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LA PHILOSOPHIE
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Par m. C. HIPPEAU,
BOCnVB ÈSIETTR£5« AVCUN PAIMaPAL DU COLLEGE DE BOUMOIf-TgirVÉI , 9UECTEU& SE L*éCOLE DES aCIEHCES ÀPPLlQVltes , A PAHXf.
DEUXIÈME ÉDITION.
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LIBRAIRIE CLASSIQUE DE L. HACHETTE ,
Ancien ëlèvc de l'École Normale,
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LA PHILOSOPHIE
ANCIENNE ET MODERNE.
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Tout exemplaire non recela de ma griffe sera réputé
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Polliersi — >lBip. d«F.-A. SAUtirr.
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LA PHILOSOPHIE
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Par m. C: HIPPEAU,
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DEUXIÈME ÉDITION.
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LIBRAIRIE CLASSIQUE DE^L. HACHETTE ,
Ancien élève de TÉcole Normale,
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INTRODUCTION.
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OBJET, MÉTHODE ET DIVISION DE l'hISTOIRE DE LÀ
PHILOSOPHIE/
U suffît de jeter un coup d'œil sur la liste des au« teurs qui ont écrit sur la philosophie ^ de songer à la diversité des systèmes, au nombre des écoles, à la ce- léhrité qu'ont acquise dans cette immense carrière les beaux génies qui , dans la Grèce , à Rome , à Alexandrie, pendant le moyen-âge et depuis la renaissance des lettres, ont consacré leurs travaux et leurs veilles à l'é- tude de Tesprit humain , pour se faire d'avance une juste idée de l'importance de l'histoire de la philosophie. Si l'on ne voulait juger de la grandeur et de l'utilité d'une science que par la renommée des hommes qui s'y sont attachés, comment ne pas se faire l'idée la plus haute de celle que cultivèrent avec tant d'ardeur un Platon, un Aristote, un Descartes, un Newton, un Leibnitz ? Y a-t-il dans les fastes des arls , des sciences^ des lettres, de la magistrature^ de la guerre, des noms
1
429613
2 INTRODUCTION.
plus illustres que ceux de ces gr^ds hommes t Mais si le genre humain ^ en s'incHnant avée respect devant les grands philosophes, semble par cela seul indiquer tout Tintérèt que Ton doit prendre à leurs travaux , de quel prix ne seront-ils pas pour celui qui , livré lui*mème à une étude si difficile et cependant si attrayante i éprouve le besoin de savoir ce que tant d'hommes ilhis- très ont pensé avant lui sur l'homme, ses facultés, sa destinée?
Pour nous, un autre motif encore,* un motif plus approprié à la nature môme des études philosophiques, nous fait attacher à leur histoire la plus haute impor- tance. Nous sommes de ceux qui regardent la philoso- phie et l'histoire de la philosophie comme deux sciences identiques : nous pensons qu'étudier l'esprit humain 4aiisl4coiiscienoe, où il se manifeste, et le suivre dans rhtstoire, où il se développe, c'est faire une seule et ttéme étude : noxts 'considérons donc l'histoire de la philosophie comme une contre^rtie , coinme une épreuve en grand de la philosophie. En d'autres terAMS, nous pensons que Tétiide <le la science phflosophîque peut se prodiHre sous la forme de deux problèmes d^ une importanoe égaie, réductibles T^in à l'autre, susceptibles d'ime solution unique : étant donnée la eonscienee ^ trouver les lois auxquelles obéissait les Ibcultés ration*- iielles^i sensibles et volontaires dans i'homine; ^M donnée l'histoire des systèmes philosophiques, chercher {nreillement les lob qui président au développement de la raison, de la sensibîlilé et de la liberté.
Déterminons avant tout la science à laquelle est iMMacré cet ourvrage* Avant de nous tracer la carte du
INTKODUCTIOK. 3
voyage , fidsons en sorte que les bornes en soient exac* leoient fiiées et les contours nettement circonscrits.
L'histoire de la philosophie n'est pas l'histoire da totites les idées qui font leur apparition dans l'esprit humain. Il est vaste en effet ce monde intérieur ; reflet mystérieux , représentation complète et merveilleuse du monde externe. I^re^ par des besoins immenses , en- traîné par un insatiable désir de connaître, exposé au choc des éléments de destruction dont il a reçu du ciel la glorieuse mmîon de triompher par la force de son intelligence » l'homme ayant à lutter d'abord contre la nature entière , ne tarde pas a lui faire sentir l'action de son puissant génie. Les sciences mathématiques ât physiques, l'industrie, l'économie politique prennent naissance; le sentiment du juste crée la société civile^ établit les gouvernements, ei fonde la jurisprudence $ le sentiment du beau inspjjne le poète et guide la pin* ceau ou le ciseau de l'artiste; le sentiment religieux organise le culte et formule les dogmes*
Arrivé à cette hauteur , refi|>rit humain , comme sur- pris et émerveillé de ses progrés immenses, s'arrête^ •'interroge et se demande à lui-môme compte de cette ibule d'idées, qui sont, pour ainsi dire, échappées à son enthousiasme, et dont autour de lui tout porte déjà l'empreinte. L'homme, jusqu'alors guidé par son in- ^nct révélateur, par ce rayon immortel que Dieu dé- posa dans son sein , n'a eu besoin pour tout deviner et iout trouver que de maix^her , pour ainsi dire, en ligne droite : à cette époque , véritable solstice de la vie des peuples , ce qui avait été pour lui poésie, inspiration ^ relation, s^rnlhèse, religion, devient réflexion, discus-
4 INTRODUCTIOIS.
sion, raisonnement^ analyse, philosophie. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ces deux époques , celle de la ré- vélation et celle de la philosophie, peuvent bien différer quant à la forme extérieure , mais elles ont au fond une parfaite analogie. La réflexion ne conduit pas Tesprit dans un monde étranger ; elle ne fait qu'éclaifer d'un jour nouveau celui que son instinct sublime lui avait fait trouver d'avance. Les mémos facultés qui lui ont fait tleviner^ comme par enchantement, les sciences, les arts, la société, le culte, seront encore enjeu dans la philosophie. Mais c'est précisément parce que la philo- sophie les reproduit avec un caractère nouveau , qu'il est essentiel de ne point la confondre avec ces différentes parties , dont elle est l'explication et la généralisation la plus haute. L'histoire de la philosophie n'est ni l'his- toire de la civilisation , ni celle des arts, ni celle des législations , ni celle des sciences, ni celle des religions : elle est l'histoire des essais faits chez tous les peuples parvenus à l'âge viril, pour expliquer le but, la marche, et les rapports réciproques delà religion, des sciences, de la législation, des arts, de la civilisation. La philo- sophie touche à tout, sans doute ^ puisqu'elle éclaire tout ; mais elle a une existence indépendante et une forme déterminée. Centre lumineux autour duquel gra- vitent les autres sciences , elle roule elle-même dans un orbite particulier, et obéit à un mouvement qui lui est propre.
Il sera facile maintenant de comprendre dans quel ' but nous insisterons ici pour séparer d'une manière nette et absolue, dans l'objet de nos études, la foriv^ religieuse et la forme philosophique. Cette séparswion
iNTRODU€TION. S
n*est point le divorce scandaleux et funeste que des eooemis aveugles et des amis peu clairvoyants se sont, comme de concert, efforcés d'établir, à diverses épo-- ques, entre la philosophie et la religion. C'est encore moins le résultat d'un orgueilleux dédain ou d'une indifférence coupable pour les croyances religieuses. La philosophie , selon nous , est un besoin tout aussi impérieux que la religion : ainsi l'a voulu la Provi* dence, qui, dans ses desseins admirables, bienibisante pour l'enfant comme pour l'homme fait, pour les cœurs^ simples et sans culture , comme pour les esprits élevés par la science , éclaire les uns par le sentiment reli* gieux qui révèle à leur foi naïve les lois de leur im- morteUe destinée, et guide les autres par la philosophie, qui, conforme à la révélation pour les croyances, ex- plique et démontre par la raison (i) ce qui fut primn tivement inspiré à la foi. « Dans l'âme du vrai philo* sophe, dit M. V. Cousin, la religion et la philosophie se lient entièrement , coexistent sans se confondre , et se distinguent sans s'exclure , comme les deux mosnents d'une même pensée. * Le chrétien le plus orthodoxe n'a rien à redouter d'une philosophie qui ne va cher- cher l'homme dans le temple où se formulent les croyances, que pour répandre sur les vérités qu'il révère le jour d'une réflexion libre et indépendante. Après avoir expliqué l'objet et le but de cette histoire, nous devons indiquer les bases de la méthode qui nous guidera dans nos recherches. Elle repose sur les principes que nous allons rapidement développer.
W HationaU obsequium vestrum. S9AniV9n\.
6 nfTBOTOGTIM.
t. L'histoire de la philosopbiç ne doit présenter que le déve- loppement, sur une vaste échelle , des facultés qui se trou- vent dans la conscience de chaque individu, savoir ; l« «ensibilitéy rintelligence et la volonté.
Lft philosophie moderne, fille de Désoartes, est Tap* plication libre et iûdépendant&^e la réflexion à l'étude des phénomèDes dont la oonecience est le théâtre» Li est Tunité , li est le point de ressemblance de tous les systèmes publiés depuis l'apparition des ouvrages de ce grand homme. La gloire éternelle de Descartes est d'avoir mis au monde une pareille méthode , la seule qui puisse oonduire à des résultats positifs. L'analyse psychologique, une fois acceptée comme méthode phn losopbique, doit nécessairement atteindre tous les £aiit9 intellectuels susceptiUeii d'être observés et décrits; oar il fiiut désespérer d'arriver i une connaissance exacte et approfondie des facultés humaines , si l'on n'y parvient pas en s'établissant, comme dans un champ d'observation , au sein de la conscience où elles se dé^ teioppent et se manifestent.
Quiconque a suivi avec un peu d'attention la marche de la philosophie, depuis la réforme commencée dans les études qu'elle embrasse , par H. Royer-Gollard , et si puissamment soutenue, depuis les leçons de ce professeur célèbre, par son éloquent successeur, sait que, si la conscience de l'homme est une, les facultés qui y ont leur siège sont diverses : il est sensible , il est libre, il est intelligent. Par ses organes, il se n^t en communication avec le monde extérieur ; p^ sa
raison , il conçoit desrapports , des lois générales , des prhicipes absolus et nécessaires que la sensibilité seule ne saurait lui fournir, qui entraînent sa conviction et forcent sa volonté ; par sa volonté enfin , il luttç contre les exigences de son organisme , combat loa penchants de sa sensibilité , fait fléchir ses passions sous t^empire des lois éternelles que lui impose sa raison y et dont il recoBfialt l'irrésistible ascendant alors mène qu'il les tiole. Tdfi sont les résultats généraux de la tDidHNta Mrtéaienne : ils ne sont rira moins qo^une aoalyM complète des facultés de l'enteodement bumaia.
Or y si la méthode d'observaiion appliquée Icqmfel^ nent» comme on l'a fait dans ooa derniers temps.» à Tétttde des faits de la •conseieooe; si cette mélbedsk eïpërimentaie, la seule à laquelle ait foi tioire sîèeia positif, ne nous fait rencontrer daoïs l'âme liumiiaeqiHi ees trots caractères sous lesquels viennoat se rwgsr les espèces si diirerses de nos idées ^ une si^gs, uM>r)<» goureuse induction ne nous foroera^t*elle'pas de ooup^ dure que nous ne devrons rencmitrer dans l'histoire que le développemrat de ces trois élémeils? Qu'on y songe en effet : quel est le personnage qui est eu jeil dans l'histoire ? n'est-ce pas rhomme? Ne sereine dôo^ pas «n phàiottène bien extraordinaire, Ue seruit'-ae psîs une contradiction mainifeste, que l'esprit humain dans l'histoire obéit à df autres lois que ceUes ^ui ré^ fissent l'esprit bumaiii dans chaque individu î .
INTRODUCTION.
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II. En appliquant à l'étude de Thistoire de la philosophie la méthode cartésienne, c'est-à-dire l'analyse, il ne faut pas
' s'en servir, comme on l'a fait trop souvent, dans un but spéculatif et systématiquei
' En feisant une fausse et inoomplète application de leur méthode , Descartes et ses successeurs n'ont abouti qu'à des systèmes qui, sous la diversité des formes ex-^ térieures, se rapportent néanmoins et devaient néces- sairement se rapporter à trois principaux , scdou que l'analyse psychologique s'appliquait plus particulier remeiit à la sensibilité , ou à la raison , ou à la volonté. Le Tralié des êeMoiions de Condillac, la CrUîqm de la fMMt p»re de Kant, le mai absolu de Fichte, ne sont attire chose que les produits d'une analyse psycholo^ gique f ingénieuse et pénétrante sans doute , mats esiercée sur tine des trois parties d'un sujet qu'il fallait embrasser tout entier.
Tant que f on s'est montré exclusif et incomplet dans te recherche et l'exposition des facultés humaines, était-il possible que l'on appréciât convenablement les efforts tentés dans tous les temps pour en donner l'ana* Ijse y était-il possible qu'il existât une histoire complète de la philosophie ? Non s^^ns doute ; et , comme l'a dit énergiqoement un écrivain moderne, les mêmes phi^ losophes exclusifs qui avaient mutilé l'homme dans la conscience, devaient nécessairement le mutiler dans Thistoire.
Si l'on entend par une histoire de la philosQ^ie
tXTRODUCTlON. 9
•
rexpositton fidèle et consciencieuse de tous les systèmes qu'elle a produits , la discussion approfondie et sairante des mérites et des défauts de tous les philosophes fa^ meux, certes une telle histoire, n'a pas manqué aux temps modernes. Chaque système philosophique né du mouvement imprimé à la raison humaine par Des^ cartes peut se vanter avec un juste orgueil de posséder la sienne. La philosophie cartésienne a produit Brucker; Tiédeman a écrit sous l'inspiration du sensualisme de Locke; et c'est sous le point de vue de l'auteur de la CrUiqve de la raison pure que Tennemann a composé son histoire.
Nous pouvons , sans sortir des bornes de cet abrégé, développer les raisons qui nous font désirer , après les ouvrages de ces grands écrivains, une histoire mieux appropriée aux besoins et aux progrès delà philosophie, La méthode qui devra pré«der à la composition de cet important travail sera encore l'application de l'analyse cartésienne , mais rationnelle , mais complète , mais faite sans aucune vue systématique. Si l'on veut cher* cher dans l'histoire autre chose que ce qui se trouve déjà dans la conscience ; si , après avoir constaté et classé tous les éléments dont elle se compose, on re- fuse de les retrouver et de les décrire avec fidélité dans les écrits des philosophes des différents âges , on re- tombera dans les inconvénients que n'ont pu éviter les historiens dont nous venons de parler.
Mais pour prendre au sérieux tous les éléments de la conscience humaine, pour suivre avec une méthode scrupuleuse le développement successif des idées, il ne suffit pas d'abjurer tout point de vue systématique
40 urrnoouGTioif.
et eidttsif 9 il fkut eiic<Nre s'intéresser nivenient à oa drame qui, depuis cinq ou six mille ans, se développe sur la scène du monde; il faut plus qu'une vaine et stérile curiosité, potii: s'enquérir de ee que l'homme a pensé jour par jour , pour ainsi dire , depuis sa venue au monde, pour enregistrer avec une exactitude ri* goureuse les vérités ou les erreurs par lesquelles il a signalé son passage sur cette terre : il faut ai«er ce genre humain dont on entreprend de retracer la marche progressive à travers tant de siècles.
Ce n'est pas tout : il ne suffit pas d'examiner ce que l'homme peut avoir fait, dit ou pensé sur la terre, il ftiut s^étre demandé sérieusement dans quel but il a fliit tout cela% Car il y a sans doute un but et une in« tention dans ce drame où nos passions s'agitent ; sans doute l'artiste invisible qui fait mouvoir les ressorts cachés de cette scène immense, si féconde en péripétieSt n'a pas, comme un ouvrier vulgaire , employé tant d'intelligence et de soin , dans la création de son œuvre i pour ftiillir au dénoûment.
UI. Le SBUSUALISIIE , riDÉALISMf: , le SCEPTICISME et le KVS»
TicisvE prenant leui; source dans le développement exclusif d'une des facultés de Tâme , ont nécessairement un côté vrai , dont l'étude est intéressante et utile aux progrès de h philosophie.
Une fois en possession des éléments dont se com^ pose la conscience huu^aine, et sûr de les retrouver unis ou séparés dans les ouvrages échappés aux médi^ tations des divers philosophes, l'historien ne s'irritertt des erreurs d'aucun d'eux , sera juste envers t<Mu»9 M
INTKODUCXtOlf, 4{
pdom MiHtà le progrès que chacun d'eux m<kmiiv^ flieot peut avoir fait faire à la aeieuce. Ardent apirU tualiste y il ne fera le procès à aucun de ees hommes consciencieux qui , par leurs analyses approfondies des phénomènes de la sensibilité , ont contribué k ftâre eonnattre un des côtés de Tesprit humain ; et, s'armani d'une rigueur pédantesque contre leur tendance maté* rialiste , il ne leur reprochera pas rudement une erreur qu'ils n'ont due qu'à un vice de méthode » k une pré« occupation systématique» Sensualiste outré , il ne fer* pas de sa méthode d'appréciation une espèce de Ut de Procuste où il étendra chaque système ^^ pour en re« trancher tout ce qui dépassera sa portée , tout ce qui s'écartera des bornes que Locke et Gondillac aoront assignées à l'entendement humain*
Lorsqu'il rencontrera sur sa route de ces esprits in? géttieux et subtils , qui , ne pouvant expliquer les »• reurs et tes contradictions dont est hérkssé le champ de la philosophie ^ prennent le parti désespéré de rire de tout, de douter de tout> et même de nier tout^ ce scepticisme ne l'étonnera pas : indice de i'indépen^ dance de l'esprit humain, le scepticisme, chose néces- saire à toutes les époques où les excès du sensualisme ou de l'idéalisme ont besoin d'être réprimés» force la philosophie fourvoyée à tenter d'autres voles , et , im* puissant à rien produire lui-même, est l'avant-cou-» reur d'un nouveau progrès dans les idées.
Plus haut, et à l'autre extrémité de la science, Thi»- torien de la philosophie rencontrera de ces esprits tendres et religieux qui , témoins » comme les scep* tiques^ des naufrages de la raison humainoi mais affligés
\i INTRODUCTION.
çle ce triste speciacle , et pressés par le besoin de croire, n'échappent au désespoir qu'en se réfugiant entre les bras de la foi ; religieux en dépit d'Épicure, mystiques en présence d'iCnésidème, de Sextus et de Lucien, au moment où s'en vont les dieux de Rome et d'Athènes ; chrétiens après Bayle et Voltaire. Leurs écrits sont une protestation énergique contre les vices des systèmes in* complets : ils témoignent de l'excellence et de la recti- tude de ce bon sens humain qui , plutôt que de nier l'existence de la vérité , déclare qu'il y croit aveuglé* ment, au moment même où la raison s'étonne de n'en plus apercevoir la lumière éclipsée.
Sensualistes, sceptiques, idéalistes, mystiques trou- veront donc un appréciateur équitable et impartial dans l'historien qui, fidèle aux lois d'un sage et rigou- reux éclectisme , acceptant et amnistiant tous les sys- tèmes, expliquant toutes les erreurs, appliquera à l'appréciation des diverses écoles philosophiques les lois intellectuelles dont il a reconnu et constaté par une saine méthode psychologique l'origine et le déve- loppement.
lY. L*alliance de la méthode expérimentale et de la méthode spéculative , s'éclairant Tune par l'autre et se confirmant Tune par Tautre, peut seule conduire à la vérité.
La méthode qui l'aura conduit à ce résultat est elle- même la réunion , en une seule , des deux méthodes empFoyées jusqu'à ce jour dans toutes les recherches de ce genre : c'est l'accord de la méthode spéculative et de la méthode expérimentale p de l'analyse et de la
INTRODUCTION. 13
synthèse. — Chacune d'elles, employée exclusivement^ ne peut être qu'une source d'erreurs.
La méthode expérimentale , qui consiste à considérer les systèmes comme une collection de faits qu'il s'agit de réunir, de constater et de décrire, pourra bien nous apprendre ce qui a été, mais ne nous enseignera ni les causes productives , ni les rapports , ni les lois de ce qui a été : une vaste compilation où se trouvent ran- gées, ou plutôt juxtaposées sous des étiquettes exactes', les innombrables idées qui circulent depuis tant de siècles dans le monde philosophique, ne ressemblera pas plus à une histoire de la philosophie que le Corpus juris ne ressemble à YEsprit des bis. D'un autre côté^ employer exclusivement la méthode spéculative, qui consiste à juger les faits de l'histoire d'après un point de vue arrêté d'avance , ou dans le but de confirmer un système dont on est déterminé à ne point se départir , c'est s'exposer à élever un édifice sur une base incomplète et fausse , c'est juger la philoso- phie comme Bossuet a jugé l'histoire, « du haut de sa » chaire d'évêque appuyée au trône de Louis XIY. » Mais il pourra se croire sans doute en possession de la vérité , celui qui , après avoir recueilli dans la con- science humaine de quoi expliquer tous les faits de l'histoire, retrouvera à chaque pas dans l'histoire la confirmation des lois intellectuelles qu'il avait décou- vertes dans la conscience humaine. Tel est l'avantage de la méthode si ingénieusement développée par M, Cousin , dans le cours qu'il a fait, en i828 et en 1829, à la Faculté des lettres de Paris : nous ne pouvons ici qu'en exposer sommairement les règles générales ; c'est
14 INTHOMJCTION.
dans le^ ouvrages mêmes de Féloqoeiit|irofe8seBr qo'on devra chercher leur exposition détaillée et leur tppAi* cation étendue.
V. On doit suivre pour Tétude des systèmes l'ordre même dans lequel ils se développent; cet ordre n*est autre chose quô celui dans lequel se développent nos facultés : la sensibilité ayant la raison, le sensualisme avant Tidéalisme, et ainsi de suite«
Après s'être assuré que c'est dans la Mture ménM des fecultés trouvées par l'analyse au fond de la conscience, que l'idéalisme^ le sensualisme, le scep- ticisme et le m^ticisme prennent naissance , il est né» eessaire de rechercher dans quel ordre se développent dai\^ l'âme les différents ordres d'idées qui leur servent de fondement : car, si dans l'homme les idées sen- sibles précèdent les idées de la raison , si longtemps avant de se replier sur lui-même afin de se prendre pour 4'objet de Siés réflexions, l'homme s'est laissé préoccuper par ses ra|)ports afec le monde extérieur , il est certain que, dans 1* histoire, les syitéiM 0fù ont le sensualisme pour base devront précéder ceux que ridéalisme inspire; s'il est encore démontré ptf la psychologie que Tâme humaine ne débute ni par la ré- flexion , ni par le doute, mais par une croyance spon- tanée à la réalité des pliénomènes dont eUe est ou le témoin ou la cause , l'historien devra nécessairement en conclure que ce n'est qu'après les débats ooc^ siennes par la lutte des systèmes idéalistes et matéria^ Ksles , que le scepticisme et le mysticisme ae seot pro-
iNimoi^UGn»i«« 45
fhtitâ mf fa seéoe da monde phi)mQ|>hiqiie« L'expé* riencè et la raison sonl ici d'aeeM peur attester la vé* rite de ce douUe résultat. EaGrèee, l'école d'Ionie avant celle d'Élée; chez les modernes^ Bacon et Looke avant Leibnite et Kant. Les hypothèses pyrrhoniennes de «Sextus-Empi riens na s* expliquent que par le décri dans lequel étaient tombés les systèmes antérieurs ; et lora- cpie de nos jours le spirituel Schulxe a iait revivre les idées aceptiques d'iEnésidème , n'était-ce |>as prînci«> paiement dans le but de prémunir ses compatriotes oootre les* abus d'un dogmatisme transcendantal qui lui paraissait plus propre à les égarer qu'à les instruire?
VL II ne suffira pas de suivre scrupuleusement l'ordre de suc* cession dans l'analyse des diverses éioles de philosopliie ; il faudra montirer leur enchaînement , leur dépendance et leur iafloence rC^ciproques.
L'ordre qu'il faut suivre^dans^rexposition des renta systèmes est indiqué par la nature des choaas r c'eat fa chronologie qui doit servir à l'historien de guide et de flambeau. Tout autre ordre serait arbitraire et 1iy«- {Mfethétîque: mais ce serait méconnaître entièrement fe b<ut}et la portée d'une pareille étude, que de ne cherdber dans fas datesqne Tordre de suocessioa. C'est renchaine^ ment et la marche progressive des idées > qui! est im* portant surtout de constater et d'indî(|uer : il faut mon- trer comment telle idée vraie ou fausse^ jetée dans fe monde philosophique, a été développée par le temps; GMBment à tel système de métaphysique , se lie, comme l'eéfat à fa cause, tel principe de morale ^ oomieM l'aK
16 INTRODUCTION.
se modifie sous l'inspiration de tel sentiment rdigieux ; comment tel dogme philosophique , arrivant à l'empire » organise à sa manière et dirige la société. Il ne suffit pas de savoir que Socrate a précédé Platon , par exem- ple; il faut montrer comment l'esprit poétique et oriental de Platon a subi l'influence du génie grec , parlant par la bouche de Socrate. Alors seulement, la science des dates, fécondée par celle des rapports^ produira les fruits que l'historien doit en attendre.
VII. L'Orient étant surtout symbolique et mythique, c'est par la Grèce qu'il faut commencer l'histoire de la philosophie.
' De même que Tesprit humain ne débute point par la réflexion, ainsi bien des siècles s'écoulent avant que b philosophie, qui est la réflexion en grande fasse son apparition dans l'histoire de l'humanité. L'industrie s'est développée, les cultes se sont établis, la société civile s'est organisée , les beaux-arts ont produit leurs chefs-d'œuvre , avant que la pensée humaine ait pu at- teindre son dernier développement et se produire sous sa dernière forme. Remonter à l'origine du genre hu- main pour tracer l'histoire de ses idées, ce n'est donc pas faire une histoire de la philosophie : car il y a peu ou point de philosophie dans l'enfance des peuples comme dans celle des individus.
Celui qui veut faire l'histoire de l'humanité ou celle des religions doit bien remonter jusqu'à ces époques primitives , antérieures à l'âge de la réflexion et par conséquent do la philosophie : mais on ne doit chercher celle ci que là où elle se trouve réellement , qu'à dater
INTRODUCTION* 47
du monaenl où elle paraît à la luimère. On sait qu'a- vant la société grecqoe et romaine , se pevd dans le lointain des âges une société primitive. Culte, langues, beaux-arts , législation , tout a pris naissance dans le monde oriental , cet antique berceau du genre humain. L'Inde, FOElliiopie, la Perse, l'Egypte, avaient atteint déjà on haut degré de civilisation , pendant que les
m
tribus pélasgiennes erraient encore, incultes et, sau- vages, dans l'Épire, la Tfaraeê ou la Thessalie.
Mais ce n'est point en Orient. que l'on peut espérer de trouver la. philosophie sous une forme qui permette d'en faire l'objet d'une étude scieiltifique. L'Orient avec ses religions 9 son symbolisme universel et ses formi- dables sacerdoce, appartient plus au mythologue qu'au philosophe. < Le vrai commencement de Thistoire de la philosophie, dit leprofésseur Tennemann^ise trouve chez les Grées , et particuliéreme*! à cette époque où, par suite des progrès àe l'imagination et de l'intelli- gence, l'activité rationnelle se développa en un plus haut degré; époque où les esprits, devenus plus indé- pendants de la religion , de la poésie et de la politique , se mirent à la recherche de la vérité et se livrèrent à des compositions régulières. Cet événement date du temps de Thaïes. Les directions et les formes diverses qu'a prises, dans le cours des âges, cet esprit de re- oberçhe philosophique, et les effets de t ûte espèce qu'il a produits, transmis, par divers canaux, des Grecs aux peuples modernes, sont ce qui coifttilue le domaine de l'histoire de la philosophie. >
Si nous retranchons de l'histoire de la philosophie toute cette grande époque orientale, si nous refusons
2
18 liNTRODUCTION,
de porter nos ii}V6$Ugations au sein d'une contrée agis tant dé ra[^rts. intéressante, er vers laquelle notre vieille Europe se sent attirée par un mouvement irré* sistible de curiosité, nous ne voulons pas dire que I» philosophie ait manqué eblièrement aux peuples qui brillèrent jadis sur ce sol si fécond en merveilles. Ainsi, sous ces antiques hiéroglypjies'qui ont à la fois ré** sisté aux siècles et à tous les efforts de Téruditicm, sous ces mystériey X symboles qui couvraient et couvrent encore Tintérieur des temples égyptiens, il existait sans doute plus d'une pensée grande et profonde : l» ZendrÀvesta, le livre saeré des Perses, est rempli des plus importantes vérités ; mais on n^y saurait trouver la philosophie sous sa forme caractéristique. On serait plus heureux pour ce qui concerne les Chinois, qui, outre Conjmcius et les écrivains iQoralistes de isob école, possèdent incontestablement plusieurs systèmes de philosophie , si les doctrines qu'ils enseignent n'étaient point encore ensevelies dans des manuscrits interdits aux profanes. Quant à l'Inde, les mémoires insérés dans les Transactions dç la Société asiatique de Lon« dres, par M. Golebrooke, ne laissent plus aucun doute aujourd'hui sur l'existence, dans cette vaste contrée, d'une philosophie indépendante. Le sensualisme avec tous les effets qu'il produit lorsqu'il est fort et consé* quent, l'idéalisme avec toutes les extravagances quH entraine lorsqu'il est' outré, le scepticisme le mieux raisonné, le myslieisn»e poussé jusqu'à l'extase, se retrouvent dans les écoles philosophiques de l'Inde. Mais tant que des renseignements plus nombreux n'au* ront pas été mis par les orientalistes entre les mains
1
flITftOBUCTION. • 19
de l'bîsiorien, h prudence lui interdira toute suppo- akion hasardée, toute induction qui porterait, faute de documents suffisants, sur une base ineomplète et mal assurée.
Nous nous transporterons donc d'at)ord en Grèce, et nous verrons ce qu'ont produit , dans cette heureuse contrée , te sentiment et rexercioe de Tactiifité volon- taire et libre, cette Aiei^gie individuelle qui ose re« garder en face les dogmes régnants , cette réflexion soKtaire qui fait abAraction de toutes choses » hormis d'elle*méme , et se prend elle-nnème pour son pcMut de départ et sa règle ^îque; c^est-àdire^ la phi* losophie.
L'antiquité, le moven-aci: , l'hi^toike môoer^e, telles sont les trois grandes époques que Ton retrouve M tête de fpQte$ les classifications adoptées ^ar la chronologie : adoptons-les aussi, non pas seulement comme les plu^ simples et les plus commodes, nmis comme présentant , dans la marche progressive de la raison philosophique, trois moments distincts, trois périodes tranchées, doBt les caractères. Comme ceux qui modifient un individu à ses différents âgep, se dé* > ploient, sous le regard de Fobservateur, d'une manière précise et déterminée.
Dans la première période, l'esprit humain n'obéissant à aucune impulsion, qu'à son désir de tout étudier et de tout connaître, s'élance avec toute la plénitude de sa liberté dans lé champ de la science ; mais il manque de méthode : impatient d'arriver au but, il no prend' le tempa ni d'assurer sa marcIiè, ni de régler ses pas,
20 INTRODUCTION.
oi de mesurer la route qu'il devra suivre; il s'élance avec hardiesse, s'égare, se perd, succombe: mais il n'a pas fallu moitas de douze siècles accomplis pour épuiser le mouvement scientifique qui L'avait entraîné !
Le moyen-âge présente un caractère bien différent : une hiérarchie puissante et fortement organisée a tracé impérieusement autour de la pensée le cercle étroit \ qu'elle devra parcourir; les solutions de la science ont
. été données d'avance; il ne reste à la plûlosophic, sou- mise au joug de la théologie, ancUla theologiœ , que le pouvoir de se eôns^mer sans aucun fruit sur des mots vides de" sens, sur des défînitions creuses ei puériles : et cependant, chose admirable! jamais l'esprit humain n'a montré plus de ressources qu'a celte époque, où, sans posséder d'autres arioes que celles que lui four- nissait une subtile dialectique , il s'élevait , par degrés , d'une aveugle soumission à une indépendance toujours croissante, ^nivie de son glorieux affranchissement.
La scholastique a fait son temps.
C'est alors que aommejice la philosophie moderne : mais pendant si longtemps la formé a dominé Le fond
■
des idées , pendant si longtemps la raison a été traitée comme une esclave rebelle, que deux siècles de luttes ( le XV* et le xvi') suffisent à peine pour qu'elle se dé* gage de ses entraves , et soit enûn rendue à elle-même. Bacon et Descartes j presqu^en même temps , procla- ment que la liberté lui est rendue, et, d'une main sâre et hardie , lui tracent la voie qui s'ouvre devant elle. L'impulsion donnée à l'esprit humain par ces deux grands hommes est surtout le résultat de leur mé- thode : c'est cette méthode qui a fait prendre aux
INTAïQDUCTfON. 2i
sciences natureilcs un si merveilleux essor ; c'est celle qui ) mère de l'obseination psychologique , a fait dé- couvrir dans la conscience .tout un nouveau monde ; c'est elle enfin qui pous parglt être le caractère spé- cial et distinctif de la philosophie moderne.
Le tableau suivant oflre les différentes phases qu'a subies chacune des trois périodes que noua venons d'esquisser.
PREMIÈRE PÉRIODE.
PfilLOSOPHIE ANCIENNE , GRECQUE ET R0|UINE.
Mouvement libre et indépendant de ta raisan verê la recherche de ta vérité, mais sans méthode arrêtée et suivie.
PnEMiÈEE ÉPOQUE. — Dcpuis Thalès (env. 600 av. J.-C. ),
jusqu'à SocRATE (470 av. J.-C. )
Spéculation partielle et non systématique.
ÉCOLE d'Ionie. — Sensualisme peu développé , mais toujours croissant , des philosophes d'Ionie , Thalès , Anaxiiiandre, ânaximène. — L'école aiomistique de Leu- GIPPE et de Démocrite étend ce sjfstème et le porte au matérialisme. —L'idéalisme de l'école italique, fondée par PvTHAGORE , sc dévcloppc dc pIus cu pi US ct arrive à son plus haut degré chez les philosophes éléatiques, Xéno- PHANE, Parménide, Zénon , d'ÉtÉE. — Luttc entre les deux systèmes. — Anaxagore et Empédocle s'efforcent de les concilier.— Inutilité de leurs efforts.— Le scepti- cisme apparaît avec les sophistes Protagoras , Gorgias,
22 INTRODUCTION.
Prooicus. ^ Néoessité d'une révolution dans la philo- sophie grecque. — Socrate \ient au monde.
Decxi&me époque. — Depuis Socrate ( 470 ans av. l.-C. ), jus- qu'à la fin de la lutte entre rAcADÉMiE et le Portique ( 00 ans avant J.-G. )
Dheeûon de la fMlosopUe vers l'étude desfacuUêi de rhonme.
Socrate appelle les philosophes à l'étude de la na- ture humaine.— Essais de philosophie morale.— /roitte socratique. — Dtafccdqfue. — Xénophon , Criton, Gébès, s'écartent peu de la doctrine de Socrate , leur maître. -*- Syatèmes incomplète : Antisthènes, cyiàMme; Aris- TiMS I qfrémàême; Eucudr fonde à MioARS l'école éri- sûque, qui abuse de la dialectique et aboutit au scepti- cisme de Pyrrhon. — Systèmes complets : philosophie académique , école de Platon ; philosophie péripatéti- cienne , Aristote. — Constitution de la philosophie grecque sous les deux points de vue de toute philoso- phie , Vidéalisme et le sensualisme. — Idéalisme de Pla- tou, sensualisme d'ARiSTOTS. — La philosophie grec- que se divise et s'étend. ~ Morale d'EpicÙRE. ^ Morale sMctemiet Zenon, Cléanthe, Ghrysippe. — * Lutte de rAcadémie et du Portique. ^ Scepticisme setisualisie d'OËNÉsiDÈME. — ScepUcisme idéaliste d'ARCÉsiLAS et de la mmoeUe Académie.
i:WHODUCT(ON. 3S
TROmftME'ÊPOQins, — Depuis la diffusion de la philoii^phîe (^ecque dans Ten^ire romain (80 a^s av.^J.-G.), jusqu^au huitième siècle ( après J,-G. ).
LaphUoiêpkie grecque, par iotf ctn^t avec tOrimi, e' empreint d'une couleur n^eUque^ — Caractère religieux de ce dernier âge de la philoeophie ancienne.
Développement de la philosophie grecque à Rome dû principalement à GicÉaor. — Renouvellement du simdsme^ de répicuréisme, en c^isme, du ptaêonhme, du péripatétisme. — L'épicuréisme triomphe chez les Ro- mains y malgré les généreux efforts des stoïciens Sénè- QUE, Marc-Aurèue/Épictète. — Pythagorisme et mys- ticisme îrrégulier des juifs. — Cabalistique. — Cnosti- QtE^. — Néoplatonisme. — Mysticisme régulier et scientifique de l'école d'Alexandrie. — Elle débute par réeiectisme, et finit par un enthousiasme religieux toujours croissant. ^ Plotin , Porphyre , Jambliqub, Proclub. -^Philosophie des Pères de TÉgliée. *-Boèce et Gassiodore, •<— Dernières lueurs de la philosophie greccjfue en Qrient et en Occident.
DEUXIÈME PÉRIODE.
PHaOSOPmE DU MOYEN-AGE, ou SCHOIASTIQUS.
Emploi de la pinlosopkie, comme simple forme, au ser^ vice de la foi, et sous la surveillance de Pauiorité religieuse.
Preihère époque. — Depuis le commencement du neuvième siècle (après J.-C.), jusqu'au treizième.
Naitsance de la philosophie êcholastique.— Aveugle réalisme.
CyAHi^cM AGME assuro le triomplve du cbri«tianisme ,
21 INTHODUCTION.
constitue rautorité religieuse^ et ouvre des écol«, êcholœ, origine de la 9cholastique.Se& ressources sont les livres de St Augustin et la logique d'Aristote. — Grandeur du fond tbéologique et pauvreté de la forine, c'est-à-dire de la philosophie. — Progrès des éludes scientifiques : Alcuin , Scot-Erigène , St Ansklme de Cantorbéry, Abailard, Pierre le Lombard. — Ck>oi- mencement de la lutte entre le réttUsme et le nommatisme. -— Mysticisme de Hugues de St-Yictor.
Deuxième époque. — I>epuî3 te treizième siècle Jusqu'au
quatorzième.
m
ComjÀète alliance du système de C Église et de la philosophie d'Aru- tote; triomphe du réalisme. — Un vaste mouvement scientifique est imprimé par les Arabes,
Les ouvrages d'Aristote sont mieux connus. -^ In- fluence des philosophes arabes : Alfarabi , A vicenne , Algazel, Averroes. Illustres docteurs scholaaiiques : Albert le Grand, St Thomas , Duns Scot. — Lutte des Thomistes et des Scotistes, , des DominicatJifi et des Fran- ciscains. On pourrait dire que les Franciscains sont les sensuaUstes, et les Dominicains les idéalistes de cette époque. — Ess^i de révolution philosophique tenté par Roger Bacon. — Mysticisme de St Bon aventure et de Raymond^Lulle. /
Troisièke époque. — Depuis le quatorzième siècle jusqu'au
milieu du quinzième.
Séparation de la théologie et de la philosophie ; triomphe des no^
minaUstes.
La lutte contre la scholastique est commencée par
INTAOAUCTIOK. S^
GtJiLLAUMC B'OecAM , Domioaliste. — Adversaire^ du nominalisme : Henri Goethals, Walter Burleic. — Le BdiDÎnaiisme triomphe. — Mysticisme raisonné de Gerson. — Philosopt|ie contem^ative de Pétrarque.— Fin de la scfaolastique.
TROISIÈME PÉBIODE.
t
HISTOIRE MOiyCRNE.
• -
Première partie, ~ Philosophie du^ quinzième ei du seizième siècle.
Renouvellement des aiy^iens systèmes. — Essais originaux »
mais sans méthode scientifique.
La prise de Constantinople donne à TOccident les ouvrages des philosophes anciens. — Révolution reli- gieuse, politi^iue, littéraire, philosophique.— Immense développement de la science. — l** École idéaliste pta- Umieienne : Marcile Ficin, Pic de la Mirandole, Ramus. — 2* École sensualiste péripatéticienne : Pomponat , Va- NiNi, Campanella. — 3"* Scepticisme de Montaigne et de Charron. — 4"* Mysticisme de Paracelse, de Yanhel- HONT et de Bohme. — Les essais originaux et indépen* dant» de Télésio et de Jordano-Bruno font pressentir <}ue Bacon et Descartes ne sont pas loin.
i •
26 INTRODUCTION,
■
■
Deuxième partie. — Phiiosopine moéeme proprement diÉf. depUM le dix-feptième siècle jusqu'à nos jours.
Première époque. — Depuis Dbscartes jusqu'à Kamt,
Indépendanct absolue de lu philosapUe* — Création d'une méthode
scientifique,
Ëcole sensuatiste : Bacon, Hobqes, Gassendi, Locke.
— École idéaliste : Descartes^ Spinoza, Mallebranche.
— Lutte entre les deux systèmes exclusifs. Le génie vaste et conciliateur de Leibnitz essaie en vain de rap- procher les deux partis. — Scepticisme sensualiste en Angleterre et en France : Bayle, Hume, Glanvill. — Scepticisme idéaliste de Berkeley, Huet, Pascal. — : Malgré les efforts de J.-J, Rousseau, le sensualisme triomphe en France, et doit surtout ses succès à la méthode analytique employée par Condillac, le méta- physicien de ce système , dont Helvétius est le mora- liste. — Voltaire, Diderot, Encyclopédistes,
Deuxième époque. — Depuis Kant jusqu'à nos jours.
Emploi général de la méthode avec un vaste développement
d'érudition et de critique.
En Allemagne : Idéalisme critique de Kant. — Théorie de la science de Fichte. — Philosophie de la nature. — Système de l'identité absolue de Shelling. — Philosophie du sentiment, Jacobi. — Scepticisme ou anti-dogmatisme de Shulze.
INTRODUCTION, . 27
■ ■ ■
En Angleterpe : Analyse de rentendeitiinl humain » par l'école écossaise précédemment fondée par Reid.
— Th. Brown , Ducald-Stewart. — Sensualisme de Bentham. ^
En France : Successeurs de Gondillac, ICaranis, Gabat, Volney. r/ieo«opfa> deSx-MARTiN. — École thé(H logique : MM. de Majstre, de Bonald, de la Mennais.
— M. RoYER-GoLLARD appelle l'attention sur tes tra- vaux de l'école écossaise^ it M. GtfusiN, sur les sys- tèmes plus hardis des écoles allemandes. L'un et l'autre déterminent un nouveau mouvement phHosophique ^ dont le caractère principal est un vaste éclectisme, ^
«
.^
HISTOIRE
I»E
LA PHILOSOPHIE
ANCIENNE ET MOBERNE.
s:
PREMIÈRE PÉRIODE,
PMILOSOPBIB «REOQUB Et qyCMUIME.
»
V
Prehièke époque. — Depuis Thalè^ (env. 600 ans avant J.-C.),
jusqu'à SocRA^TB ( MO av. J.-C )
Spéculntion partielle et non êyêtémaUque.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
( SensuaîUmt. ) ( Idéalisme» )
tT. J.-C. tf. J.-C.
Thaïes de Bfilet. mort 540 * Pytbagore de SaiBM. m. 5o4
Anuiimandre. Aristée de Groione.
Pbérécyde de 9jrro8. m» 543 Arehxtas de Ttrenle. 11. v. 436
Anaximènes. m. Ters 500. Ecphtnte de Sjraeuse*
HéracUie d*Epliè9e. fleurit t. 500 Ocelhis de L icaiiie. fl. t. 496
Timée de Loeres. PhUolatts. né t. 500
ÉoouB A'gùmjOÊTïïqvm. iooui u'àsuàm.
( Sensualisme* ) ( idùUisme* )
Leudfpe. fl. v. 500 Xénoptaane. né en 617
Démocrite. m. 407 Parménide d*EIée. fl. t. 460
Nessas. Zenon dXlée. fl. ▼• 460
fliélrodore de Chio. Métissas de Samos. fl* v. 444
30 puiLosorais ancibKnë.
éooiaaa wxxtum.
aV. J^. av. J.-G.
AnixagoredeGlaiom«ne«i. v.ft4M Empédocle d'Agrigeule. i. ▼. 44â ArcbélaQs de Vilel. 11. y. 4ôO Diogène d'ApoUonie. B. y. 4112
809R1ST88.
( Scepticisme, )
GoMitt di LéosUaa. -IL t. 410 PHoUgonsd'Abéère. fl. t. 44S
Promeus de Céos. fl. t. 442 Criiias d'Athènei. II. v.
Biagoras de Mélos. fl. v. 415 Eatbydtoe de Chio. fl. ▼. 445
Hipplas d'Elis. ft. y. 410 Thrasymaque de Cfaaleédoine.
Polus d'Agrigenle, CaUiclës d'AcliifiMi.
ÉCOLE 510NIE.
»
* Le passage des spéculatioos casmogODiques, parties 'de l'observation immédiate des phénomènes naturels, base sur laquelle était fdndée la religion populaire des (frets y à une phîlos(^bie libre et indépendante » ne sa fit pui en ttffjour et «ans dififculté. Entne Tinstitution des mystères ^ attribuée à ÛRPHte , institution que Ton .pourrait regarder comme le premier pas fwit hors du 4pmaine' religieux , «t Tepoque où les physiciens de ' J'Ionie se livrèrent i leurs recherches, il s'était écoulé . plus de six cents annâis ,. véritable moyen-àge de la Grèce, époque d'inspiration, d'enthQwiafOM, pendant laquelle des chantres divins enseignèrent aux hommes, dans une poésie bar monieiise; première languede bous Iw peuples, les maximes les plus utiles et les pliis pures de la religion et de la morale. Dans lel; poésies d'Homère ^ da Musée et d*Hésiode, cette nation spirituelle et sen- sible réçôl une sorte d'éducation esthétique et inteU lectueUe , qui servit comme d'introduction aux études scientifiques. Elle trouva des secours analogues dans les leçans de ses législateurs , de ses poètes lyriques »
M£BltÈR£ ÉP0QU9. 34
de ses fabulistes. Les sentences des sept Sages (ly, eiprimées avec une concision énergique , éleT^ient sa raison , épuraient ses meurs , et la préparaient enfin à entrer dans la route scientifique où les philosophis ioniens guidèrent ses premiers pas.
Thalès, de Milet, eut la gloire d^uvrir dette im- mense carrié»^. Quoiqu'on lui attribue h fameuse ^if* tence : Conncns-toi toi-même, ce ne fbt. point sur l'homme et ses facultés que se portèrent ses premières ré- flexions. Dans le premier essai de ses forces , la* pensée humaine devait nécessairement être entraînée hors d'elle-même, et attirée vers ce monde extérieur, dont elle ne se distinguait pas encore bien clairement*
Thaïes et ses suceesseurs songèrent d*'abord à trouver le principe constitutif de la réalité d^ phéaom^nes. Ce fut dans l'eau que Thaïes ctut le reneontrer. Mais il ne se borna pas à une aftirmlition simple et gratuite ; il essaya d'appuyer sur des presves l'assertion qu'il avançait ; il chercha ces preuves dans l'analogie déduite de l'expérience ; il généralisa l'observation qu'il avait faite sur la manière dont se nourrissent les corps or- ganisés ; enfin , au lieu de considérer les phénom^ènes naturels comme isolés , détachés les uns des avtres , il voulut saisir le nœud qui les unit : il j^hercba ce nœud dans une Ioi« Le premier, donc, if eut l'idée des lois générales de la nature. En feisant provenir toutes
(1) Voici les noms de ces sept Sages » donl l'histoire a été défifitirée par des fables que la saine critique réprouve : Pittacus de Mytiiène» Selon d*Atkènes , Cléobule de Liadi; s , Périandre , tyran ou prince de Gorinlhe , à la fîaee duquel d'autres nomment Myson , Chilon d^ Lacédémone , Bias de Priéne , et enin Tlialèa* «
•
3S ' PlUtOSOPBIE ANCIENNE.
'Choses.de l'eau, îhalê& reconnaissait un principe mo- teur , un es|jrit ; tout était rempli de Dieu. Gomment combinait-il ses âmes ou ses Dieux avec son principe matériel ? c'est ce ^u^il n'est pas facile d'expliquer : aussi le débal sur son théisme remOnte-t-il i une époque fort reculée. ^ A^AXiMANDRE voulot rendre plus rigoureuse la dé-
* monstration sur laquelle s'était appuyé Thaïes : îl en scruta les fondements , et se trouva conduit à lui donner un principe nouveau : Rien ne se fait de rien; axiome
• célèbre, autour duquel tourna longtemps comme sur son pivot la philosophie des écoles grecques. Parti de ce principe fondamental , ce philosophe arriva à une conséquence qui étonne par sa profondeur, si l'on con* sidèjre les circonstances où elle fut mise au jour : < ^ L'infini est le principe de toutes choses , un infini tout ensemble immuable et immense* » En eflet, rien de ce qui est incomplet et borné ne lui paraissait pouvoir suffire à la génératioa universelle et per- pétuelle des êtres. Mais Anaximandre ne > considère
\ ^s l'infini, tel que le donne une abstraction légitime , comme un idéal dégagé de toute divisibilité et de toute composition; c'est, selon lui , une substance réelle qui tient le milieu entre l'air et l'eau. C'est ainsi qu'après avoir essayé una théorie métaphysique, il re- tomba sur un principe matériel.
PHÉRÉCYDE^de Syros, professait, à peu de différences près , les doctrines d' Anaximandre : il regardait, dit- on, l'âme de Thomme comme impérissable.
Anaximène , voulant déterminer d'une manière plus précisé cette substance infinie , qu' Anaximandre, son
PREMIÈRE EPOQUE. 33
maitre et son ami , regardait comme le principe des choses , la matérialisa davantage. Cherchant dans l'espace le siège de ce principe , il crut trou- ver dans Vair, qui se plie à toutes les formes, la propriété la plus appropriée à l'élément général : il lui attribua la vie, le mouvement, et même la pensée.
Héraqlite , d'Éphèse (1). le dernier et le plus illus- tre représentant de cette école , regarda le feu comme rélément , le substraium , et Tagent universel de la nature. Le monde , suivant ce philosophe, n'est l'ou- vrage ni des Dieux ni des hommes; c'est un feu toit- jours vivant qui anime et détruit toutes choses : de là la théorie, que tout change , passe et se métamorphose sans cesse , et que le caractère commun de tous les phénomènes du monde est une contradiction perpé- tuelle^ une guerre, mais une guerre constituée; car la variété et la contradiction ont aussi leurs lois, qui sont les lois mêmes de ce monde , lois fatales et irré- sistibles. '
Voilà donc la fatalité et le matérialisme déduits , comme nous aurons l'occasion de le voir plus d'une fois , de l'observation philosophique exclusivement appliquée aux phénomènes du mon^ie* Us se consti- tuent d'une manière plus forte et plus systématique dans l'école atomistique de Leucippe et de Démocrite.
Le premier est peu connu; on ignore sa patrie, et l'on ne connaît qu'imparfaitement l'époque à laquelle il vécut. Les détails historiques sont plus nombreux sur Démocrite , auquel on a donné un caractère mo-*
(1) Sa naissattce Tappelail au trône; mais il céda ses droib à son frère pour «c livrer à la philosopliie.
34 PHILOSOPHE ANCIENNE.
queur (i) en opposition à celui d'Heraclite , son con- temporain. 11 naquit â Abdère , en 469 ou 470 , selon l'opinion la plus générale. Animé de l'amour le plus ardent pour la science , il visita l'Egypte , la Perse , TEthiopie , les différentes viHes de la Grèce , et revint dans sa patrie , où il se livra avec passion à ses goto scientifiques. 11 vivait dans une retraite profonde, Éli- sant marcher de front l'étude de l'histoire naturelle , de l'anatomie , de la médecine , de la physique , de la géométrie et des lettres : on peut juger de son extrême activité par la liste nombreuse des ouvrages qu'il avait composés, et dont le catalogue est consigné dans l'ou* vrage de Diogène-Laêrce.
Dans l'état où se trouvait la science, c'était une idée très - philosophique que d'expliquer par des atomes errants dans le vide le principe primordial de l'univers, et les changements de forme que subissent tous les corps de la nature. Le premier principe devant pré- senter lui-même tout ce qui appartient aux objets qu'il compose, celui qu'admit Leucippe s'accordait mieux avec l'expérience que ceux qu'avaient admis ses pré^ decesseurs. Il n'accordait pas la simplicité aux atomes, dans un sens aussi absolu que l'ont fait les modernes : il admettait cette simplicité, telle qu'on parvient à la connaître par le témoignage des sens. Les atomes sont invariables , indivisibles, imperceptibles à cause de leur
(i) On a révoqué en doule rentreviie qu'il eut , suivant un grand nombre dliistonens , avec le célèbre médecin Hippocrate , de Gos , que les Abdéri«» taiBsavaient appelé auprès denémocrile pour le guérir d'une prétendue folie* Hippocrate le trouva , dit^-on» environné d'animadx qull disséquait, et dans lesqnelft il cberchaii à surprendre queiquesHUs des syslèees de l'eiigaBi- toiion.
FliEMlÈRE iPOQUE. 8B
petitesse; ils remplissent l'espace et affectent des fermes d'une variété infinie ; la propriété du mouvement est inhérente à ceux qui sont ronds. Toutes les propriétés ^ toutes les modifications des corps, sont déterminées par la position et Tordre , la combinaison et la sépa- ration des atomes. L'âme est un composé d'atomes ronds , d'une nature ignée.
Démocrite, dans ses nombreux ouvrages y dont aucun ne s'est conservé, développa ce système, qui devint plus tard la base de la métaphysique d'Epicure. Il con- cluait l'éternité des atomes de l'impossibilité où nous sommes d'assigner un commencement au temps. Il alléguait aussi un argument en faveur de Téternité de ces atomes : la divisibilité des corps ne peut pas aller au*» delà du terme où les parties cessent d'être sensibles; cela supposé , ou il reste soit une étendue , soit un point sans étendue, ou il ne reste rien. Dans le pr^ mier cas, l'étendue serait encore divisible; le second cas est impossible, car un corps ou quelque chose d'étendu ne saurait résulter d'un point sans étendue : si l'on admet enfin la troisième supposition et qu'il ne rester rien , tout le monde physique sera formé de rien; ce qui est absurde. Donc il faut nécessairement que les éléments de la nature soient des corps simples.
D'après le prindpe qu'il n^y aque de$ 9emMaMes qiA pmiwni agir les tms sttr les mitres , Démœrite ajoutait que toute influence active ou passive n'était autre chose qu'un mouvement produit par le contact. 11 distinguait le mouvement dérivé , dans l'inipii^îo/i et la réaction , d'où résulte le mouvement en taurbitkm : c'est en cela que consistait la loi de la nécessité.
36 PuiLOSOPHiE A^C1E^^E.
GoDséqueDt dans son système , il exposait ainsi la théorie de la connaissance humaine : les eorps sont toujours en mouvement , et par conséquent en perpé- tuelle émission de quelques-uns de leurs atomes. Ces émanations des corps extérieurs en sont des images; en contact avec les organes , ces images produisent la sensation , et cette sensation^produit la pensée.
Le hasard qui fit avec le» atomes des créatures vi- vantes ou non vivantes , créa ^ussi djds êtres aériens bons et mécliants, d'une taille démesurée, mais sujets à périr , comme toutes fes choses composées d*atpmes. Quelle pouvait être la morale d'une doctrine si nette- ment athée et matérialiste ? Elle ne pouvait avoir d'autre règle que la prudence, et d'autre but que le bien-être par l'égalité .d'humeur.
L'école atomistique est l'école d'Ionie élevée à sa plus haute expression. Prenant comme elle son point de départ dans le sensualisme, elle était arrivée aux con- séquences qu'il a toujours été dans la destinée de ce système d'amener avec le temps.
ÉCOLE ITALIQUE.
Une école à peu près contemporaine de celle de Thaïes, celle que Pythagore de Samos (i) alla fonder à Crotone en Italie, était arrivée pendant cet inter- valle à des résultats bien différents. Partie , comme la
(Ij II règne quelque incertitude sur Vannée de la naissance de Pythagore : on la flxe à Tan 605 , ou 583 , ou 576 avant J.-C. On présume qu'il s'établit en Italie vers la fin du règne deServius Tuilius ; il n'a donc pas connu Numa, avec lequel on a prétendu qu'il avait été en rapport.
PREMIÈRE ÉPOQUE. 37
première y de l'étude des phénomènes naturels, point de dépai't de toute philosophie naissante, comment avait-elle produit des doctrines si opposées? Le fait est important ù constater, car il explique un phéno* mène qui se présente plus d'une fois dans l'histoire de l'esprit humain. Qu'avait fait la physique ionienne? Elle avait porté principalement son attention sur les phénomènes eux-mêmes, sans s'arrêter à leurs rapports: les rapports mathématiques qui existent entre les corps de la nature ne sont ni visibles, ni tangibles; et les philosophes d'Ionie, exclusivement physiciens et s'occu- pant peu de calcul et de géométrie , s'étaient renfermés dans le cercle apparent du monde sensible. Pythagore, au contraire , livré à l'étude de la géométrie , de l'arith- métique et de l'astronomie, frappé de l'ordre et de l'harmonie qui régnent dans toutes les parties de l' uni- vers, et plus préoccupé des rapports des phénomènes que des phénomènes eux-mêmes, appliqua les mathé* matiques à toutes les études qu'avait embrassées son génie, fortifié par la méditation et éclairé par de nom- breux voyages.
De même que l'habitude de ne considérer dans les objets que les éléments matériels conduit nécessaire- ment à un sensualisme qui , de conséquence en con- séquence, ne saurait manquer d'arriver au point où nous l'avons vu porté par Leucippe et Démocrite; de même, en ne considérant dans ces mêmes objets que des rapports abstraits, perceptibles seulement par la pensée, les pythagoriciens devaient obéira une tendance idéaliste, tendance que les abstractions mathématiques ne manquent jamais de produire.
M PHILOSOPtfS ANOSNNE.
Pjthagore et wn éoAe anient obeervé oombiea Mut féconds et variés les rapports que les quantités etpri- ment : ils avaient remarqué que les vérités auxquelles appartient cet ordre d'abstractions sont universelles^ nécessaires ; ils voulurent le mettre en valeur en rap- pliquant i Tordre des réalités : ils se trouvaient ainsi sur la voie de ces méthodes qui ont conduit les modernes aux plus belles découvertes. Mais au lieu d'employer les notions mathématiques , comme un simple instru^ ment de Tintelligence , pour coordonner , décomposer les fidts donnés par rexpérience, ils les réalisèrent, ils en firent le type ou plutdt la substance même des choses. Ainsi s'expliqua pour eux l'origine du monde : les nombres, naissant les uns des autres, leur sem* Mèrent représenter exactement la génération succes- sive des êtres I qu'ils a[^lèrent une imitation des nombres» Xea nomlntê êont dono le$ principes des choses.
Qu'on remarque bien ici l'acception dans laqudle était prise l'expression de principe : elle signifiait à la fois l'élément intégrant et la cause active. Les pro* priétés des nombres furent ainsi transportées sur les objetseox-mémes; et les formules mathématiques furent converties en lois positives de la nature.
Essayons de tracer rapidement l'édifice élevé sur ces bases.
L'unité, ia monade , occupe le premier rang, elle est le type de la perfection : c'est d'elle que tout part , c'est à elle que tout aboutit. La dyade, au contraire, est imparfaite, formée de l'addition de l'unité à elle-môme : c'est la matière , le chaos. Les nombres sont pairs et imparfaits , ou impairs et par&its« La somme des quatre
FREnËRB tPOQUH. 80
premiers comtitae la décade. De là leur système astro*- nomique décadaire : comme le nombre dix a sa racine dans runité, ces dix grands corps tournent autour d'un oentre qui représente l'unité. L'apparence, les sens et l'écoje d'ionie placent la terre au centre du monde. Le centre du système du monde, selon la raison, l'ab* strabtion et l'école italique, c'est le soleil. Cette opinion^ soutenue avec fermeté par les pythagoriciens à une époque reculée, leur assigne un rang distingué parmi les astronomes. Or , comme le soleil, autrement le poste d'observation de Jupiter , représente l'unité , et que l'unité, quoique principe actif, est immobile, le soleil est immobile. Les lois des mouvements des dix grands corps autour du soleil constituent la musique des sphères : c'est là le célèbre concert des astres py tha* goriciens, l'une des idées les plus hardies et les plus sublimes que l'imagination de l'homme ait jamais con- çues. Le monde entier est un tout harmonieusement arrangé, et il a depuis conservé le nom même qui ex^ prime l'ordre.
Envisageant la nature sous un tel aspect , ils étaient bien voisins de l'idée d'une intelligence ordonnatrice ; aussi le théisme est-il la conséquence de leur système : mais ils ne dégagèrent point cette idée sublime, avec autant de clarté et d'une manière aussi expresse que le fit plus tard le célèbre Anaxagore. Il semble qu'ils croyaient avoir tout expliqué par les propriétés des nombres, et qu'ayant établi les lois, ils ne sentaient pas le besoin des causes. La morale et le droit furent principalement l'objet de leurs méditations; et quoique les notions morales ne se prêtent guère , comme la phy-
^ MILOSOMIE ANCIENNE.
sique , à l'application des formules maibéiuatiques , leur psychologie présente 1» même caractère. Qu'est-ce que l'âme , selon eux ? C'est un nombre qui se meut lui- même. Or l'âme, en tant que nombre, a pour racine l'unité, c'est-à-dire Diey : Dieu, eo tantqu'unité, est la perfection , et l'imperfection consiste à s'éloigner de l'unité. Le perfectionnement consiste donc à aller sans cesse de l'imperfection au type de la perfection, c'est- à-dire de la variété à l'unité. Le bien est donc l'unité , le mal est la diversité ; le retour au bien, c'est le re- tour à l'unité : et par conséquent, la loi, la règle de toute morale, c'est ta ressemblance de l'iHttnme à Dieu, c'est-à-dire le retour du nombre à sa racine, à l'unité; et la vertu est une harmonie. De là la politique des pythagoriciens : elle esl fondée sur un rapport , celui de l'égalité , qui donne pour principe la loi du talion (1); et la justice est un nombre carré.
Ce que nous savons des opinions des pythagoriciens sur les facultés de l'âme, leurs effets et leurs rapports réciproques, est trop incomplet et trop contradictoire pour qu'on puisse en former un corps de doctrine. On sait qu'ils plaçaient l'intelligence dans le cerveau , et les appétits et la volonté dans le cœur. Les âmes des hommes et des animaux sont impérissables, ainsi que lame du monde, le feu central dont elles émanent. L'âme étant, comme le corps, un nombre qui subsiste par lui-même, passe, après la mort de l'homme, dans e corps, soit d'un autre homme, soit d'un animal où le hasard la porte. Elle préexistait aussi, et, depuis le commencement du monde, elle habitait des corps hu-
(1) La rétribution égale et réciproque.
^REMIÈRB ÉPOQUE. 41
maine et animaux. Tel est l'exposé qu*Aristote fait de la métempsycose de ^tbagore , qu'il faut bien distin- guer de celle des Égyptiens , qui était un symbole as-- tronomique de Timmortalité de Tàme , et de celle que les nouveaux platoniciens* adoptèrent dans la suite.
Gomme, dans les fragments qui nous restent de l'école italique, il.est difficile de bien distinguer l'œuvre du matlre de celle des disciples , nous avons été forcés, dans cet aperçu, d'attribuer d'une manière collective à tous les philosophes qui la composent , les opinions que chacun d'eux a successivement mises au jour, mais qui certainement n'ont été que le développement des principes enseignés par Pythagore lui-même dans l'institution qu'il avait fondée à Crotone. C'était une association secrète, académique et politique, on pour- rait même dire une sorte d'ordre monastique, dont le but était ta cujture des sciences et la pratique des ver- tus morales, mais dans laquelle Pythagore introduisit des pratiques , des exercices , et un genre de vie ex- traordinaire; il y fut conduit sans doute par l'exemple des castes sacerdotales et des institutions mystérieuses, avec lesquelles il avait longtemps communiqué, ou plutôt par la crainte que pouvait lui inspirer l'aveugle résistance des superstitions populaires. Il parait cepen- dant que, malgré ces précautions, l'influence politique qu'exercèrent les [^thagoriciens éleva contre eux l'es- prit de faction : Pythagore et ses principaux amis furent massacrés dans une émeute excitée par deux démagogues de Crotone (i). Nous verrons plus d'une
(1) Là Yie de Pythagore a été écrite par deux philosophes, Jamblîque et Porphyre , doDt nous parlerons dans la suite : ils ont recueilli toutes les
43 PBILOBOPBIB ANCIHQCE.
fois, dans la suite de cette histoire , chaque progrès ini^ portant de la philosophie payé du sang de son auteur. Les pythagoriciens les plus célèbres sont TiLÉAUGB et MniSARQUB, fils de Pythagore, et Algméon, de Gro- tonoi son gendre et son successeur, selon Jamblique; Epiciiarme , de Gos , le comique , que l'on appelle aussi le Mégarien et le Sicilien , à cause des lieux où il habita ; Tivte I de Locres : l'ouvrage qu'on attribue à ce der- nier n'est qu'un extrait du Timée de Platon; Ocellus, de Lucanie : l'ouvrage que nous possédons sous le nom de ce philosophe a peut-être été composé après J.-G, ; cependant quelques savants d'un mérite distingué en soutiennent l'authenticité. A une époque postérieure, on trouve Archttas, de Tarente, l'un des hommes les plus marquants de sa patrie, où il remplit d'im- portantes fonctions : on cite ses découvertes en géo* niétriô et en mécanique ; il existe de ses ouvrages quelques fragments peut-être apocryphes; enfin son disciple Philolaus, qui composa le premier traité de son école qui ait été écrit, et devint célèbre par son système astronomique.
ÉCOLE D'ÉLÉE (1).
L'influence que l'institut fondé par Pylhagore exerça sur les philosophes de son siècle et sur ceux des
fables que Tadmiration et l'enlbousiasme avaient inventées sur cet homme vraiment extraordinaire.
(1) Pour rappréeiatîon de cette école , nous nous sommes senris du bêan travail de M. Cousin sur Xénoptaane et Zenon d*Ëlée , imprimé dans ses Noureâux Fragments philosophiques , et dont nous ob saurions trop reoom- naMler la lecture.
PlBlKÈliS «POQUB* 48
aiéûl68 postérieurs fut imaieiue. Elle m iait remtfrqMr d'une manière bien sensible dans une école fondéei en S90, & Éléa ou Yéiia^ dans la Grande-Gréoe , (Mttr l'Ionien XiNOPHAN£ ^ de Golophon* Né à la 40* ûlyni« piade (647 ans avant J.-G. ), il passa la plus grande partie de sa longue carrière dans l'Asie llioeufet lors- que sa patrie tomba sous le joug des Perses » il se retira en Sicile, dont il parcourait, dit-on, les différentes ^iHes 9 récitant ses vers et vivant du métier de rbap« flode* Il n'avait pas moins de quatre-vingts ans lorsqu'il vint s'établir à Éiée, colonie récemment fondée, dont les habitants, échappés aux désastres de toutes les autres colonies de l'Asie Mineure, offraient un asile à eeui de leurs compatriotes qui fuyaient le spectacle de la servitude et de la corruption de leur paysi 11 y vécut eneore une vingtaine d'années, si l'on en croit las témoignages des écrivains de l'antiquité^ qui attes^ tent qu'il vécut au moins un siècle.
Fondateur d'une école destinée à porter si haut l'idéalisme pythagoricien , Xénophane , Ionien de sang et d'habîRide, arrivé très-tard à Élée, présente, dans non système , deux esprits bien opposés ; ils attestent les deux antécédents k travers lesquels il a passé , et dont il forme le peint de réunion. Ce mélange de deux systèmes si différents , cette alliance des contraires , est un des faits les plus intéressants et des plus pro^ près k faire connaître le développement graduel et la marche progressive de la raison philosophique. Ainsi, d'abord sa physique et sa cosmologie sont empruntées i la physique ionienne ; comme les Ioniens , il s'arrête à Tapparence sensible; c'est la terre ^ et non le soleil.
44 PHILOSOPAIC ANCIENNE.
qui est le ceiUte du monde; on retrouve, daos sa physique , Veau de Thaïes , yair d' Anaxiinène , le feu d'Heraclite : lepoint.de départ , la route et le but , la méthode et les résultats , tout est emprunté aux sens et à la matière.
Mais l'influence du pythagorisme se fait bienti^t sentir dans une théologie qui nous montre à découvert le plus pur et le plus noble théisme, c'est-à-dire une doctrine qui ne se trouvait alors que chez les pythagoriciens de la Grande-Grèce. Cependant, tout en profitant de l'esprit nouveau qu'il rencontra sur les côtes d'Italie , Xénophane resta fidèle à l'esprit de liberté qui carac- térisait les Ioniens. En effet , au lieu de poser simple- ment des dogmes, comme aurait fait un pythagoricien ordinaire , si toutefois il eût osé enfreindre le secret prescrit aux membres de l'institut pythagorique , au lieu de prononcer des sentences et presque des oracles^ et de parler par symboles, Xénophane raisonna.
Aristote et Théophraste nous ont conservé le corps de l'argumentation par laquelle il démontrait que Dieu n'a pas eu de commencement et n'a pas pu naître. Dans un autre fragment qui nous a été pareillement conservé , il déduisait l'unité de Dieu de sa toute-puis- sance et de sa toute-bonté. Là se trouve la première tentative qui ait été faite de porter la dialectique jus- que dans les qualités essentielles de Dieu, de soumettre ces qualités à une dépendance réciproque, et d'en former une théorie.
Voilà donc, dès les premiers jours de la philosophie grecque , Dieu conçu et établi comme souverainement puissant , souverainement bon , et par cela même
FREMlÈRfi ÉPOQUE. AS
comme es8enticl^0]ll6nt un.: ce n'est plus seulement la cause et la substance de toutes choses, comme nous l'avions vu précédwiment , c'est la cause et la substance sous un point de vue plus intellectuel; c'est la sagesse et la bonté, c'est déjà un Dieu moral.
L'école ionienne et l'école pythagoricienne ont in- troduit dans la philosophie ,^recque les deux éléments fondamentaux de toute philosophie : la physique et la théologie , l'idée du Inonde et celle jde Dieu. Les deux termes extr^esde toute spéculation étant ainsi donnés, il ne reste, plus qu'à trouver leur rapport : or la solution qui se présente d'abord à l'esprit humain , préoccupé qu'il est néces^irement de l'idée de l'unité, c'est d'absorber l'un dosAermes dans l'autre, d'identifier le monde avec Dieu , ou Dieu avec le monde , et par là de trancher le nœud au lieu de le résoudre. L'école ionienne, appliquant l'idée d'unité au monde, était tombée dans le panthéisme ; les philosophes pythago- riciens, id|6alisant tout, et parlant de principes invi- sibles , absorbaient le monde dans cette unité absolue et idéale, à laquelle ils ramenaient toutes choses. Xé- nophane , Ionien et Italien à la fois , qui participa de ces deux philosophies, les combina-t-il de manière à les fondre ensemble, et à les tempérer l'une par l'autre dans le sein d'un sage éclectisme? Releva-t-il le pan- théisme en le rattachant au théisme, comme l'effet à la cause, et vivifia-t-il le théisme en en tirant le pan- théisme , comme du sein de la cause sort et se déve- loppe la série indéfinie des effets ? Devança*l-il ainsi l'ordre des temps et de son siècle ? Non; personne ne devance son siècle > chacun fait son rôle ^ et Xénophane
46 PHILOSOPfilE ANCIENNE.
n'a pas dérobé à Platon celui qui avait été assigné i ce grand homme, à son siècle, à Athènes. Xénophane, combinant deux idées opposées , en composa un sys- tème parfaitement bien caractérisé par Aristote, comme on système indécis, où le théisme et le panthéisme coexistent d'une manière un peu confuse, mais avec une prédominance de l'élément pythagoricien et théiste, qui, s*accroissant et se développant entre les mains de ses successeurs, a fini par absorber l'élément pan- théiste et ionien dans une unité absolue et un idéa- lisme exclusif.
Parménide fut exclusivement Dorien, théiste, idéaliste, unitaire. Après avoir ihit , dans son poème sur fa nature, la distinction du monde de l'apparence et du monde de la raison, il en déduisit deux espèces de connaissances , dont l'une est produite par nos sens , et l'autre par notre raison : la première nous montre partent la plu- ralité , le multiple , le variable , le contingent ; la seconde nous élève à l'unité, |iu simple, au nécessaire , à l'ab- solu. Dans son poème , Parménide part de l'idée de Têtre pur, qu'il identifie avec la pensée et [la connais- sance, et il conclut que le non-être ne saurait être possible; que toute chose existante est une et tden* tique; qu'ainsi ce qui existe n'a point de commen- cement, qu'il est invariable, indivisible, qu'il remplit Fespace tout entier, et que par conséquent tout change- ment, tout mouvement, est une pure apparence. Tel est le système idéaliste auquel aboutit l'école d'Élée, et que Mêlissus , de Samos, développa avec beaucoup de profondeur. Parvenu au somjnet, et pour ainsi dire wr le trdne de Tafoslraetion , Tidéalisme systé-^
PRBMlÈRfi ÉPOQUE. 41
matiqoe des Éléates devait Décessairement paraître bi- zarre et absurde au plus grand nombre. L'unité absolue n'excluait pas seulement tout ce oui n*est pas elle, elle excluait pareillement , en elle-même , toute diftè* renée , toute distinction , tout rapport d*elle-même à elle-même. C'était une substance sans cause , et pai; conséquent une substance vaine , puisqu'elle était dé« pourvue de l'attribut essentiel qui constitue la sub- stanee. Les objections les plus graves accusaient l'ab- surdité d'un pareil système.
Zenon fut le soldat et le martyr de Técole qui avait ea pour fondateur Xénophane , et pour législateur Par- ménide. U naquit à Elée, vers la 69* olympiade (504 ans avant J.-C. ) , et passa la première partie de sa ^ dttis l'étude de la philosophie de Parménide, son maître et son ami. Tous les auteurs s'accordent sur son ardent patriotisme. C'était l'époque de raflfranchisseiMnt 4^ la Grèce et de l'élan général vers la Kberté «t riodé* pendance. De toutes parts on travaillait i secouer le )oog des Perses, à se donner des institutions pkw libres. Elée s'adressa à ses philosophes pour fixer sa constitution et ses lois. Zenon , satisfait d'avoir coih tribué à donner à sa patrie des institutions sages , n'y voulut pas avoir d'autre pouvoir que celui de ses TorUis et de ses talents, il menait une vie modeste et retirée » lorsque Elée étant tombée sous le joug d*utt tyran, nommé par quelques historiens Néarque, et par d'autres Démylos, il s'arracha à ses études philoso- phiques pour défendre les instilutions delà patrie. Ses généreux efforts ne furent point couronoéi» de succès ;
48 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
il fut pris et périt dans un supplice horrible» qu*il subit avec un courage héroïque (i).
Zenon avait fait avec Parikiénide , en 460 , un voyage à Athènes , pour défendre les doctrines de son école contre les attaques de l'empirisme ionien^ tout-puis- sant alors dans cette ville. Charfé de soutenir la dis- eussion , Zenon , au lieu de rester survies hauteurs de ridéalisme, descendit sur le terrain même de Tempi- risme; et, tournant contre ses adversaires leurs propres objections , les força de convenir qu'il n'est pas phis aisé d'expliquer tout par la pluralité que par la seule unité : < Vous prétendez, leur dit-il, qu'il n'existe que ce que les sens vous attestent, qu'ainsi la pluralité seule existe, et vous triomphez dans l'énuméraiion des différences que vousop'posez à la doctrine de Tunité ab- solue; vous triomphez surtout du mouvement universel que vous opposez à l'immobilité absolue, qui résulte de l'unité absolue d^' Parménide : eh bien, je vous prends par vos propres arguments, et je vous démontre que si tout diffère , comme vous le pensez , par cela même tout se ressemble, et que si tout se meut, tout est en repos ; qu'ainsi votre système même vous pousse à des conséquences opposées à votre propre système. L'empi- risme est donc condamné à la contradiction , et à une contradiction perpétuelle. Cette contradiction est votre monde, le monde de la pluralité et de l'apparence , que les sens vous attestent et que l'opinion vulgaire admet.
(1) Diogène-Laërce rapporte , d*aprè8 Hermippus, que Zenon fût jeté dans un mortier et pilé. Plularque raconte aussi qu'avant de mourir, il se coupa la langue avec les dents et la cracha à la figure du tyran.
PREMIÈRE ÉPOQUE. 49
Il ne faut croire qu'à la raison, non aux sens et à l'opinion : or la raison condamne la pluralité à l'extra- \agance; donc la pluralité n'existe point. » Cette polé- mique d'un genre tout nouveau déconcerta les partisans de. la philosophie ionienne , excita une vive curiosité et un haut intérêt pour les doctrines italiques ; ainsi fut déposé dans la capitale de la civilisation grecque, avec un élément nouveau et une nouvelle donnée phi- losophique, le germe fécond d'un développement su- périeur. Zenon , avec sa dialectique subtile et auda- cieuse, apparut aux Athéniens comme une sorte de Palamède en fait de discussion philosophique (i).
Le litre principal auquel est attaché le nom de ce philosophe , c'est l'invention de la Dulectiqu» : et nous ne parlerons pas ici de la dialectique qu'on trou- vait déjà dans les essais de Xénophane , et qui n'a pas manqué non plus à Parménide ; nous voulons parler de la dialectique considérée comme un art, avec ses formes, avec l'appareil et l'autorité d'une méthode positive. C'est un point sur lequel tous les auteurs sont d'accord : les quatre démonstrations logiques de Zenon contre le mouvement , et en particulier le fameux argument dît Y Achille (2) , ont puissaminent contribué à sa célé- brité. La lutte entre l'empirisme ionien et l'/déalisme
(1) Platon , Phéd. , Irad. de M. Cousin , t. VI , pag. 85.
.(2) Bayle ( art. Zenon ) a reproduit et développé ces divers argumeols el en a tiré la conclusion que Zenon était un sceptique universel. C*est aussi Topinion d*un granU nombre d'auteurs. On 8*est mépris sur le but et les in- tentions du philosophe d'Elée. On n'a pas vu que ses objections contre lé mouvemeut n'avaient pour but que de convaincre d'absurdité la divisibilité infiuie de la matière , et de montrer qu'en adoptant ce système , ou arrivait nécessairement à la négation du mouvement.
4
SO PHIJLOSOnilE ANCIBmfE.
éléalique dura près d'uD siècle : Téoole d'Éiée, «vec sa dialectique, coûfondait aisément rempirisme iooieti et le poussait à la contradiction et à l'absurde » en lui prouvant que y soit dans k monde extérieur , soit dans la conscience , la variété n'est possible et n'est eonce^ vaUe qu'à la condition de l'unité. En même temps le bon sens de l'empinsme ionien faisait aisément justice de l'unité éléatique, qui, existant seule, sans aueon dualisme , et par conséquent sans pensée , car toiit« pensée suppose au moins la dualité du sujet et de l'ob- jet, se réduisait à une existence absolue, qui ressem* blait au néant de l'existence.
ÉCOLES MIXTES.
Quelques esprits supérieurs, dans les deux partis , avaient en vain essayé de terminer cette lutte, en em- pruntant quelque chose à l'un et à l'autre système.
A leur tête est l'illustre â.naxagore, de Clazomène en ionie, qui vint , à quarante ans, s'établir à Athènes (486 ans avant J.-C). Rien n'a plus contribué à sa célébrité que sa doctrine d'une intelligence suprême,, d'un esprit ordonnateur du monde; résultat auquel il fut conduit par une plus profonde observation de la nature et de l'ordre qu'elle présente, par ses réflexions sur l'insuflisance de tous les systèmes tirés uniquemeut de l'ordre naturel, et peut-être aussi , selon Tennemann et le professeur Car us , par les révélations mystiques de son compatriote Hermotime , personnage singulier , sur lequel les anciens rapportent beaucoup de Êibles(l),
(1) Pline rancien raconte < Mis t. no/. , t. vn , cap* 53) que rAme 4'Hii^
PREXlèllE ÉPOQUE « 51
mais qui paraU avoir été initié aux doctrines des ()ylha- goriciens. Ânaxagore, en effet , a de commun atec ce^ philosophes la notion d'un Dieu, premier principe et cause de l'univers; mais ce qui assure plus particulier remeitt à ce grand homme une place honorable danâ l'histoire de la philosophie, c'est le soin avec lequel il sut séparer et détacher avec précision et clarté Vidée die cette intelligence ordonnatrice , trop souvent identifiée jus- qu'alors avee les phénoihènes du monde. Lai notioif d'an Dieu est inhérente à l'esprit humain; on se trom- perait donc grossièrement en considérant Anaxagore comme l'auteur du théisme : le théisme est aussi ancien que l'humanité, et nous avons déjà vu dans Xénophane la conception nette et précise de l'unité et de la toute* puissance de Dieu. Mai^ en donnant au théisme son vrai caractère, et en lui prêtant l'appui d'une démon- stration logique, le philosophe de Clazomène fit Ibiré un pas de plus à la philosophie : le premier il enseignai chtirement et d'une manière expresse que les phéno-
motime quiltait souvent son corps pour errer au loin et découvrir des ckoses qui ne pouvaient être connues que de ceux qui étaient présents sur les lieux, pédant que son corps restait connue privé de vie , jusqu'à ce qu'enfin ses enmemis, i4>pelés Cemtharides, fassassinrèrenl et enlevèrent à son àme rbabitation où elle allait revenir. D'autres auteurs répètent le même récit. Si Von voulait , dit à ce sujet M. de Gérando, considérer le fond de ce récit cdmme un fait historique , en le rapprochant de ceux que nous a conservés l'antiquilé-sur plusieurs thaumaturges, sur tes hommes auxquels on a at- tribué un pouvoir de divination , en remarquant que' ceux-ci m)us sont éga- lement représentés dans un état d'anéantissement et de sommeil lorsqu'ils reçoivent l'inspiration , on pourrait trouver dans ces singulières descriptions quelque chose d'analogue aux phénomènes de somnambnlisme , qui , dans ces derniers temps, sont devenus l'objet de l'atteition publique , et qui , <^el- que opinion que l'on se forme du système de lois auxquelles on peut les rapporter , méritent certainement rattenUon des observateurs.
n
52 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
mènes de l'univers sont étroitement liés entre eux, qu'ils forment un ensemble» un tout; que Tordre est la grande chatne qui unit leurs parties » la loi suprême qui les gouverne ; que ce système universel » dans l'unité qui le constitue, suppose un ordonnateur unique, et par conséquent une intelligence qui le connaît , le dispose et le réalise.
Si cette notion raisonnée de l'Être suprême rappelait, en les perfectionnant , les idées des philosophes de l'école italique, Anaxagore se rapprochait des Ioniens par sa physique et sa cosmogonie. D'après ce principe qu'il leur empruntait, que rien tie vient de rien, il ad- mettait l'existence de la matière à l'état de chaos, donnée primitivement, et dont les parties constitutives, qu'il appelait homœoméries, ne peuvent être décom- posées ; et c'était par l'arrangement et la séparation de ces particules qu'il expliquait les phénomènes du monde physique : mais ce chaos , environné d'air et d'éther , avait été animé par l'intelligence suprême , cause pre* mière du mouvement. Au reste, Anaxagore fut toujours plus attaché à l'étude de la physique qu'à celle de la métaphysique; et Platon lui reproche avec raison l'inconséquence dans laquelle il était tombé, lorsqu'il cherchait à expliquer par des causes purement phy- siques l'origine des plantes et des animaux , et même aussi les phénomènes célestes. C'est ce qui attira le reproche d'athéisme au plus religieux des philosophes anciens.
Malgré l'injustice et le peu de fondement d'une pa-* reille accusation , qui lui fut intentée à la fois par la superstition et par la politique , ses ennemis triom-»
PREMIÈRE ÉPOQUE. 53
phèrent : Tami de Périclès fut banQÎd^ Athènes, et alla mourir à Lampsaque. Il avait refusé son eulte aux fa- bles de Tastrologie, et commis ie crime de dire que les astres ne sont pas des dieux.
DioGÈNE d'ApolIonie et Archélaus de Milet, qui vi- vaient à Athènes à la même époque , ne pouvaient man- quer de subir l'influence du génie d'Anaxagore. La notion d'un Dieu unique apparaissant sur ie théâtre le plus brillant du polythéisme, avait dû fiiire sur les esprits supérieurs une impression profonde. Cependant elle resta longtemps en dehors des idées pratiques, et les premiers philosophes qui l'adoptèrent n'en com- prirent pas de suite la portée et le véritable sens. C'est ainsi que Diogène, considérant l'air comme un élément fondamental , lui attribuait une force divine , réunissant ainsi par un syncrétisme peu judiceux le principe d'A • naximène et celui d'Anaxagore : telle était aussi , à peu de chose près , et exprimée d'une manière plus obscure^ l'opinion d'Archélaûs, qui avait reçu des leçons d'Ana- xagore lui-même.
On trouve encore une tendance plus prononcée à fondre ensemble les divers systèmes antérieurs , dans le pythagoricien Empédocle d'Agrigente , philosophe distingué par son talent pour la poésie philosophique (1), et ses connaissances en histoire naturelle et en méde* cine. On sait qu'il trouva la mort dans le cratère de l'Etna , victime du même esprit d'observation et de cu- riosité qui plus tard fit périr Pline l'ancien aux pieds du
(1) Un grand nombre d'auteurs le regardent comme Vauleur des Vers dores], attribués à Pythagore.
HA PHILOSOPHIE AHClEHIfE.
Vésuve (1). Voici quels étaient les principaux points de sa^doctrine , qu'il avait déposée dans un poème didac-^ tiqiie dont il nous reste plusieurs fragments. Il recon- naît quatre éléments» la terre» l'eau, l'air et le feu : ces éléments ne sont pas simples ( en ceci il se rap- prpc)ie d'Ânaxagpre ) » et c'est le feu , comme agent de \à prp^HCtion 9 qui joue le pricipal rôle. V amour et la f^fscofde ^ expressions poétiques par lesquelles il dési- gnait l'attraction et la répulsion , sont lies deux forées qui président à la dissplution des parcelles primitives dont ces quatre éléments sont composés. Au reste, il considère le monde io\i\ eqtier comme divin. Il rentrera un jour l^apsle chaos. Il distingue un numde semible, et un motiée intfilligiblç , type 4u premier ; idée déjà exprimée par f^arménide , et qui devint entre les mains de Platon le principe d'une théorie profonde. Il cherche dans le fpu, à la manière ()es Ioniens, le principe de la vie , tout en reconnaissant avec les pythagoriciens un Être divin qui pénètre tout l'univers. De cet Être supérieur proviennent aussi leà démons qui habitent successive^ ](nent le^ corps, et à la nature desquels appartient Vàme humaine. Il paraît avoir essayé aussi une théorie dei sensations : Le môme, dit-il, ne pouvant être aperça que par le même , à chacun de nos sens est attaché un élément particulier ; le feu est aperçu par le feu , q'est \fL vue ; l'air par l'air , c'est Touîe : en un mot la disceni^ est aperçue par la discorde^ et l'aniom par l*amùwr; c'est-
(1) On connatt les vers d'Horace qui prient à Empédotle un motif bien moins philosophi<iue , le désir de se faire passer pour un dieu :
Dent immorUUt bab«ri le Empedodes, ardenlem f Intilnit.
Dùm cuplt Empedodes, ardenlem frigidus Eloam
FRKXIËRC iFOOUI. BS
à-4ir6, suns doute, à nos organes appartient la oon^ naissance du monde sensible , et & notre raison celle du monde intelligible. L'âme a son siège principal dans le sang.
Si Ton ajoute foi aux détails rapportés par les écri- vains anciens 9 le philosophe d'Agrigente aurait été livré à un enthousiasme habituel , et ses disciples en auraient fait une espèce de thaumaturge. Il y a quel- que chose de singulier dans le contraste qui s'oflTre entre Fexaltation de son esprit et les idées qu'il s'était formées sur les lois de la nature. Ce contraste s'ex- plique par le syncrétisme dont sa dotf^trine était em- preinte : il avait suivi à la fois Pythagore, Heraclite , l'école d'Ionie; il avait mêlé leurs hypothèses, et n'était pas toujours parvenu à les concilier heureusement.
SOPHISTES.
Il était, au reste ^ devenu assez difficile d'admettre concurremment deux doctrines si exclusives ; les essais fiiits pour les réunir ne paraissaient guère satisfaisants; et au lieu d'insister plus longtemps sur une ftision im- possible entre deux doctrines qui, rejetant d'une ma<- nière absolue, l'une le témoignage des sens, et l'autre celui de la raison , se combattaient mutuellement par des arguments auxquels il n'était pas aisé de répondrCi il était assez naturel qu'il se rencontrât des bpmmes qui prissent au mot l'un et l'autre système dans leur partie réfutative , et refusassent toute espèce de certi- tude au témoignage des sens, comme à celui de la Mison. c Si la sensilHlité est la mesure de toutes choses.
<{>6 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
comme on le prclend dans Técotc ionienne, il s'ensuit, dirent-ils, que rien n'est certain, attendu que pour les sens tout est variable, tout est dans une métamor- phose perpétuelle, et que, selon les circonstances ou l'état de la sensibilité , ce qui paraissait vrai hier parait faux aujourd'hui , au même titre et avec la même autorité. Et si, selon l'école d'Élée, on admet l'unité sans aucune variété , il est clair que tout est dans tout, que tout se ressemble, et qu'on peut dire de la môme chose qu'elle est vraie et fausse tout ensemble; et de même pour le bien et le mal , et pour toutes choses. » Tel fut le scepticisme universel qui devint le fond de l'enseignement des sophistes.
Athènes était alors au plus haut point de sa puis- sance et de sa gloire. C'était l'époque où brillaient dans tout leur éclat les Sophocle, les Euripide, les Thucydide, les Phidias, et tous ces hommes illustres qui ont immortalisé le siècle de Périclès.
Mais, au milieu des signes extérieurs de la prospérité, des germes de destruction s'étaient introduits au sein de cette ville fameuse , qui avait été si longtemps , se- lon l'expression de Platon , le grand Pryianée de la Grèce. Les richesses et les succès avaient engendré le luxe, dont les effets avaient été d'ébranler les institutions de la république et de corrompre les mœurs. Athènes passait tout-à-coup des excès d'une démocratie illimitée, à une tyrannie qui en était le résultat inévitable. L'élo- quence n'était plus que l'art de flatter les passions po- pulaires , qu'un secours pour l'ambition et l'intrigue. La philosophie, telle que l'avaient conçue les Thaïes, le$ Xénophane et les Anaxagore, se prêtait peu à un
PREMIÈRC ÉPOQUE. 57
but intéressé et pratique. Ces lointains pèlerinages, ces méditations solitaires , ces longues investigations qui avaient formé les premiers Sages, oflraient peu d*attraits à des hommes qui ne recherchaient dans l'art oratoire qu'un instrument, dans l'étude des sciences qu'un moyen de succès, dans la philosophie enfin, que la connaissance des procédés les p)us prompts et les plus sûrs pour captiver la raison, et ta séduire par de brillants sophismes.
Alors se présentèrent des hommes qui firent pro- fession de tout enseigner sans travail et sans peine. Transportée de Flonie et de la Grande-Grèce dans la capitale de l'Attique, la philosophie perdit entre leurs mains son auguste caractère : elle ne fut plus l'art de découvrir la vérité , mais celui de prêter à l'erreur les couleurs de la vérité , suivant l'intérêt du moment. Ce qui caractérise avant tout les sophistes, c'est l'absence de tout principe fixe et positif : sortis des écoles philo- sophiques contemporaines, ils avaient été uniquement frappes de leurs contradictions , et n'en avaient rap- porté qu'up esprit d'incertitude et de doute, qu'ils s'efforcèrent de rendre général , et dont ils retirèrent pour eux-mêmes de très-grands avantages.
GoRGiAS de Léontium , disciple d'Empédocle , sou- tenait qu'il n'y a rien de réel, rien qui puisse être connu ni transmis à l'aide des mots. Il obtint une grande célébrité comme rhéteur.. Suivant Diodore de Sicile, *on admirait l'éclat de son style; les jeunes gens accouraient de toutes les villes pour acheter h un prix très-élevé la faveur de l'entendre; lorsqu'il fut envoyé comme ambassadeur à Athènes , pendant la guerre du
88 PHILOftOPlIE ANCIENNE.
Moponése , toute la ville so précipitait à aa sotte. Le premier il introduisit dans les assemblées publiques , au théâtre, cet exercice qui consistait à proposer des aujets de dispute et à les traiter sur-le-champ.
pROTAGORAS d'Abdère» disciple de Démocrite, acquit une célébrité plus grande encore. Voici, selon Sextus Empiricus, quelle était la doctrine qu'il professait : f L'homme est la mesure de unUes choses; c'est le cri^ terium qui apprécie la réalité des êtres en tant qu'ils existent, du néant en tant qu'il n'existe pas. Protagoras n'admet donc que ce qui se montre aux yeux de chacun; tel est à ses yeux le principe général des connaissances. » 11 lyoutait que toute manière de voir a son contraire , fit qu'il y a autant de vérité d'une part que de l'autre ; que par conséquent l'on ne peut disputer sur rien. Au reste, il cherchait moins à ériger ces propositions en doctrine théorique qu'à s'en servir dans la pratique comme d'un instrument pour l'exercice de cet art au- quel il se livrait, et dont la souplesse devait se prêter à embrasser indifféremment toutes les causes. Il s'éleva beaucoup au-dessus des sophistes qui parcouraient alors les villes de la Grèce , non-seulement par son ta^ lent, mais aussi par le caractère sérieux de son lan- gage, par la vigueur de son argumentation et par ses vues sur la théorie de la connaissance humaine. Les autres sophistes adoptaient indifféremment toutes les opinions. Protagoras essayait de prouver que chacune d'elles a des fondements légitimes. . -
Sextus le met au nombre des athées : il est probable qu'il rejetait seulement les traditions mythologiques reçues du vulgaire. Il avait composé sur les dieux un
ouvrage ddos lequel il réfutait la (dupart des traditioiia reçues i ce sujet chez les Grecs. Il s'exprimait en ces termes : « Ouaut aux dieux » je ne puis dire qu'ils existent, ni ce qu'ils sont; beaucoup de choses m'en empàehent. » Les Athéniens l'ayant pour ce motif condamné à mort, il prit la fuite et périt dans un naufrage»
Les sophistes les plus célèbres « après les deux que nous venons de citer» furent Promcus de Céos, qui s'attachait essentiellement , d'après' ce que nous b^ prend Platon , à définir les termes : il faisait dériver la religion du sentiment de la reconnaissance , et déclamait A merveille sur la vertu , sans la pratiquer ; DuooftAS de Mélos, qui reçut le nom d'athée, et dont pour ce sujet la tôte fîit mise à prix : il s'élevait en général eontre les doctrines religieuses et [Hrineipalement contre celles que l'on enseîgniait dans les mystères; Cutias , sophiste et poète , qui figura au ncrabre des trente ty* rans; Hipfus d'Élis, discoureur hardi et orgueilleux, qui prétendait i un savoir universel : il soutenait que les lois n'ont été imaginées que par les hommes faibles al pusillaniaMa 9 et que l'homme doué de qudque gêné* foeîté dc^t secouer, quand il le peut, leur joi^ into^ léraUe; ofûnion professée aussi par Callîelàs, Théra^ mène, Polus, Euthydème: les uns et les autres en- seîgnaieat que le juste et Tinjuste sont des inventions de la poKtique.
L'arme favorite des sophistes, l'armequ'ils maniaient avec tant de dextérité, la dialectique, n'était point 0^ doftt Zenon d'Élée avait donné l'exemple, lors-* que, pour nûeux établir les bases de sa doctrine, il se
60 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
plaçait habilement dans le cœur même du système op- posé au sien pour en faire ressortir les conséquences absurdes : chez eux l'argumentation n'était qu'un jeu frivole, une controverse captieuse, qui n'avait pour objet ni rétablissement d'un, principe, ni la preuve d'une vérité.
Ils dégradaient la raison humaine en la contraignant à dessein de s'exercer à soutenir alternativement la vérité et le mensonge, et en affectant une égale indif- férence pour l'une et pour l'autre. - L'apparition des sophistes , leurs maximes corrup- trices, leur scepticisme frivole, s'expliquent naturelle- ment par la situation où les esprits se trouvaient, après la lutte animée qui avait eu lieu entre les diverses écoles philosophiques , par la désorganisation qui commençait à s'introduire dans les républiques de la Grèce, et que leur influence accéléra d'une manière déplorable. Ils sont eux-mêmes Texpression parfaite de cette société brillante, mais dépravée, qui avait mis tant d'ardeur à suivre leurs leçons, et d'empressement à adopter leurs principes. Il serait cependant injuste de méconnaître les services qu'ils rendirent, du moins indirectement, à la philosophie. Par eux, la culture intellectuelle devint plus générale ; la langue et la littérature parvinrent à un plus haut degré de perfection; la philosophie, jus- qu'alors renfermée dans le cercle étroit des communi- cations confidentielles, avec un petit nombre d'adeptes, fut portée en plein jour et devint le sujet de discussions publiques. Enfin , par les écarts mêmes auxquels ils s'abandonnèrent, ils préparèrent Socrate; et ce grand homme, tout en restaurant la science auguste qu'ils
DEUXIÈME EPOQUE. 04
avaient profanée, ne dédaigna point de s'emparer de quelques-uns des avantages qu'ils lui avaient offerts. Us rendirent , en un mot , des services analogues à ceux qu'ont rendus les sceptiques à toutes les époques ; ils imposèrent la nécessité de reconstruire sur des fonde- ments nouveaux l'édifice qu*ils avaient renversé, et qui, élevé trop à la hâte, manquait de solidité.
Deuxième époque. — Depuis Socrate ( i70 ans av. J.-C. ) , jusqu*à la fin de la lutte entre T Académie et le Portique (80 ans avant J.-G. ).
Direction de la philosoplùe vers C étude des facultés de Chomnu:,
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
STSTÈHBS PARTIELS SORTIS DB L'ÉCOLE DE SOCRATC.
BxsoxKjn BB soeaATs. ormçuES.
av. J.-C. av. J.-C.
Xénophon. m. 360 Anlisthène. 11. v. 390
Efichioe. II. v. 390 DiogènedeSinope. m. 324
SimoD. il. V. 390 Cratès. 11. 340 Gébès. fl. V. 390 Onésicrite.
Ménédëme. 11. v. 310
Ménippe.
Aristippe. fl. 3ao EuelidedeMégare. fl. v. 400
Aristippe Metrodidacie» fl. 320 Eubulide. fl. 380
Théodore de Gyrène. fi. v. 300 Diodore. fl. 300
Bion. fl. V. 260 Philon. fl. 300
Bvhemère. fl. v. 290 Stilpon. fl. v. 300
Hégésias. fl. v. 300 Cliaomaque.
Amiicéris. Eophantus.
ifioouB n'éxja. iSoozA B'^iufiTais.
Phédon d'Elis. fl. 350 Méncdèmc. fl. 350
SOBPTIQtnES.
Pyrrhon. Hk v. 386 Tiinoa« . fl. v. 272
0SI
PHILOSOraiE AlfCIEME. STSTimCS PLI}8 DBVEtOfPiS.
àaOLM AOABBMIQUB. |
£00I.B ràaXPATBTSI |
SIBMWB. |
at. J.-€. |
at. J.-C. |
|
Pltton d'Athènes. m. 3«8 |
Arislole. |
m. 322 |
Speusippe. m. 339 |
Théophraste. |
m. 2S8 |
Xénocrate. m. 314 |
Eudème. |
|
Polémon. fl. 314 |
Dicéarquc. |
fl. Y. 320 |
Gratès. A- 313 |
Anstosène. |
ft. y. ;»o |
Cranlor. A- v. 313 |
Héraclide de Pont. |
|
WIBlCOMiMÊtM» |
SkratoD de Lampsaqffe. Démélrius de Phalère. |
m. «9 |
Epicure. m- 270 |
fl. 330 |
|
Métrodore* II. t. 260 |
Jérôme de Rhodes. |
Y. 268 |
Timocrale. fl. y. 260 |
Ariston de Chio. |
fl. 260 |
Cololc». II. y. 260 |
Critolatts. |
fl. Y. 155 |
Polyeneos. fl. v. 260 |
Diodore de Tyr. |
fl. Y. 150 |
Léonleus. |
STOXCOBMS. |
|
Hermacliiis. ff. 270 |
Zenon de GUhim. |
m. 251 |
Polystrate. |
Gléanlhe. |
fl. 254 |
ApoUodore. |
Chr>'sippc. Zenon «fe Ttrse. |
m. 208 |
Zéoon de Sidon. |
5.212 |
|
Diogène de Tarse. |
Dioçène de Babylone. |
fl. 155 |
Biogène de Séleucie. |
Antipater'. |
146 |
Phèdre. |
Pan»tias |
II. 115 |
Philodème de Gadara. fl. v. 80 |
Posidonius. |
m. 50 |
SCEPtiCISBÎB. |
||
iioiiVBx.iiS ACAvàmxm. |
ÛtfÊfËM BfUPX&XQUB. |
|
Arcésilas. m. en 241 |
^nésimède. |
fl. Y. 60 |
Lacydes. fl. ▼. 250 |
FaYorinus d*Af tes. |
|
Evandrc. fl. ▼. 200 |
Agrippa. |
|
Téléclcs. il. ▼. 200 |
Ménodole. |
|
Hégésinus. fl. y. 200 |
Sextus Empiricus. y. 160ap. J.-C. |
|
Carnéade. m. 130 |
Saturnine. y. aoOap. J.-C. |
|
ditofflaqne. m. 170 |
||
BOD&B |
MnnrB. |
|
Philon de Larissew fl. 106 |
Antiochut d'Ascalon. |
m. 59 |
SOCBATE.
Il n'est point de s{)eetâcle plus digne de notre ad- miration que celui que présentent la vie et )a mort de Socrate. Quelle force d'âme et cpiel dévoûment héroïque dans cet homme qui , après avoir conçu le projet de ré- former les idées et les mœurs de ses contemporains , et de lutter seul pour opérer cette révolution contre riaflueDce des hommes puissants et respectés qui les
MUXIÈKE ÉPOQUE. 03
dominaient, consacra à l'accomplisseitient de cette haute et noUe mission tout ce que le ciel lui avait départi de force ) de courage et d'intelligence , marcha vers son but avec une ccmstance héroïque, et reçut, sans s'é« tonner et sans se plaindre, la sentence qui le condamnait à perdre la vie, pour prix de ses généreux eflbrts ! Ja- mais lutte n'a été engagée, jamais révolution n'a été entreprise avec une conscience plus nette des moyens à employer, desdifficultés à vaincre, des dangers à com^ir. Socrate était né à Athènes, en 470, d'un pauvre sculpteur nommée Sophronisque et d'une femme sage nommée Phénarète. Les études de sa jeunesse 5 ses longues et sérieuses méditations sur l'esprit de son temps, lui inspirèrent de bonne heure la périlleuse résolution à laquelle il consacra sa vie entière. A un ju- gement extraordinaire, à un bon sens admirable, il joignait l'imagination la plus vivre et la plus brillante. Dans les inspirations de sa conscience droi le et ferme, il crut entendre la voix de ce Dieu dont l'exislence lui était attestée par l'harmonie et l'ordre qui régnent dans l'univers. C'était là ce génie intérieur , ce démon ts^ milier, auquel il ne cessa jamais de prêter uneoreiHe attentive, et qui lui donna le moyen de déconcerter les sophistes les plus habiles, d'opposer à leurs arguments captieux une logique sûre et infaillible^ et une raison imperturbable; c'était là ce qui le fil triompher du pé- dantisme des faux savants, des prétentions delà vanité, des prestiges du talent, de l'avidité de l'intérêt privé, des préjugés populaires, obstacles puissants qui pa- raissaient être à la fois conjurés contre toute espèce de réforme.
64 rnaosoPHiE ancienne.
Celle qu'il opéra peut élre rapportée à trois points principaux : l"* il attaqua dans leurs causes mêmes les erreurs qui avaient obscurci la philosophie des Ioniens et des EléateSy les écarts qui l'avaient égarée ; 2* il ra- mena Tesprit humain vers l'étude de la conscience , source première de toute vérité; 3"" il indiqua une mé- thode pour le diriger dans cette investigation.
