'accepta pas cette offre de ses geôliers, alléguant sa parole de ne pas bouger don- née au capitaine Martin.
Son père et son frère morts, lui retiré chez le mar- queur, le jeune Caumontse concerta avec son libéra- teur, le soir du mardi 26 août, sur ce qu'il y aurait à faire le lendemain. « Vous me conduirez au Louvre, dit-il au marqueur, j'ai au château une sœur, ma- dame de Larchant, qui est dame de la reine. » Cette sœur était lille de madame; de La Force et de son premier mari, M. de La Châtaigneraie. Elle avait épousé M. de Larchant, capitaine des gardes du duc d'Anjou, le même qui avait fait assassiner Téligny.
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Le marqueur refusa. « Je n'oserai jamais vous me- ner lîi, dit-il; il y a trop de portes, de soldats à pas- ser. Quelqu'un vous reconnaîtrait et l'on nous tuerait tous deux. )»
Alors le jeune de La Force indi(iua TArsenal où ('•tait madame de Brisamhourg, sa tante, dont le frère, M. de Biron, grand maître de Tartillerie, saurait bien le mettre à l'abri derrière ses canons.
A cela le marqueur ne fit pas d'objection.
Le lendemain donc, dès la première aube, cet bomme miséricordieux conduisit Tentant à l'Arsenal. Madame de Brisambourg le présenta à son frère le maréchal en pleurant de joie. M, de Biron, pour plus de sûreté, fit donner un habit de ses pages au jeune Caumont et l'installa dans son propre cabinet.
Mais, malgré tant de précautions, la reine mère sut (|iie l'enfant était à l'Arsenal et, à la sollicitation de M. de Larchant, elle le fit demander à M. de Biron. Le maréchal répondit que le jeune de La Force n'é- tait point chez lui et qu'il n'en avait nulles nouvelles. En même temps , il le fit cacher dans la chambre de ses filles, entre deux lits , sous des vertugadins, pen- dant la visite du gentilhomme de la reine mère. Après la visite, le jeune Caumont fut réinstallé dans le ca- , binet du maréchal.
Il courut encore bien des dangers jusqu'à son ar- rivée au manoir de Castelnau de Mirandez chez sou oncle, M. de Caumont, où il fut définitivement sauvé.
Cet enfant devint le maréchal de La Force. Il épousa l'une des filles du maréchal de biron, l'une
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320 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
de ces charmantes filles dont les vertugadins l'avaient dérobé aux recherches perfides de Catherine de Mé- dicis. Il eut de sa femme dix garçons, ne la perdit qu'après cinquante-huit ans de mariage, sans qu'elle lui eût causé durant plus d'un demi-siècle une seule heure de chagrin. Lui-même, aimé de Henri IV, estimé de Richelieu, il vécut avec honneur quatre- vingt-treize ans, répée à la main pendant plus de soixante et toujours la Bible sous les yeux et dans le cœur. Entouré de fils et de petits-fils, adoré des paysans comme il l'avait été des soldats, il s'éteignit, avec sa foi entière, au château de La Force, dans les splendeurs du règne de Louis XIV, le 10 mai 16G2. Moi, qui retrace le grand et premier épisode de la vie du maréchal, j'ai pu constater, trois siècles après, combien les traditions s'enracinent vigoureu- sement dans les familles et les animent d'une sève de courage 1 Je descendais , le 27 février 184.8, d'un hôtel du faubourg Saint-Germain avec le vieux duc de La Force et un savant, pair de France ainsi que lui. Comme nous sortions de la porte cochère de riiùtel , nous nous rencontrâmes avec des hommes du peuple qui se groupaient autour des marchands de vin, les bras nus, armés de hallebardes, de fleu- rets et de sabres. Le savant disait : « Qu'allons-nous devenir? » Je lui répondis : w Vous ne serez plus pair de France. Voilà tout. — Certainement, reprit avec une gaieté héroïque le duc de La Force. Nous laisserons notre pairie sur le pavé. Est-ce donc la peine d'y penser? Il ne faut pas craindre les révolu- tions politiques-, ce sont des jeux-, il ne faut craindre
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que les révolutions sociales ou religieuses; car elles mènent aux boucheries. »
Je demande pardon au lecteur pour ce souvenir personnel et je continue.
Le maréchal écrivit à l'aurore du grand règne et au déclin de sa vie des mémoires dont la partie la plus intéressante est l'épisode de la Saint-Barthé- lémy.
Ce qui surprend, c'est que le maréchal n'ait pas sondé plus profondément le noir complot ourdi contre son père, contre ses frères et contre lui-même. Dans le vaste complot de la Saint-Barlhélemy, ce fut un autre complot.
M. de Larchant, capiîaine des gardes de Monsieur, avait épousé une sœur de mère des jeunes Caumont, mademoiselle de La Châtaigneraie. îl s'entendit avec sa femme pour faire disparaître dans cette tempête civile les trois La Force, afin de leur succéder. Le ciel déçut cet assassin de Téligny et sa femme déna- turée: il trompa leurs desseins sur la fortune des Caumont. Le plus jeune sauvé, ce ne fut pas M. de Larchant qui hérita des Caumont, ce fut l'enfant mi- raculeux devenu homme qui hérita de M. de Lar- chant. Le maréchal disculpe sa sœur et semble croire que le mari fut le seul coupable. Les contemporains sont moins indulgents. D'abord ils disent qu'elle était la maîtresse de M. de Larchant à l'époque de la Saint- Barthélémy. Elle ne fut sa femme que plus tard. Ils ajoutent que, poussée par son amant, ce fut elle qui alla redemander mais en vain son jeune frère à l'Ar- senal , pour en avoir soin , c'est-à-dire pour le livrer
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à M. de Larchant. Ce qui a gagné le maréchal, c'est que sa sœur, à qui M. de Larchant avait hiissé son bien, donna ce bien au maréchal, désormais le chet de la maison de Caumont-La Force. Ce sont là des coups de Dieu, mais le testament de madame de Lar- chant en faveur de son frère n'est pas une justifica- tion irréfragable, comme paraît l'insinuer le maré- chal. Elle put léguer par remords, autant que par tendresse, cette fortune que M. de Larchant avait accrue par les conlîscalions et teinte du sang des victimes.
Il est certain que, femme ou maîtresse alors, ma- demoiselle de La Châtaigneraie se fit l'instrument du capitaine des gardes de Monsieur. Il est certain que le duc d'Anjou et Catherine de Médicis, les protec- teurs de M. de Larchant, lui accordèrent leur agré- ment à l'affreuse expédition (ju'il organisa contre les Caumont. Son ami particulier, le comte de Coconas, lui offrit plus que son approbation-, il lui offrit son concours, et ce concours fut homicide.
Coconas est une des plus sinistres figures de la Saint-Barthélémy. C'était un patricien piémontais. Il était un peu ambitieux, un peu joueur, un peu dé- bauché, mais tout à fait cruel, cruel à fond. Nul homme ne fut plus féroce en aucune révolution. Il navait pas seulement le goût du sang qu'on ver- sait, mais du sang qu'il versait de ses propres mains. Les douleurs des proscrits étaient ses joies. Il n'ai- mait pas qu'à voir mourir, il aimait à voir souffrir. L'agonie avait encore pour lui plus de saveur que la mort. Et quelle agonie! non pas uniquement l'a-
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gnnie du rnrps; mais rien ne lecliarmail dans les tré- sors de sa liaine farouche comme l'agonie de l'âme. Il avoua en riant au duc d'Anjou, après la Saint-Bar- thélémy, qu'il avait acheté au peuple plus de trente huguenots pour s'en faire le tourmenteur. Il les me- naçait et les caressait, les ballollait entre la crainte et l'espérance, puis soudainement les frappait de ter- reur par un geste, une parole, une lame nue. Il les contraignait à renier leur religion pour se racheter. Les malheureux cédaient quelquefois et c'était le triomphe infernal de Coconas. Il se moquait d'eux, de leur simplicité, de leur apostasie, et les tuait à petits coups, lentement, avec des subtilités de ca- suiste, avec des raffinements d'inquisiteur, heureux de flétrir la conscience avant d'ôier la vie. Tels étaient les supplices, les tortures, inventés par Co- conas dans les replis de son noir génie italien. Mais Dieu, prenant pitié des victimes, leur envoya sans doute le repentir, sous les outrages et au milieu de l'endurcissement du hourrer.u.
Qu'on s'imagine, si l'on peut, la situation de Pa- ris. C'est un chaos sanglant. Les masses égorgent les masses , tandis que des scélérats se repaissent à l'é- cart de crimes individuels, plus eiïVoyables encore que les attentats publics.
Les pauvres proscrits échappés aux maisons se retrouvent face à face avec les assassins. Ils errent entre les dagues et les arquebuses. Ne sachant où fuir, ils fuient aux prisons , comme pour se mettre d'eux-mêmes sous la protection de la justice. Ils sont déçus dans ce dernier vœu. Los capitaines des quar-
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tiers en arrachent huits cents aux cachots et les dirigent en troupe vers !e bord de la rivière. Là, on les assomme avec des maillets, et quand ils sont à moitié morts on les achève en les noyant. Les huit cents sont frappés successivement et précipités.
Et pendant ces exécutions générales, il y en a do particulières.
René Bianchi, le parfumeur de Catherine de Mé- dicis, qui se vanta peut-être faussement d'avoir em- poisonné Jeanne d'Albret, n'eut pas besoin de se ca- lomnier pour se rendre odieux. Ses crimes, durant la Saint -Barthélémy , ne furent pas imaginaires. II émoussa plusieurs dagues à frapper les huguenots. Sous prétexte de sauver un riche joaillier qu'il appe- lait son meilleur ami, il l'attire chez lui. Le joaillier se confie, il s'est revêtu de ses plus pauvres habits qui recèlent ses diamants les plus précieux. Maître René accueille magnifiquement cet ami dont la gra- titude est sans limites. Bianchi sourit à toutes les im- pressions de la reconnaissance du joaillier, il le fait asseoir à sa table, et il l'égorgé, et il le vole, et il le charrie à la Seine.
La main de Dieu s'appesantira sur lui comme sur presque tous les assassins de ces jours effroyables. Ses deux fds seront pendus-, lui mourra sur une borne dans les affres de la misère, sa femme entre les murs et dans les ignominies d'un lupanar.
Crucé, un tireur d'or, égala le comte de Coconas el René Bianchi, s'il ne les surpassa point. « Je me souviens, dit M. de Thou, d'avoir vu bien des fois, mais toujours avec horreur, ce Crucé, homme d'une
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physionomie vraiment patibulaire, qui se vantait in- solemment, en montrant son bras nu, que ce bras avait égorgé, le 24 août, plus de quatre cents per- sonnes. »
Ce scélérat feignit même de prendre pour protes- tant un chanoine de Notre-Dame, Jean Rouillard, fort riche et très-bon catholique. Il le dépouilla d'abord de tout ce qu'il avait, puis il l'emmena prisonnier. Il le retint trois jours, l'abreuvant d'outrages, le privant de nourriture, s'acharnant sur le pauvre chanoine comme une bête fauve, après quoi il l'élouiïa, et le lança par une lucarne sur le pavé.
Ce ne fut pas le seul catholique immolé. Guillaume de Bertrand! , maître des requêtes , et Salcède , gou- verneur de Vie, furent assassinés, le dernier par les affîdés de M. de Guise. Ce lut une vengeance. Le ma- réchal Damville, MM. de Thoré et de Méru n'échap- pèrent que par l'absence menaçante de leur aîné, le maréchal de Montmorency. Le maréclial de Cossé eût infailliblement péri sans les sollicitudes de mademoi- selle de Rieux, sa cousine, maîtresse du duc d'Anjou. Le maréchal de Biron n'eût pas été épargné ailleurs qu'à l'Arsenal où il fit pointer trois coulevrines qui tinrent à distance les visiteurs. Mais, parmi ceux qui n'avaient pas les mêmes ressources que ces grands seigneurs, plusieurs furent sacrifiés comme Bertrandi et Salcède. La cupidité, pour se satisfaire, voyait au besoin des protestants même dans les catholiques. C'était être huguenot, dit un annaliste, que d'avoir, soit de l'argent, soit une charge, soit des terres long- temps convoitées.
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Il n'y eut pas cependant un grand nombre de vic- times catholiques. La tuerie avait assez affaire contre les protestants. Le massacre conserva son caractère, malgré quelques exceptions. Les catholiques étaient les tueurs, les protestants les tués.
Sully, qui devait être un si grand ministre, par un ' instinct précoce de diplomate et de politique, s'en alla de son hôtel au collège de Bourgogne, après avoir substitué sous son bras à sa Bible un livre d'Heures. On l'arrêta à plusieurs corps de garde. On examina le Hvre et on épargna , comme catholique , le jeune homme qui, au collège même, ne fut pas hors de tout risque. Là, deux prêtres, plus défiants que les soldats, voulaient l'immoler, disant que l'ordre était de tuer jusqu'aux enfants à la mamelle. Le principal le sauva. Mais ce qui l'avait sauvé, dans le trajet de son hôtel au collège , ce fut son stratagème, étonnant chez un si jeune écolier, qui aurait du être effrayé par le sang des rues , par le son des cloches et par le meurtre de son gouverneur Saint-Julien et de son valet de chambre.
Duras, Gramont et Gamaches obtinrent la vie d'un caprice du roi 5 sa nourrice et Ambroise Paré, son chi- rurgien, de son affection. Bouchavanes fut épargné; on lui tint compte soit de son indifférence, soit de sa trahison contre le protestantisme.
Cavagne et Briquemaut, réfugiés, l'un chez un ami, l'autre chez l'ambassadeur d'Angleterre, furent enfermés dans deux cachots.
Le président La Place, le sage historien, le philo- gophe spiritualiste , fut aKttu sur le chemin du
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Louvre où il était mandé, à la sollicitation de Neully, à qui on avait promis sa charge et qui avait soudoyé Senesçay, prévôt de l'hôtel, et Pezon, l'un des mas- sacreurs de la bande de Crucé.
M. de Loménie avait une belle terre à Versailles; le maréchal de Retz la convoitait depuis longtemps. Catherine lui octroya et la terre et le seigneur. Le maréchal de Retz envoie un de ses agents aux pri- sons. Cet agent , qui a ses instructions , demande à Loménie sa terre pour le maréchal. Loménie com- prend, cède sa terre. L'agent accepte la terre et la paye avec sa dague.
Percot , le profond jurisconsulte , dit stoïquement à ses assassins avant d'expirer : « C'est grand dom- mage que tant de crimes soient commis au tocsin du palais. Que la cloche du droit sonne ainsi contre le droit, cela sera châtié de Dieu. »
Une nièce du cardinal Rriçonnet , mademoiselle d'Iverny, qui prodiguait tout aux pauvres, jusqu'au pain de sa table quand elle avait vidé sa bourse , et qui, en donnant tout, croyait ne rien donner, la plus pieuse et la plus savante sainte du protestantisme, s'évadait en religieuse. Elle est soupçonnée à ses sou- liers de velours cramoisi, puis reconnue. On l'en- toure , on rappelle ses bienfaits , et , à cause de sa charité, on lui promet la vie si elle abjure. Chose simple et belle, elle refuse d'apostasier : « Plutôt le poignard,» dit-elle-, et elle est poignardée; elle est poignardée et jetée à la Seine. Ophéhe du martyre, elle n'est que blessée et elle n'enfonce pas. Elle flotte sur ces eaux propices qui la soulèvent, priant à leur
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surface. La foule ingrate s'impatiente, rugit, et les mains que mademoiselle d'iverny avait comblées d'aumônes lui rendent des cailloux pour son or et l'engouffrent sous une grêle de pierres.
Ramus, surveillé les deux premiers jours, le di- manche et le lundi , fut définitivement attaqué le mardi 26.
Pierre de La Ramée ou Ramus naquit en 151 o à Cutli, entre Noyon et Soissons. D'origine belge et noble, son grand-père s'était fait charbonnier, son père avait été laboureur, et lui-même domestique d'un élève riche du collège de Navarre. C'est dans cette condition servile qu'il étudia et qu'il prit ses degrés.
11 avait un esprit libre. Il se déclara tout de suite contre la scolastique et contre Aristote. Les péripa- télicibns devinrent ses ennemis mortels. Il tomba en Platon, comme il le dit lui-même, et il apprit avec bonheur la sagesse de Socrate. Il s'isola par un puis- sant effort individuel de la philosophie du moyen âge, et il fut en ce sens le précurseur de Descartes. Il fut à Descaries ce que le seizième siècle fut au dix-sep- tième, ce qu'un révolutionnaire est à un fondateur.
Son caractère propre et splendide, ce fut d'être un orateur. Il allumait tout au feu de sa parole. Sa grande originalité, c'est l'éloquence, et c'est ce qui explique sa popularité précoce et universelle. 11 avait la hardiesse de la pensée et l'électricité du discours. La chaire du collège de France fut sa tribune. « Là, selon la vive expression d'Estienne Pasquier, Ramus, en enseignant la jeunesse, estoit un homme d'Estat. »
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Rainus était connu et admiré de la cour de Henri U, de François II et de Charles IX. D'Ossat, depuis car- dinal, fut l'un de ses élèves. Le cardinal Charles de Lorraine était son Mécène-, le fameux comte de Mur- ray, le frère de Marie Stuart, fut son auditeur et son ami. L'amiral de Coligny, le cardinal de Chàtillon et le chancelier de L'Hôpital étaient les protecteurs de Ramus, dont la méthode, ce qui était rare alors, ne se payait pas de mots , mais s'appliquait aux idées et se légitimait en se faisant un instrument de philo- sophie.
Il s'était attiré beaucoup d'ennemis par ses bizar- reries, sa verve et sa science. Professeur au collège de France, il s'opposa à la réception de Charpentier, un fanatique intéressé, qui avait été chargé d'ensei- gner en grec les mathématiques, et qui ne savait ni les mathématiques ni le grec.
Ce Charpentier fut l'envieux de Ramus pendant vingt années.
Ramus était de haute taille, beau et d'une grâce sévère. Ce n'était pas un grand philosophe ni un grand écrivain , mais un grand professeur. Il avait l'inquiétude du seizième siècle et le don de la com- muniquer: il subordonnait tout à la raison. C'est le précurseur de Bacon, de Descartes, l'agitateur et l'un des plus glorieux ancêtres de la libre pensée. Il §e croyait protestant, mais il débordait le protestantisme.
Jean de Montluc, évèque de Valence, qui avait de- viné le massacre prochain des huguenots, eut l'inten- tion de sauver Ramus. U allait en Pologne disposer l'élection du duc d'Anjou , dont la candidature au
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trône était combattue par les seigneurs qui avaient embrassé , dans ce pays lointain , la cause de la réforme.
L'évêque de Valence, presque calviniste, était très- propre à persuader les gentilshommes mécontents. I! avait un double but en s'efforçant d'attacher Ramus à son ambassade. D'abord il enlèverait Ramus, qu'il aimait, à un danger imminent, et puis il sassurerait le concours d'un homme dont la parole était irrésis- tible. Ramus refusa obstinément. Au fond , il n'avait pas plus de confiance au duc d'Anjou que les sei- gneurs polonais, et il était absorbé dans ses habitudes sédentaires par le, charme fascinateur des arts libé- raux.
Tous les jours, même en hiver, il était à l'étude dès quatre heures du matin. Il travaillait jusrju'cà onze heures, il dînait ensuite sobrement, inspectait son collège de Presles, jouait une partie de paume ou se promenait jusqu'à la rue Saint-Denis. Il rentrait vers deux heures et reprenait le cours de ses pensées labo- rieuses jusqu'à six. Il avait toujours la plume à la main, même lorsqu'il lisait. Il soupait à sept heures, et il entremêlait ce repas de conversations.
Il préparait avec soin ses leçons du collège de France , notant les poses, les gestes, les inflexions, les accents qui enthousiasmaient son auditoire. Voihî ce qui le retint et voilà ce qui h perdit. L'évoque de Valence ne put vaincre ni la méfiance de Ramus contre le duc d'Anjou , ni la passion pour la science et pour les applaudissements qui enivrait le célèbre professeur. Jean de Monthio partit donc sans lui.
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Ce fut le malheur de Ramus d'être sourd aux aver- tissements de l'évêque de Valence. Un ennemi ter- rible le guettait comme une proie.
Cet ennemi, c'était Charpentier qui avait été rec- teur et qui était collègue de Ramus , malgré Ramus , au collège de France.
Charpentier était de plus capitaine de la milice et l'âme damnée des Guise. R se rua dans la Saint- Rarthélemy comme dans une vengeance. Après les aventures des deux premiers jours, il se replia sur le collège de Presles, à quelques pas de la place Mau- bert. Sans paraître, il désigna les labyrinthes du collège, et envoya contre Ramus, qui vivait là, des assassins payés par lui et commandés par un tail- leur et un sergent. C'était le 26 août. Les misérables forcèrent les portes, les firent garder par une partie de leur bande et fouillèrent la maison. Rs allèrent de salle en salle jusqu'au cinquième étage dans le cabi- net de travail de Ramus.
Le grand humaniste y était. R avait entendu les sicaires. R pressentit le crime qui allait s'exécuter. R s'était ployé à deux genoux et priait, lorsque les meurtriers parurent au seuil de sa retraite. R • se lève à leur aspect, leur parle, mais il s'aperçoit que son éloquence sera vaine cette fois. R com- prend qui est derrière les scélérats et qu'il est con- damné sans rémission. Il cesse de s'adresser à ces brutes et ne songe plus qu'à Dieu. « Seigneur, s'é- crie-t-il , je suis un pécheur, je mérite d'être châtié. Ayez pitié de moi et pardonnez à ces malheureux qui ne savent ce qu'ils font. » R avait à peine fini ,
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qu'il est frappé de deux balles et transpercé de part en part d'une épée. 11 cliancelle et s'afiaisse: les meurtriers le ramassent et, par la fenêtre, le pré- cipitent, de toit en toit, dans la cour. Là, des écoliers de l'Université, partisans d'Aristote, aident aux assas- sins , lient Ramus par les pieds à deux cordes et le traînent pantelant et respirant encore à la Seine. Il expire en chemin, sur les pavés. On lui coupe la tète, on laboure de coups de dague et on pousse dans la rivière ce cadavre. On le repêche près du pont Saint- Michel. On assouvit dans toutes les parties de ce tronc mutilé de nouvelles cruautés et on repousse une dernière fois à travers les flots ce je ne sais quoi qui fut Ramus, une âme supérieure, un génie ardent, une intelligence héroïque.
Lambin, professeur aussi au collège de France, mourut de l'horreur de cette mort et de la terreur que lui inspirait Charpentier, son ennemi comme ce- lui de Ramus.