Les philosophes s'étaient jusqu'alors livrés à l'étude des sciences , sans se demander à eux-mêmes quel était le but réel de leurs spéculations. Une curiosité vague et indéfinie semblait seule animer et diriger leurs re- cherches. Socrate, jugeant que le premier mérite de la science est dans son utilité réelle , opposa aux re- cherches oiseuses et stériles l'épreuve des résultats pra- tiques. Les sophistes avaient dégradé la philosophie , en la faisant servir d'instrument à leur ambition, à leur avidité et à leur orgueil : Socrate opposa à cette étroite combinaison des vues intéressées^ l'inspiration des sen- timents les pi us généreux. Quant aux sciences physiques et mathématiques y qu'il avait étudiées avec ardeur à l'école d'Archélaûs de Milet, il voulait qu'on s'y livrât avec précaution y et il proscrivait toutes les théories spéculatives hasardées , qui ne portaient pas sur l'ex- périence.
En méditant sur les systèmes qu'avait enfantés jus-' qu'alors la philosophie dogmatique , et l'abus qu'en avaient fait les sophistes y il sentit le besoin de recon- struire entièrement la science sur ses premières bases, et de déterminer un point de départ fixe et certain pour l'investigation de la vérité.
L'inscription : Connais-toi toi-même ^ gravée sur la fa-
DEUXIÈME ÉPOQUK« 65
çade.du temple de Delphes, et primitivement attribuée à Thaïes, l'avait vivement frappé. Ce n'était qu'un sage précepte , il en fit une méthode. Les opinions empruntées ne sont point la vraie science ; chacun doit la tirer de son propre fond, la conquérir par ses propres forces. La base de la philosophie est donc Vctude de la nature humaine. Cela ne veut pas dire que la philosophie n'a que r homme pour objet ; loin de là , elle tend , comme elle le doit toujours, à la connaissance du système universel des choses, mais elle y tend en partant d'un point fixe, la connaissance de la nature humaine. Telle fut la méthode de Socrate. Elle doit être regardée comme la cause principale , comme le point le plus important de la révolution philosophique dont il est l'auteur ; elle fut entre les mains des philosophes qui vinrent après lui d'une fécondité admirable : la gloire de Socrate est de l'avoir mise au monde. Il donna lui- même l'exemple des applications que l'on pouvait en faire à la morale et à la thcodicée.
Ses doctrines avaient pour objet la destination, le perfectionnement et les devoirs de l'homme, considéré comme un être raisonnable; il les exposait d'une ma- nière simple et populaire, à mesure que l'occasion s'en présentait , invoquant à l'appui le témoignage du sens moral de. l'humanité. Tennemann les résume ainsi : i"" Reconnaître le bien qu'on est tenu de faire, et agir en conséquence de cette vue de la raison , c'est pour l'homme le. bonheur le plus précieux et le plus digne emploi de ses facultés. Les moyens qui y conduisent sont la connaissance de soi-même et l'habitude de mai- Iriser son âme. ■ La sag^se , qir ii assimile souvcdI à la
5
êê PHILOSOI^BtE ANCIENNE.
pradence OU à la modération, comprend toutes las vertM, comme coniiaissance essentiellement active; c'est pour- quoi ii appelait aussi la verta une soîenee. A-vec la pro* dence, les devoirs de l' homme envers lui-mômecompreiH nent la tempérance et le courage. Les devoirs envers autruisont tous renfermés dans lajustîce, c'est^^lire Tac- eomplissement des lois divines et humaines. On trotave aussi ches Socrate, pour la première fois, Tidée d'uB droit ou d'une justice naturelle. 2'' La vertu et la vraie féiicilé humaine, la perfection morale et le bonheur sont inséparablement unis. 3* La religion est un boai- mage rendu à Dieu par la pratique des bonnes actions, et un effort assidu pour réaliser tout le bien que nos facultés nous permettent de faire. 4"* Le Dieu «oprtaie est le premier auteur et le garant de la loi morale; c'est un être rationnel y invisible, qui se révèle par aes effiBis. Socrate reconnaissait de plus la Providence, doctrine à laquelle se rattachait sa croyance à la drrinatton et i son génie familier ; enfin les divers attributs de Dieu , relatifs au sage gouvernement de la nature et à la con- stitution de l'homme. 11 ne croyait pas devoir porter plus loin «es recherches. S^ L'âme est un être di^rm o« semblable à Dieu. Elle se rapproche de lui par sa raieon et par sa force invisible^ et par conséquent eHe est im- mor telle.
Ce n'était point par des cours et dos leçons rê^vt- liëres, selon la coutume des sophistes, que Socrate développait ses principes. A proprement parler , il n'enseignait pas; il répétait souvent lui-même quUi ne savait rien. A la promenade, aux bains, au tbéltre, sur les places publiques, il abordait le magistrat, rartisan.
DEUXIÈME JÊHHHJÊ. ^7
te savant, ie laboureur , qu'il questioQoait d'abord 6ur des ehoses iodiffi^reoles , mais qu'il amenait peu à peu avec ufie adresse infinie sur des sujets p]u9 sérieux» Âtors, au moyen de cette métbodo, qu'il pftévmdnit avoir apprise de sa mère , et qui était um sorjbe d'a(>- amdtement intellectuel , il tirait de la conscience de /909 interlocuteur les principes de sa croyance natueeSe^ au moyen de procédés vulgaires , par l'ij^ucUon ^ l'analogie.
11 avait une autre manière de discuter avw les aor {lAiistes : il se rendait aux assemblées réunies pour 1^ entendre; là, il paraissait d'abord partager l'enlbour siasme de leurs admirateurs, puis, aviec ua mt de bonhomie ^ leur adressait quelques q^iestioiw trèsr simples , auxquelles il priait qu'on voulût biea répon^ dre, comme pour l'^lairer lui-même : ij paraissait se conXenter de la réponse qu'on lui avait faite; mi^^ tout en l'adoptant, il la poussait ou la laissait ^arriver à 4es c<^clusions absurdes, qu'il Qe désavousût pae expressément pour ne pas avoir l'air de mystifier app interlocuteur. C'est à cette ignorance afifectée qu'on a 4onné le nom A' ironie socratique. Elle lui était Qceessaire pour combattre, en présence d'un peuple spirituel et fin, au milieu d'Athènes, des adversaires doués d'une grande habileté , supérieurs dans l'art de l'éloquence ^ et accoutumés à tous les genres de succès.
Nous avons dû nous borner à choisir dans la vie de cet homme extraordinaire ce qui pouvait nous servir à montrer l'influence qu'il exerça sur le développement de la raison philosophique , objet spécial de cet ou- vrage, par la morale élevée et pure qu'il opposa m^
08 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
doctrines subversives des sophistes, et par une méthode qui, devenue la conquête de la philosophie grecque, ne l'abandonna plus, et fût la cause principale des ré- sultats immenses auxquels elle parvint dans la suite. Les autres particularités d'une si belle vie sont assez connues. C'est avec un profond respect, mêlé d'atten- drissement, que nous prononçons encore, après plus de vingt siècles, le nom de ce sage qiii, après avoir consacré tous les instants de son existence au bonheur de l'humaïiité, termina par une mort sublime une carrière si bien remplie. Ses paroles, à cette heure suprême, prirent quelque chose d'auguste et de divin. Jamais son enseignement n'avait produit plus d'impres- sion , jamais ses leçons ne s'étaient mieux fait entendre, que pendant son procès , dans le cours de sa captivité, et au moment où il recevait avec un visage calme et serein la coupe empoisonnée qui devait mettre fin à sa destinée (i). Il s'entretenait avec ses amis de l'immortalité de l'âme; Platon notait, pour les trans- mettre religieusement à la postérité, les derniers ac- cents d'une voix qui lui était si chère, et qui ne devait plus quelques moments après se faire entendre; tous ses disciples faisaient silence autour de lui, et lorsque son cœur généreux eut cessé de battre, aucun d'eux ne douta qu'il ne fût allé 'recevoir dans un meilleur monde la palme de son glorieux martyre.
Socrate, comme les grands réformateurs de la phi- losophie, ne fonda pas d'école particulière : ses pré- ceptes, loin de produire cette uniformité d'opinions,
»
(1) 11 but la ciguiS l'an 400 avaul J.-C. ( première année de la 95^ olympiade).
DEUXIÈME ÉPOQUE. 69
cette espèce de discipline intellectuelle ^ nécessaires pour constituer une école , avaient au contraire pour but de rendre à leur propre énergie , à leur entière indépendance, tous les esprits formés par ses leçons. Sa méthode d'ailleurs avait une portée trop étendue , s'appliquait à la fois à trop de problèmes importants, pour qu'un système philosophique complet sortit im- médiatement de ses leçons. Ses disciples se partagèrent, comme un vaste héritage^ les différentes parties de la doctrine de leur maître. Cette espèce de division du travail était le résultat nécessaire de l'esprit d'indépen- dance que Socrate avait éveillé chez eux. Chacun , selon la tournure de son esprit et la direction de ses idées, s'appliqua à la métaphysique, à la morale , à la logique , jusqu'à ce qu'il se rencontrât un assez vaste génie pour faire marcher de front ces différentes parties de la science philosophique : on sait avec quelle supériorité cette tâche fut remplie par Platon et par Âristote.
Quelques-uns des amis de Socrate, sans prétendre ajouter aux lumières qu'ils avaient puisées dans son commerce, se contentèrent d'abord de conserver le dépôt de ses maximes. De ce nombre furent : Xéno- PHON , le digne, apologiste de son maître ; Eschine , qui se donna si cordialement à Socrate , n'ayant , disait-il , rien autre chose à lui offrir , qui en fut si bien récom- pensé , et qui , dans ses dialogues , commenta fidèle- ment la morale de son instituteur ; Criton et Simon , qui composèrent un grand nombre de dialogues socra- tiques dont nous regrettons la perte ; Glaucon, Simmias, Gébès enfin ^ qu'on regarde comme l'auteur du dia- logue connu sous le titre du Tableau de Cébès, et qui
1(jf PHILOdOfMTfE AHCfENNE.
est 6tf 6(fet une peinture movale de la ^ie lûiinaiM.
SYSTÈMES PARTIELS donTis DE l'école de soceatb.
Nous (routons dans les premiers cfisciples de Socrate qiA fondèrent une école philosophique , Antisthène et ÂHistims, ce que nous devions attendre d'un ensei- gneÉitent dont lef eafdctère essentiel était de conduire tes hotnmes & consulter et k exercer leurs propre» forces. Chacun d'eux suivit ki direction qui était con« forme à ses dispositions personnelles; chacun d'eux attssi y comme il arrive toujours aux systèmes naissants^ donna une rigueur absolue et une valeur exclusive ad principe quMl avait emprunté aux leçons de son maître. Antisthène, né pauvre et dans une condition ob« scure, austère dans ses nMrars, dominé méme^ par une disposition chagrine, s'indignant contre la cor- ruption de son siècle , voit dans le luxe, la mollesse et la volupté, la source des désordres de la sooiéié t H conçoit de la vertu les notions les plus rigides i il la fliit consister dans un triomphe persévérant et coura*^ geux sur touK les plaisirs des sens; il s'impose et il impose à Ses disciples les privations les plus pénibles ) il estime la perfection es raison des sacrifices. Aristippe, né dans la florissante Gyrène, au sein de ro{)uIence, d'un caractère généreux, aimable et facile , vivant dans le commerce du monde, dans les habitudes de V&é^ gance et du plaisir , conçoit de la vertu les notions les plus douces ; il la fait consister dans le bonlieuri 11
B'â gtrde de pttrUger el d'approuver les jonisaftiiees qui d^adent l'hooime, les excès qui Tabrulissent ; nais il ne loi impose point d'ioimolation inutile. Tous deu eonaklèrent le souverain bien comme le but au* quel tend la destinée de l'bomme, vers lequel doit se dir%er la sagesse^ et ils adoptent en commun cette dmîme principale de Socrate : mais Tun ne considérant eoouiie bien que ce qui est juste, comme juste que ce qui est conforme à la loi divine, et regardant comme quelque chose de divin, d'être exeppt de. tout besoin , fonde cette école des philosophes cyniques, appelés spirituellement par M. de Gérando les anachorètes de la morale socratique; et l'autre, voyant le souverain bien dans la satisfaction intérieure, fonde cette école ç^fimaqm qui , tirant de ce principe sa conséquence nécessaire , finit par composer une secte de philosophes amis du plaisir , qui ne se firent plus remarquer qm f9f la corruption de leurs mœurs.
CYNIQUES.
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Malgré le peu d'attrait que put offrir l'austérité de mœurs qui formait la base de la doctrine professée par Antisthène , un grand nombre de disciples se réunirent autour de lui et mirent ses leçons en pratique. Ils firent appelé antiques, soit à cause du Gymnase, Cyno^ 4arge$, où leur maître donnait ses leçons, soit à cause de la rudesse de leurs mœurs. On distingue parmi euit e^lui qui, suivant la tradition, habitait dans un ton- neau > ce DioGÈNE de Sinope, si connu par l'originalité de ses reparties et sa vie singulière; il s'était donné lui-
72 raiLOSOPRIE ANCt£NME.
même le nom de chien ; Cratès de Thèbes et sa fiMBine Hypparchie, que les leçons de Socrate avaient pénétrée de mépris pour tous les agréments de la vie et pour tous les avantages de la beauté. Les autres philosophes de cette école, Onésicrite, Métrogles, Monime, Mé- NÉDÈME et Ménippe y sout moius connus y et ne rendi- rent pas d'ailleurs de grands services à la science. L'école cynique fut ennoblie, et finit par être absorbée par Técole stcnquey fondée, comme nous le verrons bientôt, par Zenon de Gittium.
CYRÉN4LIQUES,
Aristippe était né à Cyréne, ville coloniale de TAfrique : de là, le nom de cyrémSques donné aux philosophes de son école. Tous s'accordaient à n'ad- mettre d'autre source de vérité que l'évidence attachée aux impressions reçues , aux sensations que Tâme éprouve. Ils faisaient consister le bonheur dans l'agré- ment et le plaisir qui les accompagnent : ces sensations étaient à la fois pour eux et le juge et le but de toutes choses ; elles devaient servir de règle à notre vie.
Aristippe, surnommé Métrodidacie , parce qu'il fut instruit par sa mère Arété , fille du premier Aristippe, développa d'après ses principes , en un système comr plet, la philosophie du plaisir. Théodore de Cyrène, surnommé \ Athée, nia l'existence d'un critérium uni- versel de la vérité , et par là prépara les voies à l'école sceptique; il fut banni d'Athènes, parce qu'il s'était moqué des mystères. Evrémère de Messine et Bion de Borystbène appliquèrent cette doctrine à la critique
MUXIÊME tMQÙE. 73
de la religion populaire. Hégésias enseigna que l'état de volupté parfaite ne peut être atteint par notre ua* tare; il en conclut que la vie n'a aucun prix et que la mort lui est préférable. Annicéris chercha à écarter de ce système ses conséquences révoltantes , et à les mettre en harmonie avec les sentiments de Tamitié et du pa- triotisme, au moyen des jouissances plus délicates de la bienveillance, et par là se rapprocha des idées d'É- picure ; le succès qu'obtint ce dernier fit tomber Técole de Cyrène.
ÉCOLE DE MÉGARE.
EuoLiDE, fondateur de l'école de Mégare, s'était in- struit dans les ouvrages de Parménide , et avait imité la dialectique de Zenon : il fréquenta ensuite l'école de Socrate, et, pénétré de vénération pour son caractère, s'efforça de le prendre pour modèle , mais sans aban- donner entièrement les maximes qu'il avait adoptées. Aristippe et Antisthène s'étaient principalement occupés de morale : Euclide s'attacha à une autre partie de l'en- seignement de Socrate, à la dialectique; mais il modifia beaucoup celle dont son maître avait donné l'exemple, par les idées qu'il avait empruntées aux Éléates. Eubu- LiDE son successeur est l'inventeur des sept sophismes , que l'on retrouve développés dans tous les traités de philosophie; 1^ plus célèbres sont : le sorUcy le cornu, le chauve, le couvert, le menteur (1). Malgré l'impor-
(1) Void quelques, exemples de remploi de ces arguments. — Le couvert, Bttbnlide faisait eouvrir de la tète aux pieds un homme connu; puis il de- à un de ses auditeurs : Connais-iu cet homme t Sur la réponse
74 PHlLOSOPfllE AKCICVfHE.
todce qn^oii à bien voulu attacher à cette découverte » elle ne lai rapporte pas une grande gloire. Les philo* sophes de cette écol^ ne tardèrent pas à tomber dans des subtilités peu profitables à la science, et à mériter le nom de philosophes disputeurs qui leur fnt donné. StaroN y qui acquit dans cet art puéril une grande célébrité y mais se rendit respectable par son caractère et ses tertus , rejeta tout emploi de^ idées générale»^ et nia que ces notions possédassent aucune réalité po« sitive. Les opinions qu'il développa à ce sujet eurent l'avantage d'attirer l'attention sur Tune des questions les plus importantes et les plus difficiles de la philo- sophie^ celle du légitime emploi des vérités générales; question que jusqu^alors on n'avait guère songé à examiner y et qui aujourd'hui encore n'est pas entiè- rement résolue.
ÉCOLES D'ÉLIS ET D'ÉRÉTRIE.
n y a un très-grand rapport entre les écoles fondées par PiTÉDON d'Élis et Méiyédèhe d^Érétrie. L'une et Fautre se rapprochent aussi de celle de Mégare. Le pre- mier, fidèle disciple de Socrate, publia ses opinions
■égittni , 0 «rguMeiilait lifesl : Ta ne connciis pts eel lioanM ; er ecft li«aBe •fli toB uni, donc tu ne connais pas ton ami. ^ Le chauve. Qtt*esi^ qn*iui chauve ? Celui qui n*a pas de cheveux. — Mais s'il en avait un seul , serait-il encore chauve ? — Oui sads doute. — Mais sMl en avafWleux , trois , quatret Et pomaaat ces ^ueotioni , û fbrçalt de convenir que llioflnne qni avait in seul cheveu n'était pas chauve. — Le menteur. Epiménide dit que tous les CréMi sont mentenft; or Kpiménide était Cretois; ilone il a «MMi , donc MIS les Cretois ne sont pas nentevrs : donc Epiménide n'a pas «enti , thm les CWtols sont monteiirs*
MAXIME tfùim^ w
dittisdeiâiBAdgUMqiit «oiitperdQtf; toftecMd, diio^ de Stflpon , ne fit que transporter à Eréirie les prineipes de son maître.
Ce tment sans doute les dispetaê et les subAilités des deux précédentes écoles, qui produwrenl te tàeftàémm» de Ftmhoti d'aïs et de TnioNdePliHotttec
Le premier , après atoir accompagné AXeumitt dans ses [campagnes avec son maître Anaxarque^ deviaC pfèti^e à Elis sa patrie. 11 sMtint ^ cofiMie Socrate , q«a kl vertu sente est prédense , et qoe tout le reste, mèoM ta ^ience, eêi inutile et. impossiMe. A Tappoi de celte dernière proposition , qui avait quelque rapport avee Tironie socratique, il disait que l'opposilfon des prin^ eipes noui» démontre rincompréhmsit»lité des choses* Par conséquent, le sage doit retenir son jugement et tendre à l'impassibilité. Ce premier scepticisme rai- sonné de Pyrrlion et de son éede Ait marqué aussi par la création du mot qui servit depuis à le désigner, et en général des mots techniques éxprimnient toutes les circonstances de cette philosophie.
TntOM^ médecin de PUiome, qui la présenta avec des développements étendus , soutkit que les doctrine! des écoles contemporaines ^ et principalement celles de Ptaton et d'Âristote, n'étaient fondées que sur des hypothèses ^et ne pouvaient conduire à la oonnaissancs humaine m au bonheur; on devait n'écouter que la voix de sa propre nature , o'est«&*dire le sentiment , el^ par l'indéeision du jugement dans la théorie, s'efforcer de parvenir à Faiaraaie, au r^s inaltéraUede l'âme^ Nous verrons plus tard, après le développement complet de la philosophie grecque, se reproduire, mai» d'une
79 raiLOftOPUB ANCIINNE.
manière plus lai^ et plus systématique, ce scepticisme pyrrhonien » deirenu si fort et si bien lié entre les mains d'iClnésidème et de Sextus-Empiricus.
Jusqu'à présent nous n'avons vu que les premiers essais de la philosophie grecque : on s'attend bien que ce ne sera pas après ce début insignifiant que s'arrêtera l'impulsion communiquée aux esprits par le génie de Socrate. Deux hommes vont parcourir en entier cette vaste carrière y dont quelques parties seulement ont été explorées. Us y laisseront une si forte empreinte de leur passage , que le temps ne parviendra pas à l'effiicer. Après eux l'esprit humain ne fera plus autre chose que d'aller de l'un à l'autre, et le débat des deux écoles qu'ils auront fondées composera presqu'à lui seul l'his* toire entière de la philosophie.
SYSTÈMES PLUS DÉVELOPPÉS
SORTIS DE l'école DE SOCRATE.
Reconnaissons 9 avant d'entrer dans l'exposition et le développement de ces divers systèmes , le point au- quel était arrivée la philosophie grecque.
Quel que soit l'objet auquel s'applique la raison hu- maine, elle ne le fait que d'après deux manières de voir, deux idées qui sont les lois mêmes de notre intelligence, et dont nous avons trouvé l'empreinte dans tous les sys- tèmes que nous avons parcourus jusqu'ici. En eifet^ en s'occupant de l'étude des phénomènes du monde, et des rapports qui mettent l'homme en communication avec lui, la plûlosophie a conçu et ne pouvait point ne pas
DEUXIÈME ÉPOQUE. 77
concevoir dans la matière , d*un côté , sa forme appa- rente, sa manifestation, c'est-à-dire les différentes pro- priétés des corps , l'étendue, la divisibilité, la dureté, la couleur, etc., et de l'autre côté, ce qui est étendu, divisible, dur, coloré, etc., une «uftsionce primitive enfin , existant sous les apparences variées qui la ma- nifestent à nos sens. Dans Tétude de l'espace, elle a conçu et ne pouvait point ne pas concevoir , d'abord un espace déterminé et borné , celui que les sens nous présentent ; puis un autre espace , l'espace absolu , in- fini, que la raison seule aperçoit, mais qui n'en est pas moins une conception réelle. Dans l'étude des nom- ares et des quantités elle a vu la pluralité et la multi- plicité, mais elle a conçu en même temps cette unité génératrice sans laquelle le multiple est inconcevable. Lorsqu'elle a pris le temps pour l'objet de ses réflexions, elle a conçu d'abord un temps déterminé, le temps à proprement parler ; puis est venue la conception du temps en soi , du temps absolu , c'est-à-dire de l'éter- nité. Lorsqu'elle a porté son attention sur les formes , elle a eu l'idée d'une forme mesurable, limitée, finie, puis dé quelque chose qui est le principe de cette forme, qui n'est ni limité, ni fini; de l'infini, en un mot. En voyant dans les phénomènes sensibles une série indéfinie d'effets produits et de causes productrices, elle a conçu d'abord une succession défaits subordonnés à d'autres faits , qui eux-mêmes étaient le produit de C&uses antérieures; mais elle n'a pu s'empêcher en même temps d'arriver à la notion d'une cause première, tirant d'elle-même le principe de ses actes , et au-delà de laquelle il û'y a plus rien à rechercher* Elle a , en
78 PHlLOSOniC ÀN<;iEliME.
rémmàé, oooçu d'un cOté, l'apparence ^ Teapaee 4éler^ miné, la (duralîté, le fiai, l'eflet; de l'iaiitre» la sub- stance première, l'unité, rinfini, la oauae. Ces deux ordres d'idées que les modernes ont désignés .sous les expressions eomuiodes d'idées catoingeniei et d'idée^ néces9aire$ , se trouvant dans la pensée de tous les boffioies, devaient nécessaÎKipenH se r^roduire daiis la philosophie* Mais la philosophie» pour ré^ paodpe sur elles te jour de te réflexion , a été fiorcôe de les étudier séparément : Véù^]e d'Ionîe a porté plus pttrticulièremenil son attention sur les premières, ei les seooiides ont été l'objet des méditatioi^s dç Técole itaKque. Nous avons vu que l'une et l'aulre ont obtenu^ dans les deux sphères de leurs observations, deSrésvltat9 d'une haute importance ; mais que l' une et l 'autre , aprà^ avoir débuté par la science , n'ont pas tardé à tomber dans l'hypothèse. L'école d'Ionie avait eu le tort de penser qu'après avojr étudié, dans le monde^ le va* riaUe , le multiple et le fini , elle n'avait plus besoia d'aUer au-delà , et que la science était toute laite. Or» Tapparenee, le multiple^ le fini, le variable, ne n'cs( que la matière : le monde , l'âme., et Dieu, n'ont donc été pour elle qu'un composé d'atomes plus ou moins subtils , mais toujours matériels : nous l'avons <kmc vue arriver au nésuHat qu'entraîne toute pbîlesQ^ie ssMualistp , c'est-à-dire au matérialisme et p^ consé- quent k l'athéisme.
L'école italique , partie du point de vue opposé, était pareiUemcnll arrivée à des résuUatjs qui Crappent autant par leur certitude que par leur profeAideur ; iuis lea Éléates , auxquels ces r^ijltats ijunent tran«mi9>
ont ey à leur toar le toH d^ négliger Tordre de phé^ noioènes doat les geos oou6 doi^aent cooiuiîa^aiifie^ et de ne reconoattre l'exi^oce que de celui qu'île rea** co&traieut au tejrme de toutes leurs abeteactÎMe; et eo opposiUoa au sensualiso^e de Tlaoîe^ s'eit |Mrodiitt ua îdésdbioe qui , abeor|)eat l'effet daos la cauae » ie fiai daae l'iofiui» la natière daue la autMtaace^ est bientôt arrivé au terme de toute philosopliîe lAMîwte, c'est-à-dire à la négation de toute existence réelle.
Or, entre ces deux syetèines, ou plutôt au-dessus de ces deux systèmes, le sens commun, juge en der^ nier ressort de toute philosophie, le eens commun qui ne peut concevoir Tiuiité sans la {tJuralité, rinfimMua le fini^ la substance sans le phénomène, la eauiPe sana l'effet , éemt nécesaairoment protester contre des ré<^ sukaÉi qui sacrifiaient systénatiquement l'un à l'autre; et en e&t, après les ab^rationa des loaioM et des Éléales, le scqAicisme, qui est Ja prefiMère appsrîtieii du bon sens sur la scèfie phiimqihîque , amit proposé les obîecUons ^ les doutes qui se présentaient eu fiMle contre leurs systèmes. Le besoin de se défendra aMaa les phlosophes de la dialectique^ de là, la néosasHé et i'iaiiportanee de Zenon. Mais cette dialeetique , partie d'un point de vue exclusif, n'avait fait qu'augmenter ies doues et les incertitudes. Les sophistes ^ epi faisant tourner à leur profit cette disposition des esprits, avaient cependant produit un résultat heureux : edui 40 répandue l'instruction et les lumières, de faire sentir de plus en idus le besoin d'asseoir sur des bases solides et fipLOs l'édifice des conaaisjâances humaines. 11 fallait à la philosophie une méthode, pour qu'elle
80 PHlLÛSOraiE ANCIENNE.
pût combattre dans leurs excès.!' idéalisme et le 96n- sualisme : cette méthode, nous l'avons vu , Socrate la mit au monde. Nous avons vu aussi, dans les écoles cynique , cyrénaique et mégarique , la philosophie grecque, un peu incertaine encore, assurer ses premiers pas et s'essayer à marcher, en quelque sorte; il est temps de la voir prendre , sur les ailes de Platon , un plus noble et plus brillant essor.
PLATON.
La nature avait réuni dans Platon ses dons les plus divers, comme si ellç se fût complue à former en lui le plus beau génie que la philosophie ait présenté à l'humanité. L'éducation intellectuelle qu'il reçut le pré- para dignement au rôle important qu'il devait remplir. • La lecture des poètes avait formé ses premières études ; sa première ambition avait été de les imiter. U s'était exercé successivement dans les genres lyrique, épique, dramatique ; il se livra aussi à la peinture et à la musique; mais il abandonna bientôt ces essais de sa jeunesse , pour des méditations plus sérieuses. La géo- métrie leur succéda; elle lui servit d'introduction aux recherches spéculatives , et c'était en raisonnant d'après son propre exemple qu'il interdisait l'accès du sanc- tuaire de la philosophie à ceux qui n'avaient point d'abord été initiés à cette science. Il avait déjà recueilli les leçons d'Heraclite, lorsqu'à l'âge de vingt ans il fut admis à l'école de Socrate. A lantQrtde son maître, il accompagna à Mégare ses principaux disciples, et là il entendit Euclide. Ses voyages sont fort célèbres : en
DEUXIÈME ÉPOQUE. 81
Italie, il trouva les sages issus de l'école de Pythagore : ArcbitaSy Philolaûs, Timée; en Egypte, il puisa dans le commeroe des prêtres les connaissances astrono* miques, et chercha à pénétrer les traditions mysté- rieuses dont ils étaient dépositaires. Il parcourut toute la Grèce, habita trois fois la Sicile, observa toutes les formes de gouvernement , les lois , les mœurs , les con- stitutions des états, résida dans les cours, fut en rap- port avec les princes ; mais , toujours indépendant et jaloux de son indépendance , il crut fonder , dit un historien moderne^ il crut gouverner un assez bel em- pire, en érigeant l'Académie (1).
Élève de Socrate et pénétré de sa méthode, Platon devait débuter par la psychologie. Voici les traits princi- paux de sa théorie des facultés de l'flme. Il distingue deux facultés principales : celle de sentir et celle de penser. Sentir, c'est être affecté par une impression extérieure; penser, c'est opérer sur ses idées. La faculté de penser se divise à son tour en deux autres : l'entendement et la raison. Ces trois sources de toutes connaissances sont l'objet d'analyses pénétrantes et ingénieuses : le domaine des sens , celui de l'intelligence , celui de la raison , sont déterminés avec une rigueur, une précision, une méthode admirables. Mais en reconnaissant dans la conscience humaine les connaissances variables et con- tingentes que donne la sensibilité , ce n'est point à leur
(1) VAoidéndt était ime promenade située liors des mon d'Athtees» et ainsi nommée d'après un de ses premiers possesseurs. Cet endroit subsista Jusqu'au temps de Sylla , qui en employa les arbres pour le siège d'Athènes. L'éeole fondée par Platon fut nommée Acadùnie^ parée qu'il la tenait dans tet endroit , à edté d'un petit temple qu'il arait érigé aux Muses.
6
M PHUiOSWWË AirOIENflE.
étode qii'H s'arrête : par^ielà ce monde apparent ^ KMMe, dont il ne nie point i'existence, siaia qoi -ne peut lui offrir de fondement solide pour la science qu'il Y6Qt éteter ( car il n'y a , selon lui , pmni de sdmèoe de es ijfttt posée ), il a entrevu un monde Supérieur ^ un monde qu'il appelle idéal, et dont l'autre n'est qu^un reflet et une image imparfaite. On comprend que nous Toulons parler ici de ces deux ordres d'idées que nom avons déjà vus se produire dans les systèmes antérieurs. Ge qui frappe le plus Platon , comme ce qui avait esLcllé d'abord l'admiration de Pythagore, ce sont ces notions d'unité, de substance, de temps, d'espace, de cause, etc., qu'il trouve en tète de toutes ses médi- tations; mais il avait trop vu , et trop bien vu , il ap* puyait ses observations sur une méthode trop sAre, pour tomber dans les excès de l'idéalisme éléatique et pythagoricien. H ne sacrifia pas à ce qu'il y a de gé» ncral, de nécessaire, d'absolu, dans nos conceptions, les notions particulières, contingentes et finies que possède l'àme humaine. Il ne nia point les acquisitions de nos sens, pour reconnaître uniquement celles que découvre notre raison; mais c'est à celles-ci qu'il s'at<> tacha particulièrement, et c'est pour expliquer la pré- sehce dans notre conscience de ces vérités nécessaires qu'il mit au jour sa théorie célèbre des idées {4).
Lq raison aperçoit des lois éternelles, marquées du caractère de l'universalité et de la nécessité : mais d'oii lui niennent-elles ? d'où sont-elles tombées dans ce monde de l'apparence et du changement? Comment
(1) Lenel idées doit èire pris ici dans me aeceplHm toate particsiâève ,«t dans uu sens diflëreat de celui 4u*ea laid^Mie oidînairaiiNSi.
rbomioe^ créature bornée, est-il admis à la ccoàDaîs- sance des lois qui régissent ce monde ? £o présence de tel objet, il proclame qu'il est beau; léatoin de telle action, il prononce qu'elle est \ertueuse : mais d'où lui vient l'idée de la beaulé, d'où lui vient celle de la vertu?
Voici comment Platon résout ^ces hauts et difficiles |>roblèmes.
Les notions générales sont nécessaires à toutes nos .pensées; elles eptrent dans tous nos raisonnements. En e0et, pour définir l'objet le plus particulier, ne &ut-il pas que nous ayons recours à la supposition d'une idée générale à laquelle nous rapportions l'olyet ^ définir , et qui lui donne son nom de genre ? Mous ne pensons , nous ne définissons qu'à l'aide des idées générales. Mais ces notions ne sept point explicables par les notions particulières, puisque celles-ci seraient inconcevables sans elles. Elles ne viennent donc point des sens, qui sont la source du particulier et du va- riable ; elles appartiennent à l'esprit lui-même , à la raison , dont elles sont les objets propres. Elle ne peut même rien changer à la notion qu'elle en a ; elle peut l'analyser, mais non la détruire, ni la faire^ Voilà donc les notions générales qui d'un côté sont dans la raison humaine comme objets, et se trouvent néan- moins essentiellement indépendantes de la r^iison ,.qui les conçoit.
11 importe, pour que l'on se fasse une idée exacte de la théorie platonicienne, qu'on s'arrête sur cette observation importante : les notions générales qui ap- paraissent à la raison humaiue ne sont pQint ^QO PU-
84 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
vrage; elles existent indépendamment de rhumanité qu'elles régissent, et du monde où elles font leur ap- parition. Considérées sous le point de vue de leur in- dépendance , les notions générales , ce sont les idées en elles-mêmes. On a cru longtemps que Platon avait donné aux idées une existence substantielle : ce re- proche n'est pas fondé. Il n'a point abusé ainsi de l'abstraction. Les idées ^ considérées en elles-mêmes, sont les attributs de la raison divine ; c'est là qu'elles existent substantiellement , non pas dans la raison humaine, où elles apparaissent mêlées à la pluralité des notions sensibles et particulières. Il y a la même différence entre les idées considérées en elles-mêmes et telles qu'elles existent dans l'entendement divin , et les idées devenues l'objet des conceptions humaines , qu'il en existe entre la raison divine et la raison hu- maine. Notre raison n'est qu'un reflet de la raison di- vine; de même nos notions générales ne sont que des reflets des idées prises en elles-mêmes : celles-ci sont les types de toutes choses, types éternels comme le Dieu qu'elles manifestent.
C'est à cette théorie des idées que se lie étroitement celle de la réminiscence. Platon ne pouvant expliquer par l'expérience l'apparition dans l'esprit humain de ces idées générales dont les modèles reposent dans l'en- tendement divin; frappé, par exemple, du caractère de nécessité dont sont marquées les vérités mathéma- tiques, certains principes de morale, qui entraînent d'une manière forcée l'assentiment universel, suppose que nous avons appris dans un autre monde les choses que nous nous rappelons dans celui-ci , et qu'apprendre.
DEUXIÈME ÉPOQUE. 85
pour l'homme , n'ei^t rien autre chose que se ressau-- venir : fiction ingénieuse qu'il ne faut pas prendre à la lettre 9 et qu'il n'a imaginée, sans doute, que pour giieux faire concevoir la nature de ces principes absolus qui dominent tout jugement et toute discussion; pvior cipes à l'aide desquels on démontre, mais qui eux- mêmes ne tombent pas sous la démonstratioD , et qu'il suflGt de dégager et de présenter à l'esprit, pour qu'il les conçoive et les admette immédiatement , sans au* cun raisonnement, par la vertu qui est en lui et qui est en eux.
La conséquence de cette théorie sublime , la voici : Gomme les notions générales qui apparaissent , soit daps l'homme dont elles éclairent la raison , soit dans la nature dont elles constituent les lois , ne sont que des copies , et des copies qui , par leur alliance avec les notions particulières ou les choses, perdent de leur perfection et de leur clarté , ce n'est point là qu'il faut s'arrêter : il faut partir de ces copies pour s'élever à leurs modèles suprêmes et à leur substance , qui est Dieu. La philosophie , comme l'entend Platon, conaste à s'élever sans cesse du particulier au général , du cob- lingent au nécessaire , des idées sensibles aux idées ra- tionnelles, des phénomènes physiques aux lois qui les régissent , de ces lois à leurs modèles incorruptiUes , et de là à leur éternel auteur. La science ne doit tendre qu'à la connaissance des idées générales ; elle doit s'y attacher comme à ce qui est essentiellement, en se séparant du sensible, du variable, du contingent, qui n'est qu'un phénomène, une pure apparence, sans réalité.
99 putLOtotnt AJttïEmY..
tt y I , eMnme on peut le tcm> par cet aperça , Ken» àà ïa gtnRKkiH' et sans doute beaucoup de vérité dans* cette haifle métaphysique : mais Ptaton , «n s'élevanf dans octte «j^^ére supérienre , s'y est quelquefois eo-* ytiof^ de brittsats nu^es ; if n'est pas toujours aisé d6le saivreawsejnr de ce monde- des nrits, rers lequel' le raiÉèDd sms eesse un îrrésistililc penchant;^ et queh ^Ibitf kl dïseii^ de Soerate , per^ daas de vagues ahwi'agtionir, a pris peut-être des chimères pow diss'
Les diflérentes parties de la philosophie de Raton «ènt emftrehites do mémfr esprit , et dîri^^ dans le
MRDKF D11t«
Aiiriî, lors^'ft oon^ldire an !iet otl^ , il aépaté sd- 'tèrement la malfMi'e dn hesu , qut çst sppureÈlt!, iMMé, laf^iHe, saomfa!» «ttûA, âe kr beauté eRc^ taém<&, qili tfeat pas une îmagé, nutis tme idée; et é'éSt à cette IteanCé idéale qu'H rapporte l'amour, Và- tmirr véritable, eetuîdeFâme.abftBdoBnantfamatrérc^ riffdnW de la beauté, son phénoméoe externe, son ot:$et îT^Wè , au phéAoméne correspondant de l'amorir se»- sIMe. teHe est kt théorie de la beauté idéile et de fa- lAoui^ platoilrique.
La ftiorale ne tepoae ^s; sdien im, sur le principe dtf l'âMlganfon, sur ïa défiintion du d^vok', nnts sur la tendMnce à la perfection, Afe« Socralé, R fAaçaH i le souverain trien le terme auquel rhomme doit r«r par sa nature. Platon distingue le» Mens dwiti» » biens humains. * Les premiers sont tel» par eos- hes, Se suffisent k eux-mêmes, sont permanents et issaires à l'être moral. Trois conditions les con»ti-
ttpiwijiB ,&N«i«, tu
mmt : kl vérité , Ibarmonie, la beauté; toattt tnw ap^UefiMot à l'ordre dea »éjbs, leur réujûôn fiMNM la perfecftioD. La divinité en est dwc le siège > la aaane^ la règle, coauaae la notion de la divinité en «al le type* La vie entière de Ibonme doit eue ce»* iierée par la uàg^BM à ae r^ppMcher die ce modèle* >
Qtmmm Socrate, il identifie la politique à la. moralat la pfeniéie n^eat à ses yeux que la aeeoigde apfdiquée à la aofîéÉè humaine. Tel est l'eaprit entier de 9M traM ée Im MépMitfiœ, oà la morale individuelle et ka iMtî* ftioM sociales sont teVesient unies , qu'on se méprend sMvent en appliquant k celles-^^i ce qu'il n'entend que deoella^là.
Si noua eonsidéroBa maintimant Platoa diusa ses rapports a?ee les philoeophea qui l'ont précédé, noua vervona comlnen il a au donner de forée et de relief am vérités déjà déoouwrles* Son génie marqua tout œ qu'il emprunta à ses devanciera^ et particulièrement aux pythagoriciens, d'un caractère d'originaUté. U aut ndlier les divers essais de la philosoptûe, dans les di- rections les plus opposées, à un seul ayalème pleiâ d'harmonie, dont les avantages sont : l'unité fondée sur les idées; la fusion en un seul et même intérêt moral , de tous nos motifs d'activité spéculative et pra* tique; le lien étroit qu'il établit entre la vertu, la vérité, et la beauté ; la multitude d'idées et de vues nouvelles que ce système contient en germe ; enfin , la puissant intérêt qu'il inspira pour la scienee, et dont Il devint lui-même l'objet.
Nous devons remarquer aussi parmi les nombreux s^nrices que Platon a rendus à la philosophie, 4"" le
88 raiLOSOPHIE ANCIENNE.
premier aperça des lois de la pensée , des r^les de la proposition^ de 1^ conclusion et de la preave, de la méthode analytique , un essai de logique , en un mot , auquel on peut rapporter la première tentative qui ait été faite pour fonder une langue philosophique; 2"* une idée plus explicite de Dieu comme un être éminemm^it bon, et une déduction plus précise des attributs divins; Dieu représenté comme auteur du monde, en tant que lui ayant donné la forme , c'est-à-dire , comme ayant introduit dans la matière brute et informe l'ordre et Vharmonie ; Dieu considéré comme auteur et comme exécuteur ou garant de la loi morale; le premier essai réfléchi d'une théodicée , suivant laquelle Dieu n*est pas* responsable de l'existence du mal , qui provient de la matière, et d'autant moins, qu'il a d'ailleurs ordonné toutes choses pour que le mal soit vaincu ; enfin , le premier développement formel delà spiritualité de Vâme, et le premier essai de démonstration en faveur de son immortalité.
Les philosophes pythagoriciens et les Éléates avairat écrit en vers. Les Dialogues (1) de Platon , quoique écrits en prose , sont constamment animés du soii^
(1) Les p)us célèbres sont : Criton , ou du Devoir du citoyen ; la scène de ce dialogue est dans la prison de Socrate , auquel Criton avait conseillé de se sauver par la ftiite : c'est avec.le Phédon , dialogue sur rimmortaUté de l'âme, un des plus beaux morceaux de Platon et de toute la Uttérature an- cienne; CraiyU, ou de la Nature des noms; Thtùèit, ou de la Science; Parménide, ouvrage destiné à Texposilion de Tidéalisme de l'école d*Blée ; le Banquet , ou de TAmour : c'est le dialogue auquel il a mis le plus de soin; Thtagè$, ou de la Sagesse ; Protagoras, ou les Sophistes, chef-d'œuvre de finesse , dans lequel les sophistes sont combattus avec leurs propres armes; De la République, ou de ce qui est Juste, en 10 livres, ouvrage regardé comme le chef-d'<Buvre de Platon ; Timée , ou de la Nature , *tc.
MUXIÈME ÉPOQUE. 89
poétique : ils ont une forme dramatique; on y \oit étalées toutes les richesses de Tiniagination la plus brillante, tous les charmes de l'éloquence et de Tesprit atUque. 11 nous en est resté trente-cinq ( ou cinquante- six en comptant ses ouvrages sur la république et les lois, d'après le nombre de livres dont ils se corn-
posent).
La philosophie de Platon est l'idéalisme : mais grâge à la sagesse et au bon sens , qui , par un heureux ac- cord, se trouvaient unis dans ce grand homme à l'ima- gination la plus vive, cet idéalisme ne tombe point dans les extravagances que nous avons justement re- prochées aux philosophes éléatiques.
Un autre génie .moins élevé peut«ètre , mais plus vaste et plus étendu, va maintenant nous occuper. Nous allons trouver encore dans Aristote , avec une méthode, un système et des vues tout différents, le même esprit de sobriété et de retenue que nous venons de reconnaître dans Platon. La philosophie d' Aristote a pour base le sensualisme ; mais la rectitude et là fermeté de sa raison sauront le préserver des ab- errations et des excès dans lesquels les physiciens d'Ionie ont été irrésistiblement entraînés.
ARISTOra.
Aristote de Stagyre, ville de Macédoine, située sur le Strymon, naquit 384 ans avant J.-G. Son père, Nicomaque, était médecin, de la famille des Asclé- piades (1). Dans sa jeunesse il se destina à la médecine,
(1) Asclépius oa Bscolape , prinee ttieuidieii du 13* sièe&e avant notre
M PHIUMOMIE ARCIIMIE.
et c'est Mme deute i 09 genre d'ét«éeiqa'il Ait Is goAt pour riûstoire naturelle, qu'il àtvtiof^ ÙÊUtim •uHe. A l'âge de dix-sept ans , U se reaiiit à Mbèoe», et fut pCDdMt YÎ> ans le (tiscipte de Matcn, kpri» Nk ■ort de ee pWosopbe , il passa qiiHqiie lempe aiipf<is d'HerMîaa, prim» d'Atarné en Mysie, dont par la suite il épousa la sœur ou la Qlle. Hermias ayant prfr{ i^Me mamièm nalheurewe, Arisiote aUa k Wtjlëfte, d'où Philippe y roi de Macédoine, l'a^x^ ^ n omi* famr soifBer l'édocation de sou fils Alexaddre, agi l4or» de treize ans. Ce prinoe étant monté sur l» trôoe, Aristote se retira à Atbèoea, ou plutAt, selon aae opinion plus vraisemblable, il aceompagm scm aiiciea âMve juaqu'en Egypte, et ne revint i Athènes que l'an 331 »TMt i.'C. y avec ie» ■ntèriaux <)a'il snrit rectieMie peur eon bïstove des saimma. 11 y ériges une éeole qui fut appelée péripatéticienne, dans «n bèlîment B6DUDé Lycée (d'après un temple dédié à ApollMi Ii/eim ), U y donnait deui espèces fie leçons : le« ttnee, où tout le monde était admis, avaient posr ofa^l les oonnaîsaanoes les |rfus usuelles de la vie coumuoe ) les autres étaient destinées exclesivement i ses diadi^ee. C'est  cause de cette distinction que par la suite les ouvrages d'Aristole ont été divisés en ésotériques ( inté- -'- ^ ou acroamatiqués ( scientiflques ) , et en ea!Oté- extérieurs). Après la mort d'Alexandre le Grand, i éprouva des persécutions qui le forcèrent de
n Grite Im premières conD*iss*Dtes en médecine; iimt.ponr
;, «levé m nng Ah dieux. Ses «mnaltsailees ftirenl longtemps I et Iransmises de géDération en génération parmi ses descendants, ■ 4W01 1* bon d'A>d<plide«.
se retirer à CfisM^ , en Eubée, où il^ motirat, proba*' ftfoment après s'être ettipoisonné , à l'Age de 69 an».
tt semble d'abord qu'il n'y ait rien de commun entré îa philosophie de Platon et celle d'Aristote : les hisM^ riens y en effet , ont mis beaucoup de som à feire res* sortir les^ dffféi^ences qui les séparent ; et if n'est rietf de si tu^^e que Topinion qui rqf^résente ces dent grande philosophes comme formant entre eux le plutf parfait contraste. Cependant , comme chacun d'eux , tout en obéKssant à son propre génie y a été assez sage pouf ne pohrt sortfr des bornes que la raison prescrit ; comme ii y a dans Fidéatisme du premier , rinsi qutf dans le sensudismc dn second , cette sobriété et cette tempérance sctei^tiques qui le» préseryent des écarts^ dattft fèsquek s^égarent ordinahnement Vvtn et Tautrct sj^stème ; êephi»^ comme chacun d'efux , en embrassant ICf e^rcle entier do la philosophie, était pMtrtu d'un «êpnl ttsaet tàsie p<mr {M'oduire un système pi^esqiféf ëtrit^ift, nous pettTons dif^ qu'il existe entre eu* plud de ràppcftvt qu'on ne le pense généralement.
Leé partisans exclusifs du fondateur de l'Académie, Mfbsant au philosophe de Stagyre tout ce qu'ils acc(^ dent k son prédécesseur , ne veulent trouver en lui quel te représentant et le législateur de la philosophie enn piriqtte i de l'autre côté , les philosophes qui ont eher- cbé à fonder des systèmes sur la base unique de l'ob^ ëertation sensible, et qui reconnaissent Arktote pour leitt' maître, se sont efforcés de représenter Platon eomme m réteur sublime , perdu dans le monde dé ses idées archétypes^ et s'eccupant fort pén des appli-^ estions que l'on peut ftiire des principes phtiosopbiqueil
92 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
à rétude de la nature et de rhumanité. Des deux côtéSy égale erreur, égale injustice. Oo a pu voir, par ce qui précède, que la philosophie de Platon n'est pas tou- jours dans les nues : sa morale , sa politique , sa théo- dicée , sa logique , prouvent assez que sa haute raison ne négligeait pas les résultats positifs pour se livrer ex- clusivement aux spéculations abstraites. Nous verrons bientôt qu'Âristote n'est pas plus exclusif que son maître.
Certes , si l'on poussait à leurs conséquences légi« times le sensualisme d'Aristote et l'idéalisme de Platon, tout rapprochement entre ces deux philosophes de- viendrait impossible : c'est même ce dont on ne peut douter , lorsqu'on songe à la lutte qui divisa si long- temps leurs successeurs. Les académiciens et les péri* patéticiens ont outré, comme il arrive presque toiqours, les systèmes de leurs maîtres ; ils n'étaient pas, comme ceux-ci , assez forts pour être modérés, assez profonds pour être complets ; il ne pouvait donc y avoir entre eux aucun accord possible , aucun rapfffochemeni durable. Mais il faut le répéter : la gloire d'Aristote est de s'être arrêté sur la pente rapide qui entraîne presque toujours le sensualisme à des résultats déplo- rables ; comme cdle de Platon avait été de conserver toute la fermeté d'une raison éclairée , au sein même de l'idéalisme.
Ainsi, Aristole reconnaissant expressément dans notre âme et dans la nature la présence de ces prin- cipes et de ces lois, dont nous avons déjà parlé plus d'une fois, et qui , marqués du caractère de nécessité et d'universalité 9 ne sont poipt susceptibles d'être
r
DEUXIÈME ÉPOQUE^ 93
trouvés par rexpérience^ ou démontrés par le raison- nement , les reconnaît comme l'ouvrage de la suprême intelligence^ à laquelle il rend un éclatant hommage : Tâme humaine » dans laquelle ces principes absolus font leur apparition y lui parait participer de la nature divine ^ et il se prononce par conséquent pour son im- mortalité.
Aristote même va plus loin que Platon : ces idées , que celuiH^i avait admises sans s'attacher à les énumérer, le méthodique Aristote les étudie , en fait le compte , et tâche même d'en présenter la classification ; il les dispose en catégories , et cet effort sublime de l'esprit humain est une des entreprises les plus hardies qui aient jamais été faites dans les hautes régions de l'idéal.
Mais ici commencent les différences : faibles au point de départ , elles deviennent de plus en plus profondes, de plus en plus sensibles. Les idées sont placées à la fois sur les fontières de deux mondes : frappé* de leur caractère auguste, Platon n'aspire qu'à remonter vers leur éternel auteur , et s'élance sans cesse hors du do- maine de ce monde visible. Aristote au contraire, au lieu de partir de ces idées pour remonter par l'ab- straction jusqu'à leur source invisible, s'attache à les suivre dans la réalité et dans ce monde. Son génie calme, positif, classifilcateur et ennemi de l'abstraction , en étudie tous les phénomènes, en sonde toutes les profondeurs.
C'était certainement une conquête importante pour la philosophie , que la connaissance de ces principes absolus que lui avait révélés le génie de Platon ; Aristote lui fit faire encore un progrès, un progrès immense , en
g4 PH;L0&0PIIB ANCtEft^E.
pai4aflt au sein de la nature, des arts, des acîeiàces, des facultés humaines, son coil perçant et investigateur. lia soîeiice, avant lui, ne formait qu'un faisceau vaste et serré , peu susceptible d'être embrassé par les fwoef d'un seul homme ; sa main vigoureuse en détacha les différentes parties, et en détermina les caractères gé- néraux : il devint le législateur de la métaphysique^ de la litgique, de la morale, de la politique^ de l'histoire liaturelle, de la physique, de la rhétorique, de ia grammaire.
C'est ainsi que va toiigours en s'agrandissant le do- maine de la philosophie, ainsi s'élargit sans cesse la aphère de la raison humaine : sans doute , la philo* Sophie de Platon était plus élevée que celle de son auocesseur; mais celui-ci n'a-t*il pas gagné en étendue ce qu'il perdait en élévation ?
Aristote distingue deux sortes de connaissances : l'une médiate^ et l'autre imméeUote. « La première, ditnl, est celle que nous tirons d'une connaissance antérieure, à l'aide de quelque moyen; la seconde est oelle qui s'obtient par elle-même : or il n'y a point de aérie infinie dans les déductions et les moyens qu'elles emploient; il faut donc remonter aux principes, à des principes qui se suQisent à eux-mêmes, qui portent en eux-mômes leurs propres lumières. » c Les premiers principes, dit-il ailleurs, sont indémontrables parleur nature, et voilà pourquoi ceux qui ont voulu exiger indéfiniment une démonstration pour chaque chose , ont été conduits à considérer toute science comme impossible , ne pouvant en effet lui donner de hase ; il
faut donc pas disputer sur les principes. » Aristote
BEUXIÈIIE ÉPOQUE. 05
fftft aussi une distinction importante entre la science et
Vopmion : ^ it y a des choses vraies , mais qui peuvent
être autrement qu'elles ne sont. La science ne s'occupe
point de choses semblables ; elles ne sont que Tobjet
de 4'opinton : cet objet peut donc être vrai ou faux. Il
n'en est pas de même des principes universels qui
soBt) à proprement parler, l'objet de la science. » Il
y « donc , selon Aristote , trois classes de virités : 1* tes
vérités qu'on obtient par la démonstration^ les vérttés
déduites ; S*" les vérités générales qui servent de base
à la démonstration^ et qui viennent de la raison même;
3^ les vérités particulières qui viennent de l'expérience
sensible.
Les vérttés de la seconde classe, ou les vérités g^ié- raies , ont été de sa part l'objet d'une exposition ana* l3rtique : elles sont comprises dans dix catégories (4)^ qui ne sont autre chose que la théorie des idées dePla-» ton, développée et régularisée. C'était là certafnement la question imposante et vitale de la métaphysique , et par conséquent de la philosophie tout entière.
(1) Nmis verrons , dans la suite » ces cêitgories d*Arifilole » reprodvttM, \ des degrés diflérenls : par Leibnilz, sous le nom de uéritts tUnuUesg par récole écossaise , sons le nom de lois constitutives de la nature hu» >iMlfie;|mr7UBt, eoQS le nom d'ides de la raison pare: «t devenues enfin de nos jours, sous le nom de vérités absolues , Tolifet d'une analyse supérieure , de la part de M. Cousin , qui , après avoir montré les vices des dassiflcations antérieures , a réduit ces principes à deux : le principe de la causaliieti celui de la substance.
Voici les dix catégories ou prœdicamenia 4'Arifitote : suiMUnee^ quanUté, qualité, relation, lieu, temps , situation , possession, action, passion. De ces Catégories, Ârlstole distingue les catégorèmes ou pradica^ hUia , fui ae rapportent aux premières et sont au nomlNre de cinq : le genre» respke 9 jUdi£Kre&ce , le propre et Taecident.
96 PHILOSOPHIE ANCIENNE,
Mais il faut convenir que si cet essai de classification supposait dans son auteur une grande puissance d'ana- lyse , Aristote n'en a pas tiré dans l'application tous les résultats que Ton pouvait en attendre. Il y a même une contradiction manifeste entre l'adoption de ces principes , ainsi réduits en catégories , et ,1e dogme fondamental de la philosophie d' Aristote : que c'esi par l'expérience qu'il faut s'élever des notions particules aux principes universels. Comment cet universel^ qui est absolu et nécessaire, pourra-t-il dériver des sens et de Texpérience, dont le caractère est toujours contingent? Aristote ne l'explique nulle part d'une manière satis- faisante : et c'est précisément ce qui peut servir à nous expliquer pourquoi une philosophie qui prétend tout trouver à posteriori, se rapproche cependant d'une théorie qui avait procédé â priori : c'est qu' Aristote n'a pas employé dans toute sa rigueur la méthode ex- périmentale ; c'est qu'il lui était difficile de rejeter entièrement cette théorie des idées, qu'il combat sans cesse, mais qu'il adopte, comme malgré lui, sous un autre nom et une forme différente ; c'est que, de même que l'idéalisme de^ Platon avait subi l'influence de la raison socratique , de même le sensualisme empirique d' Aristote avait été considérablement modifié parTidéa* lisme de Platon.
La logique est^ selon Aristote, l'instrument (organuni) de toute science ou philosophie , mais seulement quant à la forme, car c'est l'expérience qui doit fournir la matière pour être travaillée en principes généraux. Cette restriction importante fat plus tard, dans le moyen-âge surtout, bien souvent méconnue : on attribua aux for*
DEUXIÈME ÉPOQUE. . 97
mules aristotéliques , et particulièrement au syllogisme, dont Aristote donna lo premier' les lois, une puissance et une valeur dont elles sont dépourvues. Le principe sur lequel repose la logique d'Aristotp est celui de la contradiction, d'où résulte toute vérité dans le raisonne- ment \ mais il est la règle et non l'élément constitutif de cette vérité.
Les principaux points de sa phjsique sont ceux-ei : la natqre, principe du changement^ ne fait rien sans. un but; ce but est la forme. Quand on parle du hasard, ce sont toujours des causes et des lois réelles qu'il faut supposer, quoique nous les ignorions. Tout changement suppose nécessairement une matière (substraium) et une forme : un changement est la réalisation du possible en tant que possible; cette réalisation du possible porte le nom si connu, mais si peu compris généralement, d'ENTÉLÉGHiE. Dès lors que le possible, la matière, prend une forme et se développe d'une certaine manière particulière, il est tel et non autre, tout autre lui manque. La matière, Isi forme et la privation sont donc les trois principes du changement. Il y a lieu à chan- gement , quant à la substance , la quantité , la qualité et le lieu. Le temps est infini; le corps et l'espace sont finis, quoique susceptibles de division à l'infini. Le mouvement en général n'a, comme le. temps, ni corn* meuçement ni fin. Il doit pourtant y avoir un premier moteur , qui ne soit point mû lui-même. Ce moteur doit être éternel et invariable; son être est l'activité, la vie éternelle et pure : c'est Dieu.
aristote distingue deux ordres de facultés qui se rapporteql, l'un à l'entendement, l'autre à la volonté.
7
1
PHlLOSOraiE ANCIENNE.
Il Iraite dans ses ouvrages psychologiques des fiicultéa du premier ordre; celles du second sont l'objet de ses traités de morale, il emprunte la notion de Tâme à la théorie métaphysique qu'il s'était foîte. Il distinguait , comme nous venons de le voir , dans toute substance, sa moHère et "SSi forme : la matière , dit41 dans son traité de Vânie , est comme la cire ; la forme , comme l'em- preinte qu'elle reçoit. La matière est à la forme ce que la possibilité est à la puissance. La seconde, en s'ap- pliquant à la première, produit la réalité. La matière n'est rien par elle-même ; la forme lui donne son ca- ractère, c'est l'acte qui l'accomplit, c'est l'entéléchic. Or l'âme est distincte du corps, mais lui est unie, comme la forme l'est à la matière. L'âme est l'enté- léchie du corps organisé, c'est-à-dire : tant qu'elle est encore inactive, elle est une force et une force rédle , quoique assoupie; mais lorsqu'elle déploie son action, elle devient la force dans toute sa plénitude (4).
Après cette définition de la ixature du principe intd- lîgent , Âristote en développe avec une sagacité admi- rable les principales facultés : la sensibilité, l'imagi- nation, la mémoire, la tolonté, la réminiscence. Ses réflexions sur le sens commun , sur la conscience, qu'il observa le premier avec clarté, offrent un puissant intérêt. Mais il est bien moins heureux, lorsqu'il sov- tient l'unité du principe pensant, an un seul être identique, et qu'il rejette la pluralité des âmes. On voudrait aussi qu'en accordant à l'âme le privilège d'être
(1) Celle déflnition de la ferce, comme pouvoir moyen entre la puissance cl rade, a élé adoptée par Leibniti ; mais, comoie nous le renroDS plus tard » il en a faii une appUcaCion bien plus étendue.
DEUXIÈME ÉP(K^U£. 9V
impérissable, il ne réduisit pas singulièremant oelle immortalité) en lui refusant la. permanence de la mé«- moire et de la conscience.
U est temps de développer les conséquences pratiques que le fondateur du L^cée a Urées de ses principes. Nous y verrons que si, dans la spéculation , son esprit, formé à Técole de Platon / a été ibrcé de reconnaître plusieurs espèces de vérités, il a été entraîné le plus souvent , dans l'application , à ne tenir compte que de celles que produisent Texpériénce et l'observation sensible.
Le point fondamental de la morale d'Aristote est ridée du souverain bien et du but final. Le but final est le bonheur , c'est*à*dire la somme des jouissances qui résultent de l'exercice parfait de la raison ; un tel bonheur étant ce qu'il y a de plus élevé , est aussi plein de dignités Cet exercice parfait de la raison est la vertu t or la vertu est la perfection , soit de la. raison q>écala^ tiye, soit de la raison pratique; de là, deux sortes de vertus, la vertu intellectuelle et la vertu morale. La première dans sa plénitude n'appartient qu'à Dieu, et emporte la suprême félicité ou la béatitude absolue ; la seconde, faite pour l'humanité, est le perfection- nement constant de la volonté raisonnable , produit de la liberté , dont le premier il mit en lumière le caractère psychologique , et dont la loi est de marcher constamment entre le trop et le trop peu : loi arbitraire ( car qui déterminera celte juste mesure que l'homme 4oit conserver dans toutes ses actions? ) et qui d'ail- leurs en suppose une autre plus élevée et plus fixe. Le principe sur lequel^st fondée la politique d'Aria-
100 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
lote, est V utilité, la convenance des moyens à leur fin. C'est ici que , fidèle à son principe , Aristote se pro- nonce d'une manière expresse en faveur de Tesciavage et même de la tyrannie. U y a , selon lui , des hommes destinés à l'esclavage, d'autres à la liberté et à la ty- rannie ; les uns doivent commander , les autres obéir ,
•
et cela pour leur plus grand avantage. Il y a des mor- tels qui sont rois de droit naturel^ et au nom de l'intérêt de tous : « Son roi naturel , dit M. Cousin, ressemble si fort à Alexandre, qu'il n'est pas impos- sible que le mattre ait «ici pensé à son héroïque écolier; mais je crois plutôt que c'était une conséquence de la rigueur de son esprit et du principe d'utilité, qui di- vise d'abord la société en esclaves et en maîtres , puis, dans ceux-ci , en prend un pour gouverner tous 1^ autres , et force les passions de fléchir sous le joug des lois. La politique de Platon est républicaine, mais aristocratique ; celle d' Aristote est plus monarchique : elle a peur du désordre plus que de la tyrannie. »
Sa théorie des beaux-arts est à moitié empirique ; ce n'est plus la théorie du beau idéal de Platon ; l'art, selon lui, n'est que Timitalion de la nature. La rhéto- rique et la poétique lui doivent leur forme scientifique; et, dans les deux dernières, il est encore aujourd'hui un de nos législateurs. A tant de titres (i), il faut en-
(i) Aristote a composé un grand nombre d*ouvrages, mais il n'en a publié que très-peu. A sa mort , les manuscrits passèrent entre les mains de Théo- pbraste son disciple , et , après celui-ci , entre celles de Nélée , de Sccpsis. Les bériUers de ce dernier, dit M. Sbœll , craignant d'être inquiétés pour ce trésor par les rois de Pergame, daiis les étals desquels Scepsis était situé, les cacbèrent dans une cave , où ils restèrent cent quatre-vingt-dix ans ex- posés à rhumidlté. Dans la suite , ils fuSut achetés par dn certain Apellicon
DEUXIÈME ÉPOQUE, iOi
core ajouter celui de père de l'histoire naturelle. C'est dans son Histoire des animaux et ses autres ouvrages analogues qu'il put justrfier tout ce qu'il avait professé sur Tutilité de Texpérience : il y déploie un esprit d'observation infatigable; il exploite les matériaux les plus abondants (i) ; il décrit les phénomènes^ les dis- tribue, les compare avec une merveilleuse exactitude. Son Histoire des animaux fait encore aujourd'hui , après les progrès immenses qu'ont faits les sciences naturelles , l'admiration de tous nos savants.
Un auteur moderne :(2). résume ainsi les principaux mérites d'Aristote, qu'il rapporte à cinq titres : V la dimion et la classification des sciences; 2"" l'extension donnée à leur domaine par l'histoire naturelle, l'éco- nomie, etc. ; 3*" la langue philosophique déterminée et enrichie; 4M'uBion de l'histoire philosophique avec l'étude de la philosophie ; S"" le sage emploi du doute comme préparation à la recherche de la vérité.
On peut lui reprocher : i** un désir trop marqué de rabaisser les philosophes qui l'ont précédé; 2"" l'extrême
qui les transporta à Athènes. d*où Sylla les enyoya à Rome, et permit à tout le jnonde d'en prendre des copies. Une copie de ces ouvrages , faite par Ty- rannion , affranchi de Mécène , étant tombée entre les mains d'ÀHORONicus de tthodes, celui-ci les mit en ordre, y ajouta des sommaires et les revit avec beaucoup de soin.
C'est un fait assez extraordinaire, que de tous les peuples modernes, les Espagnols soient les seuls qui aient une traduction complète d'Aristote dans leur langue. Mais elle est restée manuscrite à la bibliothèque de Madrid : son auteur avait mis cinq ans à ce travail.
(1) On prétend qu'Alexandre employa plus de mille individus, et flt une dépense de plusieurs millions , pour procurer à son ancien précepleur des oljets d'histoire naturelle et des mémoires.
(2) Guriit , Esquisse de l'histoire de la philosophie.
109 PHILOSOraiE ANCIENNE.
obscupité et la sécheresse de son styl^; 9" un b^oin exagéré de combinaisons systématiques; 4* Tabus d^ expressions techniques, des divisions et des distinc- tions.
ACADÉMICIENS.
Il y aimit dans ia philosophie de Platon deux parties distinctes, dont la réunion forme ce vaste et beau système qui embrassait i la fois Dieu , Thumanité et le monde. Deux espèces d'enseignement introduisaient à Tétude de cette théorie. L'un, réservé à quelques dis- ciples choisis, était précisément cette doctrine des »ÉBs, cette oontemplation des principes absolus qui éclairenf d'en haut la raison humaine , et dont nous avons feit déjà remarquer les rapports aveo la doctrine des nombres de Pytbagore. L'autre partie, consignée danâ ses écrits et objet d'un enseignement public, était plutôt dialectique que dogmatique , et embrassait plus particulièrement le domaine de la science humaine* De ce double enseignement sont sortis deux genres de systèmes bien différents : l'un exploita l'héritage des hautes théories y l'autre s^empara des armes que Platon avait dirigées contre cette raison livrée à elle-même, qu'il a réduite à la simple opinion : de là, te dogma- tisme toujours croissant de la première académie , et le scepticisme de plus en plus réservé de la nouvelle ; la divergence devint chaque jour plus sensible, comme le développement de l'exagération de chacune d'elles, dès l'instant où la séparation eut lieu.
La première acadpmie, dirigée par les successeurs
DEU3L1ÈMB ÉPOQUE, lOS
immédiats de Platon , est toute pythagoricienne et idéaliste : c/était le développement de la philosophie de leur maître. Speusippe, neveu du fondateur de l'académie , avait composé de nombreux écrits qu\ ne nous sont point parvenus. Il admettait deux criterfum de la vérité, qui correspondent, Tun aux choses sen- sibles, l'autre à celles qui sont du domaine de la science* Il parait qu'il ne modifia que très-légèrement la doc- trine de Platon. On pouvait cependant remarquer dans son système un commencement de pylhagorisme. Ut tendance idéaliste se montre à découvert dans les écrits du philosophe le plus célèbre de cette école , de Xéno- CRATE. Il reproduit la monade et la dyadef et la termino- logie empruntée au système des nombres^ 11 définit l'âme un nombre qui se meut Im-méme. Il avait aussi exagéré singulièrement la psychologie pythagoricienne j car , au rapport de Cicéron , il séparait tellement l'âme du corps, qu'il était difficile de dire ce qu'il en faisait: il forçait pareillement les conséquences de la morale platonicienne, s'il est vrai, comme le rapporte encore Cicéron , qu'il exagérait la vertu et déprimait tout le reste. J^olémon d'Athènes, auquel succéda Gratès, gouverna ensuite l'académie. L'un et l'autre confir- mèrent leurs leçons par ui^e vie qui leur mérita la vénération de leurs contemporains : étroitement unis pendant leur vie, ils furent ensevelis dans le même tombeau. Enfin Crantor, de Solii, ami et disciple de Xénocrate, maintint la doctrine du fondateur de l'école, sauf un petit nombre d'altérations , principalement dans l'enseignement populaire et pratique.
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104 rniLOSoraiE x\n€ienne.
PÉRIPATÉTICIENS,
j^es successeurs d'Aristote firent pour la doctrine de leur maître ce que les académiciens aidaient fait pour celle de Platon : ils la développèrent en Fexa- gérant. Geux-<îi s'étaient principalement consacrés à la morale; les péripatéticiens s'appliquèrent plus par- ticulièrement à la pbysique. Théophraste d'Eressos (1), le plus distingué des disciples d'Aristote , et qui laissa un nom dans Thistoire naturelle^ attribue le caractère de diyinité, tantôt à l'intelligence, ce qui est la pure doctrine d'Aristote , mais tantôt aussi au ciel et à tout le système astronomique. Eudème ne fit que développer les opinions de Théophraste, et en morale plaçait la vertu dans le bonheur seul. Dicéarque et Aristoxène voulurent déterminer la notion de Ventétéchie, [et la dénaturèrent; ils revinrent à cette opinion qui fait consister l'âme dans une triple harmonie, opinion com- battue par Aristote. Ils firent dépendre cette harmonie de l'organisation du corps : l'âme ne fut elle-même qu'un corps, une matière une et simple dans^son es- sence , mais dont les différents éléments sont arrangés et tempérés entre eux , de manière à produire la vie et le sentiment.
Straton de Lampsaque , surnommé le Physicien , fit pour Dieu ce que les philosophes précédents avaient fait pour l'âme. Abandonnant la doctrine d'Aristote
(1) CM Fauteur des Caractères, ouvrage imprimé ordinalremenl à la suite de celui de La Bruyère , qui porte le même titre.
DEUXIÈME ÉPOQUE. iOS
sur la cause première, il bannit rintelligence et la sagesse des phénomènes de l'univers : « La nature, dit-il, possède en elle-même une certaine force do \ie et d'action; elle n'a ni sentiment, ni forme; toul^ produit de soi-même, sans Tintervention d^un ouvrier et .d'un auteur. > Ce système flotte, comme on le voit, entre l'athéisme et le panthéisme. Sa psychologie est celle de tout système sensualiste : il fait consister ex* clusivemcQt l'exercice de la pensée dans la sensation ; le premier il donna à cette hypothèse un caractère absolu.
Parmi les disciples de Théophraste se dislingue en- core DÉMÉTRtus de Phalère, qui obtint une grande réputation comme orateur, qui gouverna dix années Athènes avec sagesse et modération, et qui, s'étant ensuite retiré en Egypte , sous Ptolémée Soter , y créa la fameuse bibliothèque d'Alexandrie, et présida à la traduction des Septante. Les écrits qu'il traça dans sa retraite se l'apportaient presque exclusivement à la philosophie morale.
Quant à ce qui concerne les autres aristotéliciens , tout ce que nous en apprennent les historiens , c'est qu'ils s'occupèrent surtout de recherches sur le sou- verain bien. Au reste, ce que nous savons des plus distingués suffit pour nous faire connaître les consé- quences que produisit la philosophie d'Aristote : celui- ci s'en était préservé par la force de son génie, et peut- être par suite de l'influence de Platon; le temps, plus fort que lui, se chargea de les développer.
406 PHILOSOTBIB ANCIENNE.
ÉCOLE D'ÉPiCURE.
^|Noii8 avons va les succeftseurs immédiate de Platon €t d'Arislote, trop faibles pour embrassa à la fois toutes les parties de la philosophie^ se borner a explorer quel^* ques-unes des régions nouTelles; découvertes par ces deux vastes génies : pendant longtemps encore, nous al- lons voir toute l'attention des philosophes a^rbée par Tétude des questions particulières. 11 fieiUait en effet , pour suivre le vol hardi de Platon , un degré d'enthoa* sîasme moral peu commun parmi les hommes ; il fallait, pour suivre Aristote dans le cercle immense de ses nomenclatures» une ardeur in&tigahle de savoir, une grande étendue de connaissances positives , une rare sa- gacité, toutes choses qui ne se rencoptrent pas non plus fort communément. Il devait donc de toute' nécessité se produire après eux des systèmes qui se trouvassent pi us à la portée de toutes les intelligences , qui fussent plus en rapport avec l'état des esprits : deux écoles s'élevèrent pour répondre à ce besoin ; elles s'attachè- rent à cette partie de la philosophie qui tient de plus prés aax usages communs de la vie, aux rapports ré- ciproques qui unissent les membres de la société ^ c'est- à-dire, à la morale et au droit public. La première fut créée par Épicure , et prit le nom de son fondateur ; l'autre eut pour chef Zénon de Cittium, et les disciples de ce philosophe furent appelés sioUciens.
Épicure , du bourg de Gargetle , près d'Athènes ^ appartenait à des parents pauvres : son père, colon à Samos, gagnait sa vie comme maître d'école, et sa mère
eomine de^neressQ. Ce fut la lecture des outrages de Démocrite qui éveilla en lui le génie philosophique; il était alors très-jeûne. Bientôt il suivit à Athènes , mais d'une manière superficielle , les leç<His de l'académicien Xénocrate, de Théopbraste et d'autres. Dans sa trente^ deuxième année , il ouvrit lui-même une école i Lamp^ saque I et la transporta cinq ans après à Athènes. Là^ il ens^gna, dans son jardin, une philosophie qui se recommadilait par son indulgence pour les besoins des sens, embellis des agrémenls de la vie sociale, par son dédain pour toute superstition , et par son esprit d'élégance et d'urbanité. Il n'est pas un philosophe qui ait été l'objet de jugements plus apposés, qui ait éprouvé au môme degré l'exagération des éloges et celle des censures. Il serait fort injuste de faire retomber sur son caractère les reproches qui doivent être adressés à sa doGirme* Un philosopha moderne, Gassendi, a vengé la mémoire d'Épicure des accusations dont elle iivait été l'olget; mais il n'a pu absoudre le système de ce l^iilosophe des funestes conséquences qui en découlent. On peut lui reprocher cependant avec raison l'orgueil qui le porta souvent à déprécier les travaux des autres philosophes : il fut particulièrement , comme l'a rappdé plusieurs fois Cicéron, injuste envers Démocrite, au« quel il avait cependant beaucoup emprunté (i).
Ennemi dédaré de toute spéculation, Épicure ue oMiçoit pas que la science puisse s'étudier pour die- même ; il veut un but prochain , un bot positif, un but individuel. La philosophie consiste donc , selon lui , à
408 PHILOSOPHIE ANCIENNE .
reconnallre et à indiquer les moyens les plus propres à conduire riiomme à la félicité : or il trouve sans cesse des obstacles à cette félicité dans ses préjugés, ses il- lusions, ses erreurs, son ignorance. Cette ignorance est de deux sortes : c'est d'abord l'ignorance des lois qui régissent l'univers ; source de la superstition et de ces vaines terreurs qui mettent le trouble dans l'Ame : de là la nécessité de la physique comme introduction à la morale. L'autre ignorance est celle de remploi que l'homme peut faire de ses fecuités ; de là la néces- sité de prendre avant tout une connaissance exacte de la raison humaine. Épicure a donné le nom de Ckmo- nique à cette partie de sa philosophie, qu'il regarde comme une espèce d'avant-propos obligé de sa théorie du bonheur.
Rien de plus simple que sa théorie de la connais- sance humaine. Les corps dont se compose l'univers sont eux-mêmes composés d'atomes , lesquels sont dans une perpétuelle émission de quelques-unes de leurs parties. Ces atomes en contact avec les sens produisent la sensation. Toute sensation peut être considérée par rapport à son objet, ou par rapporta celui qui l'éprouve. Or, toute sensation est toujours vraie en tant que sensation ; elle ne peut être ni prouvée , ni contredite ; die est évidente par elle-même. C'est des sensations, des idées sensibles que nous tirons toutes nos idées générales; et nous les en tirons parce que les sensations en contien- nent les germes et les renferment comme par araridpation.
On ne sait pas au juste ce qu'Épicure entendait par ces anticipations ou prénotions, d'où il faisait résulter les idées générales : quant à leur valeur, il déclare
. DEUXIÈME ÉPOQUE. 109
nettement qu'elles ne sont ni absolues , ni nécessaires ; elles sont l'ouvrage do la raison humaine ,^ et par con- séquent sujettes à Terreur. L'erreur n'est pas dans la sensation, ni dans l'idée de sensation, mais dans les généralisations que nous en tirons. « Voilà , dit-il , ce qu'il suffit de savoir sur l'art dépenser; rien n'est plus frivole et plus inutile que cet art compliqué, que ces formules minutieuses imaginées par les dialecticiens : car les raisonnements les plus abstraite ne différent point , par leur nature , de ceux que suggère le sens commun. Ayons des notions claires et distinctes; dis- cernons avec perspicacité ce qui en résulte ou n'en résulte pas ; dirigeons bien notre attention : à cela fie réduit toute la logique. »
Quant à la physique d'Épicure, on sait qu'elle n*est autre chose que celle de Démocrite; il a seulement perfectionné et développé la célèbre hypothèse des atomes» Us suffisent à Épicure pour expliquer l'univers, sans qu'il lui soit besoin de recourir à un premier moteur, à une intelligence première. Cependant il ado^et des dieux. Ce ne sont pas de purs esprits, car il n'y a pas de purs esprits dans la théorie atomistique ; ce ne sont pas non plus des corps. Ce sont des espèces de fantômes, des images, qui, semblables à celles qui agissent sur nous dans les songes, produisent sur l'esprit humain cette impression indéfinissable qu'on appelle le sentiment religieux. Celte espèce de com- promis entre l'esprit et la matière, auquel Epicure a recours pour expliquer la nature fort équivoque de ses dieux, lui servira encore pour rendre compte dé la nature de l'âme. Démocrite avait déclaré expressément
ilO PHlLOSOnUE ANCIENNE.
que ràmc est un corps composé d'atome» subtilS) d'une nature de feu. 11 y a progrés dans Épicure t il avoue que pour expliquer la sensation, les atomes ne suffisent pas, et qu'il faut un autre élément ; mais quel est cet élément? C'est encore un juste milieu entre, une ftme malérielle et une âme immatérielle ; ou plutôt ce ta'est autre chose qu'un élément matériel mal analysé « sem- blable aux esprits animaux du dix-septième siècle ou au fluide nerveux du dix-huitième.
Examinons maintenadt quelle est la morale d' Épicure. Puisqu'il n'y a pas dans l'âme humaine d'autres élé- ments que les -sensations qu'elle éprouve , la première loj à laquelle elle doit obéir, c'est au sentiment qui la porte à fuir les sensations pénibles et à rechercher au contraire les sensations agréables. C'était la morale que Démocrite avait naturellement déduite de son sys- tème matérialiste , c'était le principe sur lequel Aristippe avait appuyé la sienne. Mais Épicure distingue plusieurs sortes de sensations agréables, plusieurs genres de plaisirs : ii veut que la raison choisisse entre eux , et calcule leur intensité, leur durée, leurs suites. Sans doute, les plaisirs les plus vifs que nous éprouvions sont ceux que produit le plus grand développement de notre activité morale ou physique : mais n^entratnent- ils pas quelquefois des conséquences déplorables? H faut donc n'en user qu'avec sobriété, et les subordon- ner au bonheur véritable, qui résulte du repos de l'âme. Tant que l'âme n'est pas en paix, il n'y a pas de bonheur, il n'y a que du plaisir. Mais ce repos ne peut s'acquérir sans la vertu; sans elle, point de plai* •ira durables, point de véritable bonheur : avec la
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PfiUXlÈMK ÉPOQCC« lit
vertu \ 4ivee U sagesse moins de plaisirs agités , mais repos et bonheur de l'âme.
Épicure reconnaît donc hautement le besoin de la vertu ; il la recommande sans cesse : mais il lui enlève toute force obligatoire , en ne la considérant que comm^ un ingrédient obligé du bonheur. Du reste, cette vertu à laquelle il rend hommage (et il sent que la société ne saurait s'en passer ), il la réduit à . bien peu dé chose, lorsqu'il arrive aux applications pratiques que les hommes peuvent en faire dans leurs rapports avec leurs semblables. Épiciire veut avant tout la tranquillité et le repos de Vâme : mais est-il possible que nous y parvenions lorsque nous remplissons les devoirs que la société nous impose?
Pour ne point compromettre cette félicité intérieure^ il faudrait n'ôtre ni époux , ni père, ni citoyen, ni magistrat, ni guerrier ; il faudrait en un mot briser tous lés liens qui nous attachent à la famille ou à l'état ( et alors cette impassibilité, cette ataraxie, que sera-t^ elle, si ce n'est le plus complet et le plus par&it égoïsme?
En résumé, la doctrine d'Épieure^ partie de la sensa^ iion , arrive d'abord au matérialisme, puis à l'athéisme, puis enfin à une morale qui n'est autre chose qu'un égoïsme absolu. Nous sommes déjà accoutumés à voir sortir du senlualisme cette série d'inévitables consé* quences.
Mais heureusement pour l'humanité, s'il existe dans les théories considérées d'une manière abstraite et scien- tifique^ une chaîne étroite qui lie les conséquences avec leurs principes » il est rare que les résultats pra«
112 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
tiques sortent des théories d*une manière aussi rigou- reuse. Peu de philosophes ont été , à proprement parier, les hommes de leur système. Epicure, par exemple, le créateur de celte philosophie du bonheur , dont la pre- "tnière conséquence était un égoisme qui pouvait con- duire, et conduisit en effet plus tard les partisans outrés de [sa doctrine au crime et à la corruption, fut, par ses mœurs douces et bienfaisantes, son caractère humain et généreux , l'objet d'une admiration passion- née, et d'une espèce de culte de la part de ses nombreux disciples : des statues lui furent érigées, des cérémo- nies furent instituées en son honneur. Ce que l'on jsait des premiers épicuriens fait pareillement honneur à leur caractère. On remarquait parmi eux Métrodore , regardé comme un autre Épicure, estimable par ses vertus , et auteur de plusieurs écrits contre les sophistes et les dialecticiens ; Herhachus de Mitylène, qu'Épicure institua son successeur; Mus, qui d'esclave d'Épicure devint un de ses disciples favoris et un philosophe dis- tingué ; Idohénée , dont Séoèque lui-même a vanté la rigidité et l'élévation; et beaucoup d'autres dont les noms sont cités par les historiens avec éloge.
L'école d' Épicure subsista longtemps sans subir d'aU téràtion. Nous la suivrons plus tard dans ses dévelop- pements et dans sa lutte avec l'école stoidenne, dont nous allons maintenant exposer les principes. .
ZÉRON ET LES STOICntHS.
Le bonheur et la vertu sont inséparables : à Taoeom- plissement du devoir est toujours unie cette satisfaction
DEUXIÈME ÉPOQUE. H3
intérieure qui en est la récompense. L'analyse psycho- logique, nous venons de le voir, a très-bien saisi ces deux éléments qui se trouvent dans la conscience hu- maine ; mais elle s'est trop hâtée , . lorsque , portant son attention sur le rapport qui les unit , elle a iden- tîûé l'un avec l'autre. Épicure, en donnant à sa philo- sophie le plaisir pour base, n'a plus considéré te reste que comme un accessoire, et la conséquence rigoureuse de son système a été de ne plus regarder la vertu que comme un hors-d'œuvre , dont il sera permis de se passer toutes les Ibis que Ton pourra arriver sans elle au but final de cette vie, c'est-à-dire, au plaisir.
Zenon tomba dans l'extrême opposé : négligeant tout- à*fait l'élément qui prédominait dans la philosophie d'Épicure, il enseigna une vertu austère, sauvage, en contradiction perpétuelle avec cette loi absolue , gravée au fond de la conscience, où elle proclame que le bon- heur doit être la conséquence de l'accomplissement du devoir, et que le genre humain n'est point fait pour une* vertu dépouillée du charme de l'espérance.
Il était né à Gittium, en Chypre, d'un riche mar- chand. On prétend qu'il fut jeté à Athènes par un naufrage , et que cet événement , regardé par lui comme le plus heureux de sa vie, détermina sa vocation phi- lo80{^hique. Il suivit le cynique Gratès, les mégariques Stilpon et Diodore , et les académiciens Xénophon et Polémon : il eut ainsi l'avantage de pouvoir rapprocher plusieurs divisions de l'école socratique. Il forma dans le Portique, à Athènes, une école qui s^illustra par une foule de philosophes habiles et passionnés pour la vertu , par son influence sur le m«nde et sur la vie
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il 4 raiLOSOMIE AKOIENNE.
pratique , par la lutte qu'elle soutint contre le Heé et le despotisme. On dit qu'après une chute grave, Zénoa se fit mourir lui-même , vers l'an 260 avant J.-C. Èfi^ cure était mort avant lui.
Le but de 1* homme , selon la philosophie des stoieîensy est la perfection. Trois conditions sont nécessaires pour y arriver : une raison saine , une connaissance «acte des choses , une vie sans tache ; de là , la division de la science en trois parties , la logique , la physiologiia et l'éthique.
La logique de Zenon et de ses successeurs est beau- coup plus étendue que cdile d' Aristote : son but spécial était de fonder, en opposition à l'incertitude et au caprice des opinions vulgaires, une science solide et stable , la seule qui convienne au sage. Yôici quels en sont les principaux fondements. Après l'impression produite sur l'âme par les objets extérieurs, c'est-i-dira la sensation , survient une image qui correspond à aoa ébfiti extérieur et le représente. Mais cette connaissanoe purement empirique n'est pas la seule qu'ils admettent : ils reconnaissent pareillement des idées générales , des idées qui ne prennent point leur source dans la sensî' bîlité. C'est la raison qui les forme en agissant sur les premières conceptions produites par les sens.
Les deux éléments de la connaissance humaûiê ne sont pas déterminés aussi expressément ches tous les philosophes de cette éccrie. Peut-être même le fes* dateur ne les avait-il pas entièrement distingués. Maie il n'y a point de doute .pour l'opinion de Ckryarppe à cet égard. 11 reconnaît à l'esprit humain la faculté da produire des idée» générales , par la conipasaifoii et la
DEUXIÈME ÉPOQUE. il5
réunion des idées particulières. D'ailleurs, c'est à la raison, comme à la faculté suprême et directrice i que cette école en appelle sans cesse. La régie du vrai est pour elle la droite raison, qui conçoit l'objet eonibr*- mémient à ce qu'il est.
Les mêmes .^ments se retrouvent dans ce que Zenon appelle sa physiologie. Il reconnaît dans le monde un élément passif, la matière première» et un élément actif, intelligent , Dieu. Mais Dieu n'est pas séparé du monde; il le dirige et l'anime : l'univers est ^ pour Zenon , un tout animé 9 un être raisonnable, un corps organisé, dont toutes les parties sont liées entre elles et réagissent les unes sur les autres. Dieu agit sur le monde d'après des lois constantes et régulières, lois qui, suivant la ornière de voir propre aux stoïciens , ont une espèce de eott- sistance ou de forme matérielle^ et dont ils emprun- tent la notion à la génération des êtres organisés. De cette notion dérive , dans la doctrine du Portique, la théorie des causes. Les anciens avaient dit : Uien ne 90 fait de rien; Zenon dit : Rien iw se fait sans cause. Il est un enchaînement infini de causes et d'effets qui embrassent tous les êtres existants, comme tout le domaine de l'éter- nité. Ainsi le présent renferme le germe de l'avenir ; ainsi l'état présent n'est lui-même que la conséquence des dispositions antérieures. Cet ordre éternel, uni- versel, en vertu duquel tout ce qui arrive a dû arriver ^ est ce qui constitue proprement le destin, faimi/des stoïciens, c^te grande loi de la nécessité qui prér side à tous les phénomènes , loi qui n'est pas précisé^ ment mécanique, puisqu'elle dérive d'une cause in- telligente» de h puissance et de la sagesse divines, hp
il6 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
vrai stoïoisme est providénliel et non fataliste, li n est pas panthéiste, comme on ie lui a quelquefois repro- ché; il est dualiste, et la prédominance du théisme Vvl conduit à un optimisme , insufiisant encore , mais déjà remarquable : si Dieu est^ et s'il est dans lemond^ par les lois qu'il y a mises, ce monde, au moins dans sa €orme et dans son ordonnance , est bien fait , il est beau, il est immortel , il est raisonnable, et il faut se conformer à ses lois, comme à celles de la raison et de Dieu. Ce n'est point encore là l'optimisme chrétien , l'optimisme de Leibnitz ; mais c'Q3t pour la philosophie stoïcienne un beau titre de gloire que de s'en être approchée.
A une pareille métaphysique devait répondre une morale noble et élevée. Puisque la raison est le fond del'humanité, delà nature, de Dieu même, il suit comme conséquence morale que la loi pratique par excellence est de vivre conformément à la raison. Tel estTaxiome fondamental de la morale stoïque. En voici les consé- quences : si la raison est la règle unique des actions humaines, il n'y a de bonnes actions que celles qui sont conformes à la raison, et de mauvaises que celles qui n'y sont pas conformes. De même, si la raison est le tout de l'homme, c'est la conformité de nos actions à la raison qui est la fin unique et dernière de toutes nos actions , la fin unique de l'homme : là est donc le sou- verain bien pour l'homme ; car le souverain bien d'un être est ce qui est conforme à la loi et à la fin de cet être , c'est-à-dire à sa nature. Ainsi le souverain bien est la conformité des actions de l'homme à la raison : là est le mal, il n'y en a point d'autre. La douleur et
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le plaisir n'étant ni conformes ni non conformes à la raisdn, ne sont ni bons ni mauvais; il n'y a en eux ni bieri ni mal, et les conséquences physiques des actions sont comme si elles n'étaient pas. Ainsi , ne considérer comme bon que ce qui est bon partout et toujours, indépendamment des circonstances, et, par conséquent, que' la irertù seule ; comme mal , que le vice ; affranchir ainsi l'homme moral de toute servitude et de toute dépendance extérieure ; l'élever même à une sorte d'insensibilité, par le mépris de toutes les impressions passives; l'affranchir en même temps de l'esclavage nop moins terrible des passions ; ériger la raison en arbitre suprême de toutes les déterminations; n'avouer comme dignes du sage que les actions qu'elle a prescrites; opposer l'honnête à l'utile, ou plutôt faire triompher l'honnête de l'utile; diriger incessamment les regards de l'homme sur le modèle de la perfection, comme sur le but de tous les biens (finis bonoruni ) ; révéler à sa pensée le code d'une législation sublime, éternelle, universelle, émanée de l'auteur de toutes choses, gravée dans tous ses ouvrages; fonder ainsi la vertu sur le devoir, sur le principe de l'obligation, indépendamment de tout intérêt personnel ; unir étroitement toutes les vertus entre elles pair un lien indissoluble; ennoblir la vertu par l'immolation, l'affermir par la constance : telle est cette moralité énergique que Zenon a imposée à l'humanité ; il a assez estimé l'humanité pour l'en croire capable. « Zenon,. dit Cicéron, ne s'adresse qu'à notre âme , comme si nous étions dépouillés des en- veloppes du corps (1). »
(i) ]>eFinib.,liJ>.iy,€iip.If.
il8 PHILOSOraiE AIICIC!f!fE.
Voilà le beau côté de la morale stoïcienne; elle est digne des éloges qui dans tous les temps lui ont été prodigués. Mais les égarements dans lesquels elle est tombée, et que nous allons maintenant faire connattre, montreront encore que ce n'est jamais impunément que Voo se met en opposition avec les principes qu'admet le sens commun.
Toutes les actions sont , selon les st<Hciens , confor- mes ou non conformes à la raison. Toutes les actions qui sont conformes à la raison ont cela de commun d'être conformes à la raison; elles sont donc égales Tune à l'autre, dans cette abstraction de la conformité à la raison : de là , l'égalité de toutes les bonnes actions. Toutes les mauvaises actions ont cela de commun aussi d'être non conformes à la raison ; elles sont donc égales- entre elles , dans l'abstraction de la non-conformité à la raison : de là, dans quelques stoïciens, et surtout dans les stoïciens romains qui ont gâté, exagéré et ra- petissé le stoïcisme, ce paradoxe ridicule, que toutes les mauvaises actions sont égales entre elles ; qu'ainsi ne pas dire la vérité, ou tuer, est aussi mal l'un que Fautre, puisqu'il y a mal également des deux c^tés.
Voici une autre aberration qui tient à ce qu'il y a de plus grand dans le stoïcisme : Qui empêche Thomme de se conformer toujours à la raison? La passion. La passion , voilà donc l'ennemi qu'il s'agit de combattre : delà le courage, l'énergie morale, la magnanimité, la constance , si bien exprimés dans l'école stoîque par le mâle précepte , stisiine : supporte sans te plaindre les maux de cette vie. Mais il faudrait que cette maxime fût suivie de celle-ci : Agis, sois utile à tes semblables;
dEiJXiÈME ÉPOQUE, il9
jie eambata pas seulement tes passions personnelles , mais combats au^si les passions des autres, qui sont un obstacle à' rétablissement de la raison en ce monde, qui troublent Tordre de ce monde. La irertu du stoï* cisme qui» précisément parce qu'elle est exagérée (1) , n'est qu'une demi-vertu, ne va pas jusque-là. A la même maxime, supporte, etc., il ajoute celle-ci: abstiens-toi , excellente encore dans certaines limites» déplorable quand elle est trop étendue; il ne fallait pas la pousser ju^u'à l'apathie. La morale stoïcienne or- donne à l'homme de tout sacrifier, pour ne point com- promettre la paix de son âme et sa pureté intérieure. Livré à ce soin exclusif de son âme sans égard à celle des autres, que peut-il faire de mieux que de se replier sur lui-même et de briser tous ses rapports avec le monde? Yeilà donc la philosophie du Portique arrivée à l'égoi^me» que nous avons vu résulter des principes^ si opposés, développés par l'école d'Épicure. Les verr tus stoiques étaient inutiles au monde ; leur courage et leur constance admirable devaient nécessairement se cpnsumer, sans aucun résultat pour le bonheur de l'humanité, dans cette lutte de la raison contre la pas- sion, qui était leur objet unique. Pour eux, le seul soin important était la pureté de l'âme : il s'ensuivait que toutes les fois que Cette pureté était trop en péril, toutes les fois qu'ils désespéraient de sortir victorieux de la lutte I ils n'avaient plus d'autre ressource que de recourir au droit qu'ils accordaient au sage de terminer
(1) Tacite n'a pas cru pouvoir faire un plus grand éloge d*Agfleola soii bean-père, qn*en disant de lui : Tenuit , quod^fflciUimum est^ in i4* jH€nfiâ madum*
i20 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
sa vie^ comme Caton a terminé la sienne; par le suicide.
Cléanthe y successeur de Zenon , Ji^ajouta que très- peu de chose à sa doctrine ; il eut même le tort de matérialiser encore davantage les notions que son maî- tre n'avait pas su assez clairement isoler des conditions matérielles. Il eut cependant le mérite de présenter à la philosophie cette belle induction qui conduit à la notion de l'être souverainement parfait , par la consi- dération de l'échelle progressive que forment les divers degrés de perfection dans le système des êtres. Stobée nous a conservé de lui une hymne à Jupiter , regardée avec raison comme' un des plus beaux morceaux de poésie qu'ait produits l'antiquité.
Chrvsippe rectifia la définition de la vision compré- hensive, que Cléanthe avait altérée. Il distingua l'objet perçu de l'objet fantastique qui n'est qu'un produit de l'imagination^ et par là répandit quelques lumières sur le phénomène de la perception. Mais ce qui le dis- tingua surtout, c'est le talent avec lequel il défendit contre les nouveaux académiens les doctrines du Por- tique, attaquées par la dialectique active et exercée d'Arcésilas. Il chercha , pour soutenir cette lutte avec avantage, à perfectionner les parties de la logique de Zenon ; et les stoïciens le considérèrent comme le vrai fondateur de cette partie de leur philosophie. Les an- ciens avaient une idée bien haute de sa logique : ^ Si les dieux, disaient-ils, avaient eu besoin de l'emploi de la logique, c'eût été de celle de Ghrysippe qu'ils au- raient fait usage. »
PANiCTius de Rhodes , l'ami de Polybe, qui fut le pré-
DEUXIÈME ÉPOQUE. 421
cepteur de Scipion l'Africain et raccompagna dans ses \oyages, enseigna d'abord à Athènes et porta ensuite à Rome la philosophie du Portique. Cicéron, qui le cite souvent avec les plus grands éloges, l'avait pris pour guide dans son admirable Traité des Ofiices. D'après le témoignage du philosophe romain , ses doc- trines se rapprochaient beaucoup de celles de Platon , qu'il appelait, dans tous ses écrits, le divin Platon, le plus sage, le plus saint des hommes , l'Homère de la philosophie. Il avait composé une histoire de la philoso- phie, dont on ne peut trop déplorer la perte. Mnés arque et PosiDONius paraissent s'être particulièrement appli- qués à coordonner la philosophie du Portique , et à en mettre tous les éléments en harmonie. Le dernier avait ^u Gicéron pour disciple. Il ne se bornait pas aux spé- culations philosophiques; il cultivait aussi les sciences et particulièrement la géométrie et la géographie, et nous trouvons déjà en lui un exemple remarquable de la nouvelle alliance qui , depuis Aristote, s'établissait entre la philosophie et les sciences positives.
SCEPTICISME
DE LA NOUVELLE ACADÉMIE.
Au moment où la philosophie du Portique se flattait d'avoir assis sur une base inébranlable l'édifice qu'elle venait de construire , pour mettre la morale à l'abri des envahissements de l'épicuréisme, il s'élevait contre elle un ennemi plus redoutable et plus difficile à vaincre, ^'était la nouvelle Académie. L'école de Platon n'avait pu
123 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
Toir sans quelque ombrage s'élever l'école épicnriemie et récole stoïque. Pour combattre Tune et TautCe, elle eut recours à l'ironie de Socrate et à la dialectique de Platon y dont elle abusa. Le caractère de la nouvelle académie est le scepticisme; mais il s'en faut bien que ce soit un scepticisme absolu : elle n'avait point, dans la pensée de son fondateur surtout , d'autre but que celui d'attaquer les deux dogmatismes excessifs de Zenon et d'Épicure; mais comme au fond, dans la pensée de cette école , était encore le dogmatisme , elle ie garda bien d'allei^ j usqu'à la dernière extrémité du scepticisme, ce qui eût ruiné le platonisme lui-même.
Arcésilas, le premier auteur de ce système, avait d'abord fréquenté le Lycée, sous Théophrasteet Polémon; on croit qu'il avait aussi suivi les leçons des Mégariens. Mais les écrits de Platon captivèrent son admiration ; il s'était nourri de la lecture des poètes, surtout d'Ho- mère et de Pindare ; il joignait à une éloquence en- traînante une force de logique qui souvent réduisaît ses adversaires au silence. < Ses concitoyens et ses contemporains, dit Numénius, refusaient de croire ce qu'Arcésilas n'avait pas affirmé. » Riche, libéral, humain et doux, il se faisait chérir de ses élèves autant qu'il charmait ses auditeurs. Sa vie fut sans reproche; elle fut même un modèle de modération et de sagesse.
La lutte qu'il engagea contre la philosophie du Por- tique nous offre un haut degré d'intérêt et d'instruction, sous le rapport de la philosophie de l'esprit humain. A aucune époque^ sôit dans l'antiquité , soit dans les temps modernes, j usqu'a Descartes et Leibnitz, les questions fondamentales qui ont pour objet la certitude «t la
MUXIËME ÉPOQUE. ISS
péaiicé des oonnaîssftnees humaines n^staient obtenu ■ùe attemion aussi sérieuse, n'avaient été discutées avec autant de persévérance et de profondeur.
Les stoiciens avaient enseigné que l'image qui naît de la sensation est conforme à son objet : ÂrcéÂlas engagea contre cette doctrine une polémique, depuis bien souvent renouvelée, d'abord par Carnéade, qui en fit une des bases du scepticisme académique; puis, dans la scholastîque , par Occam; puis plus tard par Arnauk^; plus tard eaRn par Berkeley , Hume et l'école écossaise. Sextus nous a conservé le résumé de TargiH nientation employée par Ârcésilas. < Les stoïciens» dit-H (1), avaient distingué trois choses, la science, Vopbàonf et la compréhenewn , qui occupe le milieu entre les deux premières. C'est sur ce point qu'ils furent attaqi}^ par Arcésilas. Celui-ci soutint que la compré- hension (catalepsie) ne peut être l'arbitre qui prononen entre la science et l'opinion, qui sert à les distinguer: car cette compréhension elle-même réside ou dans le sage, ou dans l'insensé : si elle réside dans le sage, elle est la science même; si elle est dans l'insensé, elle n'est plus que l'opinion ; die n'est donc qu'un vain mot. Cette compréhension par laquelle on prétend que nous donnons notre assentiment aux choses qui cor- respondent à notre vision , n'existe nulle part. Nous ne donnons point notre assentiment aux images, mais à la raison seule; car les hommes n'affirment que des pro- positions expresses. D'ailleurs il n'est pas d'image qui ne puisse être fausse aussi bien que vraie, comme le montrent une foule d'exemples. Si donc le sage donne
(1) A4f . Matb. XD, 8 152 H suiv.
i2i PHILOSOPHIE AÏICIENNE.
son assentiment sur la foi de ce crt^^um^illusoire pro- duit par les stoïciens , il ne conçoit réellement que la simple opinion. » Arcésilas recommandait *le doute à l'exemple de Socrate , comme principe de toute philo- sophie.
Ghrysippe réparait les brèches faites à la doctrine des stoïciens y en déterminant avec 'plus de précision que ne l'avaient fait ses prédécesseurs le rôle de la raison dans le phénomène de la perception, lorsque Carné A DE parut et vint à son tour recommencer l'at- taque. Il essaya précisément de battre en ruine les ouvrages construits ou restaurés par Ghrysippe; il suivit ce stoïcien dans tous ses raisonnements, et s'at- tacha à lui corps à corps , si l'on peut s'exprimer ainsi. 11 disait lui-même que sans Ghrysippe il ne serait jamais devenu ce qu'il était. Son scepticisme se réduisit au probabilisme , c'est-à-dire , à un dogmatisme affaibli. Il ne niait ni les vérités subjectives, ni l'existence des êtres réels et extérieurs ; il soutenait seulement que nos propres modifications ne peuvent nous représenter exactement les objets. D'ailleurs, si l'on en croit Nu- ménius : € Les exercices dans lesquels il établissait et détruisait tour à tour les mêmes opinions, opposait la même force, les raisonnements contraires, et semblait tout confondre par la subtilité des argumentations, n'auraient été que la portion extérieure de son ensei- gnement; mais après avoir usé de ce genre tle discussion pour combattre les stoïciens , il aurait secrètement professé des doctrines positives au milieu des adeptes reçus dans son intimité, les aurait présentées avec un caractère de vérité et de certitude ég9\ à celui auquel
DEUXIÈME ÉPOQUE. i25
préteiidaient les autres philosophes. » On a considéré Carnéade comme le fondateur d'une troisième académie. Il £ut pour successeur Clithomaque de Garthage , qui ne fit que commenter les opinions de son maître.
Quoique le but principal des académiciens fût de combattre les affirmations dogmatiques des philosophes du Portique, ils avaient été conduits dans le cours des discussions plus loin qu'ils ne l'avaient prévu sans doute, et à professer, en ce qui concerne la réalité de nos coii|iaissances, un scepticisme opposé à leurs in- tentions.
Après s'être déclarée rivale du Portique^ l'Académie ne tarda pas à s'apercevoir qu'en n'opposant à son adversaire qu'une 4>hilosophie négative, elle semblait abdiquer elle-même les plus justes titres à l'estime et à la confiance des hommes. Telles furent sans doute les considérations qui engagèrent Philon et Antiochus à reprendre graduellement un langage plus affirmatif , à se porter médiateurs entre les stoïciens et les scep- tiques. La nouvelle direction qu'ils donnèrent à leur école a porté quelques historiens à distinguer une quatrième et une cinquième académie , dont ces deux philosophes sont regardés comme les fondateurs. Mais ce rapprochement momentané entre deux systèmes rivaux , indice de l'esprit de conciliation dont étaient animés ses auteurs, ne pouvait détruire entièrement les dispositions générales de l'esprit humain , à cette époque, pour l'incertitude et le doute. La philosophie idéaliste ne pouvait être longtemps sceptique ; son scep* ticisme apparent voilait des intentions dogmatiques qu'elle ne put entièrement dissimuler. Nous allons voir
496 PHILOSOPHA AMCiENNE.
gorlir de la philosophie aensualiite un 8oeptîeiine Ibut attlr^menl positif, toul aatrement énergique.
SCEPTICISME
DE l'école empirique.
ifinésidème était eonteoiporain de Cîcéroii. li naqait OQ Crète 9 vécut et enseigna à Aleiandrie. Déjà la phi* losc^bie, longtemps concentrée dans les écoles de la Grèce , avait été portée sur un nouveau théâtre , et se répandait rapidement à Alexandrie, à Rome et dans toute l'étendue de Tempire romain. Tandis que les antres philosophes, n'apercevant devant eux aucune route connue qui pût les conduire .à rivaliser avec les fondateurs de l'Académie, du Lycée eH du Portique, ne semblaient plus aspirer à d'autre gloire qu'à celle de les commenter, ou de concilier plus ou oioios heu- reusement leurs théories, i^nésidème, peu satisfait des résultats produits par ces premières tentatives d'éelec- tisme, et attaclié particulièrement aux idées d'Héra* dite, entreprit de donner un nouveau développement aux doutes de Pyrrbon. Il reprochait à la philosophie sceptique des académiciens de manquer d'universalité, et par là d'être en contradiction avec eUe^naênie. « Les académiciens, disait-ii avec raison, sont, au fond, de véritables dogmatiques. Us admettent certaines propo* sitions comme des vérités indubitables, d'autres comme absolument fausses. Les pyrrhoniens, au contraire, doutent de tout universdlement : non-seulement ils n'adoptent aucun dogme , mais ils se gardent même d'affirmer, s<»t que les choses puissent être généra^
DEUXIÈME ÉPOQUE. i21
lementi, soit qu'elles demeurent généralement incom-» préhensibles. Ils n'acceptent pasplusla vraisemblan^ou l'invraisemblance que la réalité ou la non-réalité ; ils ne décident rien ^ pas même cela qu'ils ne décident rira. »
Pour justifier la suspension de tout jugement décisif, il admit et soutint les dix motifs de doute attribués à Pyrrbon : ces motifs sont tirés , l"* de la diversité des aniibaux ; 2"" de celle des bommes , pris individuelle- ment; 3° de Torganisation physique ; 4*" des circonatances et de rétat variable du sujet; 5*" des positions, des distances, des diverses conditions locales; O"" des mé* langes et associations dans lesquelles les choses nous apparaissent; 7"* des diverses dimensions et delà con- formation diverse des choses; S** des rapports des choses entre elles; 9"* de l'habitude ou de la nouveauté des sensations; lO"" de l'influence de l'éducation et de te constitution civile et religieuse.
Mais ce qui caractérise surtout le scepticisme d'^Ëné- sidéme , ce sont ses attaques contre la réalité de l'idée de came : l'idée de causalité, prétendait-il, est nulle, parce que le rapport de la cause à l'efiet est incompré- hensible. Voici l'abrégé de son argumentation à ce sujet : « La cause produit l'effist; mais comment le produit-elle ? Opère -t-elle par une seule et unique force? Alors elle ne pourrait produire qu'un seul effet, toujours et entièrement semblable à lui-même. Dirons- nous qu'elle opère en vertu de plusieurs forces comi» binées et réunies? Alors toutes ces forces devraient à la fois agir sur toutes choses, et produire encore un même e£fet sur chacune : or ces conséquences sont démenties par l'expérience. La cause est^eUe séparé^
i!28 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
de la matière sur laquelle elle agit ? Elle ne pourra opérer, puisqu'elle sera privée de la condition sur la-* quelle elle s'exerce. Est-^lle réunie à celte matière? L'une et l'aulre à la fois seront alors effet et cause; il y aura action et réaction réciproques. Le contact et la compénétration sont également inhabiles à expliquer une action véritable. Si quelque chose éprouve un effets ce ne peut être que par addition , par soustraction , ou par altération : or ces trois opérations sont également impossibles. » La conclusion légitime de ce raisonne- ment était que nous ignorons le rapport qui existe entre l'effet et la cause : mais iEnésidème en conclut que ce rapport n'existe pas. Cette conclusion n^est pas d'une sage philosophie ; et cependant nous verrons plus tard que le même raisonnement fait le fond de toute l'argumentation d'un philosophe du xvui* siècle^ célèbre par son scepticisme, de l'Écossais Hume.
Au reste, si l'on en croit M. de Gérando, le scepti- cisme d'iEnésidème n'était qu'un moyen de faire valoir la philosophie d'Heraclite, à laquelle il était attaché; il tendait essentiellement à justifier cette mobilité de toutes choses , qui formait le point de irue dominant du système d'Heraclite. ^Enésidème aurait donc rempli, relativement à la doctrine du philosophe d'Éphèse, un rôle semblable à celui d'Arcésilas et de Carnéade , re<- lativement à l'enseignement de Platon. Un philosophe péripatéticien, Aristoclès, essaya de réfuter iEnésidème, en lui opposant sept motifs que l'on peut réduire à deux : la contradiction dans laquelle tombe le scepti- cisme absolu , et les funestes conséquences du sceptU cisme pour la pratique.
HEUXIÈME ËP09UË. 129
Parmi les successeurs d'iCloésidéroe , nous remar- querons Agrippa , qui réduisit les dix motifs de doute à cinq plus généraux , savoir : l"* la discordance des opinions; 2** la nécessité indéfinie pour toute preuve d'être prouvée elle-même; 3*" le caractère relatif de toutes nos idées; A"* le caractère hypothétique de tous les systèmes ; 5** le cercle vicieux inévitable auquel est condamnée la démonstration philosophique. Favorin où Phavorin, d'Arles 9 le premier philosophe qu'aient produit les Gaules y est compté par quelques auteurs au nombre des académiciens; mais le témoignage de Galien doit le faire ranger parmi les sceptiques. Il dé- veloppa les principes d'iflnésidème. Une seule chose lai paraissait probable : c'est qu'on ne peut rien savoir avec certitude.
Ces philosophes, et beaucoup d'autres qui leur suc- cédèrent, mais dont nous ne connaissons que les noms, étaient presque tous des médecins , de l'école des em- piriqves et des méihodisies, qui , se tenant à l'observation, rejetaient la théorie qui remonte aux causes des ma- ladies. Le plus célèbre de tous est Sextus, surnommé Empiricus , à cause de l'école de médecins à laquelle il appartenait. Il naquit, à ce qu'il parait, à Mitylènc, vers la fin du second siècle de notre ère , et eut pour maître le sceptique Hérodote , de Tarse.
« A peine connaissait-on dans nos écoles le nom de Sextus-Empiricus, dit Bayle. Les moyens de V Époque (i) qu'il a proposée si subtilement n'y étaient pas moins inconnus que là terre australe , lorsque Gassendi en a donné un abrégé qui nous a ouvert les yeux. » On ne
(1) Suspeofiloii de jugeittcat, doute.
9
i30 PHlLOSOmifi ÀKCISIINE.
peut s'étonner assez d'un oubli aussi général et Mssi prolongé. Les ouvrages de Sextus ne .sont pas seule—nt le traité le plus complet du scepticisme, ou plolAt to seul Complet que les anciens nous aient laissé; ibnat certainement aussi ceux qui renferment les doeuoMBls les plus nombreux , les (dus variés , les plus préeieux sur la philosophie entière de Tantiquité. Cet homme extraordinaire avait étudié toutes les doctrines^ les avait examinées , rapprochées et. comparées entre elles ; son exactitude inspire la confiance pour son témoi- gnage ; sa pénétration et sa sagacité ie dirigent $m les points essentiels de chaque système.
Sextus a donné le nom d! Hypoiyposes pffrrhotuetmet au traité dans lequel il a méthodiquement exposé Teii* semble de son système. Il dirigea aussi contre les pro* fesseurs des sciences , contre les géomètres , contrôles arithméticiens, contre les astronomes, contre les logi- ciens, contre les physiciens, contre les moralistes, d'autres traités que Ton comprend ordinairement sous le titre commun adversùs Mathemaûcos, & KÙson de ce- lui qui y occupe le premier rang, et qui nesonlqu*mi couunentaire de son premier ouvrage.
€ On admet, dit Sextus, trois sortes de crUerimn, c'est-à-dire d'instruments, pour distinguer le vrai du faux : le premier appartient à celui qui juge, c'esl-à* dire à l'homme ; le second au moyen qu'il emfdoie pour juger, c'est-à-dire au sens et à Tintelligence ; le ttoi^ siéme à l'impression produite par les objets sur l'esprit. C'est ce qu'on appelle les critérium àqm, par qmd, $eamdian quod. Les controverses des philosophes sur ces critérium eux-mêmes suffiraient pour prouver u*il
n'en eakie potDt;<iar il ia»ide«k«m*ciilaM&wm?en ^ supérieur, pour déoider<eB ^prononçttiU • Le pre^ èabUisoie des aottdéfflioisaB ne troofve 'pas pte ^rtee aux yeux de Sextus que Jia certkuâe des -éogmatiques. Il combat^ avec les argumente emjiojés dégà par jEoé- •sidème , le priocipe de la causaHié. BaBS des oioq del^ niers livres de son traité aéfem» MathemaUcos , il passe en revue les questions les plus koportantes^ >et fait ressortir ce qu'elles ont d'inoertaôn, de cbaneelaiit dans leurs principes , de contradictoire <>n d'inoMisé- quent duis leurs raisonnements^ Niant toute •cerlitQde immédiate 9 attendu la contiradiotinti qm règne éms les assertions des philosophes, il'oemnenGe|Mr anger que touf e vérité soit liémcmliée , «t ^pr^nve ensuite «que cela set imfpossible, &ote de {principes eertains «en soi. JPâr là , il bat en ruine tous les trarvaùt ecienlifiq«Ms de r^qçirît humain, sans en enoepter aème les ONfthé- matiques.
'Le proeédé em{deyé par 'Serttn 'eoBsis>ait5 comme on plut le voir, à mettre aux prises les idées eensibles et les coneqitions 4le l'esprit^ afin ^d'arriver par cette coniradiotion à la suspenmn absi»lne debout jugements Mais ce n'était là que le b^ théorique du sceptknsme : son but pratique était Vaiarowie y limpassibilité ; et la maiûme fiiverile de Sextus étak -ceUe^H : N«He ^chose n'est préfërabie à l'autre.
Cette notatte analyse du soeptidsme de Técole 'etn- pirique suffit pour montrer qu'A ne diffère de celui des sophistes et de celui de Pyrrhon que par son étendue et sa rigueur scientifique. Du reste, la méthode, le but, le résultat sont les mêmes. Venue à la suite des débats
i32 PHILOSOPHIE ANCIENNE.
de l'idéalisme et du sensualisme, ta philosophie scep- tique a saisi et combattu avec beaucoup d'avantage les extravagances de l'un et de l'autre système. Mais, après avoir montré ce qu'ils avaient de faux et d'exagéré , il ne fallait pas sortir des bornes d'une critique légitime; il ne fallait pas imiter, surpasser même, leurs exagé- rations , et nier avec une assurance dogmatique les vé- rités qu'ils contenaient. Il y a de l'incertain et du faux dans tous les systèmes : telle était la conclusion légi- time que l'on pouvait tirer d'une analyse exacte et ap- profondie. Tous les systèmes sont faux , il ne peut en exister de vrais , tout est incertain : telle fut la conclu- sion que tirèrent les sceptiques. Après tant de systèmes et de tentatives hardies pour résoudre à la fois les plus hautes et les plus difficiles questions , la sagesse con<> seillait la prudence et le doute ; la sagesse exagérée conseilla l'immobilité absolue , et condamna l'esprit hu- main à cette funeste ataraxie qui devait couper court à toute recherche scientifique , et rendre par conséquent impossible tout progrès ultérieur. ^
Mais il n'est pas facile d'enchaîner l'esprit humain et d'arrêter son essor : il semble même que son énergie s'accroisse en raison des obstacles qu'on oppose à son activité. Après les sophistes est arrivé Socrate. Les pyrrhoniens n'ont point arrêté l'élan communiqué aux esprits par les philosophes de l'Académie, du Portique et du Lycée. La philosophie ne succombera pas non plus sous les efforts de Sextus et d'^nésidème.
TROISIÈME ÉPOQUB,
133
TROISlÈMI^ ÉPOQUE. •— Oepuis la diffusion de la philosophie grecque dans Tempire romain (80 ans av. J.-G. ), jusqu'au huitième siècle après J.-C.
Im philosophie grecque, par êon contact avec l'Orient, s'empreint d'une couleur mystique. — Caractère religieux de ce dernier âge de la philosophie ancienne.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
RENOUVELLEMENT DES ANCIENS SYSTEMES.
CICËRON ( mort 44 ans av. J.-C. )
sToaoïBm.
Seipion. Lélius.
Caloo d*Utique. Bruttts.
Lacaio.
Sénèqae.
Pétus Thraséas.
Tacite.
Bpictèle.
Marc-Aorèle.
Thrasylle.
Alcinotts.
Pluiarque de Ghéronée.
H axime de Tyr.
Galien.
Apulée*
ay, J.-C.
jn. ISl
0. V. 150
m. 44
m. 99
ap. J.-C.
m. 65
m. 65
m. 66
m. V. 134
fi. y. 90
m. 18Q
ap. J.-G. 11. y. 50 fl. V. 130
m. 120 fl. y. 180
m. 193 m. y. 136
PTTBAiaoazotsmi.
Sextins. fl. y. 2
SotioD. fl. y. 15
▲poUonius de Tliyane. m. 90
Luerèce.
C. Cassius.
Horaee.
C. VeUéius.
Pomponius-Atticus.
Attfldius-Basstts.
Pline VAncien. Diogène Laèrce. Lucieo de Samosate.
ay. J.-C
m» 50
m. m. 8
m. 29 fl. V. 25 ap. J.-G.
m. 79 fl. y. 210
m. 200
Andronicus de Rhodes. Cratippe de Mitylène. Xénarque de Sëleacie. Nicolas de Damas.
Alexandre j£gée. Alexandre d*Aphrodise.
cmnçvss.
Démonax. Grescens. Pérégrians.
ay. Jé^. fl. y. 60 fl. y. 48 fl. y. 20 fl. y. 13 ap. J.-G. fl. y. 60 fl. y. 190
fl. y. 120
fl. y. 150
m. 1^
FHiLOfOPmB BBLIGISUSB XT HTSnQUB.
L
Arîstobnle. Simon le IHagiciem
Fhilon. II. T. 40 CoriaUius.
Nmnéiiius d'Àptinée. II. t. 150 Carpocnles.
Ifarcion.
Manès» Persan.
HiOPLATOiaSIB MYSTIQUE DBS AIBXAJIPBIECS
liÉhi, llfiMia flMonBenJodial
^Sl|Pfc ^^vv^
fl. T. 150
m. M
II. ▼. 80 fi. T. 125 11. ▼. 130 fi. IR. IM II. T.
Ammonitts Saecas.
liongio.
Plotin.
Amélius.
Porpbyre on Malchus.
JEdésius»
Jamblique.
Eunape de Sardes.
Julien remperenr.
m. 230 m. 975 m. 370
n. T. 280 m. 304
fl. y. 320 m. 333
& ^3» m. 333
Thémisllus.
Syrien.
Hiéroclès.
Proclus.
Marinus.
Olympiodore.
pamasciufi.
bidoBt dfr Gaza.
Simplicius.
raOïOSOPVIE 9ES KBBS DB L'bGUSE.
Saint Justin le martyr. m. 165 Athénagore. 11. v. 160
St Clément d'Alexandrie. • m* 212 Tertullien. m. 21S
St Origène d'Alexandrie^ 11. y. 260
Amobe. Lactance. Saint Atbanaae. Synésins. Saint Augustin.
Il; T. 976 m. 450 11. 450 m. 485 m. 490
fl. T. 530 fl. 533 fl. 533 fl. 533
m. 326 m. 330 fl. T. 325 m. 430 m. 430
DBEBliRBS LUBUES DB I.A PHlIiOSOPim AHCTBIINE.
WÊK oocximT,
SaM Benis r Aréopagite. Jac<|ues d'Edesse.
Stobée. fl. Y. 800
Jean Pbiloponus. fl. ▼• 600
Jean de ]>amas. 754
iphotitts. m. 801
Wireianus Capella. Boèce , décapité en Cassiodore. Isidore de Sérille. Bèdolt Vénérable.
B. 4»
526
n. 575
m. 736
Nous avons partagé en trob dîffévents âges rhistoîre de la philosophie grecque : à chacun de ces âges corres- pond rétude de l'tin des trois grands olbjets de la science humaine^ savoir : le monde, Vhomme, et Dieu^r La philosophie , dans son premier âge , a été toute physi- que, dans le second^ toute morale; dans son troisième» elle sera toute religieuse. Mais , avant d'exposer les théoriesiqui appartiennent spécialement à cette dernière époque^ nous sommes forcés de revenir un peu sur nos pas y pour suivre s«ir les différents ponitfi de Tem-
noisiiiiE iMQTO. iSS
pif^ PQlDiJn le dé^doppement et la marche 4e la phi- loiopliie elle-même.
Alexandre avait anéanti la liberté républicaine de la Qràee et aoumis à sa puissanceJ'Egypte et une grande partie de l'Asie; alors Alexandrie prit insensiblement 4ao§ le monde l'importance et le caractère d'Athènes déobue, et fit tourner à l'avantage de la science les retotîoQS nouvellesqui venaient de s'ouvrir entre l'Orient et l'Occident. Les Ptolémées, successeurs d'Alexandre m Bgypte, par l'établissement de la fameuse BiUiothè- qiie et du Musée d'Alexandrie, rendirent d'importants services h l'instruction (i).
Il n'entrait point dans l'esprit de la mission donnée par les Lagides aux savants du Musée, de tenter des créations nouvelles : ce qu'on leur demandait easen- tieUementy c'était d'importer sur ce théâtre nouveau lef) créations de leur patrie ; aussi est-*ce à la fondation 4n Musée que nous voyons naître, pour la première fois dans l'antiquité , les travaux de l'érudition proprement dite, la critique littéraire, l'art d'interpréter, de corn* mepter ; et jamais les études grammaticales n'acquirent une $i haute imoportance, n'excitèrent une aussi grande
émulation.
Les poètes du Musée ne cherchèrent point leurs prin- cipaux siqets dans l'histoire de leur première patrie* Ai^FCt^LONius célébra l'expédition des Argonaotes ;
^) 9M|r to^l c0 (|oi concenie lliisloire des soienoes et de la IHténtnre , 4epul8 le temjps d*Alex«Ddre jusqu'au it« siècle «près J.-€. , os pe«i Mre l'ouvrage de M. Jacques Matter, couronné par TAcadéiDie des inscHpUons «I belles-lettres , et qui a pour titre : Essai historique sur r École éCAlexan^ 4rttoÉ»V9liiMK
i30 PHitosopwE ÂNcinniE.
LvcoranoN fil reparaître dans sa Cassandre l« tableau des deslioées de Troie; Callimaque composa ses hjm- nes en l'honneur des dieux de l'Olympe; alors aussi la poésie didactique prît naissance : Aratus sortit du seia du Musée.
Hais le mérite qui distingua éminemment les savants d'Alexandrie, et qui fait de leurs travaux une époque mémorable dans l'histoire de l'esprit humain , consiste dans les progrès rapides que leur durent les scioices positives. Les mathématiques avaient été déjà cultivées avec ardeur dans le Lycée; mais les unes et les autres s'enrichirent à la fois dans te Musée par des conquêtes nouvelles. Euclide dans ses Eléments posa avec tant de grandeur les fondements des premières, qu'il parut les créer une seconde fois; Appollonius, son disciple, développa ta théorie des sections coniques , et fut sur- nommé le Géomètre par eaxellence ; quelques siècles plus tard, DioPBANTE inventa l'algèbre. On sait tout ce que l'astronomie et la géographie doivent à Eratostbène , à Hypparoue, â Strabon, à Claude Plotoméb.
Ainsi la philosophie , arrivée à sa maturité , tendait partout à se résoudre en applications pratiques. Dans là Grèce, Archihëde s'illustrait par les applications de la géométrie et du calcul à la mécanique; Marius de Tyr perfectionnait la géographie historique; Théodose donnait un traité de la splière; Pausanias était le Stra- bon de la Grèce.
Tels étaient, dans les diSérentes parties de l'empire Ire, les progrès qu'avaient fïiits les sciences losophie. Voyons maintenant quelles furent tioées dans la capitale de l'empire romEMQ.
î
TROISIÈME ÉPOQUE. i37
Les Romains ne commencèrent à connaître la phî- losopbie grecque , et en particulier les doctrines stoîque, péripapéticiènne et académique , qu'après la conquête de la Grèce , et principalement par l'entremise des trois philosophes, Garnéade, Diogène et Gritolaûs, qui leur furent envoyés pat tes Athéniens (i).
Quelques maximes d'une sagesse pratique, dues aux Claudius^ aux Gaton, aux Scévola, aux Scîpion, aux Métellus, avaient composé, entre la 2* et la 3* guerre punique, une sorte de philosophie qui était pour les Romains cequ'avaientété pour lesGrecs les Sentences des Gnoniiques. Mais lorsque la conquête eut établi plus tard d'étroits rapports entre Bomeet les villes où florissaient encore les écoles ouvertes aux sciences et aux lettres, les Romains les plus distingués ne purent demeurer longtemps indifférents à ces nobles études : on vit Scipion l'Africain et Lœlius se lier d'une étroite amitié avec le philosophe Panétius, et rechercher le com- merce desf autres philosophes; on vit Gaton d'Utique s'attacher à Antipater de Tyr, le stoïcien; M. Brutus, Yarron, Pison, cultiver l'ancienne Académie; LucuUus s'enquérir avec empressement de toutes les doctrines philosophiques des Grecs. Déjà les ouvrages d'Aristote avaient été apportés à Rome par Sylla. Tous les hommes d'un mérite supérieur qui se montrèrent sur la scène, à dater de la guerre de Mithridate jusqu'au règne d'An-
(1) Les Athéniens ayant été condamnés à payer 500 talents pour avoir pillé la Tille d'Orope, envoyèrent i Rome ces trois philosophes pour plaider lenr eause dans le sénat. Gaméade parla avee beaucoup d'éloquence; nais Caton le Censeur conseilla de le renvoyer au plus t6t , ainsi que ses deux compagnons , parce qu'ils éblouissaient tellement les espriU , qu'il était impossible de distinguer H vrai d'avec le faux.
4tt PHILOSOPHIE ANCnSlfNK.
gutte^ goûtèrent et calti?èrent les doctrines de« écoles de la Grèce. Parlons d'abord de ce citoyen illustre , de ce griind homme qui fut à la fois le prince des orateurs e( des philosophes romains.
CICiRO!!.
Au premier rang des services qu'il était si justemant fifif d'avoir rendus à son pays, Cicéron plaçait le t)OQ* beur d'avoir pu introduire ses concitoyens à Tétude de I9 philosophie. En appUqqant son génie à cette étude, il parait s'être proposé quatre vues principales : faire OûQqattreauK Romains l^s doctrines des Grecs, y puiser I}))réi9eq| ce qui lui paraissait digne d'estime , les re- vêtir des ornements du style et de tout l'éclat qu'elles peuvent emprunter à l'art oratoire, et les appliquer aux besoins généraux de la société , comme à ceux de la morale privée.
Pe toutes les écoles de la Grèce, celle d'Épicure est la seule à laquelle il n'ait voulu payer aucun tribut. Il loue Pythagore; il rend à Socrate une sorte de culte^ i) pfoÇpsse pour Platon l'admiration la plus constante; il associe Aristote aux hommages dont il environne le fbodateur de l'Académie, et il se plaît à voir dans ces deux philosophes plutôt deux alliés que deux rivaux; il s'^t pénétré des austères maximes de Zenon ; il s'est tf^Qg^ ^ 1^ suite de Carnéade et de Phi Ion dans les rangs de la seconde Académie; mais ce qu'il y a surtout çberché , c'est l'avantage qu'offre cette dernière école de pouvoir comparer, discuter librement toutes les doctrines , les opposer entre elles , et en faire un choix judicieux.
Sa. gitiémit. 4it M., de Gàrando, aufvetilQns.^Bii- ytuiiftoBa^ m l'aboégeast, l'eiceUent chapitra qfi'il a, cMMorô à OcéiQu dans son Hiatoipe comparée àfn, systémea de pUlofiophie (i), il suit la. nouvelle Ac)d^. «lie^ dans les. <|ttestioiis spéaujiativea) Platûi) dana l^i Dijj^efaolegîe : A.riatote» et Zenon surtout,, le guident dwa la vomIq; il s!attache de préférence à Ariatot^,, dana k politique, mais c'est Platon qu'il ppend coq- afeMMment pour modèle dana sa méthode; U se plaît 4r imiter la ftHrme de ses dialogues : s'il ne l'égale^ pjia daM Vtutaéme^ délieatesse de ses analyses^ il l'^ale MMKvent en élétation y il le surpasse en. clarté , et effire. kn-mAane à l'éinquemee philosophique qn^m^l^^ n'a jamais été égalé jusqu'à ce jour.
McHMk ne vejona point que Gicéroii ait cheoclié i &- Bttliaviaeff lies Bomains aiiec la métaphysique et la dia^ leetifiie des Greca : ces recherches e«wsent été ts^ peu dtt goâl des Romains» et lrq> pe« analogues pemt-i èlre au génie de Cicéren lui-même. U limite, dans una pcMrtînn de ses écrite, la méthode socratique» (elle qu'elle ti^it été reproduite pat Flato«; dans les autres , eemne danaks traités de» (Jijfice$ et dfi$ Lm, A remonte dl'idboré aux preauers principes pour descendre am déductions par la marelie la plus directe^ De toutes \m questions de la morale spéculative, les seules dcmt il se soit emparé sont celles qu'il discute dans ses traités de la naùtrede^ Dieux, du Destin et 4e la Dmmt\/mi n^is on toit qu'il les considère » en partie^ plutût comme un sujet d'érudition , que comme une matière entièrement accessible à la raison humaine.
(1) toM8,ns.iTattiiitv^
i40 PHlLOtfOPfltt , ANCIENm.
Mais c'est lorsqu'il entre daos le d^mîaioe de la mo- rale pratique, qu'il recueille eh abondance les fruits qu'il s'était promis de retirer de l'étude de la philoso- phie^ ÀYec quel dédain, ou plutôt queHe indignation ,* il rejette ces frpides hypothèses qui dégradent la yertu en la réduisant à un calcul mercenaire , en la rendant Tesclavedes motife intéressés l 'S'établit-il sur le terrain de la législation civile ? à quelle distance ne laisse^t-il pas tous les jurisconsultes vulgaires , froids et stériles commentateurs 4u texte de l'édit du Préteur ! C'est des sources du droit naturel qu'il fait découler le droit positif; c'est des sources de la morale éternelle et uni- verselle qu'il fait dériver tous les principes du droit de la nature. 11 réunit ici la sublimité de Platon à la ri- gueur d'Aristote; il allie le patriotisme du citoyen à la moralité de l'homme privé , à la piété de l'homme re- ligieux. Le jurisconsulte , formé à son école , trouvera dans la plus haute philosophie le commentaire des lois de son pays; le simple particulier^ guidé par lui, en obéissant à ces lois, obéira à la raison, à Dieu même.
En traitant des Uns, Gicéron semblait avoir pris Platon pour guide : à son exemple, il composa aussi un traité de la répiiblique. Citoyen d'une république, défenseur de la liberté expirante, alors même qu'il s'élève contre les entreprises audacieuses des César, des Antoine, des Octave, il reconnaît les avantages d'une monarchie sagement tempérée , et il présente avec Aristote , comme le modèle d'un gouvernement parfait, celui qui se forme par la combinaison et l'harmonie des trois formes monarchique, aristocratique et populaire.
Nous avons dû parler avec quelques détails de cet
taOlSiÈMB ÉPOQtJE. i41
boiume distingué. Nolis avons peu de chose à dîrë de ses successeurs. Au momeot où Gicéron s'efforçait d'inspirer à ses compatriote le g^ût dont il était animé lui-même pour ces hautes et nobles études, déjà les mœurs avaient commencé à se corrompre , d^ la li- berté n'existait pkis. Bientôt à tousles vices j tristes fruits de l'opulence , de l'orgueil et de la puissance , vinrent s'unir ceux qu'engendrmt l'adulation et la servitude : la philosophie ne fut pins alors que l'héritage d'un petH nombre d'hommes de bien qui luttaient contre la dépravation uni verselfe , et contre les excès de la tyrannie. ^ *
STOÏCIENS.
Nous avons déjà vu que le célèbre vainqueur d*Anni- bal, et son ami L^clius , avaient été initiés aux doctrines du Portique par le philosophe Panétius. Cette école compte encore au nombre de ses partisans Caton d'Utique, dont le caractère mâle et vertueux, la sagesse et la prudence, furent l'objet d'une si vive admiration pour ses contemporains, et dont Yirgileafait d'un seul mot l'éloge, en disant que, dans TÉlysée, c'est lui qui préside l'assemblée des justes (1).
Ce furent les leçons de Caton qui formèrent M. Brutus, cet ardent défenseur de la liberté romaine, à la fois homme d'état, guerrier et philosophe. Il avait composé un éloge d^ son illustre beau-père^ et quelques ouvrages qui ne nous sont point parvenus.
Le poète Lucain est aussi rangé par les historiens
(1) Semtosfue piosi his daitem jun C^ianem.
ipBMÛ ks'paftinu de la {dnlMOirtiie «toiafenne ^ jl eiL^aagéra ks mauineB^ et ne monm 'dans aon taolère, eanMie daas sea ^fera, qa'ime fiiinae gnm^ 'éesr, et «ëe abseoee presque eooiplèle ife Bâtard 4t •4e mérité.
<kR Mmarqœ la même eaa§6fatkm de k morale du l^rtique dana Sénèqoe, dont les défauts, comme écrifahi , ont pareiHemeat une grande analogie a^ec las laMs de son cafractère. Il a^t approfondi le cœor im^ «Mb joaqoe dans aea derniers replis. II l'ainût élaéié ^11 Min d'une cour brillante et oorrmnpue , comaiedana les classes iiffétieures de la société : car, éprouvé par toutes les \icissitudes de la \ie humaine, il avait passé tour à tour d'une condition fortunée à l'exil et de l'exil au laite des grandeurs , pour retomber dans la disgrâce.
Ses ouvrages contiennent un très-grand nombre d'ob- servations morales, tracées d'un pinceau aussi ferme qu'ingénieux. Nul écrivain n'a été plus cité : son style coupé et sententieux se prête merveilleusement aux emprunts. Comme il parait plus beau quand on le cite que quand on le lit, on a dît de hii qu'il fait plos d*bonneur aux ouvrages d'autrui qu^aux siens propres.
Quelque exagération qu'il y ait dans la morale de Sénèque,les stoïciens lui reprochaient d'abandonner souvent leurs maximes. Le grand ressort qu'il emploie pour porter l'homme au bien , est le mobOe qui le fit agir lui-même dans toutes les circonstances de la vie : Torgueîl humain. On lui a reproché avec raison de Csûre de son sage un être au-dessus de la divinité elle-même, par la raison que Dieu tire at perlieotmi <le sa nature,
et q^e le «âge, sdon loi, ne doit la riense qn*k ara choix libre et volontaire*
Un grand nombre de ses productions ne sont point parvenues jusqu'à nous. 11 exposa les principes du stoïcisme dans un livre qui a pour titre : De Ut êérinité de Fume. Son traité des bienfaits, adressé à ifibulus Liberalis, en 7 livres, suffirait à la gloire littéraire de son auteur, qui le composa dans les dernières années de sa vie. Montaigne préférait à tous les écrits de ce philosophe ses Lettres à Lucius Junior, qui sont an nombre de i24 , et dans lesquelles il disserte sur toot^ les parties de la morale, avec un appareil qui ne con- vient guère au style épistolaire. S'il était Tanteur des tragédies qui ont paru sous son nom , comme le pré- tendent quelques critiques , nul écrivain n'aurait égalé sa fécondité.
Thraséas Pétus , que le sévère Tacite a proclamé la vertu même, ne tomba point dans les excès que Qous venons de reprocher à Sénèque. Sectateur dn Portique, il n'exagéra point l'austérité de sa secte. Il vécut sous les règnes de Tibère, de Galigula , de Claude et de Néron. Indépendant au milieu de ravilissement général , son opposition à la tyrannie fut calme et me- «orée. 11 voulait le bien , et ne cherchait point l'édat ; non qu'il dédaignât la gloire , mais il aimait encore plus la vertu. Docile à la voix de sa conscience , il n'en respectait pas moins les convenances sociales : sa con- duite, toujours égale, fut aussi sans reproches.
Un des plus illustres soutiens de la doctrine stoï- cienne fut, à peu près à la même époque, cet esclave d'Épaphrodite, ce vertueux Épigtète, doatleJIfaiiiie/
L
i44 puu.osorai£ anciknme.
nous olTre, sous la forme ta pli» coDcîse, le taUeati de la philosophie morale du portique , dépouillée des exagérations que l'on reproche avec raison aux ét^'ivains de cette école. On sait que son maître , homme grossîet, stupide et de mauvaises mœurs, s'amusait à tordre la jambe de son esclave. Vous me la casserez, dit Épictétej et l'événement justifia sa prédiction. Je vous l'avais bien dit, ajouta tj^nquillement le philosophe (1). Quoi- que stoïcien, Épictèie n'eut ni la jactance, nil'aspérité de la plupart des gens de sa secte : la vertu qu'il pri- sait le plus était la modestie. Ennemi d'Ëpicure et de sa doctrine^ il admirait Socrate , et nous a laissé du vrai Cj'nique un magnifique tableau. Malgré son indi- gence, il jouit toute sa vie, et plus encore après sa mort, de la considération publique.
Le premier des historiens romains, le grand écrivain • qui punit les tyrans alorsqu'il les peint, «pforessait aussi les maximes de cette noble et forte doctrine, la seule qui pût inspirer à des hommes que le christianisme n'éclairait pas encore, assez de courage et d'énergie pour lutter contre la corruption et l'avilissement de leurs contemporains.
Hais ce fut en la personne du vertueux empn^ur Marc Aurèle que la philosophie du Portique jeta le pim vif éclat. 11 avait été le disciple du stoïcien Sextus de Chéronée, petit-fils de Plutarque; mais il sut donner au système philosophique qu'il embrassa un caractère particulier de douceur et de bienveillance, en y faisant
(1) Cn adversaire du cfaristianisnie , Cclse , ta ciUnt ce tnit et l'oppount anxdir<Ueiis,)eurdlMUd'iiD airinsulUnlra To Ire CArûi a'4~il faitrieB ie pins grand ï— Oui, il s'csl lu , » lui rtlpondit OrieêiK.
tMtSlÈME ÉPOQUE. 145
éMaioer Tainour pour VhumaDité, associé à la religion. .£'est.à la divinité qu'il rapix)rte la destinée de ThomToe, les motifs de la vertu ; c'est à la divinité qu'il rend grâce xl'a'^w pu la pratiquer fidèlement. 11 ne se ren-* ferma point d'ailleurs dans la philosophie du Portique. Pii cfoit souvent reconnaître en lui le disciple de Platon, comineiorsqu'il rapporte à l'unité et les lois del'uni vers et celles de la morale, lorsqu'il subordonne à une seule harmonie le système des êtres. «La cause universelle, dit-il, est un torrent qui entraîne tout ; tout ce qui se Ibit n'est qu'un changement de forme; tout ce qui existe. est oomme la semence de ce qui arrivera, afin que le monde soit toujours jeune. » Marc Aurèle ne professait point seulement ces maximes pour le public; U ne les destinait point u la postérité; il les avait mé- ditées pour son propre usage. Elles renfermaient le dépôt 4e ses sentiments les plus intimes : le secret lui en fut dérobé après sa mort.
La principale cause du succès qu'obtint à Rome la philosophie du Portique, et de la préférence qui lui Cm t {généralement donnée par les hommes publics, fut le zèle avec lequel ses. sectateurs s'appliquèrent aux affaires et principalement à la jurisprudence. « On trouve encore, dit Gravina, dans notre Droit, une foule d'expressions, de règles, de principes, tirés des stpiotans (i). » Déjà, au tcTnps de Gicéron, les pre- nners ctéqteurs de la jurisprudence romaine, les Scé*
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vola /les fiqlbus, les Sulpicius étaient imbus de la doptrîfie stoïcienne. De cette école sortit la secte des Proç^lfkflff .MMV ^t rendu déjà un grand aervicc à la
■V»w»
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146 PHILOSOPHIE ANGUIINE.
9cience par cela seul qu'elle y introduisait le nemeot et la discussion. «La loi, suivant eux, était là recommandation naturelle deThumanité, l'exprassion de la consanguinité qui unit tous les hommes» et de la ^bienveillance mutuelle qui doit les porter à se secourir entre eux. ». Montesquieu , si bon juge en cette matièro» professait la plus haute estime pour cette école.
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CYNIQUES.
La philosophie cynique , devenue en quelque sorte la parodie de la philosophie stoïcienne , compta aussi à cette époque plusieurs sectateurs ; mais , comme ao- cun d'eux n'a fait faire de progrès à la scienee, noua BOUS bornerons à mentionner Démonax de Chypre, qui enseigna à Athènes; Crescens de Mégalopolis, et Ptr BiGRiMJS, si toutefois cet homme ^ qui s'arrogea le titre de philosophe, ne s'en est pas montré aussi ia* digne par ses vices que par la mobilité de son imagi- nation et les extravagances auxquelles le porta le délire de la vanité. On prétend qu'il se brAla lui-même i Olympie, vers 168 après J.-C.
ÉPICURIENS.
La doctrine d'Épieure fut annoncée aux RmMiaa par Lucrèce, dont le poème est le plus ancien qui nous ait été conservé dans cette langue. Il naquit en- viron 95 ans avant J.-.C; il avait huit ans de moins que Cicéron et un de moins que César. On doit sup- poser qu'il passa quelques années de sa jeiiMSM an
Grèee et. même à Atbèaes; H ptratt (foj^ ymté étm tous les mystères de la philosophie » de la cosmogonie et de la physique ^HCurieBDe^ pour que l'on puisse croire qu'il eo ait pris connaissanee seulemeoCÀ Romo^ Si Lucrèee a osé plier la langue de Rome à peiodre la doctriiie de TapOtre de la volupté ; s'il a réussi à. tirer d'admirables beautés d'une théorie ratiotiadlo} s'il a pi| ressentir la chaleur de Tenthousiasme pour le sys- tème le plus aride et le plus glacé y il n'a pu > «mémo ea ne s'attachant qu'à traduire, être un imithteur fl« déle ; et dqji ses pinceaux commencèrent à altérer lee doctrines d'Épicure. Lucrèce compta parmi ses an^is McHiiius et G. GASS10S9 tous deux attachés cômaoelui aux principes de la philosophie épicurienne» Le der« nier, citoyen intrépide et austène^ se saerifiâ, • ainsi que ie stoïcien Brutus, i la cause de la liberté, liiviaés ^Mans l'école , ces deux hommes illuslres se réumasaient au forum, au sénat, et sur le chainp de bataille»
Servitts nous atteste l'étude approfondie que YiauiLi: avait faite des doctrines philosqihiques ; mais lui-même nous l'atteste bien mieux encore, par les nombreux emprunts qu'il leur a faits : il n'est pas une de ces . doctrines qu'il n'ait l'art de faire revivre et de peindre dans ses chants immortels»
T4ous devons placer encore parmi les poètes philo- sophes ce spirituel ami de Mécène et d'Auguste, cet Horace, qui nous apprend lui-même avec quelle ar^ deur il s'est appliqué dans sa jeunesse à suivre les Ihciles leçons d'Épicure; il parait cependant qu'une plus mûre expérience lo rattacha plus tard aux sévères maximes du Portique. Au reste, e<mservant toujours son mdé*
L
I4S PHILOSOPHIE ANCIENNC.
jpendaoce, ii ne suivit exclusivement aucune école ^ sa régie fut de ne juger sur ia parole d'aucun niattre(l). .-. On compte aussi parmi les épicuriens T. P. Atticus, cet ami de Cicéron , qui pendant les guerres civiles de César et de Pompée, de Brutus et d'Antoine, se mé« nagea si bien que , sans prendre parti pour aucun , il iut aimé de tous.
Nous pouvons ajouter à cette liste les noms des deux Pline:, .ots explorateurs infatigables des phénomènes de la, nature; cependant Pline l'Ancien pourrait peut* âtre avec plus de raison ôtre rangé parmi les scep- tiques.
. Le satbrique Lccien de Samosaie , dont les censures ingénieuses, élégantes, mais sévères, poursuivent sous toutes .les formes les prétentions du dogmatisme et l'ocgueil des &ux savants; Diogène de Laèree, auteur d'une histojre des philosophes anciens, bien précieuse malgré son manque absolu de critique et de goût; Celse eii0n, qu'on appela l'Hippocrate latin, parce qu'il avait traduit le. père de la médecine, qui combattit les chré- tiens et trouva dans Origène un redoutable adversaire, nous paraissent avoir été comptés sans motifs suffisants parmi lea épicuriens.
Les philosophes dont nous venons de parler avaiait en .général embrassé le parti d'Épicure, parce qu'ils trouvaient sa physique attrayante, et que sa morale traçait une règle dont la pratique leur promettait unç vîe douce et exempte de la gêne à laquelle les stoïciens
' (1) Kiitlius addictus jarare in verba magislri ,
Que niecuinque rapit (empeslas , deferor hospes^
adintaitQftteiit r^spècB humaine. Mais 1er nom^c %t tnewiparableiDeAt plus grand de ceux qui adopt^ei^l cette doctrine uniqfuemeot parce qu'ils eroyaieat.voir 4»m ses. principes l'apologie de leur irvéligioi^, et dç^ débauches m sein desquelles ils vivaient* plongés;. Ce lurent ces dernier» partisans d'Épicure, et l'abus qu'ils firent de la philo^phie, quirendireitt son nontçt son système si odieux ; qui , chez les, Grecs comme chez les Romains^ révoltèrent les stoïciens et les académi- eiôiis, et les portèrent à employer^ (XM3tre eux un. ton si méprisant et si rempli de fieK.La corruption de? mœurs, l'absence de courage et de patriotisme, la bas- sesse et la servilité dont le specta^e attristait partout leurs regards, ne justifiaient que trop la sévérité de ImtB cansures. . . ,
PÉRIPATÉTICIENÇ.
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. La phdosophie d'Aristote était moins à la portée 4e l'esprit essentiellement pratique des Romains .: et les Grecs qui s'en occupaient étaient réduits à com- menter péniblement le philosophe de Stagyre^ avec plus ou moins de succès , et dans des sens divers ,. ii cause de la forme sou-vent obscure et souvent altérée de ses écrits. Après Andronicus de Rhodes, qui mit en ordre et expliqua à Rome les livres d'Aristote , et Cratippe de Mitylène, que Quintus Gicéron, ainsi qoe beaucoup d'autres Romains, entendit à Athènes^, on 4H>mpte comme purs péripatéticiens, Nicolas de Damas, ou Damascène, et Xén arque de Séleucie, qui donnèrent tous deux des leçons à Rome, au temps d'Augusio;
Alexandkë yfiCiftus qui fVit aussi Tun des nuillMi 4ê Néron, et particuliërement le célèbre comiàotâlow Algxandbb d*Aphrodîse , qui fondb à Alexandrie une école critique particulière qui porte son nom , et com^ battit h doctrine du fktaltsme, comme inconciliable avec Tordre mord, A une époque plus rapprochée nom trouverons parmi Tes péripatéticieDs syncrétistes* Ta** msTius , Syrien et Sthplichjs. Les comm^itaires de ce demfef sur la philosophie d^Aristole sonf , aiM ceux d'Alexandre d* Aphrodîse , les plus remarquaMes qu'aient écrits ces écoles.
PLATONICIENS.
Après la chute de l'Académie sceptique, ft s^élftR formé, dès le siècle d'Auguste, une nouvelle école pla- tonicienne qui trouva de nombreux partisans. Parmi eux nous distinguerons Thrasylle de Mendes , dît t Astrologue y Alcinous, Plutarqde deChéronée, ApObÉE, Maxime de Tyr , et le femeux médecin Galien. Ak»> nous à laissé une introduction à la philosophie de Platon , qui justifie son titre; elle résume avec ordre et netteté les principes fondamentaux de cette doctrinev Plutarque- excella mieux à pemdre le caractère des grands hommes qu'à pénétrer le véritable esprit des systèmes philosophiques, et montra plus d'éruditioa dans ses recherches historiques que de discernement daAs ses opinions. On lui reproche avec raison la lii- cilité avec laquelle il accueillit les traditions supersti*- tieuses.
Apulée ne mît pas beaucoup plus de choix et die
TitmsiiiiE ɻoom. 451
difeernement dans ses ouvrages philosophiques; iloon- fondît les idées de Pylfaagore avec le platonisme, et il y associa souvent , comme on ne tarda pas à le faire généralement, les traditions de la tbéurgie orientale,
Maxime de Tyr s'attacha principalement aux hypo^ thèses spéculatives des fondateurs de l'Académie; il mit y par temple , beaucoup de soin à développer celle^ .ci : que no$ camutisionces ne sont que des réminiêcences.
£n général, ees philosophes s'efforcèrent de pro* pager» sous des formes populaires et didactiques, la morale et la théorie religieuse de Platon. Déjà ce besoin des sentiments religieux , qui ne tarda pas à se développer avec tant d'énergie , commençait de toutes parts i se manifester. Us s'appliquèrent donc de pré-* férence aux spéculations qui ne sont qu'indiquées rapt-* dément dans les livres de Platon sur Dieu, le démiurge, l'âme du monde » les démons , l'origine du monde et celle du mal. Ils donnèrent aux idées une forme sub- ataoïtielle, et appliquèrent arbitrairement leurs prin- cipes abstraits i rex{dtcation des faits remarquablee de leur temps ; par temple, à la cessation des oracles*
Gajuen avait approfondi, en philosophie comme en^ médecine, les systèmes de toutes les écoles, sans s'asservir à aucune d'elles. Il professe pour Platon une haute estime, et il lecoipmentè souvent; mais souvent aussi il adopte la logique d'Arisiote et développe sa théorie des sophismes; il suit quelquefois les traces des stoïciens. Les hypothèses les plus absurdes avaieiH été imaginées avavt lui pour expUquer les rapports des of^ratieûs de l'âme avec le jeu des organes qui odtété ;iyftKtéii à son aervice. B réfuta , avec un soin tout par-
1^9 PH1C090PÉIE AKcncmE .
Ijeulldr, celle de Platon, sur Hi distineiiôti Héft' tï<^ parties deTâme et de leurs trois séjours séparés /en diverses parties du corps. Distinguant avec beau- coup de netteté ie principe pensant, d^avee celui de la \ie organique ou animale , il considéra ce dernier comme on instrument intermédiaire , destiné à fournir au premier les moyens d'action*. Son système était un éclectisme raisonné peu différent peut-être de cekir dé« P^TABiefii d'Alexandrie, qui, tout en extrayant ce qu'il y avait de mieux dans chaque système, prétendait en' . former un système paKiculier. '
Au reste , il ne faut point confondre , comme on Va fait souvent , cet essai isolé d'éclectisme avec lé néoplatonisme des alexandrins, que nous développerons plus tard.
PYTHAGORICIENS.
Le mystère qui couvrait l'histoire et les doctrines de Py tbagore , les traditions miraculeuses qui relevaient la sainteté de sa personne, devaient attirer sur ce phi- losophe l'attention àes hommes disposés à se laisser entraioer par ce goût pour le merveilleux*, qui corn- mençaft i se manifester dans le monde. De ce nombre furent Q. Sextius et Sotion d'Alexandrie , tous deux connus de Sénèque, et surtout le famedx Apollonhjs de Thyane en Cappadoce, e^t imitateur de Pythagore, qui s'était adonné à la divination et associait le mysticisme religieux aux doctrines morales. Son biographe , Philostrate , semble avoir voulu foire de lui une espèce de Messie du polythéÎMne. Phisieurs
• " TROISIÈME ÉPOQUE. \H^
ihVtes* philosophes, à son exemple, appliquèrent Id pythagorisme à l'étude de la nature , ou cherchèrent à découvrir dans la doctrine des nombres de Pythagore une science supérieure et occulte , et ils la fondirent dans les théories de Platon,
PHILOSOPHIE
HEUGIEUSE ET MYSTIQUE.
Après tant d'eflbrts pour soutenir, éclaircir et ap- pliquer les résultats obtenus par la philosophie grecque/ dans son premier et son second âge, l'esprit humain ne pouvait être entièrement satisfait. Trop de motifs' avaient été allégués pour démontrer l'insuffisance de' (ous les systèmes, pour qu'il pût s'arrêter à aucun^ d'eux. L'homme a besoin de croire; il ne vit que de' tbi. Mais les conditions de sa foi changent avec les' siècles ; et il était impossible , à cette époque , que des systèmes philosophiques qui s'étaient mutuellement ruinés dans une guerre si longue et si animée, rem- plissent en aucune manière les conditions qu'il exigeait. Tous lés moyens avaient été employés par les philo-' sophes pour ie conduire à la vérité , et tous avaient été successivement attaqués et détruits par le scepticisme.
Dans cette situation désespérante, la philosophie devait nécessairement chercher s'il n'y avait pas dans Inintelligence une forcé Jusque-là inconnue ou trop négligée, qui, sans s'appuyer sur l'abstraction que le scepticisme avait convaincue de se dissiper souvent en vaines rêveries, ou sur l'empirisme dont l'insuffisance ^vait été pareillement démontrée , pût atteindre direc-
iM PHaaaoHiiE anciknne.
tement à la vérité; et noo pas à latérite rektite» maU à La vérité absolue ; et non pas seulement a la vérité abstraite ) mais au principe réel de toute vérité , à aoD principe absolu , c'est-à-dire, à Dieu.
A ce besoin impérienx de croire, le christiaaiaxDâ avait déjà suffisamment répondu. Cette religion sublime, qui prescrivait Tamour désintéressé de Dieu et de l'humanité, qui annonçait à tous les peuples, sans aucun appareil scientifique, l'alliance de Dieu et du genre humain, était venue apporter ses douces conso- lations à des âmes flétries par le doute et rincertituda* 14a liberté grec(|ue était perdue sans retour ; la puis* sance romaine , à peu près achevée , déjà se dévorait elle-même , et laissant Tâme sans intérêt pratique g<^ néral, la livrait à la merci dç tous les capricçs d*un QWif égoisme. Partout se faisait sentir le besoin d'é* motions nouvelles : il n'y avait plus rien de grandi feire dans ce monde; et lorsqu'au temps marqué par la Providence, le christianisme vint ouvrir à l'eaprit humain les voies nouvelles qu'il cherchait, il s'j préci- pita avec enthousiasme, impatient qu'il était d'aban-. donner la terre pour le ciel, etlecqmmerce d'une société Qorrompue pour celui de Dieu même.
Ce qu'avait feit le christianisme, la philosophie dut l'essayer à son tour. Mais au moment où elle devenait essentiellement religieuse, elle ne pouvait employer lea méthodes qui lui avaient servi jusqu'à ce moment , el dont elle avait d'ailleurs reconnu Timpuissance. Ce ne fut donc plus à Tobservation sensible,, à Faoalyse, à l'abstraction, qu'elle s'adressa : ses nw>jemi fur^ol i'inapîratÎQny l'entfMusiasmie , TilliuninatioA^
k
lu. ooiabredeB caus^ extérieure» qui déyoteyfiiweit deos la phUosophie ce nouveau caractère , il faut rou^ptir en première ligne le contact de re&prit grec e^ dt ï^ prit oriental. Ce qui distingue l'Orient, m eUel^c'eit un idéaliame myitîqua fondé sur la contemplatioii mmSh diate et sur l'extase. Une b;pothèse adoptée ftm ^g^ <|a« caritiques distingués ^ et que les plaftOMeiens d'Alesafidrie avaîenc déjà niîse au jour, explîqu<mît à'mat wanière . satt^isaftte la iaeUité aveiç laquoUe a'opéta oette fusion. La jdtilosopbîe grecque^ sdM cette hypothèse , serait dérivée eUe-même daa aatiqiMs traditions de l'Asie et des mystères de la Thrace. ZoROASTRE, HERicta, Orwéb ,^ auTaJent été les vérita* blés instituteurs des Pythagore, des Platon. Les phi-< loaof^s grecs, adaûs à la pajrticipatio» de oMAe aagfsse prÎBaiiive, n'auraient fait quç la dépouîUer du iicûl^d«a iiQUons, U revêtir de9 forjpnes siçientiâquas» an, lui defsoiMt uQ développ^mievt mélhodiquQ. ^in^îj^Ioraque )e4 doctrines pl^itcwiciennea prirent à AleitandiiB un UfOuye^u Qaractère,/ elles n'awaient fait an qudque sorte quei remonta à l^ur source; dlea auisai^t été ûQ«imeAtécs dans Iq; même esprit qui préaida i leur ivéation^ n est certaiti , du moins à nos yeui , qu'une partie de» traditions de l'Asie passa ebea les Greca^ d'abord par les allégories mylMogiques que Isa poëlaa ont admises, reproduites, mais altérées) emuitei i l'aide des initiaUens mystérieuses; enfin, eld'una wa*- nière plus directe, par l'intermédiaire des philosopbes enn-môQDeS) qui» comme Pytbag<Nreet Platou» recueil- lirent ces doctrines dans teurs voyages. Mais il ue dut pas donner à cette opinion une valeur trop abaolue,
bifiiMb r'oht fait les nëôpïatoaiciènà d'ÀléxandricV qui ]piMirraféDt bien, comme ils en ont élé accusés, être éu'x-mémes les auteurs de quelques-uns de ces oracles de 2!ioroastre, de ces écrits d*Herraès-Trismégiste , 4u de ces fragments orphiques , sur lesquels ils appuient si fiiéquanment leurs doctrines. '^ Quelques essais irréguliers précédèrent le dévelop- t>ement méthodique de ce mysticisme alexandrin si cétélFré dans les fastes de la philosophie , et si dhér^ ëerfient jugé. Commençons par ceux qui ftirent tentés par les Juirs et les Gnostk^des.
DOCTEURS JUIFS.
* Les Juifs, pendant la captivité dé Babylone , avaient pris connaissance des traditions religieuses des Perses; tine autre colonie avait vécu en Egypte. Là , le com« merce avec les Grecs s'établit à la suite- des travaux qui ' donnèrent le jour à la traduction des Septante, sous la direction de Démétrius de Phalère. L'itifluënoe de ces communications ne tarda pas à se fiiire sentir ^ lorsque les Juifs furent revenus dans leur patrie. Fen« dant qu^à Jérusalem , les Pharisiens et les Saducéent se divisaient entre eux, les premiers commentant le texte de la loi, les seconds s'attachant au sens littéral, les Esséniens et les Thérapeutes s'exerçaient en secret -à une vie contemplative, à une morale austère, à unie sagesse qui leur a mérité les éloges des historiens.
AaiSTofttJLE , le premier, tenta non-seulement d'aWer, mais même d'identifier en quelque sorte les traditions des livres sacrés avec la philosophie et la littérature
d^ Grecs. 11 alla jusqu'à supposer des vers som los noms d'Orphée» de Liuus, d'Hésiode et d'Homèvq. Pour doojder faveur à son système, il interprétait les livres saqrés par les doctrines grecques; il expliquait Torigine de ces doctrines, et celle de là • mythologie même, par les lois et renseignement de Moise.
Philon , qui s^près lui continua ce genre d'interpré-* tatipn, partageait, dit-on, les opinions des Esséniens. Il mit à profit la connaissance qu'il avait acquise de tous les systèmes grecs, et en .particulier du systènie de Platon^ qui s'accorde à tant d'égards avec les idées religieuses de l'Orient, pour représenter sa. religion, nationale comme une doctrine parfaite €l divine. C'est dans le même esprit que,, plus tard, l'historien Josèpbk revêtit le judaïsme de la dépouille philosophique des Grecs.
La. contemplation de l'ordre de l'univers peut bien , selon Philon, nous porter à la connaissance de la di-. vinité, mais ce n'est là qu'une simple préparation à la science qui doit immédiatement s'obtenir par la con* templation de Dieu même. Il distingue avec Platon le monde intelligible et le monde sensible ; Dieu et la ma-- tiére sont des principes existants de toute éternité. IL admets d'après le même philosophe , le monde idéjsU i$t: la religion des idées , comme le type d'après lequel Ifi divinité a formé rquivers. Mais Platon avait conçu le& idées comme contemporaines de Dieu même. 11 n^ les avait point personnifiées; il avait assigné le. siège de. leur existence dans l'entendement divin. Philon. les ^rsonniûe, en compose son premier verbe, oi^ Xo^^. qu'il considère comme fils de Dieu, .comme .l%fir^$^j
1
Hi PHILMOMHE AlICtBMlC.
4e 6M «olioB «upH^me. Le second verbe est le Yei%e opértot réellement «ur le monde sensible. Chacune de oes trois vertus divines fut envoyée comme messagère pour exéenter ce grand ouvrage. C'est ce qui constittie la trinité de TEtre suprême , déjà reconnue , mais d'une manière moins absolue , par Platon. A ces emprunts dits k la philosophie transcendantale de Platon , Philon réunit plusieurs idées empruntées aux traditions orien^ taies. On en trouve un exemple dans la distinction fiiite par lui de l'homma céleste et de l'homme terres* tf6 ; dans Thypothèse de cet homme primitif » qui a servi de type à l'humanité mortelle » hypothèse qui se mpproche bie» plus de la notion de Zoroastre que de celle de iiaton.
Philon distingue le^ deux Ames, Tune raisonnable et l'autre privée de raison. Il attribue à la premi^ trois facultés, l'entendement, la sensation, la parole; il laisse à la seconde la passion et les afiBsetioas seù- sibles. « L'entendement est non-seulement un esprit divin, c'est une portion inséparable de la nature même de la divinité. Il a aussi son verbe , analogue à cehii de DiM ; semblable à la cire, il contient en lui virtuellement toutes les formes. L'âme a préexisté au corps ; elle est libre. Tantôt revêtue des sens, elle n'aperçoit que les <AoBes sensibles; tantôt s'élançant par un essor spontané, se dégageant des organes matériels, elle s'élève à la vue des choses intelligibles. C'est à cette délivrance des chaînes du corps que le sage aspire; cette lutte contre les sens est son exercice. C'est par la contemplation que l'homme obtient toutes les lumières et parvient à toutes les vertus. »
Ni}viNiy8 d'Apamée , qui qualifia Platon du sumom de MiM$^ aitiqm, admit en partie ces innoyattoos. U perfoctionaa la aoiion de la triniié, en distinguant dans r£tre divin incorporel j d*abord le Dieu primitif, su* prftoie, rintelligence immuable^ éternelle et parfaite; SAGOndeaieat » le* créateur du monde, le démiurge , existant dans un double rapport, avec le Dieu primitif» wsmie sott fils, et avec le monde,, comme son au- teur. Il soutint aussi l'immatérialité et Timmorialité de l'âme.
GNOSTIQUES.
Pédant que ces érudits juifs essayaient ainsi de con^ quérir la littérature grecque, d'autres avaient donné «fie préférence presque exclusive aux traditions de l'Asie. C'étaient les Gnostiques, ainsi nommés parce qu'ils prétendaient à une connaissance supérieure el Morète de l'être divin et de Toriginesdu monde. Quel- ques sectes gnostiques, en adoptant divers dogmes ecientaux , restèrent plus ou moins fidèles à ceux des luife; d'autres s'en écartèrent d'une manière plus ou moins ouverte.' Quelques-unes se déclarèrent les en- semies du christianisme naissant ; d'autres lui furent plus funestes en essayant de l'envahir : elles /portèrent le germe des hérésies qui affligèrent les premiers siècles de l'Église.
Simon, auquel on attribue la premièci^propagation de celte doctrine, appdée par St Clément d'Alexandrie 9MoHflm ^rimtaley et par Eunape, PhUosaphie ch^L- dOque, fut surnommé le Magicien, dénominatioa qui
460 PUILOSOPBIE ANCltMfE.
désignait aloi*8 un disciple des Mages , un homme initié aux secrètes traditions de l'Asie. Il se montra parmi les Samaritains , qui déjà avaient accueilli un mélange dee dogmes orientaux. La plupart des autres chefs des di^ verses sectes gnostiques, Basilides, Yalentini Gak- pocRATE , habitèrent Alexandrie ; ils y arrivaient de la Perse ou de la Syrie.
M ANES ou Manl, Persan du troisième siècle, l'aoteiir du manichéisme, fut un dos plus célèbres : il développa le système oriental des deux principes , de deux pré** miers êtres, un bon et un mauvais, continuellement en guerre Tun contre Tautre. UneaiUre secte de gno- stiques reconnaissant en Dieu le principe unique, en firent dériver , comme d'une source de lumière, divers ordres de créatures lumineuses ou d'esprits autrement dits jEons. En général^ le^ gnostiques considéraîesi la matière comme le mauvais principe, et la formation même du monde comme une chute de l'Être divin : hypothèse qui fut une des causes principales des erreurs dans lesquelles s'égarèrent les néoplatoniciens d'Aler xandrie. Autour de ces dogmes principaux se. grou- paient une multitude d'autres idées plus exagérées et plus hasardées les unes que les autres. Chacun leur donnait pour principe une révélation supérieure* tfi. général, ô'est l'imagination qui joue le principal rôle dans la philosophie des Orientaux ; et ils aiment à se perdre dans leurs hypothèses , appliquées sans cesse à un ordre de faii& au-dessus de la nature. La morale eut aussi à souffrir de cette manie de irèves super- naturalistes , et fut travestie en im étroit et iiôQuUeii^c
TROISIÈME ÉPOQUE. 161
CABALISTIQUE.
I
La doctrine juive, qui s'est transmise jusqu'à nous sous le nom de cabale, a une extrême analogie avec celle des gnostiques« Celte doctrine était une pré- tendue sagesse divine, propagée et perpétuée parmi les Juifs par une tradition secrète, dont l'histoire est remplie de fables. Elle fut enseignée d'abord par Rabbi Akibha et son disciple SiméOin ben Jochai, surnommé VÊtincelte de Moïse. C'est une suite de récits philoso- phiques, représentant l'origine de toutes choses comme ouvrage de Dieu, YEnsaphe, ou la lumière primitive d'où sont émanés, selon divers degrés de perfection, dans une échelle décroissante, tous les êtres de la na- ture. Tout ce qui existe, d'après ce système, est de nature spirituelle, et la matière, même le charbon, n'est au' une condensation et un obscurcissement des rayons de la lumière ; en un mot, toute substance est divine.
A cette doctrine de l'émanation se mêle une foule de rêveries sur les démons, auxquelles se rattache la magie; sur les quatre éléments des âmes, sur leur formation et leur origine; enfin, sur l'homme consi- déré comme microcosme (1), et cette idée donne lieu à' un prétendu moyen de connaissance par l'extase. De là, la théurgie, les pratiques de la divination, de la mantique, tous les genres de superstitions. Enfin on se crut en communication habituelle avec les génies d'un ordre supérieur ; on crut pouvoir emprunter leur puis
(1) Monde eo abrégé.
H
^62 PËILOSOPHIE ANCIENNE.
saace , et toutes les fables des prétendus thaumaturges furent aussi généralement que facilement adoptées : triste mais inévitable conséquence de ces. téméraires doctrines 1
NÉOPLATONISME MYSTIQUE
DES ALEXANDRINS.
Le platonisme enseignait un seul Dieu , esprit put , . éternel, immuable, immense, tout-puissant ; Dieu de bonté et de justice, qui voit et prévoit tout, qui gou*- verne en Père ce monde \ivant; Fils de Dieu, créé par une pensée de son intelligence (1) , d'après un monde idéal, seul vrai, seul incorruptible; la spiri- tualité et l'immortalité de l'âme, ouvrage du môteufr suprême, et qui apporte avec elle sur la terre les idées innées des premiers principes; les récompenses et les peines de l'autre vie , représentées allégorîquemènl dans le Phèdre^ le dixième livre de la RépubUque , le Tliédon et le Timée ; par des fables orientales et quelques Idées de Pylhagore et des Brachmanes , sur la métem- psycose, ou les différentes migrations de Celles. des âmes qui, pendant leur exil terrestre, ont oublié leur céleste origine. 11 commande la charité ou l'amour dfe Dieu, souverain bien de l'homme, la foi, l'espérSnce, le culte et la prière (2).
(i) Celte Trinité de Platon est développée avec beaucoup de sa^cUé par le Père Mourgues, Plan ihtologique du Pjtfiagorisme , lom. 1 » pag.'il9» On peut consulter tà-dessus Cudwérth, Système inUUecL^ iM. &,9A|^9I» et les auteurs cités par Fabricius, Biblioth. gr, , tom. li , page 39.
(2) Pensées de Platon , trad. de M. Jos. V. Leclerc.
Mm ces hautes et nobles ^îlés, disÉ^tniniton dans de nombreux ouvrages, et ex|hriaiées le plus souvent sous des fornaes ol»oures et allégoriques , n'étaient ac- cessibles qu*à quelques iuteUigences {urivilégiées et pré- parées par de longues et de pénibles ét«Mies. La reiigÎMi du Christ vint les enseigiier à tous les boxmnes 9 sous une forme simple et vulgaire : elle s'^adressak au cœur, elle fut bientôt comprise , et le monde ne tarda pas à devenir sa conquête. Cette :coxrfbrniité que nous avons remarquée entre la religion de Platon ^t les principaux dogmes chrétiens, devait nécessairement donner une grande importance au platonisme. Plusieurs Pères de l'Église, en effet, pour faire accueillir tkeMrèuseMomvelle à ceux des philosophes païens qui résistaient ^enoore^ cherchèrent un appui dans la religion du éisdfile 4e Socrate. St Justin, le premier des Pères gceos, aUa même jusqu'à dire que ce qui avait été autrefois révélé à Soorate par le Verbe , l'avait été depuis aux barbares par le même Verbe qui s'était fait homme, et qu'on avait nommé le Christ. La philosophie grecque «devait donc tôt ou tard venir se fendre et se perdre dans le christianisme : mais elle ne pouvait tout-à^soup se renier elle-^môme, abdiquer ses droits, et se soumettre sans combat. La lutte fut longue et soutenue de part et d'autre avec ardeur. L'esprit grec avant de.suo- comber jeta un dernier et brillant édat dans L'icoif d'Alexandrie.
Four opposer une digue assez puissante à la .religion nouvelle, les philosophes d'Alexandrie avaient besoin d'unir entre elles toutes les parties de la philosophie grecque. La baseaxclusive d'une des écoles partiailièrea
464 raaosoraœ ancienne.
ne saffîsait plus à Tesprit humain , agrandi par le corn* bat et l'anarchie des anciens systèmes , et par les com- munications nouvelles avec l'Egypte, la Perse, et ce môme Orient qui avait déjà fourni à la Grèce ses pre- mières inspirations. Le progrès des temps , trois siècles de critique, le goût et l'érudition, la diffusion des connaissances, l'état général du monde, les conquêtes d'Alexandre et de Rome, comme capitale de la civili- sation^ toutes les religions et toutes les doctrines se rencontrant perpétuellement daqs ce rendez-vous de tous les peuples, tout imposait à l'esprit grec la nécessité de s'élever à un point de vue universel, en restant fidèle à lui-même , c'est-à-dire , aux idée^ de Platon et à la méthode d'Aristote. La philosophie grecque à Alexandrie, à l'époque on nous nous trouvons, devait donc être éclectique, et elle le fut.
Nous avons eu déjà occasion de remarquer combien Aristote se rapprochait de Platon, chaque fois qu'il traitait des vérités générales , absolues , nécessaires , et d'indiquer l'analogie qui existait entre les /ormes de l'un et les idées de l'autre. Il suffisait donc de séparer les deux Aristotes (car il y avait en effet deux systèmes dans sa doctrine ) , d'exclure celui qui, dans le domaine des connaissances positives, avait proclamé l'autorité de l'expérience, et de s'attacher à celui qui, dans la région de la métaphysique, n'admettait que les axiomes universels, de lui emprunter les dcûnilions de la sub- stance, de l'essence, la notion de l'entéléchie, pour établir entre son maître et lui cet accord qu'il avait mis tant de soin à désavouer. L'ontologie d'Aristote
ravitait tout entière vers le nouveau platonisme.
TROISIÈME ÉPOQUE. 165
Mais l'éclectisme ne fut pour Técole d' Alexandrie qu'un but avoué et pour ainsi dire extérieur; le carac- tère véritable de sa philosophie, c'est le mysticisme religieux. Son but étant un but religieux , le cœur de sa philosophie devait donc être, et est en effet une théorie des attributs de la divinité et de ses] rapports avec le monde ; c'est-à-dire y une théodicée. Cette théodicée est bien peu connue : le savant Brucker (1), qui n'en a point saisi toute la profondeur, la juge avec une prévention continuelle; quoique Buhle soit un peu moins injuste envers elle, ce qu'il en dit est en- core bien insuffisant, et Ton peut dire que l'histoire philosophique des quatre premiers siècles après J.*G« est encore à faire.
Gomme, en nous renfermant dans les limites que nous avons dit nous tracer danà cet ouvrage , il nous serait impossible d'exposer d'une manière daire et intelligible les idées et les doctrines particulières à tous les philosophes de cette époque , nous croyons devoir donner, avant tout, une esquisse rapide de cette théodicée (2) , qui est le point commun autour duquel tous les philosophes alexandrins semblent se rallier^ et qui, une fois bien comprise, jettera peut-
«
être quelque jour sur les travaux qui appartiennent plus spécialement à chacun d'eux.
(1) n donne à la philosophie des alexandrins les noms de Seniina et dé Cenio versUolor,
(2) Nous en empruntons l'appréciation à M. V. Cousin /qni a promis de- puis longtemps un travail spéeial sur celte école d'Alexundrie , pour laquelle il a déjà tant Ait, soit par son édition des Œuvres de Produs , soit par les diflérenis morceaux dont se composent ses nouveaux fragments philos^ phiques.
Selon les alexandrim, le principe enitersel des chMee, Dieor^ est T unité absolue, 1* unité sans aucun mélange, sans aucune diiision avec elle-même : or rnnilé absolue ne peut aToir d'attributs, de qualités » de modifications, car tout cela la difriserait; son exis- tence se réduit nécessairement i l'esBence pore. Mais, c{uoi t sommes-nous revenus au Dieu de Parménide, à runité éiéatiqne, i cette unité abstraite, sans attributs et sans qualiiéSi qui indiCTéremment devient la substance ^ritudle de Tâme humaine et le sujet de toutes les modiications possibles de la matière, d'une motte de terre, comme de l'âme de Caton ? Nm , grice à Dien^ il n'en est rien, il n'y aurait point eu de progrès dans la philosophie grecque, si Alexandrie eût reproduit É16e> si Ammonius Saocas et Plotia n'euasem été que Parménide et Zenon. Aussi, sdonréoole d'Alexandrie, Bfleu n'est pas seulement Tessencé pure, c'est aussi l'intelligence; c'est l'intelligence absolue , aussi absolue foe l'inteHigence peut l'être : car, il faut btenleremir- ftfer, i'imelligence réduite à sa plus simple expressioa Mppoie encore qu'il y a intelligence de quelque chose; par exemfrie , ^intelligence , la connaissanee de Dieu par hli-même. Or , c'est li la plus simple expression de l'in^ teHigenee ; et teBe est en efifet l'intelHgence divine , selon l'école d'Alexandrie. Le Dieu des alexandrins possède à son second degré, dans son second point de vue, l'attribut de l'intelligence. Il en possède encore un autre ; il doit être conçu comme ayant en soi la puissance, celte puissance, celte activité, qui est l'activité, la puissance créatrice^ Telle est la Trinité alexandrine : Dieu en soi. Dieu comme intelligence. Dieu conn
ViQMiJ^CK. Oo ne voit pas facilemeat ce qui niaAfiie à dttte tbéodiçée ; cepeodant elle renferoie dans son seiii QM wrrwr fondamentale.
Omv > comme intelligence, admet en soi une division : Uiur (Nd. ne se connaU qu'en se prenant comme objet de M .propre conns^issance; et l'attribut de Tintelligence introduit nécessairement dans l'essence de l'unité dif YiM» la dualitéi, condition de la peasçe^ caractère d^ la coitsciçnce. Ou il faut se résigner à un Dieu sai^ pObsçiepc0» ou il faut consentir à la dualité dans l'unité primitive. Il; ^flus : Dieu n'est puissance, puissance pro4u«tivQ9 qu'^ la condition de produire inépui^- lllejneot^ de puiduire indéfiniment; la puis9ançe in- troduit dçiUQ encore dans l'agent qui la posséda e| Vw^rQe» I9 mt^tiplicité indéfinie. Mais le Dieu d'Alexfoi-* ikie avait été posé d'abord comme l'unité absolue i l|uay(WJl donc h philosophie d'Alexandrie lui ajoute sa- gement l'intelligence et la puissance, elle ajoute I9. dualité et la multiplicité à l'unité.
Or f voici le principe de toute erreur dans cette phir Iftsophie : selpn elle, la multiplicité, la diversité, et la du^Uté qui commence la diversité , est inférieure 4 l'u^t^é.almïolue; d'où il suit que Dieu comme être pur, SçmW ^^t^Qce,^ est supérieur à Dieu comme cau««, CQinine intelligence et comme puissance ; d'où il «ait» W génér^4 que la puissance et l'action, l'intelligence et la pensée sont inférieures i l'existence en sof , ^ l'uwté ab^lue«
Yçiçi cj^uellest sont les conséquences immédiates de e^tp ^rrèur capitale, que nous verrons plus d'une fois 9e t!Vffodifm dw» h wiifi^é
468 raiLosonoE ancisnne,
L*intelligence et la puissance, engendrant la dnafité et la diversité,. sont déclarées inférieares à Tétre en soi. Or, qu'est-ce que le monde? Le monde des alexan- drins n*est pas une simple formation , comme le monde du stoïcisme; c'est une irraie création, une création de Dieu. Donc le monde des alexandrins est plein d'intelligence et de vie; il est beau, harmonieux, im« mortel comme celui qui l'a fait. Mais en même temps il est clair qu'il est plein de diversité et de multiplidté; donc il est inférieur à son principe; le monde, la créa-' tion est donc une chute. Si les alexandrins eussent été conséquents , ils eussent été jusqu'à dire que Dieu eût mieux fait de ne pas créer le monde; alors il leur aurait fallu accuser Dieu et sa nature , car cette nature est pré- cisément telle, qu'étant intelligence et puissance aussi bien qu'unité, et cause aussi bien que substance, die ne pouvait pas ne pas projeter hors d'elle-même la variété et le monde.
De même que, dans la théodicée des alexandrins. Dieu considéré comme une pure essence est au-dessus de Dieu considéré comme puissance et intdligence ; de même, dans leur psychologie, l'âme humaine consi- dérée comme essence pure doit être supérieure à Tâme considérée comme intelligence. La première et la plus noble de ses facultés consiste donc , selon eux , dans la capacité qu'elle possède de s'élever au-dessus de l'intelligence. Elle y parvient au moyen d'une opération que les alexandrins appellent la simpl^ication, c'est- à-dire la réduction de l'âme à l'état d'essence, d'essence pure, sans pensée, sans intelligence, ramenée à f unité. Et quelle est cette opération qui nous fait arriver à
TROISliME ÊMQUE. i09
eMte simplification , à cette réduction de rame à l'état d'essence, à T unité? L'extase. Ce mot viejfit d^ alexan- drins, parce que la théorie a été pour la première foi» régulièrement constituée , et élevée au rang et à l'aQlorité d'une théorie philosophique, dans l'école d'AJexandrie.
Cette psychologie des alexandrins dérivait de leur théodicée; elle se rattachait à leur dernier but, qui était, nous le répétons, un but religieux. La religion est l'union de l'homme à Dieu. L'union de l'homme à Dieu se fait par la plus grande ressemblance de l'homme à Dieu ; or, dans l'école d'Alexandrie, Dieu étant conçu comme unité absolue, l'homme ne peut lui ressembler qu'à la condition de se faire lui-même unité absolue.
Platon avait dit que l'homme doit ressembler à Dieu, et qu'il y ressemble le plus possible par la pensée, par les idées; car, comme on doit se le rappeler, le Dieu de Platon est la substance des idées. Yojlà u;i Dieu intelligent; aussi la morale platonicienne, bien que trop contemplative , ne proscrit ni l'action, ni la science. Hais, au lieu du Dieu de Platon , dont les idées sont l'ialtribut, l'école d'Alexandrie met un Dieu dont le type est l'unité absolue : de là une morale et une religion toutes différentes, une morale et une religion ascétiques. Platon avait proposé la ressemblance de l'homme à Dieu ; c'était assez , ce semble. L'école d'Alexandrie propose l'unification de l'homme avec Dieu, c'est-à- dire la destruction de toute humanité; car si l'homme', en essayant de ressembler à Dieu, s'élève au-dessus des conditions ordinaires de l'existence > il ne peut
s^ttiiir atec l^ièu qu'en s'y absprkant, en se détrainuM tttî-méme.
Cet aperçu de$ principes qui servaient de base an mysticisme des aleiandrins doit faire prévoir à quels égarements il se laissera nécessairement entraîner. Les premiers philosophes qui l'enseignèrent surent d'abord sTen garantir. Nous verrons leurs successeurs tomber , #eKeèi en excès , dans les plus absurdes superstilioM*
AUHONICS SAGCAS.
CTest à Ammonius d'Alexandrie, homme d'une mm» sance obscure, réduit à gagner sa vie dans Tétat da portefaix ( de là son surnom de Stwcas ) , que les bis* toriens font remonter la création de Técole néoplale^ sïctenne. Possédant au plus haut degré le désir de sa* voir 9 le talent et l'enthousiasme, il sut communiquer Fardeur dont il était animé à plusieurs philosophes distingués , entre lesquels se distinguent HARBNNiua, OiUGÈfiE et PLOTiif. Il avait lu, médité Platon et Arta« tote; il avait conçu l'espoir de les réconcilier , entreptiae déjà tentée plusieurs fois avant lui. < Il n'y a qu'une vérité, disatt-il ; d'aussi grands génies ne peuvent manquer de s'être rencontrés en la cherchant. » Les trois derniers de ses disciples , que nous venons de nommer, s'étaient promis de tenir sa doctrine secrète ; le premier viola l'engagement contracté ; les deux autres suivirent son exemple.
Le célèbre Longin, l'auteur du Traité du Sublime, qui enseigna la littérature grecque à l'infortunée Zé- nobîe , et qui périt victime de son dévoAment à cette
mne , âtait re^u les leçons d^ Ammenius. Cepiodut ft se prononça contre Firroption tfn mystieisaie dans ki philosophie.
wLimn.
n n'en futpas de mène du plus illustre des disciplea d'Ammomus^ de celui qui régularisa et développa avec autant de profiMideur que d'enthousiasme cet éclectisme mystique , dtet on peut le regarder comme le véritable auteur. Plotin naquit à LycopoUs en Egypte» vers l'année 205 de l'ère chrétienne , sous le régne de l'em- jiereur Alexandre Sévère. On ignore le lieu de la nais- sance et la condition de ses parents* Il cachait lui- même son origine et tout ce qui avait rapport aux cir- constances de sa naissance ; honteux ^ à ce que disent ses disciples y de ce que le Démon céleste qui habitait ion corps eût été contraint d'abandonner sa haute sphère pour descendre sur le globe terrestre. Le goût décidé de la philosophie se développa fort tard chez lui. Il avait atteint l'Age de vingt-huit ans , quand il commença pour la première fois à rechercher les leçons des phi- losophes des diverses écoles ^ mais il n'y trouva rien qui pût le satisfaire. Motin , dit son biographe et son disciple Porphyre^ revenait toujours triste et chagrin des écoles philosophiques qu'il fréquentait dans la ca- pitale de l'Egypte, lin de ses amis le conduisit à Ammonius^ et dès qu'il l'eut entendu, il s'écria : « Voili celui que je cherchais (1). » En dfet il adopta et suivit sa méthode dans son propre enseignement. Tous deux
472 PHILOSOMIE ANCIENNE.
sympathisèreot parfaitement quant à la manière de sentir et de philosopher. Piotin suivit les leçons d'Am- roonius pendant onze années, au bout desquelles , enthousiasmé des louanges que son maître prodiguait si souvent à la sagesse des Mages et des Brames, il résolut de faire un voyage en Orient et de puiser la sagesse à la source même. Il profita de Toccasion que la guerre de l'empereur Gordien contre les Perses lui offrait. Il prit donc du service dans Tarmée romaine , à l'âge de trente-neuf ans, mais manqua totalement son but , parce que l'expédition ne réussit pas ; et il se rendit à Rome avec les débris de l'armée.
Là, il ne tarda pas à feire une vive sensation. Il portait le costume des anciens pythagoriciens^ s'abste- nait de tous les aliments tirés du règne animal , observait des jeûnes fréquents et austères , et se retirait dans la solitude pour s'y livrer, sans être troublé , à ses con- templations philosophiques. Pendant dix années qu'il professa, ses leçons attirèrent un concours extraordi* naire d'auditeurs. Une philosophie telle que celle que nous avons exposée plus haut, supposant une force singulière d'abstraction et des efforts inouïs d'imagi* nation , le forçait d'observer sévèrement les lois de la tempérance et de la continence. Elle lui fiiisait envisager avec indifférence les plaisirs, les avantages et les jouis- sances de la vie de ce monde. Il n'estimait et n'aimait dans chaque homme que le Démon divin qui l'anime. Ses aimables qualités lui acquirent l'estime de la cour et la faveur de l'empereur Galien, qui lui donna l'em- placement d'une ville ruinée dans la Gampanie, afin qu'il la fit rebâtir et qu'il y établit une république
TROISIÈME ÉPOQUE. 473
semblable à celle de Platon. La nouvelle ville devait porter le nom de Platonopolis ; mais le projet demeura sans exécution.
Plotin, livré tout entier à Tenthousiasme et à l'exal- tation religieuse , se donnait à peine le soin d'écrire ses leçons; ses idées s'échappaient comme par torrent, mais avec peu d'ordre , avec une extrême concision et sous une forme à peine ébauchée. Porphyre, qui avait suivi ses conférences, qui était admis à sa confiance intime , reçut de son maître la mission de mettre en ordre ses écrits. Il les a distribués, en y joignant quel- ques commentaires, dans les Ennéadesy ouvrage que nous avons en entier, et qui est l'un des monuments les plus importants et les plus curieux de la philosophie ancienne; c'est le traité le plus complet comme le plus abstrait et le plus étonnant de métaphysique transcen-t dentale et de mysticisme religieux*
L'ordre cfue Porphyre a prétendu porter dans Tex^ position de cette doctrine n'est qu'apparent. Les roa^ tières y rentrent sans cesse les unes dans les autres. L'ouvrage est distribué en six Ennéades ; chaque en- néade est composée de neuf livres : la première em- brasse essentiellement les objets moraux; la seconde, la physique ; la troisième, des considérations générales sur les lois de l'univers ; la quatrième concerne l'âme humaine; la cinquième a pour objet l'intelligence; la sixième et dernière est une sorte de résumé de la doc- trine entière.
Ces six Ennéades forment trois corps : le premier comprend les trois premières ennéades; le second, la quatrième et la cinquième; le troisième, la sixième.
iH PHILMOMIE AKCiElliNE.
OaM 06H6 divisioD^ Paq)liyre avait aifecté.de se fiervir des qttitre noavbres mysiérieuK d6 60q éoole : VwiUé , la dyade, la triade et Vennéade.
C'est dans les ouvrages de Plotia que la philosc^hie des aleiandrins , teUe, i peu de dUTéreaoe ftès, que aotts l'avoBs exjiosée, se trouve caractérisée le plus Aettemeat. L'historien Buble, qui le traite d'ailleurs avec tant de sévérité , regarde eependant son système comme on chef-d'œuvre de philosophie traosoendentale. Maïs œtle contemplation de l'absolu, cette simplification de l'âme, cette opération de l'extase, au moyen de laquelle elle peut s'unir à la divinité^ devak nécessai- rement entraîner hors des bornes de la raison la bouil- lante imagination de Plotin» Aussi, quoiqu'on n'ait pas il lui reprocher les extravagances dans lesquelles tom* lnèrent ses successeurs , chez lesquels la théurgie et la magie ne tardèrent pas à dominer, on ne devra pas <^ublier qu'il se vantait d'avoir été honoréfdeux Ibis de la vue de Dieu.
POHPHYEK.
Porphyre, né en 233, à Balanea, colonie des Tyriens en Syrie, s'appelait Malchus en langue syriaque. Il étudia d'abord sous Longin , probablement à Athènes, où ce critique distingué s'illustra comme professeur. A cette école il puisa le goût d'une diction lucide et pré- cise, et ces habitudes de saine critique qu'il transporta depuis dans la philosophie. Après s'ôtre distingué dans sa patrie, le désir de voir Rome l'amena «dans cette ville, où il fit la connaissance de Plotin, Dès lors sa destinée
TROISIÈME ÉPOQUE* 17fi
fot fixée et il se livra tout e&tîer à la philosophie. Um imagination brûlante et un tempérament, mélancolique lo dieposalent éminemment à une philosophie semblable à celle de Plotin. Gomme il croyait s'ôtre plongé dans l'étal d^eKtase, condition indispensable pour bien phi- * lofopher , il était convaincu de la réalité des fantômes que sa tète exaltée enfentait. Aus^ parait-il pônétné de la foi la plus vive, quand il raconté^ apparitions que son maître a eues ^ et les miracles qu'il a opérés^
11 avait médité les ouvrages des anciens Sages, et spécialement ceux de Platon et d'Aristote. Nous avons encore de lui des contmentaires sur les écrits du phi- losophe de Stdgyre. Son introduction aux -Catégories d'Âristote a exercé une influence très-puissante sur la philosophie du moyen- âge.
La* philosophie d'Alexandrie trouvait alors dans les gnostiqueset les chrétiens des antagonistes redoutables* Porphyre attaqua les uns et les autres. Le combat qu'il eut à soutenir contre les premiers n'était pas trèa- dangereux ; celui dans lequel il s'engaga contre les seconds était plus périlleux et plus pénible.
•Porphyre adopta toutes les idées essentiellesde Plotin; il essaya seulement de compléter les différentes parties de son système , dé les éclaircir , et de les établir sur des bases plus solides.
Platon avait dit que les âmes des animaux ont aussi de rintëlligence , parce que l'essence de l'âme est -pai^ tout similaire. Porphyre tenta de consolider ce dogme, en l'appuyant de raisons empiriques qu'il emprunta à Aristote, à Straton le physicien et à Plutarque. Gomme son maître aussi, il soutint que l'âme est simple, îo«
i76 PUILOSOPHIE AJ^CIENNE.
divisible et sans espace; mais, au lieu d'accorder que le corps en est le lieu , il prétendit qu'il n'y a entre eux qu'un simple rapport, sans [que l'âme soit réelle- ment mêlée avec le corps. Ce rapport dépend de ce qu'il émane de Tâme une force qui détermine le ccMrps : or cette force n'est qu'une force subalterne de rame ; elle a une étendue idéale, en vertu delaqueUe elle est susceptible d%s'unir au corps. L'âme peut agir aussi à distance, et le contact corporel n'est pas nécessaire pour cela , puisqu'elle est sans étendue et sans parties, et peut en conséquence exister partout. 11 perfectionna également la doctrine des démons ou génies inlermé* diâires entre l'homme et la divinité.
JAMBLIQUB.
Jambliquë ,^né à Chalcis en Gœlé-Syrie, d'une fa- mille riche et puissante, ne fut pas le successeur im- médiat de Porphyre; entre eux est Anatalius, sur lequel les historiens ne nous apprennent rien de positif. Jamblique vivait sous Constantin. Déjà la croyance à la magie, à la théurgie, aux miracles, et à la possibi- lité d'entretenir un commerce intime avec les esprits supérieurs , non-seulement était répandue parmi les chrétiens, mais encore avait gagné les plus célèbres philosophes païens. Peut-être Jamblique profita-t-il à dessein des dispositions de son siècle, et ne fut-il qu'un imposteur; mais peut-être aussi , et cette dernière opinion est bien plus vraisemblable, ne fut-il induit en erreur que par les conséquences des idées mystiques qu'il avait embrassées. II ne se borna pas, en effets à
TROISIÈME KPOQLË. i77
embrasser le système de Plotin ; mais il tomba bientôt dans toutes les extravagances dont ses prédécesseurs s'étaient en grande partie préservés. Le mysticisme devint la règle de sa conduire ; et c'est a cette circon- stance., bien plus qu''à son mérite philosophique, qu'il dut la haute réputation dont il jouit. Il ne fut en phi- losophie qu'un compétiteur assez médiocre. Dans sa Yie de Pythagore , il peint le sage de Samos comme un magicien. 11 s'était proposé dans cette Yie d'établir un anneau de la chaîne qui, suivant les vues des nouveaux platoniciens , devait rattacher leur doctrine à l'ancienne philosophie des Grecs, ot, par celles-ci , aux anciennes traditions de l'Asie. Il reçut le titre de Divin, titre que les nouveaux platoniciens donnaient, au reste, très* volontiers à leurs maîtres. Il ne l'obtint pas seulement à cause de son zèle exalté pour la* cause dont il fut l'un des plus ardents apologistes, mais aussi à raison des prodiges qu'on lui attribue (1), et du rang qu'il occupe parmi les thaumaturges de l'époque, genre de renom- mée que cette secte , selon l'esprit du temps, recher- chait avec ardeur et prodiguait à ses chefs.
Jambiique eut un U'ès-grand nombre de successeurs, qui se répandirent de tous côtés dans l'empire romain. L'un des plus célèbres , Édësius , se retira à Pergame en Mysie , et y établit une école. Il parait qu'il avait
(1) fiuDape racoBle qu^une fois an bain , devant deux fontaines nommées , Tune Éros et Vautre Anteros, Jambiique évoqua en riant les génies de ces deux fontaines; et les deux génies sortant des eaux vinrent Tentourer de leurs petits bras. Ce trait, i^ute lliistorian, fit taire l'incrédulité de ses disciples, qui dès lors se montrèrent dociles et confiants. (Eunape, «dit. de Boissonnade, t. 2 , p. 15 et 16. )
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i78 pgiLosoniB AMcnumE.
été entraîné par une vocation particulière van la fè»^ loaophie : car il était d'une grande famille de Cap|Mi doce; et, pour se livr^ à ses goûta , il e^t a wmue 4ine vive résistance de la part de aa fiimitte. H la aww- monta à force de patience , et fit un voyage en Sfrie auprès de Jambiique, sous lequel il étudia aviec un succès égal à son zèle. Eunape assure qu'il ne nMa pas (ùH au-dessous de son mattre, a rentheuaiaanM religieux près, que peut-être il posséda aans aaar le montrer y à cause des circonstances* En elfet, c'était alors le temps où Constantin renversait les temples les plus célèbres de l'ancienne religion^ et ou les plâlak- sophes les pi us distingués étaient forcés de se coodaHmer au mystère; à tel point que Tun d'eu, SoFAm d'Apamée , doué d'un caractère plus énergique et eoma- ptapt plus sur lui-même , s'étant présenté i la eawr 4e l'empereur 9 qui le traita d'abord avec bJenveîManea, devint . bientôt a{^ès victime de la jalousie des comt*- lisans.
Édésius eut pour disciples EusÈae de ifyndes» M*.- xiME d'Épbèse et Chrysanthe de Sardes.. .Ce fnt i l'école de ce dernier que furent attachés rbislorien EuNAPE, qui nous a laissé , dans ses Vies éek $opkute$p des documents bien précieux pour l'histoire de ertlp q)oque ; et l'empereur Julien , qui fit montçr jivee iili sur le trône le mysticisme alexandrin.
Resté seul de la famille de Constantin^ Julien a^it été, dès son enfance » entouré de surveillants dent M principale mission fut de le r^^iir dans la foi chré- tienne. Éloigné des aflbires> il s'appliqua avec ardeur à l'étude; et Constance, selon Eunape, favonaa MU
♦•
ffàài par polilîque, aimaot mieux le wîr «olofieé 4Mi des livres que penswt au trône qiiî lui appwteiwJt^ C'est là ce qui exjdique les facjiités qui iui fiprevt l^w^ de s'ÎBslruûre. Julien eo pro^t«. I&ou ccMaiew^ 4f^ Im^, il mita tous les i^ounuei» dislûigMés 4h siècle^ wtw autres, Édésius qui se troi^vait alors à )la t^« 4'4B'^ école où florissûiesl Blii^îme, Ghryaantbe, Pdseiis i9f Eusèbe , qine uous «vous me»tioi)oé$ i)l«s fa^«t. Ew^i qui se noquaît 4es |Nréten4wminadesde s^ ei^Hiigjv^s^ fit tous ses efforts pour détourner Julieit 4e i^L rQNtt§ du mysticisme et de la tl^éurgiç : o^ais Julien ^ ai) lîeu de Técout^ , s'aUadia à Gbrysanthe , qui s« djstingu^ surtout par son enthousi^m.e reUgÂoux et §e$ rêver^ inystiques et tfaéurgiques. C'est à cette làcpl^ qu'j^ P forma et d/eyint ee qu'il resjUi toute sa vie La via de ç^ prince peut nous donner UAo idée complète de ]^j^NI9 qu'avait prise ie platonisme^ ^M^^ les o^tk^ 4^ cetf enthousia^es^ par le mélange 4')we wor^/fe ^st^ ^ d'une i^mUiation my^tique^ ^ des euper^*Uons }f^ plus grossières du pagïtfHsi^. Ces superstitions i qu'ji^nff pliilosophie plus éclairée aji^t eas^yé, dés Je temps 4^ Cicéron, de bannir des idées religieuses^ y refitraîen( à flots par les voies de la philosophie nouvelle , et cher** ehaient en elles une sanc^o^^ Par elles, en effet, le merveilleux s'expliquait comme le phénomène le plus i^împje; l'ordre des choses surnaturelles n'éftajj; plus que la loi esseniielle do la nature j le mond/^ visfji>le n'éjtait plus qu'un v^^ste en^blèn^e; ji*howi^ ^obfjdfi^ par ses rapports diiiects avec les biérarcJ^Âes du n^onde întellectuel , non-seulemeni uue /*évélatiiw x^ontin^elle^ n»aîs mm une sorte de. p^issanoe ;réelle ^ vérit^bie |
péiM hr^ ilMlèr6 de' m» traître, m j^iété exallée, mr» et Mielqaes i^wtus ; H nfom le montre aflranehi ée testes les paMett haflieiBes , et pregqtte dépomllé de toutes IM fcîMessses de* ThMianité* C6î»iy arai rèMe/ u* ésfftit éa fN^eteier ordre;! c^étaH le géo- iÉiètrê= ei ïtMre/mmt le pfes distiftgBé de gon temps ^ 1 ft laAsBè sw Pielémée ua commentaire <f ui est regardé ëovÊÊÊië le disrnier mot de» mathémAti^es aoeiennes. tf té ééâùiH» YoloBtiers Predas , dît le savant édîlen' denses OMiy^esv atec son talent Mpériear d'anal jse, an Mitf de Véeeie^ i$y»tliâiiqQie d^ Alexandrie, FAristoie ém iiystiAisme aleMfÉdrki ^ et eoflinneHC a fini cet Arîstote êë iit^AicIrtae? pair des hymnes asjrslique» emfpreiBtes #ijMe firelbiide mékneetje , eà Fetf loîl qu'il diseq^e êê^ 1» ferre , l^abttndoafne aei bMbvrosr et à la rdigkP» iteurMHe^ et se réfagieim momeftt^ eis esprit, dans Ui véÉénià^ ÉMiqeifé, ÈWtkt de se perdre à jaman dans lé seiÉf de l'ttaHé éft^neltoy suprôme ehfet de ses eflbrts a cie scd pcnsoQo* ^
Avée Proelos finit l'éeole d'Alexandrie : elle s'était êtetfdite à la fois en Egypte, en Italie^ à A thème; eUe 8^4ta)t emparée de là théologie paieniiey et avait même _ ft()t quelques prosélytes parmi les ekrétiens. Un décret de JuStinîen , qui ordonna ai 629 la elMure de toutes les é^oleë profanes , fut l'arrêt de mort de celle d'Athènes. Isidose de Gaza, qui y avait remplacé Ma- riiMs I BA«ASCnjs , et le célèbre commentateur d' Arîs- tote, SmPLicius, furent obligés de se réfugier, avec plusieurs autres philosophes^ à la cour de Chosroês , roi des Perses. La guerre vint bientôt les forcer d'aban- donner encore cet asile ; il est probable qu'ils y lais-
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TBOMlillE ÉPO«UE« fS8
le germe que nous ferrons plus tard se repro-* énire ehez les Arabes.
PHILOSOPHIE
HES PÈRES DE l'AGUSE, •
Le ehristianisme était par lui-même étranger à la philosophie oonsidérée comme unescience profane, c'est- à-dire^ comme une simple investigation des vérités dé- duites de la raison. Cette haute sagesse qu'il apportait sur 19 terre, il la faisait découler d'une révélation di- vine^ il la.plaçait sous la sauvegarde de la foi religieuse.
Aussi , pendant le premier siècle , les chrétiens ne s'occupèrent*ils des théories philosophiques , ni pour les cultiver, ni pour les combattre. Mais lorsque le ehristianisme , en se développant graduellement, com- mença à faire de nombreuses conquêtes, l'intérêt delà religion elle-même lit considérer les choses sous un autre point de vue. On jugea que^a philosophie pou^ vait offrir des secours ou opposer des obstacles à la propagation de TÉvangile* Les efforts tentés par les Bouveaux platoniciens pour identifier la philosophie avec la théologie païenne , pour justifier ou ennoblir celle* ci par celle-là, durent influer essentiellement sur la direction des idées. La philosophie dès lors se pré- sentait sous un nouvel aspect ; elle se trouvait engagée et compromise dans les controverses religieuses : on avait intérêt a disputer aux Plotin , aux Porphyre, aux Jambiique, les avantages qu'ils prétendaient tirer de cette alliance.
Pendant cette première époque, où le christianisme
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i84 PHILOSOPHIE 4NC1ENNB,
dans ses progrès toujours croissants luttait contre le paganisme clans sa décadence, les Pères de TÉglise et les Docteurs chrétiens se partagèrent en deux classes prin- cipales : 1^ uns acceptent la philosophie et Tapprouvent sous quelles rapports , en cultivent l'étude, s'en em- parent j mais pour la subordonner à la prééminenee du christianisme, et la faire servir à ses intérêts; les autres ta rejettent, la blâment, la combattent.
Le premier des Pères de TÉglise qui ait fait profes- sion de cultiver la philosophie est saint Justin , le martyr. 11 était n^^ dans le sein du paganisme , au com- mencement du 2* siècle , et , suivant la disposition commune du temps, il avait visité les principales écoles grecques. Les doctrines du Portique et du Lycée ne purent satisfaire son esprit, porté, comme il le dit lui- même, aux notions incorporelles. Il se réfugia donc auprès de Platon. II fut ravi d'y recueillir des pensées sur Dieu, sur la nature humaine^ plus conformes aux besoins de son cœur. U saisit surtout avec avidité la théorie des idées, et s'attacha aux exercices de la contemplation. Ce fut alors qu'un vieillard vénérable fit naître en lui le désir de connaître les livres saints. U était dans les dispositions les plus favorables ; il trouva dans cette lecture le complément qu'il cherchait ; il y trouva, dit-il, la seule phibsophie vraie et certaine. Tou- tefois, loin de désavouer ses précédentes études, il continua à professer une estime signalée pour les sages dont il avait recueilli les leçons. Il n'hésita point même à réclamer les hommes qui avaient préludé au chris- tianisme , comme lui étant en quelque sorte acquis. « Tous ceux, dit-il, qui ont cru conformément à la
TROISIÈME EPOQUE. 185
raison sont chrétiens , alors môme qu'Us n'ont pas eu )a connaissance du vrai Dieu. » Nous avons déjà parlé de son opinion sur le Logos de Platon , sur cette raison suprême dont les rayons éclairent TinteUigence hu- maine; il le regardait comme le Verbe divin, tel qu'il est révélé par le cbrrstianisme , comme ce Verbe qui avait parlé par l'organe des prophètes. Tel était le lien par lequel saint Justin rattachait la philosophie au chris- tianisme, ou plutôt c'est ainsi, selon lui, que la phi- losophie émanait de la même source que la religion. Aussi n'admettait-il qu'une seule et unique philosophie: « Le vrai philosophe n'est ni platonicien , ni péripa- téticien, ni stoïcien, ni pythagoricien. S'il s'est formé des sectes diverses , c'est qu'on a substitué l'autorité des maîtres à celle dé la raison. »
Rien n'est plus intéressant que de suivre dans ses développements la doctrine de ce Père de l'Église, dont la candeur et l'héroïsme inspirent tant de respect. Elle nous donne l'exemple de celle qui conduisit , en gé- néral , un grand nombre de philosophes dans le sein du christianisme.
Tatien, son disciple, converti comme lui du paga- nisme à la croyance évangélique , et comme lui livré à l'étude des doctrines philosophiques, montra moins de prudence et de réserve. Initié aux traditions orien- tales , il prétendit en transporter la substance dans le sein du christianisme, et fut conduit à en altérer les croyances.
Saint Théophile, saint Pantène et Athénagore méritent encore d'être distingués parmi les philoso- phes qui embrassèrent le christianisme. Athénagore est
4M raiLOBomE mgiknni.
l'auleiir d'une Apologie adressée, Tan 176 ^ à Teaipereiir Mare-Aurèle , dans laquelle il fait une exposition et une crilique des diyers systèmes philosophiques , égalemeat remarquable par les connaissances qu'elles supposent » pkJr l'art avec lequel elles sont traitées ^ et par l'éléganoe du style«
Saint Gléhent d'Alexandrie, disciple de saint Pan- tène, et peut-être aussi d'Atbénagore , fut la gloire de cette é^ole chrétienne qui se formait dans l'ancienne capitale des Lagides , dans celte noui^elie métropole des sciences et des lettres, et qui s'élevait à côté du Musée. Contemporain d'AmmoniusSaccas, il fut aussi sta étnuloi et tenta comme lui, mais dans d'autre» TueS| de rappeler à l'unité toutes les doctrines philoso* phiques, il avait puisé à toutes les sources, auprès des Grecs, des Syriens, des Egyptiens, des Hébreux, et avait trouvé dans chaque école des maîtres dignes de sa vénération. Il entreprit de former, du choix et de l'amalgame de toutes ces doctrines , le vaste recueil qu'il nous a laissé sous le nom de Stromaies, et qui est encore aujourd'hui un monument bien précieux pour l'histoire de la philosophie ; c'était une sorte de portique qu'il élevait à l'entrée du christianisme.
Disciple de saint Clément , le célèbre Origène , qui lui succéda dans renseignement^ catéchélique d' Alexan^ drie, donna à cet enseignement un éclat nouveau. Mais il avait associé les leçons de l'école néoplatonicienne à celles du docteur chrétien; aussi remarque-t-on une analogie frappante entre plusieurs de ses opinions et la doctrine contenue dans les Ennéades de Plotin. Cette circonstance explique encore les erreurs qui lui ont été
mntriaiE imiR»* lit
f«|Mrockéeft ^ et la ecmtradiclioii siDgalîère qui etlste entre lea logements qu'ont portés sur loi lee Pères de VÉglteeu ky0t aaint Justin ei saint Clément , il soppoitt comme im fait historique qœ les Grecs avaient piiiilé ebes les Héturem les premiers éléokents de leur pU« losophie« Noos avons ^ soas le nom d*Origène, oit re^ eoeîl fort préeieox^ qucMlque très^ommaire , des sys^ tèmes de la pbilosopliie grecque y publié par GronoiriitSi mais dont l'autlientieité est justement contestée; SAmt GRteoiaE de Njrae prit Origène pour guide dans on tTiiité de^psyehologie qui est parv^u jusqu'i noos^ et qui a été cité par Mélauchton , comme conforme aux notions des mod^nes« U renferme cependant peu de voea oeuvaB, même pour 9on temps.
Geoi des . Pèk'es ^e T Église qui^ comme HERift as ^ Tertuluêm f Arnosb^ Sàmt Isénée , Lagtance ^ se mon* trèrent plus sévères à Tégard de la philosophie païenne, et qui parurent bannir toute espèce d'étodes profanée^ se livrèrent contre elle à des censores qui ont uoA grande analogie avec le pyrrhonisme. C'est encore U scepticisme^ mais un scepticisme d'un genre pàrticdlier et nouveau; un scepticisme tel que celui dont le savant évéque d'Avrancbes a donné l'exemple dans les sièclee modernes^ que nous avons vu reproduire même de nod jours , et dont le caractère consiste à supposer qu'en refusant toute autorité à la raison , on affermît celle qu'on prétend attribuer à la foi (1).