Charpentier, lui, écrivait au cardinal de Lorraine :
« La France a vu au mois d'août dernier la plus douce et la plus belle des journées! »
C'est ainsi qu'il définit la Saint-Rarthélemy.
Ce fanatique atroce ne survécut pas loT>gtemps. il fut emporté par une fièvre brûlante en 157i, et son fils unique périt plus tard sur l'échafaud. Us attestè- rent ainsi la justice et la fatalité des versets du psal- miste : « Les pervers seront punis ; leur race sera retranchée. — Les hommes de sang n'atteindront pas le milieu de leurs jours. Viri sanguinum non dimi- diabunt dies siios, »
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Le massacre avait eu sa fougue, ses repos et ses recrudescences. II sévit d'une, affreuse ardeur d'abord dans la rue de Bélhisy et dans ce quartier condamné, puis au Louvre, puis au faubourg Saint-Germain, puis partout.
De l'assassinat de Coligny jusqu'à l'assassinat de Ramus, c'est-à-dire le 24, le 25 et le 26, cette tuerie eut des intermittences et des accès alternatifs, mais les accès plus longs que les intermittences.
Le roi tergiversa comme une girouette folle à tous les coups de vent. La reine mère, le duc d'Anjou et le conseil secret cbangeaient avec les mobilités de la peur qui les dominait et que leur perversité réalisait en crimes.
Pendant que le duc de Guise poursuivait encore Montgommery et les seigneurs du faubourg Saint- Germain , le dimancbe 24, à onze beures et demie, le prévôt des marcbands, se plaignant des meurtres, des pillages accomplis par les gardes de Sa Majesté , par les seigneurs de la cour, par les gens d'église et ])ar le peuple, obtint du roi Cbarles l'autorisation de monter à cheval, et de réprimer les désordres avec les troupes de la ville.
Le roi ne se contenta pas de cette autorisation. Il fit écrire à tous les gouverneurs de provinces que les Guise , dans leur querelle particulière avec les Chà- lillon , avaient été entraînés à massacrer les hugue- nots et avaient paralysé pour un temps le pouvoir royal assez occupé de se défendre dans le château du Louvre. Le roi ajoutait qu'il avait arrêté cette guerre intérieure et il recommandait aux gouverneurs de
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réprimer les troubles dans leurs provinces, comme lui à Paris. Les ambassadeurs reçurent les mêmes informations.
Le duc de Guise, à sa rentrée dans Paris, trouva les choses en cet état. Il démentit partout le roi, tantôt restreignant sa propre participation à la mort de Coli- gny et des partisans de Coligny, tantôt l'étendant selon les nécessités de sa prudence ou les besoins de sa popularité. Bien plus, s'il ne fit nulle merci à ses ennemis même ultramontains comme l'était Salcède, il sauva plusieurs protestant'^ qu'il gagna ainsi à sa personne, d'Acier, par exemple, un monument vi- vant de sa clémence.
Cette politique ambiguë des Guise kejetait la plus grande part d'odieux sur le roi, sans nuire au duc de Guise auprès du clergé et des catholiques. La reine mère, le conseil secret et Charles IX en furent irrités.
Plusieurs circonstances, une entre autres, prê- taient à un revirement de la politique modérée du roi.
Le dimanche 24 août, dans l'après-midi, le bruit se répandit tout à coup qu'une aubépine avait flf-uri au cimetière des Innocents. Ce n'était pas certes un prodige au mois d'août, mais on cria au pro- dige. Les confréries dirent par mille voix que le ciel parlait, qu'il avait pour agréable le massacre des protestants. Chacun arrache une branche de l'arbuste miraculeux. Le roi , les trois reines : Catherine , Isa- belle et Marguerite, les princes, toute la cour, allè- rent au cimetière et accrurent par cette démarche la superstition de tous.
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La fureur de la multitude recommença, malgré les tentatives de répression essayées par le prévôt des marchands et par les échevins. Le massacre sévit le dimanche soir 24 et le lundi 25.
Ce jour-là, le conseil secret reprit le mot primitif de la Saint-Barthélémy : une grande conspiration des huguenots. On dépêcha en Allemagne, en Angleterre, des courriers pour annoncer cette nouvelle.
Le mardi 26 août, Charles IX assumait tout sur lui; il n'avait fait que se défendre. Coligny avait conspiré contre toute la famille royale, même contre le roi de Navarre. Il voulait se faire roi lui-même, cet ambi- tieux amiral. La découverte de cette trahison avait commandé à Charles l'emploi des moyens extrêmes. Voilà ce que le roi dit aux ambassadeurs étrangers, ce qu'il écrivit aux gouverneurs de provinces. Il ex- pédia promptement à ces derniers des agents pour les pousser aux rigueurs. « Faites pendre Montgomrnery, mandait- il au maréchal de Matignon, en Norman- die ; mais que l'on ne scache pas que je vous en ay escript. »
Quelle instabilité abominable ! et jusqu'où la royauté était descendue !
Catherine ne voulut, dit-elle, dans les premiers moments que six tètes. Et en voilà trente mille qui tomberont dans le massacre, plus de trente mille peut- être. Mais qu'importe ? Il faut étouffer une quatrième guerre civile, et l'étouffer dans le sang de tout un parti. Bêtise du crime égale à sa perversité ! On tue des hommes, on ne tue pas une idée; la reine mère réprouvera bien. Les di(ïicultés renaîtront cent fuis
336 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
plus terribles et toute sa race périra dans les lilels où elle l'aura enveloppée. Beaucoup de protestants sombreront dans ce vaste abîme de la Saint-Barthé- lémy, mais le protestantisme survivra.
Le massacre cependant continuait, le mardi 26, lorsque le roi vint au parlement. Il continuait si bien, le massacre , que Charles , ayant remarqué de l'agi- tation près de son cortège, demanda ce que c'était. « C'est un protestant que l'on dague, répondit-on. — Que n'est-ce le dernier ? » répliqua ce maniaque effaré. Puis il entra au parlement, oii il dénonça la haute trahison de Coligny. Il osa demander jus- tice. Alors Christophe deThou, le premier président - un modéré , un homme qui admirait Coligny dans son cœur, eut l'insigne faiblesse de louer l'équité du roi. Il prononça un discours « accommodé au temps, « dit son lils l'historien, avec le sentiment poignant, sous cette apparente banalité, de la honte paternelle.
Et non-seulement le premier président commit ce lâche discours, mais le parlement commit un plus lâche arrêt, condamnant Coligny , ce juste, comme criminel de lèse-majesté.
« Que ses biens soient conhsqués et que son nom soit flétri à jamais! Que son corps soit traîné sur une claie dans la boue de Paris, de la Conciergerie à la Grève-, qu'il y soit pendu, et qu'il soit de nouveau pendu à iMontfaucon 1 Que ses armoiries soient atta- chées à la queue des chevaux et balaient la fange des principales villes du royaume 1 Que ses statues soient brisées et ses portraits lacérés par les mains du bourreau!
LIVRE TRENTE-IiriTlÈME. 337
« Que les arbres du parc de Chàtillon soient coupés par le milieu.
« Que le château soit rasé et l'emplacement du château semé de sel-, que sur cet emplacement s'é- lève une colonne d'infamie, et que cette colonne- porte une plaque de cuivre où soit gravé l'arrêt du parlement.
« Que les enfants de ce coupable soient dégradés de noblesse et destitués du droit de posséder, d'héri- ter et de tester. — Enfin , qu'une procession solen- nelle atteste chaque année, devant Dieu et devant les hommes, la reconnaissance publique envers le roi de la Saint-Barthélémy. »
Voilà pourtant le jugement que des poltrons et des scélérats en robes rouges prononcèrent sur Co- ligny !
Son supplice surpassa tous les supplices, comme si le héros, qui avait été le plus avant dans la gloire, devait être aussi le plus avant dans le martyre.
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LIVRE TRENTE-NEUVIEME
Torlures exercées sur le cadavre de l'amiral. — Feirucci lui coupe la lête et la porte à la reine mère. — Le tronc informe de Coligny traîné sur la claie, à travers Paris, pendant trois jours. — Pendu par les pieds au gibet de Monllaucon. — Outragé par la populace» et par le roi. — Fuite de madame l'amirale. — Les plus jeunes enfants de Coligny arrêtés. — Leur station forcée devant le gibet de leur père. — Le maréchal de Montmorency recueille les restes de l'amiral. — Il les dépose h Chantilly, puis à Chàtillon. — Mé- moires brûlés par Retz. — Grandeur morale de Coligny. — Ses portraits. — Les deu\ races qui l'ont immolé périront l'une par l'autre.
Nous avons laissé l'amiral couché sans vie dans sa cour, au moment où s'éloignait le duc de Guise.
Petrucci de Sienne , l'im des Italiens du duc de Nevers, futle pi-emier qui s'approcha de Coligny. Ce Petrucci, qui avait été le coopérateur de Besme dans l'assassinat, trancha la tète de l'amiral, l'enveloppa dans une écharpe et la porta au Louvre. Il la déposa aux pieds de la reine mère. La fit-elle emhaumer et l'envoya-t-elle à Uome? Le fait est incertain.
Après le départ de Petrucci , quelques gentils- hommes et bourgeois , puis beaucoup de peuple en- vahirent l'hôtel de l'amiral. Cet hôtel était ravagé. Il avait été pillé par les gardes de Cosseins et par les Suisses. Les papiers seuls avaient été réservés pour la reine mère, lettres de famille, lettres delà femme, de la lille ainée, du gendre de Coligny, lettres politiques
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et mémoires personnels de l'amiral sur les grands événements de son temps.
La loule s'accrut peu à peu dans la cour auprès de ce pauvre tronc. « Ainsi, dit un historien de ce ter- rible siècle, au désert de Barbarie, les plus vils animaux se pressent autour d'un grand lion mort, » Chacun voulut donner son coup au héros décapité. Coup de poignard , coup de dague , coup de cou- teau. Ce corps fut bientôt épuisé de sang. Les uns les autres s'enhardissaient. On fit de ce héros un eu- nu(|ue. On dépeça honteusement des lambeaux de sa chair, on se les partagea, on les arbora aux piques. On arracha tous les ongles des pieds de Coligny, tous les ongles de ses mains, on le promena dans Paris, sur une claie, à travers les ordures des rues, pendant qu'on égorgeait les huguenots, afin de le rendre partout témoin du massacre. Il erra ainsi, au gré des passions brutales et féroces de la populace, le dimanche, le lundi, le mardi. Il fut un spectacle de dérision. Il servit de jouet aux hommes, puis aux femmes, puis aux enfants. Il allait être précipité à la Seine, lorsque ses bourreaux le reprirent et le portè- rent à Montfaucon.
Montfaucon était alors un lieu d'ignominie, le der- nier pilori du crime, un pilori de cadavres. Cette éminence dévastée, habitée par des spectres, et où les crânes humains roulaient sur le sol comme les galets sur une grève, est située entre le faubourg du Temple et le faubourg Saint-Martin. Il y avait là un so- lide massif de maçonnerie, surmonté de treize piliers bâtis avec d'énormes pierres. Ces piliers tachés do
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sang soutenaient des pièces de bois boulonnées de chaînes de fer où l'on pendait , soit les condamnés, soit les cadavres.
Le jour, la vue de plus de cinquante corps mutilés, les uns corrompus , les autres desséchés , navrait l'àme-, la nuit, le bruit des chaînes, que le vent agi- tait contre ces piUers funèbres, remplissait l'imagina- tion d'apparitions horribles , d'émotions lugubres et de terreurs infinies.
C'est sous l'ombre gigantesque et sinistre de ce gibet que fut déposé le tronc méconnaissable de Coli- gny. On le hissa sur l'une des pièces de bois du mas- sif. On l'y tourna, on l'y retourna. On l'abandonna tout un jour couché en travers sur ce soliveau, comme Louis de Condé l'avait été sur une ànesse, lorsque, après Jarnac, on l'amena mort au duc d'Anjou.
Quels martyrs furent abreuvés de plus d'outrages que les chefs du protestantisme en France ? Coligny surtout est incomparable dans l'abjection imméritée, comme il l'avait été dans l'admiration équitable des hommes. Sous la poutre du gibet, les insultes redou- blent à ce qui fut le grand Coligny et à ce qui n'est même plus un cadavre. On lance à ce tronc des balles, soit de pistolet, soit d'arquebuse, des silex, de la boue et jusqu'à des crânes hideux. Quand on le détache, c'est pour le pendre, par les pieds, à l'une des chaînes de fer. Alors on allume du feu au-dessous de lui ; on le grille, on ne le consume pas. Il demeure assez de tronc pour des tortures toujours nouvelles. Le peuple est le bourreau multiple de ce grand homme. Il va au gibet de l'amiral comme à une fête.
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Le roi fut jaloux du peuple. Dans cette ivresse (lu crime où l'avait plongé sa mère, il voulut aller à son tour à Montfaucon. Il y alla donc avec un nom- breux cortège de courtisans pour voir le cadavre, moins que le cadavre de celui qu'il avait serré à deux bras contre sa poitrine, de celui qu'il avait appelé son père, qu'il avait reçu sous sa sauvegarde et qu'il avait trahi. Le roi s'étant approché du corps défiguré et tombé en putréfaction, les courtisans portèrent vi- vement leurs mouchoirs à leurs narines, afin de se ga- rantir du mauvais air. Mais Charles IX les en reprit et dit : « Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon . » Mot atroce prononcé une première fois par Vitellius et répété sans plagiat, quinze siècles après Yitellius; par Charles IX!
On eut la barbarie d'amener à Montfaucon tout ce qu'on put enlever de la famille de l'amiral. Il avait cinq enfiints de sa première femme, trois fils qu'il avait nommés lui-même : François, du nom de Châ- tillon-, Gaspard, le second, du nom de d'Andelot, et Charles, le troisième, du nom de La Bretesche. 11 avait deux filles, dont l'aînée avait épousé Téhgny. Sa seconde femme, Jacqueline d'Antremont, était enceinte.
D'Andelot, le frère de Coligny, avait été marié deux fois. Il avait eu de sa première femme, Claude de Rieux , deux fils et une fille : Guy de Coligny, comte de Laval, François de Rieux et Marguerite de Coligny. De sa seconde femme, Anne de Salm, d'An- delot avait eu François, puis Benjamin de Coligny et Anne de Coligny.
29.
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A la mort de son iVère, Tamiral avait adopté les quatre fils de dAndelot qu'il faisait élever avec les siens, afin, disait-il, que l'amitié qui avait uni les pères unît les enfants.
Cette double famille était k Chàtillon sous un pré- cepteur de beaucoup de mérite qui s'appelait La Gresle.
M. de Nançay, capitaine des gardes, fut cbargé de faire prisonniers les enfants et la veuve de Coligny. Il investit le château de Chàtillon. Mais, à la nouvelle du meurtre de son mari, madame l'amirale était par- tie avec l'aîné des Coligny, avec le comte de Laval, fils ded'Andelot, et madame de Téligny. Il ne restait au château que les plus jeunes enfants. M. de Nançay les conduisit à Paris. Un des gardes eut la cruauté de les arrêter devant Montfaucon, en leur désignant, pour l'exemple, le tronc informe, qui, disait-il, était l'amiral. Les pauvres petits fondirent en larmes, écla- tèrent en sanglots. Un seul d'entre eux demeura stoï- quement en contemplation devant le grand hommti qui fut son père. On comprit, à la physionomie pieu- sement respectueuse du brave enfant, que l'amirrd lui apparaissait plus majestueusement encore qua dans la famille, comme si un nimbe d'or eût cou- ronné le gibet du héros.
Ces innocents et faibles enfants de Cohgny et de d'Andelot auraient été sacrifiés, malgré leur âge, sans la protection active du maréchal de Montmo- rency dont l'absence armée avait déjà préservé ses trois frères.
Chef de sa puissante maison , considéré et craint
LIVRE TRENTE-NEUVIÈME. 343
tle la cour, le maréchal de Montmorency avait une bonne garnison dans son château do Chantilly, dont il avait fait une forteresse formidable. Il Tavait hé- rissé de canons et il ne se fiait sur personne du soin de le surveiller. Il avait l'œil à tout. Il était désespéré des forfaits de Paris, surtout de la mort de son meilleur ami, l'amiral, un cousin germain qui était un frère pour lui. Le maréchal était en deuil. Sa douleur . son orgueil de race , son culte pour un tel capitaine si tragiquement immolé , ne lui permettaient ni le repos du jour, ni le sommeil de la nuit.
Il résolut de conquérir sur Montfaucon, sur la po- pulace et sur la cour ce grand amiral de Coligny. Il organisa une expédition de ses gens commandée par l'un de ses gentilhommes. Ces domestiques du maré- chal se glissèrent pendant les ténèbres jusqu'au mas- sif de Montfaucon. Ils délièrent du gibet le pauvre cadavre et le transportèrent à Chantilly. Le maré- chal, tout vêtu de noir, la tète découverte, pâle et désolé, reçut aux flambeaux, sous son toit, ces dépouilles. Il les ensevelit dans un cercueil de plomb qu'il enfouit , non dans la chapelle , mais dans un caveau écarté , à l'abri de toute nouvelle profa- nation.
Ce ne fut que plusieurs années après , en 1576, époque oii Coligny fut réhabilité, que le maréchal de Montmorency transféra dans un autre cercueil de deux pieds de long sur un pied de large le peu qui n'était pas anéanti de l'amiral. Ce peu consistait en sept os dont l'un retenait encore une balle. Destinée
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enviable que celle-là, enviable entre toutes. Une àme en Dieu, à des profondeurs délicieuses, dans les enchantements de Tinfini , et cette àme planant, du haut de son bonheur éternel , sur cet espace imper- ceptible 011 sa chair fut semée par lambeaux dans la fange des rues , et où ses os sont conservés dans sa maison terrestre. Car le maréchal qui avait re- cueilli ces os sacrés les restitua au château de Chà- tillon-sur-Loing, oiî les ruines de granit couvrent de leur ombre intérieure les ruines humaines, les restes de Coligny. Pauvres chers restes usés dans l'héroïsme ou dans le martyre et qui honorent à jamais le vieux donjon féodal , la vallée , la rivière , Thorizon mélan- colique de cette partie du Câlinais, berceau, de- meure et tombeau de l'amiral. Restes vénérables d'os et de pierres , reliquaire et tour, devant lesquels le voyageur s'agenouille dans la poussière, pleure et prie !
Coligny n'a été qu'effleuré, soit par la poésie, soit par la biographie , soit par la politique. Plus il sera sondé avant, plus il sera célébré. C'est un des plus vrais grands hommes qui aient passé sur cette terre.
Que trouva-t-on dans ses papiers P
Sa fidélité au roi, même contre le duc d'Alençon, un de ses instruments. Il conseillait de priver le prince d'un apanage, afin de ne le pas faire trop puissant sur les marches du trône.
Que trouva-t-on encore?
Son patriotisme à la France contre l'Angleterre, qu'il ne voulait pas maîtresse en Flandre.
Il était propre à tout, à la plume comme à l'épée.
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Supérieur à tous comme homme complet, il est au moins Tégal de M. de La Noue comme écrivain. Qu'on lise ses lettres, les lettres de l'amiral, sa relation du siège de Saint-Quentin, son testament, la plus belle page peut-être qu'un cœur et qu'une main d'homme aient tracée. Il y dit sans effort et sans emphase ces belles paroles : « En ma foy je veux vivre et mourir quand il plaira à Dieu, etm'estimerébien heureux s'il fault pour cela pàtir. » Il dit encore : « Je supply Dieu qu'il veuille avoir pour aggréable la bénédiction que je leur donne (à quatre de ses amis, et il les nomme : le cardinal deChàtillon, son frère, MM. de La Rochefoucauld , de La Noue et de Saragosse). Je supply Dieu qu'ils emploient, en luy servant , pros- pèrement leurs jours. Et quant à moy, qu'il daigne recevoir mon âme pour la faire participante de la vie éternelle , attendant la résurrection qui réunira les corps et les âmes en incorruption et immortalité. »
Coligny, selon tous les contemporains, avait com- posé des mémoires inappréciables sur la guerre civile. Il y racontait, à la manière antique, les grandes choses qu'il avait faites. Ce fut le maréchal de Retz qui brûla ces mémoires, pour lesquels il redoutait le respect de Charles IX. Rasse jalousie bien digne de Retz, mais inexprimablement messéante de la part du der- nier des hommes envers le premier !
Quand je songe à tout ce qu'était Coligny lorsque le monde le perdit, je suis si touché de la douleur de ses amis , de sa veuve , de ses enfants , de toute la France protestante et libérale , je suis si affligé de ce grand crime qui consterna l'Europe civilisée, et
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dont l'Europe barbare seule se réjouit, que les trois siècles de distance qui m'en séparent disparaissent. Je revois le plus grand des hommes étendu sanglant dans sa cour ^ je vois son hôtel de Paris violé par des traîtres, son foyer de Chàtillon déserté par les siens et ravagé par des sicaires en écharpes et en croix blanches. Il n'y a plus trois siècles, il y a trois semaines, trois minutes. L'impression est telle, que mes angoisses d'esprit, mes angoisses intimes, je les dépose un moment pour ne plus sentir que cette cala mité puhlique, la mort de Coligny, de ce citoyen, de cet homme d'Etat, de ce général qui brûlait dtj dépenser tous ses génies à grandir la France, à abais- ser l'Eï^pagne, à doter les peuples d'un bien pour lequel nous luttons toujours: la liberté de conscience. Bien si précieux que tous ceux qui s'y vouent, à quel- que degré que ce soit, en seront sanctifiés ! Bien ines- timable, le bien des biens, et pour lequel aucun homme vivant ou mort n'a tant travaillé ni tant souf- fert que l'amiral !
Voilà sa part, son apothéose devant la postérité. Coligny n'a peut-être pas de pair parmi les héros. Aucun n'a mieux vécu, n'est mieux mort, n'a plus tenté, plus voulu, plus persévéré. Henri IV dans ses meilleurs édils, Bichelieu dans sa plus vaste politique étrangère, n'ont fait que le continuer. Les apôtres des progrès futurs, philosophes ou théolo- giens, ne le dé[)asseront point. Son zèle, comme l'amour, prodiguait tout, Liens et vie, sans rien retenir.
Cohgny est le martyr qui combattit le mieux le
LÎVRE TRENTE-NEUVIÈME. 347
divin combat pour la liberté de conscience. Mais à quel prix? au prix des labeurs, des veilles, des calom- nies, des sueurs, et de tout le sang de ses veines. 11 subit l'assassinat avec le courage du lion, la douceur de l'agneau, et, par la beauté de son beure suprême, il acheva l'essor de toutes ses années.