(I) N<Hisii9ri»ii8paeicore citer ptfmi ceux dêsPèvM de l'EslIw^Birêa eMmuodèfenl in éeleetîMM «pproprié à Tespril du chrîstianrisine, mM BcsUe , saint SiMsi , Didyme, saiftl Grégoire de NaaiwBce , saHit Jértaie , saint Ambroise , etc. ; et parmi ceux qui exprimèrent des pféveaMo eosirs
189 raitOMPBI£ ANCIENNS,
Mûis à mesure que la lutte entre le chrisUaoisine et le paganisme vint à cesser , les écrmins eccléskstiques eurent moins de motifs pour s'occuper de la philoso^ pbie proprement dite , considérée comme scieûce pro* fane ; ils se renfermèrent presque exclusivement dans la théologie ; et ^'ils rencontrèrent quelques questions du domaine de la première , ce fut par occasion et eu les traitant comme les accessoires de l'objet principal. Nous devons remarquer, cependant, parmi ceux qui associèrent encore les études philosophiques aux études religieuses , Eusèbe^ qui dans sa Pr^iniratim et sa Dé^ nwnsiratim évangéUgues , nous a conservé un nombre considérable de passages des auteurs de l'antiquité , dont les ouvrages se sont perdus , et surtout le savant évêque d'Uippone, St Augustin,^ qui occupe le rang le plus distingué parmi les philosophes chrétiens.
St Augustin avait étudié la philosophie des écoles , et était devenu un ardent manichéen. Il fut ramené à la foi orthodoxe par la puissante éloquence de St Am- broise, à Milan. 11 fit usage de son instruction phUo- sophique, de son talent étendu et flexible, pour donner au dogme chrétien la forme scientifique, et il établit un système rationnel de doctrine religieuse , dans lequel le néoplatonisme et le christianisme étaient habilement associés. Selon ce système^ Dieu est l'être le plus élevé et le plus parfait, et comme tel, il existé nécessairement j
les études philosophiques, Théodore! , saint Epiphane , SidoiDe-Âpollinatre. Mais nous pensons qu'il nous a suffi de détacher d'un si vaste siget les lUU principaux qui servent à caractériser la direction générale des idées dans les écoles chrétiennes, pendant les six premiers siècles, et ceux des docteurs qui ont eu une influence plus sensible sur la marche de l'esprit humain petn- dant le no7en4se.
THOISIÈITE ÉPOQUE. 489
il est le créateur du monde, réternelle iréritc et la loi éternelle de toute justice , dont l'homme trouve des idées innées dans sa raison, ou sa faculté d'intuition supérieure aux sens ; Dieu enfin est le bien le plus pré- cieux du monde spirituel , auquel nous devons nous rattacher (retigio). Dieu a appelé tous les êtres raison- nables au bonheur par la vertu , et leur a donné , pour y parvenir, la raison et le libre arbitre. C'est dans la volonté que réside, comme causalité absolue, le prin* cipe premier du bon ou mauvais usage de la liberté, par lequel l'être raisonnable s'attache à Dieu ou s'en éloigne, se rend digne ou indigne de la félicité. Le vice mqjral est une privation, et n'a point de causé positive. Les méchants appartienn^pt nécessairement à l'ensemble de l'univers , qui est parfait ; car cet en* semble exigeait que tous les êtres possibles , à tous les degrés possibles , fussent produits.
Telle est la théodicée de St Augustin. Dans un âge plus avancé, il abandonna ces îdées pour un autre sys- tème dans lequel il soutenait que, depuis le péché originel , l'homnle a perdu Timmortalité et la liberté de s'abstenir du pl6ché, mais qu'il a conservé la liberté de le commettre; que, par conséquent, c'est Dieu qui produit immédiatement la volonté de bien faire, et qu'il accorde ou refuse cette grâce à qui il lui platt et de son propre mouvement ( élection absolue^ ou pré- destination); enfin , que la persévérance dans le bien est particulièrement un effet de la grâce , à laquelle l'homme ne peut résister. 11 fut amené à ce système , contraire à la nature de l'ordre moral , en s'attachant strictement aux ternies de la Bible, dans sa dispute
|f$ PHULO80PP1E AhcmmE.
9¥e« PiLia^, wfÀue de Bretagoe, qui viot d'Irluode 09 Afrique ave^ soo ami Cale^vujs, et qui attribuait ^ l'hoiRipe la puissance de faire le bien.
JXÉiftoii$,aujt(eur d'un traité de psychologie aupérieor eo ipérite à celui de St Augustin , y fit preuve d^une étude approfondie de la philosophie des anciens. Vé* ritabie éclectique, il cite Aristote» Pythagone, Platon^ las stoïciens, les nouveaux < platoniciens, mais c'est toujours en lias jugeant, souvent en les réfutant : îl ptipse constamment d'après lui-même. U adofrta Thypo- tbése de Platon sur la préexistence des âmes , hypothèse qMÎ avait été d^à r^roduite par Origfène, et qui fui commuée en 5J^1 par le concile d^ Constatitjpi^le.
SïNÉsDus, paien converti au christianisme par le p^riarcbe Théophile, élevé ensuite, malgré ses lon^^es jrésistântses , au sacerdoce et à i'épiseopat, essaya aussi de concilier le fond du cbristianisipe avec le système des nouveaux platonioieps. U a laissé des hymnes qui sont une exposition brillante des doctrines religieuses 4e cette école (i). ^ ^
]ya q^anière de pbil^osqpber des Pères de TEgUse, et surtout le système superxiaturaliste d€ ^ Augustin , iMbercèrc^t une grande influence sur* la philosophie ides siècles wiyants. L'habitude de déprécier la rai$op , et la prétention de renfermer dans de certaines limfuss la lihep*té de 1^ pensée et de Faction , furent favorisées par ^ destructÎQu de l'empire romain, rinvjasion dies peuples barbares et la perte de l'ancienne civilisation. Ce fut un bonheur pour les siècles d'ignorance dont cette j^poqi^ fut suivie, que les ouvrages des Pèr^ les plus
(«) .QQttecUou 4es poètes §s^tcs , é<U(ion de Bmionu^d» , xol. ib , p. ^.
TROISIÈME é^OQVe. âêé
éffiioeiits eussent consacré et entretenu les restes 4e rancienne culture inteUectuelle. Les ouvrages de S% Au* {(fistin eoBtribuèrent beaucoup à ce bienfait : on peut y joindre , à ce titre , les livres de diateetîque qui lui ont été faussement altribués, et qui furent reoen- «andés^ au moyen-^âge, par T autorité de son nom.
DEBINIÈRES LUEUR$
DE LA PHILOSOPHIE ANCIENNE.
Sur la lin du cinquième siècle et pendant i^ cours du septième, les arts, 1^ sciences, let la pliilosof^ pariUculièreni^ent , marchèrent à pas de géani vers y.ne fuine totale. Leur décadence fut surtout sensible é/à^i^ les provinces septentrionales de rempîre roumain , s^ifM en excepter même l'Italie. La littérature , enefiet, cç^r ^serva un certain, degré de splendew* 4^ns l'Orient, q», elle trouvait encore quelques ressources; mais ^'ét^ fait de la philosophie grecque. Pour qu'^ nouveau n^ouvement philosc^hique fût possible, il fallait que du sein de la grande révolution qui emportait ranjkiqjMté grecque et romaine, sortit un nouveau mojod/çqui pror duisit peu à peu une nouvelle pbilos(^ie. Ce proémf, de la 4siviUsation moderne ne pouvait naître qu'avçp jcette ^vilisation elle-même^ le j^oyen-âge sem^vit à Tun^ et à i'aotre' de berceau.
Parmi les ouvrages qui servirent de texte aux ét^^fP du inoyen:âge, et d'intermédiaires entre l'ancienne jmstructiop et la nouvelle, outre l'abjrégé aride de e^ ,<me l'on appelait les Sept arts libéraijLx, par MARCiikNua jÇ^Eid^éL, on doit distinguer les écrits de ^e»\ pf^ici^n^
492 PUiLOSOPHIE -ANCIENNE.
romains du royaume ostrogothique, Boëce et Casbio^ DORE , avec qui s'éleignireQt les lettres classiques en Occident , tous deux éclectiques , tous deux associant dans leurs opinions les doctrines de Platon et celles d'Aristote.
Anicius Manlius Torquatus Severinus Boethius > cooi* munément nommé Boèce, était né à Rome, vers le milieu du cinquième siècle. Après avoir suivi à Athènes les leçons de Proclus, il revint à Rome^ où ses coq* naissances rélevèrent au rang de sénateur , et plus tard à la dignité de consul, charge dans laquelle il se dis- tingua par son éloquence. Théodoric, roi des Goths, sut appVécier son mérite, et lorsqu'il eut conquis Rome, il l'admit dans son conseil, et le revêtit d'une des premières charges de la cour. Mais ayant été faussement accusé auprès du roi d'entretenir des intelligences se- crètes avec l'empereur Justin , Théodoric le fit enferiui .: sans examen dans un cachot à Pavie, et il eut la tête tranchée en 526.
C'est à la captivité de ce grand homme que nous devons son ouvrage de Consolatione phitosaphiœ, qu'il écrivit pour se consoler lui-même au milieu de l'adver- sité qui l'accablait. 11 s'était proposé de traduire en latin les ouvrages entiers de Platon et d'Aristote, en montrant la concordance de ces deux grands maîtres * mais il ne put qu'ébaucher un si vaste dessein : il donut. du moins à Rome une traduction des Catégories d'Aris- tote, de quelques-uns de ses Traités de dialectique, et des Commentaires de Porphyre, qu'il commenta à son tour. C'est lui surtout qui parait avoir jeté les fonde* ments de l'immense autorité d'Aristote dans les âges
TROISIÈME ÉPOQUE. 193
suivants, en lui prêtant celle de son propre nom.
En Espagne, sous le gouvernement des Yisigotbs , l'arcbevâque de Séville , Isidore ( Hispalensis ) , né à Carthagène, rendit un service réel aux études encyclo* pédiques par son utile Répertoire de mots et de faits. En Angleterre et en Irlande l'instruction se conserva encore plus longtemps qu'ailleurs : TAnglo -Saxon Bède, surnommé le Vénérable, y acquit une grande célébrité ; à Taide des ouvrages d'Isidore , il composa des abrégés dans Sesqueis puisa Alcuin , l'organisateur des écoles en France, à l'aurore du moyen-âge.
En Orient, et surtout dans l'empire grec , les belles- lettres et les études scientifiques se conservèrent plus longtemps. Au vi^ siècle, Jeàn Stobée (1), attaché aux doctrines du néoplatonisme, et plus tard, dans le ix% le patriarche Photius , formèrent de précieuses collec- t\uj4i> et des extraits des écrivains grecs. Jacques d'Ëdesse, l'éclectique alexandrin Jean Philoponus , et, après eux, Jea^i de Damas, entretinrent par leurs conv mentaires l'étude de la philosophie aristotélique, qui se conserva jusqu'au xv* siècle.
(1) Hberbn a donné une édition du précieux ouvrage que Stobée a laissé sous le Ulre de : Eclogœphysicœ et elhica, Gott. , 179^1S00.
ru
13
■— — *^
DEUXIEME PERIODE.
PHILOSOPHIE PU HOTSN-AGE , OU SGOLASTIQCE.
Emploi de la pldiosophie , comme simple forme ^ au ^erntce de la foi , et $ous la êwrveiUance de l'autoriié reUg^eiàie.
PumteE ÉPOQUE. — Depuis le commencement duneuiFième siècle après J.-G. jusqu'au treizième.
l!FaÎM0m00 de la phUoêopkie scotastique, — Aveugle téti&me.
IC^
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
Akuin. mort en 801
Rtiaban ifivnis. m. 856
Jean Scol-Erigène. m. 886 ^r1>eri(8ylv<e8trêK>. m. 1608
Bérenger de Tours. m. i088
LaDfranc de Pavie. m. 1089
Pierre Damien. m. 1072 St Anselme deCantorbéry. m. 1109
▲nielne 4e Laoo. n. 1117
Robert Palleyn. m 1154
Pierre le Ldmbard. m. 1164
Hugues d'Amiens. m. 1164
Pierre de Poitiers. nt 1205
DaTid de Dinant. il. 1220
Hildebert de Tours. m. ll.n
RosceHIn. A. tM9 Guillaume deChampeaux. m. 1120
Abailard. IB. It4a
Guillaume de Conehes. m. 1150
Gilbert de la Pore». m. 115f
Hugues de SI- Victor. m. 1140
Robert de Melun. m. K7S
Adéiard de Batli. ft. 1230
Richard de St-Vietor. n. ll'TS
Simon de Tonrnay. 11. 1^00
Jean de Saiisbury. m. 1180
Alain des Ues. m. 1203
Amalric de Chartres. m. 1208
De même que le moyen-âge est le berceau de la société moderne^ de même la philosophie du moyen- âge y OU la scolastique, est le berceau de la philosophie moderne. Or le moyen-âge est le règne absolu de l'au- torité ecclésiastique , dont tous les pouvoirs ne sont
MfiMiÈiiB É^ê<»ui. 495
que les iMlrUmmu {rfus oo fiioins dociles : la phiio- BQpbie scoiastiqm y qui est reipresûon la plus mani- feste de cette époque > ne pouvait donc pas être autre cfaose aussi que l'emploi de la philosopliîe, eomme simple forme, au service de la foi, et sous la surveil- lance de l'autorité religieuse.
Nous livons vu pareillement que dans la Grèce une époque religieuse avait précédé la natsssance de la phi- losophicv L'établissement des mystères par Orphée k Tbéohgkn a retn^i six siècles, jusqu'à Thaïes et Pytha- fore ; et , quoique nous ne connaissions que très^mpar- faitemenl ce qui s'est passé pendant ce long intervalle^ nous pouvons conjecturer qu'il a été rempli par les ef- forts de la raison pour se dégager peu à peu des entraves de là théologie païenne. Ce spectacle nous est offert , ttiais d'une nM^nière évidente et complète , <lans la nài^ «aoce et le développement de la philosophie scolas«- tlque. Elle a conimencé avec le moy^n-âge, et elle à fini avec lui. Le moyen-âge « fini quand l'autorité «oclésiastique a cessé d'être tout , quand les autres pou- voirs , et en particulier le pouvoir politique , sams s'é^ carter de la juste déférence et de la vénération <jui sont toujours dues à la puissance religieuse , <mt re- vendiqué et conquis leur indépendance. Or 11 n'était pas possiMe que la philosophe , qui marche toujours à la suite des grands inouvements de la société, ne re~ vendiquAt pas aussi son indépenda^ice et ne la conquit peu à peu. Mais c'est avec bien de la peine qu'elle est arrivée de son état de servante de la théologie , à celui de puissance indépendante. Aussi l'histoire de b phi- losophie soolastique nous présente-t-eHe trois époques
196 PHILOSOPHIE DU MOVEN-AGE.
bien distimctes : i** naissance et subordination de la philosophie à la théologie ; 2* alliance de la philosophie à la théologie; 3*" commencement de séparation, faible d'abord , mais qui s'agrandit et aboutit à la philoso- phie moderne.
Depuis que Montesquieu et Robertson ont ramené Tattention des hommes éclairés sur les origines des institutions qui gouvernent aujourd'hui l'Europe, l'his- toire du moyen-âge a excité les recherches d' un grand nombre de savants distingués. Le grand Leibnitz ^vait déjà exprimé le soupçon « que des trésors pou- vaient être ensevelis dans le chaos impur de la barbarie scolastique. » Des philosophes modernes ont même conçu des espérances plus positives et commisncé à prouver que notre siècle se montrait injuste envers ceux qui ont préparé son éducation. On va voir que l'histoire de l'esprit humain n'offre pas moins d'intérêt pendant cette époque, que pendant celles que nous avons déjà parcourues.
Le moyen-âge commence avec Gharlemagne ; c'est lui qui l'ouvre et qui le constitue. Le génie de ce grand prince, en reconstituant l'empire d'Occident, rétablit entre les nations soumises à sa puissance ^es rapports réguliers. Il avait, pour reconstituer l'Europe, plus d'une tâche à remplir , et il a satisfait à toutes. Il sut en finir avec ces invasions des barbares qui , remuant sans cesse le sol de l'Europe , s'y opposaient à tout établissement fixe. La sagesse de ses lois et de son ad- ministration fit succéder Tordre à l'anarchie générale. Il multiplia les écoles, les établit près des églises et des monastères; il les rendit publiques, y appela^des
PREMIÈRE ÉPOQUe. 197
séculiers 9 en ouvrit môme une nouvelle pour les jeunes gens des premières familles de l'État, l'érigea dans son propre palais. Il réunit autour de lut les hommes les plus éclairés de son siècle. 11 ne se borna pas à près* crire l'étude aux seigneurs de la cour ; il leur en donna l'exemple, avec une ardeur qui étonne dans un prince chargé du poids d'un si vaste gouvernement , et engagé dans une longue suite d'expéditions guerrières.
Avant Charlemagne, il n'existait quelque vestige d'instruction que dans les cloîtres , qui heureusement s'étaient multipliés de toutes parts, et qui servaient d'asile contre les fureurs de la guerre. Là , on ensei- gnait, on recueillait les manuscrits, on en faisait de nombreuses copies; là, on étudiait le Trit^mm et leQua- drivium, ou les sept arts libéraux (i). On doit bien penser qu'il ne s'agissait que d'une instruction élémentaire : on lisait les questions naturelles de Sénéque , le poème de Lucrèce, quelques ouvrages philosophiques de Gi- céron , les livres d'Apulée , les traductions des livres organiques d'Arîstole, par Vîctorin et Boèce, les dix Catégories attribuées à saint Augustin, les écrits de
(1) L'enseignement de ces sept arts libéraux était divisé en deux defprés ; le premier comprenait la Gnunmairt , la Rhétorique et la Dialectique ; le second , V Arithmétique , la Musique , la Géométrie et V Astronomie , renfermées dans le vers suivant :
Lingua, Tfoput, Ratio, Namarus, Tonas, Angulus, Attra.
Brncker rapporte aussi ( Hist. crit. phil. , t. 3 , p. 597 ) les deux vers sui- vants, dans lesquels un érudit du temps avait pris la peine d'exposer le nom et i*objet des sciences qui composaient chacune des parties du Trivium et du Quadrivium :
Trivium t GlÂKM. loquitur^ DiA. vera doeot, Rrbt. verba colorai.
Quadrivium: MvA. canil« Ar. numerat, Gbo. poiKlcralf Aqr. colit aqira,
49S PHILOSOHHS W MOYEN-AGE.
Gattiodore et de Martia&us Csq;»eUa ; mais l'on se hor* nait à Ure ees écrivains , on ne leur donnait point de successeurs. Entre tous ces cloUres , où semhlaien t s'ôtre réfugiées \ea^ lettres et la philosopl^e expirantes» OB remarque surtout çm\ d'irlapde et d'Angleterre. Ku\ siûèBse, buitièmeet neu^ive siècles» c'est en Irlande que ae rendaient ceusc qui \0ttlaieqt acquérir des con- naissances y et celte province fdur «it & la Fra^e «t 4 l^Attamagne les professeurs Les. plqs di^ingvéfu En France, la faiblesse des rois, l'ambition des maires ^u palais, et les guerre» civiles, avaient entièrement éteint les restes des soiejMsa que les Romaina y avaient portées, jusqu'à ce qu'enfiii Gharlea Martel, et ses fila GarlQina» et Pépin, se furent emparés du pouvoir auprémo,
AlGCqif.
(2harlem4g»e, ne trouvant point en Fr^ce de maîtres distingués, fit venir à sa co^r )9s hQ^me^ les plijç aavftqta qu'il put reuçontrer d^ns les, avt^ cQmtrée^, C« fut à l'Ai^^lais Hcvifi <|u'il confi;^ le $(ûp de ré^é^ nérer les études dans son vaste empire (i). Alcuin se chargea de la direction de Téeole du palais, établie d'après ses conseils et ses plans. Cette école feisait toujours partie de la cour , et la Siuivait partQUl ou elle se transportait; mais^ avec le temps, elle finit par être fi^ée à Paris.
Parmi les disciples d'AIçuip on distingue Rbabaqus MauruSy professeur à Fulde, et depuis archevêque de
(1) CharlMnagne paya généreusemept s^ trayaux. Alcuifi comptait 20,oap Mrfs dans Im nombraii OMiiMtèr«s qu'il possédait.
PBEHIÈRE ÉPOQUE. i99
Magreoce» qui répandit dans l'Allemagne la dialectique d0 son maître (1).
Vais avec les faibles moyens que ces savants avaieut entre les mains» il leur était bien difficile de propagea lea lumières avec autant de facilité que Cbarlemagne Ta^^t espéré. Bientôt les résultats qu'ils avaient obtenus ft' évanouirent. Ses successeurs, Louis le Débonnaire et Charles le Chauve , se montrèrent amis des lettres ^ maia iU furent sans ascendant, sans pouvoir, pour triompher derignorance et des habitudes. L'organisation de la féodalité, le démembrement de l'empire, les guerres privées , l'anarchie générale^ ne tardèrent pasà dissiper les faibles germes que Gbarlemagne avait semé^^
JEAN SCOT ÉRIGÈIIE.
PendaM tout le temps que la race des Carlovingiena oeonpa le trône de France, un seul homme ^ Jean Scot Érîgène, mérite de fixer l'attention de rhistorien de la |^ilo6<^[kbie. Le surnom d'Érigène désigne très-prCH bablement le lieu de sa naissance. Il était né en Irlande, et vécut quelque temps à la cour de Charles le Chauve, Ce fut Sam contredit un penseur profond et un homme doué d'une très-grande capacité.
il awit appris leslangues grecque^ hébraïque et arabe ] mais il puisa ses connaissances philosophiques dans les écârjts attribués à &t Denis rAréopagite(2), dont il donna
(1) Il esl Fauteur du yeni Creator.
(9) Lee éerils attrilNiés à Denis r Aréopagite, regardé eomna eontomponlii ftoi.-^. a4«s apôtres, et premier évèque d'AUièaefti eoatenaieat une afh plication du platonisme et de la doctrine de Témanalion au christianisme. On les rapporte généralement au me on ive siècle . Quelques au tenrs l^bieent auTi«.
200 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
une traducliou latine, qui ouvrit pour la première fois Taccès de TOccident à la théologie mystique des aie* mandrins. Ses leçons à la cour palatine de Paris atti- rèrent un concours immense d'auditeurs. Il avait puisé dans les ouvrages de Denis T Aréopagite une foule d*idées alexandrines qu'il développa dans ses deux ouvrages originaux y l'un sur la Prédestination et la Grâce , Fautre sur la Division des êtres. Il avait en outre étudié les écrits de quelques Pères de l'Église, de St Augustin et de St Grégoire de Naziance. En dialectique, les prin- cipales sources de ses connaissances furent les com- mentaires de St Augustin et de Boèce sur la logique d*Aristote.
Le but essentiel qu'il se proposait dans ses écrits était d'identiûer la philosophie à la théologie; et, ce qui était pour le temps une entreprise bien hardie , c*est qu'il voulait que la seconde s'appuyât sur la première. « Il n'y a pas deux études, dit-il , l'une de la philoso* phîe, l'autre de la religion; la vraie philosophie est la[ vraie religion , et la vraie religion est la vraie philoso- phie (1). »
Le livre de la Division des êtres est un traité d'onto- logie transcendante, dans lequel Jean Scot ne se borne pas à vouloir pénétrer la nature de l'être , mais ne prétend à rien moins qu'à expliquer le mystère de la création. La doctrine mystique des alexandrins adaptée à la théologie chrétienne se trouve encadrée par Scot dans les formes de Tontologte d'Aristote , et soumise à une sorte de méthode logique. Il divise la nature en, V cei^e qui crée et n'est pas créée ; 2"" celle qui est
(l) De Prœdcstinaiiont, Collection de Maugîii , 1. 1 , p. 103«
V
PREMIÈRE ÉPOQUE. 204
créée et crée; 3* celle qui est créée et ne crée pas; 4*" enfin , celle qui ne crée pas et n'est point créée. La nature est Dieu dans le premier cas; l'ensemble des idées de Dieu dans le second ; et l'ensemble des créatures dans le troisième. La quatrième nature est en contradiction avec elle-même, et par conséquent n'existe pas. Sa psychologie est conçue dans l'esprit de la même école ; il voit , avec ses guides, dans l'âme humaine, l'image de la Trinité divine.
Les tentatives du philosophe irlandais n'exercèrent pas et ne pouvaient pas exercer un grand empire sur l'esprit de ses contemporains ; la hardiesse de son en- treprise la rendit d'ailleurs suspecte aux yeux de l'auto- rité ecclésiastique. 11 fut contraint de quitter la France; mais il trouva dans Alfred le Grand un protecteur aussi éclairé que généreux. Plus tard les doctrines dont il s'était rendu l'interprète se répandirent, accréditées par l'autorité de son nom ; et nous devons rapporter à l'influence qu'il exerça , l'une des principales causes de la résurrection du mysticisme dogmatique dans les siècles suivants.
Celui qui s'écoula après lui (le dixième siècle) fut, après le huitième , et presque au même degré , le plus stérile de tous dans les annales de la littérature et de la science (i). On ne pouvait attendre un autre résultat de la situation dans laquelle se trouvait alors l'Europe,
(i) Cesl dans les tennes suivants que BarorUus oommence le tableau de cette désastreuse époque : ^ovum nunc inchoaiur seculum , guod suâ asperilate ac boni sterilitale ferreum » mali quoque exundantis dtfor-^ nUiaiepltimb^am atque inopiâscriptorumappellariconsuepit ohscurunu
( Ajoial. ad an. tNK) > no 1. )
909 PHlLpSO^BUB W MOYEN-AGE.
déchirée par cette andrchie féodale qui traaaforoait te société ea un théâtre de combats universels et non ia- terrompua, qui associait la plus grossière ignorance i U force et au pouvoir, qui joignait la corruption à k férocité* Néanmoins , vers la fin du dixième siède, parurent deux hommes remarquables que nous devons signaler ici : ce furent Gerbert d'A.urillac, devenu piqpe sous le nom de Sylvestre II, et le moine Con-* STANTiN. Le premier avait étudié à Cordoue et à SéviUe, dan» les écoles fondées par les Maures, et en avait npporté les chiffres arabes et une plus grande connais-* sanca de la philosophie d'Âristote , qu'il avait répanduo daaa ks couvents et les monastères institués par ses aeina dans sa vîUe natale» à Heims, 4 Tours, à Seqs, à Bohhîo* l<e second parcourut l'Orient, TÉgypie, rinda même» recueillit partout les richesses scientifiques 4«i y circiulaient encore, fut, à son retour, considéra oomjsae un magicien , et fonda la célèbre école de Salerac^ ou du moins lui donna w tel éclat , qu'elle partit êtr« née avec lui.
Cependant une inquiétude vague, .une sourde fer- mentation s'annonçait de toutes parts dans la société. Da mélange de tant de peuples nouveaux avec les peu- pies dégénérés de l'ancien monde, mélange signalé à son origine par de funestes ravages, commençaient à naître les heureux eflets qu'il entrait sans doute dans les desseins de la Providence de lui faire produire. Son influence rendait à l'Occident une existence rajeunie , et faisait circuler dans ses membres énervés une cha- leur et une vigueur inconnues ; une sorte de résurroQ- tion morale semblait s'être opérée à la longue chez les
PREMIERE ÉI'OQUE. 903
nation^ épvisé^* La 6n.de ce siècle offrit un exemple bien frappant de l'ardeur nouvelle dont les e«pril« étaient animés, dans ce mouvement yuîverael et «poa^ tané qui entraîna toutes les olasses de la société vera H9 croisade^. Les premiers germes de l'industrie» du QOininerce çt dea arts , pe tardèrent pas i se produire. L'amour à^ la science ae réveilla » et le mouvement qui entraÎQ^iit la société dqt 90 manifester aussi dans lea études philosophiques.
Il est essentiel que l'on ae rappelle quelles étaient li^ reaçQurces philosophiques de l'esprit humain à cetto époque. On trouve dans les écrivains d'alors un ordre
4'i4ée9 et m(^m d'arg^menta hiep supérieur! à ce que
Xon pQurrait atteodre d'uae époque de harharicii et
quand op lie sait paa quelle en est la source, OA ea|
leoté dç trop admirer ces faihles e9saia de k pbiloso^
p^ie, réunissante» C'est au christianisme et à saint Aur
gu^tin qu'il faut ^n rapporter son admiration» Ia fond
Vb^Qgique avait une grandeur admirable ; mai» U
l^'étail point l'ouvrage de la philosophie d« tewpa* Ca
q^i lui appaptiept en propre, fi'eat la fornie. Cetft«
^190 dev;û^ être^ nécesaairenient ^ d'ahord pautre»
fai))lQ, int^rtaine; la philosophie eUe-miême» la Uhre
léQe^ion , ne pouvait être autre chq&e'qu' une dialectique
plu^ ou mpins §ttbtilô ^ eutiêcemeni suhordonnée à la
théologie, ft ne ppuvait par con^uent s'élever par
elle-mém^ ^ )a 4éçouyerte d'aucui^ vérité. Mm eon-^
Ijnuelle sqryeillance arrêtait, d'a^leuvs l'essor ^ qui^
conque ef^t été a^z hardi pour mettre ea dJMuasioQ
\e^ principe^ reconB,wpar l'Église^ INe pe^^aMs'attacb^
au fçndmémo dea i^e^^U» «eelaMiqim Atrenl feceéa
â04 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
de reporter toute leur activité sur l'expression et la forme extérieure de la science philosophique. La dia- lectique leur tint lieu de la philosophie tout entière , et l'instrument de la science fut pris pour la science elle-même. L'emploi de tous les procédés logiques, si habilement tracés par Aristote, était une sorte de gymnastique qui se trouvait conforme aux goûts du temps. On croit voir dans les scolastiques de cet âge des artistes absorbés par la construction et le jeu des machines, sans songer à acquérir une matière sur laquelle ils puissent les appliquer : c'est un immense appareil de leviers se mouvant et s'agitant dans le vide. La philosophie des anciens , telle qu'elle était par- venue aux scolastiques, pouvait se résumer essentiel- lement dans une maxime principale qui faisait dérWer des notions générales ou des univenûuXf comme on les appelait d'après Aristote, toutes les sources de la science. Les universaux avaient été le point déraillement entre l'Académie et le Lycée , lorsque ces deux écoles furent réunies par les nouveaux platoniciens ; ils furent aussi le point cardinal sur lequel roula toute la philo- sophie scolastique. On était convaincu que tous les trésors de la vérité étaient contenus dans le sein de ces vérités éternelles; on devait naturellement faire consister les exercices de la raisoti exclusivement à exploiter cette mine inépuisable, à élaborer , à transformer cette matière féconde. Or ce travail appartenait en pro- pre à la dialectique péripatéticienne , il en constituait l'essence. On possédait une sorte de pierre philoso- phale ; il ne restait plus qu'à la mettre au creuset. On pourrait, dit fort plaisamment M. deGérando, com-
PREMIÈRE ÉPOQUE. 205
parer la philosophie scolastique à une sorte d'alchimie qui emploie les unjversaux comme substance ei la dia- lectique comme appareil.
Gomme la connaissance de ces universaux, qui jouè- rent un si grand rôle pendant toute la durée du moyen- âge, donne la clef d'une partie des discussions auxquelles se livrèrent les dialecticiens scolastiques , il nous parait indispensable d'entrer d'abord dans quelques détails sur ui|i objet aride et ingrat sans doute y si l'on ne considère que l'abus qui en fut fait alors , mais qui n'en touche pas moins aux problèmes les plus inté- ressants de l'esprit humain.
Âristote avait remarqué qu'on peut rapporter à un certain nombre de classes ou de genres tous les objets de nos connaissances ; et il avait réduit ces classes au nombre de dix, appelées, comme nous l'avons vu (i), Catégories* La première renfermait les substances, et les neuf autres, les modifications qu'elles éprouvent, ou les accidents. En voici le tableau :
.1'' La substance. La substance, est ou spirituelle ou corporelle, divine^ etc.
2"" La quantité. La quantité est discrète quand les parties ne sont point liées, comme le nombre : dans le cas contraire , elle est successive , comme le temps, le mouvement ; ou permanente , comme l'espace , l'étendue, etc.
S"" La qualité. Aristote^en a fait quatre classes: l*" les habitudes^ c'est-à-dire les dispositions de l'esprit ou du corps qui s'acquièrent par des actes réitérés , comme les sciences, les vertus, les vices, le talent de
, (1) Pugc 95.
90S PHlLOêOMIi'M mVKlf^AGE.
jyetndre^ d'écrire ^ etc. ; 2* les pvdHcmœê MMetkê, telles que les qualités de l'âme» mémoire , volonlé , sensibilité, intelligence ; 3*" les qwUkés sensiUa , comme la dureté y la mollesse » le (Votd, etc. ; 4** la forme et la figtÊtey qui ix\ ta détermination extérieure de la quaniité.
4*" La HfiLATioN. C'est le rapport des êtres entre eux ) celui de père, de fils, de mattre; de Valet, etc. , de la puissance à son objet, de tout ce qui marque la eomparaison.
5* L'action. On peut agir soit en soi-même, comme connaître, aimer, sentir ; soit hors de soi-même , comme battre, couper, rompre, éclairer, etc.
G"" La passion. Cette classe renferme 'toutes les mo- difications qui peuvent être produites par une chose extérieure.
T Le lieiî. «• Le temps. 9* La situation. lO" En- fin , LA POSSESSION. Ccs cinq dernières s'entendeirt sans qu'il soit nécessaire de les développer.
Il est certain que Tesprit humain ne jyeut rien con- ^voîf qui ne ^t susceptible d'être rangé dans ces diverses classes : mais autant cette étude des lob qui ^stdent à la pensée , et auxquelles die obéit néees- saitement, quel que soit l'objet qu'elle envisage, petit oflHr d'intérêt et d'utilité lorsque Ton veut remonter an principe de nos connaissances, et examiner, & l'aide de l'observation et de l'analyse, le caractère de nos idées, autant il est superfifa et puéril d'y toukrir cher- ther un moyen d'arriver par elles à la connaissance <les objets.
Mais analyser les lois dé la pensée, tttscuter ies motifs et les fondements de nos croyances/ ne pouvait
être alors l'objet des études philosophiques : rMtorité
ecclésiastique ne l'aurait pas permis. D'ailleurs on
trouvait ces lois toutes constituées , il fallait bien s'en
contenter, et tout ce qu'il était possible de faire, c'était
d'y classer, tant bien que mal^ les principaux dogmes
religieux , dont une hiérarchie sévère et vigilante s'ap<^
pliquait à conserver le précieux dépôt. Qu'on ne s'étonne
donc point de la fortune d'Âristote et de la philosophie
péripatéticienne, petidaht les cinq ou six siècles qui
vont s'écouler jusqu'à là renaissance d'une philosophie
indépendante : l'aulorité d'Aristote ne faisait que cor*
roborer celle de l'Église et lui prêter un puissant appui.
Dans le cercle où ils étaient emprisonnés , les sco^
lastiques n'eurent, à proprement parler, sous la di«
versité des innombrables questions qu'ils agitèrent,
qtie trois grands problèmes à résoudre. Puisque tous
les objets qu'embrassent nos connaissances peuvent se
classer dans un certain nombre de genres , ou , comme
ife les appelèrent, d^universauji, de quelle nature sont
ces unîversaux eux-mêmes ? Sont-ce des êtres réels ,
ou de purs noms? Par exemple, les hommes pris in*»
dividuellement , et ne formant par conséquent que des
êtres particuliers , se rapportent à tm genre imiqtre ,
qui est le genre humain. Mais le genre humam est-il
un être de raison, ou un être existant réellement t Dé
là , le débat des réalistes et des nominaux. Le second
))roblëme pouvait se réduire à celui-ci : Puisque les
êtres particuliers participent tous à ce caractère général
qui fait qu'ils appartiennent à tel genre plutôt qu'à td
autre, comment le genre peut-il se diviser et passer à
Vétat d^îndividu? De là tes débats des thomistes et des
208 PHILOSOPHIE DU 110Y£N*Â0£.
8coti8les relativement à Vindividuation des universaux. Le troisième enfin consistait à rechercher quelle espèce (le ressource nous pourrions retirer de la connaissance de ces genres et de. ces espèces , de ces classifications de toutes nos idées. Là-dessus, peu de diflërends. La prétention d'arriver de prime abord et sans étude préa- lable à la science universelle, est le caractère général de la philosophie du moyen-âge., qui, heureuse de posséder ces classes, où venaient se placer tous les êtres et tous les phénomènes de la nature, crut pouvoir se dispenser d'étudier ces êtres et ces phénomènes : telle serait à peu près l'erreur de celui qui , de nos jours, après avoir gravé dans sa mémoire les noms des classes et des genres dont se compose la nomenclature chimique, s'imaginerait être parvenu à la connaissance de la chimie elle-même. On alla même plus loin , et ,
m
comme nous le verrons par l'exemple de Raymond- LuUe, on crut, en opérant sur les signes destinés à rappeler les genres et les espèces diverses de nos idées, combiner des idées réelles ; on aligna , on fit manœu- vrer des mots , et , par cette espèce de stratégie intel- lectuelle, on crut être enfin arrivé à la science univer- selle; et en effet,» on était parvenu ^ écrire et à parler ( sans se comprendre soi-même , il est vrai ) sur tout ce qui pouvait et même ne pouvait pas être eonnu : de omni re scibiU atque insdbili.
Qu'on ne se hâte pas cependant , tout en condamnant ces prétentions exagérées des philosophes scolastiques , de mépriser les moyens dont ils se servirent. Ces uni- versaux , ces principes de nos connaissances avaient attiré avant eux l'attention de tous les grands philo-
PREMIÈRE ÉPOQUE. 209
sophes; et il n'y 6n a pas eu un seul après eux qui n'en ait fait l'objet de ses méditations. Platon, Âristole et les alexandrins, dans l'antiquité; Leibnitz> Kant et l'école écossaise, dans les temps modernes, se sont établis au centre de ces idées générales , comme au cœur même de la science philosophique. Nous rions peut*ètre de ces réalistes qui, frappés du caractère absolu des universaux, les traitent comme de véritables êtres : mais le célèbre métaphysicien (i) qui appelle les idées de petits êtres qui ne sont pas du tout à mépriser; la grande école naturaliste qui , de nos jours , explique les ressemblances des individus par l'unité de compo- sition de chaque genre, sont-its bien jéloignés de par- tager les doctrines du réalisme? D'un autre 6ôté, si nous critiquons à bon droit l'opinion des nominalistes, trouverons-nous ' beaucoup de différence entre leurs principes et ceux des logiciens qui, d'après Gondillac, attribuent aux mots une valeur absolue , et prétendent queja philosophie n'est pas autre chose qU^une tangue bien faite?
L'esprit humain est toujours fidèle à lui-môme : à toutes les époques de l'histoire, nous avons vu la ré- flexion, appliquée à l'étude de l'intelligence, y ren- contrer les mêmes phénomènes. L'histoire de la sco-* lastique, à laquelle il est temps de revenir, après ces prolégomènes sans lesquels il eût été difficile d'en bien comprendre le véritable esprit, confirmera ce résultat de l'expérience.
Le philosophe le plus intéressant de la première époque, métaphysicien fort remarquable, est St An-
(1) lHaUebranclie.
SIO PHILOSOMIE DU MOTEM-AGE.
SELW , archevêque de Canlorbéry, né eB 4035, i Àoata, dans le Piémont. On lui donna le nom de aeeoiid St Augustin. Ses ouvrages? annoncent un homme éobûrér qui ne prenait que son esprit pour guide de ses r«* sonnements, quoiqu'il eût subi Tinfluence de son temps en ne considérant la philosophie que comme une arme du dogmatisme religieux. L'un de ses ouvrages les plus connus est un monologue où il suppose un homme ignorant qui cherche la vérité avec les seules forces de la raison ; fiction hardie pour le temps , bien que ce m fût qu'une fiction. C'est un antécédent du grand ou* vrage de Descartes ; et , chose étrange , on y trouve plus d'une idée, célèbre des Méditaiùms, On cite entre autres l'argument qui de la seule idée de Dieu lui dériver la démonstration de son existence. Cet argnraent a eu des fortunes bien diverses : on s'en est moqué beaucoup au xviii* siècle ; au xvii* , il paraissait d'une rigueur invincible. Sans citer St Anselme , que tràs^ probablement il ne connaissait pas, Descartes a repr«H duit cet argument dans les MéiUiatians, lorsque delà simple idée d'un être parfait il déduit la nôeeesilé de l'existence de cet être, c'est-à-dire de Dieu. Plus tard Leibnitz, en rapportant à St Anselme l'honneut de l'argument de Descaries y le reprit en sous^-œuvre et le présenta sous une formé à la fois plus simple et plus savante.
L'argumentation du saint archevêque fut, au re6t6> combattue avec esprit par un moine <de l'époque^ d'a^ leurs inconnu , appelé Gaumlon , dans un livre auquel il donna le nom de Petit livre d'm Sot (1). U s'eftwfii
(1) LUf^r pro insipkrUe , etc. , dans le$ OEavtes de s«M .Éimliitj fi^ W.
PKfiMIÈRE ÉPOQUE. 211
de prouver que nous ne pouvons conclure de la vérité logique ou subjective ^à la vérité objective ou réelle , ni poser en principe que ce que nous concevons comme existant , existe en efiet, par cela même qu'on Ta ainsi conçu.
Un dialogue de St Anselme, intitulé le Grammatriat^ est une très-faible esquisse de dialectique, conçue d'après les catégories d'Aristote. Il suffira, pour en donner une idée, de dire que St Anselme commence par examiner sérieusement, et par discuter dans toutes les formes, la question de savoir « si le grammairien est ou non une substance; s'il est une première ou une seconde substance ; s'il y a un grammairien qui ne soit pas un homme; à prouver que l'homme n'est pas la grammaire, qu'enfin le grammairien est celui qui sait la grammaire. »
Il serait fort inutile de nous arrêter à tous les sco* lastiques qui fleurirent à cette époque , tels que Hil- BEBËftT de Lavardin, Bérenger de Tours, Lanfranc de Pavie, le cardinal Pierre Damien : tous ne firent que resserrer jdus étroitement les liens qui unissaient la dialectique et la théologie.
ff
PREHIÈRE APPARITION
DES RÉALISTES ET DES NOMINAUX.
Ce fut alors que s'éleva dans l'école la célèbre dis- pute des réalisies et des nominaux. Elle avait pour objet y eommé nous l'avons déjà expliqué plus haut, de détermines l'emploi légitime et la valeur positive de
212 PHILOSOPHIE DU NOY EN-AGE.
ces idéed générales , de ces universaux que l*écote re- gardait comme la clef de la science. L'examen d'un pas- sage de rintroduclion de Porphyre à l'organum d' Aris- tote sur les diverses opinions des platoniciens et des pé- ripatéticiens , relativement aux idées de rapport , donna naissance à cette contre verse, qui atteignait directement le pivot de la science philosophique , et dans laquelle la théologie se trouvait aussi impliquée , par Tefifet de l'étroite connexion que l'esprit du temps avait établie entre l'une et l'autre. Un chanoine de Gompiègne, nommé Roscellin^ prétendit que les idées générales ne sont que de simples abstractions que l'esprit' ^e forme par la comparaison d'un certain nombre d'in- dividus qu'il rapporte a une idée commune; il en conclut que cette idée commune n'a pas d'existence hors de l'esprit qui la conçoit; il parait enfin qu'il avait été jusqu'à dire que les idées générales ne sont que des mots , fia tus voc.
Son opinion reçut de là le nom de nominatisme. Il n'était pas le premier qui l'eût ' émise ; elle avait, été déjà soutenue par Stilpon de Mégare. Mais vraisembla- blement il en tira des conclusions contraires aux doc* trines de l'Église. Abailard lui reproche d'avoir pré- tendu qu'aucune chose n'a de parties , et que les mots seuls par lesquels on désigne les choses sont divisibles. Par conséquent , selon Roscellin , J.-G. n'avait pas mangé une partie réelle du poisson , mais seulement une partie du mot poisson : opinion qu'il taxait d*ab- surdité et d'impiété.
Mais une conséquence bien plus importante découlait des principes du pauvre chanoine de Gompiègne et
PREMIÈRE ÉPOQUE. 213
dltira sur iui les foudres de TÉglise, Si toute idée gé- nérale n'e^t qu'un ipot, il suit qu'il n'y a de réalité que dans les particularités , et alors beaucoup d'unités peuvent paraître des abstractions; entre autres l'unité par excellence, l'unité qui fait le fond delà très-sainte Trinité se trouve en péril ; il n'y a plus de réel que la Trinité formant trois personnes , et n'aboutissant qu'à une unité nominale , à un signe représentant le rapport de trois. Il est vraisemblable que Roscellin n'atait pas lui-même tiré ces conséquences; mais elles découlaient de ses principes ; il fut donc mandé au concile de Sois- sons en 1092. Il se rétracta, metu moriiSy dit St An- selme qui écrivit contre lui un traité pour démontrer l'unité de la Trinité.
Guillaume de Champeaux, disciple de Roscellin , qui enseignait à Paris au prieuré de St-Victor y se jeta à l'autre extrémité et outra le réalisme. Il soutint que les idées générales sont si loin d'être de purs noms , que ce sont au contraire les seules entités qui existent , et que les individus dans lesquels on avait voulu ré- soudre les idées générales n'ont eux-mêmes ^'existence que par rapport avec les univërsaux. Par exemple, disait-il, ce qui existe, c'est l'humanité dont tous les hommes ne sont que des fragments et des parties. Bayle a conclu de ce passage que Guillaume de Champeaux avait adopté un système analogue à celui de Spinoza ^ qui ne reconnaît dans le monde, comme nous le verrons dans la suite , qu'une substance réelle formant la base de toutes les choses individuelles. Mais cette opinion est au moins hasardée. Il ne fut jamais question d'une substance du monde entre les réalistes ot les nominaux.
214 PHILOSOMIE DU MOYEN-AGE.
Les deux sectes ne s'occupèrent que de Savoir si lôs universaux, les idées générales, sont ou non des sub- stances, et communiquent ou non la substantialité aux choses individuelles.
ABAUAED.
Guillaume de Champeaux avait acquis à Paris une grande célébrité dans l'art de la dispute : autour de lai accourut un concours immense d'auditeurs. Mais sa gloire fut bientôt éclipsée par celle du fameux Abjli- LARD, dont les prodigieux succès comme professeur contribuèrent à l'établissement de l'université de Paris.
Pierre Âbailard était né vers l'an 1080, à Palais, petit village situé près de Nantes. Le désir de s*instruire lui fi( parcourir les principales écoles où Ton enseignait la dialectique, et l'attira à Paris où cette étude florissait plus que partout ailleurs soùs Guillaume de Cham- peaux. Le disciple ne tarda pas à rivaliser avec son maître, et n^eut pas de peine à vaincre un adversaire auquel il était si supérieur. Abailard joignait à une Imagination de feu une pénétration extraordinaire, une sagacité rare , un sentiment profond pour le beau et le vrai , et un caractère rempli d'énergie. Il avait étudié, outre les Pères de l'Église, plusieurs écrivains classiques, Cicéron, Virgile, la Logique d'Aristote, le Timée de Platon ; et la lecture des auteurs profanes avait influé d'une manière avantageuse sur son style , qui est infi- niment plus pur, plus élégant et plus intelligible que
celui de ses contemporains. La collection de ceux de ses écrits qui ont été pu-
PMHttnE iPOOt^E. HH
Mléi fte renferme guère que ses lettres ^ ses écrttt acétiques, théologiques et moraux. C'est dans ses manuscrits encore inédits que l'on trouverait sa pbilo-* éophie rationnelle (1). Ils renferment , à ce qu'il paraît, Attr la grande question des universaux , des documents pirëeiéuK , foute desquels il est difficile de connaître au jdsié quelles furent à ce sujet les opinions d'Abailard. On sait qu'il s'était déclaré avec autant de force eetitr'ô le nominalisme de Roscellin que contre le réa« Uéme de Guillaume de Champeaux. Il enseignait, selon toute probabilité 9 que les idées générales, sans avoif iitie réalité objective, propre et indépendante, sont une conception de l'esprit ; mais que cette conception a besoin^ pour être formée et soutenue dans l'esprit, de s'appUyér sur les signes du langage : il leur don- nait pour pivot non le simple terme, comme Roscellin, tnâis la proposition, parce qu'elle exprilne le rapport et la connexion du sujet et de l'attribut tels qu'ils sont i^&isis par l'etitendement. Sa carrière philosophique avait commencé par sa lutte avec Guillaume de Cham*' peaux ; elle se termina par une controverse plus sérieuse avec Stfiernard. Celle-ci offre quelques traits semblables à celle qui s'est élevée entre BossuetetFénélon. Abai« lard fut condamné comme Fénélon et se soumit avec la même docilité. Il avait codiposé à l'usage de ses élèves un traité dans lequel il s'efforçait de leur expli- quer rationnellement le dogme de la Trinité. On lui reprochait d'avoir attribué dans ce Traité la toute-
(1) Les bénédictins en ont donné la liste dans rHistoire littéraire de France. André Duchesne avait promis de publier sa Logique, mais il n*a point malhettreitsement tenu sa promesse.
216 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
puissance «au Porc à un meilleur titre qu'au Fils et au Saint-Esprit, et d'avoir mis par conséquent de ladiflfê- rence dans ce qui n'en devait souffrir aucune. 11 se servait, pour expliquer la Trinité, de <^tte comparaison qui paraissait équivoque et peu orthodoxe : de même que la majeure, la mineure et la conclusion ne sont qu'un seul syllogisme; ainsi le Père, le Verbe et l'Esprit ne sont qu'une seule essence. Il parait enfin que l'orr- ginalité de sa théologie consistait surtout en ce qu'il donnait peur loi à la volonté de Dieu les attributs mêmes qui sont inhérents à Dieu, comme la bonté, la justk^, etc. ; identifiant ainsi la volonté et la nécessité dans la nature divine. C'est là ce qui lui attira , avec la réfu- tation de Robert Palleyn , professeur à l' université d'Oxford , depuis cardinal et chancelier de l'église ro- çnaine, les censures sévères de St Bernard (i).
Les circonstances de la vie de cet homme célèbre peuvent donner quelque idée des opinfons et des idé^ de ses contemporains. Elles nous montrent quelle était dès lors l'émulation qui se manifestait pour l'étude dans la jeunesse française , quel intérêt passionné excitaient les talents du maître^ les controverses qui s'élevaient, et le caractère que prenait la rivalité des chefs d'école.
(1) Saint Bernard lui reprochait aussi d'avoir enseigné que la foi n'est iutre chose que la croyance : définition impie qu'il donne, dil-il , in primit lihris Theologiœ suœ , vel potiàs Slidiaogw, Au reste • saint Bernard ne poursuiTait que les doctrines d^Abailard , dont il avoue qu'U ne pouvait s'empêcher d'aimer la personne. Son zèle apostolique ne lui permetuit pas de laisser passer sans contrôle ses erreurs religieuses, qu'il résume ainsi: Cùm de Triniiate loquUur^ sapU Aeium; càm de gratiâ^ Pemgicti; don de ChHstOf Nbstorium.
PREUIÈRE ÉPOQUE. 217
Des- milliers d^auditeurs entourent le professeur (1) ; et lorsque , pour éviter la persécution , il est obligé de fuir-le théâtre de sa gloire, ils le suivent dans sa re- traite^ et viennent camper^ pour Tentendre, jusque dans les forêts du Paraclet (2). Des moines irrités de ses réprimandes, ou prenant ses vertus pour des re- proches , ou révoltés par les réformes qu'il conçoit, le tourmentent^ menaeent sa vie par le poison et Tassas- $inat(3). Des monastères, des abbés, se disputent l'hon- neur de le posséder, afin de s'approprier l'éclat de son enseignement* Une femme ^ objet de ses affections, pre- mière occasion de ses disgrâces , une femme qui . le surpasse en sensibilité^ en délicatesse, en vertus, semble presque l'égaler en. connaissances et en ta- lents (4) ; après avoir été son disciple, elle devient elle- même abbesse du Paraclet , et dirige ses jeunes com- pagnes dans les études les plus élevées. Les lettres d'Abailard et d'Héloîse, qui ont mérité d'être con-> servées à la postérité, et dans lesquelles les modernes
(1) Parmi les disciples d'Abailard , Crévier compte 20 cardinaux et plus de 50 évèques on ardievèques. ( Eist, de Fum'v. , 1. 1. )
(8) n donna ce nom , qui signifie Consolateur, à un emplacement désert situé à deux lieues de Nogenl-sur-Seine» où il ayait bàli de roseaux et de chaume un petit et pauvre oratoire , en l'honneur de la Trinité. Il n*avait amené avec lui qu'un derc pour toute compagnie ; mais bientôt ce désert se peapla prodigieusement.
(d) n était alors à l'abbaye de St-Gildas de Ruys, dans le diocèse de Vannes, dont les moines l'avaient élu pour leur abbé.
(4) ir existe dans le Recueil des faits et gestes de l'abbaye de Clugny une lettre émle à Hélolse par Pierre le Vénérable , et dans laquelle le saint abbé félicite en ces termes celte femme illustre de consacrer à Fétude de la religion les connaissances supérieures qu'elle possédait : « Pro logicâ Eveuigelium^ pro Platane Christum , pro academiâ Ctaustrum^ Iota jàm et verèphi- ioiophiea nwUer Uçisti, »
SIS raiLOSOMtE DO VOYEIf-AGE.
ont trouvé tout Fiotérèt du roman le plus attachant , sont y aux yeux de rhistorien , un monument sérieux et instructif du développement qu'avaient acquis alors le9 idées et Tinstruction, ainsi quede la direction qn^etles Avaient suivie.
Parmi les contemporains d'Abailard(l), on distingue OiLBERT DE LA PoRÉE , évèque de Poitiers , qui porta dans Tétude des doctrines théologiques assez de har* diesse pour s'exposer aux censures de l'autorité ecclé- siastique, mais qui montra en même temps assez d'habileté et de subtilité dans la défense de ses prin- cipes pour se tirer heureusement d'affaire. Il avait fait dans un ouvrage assez médiocre , intitulé Des six prin- tipes, un résumé des catégories d'Aristote^ dont il avait réduit le nombre à six.
PiEftRE LE Lombard , auteur du Médire des sentences , sut donner à l'exposition des vérités théologiques un ordre et une clarté si remarquables, que son livre devint le manuel de tous les professeurs, qui ne firent le plus souvent que le commenter. Il avait , avec assez de tact et de sagacité, classé les divers problèmes de la théologie par ordre de matières, en exposant, avant de donner leur solution , tous les arguments que l'on pouvait pré^ senter pour ou contre. U fit faire , au reste, peu de progrès à la science. Il était de Novare , et devint évè- que de Paris.
Gautier de St^Victor avait senti que l'application de la dialectique à la théologie n'était guère susceptible que de conduire à des résultats négatifs : dans ses écrits
(1) Oa éeHt tiMfti ^el^oefois Aheillard; de là le nom à' Abeille fi caUe , Apis gallica , qui lui fïit donné par saint Dertiard.
qa'il dirigea contre le Maître des sentences, fl essaya, mais en vain , de détourner ses contemporains de la voie dans laqudle ils s'étaient engagés.
Tandis que Bernaiid de Chartres , qui donna à ren- seignement de la grammaire y dans les écoles de Paris, une grande étendile et une sage méthode, se livrait a^vec ardeur à Tétude du peu de fragments que Ton pos* sédait alors de Platon , et qu'il essayait aussi , comme le fit quelque temps après, mais avec plus de talent, le savant Guillaume de Gonebes , de concilier la doctrine des IDÉES avec celle des eari<^iatf et des formes d'Âristote, le mysticisme trouvait un assez grand nombre de par^ tisans, à la tètedesqu^ se placent Hugues et surtout KicHAKn de St-Victor. Tous les deux étaUirent des régies pour la contemptatiùn.^^ich^Lvd comparait lelienoù elle étabIîC]son sl^e, au sommet d'une montagne, élevé ^u-dessus de toutes les sciences mondaines, d'où le sage ^t à sed pieds toute philosophie et toute science.
Cependant lliorizon scientifique s'agrandissait peu à peu; Tétude de Platon et d'Âristote, que Ton corn-- mençait à mieux entendre, quoiqu'on n'eût point encore leurs principaux ouvrages , tenait les esprits en év^ , et les études littéraires prenaient insensiblement plus d'étendue. Le goût dominant était toujours celui de la dialectique, et des subtilités qu'elle entraîne lorsqu'elle estibreéede ne s'exercer que sur des mots. On commen- çait cependant à comprendre qu'il y avait quelque chose de mieux à faire que de discuter sur des lettres , ou de peser des syllabes ;'on sentait qu'il était temps de se livrer à des discussions moins puériles (1).
(1) On agitait alors ëans les écoles des questions à peu près au^si gratea
220 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
Jean de Salisbury, qui^ comme tous les disciples d' Abailard , se di&liogua par son goût et ses connais- sances littéraires , fit tous ses^fforts pour élever l'esprit de ses contemporains à des études plus utiles, et cen* sura vivement la dialectique de son temps. Il repro* chait aux philosophes leur soumission aux r^les d'A* ristote , et leur foi aveugle dans la puissance des uni- versaux. On connaît de lui deux ouvrages supérieurs ù ceux qu'a vus naître l'époque à laquelle il écrivait : l'un a pour titre Polycratkm ^ et l'autre Metalogictu.
Dans son Polycraticus^ Jean de Salid>ury s'est occupé de philosophie 9 de morale et de droit : il s'attache prin- cipalement aux applications pratiques ; il traite des de- voirs et des droits des princes ; définit les lois et en marque le but ; il embrasse enfin les diverses branches de l'économie sociale. On voit avec surprise , dans un écrivain du douzième siècle y cette belle apologie de la liberté : < Il n'y a rien de plus glorieux que la liberté^ à Texception de la vertu , si toutefois la vertu peut être séparée de la liberté. »
Il dirigea son Metalogicus contre une secte d'obscu* rantistes du temps , désignés par le nom de Cmdfidens, et qui s'opposaient au développement des études : il employa contre eux les armes du raisonnement et de la satire, et défendit la méthode d'enseignement qu'avait développée Bernard de Chartres.
 DÉLARD de Bath et Alain des Iles s'élevèrent aussi, par leurs connaissances et leurs vues supérieures , au* dessus de leurs contemporains. Adélard avait visité les
que celles-ci : Un porc que Ton mène au marcbé esMl tenu par le conducteur ou par la corde 1 ^ Celui qui achète une robe achète-t-il aussi le capuchon?
PREMIÈRE ÉPOQUE, 221
écoles des Arabes , en Espagne , TÉgypte et FAsie-Mi- neure : à son retour , il consacra toute ractivité de son esprit au développement des études littéraires et phi- losophiques. Dans une allégorie ingénieuse qui res- pire l'esprit du platonisme, il représente un jeune
•
homme voué au culte de la philosophie, et qu'une déesse ennemie de la science , appelée Philoœsmie, s'ef- force d*en détourner. La première l'emporte après une vive discussion, dans laquelle Philocosmien'a cependant rien négligé pour entraîner le jeune philosophe dans les séductions et les plaisirs, du monde. Adélard s'était occupé surtout d'exciter l'attention des philosophes d'Occident sur la philosophie des Arabes , qui , pos-- çesseurs de la plus grande partie des œuvres d' Aristote, étaietit bien plus avancés que ne Tétaient alors les pro-* fesseurs les plus distingués de nos écoles.
Alain des Iles est l'auteur d'un poème célèbre inti^ iuléV Anii^Ctaudien. Au mérite d'avoir donné à ses idées philosophiques, puisées surtout dans le mysticisme alexandrin , le langage et les formes de la poésie, il joignit celui de remettre en honneur la philosophie morale , trop souvent négligée pour la dialectique , et dont Abailard s'était aussi particulièrement* occupé. Dans un livre qui a pour titre du Gémissement de la na- ture, il fait apparaître la nature , s'entretient avec elle et lui soumet plusieurs problèmes : on croit recon- naître dans le personnage qu'il lui fait jouer et les fonc- tions quil lui attribue , le DémUmrgos des nouveaux platoniciens (1). Ainsi commençait à se faire sentir
(1) Dans son invocation à la nature, on croirait entendre Synésius. En voici les deux premières strophes :
332 raiLOSOPHlK du V0YEN*à6E.
rinflaence des relations de plus en plus fréquentes qui s'établissaient avec, les Arabes.
La fin de cette première période de la philosophie scolastique , où Ton voit que l'esprit humain était allé aussi loin qu'il était possible avec le seul argammi d'AristotCi et les, livres mystiques attribués à St Dénia TAréopagite^ est signalée par les efforts qui furent tentés par Amalric de Chartres et Davii» de IKnant, pour développer d'une manière indépendante quelques idées empruntées à la philosophie ancienne , à peu près sous le même point de vue que l'avait déjà fait avant eux Jean Scot Érigène. Leur système était , à ce qu'il parait, une sorte de panthéisme. Si l'on en croit l'hi^ torien Rigore(l), ces deux scolastiques auraient eu connaissance des livres ie métapliyêique d'Aristote, qui à cette époque avaient été apportés de Constantin^le en France et en Allemagne. Ce qu'il y a de certain , c'est que l'autorité ecclésiastique, en condamnant sévè- rement les erreurs d' A mairie et de David ^ attribua leurs hérésies à l'influence des ouvrages du pliilosq[>he de Stagyre : un décret de 1209 ordonna que tocs les ou^ vrages d' Arîstote fussent saisis et jetés au feu , avec défense, sous peine d'excommunication ^ de les lire ou de les copier de nouveau. Nous verrons à la fin du second âge de la philosophie scolastique j, ce même
O Dei proies genltriiqae reruiil « Vinculum mandi , slabilisquc besvs, GemuM torMiMfl, spacnlamoiteeli, Lucifer orbit!
PttX, amor, virtus, reKÎmen, poteslM, Ordo , Ux, flois , Tfa , dax , orl|» , Viia , lax , tplendor, species, figurt, Be^iknaadif
(1) Vie àt PbiUppe-Augiiste.
DEUXIÈME ÉPOQUE. 398
Aristote, mieux coddu, mieux apprécié^ traité d'une madière bien différentes et, le croîrait-00 ? sur le point d'être, canonisé.
Deuxième époque. — Depuis le treizième siècle jusqu'au
quatorzième.
*
• ■
Complète alliance du système de l* Église et de la phUosaphie ffAriê- tote ; triomphe du réalisme. — Un vaste mouvement scientifique est imprimé par ies Arabes.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL,
AlkiiKit. Alfarabi. Avieense.
AbeaBsrâ.
PDILOSOPHES ABABE8.
û. 800 Alg^el. m. 954 Thophaîl. m. 1036 AverFoès*
PHIIiOSOiPlIBS ^UIVS.
m. 1174 , MsUm Maimnoude
PRINCIPAUX DOCTEUES 8COLA5TIQUXA.
Alexandre de Haies. m.
( Docteur irréfragable, ) Guillaume d'Auvergae. m. Michel Scot. fl.
Albert le Grand. m.
St Bonaveiture. m.
( Docteur seraphique. ) Samt Thomas. ^ m.
( Docteur angeligue, ) Xichard de Hiddielon. m.
( Docteur très-solide, ) JSgidius GolooD^i. ' m.
( Docteur très-fondé, ) Herrey Ifatalis. m.
Arnauld de Villeneuve. m. texmtMidLuUe* m*
( Docteur illumine'. )
m. 1197 m. IlilO n. 1217
m. i3t»
1245 Vincent de Beauvais. m. 1264 Raymond de Pennafort. m. 1275 UM Robert Gro6Se-^ï6l«« m. 1253
^'217 Henri de Gand. m. 1293
1280 ( Docteur solennel, )
1277 Pierre de Lisbonne. m. 1SI77
(Jean XXI.) 1274 Duns Scot. m. 1306
( Docteur très-subtlL ) 130O François de Myronis. m. 1325
( Docteur trèS'âétU, ) 1316 Roger Bacon. m. lâM
( Docteur admirable. ) 1325 Durand de SU-Pour^ain. m. 1332 1312 ( Docteur irès-resolu. )
1315 Pierre dAlbano. m. 1320
( Conciliateur ifer di/fërenvss. )
22i PHILOSOPHIE DU MOYEN-ACE.
En s'appliquant à un fond aussi étendu et aussi riche que Test celui de la foi chrétienne, la dialectique avait dû nécessairement dépasser les limites qui lui avaient été impérieusement tracées : mais il s'en fallait beau- coup que celte dialectique fût encore de la philosophie. Pour qu'elle méritât véritablement ce nom , il lui fallait plus d'indépendance et de liberté; et pour concpiérir cette liberté, pour obtenir le droit de se séparer de la théologie, elle avait besoin de plusieurs siècles de pro- grés.
Pendant toule la durée de son second âge, elle ne fut encore qu'une simple forme de la théologie; mais cette forme acquit bientôt un tel développement^ elle parvint à un si haut point de perfection, qu'il était impossible que la théologie, pour prix des services qu'elle en recevait , ne lui accordât pas un peu d'in- dépendance. Elle en fut redevable à l'influence de trois hommes supérieurs : Albert le Grand, St Thomas d'Aquin , et Duns-Scot ; et au mouvement intellectuel qui résulta de Tintroduction des œuvres d'Aristoie commentées par les Arabes.
PHILOSOPHES ARABES ET JUIFS.
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Cot Aristote, dont la fortune fut si diverse dans nos écoles du moyen- âge (i) , allait donc enfin être connu en entier par les érudits, qui, sur le peu qu'ils avaient déjà appris de lui , s'étaient humblement mis à sa suite et prosternés devant son génie. La collection complète
(1) Ou peut lire à ce sujet le livre de Launoy , qui a pouf titre : Ûe varia Arisi, in acad. Parif. fortunà. Paris , 1662.
DEUXIÈME ÉPOQUE. 225
de ses écrits arrivait à la fois el par ConslaiUiaop]e , où.s'était établie la domination passagère des Latins, et par l'Espagne, où depuis longtemps ils avaient été répandus par les philosophes arabes. Les fameux califes Ailmansor , Âlraschid et Âlmamon (1) s'étaient efTorcés, par la fondation de nombreuses écoles et rétablisse- ment de riches bibliothèques, dé répandre parmi leurs sujets le goût des sciences et des lettres ; grâce à leurs soins, cette nation puissante et enthousiaste, après avoir soumis à ses armes une grande partie de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe, reporta toute son activité vers l'étude de la médecine, de l'histoire naturelle, des mathématiques et d^ la philosophie. Les Arabes avaient trouvé répandues sur les côtes de la Méditer- ranée les doctrines d'Aristole et celles des alexandrins. C'était préçiséinent ce qui convenait à leur génie, à la fois enthousiaste et subtil. Ils commentèrent la logique
d'Âristote, en se livrant à l'exaltation du mysticisme
< «
néoplatonicien .
Al&indi de Basra , qui donna le premier exemple à
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ses compatriotes d'un culte aveugle pour Aristote, flo- rissait vers les dernières années du règne de Cbarle- magne, à la cour du calife Almamon, dont il était le médecin : les sciences physiques et mathématiques furent principalement l'objet de ses études.
Un admirateur encore plus zélé d' Aristote fut Al- FABABi, la gloire de l'école de Bagdad, qui, né dans un rang élevé et possesseur d'une grande fortune, se dévoua tout entier aux travaux de l'étude et aux exer- cices de la méditation. Les scolastiques (iront un très-
(1) AI Mausour , llarouo Al Rasciiild , Al Mamoum.
15
926 ' PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
grand usage de sa logique et de son Traité sur l'origine et la division des sciences.
AvicENNE y rbomme le plus extraordinaire qu'ait produit cette nation , est aussi distingué par les con- naissances qu'il possédait en médecine, que par ses travaux philosophiques. Ses commentaires de là méta- physique d' Aristote annoncent un esprit original ; ses écrits sur la médecine, quoique ne renfermant guère qu'une compilation d'Hippocrate et de Galien , rempla- cèrent l'un et l'autre, môme dans les universités de l'Europe, et furent étudiés comme des modèles à Paris et à Montpellier, jusqu'à la fin du dix-septième siècle, époque à laquelle ils sont tombés dans un oubli presque complet.
Ces ' doctrines philosophiques , conçues dans le sens du sensualisme d' Aristote relevé par l'idéalisiùe alexandrin , furent combattues par Algazel de thus , qui attaché au Coran, et regardant les miracles de Mahomet comme les preuves de sa mission divine, di- rigea les armes d'un habile scepticisme contre les opi- nions dogmatiques de ses compatriotes.
Thophâîl de Cordoue ne s'en livra pas moins à l'étude des doctrines mystiques d'Alexandrie : dans un roman
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ingénieux qu'il intitula l^ Homme de la nature ou le Pfiifa- sophe qui s^instruit par lut-même (Philosophm autodidactus), il développa avec esprit et originalité les principales idées qu'il avait empruntées à cette philosophie (i).
(1) Leibnitz, qui Vayait la avec nn i^laisir extrême, prétend qu'on peat conclure de cet exceUent ouvrage que les pensées dea philoso|ikes arabes anr la {grandeur de Dieu ne le cèdent en mai rélévation des philoso|iiies chré- tiens*
DEUXIÈME ÉPOQUE. 227
Maïs le plus célèbre des philosophes arabes fut sans contredit Averroès, né à Gordoue comme son maître Thophaïl, et mort à Maroc au commencement du trei- zième siècle (1). Il exerça sur la philosophie scolastique une immense influence. Pénétré d'une admiration et d'un respect presque servile pour Ârislote, il fit par- tager ses sentiments à ses contemporains; mais, comme en même temps il mêla aux doctrines du Sta^yrite des idées empruntées aux systèmes des alexandrins, et par- ticulièrement rhypolhèse de rémanalion,.il entraîna les philosophes du moyen-âge, qui Jugèrent Aristote d'après lui, dans leurs interminables discussions sur la matière et la forme, sur la substance et Y essence, les quiddités, lesformes substantielles, et une infinité d'autres expressions qui hérissèrent le champ de la métaphy- sique et de la psychologie scolastiques. Ce fut à son exemple que toutes les espèces de syllogisme, toutes les règles de l'argumentation furent si péniblement et si minutieusement élaborées, classées, divisées, sub- divisées. Le principe de la contradiction , qù'Aristote avait déjà invoqué, et que Lefbnitz entoura plus tard d'une nouvelle lumière , est regardé par Averroès comme le premier principe des connaissances, comme celui qui se suffit à lui-même, sans lequel non-seulement toute démonstration , mais même toute philosophie est impossible. Sa définition de la matière et de Informe est faîte avec beaucoup de précision; elle a servi de règle aux âges suivants : « La matière se conçoit en faisant abstraction de toute différence , et môme de toute quan- tité; elle se distingue cependant de la simple privation,
(1)- Selon quelques auteurs en 1206» selon d'autres en 1217.
228 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE..
OU du néant, en ce qu'elle est le sujet d'individus sen- sibles. Elle contient en elle toutes les formes, mais seulement d'une manière virtuelle ( in potentiâ ) , j usqu^à ce que la cause efficiente puisse les extraire et les ac- tualiser ( extrahere in acium ). Cette grande opération explique tout le système des êtres, tous les phénomènes de la nature , comme le secret des ressorts par lesquels elle s'exécute constitue toute la science. »
Deux classes principales de philosophes se remar- quent chez les Arabes : les uns , nommés Médabberim (parleurs, dialecticiens, raisonneurs)^ partant des doctrines positives du Coran, tâchaient d'expliquer philosophiquement l'origine du monde; ce sont les sensualistes de cette nation. Les autres, attachés au système platonique d'Alexandrie, et par conséquent idéalistes, croyaient à l'éternité du monde, et cher- chaient à rattacher cette idée à la religion positive. A cette école appartenaient les ascétiques et les sofîs, ou soufis, panthéistes mystiques, dont la doctrine, ré- pandue encore aujourd'hui dans la Perse et dans l'Inde , avait été développée, dans le second siècle de l'hégire, par Aboul said Aboul Cheir.
Ce furent les Juifs qui servirent d'intermédiaires entre le commerce intellectuel qui s'établit entre l'Oc- cident et les Maures d'Espagne; ce furent eux qui, parcourant pour leur négoce l'Europe en tous sens, l'initièrent en même temps aux travaux des Avicennc, des Thophaîl et des Averroès. Eux-mêmes possédèrent à celte époque deux philosophes distingues , Aben EsiiA et Moïse MamiMomdë.
Les ouvrages du premier, surnommé par ses com-
DEUXIÈME ÉPOQUE. 229
patriotes le Sage par excellence , V Admirable^ n'ont point été imprimés. On sait qu'il s'occupa principalement de l'interprétation des livres sacrés et de la science caba- listique. Le second développa , toujours selon l'esprit des alexandrins, les doctrines du péripatétisme. Un de ses livres y intitulé le Docteur des inceriains (Doctor per^^ plexùrimi (1) lui attira de la part de ses coreligion- naires des persécutions qui le contraignirent de se réfugier en Egypte : il ouvrit au Caire une école , où son enseignement attira autour de lui une foule d'au- diteurs.
DOCTEURS SCOLASTIQUES.
On peut se faire d'avance une idée de la fermentation que dut causer dans nos cloîtres et nos monastères du moyen-âge l'introduction de la philosophie des Arabes. Alors commença pour ce moyen-âge , que l'on se re- présente trop souvent comme l'ère des ténèbres et de l'ignorance , un mouvement intellectuel aussi vaste qu'intéressant. C'est une chose admirable que cette ardeur avec laquelle les esprits se livrèrent à l'étude : leurs investigations se portèrent en même temps sur les sciences naturelles , sur la métaphysique et toutes les questions qui s'y rattachent. Jamais la culture des sciences ne fut plus active que dans ce xui* siècle, si peu conliu encore et si digne de l'être; jamais la langue latine ne s'enrichit d'un plus grand nombre d'ouvrages, jamais l'érudition ne fut plus en honneur. On peut dire que le» écrivains de la Grèce et de Rome furent, a la
(1) More Nçyoçhim , traduit en latin par J. Burtorf.
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â30 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
fin de ce siècle, aussi bien connus que de nos jours. Les écoles reten lissaient de leurs noms, de rexplication de leurs écrits; un docteur scolastique n'était réputé digne de Tètre que lorsqu'il les avait publiquement commentés. Les philosophes arabes, oubliés de nos jours , jouissaient d'une grande réputation : on avait souvent plusieurs traductions du même auteur : ce n'était qu'en comparant diverses traductions entre elles, avec line peine et quelquefois une sagacité ad- inirables, ^ue l'on parvenait à les éclaircir, à les con- cilier, à corriger leurs erreurs. Cependant il faut avouer que si l'érudition fut immense, le jugement et le goût n'en réglèrent pas toujours Remploi : on s'attachait à savoir, sans s'inquiéter si l'on savait bien et comment on savait.
li'épîscopat de Guillaume d'Auvergne (1) ouvre ce second âgeide la philosophie scolastique. La dispersion de V université en 12îi9 (2), ï'érectioii de ïa chaire de tbéologie cliez îea franciscains et les dominicains^ rà'dmission des frères mendiants (3) au partage dès hoH-
, (1) Évèque de Paris en 1228 , mort en 1248 , selon les auteurs de la GMia christiana.
(â) L'université de Paris , déjà parvenue à un Aaul degré de prospérité , avait obtenu pour ses élèves et ses maîtres des privilèges (|ui excitèrent pins d'une fois de funestes conflits entre elle et les autorités n^ilitaire^ et civiles. Une querelle entre les écoliers et le prévôt de Paris lut fit, à cette époque , suspendre ses leçons pendant deux années. Elle les reprit enfin en 1231 , a la sollicitation du pape Grégoire IX y qui lui fit obtenir satisfaction. C'est dans cette bulle que le pape donnait à l'université de Paris, qu'il louait comme la mère des sciences , le nom de Cariath-Sepher , ou ville des lettres.
(3) Les uns et les autres avaient adroitement profilé de la dispersion de l'université pour se glisser dans l'enseignement. Ce fut le pape Urbain IV qui ordonna , en 12i4 , à Tuniversité , de leur conférer les titres académiques: de là, la rivalité qui s'éleva entre elle et les flrères prêcbeurs, qui, non
DEUXIÈME ÉPOQUE. 231
neùrs académiques, la pluraKté des bénéfices, objet de disputes très-vives, la propagation des doctrines des philosophes grecs et arabes, développées avec éclat par Alexandre de Haies, Albert le Grand, Robert de Lincoln (1) ; tels sont les principaux événements qui font de cet épiscopat l'une des époques les plus intéres- santes de l'histoire philosophique de France.
Guillaume semblait fait pour l'époque où il vivait : animé d'une piété fervente , riche de l'érudition sacrée et pro&ne que l'on pouvait acquérir alors , dialecticien habile ; il rejeta de la métaphysique et de la science paturelle ce qui ne pouvait se concilier avec le texte de la Bible, dans laquelle il puisait les principes de sa doctrine.
Alexandre de Haies, qui reçut de ses contemporains, habitués à donner à chaque docteur un titre honori- fique, le nom de Doctor irrefragabilis , commentateur du Mcâtre des sentences ^ de Pierre le Lombard; Vincent de Beauvais, qui, grâce à la munificence de St Louis
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dont il éleva les enfants , put rassembler une nombreuse bibliothèque, et en profita pour composer, sous le point de vue des réalistes , une espèce d'encyclopédie sous le titre de Miroir naturel , historique et doctrinal ; Michel S6ol, qui, établi à Tolède en 1217, traduisit plusieurs livres d'Aristote, et entre autres le traité de jinimû] Robert Grosse-Téïe, qui enseignait avec succès
contenls de la part qu'on leur avait faite, ont travaillé de tout temps à la Supplanter. On sait que Tordre des dominicains s'est fondu dans celui des jésuites , toujours si prompts à réclamer pour eux le privilège de Venseigne- mekit public , et si peu disposés , quand ils en ont été possesseurs , à l'accorder aux autres. (i) Surnommé Robert Greal-Hcad (Grosse-Tèle).
232 PHILOSOPHIE DU HOYEN-AGE.
à Paris et à Oxford , ne firent que coromenter les ou* \rages d'Âristote , en essayant de concilier sa méta- physique avec la théologie dogmatique : qu'il nous siif- fîse de les avoir mentionnés ; et arrêtons maintenant nos regards sur les trois grands hommes qui , par leurs gigantesques travaux, exercèrent sur cette époque d'érudition une puissante inQuence.
ALBERT LE GRAND.
Albert, issu de l'illustre famille des comtes de BoU- stadt, naquit en 1193, à Lavingen, ville de Souabe. Doué du génie le plus heureux pour les sciences, il les cultiva avec ardeur dans les académies de Paris ^ de Pavie. Ce fut dans cette ville^ où il étudiait les mathématiques, la philosophie et même la médecine, qu'il fit connaissance de Jordan, supérieur des frères prêcheurs^ et que séduit par ses discours, édifié par ses exemples, il entra dans l'ordre de St-Dominique. II enseigna à Paris et dans plusieurs villes de l'Allemagne, et fixa en 1248 sa résidence à Cologne , où il mourut à l'âge de 87 ans. La collection imprimée de ses œuvres, quoique se composant de vingt et un volumes in-folio, ne comprend pas encore toutes celles dont il fut l'auteur.
Albert est, sans contredit, un des hommes les plus extraordinaires que présentent les annales de la philo- sophie. On ne peut s'empêcher d'éprouver la pins vive surprise quand on songe à son activité incroyable, quand on considère le nombre immense de ses ouvrages, et surtout quand on a égard aux diflRcultés dont les études et l'art de l'écrivain étaient nécessairement hé-
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DEUXIÈME ÉPOQUE. 233
risses , â une époque où rimprimeric n'était pas encore découverte. Ce fut à la prière des frères de son ordre qu'il étudia celte philosophie d'Aristote , qui marchait déjà à grands pas vers Fempire absolu qu'elle exerça bientôt parmi les scolastiques. Il entreprit de le com- menter y bien plus , de le faire passer dans la langue latine, dépouillé de son obscurité, corrigé dans ses aberrations, étendu là où il était trop bref, complété enfin dans les parties de sa doctrine qui étaient encore inconnues aux Latins. Second Âristote, il voulut, « comme le premier, parcourir le cercle entier des con- naissances humaines. 11 avait beaucoup voyagé, et s'était procuré des livres à grands frais. Gomme il s'était par- ticulièrement adonné .à l'étude des science» naturelles , et qu'il avait acquis des connaissances bien supérieures à celled de ses contemporains, on l'accusa de magie noire, ce* qui n'est pas très-étonnant; mais ce qui le paraîtra davantage, c'est qu'il avoue lui-même cette qualification, et qu'il déclare dans son traité de PAme que, dans ses expériences magiques, il a reconnu la réalité des enchantements (i).
Au reste, ce fut plutôt un érudit et un compilateur,
(1) On raconte qu'il avait exécuté un aulomate non-seulement animé, mais même doué de la parole , automate <iue saint Thomas brisa, dès la pre- mière Yue , à coups de bâton , le prenant pour un agent du démon. Mais ce qui prouve, non le pouvoir magique du docteur, mais les progrès étonnants qu'il avait faits dans les sciences naturelles , c*est le fait suivant , attesté par les historiens. Guillanme de Hollande, couronné roi des Romains , passant par Cologne, Rendit visite au célèbre professeur. Albert le reçlUt d'une ma- nière digne de ses connaissances et de la majesté royale , en lui offlrant , dans un Jardin du eloitre qu'il habitait, la paruA du printemps et sa douce tem- pérature , au cœur ml^e de Thiver ; chose qui serait très-extraordinaire de nos jours, et qui dut le paraître bien davantage dans un siècle peu éclairé.
23i PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
qu'un profond penseur et un critique original/ Dans ses commentaires d'Âristote, il eut recours principa- lement aux écrivains arabes , mêlant les idées néoplato- niciennes et celles de son auteur. C'est avec lui que commencent les subtiles discussions sur la matière et la forme, l'essence et l'être ( quidditas et eaAstentia ) ^ que nous verrons si souvent reproduites.
SAINT THOMAS D^AQUIIf .
»
Thomas appartenait, comme Albert le Grand , à une famille distinguée (i); comme lui il renonça aux hon- neurs et aux dignités du monde, pour se livrer aux exercices religieux et à ceux de l'étude; comme lui il entra dans l'ordre des dominicains. Il porta dans cet ordre le même désintéressement, et ne voulut accepter d'autres fonctions que celles de professeur : mais il Alt un professeur incomparable ; aussi le nomma-t-on Doctor angeticus , l'Ange de l'école^ Il fit ses premières études à Naples , et alla les achever à Cologne sous Albert le Grand. 11 enseigna tour à tour à Cologne même , à Paris , et dans les différentes villes d'Italie où il accompagnait la cour de Rome; il exerça dans cette dernière contrée la môme influence qu'Albert exerçait sur TAIlemagne.
St Thomas possédait un véritable esprit philoso- phique , une immense lecture , des connaissances étendues; avec un zèle véritable pour le progrès des études rationnelles. Quoique moins érudît qu'Albert le Grand, il comprenait toute Timportance des phi-
(1) ïl était de la famille des comtes d'Âquin.
» • • 1 ^
DEUXIÈME ÉPOQUE. 235
losophes arabes et grecs; il encouragea puissamment la traduction de leurs ouvrages. L'Europe lui doit infiniment pour toutes les traductions qu'il (it faire. Cesi surtout comme métaphysicien et comme mo- raliste qu'il mérite une place distinguée dans
• « -a
l'histoire de la philosophie. 11 était idéaliste^ et con- sidéraiit l'objet de l'intelligence, ou la forme abstraite des chos(es, comme leur essence originelle. Il s'appli- aua à donner à ce système une meilleure assiette, en développant la théorie de la pensée donnée par Aris- tote^ théorie à laquelle se mêlait aussi une partie des idées. de Platon et des alexandrins.
Mais le but principal de ses efforts était .de donner une forme philosophique à la théologie , en approfon- dissant davantage cette science dans l'esprit des écoles d'Âristote et d'Alexandrie. Sa Somme (Sûmma theotogiœ) est le plus grand monument de l'esprit humain au moyen-âge. C'est le premier et le plus complet essai d'un système théologique , dans Iquel on trouve , tracés d'après St Augustin , les principaux traits de la théodicée de Leibnitz. La morale, divisée en gêné* raie et en spéciale^ est traitée en partie d'après celle d'Aristote; et; quoique St Thomas n'en ait pas déter- miné les notions fondamen laies avec assez de précision et de profondeur, cette science lui est redevable d'une infinité d'aperçus aussi justes qu'ingénieux. 11 fut longtemps le principal guide pour la théologie, et sa doctrine philosophique compta pendant plusieurs siècles un très-grand nombre de partisans.
336 raiLosopaiE pu moyen-âge.
«
nxn 0UN8 8G0T.
L'ordre de St-François produisit un auCre philosophe aussi célèbre que les deux précédents , qui engagea contre eux une lutte vigoureuse , et se plaça au premier rang des scolastiques du temps : ce fut TAnglais Duns ScoT, né à Dunston, en Northumberland, vers Tan d275, et surnommé le Docteur subtil, Doctor subtiUs. Ses ouvrages attestent qu'il avait beaucoup lu : ils renferment un résumé comparatif des opinions diverses sur les questions agitées de son temps. Quoique réa- liste , il s'écartait de la doctrine de St Thomas sur les idées génék*ales ; il soutenait que Funivers n'est point contenu seulement en puissance (passe )y mais en acte {actu)j dans les objets. II faut avouer que le désir de combattre ,les [doctrines de ses adversaires l'engagea dans de vaines distinctions et des subtilités qui ne jus; tilièrent que trop le titre qui lui fut donné.
On peut en voir un exemple dans la manière dont il résout le problème de l'individuation. < Quoique les notions générales aient leur origine dans l'expérience, dit-il , elles n'en sont pas moins réelles, parce que l'en- tendement ne les produit ' pas , mais les reçoit ; car l'objet préexiste à l'acte de la connaissance. Dans tout genre, il y a une première unité qui en est le mètre. Cette unité est réelle, car les objets mesurés sont réels. Or des objets réels ne peuvent être mesurés par un être de raison. Cette unité n'est ni individuelle, ni nu- mérique; elle réside dans les choses , indépendamment des opérations de l'entendement. »
DEtJXlÈME ÉPOQUE. 237
Maintenant y quel est réiément qui doit se joindre à r universel, au général, existant déjà réellement, pour en former un individu ? Duns Scot ne trouve cet élé- ment , ni dans la matière , ni dans la forme , ni dans Taccident. Il a recours, alors, à ce qu'il appelle des entités positives, qui] déterminent la nature des choses : c'est ce que son école nomme les hœccéités ( hœcceitates); par exemple , comment Pierre est-il un individu ? Gela \ient, dit Scot^ de ce que la pétréité vient s'unir à Vhumanité.
Il reste à Scot une gloire plus durable que celle d'avoir grossi le catalogue, déjà si volumineux, des entités de la scolastique; il a distingué avec netteté les deux ordres d'idées : celui des idées sensibles, et celui des idées nécessaires et absolues. C'est dans ces der- nières qu'il a fort bien démontré qu'existe toute vérité. La sensation en est l'occasion et non la cause ; elles reposent sur la vertu de l'esprit qui les forme. Sa dé- finition de la volonté est fort remarquable : il la con- sidère comme une spontanéité absolue , comme une libre causalité : la perfection de la volonté consiste dans sa conformité avec celle de Dieu.
Tels sont les trois hommes qui , en perfectionnant la forme de la théologie , c'est-à-dire la seule philo- sophie qui pût exister alors, l'avaient élevée si haut, qu'il n'était pas possible qu'elle tardât longtemps à se détacher du fond auquel elle avait été subordonnée, et à commencer une carrière indépendante. Leurs con- temporains ne pouvaient faire autre chose que de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, et de se traîner à leur suite. Il serait donc aussi inutile que fastidieux
238 PHILOSOPHIE DU MOTEN-ACE.
d^entrer dans tous les détails de ces discassions qu'ils entamèrent, à leur exemple, sur les matières abstraites qui composent la métaphysique d'Aristote^ de ces sub- tilités et de ces argumentations puériles, qui ne sont que la reproduction, sous des formes plus ou moins intelligibles, de leurs principales idées. C'est dans les ouvrages des maîtres , et surtout de Duns Scot , qu'il faut chercher les doctrines de cet âge sur l'existence, Tessence, la chose et la substance; sur l'idée du rap- port, et sa ditTérence de son objet ; sur la gradation des accidences ; sur la cause de rindivisibilité des choses ; sur le rapport de la matière à la forme; sur l'espace et le temps; sur la simplicité de l'âme; sur la nature de la pensée et de renlendement; et autres questions ontologiques dont était embarrassé le champ épineux et stérile delà scolastique.
Le peu de certitude des résultats produits par une telle manière de philosopher aurait sans doute ouvert les yeux des hommes vraiment supérieurs qui s'y li- vraient avec une ardeur incroyable , s*il eût été dans l'esprit des savants de ce siècle de chercher dans les études quelque but pratique. Mais comme la plupart étaient des solitaires livrés A la vie contemplative , dé- tachés du monde, peu occupés des intérêts de la société^ le seul but qu'ils se proposaient était d'étudier l'onto- logie dans ses rapports à la théologie ; et ils ne pou- vaient se distinguer qu'en surpassant leurs prédécesseurs en subtilités. Ceux dont l'esprit n'était pas entièrement satisfait , et qui renonçaient aux spéculations abstraites, ne songeaient point à tirer de l'observation et de l'ex- périence , ces deux sources idépuisaSles de connais-
DEUXIÈME ÉPOQUE. 239
sdnces> des principes plus solides : ils n'avaient alors d'autre ressource que de recourir au mysticisme. C^est ce qu'avait fait un des plus célèbres contemporains d'Albert le Grande Jean de Fidanza, plus connu sous le nom de Saint Bon aventure, et surnommé par son siècle le bocteur séraphique. Il avait ramené toute science â la lumière venue d'en-haut, ou à Tilluminisme, dont îl distingue quatre sortes : extérieur , intérieur , infé- rieur et supérieur. C'est dans le sein de Dieu seul quMl pensait que les liommes peuvent avoir la vérité et trouver le bonheur. Dans son Itinéraire de l'âme à Dieu il décrit les six degrés par lesquels l'homme arrive à Dieu , et rapporte à ces degrés autant de facultés de l'âme : conception assez riche et ingénieuse , mais en grande partie arbitraire et forcée.
Mais le nombre devait être et fut en effet bien plus grand , de ceux qui s'élancèrent dans les voies nou- velles qu'avaient frayées les Albert, les Thomas et les Duns Scot. Nous ne pouvons donner à chacun d*eux une attention particulière. Bornons-nous à indiquer, dans une revue rapide , les principaux traits de la lutte qui s'établit entre les thomistes et les scotistes, les par- tisans de l'Ange de l'école et ceux du Docteur subtil.
THOMISTES ET SCOTISTES.
Contemporain de saint Thomas, Henri de Gand , qui obtint le titre de Docteur solennel, dans la critique des formes d'Aristote et de quelques-uns des principes de saint Thomas, s'éleva à des abstractions qui lui procu- rèrent dans son temps une grande renommée. On s'oc-*
n
240 PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
cupait alors de savoir si Yéire peut être distingué de V essence; il parait qu* Henri de Gand résolut cette ques- tion à la satisfaction générale. On trouvera bon que nous ne répétions pas ici son argumentation , à laquelle nous avouons d'ailleurs n'avoir rien compris.
Un autre docteur y le Docteur solide (solidus, copianu, fundatissimus) ^ Richard de Middceton, qui naquit et enseigna a Oxford , et appartenait à l'ordre de St-Fran- çois, eut le mérite, assez rare à cette époque^ d'une certaine netteté dans les idées , et d'une assez grande réserve dans les spéculations abstraites. Les thomistes n'admettaient aucune différence entre les âmes ; Richard les combattit : < L'âme humaine, dit-il dans ses [com- mentaires du Maître des sentences, a une certaine ex- pansion qui se distingue de l'étendue des corps , quoi- qu'elle ait quelques rapports avec elle; elle est présente dans chaque partie du corps, comme Dieu dans chaque partie de l'espace. »
On doit distinguer parmi les disciples de Duns Scot^ François de Myronis , qui reçut et mérita les surnoms de Docteur illuminé , déliée de Docteur des abstractions : il détermina avec précision quelques idées de son maître^ auxquelles il en ajouta qui lui étaient propres.
Les principes de St Thomas ne restèrent pas sans défenseurs : on remarque a leur tête ^ëgidio Colonna de Rome, réaliste conséquent^ qui faisait résider la vérité aussi bien dans l'intelligence que dans l'objet.. Son principal mérite est d'avoir développé avec clarté les problèmes et les difficultés métaphysiques, et essayé de concilier les opinions opposées sur l'être , la forme, la matière et Tindividualilé. Un autre thomiste, Hervey
DEUXIÈME ÉPOQUE. 241
MalaliS) Breton, qui devint général de l'ordre de St* Dominique, se distingua par une dialectique savante, mais le plus souvent abstraite, et surtout par ses con- troverses avec révêque Guillaume Durand de St-Pour<« çAiiv. Ce dernier, homme d'un grand sens, commença à apercevoir la futilité de l'escrime dialectique. « Quelle que soit l'importance, dit-If, qu'aient voulu attacher les partisans d'Àristote à leur entendement actif , cette question intéresse moins que la vérité. » Par une dis- tinction plus exacte delà conception et de son objet, il prépara la chute du réalisme. Il fut surnommé le Docteur ires-résolu.
nOGER BACON ET HAYMOND tULLB.
La un de ce treizième siècle est signalée par Tappa- rition de deux hommes bien plus extraordinaires que tous ceux dont nous venons de parler : l'un est le moine franciscain Roger Bacon, et l'autre Raymond
LULLE.
Le premier est cet honune doué d'une raison si puissante et si supérieure à son siècle , qui , ouvrant subitement à ses contemporains une voie inconnue, à peine soupçonnée des siècles antérieurs, o^, à la fin du xiii** siècle^ s'affranchir du joug de la philosophie scolastique , pour pénétrer dans le secret des sciences naturelles^ par la méditation, l'expérience, et l'étude de la nature. Le second , esprit aventureux , condamné par les uns comme hérétique, et vénéré parles autres comme un. saint et un. martyr, tour à tour soldat, courtisaû, marié, moine, érudit, philologue, mys-
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343 PoiLosonn du moyen-âge.
tique ^ théologien, philosophe , éormio, mîttioiUMiM^ est le créateur de cet An œnéimUoire^ qu'im ipfMte YAri merveilleux, de cet art qui, après awir excité Tad- miration des hommes les plus distingués , est tombé dans un oubli si complet, que le nom même de mm auteur est à peine connu aujourd'hui»
Roger Bacon était né à uchester, dans le comté do Sommerset. Ses contemporains, qui ne le comprirent pas, lui donnèrent le titre de DoOeur admiraUe» Son maître, Robert Grosse-Téte, évèque de Lincoln , parait être le seul qui ait apprécié le mérite de ses travaux et de la réforme qu'il avait \oulu introduire daftis l'étude des sciences. Son influence sur te temps où il vivait pouvait être immense; elle fiit. presque nulle. L'ignorance et la superstition apportèrent aux e'fforts de son génie un invincible obstacle. Les franciscains, auxquels il appartenait ,• lui interdirent la paMîcatiott de ses ouvrages, sens peine de perdre le Hêêtb ei if^te mU au pain ei à Veau pendant plusieurs jours.
Il trouva cependant un protecteur plus éclairé daim Clément lY , qui , éleVé à la chaire de St-Pierre » lui demanda et obtint le plus important de ses ouvrages^ celui qui a pour titre Opu$ mgus, dans lequel il exposait ses projets de réforme^ et la méthode qui devait y prè- »der. Tant que vécut ce pontife , Bacon jouit d'une vie paisible, et vit ses travaux encouragés et estimés : mais lorsque la mort l'eut privé dé cet appui, la baine et la jalousie s'attachèrent à sa personne, et, victime de son amour pour la philosophie , il fut en butte aux plus cruelles persécutions, et traîné comme swcierdanslèsea-^ chots, où il demeura enfermé pmdant de longues
\
DEUXIÈME iPOQUfi. ftiâ
La carrière de Raymond LuUe fut bien plus agitée. Entraîné par une imagination ardente, il passa sa vie à courir le monde; il voulut entreprendre des croisades; il assiégea les rois et les papes de ses sollicitations con* stantes pour la doubfe cause de la conversion des Sar- rasins et de la propagation de la science nouvelle qu'il avait inventée, et périt dans une traversée en re^ venant d'Afrique, où il était allé pour délivrer des captifs chrétiens.
Il est probable qu'il avait emprunté à la cabale des Juifs et aux Arabes l'idée sur laquelle reposait son grand ai3|. Comme Pytbagore, les gnostiques, les prêtres de l'antique Egypte , il trouve dans les combinaisons des nombres des ra{>ports mystérieux qui serrent de base aux développements de son système.
Il partait de cette bypotbèse, qui, d'après les idéc»i des réalistes du temps, devait lui paraître d'une eer-^ titude incontestable : que les notions générales et Leurs combinaisons logiques représentent exactement l'em- pire des objets réels; que les genres et les espèces des différents êtres de la nature s'engendrent et se pro- duisent de la même manière que les. conceptions de notre esprit. Cette bypothèse le conduisit à penser qu'il réussirait à composer à priori une sorte d'arsenal de la science : il n'aurait besoin pour y parvenir que de faire la nomenclature des idées abstraites , en les distribuant d'après le rôle qu'elles jouent dans leurs combinaisons diverses, et en représentant d'avance le tableau de tous leurs éléments possibles. Avec une telle table, il n'était pas besoin d'étudier les laits : les faits de la nature n étant autre "chose que des combinaisons d'idées, il
2AÂ PHILOSOPHIE DU MOYEN-AGE.
suffisait pour les connaître, sans qu'il fût besoin de recourir à rexpérience , de calculer tes combinaisons indéfinies de ces idées. Restait à indiquer par des signes symboliques un moyen facile de j>rocluire et de suivre tous leurs rapports possibles : tel fut l'objet de ces cercles figuratifs , de ces tableaux synoptiques , de ces arbres généalogiques , variés et développés en mille manières, et à l'aide desquels l'auteur du grand art crut avoir résolu son chimérique problème.
Il faut convenir qu'il devait y avoir , pour un homme doué d'une imagination aussi vive et aussi exaltée , quelque chose de bien séduisant dans l'idée qui fait le fond du système combinatoire : elle flattait cette se- crète et indéfinissable disposition de notre âme, ce penchant pour le merveilleux , dont les plus grands hommes ont ressenti l'influence^ et qui nous porte ir- résistiblement à chercher la vérité dans les abstractions, et la réalité de la science dans les signes.
C'est de là , à n^en point douter , qu'est résulté le prestige qui pendant si longtemps a attiré sur les pas do Raymond LuUe une foule de sectateurs, de com- mentateurs^ d'imitateurs, parmi lesquels on compte plusieurs hommes supérieurs. Nous croyons même ne pas trop nous abuser, en nous imaginant qu'au milieu des méditations plus sérieuses et plus graves de notre siècle positif, le système hardi d'un rêveur du treizième siècle peut encore exciter l'intérêt et la curiosité.
C'est encore la nomenclature d'Aristote qui sert à Raymond Lulle de point de départ. Il place sur autant de colonnes distinctes ce qu'il appelle des principes ou PRÉDICATS, divisés en deux ordres, absolus et rela-
DEUXIÈME ÉPOQUE. 245
TIFS : il y range les questions possibles, les sujets GÉNÉRAUX 9 les vertus et les vices; à chaque colonne il assigne neuf termes, que représentent neuf lettres de Talphabet, en sorte que chaque lettre donnée de- vient une espèce de caractéristique de cette table de logarithmes d*un nouveau genre. Viennent ensuite des cercles concentriques les uns aux autres et mo-* biles, dont chacun correspond à l'une des colonnes de son tableau , et dont les rayons répondent aux diffé- rents termes de ces colonnes. Ces cercles, en tournant sur eux-mêmes, placent successivement ces termes en regard, suivant des combinaisons variées , et engen- drent ainsi toutes sortes de propositions.
On a comparé avec beaucoup de raison ce jeu à la machine imaginée par Pascal , pour exécuter les quatre règles de l'arithmétique. Raymond LuUe s'en servait pour parler et écrire sur toute sorte de sujets, sans se donner la peine de penser. On lui attribue plus de quatre mille ouvrages, et ses seuls écrits bn primés for- ment dix énormes volumes in-foli8. Nous ne devons pas nous en étonner : il eût pu en composer, même pendant son sommeil^ à l'aide d'un moteur qui eût mis sa machine en jeu.
Pardonnons à Raymond Lulle de s'être trop exagéré rimportanee de son système. En le considérant dans sa simplicité et sa vraie nature^ il pouvait y trouver des secours à la mnémonique et à l'improvisation ; mais ce n'était pas assez pour lui : il chercha, et il crut avoir enfin saisi la clef de celte science occulte, de cet art sacré de Ui cabale, vers l'étude do laquelle le por- tait son activité inquiète.
1
246 PHILOSOPHIE DU HOTElf-ÀGE.
Noos avons dû exposer atec assez d'étendue les pré. tentions et les chimères de-cet apôtre de rilluminisme; il représente toute une école, et à ce titre il méritait Fat- tention que nous lui avons donnée dans nne revue qui a pour but de retracer les différons systèmes pro- duits par la raison humaine , dans ses écarts comme dans ses progrès. Raymond LuUe ferme le second âge de la scolastique. II n'était pas possible d'aller plus loin dans l'emploi des universaux; les exagérations dans lesquelles il était tombé devaient ramener l'examen sur ces entités dont il avait fait un usage si étrange : le réalisme, parvenu à un complet triomphe, était tombé dans une complète extravagance ; les nominalistes durent nécessairement se relever , et arracher à leur tour à leurs adversaires une victoire que leurs aber- rations n'avaient rendue que trop aisée.
TaOISIÈMB tPOftUE* 147
Troisième époque. -- Depuis le quatonième siècle jusqu'ftu
milieu du quinzième.
Séparation de la théologie et de la philosophie; triomphe des nomi-
nalUtes.
RÉSUME GÉNÉRAL.
Wal(«r Bvieigh. |
m. 1837 |
Jean d*OccaB. |
B. |
lS4ff |
( Docteur lumineux, ] |
( Docteur invincible. } |
|||
Hmm^s éê Bradwuiiioe. |
B. 1399 |
Jean Buridan. |
m. |
1360 |
Tliomas de Strasbourg. |
m. 1357 |
Pierre d'ÀiUy. |
B. |
14afô |
HareUe dlDg^en. |
m. 1396 |
Robert Holcol. |
m. |
1340 |
Nicolas d'Autriconrt. |
fl. 1348 |
Gabriel Biel. |
B. |
1395 |
Sun de Merairia. |
11. 1348 |
Henri de Hessé. |
B. |
139^ |
HT8T1QUE8. |
||||
lean Tanler. |
m. 1361 |
Pétrarque. |
B. |
1374 |
Hmhbm à ftmpis. |
B. 1471 |
G«r8on. |
B. |
14âl |
Attaquer le réalisme , c'était engager contre l'autorité de l'Église, qui le soutenait^ une lutte dangereuse* Elle avait été déjà faiblement essayée à la fin du pre* mier Age de la scolastique ; mais elle avait été infruc- tueuse, et pendant toute la durée du second il n'avait été nullement question du nominalisme. Les circon- stances étaient devenues plus favorables : les rois et les prin(^, soumis jusqu'alors, comme la philosophie ^ au.pffvoir pontifical, tendaient de tous côtés à s'en affranchir. Déjà était engagée la lutte entre Boniface YIII et Philippe le Bel ; plus tard commença cdle de l'empereur Louis de Bavière avec le pape Jean XXII. tin cordelier du comté d'Occam, ep Angleterre^ tra^
248 piiiLosoraiE w moykn-age.
vailla avec ardeur, par ses écrits y à Tafllranchissement du pouvoir politique, et, non moins hardi dans sa phi- losopiiie I il prit hautement la défense de Topinion pro- scrite. Soutenu par la puissance des princes qu'il dé- fendait avec sa plume (1), il porta au réalisme des coups dont il lui fut impossible de se relever.
Jean d'Occam, surnommé Doctor singtdaris, invmci- bilis et venerabilis inceptOTy était parti de ce principe que, pour arriver à la connaissance de la vérité, ce n'est point à l'autorité qu'il faut s'en rapporter : de là la polémique engagée contre la réalité des notions gé- nérales, des prédicables et des prédicaU d'Arislote. «Quelleestlanaturedeces idées générales ? se demanda- t-il. Elles ne peuvent avoir d'existence indépendante que dans les choses , ou dans Dieu. Dans les choses il n'y a point d'idées générales, car elles y seraient ou le tout ou la partie ; dans Dieu elles ne sont pas comme essence indépendante , mais comme seul objet de con- naissance ; dans l'esprit elles ne sont*pas autre chose. » Ainsi tombaient toutes les entités de la scolastique; ainsi fut posé l'axiome fondamental de la philosophie nominaliste : // ne yaut pas multiplier tes ê^es sans né" ressité : Entia non stmt multipUcanda prœter necessitatetn.