Il fut un grand bomme selon Dieu, un grand bomme complet, un bom.me de toutes les conjonctures, de tous les devoirs, un bomme de tous les ordres de fa- cultés éminentes, la miséricorde, l'intelligence, le caractère, un bomme de toutes les vertus et de tous les talents, un bomme de la famille et de la patrie, de la gloire et de la piété , un bomme qui , après avoir commencé en béros, finit en saint.
Ses portraits, soit ceux de la collection de M. Niel, soit ceux des cartons de M. Hennin, soit ceux du Cabinet des Estampes, sont parlants. Celui de la bi- bliothèque de Genève est adorable.
J'ai repensé souvent à ce portrait ; souvent j'ai ressaisi dans mes souvenirs cette physionomie impo- sante, cette chevalerie du guerrier, cette résignation du chrétien, cette mélancolie de tous les traits, "un front indomptable, des tempes bandées au dedans comme des arcs, un nez arrêté, des lèvres délicates, un menton fin et ferme, des yeux bleus résolus comme devant le danger, tristes comme devant l'injustice, beaux, lumineux et rêveurs comme devant l'immor- talité. En tout un croyant sincère, magnanime, qui se dévoue pour la conscience, qui en appelle à Dieu et (|ui aspire au ciel.
Ce qui accroît immensément le crime conçu par
248 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
les Valois et exécuté par les Guise, c'est la grandeur morale de Coligny. Les deux races qui l'immolèrent seront châtiées l'une par l'autre, et une troisième race, une race aimée de l'amiral , la race de Jeanne d'Albret, régnera autant par l'horreur de la Saint- Barthélémy que par le droit.
LIVRE QUARANTIÈME
Après sa visite à Montfaucon, Charles IX à sa fenêtre du Louvre. — Il regarde la Seine rouler des cadavres et du sang. — Victimes nombreuses. — Les fossoyeurs des Saints-Innocents. — La cam- pagne autour de Paris et Paris le rendez-vous des corbeaux. — Les corbeaux du Louvre. — Épisodes. — La ducliesse de Nemours et madame de Hurault. — La duchesse de Ferrure et la famille du chapelain de l'aniira]. — La légende de Merlin. — Fuite , prison et mort de madame de Coligny. — Les enfants de l'amiral dispersés. — Merlin les rejoint à Berne. — La Saint-Barthélémy dans les provinces, à Meaux, à Orléans, à La Charité, à Saumur, à Angers, à Lyon, à Vienne. — Tournon, Valence, Avignon, Arles, Blaye, Bordeaux, Toulouse, Rouen. — Au nord, au midi, à l'est, ù l'ouest de la France. — Philippe II. — Grégoire Xill. — Chiffre des victimes de la Saint-Barthéiemy. — Le respect des consciences.
Lorsque Charles IX descendit de Montfaucon , la face de Paris n'avait pas changé. Partout les bour- geois s'excitaient au meurtre des bourgeois , les voi- sins au meurtre des voisins, les commerçants au meurtre des commerçants , — au meurtre et au pil- lage. Les rivalités se supprimaient par l'assassinat. Les rues retentissaient de supplications, de hurle- ments, de malédictions , de coups portés, de char- rettes 011 l'on avait entassé les rapines. Les cadavres tombés de tous les étages encombraient la circulation rare des fugitifs. Les malheureux se sauvaient à tra- vers des monceaux de corps qui râlaient, ou qui gé- missaient, ou qui se taisaient pour jamais.
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Le roi traversa ce spectacle en regagnant le Louvre où il se replaça à la fenêtre de sa chambre, son obser- vatoire pendant ces atroces journées.
Il était comme livré aux furies du remords, s'a- vouant et se désavouant l'auteur du massacre, disant lui-même à son parlement qu'il avait tout commandé, et faisant dire à Elisabeth par Fénelon, aux princes allemands par Schomberg, qu'il déplorait ces violen- ces, qu'il avait sévi contre une conspiration politique et que l'édit de paix , l'édit de Saint-Germain , ne se- rait point révoqué. Tout en approuvant, en accélé- rant même les égorgements, il défend du 25 au 29, ù son de trompe, le meurtre et le pillage. Il tourne avec une folle vitesse dans le cercle des balbutiements et des contradictions, deux faiblesses des grands cou- ])ables. Si la confusion est trop forte, il en sort par la colère. Sa mère n'a que le goût du crime, lui en a livresse. 11 va, il vient dans le Louvre, de chambre en chambre , il revient dans la sienne et sa fenêtre l'attire toujours.
C'est de là qu'il prend un étrange plaisir à regar- der la Seine dont les Ilots rouges emportèrent, selon Brantôme, plus de quatre mille corps, les uns noyés, les autres se noyant. Double amusement bien savou- reux à un Valois : un amusement d'agonie, près d'un amusement de mort!
Brantôme et d'autres contemporains ne se trom- pent pas dans leur évaluation des victimes que rou- lait la rivière. Le registre des comptes de l'hôtel de ville contient les deux articles qui suivent :
« Aux fossoyeurs des Saints-Innocents quinze li-
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vres tournois à eux oi-ilonnées par le prévôt des mar- cliands et échevins, parleur mandement du 9 sep- tembre 1572-,
(( Aux fossoyeurs des Saints-Innocents , vingt li- vres à eux ordonnées par le prévôt des marchands et échevins, par leur mandement du 13 septembre 1572, pour avoir enterré depuis huit jours onze cents corps morts ès-environs de Saint-Cloud , Auteuil et Chal- luau (Chaillot). »
Combien de cadavres furent inhumés ailleurs que dans ces trois communes! Combien ne furent pas inhumés du tout et n'eurent d'autre sépulture que le lit de la rivière ou les entrailles des oiseaux do proie î
La campagne autour de Paris et Paris lui-mèmo furent, en ces temps néfastes, le rendez-vous de cor- beaux innombrables.
Les corbeaux flairent les cadavres des rues et des champs de bataille. Le crime les convie aussi bien que la guerre et ils s'abattent pour leur pâture. Pen- dant et après la .Saint-Barthélémy, ils accoururent par nuées, on ne sait d'où, se perchèrent jusque sur les clochetons, sur les toits du Louvre, et, tous, pendant sept nuits, à la même heure, à l'heure fatale où sonna la cloche de Saint-Germain-l'Auxerrois, ils poussèrent des croassements auxquels se mêlaient des gémissements humains, des voix lamentables. Le roi de Navarre, le prince de Condé, le duc d'A- lençon, le roi surtout, Monsieur, Catherine et toute la cour entendirent ce concert nocturne et funèbre. La conscience pour les massacreurs, les regrets pour
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les opprimés, chassaient le sommeil et les yeux ne se fermaient plus sur aucun chevet du château.
Cette musique lugubre rappela au roi de Navarre des présages, un entre autres.
Les prodiges précèdent toujours les grandes cata- strophes. Les pressentiments en passant par l'imagi- nation ébranlent les esprits les plus fermes. Le roi de Navarre, quelques nuits avant les massacres, jouait aux dés avec le duc d'Alençon et le duc de Guise. Le matin, on avait cherché à le dissuader du séjour de Paris 011 il se tramait, disait-on, quelque chose. Ses amis lui avaient prédit des assassinats. Tout en résistant, son cerveau s'était enflammé. Sou- dain, à un coup de dés du duc de Guise, il voit des gouttes de sang sur la table. Il les fait essuyer par un valet du Louvre. Deux fois le serviteur les efface et deux fois elles reparaissent. Le prince alors quitte le jeu plein d'épouvante.
Jamais le roi de Navarre, même lorsqu'il fut le souverain de la France, ne parla de la Saint-Barthé- lémy sans une convulsion intérieure. Il pâlissait et ses cheveux se hérissaient sur sa tête.
Il y avait certes de quoi. Aucun champ de bataille ne saurait être comparé à Paris, vers la fin de ce mois terrible d'août 1572. L'air était empesté. Toute per- spective était souillée de sang, toute sensibilité émous- sée jusqu'au blasement , ou exaltée jusqu'à la folie, il y eut des frères qui tuèrent leurs frères pour les spolier, des lilles qui trahirent leurs pères pour épou- ser leurs amants. Il y eut des miracles d'avarice, de perfidie, de férocité.
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Un des assassins ayant dagué plusieurs huguenots, et comme aliéné par les meurtres qu'il avait commis, arracha le cœur de la poitrine de sa dernière victime et le jeta à son propre chien qui l'avait suivi de mai- son en maison , de carrefour en carrefour. Le chien refusa de toucher à ce cœur saignant, soit que l'ani- mal fût repu déjà, soit qu'il eût plus d'humanité que l'homme même. Ce désioût du chien fut un crime aux yeux de son maître qui s'écria : « Serais-tu donc aussi huguenot, toi qui crains de manger de la chair de ces hérétiques.-^ » et d'un coup d'arquebuse il étendit la pauvre bête roide morte à ses pieds.
Quelques belles conduites, quelques élans héroïques reposent Tàme de tant d'atrocités et de forfaits.
Des catholiques sauvèrent des protestants, des hôtes leurs hôtes, au risque de la vie. Des princesses eurent des délicatesses de dévouement comme de simples femmes. Des ennemis même préservèrent leurs enne- mis acharnés avec les fières sollicitudes et les allures grandioses de ce siècle.
MM. de Régnier et de Vezins étaient l'un contre l'autre implacables. Agenouillé dans une sombre at- tente avec son valet de chambre , Régnier l'exhortait à mourir en bon calviniste. Lui-même était prêt. Sa porte est enfoncée et il voit entrer Vezins qui lui dit : « Venez. » Régnier se croit mort-, il se résigne au milieu du grand désastre de ses frères. Deux che- vaux libres et une escorte sont au seuil. Ces deux chevaux valaient chacun cinq cents écus. Régnier et Vezins les enfourchent, prennent la porte Saint-Mi- chel, font cent quatre vingts heues en silence jusqu'au
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château de Régnier situé en Guyenne. Là, Vezins dit : « Monsieur, je vous hais. Je veux votre vie. » Ré- gnier répond • « Ma vie est à vous, je l'exposerai pour vous mille fois en champ clos, mais je ne me battrai pas contre mon sauveur. » Vezins réplique : « Eh bien! acceptez le cheval qui vous a rendu ici. Soyons amis ardents comme nous étions ennemis. » Ils se serrent la main et se séparent sur ces paroles. Régnier monte son escalier, et quand il paraît au milieu de sa famille, sa femme et ses enfants lui disent : « Est-ce bien yousP — Oui, répond Régnier, c'est moi qui suis échappé au massacre et à Vezins. Je croyais Vezins pire que le massacre et c'est lui qui a été mon libérateur. Il sera désormais mon frère d'armes. » Et tous tombent à genoux et récitent les psaumes de la délivrance.
Nous avons constaté l'assentiment passionné de la ducbesse de Nemours, la veuve de François de Guise, au meurtre de l'amiral. Ce fut là toute sa participa- tion à la Saint -Barthélémy. C'est beaucoup trop assurément pour une telle princesse. Les Guise et les conjonctures où elle se trouva sin'excitèrent cette organisation italienne , [)rimi'tivement bonne. Elle regardait Colianv comme le bourreau de Fran- çois de Guise. Elle avait demandé justice contre lui, et, ne l'ayant point ob'enue, cette justice, elle crut que son fils et elle-même pouvaient se la faire. Coligny mort, elle redevint miséricordieuse. Elle arracha aux assassins plusieurs victimes. La plus illustre est madame de Hurault , fille de L'Hô- pital. La duchesse de Nemours, l'Anne d'Esté d'O-
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lympia Moratn, était une princesse fort éclairée. Elle avait du penchant pour les hommes supérieurs. Elle goûtait singulièrement la conversation et le génie de L'Hôpital. Elle avait pour lui de la vénération. Sa- chant que la fille de l'ancien chancelier était à Paris, elle lui oflVit l'hospitalité. Madame de Ilurault fut malade chez la duchesse de l'inquiétude de tous les siens qui étaient à Vignay. La duchesse fut une sœur pour madame de Hurault. Elle la protégea, la soigna, la servit et manda pnr un de ses gentilshommes au chanceher de L'Hôpital que sa fille était en sûreté. Le grand et noble vieillard respira ; il pleura de re- connaissance et il ne se passa pas un jour jusqu'à sois dernier soupir qu'il ne bénît dans sa retraite Anne d'Esté de lui avoir conservé sa iille unique, sa chère Madeleine.
Il y eut une princesse bien autrement généreuse que la duchesse de Nemours, ce fut sa mère, la duchesse de Ferrare. Elle, du moins, n'avait exercé aucune vengeance et pas une tache de sang n'avait rejailli sur sa charité.
Renée de France , duchesse de Ferrare , était fille de Louis XH. A l'époque de la Saint-Barthélémy, elle avait soixante-deux ans. Elle vivait à Montargis, dans l'un de ses apanages, depuis la mort de son mari. Cette princesse, d'une haute raison, d'une àme forte, favorisait les lettres, les arts et les sciences. Elle les cultivait elle-même. Elle avait fait de Mon- targis un autre Ferrare. Ce qui était mieux encore, son château était l'asile de tous les proscrits, de tous les malheureux.
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Quelques jours avant la Saint-Barthélémy, elle y avait reçu Agrippa d'Aubigné, traqué par la justice pour un duel, et que cette circonstance de sa vie aven- tureuse abrita du massacre. Pendant la Saint-Barthé- lémy, la duchesse de Ferrare ouvrit à deux battants toutes les maisons de ses apanages aux fugitifs. Elle les recueillait par bandes dans son château de Mon- targis. Elle combina toutes les mesures les plus pro- pres à retirer du gouffre de la persécution le plus grand nombre possible de calvinistes. Elle ne ména- gea rien , ni sa naissance , ni ses richesses , ni ses peines, ni sa responsabilité envers la cour. Elle ne balança pas à se glisser dans Paris , pour secourir de plus près ses amis.
Entre autres familles qu'elle désirait protéger, il faut compter au premier rang la famille de Merlin, le chapelain de Coligny. C'était lui qui avait fait la dernière prière à l'amiral. Sur les instances de ce grand homme, il évita les approches des meurtriers en montant sur les toits avec Cornaton et Ambroise Paré. Tandis que ses deux compagnons marchaient d'un pas ferme, Merlin, qui mourut aveugle et qui eut toujours de mauvais yeux, chancelait. Il n'aperçut pas un fenil et y croula dans des bottes de foin. Se trouvant là bien caché , il y resta. Il y serait mort de faim peut-être, sans une poule qui, chaque matin, durant trois jours, lui pondit un œuf dans la main. Ce fait est si merveilleux. qu'il touche à la légende autant qu'à l'histoire. Il est vrai, et attesté en prose et en vers par Agrippa d'Aubigné. Quand Merlin crut le danger moins imminent , il se hasarda à descendre
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de son fenil et il parvint à rejoindre sa femme que des gentilshommes avaient été chercher à son loge- ment de la rue de Grenelle pour la conduire à l'hô- tel de l'An, chez la duchesse de Ferrare.
Le mercredi 27 août, Merlin était dans cet hôtel avec sa femme. On leur ramena leur fils qui avait été confié à une bonne catholique, à laquelle il fallut payer rançon. Ce fut une grande joie à Merlin de se retrouver, avec sa femme et son enfant, sous les aus- pices de la duchesse de Ferrare.
La princesse était aussi heureuse que le ministre. Elle avait un coche aux armoiries de son petit-fils , le duc de Guise. Le vendredi 29, elle y étabht à ses côtés la famille Merlin, et mena ses hôtes en pleine sé- curité vers Montargis. Le 31 , ils montaient les rampes du château où ils entrèrent comme dans un port. Ils s'installèrent là, au miUeii de nombreux naufragés, recueillis pendant la tempête par l'excellente duchesse qui fut toujours, mais surtout en ce tragique massacre de la Saint-Barthélémy, la providence infatigable des opprimés.
Merlin demeura chez la duchesse jusqu'au mois d'avril de l'année suivante. Il partit alors pour la Suisse où le réclamaient madame de Téligny et ma- dame de Laval.
Après le meurtre de son mari, madame l'amirale s'était rendue en Savoie où elle était immensément riche, espérant appeler dans ses vastes domaines tout ce qui appartenait au grand homme dont elle portait le nom glorieux. Il en fut autrement. Le duc de Sa- voie, qui convoitait les biens de cette noble veuve, la
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traita comme sa sujette et lui proposa (Taposlasier. Sur le refus de la courageuse femme, le duc la livra à l'inquisition, la fit déclarer magicienne, hérétique, relapse, la confina dans un cachot où les geôliers lui mesuraient parcimonieusement le strict nécessaire et lui infligeaient toutes les tortures morales. Ses pleurs finirent par creuser les dalles de sa longue prison , comme les gouttes d'eau de roche creusent avec le temps les pierres des grottes. Au bout de quinze ans elle mourut, et le duc , qui l'avait assassinée à petits coups de stylet, hérita par une confiscation scanda- leuse de toutes ses terres.
La captivité de leur belle-mère avait rendu les en- fants de Coligny une seconde fois orphelins.
Les aînés , François de Chàtillon, fils de l'amiral , et Guy de Laval, fils de d'Andelot, se retirèrent à Genève, puis à Bàle, puis à Berne , puis chez l'élec- teur palatin. Madame de Téligny et madame de La- val s'établirent à Berne où revinrent plus tard M. de Chàtillon, M. de Laval et le reste des deux familles. Merlin , l'ancien chapelain de l'amiral , était encore au commencement de iS76 avec ces illustres et tra- giques exilés. Car voici ce que j'ai lu dans les regis- tres de la compagnie des pasteurs de Genève : « Jeudy, 9 febvrier 1576, M. Merlin requit notre compagnie pour lui donner advis sur ce que ceux de La Rochelle lui demandoient par homme et lettres exprès, prétendant droict sur luy, comme d'autre part, les dames de Téhgny et de Laval, qui sont à Berne, requièrent qu'il ne leur soytosté, mesmement pendant ce temps de leur aflliction , veu qu'il avait jà
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esté dans leur maison, et que, grâces à Dieu, son la- beur y avoit profité et y profiteroit encore. »
Malgré le conseil contraire des pasteurs de Genève, Merlin opta pour mesdames de Téligny- et de Laval dont il demeura le ministre comme il l'avait été de l'amiral de Coligny..
Il n'y avait presque plus de huguenots à Paris, au commencement de septembre 1572. Les uns étaient morts, les autres en fuile. Le massacre, ralenti dans la capitale du royaume, non faute de bourreaux, mais faute de victimes, se propagea dans les pro- vinces avec une effrayante rapidité.
A Meaux, le jour même de la Saint-Bartliélemy, le 24 août, plus de deux cents protestants furent arrcHés. Quelques-uns s'échappèrent, plusieurs furent tués. Le lundi, le mardi, vingt-cinq femmes furent assom- mées dans les prisons ou dans leurs maisons, la plu- jiart après avoir été violées. Le pillage couronna tout.
Orléans , sur une lettre de Sorbin , confesseur du roi, sonna aussi ses matines. Cette lettre fut comme un fflas funéraire. Douze cents hommes, cent cin- quanle femmes et enfants furent massacrés et puis traînés à la Loire. La boucherie dura toute la semaine depuis le mardi 26. Il y eut des traits de cruauté hor- ribles. Un conseiller calviniste soupait le mardi avec un de ses anciens compagnons de collège nommé La- cour. Ils rompent le pain ensemble et causent fami- lièrement, selon leur habitude. A la lin du repas, La- cour apprend au conseiller les nouvelles de Paris, le poignarde à table et mêle le sang au vin.
Toutes les rives de la Loire suivirent l'exemple
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d'Orléans. La compagnie de cavalerie du duc de Ne- vers prêta raain-forte aux massacreurs à La Cliarité, où elle séjournait, et partout oii elle fut requise. L'as- sassinat fut pour elle un devoir de service et de dis- cipline. \
A Saumur, à Angers, M. de Monsoreau tua tant qu'il put. Voici un de ses exploits : il connaissait le ministre protestant La Rivière, dont la femme, belle, vertueuse et d'origine noble, lui plaisait. Elle avait dédaigné ses avances et ses déclarations. Mon- soreau saisit l'occasion de la Saint-Barthélémy , se présente chez La Rivière, l'embrasse et lui dit qu'à son grand chagrin il est chargé par le roi de -le faire mourir. Il ajoute que, lui voulant du bien, il lui don- nera le temps de prier. La Rivière se recommande à Dieu, puis Monsoreau l'égorgé, réservant madame La Rivière à une autre vengeance.
Bourges avait su les événements de Paris le 26 août. Les catholiques modérés apaisèrent d'abord l'effer- vescence de la foule contre les protestants. Le 8 et le 9 septembre, les catholiques violents intimident les sages de leur parti et soulèvent la plèbe. Les calvi- nistes sont entassés dans les prisons et ils y sont exé- cutés à mort.
Le bailli de Troyes en Champagne commanda de fermer les portes de la ville , le 27 août , et d'incar- cérer les protestants. Le sang coula dans les rues et dans les maisons. Le o septembre, le bailli reçoit Tordre de mettre un terme aux meurtres. Il fait mas- sacrer les prisonniers et il publie ensuite la miséri- corde royale.
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Les massacres de Lyon furent les plus atroces après ceux de Paris.
Du Yérat, le 29 août, rapportant des lettres de plusieurs échevins de Lyon envoyés à la cour afin de nuire aux huguenots , cita ce mot de Catherine : « Les catholiques de Lyon n'ont plus besoin de nous. Ils n'ont qu'à faire ce qu'on a fait ici. »
Le gouverneur de Lyon, Mandelot, hésitait, lors- qu'un messager arriva en poste et lui confirma le mot de la reine mère.
Sur ce second encouragement, le gouverneur rem- plit de protestants la prison des Cordehers, celle des Célestins et celle de l'Archevêché. Des volontaires tueurs s'improvisent pour le carnage de toutes ces prisons. Les soldats de la garnison avaient refusé, alléguant qu'ils ne frapperaient pas hors du champ de bataille ; le bourreau et ses valets avaient refusé également , se retranchant dans leur droit de n'exé- cuter que par sentence de justice.
Ce furent des citoyens de Lyon qui se ruèrent sur leurs concitoyens. Les fils furent percés de balles et de dagues sous les yeux de leurs mères , les filles à la vue de leurs pères , les frères dans les bras des frères.
u xMandelot, dit un grave érudit, M. Soldan, pour avoir l'air d'ignorer ce qui se passait, s'était rendu à la Guillotière sous prétexte d'y maintenir l'ordre. A son retour il désapprouva l'émeute, mais personne ne crut à sa sincérité. Il insinua au roi qu'il désirait n'être pas oublié lors du partage des biens confisqués sur les protestants. »
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Les moines furent plus impitoyables que le gou- verneur. 11 témoigna au moins le désir de l'aire inhu- mer les victimes. Mais les moines s'attroupèrent au- tour de lui , criant que les huguenots « n'étaient pas dignes de la terre ^ » et cette sépulture des ancêtres, les cimetières, leur furent interdits. Le peuple, à l'incitation de ces milices en froc, traîna les victimes au fleuve. Les calculs les moins élevés fixent le nombre de ces victimes à quinze ou dix-huit cents.
L'une d'elles, la plus illustre, fut Claude Goudimel, le tragique artiste, l'apôtre compositeur qui insufflci une nouvelle âme aux psaumes de Marot et de Bèze, en les emportant sur les ailes de la musique reli- gieuse. Abattu et précipité par les assassins, les cou- rants du Rhône l'entraînèrent comme les vagues de la Seine avaient englouti Jean Goujon.
Le Rhône fut infecté de cadavres. Les flots furent corrompus. Vienne, Tournon, Valence, Avignon, en s'y associant toutefois, blâmèrent la furie lyonnaise qui coulait en peste le long de leur Hltoral. La ville d'Arles, qui n'a pour boire que les eaux du Rhône, souffrit la soif plus d'une semaine, par horreur de ces eaux rougies et putrides. Et cependant ces con- trées n'étaient pas miséricordieuses. C'est d'elles que Louis de Perussis, le meilleur catholique du com- tat Venaissin, écrivait, onze ans auparavant, à une époque plus calme I « Le bon peuple prit sa revanche, mettant à mort plusieurs ministres, la plupart par les mains des enfants et simples, suivant ce que Dieu a dit, que sa puissance serait mi^ux manifestée par les personnes innocentes. »
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Le gouverneur de Bordeaux , M. de Montferrant , essaya de résister au fanatisme. Les jésuites prêchè- rent contre lui. Montpezat, directement envoyé du Louvre, détermina le massacre à Blaye d'abord, puis à Bordeaux incendié par les discours d'Edmond Auger. Le gouverneur, le procureur général cédèrent, et la boucherie alla croissant trois jours de suite. La Ga- ronne à son tour fut teinte de sang. Agen, Moissac furent décimées.
Toulouse fut dévastée. Des écoliers duellistes égor- gèrent trois cents calvinistes dans les préaux des ca- chots. Ils osèrent une chose horrible. Ils firent grâce à une douzaine de protestants à la condition qu'ils se convertiraient et que, pour preuve de leur sincé- rité, ils tireraient sur leurs corehgionnaires. Ce mar- ché infernal fut accompli.
Tous les sentiments les plus sacrés furent étouffés dans cette capitale du Droit. Au parlement, les con- seillers orthodoxes firent pendre cinq conseillers hé- rétiques en face du palais où ils avaient siégé jusque- là, les uns à côté des autres, sur les fleurs de lis.
Rouen aussi fut ravagé malgré la belle résistance de Carrouges, son gouverneur, qui maintint la paix publique jusqu'au milieu de septembre. Le 17 et le 48, la populace, un prêtre en tête, massacra plus de six cents personnes de tout âge et de tout sexe. Par une dérision de charité effroyable , on distribua aux pauvres les vêtements des protestants tout chauds encore de leur sang.
Presque partout, en Bretagne, en Poitou, dans l'Angoumois, dans la Saintonge, et aux quatre points
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cardinaux de la France éclatèrent des scènes analo- gues de carnage. Le cœur en est consterné et l'inna- cination se souillerait à décrire tous les détails de tous les crimes. Que la mémoire les ensevelisse dans ses ombres et les voue au silence. J'en ai dit assez et j'ai assez souffert à raconter ce qui est indispensable, je n'ajouterai rien , si ce n'est qu'il n'y eut pas de province et presque pas de ville qui ne rougit ses pavés, ses puits, ses fontaines. Les fleuves et les ri- vières , principalement la Seine, la Loire, le Rhône, la Gironde, charrièrent dans l'Océan et dans la Médi- terranée les débris de cadavres de nos discordes reli- gieuses. La terre cria, les grandes eaux sanglotèrent jusqu'au ciel.
Rome et l'Espagne, qui n'étaient pas du complot, furent transportées d'une allégresse centuplée par la surprise.
Un panégyrique de la Saint-Barthélémy fut pro- noncé devant Philippe II et on le publia ensuite sous ce titre : Triomphe de l'Église militante.
Le pape tint consistoire, et se rendit, solennelle- ment accompagné de tous les cardinaux, à l'EgHse Saint-Marc, pour remercier Dieu des matines de Paris. Il publia un jubilé universel. Il entendit, à l'église Saint-Louis, une messe célébrée par le cardinal de Lorraine en l'honneur du roi très-chrétien, Charles IX. et du glorieux massacre qui avait terrassé l'hérésie.
Le cardinal fut personnellement si ravi de ce mas- sacre, qu'il fit compter mille écus d'or à un gentil- homme du duc d'Aumale qui lui en avait apporté la nouvelle.
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Les rares protestants d'Italie furent atterrés. Quel- ques-uns. pâles de terreur, s'enfuirent-, les autres dis- simulèrent leur foi. Ils allèrent chanter le Te Deum sur le massacre de leurs frères, et, d'une voix qui leur déchirait la poitrine, ils louèrent Dieu du plus exécrable crime qui se soit jamais commis. Le soir, ils illuminèrent pour n'être pas reconnus, comme il arrive toujours dans les fêtes officielles que donne la tyrannie, fêtes odieuses oij les citoyens sont forcés de se travestir pour échapper aux proscriptions, oij la joie et le jour rayonnent sur leurs maisons, quand le deuil et la nuit régnent dans leurs âmes!
Grégoire XIII était un sage, si on le compare à ses prédécesseurs. Ils avaient exterminé dans tous les pays les réformés, en lançant contre eux des bulles féroces et en consacrant, au nom du Christ, l'effrovable tribunal de l'inquisition. Grégoire n'en avait pas tant fait. Il était assez savant. Il promulgua un calendrier que toutes les nations, excepté la Russie, adoptèrent successivement.
Il était, du reste, de mœurs fort douces, et sa phy- sionomie ne dément pas cette modération.
Son front est placide, sa barbe vénérable, son re- gard caressant et sa bouche souriante. On dirait un de ces excellents humanistes du seizième siècle, in- différents à tout, excepté à l'antiquité, et nourris du miel des lettres, soit sacrées, soit profanes.
Au fond Grégoire XIII n'est pas autre chose. Eh bien, voilà l'honmie qui prodigua des indulgences à Charles IX et à la reine mère. Voilà l'homme qui or- donna des réjouissances pour la Saint-Barthélémy, le
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plus grand attentat du seizième siècle et de tous les siècles, et qui fit frapper des médailles pour en per- pétuer le souvenir.
Quel est donc le fanatisme qui change en loup dévo- rant un agneau paisible, qui transforme en caverne la chaire de Saint- Pierre, et qui change l'évangile du Christ en un code de supplices et de meurtres? Ah ! si rien n'est beau et saint comme l'enthousiasme reli- gieux qui épure, élève, console, qui répand à flots l'a- mour de Dieu et l'amour de l'humanité, rien n'est atroce comme le fanatisme qui verse le sang à torrents avec un signe de croix et qui fait de la cruauté un de- voir. Haïssons ce fanatisme barbare et tuons-le comme la lumière tue les ténèbres, en l'éclairant. Il n'y a de vrai, de divin, que la tolérance, que la liberté des consciences, que la fraternité réciproque.
La postérité doit proclamer ces enseignements 5 elle doit aussi dresser, de génération en génération, son pilori moral contre les violents et les lâches qui n'ont pas respecté le sang des hommes. C'est là le crime suprême que l'histoire vengera de plus en plus , à mesure qu'elle exprimera mieux le jugement des Dieu. Ceux qui entraînent et ceux qui se laissent en- traîner seront punis. La faiblesse est presque aussi coupable que la méchanceté. Malheur à ceux qui ne résisteront pasl L'histoire les signalera, et à la fin- peut-être cette flétrissure du passé sera la leçon de l'avenir. Le rôle de l'histoire est grand en cela.
Ainsi l'approbation de Grégoire XIII pour ce crime énorme de la Saint-Barthélémy est une complicité indélébile. La tunique blanche du pontife paraît
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pourpre après cette bénédiction impie, et sa tiare reste éclaboussée de sang.
Heureusement pour l'bumanité, la commisération toucba une innombrable élite. Quelques catholiques se firent protestants par pitié comme des protestants s'étaient faits catholiques par effroi.
Si la cour frappa des médailles, si le pape annonça un jubilé en actions de grâces, et s'ils eurent l'assen- timent dos plèbes, beaucoup de catholiques du moins furent indignés.
Plusieurs parlèrent et sauvèrent. Il y eut des gou- verneurs qui résistèrent aux ordres secrets du Louvre.
A Rayonne, le vicomte d'Orthez répondit au mes- sage du roi :
« Sire, j'ay communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidelles habitants et gens de guerre de la garnison. Je n'ay trouvé que bons citoyens et braves soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoi eux et moi supplions très-humblement Votre Majesté de vouUoir employer en choses possibles, quelque hazardeuses qu'elles soyent , nos bras et nos vies. »
Cette lettre, citée pourtant par un grave contem» porain , par Agrippa d'Aubigné, est peut-être apo- cryphe, ainsi qu'on a essayé de le prouver. Qu'im- porte , après tout? La fière clémence qu'elle exprime était dans le cœur du comte de Charny, successeur de Tavannes en Bourgogne ; elle animait Philibert de La Guiche à Maçon, le baron de Simiane de Gordes, gouverneur du Dauphiné, le comte de Tende, gou- verneur de Provence, le baron de Saint^Héran,. gou- verneur d'Auvergne, le maréchal Damville, gouver-
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neur du Languedoc, et le maréchal de Montmorency, qui, de Chantilly où il s'était fortifié, secourut effica- cement les protestants du nord de l'Ile-de-France, et particulièrement ceux de Senlis.
Ces généreux gouverneurs de provinces ou de •villes arrêtèrent la Saint-Barthélémy. Qu'ils soient honorés à jamais pour ce courage ! Ah ! il y avait eu assez de lâcheté et de masssacres.
Une ancienne relation de la Saint-Barthélémy, le Réveille-matin des Français, publiée en 1573, porte les morts à cent mille. Péréfixe, précepteur de Louis XIV et archevêque de Paris, adopte ce chiffre de cent mille-, Sully compte soixante-dix mille victi- mes; de Thou, trente mille-, La Popelinière, vingt mille; Papire Masson, un biographe de Charles IX, n'en admet que douze mille.
L'évaluation la plus généralement adoptée est celle de Jacques-Auguste de Thou. Elle est de toutes la plus vraisemblable.
Telle est, sans réticence et sans déclamation, la Saint-Barthélémy. Tout lecteur peut la juger et juger les auteurs de ce monstrueux guet-apens.
Rome et l'Espagne y furent matériellement étran- gères, quoique leur tradition y dominât. Catherine de Médicis y déploya une insondable dépravation, Henri d'Anjou une légèreté barbare, les princes lorrains une initiative sauvage , une activité hardie , une miséricorde diplomatique, le duc de Nevers une arithmétique de courtisan dénué de scrupule , le ma- réchal de Retz et le chancelier de Birague une scé- lératesse basse d'empoisonneurs, le duc de Mont-
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pensier, le duc d'Aumale et le maréchal de Tavannes une franche férocité de fanatisme. Ils se rapprochent par là des masses. Ce sont les moins coupables. Ils ne le sont pas aussi atrocement que le duc de Guise, par exemple, dont la perversité désigna au couteau Salcède, un catholique, parce qu'il n'espérait pas faire de cet ennemi un ami, et sauva Crussol d'Acier, un protestant, qu'il se flattait de transformer en un instrument utile.
Charles IX est peut-être le moins criminel de ces hommes de sang. Car il fut enveloppé par la ruse de sa mère et par la fourberie de ses conseillers. Il ne fut, d'ailleurs, une fois lancé, qu'un fou frénétique au mi- lieu de cette bande illustre de meurtriers.
On ne sait pas combien Machiavel est profondé- ment dans la Saint-Barthélémy. La cour n'avait pas d'autre Evangile. Machiavel avait dédié son traité du Prince à Laurent de Médiois, père de Catherine. Elle avait lu ce livre en Italie, elle le lut en France, elle le relut sans cesse et partout-, elle le commentait à Charles IX, à tous ses enfants, mais surtout au duc d'Anjou. Retz, d'Elbenne, Corbinelli commentaient après elle le publiciste florentin dont le poison s'in- sinua dans ces insignes traîtres.
Machiavel fut ainsi bien réellement le grand théo- ricien de la Saint-Barthélémy, et elle fut immense comme lui dans le mal.
Par la Saint-Barthélémy, Catherine de Médicis et le duc d'Anjou reprirent sur le roi l'influence dont Coligny s'était emparé. Par la Saint-Barthélémy, le duc de Guise assouvit sa vengeance dans le sang de
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l'amiral et fonda sa popularité dans toutes les plèbes des grandes villes. Par la Saint-Barthélémy, les mas- ses superstitieuses satisfirent leurs instincts brutaux. Par la Saint-Barthélémy, la France fut abaissée, mu- tilée, la royauté presque abolie, les Pays-Bas trahis, Dieu outragé dans le ciel, et tout cœur d'homme na- vré sur la terre.
L'édit de Saint-Germain se trouva déchiré. Il au-, rait pu être , sans la Saint-Barthélémy, le point de départ d'un nouveau droit public religieux. Hélas! il ne renaîtra de ses cendres qu'un quart de siècle plus tard, dans l'édit de Nantes, la première grande charte de la liberté de conscience.
Tous les violents tressaillirent d'allégresse. Victoire sacrilège ! Quand donc, ô mon Dieu, les factions ces- seront-elles de vous invoquer contre vous-même? Quand donc l'élément d'absurde qui obscurcit en nous le bon sens s'évanouira-t-il? Quand donc renoncera- t-on à faire mentir la vérité éternelle?
Je suis impartial ^ il faut toujours l'être. Mais l'im- partialité n'est une vertu qu'à la condition de n'être pas de l'indifférence. Pour moi, je ne crois pas qu'on doive se tenir en équilibre à la manière d'une balance vide. Lorsque la succession des événements et le cours des choses jettent à torrents les vices et les crimes, les perfidies, les iniquités, les scélératesses, les im- piétés dans un des bassins de la balance, jetez hardi- ment dans l'autre bassin les justices, les prières, les héroïsmes, les martyres, comme des contre-poids, dus- sent-ils emporter tout. Et si l'on vous reproche alors, soit votre admiration, soit votre indignation, ne vous
LIVRE QUARANTIÈME. 371
distrayez pas de votre tâche. Laissez les tièdes ne s'é- mouvoir ni du bien, ni du mal. Vous, rendez témoi- gnage à Dieu et aux amis de Dieu. L'impartialité réelle, c'est l'équité.
Or, quel est, à la splendeur de l'équité, le plus grand parti? Est-ce celui qui a le nombre? Non assu- rément : c'est celui qui a la vérité.
Voilà ce qui fait la conscience si sainte. Une seule conscience, si elle est dans la vérité, est un plus grand parti que le parti le plus innombrable, s'il est dans l'erreur. De là découle le devoir de respecter non-seu- lement tous les cultes, mais la foi dans une âme indi- viduelle, avec autant de sollicitude que dans cent peu- ples, que dans un monde.
Quand Tesprit humain comprendra ce principe, il entrera dans la tolérance, dans l'amour mutuel efc dans la paix.
LIVRE QUARANTE ET UNIEME
Soumission du roi de Navarre et du prince de Condé au pape. — Supplice de Briqueniaut et de Cavagne. — Registres de l'hôtel de ville. — Pamphlets protestants. — Siège de La Rochelle. — Singulière situation de La Noue. — Le ministre La Place. — Portrait de M. de La Noue. — Élection du duc d'Anjou. — Traité de la cour avec La Rochelle. — Siège de Sanccrre. — Le chance- lier de L'Hôpital à Yignay pendant la Saint-Barthélémy. — Son inlré[iidilé. — Ses épîtres à la duchesse de Nemours et à la du- chesse de Savoie. — Son portrait. — Sa mort. — Champmoteux,
Les chefs huguenots les plus magnanimes étaient presque tous immolés. Leurs deux princes captifs avaient abjuré. Le roi de Navarre, très-délié et hors de tous les cultes, n'avait pas eu beaucoup de peine à faire son évolution vers le catholicisme. Il se réser- vait pour ses grandes destinées politiques, ne sachant pas que la plus glorieuse de ses œuvres serait la con- stitution nouvelle des religions. Cette grâce lui sera sans doute accordée par la Providence , en faveur de Jeanne d'Albret, de Coligny et de L'Hôpital, qui l'a- vaient méritée pour lui.
Le prince de Condé fut plus récalcitrant que le roi de Navarre. Il céda enfin néanmoins et il écrivit avec autant de soumission que son cousin au pape Gré- goire XIII : « Daignez, très-saint père, nous recevoir au giron de l'Église, et nous tenir désormais pour vos dévots enfants et simples brebis de votre troupeau. »
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME. 373
Malgré cette apostasie de leurs princes , les hu- guenots ne désespérèrent pas. Beaucoup s'étaient réfugiés en Angleterre, dans le Palatinat, à Stras- bourg, à Genève, et de là ils plaidèrent leur cause et la cause de leurs frères devant l'Europe. Le plus grand nombre s'était retranché dans le Midi et dans l'Ouest où ils maintinrent, au sein môme de la France, leurs droits si odieusement violés. Sancerre, Montau- ban , Nîmes furent magnifiques d'abnégation ; mais la résistance sérieuse, efficace, s'organisa surtout à La Rochelle. Cette fière municipalité, cette petite république , sous son maire Jacques Henri , grand comme un consul , fut le boulevard de la liberté de conscience.
Cinquante gentilshommes, chacun avec une petite troupe , quinze cents soldats de la Saintonge , de l'Aunis, d'Orléans, de Paris, de Bordeaux, et cin- quante-cinq pasteurs, s'étaient réunis aux Rochelais. Ils avaient tous une même résolution : mourir pour Dieu.
La cour entama des négociations avec les opi- niâtres rebelles, comme elle les appelait. Elle se montra fort affable. Elle ne voulait que le bien des Rochelais. Elle ne leur demandait qu'une bagatelle, un peu de confiance. Les Rochelais furent sourds. La reine mère, qui redoutait une quatrième guerre civile, suggéra au roi de proposer Biron, un semi- protestant, pour gouverneur de La Rochelle. Ce choix était très-politique.
Par là Catherine de Médicis espérait plaire à l'An- glelnrre, à la Suisse, Jiux protestants d'Allemagne, et m 52
374 HISTOIRE DE LA LIBERTE RELIGIEUSE.
aux Polonais qui s'intéressaient à La Tlocl»elle; La reine mère, sur l'assurance de ses astrologues qui lui avaient promis et prédit que tous ses fils seraient rois , n'avait pas renoncé à marier son fils d' Alençon à Elisabeth, et son fils d'Anjou était sur le point d'être élu au trône de Pologne. Pour séduire donc l'Angle- terre, où il n'y avait en quelque sorte que des protes- tants, et la Pologne , ou il y en avait beaucoup, Ca- therine ménageait La Rochelle. En même temps, afin de convaincre ces puissances de la réalité d'une con- spiration politique de l'amiral contre le roi et contre sa famille, la reine mère faisait instruire le procès de deux prétendus complices de Coligny, Briquemaut et Cavagne.
Briquemaut était un héros en cheveux blancs , et Cavagne un autre héros en toge, un magistrat intré- pide. L'un et l'autre étaient les amis anciens de l'a- miral. On savait bien qu'ils n'étaient pas coupables; mais il fallait, en les condamnant, absoudre la royauté de la Saint-Barlhélemy. Catherine pensait que l'Eu- rope calviniste croirait à une conspiration, quand on exécuterait des conspirateurs.
Et c'est cependant pour ce beau dessein d'effacer l'opprobre d'une cour abominable, qu'on alla chercher à la Conciergerie MM. de Briquemaut et de Cavagne, ces deux grands citoyens de la réforme. On fit un mannequin de Coligny dont le corps, presque anni- hilé dans les outrages, était gardé par le maréchal de Montmorency au fond d'une crypte de son château. On regretta ce corps et l'on fut bien obligé de se con- tenter du mannequin. On l'habilla comme l'amiral, on
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lui mit en la .main un cure-dent comme dernier trait de ressemblance, et on le traîna sur une claie entre MM. de Briquemaut et de Cavagne que l'on traînait sur d'autres claies, au milieu des insultes, jusqu'à la place de Grève.
Le roi, ses frères, sa mère et une foule de courti- sans étaient aux fenêtres de l'hôtel de ville. Char- les IX et Catherine forcèrent le roi de Navarre et le prince de Condé d'assister à ce spectacle qui était un deuil pour les Bourbons et qui fut une fête pour les Valois.
Comme il était nuit, au moment de l'exécution, la reine mère fit allumer des torches autour de la po- tence pour éclairer d'une illumination le supplice. On relut aux condamnés leur sentence qu'ils avaient entendue déjcà à la Conciergerie. On les provoqua de nouveau à des aveux de conjuration contre la vie du roi et de la famille royale, de complicité avec Coligny. Les aveux étaient impossibles à ces hommes irrépro- chables. Ils s'y refusèrent stoïquement. Jusque sur l'échelle fatale on pressa M. de Briquemaut de con- fesser la conjuration en le leurrant de la grâce du roi. c( La grâce du roi, s'écria, d'une voix lente, le vé- téran des guerres civiles, ah! j'ai moins besoin de la grâce du roi, qu'il n'a besoin, lui, de la grâce de Dieu! » et il se tut. Son compagnon fut muet aussi. On suspendit alors ces nobles et vaillants personna- ges à la potence. Toute la cour les contempla, à la lueur fumeuse des torches. Le roi , ni sa mère, ni le duc d'Anjou, ni leurs favoris, ne perdirent aucune des conv^ulsions des victimes. Charles, accoutumé
376 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
aux tortures sur les animaux et sur les hommes, était Icà comme à une partie de plaisir. Il vit ployer avec une joie fiévreuse ces têtes innocentes et véné- rables qu'il jetait en justification à l'Europe.
L'exécution terminée, la populace s'empara du mannequin de Coligny, des cadavres de Brique- niaut et de Cavagne. Elle les dépouilla, les mutila, selon son habitude, et les promena par la ville, par les faubourgs avec des rugissements de rage contre les huguenots. Les rires se mêlaient aux cris de fu- reur et les plaisanteries grossières aux avanies gro- tesques.
C'était hideux; mais ce qui fut plus hideux , c'est le gala de la populace du Louvre réunie à l'hôtel de ville, commencé avant, recommencé après l'exécu- tion, gala donné par Charles IX à sa cour, à sa mère, à son frère d'Anjou et aux mignons. Les regards et l'imagination de tous nageaient dans l'attente ou dans le souvenir du supplice, à travers le parfum des mets, l'éclat des vins et le murmure des propos d'amour, ■ — des deux amours. Épouvantable accumulation des voluptés et du sang!