Une autre théorie aussi célèbre attira l'attention du philosophe réformateur, celle des espèces sensibles et intelligibles. Selon les scolastiquos , l'âme humûse ne pouvait immédiatement connaître les substances cor- porelles et les êtres spirituels. Entre les corps extérieurs et l'esprit de l'homme, existaient, comme médiateurs
(1) n écrivit à l'empereur Louis : Tu me défendus gladio , ego te defen» damcalamo.
TROISIÈlf E ÉPOQUE . 240
indispensables , des images conformes au système de Défflocrite^ des espèces sensibles qui représentaient les objets externes par la conformité qu'elles avaient avec eux. Us supposaient, de môme^ que Tesprit ne pouvait connaître les êtres spirituels que par Tinter- médiaire des [espèces inietUgibles. Dans une argumen- tation qui rappelle celle d'Arcésilas contre l'école stoï- cienne f et qui a été exposée avec beaucoup de sagacité et de clarté par Gabriel Biei. son disciple, Occam at- taqua L'hypotbèse chimérique de ces idées-images , et fut dans la philosophie moderne le précurseur du chef de l'école écossaise.
Dès que la base du réalisme fut ainsi renversée, Occam , libre et dégagé d'entraves , put se tracer une nouvelle carrière. Toutes les théories qui reposaient sur le principe de l'existence des universaux , par exemple, celle du principe de VindwiduaîUm, qui avait tant occupé les partisans de St Thomas ou de Scot , s'étaient éva- nouies. U fut alors amené à chercher la source des con* naissances humaines dans la perception intuitive, à invoquer l'autorité si longtemps méconnue de l'expé^ rîence, à déterminer les rapports des connaissances abstraites aux connaissances sensibles. La réalité n'ap* partenant qu'aux individus, et les individus n'appar- tenant qu'aux sens, il n'était pluspossible de faire re- poser la science sur le fondement dés notions générales.
Voilà donc Occam entré dans la route du sensualisme. C'est une chose remarquable , que dès le moment où la philosophie reprend un peu d'indépendance , elle ne le fait qu'en revêtant l'une des quatre formes que nous lui avons reconnues jusqu'ici ; et ce qui ne l'est pas
tSO PHILOSOPIIB DU MOTEN'AGE.
moio6, c'est que dès l'aurore de cette réforme phllow^ phique » c'est encore le sensualieme qui paraît le premier sur rhorizon. Mais un fait encore plus instructif poor nous 9 c'est le résultat que Jean d'Occam a tiré de aes principes 9 quelque faiblement qu'ils sment encore dé* veloppés : eh bien I ces résultats sont encore analogues à tous ceux que nous avons vus jusqu'à présent , et que nous verrons toujours désormais sortir de la phi- losophie sensualiste. Sans doute ce n'est point encore le sensualisme fort et conséquent que nous avons étudié dans les écoles de la Grèce; mais il ne faut pas oublier que nous sommes à la fin de la scolastique, et que l'école nominaliste écrit sous l'influence d'une autorité contestée , il est vrai , mais encore bien puissante.
Quelque faible cependant que soit la part de liberté qu'on lui laisse, la philosophie d'Occam laisse entrevoir déjà tous les heureux résultats que produit un système fondé sur l'observation sensible : les principaux sont le dédain de la méthode et des entités de la scolastique , et un goût de plus en plus prononcé pour l'analyse et l'étude des sciences physiques. On y trouve aussi qud- ques*uns des mauvais cdtés du sensualisme. Occam, éa jMrouvant que l'esprit humain n'arrive aux substances que par leurs qualités et par leurs attributs, soutient qu'il ne peut avoir aucune idée de la nature des sub- stances. « Gomme on ne connaît Dieu que par ses at-» tributs, dit-il, de même on ne connaît l'âme que par ses qualités. On peut observer ces qualités et s'en rendre compte; mais quant à la substance de l'âme, comme on ne la perçoit -pas directement , il n'est pas aisé de dire qu'elle est immortelle, car on ne peut pas
«•M
TROISIÈME ÉMQra. SSi
même prouver qu'elle est immatérielle. On ne peut dé*- monlrer quel est le siAstratum , l'agent qui réside sous ces qualités que nous connaissons ; cest peui-étre un ageni naturel et matériel. La foi seule ^t ici de mise. » Rien de plus faux que ce raisonnement, et c'est ce- pendant la base de celui que nous verrons reproduit par le sage Locke et les partisans de sa doctrine. Nous ré* pondrons à ceux-ci , comme nous pouvons déjà le frire à Occam : que s*il n'y a pas de substance sans attributs, par cela même , toutes les fois qu'il nous sera donné tin attribut d'un certain caractère, toute substance d*une nature opposée é cet attribut sera exclue; ainsi, étant donnée la pensée comme attribut fondamental de Tàme, par cela seul une substance de l'âme, étaadue et matéridle , se trouve inévitablement exclue.
G*était assez pour les nominalistes d'avoir ébranlé fantorité d' Aristote , et détruit une partie des chimère» du réalisme. Il serait injuste d'exiger d'eux le dévelop* pement raisonné d'aticun système philosophique : toute leur activité dut être concentrée dans la lutte qu'ils eurent à soutenir contre les partiisans de la vieille doc- trine scola6tique : elle fut vive, opinifttre, et Ton en vint plus d'une fois aux voies de fait. Les persécutions, comme on peut le croire , ne manquèrent pas aux no- minalistes; leur chef, poursuivi parle ressentiment de Jean XXIf (i), mourut à Munich en 4347.
(1) C*e8t pendant le pontificat de Jean XXH que s'éleva , parmi les corde* lien, cette fameuse question qu'on appela le pain des Cordeliers, et qui eoBSistait à UToir si ces religieux aTaient la propriélé des «Aoses qu'on le«r donnait , dans le temps où ils en faisaient usager par exemple » si le pain leur appartenait quand Us le mangeaient, ou s'il appartenait à l'église ro- maine. Cette question frivole donna l>eaucoup d'occupation a« pape, aussi
353 raiLosoniik du ioyen-ace.
LUTTE
DES RÉALISTES ET DES NOMINAUX.
La doctrine d'Oocam ne pouvait obtenir de suite un absolu triomphe : la dernière partie de cette troisième époque fut presque entièrement occupée par la lutte qui s'engagea entre les antagonistes et les défenseurs de son système. Un de ses compagnons d'études, Walter BuBLEiGfi, Doclor ptoitw etper^icûu8,qui^ dans un livre intitulé Fia Moderaarum ^ soutint la réalité des idées générales par des considérations tirées de Tordre moral, et surtout par celles qui se fondent sur les fms que la nature se propose dans ses ouvrages; Thomas de Strasbourg , augustin , qui enseigna la théologie à Paris et parut s'attacher particulièrement aux idées d'iCgidius Colonna; Thomas de Bradv?ardine, et Maa- ciLE d'Inghen , écrivirent en faveur du réalisme plusieurs ouvrages qui eurent dans leur temps une grande répu- tation j et ils attaquèrent les principes d*Occam sous le rapport théologique et philosophique. Leurs principaux arguments peuvent se réduire aux suivants : 1* il est tellement vrai qu'il y a des idées générales réelles tout- à-fait distinctes des idées particulières auxquelles on veut les réduire en les décomposant, que- la nature, à laquelle en appelle sans cesse l'école nominaliste, se joue des espèces et conserve les genres ; 2** les lois hu- maines font comme la nature ; elles négligent les in-
bien que celles que les cordeliers agitèrent sur la couleur , la forme et Téloffe de leurs habits.
TROISIÈME ÉPOQUE. 253
dividus et ne s'occupent que des genres : donc les lois humaines reconnaissent qu'il n'y a pas seulement des ressemblances dans l'espèce humaine , mais un fond identique ; 3** nous chierchons le bonheur dans les dif- férents biens de ce monde; mais tous sont relatifs, tous variables 9 tous insuffisants; et nous ne pouvons pas ne pas nous élever de ces biens particuliers à un bien général , qui n'est pas la réunion de tous les biens particuliers , mais qui leur est supérieur à tous , et qui est pour nous le souverain bien , l'unité même du bien. Nos désirs dépassent le particulier et le variable; donc l'absolu et le général existent.
A ces arguments , les nominalistes en opposaient d'autres non moins sflbtils, mais qui se rapportaient presque tous à ceux que leur maitre avait déjà produits. Jean Buridan et Pierre d'Ailly acquirent dans cette guerre une grande réputation. Buridan se rendit sur- tout célèbre par les règles qu'il donna pour faire trouver les idées moyennes dans les tirguments syllogistiques, espèce de ressource qu'on appela le pont aux ânes; et surtout par ses recherches sur le libre arbitre. Vdne de Buridan est passée en proverbe, sans que l'on con- naisse au juste l'origine de ce dicton populaire. Bayle conjecture qu'il est fondé sur ce que Buridan , pour combattre la liberté de l'homme, disait qu'un âne tourmenté par la faim et par la soif, et placé à une égale distance de l'eau et d'une prairie, périrait infail- liblement, parce que rien ne pourrait le décider soit à boire , soit à paître. Cet exemple ne se trouve cepen- dant pas dans ses écrits. Pierre Dailly, qui fut nommé V Aigle de la France , commença à marquer d'une ma-
264 PHILOSÛPEUS DU II0Y£N*-A6£.
aiere plus sengible la séparatioD entre la théologie el la philosophie » et fit la guerre aux abus de la scolas- tiqoe. Cet éloignement pour les subtilités de la dialec- tique ne tarda pas à devenir le caractère comiaun de tous les esprits supérieurs de cette époque. Les débats des réalistes et des nominaux devenaient de plus en {dus animés. Ces derniers, malgré les nombreuses p^séeo- tions qu'ils éprouvaient , manifestaient de plus en plus un esprit d'indépendance qui les portait à des doc- trines plus approfondies. Le résultat de cette guerre, qui représente , daos des proportions réduites , cette que nous avons déjà vue s'établir entre l'empirisme et l'idéalisme, ne pouvait aboutir qu'au résultat que cette lutte n'a jamais manqué de produire , c'est-à-^lire au scepticisme. On doit bien penser que les sceptiques de cette époque ne sont ni des Pyrrhons^ni des ^Ëné- sidèmes. Leur scepticisme ne pouvait porter et ne porta en efifet que sur la forme de la philosophie de leur temps ^ c'est-à-dire sur la dialectique : de là ces atta- ques de plus en plus vives contre la scolastique, ce décri dans lequel tombèrent les universaux et tout le fatras d'expressions pédantesques qui composaient la termi- Dologie barbare de la logique aristotélicienne et arabe. NcoLAS d'Autricourt et Raymond de^Sebonde méritent surtout d'être cités pour les tentatives qu'ils firent dans le but de détourner leurs contemporains de la vaine ]et rtériie étude des mots, et de les porter à consulter ce grand livre de la nature , ouvert à tous les yeux , et si riche en merveilleuses leçons. S'ils ne réussirent pas i déraciner entièrement cette phiiosoplûe scoiastique qui avait jeté dans les esprits de profondes racines > ils
TROISIÈME &POQUS. K$
panfinrent cepei)dant à ébranler son autorité » et les germes qu'ils semèrent produisirent plus tard d'heureux résultats.
Le mépris de la scolastique et des procédés qu'elle employait devait produire un autre effet sur les es* prits religieux et méditatifs ; et cet effet fut produit. Le mjstici&me , qui , pendant toute la durée du moyen* âge 9 sous la règne de la théologie chrétienne, avait été si naturel à l'esprit humain, ne pouvait manquer de se produire i la suite des débats ardents du nomina- lisme et du réalisme. Aussi le mysticisme est-il le ca» ractère dominant de tous les hommes les plus remar* quables du quatorzième siècle. Un livre célèbre qui excita alors dans les Ames pieuses une juste admiration^ V Imitation de J.-C, contribua beaucoup à ruiner le crédit de la scolastique. L'humble et vertueux auteur de ce beau livre , Thomas Hameken , appelé Thomoê à Kempispûa nom d'un village^ Kempen, dans l'ar^ cbevéché de Cologne , produisit sur les esprits l'eOet le plus salutaire , en ouvrant au sentiment religieux une carrière ipépuisable de méditations empruntées à la piété seule.
Le mysticisme avait été déjà prêché avec chaleur par Jean Taclsr, mort à Strasbourg en 1361. Le célèbre Pétrarque , qui sur la fin de sa vie abandonna les études profanes pour se fivrer à la philosophie contem* plative, et surtout le chancelier Gerson^ disciple da Dailly, et son successeur, en 1395, comme chancelier de Tuniversité de Paris, réussirent plus eflScacemeiit encore à donner à la philosophie cette nouvelle direction.
Gorson est Tinterpréte , le représentant vécitable di|
256 PHILOSOPDIE DU MO Y EN-* AGE.
mysticisme à celte époque. Ce Fénclon du quatorzième «iècle, qui trouvait dans l'amour de Dieu un aliment pour Tamour des hommes , qui s'était vu charger des négociations les plus importantes, qui avait été l'orne- ment de l'unîversité de Paris et la lumière des conciles de Pise et de Constance, voulut consacrer ses derniers jours à instruire de pauvres enfants, comme on le voit dans un ouvrage fort remarquable qu'il publia, de Par- vttlis ad Deum ducendis , sur V^rt de conduire de petits enfants à Dieu. 11 composa à Lyon, où il fut probable- ment exilé, son traité de théologie mystique, qui se distingue des écrits de ce genre, en ce qu'il n'est pas Touvrage d'un solitaire qui tombe dans le mysticisme sans le savoir, mais bien celui d'un philosophe, d'un homme d'affaires, d'un esprit pratique, qui renonce volontairement aux affaires, au monde et à la science, et qui, en préférant le mysticisme, sait parfaitement ce qu'il prend et ce qu'il quitte. Les alexandrins ne se donnaient 'que pour des philosophes ordinaires ; ils n'avaient pas pris eux-mêmes le nom de mystiques , ce sont les historiens qui leur ont donné ce titre. Ici, au contraire, c'est un système qui se sépare de tous les autres, qui se circonscrit et s'analyse lui-même. Le résultat des méditations de Gerson est celui que pro- duit toujours le mysticisme : c'est l'exaltation , non de l'imagination, non de l'intelligence seule, mais de l'âme tout entière, composée d'imagination et d'intelligence; exaltation qui finit par l'unification avec Dieu, c'est-à- dire par l'extase.
Ainsi se confirme encore cette vérité que tant de faits nous ont déjà démontrée, savoir, que l'esprit hu-
TROISIÈME ÉFOOUE. %?.
naiû est toujours fidèle ^ lui-même, et que touS les systèmes divers auxquels le conduisent, selon les cir- constances, les lieux et les degrés de culture intellec- tuelle, les in vestigations d'une raison librement dévelop- pée , se rapportent toujours à Tune des quatre grandes divisions que nous avons déjà tracées : le sensualisme, l'idéalisme, le scepticisme et le mysticisme.
La scolastique, dans le cercle borné qu'elle devait parcourir, ne nous a présenté d'abord qu'une dialec- tique dont le but était de faire ressortir et de mettre en valeur des principes qui lui étaient imposés d'avance. Cette dialectique, peu à peu perfectionnée^ s'est élevée à une telle hauteur, qu'elle a été traitée à son tour comme une puissance. Dès qu'elle a pu ressaisir un peu de liberté, et mériter par conséquent le nom de philosophie; dès qu'en suivant une route indépendante elle s'est mise à la recherche de la vérité , elle a renou- velé les quatre systèmes que nous avons déjà vus naître dans les écoles de Milet, d'Élée, d'Athènes, d'Alexan- drie et de Rome. Sans doute elle les a renouvelés dans une certaine mesure : mais malheureusement il n'est pas permis à l'historien de faire honneur de cette so- briété à la sagesse de l'esprit humain ; il est forcé de la rapporter à sa faiblesse même, à la surveillance active et puissante encore de l'autorité ecclésiastique. Sou? ce -contrôle sévère, la philosophie, moins indé- pendante, est forcée d'être plus sage^ et cependant elle est encore^ dans ces étroites limites, 4>lus ou moins idéaliste^ sensualisle, sceptique ou mystique.
Maintenant le champ philosophique va s'agrandir; elle s'opérera bientôt la grande révolution si justement
il
SB6 PHILOSOMIB DU MTM^AGE.
éUi%Bée 80118 le nom de remiisimue étÊ iMreê : eatrerons daBs le domame de la phîloaophie Ce ne sera plu8 i comaienter pénîbleniMit les de qaelques hommes de génie , que se dmatunoa si»0 finiit la pensée humaine. N008 nerrons parallfe de nouveau 8ur la scène, avec son cortège d'hommes illu^ 1res et de vastes systèmes, cette majestueuse aatiquilé, dont l'influence fera succéder Tordre au chaos , la lu- mière à d'épaisses ténèbres ; et nous examinerons quelle marche suivra , en s'appliquant aux recherches pMIo- S6|>hiques, le génie des nations modwnes ^ fécondé par oelui des peuples antiques.
P£RK>D£
PHILOSOPHIE MODERNE.
MBBÉ&fi lM>Qi».-^bilo80fAie éa quinadme et éà Briàètà^
aièdesi
sans méthode idm^fiqine.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
ANCIENS SYSTEHES RBNOOVEI.SS.
àoojJB PLAToarxoiBinnB. éoouavÛKiWATânaamMn.
(idMisme,)
MiMtUe Fidtt.
Plélon.
Nicolas de Guss. Jeao iPic de la lliranddle. Wr. Pic de la Mirandole. Pierre Ramas, f r. P«lvij(2i.
sToiouars.
Jvtle Li|»e.
Scloppius.
HeiHSlttS»
m. iAé» m. 1438 m. 1492 m. 1464 m. 1494 m. 1S33 m. 1572 m. 1507
m* MM ffl. 1649 m. 1654
m.
m.
(Sensualisme*)
Pierre PoMpanat* Achillini. Oésalpini. Crémoaioi. ZaiMirella. IfélaochtlioD. 1. César Yaninl. Piccoioqilni. _^ n»
SOJBVTiQUMl.
llîèhel de HaoCaiflM. flk
Charron. m.
Sanchex. ».
bffùlé an
1512 M6f
160* 1589
\^
1699
1992 1693 1632
ESSAIS ORIGINAUX.
m. 1596 Nicolas TaureUus. m. 152(7 Jordano Bruo. m. 1598 Caiiq»anella.
■YSTIQCES ET GABAUSTES.
B. 1522 Robert Fludd.
Agrippa de NeUesheim. m. 1535 Jérôme Cardau.
Zorzi. 11. 1500 Vanhelmoot.
PaiRcaiae. m. 1541 OMhflWi
'Jeap Bodin. MaebiaTeh
Téiésio.
Reuchlin.
m. 1606
brtlé «n 1600
JB. 1639
Ok i6»7 m. 1Ô96 m. 1644
260 PHILOSOPHIE MODERNE.
Plusieurs causes réunies favorisèrent la renaissance des lettres au quinzième siècle. Il n'entre point dans notre sujet de les développer ; mais il est essentiel que nous les indiquions d'une manière sommaire. On peut les rapporter aux suivantes : l*" l'établissement dans les villes , d'une bourgeoisie libre , tenant le milieu entre la noblesse et les serfs y qui profita des privilèges et des droits que lui concédèrent les princes pour se livrer au commerce et à l'étude des sciences ; 2** Taban- don du code des barbares , et la reprise de l'étude du droit romain , devenue florissante en Italie (i); 3* les communications ouvertes avec l'Orient; 4"* la renais- sance de la poésie en France , en Italie , en Espagne , et bientôt après dans le midi de l'Allemagne ainsi que de l'Angleterre; 5"* la découverte de l'imprimerie.
Mais l'événement qui exerça sur les destinées de la philosophie la plus grande influence fut sans contredit la prise de Constantinople par les Turcs; elle fit refluer en Europe , et surtout en Italie , une foule de savants grecs qui ^ possesseurs des ouvrages des anciens, se livrèrent avec ardeur à l'enseignement de la langue grecque. Leurs efibrts puissamment encouragés par les princes de l'Italie, et surtout par l'illustre famille des Médicis, répandirent de toutes parts la connaissance de la littérature ancienne; et ainsi fut déposé le germe
(1) Celui qui contribua le plus à répandre le droit romain , dont le basant avait fait découvrir un manuscrit, fui un Allemand nommé Wkrkbr, plus connu sous le nom dlRNÉRius , qui avait fait ses études à Constantinople , et qui enseigna avec éclat à Bologne. L'empereur Frédéric Barberousse fit tons ses efforts pour encourager et propager celte élude. U éleva les jurisconsultes aux honneurs et aux dipités , et accorda de grands privilèges aux étudianU.
PREMIÈRE ÉPOQUB. 26i
de celte nouvelle culture inlellectuelle, qui, basée sur l'étude et rimitation des écrivains grecs el romains, a pris le nom de liitércUure classique (1).
Déjà y avant leur arrivée , on avait commencé à re- chercher les manuscrits ensevelis dans la poussière des cloîtres , et à profiter des idées philosophiques qu'on y puisait. Pétrarque et Boccace acquirent des droits incontestables à la reconnaissance de la postérité, par le zèle avec lequel ils travaillèrent à découvrir et à ré- pandre tous les monuments de l'antiquité qui avaient pu échapper aux ravages du temps et aux invasions des barbares. Par leurs soins, l'Italie semblait être préparée à la révolution philosophique et littéraire qu'y opéra l'arrivée des réfugiés de Constantinople. Occu- pons-nous principalement des travaux de ceux qui y répandirent les ouvrages des anciens philosophes, et que nous pouvons regarder comme les restaurateurs immédiats de la philosophie en Europe (2).
(i) Od ne doit pas oublier qu'antéHearemenl à la naissance d'une littéra- ture artificielle, apportée en Occident par les Grecs de Constantinople, il était sorti de l'état social de l'Europe , et du christianisme qui en fait le fond, des arts et une littérature nés spontanément de ses mœurs et de ses croyances; C'est là, à proprement parler « ce que Von peut appeler la lUtérature ro^ maniique. C'est le développement du moyen-âge dans Fart et la littérature.
(2) Parmi les savants auxquels on doit la restauration de la littérature grecque , mais qai n'appartiennent qu'indirectement à la philosophie , nous distinguerons : Emmanuel Chrysoloras (mort en 1415); /eo/i Argyro" phyle ( de Constantinople, mort en i486 ) ; Jean LascarU ( mort en 1535) ; Démélrius Cal chondy le {mori en 151t ) ; Ange PolUien ( mort en li9i) ; Hermolaus Barbarus ( mort en 1493 ).
MS PHILOMMIC MnMIEt
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BSlfAMSAMB
DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE EN ITAUB,
QMiqno aom ayant pev éè âùmaém sar TéUHofèsa Iranittît la pkiloMjrtiie à CoMlantincfite iu iMfnmc •è calta Mfwtale de Fespira d'Orient tonfasdl «mt i< eftbre det OttonMS , hom atOM plttîeiirs BM>ti& dé oroirft qna k phikMopbie d'Aristote et celle de Ffaton y éliieiit domisaRtes et s'y fiûsMeot la guerre^ U le hta bien : cari peine inities franehi la imr^ el sootr ettos arrn^m rar le sol de TltaUe, qo'eUes se aéparest el s'annencant par une querelle. D'un eôlé^ Geeaene GiMBiws PUTtH, el sen (Kseipie le eardimi tessA- MQiiy lent oomiaHre à rEur<^ la phileecpliie de Ma* Um y teikf qu'dle exîstail alors à Gonslantiiiople ^ c'est* à-dire mêlée de néoplatonisine } de l'autre, Qmnabws, Théodore Gaza et George de Trébisonde, défendent el dé^oppmt la philosophie d'Aristote. Attentive à ces intéressants débats^ l'Europe y prit bientôt part, et presque en môme temps se fondèrent deux éoole& , qui ne firent d'abord qu'obéir à là double impulsiofi qui Tenait d'être donnée par les savants grecs. La pre- mière, platonicienne et idéabste, a pour père Marcile FicfN; et l'aetre, péripetéticienne et plus ou moins sensualiste, reconnaît pour fondateur Pierri: Pomponat.
nMmàn twù^/n. sn
ÉCOLE IDÉALISTE PLATONICIENNE.
maicha ncn.
PléteD , ea introdiiisaiit le platonisme à Florence p tvail w iMpirer un vif intérôt pour cette doctrine i Gfttto l'Ancien y chef de la famille des Médicis, dont le fils Pierre* et le neveu Laurent , instruits par Piéton lai-nAmey héritèrent de cette prédilection décidée. L'amour de la philosophie de Platon engagea Côme i établir une académie platonicienne, dans laquelle il doAna la première place k Makule Ficin , né à flo» ftnee an 4438.
Le principal mérite de ce philosophe ^ celui qui nous le rend encore si précieux aujourd'hui , est d'avoir bit passer dans la langue latine les ouvrages de Platon et de Plotin» 9jum qu'une partie de ceux de Jamblique» de Porphyre, et de Produs. Il est aussi l'auteur de plusieurs écrits , dont le plus important porte le titre de Théologie plaummenne^ et renferme un traité com- plet de l'immortalité de l'âme. Cet ouvrage est dédié i Laurent de Médicis : l'idée principale qui y règne ^ et qui caractérise en général toute la philosophie de Ficin, c'est quei'âme de l'homme émane de la divinité, et qu'elle est destinée à se réunir i Dieu, pourvu qu'elle saehe se détacher des liens.de la matière et résister aw charmes séducteurs du corps. Pour faire voir comment l'esprit humain parvient à briser les liens de la morta- lité, à connaître sa destinée immortelle, et à arriver au bonheur, il çh^wbe à prouve^ qu'outre le principe
matériel du monde physique , d'après lequel les mistes et la secte cyrénaique expliquaient l'univers, il existe encore un certain pouvoir actif, semblable à celui que les cyniques, les stoïciens et plusieurs autres sectes de Tantiquité admettaient. Mais il doit y ayoir au-dessus de la qualité, qui est soumise à la m6me divisibilité que la matière , une forme plus noble et d'un ordre supéirieur , qui , bien que susceptilde d'un certain changement , ne se prête pas toutefois à la di- visibilité matérielle. C'est dans eette forme que les anciens théologiens plaçaient le siège de l'essence rai- sonnable de l'âme. De plus, il existe encore une nature spirituelle et angélique, indivisible, immuable, dont Anaxagore ainsi qu'Hermotime paraissaient avoir eu déjà connaissance. L'œil de cette nature spirituelle et angélique , qui cherche et embrasse la lumière de la vérité, contemple le soleil divin, vers lequel HalOD enseignait que l'âme épurée doit tourner ses regards. Lorsque nous sommes arrivés à cette hauteui- de la contemplation, nous pouvons comparer ensemble les cinq degrés de toutes les choses , la masse corporelle ou matérielle , le pouvoir actif ou la qualité, l'âme rai- sonnable , l'ange et la divinité. Comme les âmes rai- sonnables occupent le milieu de cette échelle, elles paraissent constituer le lien de la nature entière, régir les qualités et les corps, et se réunir avec les anges et la divinité. De là résulte qu'elles sont impérissables et indestructibles, puisqu'elles unissent ensemble les échelons des genres de toutes les choses existantes; que ce sont les substances les plus «nobles , car elles président à la maclûhe de l'univers ; que ce sont enfin
mBMiteE ÉPOQUE^ * S65
les ètreê les plus heureux , puisqu'elles se réunissent à la divinité. Or, pour ^démontrer que notre âme se trouve réellement dans ce rapport, Ficin allègue d'abord des raisonnements populaires , ensuite des argumenta- tions particulières , puis des analyses subtiles de nos facultés, et termine par la solution des doutes et des objections qui s'élèvent contre son système.
Telle est la marche adoptée et suivie par Ficin dans sa Théologie plaionicienne , où l'on peut voir à découvert l'esprit de ce qu'on appelait à cette époque le plato- nisme. On y trouve en effet, au lieu de la philosophie que Platon a exposée dans ses Dialogues, un mélange de dogmes empruntés à l'élève de Socrate , aux nou- veaux platoniciens , notamment à Plotin, aux gnosti- ques, aux cabalistes, enfin à la doctrine chrétienne, telle qu'elle avait été développée par les Pères plato* nioiens de l'Église. Tout ce qui a rapport à la philoso- phie, dans ses autres ouvrages originaux, porte le même cachet. Si sa morale, comme celle de tous les B^platonieiens , présente le caractère du mysticisme , elle en offre aussi tout^la pureté et toute l'élévation : elle renferme une foule ne maximes excellentes, propres à épurer le caractère moral , et qui sont très-souvent exprimées d'une manière aussi noble qu'énergique. Nous devons toute notre estime au zèle véritablement philosophique avec lequel il s'efforça d'expliquer la nature humaine, le rôle qu'elle remplit dans l'univers, et sa destination morale. Les temps anciens et modernes ne nous offrent pas un seul philosophe qui ait allégué autant d'arguments que lui en faveur de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme. Parmi les preuves théo-
Hê * PHaMonn mommie.
reliques rapportées par les moderMs, il s'en traoïwrit cKfiteilement quelqu'une, et peut-être même n'y en •- t-H pas une seule k laquelle il n'ait déjà songé , ou qm m soit renfermée dans celles dont il a présraté Tialfr- ressaut tableau. Les spiritualistes modernes poiseraîettt dans son livre une abondante moisson d'idées utfles.
Marcile Fiein eut pour disciples et amis les dewL cemles Iean Pic et François Pic de la Mirandele » aux- quels il fit partager son enthousiasme pour la pUloao* phie de Platon. Le premier, homme d'un savoir pro* digieux, mais doué d'une imagination exaUée, eet celui qui ayant renoncé à sa petite couronne de Mtran* dola ^ pour se livrer entièrement à la philosophie, devait présenter à Rome, daii^ une espèce de carrousel phi» losophique, neuf cents thèses^ neuf cents propositions qu'il soutiendrait à tout venant. Cette grande solennité n'eut pas lieu. Il avait étudia les langues orieiilsAes, particulièrement les livres cabalistiques, pour lesquels il conserva toujours une espèce de prédilection. Son neveu François Pic,. qui n'avait pas à beaucoup prés autant de talents que lui , s'hacha e^dusiveoient au pur mysticisme , et combattiPa la fois la philosophie païenne et la scolastique.
L'autorité des trois platoniciens que nous venons de citer, et le crédit de leurs nombreux amis, contri- buèrent singulièrement à mettre en honneur la phi- losophie à laquelle ils s'étaient dévoués. Devant ces théories nouvelles , si attrayantes et si habilement dé- veloppées , que devenaient toutes les subtilités de la scolastique? Tel fut l'effet produit par l'apparition des ouvrages de Platon , que l'Europe tout entière en parut
etAftéfi. H 8*étâblit alors côDtre la pfaitoMphie de Pécole une réftètion qui devint de jour en jour plus pro^ iiomée. Déjà fortement attaquée par les nominalbtes , eUé êëfét néeessairement suecomber en présence de OM vastes systèmes , qui venaient ouvrir à l'esprit bu-* main une si hirge carri^.
Aristote continuait cependaat à conserver de nonn breux partisans : mais ce n'était plus cet Aristote du moyen-ftge , Tauteur du seul erganum ^ et le législateur du syllogisme; c'était Aristote tel que l'avait étudié Fantiquité dans ses ouvrages de physique, de politiquci d'histoire naturelle, de métaphysique; on en possédait le texte original, que Ton s'empressait d'étudiw, de commenter^ de traduire. Il s'était formé déjà une nou- velle école péripatéUcienne parmi les théologiens et l60 médecins* Ces derniers , qui étaient plus portés vers le nalwalisme, purent, sous ce manteau^ développer avec plus de sécurité diverses opinions particulières afpfMHTtenant k la philosophie de la nature ; la distinct tlcrn de la vérité philosophique et de la foi de l'église leyr servit le plus souvent d'abri contre le xèle des or* tfaodoxes, prompts k soupçonner l'hérésie.
Mais plus souvent encore dq violentes persécutions 'poursuivirent les partisans des doctrines nouvelles, et s'opposèrent à leur développement. Les mômes causes qui avaient arrêté l'essor de Roger Bacon se réunirent contre ses successeurs , plus hardis encore : ce fat au prix de leur sang que ^ingénieux et intéressant Jordano Bruno, que le courageux penseur Vanini, purent dé- poser en Europe le germe de cette révolution qui a produit la philosophie moderne.
2A8 PHILOSOMfE HODE&NE.
Certes l'autorité ecclésiastique , dans ces temps dé* ptorables , ne pouvait rêver cette tolérance religieuse que quatre siècles de guerres et de luttes ont à peine procurée au temps moderne; il était impossiUe que Ton comprit alors que la religion n'a rien à gagner dans ces persécutions et dans ces rigueurs par lesquelles on voudrait essayer de comprimer la liberté de la pensée. Il nous est aisé de dire aujourd'hui , après tant d'ex- périences^ que la pensée humaine» abandonnée à elle- môme^ peut atteindre directement toutes les irérités religieuses, et que la voie la plus courte pour y conduire les hommes ser» toujours celle de la liberté. Mais au moyen*àge, on ne pouvait soupçonner que tds seraient les inévitables résultats de la tolérance , quelque con- forme qu'elle fût à l'esprit de l'Évangile. La situation des esprits, les habitudes, les mœurs , l'éducation, tout portait à des maximes opposées : une religion peu éclairée devait engendrer le fanatisme , et le fanatisme enfanter ces crimes horribles qui font frémir l'humaniié et que la vraie religion désavoue. Le christianisme avait grandi au milieu des rigueurs de la persécution.; la philosophie , à son tour , n'en continua pas moins sa marche progressive, lorsqu'elle eut ses martyrs.
L'idéalisme platonicien, parti de l'académie floren- tine , de Marcile Ficin et des Pic de la Mirandole , se prolonge et se développe régulièrement jusqu'à Jordano Bruno, pendant que la philosophie d'Aristote, suivant une marche parallèle, arrive, en partant de Pierre * Pomponat, jusqu'à Yanini. Faisons connaître succès* sivement les hommes les plus distingués de chacune de ces deux écoles.
PREMIÈRE ÉNVOtiË. 260
NICOLAS BB C1I88.
I^e cardinal Nicolas de Guss (ou Gusa), petit en* droit aux environs de Trêves , avait puisé dans l'étude des ouvrages de Platon un profond [dégoût pour la scolastique. 11 avait infiniment moins d'érudition que les membres de l'académie florentine, mais il fut bien plus réservé et plus sage dans les dévelo[^menls qu'il donna aux doctrines de Platon. 11 s'attacha surtout à en reproduire la partie pythagoricienne ; ce qu'il fit d'une manière originale, par le moyen des mathéma- tiques. Mais il eut le bon esprit de voir que si , avec la théorie des nombres de Pythagore, on peut rendre compte des phénomènes du monde extérieur et remonter à leur source dans l'unité primitive , cependant on ne reconnaît celte unité primitive que par ses développe- ments numériques, et non point directement et dans son essence. Selon lui , la connaissance de la vérité absolue n'a pasétédonnée à l'homme , et il est des choses que le sage doit ignorer. 11 avait écrit une Apologie de la docte ignorance > Apologia dociœ ignoranAœ, livre sin- gulièrement curieux, quand on pense qu'il a été écrit au milieu du xv* siècle ; car le cardinal Nicolas de Guss est mort en i404.
FIBRRB RAXI7S.
A mesure que l'idéalisme platonicien étendait ses conquêtes, la lutte qu'il avait à soutenir contre les par- tisans d'Aristote devenait plus vive et plus passionnée.
VIO PaAL084>»aiE HMUNE.
Le péripatélisme , persécuté ailleurs , triomphait alors dans Funiversité de Paris. PicaiiE Lk Ramée , autremenl nommé Ramus, osa diriger contre lut d'énergiques atta- ques^ et paya bien crueUement sa hardiesse. U avait été principalement engagé dans sa lutte par aon dégoût po«r les aubtilités de l'école, dont il croyait tronier la cam» dans rétttde exclusive des princîpecl d' Aristote. 11 se fil bieatAt de puissants ennemis et devint l'objet d'uae violente persécution. Tour à tour privé de la chaire qu'il occupait dans l'université, rétaUi, dépouillé de nouveau , forcé de quitter la Pranoe et y revenaot ton* jours, il fut massacré , dans la nuit dé la Saini-Barthé* leray , par des soldats qui fur^it envoyés dans sa naaison par Charpentier, le plus fougueux et le plus faaaAiqua des péripatéticiens de c(stte ^que. Les écoliers , ame«- ié& par leurs régents, bii arrachèrent les entrailles, et le tralnmnt par les rues.
A peu prés à la même époque , la phUosoplne d'A- ristote , qui dominait pareillement en Espagne, s'y li- vrait aussi à de déplorables excès. StPvhyàBA, pecrfesaewr de Salamanque , empruntait au péripalétkaae des ar- guments en faveur de l'inquisition , et dtf^Mlait , a« nom d' Aristote, l'esclavage des Américains^ 4)ûiitre le 4Bage et pieux Barthétemy de Las-Gaaas. Ainsi la phBo- Sophie , qui avait été déjà et qui devait être si socHreni encore victime de l'intolérance et du fanatisme, se montrait elle-même fanatique et intolérante! tant il est vrai qu'il n'est rien qui ne soit dénaturé par les pas- sions humaines.
L'assassinat de Ramus ne fit qu'augmenter sa celé* hrîlé : on rechercha avec empressement ses ouvio^gas ;
PRSMIÉIUE ÉPOQUE. 871
aon oppoftitioii aux doctrines péripatéticiemes ^ ei la méthode dialectique dont il avait lui-même tracé kg régies , trouvèrent dé nombreux partisans en France , en Allemagne, en Angleterre (1) et dans tCNis les pays où le protestantisme commençait à se répandre. La philosophie, comme science, profita peu de ses écrits; mais il fit faire à la méthode et à la langue phi- losophiques des progrès dont il est juste de lui tenir compte.
FRANÇOIS PATRIZZI.
Parmi les interprètes de Platon elles adversaires dtt péripatétisme, se distinguèrent encore, à cette époque^ Taqrellus, Goclémus, et surtout le Dahnate Fran-* çois Pâtrizsj, critique [habile, spirituel et instruit^ mais aveuglé trop souvent par sa passion pour le néoplatonisme et par sa haine pour la phUosopU^ d'Aristote. Cette double disposition domina dans tous ses ouvrages , et surtout dans ses DUmssianes peripa" teÛcŒy qu'il publia par parties s^rées. £n tète de ce livre , il plaça une biographie d' Aristote dans laquelle il accumula les accusations et les invectives. Les motifs de sa haine se fondaient sur ce que le philosophe de Stagycé aysât, prétendait-îl, empoisonné son bienfaiteur^ Alexandre le Grand; qu'il avait payé Platon de la plus noire ingratitude ; qif après avoir emprunté sa philo- sophie à ses prédécesseurs, il les avait tous dépréciés; qu'enfin il avait nié l'existence de Dieu , la providence, et l'immortalité de l'âme , doctrines pour lesquelles il
(1) Le célèbre auteur di Paradis perdu, iiuJKai, arrangea et fédttUit 9kt lardi fwr fiiMge des clams , sa logiiiae aiiti-péripatéUeienae.
272 ruiLosoraiE moderne.
méritait d'être poursuivi comme ennemi [de l'Église chrétienne.
Dans le plus célèbre de ses écrits , Ncm de vmoenis philosophia, dédié au pape Grégoire XIV , Patrizzisap- plia ce pontife de bannir des académies et des éooles catholiques la philosophie d'Aristote, et d'ordonné que les ouvrages platoniciens , et surtout ceux d'Hermès Trismégiste et de Xoroastre, dont il fit une édition , fussent publiquement enseignés, comme étant très* propres h. ramener les protestants dans le sein deTéglise romaine. 11 y présenta ensuite un système philosophique qui n'était qu'un amalgame d'idées empruntées aax nouveaux pythagoriciens^ a\ix alexandrins, aux caba* listes, et surtout aux écrits d'un de ses plus illustres contemporains, Bernardo Télésio, dont nous parlerons plus tard. Quatre parties composent son ouvrage : la Panaugie, la Panarchiej la Pamphsychie, et la Pmcainàe, d'après les quatre objets qu'il traite, savoir : la matière substantielle, les principes, l'âme, et enfin les lois de l'univers. On y trouve quelques beaux rêves vivement exprimés et attrayants pour l'imagination ; mais c'est là son seul mérite : l'esprit philosophique n'en retire aucun autre fruit que d'apprendre à se défier des hypo- thèses hasardées et d'un enthousiasme irréfléchi.
ÉCOLE PÉRIPATÉTICIENNE.
Pendant que les doctrines de Platon et de Plotin , grâce aux commentaires de Marcile Ficin et des philo- sophes de son école, s'élevaient sur les ruines de la sco- lastiquC) avec un tel éclat, qu'il était question defiûrc
PREMIÈRE ÉPOQUE. 273
décerner à Platon, par rautorité ecclésiastique, l'hon*- neur dont Âristote avait été sur le point d* être décoré vers la fin du treizième siècle, la philosophie péripatéticienne recevait en quelque sorte une nouvelle vie , par les soins d'un grand nombre de savants italiens, et ne comptait pas moins de- sectateurs que sa rivale. Les efforts de l'érudition et de la critique se réunirent pour éclaircir^ rectifier et propager les écrits d' Aristote. Les noms de ces commentateurs célèbres, Erasme, Scâliger, Ges- NER, Sylburge, Yatable, ct tant d'autres, sont as^ez connus dans l'histoire littéraire. Le résultat de leurs tra- vaux fut que l'on commença dès lors à mieux compren- dre les ouvrages d' Aristote, et à concevoir une idée plus complète, plus précise et plus exacte de son sys- tème philosophique. Un autre résultat non moins im- portant , c'est que Ton cessa de s'astreindre servilement à la lettre des dogmes du sage de Stagyre^ et que Ton porta dans leur examen un esprit de critique, qui avait manqué aux comtd^ntateurs des siècles précédents.
A l'égard du véritable sens de l'aristotélisme , les péripatéticiens modernes se partagèrent en deux sectes rivales , dont l'une suivait dans ses commentaires Ale- xandre d' Aphrodise , et l'autre prenait Averroès pour guide4 Les philosophes de la première école furent appelés Akxandrisies y et ceux de la seconde i^y^rrot^^^.
mbrrb pomponjlt.
Pierre Pomponazzi, ou Pomponat, né à Mantoue^ en 1462, chef des alexandristes , dut le commence- ment de sa célébrité à la lutte qu'il soutint à Padouc ,
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874 raiLOsoraiE moderne.
contro l'ave rroîste Achillini. Il enseigna plus tard à Bo« logne , où il exeerça la profession de médecin , ce qui lui procura une fortune considérable. Un de ses prin* cipaux ouvrages a pour titre : le DesHn , h Providence , et le libre arbitre. C'était une tentative assez difficile pour un péripatéticien que de concilier le destin, Ma providence et la liberté de l'homme : aussi ^ après les efforts les plus laborieux, il n'aboutit à aucun résultat bien précis; il donna les solutions connues , tirées de la scolastique régnante , en avouant que c'étaient plutôt des illusions que de véritables réponses.
Son traité de l'immortalité de l'Ame lui attira des persécutions, auxquelles il aurait peut-être succombé sans l'intervention du cardinal Bembo , son protecteur et son ami. Il avait dit avec les péripatéticiens que l'âme pense bien par la vertu qui est en elle, mais qu'elle pense seulement à la condition qu'il y ait dans la conscience une image venue du dehors. Or, si l'âme ne pense qu'à la condition d'une* Image, et si cette image est attachée à la sensibilité, et celle-ci à l'existence du corps, il s'ensuit qu'à la dissolution du corps l'i- mage périt ; alors il semble que la pensée doit périr avec elle, et que par conséquent il n'est pas possible de donner une preuve démonstrative de Timmoptalité d^ l'âme. Dénoncé à l'inquisition de Venise, il répon-» dit , pour se justiCer ^ qu^il ne résultait de sa doctrine aucun inconvénient pour la religion .chrétienne, qui fournissait d^ bases sufQsantes au dogme de l'immor- talité. Il se sauva par cette distinction entre les vérités de la philosophie et les "vérités de la foi ; conipromis assez commode, dont les philosophes seos^o^listes ge
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PREMIÈRE ÉPOQUE. 275
servirent plus d^une fois à son exemple , qui permet de nier d'un c6té ce qu'on a l'air de respecter de l'autre , et qui caractérise à merveille cette époque de transition, ce passage de la servitude entière de la raison à son entière indépendance.
)L' école de Bologne produisit plusieurs hommes dis- tingués^ et entre autres Simon Porta , Napolitain, professeur de philosophie à Pise, qui, à une connais- sance parfiaite du péripatétisme , joignait un goût plus épqré que celui de Pomponat et un style infiniment plus élégant ; Césab Grémonini , qui enseigna la pl)i- lûsophie et la médecine à Ferrare; Sepulyéda, cet adversaire de Las-Gasas ^ dont nous avons déjà parlé ;
PlCC«LOMINI, ZaBA&ELLA , Ct GÉSALPINI.
Grémonini passa la plus grande partie de sa vie à Padoue, où il moyrpt de la peste en i630. Il admit, avec le commentateur Alexandre d'Àphrodise , que le <|ogme de la mortalité de l'âme est une suite nécessaire de la psychologie d'^ristote y et il soutint ouvertement cette doctrine dans ses Comevipiationes de anima. Il fut accusé d'impiété et d'athéisme ; il protesta de sa fidélité auiç doctrines enseignées par TËglife, et se tira d'affaire. Il parait cependant que ses contemporains ne se mé- prirent, pas sur ses véritahles sentiments; car c'est à lui qu'on attrihue l'adage si souvept répété par la suite : iiilii;^ ut libfily farts ut mma e^.
Gésalpioi d'Arezzo , professeur k Rome qt médecin de Glément YIII , se fit remarquer par la manière ar-> bitraire dont il interpréta le sens du péripatétisme ^ipiitif, et 4[>ar l'originalité des résultats auxquels il arriva* U s'attacha de préférence aux commentaires
276 - PHILOSOPHIE MODERNE.
d'Averroès. L'école à laquelle il appartenait considérait Dieu non comme la cause , mais comme la substance du monde. Césalpini développa cette espèce de pan- théisme, et, comme ses prédécesseurs, se sauva de la persécution en reconnaissant expressément l'autorité suprême de TEglise et de la révélation.
VANIM.
Jules César Vanini fut plus hardi et plus malheureux. Né en 1586, dans les états du royaume de Naples, il voyagea en Allemagne , en Bohème , dans les Pays-Bas, en France et en Angleterre, et enseigna successivement dans chacune de ces contrées. Les inégalités de son caractère et son extrême liberté de penser lui firent partout un grand nombre d'ennemis. Après avoir erré longtemps de pays en pays, engageant partout des discussions sur les matières philosophiques et reli- gieuses, il alla , pour son malheur , s'établir à Toulouse, où il fut accusé d'athéisme. Il appartenait à la secte averroïste, et par conséquent il regardait Dieu non comme la cause, mais comme la substance du monde. La citation suivante prouvera jusqu'à quel point était fondée l'accusation dont Vanini fut l'objet : « Tout être est fini ou infini ; il n'y a pas un seul être fini qui se suffise à lui-même , qui soit à lui-même sa substance propre. Yoilà pourquoi il est facile de donner une dé- monstration nécessaire de Dieu. Cette démonstratioa ne repose pas sur la relation de l'effet à la cause, mais sur la relation du phénomène à l'être, à la substance. Puisque tout être fini ne se suffit pas à lui-même , il faut qu'il y ait qu^quo chose d'infini; car autrement
* PREMIÈRE ÉPOQUE. 277
il n'y aurait pas môme d'être fini possible , et il n'y aurait rien du tout ; par conséquent il est également impossible qu'il n'y ait pas un être infini et éternel* Cet être infini et éternel , c'est Dieu. »
Ce fut un certain Franconus qui le cita en justice. Là 9 plusieurs de ses anciens auditeurs vinrent déposer contre lui ; il essaya de se justifier, mais ce fut en vain. On rapporte que l'avocat général qui soutenait contre lui l'accusation d'athéisme , s'étant cru obligé de lui donner en même temps une leçon de théologie, et s'efforçant de l'accabler sous les preuves de l'existence de Dieu , qui passaient alors pour rigoureuses , Yanini se baissa, prit un brin de paille, et dit : « Si je n'avais d'autres preuves que celles que vous me donnez , je mériterais peut-être l'accusation que vous portez contre moi. Mais voici un brin- de paille : ce brin de paille ne s'est pas fait lui-même; donc Dieu existe (i). > Il fut brûlé comme athée.
Tels furent les principaux philosophes qui soutinrent et développèrent les principes du péripatétîsme. En Allemagne, les promoteurs de la révolution religieuse, Luther et Mélanchton , qui avaient d'abord conçu contre Aristote des préjugés défavorables, par le même mouvement qui leur avait fait rejeter la philosophie scolastique, finirent cependant par renoncer à leurs préventions; et Mélanchton, en particulier, répandit Ifps doctrines du péripatétisme dans les universités
(1) Ses deux ouvrages imprimés les plus eonnus, quoi<ni*a8sez rares, les seuls d'après lesquels on ait pu apprécier sa philosophie el son caractère , sont VAmphithealrum œtemœ Provideniiœ , et [fi livre De admirandisi naturœ régime deœque mortalium Arcanis , libri quatuor.
378 PHILOSOPHIE MODERNE.
protestantes : on vit paraître alors une foule d'abrégés et de commentaires d'Aristote » qui eurent Tavantage de tenir en haleine les études rationnelles,
NOUVEAUX stoïciens.
Quoique la philosophie de TAcadénue et dn Lycée eût presque exclusivement attiré Tattention des savaats du seizième siècle, il était impossiUe que la doctrine du Portique ne trouvât pas quelques partisans ^ à une époque surtout où les écrits de Gicérpn , de Sénèque ^ dans lesquels les.maximes de cette école sont exposéœ et discutées, étaient devenus la lecture favorite des littérateurs. Elle eut en effet un assez grand nombre de prosélytes remarquables par leur érudition et leurs talents. Le premier de tous fut Juste Lipse^ né en 1547, dans une terre voisine de Bruielles. Critique et philologue distingué, il devint un 'interprète excellent de l'école stoïque, sans être, à proprement parler , un philosophe; car il lui manqua pour être un stoïcien pratique, ainsi qu'il l'a déclaré lui-même dans ses écrits^ une qualité indispensable , la constance. En général i son but était d'introduire les lecteurs à l'étude de la philosophie stoïcienne, et de les préparer en particulier à la connaissance de Sénèque, sans prétendre faire revivre cette doctrine comme convenable à son école et capable d'y régner. Gaspard Scioppius, dont le rôle philosophique ne fut pas non plus très-décidé , et qui publia des extraits des ouvrages de Juste Lipse ; l'An- glais Gattacker , qui , par son édition des œuvres d'Àntonin, contribua plus que ses prédécesseurs à
PREMltRE ÉPOQUE. 379
propager et à éclaircir la morale des stoïciens ; Claude Saumaise et Hcmsius, s'occupèrent plutôt de ce système sous le rapport historique que sous le rapport philo^ sophique.
ESSAIS ORIGINAUX.
Jusqu'à présent > la philosophie du quinzième et du seizième siècle né nous a offert que des systèmes, dé* Y^of^s sans doute avec toutes les ressources d'une grande érudition et d'une habile critique» mais em* pruntés aux doctrines des anciens philosophes. Il semble qâe l'esprit humain ne se soit affranchi de l'autorité ecclésiastique que pour retomber sous le joug des deux puissants génies que nous avons trouvés » à toutes les époques » en tète des deux grandes écoles qui se par- tagent le domaine de la philosophie. Entre la soumission entière des scolastiques du moyen-âge » et l'absolue indépendance qui fait le caractère de la philosophie moderne» il était indispensable qu'il s'écoulât une époque de transition; car la raison humaine né saurait passer brusquement de l'extrême servitude à une li- berté entière : mais cette transition fut pour elle un progrès immenie. Ceux qu'elle n'avait cessé de faire pendant toute la durée du moyen-âge^ l'avaient pré- parée à la révolution qui mit fin à la scolastique. Depuis ce moment où, placée en quelque sorte sous la tutelle de l'antiquité classique , nous l'avons vue puiser dans le passé le germe de ses progrès futurs, elle ^'est en- core agrandie et fortifiée. Maintenant le temps est arrivé où elle peut essayer de s'écarter des anciennes voies et de se frayer un chemin à part.
3R0 PHILOSOPHIE MODERNE.
Déjà Nicolas Talrellus , adversaire de raristotéliciea Césalpini , avait essayé d'établir une démarcation entre la philosophie et la théologie , et de faire regarder la raison comme le point de départ de toute connaissance philosophique. Déjà plusieurs écrivains politiques , et un grand nombre de naturalistes , peu satisfaits des ré- sultats obtenus à l'aide des méthodes logiques dont on faisait alors usage, s'étaient efforcés d'en produire de plus sûrs, en suivant la voie de l'expérience. Le fiimeux polkîque Machiavel, homme d'état formé parla lectore des classiques et par l'étude du monde, avait exposé avec une habileté supérieure, dans son livre intitulé le Privée (il Principe) j un tableau de la politique, telle qu'elle s'offrait alors dans les divers états de l'Italie. Jean Bodi?i , abandonnant dans sa République les traces
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de Maton et d'Aristote, avait tenté d'ouvrir une route moyenne entre la justice rigoureuse et la pru- dence sans garanties légales, entre la monarchie el la dvinocratie. Mais l'analyse de leurs ouvrages appar- tient plus à l'histoire des sciences politiques qu'à celle de lu philosophie. INous devons nous occuper, d'une manière plus spéciale , de trois hommes ^tingués aux'|uels la philosophie elle-même fut redevable de si hardis développements, qu'après eux la Toiese trouva natiifellement frayée à la révolution dont Bacon et Des- cartes furent les promoteurs. Ces trois hommes furent : JoR-'^ANo Bruno, Bernardo Télésio, et Thomas Cah-
PAXKLLA.
PREMIERE ÉPOQUE. 28i
JORPANO ÉRUfCO.
JoRDANo Bruno n'est pas moins célèbre par la grandeur de ses conceptions , retendue et la force de son esprit, que par les malheurs dont sa vie fut agitée , et sa fin tragique. Il naquit à Noie, dans le royaume de Naples, vers le milieu du seizième siècle. Il avait pris dans sa jeunesse Fhabit de Tordre des dominicains ; mais des doutes en matière de religion, et des jugements hardis sur l'ordre monacal , lui firent quitter l'Italie vers i580. Il se rendit à Genève. Calvin et Théodore de Bèze y enseignaient précisément à cette époque , et y jouis- saient de la plus haute réputation. La passion que Bruno avait pour les opinions paradoxales, et l'acharnement avec lequel il défendait les siennes, ne tardèrent pas à le brouiller avec ces deux hommes intolérants par ca- ractère, et il fut contraint d'abandonner Genève, après un séjour de deux années. Il se rendit d'abord à Lyon, puis à Toulouse, et ensuite à Paris, où il écrivit sur l'art de Raymond Lulle, et en donna des leçons pu- bliquetf. De là il alla à Londres, oii il demeura quel- que temps che; sir Philippe Sidney. Revenu à Paris, en 1585, il s'y porta publiquement pour adversaire d' Aristote , et se fit , par ses attaques contre la philo- sophie dominante', de nombreux ennemis. On ignore les motifs qui l'engagèrent à retourner en Italie , dont le séjour devait, à tant d'égards, lui paraître redoutable. Il y vécut tranquille pendant deux années ; mais vrai- semblablement la hardiesse de ses opinions et la célé- brité de ses ouvrages attirèrent sur lui l'attention de
%&i PHIL080MW lOIttftlfE.
Tautorité ecclésiastique. L'inquisition le fit arrêter 4 Venise, et l'envoya à Rome, où il fut brûlé comme hérétique^ apostat et parjure, le 17 février 1600(1).
Bruno possédait un esprit d'une pénétration rat^, une imagination fertile et poétique ^ un goftt vif et éclairé pour les auteurs classiques. Les vues larges et hardies des éléates et des platoniciens d'Alexandrie l'avaient frappé; il s'en pénétra profondément elles mit en œuvre avec un talent iecond et original. Aux idées qu'il leur emprunta s'en rattachèrent beaucoup d'autres^ lellefc que l'intention de perfectionner l'art de Raymond Lulle ^ qu'il regardait comme le précurseur de sa réforme en philosophie ; les découvertes de Copernic » qui peut* être éveillèrent ses premiers doutes sur l'autorité tra- ditionnelle; enfin les préjugés dominants sur la magie et Fastroldgie» Ses ouvrages, dont Buhle a donné une notice fort étendue , sont fort rares. Pendant longtemps ils sont restés dans un oubli presque complet ; mais^ à une époque récente , ils sont devenus tout-à-coup l'objet d'une attention particulière de la part des savants de l'Allemagne, à l'occasion du spinosisme et du système de Shelling, connu sous le nom de {^ilosophiè de la nature.
Un philosophe moderne.) Jacobi, a donné» dans ses lettres sur la doctrine de Spinoza, un extrait de la doc- trine philosophique de Jordano Bruno; mais Tenue- mann » dans son histoire générale , l'a résumée avec
(i) « Afin qu'il pût raconter dans ;ies autres mondes inventés par Wi, comment les Romains ayaient coutume de traileMes blasphémateurs ; » telles soiit les expressions révoltantes dont se sert Sbîoppius , qui fut le téâtoitt oeAairo de son supplice.
plus de profondeur et da clarté* Voici les prinbipaui traits de cette esquisse supérieure.
Le principe suprême, Dieu, est ce que toute choaê est et peut être* 11 est donc un ôtre unique^ mais eom« prenant en soi toutes les existences « le fond même des choses, et en même temps leur cause productrice^ matérielle et formelle, sans limite dans l'éternité de sa durée, Natura naturans. ^Comme première cause pro- ductive, c'est aussi la raison divine, universelle, qui se manifeste dans la forme de l'univers; et c'est l'âme uni- verselle qui agit en toutes choses, et qui, de l'intérieur de chaque être, lui donne sa forme et ses développe- ments. Le but de cette cause active et finale en même
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temps est la perfection de l'univers, laquelle consiste en ce ^ue , dans les diverses parties de la matière > tou08s ies formes dont elle est susceptible parviennent à l'exis- tence réelle. Être, vouloir, pouvoir et produire, sont des termes identiques dans le principe universel. Comme force première et vivante f la divinité se manifeste de toute éternité par d'infinies productions, mais elle n'en reste pas moins une et la même, sans fin, sans mesure, immobileet au-dessus de tout rapprochement. Elle est en tout, et tout est en elle, parce que toute chose se développe, vit et agit par elle et en elle; elle réside dans les recoins les plus cachés du monde^ comme dans le tout infini : d'où il suit que tout vit, tout est bien , tout est en vertu du bien , parce que tout pro- vient de l'être essentiellement bon.
Bruno^ reproduit cette idée^ lorsqu'il prend pour point de départ le monde (Universwn ou Natura nota- rata)^ et qu'il le représente comme un ^ infini, éternel.
S8.4 PHIL6S0raiE MODERNE.
impérissable* Selon lui , nul «n'a mieux exprimé que Pjthagore, par ses sa^ports des nombres, le mode de la production des choses par Tétre infini , Tunité , à laquelle l'intelligence humaine aspire sans cesse. Cest en développant son unité que le principe engendre la multitude 'des êtres; mais en reproduisant des races et des espèces sans nombre, il ne se complique lui-même ni de nombre, ni de mesure, ni de relation; il reste un et indivisible en toutes choses, à la fois rinfini- ment grand et Tinfiniment petit. Puisque toutes choses sont animées par lui, l'univers peut être représenté comme un être vivant , un animal immense et infini , dans lequel tout vit et agit de mille et mille manières diverses.
Il cherche à démontrer l'éternité du monde par plu- sieurs arguments tirés de la destination de l'homme, de la nature de la perception sensible et de l'impossi- bilité de trouver un point central. Ici, il applique in- génieusement, et cherche à déduire, par la méthode philosophique, le système du monde de Copernic, et il réfute habilement les principes contraires, en parti- culier ceux despéripatéticiens. Le monde n'étant qu'une ombre de la forme du premier principe, il s'ensuit que toutes nos connaissances ne contiennent que des notions de ressemblance et de relation. De même que le principe absolu descend et se développe dans la mul- tiplicité des êtres, nous produisons à notre tour l'unité de l'idée par la compréhension collective du multiple. Le but de la philosophie est de trouver l'unité de tous les contraires.
L'âme en général est, dans chaque individu, sous une forme particulière; comme substance simple, elle
PREMIERE EPOQUE.
est immor telle, infinie dans ses effets, et elle donne la forme au corps par extension eftoon tract ion « La nais- sance est l'expansion du centre, la vie est la durée du développement spbérique , la mort le retour des rayons au centre. Le plus élevé des actes libres est le but même de Tintelligence divine, par qui tout se produit. Le système de Jordano Bruno est le développement de la doctrine des Éléates et de Plotin , mais épurée et éclairée ; c^est un panthéisme , que Ton a souvent donné à tort pour athéisme, exprimé avec une force entraî- nante de conviction^ jointe à une grande richesse d'imagination , et où se rencontrent une foule d'idées fortes, grandes et profondes.
• TÉLÉSIO.
TiÉLÉsio OU TÉLÉsmo uaquit en 1508 à Consenza , dans le royaume de Naples, d'une famille distinguée. U fit ses premières études à Milan, sôus la direction d'un de ses oncles, Antoine Télésio, homme fort in- struit, à qui Charles-Quint confia dans la suite l'éduca- tion de son fils Philippe II. Ce fut aux leçons de cet habile maître que Télésio dut la pureté et la précision avec lesquelles il parvint à écrire dans la langue latine. U s'adonna , pendant son séjour à Padoue , aux études philosophiques et mathématiques , et dès lors la doc- trine d'Aristote lui parut si peu satisfaisante, qu'il déclarait ne pas pouvoir s'imaginer comment un si grand nombre d'excellents esprits , chez toutes les na- tions , eussent conçu une si haute estime pour des ou* vrages remp is d'erreurs grossières. Ce ne fut que fort
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3t6 PHILOSOPBIE HODERNE.
tard qu'il publia ses livres de Natnrd, juxia fropria principhy dont les deux premiers parurent à Rome en i565. Us y firent une sensation prodigieuse, et ob- tinrent un tel succès, que Télésio fut obligé d'aban- donné)^ la splilude où il s'était retiré pour pouvoir se livrer plus tranquillement à ses études littéraires , et d'aller enseigner à Naples sa philosophie de la iiature. Il établi^ dans cette ville une société savante, dont le but fut de perfectionner la physique pt de renverser le système d' Aristote ; mais les persécutions qu'il essuya le forcèrent bientôt de se réfugier dans sa patrie, oh
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il mourut en 1588.
Télésio reprochait surtout à Aristote d'avoir , dans son système naturel, donné pour des principes de pures abstractions, comme la matière , Informe, eiiêprivaiion. Pour lui , il admit deux principes incorporels et actifs, la chaleur çt le froid^ et un principe corporel passif , la matière , comme l'objet auquel se rapporte l'activité des deux autres; il fit provenir de la chaleur le piel , du froid la terre, et rendit compte , d'une iqanière insuffi- sante, de l'origine des choses du second ordre, par un perpétuel conflit ^ntre le ciel et la tçfre. U y avait 4ans ces jiypothèses beaucoup d'idées empru<itèe$ i^ Démocrite et à Parménide : par ces empruntf^ , Télésio, payait en quelque sorte le tribut à sop siède; m^is, hors de là, ce fut toujours l'expéf ience , et l'expé- rience des spns, qu'il prit pour règle ^piq^e. Danç sa préface , qui est extrêmement remarqqable , il ^vait dj^cjaré qu'il ne répondrait même pas aux objection^ qyi seraient tirées de la logique des écoles, n^a^ qu'il répondrait volontiers à celles qui seraient frapcuntée*
PREMIÈKE ÉPOQUE. 28?
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4é l'expérience sensible. Cet esprit domine dans son ouvrage; et le grand philosophe Bacon , qui combattit plus tard son système, ne le fit avec avantage qu'en per^ fectionnant cette méthode empirique, dont Télésio pré*» sentait déjà d'heureuses applications et des résultats ren^arquables.
THOMAS CAMPANELLA.
Télésio avait essayé de réformer seulement la philo- sophie de la nature; un de ses compatriotes, Thovas Gampanella , entreprit I9 réforme universelle de toutes les parties de la philosophie. Les malheurs de sa vie ne lui permirent pas de réaliser un projet qui était d'ailleurs au-dessus de ses forces. Il était né en i568. Après de brillantes études, il entra 'dans Tordre des dominicains. Déjà Pàtrizzi et Télésio avaient attaqué l'aristCftélisme et fortement ébranlé son crédit. Gampanella étudia d'au- tres théories de l'antiquité , celles des Ioniens , des pythagoriciens, desÉléates, de Platon, mais sans rieo rencontrer qui pût le convaincre. Dès lors il devint sceptique. Mais cette manière de voir contrastait trop fortement avec la tournure de son esprit, pour qu'il lui fût possible de se borner uniquement à des doutes et à des connaissances négatives. U se créa doqo bientôt un dpgmatisme éclectique, dpnt le caractère fut dé- terminé par &e$ premiers doutes sur la réalité des cQn* naissances puremefit abstraites ; C(S qui le conduisît à regarder l'expérienci^; l'ot^servation, coipme les seule!» spurces de la vérité pour l'homme. Les vjvps dispiites qu'il soutint à Maples cQntre les péripat^ticien^ Im siis^
288 PHILOSOPHIE MODERNE.
citèrent des eonemis, qui le contraignirent de quitta cette ville et de se rendre à Rome, où il séjourna quel- que temps. A son retour , il fut accusé par la cour d'Es- pagne d'entretenir des liaisons secrètes avec les Turcs, et jeté dans les fers , où il resta pendant vingt-sept ans. Enûn le pape Urbain YIII obtint de la cour de Maples qu'il fût transféré à Rome, et lui rendit la liberté. Dès que les Espagnols eurent appris son élargissement , ils le firent de nouveau poursuivre, et lorsqu'il eut été arrêté, ils ordonnèrent qu'on le ramenât à Naples. Ce- pendant il parvint encore à se sauver, au moyen d'un travestissement , et avec le secours de l'ambassadeur de France. Il se rendit en Provence, et de là à Paris, où il vécut tranqyille sous la protection du cardinal de Richelieu , ennemi implacable de la puissance autri- chienne et espagnole. Il mourut en 1689.
Gampanella avait conçu , tant sur la philosophie qae sur beaucoup d'autres études , des vues excellentes ; comme Bacon, il avait proposé une nouvelle manière de classer les sciences. Ses principaux efforts se por- tèrent sur la métaphysique, considérée comme four- nissant des principes pouf la théologie, les sciences naturelles et la morale. Sa théorie de la sensation est celle de Locke et de Gondiilac. La faculté de sentir est, selon lui , notre unique faculté de connaître (sentire est scire); il y ramène toutes les autres facultés de l'écrit. Sentir , c'est percevoir une modification dont nous sommes affectés. La réflexion , la mémoire , l'ima- gination ne sont que la sensibilité diversement dé- terminée. La pensée est l'ensemble , la réunion des connaissances données par la sensation , et cette
PREMIÈRE ÉPOQUE. 289
réunion doit elle-même être sentie de la même manière. Sa morale renferme un grand nombre d'idées neuves et ingénieuses.
On doit tenir compte à Campanella de son zèle ar^ dent pouir la vérité, et du courage a veclequel il défendit .la liberté de penser, et le droit qu'a la raison de se frayer des routes nouvelles. Sans doute les résultats auxquels il parvint attestent son impuissance à résoudre d'une manière satisfaisante les grands problèmes delà science; mais il a la gloire d'avoir expliqué clairement le besoin de cette solution , dans l'intérêt de la raison et de la philosophie.
Le seizième siècle était allé aussi loin qu'il lui était possible dans la voie de l'idéalisme et du sensualisme développés selon l'esprit de la philosophie ancienne; désormais une révolution nouvelle était nécessaire pour que la philosophie moderne prît un essor qui lui fût propre. Les essais de Bruno et de Campanella y avaient préparé les esprits ; Descartes et Bacon pouvaient paraître.
Mais cette grande époque d'imitation et de transition n'aurait pas été complète, si, à la suite Vlu dogmatisme idéaliste et sensualiste, le scepticisme n'eût à son tour obtenu quelques adeptes, et si de la lutte de tant de systèmes» opposés, de ces débats qui attestaient l'im- puissance des spéciilations rationnelles , le mysticisme , avec tousses moyens surnaturels d'arriveV* à la science, ne se fôt aussi produit sur la scène. Le scepticisme, dont, au début de leur carrière; plusieurs des philo- sophes que nous avons déjà mentionnés n'avaient pu se défendre , fut pro/essé avec écla( par notre Michel
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DE Montaigne , son ami Laboétie^ Charron , et San csez« Quant au mysticisme, si naturel aux esprits , pendant toute cette période de fermentation religieuse, il suflBt de nommer Agrippa , Paracelse et Bôhme , pour fiûre pressentir combien fut vaste le dételoppement qu'il prit à cette époque. Déjà il y avait dans Marcile Ficin et les Pic de la Mirandole un penchant très-prononeè pour le mysticisme : c'était la conséquence inévitaUe de la prédominance qu'avait obtenue dans leur esprit Fidé»- lisme néoplatonicien. La croyance à la magie , à h théurgie , à l'astrologie, qui n'avait cessé d'exister pendant tout le moyen^&ge , était devenue génértile. Les meilleurs esprits de ce temps n'avaient pu s'en garantir. Nous verrons bientôt à qud point d'extrava- gance die fut portée. par les imaginations ardentes et exaltées qui s'y livrèrent.
SCEPTICISME.
nCBBL DE MOlfTAIGNS.
Ce fut en 1533 , dans une terre du Périgord dont il p^rta le nom, tiue naquit le célèbre auteur desJBtM». Son père lui fit apprendre le grec et le latin en mèiM temps que sa langue maternelle^ et lui donna à cet e&t un précepteur allemand qui , ne connaissaqt pas le français , ne pouvait converser avec lui qu'en latin. Ses parents et tous ceux qui rapprochaient n'employaient jamais non plus d'autre langue, de sorte qu'à l'âge de six ans il la parlait fert bien^ sans avoir la. moindre idée du français. Sa jeunesse fut orageuse» et son pèce
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PREVlèHE ÉPOQUE. ^91
avait auguré défavorablement du reste de sa carrière; niBis il revint de ses erreurs^ lorsqu'il fut marié et qu'il eut recueilli l'héritage de sa famille. Le [roi de France lui accorda le cordon de St-^Michel , et à Rome il obtint le droit de bourgeoisie. Cette dernière distinc- tion lui causa le plus grand plaisir. Devenu maire dé bordeaux, il exerça à la satisfaction de tous ses admi- nistrés , des fonctions qu'il avait eu beaucoup de peine à accepter'. Il vécût sous les règnes de François I*', de Heiiri fl, de François II, de Charles IX, de Henri III et de Henri IV. Sur la fin de sa vie, il souffrit avec beau- coup 'de patience les vives douleurs que lui causait une maladie cruelle dont il mourut en 1592.
Les Ei9(àjs de Montaigne sont trop connus pour que nous essayions de les considérer ici sous le rapport lit*- téraire (4). On sait que l'auteur y exprime ses propres passions, ses réflexions, ses inclinations et sesmaximes, en profitant toujours du riche trésor d'observations qu'il avait recueillies sur les hommes et la société. La lecture de ses écrits est d'autant plus attrayante , qu'ils déve- loppent jusqu'aux replis les plus cachés du cœur humain^ et quHIs sont susceptibles, même [encore aujourd'hui , d'une application immédiate au commerce réel de la vie. Quant à ses opinions philosophiques , dont nous devons nous occuper particulièrement, il est assez difficile de s'en former une idée bien exacte. On voit qu'il plaide sérieusement la cause de la vérité, et qu'il la cherche avec ardeur, non -seulement en s'observant lui-même,
(1) On sait que les mérites de cet écrivain o|^ été appréciés arec antant d*espril que de goût par M. Villemain , dans un éloge couroiiné en 1812 par VAcadémie flrançaise.
292 PHILOSOPHIE MODERNE.
ainsi que les autres, mais encore en interrogeant l'his- toire, en étudiant les meilleurs écrivains de Tantiquité et des temps modernes. Le résultat de toutes ses recherches n'est ni un dogmatisme réel , ni un sc^ti- cisme absolu, surtout en ce qui concerne la religion et la morale. Il réduisit en grande partie la philosophie à une opinion subjective , qui ne saurait avoir une soii* dite objective inébranlable , qui est par elle-même très-variable, et à laquelle on peut tout au plus atlrî* buer une vraisemblance plus ou moins grande. Ce dont Thomme atteint finalement la conviction, c'est qu'il erre dans Fignorance, et que son esprit est borné. < U est advenu aux gens véritablement sçavants, dit-il, ce qui advient aux espics de bled : ils vont s'élevant et haussant la tête droite et fière, tant qu'ils sont vuides; mais quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité , ils commencent à s'humilier et à baisser les cornes. Pareillement les hommes ayant tout essayé, tout sondé , et n'ayant trouvé en cet amas de sciencei et provision de tant de choses , rien de massif et de ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur pré* somption , et repris leur condition naturelle. »
Mais quoiqu'il regardât en philosophie le doute comme l'oreiller le plus convenable à itne tête bien faite , et qu'il se perdît quelquefois en subtilités théorétiques, les maximes qu'il professait étaient dictées par un tact sûr et par le sentiment de la plus pure morale ; il éprouvait un enthousiasme véritablement stoîque pour la vertu.
Etienne Lk Boéhe , conseiller au parlement de Bor- deaux, partagea en philosophie les opinions sceptiques de son ami Montaigne.
PREMIÈRE ÉPOQUE. 203
Il développa avec talent , dans son discours sur la servitude volontaire^ un singulier esprit de liberté républicaine. Montaigne parle de lui dans les ternies les plus honorables, et la lettre de Tauteur des Essais, sur la conduite de son ami au lit de mort, est aussi touchante qu'instructive. Il était né en 1530 , et il mou- rut à Bordeaux en 1563, entre les bras de Montaigne.
Pierre Charron, né à Paris en 1541 , étudia la phi- losophie et la jurisprudence à Orléans et à Bourges , devint docteur en droit , et passa quelques années à Paris, en qualité d'avocat au parlement. II quitta bientôt cette carrière pour celle de la théologie , et se distingua par ses talents comme prédicateur. Sur la fin de sa vie il devint grand-vicairedeTévèquedeCahors, puis chanoine à Condom. Étant venu à Paris en 1603, il y mourut subitement au milieu d'une rue.
Ce fut dans le commerce habituel qu'il entretint avec Montaigne, qu'il prit le goût du scepticisme. 11 s'exprima, dans son Traité de la Sagesse ^ avec une grande liberté sur les matières de morale et de religion.
La sagesse, selon Charron , est la science de la vertu. La connaissance de soi-même est une condition indis- pensable pour y arriver. Après avoir examiné la nature de rhomme , de ses dispositions , de ses goûts et de ses facultés , ainsi que les différences qui proviennent du tempérament, de la situation individuelle et des circonstances, il traite de la vertu en général, de la prudence, de la justice, de la bravoure et de la modération. La morale qu'il expose est aussi noble que pure, et, sous ce point de vue, son livre mérite d'être mis au nombre des ouvrages moraux les plus distingués.
294 PnLOSOMDB modemb.
Mais , pour ce qui ooocernait les sciences spécula- tives, le scepticisme , qui faisait le fond de la philo- sophie de Charron , lui fit émettre des opinions hardies f t hasardées. Quelquefois il niait en termes précis y i Texemplede Montaigne , la irérité ejt la certitude du savoir humain ; il plaisantait sur la faiblesse de ootre esprit, et affectait un profond mépris pour toutes les sciences. Cependant il ne fut pas, à beaucoi^p prés^ aussi conséquent dans son système que les anciens pyr^ rhoniens. Il oublia souvent, sans le vouloir , qu'il rai- sonnait en sceptique. Ses doutes sur la foi religieuse et sur toutes les religions , sans en excepter Iç chrisr tianisme, le firent décrier con^me athée par un grand nombre de censeurs qui avaient mal conçu ses idées.
François Sanchez, [né en 1562^ à Çacara dans le Portugal, fut bien plus décidé dans son scq>ticisme que ne l'avaient été Montaigne et Charron. Son ouTrs^e qui a pour titre : De muUùni nobili pri$nâ et wmersaix sdencid quod nihil scUur ^ est un des meilleurs trai- tés philosophiques que nous possédions sur le scepti- cisme. Il est agréable à lire, et écrit a^rec autant de pureté que de goût. On ne rencontre chez lui aucun argument sceptique qui ne se trouve déjà dans les ouvrages des pyrrhoniens ; mais il s'en sert , contre la philosophie dogmatique du temps , d'une manière qui lui appartenait en propre. Au reste , quelque universel que fût le scepticisme de Sanchez , son but ne parait pas avoir été de le recommander comme la seule phi- losophie possible ; il semble au contraire n'avoir eu d'autre intention que d'épurer le savoir philosophique, et d'élaguer tout le fatras dogmatique des faux savants,
PREMIÈRE ÉPOQUE. 295
afifi d'établir k vérité à la place des chimères et des vaines hypothèses. Son scepticisme n'était, comme ko essais dogmatiques de Téiésio et de GampaneUa, qu'un acheminement à une philosophie fondée sur une méthode plus sûre que celle dont jusqu'alors on avait îadt usage : il contribua donc, pour sa part, aux pro* grès de la raison.
MYSTICISME, CABALISTIQUE, MAGIE.
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« On a pu voir par ce* qui précède, que de .tous les ajyotèmes philosophiques développés presque simultar pémenl, pendant les deux siècles qui se sont écoulés entre la chute de la scolastique et la naissance de la philosq>hie moderne proprement dite, c'était le néo* platonisme qui avait exercé le plus d'emfHre. Gela ne {M>uvait manquer d'être, à une époque dont le caractère dominant était l'entjiousiasme religieux, et Texalt^^on mystique. On serappelle que les philosophes d'Alexan* ditie accordaient un pouvoir surnaturel à certains êtres, qWils regardaiept comme les intermédiaires entre la divinité et l'homme. .Ils. supposaient à ces génies ou, démons une grande influence dans legour ^^rnement du j^onde , et ils admettaient la possibilité de les. faire agir par certaine procédés, tirés, les uns d(SB ppissances naturelles, les autres de certaines par rôles ,. en un mot , . à l'aide de ^e que Ton appelait Magie. A ces dogmes , qui se trouvaient si . bjen d'^cr fiorà avec. la disposition des espritSi, vinreQt se réunir d'autres idées empruntées à la cabale des Jpifs, àcette science mystérieuse dont nous avons aussi parlé, et
296 PHILOS WHIE MODEHNE.
qui n'est autre chose que le néoplatonisme » altéré par le mélange des chimères théurgiques qui résultaient de la doctrine de l'émanation. Ces opinions étaient alors tellement dominantes , qu'à aucune autre épo((ue il ne fut aussi souvent question de sorcellerie et de sorciers. Une commission du parlement de Pau fit brûler plus de trois cents de ces malheureux , dans un espace de temps assez court. La croyance aux sorciers était alors si générale, si profonde, que les accusés de sorcellerie la partageaient eux-mêmes ; ils ne niaient point les faits qu'on leur imputait, lorsqu'on les pressait un peu. L'imagination fortement préoccupée de cet état extraordinaire^ plusieurs, soit dans leurs rêves , soit dans des moments qu'on appelait d'halludnation , avaient cru réellement se voir au sabbat , ou être les objets d'actes de sorcellerie. L'étude de la cabale et la croyance à la sorcellerie étaient répandues parmi les catholiques et parmi les protestants ; mais peut-être l'é trient-elles davantage chez ces derniers, parce que, comme leur principe était de remonter au texte des livres sacrés , ils avaient dû s'attacher surtout à prendre connaissance de la langue hébraïque : ce furent même eux qui , un peu avant la réformation , firent naître l'étude de cette langue, complètement négligée pen- dant le moyen-âge. La nécessité où ils étaient, pour la connaître dans ses détails, d'étudier les livres des rabbins, où la doctrine cabalistique est présentée avec étendue , contribua encore à enraciner cette philoso- phie dans leur esprit. Nous en avons indiqué déjà (1) les principaux
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dogmes ; ils furent développés vers la (in du xv*" siècle par Pic de là Mirandole, qui , s'étant cependant , à ce qu'il parait, affranchi pendant sa vieillesse des pré- jugés répandus de son temps, et que son exemple avait contribué à accréditer, composa une exellente . léfutation des superstitions astrologiques. Ce fut d'a-^ près ses inspirations qu'un des hommes les plus distingués de son temps, Jean Reuchlin, composa ses deux ouvragés de Verbo mirifico, et de Arie cabalisiicd.
REUCHLIN.
Jean Reucblin, l'un des écrivains les plus spirituels du xvf siècle, était né dans la Souabe en 1455. Il apprit le latin d'un savant distingué de l'époque, Jean de Lapide; plusieurs Grecs lui enseignèrent leur lan- gue et leur littérature; il étudia l'hébreu à Bâle, puis à Orléans et à Poitiers, et le savant juif Jacob-Jéhiel Loans lui fit faire de si grands progrès dans cette lan- gue, qu'il fut en état de consulter les sources mêmes de la philosophie cabalistique, pour laquelle il avait manifesté de bonne heure un goût prononcé. On peut le regarder comme le restaurateur de la littérature classique en Allemagne. De son école sortirent un grand nombre d'élèves, qui plus tard, à l'époque de la réfor- mation, devinrent les hommes les .plus instruits et les plus éclairés de l'Allemagne. H introduisit et créa même, jusqu'à ua certain point, l'étude de l'exégèse de la Bible dans la langue originale : on'sait que les réfor- mateurs de la religion cherchèrent souvent dans cette étude des armes contre l'église dominante. S'il se per*
298 PHILOSOPHIE MODERNE.
dit dans le dédale du rabbinisme et de la cabale 9 il j conserva cependant le calme d'une raison forte et éclairée : d'ailleurs les occupations politiques aux- qu^es il fut livré , ses travaux littéraires , et les dispates ^u'il fut obligé de soutenir sur la An de ses jours , Tena- péchèrent de donner à ses idées cabalistiques autant de développements qu'il l'aurait désiré«
▲GRIPPA.
Cornélius agrippa de Nettesheim se livra avec bi^i plus de passion et d'enthousiasme au mystieisine phi- losophique qui régnait de son temps, ainsi qu'aux aownces occultes qui en étaient le complément inévi- tliUe. Né à Cologne ea 1487 , il se rendit» étant encore fort jeune, à Paris, où il établit une société secret» dont le but était Tétude et le perfectionnement de cas scifançes,. Ce fut .daçs l'université de Dôle, alors florisi> santé, qu'il expliqua et commenta le livre de son anu Reucblin, ^ Verbo mityico. Danj» un voyage qu'il fit à An^urtz bourg, il se lia avec l'abbé Tritheim, l'un des plus gfand$' adeptes de la magie, de la cabale et des ,arU occultes; s'arrêta dans son couvent, et prétaoidit avoir reçu de lui une foule de connaissances. U écri- vit d'après les conseils de cet abbé ses trois livres de OecuUd Philasophiâ, où il essaya de rétablir l'ancienne (pagie dans sa pureté primitive , et ^e la garantir d^ reproches qu'on iui faisait de renfermer des erreurs dangereuses. Le plus, célèbre de ses ouyrages est celui qui, a pour t^Urg : de Yçaùttiie, ^ci/Bnîwja^i } il fit. sur l!ef- prit de ses contemporains une prodigieuse sensation .^
PREMIÈEE ÉPOQUE. 299
Apr^ une vie agitée par mille traverses, il mourut eu i53^ à Grenoble.
I^e^. arts occultes furent toujours.pour lui rot]|)eLl9 pLuA importât de ses études. Un court exposé des principales doctrines qi^'il a consignées dan;» son qur Trage de Occulta l^hihsophiâ , fera connaître la naturç de ses opinions personnelles et le caractère des Idées universellement accréditées à l'époque où il composait sef» , écrits. La magie est selon lui la première des sciences et le complément de la philosophie, puisqu'elle péoètjçe ju^ue danfs les mystèrgs les plus secrets de la |i%tuj*e : elle.se concilie parfaHemeçt avec le christ^ar ni^me , et; n'est nullement susceptible de nuire à cett^ religion. Il distingue trois mondes, le. physique, le f^est^ çt l'intelijsctuel : c'est poivquoi il divise la nvagie en naturelle, céleste ,. et religieuse, ou céré^ moniale. L'air est un n;iirpir qui reçoit les images def cl^pses : Qomme il pénètre daqs les cof ps hivnains ^ animaux par des ouvertures que leur ténuité excessive rend^ ^nv4sibles, il .peut exciter des songes, des pror; phé^es^ sans la coopération des esprits., C'est par lui qu'il est possible à un homme de communiquer ^^ idées à uq autre sâps aucun intermédiaire, çt quelque grande que soit la distance quf les sépare. En, opposaq^ des qbjets ou des caractères . d'écriture aux rayons d,e la lune , on parvient à les peindre sur le disque de çejt as.tre, de manière qu'une autre personne puisse les y voir et les y lire. C'est un art fort utile dans les cas de siège, dit Agrippa, et Pythagore l'a mis le premier en pratique., ., . ,*
Tout est dans tout et agit sur tout. Les choses sui)«
300 PHILOSOPHIE MODERNE.
lunaires sont soumises à l'influence des astres ^ de qui elles reçoivent des qualités et des forces particulières. On peut déterminer la relation des choses avec les con- stellations, d'après plusieurs caractères, tels que la figure , le mouvement, l'analogie des rayons, des cou- leurs , des odeurs , etc. Ainsi le feu* et le sang , par leur chaleur, les esprits vitaux et toutes les pierres précieuses garnies de pointes dorées ou de rayons, ont de l'affinité avec le soleil , qui leur communique des influences spirituelles. La vraie magie consiste à réunir les forces attractives des choses de l'univers, à rappro- cher ainsi les choses inférieures des supérieures, eC à rabaisser les forces de ces dernières au niveau de celles des premières. C'est par le moyen de la magie que l'on peut séparer tEsprit du monde des éléments sur lesquels il agit; et comme c'est lui qui constitue tous les êtres de la nature , toutes les fois qu'on peut l'en séparer^ on peut donner naissance à tous les eflêts qu'il produit lui-même. Si les alchimistes parvenaient à séparer cet esprit du monde de l'or et de l'argent , ils posséderaient en lui le moyen de convertir en or et en argent toutes sortes de métaux. Agrippa assure avoir opéré lui-même cette séparation, et il indique les moyens qu'il faut emplover pour arracher à la nature le secret de son emploi : comment on peut suspendre, ou selon l'expression des cabalistes, enchaîner les actions des hommes, des animaux et des choses inertes; empêcher, par exemple, un voleur de voler, un vaisseau de continuer sa route; comment on réussit à préparer des philtres , des anneaj^x magiques et des amulettes; comment on prédit les événements futurs.
PREMIÈRE ÉPOQUE* 901
Il existe le rapport le plus intime entre la doctrine des nonibres et la magie. Les nombres sont des substances plus parfaites, plus spirituelles, et plus rapprochées des choses célestes que les substances corporelles ; aussi ont-ils des vertus encore plus merveilleuses : tout ce qui est^ arrive et existe parles nombres et leurs rapports. Chaque nombre possède des qualités et des forces qui lui appartiennent en propre : ainsi l'unité est le principe et Tessence de tout ; bors^ d'elle il n'existe rien. En effet, il n'y a qu'un Dieu, un monde, un soleil, un phénix, une essence miraculeuse, que les alchimistes s'attachent à chercher , et sur laquelle reposent toutes leurs opérations. Ainsi s'explique l'association des doc- trines de Pythagoreaux rêveries cabalistiques.
Agrippa crut relever l'excellence des arts occultes et des opinions cabalistiques, en décriant toute espèce de philosophie ; c'est dans ce but qu'il puUia son livre sur la vanité des sciences. C'était du scepticisme fait au profit de la cabale, à laquelle il ajoutait d'autant plus de confiance, qu'elle passait alors pour la véri- table interprétation de la Bible; car les inventeurs de cette prétendue science avaient eu le talent de faire croire qu'ils en devaient la révélation à Dieu. Lorsqu'il parle en sceptique et qu'il emprunte môme des argu- ments aux pyrrhoniens, son intention n'est pas d'ébran- ler toute espèce dé vérité en général et sans exception, mais seulement de prouver l'incertitude des connais- sances humaines acquises par les efforts de l'esprit abandonné à lui-même, afin de mieux faire sentir la nécessité de croire à la révélation , et à la sagesse divine et surnaturelle , qui seule peut éclairer l'intel-
302 PHILOSOraifi MODERNE.
ligence. Au reste l'ouvrage respire une haine violente et invétérée contre certaines classes d'hommes qui avaient tourmenté Agrippa pendant tout le cours de sa Tie^ et dont les persécutions étaient précisément plod actives que jamais à l'époque où il écrivit. Il avait déclaré dans son épttredédicatoire qu'il mordrait comme un chien 9 piquerait comme un serpent, et déchirerait comme un dragon : il tint parole (1);
PARACBLSB.
Philippe- Auréole-Théophraste Paracdse Bombast de Hohenheim > le héros du cabalisme , de la magie et i% l'alchimie, naquit en 1403^ dans la Suisse. Dès sa jeunesse il conçut la plus vive passion pour la chimie^ dont l'étude était alors inséparable des arts occultes. Il parcourut tous le9 pays où il était possible de voy^er de SGHQ temps ^ môme la Russie » l'Asie et l'Afrique; visita les moines, entretint des liaisons avec les savants^ et toutes les personnes qu'il croyait pouvoir lui servir àaaeroltre la masse des connaissances médicales, ml- néradcigiques et alchimiques, mais surtout Vinilâer dans
(1) Voici l'épigraphe qu*il avait placée en tète de son traité :
Inter diTOS aallos bob carpit Moicus«
iBler beroas monstra qDaeqna iasactatar HBBCOLIS.
later d«mones rex Hercbi Ploton iraidlar omaibua «abris*
Inter philosophes ridet omoia Dbhociitds.
Contre daflcl cnncta fliÈACLinis.
Reacit quaqna PTaiHUs( Pterbo ).
Et seire se pBlat omnia AaisTOTELBS.
CoBtamDit cnaeia DiOtttVEa. »
Nttllis bis parcet AGRIPPA.
CoBtemnil , acit, naacit , Oat, lidtt,
Iraacilur, inaectatar, carpit onnia;
IpM philoiophof , dtmoB , htroi , Oaoi tt obbU.
J
PREMIÈRE ËPOOUE, S03
de nouveaux secrets; étudia les écrits de Raymond Lulle et des cabaiistes, et rassembla ainsi un tel trésor de -oonnaissanees occultes, qu'aucun adepte n'en avait encore possédé un semblable avant lui (1). Un désagré- mentqu'îl éprouva dans cette ville la lui fit quitter (9);
^ il parcourut la Souabe , l'Alsace , s'arrétant de cabaret en cabaret , y recevant les gens qui venaient le con- sulter y ^'enivrant avec les Espagnols, et ne coucbant
' pas môme dans un fit* Il perdit dans cette vie abrutis- sante ce qu'il savait de latin , et mourut enfin à Sali- bourg en i54i^ âgé de quarante-sept ans, quoiqu'il eût prétendu posséder un élixir qui prolongerait sa vie aussi longtemps que celle de Mathusalem.
Les théories cabalistiques deParacelse sont les mêmes que celles de son prédécesseur Agrippa , mais pré« sentées, avec une imagination plus - fongueuse et plus déréglée. Une lumière intérieure , une émanation d^ Dieu ou de l'être fondamental , l'harmonie uarverselle des choses, l'influence des astres sur le monde sublu*-
. naite, la vie de toute la nature, les éléments considérés OQiniae -des esprits auxqud8«les corps visibles servent d'enveloppes : telles sont les principales idées thdoso^ phiques et tfaéurgiques développées au hasard dans
Paraceke , de mille manières difi&rentes, et sou ventî en
. -.1
(1) C'est le premier professeur connu dans l'Europe moderne qui ait fait aon cours en langue Tulgaiu : jusqu'à lui on avait professé en latin,
(2) Un chanoine de celte ville éprouvait de grandes douleurs , pour la gné- . rison des^inelles il avait promis 'cent é(U8 à Paracelse. Celui-ci le gnéril au
mojrep seulement de deux pilules d'antimoine. Le cbanoioe trouva i|iie tjf qii'U avait promis dépassait la valeur d'un si petit remède , et il en résulU ua procb daii^ lequel Paiacelse fut coAdanuié.U dit alois adieu à la villa de BAle.
304 PHILOSOPHIE MODEKNE.
termes inintelligibles. Il s*était particulièrement fait un grand principe» un Arcltœwn mystérieux, prétendue harmonie entre le sel / le corps et la terre; le mercure, Tftme et Teau ; le soufre , l'esprit et l'air. Ses ouvrages sont iôcrits de manière à séduire les ignorants et le peuple; ils sont remplis d'emphase et d'interpellatioDs mystiques : il blâme tout ce qui l'a précédé(l). Au reste il possé^it en chimie des connaissances véritables , ^ Bacon fait la remarque que son plus grand tort est d'avoir caché les expériences très-réelles qu'il avait &ites, sous une apparence mystérieuse (2). Ses extravagances trouvèrent un assez bon nombre d'adhérents. A dater du dix-septième siècle , elles passèrent et se conservèrent comme en dépôts dans une société secrète^ établie , dit-on , par un certain Chrétien Rosencreutz , et qui prit le nom de société des Rose-Croix.
Jérôme Cardan , de Pavie , célèbre comme médecin , naturaliste et mathématicieti , se rapjM'Ocha de Para* celse par ses singularités; mais il lui fut très-supérieur par les ressources de son instruction. lien fut} de même de Robert Fludd et de Yanhelmont : l'un et l'autre allièrent^ à l'exemple de Paracelse , l'alChimie au mys* ticisme; unis .ne laissèrent pas cependant de faire de belles expériences , et de mettre au jour des idées qui
(1) n était teUement acharné contre les ancic^ , qn'nn joar il fit , dcYint ses auditeurs, un auto-da-fé des ouvrages d'Hippocrale et de Galien.
(3) Le savant Cuvier ( Histoire ées Sciences naiarelUs) attribue la pande vogue dont Jouit Paracelse, comme médecin , aux remèdes extraor^ dinaires «(u'il employa : il administrait rantimoine, le mercure et l'opium avec une hardiesse extrême. Il guérissait ainsi, quand il ne toait pas ses malades, des lèpres, des ulcères, des hydropisies qui avaient résisté aux reaèdes des autres médecins.
j
PREMIÈRE ÉPOQUE. 305
produisirent des effets fort utiles aux progrès des
sciences.
BOnME.
Le mystique le plus prononcé du seizième siècle fut un pauvre cordonnier de Gorlitz , nommé Jacques Bœhni ou Bôhme, dont Tinfluence fut encore plus puissante que celle qu'avait exercée Paracelse. Une ima- gination ardente et une disposition naturelle aux spé* culalions lui suggérèrent^ à l'égard de la religion, des doutes qui furent alimentés par la fermentation générale que la réforme de Luther avait suscitée, en Saxe, dans les idées religieuses du peuple. Voulant se délivrer des doutes qui l'assiégeaient , il eut recours aux prières , afin d'obtenir l'illumination du ciel. Il tomba dans une extase qui se prolongea pendant sept jours , et dans laquelle il jouit de la vue de Dieu. Au commencement du dix-septième siècle , il tomba pour la seconde fois dans cet état, à l'aspect inopiné d'un vase d'étain, et, suivant ses propres expressions, son esprit astral fut^ transporté par une irradiation merveil- leuse jusqu'au point central de la nature , en sorte qu'il lui devint possible de connaître l'essence intime des créatures, d'après leurs figures, leurs traits et leurs couleurs. Cependant il ne fit part de cette illumination à personne jusqu'en 1610, époque où, ayant été plongé une troisième fois dans l'état d'extase, les secrets de la nature et de la divinité lui furent dévoilés. Jaloux de ne rien perdre de cette apparition , il écrivit tout ce qui lui avait été dévoilé, et en composa un livre
20
S06 PHILOSOPHIE MODERNE.
auquel il donna le nom à'Aurora, qui fut bientAt célèbre, et devint en quelque sorle le catéchisme des mystiques. Les points fondamentaux de la doctrine de Bôhme sont : 1*" rimpossibilité d'arriver à la vérité par aucun autre procédé que l'illumination ; 2"" une théorie de la créa- tion ; S"" la détermination des rapports de l'homme à Bien ; 4*" l'identité essentielle de l'âme et d^ Dieu^ et la détermination de leur différence quant à la forme ; 5* l'origine du mal; 6'' la réintégration de l'âme; 7* une exposition symbolique du christianisme.
Les idées mystiques de Bôhme firent en Allemagne de rapides progrès ; elles s'accordaient assez avec l'es- prit naturellement contemplatif et rêveur des habitants de cette contrée], et elles forment encore aujourd'hui le fbnd de l'enseignement de deux des plus célèbres pro- fesseurs de l'Allemagne, MM. Goerres etBAADSR.
Après l'idéalisme de Bruno, le sensualisme de Cam- panella, le scepticisme de Sanchez, le mysticisme de Bôhme, il ne restait à la philosophie du seizième siècle aucun autre système à produire dans le point de vue d'imitation , où les circonstances l'avaient contrainte de se placer depuis la renaissance des letlres. Elle avait épuisé les quatre grandes divisions dans lesquelles nous avons vu, à toutes les époques, se partager le domaine de la science philosophique ; il ne lui restait donc plus rien à faire. Mais , comme l'esprit humain n'était pas plus résigné au commencement du dix-sep- tième siècle qu'il ne l'avait été à toutes les époques précédentes, et qu'il ne le sera probablement jamais, à rouler indéfiniment dans le cercle dont il avait parcouru tous les points, une philosophie nouvelle
MEMltKE ÉPOQUE. 307
devait nécessairement jsnccéder à une philosophie usée. C^est uife chose admirable qu'aussitôt qu'un besoin se fait sentir dans la S6^iété, il paraisse à l'instant même quelque puissant génie pour y répondre! La physique y l'histoire naturelle, la^botanique, la chimie, sous le nom d'alchimie, avaient fait en deux siècles de notables progrès : mais comme on les avait étudiées sans ordre et sans méthode, comme on avait essayé de {larcourir à la fois et indistinctement toutes les parties dont elles se composent, la science était accablée sous le poids de ses propres richesses; il fallait, pour qu'elle fit de nouveaux progrès , qu'une main habile et sûre déterminât et circonscrivit le domaine de chacune des divisions qu'elle embrasse. Les résultats réels obtenus par le zèle des véritables savants étaient exposés à être eaveloppéa dans le discrédit mérité où commençaient à tomber les chimériques découvertes des arts occultes; il fallait qu'une méthode unique, base inébranlable de la certitude dans les sciences^ c'est-à-dire la méthode expérimentale^ fût proclamée avec assez d'éclat et d'autorité , pour que chacun pût distinguer désormais la ligne de démarcation qui sépare le domaine de .l'i- magination et celui de la réalité. François Bacon I suffit à cette doi|hle t^che : ji dr^s^si m tableau ency- clopédique des connaissances humaines jusqu'alors j confondues, et promulgua les lois de la méthode d'ob- I tervation appliquée aux sciences physiques. I La philosophie n'éprouvait pas moins vivement le
: besoin d'un réformateur : il fallait que les derniers [ liens qui l'attachaient encore à la scolastique fussent I rompus, et qu'elle sortit do la sphère d'imitation dan»
308 PHILOSOPHIE MODERNE.
laquelle son respect pour les doctrines de l'anliquité Tavait emprisonnée, il fallait aussi pour la garantir des erreurs dans lesquelles elle s'était égarée , en prenant pour son point de départ les spéculations ontologiques^ qu'on lui cherchât une base plus solide, c'est-à-dire qu'on la ramenât à l'étude de la nature humaine , à l'a- nalyse des faits de la conscience : cette révolution fut accomplie par René Descartes. Bacon et Descartes sontdoncles fondateurs de la philosophie moderne pro- prement dite : nous allons exposer les nombreux sys- tèmes qui découlèrent de ces deux sources fécondes.
Beuxièmb époque. — Depuis Bacon et Descartes jusqu'à Kant. ( Commencement du xyu* siècle , jusque vers le milieu du xvra*.)
Indépendance absolue de la plùloeophie. — Création d'une méthode
fcientifique.
RÉSUMÉ GÉNÉRAL.
SBNSCALISn. |
|||
Baeon. |
mort en 1626 |
Locke. |
m. 17M |
Gassendi. |
m. 1655 |
Bodwell. |
m. 1711 |
SeDnert. |
ra. J637 |
<:ollins. |
m. 1729 |
Rérigard. |
jn. 1663 |
Mandeville. |
m. 1711 |
Magnénus. |
Boulainvillicrs. |
m. 1723 |
|
Hobbcs. |
m. 1680 |
S'Gravesande. |
|
LarocliefoucauU. |
m. 16^0 |
IIar:ioy. |
m. 1752 |
PufireQd9rr. |
m. 161)4 |
Descartes.
Geuliox.
Herbert de Cherbury.
GudworUi.
Grotius.
Staaftesbury.
T. Gale.
Nicole.
Amauld.
B^ftsoet.
Cumberland.
Glanvill. Sorbière. Bayle. Foueber.
Pddarge.
Mercurius VanheUnonl.
Marctts Marci.
DEUXIÈME ÉPOQUE. ÉCOLE IDÉALISTE.
309
m. leso"
nV 1669 m. 1648 m. 1688 m. 1645 m. 1645 m. 1677 m. 1695 m. 1694 m. 170» m. 1719
Ifallebranehe.
Spinoza.
Leibntlz.
Wolf.
Tbomasius.
Wollaston.
S. Clarke.
Tehirnbaaaea.
Berkeley.
Fardella
Vico.
SCEPTICISME.
m. 1680 Huet.
m. 1670 Pascal,
m. 1706 Hirnbalm. m. 1606
MTSTICISHE.
m. 1608 m. 1699 m. 1676
H. Uoros.
Amos.
Poiret.
m. |
1715 |
m. |
1715 |
m. |
1716 |
m. |
1754 |
m. |
J728 |
m. |
1724 |
m. |
17^ |
m. |
1708 |
m. |
1754 |
m. |
1718 |
m. |
1744 1 |
m. |
1731 |
m. |
ioasi |
m. |
1679 |
m. |
1667 |
m. |
1671 |
m. |
171* |
C'est une bien grande époque dans l'histoire de la philosophie que celle qui a iru naître Bacon , Locke , Descartes, Spinoza et Leibnitz! Si nous avons pu réussir à faire voir que depuis les spéculations des premiers physiciens de Milet, la sphère des connais- sances humaines s'est constamment agrandie , et que chaque siècle , apportant à la science philosophique un tribut nouveau, en a successivement reculé les bornes, on doit prévoir quel sera l'effet de l'impulsion donnée par le génie de ces grands hommes, venus à la suite de tant d'autres pour perfectionner leur ouvrage. Ce» pendant , après eux , il y aura de nouveaux progrès & faire : les découvertes du dix-septième siècle seront encore surpassées par celles du dix-huitième ; et lors- qu'à la suite de la grande révolution qui terminera ce siècle, les sociétés constituées sur de nouvelles bases
310 PflILOSOraiE MODUNfi.
reprendront le cours de leurs recherches scientifiques, l'étude de la phUosq[>hie ne restera pas non plus sta- tionnaire. Nous espérons que cette ass^ion ne sera pas démentie par les fiiits ; nous croyoas pouToir dé- montrer, au contraire, par Firrécusable témoignige 4» l'histoire , que la philosophie moderne a fait en moins d'un siècle et demi.d^sssez castes progrès pourvue Ton ne désespère pas de son avenir.
Cependant^ malgré l'étendue et la grandeur des con- ceptions auxquelles s^éieva Tesprit humain dans m dernier âge, nous n'y trouverons encore que les qua- tre tendances différentes que nous avons vues se ma- niiester à toutes les époquesi fieux dogmatismeSf w%^ posant exclusivement, Vùû sur lé fémoighagè àoi sens^ et l'autre sur celui de la conscience, arriveront i des aberi^tîobs qui engendreront lu doute ^ bU feront sen- tir la nécessité de reoourir à la foii
Ainm se vérifiera ce que nous avons annoncé dans notre introduction ; ainsi le témoignage del'histaire ooa- firmant celui de la conscienee^ nous aidera i constater et à décrire la nature ^ le nombre et Tordre de déve^ loppement des facultés de l'esprit humaine Partis de l'étude de la conscieneoi nous y avions trouvé trois A* cullés distinctes^ la sensibilité^ la raison et la liberté { et l'analyse complète des idées sur lesquelles ses facultés s'etercent les avait rapportées à deux classes^ le fini et l'infini^ l'unité et la multiplicité, le relatif et l'ab- solu > le contingent et le nécessaire* Nous avons de- mandé à l'histoire la confirmation de cette théorie} et si l'histoire ne nous a offert que les mêmes ordres de i si l'époque qu'il nous reste à parooarir ajoute son
KUXIÈME ÉPO<èUE. 811
imposant témoignage à celui des précédents âges, ne 8erons«nôu8 pas fondés à rester fidèles à l'esprit qui nous a fait entreprendre cet ouvrage ? Après avoir et* posé avec impartialité des systèmes auxquels nous avons teiyours attaché une égale importance, puisqu'ils étaient tous les enfants légitimes de l'esprit humain; après nous être montrés justes envers le sensualisme ^ l'idéa- lisme» le scepticisme et le mysticisme, pourrions-nous^ sans manquer aux lois d'une logique rigoureuse, ensei* gaer un système philosophique qui ne reproduisit que l'un de ces quatre systèmes? L'histoire de la philoso** phie n'est autre chose que l'apparition constante et successive de ces quatre systèmes; donc ils sont vrais; 4one ils sont fondés sur la nature même de l'esprit humain^ qui n'en pourrait créer d'autres : l'erreur est dans la prédominance de l'un d'eux sur tous les autres. Nous croyons que l'on ne sera près de la vérité que lorsqu'on aura réuni en un seul système. complet ce qu'il y a de positif dans chacun d'eux. Voyons si les deux expériences qui nous restent à ftiire nous main^- . tiendront dans les mêmes principes.
La philosophie du dix-septième siècle est ouverte et eonstituée par Bacon et par Descârtes. L'un est né en 1561 , et l'autre en 1596. Commençons par le premier.
F. BACON.
François Bacon , baron de Yérulam ^ vicomte de St-Alban^ célèbre par ses travaux philosophiques et scientifiques^ autant qu'il Test malheureusement par sa conduite politique et par le&tourmentsqui en furent
312 PHILOSOraiE VODERKE.
la suite, était le fils d'un homme de loi qdi fal garde du grand-sceau et membre du conseil privé sous le règne d'Elisabeth. Il fit ses études à Cambridge, et, dés Tâge de seize ans , il avait tellement reconnu les vices de la philosophie scolastique, qui avait toujours con- servé quelques partisans, qu'il écrivit contre elle uDe brochure. Après être sorti de l'université, il voyagea, par- courut la France, et écrivit à dix-neuf ans un ouvrage politique sur Vétai de l'Europe. Déjà étaient arrêtés dans son esprit le projet et peut-être le plan de ceUe grande rénovaiion scientifique , à laquelle il a attaché son nom. Ses deux principaux ouvrages qui, à proprement parler, n'en font qu'un sous XeiiiTeA'lmtauratiomagntt^ sont : l"" son traité De dignitate et augmeniis scientiarum y qui parut en Angleterre en 1606 ; 2'' son Nwum Or- ganum scieniiarum, qui parut en 1620. Le premier est un exposé de tout ce que les sciences embrassent , des rapports de chacune d'elles, de la manière dont les sciences particulières dépendent des sciences générales; en un mot, c'est le détail de ce qu'on a appelé depuis l'arbre généalogique des sciences et des lettres, et dont, on a donné une traduction dans le préambule de la grande Encyclopédie française. Le Novtan Organum est un traité sur la méthode par laquelle on doit arriver à la connaissance de la vérité dans les sciences. Bacon y établit, comme moyen unique , V expérience et Vinductim, par opposition au sylbgisme et à Vauioriié.
Essayer de refaire en entîeir l'esprit humain, recom- mencer toutes les sciences, soumettre à un nouvel examen la totalité des connaissances acquises dans les siècles précédents, était un projet singulièrement hardi;
mSUXitlIB ÉPOQUE. 7i3
el le moment où il a été conçu et mis au jour est cer- tainement une époque décisive dans l'histoire des hommes. « Jusqu'à ce moment, dit Bacon à ses con- temporains , tous les efforts de l'esprit humain ont été infructueux et ses succès illusoires. Nous ne savons absolument rien avec certitude. La cause en est que , jusqu'à présent , nos instituteurs et nos maîtres, à très-peu d'exceptions près, sont toujours partis de principes généraux que nous avons tous pris pour vrais sans examen, mais qu'eux-mêmes avouent unanime- ment ne savoir pas démontrer, et qu'ils soutiennent ne pouvoir pas Tètre. 11 faut, pour arriver à la vérité, que vous preniez une autre route. Recueillez des faits, variez-les, multipiiez^les , examinez ce qu'ils renfer- ment, et n'admettez jamais pour vrai que ce que vous en aurez vu sortir. Par ce moyen vous aurez des con- naissances solidement fondées, complètement certaines, et telles que vous pourrez toujours les accroître indé* finiment avec sécurité. L'observaiion et Inexpérience^ voilà les seules bonnesmachme^irUellecittelles. Cependant je ne me contente pas de vous avoir fait connaître ces précieux iostruments : je veux tout de suite vous montrer leurs effets , et vous faire jouir de leur utilité ; je vais dès ce moment entamer la grande et entière rénovation qui doit nécessairement suivre de la vérité que je viens de vous apprendre, et que vous auriez trouvée au« dedans de vous-mêmes si vous vous étiez bien observés. Mes successeurs continueront celte vaste entreprise, . sans crainte de s'égarer désormais , pourvu qu'ils sui- vent la route que j'ai tracée. Mais qu'ils songent bien plutôt à marcher sûrement que rapidement; qu'ils se
814 PHIMgOMIB MOBIME.
gardent bien d'oublier cette maiiitie que je regâk^ comme le résumé des conseils qae je leur demie : Haminym mteUedui non plumœ addendœp md potU» ptam- bum eipmukrai cène sont pas desailes qu'il faut doonet à rintelligence humaine, mais j^utôt des semdks de plomb. Toutes nos erreurs ne viennent que dej^om précipitation a porter des jugements.»
Telles sont les grandes tues du chancelier fiioeo ^ tel est rimmense projet qu'il a osé wnoevoir. < Quand on songe, dit M^ Destutt de Tracj, combien U était difficile qu'une pareille idée se troutât dans une tète humaine avec toute l'audsoe, toute l'activité , toutes les lumières et tous les talents nécessaires pour la faire prévaloir^ on n'est pas surpris qlieoe phénomàne ait été plus de dix-huit cents ans ( à ne compter que depuis Aristote) sans nous apparaltrci » Mais l'étonnefiient re- double quand on voit que ce hardi projet a été conçu par Bacon dès ses plus jeunes années, qu'il a senti oe qu'il a d'immense et même de gigantesque, qil'il n'en a pas été effrayé ^ qu'il a osé en rédiger et en publier le programme et la première ébauche avant d'avoir atteint l'âge de vingt ans, et qu'il a constamment tra- vaillé toute sa vie , sinon à le mettre à fin , du moins à l'avancer.
Son ouvrage devait se composer de six parties^ qu'il appelle :
i* Division des sciences )
S* Nouvel organe, ou indices sur l'interprétation de la nature ;
d^ Phénomènes de l'univers, ou histoire natureUe et expérimentale, devant sei'Vir de base à la philosoipbie}
MOXlftME ÉMQOB. SIS
A" Sobdk (!• rentondemeot ;
6* Aifant-ooufeurs ou oonnais^aMei anticipées de la philosophie seconde }
6* Philosophie seeonde , ou seience aoUve*
Baoon n'a exéeuté que quelques parties de ce plan { à regard des autres il a seulenrant laissé des matériaux » •t des idées sur la aaaniére dont on peut les développeri La secoûdei a'est«à-dire le WÊmtel sr^^ttnsi a paru preS« que eomplète ^ et c'est & la place de la pf emière qu'il a donné son traité sur fa» fnfféê dst $eieme$é
Il a lui^mteie exposé , dans une admirable préflice i le hut qu'il se proposait dans le premier de ces ouvra** f M I que Boas regardons cMnme son plus beau titre de gloire.
< La méthode que nous nous proposons de déve- lopper I dit-4l I consiste à se servir de sa raison d^Une naniére plus utile et plus parflûte^ et à employer les TéritaUes ressodrees de notre intelligence i afin de par- venir par ce ttoyen ( autant toutefois que le permet la oonditioA des. faibles mortels ) à aeerottre les forces de ronteadementi à étendit ses facultés» et à le rendre capable de surmonter les difficultés et de dissiper les obscurités qu'il rencontre dans l'étude de la nature» Le but que nous nous proposons est de trouver non des arguments, mais des arts| non des choses con- formes aux principes , mais les principes eux-mêmes | non des raisons probables , mais des indications et des lumières sûres pour diriger nos actions. Dans. la logique vulgaire I on est presque uniquement occupé du syllo* gisme; quant i Tinrfiioiîm^ à peine les dialecticiens paraissmt*îi9 y avoir réeUement pensé; ils n'en font
346 PHILOSOPHIE MOOEIlfCE.
qu'une mention l^ère et transitoire , et ils se hâtent d'arriver aux formules qui servent dans la dispute. Nous, au contraire, nous rejetons toute démonstration par le syllogisme, parce qu*il procède d'une manière confuse, et que la nature lui échappe en dfet , quoique personne ne puisse douter que quand deux choses conviennent à un moyen terme, elles conviennent entre elles (ce qui est d'une certitude mathématique). Néan- moins il y a là-dessous une supercherie cachée ; car le syllogisme est composé de propositions^ les propositions de mots, et les mots sont les signes et les étiquettes des idées : d'où il suit que , si les idées elles-mftmes , qui sont comme l'âme des mots et la base de tout l'édifice, sont extraites des choses au hasard et mal à propos; si elles sont vagues, mal déterminées, im- parfaitement circonscrites, tout croule nécessairement. Dans tout ce qui regarde la nature, nous nous servirons donc toujours de V induction , depuis les propositions les plus particulières jusqu'aux plus étendues; car nous croyons que l'induction est réellement la forme de démonstration qui préserve les sens de toute erreur, qui presse la nature de révéler ses secrets , qui conduit nécessairement à des résultats pratiques, et qui se confond pour ainsi dire avec eux.
» En suivant la méthode ordinaire, on saute tout d'un coup du sens et des faits particuliers aux principes les plus généraux, comme à des' pôles fixes autour desquels on fait rouler toutes les disputes ; et de ces principes , on feit dériver tous les autres , à l'aide de moyens, de propositions intermédiaires. Certes, cette méthode est très-expéditive; mais elle est précipitée
D£l]XliM£ ÉPOQUE* 317
et tout-à*fait inhabile [k pénétrer dans la nature des choses , quoique très-propre et très-bien adaptée à l'art de la dispute. Mais, suivant nous, il faut faire naître les axiomes lentement et graduellement, de manière que Ton n'arrive qu'en dernier lieu aux principes les plus généraux. Alors seulement ces principes géné- raux ne seront plus des notions vagues, mais des idées bien déterminées et telles que la nature elle-même nous les montre, comme vraies et comme profondé- ment inhérentes à la nature des choses, i»
Bacon expose ensuite la nature de nos facultés in* tellecluelles , et indique les moyens de suppléer par la répétition des expériences ù l'imperfection de nos sens. « Ces moyens seraient suffisants, ajoute-t-il, si l'intel- ligence humaine n'était point faussée et ressemblait parfaitement à une table rase; mais comme les esprits des hommes ont été si merveilleusement travaillés, qu'ils ne présentent plus aucune surface plane et polie, propre à bien recevoir les rayons lumineux , il s'ensuit qu'il faut encore chercher un remède à ce malheur. Pour rectifier les erreurs de notre intelligence, pour la rendre propre à sstisir la vérité, il est nécessaire que l'on se livre à trois examens critiques : l"* celui des philosophies ; 2"* celui des démonstrations; S"* celui de la nature même de nos facultés intellectuelles. Quand nous aurons rempli ces trois objets, et quand enfin on aura vu clairement ce que comporte la nature de notre esprit > nous croirons avoir en quelque sorte conclu , sous les auspices de la bonté divine ^ le ma- riage de l'esprit humain avec l'univers. Qu'il nous soit permis d'en faire l'épithalame, et de former
I
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818 PllL08a»Bll liOlMIliNE.
le vœu que de cette alliance il naisse une race dMn* mentions et de ressources de toute espèce , capable de vaincre et de détruire, au moins en partie ,, les mi^ sères et les soufTrances attachées à T humanité. »
Ces magnifiques promesses , il n'était au pouvoir de personne au monde de les réaliser immédiatement ; mais telle était l'excellence de la méthode dont Bacoa se trouvait possesseur , qu'il pouvait annoncer hardi- ment^ comme devant en être les conséquences iné- vitables, tous les résultats que son génie lui révélait.
La méthode de Bacon était applicable A tout , aux sciences morales comme aux sciences physiques , et elle contenait deux procédés différents : Tobservation et rinduction, qui peuvent être considérées comme n'étant autre chose que l'analyse et la synthèse. Or la réunion de l'analyse et de )a synthèse est précisé- ment ce grand levier au moyen duquel la philosophie peut éviter de tomber dans l'excès du sensualisme oa de l'idéalisme, en prêtant une égale attention aux phéno- mènes du monde physique et à l'étude de la conscience. Mais le père de la philosophie expérimentale ne fut pas toujours assez sage et assez ferme pour l'appKquer avec impartialité aux deux ordres de faits qui constituent le savoir humain. C'est surtout l'analyse, et Tanalyse sensible, qui domine chez lui. Il a même condamné, dans une phrase célèbre et bien souvent citée, Tob- servation psychologique,. dont il avait ailleurs reconnu la nécessité, c C'est dans la seule interprétation de h nature extérieure , dit-il , que l'esprit humain montre sa force ; mais quand il revient sur lui-même et cher- che à se comprendre, il est semblable à l'araignée.
«MOXliME ÉPOQUE. 319
qui ne peut tirer d'elle-même que des fils plus ou moins délicats , mais sans solidité et de nul usage^ » On ne reeonnait plus là le philosophe qui avait dit 4 « Qu^tl serait bond* unir 9 dans un hymen légitime et constant, la méthode empirique et la méthode rationnelle , les coneeptions à prwri et les recherches expérimentales de la nature. »
Le caractère dominant de la philosophie de Bacon est donc le sensualisme. L'étendue et la force de son esprit lui disaient bien entrevoir que Texpérience sen- sible ne saurait rendre un compte exact et satisfaisant de tous les phénomènes de rintelligence(i); néanmoins les préceptes qu'il donne ont presque toujours pour objet l'étude du monde matériel , et manifestent par conséquent une forte tendance sensualiste.
Bacon, comme tous les réformateurs, est loin d'a- voir atteint toutes les conséquences de ses principes i
(1) Les passages suivants, sur le mysti^isaie , la diviniUon , le somnam- biiUsme et le ma£;nétisme animal» prouveront que Baeon» tout en reeoni- mandant particulièrement la méthode expérimentale , n'était pas , à beaucoup près, aussi exclusif que le furent ses successeurs.
« L'inspiration prophétique , la faculté divinatoire , a pour fondement la verta cachée de TAme qui , lorsqu'elle est retirée et recueillie en ^Ud-mèoe , peut voir 4'avance Vavenlr dans le songe , dans l'extase et d^ns le voisin^ de la mort; ce phénomène est plus rare dans la veille que dans l'état de santé. » • (De Augmentis , IV, 3-. )
« Quand Flntelligence est assoupie ( dans le sommeil ou dans la maladie } , Il n'est pas impossible qu'il y ait une communication plus directe entre la divinité et elle. » ( ïbid. , U. )
a n 7 a une action possible d'une pecsotuie sur ui^e aptre par l'imagiiiatîon de l'une de ces deux personnes; car, comme le cprps reçoit l'action d'un teorps, l'esprit est apte à recevoir l'action d'un autre esprit. »
(i»irf.,IT,3.)
3S0 PHILOSOPHIE HODfilUiiE.
il est le fondateur de l'école sensualiste moderne , mais on chercherait en vain dans ses ouvrages les conséquen- ces auxquelles cette école est plus tard arrivée. D*ait- leurs, il n'a pas créé de système; il n'a établi qu'ime méthode. Sans doute les pensées les plus nobles et les plus énergiques, des remarques judicieuses et profon- des, des préceptes où brille une admirable sagacité, se rencontrent en foule dans ses ouvrages; mais ce n'est ni comme physicien, ni comme moraliste, ni camme métaphysicien , ni comme politique , qu'il excite le plus notre admiration; et il est moins remarquable par l'application de ses théories que par ses vues et ses ma- ximes générales. Ce n'est donc point dans Baoan lui- même, mais dans son école, que nous trouverons les résultats qui découlent d'un système fondé surTobser- vation sensible : qu'il nous suffise d'avoir montré que, dès l'aurore delà philosophie moderne, déjà se mani* fesle cette tendance au sensualisme, qui, devenue de plus en plus prononcée par Hobbes et par Locke, a été l'un des caractères dominants de la philosophie du xvur siècle. A côté de cette école s'est élevée celle de Descartes : voyons comment l'influence de ce grand homme produisit une tendance opposée, qui, déjà re- marquable dans ses écrits^ se développa de plus en plus chez ses successeurs. ^
DBSCAHTES.
René Descàrtes , né à la Haye en Touraine , fit ses premières études à la Flèche, dns le collège des jé- suites , où il se distingua par une imagination vive ,
li£U^lÈll£ ÉPOQUE. 32i
une hardiesse peu commune à combiner des idées (1), un jugement profond el une avidité insatiable do s'in- struire. Il s'adonna d'abord avec ardeur aux matbéma- tii|i]es, à l'astronomie et à la philosophie; mais après avoir consacré un long espace de temps à cette der- nière étude, n'; trouvant que doute, confusion et incertitude,? il arriva bientôt au point de ne pouvoir décider quelle doctrine semblait être la plus vraie : tous ses efforts n'avaient produit d'autre résultat que de le convaincre de son ignorance. Il résolut donc de renon- cer aux livres^ de voyager , d'aller chercher partout des connaissances plus solides, soit dans le monde, soit dans ses liaisons personnelles avec les savants. Il partit de Paris pour se rendre en Hollande, prit du service sous Maurice , prince d'Orange , et demeura quelque temps en garnison à Bréda. Après avoir voyagé successivement en Silésie, en Pologne , sur les côtes de la mer Baltique, en Allemagne, en Suisse, en Italie et en France, il résolut de se fixer enfin en Hollande, pour y travailler entièrement à la grande réforme philosophique , dont il avait depuis longtemps conçu le projet et formé le plan.
Le temps qu'il passa dans cette retraite, depuis Tannée 1629 jusqu'en 1644, est l'époque la plus remar- quable et la plus importante de son existence littéraire. Ce fut pendant cet intervalle qu'il publia la plupart de ses ouvrages mathématiques et philosophiques, qu'il compta le plus grand nombre de disciples, et qu'il eut à soutenir presque toutes les disputes savantes dans
(1) 11 y avait tellement pris l'habitude d'une méditation profonde, que ses eamarades ravaient eurnommé le Philosophe.
31
322 PHILOSOPHIE ^DBME.
lesqudles il se trouva engagé. En 1649, la reine Ghri»- line de Suède Finvita à se rendre à Stockholm, pour lui enseigner à elle-même la philosophie. Descartes sut se concilier les bonnes grâces de cette reine inconstapte et capricieuse. Mais les désagréments que la jalousie lui suscita, Tâpreté du climat, et le genre de vie qu'il fut contraint de mener, altérèrent sa santé: il fut atteint d'une fièvre aiguë, et mourut en 1650. Christine, vive- ment affectée de sa mort , lui ût élever un tombeau avec une épitaphe très-honorable.
Les mêmes réflexions qui avaient inspiré à Bacon le
«
projet de sa grande rénovation servirent de base aux prin- cipes sur lesquels Descartes voulut asseoir la réforme qu'il avait méditée. Sans avoir eu connaissance des ou- vrages du chancelier, il se trouva, par une coïncidence bien remarquable, qu'il pensa et écrivit, sur laméiiiode à suivre dans les recherches scientifiques, des choses absolument semblables.
Pour arriver à la vérité , qu'il n'avait trouvée nulle part , Descartes entreprit d'oublier et d'eflbcer en quel- que sorte de son esprit tout ce qu'il savait, toutes les doctrines et toutes les opinions qu'il avait embrassées, et de ne s'arrêter qu'à celles qui lui seraient fournie^
■
par sa propre conscience et ses méditations. Conformé- ment à ce dessein, il érigea en règles de la réflexion lès quatre principes logiques suivants :
1" Ne se fier qu'à l'évidence. — C'était, précisément comme l'avait fait Bacon , exhorter la philosophie a sortir de la tradition, de l'autorité et du formalisme des écoles.
«
2"" Diviser les objets autant que faire se peut. —
DEUXIÈMJE ÉPOOUE. 8!S8
C'est l'analyse déjà recommandée par Bacon, lorsqu'il (lisait que pour étudier la nature il faut la disséquer et Fanatomiser.
3° l^ire dés dénombrements^aussi nombreux^, aussi étendus, aussi variés que Jaire se pourranî — C*çst-â- dire , faire des analyses complètes et épuiser l'obser- vation, avant de tirer aucune conclusion: régie encore indiquée par Bacon.
Ùes trois règles sont purement analytiques. La qua^ trième est le coté synthétique delà méthode cartésienne : c'est l'ordre, J'enchainement régulier, cet art qui, de toutes les parties divisées et successivement examinées et épuisées par l'analyse, reconstruit et forme bn tout, un' système. ' ' J '
' Jusqu'à présent les deux* réformateurs ont suivi ta même ligne, ils sont de la môme école : mais lorsqu'ils arrivent à l'application de l'excellente méthode dont ils ont tracé les règles, et qui constitue leur unité ^ ics différences ne tardent pas à se' faire sentir. t)e ih^.me que la méthode de Bacon , plus pariicuirèremént appliquée aux objets extérieurs, était devenue exclusive et •s'éiaît réduite à l'analyse physique, de môme la méthode cartésienne inclina surtout vers l'analyse in- térieure, vers l*analyse psychologique.
t^arti de la supposition qu'il ne savait absolument rien, bescaîrtes est .cependant obligé de reconnaître en lui-raôme une activité qui lui donne la conviction de la réalité de sa propre existence. Il trouve que la pensée peut tout mettre en question, tout, excepté elle-même. En effet, quand on douterait de toutes choses^ on ne pourrait au moins douter qu'on douté :
Mi PHILOSOPHIE MODËRNi:.
or dotiter, cesl penser; d'où il suit qu'on ne peal douter qu'o:i pense, et que la pensée ne peut se renier elle-n)ême, crr elle ne le fersll qu'avec dle-mème : de là l'axiome célèbre : Ji pense, donc jexuîe; €ogUo,ergo 9unu Là est un cercle doA il est impossible à tout scepticisme de sortir; là est. donc le point de départ ferme et certain ciferché par Descartes; et comme la pensée nous est donnée dans la conscience, voilà la conscience prise comme le point de départ et le thé&lre de toute recherche philosophique.
S'iétant d'abord convaincu de sa propre existence. Descartes voulut examiner quelle confiance il devait à ses facultés perceptives intellectuelles. « Cette pensée, dit-il , qui est pour moi l'existence , atteint-elle toujours et infailliblement la vérité? Sans doute je n'ai pas d'autre moyen de connaître la vérité que ma pensée; mais je dois convenir que dans plus d'un cas cette pensée me trompe, et l'imperfection est un de ses caractères manifestes. Or cette notion d'imparfait , c'est-à-dire de limité , de fin^, de contingent , m'élève directement à celle de parfait, d'absolu, d'illtmité, d'infini , de nécessaire. C'est un fait que je n'ai pas et que je ne puis avoir l'une sans l'autre. J'ai donc cette idée du parfait et de l'infini; mais qui suis-je, moi, qui ai une pareille idée? un être dont l'attribut est la pensée finie, limitée, imparfaite. D'une part, j'ai l'idée de l'infini et du parfait; de l'autre, je suis imparfait, fini. De là la démonstration invincible de Texistence d'un être parfait; car si l'idée du parfait et de l'infini ne supposait pas l'existence réelle et substantielle d'un être parfait et infini , c'est seulement parce que ce
DEUXIÈME ÉPOQUR. 325
serdît moi qui aurais fait cette idée. Or, si je Vavais feite, je pourrais ^ défaire, je pourrais du moins la modifier : mais je ne puis ni la défaire, ni la modifier; je ne l'ai donc pas faite; elle est donc en moi sans m'appartenir , sans se rapporter à moi ; elle se rapporte donc à un modèle étranger à moi et qui lui est propre, savoir Dieu; de sorte que, par cela 'seul que j'ai idée de Dieu, il suit que Dieu existe. »
Après avoir^ prouvé l'existence de l'âme et celle de Dieu parla seule autorité de l^j)easée. Descartes arrive à la notion du monde extérieur. Dans le phénomène complexe de la pensée, il rencontre la sensation. Mais quelle est la cause de la sensation ? Est-elle spirituelle ou matérielle*? Les sens ne nous en Misent rien. Nous imputons au objets extérieurs des qualités dont la plupart ne leur appartiennent pas, et apps^rtiennent seu- lementànotre manière d'être^ à nos propres perceptions. Ainsi l'odeur, la saveur, et toutes les qualités des corps, appelées secondaires, ne sont point dans les objets; ce sont des modifications de l'âme, et du sujet qui perçoit. La sensation que nous éprouvons ne nous apprend donc rien autre chose, sinon que nous pensons, que nous sommes , que nous sommes modifiés de telle ou telle manière : voilà tout ce que nous pouvons conclure de la sensation. Or il n'y a là rien d'externe et d'objectif^ nous ne sortons pasdusujet etde nous-mêmes: comment donc arrivqps-nous à la connaissance dii monde exté- rieur? Ici Descartes hésite, et il se demande si par hasard il ne pourrait pas.se faire qu'un mauvais génie, placé derrière toutes ces apparences, fût le véritable auteur de cette fantasmagorie. Mais il était en posses-
326 PHILOSOPHIE MODERNE.
sîon de rexislencê de Dieu ; ce Dieu était pour lui la perfectioD même : or la perfection comprend beaucoup d'autres attributs, comme la sagesse, la bonté, la véra- cité. Si donc Dieu est véridique, il serait impossible que lui. qui est en dernière analyse l'auteur de ces appareifices qui nous séduisent et nous portent à croire à l'existence du monde extérieur, ne nous eut montré ces apparences que comme un piège et une déception. Donc ce n'est point un piège j une déception; donc ce qui parait exister existe fiât Dieu nous est garant de la
légitimité de notre persuasion naturelle.
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Le vice de ce raisonnement ne vient pas de la méthode
psychologique ; il 4)rovient au contraire de ce que Des- cartes n'en a pas fait une rigoureuse application. Il devait, en faisant l'histoire de la conscience, placer la
qu'ult^i
iremeht, à la suite d'ûnraisonnement assez compliqué, doiit la base serait la véracité de Dieu. En fait, il n'en est pas ainsi ; et l'analyse sévère des phénomènes de la conscience nous apprend que la croyance à l'existence dû monde résulte pour nous de cette loi de notre raison qui nous donne la notion absolue de cause : eliç est donc infiniment plus voisine du point; de départ de la pensée ; elle est plus immédiate et plus {profonde. De plus, Descartes frappé plus particulièrement dans la conscience, du phénomène de la pensée, néglige un fait aussi imix)rtant , celui de l'activité volontaire et libre. Sans doute il ne nie point la liberté : il en parle souvent; mais H ne s'attache point à en donner une analyse exacte
t ■
DEUXIÈME ÉPOQUE. '321
et approfondie. Qu'est-il résulté de celte double omis- sion ? C'est qu'une fois la personnalité humaine affaiblie, ubê fois la croyance au monde extérieur mal établie et placée après rexistence de Tâme et l'existence de Dieu, cette croyance se trouve en péril , et la porte est ouverte k Vi<lcalisme. Descartës est trop sage pour tomber dans lès excès de ce système , mais il ne s'en préserve qu'4 Vàide d'un raisonnement qui est un paralogisme. Ses disciples Malebranche et Spinosa furent plus consié- qîients : et pendant que les successeurs de Bacon abu- saient de la méthode empirique de leur maître pour tomber dans un matérialisme complet, ils abusèrent eux-mêmes de l'analyse psychologique pour s'avancer hardiment, et aussi loin qu'il était possible de le faire ^ daps les voies de l'idéalisme.
Nous nous dispenserons d'entrer dans aucun détail sur le système philosophique développé par t)escartes dans ses Principes et ses Méditations : les doctrines ha- sardées et hypothétiques qu^il enseigne ne sont curieuses aujourd'hui que par le contraste étrange qu'elles pré- sentent avec la rigueur extrême des principes que l'auteur avait pris pour, point de départ ; contraste qui • à fait dire malignement à d'Âlembert : « Descartes avait commencé par douter de tout , et il a fîni par croire qu'il avait expliqué tout. »
Nous devons remarquer cependant parmi les services qu'il à renciùs â là philosophie *, V sa lumineuse expo- sition dé l'erreur, commune en logique, de vouloir dé- finir des mots qui expriment des notion^ trop simples pour être susceptibles d'ânàTysé ; 2"" ses observatioils sur lés différentes classes de préjugés, et particulier
338 PHILOSOMIC MODERNE.
rement sur les erreurs auxquelles nous nous exposons par trop de négligence dans Tepploi des mois considérôs comme instruments de la pensée. La plus grande parlie de ces observations, toutes même peut-être , avaieni élé déjà présentées par Bacon; mais elles sont exprimées par Descartes avec plus de précision et de simplicité , et dans un style mieux adapté aux goûts de notre âge. 3' La suprême et incontestable autorité qtte, dans tous nos raisonnements sur l'esprit bumain , il attribue à Tévidence du sens intime. Il s'est servi avec une force irrésistible de ce principe logique pour réfuter les ao^ phismes des scolastiques contre h liberté des actions humaines , fondés sur la prescience de la divinité et d'autres considérations tbéologiques. 4' Laplusimpor* tante de toutes ses améliorations en métaphysique est la distinction qu'il a si clairement et si fortement établie entre les qualités primaires et secondaires de la matière. Cette distinction n'était point inconnue de quelques^ unes des anciennes écoles de philosophie de la Grèce ; mais elle fut ensuite rejetée par Âristote et par les scolastiques : il était réservé à Descartes de la placer sous un point de vue si heureux, qu'à l'exception d'un petit nombre de sceptiques , elle a réuni les suffrages de tous les observateurs qui sont venus après lui.
Les services qu'il rendit comme géomètre et comme physicien ne sont pas moins considérables. En géo- métrie, il est un de3 hommes les plus remarquables, puisqu'il n'a pas seulement fait des découvertes dans cette science , mais qu'il a encore donné des règles pour j appliquer Talgèbre et pour la rendre utile en physique. Ses applications de la géométrie à la d|oj[^
1>EI3XIÈaE &POQUE. 329
trique et à la mécanique sont au-dessus de toute con- testation et méritent d'être admirées. Comme physicien, comme physiologiste et comme astronome, il a été beaucoup moins heureux : néanmoins ses hypothèses mômes n'ont pas été sans utilité; elles ont excité un grand mouvement dans les esprits , et ont concouru à renverser les anciennes idées. Son système des tour^ billons, entre autres, est trop célèbre pour que nous nous dispensions d'en donner au moins une courte analyse.
Suivanè lui, tout dépend, dans le monde, du mou- vement donné à la matière; tous les phénomènes doivent s'expliquer parce mouvement. En joignante ces prin* cjpes d'autres idées plus métaphysiques sur l'impossi- bilité du vide ou sur l'identité de l'espace et de la matière, il considère la création du monde comme le mouvement imprimé à la matière. Celle-ci s'est mue, suivant lui, immédiatement après sa création, et en se mouvant s'est divjsée et a été réduite en parcelles très- petites. Descartes suppose ensuite que ces parcelles sont de diffôrentes formes, qu'il y en a d'anguleuses, de rondes , de branchues, de cannelées comme de petites vis; et de la réunion, de la pénétration de ces divers éléments^ il fait résulter tous les corps. Appliquant son système à l'astronomie , il suppose une matière subtile qui enlève les planètes et les fait circuler autour du soleil* Ces mêmes tourbillons produisent la pesanteur, parce qu'en circulant autour de la terre ils entraînent les corps sur sa surface. Enfin , i)oursuivant ses bypethèftea jusque dans les corps organisés^ Descartes admet fo circulation comme un principe tle la physio-
'i ' '* . • • . ■ i 1 1 » t 1 •.»'■«
330 . PHILOSOPHIE MODERNE.
logie humaine ; mais cette circulation échauffant le sang, les poumons, loin d'ôtre les organes de la chaleur , se trouvent être uniquement destinés à rafraîchir le sang; le mouvement et la chaleur du sang, propagés dans le cerveau , produisent les esprits animaux ^ qui , redes- cendant par les nerfs . produisent le mouvement volon- lontaire, et en remontant produisent la sensation. L'âme, principe indivisible^ doit occuper le centre du cerveau.
Tout ce système s'enchaîne avec beaucoup d'esprit j mais n'a pas le moindre fondement. Descartes, à Te- xemple d'Ârchimède qui n'avait demandé qu'un point d'appui pour soulever là terre, a dii :, ï>(mnez''nm la matière et le mouvement , et je créercà le monde] maïs aucune partie de son système n'a pu subsister. Cepen- dant sa physique est tombée assez lentement^ etj après avoir été repoussée par toutes les écoles de France pendant peut-être quarante ou cinquante ans^ elfe s'y était tellement enracinée, que M« Giivler dit avoir connu des étudiants en philosophie qui avaient soutenu des thèses sur les tourbillons, tant il y a de lenteur dans la marche de la vérité !
Les bii vràges de bescartes (1) ont été en quelque sorte
• ••'• • «. -„
^1) Les pluscélèbres des ouvrages de René Descartes sont; 1« U Discours
sur la mt'thode, pour bien conduire la raison et chercber la ▼érité dans les
sciences ; 2o Principia philosophiœ ; 3o Meditaiiones , sivt Tracialiis
dtpassiùrubus antmœ ; 4» ses leUres ,, vaste recueil où les priBdoaip^ hoIbIs
''deses doctripes sont explioués et commentés.
M. Cousin a publié , en 11 voi. iii-So , les œuvres complètes du philosophe
de la Haie. M. Emerj , supérieur de St-Sulpice , avait rassemblé iprelqfkes-
imes. de ses idées dans un ouvrait ayant pour titre. : PtMt^sjie Qts^tr^
.^ur /oiv^j^^n €t surla mora/e. Nous saisisspi^s (»tte oç^sipn poi^reOMl)-
mander aux amis de la philosophie un ouvragé de M. Àd. Mazuré , pfofêsseùr
■ ' ' .M ?" . .. y i
DEUXIÈME ÉPOQUE. 331
le iréhicule au moyen duquel deux vérités importantes,
qui ne sont pas de lui , oiit pénétré dans tous les esprits:
ces deux gandes vérités StOnt le système de Copernic et
la circulation du sans. Mais son premier titre est d'à-
voir mérité le nom de père de la philosophie expéri-
mentale de l'esprit humain. Ainsi , à Bacon l'analyse du
monde extérieur , à Descartes celle du monde interne;
au premier^^ la gloire d'avoir Imprimé à l'étude des
sciences natyrefles le mouvement qui ^ dans l'espacé
d'un siècle, leuf a fait prendre un si merveilleux essor;
au second, celle d'avoir mis au monde 1 analyse psy-
choloffique, origine et base de tous les progrès qui ont
été faits après lui dans îâ philosophie, même dans les
écoles opposées à la sienne.
Les traits caractéristiques de ces deux grands hommes ainsi eisquissés,* examinons successivement chacune des deux écoles qui étendirent et développèrent leurs doctrines: et voyons si l'une, en outrant la tendance sensualiste du premier, et l'autreen exagérant la tendance idéaliste du second , arriveront bien ait( conséquences produites jusqu'à présent par les écoles idéalistes et sensualistes que nous avons passées en revue.
ÉCOLE EMPIRIQUE DE BACON.
» . • ,
HOBBBS.
Un des premiers philosophes qui ressentirent i'iri-
de philosophie au coUége ro^'al de Poitiers , ayant pçur titre ; Êludei ^ Cartésianisme , ou principes de la philosophie de René Descartes. C'est une
■
traduction élégante et fidèle des Principes de ce philosophe , suivie de morABaiOi choiais avec goût, el extraits des plus célèbres cartésiens da xYii* siècle.
332 PHILOSOPHIE MODERNE.
fluence du sensualisme de Ba<SDD^ fut Thomas Hobbes» né à Malmesbury^en 1588. Il puisa dans Tintimité du chancelier le goût de la littérature classique, et l'aver- sion pour les subtilités de la scolastique , qui carac- térise ses écrits. Sa philosophie se distingue surtout par la rigueur de ses déductions. H rejelte tout fait hypo- thétique, et s*en tient exclusivement aux faits jréels, qui se réduisent pour lui au mouvement et aux sensations. L*objet de la philosophie est tout corps conçu comoae susceptible d'engendrer un effet, et d'oifrir une com- position et une décomposition. Toute connaissance tire son origine de la sensation, mais elle ne prend le | caractère philosophique qu'après qu'elle a été soumise au travail du raisonnement. Uobbes compare ce rai- sonnement à un calcul . C'est ou une addition de plusieurs choses, ou la soustraction d' une chose que l'on retranche de plusieurs. Ainsi, par exemple, un homme voit de loin un objet, il en acquiert une idée, qu'il appelle corps ; en se rapprochant il remarque que le corps se meut, et qu'il se trouve tantôt ici, tantôt là ; il reçoit donc une nouvelle idée, et dit que ce corp» est animé. En s'approchant encore davantage, il s'aperçoit que le corps animé parle et donne tous les signes d'un être raisonnable : il prend donc une troisième et nouvelle idée , et appelle le corps animé raisonnable. Enfm , quand il a connu clairement et parfeitement l'objet, il additionne ces trois idées, comme trois nombres, d'où résultent l'idée composée et le nom d'un corps qui est animé et doué de raison. La soustraction s'opère par le môme procédé, mais en sens inverse. Lorqu'on voie un homme de près, on en a une idée claire et corn-
deuxiëm|: KPauii£. 333
plèle; mais a une. plus gwind distance^ l'idée d'être raisonnable se perd , et il ne reste plus que celle de corps animé. Quand l'éloi^ement augmente encore, ridée de corps \iv9n( disparaît, et celle de corps reste seqle » jusqu'à ce que le ^çorps se trouve totalement soustrait à la vue.
La vérité et la fiiusseté consistent dans les relations des termes du langageou dans les déûnitions, et la mé- taphysique se réduit à une langue bien faite. Ùobbes est donc complé(^ment nominalisle.
Le fini et le délimité peut seul être connu; l'infini B'est susceptible d'être imaginé d'aucune manière, ni par conséquent connu;. c'est un mot qui ne suppose- poîpil une- notion quelconque, mais qui est destiné à honorer un être d^nt la connaissance appartient uni- quement à la foi. Hobbes ne laissait donc à la philo- sophie que la science des corps ( philosophie naturelle), celle de l'homme en général (éthique), et celle de l'état (politique). *
Sa philosophie naturelle est basée sur la théorie atomistique et corpusculaire ; «l'âme est dans son système, comme dans celui de Démocrite, un corps subtil. «^
Sa morale ou éthique se réduit au principe suivant : de la sensation agréable ou désagréable dépend l'idée du bien ou du mal; or à la sensation agréable ou dés- agréable, il est impossible d'appliquer une autre loi, sinon qu'il faut rechercher la première et éviter li seconde. Jusqu'à présent, comme on le voit, Hobbes tire rigoureusement les conséquences de ses principes : mais c'est dans sa politique surtout que sa logique
334 PBILOSOPHIE MODERNE.
est rigoureuse : en voici les « doctriaes fondamentales. Tous les hommes sont égaux pei* la naturêV et^ avant rinstitution des gouvernements , ils avaient tous un droit égal à la jouissance des bieps^du monde. Suivant Hobbes. l'homme est naturellement un animal solitaire et égoïste , et l'union sociale n'est qu*ude ligue inté- ressée, suggérée par des vues prudentes d'avantages personnels. La conséquence nécessaire est donc que Tétat de nature doit être une giierre perpétuelle, dans laquelle chaque individu h^a pour ga^é dé sa sûreté que sa force ou son esprit, et dans laquelle l'industne est nulle, parce qu'elle n'a point âe garantie ^e la jouissance de ses produits. Afin de confirmer cet aperçu sur l'origine de la société, Hobbes en appelle à des faits qui tous le%jours se présentent à notre expérience. « Quand un homme, dit-il, va en voyage, n'a-t-itpas le besoin de s^armer et de se faire bien accompagner t
Avant de se mettre au lit, ne ferme-t-il pas sa' porte à
■<•' • «•*.•• .-.
clé? Même (\ans sa maison, ne met-il pas une serrure à ses armoires; et par ces actions n'accuse-t-il pas autant ses semblables que je né lie ^ais par mes dis- cours? »
Dans l'intérêt du maintien de la paix et de la sécurité publiques , il est nécessaire que tout homme abandonne une partie de ses droits naturels, et se contente de la môme portion de liberté qu'il croît utile d'accorder aux autres; ou, comme le dit tfobbes : « Tout homme ^doit se dépouiller du droit naturel qu'il a sur tout, le droit de tous les hommes sur toutes les choses signi- fiant à peu prés qu^aucun homme n'a droit à aucune chose. » Par suite de cette transmission dés droits
DEUXIÈME ÉPOQUE. 335
naturdi^ à un individu ou à un corps 4'iû<|ividus , la multitude di^jenl une personne unique,* sous le nom d'état ou de république, chargée d'exercer^ pour (a défense commune, la volonté et le pouvoir commun. On ne peut doi^ enlever le pouvoir de gouverner â ceux auxquels il a été conQé, et on ne peut l'es punir de leur mauvaise gestion : on doit chercher Tinterpré- tation des lois, ïfc^.dans les conunentaires des philo- sophes, mais dans laulorité du gouvernement; autre- ment la société serait à cbaque instant exposée à se dissoudre et à se trouver réduite à ses premiers élé- ments, si discordants entre eux. Oh doit donc iregarder Tautorité du magistrat comme la seule régie du juste et de rinjuste, et chaque citoyen doit écouter la voix du magistrat comme la voix de sa propre conscience. • Peu cj'années après, en 1631 , Hobbês poussa encore plus loin son argument en faveur du pouvoir absolu des princes, dans un ouvrage' auquel il donna le nom 'dé Lév%athan\ par ce nom, il désigne le corps polifiquer 11 y insmue que I homme est une bête de proie qu on ne peut apprivoiser, et que le gouvernement est fa chaîne vigoureuse qui l'empêclie de faire le mal.
Cette doctrine de la monarchie absolue , représentée comme lldéal du vrai gouvernement , décèulait tout naturellement de k morale de I)ob|)es ; 6( cette morale était une conséquence forcée de sa phifosoptiie gé- nérale, dont la racine était (}ans la t6nc|ance sensualis^ de Bacon.
Ce ne fut pas seulement dans l!exposition de se^ doctrines qu'Hèbbes se montra logicien conséquent ; dans la pratique, irfut véritablemiinC lliomme de ses
>i >»;■:** . ir . »'♦*. N-' .«.»v
336 PHILOSOPHIE MODERNE.
théories. En 1618 , pressentant les troubles qui mena* çaient TÂngleterre, il avait fait une traduêtioB de Thucydide, pour dégoûter ses concitoyens des excès de la démocratie. Plus tard, il qoittarAngleterre avec la famille des Sluarls , fidèle à cette famille par fidélité à ses propre principes; mais lorsque Cromwell eut établi un pouvoir assez conforme ^ 4ridée de sa mo- narchie, Hobbesne'balança pasàibireses soumissions au dictateur.
Ce qui distingue particulièrement Hobbes, c'est la précision et Tenchainement de ses idées. Ses éléments de philosophie sont partagés en trois sections , qu'il
intitule (fe Corpore, de Hominê, et de Cive; c'est-à-dire , du corps en générjil f du corps comme individu déter- miné, et de l'homme oamme membre de la société. C'est dans le premier de ces ouvrages que sont tracées les règles de sa logique, qui. a pour titre : Conq^uiaiiOf sive Logica (i). Les uns et les autres ont été étudiés avec grand soin par Locke et Hume» auxquels ils ont suggéré plusieurs idées importantes.
GASSENDI.
Gassendi, que Tennemana appelle le plus savant parmi les philosophes , et le plus philosophe parmi les savants ) formé ou tout au moins grandi à l'école de Bacon , et placé par conséquent dans le point de vue du sensualisme, consacra sa vaste érudition à la défense et à l'exposition de la doctrine d'Épicure. Déjà avant
(1) H. BestuU de Tracy en a demie la trtducUon dans ses jélàHoOs tf idéologie ( 3« part. Logique » l. 2 )«
DEUXIÈME ÉPOQUE, 337
lui Guillainne de BÉRicARD^vait^ proposé un syslèpe éclectique fondé sur la doctrine des atomes , comn^ç présentant un système de. la nature approprié aux doc- trines du christianisme, entreprise tentée aussi à la jnêipe époque par Daniel Sennert et par Cbrysostôme Mîi<;r4ENUS, auteur du Democriêus reviviscens, compi- lation peu estimée. Mais les travaux de Gassendi lais- sèrent bien loin en arrière ces faibles essais.
Ce philosoptie joignait à un jjjgement sain beaucoup de goût et un esprit profond, il avait aussi un talent naturel, mais que l'art savait développé à un point extralbrdinaire , pour classer ses idées ^'après les lois de la saine logique^ et pour les exprimer avec précision, clarté et élégance. Sa vie littéraire fut extrêmement active. Il entretenait une correspondance très-suivie avec les savants les plus célèbres de son temps, Galilée, Kepler, Mersenne, Hobbes, Ménage , la reine Christine de Suède, etc. Il était principalement lié avec le cé- lèbre voyageur Bernier, qui lui avait voué un atta- chement si sincère , qu'il demeura son compagnon pres- que inséparable pendant les dernières années de sa vie.
En exposant la doctrine d'Épicure, Gassendi déclara qu'il en rejetait tout ce qui était contraire au chris- tianisme. Malgré ces réserves, il est impossible que Ton ne remarque pas ^ans ses ouvrages, av^c les principes et les procédés de la philosophie épicurienne, les con- séquences matérialistes qui s'en déduisent nécessai- rement. La tendance de son système se manifesta d'ail- leurs d'un% manière évidente dans l'ardeur avec laquelle il ^^mbattit l'idéalisme naissant de Descartes (i), et
(1) Il l'appelait sonvenl ô «sprit ! A ^uoi Dekartw répondait S matière !
22
S88 PHiLdsoniB moderne.
■
TeBlime toute particulière ^u'il faisait des Outrages et Hobbes, de Gve et de Corpore. Sorbière, son élève et son ami , nous apprend que quelques mois atant sâ mort> ayant reçu ce dernier ouvrage, il le baisa avee respect y et s^écria que c'était un bien petit livre , mats qu'il était rempli d'un» suc précieux , meduUd tcalti.
Dans ses discussions avec Descartes, il eut, sotis on point de vue, un grand avantage sur son antagoniste, c'est de iFavoir jamais perdu sa bonne humeur au milieu de la chaleur des arguments philosc^hiques. L'indifference avpc laquelle,il regardait la plupart des points en Jitige entre eux était peut-être la princK* pale cause de ce sang-froid dg caractère qu'il déploya constamment dans ses controverses, et qui forme u& contraste si remarquable avec l'irritabilité naturel^ de Descartes» La confiance même de Gassendi en son maître favori, Épicure, était loin d'être si absolue et si entière , s'il est vrai qu'il eût coutume de donner pour raison de la préférence qu'il accordait è la phy« sique d'Épicure sur la théorie des tourbillons , que ^ chimère pour chimère , il ne pouvait s'empêchwjde se sentir quelque penchant pour celle qui était de deux mille ans plus ancienne que l'autre*
Par une heureuse inconséquence, Gassendi, malgré son attachement à la philosophie d'j^pieure^ se distin^ gua toujours par des moeurs pures et une sobriété extrême. Sorbière rapporte plusieurs faits qui proiv^it son orthodoxie. U mourut avec une grande sérénité d'âme et les sentiments de la piété la |^ifs vive, en
6 ccarol Gassendi ne se distingua pas moins .par ses vives et spiriluénes at- U4vci(coulro Arislole «IcouireFludd.
4OS69 étaat âgé de 63 ans. Ses dernières paroles furent : VWto Cë quê ù'ett qm la vie de l'Iwmné /
La aéfie des déductions logiques avait conduit Hobbes, d'une métaphysique basée sur la sensation^ au dogme de le morale intéressée. Un écrivain ingénieux et spi- rituel I La Rochefoucauld y promulgua le code de cette morale désolante dans ses Maximes , ouvrage qui exerça autant d'iofluenoe sur le goût littéraire que sut les principes philosophiques de la société française ^ à répoque où il écrivait* « L'amoUr-propre est le mobile de toutes les actions humaines* » Telle est Tuniqde pensée qui fait le fond de ee livre ; mais elle est pré-^ sentée sous tant d'aspects variés qu'elle est presque toi]yours piquante. En lisant cet ouvrage , il ne faut pas oublier que c'est au milieu du tourbillon des Cours que son auteur a trouvé l'occasion d'étudier le monde 1 et que la sphère étroite et circonscrite où il a vécu ne devait pas lui présenter les modèles les plus favora- bles de la perfection de la nature humaine. On peut en juger par les maximes suivantes :
La clémence des princes n'est souvent qu'une poli* Uque pour gagner l'affection des peuples.
Cette déoience^ dont on fait une vertu , se pratique tantôt par vanité, qudquefois par paresse ^ souvent par crainte , et presque toujours par toutes les trois ensemble*
La constance des sages n'est que l'art do renfermer leur agitation dans leur cœur.
340 PHILOSOPHIE MODERNE.
L'orgueil est égal dans tous les hommes , et il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre au jour.
L'amour de la j ustice n'est, en la plupart des hommes, que la crainte de souffrir rin|ustice.
Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société , un ménagement réciproque d'intérêts, un échange de bons offices : ce n'est enfin qu'un commerce où notre amour-propre a toujours quelque chose à gagner.
On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire le mal.
Les vertus se perdent dans l'intérêt | comme les fleuves se perdent dans la mer.
Les hommes ne vivraient pas longtemps en société, s'ils n'étaient les dupes les uns des autres. *
Voltaire a remarqué que l'effet des Maximes de La Rochefoucauld avait été d'améliorer le style français : nous pouvons ajouter qu'elles n'ont pas moins contribué à y mettre en vogue ces peintures fausses et dégradantes de la vie humaine, dont, après lui, la France et l'Angle- terre se virent inondées. Nous devons cependant à La Rochefoucauld la justice de reconnaître que, dans le commerce de Ja vie, il offrit un exemple remarciuable de toutes les qualités dont il semblait nier l'existence.
L'auteur de cetle horrible maxime : € Qu'il y a toujours dans Tadversilé de nos amis quelque chose qui ne nous déplaît pas^ » fut un ami sincère et dévoué. En affirmant que l'amour-propre est le mobile de toutes nos actions , il avait eu sans doute Tintention de pré- senter cetle vérité comme un fait qu'il avait vu se vé-
DEUXIÈME ÉPOQUE. 341
rifier dans les plus hauts rangs de la société , par sa pcppre expérience ; et noua Jie pouvons penser que la réalité du âentiment moral fût niée d'une manière ab* solue par l'auteur de cette maxime belle et profonde : « Que rbypocrisie est un hommage secret que le vice rend à la vertu. »
vvFtBmonté
m
Ce fut encore d'après lés principes de la morale in- téressée, développée par Hobbcs, et résultant de la philosophie sensualiste^ que Samuel Puffeisdorf ( né en 4632 j^traça les règles de sa Jurisprudence universelle. L'homme 9 en vertu de l'amour de soi et du besoin qu'il a d'être, assisté 9 est porté naturellement à rechercher ses semblables pour en être secouru ; mais aussi , par le i^icede sa nature corrompue , par la diversité de ses désirs, le^manque de moyens suffisants pour les satis- faire , et l'instabilité de son humeur , il n'a pas moins de penchant à nuire aux autres. De là résulte, par le principe même de l'amour de soi, la loi naturelle de so- ciabilité, loi qui nous prescrit de travailler, autant qu'il est en nous , à la formation et à l'entretien des biens sociaux , et qui tient sa sanction de Dieu môme, comme créateur de l'homme, et, à ce titre, auteur de toutes ces lois. De cette source, PufTendorf fait découler tous les devoirs, soit moraux, soit juridiques, c'est-à-dire relatifs à la justice positive. Il n'arrive pas à la distinction du droit naturel et de la morale ; il a recours encore sur bien des points à la morale positive du christia- nisme. Quelle que soit l'imperfection de ses essais , on
doit reconnaître oependant qu'il a poté laa baaea de II
pbilosopbîe pratique univci^Ue.
Kaia ni lui , ni La Roohefouoauld , ni mèine lear pté^ décesiieuit Hobbes» n'avaient fait produire à la phikh aepbie aenau^Hate toutea les oenaéquencea qu'elle entraîne. Il fallait sans doute ^ pour qu'une logique rigoureuse les en tirât^ que cette philosophie fût pré- sentée sous une forme eneove plut scientifique : Collins et Mandeyille ne pouvaientuparaltre qu'après Locke ,
qw çn est Teiprosaion In plua élevéo et 1a plua para,
tOGEP.
Jean Locke était né nn iQS9 ^ k WHngUHi » vm de Qristûlr Les ouvrages de Peseart^ d^v^Qf^eal; «(m goOit poyr l'étude dea soienoea, parMculiéfenient yo^f la philosophie et la médecine } et j quoiqu'il r^etât 1% doctrine cartésienne sur plus d'une que&tîoa, patte philosophie ne laissait paa de lui plaira par sea efloFto vers la clarté et la* netteté des peni^ées» Voici 4 quellf» occasion fut écrit son célèbre E^m «r Tcif^deiti^iu Imniam* Dans une conversation à laquelle il a^i^tait , une question étrangère à la philQsophie fit nattée une discussion où les opinions les plus diverses fvient avan- cées « sans que la difficulté pût èlre résolue. A la ré^ fle:s^ion,il soupçonna que la cause provenait aurtontde ce qn'on se servait de notions dont on n'avait paa reconnu la nature , la portée , les limites ; en généralisant cette observation, il conclut que, pui^ue après tout nous ne philosophons qu'avec l'esprit humain, c'est d'abord l'esprit humain qu'il importe de oonnattrei Telle fut la
DEDXliMB iPOQUKt 849
jfW»éê gpaode et âimple à là fois qui daviot la base et le point de départ de sa philosophie, ^
Locke rendit à resprit humain ua service immenseï en faisant une application scîentiûque des principes développés par Bacon et Descartes à l'analyse de nos facultés ; mais , en s'égarât dans un sentier étroit et exclusif, i) ouvrit involontairement w accès &cile au inatérialisme et au scepticisme.
Toutes nos idées, dit JLocke, sont ou simples ou for- mées per composition : les premières sont celles de «oliditéj d'espace, d'étendue, de figure, de mouveracQt, d» repoa; celles de penser et de vouloir, celles de l'exil $tci)9e,- du temps, de la durée, de la puissance, ou ISipCultés du plaisir et de la peine : les secondes corn* prennent les idées d'accidents, de substances et de rapports. Les idées simples ont une réalité objective; V(kme les reçoit comme une table qui n'aurait encore rflçu aucuQ caractère, sans y ^jouter rien du sien, et par le fait de la perception : ces idées lui représentent 4' une mrt les qmlUés prem^^es ^ l'étendue, la solidité, la figure^ le nombre, la mobilité; de l'autre, les qua- lités 9wmdmre$^ la couleur, le son, l'odeur. Les idées composées sont le produit des idées simples à la suite des opérations de l'entendement, la liaison, i'oppositiop, la comparaison, l'abstraction.
Le langage et les erreurs auxquelles il peut donner lieu ont fourni à Locke la matière d'esicellentes ob- i^ervatioQS, Son chapitre de l'asêociation des idées a con- tribué lui seul , selon M. Dugald Stewart, autant que le reste de ses écrits, aui progrès de la métaphysique dans l'âge suivant*
344 raiLosoMv; moderne.
Les considérations suivantes suffiront ponr donner une idée des services que Locke a rendus à la philoso- phie^ et en niêfpe temps des imperfeclions que présente son système. Envisagé d'abord sous le point de vue de la. méthode, YEssm sur ^entendement humain a cela d'ex- cellent, que la psychologie ye&i donnée cpmme base de toute saine philosophie. Mais lé mal est qu'au lieu d'ob- server l'homme^ ^ facultés et les phénomènes qai résultent du développement de ces faculJtps, dans Tétat et avec les caractères que ces phénomènes présentent aujourd'hui , Locke s'enfonce d'abord dans la question obscure de l'état primitif de ces phénomènes , des pre- miers développements de ces phénomènes , de l|prigine des idées. Ce vice de méthode , l'examen dé la question de l'origine des idées qui devait venir après celles de leurs caractères actuels, jette Locke dans^un système qui ne voit d'autre origine , à toutes nos connais- sances et à toutes les idée&, que la sensation et la ré- flexion. Ce parti pris de faire dériver toutes les idées de la sensation et de la réflexion, et particulièrement de la sensation, impose à Locke la nécessité de confondre certaines idées avec certaines autres ; car il est des idées, par exemple, les sept suivantes: l'idée de l'espace, l'idée du temps, l'idée de l'infini, l'idée de l'identité personnelle, l'idée de la substance , l'idée de la cause, l'idée du bien et du jnal, qui ne peuvent arriver dans l'entendement, ni par la sensation, ni parla réflexion. Locke est donc forcé, pour les faire entrer dans l'en- tendement humain , de les confondre avec les idées de corps, de succession, de fini ou de nombre, de la collection des qualités, de la succession des phénomènes ,
DEUXIÈME ÊPOOVE. 846
" c
des peines et des récompenses , du plaisir et de lal^a- leur, lesquelles sont en effet inexplicables par la sensa- tion ou la réflexion ; o'esl-à-dire qu'il est forcé de con- fondre ou les antécédents ou les conséquents de Tidée d'espace, de temps ^ d'infini, de substance, de cause^ , de bien et de mal , avec ces idées elies-piômes.
Ce TÎce se fait surtout remarquer dans sa théorie de la connaissahce et du jugement. Locke fonde la connais- sance et le jugement sur la perception d'un rapport entre deux idées , ç'est-ànlire sur la comparaison , tandis qu'en beaucoup de cas les rapports et les idées de rapport, loin de fonder notre jugement et nos con* naissances , sont au contraire des débris de connaissances et de jugements primitifs , dus à la puissance naturelle de l'entendement, qui juge et connaît par sa vertu propre, en s'appuyant souvent sur un seul terme, et par cons^jfueut sans en comparer deux pour en tirer des idées de rapports.
Locke attribue beaucoup au langage , et il a raison : mais il ne faut pas croire que toute dispute soit une dispute de mots , toute erreur une erreur purement verbale, toute idée générale le seul ouvrage du langage^ et qu'une science n'est qu'une langue bien faite ^p^rce qu'en effet les mots jouent un grand rôle dans nos disputes et nos erreurs; qu'il n'y a pas d'idées générales sans lan- gage, et qu'une langue bien faite est la condition ou plutôt la conséquence d'une science vraie.
Enfin, dans les grandes théories par lesquelles se jugent, en dernier résultat, toutes les philosophies , savoir, les théories de Dieu, de l'âme et de la liberté, on trouve d'abord que Locke confondant la volonté avec
84A mLMMKB MQpÇRNE.
k faôolté de mouirçir, gvae le pouvoir d^agir, do Silra toUo ou tdle action extérieure, et eherehant la liberté daiu la volonté ainsi entendue, par conséquent la eher- ehant oà elle n'est pas^ la nie, et la donne comme un «impie accident, tandis que c'est un caractère profMre et essentiel. On voit ensuite qu'entraîné par l'habitude de ehereher en toutes choses le point de vue le plus eiternet '^ pl^ vislUe, le plus saisissable, il amnoe b tuppoaition renouvelée d'Oecam , que la substanee spirituelle» impénétrable dans sa pâture, pourrait Inen •e réduire à la substance matérielle , et que la pensée pourrait bien n'être qu'un mode de la matière» tout eomme l'étendue. Enfin , pour ce qui concerne Teid* atepoe de Dieu » toqjours fidèle à son système, ir inter- roge plutèt la nature que la raison ; il repousse la preuve il prwi de Descartes, et n'adopte guère que la preuve
Tous les contemporains de Locke, et toutes les aptions connues de sa vie, déposent que personne n'ainia plus siooèrement et plus constamment la vérltfi, lu vertu, et la cause de la liberté du genre humain. Il %ima et servit cette noble cause; il eut mèmerhonneup de souffrir pour elle , mais sans jamais s'écarter de la plus parfaite modération. Le trait distinctif de son ca« raotère, c'est la tolérance. Oq vante aussi sa prudence, a» réserve, sa discrétion. Locke était né sage, en quelque sorte : on peut dire qu'il y avait en lui quelque chose de Socrate , ou au moins de Franklin* C'est pré- cisément â la sagesse et à la modération de son carac*- t^re qiX^il faut attribuer l'heureuse inconséquence qui règuf^ entre ses théories spéculatives ei ses
piMûtÎTQSi OMIS» indécise et équivoque dans lesduvpage* 'd^ hw^i^i la doctrine da a^sualisme devint bientût» entrep lea maina bardieg de ses successeurs , la base dea théories fermes ef précises qui obtinrent dans pluaieura OQntréea de l'EiiVope uife autorité presque absolue » et seniblèrent le damier mot da la pmsée humaine, Ainaî'la Ibéorie de Locke sur ja liberté tendait au fàj^ Uili^iMf 9oQ ami et son disdiple' Qouiva» et après celais c} V»^ QÂBtLaf 9 nièrent positivement la liberté dé r^opme. Loeke avait insinua qu'il n'était pas impos- sible quq la matière pût penser ; Dodwell changea cô 4û||tci m (ssrtltiide» et entreprit de prouver la matéi* riiûité 4o l'âme , ce qui ré4M)aait beaucoup nés cbancea cl'immQrlalît^, MAMWviLf.Et trouvant danafiOck^la tiléo* rifi d(il'u(ilité comme seule baae de 1^ ^w\n^ ep qour €àni qu'U P'y a aucupe distinction essentielle eqtre lu \^rtu et le vjçq , et i) aboutit h (:iet^ eopséqueqce qu'on a dit beaucoup trop damai ()u vice; qu'après lout^ I9 vice u'est pas si fort k mépriser dana f éts|t aqcial } quç c'est la source d'uq gr^ud nombre d'avantagen précieux j ^ professions I d'arts, de talepta, de vertus, qui sans lui seraient impossibles (1). Locke avait négligé 1q principe de la causalité; quelques-uns de ses sucpesn seuri», et , à leur tête, le fameu)( Pavid Hunfc, Iç re- poussèrent et le détruisirent : alors la preuve à posie-- rîori de l'existence de Dieu n'ayant plus de b^ae , le théisme du philosophe anglais aboutit à un panthéisme avoué, c'est-à-dire, ^ l'athéism^. Enfin, desdeu?( sources de la conu2)issance humaine par lui reconnues , la ré-
(1) n fit Mlle ap^loglt ëv TiM 4«iit sa FahU des AhelUti , devenue si
348 PHILOSOPHIE MODERNE»
flexion et la sensation , Condillac supprima la pre* mière , ou plutôt l'absorba dans la seconde , tt toute la science humaine pe fut plus que la sensation itanS" formée.
Mais il fallait qu'il s'écoulit plusieurs années a^ant que le temps, ce logicien que rien n'arrête, tirât du
■
sensualisme de Locke toutes les con^ueaces qui y sont bien renfermées , et dont l'auteur de V Essai sur l'entendement humain ne s'était certainement pas^uté. La philosophie de Locke répandue dans les Pays- Bas, et par suite en Allemagne , par Leclerc, auteur estimé de la Bibliothèque universelle et de la B'Aliethéque choisie, et par S'Grayesande , obtint surtout en France, pendant la dernière moitié du dix-huitièmg siècle, une vogue extraordinaire, due principalement aux éloges qui lui furent prodigués par Voltaire, et aux dévelop- pements que lui donna Condillac. Mais , avant d'arriver à l'exposition des systèmes issus du sensualisme de Locke pendant l'époque qui s'écoula depuis la dernière moitié du dix-huitième siècle jusqu'à nos jours, nous sommes obligés de remonter aux successeurs immédiats de Descartes^ qui firent pour l'idéalisme de l'auteur des Méditations et des Principes , ce que Gassendi et Lockeavaient fait pour l'empirisme du chancelier BacoUé
ÉCOLE IDÉALISTE DE DESCARTES.
Nous avons vu que Descartes était parti de la pensée pour arriver à la notion du monde extérieur^ mais qu'il n'y était parvenu qu'en appuyant sur Vidée innée d'un être parfait, dont la véracité était le garant uni-
DEUXIÈME EPOQUE. 340
que de la réalité de nos sensations. Ce principe laissait L ouvertes à la philosophie première deux routes oppo* sées : Tune qui, partant de Texpérience, et n'admettant rien que de sensible, conduisait à nier la réalité des idées innées : cett^ route fut suivie par Técole de Locke ; l'autre qui, partant des idées inné^^ conduisait à re- jeter tout témoignage de 1 expérience et des sens : c'est ce que firent Spiisosa et Malebranche. j Le principe da Descartes, énoncé par l'enthyméme : Je pense ^ donc je suis ^ comprend deux termes ou éléments de nature hétérogène : l'un psychologique, le nm actuel de la* conscience ; l'autre ontologique , le moi absolu. Pâme substance ou chose pensante. Mais com- ment trouver le lien qui unit deux éléments aussi di- vers? Descartes avait tranché la question avant même de Kavoir posée : Spinosa et Malebranche la reprirent en sous-œuvre, et. voici à peu près comment raison- nèrent ces deux profonds métaphysiciens :
Lorsque l'entendement s'eflbrce de concevoir séparé- ment et hors du moi actuel la chose ou substance pensante, il ne peut s'empôcher detrouver de nombreux rapports entre cette substa]>ee et une autre substance, qui a de son côté Vétendue pour attribut essentiel ou mode fondamental. Mais puisque la distinction qui est censée avoir lieu entre l€è deux substances n'est autre , par le fait , que celle de deux attributs ou modes fon- damentaux qui caractérisent respectivement chacune d'elles, pourquoi y aurait-il deux substances et non pas une seule qui réunirait les attributs distincts de pensée et d'étendue? Sous tees attributs. Descartes lui-même comprend tout ce que nous appelons les êtres, qui sont
^
850 PHILOdOMlB MmsilNE.
tous ou pen$(nu$ et inéiendiu, ou non penmna , et , par cela , matériels et étendus, et pures machines.
Ne aerait-il pas possible, par conséquent, de dé^ montrer qu'il n'y a et qu'il ne^pent y a^olr qu'nne seole substance , l'être unitersel , seul néêessaire , le grand tout, à qui appartient exclusivement la réalité ou le titre de substance, et dont tout ce que nous appelons improprement de ce nom n'est en effet que modifica- tion ? Or, comme il est logiquement certain quêtons lea eflfetssont éminemment ou formellement renfermés dans leur cause ^ ne peut*on pas dire que tous les êtres sont renfermés dans l'être universel , qui est Dieu ;^ que c'est en lui seul que nous pouvons voir ou penser tout ce qui existe réellement ; que c'est en lui enfln que nom sommes f que nous nous nunuHms et que nous semons ? Tel est le résultat auquel arrivèrent eeS bardis penseurs^ Unis jusque-là par la rigueur des déductions logiques, ici le mysticisme les [sépare : Spinosa arrive au pan- théisme , et Malebranche à la tnsion de Dteus
snaosA.
•-•
Le Juif fiaruch (B^nok) Smnosa, fié & A.msterdaaa en i63S, se signala dès «son enfance par son ardent désir de connaître la vérité. Ses doutes sur les doctrines du Talmud et ses sentiments religieux , mais exempts de toute superstition, le rendirent indifférent à l'égard des cérémonies du culte dans lequel il était né, et lui attirèrent beaucoup de^ persécutions de la part de ses coreligionnaires^ 11 se tint caché *dans quelques mai* aons de chrétiens, étudia le latin > le grée, leS mathé«
« MVUÈMZ ÉPOQUK. 851
matîques et la pbiloeopdie , spécialement celle de Des* cartes , doot la clarté l'attirait aana contenter aon mprii rigoiireua'^t pénétrant.
Le caractère et le système de Spinosa ont été égaler ment méconnus et dépréciés avec une eitréme iiijus« tioe (i). L'impartialité de l'hisUHre exige que, tout eu signalant Terreur fondamentale à lequeile le conduisit la rigueur systématique de son esprit, nous rendions hommage à ses \ertus. U irécut toujours de la manière la plus frugale ; il était d'une modestie et d'une afiabilité rares , soutenait sans que rien l'effrayât tout w qu'il croyait être vrai , et donna plusieurs preuves touchantes de son désintéressement. Il mourut à la Haye en 1677^ après avoir consacré sa vie à la méditation dans le si- lance et la retraite, et laissant la réputation d'un vrai sage et d'un homme de bien.
Spinosa s'était fait une loi de ne tenir pour vrai que ce qui lui apparaîtrait avec toute évidence , et comme conséquence manifesle de principes suffisamment dé« monstratifs. C'est ainsi qu'il tenla de former un sys- tème dans lequel il prétendit exposer les principes de la morale , en les déduisant , avec toute la rigueur de la méthode mathématique , des notions les plus élevées de la raison , telles que nous les avons reçues de Dieu; et c'est dans ce but qu'il donna le jaom d'éihiqne à son système. Cet esprit de méthode et de précision scien- tifique l'éleva presque jusqu'aux points les plus élevés de la spéculation , et l'amena à cette théorie &meuse i
(1) CoLBR , prédicateur luthérien , qui a donné la vie de ee philosophe , éeritit au hts du portrait de SpinoM , qui se trouve en tète de aon ouvrage ,
352 PHILOSOPHIE MODERNE « ^
préparée, comme nous Fa^Ks vu, par Descartes; suivant laquelle il n'existe qu'une seule substance. Dieu, l'être infini, avec ses attributs infinis d'étendue et de pensée ; toutes les choses finios étant de pures appa* renées , des déterminations ou modes de l'étendue in- finie et de l'infinie pensée. La substaàce n'est pas un être individuel , mais elle fait le fond de toute indivi- dualité ; elle n'a point été faite , elle subsiste par elle* même {causa sm). 11 n'y a que l'individuel, ou autre- ment les modifications des attributs infinis de la substance, qui commencent à être; savoir : du sein de l'étendue infinie, le mouvement et le repos; et duseia de l'infinie pensée, les modes de l'intelligence et de la volonté. Tout corps particulier, toute intelligence finie, ont pour fond et pour soutien , les uns l'étendue sans limite, les autres la pensée absolue; et ces deux infi- nis forment entre eux une unité nécessaire, secorres* pondent intimement, sans qu'aucun deux ait engendré l'autre. Toutes les choses finies, corps et âmes, sont en Dieu; Dieu est leurcause immanente ( causa miAcnm^). Il n'est point lui-même une cause finie, quoique toutes les choses finies procèdent de la substance divine, et cela nécessairement et non pas en vertp d'idées et dç buts prédéterminés.
Il n'y a point de hasard : il n'y a qu'une nécessité unie en Dieu avec la liberté, parce qu^il est l'unique substance dont l'existence et les actes ne sont limités par aucun autre. Dieu agit en vertu d'une nécessité intérieure, inhérente aux conditions mêmes de son être^ et sa volonté est inséparable de sa connaissance. 11 n'existe point de causalité finale déterminée librement
DEUXIÈME ÉPOQUE. 353
verstel^'ou tel but^ il n'axiste de causalité que celle de la nature ménae et de ^a constitution propre. *
La notion directe, imfbédiate d'une iadividualité réelle et actuelle, s^appelle l'esprit, Vàme (mens) de cette individualité;.. et réciproquement cette indivi- dualité, comme l'objet direct d'une telle notion, s'ap- pelle le corps de cette âme. Ces deux ehoscs ne font qu'un seul et même objet , que l'on envisage tantôt sous l'attribut delà pensée^ tantôt sous l'attribut de l'étendue. Toutes les idées, en tant qu'on Les rapporte à Dieu, sont \raies ; car toutes les idées qui sont en 'Dieu corres- pondent parfaitement à leurs objets : d^ù il suit que toute idée absolue, en d'autres termes, toute idée complète en nous , correspondante a son objet, est une idée vraie. Le faux a sa raison dans la privation de la pensée , résultat de son application à des idées désor-* données et corrompues.
C'est dans la pensée active et vivante de la réalité de Dieu que consiste notre félicité suprême ; car plus nous savons la reconnaître, plus nous sommes portés à vivre selon ses volontés, et c'est en cela que consiste à la fois notre bonbeur et toute notre liberté. Notrç volonté n'est pas absolument libre : en effet, l'âme est déter- minée en tel ou tel sens par une cause déterminée elle-même par une autre cause , et ainsi de suite. 11 en est de même des autres facultés de notre âme , dont aucune n'est atisolue et indépendante en soi.
La profondeur des idées de Spinosa , la marche serrée du raisonnement, la hardiesse d'une conception où il s'agit d'expliquer le fini par l'iilfini, répandent une grande obscurité sur sa théorie philosophique, et
23
364 PH1L080PI1IK HOMANI.
il est umet difficile d'en saisir le iPéritaMe seM. Mais il serait injuste de la considérer comme un sjatèflM d'athéisme* Sans doute la notion qu'il donne de la divinité est fiiusse et incomplète; mais nous ne loi appliquerons pas 9 a'vecDugald Ste¥rart, ce qoeCScéroa disait d'Épicare : Verbh rèliqmi deos, re sMêêutii. 8m» système est le panthéisme , il est vrai ; mais encore ce n'est point le panthéisme matériel des Éléates. An Heu de considérer uniquement Dieu comme source de Véire^ il fallait avant tout le considérer comme cause créatrice et productrice. L'erreur de Spinosa, déjà commise par un grand nombre de ses prédécesseurs , et particulié- rement par Vanini , consistait dans la prédominance du rapport du phénomène à Y être, sur le rapport de Yeffei à la cohh. Quand l'homme n'a point été considM comme une cause volontaire et libre, mais comme on désir impuissant et comme une pensée imparfaite el finie y Dieu , oo le modèle suprême de l'humaDÎté, ne peut être qu'une substance et non une cause, l'être parfait , inini i nécessaire , substance immuable de l'univers^ et non la cause productrice. Dans le sysièiBe de Descartes , la notion de la substance jouait déjà un plus grand rêle que celle de la cause : cette notion de substance, devenue lont-à-fait prédominante, constitue le sf^inosâNue.
lULEBEANClB.
La nature avait donné à Malebranche ( né à Parris en f638 ) une santé fyiUe et un corps mal confbrméf H fut élevé avec beaucoup de soin et de douceur. Sa <fif-
fof*inité lui inspira tependani une certiine misanthropie qui D6 rabandonoa. même pas dans sa vieillesse* Son goût pour la retraite le décida, quand il eut atteint Tâge de tingt-deux ans, à entrer dans la congrégation de l'Oratoire ^ et à se consacrer entièrement à Fétude» Se trouvant un jour ches dn libraire, il y vit exposé le traité de Descartes Jlh homine, qui venait de paraître» Il acheta cet ouvrage , dont la lecture lui ouvrit une nouvelle sphère, et éveilla en lui la conscience d'un lalenl que ni lui ni les autres n'avaient encore sdup^ çonné. Fonteùelle nou9 à laissé dbe peinture très^ animée de l'enthousiasme avec lequel Malebranchè dévora ce premier ouvrage, et il en décrit les effets comme ayant été si puissants sur son sjstèine foervevx ^ qu'il fut forcé de laisser le livre de odté, jusqu'à ce que les palpitations de son cœur se fussent un peu ralenties^ Il consacra dix années à l'étude spéciale de la philosophie cartésienne j aussi passait-il pour un de ceux qui connaissaient le mieux ce système* Enfin il publia les résultats de ses méditations , et mit au jour 6on célèbre ouvrage qui a pOu^ titre ) De la recherche de la vérUé, L'originalité des opinions qu'il y manifesta» et l'élégance de son style,- lui procurèrent une célébrité extraordinaire; mais il ne manqua pas non plus d'w* qemis. Il mourut en 1715, dans la soixdnte-dix-sep- tième année de son âge.
Quelque jugement que Ton porte aujourd'hui sur le mérite philosophique de Malebranchè , son ouvrage n'en sera pas moins à jamiais une lecture intéressante pour les hommes de goât, et une étude utile pour ceux qui aiment à observer la nature humaine. Il est
356 PHILOSOPHIE MODEHNE.
r
peu de livres qui rcuBissent au mémo degré la plus grande profondeur des idées abstrailes, et les saillies les plus agréables de l'imagination et de l'éloquence , et OÙ ceux qui aiment a surprendre Its secrets ressorts de notre intelligence puissent trouver de plus frappants exemples de la force à la fois et de la faiblesse de Ten- tendement humain. Un fait très-remarquable dans rhistoire de Malebranclie y«c'est que malgré le coloris poétique qui donne tant de grâce et tant de vie à son style j il ne put jamais lire sans dégoût une page des plus beaux vers. Quoique Timagination fût évidemment la qualité distinctive de son génie , les passages les plus finis de ses ouvrages sont ceux où il représ^ite cette perfide faculté comme la mère féconde de nos erreurs les plus funestes.
Le point de départ de Malebranche est la théorie cartésienne, que la pensée humaine ne peut pas se connatlre elle-même comme impariàile et comme rela- tive, sans concevoir Dieu, Tétre parfait et absolu; or, comme il n'y a pas une seule pensée qui ne soit accom- pagnée du sentiment de l'imperfection d'elle-même , il s'ensuit qu'il n'y a pas une seule pensée qui ne sotC accompagnée nécessairement de la conception de Dieu ; et que tout^ pensée^ étant en elle-même imparfaite, n'aurait point de valeur, si elle n'était accompagnée de cette conception de Dieu, qui lui communique une force et une autorité supérieure. Ainsi l'idée de Dieu est à la fois contemporaine de toutes nos idées et le fondement de leur légitimité; et, par exemple, l'idée que nous nous faisons des corps extérieurs et du monde serait vaine , si cette idée ne nous était donnée dans
DEUXIÈME ÉPOQUE* 357
celle de Dieu : de là le faVneux principe de Malebranche , que nous vo|obs tout , et le^monde matériel lui-même, en Dieu ; oe qui veut dire que notre vision et notre conception du monde est accompagnée d'une concq>tion de Dieu, de Tôtre infini et parfait, qui ajoute son au« torité au témoignage incertain par lui-même de nos sens ef de notre pensée.
A celte théorie de la vision en Dieu, se joint celle des aoJ&eê occasionnelles , trouvée presque en même temps par Geulinx d'Anvers , mais étendue et développée par Malebranche. Il faut encore remonter au principe de Descartes pour trouver Torigine de cette doctrine , par laquelle il n'accorde aux corps et aux âmes qu'une capacité 'passive, et considère Dieu comme l'unique cause fondamentale de tous les changements qu'ils su- bissent. La pensée seule, dit Descartes, nous révèle l'être de l'âme, qui est la première réalité et apssi la seule substance que nous puissions ainsi atteindre directement, comme par intuition. Nous n'avons aucune prise directe sur tout ce que nous appelons substance matérielle. Nims ne connaissons rien en effet que par nos idées, et ces idées ne sont autre chose que des modifications de notre âme. Les idées simples de sen* salions, les couleurs, les sons, les saveurs, ne sont cer- tainement qu'en nous-mêmes, et nullement dans les objets qu'elles nous présentent : tout ce«que nous ap- pelons objets ne consiste donc que dan§ nos idées ; et puisque, d'ailleurs il n'y. a d'autre cause ou force que Dieu, qui produit les modifications comme il crée les êtres, le monde sensible n'est qu'apparence, pur phé- nomène sans réalUé. Ainsi , point de milieu : ou les
35S PHlLOSaf^BIE MODERNE.
objets sMdentiflent aveo les idées ou les sensalioM <fui les représentent, et alors Les corps et Fétendae ne sont que des phénoDiènes ; ou biea les corps et retendue existent réellement hors de nos idées, sans qu'il doos soit permis d*en douter, par la seule raison que Dieo nous rassure, et en ce cas la séparation des deux sub- stances matérielle et immatérielleest compléteetalMolue; mais aussi leur communication, leur influence réci- proque est naturellement impossible ; elle ne peut aloir lieu que par un miracle, et demande TinterventioR continuelle et non interrompue de la divinité. De Tlié- térpgénéité naturelle des deux substances , il suit ri- goureusement que l'âme ne peut réellement mouvoir le corps, pas plus qu'un corps ne peut communiquer son mouvement à un autre, si Dieu n'intervient pour mouvoir, à l'occasion du désir de l'âme ou de la ren« contre et du choc des corps. Telle est la théorie des rotcM» occoêianneUêi.
Il suit encore du même principe , ou de la séparation des êtres en deux classes tranchées, sans intermédiaires, que les animaux sont tous matériels ou de pures ma- chines (1), qui ne sentent pas, par la seule raison qu'ils ne pensent pas comme nous, ou qu'ils n'ont pas une âme immortelle comme la nôtre.
Quelque absurde que parusse maintenant cette idée, aucune des «doctrines de Descartes ne fut reçue avec plus de conllsinoe par quelques-uns des plus profonds penseurs do TEurope. Legraml PascaU'admirait^omme
(1) Lamotle a dit que celle opiuion sur les animaux élail une débauche defàisonnemeni. On sali avec quel bon sens admirable LarontaineTa réfutée dans «on ditcoors à madame de la Sablière. { L» X ^ F. 1. )
tm deg «rtidteft les plus précieux du système csttésiea ^ et Midabrincbe a donné lai-mème en présence de Fon- tMidle une preuve décrive de l'impression profonde que ce système avait produite sur son esprit (1).
Les idées de Malebranche sur la vision en Dim furent 4»mlNittues avec un grand talent par Antoine Arnauld, l'un' des plus célèbres écrivains de Port-Royal , mais qui professait néanmoins, avec ses illustres confrères Pascal et Nicou , les doctrines du cartésianisme. Ar^ nauld , dans son ouvrage sur les vraies et fausses idées , qu'il écrivit en opposition au système de Maleturancbey porta , suivant le témoignage du docteur Reid , un coup mortel à la théorie des idées-images , et s'approcha de très-près de la réfutation que ce dernier fit avec tant de netteté , comme nous le verrons plus tard > de ce préjugé* si ancien et si invétéré. Il ne se distingua pas moins par son traité de VAri de penser , connu plus généralement sous le nom de Logique de Port^Hogal. Ce traité fut écrit par Arnauld et son ami Nicole ; et , si l'on considère le temps ou il fut publié , aucun éloge ne parait au-dessus de son mérite. 11 serait impossible, dit M. Dugald Ste^wart^ et ce témoignage est précieux dans la bouche d'un écrivain étranger, de citer, avant la publication de l'Essai de Locke, un seul ouvrage qui renfermât un aussi grand nombre de choses justes
(1) Fontenelle étant allé voir Malebranche aux Pères de VOratoire de la me BU-Honoré , une grosse chienne de la maison , et qui était pleine, entra dans la salle où ils se promenaient , ?int cnresser Malebranche et se rouler à SOS pieds. Après quelques mouvements inutiles pour la chasser , le philosophe lui donna un grand coup de pied qui fit jeter à la chienne un cri de douleur et à Fontenelle un cri de compassion. Ek quoi l lui dit firoidement ftfalo- branche, ne savez-vous pas bien qus sela nt sent point !
3d0 PHILO$OPHIB MODERNE.
et un aussi petit nombre de raisonnements Irivoles, sur la science et la logique ; et il n'en a paru depuis . sur le même sujet qu'un bien petit nombre qui puisseat lui être proférés pour rutiU^é publique.
On sait que la plus grande partie de la carrière du grand Arnauld (c'est le nom que lui donnèrent ses contemporains ) se consuma au milieu de discussions théologiques , entreprises dans l'intentidii de maintenir la pureté de la foi catholique. 11 vécut jusqu*i quatre- vingt-trois ans, et continua jusqu'à sa dernière heure à écrire contre les opinions de Malebranche (1)^ sur la nature et la grâce. < 11 mourut , dit son biographe^ dans une obscure retraite , à Bruxelles , en 1692 , trop pauvre pour avoir un domestique, lui dont le neveu avait été ministre d'état et qui aurait pu ètire lui-même cardinal. Le plaisir de pouvoir publier ses sentiments était pour lui un dédommagement suffisant. »
Cet examen des systèmes issus des deux écoles élevées au commencement du dix-septième siècle par Bacon et Descartes nous a conduits jusqu'au milieu du dix-hui- tième. Ici nous pouvons clore ta liste des philosophes dogmatiques les plus distingués qui^ placés soH dans le point de vue sensualiste, soit dans le point de vue idéa- liste, ont illustré cette épo(]^u1e : désormais ce ne seraient plus, à proprement parler^ de nouveaux systèmes que nous aurions à examiner, mais des modifications plus ou moins essentielles à ceux dont nous avons déjà pré-
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(1) Nicole , son ami et son coUâboratenr , fatigué à la in de ces intennî- nables disputes , lui exprimait un jour le désir de se retirer du champ de bataille , et de Jouir du repos. Du repos ! s'écria Anuttld , n'arez-TOUS doue pas toute réternité pour vous reposer ?
DE|}Xlill£ ÉPOQUE. 384
sente Tapalyse». La première moitié du dîx4iuitiôaie ' siècle n'est guère autre chose que la lutte des deux écoles rivales. Locke avait combattu les idées innées de Descartes , et !§ vision en Dieu de Malebranche ; dans la patrie même de Locke, Lée , Norris, et même l'élève et l'ami de Locke., lord Ashley , comte de.Shaftesbury , combattirent à leur tour les principes et les consé- quences de V Essai sur r entendement humain.
Les extra vaganceiu de l'école empirique, et surtout les funestes doctrines de Gollins et de Mandeville , sou- levèrent pareillement contre elles l'illustre Newton ^ les deux Clarke et surtout Samuel , Wollaston et R. GuMfiERLAND. Eufiu GoLLiER ct Berkelet , pour cu finir avec le matérialisme, nièrent l'existence de la matière.
En Italie, Fardella reproduisit ou trouva de lui- même l'iiéalisme de Malebranche ; et le célèbre Vico de Naples, tout en combattant avec force le mépris fort condamnable qu'avait affiché Descartes pour l'au- tori|é de l'histoire et des langues, n'en adopta pas moins sa philosophie généralç. Vico est l'auteur du second monument élevé à l'histoire de l'humanité ; car déjà le grand Bossuet, attaché lui-môme aux doctrines car- tésiennes, avaitcomposé son Discours sur l'Histoire uni- verselle. Bossuet avait considéré l'histoire de l'humanité sous le rapport de la religion ; Vico s'attacha à la faire revivre sous le rapport de ses institutions civiles ; plus tard viendra Herder qui^ embrassant dans un cadre plus vaste les deux éléments étudiés par ses prédéces- seurs, y comprendra de plus ceux que Bossuet et Vico avaient sacrifiés (i).
(1] Nous cQDiiaissoii» peu de livres aossi inléresMoU que les deux ouvragiw
an PHILOMMIK HOMftVE.
Qiielqua célàbreft que loieiit les noms que noua nons de citer (et nous pourrions y en ajouter une foule d'autres I par eiempie, celui de Gudworth, auteur du SffêHme intellectuel , idéaliste et platonicien ingénieur nous ne pouvons donner le moindre développemaot i l'eiposition de leurs doctrines^ La raison en est que , dans cette revue rapide de la marche de la raison, phi* losophique i travers les siècles^ nous n'avons à nous occuper que *des systèmes qui, par leur nouveauté, leur originalité ou leur grandeur, ont exercé sur la pensée humaine une longue et puissante influence. Cependant, avant d'arriver au plus grand philosophe de cette époque , à Leibnits , dont le vaste géoii esaay a de concilier les deux écoles rivales, nous ne pouvons nous dispenser d'exposer avec un peu plus dedëtsûls le système de G. Berkeley. Penseur judicieux et profond, animé d^un vrai zèle pour la dignité derespèce humaine, et digne lui-même de respect pour la moralité de son caractère, Berkeley fut vivement frappé des inconvé- nients que présentait la doctrine de l'empirisme dans ses conséquences. Par là il fut conduit à penser que le principe de toutes ses aberrations était la croyance chi- mérique à la réalité d'un monde corporel, et il vit dans l'idéalisme l'unique route à suivre, le seul vrai système de connaissance. C'est avec une sagacité peu commune que Berkeley fait voir toutes les difficultés de l'expé- rience extérieure, l'obscurité de l'idée d'une substance
de Herderei de F'ico y nous voudrions les voir plus souvent entre les mains de la jeunesse française , qui serait inexcusable de négliger le moyen qu'elle a de les étudier dans les élégantes traduclions.ftt'en ont données Altf . Bdfftnl Qninet etMicbelet.
*f
étendue; soulenant que par les sens nous ne percevons autre chose que les qualîlés sensibles (ainsi que l'avait cléjà démontré Locke ) , nullement Texistence ou la 8ub$tantialité d'aucun ol^et sensible; et qu'admettre un monde corporel , distinct et indépendant de nos sensations, c'est se créer une pure chimère. En con- séquence, il n'existe selon lui que des esprits; l'homme ne perçoit rien autre Qhose que ses idées, mais il ne les prodjiiit point lui-même; leur multitude et leur variété. Tordre et la proportion qui régnent entre elles et qui repoussent toute idée d'arbitraire, attestent qu'elles sont communiquées à l'âme humaine par un esprit doué de perfections infinies. Néanmoins , en vertu de la liberté absolue qui lui est aussi donnée , Vhomme est par lui-même l'auteur de ses erreurs et denses mauvaises actions.
C'est ainsi que Berkeley, dans ses élégants dialogues , se flatta d'avoir démontré l'idéalisme auquel Malebranche avait préparé la voie, et d'avoir sapé dans tous leurs fondements le scepticisme et l'athéisme. Tout son sys- tème reposait sur la théorie mal définie du phénomène ^ delà perception. Nous verrons plus tard comment Hume est parti du même point pour établir un scepticisme universel , et comment le docteur Reid , en détruisant à jamais l'hypothèse des idées-images, a renversé com- plètement le double édifice construit avec un si mer- veilleux talent par Hume et Berkeley sur cette base fragile.
364 PHILOSOPHIE MODERNE.
LEIBNITZ.
Godefroi-GiiiIlaumeLEiBNiTz naquit^ le 21 juin 1646, & Leipsick, où son père était professeur de morale. Il étudia la philosophie sous Jacques Thomasius (oé en 4622, mort en 1684)^ s'adonna eninème temps aux mathématiques et à la science du droit^ lut les classiques dans leur langue originale , srfrtout Platon et Aristote, dont il se proposa de bonne heure de rapprocher les doctrines. Le développement de son esprit en mille sens divers fut secondé par une lecture et une corres- pondance immenses , par les succès qu'il obtint de bonne heure , par ses voyages , particulièrement à Paris et à Londres, enfin par ses liaisons avec les savants, les hommes d'état et les princes les plus illustres de son temps. Les œuvres philosophiques de Leibnitz (les seules sur lesquelles doit plus particulièrement se porter notre attention ) forment , dit M. Maine de Biran (i) , un corps de doctrine^ dont les parties , quels qu'en soient le nombre et la diversité , n'en sont pas n^oias Uées entre elles et aux mêmes principes, n'en parti- cipent pas moins au mémo esprit de vie. Cet esprit, répandu dans chacune de ses nombreuses productions , anime en effet également les œuvres du jurisconsulte, de V historien, du théologien, du physicien , du maihénuzticien surtout , où il brille d'un éclat particulier. Mais ce n'est aucune de ces œuvres partielles qui pc^t nous en ma- nifester le principe, la source ^ ou le propre foyer. La
(1) Biographie universelle, t. 23, p. 614, arl. Leibnitz, composilion vraiment remarquable , dont nous reproduisons ici toute la partie qui peot entrer dans les proportions de notre plan.
4 DEUXIÈME ÉPOQUE. S65
philosophie première ; la science des principes , comme rappelle Leibnitz lui-même^ cette philosophie vraiment première dans Tordre de ses méditations , fut le com- mencement , la fin et le but de toute sa vie inteliec-
»
tuelle.
A l'âge de seize ans, Leibnitz a%it été conduit par ses méditations jusqu'à l'idée sublime d'un alphabet des pensées humaines , qui devait comprendre les élé- ments ou les caractères des plus simples de, toutes nos idées et servir à en exprimer les diverses combinaisons, de manière qu'en allant du simple au composé, ou revenant du composé au simple, il fût facile et possible de trouver comme de démontrer toutes sortes de vérités. Ces premières méditations sur la langue universelle amenèrent, quatre ans après, h Dissertation sur V art comminatoire , qui n'était qu'une application particulière ûe là caractéristique ^\ïx idées de quantité ou de nombre, d'étendue et de situation , et aussi à diverses classifications ou combinaisons d^idées de cet ordre.
Enfia il commença l'exécution de la réforme qu'il désirait introduire dans la philosophie. <( Impatient, dit Brucker, de voir la métaphysique dégénérer en naines subtilités, il conçut son plan général de réfor- me^ à commencer par la notion de substance , qu'il re- gardait comme le. principe et la base de toute science réelle, (le nouveau système élevé sur ce fondement eut bientôt un grand nombre de prosélytes, malgré la vive opposition des cartésiens , qui repoussaient , comme contraire à toute la doctrine de leur maitre, la notion de force ou d'effort , seule caractéristique de la substance dans le point de vue de Leibnitz ; mais
8M PHUiOSOMl£ HOMME.
d^i oelui«ci avait développé cette Botk»i fondanieiilate i de manière à y n^lacher , le plu» simplement poteible , totttea les lois de T univers, le monde des eq>riiS| comme oelui des oorpê. »
Telle est en eiFet la fécondité de l'idée de substaoee i entendue comme il feut, dit Leitmita lui-même, que c'est d'elle seule que dérivent toutes les vérités pre* raières, touchant Dieu, les esprits et la nature des corps) vérités dont quelques-unes ont été aperçues par les cartésiens sans avoir été démontrées > et dont plu-* sieurs autres encore inconnues ont un hautdegré d'im- portance et d'application à toutes les sciences dérivées* « Or, pour éclaircir l'idée de substance, il faut re- montera cdle àe force ou d'éner^ffe, dont l'explication est l'objet d'une science appelée d^nemique^ La forée active ou agissante n'est pas la puissance nM de Té- cote ; il né faut pas l'entendre en effet , ainsi que les scolastiques l'ont fait, comme uue simple faculté ou possibilité d'agir , qui^ pour être ^ectuée ou réduite à Y acte f aurait besoin d'une excitation venue du dehors^ et coinme d'un siimulus étranger. La véritable foroe active renferme l'actioo en elle-même) elle est£nTÉL6- GHiE, pouvoir moyen entre la simple faculté d'agir el l'acte déterminé ou effectué. Cette énergie contient ou enveloppe Veffkfri ( cùnaium involvH ) , et se porte d'elle- même à agir, sans aucune provocation extérieure. L'énergie, la force vive, se manifeste par l'exeoiple du poids suspendu > qui tire ou tend la corde; mais, quoi- qu'on puisse expliquer . mécaniquement la gravité ou la force du ressort, cependant la dernUre raiêon du mouvement de la nature n'est autre que oMe fores in-
primée dans la cr^tion à loas les étrei ^ etWmstée drat chacun par Topposition ou la direction contraire de tous les autres. Je dis que cette force agissante {virluiem agendi) est inhérente à toute substance, qui ne pent être ainsi un seul instant êans agir y et cela est vrai dee substances dites corporelles^ comme des substances spirituelles* Là est Terreur capitale de ceux qui ont placé toute l'essence de la matière dans l'étendue > oo même dans rimpénétrabilité (les cartésiens ), s'ima«» ginant que les corps pouvaient être dans un repos absolu. Nous montrerons qu'aucune substance ne peut recevoir d'une autre substance la force même d'agir^ et que son effort seul, ou la force préexistante eneile^ ne peut trouver au dehors que des limites qui l'orr^lem^ et la déterminent. »
Toute la doctrine métaphysique et dynamique de Leibnitz est contenue dans ce passage^ Les cartésiens disaient : toute substance est complètement et esseiH tiellement passive ; nulle action n'appartient aux créa-» tures. *Ge principe, poussé dans ses conséquences^ amenait naturellement le spinastsmcj comme nous l'a- "VOUS vu ; Leibnitz établit la thèse opposée : toute siib* stance est complètement et essentiellement active ; tout être ^mpte a en hii-même le principe de tous ses cha&* geroents. Toute substance est force en soi , et fente force est un être simple ou substance. Pour faûre un monde semblable au nôtre, Descartes demandait la matière et le mouvement. Pour créw deux mondes k •la fois, le mcmde des esprits et celui des eerps*, Leibnitz ne demande que des foree^ actives y ou des éires simples qui aient en eux le prineipe de tovstews
368 PHUosoniiË modune.
cbaDgements ; ces ôtres simples sont connus soim le nom si célèbre de monades.
Chacune de ces monades a la faculté de représenter l'univers à sa manière. Dieu , la Monas mtmadum , qui connaît les rapports d'un seul être avec toute la créa- tion, voit à la fois l'univers dans le dernier atome de la nature. Or , de ce que tef être a des rapports né- cessaires avec tout l'univers, on peut bien conclure , dans un certain sens, que cet être repré$enie{ vtriael- kment ) l'univers , aux yeux de celui qui sait et voit tout ; c'est ainsi que nous disons d'un signe, d'un objet mort lui-même, qu'il représente pour l'intelligence vivante toutes les idées et les rapports divers que cette intel- ligence a pu associer : mais sur quoi fonder l'hypo- thèse d'une sorte de représentation réciproque entre ï objet perçu et le sujets entre leisigne pensé ou conçu, et l'esprit qui pense ou conçoit , en donnant au signe sa capacité repi^sentative ? C'est là vraiment le côté obscur de la monadologie , et Leibnitz n'apas cherché à l'éclaircir. •
Nous ignorons ce que nous sommes comme sub- stances passives; notre âme, quoi qu'en ait dit Des- cartes , considérée sous ce point de vue, nous est aussi complètement inconnue que toute autre substance do l'univers; mais chaque p^sonne individuelle sait du moins, certissimû sdentiâ et clamante consàentiâ, ce qu'elle est comme force qui agit et opère par le vouloir ; elle s'assure, par la raison , qu'elle n'est autre pour elle-même que telle force ou énergie; que c'est là le. fond deson être, comme c'est celui de sa viede conscience ou de son mot; que c'est là la seule chose qui demeure
DEUXIÈME ÉPOQUE. 369
ideilMque, quand tout le reste passe ^ ou est dans un flux perpétuel , au dedans comme au dehors ; que c^est en vertu de cette énergie, de ce pouvoir d'agir, que l'homme, for.ce intelligente et libre, prédétermine ses proprés sectes, conçoit l'idée du devoir, et réalise cette idée sublime quand même toute la nature s'y op* poserait; enfin, que ce que le sujet pensant est ainsi pour lui-même, au regard de sa conscience, il l'est absolument ou en soi aux yeux de Dieu, qui ne peut le >oir autre qu'il n'est, ni le juger passif lorsqu'il est ou se reconnaît actif et libre.
Le point fixe ainsi donné, la pensée peut prendre son essor, et, sur les ailes du génie de Leibnitz^ \oler rapidement d'un pôle à l'autre, ou remonter avec la lenteur de la réflexion suivant tes anneaux de cette immense chaîne des êtres, dont le système des monades offre une si grande et si magnifique représen- tation. Peu importe maintenant de commencer par l'une ou l'autre extrémité de la chaîne, de prendre la force dans le sujet ou dans Vobjet , dans le monde des re- présentations ou dans celui des êtres. La force est la même partout et ne peut différer que par les degrés^ C'est là, et c'est là seulement^ que peut s'appliquer une affirmation absolue , qu'on est surpris de trouver dans le livre de Locke , lorsque , parlant de la substance d'après Descartes , il abonde sans le vouloir dans le sens de Spinosa , en affirmant que la substance doit être la même partout, d'où l'on peut induire qu'il n'y en a qu'une sous diverses modifications.
Ici se présente la réponse directe à une question que Descartes se propose à luivmème dans sa seconde mé*
24
870 raiLOSOHIE «ODEWIE.
ditatioQ. Otex les qualités sensibles sous lesqndifk se présente l'objet étendu^ moluley figuré , coloré, etc. ( comme le morceau de cire qu'il donne pour^eatem- ple ) f que restera-t-il ? La réponse ontologique k cette question se fonde sur une analyse abstraite qui oob- duit à la notion d'une simple possilnlité ou capacité de modification y faculté nue, ou qmddUé de Fancvone école. Le principe de LeibnitE fournit seul une réponse directe et vraie, soit qu'on l'applique i l'oé^ei dans ie sens de Descartes, soit qu'on la rapporte au n^'er de h pensée, séparé ou se séparant lui-même, par l'acte de la réflexion, de toute modification accidenteUe, de tout ce qui n'est pas mm. Dans ce rapport au suj^ , la tendance, même virtuelle, ou la force non exercée, non déterminée ( énergie, powair moyen eatte la simple faeuUéei fiicte), est ce qui conslitdé le propre fond de
notre être; ce qui reste, quand tout change ou passe, sont les limites de l'analyse réflexi^e; un pas de plus, c'est l'absolu, l'être universel ( Dieu ou l'un de ses attri- buts ). Quant à Vobjetf l'analyse du composé donne un résultat tout pareil. Otez les qualités sons lesquelles le même tout concret se représente successivement ou & ta fois à divers sens externes, reste encore la force mm moi , en vertu de laquelle l'objet résiste à l'effort voulu, le limite, le détermine, et réagit contre notre force propre, autant que celle-ci agit pour la surmonter. En réduisant par analyse la résistance ((miitypia nuOertœ) à ce qu'elle est, on arrive nécessairem^it à une notion simple, distincte et adéquate de force absolue ou d'é- nergie, qui n'a plus rien de sensible ou de déterminé : e'est l'être simple, 4a nwnaée de Ldbnits conçue à la
MUIiÈIIE ÉPOQUE. Brlf.
fnaQÎèra àtml peut l'être notre âme elle-ai^iiiB , qn^Qc} on la dépouille de l'apercaption et de ia G0P8i0}e)|^;
Ainsi dispavalt cette grande ligne 4e d^^fc^tion établie par Descartes entre les subatan/se^ naat^érj^^l^a 4 immaténeiles y séparation plmtôt Ingi^ii^ que réelh^ ai que la )^gique «Ame, pionssée pliis loin , i&fm^ GffWr plétement e&cer , comipe Iq spino^i^flQe V^ tf OP 1^9 &U voir. Ia métaphysique réformée , 4i^ M- M^m d/s Biran , n'admettra plus «enlement dei)x grai^d^ çl^ss/ss d'êtres , entièrement sépa^éies Fiipe de l'^jjt^e, et ^il- duant tout intermédiaire ; nm $evle /el même phatp/; eBèt}Fm$B et lie tous les êtres de J^a cré^lon. M^ forcée ^ la vie, la pei*eeptjon, sont partout répartji/QS iSi^tre tpos l£s degrés. La Loi de jçontinMité ne ^uifr^ pojij^ ^If^^ ierruption^ m de saut, dans le passage d'nv 4fiff^ ^ f autre , et remplit sans \wm» , sjans possibilité de Y^le, rinter«aUe immense qui sépare la deriM^e niogi/f4e ,4^ la for^e înteUigeMte suprênp^ fïo» U^ ép^B^e.