Les registres de l'hôtel de ville constatent l'in- fâme festin et gardent cet article terrible dans sa sim- plicité : « A Pierre Duhamel, linger, douze livres dix sols pour le linge et choses de son estât par luy four- nis, le lundi, vingt-septième d'octobre (que Brique- maut et Cavagne furent exécutés à mort), pour cou- vrir les collations du roy et reine, et de messieurs ses frères et autres, faites le dit jour en l'hôtel de ville. »
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME. 377
Quelle éloquence vaudra jamais devant la postérité contre Charles IX, sa mère et sa cour, cette accusa- tion de chiffres, ce réquisitoire de sous et deniers?
Tous les protestants de l'Europe qu'on se flattait de tromper levèrent les épaules d'horreur et de mé- pris. Le mariage du duc d'Alençon manqua définiti- vement. Montauban, Nîmes, Sancerre, beaucoup d'autres villes, principalement dans le Languedoc, l'Aunis, la Guyenne, les Cévennes et le Dauphiné , coururent aux armes.
Enfin La Rochelle, la ville des villes protestantes, refusa Strozzi , même Biron , pour gouverneurs, et elle se mit sérieusement en révolte.
Ce mot n'éveillait plus de scrupule depuis la Saint- Barthélémy. La religion de la royauté avait été déra- cinée par la royauté elle-même.
Des pamphlets protestants, oii respirait un grand souffle de liberté politique , s'imprimèrent et se répandirent. Ces pamphlets descendaient plus ou moins directement du traité de la Servitude volon- taire ou du Contre un de la Boétie. C'étaient le Ju- nius Brutus ^ la Franco -G allia , le Réveille - matin des Français.
On se posait hardiment la question suprême si longtemps ajournée : Est-il permis à des sujets in- justement opprimés de prendre les armes contre le prince devenu tyran .^^ — Oui, répondait-on. Et on déduisait les preuves.
Les catholiques, récalcitrants d'abord à cette doc- trine , l'adoptèrent bientôt aussi radicalement que les huguenots, et ils l'appliquèrent avec frénésie à
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378 " HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Henri III, le meurtrier couronné de leur héros, Henri de Guise.
Cependant rien n'était prêt du coté de la cour sous les murs de La Rochelle. Biron, grand maître de l'artillerie, n'entama les opérations du siège qu'au mois de décemhre. Les protestants avaient eu le temps de se fortifier.
Le duc d'Anjou, lieutenant général du roi, amena au camp, à sa suite, toute la plus haute noblesse. Le duc d'Alençon , qui avait pleuré la mort de Coligny, le roi de Navarre et le prince de Condé. dont tous les sentiments étaient comprimés, se trouvaient devant La Rochelle au lieu de se trouver dedans, où était leur cœur. Et avec qui ces princes allaient-ils com- battre la cité sainte du calvinisme ? avec les bourreaux de la Saint-Barthélémy, avec les ducs de Guise et d'Aumale, avec les ducs de Montpensier et de Nevers, des assassins en manteaux de velours, avec Retz, un laquais de Catherine sous les insignes d'un maréchal de France; avec Cosseins enfin, un Judas sous le cas- que, le Judas de Coligny,
Voilà l'état- major du duc d'Anjou. C'était une anarchie aristocratique, un foyer d'ambitions, de haines, d'intrigues et d'insubordination. Aussi l'at- taque fut-elle molle, indécise. La défense, au con- traire, était ardente, quelquefois furieuse.
Le brave La Noue était dans la place. Le comman- dement de Mons l'avait sauvé de la Saint -Barthé- lémy. Réduit à capituler, il était rentré en France. Charles IX, à la persuasion de sa mère, le manda au LouvFe,^ afin de s'en servir comme d'un pacificateur.
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La Noue vainquit ses répugnances et accepta l'au- dience royale.
Les traits de Charles [X étaient bien changés de- puis la Saint-Barthélémy. Tous ceux qui le revirent, après une absence, ne reconnaissaient plus le roi. L'expression surtout était autre. Elle avait quelque chose de diabolique.
Toutos les toiles et tous les mémoires attestent ce changement. Lorsque La Noue eut pénétré au châ- teau, M. de Longueville prévint le grand capitaine; il lui dit : « Mon cher La Noue, soyez modéré pen- dant cette audience, car nous n'avons plus le même maître. Son visage a maintenant en sévérité ce qu'il avait en douceur. » Sévérité est d'un courtisan; c'est atrocité qu il fallait dire.
Le roi pourtant fut très-caressant pour M. de La Noue, dont il avait besoin. Il lui proposa d'être son ambassadeur auprès des Rochelais, afin de les ra- mener à leur devoir. M. de La Noue accepta ce poste étrange à une condition : c'est qu'étant le négociateur du roi à La Rochelle, il pourrait être le général de La Rochelle contre le roi. Ce qui fut convenu. Il de- vait, du reste, quitter la ville à la première sommation de Charles IX.
M. de La Noue se présenta donc à La Rochelle, offrant ses conseils pour la paix et son expérience pour la guerre , grand diplomate pour le roi , grand capitaine contre lui , jouant ce jeu double à la clarté du soleil, et le jouant avec une loyauté parfaite.
Les Rochellais permirent à M. de La Noue de leur parler de paix , et , en attendant qu'il les persuadât ,
380 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
ils le nommèrent leur général, comme La Noue l'a- vait prévu.
De là des complications bizarres , oii cent autros que M. de La Noue auraient sombré. Lui, fut respecté par la calomnie.
Tandis qu'il prêcbait la paix en homme d'État, il faisait la guerre en héros.
Il y eut de nombreuses sorties. M. de La Noue était toujours dans le péril, et surtout là où le péril était extrême. On eût dit qu'il cherchait la mort. Il eût été heureux de tomber pour sa cause et d'échapper au rôle double qu'il menait à la fois.
Du reste, il électrisait les assiégés. Les bourgeois rivalisaient avec les soldats. Les ministres apparais- saient sans armes sur les remparts et animaient les combattants. Les femmes mêmes frappaient de l'épieu, lançaient les pierres, les pots à feu, l'eau et la poix bouillantes. Elles emportaient les morts, soignaient les blessés, distribuaient les rafraîchissements et les encouragements.
Le nom de Cohgny était partout un ralliement pour les calvinistes, pour les Rochelais particulièrement. Ce nom de leur grand chef avait désormais plus qu'un prestige, il avait une àme de vengeance. Ils le criaient dans les murs, hors des murs, sur la place publique, dans les temples, au milieu des champs de bataille et il résonnait, ce nom, parmi les hugue- nots, comme, parmi les hussites, le tambour fait de la peau héroïque de Ziska.
M. de La Noue dirigeait bien cette ardeur et il l'uti- lisait pour la guerre, mais elle lui nuisait pour la paix.
LIVUE QUARANTE ET UNIEME. 381
Il y avait deux partis dans la ville : les modérés , composés des gentilshommes et des soldats qui com- prenaient les impossibilités d'une résistance trop prolongée; puis les implacables, dont les bourgeois formaient la majorité et que les ministres embra- saient de leur ressentiment contre les assassins de la Saint-Barthélémy.
M. de La Noue, adoré du parti militaire, était alors en horreur aux ministres. L'un d'eux , Laplace, à l'issue d'un conseil oii le général avait parlé vive- ment pour un accommodement avec le roi, lui repro- cha d'abord sa mansuétude insensée, la comparant à une trahison, et, s'irritant par degrés jusqu'à la fu- reur, il osa porter sa main de prêtre sur le visage au- guste de M. de La Noue. Aussitôt les gentilshommes se précipitèrent sur le ministre et ils allaient le mettre en pièces, lorsque M. de La Noue, qui était resté calme, s'écria : « Que pas un de vous, messieurs, ne touche à un cheveu de sa tête. Reconduisez-le plutôt auprès de sa femme, afin qu'elle le soigne, car il est malade et privé de raison. «
Il y avait dans M. de La Noue , en même temps que la sagesse d'un chef et le courage d'un soldat, la pa- tience d'un Christ. Sa situation était pleine d'anxiété; il s'en dégagea, dès qu'il la vit inextricable. Il se re- tira avec l'admiration secrète des huguenots et des catholiques, des assiégés et des assiégeants.
C'est que M. de La Noue était l'un des plus grands caractères du seizième siècle.
Aucune physionomie n'est plus expressive que la sienne.
382 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Sa barbe est négligée, sa fraise mal godronnée.Son oreille se recueille et écoute, son front pensr>,son nez devine, ses yeux rayonnent, sa bouche énergique est onctueuse. Cette figure se replie et se dilate. Elle est un mélange des expressions les plus contraires. Elle est franche et fine, forte et délicate, suave et résolue.
La modération dans la vigueur et dans la bonté : voilà JM. de La JXoue.
C'était le chancelier de L'Hôpital sous la cuirasse. Même cœur, même effusion grave, même préoccu- pation d'éteindre les haines, de rapprocher les sectes, de donner la paix à tous.
Le grand capitaine La Noue, qui se battait si bien, ne songeait qu'à pacifier. Delà selle de son cheval de guerre, comme le chancelier du haut de son fauteuil fleurdelisé, La Noue ne recommandait que la conci- liation. Il ne cherchait à vaincre que pour négocier. Estimé des deux partis pour sa vertu, honoré pour sa bravoure, on le fuyait dès qu'il essayait de la per- suasion.
Son désintéressement était sans bornes. Un jour qu'il avait vendu une portion de son patrimoine pour équiper les troupes du roi , il disait simplement et sincèrement : « Tant qu'il me restera un pouce de terre et une goutte de sang, je les emploierai au ser- vice du pays où Dieu m'a fait naître. »
Ainsi se comportait M. de La Noue, modeste au- tant qu'il était vaillant. Il avait toujours sa Bible à l'arçon de sa selle ou sous son chevet. C'était sa biblio- thèque de campagne. Il cultivait sa grande àmestoïque et chrétienne par l'étude des saints livres. Seulement,
LIVRE QUARANTE ET UNIEME. 3^3
après s'être embrasé au feu des prophètes, il s'adoucis- sait à l'huile des apôtres. Par une grande exception à son siècle, il était l'homme du Nouveau Testament jtlutôt que de l'Ancien.
M. de La Noue avait cette tristesse qu'inspirent les discordes civiles. Il avait aussi par moments des saillies de gaieté militaire et des éclairs soudains d'éloquence. Ce qui est vraiment extraordinaire, c'est que ce noble aventurier des camps est l'un de nos plus admirables historiens. Sa plume valait son épée.
Son éloignement n'abaltit point les Rochelais. Ils redoublèrent d'efforts. Les hommes, les femmes et les i)asteurs luttèrent d'énergie. C'était une rivalité touchante et sublime d'héroïsme. Le bastion de rÉ-^ vangile fut un lieu de carnage, un arc de triomphe pour les assiégés , un to^mbeau pour les assiégeants.
L'armée royale illustrée de tant de princes, com- mandée par Monsieur, arrêtée si longtemps et si fort éclaircie par ces bourgeois, cela était inouï !
Le duc d'Anjou avait été effleuré au cou dans une reconnaissance.
Le duc de Nevers fut blessé en secourant le due de Guise.
Le duc d'Aumale fut tué d'un boulet de coulevrine.
Enfin Cosseins était tombé mortellement atteint, Cosseins, le traître qui avait livré l'amiral! Il avait l'àme torturée de cette indignité. Il ne pouvait se pardonner. Le remords le rongeait incessamment. Catherine exprimait cyniquement le trouble de Cos- seins : « Depuis le 24 août, disait-elle, il n'a pas eu plus de cœur qu'une iille de joie. »
384 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Les ministres triomphaient. « Voyez , s'écriaient- ils en plein temple, devant les huguenots assemblés, voyez le doigt de Dieu. Le duc d'Anjou et le duc de Nevers touchés, le duc d'Aumale et Cosseins renver- sés. C'est le commencement de la colère céleste sur les bourreaux de la Sainl-Barthélemy. Elle s'achèvera cette colère et pas un des assassins ne sera épargné ! »
Une épidémie se joignit à la mitraille pour ravager l'armée royale. Les assiégeants étaient las et humi- liés. Le roi et la reine mère étaient impatients d'une solution pacifique.
Une occasion était nécessaire. Elle s'offrit d'elle- même. Le duc d'Anjou devint roi de Pologne. On ne songea plus qu'à ce lointain voyage. On brusqua les négociations avec les Rochelais. On leur accorda , ainsi qu'aux députés de Nîmes et de Montauban, le libre exercice du culte réformé pour les trois villes, et l'exemption de garnison. On étendit le droit de prêche aux seigneurs hauts justiciers qui n'avaient point abjuré, à l'exemple du roi de Navarre et du prince de Condé^ mais la liberté de conscience sans culte était seule garantie au reste du royaume.
Ce traité, glorieux pour ceux qui l'avaient signé, était trop insuffisant pour les autres calvinistes. Beau- coup le dédaignèrent.
Sancerre ne se rendit point. Elle voulait les mêmes conditions que La Rochelle. Elle continua, sous son baiUi Joanneau, un siège de huit mois, au milieu d'une famine épouvantable. On faisait des bouillons de parchemin. On mangea la peau séchée des chiens , des chevaux et des chats, les cuirs des bottes, des
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brides et des selles, détrempés avec beaucoup d'eau et un peu de vin, étaient distribués parcimonieuse- ment. Pour tout dire, une petite fille de trois ans était morte et enterrée depuis trois jours : son père et sa mère la déterrèrent pour la manger. Ils furent brûlés par sentence de justice.
Ce fut pendant ces deux terribles sièges de La Rochelle et de Sancerre, le 15 mars 1573, que suc- comba L'Hôpital, le plus grand chancelier et l'un des plus grands hommes de la France.
Il mourut de la Saint-Barthélémy comme l'amiral, mais il en mourut lentement.
Il vivait à Vignay dans cette retraite que nous avons décrite. Le 25 août 1572, la plèbe d'Étampes et des environsde Vignay accourut sur les domaines du chan- celier. Elle s'empara des fermiers, les enchaîna et les emmena, après avoir un peu pillé. Elle n'osa point passer des fermes au cnâteau où l'attendait l'intrépide chancelier, sur l'escalier à deux branches de fer qui subsiste encore aujourd'hui.
Il y eut une seconde alerte. On vint dire à L'Hôpi- tal qu'une troupe nombreuse s'avançait. Les servi- teurs étaient effarés et voulaient barricader les deux portes de la grande cour, u Non, non, s'écria le chan- celier, et si la petite n'est bastante pour faire entrer ces assaillants, ouvrez la grande. »
Nous avons touché respectueusement ces deux portes l'une basse et carrée, l'autre très-haute et cintrée , chacune à vieilles ferrures et à clous. Du côté de la cour, en dedans, la cloche d'alarme sur- monte toujours la petite porte.
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386 HISTOIRE DE LA. LIBERTE RELIGIEUSE.
Elles furent ouvertes selon Tordre de L'Hôpital et ceux que l'on supposait des massacreurs dépassèrent les seuils. On s'était trompé. C'étaient des cavaliers envoyés par Catherine de Médicis, moins pour dé- fendre le chancelier que pour préserver des papiers confiés par la reine mère à L'Hôpital. Il les avait en- fouis dans un caveau où nous avons pénétré, sous le grand escalier.
Le chef de cette cavalerie, introduit auprès du chan- celier, ayant parlé maladroitement de grâce : « Je ne savais pas, lui répondit froidement L'Hôpital, que j'eusse mérité la mort ou le pardon. »
Inaccessihle à toute crainte personnelle, quand le chancelier eut été rassuré sur sa fille Madeleine qu'avait sauvée à Paris la duchesse de Nemours, la grande âme de L'Hôpital fut hrisée d'une sainte dou- leur puhlique. Tous les eflorts de sa vie avaient donc abouti làl H s'était dévoué trente années à prévenir cette immense efTusion de sang et de haine. L'œuvre de chacune de ses heures était anéantie.
Il n'écrivit plus guère que deux poésies, l'une àla duchesse de Nemours, Anne d'Esté, l'autre à la du- chesse de Savoie, son illustre et constante amie.
A LA DUCHESSE DE NEMOURS,
. ANNE D'ESTE.
« Ma fille, la seule sur trois, qui ait survécu, elle vit, elle vit par vous, Anne d'Esté, car vous l'avez arrachée au massacre dont Paris était l'épouvantable théâtre.
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME. 387
« Depuis ce jour, je ne la regarde jamais sans être ému de reconnaissance pour vous, de ce qu'elle peut encore s'asseoir à mes côtés et seconder sa mère dans l'intérieur de ma maison.
« En l'abritant, vous avez rendu la vie à neuf en- fants, à son père, à sa mère, à son mari qui tous ne res- pirent que par elle et pour elle. Elle nous a raconté avec quelle sollicitude vous l'avez soignée pendant qu'elle était malade et alitée, avec quel zèle vous avez écarté les meurtriers de votre palais; car la furie des massacreurs n'épargnait point les mères de famille; les enfants à la mamelle étaient eux-mêmes précipités dans les flots de la Seine. »
A MARGUERITE,
DUCHESSE DE SAVOIE.
« J'ai perdu ma gaieté, mon goût d'écrire.
Mes concitoyens se sont armés les uns contre les au- tres, et cette guerre impie a semé la France de ruines et de tombes. Je vis, comme Laërte, dans une cam- pagne solitaire.
« J'ai eu peine à échapper aux horribles tentatives d'un peuple en démence, à la fureur des jeunes paysans d'alentour. Ma fille, qui par hasard se trou- vait à Paris , m'a été conservée par Anne d'Esté ; car ni son âge, ni son sexe n'élaient une protection,
« Maintenant laboureurs et citadins jouissent du repos. Ne vous figurez pas cependant que je profite de cette sécurité. Fasse le ciel que je sois comme mort
388 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
pour le monde, quf je ne vive plus qu'en Dieu \ fasse le ciel qu'oubliant ce qui me touche, j'étudie les lois divines, foulant aux pieds la muse et la lyre profanes pour changer en joie immortelle la somlDre affliction dans laquelle je suis plongé. »
« J'ai trop vécu, écrit-il encore aux filles de Jean Morel, puisque j'ai vu de mes propres yeux un roi doux métamorphosé en un tyran féroce... »
L'afïliction dévora peu à peu le chancelier jusqu'à la moelle et l'indignation le tua. Il mourut et voulut mourir. Il était las de cette terre, où tout n'est que dissension et carnage -, il était impatient de l'infini où règne la paix qu'il n'avait pu donner à son siècle. Excidat illa dies ..., répétait-il en gémissant. Ce formidable désespoir eut bientôt enlevé L'Hôpital.
Tout impuissante qu'ait été son action , le magna- nime chancelier fit plus peut-être que tous les politi- ques de son temps : il légua à l'avenir l'idéal du véri- table homme d'Etat selon l'héroïsme et selon la conscience. Ceux qui s'efforcent de l'imiter sont déjà grands par cela seul. Bénie soit donc la mémoire de celui qui vécut de l'amour de ses semblables, qui mourut de pitié pour eux, et que ce serait assez louer, ne dit-on de lui que ces deux choses : Il a repoussé l'inquisition du royaume de France , et il a préparé , par ses édits successifs, l'édit de Nantes, qui n'en fut en réalité que le couronnement.
L'Hôpital avait déhuté dans les grands postes par être surintendant des finances. Il porta dans ce mi- nistère l'austérité que montra plus tard Sully, mais
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME. 389
avec moins de rudesse. Son intégrité était douce quoique énergique.
Il parvint ensuite au sommet de la magistrature. Comme chancelier, il fut l'auteur laborieux , infati- gable et savant de ces belles ordonnances, les sources lointaines de nos codes. Celles qu'il ne rédigea pas lui-même, il les inspira. Il était le maître des grands légistes. Il mène, au seizième siècle, le groupe des jurisconsultes: Cujas, de Thou, Harlai, Pithou, Gui Coquille, Loysel, comme Coligny et François de Guise, comme Jean Goujon, Rabelais et Ronsard mè- nent les groupes des guerriers, des artistes, des écri- vains et des poètes.
Au reste, ces deux profondes aptitudes des finances et de la législation ne furent que des spécialités pour L'Hôpital.
Son grand rôle, ou plutôt sa grande intention fut générale. Il voulutconcilierl'inconciliable. Il y échoua personnellement; mais que de force, que de con- science, que de persévérance, quel caractère il voua à cette œuvre divine ! Si bien, qu'il la rendit possible pour Henri IV.
Autant que l'histoire, le portrait du chancelier témoigne de sa vie.
L'Hôpital n'est plus jeune. H a beaucoup lutté; il a combattu les protestants , les catholiques. Il aspire à leur embrassement. Il n'est pas découragé. Un peu d'espérance mêlée de beaucoup d'inquiétude luit sur ses traits vénérables. Son front est vaste comme la phi- losophie qui comprend toutes les sectes et qui les do- mine ■, ses yeux sont splendides comme l'intelligence;
35,
399 HTSTOmE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
sa bouche , incomparablement pensive , est triste comme l'expérience, suave comme la religion. La miséricorde coule de sa barbe blanche et s'exhale au- tour de ses vêtements. Sa simarre dénouée flotte comme une tunique d'apôtre, et il semble que chacun des longs plis secoue une vertu sur les traces de ce représentant du droit. Quelle noble candeur, quelle austérité aimable!
La Saint-Barthélémy bouleversa ce visage et l'en- veloppa d'un nuage noir. L'astre le plus propice de la France se voila, puis s'éteignit. Ce grand homme mort, les ténèbres recommencèrent dans les hautes régions du gouvernement et de la justice.
De telles âmes sont rares. Quand une d'elles appa- raît, il faut l'aimer: quand elle se retire, il faut la pleurer, la recommander à un éternel exemple.
L'Hôpital , qui honore tant la nature humaine, ré- sumait toutes les grandeurs de son siècle. Erudit, il savait l'antiquité comme un Aide ou comme un Estienne. Profond comme un Dumoulin, il avait étu- dié le droit dans sa trinité obscure et majestueuse: le droit coutumier, le droit canon et le droit romain. C'est de ces trois foyers qu'il tira toutes ses ordon- nances que nous avons mentionnées déjà et qui ont fondé, à tant d'égards, la législation des temps mo- dernes.
Il se reposait du droit par la poésie , par les pro- phètes et par l'Évangile.
Il avait puisé dans la philosophie de Platon et dans celle d'Aristote cette sublimité et cette étendue de l'esprit qui mènent à la tolérance pour les idées. II
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME. 391
avait bu au torrp.nt d'Homère, mais il s'était enivré à cette exquise mélancolie rie Virgile qui correspon- dait en lui à une mélancolie bien plus anière, bien plus tragique, la mélancolie des guerres civiles. Sa sensibilité intérieure avait deux formes. Tantôt elle s'allumait et alors le chancelier tonnait contre les juges prévaricateurs et les faisait trembler jusque sur les sièges de leur palais, qu'il appelait « une maison mal réglée. » Tantôt cette sensibilité s'échappait en tendresses, en mansuétudes. Il bénissait alors, il aspi- rait à la paix des religions, à la réconciliation des intérêts, à la concorde des âmes-, et, déçu dans les vœux de toute sa vie, lui, le sénateur stoique de la vieille France, il mourait des éclaboussures du sang de la Saint-Barthélémy.
Il a déclaré sans cesse, tantôt familièrement, tantôt solennellement, qu'il n'était chrétien ni à la manière des catholiques, ni à celle des protestants. Comment donc était-il chrétien? Il l'était par l'amour de Dieu et par l'amour des hommes; il l'était par la tolé- rance, par la charité, par la prière; il l'était par la pureté, par le dévouement, par le sacrifice. Il ne l'é- tait point par les superstitions ni par le fanatisme. II repoussait l'absurde, sondait le merveilleux, et pour rien au monde il n'aurait voulu, soit en régner, soit même en vivre.
Ah! que Dieu nous donne la sagesse dans la même mesure qu'au chancelier de L'Hôpital, et, ce qui vaut mieux , qu'il nous envoie un vaste mouvement de cœur au delà de la sagesse, dussions-nous en mourir comme ce grand homme.
392 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Je me suis recueilli toute une journée dans la pe- tite chambre de Vignay où L'Hôpital expira. Je sen- tais monter du parc les parfums par la fenêtre et courir par la bibliothèque, si souvent transformée en oratoire, les grandes pensées meilleures que les par- fums.
Je me suis dérobé à ces reliques du chancelier et j'ai suivi le chemin du convoi funèbre qui emporta L'Hôpital à sa paroisse de Champmoteux. Parvenu au village, près de l'église, j'ai traversé le petit ci- metière dont elle est environnée. J'ai marché par la nef jusqu'au tombeau du chancelier qui porte cette inscription :
MICHAEL DE L'HOSPITAL excessit
E REBUS HUMANIS , , ^ ANNO DOMINI
MDLXXIII.
Ce tombeau est orné d'une statue couchée de L'Hô- pital. Le grand chancelier a les moins jointes dans la prière. Il est simple et modeste à Champmoteux, sous ces voûtes de la mort. Sa dépouille repose là, parmi les blés et les fleurs, tandis qu'il est le frère des justes au ciel, et le modèle des hommes sur la terre.
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME
Levée du siège de La Rochelle. — Le duc d'Anjou roi de Pologne. — L'évêque de Valence. — Son habileté. — Le nouveau roi de Pologne au Louvre. — Ambassade des palatins. — Leur séjour à Paris. — Succès de la jeune feine de Navarre, qui les harangue en latin. — Dîner aux Tuileries. — Voyage du duc d'Anjou. — L'hospitalité de Heidelberg. — Les compagnons du roi de Pologne: les ducs de Nevers, de Mayenne, de Nemours; les comtes d'Elbeuf, . de Chaune , de Rochefort et de Retz ; Quélus , Bellegarde , les Entragues et Gordes; Ponijtonne de Bellièvre, Du Faur de Pibrac et Souvré ; Miron ; Grillon et Bussy d'Amboise. — Épisodes. — La reine mère, retournée de Biamont, se constitue la gardienne des droits du duc d'Anjou. — Conjuration des princes. — La Môle et Coconas décapités. — Prise de Monlgommery. — Mort de Gharles IX.
Le duc d'Anjou, nommé roi de Pologne, avait quitté le camp avec son magnifique état-major de princes, son honneur à peine couvert par le traité de La Rochelle, car cette citadelle du calvinisme n'a- vait pas été prise. Monsieur s'était rendu à Paris pour joindre l'ambassade qui lui apportait la couronne des Jagellons.
Le négociateur qui avait déterminé l'élection du duc d'Anjou au trône de Pologne était Jean de Mont- luc, frère cadet de Biaise de Montluc, le féroce capi- taine.
Jean de Montluc est le Talleyrand du seizième siè- cle. 11 avait le génie astucieux de la diplomatie. Il
304 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
était prêtre, êvèque de Valence, boiteux et marié clandestinement. Il eut même un fds, Balagny, qu'il finit par reconnaître et qui, comme son oncle Biaise de Montluc, obtint le grade de maréchal de France, mais qui le mérita moins.
L'évêque de Valence était un esprit trés-fin, très- souple, peu scrupuleux, et qui subordonna toujours les principes aux circonstances. Il accomplit seize ambassades. La plus célèbre est celle de Pologne, puisque l'évêque de Valence y fit un roi par la grâce de sa prodigieuse habileté.
Il s'aventura peu de jours avant la Saint-Barthé- lémy, à travers la Lorraine, l'Alsace, l'Allemagne et le marquisat de Brandebourg , jusqu'aux frontières de Pologne. Là, il apprit que la peste ravageait tout le royaume. Il ne recula pas. Il s'enfonça, malgré le fléau, dans cette Sarmatie féodale. Il aurait voulu al- ler à Varsovie de maison en maison de gentilshommes. Mais il ne le pouvait pas souvent. Il lui fallait sans cesse coucher dans les bois avec sa suite, à l'écart de l'épidémie. Il posait ses tentes sous les dômes des forêts, ou bien dans les clairières sous l'azur étoile du firmament. On eût dit une caravane d'Orient égarée dans le Nord.
Un soir, très-tard, à près de minuit, l'évêque fit sonner du cor à la porte d'un château isolé. Le maître du château se nommait Saboski. Après beaucoup de difticultés, il consentit à recevoir l'évêque de Valence, mais à une condition, c'est que les Français et M. de Montluc lui-même parqueraient dans la basse-cour. Ce qui fut fait.
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME. 395
Le lendemain, le gentilhomme polonais manda l'é- voque jusqu'à son seuil . d'où il lui montra de loin huit filles et trois (ils. « Ceci vous explique ma con- duite, dit-il; si vous étiez pestiféré, cette chère fa- mille succomberait peut-être. » Tout en parlant, le gentilhomme s'enhardit, attira l'évêque, le fêta de son mieux, et, au départ, lui donna une carte des manoirs oiî il lui conseillait de s'arrêter et où il se- rait admis.
Ces renseignements furent très-utiles à M. deMont- luc. Cet ambassadeur, une fois à portée de la Diète, eut beaucoup d'obstaces politiques à vaincre avant de faire élire roi le duc d'Anjou.
Le plus grand de tous fut le crime de la Saint-Bar- thélemy dans lequel on impliquait le duc. « Le véri- table empêchement pour M. de Montluc , dit un de ses secrétaires, Jean Choisnin, à qui nous devons la relation du voyage , c'estoit la nouvelle de Paris. Toutes les sepmaines, l'on apportoit des paintures où l'on voyoit toute manière de mort cruelle repré- sentée. L'on y voyoit fendre les femmes pour en ar- racher les enfants non encore nés. Le roy et le duc d'Anjou estoient là spectateurs et excitateurs de cette tragédie. »
Les palatins et les nonces, dont plusieurs étaient protestants, se livraient à des accès de colère et ju- raient, les dames pleuraient : l'évoque de Valence niait alors hardiment et disculpait la famille royale.
Il y réussit à force de ruses , de fermeté , de lar- gesses, de mensonges redoublés-, et le duc d'Anjou fut élu. M. de Montluc était fort bien secondé par
396 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
M. de Lanssac et par l'abbé de l'Isles , en quelque sorte ses coadjuteurs diplomatiques.
Il les avait initiés l'un et l'autre à ses ambiguïtés. L'évêque de Valence avait beaucoup navigué sur le Rhône dans sa jeunesse et il aimait à naviguer sur la Vistule pendant son ambassade. Il gouvernait très- bien une petite barque polonaise amarrée pour lui à la rive. Il était nautonier autant que négociateur. Le diplomate chez lui , par un retour singulier, res- semblait au matelot qui trompe sur ses évolutions et qui tourne le dos à la grève où il est résolu de tou- cher. Sa manière de boiter en marchant était un autre emblème de son génie. Ses voies étaient obli- ques et il décrivait adroitement des lignes courbes, soit avec lenteur, soit avec rapidité, selon l'occur- rence.
On attendait à Varsovie et dans les villages voisins cent mille gentilshommes pour l'élection ^ il n'y en eut guère que quarante mille, à cause des rigueurs et des prolongements de l'hiver.
Le conseil s'installa en pleine campagne à plus d'une lieue de la ville.
« Il y avoit là une douzaine de grands pavillons pour mettre à couvert, quand besoin estoit, la no- blesse et les ambassadeurs. Il y avoit aussi une grande tente ronde soustenue par un seul mast, qui estoit capable de contenir cinq à six mille personnes. Dans cette tente se trouvoient, tous les jours, l'ordre ec- clésiastique, les palatins, castellans, capitaines, et ambassadeurs qui estoient huit de chaque palatinat, pour rapporter tous les. soirs à leur noblesse , chacun
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME. 397
en son quartier, ce qui avoit esté fait ce jour-là. Tou^ autre gentilhomme poUac (polonais), selon sa liberté, y pouvoit aussi venir, tellement qu'il y avoit sans cesse une belle et grande compagnie.
« Je (liray en passant une chose qui semblera es- trange : c'est que cent mille chevaux ont demouré es environs de Warsovie six sepmaines, sans qu'ils sovent esté plus loing de trois lieues; et toutes fois n'y a ja- mais eu faute de foing, d'avoine, de pain, de chair, de poisson, ni de vin aussy. Je dirai de plus, que dans ceste foule n'a esté entendu un mutinement, ny une querelle. »
H avait été convenu, pour cette solennelle élection, que les ambassadeurs des quatre concurrents dont les seuls sérieux étaient le duc d'Anjou et l'archiduc Ernest, feraient des harangues. Ces harangues de- vaient être tirées chacune à quarante exemplaires, et tout palatin devait en communiquer un à la noblesse de son quartier.
L'ambassadeur français, M. de Montluc, qui avait vécu au sein des guerres civiles et qui n'ignorait pas l'influence de la presse dans les grandes affaires, ap- pliqua cette formidable puissance à l'élection. II com- posa son discours en latin. Il le fit traduire en polo- nais par M. Solikoski. Choisnin, secrétaire de l'évéque de Valence , partit pour Cracovie , fit imprimer à quinze cents exemplaires l'allocution et revint à Varsovie.
Le 10 avril, M. de Montluc parla pendant trois heures, sous la grande tente ronde, au milieu du si- lence d'abord, puis de l'enthousiasme de six mille m. 34
398 IIISTOmE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Castellans. Une chose qui fut fort remarquée, et qui fut interprétée comme un favorable augure, c'est qu'une alouette quitta son sillon, se percha sur le mât de la tente et ne cessa d'accompagner de son chant l'éloquence de l'ambassadeur français. Cette éloquence disséminée dans tous les quartiers, par les ' exemplaires imprimés d'avance, donna à M. de Mont- luc un avantage prodigieux sur ses rivaux et décida l'élection.
Voilà pour l'action publique. Son action privée et d'homme à homme était plus foudroyante encore. Un palatin, après une conversation avec l'évèque de Va- lence, disait : « Il m'a révélé ce que j'avais dans ma fantaisie, quasi pernociasset in corde meo, comme s'il eût veillé toute une nuit dans mon cœur. »
C'est ainsi que manœuvra M. de Montluc, si bien, que, l'élection venue , le duc d'Anjou, sur quarante mille votes à peu près , en eut environ trente-neuf mille cinq cents. L'imperceptible minorité se rallia même en définitive au duc d'Anjou, excepté l'évèque de Plosko,qui persista seul généreusement pour l'ar- chiduc Ernest.
Cette élection s'était faite le 9 mai (1 573), la veille de la Pentecôte, vers sept heures du soir. L'archevêque primat de Pologne s'écria dans un transport de joie et trois fois de suite : « Nous avons pour notre roi le très-illustre duc d'Anjou , frère du roi de France. » Ces paroles électriques furent répétées par des mil- liers de gentilshommes.
Il restait quelque doute cependant,, malgré l'assu- rance de M. de Montluc, sur la complicité du duc
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME. 399
d'Anjou dans la Saint-Barthélemy. Car lorsque l'am- bassadeur français eut prêté le serment accoutumé pour le nouveau roi de Pologne entre les mains de l'archevêque, le palatin de Cracovie somma M. de Montlucde prêter un autre serment, un serment inu- sité ainsi conçu : « Le roi s'engage à maintenir en paix ceux qui sont de différentes religions et n'es- sayera de les ramener ni par sang, ni par cruauté. »
L'évêque de Valence s'étant résigné à ce second serment auquel il ne s'attendait pas, le palatin de Cracovie , comme maréchal du royaume , le palatin Oppalinski, comme maréchal de la cour, et le grand capitaine de Samogitie proclamèrent successivement le duc d'Anjou roi de Pologne. Après quoi , le Te Deunt fut entonné « avec effusion de larmes. »
Une députation fut ensuite nommée pour porter à Paris la proclamation. L'évêque de Valence prit les devants et forma pour ainsi dire l' avant-garde des palatins. Il était malade de tant de fatigues, heureux néanmoins d'avoir exécuté ce grand dessein de faire un roi.
11 fut bien accueilli par Charles IX qui n'était pas fâché d'être délivré de son frère. Mais le duc d'Anjou et la reine mère qui redoutaient ce lointain voyage et qui convoitaient la couronne de France , déjà très- chancelante sur la tête de Charles, firent très-mauvais visage au pauvre ambassadeur, et, selon d'Auhigné, le regardaient de travers.
Le prélat, qui était un homme de tant d'esprit, s'efforça d'intéresser la reine mère et Monsieur en leur retraçant les incidents les plus remarquables de
400 IlISTOmE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
son voyage. Il leur montra la Pologne d'une étendue de territoire très-vaste. 11 peignit la noblesse sous les plus brillantes couleurs. Aucun royaume n'en a une aussi nombreuse, disait Tévèque de Valence. Elle est brave, fidèle, hospitalière, prompte à s'instruire des langues de l'Europe, patiente aux fatigues, rompue aux privations, aux travaux, à la faim, à la sc-f, ca- pable d'honorer un règne. L'évèque de Valence con- cluait que l'élection du duc d'Anjou était un grand avantage pour les Valois. Car le dernier Jagellon, Si- gismond II, n'était pas un petit compagnon sur le trône de Pologne, et, à l'heure de sa mort, cinq cents chevaux hennissaient dans ses écuries.
M. de Monlluc, du reste, ne dissimula pas les en- gagements qu'il avait signés au nom de Monsieur et de Chaiios IX. Il avait stipulé une alliance perpétuelle entre les deux royaumes, un traité de commerce et une promesse formelle que, chaque année, les revenus de tous les domaines du duc d'Anjou seraient consom- més en Pologne.
La diète de Varsovie avait de plus réservé la liberté religieuse et l'amnistie complète pour les huguenots de France.
Ces diverses concessions de Montluc furent très- utiles à Sancerre, qui, après huit mois d'une résis- tance désespérée, se soumit enfin le 19 août 1573, jour de l'entrée des palatins et des nonces à Paris.
Sous le coup des apologies de l'évèque de Valence, la reine mère, qui désirait justifier à son tour aux yeux des Polonais le duc d'Anjou de toute participa- lion à la Saint-Barlhélemy, conseilla au roi d'accorder
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME. 401
aux Sancerrois une capitulation favorable. Ils eurent la vie et les biens saufs. Le libre exercice du calvi- nisme leur fut garanti. Catherine insinua fort habile- ment aux palatins que c'était le duc d'Anjou qui avait dicté , à leur considération , ce traité de clémence au roi.
Les palatins furent enchantés de l'accueil qui leur fut fait. Charles IX, qu'ils allaient débarrasser de son frère, leur parla très-courtoisement. Catherine affecta un air de bonhomie qui lui réussissait toujours avec ceux qui ne la connaissaient pas. Le duc d'Anjou, qui avait beaucoup d'aisance, des grâces de Français et des finesses d'Italien, dissimula son mécompte et cap- tiva ses rudes sujets.
Ils furent charmés aussi et surtout de madame Mar- guerite, la jeune reine de Navarre.
Ces Castellans en costumes pittoresques relevés par des fourrures de martre et d'hermine intéressèrent la reine, et elle fut aimable avec eux. Elle était dans toute sa fleur. Elle n'avait pas plus de vingt et un ans. C'était douze mois après la Saint-Barthélémy. La cour avait repris ses jeux et ses fêtes, au bord de son fleuve, avant qu'il eût perdu la couleur du sang. Des balcons du Louvre , l'horizon était bien tragique au dehors, mais au dedans il n'était que divertissements, que musique et que danses.
Celte ambassade polonaise fut une diversion de plus aux remords de la fnmille royale, dont elle sem- blait d'ailleurs absoudre les crimes et dont elle flat- tait l'ambition. Le débordement des plaisirs recom- mença à rouler plus impétueux.
54,
402 HISTOIRE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
Les nonces étaient gagnés par la politesse des sei- gneurs, par les dîners homériques offerts à leur inten- tion. Us vantaient beaucoup les vins de France, qu'on leur prodiguait. Ces étrangers, les plus hospitaliers du monde, appréciaient l'hospitalité qui leur était donnée. Ils buvaient le bordeaux, le bourgogne, le Champagne comme ils faisaient boire chez eux, où la vigne est inconnue, dans des hanaps intarissables , les flots rouges ou blancs des clos les meilleurs, soit de Hongrie, soit de Moravie, soit du Rhin, sans compter l'alicante et le malvoisie, qu'ils aimaient à verser le long des repas. Ils retrouvèrent à Paris l'image de leurs munificences de table. Us furent très- sensibles à cette attention de la cour, mais par fierté nationale ils évitèrent toute intempérance. Dès cette époque , il n'y avait rien de plus noble qu'un Cas- tellan, ni rien de plus séduisant qu'une grande dame de Pologne.
Les palatins soutinrent à la cour de France la di- gnité de leur nation -, ils furent magnifiques et cheva- leresques.
Le roi était triste au milieu des folles joies, la reine mère était préoccupée, le duc d'Anjou soucieux, quoique enivré.
La jeune reine de Navarre, dont les noces avaient été le prélude du plus grand fo)'fait de tous les siècles, était revenue de son effroi et s'étourdissait gaiement; elle se plongeait dans l'oubli du passé avec le vertige délicieux et terrible de ces temps de fièvre chaude.
Du milieu de ce tourbillon rapide où elle vivait , elle était ponctuelle aux devoirs extérieurs de son
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME. 403
rang, aux exigences que lui imposaient soit l'éti- quette, soit les bienséances, soit les occasions.
Ainsi, quand les ambassadeurs polonais eurent sa- lué les trois principaux personnages de la famille royale, et qu'ils abordèrent avec de grandes démon- strations la jeune reine Marguerite, elle les reçut à ravir, et ne fut non plus surprise que sa mère ou que ses frères Charles et d'Anjou. L'évêque de Cracovie, le plus disert d'entre tous les ambassadeurs polonais, harangua Marguerite en latin. Elle , sans s'étonner, lui répondit dans la môme langue , comme auraient pu le faire, à la cour de son grand-oncle Léon X, les' cardinaux Bibienna et Bembo ou le comte de Casti- glione. Les gentilshommes polonais applaudirent au discours de la reine de Navarre et à son charme. L'un d'eux, dans un élan tout oriental, s'écria qu'à l'exemple de certains Turcs qui ont visité la mosquée de la Mecque, il ne lui restait plus qu'à se brûler les yeux en les fixant sur des bassins d'airain aident, car il n'y avait plus rien à voir après avoir vu une telle princesse.
Mais la solennité la plus éclatante pour l'ambassade étrangère et pour Marguerite fut le dîner que donna la reine mère aux nonces , en son château des Tuile- ries. Ce château , le chef-d'œuvre de Philibert De- lorme, l'intendant des bâtiments de Catherine de Mé- dicis, venait d'être achevé dans sa forme primitive. Il était composé des ordres d'architecture que la reine mère préférait : l'ionique et le corinthien. Il y avait au centre un pavillon , puis deux galeries latérales jusqu'aux extrémités terminées par deux autres pu-
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villons. Le pavillon du milieu, où fut pratiqué le grand escalier, était couvert par une coupole arron- die harmonieusement et très-supérieure à l'affreuse toiture d'aujourd'hui. La façade du palais avec ses trois pavillons, rejoints par deux portiques chargés de deux terrasses, s'étendait dans la pompe, dans l'attrait de la nouveauté, et dominait les jardins qui renfermaient alors une volière immense , une ména- gerie, un étang, une orangerie et une garenne. Ce palais , idéal d'une princesse florentine et d'un grand architecte, élevait majestueusement au-dessus de ses colonnes brunes et rouges son front de marbre doré par le soleil de la renaissance.
C'est là, dans cette demeure splendide, que Cathe- l'ine de Médicis invita les Polonais à un banquet. Mais ils furent moins éblouis du luxe de cette rési- dence que de la beauté des femmes. La reine Margue- rite eut la principale gloire de cette féerique journée. Elle était mieux vêtue qu'elle ne fut jamais. Elle portait une robe de velours incarnat, et un bonnet de même étoffe étoile de diamants et de pierreries entremêlées de plumes mouvantes. Dès qu'elle parut, il n'y eut qu'un cri , malgré le respect du lieu , de la personne, et le cérémonial en présence des reines et des princesses. Le seigneur Pierre de Bourdeille, qui était à côté de M. de Pionsard , lui dit : « Monsieur, cette jeune déesse de la terre n'est-elle pas aussi blanche et vermeille que l'Aurore, cette autre déesse, cette déesse du ciel? » M, de Ronsard s'inclina en signe d'assentiment, et le poëte fut même si content de lacomparaison du courtisan, qu'il en fit un sonnet.
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Marguerite jouit bien de son triomphe, et elle en fut si reconnaissante à son costume de velours incar- nat qu'elle voulut être peinte plus de vingt fois sous ce costume.
Le 9 septembre, le duc d'Anjou , en pleine cathé- drale, à Notre-Dame, jura sur l'Évangile de respecter les droits de ses sujets polonais. Mais il ne pouvait s'arracher du Louvre.
Il accumulait délais sur délais. Il était amoureux de la princesse de Condé, Marie de Clèves, sœur de la duchesse de Nevers et de la duchesse de Guise. Il tenait par mille racines vives à toutes les habi- tudes de luxe, d'esprit, de volupté, qui faisaient de la cour des Valois un séjour incomparable.