Leibm'tz distipgMe une monade prioû^iye, lAlÇi^ie^ 0t dâs monades s^cowj^iries ou produites , pérJLsSï^bl/es et bordées ; sayojir : les »io^»ades sans afuerciep^o^ , ce sont las jcorps inertes ; f^vec aperception , x^esil-^'^ij^e les âmes ; les mçA^des avQc conscience obscure de leurs apereeptions , ce sont les 4wes des bêtes ; eaû^ jtes monades avec conscienee claire^ qe SCM^ les âo^ /rai- sonnables'^ ou les esprits. T,oute substai^ce sîiviple ou monade , lormant le contre d'jUi^e substance çon^osée^ d'an animal par e^^emple^ est environnée d*un assem* blage innombrable d'autres monades^ lesquelles con- stituent le corps appartenant à cette monade centrale.
il n'y a point d'^tion immédiate (t^yliu^^^^im^
I
I
372 PHILOSOPHIE MODERNE.
(entre des substances simples; il n'existe qu'une con- nexion idéale, c'est-à-dire une disposition de modifica- tions internes de chaque monade , qui les fait concorder avec celles des monades auxquelles elle se trou ve associée. C'est à cette harmonie que tient leur apparente com- munication , et elle a sa raison dans la sagesse et ia puissance infinies de Dieu, qui, dés l'origine des choses^ a voulu qu'il existât entre elles une telle correspondance; Telle est la doctrine de Vharmmie préétablie. Dans ce système, comme on le voit, l'âme humaine tirerait lout d'elle-même et ne recevrait en rien l'influence de celte autre agrégation de monades qu'on appelle le corps ^ et le corps ne subirait non plus en aucune manière l'influence de l'âme. 11 n'y aurait point entre le corps et l'âme réciprocité d'action , il y aurait simple corres- pondance ; ce seraient comme deux horloges montées à la même heure , qui correspondent exactement, mais dontles mouvements internes sontparfaitement distincts. Mais d'abord cette harmonie préétablie exclut la liberté humaine ; et ensuite , nier l'action du corps sur l'âme et celte de l'âme sur le corps , c'est sinon explicitement nier les objets extérieurs , du moins condamner l'âme à ne pas sortir d'elle-même et la réduireàlapure con- science, ce qui serait l'idéalisme pur, dont Leibnitz avait voulu pourtant se garantir.
Dieu est la raison suffisante, suprême, de l'univers^ le premier et le dernier terme de toutes les séries dans l'ordre des causes efficientes , comme dans celui des causes finales qui viennent toutes se résoudre en lui. £n tant que raison suprême , Dieu seul explique tout; c'est dans son point de vue seul que tout est entendu
DEUXIÈME ÉPOQUE. 373
et conçu parfiiilement, à titre de Térité, de réalité absolue. Seul il embrasse. T universalité des rapports des êtres moyens & leur fin qui e^ en lui , ou qui est lui-même ; dans son entendement divin est le vrai. Tu* nique siège de toutes ces idées ou vérités étemelles, prototype du vrai, du beau, du bon absolu, de tout ce qu'il y a de meilleur ; ce sont ces idées-^nodèles que Dieu contemple de toute éternité ; ce sont elles qu'il a consultées et réalisées en formant un monde qui est comme une émanation de son entendement, et par là même une véritable création de sa volonté toute-puis- sante.
Partant de l'existence d'un être infiniment parfait ^ Leibnitz déduit comme conséquence nécessaire du principe de la raison suflBsante et de la présence si- multanée dans Tentendement divin de tous les plans possibles d'un monde idéal, < celui du meilleur, du plus conforme à la sagesse suprême ^ où doit régner la plus grande variété avec le plus grand ordre ^ où la matière, le lieu, le temps, sont le plus ménagés; celui enfin où doit s'établir une cité digne de Dieu qui en est l'auteur, et de tous les esprits, soit des hommes, soit des génies qui en sont les membres , en tant qu'ils entrent , par la i^ison ou la connaissance des vérités éternelles, dans une espèce de société avec leur chef suprême. Telle est cette constitution du plus parfait état , gouverné par le plus grand et le meilleur des monarques, où il n'y a point de crimes sans châtiments, point de bonnes actions sans récompenses propor- tionnées; où se trouve enfin autant de vertus et de bonheur qu'il est possible* » Telle est la base de la
374 PHiLosopÉiE aoraiims.
théodicée de Leibnilz ; tel esl cet opîHfAame éml on peut attaquer le principe , dont mi peut oondamiier quelques consêquéBees, mais qui n'^i est pM moins le résultat des combinaisons les plM soblimes» en qui ne saurait étte que l'erreur d'un grand génie et d'u homme de bien.
liais ce h*e8t point eomttie fluteuf^ de.rhypolliéw de la thùhadohgie et de celle de Vharmmdê preéiaMkf que Lèibnitz a rendu de grands serWoes à Tesprli ho- ffialu t n a combattu avec un égal avantage la tefidaoœ ëxdUsitè de Técolè si^sualiste et de Técole IdéaKate ; et , se plaçant dans un point de vue supérieur , il a aa^ tout en reconnaissant ce qu'il y ttddvrai a#dè légitime dans les prétentions de chacune d*elUs ^ fliird toit* et condamner ce qu'elles ont de fam et dHbootnpleti
Il b écrit contre Locke un ouvrage sur le même plan et iouÉ le mélne titre que oëlu) de sën adversaire^ diTiaé éu autant de livres et en autant de chapitres p daoa lequel il le suit pied à pied^ de principe en principe et de Conséquences en conséqueueesi U se garde bian de nier Tihiervention de la sensibilité; il ne détruit pfis Takiome : // n'y a rieH dmé l'inMigêHte ijrttt n'y Scit venu detf sens; tuais il folt ceue réserve : Oui , maie excepté l'intelligence. Là réserve est immense : en effet ^ si rintelligence ne vient pas des sens , elle est ddtic une faculté originale; cette Taculté originale a dobc un déi^ loppetneutqui lui est propre et engendre des notions qui Itil appartiennent, et qui, ajoutées à celles qui naissent de Texe^dice simultané de la sensibilité^ complètent et con- stituent le doroàineentier de Ittcdiinaissattce humaine. La théoriee^clusivederempifismeéehouéoontrerotigectton
DBIWÈIIE tFOQOE. 37S
suivante : I^ Mns attestent ce qai est , ils ne disait point ce qui doit être ; ils ne donnent pas la raison des phé- nomènes; ils peuvent bien nous apprendre que ceci ott cela est ainsi » de telle manière ou de telle autre ; ils M peuv^t enseigner c(9 qui est nécessairement. H faut prouver que nulle idée nécessaire n'est dans Tin- telligence, ou il faut rendre compte de cet ordre d'idées par Iq^ sensation. Or, on ne peut nier cet ordre d'idées ni CQ rendre compte par la sensation ; donc les sens et Vempirisme^ qui expliquent un certain nombre de notioift f ne les expliquent pas toutes» n'expliquent pas celles qui expliquent et dominent toutes les autres.
«Voilà pour l'école de Locke. Leibnîtz n'a pas attaqué avec moins de force l'école cartésienne ; il est le pre- mier qui ait saisi le cût^ faible, le véritable vice du cartésianisme, savoir : la prédominance de l'idée de. substance sur l'idée de ^use. Nous avons montré, par l'exemple de Spinosa et de Malebranche, le danger qu'il y avait à négliger Tun des termes. Leibnitz a établi fortement que l'un implique l'autre, et que toute sab^t^nce est essentiellement cause. En effet, ou la sub- stance est comme si elle n'était^ pas , ou elle se manifeste, et se développe en modalités et en attributs : or , elle, ne le peut, si elle n'a pas en elle la vertu de se mani-- fester et de se développer , c'est-à-dire si, outre qu'elle est une substance, elle n'est pas aussi une cause, une cause de développement et de manifestation. Une substance qui ne serait point une cause serait une sjibstance qui ne se développerait , qui ne se manifes- terait pas, qui, par conséquent, n'admettrait aucun attribut distinct d'elle, et ne serait qu'une substance
376 PHILOftOPHIE MODEUNC.
abstraite, une entité scolasliqiie. Ainaî, ^lon Leibnitz, toute substance réeUe et non verbale est essentielle- ment douée d'énergie ; elle est une force : de ta le Dieu essentiellement créateur de Leibnitz ; de là une création nécessaire et non accidentelle > qui^st le déve- loppement même et la manifestation de Dieu, et qui par conséquent est parfaitement ordonnée ;' de là un monde composé d'êtres qui sont des forces ; de là enfin une âme humaine comme celle que nous avons et à laquelle nous croyons tous, une âme qui n*est pas seulement soumise à l'action du monde et de Dieu, mais qui a aussi en elle une puissance d'action qui lui appartient et ne relève que d'elle-même.
Les idées de Leibnitz, à l'exception de la doctrine des monades et de l'hypothèse de l'harmonie préétablie, forent enseignées et propagées en Allemagne par Christian Wolf, qui s'était préparé par l'étude des mathématiques , de la philosophie cartésienne et des ouvrages d'un contemporain de Leibnite, Walter de TscHiRNHAusEN , à devenir l'un des philosophes les plus profonds de l'école dogmatique. Son mérite j^in- cipal consiste dans l'unité, la solidité et l'enchaînement systématique qu'il sut donner à tout l'ensemble de la doctrine leibnitzienne , à l'aide de la méthode appelée mathématique ; mais son défaut fut d'outre cette mé- thode, et de la faire tomber dans tous les abus d'un formalisme pénible. On peut dire qu'il contribua par la lenteur et l'étalage futile des notions logiques à in- spirer le dégoût des études spéculatives , et particuliè- rement des recherches métaphysiques. La morale qu'il enseigna était noble et sévère ; elle était fondée sur
DEUXIÈME ÉPOQUE, 377
cette règle supMme : Fais que ta personne et Ion état deviennent de plus en plus parfaits (perfice te ipsmi ), et , pour y parvenir, travaille aussi à rendre plus parfait Tétat d'autrui.
SCEPTICISME.
Nous avons toujours vu le scepticisme sortir de la lutte des deux systèmes dogmatiques, comme pour avertir la raison , trop empressée ^ s'élancer dans le champ des conjectures et le vague des systèmes^ de s'arrêter, de modérer sa marche, et de procéder avec plus de prufence dans ses investigations. Un assez grand nombre de bons esprits s'efforcèrent encore au xvir siècle de lui rendre cet important service. A leur tôte est Pierre Bayle , né en 1647 à Cariât , dans le comté de Foix« 11 fixa son séjour en Hollande ; et ^ profitant dans toute son étendue de la tolérance religieuse dont on jouissait à cette époque dans ce pays, il répandit de là dans toute l'Europe une masse d'informations exactes et curieuses , relevées par une critique des plus fines et des plus animées , .telle qu'aucun individu à lui seul n'en avait donné l'exemple : heureux s'il eût su retenir dans les limites convenables sa passion pour les discussions sceptiques, et respecter la délicatesse des hommes sages et honnêtes sur les questions qui sont du ressort de la religion et de la morale !
Lorsque 3ayle fit sa première apparition en quah'té d'auteur, les suffrages des savants se partageaient entre Aristote et Descartes; un grand nombre inclinait à
9J9 raiLOfonnas kodeuik.
sOtttenir \m doctrines métaphysiques de Spinon et de Hobbes; enfin les discussions élevées mtre l'^IiM cMb<dique et les églises protestantes étaient dans toute
m
leur force.
Au milieu de ces controverses, Bayle, s'isolant autant que possible de tous les partis , se livra à son humeur sceptique et ironique aux dépens de tous les combattants , à quelque rang qu'ils appartinssent. On ne peut raccuser d'avoir montré de la partiidité pour aucune secte philosophique. U combat Spinosa et Hobbes avec la même vigueur , la même habileté et la même apparence de bonne foi qu'il combat les doctrines d'Anaxagore et de Platon : il traite môme les anciena sceptiques, dont la méthode philosophique aurait ^pii loi inspirer qudque intérêt , avec aussi peu de céré- monie que les dogmatistes les plus extravagants. On Ta souvent accusé de pencher vers le plus absurde de tous les systèmes I vers le manichéisme; nfais,.quoi^'ii n'y ait en effet aucun système en Jbveur duquel il Bit si souvent et si habilement déployé ses talents , un examen attentif de ses ouvrages prouve d'une manière évidente qu'il ne mérite nullement un pareil reproche.
Le DiDiiannaire phitoêophiqtue et crUique de Bajle con- tribua puissamment à la propagation des lumières : il s'y montre plutôt paradoxal que sceptique, de même qu'on trouve en lui plutôt un érudit qu'un penseur; il ne semble pas avoir été doué d'une grande lécondité d'invention; et un auteur anglais, M. Dugald Stewart, tout en rendant h^nmage à l'étendue de ses connais- sances ^ ne le range que parmi ces auteurs si estimables et si utiles, mais quelquefois si mal récompensés ,
auxquels le docteur Jonhmn a donné le nom de pUm-^ Merê de la UUérature.
Oq trouve un scepticisme plus prononcé dans Son* BIÈRE i l'ami et le disoiple de Gassendi ^ qui traduisit et commenta les ouvrages de Sextus Empirions ^ et dans l'abbé FocGBBB^ que ses contemporains surnommèrent U restaurateur de la nouvelle académie , et qui a écrit un livfe contre le dogmatisme de Descartes et de Maie* bfanèbe. Mail le soeptique systématique du dix-septième siècle est l'Anglais Joseph Glanvill » remarquable sur- tout par Mn argumentation contre Vidée de cause : ses attaques ont vraisemblablement préparé celles que Hume dirigea plus tard contre cette notion avec plus de talent^ de sagaeité et d'étendue.
U nous reste à parler d'une classe de sceptiques
qu'il faut bien se garder de confondre avec ceux que
nous venons de mentionner» Nous avons déjà remarqué
que les attaques dirigées contre l'infaillibilité de la
raison humaine n'ont pas été toujours dictées par les
mêmes motifs , et inspirées par les mômes smtiments«
En essa;ant| par exemfdci de faire ressortir l'incertitude
des connaissances humaines, Pyrrhon et Sextus n'avaient
point eu l'intention de substituer d^autres dogmes aux
dogmes qu'ils combattaient ; mais il n^en avait pas été
tout-à-fait ainsi des intentions que les nouveaux acadé-
miciensy et plus tard quelques Pères de l'Eglise, avaient
cachées sous les fausses apparences d'un universel
scepticisme. Pour eux, évidemment, le scepticisme
n'avait été qu'un moyen adroit d'assurer le triomphe
' de leurs doctrines, et, s'ils avaient mis tant de soin
à débarrasser le sol des systèmes étrangers qui leur
380 raiLOSoraiE moderne.
disaient obstacle , c'est qu'ils se persuadaient qu'ils y élèveraient plus aisément TédiGce dogmatique qu'ils se proposaient de construire.
Au dix-septième siècle, la philosophie, devenue tout-à-fait indépendante de la théologie, ne. pouvail manquer d'exciter l'inquiétude de l'autorité ecclésias- tique, et d'être de sa part l'objet d'une active suryeîl- lance. Les écrivains qui prirent la défense de l'ortho*
doxie ne se bornèrent pas à faire sentir la supériorité
•
des dogmes du christianisme sur les systèmes philoso- phiques, produits par la raison livrée à elle-même; ils attaquèrent ces systèmes , et s'efforcèrent de montrer à l'esprit humain combien il s'égare, toutes les fois qu'il ne s'appuie pas sur l'inébranlable base de la re- ligion révélée. Ce scepticisme apparent, que nous avons vu de nos jours se renouveler d'une manière si brillante dans les premiers écrits de l'éloquent abbé La Mennais, se fait remarquer, à l'époque qui nous occupe, dans les ouvrages de Lamothe-le-Yayer , de Jérôme Hirnsaîh, du savant évèque d' Avranches , Huet, et de Pascal.
Lamothe-le-Yayer a écrit, à l'imitation des anciens, et sous le nom ûctif d'Horatius Tubéron, des dialogues où l'on trouve à chaque instant ce principe, que, puisque la raison humaifae ne peut arriver à la vérité, il faut qu'elle s'adresse à l'autorité religieuse.
Jérôme Hirnhaîm était un religieux piémontais, docteur en théologie à Prague. Le titre seul de son livre indique suffisamment la nature et le but de son scep- ticisme : il annonce qu'il fera connaître la fausseté, l'orgueil, la présomption, la Tanîté, la difficulté, le néant de la science fondée sur la raison, qu'il appelle
DEUXIÈME ÉPOQUE. 381
h peste f \e^ typhus de Fespècc humaine, en montrant les avantages de la vraie science qui a pour base la sim- plicité et la pureté du cœur.
Pierre Daniel Huet, né à Gaen en 1630, se livra avec ardeur à l'étude de la littérature classique, des mathématiques et de la philosophie. Étant encore fort jeune ^ il étudia les écrits de Descartes, dont le sys- tème philosophique excita d'abord son admiration et son enthousiasme : plus tard il en devint l'antagoniste déclaré. Nommé avec Bossuet instituteur du dauphin, il se fixa à Paris, et commença alors à publier ses savantes apologies du christianisme. Il est de toute évidence que les arguments par lesquels il attaqua les prétentions de tous les philosophes, à quelque secte qu'ils appartinssent , et qu'il emprunta à Pyrrhon et à Sextus Empiricus', dont il avait fait une étude par- ticulière, n'étaient point le dernier mot de sa philo- sophie , et qu'il ne s'attachait à faire ressortir la fai- blesse de tèsprit humain que dans l'intention de le ra- mener à la foi. C'est uniquement dans l'intérêt de la révélation qu'il se plaît à énumérer les erreurs qui sont l'inévitable résultat de la raison abandonnée à ses seules forces. Il a raison sans doute de rappeler l'esprit humain à la conscience de sa faiblesse ; et quoi- que le service qu'il lui rend par ses critiques ne soit pas tout-à'fait désintéressé, nous devons lui en tenir compte. Mais il ne fallait pas pousser à l'extrême cette défiance envers la raison^ qui, après tout, est le seul moyen que le Créateur nous ait donné d'arriver à la connaissance de la vérité, sans en excepter même celle de la vérité révélée. Après avoir tant déclamé contre la raison ,
382 PHILOSOPHIE HOMME.
contre la faiblesse de Tesprit humain, dans qeel e^[iDip Huet publiait-il sa DémansiraîUm évangéliqtief A. qui prétendait-^ii prouver la certitude des faits énoneés daii# TÉvangile? C'était sans doute à l'esprit bumaia ! mais, après avoir convaincu l'esprit humain de ne peuveir atteindre la vérité , n'était-ce pas une eontradieCieB singulière que de venir lui proposer use dénonetnCioa évangélique? De deux choses Tune i oa la raiaoa est capable de connaître la vérité , et alors s'écroule UhK l'échafaudage des arguments sceptiques dirigés par HueC contre sa faiblesse; ou elle est incapable de la saistr, et alors pourquoi essayer de lui démontrer quelque chose?
Le scepticisme de Biaise Pascal dil^e de celui d^ révèque d' Avranches , en ce que loin d'être uo époa- vantail évoqué à plaisir , une combinaison inventée de sang-froid pour faire peur à l'esprit humaia de lui- même et le ramener à la foi , il est chez lui prolbndé* ment sincère et sérieux. Doué d'un génie hardi et d'un caractère énergique, Pascal se laisserait volontiers lAer à la tendance sceptique d'un esprit qui, pénétrant ao fond des choses, et peu satisfait du résultat <ie ses recherches, se retourne mécontent, prend en {^Ôé la science qu'il trouve trop bornée, et ne ^oit de tons côtés que des motife de dojute et d'inc^rticude. Mais i ees dispositions naturelles se réunit, dans TasQai, nne foi profonde : il a besoin de croire , il cherche la véiité dans tous les systèmes philosophiques , et, désespéré de n'y pas trouver un dogmatisme qui satisfasse à ses habitudes géométriques, il ne se repose qu'an sein de cette religion qui promet avee autorité ce qu'il vent
DCQUÈMB iMQIIB4 988
espérer sans crainte. Néanmoins , jusqae dans lea bras de la fiN, le fantôme du scepticisme le poursuit encore et Teffi^aie : de là le caractère mélancolique de son style, de li le vif intérêt qui s'attache à la lecture d'an livre où est représentée d'une manière presque drama- iique la lutte que soutioanent Tune contre l'autre une raison nalurellemeat sceptique et une foi vive et sin^ cére.
Les PeméêM de Pascal tir la reUgUm sont nn recueil de fragments trouvé^, après la mort de l'^uleur, dans ses papiers , et destinés à faire partie d'un grand oor vrage où il se proposait de démontrer la fausseté de toutes les religions profanes, de prouver le besoin que l'homme éprouve d'un système religieux, d'indiquer les caractères auxquels on peut connaître une vraie rdiglon , et de faire voir que le christianisme est en accord parfait avec ces caractères. On voit que ee grand homme tombait encoive dans cette inconséquence que nous avons déjà reprochée à ses prédécesseurs , et qm consiste à soumettre au jugement de la raison humaine des preuves et des arguments logiques en feveur de la vérité, après avoir cherché à lui démontrer à eUer même qu'elle est , par sa nature , incapable d'en sairâr les earactères.
ll¥STICiSME«
Les mystiqioes sont {4us conséquents : persuadés que nous ne pouvons espérer d^arriver à la connaissancs de la vérité par les procédés réguliers de la actence , ce «'est pas du moins à ces procédés scientifiques qu'ils
384 PHitosoraiE moderne.
ont recours pour exposer leurs crojances ; ils ne nû« soDuent pas pour prouver que la raison humaine est essentiellement sujette à Terreur. Ce n'est ni par Tinter- médiairedes sens, ni par l'intermédiaire de b raison, mais par l'intuition immédiate , qu'ils annoncent que nous pouvons directement atteindre le principe absolu de toute vérité, c'est-à-dire Dieu.
Les philosophes dogmatiques du dix-septième siècle avaient , comme on a pu le voir , usé largement de cette liberté de penser , dont les progrès des temps leur avaient pour jamais assuré la jouissance. Aussi, ce qui frappe d'abord l'historien qui veut étudier les systèmes développés pendant cette mémorable époque, c'est leur nombre et leur hardiesse. Mais cette liberté même, devenue la source de tant de découvertes utiles, avait dû nécessairement produire au^si les Inconvénients at- tachés à toute amélioration naissante ; et la critique pouvait relever, à côté des incontestables progrès qu'avait faits la raison humaine, de nouvelles et de déplorables aberrations. Le scepticisme avait donc dû se répandre en raison directe du dogmatisme ; et , par une conséquence naturelle, le mysticisme devait ac- quérir d'autant plus d'importance, qu'il venait à la suite d'un dogmatisme plus hardi et d'un scepticisme plus énergique. La liste des mystiques de cet âge est donc fort nombreuse ; mais, s'ils ont tous ce commun caractère de recourir aux moyens surnaturels pour arriver à la science , ils diffèrent entièrement quant à la tournure de leur esprit et au genre de leurs travaux. Il faut remarquer en effet que le mysticisme, dans son impatience de trouver immédiatement Dieu, le
D£UllÈMfi ÉPOQUE. 385
principe absolu des choses , peut le chercher ou dans Vâme, ou dans la nature : c'est dans le premier cas un mysticisme moral et métaphysique ; dans le second^ un mysticisme physique et naturaliste, si Ton peut s'ex- primer de la sorte.
Ainsi nous trouvons d'abord, dans la patrie de Bôhme, le (ils de ce Yanhelmont dont nous avons déjà parlé, savoir, Mercurius Yanhelmont, mystique natu- raliste, livré à l'étude des sciences occultes et à toutes les superstitions qu'elle produit. Il croyait ou feignait de croire à la métempsycose, à la panacée universelle , à la pierre pfailosophale ; et conime ses libéralités , ses profusions môme, semblaient peu compatibles avec la médiocrité de sa fortune, ses comtemporains suppo-» sèrent qu'il possédait le secret de faire de l'or. Doué d'un esprit singulier et très-vif, il avait appris dans sa jeunesse les procédés de tous les arts libéraux et de presque tous les métiers. 11 avait eu la fantaisie de se joindre à une caravane de Bohémiens , pour connaître leur langue et leurs ouvrages ; et il parcourut avec eux une partie de l'Europe. A son retour , il publia qu'il avait trouvé la langue que tout homme parlait naturel- letnent, avant la corruption de Tètat social, et alla jusqu'à prétendre qu'un muet de naissance en articu- lerait les caractères à la première vue. Après une vie fort agitée, il mourut en 1699.
L'Allemagne produisit encore à cette époque, outre If ARGUS Marci de Kronland , mort en 1676 , et Jean Engel de Silésie , mort en 1677 , Jean Amos , né en 1592 à Gomma en Moravie et appelé pour cela Gomé- nius, mort en Hollande en 1611 , et dont l'ouvrage
25
386 PBaosoMiE moeme.
est UB essai de réforme de la métaphysiqoe par le fliysUcisine ; il a pour liire : Syncfris pkgskes ad banen émnrnn refermatoBj 1633. Amoft suppose deux sub- stances, la matière et Tesprit, el la lumière comme intermédiaire.
On pourrait compter au nombre des mystiques les philosophes anglais Téophiie Gale et Cudworth ; mais (Mi les considère plutôt comme des idéafistes sans grande méthode; quant 4 H. Morus, il est décidément mystique» Morus avait été d'abord ardent cartésien , et Descartes lui avait adressé plusieurs lettres; ensuite il passa du cartésianisme au mysticisme , ce qui est assee naturel, car on doit se rappeler que^ comme le scepticisme est presque toujours sorti de Terapinsme , de même nous avons vu , et nous voyons encore , le mysticisme sortir de Fidéalisme. Un autre écrivaiB anglais^ Jean Pordage, prédicateur et médecin , intro* duisit en Angleterre le supcrnaturalisme de Bôhme , et ie présenta sous une forme régulière et systématiqne : il prétendit avoir reconnu la réalité des idées de son maître dans des révélations qu'il avait eues leinnême.
En France , Pierre Poiret , né à Mels en 4646 , et mort en 1719, développa dans un grand nombre d'ôa* vrages les maximes de ce spiritualisme mystique et Antérieur, qui plaît tant aux, âmes pieoses et sensibles, et dont on pourrait tronver des traces dans les écrits 4' un de ses plus illustres contemporains » le di^ et ;yertueux Fénélon. Le quiétisme, ou. la doctrine d« pur amour de Dieu, vers lequel avait été entraîné l'auteur des Maximes des Samis , trouva dans Poiret un ardcQt apologiste. Un de ses ouvrages les plus aai^
DEXJ&li^B ÉPOQUE. 387
cjMLiite est VÉcKm^mie dimm , oa SyMème taûpenel tUs œtt»re$ H de$ de^emê de Dku divers les hommsB. Seioa Poiret^ le mysticisme, a paur foadeiiaeiii, d'une paii rifitt^uissanee de h raîsoa ^ et de l'autre la eorruptioa de là volooié { de là la nécesaité de tout reûsvok d(i Die«, la vérité ^r la foi et la révélation, la iReiiii |^ In grâ^e.
l^ Qûyatieiaaie de Poi«et est surtout momI et pra? tique « tandis que celui de Pordage, d'Amqs et de VaAbelmottt est plufc6t mfstiqfm et naturaliste. €eLiii qui fijtt déiieloppé fim terd par SwÉnfiNBpAG, àm^ le nom clôt la liate des pUleaopbes de cette é|)«que^ réwtfticedouible caractère.
Né à Slackbotoi en 4668, Si^édenborg aivaît mçu de %&B pi^e.9 doiainé par des idées mystMfiies , une éduca-* tion ^n'i eiceioça sur son tcefaace .une ÂBOsuenee wuMjpiée ^ fe« an^e« parlent par sa bouche , disaient les amis de eon f)iére« Cependant , mA^m i^m impressiem ^ ;pl«8 tard reforirent totut leur em^ir^^ ce ne fut fMMAt par la Gaivière reUgieif^e ijju'iil détMMa. U ee dieliingua d'atond i^mne iittéi^ateur , ccwoie phyaictien, eoome luécar* liK)i^, ^maae géouiètre^ comaBae nûnôralogiate^ L'Aca* déoui^ ides sqi«AK)es (de Pws fit traduire un itraité .qu'il fmibJria^ en 1734^ sur le fer , oemMie ^'éerît k 9k» 9(itisfaisai]A qui e^ûstàt alors sur cette inaliiéiie.
Ce Skki l'année suivante qu'il ât paraltne siui Eeem ew l^i^ni., la omae finale de (g oréatian H le mé^anismeée Vmnkm de d'âme, ^ec le oerfis. A ,dater ^de ce moiwnt^ sa moation fut déternâuée. fiientât il annonce qu'il a des eommuniçations avec Iqs ôtces i^>ipituets, et desiaéwér lations sur le culte de Pieu et des eaMtte&JÊoriàuAeSi
388 philosophije: moderne.
Chargé^ prétend-il , du ministère sacré d'éclairer les hommes , on le voit , à la tète d'une fortune immense , relever et soutenir une foule de maisons de commerce d'Allemagne, par des bienfaits qui s'élevaient à plu- sieurs millions; il croit qu'il est de son devoir, en sa qualité d'intermédiaire entre le monde visible et le monde invisible , de ne s'occuper que des objets qu'il apprend des anges , et de les feire connaître aux hom- mes. Depuis cette époque jusqu'à sa mort, il publia une foule d'ouvrages où il exposa , dans un langage simple et dépourvu de tout ornement, le résultat de ses entretiens avec les esprits célestes. Dans tous , il parle en témoin oculaire , attestant ses conversations avec Dieu et les anges. A mesure qu'il achevait un de ces traités, il s'embarquait pour aller le faire imprim» à Londres ou à Amsterdam , et ils y étaient lus avec le plus vif intérêt.
Swedenborg était-il de bonne foi ? C'est ce qu'il est bien diflBcile de constater, mais ce que paraissent croire la plupart des historiens qui se sont occupés de cet homme extraordinaire. M. Grégoire (i), qui ne lui est pas très-favorable, s'explique cependant ainsi : c Ses visions sont un phénomène psychologique assez étrange. 11 les a , dit-on , débitées avec bonne foi , parce qu'il ne se défiait pas de l'illusion de ses sens. » Le même auteur cite ensuite l'exemple d'un savant de Berlin, qui avait éprouvé les mêmes phénomènes dans le cours d'une maladie, mais qui, toujours maître de sa raison, les avait étudiés en observateur. Ce qui pourrait confirmer ce soupçon , que justifieraient d'ail-
> (1) Histoire des sectes religtenses , 1. 1 , pag. 223.
DEUXIÈME ÉPOQUE. 380
leurs des observations récentes sur le magoétisme, c'est qu'il se forma, en 1737 , à Stockholm , une société dont le duc de Sudermanie et le prince Charles de Hesse étaient membres, et qui essaya de rattacher la doctrine de Swedenborg aux phénomènes magnétiques. Tous ceux qui ont été en relation avec Swedenborg s'ac- cordent à reconnaître qu'il avait dans son extérieur une grande simplicité , et dans le commerce de la vie un abandon de franchise qui n'est pas ordinaire aux charlatans. Dupe de l'illusion de ses sens et de son imagination , ainsi qu'il était arrivé à l'antique Her- motime, à quelques alexandrins enthousiastes, à plu- sieurs illuminés du moyen-âge , il se plut sans doute à se plonger dans cet état d'extase, dont la science mo- derne est peut-être au moment de reconnaître les causes physiques , et au sein duquel il crut recevoir , par une révélation surnaturelle, la doctrine religieuse qu'il développa ensuite avec force et conviction.
Quoi qu'il en soit, il a fait secte. Les Swédenbor* gistes professent dans plusieurs contrées de l'Europe le culte dont il est le fondateur. En Angleterre , ils jouissent, depuis 1783, d'une tolérance publique et avouée par le gouvernement , comme les autres cultes dissidents. L'opinion qui règne parmi eux^ que la nouvelle Jérusalem existe parfaitement organisée av centre de l'Afrique, les a déterminés à envoyer des laissions et à faire des voyages dans cette partie du monde : ils ne se contentent pas de condamner l'es- clavage des Nègres , mais ils font encore de continuels efforts pour abolir la traite ; heureux du moins d'être soumis à des croyances qui leur imposent l'obligation de se dévouer ù la sainte cause de V humanité!
390
PHiLOSOPfliC «OBCIUIE.
ffMMsÊOt ÉfOQim. — Depuis le milieu du dn«4iuitîdi
siècle jusqu'à nos jours*
î général de la méthode, avec un vaete dévehppetnent d*éruditian et de critique.
RE8UMÉ GÉNtRAL.
SMHiii AUsnoË.
C<mdittte. |
m. |
irao |
kotnsetu. il« |
tm |
Diderot» |
1784 |
Turgol. |
||
D*A1efflbefl. |
1783 |
Hutdiesoli. |
1TI7 |
|
D'ArMi. D^floTbâcti. |
1770 |
Smitk. |
1790 |
|
1789 |
Pricc. |
1791 |
||
HslTéOiis. |
1771 |
Reia< |
1796 |
|
Bonnet. |
1793 |
Oswald. |
||
GOBdOfMt. |
1793 |
Seattle. |
1803 |
|
GenoTesi. |
1769 |
Fermisen. |
1816 |
|
Bftsedow* |
1790 |
IfeiRielasIMi. |
1786 |
|
Balteux. |
1780 |
Uemsterhuys. |
1790 |
|
Priestlej. |
1804 |
Genre. |
1798 |
|
Darwin. |
180i |
Tétens. |
1805 |
|
Hoine-Tooke. |
1803 |
Kant. |
1804 |
|
Stp-JLsDlMrt, |
1803 |
BUimoii* |
1800 |
|
l'Iédemann. |
1803 |
Meners. |
IBIO |
|
Hcrder. |
1803 |
Pletner. |
1818 |
|
Dupais. |
1809 |
fteynhold. |
1823 |
|
Citeail. |
1808 |
Uftas. |
1823 |
|
Tittet. |
1816 |
Hoffbatter. |
||
Feden |
1821 |
|||
.Volncy. |
1820 |
|||
MBVTXOXBMS. |
arrsYiexdm. |
|||
•▼oltalw. |
m |
. 1778 |
st--Maruti. m, |
* 1804 |
Hume. |
1776 |
|||
PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE. |
||||
VS AJJLBMAGm. |
BN ANGLBTFRBB* |
|||
AOO&B BB |
ILAMT« |
*00&B <WIOS8AX8S |
• |
|
Gerlaeh. |
Dugald Stewart. |
|||
Kruf. |
Tb. Brown. n. |
1190 |
||
Pries. |
Sir James Blackintosli. |
|||
Teaneiiftiii. |
m |
. IWO |
TlOIftlAllK iMftUB. SM
Ecole de Priestley,
TRAKSCENDANTAL.
Fichte. m. iai4
Ecole physiologiste.
EN FRANCE. iMmLB 98 OoivUti&AO.
»« LA lUTOW.
Scbelling. 'Wagner. Knuse« Hegel.
Jacolii. nu m»
Kœppen.
]>B BBRLUf.
Destutt de Traey, - Laromiguière.'
*O0t»B BSTno&0OtflTB.
Gall.
Spurzheim. m. 1833
Brottwais.
iÉcUciismÊ.)
Il aiae de Birai. m. 18M
Rojer-CoUard.
Degérando.
Cousin.
Fréd. Schlécel. Damiron.
Saadêr^** lBfiAl.l«BrB mAo&OOTÇVB
«Mreal Demaistre. m. «819
Amj^«« «M«i«MM«^OT« DçBoiiald.
aOOIiB SOBVXIfVa. DelaMenaiia.
Brn. Schulze. Ballanche.
Beautaini
▲près la grapdaéfioque que noua venons do parcourir, il doit d'abord semUer peu prbiMible que Teâprît hu- inain , malgré sa hardiesse el son acUvîtô , puisse prendre un nouvel essor et reculer encore les limites de la seienoe. Avec Baoon et Deseartes , le xv!!"* siècle a ans au monde la vraie méthode philosophique ; II a marqué à la philosophie la base inébranlaMe sur laquelle devront s'appuyer ses travaux ultérieurs. Grâce à l'im- pulsion donnée par ces deux grands hommes , toutes les branches de la connaissance humaine ont feit d'ad- mirables progrès : dans l'étude des faits , dans l'obser- vation, dans l'analyse patiente et laborieuse /Thoïkime
8M FULOsÔpm MOMftias.
a trouvé te levier au moyen duquel il peut soumettre la nature entière à son action puissante* Un homme prodigieux semble résumer à lui seul oe grand siècle , c'est Leibniu ! « Leibnîtz , dit un des penseurs les plus profonds de notre époque (1), a étonné les plus grands hommes du plus grand siècle qui ait paru sur la terre, et le degré d'admiration qu'excitera ce vaste génie sera toujours la mesure de l'intelligence de ses lecteurs* » L'éloge est mérité sans doute ; mais , en lui donnant notre assentiment, distinguons bien le génie de cet iUns- tre philosophe , du sy tème qu'il a mis au jour. Quelque admirable qu'il soit, quelque force de tète qu'il suppose dans son inventeur^ ce n'est après tout qu'un sys- tème ; et un système , comme on Ta fort bien dit , est le roman et non l'histoire de la nature. Le siècle qui a vu naître l'auteur de la Monadologie , de la Raison suffMmie et de V Harmonie préétabliey a fait de bien grandes choses; mais un examen attentif ne tarde pas à prouver que les résultats produits par ces philosophes sont plus brillants que solide^ ^ plus ingénieux que vrais ; c'est en ce sens que, pour ce qui concerne la science qui nous occupe, nous avons dit qu'il se résumait dans la . personne de Leibnitz. Mis en possession de la vraie méthode, les philosophes de ce siècle n'en ont pas fait une application rigoureuse. Descartes, en effet, par la position de son fameux principe : Je pense, doncyexitie, . avait fixé à jamais dans la conscience le point de départ de toute la science philosophique. Il ne lui restait plus . qu'à appliquer à l'élude des phénomènes intérieurs les . règles de cette méthode expérimentale, qu'il avait lui-
(1) M. Hoyer-Gollard.
noisiiME tPOQJX. 913
même si nettement tracées ; mais ce poissant génie , abandonnant, dés le second pas, le fil qui devait le guider dans ses recherches^ s'était égaré, et, au Jieu de se boirner à constater et à décrire des faits , il avait mieux aimé expliquer les faits par des hypothèses. De plus , en concentrant toute certitude dans le fait extérieur de la conscience^ il avait mis la philosophie dans la nécessité de démontrer l'existence du monde matériel. Getabtme qu'il avait ouvert entre le dedans et le dehors , il crut ravoir comblé par sa foi à la véracité divine. Contestant avec raison la preuve de Descartes , Malebranche crut en trouver une plus solide en invoquant le témoignage de la révélation, et Leibnitz en imaginant l'hypothèse de l'harmonie préétablie. Le judicieux Locke ne put se contenter des solutions données. Il comprend et ap-* plique mieux que ses prédécesseurs la méthode d'ob- servation et d'analyse ; ses recherches psychologiques sont empreintes d'un esprit de sagesse remarquable. Mais lui-môme croit avoir résolu la question , tandis qu'il n'a fait aussi que mettre au jour une nouvelle hypothèse : celle de la conformité de nos idées avec les corps. Quels pouvaient être les résultats de pareilles hypothèses? Nous les connaissons. Après avoir admis l'existence du monde extérieur. Descartes ^ Male- branche et Locke ont prétendu prouver la réalité en la déduisant de la réalité des idées. L'hypothèse des idées admise, le seul système conséquent devait être celui de Berkeley : le monde extérieur est supprimé ; les idées sont les corps ; il n'y a dans la nature que des idées. Contre de pareilles absurdités , le bon sens humain a protesté par un scepticisme universel, et l'esprit religieux par le mysticisme.
8M PS&MMnB KMUITE.
Nous «ilfaiii aiaintmaat dans mie épo^pie bqi dans celle oà dm pereB oBt reça te jovr et qn M eièole qui noiu a tu naître. De mène que le xi sîède s'explique par celui qui précède, ainsi le mSue s'expliquera par rinfluence exercée sur lui par le xviu* : ear cette chaîne non interroinpue, doat nous ctojtqbs «voir fiât ressortir avec quelque évidence les prin- cipaux anneaux^ depuis TorigiDe de la philosophie , ne sera pas brisée ; comme tous les honunes des siédes ptécédents, nous hériterons des idées de nos pères ; comme «ix f nous comprendrons la néceasité de leor fiure fidre un nouveau progrès.
ÉCOLE SEI<SUALISTE.
COKDnXAC.
Ls philosophie du xviii* siècle est Tapplication uni- verselle de la méthode cartésienne. A une époque dont le caractère essentiel est une foi exclusive dans Tobser- vation et l'expérience, les systèmes fondés sur des hypothèses devront naturellement avoir peu de crédit ; et en même temps , comme une extrême liberté de penser sera devenue le privilège des philosophes , nous devons nous attendre à voir se développer dans toute leur étendue les conséquences qui résultent néoessu- rement de principes posés avec une entière indépen- dance. Aucun obstacle ne s'opposera au libre dévelop- pement des systèmes : nous pourrons donc définit!* vement les juger par leurs résultats.
La France, où tout s'use plus vite que chez les autres nations de l'Europe, avait été la première à se défier
TMISilÊlfB iMftra. HB
de» hypothèses hanrdées 4es discnpks de Deseirtst. YivMMDt frappée des résultats obtenus par leasdenoes physiques^ elle ne peavait accorder son attentioo Mx . spéoulatioûs philosophiques , qu'à la coudition de les vmr procéder par la méthode prudente et sûre à h- qaelle rastronomie et la physique étaient redevaUes de leurs immenses suocés.
Alors se présenta un homme doué au plus haut degré de l'esprit dont était animé son siècle* Condoxac avait puisé dans l'étude aj^rofondie des écrits de Locke la goût de cette méthode dont Tauteur de YEêmd $wr rêHiaidemeni humdn avait o£fert un si remarquable mo- dèle. U y joignit un talent extraordinaire d'esposition et de style. Procédant ûteo une facilité rare du ccmau à Vinoonnu s sachant répandre sur toutes les matières la lumière et l'agrément > il présenta sous une forme simple et claire à la fois les principes métaphysiques de la philosophie empirique développée avant lui , mais avec bien moins de précision , par Gassendi et Locke , et n'eut pas de peine à les rendre populaires chez une nation déjà disposée à adopter les doctrines fondées sur reipérietice sensible.
Pour bien comprendre le lien commun qui rattache à l'unité cartésienne les différents systèmes de philo* Sophie qui se sont produits pendant le xvui' siècle (car heureusement celui de Gondillac n'a pas été le seul) , il est essentiel que l'on se fasse une idée exacte de celte méthode analytique à laquelle il faut rapporter une partie des succès qui les ont accueillis* Deicartes a établi que c'est par la psychologie que doit débuter toute philosophie qui voudra s'appuyer sur une base
396 PBtLOso^nc moderne.
solide. L^homme ne sait que ce dont il a oonacience : il connaît sa propre existence, en développant son acti- irité ; il conçoit Dieu et le monde extérieur par les idées et les représentations qu'aperçoit son întelligaice : c*est donc en partant de l'analyse des faits qui se ma- nifestent dans sa conscience, c'est-i-dire de ses idées, qu'il pourra arriver i la certitude. Mais il ne suffira pas d'observer les phénomènes fugitife et variés de ce monde intérieur : après avoir fait le compte exact des idées , la conscience ne sera pas faite encore ; il faudra remonter à leur origine, puis approfondir l'importante question de leur légitimité, afin que l'esprit satis&it se repose dans la conviction et la certitude de la réalité des phénomènes qu'elles représentent.
Si la méthode analytique eût été employée d'une ma- nière aussi complète par les philosophes du xvnr siècle, nous croyons qu'ils eussent laissé peu à faire à leurs successeurs. Mais.cen'est jamais au début d'une révolu- tion philosophique que les théories s'appliquent d'une manière complète; heureux et fiers de posséder une mé- thode dont les résultats leur paraissaient avec raison devoir être aussi positifs que certains, ils ne la déve- loppèrent pas dans toute leur étendue ; et, chose sin- gulière ! les principales écoles de cette époque , ainsi que l'a remarqué judicieusement M. Cousin , se parta- gèrent les différentes parties qui constituent la véritable méthode. L'école de Gondillac , au lieu de constater les caractères actuels des connaissances humaines , s'occupa d'abord d'en rechercher l'origine ; l'école écossaise , fondée par Reid , se distingua surtout par le soin qu'elle mit à faire le compte exact des idées que possède Tin-
TROISIÈME ÉMOUE. 397
telligence développée ; enfin , c'est principalement la profondeur avec laquelle le célèbre Kant a développé la question de la portée légitime de nos représentations qui fait l'originalité de sa philosophie. Et ce n'est pas impunément, comme nous allons le voir , que ces trois hommes distingués négligèrent un des points de cette méthode qu'il fallait appliquer dans toute sa rigueur et toute sa portée : la science, par leurs soins , gagna sans d^ute en étendue^ en profondeur et en certitude ; mais leur philosophie ne fut pas encore la vraie philo- sophie ; mais leurs systèmes, quoique appuyés sur des faits réels , ne furent pas assez conformes aux vérités reconnues par le sens commun de l'humanilé, pour obtenir l'assentiment de tous les bons esprits.
Le premier ouvrage dans lequel Condillac essaya d'expliquer le mécanisme des opérations intellectuelles de l'esprit humain , fut son Essai sur Parigine des coH" naissances humaines (!)• L'origine de nos connaissances fut, selon lui , la sensation; mais il reconnut lui-même qu'il avait glissé trop légèrement sur les premiers actes de notre intelligence , et il crut en présenter une analyse complète dans son Traité des sensations , qu'il fit suivre d'un Traité des animaux , appendice néces* saire pour étendre ses observations à toute la classe des êtres animés.
Dans son Traité des sensations , le plus achevé de ses écrits, il imagina la statue d'un homme qui ne serait pourvu que d'un seul sens et à qui tous les autres manqueraient, afin de faire voir comment certaines facultés se développeraient par rapport à ce sens ; puis,
(1) Publié en 1746.
300 riUUHIOMlC MMEME.
aocordant suceem^eoDieat d'aotres sent i cette statue , il finit ptr lui donner tou9 ceux dont rbomme est pooira y et indiqua alors , avec beaucoup de pénétraUoA et de sagacité, q^ieb defaieot être lea rérattats de sa wppoeition.
Mais ^fuéique ingéniewea que fossmt iea dédoctiotts tirées par Gondillae du développement inteHectnel de aM koîMm'^sta^ie y il faut avouer que c*était là ime singulière application de la méthode d^obserfalioB. Partir d'une fiction y et analyser les conséquences pro- bables qui en résultent , ce n'est pas observer la nature teHe qu'Ole se présente au pbitoaophe; c'est firire Tbin- toire d'une nature imaginaire. A cette première sdmr- ration, Condîilac en joint une autre dont les oonsé- quenoes u^oat pas été moins fuaestes. Selon iuî , la métbode d'dbseraaiioa ne coosifile pas «eulemenC è ooBStaier , k énoméffer , a ciaasar les fiôls^ mais èîen & les «ysténaatiser , à les ranMner à un priuetpe coaMMUi, à leur origine, à VmkUé en nn mot. Mais s'il arrivait par haaaird que cette unité , chenehée avec tant de soin , n'existât |}as^ iftudnaûtrjl eu imaginer une à laquelle on raparAeratt de gré ou de force tous les éléineKts divers trouvés par l'analyse? Serait^oe Uen \k ia mè- tbode cfe Bacon ? Après avoir débuté par «ne taunlyae incomplète, ne serait-^ce pas terminer jMir une egrodièse ftUégilfioie ? On jpeut iatre à GonéiUac «e doMible repro- obe. U lui iaut d'abord un principe, dont jl se .char- gera enaaile de dé^elofiper «toutes les 'conséquences : ce l^incipe c'est la sensibilité; c'e^ dans la sensibilité qu'il voit rintelligence tout entière ; toutes les faouliés de l'homme ne lui paraissent que le dévelcfi^i^Bnt
TROISIÈME ÊTOOUC. 9M
Tftrié d'une première sensatîoii. Loeke ftTuH dH : tmoes leê idée$ viermenî de la MMMkn, ou de ta réflexim éê VesprH mr ses propres opiraûons. CondillM dî\ A son tour : toutes les idées et to réflexion elle-niAmê, qnél que sort l'objet auquel elle s'applique , Tiennent de ta sensatien. il faut voir au reste comment s'enchaînent toutes les parties de son système, landais le nécanismn de f entendement humain n'avait été expliqué d'une Hianfère plus simple et plus inteHigible.
€ A la première odeur , dit-il , la capacité de sentir est tout entière à l'impression qu'elle éprouve; voilà l'attention.
L'attention que nous donnons à un objet n'est de la ^rt de l'Ame que la sensaftîon que cet objet (bit sur nous» Un objet est ou absent ou présent : s'il est présent , l'attention est la sensation qu'il fait actuellement sur nous; s*il eist absent, l'attention est le souvenir de la sensation qu'il a faite. Voilà la mémoire.
Nous ne pouvons comparer deux objets , ni éprouver les deux sensations qu'ils font exclusivement sur nous, qu'aussitôt nous n'apercevions qûlls se ressembler eu qu'ils diffèrent : or apercevoir ^des resseioMaRces ou des différences, c'est juger; le jugement n'est donc encore que sensation. La réOexion n'est qu'une swite de comparaisons» La réflexion , lorsqu'elle perte sur des images, 'prend le nom d'imagination.
Haisonner , «'est tirer un jugement d'un autro juge^ ment qui le renfernaait ; il n'y a donc dans le raison* nement que des jugements et par craséquent des sensotie^ns*
400 PHILOSOMIE MODERNE.
L'ensemble de toutes ces facultés se nomme enten- dement : on ne saurait s'en faire une idée plus exacte.
En ^nsidérant nos sensations comme représenta- tives, itous venons d'en voir sortir toutes les facultés de l'entendement : si nous les considérons comine agréables, nous en verrons sortir toutes les £aicultés qu'on rapporte à la volonté.
La soufifrance qui résulte de la privation d'une chose dont la jouissance était une habitude, est le besoin.
Le besoin a divers degrés : plus laible, c'est le mal- aise; plus vif, il prend le nom d'inquiétude; l'inquié- tude croissante devient un tourment.
Le besoin dirige toutes les facultés sur son objet ; cette direction de toutes les forces de nos facultés sur un seul objet, est le désir.
Le désir tourné en habitude est la passion.
Le désir rendu plus énergique et plus fixe par l'espé- rance, le désir absolu, est la volonté. Telle est Tac- ception propre du mot volonté ; mais souvent on lui donne une signification plus étendue, et on la prend pour la réunion de toutes les habitudes qui naissent des désirs et des passions.
En résumé , la sensation , considérée comme repré- sentative, devient, par suite de (nmrfarmations succes- sives, attention, comparaison^ mémoire, jugement, réflexion, imagination^ raisonnement; voilà pour l'ai- tendemenu Par des transformations analogues, la sen- sation, considérée comme agréable ou désagréable, devient besoin, malaise, inquiétude, désir, passion; voilà la volonté.
La petuée est la réunion de toutes les lacoltés qui se
TROÏSlÈltfE ÉPOQUE. 401
rapportent à Veniendment , et de toutes celles qui se rapportent à la voUmié; et comme Félément générateur de la Yolonté et de fentendement est la sensation re- présentative ou affective, Téiément générateur de la pensée est, en d^nière analyse , la sensation. »
Tel est 9 selon Gondillac, le système des facultés de rame. Ainsi disparurent toutes les obscurités et toutes les difficultés qui avaient fait jusqu'alors de la mélaphy* êiqtie une science inaeccessible au vulgaire ; on trouva fort commode sans doute de pouvoir expliquer d'une manière si sipiple le jeu compliqué de nos facultés intellectuelles. Au mérite de la clarté^ le système de Gondillac joignait celui de celte analyse expérimentale que resprit du temps exigeait dans toutes les recherches scientifiques. Les ouvrages de Gondillac furent consi- dérés en France comme renfermant le Gode de la raison et du bon sens, et la doctrine de la senstaîm transformée devint la doctrine de tous les philosophes qui suivirent.
On oublia que si cette doctrine expliquait d'une manière assez satisfaisante les ressorts qui font agir une des facultés de l'esprit humain, il y en avait d'autres tout aussi réelles et non moins importantes, dont elle ne tenait aucun compte; c'était un singulier système que celui qui méconnaissait l'activité de l'âme^ au point de l'identifier avec la sensation, phénomène fetal et passif. Gomment se pouvait-il que la volonté, qui combat si souvent la sensation, qui si souvent sort victorieuse de celte lutte , fût confondue avec la sensa- tion? Quant à ces idées absolues, nécessaires^ d espace, de temps, de substance, de cause, à ces vérités ma- thématiques qu'aperçoit rîutelligence elquela sensation
ti6
403 raiLOfowE voMurs.
est impuissante à produire, otMimeot la himi% sortir de Texpérience? C'est ee dont on ae s'inqwéta que médiocrement : l'eifNrit satisfait se re|Misa au saia du système de la sensation traasforoiée; c'élail 09 système fondé sur !*qbserf%tioa et Texpéneacet à c^ titre, il devait obtenir rasseatimeat général. C'est ainsi que semblèrent avoir raisonné , sauf un bieo petit nombre d'exceptions , les philosophes français du imat siècle. Pendant près d'un siècle, le oondillacisaie a régné en France sans contestation , et ce n'est que de nos jours qu'il a succombé sans retour sous les attaques vigoureuses du professeur célèbre (i) auquel nous nous plaisons à faire remonter Torigine d'une révolotioD philosophique, dont les conséquences seront, naas devons l'espérer , aussi heureuses que fécondes.
I^a plupart des conséquences tirées par Gondillae de ce principe de Bacon : que tout ce que nous umau$ dtnm de Inexpérience ; et de cet autre principe de Locke : çw toutes nos connaissances résultent de la sensation et de la réflexion j avaient été déjà dévelopées, mais avec moiiis de clarté , par le philosophe anglais Hartust , dont nous avons déjà parlé , et qui, comme Gondillao , avait outré la doctrine de liocke. < Toutes nos ichëes les plus complexes 9 avait dit Hartiey, dérivent de la seoaatiaa , et la réflexion ne forme potni une sqêu^ particuHùf^ d'idées, comme le pepse M. Locl^e« 9 Un disciple da Uartiey, physicien célèbre, le dooteuir PaïKatun, professa la même doctrine et en tira plus rigouMa* sèment encore toutes les conséquences. Si rhcHama
(1) Voyei les Fragments des leçons de M. aoyer-CoHard , remis ptr M. Jouffiroy el imprunét à la suile de sa traducU<m d» Ttoonu aaid.
TMWita fi ÉPOQUE. 408
n'est considéré que comifie une ooUecHM de smsaiims y il devient assez diflBcile d'expliquer la liberté et la spiritualité (|e l'âme. Aussi Priestley est-il trèg*-disposé à nier Tune et Tautre : « Il n'y a pas, dit-il, dans l-he»fnedepx prindpes aussi dllfôreMg l'un de l'autre que kl maiiire et Vesprii* L'homme tout entier est un eomposé homogène , et des deux natures matértelle et immatérielle que Ton fait entrer dans le système universel du monde, il y en a une de superflue. » Mais si l'homme est up être purement matériel, si la fiioia)(é de penser est le résultat d'une organisation particulière du cerveau , ne s'ensuit-il pas que toutes ses fonctions doivent être réglées par des lois méca-> niqves , et dès lors que toutes ses actions sont déter- minées par une irrésistible nécessité? C'est ce dont ne craint pas de convenir le docteur Priestley, qui feit observer ailleurs « que la doctrine de la nécessité déeottle immédiatement de la matérialité de l'homme , parce que le mécanisme est une conséquence inévitable du matérialisme. »
Darv^in, autre philosophe anglais, successeur de Priestley > s'oprima avec plus d^ netteté encore sur cette question. « Les idées, dit-il, sont des choses matérielles. » La conséquence immédiate qui résultait de cette doctrine devait être. qu'il ne peut y avoif d'autre principe ippra| que id'éviler les sepsalions pé- nibles et de chercher les sensations agréables. Edouard Search, autre philosophe de la même époque, rap- porta en effet tous nos motifs d'action à l'intérêt per- sonnel.
Voilà donc encore la philosophie de la sensation
404 PHILOSOPBIB HODMNE.
conduisant irrésistiblement au matérialisme ci à la morale intéressée. Condillae et (Hartley avaient pro- testé d'avance contre une pareille interprétation de leur système des facultés de Tâme. < La mali^^ et le mouvement^ di^ Hartley , quelque division qu'on puisse ea faire, de quelque manière qu'on en raisonne, ne donneront jamais que de la matière et du mouvement. » En ^conséquence , il demande qu'on ne tire en aucune façon de ses paroles des conclusions contraires à l'im- matérialité de l'âme. Les ouvrages de Condillae offrent de même un grand nombre de passages dans lesquels il témoigne de son respect pour les vérités morales et religieuses. Mais ce n'est pas impunément que l'on pose et que l'on fidt adopter un faux principe : la logique a bientôt brisé les faibles obstacles que la timidité veut opposera sa marche rapide. Mais, en Angleterre, une école spiritualiste (i), s élevant à côté de celle de Locke, vint diminuer du moins son influence et arrêter son action destructive. En France, la philosophie de Con- dillae ne rencontra pas d'obstacles. De généreuses protestations osèrent en vain s'élever contre elle; la voix du siècle parla plus fort et ne permit pas de les entendre. Les tristes doctrines de l'athéisme et du matérialisme s'élevèrent bientôt sur les ruines de la religion et de la morale.
PHILOSOPHIE SENSUALISTE
EN FBANCE.
À la tête des écrivains français qui propagèrent en la dénaturant la philosophie de Locke , doit se placer
(1) L'école écossaise.
TROISIÈME ÉPOQUE. 405
cet homme prodigieux qui , cultivant avec [un égal SQceès tous les genres les plus élevés de la littérature , y laissa partout l'empreinte de son génie heureux et ' flexible. Mais ce n'est pas en développant d'une manière ! scieniilique et suivie une doctrine philosophique , que ' VoLTAiRi exerça sur l'esprit de son temps T immense i influence qui a rendu son nom si populaire. Placé en
> quelque sorte au-dessus de celte foule d'écrivains qui
> s'inspiraient de ses pensées , c'était lui qui semblait I donner le signal à ses amis, encourager leurs efibrts^
et imprimer à leurs travaux une direction systéma- tique. Le caractère distinctif de sa philosophie est un esprit de critique, un scepticisme superficiel et moqueur, qui s'expliquent d'abord par la nature de son esprit, et qui devaient être d'ailleurs l'inévitable I conséquence du système qui , après avoir placé l'ori- I gine de nos connaissances dans les mouvements de la sensibilité physique, ne pouvait manquer de conduire à des résultats opposés aux croyances éternelles du genre humain, et par conséquent d'inspirer quelque défiance et quelque doute à un homme doué comme lui de tant de sagacité et de bon sens*
Ce fut lui néanmoins qui, après avoir fait connaître I Newton et Locke à ses contemporains, signalant les travaux de Gondillac comme ceux du plus grand philo- sophe qu'eût possédé la France, y popularisa la philosophiede la sensation. D'Alembert, Diderot, Hel- vÉTius, d'Argens, b'IIolbac, Lahétrie, ne se con- I tentèrent pas d'expliquer par les impressions du monde I extérieur sur nos organes tous les phénomènes de l'intelligence; ils appliquèrent leur système métaphy-
406 PHILOSOPfen HOraRHE.
Bique à la morale, à la religion, à T histoire^ à Téco-» nomie politique} et oe fut dans le but d^aûèaotir non* seulement le catholicisme, mais encore tanit ce qui porte le nom de religion positite, qu'ils conçurenl la pian de cette Tàsle publication conove sous k nom i' EmeffÊfhpéJie ^ recueil immense renfermant sans douté plusieurs choses exoel lentes, mab rédigé, pMir os qui wncerne h philosophie , dans un esprit de partinliaé et de dinlgrement qui ne ss ressent que trop des dia* positions anti^religieuses de ses auteurs. A rentrée da «M M8€6 Bahel 4êi iemia$tideta ntaon^ comme Tap^^ pelle un écriirain moderne (l)^ d'AJembert et Diderot placèrent «a dkcamrs prétmimire ^ qtli est hn des mell« Iburs morceaux de Tou? rage, et daiîs lequel, emprantant à Baeen la elasbiiication eUcyelepédiqne des connair sanoes humaines , ils eherohèrent à mohtrer l'eadml^ neshent des sciences et des arts, et de tracer rhlsioirs dss progrès de l'eqsrit humain, jusqu'à la naissanoe des lettres* Tous les deux adoptèrent le nataraliime et en eiposèrent Ite principes qu'ils appliquèrent i l'st^ nalyse de l'esprit huhiain et A Tétode des fceaQx<*«rU». D'Alembert était un mathéitiaticieh du premier ordre ^ et il a mérité une grande renomàfée par ses travaux eeleSitifiques. Quant i Diderot , le talent dont il a donni ifuelques indices n'a reçu aucune applieatiod entiers, Il était doué d'une Ame ardente et désordonnée. Ssas oontiaissances profbntles sur aucunes choses, saas persuasion arrêtée, sans respect pour aucune idée reçue, pour aucun sentiment, il erra dans le vague^ en y faisant parfois briller quelques éclairs. < Au total)
(4} Ji. ee €lilteauM«na.
tfiDiSlilIB ÉPOQUE « Hfn
d^ M. de Baniite (1) , Diderot fut un écrivain funeste à la Uttératore comme à la morale.. Il devint le modèle dé ces hommes froids et vides, qui apprirent à son écc4e comment on pouvait se battre les flancs pour se donner de k verve dans les mots , sans avoir un foyer intérieur de pensée et de sentiment. »
Un ami de Frédéric le Grand, de ce monarque phU iMôjihe qui i plein d'enthousiasme pour la littérature Ihittçaili» appela auprès de lui les savants les plus diMiogués de eette époque, Jean Boyer, marquis p^Anéfiiii ^ lisait à répandre parmi les gens du monde le goAt des études philosophiques, par la publication de M PhtbMpMBéi bon sens , ouvrage conçu dans l'esprit do sensualisme, mais où il montra bien moins de hardiesse que ne lé fit ensuite un autre favori de Fré- dérie ^ LAiiÉTtttfi. Cet apôtre du matérialisme a rendu éoû tkùOk célèbre par la publication de trois traités qni ont pour titres : F Hùntme-MacMne , Traité de Cdme, et FUemmé^Ptante. il s'efforça de prouver la non-exis- tende d'une âme spirituelle et l'identité absolue de ce <{ue le vulgaire appelle ftme avec le corps et son orga- nte&tioiié Ses arguments, combattus par M. de Luzac, àmê un ouvrage auquel il donna pour titre : l'Homme fiShffiiB moe/iine, se réduisent en dernière analyse à l'ej^p-^tion de cette idée, qui déjà n'était pas bien neuTi?, et à laquelle tout le talent d'un physiologiste fiMueux de nos jours (2) n'a pu donner plus de vie ^ sa- voir t que toutes les opérations de l'ftme dépendent du eorps , et que par conséquent on ne peut démontrer
(1) Tableau de la liUératûre au xviii« siècle.
4M PoiLosoMiE voneiiiiE.
ni sa spontanéité ^ ni son activité absolue* Ce qai se réduit à prouver ( ce qu'aucun spiritualiste ne nie ) que le corps est un organe indispensable à rame, dans Tétat actuel de son existence ; c'est-à-dire , qoe le corps détermine et modifie Taction de rame, de même que l'âme à son tour détermine et modifie celle du corps.
Mais aucun écrivain n'employa plus d'adresse, d'hft^- bileté et de passion pour ébranler jusque daa» leurs fondements les principes de la religion , de la morale et de la politique , que l'auteur du livre devenu si cé- lèbre sous le titre de Système de la nature. Le bot de cet ouvrage , que l'on attribue avec beaucoup de vraiaen- blance au baron d'Holbach (1) , est d'établir le fatalisme et l'athéisme sur des bases philosophiques. L'homme , dit l'auteur, n'est malheureux que parce qu'il mécon* naît la nature, et qu'il veut ôtre métaphysicien avant d'être physicien. 11 est donc nécessai re qu'on le rappelle à l'étude de la nature, d'après la voie de l'expérieDce. La théorie exposée dans le Système de la naimre a de nombreux rapports avec celle d'Épicure ; mais les arguments en faveur de l'athéisme sont mieux déve- loppés et adaptés aux découvertes de la physique moderne, à l'état de la science philosopliiqae,^^^ croyances religieuses et aux doctrines mora^ ^s peuples.
Après avoir présenté quelques considérations sur le mouvement et la matière , qu'il prétend avoir existé de toute éternité, l'auteur enseigne que l'homme est soumis aux mêmes lois générales que les autres choses
(1) n M publié à Londres, eo 1770, sous le nom supposé fie IfinilNnd»
TROISIÈME ÉPOQUE. 409
de la naUire. Sa vie n'est qu'une suite de mouveinents néoessaires et liés qui ont pour principes, soit des causes refermées en lui-même^ c'est-à-dire les matières solides et fluides dont son corps se compose^ soit des causes extérieures qui agissent sur lui. Ce qu'on appelle intelligeiace dans . rhomme n'est qu'un résultat des actions mécaniques, d'où proviennent tous les autres phénomènes de la nature.
L'homme se fait toujours le centre de l'univers : c'est à lui-même ifu'il rapporte tout ce qu'il y voit. Dès qu'il croit entrevoir une façon d'agir qui a quelque confor- mité, avec tarsienne, ou quelques phénomènes qui l'intéressent y Jl les attribue à. une cause qui lui res- semble ; c'est donc à une cause intelligente à sa maniée qu'il rapporte toute la nature : ainsi s'est formée l'idée d'un Dieu intelligent qui produit l'ordre de la nature.
On ne. omçoit pas ce que c'est qu'un pur esprit; lorsque l'homme veut se former une idée de l'âme, il faut nécessairement qu'il ait recours à des caractères iQatériels , ce qui prouve déjà que cette âme ne peut point être immatérielle. L'âme n'est donc autre chose que le cerveau ; c'e^ le centre commun du système nerveux, le point où aboutissent tous les mouvements des nerfs, c'est-à-dire toutes les facultés de l'âme.
m
Les facultés intellectuelles et morales n'étant pas les mêmes chez tous les hommes, cette diversité met entre eux de l'inégalité, et ceitte inégalité fait le soutien de l'état social. La nécessité que l'homme vive en société rend pareillement la morale nécessaire. Mais comme ce qu'on appellequalités morales n'estque le résultat immé- diat du tempérament , c'est la médecine qui peut seule
MO raiLO80Mlt ItOftElllfk.
dODuer att moraliste la olef du oœor humaitt : en ^é^ riaèaDt le corp«y il serait assuré de guérir aussi Tesprlt.
L'homme est un être physique , lié à la nature uni* terselle^ et soumis aux lois nécessaires et immuable^ qu'elle impose à tous les êtres qu'elle renierilie t s'il était Ubre , comme on le prétend , il fiiudraU qu'il flkft tout seul plM fort que la nature entière, ou qu'il ttt, hors de cette nature.
Il est de l'essehce de l'homme , comme de tdus les êtres de la nature, de tendre au bien^re et de vouloif se o«nserter^ Tous les mouvements de sa nature sont des suites nécessaires de cette impulsion primitive. Il aime 1» plaisir et abhorre la douleur. U failt done tté- eessairement que sa volonté soit détwmlnëe par les sbjets qu'il croit utiles, et repoussée par ceux qu'il sroit nuisibles* Ce que nous appelons délibératioti n'6st autre chose qu'être successltement attiré et repoussé, fout loi est donc mécanique.
C'est surtout pour combattre le dogtne de Fimmor^ tklité de l'flme que l'auteur du Système de la fMtfiars emploie toute la force de sa logique : il termine éOû argumentation par l'apologie dn suidde, qu'il ta ju^u'à i^ecommander en certaines occasions.
Yeiei sa morale :
tlien de plus chimérique, dit-il, qu'une morale qui se fonde sur des mobiles imaginaires qu'on a placés hors de la nature, ou sur des sentiments innés indé- pendants des avantages qui doivent en résulter p%r fldus. Il est de l'essence de l'homme de s'aimer lut- même , de vouloir se conserver , de chercher à fendre «Ml etisMnM lMHreusê4 Ainsi l'iiiiéfét on te éésir dd
fconhrar est Tani^Qe mobile de toutes ses aotiohs. Cet imérôt dépend de son organisation tctueile, dé ses besoÎBS) de ses idées acquises ^ des habitudes qu'il i contractées.
On a dit que Tathée ne poutait avoir de Vertus ; rien de plus faut : uh athée est un boinnie qb! a étudié M sature et ses lois ^ qui connaît éa propre natii^e et qui sait ce qu'elle lui impose. Un athée à de l'expériëhce t eelte expérieneé lui proute à chaque instant (}ue le tice peut lui nuire ; son intérêt, qu'il comprend , lui indique donc qu'il doit bien se conduire à Tégaird de ses isem* MaUes ^ et ^égler ses propres penchants de ménièfe I me pas comfnroimttreaon bonheur^
il sens a bieil fttita exfioser tout au lohg cet Kbrégé des doiitrinea db la philosophie senstMlîstedd k Viu* siècle. €é ne MMt pas^ en eflkt) les doetl'tnes pr^fe^éés pa^ MB individu isdlé, par dn rdtenr èâiMittâ hëi^ dek limites de la raison par une iibâgiiiatiikl tagftbonde et dérégiéeé Qud qu'ait été rautiur du Syêtème de ta nohtre; il ne fUsait que coordonner les arguments qu'il en^^ tendait répéter autour de lui ^ et qUe rehfërmaietat déjà ao grande partie tes ouviagea publiés par les eneydlo- pédistes. On eoaiiali le tnoi dfune fotntne d'esprit dé «ette époque^ qui dit, à l'apparition d'un attli^ livre non moins célèbre ^ dans lequel Helvétitts essaya de prouver ((ue toutes nos vertus n'ont pour base que régime i « C'est un homme qui a dit le sédtet de li»ui la^monde. »
S'il est vrai , ooteme oa le -pvétend , que le livhe dé VEgprii ak été composé de matérhioit recueillis pal^ Helvétius dans la société où il avait habitude de Vitre;
413 raiLosoraiE moderne.
et qu'il présente le tableau authentique des principes alors en vogue parmi les beaux-esprits de Faris , que pouvons-nous penser d'une société qui avouait publi- quement une pareille doctrine ?
C'est dans cet ouvrage qu'Helvétius s'eibrce de prouver que la cause de la supériorité de Tàme humaine sur celle des bétes ne provient que de la diffëreooe de l'organisation physique.
ç Si la nature, dit-il d'un air de triomphe, au lieu de mains et de doigts flexibles, eût terminé nos poignets par un pied de cheval , quLdoute que les hommes , sans arts, sans habitations, sans défenses contre les animaux, tout occupés du soin de pourvoir à leur nourriture et d'éviter les botes féroces, ne fusseit encore errants dans les forêts , comme des troupeaux fugitib ?» On peut lire dans les Mémoires de Xénophon la réfutation &ile par Socrate de cette ridicule doctrine , qu'avaient admise les sophistes de la Grèce. Nous trouvons aussi, dans le Traité de Galien sur l'usage des diverses parties du corps, un passage qui répond directement à t'asser- tion du philosophe français :
c Gomme de tout les snimaux l'homme est le pl«s sage, aussi les mains sont-elles adaptées aux besoins d'un animal sage. Car ce n'est pas parce qu'il a des mains qu'il est plus sage que les autres animaux, mais c'est, au contraire, parce qu'il est plus sage que les autres qu'il a reçu des mains, ainsi que le pensait judicieuse- ment Aristote ; et ce ne sont pas ses mains <prf l'ont formé à l'étude des beaux-arts : c'est sa raison. Les mains ne sont que l'organe avec lequel il met cette étude en pratiqife. »
TROISIÈME ÉPOQUE. 413
Helvétius avait pensé que l'on pourrait , en partant des principes de l'intérêt pei^sonnei^ composer à l'usage des peuples un Quéchisme philosophique, dont les maiûnies seraient claires, positives, invariables. « 11 dépend du législateur, ajoutait-il , de rendre les citoyens vertueux : la récompense ^ la proiecikm, la gUrire et l'iit- fanHe^ sont quatre divinités qui peuvent répandre les vertus et eréer des hommes illustres dans tous les genres. » Le vœu d' Helvétius a été exaucé. Nous avons vu d^ nos jours publier , sous son expression la plus franche et la plus naive, ce Catéchisme de Morale dont l'observation devait faire le bonheur des peuples. YoLNEY fit pour la morale d'Helvétius ce que le grand médecin Cabanis avait exécuté quelques années aupa^ ravant pour sa doctrine physiologique , en exposant, d'après le Traité des Sensations, avec toute l'autorité d'ua savoir incontesté et tous les attraits d'un style élégant et varié, les rapports du physique et du moral. Derniers représentants de cette famille de philosophes qu'avait produits l'école de Condillac, ils ont prouvé que la différence des temps n'empêche pas un système donné de produire ses inévitables conséquences. C'est un singulier livre de morale que celui dans lequel Volney se borne à enseigner à l'homme que sa suprême loi est de se cemerver , et à lui conseiller par con- séquent de ne point commettre de crimes , d'après cette considération que la loi ne manquera pas de le punir ! Mais cette morale découlait tout naturellement du système philosophique qui identifiait les plus nobles et les plus sublimes créations de l'esprit humain avec les mouvements les plus grossiers de l'organisme.
414 PiaOMMDi HOMUUIB.
Ainii i68 diseiple» de GoiiéiHae eo France, de néme que ceux de Locke et de Baeon en Angletnre, s'âlnn* çant hors des limitée dans lesquelles la sagesse da leop maître avait circonscrit leur doctrine, dé^ppadaienl la nature humaine , et renversaient hardiment tonlM )« lois de la morale > tous les principes eonservalean de la société. 11 faut avouer que l'esprit général de la natioa lea portait naturellement à ae livrer i toute h fougue de leur imagination^ à tout le vague de leurs tjiéoriee. Mji c^était une idée universellement répandue que notre étal social devait subir des réformes radicales. La eor« ruption des mœurs , triste résultat des exempiea légués à la cour de Louis XV par les turpitudes de la r^fence; rineptie des hommes du pouvoir, cherchant à dissimultf leur faiblesse ^ous le voile d'une tyrannie petite, tra* cassiére, immorale; le triste état des finances, publi- quement dilapidées, tout semblait justifiais hardiesse des philosophes , que le cri public appelait à la noWe mission de détruire les abus. Certes noqs ne oon* mettrons pas F injustice de méconnaître les immenses services que la philosophie du xvui* siéole a rendus è la société française : mais il faut lui adresser les mêmes reproches que nous pouvons également Isire à cette graiide révolution de 80 , sur laquelle elle a exercé une si puissante influence. Dans soi) impatîenoe d'en finir aveo le mo]ren*ége, la révolution Crangaise n'a pas teu* Jours respecté les limites devapt lesqueliea devais s'arrêter son action destructive. De même, entraînés psr leur sèle, les philosophes du xvm* siècle, en 8od«^ mettant ù l'analyse les éléments constitutif de la société, songèrent plus souvent à détruire les institattons qû
TEOISlàMB ÉPOQUI. 4lK
leur paraissaient iricieuses , qu'à indiquer les bases sur lesquelles on devait en établir de nouvelles. Convenons aussi qu'une théorie philosophique qui faisait dériver t0U3 les développements de l'intelligence et de la moralité humaine d'un principe aqssi variaMe, aussi individuel, que ealui de la sensibilité physique, était éminemment fmpte i égarer les écrivains du xvni* siècle dans une voie étroite et exclusive. Mais cette doctrine devait en- traîner une conséquence d'un autre genre. Après avoir atliiquë successivement les principes théorétiques sur leiquels se fondent les lois morales, la croyance à l'existence de Dieu et à l'immortalité de Tâme, on ne pouvait manquer d'appliquer le même esprit de critique aux principes de la science elle-même : il fallait bien que I^ philosophie aensualiste produisit le scepticisme. Deji les écrits de Voltaire offraient asses clairement cette tendance à combattre les prétentions des philo- aophSs dogmatiques; et^ quoiqu'en général il parât adopter les théories de ses amis relativement à l'origine de la connaissance humaine, il avait plus d'une fois exprimé des doutes sur la certitude des principes em- pruntés i r^périence. Cependant il ne songea jamais k développer méthodiquement les motifa qui pouvaient sefvir de base à ses opinions sceptiques. Il n'en Ait point de mêmd du philosophe écossais DAVia Hmm ^ qui, du point de vue enfùrique de LockeetdeCoiidillae, ei^aminaot avec autant de sagacité que de profondeur la naltire de l' homme considéré comme un être intel- ligent et actif, déduisit de cet exameq un aystàmç fortement lié, dans lequel il sapa jusque dans jours fondements tous les principes de la science humaiid.
416 raiLosoruiE moderne.
SCEPTICISME DE HUME.
Locke avait démontré que par les sens nous ne per- cevons rien autre chose que des qualités sensiUes, éi nullement Texistence des objets : c Avoir Tidée d'une chose dans notre esprit, avait-il dit, ne prouve pas plus l'existence de cette chose que le portrait d'un homine ne démontre son existence dans le monde , ou que les visions d'un songe n'établissent une véritable histoire. • Si Locke eût été conséquent, il aurait conclu de cette doctrine que nous n'avons aucun moyen de nous as- surer de l'existence des corps extérieurs , et qu'en dé- finitive nous ne percevons que nos idées : cette cùa- clusion , comme nous l'avons vu , fut tirée par Berkeley. Gondillac , à son tour , entraîné par la logique à cher- cher sur quels fondements repose notre croyance au monde extérieur, avait été forcé de conclure que les sons , les saveurs , les odeurs n'existant pas réelISment dans les objets, mais dans l'âme qui les perçoit^ nous ne percevons en définitive rien autre chose que nos propres modifications.
Hume, poussant avec la plus grande vigueur de logique les conséquences déjà tirées en partie par Gon- dillac et Berkeley, prouva, dans une suite de raisbn- nements bien déduits , qu'il ne saurait y avoir de connaissance objectwe philosophique , et que nous sommes réduits à notre conscience , c'est-à^^lire , aux phénomènes qui passent devant elle, et à leurs relations purement subjectives (1).
(1) Les expressions que noas avons soulignées o&l besoin d*é(re expU* quées.
tROlSlÉME ÉPOQUE. Ail
Tout ce qui se passe en nous , dit Hume^ se réduit à des impressions ou des sensations , et à des notions ou idées; ces dernières ne sont que des copies des premières; et tout ce qui les distingue de leurs ori- ginaux, c'est qu'elles sont moins fortes et moins vives.
Sur quoi repose notre croyance à la réalité d'un fait? Sur la sensation, sur la réflexion, et sur le rapport de cause à effet. Mais d'où nous vient cette notion de causeà effet? C'est une notion purement expérimentale; nous ne la possédons point à priori; ce n'est point un principe nécessaire, et rien de moins raisonnable que de conclure de Tune à l'autre. C'est une habitude que nous avons prise, et qui résulte uniquement de l'as- sociation de nos idées. L'expérience nous a montré en eiïei un certain nombre de phénomènes et d'événements, liés à d'autres événements et à d'autres phénomènes ; mais l'expérience ne peut nous apprendre que ce qui se passe actuellement devant nous, et ne nous donne nullement le droit de tirer la même conclusion hors des limites du présent, et par-delà l'observation sen- sible. Or l'expérience se fonde en définitive sur un
Je touche un eorps; il y a là trois choses, savoir : lo moi qui conçois « 20 ma concepUon , 3» la chose conçue. Je suis le sujet de la conception , la chose conçue en est XobjtU Pour moi, il y a deux faits certains : la réalité intérieure de la concepUon , dont Je suis le sqjet ( certitude subjective ) ; la réalité extérieure de la chose conçue ( certitude objective ). Biais, pour les philosophes qui n'admettent qu'un fait certain par lui-même , c'est-à-dire la conception actuelle , la certitude immédiate ou naturelle est purement sub^ jective, Qn'est-ce que robjet alorsY C'est une apparence, un pkênomhte. -* n est essentiel que Ton se fasse dès maintenant une idée exacte de ces expressions qui Joueront un si grand rôle dans la philosophie de Kant et de ses successeurs»
27
r i
AlB PHILOSOPHIE MODERNE*
f instinct qui pourrait nous abuser ; il p'est donc point
[ de métaphysique possible.
La géométrie et l'arithmétique sont les objets de b science abstraite ; les idées d'espace et de nombre m
*
lesquelles ces sciences sont fondées, font tomber la raison en contradiction avec les sens e( avec eUe-m^me. En efifet, l'espace est divisible à l'infini, et cepeQC|ao| il est fini dans le point y dans la ligne. L'angle compris entre un cercle et sa tangente est infiniment plus petit qu'aucun angle droit. On démontre tous ces Ciits, et cependant ils révoltent la raison. Il en est absoimnent de même pour l'idée de temps : ici il existe un nombre infini de moments dont l'un succède à l'autre» et Teo- ^loutit en quelque sorte : la raison ne conçoit point cette, succession , et cependant elle ne peut la réfuter. Il faut donc qu'en toute circonstance elle se défie
d'elle-même.
Il
En résumé, l'expérience ne nous donne aucune connaissance certaine , la raison est sans cesse en con- tradiction avec elle-même ; par conséquent, nous ne connaissons rien de réel.
Hume place le principe de la vertu dans le sentiment moral, que, dans son système, il est bien difficile d'expliquer. Le suicide ne lui parait pas un acte immoral.
Il employa à combattre les preuves de ^existence de Dieu, de la providence, de l'immortalité de Tâoie, h même puissance de raisonnement qui lui avait sern à ébranler les principes de la science*
Ce nihilisme dbsolu, raison dernière de la philosophie de la sensation , doit parler assez haut pour 1^ ^^
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TROlSlÈlfE ÉPOQUE* 4ii>
apprécier à sa juste valpur : c'est par les conséquences que l'on peut juger de toute la portée d'un principe. Condillac et Hume nou3 apprennent que les corps, comme les esprits, ne sont que des collections de sen- sations, et d'après ce procédé Ton est bientôt amené à poiiser que Dieii n'est lui-même qu'une collection d'efTets. Hais, comme l'a si bien dit U. Royer-Gol- Isird (i) , des collections ne sont pas des êtres; il n'y a point de collections dans la nature : nous vpici donc arrivés à ce terme où , le ibonde physique et le monde intellectuel s'écroulant à la fois, la sensation règne seule au-dessus des abîmes du néant/
AUTRKS PHILOSOPHES SENSUALISTES.
Depuis Condillac jusqu'à Hume, nous avons suivj daps ses progrès ( si l'on peut appeler progrès cet encbainemept iSEtlal de conséquences déduites d'un principe erroné) la marctie de l'école aensualîste eq Angleterre et en Fir^tnce. Mais déjà, dans ces deux pays, plusieurs philosophes avaient protesté, au nom de la religion et de la mora^ , contre ce débordement de funestes doctrines. Partis, comme Helvétius et Gon- dillac, du principe de la sensation, ils aimèrent mieux manquer aux lois de la logique qu'aux droite sacrés do la religion et d|e la vertu ; il^ respectèrent tttut ce que ' les générations précédentes avs^ient respecté; et, s'ils \^e purent édi%r spr la base qui leur servaii d'ai^Mil une science rationnelle et posilive, ils trouvèrent du moins de nobles inspirations dans ce sentiment morale
( 1 j f rapnenlâ recueillis par M. Jouifroy , p. 4ï5«
420 1»U1LOSOPHIE MODERNE.
dans cette sympathie généreuse , que T influence d'une société corrompue n*avait pu eflacer de leurs cœurs.
Charles Bonnet, de Genève, fut celui de tous qui se donna le plus de peine pour rattacher à la théorie de la sensation la nature morale et les croyances reli- gieuses ; mais nul autre aussi ne fit voir mieux que lui l'impossibilité d'arriver par cette route au but qu'il se proposait d'atteindre. Gomme Condillàc, il avait supposé que l'homme est une statue, douée d'un principe inconnu auquel il n'accorde d'abord aucune propriété particulière, mais dont toutes les facultés naissent, se forment et se développent par Faction des objets extérieurs. Plein de zèle et d'amour pour les sciences naturelles, qu'il cultivait avec succès, il s'oc- cupait sans cesse de connaître les ressorts de Torgani* sation matérielle ; mais sa persuasion intime , ses habi- tudes , le cercle où il vivait , tout le ramenait à une morale élevée et à l'amour de la religion ; et c'est précisément parce qu'il n'avait aucune défiance de lui- même, et qu'il ne songeait pas à douter de l'essence divine de l'âme, qu'il faisait une large part à la nature physique. Cependant il avait trop de pénétration daus l'esprit pour ne pas s'apercevoir du peu de liaison qu'il y avait entre ses opinions sur les rapports intimes du physique et du moral , et ses principes religieux : aussi ^ pour expliquer une métaphysique qui tendait malgré lui au matérialisme, a-t-il été forcé de convenir que toutes ses recherches s'appliquaient, non pas i^ l'âme en elle-même , mais à une certaine âme phy- sique, formée d'une matière délicate , subtile et mys- térieuse, par l'intermédiaire de laquelle l'âme propre-
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TROISIÈME ÉPOQUE. 421
ment dite communique avec le corps : supposition bizarre qui ne pouvait être que le résultat d'une grande bonne foi et d'un amour sincère de la vérité, mais qui prouve que Bonnet n'avait pas calculé d'avance quelles pourraient être les conséquences du principe qui lui avait servi de point de départ. Ses deux prin- cipaux ouvrages sont V Essai sur les facultés de l'ânie et la Contemplation de la nature.
On ne trouve non plus aueune trace de l'esprit d'ir- réligion et de critique désordonnée qui caractérise un si grand nombre d'écrivains du xvui* siècle, dans le grand et important travail qui a rendu immortel le nom de Montesquieu. Laissant loin derrière lui ceux de ses contemporains qui appliquaient leurs théories philosophiques à l'éfiide de l'histoire, de la législation et du droit des gens ; bien supérieur aux Mably , aux Real, aux WATTELLet aux Burlamaqui, il songea, après avoir payé, dans ses Lettres persanes y le tribut à la frivolité de son siècle , à élever un monument plus durable et plus; digne de lui. Grave, sérieux, réfléchi^ il alla, loin d'une société dont l'influence l'aurait em- pêché de se livrer à la méditation et à l'étude, observer en véritable philosophe les lois et les constitutions des différents peuples. Il voulut rechercher comment les lois positives dépendent des mœurs, de la forme des gouvernements, des circonstances physiques, des évé- nements historiques , enfin de tout ce qui forme l'en- semble de chaque nation. Le résultat de cet immense travail , auquel il consacra toute sa vie, fut Y Esprit des lois»
Il serait injuste d'oublier dans cette revue, quelque
422 PHfLOSOPfllÈ MODERNE.
rapide qu'elle soit, le nom d'an philosophe pea connu de son teinps , quoique Voltaire lui-même eût su &]>- préciertout son mérite (i), et encore moins connu du Kôtre: c'est le P. Bufpier. Une grande clarté dans iestyle, une excellente méthcide d'exposition, distinguent ses divers écrits, dans lesquels il essaya de concilier les principes de Locke avec ceux de Descartes. U reconnut la réalité des vérités premières qu'il définit : des pro- positions si claires , qu'elles ne peuvent être prouvées ni combattues .par des propositions qui lé soient davan- tage. « Il feut donc, dit-il^ s'en rapporter sur leur cehitude au bon sens, au consentement unanime dfe tous les hommes jouissant de leur raison. »
Mais celui de tous les philosophes français qui dfe- mèufa le plus étranger aux influelices de la philosophie empirique fut, sans contredit, J.-J. Rôussejlu. Op- posé à l'esprit de son siècle , défenseur généreux des droits iinprescriptibles de la morale et de la liberté , interprète éloquent des besoins du sentiment religiebx, il représente presque seul en France cette philosophie spiritualiste qui semblait être , à cette époque , pour jamais bannie de la patrie de Descartes et de Fénélon. Au^ milieu 4es contradictions sans nombre que pré- sentent ses ouvrages^ où viennent se refléter toutes les vicissitudes d'une vie agitée et malheureuse^ on trouve ehez lui l'amour de l'humanité, le sentiment le plus vif de reconnaissance pour l'auteur de la nature, le respect le plus profond pour les lois de la morale. Sans doute
(1) « u y a dans ses Traités de métaphysique, ditril, des morceaux que Loeke n'aurait pas désavoués ; et c'est le seul jésuite qui ait mis un< p^iito^ ftopbie raisonnable dans ses outrages. »
.*. I
le sfiiritQalisme de Roasseao ne repose point sur une théorie mélhodique et raisonnée ; mais ces élans d*unê âme tendre et sensible , froissée par l'infortune et dé* goûtée du spectacle de Ja corruption qui l'entoure ; ces touchantes inspirations d'un cœur vraiment impression-* né par tout ce qu'il y a de bon et de beau dans la nature, dans la religion et dans l'homme, charment Timagi* liation et reposent la pensée , fatiguée du spectacle de h lutte que tant d'autres philosophes avaient engagée eantre les plbs nobles croyances du genre humain.
Elles trouvèrent encore un interprète moins éloquent sans doute, mais plus eiact, plus judicieux et plus iprofond, daiis l'illustre Turgot, dont l'article JSj^feitdr, in$éré dans l'Encyclopédie, est le meilleur morceau de métaphysique qui ait paru dans le xviii* siècle. Il n'est pas de notre sujet de suivre cet homme de bien dans la carrière politique où il montra constamment autant de zèle que de désintéressement. Il prit une pah active aux travaux des écanamisies y dont les efforts avaient pour but de réformer les abus de l'admini- stration. Ceux-ci se partageaient en deux écoles : l'une, ayant pour chef Quesnay, plaçait dans les produits agricoles la source de toutes les richesses , et bornait la science du gouvernement a favoriser Tagriculture ; l'autre, attactice aux principes du conseiller d'état Vin- cent DE GouRNAY , voyait dans le travail manufacturier la seule richesse de TÉtat, et insistait iK)ur que le gou- vernement demeurât spectateur passif de l'industrie et du commerce ; sa maxime était : Laissez faire , laissez passer. Turgpt était lié avec Quesnay , et ami intime de Gournay. Il entreprit de concilier les deux systèmes,
424 PHILOSOniE NOMRNE.
doût les estimables auteurs , tendant au même but par des routes opposées, étaient cependant d'accord sur les moyens de faire prpspérer Tagricullure et le com- merce. Alors naquit cette science nouvdle, à qui les travaux d'Adam Smith , de Garnier, de Sismondi, de Bentbam, de Malthus, et do tant d'autres économistes modernes 9 ont donné une si haute importance.
C'est dans un discours qu'il prononça à l'âge de 23 ans, en sa qualité de prieur de Sorbonne, sur les progrès successifs de Cesprii humain , que Turgot mit ao jour cette grande idée , développée plus tard par Goif- DORCET : que l'espèce humaine obéit à une loi constante, qui est celle d'une perfectibilité à laquelle il n'est pas possible d'assigner un terme.
L'idée émise par Turgot fit con^prendre à Condoroet le vrai sens de l'histoire. Seul des philosophes du xviu* siècle, il sut reconnaître en elle renseignement de l'humanité, et, dans l'exploration des routes déjà parcourues , la raison des progrès et des découvertes à faire.
L'ouvrage dans lequel il exposa ces principes a pour titre : Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'es- prit humain. H le composait au moment même où, poursuivi au nom de cette liberté à laquelle il avait consacré sa vie entière, il errait d'asile en asile pour mettre sa tète à l'abri de la proscription.
c Le progrès de l'esprit humain, dit-il, est soumis aux mêmes lois générales qui s'observent dans le déve- loppement individuel de nos facultés, puisqu'il est le résultat de ce développement, considéré en même temps dans un grand nombre d'individus réunis en
TirOMIÈME ÉPOOOE. 425
société. » Ce principe le menait à la conviction de la perfectibilité indéfinie de l'espèce humaine. II s'est exagér^é sans doute cette perfectibilité , lorsqu'il a s^vancé que l'homme parviendrait probablement à prolonger sa ^ie de plusieurs siècles. Il n'a pas senti assez clairement comment l'homme exerce sa puissance; il n'a pas vu qu'il ne crée pas de nouveaux éléments daiA sa pensée, dans sa constitution physique et dans ses rapports avec le monde ; que ses conquêtes ne peuvent être qu'une connaissance plus profonde , une révélation plus vive de la nature , posée par Dieu même comme un pro- blème à résoudre dans le cours des siècles. Mais, quoique sa main ait pu faillir dans l'exécution du ta- bleau qu'ila tracé quelques instants avant de porter sa tète sur Téchafaud Tévolutionnaire, il n'en a pas moins la gloire d'avoir produit avec éclat cette haute et noble pensée qui semble devoir présider à tous les travaux du xix* siècle.
ÉCOLE ÉCOSSAISE.
C'était un philosophe écossais qui, appliquant à l'étude de l'homme la méthode expérimentale de plus en plus dénaturée, en passant de Bacon à Locke et de Locke à Condillac, était arrivé à des conclusions devant lesquelles le bon sons devait nécessairement reculer épotwanté. C'était donc en Ecosse que devait commencer la réaction qui, devenue de plus en plus énergique contre les doctrines sensualistes , devait enfin faire rentrer la philosophie fourvoyée dans les larges voies du spiritualisme.
4S6 PHfLOSOraiE kODEHNË.
Au milieu des ruines sur lesquelles semblak s'Atre reposé satisfait et tranquille le génie destructeur de Hunoe» s*élevait encore, respecté par cet audacieux sceptique, le sentiment moral. Sur ce débris, échappé comme par hasard au naufrage de la raison humaioe^ HuTCBESON essaya de construire une nouvelle doetrfne qui y naturalisée en Ecosse par ce professeur doué d'an esprit ^f et naturel , présentée sous des formes simples et fiiciles à retenir, sVIeva peu à peu att rang d'une science philosopbrque.
Sbaftesbury était parti de cette considération qu'il y a un ordre de plaisirs et d'affections qui dififêrenl des plaisirs et des affections privées. Le point de départ de Hutcheson fut le même; Le système de la sensibilité était alors tellement répandu ,'qu'il eût été absolument impossible de s'en affranchir tout d'un coup ; et Hm- cbeson eût couru risque de ne pas se faire comprendre, s'il se fût élevé de prime abord à de& idées et i des conceptions tout-à-fait opposées à la doctrine univer- sellement reçue. Mais , sans sortir de la sensibilité , il établit une théorie du beau et du bien tout-à-fait diffé- rente de celle que les philosophes sensoah'stes avaient adoptée. 11 fait distinguer en effet dans le développement de notre sensibilité deux effets qu'il faut bien se garder de confondre. Il y a des affections externes qui n'ap- partiennent qu'aux sens ; maïs il y a en même temps un sens inliiiieur qui jouit et souffre quelquefois en même loraps (]ue la sensibilité physique, mais qui souvent jouit ou souffre sans elle, ou même contra- dictoirenieal à elle , et qui juge que la sensibilité extérieure a tort ou raison de jouir ou de soufirirà
Titoisitue ÉPOQUE. âfn
Appliqué aux arts » ce sens intérieur devient le sens du bean; appliqué à la connaissance des actions bu* maines, il devient le sens du bien. Eclaircissons cette théorie par deux exemples :
A la vue d'un naufrage terrible, mes sens sont dés- agréablement affectés. Ces cris, ces signes de détresse, ce canon d'alarme , ce désordre affreux , ine gênent et m'attristent ; et cependant ce spectacle me parait beau. L'océan bouleversé par les vents , les nues sillonnées par les éclairs ^ me semblent sublimes; il y a là un certain plaisir; barbare si Ton veut, mais réel , dont le carac- tère est profondément désintéressé. Il est désintéressé, |iarce qu'il précède tout eftlcul, parce qu'il est spontané, parce qd'il se produit avant toute conception d'utilité ou d'avantage extérieur, parce que, rebelle à la volonté^ il Se soustrait à sa dépendance.
C'est là le plaisir du beau, selon Hutcbeson.
Dans un pays luttant pour son indépendance et pour sa liberté, le général ennemi , en passant dans Un village i somme l'alcade et le curé du Heu de lui donner des renseignements qui doivent être dirigés contre les leurs. Siir le refus du curé , il le fait saisir et fusiller sur la place. Interrogé à son tour, l'alcade , sans daigner lui répondre, s'avance calme et intrépide près du ca- davre de son compatriote , s'agenouille , et , sans faste, sans ostentation, y reçoit la mort en. héros. Au récit de ce dévoûmaut sublime, mon âme est' profondément contristée; la nature physique souffre el gémit; mes larmes coulent. Mais, tandis que la sensibilité extérieure souffre, quelque chose d'intcriour me dit : cela est bien; et j'éprouve une émotion soudaine et involontaire ( ma
42ft PflILOSOPHIE MODERNE.
tête se lève^ mon cœur se gonfle et bat plus vite; il semble que mon sang coule plus librement dans mes veines. A cette sensibilité noble et désintéressée ré- veillée en moi , je sens que je suis vérilaUement un homme. Tel est, selon Hutcheson, le plaisir du biea. Après s'être attaché à prouver que ce n'est ni aux sens extérieurs ) toujours variables , ni aux raisonne- ments laborieux , mais au sentiment moral que nous devons rapporter la connaissance du beau, Hotcheson lie ces recherches avec celles qu'il a développées sur
m
les idées du bien et du mal moral , et soutient que oe sentiment moral, qu'il a établi comme principe de nos jugements, n'est pas intéressé. Autre chose est le plaisir, autre chose est l'intérêt. Il est touchant qu'à la vue d'une fleur, d'une belle statue, de formes gni- cieuses, un être sensible soit spontanément aflecté d'un sentiment délicieux ; mais aussitôt qu'il considère l'avantage que peut lui procurer l'objet du plaisir qu'il éprouve, il n'y a plus rien de pur et de spontané en lui ; il y a réflexion , et par conséquent intérêt. Le plaisir n'est point produit par l'intérêt, mais il en ^t le fondement. Ce sont donc deux choses qu'il faut bien se garder de confondre.
Après avoir montré que le principe de la morale, quel qu'il fût , était désintéressé , Hutcheson chercha ce principe et. le trouva dans la bienveillance. Adam Smith son élève, connu principalement par son traité classique sur la richesse des nations , présenta ce sys- tème d'une manière plus scientifique, en développant sa doctrine de la sympathie , dans le bel ouvrage qui a pour titre : Théorie des sentiments moraux. Par la sym-
TROISIÈME ÉPOQUE. 429
pathie , nous noqs supposons à la place de celui que nous voyons agir, et nous jugeons de la convenance de ses actes d'une manière impartiale, dégagés que nous sommes d'ailleurs de ses diverses positions per- sonnelles. De ces jugements impartiaux résultent autant de règles générales pour toutes les actions particulières. Le résumé de cette morale est : Agis de telle sorte que les hommes puissent sympathiser avec toi.
Fergusson introduisit dans la philosophie écossaise un esprit d'analyse plus exact et plus sévère. Attaché à la morale sympathique de Smith , il ne put cependant s^Qûipêcher de voir que cette doctrine était incomplète, puisqu'elle excluait la volonté, qui contient elle-même toute morale. Helvétius et Smith avaient imposé à la volonté, comme loi unique, le premier l'égoîsme, le second la sympathie. Fergusson, en adoptant ces deux lois soifS le nom de loi de conservation et loi de société , s'éleva au-dessus de ces deux philosophes , en démon- trant l'existence d'une troisième loi, qu'il appelle loi d'estime, d'excellence et de perfection. Bien qu'il soit encore ici vague, indécis, indéterminé, c'est cependant un immense pas. fait vers la philosophie rationnelle. Il était réservé à Reid de sortir de ce vague , pour établir une véritable méthode.
Les trois philosophes que nous venons de mentionner n'étaient pas parvenus à dégager la morale et la con- naissance humaine des liens de la sensibilité physique. Richard Price s'éleva à une* plus grande hauteur, en opposant au principe empirique qui fait sortir de la sensibilité toutes nos connaissances, un, principe tout contraire^ savoir, que l'entendement ou la faculté
430 PHlLOMniE IIO»ERlfE.
pensante est essenUellemeot distinct de la seDsibiltté , et qu*il eu résulte un ordre de biis dont les caniclères lui sont exclusivement propres et ne peuveni être confondus avec ceux des foits sensibles* Cet écriiraiD éclaircit avec beaucoup d'babileté plusieurs des ques- tions morales les plus importantes, et combattit le système du sens moral, comme incompatible avec la caractère immuable des notions fondamentales de la vertu et du devoir; reconnaissant dans ces notîoiis , ainsi que dans celles de substance et de cause, des principes primitifs et éternels de T intelligence, indé- pendants de la volonté. Price a parfaitemoit exposé la différence essentielle qui sépare la moralité de la sensi- bilité, la vertu du bonheur, et en ipéme temps les rapports qui rattachent Tun à l'autre ces deux derniers éléments.
Il y a beaucoup de rapports entre la morale adQ|>tée par ce philosophe et celle qui fut plus tard enseignée par le célèbre Kant.
THOSAS R£ID.
Mous voila déjà bien loin de la morale d'fielvètius el du scepticisme de Hume : mais cette première époque, représentée par Hutcbeson, Smith et Fergusson, oÏÏre encore un certain caractère d'indétermina|ion dans la forme et dans le (ond de ses doctrines philosophiques* Déjà sont mieux appliquées les règles de la méthode ; mais, pour qu'elles le soient complétemem c^ rigou- reusement , il faut une main plus sûre et plus exercée. La voie était préparée, Thomas Reid y entra, et> ie
TBOISIÈME ÉPOQUE. 431
(lambeau de l'observation à la main, il la parcourut d'une marche plos^ ferme et plus assurée (i).
Etonné des conséquences justes et inévitables que Bume avait tirées du principe de Locke sur les idées, Reid voulut examiner ce principe avec soin. Il aborda fvanctiement l'examen des résultats que lui présentait cette pbilosophie y et se posa cette première question : y a-Hl ou n'y a-t-il pas des corps ? Allant ainsi au cœur du système , il ruina le principe des idées , telles que les avait considérées Técole sensualiste, et vit aisément qu'il n'était pas obligé d'admettre les consé- quences d'un principe qu'il désavouait. Aussitôt que Reid eut reconnu dans une question particulière la nécessité d'une méthode exacte et sévère, il la trans- porta dans les autres questions de la philosophie, et sentant la nécessité de renoncer à ces croyances faciles nées d'observations incomplètes et inexactes, illa-pri( pour guide dans toutes les recherches qu'il entrepris dans la suite.
La seule question de la réalité des corps, qu'il venait de poser , met en jeu une foule de facultés, et nécessite l'application d'un grand nombre de lois de notre nature. Conduit, en approfondissant cette question, à donner un cours de métaphysique , Reid y porta toujours la même rigueur de méthode. Lorsqu'il étudiait unç faculté, il la considérait sous toutes, ses faces et l'a« naljf sait dans tous ses éléments. Examinait-il une loi,
(1) Voyez, pour de plus amples développements , le discours prélimiDaire placé par M. Buchon en tèle de sa traduction de VHistoire des sciences méta- ^ytlqtiet, ponU4|iie6 et motalet» depuis la renaissance des lettres, par Dniali Slewart
432 PuiLosoruiË moderne.
il la considérait dans ses applications diverses , pour saisir au milieu des changements qu'elle éprouve l'idée précise qu'il faut y attacher. C'est ainsi que l'on vit réellement appliquer pour la première fois en philo* Sophie les préceptes* donnés par Bacon dans son Navum organum , et par Newton dans ses Regnke ptàlasûphtmdi.
Le scepticisme de Hume fut attaqué avec plus de force encore par James Beattie , professeur de morale à Edimbourg, qui reconnut avec Reid un sens commun supérieur à l'expérience , et par lequel les principes de la connaissance sont déterminés. Ce sens commun est y suivant lui, une faculté de l'esprit humain , qui reconnaît la vérité ou fonde la croyance , non par une argumentation progressive, mais par un penchant immédiat, instinctif et irrésistible , lequel ne tire pas sa source de l'éducation et de Tbabitude, provient uni-* quement de la nature, et agit indépendamment de notre volonté , et d'après une loi , dès que l'objet se présente. Le sens commun est encore, d'après le même philosophe , la^source de tous les principes de la morale pratique. C'est sur lui que reposent l'idée de la liberté morale, la loi du devoir, l'espérance d'une vie future et les bases de la religion. Sous ce dernier point de vue, la doctrine du sens commun fut employée avec de plus grands développements encore par un autre Écossais, Jacques Oswald^ dans son Appel ms&u commun en faveur de la religion. %
Mais de tous les successeurs de Reid c'est Dugald Stewart qui a rendu les plus grands services a la science philosophique. Après avoir combattu Locke et ses disciples dans ses Essais philosophiques ^ il fit ,
TROISIÈME ÉPOQUE. 433
dans son bel ouviUge sur la Phibsophie de (esprit hmiiain, l'analyse de plusieurs facultés importantes, telles que l'abstraction et la généralisation des idées , qui avaient été négligées par Reid; il établit sur des bases positives la nouvelle logique que préparaient peu à peu les travaux deVécole d'Edimbourg. Mais ce fut surtout en morale qu'il remplit heureusement les lacunes qu'y avaient laissées Reid , Smith et Fergusson. Guidé par les exemples de ses devanciers, riche de celte multitude d'expériences qu'avait fait éclore depuis un demi-siècle la méthode de l'école écossaise , parmi des hommes doués au plus haut degré du talent dé l'observation , il composa un ouvrage qui les renferme toutes^ ingénieusement et méthodiquement distribuées dans des classifications étendues. Les Esquisses de philosophie morale peuvent être con^dérées comme le Iraité de morale le plus complet qui ait encore paru en Angleterre.