Et puis Charles IX baissait. Sa santé profondément altérée ouvrait à son héritier une perspective pro- chaine. Et cet héritier, c'était le duc d'Anjou. Son absence pouvait lui devenir fatale. Les politiques et les huguenots dont il était haï ne profiteraient-ils pas de son éloignement pour couronner à sa place le duc d'Alençon? Ces pensées agitaient Monsieur, et Ca- therine de Médicis partageait les inquiétudes de son filsbien-aimé. Elle obtint une déclaration de Charles IX qui conservait au duc d'Anjou, nonobstant l'accepta- tion du royaume de Pologne, tous les droits qu'il avait au royaume de France.
Cette complaisance , qui avait coûté à Charles IX, était inutile. Monsieur ne partait pas.
Le roi, qui devinait sourdement sa mère et son frère, s'impatienta. 11 se réveilla de sa torpeur. Il renonça à une ou deux chasses, voulut qu'on lui ap-
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portât toutes les dépêches, couvant sa fureur comme uu orage, et jurant à faire trembler les murs du Louvre. Enfin, il dit à son frère devant Catherine de Médicis : « Par la mort-Dieu, il faut que l'un de nous deux sorte du royaume et si ce n'est moi, ce sera vous. » La reine mère et le duc d'Anjou effrayés se soumirent très-humblement et le départ fut fixé au 28 septembre lo73.
Charles , comme pour mieux jouir et se mieux as- surer de ce départ, déclara qu'il conduirait son frère jusqu'en Lorraine. Il se mit en route et ne put dé- passer Vitry-sur-Marne. La petite vérole le retint en Champagne. La reine mère accompagna le roi de Pologne à Nancy, puis à Blamont. Là, ils se séparè- rent. Catherine était fort émue. Elle dit au duc d'An- jou : « Allez, mon fils-, vous ne demeurerez guère. »
Le duc se dirigea sur Heidelberg. (V. une gravure rare du prince à cette date, cart. de M. Hennin.) Le train du nouveau roi était de six cents chevaux envi- ron. Il emmenait les ducs de Nemours, de Mayenne et de Nevers, les comtes d'Elbeuf, de Chaune, de Roche- fort et de Retz, Quélus, Bellegarde, les Entragues, et Cordes. Ses meilleurs et ses plus habiles conseillers étaient Pomponne de Bellièvre, Du Faur de Pibrac et Souvré; son médecin le plus savant, Miron; et ses deux plus intrépides compagnons de voyage, Bussy d'Amboise et Crillon.
L'électeur palatin reçut le duc d'Anjou avec une politesse froide. Le roi de Pologne s'aperçut, au premier regard, qu'il était chez un juge plutôt que chez un hôte.
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A table, les seigneurs de la cour électorale conver- saient en allemand de la Saint-Barthélémy. Les ducs de Nemours et de Nevers qui entendaient cette langue ne perdaient pas un mot de leurs injures. Ces gen- tilshommes, tous protestants, désignaient leâ Guise sous le sobriquet de bouchers lorrains ; et les favoris de Catherine de Médicis, sous celui de traîtres ita- liens. C'étaient en effet presque les seuls auteurs de la Saint-Barthélémy. Parmi les conseillers du mas- sacre , il n'y avait de Français que le duc d'Anjou et '; Tavannes -, encore l'un avait-il une mère italienne et l'autre une mère allemande , de sorte qu'on pourrait dire que ce grand attentat est un attentat étranger. Le roi de Pologne, qui sentait partout la pointe du ressentiment calviniste, feignait de son mieux et s'ef- forçait de faire bonne contenance.
Il ne réussissait pas toujours à cacher sa frayeur. Une après-midi, l'électeur le conduisit à sa galerie de tableaux. Il s'arrêta devant le cadre le plus riche, le plus isolé et le mieux éclairé de tous. La toile de ce cadre était cachée par un rideau de soie. Le palatin tira le rideau et demanda vivement au roi de Pologne s'il connaissait l'original de ce portrait. « C'est M. l'a- miral, répondit le roi en pâhssantde terreur. — -Oui, reprit le palatin, vous l'avez nommé, c'est M. l'ami- ral, le plus homme de bien, le plus redoutable capi- taine, la meilleure tête et le plus grand cœur de son siècle. J'ai ouvert mes maisons et mes Etats à ses fils et à ses amis, afin de les soustraire au massacre des chiens de France. « L'électeur fit une pause-, puis d'un accent où vibrait la haine : « Tous ceux, s'écria-
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t-il , qui ont comploté la mort de ce grand homme, ont mérité mille morts. »
Le roi de Pologne pâlit de plus en plus et il eut beaucoup de peine à achever la visite de la galerie.
Il se hâta de quitter Heidelberg et s'en alla par Francfort, par la Hesse, la Saxe, la Bavière et le marquisat de Brandebourg jusqu'aux frontières de son royaume.
Il y eut en Saxe, dans le cortège du roi de Pologne, entre Bussy d'Amboise et Grillon une querelle qui aurait pu être tragique. Bussy était un des bourreaux et Grillon un des improbateurs de la Saint-Barthé- lémy. Ils étaient rivaux de courage, de célébrité, de faveur.
Cadet d'une illustre famille de Provence originaire du Piémont et alliée aux Valois, Grillon encore enfant fut inscrit dans le livre d'or des chevaliers de Malte. A dix-sept ans, il montait le premier à l'assaut de Galais et de Guines , assiégés par le duc François de Guise qui le distingua. 11 prit, dès lors, cette habitude héroïque d'être toujours le premier sur la brèche des villes qu'il avait à attaquer ou à défendre. A Lé- pante, embarqué sur une mauvaise galère, il fut l'un des capitaines qui contribuèrent le plus au gain de cette mémorable bataille navale. Don Juan le loua hautement et pour le récompenser le chargea de porter la grande nouvelle au pape. Grillon s'acquitta de cette mission. Pie V, instruit de sa belle conduite, l'embrassa devant tous les cardinaux. De retour au Louvre , Gharles IX lui dit : « Vous êtes toujours Grillon sur mer comme sur terre. »
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Voilà l'homme dont Bussy fut jaloux. Il se promit de le tuer. Peu de temps avant la Saint-Barthélémy, il le rencontra près de la porte Saint-Honoré. Il l'a- borde avec des airs de supériorité qui déplaisent à Grillon : Bussy redouble d'insolence, et, d'un ton de bravache, il demande l'heure qu'il est au compagnon de don Juan. « L'heure de ta mort, » répond vivement Grillon, en dégainant.
Les deux terribles adversaires croisent leurs épées redoutées des plus téméraires. Ils se sentent de force égale. Leur ardeur est la même. Les étincelles jail- lissaient de leurs yeux autant que de leurs armes, dit un vieil historien. Le combat fut opiniâtre, et sans doute ils eussent succombé l'un et l'autre, si des sei- gneurs accourus au bruit ne se fussent jetés entre eux et n'eussent interposé un rempart d'amis contre leur acharnement.
Bussy et Grillon se retrouvèrent dans l'escorte du roi de Pologne. Le prince à qui ils étaient nécessaires veillait attentivement sur eux. Bussy, toujours prêt à l'insulte, était contenu par la fière attitude de Gril- lon. Un soir pourtant, il l'avait provoqué devant le roi-, puis, dans une orgie qui avait suivi cette provo- cation, il avait outragé et blessé de l'épée plusieurs gentilshommes allemands. Saisi comme assassin , il avait été renfermé dans un cachot et il allait être jugé. Grillon ne perd pas une minute. Il use de l'influence que lui donnait sa réputation éclatante pour qu'on relâche Bussy. Il lui envoie sa grâce, en le défiant à un combat à mort. Bussy se fait tout expliquer, s'ha- bille, ordonne de lui amener son plus beau cheval,
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l'enjambe et court chez Grillon. Il suspend son épée à l'arçon de sa selle et pénètre désarmé dans l'appar- tement de son libérateur. « Je viens, mon cher Gril- lon, solhciter le pardon de mes offenses. Je vous dois tout, et, lorsque vous m'aurez permis de reprendre mon épée , je mettrai mon honneur à vous la consa- crer et à la tirer pour vous. » Grillon ému de ce re- pentir ouvre ses bras etBussy d'Amboise s'y précipite tout en pleurs.
Ces hommes sans peur, comme on les appelait, sortirent frères de cet embrassement, et c'est dans la plus cordiale intimité qu'ils franchirent l'Oder et les frontières de Pologne avec le duc d'Anjou. Ges nobles compagnons étaient tous deux intrépides par tempérament. Mais leur mobile n'était pas le même. Ghez Grillon , c'était la vertu , c'était la vanité chez Bussy d'Amboise. Le premier était un héros de champ de bataille, le second un héros de boudoir et de champ clos. Grillon était le demi- dieu des soldats^ Bussy des femmes de la cour et des spadassins.
Ils assistèrent, couplés ensemble, au couronnement du nouveau roi de Pologne, qui se fit le 21 février 4574 à Gracovie, aux acclamations de tout un peuple. Les seigneurs français étaient mêlés aux nonces et aux palatins. Ils accompagnèrent au pas de leurs che- vaux, entre des murs tendus de tapisseries et sur des pavés jonchés de branches de pin, le duc d'Anjou sous un dais, précédé du sceptre, de la couronne, des balances et de l'épée. Gette procession équestre et royale arriva par des arcs de triomphe à l'église de Stanislas. Un aigle blanc, dressé pour la cérémonie,
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volait en avant du dais et battait des ailes comme pour saluer, au nom de la nation polonaise, ce successeur des Jagellons. Henri de Valois, dont les yeux s'en- nuyaient déjà des barbares Sarmates, ainsi qu'il disait, ne rêvait que de la France. Ces Castellans étaient incultes et hardis. Le palatin de Cracovie, qui avait imposé à Montluc pour le prince un serment spécial touchant la liberté de conscience, adjura le roi de ne jamais violer ce serment de l'ambassadeur. Il y avait dans l'accent et dans les paroles du palatin une me- nace qui traversa la solennité du sacre , comme un éclat de tonnerre un beau jour. Le fils de Catherine de Médicis dissimula sa colère dans un sourire.
Henri, ce roi de quelques semaines, n'apparaît dans la tradition polonaise que sous la lueur incertaine d'une espérance trahie. Les descendants des nonces gardent encore à ce fourbe une rancune séculaire. L'un de ces illustres proscrits des tzars me disait der- nièrement à son foyer d'exilé : a Henri de Valois était à la fois un fat, une femme, un assassin, et quelque chose de pis. Ce que la Pologne a aimé un instant ea lui, c'était la France ! »
Catherine, retournée de Blamontàla cour, se cons- titua aux côtés du roi la gardienne des droits du duc d'Anjou, s'appuyant sur le duc de Guise et se défen- dant ainsi des huguenots et des politi(iues.
Ces deux partis représentés, le premier par Henri de Navarre et par le prince de Condé, le second par les Montmorency et par le maréchal de Cossé, songè- rent à substituer, d'abord comme lieutenant général, puis peut-ôtre comme roi , le duc d'Alençon au duc
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d'Anjou. Catherine connaissait le péril et s'efforçait (le le conjurer. Elle surveillait les princes par des centaines d'espions.
Les politiques étaient puissants par leur modéra- tion et par les grands noms qu'ils comptaient.
Les huguenots étaient formidables par les souve- nirs de la Saint-Barthélémy. Dieu et tout ce qui avait un cœur étaient avec eux et faisaient réaction au massacre. Aussi les calvinistes avaient repris con- fiance. Un peu plus d'un an s'était écoulé depuis la boucherie terrible, et l'assemblée générale des protes- tants du Midi repoussait le traité de La Rochelle et en demandait un autre. Et quel autre ! Le châtiment des bourreaux, deux places de sûreté par province avec garnison calviniste à la solde du roi , et le culte public par tout le royaume.
Voilà où en était la famille royale après le premier anniversaire de la Saint-Barthélémy. Ce grand crime avait été inutile. Bien plus, il avait été nuisible. Plus tard il sera mortel à tous ceux qui y participèrent de près ou de loin. Toujours les crimes montent en va- peur de sang jusqu'au ciel d'où ils redescendent en foudre sur les coupables.
Les protestants, qu'on croyait morts, ressuscitaient. Partout ils s'armaient, en Provence, en Dauphiné, en Normandie. Us étaient commandés dans l'Ouest par M. de La Noue, qui avait renoncé à la diplomatie et devant lequel les plus grands noms calvinistes s'in- clinaient.
Ce capitaine plein d'expérience connaissait et avait promis de servir la conjuration qui se tramait à la cour
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entre les huguenots et les politiques. Le roi de Navarre et le prince de Condé s'étaient entendus avec MM. db Thoré et de Méru , les cadets de Montmorency, pour porter à la lieutenance générale du royaume le duc d'Alençon. Le prince avait réclamé du roi avec quel- que hauteur cette dignité. Les maréchaux de Cossé et de Montmorency le soutenaient aussi , mais avec plus de prudence que les jeunes gens de la conspi- ration.
Catherine de Médicis comprit merveilleusement le complot. Eclairée par son dévouement au roi de Polo- gne et par les dangers que courait sa propre influence, elle fit nettement refuser la lieutenance générale au duc d'Alençon. Elle avait pénétré d'un coup d'œil la situation et deviné que, soit les politiques, soit les huguenots , désiraient le duc d'Alençon chef des armées pour le faire roi de France ensuite, à la mort de Charles IX, au préjudice du roi de Pologne.
Toute l'attention de la reine était donc éveillée et ses espions en campagne.
La lieutenance générale manquée pour le duc d'Alençon, ce prince devait, avec le roi de Navarre et le prince de Condé, se réunir aux protestants. Leur fuite de Saint-Germain, où était le roi, était fixée au mardi gras (10 mars 1574). Dans la crainte des tergiversations du duc d'Alençon , on hâta l'exécu- tion, et le 1" mars M. Chaumont de Guitry se montra aux environs de Saint-Germain , à la tôte de deux cents cavaliers huguenots.
Le roi de Navarre était décidé. Le duc d'Alençon , averti; recula ; l'alarme fut répandue à la cour pur la
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police (le la reine mère. Cette princesse augmenta la confusion avec une habileté consommée. Elle se tint sur cette brèche de Machiavel. La Môle, amant de la reine Marguerite, j'avori du duc d'Alençon, et le duc avouèrent tout. Catherine, sûre de la conjuration, la dénature aussitôt. Elle épouvante le roi. Elle lui dit que c'est une conspiration contre sa personne, sachant bien que c'était une conspiration contre elle-même et contre les droits futurs du roi de Pologne. Dans son zèle pour Charles IX, elle précipite le départ de Saint-Germain. Le roi, tout effaré, à deux heures du matin, monte en litière. Catherine s'installe dans une autre litière avec le duc d'Alençon et le roi de Na- varre, ses prisonniers. La cour désordonnée et sous tous les appareils encombre les routes. On pleure, on gémit, on se moque et l'on se rue à travers Paris : des cardinaux, tels que ceux de Bourbon, de Lorraine et de Guise, pèle-môle au milieu des dames, des gens <le robe , et parmi eux le chancelier de Birague et M. de Morvilliers, tous à cheval, se cramponnant avec effroi à l'arçon de leur selle, chacun criant ou raillant.
La famille royale se reposa quelques jours à l'hôtel de Retz et partit ensuite pour Vincennes. La reine mère s'était affermie au[)rès de Charles par cette conjuration exagérée et travestie. Cette femme astu- cieuse ne fut jamais plus active, plus prévoyante que dans cette conjoncture. Elle sait que Charles est perdu. Elle l'environne, elle l'enlace 5 elle ne le lâ- chera plus. Elle détourne du roi de Pologne sur le roi de Navarre et sur le duc d'Alençon les soupçons et la
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malveillance de Charles IX. Elle s'empare de l'auto- rité sous prétexte de ménager son fils. Tout le monde lui obéit à la cour et la craint. Vincennes est un camp pour elle, un sépulcre pour Charles, une prison pour le roi de Navarre et le duc d'Alençon. Catherine fait dire aux princes qu'ils sont libres, et en même temps, par ses soldats et ses espions, elle les garde à vue.
Elle presse et dicte le procès de la conjuration. La Môle, l'un des messagers du massacre de la Saint- Barthélémy le long du Rhône, et le comte de Coconas, l'un des plus atroces bouchers de ce massacre , sont jugés et décapités en Grève; les maréchaux de Mont- morency et de Cossé sont enfermés à la Bastille. Vienne la mort du roi : Catherine, délivrée de ses ennemis, sera maîtresse de tout et conservera puis- samment le trône de France au roi de Pologne.
Elle opposa hardiment trois armées aux insurgés politiques et protestants qui s'étaient révoltés malgré l'échec de Saint-Germain. Elle nomma généraux de l'armée de Poitou le duc de Montpensier, et de l'ar- mée de Languedoc le prince de Bombes, fils de ce duc. Elle lança Matignon en Normandie contre le comte de Montgommery, le meurtrier innocent de Henri II dans le tournoi de la rue Saint-Antoine.
Catherine voulait à tout prix la mort de ce grand soldat. Matignon, désirant plaire à Catherine, traqua le comte, qui se réfugia à Domfront.
Coiombières défendait Saint-Lô, où il s'était retran- ché avec son beau-frère, le fils de Montgommery.
Le comte soutint avec une poignée d'hommes l'as- saut de toute larméo de Matignon, dans lu ville do
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Domfront d'abord, puis dans la citadelle. Jamais ni l'antiquité ni les croisades n'admirèrent de plus éton- nants exploits. A la dernière escalade surtout, Mont- gommery, sans cuirasse et sans bouclier, une forte hache d'armes à la main, fit tout ce que peut faire un héros qui veut mourir. Electrisés par son exemple, les cinquante hommes auxquels il était réduit arrêtè- rent toute l'armée royale. Noircis par la poudre, bles- sés presque tous, du milieu des morts et des mourants, ils se multipliaient à la voix de leur grand chef, qui les exhortait et qui frappait tout ensemble. Eux frap- paient aussi de la pique, de l'épée, de l'arquebuse. Quelques-uns précipitèrent des quartiers de roc. Au premier rang, Montgommery manœuvrait sa hache terrible. Les soldats catholiques se disaient en lui envoyant des balles qui ne le touchaient point : « Ce n'est pas un homme , c'est l'ange extermi- nateur. »
Matignon s'aperçut que ses troupes se refroidis- saient. Il était plus diplomate encore que général. Il ordonna la retraite, réfléchissant que cette petite forteresse serait à lui sans effusion de sang, soit par la négociation, soit par un peu de patience.
En effet, Montgommery restait avec trente hommes au plus. Il était investi par une armée. Il n'avait plus de vivres. Matignon lui dépêcha un gentilhomme des troupes royales , proche parent de Montgommery. Ce gentilhomme, M. de Vassé, assura Montgommery de l'admiration de tous. Il promit, au nom de M. de Matignon , son général , pour la garnison les condi- tions les meilleures. M. de Matignon s'engageait de
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plus à tout tenter auprès de la reine mère et du roi pour préserver Montgommery.
Ce héros ne se crut pas en droit d'infliger la mort à ses compagnons. Il stipula pour eux la vie et se livra, lui, à Catherine de Médicis, son ennemie. Mati- gnon alla au-devant de son prisonnier, lui exprima tout son intérêt, l'entoura de respect et gagna son estime.
Ce fm Normand s'insinua peu à peu dans la con- fiance du comte de Montgommery. Il lui persuada de venir à Saint-Lô, où commandait Colombières, gendre du comte. « Saint-Lô ne peut nous résister, ajoutait Matignon, conseillez à Colombières de ne pas conti- nuer une défense inutile. Cette intervention, bonne on elle-même, puisqu'elle épargnera un sang pré- cieux, sera un grand titre pour vous auprès de la reine qui vous hait et l'inclinera certainement à la clémence. » Montgommery consentit à ce plan.
Il accompagne Matignon sous les murs de Saint-Lô. Il fait demander une entrevue à Colombières. Un ren- dez-vous est indiqué. Montgommery se hâte à cheval, au bord du fossé, avec une escorte. Du rempart, Co- lombières, entouré de son état-major, témoigne à son beau-père toute sa douleur de le voir captif. Il l'in- terroge sur le but de leur pourparler. Montgommery balbutie alors le conseil de ne pas prolonger une ré- sistance impossible. Colombières, consterné d'abord, puis indigné, s'écrie : « Vous me donnez un mauvais conseil après m'avoir donné un mauvais exemple. Je ne suivrai ni l'un ni l'autre. Je me ferai tuer à mon poste. » Et il s'éloigna.
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Montgommery s'en retourna désespéré. Il se cacha dans sa tente, refusant de recevoir, soit M. de Mati- gnon, soit M. de Yassé. Il s'ensevelit dans un silence farouche. La honte qu'il avait ressentie sous le rem- part de Saint-Lô fut la plus amère goutte de lie de son calice.
Coloaibières tint parole. L'artillerie royale ayant fait une immense brèche, il vint s'y placer, Tépée au poing. 11 avait conduit là ses plus héroïtjues amis et il avait placé à, sa droite et à sa gauche ses deux entrants, les petits-fils de Montgommery, âgés l'un de dix et l'autre de douze ans. 11 les avait armés chacun d'une javeline. « Ils mourront purs avec nous, dit Coloin- bières à ses compagnons, au lieu de vivre apostats avec nos vainqueurs, si nous succombons. » Tout l'effort de l'armée royale ne tarda pas à se porter là. Colombières fit des prodiges de valeur, mais en vain. Il fut tué d'une mousquetade, et la brèche fut enlevée. Les soldats catholiques sauvèrent les enfants de ce héros des guerres religieuses.
La ville de Saint-Lô prise, Colombières mort, Ma- tignon partit pour Paris avec Montgommery et le mena en triomphe dans une tour de la Conciergerie qui a gardé le grand nom du général huguenot.
Catherine, qui abhorrait Montgommery dont elle redoutait les talents et le caractère, ressentit une ivresse profonde de vengeance. Elle essaya de la faire partager à Cliarles IX. « Le meurtrier de votre père est dans nos prisons, » lui disait-elle. Mais le roi, regar- dant sa mère d'un œil cave, morne et terne, lui ré- pondit : <(. Je me soucie de cela comme d'autre chose, »
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Le pauvre jeune roi , que la pitié dispute à Thor- reur, était proche de la tombe. On murmurait tout bas que sa mère l'avait empoisonné. Nous ne le pen- sons point. Il avait trop sonné du cor, trop couru les cerfs et les sangliers. Un nonce romain calcula que ce roi de vingt-quatre ans avait crevé plus de cinq mille chiens dans les forêts. Une sorte de phthisie. causée par tant de fatigues, par les fureurs aussi de son organisation malade, et par le remords de la Saint-Barthélemy, explique assez la fin terrible de Charles IX.