Le caractère distinctif de la philosophie écossaise est une sagacité rare^ une patience et une rigueur d'analyse dignes des plus grands éloges. Jamais les phénomènes de la conscience , les principes constitutifs de toute science humaine n'avaient été étudiés et décrits avec autant de pénétration et d'exactitude. Elle a prouvé d'une manière qui ne laisse rien à désirer que , dans le développement de nos facultés, la sensibilité physique ne joue qu'un rôle secondaire ; elle a marqué la diffé- rence profonde qui sépare les notions particulières des principes généraux; de ces lois primitives de notre in- telligence , que le monde extérieur ne nous donne pas, mais d'après lesquelles au contraire nous apercevons et
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r I
434 PHILOSOFBIB HODKRNE.
concevons le monde extérieur. Ces principes nécessaires» sur lesquels Platon avait £àit reposer ses hautes théories, que le méthodique Aristote avait classés en catég<MrieSy que Leibnitz avait proclamés sons le nom de vérités l^rnelles, et que l'école de Locke avait négligée , peros qu'elle était impuissante à les faire sortir de la tion f les philosophes d'Ëk^sse les retrouvaient au fond de la conscience soumise à une analyse n^ goureuse.
Mais ces observateurs infatigables auraient pu rendre à la philosophie de plus grands services encore , 8*ils n'avaient pas circonscrit dans des limites trop resserrées les objets de leurs recherches. C'était beaucoup , sans doute, que d'avoir constaté les caractères actuels de la connaissance humaine , et classé avec méthode les différentes espèc^ d'idées contingentes ou nécessaires. Mais il n'est pas au pouvoir de l'esprit humaia de se contenter de ces monographies de facultés , de ces énu- mératJons de faits internes ou externes, avec quelque exactitude qu'ils soient constatés et décrits. Il veut savoir quelle en est l'origine; il fiiut qu'on lui montre par quelle voie ils sont entrés dans son inidligenoe* L'école d'Edimbourg a laissé entièreo^ent de o6b& les questions relatives à l'origine de nos connaissaBces. Elle a refusé pareillement d'aborder un problème pk» important encore : celui qui a pour objet de constater leur légitimilé. C'est «cependant un fait incoalesiable que la science philosophique ne peut être coa»piè&e i que si elle fait connaître la portée légitime des pria* cipes dont elle a déterminé les caractères actuels et primitife» Ces lois, ces catégories, tw idées nécessaires
TROISIÈME tPOQUE. 4^3
dépendent-elles de la nature même de notre intelligence? Est-ce elle qui leé crée et les impose ensuite à la nature? Si elles ne sont pas son ouvrage , qui les lui a révélées? Quel motif a-t-elle d'y ajouter foi ? De quel droit peut- elle les appliquer aux objets éilérieurs ? L'école éeos^. saîse s'est renfermée à cet égard daos un silence qui fiBiit honneur à sa prudence et à sa circoâ^eMlon f mais qui ne saurait satisfaire les exigences légitimes de l'esprit humain.
Néanmoins les ouvrfl^es des philosophes de l'écohl dÉ dimbourg doivent être regardés comme une intro^ ductioû nécessaire à l'étude des Aicciltés iniellectoellest Leur méthode est celle du siècle : c'est celle de Tob* servation; elle a donné à la science psychologique Une baee inébranlable. Ils auraient pu aller plus loin sans doute; mais, dans la voie qu'ils ont suivie , en est certain du moins qu'ils ne se sont pas égarés (4)«
(1) Les otTru^es de Reid et la phis grande fMrtle de eèu de Dagafd Stewarl oot été tniduits cb françMs. M. Joufflroy a fait sviTre la traéveCion des œuvres complètes de Th. Reid , de fragments qui sont les seuls échautil* Ions qui nous restent de renseignement de U. Koyer-Gollard. On lui doit tBSSi la iradttétiM dec Esquisses de phUosophie mordke de BtigaUl StêWart, ouvrage dont M. Cousin a donné, dans ses Fra^atents pbilMOfliifiM»» «m analyse détaillée. Sous le titre à'Histoire abntgee de^sciences mùaphy^ sîques , politiques el morales , depuis la renaissance des leiires , M. Bu- cteoo a traduH tm éiseoura pvMié par SieMrt es léte du supplément à VKn- cyclopédie britannique. D'autres essais du même auteur sur les sysltees d« Locke , Hartley , Priestley , Darwin et Horne-Tooke , ont été traduits par M. Huret. Nous devons mentiontier atissi parmi les ouvrages les plus propres à filtre eonnatlre feaprlt de la ^iloMpliie éeMilklae , plnsieurs essais de 9ir James Haekifltodi , traduits par M. Sinrâ , sens le titre de Méimtpes phk- losophiques*
436 PHILOSOfBlE MODERKE.
t'UILOSOPHIE ALLEMANDE.
Répandue par rinfluenoe des mœurs el des idées françaises , secondée par Frédéric le Grand » la philo- sophie de la sensation n'avait pu jeter de ptofondes racines dans la patrie de Leibnitz. Tout en obéissant à la tendance empirique dont il n'était guère possible de s'affranchir alors , les philosophes allemands se dis- tinguaient encore par les efforts qu'ils ne cessaient de faire pour donner à leurs analyses plus de rigueur el de profondeur philosophiques. Rarement aussi ils mé- connurent les intérêts sacrés de la morale. Cependant le sceptidsme de Hume, sur lequel Sdlzer appela leur attention , produisit en Allemagne la sensation la plus vive. Alors commença un nouveau mouvement pbîlo* sophique, analogue à celui qui avait précédé, en Ecosse, la réforme opérée par Reid et Dugald Stewart. Pendant cette époque de transition , remarquable aussi par son esprit d'indécision et d'indétermination, le sens moral fut appelé pour combattre Tinfluence du sensualisme. Il se manifesta pareillement une tendance assez pro- noncée vers l'éclectisme : on se persuadait , dit Ten- nemann , que la vérité, semblable à un rayon de lumière brisé , devait se trouver éparse dans tous les systèmes.
Telle fut à pjeu près la direction que prirent dans leurs travaux J. Basedov^t, qui porta dans ses ouvrags sur 1 éducation des vues analogues à celles de Rousseau; Moïse Mendelsshoh qui, dans ses recherches esthé- tiques et psychologiques^ unit l'élégance à la clarté.
TROISIÈME ÉPOQUE^ 437
Platner Garve et Meiners se distinguèrent par le même esprit de modération et d'éclectisme ; Féder se rappro-* cha plus des doctrines de Locke, qu'il répandit dans des manuels appropriés au grand nombre des lecteurs. Un philosophe qui n'obtint pas de ses contemporains toute l'attention qu'il méritait, J. -Nicolas Tétens avait cependant déjà porté dans ses recherches plus de ri- gueur et d'exactitude. 11 sut avec beaucoup de sagacité^ et sans tomber dans aucune hypothèse matérialiste, étendre les conséquences de la doctrine de Locke sur l'origine de nos connaissances , découvrir les facultés fondamentales^ et maintenir les principes de la vérité objective. Il essaya de réfuter le scepticisme de Hume , et ouvrit enfin les voies à. une philosophie plus profonde. Tout était ainsi préparé pour une révolution dans la philosophie : elle devenait d'autant plus urgente que déjà plusieurs génies pleins d'originalité, Lessing, WiNGKELMANN , GcETHE, Herder, avaicut reuouvelé en divers sens le mouvement intellectuel , et ouvert la route à de nouvelles idées sur les sciences et les arts; ce fut dans dç pareilles circonstances qu'EiiMANUEL Kant entra dans la carrière.
IDÉALISME CRITIQUE
DE &ANT.
Emmanuel Kant (1), né à Kœnigsberg le 22 avril
(1) Voyez L.-F. Schôn , Philosophie iranscenderUaU ou Système d^ Emmanuel Kant, Paris 1831. — Biographie universelle ^ art. Kant. — Jkiariuel de Tennemonn , vol. U, p. 230. — Voyez aussi l'excellent ouvrage dé M .'Cbarles Villers sur la philosophie de Kant.
488 PHIMiOHRB HOMaMB.
4T34t mourut le 13 avril 4804, deux luois enwM avant d'atteindre aa quatre-vingtième année. Son père, d'origine éeoaaaiae» était aellier , et jeuiasait à Kœn^ja- barg de la nieiileure réputation. On vaiHe aa prolMté intaete, aen horreur pour le niraaongey et Boa inflesible rf8î4ité dana raecompliaaenient de tona aea devnira. L'épouai qu'il a'était ohoiaie réuniaaait lea niAmaa Qualitéi» L'eieeaple de tbutea cea vartua exerça la plua grande inflmnee aur la vie de Kant ; de li la aéférité de aea princlpea envera lni«-inèine ; de li aa eenatance dana la recberebe de la vérité , dana rinveaii* gation • dana lea délaila de aon ayatème pbiloaophique. Péa aen Jeune Age» il montra un goAt prononcé pour lea étudai aéWeuaea, et il a'y livra avec tant d'ardeur, qu'en peu de tempa il aurpaaaa loua aea oondlaoiples dana la eennaiaaanoe dea languea, de la littérature , de rbiatoiroy ^t dea aoienoea pbyaiquea et raathéinatiqnea. Il ae diatinguait auaai par l'ordre et la peraévéranee qu'il mettait 4 auivre nue vérité^ i l'examiner aoua taua aea rapporta, et i la fixer aur dea baaea inébran^ kblea» apréa l'avoir dépouillée de toua lea preatiges dont trop souvent l'imagination se plalt i l'environner.
II s'était -déjà rendu célèbre par ses travaux mathé- matiques, lorsque parurent lea £<«aia de David Hume: indigné du scepticisme qu'ils renfermaient, il abandonna aussitôt les langues , la littérature , les sciences mathé- matiques et physiques, qui lui promettaient la gloire, et s*élança dans lea profondeurs de la métaphysique ; il sonda les mystères de l'intelligence humaine, en sou* inft les divera phénomènes à la plus rigoureuse analyse , étudia tous les aystèmea inventée juaqu'i lui pour lea
noiiiÈME ÉtoQins. 4M
wpliqaer , et le résultat de ses méditations fat qm dw théories philosophiques les plus nobles et les plus pro» fondes dont puisse s'honorer Tesprit humain.
Pour établir la métaphysique sur une base solide, il aongea d'abord à bien connaître la source, l'usage et la légitimité de nos connaissances. Une analyse des familtés humaines lui était donc nécessaire pour qu'il pût découvrir les lois suivant lesquelles ces connais- sances sont acquises.
Or nos . connaissances sont de deux sortes : les unes sont tirées de l'expérience et en dépendent essentiel- iMoent; tandis que les autres n'en dépendent pas et prennent leur source dans l'être pensant. Elles se manifestent à l'occasion de l'expérience , mais ce n'est pas d'elle qu'elles tirent leur origine : celle-ci les dé- valoppe, mais ne les engendre pas. Ainsi les premières sont empiriques, àposteriorif contingentes; les secondes sont rationnelles^ à priori y nécessaires.
Les jugements sont analytiques ou synthétiques. Dans les premiers, le sujet contient l'attribut; dans les autres, l'attribut est toujours différent du sujet. Lors- qu'on dit, par exemple, leparallélogrammeestuneflgure à quatre côtés parallèles, deux à deux, c'est un jugement analytique développant et expliquant le sujet, mais qui n*augmente point nos connaissances. Un jugement syn- thétique, au contraire, les agrandit en nqus montrant une chose nouvelle^ une chose qui n'était point contenuedans le sujet) tel est celui-ci : dans un triangle rectangle le carré de l'hypoténuse est égal au carré des deux autres eâtés. Les propositions de la géométrie, de la statique t de la mécanique, sont synthétiques, à priori^
440 PHILOSOPBIE MODERNE.
nécessaires ; celtes de la physique et de la chimie , au contraire , ne le sont pas ; elles embrassent un certain nombre de cas, jamais tous les cas possibles.
La légitimité des jugements analytiques repose 8ur le principe de la non-contradiction ; Tattribut doit s'ac- corder avec lui , autrement il y aurait contradiction. Pour les jugements synthétiques à j)osteriori, c'est sur la perception qu'est fondée leur légitimité. Hais quel est le principe qui donne autorité aux jugements syn- thétiques à priori? Toute la métaphysique est dans la solution de ce problème ; voici celle de Kant :
Tout jugement porté sur un objet d'expérience n'est possible que par Tintuition. A qui est due cette intui- tion ? à notre capacité de recevoir les impressions ^ c'est-à-dire à notre récepiivUé ; mais il faut ensuite que ces intuitions soient recueillies, et une fois recueillies, qu'elles soient ramenées à l'unité. Qui jouit de cette faculté ? c'est l'activité de l'être pensant^ par la spon^ tanéité qui lui est propre et qui constitue Veniendemeni. Ce qui correspond à l'intuition est la matière du juge- ment ; l'ordre dans lequel les intuitions sont recueillies et réunies en est là forme; l'objet du jugement est le phénomène. Ce ne sont donc pas les objets qui imposent des lois à l'entendement ; c'est^ au contraire, l'enten- dement QUI DONNE nécessairement DES LOIS AUX OBJETS.
Ces lois, notre entendement les possède indépendamment de toute expérience, et si elles se trouvent dans les objets, c'est qu'elles y sont telles que notre entende- ment les y a transportées.
La forme de l'intuition n'étant pas dans les objels perçus, mais bien dans l'être percevant et pensant^
TROISIÈME ÉPOQIjE. 44 1
Kant Rappelle in|uilion pure et â priori, ou forme de la sensibililé, c'est-à-dire forme dont la sensibilité revêt les objets pour qu'ils soient perceptibles. Les intuitions pures sont le temps et Vespace.
Pour qu!une synthèse ait de la validité, l'entende- meot doit lui donner le caractère de la nécessité, caractère que l'intuition seule ne saurait imprimer, puisqu'elle nous apprend bien qu'un objet est , mais non qu'il est nécessairement. La nécessité dont l'en- lendement revêt les notions fournies par l'intuition, est précisément la catégorie ou loi de l'entendement'. Les catégories sont les formes de l'entendement ; ejfes existent à priori , et sont au nombre de douze , comme les jugements par lesquels se manifestent les opérations de l'entendement, et sur lesquels elles sont basées; savoir:
V Trois jugements de quantité: unité, pluralité, universalité ;
2'' Trois jugements de qualité : affirmation, négaiian, limitation ;
S"" Trois jugements de relation : substance, causalité^ communauté ;
4'' Trois jugements de modalité : possibilité^ être, nécessité.
Telles sont les catégories de Kant; par elles l'expé- rience devient possible, ce n'est qu'en les appliquant aux objets sensibles qu'elles ont de la réalité ; autre- ment elles ne sont que des pensées et non pas des connaissances.
Si l'on veut rapporter les catégories aux intuitions dont elles diffèrent essentiellement, il faut qu'il y ait entre elles une certaine homogénéité qui leur serve de
449 PHILOSOPHIE HOBEItm.
point commun : ce lian est Xespace et le iemp^ qiM trouvent des deux côtés. Ainsi la connaissance^ seloii Kant , n'est rien autre chose que Tidée rapportée à uoe întuilion. En effet, les intuitions n'étant possibles que par le temps et l'espace , il est évident que nous ne pouvons connaître que ce qui est dans l'espace et dus le temps. En d'autres termes , nous ne pouvons con«> nattreque les phénamènei; quant aux objets placés hors du temps et de l'espace , aux noumèneê, aux choses en elles-mêmes y il ne nouj est point donné d'arriver jus- qu'à leur connaissance.
Cette théorie constitue VUéalisme eriiique. VidéaSâme sùtpîique de Descartes soutenait que la réalité des objets peut être prouvée par la raison; V idéalisme cèmibi de Berkeley nie entièrement l'existence de ces objets; ViééûHêfM eriiique de Kant, au contraire, la prouve en vertu des lois mêmes de la raison , mais avec cette res- triction que nous ne pouvons savoir ce que les objets sont en eux-mêmes.
La raison théorétique, en tant que faculté de raison- nement, tend à l'unité absolue et à l'enchaînement systématique, par les idées qui sont les formes suivant lesquelles la raison s'exerce. Une connaissance réelle , en vertu d'idées, n'est pas possible ; car les idées n'ont point de terme correspondant pour nous dans le do- maine de l'expérience, bien que la raison se porte aveo d'infatigables efforts vers la connaissance de Dieu, du monde, de la liberté, et de l'immortalité de l'âme; et que tout l'appareil de la métaphysique ait été de tout temps dirigé vers ces problèmes. La raison philoso- phique ne doit faire aueun usage dogmatique de ces
TBOISlftl» ÉPOQUE. 443
idéet : autrement elle s'engagerait dans un dédate de coqtradtctions ; c'est ce que Kant s'attache à démontrer dans ce qu'il appelle les anAnamieê de la raiion pure. Il place sur deux lignes parallèles les arguments pour ou contre la liberté deThomme, Texistence de Dieu , Tim- niorlaUté et Timmatérialité de l'âme, et fait voir qu'il est impossible de démontrer par le raisonnement Texi- Stanee ou la non^etistenee des objets supra-sensibles de ces idées » parce qu'il est impossible de connaître ce que les objets sont en eux-mêmes ; de sorte qu'en détruisant la possibilité de connaître la réa- lité de ces oiqets, il détruit en même temps la possibi- lité de rien établir de légitime en faveur de l'athéisme , du matérinUsme et du &talisme. La raison, en effet, étant féguktim » et non cmstUuUve^ n'a aucune valeur hors de nous-mêmes ; elle est purement subjective.
Ici se montre dans tout son jour l'erreur profonde dans laquelle est tombé ce grand et ingénieuse analyste. Après avoir reconnu et déterminé avec une sagacité inoomparable les lois de la raison , il les a en quelque sorte frappées de stérilité en les subordon- pant & la personnalité humaine. Il n'a pas vu que ce n*Mt pas la raison qui constitue cette personnalité, maia bien la volonté , l'activité volontaire et libre» dont il n'avait pas étudié avec la même soin le caractère distinetif. Tout acte de notre volonté est personnel et suHi^tif ; nous nous l'imputons ; nous reconnaissons que nous en sommes cause. Mais il n'en est pas de môme des lois de notre raison; elles sont impersonnelles; çlles dominent la conscience humaine qui les aperçoit , et la qature qui les représente. Il serait bien absurde
AH PRILOSOPIIIE MODERNE,
de nous rapporter et de nous attribuer des conc^tioDs telles que celles-ci : Tout effe,l suppose tme cause ; il n'y a poim de phénomène sans subsiance ; le devoir est obliga- toire. Une vérité , bien qu'elle tombe sous la perception de notre raison , n'en est ni moins absolue , ni moins indépendante. Nous verrons plus tard comment M. Cousin , complétant et régularisant l'œuvre de Kant, a rendu aux lois de la raison toute leur valeur objecti?e, en rétablissant cette faculté dans sa vraie nature et daas l'indépendance qui lui appartient.
Le scepticisme ontologique dans lequel Kant avait été entraîné par sa Critique de la raison pure , n'existe plus dans sa Critiqae de la raison pratique. Dans cette seconde partie de sa philosophie, qui se rattache essen- tiellement à la première , le sage de Kœnigsberg dé- montre que les idées de Dieu , du monde , de l'âme immortelle, admises par la raison spéculative, ac- quièrent par la raison pratique tous les caractères de la réalité et de la certitude.
La raison pratique est en effet, selon lui, bien supé- rieure à la raison théorétique : en effet , le précepte d'agir moralement est universel et absolu , tandis que
«
celui d'acquérir des connaissances et de les étendre n'est que conditionnel et contingent ; la sagesse est donc le but le plus élevé de la raison. La loi morale s'élève au-dessus du libre arbitre , dont notre volonté est douée dans l'ordre contingent , et se produit à titre ai impératif catégorique.
C'est un fait incontestable que tous les êtres ration- nels reconnaissent la différence entre le bien et le mal, le juste et l'injuste. La morale est une loi profondément
TROISIÈME ÉPOQUE. 445
gravée ^daD8*ie cœur humain, et la conscience la moins développée ne saurait la méconnaître : de là ré* suite que nous sommes libres, ou , en d'autres termes , que la cause de nos actions est en nous-mêmes , qu'elle est indépendante des objets extérieurs. En effet, la morale nous commande des actions qui sont impossibles sans la liberté ou la causalité indépendante qui nous est donnée avec la raison. Les obligations imposées par la morale sont générales et nécessaires^ et le but auquel tend leur accomplissement a le même caractère de généralité et de nécessité. Ce but est absolu , c'est le plus conforme à la raison ; ce n'est plus un moyen, mais un terme dont l'expression est toute dans ces deux mots : morale et vertu.
La loi rationnelle , qui nous ordonne de tendre sans cesse à ce but^ est un fait incontestable ; mais, puis- qu'il nous est impossilble , comme êtres rationnels phy- siques, de toucher ce but ici-bas, il faut, de toute mécessité, que nous puissions l'atteindre autre part comme mtelligenee; il faut donc qu'une partie de nous- mêmes^ que Came soit immortelle.
De plus , il importe que ces efforts que nous avons à faire pour y arriver , soient en harmonie avec le degré de bonheur qui doit en résulter ; mais comme nous ne pouvons établir cette harmonie , puisque nous ne sommes pas la causalité de la nature , il existe donc une causalité , une intelligence , qui établit cette harmonie entre la vertu et le bonheur, dans la vie future. Cette intelligence, c'est l'Être suprême, dominateur et régu- lateur de toutes choses; il est tout*puissant , souverai- nement sage , prévoyant , saint.
446 PHILOSOPHIE MODfiMIE.
C'est aiosi que la raison pratique acheva ee qoe ia raison spéculative avait laissé incomplet.
Dans son traité du sublime et du beau , intitulé Ot- iique dujugemetu, Kant appliqua aux plaisirs de l'ima- gination le même sjstème qui lui avait fourni de si vastes développements dans la spbère de l'inteUigeaos et du sentiment moral.
L'apparition des ouvrages de Kant causa une biea vive sensation en Allemagne : d'abord un asses grand nombre d'écrivains se déclarèrent contre les principes du criticisme, qu'ils regardaient comme dangereux et nuisibles, comme présentant un système d'idéalisme destructif de la réalité objective de nos consaisesnces» ainsi que des croyances rationnelles sur Dieu et Tiin* mortalilé, et par conséquent comme attentatoires à tout l'ordre religieux; mais beaucoup de bonsespritsse décla- rèrent bientôt en faveur de ce système ,' le soutinrent par leurs écrits ou essayèrent de le perfectionner.
Il nous est impossible d'exposer , même d'une ma- nière abrégée, les tentatives qui furent faites alors, ei toutes celles qui se sont succédé depuis, pour étea^fa^ ^ modifier , attaquer ou défendre les doctrines de l'illustre auteur de la Critique de la raison pure. Notre but n'éteUi pas de faire une énumération plus ou moins complète d'écoles et de systèmes^ mais de montrer par l'exposi- tion des doctrines les plus célèbres la marche pro* gressive de Ja philosophie ellormétte , nous essaierons seulement de faire voir ce qu'est devenu Tidéalisnie critique deKant^ par suite des développements qui loi ont été donnés par Fichte et par ScAelliro. Fidèle a notre méthode , nous pourrons mieux Juger la valeur
TROISIÈME ÉPOQUE. 447
réelle du système philosophique du mattre, par les conséqueuces qu'en auront tirées seç disciples*
IDÉALISME TRANSCENDENTAL
DE FICHTB.
La philosophie critique avait condamné d'avance toute espèce d'essai tendant à pénétrer le. mystère des existences et la nature intime des êtres. Ce fut ce* pendant en parlant des principes de cette philosophie que Fichte essaya d'élever le système trascendental le plus dogmatique et le plus hardi que présente l'histoire des spéculations de l'esprit humain. Plusieurs points de contact rattachent pareillement le système de Schel- ling à la philosophie critique. Indiquons les rapports (i) que peuvent avoir entre elles ces différentes doctrines ; cet examen nous servira en même temps k faire r^^ sortir quelques côtés faibles du criticisme kantien.
Kant reconnaît , saisit , et met en saillie les deul termes de toute connaissance humaine , savoir: le sujet ou le moi qui la possède ,. et t objet ou le non-moi qui en est la matière. Mais le plus ditBcilé n'était pas de constater cette dualité primitive ; c'était de faire au moi et au non-moi sa part, et de la Ibi faire d'une fnanière rigoureuse et irrévocable. Le principe dont l'auteur dé la philosophie critique s'est servi pour régler cette et^ pèce de séparation de biens , suppose qtie cette sépa*^
(1) Ces rapports ont été plus tonguettent ééféhftés par A Aâeiltoi*
448 PHILOSOPHIE MODERiNK.
ration de biens s'est déjà faite ; tant qu'elle n'a pas eu lieu , ce principe^ie saurait servir de coupelle, il a dit : Ce qui est universel et nécessaire dans nos représen- tations appartient au sujet; ce qu'il y a de variable et de particulier appartient à l'objet ; et la réalité résulte de la réunion de l'un à l'autre. Mais le sujet est un phénomène à ses propres jeux , d'après la Critique de ta raison pure; sa nature intime lui est aussi inconnue que celle de l'objet; il est lui-même variable dans celles de SCS représentations qui nDus paraissent constantes ; il pourrait encore être soumis à d'autres variations pos- sibles : on ne voit donc pas pourquoi le sujet doit étre^ plutôt que l'objet^ le principe de ce qu'il y a de néces- saire et d'universel dans le système de nos représen- tations. Où donc est la réalité, si le moi est un phéno- mène, et le non -moi aussi un phénomène? Si vous le demandez , le moi vous renvoie à l'objet , car les formes, les catégories , les idées ne sont rien sans la matière que les sens fournissent ; mais, d'un autre côté^ si vous demandez la réalité à l'oblet , l'objet vous renvoie au moi ou au sujet. < On dirait , dit M. Âncillon , deux débiteurs insolvables qui sont d'accord pour se moquer de leur créancier , et qui lui donnent Gnatement du papier sur un tiers dont le crédit tient au leur , c'est- à-dire à la réalité de l'expérience. » Quelle est la con- séquence naturelle de cet envoi mutuel ? c'est que le sujet n'est rien de réel , que le moi est un phénomène, et que le non-moi en est un également. Gomment l'u- nion mystique de ces deux phénomènes , le mariage de ces deux ombres pourrait-il enfanter la réalité ? Fichte^ et après lui Schelling, durent nécessaire-
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TROISIÈME ÉPOQUE. 44§
ment chercher un principe absolu et inconditionnel à I ces deux phénomènes ; et voici ce qui amena Fichte à trouver ce principe dans le sujet lui-même.
On doit avoir remarqué que, toiit en faisant naître la réalité du concours du.suj^ et dé l'objet, la phi- losophie critique avait montré une sorte de prédilection pour le sujet , et qu'elle lui avait fait la part la plus considérable. Toute unité vient de lui, et par consé* quent tout parait, venir dç lui; car il n'y a point d'in- tuition sensible sans uni lé; point de jugement sans unité , point de raisonn^ment sans unité. Les formes de l'espace paraissent créer les corps, et avec eux tout le monde extérieur ; les catégories , en s'appliquant aux phénomènes , donnent des lois à la nature , et, en le faisant, semblent la créer ainsi que l'expérience. La philosophie. critique parle toujours, à la vérité, de la matière que les sens fournissent ; mais on pouvait es- sayer de s'en passer : il n'y avait qu'un pas à faire ; on était à moitié chemin. Un contemporain de Kant, Jacobi , prévit et prédit que l'on tenterait de tirer tout du sein du sujet, et Fichte justifia sa prédiction.
D'un autre côté, les notions de l'unité et de Texis-* tence ne sont , sans doute, dans la philosophie critique, applicables qu'aux phénomèmes ; l'idée de l'absolu ou de l'inconditionnel n'a qu'une vertu régulatrice , et n'a aucune réalité hors du sujet qui l'emploie. Ces idées doivent être le couronnement de l'édi- fice de nos connaissances ; «mais comme la raison humaine ne peut pas se défendre de les employer , qu'elle n^' opère ejL ne peut opérer que par elles ; comme ces idées exercent une si grande influence sur tous
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460 FipLOSQraiE MOBBME.
les systèmes/de nos représentftUoDS , et qae ce n'etl même que p^r leur ^>ertu que 1* unité systématique est possible ^ on pouvait fattlement être eendoil à commencer par elles le travatl de la phîlosepàie : c'est* ce qu'a fait ScbeHiqg ; au lieu de les placer i la fin de ce travail, il*a débuté par leur donner «■€ valeur okgective ^t en a &it la t^ase de sa théorie.
Fichte voulut éllyer la philosophie critique au rang des sciences fondées sur l'évidence , et satisAdre h r^fson sur le problème du rapport de nos représeo* tations avec les objelâ. Pour établir sur àes hua certaines la théorie de la êciencej telle qu'il l'avait d'abord définie s il ne partit pwit d'une déoompositîen de l'intelligence, ainsi que l'avait fait Kant. Selon lui, v la conscience , ni ses objets, ni la matière de la con- naissance, ni ses formes, n'eiistent primitivemenl , nuais sont produites par un acte du moi et recu^tto par la réflexion. La seule proposition qui ait une cer- titude immédiate, c'est celle-ci : moi est iioi. Elte porte sa preuve en elle-même > et peut eUe-mêoie servir de preuve à toutes les autres propositions. C'est en vertu de ce principe que tout jugement a lieu ; or> juger est un fait actif, un acte propre du moi. Le moi se pose donc lui-môme ; il est l'agent et en même temps h produit de l'acte, et c'est ce double rôle qui &ith conscience. L'activité primitive du mot consiste en a&i réflexion sur lui-même , qui a sa raison dans un (dbfi- tacle ou arrêt nécessaire éprouvé par Tactivièé josqae- là indéQnie. Le mot se pose comme S4gct , eo aàa^ temps qu'il s'oppose comme objet à ce point de résis- tance. Le second principe déterminé par le pieiatt'
TÀOISIÈME tPOQVE. 451
i .edt celui-ci : moi n'est pas noi^tMoi. II reste à évclf|uer I encore, par ifn noUVet effort de Tart philosophique , I un troisième principe non contingent quant a sa valeur , \ ei côntiogent qtfant à ^a ÎBtme. A cet effet. Il tatut I troujfer ud acte dtf thoi où pillsse se renaontrer ifaùs I le mot Topposition dii non-moi sans que-.le ftioi pèrlbsd : I or la réalité et Ift négation ne ^aoralent 9e trouver j r^^unies qfu^ d&ns ce qui est fini , Ufnité ; Id 'itmîlalion eêt donc de principe qt^e- nous tiherclions. . Haintenant, ta lltfiitâtion nous conduit à là divisibilité: tout ^dimil^e est tint quantité; par CoUséqueht, dans le mol sbjèrà Kinitatlon doit Être eontenoe une quautilé divisible: ainsi le '^mot coniprend. eti iui-rtiênic quel- que chd^ qui peut y être mis OU retranché , sans que pour'cela le mot cass^ d'exister. Fichte reconnaît doiic un mot' divisible el un mQp absdkr. Le moi oppose au mot divisible lîn non-mot égafemenl^itlMble. Tous deux sont posés dans le moi absolu et pa^lu{, comme étant âp- ^préclables et déterminables Vuh (^ar rautré. t>ë là Ces deux propositions : 1** le moi se posé comme déteriniué pair un mn-^noi^ limite l'activité absolue en lui; 2"* le mot se pose comme détermitiant lé non-moi : la réalité de l'un sert de limite à la réalité de l'autre.
C'est $ilnsl que Fichte crut avoir trouvé le môyefi de concilier l'idéalisme et le réalisme : diaprés cette théorie, toutes nos oolieeptions , tous les phénomènes de notre intelligence Vo réduiront à deux points de vue d'un méine ftilt ^ dans lesquels nous considérerons tantôt le mot comme aetif , et le no/t^moi comme passif; tantôt te mol comme passif^ et le non-ntoi Coiiittie dCtif. Suivons le ikoi daiis ses développémenls. Une (bis
452 PHILO&OniE MODERNE.
posé, il se heurte contre le nan-^mai qui le limite, qui le repousse lorsqu'il veut s'étendre. Dans ce choc, le nun signale l'obstacle et le crée ; car s'il n'y airait pas de ftm y où serait le non^Êun ? Le fion-fiiat ressor I donc du. moi; même en lui résistant , il est sa créature : donc le monde c'est mot.
Dieu n'existe pour mot que parce que j'y pense : c'est moi qui le construb comme l'idée la plus haute de l'ordre moral du monde. Hors de moi, il n'est pas; en moi, il est. Dieu est la création sublime de Thoaune, et l'homme doit travailler à ressembler à ce Dieu qu'il fait lui-même, qui est le résultat de sa conscience ei de sa moralité : donc Dieu , c'est mcll.
Je règne donc sur tout ce qui est ; j'en suis le prin- cipe , la source , le centre ; je suis l'être lui-même , je suis cause indépendante, je suis libre.
Nul philosophe, avant Fichte, n'avait, comme on le voit, poussé le système de l'idéalisme à une rigueur aussi scientifique : il fait de l'activité de l'âme l'uni- vers entier ; tout ce qui peut être conçu , tout ce qui peut être imaginé vient d'elle. U tire de son système une morale stoîque qui n'admet aucune excuse : car tout venant du mot , c'est au mot seul à répondre de l'usage qu'il fait de sa volonté. La morale et le droit naturel, tels qu'il les fait dériver de son principe générateur , présentent dans leur ensemble , plus con- séquent en apparence qu'en réalité, des idées originales, grandes et précieuses , à côté de beaucoup de propo- sitions étranges et paradoxales. Au reste, il varia sur divers points de son système , qu'il reproduisit à plu- sieurs reprises sous d'autres formes. La différence la
TROISIÈME ÉPOQUE. ' « 453
plus frappante que l'onVemarque entre la première et la dernière forme de Ih doctrine de la science, c'est que Tune est conçue dans le sens idéaliste , et l'uutre dans le sens réaliste. Dans la première , il part de l'activité; dans la seconde , de rexistence de Dieu comme réalité unique, comme vie unique, pure et indépendante, dont le monde et la conscience portent l'image et Tempreinte.
La philosophie de Schelling contribua , sans doute , autant que l'esprit religieux , à cette variation dans les idées de Fichte. '
« Cette doctrine, dît Tennematin , dans l'excellent Manuel ^1) où nous avons puisé en l'abrégeant une partie de cet exposé sommaire de l'idéalisme transcen- dental , cette doctrine a fini par avoir la destinée de tous les systèmes : après avoir d'abord vivement occupé Fattention du* monde philosophique, elle n'a pu y acquérir une autorité générale, malgré son ton im- posant exclusivement favorable à la spéculation pure , aux dépehs des notions réelles qu'elle enseigne à dédaigner. On ne peut néanmoins méconnaître la grande influence que l'idéalisme de Fichte a exercée sur les âmes d^ses contemporains, non plus que cette sérieuse direction vers les doctrines anti-sensualistes imprimée à beaucoup d'esprits par l'éloquence mâle qui était l'un des attributs du talent de l'auteur. »
(1) Trad. de M. Cousin , toI. 2, p. 293.
454 P|ltfLQ8q(^BI|S^llifD^NE«
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Fréd.-Guill.-Jos. de Schilling (1) eg un plein d*origini)ité ^ de richesse et d'éclat, su^ieyr à Ficthe^pour la soiif^esse et la vivacité de VînQagiqatioo » l^spHt |K)éttque , retendue 4§s cqpnaijssancp» posUives, surtout en fait d'histoire /d'aptiquités 9 i|e philosophie, ancienne et de sciences naturelles ; B'abpcd j^rti^n , a^ec plusieurs restrictipns^ du systèmes de • fictbe , il finit par s'en éloigner de plus* en plus, à mesure au^il en reconnut rnieux le point c)e vue exclusif A }e.in»naue d'évidence.
C'est du moi que l^^içhte déciuit toute^hose \ mais , en admettant que Je subjectif puisse proftuire l'objectif, et en refusant d'adinettre que )e contraire ait lieu, Fichle affirme plutôt qu'il ne démoptre. On peut' prendre la marche opposée, et aller de la nature au moi , de Tobjeclif au subjectif ; dès qu'on s'abandonne à la spéculation sans consulter la méthode critique , Ton peut accorder & l'un de ces procédés autant de coqflaAce qu'à l'autre* Aussi bien Spinosa avait déjà donné un grand exemple du dogmatisme systématique et d'un réalisme objectif poussé aussi loin qu'il peut aller.
Ces vues suggérèrent à Schelling l'idée d'une double science philosophique formée de deux parties opposées
(i) Né à Léonberg, daas le Wurtemberg» le S7 Janvier 1775.
TftOMiiME iPOtfui. 459
et parÉllèles I savoir : Id philosopMe de ia nature et là pbUoiophm irof^scemientcdej à chacune deaquell^y surliHit à la première, il a consacré des ouvrages spéciaux. Mais la prenière ne saurait épuiser la variété de^ choses { I9 seconde ne peut atteindre jusqu'à Tabsolu^ jusqu'à ce qui est esAntiellement simple. Nous ne potivonfl QûQcevotr par les prqcédés ordinaires de l'entendement cûinment de l'unité peut ■ sortir le multiple , ni comment du multiple peut soctir l'unité , réunissant en soi le caractère d'unité et de multiplicité; l'une et l'autre se perdent dans l'infini qui leur est commun à toutes deux ; il ftiut donc qu'il y ait encore une philosophie plus haute 9 servant de premier anneau pour les deui autres qui en dépendent également et se réunissent en elle.
En poursuivant cette idée, que la science doit re^ poser essentiellement sur l'unité originelle de ce qui fltit et de ce qui est su , Schelling amva enfin au sys«* tème de I'idehtité absolue du subjectif et de l'objectif, ou système de l'indifférence du différent , en quoi con^ siste la nature de l'absolu , ou de Dieu. Voici les prin- cipales propositions de ce système ;
\\ n'existe. qu'un seul être identique; toute différence entre les choses , relativement à leur réalité , est pu* cernent quantitative et non qualitative, et réside dans la prédominance du point de vue objectif ou subjectif de l'idéal ou du réel. Le fini, produit de la réflexion, toute relative par sa nature, n'a qu'une réalité appa«- rente.
L'être absolu se révèle dans la génération éternella
456 rniLosoPHie modehne.
des choses I lesquelles constilueat les ronnes de cet être unique. Toute chose est donc une oiaDÎfestâiioa de l'être absolu sous une forme déterminée , et il ne peut rien exister qui ne participe de l'être divin. De là suit qije la nature «lle^même n'est point morte, mais "vivante et divine ainsi que l'idéal.
Cette manifestation de l'absolu s'est produite parles oppositions ou corrélations qui apparaissent à différents degrés du développement total ^ où se rencsontre une prédominance diverse , tantôt de l'idéal, tantôt du réel. Ces oppositions ne sont que l'expression de Tidentité. L'identité se développe par des oppositions de termes qui y résultant de l'absolu identique , comme , par exemple, le type et l'empreinte, la face et le revers, le pôle et son antipode, etc. , sortent du sein de cet absolu avec un caractère dominant, tantôt plus idéal, tantôt plus réel , et qui rentrent réunis de nouveau par la loi de la totalité. D'où cette proposition : L'ideit- tiié dans la iriplicitéy est la loi du développement. La science est la recherche de ce développement; elle est une image de l'univers en tant qu'elle déduit les idées des choses de la pensée fondamentale de l'absolu, d'après le principe dç V identité dans latrij)tidléj en tant que dans cette construction y comme l'appelle SchelUng, elle reproduit la marche de la nature , c'est-à-dire la succession des formes qu'elle revêt tour à tour. Or, cette construction est la philosophie : le plus haut point de vue philosophique est celui suivant lequel on n'en- visage dans la pluralité et la diversité qu'une forme relative , et dans cette, forme que l'identité absolue.
TROISIÈME ÉPOQUE. 457
Yoici le dessin général de cette construction :
L*AlMolu ( le tout dass sa forme première )
se manifeste dans
La Natare ( qui estVabsolu selon sa forme secondaire ).
Il se produit dans deux ordres de relatif, savoir :
Le Réel. Lldéal.
Sons les puissances suivantes :
Pesanteur-* Matière. Lumière — MouTement. Organisme— Vie.
Yérité— Science. Bonté — Religion. Beauté — Art.
Âu-dessus, comme formes réfléchies de T uni vers, se placent :
L'homme ( le Microcosme ) FÉtat.
Le Système du monde ( lUnivers extérieur ) rHUtoire.
SchcUing a développé ces grandes vues avec une habileté supérieure, sans se conformer aux divisions de la philosophie jusque-là en usage, et il a su tirer très-heureusement parti des idées de Platon , de Bruno et de Spinosa. Après avoir donné plusieurs expositions de sa doctrine fondamentale, prise dans son ensemble, il s'est attaché principalement à Tune de ses deux parties, c'est-à-dire au point de vue réel, ou à la phi- losophie de la nature, comme étude du principe vivant et fécond qui produit par lui-même en se divisant sous la loi de la dualité. Quant à la partie idéale, il n'en a traité , dans ses derniers écrits , que quelques questions
46S PHILOfOPBnS VODBWE.
isolées, savoir : la liberté et TorigiDe du mal, la nature de Dîeû. * -
*En matière de morale , il enseigne les propoêkioas suivantes : La crQyanee en Dieu est la hise première de la moralité. Si Dieu existe, il s'ensuit immédia- tement Texistence du monde moral. La veHu Qgt tin état dans lequel Tânie se conforme, non pas à une loi placée en dehors d'elle-même , mais bien à la nécessité interne de sa nature. La moralité est en même temps le bonheur pur : cette béatitude n'est point un accident de la vertu ; ce n'est autre chose que la vertu die- même.
La tendance de l'âme à s'unir avec le centre, avec Dieu, constitue la moralité. La vie commune, réglée conformément au lype divin par rapport à la morale, la religion, la science et l'art, est l'ordre social ou l'État. C'est, dans un mécanisme intérieur, l'harmonie de la nécessité et de la liberté, harmonie qui a poor base la nature même de la liberté.
L'histoire, dans sa totalité, est une révélation de Dieu , une révélation qui se développe sans cesse pro« gressivement.
Le beau , dont Schelling ne s'est occupé que dans son rapport avec l'art ^ est, selon lui, Tinfini repré- senté dans le fini ; l'art , représentation des idées, est une révélation de Dieu dans l'esprit humain.
Au reste, Schelling a déclaré lui-même que son système n'est pas achevé; et on n'en trouve encore l'exposition générale scientifique que dans un simple fragment de peu d'étendue. Il n'en a pas moins eieité un grand enthousiasme t de tous côtés nn s'e^ eflbreé
TaOlSlÈME ÉPOQUE, 488
de triai ter choqua sélence d'après le |M)int de vue d^ l'identité absolue, et de compléter la tliéorie de ce grand pbib^pb^f Elle a exercé 9ur le$ recherebes naturelles, la mythologie, l'histoire, la théorie de l'art, Teelhé^ tique, une très-grande influence qui a été secondée, pour ce qui concerne surtout cette dernière branche de travaux , par les deux frères Schlégel ( Fréiléric et Gui)l,-^Auguste), d'abord associés et amis de Schelling. Elle a regu aussi des développements étendus , princi- palement pour ce qui concerne l'histoire , de la part de Hegel ^ professeur k Berlin, qui a présenté^ sous
de nouirelles faees et des points de vue qui lui appar- tiennent, la théorie de l'identité absolue. Elle a servi de point de départ aux spéculations de deux autres philosophes d'un talent brillant et original , B^aniu etBoyTERWEcx, Elle partage enfin , avec la philosophie de ^Kant et celle de Jacobi, les suffrages du public allemand* Jaoobî s'écarte de Kant, de Fiehte et de Sohelling , en ce qu'il a la prétention de fonder toute connaissance philosophique sur une croyance qu'il considère comme une sorte d'instinct rationnel, comme un savoir donné immédiatement par le sentiment. C'est, selon lui , le sentiment qui nous fait connaître le monde extérieur : c'est lui qui nous révèle Dieu, la providence, la liberté, l'immortalité, la moralité, en vertu d'un sens intérieur, organe de la vérité, qui plus tard prend le nom de raison ou faculté de connaître la vérité. Cette double révélation d'un monde matériel et d'un monde immatériel éveille dans l'homme la conscience de sa personnalité', jointe à un sentiment de supériorité sur la nature. L'erreur de Jacobi et des philosophes de son
460 raiLOSOPniR moderne.
école est do n'avoir pas vu que ce seDlimeut, cette espèce d'illumination intérieure à laquelle ils ont foi , ne peut pas être séparée de la raison elle-même, dont ce sentiment révélateur est un des éléments essentiels. 11 n*est pas autre chose , en effet , que la raison , sous sa forme la plus pure, dans son action spontanée. Hais Jacobi y séparant la raison de la foi , et par là dtant à la foi sa base et sa règle, l'abandonne à tous les écarts du cœur et de l'imagination , et ne laisse à la philo- sophie d'autre asile qu'un mysticisme inquiet et brillant, sans vraie lumière et sans vrai repos.
Si nous réunissons maintenant les solutions données par l'école sensualiste à celles que nous venons de voir développer par Kant, par Fichte et par Schelling^ en faisant remarquer que la solution donnée par l'éoole écossaise rentre dans celle de Kant, nous pourrons dé- terminer et faire ressortir le caractère distinctif de cha- cune des quatre grandes écoles du xvni* siècle. Elles ont épuisé toutes les combinaisons qu'il est possible d'imaginer, pour donner l'explication scientifique du problème fondamental, puisqu'elles ont trouvé l'absolu :
CoNBiLLAC , dans le non-moi ;
FiCHTE , dans le moi;
Kant , dans la raison subjective ;
ScHELLiNG , dans la raison absolue.
Ces quatre systèmes se partagent aujourd'hui le monde philosophique. Le plus complet, celui qui rend le mieux raison des rapports intimes qui unissent les
TROISIÈME ÉPOQU£« 461
trois grands termes qui reviennent sans cesse dans Thistoire delà pensée humaine , Dieu, l'àme et le monde, l'absolu, le sujet et l'objet j c'est sans contredit celui de Schelltng. Mais , en supposant qu'il approche le plus près delasplution du problème, nous devons signaler l'incon- \éiiient^grave qui, s'oppose à ce qu'il obtienne l'assen- tîment général ,. qui suscite au système de l'identité absolue de nombreux adversaires , et qui doit entraîner infailliblement ses partisans hors des voies de la philo- sophie, pour les égarer dans le mysticisme.
Doué d'une puissance prodigieuse d'analyse, Schel- ling, dans le développement de son système , est fidèle à la méthode du siècle. Il se sert' de tous les faits con- statés par la science : les travaux de la physique , de la chimie , de la physiologie moderne , sont employés par lui comme les matériaux de sa construction philo- sophique. Mais cette construction du vaste système qui concilie Platon, Zenon et Aristote, Descartes, Leibnitz et Bacon , ne porte pas sur une base reconnue et avouée par la méthode , qui préside air développement de l'en- semble du système. Cette notion de l'absolu, qui lui sert de point de départ , il n'indique point par quels procédés il l'a obtenue. 11 l'admet d'abord et sans dis- cussion, et, par une synthèse hardie, il fait sortir de son sein la nature et la pensée, se développant d'une manière identique, comme une éclatante manifestation du principe générateur. Mais il pouvait arriver que l'on contestât la validité de ce premier principe, et que cette philosophie audacieuse fût frappée du discrédit attaché à tout système appuyé sur une hypothèse. Le scepticisme, en effet, n'a pas manqué d'en saisir le
462 PHIfcOSOraiB MOMIINE.
côté fkible : un nouvel jKné»i(ftme (4) s*e8t préiailé pour le conibatlre, et Jaoobi a dirigé xontre lui les arguments sceptiques de Hinpe^, au proftt de là pMlo- sophie du sentiment.
D*un autre côté , au lieu de partfr> pour expliquer le monde , dlune notion de Tabsi^ dont TeMMoee n'avait pas été soientiflqUement dénM|lal^ée, .et qwè h foi seule admettait, n'était-lL fias plus sHtaple d'aivoir recours i un autre principe admis aussi jmrU foi, et consacré par une religion sublinfe qui M prémnie à Tesprit humain avec Fauiorité que iut-donnetit dli4iuii siècles de durée ? Voilà ce que se sont derikandé plusieurs des disciple» de Schèlltng ;*ét une nouvelti^ école t'est élevée alors à côté de la sienne ^ employant pareiUemeot toutes les ressources de rhistoirs^ de Ja psychologie, des beaux-arts et des sciences naturdles ^ pour montrer la vérité et l'univers s'échappent de la pensée eréatriee du Dieu de Moïse , et se reflétant dans l'Évangile de Jésus<-Christ.
Cette école a pour i^présentants en Allemagne MM. M Guerres et de Baader. Il nous sérail impossiMode donner une idée complète* dos- doctrines développées par ces deut illustres ^ofesseurs^ qui comptent un grand nombre de disciples. Le but que se propOte Bna* der est de ratiaeher toutes les sciences à la science par excellence 9 à celle de la religion^ L'Éeriture saitite, la tradition caihollque, la cabale juive , la philosophie de l'antiquité, du moyen-flge et des temps modernes , la
(1) M. Ern. Schulze, aulear de plusieurs traités antinlogiBaliques, et entre autres d*ua traité qui a pour tHfe : Mnésidème. Il est mortcn janTÎer 1133.
TROISliHS ÉMQI)E« 4i8
médeeiae, les mathématiques, la physique, le raystî^ cftsme, la magie, Talchiove, la politique, les sociétés seQrètes, le magnétisme, le somnambulisme, rien, dierat ses disciples (i), n'est étranger à Baader, et toutes ces connaissances > admirablement réunies dans ie point de yue religieux, lui savent à expliquer soien- tîfiquement ce qu'il y a de plus intime et de plus caché dans la nature humaine, ce qu'il y a de plus proibnd et de plus mystérieux dans le culte chrétien « Arrivée à cette hauteur, la philosophie disparaît et se perd aa sain de la ihéoiogie.
Ge n'est poi&t ainsi cependant que fiaader et s^ partisans prétendent que l'on doit considérer leur système : c'est comme» une philosophie, comme une sciencQ positive, qu'ils la présentent et fa développent. Seulement^ preni^t* en pitié ce que les disciples de Desc^rtes ou de Bacoii appellent philosophie, ils refusent formellement à celle-ci la possibilité d'arriver à la vérité par les procédés qu'elle emploie. De là cette guerre contre la raison qu'ils déclarent impuissante à fonder un système ; de là le renouvellement de ces rêveries mystiques des Bôhme et des Swedenborg ^ et la pré- tention de , saisir l'absolu par la contemplation et l'extase.
Il appartient à la philosophie française de maintenir dans ses droits la raison vainement attaquée. Com- plétant les travaux de l'école écossaise et de Kant ^ donnant aux grandes vues de Schelling la conscience humaine pour point de départ et pour appui , elle con-
(1) Lei rédacteurs de la Revue européenne , qol oot donné tttie expositloli da 8f itèDe de Baader ( 1. 1 , no 1. 1831 ).
4<U rUltOSOPHlE MODERNE.
tinuera Tœuvre à laquelle ont travaillé tous les siècles passés. La révélation et la raison , la science et la foi ^ ja religion et la philosophie, ont chacune un dooiaîae qui leur est propre ; leur marche est parallèle , mais leurs voies ne sont pas les mêmes. L'histoire Dons apprend que ce n'est pas sans iaconvénient que l'on essaie de les confondre. La vérité est dans le christia- nisme, la vérité est dans la philosophie. Il y a autant d'inconséquence a mettre la fol au-dessus de la raison, qu'à placer la raison au-dessus de la foi. Les théologiens qui veulent convaincre la raison d'impuissance s'a- dressent à elle-même pour le lui démontrer, et reoou* naissent par là son pouvoir au moment même où ils le nient ; et les philosophes qui attaquent la légitimité des croyances religieuses méconnaissent la source intime où la raison va puiser les vérités- qu'elle livre au libre examen de la réflexion.
PHILOSOPHIE FRANÇAISE
AU XIX* SIÈCLE.
Si maintenant nous suivions depuis le commencement de notre siècle la marche philosophique en France, nous y verrions la philosophie de Gondillac, enseignée aux écoles normales par Garât, propagée par l'influence de Cabanis et de Yolney , après avoir trouvé dans le savant M. de Trac y un métaphysicien aussi clair, aus^ méthodique que respectable et consciencieux , recevoir enfin dans une école publique , de la part d'un de ses plus spirituels adhérents, M. Laromiguière, des modi- fications tellement importantes, qu'il était déjà facile
TftOIt^ÉRË ÉPOQUE. ■ 495
de préveur que son long ré^ne létaÂt $ur le point de finir.. C'était uq. disoîj^leide GpDUillac'jqfui^ consprvaol. et perfisctionDant la méthcïde de soft^ualtfe ^ substituait, au prioeipe de -l^ sensation celai dQ,4'aÀiviié'ée Xàme , et qui rendait par coi^quejtt à l'intelligence l'iodé- p^dance que lui wfusaienl^es prédécesseurs. Il ne. serait pas moins jjQtéressant pouf nous de \oir la phi- losophie éco^saisQ^-miDn tant ^n chatrewavec M. Rover-- CoLLàiiD ,. foudroyer de Ses arguments , auxquels la parole grave et puissante^ du* savant mofesseur donnait une force nouvelle, le triste 'système qui^ après a voie dom[né la dernière moitié du xvm" siècle, menaçait
encore le xix" de le retenir en tutelle. Nous' suivrions • • •
easxûte le jeune succe^ur de M. Royer«CoUard à^cette école normale^; où ses leçons éloquentes conçonimaient enfln la fé^plution philosophique commencée par ses maîtres (i). Mais* en même temps que le spiritualisme , réplacé
(1) Il a paru , depuis cette époque, un ouvrage auquel le nom de son au^ teur ne iipuTait' manquer de donner une assec gruide importance : e'est le livre du doeteur Broussais , ayant jfour titre : De VlrrUaiion et de la Folie^, dans lequel toute la science physiologiste est employée , non pas seul^nent à constater les rapports du physique et du moral , comme dans l'ouvrage de* Cabanis , mais à identifler les facultés InteDectuelles av^ les fonetions de rorganiame. Cette espèce de recrudescence du sensualisni^ n*a pas eu de| suite; et M. Broussais n'a pu réussir à faire école en philosophie, comme il Tavait fait en médecine. Il en sera sans doute de même des travaux des doc- teurs Gall et SpunzHBiM, qui» excellents et dignes du plus vif intérêt pour oe qui concerne la structure et les fonctions du cerveau , pourront bien donner à la physiologie une branche nouvelle , mais ne parviendront pas mieux que les expériences de Cabanis et de M. Broussais à faire penser la matière , ou à matérialiser la pensée. Hàtons-nous d'ailleurs de reconnaître que les savants qui se consacrent aujourd'hui à l'étude de la phrenologie ne préjugent en rien la question de la nature dp l'àme. Ajoutons morne qu'il
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gur des IbncteniMts' solides *; - reparaissait êbiM nok éiDtes où la prppagesieiit phisiiftirs des disciples h» fim dîsMpgtti^ de' M. •Cousin, une é<^le s'élevait dont Vgs ^'ttaqâes ^*éieieiit /pas senlêraent dirigées contre le condillécisniieck et les étranges abus qu'en avaient faits les philosophes duxvftr siècle^ mais qui, prenant corps à corpl^ pour aitisi di#e^ la ph1lt>60pbie
1 • ■
eHd-méme, annonçait haUlement le*" dessein d'élever , aur les ruines des systèçpes produits par la raisen, un système appuyé sur la révélation et la foi i!t|)igiMse. Unis dans le but / mais divisés suc les moyens, MM. ob Maistre^ de Bonàld, de Li Mennâis, Ballanche (1), (Mat employé, à l'exemple d'un théosophb qu*ont vu naître les dernières années du "'xviti* siècle , SàiNt- MxatiN j toutes les ressources de l'ésprif ^^Jtte Térudition et de l'éloquence, pour renouveler la lutt^' engagée déjà par Huet et par Pascal. Mais il n'entre point dans notre plan de tracer un tableau complet de la philo- sophie contemporaine : un professeur distingué (2) s'est d^ailleurs chargé de ce soin ^ dons son Si$t9kt 4e te jéHoêopMe m xit" siècle ; nous ne pouvons mieux faire ^ue de renvoyer noà^ lecteurs à cet intéressant ouvrage. Nous ferons oependtnl une exception povr le prô>» fessenr célèbre qui, après avoir fait apprécier à la franco les travaux de Heid et de t)ugald SteMarli
n'est point , selon nous , de syslcme physiologique qui démontre mieux la néGessilé d^admeltre Texislence d'un principe spiriluel qui ramené à runilé tint d*organes divers.
(1} tJn élève de Tancienne école normale, M. SkautaiK, a réuni depuis ^elques années ses efforts à ceux de ces illustres écrivâius ; nous attendons avec impatience l'ouvrage dans lequel il doit exposer ses doctrines.
(*2) H. l>amiroa , professeur à Técolc normale.
I
TAOïsitiifi É»o^t;£. 46?
(somfNété far unetfaéArie nouvelle ^ crUiriue de kant , ]
p&rcouru enfin , A>Qiiaie ScheUifig , mais eu partant de l'analyse psydiolqgi^'e 5 tcMit le tîerde <le la sciêoce pbflos6pht({u6 , o fonilé uèeéQolequL après atoir reoueilli riiéritaga de feacon^^de DescaKes èt.de Lei*> J^tliu , sauiia^ ti*^n doutons paS| \f féconder et l'é-
Eh exposant la théoriedé If .. Cousin, nous trouverons favaniaga dis f&iré mieux afipr^erl'esprit dans lequel A été ''ootjj^ée' cotte histoire : n6iii ramèoeroea i
^1) <^us ne Voudrions pasquet'o»donnàtîcelli^éco)0 Itmmà'ecleclique»
Le iffis que iWattfiehe Â,ce tiA>l peut ftiire uépret^it sur le bui stlu m^
>HBde qui prési^enl a aefi.lraYaux.^i Ton Yéul dire que » BèB^gUs«anlaucUa
Mes éféaeiiU de lacoftcieicé^h|^ainS| déjà obser^'és par las écoUs précé^ deoleSy elle lend a une théorie complète , parce qu'il n*y a'^e vérilc que dans %e qili estfîomplel -, alors elU e«l éckclique» Meia À^^^ole", Platon , Xénmi, JDtsearte», Leibnitt , Bacon » Loeke luf-nièBM , tous \eê |Aiilolophes «dHii i|ai ontadmiitles trois objets de toute spéculation ptailoioptaiqiie » Dieu , rime et Immonde, seront éclecl^iues, sinon afl même degié, du moinsrau mèm« iitre qu*«lle $ M» par ounséquenl» ceTte 'dénoninatiMi ne doit pps l^i étl« esfclusivaowBt donnée. Si » par eclkoiisme » on entend » cbiyme plusieurs personnes ont^paru le croire^ et comme on s'est plu à le répéter , bne philo* sopbie formée , pour ainsi dire , de pièa^s et de morceaux , allant frapper à la pMnb éb ebaqtte syalème t>oiir lui «nprtintiMr une petiU» part et véHté» êl caipoartit aV«e cas em^unts suecessifc une doctrine unique» «e «om ne donne nullement Tidjée des procédés eta^yés par TécDIe de M. Cousin. Ses premiers soins onl^été de se former > à Taide de Tanaly^e psychologique, une Ibéorie complète de« faeuU^ de Tespril humain. Cette ihéotrle trouvée» elte ft mieux eompcie IliislAre des théecies Jtequ*â présent imâgijiéee; elle t re- connu ce qu'elles est de faux, ce qu'elles oflirenide Yrai; elle a confirmé, par le téçiqignage de Thisloire , son système philosophique , et prouvé qu'il est complet , perce qu'elle le trouvait d*aberd tout entier dans Teeprli humain mieux Dbifitvé» puis dÎjMéminé dans les éœles qui l'ont préoédée. Si Ton vetti dennqf à ce système » ainsi entendu , le nom d'éclectisme , nous y souscrirons Vblontiers; nous aimerions mieux ce))endant qu'on lui donnftt celui de spirU htâilsme nuionHd » qui^xpliqM ttiieux ses dectHues et en mélliode.
r unité, et nous présenterons sous leur expression la plus baute* les pointe /ondaoïentaax de la doctrine qui nous a servi de règle pour appréder les systèmes que nous venons, de faiye passer sous les yeux de nos lecteurs.* ■ '
La théorie philosophk^ue de M. Consia , résumée dans la préface des Fragments qu'il put)Ha en 1826, puis développée dans le cours qu'il iïi, en 1828 6t en 1829, à la Faculté des lettres de Paris, avec cette éloquence et cet éclat ^jui lui ont valu sa réputation européenne, doit être envisagée sou^ quatre aspects : V la méthode.; '2'' la psf cbologie ; 3° le pasSage de la paj'- ohologieà l'ontologie; 4° les vues générales«ur'lliistoire de là philo^phie. Tels sonf les divers points qu'il avait traites, dans* la préface ^dont nous venons de parler , et %ur lesquels il insiste cntore dans la nouvelle édition de ses Frag^ments philosophiques. Nous aHons en présenter le sommaire ,. eii nous servant^ le plus qu'il nQus sera possible, dés paroles mêmes de Tautettr.
M. Cousin n'a jamais, * cessé de se prononcer en faveur de cette méthode qui place le point de départ de la philosophie dans F étude de la nature humaine , et par conséquent dans Tobservatiori , et qui s'adresse ensuite à l'induction eV au raisonnement pour tirer toutes les conséquences qu'ils renferment : c'est par cette méthode que sa philosophie sô rattache à celle du wm'' siècle. « La nouvelle philosophie allemande, dit-il^ aspirant à ]:eproduire dans ses conceptions l'ordre même des choses, débute' par .l'être des êtres, pour descendre ensuite , par tous les degrés de Fexis- tence, jusqu'à l'homme et au^ diverses facultés dont
il est pourvu, «fille arrive à^llb-]jsycIy>iogie j)ar l'on- tologie, par 4a mçtapbysfque et'ja pbysiqua réunies. Et cert^ ma» dupsi je siiîs convaincu que dam Tordre unive^el rbomme n'est qu'on résultat, le résumé de tout ce quî précède, et que la racine de fa Bsyoho- iogie est au fwd dans Tontologie ; mais comment, s^je cela? comAient l'anje appri%? Parce que, ajrant étudié f homme et y ayailt discerné certaAtis éléments, J'ai retrouvé , avec des conditions et sous des foqnes différentes , ces mêmes âéments de la nature «exté- rieure, êl qfde , dMnductions eh ffiductî^ns ,*;de i^ison- ntments éA raisonnements , il m'a bien fellu jratt^^cher ces eJémeats , ce vx de l'humanité ^^ceuxrde laitaturè, ;att principe . invisible de l'une^et de Va'qtre. Mais je n'a» pas Gommeacé pai;, ce'pcipcipe, et JQ^-n'y ai pas placé d'abofd certaîifès -puissances'^ certains attributs ; car à 4'aide de,qu(^i|l^ùrais-je*fait? Ce n'#ût pas été là une induction , ^iq$que.jfe ne connftissf^is encore ni TtibiB- iK^ê, ni la* nature; c'eùrdonc été ce qu'^n appelle en AUe\n|gne une ^cormifuifption {i)\ et ct\ez nous une hyfKV Ihèsei %tte hypothèse fût-elle une vérité, comnle jéle crois,*ena n'en est pas moins nulle scientifiquement. » Mais si, p9uv la méthode, M. Goyusin se sépare de la ni>ttvelle4>hilo8ophie allemande' et sib rapproche de l'ancieioine philosophie^ française du.xvui'' siècle, il ne tarde guère à s# séparer de celle^i, dès les premières applications de Ja méthode qifi*leur est commune : U ^ fait vbir^que si cette philosophie a le mérite de s'ap- puyer sur l'observation , elle a le (ort de.q' observer que * les faits qui lui conviennent et de^orrompce d'abord la
(i)|Vo7ez ei-d68SU8 VexposiUon 4e la doctrine de St^elUng , page 454.
470 " pnaasom» M^b^^E.
69t'o6rUiffibq«*àiVpi;^^mie#s Regards j||i^^ jQttejMr Jb ooil«plBh«0, on y tip€t*i^oft '«Qd Vuftai^dd^ ptafii|pqiènf|B qui#ciéeoiDpo9Ô8dws laçrs élémenUy4»tàm^rfl|^Ala saiitetkiii« Mai^cil àu^tt un^tSula dPanir^ <||«Hft sfe^ ^îo» lie saurait eâtfftiqueR^ et l|uh^tH«npNt^Q«fMH^ au l(rnd éf la eoffsqreni)^ hdmainiîf^ t» at«\.06ii( ^ qui \wv itigllie ^na nMDtiVité et la nui|h. {^ ()« oga phénoDfiènes agranéUle ohamp dbm pbihli^hier» vfijnvv^*^ la doclHoe de hr aeiimion , sï idbifddtt à Im philoà^bie oppisée dtfni toutes ses parties t 4f^Kk|ÉIJp-
écoasais^et aurtoHtpar réoolg ^p'Hkit , qoiy profctaAt* Il mémb métbcxle » Tapplîl^tte avecr tour wftr||^èii|46 rigueur et d'éteticlue, qui à éiirilbi V |d|l!t)i[>loglè dcf* taM'd'i)bsérYations ingénieusêa et tprqfinq^ » «dt 4pV y attriQUt par la^grandeu^et la fftautédo^&qicflwey a^ tcr^joQl% une des p)u8 a&lbli%ible%taile4.de{rf)il^Mphi^ dofti fftiiaae s'honorer Te^l huiaàiik : ' ' ^ , ** » Qu'on juge de rimportanee d^ la psyoliili%ièl il ia auffi d'une seule orpur payehologique fmir j^ier Kant dana une route'qui 1'^ eonduh daii»un'afa|pDd. Kant n fiât une adnaii^ableiinalyae dela/aispn bun^aiiie. 11 eat inpoaaîble de décrire «vee plus de netteté et de pré* i^aion les conditiona et- lb$ loia de son ^ételoppemëqC ) maia , n'ayant poiAt analysé avee le môme aota l'actii«té . volontaire et Ijbre > oi grapd homme n'a pas vu que e'est à côtte.-classe de phénomènes qu'est attachée la * personnalité» et que la raison» bien qu'unie i la per*
AOM 6|t per^onelle, coinm^ l'afteQ^ç et ^ volaille^. Il n'ennît que loutes les çonce^kits qu'ellfi xkQm si||- §èr« sbom - personitelleft ausai) qqe tputes les véritAÎ qn'elte nous découvre ftoctl purement relatives à notre wamàre de^oncetair ^ et que les ql\jets préteirius Déel% lea choa^ , lest^tres , les sybstancQs ()oDt*çette rs^json
■
(KOis ràYële l'^xisteiice^ ne r^ppa^nt que sur ea t^moi-* flMg^. équivoque, ne peuvent f| voir qu'une valenp^nér k^m* c'est-à-dire relative ^^ ^ujet qui les aperçoit ^ pt n«Ue f9^mv olyifctm ^ c'es^$)-dire réelle et indép^- dMte du anjel, »
C'est IM'prreur ra^loalp qnoM, Gousi!is'9$tiiK>Vcé de 4iwipert Tous sm efforts ont pu pf iir bul de ^émotitiw que 1» persQPnalitév le moj^ p^t essemipUement Tae^- vite votoQtaire 9l libre; que là est 1p vr« sqjpt» et qup la raikon est tqute t^mi^ dls^iapte d^ op qujot qi|e la ««nsation et Im hppresaipns orgf(p|qiiosi. Q pet reve^ plusieurs foia et gvee raiion aup.oe point wpUfil , et Ifi solution qu'il a donnée de cet important prabièipe> (tBv^nt Iflqu^l avait éclioué le génie 4e Kant « non» parait
apasi juste que profonde. Nous ne pouvons ehoisir ub psftSAge pln^ proprp à la piettre dans tout %>n jour, qud la P^t^tion sniv^iite qnenous tirons d'une de cespdmiitablea loçona qu'il lit pendant les derftiera mois de l'année Ig^St ^ l'époqno où il remontftit dans I4 chpiro que TeaiH'it départi lui avait indignement onlevée, 0t qu'une politique pins judicieuse lui rendait} ^^\ applaudisse^ monts de toute la France philosophique ;
t ^0 vaux penser ot je penae. Mais ne vous arrive- Hl f>99 qu^quefoiii Ite9sieurs> de penaer sftns avoir
472 IVILOSOPTÛc HOfiERNE.
voulu pens«r?'Tran6portev-veiis de suite au prettiieft
fait de l'intelligeoce; car TinteUigeoce a dû avoir son premier fait; ellea^lA ^voir un certaîa phinomSVie dans lequel elle s'est manifestée pour la [tremière fins. AmiA ce premier fait, vous n'existiez pas pour voos-m&mes ; ou si \oiA existiez pour vous-même^, ooiyme riatdti* geuce ne s'était pas encore développée en vous , vous ignoriez que vous fussiez une intelligence qui- pût- se développe», car l'iotelligeoce ne se manifeste que par ses actes, par un acte au moins; et, avant cet' acte, il n'était pas en votre pouvoir de la soupçoRRW , eL vous l'ignoriez absolument. Eh bien ! quand pour la première fois l'intelligence s'est manifestée , il est clair' qu'elle ne s'est pas manifestée volootairement. EUle s'est ma- nifestée pourtant, et vous en avez eu la conscieitoe plus ou moins vive. Tâchez de vous surprendre pen- sant sans l'avoir voulu , vous vous trouverez ainsi au point de départ de l'intelligence, et là vous pouvez au- jourd'hui observer avecplus ou moinsde précision ce qui se passa ou dut se passer nécessairement dans le premier feit de votre intelligence, dans ce temps qui n'est plus h ne peut plus revenir. Penser , c'est affirner ; b pre> iniére affirmation dans laquelle n'est point intervenue la volonté, ni par conséquent la réflexion, ne peut pas être une affirmation* mêlée de négation^ car on ne débute pas par une négation : c'est donc une affirma- tion sans négation , une aperceptîou instinctive de la un développement tout instinctif de la pensée. 1 propre de la pensée est de penser ; que vous eniez ou que vous n' j interveniez pas , la pea- évelo]^ : c'est alors une affirmation qui n'est
:pas.ni6lée de nation ^,uae affirma^on pure , une «per- ception puce. Or, qo^y a«t-il dans cette intuition jiri- mitive? tout ce qui sera glus tard d^ns la léflexion : ipaîs m totft y çst, tout y est à d'autres conditions. No.uQb: ne comnençohs pas par naus chercher , car ce serf^it supposer que nous savons déjà que nous sommes; mais ivii jeUr , une heive, un instant, insta\)t solennel dans l'existence , sans nous être cherchés nous nous trouvons ; la pensée , dans son développement ins- lÎBCtif » nous découvre que nous soqimes ; nous nous affirmons avec une séLCurité profonde , avec une sécurité telle qu'elle n'est mêlée d'aucune négation. Nous nous apercevons, mais nous ne discernons pas avec toute la netteté de la réflexion notre caractère propre qui est d'être limités et bornés ; nous ne nous distinguons pas d'une manière précise de ce monde, et nous ne dis- cernons pas très-précisément le caractère de ce monde ; nous nous trouvons et nous trouvons le monde, et nous apercevons quelque autre chose encore à quoi naturellement, instinctivement, nous rapportons et nous - mêmes et le monde ; nous distinguons tout cela, mais sans le séparer bien sévèrement. L'in- telligence , en se développant , aperçoit tout ce qui est, mais elle ne peut l'apercevoir d'abord d'une ma- nière réfléchie , distincte , négative ; et si elle aperçoit tout avec une parfaite certitude, elle l'aperçoit avec un peu de confusion.
» Tel est , Messieurs , le fait de l'aflBrmation primi- tive , antérieure à toute réflexion et pure de toute né- gation ; c'est ce fait que le genre humain a appelé inspiration. L'inspiration, dans toutes tes langues, est
414 pmtoMMPfe ifOMim.
j'eateods de» vérîtéa essentiel kw ei fDtonJbimQntalw , sana Vintêrveatioo de la irérité et dP la peraomiâUté. WîQipipaUo w noua api^nieeupas. NQ(n.^AeMinni^ là que simpleA apecui^ura ; nous ne acoonte^ fM agi^U, au toute m>tre aotiou canaiate à avoir la cooscieofio de oe qui a'j Tait ; o'eat déjà der^ivitéaansdeme, mais oe u'eat pas l'aetivilé réfléchie, volontaire et peraonneUe. L'îfis|iiraUoa ajMur caractère reathouaîaame ; eUa wt accompagnée de cette émotion poîaiante qui ^rraohe VAme à aon état ordinaire et aubalterae, et dé^ge en elle la partie aobKnie et divine de aa nature :
Est Deus innobis^ agUanie caUscimus UIq.
» Remarquez auaai» Meaaieura, un effet du phénomène de l'inapiration. Quand l'homme prasaé par raperception vive et rapide de la vérité » et trans- porté par rinspiration etrenthouaiaame, tenladepn»- duire au dehors ee qui 80 pasae en lui et de reiprinor par dea mota qui ont le môme oaractère que le phéno- mène qu'ila essaient de rendre, la forme nécessaire , la langue de Tinapiration est la poésie, et b parole primi» live est un hymne. Nous ne débutons pas par la prose , mais par la poéaie , paroe que nous ne débutons paa par la réflexion , mais par T intuition et l'affirmation absolue*
» 11 suit encore que noua ne débutona pas par la science, mais par la foi, par la foi dans la raisoa, car il n'y en a pas d'autre. En effet , dana la sans le plus strict, la foi implique une croyance sans bornas, avec cette condition que ce soit à quelque chose qui neaait pas nous» tt qui par Qonaéqueat devianae pour nau*
autvea «A oantf» noës^viéoies « qui dey^one lu «ia»iirQ et la féigle de notre conduite et <)^ notre peneée* Or^ #a caradtère de te ft4 , que plw tard , dans 1% lutte de la r«Ugion et de la philosophie» en apposera j^ la rafaon» ee caractère eat précisément un earaetère esaeoliel de \^ rai^p»} oar s^il est.oertaio que noua n'ftYona foi qu'à ee qw n'§at paa nous, et que toate autorité qui doit régner sur nous doit être impersonnelle^ il est certain nuint que rien n'est moins personnel que la raisoni qu'elle ne nous appartient pas en propre , et que c'est fAh, çt elle seule^ qui, en se développant, nousf6vàla d'e» haut les vérités qu'elle nous impose immédia-* tement» et que nâos aoeeptons d'abord sans consulter la réOfttion i phénomène admirable et incontestaUe, qui identifie la raiao|i et la foi dans rsperception prin noiitîvei irrésistible et irréfléchie de la vérité.
• J'appelle ( pour abréger et pour noua entendre en peu de mots par la suite ) ^ j'appelle spontanéité de h raison» ce déveleppeeiept de la raison tantérieur à la rédeiioD , ce pouvoir que la vaison a dé saisir d'abord la vérité^ de la com|M*endre, et de l'admettre sans s'en demander et s'en rendre compte.
il C'est cette même raison spontanée, règle et mesure de la foi i qui plus tard , entre les mains de la réfleiion^ 'engendrera , é l'aide de i'analjse , ce que la philosophie ajjipellm et a ap()elé les catégories de la raison. La penaé» spontanée et instinctive , par sa seule vertu , entre en eieroiee et nous donne d'abord nous , le monde et Dieu ; nous et le mende avec des bornes confusément Iperçues ; et Die« satts bornes i je tout dans une syn*
470 raiLOSOPHlE MODERNE.
th<>$e oà le cteir al l'obspuj' sftnt mêlés ensenble. Peu a peu la réflexicyi et Tatialyse tr^mporteiit leur lumière dans ce phénomène complexe ; alors tout s'éclaireii , se pronopce et se détermine ; le moi se sépare du non* moi, le moi et le non-moi dans leur opposition et dans leur -rapport nous donnent l'idée cktire du fini; et comme le fini ne peut pas se suffire à lui*ni6iae, fl suppose et appelle l'infini , et voilà les catégories da moi et du non-moi , du fini et de l'infini , etc. Mab qu'elle est la source de ces catégories? raperceptîon primitive : leur première forme n'était pas du tout b réflexion , mais la spontanéité; et comme il n'y a pas plus dans la réflexion que dans la spontanéité, dans l'analyse que dans la synthèse primitive , les cat^cmes dans leur forme ultérieure^ développée, scientifique, ne contiennent rien de plus que Finspiration'. Et cooi- ment avez^vous obtenu les catégories? Encore une fois vous les avez obtenues par l'analyse'^ c'est-à-dire par la réflexion. Or, encore une fois, la réflexion a pour élément nécessaire la volonté, et la volonté, c'^esl la p^sonnalité, c'est vous-même. Lescat^ori^ obtenues par la réflexion ont donc l'air, par leur rapport à la réflexion , à la volonté et à la personnalité , d'être per- sonnelles; elles ont si bien l'air d'être personnelles, qu'on en a fait les lois de notre nature , sans trop s'ex- pliquer sur ce que c'est que notre nature; et le plâs grand analyste moderne, après avoii^ séparé, une fois pour. toutes, les catégories d'avec la sensation ^ tout élément empirique, après les avoir énumérées et das- sées , et leur avoir attribué une force irrésistible, Kant, les trouvant dans le fo^d de la conscience , où git toute
pprsonnedili , ie^ rapppfleià la^nalyre' humaiitei^'* et conclut ({ti'yies negiùnt que d^sMois de notre personne ; et comme c'est nous qui fqwf^ons {e sujet de la ccm- science,»Kaiit, dans spn léictionnai^ , les appelle sub-
m
jectives, des lois subjectrvei^, c'est-^-dfr^persqsnelles; de sorte que , quand nous les transportons à h^ nature extérieure, ntus^e ftriscois pas^utrèjchoseque trans* pester, selon Lui , li>«^jet (}ans.ret^et^ et , pour parler allemand, qu'objectiver les lois subJMtives de la pensée, sùxis «irriter à un^ o)]je4livité ^légitime et véritaUe. Kant , a^^ avoir ^raché^du'sensualisme les catégories, Jeur a laissé -ee'icaractâre de subjectivité qu'elles ont dans la Réflexion/ Or , si çllés sont purement subjec- tives, ^ersdlinelRs , vpifs n'avez pas le droit de les transporter* hors de vous; hors du sujet pour lequel elles sont* faites : * ainsi le mgnde extéiîeur , que leur application vous dobne, peut bien être pour vous une croyance invincible, mais noii pl&s un être existant en •lui-même; et Dieu aussi, Dieu peut bien pour vous être un^ objet de foi, mais non pas un objet de connais- sance. Aprè^ avoii'VooAnencé par un peu d'jdéalisYne , Kant aboutit au scepticismcL Le problème contre le- quel ce grand homme a /ait naufrage, est le t)roblème que la philosophie moderne tvouve encore devant elle. J'en ai donné autrefois une solution que 4e temps n'a point ébranlée. Cette solution est la distinction de la
BAISON- SPONTANÉE et dc la RAISON RÉFLÉCHIE. Si Kflnt,
sous sa profoQde analyse, avait vu la source de toute analyse, si sous la réflexion il avait vu le fait primitif et certain de l'affirmation pure, il aurait vu que rien n'est moins personnel que la raison, surtout Mans le
478 Mttqponùir liotisjkM;. ,.
ptiibbtiièfie de ttBffirmattott.^^e) i}iie pa^Mtiêiéqil^ rien n'eSt «loiiis subjectif/ et cfij^ Jfe 1f4l«fe&quf nans sbntjainri données. soâïdes'Véri!^\b^(yilîëfe.3jiKec^ ti^pes , yen convieAs ^ p^r ifllA' t»ppoC| tm adl éoiB te ))béiMriMtte Mrt de là eoAscijetice l mdîs d^jHljnes* ëli ce qu'îles en soM itidépetidaiHed.'Ui téftt^ eîtil)||^l^, indépendâiite ée notre misoff > dlnmiib ce qir notre rahon esl véritebiement 4îMllvpt ëUM^^^fiittrfiik La raison n'est ^ SHbjectiye^ le sujëir, b4tttiHiëi|« est la personne, la KiMsrté , b i^oaté. La raisM^*a^âM caractère de, personnalité et de id^rté. (Jf^k jaMits dit ma vérité, votre vérité? %o\p qye nous puisons constituer les vérilés que* la raison nôuAdéeoilVre, e^eet notre honneur I notre gloire, de- pouvoir A p&r\iciMr.
» Pour nous résumer, lé caractère dctponta^tft dans la raison est* la démonstration 4^ rindépendinœ des vérités aperçues par la raison. Oui, Messieurs^ quand nous parlons du monde , nous n'en partons pis sur la fôi du sujet que nous sommes , car nous en par^ lerfons sur une autorité étrangère et incompétente; inais nous en parlons sur ||^ Voi rfe la lîdson en soi , qui domine la nature aussi bien qu^-rhumanilé. OoMd nous parlons de Dieu , nous «vons droit li*ea partnr , parce que nous en paiNons d'après lui-même ^ (f aprds la raison qui le représente : nous sommes donc dans la vérité, dims Tessence et la substance des choses; nous y sommes en vertu de la raison , qui eHe-mème dans son principe est la substance véritable et Tessence absolue. »
La raison une fois rétabhe dMS sa vraie nature et dans l^indépcndance qui lui appartient i on reconnaît
à
«tiàiiitôtil li ^itimité àem âpplit^ttoo^ > dtons knêitie qu*aprè8 atoilr^Qfé foiifermées ddi^s le iSbamp^ de It eonsciencc» elles s'étendent régulièrement au-delà. La HifeDû atteint âudsi t^en léfi être» que les phénomènes ; elle BOUS révèle le monde et Dieu ^vee la même auto-' rite ^ue uptré exiMence , et la moindre de tes tnodifi'^ caiiens \ et l'ontologie est tout auesi légitime que la psychologie, puisque c'est la psychologie qui, etl nous ficlq^irant sur I![^ natlire de la raison , tious conduit elle^ tti/kvût^ à ront^wfe. '
Il faut voir dans tes ouvrages qUe nous avons déjà cifl^s f le d&vek>pp«ment de cette ontologie profonde , qiii n'est* plus ^ comme c/eHe de Scheliing^ un système eonstri^it sur une hypothèse^ mais i^ien une déduction i^ulière et légitime ^ ftiits scrupuleusemeiit analysés, et que tout observateur petit \k chaque instant retrodver dans sa conscience. C'est ainsi que^ renouant, j[)Our ainsi dire^ la chaîne* bHsée par la critique imparfaite de Kant, Û. Cousin non-seulement a démontré ifuélff «étaphi^siqué est possible, et enleifé tout prétexte ati âeepticrsme, mais ehcore a présenté une vaste et eom^ plëte théorie qui*^ nous le répétons, tora poUr notre âfècie le point de départ de tout progfès ultérieur.
C'est par ce motif que nous avons insisté sUr cette partie du système de Mv Cousin , qui perfectionne eil la continuant l'œuvre commencée par l'école écossaise et le criticisme allemand. Il nous eût semblé que notire histoire eût été incomplète et sans but , si , à la smté de tous ces systèmes dont nous, nous sommes eflbrtés de foire remarquer l'enehaineinent et la marche pro- gretrive à travers les siècles , nous o'eMbiene indiqué
480 raiLOSOFHl| . J^ODElfNE .
celui qui nous parait renfeiiner ]es germes des théories
jt *
Oitures 9 bu iew offrir du moia^ le poîst de départ le plus sûr et le plus solide. M. Cousin «'est imposé la tâche < d'éclairer Thistoire de la philosophie par un sys- tème et de démontrer ce système par l'histoire entière de la philo^phie. » Nous avons essayé d'appliquer ce double principe à la composition de cet ouvrage.
Nous (Croyons n'avoir été injuste env^s ancien sys- tème, parce que nous partions d'une théorie qoMef explique tous et les justifie tcfus jas4|u'à un cortaiA point. Nous avons montré comment le sensualisme et l'idéalisme, le scepticisme et le mysticàsmç, raisonnables lorsqu'ils ne sont pas exclusif, tombent ihfailffbleineiit dans de tristes aberrations, lorsque, se préoccupant trop du principe sur le(]uel ils se {pndenlt l'un ei l'autre^ ils vont jusqu'à méconnaître la réalité de ceiix qu'ils ont eu d'abord l'imprudence de négliger. Distinguant avec le plus grand soin les hom'mé^ des systèmes, nous avons signalé , sans vains ménagements , lel tendances funestes que pouvaient avoir les doctrines incomplètes et fausses. 11 nous reste maintenant à faire voii^que ce n'est pas sans motif que nous avons %dopté tel systèoie philosophique plutôt que tel autre; et,. pour parlw plus nettement, pourquoi nous n'avons jamais dissi- mulé notre prédilection pour le spiritualisme. S'il était prouvé par le témoignage de l'histoire que les consé- quences inévitables d'uhe théorie, appliquée à la morale, à la politique, à la religion, aux études historiques, à la littérature et aux beaux-arts, étaient de. détruire l'enthousiasme, de glacer le cœur, de compromettre la liberté, d'anéantir enfin cette eq[>énmce d^une autre
THoftiiiC£ ÉPOflu^'; « 418
yie , qui mukf peut bous expKquer l'énigiifef de notre courte existence sur la terre > comment ne lui préfère- rionsrnotts pas uot autce théorie, dont lei cooséqueaees, Yérifiéqs encore par le témoignage de l'histoire , ont |ou|ovrs condiilt à des r^suUs^s*opposés?
Or, des deux i^stèmes que nous Jivow vus se pro- duire à toutes les époques, quet es|' celui qui, dans son dévefoppemént relier et l^^que, a donné nai&- s^ôe aux doctrines les plus tiiiles à la société, les plus favoi^bles àTart^ les plus>propres à faire le bon- beur dej'honfo^e? Sans doute, si nous considérons les {rfiîlosophes , abstra^on faite des systèmes ,. nous trouverons dans toutes les écoles dès hommes qui ont . pro^sé lés principes les plus nobles et les plus purs ; 90US verl'ons sortir de l'Académie , du Lycée et du PortigHe^^de l'école de B«con et de celle de 'Descartes, des pl^losqpbes siifcèirement voués au dbuble culte de t^ religion 0I de la veftu : spectacle admirable qui pMuve coiçbien le sentiment moral et la foi religieuse sont puissants dans Tâme humaine, pui^u'ils rappro- chent ainsi, dans une touchante harmonie, les esprits séparé» par les doctrines les plus opposées!
Mais lorsqu'il s'agit de déterminer la valeur positive d'une doctrine philosophique , il ne faut p%s se borner à considérer les hommes qui ,'par une inconsé<|uence honorable pour l'humanité , refusent d'appliquer, dans la pratique de la vie, les principes qui servent de base à leurs théories scientifiques. Pour savoir ce que vaut un système , il faut s'adresser à un logicien plus exact, plus conséquent , plus rigoureux : ce logicien , c'est le temps. Le fondateur d'un système est rarement fidèle
^1
482 PHiLoacrpBiE moderne.
au principe qu'il a posé; mais il n'en est pas de même des disciples formés à son école : les conséquences que le maître n'a pas osé tirer de ses doctrines , ce sont eux qui se chargent de les en faire sortir ; et si par hasard quelques-unes leur échappent , ils auront à leur tour des successeurs qui ne manqueront pas d'épuiser toute la série des déductions légitimes.
Maintenant donc qve nous avons vu dans l'histoire le développement régulier du sensualisme et de l'idéa- lisme , et que chacun de ces deux systèmes s'appliquant à la morale I à la politique, aux beaux-arts, à la religion, nous a montré ce qu'il recèle dans son sein d'utile ou de funeste , que nous reste-t-il à faire pour justifier la préférence que nous avons donnée à celui qui a son point de départ dans l'activité de l'âme , si ce n'est de présenter en raccourci les principaux caractères de l'un et de l'autre, et quelques-unes de leurs consé- quences les plus importantes ? C'est ce que nous avons essayé de faire dans le tableau synoptique dont nous faisons suivre cet ouvrage , et dans lequel nous avons réuni et classé les différents systèmes philosophiques , avec leurs principales applications. Nous y montrons d'un côté comment le sensualisme, d'abord dualisie , c'est-à-dire admettant l'existence de la pensée et de la matière, mais expliquant le monde intérieur par le monde extérieur , devient bientôt uniuàre , c'est-à-dire matérialise la •pensée, et amène à sa suite les déso- lantes maximes de l'athéisme et du fatalisme : puis est venu le scepticisme, conséquence inévitable de ces funestes doctrines. Nous avons 'fait . de même pour l'idéalisme : nous l'avons montré d'abord, dans ses
TROISIÈME ÉPOQUE. ^3
différents degrés , tel qu'il n'a jamais manqué d'obtenir l'assentiment des bons esprits, fidèle aux croyances universelles, mais expliquant le monde extérieur par le monde intérieur; puis, nous l'avons suivi dans les hautes régions de l'unité absolue, où^ après avoir spiritualisé la matière, il s'est anéanti, pour ainsi dire , lui-même au sein du mysticisme. Nous espérons que ce tableau jettera quelque jour sur la valeur réelle de chacune des doctrines dont il présente le développe- ment. Puisse-t-il en même temps faire ressortir l'im- portance d'une science qui donne la clef de toutes les autres, à laquelle toutes les autres empruntent leurs principes, qu'ont enfin cultivée y de préférence à toutes les autres, les plus grands hommes dont l'humanité s'honore !
FIN.
J
TABLE ALPHABÉTIQUE
DB8
ÉCOLES ET DES PHILOSOPHES
«nrioimis
DANS CETTE HISTOIRE.
A.
Abailard. |
214 |
Akxandre de Haies. |
231 |
Abeo-Esra. |
228 |
Albxaitdrins. |
163 |
Académie. |
Alkindi. |
225 |
|
— moyenne. |
121 |
Alfarabi. |
225 |
ÂGABiMinENS {voyez |
Algazel. |
225 |
|
Platoniciens ). |
Amalric de Chartres. |
222 |
|
Âdélard. |
220 |
Ammonius Saccas. |
170 |
JSnësidème. |
126 |
Amos. |
385 |
Agrippa (le Sceptique). |
129 |
Anazagore. |
50 |
Agrippa de Nettesheim. Akibba. |
299 |
Anaximandre. |
32 |
161 |
Anaximènes. |
32 |
|
Alain-des-Iles. |
221 |
Andronicus de Rhodes. |
149 |
Albert le Grand. |
232 |
Annicëns. |
73 |
AIdnoùs. |
150 |
Anselme deCantorbéry. |
210 |
Alcméon. |
42 |
Antiochiis ( l'Académi- |
|
Alcuin. |
198 |
cien). |
125 |
Aleinbert(d'). |
405 |
Antisthène. |
70 |
Alexandre iEgeus. Alexandre d'Aphrodise. |
149 |
Antoniù ( Marc Aurèle ). |
144 |
149 |
Apollonius de Thyane. |
152 |
486
TABLE
Apulée.
ÀBABEft.
Arcésilas.
Archélaùs de Milet. Archytas de Tarente. Arçeii8(d'V AnBlippe (l'Ancien). Arbtippe Mëtrodidacie. Aristobule. Aristote. Aristoxène.
ALPHABÉTIQUE. |
|
150 Arnault (Ant. ). |
359 |
224 Arnobe. |
187 |
122 Asclépigénie. |
181 |
53 Athënagore. |
185 |
42 Atomes ( Doctrine atomis- |
|
407 tique). |
33 |
72 Atdcus(T. P.). |
148 |
72 Augustin (S.). |
188 |
156 Averroës. |
227 |
89 Ayicenne. |
226 |
104 |
B.
Baader.
Bacon François. Bacon Roger. ' Barbarus ( Hermol ) . Bardili. Basedow. Bayle. Bealtie.
Bède(leyënërable). Bérenger de Tours. Berkdey. Bernard (S.). Bernard de Chartres. Bion de Borysthène.
463 Bodin. 280
31 1 Bôhme. SOS
242 Boëce. 192
Boéthie(dela). 292
459 Bonald(de).
436 Bonaventure(S.). 239
377 Bonnet. 420
432 Bouterweck. 459
193 Bradwanline ( r. Thomas).
21 1 Bruno ( Giordano ). 28t
362 Brutus(M). 141
216 Buffier. 422
219 Buridan. 253
72 Burlamaqui. 421
C.
Cabanis.
Cabale.
Callidès.
Campanella.
Capella (Marcien ).
Cardan (Jér6nie).
Caméade.
Garpocrates.
Cassiodore.
Cassius (C).
Caton.
Cébès.
Champeaux ( Guill. de ).
Charpentier.
413 161
59 287 191 304 124 160 192 147 141
69 214 270
Charron.
Chrysanthe.
Chrysippe.
Catégories.
Cicéron.
ClarkeSam.
Cléanthe.
293 179 120 95 138 361 1»
Clément d'Alexandrie (St). 1S6
Clitomaque. 1^5
Collins. 347
CondiUac. 395
Condorcet. 424
Cousin (Victor). 468
Crantor. 103
TABLE ALPHABÉTIQUE.
487
Craies de Thèbes. |
72 |
Criton. |
69 |
Cratippe. |
149 |
Gudworth. |
362 |
Grëmonini. |
275 |
Gyniqdes. |
71 |
Crescens. |
146 |
Cyrénaiqub (École ). |
72 |
Ciitias. |
59 |
D.
Damien. 211
BaYiddeDinaiit. 222
Darwin. 403
Démétrius de Phalèie. 105
Démocrite. 33
Démonax. 146
Benys ( rAréopagite )r 199
Bescartes. 320
Destutt de Tracy. 464
Diagoras de Mélos. 59
Dtcearque. 104
Diderot. ' 405
Diogène d'ApoUonie. 53
— de Babylone ( Stoï- cien).
— de Laërte.
— de Tarse.
— de Séieucie.
— de Sinope (le Cyni- que). 71
Docteurs Scolastiques. 229 Duns Scot. 236
Durand ( Guill. de St. Pourçain ). 241
B.
Edésius. |
177 |
ËLis (Ecole d'). |
42 |
Elis (Ecole d'). |
74 |
Empédode. |
53 |
ElTCTCLOPEOISTES. |
415 |
Engel. |
385 |
Enkéades de Plotin. |
171 |
Epictète. |
143 |
Epicharme. |
42 |
%icure. |
106 |
Épicuriens. |
112 |
Erasme. , |
273 |
Erétrib (Ecole d'). |
74 |
Erigène ( J. Scot. ).
( voyez Scot ).
Eristique ( École ). 73
Eschine ( le Socratique ). 69
ESSÉNIEMS. 156
Eubulides. 73
Euclide de Mégare. 73
Eudême de Rhodes. 104
Eyhémère de Messine. 72
Eunape. 178
Eusèbe de Mendes. 178
Eusèbe ( l'ffistorien ). 188
Euthydème. 59
F.
Fardella. 361
Favorinus {yojrez Phayo-
rinus). Fergusson. 429
Fichte. 448
Ficin ( voyez Marcile ). Fludd. 304
488
TABLE ALPHABÉTIQUE.
G.
Gale (Théophile). |
386 |
Gilbert de la Porée. |
218 |
Galien. |
150 |
GlanviU. |
379 |
GaU. |
Gmostiques. |
159 |
|
Garât. |
464 |
Goethe. |
437 |
Garye. |
437 |
Goerres. |
463 |
Gassendi. |
336 |
Gorgias de Léontiuin. |
57 |
Gattaker. |
278 |
Gournay ( Vincent de ). |
423 |
Gaunilon. |
120 |
GaEcs en Europe. |
262 |
Gautier de St-Yictor. |
218 |
Grégoire (de I^fysse). |
|
Gennadius. |
262 |
Grosse-Tète (Rob. ). |
231 |
(reorge de Trébisonde. |
262 |
Guillaume d'Auvergne. |
230 |
Gerbert, Pape (Sylves- |
Guillaume de Cham- |
||
tre II). |
202 |
peaux. |
213 |
GersoD. |
255 |
— de Gonch^. |
219 |
Geulinx. |
357 |
||
H. |
|||
HAaMONIB PBEETABUE. |
365 |
Hésiode. |
|
Hartley. |
347 |
Hiérocles. |
180 |
Hégd. |
459 |
Hildehert de Lavardin. |
211 |
Hé^ésias. |
73 |
Hippias d'Elis. |
59 |
Heinsius. |
279 |
Hipparchia. |
72 |
Hebnont(J. B. Van). |
385 |
Hippocrate. |
|
Helmont (Fr.-Merc. ). |
Hirnbaïm. |
380 |
|
Helvétius. |
412 |
Hobbes. |
331 |
Heraclite. |
33 |
Holbach (d'). |
405 |
Herder. . |
437 |
Horace. |
147 |
Hermétiques ( Ouvrages). |
Huet. |
381 |
|
Hermolaûs ( vojrez Barbarus). |
Hugues de St-Yictor. |
219 |
|
Hermotime. |
50 |
Hume. |
416 |
Hérodote de Tarse. |
129 |
Hutcheson. |
427 |
Hervey (Natalis). 241
Jacobi.
Jacques d'Edesse •
Jamblique.
Idéausmb.
Idées de Platon.
459
193
176
80
81
Identité ( Système de V ). 454
Idoménée. Jean Damascène. Jean de Salisbui7. Jean Philopon. Jochàî (Siméon Ben. )< Ionie ( Ecole d' ).
112 193
220
m
30
TABLE ALPHABÉTIQUE.
aidote de Sëville. Italique ( Ecole). F uiFs ( Philosophes).
193 Julien (l'Empereur ). 36 Justin (le Martyr). 156
^489
178 184
R.
Lant (Emm. }.
(empis {yo/ez Thomas).
437 Kronland ( Mareus Mar-
céde). 385
L.
jactance. |
187 |
iseliiu. |
141 |
jamétrie. |
405 |
jamenoaU (de). |
466 |
iaofranc de Pavie. |
211 |
laromiguière. |
464 |
•aunoy. |
|
•ederc. |
348 |
.ëe. |
|
teibnitz. |
365 |
■essing. |
437 |
<e Vayer. |
380 |
Leucippe. |
33 |
Lipse (Juste). |
278 |
Locke. |
342 |
Lombard ( P. ). |
218 |
Longin. |
170 |
Lucain. |
141 |
Lucien de Samosate. |
148 |
Lucrèce. |
145 |
Lulle (Raymond). |
|
Luther. |
277 |
Luzac (de). |
405 |
Mably.
Machiavel.
Macrobe.
RfâGIB.
Magnenus.
421 280 180 295 337
Malchus (t^ojrez Porphyre ). Malebranche. 354
MandeviUe. 347
Manès 160
Marc Aurèle ( i^oyez An-
tonin). Marcien (i^ojrez Capella). Mareus Mard ( t^o/ez Kronland ). Vlarinus. 182
Vlardle Ficin. 263
- d'Inghen. 252
tfartin (Saint-). 466
Maxime d'Ephèse. 178
— de Tyr. 150 Medabbeains. 228 Megaae ( Ecole de ) . 73 Meiners. 437 Mélanchton. 277 Mélissus.
Mendelsshon . ^ 4^
Ménédème d'Erétrie. 74
— le Cynique. 72 Menippe. 72 MétrodoKe de Chio. 112 Michel Scot. 231 Mirandole ( twjrez Pic). Mnésarque. 42 Mnésaraue ( le Stoïcien ). Moïse Mammonide. 228
i
490.
MONADOLOGIE.
Monime.
Montaigne.
Montesquieu.
TABLE ÀLMABÉTIQUE.
365 Morus (Henri).
72 Mas.
290 Musée. 421
NiOFLATONISMK MYSTIQUE.
Newton (Isaac). Nicolas de Guss. — de Damas.
N.
162 Nicole.
361 Nicomaque.
269 Norris.
149 Numenius.
o9
112
359
151
Occam.
Ocellus Lucanus. Occasionnelles (Causes). Olympiodore. Onësicrite
O.
248 Oiigène (le Néoplatont*
42 cien ). 357 Orieène ( le Père de TÉ- 180 glise ).
72 Orphée. Oswald.
1S6
30 433
Panaetius. 120
Paracelse. 302
Parménide. 46
Pascal (Biaise). 382
Pattrizzi. , 271
Pères de l'Église. 183
Pérégrinus Protée, , 146 Péripatéticienne ( École ) . 1 04
Pétrarque. 255
Pierre d'Âilly. 253
Phayorin. 129
Phédon. 74
Phérécyde. 32 Philon ( l'Académicien ) . 1 25
Philon(leJuif). 152
PhUolaùs. 42
Philopon. 193
Photius. 193
Phrenologie. 465 Pic de la Mirandole ( J. ). 266
Piccolomini. 275
Platner. 437
Platon. 80
Platoniciens. 102
Piéton (G. Gémistius).
Pline (l'Ancien).
Plotin.
Plutarque d'Athènes.
— de Ghérouée.
Poiret.
Polémon.
Polus.
Pomponat.
Pordage.
Porphyre.
Porta ( Simon).
Posidonius.
Price.
Priestley.
Proclus.
Proccleiens.
Prodicus de Céos.
Protagoras.
Puffendorf.
Pulleyn(Rob.).
Pyrrhon.
Pythagore.
PrTHAGORiaENS.
263 1«
171 181 IdO 3S' 103 59 273 38: 17i 275.
121
429 40i ISI 146
59
5S
341
21^ 75
«
TABLE ALPHABÉTIQUE.
491
Quemay.
423
Rabanus [v, Rhabanus).
Ramus. 270
Raymond LuUe. 243
Raymond de Sebonde.
Réaustes et Nomi- naux. 120 y 252
Real.
Reid. 430
Réminiscence ( doctrine
de la ). 80
ReucUin. 297
Richard (St-Yictor). 219
Richard de Middleton. 240
Rhabanus Maurus. 198
Rochefoucault (de la ). 339
Rose-croix. 304
RosceUin. 212
Rousseau (J.-J.). 422
Royer-Gollard. 465
Sages (les sept). 31
Sanchez. 294
Saumaise. 279
Sfcaliger (J.-Cés). 273
Scheiiing. 454
Schiégel ( Frëd. ). 459
— ( GuiU. ). . 459
SCHOLASTIQUE. 229
Scioppius. 278
Scot ( Duns ). 236
Scot Erigène. 199
Search. 403
Sénèque. 141
Sennert. 337
Sépulvéda. 275
Sextîus (Pythagoricien ). 152
Sextus Quintus (Stoïcien. )
Sextus Empiricus. 129
Shaftesbury. 426
Siméon Ben Jochal. 161
, Simon le Socratique. 69
* — le Magicien. 159
SimpUcius. |
150 |
Smith. |
428 |
Sofis. |
228 |
Socrate. |
62 |
Sophistes. |
55 |
Sopater. |
179 |
Sorbière. |
338 |
Sotion. |
152 |
Speusippe. |
103 |
Spinoza. |
350 |
Spurzheim. |
465 |
Stewart (Dugald). |
432 |
Stilpon. Stobée. |
73 |
193 |
|
Stoïciens. |
120 |
Straton. |
104 |
Sulzer. |
436 |
Sylburge. |
273 |
Synësius. |
150 |
Syrianus. |
150 |
Système de la nature. |
408 |
Swedenborg. |
387 |
493
TABLE ▲tPHABÉTlQUE.
T,
Tatien de Syrie. Taurellui (Nie). Téléauges.
Télétto ( Bernardino ) . Tertullien. Tétens. Tbalès. Themistius. Théodore de Gaxa. — > de Gyrèue. Théophraste dTresse. Théramène. Thomas à Kempis. — d'Aquin ( S. ).
184 280
42 285 187 437
30 150
72 104
59 255 234
Thomas deBradwaniine. |
2 |
-— deStrasbomig. |
2 |
Thomasius. |
a |
Thomistks et SconsTKs. |
% |
Thophaîl. |
2! |
Tbrasylle. |
1; |
Tiinée de Locres. |
i |
Timon de Phliunte. |
* 1 |
TouEBiLLONS de Descar- |
|
tes. |
31 |
Tschirnhaiisen. |
V |
Turgoi. |
« |
V.
Yalentin.
Vanini (Luciiio).
Vice.
Yintent de Beauvais.
160 YisioN EN Dieu.
276 Voltaire.
361 Yobey. 231
35?
Ht
w.
Walter Burleigh. Wattel.
252 Wiockelmaon. 421 Wolf.
X.
Xénarque. Xénocraie.
149 Xénophane. 103 Xénophon.
fi
Zaharella Zenon d'Elée.
Z.
275 Zenon le Stoïcien ( de 47 Cittium ).
FIN DE LA TABLE.
ni'
I t