Catherine seulement obséda son agonie. Au milieu des épanchements d'une fausse tendresse, elle extor- qua au mourant la signature qui la faisait régente. Catherine ne fut jamais plus adroite ni plus odieuse qu'à ce chevet d'angoisse. Elle ne songea pas à son (ils expirant, elle n'eut de sollicitude que pour un autre de ses fils, le roi de Pologne : pour celui-là, elle fut vraiment mère. Mais comme si ce beau sentiment de la maternité ne pouvait être que monstrueux chez une telle femme, elle se réjouit de l'avènement du duc d'Anjou en contemplant le progrès des dernières pâ- leurs sur les traits foudroyés de Charles.
Tandis que cette Médicis scélérate avait engraissé tranquillement au delà même des proportions de Léon X, le jeune roi avait fondu et ses joues s'étaient creusées. Depuis la Saint-Barthélemy, il avait eu le cauchemar perpétuel des grands cou- pables : le souvenir des crimes accomplis. Sa dis- traction violente fut la chasse. Forcé de s'aliter, la chasse lui manquant , sa pensée restait halet-^nte
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dans son corps brisé. Elle s'enfuyait encore à travers plaines, bois, montagnes et gouffres. Le sombre roi ressembla alors à l'un des personnages que le vieux Eschyle amène au rocher de Prométhée et auquel les bourdonnements, les piqûres du taon ne permet- tent ni repos , ni trêve. Il va, il vient, il s'élance et s'épuise dans des frénésies mortelles , sous la ven- geance d'une Olympienne. lo vagal Ainsi l'ange de la colère poursuit Charles IX. Le remords l'aiguil- lonne. L'esprit du malheureux prince bondit çà et là, errant, éperdu -, partout il rencontre les spectres de sa conscience.
Il voudrait s'en délivrer. Il appelle à son secours, non sa mère, mais Ambroise Paré. Hélas î son mal est de ceux que l'art ne guérit pas. Il n'éprouve au- cun soulagement. Il voit les cadavres amoncelés des huguenots sous ses fenêtres, dans les fossés du Louvre, sur les eaux de la Seine ; il voit des flots de sang, un fleuve de sang, une mer de sang. La soif le consume et sa langue est collée à son palais : rien ne le désal- tère, pas même l'hypocras qu'il aimait autrefois. Il tombe de sommeil et il ne peut dormir. Il implore sa nourrice. « Nourrice, nourrice, assoupis-moi par ton chant, comme dans mon berceau. » Et la nourrice chante, et les paupières du malade ne se ferment pas. Alors il se dresse sur son séant et il s'écrie : « Ah ! nourrice, que j'ai suivi un méchant conseil ! Seigneur, faites-moi miséricorde 1 Que de meurtres , que de plaies 1 Je ne sais plus où j'en suis ; tout ce qui m'en- toure me rend perplexe et agité. »
C'étaient les fantômes des victimes qui lui appa-
Livre quarante-deuxième. 421
raîssaient dans les hallucinations de la fièvre et du désespoir. Des voix caverneuses le maudissaient^ des gestes farouches le menaçaient-, des yeux plus durs que ceux de ses faucons s'attachaient sur lui avec une fixité formidable. Voilà dans quels tourments expira ce roi-poëte, doué de facultés brillantes et né pour un autre avenir, si sa mère, tantôt une princesse, tantôt une institutrice, tantôt une bohémienne, toujours ' une tentatrice , n'eût été son mauvais génie sous toutes les formes, une conseillère de vice ou de crime à tous les moments du jour et de la nuit , une Lo- custe de fàme, une corruptrice de cette conscience qu'elle rendit trouble jusqu'à l'assassinat, au carnage et à la foHe.
La peinture raconte Charles IX avec non moins de fascination que l'histoire.
Il y a de lui plusieurs portraits : Charles IX enfant, Charles IX avant et après la Saint-Barthélémy. Ce sont les mêmes linéaments dans les trois dessins-, mais le dernier est le plus curieux-, c'est celui qu'il faut étudier.
Le front est menaçant , les sourcils proéminents , gonflés de chair sous leur arcade, les yeux à moitié fous, le nez comme atteint de la rage, la bouche fen- due , presque aussi fendue que celle de Marat dans la toile de David.
Le visage de Charles IX, après la Saint-Barthé- lémy, est entièrement dégradé. Une cruelle brutalité y est empreinte. On sent que le crime a dépravé cette physionomie sauvage , enfunesté ces traits autrefois rayonnants du feu de l'esprit et désormais noirs, tra- in. 3C
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giqiiement fouillés et ravagés par le remords, tout enveloppés des ombres sinistres d'une conscience qui s'éteint. C'est une figure de roi transformée en une figure de bourreau. C'est le masque d'un réprouvé.
Rien n'est plus pathétique. Lecoudu jeune homme s'est tordu, sa taille s'est voûtée^ les coins des pau- pières bistrées , jaunâtres , sont injectés de fiel , les joues suintent le sang par tous les pores. L'âme s'est retirée et l'on dirait qu'elle est déjà errante dans les supplices éternels, dans les tourments infinis de l'enfer chrétien.
Aucun document, aucune page , aucune poésie ne m'a ému autant que ce simple crayon.
Merveilleux privilège de la peinture! On croirait que la Providence fait resplendir volontairement ses arrêts par la main des grands artistes et que leurs œuvres naïves sont chargées de transmettre, de siècle en siècle, jusqu'à la postérité la plus lointaine, la jus- tice de Dieu.
C'est aussi la mission de l'historien de s'associer à cette justice suprême, en constatant le châtiment des coupables , — la mort du duc d'Aumale et de Cos- seins devant La Rochelle, la mort de La Môle et de Coconas dans la conjuration de Saint-Germain , la mort de Charles IX dans son château de Vincennes. Cette tâcbe nous la remplissons sans plaisir, quoi- que avec un assentiment pieux aux décrets d'en haut.
Une autre tâche de l'hrstorien est meilleure. Elle consiste à couronner de leur gloire les hommes gé-
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néreux, à les honorer, à les vénérer, à les illuminer d'un rayon de plus dans la pourpre de leur couchant, dans le linceul blanc de leur trépas.
Oui, à côté du poteau des criminels, il siérait à l'historien de sculpter des statues à l'amiral de Coli- gny, au chancelier de L'Hôpital, aux grandes vic- times, aux grands bienfaiteurs, aux martyrs. Ah 1 voilà quel serait le devoir des devoirs!
Mais comment le pratiquons -nous, et jusqu'où ne sommes -nous pas descendus? Nos pères mou- raient pour leurs convictions , après s'être ruinés pouf elles. Biens et vie, ils sacrifiaient tout à leur foi.
Et nous, cœurs dégénérés, nous n'osons pas mémo avouer ce que nous croyons, ce que nous aimons. Nous renions nos admirations secrètes pour nos plus grands ancêtres , pour ceux qui. ont été des héros ou des saints et qui nous ont affranchis. Nous nous ca- chons, nous nous taisons, ou nous flottons dans d'in- sidieuses obliquités de langage. Et si par hasard quelqu'un nous interroge, alors forcés dans le re- tranchement de notre silence ou de nos ambi- guïtés, nous en sortons par de nouvelles énigmes, par de nouvelles réserves et par des balbutiements méprisés de tout ce qu'il y a encore d'hommes justes.
Nous craignons d'être nous - mômes. Nous crai- gnons, si nous blessons, soit fopinion, soit le pré- jugé , de ne pas avancer, de ne pas nous enrichir, nous craignons de nous compromettre pour aujour- d'hui ou pour demain , nous craignons d'échouer
424 HISTOIBE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE.
dans nos ambitions, dans nos intérêts, ou dans notre vanité 5 ô lâciies que nous sommes, lâches de la plus grande des lâchetés, de la lâcheté de l'esprit, de la lâcheté de la conscience, nous craignons tout, excepté Dieu qui vaut mieux que tout 1
FIN DU TOME THOISIKME.
TABLE DES MATIÈRES.
LIVRE VINGT-SEPTIÈME.
Ligue des princes du Midi. — Pie V. — Pliilippe II. — Mort d'Eli- sabeth, reine d'Espagne. — Meurtre lent et barbare accompli par Philippe sur don Carlos. — Supplices des comtes d'Egmont et de Horn. — Larmes du duc d'Albe. — Ses succès contre les Nassau.
— Mauvaise foi de Catherine de Médicis avec les protestants. — Guerre imminente Pages i h 22
LIVRE VINGT-HUITIÈME.
Les huguenots assassinés. — L'édit de pacification déchiré. — Condé et Coligny se plaignent. — L'Hôpital les soutient. — Disgrâce du chancelier. — Sa terre de Vignay. — Ses habitudes, ses travaux, ses appréhensions. — Condé et Coligny au château de Noyers. — Ils parlent avec leurs familles et se rendent à La Rochelle. — La reine de Navarre et ses enfants les y rejoignent. — D'Andelot, La Noue , Montgommery arrivent à leur tour. — Troisième guerre civile. — Supplice de Babelol. — Coligny veille à la discipline de l'armée, Jeanne d'Albret à l'éducation de ses enfants autant qu'aux affaires de la religion. — Plutarque. — Amyot. — Henri de Bourbon Pages 23 à 57
LIVRE VINGT-NEUVIÈME.
Les catholiques et les huguenots en présence, aux environs de Jarnac.
— Combat de Bassac. — Condé prisonnier dans un nouveau com- bat, qui est un prolongement de celui de Rassac, et qu'on appelle la bataille de Jarnac, — Héroïsme du prince. — Il est assassiné par Montesquiou. — M. de Lavergne et ses vingt-cinq neveux. — Iqfamie du duc d'Anjou, qui insuUc au cadavre de Condé. — Por-
30,
426 TABLE DES MATIÈRES.
trait de M. le piirue. — Ses funérailles. — Coligny ordonne la retraite des huguenots et la dirige. — La reine de Navarre amène à l'armée son fils Henri de Bourbon et son neveu Henri de Condé.
— La reine électrise les luiguenols par son courage. — Mort de M. d'Andelot à Saintes. — Douleur de Coligny, — Combat de La Roche-Abeille. — Le château de Chàtillon pillé et brfdé. — Gloire et crimes du comte de Monigommery Pages 58 à 90
LIVRE TRENTIÈME.
Siège de Poitiers par Coligny. — Dominique d'Albe soudoyé par Catherine de Médicis, afin d'empoisonner l'amiral. — Le meur- trier est pendu. — Coligny lève le siège de Poitiers. — Tavanues.
— Bataille de Moncontour. — Épisodes. — Le duc d'Anjou, au lieu de poursuivre Coligny, s'arrête à des sièges de villes.
— L'amiral proportionne les efforts aux adversités. — M. de Mouy assassiné à la place de Coligny. — Belle défense de Sainl- Joan-d'Arigely par Armand de Piles. — Plan héroicpie de l'amiral Pages 91 à 124
LIVRE TRENTE ET UNIÈME.
Expédition de Coligny à travers la France. — Il montre partout le drapeau protestant, punit les trahisons, pécom|iense les services.
— Aucun des généraux catholiques du Midi n'ose l'attaquer sérieu- sement. — Il prend les villes, renouvelle les garnisons. — Il voyage, combat et négocie à la fois. — Il tombe malade à Saint-Étienne. 11 guérit et se dirige sur l'Ile-de-France. — Victoire d'Arnay-le-Duc.
— L'amiral établit son quartier gi'méral ;i Chàlillon. — Troisième paix. — Elle est signée à Saint-Germain le 8 août 1570. — La grande manœuvre de Coligny et sa marche prodigieuse par tout le royaume imposent cette paix. — L'ÉgUse calviniste à celle date Pages 125 à 1 37
LIVRE TRENTE-DEUXIÈME.
La Noue, Coligny et Jeanne d'Albrct à La Rochelle. — La paix, œuvre da parti modéré. — Le maréchal de Montmorency. — Il voudrait la pacification intérieure [lar la tolérance, et la sanction de cette politique par im changement d'alliances. — Il tourne le rai vers les puissances protestantes du Nord. — Catherine de Mé-
TABLE DES MATIERES. 427
dicis. — Charles IX, son portrait, son mariage. — Mariajre de Catherine de Lorraine avec le duc de Montpensier. — Auiuiir du duc de Guise pour Marguerite de Valois ; il épouse la princesse de Porcien. — Noces projetées de Henri de Navarre, de Henri de Condé ; noces accomplies à La Rochelle ue Coligny et de la baronne d'Anton ; de Louise de Chàtillon et de Téligny. — Prévisions tragiques Pages 13S à 17 4
LIVRE TRENTE-TROISIÈME.
Coligny en deuil de son frèrcy le cardinal de Chàtillon. — Députa- lion de Briqueiuaut et de Cavagne auprès du roi. — Seconde députation de La Noue, de Téligny et de Ludwig de Nassau. — Bonnes paroles de Charles IX. — Coligny, dans les probabilités de la guerre de Flandre, confie une flottille à La Minguelierre et demande la rentrée au pouvoir du chancelier de L'Hôpilal. — Ce grand magistrat retiré dans sa (erre de Viguay. — 11 y prévoit les catastrophes publiques. — II n'est pas rappelé. — Coligny à la cour. — Sa faveur au[irès du roi. — La guerre de Flandre. — Le prince de Béarn, Margiierile de Valois. — Leurs portraits. — Préliminaires de mariage. — Hésitations et pressentiments de Jeanne d'Albret. — Sa mort Pages 17 5 à 2 IG
LIVRE TRENTE-QUATRIÈME.
Henri de Bourbon malade de douleur à la nouvelle de la mort de sa mère. — Coligny à son hôtel de Béthisy. — Il engage Henri de , Bourbon et Condé à venir à Paris. — Entrée des princes et de leur escorte. — Malveillance mutuelle des huguenots et des catho- liques. — Mariage de Condé. — Conseils à Coligny. — Noces de Marguerite de Valois et du roi de Navarre. — Paroles de Coligny H Tavannes sur la guerre de Flandre. — Entrevue de Catherine de Médicis et de la duchesse de Nemours. — Maurevel. — Bles- sures de Coligny. — Indignation des huguenots. — Colère du roi. — Fourberie de Catherine. — Le roi de Navarre et le prince de Condé, qui voulaient partir, restent Pages 217 à 245
LIVRE TRENTE-CINQUIÈME.
Charles IX sincère. — Il xisite l'amiral , rue de Béthisy. — La reine mère, le duc d'Anjou, le duc d'Alen^-on, le duc de Montpensier et
428 TABLE DES MATIÈRES.
un grand nombre de seigneurs accompagnent Charles IX. — Récit de celte visite ménîorable d'après le duc d'Anjou et Cornaton. — Le témoi,!ïnnge du duc d'Anjou conservé par Miron, son médecin.
— Inquiétudes de la reine mère après la visite. — Délibération des ciiel's protestants au rez-de-chaussée de l'hôtel, chez Coligny. — Premier entrelien du duc d'Anjou avec la reine mère, le 23 au matin. — Attitude des Guise. — Procédure contre les assassins de l'amiral. — Effroi de la reine mère et du duc d'Anjou. — Ils s'obstinent à la mort de l'amiral. — Ils Vont aux Tuileries et ils complotent , avec le duc de Nevers , le maréchal de Tavannes , le comte de Retz et le chancelier de Biragne, une tentation à la conscience de Charles IX. — Le roi résiste, puis succombe.
— Les six, aidés du duc de Guise, organisent alors, toute la soirée du 23, la Saint-Barthélémy. — Les Montmorency et les princes exceptés du massacre. — Rôle particulier de Retz. — La peur Pages 246 à 27 1
LIVRE TRENTE-SIXIÈME.
Dissimuliilion de Charles IX. — Conjuration de la reine mère, émeute des rues. — Police des Guise et du clergé. — Coligny ne redoute que Guise. — Il compte sur la garde du Louvre et sur ses amis pour mettre son hôtel à l'abri d'un coup de main. — Cos- seins chargé de veiller à la sûreté de l'amiral. — Méfiance de M. de Thoré, de Cornaton et du vidame de Chartres. — Seconde déli- bération des chefs protestants aussi vaine que la première. — Catherine et Charles IX entretiennent la sécurité de Coligny. — Avant minuit. — Les chefs calvinistes proposent de rester chez l'amiral. — Téligny refuse. — Guerchy et ses camarades se reti- rent avec peine. — Téligny lui-même se relire. — Conseil de sang au Louvre. — Opinion du maréchal de Tavannes. — Il terrifie le prévôt des marchands. — Préparatifs du duc de Guise, de minuit à quatre heures du matin. — Le Charron agit dans le même sens que le duc. — Mort de l'amiral de Coligny. — Fkicluations au Louvre. — Endurcissement subit. — Les tocsins de Saint-Germain- l'Auxerrois et du Palais de justice Pages 27 2 à 288
LIVRE TRENTE-SEPTIÈME.
Les quartiers du massacre. — Passions déchaînées. — Égorgcments d'étage en étage. — Mort de Téligny. — Favoris du duc d'Anjou. ■=- Mort du comte de La Rochefoucauld. — Mort de Guerchv, —
TABLE DES MATIÈRES. 429
Mort (le Moneins. — Mort du mai^uis de Reiiel. — Cussy d'Aiii- boise. — Les deux Lavardin. — Trois ceiifs genlilsliommes péris- sent dans le quartier de Coligny, — Le Louvre. — Récit de la reine de Navarre. — Gervais de Francourt. — Charles Macrin.
— Le baron de Beauvoir. — PardaiiJan. — Piles. — Jean Goujon. — Brion et le jeune marquis de Conli. — La famille royale contemple les cadavres des fenêtres. — Le Louvre en tu- multe. — Les seigneurs du faubourg Saint-Germain rament vers le roi. — Ils sont accueillis à coups d'arquebuse. — Charles tire sur les huguenots. — Néron et Domitien moins criminels que le roi de France Pages 289 à 310
LIVRE TRENTE-HUITIÈME.
Les seigneurs logés au faubourg Saint-Germain battent en retraite par le pré aux Clercs. — Le duc de Guise retardé à la porte Bussy.
— Il poursuit vainement les seigneurs jusqu'à Montfort-l'Amaury.
— Il revient à Paris, où l'anarchie du massacre continue. — M. de La Force et ses enfants. — Le capitaine Martin. — Le comte de Coconas. — M. et madame de Larchant. — René Bianchi. — Crucé. — Stratagème de Sully écolier. — Ambroise Paré et la nourrice du roi épargnés. — Duras, Gramont, Gamaches. —
— Bouchavanes. — Cavagne et Briquemaut. — Le président La Place. — M. de Loménie. — Percot. — Mademoiselle d'Iverny.
— Mort de Ramus. — Mobilité du roi, de sa mère et de ses con- seillers, — Arrêt du parlement contre Coligny. Pages 311 à 337
LIVRE TRENTE-NEUVIÈME.
Tortures exercées sur le cadavre de l'amiral. — Petrucci lui coupe la tête et la porte à la reine mère. — Le tronc informe de Coligny traîné sur la claie, à travers Paris, pendant trois jours. — Pendu par les pieds au gibet de Monll'aucon. — Outragé par la populace et par le roi. — Fuite de madame l'amirale. — Les plus jeunes enfants de Coligny arrêtés. — Leur station forcée devant le gibet de leur père. — Le maréchal de Montmorency recueille les restes de l'amiral. — Il les dépose ;\ Chantilly, puis à Chàtillon. — Mé- moires brûlés par Retz. — Grandeur morale de Coligny. — Ses portraits. — Les deux races qui l'ont immolé périront l'une par l'autre , Pages 338 à 34S
430 TABLE DES MATIÈRES.
LIVRE QUARANTIÈME.
Api-KS sa visite à Monlfaucon , Charles IX à sa fenèlre du Louvre. — Il regarde la Seine rouler des cadavres et du sang. — Vielimes nombreuses, — Les l'ossoyeurs des Saints-Innoceiils. — La cam- pagne aulour de Paris et Paris le rendez-vous des corbeaux. — Les corbeaux du Louvre. — Épisodes. — La duchesse de Nemours et madame de Hurault. — La duchesse de Ftrrare et la famille du cha[)elain de l'amiral. — La légende de Merlin. — Fuite , prison et mort de madame de Coligny. — Les enfants de l'amiral dispersés. — Merlin les rejoint à Berne. — La Saint-Barlhélemy dans les provinces, à Mtaux, à Orléans, à La Charité, à Saumur, à Angers, à Lyon, à Vienne. — Tournon , Valence, Avignon, Arles, Blaye, Bordeaux, Toulouse, Rouen. — Au nord, au midi, à l'est, à l'ouest de la France. — Philippe IL — Grégoire XIIL
— ChifTre des victimes de la Saint-Darlhélemy. — Le respect des consciences Pages 349 à 37 1
LIVRE QUARANTE ET UNIÈME.
Soumission du roi de Navarre et du prince de Condé au pape. — Supplice de Briqucmaut et de Cavagne. — Registres de l'hôtel de ville. — Pamphlets protestants. — Siège de La Rochelle. — Singulière situation de La Noue. — Le ministre La Place. — Portrait de M. de La Noue. — Élection du duc d'Anjou. — Traité de la cour avec La Rochelle. — Siège de Sancerre. — Le chan- celier de L'Hôpital à Vignay i)endant la Sainl-Barthciemy. — Son intrépidité. — Ses épitres à la duchesse de Nemours et à la duchesse de Savoie. — Son portrait. — Sa mort. — Champ- moteux Pages 372 à 392
LIVRE QUARANTE-DEUXIÈME.
Levée du siège de La Rochelle. — Le duc d'Anjou roi de Pologne.
— L'évêque de Valence. — Son habileté. — Le nouveau roi de Pologne au Louvre. — Ambassade des palatins. — Leur séjour à , Paris. — Succès de la jeune reine de Navarre, qui les harangue en latin. — Dîner aux Tuileries. — Voyage du duc d'Anjou. — L'hospitalité de Heidelberg. — Les compagnons du roi de Pologne : les ducs de Nevers, de Mayenne, de Nemours ; les comtes d'Elbeuf,
TABLE DES MATIERES. 431
de Chaune, de Rochefort el de Relz ; Qiiéliis, Dellegarde, les Entragues el Gordes ; Pomponne de Hellièvre, Du Faur de Pibrac et Souvré ; Miron ; Grillon et îînssy d'Amboise. — Épisodes. — La reine mère, relournée de BlamonI , se constitue la gardienne des droits du duc d'Anjou. — Gonjuration des princes. — La Môle et Coconas décapités. — Frise de Monfgommery. — Mort de Charles IX Pages 393 à. 424
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Paris. — ImpriiLciif de l'.-A. U(Jl ItDIlil! el (;^ rue Jla.-ariiie, 3&.
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